La photographie des couleurs
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- LA PHOTOGRAPHIE
- DES
- COULEURS
- BIBLIOTHEQUE
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- A Messieurs
- Auguste et Louis LUMIÈRE
- Messieurs,
- Je vous ai dédié cet ouvrage afin de témoigner publiquement de la reconnaissante admiration de toute une famille pour un acte qui vous honore et que vous avez accompli avec la pensée qu’elle n’en parierait pas.
- A. D.
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- ALCIDE DUGOS DU HAURON .
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- LA PHOTOGRAPHIE
- DES
- COULEURS
- BT LES DÉCOUVERTES DE
- Louis DUCOS DU HAURON
- Préface par Émile GAUTIER
- PARIS
- •A.. -3Li. GUTOT, ÉDITEUR 12, rue Paul-Lelpng
- ÏOÜS DROITS RÉSERVES
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- AVIS AU LECTEUR
- A la suite de Vhistorique des découvertes de Louis Ducos du Hatjron, on trouvera le Manuel proprement dit de la Photographie des couleurs à l’usage des amateurs.
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- PRÉFACE
- Les hommes de ma génération — celle qui grisonne — ont pu connaître d’autres hommes qui avaient vu naître de toutes pièces la photographie. Il existe même certainement encore aujourd’hui parmi nous de bravos gens dont la jeunesse ignora complètement cet art, éclos d’avant-hier, si bien entré désormais dans nos mœurs qu’on a peine à comprendre comment nos pères firent pour s’en passer.
- Les morts vont vite, dit un vieil adage, mais le progrès va plus vite encore que les morts.
- Aucune des autres créations de ce siècle, qui enfanta la machine à vapeur, les chemins de fer, le télégraphe, le gaz, l’électricité industrielle, le téléphone, l’anesthésie chirurgicale, etc., ne s’est aussi rapidement généralisée que la photographie. Aucune ne s’est si complètement infiltrée dans' les habitudes coulantes. A l’heure où nous sommes, il n’est, pour ainsi parler, personne qui n’en ait tâté peu ou prou, dans tous les pays, dans toutes les classes et dans tous les mondes.
- Et nous ne sommes pas au bout ! Plus nous allons, et plus la pratique de la photographie, inspirée cependant des principes scientifiques les plus subtils.
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- et les plus abstrus, devient accessible aux plus ignorants comme aux plus maladroits ; plus son outillage et son manuel opératoire deviennent simples et faciles. Encore un peu, et, sur toute la suface du globe, l’humanité va se partager intégralement — le cumul n’étant point interdit, non plus que le chassé-croisé — en photographiés et photographieurs !
- Il n’empêche que, de toutes les merveilles enfantées depuis cinquante ans par le génie de la science, il n’en est point d’aussi merveilleuse. Il en est de plus fécondes peut-être, qui remuent plus d’idées et de faits, et exercent ou exerceront sur la société une plus puissante action. Il n’en est pas de plus originale ni de plus saisissante que cette façon — si aisée et si parfaite qu’elle en est devenue banale et qu’on se laisserait volontiers aller à croire que cela est venu tout seul — de discipliner la lumière et de forcer le Soleil à se faire docilement le dessinateur ordinaire de Sa Majesté l’Homme.
- Je dis le dessinateur et non pas le peintre... A part, en effet, une pincée d’initiés, jusqu’ici tout le monde pouvait croire que la collaboration de Phébus se limitait exclusivement à la ligne, au dessin au trait, à peine adouci et vivifié par une plus ou moins heureuse distribution du noir et du blanc, du clair et de l’obscur. Il y avait déjà, sans doute, quelque chose d’admirable à ce que la Lumière daignât ainsi condescendre à obéir, ne fût-ce que dans une mesure restreinte, aux réquisitions des physiciens et des chimistes, mais on avait le droit de supposer que si elle nous faisait cette grâce inouïe, c’était à la condition
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- IX
- d’oublier la palette si riche et si variée qui sert à maquiller la mouvante polychromie de la nature.
- Il n’en était rien, et c’était sans réserves que la Lumière se livrait à la Science, dont le seul tort était de ne pas posséder à fond la manière de s’en servir. Aujourd’hui, ce dernier pas est franchi, et, d’ici à peu de temps, avant peut-être que le siècle ait change de millésime, la photographie des couleurs, devenue aussi populaire que l’autre, courra les rues.
- C’était le moment de rappeler que le secret de cette magie — tout le contraire de la magie noire — avait été conçu, formulé, traduit en images réelles et durables, il y a plus de trente ans, par un homme auquel l’histoire, parfois aussi capricieuse que la fortune, n’a pas su rendre justice.
- Quels que puissent être les raffinements, les tours de mains, les « trucs » plus ou moins ingénieux, imaginés depuis par d'habiles praticiens, tous les procédés de photographie indirecte des couleurs relèvent, de toute nécessité, par une filiation légitime, de la méthode dite des trois tirages, basée sur la combinaison des trois épreuves monochromes obtenues pas la « filtration » des trois couleurs fondamentales, le jaune, le rouge et le bleu, que découvrirent simultanément et à l’insu l’un de l’autre, vers la fin de l’Empire, Charles Cros et Ducos du Hauron.
- Mais Charles Cros est mort, également oublié, également méconnu. Ducos du Hauron, lui, esi toujours vivant, si cela peut s’appeler vivre que de végéter dans la misère, l’impuissance et l’obscurité.
- Il n’a cessé de travailler et de perfectionner sa dé
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- couverte, dont l’exploitation va sans doute apporter à d’autres, mieux servis par les circonstances, la gloire avec le profit. Il méritait bien apparemment la suprême consolation de voir, ailleurs que sur des feuilles volantes ou dans les publications spéciales, connues seulemeut des professionnels ou de rares dilettantes, la vérité rétablie et l’hommage rendu à une œuvre maîtresse destinée à ajouter à la couronne de la science française un précieux fleuron de plus, que nos envieux rivaux d’outre-Rhin seraient, comme on va le voir, mal venus à disputer.
- C’est son frère, M. Alcide Ducos du Hauron, qui s’est chargé de cette pieuse et patriotique mission dans les pages suivantes, écrites avec une émotion communicative qui trouvera de l’écho dans tous les cœurs que la gangrène du scepticisme n’a pas encore irrémédiablement desséchés. On y verra ce qu’il en coûte, au dix-neuvième siècle, dans ce pays de France qui passe pourtant pour le pays initiateur par excellence, d’avoir plus de génie que d’argent.
- Emile GAUTIER.
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- LA PHOTOGRAPHIE DES COULEURS
- Les toa?erëes de Louis Dueos du Hanron
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- Le Dictionnaire de Furetière, plus généralement connu sous le nom de Dictionnaire de Tré-vaux, contient, au mot Imprimerie de peinture, les éléments d’une étude rétrospective des plus curieuses.
- Il est facile de les résumer :
- Par ce vocable, l'Imprimerie de peinture, on entendait, au commencement du dix-huitième siècle, un procédé de gravure en trois couleurs, inauguré, il y avait longtemps déjà, par l’Italien Ugo da Carpi, et que Jean-Christophe Le Blond, peintre en miniature, né en 1670, avait pratiqué [ à son tour avec un élève' du nom de Robert, j Après avoir perfectionné l’invention, Le Blond
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- l’avait décrite fort soigneusement dans un traité in-8°, intitulé Colorito. Trois couleurs, rouge, jaune et bleu, non pas impalpables comme les couleurs primitives de Newton, mais matérielles, constituaient, réparties à l’état d’encrages et superposées l’une à l’autre sur une même surface blanche par le moyen de trois planches gravées, une polychromie destinée à produire la sensation de toutes les teintes du sujet original.
- Tel est bien le résumé qu’on peut, aujourd’hui, donner du procédé de Christophe Le Blond, en substituant, pour plus de clarté, les mots techniques adoptés de nos jours aux laborieuses périphrases dont il fallait alors se contenter. Trois substances pigmentaires reproduisant, par l’inégale distribution de leurs intensités, graduées à l’aide d’un travail manuel, la diversité des couleurs du modèle, voilà bien quel était le but poursuivi par les distingués graveurs qui viennent d’être nommés.
- Bien des réflexions pourraient aujourd’hui être faites au sujet de cette indication, à la fois artistique et scientifique, extraite du Dictionnaire de Trévaux.
- Elle vient confirmer une vérité qui ne saurait être du goût de tous, en un temps sceptique comme le nôtre. Cette vérité peut se définir en ces termes : Ce qui fait la supériorité de l’être
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- humain, c’est de ‘pouvoir discerner, avec l’œil de l’esprit ou de la foi, les choses réelles que l’œil du corps n’apercevra que plus tard-
- Jamais l'homme doué de ce genre de supériorité n’a pullulé dans les écoles, encore moins sur les places publiques. C’est pourquoi, scientifiquement parlant, la théorie des trois couleurs, telle que l’avait proclamée Ugo da Carpi et telle que la proclamait son continuateur Le Blond, ne dut pas faire fortune et ne fit pas fortune auprès de leurs contemporains, et il y a beaucoup à parier que les rares savants qui lui accordèrent quelque attention la considérèrent tout au plus comme une ingénieuse hypothèse.
- Pourquoi cette ignorance ou cette dureté d’entendement ?
- L’explication en est simple. A l’appui de l’importante loi physique dont ils avaient eu l’intuition, ces deux imaginatifs — qu’on me pardonne, vis-k-vis d’Ugo da Carpi et de Le Blond, l’anachronisme de cette expression de fraîche date — ne purent fournir que des démonstrations bien inférieures à l’idéal qui hantait leur cerveau. Si prodigieuse, en effet, que fût leur patience, comment ces deux virtuoses de la gravure auraient-ils accompli le miracle qu’il eût fallu pour creuser impeccablement, au simple jugé, à chaque point de chacune des trois surfaces métalli-
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- ques, l’exacte largeur de trame ou de pointillé qui doit correspondre aux intensités respectives des trois encrages employés à la reconstitution du modèle? Aucune comparaison ne donnerait l’idée de tout ce qu’il y a de minuscule en de pareilles différences, si ce n’est la comparaison d’un cheveu qu’on aurait à diviser en quatre ou en huit parties... que sais-je? en cinquante ou en cent. A quelque habileté qu’il parvienne, un homme ne jonglera jamais avec l’inûni, pas plus avec l’infiniment petit qu’avec l’infiniment grand.
- On accorda, il est vrai, un succès d’estime aux portraits de Louis XV, du cardinal Fleury, de Van Dyck, etc., imprimés en trois couleurs par Le Blond, mais ce fut tout, et la question scientifique soulevée par cet essai passa inaperçue.
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- Il était réservé à un pionnier de la science française, il appartenait à Chevreul de mettre en évidence, par de mémorables travaux, la loi de cette trinité des couleurs dont, jusqu’à sa ve-
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- oue, les physiciens n’avaient eu qu’une perception confuse.
- En établissant une comparaison entre les couleurs matérielles que les êtres organiques ou les minéraux fournissent aux arts industriels et les couleurs impondérables et impalpables d’un spectre solaire formé au moyen d’un prisme en sulfure de carbone, Chevreul est arrivé à cette conclusion qu’il existe, parmi les premières, un type de rouge, un type de jaune et un type de bleu absolument conformes, par la sensation produite sur l’organe de la vue, à trois zones étroites, zone du rouge, zone du jaune, zone du bleu, qui se discernent dans l’échelle des réfran-gibilités du prisme ; d’où la conséquence que ces trois types se trouvent à tout jamais déterminés par la position invariable qu’occupent, dans le spectre, leurs trois sosies immatériels; et, en outre, au moyen de tableaux chromatiques, comprenant dans tout leur ensemble les nuances des diverses couleurs et les tons de chacune de ces nuances, Chevreul est arrivé à cette autre conclusion, assurément imposante, que les trois couleurs pigmentaires dont il s’agit ont la propriété de procurer par leurs mélanges, mécaniquement effectués, l’immense variété des couleurs perceptibles pour l’œil humain.
- Armé d’une patience de bénédictin, l’illustre
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- savant consacra je ne sais combien de mois ou même d’années à réaliser, par une méthode empirique, d’ailleurs très simple, indiquée dans ses Mémoires, une gradation régulière des nuances qui s’échelonnent de l’un à l’autre des trois types primordiaux, rouge, jaune et bleu, en passant par l'orangé, le vert et le violet. Dans Une première expérience, relativement élémentaire, il se borna à les répartir, au nombre de 72 seulement, sur un cercle divisé en 72 secteurs dont chacun présente l’une de ces nuances étalée en teinte uniforme. Dans une seconde expérience, ce même cercle, avec ses 72 secteurs, se subdivisait en 20 cercles concentriques, de telle sorte que chacune des 72 couleurs ou nuances allait se dégradant et s’éclaircissant, à partir du cercle le plus voisin de la circonférence, où siégeait le maximum de son intensité, jusqu’au centre, constitué par le blanc ; cette seconde expérience réalisait par conséquent 1,440 modalités de la couleur.
- Çes 4,440 divisions comprenaient donc, en outre des 72 nuances spectrales, les modalités créées par des additions, en quantités variables, de ce qu’on appelle le Blanc, lequel n’est autre que le mélange de tous les éléments spectraux émis en égale proportion par la surface blanche.
- Un tel ensemble constituait le cercle chromatique des couleurs franches, ainsi nommées
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- parce qu’on les obtient uniquement par du rouge, du jaune et du bleu, soit isolés, soit mélangés entre eux, sans jamais recourir à la moindre addition de cet autre élément pictural qu’on nomme le Noir, et qui est tout le contraire de la couleur; ces 1,440 divisions ou subdivisions, poussées qu’elles étaient aux limites extrêmes des fractionnements appréciables pour l’organe de la vue, traduisent réellement et scientifiquement, sans en omettre aucune, les tonalités de la palette spectrale, avec cette différence cependant que, dans le spectre, les groupes de radiations dont dépendent lesdites tonalités occupent des longueurs ou zones très inégales, tandis que, dans le cercle chromatique tracé par Chevreul, elles sont 'toutes ramenées à des compartiments géométriques similaires, ce qui en rend la comparaison aussi aisée que possible.
- Arrivé à ce point de l’œuvre formidable qu’il s’était imposée, Chevreul reconnut que la reconstitution intégrale, par voie de mélanges pigmentaires, non pas seulement des couleurs du prisme, mais de toutes les teintes que la nature offre à notre vue, exigeait un nombre décuple de celui des 1,440 couleurs qui venaient d’être réalisées.
- C’est qu’en effet, dans les spectacles variés qu’elle étale à nos regards, la nature ne nous
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- montre pas uniquement les couleurs franches du spectre, mais un nombre dix fois plus fort de couleurs rabattues, en diverses proportions, par du gris.
- En réalité, les trois éléments pigmentaires dont il s’était servi avaient le pouvoir, aujourd’hui vérifié et reconnu dans tous les ateliers d’imprimerie polychrome, de former du noir par la superposition de leurs trois sortes d’encrages amenés au maximum d’intensité, et de former par conséquent, moyennant l’emploi de ces encrages amenés à une intensité plus ou moins voisine de ce maximum, toutes les teintes rabattues par du gris ; mais vouloir multiplier par dix, vouloir refaire neuf fois l’immense labeur déjà consacré à la procréation des 1,^40 couleurs franches, c’eût été une entreprise extravagante ; la vie entière de Ghevreul, qui a atteint cependant l’âge respectable de cent deux ans, n’y aurait pas suffi.
- En de telles conjonctures, pour produire la troisième et finale série de ses démonstrations, il eut recours à un expédient : au lieu d’assombrir à neuf degrés différents chacune des 4,440 couleurs franches en augmentant progressivement et par proportions infinitésimales, dans les mélanges, tel ou tel des trois éléments, il additionna de plus ou moins de noir les mélanges
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- eux-mêmes, et c’est ainsi qu’il parvint à construire, pour la figuration complète des radiations colorées, soit naturelles, soit artificielles, un dispositif chromatique hémisphérique, qui n’a pas peu contribué à la gloire de l’héroïque expérimentateur.
- On trouve une description détaillée de ce dispositif dans les Mémoires de l’Académie des Sciences (T. 33, 1861). On peut lire, d’autre part, le magnifique résumé qu’a donné de cette partie de l’œuvre de Ghevreul, Edmond Becquerel, dans son ouvrage sur la Lumière, ses causes et ses effets (T. 2, pages 340 et suiv.). Parmi les illustrations de ce livre, il faut admirer une chromolithographie, chef-d’œuvre des presses de la maison Firmin Didot, reproduisant les résultats de la première expérience ci-dessus relatée, c’est-à-dire le cercle des 72 couleurs franches uniformes réparties en 72 secteurs.
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- Dans l’aperçu que nous venons de donner du Ternaire chromatique pigmentaire (car c’est bien ainsi que nous croyons pouvoir appe-
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- 1er de son vrai nom la classification scientifique des couleurs instituée par Chevreul), le lecteur a pu remarquer qu’il n’est nullement question des choses de la photographie et qu’il n’est fait aucune allusion à cette dernière.
- Notre silence sur ce point n’a rien de surprenant.
- Chevreul, en effet, n’avait aucunement songé à faire intervenir la lumière dans la procréation de ses tableaux chromatiques, et il n’apparaît d’aucun document que ses disciples aient conjecturé, pas plus que le maître, la possibilité d’une association entre la science qu’il avait fondée et la science daguerrienne.
- En ce temps-là, soit parmi les théoriciens du mécanisme de la lumière actionnant la plaque sensible, soit parmi les praticiens plus ou moins exercés à utiliser cette action, quiconque entrevoyait, comme dans un rêve, la glorieuse transfiguration de la grisaille photographique en une écharpe d’iris, quiconque se sentait épris du problème de la photographie des couleurs, n’apercevait, pour faire de cette vision une réalité, qu’une seule stratégie vis-à-vis de l’astre du jour, qu’une seule sorte de sollicitation aux fins d’obtenir de lui qu’il livrât sa palette. Tous, l’un après l’autre, en file indienne, emboîtaient ^îe pas d’une même manière dans ce pays du
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- rêve ; tous, ou presque tous, se seraient refusés à admettre que le dessinateur Apollon, ardemment prié par les mortels de vouloir bien passer à la peinture, s’y prît autrement que lorsqu’on l’avait supplié de faire du dessin.
- En d’autres termes, les premiers inventeurs de la photographie ayant obtenu, par la lumière seule, sur une surface unique, une image formée de noircissements proportionnels aux demi-teintes et aux teintes du modèle, on en concluait, avec un entraînement invincible et sans songer à franchir les limites de ce concept, que l’image photographique polychrome impliquait, elle aussi, l’emploi d’une surface unique, sorte de surface-caméléon où la lumière toute seule ferait naître, en chaque point, une coloration pareille à celle du point correspondant de l’original.
- Sous l’obsession de cette idée fixe, les érudits du plus grand renom firent comme les simples surnuméraires de la chambre obscure : ils passèrent à côté de l’œuvre de Chevreul sans saisir l’immense portée qu’elle pouvait avoir en photographie.
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- IV
- 11 n’en fut pas de même de Louis Ducos du Hauron.
- Quel était ce nouveau venu et que signifie ce nom, jeté inopinément comme un nom de contradiction et de combat dans la mêlée des chercheurs de la solution classique du grand problème dont il s’agit?
- Originaire du midi de la France, Ducos du Hauron s’était voué, dès sa prime jeunesse, à. une étude obstinée des sciences physiques. Il s’y était voué spontanément, par pure vocation, sous les yeux d’un père passionné lui-même pour toutes les hautes occupations de la pensée, et, ce qu’il convient de noter, c’est que la velléité ne lui étant pas venue de faire de cette étude un acheminement vers les carrières officielles, il avait par cela même, à son insu peut-être, secoué le joug des programmes de l’enseignement universitaire. Etait-ce pour lui un malheur ou une bonne fortune? La suite des événements semble prouver que, loin de lui jouer un mauvais tour, cette circonstance lui fut plutôt favo-
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- rable. Elle maintint dans leur intégrité les remarquables aptitudes de ce précoce physicien, c’est-à-dire la curiosité unie à l’imagination, toutes deux s’avançant de conserve dans les chemins perdus de la science, dans de prétendues impasses généralement évitées par les autres explorateurs. L’originalité de ses conceptions s’affirma, dès sa sortie du petit collège de province où se fit son éducation, par deux Mémoires dédiés, en 1858, à la Société académique d’Agen, l’un sous ce titre : Mémoire sur les sensations lumineuses, qui n’avait pas moins de trente-six pages de texte in-folio, accompagnées de 46 figures, et l’autre, qui était un fragment d’un Traité inachevé sur la Distribution de la lumière et des ombres dans Vunivers (i). On s’explique dès lors qu’en un long article consacré à Louis Ducos, dans le journal les Mondes, l’illustre abbé Moigno l’ait surnommé le jeune savant du Midi (2).
- Or, il advint que, resté étranger à la pratique usuelle de la photographie et hanté qu’il était
- (1) Le Recueil des travaux de la Société des scieuces et arts d’Agen (années 1858-59, pages 204 et suiv.) donne un compte rendu des deux Mémoires dont il s’agit ; il est dû à la plume du savant secrétaire de cette Société, M. Adolphe Magen, mort il y a peu d'années.
- (2) Journal les Mondes, livraison du 1" juillet 1869.
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- par les spéculations de la science pure, il perçut nettement le trait d'union, non soupçonné par d’autres, qui existait entre la reconstitution, par trois couleurs pigmentaires seulement, de l’infinie variété des teintes de la nature et, d’autre part, la reproduction noire ou monoteinte de l’image formée au foyer de l’objectif de la chambre obscure.
- Ce trait d’union, si nettement perçu par Louis Ducos, nos lecteurs vont le discerner à leur tour, très net et en quelque sorte tangible. Il va être mis en évidence pour eux comme il le fut pour l’inventeur, par un raisonnement où ils suivront celui-ci sans la moindre fatigue d’esprit. Mais, pour qu’il en soit ainsi, une courte halte dans notre récit devient nécessaire. Il importe, en effet, de rappeler à leur mémoire les changements considérables qui venaient de s’accomplir en photographie lors de la publication du travail de Chevreul.
- Deux hommes de génie, Talbot et Poitevin, avaient, sous une impulsion venant de Niepce lui-même, révolutionné de fond en comble la manière d’opérer, et, comme conséquence de cette révolution, la plaque daguerriennç se trouvait avoir fait son temps.
- Sans doute on l’admirait encore, mais plutôt à titre documentaire; en réalité, elle était déjà
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- reléguée parmi les collections de l’art rétrospectif.
- Pourquoi cette défaveur succédant aux ovations enthousiastes des vingt premières années? Pourquoi cette démonétisation d’effigies en chacune desquelles la lumière créatrice avait mis cependant toutes ses complaisances, copiant chaque fois son modèle d’un seul jet, avec une spontanéité absolue, dans l’intimité d’un tête-à-tète avec lui exempt de tout soupçon d’intervention humaine pouvant sophistiquer les résultats?
- Pourquoi cet abandon et cette apparente ingratitude ?
- En voici l’explication :
- Talbot s’était dit : « Pour aussi parfaite qu’ait été l’image obtenue jusqu’ici sur plaqué d’argent, elle a le tort d’être une image unique, et elle ne sera jamais qu’une image unique. Je ne veux pas m’en contenter. Créons l’image non plus sur une plaque de métal, mais sur une feuille transparente, une pellicule ou du verre ; puis, par un second travail également confié à la lumière, mais plus facile que le premier, créons sur de nouvelles surfaces, mises successivement en contact avec l’image initiale transparente, un nombre illimité d’exemplaires ; voilà bien le vrai problème, voilà la vraie solution. »
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- Talbot se mit à l’œuyre et fit ce qu’il avait dit : la photographie sur papier était trouvée.
- Pendant que Talbot la trouvait en Angleterre, Blanquart-Evrard, presque aussi diligent que lui, la trouvait en France.
- De son côté, Poitevin, mais dans des proportions beaucoup plus amples encore, avait agrandi la donnée primitive. Il ne bornait pas son ambition a former une à une, par un travail de la lumière spécial pour chacune d’elles, les multiples épreuves issues d’une primordiale empreinte fournie par la chambre noire ; il convertissait, toujours en se servant de la lumière, cette primordiale empreinte en une planche d’impression qui jouait exactement le rôle des planches ordinaires employées pour la lithographie, la typographie, la gravure en taille douce, etc., c’est-à-dire pour la généralité des méthodes d’imprimerie déjà connues : grâce à Poitevin, l’image unique était devenue légion.
- En photographie pas plus qu’en politique un changement de régime ne s’accomplit sans secousses et sans orages.
- Chose triste à raconter, les critiques d’art, les mandarins des grandes et des petites revues mondaines ou scientifiques d’alors, loin de couvrir de leurs applaudissements les réformateurs que nous venons de nommer, leur firent plutôt
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- grise mine, et il y eut même contre ceux-ci, dans les commencements, toute une levée de boucliers.
- Cela s’explique. La pensée de ces réformateurs avait été bien supérieure aux moyens d’exécution dont iis disposèrent d’entrée de jeu, et il est juste de reconnaître que, pendant une série d’années, les résultats des nouvelles méthodes laissèrent beaucoup à désirer. On s’intéresse à l’enfance de l’homme parce qu’elle est pleine de grâce et de charme ; quant à l’enfance des inventions, comme, neuf fois sur dix, elle est laide, on s’éloigne d’elle.
- En vérité, pour les sceptiques, l’occasion prêtait singulièrement à leurs railleries.
- « A qui ferez-vous croire, disait-on aux promoteurs des nouveaux systèmes, que vous soyez les héritiers de Daguerre, les continuateurs de son œuvre? Vous ne faites que la parodier et la travestir. Entre sa photographie, qui était éminemment directe, et la vôtre, que vous reconnaissez être indirecte, il y a tout un abîme. Vous appelez à la rescousse la lumière pour extraire d’un négatif, c’est-à-dire d’un premier mensonge, un autre mensonge encore plus scandaleux, c’est-à-dire une prétendue image positive dans laquelle l’arbitraire de l’opérateur ou, pour parler plus exactement, sa flagrante incapacité multiplie sous différents noms, tels
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- que solarisation, flou, manque ou excès de pose, tirage dur ou tirage sans nerfs, etc., les erreurs les plus grotesques, les contresens les plus monstrueux. Pour comble de présomption, voilà qu’au nom de la science, qui vous désavoue, vous mettez au pillage les bocaux des marchands de couleurs. Vous prenez le soleil pour un peintre en bâtiments et lui donnez pour ingrédients le noir de fumée, le bistre et la terre de Sienne,
- Qui certes ne s’attendaient guère A figurer en cette affaire.
- La cause est entendue : vos photographies ne sont pas les filles de la lumière, mais des produits hybrides, des métis à double et triple bâtardise. »
- Plutôt que de discuter avec ses adversaires, le groupe des novateurs mit en pratique cette sage maxime : « Laissons-les dire. »
- Ils avaient raison. De vraies merveilles remplacèrent, au bout d’un certain temps, les médiocres spécimens des débuts.
- Ces merveilles sont allées grandissant. Aujourd’hui, qui oserait entreprendre de découronner par le titre de photographies indirectes l’idéale collection des portraits, en réalité très indirects, sortis des ateliers de Reutlinger ou de ses émules, ou bien encore les héliogravures de
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- Dujardin, ou bien enfin ces similigravures de Gillot, ces photographies tramées, devenues depuis quelque temps si remarquables, dont les exemplaires, multipliés à l’égal des feuilles des arbres, réunissent à la splendeur du nombre celle de l’absolue beauté ?
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- La halte que nous jugions utile est terminée. Dès à présent, par suite du groupement de circonstances et d’idées qui vient d’être établi, le lecteur pressent quel a été le raisonnement de Louis Ducos du Hauron. Son monologue fut le suivant :
- « Puisque au moyen de deux opérations successivement confiées à lumière, l’une qui crée dans la chambre obscure l’empreinte transparente initiale, l’autre qui cisèle à travers celle-ci les reliefs ou les creux différentiels d’une incomparable gravure, cette substance des plus vulgaires qu’on appelle noir de fumée devient apte à fournir, par innombrables séries d’exemplaires, une reproduction — admirablement belle, toute
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- noire qu’elle est— des spectacles de la nature, n’est-ce pas le cas de demander à la même méthode la reproduction polychrome, bien autrement prestigieuse, de ces mêmes spectacles, en confiant cette fois-ci à la lumière non plus du noir, mais ce rouge, ce jaune et ce bleu dont les mélanges pigmentaires, mécaniquement exécutés par Chevreul sans le secours de la lumière, firent éclore sjous sa main patiente la très considérable phalange des teintes perceptibles pour l’œil humain ?
- « Oui sans doute, pensa l’inventeur, c’est le cas de l’entreprendre; la donnée est trop sérieuse pour ne pas commander cette marche en avant.
- ce Elle est sérieuse, elle est pratique, car il existe un moyen très sûr de constituer dans la chambre obscure une image initiale exclusivement formée et modelée par l’une quelconque des trois radiations : rouge, jaune, bleu, émanées du sujet à reproduire : ce moyen n’est autre que l’interposition, entre le modèle et la surface sensible, d’un milieu transparent coloré, jouant un rôle sélecteur et analyseur, milieu qui peut être appelé filtre ou écran; si je donne à cet écran l’intensité chromatique, la saturation voulue, il laissera, d’une part le passage libre aux radiations de sa couleur, il les admettra dans la proportion où le modèle, en chaque
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- point de sa surface, les laisse rayonner et, d’autre part, il interceptera toutes les autres radiations.
- « Je créerai donc, pour chaque sujet, trois phototypes analogues, par leur aspect général, au phototype unique de la photographie usuelle, mais entre lesquels les trois différents rayons analyseurs auront produit des répartitions inégales des clairs et des ombres.
- « Que restera-t-il à faire? A impressionner, à travers cette trinité d’empreintes transparentes, les trois surfaces — voire même peut-être la surface unique — qui doivent, en chaque point du tableau composite, traduire ces empreintes par des intensités différentielles de rouge, de jaune, de bleu. Finalement la synthèse, l’unification des trois monochrosnes s’accomplira, suivant les cas, par des superpositions d’encrages transparents ou par des juxtapositions mécaniques pigmentaires divisés en minuscules compartiments. Ce ne sont plus là que des détails secondaires du problème qui admettront différents moyens d’exécution. »
- Voilà comment, sans avoir jamais fait de photographie, Louis Ducos comprit tout d’abord les grandes lignes de son invention.
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- VI
- Toutefois cette conception purement métaphysique du système était incomplète et, avant de passer à l’expérimentation, l’inauguraieur vit se dresser devant lui, non pas le Cap des Tempêtes, mais une difficulté presque aussi effrayante.
- Cette difficulté, nous n’y avons fait jusqu’ici aucune allusion, lui réservant une place spéciale, j’allais dire une place d’honneur dans ce récit, soit à raison de la gravité de l’obstacle, soit à cause de la maîtrise du moyen imaginé pour le réduire à néant.
- Je n’exagère rien en résumant ainsi la situation. On va pouvoir en juger.
- Çes écrans de couleur, ces filtres indispensables pour isoler, pour canaliser dans l’appareil photographique les trois faisceaux lumineux, distributeurs du rouge, du jaune, du bleu de la polychromie pigmentaire en formation, quelle devait être la couleur de chacun d’eux?
- La première idée qui se présente à l’esprit, c’est qu’il faut un filtre rouge pour former l’image
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- pigmentaire rouge, un filtre jaune pour former Fimage jaune, un bleu pour former la bleue.
- Eh bien, non ! Procéder ainsi serait un épouvantable contresens, et le résultat d’une opération conduite de la sorte serait nécessairement monstrueux. Avec ce que le lecteur sait déjà, rien n’est plus facile pour lui qne de s’en rendre compte.
- Concentrons le raisonnement sur un phototype quelconque pris parmi les trois, sur celui par exemple qui doit fournir le monochrome rouge. Ce phototype n’a pas pour unique destination de répartir le rouge, en chaque point de la polychromie, proportionnellement au degré d’intensité de la teinte rouge, soit pure, soit mélangée à du jaune ou à du bleu, qui est émise par le modèle; mais il a une seconde destination tout aussi fondamentale, e’est de répartir, en chaque point de la polychromie, ce même élément rouge dans la proportion commandée par la gradation du clair à l’obscur sur l’original : rouge plus abondant pour une ombre plus accentuée sur celui-ci, et moins de rouge sur la polychromie lorsque tel ou tel objet copié par elle, serait-il d’un rouge bien tranché, est éclairé par une vive lumière. Or, qu’adviendrait-il si, comme nous venons d’en admettre l’hypothèse, le rayon rouge était le distributeur du pigment rouge ?
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- Dans ce cas le phototype — que nous supposerons négatif comme tous les phototypes de la photographie usuelle — traduirait, à bon droit, les clartés du modèle par des opacités, mais il traduirait en même temps les rouges du modèle par des opacités d’autant plus accusées que la teinte rouge est émise en plus grande abondance; d’où la conclusion que l’image positive rouge engendrée par ce négatif représenterait correctement la gradation du clair à l’obscur, mais, malheureusement, représenterait le rouge par d’autant plus de rouge qu’il y en a moins dans le modèle et par d’autant moins de rouge que le modèle en contient davantage.
- Cette conclusion désastreuse n’était-elle pas l’irrévocable condamnation, l’arrêt de mort de tout le système ?
- C’était à craindre, c’était presque de l’évidence, et le jeune théoricien, aussi bien qu’un joueur d’échecs qui n’a pas tout prévu, pouvait sembler à jamais enfermé par ses propres pièces dans un mat étouffé.
- Plusieurs h sa place auraient déserté l’échiquier; mais pour lui, la partie redoubla d’intérêt. 11 se remit à méditer de plus belle et, toujours mentalement, reprit le problème à pied d’œuvre-
- II lui vint, finalement, l’inspiration victorieuse qui a tout sauvé.
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- Pour briser l’obstacle, l’unique moyen consistait à distribuer le rouge, le jaune, le bleu, non pas par le rouge, le jaune, le bleu, mais par leurs trois couleurs complémentaires, qui sont le vert, le violet, l’orangé.
- Ce qui revenait à dire qu’on imprimerait en rouge sous une empreinte négative exempte de toute collaboration du rayon rouge, et qu’on imprimerait en jaune et en bleu sous des négatifs exempts, l’un de la collaboration du jaune, l’autre de la collaboration du bleu.
- Ce chassé-croisé de couleurs a reçu le nom de méthode d’interversion ou de méthode antichromatique. On va en comprendre aisément le mécanisme :
- Tout d’abord, pour ce qui est de la gradation du clair à l’obscur sur chacun des trois monochromes, elle ne peut pas ne pas être correcte, car peu importe le rayon coloré d’où dérive telle ou telle des trois empreintes originaires, ou phototypes ; ces phototypes, en tant qu’ils expriment cette gradation, pourraient être formés par une radiation quelconque prise au hasard parmi les innombrables radiations de la lumière; en principe, le résultat sera constamment le même. — D’autre part, en ce qui concerne la traductiou du rouge, du jaune, du bleu, en tant que couleurs locales, elle sera forcément correcte, elle aussi,
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- c’est-à-dire directement proportionnelle, sur les trois monochromes, à l’intensité de chacune de ces trois couleurs sur l’objet à reproduire ; car — le rouge étant pris comme précédemment pour exemple — plus le rouge, sur cet objet, sera intense et voisin de saturation, plus, à l’endroit correspondant du phototype négatif, se manifestera, par l’absence du noircissement, l’interception du rayon rouge par l’écran vert, et plus aussi, par conséquent, le dépôt pigmentaire rouge abondera sur le monochrome de ce nom.
- Cette fois, chaque phototype sera à la fois négatif pour la couleur et négatif pour le clair-obscur. C’est justement ce qu’il fallait.
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- Comme le démontre le succès toujours croissant des revues consacrées à la vulgarisation de la science, il existe, non seulement parmi les gens d’érudition professionnelle, mais dans le grand public, nombre de curieux disposés, c’est notre conviction, à nous savoir gré plutôt qu’à se plaindre de l’excursion que nous venons
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- d’accomplir ensemble sur la ligne frontière de la physique et de la métaphysique. L’histoire des évolutions d’une pensée dans un ingénieux cerveau présente parfois un intérêt captivant, et il en est surtout ainsi lorsque, comme dans le cas actuel, l’abstraction a abouti aux réalités tangibles.
- Mais vouloir dire beaucoup de choses à la fois en des descriptions de cette nature risquerait de compromettre, avec la clarté du discours, l’attrait du sujet. Nous devions donc nous restreindre. En réalité la photographie en trois couleurs est une science plus vaste que ne le donne à entendre la théorie qui précède.
- Il n’y a aucune emphase à l’affirmer, cette science peut se comparer à un imposant édifice, à un palais qui aurait deux principales avenues, deux galeries absolument différentes l’une de l’autre par la structure et les matériaux.
- La première avenue est celle dont il a été question. Elle contient les merveilles réalisées sous la forme de trois couleurs matérielles douées de transparence et synthétisant leurs tonalités sur un fond blanc. Cette synthèse, dont l’inventeur a spécifié en détail tous les éléments dans divers ouvrages publiés de longue date, est une synthèse par soustraction de rayons. Ces mots signifient qu’il se produit, en chaque point
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- du tableau par le seul fait des trois encrages superposés de rouge, de jaune, de bleu, une soustraction, une absorption différentielle des trois sortes de lumières qui en proviennent. Tandis que, d’une part, le blanc résulte de l’absence absolue des trois pigments, dont l’élimination intégrale met a nu le vélin ou fond blanc de la polychromie, le noir, tout au contraire, est produit par l’accumulation des trois susdits éléments pigmentaires à leur maximum d’épaisseur, leurs radiations respectives s’éteignant dans ce cas l’une par l’autre.
- La seconde partie de l’édifice offre une tout autre nature de spectacle. Ici ce ne sont plus des couleurs matérielles et pondérables, comme celles employées par Ghevreul, qui réalisent la triple image synthétique, mais ce sont des couleurs impalpables, des couleurs aériennes. Le principe n’a pas changé, mais la combinaison est l’inverse de la première. Cette deuxième méthode, dont un simple énoncé permettra de se faire une suffisante idée, consiste à contre-typer les trois phototypes originaires pris à la chambre obscure en trois images diapositives incolores (vulgairement appelées diapositives noires); puis, au moyen d’une construction optique appropriée, à confondre en une seule image, soit sous forme de reflet, soit sous forme
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- de projection, ces trois diapositives en illuminant chacune d’elles par la radiation qui en avait fourni le phototype. La synthèse qu’on obtient alors n’est plus une synthèse soustractive, mais tout au contraire une synthèse additionnelle de rayons : en s’additionnant l’une à l’autre en quantité maxima, les trois couleurs immatérielles composantes produisent non plus le noir, mais le blanc selon la loi bien connue qui veut que toutes les réfrangibilités du prisme reconstituent, en se rejoignant, la lumière blanche; inversement ces mêmes trois couleurs immatérielles, par leur triple absence de tel ou tel endroit du tableau, produisent le noir, qui n’est autre en effet que le manque absolu d’éclairement. Dans cette deuxième méthode, tout l’opposé de la première, ce serait un contre sens d’illuminer l’une quelconque des trois diapositives incolores par la lumière complémentaire de celle qui donna naissance au phototype initial; mais il faut illuminer en rouge l’image provenant d’une filtration rouge, en jaune et en bleu les images issues du jaune et du bleu. Rappelons enfin, à ce sujet, qu’à la suite de mémorables expériences faites par Young et par Ilelmholtz, le ternaire rouge, jaune, bleu, autrement dit le terniaire de Brewster, autrefois seul considéré comme moyen de reconstitution additionnelle, par trois radia-
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- lions seulement, de toute la gamme spectrale, a été avantageusement remplacé par le terniaire orangé, vert et bleu-violet; d’où la conséquence que. dans l'état actuel de la science, la vraie synthèse des polychromies photographiques immatérielles est celle qui s’obtient en illuminant en orangé, en vert, en bleu-violet un trio d’épreuves incolores transparentes enfantées par la lumière orangée, la verte et la bleu-violet.
- Quelles que soient la valeur théorique tt la beauté réelle des photographies polychromes dues aux reflets ou aux projections dont* il s’agit, elles n’ont pris qu’une partie relativement faible du temps et des recherches de Louis Ducos du Hauron. Bien que, dès ses premières publications, il ait indiqué l’une et l’autre méthode, le but presque exclusif des ses expérimentations personnelles a été l’impression photogénique <c en trois couleurs matérielles t pour l’illustration de l’album, du journal, du livre, pour le décor mural des salons, comme aussi pour les projections elles-mêmes, réalisées sans avoir recours aux dispositifs incolores.
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- Louis Ducos, on l’a déjà dit, n’était pas photographe, pas même photographe amateur. Il n’avait sur la photographie que des notions fort incomplètes. Durant des années, sa découverte, y compris les obstacles rencontrés, les batailles qu’il leur livra, les victoires gagnées, n’eut d’existence que dans son cerveau.
- Un jour, quand son idée lui parut parvenue à maturité, il se procura un manuel de photographie ainsi que le matériel strictement nécessaire aux démonstrations spéciales qu’il avait en vue. Il y joignit quelques verres de couleur choisis de son mieux dans le magasin d’un peintre-vitrier de son voisinage et, muni de la sorte, il se fit photographe à sa manière, dans Tunique'but de vérifier s'il méritait le titre de voyant ou s’il n’avait été que visionnaire.
- Au bout de quelques mois d’expérimentation, sa joie fut immense, car il lui fut donné de constater et de faire constater à son entourage que les choses se passaient exactement comme il les avait prédites. L’enthousiasme ne fit pas défaut lorsque, en ses mains, le troisième mono-
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- îhrome venant à se superposer aux deux autres, toute la gamme des colorations du modèle apparut aux yeux émerveillés de l’assistance. Les compagnons de Christophe-Colomb ne saluèrent pas d’acclamations plus joyeuses l’apparition du Nouveau-Monde.
- Cet heureux événement arrivait en 1868 à Lectoure (Gers). Le 23 novembre de la dite année, Ducos du Hauron prenait un brevet pour son invention : dans le mémoire descriptif, dont l’étendue est considérable, il consignait, avec les variantes d’exécution que les connaissances d’alors lui permettaient de spécifier, les deux sortes de synthèse polychrome réalisables par le procédé, c’est-à-dire, d’une part, la synthèse pigmentaire produite, comme on l’a dit plus haut, par une réversibilité antichromatique de la lumière et, d’autre part, la synthèse immatérielle produite, au contraire, par une réversibilité homéochromatique des rayons : déjà cette seconde méthode, qui est théoriquement la plus simple, avait été exposée, en ses lignes principales, dans un écrit communiqué, dès le mois de juillet 1862, à M. Lélut, membre de l’Institut; cet écrit n’avait eu d’ailleurs aucune publicité.
- Il envoya son nouveau travail à la Société Française de Photographie.
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- Elle en reçut la communication à l’assemblée générale du 7 mai 1869. Un homme qui porte un des plus beaux noms de la science photographique souhaita la bienvenue au Progrès dont Louis Ducos priait cette société d’agréer les prémices : M. Davanne, dans le compte-rendu qu’il fit de l’invention, a donné un résumé très net, très fidèle, du vaste mémoire que le jeune auteur venait de consacrer à la théorie du système.
- Hâtons-nous de le dire — car ceci a, dans notre récit, une sérieuse importance — l’innovateur avait joint à ce mémoire deux spécimens de photographie pigmentaire en trois couleurs. Ces spécimens, malgré les incorrections inséparables des commencements, confirmaient hautement les exposés théoriques et, afin de rendre impossible toute suspicion de supercherie, il montrait, en même temps que les épreuves en couleur sorties de ses mains, les sujets originaux dont elles étaient la reproduction. Il avait reproduit une diaphanie richement nuancée et, à titre de démonstration encore plus concluante, un disque divisé en secteurs où la gamme des couleurs du spectre se déployait en tonalités bien tranchées. Le compte rendu constate que la copie donnait une idée très approchée du modèle. ^
- Il demeure donc établi que la présentation; ^pii fut faite ne rentrait pas simplement dans
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- l’ordre des choses abstraites et spéculatives, mais qu’à la date, absolument officielle, du 7 mai 1869, des photographies en trois couleurs furent présentées à une société savante française par un Français. Si nous insistons sur ce point, c’est qu’en pays étranger, à partir du jour où la photographie en trois couleurs, tout d’abord méconnue même de son pays d’origine, a eu fait ses preuves un peu partout, on a essayé d’équi-voauer, comme nos lecteurs rapprendront plus loin, sur la date et sur le lieu de sa naissance»
- Or, le même jour, h la même séance de la même société, un système de photographie des couleurs qui se trouvait être, a peu de choses près, le mêüïe que celui de Du cos du Hauron, fit l’objet d’une communication du même rapporteur.
- La coïncidence ne laissait pas que d’être pittoresque : sans se connaître, sans qu’aucun d’eux soupçonnât qu’il avait un ménechme, deux inventeurs, à deux cents lieues de distance l’un de l’autre, avaient en même temps, par une filière de raisonnements pareils, abouti à une conclusion identique. Ce sosie inattendu que Louis Bucos rencontrait sur un chemin où il. avait les meilleures raisons de se croire seul,, c’était Charles Cros, de regrettée mémoire.
- Charles Gros habitait Paris, il y avaitconqui^
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- parmi les lettrés, an grand renom par des poésies d’une remarquable envolée. A de certaines heures, son imagination, comme celle de Louis Ducos, aimait à évoluer au pays de la science, et c’est ainsi que, dans une publication toute récente, il avait décrit les moyens scientifiques d’entrer en correspondance avec les habitants des planètes de la banlieue de la terre, suggérant à cet effet un sytème, absolument rationnel, de signaux lumineux qu’il fallait, d’après lui, se hâter d’inaugurer dans les régions hyperboréennnes, les longues et sereines nuits polaires étant éminemment propices h cette télégraphie interplanétaire. Il n’avait qu’une crainte, et elle faisait son tourment : quelle humiliation pour les habitants de la terre, disait-il, si, dès les premiers signaux, ils s’aperçoivent qu’en cette affaire l’initiative ne leur appartient pas, mais qu’ils ont, hélas ! été devancés par les citoyens de la planète Mars !
- Des conceptions si abracadabrantes et pourtant basées sur le terrain ferme de la logique la plus rigoureuse faisaient de Charles Cros, le digne précurseur de Jules Verne. En tout cas elles témoignaient de son profond mépris pour les classiques programmes, de son aversion pour n’importe quel lit de Procuste servant à écourter l’intelligence humaine, et elles témoignaient sur-
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- tout de la puissance créatrice qui était la caractéristique de sa riche nature.
- Le compte rendu de M. Davanne constatait la proche parenté qu’il y avait entre la méthode de polychromie photographique proposée par Ducos du Hauron et celle que proposait Charles Cros. — « Je ne crois pas avoir à rechercher la question de priorité, disait l’éminent rapporteur; sans doute chaque inventeur, à l’insu l’un de l’autre, faisait un travail qui a abouti à la production des deux mémoires. »
- M. Davanne avait bien jugé la situation. Les deux champions qu’on venait de voir s’avancer l’un vers l’autre en pareil champ-clos, refusèrent de croiser le fer ; ils apprécièrent d’un commun accord, après un court examen de la question, qu’il ne pouvait y avoir, dans la circonstance, ni vainqueur ni vaincu et pleins d’estime l’un pour l’autre, reconnaissant mutuellement leurs droits à la propriété de l’invention, ils se lièrent de bonne amitié. Louis Ducos a conservé un grand nombre de lettres dans lesquelles Charles Cros, le qualifiant de « confrère unique », étudiait avec lui divers projets pour une commune mise en œuvre manufacturière du procédé. Les événements les forcèrent de renoncer à cette collaboration, qui aurait été cependant très conforme aux désirs de tous les deux.
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- Pour revenir aux deux mémoires analysés par M. Davanne, s’il y avait peu de différence de l’un à l’autre quand au fond des idées, par contre, le mémoire de Ducos du Hauron avait le mérite, qui n’appartient pas à celui de son émule, d’être accompagné de spécimens du nouvel art. Ils lui avaient coûté beaucoup de travail et, nous ne saurions trop le rappeler, c’est à Ducos du Hauron que revient l’honneur d'avoir montré, à la date sus-mentionnée, les premières épreuves de la photographie en trois couleurs.
- IX
- Il y a loin de la coupe aux lèvres. Beaucoup d’inventeurs en savent quelque chose.
- La communication du 7 mai 1869 eut, il est vrai, un plein succès auprès des clairvoyants et des penseurs; ils mesurèrent du premier coup d’œil toute l’étendue de la découverte, ils en prophétisèrent le bel avenir ; mais elle n’obtint de la plupart des publicistes qui disposaient alors de l’opinion que des compliments sans chaleur, des félicitations pleines de réserve et de réticence. Tranchons le mot : elle intéressa l’aréo-
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- page, mais ne prit pas au dehors les proportions d’un événement.
- Les ovations prodiguées, vingt et quelques années avant, aux premiers fondateurs do la photographie, semblaient avoir épuisé pour longtemps l’enthousiasme que peuvent provoquer les prodiges de la chambre obscure. Poitevin lui-même, abstraction faite d’un élite de connaisseurs, n’avait recueilli presque partout que froideur et indifférence ; c’était bien lui cependant — on le sait aujourd’hui à n’en plus pouvoir douter — c’était lui qui, par ses procédés indirects de photocopies, avait ouvert la véritable voie féconde au bout de laquelle l’imprimerie, devenue la collaboratrice de la lumière, a réalisé et réalise chaque jour, avec plus d’éclat, l’idéal du nombre et de la magnificence des épreuves. Gr, c’est à peine si, avant de mourir, il fut donné à cet homme de génie d’entrevoir son triomphe.
- M. Davanne — Il faut louer sans réserve la pensée qui inspira son langage — crut devoir prémunir Ducos du Hauron contre la chimérique espérance d’une prompte adoption; de son système et contre la flatteuse attente de voir ses idées consacrées, à brève échéance, par l’unanimité des suffrages. Dans une lettre du 12 juillet! 1879, il lui disait : « J’espère comme vous, mon-
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- sieur, que la publicité donnée à cette nouvelle manière d'envisager VHéliochromie amènera des progrès là où nous restions depuis longtemps dans le statu quo, mais l’expérience m’a souvent montré qu’il faut longtemps pour qu’une idée vraie fasse son chemin. Croyez que je ferai dans la faible mesure de mes moyens tout ce qui me sera possible pour répandre la vôtre dans le public et en hâter la réalisation sur une plus laîge échelle. »
- Assurément, l’idée dont il s’agissait dans la circonstance éttit vraie, mais les craintes de M. Davanne nbn avaient que plus de fondement. La publicité donnée à la nouvelle manière d’envisagxr Vhéliochromie eut pour premier résultat de diviser en deux camps les célébrités du monde photographique : le camp des croyants et celuides incrédules.
- Ce dernier canp devînt de beaucoup le plus nombreux. C’était à prévoir. Pour peu qu’une vérité soit voilée <t qu’il faille un effort pour la discerner, la plupart des gens, naturellement enclins au septicisne,se laissent endoctriner par ceux qui la combîttent. En la conjoncture, un homme d’une autorité considérable, l’infaillible pontife de la seieice photographique d’alors, M. Monekhoven, pri la tête du mouvement protestataire.
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- En effet, au Bulletin belge de Photographie (numéro du 15 mai 1870) parut un article où M. Monckhoven battait en brèche les méthodes de Charles Cros et de Ducos du Hauron. D’après lui, un concours fortuit de circonstances, probablement aidées par un travail artificiel, avait distribué la couleur sur les spécimens que ce dernier avait adressés à la Société française de photographie. La prétendue loi des trois couleurs était fausse. Finalement, M. Monckhoven portait à Fauteur de ces spécimeas le défi d’obtenir à la chambre noire un clichî par la lumière jaune ou rouge, même avec des semaines d’exposition.
- Aujourd’hui que l’erreur où tomba M. Monckhoven est absolument manifeste aux yeux du monde photographique tout entier, elle prête à rire, et les objections du vieux bonze paraissent enfantines à tel point qu’on st demande si elles ne furent pas inofïensives. Hélas ! des assauts de ce genre le sont rarement. (Jn inventeur n’est •qu’un roseau pensant; sa faiilesse est grande; il est sinon brisé, du moins tristement incliné par une tempête pareille à celle que déchaîna contre Ducos du Hauron l’.rticle du Bulletin belge de Photographie. Pair parler le langage des affaires, de telles attacues sont admirables pour éloigner d’un ingéni/ux chercheur les fl-
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- nanciers les mieux disposés à seconder la mise en œuvre manufacturière de ses procédés,
- Monckhoven avait beaucoup de science, mais une science incomplète. Elle ressemblait à une haute maison qui n’aurait qu’une seule fenêtre, située à l’étage d’en haut : de cette fenêtre, on jouit d’une vue splendide sur un des quatre côtés de l’horizon; quant aux trois autres, on n’en aperçoit rien.
- J’ai connu plusieurs érudits de cette sorte. Sans qu’ils s’en doutent, ils sont fort dangereux. Les demi-savants sont les fléaux d’une société.
- X
- Il advint donc que, tandis que Paris disait blanc, Bruxelles disait noir. Bruxelles en est bien revenu depuis lors, et toutes les assemblées dirigeantes de la photographie devaient, par la suite, donner raison à Paris et à Ducos du Hau-ron. Mais, ce qu’il importe de relater tout de suite, c’est ce qui se passa à la Société des Sciences de Lille.
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- On est en 187Q, peu de mois ayant la guerre, Blanquart-Evrard présidait alors cette compagnie savante.
- Elle était fière de cette présidence et avait raison de l’être, car le nom de Blanquard-Evrard évoquait de glorieux souvenirs. L’Institut, dans sa séance du 19 juin 1847, avait proclamé l’éclatant mérite des travaux de ce physicien amateur, armé d’assez de savoir et doué d’assez de génie pour avoir, non pas, il est vrai, devancé, mais surpassé Talbot dans les démonstrations originaires de la phothographie sur papier. Quatre ans après ce premier succès, il avait conquis de nouveau les félicitations de l’Académie des Sciences en lui livrant les moyens qu’il avait trouvés d’imprimer par nombreuses et rapides séries d’exemplaires l’œuvre de la Lumière (année 4851, tome 32, page 555 des Mémoires de l'Académie des Sciences). Puis, blessé au vif, dans sa dignité d’inventeur, par certains sourires d’incrédulité, Blanquart-Evrard s’était cru lié d’honneur à la fondation d’un atelier d’art industriel où se ferait une démonstration en règle de ses principes, et c’est ainsi qu’avait été inaugurée à Lille une imprimerie héliographique où les simples amateurs aussi bien que les éditeurs, les peintres aussi bien que les photographes, virent avec enthousiasme foisonner
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- les copies, de plus en plus applaudies, des plus belles pièces de leurs collections. C’était une des rares imprimeries photographiques qu’il y eût alors en Europe, et peut-être, entre toutes, était-ce à celle-là que revenait la palme.
- Or, une volumineuse correspndance, interrompue par les événements de 1870 et reprise après la conclusion de la paix, témoigne de de Y admiration que Blanquart-Evrard — c’est le mot qu’il emploie — professait et que professaient avec lui ses collègues de la Société académique de Lille pour les résultats obtenus par Louis Ducos. Dix-huit lettres ou, pour employer un terme plus conforme au prix de pareils écrits, dix-huit autographes de Blanquart-Evrard permettent de ressusciter toute une émouvante histoire. Il résulte en effet de ces documents que ce vénéré professeur, ce Gutem-berg de l’imprimerie héliographique, au vu des épreuves polychromes qui lui furent envoyées d’Agen, où habitait à cette époque la famille de Lous Ducos, résolut d’écrire une monographie du nouvel art et d’illustrer ce livre par un sujet en trois couleurs dont Louis Ducos lui fournirait les trois prototypes.
- Les trois prototypes furent faits et, selon le désir du savant, l’inventeur y joignit, réalisées par des tirages au charbon, les trois épreuves
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- positives isolées, rouge, jaune, bleu, et aussi la synthèse ou polychromie qu’un trio d’épreuves analogues avait donnée par le fait de leur superposition. C’était un élégant sujet de fleurs, reproduites d’après nature. Blanquart-Evrard jugea que l’œuvre était bonne, qu’il en résulterait une démonstration décisive, et il annonça que chacune des quatre sortes d’images allait être tirée sur ses presses au nombre de sept cents exemplaires, ce qui ferait trois mille exemplaires au total pour l’édition de ce premier ouvrage. Un distingué spécialiste était chargé d’exécuter les trois planches d’impression. Il n’y aurait, disait Blanquart-Evrard, qu’un léger retard, conséquence du désarroi, non encore tout à fait réparé, que les événements de la guerre avaient mis dans son imprimerie.
- La lettre, datée de Lille 13 janvier 1872, qui annonçait ce grand travail et ce prochain triomphe, portait, en post-scriptum, ces mots :
- « Tâchez de me lire. C’est ce que je ne puis plus faire, car je sais toujours écrire et non me lire. J’ai presque entièrement perdu la vue. »
- A la lecture de ces deux lignes, le destinataire de la lettre ne put maîtriser un pressentiment sinistre.
- Son effroi n’était que trop justifié. i
- L’intelligence de Blanquart-Evrard avait con-
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- serve toute sa vigueur, mais le corps était miné par une grande souffrance morale ; un deuil de famille, un deuil cruel avait usé ses forces. Le 25 avril 1872, l’illustre physicien descendit dans la tombe, et avec lui fut ensevelie la démonstration par laquelle il avait voulu couronner l’œuvre de Ducos du Hauron.
- A quoi tiennent les destinées? Il eût vécu deux mois de plus, et l’avènement de la phototypographie polychrome s’accomplissait avec éclat, à l’heure marquée par les travaux soutenus dont plie était le fruit ; tout aussitôt, les distributeurs de la renommée eussent glorifié, en l’entrelaçant à celui du vieux maître, le nom du jeune homme — il était jeune alors — dont nous racontons la dramatique infortune.
- La phototypographie polychrome a quand même été fondée, mais longtemps, bien longtemps après la mort de Blanquart-Evrard, et, quant au nom de Ducos du Hauron, il a fallu, pour le sauver de l'ombre qui menaçait de le submerger, que deux sociétés savantes de France l'inscrivissent, l’an dernier, en bonne place sur le Livre d'or des belles inventions en effaçant, comme on l’apprendra plus loin, d’autres noms que l’étranger y avait substitués.
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- La loi du triage photomécanique des trois couleurs aptes à former la synthèse polychrome est une loi immuable, une loi qui fut vraie dès le premier jour de sa définition autant qu’elle est vraie au bout du tiers de siècle écoulé depuis lors, et autant qu’elle sera vraie jusqu’à la fin des siècles. En conséquence, on ne peut que sourire de certaines appréciations, récemment émises sur les prétendus perfectionnements apportés, a-t-il été dit, au système de Ducos du Hauro.n par les continuateurs de son travail. C’est à peu près comme si, à propos de la constatation, faite par Papin, au siècle dernier, de la force expansive de la vapeur, on s’avisait de dire que la vapeur a été très perfectionnée de nos jours.
- Ce qu’il s’agissait de perfectionner, et ce que Ducos du Hauron a mis, pour sa part, un tiers de siècle à perfectionner ou tout au moins à améliorer, ce sont les moyens matériels d’exécution de son système. A l’exception des trois filtres ou écrans colorés, rouge-orangé, vert, bleu-violet, dont les nuances types et les degrés d’intensité
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- furent définis une fois pour toutes et qui ne se prêtent, en fait de variantes, qu’à des modifica-cations d’ordre secondaire, les moyens d’exécution dont il lui fallut se contenter au début étaient, hâtons-nous de le reconnaître, grandement défecteux. Ils laissaient à désirer à tel point, que ce n’est pas le moindre mérite de l’inventeur d’avoir pu les faire servir à ses démonstrations des commencements.
- L’essor de sa pensée alla tout d’abord non pas se briser, mais se heurter à un obstacle énorme.
- Cette considérable difficulté consistait a pouvoir obtenir, à la chambre noire, en une durée de pose qui ne fût pas, à force d’être longue, subversive de l’unité d’éclairage du modèle, l’empreinte de la lumière verte et surtout l’empreinte, encore plus paresseuse, de la lumière rouge-orangé.
- En l’année 1869, un axiome, datant des premières années de la photographie, subsistait encore. Cet axiome voulait que, seul ou à peu près seul, le rayon bleu eût le pouvoir d’impressionner la plaque sensible, et les plus savants maîtres n’avaient pas assez de réprobation pour quiconque émettait la prétention de créer une image par d’autres rayons lumineux. On s’explique dès lors une partie des anathèmes fulminés par Monckhovea, nous l’avons dit plus haut*,
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- contre Ducos du Hauron. Il se refusait obstinément à admettre que ce nouveau venu eût triomphé, à un degré Quelconque, de l'inertie, réputée irrémédiable, de la lumière jaune ou rouge, mise en présence des préparations photographiques, et il déniait l’authenthicité des clichés produits.
- La vérité est que l’innovateur avait eu toutes les peines du monde à obtenir les clichés de ses premières épreuves en couleur.
- Mais il les avait obtenus.
- Comment s’y était-il pris?
- Cette notice, toute d’actualité dans sa partie technique, n’a pas à entrer dans de pareils détails qui n’offriraient qu’un intérêt purement rétrospectif. Soit en ce qui concerne les phototypes utilisés pour cette première démonstration, soit en ce qui a trait, d’une manière plus générale, à ses phototypes chromographiques, constamment en progrès d’une série à l’autre par un meilleur rendu des valeurs et par la réduction du temps de pose, il ne saurait être question ici de spécifier les préparations employées ni de rééditer le manuel opératoire. Aux amateurs désireux de pratiquer l’art de la photographie en trois couleurs, il nous suffit de déclarer : 1° Que les méthodes de clichés imaginées par l’inventeur pendant les nombreuses années qu’il consa-
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- cra à cette partie de ses recherches, ont été minutieusement décrites en divers ouvrages par lui publiés ; 2° que de ces divers ouvrages, aujourd’hui rares en librairie, il a été fait des extraits qui n’omettent aucun des renseignements dont l’intérêt a pu survire aux transformations des méthodes, et que ces extraits ont été groupés dans le livre La Triplice phothographique des couleurs et V Imprimerie, dont il sera rendu compte plus loin ; 3° qu’au surplus, grâce aux progrès, essentiellement pratiques et manufacturiers, accomplis par suite des travaux d’une élite de savants (1) s’obstinant à la poursuite du problème connu naguère sous le nom de Nivellement de U actinisme, l’amateur se trouve désormais affranchi non-seulement des études rétrospectives, mais, ce qui vaut mieux encore, de l’obligation de procéder lui-même à tout travail fastidieux de laboratoire, le manuel de la polychromie, pour tout ce qui a trait aux clichés, se réduisant aujourd’hui aux opérations des négatifs ordinaires sur plaques gélatinées. De telles opérations sont devenues familières même aux enfants. Les écrans de couleur venant s’ajouter
- (1( Notamment Yogel, Ch. Gros, Eder, Carev-Lea, Edmond Becquerel, Waterliouse, etc. L. Ducos du Hau-ron a contribué à la formation de cette science.
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- au traditionnel et indispensable objectif, et, de plus, trois empreintes à créer au lieu d’une, c’est seulement en cela que résident, tout compte fait, les différences entre l’art des trois phototypes de la polychromie et celui du négatif de la photographie noire. Quant aux plaques gélati-nées qui s’approprient au nouveau travail, l’amateur les trouve toutes prêtes dans le commerce; le commerce les lui fournit préparées avec une supériorité à laquelle, seules, les grandes usines peuvent atteindre. Ce sont les plaques isochromatiques et les plaques panchromatiques, merveilleusement sensibles à la lumière verte. Cette fabrication a été rendue absolument conforme aux conditions scientifiques et à l’egtbétique du procédé par deux des principaux promoteurs de l’évolution photographique moderne : j’ai nommé MM. Auguste et Louis Lumière, de Lyon. À défaut de l’instantanéité absolue, les plaques précitées procurent, à travers Péeran rouge-orangé et l’écran vert, des images bien plus rapides que celles dont on se contentait autrefois pour le portrait en travaillant sans interposition d’écran d’aucune sorte.
- C’en est donc fait, à i’beure actuelle les prophéties virtuellement contenues dans les paroles de M. Bavanne sont accomplies : la nouvelle manière d’envisager VHéliochromie est passée
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- du cerveau de deux rêveurs dans celui des directeurs des plus florissantes manufactures. Charles Cros n’a pas vu ce triomphe, mais Louis Ducos en est le témoin. S’il est vrai que ses brevets ont fait long feu, il s’en console philosophiquement en songeant qu’on a aujourd’hui la preuve irréfutable qu’il y a trente ans il n’était ni un imposteur ni un fou.
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- Nous venons de relater sommairement l'histoire des trois négatifs afférents au système. En ce qui concerne les moyens d’imprimer chacun d’eux de la couleur voulue et de fusionner les trois monochromes ainsi obtenus en une synthèse nommée polychromie, ou bien encore chromogramme positif, ou simplement chomo-gramme, il convient d’indiquer de même, en un rapide aperçu, ce que cette seconde partie de l’invention fut à son origine et ce qu’elle est devenue au bout de trente ans de mise en pratique.
- Dès les premiers mémoires, l’auteur du sys-
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- tème s’était nettement expliqué sur ce qu’il appelait la multiplicité des moyens. En principe, disait-il, on peut employer à la production des trois images consécutives d’une polycromie pigmentaire tous les modes de tirage photographique qui permettent d’imprimer en une teinte déterminée. Pourvu que la nature ou l’industrie, une fois choisi, à titre d’essai, un mode de tirage, fournisse les types de rouge, de jaune, de bleu dont on n’a pas le droit de se départir, et pourvu que les substances pigmentaires qui réalisent ces trois types ne soient pas chimiquement rebelles au travail d’agrégation moléculaire qu’on leur demande, le tableau qu’on veut créer s’obtiendra par n’importe laquelle de ces méthodes.
- Or, en 4868, plusieurs procédés bien connus, les uns, il est vrai, peu étudiés encore, d’autres déjà assouplis, ou peu s’en faut, aux exigences de l’art, répondaient à cette définition. Malheureusement pour Louis Ducos, la plupart de ces procédés ne pouvaient être mis en œuvre avec chance de réussite que par des spécialistes exercés et seulement dans des établissements industriels outillés à grands frais. Du reste, la situation n’a guère changé depuis lors, et les modes d’impression dont nous voulons parler sont restés à l’état de monopoles au profit de la haute in-
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- dustrie artistique. Mais il y 'a, en faveur du temps présent, comparé au passé, cette différence que la photographie aux trois couleurs, lorsqu’elle frappe à la porte des ateliers dont il s’agit, n’est plus traitée en visiteuse importune, en étrangère, en aventurière. On lui fait, tout au contraire, grand accueil, et l’instant psychologique va venir où, sans recourir à des ambassades, à des négociations plus ou moins compliquées,les amateurs en possession de clichés photochromographiques n’aurontqu’à les déposer purement et simplement et sans phrases dans lesdites imprimeries, de même qu’on dépose un manuscrit chez un libraire-éditeur ; on leur remettra, peu de jours après, le nombre convenu d’exemplaires polychromes.
- Gomme le témoignent les plus anciennes brochures de Ducos du Hauron, il a, de longue date, énuméré, sans prétendre toutefois en avoir dressé la liste complète, les différentes sortes de tirages industriels qu’il jugeait pouvoir s’appliquer à la photographie trichromatique. Cette énumération comprenait, dans leur généralité, les diverses impressions aux encres grasses, et notamment la photocollographie (anciennement appelée phototypie), la chromolithographie à grain, la gravure en creux, la photogravure en relief ou typographique. Il importe de retenir
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- •que cette dernière, depuis quelques années, c’est-à-dire depuis l’adoption des réseaux et des trames qui divisent, dans la chambre noire, l’image réfléchie et la transforment en image pointillée ou quadrillée, en simili, etc., est devenue éminemment apte à l’illustration du livre par la gravure photographique en trois couleurs. L’appréciation que nous émettons à ce sujet n’exprime pas un simple espoir, mais il s’agit d’une réalité affirmée par des résultats d’une haute valeur. L’étranger les a montrés le premier; mais grâce à Dieu, la France s’en mêle à son tour pour tenir bientôt, ici comme ailleurs, le record. Pour s’édifier à ce sujet, on n’a qu’à lire le récent article de la Revue encyclopédique (numéro du 2 avril 1898), où M. Léon Vidal célèbre la belle réussite de MM. Délayé et L. Hemmerlé, de Lyon.
- En sus des méthodes manufacturières, Louis Ducos, dès l’origine, a suggéré plusieurs modes de phototirages qui sont à la portée des simples amateurs. Il faut ranger dans cette catégorie le procédé dit au charbon, de son vrai nom procédé aux mixtions colorées bichromatées, et aussi le procédé par saupoudrage.
- Personnellement il se livra à une étude approfondie du procédé au charbon et l’appropria de Son mieux à la production de ses trois mono-
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- chromes. Tantôt il les développait sur des supports transparents inextensibles, tels que feuilles de mica, et se bornait alors à les appliquer et presser l’un sur l’autre en assurant bien les coïncidences (manœuvre qui suffisait à constituer des vitraux de petit format pouvant servir à des projections); tantôt il créait sur des plaques de verre, employées comme supports provisoires, les trois monochromes pour les happer ensuite, à l’état pelliculaire, et les faire coïncider sur une feuille de papier émail, parfaitement soudés et incorporés l’un à l’autre : c’était, dans ce cas, des polycromies réflexes, produisant de charmants effets de miniatures sur ivoire. Il va sans dire que ce mode de polychromie procure la pluralité des exemplaires d’un même sujet, à la condition qu’on ait recours à l’action lumineuse dans le châssis-presse pour chaque épreuve en particulier.
- Il indique en outre la photoplastographie, appelée alors la photoglytie (procédé Woodbury et ses succédanés). C’est une sorte d’imprimerie; car, sans que la lumière ait à intervenir de nouveau, on obtient par ce moyen le tirage d’un nombre illimité d’épreuves en gélatine teintée ; toutes se forment successivement par voie de moulage en une matrice, ordinairement métallique, contremoulée elle-même par un premier 715 3
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- relief que l’action lumineuse a formé dans l’épaisseur d’une couche de gélatinq bichromatée. Ce procédé, si on s’inspire des variantes proposées par Louis Ducos dans le livre La Triplicc photgraphique des couleurs et l'Imprimerie, ne laisse pas d’être à la portée des amateurs, et il y a là, pour un indépendant doué d’initiative et d’imagination, une belle région à exploiter.
- D’autre part, MM. Auguste et Louis Lumière ont, à deux reprises, savoir : le 22 avril 1895 et le 14 mars 1898, surtout à cette dernière date, communiqué à l’Académie des sciences de merveilleux chefs-d’œuvre de photographie en trois couleurs, créés au moyen de la méthode dite des imbibitions savamment modifiée par eux. Au mélange de mucilage et de bichromate qui constituait, dans l’ancienne manière d’opérer, la couche mince où chaque monochrome se forme dans le châssis-presse, ils ont eu l’heureuse inspiration d’associer une émulsion au bromure d’argent qui régularise remarquablement les résultats du travail de la lumière dans ladite couche. Après exposition de la plaque ainsi préparée, on colore les épreuves par immersion dans les bains de teinture pourpre, jaune, bleu, ît on élimine par l’hyposulfite le bromure d’argent dont le rôle est terminé. Les trois monochromes sont repérés et collés l’un sur lautre
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- avec interposition d’une couche de collodion. C’est ainsi que MM. Lumière ont obtenu, plus particulièrement pour le stéréoscope, des collections de polychromies transparentes fort admirées.
- Dans le mémoire qu’il publia en 1869 sous le titre : Les couleurs en Photographie, solution du problème (1), Ducos du Hauron décrivit, entre autres moyens de reconstitution de la couleur, un mode où la triplicité du travail se conciliait avec l’unité de surface. Ici ce^ùTétait plus par superposition, c’était par juxtaposition que se manifestait la loi des trois couleurs. Pour produire l’image, tout à la fois une et triple, dont il est question, il faut en premier lieu, disait le mémoire, constituer un négatif tout spécial sur une plaque qui soit sensible à toutes les radiations (c’est cette plaque qui se réalise aujourd’hui sous le nom de panchromatique) ; à cet effet, on met en contact immédiat avec elle, dans la chambre noire, un milieu transparent, glace, membrane ou pellicule, entièrement recouvert d’un réseau trichrome divisé en raies ou compartiments très minces, la coloration translucide de chacune de
- (1) Il avait déjà indiqué cette combinaison dans le brevet de 1868, comme aussi dans le mémoire de 1862 adressé à M. Lelut.
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- ces raies ou de chacun de ces compartiments f agissant comme les écrans colorés dont on se sert pour le triage des couleurs. Le négatif qu’on aura obtenu de la sorte contiendra donc une série de raies ou de petits espaces symétriques, plus ou moins opaques suivant que ces divisions correspondent à des lignes ou à des parties de lignes, etc., ayant laissé passer des radiations plus ou moins actives. On tire de ce cliché un diapositif par contact sur verre qui, regardé à travers un réseau polychrome analogue au premier, procure, dès que les coïncidences linéaires sont établies, la vision intégrale du sujet original. A la vérité, ce système ne traduit pas les blancs du modèle par des blancs absolus, puisque le fond général est constitué par trois raies ou divisions dont chacune n’émet qu’une des trois radiations élémentaires. Mais la loi d’équilibre des trois teintes auxquelles se superpose le noircissement photographique différentiel constitutif de l’image diapositive, fait que l’œil ne s’aperçoit pas du moins de luminosité dont il s’agit. — Au cours des dernières années, l’élégante combinaison qui vient d’être décrite a été réalisée par M. le professeur Joly, de Dublin. Les polychromies qu’il obtient ainsi ne sont visibles que par la lumière transmise. On les dit d’une grande beauté.
- La conclusion de tout ce qui précède, c’est que,
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- à l’heure actuelle, en France et hors de France, les différentes méthodes de chromogrammes annoncées, il y a trente ans, par Louis Ducos, sont entrées une à une dans la pratique industrielle.
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- Pour compléter ce tableau de chacune des choses prophétisées mise en regard avec l’accomplissement, il ne nous reste qu’à établir ce même rapprochement pour ce qui a trait aux polychromies de la seconde série, c’est-à-dire non plus pigmentaires, non plus provenant de milieux analyseurs antichromatiques, mais immatérielles et provenant de filtres homéochromatiques (1). Soit dans le brevet de 1868, soit dans la brochure, déjà citée, de 1869, Les Couleurs, en Pho-
- (1-) Le procédé qui a été décrit à la fin du paragraphe précédent, c’est-à-dire celui qui opère le triple tamisage * et la synthèse des couleurs à l’aide des divisions d’une surface unique, se réalise par filtration homéoehroma-tique, bien que l’image soit matérielle et qu’à raison de cette matérialité nous ayons rangé ce procédé dans là première série. En ce cas tout à fait spécial, ia nécessité d’un tamisage non plus antichromatique, Biaxs homéo-
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- tographie, soit, dès l’année 1862, dans un mémoire adressé à M. Lelut, de l’Institut, Louis Ducos avait très nettement défini les images de cette seconde série, caractérisées par un triple jeu de diapositifs incolores et par l’illumination de chacun d’eux au moyen de la radiation colorée dont il est le produit. Cette partie de l’invention se subdivisait en deux branches, savoir : les reflets et les projections. On aurait les reflets à l’aide d’un triple appareil dont il décrivait minutieusement le mécanisme ; quant aux projections, c’est au moyen d’une lanterne à trois corps qu’on les obtiendrait.
- Or, ici encore, sur toute la ligne, les événements sont venus confirmer les prévisions.
- Tel est bien le cas pour les images-reflets en trois couleurs, formées, par addition de lumières, sur glaces transparentes. Nombre d’ingénieux physiciens se sont attachés à produire ce spectacle ; ils ont construit dans ce but une variété de dispositifs, tous combinés de manière à superposer devant l’œil les trois reflets bien exactement et à la même place. Le livre La Triplice
- chromatique, s’explique aisément, puisqu’il ne s’agit pas de glacis colorants superposés s’absorbant les uns les autres, mais d’éléments de couleurs juxtaposés, suscep- h distance, de s’additionner pour l’œil les uns
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- Photographique des couleurs et VImprimerie contient (Chapitre XV) le détail de ces différentes combinaisons. Il y en a une, remontant à 1879, qui est l’œuvre de Charles Cros. Les autres ont été proposées par MM. Zink, Ives, Nachet, Nie-wenglowski, Nadar, Léon Vidal, etc. Ces dispositifs permettent, pour la plupart, non seulement de reconstituer les couleurs de l’original, mais de créer les trois phototypes initiaux. En outre, dans le même ordre d’idées, Louis Ducos (même chapitre) a décrit un stéréoscope photochromogrà-phique de son invention, caractérisé par l’absence de réflecteurs transparents. Finalement, à la date du 3 décembre 1897, M. Wallon a présenté à la Société Française de Photographie (Bulletin de décembre 1897, page 80 et suivantes) le Chromographoscope, réalisé par L. Ducos du Hauron dans les ateliers et avec le concours de M. Mackenstein, l’habile constructeur. On peut se rendre compte de l’intérêt qui s’est attaché à cette dernière communication par les définitions que nous empruntons à M. Wallon lui-même. C’est, a-t-il dit, sur une glace sensible unique et c’est par une opération unique de pose et de développement que s’obtiennent les trois épreuves négatives; un tel résultat est dû à un jeu de miroirs et de lames transparentes sans épaisseur disposées à 45°, qui divise, en arrière de l’objec-
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- tif, le faisceau lumineux en trois parties; ces trois parties, avant d’arriver à la glace sensible, parcourent des chemins exactement équivalents, mais elles transportent des quantités inégales de lumière, d’où la possibilité de donner aux trois images, avec une même durée de pose, un éclairage équivalent malgré l’inégale activité des trois radiations fondamentales. Ce même appareil procure le répérage automatique, et cependant rigoureusement précis, des trois images positives.
- Quant aux photopolychromies qu’on obtient par projection de trois diapositifs incolores en illuminant chacun d’eux par la radiation colorée qui en a créé l’empreinte, ni la description donnée par Ducos du Hauron dans sa brochure de 1869, ni une description analogue que Charles Cros, son co-inventeur, fit paraître, à la même époque, dans un mémoire intitulé Solution générait du problème de la Photographie des couleurs, n’eurent le don, si suggestives qu’elles fussent l’une et l’autre, de frapper rapidement l’attention publique, du moins en France. L’indifférence s’y est continuée même après de remarquables expériences de M. Gabriel Lippmann venant confirmer les assertions des deux inventeurs. En effet, cet illustre académicien, qui devait, peu de temps après, conquérir tant de gloire par la découverte de la Chromophotographie interfé-
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- rentielle, ne dédaigna pas, en 1889, de tracer son sillon dans la région, si décriée par Monckhoven, de la photographie en trois couleurs : il exécuta avec plein succès les milieux colorés analyseurs, les phototypes spéciaux, puis les diapositifs incolores, et il en obtint de superbes projections polychromes (yoir l’ouvrage Les Couleurs en Photographie, par MM. Niewenglowski et Er-nault, page 353 et suivantes.)
- Mais ce grand fait artistique autant que scientifique n’eut pas de retentissement dans la presse française. Il passa presque inaperçu.
- C’est de l’autre côté de l’Atlantique, vers la même année 1889, que des projections polychromes conformes aux données ci-dessus ont, pour la première fois, fait l’objet d’un spectacle offert au public : M. Ives, de Philadelphie, était l’inaugurateur de ces attrayantes exibitions.
- Il y eut bientôt et à mainte reprise salle comble, et les Américains saluèrent de leurs applaudissements cette nouveauté, célébrée quelques jours après par toute la presse des Etats-Unis. Quant aux deux français qui avaient, vingt ans auparavant, prophétisé et décrit ce mode splendide de photographies en couleurs, leurs noms étaient passés sous silence.
- Paris, cette patrie des Beaux-Arts et des Sciences, ne pouvait se désintéresser plus long-
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- temps d’un progrès accompli dans leur double | domaine. Le 2 février 1892, au Conservatoire 'î National des Arts et Métiers, M. Léon Vidal, remarquablement secondé pour la partie optique de l’œuvre par M. Molteni, présentait à une assistance charmée les premiers spécimens, sortis de ses mains, de la synthèse additionnelle des couleurs par voie de projection et, le 4 mars, devant la Société Française de Photographie, le 9 du même mois devant le Photo-Club, il répétait l’expérience avec des éléments de démonstration de plus en plus décisifs. M. Léon Vidal avait assorti et coordonné une fois pour toutes, gTâce, il faut le reconnaître, à une science spéciale considérable, ce qu’il a appelé les douze variables, à savoir : les trois milieux colorés, les trois négatifs, les trois diapositifs, et enfin les trois sources d’illumination.
- En des termes chaleureux, ratifiés aussitôt par les manifestations de l’auditoire d’élite auquel il s’adressait, l’éminent conférencier revendiqua hautement en faveur de feu Charles Gros et de Ducos du Hauron, par conséquent pour la patrie française, l’honneur de l’idée première dont il Apportait une démonstration si magistrale (1).
- (1) Moniteur de la Photographie, numéro du 1er mars î892 ; journal La Nature, année 1892, page 339 et sui- j vantes. \
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- L’objet de cette notice est bien moins la biographie d’un inventeur que la propagation de ses idées. Lui-même, quand nous l’avons consulté sur les éléments de notre travail, a voulu qu’il en fût ainsi. D’une part, il estime avec raison que toute l’utilité des moindres livres comme des plus importants doit être réservée à leurs lecteurs, et, d’autre part, en ce qui concerne la propagande qu’il a en vue, elle est de celles qu’on est heureux de favoriser sans arrière-pensée égoïste. Son désir le plus sincère est que, pour le triomphe de la science et de l’art, la trilogie photographique des couleurs, telle qu’il l’a comprise et définie, soit expérimentée sous toutes ses formes, poursuivie en tous ses corollaires, sondée en tous ses mystères par une phalange de plus en plus nombreuse, de plus en plus aguerrie, de chercheurs, y compris les simples amateurs. Ce champ d’exploration n’a pas de limites. Il promet des surprises, des trouvailles superbes. C’est dans le dessein de les multiplier que le
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- frère de l’inventeur a écrit non cette biographie, mais plutôt cette monographie destinée à ébruiter de son mieux les attractions du système. La même intention le dirigea lorsque, l’année dernière, dans le traité La triplice photographique des couleurs et l'imprimerie, s’adressant plus particulièrement à un groupe de spécialistes, il publia, en sus de la description minutieuse de quelques-unes des méthodes, diverses indications des plus suggestives afférentes à des sujets d’études où l’inventeur aurait eu trop à faire de s’engager personnellement. Telle fut l’idée maîtresse de ce traité, plus vaste par les conquêtes qu’il fait entrevoir que par celles qu’il montre réalisées (1).
- Mais ne serait-ce que pour éclairer le côté scientifique des choses, notre devoir est de mentionner dans l’ouvrage actuel, avant de nous séparer du lecteur, certains épisodes de la vie, fortement tourmentée, de Louis Ducos du Hauron.
- J’ai déjà parlé d’un premier désastre, qui frappa son œuvre en 1872: ce fut la mort inopinée de Blan quart-Evrard.
- il) tAlcide Ducos du Hauron. — La triplice photographique des couleurs et l’imprimerie, système de photochromographie Louis Ducos du Hauron. — In-18 jésus de VI. — 448 pages, 1897. — Bibliothèque photographique de la maison Gauthier-Villars et fils. .
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- Ce malheur ne brisa pas son courage. Il refit patiemment sa toile de Pénélope, c’est-à-dire ses collections de clichés spéciaux et de photopeintures au charbon., dans l’espoir de meilleurs jours.
- Par meilleurs jours, il fallait entendre ceux où un nouveau Blanquart-Evrard, un directeur d’imprimerie photographique à tirages industriels, par exemple la phototypogravure en creux ou en relief, adopterait son travail pour lui donner le large essor dont il paraissait digne.
- Mais il était à craindre que cet événement désiré ne vînt pas de sitôt. La guerre avait cessé, il est vrai, mais ses suites se prolongeaient ; elle avait interrompu pour des années le mouvement artistique, coupé les ailes à l’idéal, glacé les académies et les athénées. Niepce lui-même, les mains pleines de merveilles, n’aurait pas obtenu qu’on fît cercle autour de lui.
- Par un surcroît de complications regrettables, Louis Ducos n’habitait pas à proximité des centres industriels. Disons cependant, pour rendre à la vérité un juste hommage, que dans la province où il résidait, des intelligences d’élite, des amis sincères comprirent ses travaux et qu’ils soutinrent son courage par des sympathies aussi chaleureuses qu’éclairées. De 1872 à 4878, comme l’attestent notamment plusieurs de ses mémoires dédiés à la Société académique d’Agen, il réalisa
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- en cette ville, quant à l'application de ses méthodes, de sérieux progrès. Il se voua particulièrement à la recherche des propriétés photogéniques de Yéosine, et parvint à la gouverner complètement comme substance accélératrice des empreintes des radiations les moins photogéniques. Il contribua, par ses découvertes personnelles, à l’avancement général de la science de l'orthochromatisme : c’est cette science qui, par la suite, grâce à la substitution du gélatinobromure au collodion, devait, plus particulièrement dans le laboratoire de MM. Auguste et Louis Lumière, révolutionner la photographie tout entière. En ce qui a trait aux impressions de ses polychromies, il fit provisoirement son deuil des moyens photomécaniques de multiplication rapide, et dut s’en tenir au procédé dit au charbon. Il le plia de son mieux à la production et à l’unification de ses trois monochromes. C’est ainsi qu’il obtint finalement, soit par transparence, soit sous la forme réflexe, un nombre, malheureusement fort restreint, d’épreuves en trois couleurs : c’étaient des spécimens hautement significatifs, voire même, quelques-uns du moins, réalisant la perfection. j
- Au nombre de ces épreuves, pour la plupart d’assez médiocre format, se trouvait un paysage d’après nature absolument remarquable par la
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- finesse du détail et par le charme du coloris. Le comte de Chaudordy, ambassadeur de France à Saint-Pétersbourg, reconnut dans ce médaillon la touche toute personnelle, la maëstria du peintre Hélios, et il se fit une fête de montrer ce joyau photbographique au critique d’art le plus autorisé qu’il y eût à Paris : je veux parler de Paul de Saint-Victor.
- A son tour, Paul de Saint-Victor, émerveillé du médaillon, y lut sans difficulté la signature : c’était bien celle du roi des peintres.
- Quelques jours après, M. Gustave Péreire, avec l’entrain d’un grand seigneur de la finance doublé d’un Mécène, instituait des travaux d’essai pour une production pratique et régulière d’épreuves en trois couleurs d’après les principes qui avaient si bien réussi.
- Mais l’archet d’or de ce virtuose eut beau vibrer, l’expérience qui fut faite demeura stérile.
- Et il devait en être ainsi. Le conseil d’administration, renonçant à traiter avec les chefs d'imprimeries photographiques aux encres grasses, avait limité cette expérience aux phc-totirages par les gélatines colorées, tels que le charbon et la photoglyptie (procédé Woodbury). On n’avait pas à cette époque les moyens, trouvés plus tard, de maintenir, au milieu des multiples manipulations des trois épreuves pelliculai-
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- res d’une polychromie de cette sorte, l’identité absolue de leurs dimensions respectives. Cet inconvénient tirait peu à conséquence, disons mieux, il n’existait même pas tant qu’on se bornait, comme Louis Ducos l’avait fait dans son atelier d’Agen, à des épreuves de petit format ; mais, par malheur, celles que MM. Klerjot, Chaupe et Sarrault, trois hommes de talent, venaient d’entreprendre à Billancourt et à Nanterre sous une direction trop portée peut-être à commencer par le plus difficile, étaient des polychromies de très grand format, destinées à attirer du plus loin possible les regards des visiteurs qui devaient prochainement affluer au palais du Champ de Mars ; car l’exposition photographique internationale de 1876 était sur le point de s’ouvrir. Quand on voulut, l’avant-veille ou la veille de cette ouverture, superposer les trois monochromes de chacun de ces vastes chromogrammes improvisés, il advint que, du moins pour la plupart, les coïncidences des lignes du dessin refusèrent de s’établir. On se découragea, et la continuation de l’essai qu’on avait voulu faire, fut indéfiniment ajournée.
- Le médaillon n’en existait pas moins. Celui qui avait en sa main un tel talisman devait-il, pouvait-il s’avouer vaincu ? S’il l’eût fait, sa déclaration n’eût pas paru sincère.
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- Rentré dans la solitude de son laboratoire d'Agen, il employa les années qui suivirent à régulariser, en vue des grandes dimensions aussi bien que des menus formats, ses polychromies aux gélatines, tout en préparant les voies à d’autres modes de phototirages, d’un caractère industriel moins discutable.
- Mais une recherche de plus haute importance ne tarda pas a s’imposer à sa clairvoyante sollicitude.
- En effet, un grave dilemne surgissait à l’im-proviste. Pas de milieu : ou bien son œuvre, devenue caduque, allait périr faute d’avancer, ou bien elle allait décupler, peut-être centupler de valeur, suivant qu’il maintiendrait sa méthode de phototypes ou qu’il aurait hâte de la remplacer.
- Rien n’était plus évident que cette alternative. Pour la production de ses phototypes spéciaux, un long travail et d’ingénieux moyens de captation lui avaient valu le docile concours, la colla-
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- boration du collodion, devenu pour lui, depuis des années, un inséparable auxiliaire : or le col-lodion, jusqu’alors respecté par tous les photo-; graphes, vénéré de tous presque autant que lei soleil lui-même, le collodion venait d’être dé-j trôné, et un nouveau monarque, le géla tino-bromure, régnait à sa place dans la plupart des ateliers.
- La révolution s’était annoncée fatale, irrésistible, par la raison que le nouveau régime, le gélatino-bromure, faisait passer aux mains de tout le monde la photographie, jusqu’à ce moment-là privilège exclusif d’un groupe de professionnels, et ce triomphe de la démocratie provenait de la fondation de puissantes usines qui se chargeaient — chose impossible sous le précédent régime — de livrer aux amateurs les glaces photographiques toutes préparées. Et quelles glaces ! Elles réalisaient, pour n’importe quelle radiation, même sans l’adjonction de substances accélératrices, des réductions de pose dont la prédiction, sous le règne du feu roi Collodion, ! eût paru insensée.
- De toute certitude, elles étaient une aubaine considérable pour la photographie en trois cou- ' leurs, et l’inventeur de cette dernière fut inévitablement entraîné à les étudier à fond. Il prolongea cette recherche pendant des années, expéri-
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- mentant h nouveau les divers agents accélérateurs indiqués dans les traités généraux sur l'orthochromatisme et spécifiés dans ses propres publications. Nous n’en parlons ici que pour mémoire, dans le seul but de témoigner de ce labeur venant se superposer à tant d’autres. Grâce à l’invariabilité de leurs résultats, à la pureté des épreuves, à la rapidité de la pose, les plaques orthochromatiques et les plaques panchromatiques obtenues en dernier lieu par MM. Auguste et Louis Lumière enlèvent tout intérêt à l’historique des efforts individuels tentés pour en obtenir d’analogues. En fait de productions de cette nature, il n’y a pas de lutte possible entre un particulier, si habile soit-il, et le grand établissement d’art industriel que ces deux savants ont créé à Lyon.
- A l’exposition universelle de 1878, Louis Du-cos présenta une collection de nouvelles polychromies en gélatine. Elles y obtinrent un vif succès. Elles étaient son œuvre personnelle. Entre autres appréciations émises à ce sujet dans les milieux spéciaux, voici le jugement qui fut porté par M. Piquepé, s’exprimant comme rapporteur de la délégation de la société des employés en photographie :
- « Ducos du Hauron, Agen... A envoyé onze remarquables petits tableaux, produits d’après
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- on procédé d’héliochromie. Ces spécimens* les ans de vues d’après nature, les autres de reproductions de peintures, sont simplement admirables. ï
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- L’envoi dont on parlait en ces termes ne pouvait pas ne pas frapper l’attention de nos voisins les Allemands, si vigilants, si alertes à saisir au vol tous les progrès, qu’il s’agisse des arts de la paix ou de ceux de la guerre. L’Allemagne est la terre natale de l’imprimerie; comment aurait-elle pu se désintéresser d’une affaire où celle-ci avait un grand rôle à remplir? Ce qu’il y a de certain, c’est que, le 13 octobre 1878, l’illustre imprimeur en photogravure, Albert de Munich, l’ami de Vogel, le confident d’une partie de son œuvre, interpellait Ducos du Hauron. Venu à Paris visiter l’exposition, il lui adressait à Agen, à la date qui vient d’être relatée, une première lettre, presque aussitôt suivie d’une seconde, pourle féliciter deson envoi au palais du Champ de Mars et pour le convier à un entretien où l’on
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- discuterait amicalement les moyens de fonder ensemble, soit en France, soit hors de France, nn atelier consacré à la photographie en trois couleurs réalisée par l’imprimerie. Non-seulement la science, mais la droiture et l’honneur avaient en la personne d’Albert de Munich un réprésentant indiscuté. Louis Ducos accepta donc l’entretien. Il eut lieu à Paris. Il s’y renouvela plusieurs jours, de plus en plus captivant, de plus en plus empreint de confiance mutuelle et de cordialité. Pour fonder à Paris même l’atelier projeté, il eût fallu, à raison de certaines conventions antérieures, le concours d’une maison industrielle dont je n’ai pas à rappeler le nom, d’ailleurs très honorable. Elle déclara n’être pas prête à une augmentation de travail, de local et de personnel. Albert de Munich, photographe de la cour du roi de Bavière, dit alors à Ducos du Hauron : « Venez parmi nous, nos efforts réunis ne tarderont pas à créer de grandes choses. »
- Le lecteur l’a pressenti, la réponse du Français fut française, c’est-à-dire négative. Si grandes que fussent les certitudes de succès attachées à une pareille association, comment se serait-il décidé à transporter en Allemagne l’invention qu’il avait été si heureux et si fier d’offrir à son pays ? Son sort dût-il laisser celui-ci à tout jamais indifférent, il refusa.
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- Cette indifférence — bien entendu, il ne s’agit pas de la France elle-même, mais de quelques-uns de ceux qui s’imaginent la représenter — ne tarda pas à se montrer dans toute sa laideur. Voici en quelle circonstance :
- Malgré l’énorme consommation de travail, de temps et d’intelligence que Louis Ducos, au vu et au su d’un grand nombre de ses contemporains. avait employés à sa grandiose découverte, elle ne lui avait pas profité et, en l’année 1881, il se voyait presque à la veille de l’expiration du brevet pris par lui en 1868 pour les couleurs en photographie. On lui suggéra alors une démarche au ministère du commerce pour une prolongation de durée de son privilège.
- Certes, cette démarche pouvait avoir quelque témérité en ce sens que rarement, trop rarement les inventeurs, même les moins fortunés et les plus méritants, obtiennent la faveur qu’on le pressait de solliciter. Il fallait donc s’attendre à un refus. Cependant la démarche fut faite : le refus s’ensuivit (1er août 1881).
- Mais ce qu’il y a de honteux, non pour l’auteur de la démarche, mais pour les auteurs du refus, ce sont les motifs de la décision : « La découverte invoquée par l’inventeur n’avait pas l’ampleur voulue, les retards de la mise en œuvre lui étaient exclusivement imputables ».
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- En vérité, c’est le cas de rappeler, à propos d’une mésaventure d’ordre privé, le jugement porté de nos jours sur les Français par John Edward Courtenay Bodley. Autant cet observateur glorifie, dans notre nation, l’activité intellectuelle, l’ingéniosité, la force morale qu’on y découvre parmi les gouvernés, autant il bafoue la médiocrité lamentable, l’ignorance, le gâtisme d’un trop grand nombre de ceux qui la gouvernent.
- XVII
- Il y avait alors à Agen un homme aux idées élevées qui prodiguait l’activité de son intelligence et de ses capitaux à former, dans les contrées dont il était le dieu, des centres de travail et des foyers de bienfaisance. M. Alexandre Jaille — c’est de ce bienfaiteur public que je veux parler — comprit l’œuvre de Louis Du-cos. Il l’admira et, avec quelques amis, fonda à Toulouse, pour les impressions photographiques en trois couleurs, une annexe aux ateliers de collographie d’André Quinsac, le plus distingué
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- photocollographe qu’il y eût en France à cette époque.
- Si inférieures que fussent aux glaces panchromatiques actuelles les glaces gélatino-bromu-rées dont il fallait se contenter pour chaque trio de phototypes, les dix à douze sujets polychromes — reproductions de tableaux ou paysages pyrénéens pris d’après nature — que Quinsac imprima d’entrée de jeu, eurent un succès énorme. L’élite des artistes et des littérateurs de la ville de Clémence-Isaure assista à la a démonstration », j’allais dire à l’éclosion de la nouvelle sorte de jeux-floraux que M. Jaille venait d’instituer. Il n’y eut qu’une voix pour prédire longue et glorieuse vie à la eollographie polychrome.
- Elle s’apprêtait, en effet, à battre son plein (1884), lorsque les ateliers de Quinsac, y compris l’annexe des trois couleurs, devinrent la proie des flammes : tout fut dévoré, tout périt en moins d’une heure.
- M. Jaille eût réédifié l’établissement, mais il n’en eut pas le temps : une maladie inopinée et la mort le frappèrent.
- Quinsac voulut transporter à Paris, où il était déjà célèbre au moins autant qu’à Toulouse, son industrie artistique, et il invita Du cos du Hau-ron à lui adresser sans retard de nouveaux trios de phototypes. Pour le commun avantage des
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- divers intéressés, il était sûr de tirer un heureux parti des nouvelles polychromies ; mais, à son tour, la mort le guettait... La mort de Quinsac fut le coup de grâce de toute l’entreprise.
- XVIII
- Pendant les douze années qui suivirent, le travailleur dont nous déroulons la rude histoire, habite Alger auprès de sa famille. De même que Blanquart-Evrard et que les autres amis qui avaient voulu le seconder, son brevet, lui aussi, était passé de vie à trépas, sans qu’il fût possible, on le sait, de le ressusciter. Mais la foi inébranlable de l’inventeur dans le succès final survivait aux hommes et aux choses. Il avait amassé, il continua d’amasser, à défaut des rentes dont sa découverte était frustrée, la science des moyens très variés qui, d’un jour à l’autre, pouvaient, sous sa direction, assurer une industrielle mise en œuvre du système. Et comme dans l’ordre scientifique aussi bien que dans l’ordre des productions littéraires, une idée en fait surgir une autre, il arriva que les trouvailles in-
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- génieuses dont il était Fauteur, s’accumulèrent sans qu’un lien toujours apparent les rattachât toutes à la photographie des couleurs, son sujet favori d’études. Elles sont attestées, de 4859 à 1897, par quatorze brevets français et vingt-quatre traités, brochures ou publications scientifiques, le tout énuméré et spéficié, parfois même analysé ou partiellement transcrit dans l’ouvrage dont la présente notice a déjà fait mention à diverses reprises et qui a récemment paru chez Gauthier-Villars : « La triplice photographique des couleurs et l’imprimerie ».
- Le Transformisme en photographie par V entrecroisement de deux fentes, Y Art des ana-glyphes, le Microcosme (variante d’appareil panoramique), sont des créations de Ducos du Hauron devenues populaires. On en peut lire les descriptions dans nombre de recueils scientifiques ou mondains.
- Mais, de toutes les idées qu’il a semées dans l’industrie d’art, la première en date et la plus féconde, ce fut celle du cinématographe, autrefois désigné par le terme de chronopholographie. II émit cette idée il y a trente-quatre ans, non pas d’une façon vague ou abstraite, ni par des à-côté ou des à peu près, mais matérialisée en des dispositifs que spécifiait en détail son brevet — brevet du 1er mars 4864, n° 64976, et,
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- surtout, certificat d’addition, en date du 3 décembre 4864. — Ce brevet français, aujourd’hui atteint par une prescription plus que doublée, mais que sa vieillesse même rend plus glorieux, se trouve être le chef de file des innombrables brevets afférents au cinématographe. La construction spéciale décrite par Louis Ducos et qu’il fit exécuter par un mécanicien agenais sous le contrôle d’un ingénieur distingué, assurait l’immobilité optique de chacune des images nonobstant leur déplacement matériel devant l’œil du spectateur, et par suite affranchissait de toute oscillation le spectacle cinématographique.
- Quant à sa photographie en couleur, tous les éditeurs qui lui avaient offert leur concours étant morts, il décida, dût-il n’éditer que cent exemplaires, d’entreprendre lui-même, par l’imprimerie collographique, l’illustration polychrome de quelques-uns des sites pittoresques qui abondent autour d’Alger. Il prévoyait de prochaines expositions photographiques à Paris : pouvait-il abandonner le champ-clos ?
- Mais un bon imprimeur photocollographe ne s’improvise pas, et certes c’eût été le cas d’imprimer trois fois mieux encore que s’il se fût agi du travail traditionnel. Louis Ducos n’avait jamais tenu de sa vie un rouleau d’imprimerie ; il dut ~ à un a^ren-
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- tissage de quelques mois au bout desquels la petite presse Alauzet qui servait à sa démonstration commença à faire merveille. Il en obtint des polychromies fort présentables, qui se seraient transformées en épreuves réellement prestigieuses s’il avait pu se livrer à une étude un peu plus prolongée du procédé. Quoi qu’il en soit, il jugea que les spécimens obtenus pouvaient faire suffisante figure à l’exposition internationale de photographie de 1892, et il les soumit, en cette circonstance, au jugement du public.
- Sa confiance ne fut pas déçue. La plus haute des récompenses honora son œuvre ; car le titre de membre du jury de l’exposition lui fut conféré, et il reçut un diplôme de hors-concours.
- Il eut les mêmes honneurs deux ans après, à l’occasion de l’exposition internationale du Livre, 4894.
- Aux mêmes époques, rue de Vaugirard, dans les ateliers de MM. Rougeron et Vignerot, il fut fait un remarquable essai de tirage phototypographique d’un sujet polychrome dont il avait envoyé d’Alger le chromogramme négatif. C’était la copie d’une chromolithographie anglaise, caractérisée par la délicatesse et la beauté des carnations d’un groupe de jeunes femmes. Les trois cuivres, grainés à la résine, fournirent, mus
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- mise en train, une première épreuve que H. Klerjot offrit a la Société française de photographie, en sa réunion du 15 novembre 4892. On s’explique difficilement qu’en présence du résultat obtenu l’industrie parisienne ait ajourné, une fois de plus, l’adoption du procédé, abandonnant ainsi toutes les initiatives à l’étranger.
- La détermination prise par Ducos du Hauron d’imprimer lui-même ses polychromies lui valut, dans une imposante circonstance qu’il nous reste à faire connaître, de pouvoir invoquer le meilleur des arguments, c’est-à-dire toute une collection de spécimens à l’appui de sa méthode de reconstitution des couleurs naturelles. Ce fut à l’Institut, le 1er juin 1894, qu’il apporta cette démonstration.
- Elle était devenue indispensable.
- En effet, peu de temps auparavant, une merveilleuse expérience, due à un des membres de l’Académie elle-même, avait fait faire un pas considérable à la photographie directe des couleurs ; M. Lippmann, grâce à l’évocation d’une loi physique de l’ordre le plus élevé, avait contraint la lumière incidente et la lumière réfléchie à fixer et immobiliser, dans l’imperceptible épaisseur d’une couche de gélatine au bromure d'argent, leurs franges d’interférence, et à dresser de la sorte un procès-verbal, forcé-
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- ment authentique et d'une haute magnificence, des colorations reçues par la plaque sensible (I).
- Le silence de Ducos du Hauron aurait été une désertion.
- Pouvait-il, lui, l’inaugurateur d’un mode de photographie des couleurs fondé sur un tout autre principe scientifique, assister impassible et bouche close au légitime triomphe de la photographie interférentielle des couleurs ? Ne devait-il pas, tout en applaudissant à son tour à la découverte d’un illustre compatriote, revendiquer en faveur de sa propre invention la part de suffrages qui revenait à celle-ci ? N’avait-il pas le droit comme le devoir d’opposer à cette photographie interférentielle qui crée la couleur, mais qui ne la crée que sur une surface unique, cette autre photographie qui ne fait que la distribuer, mais qui la distribue réduite à trois types immuables, servant automatiquement à ses infinies manifestations et sur un nombre illimité d’exemplaires d’une même image ?
- Il adressa donc à l’Académie des Sciences un mémoire contenant la description de son œuvre
- (1) C’est en ces termes que Ducos du Hauron, dans son mémoire à l’Institut, définissait la conquête de M. Lippmann.
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- personnelle, et il accompagna d’une collection de spécimens cet écrit qui avait pour titre : Photographie des couleurs, reproduction photomécanique des couleurs en nombre illimité d'exemplaires.
- Parmi tous les compliments de bienvenue qui honorèrent sa communication, le plus précieux pour lui, le plus réconfortant, ce fut le témoignage, toutà la fois scientifique et chevaleresque, de l’adversaire qu’il rencontrait en cette noble lutte. Par l’élévation bien connue de son caractère, par la hauteur même et le retentissement de sa découverte, l’éminent professeur de la Sorbonne échappait à toute suspicion de partialité. Prié d’émettre une opinion au sujet du conflit, plus apparent que réel, des deux systèmes, voici quelle fut la réponse de M. Gabriel Lippmann à L. Ducos du Hauron :
- « 4, carrefour de l’Odéon.
- « Monsieur.
- « Je vous remercie d’avoir bien voulu m’adresser votre travail. J’aurai grand plaisir à voir lundi les épreuves dont vous me parlez.
- « Votre belle et ingénieuse invention m’est connue depuis longtemps, comme à tout le monde, je pense. J’ai eu l’occasion d’en vérifier
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- le principe, en opérant comme il est dit dans votre note de la page 9, et j’ai réussi, pour deux ou trois objets, à reconstituer les couleurs avec une rare perfection, même le blanc.
- « Je pense d’ailleurs comme vous, Monsieur, que pour la multiplication des épreuves, un procédé par impression, tel que le vôtre, sera toujours infiniment plus commode qu’un procédé qui fait à chaque fois intervenir la lumière.
- « Je souhaite donc, Monsieur, que vous continuiez de développer votre invention avec l’énergie et le talent que vous y avez mis jusqu’ici. Ce n’est pas, je le crains, mon expérience qui viendra de sitôt vous faire concurrence dans la pratique.
- « Veuillez recevoir, Monsieur, etc.
- « G. Lïppmann.
- « 29 mai 1891. »
- XIX
- A la fin de l’année 1896, L. Ducos, après un séjour de douze ans en Algérie, a fixé sa résidence à Paris.
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- Savants et artistes, tous ceux qui, à distance* s’étaient intéressés aux progrès de son œuvre, lui ont fait un accueil dont il a été profondément touché.
- La Société française de Photographie et la Société d’encouragement pour l’Industrie nationale ont honoré sa carrière, toute de dévoûment à la Science française, par de hautes récompenses, l’une en lui décernant la médaille Janssen 1896, l’autre en lui attribuant le prix Giffard 1897.
- M. Wallon, dans le rapport qu’il a déposé à la première de ces deux sociétés, au nom de la commission chargée de présenter un candidat pour la médaille fondée par M. Janssen, a fait ressortir l’importance de la découverte de Ducos du Hauron.
- « Son nom, a-t-il dit, restera invariablement lié, dans l’histoire de la Photographie, à celui de Ch. Cros...
- « Ch. Cros est mort, et nous ne pouvions diviser la récompense ; nous avons voulu du moins en partager l’honneur.
- « Messieurs, votre commission a vu, dans le choix qu’elle vous propose de faire, autre chose encore.
- « Depuis quelques années, il tend à s’établir à l’étranger, mais surtout en Allemagne, une fâcheuse habitude. On cherche à restreindre le 715 4
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- rôle si grand qu’a joué notre pays dans l’histoire de la Photographie. A lire aujourd’hui les journaux photographiques allemands, il semble que la méthode indirecte de la photographie des couleurs ne date que d’hier. Une discussion assez vive s’étant élevée à ce sujet entre l’Angleterre et l’Allemagne, celle-ci tenant pour le docteur Selle, et celle-là pour M. Ives, on ne voit pas que, dans les articles qu’elle a suscités, les noms de Gros et de Ducos soient une seule fois prononcés ; il en est de même de divers manuels récemment parus. A Daguerre et à Niepce on oppose un docteur Schulze, à M. Lippmann, Zenker ou Otto Wiener.
- « L’occasion nous a paru bonne pour que la Société affirmât solennellement les droits de la Science française, et sa volonté de défendre le patrimoine confié à sa garde.
- « La découverte de la méthode indirecte est, quoi qu’on en dise, purement française...
- (Suit l’indication des documents justificatifs, celle notamment des brochures publiées en 1869, séparément, par Ducos et Ch. Gros.)
- « Dans les deux brochures, la question est traitée de façon complète ; les modifications apportées depuis au procédé, soit en France soit à l’étranger, y sont prévues de façon nette ; même Sa méthode inventée l’an dernier par M. Joly, de
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- Dublin, se trouve presque entière dans le pre*> mier mémoire de M. Ducos.
- « Les écrivains vraiment autorisés ont d’ailleurs reconnu les droits de nos compatriotes.
- « ...la méthode indirecte de la photographie
- en couleurs naturelles, dit J.-M. Eder, procédé découvert en même temps et à l’insu l’un de l’autre par Cros et Ducos. Tandis que Gros se contentait de faire connaître la théorie du procédé, Ducos du Hauron a cherché à la rendre pratiquement utilisable.
- « Et M. W. Vogel, proposant une modification à la méthode, reconnaît que les travaux de Ducos du Hauron ont ouvert une voie nouvelle.
- « En même temps que sa note explicative, celui-ci communiqua à la Société deux épreuves en couleur. Il en envoyait toute une série à l’Exposition universelle de 1878, photographies d’après nature ou reproductions de peintures; nous en avons revu et admiré quelques-unes à l’Exposition du Champ-de-Mars, en 1892.
- « Des progrès ont été réalisés, surtout depuis la découverte des préparations antichromatiques : à ces progrès mêmes nos deux compatriotes ont eu leur part ; nous ne contestons pas celle des ’iutres. Mais la découverte elle-même, nous vous demandons de la revendiquer hautement aujourd’hui en remettant à M. Louis Ducos du Hauron
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- la médaille qui, lorsqu’elle fut attribuée pour la première fois, il y a deux ans, servit à consacrer les magnifiques travaux de notre président, M. Lippmann, sur cette même question de la photographie des couleurs (1). »
- De son côté, M. Davanne, au nom du comité qui avait à proposer à la Société d’encouragement pour l'Industrie nationale un titulaire du prix Giffard 1897, a prononcé une chaleureuse apologie de l’œuvre de Ducos du Hauron.
- Le rapport de M. Davanne fait ressortir combien cette œuvre, méconnue tout d’abord, a pris d’importance, au cours des dernières années, à raison des progrès accomplis, d’une part, dans
- (1) Bulletin de la Société française de Photographie •du 15 avril 1897. — Ce bulletin, dans son numéro du 15 novembre suivant, contient une communication ad-ditionnnelle présentée par M. Wallon en réponse à une note dans laquelle M. Ives, de Philadelphie, avait cru pouvoir opposer à Gros et à Ducos du Hauron une prétendue antériorité : M. Ives faisait résulter cette antériorité d’une expérience faite le 17 mai 1861, à la Royal Institution de Londres, par l’illustre physicien J.-Clerk Maxwell. M. Wallon établit que Maxwell n’avait abordé le problème que dans un cas particulier et particulièrement simple, que d’ailleurs son expérience, aux termes mêmes du procès-verbal qui en fut dressé, n’avait pas réussi, et que nulle part, dans cette expérience, Maxwell n’avait fait allusion au principe de Y antichromatisme, essentiel à la solution du problème général, principe qui fut énoncé pour la première fois par les deux Français sus-nommés.
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- les préparations dites orthochromatiques, ou isochromatiques, ou bien encore panchromatiques et, d’autre part, dans la transformation d’une photographie en typogravure à l’aide des réseaux dont l’emploi fut conseillé et démontré par Berchtold dès l’année 1859.
- « L’inventeur vint trop tôt, dit M. Davanne parlant de Louis Ducos ; son invention théorique remonte à 1862 ; le brevet d’application pratique est du 23 novembre 1868... Les procédés de gravure et de lithographie photographiques étaient encore dans l’enfance, promettant pour l’avenir ; mais il fallait produire, bien difficilement alors, les trois planches encrables pour l’impression ; on les obtient couramment aujourd’hui ; l’inventeur, M. Ducos du Hauron, suivait ces perfectionnements nouveaux, les adaptait à son œuvre, faisait, sans compensation, des sacrifices d’autant plus grands que son avoir était modeste, et cependant les siens, son frère, magistrat à la Coür d’Alger, l’encourageaient à poursuivre l’application de son invention et l’aidaient de leur mieux. Lorsqu’enfîn les procédés d’orthochromatisme permirent de faire rapidement les clichés, quand les méthodes de photogravure, de photocollographie donnèrent les résultats actuels, les brevets étaient périmés, les ressources étaient épuisées et l’inventeur voit main-
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- tenant d'habiles opérateurs utilisant ses procé-dés, annonçant avec réclame et s’attribuant l’invention de- la photographie, des couleurs, tandis que, désarmé, il ne peut qu’assister sans profit à la réalisation de son œuvre et quelquefois aux manœuvres qui la présentent comme une invention nouvelle.
- « Quel est, actuellement, pour tous, le résultat pratique de ces longues et ruineuses recherches ?
- « C’est l’emploi de l’analyse des couleurs par les écrans pour toutes les reproductions de sujets colorés, c’est l’impression polychrome de tous genres par la gravure en relief et en creux, par la lithographie, aidées l’une et l’autre par la photographie, c’est une facilité plus grande de répandre dans le public des reproductions d’aquarelles, de tableaux, etc., de produire des fac-similés comme ceux que les éditeurs produisent en France et à l’étranger, c’est l’illustration en couleurs pour les livres d’art et de science devenue facile par l’emploi des procédés typographiques, en combinant les méthodes anciennes (1868) de Ducos du Hauron pour les couleurs et celles de Bejrchtold (1859) pour les réseaux ; c’est, comme nous le disions au début, une révolution dans l’art des impressions illustrées. » (1)
- fl) Bulletin de la Société d’encouragement pour l’Industrie nationale, juillet 1897.
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- Je crois avoir pénétré la pensée du< lecteur qui a bien voulu suivre avec quelque attention la dernière partie de ce récit. Pour sûr, il est persuadé que j’ai commis un oubli. Noussommes en un temps où rien ne se passe en France sans que l’Etat s’en mêle. Le lecteur désire donc savoir quel a été le rôle du Gouvernement dans les conjectures dont je viens de rendre compte, et il m’en veut quelque peu, je le parie, de n’en avoir soufflé mot.
- Ce reproche part d’un bon naturel, et mon silence, en ce qui concerne l’Etat français peut, de prime abord, ressembler à de l’ingratitude.
- En effet, dans toutes les pages qui précèdent, il n’a été question que d’inventions -françaises de premier ordre, solennellement revendiquées au nom de la France par les société savantes françaises à l’encontre d’injustes prétentions bruyamment formulées par l’étranger. Il s’agit d’une famille française qui, chaque jour, depuis un tiers de siècle, dans un élan continu de
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- patriotisme, lutte contre vents et marées, épuise ses ressources, brave jusqu’aux sarcasmes, sacrifie son repos, son temps, son bien-être, ses légitimes ambitions pour soutenir les travaux ' d’un Bernard Palissy dont elle est fière : est-il ‘ vraisemblable que le Gouvernement français, si renommé pour la magnanimité de la protection qu’il prodiguait jadis à tous les promoteurs du progrès, n’ait pas donné signe de vie, qu’il soit resté indifférent, comme aurait pu le faire l’entourage du roi Béhanzin, au bruit des applaudissements que le monde scientifique donnait, ces temps derniers, à l’œuvre éminemment nationale de Louis Ducos du Hauron ?
- Une pareille indifférence ne se conçoit pas. Elle est impossible. Et c’est pourquoi, m’inclinant devant les reproches du lecteur, je fais amende honorable. C’est vrai, j’ai eu tort de ne pas parler de la haute intervention de l’Etat.
- IL est intervenu, sinon par de grands actes, du moins par des intentions dont il convient de lui savoir gré.
- Sans doute les intentions ne suffisent pas toujours, et l’on a pu dire que l’enfer est pavé de bonnes intentions ; mais, sans vouloir nous constituer juge du plus ou moins de fondement de ce proverbe, il n’est que juste de rendre témoignage à la vérité. Voici donc ce que le Ministère
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- des Beaux-Arts a eu l’intention de faire en faveur de l’inventeur de la photographie indirecte des couleurs.
- Au printemps de l’année 1897, pendant que s’accomplissait dans les bureaux de ce ministère, en prévision des récompenses du 14 juillet, la formation des dossiers des aspirants, plus nombreux que jamais, aux palmes académiques, Louis Ducos fut avisé qu’on avait résolu de le palmer académiquement, et il reçut l’invitation de se présenter, pour cet objet, au Ministère des Beaux-Arts, puis à la Mairie des Batignolles.
- Tl déféra scrupuleusement à l’un comme à l’autre de ces deux rendez-vous. On lui fit un accueil des plus flatteurs. On parut même s’étonner que sa boutonnière ne portât pas déjà quelque signe de l’estime très particulière en laquelle le Gouvernement tenait ses travaux. A cette gracieuse observation il répondit, non sans quelque malice, que les susdits travaux avaient, d’année en année, dévoré son temps à tel point qu’il ne lui en était pas resté pour solliciter, lui, le photographe des couleurs, un ruban d’une couleur quelconque.
- Sur ce, il se retira, bien convaincu qu’il allait être du nombre des élus après avoir été du nombre des appelés.
- Or, le i4 juillet et les jours suivants et utiles
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- étant advenus, ce fut le cas de se dire, de l’un à l’autre, dans tout l’entourage de l’inventeur : c< Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir? » On eut beau regarder, on ne vit apparaître ni palme ni diminutif de palme, ni même image de palme obtenue par les rayons X.
- De même que tous les siens, il a bien ri de la mystification. Elle était, il faut le reconnaître, des mieux réussies. Elle s’explique d’ailleurs sans qu’il soit nécessaire de chercher longtemps le mot dè l’énigme. Les rubans, quoique nombreux, ne sont pas en nombre illimité. Le renouvellement de la Chambre était proche. Dans le monde électoral, Louis Ducos a toujours passé, à bon droit, pour une quantité négligeable.
- Le 1er février 4897, M. Charles Mendel, directeur de la Photo-Revue, publiait un article où il manifestait, à propos d’une affaire criminelle dont retentissait alors toute la presse européenne, son grand étonnement de ce que, en plein Paris, à la veille du xxe siècle, un juge d’instruction eût recours à des procédés surannés, interminables et conjecturaux d’expertise, au lieu de demander des résultats prompts et sûrs à la science en profitant des derniers progrès.
- Il s’agissait de l’affaire de Y enfant martyr.
- M. Mendel se plaignait de ce qu’on eût fait
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- appel au talent et surtout au dévoûment d’un aquarelliste mis aux prises, pendant des semaines, avec la rebutante difficulté de traduire par sa palette les moindres nuances des plaies du cadavre de cet enfant, et il faisait ressortir combien c’était chose étrange qu’aucun laboratoire n’eût été institué en France pour une application officielle de la photographie dite en trois couleurs, dont on pouvait voir de très suggestifs spécimens en divers recueils périodiques.
- Ducos du Hauron ayant été nommé dans cet article, jugea utile de redresser une erreur de détail qui s’était glissée dans la définition de son apport à la science française comme auteur du système de polychromie photographique préco-nisé par M. Mendel. Il adressa donc à la Photo-Revue une lettre rectificative.
- Non seulement M. Mendel inséra dans son recueil (numéro du 15 février 1898) la lettre de Ducos du Hauron, mais il accompagna cette lettre d’un second article, consacré à célébrer les découvertes du réclamant. Il rappelait, en J termes éloquents, les péripéties, les disgrâces du : sort, les cruelles difficultés qui avaient empêché -cet inventeur de donner personnellement à son invention la consécration pratique et industrielle dont elle était digne et, dans la plénitude d’une initiative que l’inventeur n’oubliera jamais, le
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- distingué directeur de la Photo-Revue déclarait ouvrir les colonnes de son journal à une souscription pour rendre hommage, était-il dit, aux travaux de Ducos du Hauron et pour l’aider à poursuivre ses recherches.
- Cinquante ans auparavant, les amis de la photographie avaient entrepris une souscription analogue en faveur de Daguerre... Le modeste savant venu d’Algérie ne pouvait qu’être infiniment flatté de l’hommage provoqué par M. Mendel. Au bout de quelques jours, cette ovation, qui a laissé au cœur de celui qui en fut l’objet la plus vive gratitude à l’égard de chacun des manifestants, se transforma tout à coup en prenant des proportions inattendues.
- Ce fut à l’occasion de la remarquable exposition de photographie ouverte à Roanne au printemps de 1897 : une tombola importante y fut organisée, en effet, pour honorer les travaux de l’inventeur de la photographie en trois couleurs et pour l’aider à les poursuivre.
- Une lettre de M. Boyer, secrétaire du Photo-Club Roannais, insérée dans la Photo-Revue (numéro du 15 avril 1897) ne tarda pas à faire connaître que le placement des billets s’accomplissait à souhait et que de nombreux lots avaient été offerts par le Commerce et l’Industrie.
- On allait procéder au tarage lorsque, dans le
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- fatras des vieilles lois ou ordonnances démodées qui ont survécu, à force d’insignifiance et de manque d’intérêt, aux orages politiques et aux nombreux changements de régime, la bureaucratie des ministères est allée cueillir un texte qui, paraît-il, avait formellement prévu et prohibé le tirage de la dite tombola. En conséquence, et par ordre, les deniers et les lots ont fait retour à MM. les souscripteurs et à MM. les donateurs.
- C’était pour la troisième fois que, dans sa vie d’inventeur, Ducos du Hauron avait affaire avec cette administration française que le monde nous envie.
- Ce qui s’est passé alors v'a servir d’épilogue à toute cette histoire :
- Deux hommes de cœur, MM. Auguste et Louis Lumière, ont, en quelque sorte, couvert du manteau de Noé ce qu’il y avait de piteux, d’attristant et d’inepte dans les façons d’agir des mandarins du Gouvernement vis-à-vis du plus méritant des gouvernés. Ils n’ont pas voulu que celui-ci fût victime de celui-là. Sans bruit, sans ostentation, tout au contraire dans le plus profond mystère, prenant à leur charge ce que l’Etat aurait dû faire ou laisser faire, ils ont adressé à celui dont on vient de lire les trop nombreuses tribulations — où la note gaie n’est pas toujours absente — l’ample équivalent des
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- fonds que la tombola prohibée devait assurer à la continuation de ses patriotiques travaux. Ces deux hommes de cœur comptaient sur le secret : l’inventeur ni sa famille n’ont eu la force de le garder. Pour le bien général n’est-ce pas chose excellente qu’aux nombreux actes d’égoïsme et de platitude qui déshonorent cette fin de siècle on oppose, par moments, des exemples dont elle ait le droit de s’enorgueillir ?
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- Manuel de Photographie aux trois couleurs
- INTRODUCTION
- Au dernier congrès des Sociétés savantes de Paris et des départements (août 1898), M. Léon Vidal, professeur à l’Ecole nationale des Arts décoratifs, membre de l’Union nationale des Sociétés photographiques de France, a affirmé, dans un exposé de Y état actuel des procédés d'impressions trichromes, que ce Nouvel Art est en plein progrès et que l’heure sonnera bientôt où l’on n’imprimera qu’avec son concours les illustrations des ouvrages de science et d’art. A l’appui de cette affirmation, il a rappelé que, dès à présent, en France, quelques maisons, en tête desquelles on doit citer celles de MM. Délayé et L. Hemmerlé, de Lyon, Prieur, Chevalier, de Paris, exécutent des travaux remarquables avec
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- trois clichés monochromes typographiques ; qu’à l’étranger, notamment aux Etat-Unis d’Amérique, en Autriche, en Allemagne, en, Suisse, surtout en Angleterre, les impressions trichromes donnent lieu à des applications des plus intéressantes et déjà fort réussies. En résumé, a dit l’éminent conférencier, il est certain que, d’ici quelques années, l’emploi de la photographie en couleurs sera tout aussi courant que celui de la photographie monochrome.
- Ces appréciations et cette prophétie sont un témoignage principalement rendu aux travaux accomplis dans les grands ateliers : le but de notre Manuel est de fournir à la généralité des gens de loisir et des artistes, autrement dit à tous les amateurs photographes, les moyens de prendre une part active à la mémorable évolution célébrée par M. Léon Vidal.
- Ils n’ont pas, il est vrai, le dispendieux armement, les puissants moyens d’dxécution que nécessitent les vastes entreprises, mais qu’importe ? Indépendamment des procédés d’imprimerie qui multiplient à l’infini, en un temps imperceptible, l’image trichrome dont il est question, il existe plusieurs modes de phototirages, entièrement à la portée du simple amateur , qui produisent cette image tout aussi belle, peut-être même plus prestigieuse encore que si
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- elle sortait, par innombrables exemplaires, des presses d’un établissement typographique. Quelques-uns de ces modes restreints de phototirages ont fait merveille en ces derniers temps. On tient ordinairement secrets les heureux tours de main ou les ingénieuses conceptions de mise en œuvre qui ont procuré le succès. En pareille affaire le secret est un droit à l’abri de toute controverse.
- Mais en ce qui concerne le premier fondateur du système, Louis Ducos du Hauron, les préoccupations, les mobiles ne sont plus les mêmes. Toute son ambition, à l’heure actuelle, est de voir s’affirmer, se vulgariser de plus en plus ses idées jusque dans les minuscules ateliers. Telles sont les visées de ce manuel, écrit sous son inspiration immédiate. Les modes de phototirage dont il contient les descriptions, pour la plupart inédites jusqu’à ce jour, sont réellement à la portée de tous. On reconnaîtra sans difficulté que l’inventeur met de son plein gré dans le domaine public plusieurs trouvailles dont il aurait pu se réserver le monopole. On jugera par là combien l’initiation offerte est, dans tout son ensemble, une initiation loyale. Aucune réticence calculée, aucune omission volontaire n’empêchera ou ne retardera le succès de quiconque aura eu confiance en cet enseignement.
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- Le principe sur lequel tout repose, on le connaît. Trois phototypes, créés dans la chambre obscure par trois lumières différentes, la lumière ^leu-violet, la lumière vert-jaune, la lumière rouge-orangé, servent, moyennant une seconde action lumineuse, qui n’est autre que le travail du châssis-presse, à imprimer trois images, image jaune, image rouge, image bleue. Une telle définition indique la division de ce manuel en deux parties : première partie, qui se réfère à la production des trois phototypes ou négatifs; deuxième partie, qui traite des diverses sortes de phototirages proposés.
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- PREMIÈRE PARTIE
- Les trois phototypes
- Le lecteur sait déjà qu’on trouve dans l’indns-trie, supérieurement appropriées à la production de ces trois phototypes, des plaques photographiques dont la composition correspond aux progrès les plus récents de l’isochromatisme. Par cela seul qu’un opérateur entre en possession de plaques de cette nature, on peut dire qu’une forte portion du travail, pour ce qui est des négatifs, se trouve accomplie : ce qui lui reste à faire ressemble énormément à de la photographie courante, si simplifiée elle-même par les nouveaux produits.
- On s’explique dès lors que cette première partie de notre manuel sera très courte. Il n’y a de réellement spécial que la fabrication et l’emploi des écrans colorés.
- Généralités : Mode de formation des écrans colorés, place qu'ils occupent dans l'appareil photographique. — Généralement, la position
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- reconnue la plus favorable pour les milieux transparents analyseurs ou écrans colorés dontj il va être parlé, consiste à les appliquer contre la surface sensible ou très près de cette surface.
- De tous les moyens, quelques-uns d’originej toute récente, dont on dispose pour former les écrans dont il s’agit, le plus simple est de débro-murer par le passage dans un bain d’hyposulfité une plaque au gélatino-bromure, de la laver et de la plonger soit immédiatement soit après dessiccation dans une solution colorée aqueuse.
- Si le châssis négatif employé ne comporte pas l’admission de deux plaques, l’une sensible, l’autre colorée, chacune d’une épaisseur ordinaire, on appropriera, par le débromurage et les imbibitions, non plus une plaque ordinaire au gélatino-bromure, mais une feuille très mince, telle qu’une pellicule Jougla, émulsionnée des deux côtés, ou une vitrose de la maison Lumière.
- Nombre et nature des écrans colorés. — Comme le nombre et la nature des écrans varient suivant que, pour la production des trois photo-j types, on se sert de trois plaques de composition différente ou d’une seule sorte de plaque, nous allons spécifier successivement, pour les deux cas, les écrans dont il doit être fait usage.
- 1er cas: celui où Von se sert de trois plaques
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- différentes pour produire les trois phototypei. — Dans ce premier cas, il y aura lieu d’employer non pas trois écrans, mais deux seulement, savoir : 1° un écran rouge-orangé pour la plaque spécialement sensible à la région du rouge-orangé que la maison Lumière livre sous la marque B et qui est connue sous le nom de Ortho-B ; 2° un écran jaune pour la plaque spécialement sensible à la région verte (région qui s’étend jusqu’à la ligne jaune du spectre inclusivement) livrée par la maison Lumière sous la marque A et connue sous le nom de Ortho-A. Quant à la troisième plaque, spécialement sensible à la troisième région spectrale (qui comprend le bleu et le violet), cette troisième plaque, autrement dit la plaque ordinaire, non orthochromatique (marque jaune), elle ne comporte l’emploi d’aucun écran spécial, par la raison que, telle qu’elle est, elle fournit exclusivement l’emploi de la lumière bleu-violet.
- Cette absence d’écran pour le phototype de la région bleu-violet ne donne lieu qu’à une seule remarque, d’ordre secondaire, c’est que, si les écrans sont établis non sur pellicules, mais sur plaques, il convient de remplacer l’écran violet, dont on n’a que faire, par un verre d’une épaisseur analogue, afin que le foyer de l’image pour les trois épreuves soit rigoureusement le même.
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- On comprend qu’une pareille précaution serait superflue si les milieux colorés étaient sans épaisseur notable, par exemple si l’on emploie des vitroses.
- Il est avantageux, en ce qui concerne la plaque sensible employée, comme il vient d’être dit, pour le négatif de la région bleu-violet, de ne pas user des préparations les plus rapides, du moment qu’on applique un procédé où l’on renonce à l’instantanéité; telle est la raison delà préférence à donner aux plaques précitées, portant la marque jaune.
- Comment se fait-il qu’un écran non pas vert, mais jaune, soit proposé pour l’obtention du négatif de la lumière verte ? L’explication se rattache à la théorie des couleurs, de laquelle il résulte, d’une part, que le milieu jaune ne coupe que les rayons bleus et violets, et, d’autre part, que les rayons de la région verte sont les seuls qui agissent sur la plaque marquée Ortho-B. On voudra bien remarquer en outre qu’un écran jaune sans reproche est plus facile à constituer par les teintures dont on dispose que ne le serait un écran vert : les écrans verts qu’on produirait ralentiraient inutilement, loin de la favoriser, l’action lumineuse, par la raison péremptoire que la lumière verte passe en plus grande abondance à travers les écrans jaunes qu’elle ne
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- passerait à travers les meilleurs écrans de couleur verte.
- Diverses teintures peuvent fournir au trempé, en d’autres termes par imbibition de la couche gélatineuse des plaques débromurées, soit l’écran rouge-orangé, soit l’écran jaune.
- En ce qui concerne le rouge-orangé, on pourra faire usage d’une dissolution mixte de ponceau d’aniline et d'orangé daniline. L’intensité qui se produit dépend à la fois du dégré de concentration de la couleur et de la durée de l’immersion. Il faut amener cette intensité à un degré tel que la plaque teintée de la sorte étant examinée de très près, par transparence, à travers un verre bleu violacé intense (verre bleu de cobalt des vitriers) placé contre l’œil, laisse voir le ciel à l’état de rougeur exempte de coloration violacée. Si l’on dépassait l’intensité qui donne ce résultat, on allongerait inutilement la pose; c’est pourquoi, dans le cas où, par le fait, l’intensité aurait été dépassée, on la ramènerait au degré voulu en agitant la plaque dans de l’eau pure pendant quelques instants. Les progrès de la coloration sont du reste faciles à suivre en relevant, de temps à autre, la plaque du bain. En toute hypothèse il est utile de passer la plaque dans l’eau pendant quelques secondes afin d’enlever l’excès de couleur qui coule à sa
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- surface ; car cet excès formerait par la suite un dépôt poudreux qui diminuerait la limpidité et la transparence de la couche. Les présentes recommandations s’appliquent également aux autres teintures dont il sera ci-après question.
- En ce qui concerne le jaune, on pourra faire usage de jaune d’aniline, celui qui est soluble dans l’eau. On gouverne l’intensité de la manière qui vient d’être dite. On amènera cette intensité à un degré tel que la pellicule jaune, examinée par transparence et de très près à travers le verre bleu foncé dont il a été question, ne laisse passer qu’une lumière verdâtre très faible.
- M. Léon Vidal, dans une communication faite h la Société Française de photographie le 7 janvier 1898 (Bulletin de la Société, numéro de février, page 85 et suiv.) a indiqué diverses autres teintures pour obtenir les écrans dont il s’agit (1).
- (1) Le mécanisme des divisions opérées sur le faisceau lumineux par les écrans colorés se rattache à la théorie des couleurs unirégionales, birégionales et trirégionales définie et exposée par Louis Ducos du Hauron dans les premiers chapitres de l’ouvrage la Triplice photographique des Couleurs et l’Imprimerie, ouvrage publié par la librairie Gauthier-Villars et fils en 1897. M. Léon Vidal, dans la note qui vient d’être rappelée, a inséré une figure qui donne à ce sujet une idée très nette de l’étendue des zones spectrales que chaque écran transmet ou intercepte.
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- Le lecteur sait d’avance que la durée de poser pour le phototype du rouge-orangé, est de beaucoup la plus longue. Somme toute, en les supposant successives, le total des trois poses, étant donné l’emploi des plaques Lumière précitées, ne dépasse pas, pour un paysage éclairé par le soleil, et en faisant usage d’un diaphragme de moyenne ouverture, une minute, y compris la manœuvre, que nous supposons rapide, de la substitution des châssis. Avec l’objectif rapide à portraits opérant à toute ouverture, le chromo-gramme d’un portrait pourrait être pris, à l’ombre, dans moins d’une minute.
- 2e cas : celui où Von se sert d’une seule espèce de plaque pour produire les trois phototypes.— Dans ce second cas, il est rationnel de faire usage de la plaque panchromatique, qui est sensible à toutes les couleurs du spectre.
- Trois écrans deviennent alors nécessaires : il faut un écran bleu-violet, un écran vert-jaune et un écran rouge-orangé.
- Pourquoi l’écran bleu-violet, dont on s’était passé dans la première combinaison ? Parce qu’il peut y avoir maintenant utilité à atténuer, sur le phototype de la lumière bleu-violet, l’action des rayons verts et jaunes, qui s’exercerait quelque peu dans le temps nécessaire à la formation de l’empreinte du bleu-violet. Il n’y a rien
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- de rigoureux dans la détermination de l’intensité à donner à cet écran, puisque c’est simplement un écran à?atténuation.
- L’écran vert-jaune ne saurait être sans inconvénient, dans le cas actuel, remplacé, comme il l’avait été précédemment, par un écran simplement jaune. L’insuffisance actuelle d’un écran jaune se comprend, la plaque panchromatique étant sensible non seulement aux rayons verts, mais encore, quoique à un moindre degré, aux radiations rouges que laisserait passer un écran simplement jaune.
- Quant à l’écran rouge-orangé, son rôle est le même que dans la première combinaison, et cet écran ne peut donner lieu à aucune observation particulière.
- En ce qui a trait aux teintures à employer pour l’écran bleu-violet et pour l’écran vert-jaune, on peut, pour le premier, faire usage d’une solution de bleu méthylène, et pour le second, d’une solution de jaune d’aniline soluble dans l’eau et de vert sulfo.
- Reste à régler l’intensité qui convient pour ce dernier écran. A cet égard, la règle est celle-ci : Il faut que, soumis à l’épreuve du verre bleu cobalt, l’écran vert-jaune ne laisse plus passer la lumière violette.
- Enfin, et pour formuler une règle générale
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- s’appliquant aux diverses sortes d’écrans, celui qui désire en avoir plusieurs de chaque sorte pour garnir un certain nombre de châssis, les amènera, par simple voie de comparaison, à une intensité ou saturation identique en juxtaposant l’étalon qui aura été formé avec l’écran en voie de formation.
- Si les substances colorantes qu’on a employées n’offrent pas— tel est le bleu de méthylène — une longue résistance aux vives lumières, il va sans dire qu’en principe on maintiendra l’écran à l’abri de la grande clarté du jour.
- Matériel photographiqub : — Pour ce qui est du matériel photographique, il est certain que l’amateur aura toute satisfaction à faire emploi, purement et simplement, de la chambre obscure ordinaire, pourvu qu’elle soit accompagnée tout au moins de trois châssis ou de deux châssis doubles. Tous les châssis que fournit le commerce ont une feuillure assez profonde pour qu’on y puisse loger à la fois une plaque sensible et un écran formé dans une pellicule Jougla ou dans une vitrose. Il est à remarquer que les couches colorées établies sur simples pellicules sont bien moins sujettes à s’érailler que celles qui ont pour supports des plaques de verre ; toutefois, pour plus de précaution, rien n’empêche de protéger la couche pellieulaire colorée
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- par une pellicule ou vitrose incolore. Si l’on fait usage de plaques, il y a lieu d’en protéger la surface teintée par un verre extramince bien propre, qu’on a soin de coller à la plaque à l’aide d’une bordure de papier. La feuillure des châssis ordinaires pourrait, dans ce cas, n’avoir pas assez de profondeur pour contenir et la plaque sensible et l’écran. Il n’y aurait alors qu’une chose à faire, ce serait de placer en avant de la plaque sensible une rainure ad hoc.
- Aux praticiens qui désireraient obtenir non pas les trois successives images que peut fournir un appareil photographique ordinaire, mais trois images dont la formation commencerait simultanément et se terminerait de même au moyen d’un instrument plus compliqué, il nous suffira d’indiquer ici que le principe de divers appareils répondant à ce désir a été établi par Louis Ducos du Hauron, qu’il les a exécutés pour son usage personnel, et qu’il en a donné de minutieuses descriptions au chapitre IX du livre La Triplice photographique des Couleurs et VImprimerie. Mais il persiste à recommander aux photographes-amateurs la chambre obscure usuelle. Dans un nombre considérable de cas (vues d’après nature, reproductions de tableaux et d’œuvres d’art, sujets d’histoire naturelle, etc.), les changements d’éclairage qui peuvent
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- survenir sur le modèle, de l’une à l’autre des trois poses consécutives, ont trop peu d’importance pour être, au sens pratique du mot, un sujet de préoccupation. Il y a mieux : des portraits d’après nature fort réussis ont été faits dans les conditions ci-dessus définies. Qu’on veuille bien ne pas l’oublier, la simultanéité absolue des trois empreintes ne serait d’un haut intérêt que si toutes les trois pouvaient s’obtenir instantanément, ce qui n’est pas possible en l’état actuel de la science.
- Nécessité de garnir d'un anti-halo les plaques employées aux phototypes du rouge-orangé et du vert. — En photochromographie les accidents sont connus sous le nom à'auréoles et de halos sont beaucoup plus à redouter que dans la photographie ordinaire. Cela provient de ce que les radiations de la lumière verte et de la lumière rouge-orangé traversent bien plus abondamment la couche jaune de bromure d’argent, pendant la pose nécessaire à la formation de leurs phototypes respectifs, que la lumière bleu-violet ne traverse celte même couche dans le temps voulu pour l’empreinte qu’elle doit produire. Aussi l’usage d’enduits sombres appliqués sur le dos des plaques comme remèdes aux susdits halos s’impose dans le cas actuel d’une façon bien plus rigoureuse. Sans leur emploi, les objets
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- représentés sur l’image polychrome paraîtraient bordés de nuances disparates.
- Les enduits noirs sont à recommander pour les négatifs chromographiques, parce qu’ils éteignent toutes sortes de radiations. Il n’en est pas de même d’un enduit rouge sombre, par exemple, qui équivaudrait à un enduit noir dans la photographie ordinaire, mais dont il faudrait se méfier dans le cas présent. Un mélange de glycérine et de noir de fumée remplit parfaitement le but. Le noir est ajouté à la glycérine jusqu’à consistance un peu épaisse, et on étend cette pâte sur le dos de chaque plaque à l’aide d’un pinceau plat. Avant de développer, on l’enlève avec un chiffon.
- Nous ferons observer que l’emploi d’un antihalo devient inutile si l’on se sert comme plaques sensibles des vitroses rigides orthochromatiques récemment créées par la maison Lumière : leur peu d’épaisseur empêche tout halo de se produire.
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- DEUXIÈME PARTIE
- Phototirages polychromes
- Observations préliminaires
- Les trois méthodes de phototirages— méthode A, méthode B et méthode G — qui vont être décrites, sont greffées sur le procédé aux mixtions colorées bichromatées connu, même aujourd’hui, dans le langage des praticiens, sous la dénomination de Procédé au charbon', cette dénomination manque d’exactitude, mais elle a le mérite de la brièveté.
- Le problème qui consistait à approprier ce procédé à la production des trois monochromes constitutifs de la synthèse polychromique, ainsi qu'à la formation mécanique de cette synthèse elle-même par voie de superposition ou incorporation respective des trois épreuves, fut considéré à bon droit, dès l’origine, comme un problème des plus ardus, et, on ne saurait le dissi-
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- muler, les solutions publiées jusqu’à ces derniers temps ont paru insuffisantes ou peu pratiques.
- Mais il est certain que cette opinion ne persistera pas en présence des résultats que permettent d’atteindre les trois méthodes dont il est maintenant question, particulièrement la méthode C.
- La mise en œuvre se trouve en effet simplifiée au delà de tout espoir, et la sûreté du travail, grâce à de précieuses innovations jusqu’à ce jour inédites, est devenue complète.
- Entre plusieurs autres procédés de phototirages polychromes, celui-ci justifie donc, tout au moins à partir d’à présent, les études très spéciales qui lui ont été consacrées.
- Par la délicatesse du détail, l’harmonie de l’ensemble, la vérité et le charme du coloris, les photopeintures qu’on en obtient commandent le plus souvent l’admiration. S’il est exact de dire que ce mode d’impression ne peut lutter avec l'imprimerie dès qu’il s’agit d’une grande multiplication d’exemplaires, il est indéniable par contre que, dans beaucoup de cas, l’auteur d’une œuvre d’art, qu’elle s’appelle du nom de photographie ou de tout autre nom, ne tient nullement à faire foisonner les fac-similés de son travail ; car, dans un sens, l’œuvre d’art perd singulièrement de sa valeur en cessant d’être rare. Quoi qu’il en soit, n’a-t-il pas la ressource de confier à
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- l'imprimeur en photocoîlographie ou en photo-typogravure, etc., îe ehromogramme négatif qui vient de faire merveille entre ses mains?
- Méthode A
- Elle consiste à former, à demeure fixe, en recourant au susdit procédé au charbon, chacun des trois monochromes bleu, rouge, jaune, sur un feuillet transparent et rigide, de mince épaisseur, tel que mica, verre pelliculaire, pellicule suffisamment consistante de celluloïd, etc., en appliquant, dans le châssis-presse, contre le phototype voulu le côté du susdit feuillet qui est opposé à la couche mixtionnée, et, une fois les trois images développées, à les superposer, maintenues qu’elles sont par leurs inextensibles et irrétrécissables supports, en assurant de l’une à l’autre les coïncidences des lignes du dessin : si les trois monochromes constitutifs ont été a-menés, par le dépouillement à l’eau chaude, à un même degré corrélatif de légèreté de teintes, la synthèse polychrome ne laissera rien à désirer, et cette synthèse, on l’obtiendra à volonté ou réflexe ou transparente, suivant le plus ou moins d’intensité qu’on aura laissé au trio des monochromes.
- Les moindres notions de photographie au char-715 5
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- bon suffisent comme préparation à ce genre de travail. On remarquera qu’il supprime l’opération, parfois périlleuse, connue des praticiens sous le nom de transport ou transfert de la couche impressionnée : les détails précis qui vont être donnés serviront d’ailleurs de gouverne aux amateurs les moins familiarisés avec la technique des mixtions colorées bichromatées.
- Les opérations sont les suivantes :
- Composition des trois mixtions colorées. — On fait gonfler à froid dans 100 centimètres cubes d’eau ordinaire 6 grammes environ de gélatine ( gélatine appropriée aux usages photographiques), et on ajoute une quantité de sucre égale ou presque égale au poids de la gélatine. Ce mélange étant chauffé, on délaie dans le liquide mucilagineux le principe colorant, soit rouge, soit bleu, soit jaune. On peut adopter, comme présentant des conditions très satisfaisantes en ce qui concerne tout à la fois la nuance, la transparence et la solidité de la couleur, les pigments ci-après :
- 1° pour le rouge, la laque de garance^
- 2° pour le bleu, le bleu de’ Prusse ;
- 3° pour le jaune, la laque jaune.
- Ces pigments se trouvent manufacturés sous forme de tablettes d’aquarelles. Les couleurs ainsi préparées que fournit le commerce offrent
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- cet avantage qu’elles ont été une première fois finement broyées et que le délayage dans le liquide mucilagineux ne donne lieu à aucune difficulté.
- On met à part, pour y effectuer ce délayage, une faible quantité de ce liquide dont on ajoute le restant par petites portions.
- Les préparations des tablettes dont il s’agit sont trop variables pour qu’il y ait possibilité de déterminer, une fois pour toutes, par des chiffres les quantités de matière colorante à introduire dans les solutions. Pour se diriger en pareille affaire, la règle la plus simple consiste à verser, à titre d’essai, sur une lame de verre quelques gouttes du liquide coloré sirupeux, et à les étaler jusqu’à ce que la couche, examinée horizontalement, monte environ à un demi-millimètre, ce qui est à peu près la hauteur du liquide qui doit recouvrir les micas ou autres feuillets : on ^>eut alors apprécier par transparence, dès que la couche s’est figée, le plus ou moins d’intensité que la couleur a acquise ; on l’amène ainsi au dégré qui convient pour les ombres du dessin à créer, et on conserve comme échantillon le résultat qui paraît le plus vrai. Il n’y a aucune utilité à dépasser ce point, comme aussi il n’y aurait pas d’inconvénient appréciable à le dépasser quelque peu.
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- Le rôle du sucre dans la mixtion est de corriger la rétractilité de la couche gélatineuse, qui, sans ce correctif, se séparerait inévitablement, une fois sèche, du feuillet transparent, tel que mica, qui lui sert de support. Quelques opérateurs ont remplacé, dans les mixtions colorées, le sucre par la glycérine ; mais cette dernière substance tend à donner des images dures.
- On peut, si on le préfère, opérer d’avance le délayage à froid de la tablette de couleur dans de l’eau ne contenant que le sucre en dissolution, au titre-voulu, et non la gélatine. On conservera en réserve une provision de ce liquide coloré, et on ajoutera, au fur et à mesure de l’usage, à une portion dudit liquide, la quantité proportionnelle de gélatine.
- Filtration des mixtions colorées. — La mixtion chaude se filtre soit à travers une pièce de soie ou de flanelle, soit à travers du coton hydrophile.
- Versement et diffusion de la mixtion colorée sur les surfaces de mica, verrepelliculaire> celluloïd, etc. — Il importe en premier lieu d’assurer l'horizontalité et la planité de chaque mica (ou feuille transparente) en lui donnant pour support une glace calée, c’est-à-dire reposant de niveau sur trois pieds à vis calantes. On trempe dans de l’eau le bout du doigt et on le
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- promène sur la portion de ladite glace qu’occupera chaque mica ; on y trace ainsi des bandes humides entre lesquelles on laisse des espaces à sec. Au-dessus de ces menues nappes d’eau on applique le mica ; une légère pression qu’on exerce en quelques endroits fait que l’eau s’étale sur presque toute l’étendue ; cela suffit.
- Une fois que la glace est garnie du mica ou des micas où la mixtion doit être étendue, on verse celle-ci au centre d'un premier mica en quantité telle que, d’elle-même, elle s’étale en un cercle qui équivaut au tiers ou à la moitié de la superficie à recouvrir. Aussitôt après, on aide avec le doigt le liquide à s’étendre presque jusqu’aux bords. La mixtion, sans être très chaude, doit l’être suffisamment pour que cette opération ait le temps de s’accomplir avant que la couche commence à se coaguler par le refroidissement.
- On reconnaîtra que le moment est venu de soulever les micas lorsque la coagulation se constate soit au toucher (pratiqué sur les bords), soit par l’apparition de quelques légères dépressions de la surface. On les place alors, comme on ferait pour les plaques au gélatino-bromure, sur des chevalets à rainures, en les espaçant suffisamment pour que l’air puisse avec facilité circuler entre eux.
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- La dessiccation demande d’ordinaire plusieurs heures.
- Opération complémentaire : bordure des micas. — Les micas, ou feuillets équivalents, une fois que la mixtion qui les recouvre a séché, sont bordés, à l’aide d’un pinceau, d’un vernis imperméable à l’eau, tel que le vernis à la gomme laque. On empêche par ce moyen les bords de la couche d’absorber les liquides où les micas seront plongés. Sans cette précaution, la couche se détacherait à partir des bords.
- Sensibilisation. — La sensibilisation desdites feuilles se fait par immersion dans une cuvette horizontale contenant un bain de bichromate de potasse, ou d’ammoniaque, ou de soude, préférablement de soude, à un titre qui peut varier, suivant les circonstances, entre 1 pour 400 (pendant les grandes chaleurs) et 3 pour 400 (pendant l’hiver). Ne pas perdre de vue que, à température égale, le titre du bain a une influence très réelle sur l’image : plus il est faible, comme aussi plus l’image est vigoureuse, plus la pose à ’ la lumière doit être prolongée ; inversement, plus s’élève le titre du bain, plus l’image sera douce et la pose devra être courte. D’autre part, l’élévation de la température commande, elle aussi, une moindre durée de pose.
- 11 convient d’ajouter au bain sensibilisateur
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- un peu de sucre (3 ou 4 pour 100), afin de compenser, dans la couche mixtionnée, les pertes de sucre qu’elle ferait si ce nouveau liquide n’était pas sucré.
- Louis Ducos du Hauron a adopté pour règle d’introduire également dans le bain de sensibilisation une petite quantité d'orangé d'aniline (de 1 à 2 décigrammes pour 100 centimètres cubes de liquide). Cette substance, qui se dissout rapidement dans le bain en le colorant fortement, s’insinue, en même temps que le bichromate, dans la couche mixtionnée. Sa fonction est de créer un obstacle à la trop grande pénétration des rayons photogéniques dans la couche, surtout dans la couche bleue et la couche rouge, et d’assurer de la sorte aux images la même douceur que si on avait recours à un bain concentré de bichromate. Le moyen dont il s’agit est absolument exempt du grave inconvénient que présente l’emploi de ce bain concentré : nous voulons parler des rapides insolubilisations de la couche gélatineuse, insolubilisations qui se produisent avant même qu’on ait le temps d’exposer à la lumière la couche mixtionnée. Cette couleur étrangère, cet orangé d’aniline qui ne joue dans les opérations qu’un rôle purement optique, disparaîtra ensuite dans le bain de dépouillement à l’eau chaude ; l’eau chaude éliminera à la fois
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- les restes de bichromate et l’orangé d’aniline, ne respectant que la eonleur insoluble constitutive du monochrome (4).
- Au sortir du bain, les micas sont posés verticalement sur un séchoir à rainures, où ils s’égouttent et sèchent dans l’obscurité ou bien à une lumière jaune ou rouge. On favorise cet égouttement en adaptant à l'angle inférieur une petite bandelette de buvard qui, d’elle-même, se maintient adhérente tout le temps voulu.
- La dessiccation s’accomplira donc sur le susdit séchoir, à moins que, pour l’activer, on ne fasse usage, ce qui est bien préférable, de la boîte bien connue à chlorure de calcium, (On obtient d’excellentes boîtes pour chlorure de calcium en imprégnant de paraffine en fusion l’intérieur des boites de carton qui ont contenu des plaques photographiques.)
- Lorsque les micas ont séché, il importe d’en nettoyer le verso ; car il contient des traces de bichromate, d’orangé d’aniline et de sucre.
- (1) L’inventeur breveta le 18 décembre 1885, sous le n° 173102, cette innovation, très précieuse aussi pour la pratique courante de la photographie au charbon. Mais il abandonna presque aussitôt au domaine public le brevet en question, intitulé : Nouveau mode dé papiers mixtionnês ou produits analogues pour la photographie au charbon, caractérisé par Vincorporation provisoire d’une teinture.
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- En conséquence, an pose le mica, couche en dessous, sur un matelas de papier buvard et, avec un petit chiffon simplement humecté de quelques gouttes d’eau, on nettoie doucement d’une main le verso tandis que les doigts de l’autre main le maintiennent. On termine cette opération en se servant d’un chiffon sec.
- Exposition à la lumière. — Le phototype ou négatif étant placé dans le châssis-presse, on met en contact avec l’image non pas le côté mix-tionné, mais, bien entendu, le côté nu du mica : l’impression s’effectuera sans déperdition de finesse à travers son imperceptible épaisseur.
- La durée de l’exposition se règle, en toute sécurité, au moyen d’un de ces instruments, appelés photomètres, si usuels en photographie.
- Dépouillement des monochromes dans le bain d'eau chaude. — Tout d’abord c’est dans de l’eau froide, non dans de l’eau chaude, que chaque mica est plongé. La majeure partie du bichromate et de l’orangé d’aniline abandonne alors les pores de la gélatine, qui se gonfle et devient plus apte à se dépouiller ultérieurement à l’eau chaude des épaisseurs variables de couche restées solubles.
- On change l’eau de la cuvette et on installe celle-ci sur un trépied au-dessous duquel est placé un petit fourneau ou une lampe à alcool
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- dont on règle la flamme; on chauffe l’eau gra-| duellement en évitant le contact de la feuille de mica ou de verre avec le fond du récipient et en la soulevant au milieu du liquide à l’aide du crochet spécial qui sert à manœuvrer les plaques dans les bains.
- L’image, lorsqu’on commence à la distinguer, est encombrée de gélatine soluble. Il y a lieu d’agiter constamment, au moyen du crochet, la plaque dans le liquide, afin d’assurer l’égale venue de toutes les parties de l’image. Il faut bien veiller à ce que la température de l’eau ne monte pas au-delà de la chaleur nécessaire, et, jusqu’à ce que l’épreuve soit à peu près dépouillée, il est prudent de baisser la flamme. Si, à ce moment, on apprécie que le monochrome est trop intense, on élève peu à peu la température du liquide jusqu’à ce qu’il soit suffisamment affaibli.
- Voilà pour la partie mécanique de l’opération, qui est des plus simples.
- Quant au côté artistique et relevé du travail, il consiste à affaiblir au point voulu chacun des monochromes d’un trio, de telle sorte qu’il fasse équilibre aux deux autres. A quel instant le travail doit-il s’arrêter ? C’est ici que, secondés par un peu d’expérience, le discernement et le goût de l'amateur artiste exercent un pouvoir souverain. Du reste, une première image qui se-
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- rait peu satisfaisante, ne laisse pas d’ètre fort précieuse comme pièce de comparaison pour obtenir, à le seconde fois, une polychromie sans reproche.
- Si l’image synthétique qu’on veut créer est de celles qu’on destine non pas à des effets de transparence, mais à une vision réflexe sur fond blanc, il va de soi que le travail d’affaiblissement des monochromes doit être poussé notablement plus loin. En pareille affaire, le meilleur maître, c’est l’expérience.
- Les riches colorations d’une polychromie s’obtiennent par des monochromes nerveux, ce qui veut dire que les demi-teintes en sont légères et bien éclaircies par l’eau chaude. Sans cette légèreté des demi-teintes l’image synthétique qu’ils fournissent est fade et monotone.
- Finalement on lave un instant l’épreuve à l’eatt tiède ou froide, et on la met sécher sur le chevalet à rainures.
- Superposition et mise à effet des monochromes. — Nous supposerons en premier lieu qu’on veuille constituer une polychromie transparente (diaphanie), utilisable soit comme vitrail soit comme épreuve à projection. Il importe, da*s ce cas, de donner au triple étage de micas, ou de verres pelliculaires, etc., une base consistante : elle ne sera autre qu’une plaque de verre, taillée
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- d’une dimension un peu plus grande que les monochromes.
- On appliquera un premier monochrome, celui du bleu, par exemple, contre la plaque et on l’y fixeramomentanémentaumoyendeplusieurs pinces, telles que pinces à cravates, pressante lafois le bord du mica et celui de la plaque. On consolidera définitivement cette position au moyen de bandelettes de papier enduites de seccotine.
- Les pinces étant enlevées, on fait glisser le second monochrome, le rouge par exemple, jusqu’à ce que la coïncidence des lignes, examinées par transparence, soit bien établie. S’il s’agit d’épreuves à projection, on ne saurait trop multiplier les précautions pour assurer une coïncidence parfaite : on s’aidera donc de la loupe, et on se bornera, au début, à l’emploi d’une seule pince; cette pince permettra, vu le peu de pression qu’elle exerce, une légère correction par voie de glissement si la pose ultérieure des autres pinces en détermine la nécessité. La position étant bien réglée, on appliquera les bandelettes de ce second étage.
- On procédera de la même manière pour constituer le troisième étage.
- Si l’image est destinée aux projections, on appliquera sur ce troisième étage la cache de papier noir destinée à encadrer le snjet, et, au-
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- dessus du tout, un verre extramince ; le premier verre devra être également, dans ce cas particulier, un extramince, de telle sorte que l’épaisseur totale ait un jeu suffisant dans la rainure de l’appareil à projection. En tous cas, les deux verres, soit extraminces, soit ordinaires, qui emprisonnent la polychromie, sont fixés l’un à l’autre par une bande de papier noir gommé mise à cheval sur leur bordure. Elle s’applique aisément, si le tout est maintenu à l’état de pression soit par quelques pinces qu’on déplace au fur et à mesure des collages, soit par un petit appareil exerçant une pression centrale sur les deux côtés à la fois du vitrail (on trouve ce petit mécanisme chez les fournisseurs d’articles pour la photographie).
- Si la polychromie transparente n’est pas destinée aux projections, on donne aux deux verres, soit minces, soit d’épaisseur ordinaire, entre lesquels on l’intercale, et on donne également aux micas eux-mêmes ou autres feuillets, de nature pelliculaire, des dimensions plus grandes que celles du sujet ; pour ce qui est des micas ou des feuillets, ce résultat s’obtient au moyen de trois caches identiques (rectangulaires, ou ovales, ou circulaires, etc.) identiquement disposées et fixées sur les trois négatifs. On aura de la sorte une polychromie à bords parfaitement limités, placée au milieu d’un cadre, et dont les marges
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- pourront être égayées par des arabesques ou autres ornements incrustés ou adaptés sur l’un des verres protecteurs. Le tout sera installé sur un fond dépoli. Si les trois caches sont dégradées, la peinture à fond dégradé qu’on aura créée, unira au prestige de la nouveauté un réel attrait, un charme durable.
- Enfin, ces mêmes assemblages de monochromes pelliculaires peuvent se constituer sous forme d’un tableau réflexe. En pareil cas, le montage de la triple image pourrait se faire directement sur le bristol ; mais on établira plus aisément les repérages si on les effectue provisoirement sur une plaque de verre en examinant les résultats à travers le jour comme il a été déjà dit, pour transporter ensuite l’image sur bristol. Pour opérer ce transfert, on aura taillé le mica support de la première image un peu plus large que les deux autres, de telle sorte que, la polychromie étant constituée, on la séparera du verre en incisant les bandelettes qui ont servi à y fixer le premier mica.
- Les tableaux réflexes ainsi obtenus n’ont qu’un inconvénient, qui est d’ordre subalterne, c’est que, vus sous un certain angle, ils miroitent, comme du reste tous les tableaux vernissés. On en prendra aisément son parti, en présence des beaux résultats dont le spectateur jouit de la
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- plupart des points où il lui convient de se placer. La mise à effet de ces tableaux réclame que le contact respectif des trois monochromes soit assuré sinon par la pression d’un verre extérieur jouant le rôle de passe-partout, du moins par une pression venant du verso de la polychromie ; ce dernier moyen se réalise en installant sur le panneau, bois ou carton, qui sert de support aux épreuves, un coussinet élastique, de forme convexe, constitué par des superpositions de papiers étagés en gradins.
- Recommandations spéciales : choix des micas, appropriation des diverses sortes de feuillets transparents, etc. — Parmi les micas qu’on trouve dans le commerce, il y a des micas de choix exempts ou à peu près exempts de défauts tels que stries, taches, bulles intercallées, etc. Evidemment ce sont ceux-là et ceux-là seuls qui conviennent pour l’usage dont nous nous occupons. Les micas se découpent très aisément aux ciseaux, sans le moindre risque d’avarie. L’épaisseur de ces pellicules minérales est très variable. On adoptera une épaisseur moyenne (comprise entre un dixième et un quinzième de millimètre).
- Si, au lieu de mica, on emploie du verre pelli-culaire, on aura un produit d’une pureté absolue, mais sa fragilité en rend le maniement
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- plus délicat. Le découpage soit aux ciseaux, soit même au canif, détermine, tout le long des incisions qu’on pratique, des brisures ou écailles d’assez grande étendue ; mais ce genre d’accident peut s’éviter. Entre autres moyens de le prévenir, il en est un qui consiste k coller à la gomme, d’un seul côté ou mieux des deux côtés de la feuille, des bandelettes de papier sur le parcours que doivent suivre les ciseaux. L’opération une fois faite, il suffit, pour enlever la bandelette, de la mouiller légèrement.
- Mode abrégé de formation des couches mix-tionnées sensibilisées. — Au lieu de constituer, comme il a été dit plus haut, une collection de feuillets transparents recouverts des trois sortes de couches colorées, et de sensibiliser ces feuillets au fur et à mesure de l’usage, rien n’empêche de garnir de prime abord chacun d’eux d’une mixtion toute sensibilisée. Le travail fait sous cette forme n’a rien d’avantageux quand on procède sur des quantités, mais il favorise la petite production.
- La mixtion colorée contiendra alors, indépendamment 4u sucre, la proportion voulue de bichromate de soude et d’orangé d’aniline.
- En pareil cas, les calculs doivent être établis de telle sorte qu’il y ait dans le mélange une quantité de sel de chrome comprise entre un
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- dixième et un vingtième environ du poids de la gélatine, et une quantité d’orangé d’aniline comprise entre un vingtième et un quarantième de ce même poids.
- Il sera avantageux, en vue d’une prompte dessiccation, de réduire autant que possible la quantité d’eau dans la mixtion sensibilisée. Alors, à raison de la plus grande concentration du sirop coloré, on en versera au milieu de chaque verre pelliculaire ou mica une quantité moindre, qui, une fois étalée sur toute la surface, formera une nappe moins épaisse.
- Méthode B.
- Dans cette Méthode, au lieu de constituer séparément et à demeure fixe les trois monochromes sur autant de supports rigides et transparents, pour les superposer ensuite l’un à l’autre y compris leurs trois supports, on les développe à l’état pelliculaire sur un même subjectiîe où on les amène à coïncider après les avoir séparément insolés. Cette méthode se réalise à l’aide de papiers mixtionnés bleu, rouge, jaune.
- On voit par cette définition que la Méthode B utilise, à son tour, la propriété d’une couche gélatineuse colorée, sensibilisée au sel de chrome, de traduire par une insolubilisation plus ou
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- moins profonde et au moyen de reliefs plus ou moins accentués, le travail différentiel de la lumière transmise, dans le châssis-presse, par les clairs et les ombres d’un cliché négatif. Naguère encore les papiers mixtionnés, c’est-à-dire recouverts d’une couche de gélatine teintée (ordinairement en noir, en bistre ou autre couleur sombre), étaient d’un grand usage pour les phototirages positifs ; les photographes amateurs, comme les professionnels, y avaient souvent recours. C’est surtout pour les agrandissements que servait ce produit manufacturé. Mais il est aujourd’hui d’un emploi beaucoup moindre, les papiers positifs au gélatino-bromure l’ayant remplacé dans la pratique la plus usuelle.
- Cette même sorte de papiers mixtionnés, teintés non plus en noir ou en bistre, mais en bleu, en rouge, en jaune, peut s’obtenir industriellement, à l’aide de procédés sûrs et expéditifs, pratiqués notamment, avec plein succès, par la maison Lamy, de Courbevoie.
- Mais nous avons dû prévoir le cas où, pour une raison quelconque, l’amateur à qui s’adresse ce Manuel désirerait mixtionner lui-même les papiers bleu, rouge, jaune, servant aux attrayants travaux dont il va être question : cette fabrication, mise, comme on le verra, à la portée de tous, sera spécifiée ci-après. (Voir la partie
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- finale du présent Mémoire consacré à la Méthode B.)
- Nous supposons donc, dans l’exposé qui va suivre, que l’amateur est pourvu d’une collection, petite ou grande, de papiers mixtionnés des trois sortes, et, sans autre préambule, nous entrons dans le détail des opérations à exécuter..
- Sensibilisation de la couche mixtionnée. — Admettons, ce qui sera le cas le plus général, que l’opérateur veuille sensibiliser une feuille unique, d’assez grande dimension, par exemple une feuille rouge, sauf à la découper ultérieurement en autant de fragments rectangulaires qu’il s’agira de constituer de monochromes de la couleur de ce papier.
- Cette sensibilisation s’effectue selon la méthode ordinaire applicable aux mixtions gélatineuses colorées. En d’autres termes, on immerge ladite feuille dans une cuvette horizontale contenant un bain abondant de sel de chrome : bichromate de potasse, d’ammoniaque ou de soude. Depuis quelques années on accorde volontiers la préférence au bichromate de soude, naguère encore peu connu, dont la dissolution se fait très rapidement et qui pourrait au besoin être employé à un titre élevé sans produire de cristallisatioft dans les couches gélatineuses.
- Le titre peut varier, selon les circonstances,
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- de 2 à 4 grammes de bichromate pour 400 centimètres cubes d’eau. Dans la saison très chaude, on l’affaiblit sans inconvénient jusqu’à un pour cent ; on en est quitte alors pour prolonger quelque peu l’exposition à la lumière; par cela même que la température est élevée, la mixtion devient notablement plus sensible, circonstance qui compense dans une certaine mesure le ralentissement produit par la diminution du titre.
- Ainsi qu’il a été dit précédemment et pour les raisons qu’on a expliquées (Voir, à la Méthode A, les indications groupées sous le titre Sensibilisation), Louis Ducos a coutume d’introduire dans le bain sensibilisateur une petite quantité d'orangé d’aniline. Ici, comme dans le cas de la Méthode A, cette quantité est de 1 à 2 décigram-mes pour 100 centimètres cubes de liquide.
- Pour donner à la feuille la souplesse que réclament les manipulations ci-après décrites, il y a grande opportunité à additionner le bain d’une certaine quantité de sucre (de 3 à 6 grammes pour 400 centimètres cubes de liquide).
- Le bain constitué comme il vient d’être dit s’altère en peu de jours, surtout pendant les chaleurs. Il sera donc renouvelé de temps en temps. A Ce sujet, nous ferons remarquer le bon marché des substances indiquées.
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- La durée d’immersion peut se prolonger jusqu’à quatre minutes, suivant les circonstances, nous voulons dire si la température est froide et si le cliché est intense. En été, cette durée peut se réduire même à une minute. Au bout de quelques expériences, chacun sait là-dessus à quoi s’en tenir.
- Opérations complémentaires afférentes à la feuille sensibilisée : collodionage et découpage. — La feuille mixtionnée retirée du bain est mise à sécher par suspension, à l’abri de la lumière blanche ou bleue.
- Une fois sèche, on la plonge dans qne cuvette iverticale (par exemple, une très mince cuvette en zinc maintenue debout par un support) contenant un collodion alcoolique très fluide, dont les éléments peuvent se doser comme suit :
- Alcool.................... 75 cent. c.
- Ether....................... 25 —
- Coton........................ 4 décigr.
- A peine plongée dans la cuvette, la feuille en est doucement retirée ; il faut éviter, pendant qu’on la relève, le contact vie la couche gélatineuse contre le rebord de l’étroit récipient.
- Le froid déterminé par l’évaporation de l’éther ayant pour effet d’attirer quelque peu sur la feuille de papier, à sa sortie de la cuvette, l'hu-
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- midité de l’air, la siccité dudit papier ne se produira qu’un moment après cette évaporation.
- Quand elle a séché, on la dépose, couche en dessous, sur une plaque de zinc, et on la découpe au canif (à l’aide d’un de ces calibres en glace qu’on trouve chez tous les fournisseurs de photographie) en autant de portions rectangulaires qu’elle peut fournir de monochromes du format qu’on a en vue. On se rendra compte, à la lecture de ce qui doit suivre, de la nécessité d’apporter à ce découpage, tout au moins pour certaines lignes, une rigoureuse correction.
- On réduira au minimum la clarté diurne admise dans l’appartement où l’on procède à ce travail : en effet, les surfaces sensibilisées qu’on manœuvre sont sorties de l’état humide qui rendait inerte sur elles l’action lumineuse.
- En fin de compte, on se trouvera avoir formé une collection de rectangles de papier mixtionné sensible que nous supposons, pour fixer les idées, être le papier couleur rouge. Une collection de rectangles analogues sera constituée, par les mêmes moyens et dans les mêmes conditions, pour les phototirages bleus et pour les phototirages jaunes.
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- Ces trois sortes de papier sensibilisé collodionné doivent être, autant que possible, utilisées dans les vingt-quatre heures, c’est-à-dire exposées à la lumière et adaptées au support où, comme on le verra ci-après, se fera le développement. La solubilité de la couche mixtionnée bichromatée va diminuant de jour en jour à partir de la sensibilisation, surtout lorsque le temps est à la fois chaud et humide.
- Application et calage des trois sortes de rectangles d'un même sujet sur leurs prototypes respectifs. — Le lecteur comprend qu’il s’agit de produire symétriquement sur les surfaces sensibles des trois rectangles, à partir des mêmes points pris pour repères dans le pourtour de ceux-ci, les trois empreintes respectivement fournies par les trois phototypes, lesdites trois empreintes étant identiques entre elles quant à la forme et aux lignes de chacun des objets représentés.
- Un dispositif bien simple va permettre d’obtenir à coup sûr ce résultat.
- On découpe finement, au canif, trois bandelettes identiques de bristol mince. On constitue, à la même extrémité de chacune d’elles, la saillie angulaire que nous représentons. L’identité absolue, entre les trois bandelettes, et par suite l’absolue rectitude, n’est d’ailleurs nécessaire,
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- bien évidemment, que pour le côté A B et pour l’angle A.
- II va de soi que tout consiste maintenant à fixer dans une position identique, sur les trois
- B
- Bandelette de bristol mince.
- phototypes négatifs, les trois bandelettes coudées. Voici, pour accomplir la chose, un infaillible moyen :
- On se procure du papier sensibilisé à noir cissement direct. A l’aide d’un calibre on taille d’équerre un de ces papiers en lui donnant une dimension un peu moindre que celle de chacun des négatifs. On tire alors, par contact, une image de l’un d’eux sur ce papier. On ne vire pas et on ne fixe pas cette image, afin d’éviter que le passage dans l’eau n’en modifie les dimensions. On en augmente la transparence, si c’est nécessaire, en passant sur le dos de l’image un pinceau imbibé d’un mélange, à parties égales, d’alcool et d’huile de ricin, ou bien on obtient, ce qui peut suffire, une transparence passagère en imbibant de benzine le verso de ladite image. Puis on applique le papier contre l’un des susdits phototypes négatifs et on l’y fait glisser jusqu’à ce que les ombres du positif dont
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- ce papier est porteur comblent exactement les transparences du négatif : cet exact comblement se reconnaît à la disparition des bordures lumineuses sur les contours des objets. On fixe, au moyen de quelques pinces, le papier dans cette position, puis on place sur le bord du négatif une des bandelettes coudées et on l’y fait glisser jusqu’à ce que l’angle qui existe en creux à l’extrémité de la bandelette (angle A) se loge exac-
- Pourtour du phototype.
- î 1 t 6 \ 1 1 1
- >> » 1 Ou
- 2 * Ja | Les lignes ponctuées représen- 1 O O
- 04 J tent les quatre côtés de l’image 1 rd Ou
- J positive sur papier rendu trans- 1 s ns
- O î parent, amenée à coïncider avec I U D
- ~u J S * l’image négative du phototype. « 1 O U
- CU l 1 ?... 1 1 1 1 1 O
- c* Bandelette de bristol mince. B/
- tement dans l’angle correspondant du papier, amenée qu’elle est à affleurer deux des côtés de celui-ci. Par un peu de gomme, on colle la bandelette dans cette situation. Cela fait, on dégrafe
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- le positif, qui servira, de la même manière, à installer sur les deux autres phototypes les deux autres bandelettes contre le même angle du positif.
- C’est à partir d’à présent que les trois phototypes au travers desquels doit se faire l’exposition à la lumière, se trouvent prêts à recevoir les trois cartes, de forme rectangulaire, découpées dans la feuille collodionnée : on aura eu soin, bien entendu, de les tailler un peu moins grandes que les phototypes eux-mêmes.
- On applique donc, par le côté gélatiné, chacun de ces rectangles contre son phototype, en faisant affleurer le bord inférieur du rectangle contre le bord A B de la handelette de bristol mince et en faisant butter contre le sommet de l’angle À de celle-ci l’angle correspondant de ce rectangle.
- Il est certain que les trois phototypes étant identiques par leurs lignes, les trois empreintes qui se formeront sur les trois cartes mixtionnées, adaptées de la sorte, seront identiques de position et de lignes à partir de la ligne comprise entre A et B.
- A l’instant décisif où cette juxtaposition bord contre bord et d’angle à angle vient d’être établie, il importe d’en assurer rigoureusement le maintien contre toute éventualité de dérange-
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- ment ; à cet effet, il suffira d’appliquer, en deux endroits éloignés l’un de l’autre, deux menus fragments de papier gommé solidarisant la bandelette avec le verso de la carte mixtionnée sensible ; ce collage, pour faire prise, ne demande qu’un temps très court durant lequel on entretient la pression, soit par les doigts, soit au moyen d’un objet rectangulaire un peu lourd qu’on y dépose. Il ne faut qu’un peu d’attention et d’habitude pour garantir la précision de ces diverses opérations.
- Finalement, on doit avoir soin de marquer au crayon, au verso de chaque carte, l’angle qui a butté contre l’angle A de la bandelette.
- Installation des phototypes et des susdits rectangles dans les châssis-presses ; exposition à la lumière. — Chacun des phototypes, avec la carte mixtionnée qu’on y a momentanément soudée, étant posé sur la glace forte de son châssis-presse, on a soin d’installer un matelas de buvard, d’une dimension un peu inférieure à celle de ladite carte, dans le vide que laisse la saillie formée par la bandelette.
- Il va de soi que, conformément à la pratique bien connue, le verso du phototype aura été garni de la mince cache de papier noir destinée à préserver de l’action de la lumière les extrêmes bords du papier mixtionné.
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- En ce qui concerne la durée de l’exposition, ne pas trop se fier aux évaluations qu’on croirait pouvoir faire du plus ou moins d’activité de la lumière, du moins lorsqu’on travaille à l’ombre, mais se diriger par les indications du photomètre.
- Adaptation et développement des trois monochromes sur la plaque unique qui leur sert de support. — Après impression à la lumière, les trois cartes mixtionnées étant retirées des châssis-presses, il s’agit de les développer successivement, en assurant la coïncidence des lignes, sur une seule et même plaque de verre. A cet effet, voici la construction spéciale très simple qui doit être établie sur cette plaque.
- On découpe au diamant trois petits rectangles de verre R, R’, R”. On les colle, ainsi que le représente la figure ci-après, sur ladite plaque de verre, de manière à amener successivement les trois plaques à une place identique. La position qu’elles viendront prendre l’une après l’autre est figurée par la ligne ponctuée.
- Pour effectuer le collage de ces troits petits rectangles de verre, on peut, notamment, se servir d’une solution (de nature sirupeuse) de silicate de soude ou de potasse, telle qu’on la trouve dans les drogueries. Une goutte de ce liquide, étalée sur chacun d’eux avant son adaptation,
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- sera suffisante. On exercera alors une légère pression. Elle sera suivie d’un repos de quelques heures, qui peut être abrégé par l’action de la chaleur.
- Voici les préparations, il est vrai au nombre de quatre, mais toutes très simples, brèves et
- nrî
- Position de chacun des trois papiers impressionnés.
- R' I
- infaillibles, que doit recevoir la plaque pour être rendue apte à servir de support au premier monochrome, celui du rouge, par exemple :
- 1° Cette plaque — nous la supposons d’une propreté sans reproche — est tout d’abord talquée (cette opération consiste à répandre sur là plaque un peu de poudre de talc et h frotter au
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- moyen d’un petit tampon, de forme arrondie, jusqu’à ce que toute apparence de talc ait disparu).
- 2° Elle est garnie, à l’aide d’un pinceau, d’une bordure (d’environ trois millimètres de largeur) qui a pour destination d’empêcher les séparations prématurées de la couche de collodion dont il va être parlé. Cette bordure peut être constituée par du vernis au caoutchouc, dont la benzine s’évapore rapidement, laissant un résidu gluant. La plaque doit être garnie du susdit vernis non-seulement sur les rebords, mais tout autour des petits rectangles de verre.
- 3° On recouvre alors la plaque d’un collodion alcoolique, c’est-à-dire dans lequel la proportion d’alcool prédomine par rapport à l’éther. Les éléments de ce collodion, qu’il ne faut pas confondre avec le collodion alcoolique très fluide dans lequel a été plongée la feuille sensibilisée, peuvent être dosés comme suit :
- Ether............................. 25 c. c.
- Alcool absolu (ou simplement à 95°) 75 c. c.
- Coton-poudre ............'........ 2 gr.
- La mince membrane que fournit cette composition ne sera pas rétractile.
- On étale le liquide sur la plaque, y compris les bordures de caoutchouc, et on en recueille
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- l’excès dans le flacon en le faisant écouler par un angle selon la méthode si généralement employée autrefois pour créer les clichés photographiques. On abandonne la surface à dessication, ce qui demande un moment.
- 4° On étend sur ce collodion un vernis au caoutchouc très dilué, dont on vide immédiatement l’excès, et qui s’obtient en allongeant de plusieurs fois son volume de benzine le vernis épais du commerce ; au bout de quelques minutes, l’évaporation est faite, et il reste une imperceptible couche, légèrement poisseuse.
- (La benzine et les collodions, ainsi que les vapeurs qui s’en dégagent, étant inflammables, celui qui procède au travail ci-dessus évitera de se rapprocher du feu ou des lampes, surtout s’il opère dans un local fermé.)
- C’est contre cette couche poisseuse qu’il s’agit maintenant d’adapter et de faire adhérer, juste dans la position déterminée par les trois petites cales de verre, la carte mixtionnée rouge qui a été, on le sait, collodionnée, découpée et in-solée.
- Une solide adaptation s’obtient, grâce à la force adhésive très grande qui unit promptement Tune àl’autre une surface collodionnée et une surface caoutchoutée. Mais cette force, à elle seule,
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- ne donnerait pas un résultat correct; elle laisserait subsister des vides, et ces vides se traduiraient, tout au moins, par des aspects métalliques, si tant est d’ailleurs que, par la suite, ils ne dussent pas produire des dislocations partielles. Il faut, pour assurer la régularité et la solidité du travail, l’intervention d’un troisième élément, c’est-à-dire de l’eau. C’est donc dans une cuvette contenant de l’eau ordinaire que va s’accomplir l’adaptation. En voici le mécanisme.
- La plaque de verre étant déposée à plat au fond du liquide, on immerge le papier mix-tionné, couche en dessous. Quelle doit être la durée de cette immersion ? D’une minute et demie au moins à deux minutes, selon la nature des papiers. On a, en effet, la certitude, au bout de ce temps, que le papier, qui se dilate, mais non pas indéfiniment, dans ce bain d’adaptation, a atteint le maximum des dimensions dont il est susceptible tant eh hauteur qu’en largeur, et que, par conséquent, l’image rouge dont il est porteur aura atteint, elle aussi, son maximum d’agrandissement; d’où il suit que cette image sera apte à coïncider avec les deux images, la bleue et la jaune, dont seront porteurs les deux autres papiers mixtionnés, ceux-ci étant supposés de fabrication semblable à celle du premier
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- et devant être soumis à leur tour à la même durée d’immersion (1).
- Donc., au bout d’environ deux minutes, il ny a aucun avantage à prolonger l’immersion en vue de mieux assurer les coïncidences. D’ailleurs, ce n’est pas impunément qu’on laisserait agir longuement le liquide sur le papier et sur la couche gélatineuse avant de procéder à l’adaptation ; divers accidents, tels que stries et saillies delà surface impressionnée, risqueraient de se produire, et les deux surfaces qu’on veut coller l’une contre l’autre perdraient de leur puissance adhésive.
- Un tour de main bien simple assurera l’adaptation : On amène la carte mixtionnée, la couche étant toujours en dessous, à une position telle que l’angle marqué au crayon vienne se placer très exactement dans l’angle formé entre les deux cales de verre R, R’, et qu’en même temps le bord inférieur du papier appuie contre la troi-
- 1 (1) L’auteur des méthodes dont nous faisons le compte
- | rendu, a constaté que la dilatation des papiers, dans les I bains d’adaptation, est beaucoup moindre lorsque l’eau ! est additionnée d’une assez grande quantité de glycérine (par exemple, moitié eau, moité glycérine). Ce n’est là qu’une indication. L’introduction de ce nouvel agent dans les bains dont il s’agit n’est peut-être pas exempte d’inconvénients. Il y a là un sujet d’étude qu’il croit devoir signaler.
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- sième cale R”. Cette position étant bien assurée par le mouvement des doigts et par une légère pression exercée sur ce bord inférieur, on relève hors de l’eau la plaque et le papier appuyés l’un eontre l’autre de manière à ce que celui-ci s’adapte naturellement sur la surface du verre caoutchouté. L’adhérence ne tarde pas à devenir définitive : les surfaces caoutchouc et collodion se touchent et se moulent par tous les points.
- On maintient dans de l’eau froide, pendant environ un quart d’heure, le verre porteur du papier : cette eau, pénétrant le papier, va gonfler la gélatine, dont les parties solubles deviennent aptes à se dissoudre aisément par l’eau •chaude.
- On installe alors la cuvette sur un trépied au dessous duquel est placé un petit fourneau à pétrole ou une lampe à alcool dont on règle la flamme ; on chauffe graduellement, en évitant le contact de la plaque avec le fond du récipient, et en la soulevant au milieu du liquide h l’aide du crochet spécial qui sert à manœuvrer les plaques dans les bains. Il importe que la plaque soit agitée de temps en temps afin de bien égaliser la température de l’eau chaude.
- A un certain moment, les bords du papier laissent « baver » la gélatine colorée, et il ne tarde pas à se soulever et se détacher. On peut
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- sans danger aider son départ en le saisissant par un angle. On commence alors à discerner l’image, qui est encombrée de gélatine soluble. S’il existe des bulles à sa surface, il est bon de les crever immédiatement en projetant sur elles un peu d’eau de la cuvette soit avec les doigts soit avec le crochet. Il y a lieu de mouvoir constamment, à l’aide de ce crochet, la plaque dans le liquide, afin d’assurer l’égale venue de toutes les parties du dessin. Mais il faut bien veiller à ce que la température de l’eau ne monte pas au-delà de la chaleur nécessaire, et, jusqu’à ce que l’image soit à peu près dépouillée, il est prudent de baisser la flamme.
- Si, à ce moment, on apprécie — c’est ce qui a lieu dans la plupart des cas — que le monochrome est trop intense, on élève peu à peu la température de l’eau jusqu’à ce qu’il soit suffisamment affaibli.
- Finalement, on lave l’épreuve en passant à sa surface un filet d’eau tiède ; en aucun cas ce filet d’eau ne doit être d’une température plus élevée que l’était celle du bain pendant que s’achevait l’épreuve.
- On abandonne celle-ci à dessication sur un support à rainures ; puis on la recouvre de la dissolution de caoutchouc à titre faible qui a servi à recouvrir la plaque collodionnée.
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- Cette couche de caoutchouc, si facile à créer, constitue un intermédiaire indispensable entre ce premier monochrome et la pellicule de collodion dont il reste à le recouvrir, pellicule qui doit être formée de collodion un peu épais dont on a garni primitivement la glace ; à son tour, celle-ci est recouverte, une fois sèche, de la dissolution de caoutchouc à titre très faible qui a pour destination de rendre la surface poisseuse etadhésive.
- La multiplicité de ces opérations n’a rien d’effrayant, vu la sûreté et la rapidité avec lesquelles s’obtiennent de telles alternances, celles-ci ne laissant d’ailleurs, malgré le nombre des étages, qu’une couche de très peu d’épaisseur.
- Les choses sont maintenant amenées au même point que lorsqu’on avait eu à constituer le premier étage, soit l’étage rouge de la polychromie; pour constituer l’étage bleu, puis l’étage jaune, on procédera par les mêmes opérations successives d’application, de callage et de dépouillement, chacun des nouveaux papiers mix-tionnés ayant, comme le premier, reçu, même avant d’être découpé, sa couche imperméable de collodion léger.
- En examinant par transparence, à travers la plaque de verre, les progrès du deuxième dépouillement, on voit se former une image violette fort curieuse à étudier, qui réalise déjà une
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- partie intéressante de la synthèse. L’amateur bien doué acquiert promptement le coup d’œil qui assure l’équilibre entre les images.
- La satisfaction sera complète à l’éclosion de la troisième image.
- Cette troisième image, une fois constituée, doit être, tout comme les deux premières, caoutchoutée, puis collodionnée.
- Achèvement de la polychromie. — Si c’est une polychromie réflexe qu’on a'voulu créer, on recouvre d’une dernière couche de caoutchouc léger la troisième image, et, au moyen de l’eau, on fait adhérer à cette surface poisseuse un papier blanc recouvert de gélatine incolore et d’une imperceptible couche de collodion faible.
- Tel sera le support définitif. Il importe qu’il se moule librement, par une complète humectation préalable, sur les légères saillies de l’épreuve, la pression atmosphérique assurant ce moulage d’une manière plus parfaite lorsque la couche gélatineuse a été pleinement imprégnée et le papier pleinement ramolli.
- Une fois accomplie la dessiccation finale, on constate que les reliefs de la triple image apparaissent au verso du papier par l’effet de la dépression de celui-ci dans les vides. Il n’y a plus qu’à séparer du verre la polychromie à l’aide d’une incision au canif sur le pourtour du pa-
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- pier qu’on soulèvera par un angle. La polychromie aura la belle surface glacée qui appartenait au verre même sur lequel elle était plaquée.
- Au lieu d’une polychromie réflexe, la méthode qui vient d’être décrite fournira tout aussi bien L'épreuve destinée à être vue par transparence. Rien n’est plus facile que de la réaliser à l’état pelliculaire. Dans ce cas, la dernière couche de caoutchouc dont il a été question n’a plus de raison d’être, mais par contre il y aura avantage à donner plus de corps à la dernière couche de collodion. On pourra faire usage de ce même collodion alcoolique qui a été précédemment indiqué, mais au lieu d’incliner la plaque pour en recuillir l’excès, on mettra celle-ci sur une glace calée de niveau, puis on étendra au milieu une quantité assez abondante de collodion qui s’élargira en cercle et dont on aidera l’extension jusqu’au bord, soit avec le doigt, soit avec une feuille de papier repliée plusieurs fois sur elle-même. Tant que la couche n’aura pas fait fortement prise, on laissera sécher horizontalement. La dessiccation achevée, on incisera les bords au canif.
- Il y aura avantage à additionner de quelques gouttes de glycérine le collodion alcoolique employé à former cette couche épaisse ; la glycérine supprime, en effet, ce qui pourrait rester de ré-
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- tractilité dans la membrane qu’on obtient, ré-tractilité déjà fort diminuée par cela seul que l'éther a été réduit à la quantité minima. Il est à remarquer que la glycérine, à la différence de l’huile de ricin, ne jaunit pas à la longue et ne produit pas, par conséquent, les désastres qu’on a pu constater, au bout de quelques années, dans les œuvres photographiques ou picturales où l’huile de ricin avait joué un rôle.
- Les épreuves transparentes dont il vient d’être parlé veulent être appliquées contre un verre douci, sans quoi les objets situés au-delà troubleraient la vue de l’image elle-même. Mais l’effet produit par ce verre douci supplémentaire s’obtient également en créant la triple image non pas sur un verre poli, employé comme support provisoire, mais sur le côté graissé d’un verre douci.
- Enfin, on peut également laisser sur le verre où on l’a développée la triple image rouge-bleu-jaune. Si, dès le début de l’opération, l’intention de l’opérateur a été de la laissera demeure sur le verre, le talcage de la plaque doit être remplacé par un albuminage, et, en outre, il n’y a pas lieu d’établir la bordure de caoutchouc. — L’al-buminage s’obtient en battant en neige un mélange, à parties égales, d’eau et de blancs d’œufs, et en recueillant, au bout de quelques
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- heures, le liquide qui s’est formé au-dessous de la neige. Ce liquide est étendu sur la glace nue bien propre ; on vide l’excès, et on sèche dans la position verticale. On étend alors le eollodion épais et on en recueille l’excès. On laisse à la couche le temps de faire prise (une demi-minute environ) et, au lieu d’attendre que le eollodion ait séché, on immerge la plaque dans une cuvette d’eau jusqu’à ce qu’en relevant ladite plaque, elle ne présente plus d’apparence graisseuse. Le mélange passager de l’eau avec l’alcool du eollodion a pour effet de coaguler l’albumine et d’en faire un puissant mordant, grâce auquel tous les étages successifs, soudés les uns aux autres, comme il a été dit ci-dessus, resteront adhérents au verre.
- Il peut sembler superflu d’indiquer que, suivant qu’on veut créer une polychromie réflexe on une polychromie transparente, l’intensité à donner au trio des images composantes doit être bien différente. Dans le premier cas, comme les rayons traversent une première fois les trois monochromes pour aboutir au papier, puis repartent de celui-ci pour les traverser une seconde fois, les intensités se trouvent par cela même doublées ; on affaiblira donc chacune des images bien au-dessous du degré qui convient le mieux pour l’état de transparence. Au second cas, le
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- raisonnement n’a pas à intervenir et aucune rec-tification n’est 'a opérer.
- Dans les deux cas, une même sorte de papiers mixtionnés pourra servir. Seulement, surtout si la polychromie doit être réflexe, il y a avantage à favoriser par la nature du bain sensibilisateur la production d’images à la fois faibles et bien complètes dans leurs dernières demi-teintes. On arrive à ce résultat par deux moyens employés soit isolément, soit en réunion. Le premier consiste à élever le titre du bain de bichromate, en augmentant de moitié ou même en doublant la dose de celui-ci. Le second moyen, que l’inventeur proposa en 1886, consiste à ajouter, comme il a été dit, au bain de bichromate une couleur soluble antiphotogénique, telle que l’orangé d’aniline, qui crée un obstacle à la pénétration des rayons lumineux dans la profondeur de la couche. Grâce à cette coloration temporaire, qui disparaît dans le bain de dépouillement, chaque image aura peu d’intensité dans les ombres tout en conservant ses plus délicates demi-teintes.
- Fabrication des trois papiers mixtionnés; bleu, rouge, jaune. — L’adoption de tel ou tel papier, pour le recouvrir ou faire recouvrir des mixtions voulues, ne saurait être livrée au hasard. Il faut faire choix d’un papier carteux, notablement plus épais que ce qu’on appelle le papier
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- écoiier. Les feuilles dont on s’approvisionnera doivent être de la même pâte et du même poids, en un mot d’une même fabrication, afin que les bains par lesquels ils passeront, pour former les trois monochomes d’un sujet, ne produisent pas d’inégalités appréciables dans leurs dilatations respectives. En outre, l’expérience ayant démontré que les papiers plongés dans l’eau se dilatent généralement plus dans un sens que dans l’autre, il est utile d’y tracer, sur le côté qui ne recevra pas la mixtion, des traits au crayon, dirigés parallèlement sur toutes les feuilles et dans un même sens, celui de la longueur ou celui de la largeur. Ces indications seront précieuses lorsqu’il s’agira de tailler le papier de grandeur pour la production des trois épreuves d’une polychromie ; on aura alors la certitude que tout le travail de dilatation s’accomplit d’une manière analogue, d’un monochrome à l’autre, en d’autres termes suivant les mêmes fibres du papier-sup-, port, semblablement dirigées.
- | Cela dit, passons aux mixtions elles-mêmes, j La laque de garance, le bleu de Prusse, la laque jaune, tels que les livre le commerce sous forme de couleurs d’aquarelle, sont les trois pigments à proposer, toute comparaison faite avec nombre de substances colorantes. Ces trois couleurs sont douées d’une grande solidité à la
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- lumière, savoir : la laque garance et le bleu de Prusse par leur nature propre, et la laque jaune par le fait de son union avec la gélatine. Elles sont toutes les trois transparentes, et elles fournissent avec une approximation bien plus que suffisante les trois types voulus par le système. •
- On a lu, dans la description de la méthode A, les moyens pratiques de doser les divers éléments, gélatine, substance colorante et sucre dont se composent les mixtions versées sur micas ou feuillets transparents. Les indications fournies à ce sujet peuvent servir de gouverne pour la formation des couches à étendre sur les papiers dont il s’agit maintenant. Seulement, comme il importe, dans le cas actuel, que le travail insolubilisateur de la lumière, à partir de la superficie de la couche mixtionnée, n’atteigne jamais le papier, lequel, s’il était quelque peu atteint, refuserait de se séparer de la couche dans le bain de dépouillement, il importe, par cela même, de donner à cette couche plus d’épaisseur qu’on n’en donne à la couche établie sur feuillets transparents, cette dernière recevant la lumière à travers les feuillets eux- l mêmes.
- D’autre part, les préparations à effectuer pour mixtionner un certain nombre de feuilles, supposent l’emploi d’une quantité de matière colo-
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- rante trop abondante pour qu’il puisse être question de procéder par délayage, comme s’il s’agissait d’établir sur quelques feuillets transparents la couche mixtionnée ; ce délayage serait, dans le cas actuel, une opération interminable. Il faut donc recourir à un autre moyen.
- En conséquence, on coupe et on brise en menus morceaux, par un ciseau à froid et à coups de maillet, les tablettes ou fragments de tablettes soit de laque de garance, soit de bleu de Prusse, soit de laque jaune. On met tremper ces morceaux et on les laisse reposer, pendant une douzaine d’heures, dans un mortier de verre où l’on a versé une très petite quantité d’eau froide, tout juste la quantité nécessaire pour gonfler et ramollir ces débris. On vide le léger excès d’eau qui n’aurait pas été absorbée. A la pâte qu’on a ainsi obtenue on ajoute, en premier lieu, une petite quantité de solution modérément chaude de gélatine, après avoir légèrement chauffé les parois du mortier; puis, à l’aide du pilon, on incorpore par broyage cette pâte avec la gélatine. On ajoute une nouvelle quantité de gélatine, on broie de nouveau, et on alterne plusieurs fois ces opérations jusqu’à ce que toute la pâte soit répartie dans le liquide mucilagineux.
- La mixtion colorée est soumise alors à une
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- filtration, comme il a été dit dans la description de la méthode A.
- Voici maintenant, en ce qui a trait à la manière d’étendre la liqueur colorée sur les papiers, les indications qui peuvent être nécessaires.
- L’essentiel, tout d’abord, c’est d’assurer la planité et l’horizontalité parfaites de chaque feuille de papier pendant qu’on la recouvre de la gélatine colorée et jusqu’à ce que la nappe de gélatine s’y soit coagulée. Ce résultat s’obtient, comme dans la précédente méthode, au moyen de glaces posées sur des vis calantes. On aura donc deux ou trois glaces installées de la sorte et qui serviront alternativement de supports aux feuilles à recouvrir de mixtion. Il faut des glaces et non pas de simples verres, quelque plans et réguliers qu’ils puissent paraître.
- Chaque feuille aura été taillée de la grandeur des glaces.
- Dans une cuvette plate, en zinc ou en fer-blanc, garnie d’eau ordinaire, on plonge l’une des glaces et au-dessus de cette glace, l’une des feuilles de papier, en ayant soin d’immerger celle-ci en son entier. Cette immersion doit se prolonger une ou deux minutes. On soulève alors, des deux mains, la glace et la feuille de papier appliquées l’une contre l’autre, et maintenues, aux deux angles d’en haut, par la pression des doigts. On laisse
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- quelques instants s’écouler l’excès de liquide, puis on pose à plat, sur une table, la glace recouverte de la feuille. Au moyen d’un premier buvard on pompe la nappe d’eau extérieure ; à l’aide d’un second buvard et même d’un troi- ‘ sième, et en exerçant quelques frictions de toute la largeur de la main, on obtient aisément le nivellement complet du papier, qui prend la pîa-nitéde la glace. En cet état de parfaite adaptation, on les pose sur leur trépied, et on ajuste au-dessus du papier un cadre ou châssis, en bois ou en métal, destiné à limiter, sur chaque feuille et tout près du bord de chaque feuille, la nappe du liquide mucilagineux.
- Les choses ainsi installées, on verse la mixtion sur la superficie limitée par le cadre. On se sert,** pour cette opération, d’un verre gradué mesurant exactement, pour chaque feuille, la quantité de liquide déterminée d’avance. On répartit promptement, au moyen d’un triangle de verre, la mixtion sur toute l’étendue de la surface à recouvrir. Avant que le liquide se prenne en gelée, on a soin de crever les bulles qui parfois se produisent à la surface et qui proviennent ordinairement de ce que la préparation a été versée trop chaude.
- Une fois la couche coagulée, on soulève la : feuille par deux angles, dans le sens de la lar-
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- geur, et on la transporte dans le local (chambre-aérée ou étuve, suivant la saison), où elle est destinée à sécher. On la suspend dans le vide à l’aide d’un cordon tendu horizontalement (le plus près possible du plafond). Il faut faire en sorte que le séchage de la feuille s’achève dans une douzaine d’heures, vingt et quelques au plus.
- Méthode G.
- Dans cette méthode, les trois monochromes, successivement insolés, savoir le premier à travers son phototype, le second à travers son phototype et le premier monochrome, le troisième à travers son phototype et les deux premiers monochromes, se développent repérés l’un sur l’autre, sans altération possible dans leurs dimensions respectives, assujettis sur un même support mince, rigide, transparent et inextensible interposé entre chacun d’eux et son phototype, support dont on pourra les détacher, unis et confondus en une seule image, pour les transporter sur un définitif support opaque.
- Malgré leur triplicité, les opérations sont loin d’être compliquées.
- Sur un subjectile mince, rigide, transparent et inextensible, tel qu’une feuille de mica ou un verre pelliculaire, etc., on étend une mixtion
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- gélatineuse bleue sensibilisée : nous la supposons sucrée et additionnée d’une substance colorante antiphotogénique soluble dans l’eau, telle que l’orangé d’aniline; en d’autres termes, c’est, sans y rien changer, la mixtion pour monochrome bleu dont la composition a été indiquée à la Méthode A.
- On insole, suivant la règle, par le côté du support, sous le négatif de la lumière rouge orangé.
- Une fois le monochrome bleu révélé à l’eau chaude et séché, on le recouvre: 1° d’une couche de vernis au caoutchouc du commerce, dilué de plusieurs fois son volume de benzine (on incline la feuille pour recueillir l’excès par un angle et on laisse sécher) ; 2° d’une couche de collodion un peu épais.
- Quel doit être ce collodion?
- On peut se servir, soit de collodion ordinaire, à l'alcool et à l'éther, additionné d’un peu de térébenthine de Venise, soit de collodion à l'acétate d'amyle. La térébenthine de Venise, introduite dans le premier de ces deux collodions, a pour effet de rendre imperméable aux dissolutions aqueuses colorées la pellicule qu’il dépose ; toutefois cette imperméabilité n’atteint pas le même degré que celle de la pellicule déposée par le collodion à l’acétate d’amyle, mais il arrive que
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- la couche préalable de caoutchouc, dont à la rigueur on peut se passer avec l’emploi de l’acétate d’amyle, constitue un rempart de plus contre la pénétration des liquides, et qu’on n’a plus rien à craindre (1).
- Nous rappellerons que les collodions et les vapeurs qui s’en dégagent sont inflammables. Cette remarque s’applique au collodion à l’acétate d’amyle comme au collodion qui contient de l’éther. On ne doit jamais l’oublier, surtout quand on opère dans un appartement clos. Ne pas se tenir, en pareil cas, à proximité d’une flamme.
- On verse lentement l’un ou l’autre collodion vers le milieu du support transparent, en aidant le liquide à s’étendre jusqu’aux angles par de
- (1) Le collodion alcoolique et éthérique dont nous parlons peut être préparé dans les proportions suivantes : alcool, 75 c. c. ; éther, 25 c. c. ; coton-poudre, 1 gr. 1/2 ou 2 gr. — On introduit d’abord dans le flacon l’éther et le coton ; on agite ; puis, en plusieurs fois, on introduit l’alcool en agitant (autrefois, dans les ateliers, ces opérations étaient usuelles). On ajoute enfin la térébenthine de Venise, selon la proportion d’environ 6 à 8 gouttes pour les quantités ei-dessus. On agite fortement le flacon, jusqu’à ce que la térébenthine soit bien dissoute.
- Quant au collodion à l’acétate d’amyle, il se prépare simplement en faisant dissoudre un gramme et demi ou deux grammes de coton-poudre dans 100 c. c. d’acétate d’amyle.
- Bien entendu, chacune de ces deux sortes de collodion doit être filtrée ou décantée.
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- légères inclinaisons de la surface, puis on vide l’excès dans le flacon même.
- On met à sécher verticalement, puis on recouvre l’épreuve eollodionnée d’une mixtion rouge sensibilisée, également conforme aux descriptions données à la Méthode A. La couche de collodion restée après évaporation du dissolvant étant absolument imperméable aux éléments contenus dans la deuxième mixtion, la première épreuve, en gélatine bleue, restera absolument intacte.
- Une fois séchée la couche rouge, on l’insole, toujours par le côté du support, sous le négatif de la lumière verte, après avoir fait coïncider, par les moyens qui seront ci-après spécifiés, les lignes de l’épreuve bleue avec les lignes de ce dernier négatif.
- Voici ce qui se passe :
- L’image bleue, bien que très accentuée pour l’organe de la vue, n’est, phothographiquement parlant, qu’une quantité négligeable: en effet, le sel de chrome contenu dans la couche rouge n’est réellement influencé que par les rayons bleus et violets que laissent passer soit les parties de l’image dépouillées de toute matière colorante (ce qu’on appelle les blancs), soit les autres parties, constituées par du bleu ; en somme, l'image bleue n'existe pas pour la seconde préparation.
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- Il se formera donc une insolubilisation rougb différentielle, identique à celle qui se serait produite sans la présence de l’image bleue.
- Après dépouillement à l'eau chaude et dessiccation de l’image rouge, on la recouvre à son tour d’une couche de collodion, et sur cette couche on étend la mixtion sensibilisée qui doit fournir le monochrome jaune. (Suivre également, en ce qui concerne cette mixtion, les indications de la Méthode A.)
- Cette dernière préparation une fois sèche, on pratique la troisième et dernière insolation, toujours par le côté du support, sous le négatif de la lumière violette, après avoir fait coïncider les lignes de la double image précédemment obtenue avec les lignes de ce troisième négatif.
- Le phénomène optique sera celui-ci :
- La double image bleue et rouge-pourpré, c’est-à-dire violette, précédemment obtenue, ne peut apporter de trouble sensible à la formation du monochrome jaune. En effet, les rayons soit bleus, soit violets, c’est-'a-dire les seuls ou à peu près les seuls actifs que laissent passer soit les blancs des deux monochromes superposés, soit les parties colorées de ces deux monochromes, formeront l’image jaune sans qu’il y ait sur celle-ci une altération appréciable provenant de l’inégale répartition de la substance bleue et de
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- la substance rouge pourpré. Y aurait-il en réalité une légère altération, elle serait d’autant plus insignifiante qu’il s’agit du monochrome jaune, bien moins important que les deux autres dans la synthèse.
- D’ailleurs, pour plus de sûreté, et afin de barrer le passage à tout rayon qui ne serait pas bleu ou violet, la méthode se complétera par l’emploi d’un verre bleu violacé (le verre bleu au cobalt des vitriers), dont on recouvrira le châssis-presse non seulement pendant la formation du troisième monochrome, mais même pendant la formation du deuxième. Il est inutile de se pourvoir d’un verre bleu foncé, puisque déjà, sans verre bleu, les résultats seraient suffisants : on fera choix d’un verre de moyenne intensité. La légère augmentation de pose, au châssis-presse, à laquelle on doit s’attendre, ne se produira que pour la troisième image, et, somme toute, elle n’est qu’un bien mince inconvénient si l’on songe à l’abréviation obtenue sur l’ensemble des opérations.
- Il existe deux moyens d’assurer les coïncidences soit entre la deuxième épreuve et la première, soit entre la troisième et les deux premières.
- Le premier moyen consiste à établir sur les trois phototypes les trois bandelettes coudées,
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- de bristol mince, identiquement placées, qui ont été précédemment décrites (prière de se reporter à la Méthode B). Deux des côtés de la feuille de mica ou du verre pelliculaire ayant été taillés d’équerre, l’angle qui en résulte sera calé par trois fois dans la même position sur les trois négatifs à l’aide de ces trois bandelettes. On établira même, chaque fois, pour surcroît de précautions, les collages de fragments de papier gommé dont il a été question.
- Le second moyen, qui est le plus simple, consiste dans des repérages a l’œil et par trans-parence. Voici comment on s’y prend :
- Le mica garni de la mixtion qui fournira l’image bleue est mis en contact, dans le châssis-presse, sans précaution particulière, avec son phototype. On aura eu soin de le tailler un peu plus petit que les phototypes.
- Une fois obtenue l’image bleue et celle-ci dûment recouverte de la couche de collodion, puis de la mixtion sensible rouge qu’on laisse sécher à l’abri de la lumière, on verra, par transparence, apparaître en noir le monochrome bleu à travers cette deuxième couche (qui est momentanément orangée puisqu’elle contient à la fois la substance rouge pourpré, le bichromate, qui est jaune, et l’orangé d’aniline). On fera alors glisser le mica sur le phototype qui doit fournir
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- le monochrome ronge et, par ce glissement, on amènera cette image positive noirâtre à combler les clairs dudit phototype négatif. Tant que la coïncidence n’est pas parfaite, les objets présentent une bordure lumineuse orangée. Une fois la position trouvée, on fixe le mica au négatif par quelques pinces et on l’y assujettit par quelques petits morceaux de papier gommé. On enlève alors les pinces et on procède k l’exposition dans le châssis-presse.
- On s’y prendra d’une manière analogue pour assurer, dès avant qu’elle soit créée, le repérage de la troisième image, qui est l’image jaune, avec le bichrome violet. Ce bichrome ayant été recouvert de la troisième couche mixtionnée sensibilisée apparaîtra noirâtre par transparence. On fera alors glisser le mica porteur de ces divers étages sur le phototype correspondant à l’image jaune, et on arrêtera ce glissement lorsque les bordures lumineuses des objets représentés auront disparu par le fait d’une image positive noirâtre comblant exactement les clairs dudit phototype. Le maintien provisoire de cette position sera assuré comme il a été dit, et on créera la troisième image.
- La polychromie qui aura été constituée, d’après les principes ci-dessus énoncés, sur le mica ou autre support transparent rigide, sera, k vo-
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- lonté, maintenue sur ce support, qui fera une belle surface polie si on applique l’autre côté de l’image contre un bristol, par exemple, ou bien elle sera enlevée dudit support et transférée sur papier gélatine. On pourra, à cet effet, user du moyen indiqué à la Méthode B.
- En pareil cas, avant d’établir sur le support dont il s’agit la première couche mixtionnée, on aura rendu isolante la surface du subjectile au moyen d’un talcage suivi d’une couche de collo-dion. On aura soin de n’étendre ce collodion qu’après avoir formé une bordure, telle que bordure de vernis au caoutchouc, et on recouvrira de collodion cette bordure elle-même, selon ce qui a été spécifié dans l’exposé de ladite Méthode.
- Observation complémentaire. — Le double étage caoutchouc et collodion intercalé, comme il vient d’être dit, entre les monochromes, peut se remplacer par un étage unique ou cuirasse en celluloïd qu’on aura dissous par l’acétate d’amyle. A cet effet, on peut employer des fragments de feuilles de celluloïd ; la dissolution se fait au titre de 3 grammes pour 100 centimètres cubes d’acétate d’amyle. Ce procédé est très sûr.
- FIN
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- TABLE DES MATIÈRES
- Pages.
- Préface..................................... 7
- Les découvertes de Louis Ducos du Hauron . 11
- Manuel de Photographie aux trois couleurs, i i i
- Introduction................................ m
- Première partie : Les trois phototypes...... ii5
- Mode de formation des écrans colorés, place qu’ils occupent dans l’appareil photographique................................... ii5
- Nombre et nature des écrans colorés......... 116
- Matériel photographique....,................ 123
- Nécessité de garnir d’un anti-halo les plaques employées aux phototypes du rouge-
- orangé et du vert........................ 12$
- Deuxième rartie: Phototirages polychromes. 127
- Observations préliminaires.................... 127
- Méthode A..................................... 129
- Composition des trois mixtions colorées..... i3o
- Filtration des trois mixtions colorées...... i3a
- Versement et diffusion de la mixtion colorée sur les surfaces de mica, verre pelliculaire,
- celluloïd, etc......................... i3a
- Opération complémentaire : bordure des micas. 134
- Sensibilisation........................... 134
- Exposition à la lumière..................... 137
- Dépouillement des monochromes dans le bain
- d’eau chaude............................ 137
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- Superposition et mise à effet des monochromes. 13g Recommandations spéciales : choix des micas, appropriation des diverses sortes de
- feuillets transparents, etc............. 143
- Mode abrégé de formation des couches mix-
- tionnées sensibilisées.................. 144
- Méthode B................................... 145
- Sensibilisation de la couche mixtionnée..... 147
- Opérations complémentaires afférentes à la feuille sensibilisée : collodionage et découpage.................................. 149
- Application et calage des trois sortes de rectangles d’un même sujet sur leurs phototypes respectifs......................... 151
- Installation des phototypes et des susdits rectangles dans les châssis-presses ; exposition
- à la lumière............................ 155
- Adaptation et développement des trois monochromes sur la plaque unique qui leur sert
- de support........................... 156
- Achèvement de la polychromie................. i65
- Fabrication des trois papiers mixtion nés, bleu,
- rouge, jaune............................. 169
- Méthode C....................;.............. 175
- imprimerie du < Petit Thotex » 6. ARBOUIN 1T6, me Thitr# — Trop*
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