La Nature
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- LA NATURE
- REVUE DES SCIENCES
- ET DE LEURS APPLICATIONS AUX ARTS ET A L’INDUSTRIE
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- LA NATURE
- REVUE DES SCIENCES
- ET DE LEURS APPLICATIONS AUX ARTS ET A L’INDUSTRIE
- JOURNAL HEBDOMADAIRE ILLUSTRÉ
- ABONNEMENTS
- Parts. Un an............................... 20 »
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- PARTS. — IMPRIMERIE SIMON BACON ET COMPAGNIE, RUE D'ERFURTI I.
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- P R É FA C E
- L’accueil depuis longtemps réservé aux livres sérieux, qui tiennent le public au courant du progrès, témoigne de l’intérêt réel que l’on porte actuellement à l’œuvre de la science. La plupart des journaux politiques donnent chaque semaine le compte rendu des séances de l’Académie, et s’attachent un rédacteur scientifique. La science est partout ; elle apparaît à tous les instants, on la voit même pénétrer dans le roman, tant elle se généralise.
- Malgré l’avidité de connaître, qui est le caractère de notre époque, malgré le nombre sans cesse croissant des publications spéciales, il nous a semblé qu’il manquait parmi nous un recueil analogue à quelques-uns de ceux qui prospèrent depuis longtemps en Angleterre, en Allemagne, aux États-Unis. On peut compter en France des journaux scientifiques, nombreux et remarquables, qui ne le cèdent en rien aux publications étrangères du même genre, mais ils ne s’adressent, pour la plupart, qu’à une certaine classe de lecteurs. Un chimiste lira le Bulletin de la Société chimique, un naturaliste les Annales des sciences naturelles^ un ingénieur, les Annales des mines, etc. Les Comptes fendus de l’Académie des sciences ne sont destinés qu’au monde savant. A côté de ces graves recueils et des autres excellentes publications qui existent actuellement, nous avons pensé qu’il y avait une place importante à prendre pour une revue d’actualité scientifique, où des écrivains spéciaux traiteraient les différents sujets, avec le concours de dessinateurs. Il est difficile, en effet, de se passer de l’illustration dans une œuvre de ce genre ; la descrip-tion d’un insecte, d’un coquillage, d’une plante, est toujours pâle et sans vie, si le crayon qui parle aux yeux n’accompagne le texte qui parle à l'esprit. Comment expliquer le méa
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- PRÉFACE.
- canisme d’un appareil de physique et faire comprendre les rouages d’une machine à vapeur sans la gravure qui reproduit cet appareil et cette machine? Le professeur de science n’a-t-il pas toujours sous la main le tableau noir, où il complète son enseignement par des traces à la craie? La gravure sur bois, le diagramme, sont à l’écrivain ce que le tableau noir est au professeur.
- Si l’on voulait se borner à faciliter l’intelligence du texte, il suffirait de simples figures, analogues à celles que publient les livres techniques. Nous avons pensé que le public ne se plaindrait pas d’avoir plus encore, qu’il ne reprocherait pas aux gravures d’une revue, toute scientifique qu’elle soit, d’être exécutées avec un grand soin. Un beau paysage géologique, un tableau représentant la reconstitution d’espèces fossiles, la coupe d’un fleuve où nagent les poissons qu’on étudie, ne charment-ils pas l'œil bien plus que des tracés froids et sévères ? Quel inconvénient y aurait-il à embellir une figure de science? pourquoi ne serait-elle pas une œuvre d’art si elle ne cesse d’être exacte et sérieuse? pourquoi craindrait-on même parfois d’animer les scènes, de représenter une machine en action, sans s’arrêter de parti pris devant les limites du pittoresque? pourquoi le journal scientifique serait-il condamné à être aride, sec et souvent ennuyeux? ne gagnerait-il pas, au contraire, à prendre l’aspect d’un livre attrayant, agréable, afin d’attirer les lecteurs et d’augmenter le nombre de ceux qui aiment l’étude ?
- C’est dans cet esprit que nous avons couru le plan de la Nalure , et que nous nous sommes adressés à des savants depuis longtemps connus et aimés du public, pour nous aider à le mettre à exécution. Nous sommes heureux d’avoir pu grouper autour de nous quelques écrivains éminents, qui ont bien voulu devenir nos collaborateurs, mais que pour la plupart nous n’avons cessé de considérer comme nos maîtres.
- Une œuvre comme celle que nous avions en vue ne pouvait se réaliser qu’avec un tel concours; nous avons voulu, en effet, fuir l’écueil de l’erreur et de l’inexactitude, où se brise inévitablement celui qui traite seul les questions multiples qui se rattachent aux différentes branches delà science. Il n’est pas de savant universel, aujourd’hui surtout où le domaine de la science est si étendu. Un astronome ne peut pas bien parler chimie, pas plus qu’un chimiste ne saurait traiter sûrement les questions astronomiques. Cela est peut-être encore plus vrai, quand il s’agit d’écrire pour tout le monde, et quand il faut exposer d’une façon claire des questions complexes et difficiles.
- Nous avons cherché dans ce recueil à mettre le lecteur en mesure de suivre les travaux de la France et de l’étranger en 1875. Nous vivons malheureusement souvent dans l’ignorance complète de ce qui se passe au delà de nos frontières; aussi avons-nous pensé qu’il y
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- PRÉFACE.
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- aurait un grand intérêt à les franchir pour jeter les yeux sur les principaux événements scientifiques dont les nations civilisées sont le théâtre.
- Une de nos préoccupations constantes a été de bannir de notre œuvre, les questions de rivalités et de polémiques, évitant de froisser toute susceptibilité, mais avec la ferme volonté de ne rien sacrifier à la vérité. Le domaine delà science n’est pas un champ de combat, il devrait se présenter, au contraire, comme le plus sûr terrain de la conciliation. 11 ne manquerait pas de l’être toujours, si tous ceux qui s’y réunissent abandonnaient à l’avance les rancunes cl les préjugés des partis, pour ne songer qu’au travail et aux progrès qui en dérivent.
- Un grand nombre de savants français professent une regrettable indifférence pour les ouvrages de science vulgarisée ; ils les traitent volontiers d’inutiles ou de futiles, Nous croyons qu’un tel jugement n’est pas justifié. Nous ferons remarquer que les savants les plus illustres des nations voisines ne croient pas s’abaisser en se faisant comprendre de tous, en descendant au niveau commun, pour faire goûter aux esprits les moins préparés les bienfaits de la vérité scientifique. Faraday a écrit V Histoire d'une chandelle, où il semble prendre plaisir à se faire entendre de ceux qui possèdent à peine les plus élémentaires notions de la chimie et de la physique. Le professeur Tyndall sait rendre la science amusante ; il ne néglige rien pour transformer une conférence en un spectacle, et faire d’un traité de physique ou de géologie un livre offrant les séductions d’un roman. Il y a là un but philosophique très-élevé, que cherchent à atteindre nos voisins d’Angleterre ; ils comprennent que la grandeur d’une nation dépend du nombre d’esprits cultivés qu’elle peut compter ; ils n’ignorent pas que répandre les lumières et dissiper les ténèbres, c’est non-seulement travailler pour la science, mais c’est contribuer directement au bien du pays. Aussi ne négligent-ils rien pour accroître le nombre des travailleurs et pour attirer sans cesse de nouveaux adeptes dans le grand temple de la Vérité.
- Puissions-nous, en France, suivre ce mouvement salutaire, et nous efforcer de faire comprendre à tous que le sol de l’investigation scientifique, loin d'être aride et froid, est au contraire fertile, hospitalier, — véritable terre promise, toujours accessible à l’esprit laborieux !
- Plutarque nous rapporte quelque part, dans ses écrits, que l’astronome grec Eudoxus, lassé de chercher en vain dans le ciel les mystères de la constitution des astres, se prosterne devant les dieux de l’Olympe et les supplie de lui laisser voir de près le soleil, quand bien même il devrait payer de sa vie la contemplation de la vérité. Le grand historien semble déguiser ainsi, sous une forme allégorique, la passion dominante de l’humanité,
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- PRÉFACE.
- celle qui l’anime sans cesse dans l’étude de l’univers, et que l’on pourrait appeler la grande curiosité des effets et des causes.
- La science est née de cette curiosité sublime qui a déjà produit les plus merveilleux résultats; elle est la conséquence directe du culte de la nature. C’est pour rendre hommage à ce besoin de l’esprit que nous avons choisi le titre de ce recueil. Quoi qu’on nous ait objecté, il embrasse la science tout entière, avec ses nombreuses applications. L’industrie y est comprise comme la science pure, car l’œuvre humaine fait partie de celle de la nature. L’homme est une force qui prend part à l’éternelle évolution de la matière. Quand il creuse les montagnes, quand il aplanit le sol, qu’il arrache les arbres des forêts, qu’il couvre la terre de moissons, qu’il combat partout pour vivre, il accomplit le rôle qui lui a été dévolu sur la terre et qu’il est appelé à jouer sur le théâtre du monde !
- Gaston TISSANDIER.
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- 7 JUIN 1 873.
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- REVUE DES SCIENCES
- ET DE LEURS APPLICATIONS AUX ARTS ET A L’INDUSTRIE
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- L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR
- EN FRANCE.
- Les révélations qui ont été faites à la Sorbonne, il y a environ un mois, en présence des délégués des Sociétés savantes, sont bien de nature à exciter l’attention de tous ceux que préoccupent les intérêts du pays. Il résulte avec une cruelle évidence, de l’éloquent exposé de M. Jules Simon, alors ministre de l’instruction publique, que la France, assez riche, disait-on jadis, pour payer sa gloire, assez opulente aujourd’hui pour payer ses défaites, est trop pauvre pour assurer à l’instruction publique un budget vraiment digne d’une nation civilisée. Il ressort nettement du discours énergique de l’honorable orateur, que l’État ne dépense pas plus de 86,000 francs par an, pour l’entretien de la Faculté des lettres, de la Faculté des sciences, des Écoles de médecine et de droit. 86,000 francs, pour former des écrivains, des savants, des médecins, des législateurs, pour préparer la génération sur laquelle le pays fonde son avenir ! On ne saurait trop méditer ce chiffre navrant, pour en rougir.
- Il est manifeste que les sciences sont actuellement dépourvues des ressources les plus nécessaires à leur développement; et cela, au moment où tout le monde comprend, qu’une renaissance n’est possible que par les bienfaits de l’instruction et de la sciencé. « La résurrection commencera seulement le jour où l’on pourra complètement et facilement travailler, c’est-à-dire être un savant tout à son aise’. »
- Malgré l’évidence d’une telle affirmation, il nous a paru curieux de chercher dans le passé des enseignements propres à la mettre encore en relief. Nous avons été conduit ainsi à étudier la voie du salut, qui a été tracée et suivie en Prusse après ses désastres de 1806.
- Il y a aujourd’hui soixante-cinq ans, la Prusse
- 1 M. Jules Simon, Journal officiel, 23 avril 1873.
- venait de signer la paix de Tilsilt. Après Iéna, la patrie du grand Frédéric cède au vainqueur la moitié de ses provinces, elle se sépare d’une population de cinq millions d’âmes ; son ancienne prépondérance s’évanouit ; l’heure de l’anéantissement semble imminente. A ce moment, un grand patriote, Guillaume de Ilumboldt, le frère de l’illustre auteur du Cosmos, prend la plume, et dans un écrit mémorable l, il s’efforce de ranimer chez ses concitoyens l’espoir dans l’avenir. Il récapitule d’abord en un magnifique langage la marche des événements qui se sont succédé, depuis la rupture du traité de Vienne jusqu’à l’heure des défaites. Quoique ce tableau, tracé en traits lumineux, abonde en pages du plus haut intérêt, nous devons le passer sous silence et arriver à ce que l’auteur appelle lui-même la voie du salut.
- « Prussiens, s’écrie Ilumboldt, après Iéna, ne désespérez pas de la patrie !... Faites-vous les vertus de votre condition... Ce qui vous convient désormais, c’est la patience, le travail, l’économie. Aimez-vous, la bienveillance console ! Que le malheur ait rapproché tous les cœurs et confondu toutes les classes!... Les révolutions parcourent la face du globe, chaque peuple a ses époques de grandeur et d’abaissement ; peut-être si nous savons préparer la fortune de nos enfants, les destinées de la Prusse se relèveront quelque jour. »
- Ainsi parle Guillaume de Ilumboldt en 1808. A côté de lui, à la même époque, un esprit remarquable, Fichte, philosophe distingué en même temps que tribun populaire, fait à Berlin une véritable croisade en faveur de l’enseignement. Avec l’éloquence que sait inspirer la conviction, il expose dans quatorze conférences consécutives le moyen de relever la nation ; il développe avec énergie les vertus de ce grand remède qu’il préconise : l’instruction. « L’instruction seule, s’écrie Fichte, dans un de ses Dis-
- 1 Matériaux pour servir à l'histoire des années 1806, 1807 et 1808. Brochure anonyme due à Guillaume de Ilumboldt : elle obtint, à son apparition, un succès extraordinaire.
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- cours sur la régénération de l'Allemagne, peut nous sauver de tous les maux qui nous écrasent ! »
- Guillaume de Ilumboldt et Fichte sont entendus. Scion leurs conseils, la régénération s’opère par l’instruction. On a vu les prodiges accomplis de l’autre côté du Rhin par soixante ans de culture scientifique et de travail : la Prusse, abattue de 1808, a cédé la place à la nation écrasante et victorieuse de 1871.
- Le lecteur a compris le rapprochement que nous avons voulu établir : la plus simple logique ne fait-elle pas ressortir l’absolue nécessité de relever en France l’enseignement scientifique et de favoriser, au prix des plus grands efforts, le développement de l’instruction publique? La situation est difficile, le temps presse, il est indispensable que les r'éfor-mes signalées à l’Assemblée des sociétés savantes s’accomplissent dans un avenir très-prochain. Déjà l’impulsion est donnée ; il faut que le mouvement se continue. Trois nouvelles chaires de mécanique ont été créées récemment à Marseille, à Lille et à Poitiers; des laboratoires de clinique, pour les études d’histologie et d’analyse pathologique, ont été fondés à Montpellier et à Paris, où s’organise encore à l’École de médecine, un nouveau laboratoire de chimie biologique qui sera dirigé par M. Wurtz.
- Le Muséum d’histoire naturelle va être complètement transformé. Déjà de magnifiques laboratoires ont été ouverts à M. Frémy, à M. Decaisne, à M. Brongniart; déjà l’erpétologie est installée dans un nouveau monument où les reptiles ne seront plus emprisonnés dans des cages étroites et malsaines ; les collections du Muséum, qui constituent certainement une de nos gloires scientifiques, ne tarderont pas, .enfin, à trouver place dans des galeries spacieuses où pourront s'étaler leurs innombrables richesses.
- La Faculté de sciences de Paris sera transportée dans les terrains annexes du Luxembourg, où l’on construira un édifice digne de sa destination. L’antique Sorbonne n’abritera plus que la Faculté des lettres et la Faculté de théologie.
- Pour mettre à exécution ces projets, l’argent est indispensable, s’il est le nerf de la guerre, il est aussi celui de la science; de semblables progrès ne se réaliseront pas, on le conçoit, avec les 80,000 francs dont nous avons parlé tout à l’heure. Mais M. Jules Simon a fait entendre aux délégués des sociétés savantes que, cette année même, le budget de l’instruction s’élèverait probablement à la somme de huit millions de francs, dont la moitié serait fournie par le Conseil municipal de Paris et l’autre moitié par l’État. Les événements politiques actuels troubleront-ils d’aussi belles espérances? Puissent tous ceux qui ont le pouvoir de hâter cette décision comprendre que l’avenir du pays est en jeu ’. Puissent-ils se rappeler que la prospérité d’une nation ne dépend pas seulement des trésors qu’on y amasse, des palais qu’on y construit et des remparts dont on la défend. Son véritable bien, sa réelle force, c’est qu’on y compte des citoyens instruits, cultivés, et
- qu’on y voie surgir des intelligences d’élite, qui en font la grandeur. Qu’ils n’hésitent pas à puiser dans les caisses du trésor les quelques millions qui doivent relever l’enseignement supérieur en France, ci plus tard on dira d’eux, comme les Allemands peu vent le dire de Guillaume de Ilumboldt et de Fichte Ils ont ouvert au pays la voie du salut.
- Gaston TISSANDIER.
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- LE CIEL AU MOIS DE JUIN 1873
- Le mois de juin est, en nos climats de la zone tempérée boréale, peu favorable aux observations astronomiques nocturnes, en ce sens que les nuits y sont de bien courte durée; les longs crépuscules du matin et du soir les raccourcissent encore, et c’est à peine, à l’époque du solstice, si l’on peut compter sur deux heures et demie à trois heures de nuit complète, j’entends d’obscurité. En outre, du premier au dernier quartier de la lune, c’est-à-dire du 5 au 17 juin, la lumière lunaire viendra encore par son éclat gêner les observations.
- En revanche, la douceur de la température ôtera ce qu’il y a de pénible dans les observations faites la nuit en plein air. C’est la saison qui convient le mieux aux amateurs d’astronomie qui, n’étant point astreints au service régulier des observatoires, veulent néanmoins soit étudier les phénomènes connus, soit se livrer à des recherches nouvelles. Pour leur faciliter cette étude, nous donnerons, chaque mois, un court bulletin des phénomènes permanents ou périodiques dont la science peut prévoir avec certitude le retour.
- Ce que nous appelons ici les phénomènes permanents, ce sont ceux qui ont leur siège dans la voûte céleste sidérale, et pour objets les étoiles proprement dites, les amas stellaires, les nébuleuses, la Voie lactée. Les phénomènes périodiques sont les mouvements des planètes, de la lune et du soleil, ceux des comètes, les flux d’étoiles filantes, puis les éclipses, les occultations.
- En juin, outre la zone circumpolaire boréale dont nous ne dirons rien, parce qu’elle reste toute l’année en permanence, visible pendant la nuit, la portion du ciel principalement en vue du côté de l’horizon méridional est riche en matériaux d’observations : c’est d’abord la Voie lactée qui étale ses plus splendides branches du Cygne au Scorpion en passant par l’Aigle et le Sagittaire, entre Alpha du Cygne, Wéga de la Lyre, Ataïr de l’Aigle et Antarès ; Hercule, la Couronne boréale, le Bouvier avec la brillante Arctu-rus se voient à l’occident de la grande nébulosité dont les branches traversent le ciel en diagonale. Citons seulement deux nébuleuses intéressantes, l’annulaire de la Lyre et l’amas si brillant de la constellation d’Hercule. Puisque la Couronne boréale est en vue, nous engageons les personnes qui possèdent des
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- lunettes assez puissantes pour bien distinguer les étoiles de neuvième grandeur et au-dessous, à les braquer de temps à autre sur l’étoile qui a subitement attiré l’attention sur elle en mai 1866 par son accroissement d’éclat. Il serait intéressant de savoir si elle offre des variations périodiques, ou si c’est une variable irrégulière ou temporaire.
- Arrivons aux astres du système solaire. Parmi les planètes , quatre seulement, parmi les sept principales, seront observables. Mercure, voisine de sa conjonction supérieure qui a lieu
- PLANÈTE MARS.
- Aspect et taches : 1° le 11 juin, à minuit (Greenwich ; £• le 23 juin 1875, à minuit (‘ enwich). — b’après M. Proctor.
- le 8 juin, se lève trop peu avant le Soleil dans la semaine précédente pour être visible. Venus sera visible le matin avant le lever du Soleil, dont elle s’éloigne de plus en plus : son éclat ou la blancheur
- rerrgresgpeseyerge
- VÉNUS ET JUPITER EN JUIN 1873.
- Mouvements de ces planètes dans les constellations : 1° du Bélier et du Taureau ; 2° du Lion.
- de sa lumière suffiront à la faire reconnaître; elle décrira une portion de son orbite dans la constellation du Bélier, entre 2 heures 25 minutes et 5 heures 55 minutes d’ascension droite, et entre 12° 45' et l‘5° 52' de déclinaison boréale. Le croissant serait intéressant à étudier, mais l’observation est difficile, délicate; elle exige un ciel pur, des instruments excellents, la vivacité de la lumière, l’irradiation qui en est la conséquence, étant plutôt des obstacles que des circonstances favorables.
- Mars, qui était en opposition le 27 avril dernier, sera visible dans la Vierge (ascension droite de 15 heures 45 minutes à 15 heures 56 minutes et déclinaison australe de 11o15‘à13° 17')-Il passera au méridien vers 9 heures du soir le 1er juin, à 7 heures 1,4 le 50, et dès lors sera plus aisément visible dans la première moitié du mois que dans la seconde. Mars s’éloigne rapidement de laTerre, et son diamètre apparent diminue en proportion; néanmoins il reste, ' pendant ce mois, dans une position favorable à l’observation des détails
- physiques de sa surface. Les dessins que nous donnons ici représentent Mars tel qu’on pourra le voir aux dates des 11 ou 26 juin (à minuit, t. m. de Greenwich, 12 heures 9 minutes 21 secondes, t. m. de Paris). La phase est de plus en plus sensible, de sorte que le globe de Mars apparaîtra nettement différent de la forme circulaire : les taches qu’on aperçoit représentent les continents et les mers d’une grande partie de la surface; mais l’aspect en varie rapidement par le fait de la rotation, dont la durée dépasse de 57 minutes 22,7 secondes la durée de l’un de nos jours moyens de 24 heures.
- Jupiter, en juin, passe au méridien entre 5 heures 7 minutes et 5 heures 24 minutes du soir; mais il se couche seulement vers minuit le 1er, et vers 11 heures à la fin du mois. Il sera donc assez facile à observer dans le Lion (9 heures 48 minutes à 10 heures 5 minutes d’ascension droite; 14° 25 à 12° 49 de déclinaison boréale).
- Saturne, enfin, bien qu’il se lève tard, entre H heures et 9 heures du soir, sera visible dans la con-s(ellation du Capricorne par 20 heures 19 à 15 minutes d’ascension droite et 19° 52' à 20° 16' de déclinaison australe, il passera au méridien un peu avant le lever du Soleil le 1er juin, et à 1 heure 1/2 du matin le 50 ; mais, même alors, il ne s’élèvera que de 20 degrés au-dessus de l’horizon du sud, et cette circonstance rendra moins favorable l’observation de cette planète.
- Nous parlerons d’Uranus une autre fois, et nous donnerons quelques détails sur les observations d’un astronome anglais, d’où résulterait la détermination d’un mouvement de rotation d’environ 12 heures. Si cette découverte se confirme, ce sera un élément de plus à ajouter à ceux par lesquels le groupe des grosses planètes de notre système se différencie du groupe des planètes moyennes.
- AMÉDÉE Guillemin*
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- LA NATURE.
- LE PHYLLOXÉRA
- ET LA NOUVELLE MALADIE DE LA VIGNE.
- Il y a à peine quatre ans que le Phylloxéra vasta-trix a attiré l’attention par les ravages qu’il exerce sur nos vignobles, et déjà une multitude de mémoires et de documents de toute espèce, composant la matière de plusieurs gros volumes, ont paru sur ce parasite et sur la maladie à laquelle se rattache sa présence. Les innombrables travaux accumulés par toutes les énergies coalisées de nos savants et de nos viticulteurs, les études poursuivies avec une ardeur digue de rivaliser avec celle du fléau, ont réussi à conduire aujourd’hui la question à maturité. L’épouvante causée par la rapide extension du fléau et surtout par l’impuissance où l’on était de le combattre s’apaise peu à peu, et les tristes perspectives commencent à faire place à l’espoir et à la confiance.
- Le mystère qui couvrait l’origine et la nature du mal est aujourd’hui éclairci. Les patientes recherches de MM. Planchon et Lichteinstein, Signoret, Laliman, Bazille, Faucon, Max-Cornu, etc., nous ont fourni des armes sûres contre le phylloxéra, auteur reconnu de la destruction de nos vignobles, en nous faisant connaître les mœurs et l’évolution de ce redoutable parasite, et par suite les conditions où les moyens d'attaque dirigés contre lui présenteront le plus de chances de succès. Plusieurs méthodes rationnelles, les unes préventives, les autres curatives, ont été proposées, et toutes celles qui ont pu être appliquées dans de bonnes conditions ont donné les résultats les plus encourageants : aussi l’heure des prédictions sinistres est-elle passée aujourd’hui, ainsi que celle des hypothèses gratuites et des stériles discussions. La mise en œuvre des moyens d’action fondés sur les observations scientifiques, substitués aux. tâtonnements et aux traitements empiriques ou de pure fantaisie, a réussi à enrayer les progrès de l’épidémie dans plusieurs localités, et même parfois à opérer une guérison radicale.
- C’est sous ces heureux auspices que nous nous proposons de présenter ici un résumé des faits positifs acquis jusqu’à ce jour sur la nouvelle maladie de la vigne et sur le terrible dévastateur à jamais célèbre sous le nom de phylloxéra.
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- Actuellement, l’existence du fléau a été constatée : 1° dans le sud-est de la France et principalement dans les départements du Vaucluse, des Bouches-du-Rhône, du Gard, de la Drôme, de l’Ardèche et de l’Hérault. Son apparition a été signalée dans ces derniers temps sur plusieurs points des départe-ments du Var et des Basses-Alpes; 2° dans le Bordelais ; 5° dans l’Amérique septentrionale et principalement dans les États de l’est du Mississipi, qui paraissent devoir être considérés comme la contrée originaire du phylloxéra; 4° en Angleterre et en
- Irlande dans les serres à raisins ; 5° dans le Portugal, où certains vignobles de la région du Douro et des environs de Lisbonne ont été maltraités au point de ne plus fournir que le vingt-cinquième ou même parfois le soixante-dixième de la récolte ordinaire ; 6° en Autriche à Klosternenbourg près de Vienne. C’est autour d’un plant américain importé dans la station œno-chimique de cette localité que le mal a fait sa première apparition eu Autriche. Le point de départ de l’invasion dans le Bordelais et dans le Portugal s’observe également dans les vignobles de la Tourette, près de Bordeaux, et de Gouvinhas, près de Lisbonne, où des cépages américains ont été préalablement introduits.
- C’est dans le sud-est de la France que les ravages sévissent avec le plus de violence. Les premiers symptômes de la maladie qui désole aujourd’hui la vallée du Bas-Rhône furent observés vers 1864, mais ce n’est qu’en 1868 qu’elle prit des proportions inquiétantes, pour devenir bientôt un véritable fléau dont l’activité se mesurera aisément par quelques faits de statistique.
- Dans le département du Gard, toute la plantation du plateau de Pujant, aux environs de Roquemaure, un des premiers points attaqués, a complètement disparu.
- Dans les Bouches-du-Rhône, la commune de Gra-veson dont la récolte moyenne était, pour les années 1865, 1866 et 1867, évaluée à 10,000 hectolitres, n’en fournit plus que 5,500 en 1868 et seulement 2,200 en 1869. La commune d’Eyragues donna successivement, pour les mêmes années, 15,000,5,000 et 5,500 hectolitres. La grande plaine de la Crau a, de son côté, perdu, depuis le commencement de l’invasion, plus de 5,000 hectares.
- Dans le Vaucluse, le plus éprouvé de tous les départements du Sud-Est, en 1871, il ne restait déjà plus que 5,000 hectares de vignes saines sur 51,028, et au mois de mars 1872, la contenance des vignobles préservés était réduite à 2,500 hectares. Beaucoup de viticulteurs de cette malheureuse région se sont vus dans la cruelle nécessité d’arracher la totalité de leurs vignes, et plusieurs plants précieux sont aujourd’hui complètement anéantis; tel est le célèbre cru du Chteau-Neuf-du-Pape, dont la production moyenne était de 5,000 hectolitres, et qui n’existe plus aujourd’hui que de nom.
- Dans l’Hérault, depuis la constatation du premier centre d’attaque, faite à Lunel au commencement du mois de juillet 1870, le mal s’est propagé sur quarante communes des environs de Montpellier; vingt-cinq seulement de celles-ci étaient atteintes en 1871.
- La destruction a marché d’un pas moins rapide dans le Bordelais que dans le Bas-Rhône. Toutefois, du domaine de la Tourette (environs de Bordeaux), qui eut à subir les premières attaques, la contagion a envahi quatorze ou quinze communes de la rive droite de la Garonne, et tel propriétaire qui faisait d'ordinaire cent vingt tonneaux, n’en récolte plus aujourd’hui que trois ou quake.
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- LA NATURE.
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- Au total, enfin, les ravages se sont si rapidement étendus en France depuis l’apparition des premiers symptômes que, sur 2,500,000 hectares consacrés, dans notre pays, à la culture de la vigne, plus d’un million sont aujourd’hui frapp’s ou menacés de stérilité. E. Vignes.
- — La suite prochainement. —
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- LES NOUVEAUX LABORATOIRES
- DU MUSÉUM D’HISTOIRE NATURELLE.
- L’enseignement supérieur est organisé de telle sorte dans notre pays que les chaires libres qui ne con-
- ' dnisent pas directement à un examen, doivent fatalement être désertées. Les lycées ont donné l’enseignement secondaire, les Écoles spéciales, polytechnique, 1 normale, centrale, des mines, des forêts, prennent tous les jeunes gens qui se destinent aux carrières de renseignement ou de l’industrie, la Faculté des sciences prépare elle-même ses licenciés; seuls le Collège de France et le Muséum restent sans auditeurs, leur enseignement n’a pas de sanction, les ouvrages qui traitent des sujets qu’on y étudie sont nombreux, bien faits, et renseignement oral donné dans ces I établissements ne s’adresse plus qu’à un public très-restreint, presque nul, si on en élimine en tout temps , les désœuvrés et en hiver les frileux.
- i Comment relever cet enseignement libre qui de-
- meser w
- Laboratoire de physiologie végétale
- au Muséum d’histoire naturelle.
- vrait être d’autant plus important que le professeur n’est plus strictement limité par les exigences d’un programme? comment rappeler aux étudiants le chemin do ces chaires libres qu’ils ont oublié? C’est ce que les professeurs du Muséum ont cherché à faire en substituant à renseignement purement oral de l’amphithéâtre l’enseignement pratique du laboratoire. Sous leur pression, un ministre a fondé l’École des hautes études, c’est-à-dire une réunion de laboratoires dans lesquels les jeunes gens reçoivent l’enseignement pratique par excellence; ils sont exercés là aux manipulations et aux dissections, initiés à toutes ces finesses, à ces tours de main, qui sont de tradition dans les coulisses de la science, mais qui ne peuvent être exposés sur son théâtre. Dans le laboratoire, les jeunes gens travaillent sous
- les yeux du maître, à ses côtés, et s’instruisent bien autrement par les conversations familières, par le contact de chaque jour, que par les leçons d’apparat qu’ils écoutaient naguère.
- Sans nous occuper aujourd’hui du Laboratoire de zoologie, dirigé avec le plus grand zèle par M. A. Milne-Edwards, et par lequel ontdéjà passé nombre de jeunes gens désireux de prendre le grade de licencié ès sciences naturelles; du Laboratoire de physiologie, à la tête duquel se trouve l’illustre M. Claude Bernard, d’anatomie comparée, de géologie, nous entraînerons le lecteur rue de Buffon, dans les nouvelles constructions qui comprennent le Laboratoire de chimie de M. Frémy, le Laboratoire de botanique de M. Bron-gniart, et le Laboratoire de physiologie et d’anatomie végétales de M. Decaisne.
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- M. Frémy avait depuis plusieurs années déjà réuni ses élèves dans d’anciens bâtiments du Muséum, mal éclairés, petits, étroits, où ils étaient fort mal à l’aise ; maintenant au contraire il les a installés dans un bâtiment neuf où ils trouvent toute facilité pour leur travail.
- Aussitôt qu’on a pénétré dans la cour, on trouve, à droite et à gauche, des paillasses en plein air couvertes d’un vitrage où peuvent être faites toutes les préparations à odeur forte qui infecteraient les laboratoires. De chaque côté s’allongent des bâtiments , l’un spécialement destiné aux commençants, l’autre aux jeunes gens plus avancés ; ce dernier est garni des fourneaux construits pour obtenir les températures les plus élevées ; chaque élève a sa place marquée, son nom inscrit sur les cadres qui s’élèvent au-dessus de sa table de travail, à laquelle sont adaptés le tiroir et l’armoire où il conserve le matériel qui lui est spécialement des-tiné ; le laboratoire de l’aide naturaliste, M. Ter-reil, celui du préparateur, sont placés à la suite du laboratoire des élèves : ainsi qu’on peut le voir sur le plan d’ensemble que représente notre figure, la surveillance est facile, les conseils sont proches.
- Au fond de la cour s’ouvre un couloir : il met en communication les deux ailes du bâtiment ; on y a disposé les armoires destinées à recevoir les vêtements que
- C.ve cEez phard
- Les nouveaux laboratoires du "useam. — Plan du rez de-chnussér
- l’étudiant échange en péaétrant dans le laboratoire contre ses habits de travail ; une porte pratiquée dans ce corridor donne accès à une antichambre sur laquelle s’ouvrent le laboratoire de M. Frémy et celui de son aide particulier, placés vis-à-vis l’un de l’autre.
- Le premier et le se-f coud étage des bâti-! ments à droite et au
- < i centre sont destinés aux botanistes de M. Bron-gniart, dont l'installa-• i tion n’est pas complé-s tement terminée; l’aile gauche appartient encore à la chimie; au premier se trouve la salle de conférences, au second la bibliothèque.
- : M. Frémy a réalisé la fondation d’une véritable école de chimie, non-seulement il pro-i digne à ses élèves ses i conseils, mais il veille à ce que leur instruction soit complète. Tous les ; jours à trois heures les > manipulations, les recherches du laboratoire cessent, et l'enseigne-1" i ment oral commence; la * , i salle de conférences est au reste ouverte au pu-‘ 1 blic; M. Frémy enseigne 1 la chimie générale, avec
- le talent d’exposition qu’on lui connaît; M.Ter-reil est chargé de l’analyse; M. Ed. Becquerel, de l’Institut, initie les jeunes gens au maniement des instruments de physique; M. Janne-taz,aidede minéralogie, qui vient de soutenir brillamment une thèse de doctorat sur la propagation de la chaleur dans les cristaux, enseigne la minéralogie; enfin M. Stanislas Meu-
- B. Cour intérieure des laboratoires. — AA. Paillasses extérieures couvertes. — C. Laborabire de M. Terreil. aide naturaliste. — 3. Laboratoire des élèves. — E. Escaliers conduisant aux étages supérieurs. — K. Salle des balances : laboratoire du préparateur de M. Frémy — P. Laboratoire du préparateur de M. Frémy. — N. Laboratoire de M. Frémy, — M. Cabinet de M. Frémy. — FF. Corridors mettant en communication les divers laboratoires. — G. Laboratoire des élèves. — 11. Laboratoire du préparateur.
- — I. Water closets. — L. Alambics pour l’eau distillée. — QR. Concierge. — S. Perron conduisant au jardin AV destiné' aux expériences de culture. — X. Laboratoire 1 articulier de M. Decaisne. — J. Salle des instruments de physique; lieu de travail des micro-graphes.— T. Laboratoire de physiologie vépélale (M. Dchérain),
- — V. Maga-.in. — Ü. Salle du garçon, — débarras. — A, Paillasse extérieure.
- Échelle 0,0017 pour mètre.
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- nier, un des collaborateurs de la Nature, déjà connu par ses recherches sur les météorites, expose toutes les parties de la géologie qui touchent à la chimie; des examens doivent être faits par les conférenciers pour s’assurer du travail des élèves, qui seront récompensés, à la fin de leurs études, par un certificat témoignant de leur assiduité et de leur instruction.
- Tout cet enseignement est absolument gratuit. M. Frémy a voulu rester fidèle à la vieille devise du Muséum : Tout e^t gratuit dans rétablissement ; cet excès de libéralisme est peut-être critiquable. Nous croyons savoir que le traitement des aides de M. Frémy comme ceux de tous les employés du Muséum est des plus minimes; il doit osciller autour de 1,500 francs, sans jamais dépasser 2,000 francs; les conférenciers font une besogne utile qui est peu ou pas rétribuée. Il y a peut-être là un abus ; si les soixante-cinq jeunes gens qui travaillent dans le laboratoire donnaient seulement 200 francs par an, ce qui serait encore bien peu, puisque les laboratoires particuliers demandent à leurs élèves 100 francs par mois, on aurait une douzaine de mille francs à distribuer dans le corps enseignant et ce ne serait que justice. Les Allemands n’y font pas tant de façons ; les professeurs qui s’entourent de nombreux élèves sont rémunérés par eux, bien que leurs traitements soient habituellement très-supérieurs à ceux que la France, si riche qu’elle soit, donne à ses maîtres les plus illustres. Il y a là évidemment une réforme à faire ; elle doit d’autant plus tenter M. Frémy, qu’il a écrit il y a quelques années un opuscule pour montrer combien est difficile la position des jeunes gens qui se vouent à l’étude de la science.
- Derrière la grandiose installation de chimie se trouve le laboratoire plus modeste de M. Decaisne; on descend quelques marches, on arrive dans un jardin destiné aux expériences de culture et l’on trouve à gauche une longue galerie vitrée : c’est le laboratoire de physiologie et d’anatomie végétales.
- Autant il y a de mouvement chez les chimistes, autant on trouve ici de calme et de tranquillité ; nous ne sommes plus dans un laboratoire d’enseignement fréquenté par une nombreuse jeunesse, nous sommes dans le temple de la science pure, dans un laboratoire de recherches. M. Decaisne surveille et conseille dans sa visite quotidienne les anatomistes, qui, l’œil soudé au microscope, paraissent indifférents à tout ce qui se passe autour d’eux; notre excellent ami et collaborateur, M. Dehérain, qui s’est fait connaître par d’importantes recherches de chimie agricole et de physiologie végétale, dirige les travaux du laboratoire que représente notre gravure. C’est une longue pièce parfaitement éclairée, où arrive à flots la lumière solaire, qui joue un rôle si important dans tous les phénomènes de la vie végétale ; à droite, les hottes enlèvent tous les gaz à odeur forte que le chimiste est obligé d’employer ; de longues tables garnies de faïences s’étendent au milieu de la pièce, comme au-dessous des fenêtres. Tout est d’une propreté méticuleuse ; nous sommes loin, on le voit, des an
- ciens laboratoires, sombres, humides, où les toiles d’araignées rejoignaient les crocodiles pendus au plafond et enveloppaient de leurs nombreux réseaux les vieilles fioles saupoudrées de poussière.
- Ce laboratoire, où se trouvent associés dans les mêmes recherches chimistes et botanistes, nous promet sans doute une ample récolte de travaux originaux, il est encore peu peuplé : n’y entre pas qui veut, on le conçoit. Il ne s’agit plus ici d’apprendre, mais de trouver. Les noms de M. Decaisne, de M. Dehérain, de M. Prilleux, physiologiste distingué, sont un garant que des recherches sérieuses y seront exécutées ; parmi les jeunes gens qui y travaillent se trouvent M. Landrin, M. Bertrand, qui, lorsqu’il était encore élève au collège Chaptal, a trouvé dans les sablières de Clichy, près Paris, des ossements humains associés à ceux des grands mammifères de l’époque quaternaire; enfin un jeune Luxembourgeois, M. Vesque, chargé de tenir le laboratoire au courant des travaux publiés en Allemagne.
- Au moment de notre visite, la préparation du jardin annexé au laboratoire de physiologie n’était pas terminée; on remplissait des fosses, soigneusement garnies de tuiles, de terres d’espèces différentes pour y entreprendre des cultures comparées et suivre ainsi l'influence du sol sur le développement des plantes.
- Ce jardin de physiologie végétale nous paraît destiné à fournir à la chimie agricole et à l’agriculture de féconds résultats. Le savant aura là le moyen de préparer à sa guise de véritables sols artificiels ; il verra les plantes de diverse nature croître sous ses yeux ; il les nourrira de substances organiques et minérales dont la composition lui sera connue. Il suivra pas à, pas les différentes phases de la vie végétale ; il étu-, diera les lois encore pleines de mystère de la nutrition des végétaux. Quelles puissantes ressources entre les mains d’un expérimentateur !
- A peine les laboratoires de chimie et de culture étaient-ils terminés que l’habile architecte, M. André, qui sait donner aux bâtiments qu’il construit une forme appropriée à leur destination et qui serait incapable de construire le fort détaché où loge l’anatomie comparée, a commencé l’édification des laboratoires de zoologie de M. Milne-Edwards. Il achève l’installation d’un bâtiment destiné aux reptiles et aux poissons : en deux ans la république aura fait plus pour le Muséum que l’empire pendant les vingt ans qu’il a présidé à nos destinées. De toutes parts, dans ce grand établissement, la vie renaît; l’activité qui s’y manifeste est de bon augure.
- Gaston TISSANDIER.
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- LE CHEMIN DE FER DU RIGHI
- Le lever du soleil, contemplé du sommet du Righi, est un des spectacles les plus sublimes que présentent les montagnes de la Suisse ; pas un des
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- LA NATTEE.
- cinquante mille touristes qui visitent tous les ans Lucerne ne manque de faire son pèlerinage au mont qui se dresse entre les lacs de Zug et des Quatre-Cantons. Mais ce petit voyage ne laissait point que d’être assez rude : si l’on n’avait pas les jambes suf-fisamment solides pour gravir la montagne à pied, ou si l’on n’était point assez bon cavalier pour enfourcher un mulet, il fallait recourir à la trop aristocratique chaise à porteurs : grosse fatigue ou grosse dépense, tel était le dilemme. Mais tout se perfectionne et se démocratise — ce qui si souvent est synonyme —dans le grand pays égalitaire, les États-rnis, les chemins de fer grimpeurs ont été inventés, et maintenant les hauts sommets seront accessibles
- aux faibles et aux pauvres tout aussi bien qu’aux riches et aux forts.
- Se rappelant qu’un demi-siècle plus tôt, en 1811, l'Anglais Blenkinsop avait eu l’idée, pour faire avancer les locomotives, de les munir d’une roue dentée engrenant avec une crémaillère placée entre les rails; M. Sylvester Marsh, de Chicago, comprit que ce système, — tout à fait inutile dans le cas où Blenkinsop vouiait l’employer, c’est-à-dire en plaine sur un chemin de fer horizontal — pouvait en revanche permettre de gravir sur le flanc d’une montagne une rampe excessivement forte.
- Il restait à ne pas se heurter à la pierre d’achoppement des inventeurs, les difficultés pratiques;
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- Le nouveau chemin de fer du Righi 1.
- M. Marsh les résolut si bien, que le railway à crémaillère, dont il avait eu la première idée en 1857, fut essayé avec succès dès 1866, et l’on commença immédiatement un chemin de fer montant de la base au sommet du mont Washington, le point le plus élevé de l’est des États-Unis. En 1869, cette petite ligne, était finie. Elle gravit la rampe la plus roide que jamais véhicule ait surmontée : en quelques points l’inclinaison est de 530 millimètres par mètre; pas une voiture, pas une bête de somme ne pourrait la franchir. Quant aux chemins de fer, il suffit de rappeler que la célèbre rampe de Saint-Germain est de 55 millimètres par mètres ; c’est une suffisante comparaison.
- M. l’ingénieur suisse Riggenbach a eu l’heureuse pensée de transporter dans son pays accidenté l'in-
- 1 Celte figure, faite d’après une photographie, représente exactement la pente de la voie. Nous devons à Y Engineering l’autre gravure du pont de Schmnurtobel.
- vention de M. Marsh. Le chemin de fer fut commencé sur les flancs du Righi au mois de novembre 1869. Il a été inauguré, jusqu’aux trois quarts de la hauteur de la montagne, le 25 mai 1871, et il sera bien probablement exploité jusqu’au sommet à l’heure où paraîtra cet article. Le railway part d’un petit port du lac des Quatre-Cantons, appelé Vitznau, et parvient au sommet du Righi, à 1,810 mètres au-dessus de la mer, après un parcours de deux lieues (exactement 8,500 mètres) en s’élevant de 1,570 mètres depuis le lac par une rampe qui souvent atteint 250 millimètres par mètre. Plus tard, la ligne sera prolongée le long de l’autre versant de la montagne et le redescendra jusqu’à Arth, sur le lac de Zug. Le principal ouvrage d’art de la voie est le pont en fer sur le torrent de la Schnurtobel, établi à l’issue d’un tunnel de 75 mètres; le pont, d’un développement de 76m,50, s’élève à 25 mètres au-dessus du torrent, il a une pente de 25 centimètres par mètre et s’ar-
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- rondit en une courbe de 180 mètres de rayon, ce qui est le minimum adopté pour cette ligne.
- Depuis, M. Riggenbach a construit un second che-min de fer à crémaillère sur les flancs du Kalhen-berg, dont le’sommet domine Vienne en Autriche. Un troisième réunit les carrières de pierre d'Oster-mundigen au railway de Berne à Thoune.
- La crémaillère centrale est une véritable échelle de fer appliquée au milieu de la voie ferrée, le long de
- la côte, et entre les échelons de laquelle pénètrent les dents des roues placées sous les locomotives et les wagons. Par l'intermédiaire des pistons et des bielles, la vapeur fait tourner la roue dentée de la locomotive ; les dents s’appuient successivement sur les échelons de la crémaillère et bissent ainsi la machine qui pousse le wagon devant elle, comme elle le relient à la descente. Dans ce dernier cas, la pesanteur tend à précipiter les véhicules vers le bas de la
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- Pont de Schnurtobel (chemin de fer du Righi).
- montagne; mais comme les dents des roues engrènent toujours avec la crémaillère, des freins puissants, serrant l’essieu de la roue dentée, l’empêchent de tourner et s’opposent par suite à la descente du train, qui est littéralement suspendu par les dents des roues aux échelons de la crémaillère.
- En desserrant légèrement les freins, le train descend, mais lentement, par suite du frottement considérable que doit vaincre l’essieu de la roue dentée pour tourner malgré la grande pression des freins. Chacun des deux essieux de tous les véhicules étant armé de cette roue dentée et, d’aulre part, l’unique wagon qui, avec la machine, compose un train, s’appuyant sur elle sans y être attaché, chacun d’eux
- peut, en cas de besoin, s’arrêter ou descendre isolément, ce qui garantit de tout accident.
- Les trains, pour gravir la rampe ou descendre la pente, vont très-lentement; on ne fait pas plus de 4 à 5 kilomètres à l’heure. Sur les parties peu inclinées ou horizontales, les locomotives de M. Marsh ne peuvent marcher beaucoup plus vite, et c’est alors un inconvénient. M. Riggenbach a fait disparaître ce défaut en imaginant, pour le railway d’Ostermundigen, une machine se mouvant à l’aide d’une roue dentée sur les parties très-inclinées, et fonctionnant comme une locomotive ordinaire sur les parties à peu près horizontales.
- Cette vitesse d’une lieue à l’heure paraît bien mi-
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- LA NATURE.
- nime aux habitués des express, et pourtant elle diminue des deux tiers la durée du voyage au Righi. Après une heure de navigation, le vapeur de Lucerne vous dépose àVitznau; quatre-vingts voyageurs s’en-tassent en hâte dans le vagon unique et l’on part. De minute en minute l’horizon s’élargit; la voiture fermée de glaces sans tain, les sièges en amphithéâtre, laissent voir à chacun le panorama grandiose ; les chênes succèdent aux vignes, les hêtres remplacent les chênes ; on stoppe un instant devant le grand établissement balnéaire de Kaltbad, puis, au-dessus des hêtres, on entre dans la région des sapins; l’air se refroidit, la flore alpestre le sature de parfums pénétrants; on atteint les grands nuages qui reposent légèrement sur les flancs de la montagne, c’est une ascension en locomotive. La vapeur de la chaudière se mêle à celle des nuées ; échappés du foyer brûlant, les nuages humains vont retrouver leurs frères célestes, le soleil les illumine tous et les fait tous resplendir; comme un léger aérostat, la machine continue son voyage, reprend son vol, traverse les brumes et, une heure et demie après le départ, domine le sommet. On a la Suisse tout entière à ses pieds.
- Charles BOISSAY.
- LE TÉLÉGRAPHE D’AUSTRALIE
- Le télégraphe qui relie l’Australie à l’Europe a été récemment terminé; la réalisation de la communication entre.Java et l’Australie et de là à Singapour ou Madras, n’a pas duré moins de cinq années ; elle a été la première étape de cette grande entreprise. Le point d’atterrissage du câble était naturellement indiqué, au golfe de Carpentarie, d’où une ligne aérienne devait traverser tout le continent australien d'un bout à l’autre jusqu’à Melbourne, passant dans des localités désertes, sans eau et sans végétation. Les colons qui s’étaient aventurés dans le centre de l’Australie avaient perdu des quantités considérables de moutons par l’extrême sécheresse. Le manque de vivres se faisait aussi sentir, car il tant plus de trois mois de voyage avant d’y parvenir; les chevaux y meurent de soif, aussi les colons ont fait venir des chameaux d’Afrique pour opérer les transports. Le télégraphe devait traverser 200 milles dans ces tristes régions. Il restait 1,100 milles, entre le lac Hope et la rivière Roper, qui étaient tout à fait inexplorés. La troisième section comprise entre la rivière Roper et le Port-Darwin sur la côte Nord, longue de 400 milles, avait été l’objet d’essais de colonisation peu fructueuse. Il y avait donc des difficultés accumulées sur toute cette ligne qu’il fallait établir à travers des pays sauvages.
- La direction des travaux était confiée à M. Ch, Todd, directeur des postes et télégraphes d’Australie. Ils furent commencés il y a deux ans et demi, avec un
- crédit de-trois millions de francs, voté par le parlement australien ; mais le gouvernement prit à sa charge la construction de la section du centre, celle qui offrait le plus de difficultés; chaque poteau, chaque paquet de fil, tous les approvisionnements ont été apportés à travers des régions sans routes, ni sans eau. Cinq brigades, chacune de 200 hommes, tous habitués à la vie sauvage, furent expédiées d’Adélaïde, avec le matériel nécessaire et équipés pour un voyage à travers le continent. Ils avaient 800 chevaux ou bœufs avec 100 chameaux. En même temps, l’entrepreneur de la section du nord envoyait son personnel et son matériel par mer ; il plantait le premier poteau télégraphique le 15 septembre 1870 et s’avançait de suite dans l’intérieur.
- Le représentant du gouvernement avait le droit d’annuler le marché conclu, s’il voyait que l’exécution n’allait pas assez "rapidement. Usant de son pouvoir, il en résulta une position critique, par suite de suspension des travaux. Le personnel revint à Adélaïde; il fallut tout recommencer au moment où tout devait être fini. Le gouvernement s'en chargea seul ; les désastres et les calamités vinrent de tout côté ; les bestiaux moururent, les pluies transformèrent le terrain en marécages et les rivières en torrents. Une troisième et une quatrième expédition furent organisées, sous la direction même de M. Todd, que n’arrêta, ni la perte d’une partie du matériel, ni les désagréments de la mauvaise saison.
- A la fin de 1871, la section centrale était terminée et celle du sud s’avançait rapidement ; il ne restait qu’une solution de continuité de 500 milles; en mai, un service d’estafette, organisé pour relier les deux tronçons, permit d’envoyer le premier télégramme le 22 de ce mois, en neuf jours, de Port-Darwin à la rivière Catherine, de là à Ten-nant-Creak, et enfin à Adélaïde. Mais au mois de juin, le fil se rompit, ce qui donna un moment d’anxiété aux courageux pionniers. Ils reprirent la besogne courageusement, et, le 22 août, après avoir posé les neuf derniers milles à la clarté de la lune, la communication était entièrement établie ; la soudure des deux sections se fit au mont Stuart, au point où l’explorateur de ce nom était passé dix ans auparavant. L’organisateur de cette gigantesque opération reçut des félicitations d’Adélaïde et en même temps de Londres, d’où les dépêches furent transmises en sept heures.
- EXAMEN MICROSCOPIQUE
- DU LIMON DÉPOSÉ PENDANT LES CRUES DE LA SEINE,
- Les eaux d’un fleuve qui éprouve une forte crue, entraînent avec elles une quantité de matières de toute nature; ce sont principalement des particules extrêmement ténues, détachées par érosion des rives
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- et des terres submergées. En soumettant au microscope des échantillons de limon récolté aussitôt après le retrait des eaux, dans les endroits éloignés du courant où le dépôt s’est fait lentement, on constate au premier abord une infinité de matières amorphes, qui ne sont autres que des atomes terreux tenus en suspension dans le liquide. Ce résidu lavé et bouilli dans de l’eau acidulée finit par être débarrassé de vase, et laisse au fond de la capsule quelques cristaux infiniment petits de quartz, assez légers pour avoir été apportés par les eaux.
- Si on procède autrement, en effleurant la pellicule superficielle du dépôt avec la lamelle de verre ou porte-objet, on recueille une foule de sporules verdâtres, mélangés de diatomées et de conferves. Tous les corpuscules que l’on rencontre dans un atome de vase sont autant de germes reproducteurs, qui, laisses dans le limon du aux crues d’hiver, donneront naissance pendant l’été aux fungoïdes ou végétaux cryptogamiques de toute espèce, sur les croûtes desséchées des bas-fonds.
- Enlevons un fragment de cette croûte pour le placer au fond d’un vase rempli d’eau; il en sortira au bout de quelque temps une forêt submergée en miniature, pendant que la surface se couvrira d’une pellicule. Examinées au microscope, les matières organiques qui la composent sont identiques à celles que nous trouvons sur la croûte.
- On découvre aussi dans le dépôt limoneux beaucoup de substances communes, telles que des frag-ments de végétaux, des particules de détritus, mais jamais d’infusoires ; l’eau calme est nécessaire à leur existence ; ils recherchent les fossés d’eau stagnante, abrilés du vent et garnis d'herbes, où ils puissent se réfugier.
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- LES EXPÉDITIONS ALLEMANDES
- ET LA CONQUÊTE DU POLE NOnD.
- En 1865, la Société géographique de Londres voulut prouver qu’elle ne renonçait pas à ses glorieuses traditions. On y agita sérieusement la question de reprendre les travaux fatalement interrompus par la mort du capitaine Franklin, et de suivre les traces de son expédition dans l’Archipel polaire, situé au nord-ouest de la mer de Baffin. Le géographe Peter-man, éditeur des Mitheilungen, se prononça contre le choix de cette voie. Son opinion, à laquelle les géographes anglais attribuaient malheureusement un grand poids, suffit pour paralyser les efforts des hommes intelligents qui voulaient tenter un grand effort, et d’intrépides marins qui s’offraient pour s’exposer volontairement à des dangers de tout genre. Les scrupules que le Strabon de Gotha est parvenu à faire naître n’ont point encore disparu, et tous les efforts des sociétés savantes d’Angleterre ne peuvent
- arracher au gouvernement de M. Gladstone la promesse d’un subside en argent et en navires. Malheu-reusement pour la science universelle, la Grande-Bretagne est administrée par des hommes économes de ses trésors et qui ne sont prodigues que de sa gloire !
- Mais les Américains Rayes et Kane avaient fait de trop belles découvertes au nord-ouest du Groenland pour que les sophismes germaniques aient pu faire perdre de vue cette direction si féconde en triomphes. Aussi, dès le mois de juin 1871, le généreux Grinnel remettait au capitaine Hall le drapeau qui a servi à Rayes, et le Boralis parlait de New-York pour la glorieuse croisière dont l’issue préoccupe aujourd’hui tous les amis de la conquête du pôle.
- Après avoir réussi à paralyser l’effort des entreprises britanniques, le docteur Peterman se préoccupa du soin d’organiser au profit de sa nation et de sa gloire personnelle une expédition dont il prendrait la direction exclusive. Enflammé par le succès facile qu’il obtint en s’appropriant une idée conçue et pratiquée par l’intrépide baleinier anglais Scoresby, le directeur des Mitheilungen ouvrit une souscription nationale pour atteindre la fameuse Mer libre du pôle, en passant par la mer qui sépare le Spitzberg du Groenland, et en suivant les côtes orientales de ce continent glacé. Il y a quelques années, nous étions presque seul à mettre en doute l’existence d’un océan Arctique que personne n’a vu, mais dont les calculs du baron Plana annonçaient l’existence d’une façon considérée comme infaillible. Depuis lors, les doutes sont venus, et l’existence de la Mer libre du pôle n’a plus autant d’adhérents, même en Allemagne, où la renommée du docteur Peterman entretient le zèle scientifique en sa faveur1. Nous nous trompons fort si le résultat des expéditions, actuellement bloquées par les glaces, n’aboutit point à un Sedan scientifique, dont la victime serait un savant allemand.
- C’est peut-être la première fois qu’un géographe a concu l’idée de guider du fond de son cabinet des ex-plorateurs chargés d’une tâchesi ardue, si périlleuse. C’est aussi la première fois que des navigateurs ont consenti à suivre servilement les ordres donnés par un savant podagre qui ne quittait point le coin de son feu.
- Le résultat de ces efforts burlesques n’a point été de nature à justifier cette manière de procéder, si contraire à toutes les règles de la logique.
- Les Allemands ont éprouvé deux échecs successifs, qu’ils ne parviendront point à transformer en victoires, quelle que soit la complaisance de leurs panégyristes de profession, dont malheureusement un cer-
- 1 L’étude de la planète Mars semble fournir un argument qui serait sans réplique contre les calculs de M. Plana. En effet, l’existence de la Mer libre s’appuie sur des considérations thermiques, basées sur l’obliquité de notre axe de rotation. La planète Mars offre une disposition analogue sans que la calotte de glace qui recouvre le voisinage du pôle se trouve interrompue d’une manière visible. Ce serait probablement le contraire si le climat s’adoucissait dans le voisinage du pôle de notre terre, comme le prétend le géomètre italien.
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- LA NATONE.
- tain nombre occupent une place dans le journalisme scientifique français.
- Deux expéditions, commandées par le capitaine Kolderney, qui ont quitté successivement le port de Brême, en 1868 et en 1869, ont donné l’une et l’autre la mesure de l’incapacité des marins allemands.
- Pour dissimuler l’insuccès de la première tentative, on a prétendu qu’elle n’était qu’une simple reconnaissance destinée à préparer les voies à la vraie expédition. Cette dernière était richement pourvue de provisions de toute espèce et d’instruments de toute sorte. Son personnel scientifique comprenait M. Payer, de l’état-major autrichien, lieutenant, chargé de la géologie, M. Borgen, professeur de physique, M. Copeland, astronome, M. le docteur Paulsch, etc., embarqués à bord de la Germania.
- La Hansa, qui partit un peu plus tard, portait un renfort de vivres, de charbon et de savants. Il y avait à bord de ce navire un zoologiste et un botaniste. Mais l’équipage manquait de cette agilité, de cette promptitude de coup d’œil que la nature a si complètement refusé aux Allemands. Le navire ne put même pas atteindre la côte orientale du Groenland. L’équipage de la Hansa, se sauvant avec peine sur un glaçon providentiel, fut très-heureux de gagner un des éta-bissements danois du sud du Groenland. La Germania, privée de son complément de vivres, hiverna très-difficilement à l’ile Sabine, ainsi nommée parce qu’il y a un demi-siècle le major général Sabine y exécuta ses magnifiques observations pendulaires.
- Pour tromper les ennuis d’un long hiver, les marins de la Germania firent quelques excursions sur la côte voisine, où il ne leur fut pas difficile de découvrir le pic Peterman et le fiord François-Joseph. Au printemps, on reconnut que la Germania était hors de service. Il fallut plier bagage et revenir bredouille dans les ports allemands.
- Depuis cette époque (printemps de 1871), on prépare un compte rendu des observations qui ont été faites, et à l’aide desquelles on espère consoler les souscripteurs de leur insuccès.
- Mais, pendant que les Allemands se livraient à ce cabotage arctique, une expédition Scandinave, dirigée par le célèbre professeur Nordenskiold, s’avançait au milieu des glaces du Groenland et révélait à la science des faits inestimables dont nous entretiendrons avec détail nos lecteurs. Nous chercherons également quelle influence les découvertes réelles du docteur Nordenskiold ont pu exercer sur le grand ouvrage que les Allemands publient en ce moment, et où les traces d’innombrables annexions frauduleuses ne seront certainement pas difficiles à retrouver.
- A l’époque où la seconde expédition du docteur Peterman hivernait au Groenland, dans les conditions que nous avons indiquées, M. de Heugelin visitait l’archipel du Spitzberg et complétait des descriptions géographiques que les Suédois n’avaient fait qu’ébaucher en 1868. Quoique M. de Heugelin ne soit que Wurtembergeois, il imagina de mettre en
- pratique les habitudes de M. de Bismark. Apercevant du haut d’une montagne une ile faisant partie du même archipel et déjà découverte par les Suédois en 1864, il imagina de la baptiser à son tour et de lui imposer un nom nouveau en l’honneur de son souverain. M. de Heugelin, ayant fait l’année suivante (1871) une excursion dans la Nouvelle-Zemble, vient de publier deux volumes intitulés : Voyages dans la mer Polaire, où il essaye entre autre chose de justifier son procédé tout à fait germanique. Nous ne saurions protester avec trop d’énergie contre le rapt commis au préjudice de nos alliés scientifiques. Nous nous acquitterons de ce devoir avec d’autant plus de soin que nous avons vu les rédacteurs anonymes du Journal officiel enregistrer presque avec éloge l’histoire de ces tentatives des Allemands.
- M. Payer, officier d’état-major autrichien, qui avait pris part à la seconde expédition dePéterman, a contracté une noble ardeur pour les expéditions polaires, en même temps, paraît-il, qu’une vive défiance pour la route signalée par le grand géographe de Gotha. Depuis le retour piteux de la Germania, on a vu cet ardent officier prendre part aux deux expéditions polaires. La première, en 187 I, entre le Spitzberg et la Nouvelle-Zemble, pour reconnaître la terre de Gillis, découvertes en 1707, mais qui, depuis lors, n’avait point été une seule fois visitée. La seconde expédition qui, commencée en 1872, dure encore, a pour but d'explorer l’océan Glacial, situé au nord de la Sibérie. Nous ne tarderons point sans aucun doute à avoirdes nouvelles de cette partie intéressante de l’océan Boréal. En effet, M. Payer et M. Weyprecht, ont hiverné sur la Nouvelle-Zemble, pour se préparer à une expédition qui aura lieu le printemps prochain. Dans cette première partie du voyage, les explorateurs autrichiens ont trouvé les restes de l’hivernage des marins hollandais qui ont découvert la Nouvelle-Zemble, il y a deux siècles et demi. Les nouvelles apportées à Vienne il y a plusieurs mois par le comte Weltschech, chargé du ravitaillement, sont des plus favorables, et tout fait espérer qu’aucun sinistre ne viendra arrêter ces hardis explorateurs dans leurs importantes excursions.
- Mais les principales espérances du monde scientifique sont concentrées sur une expédition norvégienne qui a hiverné au Spitzberg, sous le commandement du professeur Nordenskiold, et dont les apologistes de l’empire allemand évitent soigneusement de parler.
- N’ayant aucun des préjugés scientifiques qui ont paralysé tant d’efforts, le professeur Nordenskiold ne compte point sur un climat plus doux et sur une chimérique mer libre, mais il se repose sur son admirable expérience des régions polaires et sur l’intrépidité de ses marins.
- Nous mettrons sous les yeux de nos lecteurs le résultat des nombreuses explorations Scandinaves, qui ne sont inconnues en France que parce qu’on dédaigne des hommes libres, entreprenants, qui ont su conserver intacte leur vivace nationalité. La jalou-
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- LA NATURE.
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- sie des Allemands arrive à les écraser jusque chez nous.
- Quand même les destins se montreraient contraires à cette poignée de vrais savants marchant à la conquête d’un gigantesque inconnu, le résultat de leurs premières campagnes suffirait pour les immortaliser. Leurs travaux resteraient dans l’histoire des
- explorations célèbres comme un exemple de ce que peuvent faire des hommes intrépides quand ils sont attachés à une mission difficile, mais pour laquelle ils sont suffisamment préparés.
- Mais nous aimons à croire que la Providence, qui a permis que notre héroïque Gustave Lambert fût frappé par des balles allemandes, s’apercevra enfin
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- Carte des régions polaires.
- qu’elle nous doit quelque compensation. Puisse-t-elle favoriser ces nobles nations du Nord chez lesquelles notre pauvre France a toujours rencontré de si généreuses sympathies !
- Si quelque chose peut, en effet, nous consoler de savoir que le drapeau tricolore ne flottera point sur le pôle du monde, c’est de n’avoir point à craindre d’y voir placer le drapeau allemand, ce sera surtout d’apprendre que Nordenskiold y arborera l’étendard de la nation qui s’enorgueillit des Hansteen, des Ber-zélius et des Linnœe.
- Il y a bien des siècles que les Scandinaves, guidés par Erick le Rouge, ont trouvé la route du Groenland, et devancé de trois ou quatre siècles les caravelles de Christophe Colomb! Qu’ils continuent à être les pionniers de la vieille Europe, marchant à travers les glaces polaires à la conquête de nouveaux continents !
- W. DE F ON VIELLE.
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- LA NATURE.
- LES DIATOMÉES
- Les botanistes connaissent peu ce nom, tandis que les micrographes regardent les Diatomées comme une étude spéciale très-attrayante, à cause de leurs caractères géométriques si parfaits et de la faculté qu’elles possèdent, de supporter les plus forts grossissements du microscope. Ces petits corps si réguliers doivent leur nom à deux mots grecs : , à travers, répvo, je coupe, qui indiquent combien les nombreuses stries de leur surface impliquent une idée de division.
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- Les Diatomées.
- Ces curieux végétaux sont classés parmi les algues, sur le dernier échelon de la grande famille des plantes aquatiques ; dépourvus de racines, de tiges, ils sont obligés de chercher leur appui dans les buissons de conferves aussi ténus qu'eux-mêmes ; la nature les a doués d’une propriété particulière qui fait qu’ils adhèrent aux corps immergés, au moyen d’une membrane très-fine et cependant très-résistante, qui les préserve des causes accidentelles du déplacement de l’eau.
- Ce qui en fait le mérite aux yeux des investigateurs du monde des infiniment petits réside surtout dans la perfection de leur structure et la précision de leurs détails. En général, les Diatomées d’eau salée, telles que celles que l’on rencontre dans l’eau mère des marais salants, sont beaucoup plus belles que celles d’eau douce ; elles fournissent des tests ou sujets d’épreuve remarquables par leur disposition méthodique. Dans ces milliers de cellules, il ne s’est pas glissé la moindre irrégularité ; elles sont toutes disposées avec autant d’exactitude qu’aurait pu
- le faire le dessinateur le plus scrupuleux. Parmi les vingt ou trente mille cellules, larges à peine d’un centième de millimètre, sur un sujet invisible à l’œil nu, qu’on pourrait tout au plus représenter sur le papier par une piqûre d’aiguille, il n’y a pas une seule irrégularité.
- Notre figure montre des Diatomées Discoïdes, obtenues directement par la pli otomicrographie, puis ensuite reportées sur le cuivre au moyen de l’héliogravure, pour former un cliché typographique.
- Quels que soient la difficulté d’exécution matérielle et le résultat relativement insuffisant de ce moyen de production, il n’est pas moins incontestable que certaines Diatomées ont conservé leurs traits généraux, tandis que d’autres dont la surface est moins en harmonie avec les ressources de l’optique, ont subi une légère déformation.
- On trouve dans certains sujets une leçon complète de géométrie descriptive; les cellules hexagonales, semblables à celles des gâteaux de cire des abeilles, sont disposées méthodiquement et juxtaposées avec une symétrie telle que toutes les cellules se raccordent exactement en! ce elles. En examinant même bien attentivement une photographie amplifiée à 800 ou 1000 diamètres des Cosinodiscus ou même des Triceratium, on y trouve la solution d’un problème géométrique fort embarrassant même pour ceux qui sont familiarisés avec les difficultés du tracé. Afin d’obvier à la différence inévitablement produite sur une surface convexe, entre la position des cellules centrales et celles de la périphérie devant toutes conserver leur position normale, il existe un réseau compensateur formé de cellules pentagonales ou même irrégulières; ces intermédiaires de raccordement, seulement appréciables sur la photographie, sont si bien combinés, qu’ils échappent à l’observation microscopique ordinaire.
- Comme les objectifs microscopiques ne peuvent donner qu’un seul et même plan, il est impossible de mettre au foyer toutes les parties d’un grand nombre de Diatomées , dont la surface comporte plusieurs plans. Le manque de netteté produit ainsi des pseudo-dégradations aux effets fantaisistes ; ainsi pour V Aidacodiscns, on voit huit ondulations symé-triquement placées suivant deux axes croisés, qui donnent l’idée d’un rond de carton perforé, qu’on aurait fait gauchir à l’humidité. En mettant au point le plan supérieur, on obtient une croix, tandis que la figure est renversée si l’on abaisse le plan d’observation.
- Plus on poursuit profondément les études de micrographie supérieure sur ces étonnants représentants du monde des infiniment petits, plus on y découvre de sujets d’admiration pour les œuvres infinies de la nature.
- J. GIRARD,
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- LA NATURE.
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- CHRONIQUE
- Isthme de Panama. — La question du percement de l’isthme de Panama est reconnue de plus en plus insoluble, à cause des difficultés énormes que présentent les terrassements. En présence de cette situation insurmontable, un ingénieur, M. A. Sébillot, a proposé de faire franchir aux navires les pentes du terrain au moyen de bassins mobiles remplis d’eau dans lesquels on les ferait entrer, puis, tout en y restant à flot, le bassin ou dock, monté sur six rails, serait hâlé par un certain nombre de locomotives sur des pentes pas plus forte que celles que l’on rencontre dans la pratique de la construction des chemins de fer. Ce projet, basé sur des systèmes analogues établis aux Etats-Unis, assurerait une grande économie et plus de rapidité d’exécution.
- Service météorologique aux États-Unis d’Amérique. — Le ministère de la guerre a organisé aux Etats-Unis un service météorologique pratique, analogue à ceux qui ont fonctionné pendant quelque temps en France et en Angleterre. Le ministère, ayant tous les jours le té-légraphe à sa disposition pendant un temps déterminé, a profité de l'excédant accordé aux ordres à transmettre pour communiquer tous les jours des télégrammes de l'état atmosphérique à 74 stations, réparties sur les divers points des Etats-Unis. L’administration centrale compulse tous les matins les indications reçues, sur une carte-type et fournit des prévisions en conséquence. Elles comprennent : les courbes isobares, l’état du ciel figuré par des signes conventionnels, une notice sur la situation météorologique d’ensemble et les probabilités qui en sont la conséquence et les observations thermométriques.
- Le kauri. — Les essences des forêts vierges de la Nouvelle-Zélande sont multipliées à l'infini et les colons i anglais savent déjà bien en tirer parti pour la charpente ‘ et l'ébénisterie ; mais ce que l’on recherche avec une égale assiduité, c’est la gomme de kauri, sorte de produit végétal enfoui dans la terre. On suppose qu’à une époque reculée, de grandes étendues de bois ont été brûlées et que la gomme, qui est une sécrétion naturelle suintant entre l’écorce et le bois, s’est écoulée jusqu’aux premières racines où elle vient former un amas. La terre qui re-couvre le dépôt aurait suffi pour le protéger de l’action du feu. Il existe encore cinq à six millions d’arbres qui produisent le kauri à la Nouvelle-Zélande.
- Le jardin de Kew. — Un jardin botanique gagne beaucoup en intérêt lorsqu’il est accompagné de collections technologiques qui mettent en évidence tous les usages des végétaux. Cette union de la théorie avec la pratique est parfaitement réalisée au jardin de Kew, près de Londres. On a eu l’idée de transporter à Londres même les collections de ce riche muséum, mais l’opinion publique, si puissante en Angleterre, a protesté par des adresses couvertes de signatures, et rien ne sera modifié dans les installations de ce remarquable établissement.
- Le puits glacé de Wermont. — Il existe à un mille de Brandon (Vermont), un puits qui a 15 mètres de pro-fondeur, dont l’eau reste gelée pendant toute l’année. Le propriétaire commença à le creuser en 1859; après avoir traversé une couche d'argile, il arriva sur le gravier, où là au était abondante. Quand l’hiver vint, la glace se forma graduellement chaque nuit, suffisamment pour remplir le fond. Le puits fut abandonné; ensuite, des spéculateurs
- croyant pouvo r tirer parti de cette anomalie, creusèrent dans les environs d’autres puits, pour rencontrer une couche de glace, mais ce ne fut qu’à la cinquième tentative qu’on obtint satisfaction. Les géologues omettent, entre autres commentaires, l’opinion que d’anciennes moraines de glaciers existeraient encore sous les couches d’argile, qui les auraient suffisamment protégées delà radiation solaire. On doit continuer les investigations.
- Tremblements de terre sous-marins. — Il existe sous l’équateur, dans l’océan Atlantique, entre le 20° et le 30° de long. 0.,une région cù, depuis près d’un siècle, les navigateurs mentionnent des tremblements de terre sous-marins ; de secousses non équivoques ont été observées à plusieurs reprises différentes. Récemment, le navire-école des Etats-Unis, Mercury, a fait des sondages et des dragages dans ces parages ; on a constaté la présence de sable volcanique, qui, vu au microscope, avait tout à fait l’apparence de celui que l’on rencontre auprès des volcans en activité.
- Les arbres-bouteilles. — M. G. Bennet, de Sydney (Australie), a récemment signalé des arbres curieux ayant forme de bouteille, découverts dans la province de Queensland, dans des pâturages sur un sol sablonneux. Ils appartiennent à la famille des Slerculiacés et sont nommés par les botanistes australiens Delabechia rupestris. Les observateurs eurent occasion d’en voir un groupe de neuf, dont la hauteur avait environ de 10 à 20 mètres de haut ; la base, au tronc, qui a de 2 à 8 mètres de circonférence, est renflée, tandis que du sommet aminci il sort des branches disproportionnées par leur petitesse, par rapport au tronc de l’arbre. On remarque dans la structure interne une sorte dégommé mucilagineuse, dont certains pionniers font un usage alimentaire. On fait aussi des canots avec l’écorce.
- Le coton aux îles Fidji. — La race anglo-saxonne, douée de cette aptitude naturelle à la colonisation, poursuit son œuvre dans toute l’Océanie, disputant pied à pied le terrain aux indigènes. La plantation du coton réussit bien aux îles Fidji ; commencée à l’époque de la guerre de sécession, elle se continue sous des auspices favorables. Le climat, le terrain et le mode de culture permetlent d'obtenir des qualités en tout égales à celle si renommée de la Géorgie. Depuis 1867, époque des premières expéditions pour l’Europe, les exportations ont quadruplé.
- Chaleur maxima que peuvent supporter les poissons. — M. Lefèvre vient d’expérimenter sur des poissons rouges d’aquarium, en chauffant l’eau avec un thermosiphon, que les cyprins ne peuvent vivre dans un milieu dépassant environ 35°. Après avoir ouvert les clapets qui permettent la circulation de l’eau chaude, il trouva une température de 36° à la surface et de 31’ au fond. Dix individus étaient morts sur 56 ; les survivants nageaient dans les couches d’eau inférieures, qui étaient plus fraîches. En laissant pendant quelque temps l’eau abandonnée à elle-même, pour juger de l’effet que produirait cet accroissement de la tempéralure, elle tomba à 28° à la surface et 22° au fond ; les poissons étaient très-vifs et venaient prendre leurs ébats à la partie supérieure, ce qu’ils évitaient précédemment avec soin.
- Le poison des Pahouins, naturels du Gabon. — Deux savants physiologistes MM. Polaillon et Carville, ont pu se procurer par un voyageur émérite, M. Vincent, mélecin de marine, des graines d’inée, plant remarquable et peu connue, dont le suc est employé par certaines tribus
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- du Gabon pour empoisonner leurs flèches. Il résulte des nouvelles recherches de ces savants que l’inée (Strophau-ms hispidus) est un des poisons les plus énergiques. .1 MM. Polaillon et Carville, lit-on dans les Archives des sciences physiques et naturelles de Genève, démontrent que l’extrait d’inée empoisonne les grenouilles par arrêt du cœur d’une façon tout à fait analogue à la digitaline ou à Vupas anthiar; le cœur, après avoir subi des intermittences et une incoordination de ses battements, s’arrête ; les oreillettes sont gonflées par le sang, qui les distend en diastole, tandis que le ventricule est ordinairement contracté en systole; cet effet se montre aussi chez les animaux cu-rarisés. L’extrait que les auteurs employèrent produisit, à la dose de 4 milligrammes, placés sous la peau d’une grenouille, un arrêt complet du cœur en deux heures, tandis que la même dose d'anthiarine le produisit en 1 heure 26 m., et la digitaline en 1 heure 27 m. Ce poison produisit un effet semblable chez les animaux à sang chaud, comme le montrent des expériences faites sur des oiseaux, des lapins, des chats, des chiens et des souris. »
- D’après ces recherches, il résulterait que l’inée est un poison des muscles, et que son action sur les autres organes serait nulle ou secondaire.
- Les aérostats militaires en Prusse. — Les Allemands n’ont pas manqué d’étudier avec soin, d’examiner scrupuleusement, le service des ballons-poste pendant le S'ége de Paris. Ils ont publié, depuis un an, un nombre considérable de brochures, de livres, d’articles sur cette intéressante question, et connaissent généralement mieux que nos compatriotes eux-mêmes l’histoire récente de notre aérostation. Leurs journaux militaires ont attentivement passé en revue les expériences entreprises par nos aérostiers ; il y a déjà quelques mois, une des feuilles spéciales les plus estimées de l’Allemagne, le Jahrbücher für die deutsche Armee und Marine, publiait à ce sujet un travail très-étendu et très-complet. L’auteur y parle des services que nos aéronautes ont rendus, des efforts qu’ils ont tentés dans le but d’ob-server l’ennemi en ballon captif, pendant les campagnes de l’armée de la Loire. Ce long chapitre contient certaines révélations que nous reproduisons textuellement.
- « La science allemande, dit le journal de Berlin, n’est pas non plus restée oisive devant les questions aériennes. Depuis longtemps déjà , une commission d’hommes de science, nommée par l’État, s’occupe, sous la présidence de M. Helmholtz, physicien bien connu, de recherches théoriques sur la résistance de l’air et les moyens de la vaincre par des moteurs suffisamment puissants. Bientôt peut-être seront-elles suivies d’une série d’expériences pratiques, entreprises de concert avec l’état-major et l’administration supérieure des postes. Leur but essentiel sera de résoudre la question de l’usage des aérostats pour le service de sûreté des armées. »
- Un tel fait ne devrait-il pas nous décider à rompre avec notre coupable inertie ? faudra-t-il que nous soyons condamnés à assister de loin aux expériences d’aérostation de l’état-major prussien, avant que notre administration militaire ait à peine songé à en organiser de semblables. Nous n’ignorons pas que le ministre de la guerre se préoccupe sérieusement de la question des ballons, mais ne serait-il pas temps de transformer enfin le projet en fait accompli?
- Nouveau procédé de fabrication du sulfate d ammoniaque. — Parmi les substances les plus propres à fertiliser le sol comme engrais, on doit citer le
- sulfate d’ammoniaque, dont l’effet sur les cultures est tel-lement efficace, qu’on a vu les récoltes doubler, quand on avait répandu 100 kilogrammes de ce sel sur un hectare. Le sulfate d'ammoniaque compte déjà beaucoup de sources de production: M. L’Tlte, chimiste distingué du Conservatoire des arts et métiers, vient d’en trouver une nouvelle. On conçoit qu’il est important d’augmenter le rendement d’une fabrication aussi précieuse.
- M. L’Hôte utilise les déchets azotés d’un certain nombre de nos industries, tels que déchets de laine, de peau, de cuir, de corne, de plume, d’éponge, etc. ; il les traite par la soude caustique, qui est employée aujourd’hui industriellement depuis les travaux de M. Gossage; par cette réaction, il transforme l’azote contenu dans ces substances, en ammoniaque, comme cela a lieu dans les dosages organiques opérés par la chaux sodée. Le gaz ammoniac obtenu est absorbé par de l’acide sulfurique; le sulfate d ammoniaque formé est purifié par voie de cristallisation.
- Pierres musicales. — M. Richard Nelson, écrit au journal anglais Nature une lettre intéressante, où il parle de certaines pierres musicales .qui se rencontrent assez fréquemment aux environs de Kendal, ville voisine de Lancastre, dans le Westmoreland. «En me promenant aux environs de Kendal, dit cet observateur, à travers les monts et les rochers, il m’est souvent arrivé de ramasser certains cailloux que l’on appelle ici « les pierres musicales. » Elles sont généralement plates, usées par le temps, et offrent des formes particulières; quand on les frappe d’un morceau de fer ou d’une autre pierre, elles rendent un son musical, bien différent du bruit sourd que produirait un caillou ordinaire. Les sons obtenus sont généralement assez analogues, mais je connais des personnes qui possèdent huit de ces pierres, qui frappées successivement, produisent une octave très-nette, très-distincte. Je ne suis qu’un amateur de géologie, ajoute M. Nelson, et je me sens incapable d’expliquer ce fait; je serai heureux qu’un de vos nombreux lecteurs, prenne la peine de donner des renseignements sur la composition des pierres en question, et sur les propriétés qu’elles doivent offrir pour produire un son musical. »
- Ce fait est, en effet, très-curieux, et n’est pas encore expliqué d’une façon suffisante. Nous nous rappelons avoir vu à Paris, dans une fête publique, un physicien en plein vent, qui jouait des airs de musique, en frappant d'une tige de fer, de gros cailloux de silex pendus à des fils de soie. Les sons obtenus étaient limpides et purs : les pierres siliceuses avaient des formes très-irrégulières.
- BIBLIOGRAPHIE
- Traité des dérivés de la houille applicables à la production des matières colorantes, par MM. Cir. Girard et G. de LAIE. — 1 vol. in-8°. Paris, G. Masson, éditeur, 1873. — Nous signalons ce remarquable ouvrage de deux chimistes éminents qui ont spécialement étudié les merveilleux résultats obtenus par la science sur les dérivés du goudron de houille. L’œuvre de MM. Girard et G. de Laire est un traité complet de toute une nouvelle branche de la science et de l’industrie.
- Le Propriétaire-Gérant : GAsTON TISSANDIER.
- PATIS, — IMP. SINON RA ON ET COUP,, IE b’EAFURTI, 1.
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- N" 2. — 14 JUIN 1875.
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- LE MÈTRE
- Le 8 mai 1790, un décret de l’Assemblée Constituante chargeait l’Académie des sciences de créer un système de mesures, uniforme, simple, construit sur des bases rationnelles. Jusque-là, les poids et* les mesures dont on se servait en France, offraient le caractère d’une inextricable Babel, d’un chaos désordonné. La commission nommée par l’Académie, comptait parmi ses membres des Berthiollet, des Borda, des Delambre et des Laplace ; l’œuvre qu’elle a créée est impérissable. Ces illustres savants fondèrent le nouveau système sur l’unité de mesure; ils en prirent la base dans la nature même, en empruntant à la terre une fraction de son méridien.
- Le 18 germinal de l’an III (avril 1795), une règle de platine, solennellement portée à la barre de la Convention, fut définivement reconnue comme l’unité des mesures françaises : c’était le mètre, dont la longueur représente la quarante-millionième partie du tour de la terre.
- Nous ne célébrerons pas ici les incomparables avantages du système métrique; ils sont évidents et incontestés. Pendant longtemps, toutefois, ce beau système rencontra des obstacles qu’on pouvait croire insurmontables ; il entra dans nos habitudes et dans nos usages avec une désespérante lenteur ; mais, malgré l’inévitable coalition des esprits arriérés et envieux, que l’on voit toujours marcher à l’encontre du progrès, il s’imposa de lui-même et fut peu à peu accepté par tous.
- La France, quoi qu’en disent des dénigreurs systématiques, est essentiellement la patrie de l’initiative ; en dépit de la jalousie qu’elle suscite encore chez nos ennemis, on peut affirmer qu’elle est le foyer vivifiant d’où jaillit l’idée. Le système métrique a dépassé les limites de notre territoire ; dans ces dernières années, l’Angleterre et les Etats-Unis d’Amérique l’ont rendu facultatif pour leurs nationaux. L'empire d’Allemagne a fait plus encore, il l’a adopté sans restriction, à titre obligatoire.
- Il ne faudrait pas croire cependant, que de semblables décisions ont été prises sans rencontrer une vive opposition. Un certain nombre de savants et d’hommes éminents d'outre-Manche et d'outre-Rhin, se sont efforcés de combattre noire système de mesure. Ils disaient que le mètre ne donne pas avec une exactitude assez rigoureuse la fraction du méridien qu'il doit représenter ; ils demandaient avec insistance qu’il fut procédé à de nouvelles mesures géo-désiques. Malgiéces réclamations, on comprit que la mesure du méridien terrestre serait toujours approximative, avec les ressources de la science actuelle : on résolut d’adopter le système français.
- C’est à Paris que s’est réunie la Commission internationale du mètre, afin de présider à la construction d’un étalon, propriété indivisible de tous les Pays et adopté comme prototype universel.
- Grâce à l’intervention de M. Thiers, les repré
- sentants de toutes les nations se sont réunis au Conservatoire des arts et métiers, sous la présidence du doyen de l’Académie des sciences. L’Angleterre, la Russie, l’Autriche-Hongrie, l’empire d’Allemagne, la Bavière, la Suisse, le Wurtem-berg, l’Italie, le Saint-Siège, l’Espagne, le Portugal, la Belgique, la Hollande, le Danemark, la Suède, la Turquie, les États-Unis de l’Amérique du Nord et la plupart des É'ats de l’Amérique du Sud, ont envoyé à ce congrès scientifique l’élite de leurs savants. « Que n'avez-vous assisté tous à ces belles séances, uniques dans l’histoire, dit M. Faye en s’adressant à ses collègues de l’Institut, à cette espèce de concile œcuménique de la science! Vous auriez joui comme nous de l’hommage spontanément rendu, par nos égaux et nos émules, à la science française et à cette grande cité, qui déjà oublie ses désastres pour travailler au progrès. »
- Il nous suffira d'ajouter que, d’après les résolutions de la Commission internationale, on prend comme point de départ, pour l’unité de mesure, le mètre des Archives, tel qu’il y a été déposé le 18 germinal de l’an III. Même décision est arrêtée pour l’unité de poids : « Il est décidé, dit le rapporteur delà Commission, que le kilogramme international sera déduit du kilogramme des Archives dans son état actuel.
- Il y a un mois environ, MM. H.-Sainte-ClaireDeville et Debray ont opéré au laboratoire de l’École normale, la fusion du lingot de platine iridié, destiné à £ la fabrication des étalons universels du mètre. C’est à ces savants chimistes que l’on doit les procédés pratiques de la fusion du platine, de ce métal si hautement réfractaire ; par un juste hommage rendu à leurs impérissables travaux, on leur a confié le soin de cette mémorable expérience. L’opération s’est exécutée avec une grande solennité : elle s’est faite sous les yeux d'éminents personnages et d’illustres savants. M. Thiers et M. Jules Simon suivaient, avec intérêt, les différentes phases de la fusion du métal, rendu liquide dans un creuset de chaux, sous l’influence du chalumeau à gaz oxygène et hydrogène. MM. Teisserenc du Bort, alors ministre du commerce, Leverrier, directeur de l’Observatoire, le général Morin, directeur du Conservatoire des arts et métiers, Tresca, sous-directeur du même établissement, assistaient aussi à cette belle séance.
- Le platine iridié, une fois fondu, a été porté sous un marteau-pilon. On en a tiré deux règles-types, auxquelles on a donné la forme réglementaire adoptée par la Commission ; elles serviront de base première à la fabrication des étalons internationaux, qui seront distribués à tous les États dont les délégués ont pris part aux délibérations de la Commission du mètre. Cette fabrication nécessitera la fusion d’une masse de platine de deux cents kilogrammes; elle sera prochainement exécutée dans des conditions exceptionnelles. Jamais, en effet, pareille masse de platine n’aura été liquéfiée dans un laboratoire. Pour assurer le succès à cette expérience grandiose, il est
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- LA NATURE.
- question de construire un vaste fourneau en chaux, au sein duquel jailliront, à la fois, les dards de feu fournis par six chalumeaux à gaz oxygène. Peut-être, comme le demande M. Tresca, fera-t-on auparavant des fusions distinctes; on couperait en menus fragments les lingots obtenus et, afin d’obtenir une masse homogène, on en mélangerait intimement les morceaux avant de procéder à la fusion totale.
- Tous les mètres internationaux seront identiques, on les façonnera dans les plus délicates conditions d’exactitude et de précision. Leur section ne sera pas rectangulaire, elle aura une forme en X qui assurera au barreau métallique une grande rigidité. Chaque règle de platine sera d’abord forgée à l’état de tige carrée; le laminage préparera ensuite les quatre rainures de la barre, et cette opération aura l’avantage de lui assurer une parfaite homogénéité. « Après avoir soumis l’ébauche ainsi obtenue à un ou plusieurs recuits, le rabotage longitudinal permettra d’approcher de très-près de la forme définitive, et, dans cette opération, les moindres défauts seront dévoilés et mis à jour. Nécessaire pour l’obtention de la forme géométrique, ce rabotage constituera un moyen d’investigation tout à fait précieux et tout à fait sur, un véritable sondage de tous les défauts, qui déterminera le départ à faire entre les règles complètement réussies et celles qu’il conviendrait de rejeter1. »
- Les barres de platine iridié ainsi fabriquées auront 102 centimètres de longueur; on y gravera, avec la plus grande précision, les deux divisions extrêmes du mètre. Chacun des mètres internationaux sera accompagné de deux thermomètres à mercure, isolés et comparés à un thermomètre à air. On emploiera la méthode deM. Fizeau pour déterminer la dilatation du métal : les prototypes devront être soumis aux procédés les plus précis, à l’aide desquels on mesurera leurs coefficients de dilatation absolue.
- Nous n’entrerons pas dans les autres détails de construction que la Commission du mètre a étudiés et résolus, avec une précision digne du grand but qu’elle poursuit. Nous ajouterons seulement qu’en proclamant, au nom des nations civilisées, l’unité des mesures; elle a fait œuvre de civilisation, de concorde et de progrès.
- i Gaston TISSANDIER.
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- LE PHYLLOXÉRA
- ET LA NOUVELLE MALADIE DE LA VIGNE.
- (Suite. — Voy. page 4.)
- II
- Lorsqu’un vignoble commence à être atteint par le phylloxéra, plusieurs ceps, groupés en un point
- 1 M. Tresca, Note sur la forme qu'il convient de donner aux mètres que la Commission internationale doit construire. [Comptes rendus de l’Académie des sciences, t. LXXV, p. 1223.)
- déterminé, s’y font remarquer par l’arrêt de leur végétation : les pousses qui, au printemps, se montraient pleines de promesses s’atrophient et se rabougrissent peu à peu, les grappes cessent d’annoncer une riche récolte et les feuilles jaunies forment lâche au milieu de la plantation. C’est un premier centre d’attaque qui s’élargit sans cesse, et autour duquel tout s’étiole et se dessèche progressivement par zones concentriques successives, jusqu'aux dernières limites du champ.
- Lorsque le mal sévit avec force, il n’est pas rare de voir plusieurs foyers d’infection naître simultanément dans le même vignoble, et, souvent, cette sorte de gangrène se déclare brusquement en des localités notablement éloignées des foyers déjà connus. Sous l’influence de ces deux modes de propagation, par contagion irradiante ou par sauts plus ou moins étendus, de vastes contrées ne tardent guère à être envahies sur tous les points et ruinées d’une manière complète.
- Pour déterminer la cause du dépérissement des vignes, il faut, dans le courant de la belle saison, examiner de près les racines des ceps attaqués. On doit s’adresser de préférence à ceux de ces ceps qui présentent encore tous les signes extérieurs de bonne santé, mais situés sur la limite du cercle qui s’est formé autour du foyer initial dont la place est marquée par les pieds complètement desséchés. Les racines de ces ceps sains en apparence et à rameaux souvent chargés de récolte, se montrent couvertes de myriades de pucerons presque microscopiques qui ne sont autres que des phylloxéras. Les parties les plus ténues elles-mêmes, les radicelles, le chevelu disparaissent parfois sous une sorte d’écorce formée par l’accumulation des parasites, de leurs œuls et de leur progéniture aux divers états de son développement. Elles frappent encore l’attention de l’observateur par les boursouflures ou les renflements qu’elles présentent de distance en distance, et qui les font ressembler à des chapelets à grains fusiformes (fig. 1,4). Cette apparence est tout à fait caractéristique et établit une distinction fondamentale entre la maladie actuelle et tous les autres genres d’altération des racines, observés jusqu’ici dans les vignes, tels que le blanquet ou pourridié du Comlat, reconnu aujourd’hui comme le fait d’un champignon souterrain, et la maladie de la Camargue qui paraît devoir être attribuée à l’excès de sel dans le sous-sol.
- Le phylloxéra se comporte de la même manière que ces véritables sangsues des végétaux, connues sous le nom de pucerons, de cochenilles ou de kermès : il pique de son suçoir les parties jeunes des racines, pour aspirer et se nourrir des sucs qui les imprègnent. Ces piqûres multipliées irritent évidemment les tissus si délicats des organes d’absorption : la sève s’extravase, sa circulation devient irrégulière, le travail de nutrition des radicelles en voie d’accroissement, se trouble; certains points de ces radicelles s’hypertrophient, et donnent bientôt naissance aux renflements caractéristiques dont nous
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- venons de parler. Le phylloxéra en s’attaquant avec cette énergie à des organes aussi essentiels, tarit la principale source d’alimentation de la plante et amène bientôt ainsi l’atrophie et le dépérissement des parties aériennes.
- Fig. 1. — 1. Suçoir. — 2 Antenne. — 5. Patte du Phylloxéra.
- 4. Radicelles malades avec nodosités.
- Au fur et à mesure qu’on se rapproche du centre d’invasion du vignoble, c’est-à-dire des pieds les plus anciennement atteints et complètement détruits depuis un temps plus ou moins long, les racines se montrent dans un état d'altéralion de plus en plus avancé, et présentant tous les degrés jusqu’à la pourriture complète. Ces mêmes racines sont, en outre, de moins en moins riches en phylloxéras, car ces parasites ne restent jamais sur les parties qui menacent de se décomposer; ils quittent les points épuisés pour se transporter sur des racines saines, seules capables de leur fournir en abondance l’aliment dont ils sont avides : de sorte que la marche de la maladie est la marche même du phylloxéra,
- III
- La part du phylloxéra dans la nouvelle maladie de la vigne, a été l’objet des mêmes discussions que celle des scolytes, dans la destruction des arbres fruitiers et des arbres forestiers.
- La présence du phylloxéra est-elle en effet la cause première de la destruction de nos vignobles, ou n’est-elle pas plutôt un simple phénomène consécutif, une cause d’aggravation d’un état pathologique an
- térieur, provoqué par les intempéries ou le mauvais état du sol?
- Plusieurs auteurs se'refusent à admettre que le phylloxéra puisse s’attaquer à des vignes qui ne soient pas déjà affaiblies. L’épuisement du sol est considéré par eux comme une des circonstances qui prédisposent le plus les ceps à l’attaque du parasite.
- Les conditions d’existence des végétaux cultivés sont, disent-ils, rès-éoignées de l’état normal, et la terre se fatigue à la longue d’alimenter constamment la même plante. Jamais, dans la nature, une espèce n’occupe indéfiniment, et à elle seule, des espaces considérables ; les types les plus divers vivent pêle-mêle sur le même sol. Il y aurait donc avantage à user de plantations intercalaires, ainsi qu’on le fait, d’ailleurs, depuis longtemps dans les potagers, et à entremêler aux vignes des plantes herbacées. Le fourrage indemniserait de la diminution que la vendange subirait par suite de la réduction de l’espace'occupé par les ceps ; de plus, ce tapis d’herbes annuelles ou bisannuelles, pourrait être enfoui en vert pour restituer au sol sous forme de principes plus directement assimilables, les matériaux de diverse nature qu’elles lui auraient empruntés. Les vignes, ainsi ravitaillées, referaient peu à peu leur constitution et deviendraient aptes à mieux réagir contre les diverses causes de destruction et, en particulier, contre les attaques des parasites.
- Mais on peut objecter que la multiplication si effroyablement rapide des phylloxéras défie les meilleures constitutions, et qu’on a vu maintes fois les vignes les plus robustes vaincues par les hordes de pucerons qui s’étaient abattues sur elles, attirées qu’elles étaient par l’abondance de la sève. En outre, ces redoutables parasites tuent aussi bien les ceps plantés dans les terres vierges, que ceux qui occupent des sols depuis longtemps viticoles. Enfin, les deux pays classiques, sous le rapport de la culture de la vigne, l’Espagne et l’Italie, où les plantations sont nourries par le même sol depuis un temps presque immémorial, ont la bonne fortune d’ignorer le phylloxéra.
- La culture intensive, forcée, obligeant la vigne à donner chaque année le maximum de réchltfaloit, selon d’autres auteurs, altérer la vitalité des ceps et les conduire à un état anémique, qui les désarme contre toute circonstance défavorable : pour peu que les parasites abordent ces vignes surmenées, l'affai-blissement atteint bientôt ses dernières limites, et le phylloxéra achève l’œuvre commencée par la trop grande exigence du viticulteur.
- Les mutilations fréquentes auxquelles la vigne est soumise, l’excès du développement de son arborescence, l’abus des bouturages, les marcottages indéfinis, l’usage constant de la taille courte et de l’ébourgeonnemcnt sont pour les mêmes observateurs autant de circonstances capables de provoquer l’état de dégénérescence favorable à l’installation de h nouvelle maladie. Mais l’observation a démontré que
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- les vignes mal cultivées ou abandonnées à elles-hêmes, ne sont pas plus que les autres exemptes des ravages du phylloxéra.
- Pour M. de Gasparin, la maladie régnante n’est qu un effet accidentel dû à la grande gelée de 1867, qui, en provoquant des embairas dans le cours de la seve, a préparé les plants à l’attaque du puceron ; mais les vignes sur lesquelles cette gelée n’a pas agid une manière sensible, n’ont pas été plus préservées. Pour ce qui est de l’influence de la sécheresse anomale qui a persisté pendant plusieurs années, il suffit de rappeler que le mal ne s’est pas déclaré partout où elle a régné, et en outre que les vignes les moins malades ne reprennent pas par le retour de l humidité si le phylloxéra y est déjà installé.
- L’influence de la nature du sol et du climat, invoquée à l’époque où le fléau ne désolait encore que les localités voisines du bas Rhiône, a perdu beaucoup de sa certitude depuis qu’il a étendu ses ravages à des grandes distances de son point de départ sur les terrains les plus divers et à la fois sous le climat méditerranéen de la Provence et sous le climat océanique de la Gironde.
- En présence des objections qu’il est possible d’opposer à leur efficacité, les circonstances que nous venons d’énumérer paraissent devoir être considérées plutôt comme causes d’aggravation que comme causes déterminantes ou prédisposantes. Lorsqu’elles accompagnent le phylloxéra, le dépérissement des vignes marche d’un pas plus rapide, mais le phylloxéra peut se passer de ces auxiliaires et commencer seul l’œuvre de destruction, qu’il poursuivra sans relâche jusqu’au dernier terme.
- Les faits suivants fournissent des arguments plus directs aux viticulteurs, qui soutiennent que le phylloxéra suffit pour expliquer la nouvelle maladie.
- M. de Serres à Orange, M. Signoret à Fontainebleau ont transporté l’insecte sur des vignes parfaitement saines et en plein état de prospérité ces vignes ont péri.
- On a déplanté des ceps dont les racines étaient couvertes de phylloxéras, on les a lavés et brossés avec le plus grand soin, et lorsque tous les parasites furent ainsi enlevés jusqu’au dernier, on replanta ces ceps dans une terre intacte : depuis cette opéra-tion;fs sont revenus à leur état normal et n’ont pas cessé un instant d’offrir une végétation vigoureuse. Ce nettoyage des racines a été pratiqué pour la première fois dans les serres d’Irlande, en 1867; partout où il a été appliqué depuis, il a continué à donner les mêmes résultats.
- M. Faucon, de Graveson, par son ingénieux procédé de l’immersion, a réussi également à débarrasser ses plantations des innombrables phylloxéras qui les avaient envahies : tous les ceps ont repris, et son domaine forme aujourd’hui comme une sorte d’oasis au milieu d’une région complètement dévastée. Ainsi, détruire le phylloxéra, c’est sauver les vignes. Le même viticulteur a constaté de visu le passage du phylloxéra d’une souche malade à une
- souche voisine jusque-là pleine de vitalité, mais bientôt compromise par le seul fait de la présence du parasite.
- Tout s’accorde donc à prouver que le phylloxéra est bien le véritable auteur du désastre de nos vignobles, et que c’est avant tout sur lui que nous devons diriger notre attontion et concentrer nos efforts.
- Il est évident d’ailleurs que si le mauvais état de santé suffisait pour exposer les vignes aux attaques du phylloxéra, les ceps déjà souffrants devraient être les premiers à subir les atteintes du fléau, et les vignes vigoureuses ne pourraient être saisies par lui qu'après une période de dépérissement ] réparatoire. Or, loisqu'on suit la marche irradiante dont nous avons parlé plus haut, on constate aisément que le fléau détruit successivement tous les plants sans distinction et sans se préoccuper en aucune façon de leur état de santé ou de maladie : les souches souffrantes sont achevées, les souches vigoureuses sont tuées de mort violente. Les ceps voisins du centre d’attaque ont la pl us belle apparence : rien, si ce n’est ce voisinage funeste, n avertit qu’ils vont bientôt périr. L’affaiblissement préliminaire ne peut donc ici être invoqué. Le temps nécessaire manquerait, d’ailleurs, car la mortalité suit la marche même du parasite, toujours à la recherche d’une nouvelle proie et obligé autant par son avidité que par sa multiplication extrêmement active, à élargir rapidement le cercle de ses dévastations. Le phylloxéra devance donc toujours cette prétendue maladie préparatoire qui, selon certains viticulteurs, lui livrerait l’entrée du terrain sur lequel il doit exercer ses ravages.
- IV
- Le phylloxéra doit être considéré, non comme un véritable puceron, mais plutôt comme un type intermédiaire, entre les pucerons proprement dits et les cochenilles. Il se relie à ces dernières, principalement par la cochenille des serres; ses rapports avec les pucerons s’établissent surtout par l'adelge ou pou du sapin, à qui il faut attribuer les galles alvéolées si curieuses, qui tuméfient les jeunes rameaux de ce conifère.
- Tous les phylloxéras observés sont des femelles, car les mâles se sont jusqu’ici dérobés aux recherches des entomologistes. Ces femelles se présentent sous deux formes : la forme aptère, de beaucoup la plus fréquente, et la forme ailée.
- Sous le rapport de l'habitat, on distingue le phylloxéra des racines et le phylloxéra gallicole, logeant dans les verrues bursiformes présentées par les feuilles de certaines vignes. Ces deux phylloxéras sont d’ailleurs identiques comme structure. Le dernier est le seul qui ait été observé aux États-Unis, et sa présence en Europe n’a guère été signalée que dans les localités où des cépages américains ont été importés.
- Dates de la découverte du phylloxéra. — Asa
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- Fitch, entomologiste de l’État de New-York, décrit pour la première fois en 1854 sous le nom de pem-phigus vitifoliœ, la forme de phylloxéra qui produit des galles sur les feuilles du frost-grape, du Dela-ware, et de plusieurs autres vignes américaines.
- Westwood, professeur à l’université d’Oxford, constate en 1863 la présence d’un hémiptère intermédiaire, entre les ophidiens (pucerons) et les coccidés (cochenilles, kermès), dans les verrues creuses qui couvraient les feuilles de vignes cultivées à Ilam-mersmith, aux environs de Londres. Le même auteur reconnaît, en 1867, que cet insecte (qu’il décrit sous le nom de peritymbia vitisana) attaque les racines aussi bien que les feuilles. Il admet, en 1869, l’identité du péritymbia avec le phylloxéra français.
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- Fig. 2.— 1. Femelle adulte.— 2. Jeune femelle (aptères, grossies).
- 5. Fragment de racae avec groupes de phylloxéras de grandeur naturelle.
- Le 15 juillet 1868, dans la Provence, le phylloxéra est signalé, pour la première fois, comme l’auteur de la nouvelle maladie de la vigne, par MM. Plan-chon, Bazille et Sahut, délégués de la Société d’agriculture de l’Hérault. Le parasite est décrit par M. Planchon, professeur à la Faculté des sciences de Montpellier, sous le nom de rhizaphis vastatrix, qui fut changé plus tard par le même auteur en celui de phylloxéra vastatrix, en raison de l’étroite affinité qui relie le nouvel ennemi de la vigne à un parasite du chêne déjà désigné par Boyer de Fonsco-lombe sous le nom de Phylloxéra quercûs (de p0)-Aov, feuille, et de npavo, je dessèche).
- Exactement, un an plus tard, vers la mi-juillet 1869, le phylloxéra qui n’avait encore été vu en 'France que sur les racines, est découvert par M. Plan-chon, à Sorgues, près d’Avignon, logé dans des galles formant saillie à la face inférieure des feuilles. Très-peu de jours après, le 25 juillet 1869, M. Laliman, viticulteur dans le Bordelais, découvrit aussi de son côté le phylloxéra des galles.
- Histoire naturelle du phylloxéra. —Le phylloxéra n’est jamais vivipare comme les pucerons, qui ne
- pondent qu’une fois dans l’aimée, en automne, après l’apparition des mâles. En toute saison et sous la forme ailée comme sous la forme aptère, le nouveau parasite de la vigne ne pond jamais que des œufs. L'expérience directe a montré que ces œufs sont féconds sans copulation préalable : des larves, écloses dans des bocaux complètement fermés, ont pondu, sans aucun secours, lorsqu’elles furent arrivées à un certain état de croissance. Leurs œufs ont donné naissance à de nouvelles larves, qui, au bout d’un certain temps, se sont mises à pondre à leur tour: c’est donc un nouveau cas de parthénogenèse à placer à côté de ceux, qui nous sont offerts par les pucerons à l’époque de leur viviparité, par les abeilles, les daphnies, etc.
- Fig. 5. — Phylloxéra vastatrx.
- Femelle ailée et jeune femelle aptère, vues en dessous et très-grossies.
- La ponte commence au printemps pour s’interrompre dès les premiers froids. Chaque femelle fournit de trente à quarante œufs, qu’elle groupe autour d’elle en tas irréguliers, n’adhérant que faiblement aux racines à l’aide d’une légère viscosité. Ces œufs, remarquables comme, au reste, ceux de beaucoup d’autres parasites, par leur grande force de résistance aux causes de destruction, consistent en de petits ellipsoïdes allongés, à surface lisse ; le grand axe.est d’environ 52 centièmes de millimètres, et le petit axe de 17 centièmes. Leur couleur jaune-clair permet de les apercevoir aisément à la surface des racines, qui forme un fond de couleur foncée sur lequel ils se détachent avec la plus grande netteté.
- L’éclosion s’opère au bout de douze, de huit ou même de cinq jours, suivant la température.
- Les jeunes phylloxéras' (fig. 2, 2 et 3, 2), de même couleur que les œufs dont ils sont issus, se montrent sveltes, agiles et dans un état de turbulence* continuelle Ils errent çà et là, à la recherche d’une nourriture plus fraîche et plus succulente que la racine épuisée où a vécu la génération précédente. Ils pal-
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- pent avec leurs antennes la surface qu’ils I arcou-rent, et sur laquelle ils s’avancent à la manière d’un aveugle, qui se guiderait avec deux bâtons. Cette démarche singulière s’explique par l’état rudimentaire de leurs yeux, réduits à de simples taches pigmentaires, de couleur rouge.
- Les antennes (fig. 1, 2) sont formées de quatre articles, dont le dernier plus long et plus gros est taillé en bec de plume. La troncature oblique porte une sorte de chaton, que plusieurs auteurs considèrent comme un organe de sens, sans pouvoir toutefois affirmer s’il est au service du tact, de l’odorat ou de l’ouïe.
- Le phylloxéra se fixe toujours en un point où la sève est abondante et d’un accès facile, soit sur les jeunes radicelles dont les tendres tissus peuvent être aisément perforés, soit sur des parties souterraines moins récentes, mais alors dans les fissures de l’écorce d’où sa trompe peut plonger dans les cellules, gorgées de sucs, de la zone génératrice.
- Le suçoir du phylloxéra (fig. 1, 1 et fig. 5) rappelle comme celui des autres hémiptères (punaises, rédu-vos, hvdromètres, nèpes, ranatres, notonectes, cigales, fulgores, pucerons, cochenilles, kermès), la disposition du trocart des chirurgiens. Il consiste eu un tube formé de trois articles, placés bout à bout et logeant dans son intérieur, à la manière d’un étui, trois aiguilles protractiles. Les deux aiguilles latérales ne sont pas autre chose que des mandibules transformées, et l’aiguille médiane, manifestement plus large, représente les deux mâchoires également transformées toujours distinctes chez les autres hé-mijtères, mais soudées en une seule tige effilée chez le suceur de la vigne.
- Les pattes (fig. 1, 5) sont armées d’un ongle, qui permet au phylloxéra de se cramponner aux fines aspérités de l’écorce, et les poils qui garnissent ces pattes se font remarquer par leur extrémité renflée, caractère qui avait conduit le Dr Shimer, de l'hila-delphie, à donner à notre insecte le nom de dacty-losphœra.
- Après les premières mues, six rangées de tubercules mousses apparaissent sur la région dorsale et sur le rebord ventral des anneaux. Le corps se gonfle peu à peu et prend une forme de plus en plus ovoïde (fig. 2, 1). Tout annonce que la ponte est proche. Bientôt, en effet, l’abdomen s’allonge, le corps prend une forme comparable à celle d’une toupie, les derniers anneaux se déboitent comme les tuyaux d’une lorgnette : enfin le premier œuf apparaît et sort d’une manière graduelle.
- La pondeuse a environ trois quarts de millimètres de longueur sur un peu plus d’un demi-millimètre de largeur. Elle se tient étroitement appliquée à la racine par sa face ventrale, et, fixée toujours à la même place, le suçoir implanté dans les tissus superficiels, absorbant et pondant à la fois, sans repos ni tiêve.
- MM. Planchon et Lichtenstein ont calculé que le nombre d’individus, qui ont pour point d’origine
- une seule femelle pondant au mois de mars, peut s’élever à vingt-cinq milliards dans l’espace d’une seule année, de mars à octobre.
- La progression géométrique, si rapidement croissante, formée par les nombres d’insectes destructeurs issus des générations successives, explique comment des ravages à peine perceptibles au commencement de la belle saison peuvent se développer au point de devenir tout à fait désastreux à l’automne.
- Lorsque, par suite de l’accumulation des individus, le phylloxéra ne trouve plus à se nourrir sur les racines d’une souche épuisée par ses succions réitérées, il se met aussitôt à la recherche d'une nouvelle proie. Il suit alors les rugosités et les fissures de l’écorce, jusqu’à ce qu’il ait 1encontré, soit une crevasse du terrain, soit une partie suffisamment meuble, capable de le conduire sur une souche voisine non encore attaquée ou simplement moins fréquentée.
- Mais à cause de son extrême faiblesse, il ne peut se frayer un passage à travers une ton e quelque peu agglomérée. Lorsqu’un obstacle provenant, soit du trop grand tassement du terrain, soit de tout autre circonstance, s’oppose à ce que l’insecte en quête de nourriture, continue ses pérégrinations souterraines, celui-ci se décide à monter à la surface du sol et à opérer ses migrations à ciel ouvert.
- Cette marche en plein air et en pleine lumière, quelle qu’on soit, d’ailleurs, la cause déterminante, a été parfaitement observée par MM. Faucon, vilicul-tour àGraveson (Bouches-du-Rhône) et Bazille, président de la Société d’agriculture de l’Hérault. Il est certain qu’aux heures chaudes de la journée, les phylloxéras courent sur le sol, d’un cep à l’autre, comme autant de petites fourmis. Lorsqu’ils ont atteint une souche dont l’état leur plaît, ils s’engagent dans les nombreuses dépressions de la surface de l’écorce et guidées par elles, parviennent aisément jusqu’aux extrémités succulentes des racines.
- Les phylloxéras de la dernière génération (fin octobre), ne sont destinés à pondre qu’au retour de la belle saison, et sont condamnés à passer l'hiver en léthargie. D’ailleurs, dans l’état de suspension où se trouve alors la végétation de la vigne, la voracité du parasite trouverait peu à se satisfaire. Les phylloxéras commencent à perdre leur activité dès l’apparition des premiers froids, ils se blottissent dans les cavités de l’écorce des parties souterraines, et si on les observe vers le milieu ou la fin de novembre, on les trouve dans un état complet d’immobilité qui est dû, non pas à un état maladif, mais bien à un véritable sommeil hibernal. Leur couleur jaune a disparu pour faire place à une couleur brune qui les rend très-difficiles à distinguer des parties sous-jacentes ou environnantes. Bien alors ne les différencie des individus morts, si ce n'est qu’ils ne se desséchent pas et ne se creusent pas en cuiller comme ceux-ci, lorsqu’on les expose au contact de l’air.
- Au commencement de mars, l’engourdissement
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- dure encore, mais, à cette époque, probablement par l’effet de l’abstinence prolongée, la taille de l'in-secte apparaît très-réduite : de deux tiers à trois quarts de millimètre qu’elle présente chez les individus adultes et actifs, elle peut descendre à 27 centièmes de millimètre.
- Au moment de rentrer dans la vie active, le phylloxéra, ainsi que l’a observé tout récemment M. Max. Cornu, se dépouille de son enveloppe brune, épaisse et coriace, pour se montrer revêtu d’une nouvelle peau tendre et délicate, de brillante couleur jaune et reproduisant dans leurs moindres détails les replis de la première. L’insecte, à son réveil, apparaît, pour ainsi dire, débarrassé de son par-dessus d’hiver et en véritable tenue de printemps.
- La mue effectuée, le phylloxéra ne tarde pas à recouvrer son agilité, et de même que le jeune sorti de l’œuf, il se met à la recherche d’un gîte bien approvisionné. Il se nourrit avec avidité, grandit en très-peu de temps et devient bientôt apte à effectuer sa première ponte. Sa multiplication, qui 1 ne doit se suspendre qu’au mois d’octobre, acquiert •1 rapidement les proportions effrayantes de l’année précédente, et la vigne qui, aux premiers jours de printemps, alors que le parasite était dans son état de torpeur, avait commencé à donner des pousses | assez vigoureuses pour faire renaître l’espoir du viticulteur, ne jouit pas longtemps de ce répit. Elle I s’étiole de nouveau sous les attaques d’un ennemi, dont l’arrivée de la belle saison a réveillé l’ardeur I destructive. |
- À l’époque des chaleurs, on aperçoit çà et là au milieu des amas d’œufs et de phylloxéras de tout âge quelques rares individus présentant sur leur corselet, mieux dessiné que chez les voisins, deux petites languettes triangulaires destinées à devenir des ailes. Ce sont de véritables nymphes qui ne tardent pas à se dégager de leur enveloppe qu’on trouve, en effet, souvent gisante à côté d'elles sous forme d’une gaine transparente, et à devenir des insectes parfaits possédant des ailes et des yeux bien caractérisés.
- Ces femelles ailées (fig. 5, 1) représentent d’élégants moucherons dont les quatre ailes, incolores et diaphanes, sont horizontalement croisées dans le repos, contrairement à ce qui s’observe chez les pucerons ordinaires où elles sont plus ou moins inclinées en toit. La longueur des ailes supérieures est presque double de celle du corps ; les ailes de la seconde paire sont plus petites et plus étroites et à une seule nervure. Les antennes sont un peu moins trapues et un peu plus longues que chez les phylloxéras ordinaires. Les pattes, les tarses, le suçoir ne présentent pas de différences essentielles avec les mêmes organes des femelles aptères. Les yeux noirs et relativement très-gros, sont relevés en mamelon conique sur leur milieu, et présentent, à leur surface, non des facettes, mais des granulations assez accusées.
- Si l’on comprime légèrement l’insecte ailé sur la
- lame du verre du microscope, on aperçoit par transparence deux ou trois œufs de couleur jaune occupant la cavité abdominale. Ces œufs, tout semblables à ceux que nous avons décrits, donnent naissance aux mêmes phylloxéras aptères.
- Le nombre de ces femelles appelées à jouir d’une existence aérienne, n’est nullement en rapport avec les myriades de femelles aptères vouées à la vie souterraine. Peut-être ces pondeuses ailées sont-elles destinées à la dissémination de l'espèce nuisible à de grandes distances et à la fondation de nouveaux centres d’invasion. Mais le vent doit être le principal agent de cette dispersion, car le peu de rigidité des ailes exclut l’intervention d’un vol puissant et soutenu.
- Fig. 4. — 1, Feuille de vigne couverte de galles, servant de nids aux Phylloxéras, vue par sa face inférieure. — 2. Galle coupée verticalement.
- Les ailes à large surface du phylloxéra favorisent l’action disséminatrice du vent, au même titre que les aigrettes des graines des composées ou des valérianes. Les femelles aptères elles-mêmes sont soulevées et déplacées par le moindre souffle, et il n’est pas inadmissible qu’elles soient aptes aussi à subir le même mode de dispersion. Ce transport des phylloxéras par le vent, paraît du reste d’autant plus vraisemblable, qu’il trouve ses analogues dans des faits bien établis, tels que l’encombrement des rues de Gand, en 1854, par de véritables nuées de pucerons verts du pêcher, ou la chute observée, à Montpellier, d’une sorte de neige produite par les flocons cotonneux détachés du corps des pucerons issus des galles des feuilles du peuplier. Selon MM. Planchon et Lichteinstein, la direction générale de la marche du fléau, dans la vallée du Rhône, se prête assez à l’idée que le mistral n’est pas absolument étranger à son extension.
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- Le phylloxéra des racines était le seul qu’on eut encore observé en France, lorsque, vers le milieu du mois de juillet 1869, le phylloxéra des galles, connu dans son pays de prédilection, c'est-à-dire aux États-Unis, depuis 1854, et en Angleterre depuis 1865, fut découvert à Sorgues dans le Vaucluse, par M. Plan-chon, et à quatorze jours d’intervalle, dans le Bordelais, seule localité de France où il soit en abondance, par M. Laliman.
- Tous les auteurs admettent aujourd’hui l’identité des deux types radicicole et gallicole, de même que celle du phylloxéra européen et du phylloxéra américain. Cette unité spécifique, d’abord établie par la simple comparaison des formes, a été démontrée expérimentalement dans le courant de l’année 1870. M. Signoret ayant mis sur une vigne saine, cultivée en pot, des galles phylloxériennes provenant des plantations bordelaises de M. Laliman, a vu les individus, issus de ces galles, se répandre sur les feuilles et y produire des galles nouvelles, et les jeunes, auxquelles ces dernières donnèrent naissance, se diriger vers les racines, s’y installer et y prendre enfin les caractères du type radicicole. Des expériences analogues faites par M. Gervais et par M. Planchon, ont confirmé l’identité spécifique des deux formes du parasite.
- Les galles produites par le phylloxéra, peuvent quelquefois être réunies au nombre de cent quarante à cent cinquante sur une même feuille. Elles se présentent sous l’apparence de verrues creuses, formant saillie à la face inférieure des feuilles, et toujours ouvertes du côté supérieur (fig. 4) ; leur surface est irrégulière, rugueuse et mamelonnée d’aspérités mousses entremêlées de poils hyalins ; l’orifice est aussi garni de poils : caractères qui établissent une distinction très-nette entre ces excroissances et d’autres, offertes aussi par les feuilles de vigne, mais dues à la piuùre de cyuips ou de certains acarus.
- Les bourses verruqueuses que nous venons de décrire, abritent, pendant l’été, des familles entières de phylloxéras aptères, tout semblables aux habitants des racines : mêmes femelles adultes, grosses, dodues et tuberculeuses ; mêmes jeunes, agiles et turbulents.
- Le phylloxéra, qui montre encore ici sa préférence pour la sève jeune et abondante, ne commence son nid que sur les feuilles à peine étalées ; après en avoir percé le tendre tissu, il élargit la blessure par le mouvement rotatoire de ses pattes et de son corps. Mais, jamais en France, le parasite ne dessèche aucune des feuilles sur lesquelles il s’établit ; il n’en est pas tout à fait de même aux États-Unis, où le phylloxéra n’existe que sous la forme gallicole ; son règne y parait toutefois assez débonnaire, car l’insecte y est plutôt étudié sous le rapport entomo-logique que sous le rapport agricole, et signalé plutôt comme espèce intéressante par ses caractères et par ses mœurs, que comme ennemi’ redoutable. Lorsque la vigne cesse de pousser, les jeunes puce
- rons ne trouvant plus de feuilles fraîches, commencent à émigrer pour aller chercher sur les racines un nouvel aliment, et rendent compte, par ce changement de résidence, de 1 état de vacuité de la plupart des galles à l’approche de l’automne.
- Dans le domaine de la Tourette, près de Bordeaux, ou se cultivent en grand les cépages américains, parmi lesquels figurent les variétés de vignes hantées de préférence par le phylloxéra des feuilles, diverses observations faites par M. La-lman, tendent à prouver que le phylloxéra ailé n’est pas, comme on serait pourtant tenté de le supposer, Fauteur des excroissances dont nous avons parlé. Des enveloppes de gaze, à mailles serrées, recouvrant de toutes parts les ceps sur lesquels les parasites des galles se développent d'ordinaire, n’empêchent pas les feuilles de ces ceps, ainsi protégées contre les femelles ailées, d’être envahies tôt ou tard. Jamais d’ailleurs, selon le même viticulteur, on ne trouve de coques d’œufs de phylloxéras ailés sur les feuilles ou dans les poches verruqueuses. Aussi, M. Laliman considere-t-il comme plus rationnel d’admettre que le phylloxéra des galles provient de la tribu souterraine.
- Le nombre d’œufs que ces cavités recèlent peut s’élever jusqu’à deux cents, d’après M. Signoret, et même jusqu’à cinq cents, d’après M. Laliman. Il y a donc grand intérêt à détruire ces nids, d’ailleurs très-accessibles, avant qu’ils aient répandu leur funeste progéniture, ou que les vents d’automne, en chassant dans toutes les directions les feuilles encore occupées par les redoutables parasites, aient étendu le cercle de l’invasion au delà de ses limites premières, ou aient porté au loin le germe de la destruction de nouveaux vignobles.
- E. Vignes.
- — La suite prochainement. —
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- LIEBIG
- Justus,barondeLiebig,estmortàMunich,lel8 avril dernier; c’était une des gloires de l’Allemagne. Il n’a jamais montré contre la France, à laquelle tant de glorieuses amitiés le rattachaient, cette haine violente qui anime quelques-uns des professeurs de Berlin, et sans craindre de blesser le patriotisme le plus ombrageux, nous ne devons pas hésiter à rappeler brièvement ses travaux qui ont puissamment contribué à fonder la chimie agricole.
- Il était né à Darmstadt, en 4 803 ; après avoir fait ses études dans cette ville, et montré, dès l’âge le plus tendre, son goût dominant pour la chimie, il entra, comme élève en pharmacie, dans une officine d'Ileppenheim ; il n’y séjourna guère, et en 1849 il était déjà étudiant à l’université de Bonn. En 4822, pourvu malgré ses dix-neuf ans, du grade de docteur en médecine, il partit pour Paris, aux frais du grand duc de Hesse, et là, sous la direction de Gay-Lussac,
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- LA NATURE.
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- il poursuivit ses études de chimie, ayant pour camarades et amis Pelouze et M. Dumas. Son premier mémoire sur la constitution de l’acide fulminique et des fulminates, fut accueilli avec une faveur marquée, et lui valut l’amitié et l’appui xle M. de IIum-boldt. Revenu en Allemagne, il fut nommé, sur les re-
- commandations de son illustre protecteur, professeur extraordinaire à l’université de Giessen ; il avait alors vingt et un ans. Deux ans après, il était professeur titulaire, et fondait le laboratoire, qui, pendant près de quarante ans, donna à cette petite ville, une si haute renommée. C’est là que vinrent successive-
- Liebig.
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- ment étudier Hoffmann, Fresenius et notre compatriote Gerhardt,unedes gloires de l’infortunée Strasbourg. Les travaux les plus importants de Liebig ont trait à l'application de la chimie à l’agriculture, ils eurent un immense retentissement et bien que les erreurs y abondent, une influence des plus heureuses.
- Le premier, Liebig analysa la terre arable, et y reconnut la présence d’une masse considérable d’a-
- zote combiné , élément constitutif de ces principes albuminoïdes, semblables, par leur composition, au blanc d’œuf qui donnent aux végétaux leurs qualités nutritives. Les diverses combinaisons de l’azote ne sont pas seules indispensables au développement des plantes, pour qu’elles croissent régulièrement et atteignent leur maturité, il faut encore qu’elles rencontrent, dans le sol où elles enfoncent leurs racines, certaines substances minérales, qu’on retrouve
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- LA NATURE.
- dans leurs cendres après la calcination : ce sont l’acide phosphorique, la potasse et la chaux : la chaux est abondante à la surface de la terre, et il n’y a pas lieu de s’en préoccuper ; la potasse et surtout l’acide phosphorique sont infiniment moins répandus, et c’est surtout sur eux que Liebig porta son attention. Il comprenait bien, en effet, que l’azote gazeux, qui compose les 4/5 de notre atmosphère, intervient d'une façon quelconque dans la formation de cette masse de composés azotés, que recèle le sol arable, et que dès lors il n’était que médiocrement nécessaire de se préoccuper de sa restitution, tandis que les phosphates et la potasse, étant fixes, restant là où ils sont déposés, pouvaient finir par faire défaut dans une terre d’où ils étaient constamment exportés avec les récoltes, et n’étaient restitués que très-partiellement.
- Un exemple fera comprendre nettement l’idée mère de tous les travaux agricoles de Liebig, qu’il a développée dans tous ses ouvrages : un champ est soumis à un assolement quinquennal, on le laboure, on le fume, puis on lui demande successivement des pommes de terre, du blé, du trèfle, encore du blé,, et la dernière année de l’avoine. Les pommes de terre et le blé sont vendus au marché; le trèfle a servi à nourrir un bœuf, qui est encore vendu. Or il est clair que les pommes de terre et le blé renfermaient des phosphates et de la potasse prélevés dans le champ, que le bœuf a constitué des os, encore avec duphospate provenant de la terre du domaine et que tout cela sort de la ferme et n’y rentrera pas. On retrouvera sans doute dans le fumier une partie des phosphates et de la potasse du trèfle, et de l’avoine, si celle-ci a été consommée sur la ferme, mais on ne restituera, avec le fumier, qu’une fraction de ce qu’on a pris, et si on continue à enlever toujours plus qu’on ne rend, on finira par appauvrir la terre, par la stériliser.
- De là, les sinistres prédictions que Liebig n’a cessé de formuler sur le système de culture basé sur la production du fermier, de là les épithètes les plus dures dont il se plaît à l’accabler, de là ces noms d’agriculure spoliatrice, d’agriculture vampire qui reviennent à chaque page de ses ouvrages. Il ne se contente pas au reste de jeter l’alarme ; il indique le remède. D’abord il préconise l’emploi, comme engrais, des os riches en phosphate; il trouve qu’ils résistent à la décomposition dans le sol, qu’ils produisent peu d’effet, il invente alors de les attaquer avant de les jeter sur le sol, par de l’acide sulfurique, et il crée ainsi une des industries agricoles les plus prospères, la fabrication des superphosphates.
- Les effets obtenus sont merveilleux. La récolte des turneps, en Angleterre, double sous l’influence du nouvel engrais, aussi l’emploi des superphosphates se généralise ; d’Angleterre il passe en France, en Allemagne, en Amérique, et bien des gens qui mangent du beau pain de froment au lieu de galettes d’orge ou de sarrasin, ignorent que c’est à la sagacité de Liebig qu’ils doivent ces améliorations dans
- leur alimentation journalière. La consommation des superphosphates, s’accroissant sans cesse, les os ne suffirent plus, il fallut chercher de nouvelles sources de phosphates. Les géologues se mirent à l’œuvre, et bientôt Nesbitt, en Angleterre, Delannoy, puis de Molon, en France, en découvrirent d’importants gisements ; Liebig n’était pas seul au reste à poursuivre ces recherches, et M. Élie de Beaumont, dans sa publication remarquable sur l’utilité agricole du phosphore, montra l’importance qu’avait la découverte de nouvelles mines de phosphates.
- Ce n’est pas seulement aux géologues que Liebig adressait des objurgations, c’était encore à tons les administrateurs qui laissent perdre toutes les matières fertilisantes des grandes villes. On sait qu’à Paris les matières des vidanges sont extraites des fosses et conduites à des réservoirs à la Villette, puis de là poussées par une machine à vapeur jusqu’à Bondy, où l’on sépare les matières solides, qu’on fait dessécher et qu’on vend sous le nom de poudrette, des liquides qui, naguère encore, étaient jetés à la Seine. Tous lessels ammoniacaux, les phosphates qu’ils renferment étaient perdus. A Londres les choses étaient encore pires : toutes les matières, envoyées dans les eaux d’égout, étaient jetées dans la Tamise; les effets de cette méthode pernicieuse ont été tellement désastreux lors de la dernière épidémie de choléra de 1866, qu’on a construit des galeries d’évacuation qui vont porter les eaux en aval de Londres, assez loin pour que le fleuve cesse d’être empoisonné, mais si la question de salubrité est résolue, La question agricole reste entière, et la solution est même moins avancée qu’à Paris, qui a trouvé dans la plaine de Génevilliers un sol perméable qui est en voie de devenir, sous l’influence des eaux d’égout un des jardins maraîchers les plus riches du pays.
- Liebig est resté constamment sur la brèche; par ses lettres, par ses leçons, par scs livres, il revenait toujours sur la nécessité d’utiliser toutes ces richesses perdues, de restituer aux champs, d’où ils proviennent, toutes ces matières minérales, phosphate et potasse, qui, se trouvant dans les matières alimentaires, consommées dans les villes, passent dans les matières des vidanges, et devraient retourner aux terres qui les ont fournies. Il prêchait l’exemple de la Chine qui nourrit une population extrêmement dense et serrée sans importer d’engrais, mais qui utilise toutes les immondices des villes sans en rien perdre; il citait l’agriculture des Flandres, de l’Alsace, qui utilisent Vengrais flamand, et qui jouissent d’une si admirable prospérité; il les comparaît au gaspillage de l'agriculture anglaise qui, pour se soutenir, est obligée d’envoyer ses vaisseaux, chercher sur tous les les points du globe le guano, qui commence à s’épuiser.
- Pour Liebig, c’étaient toujours au reste les matières minérales qui restaient les engrais par excellence, il avait poussé, bien à tort, ses idées à l’extrême hors de la vérité, et n’attachait aux engrais azotés qu’une médiocre importance : de là de longues discussions avec
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- les chimistes anglais et français, dans lesquelles il n’eut pas le dessus. Les Anglais cependant admiraient son talent ; ils lui étaient reconnaissants de ses efforts pour foire de l’agriculture un art basé sur de solides principes scientifiques, et en 1856 on ouvrit, en Angleterre, une souscription publique, et sous l'impulsion de sir David Brewster, on réalisa une somme de vingt-cinq mille francs qui fut en partie remise à Liebig, et en partie consacrée à l'a-chat de cinq pièces d’argenterie destinées à rappeler à chacun de ses enfants l’estime dans laquelle l’Angleterre tenait leur glorieux père.
- Les honneurs lui étaient venus. En 1840, la société royale de Londres lui avait décerné la médaille de Copley, et l’avait appelé dans son sein. En 1845, le grand duc de Hesse Darmstadt l’avait fait baron ; enfin en 1861, notre académie des Sciences l’avait nommé un de ses huit associés étrangers. ,
- Le caractère dominant de l’œuvre de Liebig est le désir d'être utile, et de l’être immédiatement ; de là ses travaux appliqués à l’agriculture, de là ses ouvrages plutôt destinés au public qu’aux savants : son Traité de Chimie appliquée à la Physiologie végétale et animale; ses Lettres sur la Chimie, ses Lettres sur l’Agriculture qui eurent un si grand retentissement: enfin son dernier ouvrage : les Lois naturelles de l’Agriculture, dans lequel on rencontre tant de \ nos ingénieuses, tant de renseignements précieux, un peu confondus sans doute, sans grand ordre ni méthode, à l’allemande, mais qui resteront cependant comme une marque de sa bienfaisante. activité ; il ne se lassait pas, il savait que les plaines herbacées de l’Amérique méridionale nourrissent un nom-breux bétail qu’on exploite seulement pour le suif et le cuir, et qu’il est là des matières alimentaires perdues ; il imagine de foire, avec cette viande abandonnée, des extraits qui sont aujourd’hui justement estimés dans les ménages pauvres ; il avait indiqué aussi les heureux résultats qu’on obtient pour soutenir les forces des personnes atteintes de maladies graves, des extiaits de viande faits à froid; il avait composé un lait artificiel, il s’efforçait d’être utile, et sa renommée était grande.
- Et, il faut bien le reconnaître, elle était exagérée ; tandis que tout le monde connaît le nom de Liebig, les savants seuls répètent ceux de Whler, de Bunsen, de Kirschoff, de Mayer, d’Helmotz, Allemands comme Liebig, et qui ont fait plus que lui. • Son œuvre de science pure reste moyenne ; il n’a créé aucune grande théorie, il n’a imaginé aucune méthode d’analyse d’une fécondité comparable à l’analyse spectrale. Quand il a voulu baser la chimie organique sur l’hypothèse des radicaux composés, il a échoué, et a dû abandonner l’entreprise commencée. « La chimie de M. Liebig, » disait avec raison Laurent, est l’étude des corps qui n’existent pas ; il n’a rien laissé de complet, d’achevé, et, malgré cette insuffisance, son influence a été considérable. Il écrivait beaucoup, il n’avait pas cette dignité un peu hautaine du véritable savant, à qui lé témoi
- gnage de ses pairs suffît et qui craint les acclamations bruyantes du grand public ; il aimait au contraire le mouvement, la polémique, son style était véhément, familier, fait pour frapper les indifférents et forcer l’attention.
- Peut-être l’éclat qui s’attache au nom de Liebig ne sera-t-il pas de longue durée ; les œuvres d’utilité immédiate qu’il a eu surtout en vue sont de celles qui profitent à l’humanité, mais dont elle ne garde pas le souvenir aussi profondément gravé que celui qui s’attache aux grands travaux théoriques qui servent pendant plus d’une génération de guide, de fanal aux efforts des chercheurs.
- Je viens de relire pour écrire ces pages quelques-unes des œuvres de Liebig. La Ch imie appliquée à la physiologie est dédiée au baron Thénard, à l’illustre chef de cette double génération de savants qui porte si dignement son nom1; les secondes lettres sur la chimie sont dédiées à M. Dumas ; elles ont été traduites par Gerhardt.
- Combien nous sommes loin de cet heureux échange de patronages scientifiques! Quand reviendra-t-il? Jamais à coup sûr tant qu’une partie de la France restera injustement entre les mains de l’Allemagne2.
- —
- LES PONTS AUX ÉTATS-UNIS
- Depuis une trentaine d’années, on connaît en Europe, sous le nom de ponts américains ou ponts tubu-
- 1 II n’est peut-être pas sans intérêt, à trente ans de distance, de voir où nous en étions avec l’Allemagne au moment où Liebig se présenta en France, dix-sept ans après léna et huit ans après Waterloo; la confiance était revenue, l'entente semblait complète : on en jugera par la dédicace suivante que nous jugeons utile de mettre sous les yeux du lecteur.
- « A Al. le baron Thénard-
- « Monsieur,
- « En 1823, lorsque vous présidiez l’Académie des sciences, un jeune étudiant étranger vint à vous et sollicita vos conseils à l’occasion d’un travail sur les fulminates dont il s’occupait alors.
- « Attiré à Paris par l’immense réputation des maîtres célèbres, dont les glorieux travaux posaient les fondements des sciences et en élevaient l’admirable édifice, il n’avait d’autie recommandation près de vous que son amour pour l’étude et sa ferme volonté de profiler de vos leçons.
- « Vous lui files l’accueil le plus encourageant et le plus flatteur; vous le dirigeâtes dans ses premières recherches et, par vous, il eut le bonheur de les communiquer à l’Académie.
- « Ce fut la séance du 28 juillet qui décida de son avenir et lui ouvrit la carrière dans laquelle, depuis dix-sept ans, il s’est efforcé de justifier votre bienveillant patronage.
- « Si ses travaux n’ont pas été sans utilité, c’est à vous que la science en est redevable, et il éprouve le besoin de vous exprimer publiquement ses sentiments ineffaçables de reconnaissance, de haute estime et de vénération.
- a Jostus Liebig.
- « Giessen, 1" janvier 1841. »
- 2 Le portrait de Liebig, qui accompagne cette notice, a été exécuté avec une grande fidélité et rappelle les traits de l’illustre chimiste, c’est grâce au Gardener'a Chrouwlç qu’il nous a été possible de le publier.
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- laires, des ponts plats, en bois ou en fer, composés de pièces très-courtes, assemblées au moyen de nombreux boulons. Plus anciennement, l’Amérique nous avait déjà donné le modèle des ponts suspendus ;
- mais ceux-ci, après une vogue momentanée, finirent par être mis au rebut. On ne leur trouvait pas assez de solidité, tandis que les ponts tubulaires obtiennent, en définitive, beaucoup de succès dans tousles
- :
- Fig. 1. — Pont métallique à tablier supérieur (Deck-Bridge). — Élévation.
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- Fig. 2. — Pont d’aval du Niagara (1833).
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- Fig. 3. — Pont de Cincinnati sur l’Ohio (1807).
- Coupes transversales des figures 1, 2 et 5.
- Fig. 5.
- Fig. 2.
- pays où la pierre de belle qualité est rare. On construit maintenant des ponts tubulaires partout, sur les chemins de fer et sur les chemins vicinaux. Leur défaut principal est d’être assez laids d’aspect. De plus ils coûtent encore cher, parce qu’ils exigent une grande quantité de métal. Il était intéressant de sa-
- voir ce que ces deux types de construction sont devenus dans le pays qui les a inventés. C’est ce que nous apprend le bel ouvrage de M. Malézieux sur les travaux publics aux États-Unis d’Amérique, en 1870. Cet ingénieur, envoyé en mission dans le nouveau monde par le gouvernement français, en a rapporté
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- LA NATURE.
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- des documents précieux sur les travaux du génie civil au delà de l’Atlantique 1.
- Dans les ponts tubulaires que l’on fabrique en France et dans les autres contrées de l’Europe, les pièces métalliques sont entrecroisées en forme de treillis et toutes boulonnées ensemble. Elles sont toutes solidaires et travaillent alternativement par extension et par compression, ce qui est défavorable à la résistance. Les Américains ont fait en sorte que les pièces travaillent toujours dans le même sens, les unes par extension, les autres par compression. Il faut éviter autant que possible ce dernier mode de travail qui convient moins au métal. On peut s’en convaincre par une démonstration bien simple. Que l’on imagine un fil de fer d’un kilomètre de long, suspendu verticalement au-dessus de la terre; il restera en place sans se rompre; le fer travaille alors par extension. Que l’on imagine à côté un fil de même diamètre et de dix mètres de longueur seulement, planté verticalement dans le sol; il s’affaissera en se tordant sur lui-même; dans ce cas, le fer travaille par compression, il possède une bien moindre résistance. Les ingénieurs des États-Unis donnent avec raison un plus fort diamètre aux poutres qui sont destinées à être comprimées ; quant aux autres pièces, ils ne leur donnent qu’une grosseur mathématiquement calculée, en raison des efforts qu’elles doivent supporter.
- La figure 1 montre comment celte théorie s’applique à des ponts de chemins de fer. Dans ce modèle, la semelle supérieure et les montants verticaux subissent seuls un effet de compression ; on peut les fabriquer en fonte. Toutes les autres pièces sont étirées;, elles sont nécessairement en fer. On remarquera que les entretoises obliques sont pourvues de tendeurs à vis, en sorte que la tension supportée par chacune puisse être convenablement réglée.
- Des ponts analogues à celui que nous venons de décrire ont été mis en pratique partout, aux États-Unis, sur
- 1 Nous nous faisons un devoir d’adresser à M. Malézieux nos remerciements pour avoir bien voulu nous autoriser à reproduire les documents si intéressants que la science lui doit. On parlera bientôt des observations que ce savant ingénieur a faites sur les chemins de fer américains. G. T.
- l'ont de Louisville sur l’Ohio. — Élévation d’ensemble de la moitié du pont. (Les chrfres de ceile Ligue 1 epi e: enteat des metie-
- les grands fleuves, ainsi que sur les petites rivières, et quelquefois avec une hardiesse surprenante. On en va juger par quelques exemples.
- Le pont de Louisville, sur l’Ohio, a 1620 mètres de long, entre les deux culées. La figure ci-jointe n’en représente qu’une partie. Il comprend deux travées marinières, l’une de 116 mètres et l’autre de 107, deux travées de pont tournant ayant ensemble 81 mètres, et 25 autres travées dont 6 ont 75 mètres d’ouverture. Ce pont supporte une voie de chemin de fer et deux trottoirs latéraux pour les piétons. Il a coûté, dit-on, 8 millions de francs.
- Le pont de Saint-Louis, sur le Missis-sipi, a une travée centrale de 159 mètres d’ouverture entre deux travées latérales de 151 mètres. Sur un fleuve comme le Mississipi, qui roule, pendant les crues, des arbres entiers et même des îlots arrachés à ses rives, il est de première importance de diminuer le nombre des piles ; c’est pourquoi les travées ont été faites si larges. C’est aussi d’ailleurs l’intérêt de la navigation. Ce pont, de 15 mètres de large, a deux étages superposés; les trains de chemin de fer passent sur la semelle inférieure et les voitures ordinaires sur la semelle supérieure.
- A Omaha, sur le Missouri, il s’agissait de réunir le chemin de fer du Pacifique, dont cette ville est le point de départ, avec les chemins de fer venant de Saint-Louis et de Chicago. Le Missouri a des crues de 8 à 9 mètres, et, afin que le pont ne fût pas une gêne pour les bateaux, le gouvernement exigeait que le tablier fût placé à 15 mètres au moins au-dessus des plus hautes eaux. Il y a 11 travées de 76 mètres chacune.
- Les ingénieurs américains ont construit, depuis dix ans, une vingtaine de ces grands ponts, et ils en construisent d’autres chaque année. Les travées de 150 mètres d’ouverture ne les effrayent pas; mais, quand certaines conditions locales exigent que les piles soient encore plus espacées, ils ont recours aux ponts suspendus qu’ils ont perfectionnés au point d’en faire une invention presque nouvelle.
- On sait quel est le grand vice des ponts suspendus; ils manquent de stabilité. Dès qu’un lourd fardeau se meut sur leur tablier, ils oscillent d’une façon inquiétante, parfois dangereuse, comme
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- LA NATURE.
- l’accident d'Angers l’a fait voir, il y a vingt et quelques années. Comment les Américains y ont-ils remédié? D’abord, ils ont donné au tablier une forme tubulaire de même que dans les ponts métalliques précédemment décrits, ce qui lui donne de la rigidité ; puis, au lieu de laisser descendre les cables de suspension dans des plans verticaux parallèles, ils les ont écartés au sommet, rapprochés au milieu, ce qui empêche le balancement latéral; enfin, comme ressource accessoire, ils ont attaché le tablier aux piles par des haubans qui ont en outre l’avantage de soulager les cables. Et tout cela leur a si bien réussi qu’ils en sont venus à faire passer des locomotives sur des ponts suspendus.
- Les diagrammes de la page 28 montrent ces diverses dispositions; on y voit figurer les haubans. Sur les coupes transversales qui les accompagnent, on distingue la forme tubulaire des tabliers et l’inclinaison des câbles par rapport au plan vertical. Ajoutons quelques détails propres aux de ix ponts représentés sur ces figures.
- Le premier, le pont d’aval du Niagara, fut construit en 1855 (fig. 2). La hauteur des rives au-dessus du fleuve (75 mètres) ne permettait pas de songer à un pont d’un autre genre. La travée unique a 250 mètres d’ouverture. Le tablier, supporté par 4 câbles, a 7“,50 de large et donne passage, dans l’intérieur, aux voitures ordinaires aimi qu’aux piétons, au-dessus, aux trains de chemin de fer.
- Le pont de Cincinnati a été ouvert à la circulation le 1er janvier 1867 (fig. 3). La travée centrale a 322 mètres entre les points de suspension. Sur une largeur totale de 11 mètres, il y a deux voies de fer à ornières pour voitures ordinaires et deux trottoirs extérieurs, avec garde-fous pour les piétons. Le lendemain de l’ouverture de ce pont, 75,000 personnes y passèrent dans un espace de huit heures, soit pour leurs besoins, soit pour jouir du panorama que présentent les rives pittoresques de l’Ohio.
- Enfin, l’œuvre la plus remarquable en ce genre . est assurément le pont de la rivière de l’Est, à New-York, que l’on construisait lors du voyage de M. Ma-lézieux et qui n’est pas encore livré à la circulation. Entre la ville de New-York, qui compte 926,000 habitants, et son faubourg de Brooklyn, qui en compte 397,000, s’étend un bras de mer, que l’on nomme la rivière de l’Est. C’est l’une des entrées du port de New-York; aussi les ingénieurs du congrès ne veulent-ils y permettre aucune construction qui gênerait les mouvements des navires. Jusqu’alors on se rend de la ville au faubourg par des bacs à vapeur (ferry-boats), qui transportent annuellement plus de 40 millions de personnes, sans compter les voitures. Le prix du passage est de deux cents par tête, ce qui équivaut à dix centimes.
- Lorsqu’une compagnie offrit de construire un pont, on lui posa pour conditions de ménager une hauteur de 41 mètres entre le niveau des hautes mers et le dessous du tablier, et de laisser au milieu de la rivière un passage libre de 493 mètres de large. Cela étant,
- un pont suspendu devenait seul possible. Il fut décidé qu’en outre de la travée centrale de 493 mètres, il y en aurait deux autres de 287, et enfin deux viaducs d’accès, l’un de 440 mètres, l’autre de 287 mètres, afin d'arriver à la hauteur prescrite sans trop grande pente.
- Le pont aura 26 mètres de largeur totale, comprenant deux voies de chemin de fer, quatre voies à rails plats pour les voitures ordinaires, et une passerelle pour les piétons. On n’y admettra pas les locomotives; les wagons seront traînés par des câbles et des machines fixes. Comme dernier détail, ajoutons que les deux piles bâties au milieu de la rivière doivent avoir 84 mètres de hauteur au-dessus des hautes eaux, et qu’il a fallu en descendre les fondations à 25 mètres au-dessous des plus basses mers.
- Le lecteur aura saisi tout ce qu’il y a d’original dans ces constructions américaines. Les ingénieurs des États-Unis se sont trouvés en présence d’obstacles qui semblaient insurmontables. L’expérience acquise par leurs confrères d’Europe ne leur pouvait êtred’un grand secours, car il n’y a guère de fleuves si larges dans les contrées civilisées de l’ancien monde. Ils ont su résoudre ces difficultés par des procédés nouveaux, et en même temps il se sont gardés d’entreprendre des constructions trop coûteuses ou trop aventureuses. En chaque cas particulier, la solution adoptée par eux est satisfaisante-et économique. C’est une conséquence de leur esprit positif et calculateur.
- II. BLERZY.
- LE FOND D’UN LAGON
- DANS LA MEK DE CORAIL.
- Les polypiers prennent un développement considérable dans certaines parties de la mer de Corail; on sait que ces « faiseurs de mondes, » ces ébauches animales font des œuvres de Titans ; l’esprit est saisi par le contraste qui existe entre l’exiguïté des moyens et l’énormité du résultat.Les plus actifs travailleurs de la mer sont les caryophyllées, les astrées, lesden-drophyllées, les méandrines, etc., polypes désignés généralement sous le nom générique de madrépores. L’agrégation de toutes ces espèces constitue parfois de véritables républiques ; car les branches ne sont pas indépendantes les unes des autres ; de distance en distance elles se mêlent à des polypes semblables à des fleurs, dont les couleurs parcourent toute la gamme des tons des fleurs aériennes et toutes les nuances de la palètte la plus luxuriante. C’est un spectacle féerique que de naviguer au-dessus de ces parterres sous-marins, dans les lagons si nombreux des récifs de la Nouvelle-Calédonie : on voit l’embarcation glisser doucement sur des bouquets de madrépores aux con
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- LA NATURE.
- CA tel
- tours les plus fantaisistes; on plane au-dessus de paysages sous-marins, dont les aspects variés se ré-flètent dans l’eau limpide comme du cristal. Au milieu de ces forêts submergées en miniature, nagent une foule de poissons inconnus dans les mers d’Europe qui tantôt par bandes nombreuses, tantôt solitaires, se faufilent dans tous les replis des coraux.
- Le développement prodigieux des polypiers ne joue pas seulement un rôle important dans la modification
- du fond des mers tropicales; il exerce aussi une influence de salubrité sur les climats. On a remarqué que dans les îles où les coraux sont vivants, telles que la Nouvelle - Calédonie, Tahiti, les Seychelles et la majeure partie de la Polynésie, les fiè- *2. vres sont absentes ou ont un caractère bénin ; tandis que dans les parages entourés de coraux morts, tels que la Vera Cruz, les Antilles, les Nouvelles Hébrides, ces maladies présentent, au contraire, un
- Fond d’un lagon de la mer de corail.
- caractère grave. N’y aurait-il pas lieu de supposer que leur élaboration détruit les miasmes pestilentiels?
- J. GIRARD.
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- CHRONIQUE
- Académie des sciences naturelles à Philadelphie. — Cette académie po ssède maintenant plus de 6000 minéraux; 700 espèces de pierres; 6500 fossiles; 70,000 espèces de plantes; 1000 espèces de zoophytes ; 2000 espèces de crustacés ; 500 espèces de cocons et d’araignées ; 25,000 espèces d’insectes ; 20,000 espèces de coquillages; 2,000 espèces de poissons; 800 espèces de reptiles; 21,000 oiseaux, dont200 avec les nids et 1,500 avec leurs œufs; 1,000 mammals et plus de 900 squelettes et pièces d'ostéologie. Plusieurs de ces espèces sont représentées par quatre ou cinq spécimens, de sorte que, y compris les cabinets d’archéologie et d’ethnologie, l’établissement nécessite l’espace requis pour la disposition de 400,000 objets, plus pour une bibliothèque de 22,500 volumes. On érige une nouvelle construction dont le coût sera d’un demi-million de dollars.
- Les fourmis rouges. —Le R. P. Homer, missionnaire de la côte orientale d’Afrique, regarde les fourmis
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- rouges et noires comme un des plus grands fléaux de ce pays. Ces insectes traversent les chemins, en bandes tellement serrées, que souvent les bêtes de sommes refusent de passer dessus. Si on ne les voit pas à temps pour les éviter, le linge et les vêtements en sont remplis. Il arrive aussi que grimpant sur les arbres, elles tombent sur le voyageur qui passe. Les indigènes les appellent madinodo, c’est-à-dire eau bouillante, désignation en rapport avecla sensation cuisante que produit leur piqûre. Ces fourmis sont énormes et s’enfoncent si profondément dans la chair, qu’on a de la peine à les en arracher. Un dit que dans certaines forêts, elles sont assez grosses et assez puissantes parle nombre pour détruire les rats et les lézards.
- La sparterie chez les Arabes j d’Algérie. — La 1 plupart des ustensiles I i de ménage dont l’Arabe se sert sous la tente sont tressés en alpha ou en diss. Tous ces obj < ts doivent être portatifs et quand ils viennent à manquer, il faut pouvoir les remplacer à l’instant. L’alpha est coupé vert ; on l'expose à la chaleur et on l’ouvre en faisant courir une lame de couteau sur toute la
- longueur de la tige. La diss ou feuille de palmier est exposée au s leil, plongée dans l’eau et exposée de nouveau au soleil ; avant qu’elle soit sèche, ou la roule entre les deux mains. Les objets de vannerie les plus communs sont : les tasses à traire les chèvres, h s plats dans lesquels on met le couscoussou, les nattes pour se coucher, et les sindoukh, sorte d’amphore romaine. Les plus renommés viennent de Bou-Taleb, dans la province de Constantine.
- Bateau de sauvetage en fer. — On a fait de récentes expériences à Garston, près Liverpool, sur la val ur comparative des li/e-boals en bois et en fer. Le bateau en fer, destiné aux navires qui transportent des passagers, avait 7 mètres de long sur 2,50 et lm,15 de creux; à l'avant et à l’arrière, il comporte des chambres à air, qui ont une capacité égale à la partie laissée libre pour la manœuvre. On a placé quarante-sept hommes à bord qui se sont portés tantôt d’un côté, tantôt de l’autre, sans compromettre la stabilité, malgré l’eau qui embarquait. Le même bateau rempli d’eau a flotté sans aucun danger, avec vingt et un hommes à bord ; il y avait encore une hauteur de 40 centimètres au-dessus de la ligne de flottaison.
- Un aéronaute français en Bussie. — M. Bunelle, aéronaute du siège de Paris, a exécuté à Saint-Pétersbourg une très-belle ascension, le 15 mai dernier, avec le ballon le Jules Favre. Il est parti à 4 heures de l’École des Cadets, où Robertson avait fait sa grande ascension en 1802. Le vent qui était violent à terre l’a poussé sur le golfe de
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- LA NATURE.
- Finlande, et les phénomènes observés ont été identiques à ceux queM. Tissandier a constatés dans son ascension du 16 août 1868 exécutée à Calais. A une hauteur de 800 mètres environ régnait un courant différent qui a ramené le Jules Favre dans la direction de Saint-Pétersbourg, Le ballon étant redescendu vers la terre s’est dirigé au-dessus du lac Ladoga. En s’élevant de nouveau, à 2,000 mètres, M. Bunelle a retrouvé un courant qui l’a conduit de nouveau vers Saint-Pétersbourg. Il a exécuté une heureuse descente dans le voisinage d’une station du chemin de fer de Finlande dont il s’est trouvé séparé par une forêt impénétrable à travers laquelle les habitants du pays ont frayé une route improvisée, la hache à la main. Cette inversion des courants sur les bords de la mer ne serait-elle point un phénomène assez général pour être utilisé dans les manœuvres aérostatiques ? C’est une question que V. Tissandier a posée lors de son ascension de Calais et à laquelle il semble devoir être affirmativement répondu. W. de F.
- La Soelété africaine d’Allemagne. — Le 19 avril, les différentes sociétés géographiques d’Allemagne se sont réunies à Berlin et ont constitué une société spécialement consacrée à l’exploration de l’Afrique,
- Nous ne pouvons nous empocher d’approuver cet acte, et d’émettre l’espérance que la France qui est une puissance africaine en même temps qu’une puissance européenne y verra un nouveau motif pour redoubler d’efforts dans la civilisation et la conquête de cet immense continent.
- Le président de la République, qui a passé en Afrique une partie de sa glorieuse carrière et qui a laissé en Algérie tant de traces de son gouvernement, ne saurait manquer d’encourager toutes les tentatives rationnelles faites dans ce sens. La Société de Géographie de Paris vient, du reste., d’être saisie d’un projet d’exploration, pour visiter la région des lacs équatoriaux où le nom français n’a pas encore pénétré. Ce projet va être mis en exécution par un jeune voyageur qui ne demande aucune allocation et qui se propose de partir incessamment.
- La chaleur de la lune. — Dans une des dernières séances de la Société royale de Londres, le comte de Ross a donné le résultat définitif d’observations faites dans son château de Birr avec le magnifique télescope dont son père a fait un si glorieux usage. Le jeune et habile astronome, continuant à étudier un problème légué par le savant dont il est le digne héritier, est parvenu à démontrer par des expériences thermométriques directes que la lune est un corps chaud dont l’influence pénètre jusqu’au fond de l’océan aérien. L’éclipse partielle du 14 novembre 1872, est venue lui donner un argument nouveau ; en effet, il a prouvé que la chaleur varie pendant les phases de la même manière que la lumière, qu’elle durait jusqu’au moment de la plus grande phase pour croître de nouveau lorsque ce moment est passé. Un ciel magnifique a favorisé ces expériences que les nuages rendront si souvent infructueuses et incertaines, jusqu’au jour où l’on aura trouvé moyen de les dompter en les exécutant à l’aide d’un aérostat.
- Le télescope d'un million de dollars. — Les Américains se décideront-ils à fondre le fameux canon de Jules Vernes, cette pièce d’artillerie monstrueuse qui lance jusque dans la lune, des voyageurs enfermés dans un boulet ? C’est ce qui ne parait pas encore décidé de l’autre côté de l’Atlantique. En attendant la réalisation de ce prodige, on se préoccupe vivement aux États-Uis, de la construction d’un télescope monstre, qui devra coûter un million de dollars. Cet instrument gigantesque serait
- aux plus grandes, lunettes de nos observatoires, ce que le Great-Eastern est au canot, ce que le canon Krupp est à l’arquebuse des temps passés. Il rapprocherait la lune de notre planète à un tel point qu'on pourrait envisager, étudier notre satellite, comme jamais astronome n’a pu l'espérer. Cet instrument formidable va se construire, à ce que disent les journaux américains, quand le mode de souscription public sera définitivement organisé. Mille propositions sont, chaque jour, mises en avant ; les uns demandent que les souscripteurs aient le droit de regarder dans ce télescope, d’autant plus souvent que l’apport de leur cotisation sera plus considérable, les autres désirent que l’on établisse à chaque bureau de poste, un tronc spécial pour “ the million dollar telscope, ” afin que le plus pauvre puisse offrir son obole ; d’autres, enfin, veulent fonder une nouvelle Société astronomique américaine, au capital de deux millions de dollars: on "consacrerait la moitié de la somme à la construction du télescope, et . autre moitié à l’édification de l’observatoire qui le renfermerait. Cette dernière proposition nous semble sage; car, enfin, il ne suffit pas de créer un télescope monstre, il faut songer à la boite qui devra le contenir.
- Quoi qu’il en soit, jusqu’à preuve du contraire, nous nous tiendrons sur la réserve au sujet de ce que les journaux américains débitent à ce propos. Nous craignons même que ce géant des lunettes soit uniquement exploité par quelque Barnum, en quête de nouveauté.
- Le télescope d'un million de dollars est-il vraiment fait pour compler les volcans lunaires? Ne serait-il pas destiné à mesurer le degré de la crédulité humaine, d’après le nombre des naïfs qui y ont ajouté foi ?
- Le détroit de Magellam. —Le détroit de ce nom est une suite de chenaux et de passes irrégulières qui séparent le continent américain de la Terre-de-Feu, très-dangereux pour la navigation à voiles, il est plus facile pour les bateaux à vapeur qui évitent ainsi d’allonger leur trajet en doublant le cap Ilorn, et de rencontrer la grosse mer qui règne constamment dans ces parages. Jusqu’ici les navigateurs redoutaient de s’y engager, à cause de l’incertitude des documents hydrographiques,
- La marinebritannique comprenant tout l’avantage qu’il y aurait pour les compagnies de navigation à vapeur, a organisé une expédition qui a relevé ce dédale inextricable des passes magellaniques, très-peu fréquentées depuis 1519, époque de la découverte. Le détroit de Magellan a d’une mer à l’autre une longueur de 300 milles. La largeur est extrêmement variable; elle a 15 milles entre le cap des Vierges et le cap Espiritu Santo, tandis que dans certains endroits, au milieu des îlots, et les promontoires du milieu, elle est juste suffisante pour le passage d’un navire. L’eau est généralement profonde, mais il faut tenir compte des marées qui s’élèvent jusqu’à 23 mètres. Le côtes sont très-accidentées, bordées de précipices, leur aspect est tout ce qu’on peut concevoir de plus sauvage. La hauteur des sommets principaux atteint jusqu’à 2,000 mètres au-dessus du niveau de la mer. Les forêts de sapins couvrent la plupart des pentes. Il y a tout lieu de supposer que la navigation fréquentera cette route, car un service de remorqueurs est sur le point de s’établir à Puntas Arenas, pour aider les navires à voiles à franchir le détroit.
- Le Propriétaire-Gérant : G. TISSANDIER.
- PANS. — 1MP. SIMON RAÇON ET CoMP., HUE D’E’FUATHI, 1.
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- 3. — 21 JUIN 1875.
- LA NATURE.
- Cl C.A
- L’OBSERVATOIRE DE PARIS
- M. Leverrier, nommé directeur de l’Observatoire national par un décret daté du 13 février 1873, a récemment pris possession de ses importantes fonctions. Au moment où un astronome aussi célèbre vient de se mettre à la tête de la première des branches de la science française, il nous a paru indispensable de parler des réformes qui vont faire entrer dans une voie nouvelle un établissement illustré par les Cassini, les Lalande, les la Place et les Arago. Non-seulement l’Observatoire recevra une puissante impulsion de la main de son directeur, mais il possède un conseil composé des savants les plus autorisés. Parmi cette pléiade d’hommes qui tous rendent des services à la science astronomique, nous mentionnerons MM. Belgrand, Fizeau, le vice-amiral Ju-rien de la Gravière, Jaussen, Tresca, Daubrée, Yvon-Villarceau, Wolf et Rayet. Plusieurs de ces honorables savants sont en même temps les chefs des différents services de l’Observatoire, qui aujourd’hui, complètement indépendants les uns des autres, sont reliés entre eux par la direction.
- Nous ne croyons pas utile d’entrer dans des détails minutieux sur ces services, nous dirons seulement qu’ils sont au nombre de six. Le premier d’entre eux est celui de l’astronomie mathématique, confié spécialement à M. Leverrier, qui n’a point renoncé à son cours d’astronomie à la Sorbonne. Pendant qu’il applique à la théorie de Jupiter et des petites planètes des méthodes qui l’ont immortalisé par la découverte de Neptune, il se préoccupe en même temps du soin de former les astronomes de l’avenir. Le second service est confié à M. Lœvy, de l’Institut : c’est celui des observations méridiennes, qui servent de base à tous les calculs des mouvements, célestes. Attaché depuis plus de vingt ans à cette branche fondamentale de l’astronomie, M. Lœvy y apporte une rigueur, une précision presque idéale.
- Le troisième service est celui des observations physiques, à la tête duquel se trouve M. Wolf, illustré par d’ingénieuses méthodes pour l’observation du prochain passage de Vénus, et que l’Académie comptera prochainement dans ses rangs. Parmi les instruments dont ce savant dispose, nous citerons le fameux sidérostat de Léon Foucault. Il a déjà servi à prendre des photographies célestes, et avant que sa valeur réelle ait été déterminée par des observations indiscutables, il a excité l’émulation de nos voisins d'outre-Manche. Notre savant confrère, M. Lockyer, directeur du journal anglais Nature, ayant eu occasion de le visiter, a pris la résolution d’en construire lui-même un analogue aux frais du gouvernement britannique.
- Le quatrième service, dirigé par M. Yvon-Villar-ceau, membre de l’Institut, est celui de la géodésie. D’après la proposition de M. Leverrier, les opérations géodésiques auxquelles l’Observatoire prendra part seront exécutées de concert avec le Bureau des lon
- gitudes. La longue rivalité de ces deux établissements est enfin terminée de la manière la plus heureuse : ces deux corps distincts de notre grande année scientifique travailleront fraternellement à augmenter la gloire nationale.
- La section de météorologie de l’Observatoire va prendre une importante extension ; on ne saurait trop féliciter la direction de l’impulsion qu’elle veut donner à cette branche si grosse d’avenir de la science moderne. Elle sera dirigée par des astronomes de talent, MM. Rayet et Front. L’Observatoire de Mont-souris, exclusivement destiné, d’après le dernier décret, aux observations météorologiques du département de la Seine, va faire cause commune avec l’Observatoire de Paris, et devenir son allié au lieu d'être son rival, au grand détriment de l’intérêt scientifique. Les observations météorologiques du monde entier vont être concentrées à l’Observatoire de Paris, que l’on pourra comparer en quelque sorte à un cerveau où aboutissent les impressions communiquées parles fibres d’un immense système nerveux. Les fils télégraphiques terrestres et océaniques qui sillonnent actuellement la surface des continents ou le fond des mers doivent être considérés comme les plus utiles auxiliaires de la météorologie moderne ; avec leur concours les distances cessent d’exister, et le savant, en un seul lieu de la terre, peut le soir consulter les observations diverses, exécutées le matin sur d’innombrables points de la surface du globe.
- Déjà les directeurs d’un câble transatlantique américain se sont mis à la disposition de M. Leverrier pour lui communiquer gratuitement les télégrammes des astronomes des États-Unis, et lui donner le moyen de correspondre avec ses collègues transocéaniques. Souhaitons que ce bel exemple soit imité par les autres compagnies télégraphiques. Si elles hésitaient à ouvrir leurs lignes à nos observatoires, elles feraient acte d’ingratitude; car ces puissantes constructions de l’industrie sont nées de la science pure ; c’est par la science qu’elles ont été créées, c’est grâce à la science que les millions affluent dans leurs caisses. Ne sont-ce pas en effet les Œrstedt, les Ampère et les Arago qui, par leurs travaux théoriques, ont ouvert à l’industrie cette voie si féconde de la télégraphie?
- Comme exemple de l’admirable usage du télégraphe électrique, il nous suffira de dire que tout récemment M. le professeur Henry, secrétaire du Smithsoniau Institution à Washington , a averti M. Leverrier par dépêche de la découverte d’une petite planète. Le jour où cet avis avait été expédié, le ciel était couvert à Paris. M. Leverrier a immédiatement donné l’ordre à l’observatoire de Marseille de sonder le firmament dans la direction du nouveau corps planétaire, dont on a pu prendre immédiatement une position.
- Le sixième service, dirigé par M. Caillot, est celui du bureau des calculateurs chargés d’exécuter les innombrables réductions nécessaires à l’interprétation des observations et à la mise en œuvre des formules.
- Parmi les modifications introduites dans l'organi-
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- S
- LA NATURE.
- sation de l’Observatoire, nous ajouterons que le Bulletin météorologique qui paraît tous les jours servira désormais d’organe à l’astronomie. La publication des Annales de l’Observatoire se continue ; déjà six feuilles de cet ouvrage, qui doit en comprendre quarante, sont sous presse depuis quelques semaines.
- L’ère de la paix et du travail vient de s’inaugurer à l’Observatoire de Paris, au Bureau des longitudes, à l’Observatoire de Montsouris. Qu’elle nous ouvre Un règne fécond en découvertes !
- Il ne manque plus à l’organisation actuelle qu’un seul et indispensable auxiliaire, c’est l’argent. Mais les fonds nécessaires à la vitalité de l’Observatoire vont être prochainement demandés à l’Assemblée nationale. Nous croirions porter atteinte à sa dignité en supposant qu’elle les refuse.
- Gaston TISSANDIER.
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- LES OSCILLATIONS DES CÔTES
- ET LA PLAGE DE CAYEUX (SOMME).
- La surface du globe n’est pas seulement soumise à des palpitations violentes, elle ressent aussi des mouvements très-lents, tellement insensibles, que leur constatation ne peut avoir lieu que par des générations successives d’observateurs. L’Océan modifie aussi lui-même ses rivages d’une façon incessante ; l’érosion des flots, le contact des eaux avec des terres friables, déterminent des changements appréciables.
- Les moyens d’enregistrement font dé- Page j faut au milieu des continents; c’est seulement sur les côtes,près de la mer, qui est le grand plan de nivellement du globe, qu’on retrouve des marques de retrait ou de progression de la mer : si elle a envahi les terres, il existe un affaissement ; si l’on voit à des signes certains que son niveau actuel est plus bas, il s’est produit un exhaussement. Les principaux repères sont, dans cette dernière circonstance, les coquillages marins, tels que les pholades et les balanes, qui affectionnent la limite des hautes marées ; et, comme ils ont la propriété de perforer les roches les plus dures, ils deviennent un témoignage écrit de la présence des eaux marines. Ailleurs, les cordons littoraux des plages inclinées, reléguées loin de la laisse de haute mer actuelle, confirment sa présence antérieure dans des lieux qu’elle ne vient plus baigner.
- Ce dernier exemple se rencontre d’une façon sen
- sible sur la plage qui s’étend entre Cayeux, près de l’embouchure de la Somme, et le bourgd’Ault. L’appareil littoral ancien est une preuve du retrait des eaux et des différentes périodes d’activité de la mer. On voit, sur une étendue de huit à dix kilomètres, des cordons ou bourrelets de galets disposés, avec une régularité progressive, en zones de rouleaux, dont les contours correspondent aux époques de formation et attestent le retrait de la laisse de haute mer. Sur plusieurs points, ces ondulations de galets sont au nombre de vingt à trente, en les comptant depuis le pied du cordon littoral actuel jusqu’aux terres cultivées, c'est-à-dire sur une distance de 100 à 150 mètres. Tantôt leur courbure concentrique est tournée du côté de la mer; tantôt elle dévie fortement, en se rejetant sur l’un ou l’autre côté. Leur hauteur est variable suivant les endroits; dans quelques-uns elle dépasse à peine quelques centimètres, au lieu que, dans d’autres, elle est suffisante pour formel’ de petits vallonnements de 3 ou 4 mètres de profondeur. Toutes ces traces sont un modèle en relief des modifications de la plage, suivant les caprices de la mer.
- Il est également à remarquer que, sur une étendue de quatre à cinq kilomètres, en se rapprochant du bourg d’Ault, le cordon littoral actuel est d’une régularité et d’une hauteur qui contrastent notablement avec les sinuosités des dépôts anciens. Il se prolonge en forme de digue à section prismatique et aux pentes raides, entre la laisse de haute mer et les relais ou terres abandonnées par la mer pendant les périodes précédentes.
- Le sol sur lequel
- • . . ty les anciens cordons
- *" ' = littoraux ont été suc-* - e cessivement édifiés ,, est plus élevé que le Cayeux. niveau des hautes mers d’équinoxe; cette assertion est justifiée parla sécheresse de ces terres abandonnées parles eaux de la mer, qui, même dans les élévations exceptionnelles de la marée et malgré la perméabilité de la digue naturelle de galets formant barrière, ne sont pas inondées.
- Il paraît évident qu’il s’est produit un exhaussement lent du sol de cette plage. Est-il attribuable à une dépression de l’écorce terrestre ou à une cause locale accidentelle? Sans aller chercher une explication dans les phénomènes placés au delà de la portée de notre faculté visuelle, nous en trouvons une dans la constitution géologique du sol même. Les hautes falaises de craie qui composent toute la côte de la Manche, depuis l’embouchure de la Seine jusqu’à la Flandre, s’infléchissent, à la baie de la Somme, sous les sables apportés par les courants de marée autant sur les grèves que sur la vaste expansion mise
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- LA NATURE.
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- en culture aux environs de Cayeux. Il y aurait lieu de supposer que la craie, constamment humidifiée par les infiltrations des eaux à travers les sables, aurait été soumise à un foisonnement, principal motif d’un exhaussement de la surface. Cet effet a déjà été mentionné pour le bri ou terre spongieuse des environs de Napoléon-Vendée, qui occuperait tout un ancien golfe. L’augmentation de volume d’un certain sol, par suite de l'imbibition constante, est une explication plausible et plus simple que l’intervention des grandes perturbations intérieures, sur lesquelles on manque d'éléments fondamentaux.
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- LA VIE ANIMALE
- DANS LES GRANDES PROFONDEURS DE LA MER.
- Les sondages qui ont été entrepris dans ces dernières années par les marines d’Angleterre et d’Amérique, nous ont révélé tout un monde nouveau, peuplé d’une multitude d’organismes. Jusqu’au moment de la pose du câble transatlantique, on croyait que, dans les grandes profondeurs de la mer, la vie animale était impossible, autant à cause de la privation d’air et de lumière , que de l’énorme pression qu’elle supporte.
- Il est effectivement
- Fig. 1. — Principaux types de foraminifères ramenés par la drague dans l’océan Atlantique. — Grossissement moyen de 50 diamètres.
- difficile de comprendre qu’un être quelconque, si infime qu’il soit, puisse vivre sans oxygène et sous une colonne d’eau qui atteint, dans les grands fonds un poids de 200 kilogrammes par centimètre carré ; à ce point, les thermomètres se brisent, les instruments délicats où se trouve la moindre bulle d’air remontent cassés comme par un choc.
- Le fond de la grande vallée interocéanique qui s’étend entre les deux mondes, est couvert d’une vase molle, de teinte neutre, qui, quand elle est examinée au microscope, laisse voir une multitude de petites sphères agglomérées les unes sur les autres. Le professeur Carpenter leur a donné le nom de globùjérinées ; elles sont en si grande abondance sur certains fon ls, qu’elles composent les trois quarts du dépôt, quoique leur dimension excède à peine quelques fractions de millimètre.
- Ces organismes rudimentaires nesontpas les seuls forammnifères que l’on rencontre dans le fond de la nier; il semble qu’avec l’accroissement de la profondeur, l’organisation animale se simplifie progres
- sivement. Ainsi ceux qui sont ramenés par la drague sur les bas-fonds siliceux (fig. 1) se rapprochent davantage du coquillage; leur test est beaucoup plus compliqué que ceux qui jonchent le sol sous-marin dans les grandes profondeurs.
- Ces sujets microscopiques, rapprochés les uns des autres en séries, permettent l’établissement de phases d’existence propre, quoique modifiées selon les familles. Les espèces que l'on trouve dans l’océan Atlantique ne sont pas les mêmes que celles de l’océan Pacifique ; s’il y a quelques types mélangés individuellement, l’ensemble conserve le signe caractéristique d’une localité. Les déplacements paraissent avoir eu pour cause principale l’action des courants qui ont contribué à la migration embryonnaire. Ainsi, dans la figure 2, nous retrouvons exceptionnellement quelques sujets communs à la faune de l’Atlantique.
- Depuis que la drague a permis de rechercher au fond des eaux et à grande distance de terre les formes organiques qui habitent le sol sous-marin, celles de grande taille aussi bien que celles qui sont microscopiques , on peut être certain que tout dépôt marin contient des preuves de son origine ; elles sont un utile point de repère pour la détermination de l’âge géologique d’un terrain et la comparaison entre l’époque actuelle et les époques passées ; les corps organisés fossiles sont, pour le
- géologue, ce que sont les médailles pour l’antiquaire : ils montrent nettement la formation graduelle et régulière de l’écorce terrestre.
- La comparaison des matériaux extraits des régions sous-marines actuelles avec ceux que l’on trouve enfouis dans les terrains formés par les sédiments anciens, ouvre une ère nouvelle aux hypothèses géologiques. Les travaux des savants autorisés tendent à démontrer que, sous bien des rapports, les dépôts modernes dans une multitude de localités ont une analogie frappante avec ceux des mers de la période crétacée. On retrouve, en effet, une grande partie des foraminifères et coquillages ramenés du fond de la mer dans les grandes assises de craie du nord de l’Europe. Ces organismes sont maintenant ensevelis dans le lit de l’Océan, où leurs espèces se propagent encore à la surface de celte boue visqueuse, qui ne serait autre que de la craie en formation, attendant un soulèvement quelconque pour émerger du fond des eaux.
- Nous serions donc encore en pleine époque crétacée ! S’il en était ainsi, les données de la géologie
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- seraient bouleversées complètement. Cette supposition a été récemment confirmée en partie dans l’expédition du Ilassler, où le profeseur Agassiz a rencontré, à 100 kilomètres du cap Frio, par une profondeur de 100 mètres, un représentant des tri-lobites, indiquant comme dans l’acception précé-
- e""sth U2le
- Fig. 2. — Sondage exécuté à l'ile de Carimata, pré-, Bornéo, dans le Pacifique, à 40 mètres de profondeur- — Grossissement moyen : 50 diamètres. dente, que les couches les plus anciennes, qui remontent à une période incalculable, sont encore en formation au fond des mers actuelles. Doit-on dire pour cela que le dépôt s’effectue de la même manière pour toute une région, ou seulement que tel endroit est partiellement assimilable à telle période?
- J. Girard.
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- LA GAMME
- Quelle que soit la simplicité d’une œuvre musicale, ou quelle que soit sa complication, le nombre des notes qui peut la constituer est très-restreint : un orgue qui embrasse toute l’étendue des sons employés en musique ne produit pas deux cents notes dillérentes de hauteur. Il faut remarquer, d’autre part, que d’octave en octave, on retrouve des sons qui ont entre eux la plus grande ressemblance, si bien qu’il suffît, pour connaître tous les sons musicaux, d’étudier ceux compris dans ce que l’on appelle l’intervalle d’une octave : l’ensemble de ces sons constitue la gamme. La musique européenne (pour ne pas entrer dans des discussions sur les musiques arabe ou persane) emploie une gamme composée de sept sons, auxquels on a donné les noms suivants :
- ut, ré, mi, fa, sol, la, si;
- après avoir exécuté ces sept sons, on recommence la même gamme à l’octave supérieure.
- La hauteur d’un son, cette propriété, cette qualité qui fait que nous le qualifions d’aigu ou de grave, dépend du nombre de vibrations effectuées en une seconde par le corps sonore : c’est là un fait trop
- connu pour qu’il soit nécessaire d’insister. Il est naturel de rechercher à quels nombres de vibrations correspondent les notes de la gamme ; mais, avant d’aborder la question, il importe de faire quelques remarques importantes.
- La note qui sert de point de départ à la gamme n’a rien de fixe, et l’on peut chanter une gamme en partant d’un son quelconque : ces différentes gammes nous feront éprouver des sensations très-semblables, bien qu’une oreille exercée arrive à les distinguer les unes des autres.
- On peut, à l’aide de différents procédés, évaluer le nombre de vibrations qui correspond à une note quelconque ; si l’on applique l’un d’eux à l’étude de ces gammes, on arrive aux résultats sgivants :
- Ce qui caractérise les relations musicales entre les sons (les intervalles, pour employer le mot propre), c’est le rapport entre leurs nombres de vibrations : ainsi l’octave d’un son correspond toujours à un nom-l bre de vibrations double du nombre des vibrations du premier son, quel que soit d’ailleurs ce nombre. De même encore, les nombres de vibrations de deux sons qui donnent la quinte juste sont dans le rapport de 5 à 2.
- Ou conçoit l’intérêt qui s’attache à la connaissance de ces rapports pour les diverses notes de la gamme, puisque l’on a par là un moyen de les reproduire avec une justesse mathématique. Mais sur quoi faut-il s’appuyer pour effectuer cette détermination?
- Les musiciens savent bien que les divers degrés de la gamme ne sont pas égaux; que si l’on désigne l’intervalle d’ut à ré par le mot ton, l'intervalle de mi à fa et celui de si à ut sont plus petits ; aussi les désigne-t-on sous le nom de demi-tons, bien que, en réalité, la succession de deux demi-tons ne reproduise pas exactement un ton. Mais il faut aller plus loin : il faut rechercher si les tons sont tous égaux ; si l’intervalle de ré à mi, par exemple, est le même que celui d’ut à ré. Sur un certain nombre d’instruments, il n’y a pas lieu de douter un instant; par exemple sur le piano, sur l’orgue; mais on sait que ces instruments sont accordés à la gamme tempérée et non à la gamme juste; l’explication de ce fait nous entraînerait trop loin, il nous suffit de le signaler. Il est donc entendu que, dans tout ce qui suit, nous ne parlons pas des instruments à sons fixes, mais que nous avons spécialement en vue la voix humaine, le violon, le violoncelle, dont les sons peuvent varier par degrés insensibles.
- Deux théories se trouvent en présence depuis fort longtemps : l’une est attribuée à Pythagore, l’autre se trouve dans les ouvrages de Ptolémée. Indiquons en quoi consistent ces théories et signalons les points sur lesquels elles diffèrent essentiellement.
- Dans la théorie pythagoricienne on admet que les notes qui constituent la gamme ont été obtenues par une succession d’intervalles de quintes1, telles que les suivantes : fa0 utx sof ré2 lat mi5 si3.
- 1 La quinte est, après l'octave, l’intervalle le plus facile à
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- LA NATURE.
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- En ramenant ces notes à être toutes comprises dans la même octave, on trouve que les rapports entre les nombres de vibrations des diverses notes et de Vut sont les suivantes :
- utt ré, mi, fat solt la, si, ut,
- 9 81 4 3 27 243 1 8 G4 3 2 16 128 4
- Si l’on recherche la valeur des intervalles entre deux notes consécutives, on trouve que les divers 9 tons sont tous égaux entre eux et représentés par 5, o et que les demi - tons correspondent au rapport 236 243’
- La génération des notes par quintes est rationnelle et facile : c’est par quintes que l’on accorde encore
- de nos jours les violons et autres instruments de la même famille. On peut d’ailleurs continuer la série de quintes soit au-dessous de fa0, soit au-dessus de si-, et l’on obtient alors les dièses et les bémols, sur lesquels nous ne nous arrêterons pas. Nous dirons seulement qu’en prenant cette série complète, on arrive à deux notes qui, ramenées à la même octave, diffèrent assez peu pour qu’il soit possible de les confondre, et par suite d’arrêter la recherche de nouveaux sons musicaux. Mais, il faut le reconnaître, on ne voit pas pourquoi on s’arrête à sept sons pour constituer la gamme, et rien non plus ne fait comprendre pourquoi ces sons appartiennent au ton d'ut (dans la tonalité actuelle) plutôt qu’au ton de fa ou à tout autre.
- Dans le système de Ptolémée, les rapports des nombres de vibrations sont pris arbitrairement et
- Fig. 1. — Expérience de MM. Cornu et Mercadier.
- sans qu’on connaisse les raisons de ce choix, au moins pour les notes mi, la et si. Ces rapports sont les suivants :
- -3 So, § —* S
- 8 — S co e
- to
- 1O I — [2 0 19 10 101 se 10 0 re
- OS 00
- Ce sontceux qui, depuis Zarlin, de Venise (1602), ont été adoptés et sont devenus classiques. En étudiant les intervalles qui séparent chaque son du précédent, on trouve trois rapports différents :
- 9
- Le ton majeur g' qui se trouve entre ut et ré,
- entre fa et sol, et entre la et si,
- Le ton mineur —, qu on observe de re a mi, et y
- de soi à la ;
- 16
- Le demi-ton P, correspondant aux intervalles
- mi-fa et si-ut.
- reconnaître et à produire avec justesse. — Dans ce qui suit les indices qui se trouvent à côté de chaque note indiquent les octaves successives dans lesquelles ces notes se trouvent comprises.
- Jusqu’à ces dernières années, on ne pouvait expliquer d’une manière plausible le choix fait de ces divers rapports : la distinction entre les tons majeurs et les tons mineurs ne semble pas être faite par les musiciens.
- En s’appuyant sur les harmoniques des sons1 et sur Va parenté de deux sons, c’est-à-dire sur le caractère de deux sons d’avoir un ou plusieurs harmoniques communs, M. Helmholtz est parvenu à faire comprendre comment on pourrait expliquer la constitution de la gamme de Ptolémée et de Zarlin. Cette gamme est d’ailleurs la seule qui puisse expliquer la sensation particulière que l’on éprouve lors de l'au-dition d’un accord consonnant : aussi M. Helmholtz désigne la gamme de Zarlin sous le nom de gamme naturelle.
- C’est entre ces deux gammes qu’il s’agit de décider : les raisons invoquées par M. Helmholtz ne sauraient prévaloir contre des expériences directes : or, à plusieurs reprises, divers physiciens s’étaient prononcés en faveur de la gamme pythagoricienne, tan-
- 1 Les divers sons qui onl des nombres de vibrations multiples du nombre de vibrations d’un son donné sont dits les harmoniques de ce son.
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- LA NATURE.
- dis que les expériences de M. Helmholtz donnent des résultats conformes à sa théorie ; en particulier, les suites d’accords exécutés sur un orgue susceptible de produire à volonté les notes de l’une ou l’autre gamme sont plus agréables avec les notes naturelles qu’avec celles de Pythagore : « Les accords pythagoriciens, dit M. Helmholtz, paraissent durs, troublés, tremblotants, irréguliers. »
- Peut-être serait-il possible d’admettre que chacune des deux gammes a sa raison d'être ; que la gamme pythagoricienne est celle qu’on emploie exclusivement lorsque l’on exécute un chant, une mélodie, tandis que la gamme naturelle sert aux accompagnements, aux accords. Cette solution serait satisfaisante, puisqu’elle permettrait d’accepter des séries d'expé-riences qui, au premier abord, semblent devoir s’exclure absolument. Mais certains faits rapportés par M. Helmholtz semblent en opposition avec cette possibilité d’admettre deux gammes.
- M. Helmholtz rapporte, en effet, dans son ouvrage: Théorie physiologique de la musique, le résultat d’observations faites sur la Société chorale de Londres, « the Tonie sol-fa Association, » et diverses expériences exécutées avec l’aide d’un chanteur et d’un violoniste, et dans lesquelles il comparait le son émis par le musicien avec les sons d’un orgue donnant la gamme naturelle ; il a toujours trouvé que le son du soliste était celui de cette gamme : il s’agissait cependant, dans ces conditions, d’intervalles mélodiques et non pas d’accords.
- Fig. 2.
- D’autre part, des expériences récentes, qui sont dues à MM. Cornu et Mercadier, semblent permettre de conclure que la gamme pythagoricienne seule doit être admise au point de vue mélodique. Ce sont les résultats dus à ces observateurs habiles et consciencieux que nous voulons exposer avec quelques détails : nous indiquerons l’état actuel des expériences, nous réservant d’y revenir lorsque de nouveaux faits se dégageront avec netteté de ces recherches qui se continuent actuellement.
- Dans ces expériences, MM. Cornu et Mercadier ont cherché à éviter toute intervention de l’expérimentateur; ils ont voulu que le son produit par le musicien pùt s’inscrire directement, sans que l’on eut à le comparer par l’oreille avec un autre son donné comme type. Sans nous arrêter aux premières re-cherches, dans les lesquelles ils employaient le pho-nautographe, nous décrirons la manière dont ils opèrent maintenant et par laquelle ils ont obtenu les résultats intéressants que nous rapportons ci-après.
- Remarquons d’abord que les deux gamines qu’il s’agit de comparer ont un certain nombre de sons identiques, sur lesquels, par suite, il n’y a pas de
- de doute et qui pourront servir de points de re-père, qui donneront des vérifications : ce sont le ré, le fa et le sol ; le mi, le la et le si sont les notes pour lesquelles il existe une différence. Cette différence n’est pas d’ailleurs bien considérable ; pour le mi, par exemple, la valeur pythagoricienne et la valeur généralement adoptée sont dans le rapport de 81.5.81 .
- —, a , soit — : c est-a-dire que tandis que 1 ut fait 64 4 80 1 1
- 1,000 vibrations,, le mi pythagoricien en fait 1,266 et que le mi île Zarlin et de M. Helmholtz n’en fait que 1,250. La différence est donc seulement de 16 vibrations sur plus de 1,200 ; cette valeur est ce que l’on appelle un comma. « Or, la valeur ducommaest. très-petite, bien qu’elle soit très-sensible à l’oreille, dit M. Mercadier1, auquel nous empruntons la des-cription de l’appareil; il faut donc, pour la mettre en évidence, avoir recours à des musiciens exercés et employer des appareils suffisamment précis.
- « En second lieu, quand on veut mesurer des intervalles formés par des sons successifs, il convient déconsidérer ces intervalles dans le cours même d’une mélodie et non isolément. Par suite, si l’on emploie comme moyen de mesure le procédé qui consiste à faire inscrire par le corps sonore ses propres vibrations (et dans l’état actuel de la science, il n’y en a | as de meilleur), il est nécessaire de pouvoir inscrire d’une manière continue les vibrations des sons constituant des fragments de mélodie à mesure qu’on les exécute sur un instrument.
- « Enfin, il est évidemment indispensable que l’enregistrement des vibrations soit automatique, indépendant de la volonté des observateurs ; il faut que • l'exécutant n’ait pas à s'en préoccuper, qu’il ne le voie pas même fonctionner, afin que son attention soit concentrée tout entière sur la musique qu’il joue.
- « Après bien des essais, nous avons réussi à remplir ces conditions ; l’appareil dont nous nous servons est fort simple...
- « L'expér ience prouve qu’un fil métallique d’acier, de cuivre, de laiton, etc., sans tension, soutenu seulement de façon que ses vibrations puissent s’effectuer librement, transmet à une de ses extrémités, par vibrations transversales, les sons émis par un corps sonore fixé à l’autre extrémité.
- « On prend un pareil fil de 5, 6, 8, 10, etc. mètres de longueur, suspendu au moyen de rondelles étroites de caoutchouc (fig. 1); on soude à une extrémité une petite lame de laiton mince L, que l’on place entre la table d'harmonie d’un instrument à cordes et les pieds du chevalet ; l’autre extrémité est foi tement pincée dans un lourd support S. Près du point fixé on soude une petite lame de clinquant c, à laquelle on attache une barbe de plume b avec un peu de cire molle (cette disposition donne aux vibrations une amplitude plus grande que si la barbe était fixée directement au fil). Un instrumentiste se place
- 1 Journal de physique, t. I, 1872, p. 114.
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- LA NATURE.
- et
- LC
- de façon que le fil ne gêne pas les mouvements de son archet, et il joue des fragments de mélodies simples dans un mouvement lent (chaque son doit durer au moins une seconde). Les vibrations des cordes se transmettent au chevalet, à la lame métallique, au fil et à la barbe de plume qui vibre synchroniquement. Il ne reste plus qu’à inscrire ces vibrations.
- « L’instrument enregistreur se compose d’un cylindre métallique M, dont l’axe est muni d’une vis mobile dans un double écrou solidement fixé soit à une table, soit à un mur. Le cylindre est recouvert d’une feuille de papier qu’on enfume en la faisant tourner au-dessus de la flamme fuligineuse d’une lampe à huile. Un diapason D, de 300 à 500 vibrations doubles par seconde, muni d’un style en clinquant, est solidement encastré dans un étau ou dans le mur, et disposé de manière que son style vibre suivant les génératrices du cylindre : ces vibrations servent à marquer le temps, et le diapason sert de chronographe, sans qu’il soit nécessaire que le mouvement qu’on donnera tout à l’heure au cylindre soit régulier et uniforme. D’ailleurs, on avance la barbe déplumé de façon que sa pointe effleure le papier noirci et qu’elle vibre tout près du style et, comme lui, suivant les génératrices du cylindre.
- « Ces dispositions prises, on met le diapason en vibrations soit avec un archet, soit par le choc d'un tampon garni de peau, et l’instrumentiste joue pendant qu’on fait tourner le cylindre soit à la main, soit à l’aide d’un moteur quelconque, avec une vitesse convenable.
- « On obtient ainsi un graphique semblable à celui dont la figure 2 ci-contre reproduit un fragment, où chaque son de la mélodie est représenté par une forme de vibrations différente. On compte pour chaque son le nombre de vibrations correspondant à 100 vibrations du diapason, par exemple, et les rapports des nombres obtenus donnent les valeurs des intervalles...
- « Pour pouvoir conserver le graphique, après l’avoir détaché du cylindre, on le fend longitudinalement, on le trempe dans une dissolution de 4 pour 100 de gomme laque dans l’alcool ; il se trouve ainsi recouvert d’une couche très-mince d’un vernis inaltérable.
- « Si, au lieu de mesurer des intervalles mélodiques, on veut mesurer des intervalles harmoniques de deux sons, on accorde simultanément deux cordes de l’instrument (comme à l’ordinaire) soit à la tierce, soit à la quinte, soit à la sixte, etc., jusqu’à ce qu’il n’y ait pas de battement et que l’oreille soit pleinement satisfaite ; puis on inscrit séparément les sons des deux cordes ainsi accordées. »
- Les expériences ont été faites avecl’aide de plusieurs personnes musiciens amateurs, ainsi qu’avec le concours d’artistes distingués, tels que MM. Léonard et Ferrand, violonistes, et Seligmann, violoncelliste : elles ont porté spécialement jusqu’à présent sur les intervalles de mélodies sans modulations. Voici quelques-uns des résultats les plus intéressants.
- Nous supposerons que nous considérions 1,000 vibrations de la tonique ut : d’après la théorie, les notes ré, fa et sol doivent faire pendant le même temps, respectivement, 1,125, 1,333 et 1,500 vibrations; l’expérience a donné 1,128, 1,330 et 1,500 vibrations pour les moyennes d’un grand nombre d’observations. Ces résultats suffiraient pour prouver l’exactitude de la méthode, alors même que des expériences directes, dont nous n’avons pas parlé pour ne pas compliquer la question, ne l’auraient pas mise en évidence.
- Dans la gamme majeure, la tierce et la sixte doivent correspondre aux nombres suivants :
- mi la
- Gamme pythagoricienne, 1,266 1,687.
- Gamme naturelle, 1,250 1,667.
- Diverses séries d’expériences fort concordantes ont donné les nombres suivants : 1,265 1,686.
- Ces valeurs sont, on le voit, entièrement d’accord avec les valeurs de la gamme pythagoricienne.
- Pour le si, on n’a pas trouvé un accord aussi satisfaisant entre la théorie et l’expérience : on a trouvé 1,917 au lieu de 1,898 (gamme de Pythagore), ou de 1,875 (gammenaturelle) qu’indiquait la théorie; du reste, c’est encore de la valeur pythagoricienne que le nombre trouvé se rapproche le plus. Il est intéressant de remarquer que, dans les expériences faites, le si servait de note sensible et se résolvait sur Put tonique; dans ces conditions, les musiciens savent que le si est plus élevé que dans le mouvement inverse : la valeur 1,917 indique bien un son plus rapproché de l’octave de la tonique 2,000, que ne le donne la valeur pythagoricienne. Il serait intéressant d’avoir le complément de ces expériences et de déterminer la valeur du si dans une gamme descendante.
- Dans la gamme mineure
- laL sf ut2 ré^ mi^ fa.2 sol2tt la, des résultats analogues ont été obtenus : les notes si2, m^ et la2, qui ont la même valeur dans les deux systèmes, savoir, 1,125, 1,500 et 2,000, la tonique la étant représentée par 1,000, ont été trouvées respectivement caractérisées par les nombres 1,124, 1,504 et 2,001 en moyenne; voici les résultats correspondant aux autres notes :
- ut ré fa sol#
- Gamme pythagoricienne, 1,185 1,333 1,580 1,898 Gamme naturelle, 1,200 1,350 1,600 1,875 Moyenne des expériences, 1,186 1,334 1,582 1,901
- Il ne saurait y avoir de doute : dans les mélodies majeures ou mineures, les notes exécutées soit par des amateurs exercés, soit par des artistes, sont bien les notes de la gamme pythagoricienne.
- Il y a lieu de faire une remarque intéressante sur la gamme mineure : c’est que les écarts entre les diverses séries d’expériences, sans atteindre jamais de bien grandes valeurs, sont moins faibles cependant
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- que les écarts observés dans les recherches sur la gamme majeure : il y a lieu de rapprocher cette indécision des notes du mode mineur du caractère un peu vague et flottant des mélodies de ce même mode et de l’opposer à la netteté, la franchise des mélodies majeures et de la facile détermination des nombres de vibrations des notes de cette gamme.
- D’autre part, quelques expériences, moins nombreuses, il est vrai, exécutées surdos tierces faisant partie d’un accord, ont donné des valeurs qui con-cordent parfaitement avec les valeurs de la gamme naturelle de M. Ilelholtz. De telle sorte que les conséquences à déduire des recherches de .MM. Cornu et Mercadier sont bien celles qu’ils ont énoncées dans leurs premiers mémoires : la gamme pythagoricienne est celle employée par les musiciens dans l’exécution de leurs mélodies; la gamme de Zarlin (gamme naturelle de M. Ilelmholtz) est usitée dans la formation des accords.
- Nous ne croyons pas que des expériences aient été, jusqu’à présent, opposées à celles dont nous venons de rendre compte : nous ne pensons pas que les expériences de M. Ilelmholtz puissent être opposées à ces mesures directes ; elles ne sont pas assez nombreuses, et surtout elles exigent l’intervention de l’oreille de l’observateur; elles ne nous semblent pas d'ail-leurs porter exclusivement sur la gamme mélodique. Du reste, ce savant ne serait peut-être pas éloigné d’admettre les conséquences des travaux de MM. Cornu et Mercadier.
- Nous avons dit sommairement que la raison d’être de la gamme naturelle, comme gamme harmonique, avait été donnée, et que M. Ilelmholtz a prouvé qu’elle est nécessaire. On ne voit pas de semblables raisons pour la gamme pythagoricienne, employée comme gamme mélodique ; on ne comprend pas pourquoi la gamme naturelle ne sert pas à la formation des mélodies; la génération par quintes, explication plausible d’ailleurs, n’explique que bien difficilement que faisant avec ut une tierce majeure dans un chant, on attaque la note pythagoricienne, alors qu’il faut une succession de quatre quintes pour passer d’une note à l’autre; quoi qu’il en soit, le fait semble prouvé : il faut l’accepter en attendant que l’on en trouve une explication, et il faudrait encore l’accepter, lors même que l’explication ne serait pas donnée, si de nouvelles expériences ne viennent s’opposer à celles que nous avons décrites.
- Dr C. M. GANIEL.
- —
- DURÉE DE L’EXISTENCE DES ARBRES
- Tout ce qui touche aux arbres, doit nous intéresser. Ne sont-ce pas eux qui nous procurent le doux ombrage et les fruits les plus délicieux? n’est-ce pas encore par eux que nous traversons les mers, que nous construisons nos maisons? Il nous donnent
- l'huile, le vin et d’innombrables substances utiles. Aussi, l’homme a-t-il toujours su leur rendre hommage; les anciens en faisaient les temples des dieux, ils les consacraient à des divinités particulières : le chêne à Jupiter, 1 olivier à Minerve, le peuplier à Hercule. Les Romains avaient un véritable respect pour les grands arbres séculaires; Pline le naturaliste nous rapporte que le consul Passienus Crispus, illustre par son mariage avec Agrippine, était véritablement amoureux d’un hêtre qu’il possédait dans son bois de Corne, près de Tusculum. Il avait coutume, dit le savant ancien, « de l’embrasser, de s etendrc sur son tronc et de l’arroser de vin1. »
- Si l’on a toujours apprécié les arbres, tout ce qui concerne leur mode d’accroissement et la durée de leur existence, n’en est pas moins resté, pendant des siècles, à l’état de mystère impénétrable. Duhamel aflirmait au siècle dernier que c’est l’écorce qui produit l’arbre ; on le croyait, et personne ne pensait à demander au célèbre académicien d’où pouvait alors provenir l’écorce.
- Nous ne ferons pas à nos lecteurs l’injure de leur expliquer que le corps ligneux et l’enveloppe se forment à leur jonction, l’un au dehors et l’autre à l'interieur, par couches concentriques et successives d’années en années. Nous leur dirons, toutefois, que ce fait si simple qui a soulevé tant de discussions parmi les savants du siècle dernier, était connu du vulgaire, à une époque antérieure. Michel Montaigne, dans son Voyage en Italie, publié en 1581, nous rapporte qu’un ouvrier tourneur, qu’il eut occasion de voir, savait très-bien apprécier l’âge des arbres sur leur coupe. « Il m’enseigna, dit l’auteur des Essais, que tous les arbres portent autant de cercles qu’ils ont duré d années, et me le fit voir dans tout ceux qu’il avait dans sa boutique. Et la partie qui regarde le septentrion est plus étroite et a les cercles plus serrés et plus denses que l’autre. Par cela il se vante, quelque morceau qu’on lui porte, de juger combien d’ans avait l’arbre et dans quelle situation il poussait. »
- L’accroissement des végétaux n’est plus aujourd’hui une énigme ; depuis que le mécanisme de l’ascension de la seve a été dévoilé, chaque jour on découvre de nouveaux faits dans l’histoire de l’organisation végétale. Mais il n’en est pas de même en ce qui concerne la longévité des arbres, car tous les botanistes ne sont pas encore d’accord à ce sujet. Toutefois, la plupart d’entre eux considèrent aujourd’hui les arbres comme des êtres dont la vie n’a pour ainsi dire, point de bornes ; certains grands cèdres de l’Amérique qui vivent, de nos jours pleins de force et de vigueur, seraient nés, d’après ces savants, à des époques extrêmement reculées, sur les débris même des derniers cataclysmes géologiques. Dans la Californie il existe des cèdres, de l’espèce Willingtonia gigantea qui ont plus de 150 mètres de hauteur, et environ 40 mètres de circonférence.
- 1 Œuvres de Pline, lib. XVI, cap. 44.
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- Le vieux chêne de Cowtho.pe.
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- « Le tronc de l’un de ces géants des forêts américaines, dit le savant M. A. Pouchet, a été en partie transporté au palais de Sidenham à Londres. C’est une monstrueuse colonne d’une quarantaine de mètres de hauteur, et qui, au niveau du sol, après de dix mètres de diamètre. Je me suis trouvé à l’intérieur de cet arbre en compagnie d’une quinzaine de personnes. A San Francisco, on a même installé un piano et donné un bal à plus de vingt personnes dans le tronc d’un Wellingtonia qui y avait été apporté. L'àge du colosse correspond à ses dimensions ; d’après ses anneaux d’accroissement, on peut croire que ce‘végétal est presque un vieux contemporain de la création. Il aurait trois ou quatre mille ans. »
- Dans nos climats, la longévité végétale n’est pas aussi extraordinaire; des études minutieuses nous permettent, jusqu’à un certain point, d’établir la chronologie de quelques espèces. Il est hors de doute que les pins et les marronniers peuvent a ivre pendant quatre ou cinq siècles. Les pins de l'ile de Té-nériffe ont été plantés au quinzième siècle par les conquistadores; ils sont encore aujourd’hui pleins de vitalité ; leur sève circule avec abondance dans leurs troncs vénérables. Les sapins de la Thuringe en Allemagne n’ont pas moins de sept cents zones annuelles, que l’on compte nettement dans la coupe de leurs troncs. L’olivier vit plus longtemps encore : au dire de Pline, on voyait de son temps l’arbre fameux qu'Hlercule avait planté dans le champ d'Olympie; on admirait aussi celui que Minerve avait fait subitement croître d’un coup de lance, lors de la fondation de Cécrops.
- La longévité des chênes est étonnante; il en existe en France, qui, plusieurs fois séculaires, couvrent encore le sol de leurs rameaux verdoyants. En Angleterre, on mentionne des chênes historiques qui étaient déjà connus, il y a cinq ou six siècles. Nous citerons, parmi ceux-ci, le célèbre chêne de Cow-thorpe, dans le Wetherby ; il mesure 12 mètres de ciconférence ; son tronc creux donne facilement abri à plusieurs personnes à la fois.
- Les branches appesanties par l’âge sont aujourd’hui consolidées par des étais, comme le représente notre gravure. A certaines époques de l’année, on vient des environs se réunir sous leur ombrage, les jeunes gens dansent alentour, et il est probable que les arrière-petits-fils de ceux-ci se réuniront encore auprès de cet arbre mémorable, qui a peut-être vu le jour avant Guillaume le Conquérant.
- Pline et Tacite affirment que les chênes sont immortels ; ils ne semblent pas en douter quand ils décrivent les imposants tableaux de la forêt Hercynienne de la Germanie. « Ces grands arbres n’ont jamais été frappés par la cognée, ils sont aussi vieux que le monde, et jouissent, par une ineffable merveille, d’une sorte d'immortalité. »
- « Si l’on a égard, dit ailleurs le naturaliste ancien, à ce qu’on nous raconte des productions de
- 1 Œuvres de Pline, lib. XVI, cap. 2.
- certaines contrées les pins reculées, et à ces forêts immenses, dans lesquelles les Romains n’ont jamais pénétré, on pourra croire qu’il y a des arbres dont la durée est infinie. »
- Quelque merveilleux que puissent paraître de tels faits, entrevus par l’antiquité, la science moderne les confirme aujourd’hui, avec l’autorité d’observations indiscutables. Il y a déjà un siècle environ, que l’illustre Adanson, favorisé par le hasard, rencontra aux îles du Cap-Vert un gigantesque baobab, qui devait fournir à la botanique de précieuses indications. Ce naturaliste trouva à l’intérieur du tronc de cet arbre une inscription encore intacte, que les Anglais y avaient tracée trois siècles auparavant. Celle-ci, en effet, était enfouie sous une épaisseur de ligneux, où l’on comptait trois cents couches successives, très-nettement superposées. En s’appuyant sur une telle base, Adanson mesura les diamètres beaucoup plus grands de plusieurs de ces végétaux géants, et il arriva à en conclure qu’un grand nombre d’entre eux, devaient compter environ cinq mille années d’existence. Il est arrivé fréquemment que des inscriptions analogues à celle dont nous venons de faire mention, ont révélé l’âge des arbres, dans l’intérieur desquels elles étaient incrustées. On peut voir au Muséum d’histoire naturelle une coupe d’un tronc de hêtre, qui, abattu en 1805, porte dans son épaisseur la date de 1750. Quarante-cinq couches ligneuses recouvrent ces chiffres nettement tracées. Quelques arbres ont présenté des particularités plus saisissantes encore; dans les domaines du duc de Croy en Hollande, une bûche de hêtre qui allait être débitée se fendit, et l’on aperçut sur les faces éclatées, le dessin d’une croix, au-dessous de laquelle était deux os croisés. Il est à présumer que quelque anachorète de la forêt, aura autrefois creusé l’arbre pour y conserver les objets de sa dévotion. Le solitaire a disparu; avec les années, l’arbre a grandi et bientôt une épaisse écorce a recouvert l’excavation et ses reliques.
- Parmi les arbres les plus antiques connus à la surface du continent, il faut citer les fameux cyprès qui bordent la route de la Vera-Cruz à Mexico. Les Mexicains affirment que l’un d eux a abrité une partie des troupes de Fernand Cortez. Son tronc a environ 56 mètres de circonférence, et comme l’accroissement de cette espèce est très-lent, M. de Candolle donne, à ce végétal célèbre un âge de cinq à six raille années. Ce naturaliste distingué croit, comme Pline l’Ancien, que la vie des végétaux n’a pas de limites ; elle ne finit que lorsque le sol nourricier manque à ses racines, ou quand un accident vient la briser fortuitement. D’après lui, les géants de nos forêts terrestres doivent être considérés, non plus comme un être isolé, mais comme un agrégat d'in-dividus se succédant annuellement sur une même tige. Un arbre est une agglomération d’êtres, de bourgeons, qui forment ses branches, comme le polype du corail façonne ses rameaux. La tige est, en quelque sorte, un sol vivant, où croissent, vivent
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- LA NATURE.
- 61
- et meurent successivement les bourgeons, individus isolés, dont l’ensemble forme l’arbre, véritable polypier végétal.
- L. Lhéritier.
- —
- LE PHYLLOXÉRA
- ET LA NOUVELLE MALADIE DE LA VIGNE.
- (Suite. — Voy. p. 4 et 18.)
- V
- Les moyens proposés pour le traitement de la maladie du phylloxéra sont excessivement nombreux ; nous n’examinerons ici que ceux sur lesquels se fonde un espoir sérieux.
- L Moyens préservateurs ou préventifs. — Il est inutile d’insister sur la nécessité de l’arrachage et du brûlis des ceps malades pour prévenir l’augmentation en étendue d’un nouveau centre d’attaque. Cette brutale suppression des individus atteints, analogue à celle qu’il est malheureusement encore aujourd’hui impossible d’éviter pour la rage ou la peste bovine, ne peut être évidemment appliquée avec compensation qu’au début de la maladie; elle n’enraye sûrement la contagion qu'autant qu’on prend le soin d’extirper jusqu’aux dernières ramifications des racines, et qu’on éloigne les chances de transport et de dissémination de germes de destruction en brûlant les souches sur le lieu même où elles ont été arrachées. La cueillette des galles phylloxérien-nes doit aussi être immédiatement suivie de l’incinération sur place.
- La création de tranchées, destinées à jouer le rôle de cordons sanitaires autour des points infestés, se présente naturellement à l’esprit dès qu’il est prouvé que le phylloxéra aptère, de beaucoup le plus abondant, étend peu à peu ses ravages autour d’un centre, par un envahissement de proche en proche.
- M. de Lavergne, membre de la Société d’agriculture de la Gironde, a le premier émis l’idée que la maladie nouvelle céderait à l’inoculation d’un liquide capable de modifier la sève des vignes, de façon à la rendre impropre à la nourriture du phylloxéra, sans toutefois nuire en rien à la végétation. L’essence de térébenthine, l’acide picrique, la fuchsine, la carminé, le sulfate de cuivre étendus sont cités par divers auteurs comme les substances les plus aptes à opérer cette sorte de vaccination. M. Laliman, se basant sur les données de la physiologie végétale, conseille de profiter du courant descendant qui ramène la sève aux racines par les canaux les plus extérieurs pour faire arriver à celles-ci le précieux remède : une simple ligature de laine, insérée dans vue légère incision de l’écorce, et imbibée de temps à autre, pourrait, selon cet habile viticulteur, favoriser l’introduction de la substance préservatrice.
- Le badigeonnage du pied des ceps, l’emploi d’anneaux agglutinants, le déversement, sur le sol, de
- poussières nuisibles, sont autant de moyens préventifs rationnels dont nous parlerons plus loin lorsque nous signalerons-les moyens de défense fondés sur l'observation des mœurs du phylloxéra.
- II. Moyens dérivatifs. — M. Lichtenstein a proposé de placer, entre les rangs de ceps, des sarments formant boutures, dont les jeunes racines, renouvelables pour ainsi dire à volonté, attireraient les parasites par l’abondance de leurs sucs, et pourraient ainsi leur servir de piège. Ces appâts seraient enlevés et incinérés toutes les fois que les pucerons s’y seraient rendus des racines sous-jacentes. Plusieurs propriétaires ont pu ainsi détourner les phylloxéras et obtenir une récolte en dépit de leur présence.
- M. Laliman est le premier qui ait insisté sur le parti avantageux que nous pourrions tirer de l’importation des cépages américains, exempts des attaques du phylloxéra, ou même de ceux qui sont simplement attaqués par les feuilles : le parasite des galles produisant des effets incomparablement moins désastreux, et se montrant en outre beaucoup moins difficile à combattre que le parasite des racines. Dans sa propriété de la Tourette, située aux environs de Bordeaux, et où ces cépages privilégiés sont cultivés en grand, les variétés américaines cordifolia, rotun-difolia, mustang du Texas, bland-madeira, york, ainsi que le summer-grap ont bravé l’épidémie depuis cinq ou six ans, et ont conservé jusqu’ici belle apparence au milieu de vignes souffrantes ou complètement détruites.
- Devant des résultats aussi encourageants, M. Ba-zille, président de la Société d’agriculture de l’Hérault, n’a pas hésité à donner le conseil de greffer nos variétés européennes sur des sujets des Etats-Unis. L’opération, tentée par ce savant agronome, en collaboration avec M. Laliman, a pleinement réussi : les pieds obtenus ont échappé jusqu’ici aux atteintes du suceur des racines, bien qu’entourés de vignes phylloxérées, agonisantes ou tuées dès l’année précédente. Des expériences analogues sont actuellement en voie d’exécution sur plusieurs des points les plus maltraités des départements de Vaucluse et de l’Hérault.
- Il y a d’ailleurs d’autant plus intérêt à importer et à propager ces vignes américaines que les mêmes variétés qui résistent au phylloxéra jouissent en même temps d’une immunité des plus complètes à l’égard de l’oïdium.
- HL Moyens curatifs directs. — 1° Propagation des ennemis naturels du phylloxéra. — Le phylloxéra est heureusement, comme tous les insectes nuisibles, exposé aux attaques d’un certain nombre de ces insectes carnassiers qui sont les meilleurs auxiliaires de l’agriculteur, et qui, par leur chasse acharnée, réussissent à restreindre la multiplication de l’espèce dévastatrice, et souvent même à délivrer à tout jamais la contrée envahie. Les destructeurs du phylloxéra appartiennent aux groupes les plus variés. MM. Signoret et Laliman ont découvert dans les galles des feuilles de la vigne la larve d’une sorte de
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- punaise, connue sous le nom d’anthocoris insidieuse, et qu’ils considèrent comme se nourrissant aux Alé-pens des habitants de ces galles. L'anthocoris partage sa proie avec une petite coccinelle noire qui, d’après MM. Planchon et Lichtenstein, aurait dévoré le contenu de neuf galles sur dix.
- Quelques hyménoptères de taille exiguë portent également atteinte à la multiplication du phylloxéra : ces insectes, aussi remarquables par leurs mœurs que par l’élégance de leurs formes et leur extrême agilité, appartiennent au vaste groupe des ichneumo-nides, si riche en espèces protectrices des récoltes : ils partagent avec tous leurs congénères le curieux instinct de pondre à l’aide de leur tarière, dans le corps même de leur victime, condamnée ainsi à servir de proie vivante à leurs larves. Certaines larves d'hé-merobes et de syrphes, avides de toutes espèces de pucerons, paraissent seconder ces précieux hyménoptères dans leur œuvre bienfaisante.
- Plusieurs espèces d’insectes carnassiers, citées par M. Riley, entomologiste de l’État du Missouri, comme vivant de phylloxéras américains, beaucoup moins dangereux d’ailleurs que les phylloxéras des vignes françaises, devraient, selon le conseil de M. Lichtenstein, être au plus tôt introduites et acclimatées en France. Ce dernier auteur propose en outre de jeter au pied des ceps malades les galles vésiculaires qu’on rencontre habituellement sur les feuilles du peuplier : ces galles, produites par le puceron à bourse, ont souvent en effet leur cavité occupée par des anthocoris et d’autres insectes carnassiers que l’on suppose capables de nuire également au destructeur de nos vignes.
- M. Maximilien Cornu, un des délégués les plus actifs de la commission du phylloxéra, a découvert récemment que les pucerons de la vesce cultivée ainsi que ceux du sureau périssaient parfois sous l’action de certains champignons du genre Empusa, de la même façon que le ver à soie sous celle de la muscardine : cet habile observateur propose d’essayer d’acclimater ces parasites végétaux sur le puceron de la vigne, dans l’espoir que leur multiplication, très-rapide comme chez tous les cryptogames inférieurs, ferait bientôt équilibre à celle du phylloxéra.
- 2° Insecticides. — Le fort tempérament du nouvel ennemi de la vigne et sa difficile accessibilité sont deux faits qu’il ne faut pas perdre de vue dans l’application des remèdes destinés à agir directement sur lui.
- M. le Dr Forel, de Lausanne, ayant placé dans un petit tube hermétiquement fermé une racine de vigne couverte de phylloxéras, a vu ceux-ci se reproduire et vivre plus de cinq semaines dans l’air confiné de cet étroit espace. Une longue exposition à un fort soleil ne semble pas davantage altérer leur vitalité. Mais c’est surtout lorsqu’ils sont dans leur état de torpeur hibernale que ces dangereux parasites se montrent capables de réagir contre les causes de destruction; un séjour de,deux se
- maines sous l’eau est alors insuffisant pour déterminer leur asphyxie; mais ce qui n’est pas moins digne d’attention, c’est l'indifférence que manifestent les phylloxéras engourdis à l’égard de certaines substances toxiques parmi lesquelles se font surtout remarquer les décoctions d'aloës, de coriaria, de quas-sia, de staphysaigre, de tabac et même de noix vomique. Une innocuité aussi inattendue doit prévenir contre la surprise que pourrait causer l'ineflica-cité de certains traitements appliqués en temps inopportun.
- Ce n’est certes pas par le manque d’insecticides qu’on a pu échouer dans certains cas, mais bien plutôt par la difficulté d’atteindre l’insecte dans les profondeurs du sol; le point d’application de la substance médicatrice étant d’ordinaire à une trop grande distance des parties où le phylloxéra se tient de préférence et où il pullule le plus. Des groupes nombreux de phylloxéras s’observant en effet quelquefois jusqu’à une profondeur de 1m,73, il est indispensable que le réactif mis en usage puisse pénétrer assez facilement le sol pour atteindre les dernières ramifications des racines. Aussi, pour assurer l’effet de l’agent destructeur, faut-il prendre toutes les dispositions capables de le faire parvenir jusqu’aux points les plus reculés de l’habitat souterrain, car vu l’extrême fécondité des phylloxéras, on ne pourra prévenir le retour de la maladie qu’à la condition d’exterminer tous ces pucerons jusqu’au dernier. Cette pénétration si essentielle peut être favorisée soit par le déchaussage, soit par des trous de. sonde, soit encore par l’action dissolvante et infiltrante de l’eau.
- Les substances qui, ainsi appliquées, ont donné les résultats les plus encourageants sont l’eau phéni-quée, la suie, les eaux ammoniacales du gaz, et les mélanges de fumier ou d’autres engrais soit avec du soufre, soit avec du plâtre ou du sulfate de fer. Le sulfure de carbone, l’huile de pétrole, le coaltar et la naphtaline ne paraissent pas agir avec une énergie suffisante. Quant à la chaux vive, elle doit être rejetée comme nuisible aux racines. Il ne suffit pas que les substances médicatrices, susceptibles d’une application générale et économique, exercent une action sûrement destructrice sur le parasite, il faut encore qu’elles soient choisies de telle sorte qu’elles ne puissent faire le moindre tort aux organes délicats sur lesquels il abonde : les meilleures sont évidemment celles qui, à l’exemple des engrais ou des mélanges que nous venons de citer, sont en état de jouer le double rôle de fertilisant et d’insecticide.
- E. Vignes.
- — La fin prochainement. —
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- NOUVEAUX
- MOULINS DES CANNES A SUCRE
- Le sucre est connu depuis la plus haute antiquité, mais son usage ne s’est réellement répandu qu’à une
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- an *
- époque relativement moderne. Il était si peu usité, au temps d’Henri IV, qu’on le vendait à l’once chez les pharmaciens, comme on le fait aujourd hui pour des substances purement médicinales. Les Anglais commencèrent à cultiver le sucre de cannes à la Barbade en 1645 ; les Français ne débutèrent qu’un an après, à Saint-Christophe et, surtout, à la Guadeloupe en 1648. C’est au commencement de ce siècle que la découverte d’un sucre cristal-isable dans la betterave fut habilement exploitée par des chimis-
- tes français; depuis ce moment, d’innombrables sucreries se sont construites dans le nord de la France et dans tous les pays de l’Europe. Pour donner une juste idée du développement prodigieux de l’industrie sucrière, il nous suffira de dire que la consommation du sucre qui, à la fin du dix-septième siècle, atteignait à peine, en France, 80 millions de kilogrammes, s’élève aujourd’hui dans notre pays à plus de 500 millions de kilogrammes. L’Angleterre n’en produit pas moins de 450 millions de kilogrammes.
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- Nouveau moulin à broyer les cannes à sucre.
- Si la fabrication du sucre de betterave a pris en Europe une extension si étonnante, celle du sucre de canne n’est pas restée stationnaire dans les colonies, elle constitue, dans l’industrie moderne, une branche assez importante pour y appeler l’attention. Nous voulons seulement aujourd’hui signaler quelques perfectionnements nouveaux, apportés à l'ou-tillage des sucreries coloniales.
- La première opération, à laquelle il faut soumettre les cannes à sucre pour en extraire le jus sucré, consiste à les comprimer fortement, à les écraser ; mais les liges de ces plantes sont hérissées de nœuds très-durs, qui résistent parfois à la pression, avec une force extraordinaire, et déterminent souvent la rupture des appareils destinés à les broyer. Les an
- ciens moulins à cannes étaient formés de cylindres grossiers en pierre, qui portaient des engrenages de meme matière, au moyen desquels le mouvement se trouvait transmis d’un cylindre à un autre. On n’a pas tardé à renoncer à ces procédés primitifs et à employer aux colonies des presses énergiques qui portèrent le rendement en jus, provenant de 100 kilogrammes de cannes, de 50 à 70 kilogrammes. MM. Cail et Compagnie ont construit de ces puissantes machines, dont les cylindres atteignaient un mètre de diamètre ; mises en action par une force motrice de 90 chevaux, elles produisaient par jour un rendement de jus sucré, qui atteignait l’énorme volume de 400,000 litres.
- Dans ces derniers temps, un savant industriel,
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- M. Th. Roussclot, a singulièrement perfectionné le moulin à cannes, il a construit des appareils formidables, dont la solidité et la puissance les mettent à l’abri des ruptures si fréquentes dans un grand nombre de machines défectueuses usitées dans les sucrières coloniales.
- Notre gravure représente un des nouveaux moulins à cannes de M. Roussclot; la dimension de cet appareil est formidable ; il atteint environ trois mètres de hauteur. Cette machine est formée de trois cylindres, véritables laminoirs, où s’engagent et se broient les cannes à sucre. Le jus sucré extrait par la pression s’écoule sur le plan incliné représenté en avant de notre figure. Contrairement aux appareils employés auparavant, les cylindres de ce moulin gigantesque mis en action parla vapeur ont un écartement constant; enfin, sa construction permet de le démonter très facilement, afin de vérifier le fonctionnement de ses différents organes.
- Nous avons représenté ci-contre le nouveau moulin, avec une roue d’engrenage, séparée du corps de l’appareil ; on voit que, pour la remettre en place, il suffit de rajuster une pièce en fer et de la consolider facilement par quelques boulons. Toutes les autres parties de la machine se séparent aussi aisément.
- Le système Rousselot est employé à l’usine de Saint-Pierre, à la Martinique, où il donne les résultats les plus satisfaisants ; il est certainement appelé à exercer la plus heureuse influence dans nos autres sucreries coloniales.
- L. LuÉNITIER.
- .CHRONIQUE
- Première ascension du Cotopaxi, volcan de l'Amérique du Sud. — Le Cotopaxi est le volcan le plus élevé et le plus terrible de ceux qui ouvrent leur cratère à la surface du globe terrestre. En 1802, Uumboldt et Bonpland, en 1831 M. Boussingault, en 1870 M. Wagner, n’avaient exécuté dans celte montagne que des explorations incomplètes. L’Evening-Post, de New-lork, nous apprend que le Cotopaxi a été gravi jusqu’à son sommet, pour la première fois, par un intrépide voyageur, le docteur Reiss. Sous les ordres de ce savant géologue, le 27 novembre de l’an dernier, une caravane formée de onze personnes, partit de Mulolo, pour gravir le versant sud-ouest du cratère. Des spectacles admirables, et bizarres, allaient successivement se présenter aux yeux des voyageurs, au milieu d’une route hérissée d’obstacles. Ils franchissent d’abord la rivière de Cutucha, dont l’onde glisse à travers des campagnes dénudées, entièrement couvertes de cendres volcaniques ; ils atteignent bientôt la pampa de Ventanillas, dont le sol poreux ressemble à de la pierre ponce ; ils se mettent enfin en mesure de franchir les premiers échelons du gradin volcanique. Arrivés à l’altitude de 16,000 pieds anglais, ils embrassent d’un seul coup d’œil le versant ouest du Cotopaxi ; c’est un immense désert aride, dénudé, formé d’une cendre sèche, friable, et d’un sable noirâtre, dont la profondeur augmente de pas en pas. Plus loin, une fissure profonde s’ouvre devant
- eux, et des torrents de lave encore fumante s’y précipitent avec fracas.
- Après un repos d’une nuit, le docteur Reiss et ses compagnons se remettent en marche ; ils arrivent enfin au but tant désiré, conquis au prix de si grands efforts. Il fallut pour atteindre le cratère, traverser des mers de glace hérissées d’aiguilles et d’aspérités, longer le bord d’abîmes où la lave incandescente dégageait en abondance du gaz sulfureux, vaincre en un mot les obstacles les plus difficiles. Le cratère s’offrit aux yeux des voyageurs sous l’aspect d’un vaste entonnoir, dont ils ont évalué la profondeur approximative à 560 mètres, et d’où s’échappaient des torrents de produits gazeux, à une température très élevée. Le baromètre indiquait, au sommet du Cotopaxi, une altitude de 19,660 pieds anglais, qui dépasse le chiffre adopté jusqu’ici, pour la hauteur de ce pic escarpé.
- Ncuvelles du Challenger. — Le Challenger, navire chargé d’exécuter des sondages dans toutes les mers du monde et qui a quitté l’Angleterre à la fin de 1872, vient d’arriver à New-York, où il a excité la plus vive curiosité.
- Le Morning Herald et les principaux journaux de cette ville ont envoyé à bord des reporters qui ont visité les installations et décrit les premiers êtres retirés des abîmes océaniques. Le voyage durera quatre à cinq ans. Le capitaine scientifique de l’expédition estM.Wyville Thompson, qui s’est distingué dans les voyages de la Proserpine dont il a été si souvent parlé. Les sondages ont lieu avec des appareils perfectionnés, et des machines à vapeur sont employées pour relever les sondes. Nous rendrons compte des opérations qui ont eu lieu depuis l’Angleterre jusqu a Saint-Thomas en passant par les Bermudes, et depuis Saint-Thomas jusqu’à New-York.
- Une grande croisade scientifique. — M. Richard Procter, secrétaire de la Société astronomique de Londres, auteur d’un grand nombre d’ouvrages très-populaires de l’autre côté du détroit, et lui-même astronome très-distingué, a reçu d’Amérique une invitation pour faire une campagne de conférences à l’instar de celles du célèbre Tyndall.On nous apprend que M.Richard Procter a accepté. Nous sommes certain qu’il ne trouvera point un succès moins enthousiaste que l’illustre successeur de Faraday. En quelques mois, Tyndall a recueilli près de cinquante mille francs de bénéfice, qu’il consacrera à une institution destinée à rappeler le souvenir de son voyage triomphal. Un comité s’est formé pour recueillir des souscriptions destinées à augmenter ce fonds.
- Un nouvel argument contre Darwin. —-M.Max Müller, le célèbre physiologiste allemand qui a montré tant d’animosité contre la France pendant la guerre, et qui fait un si mauvais usage de son talent en essayant de populariser la nouvelle Académie allemande de Strasbourg, a senti le besoin d’attaquer vigoureusement la théorie de Darwin. L’argument de M. Max Müller est développé dans une série de lectures que publie en ce moment une des principales revues mensuelles de Londres. Il est assez curieux pour que nous le résumions rapidement.
- M. Darwin, admettant que l’homme n’est qu’un singe transformé, a été conduit à soutenir que le langage humain n’est qu’un langage bestial également transformé ; mais l’analyse des éléments fondamentaux de toutes les langues connues permet de remonter à des éléments en quelque sorte irréductibles, qui semblent identiques dans
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- les langues les plus diverses. Ces radicaux, qu’on arrive à distinguer au milieu de tant de transformations successives, ont un sens général et une valeur abstraite qu'on ne retrouve jamais dans les expressions phonétiques spontanées dont se compose le langage des animaux, et qui n’est pour ainsi dire formé que d'interjections. Il y a dans tout langage humain un élément abstrait qui ne se retrouve point dans les cris des animaux : « Si mon âne, pareil à celui de Balaam, se mettait à me parler pour me dire : « Je « suis un âne », disait plaisamment un physiologiste anglais, j’aurais le droit de lui répondre qu’il a menti, car il serait un homme dès qu’il parlerait une langue véritablement articulée. »
- Les voies ferrées de l’Asie centrale. — Le colonel von Stubendorff, de l'armée russe, vient de lire à la Société de géographie autrichienne une intéressante communication sur le projet de construction d’un chemin de fer dans l’Asie centrale. Le colonel a présenté à cette occasion à la Société la dernière carte du gouvernement russe sur ses possessions asiatiques. Un chemin de fer est déja construit, dans la Transcaucasie, de Poti jusqu’à Tiflis ; il gagnera prochainement Baku sur les bords de la mer Caspienne : on voit que le gouvernement russe fait de grands efforts pour traverser d'une voie ferrée ses immenses domaines de l’Asie centrale.
- Le plus grand pont du monde. — The Tay Bridge. — On le construit en ce moment en Écosse. On sait que les côtes de ce pays sont découpées par des baies profondes, des embouchures de rivières que l’on appelle Firths. Dundee, ville manufacturière, de 120,000 habitants et port de mer important, est située sur la rive nord du Firth of Tay Les charbons du comté de Fifo ne peuvent y arriver que par un transbordement ou en chemin de fer, par un long détour vers l’ouest. Les communications avec Edimbourg et l’Angleterre sont allongées de 50 à 40 kilomètres par ce bras de mer, au bord duquel les wagons doivent s’arrêter. On y remédie en ce moment par h construction d’un pont de 3,096 mètres de long, qui réunira les deux rives du Firth of Tay à quelques centaines de mètres en amont de Dundee.
- Ce pont consistera en 89 travées dont quatorze de 60 mètres d’ouverture. Les piles sont des caissons cylindriques en tôle, remplis en maçonnerie de briques. A part les courants et les gros temps qui interrompent souvent le travail, les ingénieurs n’ont pas rencontré de difficultés excessives dans les fondations, car le roc se trouve à une faible prolondeur au-dessous du lit de la rivière, et le fond n’est, à l’endroit le plus creux, qu’à 7m, 50 au-dessous des basses mers. Le tablier est formé d’une poutre tubulaire, suivant le modèle bien connu qui a été appliqué tant de fois en France et ailleurs. Il est en pente de 2 millimètres et demi par mètre d’un côté et de 12 millimètres par mètre de l’autre côté, en sorte que le point le plus élevé est à 26 mètres au-dessus des plus hautes eaux. A l’une des éstrémités, sur 600 mètres de long, le .pont décrit une courbe de près de 90 degrés, afin de se rae-corder au chemin de fer tracé sur le littoral.
- Il entrera dans la construction 6,200 tonnes de fer, 2,550 mètres cubes de maçonnerie de briques, 8,000 mètres cubes de charpente. Les entrepreneurs ont pris les travaux à forfait pour la somme de 5,425,000 francs. Ils comptent avoir terminé en 1874.
- Cette œuvre colossale mérite d’être citée, en raison de son importance, quoiqu’elle ne paraisse présenter rien de nouveau sous le rapport de l’art des ingénieurs.
- L’industrie des mines en Russie. — La Russie est certainement un des plus riches pays du monde en gisements métallifères. Un rapport officiel, exécuté sous les ordres du gouvernement russe, donne l’énumération suivante des mines actuellement exploitées. Il existe, en Russie 1,126 mines d’or exploitées (principalement en Sibérie) ; 6 mines de platine ; 26 d’argent et de plomb ; 71 de cuivre; 1,283 de fer; 6 de zinc; 1 de cobalt (dans le Caucase) ; 1 d’étain ; 2 de chrome ; 195 de houille ; 4 de sel gemme ; 772 de naphte et de pétrole. Cette ex-ploitation formidable alimente 2 établissements de monnaies, 12 fonderies d’or et d'argent, 39 usines de cuivre, 164 hauts fourneaux, 214 ateliers où se travaillent le fer et l’acier, 4 établissements métallurgiques de zinc, 1 de cobalt et 1 d'étain. Plus de 260,000 ouvriers sont employés dans toutes ces fabriques, qui utilisent, en outre, près de 500 machines à vapeur et 2,220 moteurs hydrauliques.
- Une nouvelle pieuvre. — Le Journal officiel de Yeddo apprend au monde civilisé qu’un pêcheur a capturé dans les environs de cette ville une pieuvre immense, qui avait eu la mauvaise idée de chercher à arrêter sa barque avec ses immenses tentacules, dont la longueur était de près de cinq pieds. La longueur totale du corps informe était de seize pieds. C’est à coups d’aviron que les pêcheurs sont parvenus à tuer le monstre, dont la dépouille se ratatine progressivement. Comme les Japonais n’ont point imaginé de plonger leur immense pieuvre dans l’alcool, il est facile de comprendre qu’elle ne tardera point, malheureusement pour la science, à disparaître sous l’action des influences atmosphériques.
- Influence de la lune sur les éléments magné-tiques du globe pendant une éclipse. — Le docteur Michez vient de publier dans les Transactions de l’Institut de Bologne un long mémoire qui établit nettement la réalité de cette action en s’appuyant sur les observations magnétiques de Greenwich, dont sir Georges Biddell Airy avait cru pouvoir s’autoriser pour la nier. Non-seulement, comme M. Moïse Lion, aujourd’hui simple professeur de langue au lycée d’Alençon, l’avait démontré par des considérations théoriques, l’action se fait sentir lorsque le maximum est atteint, mais l’aiguille entre en agitation dès qu'une portion du disque est entamée. La déclinaison éprouve une déviation orientale sensible, mais moins qu’elle ne devrait l’être si cet effet n’était en partie masqué par l’action magnétique directement exercée sur l’oxygène; car l’aiguille prendrait en vertu de cette action, si elle était isolée, une déviation occidentale qui diminuerait la déviation orientale, et dans certains cas la réduirait à zéro. Si nous sommes bien renseignés, M. Moïse Lion n’avait point songé à celte action accessoire, non plus que sir Georges Airy, et vingt ans plus tôt l’illustre Arago. C’est ce qui fait que ce grand fait physique a pu être nié pendant plus de vingt ans, et que de désespoir le savant qui l’avait découvert a renoncé à l’astronomie.
- La navigation A vapeur en Angleterre. — Le port de Londres à lui seul contient habituellement un nombre si considérable de bateaux à vapeur que l’on peut estimer, d’après des calculs certains, leur force motrice totale à plus de 84,000 chevaux-vapeur. En une seule année, il entre dans les ports de TAngleterre plus de quatre millions de tonnes de marchandise, dont la moitié au moins est transportée par des navires à vapeur
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- LA NATURE.
- LA MÉTÉOROLOGIE DU MOIS DE MAI
- y
- Nous ne nous bornerons point, dans notre Bulletin météorologique, à résumer les indications recueillies dans les différents observatoires, mais nous essayerons de rechercher les causes prochaines des grandes inégalités que nous serons incontestablement appelés à discerner dans les allures des saisons.
- Très-rarement la fin d'avril et le commencement de mai se passent sans que l’on ait à subir un refroidissement très-sensible qu’on explique par la présence d’un essaim d’étoiles filantes alors en conjonction inférieure avec le soleil. Venant s’intercaler entre nous et l’astre qui nous éclaire, ces légions de
- mondes microscopiques se chauffent chaque année à nos dépens.
- Ce groupe gênant, qui est cause de la mauvaise réputation de la lune rousse, paraît avoir été cette année plus abondant que d’ordinaire, car rarement la chaleur du soleil a été si notablement diminuée.
- Quoique la direction générale des vents fût au sud, pendant la première décade, la température moyenne est tombée au-dessous de ce qu’elle est communément à pareille époque de l’année.
- On peut en conclure que les étoiles filantes de novembre, produites par la conjonction supérieure d’une autre partie du groupe, seront peu abondantes et que l’été de la Saint-Martin, produit par leur passage, sera peu développé.
- Begrès Farenheit
- Températures du
- mois de Mai
- Degrés centestmaux
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- 64
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- Quoi qu'il en soit, l'essaim étant passé, la tempé rature a pris une tendance marquée à l’élévation, mise en évidence par les courbes que nous avons tracées, tant de la température du jour que de celle de la nuit, mais les vents se mettant au sud ont déprimé la colonne thermométrique, tant de jour que de nuit, et l’ont fait descendre vers zéro, comme l’on peut s’en assurer.
- Cette crise tardive ne pouvait être véritablement dangereuse pour la végétation, surtout cette année, où elle est remarquablement développée ; mais elleest digne d’attirer notre attention au plus haut degré. La cause de ce mouvement de recul n’est point connue avec précision. Il ne Serait point extraordinaire qu’il fut dû à l’abondance des glaces polaires, manifestée par la facilité avec laquelle 20 personnes de l’équipage du Boralis ont décrit un arc de 29° de latitude, à la surface des océans parsemés de banquises gigantesques. S’il en était ainsi, ce refroidisse
- ment local serait un symptôme d’un été torride venant donner aux plantes une vigoureuse impulsion.
- Nous verrons bientôt si cette conséquence d’une vue théorique se trouve ou non vérifiée.
- La fin du mois de mai a coïncidé avec une période de luttes entre le courant polaire et le courant équatorial qui semble devoir triompher prochainement. Des tempêtes assez violentes ont éclaté sans que la paix ait été rétablie. Au commencement de juin, nous avons vu se former quelques orages de foudre assez violents et qu’on ne pouvait attribuer à des circonstances locales, car la chaleur de l’air n’était point assez grande pour que l’on sentît le bien-être accompagnant ordinairement l’arrivée des orages à la fin du printemps et surtout dans le cours de l’été.
- AV. de FON VIELLE.
- Le Propriélaire-Gérant : Gaston TISSANDIER.
- PARS. — IMF. SIMON hAON ET COUP., HUE D’ERFURTII, 1.
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- No 4. — 28 JUIN 1873.
- LA NATURE.
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- LE NAVIRE DÉCUIRASSÉ
- On le construit en Angleterre sur les plans du Chief Naval Architect de l’Amirauté, M. Nathaniel Barnaby. Il aura un nom français : le Téméraire.
- Le jour où, à Shœburyness, le canon de 33 tonnes (Infant of Woolwich) a traversé une armure de 45 millimètres et l’épaisse charpente qu'elle recouvrait, on fut autorisé à penser qu’une voie nouvelle allait s’ouvrir pour l’art des constructions navales. Mais lorsque sir W. Armstrong et sir J. Whitworth se sont engagés devant le fameux « Comité des plans des navires de guerre » à fabriquer des canons capables de percer des plaques de 50 et même de
- GO centimètres d’épaisseur, il a fallu prendre une résolution énergique, rompre avec un passé, pourtant si voisin de nous.
- C’était hier. La Dévastation, la Lave et la Tonnante revenaient de Crimée après avoir réduit Kinburn. Pendant quatre heures les trois batteries flottantes avaient canonné la forteresse, et reçu chacune un grand nombre de projectiles. Mais c’était vainement que les longues pièces de 24 en fonte de fer de l’ennemi avaient criblé les trois navires. Une empreinte d’environ 3 centimètres là où avaient porté les projectiles, c’était tout ce qu’avaient obtenu les artilleurs russes sur la cuirasse de 110 millimètres de nos batteries.
- Plein d’enthousiasme en présence d’un résultat
- Le Solférino ( 1863).
- aussi brillant, le gouvernement français avait donné des ordres pour que les plans que lui avait soumis M. Dupuy de Lomé fussent réalisés. Une frégate cette fois, la Gloire, était mise en chantier (4 mars 1858), pendant que les ingénieurs du génie maritime préparaient les devis des navires qui allaient composer la flotte nouvelle.
- Dans cette voie où nous allions entraîner bon gré malgré toutes les marines de guerre, les premiers, les Anglais nous suivaient, en attendant qu’ils nous dépassassent, et lançaient à leur tour le Warrior. Nous leur répondions par la Normandie, l'Invincible, la Couronne, le Magenta, le Solférino1... Mais ici, nous nous arrêtions. Les Anglais eux-mêmes, bien
- 1 L’auteur de cet article a donné des détails complets sur ces navires cuirassés, dans son excellent ouvrage intitulé les Merveilles de l'art naval, et publie en 1800 par la librairie Hachette et Cie. — Grâce à l’obligeance des éditeurs, nous
- qu’emportés alors par une fièvre assurément imprévue au début, lorsque nous leur communiquions nos expériences de tir de Vincennes, sur des plaques, et qu’ils souriaient de ce que le plus irrespectueux d’entre eux considérait comme un « échantillon de l’étourderie française, » les Anglais, disons-nous, se recueillaient à leur tour, ou plutôt, comme nous, regardaient de l’autre côté de l’Atlantique. Les fédéraux et les confédérés en étaient alors aux mains, et cette marine cuirassée, qui n’était encore en Europe qu’une marine théorique, les Américains la faisaient entrer, eux, dans le domaine de la pratique, en la soumettant à l’épreuve suprême du combat. L’un empruntons à cette publication les deux gravures qui représen-tent le Solférino et la Couronne, pensant qu’il y a un intérêt réel à remettre sous les yeux du public les types de ces navires, au moment où l’Angleterre modifie de toutes pièces les bases de si importantes constructions navales. G. T-
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- des inventeurs de l’hélice, l’illustre John Ericsson, | lançait son Monitor pour tenir tête au Merrimac, et, 1 le 8 mars 1862, à llampton-Roads, ces deux navires ! se canonnaient sans se faire plus de mal que l'artil- | lerie russe n’en avait causé à nos batteries flottantes.
- Pour la première fois on voyait l’éperon entrer en scène, et s’imposer à son tour aux architectes na- | vais. I
- Pendant que des deux côtés de l'Atlantique, ces 1 architectes dotaient les diverses marines de bâtiments , invulnérables, les artilleurs , vaincus, cherchaient leur revanche, travaillaient à augmenter la puissance de leur arme. Sans trop d’efforts ils y parvenaient.
- Quand parut la Gloire, le canon Paixhans, dit à bombe, avait déjà rendu impuissante l'ancienne muraille de bois des navires; la rayure en donnant à ce canon plus de portée, plus de justesse et de force de pénétration, acheva de la rendre illusoire. C’est pour lui résister que la Gloire s’était revêtue d’un blindage de 11 et 12 centimètres, protection suffisante contre le canon de 16 centimètres, qui se présentait en même temps qu’elle dans l’arène avec la rayure et le chargement par la culasse.
- A ce point de départ, cuirasse de 11 centimètres et canon de 16 centimètres s’équilibraient assez bien. Mais nous venons de le dire, le canon rayé ne devait pas en rester là, car la rayure et le chargement par la culasse lui avaient ouvert une voie d’agrandissements continus qu’il allait parcourir rapidement. Bientôt, en effet, il atteignait 19 centimètres, puis 22, puis 24 et 27 centimètres. Aujourd’hui, enfin, après ' treize ans seulement, le voici arrivé à 52 centimètres, 1 juste le double de ce qu’il était en 1859. j
- Pour lui tenir tête on augmenta d’abord l’épais- 1 seurdes cuirasses. On passa ainsi des épaisseurs de 12 centimètres à 15,16, 18, 20 et 22 centimètres. Mais ici on dut s’arrêter; car ce n’était pas uniquement le poids de la muraille qui se trouvait accru sur les | navires, il leur avait fallu des machines plus robustes, ! par suite une provision de charbon plus considérable. 1 Si d’un côté, en multipliant leur puissance, les ' canons avaient vu diminuer leur nombre, de l’autre leur masse, celle de leurs projectiles avait augmenté. Le canon de 27 centimètres, par exemple, pèse, avec son affût, plus de 51,000 kilogrammes, sa charge de poudre 50 kilogrammes, et son projectile | 216 kilogrammes. Le dernier sur la liste, V Infant of Woolwich, ne pèse pas moins de 55,525 kilogrammes.
- Qu’on ajoute à ces charges 1 million 500 mille kilogrammes pour celle de la cuirasse, on obtient pour le navire qui les supporte un déplacement d’eau d’environ 8 millions de kilogrammes. C’est | trop ; car alors les marins n’ont pas seulement un navire ex ! aordinairement coûteux sous les pieds | et d’une conduite difficile ; ils ont aussi une demeure dépourvue de sécurité, forte devant les hommes peut-être, mais très-faible devant ses vieux ennemis, l’Océan et ses tempêtes. Une répartition vicieuse des poids, une mer un peu houleuse, quelques mètres de toile de plus qu’il ne faut, en voilà assez pour mener
- au fond tout un équipage de braves gens, et 10 ou 12 millions de francs. La fin du Captain ne l’atteste que trop éloquemment L
- Menacés par les effets également désastreux du canon, de l’éperon et du naufrage, les ingénieurs ont cherché divers moyens de satisfaire aux contraires nécessités de la navigation et du combat. Ainsi ils ont diminué l’épaisseur de la cuirasse sur certaines parties du navire pour la reporter sur d’autres, ou bien ils ont diminué le poids de l’armature de bois, du matelas disposé pour soutenir les plaques. Le capitaine Coles imaginait des tourelles tournantes, puissamment cuirassées et dans lesquelles il plaçait l’artillerie, ce qui lui permettait de ne laisser sortir de l’eau qu’une faible partie de ses navires, le pont supérieur, et de n’offrir ainsi à l’ennemi qu’une surface extrêmement réduite. D’autres constructeurs débarrassaient les bâtiments de leur mâture, etc., etc.
- Pendant qu’ils cherchaient de la sorte à concilier la sécurité maritime du vaisseau avec celle qu’il doit offrir au point de vue militaire, l’éperon, puis les torpilles fixes, mobiles, automobiles, venaient à leur tour compliquer le problème. Pour résoudre cette nouvelle difficulté, l’intérieur du bâtiment était divisé en cloisons étanches, et recevait une double carène, ce qui ne le rendait pas plus navigable, et lui enlevait encore de son habitabilité.
- En dépit d’une dépense de talent qui a porté si haut les noms des Dupuy de Lôme, des Reed, des Larnaby, des Coles, des Ericsson, et de tant d’autres ingénieurs, on voit qu’il est impossible d’affirmer qu’ils aient rendu à la mer des navires tels que l'Austerlitz de Sané, ou le Napoléon de Dupuy de Lôme. Le navire d’escadre , bien maniable , bon marcheur, capable de longues traversées, invulnérable et puissamment armé est encore à créer.
- Afin d’obvier à ce vide profond, qui modifie si singulièrement la tactique navale, les amirautés, à leur tour, ont dû aviser au moyen de remplacer ce
- 1 Le Captain était un navire à deux tourelles de 4,272 tonneaux, cuirassé par des épaisseurs variant, sur la coque, de 17 à 20 centimètres et de 23 à 23 centimètres sur les tou-relles, et armé de G canons dont 2 de 25 tonnes. Dans la nuit du 6 au 7 septembre 1870, à la hauteur du cap Finistère, par un gros temps à grains, grosse mer, le Captain a coulé « faisant son trou dans l’eau, » comme disent les marins. Commandé par le capitaine Bourgoyne, le Captain faisait partie d’une escadre d’évolutions aux ordres du vice-amiral A. Milne. « A une heure après minuit, lisons-nous dans le rapport de cet officier, le vent avait forcé, on serra les voiles carrées. A cette heure, le Captain se trouvait à l’arrière de mon navire [Lord Warden) ; le signal d’augmenter les distances fut fait et répondu; il était environ une heure et demie, je le veillais constamment ; il avait ses huniers au bas ris ou serrés, les basses voiles serrées... son feu rouge se distinguait alors clairement. Quelques minutes après je cherchai de nouveau à le voir, il avait disparu... Au point du jour, dix navires seulement étaient en vue, le onzième, le Captain, n’était plus parmi eux... » Les cinq ou six cents hommes qui le montaient, à l'exception de dix-sept hommes seulement, perdirent la vie dans ce naufrage, où périt également le constructeur du malheureux vaisseau, le regrettable capitaine Coles.
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- qu’on leur a enlevé, ce qu’il est si difficile de leur rendre. Elles ont spécialisé leurs navires, en les divisant en trois catégories, chacune ayant un type et un emploi particuliers. Dans la première, figure ce qui tient lieu en ce moment de l’arme des Duquesne, des Tourville, des Ruyter, des Suffren et des Nelson, • nous voulons dire le navire d'escadre.
- La seconde comprend les navires de croisières, destinés à faire flotter au loin le pavillon national ; leur cuirasse est légère et leur rapidité excessive; ils ont une artillerie peu nombreuse, mais puissante.
- Les garde-côtes, béliers ou monitors, comme on voudra les appeler, composent la troisième catégorie. Leur nom indique leur fonction. N’ayant pas à s’éloigner du rivage et, par conséquent, n’étant pas contraints de se charger du combustible et des provisions nécessaires aux longues traversées, on a pu donner à ces bâtiments, qui constituent un type entièrement nouveau dans les flottes, une épaisseur considérable de cuirasse et une puissante artillerie. Quel-ques-uns , la Dévastation anglaise et le Glatton, sont, à ces points de vue, formidables.
- Quant au navire d’escadre, nous le répétons , quoiqu’il figure dans toutes les marines, il est encore
- La Couronne ( 1865).
- l’idéal obstinément mais infructueusement poursuivi. Faut-il renoncer à l’atteindre? Ce n’est pas l’avis d’un grand nombre d’ingénieurs, d’artilleurs et d’officiers de marine , et leur opinion, on l’a vu au début de cette esquisse, a exercé une influence assez considérable pour que l’Amirauté anglaise fait subie. Puisqu’il est impossible de rendre invulnérable le navire d’escadre sans lui enlever les qualités d’évolution, de sécurité et d’habitabilité, on le décuirassera. « La suppression de la cuirasse et de la part qu’elle prend dans le déplacement du navire, disait sir W. Armstrong aux membres du Committee for the designs of Ships of War, permettra d'ac-croitre dans des proportions énormes la puissance offensive et la vitesse, au profit du nombre des navires, de manière que la perte d’un seul batiment ne sera plus comme aujourd’hui un mal-heur public. Nous aurons alors des vaisseaux comparativement petits, mais rapides et puissamment armés, et quoi qu’il arrive, de pareils navires ne seront jamais démodés. Il faudrait les construire en
- fer, mais les plaques composant le bordé auraient beaucoup plus d’épaisseur que les plaques employées dans les constructions ordinaires, afin qu’elles puissent résister aux atteintes de la mitraille ou aux projectiles en acier du canon Gatling. Leur artillerie comporterait une ou deux pièces capables de percer les cuirasses les plus épaisses ; le reste se composerait de pièces légères, mais de gros calibre, susceptibles de lancer de gros obus avec une vitesse movenne. Ainsi construit et armé, un navire serait pour un cuirassé un antagoniste formidable, même dans un duel d’artillerie, tandis que comme bélier, ou s’il faisait usage de la torpille, sa vitesse supérieure et sa facilité de manœuvre et d’évolution lui donneraient un grand avantage sur son pesant adversaire.
- « Mon opinion est que des navires en fer, rapides, divisés en nombreux compartiments, avec leurs chaudières et leur machine au-dessous de la flottaison, cuirassés seulement dans une très-petite partie de la coque, constituent la classe des navires de mer, et, qu’en présence des progrès de l’artillerie et des nouveaux moyens d’attaque , la prudenc e recommande hautement ces constructions... » •
- Le Comité des plans des navires de guerre a trouvé sir
- W. Armstrong trop radical ; mais comme la véritable souveraine de l’Angleterre, l’opinion publique, lui donnait raison, l’Amirauté, nous l’avons dit, s’est décidée à mettre en chantier un navire, le Téméraire , qui sera construit sur les indications de l’illustre artilleur. En conséquence, il se composera d’une citadelle très-fortement blindée, destinée à protéger les machines, les canons et l’équipage, réduit porté par un radeau non cuirassé, divisé en cellules ou contenant quelque substance légère, telle que du liège, de manière à pouvoir être traversé impunément par les projectiles. On sait aujourd’hui que l’obus n'est dangereux que lorsque la résistance qu’il rencontre est considérable. •
- Devant cette détermination des chefs de la première marine du monde, toutes les puissances qui ont à cœur le maintien de leur influence navale continueront-elles à construire des navires de 9 à 10,000 tonneaux de déplacement, des navires de 98 mètres de longueur? Continuera-t-on à consacrer à chacun de ces formidables et cependant si fragiles instru-
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- monts de combat 10 à 12 millions, et à livrera l’inconnu de la guerre sous-marine ces coûteux engins que la torpille pourra détruire d’un seul coup? ou bien, désertant cette voie ruineuse, considérera-t-on comme plus sage et plus prudent de renoncer, dès à présent, à une protection inefficace et partant dangereuse? Cette question, peu de temps avant la résolution de l’Amirauté anglaise, M. le vice-amiral Touchard la posait dans notre pays avec une grande netteté. « Le décuirassement, disait-il, an-paraît aujourd’hui comme la conséquence inévitable de la puissance croissante du canon et de sa supériorité sur la cuirasse. Peut-être, avant que les navires en cours de construction soient achevés, cette conséquence va-t-elle s’imposer par l’initiative des autres puissances maritimes, ou d’une seule d’entre elles? et dès lors n’y aura-t-il pas pour la France honneur et profit à fournir ici l’exemple d’une initiative hardie que la prudence et l’économie conseillent, comme elle a fourni un exemple, moins conforme à son génie et à ses traditions militaires: l’exemple du cuirassement? »
- Cette initiative, on vient de le voir, c’est l’Angleterre qui l’a eue, non pas que le principe du décuirassement manque d'adhérents parmi nos ingénieurs et nos officiers, mais les charges laissées par la guerre pèsent trop lourdement sur notre pays pour qu’il lui soit permis de rentrer aussitôt dans la voie des essais et des expériences. De même que les Anglais nous laissaient faire alors que nous construisions la Dévastation, la Lave et la Tonnante, de même nous resterons spectateurs de la tentative représentée par le Téméraire, attendant, pour nous décider, que l’épreuve soit achevée. Que nos ennemis ne prennent donc pas une réserve, très-difficilement contenue d’ailleurs, pour de l’épuisement ou de l’impuissance. Notre marine, comme notre pays lui-même, se recueille et retrempe son génie au sein des viriles éludes. Pour elle comme pour lui de belles pages leur restent à écrire ; de nouvelles destinées les attendent, plus grandes, — nous en sommes profondément convaincus, — que celles déjà remplies.
- Léon Renaud.
- M. F. NAURY
- Mathieu-Fontaine Maury descendait, comme son nom l’indique, d’une famille française, qui avait émigré en Amérique après la révocation de l’édit de Nantes. Quatrième fils de Richard Maury, il était né le 10 janvier 1806, dans le comté de Spott-Sylvania, en Virginie, la patrie de Washington, Jefferson, Henry et Lee. Il avait quatre ans quand son père, cultivateur, vint établir sa ferme dans le Tennessee, près du village de Franklin, situé à 18 milles environ au sud de Nashville.
- Après avoir acquis l’instruction élémentaire qui pouvait lui être donnée dans les écoles de cette ré
- gion, le jeune Maury, dans sa seizième année, entra à l’Académie d'Ilarpeth, alors dirigée par le Rév. James Otey, qui fut depuis évêque du Tennessee. L’esprit actif, l’intelligence, les habitudes studieuses du nouveau pensionnaire attirèrent bientôt la bienveillante attention de ses professeurs, lui valurent leur attachement, et tant que vécut le bon évêque, il ne cessa de témoigner la plus cordiale affection à son ancien élève.
- En 1825, après avoir obtenu un brevet d’aspirant, Maury quitta l’école pour entrer dans la marine militaire des Etats-Unis. A cette époque, le gouvernement n’avait pas encore établi une Académie navale, et les aspirants devaient immédiatement commencer l’apprentissage de leur profession. On comprendra facilement combien dut paraître étrange à un jeune garçon élevé librement au milieu des forêts l’étroit espace où il devait maintenant vivre avec ses compagnons, et combien aussi fut nouvelle pour lui la sévère discipline d’un bâtiment de guerre. Le milieu dans lequel il se trouvait ainsi placé était peu favorable à l’étude. Mais, avec une persévérante volonté, il cherchait cependant toutes les occasions d'acquérir la pratique et la théorie de sa profession, et, par ses consciencieux efforts, de justifier la confiance qu’on lui montrait déjà dans les circonstances oit il y avait à faire preuve de zèle et de savoir. Il était surtout attiré par les études purement scientifiques, et ses camarades, à un âge où l’on recherche ardemment les plaisirs, le plaisantaient quelquefois sur les préoccupations qui le poussaient à tracer des figures géométriques sur le pont pendant ses quarts.
- Durant la première année de son service, il visita les côtes d’Angleterre sur la frégate Brandywine. Mais n’ayant d’autres ressources que ses faibles appointements, dont il envoyait la moitié à l’une de ses sœurs, il ne put profiter de ce voyage comme il l’aurait voulu, et dut renoncer aux excursions intéressantes dont l’occasion lui était offerte.
- Après une croisière dans la Méditerranée, sa frégate retourna à New-York en 1826. Il fut alors embarqué sur la corvette Vincennes, qui faisait une campagne autour du monde. Ce changement lui fut très-favorable. Il trouva sur son nouveau bâtiment plus de tranquillité, plus de facilités pour l’étude. En dehors de son service et des amusements qu’il partageait avec ses camarades, il continuait à s’instruire avec un zèle constant, et il fit de tels progrès dans la science qu’il put construire durant cette campagne une série de tables lunaires. Malheureusement il apprit à son retour que ces tables existaient déjà.
- En 1851, il fut embarqué comme maître1 sur la corvette Falmouth, qui allait prendre la station de l’océan Pacifique. Promu au grade d’aspirant de première classe, et remplissant les fonctions de maître, il avait pour travailler une chambre à lui, et sa mo-
- 1 Master, officier à qui peut être confiée la direction d’un bâtiment.
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- de^te bibliotheque s’était accrue d’une collection de bons livres mise à sa disposition par un de ses cama-rades. C’est pendant la traversée du Falmouth de New-York à Rio-Janeiro que son esprit actif conçut l'idée des cartes de vents et de courants, qui depuis ont rendu de si grands services au commerce du monde entier. Pour la première fois il axait en partie la responsabilité du voyage, et il désirait naturellement une rapide traversée. Avant de quitter New-York il recueillit toutes les informations relatives aux vents et aux courants qu’il devait rencon-tmr, afin de tracer la meilleure route à suivre. Il reconnut bientôt le peu de valeur de ces informations, et il résolut dès lors de s’appliquer aux recherches qui devaient combler plus tard une lacune si préjudiciable à la navigation.
- En doublant le cap Roru, pendant le même voyage, il fut frappé des irrégularités barométriques de cette région. Il inséra sur ce sujet dans le journal américain des arts et des sciences (ami. 1854) un mémoire qui fut sa première publication scientifique. C’est durant la même campagne qu’il prépara, avec les matériaux qu’il amassait depuis plusieurs années, un ouvrage sur la navigation. Après avoir passé du Fal-mouth sur la goélette
- M. F. Maury, d’après une photographie.
- Dolphin, où il remplit les fonctions de premier lieu-tenant, il fut embarqué sur la frégate Potomac, sur laquelle il retourna aux Etats-Unis en 1854. Ce bti-meut y désarma, et le jeune auteur eut le loisir nécessaire pour publier sa Navigation à Philadelphie. Paraissant sous le nom d’un officier qui n’avait pas encore dépassé le grade d’aspirant, cet ouvrage fut d’abord assez mal accueilli. Mais il obtint en Angleterre un légitime succès et fut plus tard également adopté par la marine des Etats-Unis.
- Pendant le séjour qu’il fit alors à terre, Maury retourna dans son pays natal, où il se maria avec mademoiselle Ann llerndon, sa fiancée depuis plusieurs années.
- En 1857, il fut promu au grade de lieutenant. Peu de temps après il eut le malheur de se casser la jambe droite dans une chute de voiture, et devint boiteux pour toute sa vie. Pendant longtemps il ne
- put marcher qu’avec des béquilles. Durant cette pénible épreuve, au moment où sa carrière semblait brisée, il retrouva la force dans sa foi religieuse, et il composa une prière qu’il redisait à ses enfants sur son lit de mort. L’activité physique est si nécessaire dans la vie du marin, que ce triste accident le contraignit à renoncer entièrement au service de mer et au rapide avancement qu’il aurait sans doute obtenu dans ce service. Mais il ne voulut cependant pas cesser de suivre une carrière dans laquelle il espérait être utile à son pays. C’est alors qu’il commença à écrire une série d’ai tieles sur la réforme des institutions navales des Etats-Unis. Ces articles exposaient a vecclarté les abus résultant de #, l’état de choses alors existant, proposaient des réformes qui ont été depuis en partie adoptées, et qui ont amené d’importants progrès dans la marine nationale, entre autres l’établissement d’une Académie navale.
- C’est aussi à la suite d’un projet présenté par Maury que fut créé, d’après ses plans, le chantier de construction de Memphis, dans le Tennessee. Sous sa direction , le lieutenant Marr fit sur ce point une série d’intéressantes observations relatives au Missis-sipi, origine des recherches semblables qui ont depuis fait
- connaître tout ce qui se rapporte à la vitesse, à la masse et à la nature des eaux de ce grand fleuve dans les diverses saisons. Maury proposa aussi et fit adopter rétablissement d’échelles indicatrices dans les principales villes qui bordent le Mississipi et ses tributaires, afin que les capitaines de bateaux à vapeur et autres personnes intéressées pussent chaque jour être informées par le télégraphe de la hauteur des eaux. Un registre des chiffres notés sur les diverses échelles permettait de déterminer l’effet probable d’une crue du fleuve ou de l’un de ses tributaires dans la région non encore atteinte. En même temps qu’il s’occupait de ces utiles observations, Maury demandait comme œuvre nationale l’élargissement du canal de l’Illinois et du Michigan, afin qu’un vaisseau de guerre pût au besoin passer du golfe du Mexique dans les grands Lacs, et réciproquement. Ses publications sur ce sujet excitèrent un
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- vif intérêt et lui valurent de nombreuses approba-tions.
- C'est en 1842 que le lieutenant Maury fut nommé directeur du dépôt des cartes et des instruments de marine à Washington. Grâce à ses soins éclairés, à son intelligente initiative, à son énergique volonté, ce dépôt devint bientôt l’observatoire national et le département hydrographique des États-Unis. Un vaste champ s’ouvrit dès lors à son génie pratique, et il put espérer réaliser quelques-uns des projets, qu’il avait conçus pour le bien de son pays et pour le développement du commerce universel. Nous avons vu comment, onze ans auparavant, il avait constaté le manque de cartes indiquant aux navigateurs les routes et les courants des parages qu’ils avaient à traverser, et nous avons dit sa résolution de combler un jour, s’il le pouvait, cette lacune. En consultant les anciens journaux de bord, relégués depuis longtemps au dépôt de la marine, il en tira, non sans peine, toutes les observations valables qu’ils renfermaient. Il recueillit ensuite les meilleures informations sur la traversée des États-Unis à Rio Janeiro, et put construire, avec ces divers documents, les premières cartes de la série qu’il voulait ensuite compléter. Mais ces cartes, comme la plupart des innovations, ne furent pas appréciées tout d’abord, et il se passa quelque temps avant qu’on en fît usage. Le capitaine Jackson, commandant le Wrigth, de Baltimore, fut le premier qui se détermina à suivre la nouvelle route qu’elles indiquaient. L’expérience réussit à souhait : il fit le voyage, aller et retour, dans le même temps à peu près qu’il fallait, par l’ancienne route, pour la seule traversée jusqu’à Rio.
- Encouragé par ce premier’ succès, Maury lit imprimer des journaux de bord contenant des colonnes pour l’enregistrement de tous les faits dont la connais-sauce pouvait servir à la construction des cartes. Ces journaux étaient remis aux capitaines des navires en partance; ces officiers étaient invités à recueillir des matériaux durant leur voyage, afin d’obtenir des cartes en échange de leur collaboration. Le plus actif intérêt fut ainsi excité parmi les marins, et sur toutes les mers du globe l’entreprise commencée eut bientôt un grand nombre d’intelligents et zélés collaborateurs, dont les observations étaient recueillies et groupées à Washington.
- Maury fut alors autorisé par son gouvernement à solliciter la coopération des États européens pour l’établissement d’un système général d’observations météorologiques à la mer. Des exemplaires de ses cartes et de ses instructions nautiques furent distribués aux marines militaires de ces États, et donnés aussi gratuitement aux capitaines des bâtiments de commerce, qui prenaient l’engagement de tenir leur journal de bord dans la forme prescrite, et de l’adresser, après chaque voyage soit à Washington, soit au bureau méléorologique dirigé par l’amiral Fitz-Roy, à Londres.
- Élie MARGOLLÉ.
- — La suite prochainement. —
- OMBRES EXTRAORDINAIRES
- SPECTRES AÉRIENS ET AURÉOLES LUMINEUSES.
- Tout le monde a entendu parler des illusions bizarres du mirage, des effets singuliers produits par la lumière, au milieu des sables brûlants du désert, ou à la surface glacée des banquises polaires. Mais le soleil donne souvent naissance à d’autres merveilles moins généralement connues, parce que leurs observations ont été plus rares ; nous voulons parler de ces ombres extraordinaires que certains voyageurs ont vu se projeter sur le brouillard des montagnes, ou sur les nuées atmosphériques, ombres étranges, qui, apparaissent enveveloppées d’auréoles colorées et de contours lumineux. Le soleil, il est vrai, n’est pas prodigue de ces jeux de lumière, on dirait même qu’il les révèle à regret, et seulement à l’explorateur assez audacieux, pour atteindre le sommet de montagnes peu fréquentées, ou pour s’élancer vers les hautes régions de l’air dans la nacelle d’un aérostat.
- Il y a fort longtemps du reste que de semblables phénomènes, quelque exceptionnels qu’ils soient, ont été signalés ; depuis des époques très-reculées, la montagne du Brocken, célèbre dans le Hartz, en Hanovre, a été réputée comme le théâtre habituel d’apparitions extraordinaires. Les paysans du pays, vous parlent encore aujourd’hui du Brocken avec un certain effroi ; ce sommet, qu’ils croient ensorcelé, leur inspire des terreurs superstitieuses ; ils redoutent d’en faire l’ascension à l’heure du lever du soleil, car c’est à ce moment surtout, que d’après leurs récits, des spectres formidables apparaissent au sein de l’air, que des ombres colossales surgissent au milieu des massifs de nuages. Quand ils se hasardent à gravir les rampes escarpées de la montagne, ils montrent au voyageur, durant la route , certaines pierres granitiques qu’ils appellent autel de la sorcière ou le rocher magique, ils s’arrêtent devant la fontaine enchantée, ils vous racontent que les anémones du Brocken sont douées de vertus particulières. D’après l’affirmation des archéologues allemands, ces dénominations remonteraient au temps où les Saxons adoraient encore leurs anciennes idoles, alors que le christianisme commençait à dominer les esprits des populations de la plaine. Il est probable que le spectre du Brocken, dont nous allons entretenir nos lecteurs, s’est souvent montré à cette époque, comme de nos jours, et qu’il avait sa part des tributs d’une idolâtrie superstitieuse.
- Un des premiers observateurs, qui ait donné une description exacte, et rationnelle du -spectre du Brocken, est le voyageur liane, qui l’aperçut en l’année 1797. Avec une persévérance infatigable, ce naturaliste se rendit plus de trente fois au sommet du Brocken, sans que l’apparition se révélât à ses yeux. Mais sa ténacité eut enfin sa récompense. Un certain jour du mois de mai, liane a gravi le Brocken ; il est arrivé au sommet de la montage à 4 heures du
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- matin. Le temps est calme, le vent chasse devant lui une nuée de brouillards opalins, de vapeurs indécises qui ne sont pas encore métamorphosées en nuages. Le soleil se lève à 4 heures 15 minutes, l’heureux observateur voit son ombre colossale se découper sur le massif des brumes, il porte sa main à son chapeau, et la grande silhouette fait le même geste. Plus tard, en 1862, un peintre français)!, Stroobant, aperçut nettement le spectre de Brocken; l’ombre du voyageur se dessina sur les nuages, ainsi que celle d’une tour du voisinage. Ces silhouettes étaient vagues, leurs contours mal définis, mais elles apparaissaient nettement entourées d’un contour lumineux formé des sept couleurs de l'arc-en-ciel.
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- Le cercle d'Ulloa.
- Au siècle dernier, Bouguer et Ulloa, envoyés à l’équateur avec la Condamine pour mesurer le degré terrestre, observèrent des phénomènes du même ordre pendant leur séjour sur le Pichincha. Ulloa, qui a donné son nom à ces effets de lumière, a décrit avec précision l'apparition, devenue classique, qui se manifesta sous ses yeux. « Je me trouvais, dit-il, au point du jour sur le Pambamarca, avec six compagnons de voyage ; le sommet de la montagne était entièrement couvert de nuages épais; le soleil, en se levant, dissipa ces nuages ; il ne resta à leur place que des vapeurs légères qu’il était presque impossible de distinguer. Tout à coup, au côté opposé à celui où se levait le soleil, chacun des voyageurs aperçut, à une douzaine de toises de la place qu’il occupait, son image réfléchie dans l’air comme dans un miroir ; l’image était au centre de trois arcs-en-ciel nuancés de diverses couleurs et entourés à une certaine distance par un quatrième arc d’une seule couleur. La couleur la plus extérieure de chaque arc était incarnat ou rouge ; la nuance voisine était orangée ; la troisième était jaune, la quatrième paille, la dernière verte. Tous ces arcs étaient perpendiculaires à l’horizon ; ils se mouvaient et suivaient dans toutes les directions la personne dont ils enveloppaient
- l’image comme une gloire. Ce qu’il y avait de plus remarquable, c’est que, bien que les sept voyageurs fussent réunis en un seul groupe, chacun d’eux ne voyait le phénomène que relativement à lui, et était disposé à nier qu’il fut répété pour les autres. »
- Kaemtz sur la cime de quelques montagnes alpestres, Scoresby dans les régions polaires, Ramond dans les Pyrénées, de Saussure sur le mont Blanc, M. Boussingault dans les Cordillères, ont confirmé depuis ces récits intéressants par leurs propres observations. Mais ces beaux phénomènes se manifestent bien plus souvent aux yeux des aéronautes quand ils sillonnent une atmosphère chargée de nuages. MM. Glaisher, Flammarion et de Fonvielle les ont décrits succinctement depuis quelques années. Nous avons eu l’an dernier, et cette année même, la bonne fortune d’observer des ombres aérostatiques ceintes d’auréoles des plus variées : nous croyons intéressant de les décrire.
- C’est dans le cours de notre dix-huitième ascension aérostatique exécutée le8 juin 1872, avec M. le contre-amiral baron Roussin, que nous eûmes le bonheur de voir ces beaux phénomènes apparaître à nos yeux dans leur magnificence.
- A 5 heures 55 minutes du soir, l’aérostat avait dépassé les beaux cumulus blancs qui s’étendaient horizontalement dans l’atmosphère à 1,900 mètres d’altitude. Le soleil était ardent, et la dilatation du gaz déterminait notre ascension vers des régions plus élevées, que je ne pouvais atteindre sans danger, n’ayant pour la descente qu’une faible provision de lest. Je donne quelques coups de soupape, pour revenir à des niveaux inférieurs. A ce moment, nous planons au-dessus d’un vaste nuage ; le soleil y projette l’ombre assez confuse de l’aérostat, qui nous apparaît entourée d’une auréole aux sept couleurs de l’arc-en-ciel. A peine avons-nous le temps de considérer ce premier phénomène, que nous descendons de 50 mètres environ. Nous passons alors tout à côté du cumulus qui s’étend près de notre nacelle et forme un écran d’une blancheur éblouissante, dont la hauteur n’a certainement pas moins de 70 à 80 mètres.
- L’ombre du ballon s’y découpe, cette fois en une grande tache noire, et s’y projette à peu près en vraie grandeur. Les moindres détails de la nacelle, l’ancre, les cordages, sont dessinés avec la netteté des ombres chinoises. Nos silhouettes ressortent avec régularité sur le fond argenté du nuage ; nous levons les bras, et nos Sosies lèvent les bras. L’ombre de l’aérostat est entourée d’une auréole elliptique assez pâle, mais où les sept couleurs du spectre apparaissent visiblement, en zones concentriques. La température était de 14 degrés centésimaux environ; l’altitude, de 1,900 mètres. Le ciel était très-pur et le soleil très-vif. Le nuage sur la paroi verticale duquel l’apparition s’est produite, avait un volume considérable et ressemblait à un grand bloc de neige en pleine lumière. Nous étions nous-mêmes entourés d’une certaine nébulosité, car la
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- terre ne s’entrevoyait pins que sous un brouillard indécis.
- Des observations analogues ont été faites plusieurs fois comme nous venons de le dire par quelques aé-rouantes ; mais je ne crois pas (pic l’on ait jamais • vu l’ombre d’un ballon se découper sur un nuage avec une intensité telle, qu’on eût dit un effet de lumière électrique. Le spectacle qu’il nous a été donné de contempler était vraiment saisissant, et ce genre de spectre aérostatique doit être certainement considéré comme une des plus belles scènes aériennes qui puisse s’offrir au voyageur en ballon1.
- Mais il y a quelques mois, le 16 février dernier, il nous a été possible d’observer ces phénomènes dans des conditions plus exceptionnelles encore. En effet pendant trois heures consécutives, . nous n’avons pas cessé un seul instant , d'apercevoir sur la nappe de nuages au-dessus des-quels nous planions, l’ombre de notre aérostat sans cesse enveloppée d’un contour irisé. Jamais semblable occasion ne s’est offerte à l’observateur aérien, de bien étudier les circonstances de production de ces jeux de lumière ; jamais d’ailleurs panorama jdus imposant de Phénomène d’optique observé montagnes de nuages ne s’est peut-être aussi présenté aux regards d’un aéronaute.
- A midi, nous venons de quitter la terre, cachée sous un épais manteau de brumes ; nous traversons le massif des nuages, et nous sommes éblouis tout à coup par les torrents de lumière que lance un soleil
- 1 Comptes rendus de l’Académie des sciences, t. LXXV, p. 38 (1872).
- Le même volume de cette publication contient, page 161, une intéressante communication de M. Gay. « La description du phénomène observé en ballon par M. Tissandier, dit ce savant, me rappelle un fait identique observé par moi, il y a quatre ans. Le 3 septembre 1868, vers cinq heures du soir, je me trouvais, avec plusieurs personnes, sur l’étroite plate-
- des tropiques, ruisselant de feu, au milieu d’un ciel azuré. Ni la mer de glace, ni les champs de neige des Alpes, ne donnent une idée de ce plateau de vapeur qui s’étend sous notre nacelle, comme un cirque floconneux où des vallées d’argent apparaissent au milieu des flocons de feu. Ni la mer au soleil couchant, ni les flots de l’Océan éclairés par l'astre du jour au zénith n’approchent en splendeur de cette armée de cumulus arrondis qui ont aussi leurs vagues et leurs montagnes d’écume, mais qui ont en plus une lumière d'apo-etfre théose.
- Dès que notre ballon a dépassé d’une cinquantaine de mètres environ la plaine des nuages, son ombre s’y projette avec une netteté remarquable, et un magnifique arc-en-ciel circulaire apparaît autour de l'ombre de notre nacelle. La gravure ci-contre, dont le croquis a été fait d’après nature par notre frère qui nous accompagnait, donne une idée très exacte de celte apparition. L’ombre de la nacelle forme le centre de cercles irisés et concentriques, où se distinguent les sept couleurs du spectre : violet, indigo, bleu, vert, jaune, orange et rouge. Le violet est intérieur, et le rouge extérieur, ces deux couleurs sont en ballon, le 16 février 1873. en même temps celles qui se révèlent avec le plus de netteté. Nous sommes au moment de cette observation à l’altitude de 1,550 mètres au-dessus du niveau de la mer.
- L’aérostat, dont le gaz se dilate par l’effet de la chaleur solaire, continue à s’élever rapidement dans l’atmosphère, son ombre diminue à vue d’œil ; bientôt à 1,700 mètres d’altitude, le cercle irisé forme qui termine le Grand-Som (2,033 mètres d’altitude) et dont les parois se dressent à pic, au-dessus de la Grande-Chartreuse. Des nuages nous enveloppaient à chaque instant; le soleil, près de se coucher, projeta notre ombre et celle de la croix plantée sur le sommet, un peu agrandie et entourée d'un cercle irisé... présentant toutes les couleurs du spectre, le violet à l’intérieur, le rouge au dehors. »
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- l’enveloppe tout entier, et cesse de se produire autour de la nacelle. Un peu p'.us tard enfin, à 1 heure 55 minutes, nous nous rapprochons de la couche des nuages, et l’ombre est ceinte cette ibis de trois auréoles aux sept couleurs elliptiques et concentriques, comme le représente la gravure au trait qui accompagne notre texte.
- Rien ne saurait donner une idée de la pureté de ces ombres, qui se découpent dans une brume opaline, de la délicatesse de tous de l’arc-en-ciel qui les entoure. Le silence complet qui règne dans les régions de l’air, où se manifestent ces jeux de lumière, le calme absolu où l’on se trouve, au-dessus de nuages que le soleil transforme en îlots de lumière, ajoutent à la beauté de ces spectacles, et remplissent l’âme d’une indicible admiration. Nul ne saurait rester indifférent à la vue de ces tableaux enchanteurs que la nature réserve à ceux qui savent la comprendre.
- Ombre aérostatique entourée de trois auréoles.
- On ne sait pas encore exactement à quelle cause attribuer la production d’un contour lumineux autour de l’ombre projetée sur des vapeurs ou des brouillards. Quelques observateurs ont pensé que ces phénomènes étaient dus à la diffraction de la lumière, mais il serait possible qu’ils aient une origine commune avec l’arc-en-ciel. Ce qui tendrait à accréditer cette opinion, c’est la nécessité de la présence de la vapeur d’eau, pour que le phénomène se manifeste : s’il était le résultat de la diffraction, il devrait apparaître aussi bien sur un mur blanc, sur un écran quelconque que sur un nuage. Il ne serait pas impossible du reste d’étudier ces laits curieux, au moyen d’expériences exécutées à terre ; en disposant convenablement des écrans de soie, ou des écrans de mousseline imbibés d’eau, qui simuleraient un nuage, on pourrait espérer voir le phénomène se manifester ainsi par synthèse. Tout récemment, M. Leterne a encore signalé un excellent moyen de l’étudier, sans qu’il soit nécessaire de s’élever au-dessus des nuées dans la nacelle d’un ballon. « Au
- printemps, dit cet observateur, le matin, lorsque le soleil, arrivé à 15 ou 20 degrés au-dessus de l’horizon, a déjà un peu réchauffé l’atmosphère, et qu’il s’est produit une légère condensation de vapeurs sur le tapis de gazon qui borde les routes, le voyageur peut voir sa silhouette, projetée sur ce tapis de verdure humide, entourée d’un contour lumineux dans lequel on reconnaît les couleurs du spectre, mais où le rouge domine1. » On voit que cette observation est facile à provoquer ; à défaut de rosée, ne pourrait-on pas mettre à profit les jets d’eau qui forment une pluie de gouttelettes liquides, où, comme on le sait, l’arc-en-ciel apparaît fréquemment. Il n’est pas douteux que de semblables études complétées par des expériences ingénieuses sont susceptibles de conduire à quelque résultat intéressant. Comme l’a dit Montaigne, « il n’est désir plus naturel que le désir de cognoissauce...; quand la raison nous fault, nous y employons l’expérience. » On ne saurait mieux faire que de suivre les conseils de l’immortel auteur des Essais.
- Gaston TISSANDIER.
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- LE PHYLLOXÉRA
- ET LA NOUVELLE MALADIE DE LA VIGNE.
- (Suite et lin. — Yoij. pages 4, 18, 45.)
- VI
- 5° Submersion. — Il est évident qu’une submersion suffisamment prolongée des vignes doit amener l’asphyxie des parasites qui habitent leurs racines. M. Faucon, viticulteur à Graveson (au nord de Ta-rascon), séduit par la rationalité de ce moyen curatif, l’appliqua à un vignoble de 51 hectares fortement attaqué par le phylloxéra, et en obtint des résultats tellement encourageants qu’il n’y a pas témérité à avancer que si toutes les vignes de France aujourd’hui atteintes pouvaient être submergées, le règne du pbylloxéi a toucherait bientôt à sa fin. La récolte qui était de G25 hectolitres en 1807 dans le vignoble de M. Faucon, descendit à 40 hectolitres en 18G8 et à 55 en 1809, mais remonta après la première submersion à 120 hectolitres en 1870, à 450 après la deuxième en 1871 et à 900 après la troisième en 1872. Aujourd’hui, le vignoble de Graveson, désormais célèbre sous le nom de Mas de Fabre, oflre une végétation splendide sur laquelle la vue aime à se reposer au milieu de la stérilité environnante.
- Cette résurrection progressive et presque miraculeuse devra vraisemblablement s’observer dans toutes les localités soumises au même traitement. La seule difficulté gît dans la rareté apparente des vignobles
- 1 Comptes rendus de l’Académie des sciences., t. LXXVI, 1873, p. 786.
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- en état de recevoir un pareil traitement. Mais, d’après les calculs de M. Faucon, on pourrait facilement, à l’aide du canal d’irrigation projeté par M. Dumont dans la vallée du Rhône, inonder par jour 2,850 hectares avec une hauteur moyenne de 10 à 12 centimètres, ou au moins 1,500 hectares en tenant compte des pertes d’eau par la filtration ou par évaporation, ainsi que du surcroît de dépense nécessaire pour maintenir une épaisseur suffisante dans les nappes d’eau déjà déversées. Ce canal, déjà tracé tout entier sur le terrain depuis l’été dernier, doit dériver à la hauteur de Condrieu, près de Vienne, un volume d’eau de 55 mètres cubes par seconde à l’extrême étiage du Rhône et 45 mètres cubes dans l’état ordinaire; il doit de là étendre ses eaux sur une étendue de 146,000 hectares appartenant aux quatre départements de la Drôme, de Vaucluse, du Gard et de l’Hérault, qui sont précisément les plus éprouvés. Le prix de revient de ce canal d’irrigation et des travaux d'endiguement nécessaires dans les points à pentes trop rapides, atteindrait à peine, d’après les estimations de M. Faucon, la somme de cent francs par hectare de vignes. Le remède de la submersion, si heureusement appliqué à Graveson, pourrait donc s’appliquer à presque tous les points de la région la plus maltraitée par le fléau.
- La durée du séjour de l’eau varie avec les époques : quinze à vingt jours suffisent en septembre et en octobre, alors que le phylloxéra est encore dans la période de la vie active, mais trente à quarante jours d’immersion non interrompue sont nécessaires lorsque l’insecte est devenu plus capable de résister à l’asphyxie par suite de la suspension presque complète de toutes ses fonctions.
- L’inondation est doublement avantageuse lorsqu’elle est faite avec de l’eau limoneuse, additionnée des substances minérales favorables à la végétation, car alors elle constitue un procédé à la fois curatif et cultural. Quelle que soit d’ailleurs la méthode curative que l’on applique, il est toujours indispensable de combiner son action avec celle des meilleurs engrais et des moyens culturaux les plus perfectionnés.
- L'efficacité de la submersion est du reste affirmée par l’action destructrice que les pluies abondantes exercent sur les phylloxéras. Ainsi, celles qui, du commencement d'octobre 1872 au mois de février 1875, ont donné plus de 600 millimètres d’eau, en ont fait périr de grandes quantités.
- Dans toutes les situations où l’eau de pluie a séjourné assez de temps pour pénétrer le sol et atteindre le parasite jusque dans ses retraites les plus profondes, et pour équivaloir ainsi à la submersion méthodique pratiquée par M. Faucon, il ne reste plus un seul parasite sur les racines. Mais on en trouve partout où, soit par suite d’une disposition orographique spéciale, soit à cause d’un simple défaut de perméabilité, la submersion naturelle n’a pas eu un effet assez prolongé.
- Le procédé expérimenté à Graveson a fourni des
- preuves trop évidentes de son efficacité pour que son auteur ne cherche pas à en étendre autant que possible l’application. Les vignobles des coteaux eux-mêmes peuvent, d’après M. Faucon, être appelés à partager les bienfaits de la nouvelle méthode curative, et cela à l’aide de dispositions préparatoires très-simples. A cet effet, l’ingénieux viticulteur insiste pour que les propriétaires de ces vignobles, jusque-là considérés comme condamnés à une destruction irrémédiable, fassent établir en travers de la pente, de distance en distance, une série de bourrelets successifs, de 50 à 40 centimètres de hauteur, et plus ou moins rapprochés suivant la déclivité du terrain. Les masses d’eau qui tombent pendant la saison pluviale seraient ainsi facilement retenues pour la submersion des racines à l’aide de ces petits remblais étagés, disposés en courbes horizontales : certains terrains des plus inégalement mouvementés, et présentant parfois jusqu’à 7 centimètres de pente par mètre, ont pu être inondés ainsi d’une manière assez complète pour être préservés des atteintes de la maladie.
- 4° Moyens de destruction fondés sur l'observation des mœurs du phylloxéra. — Les heureux résultats des travaux d'Audouin sur la pyrale, de Doyère sur l'alucite des céréales, comme de ceux plus récents de M. Blanchard sur la noctuelle des moissons, montrent bien tout le parti qu’on peut tirer d’études biologiques conduites avec méthode et persévérance. La connaissance des moindres particularités qu’offre l'insecte nuisible dans sa manière de vivre et de se propager, peut seule fournir l’indica-tion du moment d’attaque le plus opportun ; il est bien rare, en effet, qu’à une époque déterminée de son existence, s’il ne se livre pas pour ainsi dire lui-même, il ne soit pas au moins plus facile à atteindre.
- L’observation faite par M. Faucon de phylloxéras radicicoles, aptères ou ailés, cheminant sur le sol pendant les heures chaudes de la journée, a suggéré l’idée de répandre au pied des ceps des poussières nuisibles telles que la chaux vive en poudre employée avec tant de succès contre les colapses et les phytonômes des luzernières, ou la fleur de soufre déjà mortelle pour un grand nombre d’ennemis de la vigne et dont l’action nuisible sur le phylloxéra ne peut guère être mise en doute depuis qu’il est constaté, grâce aux expériences de M. Marès, que les femelles aptères périssent en peu de temps lorsqu’elles sont exposées au soleil dans un tube saupoudré de cette substance.
- La marche ascensionnelle qu’exécute le phylloxéra le long des racines lorsqu’il quitte la souche épuisée par ses succions réitérées pour aller à la recherche d’une proie nouvelle, donne pour ainsi dire le conseil de badigeonner la base du cep, déchaussée au préalable sur une profondeur suffisante, à l’aide d’une substance agglutinante quelconque.
- Les nouvelles observations de M. Max. Cornu, con-| firmées tout récemment par celles de M. Faucon,
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- nous ont appris que les parasites qui ont passé l’hiver en léthargie, se réveillent pleins d’agilité à l’entrée du printemps, et se montrent alors revêtus d’une peau délicate et de fraîche formation.
- La minceur de leurs téguments, l’abstinence prolongée de l’hibernation, l’activité renaissante de toutes les fonctions vitales, sont autant de conditions très-favorables à l’absorption des substances caustiques ; la mobilité dont ils font preuve augmente dans une forte proportion leurs chances de rencontre avec ces substances; en outre, le réveil de la respiration doit accélérer à ce moment l’effet asphyxiant de la submersion : il y aura donc avantage à attaquer le phylloxéra vers la fin de mars ou au commencement d’avril.
- Cette époque est d’autant plus opportune que la ponte n’est pas encore effectuée. Les moyens de destruction mis en œuvre pourraient être sans effet sur les œufs, qui sont d’ailleurs, comme ceux de tous les parasites, doués d’une force de résistance considérable ; mais si leur application est faite assez tôt pour qu’ils n’aient à rencontrer que les jeunes phylloxéras à peu de distance de leur rentrée dans la vie active, il y a grande probabilité à ce que la maladie de la vigne ne puisse reprendre un nouvel essor au retour de la belle saison.
- Dans la séance du 28 avril dernier, M. Dumas a insisté à l’Académie des sciences sur l’enseignement à tirer de ces observations si intéressantes de MM. Cornu et Faucon, c’est-à-dire sur la possibilité d’augmenter les chances de succès des moyens d’attaque dirigés contre le destructeur de nos vignobles.
- Les résultats fournis par les nombreuses études dont la nouvelle maladie de la vigne a été l’objet, ont déjà eu pour résultat de ranimer l’espoir des propriétaires de vignobles et de les encourager à redoubler d’efforts dans leur lutte contre le fléau. Sous cette heureuse impulsion, les succès se multiplient en même temps que l’emploi des méthodes curatives rationnelles se généralise. Aussi le moment n’est-il peut-être pas très-éloigné où le talent d’observation de nos naturalistes, associé dans une ardeur commune à la pratique consommée de nos viticulteurs, réussira, sinon à triompher complètement du terrible phylloxéra, du moins à ralentir sa marche dévastatrice d’une manière très-rassurante pour l’avenir.
- E. VIGNES.
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- UNE SOUSCRIPTION SCIENTIFIQUE
- L'OBSERVATOIRE DUDLEY A ALBANY
- Nous croyons utile de présenter à nos lecteurs quelques faits du plus haut intérêt, signalés par l’excellent recueil de la Bibliothèque de Genève sur l'Ob-servaloire d'Albany, le chef-lieu politique de l’État de New-York. Tandis que, chez nous, il faut tout attendre du gouvernement pour la création d’établis
- sements scientifiques, de l’autre côté de l’Atlantique, il suffit que des hommes d’intelligence et de bonne volonté se présentent à leurs concitoyens, pour que des souscriptions importantes et nombreuses répondent immédiatement à leur* appel. En 1851, quelques savants d’Albany veulent fonder un observatoire astronomique ; ils vont frapper de porte en porte, demandant à tous l’obole de la science. Aussitôt l'argent afflue : en peu de temps, les capitaux nécessaires à l’acquisition des terrains, à l’érection des bâtiments, à la construction des instruments sont souscrits ; madame veuve Dudley, à elle seule, a donné d’abord 12,000 dollars; puis, elle a versé successivement dans la caisse du nouvel observatoire 105,000 autres dollars. Les dons de cette honorable dame se sont élevés en totalité à 480,000 francs de notre monnaie. Aussi, ne s’étonnera-t-on pas si le nouvel établissement porte sou nom. Outre madame veuve Dudley, des notabilités d’Albany, MM. Thomas Olcott, Devitt, Prentice Rathbone, ont encore souscrit pour des sommes importantes ; parmi les autres donataires on en compte plus de dix, qui, en peu de temps, ont envoyé soit de New-Yoïk, soit d’autres localités des États-Unis, 1,000 dollars chacun; quant aux souscriptions de 500 et de 100 dollars, elles ont afflué de partout en nombre considérable. Tout cela s’est fait sans bruit... et sans pétitions ministérielles!
- En 1854, grâce à la générosité de quelques citoyens, le bâtiment destiné au nouvel observatoire, s’élève fièrement au sommet d’une proéminence, située dans la partie nord-ouest de la cité d’Albany, à 50 mètres environ au-dessus du niveau moyen des eaux de l'Iludson. En 1856, l’Observatoire est pourvu d’une grande lunette équatoriale, de 13 pouces anglais d’ouverture effective et de 15 pieds de longueur focale ; l’instrument est muni d’un mouvement d’horlogerie et de six oculaires micrométriques, dont les grossissements varient de 100 à 1,000. Il compte, en outre, un superbe cercle méridien, fixé à une lunette de 10 pieds de longueur locale et de 8 pouces d’ouverture, un magnifique instrument de passages. Bientôt l’établissement possède un chercheur de comètes, construit par Alvan Clark de Boston, et dont la lunette est montée équa-torialement, un nouveau chronographe inventé par le professeur Mitchel, un déclinomètre, dû au même savant, un nouveau baromètre automatique enregistreur, de llough, une machine à calculer, exé-cutée par les Suédois E. et G. Scheutz. Cette machine n’a pas coûté moins de 5,000 dollars ; elle a été construite pour les quatre premiers ordres de différence, et on s’en est servi très-avantageusement pour le calcul d'éphémérides de petites planètes.
- L’Observatoire d’Albany continue aujourd’hui à fonctionner et à progresser, sous l’intelligente direction de M. G.-AV. llough; il a déjà rendu des services importants à l’astronomie, à la météorologie; il en rendra d’autres encore. Mais nous ne voulons pas parler ici des travaux qui y ont été exécutés ; notre
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- but a été surtout de mettre en relief un bel exemple de l’initiative privée, dans la fondation d’une œuvre de science. Les veuves Dudley se rencontrent fré-quemment aux États-Unis; elles sont malheureusement fort rares en France.
- Gaston TISSANDIER.
- LES INFINIMENT PETITS
- La nature a prodigué partout avec une étonnante prodigalité les espèces inférieures de l'animalité. •—
- aiguille peut en contenir plusieurs millions. D’après Ehrenberg, le Gange en transporte en une année une quantité si prodigieuse, que la masse réunie de ces animalcules formerait un volume supérieur à celui de la grande pyramide d’Egypte. « Les infusoires, a dit un naturaliste distingué, sont à la fois les animaux les plus petits et les plus nombreux de la na-turc. Ges êtres microscopiques constituent, aussi bien que l’espèce humaine, un des rouages si compliqués de notre globe. Ils sont à leur rang et à leur échelon : ainsi l’a voulu la Grande Pensée première ! Supprimez ces microscopiques bestioles et le monde sera incomplet ! On l’a dit il y a longtemps, il n’est
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- Fig. 5. — Rlotifères.
- L’Océan, l’eau des fleuves, des rivières et des étangs, sont peuplés d’une myriade de petits êtres qui se-
- rien de si petit à la vue qui ne devienne grand par la réflexion! »
- Fig. 2. — Kolpodes.
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- Fig. 4. — Infusoires divers.
- raient à jamais inconnus à l’homme sans le microscope, que l’illustre M. Michelet a si bien appelé un sixième sens. Ces animalcules sont tellement petits qu’une gouttelette d’eau suspendue à la pointe d’une
- L’étude des infusoires offre un grand charme : tout le monde peut s’en occuper avec le concours d’un bon microscope. Une goutte d’eau prise dans une mare vous révélera des mondes nouveaux, effrayants
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- meme par leur bizarrerie, par leur richesse. Laissez séjourner quelques débris végétaux, une feuille, un brin d’herbe dans une soucoupe contenant de l’eau. Après un jour ou deux, l’eau se couvrira d’une pellicule, elle aura perdu sa limpidité. Une goutte de cette eau, placée sous le microscope, apparaîtra remplie d’infusoires divers. On verra des monades, (tig. 1) de véritables points, qui sont au microscope ce que les nébuleuses sont au télescope. Ces petits d'entre les petits paraissent être en quelque sorte des molécules agitées, des atomesqui se meuvent. La dimension de leur corps atteint à peine la trois-mil-lième partie d’un millimètre.
- Après les monades, les êtres que l’on rencontre le plus généralement dans une infusion préparée comme nous l’avons indiqué précédemment sont les Kolpodes (fig. 2). Ils ont la forme d’un haricot ; leur
- corps est transparent, et l’on y distingue différents globules arrondis, que les micrographes consi-dèrent comme leurs intestins ou leurs œufs. Les Rotifères (fig. 5) ont une tête garnie de cils vibra-tiles, que l’on voit s’agiter sans cesse avec une étonnante rapidité ;
- Machine électro-médicale de Ruhmkorff.
- comme les Kolpodes, ils sont transparents et laissent voir, dans l’intérieur de leur substance, leur masse intestinale. Les rotifères se meuvent aussi dans l’eau avec une grande agilité , et ils ont la faculté de contracter instantanément leur corps, pour se pelotonner en boule. Ces êtres étranges ont la propriété de ressusciter après avoir été desséchés.
- La multiplicité des espèces dans le monde des infusoires est extraordinaire ; il en est de toutes les formes; la figure 5 en montre quelques individus différents, fidèlement dessinés d’après nature. Le mode d’existence et de propagation de ces infiniment petits fournit à l’observateur .des faits du plus haut intérêt, remplis d’imprévu et de révélations curieuses ; nous y reviendrons très-prochainement.
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- MACHINE ÉLECTRO-MÉDICALE
- DE M. RUNNKORFF
- Dès que la science eut mis en évidence l’action singulière de l’électricité sur l’organisme, on songea à l’employer dans la guérison des maladies. Avant même la découverte de la pile électrique, certains médecins avaient l’habitude de donner à leurs malades des piqùres électriques : l'électricité a eu des
- Sangrados qui abusèrent de ce fluide mystérieux, au point de l’employer à l’exclusion de tout autre remède et d’en faire une panacée universelle. Il ne manque pas, de nos jours encore, de semblables praticiens qui ne jurent que par chaînes galvaniques, bagues électriques, ceintures, brosses ou sachets magnétiques et qui emploient l’électricité pour guérir tous les maux. Cette exagération systématique a attiré de justes railleries; mais il n’en est pas moins démontré que, dans certains cas, l’électricité agit sur l’organisme, avec une étonnante efficacité. Le fluide électrique excite le système nerveux, et on cite de merveilleux exemples de cures opérées notamment chez des personnes paralysées. On a vu des membres inertes retrouver leur activité première, après avoir subi l’influence d’un traitement électrique.
- On se sert fréquemment aujourd’hui d’une petite
- machine électro-médicale, imaginée par M. Ruhm-korff, qui a attaché son nom à tant d’admirables apparcilsd’induc-tion. Elle se compose de deux petites bobines, véritables diminutifs de sa grande machine. A la gauche de notre gravure, on aperçoit une petite
- pile à sulfate de mercure, composée de deux cléments. Le courant lancé dans le fil inducteur est recueilli avec deux armatures.
- Le courant est, pour ainsi dire, gradué avec la plus grande facilité. Les bobines sont enveloppées dans un double manchon en laiton et mobile. Ces manchons métalliques sont également sillonnés de courants induits. Si les bobines sont entièrement cachées sous le manchon, les secousses sont nulles; elles seront d’autant plus énergiques que le manchon métallique en découvrira une surface plus considérable. Le mouvement du manchon se produit facilement à l’aide d’une tige métallique.
- L’appareil de petite dimension est enfermé dans une boîte ; il tient dans la poche, et le médecin peut facilement l’emporter avec lui et l’enfermer dans sa trousse.
- CHRONIQUE
- Expédition à la recherche de Livingstone par le Congo. — Le lieutenant Grandy et sa suite sont partis de Saint-Paul-de-Loanda à bord d’une goélette et sont arrivés à Ambriz le 16 février; ce petit port est à une faible distance au nord de Saint-Paul. M. Grandy emmène avec lui 150 porteurs pour transporter son ba-
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- LA NATURE.
- gage à Bombe, où il espérait arriver en mars dernier. La route d’Ambriz à Bombe était à cette époque assez sûre ; aussi le lieutenant Grandy se propose-t-il d’aller jusqu’à San Salvador, qui est à moitié chemin du Congo. Si cette expédition est couronnée de succès, elle apportera des documents de grande valeur pour la géographie, car elle s’exécute dans des régions tout à fait inexplorées.
- L'âge du bronze en Sibérie. — M. Desor, le savant naturaliste à qui l’on doit de si belles études sur les cités lacustres de la Suisse, vient de recevoir une magnifique collection d'objets archéologiques des plus précieux, trouvés en Sibérie par un célèbre voyageur russe, M. Kapa-tine. Les antiquités dont il s’agit, dit M. Desor, sont toutes en bronze; elles se composent d’armes, d’ustensiles et de parures. Ces objets attestent des besoins et des goûts qui ne sont pas ceux des populations nomades qui habitent actuellement les steppes. Celte collection atteste une culture bien plus avancée que celle de nos palafites de l'âge du bronze, et quoiqu’il ne soit pas encore possible de les rattacher avec certitude à une époque connue de l’antiquité, elles n’ont rien de moderne. De nouvelles recherches conduiront certainement à des révélations du plus haut intérêt sur l’histoire de la Sibérie en même temps que sur l’étude de l’âge du bronze.
- L‘ établissement scientifique de Eurlington-Mouse. — Les Sociétés savantes d’Angleterre sont généralement plus fortunées que les nôtres et leurs locaux beaucoup plus somptueux. Le nouveau bâtiment de Burlington-House, Piecadily, à Londres, est la résidence de la Société royale d’Angleterre, qui correspond à l’Institut de France. Mais il donne en outre asile aux sociétés suivantes, qui se sont toutes groupées les unes à côté des autres : lesSociétés Astronomique, S. des Antiquaires, S. Chimique, S. de géologie, S. Linnéenne. Ce palais de la science est, à l’extérieur comme à l’intérieur, digne dis notabilités qui s’y réunissent.
- Les champs de lave du lac Hlamath- Orégon.
- — Le principal théâtre de la guerre que font les Indiens d’Amérique, les Modocs aux colons de l’Orégon, est une immense région volcanique aux découpures chaotiques, dont ils utilisentles défilés inextricables, pour se mettre en embuscade contre les troupes des États-U’nis. Ils connaissent seuls certains passages, qui conduisent à des situations inexpugnables et à des cavernes où ils se réfugient en cas d’alerte. L’endroit où le général Camby fut tué est à environ 100 milles de la côte du Pacifique, dans le Siskiyou, près de la limite de l’Orégon et de la Californie. Ce pays sauvage, si intéressant pour les études géologiques, s’étend sur une surface d’environ 600 milles dans l’Ouest. Le terrain est de formation basaltique, avec failles et déchirements souvent remplis d’eau. Le refroidissement subit ou une commotion intérieure ont produit des fissures les plus bizarres, dont les dimensions varient de 3 mètres jusqu’à 40 mètres de profondeur ; beaucoup se transforment en grottes, tandis que d’autres donnent passage à des filets d’eau qui se jettent dans la rivière Colombie. La plus grande grotte est Ben Wriht's cave ; elle s’élendrait, au dire de certains explorateurs, sur une surface de 15 acres ; dans certains passages, le visiteur doit ramper sur le sol, tandis que dans d'autres la voûte s'élève à une grande hauteur. L’entrée principale n'est pas plus grande qu’une fenêtre ordinaire. On doit concevoir combien les opérations militaires seraient gênées sur un pareil terrain, si elles n’élaient pas conduites par des Indiens allies, qui connaissent les principaux défilés.
- Le prix de la première lunette employée au passage de Vénus. — Au moment où toutes les nations civilisées rivalisent de luxe et de générosité, 'au moins apparente, dans les préparatifs faits pour l’observation du passage de 1874, il n’est point hors de propos de rappeler que le premier passage aperçu par un habitant de la terre le fut avec un instrument dont les écoliers dédaigneraient de se servir. La lunette dont florrox fit usage, le 14 novembre 1639, ne lui avait coûté qu’une demi-couronne, environ trois francs de notre monnaie. Ilorrox était un pauvre étudiant de l’université de Cambridge, qui exerçait les fonctions de répétiteur d’un jeune homme riche, et qui n’avait pu se procurer son modeste instrument que dans le courant de l’année précédente. Il mourut trois ans après la grande observation qu’il eut seul la gloire de faire. Il n’avait encore que vingt-deux ans.
- Utilisation de la force des marées. — Le Scie/l-tific American nous apprend qu’on a fait à Brooklyn des essais pour utiliser la force motrice des marées. L’inventeur a imaginé d’employer un immense flotteur qui monte et descend avec le flot.
- A l'aide d'engrenages, le mouvement a été communiqué, parait-il, à une scie rotative, laquelle aurait tourné avec toute la rapidité qu’une machine à vapeur aurait pu lui donner.
- Nous ne sommes point étonnés d’apprendre que le mouvement révolutif de la scie n’a point été d’une régularité parfaite, mais nous sommes surpris qu’on ait cherché à faire exécuter à un moteur mû par un poids dont les déplacements sont si lents un travail qui demande une vitesse aussi considérable.
- A l'Exposition universelle de Londres, nous avons examiné avec quelques détails une machine analogue, disposée par un italien, qui avait essayé de résoudre le même problème en employant le ressort de l’air comprimé.
- La route d’Amérique sur l’Océan. — L'American Regisler nous apprend qu’une des grandes compagnies qui font le service des États-Unis en Europe a décidé que ses navires traverseraient le 50e méridien de Greenwich par 43“ de latitude dans la traversée vers l’ouest, et par le 42e seulement dans leur retour en Europe. Les deux points sont choisis d’après les instructions maritimes que Maury a données, de manière à rendre aussi prompt et aussi commode que possible le voyage entre les deux continents.
- La distance entre les deux points choisis, après mûre délibération, est assez grande pour que les rencontres ne soient point à craindre. Les steamers qui prennent l’un la droite, l’autre la gauche dans cette grande rue océanique large de 60 milles marins, ne courent plus le danger de se précipiter l’un vers l’autre dans les nuits brumeuses, comme cela pourrait arriver.
- D’autre part, les navires à vapeur et les pêcheurs qui seront obligés de traverser la rue d'Amérique sauront qu’ils ont besoin de prendre garde, comme les Parisiens quand ils se trouvent sur la chaussée du boulevard des Italiens.
- La presse scientifique en Norwége. — Jusqu'à ce jour les Norwvégiens ne se servaient que de la langue allemande pour se mettre en communication scientifique avec l’Europe civilisée. Ainsi les grands mémoires de HIansteen ont été résumés dans les Annales de Poggendorf. La direction du Journal des progrès des sciences de Christiania vient de décider que tous ses numéros se-
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- raient précédés par un sommaire en anglais, langue avec laquelle les dialectes Scandinaves ont une grande affinité étymologique et grammaticale. La langue anglaise offre, en outre, l’avantage d'ètre beaucoup plus répandue que les idiomes germaniques, qui ne sont point en état de ui disputer le prix de la clarté.
- Société scientifique de Buenos-A yres. — La grande cité de l’Amérique méridionale ne reste pas étrangère au progrès; elle vient de le prouver, en fondant tout récemment une Association scientifique à la tête de laquelle est placé un savant distingué, M. A. Luis lIuergo. Le but de la société est d’encourager les recherches et les travaux scientifiques.
- Nouvelle charrue mitrailleuse. — Voilà bien une invention américaine. Quelque excentrique qu’elle puisse paraître, elle n’en est pas moins véridique. La charrue mitrailleuse est représentée dans les journaux illustrés de New-York; elle sert aux cultivateurs de l’intérieur pour se défendre contre l’attaque des Peaux-rouges. Un brave Yankee laboure son champ ; de loin des ennemis l’aperçoivent, ils se préparent à fondre sur un blanc sans arme : le laboureur, aussitôt, tourne sa charrue du côté de l’attaque, et lance la mitraille sur les sauvages, qui s’enfuient épouvantés. La nouvelle charrue est surmontée d’un petit canon, toujours chargé. Il paraît que ce n’est pas dans ces régions qu’il est permis de dire: O fortunatos nimium sua si bona norint ayricolas!
- Les examens scientifiques en Chine.—Le célèbre philosophe Confucius aurait institué, cinq siècles avant l'ère chrétienne, leVen-MiaoouleTemple, où se passent lesgrands examens officiels. Ce temple par excellence esta Pékin, ce qui n'empêche pas que, dans chaque province, il existe une session annuelle, où l’on confère seulement le premier degré. C’est à Pékin seulement que le deuxième peut être obtenu. Le superlatif des distinctions littéraires et scientifiques est le Chwang-Yunen ou quatrième degré, que l’on nomme aussi « le premier des dix mille. » Celle dénomination provient de l’endroit affecté aux examens qui contient ce nombre de candidats. Il consiste en cent-vingt rangées de petites cellules mal bâties, réunies autour d’une pagode centrale. Chaque candidat se place dans cette cellule, dont la surface excède à peine un mètre, et juste assez haute pour qu’un homme puisse s’y tenir assis, ayant une planche formant table devant lui. Les files de cellules sont au nombre de quarante-cinq, et sont séparées entre elles par un couloir étroit; le nombre total des cellules est de 9,999. Pendant toute la durée de l’épreuve, les candidats ne doivent communiquer avec personne ; ils sont constamment surveillés du haut de la tour de la pagode centrale, et par des gardiens qui circulent dans les couloirs séparatifs des cellules. Pendant tout le temps que les candidats sont « en loge, » on leur fournit des aliments préparés dans de grandes jarres en poterie, et de l’eau dans des vases mis à leur discrétion. Les candidats apportent avec eux une couverture pour s’envelopper pendant la nuit, et dormir assis sur la planche formant siège. Chacun reçoit un feuillet de papier estampillé, pour que la substitution soit impossible, et une pierre à délayer l’encre de Chine; il apporte avec lui une théière pour ses repas.
- Tous les nationaux ont le droit de se présenter au concours tous les trois ans, quel que soit leur âge; si un candidat a la persévérance de se mettre ainsi en loge tous les trois ans, jusqu’à l’âge de quatre-vingt ans, l’empereur lui confère un litre particulier. Le concours supérieur de
- Pékin dure neuf jours, qui sont fractionnés en trois séries de trois jours chacune.
- Les titres accordés sont : 1° Sien-Tsai, qui équivaut à bachelier ; 2° Chü-Jen, qui représente celui de docteur ; 5° Chan-Yunen, le plus élevé de tous, accordé seulement tous les trois ans, à Pékin. Le titre gagné à ces concours permet d’aspirer aux fonctions publiques; il est écrit sur la porte de la maison. Les qualifications supérieures donnent droit à voir son nom gravé sur des tablettes de pierre, placées dans le temple de Confucius, pour passer à la postérité.
- Développement de fungoïdes sur les oiseaux vivants. — Les parasites animaux et végétaux envahissent les animaux de taille supérieure, affectant tantôt la peau, tantôt l’intérieur du corps. Ainsi le larcina se développe dans les intestins de l’homme. M. le docteur James Murie a découvert des végétations cryptogamiques dans la membrane abdominale du rissa tridaclyla; il a vu le même cas se reproduire chez le cacatua cristala. Il croit pouvoir affirmer que les germes de ces fungoïdes sont des émanations directes du tissu épidermique, où ils auraient été introduits par une cause intérieure.
- Les chauves-souris de l'époque antédiluvienne et les chauves-souris contemporaines.— Les animaux de grande taille ont beaucoup plus émigré que ceux de petite taille devant les conquêtes du monde par l’homme. Les carnassiers et les insectivores ont continué à vivre dans les lieux où ils sont nés. Nulle part la concurrence vitale n’a dû être plus puissante que chez les chauves-souris qui ont des traverses de périodes de froid, et qui ne trouvent des insectes pour pâture qu’à l'époque des chaleurs; de plus, ces animaux, complètement indépendants, ont été plus propres à subir les effets de la sélection naturelle. D’après M. van Beneden, les os des chauves-souris trouvés avec ceux des ours des cavernes sont identiquement semblables à ceux des représentants de l’époque actuelle. Ces animaux sont restés ce qu'ils étaient à l’époque de l’ours, du mammouth et du renne. La même observation s’applique aux mollusques terrestres, pour lesquels il n’y a pas eu non plus de concurrence vitale.
- Singulière propriété acoustique d’une fontaine de l’Institut. — Un musicien distingué, M. A. El-wart, a eu l’idée de frapper de la paume de la main la vasque de pierre qui est dans la cour d’honneur de l’Institut. Il a reconnu que celte vasque rend un son musical qui correspond avec une extrême précision à l’accord parfait majeur de fa naturel. Tout le monde peut vérifier ce fait, très-intéressant au point de vue de l’acoustique.
- BULLETIN
- DE LA NAVIGATION AÉNIENNE.
- Pendant le mois de mai et la première quinzaine de juin, le temps a été tout à fait contraire aux excursions aeronautiques. Le champ libre a été ouvert aux tentatives des empiriques de toute espèce et de toute volée.
- Les journaux de Bruxelles ont raconté les mésaventures d’un adepte du plus lourd que l’air, qui devait se lancer dans l’espace et prendre son essor à plusieurs centaines de mètres au-dessus du niveau de la Senne. Mais le bal -Ion qui devait remorquer le nouvel Icare ayant été dérangé par le vent, le décrochement de l’homme-volant.
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- qui aurait eu le sort de Cooking, n’a pu avoir lieu. Les badauds bruxellois ont manifesté leur mécontentement d’une façon bruyante. Cette mésaventure fait involontairement songer à celle de l’horloger autrichien Deghen, qui avait attiré tout Paris au champ de Mars pour lui voir diriger un ballon auquel il était suspendu; mais, plus prudent que le volant de Bruxelles, il ne devait point quitter terre.
- Les journaux de Marseille nous apprennent qu'un aéro-naute de cette ville construit un grand ballon pour tra-verser la Méditerranée. La tentative, quoique accompagnée de certains hasards, n’est point insensée, àcondition d’être exécutée avec des moyens suffisants et sérieusement dirigée. Mais les Marseillais viennent récemment d’assister à un accident aérostatique qui n’est point fait pour favoriser de nouvelles tentatives. Un ballon captif s’est échappé, et les passagers ont été faire un plongeon involontaire dans la Méditerranée.
- Les journaux d’Amérique nous annoncent le prochain départ d’un aéronaute yankee qui ’a la prétention de traverser l’Amérique en soixante heures. Heureusement le même journal nous apprend que le grand ballon du pro-fesseur Weiss ne se lancera au-dessus de l’Océan que quand l’assemblée de Boston aura fait remettre préalablement à l’aéronaute une somme assez ronde. Il faut donc provisoirement considérer la nouvelle du Herald comme étant elle-même un ballon d’essai.
- Nous avons lu dans la Nouvelle Revue de Vienne que le ballon captif de l’Exposition universelle a dû être prêt pour le 15 juin, sans remise ni retard d’aucune sorte.
- La Nouvelle Presse de Vienne ajoute que le constructeur entrepreneur s’est engagé à livrer le ballon pour celte date, sous peine d’un fort dédit. On n’a sans doute point oublié le beau ballon captif de l’Exposition de 1867, dont M. H. Giffard était le créateur : celui de Vienne sera gonflé au gaz de l’éclairage, il cubera 8,000 mèlres cubes ; il n’est certes pas dénaturé à faire oublier ses devanciers.
- M. Janssen, le nouveau membre de l'Institut a commu-muniqué à l’Académie des sciences un mémoire sur une ascension exécutée, au mois d’avril dernier, par quelques savants. Le diagramme de la route suivie était affiché sur les murs de la salle des séances. M. Janssen s’en est servi pour ses démonstrations.
- L’aérostat ayant rencontré un banc d’aiguilles de glace très-fines, les voyageurs aériens n’ont point été à même de reconnaître si ces aiguilles montaient ou descendaient. Il est à regretter qu’ils n’aient point songé à jeter dans l’espace de petits morceaux de papier, qui auraient, suivant toute probabilité, résolu la question. Or il n’est pas à présumer que les aiguilles de glace puissent descendre plus rapidement que des objets aussi légers. En tout cas, avec de bons baromètres, des aéronautes expérimentés peuvent être quelquefois embarrassés pour maintenir leur ballon horizontal, mais dans l’état actuel de l’art ils ne le sont jamais pour savoir s’ils descendent ou s’ils montent.
- W. DE FOxVIELLE.
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- REVUE MÉDICALE
- Les maladies régnantes. — La statistique des maladies régnantes est faite à Paris depuis plusieurs années par une commission spéciale ; ce bon exemple a été suivi à Lyon, et le docteur Fonteret vient d’étudier les constitutions médicales dans leurs rapports
- avec les maladies pendant la période 1866-1873. Cette étude prouve une fois de plus la relation qui existe entre certaines affections et les variations atmosphériques. Ainsi l’automne 1868 donne de ce fait un exemple frappant : dans la première moitié de cette saison qui fut chaude et sèche, les maladies revêtirent les types gastriques et bilieux ; dans la deuxième moitié, qui fut froide et humide, le type catarrhal prédomina. Les affections inflammatoires ont régné surtout pendant les hivers froids et secs.
- L’agoraphobie. — Sous ce nom, Westphal et Cordes viennent de décrire un genre particulier de maladie nerveuse (névropathie) consistant dans l’angoisse, la crainte des places publiques (Platzangst, Platzfurcht). Celte maladie, causée par une surexcitation du système nerveux, survient à la suite de travaux intellectuels exagérés et des excès de tout genre ; il complique parfois les troubles gastriques prolongés. Les individus atteints de cette singulière affection sont pris, lorsqu’ils veulent traverser une place, un endroit désert, d’un sentiment d’angoisse qui paralyse leurs mouvements et s’accompagne de palpitations de cœur, de vertiges et de bourdonnements d’oreille. L’hydrothérapie et l’application des courants électriques continus ont le plus souvent raison de ces accidents, qui sont plus effrayants que dangereux.
- Le carbonate de lithine dans la goutte et la gravelle. — Les théories nouvelles, qui font consister la goutte dans une production exagérée d’acide uri-que due à un défaut de combustion des matériaux de la nutrition, indiquaient par cela même l’emploi d’un alcali qui formât avec l’acide urique un composé soluble et par cela même facile à éliminer. Le carbonate de lithine est dans ce cas, et le docteur Garrod, qui vient de l’expérimenter, assure que la pratique s’est trouvée d’accord avec la théorie. D’après cet auteur, le carbonate de lithine réussit parfaitement dans beaucoup de cas de goutte chronique ou aiguë et de gravelle ; il est en outre éminemment diurétique et facilite la résorption des tophus ou nodosités qui déforment les articulations des goutteux.
- Corps etrangers dans le conduit auditif. —
- Le docteur Gruber, de Vienne, insiste sur l’emploi
- des injections d’eau tiède continuées pendant un cer
- tain temps ; le corps étranger laisse passer derrière
- lui le jet de liquide, se déplace et finit par être expulsé. Si le corps étranger est un petit insecte vivant, M. le docteur Tillaux recommande d’envoyer avec la bouche un jet de fumée de tabac dans l’oreille. En thèse générale, on doit proscrire l’emploi de sondes, curettes, pinces, avec lesquels des mains inexpérimentées pourraient léser la membrane du tympan ou déchirer les parois du conduit auditif.
- Dr X.
- Le Propriétaire-Gérant : G. TISSANDIER.
- PAlUS. — IMP. SIMON RAÇON ET COMP., RUE d’eCFURTH, 1.
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- LET 1875.
- LA NATURE.
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- UN MIRACLE DE LA SCIENCE
- Le 19 juin 1875, le Great-Eastern, escorte de trois ou quatre puissants steamers, quittait Valentia et mettait le cap vers l’Amérique.
- Cette nouvelle expédition, dont nous retracerons toutes les péripéties, avait pour but la pose du câble jeté comme ses deux aînés de la verte Erin à la blanche Terre-Neuve, voie ouverte à l’éclair galvanique, cet admirable véhicule de la pensée moderne.
- A peine si les journaux des grandes capitales ont daigné enregistrer la nouvelle (pii, dix ans plus tôt, aurait tenu le monde civilisé en suspens.
- Le navire géant a lassé notre curiosité par le nombre des fils conducteurs qu’il a semés au fond de tous les océans du monde. Nous sommes décidément blasés par ses victoires antérieures.
- Un spectateur qui n’aurait point été prévenu ne se fut pas douté, du reste, que les marins qu’il avait devant lui suspendaient au bout d’un câble, gros comme le doigt, trente ou quarante millions de francs, une fortune pareille à celle que se partagent les plus opulentes familles princières.
- Qu’un charlatan, ou que quelque halluciné annonce avoir été témoin d’un fait douteux, obscur, paraissant contredire les lois naturelles de l’évidence et de la logique, la renommée n’aura point assez de ses cent bouches pour lui servir de trompettes ; on créera s’il est besoin de nouvelles feuilles spirites, pour nous tenir au courant de toutes ces sornettes; mais après avoir accusé de présomption et de témérité les hommes intelligents et courageux qui ont pris l’initiative de ces grandes expéditions électriques, à une époque où les lumières de la science officielle les condamnaient ouvertement, nous ne nous apercevons point qu’ils exécutent sous nos yeux de véritables miracles. En effet, l’entreprise gigantesque à laquelle des électriciens expérimentés procèdent avec un calme si rassurant pour les actionnaires échouerait misérablement, si une seule des innombrables conditions nécessaires n’était point remplie de la façon la plus radicale, la plus complète, la plus brillante.
- Ne faut-il point un premier miracle pour qu’un fil long de plusieurs millions de mètres n'offre pas le moindre défaut sérieux de conductibilité? est-il raisonnable d’espérer que sans un hasard extraordinaire ce cylindre pourra se dérouler nuit et jour pendant un demi-mois peut-être, avec une vitesse constante de cinq nœuds à l’heure, sans que son écorce soit éraillée, sans qu’il éprouve une tension trop grande? est-il dans l’ordre naturel des choses qu’il puisse se précipiter au milieu des gouffres océaniques sans se blesser en tombant trop lourdement sur des rochers ? .
- Mais aucune péripétie n’épouvante les poseurs de câbles. Ils comptent sur les qualités exceptionnelles du navire géant qu’ils ont appris à manier avec tant de dextérité. Que le ciel et l’eau se mêlent, que la
- foudre gronde autour de leur tête, ils ne feront au-cun sacrifice aux dieux inconnus, car leur divinité, c’est l’Expérience. Le Great-Eastern saura toujours retrouver le bout du fil qu’il aura abandonné au caprice des éléments dans le moment où leur insurrection semble triompher de la boussole ou de la vapeur.
- Toute ville assiégée est une ville prise, mais à condition que l’assaillant ne néglige aucune des précautions qu’exige l’art militaire.
- L’histoire des poses télégraphiques, malgré quelques insuccès, quelques défaillances, nous prouve qu’il n’y a pas de siège scientifique qui ne doive réussir, à condition qu’on complète l’investissement. Le triomphe n’est plus qu’une affaire de temps, suivant les cas, d’années ou d’heures.
- Ces miracles s’accomplissent au vu et au su du genre humain tout entier. Il ne tient qu’à nous de les imiter du moment que notre génie industriel sera, comme celui de nos voisins, une longue patience, doublée de beaucoup d’audace et de beaucoup d’or.
- Ne négligeons donc aucune circonstance qui nous permette d’exciter la jalousie française et de montrer ces hauts faits de la grande armée du travail, dont la réorganisation permettrait de prendre de grandes et salutaires revanches.
- N’oublions pas que les câbles ont supprimé l’Océan si longtemps infranchissable, parce que les poseurs ont été avant tout des oseurs, parce qu’ayant une idée juste en tête, ils sentaient qu’ils avaient, par cela même en main, tout ce qu’il faut pour forcer la nature, pour lui arracher son consentement à l’union des deux mondes, après quelques sommations respectueuses.
- Les premiers audacieux qui ont ouvert la voie à la télégraphie océanique avaient foi dans le pouvoir de la science; c’est cette foi éclairée par la raison, soutenue par l’expérience, qui leur a permis d’accomplir des hauts faits industriels, bien plus dignes d’exciter notre admiration que les plus brillantes fictions de la Fable ! W. de FONVIELLE.
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- LE CIEL AU MOIS DE JUILLET 1873
- L’astronome observateur n’est pas, comme le physicien ou le chimiste, ou même le naturaliste, le 1 maître d’observer ou d’expérimenter quand et comment il lui plaît : il ne dispose pas du temps, et le temps peut être, il est même souvent, dans nos climats, défavorable aux observations astronomiques. La première quinzaine de juin a été si pluvieuse, le temps si souvent couvert, le jour comme la nuit, qu'instruments et observateurs ont dû chômer, bon gré mal grc, dans nos contrées occidentales du moins.
- Juillet sera-t-il plus beau? Espérons-le. Voici, en attendant quelques observations sur les phénomènes à observer.
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- Mercure, qui se lève pendant tout le mois après le Soleil, et passe au méridien entre 1 h. 1/2 et 2 h. de l’après-midi, ne sera visible que le soir après le coucher du Soleil. Le 15 juillet est le jour de son maximum d’élongation orientale ; ce jour-là, la planète se couche une heure et demie environ après le Soleil ; il faut de puissantes lunettes pour reconnaître la forme en croissant de son disque, la planète étant toujours très-voisine de l’horizon et noyée dans les lueurs crépusculaires. On doit avoir soin de rétrécir par un diaphragme l’ouverture de l’instrument, à cause de la vivacité de la lumière de l’astre. Le 15, son ascension droite sera égale à 9 h. 28 m. et sa déclinaison boréale de 14° 25' ; c’est un point situé dans le Lion, environ à 8 degrés à l'ouest de Régulus.
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- Mars et Saturne en juillet 1875.
- Mouvemeuts de ces planètes dans les constellations : 1” de la Vierge et de la Balance; 2" du Capricorne.
- Vénus, au contraire, sera visible le matin avant le lever du Soleil, et c’est le 44 juillet qu’elle atteindra le point de sa digression occidentale maximum. Elle traverse diagonalement dans ce mois la constellation du Taureau, les Hyades, entre les étoiles e et a. Son ascension droite varie de 3 h. 55 m. à 5 h. 56m. et sa déclinaison boréale, de 15° 32' à 20° 55'. Le jour de son élongation maximum, elle ne sera guère qu’à deux degrés au nord-ouest d'Aldébaran.
- Mars passe au méridien entre 7 h. 1/4 et 6 h. du soir. Il continue son mouvement, de la Vierge (10° à l’est de l’Epi) dans la Balance où il viendra à la fin de Juillet se placer à deux degrés environ au-dessous de a. Il s’éloigne de plus en plus de la Terre, la distance des deux planètes s’accroissant pendant le mois de près de 27 millions de kilomètres.
- Jupiter, toujours dans le Lion, s’éloigne de Régu-
- lus et s’avance à l’orient jusqu’à l’étoile p de la même constellation. Comme il se couche de bonne heure, entre 40 h. 1/2 et 8 h. 40 m., Jupiter sera pendant ce mois assez peu favorable à l’observation.
- Saturne est visible toute la nuit ; il se lève entre 9 h, 8 m. et 9 h. 45 m. ctiie se couche qu’entre une heure et demie et minuit. Malheureusement, sa hauteur au-dessus de l’horizon est assez faible, même à l’instant du passage au méridien : elle ne dépasse pas 20 degrés. Saturne est dans le Sagittaire, entre les étoiles q et T, à 10 degrés environ à l’est de la branche orientale de la Voie Lactée. Avec un bon télescope, on peut apercevoir l’anneau et quelques-uns des satellites. Le 21 juillet, Saturne se trouvera en o; position.
- Le ciel sidéral offre des parties intéressantes à étudier par exemple les deux branches de la Voie Lactée qui se séparent à la hauteur du Cygne et dont la plus brillante, la branche orientale, traverse le Renard, l’Aigle au-dessus d'Ataïr et va se perdre à l’horizon dans le Sagittaire. N’y a-t-il donc point en France d'astronome assez dévoué pour cultiver cette partie de la science, l’astronomie sidérale, avec les moyens nouveaux que fournit l’analyse spectroscopique? M. William Huggins a déjà recueilli, des observations qu’il fait depuis plusieurs années à l’aide de cette méthode nouvelle, d’assez beaux fruits pour que ces résultats encouragent les chercheurs,
- La comète à courte période (II, 4867) sera visible dans Ophiucus ; dans les premiers jours de juillet, son ascension droite sera d’environ 16 h. 15 m. et sa déclinaison australe de 24°, ce qui lui assigne pour position un point situé un peu au nord d’Antarès. Cette comète, dont les éléments et les éphémérides ont été calculés par M. Ilind, a été observée pendant les derniers jours de mai à Paris et à Marseille; par MM. Paul et Prosper Henry, André et Baillaudet par M. Stephan. « Elle paraît, selon M. Wolf, comme une nébulosité ronde, assez visible, avec une apparence de concentration augmentant progressivement des bords au centre, et d’un diamètre de 1 minute à 1 minute et demie. » L’astre s’éloigne d’ailleurs de plus en plus de la Terre.
- Amédée GUILLEMIN.
- «LES INSTRUMENTS ENREGISTREURS
- PHOTOGRAPHIQUES.
- Parmi les sciences physiques, il en est, dont les progrès, pour ainsi dire intermittents, se révèlent par de véritables révolutions qui les transforment tout à coup ; il en est d’autres où les grands événements sont rares, où la patience continue de l’observateur supplée en quelque sorte à l’inspiration née fortuitement dans le cerveau d’un inventeur de génie. La Chimie a eu son Lavoisier, qui, par la théorie de la combustion, par l’analyse de l’air, a tout à coup marqué une ère nouvelle dans l’histoire de cette
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- LA NATURE.
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- branche si féconde du savoir humain ; la Physique a eu son Volta, qui a su lui ouvrir d’immenses horizons, en donnant naissance à la pile électrique. — Mais il est d’autres sciences où de semblables progrès ne peuvent se manifester tout à coup. La Météorologie, par exemple, qui a pour but d’étudier les lois du mécanisme de l’atmosphère, doit déterminer chaque jour la température, l’humidité de l’air, noter les variations barométriques , les oscillations de l’aiguille aimantée ; le domaine où elle se meut ne comporte pas des conguétes rapides; science d’observation, elle ne peut rien attendre des hasards heureux de l’expérience. Le rôle de ceux qui s’y consacrent consiste essentiellement à recueillir chaque jour, à toutes les heures, des chiffres exacts et rigoureux; l’espérance qui les anime, c’est devoir se multiplier les stations d’observation sur toute la surface des continents ; ils laisseront à leurs successeurs les patientes investigations de leur existence, heureux si la corrélation, la comparaison de leurs résultats, peuvent conduire un jour à la découverte de quelques-unes des lois fondamentales qui président aux mouvements atmosphériques.
- En présence de la nécessité de lire le plus fréquemment possible, et dans un nombre multiplié de stations météorologiques , les divers instruments au moyen desquels on interroge l’atmosphère, on n’a pas tardé à s’apercevoir qu'il y aurait un intérêt immense à substituer au travail de l’homme celui des machines. Comment condamner un observateur, si consciencieux qu’il soit, à lire plusieurs fois, par heure et pendant des journées entières, le degré du thermomètre, la hauteur du baromètre ; à considérer, pour les noter, les mouvements de l’aiguille aimantée et la rotation de la girouette ? — Cependant il importe, pour le progrès de la météorologie, que ces observations journalières soient exécutées avec la précision qui doit caractériser tout document véritablement scientifique. — Ce que l’homme ne peut faire, la machine l’accomplit. •— Pour obtenir cette mécanique ingénieuse, capable de laisser sur un papier les traces du mouvement du mercure dans le thermomètre et dans le baromètre, à toute heure du jour et de la nuit, d’indiquer la moindre perturbation survenue dans les organes les plus délicats de nos instruments les plus précis, les savants ont eu recours à l’auxiliaire précieux de la photographie : ils utilisent l’art de Daguerre dans la construction de ces instruments de météorologie qui écrivent eux-mêmes leurs variations de tous les instants, et que l’on nomme enregistreurs.
- L’idée d’employer, pour l’étude des phénomènes météorologiques, des appareils disposés de manière à marquer eux-mêmes la trace des influences qu’ils subissent, est assez ancienne ; elle remonte à Magellan, l’illustre navigateur qui, au moyen d’un mécanisme ingénieux, avait construit, en 1782, des thermomètres et des baromètres qui enregistraient tous les états par lesquels les faisaient passer les variations atmosphériques.
- L’enregistrement par la photographie, tel qu’il s’exécute aujourd’hui dans un grand nombre d’observatoires, offre l’avantage de supprimer des organes de transmission compliqués que nécessiterait tout autre moyen mécanique ou électro-magnétique. Cet enregistrement est surtout utilisé pour les variations du thermomètre, du baromètre, et pour l’étude des oscillations de l’aiguille aimantée.
- On sait qu’à la partie supérieure de la colonne barométrique il y a un espace vide, connu sous le nom de vide de Torricelli. Si l’on place une lumière, celle du gaz par exemple, ou encore celle d’une lampe à pétrole, derrière le baromètre, à l’aide d’une lentille on pourra projeter sur un papier sensibilisé l’image de l’espace éclairé qui surmonte la colonne de mercure ; cette image photographique variera à chaque instant avec le niveau du mercure dans le baromètre.
- Le thermomètre enregistreur ou thermographe est à peu près disposé de la même manière ; seulement il est indispensable que la lampe à gaz soit placée loin de l’appareil, afin que la chaleur qu’elle émet n’agisse pas sur l’instrument ; en outre, sa lumière ne passe plus par l’espace vide situé au-dessus du mercure, mais bien à travers une petite bulle d’air qui a été introduite à l’avance dans la mince colonne mercurielle, et qui joue ici le rôle de pinnule. La lumière, ainsi transmise, produit sur le papier une marque qui offre l’aspect d’un point.
- Dans ces deux instruments, le papier sensibilisé est tendu sur un tambour que fait régulièrement tourner un mouvement d'horlogerie ; il accomplit lui-même un mouvement de rotation continue, et la trace des variations de niveau du mercure, dans le thermomètre, et du baromètre, s’y trouve marquée par une ligne continue, quand on a retiré le papier et qu’on lui a fait subir les opérations propres à la fixation de l’image.
- La disposition du mécanisme varie selon que l’enregistrement doit s’appliquer à tel ou tel appareil. Pour que la photographie puisse noter les variations du baromètre, on a pris depuis longtem s des dispositions ingénieuses que nous croyons utile de décrire.
- Un baromètre à cuvette ordinaire est suspendu verticalement par un collier métallique. Au-devant de cet instrument est une lentille convexe qui concentre, à sa partie supérieure, la lumière d’une lampe d’Ar-ganl ou d’un bec de gaz. Le haut du tube barométrique est muni d’une échelle transparente en verre divisée en demi-millimètres. — Le rayon lumineux traverse cette échelle, passe au-dessus du ménisque mercuriel, et pénètre dans un objectif achromatique pour projeter sur une feuille de papier sensibilisé l’image de la graduation fixe et de la surface mobile du mercure. (Voir la gravure ci-contre.)
- Le papier photographique est adapté à un cadre qui se meut sur un chariot dans un plan perpendiculaire à l’axe de l’objectif. Un mouvement d’horlogerie imprime le mouvement au cadre de telle façon qu’il parcourt seulement toute sa longueur en vingt-quatre heures.
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- Ces dispositions sont représentées à la gauche de notre gravure. Le baromètre à mercure est au milieu de la table : son niveau est représenté en 1. O est l’objectif photographique, il le mouvement d’horlogerie qui met en marche, par l'intermédiaire de la tige P, P, le chàssis servant de support au papier photographique. Ce magnifique appareil de M. Sal-leron Aient d’être construit pour l’Observatoire de Kiew. Mais non-seulement il joue le rôle de baro-métrographe, il enregistre encore les températures et les vari liions hygrométriques.
- Le thermométrographe est représenté à la droite de notre gravure. Le réservoir métallique a est enfoui dans le sol à une température constante, il est creux et communique par un tube à une des bran-
- ches d’un tube en U, rempli de mercure. L’autre branche du tube en U est en relation avec un second réservoir à air b, qui reste plongé dans l’atmosphère ambiante. La différence de température des deux 1éservoirs se traduit par un mouvement du mercure dans le tube en U; la lumière passe à la surface du métal liquide, et impressionne le papier photographique en pénétrant dans le second objectif 0'; elle trace sur le papier photographique en mouvement une courbe, qui représente les oscillations du mercure dans le tube en U, et par suite les températures de l’air. Un autre système semblable, a', b' sert de psychromètre enregistreur : le réservoir a' est enfoui dans le sol, l’autre réservoir b', humecté d'eau, reste exposé à l’atmosphère. Tous deux communiquent
- Barométrographe et thermométrographe de M. Salleron.
- encore, par l’intermédiaire d’un tube, aux deux branches d’un tube en U contenant du mercure à la surface duquel passe le rayon lumineux.
- La photographie ne s’applique pas seulement aux variations du baromètre et du thermomètre, elle peut servir à enregistrer l’inclinaison ou la déclinaison de l’aiguille aimantée, comme le savant docteur Brooke l’a prouvé par la construction d’un appareil aussi ingénieux que précis, et qui est constamment en usage à l’Observatoire de Greenwich.
- L’aiguille aimantée porte à son extrémité un petit miroir, où tombe la lumière d’une lampe. — Le rayon réfléchi se projette sur un papier sensibilisé placé dans une chambre noire; il y trace un arc d’autant plus grand que sa distance à cette surface pho-tographiique est plus considérable. L’aiguille aimantée fait-elle le moindre mouvement, la marque du rayon réfléchi se déplace sur l’écran, elle suit fidèlement la marche de l’aiguille, elle n’en laisse pas perdre la /
- plus petite oscillation. — Le papier sensible n’est pas immobile, il est fixé à un cylindre qui, en vingt-quatre heures, opère une révolution sur son axe. A chaque moment, le reflet du miroir s’est tracé sur la feuille photographique ; celle-ci, à la fin de la journée, est développée et fixée par les procédés ordinaires. — On obtient ainsi une ligne continue qui indique la marche du rayon lumineux, réfléchi par le miroir adapté à l’aiguille magnétique, et qui en donne les moindres mouvements pendant le cours de vingt-quatre heures.
- A l'Observatoire de Kiew, un système analogue est usité pour enregistrer les variations de l’état électri-que de l’air. — Le photo-électrographe se compose d’un paratonnerre mis en relation avec un électro-scope ordinaire, dont les feuilles d’or, comme on le sait, s’écartent plus ou moins l’un de l’autre, suivant que la quantité d’électricité libre de l’air est plus ou moins considérable. Les feuilles d’or sont fortement
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- éclairées, elles jouent le rôle de deux miroirs qui réfléchissent la lumière et projettent leur double image sur un papier sensibilisé, qui se déroule régu-gulièrement de haut cubas, sous l’inflence d’un mécanisme d’horlogerie. On obtient ainsi deux courbes sinueuses qui se rapprochent ou s’écartent à toute heure du jour, accusant avec une exactitude absolue l’état électrique de l’atmosphère à tout moment de la journée.
- C’est à Francis Ronald qu’appartient l’honneur d’avoir imaginé "cet admirable système d’enregistrement. Son photo-électrographe fonctionne à Kiew ; ouvrier infatigable, il inscrit, nuit et jour, pendant le cours des années, les moindres variations électriques des phases atmosphiériques.
- Une autre branche de la physique, la photométrie, a trouvé dans les opérations photographiques de puissants auxiliaires d’expérimentation. Quand les physiciens veulent mesurer l’intensité de deux foyers lumineux, ils les font briller simultanément, et en mesurent la puissance par la valeur comparative de leurs ombres. Mais comment opérer une telle mesure quand les deux sources de lumière ne peuvent briller ensemble? Si la comparaison est facile entre l’intensité lumineuse d’une bougie et celle d’une lampe, que l’expérimentateur allume en même temps, comment pourra-t-il agir s’il veut mesurer la puissance relative de la lumière solaire et de la lumière des étoiles ou de la lune? Les moyens photographiques ont seuls permis de résoudre des problèmes aussi délicals. Que l’on expose un papier sensibilisé à l’influence de l’image formée au foyer d’une lentille par une source lumineuse, le degré d’altération, plus ou moins sensible, de la surface impressionnable ne servira-t-il pas à mesurer l’intensité de la lumière émise? La trace du foyer lumineux n’est plus fugitive, comme l’ombre qu’elle projette en éclairant la règle du photomètre ordinaire, elle est durable et permanente; elle pourra se comparer avec celle fournie par une source de lumière qui brillera à d’autres moments.
- La photométrie photographiquea permis à la science de comparer l’intensité lumineuse des rayons solaires à celle des rayons lunaires. L’astre du jour donne une lumière qui est trois cent mille fois plus considérable que celle de l’astre des nuits!
- Grâce à ces procédés, la physique a pu se tracer une voie nouvelle dans des domaines qu’elle considérait comme inaccessibles avant l’apparition de la photographie. MM. Hlerschiell, Edmond Becquerel ont pu étudier avec efficacité les caractères propres aux rayons solaires, à des différentes heures du jour ; grâce à l’emploi des papiers photographiques, l’étude de l’action chimique delà lumière, à laquelle se sont consacrés des savants émérites, a pris rang parmi les chapitres les plus intéressants de la science moderne.
- On voit, par la description succincte des admirables instruments que quelques-uns de nos grands observatoires mettent en action, combien l’enregistrement photographique est précieux, puisqu’il permet d’ob
- tenir des indications précises et continues. Mais ces appareils sont à peine nés d’hier, leur usage n’est pas encore très-répandu ; ils sont certainement appelés à se modifier rapidement, pour céder la place à d’autres systèmes plus complets et plus ingénieux encore. En outre, l’enregistrement photographique peut s’appliquer à d’autres appareils d’observation. Rien n’empêche, par exemple, de munir le pluviomètre d’un système qui accuserait les variations de son niveau par l’intermédiaire d’un tube faisant fonction de vase communiquant.
- Il ne faudrait pas supposer, d’après ce que nous venons de dire, que le système photographique est le seul que l’observateur puisse employer pour l’enre-gistrement ; nous avons uniquement insisté sur celui-là, parce qu’il abonde en appareils nouveaux et ingénieux. Mais, pour compléter notre exposé succinct, il n’est peut-être pas inutile d’ajouter, qu’en dehors du système photographique, la science a souvent recours à deux autres systèmes : celui qui est basé sur les procédés mécaniques et celui qui repose sur des méthodes électro-magnétiques. Le premier consiste à trouver, dans les variations qu’éprouvent les appareils, la force nécessaire à mettre en mouvement les styles enregistreurs, de telle façon qu’il soit possible de leur faire laisser des traces. Ce système est le plus ancien, mais il est difficilement applicable en raison de peu d’intensité de la force dont on dispose. Le second, comme son nom l’indique, est basé sur l’emploi de l’électricité dynamique. La photographie dans un grand nombre de cas offre d’incontestables avantages. Quoi qu’il en soit, l’avenir prouvera que l’enregistrement est la base fondamentale de la météorologie, qui ne peut formuler ses lois qu’en les étayant sur des observations continues. — Un jour viendra où les observatoires fonctionneront d’eux-memes : le rayon lumineux écrira en silence la marche et la variation de tous les appareils ; l’observateur n’aura plus qu’à venir, une fois par jour, consulter les registres sensibilisés, où la nature aura, pour ainsi dire, marqué de son propre sceau les changements périodiques ou intermittents dont elle subit sans cesse la mystérieuse influence !
- Gaston TISSANDIER.
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- LES WAGONS DES CHEMINS DE FER AMÉRICAINS
- Il existe aux États-Unis plus de 100,000 kilomètres de chemin de fer. La locomotive y franchit des distances prodigieuses, puisque, de New-York à Chicago, il y a 1,600 kilomètres, et de New-York à San Francisco, près de 6,000 kilomètres. Les voyages sont donc de longue durée, bien que la vitesse des trains soit presque aussi grande qu’en France. Cela étant, les Américains, qui n’aiment guère la gène, ont voulu avoir des wagons où les habitudes de la vie ordinaire
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- fussent le moins possible interrompues. Voici comment ils y sont parvenus.
- Le wagon américain est une caisse de 15 mètres de long environ avec des paliers et des escaliers à chaque bout. Il n’v a pas de portes latérales ; on
- entre et l’on sort par les extrémités. A l’intérieur règne au milieu un couloir de GO à 70 centimètres de large, avec des banquettes à deux places de chaque côté. Les dossiers de ces banquettes sont mobiles autour d’un axe horizontal ; le voyageur peut s’asseoir
- Wagon ordinaire américain1.
- à volonté le visage tourné vers la locomotive ou à reculons.
- Ces wagons sont très-élevés. La hauteur intérieure est de 2,50 contre les parois, et de 5 mètres dans
- l’axe du wagon, en sorte que les voyageurs peuvent circuler dans le couloir central, le chapeau sur la tète, sans se heurter à aucun obstacle.
- Pour le chauffage, il y a des poêles au charbon de terre que l’on allumenon-seulement en hiver, mais quelquefois aussi pendant les nuits d’été, notamment sur la ligne du Pacifique, où les rails s’élèvent à plus de 20 00 mètres au-dessus du niveau de l’Océan.
- L’éclairage au moyen de lampes ou de bougies ne donne qu’une lumière in-suffisante. Quelques Vue intérieure d'un wagon à compagnies emploient le gaz comprimé, qui produit au contraire une vive clarté. Cela est fort apprécié dans un pays où l’on estime le temps à sa juste valeur. Les voyageurs peuvent consacrer à la lecture les longues soirées qu’il passent en chemin de fer.
- Chaque wagon est pourvu d’un cabinet d'aisances et d’une fontaine d’eau glacée avec un verre, un seul
- 1 Les gravures de cet article sont reproduites d'après le bel ouvrage de M. Malézieux sur les travaux publics aux Etats-U’ns. Dunod, 1875.
- verre, il est vrai, qui sert à tout le monde. Quelquefois il y a de plus un lavabo.
- Du reste, le plan ci-contre montre comment ces divers accessoires sont disposés à l’intérieur d’un wagon-hôtel du New-York central.
- Tandis que le train est en marche, on peut passer d’un wagon à l’autre ou se tenir sur les paliers extérieurs. Le palier d’arrière du dernier wagon surtout est une sorte d’observatoire d’où l’on contemple commodément le pay-sage, l’état de lavoie, l es t r a vau x d ’ ar t, e tc. Dans chaque train circule le conducteur qui vérifie les billets, un mardi and qui offre au public des journaux, des fruits, des cigares; dans les wagons de luxe, il y a de plus un domestique tou-liS, dit Siher Palace Car. jours à la disposition des voyageurs.
- Des wagons d’une telle dimension ne pourraient tourner dans les courbes s’ils n’avaient que des essieux rigides comme les wagons européens. Ils sont portés sur deux petits trucs à quatre roues auxquels les relie une cheville ouvrière. Ils franchissent ainsi sans nulle difficulté des courbes de 120 mètres de rayon. Cos grandes caisses sont d’ailleurs très-stables sur la \ oie et n’éprouvent guère le mouvement de lacet.
- Sur les chemins de fer des États-Unis, il n’y avait dans le principe qu’une seule classe de wa-
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- Plan de distribution d'un wagon hôtel du New-York central.
- BB. Banquettes à deux places. — B'B'. Sièges pour les employés du train ou les domestiques.— C‘C‘. Compartiments à trois places. — DD'. Paliers extérieur.-. — F. Compartiment des fumeurs. — G. Fontaine d’eau glacée. — L. Lavabo. — R. Appareil de chauffage. — V. Cuisine. — WW. Water-closet.
- gons. Tous les voyageurs étaient confondus, quelle que fut leur situation sociale. Quand les railways s’étendirent à travers tout le continent, les gens riches demandèrent non point d’ètre isolés de la foule du public, mais d’obtenir, contre payement un peu plus de com-fort. C’est ainsi que les compagnies établirent des wagons-hôtels et des wagons-restaurants. Ces derniers ont eu peu de succès, car, après tout, les trains ont toujours des arrêts obligatoires d’assez longue durée, et le voyageur préfère en profiter pour prendre ses repas tranquillement assis devant une table immobile. Les wagons à lils sont adoptés au contraire sur toutes les grandes lignes. Le jour, ils ne se distinguent des wagons ordinaires que par une installation plus luxueuse; le soir, les banquettes disparaissent pour faire place à des couchettes superposées deux à deux comme dans les paquebots. Ce sont des lits avec draps, couvertures, oreillers et rideaux. Le matin, chacun va à tour de rôle faire sa toilette au lavabo commun. Puis le domestique du wagon remet tout en place pour la journée.
- A certaines époques, il y a eu de ces wagons-hôtels qui partaient deux fois la semaine de New - York pour Francisco. On pouvait monter en wagon à New-York et ne descendre qu’à San Francisco, six à sept jours après.
- Le lecteur se demande sans doute à quel point une pareille organisation devrait être imitée en Europe. Notons d’abord que le besoin ne s’en fait guère sentir. Pour les
- voyages de courte durée, la forme du véhicule importe peu, pourvu que l’on y soit commodément assis et abrité contre la poussière. Pour les trajets très-longs, il n’est pas certain que les grands wagons américains, avec leurs chevilles ouvrières, se prêteraient aux vitesses de 60 à 80 kilomètres à l’heure qu’atteignent nos trains express. La réunion de tous les voyageurs en une seule salle contrarierait bien des personnes. Nos mœurs n’ont pas toujours la discrétion nécessaire à cette vie commune, quoique nous soyons dans les relations sociales plus polis et moins rudes que d’autres. Assurément il n’y a pas de raison suffisante pour engager les grandes compagnies à transformer tout leur matériel à la mode américaine; mais il est désirable qu’elles essayent pour les trains de nuit quelque chose d’analogue aux wagons-lits des États-Unis et que, pour l’hiver, elles trouvent, comme les compagnies américaines, le moyen de chauffer avec des poêles leurs wagons de toutes classes.
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- LES ARTS DISPARUS
- Un savant anglais, M. Wendell Phillipps, a récemment démontré dans une conférence fort eu-rieuse que plusieurs découvertes, réputées modernes, auraient été seulement retrouvées par nous, après avoir été connues des anciens : nous serions même, dans certains cas, des imitateurs imparfaits de procédés perdus depuis longtemps.
- L’invention du verre, selon Pline, serait due au hasard : des marins, débarqués sur la côte d’Espagne, ayant allumé un feu destiné à la cuisson de leurs aliments, avaient formé le foyer de pierres recueillies sur le rivage ; ils auraient vu alors ces pierres couler par l’action de la chaleur, en formant une masse transparente qui se solidifiait par le refroidissement. Plusieurs savants ont repoussé la tradition de Pline, en soutenant qu’un feu de bois allumé dans de pareilles conditions ne pouvait fournir une température aussi élevée que celle de la fusion du verre. Or le professeur Shepherd raconte que, dans une de ses excursions aux environs de Mexico, il s’était servi, pour faire du feu, d’un bois très-dur semblable à l’ébène : grande fut sa surprise, en voyant de l’argent pur couler des pierres du foyer ; il est évident que, dans ce cas, la chaleur obtenue par la combustion du bois dur eût été suffisante pour fondre du verre. Rien n’empêche, dès lors, de supposer que les marins dont parle Pline avaient pu faire usage d’un bois analogue à celui-là ; ainsi disparaîtrait le reproche d’invraisemblance adressé au récit de l’auteur latin. On a, d’ailleurs, trouvé à Pompéi, ensevelie depuis dix-huit siècles sous les cendres du Vésuve, une maison dont la pièce principale contenait une grande quantité d’objets en verre, fondu ou taillé, et même du verre à vitres :
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- on avait donc sous les yeux une verrerie du temps des Césars! Enfin, en présence des trouvailles faites, dans les sarcophages de Thèbes et de Memphis, de parures et autres objets en verre, on ne peut mettre en doute que les Égyptiens connaissaient cette matière dès la plus haute antiquité. Il semblerait, en outre, que les Romains avaient rapporté de l’Orient un procédé que nous ne connaissons pas, pour faire un verre malléable, qui, au lieu de se briser par le choc, se bossuait comme un métal, et pouvait être redressé de même ; toutefois, cette matière n’était peut-être que du verre filé par un procédé analogue à celui que M. Bonnel, de Lille, employait en 1857, pour fabrique]1 une étoffe de verre aussi souple que possible.
- Les anciens devaient aussi connaître les verres grossissants : en effet, Cicéron raconte avoir vu l’Iliade entière écrite sur un tissu qui pouvait tenir renfermé dans une coquille de noix; le cachet d’une bague qui figure dans la collection du docteur Abbot, et qu’on suppose avoir appartenu à Chéops, 500 ans avant J.-C., est gravé si finement que les traits ne peuvent être aperçus sans le secours d’une loupe. Il en est de même de l’anneau de Michel-Ange, à Parme, dont la gravure paraît remonter à plus de 2000 ans.
- Malgré les admirables progrès de la chimie moderne, les procédés de fabrication de certaines couleurs employées anciennement semblent avoir été perdus ; les temples égyptiens et les murs de Pompéi sont ornés de peintures dont les teintes sont aussi vives que si elles dataient d’hier ; il est vrai que ces peintures ont été longtemps à l’abri de l’action de l’air et du soleil, mais elles ont résisté à d’autres causes de destruction. Les couleurs que nous employons actuellement pourront-elles, dans un siècle, soutenir la comparaison avec celles de ces beaux missels du moyen âge qui, depuis 5C0 ans, défient l’action du temps? On a imité les vitraux du quinzième siècle, mais on ne les a nf surpassés ni même égalés : les tableaux de Titien et de Raphaël conservent encore une richesse de tons et un éclat prodigieux, alors que certaines peintures modernes s’écaillent et se ternissent d’une façon déplorable.
- L’industrie des métaux doit, d’après la Bible, avoir eu son origine en Asie ; c’est en effet de l’Orient, que paraissent être venus depuis en Europe, avec les Arabes, les secrets de la métallurgie. On connaît la description des merveilles du célèbre palaisd’Elé, résidence de l’empereur de Chine ; quand les Français y pénétrèrent, après la prise de Pékin, ils furent émerveillés à la vue des trésors d’orfèvrerie et de ciselure, restes d’une industrie disparue, que renfermait ce palais. Les lames de Damas des croisés, si renommées pour leur trempe, ne sont nullement rouillées après huit cents ans ; à l’Exposition de Londres, on en a vu une tellement bien trempée, que la pointe pouvait, sans danger de rupture, être ramenée en contact avec la garde ; cette
- lame pénétrait facilement dans un fourreau contourné comme un tire-bouchon. Le voyageur Georges Thompson assure avoir vu, à Calcutta, un Indien lancer en l’air une poignée de soie floche et la couper en deux avec son sabre avant qu’elle fut retombée à terre. Du reste, la fabrication de l’acier dans le Punjab, province de l'llindoustan, jouitencore d’une juste célébrité.
- Tout porte à croire que les Égyptienset les Romains disposaient de machines au moins aussi puissantes que les nôtres, et sans lesquelles il leur eût été impossible d'élever leurs gigantesques constructions. Il suffit, pour s'en convaincre, de remarquer à quelles distances considérables ils transportaient les matériaux de leurs temples, ainsi que des obélisques et des sphinx énormes en granit : la colonne de Pompée, près d’Alexandrie, porte à son sommet un chapiteau, d’un poids évalué à 1000 kilogrammes, régulièrement pos sur le fût à 27 mètres de hauteur! Il existe, peut-être, des motifs sérieux de croire, selon l’opinion d'Arago, que les Égyptiens employaient la vapeur comme force motrice : d’après M. Phillips on aurait retrouvé, dans des fouilles, les plans d’un navire, avec tous les détails d’une machine qui ne pouvait raisonnablement être utilisée qu’au moyen de cet agent. L’ingénieur Bramah reconnaît avoir puisé dans un autre dessin égyptien l’idée de son célèbre et si ingénieux perfectionnement de la presse lydrau-lique.
- Les secrets d’autres arts, d’autres connaissances, de ces époques reculées dont il ne reste que les vestiges, sont peut-être à jamais ensevelis dans les tombeaux de Thèbes et de Ninive !
- P. de Saint-Michel.
- L’OISEAU MOQUEUR
- Cet oiseau est le plus remarquable chanteur du monde des bois en Amérique. Il est aussi bon musicien que le rossignol de notre Europe, mais il possède en outre le don curieux de contrefaire le chant des autres oiseaux ; on dirait qu’il les imite en raillant leur allure, d’où lui est venu son nom. Le moqueur chante avec goût, avec art ; il a l’habitude de préluder, en s’élevant les ailes étendues, puis il retombe la tête en bas, au point d’où il est parti ; il recommence alternativement ce mouvement, tout en lançant ses notes pures, et c’est ce qui a permis à quelques observateurs de dire qu’il mêlait la danse à ses chants. Quelquefois, lorsqu’il fait entendre des roulements légers, il s’élance dans l’espace et tourbillonne avec grâce, en décrivant une multitude de cercles qui se croisent. Tantôt il accompagne ses cadences brillantes d’un fort battement d’ailes; tantôt, au contraire, il fait entendre ses arpèges en se livrant à des bonds multipliés.
- Le plumage de ce rossignol d’Amérique ne répond nullement à son chant ; les couleurs en sont ternes,
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- sans éclat et sans variété. Le dessous du corps est blanc, les ailes et la queue sont d’un brun foncé. Le moqueur a sur la tète une sorte de couronne blanche, qui se prolonge au-dessus de ses yeux, comme pour
- former des sourcils, qui donnent à sa physionomie un aspect bizarre.
- L’oiseau moqueur se rencontre abondamment à la Caroline, à la Jamaïque et à la Nouvelle-Espagne.
- L’oiseau moqueur.
- g*
- Les cerises et les baies de cornouiller sont ses aliments favoris. Il dévore quelquefois des insectes. Ce curieux habitant des bois aime la liberté : la captivité le tue; il est très-rare qu'on ait pu l’élever en cage.
- M. F. NAURY.
- (Suite et fin. — Voy. p. 52.)
- C’est sur la proposition de Maury que fut tenue à Bruxelles, en 1843, la conférence maritime à laquelle prirent part l’Angleterre, la France, la Russie, le Portugal, la Belgique, la Hollande, le Danemark,
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- la Norvège, la Suède et les Etats-Unis. Le but de cette conférence, présidée par le savant M. Quételet, directeur de l’Observatoire royal de Belgique, était de se mettre d’accord sur un mode uniforme d’observations nautiques et météorologiques, faites abord des bâtiments de l'État. Maury, représentant des Etats-Unis, exposa à l’assemblée l’objet de sa mission, et mit en évidence les grands résultats qu’on pouvait espérer d’un système d’investigation étendu par les marins sur toute la surface de l’Océan, non-seulement pour le commerce, mais encore pour la science et pour l’humanité.
- L’Angleterre, la Hollande et la Russie adoptèrent le système proposé par les États-Unis, et leur exemple fut peu après suivi par la plupart des gouverne-ments de l’Europe. Grâce à la facilité toujours croissante des relations internationales, cette association produisit en peu d’années les meilleurs résultats. Entouré de savants officiers, devenus ses collaborateurs, Maury publia un grand nombre de cartes nouvelles, qui, ainsi que les anciennes, furent généreusement offertes par le gouvernement des Etats-Unis aux marines étrangères. Neuf éditions des Instructions nautiques1 (Sailing directions) se succédèrent, contenant chacune des corrections, des développements, de nouvelles études faites sur les documents recueillis et coordonnés à l’Observatoire de Washington.
- Dans l’introduction à sa neuvième édition, Maury disait : « Toutes les puisssances maritimes co-opèrent à notre œuvre, et leurs navigateurs, militaires ou marchands, nous apportent le concours de leurs observations. Quelques-unes ont même été plus loin et ont organisé chez elles une centralisa-tion indépendante pour les données recueillies par leurs marins ; ce sont : l’Espagne, le Portugal, la Hollande, l’Angleterre, la France, le Danemark, la Suède et la Norvège.
- « Ceux qui ont bien voulu venir en aide à nos rc-cherches peuvent à bon droit s’en féliciter, tant à cause du succès déjà acquis, que pour les nouveaux collaborateurs qui, sur tous les points du globe, viennent nous aider de leurs conseils ou nous enrichir de leurs observations. »
- Nous citerons ici quelques-unes des traversées, abrégées par l’usage des cartes de Maury. De Raltimoré à l’équateur, le voyage, qui demandait une moyenne de quarante et un jours, fut réduit à vingt-quatre jours. La traversée des Etats-Unis en Californie, qui exigeait plus de 180 jours, fut ramenée d’abord à 155 jours, et quelques clippers sont même arrivés en 100 jours. D’Angleterre à Sydney on ne mettait pas moins de 125 jours, et le retour demandait une durée à peu près égale. Maury signala l’avantage qu’il y aurait à faire de ce voyage une circumnavigation, et l’ensemble des traversées effec-
- 1 Instructions nautiques, destinées à accompagner les cartes de vents et de courants, par M. F. Maury, directeur de l'Oh-servatoire de Washington, traduites par Ed. Vancecchout, lieutenant de vaisseau. — Publiées au Dépôt de la marine.
- tuées suivant ces instructions fut bientôt abrégé de près de moitié. On comprend que le bénéfice produit par cette économie de temps s’élevait à un total énorme, même pour la seule marine des Etats-Unis.
- En même temps qu’il préparait scs cartes, Maury rassemblait les matériaux d’un nouvel ouvrage inti-tulé : Géographie physique et météorologique de la mer, qui, dès sa publication, fut traduit en plusieurs langues et lu partout avec le plus vif intérêt. Il serait impossible, dans les limites où nous renferme cette brève notice, de donner une idée suffisante de ce bel ouvrage, qui joint l’exactitude des études scientifiques aux inspirations les plus élevées de la philosophie naturelle. Nous citerons seulement parmi les principaux sujets traités : la recherche de grandes lois de la circulation atmosphérique ; la théorie générale du phénomène des moussons ; le déplacement périodique des zones de calmes et d’alizés ; des considérations sur l’action des vents envisagés comme agents géologiques ; une étude des climats et du fond de l’Océan; une description du Gulf-Stream et des principaux courants de la mer, etc.
- Le succès de ce livre, plein de vues originales, fécondes, répandit la renommée de Maury dans tout le monde civilisé. L'illustre auteur du Cosmos, IIumboldt, déclara qu’il avait fondé une nouvelle branche de la science : la géographie physique de la mer. Les principaux gouvernements de l’Europe, pour récompenser les services rendus à la science, à la navigation et au commerce par ses importantes recherches, le comblèrent d’honneurs; il reçut de tous des titres, des décorations, des médailles, qui constataient la valeur de ses importants travaux.
- C’est vers celle époque que le président des Etats-Unis, M. Tyler, exprima le désir de lui confier la direction du département de la marine. Il était, d’ailleurs, tenu en telle estime par les diverses administrations de ce département, qu’il put, en maintes occasions, faire écouter de judicieux conseils et adopter de sages mesures, qui épargnèrent à son pays d’inutiles dépenses. Ainsi, par exemple, il fut un des premiers à prévoir les changements qu’apporterait dans les guerres maritimes l’emploi des bâtiments à vapeur, des canons rayés et des projectiles creux, et il recommandait l’adoption de gros canons sur des petits navires. Anciennement la force d’un vaisseau de guerre était proportionnelle au nombre de ses pièces d’artillerie. Maury pensait que, dans les guerres futures, peu de bâtiments porteraient plus de six pièces de gros calibre, et la transformation actuelle des marines de guerre prouve la justesse de ses prévisions.
- Dès 1848, Maury avait commencé à réunir dans une série de tableaux les grandes sondes faites par les officiers de la marine des Etats-Unis en diverses régions de l’Océan. L’invention, par le lieutenant Brooke, d’un ingénieux appareil propre à ramener facilement les échantillons du fond, donna une non-
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- velle impulsion à ces recherches. On eut bientôt acquis la preuve que le lit de l’Océan est formé par une couche de vase molle pleine de débris organiques et d’infusoires vivants, qui a reçu le nom d'oaze. Les sondes faites dans l’Atlantique révélèrent un grand nombre de faits intéressants relatifs à la géographie physique de la mer, et amenèrent la découverte du plateau télégraphique situé entre Terre-Neuve et l’Irlande, sur lequel a été posé depuis le c'ble transatlantique, suivant les indications de Maury.
- Pendant le cours des travaux qu’il poursuivait ainsi avec une infatigable persévérance, il fut élu membre honoraire des principales académies et sociétés savantes de l’Europe. Sous son habile direction l’Observatoire de Washington ne cessait de contribuer au progrès des sciences, et prenait rang parmi les institutions les plus renommées du même ordre. Un grand ouvrage d’astronomie et d’autres travaux importants y étaient en préparation, lorsque la guerre de la sécession éclata. Lors de l’élection du président Lincoln, en 1860, Maury, qui se trouvait alors à Londres, avait prévu que cette élection amènerait de graves complications politiques, et il avait écrit de nombreuses lettres à ses amis, dans les différents États de l’Union, les conjurant de ne pas céder à des impulsions passionnées et de faire, au contraire, tous leurs efforts pour maintenir la paix. Mais ces sages conseils n’avaient pas été écoulés.
- Après s'ètre prononcé pour le Sud, où était son pays natal, il se démit des fondions qu’il remplissait à l’Observatoire de Washington, et se rendit à Richmond, dans la Virginie, d’où il passa peu de temps après en Angleterre. Il reçut alors de la France et de 1 Russie l'invitation de venir continuer, dans la position la plus honorable, les utiles travaux que la guerre le forçait d’interrompre. Mais il dut refuser, en exprimant toute sa reconnaissance pour ces offres hospitalières, et rester au service de son pays.
- Pendant son séjour en Europe, il prépara sur la demande qui lui en avait été faite, et publia à Londres un ouvrage élémentaire de géographie physique1 pour le fils du grand-duc Constantin et son cousin Alexis, tous deux alors écoliers, ouvrage qui fut traduit pour servir à l’enseignement dans les écoles de la Russie. C’est durant la même période qu'il publia aussi à Londres ses Premières leçons de géographie'1, traduites en plusieurs langues, comme la Géographie physique. Le succès de ces petits volumes est dû à l’emploi d’une méthode attrayante, autant qu’à la simplicité, à la clarté du style, à la fraîcheur et à l’intérêt des descriptions.
- En 1865, Maury revint en Amérique, et accepta la chaire de professeur de géographie physique et d’astronomie qui lui était offerte à l'Institut militaire de
- 1 Géograiihie physique à l'usage de la jeunesse et des gens du monde (Collection HIetzel).
- 2 Une traduction de ce dernier ouvrage est sous presse dans la collection lIetzel.
- Lexington, dans la Virginie. Il occupait encore cette chaire, autour de laquelle se pressaient les étudiants pour entendre ses éloquentes leçons, quand la mort est venue le frapper, le ier février dernier.
- Il s’était très-activement occupé depuis deux ans d’un congrès international où se réuniraient les principaux agriculteurs et les plus éminents météorologistes des diverses contrées du globe. Il croyait avec raison qu’une telle assemblée serait pour l’agriculture ce qu’avait été la conférence de Bruxelles pour la marine, et compléterait l’œuvre alors commencée. Il désirait qu’on pt organiser un système général de recherches relatives à la prévision du caractère des saisons, aux avertissements télégraphiques du temps, et à la statistique des récoltes, organisation dont les résultats augmenteraient bientôt dans une grande proportion le bien-être de la famille humaine.
- C’est au retour d’un congrès d’agriculture réuni à Saint-Louis en juin 1872, et dans lequel il avait prononcé un remarquable discours1 sur la nouvelle conférence internationale dont il mettait en relief les nombreux avantages, que Maury, dont la santé était depuis longtemps affaiblie, sentit les premières atteintes du mal auquel il devait succomber. Peu de mois après, prévoyant sa fin prochaine, il fit appeler ceux de ses enfants qui étaient loin de lui, voulant être entouré de tous les siens au moment suprême. Il avait prié le médecin de le prévenir quand tout espoir serait perdu. Ses derniers jours furent consacrés à la prière et encore au travail. Il recommandait la prochaine réunion du congrès internationnal de météorologie et d’agriculture ; il s’occupait de revoir ses petits livres pour les écoles, en encourageant sa femme bien-aimée et ses enfants à la résignation. Les lettres de son fils le colonel R. Maury, de sa fille aînée, sont pleines des plus touchants détails sur le calme affectueux, sur l’élévation d'âme, sur les pieux sentiments qui ne cessèrent de le soutenir jusqu’au der-nier moment.
- « Sa mort comme sa vie a été un bon exemple, nous écrit un de ses éminents collaborateurs et de ses meilleurs amis, le commandant Jansen2. Comme un vieux marin, enveloppé dans les plis de son drapeau, il envisageait la mort avec fermeté et soumission. Il savait que sa mission était remplie, et il attendait le mot d’ordre pour retourner vers la source d’où son génie émanait.
- « Quelques instants avant sa mort il disait : « Est-ce que mes ancres chassent?... Je suis prêt à mettre à la voile !... » Peu après il expirait.
- « Son génie poétique lui suggérait de belles idées jusqu’au dernier moment. « Attendez le printemps, « disait-il, pour conduire mes restes vers ma der-« nière demeure, quand les buissons seront en « fleurs, et prenez la route par Goshen-Gap. Vous « savez que je préférais cette route, et qu’en passant
- 1 Nous avons donné une traduction de ce discours dans l’Annuaire de la Société météorologique de France, t. XVIII.
- 2 Capitaine de vaisseau de la marine royale hollandaise, représentant de la Hollande à la conférence de Bruxelles.
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- « je descendais toujours de voiture pour la faire à « pied, m’enivrer de la beauté du coup d’œil, et « cueillir les fleurs sauvages. »
- « Je l’ai connu dans le beau temps de sa popularité, j’ai été témoin de ses triomphes ; je l’ai connu dans l’adversité, et j’ai eu le bonheur de pouvoir lui donner mon appui et mes consolations dans l’exil.
- « Toujours il était le même, simple, modeste, naturel, plein de bonté, chrétien, dans la plus belle acception du mot. »
- Les impressions, les souvenirs de ses nombreux amis ne pourraient que confirmer ce juste hommage rendu à la mémoire du savant illustre qui joignit aux dons les plus rares de l’imagination, l’infatigable persévérance du génie, les plus solides, les plus aimables qualités de l’homme de bien, et les généreux sentiments d’un bienfaiteur de l’humanité.
- ELIE MARGOLLÉ.
- L’AZOTE ATMOSPHÉRIQUE
- ET LA VÉGÉTATION.
- Notre collaborateur, M. P.-P. Dahérain, vient d’adresser à l’Académie des sciences un Mémoire important, où il indique la solution d’une question à l’étude depuis de longues années.
- Une forêt régulièrement exploitée perd annuellement, à chacune des coupes qu’elle subit, une certaine quantité d’azote combiné, et bien qu’on ne se préoccupe nullement de restituer au sol les matières contenues dans le bois exporté, on ne remarque pas que la fécondité du sol forestier ait baissé. Les prairies hautes, qui ne reçoivent comme fumure, que les déjections des animaux qui y séjournent tout l’été, conservent indéfiniment leur fertilité, et cependant les animaux qui retournent à la plaine ont prélevé, pour augmenter leur poids, pour fabriquer leur laine ou leur lait, une quantité notable de l’azote qui existait dans le sol qui les a nourris. La terre soumise à un assolement régulier abanlonne aux récoltes plus d’azote que n’en contient la fumure; les prairies soumises, dans le Midi, à une irrigation ménagère fournissent une récolte de foin qui renferme plus d’azote qu’il n’en existe dans le fumier et dans l’eau d’irrigation qu’elles ont reçue.
- L’azote est un corps simple, qui ne saurait être créé ; il faut donc que le grand réservoir atmosphérique ait été la source inépuisable où la végétation puise l'excès d’azote qu’elle présente sur celui qu’elle reçoit directement sous forme d’engrais.
- On avait pensé d’abord que les plantes sont capables de prendre directement l’azote atmosphérique et de l’employer à la formation des principes albuminoïdes qu’elles élaborent ; M. G. Ville, professeur au Muséum d’histoire naturelle, qui le premier avait soutenu cette idée, n’a pas réussi à la faire adopter ; tous les essais entrepris en France et en
- Angleterre, pour vérifier ses assertions, ont complètement échoué, et le mécanisme de l’intervention évidente de l’azote atmosphérique dans la végétation était inconnu avant les recherches de M. Dehérain.
- Notre collaborateur a reconnu que les matières végétales, en se décomposant, émettent de l’hydrogène susceptible de s’unir à l’azote pour former de l’ammoniaque ; cette ammoniaque se combine à la matière végétale elle-même, pour donner ces produits carbo-azotés qui existent en quantités notables dans la terre arable, puisqu’on trouve dans une terre bien cultivée 2<rà25r5 d’azote combiné par kilogr. de terre.
- Pour que cette fixation d’azote se produise, il faut que l’hydrogène se dégage dans une atmosphère pauvre en oxygène, comme l’est la terre arable dans laquelle abondent les débris organiques ; ceux-ci, en se brûlant lentement, s’empalent de l’oxygène pour former de l’acide carbonique ; l’hydrogène en se dégageant de ces matières organiques rencontre seulement de l’azote, et forme de l’ammoniaque, tandis qu’il produirait de l’eau s’il se dégageait dans une atmosphère oxygénée.
- C’est donc dans le sol qu’a lieu la fixation de l’azote atmosphérique, et l’abondance des débris végétaux, de l’humus, est favorable à cette fixation.
- La combinaison se produira d’autant plus aisément que l’accès de l’oxygène sera plus difficile; elle se fera surtout dans la forêt ou la prairie, dont le sol, constamment enrichi par les détritus végétaux, n’est pas retourné par le soc de la charrue 1.
- G. T.
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- L’ARUM MUSCIVORUN
- La fécondation constitue pour les plantes l’un des actes les plus importants de leur existence ; aussi la nature a-t-elle dû faire concourir à cette fonction les moyens les plus nombreux et les plus variés.
- Au nombre des plantes qui présentent à l’époque de leur floraison les procédés les plus singuliers pour assurer la fécondation, nous placerons l’arum muscivorum.
- Cette plante, qui appartient à la famille des aroï-dées, croît dans les lieux ombragés; ses fleurs uni-sexuées sont portées sur un seul pédoncule ou spadice : les fleurs mâles sont placées à la partie supérieure et les fleurs femelles au-dessous ; le tout est entouré d’une large feuille engainante, enroulée en cornet qui porte le nom de spathe, et dont l’intérieur est garni de longs poils plongeant vers le fond du cornet. Il est facile de comprendre que le vent et les insectes n’ayant aucune prise sur les fleurs à cause de cet appareil protecteur, il n’y aurait aucun motif pour que le pollen se répandît sur les fleurs femelles au moment de la floraison. Mais la nature prévoyante a
- 1 Comptes rendus. — Séance du 9 juin 1873, p. 1590.
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- donné à l’arum une odeur épouvantable de viande morte, de suif, de telle manière que les mouches, attirées par cette odeur trompeuse, s’approchent de la plante, s’y posent comme sur de la chair en putréfaction, pénètrent dans la spathe et y sont retenues par les poils.
- En allant et venant sur le spadice pour s’en échapper, elles transportent le pollen de la partie supérieure à la partie inférieure, et la fécondation étant ainsi effectuée, le fruit et la graine ne tardent pas à se développer.
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- Arum mu-civorum.
- 1. Individu complet. — 2. Détail du pistil.
- toure le tube à l’intérieur, que l’on place de la chaux chauffée dans un creuset avec une certaine quantité de phosphore. Le phosphure de calcium formé, mis au contact de l’eau, s’embrase et projette une belle flamme bleue au dehors.
- Si un homme tombe à la mer par une nuit obscure, on jette cet appareil aussitôt l’accident. L’homme se dirige vers ce fanal, point commun du ralliement avec l’embarcation envoyée à son secours, qui, guidée ainsi, ne s’égare pas en recherches infructueuses.
- la valeur d’une pomme de terre. — M. Tyn-dall, l’illustre savant populaire de l’Angleterre, a le don, comme autrefois Arago, de frapper l’esprit de ses auditeurs par des faits saisissants. Pour donner une idée de la reproduction des espèces végétales, il suppose qu’il n’existe plus qu’une seule pomme de terre. A elle seule, elle va suffire à repeupler le monde de ce précieux aliment nutritif. Qu’une fois plantée, elle reproduise dix pommes de terre, et qu’il en soit de même pour celles-ci, en dix ans on aura dix mille mill'ons de pommes de terre, qui ensemenceront la terre entère. La valeur réelle de cette simple pomme de terre, ajoute M. Tyndall, serait telle qu’il vaudrait mieux, pour l’humanité, voir détruite la ville de Londres que de perdre ce tubercule.
- Direction naturelle des aérostats. — M. Bu-nelle a exécuté avec le Jules-Favre une seconde ascension le 2 juin dernier. Il est parti, comme la dernière fois, de l'Ecole des cadets. Il était accompagné par plusieurs voyageurs, au nombre desquels le délégué de l'Observatoire de Pullowa.
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- L’arum muscivorum présente en outre un phénomène curieux ; au moment de la fécondation, le spadice s’échauffe d’une manière très-sensible ; ce même caractère se retrouve dans deux plantes analogues, l’arum italicum et l’arum maculatum. Ces deux plantes, ainsi que quelques espèces voisines, sont très-dangereuses ; elles contiennent un principe acre, brûlant, peu ou mal étudié jusqu’ici, mais qui a la singulière propriété de disparaître par la torréfaction.
- CHRONIQUE
- Bouée de sauvetage lumineuse. — M. Nathaniel Holmes a inventé un fanal qui prend feu instantanément et brûle pendant 45 minutes , par le seul fait de couper la pointe supérieure et de jeter l’appareil à la mer. Ce fanal se compose d’une forte boite cylindrique en étain, de 7 millimètres de diamètre, et de 10 centimètres de hauteur. A1 un des fonds s’élève un cône dont la pointe est percée, mais hermétiquement close, avec une coiffe en métal mou. Le cylindre est traversé dans son axe par un tube métallique percé de trous. C’est dans la partie vide qui en-
- Cet habile aéronaute a cherché, comme dans sa première ascension, à profiter de l’alternance des courants aériens, et il est parvenu, en montant et en descendant successivement, à rester, pendant quatre heures, en vue de Saint-Pétersbourg. Les innombrables spectateurs qui suivaient les évolutions du Jules-Favre croyaient pour la plupart qu’ils assistaient à des expériences de direction aérienne.
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- M. Bunelle avait à sa disposition trois courants superposés: deux d’entre eux le ramenaient vers la terre, tandis que le troisième l'entrainait vers la Baltique (voyez la figure). Un choix judicieux, fait d’après les principesque nous avons exposés dans les Voyages aériens et essayé à plusieurs reprises de mettre à profit dans des circonstances moins favorables, avait produit ce miracle. Quelquefois les surfaces qui terminent ces couches d'air sont assez sensiblement régulières pour produire de très-curieux effets de mirage, comme cela est arrivé dans l’ascension de M. Gaston Tissandier au-dessus de la mer du Nord, où il avait à sa disposition, comme M. Bunelle, les courants superposés M. N. O. (voyez la figure ci-contre). Ces évolutions acrostatiques, scientifiquement exécutées, peuvent produire des plus heureux résultats dans un prochain avenir. W. de F.
- De l’utilité des oiseaux. — Un grand nombre d’agriculteurs reconnaissent aujourd’hui l’utilité de protéger les oiseaux. Cependant, dans nos campagnes, par un préjuge fatal, on est encore souvent sans pitié pour ces petits êtres qui, loin de nuire aux cultures, les garantissent de l’invasion des insectes nuisibles.
- Un couple de moineaux, ayant des petits à nourrir, dé-huit 0,560 chenilles par semaine, 40 par heure environ, sans compter les papillons et les vers. Les rouges-gorges, rossignols font la guerre à d’innombrables qxantités de vermisseaux et de moucherons.
- Un consciencieux observateur, M. Baxton, raconte qu’en Pensylvanie les paysans protègent les roitelets. Ils les excitent à s’établir près de leurs habitations, en fixant une boite en bois à une perche, où ces oiseaux ne manquent pas de s’abriter. On a compté le nombre de voyages exécutés par deux roitelets ainsi installés chez leurs hôtes. Chacun d’eux exécutait en moyenne 50 voyages par heure; le minimum était de 40, le maximum de 60 — Dans l’espace d’une heure, l’un et l’autre étaient revenus 71 fois avec un insecte à leur bec. D’après cesobservations, chaque oiseau aurait détruit environ 4,000 insectes par semaine.
- Le mésanges, les fauvettes, les rossignols, les pics et bien d’autres oiseaux sont les protecteurs de nos cultures. Ne regardons pas à leur sacrifier quelques cerises ou quelques framboises ; nous ne faisons ainsi que leur accorder la juste rémunération de leur besogne.
- Les plus petits des coquillages. — Ce sont probablement les cocolithes, espèce de foraminifères, formés par un noyau et une enveloppe de manière à offrir une forme plus ou moins analogue à celle de la noix de coco dont ils portent le nom.
- Leur diamètre varie de 1 millimètre à 4 millièmes de millimètre.
- On vient d’en trouver un grand nombre dans les sondages que le Trieste, navire de la marine autrichienne, a exécutés, sur les côtes de la Dalmatie, dans le fond de la mer Adriatique. Ces êtres rudimentaires sont répartis en quantités véritablement prodigieuses, et ils vivaient dans les âges antérieurs comme au nôtre. Un géologue allemand, ayant eu l’idée de faire le dénombrement des multitudes qui se trouvaient dans des marnes, en a compte jusqu’à 560 milliards par mètre cube.
- Les étés extraordinaires depuis cent ans. — Le 14 août 1773, le thermomètre de l’Observatoire royal s’est élevé à 59°, 4. C’est un chiffre qu’il n’a plus jamais atteint. Le chiffre de 38° n’a lui-même été obtenu que deux fois, en 1782 et en 1793. Depuis cette époque, le maximum n’a jamais dépassé 36°, 7. Le chiffre de 36° a été atteint sept fois seulement depuis lors : le 8 août 1802 et le
- 31 juillet 1805, le 15 juillet 1808, le 19 juillet 1823 et le 1er août 1820, le 18 août 1842 et le 4 août 1837. Il est à remarquer que deux fois ces maximums exceptionnels ont été consécutifs, circonstance qui n’est point exceptionnelle. — Ainsi le maximum absolu le plus élevé connu (40°) a été obtenu en 1765, situé dans une série d’années où les maximums ont été très-élevés. Le thermomètre de l Observatoire royal marquait 59°, le 19 août 1765; 57®,5, le 22 juin 1761 ; 40°, le 26 août 1765, et 57°,8, à plusieurs repris! s dans le cours de juillet 1766. De même, la température 39°,4 du 14 août 1775 était précédée par celle de 56°,8 du 24 juin 1772; d’autre part, les 58°,7 du 16 juillet 1782 ont été suivis parles 56° du 11 juillet 1785.11 est digne de remarque que la moyenne des maximums d’été, qui dépassait 35° au milieu du siècle dernier, n’atteint pas actuellement 55°. Un aussi grand phénomène a des causes qu’il ne doit pas être impossible de saisir et de définir.
- Les graines de peuplier à Paris. — Depuis quelque temps on a pu remarquer un grand nombre de graincs, répandues particulièrement sur les bords de la Seine, et en quantité assez abondante pour frapper l’attention des personnes les moins habituées à observer les phénomènes naturels. Ces graines, soutenues par des fila-mnents très-légers, sont produites par les peupliers tant de Paris (pic des environs, qui, cette année, paraissent avoir été d’unefécendité proligieuse.
- 11 est impossible de noter ce fait sans rappeler les travaux de PaPas, le célèbre naturaliste russe, sur les moyens d’utiliser ces longs et soyeux filaments aux mêmes usages que ceux de la graine du cotonnier. Peut-être a-t-on trop négligé une essence si commune dans notre France, agricole, et qui vient de donner sous nos yeux une preuve saillante de sa puissance. Est-ce que le proverbe: Nul est prophète dans son pays, s’appliquerait également aux piaules? Dans l’état actuel de l’industrie, les filaments de la graine du peuplier ne servent qu’aux petits oiseaux pour rembourrer leurs nids. Eux seuls ont trouvé moyen de profiter d’un duvet si mollet et si doux. Ne serait-il pas sage de profiter de leur exemple?
- Le grand central asiatique. — M. F. de Lesseps vient de lancer une idée dont la réalisation serait encore plus grandiose que celle du canal de Suez. Il propose au gouvernement russe de construire un chemin de fer entre l’Oural et l’Indus, afin de réunir, par un railway sans solution de continuité, l’empire russe aux possessions anglaises de l’Indoustan, et par conséquent l’Europe à l’Asie, Calais à Calcutta. De Calais à Orenbourg, la distance est de 4,450 verstes de Orenbourg à Pechawer, on en compte 3,503; de Pechawer à Calcutta, 3,220; en tout, 11,135 verstes ou 11,900 kilomètres. La première et la dernière de ces trois sections sont parcourues par les locomotives; il ne este plus que la seconde à exécuter, ce serait le grand central asiatique.
- Nous ne pouvons nous occuper ici des obstacles qu’oppose à l’exécution d’un tel projet la situation anarchique de l’Asie centrale, ni des facilités qu’il donnerait à l’expansion des idées civilisatrices dans cette région du globe. A ne le considérer qu’au point de vue technique, on doit avouer que les difficultés sont immenses. Entre Orenbourg et Samarcande s’étendent de vastes déserts stériles, sillonnés par quelques cours d’eau. De Samarcande à Pechawer, on tra-verse l’Afghanistan, pays de hautes montagnes. Il n’ya, dans ces contrées, ni industrie, ni commerce, en un mot, il n’y a rien de ce qui féconde un chemin de fer.
- Mais il faut bien se dire d’autre part que le Grand cen-
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- la Naître.
- I
- Irai asiatique ne serait pas plus long et ne présenterait pas probablement plus de diflicullés de construction que le chemin de fer du Pacifique que les Américains des Etats-Unis ont achevé depuis plusieurs années. LaBoukharie et l’Afghanistan étaient encore, il y a cinquante ans, des royaumes inconnus; à peine quelques voyageurs y avaient-ils pénétré au péril de leur vie. Lorsqu’on se rend compte des progrès rapides que les puissances européennes ont faits en Asie depuis le commencement du siècle, on' est forcé de reconnaitre que le nouveau projet de M. de Les-seps est seulement un peu prématuré.
- LE BORIS Si A
- FRÉGATE CUIRASSÉE ALLEMANDE.
- L’amirauté allemande vientd’ent reprendre laconstruetion de trois bâtiments cuirassés : le Grosser Kurfüst, le Friedrich der Grosser elle Borussia, d’un type semblable au Mo-narch anglais. Les deux premiers seront construits dans les arsenaux de Wilhemshaven et de Kiel ; le dernier sera livré par la compagnie Vulcain, dont les chantiers de construction sont à Bredow près Stettin.
- Ce navire devant avoir un tonnage cinq fois plus considérable que ceux construits jusqu’à présent par la meme compagnie, les dire leurs ont été obligés d’augmenter leur outillage et leurs moyens d’exécution dans une grande proportion. Le peu de profondeur de l'Oder empêchera la mise en place de la cuirasse, elle ne sera établie en partie qu’à Stettin, où l’on peut faire flotter des navires d’un tirant d’eau de 4",60.
- L’achèvement de la cuirasse se fera à Kiel par les soins de l’arsenal; la compagnie Vulcain aura donc à fournir : la coque du navire, les deux tourelles, l’aménagement intérieur, les chambres, les installations diverses pour l’équipage, les magasins, la mise en place du teck, etc., ainsi que la mâlure en fer et les machines.
- Les dessins pour la construction de ce navire ont été préparés par l’amirauté impériale à Berlin. Le Borussia est un navire à tourelles qui aura 94 mètres de longueur entre perpendiculaires, 97 mètres de longueur extrême, 16,30 de largeur et 10m,Gl de creux depuis le pont supérieur jusqu’à la quille. Le déplacement du navire complètement armé sera de 67 48 tonnes. Le tirant d’eau moyen du navire en charge sera de 7m,21.
- Un réduit central cuirassé est surmonté par deux tourelles dont la hauteur au-dessus du pont supérieur est de lm,88 ; ce réduit casemalé est séparé de l’avant et de l’arrière du navire par deux cloisons transversales dont les plaques ont 13 centimètres d’épaisseur. L’avant et l’arrière ne sont cuirassés que jusqu’à la flottaison; la partie la plus forte des plaques a 25 centimètres d’épaisseur, elle se réduit à 12 centimètres à la partie extrême, à lm,90 au-dessous de la flottaison. Le renfort en teck a 27 centimètres, la tôle intérieure!G millimètres, et celle destinée aux parties en dehors du réduit a 9 millimètres d’épaisseur.
- Les deux tourelles dont les sabords seront à 4m, 09 au-dessus de la ligne de flottaison en charge, ont un diamètre de 8m,15 ; chacune d’elles sera armée de deux canons de 26 centimètres du dernier modèle, et sera manœuvrée soit par une petite machine à vapeur à haute pression à 2 cylindres d’un diamètre de 215 millimètres, avec une course égale au diamètre, soit à la main. Les plaques ont 215 millimètres d’épaisseur, celles qui portent les sabords
- ont 26 centimètres ; elles sont renforcées par 21 centimètres de teck.
- Deux canons de 17 centimètres sont placés, l’un sur l’avant du navire, l’autre sur une plate-forme qui sera élevée par-dessus les tourelles. La cheminée est placée entre les deux tourelles et se trouve ainsi protégée contre les feux de l’ennemi venant de l’avant ou de l’arrière ; les murailles du réduit les mettent à l’abri des feux du travers. La partie centrale de la batterie au-dessous du pont supérieur occupe une longueur de 27m,60, entre les cloisons blindées. Dans cet espace se trouvent les bases des tourelles, leurs machines, la cleminée et son enveloppe, une roue de combat, les portes donnent accès aux soutes à munitions ; ces dernier, s sont placées dans la partie la plus basse du navire.
- Les chambres pour le capitaine, les officiers et les élèves, les différentes tables, la salle de bain, les bouteilles, sont situées sur l’arrière du réduit; la paitie avant du navire sert au logement de l’équipage, à la manœuvre des ancres, des cabestans, etc.
- La plus giande partie de l’espace au-dessous du réduit est occupée par la machine, les chaudières et les soutes à charbon; les cloisons dessoûles sont étanches ainsique les portes qui y donnent accès. Les soutes à poudre et à obus sont entièrement entourées par les soutes à charbon, elles sont divisées par des cloisons étanches dont l’intérieur est garni de teck; elles peuvent au besoin être noyées sans que les munitions soient avariées.
- Les instructions générales stipulent que les matières employées pour la construction doivent être de la meilleure qualité; la résistance du navire sera considérable relativement au faible poids de la coque. Selon le désir exprimé par le gouvernement allemand, tout le fer nécessaire à la construction de ces navires sera fourni par l'industrie nationale. Le navire sera construit à double fond avec des cellules étanches. La quille se compose de deux feuilles de tôle horizontales reliées entre elles par une troisième feuille verticale de lm,17 de hauteur, à l’aide de fortes cornières.
- Dans le sens longitudinal, le navire porte quatre compar-timents étanches, deux de chaque bord. Le premier a une largeur de 90 centimètres environ ; la cloison du second compartiment laisse un espace d’environ lm,50 pour la surveillance des diverses parties du navire pendant un combat.
- Transversalement, onze cloisons divisent le navire en douze tranches étanches; un tuyau principal de 50 centimètres de diamètre, avec des embranchements communiquant avec chaque tranche, vient déboucher sous une pompe spéciale du système Downton; quatre autres pompes manœuvrables à la main sont placées à des endroits divers dans la batterie, elles sont destinées à épuiser l’eau d’un ou de plusieurs compartiments. Un distillateur Nor-manby est placé dans la chambre des machines, une chaudière spéciale est affectée à son usage.
- En outre des deux roues pour la manœuvre de la barre, un appareil hydraulique du système Englefield est appliqué pour le même effet. Deux cabestans servent pour les ancres, celui de l’arrière se meut à la main ; celui de l’avant est mû par une machine à vapeur. Le navire a une mâture complète de frégate; les mâts sont disposés de manière à pouvoir servir de ventilateurs. La machine est à trois cylindres; l’appareil évaporaloire se compose de six chaudières placées longitudinalement par groupe de trois de chaque bord ; chacune d’elles a cinq foyers.
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- LA NATURE.
- PUBLICATIONS NOUVELLES
- Manuel du microscope dans ses applications au diagnostic et à la clinique 1.
- Les auteurs de cet ouvrage, MM. Mathias Duval et Léon Lereboullet, ont cherché à mettre en évidence les immenses ressources offertes par le microscope à la pratique médicale. Ils ont su coordonner avec méthode des travaux épars et les réunir en un groupe homogène, certainement appelé à rendre d’importants services. Grâce au microscope, le médecin peut dévoiler des principes souvent caractéristiques qui lui seront d’un précieux concours pour le diagnostic des maladies. Mais l’usage de cet admirable instrument le conduit toujours à mieux connaître l’organisme et lui révèle des mystères de la constitution humaine. Nous ne suivrons pas les auteurs dans toutes les parties trop techniques de leur ouvrage, nous nous bornerons à leur emprunter quelques passages saillants qui offrent un intérêt général ; nous les accompagnerons des gravures dont sont éclaircies les descriptions.
- MM. Duval et Lereboullet étudient d’abord le sang humain; ils en montrent les globules à l’état normal et à l’état pathologique (lig. 1).
- scopique des produits de la peau et des muqueuses. Les figures 3, 4, 5 et G représentent desacarus de la gale, vus au microscope sous un fort grossissement.
- M E W B
- Dm. //// selasss
- Fig. 5 et i. — Acarus de l'homme, mle et femelle. (Grossi-sement de GO diamètres.)
- La figure 7 montre des parasites de la bouche : 1, 2, 5 sont formés de plaques d’épithélium, de fila-
- Fig. 5. — Acarus du chien. (Gro-s. de GO diam.)
- e . ee -5**
- Fig. G. — Acarus du chai. (Gross. de 130 diam.)
- ments et de spores particuliers; 4, 5 et G de vibrio-niens, de globules et de granulations.
- Fig. 1. — Globules rouges du sang, normaux et altrés.
- En a on voit des globules rouges normaux, en b et en c des globules déformés et muriformes, en dd' des vibrions particuliers d’une extrême ténuité. Après avoir ainsi poursuivi l’étude du sang pathologique, les auteurs examinent quels sont les produits des globules en décomposition chez différentes espèces. Il se forme parfois spontanément des cristallisations remarquables comme le montre la figure 2.
- Fig. 7. — Parasites de la bouche.
- Fig. 2. — Cristaux extraits du sang frais. — 1 Cristal prismatique de l’homme ; — 2 Tétraèdre du cochon d’Inde; — 5 plaques hexaédriques de l’écureuil.
- Les autres parties de l'ouvrage dont nous donnons une analyse succincte comprennent l’étude micro-
- 1 G. Masson, éditeur, 1873.
- On voi t que l’on rencontre dans ce petit traité de tristes révélations sur la nature humaine, bien pauvre quand on la considère du côté matériel, quand on envisage ses maladies. Mais ne faut-il pas savoir gré aux savants qui étudient de près la cause de misères et de maux qu’ils ont pris pour but de guérir ou d’atténuer?
- Le Propriétaire-Gérant : G. TISSANDIER.
- PAMS. — IMP. SIMON RAjON ET COUP., RUE D'ERFURTII, 1.
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- N’ 6. — 12 JUILLET 1873.
- LA NATURE.
- QO
- LE POLARIS
- ET L’EXPÉDITION DE GUSTAVE LAMBERT.
- 11 y a deux mois, personne n’attendait des nouvelles du pôle Nord, on croyait la navigation des régions boréales interdite à tout être humain jusqu’aux jours chauds de l’été. Mais on comptait sans la banquise; car un télégramme d’Amérique nous apprit, vers le milieu du mois de mai, que le navire la Tigresse avait trouvé près des côtes du Labrador
- une colonie de dix-neuf personnes, revenant du fond de la mer de Baffin, non pas à bord d’un navire, mais perchées sur un glaçon comme des ours blancs.
- Les naufragés dont on opérait le sauvetage dans des conditions si extraordinaires faisaient partie de l’équipage du Polaris.
- Ce navire avait quitté Washington au mois de juin 1871, sous le commandement du capitaine Hall, vaillant explorateur du pôle Nord, déjà célèbre par deux grandes expéditions, dans l’une desquelles il avait retrouve les restes de l’expédition du capitaine Franklin. •
- Le Polaris, au milieu des glace:
- Les malheureux avaient été séparés de leur vaisseau en détresse dans une tempête qui avait éclaté au milieu de l’été 1872 ; depuis deux cents jours ils exécutaient la navigation la plus étonnante dont l’histoire fasse mention. Leurs aventures excitèrent une telle surprise en Amérique, que l’on commença par les accuser de désertion; puis, lorsque leur innocence parut démontrée, on supposa que les quatorze marins qui étaient restés à bord du Polaris s’étaient volontairement séparés d’eux. Il fallut une enquête minutieuse dont le journal anglais Nature annonce l’heureuse conclusion, pour persuader à l’amirauté fédérale que ni les naufragés ni leurs camarades n’avaient manqué à leurs devoirs. L’ouragan arrivant au milieu des ténèbres, pendant qu’une portion de l’équipage se trouvait sur la glace
- pour opérer le sauvetage des provisions à un moment où l’on croyait que le Polaris allait être englouti, voilà quelles sont les vraies causes d’une catastrophe inouïe.
- Le départ du Polaris avait passé inaperçu, en France, à cause de la crise horrible que nous traversions. Mais il avait produit une véritable sensation en Amérique, où il semblait que la complète du pôle Nord, forcément interrompue par la France, allait être réalisée. En effet, tous les plans du brave capitaine Lambert avaient été repris par le capitaine Hall sauf le choix de la route, car le Polaris remontait par la mer de Baffin, au lieu d’attaquer le grand problème par le détroit de Behring, comme notre vaillant compatriote l’avait proposé.
- On n’a pas oublié qu’une portion des fonds prove-
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- liant de la souscription du capitaine Lambert avait été employée, par notre malheureux ami, à acheter le Boréal ; mais ce n’en avait pas été de même de l’acquisition du Polaris , dont le capitaine n’avait point eu à s’occuper ; l’amirauté des États-Unis s’était empressée de mettre gratuitement, à sa disposition celui des navires de la flotte nationale qui semblait le mieux disposé à recevoir les aménagements spéciaux, propres à l’exécution d’une campagne arctique. Dans les dispositions accessoires, les plans du Boréal avaient été copiés, comme on va le voir.
- Le Polaris, qui avait à peu près le même tonnage que le Boréal (400 tonneaux), avait été choisi à cause de la solidité exceptionnelle de sa construction ; on l’avait entièrement doublé de planches de chêne et consolidé avec des traverses en fer. Suivant l’expression d’un journaliste américain, qui décrivait-le navire à l’époque de son départ, on eut dit un solide morceau de métal et de bois.
- Sa machine, qui était très-forte, avait été pourvue d’un foyer particulier destiné à être alimenté avec de l’huile de phoque ou de baleine, en même temps qu’avec du charbon.
- Dans les innombrables conférences qu’il faisait, le capitaine Lambert insistait fortement sur la nécessité d’une disposition de cette nature, car il comptait assez sur la pêche pour en faire, non-seulement un moyen de se procurer du combustible, mais encore un but commercial de l’expédition. Richement doté par une subvention de 150,000 francs, que l’amirauté avait jointe au don du Volaris, le capitaine Hall n’avait pas besoin de se préoccuper de la question d’argent. Il avait en outre trouvé un concours sans réserve auprès des hommes qui, comme le généreux Grinnel, ne marchandent point leur appui aux explorateurs entreprenants, et qui, si nombreux en Amérique, sont si clairsemés chez nous.
- On n’a pas oublié le soin avec lequel le capitaine Lambert avait commencé à recruter son équipage. Le capitaine Hall, animé des mêmes préoccupations, avait pris des précautions analogues. Il avait abord, parmi son état-major, une des grandes célébrités arctiques, le capitaine Morcton, qui avait accompagné le docteur Ilayes, dans le détroit de Smith, vers lequel le Polaris se dirigeait, et qui, dans une grande expédition en traîneau, était remonté au delà du 81me parallèle, en suivant la côte occidentale de la terre de Grinnel. Le sous-lieutenant Tyson, qui a commandé les naufragés pendant leur retour en Europe, s’était distingué dans deux ou trois campagnes de baleiniers. Il avait déjà soutenu des épreuves analogues à celles qu’il vient de traverser ; séparé, ainsi que son équipage, du navire qu’d commandait par le brusque mouvement d’une banquise, il avait trouvé le moyen de regagner le rivage, d’hiverner, et de retrouver, au printemps, son bâtiment, avec lequel il avait continué sa campagne comme si aucun événement extraordinaire n’était survenu.‘Il était même revenu en Amérique avec une riche cargaison.
- L’équipage du Polaris se composait en grande partie de marins accoutumés aux mers glaciales, parmi lesquels plusieurs Danois, Suédois et Norwé-giens.
- Le capitaine Hall s’était entouré de savants d’élite offrant les garanties les plus sérieuses de capacité. C’est ce que le capitaine Lambert avait commencé à faire, et le choix de sa commission scientifique était le but constant de ses préoccupations.
- De même que le capitaine Lambert, le capitaine Hall avait bien compris que les expéditions en traîneau devaient être le complément obligatoire de l’expédition maritime, aussi le Polaris a-t-il fait escale sur la côte du Groenland, pour acheter de magnifiques équipages de chiens. Il avait pris à son bord, deux guides esquimaux et leur famille. L’un d’eux était le célèbre Hans, qui avait accompagné le docteur Hayes dans sa grande expédition. Précaution fort sage, qui, sans la mort malheureuse de Hall, aurait assuré le succès de l’expédition ; le Polaris avait été pourvu de quatre canots très-vastes, très-solides, très-soigneusement confectionnés. Il y avait même à bord une cinquième embarcation qui ne pesait que 125 kilos, et dans laquelle 20 personnes pouvaien trouver place ; cette merveilleuse embarcation était faite en toile goudronnée, maintenue par une carcasse en bois et en fer. Elle a péri pendant une des expéditions. A l’heure actuelle, les marins restés à bord du Polaris, s’ils sont encore de ce monde, ne possèdent d’autres embarcations que celles qu’ils peuvent avoir fabriquées pendant l'hivernage de 1875.
- Nous n’avons pas cru nécessaire de retracer les péripéties d’un voyage dont tous les journaux politiques se sont occupés, mais nous avons cru indispensable de représenter le vaillant navire gréé sur un plan analogue à celui de notre pauvre Gustave Lambert. Au moment que notre artiste a choisi, le Polaris, fidèlement reproduit d’après une photogra-phie américaine, se trouve au milieu des glaces encombrant la baie à laquelle il a donné son nom. Le capitaine Baddington a renoncé à l’entreprise dans laquelle son prédécesseur a trouvé une mort glorieuse. Il a mis le cap au sud et se dirige, en louvoyant, vers le détroit où le Polaris s’est engagé treize mois plus tôt.
- Plus d’un des braves marins qui se trouvent à ce bord doit se dire avec dépit que la conquête du pôle Nord ne sera point achevée par les Yankees! Certes, si notre brave capitaine Gustave Lambert n’avait succombé, sous les murs de Paris, 'et si le Boréal était parvenu dans ces hautes latitudes, il n’aurait point battu en retraite si facilement.
- Cependant, hâtons-nous de dire que la rosition du Polaris est horrible au moment où nous le représentons. A chaque instant la glace peut se refermer sur lui. Nous ne pouvons mieux peindre la situation du vaillant navire, qu’en l’assimilant à celle d’une faible barque qui, pendant les premiers élans dune forte débâcle, chercherait à descendre le cours de la Seine ; supposons qu’elle s’efforce de franchir le
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- pont Neuf, il est facile de comprendre qu’elle serait broyée, mise en pièces, avant de gagner le bassin plus libre du quai d’Orsay : c’est ce qui semble devoir arriver au Polaris.
- L'embouchure septentrionale du détroit de Smith est d’autant plus dangereuse, pour un navire descendant du pôle, qu’elle est obstruée par une sorte d’archipel, qui augmente la tendance des glaçons à s’y accumuler. Le courant qui vient du pôle n’est pas très-rapide, mais la masse de glaces est si grande que les moindres chocs sont épouvantables.
- Si l’expédition du Polaris montre qu’il est facile de s’engager dans le détroit de Smith, la perte des naufragés de la banquise prouve qu’il est bien difficile de s’en échapper et que le parti le plus prudent est peut-être d’avoir du courage jusqu’au bout.
- Les difficultés que les successeurs du capitaine Hall ont trouvées, lorsqu’ils ont voulu revenir en Amérique, sont immenses.
- Peut-être le capitaine Baddington, qui est resté à bord du Polaris, avec treize vaillants marins, trouvera-t-il moyen de les surmonter? Il est possible que parla route qu’il avait choisie, le capitaine Lambert ne les ait point rencontrées; quoi qu’il en soit de ces spéculations, nous devons nous empresser de dire qu’il est fauxque l’expédition du Polaris ait échoué, comme nos amis d'Amérique se sont trop pressés de le dire en voyant que la Tigresse ramenait ies deux tiers de l’équipage.
- Eu tous cas, l’expédition du Polaris a justifié h légitimité des précautions prises par notre infortuné Gustave Lambert, que l’on accusait de compliquer sans nécessité son expédition. Elle a en outre démontré la non-existence de la prétendue baie libre, entrevue par Kan, contre le récit duquel quelques publicistes ont vainement protesté depuis une quin-zaine d’années, et qui portait, au reste, toutes les traces d’une exagération manifeste.
- Nous discuterons en détail les découvertes importantes dont, grâce au sauvetage miraculeux du 12 mai 1875, la science se trouve actuellement en possession. Nous le ferons aussitôt que le rapport officiel de l’Amirauté américaine nous aura été transmis.
- Hâtons-nous d’ajouter que le navire la Tigresse a été acheté par le gouvernement des Etats-Unis, et fera partie d’une expédition destinée à porter secours au Polaris.
- Au moment où ces lignes seront sous les yeux de nos lecteurs, la Tigresse aura quitté l’Amérique aux applaudissements du monde entier !
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- LES ARTS DU DESSIN EN FRANCE A L’ÉPOQUE DU RENNE.
- H fut un temps, prodigieusement éloigné de nous, antérieur à toutes les traditions, où l'homnmne euro
- péen ignorait l’usage des métaux, vivait dans les cavernes, y ensevelissait les morts, y célébrait des repas funèbres et préludait peut-être ainsi à la naissance d’un culte religieux. Vêtu delà dépouille des animaux dont il faisait sa proie, et qu’il abattait à l’aide de l’arc et des pointes de flèches en silex et en os, il se nourrissait de la chair du cheval, de l’éléphant, du rhinocéros, du bœuf musqué, du renne, du castor, etc., qu’il prenait à peine le temps de faire cuire, que souvent même il mangeait encore toute saignante.
- Toutes ces armes, tous ces instruments étaient fabriqués avec la pierre, l’os ou l’ivoire, et parmi eux cependantil en était d’extrêmement délicats1, surtout à l’époque du Penne, le beau temps de cette industrie, pendant la période que les antiquaires et les paléontologistes ont nommée Vâge de la pierre taillée ou archéolithique, par opposition à Vâge plus récent de la pierre polie ou âge néolithique.
- Or, dès la seconde moitié de l’époque archéoli-thique, l’homme des cavernes de l’âge du renne savait déjà graver, ciseler, sculpter la pierre et l’os, et il nous a laissé de son talent originel des preuves aussi curieuses qu’incontestables.
- Lors de l’Exposition universelle de 1867, tout Paris a pu voir et admirer dans les vitrines du Palais de l'industrie consacrées à l’histoire du travail, ces premiers essais qui déjà dénotent une certaine habileté de main, et surtout un vif sentiment de la nature. Choisissons donc quelques-uns de ces bijoux, d’une valeur très-contestable aux yeux du vulgaire ignorant, d’un prix infini pour l’homme de science, pour l’homme de goût, et surtout pour le véritable artiste. Plus humbles ont été les commencements, plus les noms des ouvriers sont demeurés obscurs, et plus nous devons nous applaudir des progrès accomplis.
- Voici d’abord une plaque d’ivoire fossile trouvée dans la grotte de la Madelaine (Dordogne) par MM. Ed. Lartet et Christy, dont la mort est venue depuis si malheureusement interrompre les remarquables travaux. Sur cette plaque, un artiste antédiluvien a gravé le portrait d’un mammouth ou éléphant de la Léna, parfaitement reconnaissable à son front large et bombé, à ses oreilles petites et velues, à ses longues défenses recourbées en dessus, aux longs poils qui couvraient sa tête et son corps, enfin à la crinière épaisse et brune qui bordait son cou et son dos, et qui, paraît-il, offrait beaucoup de ressemblance avec celle du Bison américain (fig. 1).
- Nul doute, par conséquent, que le graveur qui a tracé ces traits, n’ait vu l’animal dont il reproduisait l’image, et, chose bien digne de remarque, son dessin est bien plus correct que celui de l’artiste moderne2 qui a représenté , d’après nature, le mammouth trouvé en 1806, avec sa peau, sa chair
- 1 Par exemple, les scies en silex pour découper le bois de renne, et les aiguilles en os munies d’un chas.
- 2 Cet artiste, il est vrai, était un simple commerçant russe : il se nommait Boltanow.
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- et ses os, près de l’endroit où la Léna se jette dans la mer Glaciale. En comparant les deux dessins, reproduits l’un et l’autre dans les Mémoires de l'Académie impériale de Saint-Pétersbourg pour l’année 1866, on pourra facilement se convaincre de la supériorité de l’artiste inconnu de la Dordogne sur l’artiste russe, notre contemporain, du moins en ce qui concerne l’exactitude des détails relatifs aux
- formes extérieures et au pelage de l’animal. Du reste, cette supériorité a été si bien reconnue par le professeur Brandt, juge très-compétent, s’il en fut, qu’il s’est inspiré lui-même du dessin primitif pour corriger les imperfections de la figure un peu trop idéale du mammouth, qui accompagne son mémoire sur l’anatomie de ce gigantesque proboscidien.
- C’est encore à la Madelaine que MM. Ed. Lartet
- Fig. 1. — Mammuth ou éléphant de la Léna.
- Fig, 2, — Bâton de commandement.
- Fig. 3. — Autre bâton de commandcmen..
- Fig. 4. — Grand ours des cavernes.
- Fig. 5. — Tête de morse et tête de crocodile.
- èt Christy ont trouvé un sceptre ou bâton de commandement sur lequel sont gravés, d’un côté, deux têtes d’aurochs, de l’autre, un homme nu entre deux têtes de chevaux, et un poisson, paraissant très-voisin des anguilles (fig. 2). Mais, dans cette gravure, la première peut-être où la forme humaine ait été représentée, la face est sans expression aucune, et les membres, bien que assez nettement dessinés, ne sont pas complètement finis, l’artiste n’ayant modelé ni les pieds ni les mains. Un bras, tatoué peut-être, ou du moins marqué d’entailles obliques en zigzags, et terminé par une main à quatre doigts seulement
- (le pouce n’est point dessiné), se voit sur les deux faces d’une pointe de dard de la même provenance que l’objet précédent. Enfin, sur une roche schisteuse très-dure, recueillie par M. Brun dans l’abri de Lafaye, près Bruniquel, on voit, finement gravées à l’aide de la pointe en silex, deux têtes humaines, avec le buste seulement.
- Voici maintenant une autre roche schisteuse sur laquelle le graveur a représenté une scène d’amour, dont les rennes sont les acteurs. L’un d’eux, qui relève fièrement la tête, après avoir terrassé son rival, sollicite les faveurs de la femelle pour prix de la
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- victoire qu’il vient de remporter. « Cette composition assez compliquée, dit M. G. de Mortillet, • rendue avec un vrai sentiment des situations, est pourtant exécutée avec une extrême naïveté. Chaque animal est tracé comme si les autres n’existaient pas. Ainsi, les pattes du renne terrassé, qui devraient être masquées par le corps de la femelle, sont bel et bien représentées quand même1. »
- Le renne est l’animal le plus souvent figuré par les artistes du Périgord et du Languedoc. L’aurochs, le bouquetin, le chamois, le cerf commun, etc., se voient aussi sur quelques instruments. Le cheval, au repos ou au galop, s’y reconnaît également, mais son image n’est pas toujours bien réussie.
- Cependant elle est parfaitement reconnaissable sur un bâton de commandement en bois de renne, dont nous donnons ici la figure (fig. 5).
- Mais un dessin des plus curieux et des plus importants, sans contredit, non-seulement au point de vue de l'histoire de l’art glyptique, mais encore au point de vue de la paléontologie pure, c’est celui que M. le docteur F. Garrigou a vu gravé au trait sur un galet provenant de la grotte de Massat (Ariége). Ce dessin, comme celui du mammouth, représente un animal d’espèce depuis longtemps éteinte, mais qui avait encore de rares représentants à l’époque du renne, je veux parler de l'ours à front bombé ou grand ours des cavernes (Ursus spelcéus2) (fig. 4). L’artiste ariégeois qui nous en a donné la figure si parfaitement reconnaissable a donc vu cet animal encore vivant ; il était son contemporain, comme l’artiste du Périgord était celui du mammouth dessiné par lui : preuve nouvelle et, certes, bieninat-tendue de la haute antiquité de l’homme dans nos contrées.
- Dans son intéressant mémoire sur la Grotte de la Vache (Ariége), M. le docteur Garrigou a aussi donné deux figures dont l’une représente, à ce qu’il croit, la silhouette d’un morse, gravée sur un fragment d’os; l’autre, la tête d’un crocodile, également tracée à la pointe sur un bois de renne (fig. 5).
- Enfin, sur l’extrémité d’un andouiller de bois de cerf, cassé à l’endroit où se trouvait un trou de suspension et provenant aussi de la grotte de Massat, M. Ed. Lartet a vu la tête de l’ours actuel des Pyrénées très-exactement représentée. Des hachures, nettement tracées, sont destinées à indiquer les ombres ; progrès réel relativement aux figures précédentes, simplement dessinées au trait. Je pourrais facilement
- 1 G. de Mortillet, Promenades préhistoriques à l’Exposition universelle, p. 28; Paris, 1867.
- 2 On sait que M. Ed. Lartet a, le premier, fondé une sorte de Chronologie paléontologique, en se basant sur l’ordre successif de disparition des espèces éteintes ou aujourd’hui émi-grées vers le Nord, qui jadis habitaient nos contrées.
- Le premier des quatre âges établis par ce savant maître, que nous tenons à honneur d’avoir compté parmi nos auditeurs, est I’age de L'OURS des cavernes (ursus speleeus), le second est I’age du mammouth (elaphus primigenius), le troisième est I’age du renne (cervus tarandus}, le quatrième enfin, le plus récent de tous, est I’age de l’aurochs (bison europœus).
- citer d’autres dessins gravés sur pierre ou sur ivoire et provenant des cavernes. Les exemples, que j’ai mentionnés pourront nous convaincre que rien nest nouveau sous le soleil, pas même la merveilleuse invention d’Aloys Senefelder, à qui revient pourtant l’honneur d’avoir créé, dans les temps modernes, la gravure et le dessin lithographiques.
- La sculpture elle-même a des origines très-reculées : elle remonte, comme l’art glyptique, à l’époque du silex taillé ; car c’est sculpter, c’est modeler la matière que de la transformer en un instrument usuel et vulgaire1, aussi bien qu’en un objet d’art du plus grand prix.
- ‘ -J IC it 4*, |
- Fig. 6. Fig. 7. Fig. 8.
- Dans leurs Beliquiœ aquitanicœ, reliques profanes, il est vrai, mais du moins parfaitement authentiques, MM. Ed. Lartet et Christy ont figuré un poignard dont le manche sculpté représente un renne, ayant le mufle relevé de manière que les bois retombent sur ses épaules, contre lesquelles ils s’appliquent ; tandis que les pattes de devant, repliées sans effort sous le ventre, contribuent avec eux à former la poignée. Les jambes postérieures, au contraire, sont allongées dans la direction de la lame, qu'elles rattachent ainsi au manche du poignard. Bien que cette sculpture soit restée à l’état d’ébauche, elle n’en indique pas moins un artiste vraiment digne de ce nom, par l’intelligence avec laquelle il a su adapter la posture de l’animal, sans la violenter, aux nécessités du programme qu’il s’était tracé pour atteindre son but, savoir, le maniement facile d’une arme enrichie de sculptures (fig. 9).
- 1 Voy. les figures 6, 7 et 8 qui représentent : la dernière, une pointe de lance en silex ; la deuxième, une flèche barbelée en bois de renne, dont les ailerons portent des entailles ou rainures, destinées, à ce que l’on croit, à recevoir une substance vénéneuse ; la première, un poinçon en os.
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- Laugerie-Basse (Dordogne) a aussi fourni, entre autres richesses inappréciables, deux manches de poignard sur l’un desquels sont sculptés deux bœufs, tandis que l’autre porte la figure d’un mammouth.
- Fig. 9. — Manche de poignard sculpté. (Laugerie-Basse.)
- Deuxautres poignards trouvésàBruniquel représentent deux rennes en relief, d’un travail beaucoup plus fini et beaucoup plus parfait que celui de toutes les stations jusqu'à présent explorées (fig. 10).
- Fig. 10. — Manche de poignard sculpté. (Bruniquel.)
- Nous ne saurions passer sous silence une statuette en ivoire, dont la tète et les pieds n'existent plus, dont les bras n’ont jamais existé, sorte de Vénus impudique aux formes étrangement prononcées. Celle statuette a été trouvée à Laugerie-Basse, et fait maintenant partie de la belle collection de M. le marquis de Vibraye.
- Une autre découverte des plus importantes pour l'histoire du travail, c’est celle d’une figurine, en bois de renne, très-grossièrement sculptée, sorte d’ébauche informe qui dénote l’enfance de l’art, et qui remonte en effet à ses premiers commencements, car le terrain où elle a été trouvée1 appartient aux couches supérieures de l’âge du mammouth. C’est pour la Belgique un des plus anciens monuments de l’art sculptural.
- Nous ne dirons rien de la peinture, dont le temps ne nous a conservé aucun spécimen authentique.
- Cependant M. Brun, conservateur du musée de Montauban, a trouvé à Bruniquel de Yhématite ou sanguine, réduite en poudre, et parfaitement conservée dans une coquille de cardium^. A côté de cette coquille, se trouvait un instrument en os, espèce de fourchette à pointes très-courtes mais très-aigues, qui pourrait bien avoir servi au tatouage, genre de parure très-répandu, personne ne l’ignore, chez les sauvages contemporains.
- De Yhématite également pulvérisée a été trouvée aussi à Montastruc, par M. Peccadeaude Lisle ; dans
- 1 Dans le Trou Magrite, près Dînant.
- 1 Le cardium edulc ou bucarde, mollusque marin comestible, qui se vend sur nos marchés.
- la Dordogne, par MM. Ed. Lartet et Christy, et en Belgique par M. Ed. Dupont.
- Pendant la période néolithique, les arts du dessin semblent avoir été oubliés ou, du moins, tellement négligés, qu’aucun spécimen n’est venu jusqu’à présent nous en révéler l’existence. Nous aimons mieux croire à une lacune regrettable qu’à un pas rétrograde ou à une décadence
- > complète : car. en définitive, la loi du progrès , • est infaillible dans les œuvres de l’art, comme dans celles de la nature.
- Du reste, on l’a dit avant nous, cette loi s’observe d’une manière évidente en ce qui concerne l’industrie du silex. Elle n’est pas moins manifeste quand on compare la gravure sur os de la grotte inférieure de Massat (âge de l'aurochs) avec celle de Savigné (âge du renne). Là, c’est-à-dire à Massai, le progrès est marqué, non-seulement par une plus grande fermeté de trait, par une plus grande régularité dans les contours, mais encore par des hachures destinées à indiquer les ombres et à donner ainsi du relief au dessin.
- Si l’on compare les produits artistiques que nous venons de décrire avec ceux de la plupart des sauvages actuels, on trouvera chez les premiers une supériorité bien évidente ; mais ils offrent en même temps une grande ressemblance avec les produits de l’art chez les races hyperboréennes (Lapons, Eski-maur, Tchoutchis) de nos jours.
- Faut-il en conclure que les ouvriers qui nous ont transmis ces antiques spécimens de leur savoir-faire appartenaient à l’une de ces races que M. Primer Bey a désignées sous le nom de Mongoloïdes, les Finnois et les Éthoniens, par exemple?
- Cette thèse, ou plutôt celte hypothèse, nous ne l’ignorons pas, est aujourd’hui fort à la mode, et elle a été soutenue, nous le savons encore, par des hommes d’une grande et incontestable autorité. Mais la Revue des cours scientifiques (N° du 20 avril 1873) nous apprend que cette théorie vient d’être attaquée par des arguments qui n’auraient rien perdu de leur valeur, tout au contraire, s’ils ne s’étaient point produits avec une violence, une acrimonie, disons le mot, avec une grossièreté de langage dont l’opinion publique en France a déjà fait justice, et que la science qui se respecte réprouve et condamne à tous les points de vue et dans tous les pays du monde civilisé.
- Du reste, Finnois ou Esthoniens,peu importe en ce moment. Les dessinateurs et les sculpteurs de l’âge du renne n’en sont pas moins les précurseurs, on peut même dire sans exagération aucune, les créateurs de l’art moderne, glyptique ou sculptural. Et quand avec leurs grossiers instruments de silex, ils dessinaient ou sculptaient la figure de l’homme ou celle des animaux qu’ils avaient sous les yeux, évidemment, quoiqu'à leur insu, ils préludaient à ces chefs-d’œuvre qu’un lointain avenir devait enfanter sous le burin de Callot, sous le pinceau de Raphaël, ou sous le ciseau de Phidias, de Michel-Ange, de
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- Thorwaldsen etdeCanova. Enfin, ils nous prouvaient, par leurs œuvres mêmes, qu’ils étaient les contemporains de ces espèces éteintes (ours et hyène des cavernes, mammouth, rhinocéros à narines clairsemées), dont nous retrouvons aujourd’hui les débris mêlés avec ceux de nos troglodytes du Languedoc et du Périgord.
- Dr N. Joly (de Toulouse).
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- EUGÈNE FLACHAT
- Cet illustre ingénieur est mort le 1G juin dernier. Le 20, un grand nombre de ses amis, de ses élèves, de ses collègues, le conduisaient à sa dernière demeure. Après un discours de M. Isaac Pereire et une courte allocution de M. Le Chatelier, M. Moli-nos, président de la Société des ingénieurs civils, a présenté un exposé des travaux d’Eugène Flachat.
- « Je ne puis entreprendre, dit M. Molinos, d’esquisser devant vous cette carrière si remplie, tout entière vouée au travail et à l’amour passionné et désintéressé de notre art; cet art, je ne crains pas de le dire, il en avait le génie. L’histoire de cette belle et utile carrière mérite d’être racontée en détail pour la gloire de l’industrie française et l’exemple de nos jeunes confrères. C’est à sa famille, qui compte des ingénieurs éminents, à ses amis, à ses nombreux élèves, parmi lesquels je réclame le plus modeste rang, qu’incombe ce devoir, et il sera pieusement rempli.
- « M. Flachat a attaché son nom à presque tous les grands progrès qui ont transformé l’industrie de ce siècle. Il est peut-être le seul ingénieur français dont la carrière puisse être comparée à celle de ces grands ingénieurs anglais qui ont répandu leur activité sur toutes les branches de l’industrie. Cette vie, trop tôt terminée, a été en effet employée à tant de travaux divers, que je ne pourrais aujourd’hui vous en présenter la nomenclature sans commettre de nombreux oublis, et pourtant, telle qu’elle s’offre à ma mémoire, elle vous semblerait suffisante pour remplir plusieurs existences. Introduction de la méthode anglaise dans notre métallurgie, création de la navigation fluviale à vapeur, et surtout des chemins de fer, application du fer et de la fonte aux grandes constructions, partout son nom est écrit en lettres ineffaçables au rang des ingénieurs les plus hardis et les plus féconds. Et combien de travaux originaux qui ont exercé sur les progrès de l’art une influence décisive sont compris dans cette sèche et incomplète énumération ! Pour ne parler que des chemins de fer, puis-je ne pas vous rappeler la part immense qu’il a prise à toutes ces solutions maintenant vulgarisées ou perfectionnées, sans doute, mais qui, il y a vingt-cinq ou trente ans, exigeaient tant de génie inventif et de sagacité de la part de leurs créateurs?
- « C’est à M. Flachat que nous devons les premières machines à fortes rampes appliquées au chemin de
- Saint-Germain, les grands combles métalliques, les premiers ponts en fer à poutres continues ; et tandis que ces derniers ouvrages, aujourd’hui imités et répandus de toute part, étaient accueillis en France avec une méfiance aveugle contre laquelle il a dû lutter avec énergie, confiant dans l’avenir qui leur était réservé, il ne se préoccupait que d’en perfectionner l’exécution et voulait qu’ils fussent étudiés d’après les procédés scientifiques les plus exacts. C’est ainsi qu’il est l’auteur du premier pont métallique, calculé suivant des méthodes rationnelles, qui ait été établi dans le monde, et cette œuvre, qui par ce motif a fait époque dans l’histoire des constructions, était cependant la première en ce genre qu’il ait entreprise! Tandis qu’il renouvelait le chemin de fer de Saint-Germain, construisait les chemins de fer d’Auteuil et du Midi, il trouvait encore des loisirs pour étudier de magnifiques projets comme celui des Halles Centrales, pour exécuter d’admirables travaux comme la reprise en sous-œuvre de la tour de la cathédrale de Bayeux. Dans cette entreprise extraordinaire, devant laquelle avaient reculé les plus hardis, il a fait preuve d’une sûreté de coup d’œil et d’une audace que le succès a légitimement couronnés. Il a d’ailleurs obtenu une précieuse récompense dans la profonde reconnaissance que la population entière de la ville de Bayeux n’a cessé de lui témoigner.
- « Toujours préoccupé des grandes questions industrielles qui intéressaient la prospérité de son pays, il étudiait les docks de Marseille, la traversée des Alpes, la navigation transatlantique, laissant comme fruit de ses études des livres que vous avez tous lus et qui resteront au nombre des écrits les plus originaux et les plus instructifs qui aient été publiés sur ces sujets si variés. Chacune de ces œuvres était un progrès pour l’art de l’ingénieur, un modèle et un enseignement! »
- LES PIERRES QUI TOMBENT DU CIEL
- Pour qui regarde les choses d’un peu haut, les progrès importants dans les sciences naturelles se font tous à peu près de la même manière. Ils traversent trois phases bien distinctes qui se succèdent régulièrement.
- Les faits nouveaux d’où ces progrès sortiront sont, d’habitude, annoncés d’abord soitpar des observateurs que n’ont pas préparés leurs études antérieures, comme sont les paysans, si bien placés d’ailleurs pour assister aux phénomènes naturels ; — soit par des savants hardis, que l’on est porté, en attendant vérification, à croire victimes de quelque illusion.
- Dans l’un et l’autre cas, les faits en question sont niés purement et simplement sous le prétexte qu’ils ne rentrent pas dans les cadres alors tracés par la science, si même (ce qui arrive souvent) ils ne sont pas en contradiction formelle avec les lois décou-
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- LA NATURE.
- vertes et regardées comme plus générales qu’elles ne le sont réellement.
- Plus tard, l’observation des mêmes phénomènes se reproduisant et se répétant, on est conduit peu à peu, d’une manière invincible à reconnaître leur réalité ; mais on s’empresse, croyant en être quitte à ce prix avec eux, de les qualifier de faits exceptionnels : à ce titre, et contrairement à ce que l’intérêt de la science exigerait si impérieusement, on ne leur accorde qu’une attention secondaire. Un peu plus et l’on dirait que par leur caractère inattendu, ils ne font que confirmer les lois auxquelles ils contredisent.
- Enfin, il vient un moment où ces faits mieux étu-diés, malgré les entraves que leur opposent les préjugés et les idées préconçues, révèlent de nouvelles lois tout aussi générales que celles précédemment établies et dont la connaissance devient l’origine de découvertes capitales.
- Ces trois phases : négation pure et simple, tolérance à titre de fait exceptionnel, admission définitive comme notion importante, se retrouvent dans l'his-toire de presque tous les grands progrès des sciences naturelles. Nous pourrions citer la génération alternante, la régénération des parties amputées des animaux, la nidification des poissons, l’anesthésie, l’état sphéroïdal, etc.; aucun de ces progrès ne fournit un exemple plus net à l’appui de notre assertion que ce grand fait naturel qu’il tombe des pierres du ciel.
- Le phénomène de la chute des pierres se manifeste fréquemment depuis la plus haute antiquité, et les populations primitives frappées de son imposant cortège d’éclairs et de détonations n’ont pas manqué d’en faire entrer la description dans leurs légendes et dans leurs chants.
- Il joue même, dans les traditions, un rôle si grand qu’on lui a rattaché parfois des phénomènes qui n’ont rien de commun avec lui : par exemple, la dispersion à la surface de la Grau des innombrables galets qui la recouvrent. On connaît ce passage d’un des courts fragments du Prométhée délivré :
- « Te faire une arme des pierres du chemin, il n’y faut pas compter ; tout le pays n’est que terre molle. Mais, en voyant ta perplexité, Zeus te prendra en pitié et, grâce à lui, de la nuée entr'ouverte, ce sera une grêle de galets à couvrir la terre. Avec eux, sans peine, tu accableras l’armée des Ligures. »
- Certains épisodes des grandes épopées Scandinaves (de la Volospâ et de l’Edda junior) sont ainsi résumées parM. Moreau de Jonnès :
- « Le chemin de la Lune gronde sous le char de Thor, le dieu du tonnerre....les régions aériennes s’enflamment, le ciel brûle au-dessus des hommes. des yeux ronds, semblables à des lunes, sont formés par les flammes dans les cieux, la terre se déchire, les roches se détachent et le sol est couvert d’une grêle. »
- Et, quoique le savant auteur oublie d’en faire la remarque, il est impossible de ne pas voir dans ce récit une description de chutes météoritiques aux
- quelles rien n’a manqué de leur cortège habituel de phénomènes lumineux et de manifestations sonores.
- « Ailleurs, ajoute M. Moreau de Jonnès, les poèmes runiques comparent la foudre lancée par Thor à une masse de fer brûlante. » Et cela achève de compléter la ressemblance.
- D'ailleurs, non-seulement les anciens ont décrit des chutes de météorites, mais ils ont de plus utilisé souvent les produits de ces chutes.
- En effet, c’est sans doute donner une interprétation plausible de l’anecdote mythologique qui nous montre le maître des dieux envoyant un secours de flèches aux combattants qu’il veut favoriser, que d’y voir l’indication de ce fait que des masses métalliques tombées des nues, avec accompagnement d’éclairs et de tonnerre, ont été employées à faire des flèches. La fable qui représente les cyclopes forgeant la foudre témoigne également de l’emploi primitif du fer météorique ; par cela seul en effet que le métal céleste, si inévitablement identifié avec la foudre, est considéré comme un produit de la forge, il est évident qu’on savait qu’il pouvait être forgé : des forgerons mettant en œuvre des fers tombés d’en haut auront donné lieu à cette fable, et l’origine céleste des premiers matériaux de leur industrie peut n’etre pas étrangère au caractère sacré que les traditions nous montrent avoir appartenu, à l’origine, aux ouvriers qui travaillent le fer.
- A des époques moins antiques, les historiens grecs romains et autres ont enregistré avec beaucoup de soin, d’innombrables chutes de météorites: Pindare, Plutarque, Tite Live, Pline, Valero Maxime, Julius Obsequens, César, Ammien Marcellin, Photius, Méze-ray, Avicenne, Sauvai, etc., etc., en mentionnent des exemples.
- Même, plusieurs pierres météoriques furent élevées à la dignité de divinités. Témoin celle qui était adorée sous le nom d’Elagabale, chez les Phéniciens ; de Cybèle ou Mère des Dieux, chez les Phrygiens; de Jupiter Ammon dans la Libye, et qui, 104 ans avant notre ère, fut transportée à Rome, où elle devint l’objet d’un culte particulier.
- Une autre pierre, tombée près du temple de Delphes, passait pour avoir été rejetée par Saturne; une autre tombée à Abydos, en Asie Mineure, était conservée dans le gymnase de cette ville ; une autre, tombée à Potidée, en Macédoine, étant regardée comme d’un favorable augure, y avait attiré une puissante colonie. On dit que la pierre noire de la mosquée de la Mecque est une météorite, et l’on voyait encore en 1789, dans l’église même de la petite ville d’Ensishein, en Alsace, une grosse pierre tombée au quinzième siècle, devant l’empereur d’Allemagne.
- Et cependant, malgré ces témoignages innombrables, contre-signes souvent des noms les plus illustres, nous voyons les savants, jusqu’à la fin du dix-huitième siècle, rejeter ce phénomène sans seulement l’examiner, et ne voir dans tous ces récits (chose à peine croyable) qu’une preuve de plus de la crédulité du bas peuple.
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- Nous n’inventons rien ; voici comment, en 1768, s’exprimait l’immortel Lavoisier, au sujet d’une chute observée tout récemment dans le Maine, avec la plus vive émotion, par la population tout entière de Lucé : « L’opinion qui nous paraît la plus probable, celle qui cadre le mieux avec les principes reçus en physique, avec les faits rapportés par les témoins et avec nos propres expériences, c’est que cette pierre (un échantillon de la météorite) qui peut-être était couverte d’un peu de terre et de gazon, aura été frappée par la fondre et qu’elle aura été mise en évidence. » Convenons qu'il fallait avoir une bien grande confiance en soi et dans les principes reçus en physique, et bien peu de considération pour « les parti
- culiers qui travaillaient à la récolte » (c’est ainsi que Lavoisier appelle les témoins du phénomène), pour s’arrêter à une telle conclusion.
- Quoi qu'il en soit, l’Académie des sciences rejeta solennellement, comme absolument fausse , l’idée que des pierres pouvaient tomber du ciel, et son intolérance à cet égard devint telle, que Pictet, convaincu de la réalité du phénomène, eut besoin d’un véritable courage pour en parler en novembre 1802 devant le « premier corps savant du monde. »
- Le verdict de l’Académie n’empêcha cependant pas les pierres de tomber et l’époque paraît même avoir été particulièrement fertile en chutes. Celles-ci se renouvelèrent si souvent que les savants allemands
- Chute d'un bolide à Quenngouck (Indes).
- et anglais, grâce surtout aux travaux de Chladni et de Howard, s’étaient complètement convertis, alors que les académiciens français se renfermaient toujours dans une négation absolue.
- Enfin, la chute observée en 1805 dans l’Orne, presque aux portes de Paris, contraignit, pour ainsi dire, les savants à se mettre à l’école de simples paysans et l’on vit un membre de l’Institut, le jeune Riot, aller demander aux villageois des environs de Laigle de faire son éducation et celle de l’Académie sur un des chapitres les plus importants de la physique du monde.
- Depuis cette époque, on admit généralement que des pierres et des masses de fer, étrangères à notre planète, peuvent tomber à la surface de la terre. Mais, conformément à ce que nous disions plus haut, on s’empressa de faire de la notion nouvelle un fait d’exception n’ajoutant et ne retranchant rien au système de lois naturelles que l’on regardait comme connues.
- Selon certains savants, comme la Place et Poisson, les météorites seraient les produits d’éjection de volcans lunaires qui, sortis fortuitement de la sphère d’attraction de notre satellite, viendraient par un second hasard tomber sur notre sol ; — d’après d’autres physiciens, tels que Chladni, ce sont de simples résidus de la fabrication des mondes ; comme une manière de copeaux oubliés par le divin ouvrier qui n’a pas trouvé à s’en servir ; — selon d’autres enfin, parmi lesquels on peut citer M. Lawrence Smith et M. R.-P. Greg, ce seraient les débris d’astres dévoyés accidentellement de leurs orbites et qui se seraient brisés dans leur choc mutuel.
- Dans tous les cas, les météorites sont dans ces hypothèses des témoignages du désordre qui règne dans l’univers et des imperfections dont il est entaché.
- Aussi, pendant longtemps a-t-on cru ne devoir ac-, corder aux pierres qui tombent du ciel qu’un intérêt de pure curiosité ; leur examen ne devant évi-
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- LA NATURE.
- demment conduire (d’après l’idée qu’on avait de leur origine) à aucune donnée générale.
- Mais, dans ces dernières années, l’étude, comprise d’une manière nouvelle, des pierres extra-terrestres, a démontré l’inexactitude des hypothèses rapportées plus haut, hypothèses dont il semble qu’on eût dû se méfier à cause de leur peu d’accord avec la majestueuse harmonie qui règle toute chose.
- Cette étude a montré dans ces visiteurs célestes le dernier terme de l’évolution normale dont les astres traversent les phases successives, exactement comme les êtres animés fournissent les diverses étapes de leur développement. Et, de même que la mort et la décomposition d’un animal n’a rien de fortuit, de même, comme nous le verrons plus loin, la résolution d’un astre en météorites n’a rien qui contraste avec les grandes lignes, à nous connues jusqu’ici, de l’économie du ciel.
- D’un autre côté, par l’étude des météorites, une foule de grands phénomènes présentés par les divers astres se sont trouvés reliés entre eux, et elle a permis d’ébaucher, en attendant que l’on puisse faire davantage, l’histoire de chacun de ces corps célestes. La terre, qui jusqu’ici avait seule donné prise à l’examen des phases qu’un globe peut traverser, n’est plus qu’un cas particulier dans une nombreuse série, et son histoire à elle-même, spécialement en ce qui touche son avenir, s’est subitement éclairée d’une lumière aussi vive qu’inattendue.
- De façon qu’à côté de la géologie descriptive, seule connue jusqu’ici, est venue se constituer une géologie comparée.
- Les circonstances qui accompagnent la chute des pierres sont remarquablement uniformes. On peut décrire le phénomène d’une manière générale sans avoir de changement notable à faire à la description pour qu’elle s’applique à chaque chute prise en particulier. C’est toujours un globe de feu qui traverse rapidement l’atmosphère, éclate avec un grand fracas, et laisse tomber sur le sol un nombre plus ou moins considérable de fragments solides.
- Le globe de feu, dont l’arrivée constitue la première phase du phénomène, est souvent appelé bolide. Dans certains cas, ce météore n’a pas été aperçu, mais on peut croire que sa présence était simplement dissimulée, soit par l’interposition d’une couche de nuages, soit par le voisinage du soleil qui en éteignait l’éclat. Dans les conditions favorables, c'est-à-dire par de belles nuits, l’éclat des globes de feu est souvent remarquable ; il n’est pas rare que la lumière de la lune dans son plein en soit complètement effacée. La couleur des bolides est d'ailleurs variable, tantôt rouge, tantôt blanche et tantôt changeante. Leur grosseur apparente, très-inégale pour tous, est parfois supérieure à celle de la lune, et leur hauteur, qu’on a pu mesurer quelquefois, est comparable à celle qu’on attribue à la couche atmosphérique.
- Les bolides suivent une trajectoire très-inclinée et souvent sensiblement horizontale, avec une vitesse
- en disproportion absolue avec toutes celles que nous observons sur la terre. Les 30 à 60 kilomètres qu’ils parcourent à la seconde suffisent à montrer qu’ils appartiennent à la grande famille des corps planétaires. On sait que Mars franchit 24 kilomètres par seconde et Mercure 48.
- Dans leur marche rapide, les bolides, comme font les locomotives, laissent derrière eux une traînée vaporeuse qui souvent persiste dans l’atmosphère pendant un temps considérable. La gravure ci-jointe montre, d’après un dessin exécuté avec le plus grand soin, l'aspect offert par le bolide qui précéda la chute de météorites de Quenngouck (Indes), le 27 décembre 1857, et permet d’apprécier par comparaison avec le village de Bassein figuré au-dessous, le volume du météore. Ce dessin exécuté par le lieutenant Ay-lesbury, témoin du phénomène, a été reproduit par l’illustre de Ilaidinger dans son étude sur la chute de Quenngouck.
- Après avoir parcouru une trajectoire plus ou moins étendue, le globe fait explosion et on le voit tout à coup- se diviser en plusieurs éclats qui se précipitent dans diverses directions. Il faut souvent, à cause de la hauteur du bolide, plusieurs minutes pour que le bruit parvienne aux spectateurs ; il est alors formidable et en général il se fait entendre sur une très-grande étendue de pays. La chute de Laigle, citée plus haut, fut précédée d’explosions entendues à 120 kilomètres à la ronde, et celle d’Orgueil (14 mai 1864) fut perçue à plus de 360 kilomètres. D’ailleurs l’explosion est rarement simple ; souvent on entend deux ou trois détonations, et à leur suite des roulements plus ou moins forts se prolongent plus ou moins longtemps.
- C’est après tout cet ensemble de phénomènes lumineux et sonores que des sifflements particuliers annoncent la chute des météorites. Les Chinois, qui connaissent ces sifflements depuis un temps immémorial, les comparent au bruissement des ailes des oies sauvages ou encore à celui d’une étoffe qu’on déchire ; le bruit, entendu de loin, d’un obus qui traverse l’air est également très-analogue.
- Au moment de leur chute, les météorites sont d’ordinaire beaucoup trop chaudes pour qu’on puisse les toucher avec la main. Mais cette température élevée est tout à fait localisée à la surface.
- L’intérieur est au contraire remarquablement froid. Lors de la chute de Dhurmsalla, dans l’Inde (14 juillet 1860), une pierre ayant été brisée presque aussitôt après son arrivée à terre, les témoins furent extrêmement surpris du froid intense de ses parties internes. Ce froid est celui qui règne dans l’espace interplanétaire où la pierre s’en est imprégnée.
- Le nombre des météorites d’une même chute est extrêmement variable et va d’une seule pierre à plusieurs milliers. On estime que la chute de Pultusk, en Pologne (50 janvier 1868), a fourni cent mille pierres, chacune complètement enveloppée de son écorce noire et par conséquent entière.
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- Quand les pierres sont ainsi très-nombreuses, il y a intérêt à voir comment elles se distribuent sur le terrain. M. Daubrée, à l’occasion de la chute d’Orgueil (Tarn-et-Garonne, 14 mai 1864), a publié une carte qui montre comment les échantillons recueillis étaient répartis à la surface du sol. Le bolide se mouvant sensiblement de l’ouest vers l’est, les pierres ont recouvert une sorte d’ellipse dont le grand axe avait la même orientation. Et tandis que les fragments les plus volumineux sont parvenus à l’extrémité orientale de l’ellipse, les petits sont tombés à l’ouest et les moyens ont pris des positions intermédiaires. De façon que, comme le dit l’auteur, « ce triage a été évidemment produit par l’inégale résistance que l’air opposait à ces projectiles selon leur masse, ce qui s’accorde avec la supposition qu’ils arrivaient suivant la même direction et très-rapprochés les uns des autres. »
- La description des phénomènes de la chute des météorites ne serait pas complète si nous ne disions un mot de l’impression profonde qu’il laisse dans l’esprit des spectateurs.
- Lors de la chute de Saint-Mesmin, Aube (50 mai 1866), le nommé Carré, poseur du chemin de fer, éprouva une grande frayeur et fut saisi d’un frisson qui dura quatre minutes et d’un bourdonnement dans les oreilles qui persista près d’une heure.
- On a assuré à diverses reprises que les animaux eux-mêmes sont très-vivement affectés avant même que l’explosion se soit fait entendre.
- Biot en cite plusieurs exemples à propos de l’explosion du bolide de Laigle ; des faits analogues, sinon plus intéressants encore, ont été observés à Boulogne-sur-Mer lors du bolide du 20 juin 1866.
- Ainsi un témoin assure que « son chien, quelques minutes avant le phénomène, était tourmenté ; qu’il avait la tête en l’air à la porte du bureau et qu’il tremblait. » C’est en cherchant la cause de ces allures inaccoutumées que ce témoin aperçut dans le ciel la traînée lumineuse. D’un autre côté, le gardien du fanal d'Alpseck assure que, peu de temps avant le phénomène, « ses poules, ses canards et ses pigeons étaient rentrés au logis tout aussi précipitamment que s’ils eussent été poursuivis par un chien. »
- D'ailleurs, on est parfaitement autorisé à n’accorder à ce phénomène grandiose qu’une admiration mêlée d’appréhension, car plus d’une fois il a été la cause de terribles accidents.
- On lit dans le catalogue où M. Ed. Biot a enregistré les météores observés en Chine, qu’une pierre, tombée en l’an 616 de notre ère, fracassa un chariot et tua dix hommes.
- Le capitaine hollandais Willmann rapporte qu’étant en mer, une boule de 4 kilogrammes tua deux hommes en tombant sur le pont de son navire qui voguait à pleines voiles. Le fait se passait à la fin du dix-septième siècle. Vers la même époque, un franciscain fut tué à Milan par une petite pierre. On raconte qu’en 1857, un assez grand nombre de bœufs furent tués ou blessés à Macao, au Brésil, par une
- pluie de pierres, et nous pourrions multiplier ces exemples.
- D’un autre côté, d'après divers récits, des météorites auraient parfois déterminé des incendies. Ainsi on trouve dans les Mémoires de l’Académie de Dijon que, dans la nuit du 11 au 12 octobre 1761, une maison fut incendiée par la chute d’une météorite à Chamblan, en Bourgogne. Les comptes rendus de l’Académie des sciences rapportent de même que, le 15 novembre 1855, un brillant météore apparut vers neuf heures du soir par un ciel serein dans l’arrondissement deBelley (Ain), éclata près du château de Lauzières et incendia une grange couverte de chaume ; les remises, les écuries, les récoltes, les bestiaux, tout fut brûlé ; on ajoute qu’une météorite fut trouvée sur le théâtre de l’événement. Cependant il n’est pas certain que la pierre dont il s’agit ait été la cause de l’incendie. Arago cite de nombreux témoignages d’après lesquels des incendies auraient été allumés par des météorites ; mais il ne paraît pas qu’un seul des faits énumérés soit incontestablement constaté, et il semble certain que les météorites, quoique souvent très-chaudes, comme on l’a observé par exemple à Braunau (14 juillet 1847), n’ont pas d’ordinaire une température suffisante pour déterminer l’inflammation des corps sur lesquels elles tombent.
- . Stanislas MEUNIER.
- — La suite prochainement. —
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- PUBLICATIONS NOUVELLES
- La France industrielle, par M. Paul Poiré*.
- Chaque siècle a ses prodiges : tantôt les arts prédominent comme à l’époque de la Renaissance, tantôt, au contraire, les vertus guerrières brillent avec un vif éclat et conduisent à l’héroïsme, comme dans les temps recules de l’antiquité. Aujourd’hui les véritables merveilles de notre grand siècle résident dans le monde de la science : les chemins de fer, le télégraphe, la navigation à vapeur, ont déjà changé la face des sociétés, et, par l’extension prodigieuse que le règne de la machine a pu donner à l’industrie, les arts si utiles, si variés au moyen desquels l’homme transforme la matière, ont pris un développement exceptionnnel. L’usine, la fabrique, voilà ce qui nous fait vivre aujourd’hui, ce qui prépare pour nous les vêlements, les matériaux de nos maisons, les substances propres à notre bien-être; voilà la source de notre confort et de notre existence matérielle. Quel intérêt dans l’étude de ces procédés industriels qui assurent les moyens de notre vie sociale, dans la description des établissements où se produisent les matières qui subviennent aux néces-
- 1 1 vol. in-8, richement illustré. — Hachette et Cie, 1873.
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- LA NATURE.
- sites de tous les instants’. Cependant une semblable étude est à peine cultivée , les faits dont elle abonde sont presque complètement ignorés. On a, depuis longtemps il est vrai, compris l’importance d’initier le public aux secrets de l’industrie, et chaque jour de louables tentatives sont faites dans ce sens par des publicistes compétents. Mais on ne saut ait trop féliciter ceux qui se vouent ainsi, à la propagation des connaissances utiles; aussi, signalerons-nous à nos lecteurs un savant professeur, M. Paul Poiré, qui a récemment publié un magnifique ouvrage, cer
- tainement destiné à combler une grande lacune dans les bibliothèques des véritables amis du progrès.
- L’auteur aborde tous les chapitres de ce vaste livre de l’industrie moderne : arts métallurgiques, indus-tries de l’alimentation, du vêtement, du logement, de l’ameublement sont successivement passés en revue. Au lieu de déflorer ce bel ouvrage en nous bornant à en donner le sommaire, nous préférons en extraire quelques pages, accompagnées de belles gravures qui les élucident. Voici notamment ce que dit l’auteur en parlant du marteau-pilon, ce gigantes-
- Machine à gaufrer le velours d'trecht.
- aa
- que outil de la métallurgie du fer, marteau formidable, qui frappe avec une violence extraordinaire les énormes masses de fer rougics au feu, employées par nos industries modernes.
- « Ce puissant appareil de percussion, qui est très-employé maintenant dans les forges et dans les ateliers de construction, est représenté par la figure ci-contre. Il se compose d’une masse en fonte dont le poids varie de 5,900 à 5,000 kilogrammes ; il peut glisser entre des colonnes verticales. A sa partie supérieure est adaptée une tige de fer, qui est en même temps la tige du piston d’une petite machine à vapeur superposée au bâti de l’appareil. Un levier manœuvré par un ouvrier spécial permet de faire entrer la vapeur sous le piston. Par sa force élastique, elle soulève le marteau, et lorsqu’il est arrivé
- au haut de sa course, l’ouvrier, agissant une seconde fois sur le levier,' met la partie inférieure du cylindre en communication avec l’air extérieur. La vapeur s’échappe au dehors, et le marteau retombe de tout son poids sur l’enclume où l’on place la loupe de fer à cingler. Le marteau-pilon constitue un outil remarquable par sa puissance, par la rapidité de son action et par la facilité avec laquelle on le gouverne. L’ouvrier qui manœuvre le levier peut, en réglant la sortie de la vapeur, faire descendre le marteau avec la rapidité ou la lenteur nécessaire. Pour donner une idée de la sensibilité de cet appareil, nous dirons qu’il peut boucher, sans la briser, une bouteille de verre posée sur l’enclume.
- « L’ouvrier cingleur, placé près du marteau-pilon, saisit avec de fortes pinces la loupe de fer apportée
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- du four, la met sur l’enclume et la retourne en tous sens, pendant que le marteau la frappe à coups redoublés. Le cingleur, pour se garantir des éclaboussures du laitier incandescent, porte une véritable armure ; il est muni de grandes bottes, de brassards de tôle, d’un masque de toile métallique et d’un épais tablier de cuir.
- « Rien n’est plus saisissant que l’aspect d’une forge importante, où l’on voit en circulation les chariots
- portant les loupes incandescentes ; le feu jaillit de toutes parts; de robustes ouvriers, aux épaules atllétiques, manient avec aisance les masses de fer qu’ils façonnent peu à peu, sous les coups répétés des marteaux-pilons. »
- Dans une autre partie de son ouvrage, M. Poiré décrit la fabrication des tissus, il nous donne notamment de curieux détails sur la confection du velours.
- « Les velours d'Utrecht, dit l’auteur de la France
- Marteau-pilon à vapeur.
- industrielle, reçoivent quelquefois un dernier apprêt, qui a pour but de tracer des dessins en relief à leur surface. C’est ce qu’on appelle gaufrer ou frapper les velours. Cette opération s’exécute à l’aide de deux cylindres, dont l’un est en bois et appuie sur le second qui est creux et en cuivre. Le cylindre de cuivre a été gravé à sa surface, de manière que les dessins que l’on veut reproduire sur le velours soient en creux, et que les intervalles qui les séparent soient en relief; il est chauffé à l’aide de morceaux de bois que l’on fait brider à son intérieur, et communique avec une cheminée par un tuyau de poêle. Supposons maintenant que, pendant que les
- deux cylindres tournent l’un sur l’autre, on engage entre eux le velours à gaufrer, sa face veloutée étant du côté du cylindre de cuivre ; les saillies de ce cylindre vont pénétrer dans le velours, sans le brûler, et refouleront les houppes du tissu, qui, sous l'in-fluence de la chaleur et de la pression, se coucheront l’une sur l’autre d’une manière définitive. Quant aux parties creuses, elles laisseront entrer à leur intérieur les fibres relevées du tissu, qui seront respectées et reproduiront en relief à la surface de l’étoffe les dessins gravés en creux sur le cylindre. Notre gravure représente une machine où l’on peut gaufrer deux pièces à la fois ; elle est munie de
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- deux cylindres de bois, appuyant sur le même cylindre de cuivre par la pression de deux vis convenablement disposées. »
- On voit par ces citations quel intérêt spécial offre l’ouvrage de M. Poiré, puisqu’il nous initie aux secrets de toutes les industries modernes. De tels livres sont un bienfait pour la jeunesse et pour tous ceux qui veulent s’instruire.
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- DES PHÉNOMÈNES DE LA VISION
- Quelques temps après la mort de Ricard, dont on a récemment admiré les tableaux à l’Exposition de l’École des beaux-arts, un célèbre savant anglais, M. le Dr Liebreich, professeur à l’hôpital St-Thomas, a exposé dans une conférence certains aperçus fort piquants sur le peintre français. Nous croyons intéressant de les reproduire.
- Il arrive parfois, dit M. le Dr Liebreich, que le dessin de l’œil diffère de sa forme sphérique normale ; cette anomalie se nomme astigmatisme : elle a été minutieusement observée depuis qu'Airy fit cette découverte sur lui-même. Représentez-vous des méridiens tracés sur l’œil comme sur un globe, de façon qu’un des pôles est placé en avant ; alors vous pouvez définir l’astigmatisme, comme une différence dans la courbure de deux méridiens, qui peuvent parfois demeurer perpendiculaires l’un à l’autre. La conséquence de cet état de choses, est une différence dans le pouvoir de réfraction de l’œil, dans la direction des deux méridiens : ainsi, il peut arriver que la réfraction de l’œil soit normale dans le méridien horizontal, tandis que dans le méridien vertical il y a myopie. De légères différences de ce genre se rencontrent dans presque tous les yeux, sans qu’on s’en aperçoive ; des degrés d'as-tigmatisme plus prononcés qui troublent absolument la vision ne sont pas rares cependant, et se rencontrent de même chez les peintres. J’ai eu l’occasion d'examiner les yeux de plusieurs artistes distingués, présentant des anomalies semblables ; et je prenais un grand intérêt à constater quelle influence cette défectuosité avait sur leur peinture.Les effets se produisent de diverses manières, selon les sujets que traitent les artistes. Un exemple rendra mieux ma pensée. Je connais un paysagiste et un portraitiste, atteints du même astigmatisme : réfraction du méridien vertical en désaccord avec la réfraction du méi i-dien horizontal ; pour le paysagiste, l’inconvénient est peu sensible, le vague des terrains du premier plan étant assez indifférent...
- Mais pour le peintre de figures, l’astigmatisme avait un résultat beaucoup plus grave. La façon excellente dont il1 saisissait le caractère et l’individualité intellectuelle, l’avait placé dès son début en haute estime à Paris. Ses admirateurs déclaraient même parfaite dans les portraits la ressemblance
- matérielle ; quelques personnes cependant pensaient qu'il avait, avec intention, négligé la ressemblance, en rendant, d’une manière indistincte et vague, les traits et les contours. Une analyse soigneuse nous a démontré que cela tenait uniquement à son état d’astigmatisme. En ces derniers temps, les portraits du peintre ont paru de moins en moins satisfaisants; ce qui n’était que vague a pris des proportions abso-ment fausses. Le cou, l’ovale des visages semblent sensiblement allongés et tous les détails altérés de la même façon. Quelle en est la cause? le phénomène s’est-il aggravé? Non, cela arrive rarement. Mais parvenu à l’âge où la vue normale devient presbyte, le vague s’est ajouté à l'allongement défectueux et la myopie n’ayant pas encore diminué, en reportant les yeux sur sa toile, les lignes horizontales sont distinctes, les objets rapprochés s’allongent horizontalement , et le peintre en réduisant double la faute. Elle devient inévitable puisque l’artiste rend tel qu’il voit.
- M. le Dr Liebreich donne d’intéressants détails sur des expériences faites au moyen de lentilles cylindriques concaves, desquelles on peut obtenir, artificiellement avec d’excellents yeux, les effets variés de l’astigmatisme. Ou constate ainsi l’inefficacité des bons conseils donnés à ceux qui sont affligés de cette infirmité.
- « Je ne dirai pas, ajoute non sans malice M. le Dr Liebreich, qu’un artiste admet rarement la critique de ses ouvrages, mais que chez lui comme chez nous tous, l’impression perçue par ses propres yeux a une puissance de conviction supérieure aux conseils les plus autorisés. Sehengeht vor Sagen, dit le vieil adage : Le voir va avant le dire. J. N.
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- CHRONIQUE
- Logement gratuit des professeurs à l’Exposi-tion universelle de Vienne. — M. Antoine Pallac a fondé, à Vienne, un collège de sciences techniques auquel il a donné le nom de Rudolphinum, en l'honneur du célèbre empereur qui fut le patron du grand Kepler.
- Noncontent de cette première libéralité,ce savant vient de prendre une initiative excessivement intelligente. Il s’estar-rangé avec l’administration de son collégepour pouvoir donner le logement gratis à trois cents professeurs pendant les mois de juillet, d'août et de septembre. Les demandes doivent être adressées le plus promptement possible à l’administration du Rudolphinum, à Vienne. Il faut qu’elles soient accompagnées de l’adresse de l’impétrant, de la désignation de la fonction qu’il occupe soit dans l’enseignement privé ou dans l’enseignement public, de l’adresse exacte de l’institution où il est employé, de la date à laquelle il désire arriver à Vienne, et du temps pendant lequel il désire jouir du logement. Nous engageons vivement nos compatriotes qui se trouvent dans le cas de profiter de cette libéralité à se mettre en état de concourir, car le Rudolphinum ne fait aucune différence de nationalité et ne connait qu’un peuple, celui qui forme des savants.
- 1 Ricard.
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- LA NATURE.
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- L’accroissement de la population de Lon- 1 dres. — Londres, « celte province couverte de maisons, » n’a pas son enceinte aussi bien déterminée que Paris ; elle comprend sous différentes acceptions : la cité, les annexes légales, la délimitation postale, celle de la police, etr. La surface du «diocèse de Londres » est de 190,160 acres; sa population qui s’élevait à 2,656,181 habitants en 1871, n’était en 1861 que de 2,305,822.
- Le nombre des habitants a doublé dans les quarante dernières années ; si cette progression continue sans entraves, il y a tout lieu de croire qu’à la lin du siècle la population atteindra le chiffre de 5 millions et demi. Ce calcul permet d'espérer, d’après M. Bate-man, qu'en 1951, la métropole de l’Angleterre contiendra 14,000,000 d’habitants. En 1661, le capitaine Graunt estimait la population à 460,000. En 1683, sir William Petty la porte à 670,000; suivant scs prévisions, le mouvement ascensionnel devait s’arrêter en 1840, après avoir eu son maximum en 1800, époque à laquelle le chiffre aurait dû atteindre 5,559,000. Mais la mortalité a pris des proportions inattendues, si on la compare à la surface occupée ; en 1626, elle s’augmentait dans la proportion de 6 pour 100; en 1726 elle était de 11,3 pour 100, et actuellement elle s’élève à 14,6 pour 100. L’accroissement est nul dans la Cité proprement dite, au cœur de Londres, mais dans les zones qui l’entourent, l'augmentation est de 16 à 25 pour 1000 par an.
- On compte 40 personnes par acre de surface; mais la distribution est si irrégulière dans cette moyenne, que tandis qu’il n’y a dans certains endroits qu’une seule personne par acre, il y en a 300 dans d’autres.
- Il semble naturel qu’un peuple ne peut pas avoir une croissance infinie, malgré tous les avantages qui favorisent ses évolutions ; elle dépend de circonstances complexes telles que les perturbations dans la condition politique et sociale, l’amoindrissement des mariages, l’émigration, l’abondance ou le manque de substances alimentaires, le déplacement de la population. En résumé, les données fournies par la statistique et les calculs de probabilité ne peuvent comprendre une foule de circonstances en dehors des prévisions humaines.
- (D’après le Digest of the English census.)
- De F’intelligenee des singes. — Le journal anglais Nature en signale un très-remarquable exemple, d’après un de ses correspondants qui se trouvait près de Bahar, dans les Indes anglaises. Un singe, grièvement blessé par le plomb de chasse d’un voyageur, se mit à pousser des cris perçants, à appeler ses compagnons, qui ne lardèrent pas à accourir, et enlevèrent rapidement leur blessé. Des faits analogues nous ont été l'apportés, par un officier de marine fort distingué, qui avait exécuté un remarquable voyage d’exploration dans le Gabon. Quand les marins, nous disait ce voyageur, chassent les petits singes, alertes et vifs, qui pullulent dans les régions que nous parcourions, ils ont à soutenir souvent un véritable combat contre une armée de quadrumanes, qui s’efforcent toujours de sauver leurs blessés et d’enlever leurs morts. Les singes du Gabon accourent en grand nombre à l’appel de leurs compagnons en péril, ils les défendent, lancent des pierres et même des excréments à leurs ennemis humains, qui sont souvent obligés de se replier, et d’abandonner le champ de bataille.
- Les tremblements de terre. — Il ne se passe, pour ainsi dire, pas d’année où les feux souterrains ne se
- manifestent en quelques points du globe, par les épouvantables cataclysmes qui résultent des tremblements de terre, dont ils sont la cause. Les secousses formidables éprouvées il y quinze jours, à Venise, à Vérone et à Trévise, seront étudiées et analysées dans la Nature. Mais nous rappellerons dès à présent que l’Italie est, dans l’histoire, un des théâtres habituels des brusques oscillations du sol produites sous l’action des réactions chimiques de l’intérieur de notre planète. Depuis la destruction de Pompe! et d'llerculanum, jusqu’à nos jours, bien des points de l’Italie ont été en proie aux désastres causés par les feux souterrains. Il n’y a guère plus d’un siècle, en 1783, la surface entière delà Calabre fut bouleversée par un tremblement de terre formidable. Sur 575 villes ou villages, 520 furent complètement ruinés, anéantis. La ville de Polistena, au milieu de la Calabre, s’effondra subitement, en enfouissant la plus grande partie de ses habitants sous ses décombres. Le sol s’entr'ou-vrit de toutes parts, en se fissurant çà et là de crevasses qui n’avaient pas moins de 150 mètres de large. Fasse le ciel que de semblables fléaux nous soient inconnus !
- La pieuvre française à Erighton. — Arrivée au mois d’avril seulement, époque à laquelle elle fut ramassée sur sa côte natale, cette pieuvre est en ce moment un des plus intéressants sujets du célèbre Aquarium. Ce n’est point qu’elle soit d’une taille comparable à celle de la pieuvre japonaise dont on expose le cadavre dans les environs de Brighton.
- Mais, par un calcul de coquetterie maternel dont on pouvait croire un poulpe incapable, elle a précisément choisi , pour pondre ses œufs , l’angle formé par la glace du bac qu’elle habite et le mur rocailleux qui le termine. Les visiteurs et le naturaliste de l’établissement peuvent donc suivre avec une facilité merveilleuse toutes les phases du développement des céphalopodes, phénomène encore inobservé jusqu’à ce jour. Les œufs, de forme ovale et d’un diamètre de 3 à 4 millimètres, sont au nombre d’une centaine environ et attachés à une douzaine de feuilles flexibles, longues d'environ une dizaine de centimètres. La pieuvre les surveille avec toute l’activité d une poule couveuse. Elle les enveloppe avec un de ses longs bras et repousse énergiquement tous les importuns qui voudraient troubler le développement d’objets si chers. Elle résiste même aux agaceries du mâle, jeune poulpe ramassé au mois de février dernier sur la côte de Cornouailles, et qui semble l’inviter à abandonner ses œufs, pour venir se reposer dans une sorte de grotte en coquilles d’huitres où, depuis qu’ils se sont unis, ils semblent avoir élu domicile.
- La pisciculture en chemin de fer. — Le gouvernement des États-Unis a organisé, sous la direction de M. Livingstone Stone, une expédition ayant pour but de transporter les poissons des rivières de l’Atlantique dans les eaux californiennes, beaucoup moins bien fournies en es -pèces comestibles. La compagnie du Central Pacific Railway a mis à la disposition du commissaire des États-Unis, un wagon complet dans lequel se trouve un aquarium garni de zinc et renfermant 40 hectolitres. Le réservoir a été pourvu d’une pompe à air pour l’aération. Le wagon contient encore un réservoir pour l’eau douce de réserve, et un réservoir d’eau de mer de dimensions beaucoup moindres.
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- L’ILE SAINT-PAUL
- L'ile Saint-Paul est une des stations désignées pour observer le prochain passage de Vénus entre la Terre et le Soleil. Elle est située dans l’océan Indien, et se trouve presque à moitié route du cap de Bonne-Espérance et de l’Australie, à une distance d’environ 2,000 kilomètres de ces points. Elle est complètement isolée au milieu des mers. Cette île est fort remarquable au point de vue géologique ; elle est constituée parmi cratère volcanique éteint. Son étendue est de 5 kilomètres de longueur, sur 1 kilomètre et demi de largeur. Notre gravure en représente l’aspect le plus pittoresque; on voit nettement que le rocher
- immense qui domine l’Océan a la forme d’un cône volcanique ; il ne serait pas impossible que celte île ait surgi du sein des flots, comme on l’a remarqué à plusieurs reprises dans l’histoire, pour quelques îles de la Méditerranée.
- L’île Saint-Paul a été découverte par Vleming ; elle est accidentellement visitée par des chasseurs de loutre et des baleiniers. Le l)r Karl Scherzer l’a décrite dans son voyage de la Novara. A cette époque, comme aujourd’hui, ce récif, perdu au scindes eaux, fournit aux navires européens un petit ravitaillement de légumes qu’y ont plantés jadis des chasseurs de loutre, et qu’y cultivent les quelques rares habitants de l’île. Autour du massif de roches que nous représentons, on rencontre gà et là, dans des fissures de
- L'ile Saint-Paul.
- pierre, des sources d’eau chaude ferrugineuse qui, une fois refroidies, sont excellentes à boire.
- Parmi les îles océaniques, il en est un certain nombre qui se sont subitement soulevées du sein des eaux, comme nous venons de le mentionner; elles forment le sommet de montagnes dont les vallées constituent le fond des mers. Le groupe de Santorin, Thérasia et Aspronini, dans l’archipel grec, est célèbre comme exemple de l’activité volcanique du globe terrestre si brillamment manifestée par le phénomène de l’année 1707. D’après les récits recueillis par Arago, des marins ont pu apercevoir, à cette époque, une île entière s’élever peu à peu au-dessus de la surface des eaux. Parmi les phénomènes géologiques du même ordre qui se sont accomplis dans notre siècle, nous rapellerons le remarquable soulèvement de l’île Julia, observé près de la Sicile en juillet 1851. « Étant montés dans la hune du navire, dit M. Constant Prévost, témoin de ce spectacle étrange, nous aperçûmes l’île nouvelle qui avait
- assez bien la forme de deux pitons réunis par une terre basse. » Des bouf.ées de vapeur s’élevaient du cône volcanique émergé de la mer, et formaient dans le ciel des colonnes de nuages d’un aspect étrange.
- Nous n’insisterons pas sur les phénomènes récents observés à Santorin en 1806, c’est à-dire à une époque trop récente pour que nos lecteurs n’en aient pas conservé le souvenir. Nous nous bornerons à ajouter, d’après ces faits, que l’île Saint-Paul a pro-bablement une origine analogue à celles des îlots de la Méditerranée. Elle est située dans des régions où l’homme ne passait guère, et de grands événements géologiques ont pu s’y accomplir, n’ayant d’autres témoins que le ciel et l’Océan! Espérons qu'elle sera doublement propice aux observateurs !
- L. LIÉRITIER.
- Le Propriétaire-Gérant : G. TISSANDIER.
- PAlS. — IMP. SIMON RAÇON ET COMP., RUE D'ERFURTII, 1.
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- Ne 7. — 19 JUILLET 1 875.
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- L’EXPÉDITION DU CHALLENGER
- ET I.ES SONDAGES OCÉANIQUES.
- Les explorations sous-marines confiées aux soins d’un certain nombre de savants anglais par l’association britannique, ont déjà fourni à la science, de nouveaux et précieux documents.
- Le Challenger continue son voyage autour du monde, jetant partout, à la surface de toutes les mers, sa sonde ou scs filets1. Ce navire a récemment
- quitté New-York, après avoir accompli la première partie de son vaste programme d’expérience ; nous l’accompagnerons de nos vœux, dans sa belle croisade scientifique, et nous voulons, dès aujourd’hui, dire quelques mots de sa campagne, depuis son départ de Portsmouth jusqu’à sa première étape.
- Le Challenger est une corvette à faux pont de 2,000 tonnes, dont la construction est parfaitement appropriée au but qu’elle doit poursuivre. On a retiré 16 canons de son armement et son embolie est transformée en un véritable établissement scientifique. La cabine d’arrière est séparée par une cloison,
- Le laboratoire du Challenger.
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- en deux pièces distinctes, dont l'une est destinée au capitaine Narès, et dont l’autre sort de cabinet de travail à un des savants de l’expédition, M. Wy ville Thomson, à qui nous empruntons les descriptions qui vont suivre, d’après un très-intéressant récit qu’il vient d’adresser en Angleterre2. La cabine d’avant sert de bibliothèque, elle est remplie de livres destinés aux expérimentateurs et aux savants de l’expédition. Vers le milieu de l’ombelle, se trouve un cabinet de travail et une chambre obscure destinée
- 1 Voy. Chronique du n° 3, p. 4G.
- 2 L’intéressant voyage du Challenger est régulièrement publié dans le journal anglais Sature. L’honorable directeur du journal anglais, le savant M. Lockyer, a bien voulu souhaiter la bienvenue à la Salure française. Il nous a fait l’honneur de nous demander quelques-uns de nos clichés, et de traduire
- aux opérations photographiques. A tribord est disposé le magnifique laboratoire de chimie, dont la gravure ci-dessus représente très-exactement l’en-semble. Des microscopes sont placés au milieu d’une grande fable, tout prêts à recevoir sur leurs porte-objet, les préparations micrographiques, à amplifier pour l’observateur, les foraminifères, les débris organiques que le filet ou la sonde viennent d’arracher sur place, aux abîmes de la mer. Des oiseaux empaillés, pris en mer ou sur les côtes, sont accrochés
- en angliis nos articles qui les accompignaient. Il nous a proposé, en échange, de mettre à notre disposition les documen de sa belle publication. Nous avons accepté avec empressement cette offre de confraternité scientifiqne, dont nos lecteurs profiteront dès aujourd’hui, en ayant quelques renseignement inédits en Fiance sur l’expédition du Challenger. G. T.
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- LA NATURE.
- au plafond, avec des boîtes de fer-blanc, destinées à conserver les collections. Des lampes pendues à un axe mobile, éclairent le chimiste, malgré les oscillations de son laboratoire ballotté à la cime des vagues.
- Presque tout l’avant de l’embelle du Challenger, est occupé par les drisses des sondes et des filets, par les appareils thermométriques, et photométriques de M. Siemens, par toutes les machines encombrantes, telles que pompe hydraulique, et aquarium.
- Des laboratoires de zoologie, des cabinets de physique, riches des plus beaux appareils, complètent l’armement de ce navire, que ses captures ne tarderont pas à transformer en un Muséum flottant.
- L’expédition a quitté Portsmouth à 11 h. 50, le 21 décembre 1872. « Pendant une semaine, dit M. Thomson, nous fûmes ballottés à l’embouchure du canal de la Manche, et nous arrivions péniblement à la baie de Biscaye... Un peu avant d'attein-dre Lisbonne, le temps s’est calmé jusqu’à Gibraltar... Je vous écris maintenant à 100 milles au nord de Madère. Nous avons fait quelques sondages heureux, à de grandes profondeurs de 2,000 brasses environ1 ; ils ont mis entre nos mains un grand nombre d’espèces animales dont la plupart sont d’une grande rareté, et dont quelques-unes sont nouvelles pour la science. C’est de la grande vergue que l’on jette le filet de sondage, soutenu par un système spécial, à l’extrémité de la vergue.
- Les deux ou trois premiers coups de filets ne nous fournirent plus bientôt au delà des côtes de Lisbonne que de la vase marine, visqueuse et homogène. »
- Plus tard, à la hauteur du cap Saint-Vincent, la grande sonde est jetée en mer, elle atteint le fond à une profondeur de 600 brasses, et rapporte à bord, dans le filet dont elle est munie, plusieurs espères de poissons (genre Macrourus, Mugil, etc.). Ces poissons se trouvaient dans une situation particulière, par suite de l’expansion de l’air contenu dans leurs organes: l’extrême diminution de pression qu’ils subissaient à la surface de la mer leur faisait sorti]1 les yeux de la tète; on les eût dit intérienrement poussés par un ressort.
- « Dans nos sondages postérieurs, ajoute M. W y-ville Thomson, nous avons ajouté à notre collection plusieurs crustacés remarquables. L’un d’eux retiré d’une profondeur de 1,090 brasses, appartenait à l’ordre des Amphipodes ; il avait environ 9 centimètres de longueur, et ses yeux fort remarquables s’étendaient en deux grands lobes sur toute une partie de sa tôle. »
- Les mollusques sont extrêmement rares dans les eaux rofondes, et les ] rises opérées par le Challenger se sont bornées à quelques espèces n'otfrant nas d'intérêt spécial Mais une des captures les plus remarquables, faites à la profondeur de 1,525 brasses, consiste en un nouveau polype de la famille des
- 1 La brasse anglaise vaut 1m, 80 environ.
- Bryozoaires; la forme de cet être bizarre est celle d’une coupe de cristal ; la base de son corps étrange se rassemble en une tige transparente de 5 à 7 centimètres de haut, analogue au pied d’un verre de Bordeaux. Les Échinodernes ont fourni aussi des échantillons très-variés, très-intéressants; et parmi ceux-ci il faut mentionner un individu fort rare, déjà décrit par Agassiz sous le nom de Salenia Varis-pina.
- A de grandes profondeurs, la sonde a souvent rapporté des Gorgones, douées d’un pouvoir de phosphorescence très-prononcé. La lumière que ces êtres projettent serait-elle destinée à éclairer le fond de l’Océan, que l’on supposait jusqu’ici plongé dans les ténèbres. Brillerait-il, au contraire, de clartés et de lueurs produites par les habitants dont il abonde?
- Le capitaine Maclear, s’occupe spécialement à bord du Challenger, de ces phénomènes de phosphorescence, dont il étudie les propriétés spectrales, et qui lui apporteront certainement une riche moisson de faits inattendus.
- On voit que l’expédition du Challenger, est digne de fixer l’attention de tous les amis de la science. Cette vaillante corvette n’a encore jeté sa sonde que sur quelques points de la superficie maritime; elle ne l’a cependant presque jamais retirée des bas-fonds de la mer, sans y trouver des témoins de la vie, dans les profondeurs océaniques, sans y rencontrer quelque produit digne d’être analysé et étudié par le savant. Que sera-ce quand ses explorations vont se poi ter vers des mers plus éloignées, vers des régions moins connues, et dans des profondeurs plus grandes ? Que de mystères sont cachés à nos yeux sous cette nappe mouvante de l’Océan ! Que d’énigmes sont à jamais enfouies sous ces flots mobiles, qui nous cachent une faune et une flore d’une richesse si prodigieuse, que la soude jetée au hasard en recueille partout des vestiges.
- Il ne manque certes pas de conquêtes à faire au sein des abîmes océaniques qui, quoique voisins de nous, sont aussi peu connus que les profondeurs du firmament !
- Gaston TISSANDIER.
- LE TREMBLEMENT DE TERRE
- DE LA SAINT-PIERRE (29 JUIN 1875).
- Le centre de cetébranlement, dont les proportions ont dépassé celles des tremblements de terre assez fréquents dans le district alpestre, paraît avoir été dans l’intérieur du triangle formé par Trévise, Bel-lune et Conegliano, et principalement sur les bords du Soligo, petit torrent qui se jette dans la Piave.
- Les secousses ont fait vibrer le sol au delà de ce district. On les a senties avec une intensité d’autant plus grande qu’on s’en approchait davantage ; mais tout l’État vénitien, la Lombardie, la partie orientale du Piémont, l’Illyrie, le Tyrol autrichien, même les
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- vallées bavaroises et quelques villes de la Suisse | romande, telles que Lucerne, ont éprouvé également | des secousses. Le lac de Tégerne, non loin de Mu-nich, aurait débordé.
- Dans la vallée du Soligo, la terre s’est soulevée verticalement, aussi plusieurs édifices ont-ils été ruinés de fond en comble. L’église de Saint-Pierre de Felletre s’y est entièrement écroulée. On a ramassé 40 cadavres sous les décombres. Comme le 29 juin coïncide avec la Saint-Pierre, il y avait, malgré l’heure matinale de la catastrophe (5 heures), beaucoup de monde dans les églises. Cette malheureuse coïncidence a multiplié considérablement le nombre des victimes ; car, à cause de leur orientation indépendante des plis du terrain, et de leur volume, ces édifices sont excessivement dangereux quand la terre se met à trembler. On a vu, dans plusieurs villes, les prêtres épouvantés fuir de l’autel sans prendre le temps de déposer leurs ornements sacerdotaux ; on cite m me un officiant qui tenait d’une main convulsive le calice dans lequel se trouvait l’hostie consacrée !
- Les oiseaux qui chantaient dans les arbres et sur les toits ont immédiatement cessé de faire entendre leur ramage.
- Les malfaiteurs, détenus dans les prisons, ont fait des efforts pour se faire mettre en liberté. Il a fallu l’intervention de la force publique pour les retenir dan§ le devoir.1 - d -
- Les personnes qui se trouvaient dans l’intérieur des maisons bourgeoises ont elles-mêmes éprouvé, dans bien des endroits, une excessive difficulté à en sortir ; car un des premiers effets d’un tremblement de terre est de déranger presque toujours les portes et d'empècber de les ouvrir.
- On a remarqué que les fils télégraphiques ont été arrachés dans un grand nombre d’endroits. Le fait suivant donnera une idée de l’énergie des oscillations qu’ils ont éprouvés. On a vu deux fils distants de 0m,10 (1 décimètre), se choquer l’un contre Vautre !
- Ce tremblement de terre semble donner raison au professeur Palmieri qui prétend qu’un volcan finira par sortirau milieu des Alpes. C’est le voisinage du mont Baldo que le directeur de l’observatoire vésuvien a indiqué pour la place du futur cratère.
- Le bruit s’était répandu que le lac de Santa Croce s’était mis à bouillir. Ce qui est certain, c’est que, deux jours avant la catastrophe, un pêcheur s’est aperçu que le niveau des eaux était plus élevé qu’à l’ordinaire. Nous ne croyons pas que l’on ait découvert des cendres volcaniques dans le voisinage de Farra, mais à Puos on a entendu très-nettement le son de bruits souterrains.
- La secousse principale a été accompagnée de mouvements accessoires dans la vallée du Soligo et dans toute l'étendue de Trévise à Bellune. Les habitants épouvantés ont campé sous la tente et sont restés plusieurs jours sans oser rentrerdans leurs demeures.
- Comme toutes ces villes sont pourvues d’instru
- ments enregistreurs des tremblements de terre, nous aurons à recueillir d’autres renseignements sur cette épouvantable catastrophe.
- — La suite prochainement. —
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- LES PERCE-OREILLES
- La plupart des personnes qui daignent quelquefois s’occuper des petites bêtes, connaissent seulement parmi les insectes quelques types remarquables par l’élégance de leurs formes et l’éclat des couleurs, comme les splendides papillons des régions tropicales ou ces Buprestes métalliques que le caprice de la mode mêle à la coiffure des dames. Tout le reste du monde entomologique n’inspire que du dédain ou du dégoût. Vite! écrasons ces vilains animaux qui sont si sales !
- C’est précisément parmi les nombreux insectes à parure sombre que nous allons choisir une famille très-naturelle, et chercher à faire comprendre combien l’étude des mœurs immuables de ces êtres chétifs offre d’attraits, sans qu’il soit nécessaire d’y joindre les qualités accessoires de la magnificence du costume. D’abord nous affirmons que tous les insectes sont très-propres. Souvent leur corps paraît terni ; mais, qu’on regarde de près, on verra une couverture de poils, admirablement et sans cesse brossés et lissés, servant à protéger par supplément une peau déjà cuirassée ou constituant de délicats organes du toucher. Le règne animal, à part certaines espèces abruties par la domesticité, n’a de réellement malpropre que son orgueilleux souverain. Nous voyons même des insectes, tels que les Nécro-phiores, les Bousiers, etc., s’échapper des matières putrides ou des débris les plus immondes avec une peau brillante et vernissée, parée souvent de taches aux vives couleurs, comme au sortir d’un bain immaculé.
- Ce qui frappe les yeux au premier aspect chez les perce-oreilles, dont le nom scientifique général est Forficules, c’est une pince à branches plus ou moins courbées en dedans, située à l’extrémité postérieure du corps. Suivant une opinion probable, leur nom est dû à cet organe qui ressemble à la pince de métal dont se servaient autrefois les orfèvres pour percer les lobules de l’oreille des enfants. D’autres auteurs croient que ce nom est dû à l’habitude qu’auraient ces insectes de s’introduire dans les oreilles. Il est possible que ce fait se soit quelquefois produit che des personnes couchées à terre ; mais c’est un pur accident causé par l’instinct qui porte ces animaux à se réfugier dans toutes les cavités obscures. Il n’y a pas lieu de s inquiéter à ce sujet. La pince des Forfi-cules est une arme défensive de faible puissance ; c’est à pe.ne si, dans les plus fortes espèces, elle peut entamer légèrement notre peau. Elle sert aussi à maintenir en rapport les deux sexes lors de l’accouplement, et enfin, dans les espèces ailées, estem-
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- ployée à la longue et difficile opération du déploiement des ailes inférieures.
- La couleur est analogue dans toutes les espèces de Forficules, variant du brun de poix à un jaune terne et enfumé. Ces teintes sont celles de beaucoup d’insectes qui vivent dans l’obscurité, notamment des curieux Coléoptères et des Araignées qui passent toute leur existence sous terre et constituent les représentants entomologiques de ces êtres étranges dont le Créateur a peuplé l’horreur de la profonde nuit des cavernes.
- Le corps est allongé et plus ou moins aplati ; une tête dégagée et un peu mobile, cordiforme, porte en avant des antennes filiformes, ayant de douze à quarante articles, et sur les côtés des yeux médiocres. Elle manque toujours de ces yeux simples ou stem-mates, sorte de microscopes placés chez beaucoup d’insectes sur le dessus de la tête, et qui sont les seuls organes de la vision chez les Araignées et les Scorpions. Vient ensuite un corselet de forme rectangulaire et aplati, et, dans les espèces à organes du vol bien développés, les deux segments suivants du thorax portent deux paires d’ailes hétéronomes, c’est-à-dire d’une constitution différente. D’abord se voient des étuis ou élytres, beaucoup plus courtes que l’abdomen, coupées carrément en arrière, et réunies à structure droite au milieu, et non croisées l’une sur l’autre comme chez les Blattes, les Grillons, les Sauterelles. Elles ressemblent aux élytres des Coléoptères et particulièrement à celles de ces Staphy-lins qui semblent porter une veste, leur abdomen restant à découvert, comme celui des Perce-oreilles. Tout le monde connaît un des plus grands types de Staphylins, le Diable (Ocypus olens, Linn.), d’un noir terne, qui parcourt les sentiers des champs et relève d’un air menaçant son abdomen d’où sortent deux vésicules blanches ovales, répandant une odeur d’éther nitreux ou de pomme de reinette. Les ailes, dont l’existence est à peine soupçonnée par le vulgaire, sont d’une remarquable complication. Elles offrent au bord antérieur une lame cornée, plus ou moins ample, qui, après le repli complet de l’aile, devient un organe de protection et dépasse plus ou moins l'élytre sous forme d’une petite écaille colorée (ce qu’on voit bien au n° 2 du dessin des Forficules). Le reste de l’aile, bien plus large que l’élytre, en forme de quart de cercle, est constitué par une membrane délicate et diaphane, irisée des couleurs de l’arc-en-ciel par le fait de la décomposition de la lumière par les lames minces. Une nervure en courbure douce, part de la base de l’aile et envoie dans son parcours des rameaux rayonnants vers le contour. Ils sont soutenus par une nervure circulaire qui sert à maintenir bien étendue cet te aile si élégante. On peut facilement voir cette petite merveille en prenant le Perce-oreille commun de nos jardins, le maintenant empalé sur une épingle et soulevant une élytre avec la pointe d’une aiguille. En opérant doucement, on force l’aile à sortir sans déchirure de ses plis, et, si on laisse mourir et sécher l’animal en
- maintenant l’aile étendue par une bande de papier, on conservera indéfiniment l’aile étalée, comme elle se présente dans le Forficule au vol de notre gravure.
- Le plissement de cette grande aile est très-curieux. Il s’opère d’abord vers le milieu du limbe corné antérieur en plis longitudinaux pareils à ceux d’un éventail. C’est le mode de plissement de l’aile de la grande Sauterelle verte des champs, et des ailes de ces petits Criquets qui sautillent en automne dans toutes les prairies; puis un tout autre genre de plis intervient, pareil à celui de l’aile des Hannetons. L'éventail se brise deux fois et en dessous par des cassures transversales, de sorte que la jolie membrane irisée se cache entièrement sous l’élytre protectrice.
- L’abdomen, bien visible quand les ailes sont au repos, est formé de segments successsivement articulés comme dans la queue de l’écrevisse, et leur nombre peut tout de suite nous apprendre si le perce-oreille est un mâle ou une femelle, du moins dans les espèces européennes ; chez le premier on en compte, bien apparents, neuf en dessus, huit en dessous ; chez la femelle sept en dessus, six à la région ventrale. Le dernier segment du dos chez les mâles, est plus grand que les autres, plus fort et muni de tubercules, d’épines, bien moins marqués chez la femelle. C’est en effet lui qui renferme les muscles destinés à mouvoir la pince, qui, toujours plus grande et plus robuste chez le mâle que chez la femelle, en diffère par sa courbure et ses dents, de sorte que l’inspection de la pince fournit aussi des caractères sexuels, mais moins faciles à constater que ceux tirés du nombre des anneaux de l’abdomen.
- Les pattes, attachées au-dessous du thorax et au nombre de six, comme chez tous les insectes adultes, sont courtes, à articles cylindroïdes, propres à la course seulement. Elles finissent par des tarses de trois articles ; on sait que le nombre des articles de l’extrémité terminale des pattes est un caractère important pour la classification des insectes broyeurs auxquels appartiennent les Forficules.
- Ces Forficules font partie des insectes à métamorphoses imparfaites, c’est-à-dire qui, dès la sortie de l’œuf, ont la forme générale des adultes et le même genre de vie. Dans l’espèce la plus commune, le Perce-oreille de nos jardins (Forficula auricularia, Linn.), la larve, au sortir de l’œuf et après la première mue, n’a d’autres vestiges alaires qu’un léger bourrelet aux bords postérieurs des second et troisième segments du thorax ; après la seconde mue, la nymphe présente les élytres et les ailes, mais en raccourci, plus ou moins réunies au milieu et enveloppées d’une mince pellicule, comme d’un fourreau. Après le troisième changement de peau, les organes du vol sont bien développés et l’insecte est apte à reproduire son espèce. On reconnaît encore le jeune ge des Forficules à une taille plus petite, à la mollesse des téguments, à une pince plus grêle et plus faible, encore dépourvue des tubercules qu’elle offrira souvent à sa base
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- vers son milieu chez les mâles adultes. Le nombre des anneaux de l’abdomen permet de distinguer les sexes futurs dès le plus jeune âge, ainsi que la forme de la pince.
- Les mœurs nous intéressent plus que ces détails d’organisation, toujours un peu arides, mais nécessaires toutefois à connaître. Les Forficules sont des insectes lucifuges, amis des retraites obscures et ne sortant guère qu’au crépuscule. Ils se cehent sous les écorces, sous les pierres, dans les fentes des arbres et des murs, dans les fleurs profondes et les crevasses des fruits tombés. Ils aiment à vivre en société, surtout quand ils sont jeunes. Si on les met
- brusquement à découvert en faisant pénétrer la lumière éclatante du jour dans leur sombre refuge, on les voit fuir de toute part en courant avec vitesse. Ce sont surtout les matières végétales qui assouvissent leur voracité considérable. Les Forficules vont sucer le nectar des fleurs, mais, malheureusement pour nous, ne se contentent pas de ce miel liquide. Les pièces tranchantes et broyeuses qui constituent leur bouche rongent les pétales, les étamines et la pulpe savoureuse des fruits. Il n’est personne qui n’ait vu tomber dans son assiette quelque maudit Perce-oreille au moment de porter à sa bouche un succulent abricot ou une poire des plus appétissantes. A
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- Forficule. ou Périe-oreilles.
- 1. Forficule auriculaire. — 2. Lbidomre géuOe. — 5. Chélidoure dilatée ou aptère.
- défaut de végétaux les gourmands insectes se contentent de substances décomposées, de fumier, de bouses desséchées de ruminants, même de cadavres. Si on les renferme sans nourriture dans une boîte, ils se dévorent les uns les autres. Les auteurs anglais rapportent, pour faire pardonner un peu les méfaits des Forficules, qu’elles nous rendent certains services en mangeant des insectes fort nuisibles. On les a trouvées dans les épis de froment attaquant les Thrips et les Cécidomyes ; ces dernières sont des petites mouches dont la larve creuse les grains et peut causer de grands dégâts à la précieuse graminée.
- Nous achèverons peut-être de réconcilier à demi le lecteur avec les Forficules si nous lui racontons leur touchant amour maternel. Il est rare chez les insectes que les mères s’occupent elles-mêmes de leurs enfants après la sortie de l’œuf. Chez les Abeilles, les Fourmis, les Bourdons, les Guêpes, les femelles fécondes sont occupées à une ponte incessante et lais-
- sent à d’infatigables nourrices les premiers soins qu’exige leur débile progéniture. Les femelles desFor-ficules, dépourvues d’organe saillant pour la ponte, déposent leurs œufs dans les petites cavités du sol, sous les pierres, dans les lieux humides. Elles surveillent ces œufs blancs et lisses et les transportent çà et là, afin qu’ils jouissent toujours de l’humidité nécessaire à leur évolution. On les voit les rassembler en tas et les couvrir de leur corps, paraissant les couver. Elles les ramassent si quelque accident les disperse et se placent de nouveau auprès. Les jeunes larves eu naissant sont bien plus grandes qu’on ne le croirait en voyant l’œuf dont elles sont sorties ; elles y étaient fortement comprimées et se gonflent. D’abord blanches et molles elles se colorent et dur-cissent en quelques heures. La mère les retient encore quelque temps auprès d’elle, leur continuant sa protection. De Géer rapporte qu’il les a vues se placer sous le ventre et entre les pattes de la mère et
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- y rester des heures entières. Je voudrais pouvoir ajouter que les enfants récompensent ces soins dévoués par l’affection qu’ils méritent, mais je ne sais pas faire de roman à propos d’histoire naturelle. Les jeunes Forficules s’empressent de manger leur mère si elle vient à mourir, et donnent de même leur estomac pour tombeau à ceux de leurs frères et sœurs qui succombent sous l’implacable loi de la sélection naturelle.
- Nous citerons quelques-unes des espèces les plus intéressantes de Perce-oreilles qu’on peut observer en France. Plusieurs groupes naturels ont été établis dans ces insectes d’ailleurs très-similaires.
- Les Labidoures ont presque toujours un grand nombre d’articles aux antennes, et le second article de leurs tarses est simple et étroit. La Labidoure géante (n° 2 de la figure, un mâle) est le plus grand des Perce-oreilles européens. Elle offre une tête rousse, large et ariondie, et les appendices, antennes et pattes, d’un jaune pâle, ainsi que les côtés du ventre. Les longues et fines antennes ont de 27 à 50 articles. Les élytres,d‘un roux pâle, sont en rectangles allongés et fortement débordées par le rebord corné des ailes à contour elliptique. La pince du mâle est presque droite, avec une dent à l’intérieur vers le milieu ; elle est rousse et noire à l’extrémité. Le mâle atteint de 14 à 22 millimètres, sans compter sa pince qui en a 8 à 10 ; la femelle est plus petite, de 10 à 14 millimètres et la pince n’en a que 6 en longueur. La femelle est pleine d’œufs au mois de mai, et on trouve les petites larves en août. L’espèce se rencontre sur tout le contour méditerranéen de l’Europe méridionale, ainsi que dans tout le midi de la France, sur les rives de l‘Adour,en Corse et en Sardaigne, sur les bords de l’Adriatique, sur les rivages du Pô, du Tessinet de l'Arno. C’est sous les pierres qu’il faut la chercher dans le jour, et le soir elle court sur le sable, pour chasser les petits insectes, ne paraissant faire que très-rarement usage de ses grandes ailes. L’insecte inquiété relève son abdomen d’un air de menace, à la façon des Staphylins, en ouvrant sa grande puce. En Italie, l’espece est commune dans les maisons, surtout dans les cuisines, les citernes, les recoins humides, d’où elle ne sort que la nuit. Nous n’avons pas cet insecte près de Paris, quoiqu’il puisse remonter bien plus au nord. Ainsi il existe dans la Russie méridionale ; on le trouve, mais rare, près de Vienne, sous les feuilles tombées et les troncs d’arbre renversés et pourris, en été près de Berlin et dans la Silésie supérieure, sous de grandes pierres au bord des rivières, sur les bords de la Baltique, sur le rivage occidental de l’Angleterre, près de Christchurch, peut-être après importation par les navires. Cette grande Forficule est abondante à l’île de Madère, existe aussi dans l’Afrique septentrionale, la Cafrérie, le Mozambique, et à Buénos-Ayres, dins l’Amérique méridionale, peut-être par importation, et l’Asie occidentale.
- Une autre espèce, la Labidoure maritime du genre Brachylabis, Dohrn, est presque aussi grande,
- mais se distingue tout de suite de la précédente en ce qu’elle n’a pas d’élytres ni d’ailes. Elle ne se trouve que dans le voisinage de la mer et est commune au printemps, sur les bords de la Méditerranée, sous les pierres et dans les bouses de vache. On la rencontre aussi à Madère, en Syrie, au mont Liban, sur les côtes du Japon, de la Chine, des Indes orientales, de Madagascar, de l’Afrique occidentale et australe.
- Dans un sous-genre très-voisin des Labidoures existe la plus petite espèce du type que nous étudions, celle que Geolfroy, le vieil historien des insectes des environs de Paris, appelle le Petit Perce-oreille, et Linnus la Forficule naine (minor).
- C'est la plus petite espèce d’Europe, n’atteignant que 4 à 6 millimètres de longueur, avec une pince de 2 à 5, selon les sexes, presque droite. Elle est d’un jaune terne, plus ou moins bruni et recouverte d’un duvet court et serré ; scs antennes n’ont que 10 à 12 articles ; elle est commune en France dans les. détritus et les fumiers, où elle vit en société avec beaucoup de petits Staphylins avec lesquels on la confond au premier abord. Elle vole bien, on la prend au vol avec le filet à papillons autour des fumiers dans les soirées chaudes de l’été, et elle entre la nuit dans les appartements, attirée par les lumières.
- Les Perce-oreilles qui viennent ensuite se distinguent, pour les entomologistes, d’avec les types précédents par quelques caractères. Le plus remarquable consiste dans la présence, de chaque côté des second et troisième segments dorsaux de l’abdomen, d’un tubercule en forme de pli longitudinal, caractère qu’offre aussi la Labidoure maritime. La gravure sur bois n’a pu reproduire ce détail sur nos figures, qui sont de grandeur naturelle ; rien de plus aisé que de le voir sur le Perce-oreille commun de nos jardins, avec une loupe si la vue simple est insuffisante. Le botaniste et l’amateur d’insectes ne se séparent jamais de ce précieux auxiliaire.
- En outre, le second article des tarses est élargi de chaque côté en cœur et le nombre d’articles des antennes ne dépasse pas une quinzaine.
- C’est ici que se place l’espèce si commune partout, la Forficule auriculaire de Linnæus, le Grand Perce-oreille de Geoffroy, d’un fauve ferrugineux avec les pattes plus pâles (voir la fig. 1 de la gravure). Si on la saisit entre les doigts, elle dégage une odeur qui rappelle le soufre brûlé (acide sulfureux). La longueur du corps varie chez les mâles de 9 à 15 millimètres, avec une pince de 4 à 8 millimètres, à branches dilatées à la base et crénelées en dedans. Elles forment d’ordinaire un cercle presque parfait, mais il y a une variété où elles sont plus allongées et eu ellipse.
- La pince est plus courte chez la femelle, de 3 à 4 millimètres, à branches bien moins courbes, crochues en dedans, au bout.
- L’espèce est abondamment répandue dans toute l’Europe, se trouve aussi à l’île de Madère, dans tout le nord de l’Afrique et aux Indes orientales, où les
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- navires l’ont sans doute importée. Cette Forficule passe l’hiver, surtout les femelles fécondées, qui pondent en avril des œufs dont les petites larves sortiront au mois de mai. Si au mois de novembre on bat, dans les forêts, les branches dépouillées de feuilles, au-dessus d’un parapluie renversé, on y fera souvent tomber cette Forficule engourdie. C’est là le moyen qu’emploient les entomologistes pour se procurer en hiver une foule d’insectes dont personne ne soupçonne l’existence au milieu des frimas. Au printemps et en été, outre ses refuges sous les écorces et les pierres, on la trouve dans beaucoup de fleurs, comme les oreilles d’ours, les roses trémières, les grands soleils, etc.
- Elle aime aussi à se réfugier dans le chardon à foulon, dans les feuilles roulées en cornet par divers insectes, et où elle échappe à l’importune lumière du jour. Beaucoup de jardiniers mettent le long des plantes des cornets de papier où se gîtent les Forfi-cules, qu’il ne reste plus qu’à brûler.
- Elles sont friandes de graines de melon au delà de tout ce qu’on peut imaginer, et souvent les maraîchers sont obligés d’étaler ces graines en pleine lumière pour les soustraire aux ravages. L’insecte devient vraiment funeste en automne par l’avidité avec laquelle il recherche les fruits et surtout les pommes les plus parfumées et les plus douces (voir la figure). Nous conseillons, pour préserver le fruitier, de mettre sous un pot renversé certains fruits qui serviront d’appât piège, puisque le Perce-oreille les choisira de prédilection en trouvant réunis et le festin et l’obscurité propice. Cette espèce peut être parfois fort nuisible ; ainsi M. Westwood dit que ces Forficules arrivent par intervalles en grande multitude, et il cite un cas où en Angleterre elles dévastèrent non-seulement les fleurs et les fruits de la région, mais des champs couverts de choux.
- On ne doit pas s’étonner si depuis longtemps les horticulteurs ont cherché à préserver les jardins et les vergers contre cet ennemi.
- Ce sont les mœurs de- insectes qui nous procurent invariablement les procédés de destruction.
- Voici à cet égard des conseils et des recettes déjà un peu anciens. « Le moyen de détruire le Perce-oreille tient de la connaissance de ses habitudes. Il évite toujours le soleil et la grande lumière, se retire sous les feuilles, dans les fissures des écorces d’arbre, sous les plantes rampantes, sous les pierres. Il suffit donc, pour en rassembler une grande quantité, de placer çà et là, dans les endroits exposés à ses dégâts tout ce qui peut lui procurer un abri ; des poignées de feuilles, des petites bottes d’herbages, de paille un peu humectée, telle que celle que l’on prépare pour attacher la vigne, des bâtons de sureau creux, des tiges de soleil également creuses, des paquets de brindilles de toutes espèces d’arbres, de vieux balais, des cornes et ongles de divers animaux, des chiffons, d’étoffes, des torchons ou serviettes, etc.
- Quand on a réuni un grand nombre de Perce-oreilles, on les écrase ou on les brûle. Il ne faut pas
- se contenter de les jeter dans l’eau, car ils nagent très-bien et s’échappent ; les poules les avalent avec avidité. (Annales de l’agriculture française an IX, t. VIII, p. 106-107.) »
- Il est continuel de voir se produire dans les Forficules tous les modes de variations de l’appareil alaire. Chez les Aptérygides, les élytres subsistent bien développées, mais sans ailes en dessous ou seulement avec des rudiments. Mentionnons seulement . dans ce type une espèce qui a été nommée albipenne parce que son corselet et ses élytres sont d’un jaunâ-re pâle, et aussi pédestre, puisque privée d’ailes elle nepeut que marcher. Sa longueur varie de 6 à 9 millimètres ; elle est donc environ moitié plus petite que la Forficule auriculaire et surtout beaucoup plus étroite. Elle se rencontre dans plusieurs régions de l’Europe, la Grèce, l’Italie, la Suisse, l’Allemagne, en été et en automne, dans les buissons, sur les ormes, les aulnes. les chardons, etc. Les amateurs peuvent la chercher en octobre, tout près de Paris, sur les collines arides qui entourent Sèvres. On l’a prise en Angleterre au mois de juin, près d’Ashford, dans le comté de Kent. Elle ne paraît pas avoir été trouvée en Russie ni en Suède.
- Les touristes qui aiment l’histoire naturelle feront bien, dans leurs explorations de nos montagnes, de porter leur attention sur un dernier type très-intéressant de Perce-oreilles, les Chélidoures Ici l’absence du vol est presque complète. Les élytres ne sont lus représentées que par deux écailles ovales rejetées sur le côté et laissant entre elles à découvert ce qu’on nomme un écusson, c’est-à-dire une portion visible du second segment dorsal du thorax qui porte la première paire d’ailes chez les insectes. Les ailes sont toujours recouvertes d’un fourreau qui forme un demi-anneau complet laissant voir en arrière un peu du dernier segment thoracique. Le caractère le plus saillant de ces insectes, c’est que leur abdomen s’élargit graduellement d’avant en arrière de manière à simuler un trapèze.
- Les espèces les plus remarquables de Chélidoures ont été découvertes par de Lafresnaye, amateur célèbre d’oiseaux, d’insectes, de coquilles. L’une d’elles est la Chélidoure dilatée (n° 3 de notre gravure, sujet femelle), nommée encore aptère aides Pyrénées. La tête un peu triangulaire est forte, d’un fauve rougeâtre, portant des yeux noirs très-petits. Le corps et la pince sont d’un brun marron, avec les antennes de 13 articles et les pattes fauves. L’insecte atteint en longueur 12 à 14 millimètres, sans compter la pince à branches nécessairement très-écartées à la base d’après l’élargissement de l’abdomen et qui a 4 millimètres et plus. Cet insecte paraît exclusif aux Pyrénées. L’espèce ou race très-voisine et un peu plus petite par laquelle nous terminerons cette étude est la Chélidoure simple, aussi des Pyrénées, mais qu’on trouve en outre dans les Alpes, au mont Saint-Bernard en août et au mont Rose E Toutes
- 1 Nous en avons dit bien assez pour ceux qui verront seulement dans les Perce-oreilles l'objet d’une curiosité scienti-
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- les Chélidoures sont des montagnes et n’ont encore été trouvées qu’en Europe.
- Maurice Girard.
- LE CHEMIN DE FER DU MONT CENIS
- Depuis les Romains qui avaient établi une route de voitures par la vallée d’Aoste entre l’Italie et la
- Gaule, route détruite par les barbares, jusqu’à ce siècle, on n’a pu franchir les Alpes qu’à pied, à dos de mulet ou en chaise à porteur. Napoléon Ier fit exécuter, de 1801 à 1807, la route du Simplonet de 1805 à 1810 celle du mont Cenis. Quand les chemins de fer furent inventés ce ne fut qu’avec bien des hésitations que l’on se décida à les tracer au travers des montagnes.
- Ce fut en 1811 qu’un humble géomètre-arpenteur de Bardonnèche, Joseph Médail, proposa, le premier,
- Chemin de fer du mont Cenis. — La montée.
- de creuser sous les Alpes un tunnel aboutissant au I les-Albert, frappé de cette proposition, chargea village de Bardonnèche, où il était né. Le roi Char- | MM. Mauss et de Sismonda d’étudier le projet de
- La descente
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- .6 p.t
- M. Médail, et ces deux savants éminents ne purent que confirmer l’exactitude des données recueillies par tique, ou qui, d’un esprit plus positif, cherchent les moyens de les détruire au grand profit de lems fleurs et de lems fruits. Si quelques personnes désirent avoir une connaissance approfondie de ces insectes, nous leur indiquerons, pour les espèces d’Europe, le remarquable ouvrage de M. Fischer, de
- l’arpenteur et adopter le tracé qu’il avait choisi. Mais ce tunnel ne pouvait se construire par les pro-
- Fribourg, Orthopteraeuropœa. Leipzig, 1853, et une étude monographique sur les espèces du monde entier, par M. H. Dohrn (Versuch eincr Monographie der Dcrmopteren; Entomolog. Zeitung. — Stettin, 1863, p. 35, 309; 1864, p. 285, 417 ; 1865, p. €8, et 1867, p. 841).
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- Chemin de fer du mont Cenis. — Le pont de Coml e.
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- LA NATURE.
- cédés ordinaires, et cette difficulté technique retarda de beaucoup son exécution. Enfin, les inventions successives de l’ingénieur suisse Colladon, de l’ingénieur anglais Bartlett et de l'ingénieur italien (savoisien) Sommeiller, donnèrent le moyen de procéder à cette grande œuvre, et le tunnel du mont Cenis fut commencé le 51 Août 1857. Pendant qu’il se creusait, l’ingénieur anglais Fell, obtenait la concession d’un chemin de fer provisoire, sur la route du mont Cenis, à construire dans le système à trois rails préconisé depuis longtemps par l’académicien français le baron Séguier. Ce chemin de fer expérimenté en 1864 et autorisé le 4 Novembre 1865 a été exploité du 15 Juin 1868 au 16 Octobre 1871, jour de l'inaugura-tion du tunnel et du chemin de fer du mont Cenis, après quatorze ans d’un incessant labeur.
- Nous arrivons un peu tard pour parler du tunnel du mont Cenis, et les dé ails sur le percement des longs souterrains à travers les hautes montagnes trouveront plus naturellement leur place à propos du tunnel du Saint-Gothard, en cours d’exécution.
- Mais si l’on s’est beaucoup occupé du souterrain du mont Cenis, on s’est fort peu étendu généralement sur les sections, d’une exécution très-difficile, qui le relient aux chemins de fer de Paris, à Saint-Michel, et de Bussolino, à Turin.
- La section française a une longueur de 28 kilomètres (dont 6 kilomètres pour la demi-traversée du tunnel) et la section italienne 50 kilomètres (comprenant l’autre moitié de la galerie); mais la compagnie de Lyon n’exploite sa ligne que jusqu’à No-dane et celle de la Haute-Italie est chargée de l’exploitation à partir de cette gare, à 12 kilomètres de la frontière italienne. La ligne est à deux voies sur 36 kilomètres entre Saint-Michel et Bardonnèche et à voie unique sur les 42 kilomètres complétant le parcours, entre Bardonnèche et Bussolino.
- Le railway remonte la vallée de l’Arc par des rampes de plus en plus roides, contourne et enveloppe Modane par une courbe qui décrit les trois quarts d’une circonférence, revient parallèlement à lui-même jusque vis à-vis de la station de Modane et là aboutit enfin au tunnel, mais à 150 mètres au-dessus de la gare après avoir franchi cette énorme différence de niveau par une rampe continue de 50 millimètres par mètre et avec des courbes descendant jusqu’à 300 mètres de rayon. Dans le tunnel, la rampe est de 25 millimètres sur 6,275 mètres du côté de la France et, après un palier de 360™ 50, elle se change en une pente de un demi à un millimètre du côté- de l’Italie, sur 5,600 mètres. En dehors du tunnel, le railway descend jusqu’à Bardonnèche par une pente rapide de 50 millimètres.
- A partir de cette station la voie descend la vallée du Rochemolle jusqu’au confluent de ce torrent avec la Dora-Biparia dont la ligne de fer continue à suivre le cours. Dans toute cette section italienne où le tracé de la voie s’écarte beaucoup de l’ancienne route du mont Cenis, le paysage alpestre est de la plus in
- comparable grandeur, plus magnifique encore que celui de l’ancienne route de terre.
- Le passage à travers cette région accidentée a nécessité l’exécution d’ouvrages d’art extrêmement hardis et faisant le plus grand honneur aux ingénieurs, mais d’une exécution coûteuse et difficile.
- L’un des plus remarquables est le pont en fer sur la Combe1 dont une de nos gravures reproduit le pittoresque aspect. Le pont en treillis de 56 mètres de portée, est soutenu par deux poutres de 5m 50 de hauteur1 ; il réunit les bords de l’étroite vallée, à 120 mètres au-dessus du torrent2.
- CHARLES Boissay.
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- LES
- MIGRATIONS DE L’ACIDE CARBONIQUE
- ET LES PIIÉNOMÉNES DE ROCHAGE.
- Les gaz se dissolvent non-seulement dans les corps liquides à la température ordinaire, mais aussi dans les corps fondus sous l’influence du feu. Toutes les personnes qui ont suivi un cours de chimie se rappellent que lorsqu’on coule dans un têt en terre de l’argent fondu, on voit se produire, au moment où le métal se refroidit, une vive effervescence; la masse bouillonne, se boursoufle, des parcelles d’argent sont projetées ; on assiste à une véritable éruption volcanique en miniature. Pour que la ressemblance soit complète, l’argent solidifié est tuméfié, caverneux, couvert de petits cônes percés au centre, simulant la forme des volcans.
- L’argent fondu dissout l’oxygène ; il l’abandonne au moment du refroidissement : c’est là le 1 héno-mène désigné sous le nom de rochage. Plus le refroidissement est brusque, et plus le dégagement est rapide; quand, au contraire, on laisse l’argent se refroidir lentement, l’oxygène se dégage insensiblement sans boursoufler la surface du métal, sans qu’il y ait de projections, qui sont importantes à éviter quand l’argent obtenu doit être pesé.
- Ce phénomène, découvert par Gay-Lussac, il y a déjà fort longtemps, est beaucoup plus fréquent qu’on ne le supposait d’abord. La litharge fondue dissout aussi de l’oxygène, qu’elle abandonne au moment du refroidissement; les gaz combustibles qui se trouvent dans les foyers où fondent les métaux s’y dissolvent encore ; récemment enfin, MM. Troost et Hlautefeuille3 ont montré que la fonte retenait, après son refroidissement, une quantité assez notable de gaz, formé surtout d’oxyde de carbone et
- 1 Vallée étroite et profonde, véritable fissure de roches, au fond de laquelle coule un torrent.
- 2 Le journal anglais Engineering a donné des détails curieux sur ce beau travail et sur le chemin de fer du mont Cenis, nous lui avons emprunté quelqu s-uns de ses documents.
- 3 Comptes rendus de l'Académie des sciences, t. LXXVI, p. 561 (1873).
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- d’hydrogène; M. Cailletet, M. Caron, et surtout le célèbre chimiste anglais, Th. Graham, avaient fait de ces gaz dissous, retenus, occlus dans les métaux, une étude approfondie.
- Un til de fer ordinaire, nettoyé avec soin et chaufié dans le vide pour expulser le gaz qu’il peut contenir dans ses porcs, absorbe, d’après M. Graham, quand on le chauffe dans différents gaz, 46 parties pour 100 en volume d’hydrogène et 4,5 pour 10Ü d’oxyde de carbone. Le gaz spécial au fer du commerce, dont la nature dépend d’ailleurs de la forge dans laquelle il a été chauffé, est surtout l’oxyde de carbone; la proportion de ce gaz s’élève de 7,00 à 12,50 pour 100.
- Dans leurs récentes expériences, MM. Troost et Hautefeuille n’ont pas obtenu des quantités de gaz aussi considérables, mais ils ont parfaitement vérilié le fait même de l’occlusion des gaz par les corps chauffés, et c’est là ce qui nous importe pour l’instant.
- Ainsi les corps fondus dissolvent des gaz et les abandonnent parfois au moment de leur refroidissement. Des corps simplement ramollis par l’action du feu peuvent même se charger de gaz, les conserver après le refroidissement et ne les perdre que lentement sous l’influence d’une nouvelle élévation de température et d’un vide presque parfait.
- Ces faits sont non-seulement très-curieux, ils ont peut-être une très-grande importance au point de vue géologique. M Th. Graham en a donné, il y a déjà quelques années, une preuve remarquable en étudiant un échantillon de fer météorique provenant de Lenarto. Ce métal, soumis à l’action du feu dans un tube de porcelaine où l’on avait d'abord fait le vide, a abandonné 2,85 fois son volume de gaz, dont les 86 centièmes sont de l’hydrogène, l’oxyde de carbone ne dépassant pas4 1/2 pour 100. Les gaz fournis parle fer ordinaire sont bien différents : des clous de fer à cheval, soumis à la même épreuve, ont, en effet, donné 2,66 fois leur volume de gaz, renfermant 50 pour 100 d'oxyde de carbone et seulement 35 pour 100 d’hydrogène.
- On sait aujourd’hui que l’hydrogène constitue le gaz le plus abondant des étoiles, et M. Janssen l’a reconnu en quantités énormes dans les protubérances du soleil; et comme d’autre part on sait que le fer ne peut à la pression de notre atmosphère absorber plus de son volume de gaz hydrogène, il faut en conclure que le fer de Lenarto provient d’un astre dans lequel l’hydrogène existait à une pression considérable et à une température élevée ; l’hydrogène qu’on en a tiré nous dévoile donc la nature, la température, la pression de l’atmosphère de l’astre inconnu, dont provient le fer de Lenarto.
- Revenons sur la terre, et voyons si les considérations précédentes ne sont | as de nature à éclaircir un phénomène remarquable dont l’explication n’est pas encore complète.
- Les volcans, au moment de leurs éruptions, émettent des gaz variés : d’abord de l’acide chlor
- hydrique, de l’acide sulfurique, de l’acide sulfhy-drique ; plus tard, quand l’époque de l’éruption est djà plus reculée, les hydrogènes carbonés dominent; enfin apparaît le dégagement d’acide carbonique, qui se continue pendant des siècles ; nos volcans d’Auvergne sont éteints depuis des milliers d’années, et cependant les sources chargées d’acide carbonique se rencontrent abondamment, à Royat, au mont Dore, à Saint-Nazaire, etc. Le dégagement de l’acide carbonique a été constaté dans une foule d’évents volcaniques : la grotte du Chien, près de Naples, est trop célèbre pour qu’il soit nécessaire de la rappeler; au volcan de Proto, les fumerolles sont presque exclusivement formées d’acide carbonique; à Java, c’est le même gaz qui se dégage avec une abondance extrême de la solfatare éteinte nommée Guevo Upas ou Vallée du poison. Le sol est partout couvert de carcasses de tigres, de chevreuils, d’oi-seaux, et même d’ossements humains, car tout être vivant est asphyxié dans ce lieu de désolation.
- Ainsi le dégagement d’acide carbonique se continue des évents volcaniques pendant des siècles, et sur un très-grand nombre de points du globe. Si l’activité volcanique n’excite qu’une médiocre attention en Europe, il n’en est pas de même dans d’autres contrées ; Ilumboldt compte 407 volcans à la surface du globe, dont 225 seulement en activité depuis les temps modernes ; depuis, on a porté ce nombre à 270, parmi lesquels 190 sont dans les îles ou sur les bords de l’océan Pacifique ; la plus grande partie de ces volcans sont situés le long de la grande fracture, probablement très-récente, du globe qui, commençant à la Terre-de-Feu, longe toute la côte du continent américain et se prolonge par le Kamtchatka, le Japon, jusqu’aux Moluques, à Java et à Sumatra. En dehors de cette série remarquable, on trouve encore des volcans actifs dans la Nouvelle-Bretagne, les îles Salomon, les Nouvelles-Hébrides, la Nouvelle-Calédonie, la Nouvelle-Zélande et jusque dans le voisinage du pôle antarctique, où l’illustre marin anglais sir John Ross a découvert l’Erèbe et le mont Terror au milieu des glaces.
- La quantité d’acide carbonique dégagé par ces foyers volcaniques est à coup sûr immense. M. Boussin-gault a trouvé, en 1827, que 95 pour 100 du gaz émis par les volcans de l’Amérique méridionale étaient formés d’acide carbonique; M. Bunsen a constaté la même composition dans les gaz émis par l’llécla.
- Nous arrivons enfin au point qu’il s’agit d’éclaircir : Quelle est l’origine de l’acide carbonique, d’où vient-il? Quel est le réservoir inépuisable qui fournit depuis des milliers d’années à cette dépense excessive?
- Il est clair que notre atmosphère n’a pas toujours eu la composition qu’elle a aujourd’hui. Quand la terre s’est séparée du soleil, elle devait avoir exactement la même température que lui, et par suite la masse gazeuse oui l’entourait renfermait de l’hydrogène incandescent, du sodium, du fer, comme il y
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- en a actuellement dans le soleil ; à mesure que la température s’est abaissée, les combinaisons sont devenues possibles, et par suite, les différents corps, d’abord maintenus séparés par l’excessive température à laquelle ils étaient soumis, se sont unis d’après leurs affinités respectives : l’hydrogène et l’oxygène ont formé de l’eau ; l’oxygène et le carbone ont donné de l’acide carbonique; le chlore et le sodium : le sel marin, etc.
- Les roches incandescentes, encore liquides, se sont donc trouvées en contact avec une atmosphère dense renfermant divers gaz, et ceux-ci ont pu y pénétrer, s’y condenser, comme nous voyons l’oxygène pénétrer dans l’argent ou dans la litharge fondus, l’oxyde de carbone et l’hydrogène dans le fer ou la fonte. Il est possible que ces roches se soient chargées en plus grande quantité d’acide carbonique que des autres gaz existants dans l’atmosphère, par une sorte d’affinité relative, exactement comme l'argent se charge d’oxygène et non d’azote, bien qu’il soit fondu dans l’air ordinaire.
- Pour que nous puissions trouver l’origine de l’acide carbonique des volcans, dans les roches encore incandescentes et abandonnant lentement, à mesure qu’elles se refroidissent, les gaz qu’elles renferment, par suite d’un phénomène de rochage se continuant pendant des milliers d’années, il faut qu’il y ait eu dans l’atmosphère primitive du globe une quantité immense d’acide carbonique; mais cette hypothèse n’a rien qui nous choque. -
- Il est clair, en effet, que dans l’atmosphère primitive l’oxygène était en excès, comme il l’est encore aujourd’hui dans l’atmosphère actuelle ; et, quand par suite de l’abaissement de température du globe, les combinaisons ont été possibles, il a dû se former de l’acide carbonique ; celui-ci, au contact des roches fondues qui formaient la surface, s’y est probablement dissous peu à peu; et comme les dislocations étaient fréquentes, que les roches ne séjournaient pas constamment à la surface, mais étaient souvent remplacées par d’autres venant des profondeurs, on conçoit qu’une masse considérable d’acide carbonique ait pu être occlus ainsi peu à peu. Tant que la température des roches s’est maintenue au-dessus de leur point de fusion, elles ont conservé le gaz qu’elles renfermaient ; mais celui-ci a commencé à se dégager, au moins partiellement, au moment de leur solidification ; et si, comme tout le prouve, il existe encore dans les profondeurs du globe une masse incandescente dont le refroidissement se poursuit d’une façon constante, le dégagement du gaz continue par les évents volcaniques qui mettent en communication ces profondeurs avec notre atmosphère.
- Le gaz acide carbonique ne saurait au reste s’accumuler dans notre atmosphère en quantité notable; en effet, les parties vertes des végétaux le décomposent, et toute la matière organique qui existe sur le globe renferme du carbone provenant de cette décomposition ; en outre, l’acide carbonique est soluble dans l’eau : la pluie qui lave notre atmosphère
- l’entraîne dans les eaux courantes jusque dans la mer. Là, son rôle n’est pas terminé; il dissout du carbonate de chaux et le met à la disposition de tous les animaux marins, qui en confectionnent leurs coquilles, leurs demeures, et finissent par constituer de véritables îlots, souvent dangereux pour les navigateurs quand ils ne sont pas encore émergés.
- Les immortelles recherches de Lavoisier nous ont appris que la matière était indestructible; mais la série de métamorphoses qu’accomplit un même corps est loin d’être encore complètement connu, et il n’est pas sans intérêt de suivre ces longues migrations de la matière et de déterminer les formes variées qu’elle affecte, les gisements successifs qui la récèlent. L’acide carbonique de l’atmosphère primitive du globe, dissous par les roches incandescentes et enfoui dans les entrailles de la terre, y a séjourné des milliers d’années. Peu à peu cependant, à mesure que le refroidissement du noyau central se continue, il s’échappe de sa prison souterraine et remonte jusqu’à notre atmosphère, où, entraîné par l’eau de la pluie, il est conduit par les rivières dans le sein de la mer. Là enfin il dissout le carbonate de chaux et fournit aux microscopiques animaux marins la matière première, qu’ils mettent en œuvre, pour faire surgir des abîmes océaniques, les îles ma-dréporiques, destinées peut-être à former un jour de nouveaux continents !
- L’OPPOSITION DE LA PLANÈTE FLORE
- Quelques mois avant d’être appelé de nouveau à la direction de l’Observatoire national, M. Leverrier signalait à l’Académie des sciences le parli que l’on peut tirer, pour la solution des plus grandes questions d’astronomie générale, de l’étude approfondie du groupe des petites planètes.
- L’installation de la nouvelle administration est de date trop récente pour que les projets du savant astronome aient déjà produit des mémoires et dis decouvertes de ce côté du détroit; mais il n’en est pas de même en Allemagne.
- M. Galle, de Breslau, qui doit sa célébrité à l’heureuse découverte de la planète Neptune, dont M. Leverrier avait indiqué à l’avance la position, ne pouvait laisser passer inaperçu les suggestions nouvelles de l’astronome français; Aussi voyons-nous sans surprise que M. Galle se met à la tête d’une croisade astronomique dont le but serait d’observer la prochaine opposition de Flore, afin d’en déduire une valeur de la distance du Soleil à la terre.
- Sa méthode, ainsi que la plupart de celles qui nous viennent d’Allemagne, n’est qu’une application nouvelle de procédés connus. M. Galle propose d’observer Flore lors de son opposition, comme on l’a fait pour Mars, afin d’en tirer une valeur approchée de la distance de la Terre au Soleil.
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- Théoriquement, le procédé est très-simple ; nous allons essayer de le faire comprendre, en supposant que l’opposition de Flore soit observée à la fois à Melbourne et à Saint-Pétersbourg, c’est-à-dire que M. Galle convertisse à sa méthode les directeurs des grands observatoires d’Australie et de Russie.
- En rapportant Flore à trois étoiles de comparaison lors de son opposition, les astronomes de Saint-Pétersbourg trouveront la figure 1; au contraire, les astronomes de Melbourne trouveront la figure 2. Le triangle stellaire sera le même. Les trois jalons célestes seront demeurés inébranlables, mais la planète se sera déplacée par un effet de perspective facile à comprendre. Ce déplacement angulaire apparent tiendra à la longueur de la ligne droite qui sépare Melbourne de Pultawa. Comme on connaît cette base, puisqu’on possède les coordonnées géographiques de Melbourne et les coordonnées géographiques de Saint-Pétersbourg, et lerayon de la Terre, tout est connu. On peut résoudre le triangle, Flore au sommet, Melbourne et Saint-Pétersbourg à la base.
- C’est ce que l’on peut faire également avec Mars, avec cette différence que Mars,
- 1. La planète Flore vue de Saiut-Pétersbourg. — 2. La même planète vue de Melbourne.
- dans les oppositions favorables, est deux fois plus près que Flore ne saurait l’être, et que, par conséquent, l’angle au sommet du triangle Saint-Pétersbourg, Melbourne, Mars aura une valeur deux fois plus grande 1.
- Hâtons-nous de dire, pour que l’on ne nous accuse pas de parti pris envers M. Galle, que certaines circonstances importantes militent en faveur de sa méthode ; nous croyons devoir les passer succinctement en revue.
- Le mouvement de Flore est deux ou trois fois plus rapide que celui de Mars, ce qui permet de faire une erreur moindre sur le moment précis de l’opposition 2.
- 1 II est facile de se convaincre de ce fait en prenant 24,000 rayons terrestres pour la distance approchée de la terre au soleil. En effet, la distance moyenne de Mars étant de 30,000 rayons terrestres dans cette hypothèse, il restera 12,000 rayons terrestres de distance lors des oppositions ordinaires; ces 12,000 rayons seront réduits à 9,000 par le fait de l’opp silion des orbes. La distance moyenne de Flore est de 52,000 rayons terrestres, qui, lors de l’opposition moyenne, est réduite à 28,000. Comme Flore se meut dans une orbe deux fois plus excentrique que Mais, celte distance se trouvera réduite à environ 19,000, lors des oppositions qui, comme celle de 1872, ont lieu dans des conditions exceptionnellement favorables,
- 2 Le mouvement moyen de Mars, étant de 1,800 secondes par jour, celui de la terre de 3,600, en nombres ronds, son mouvement apparent, lors de l’opposition, est réduit à 3,000. Le mouvement moyen de Flore étant de 1,000 secondes, en
- Flore, qui n’est qu’une humble planète invisible à l’œil nu, ne saurait posséder le rayonnement de Mars, qui gêne pour l’observation des étoiles voisines, c’est-à-dire de celles qui sont le plus propres à devenir des jalons célestes.
- Enfin, le diamètre de l’astre choisi par M. Galle est si petit, que les astronomes de Melbourne et de Saint-Pétersbourg ne commettront point d’erreur tenant à une différence dans la visée.
- Encore une fois, nous ne méconnaissons pas la valeur de ces raisons, mais nous préférons attendre l’événement pour nous prononcer. Qui sait si quelque nouvelle planète ne se révélera point dans les zones supposées désertes, qui nous séparent de Mars, ou si le groupe déjà connu ne possède pas quelque astre excentrique auquel l’astronome de Breslau n’a point pensé et qui, dans des circonstances favorables, viendra pousser des pointes encore plus favorables? Pourquoi M. Galle, imitant Thésée, délaisse-t-il Ariane, dont la distance moyenne est, il est vrai, de 54,000 rayons terrestres, et dont l’excentricité est sensiblement plus grande (0,16 contre 0,15)1? C’est à des recherches d’un genre tout nouveau et d’une
- importance beaucoup plus grande que M. Leverrier veut faire servir les observations de ces petits corps que leur multitude et leur proximité rend si intéressants , et qui, comme le directeur de l’Observatoire de Paris l’a deviné, exercent une heureuse influence sur l’astronomie de l’avenir.
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- LES MONERES
- Les Monères sont les organismes les plus simples que nous connaissions et, peut-on dire, les plus simples qui puissent exister. La vie s’y manifeste sous la forme la plus propre à nous faire comprendre ce qui la caractérise essentiellement, dépouillée de tous ses attributs secondaires.
- La première Monère fut découverte en 1864 par le célèbre professeur d’Iena, Hœckel, et le nombre s’en est accru depuis lors successivement. Ces découvertes ont eu un grand retentissement dans le nombre rond, son mouvement apparent est encore de 2,600, lors de l’opposition, ce qui constitue une différence sensible.
- 1 Nous citerons encore parmi les planètes déjà connues et étudiées, Phocéa, excentricité, 0,25 ; Virginia, excentricité, 0,28; Euridice, excentricité, 0,30, moitié de celle de certaines comètes périodiques, que l’on pourrait employer, avec beaucoup d’avantage peut-être, au but que l’astronome prussien se propose de remplir.
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- monde scientifique, par l’influence qu’elles exercèrent sur nos théories de l’organisation.
- La Monère qui résume le mieux l’histoire de toutes est le Protomyxa Aurantiaca.
- A peine visible à l’œil nu, au plus de la grosseur d’une petite tête d’épingle, d’une coloration rouge orange magnifique, ce petit être consiste tout entier en une masse de gelée parfaitement homogène, transparente, et réalise ce paradoxe d’un organisme sans organes.
- Non que cette absence d’organes soit le résultat de l’imperfection de nos instruments grossissants ; la chose n’est pas admissible, et tout dans ces petits êtres confirme leur absolue simplicité. On a donné un nom à cette matière gélatineuse, homogène, contractile, c’est le 8ar- i coole , encore nommé , i mais plus improprement, Protoplasma animal.
- A l’état de repos, la Monère est sphérique ou à peu près ; rien n’y décèle la vie. Mais bientôt ce petit globe s’aplatit, la masse qui le constitue s’épanche en différents sens, et ces expansions qu’on a nommés: « fau r-pieds » ou Pseudopodes, sont dans un mouvement continuel de protraction et de rétrac-tion.Quelquefois, la Monère s’écoule tout entière dans une même direction ; c’est ainsi qu’elle change de place. Et, lorsque, dans cette lente progression sur le fin limon calcaire des
- Histoire du Protomyxa aurantiaca, d'après Hæckel.
- 1. La Monère à l’état de repos. — 2. La même lançant des pseudopodes et renfermant un corps étranger dans sa masse. — 5. La même en voie de reproduction ayant exsudé une enveloppe et s’étant partagée en un certain nombre d- petits amas sphériques. — 4. Une Monère-fi.1c mise en liberté après rupture de l’enveloppe. — 5. La même, plus avancée, avec ses pseudopodes.
- plages marines, elle rencontre, ce qui est la règle, quelqu'un de ces organismes microscopiques d’une extrême petitesse, les Diatomées, elle l’empàte dans sa propre substance.
- Les matières alimentaires que la diatomée peut contenir, sont dissoutes sur place dans le corps, de la Monère qui s’en nourrit, et abandonne derrière elle les parties non digérées en s’avançant plus loin. Singulière bizarrerie qu’un être qui se nourrit ainsi, sans bouche, sans estomac, sans instrument quelconque, en s’incorporant la proie de toutes pièces, pendant qu’il se promène et en quelque sorte, passivement, parce qu’J se promène!
- La Monère grossit ainsi peu à peu, et à un certain volume, elle cesse de croître, de progresser. Elle se ramasse sur elle-même en une petite sphère, et exsude à sa surface une matière incolore, homogène qui se durcit, formant une enveloppe protec-
- trice à la masse incluse. C’est alors qu’un phénomène des plus singuliers se produit : par un acte tout à fait spontané, la masse incluse se fragmente en un certain nombre de parties qui deviennent bientôt indépendantes, formant autant de petits amas sphériques pressés les uns contre les autres dans l’enveloppe commune. La Monère n’existe plus : elle s’est reproduite en se partageant, sans intermédiaire aucun, en ces nouveaux individus qui sont ses enfants. Chaque Monère fille est une partie déterminée de la mère et, à part cette portion de celle-ci qui a été exsudée pour constituer l’enveloppe, le reste, soustrait à la mort, va vivre une nouvelle vie et recommencer la série des phénomènes que nous avons retracés. L’enveloppe commune se dissout bientôt en effet, mettant en liberté les petites Monères nouvelles, qui, dès le premier moment, sont semblables à la mère.
- A ce degré de simplification extrême de la vie que nous offre les Monères, l’organisation est donc réduite à du Sar-code pur et la vie se manifeste par la nutrition, la reproduction, la contractilité , chacune réduite à ce qu’elle a de plus essentiel; la nutrition au phénomène intime de l’assimilation; la reproduction à la scission spontanée en ses descendants ( scissiparité ) et la contractilité aux mouvements lents, diffus des pseudopodes.
- Le nom de Monère
- qui vient de moneres, simple, exprime ce qui fait le caractère général de ces êtres, l’homogénéité et la simplicité.
- Les Monères sont marines pour la plupart, quelques-unes vivent peu profondément, sur les plages, étalées à la surface des corps sous-marins. Mais il en est une, le Bathybius Hœckelii, qui vit aux incroya-blesprofondeursde 12,000 pieds et quelquefois même d’au delà 24,000. Une seule d’entre elles est d’eau douce.
- Un grand nombre de naturalistes placent les Monères, chez les animaux, parmi les Rhizopodes. Le savant qui les a découvertes, llæckel, en fait les principaux représentants de toute une catégorie d’êtres qui seraient intermédiaires aux animaux et aux végétaux, les Protistes, ainsi nommés de protos premiers parce que dans les idées de cet auteur, ce seraient les premiers représentants de lavie qu’ait portés notre
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- globe, et ceux dont il fait provenir tous les autres par l’application des théories modernes du Darwi-nismie. Nous n’avons pas ici à juger ces aperçus philosophiques qui ressortent de notre cadre.
- Aimé Schneider.
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- CHRONIQUE
- L’escapade du ballon captif de Vienne. — L'aérostat dont nous avons annoncé la construction, s'est envolé dans les airs pendant lagrande tempête du 29 juin. La force du vent a été si grande que les amarres qui le retenaient ont été rompues en quelques secondes ainsi que le câble destiné à le manœuvrer. Le ballon s’est dirigé sur une maison où huit personnes avaient trouvé un abri ; elle eût pu être enlevée sans un brusque changement du vent ; car le câble que le ballon traînait à sa remorque ayant pris dans un arbre l’a enlevé avec ses racines.
- Le sinistre n’aurait pas eu lieu si le nombre des amarres avait été aussi grand que celui du ballon captif de Londres et de l’Exposition universelle de 1867, et si le diamètre du câble avait été calculé de la même manière.
- Quoi qu’il en soit, le ballon a été retrouvé quelques heures après à deux kilomètres au sud-est de Vienne dans une petite ville nommée Altembourg, située sur les bords de la Leith où se trouvent des iles ravissantes.
- Les paysans avaient commencé à déchirer l’aérostat comme il arrive souvent en pareille circonstance, mais le bourgmestre étant intervenu, l’aérostat a été remisé dans l'auberge de l’Aigle noir, jusqu’à ce que ses propriétaires soient venus le reprendre.
- La perte est sérieuse pour nos compatriotes quoique le ballon ne fût gonflé qu'avec du gaz d’éclairage. Il semble évident que le malheur ne peut être réparé avant la fin du mois d’août.
- Les ascensions captives sont toujours difficiles à organiser, et pour réussir dans ces opérations, il ne faut négliger aucune des précautions, mises en pratique par M. II. Giffard dans ses admirables constructions aéronautiques.
- Le Singe-Lion ou Marikina du Jardin d’acclimatation. — C’est le nom d'un joli petit singe qui n’est guère plus grand qu’un écureuil et qui est originaire du Brésil. La tête de ce quadrumane est pleine de grâce et d’expression, les yeux en sont vifs et brillants Le singe-lion est couvert d’une épaisse fourrure à longs poils d’une couleur roux bronzé, et sa tête est munie d’une sorte de crinière. — Le Jardin d’acclimatation possède actuellement le mâle et la femelle de celte curieuse espèce ; ils viennent de mettre au monde un petit singe-lion que sa mère allaite avec une touchante sollicitude, le tenant dans ses bras comme un enfant. C’est la première fois que le singe Marikina se reproduit en captivité. L’an dernier, au Jardin zoologique d’Anvers, un couple semblable à celui de Paris, avait donné naissance à un petit, mais malgré les plus grands soins, le nouveau-né est mort quelques heures après avoir vu le jour. — Nous devons ajouter que la Marikina femelle d’Anvers, élait déjà pleine, quand elle fut apportée en Belgique, tandis que celle du Jardin d’acclimatation de Paris s’est accouplée en cage. Le petit singe-lion que nous avons vu récemm nt, n’est pas actuellement plus gros qu’une souris, il a la singulière habitude, après avoir été allaité par sa mère, de s’enrouler autour de son cou qu’il enveloppe comme d’une cravate
- vivante. Il se maintient dans cette position pendant des heures entières.
- Association pour protéger les nids d’oiseaux.
- — Nous avons indiqué récemment (p. 78), combien il est utile de conserver les petits oiseaux qui détruisent quantité d’insectes nuisibles. Nous sommes heureux aujourd'hui d’annoncer que l’idée d’associer les enfants des écoles de campagnes pour protéger les oiseaux, se propage.
- Ainsi, M. Théophile Rasquin, instituteur de Frignévelle, village des Vosges, vient de fonder dans son école une association dont voici les statuts.
- Article Ier. — Une association est formée entre les élèves de l’école de Frignéville, anciens et nouveaux, à l’effet de protéger toutes les couvées d’oiseaux qui peuvent se trouver dans les vergers qui entourent le village ou qui existent dans la campagne.
- Art. 2. — Trois élèves choisis chaque semaine par le maître seront chargés de la surveillance. Ils devront rendre compte loyalement et impartialement de cette mission de confiance.
- Art. 3. — L’écolier qui tuera des petits oiseaux, ou qui les privera de leurs pères et mères, en enlevant le nid contenant les couvées, sera inscrit au tableau noir ; tandis que celui qui aura respecté les couvées découvertes sera mis au tableau d’honneur.
- Cette association pourra peut-être paraître un peu naïve à certaines personnes, mais une société semblable a déjà été créée par M. Sembille, instituteur à Souilhac de Tulle. Depuis longtemps cet instituteur enseigne à ses élèves à être doux et compatissants’envers les animaux. Il leur démontre que ceux qui traitent les animaux avec bonté et avec justice deviennent eux-mêmes, bons, justes et compatissants pour leurs semblables. Gràceà cet enseignement et à l’association formée dans son école, dopuis deux ans il n’a reçu qu’une seule plainte de dénichage. Non-seulement ses élèves ne dénichent plus les nids, ils font davantage, ils deviennent eux-mêmes les auxiliaires des oiseaux. Pendant l’année 1872 les élèves de Sembille ont occis 51,136 hannetons. — Voici qui est au-dessus de toute critique contre les associations des écoles pour protéger les oiseaux.
- Le canal de l'Isthme de Darien. — Les résultats des études préliminaires, faites pour le compte-du gouvernement des États-Unis, sont très-favorables. La jonction des deux océans peut s’effectuer à l’aide d’un tunnel qui n’a pas besoin d’avoir plus de quatre kilomètres de longueur, au lieu de sept comme on le croyait. La dépense sera donc réduite à 350 millions de francs. La longueur totale du canal à creuser ne sera que de 40 kilomètres, parceque plusieurs rivières, très-aisément navigables, viennent diminuer la distance. De plus les neuf dixièmes des travaux à effectuer sont en plaine , de sorte que pour franchir l’Isthme, il suffira d’établir neuf écluses.
- Le cours de géologie du Muséum. — Il est consacré cette année à deux sujets distincts : la chaleur interne du globe et les faits généraux de la géologie comparée. Le professeur, M. Daubrée, vient de terminer le premier. Chargé de traiter le second, M Stanislas Meunier, aide naturaliste, a commencé ses leçons le 5 juillet, à 4 heures et demie, dans l’amphithéâtre de géologie, où il les continuera les mardis et samedis suivants, à la même heure. Elles ont pour objet une branche nouvelle de la science, née de l’étude des météorites, dans lesquelles M. Stanislas Meunier voit les matériaux d’une paléontologie sidérale.
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- LA NATURE.
- LA MÉTÉOROLOGIE DU MOIS DE JUIN
- Dans les contrées de l’Afrique centrale que sir Samuel et lady Baker viennent, paraît-il, d’ouvrir d’une façon définitive à la civilisation européenne, les nègres s’imaginent que leurs chefs ont le pouvoir de donner de la pluie à la terre.
- Quand les sécheresses se prolongent, ces sauvages se vengent de l’inclémence du ciel en mettant leurs princes à mort.
- Pour bien faire comprendre l’embarras dans le-
- quel doivent se trouver ces sorciers, comme du reste tous les prophètes du temps, nous avons mis sous les yeux de nos lecteurs deux courbes destinées à bien mettre en évidence les irrégularités dont les saisons sont susceptibles en un petit nombre d’années.
- On voit que le maximum de température a varié, en une trentaine de jours, de 9 degrés ; s’élevant une fois jusqu’à 36°, et descendant une fois jusqu’à 28°.
- L’époque à laquelle ce maximum a été constaté n’a pas offert de moins grandes irrégularités, car il a été observé une fois, au commencement de juin, et une autre fois à la fin d’août.
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- TEMPERATURE MAXMA Dé L'ÉTÉ
- 1960
- 1855
- EPOQUES DU MAXIMUM OE TEMPERATURE
- 1870 1873
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- Trois mois et près de dix degrés, voilà de prodigieuses différences qui ne sont cependant que de simples épisodes dans notre histoire météorologique.
- Cette année paraît devoir être féconde en orages d’un caractère tout particulier. Car rarement nous avons vu un phénomène plus majestueux que les deux orages observés à Paris, pendant la nuit, l’un vers le commencement, et l’autre vers la fin du mois dernier. Les coups de foudre éclataient avec une étonnante régularité, et les roulements du tonnerre se prolongeaient avec une sorte d’harmonie étrange.
- C’est probablement la constitution orageuse du temps qui limite la quantité de chaleur, car le soleil est si ardent qu’il a suffi, en juin, d’un jour de beau temps pour arriver de prime saut à 32° de maximum.
- C’est sur le versant autrichien et bavarois des Alpes que les grands orages ont éclaté. Leur apparition a été accompagnée, comme on le sait, d’un violent tremblement de terre. N’est-il pas permis de se de
- mander s’il n’existe point de rapport entre les convulsions souterraines et l’arrivée inopinée des trombes se déchaînant avec une violence inouïe et une rapidité fantastique ? Suivant les journaux allemands, la trombe de Troppau n’aurait pas mis une minute à éclater. Après une secousse aérienne comparable à une commotion de tremblement de terre, le soleil brillait de nouveau d’une façon admirable. Sans les ruines dont on était environné, les toits enlevés, les arbres brisés en spirale, on pouvait croire qu’il ne s’était rien passé que de très-ordinaire.
- La tempête qui a éclaté à Vienne dans la même journée restera également célèbre dans les annales de la météorologie.
- W. de FONVIELLE.
- Le Propriclaire-Gêraiit : G. TISSANDIER.
- PARIS. — IMP. SIMON IAGON ET COUP., BUE D'ERFURTII, 1.
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- N’ 8. — 26 JUILLET 1873
- LA NATURE-
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- LES DÉCOUVERTES DU POLARIS
- Les marins du Polaris, si brusquement séparés de leur navire, si miraculeusement arrachés aux abîmes océaniques sur un glaçon flottant, ont subi à New-York un long interrogatoire. Il résulte avec évidence des témoignages recueillis, que nul n’a failli à son devoir : l’expédition du Polaris, sur laquelle l’honorable ministre de la marine américaine, M. Robe-son, possède aujourd’hui de nombreux documents, a été conduite avec l'intelligence et l’énergie que l’on pouvait attendre du vaillant capitaine Hall.
- MM' Tyson, Meyer et leurs camarades, sauvés d’une mort imminente par le navire la Tigresse, ont affirmé que lorsqu’ils furent contraints d’abandonner le Polaris, ce navire avait déjà rassemblé de magnifiques collections, et que les savants de l’expédition avaient exécuté un grand nombre d’observations à son bord. Le récit qu’ils ont fait de leur voyage, abonde en détails du plus haut intérêt que le Times vient de reproduire d’après le rapport présenté au ministère de la marine des États-Unis.
- Des cabines entières du Polaris ont été remplies de peaux et de squelettes de bœufs musqués, et d’ours blancs; une multitude de curieuses espèces d’oiseaux avec leurs œufs, d’innombrables animaux marins, des plantes, des fossiles, des roches, et des minéraux, ont été rassemblés et classés avec ordre, pendant la première partie du voyage exécutée en hiver (1871-1872).
- Sur les côtes de New-Man's Bay, et de la nouvelle baie, auquel le Polaris a donné son nom, on a fait une extraordinaire récolte de bois flotté, que les vagues ont jeté sur le rivage. Le châtaignier, le frêne et le pin ont pu être très-distinctement reconnus parmi ces débris. L’expédition a séjourné longtemps sur les côtes de Polaris Bay, où les phénomènes astronomiques, météorologiques et magnétiques ont été étudiés, et analysés de la façon la plus complète.
- MM. Tyson, Meyer et leurs compagnons racontent que le ciel de ces lointains parages leur offrait pendant la nuit des spectacles incomparables, des illuminations féeriques, dus à une extraordinaire abondance d’étoiles filantes. Il n’était pas possible de jeter les yeux vers les profondeurs célestes, sans apercevoir les traînées lumineuses des météorites enflammées, qui se succédaient, tantôt dans une direction tantôt dans une autre.
- Les oscillations des marées, ont donné lieu à de curieuses observations, leur élévation moyenne était de 5 pieds 1/2. La plus grande profondeur de la mer, était de 180 mètres; un courant de surface entraînait ses eaux vers le Sud.
- La température de l’hiver n’a pas été très-rigoureuse ; l’atmosphère était généralement sillonnée de vents nord-est, quoique plusieurs tempêtes se soient déchaînées du sud-ouest.
- 1 Voy. p. 81.
- Pendant la durée de l’hivernage on a observé de grands vents, issus de tous les points de l’horizon. Une pluie abondante est tombée en mer, mais sur terre il ne s’est jamais formé que de la neige. L’étendue des terres offrait pendant l’été un tableau délicieux ; la glace et les champs de neiges étaient fondus, si ce n’est à l’ombre de rochers, où l’on en découvrait encore quelques rares amas. Le sol était caché sous un riche tapis de mousse ; çà et là, de superbes plantes arctiques, aux fleurs luxuriantes et fraîches, se dressaient à côté de petits saules verdoyants.
- Quelques-unes des nouvelles régions parcourues n’offraient jamais de glace au regard des explorateurs, mais ils y ont retrouvé la trace d’anciens glaciers. L’expédition y a rencontré des troupeaux considérables de bœufs musqués, de loups et de renards. Si l’homme n’habite pas ces contrées, la faune y est d’une étonnante richesse ; les canards sauvages,- les oies, les oiseaux de terre de toute sorte, les perdrix des neiges, parcourent sans cesse l’atmosphère. Les eaux ne sont pas moins habitées que la terre et l’air, l’équipage du Polaris n’y a jamais pris de poisson, mais il a rempli ses filets de crevettes et de poulpes. Les phoques pullulent, et pendant l’été, des abeilles des mouches, des papillons et des insectes de toutes sortes abondent.
- Les résultats géographiques obtenus par le Polaris sont considérables. M. Meyer affirme qu’il a été reconnu d’une façon manifeste que la mer polaire, annoncée par Kane et par Hayes, n’est qu’un simple détroit, d’une grande étendue, formé par l’expansion du canal deKenedyau nord, la baie de Lady Franklin à l’ouest, et à l’est par un vaste détroit d’une grande largeur, qui pénètre très-profondément dans les terres. Il est impossible de juger la profondeur de ce détroit. Communique-t-il avec la baie de François-Joseph, et forme-t-il la limite septentrionale du Groenland ? C’est ce que suppose M. Meyer, c’est ce que de nouvelles explorations nous apprendront d’une manière certaine.
- La baie de l’ouest a été nommée fiord du sud ; c’est au nord de cette baie que le capitaine Hall et son équipage ont hiverné dans une échancrure de la côte qui a été nommée golfe du Polaris, et qui se trouve à 81,58 degrés de latitude nord.
- La pointe nord de cette vaste échancrure a été baptisée cap Lupton ; à partir de ce point, la terre se dirige vers le nord-est jusqu’à un nouveau canal qui n’a pas moins de 50 kilomètres environ de large.
- Au nord-est du cap Lupton, s’étend la baie de Newman; Hall en a désigné la pointe sous le nom de cap Brevoort, et l’extrémité sud, sous celui de promontoire Summer. La terre se continue par 82,9 degrés de latitude jusqu’à Repulse Harbour, où une colline de 600 mètres de haut ouvre à l’explorateur un immense horizon ; sur la côte ouest, la terre s’étend au nord aussi loin que la vue peut porter.
- Au sommet de cette proéminence, par un jour
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- LA NATURE.
- très-clair, par un ciel très-pur, M. Meyer et ses compagnons, ont aperçu, bien loin, tout au fond de l’horizon, une ligne semi-lumineuse et d’apparence circulaire qui s’étendait dans la direction du nord. Les uns prétendaient qu’ils apercevaient au loin une mer ouverte, d’autres croyaient voir la prolongation d’un continent ; immense point d’interrogation que rencontre partout l’explorateur, dans les contrées boréales !
- Les marins restés à bord du Polaris pourront-ils continuer à éliminer quelques inconnues de ces grands problèmes polaires? Mais hélas! rapporteront-ils jamais au foyer de la patrie ces richesses qu’ils ont rassemblées, ces observations qu’ils ont recueillies ? isolés depuis deux ans dans l’immensité des régions polaires, reverront-ils jamais le sol de l’Amérique, qu’ils ont quitté?
- Si les éléments ont jusqu'ici respecté ces hommes de cœur, le jour où le navire américain qui va voguer à leur secours, les rencontrera au milieu des banquises, une nouvelle et mémorable date devra s’inscrire dans les annales de l'histoire polaire! N'ou-blions pas qu'autour du polo nord, il y a 800 millions d’hectares inexplorés, et qu’il faut honorer ceux qui s’y engagent !
- GASTON TISSANDIER.
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- LA TEINTURE ET L'IMPRESSION P AK L'INDIGO.
- Deux chimistes distingués, MM. P. Schutzenberger et F. de Lalande, ont présenté à la Société chimique un travail fort intéressant sur de nouvelles applications de l’indigo en teinture et en impression. Jusqu’ici la matière colorante de l’indigo, inoluble dans les dissolvants généralement employés, acides, alcalins ou neutres, ne pouvait être fixée directement sur les fibres textiles. Pour arriver à l’employer en teinture, il fallait, par une opération de réduction, la transformer en indigo blanc, soluble dans les alcalis.
- On emploie presque toujours aujourd’hui pour la teinture des fibres végétales à l’indigo, la cuve dite vitriolique, qui est composée de 400 litres d’eau, de 20kilogrammes d’indigo, de 16kilogrammes deproto-sulfate de fer et de 20 kilogrammes environ de chaux éteinte. Le sulfate de fer est décomposé par la chaux ; il se transforme en sulfate de chaux et en protoxyde de fer. Ce protoxyde en contact avec l’eau la décompose, s’empare de son oxygène pour passer à l’état de peroxyde; l’hydrogène isolé réduit l’indigo, qui devient susceptible de s’unir avec la chaux en excès et de donner un sel soluble. Cette cuve au sulfate de fer offre un grand inconvénient, puisqu’elle renferme un précipité abondant d’oxyde de fer et de sulfate de chaux : on est obligé de laisser déposer ce sédiment avant de pouvoir opérer dans un liquide
- clair. En outre, elle ne peut être usitée que pour la teinture des fibres végétales. Si l’on opère en effet sur des étoffes de laine, il est indispensable d’hydro-géner l’indigo au moyen de substances organiques particulières, telles que pastel, vouède, garance, etc. et de préparer difficilement des cuves, sujettes à de graves accidents dont le résultat est quelquefois la perte complète de l’indigo employé.
- MM. P. Schutzenberger et F. de Lalande remplacent ces méthodes par l’emploi de l'hydrosulfite de soude, dans la préparation des cuves d’indigo. Ils obtiennent ce sel en faisant agir le zinc en grenailles sur du bisulfite de soude. et en séparant ensuite le sel de zinc formé par un excès de chaux.
- « En mélangeant l’hydrosulfite obtenu, disent les inventeurs du procédé, avec l’indigo broyé et les doses de chaux ou de soude, nécessaires pour dissoudre l’indigo réduit, on obtient immédiatement une dissolution jaune qui ne contient, comme parties insolubles que les matières terreuses que renferme l’indigo. On peut de la sorte réduire 1 kilogramme d’indigo, de manière à obtenir une cuve très-concentrée d’un volume de 10 à 15 litres seulement. — Pour teindre, on verse dans la cuve de teinture remplie d’eau une certaine proportion d’indigo réduit : la teinture se fait à froid pour le coton ou à une douce température pour la laine... Cette cuve employée pour la teinture du coton, se distingue par la facilité et la rapidité du travail ; elle présente en outre, dans la teinture de la laine, l’avantage d’éviter tout risque de coulage ; elle donne des nuances plus solides et plus fraîches que les anciennes cuves, et permet d’obtenir sur laine des pieds de bleu très-clair qu’on réalise ordinairement avec le carmin d’indigo moins solide. »
- MM. Schutzenberger et de Lalande ne se sont pas conténtés, de créer un nouveau système de teinture par l’indigo, ils ont encore fait concourir utilement l'hydrosulfite de soude, dans les opérations de l’impression. L’impression du bleu d’indigo, ou bleu solide, s'efiectuail jusqu’ici par des procédés difficiles et délicats, que l’on avait cherché en vain à améliorer d’une façon notable.
- La nouvelle invention consiste essentiellement dans l’impression d'une cuve d’indigo (dissolution alcaline d’indigo réduit), convenablement concentrée et épaissie; la couleur renferme, en outre, un grand excès d’hydrosulfite de soude. La présence de ce sel a pour effet de maintenir constamment dans un état de réduction complète, l’indigotine qui tend à s’oxyder pendant le travail du rouleau.
- L’expérience a prouvé qu’à teintes égales on réalise sur l’ancien procédé du bleu solide une économie de 50 à 60 p. 100 d’indigo. Les teintes obtenues sont plus solides et l’impression plus nette. Le nouveau bleu, n’ayant besoin après l’impression d’aucun traitement pour être fixé, peut s’imprimer simultanément avec la plupart des autres couleurs, telles que noir d’aniline, couleurs garancées, cachous, couleurs chromées, etc.
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- LA NATURE.
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- De très-beaux échantillons obtenus par le nouveau procédé ont été présentés à la société chimique par les inventeurs 1. G. T.
- LES CARTES DE DEPOT DE LA GUERRE
- LA CARTE DE L’ÉTAT-MAJOR AU 606.
- Les cartes géographiques ou topographiques, si longtemps discréditées chez nous, commencent à se populariser d’une façon manifeste. Parmi celles-ci, il en est une particulièrement dont l’usage devient chaque jour plus général. Nous voulons parler de la carte topographique de la France au 2005 dite de l’Etat-major et que publie le dépôt de la guerre. La faveur du public à son égard s’explique aisément | et par les qualités du travail et par l’intérêt de son 1 objet.
- Cette carte présente cependant un grave défaut dont ont été frappées, comme nous, des personnes d’une grande compétence et qu’il nous a semblé bon de signaler, en ce moment surtout, où nous savons qu’il se fait au dépôt de la guerre des essais relatifs aux travaux graphiques que nécessite l’exécution des cartes.
- Pour bien faire saisir le défaut dont il est ici question, nous devons rappeler, en quelques mots, quel est le mode choisi au dépôt de la guerre pour représenter le relief du terrain.
- Le terrain est d’abord supposé coupé par des plans horizontaux équidistants, et ce sont les projections de ces intersections qui servent au tracé des lignes figurant le relief. A cet effet, ou couvre les intervalles de deux courbes consécutives, de hachures dirigées dans le sens des pentes et dont les écartements et les épaisseurs soient combinés de manière à produire l'effet de teintes graduées suivant la rapidité de ces pentes.
- Tel est en substance, le mode de représentation des pentes, admis au dépôt de la guerre, et lequel est, comme on le voit, basé sur l’hypothèse de la lumière zénithale, c’est-à-dire frappant le terrain suivant une direction perpendiculaire au plan de projection.
- Ce système paraît de prime abord, on doit le reconnaître , très-logique et très-scientilique , aussi ' bien que d’une exécution commode; mais nous allons : voir que ces avantages sont largement compensés par un défaut inhérent au système et qui eût dû, pour cette raison, le faire rejeter absolument.
- Dans ce mode de représentation du relief du sol, deux pentes semblables du terrain, courant directement l’une vers l’autre, comme seraient par exemple deux talus opposés et de même inclinaison d’un parapet ou d’un fossé finissant en biseau, seront exac-
- 1 Voy. Bulletin de la Société chimique de Paris, t. XX, n° 1 (5 juillet 4873).
- tement figurés de la même manière. Les hachures de même direction et de même intensité ne se distinguent donc en aucune façon, et l’œil ne serait capable de distinguer ni l’opposition des pentes, ni leur direction. Il s’ensuit que dans ces cas extrêmes, le résultat de ce système sera la confusion et par suite l'impossibilité de saisir le relief. On peut s’assurer, au reste, que cette prévision est justifiée, en parcourant quelques-unes des cartes de l'Etat-major, prises au hasard. Nous savons bien, que dans la nature, les choses ne se présentent point avec les oppositions tranchées des exemples que nous avons choisis, mais la confusion n’en existera pas moins énorme, dans toutes cartes représentant un terrain
- Type dans l'hypothèse de la lumière oblique. /
- mouvementé. Et là, l’œil le plus exercé est hésitant et se fatigue bientôt, dans cette recherche incessante du sens des pentes. En pouvait-il être autrement, et n’est-il pas vrai, que nous ne saisissons les formes et les détails d’un objet qu’à l’aide des contrastes et des oppositions qu’il présente, contrastes et oppositions qui sont très-faibles dans l’hypothèse de la lumière zénithale ?
- Type dans l’hypothèse de la lumière zénithale.
- L’hypothèse de la lumière oblique au plan de projection, ne donne point lieu aux mêmes critiques. C’est celle qui a présidé à la confection d’un grand nombre de belles cartes topographiques et de la plupart des cartes géographiques, exécutées en France. Parmi les premières, nous citerons les cartes de la marine et la carte de Suisse, construite sous la direction du général Dufour. Le lecteur pourra se convaincre, en voyant ces cartes, de la supériorité de ce système sur le précédent, et de l’effet saisissant de relief,
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- LA NATURE.
- produit parle figuré du terrain lorsque la gravure en est un peu soignée.
- Les deux croquis ci-contre, qui n’ont ni la précision, ni la délicatesse de modelé que demande un pareil travail, suffiront néanmoins pour faire juger du mérite comparatif de chaque mode de représen-tation.
- On ne saurait prétendre que le système basé sur l’hypothèse de la lumière zénithale se prête seul à une représentation rigoureusement exacte du sol, puisque ce résultat n’est pas même atteint par la carte de l’État-major. Nous oserions défier le plus exercé, de construire avec quelque précision, une coupe verticale du terrain suivant une ligue de quel-que étendue, tracée au travers de la plupart des feuilles.
- Mais au reste, il importe de se demander si c'est bien là l’objet principal de ce travail et si l’on s’est proposé d’en faire particulièrement un instrument de recherches scientifiques et de travaux de cabmet ; à cela nous répondrons hardiment, non. Son origine le prouve suffisamment. C’est une carte militaire, qui doit servir aux opérations militaires ; c’est-à-dire faciliter aux chefs militaires de tout rang, la connaissance rapide des lieux où ils doivent opérer, en leur évitant tout travail abstrait capable de les distraire de soins plus importants. Elle doit aussi aider tous ceux qui se livrent à l’étude des opérations militaires des temps écoulés. Pour remplir complétement son objet, dans tous ces cas, la carte doit être une représentation aussi vivante que possible du pays, elle en doit être, en un mot, comme le portrait, plutôt qu’une épure sèche et froide, visant à la rigueur mathématique.
- Le seul avantage incontestable du mode admis par le dépôt de la guerre, pour la représentation des pentes, consiste dans sa simplicité et dans la facilité qu’il présente dans l’exécution du travail de hachures, lequel peut se faire sans tâtonnement et d’une façon presque machinale. Il est évident qu’il n’en serait plus ainsi, avec l’adoption de l’hypothèse de la lumière oblique. Là, les tons de la nuance à appliquer, quoique faciles à déterminer, exigent cependant une attention beaucoup plus grande. La carte n’est plus l’œuvre du géomètre seulement, elle devient aussi œuvre d’art, de sorte que le dessinateur doit être le géomètre doublé d’un artiste. Le travail est donc plus considérable et plus délicat. Mais nous sommes sûrs qu’une solution ne saurait être rejetée en raison des difficultés qu’elle présente. Nous espérons aussi, que devant les critiques justes et persistantes du public, le dépôt de la guerre ne persévérera pas dans une pratique défectueuse , qui annule la majeure partie des avantages que devait produire au pays, une somme considérable de travaux scientifiques.
- Eugène GUILLENIN,
- — La suite prochainement. —
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- LE TREMBLEMENT DE TERRE
- DE LA SAINT-PIERRE.
- (Suite et fin. — Voy. p. 98.)
- Des secousses assez vives pour jeter l’alarme parmi les populations du Val Mareno ont continué à se faire sentir pendant les premiers jours du mois de juillet. Elles ont ébranlé la ville de Bellune, dont la cathédrale, qui n’avait été que lézardée, a fini par s’ébouler tout à fait.
- La sacristie, qui contenait des archives et les reliquaires de plusieurs saints, a été ensevelie sous les décombres.
- A la suite de cet événement, les autorités locales ont pris la résolution d’interdire la messe dans les églises, qui toutes ont été plus ou moins compromises.
- Les cérémonies religieuses ont lieu sous des tentes, où du reste les habitants se sont réfugiés en nombre considérable.
- Les dommages occasionnés par cette grande crise sont évalués à plusieurs millions; ils frappent une des populations les plus pauvres de toute l’Italie.
- On évalue, en effet au quart, le nombre des habitants qui émigrent chaque année de ces régions pour chercher du travail dans les parties plus riches de leur pays. Bellune fournit un contingent assez important au recrutement du clergé. Le fameux Grégoire XVI, prédécesseur immédiat de Pie IX était né dans cette ville.
- Les ruines sont éparpillées dans un grand nombre de villages, de sorte que nous avons dû indiquer par des signes conventionnels, sur la carte ci-contre, les lieux qui ont été le plus directement frappés. Mais tous les noms que nous désignons figuraient indistinctement pour une somme plus ou moins grande sur l’état de répartition des secours qui ne tarderont point à arriver, car le syndic de Bellune a fait un chaleureux appel à la charité publique et privée.
- La population de la haute Italie est si ignorante et si superstitieuse, que les autorités publiques ont dû se préoccuper surtout du soin de la rassurer; c’est à peine si l’on peut recueillir quelques-uns des faits instructifs qui se sont produits pendant la catastrophe.
- Lorsque les géologues, fort nombreux et fort instruits en Italie, auront parcouru le district atteint, on pourra dresser un tableau définitif de l’ensemble du tremblement de terre.
- Nous apprenons par la Riforma que la Société Vénitienne et Trentienne d'histoire naturelle vient de nommer une commission chargée de parcourir toutes les communes de l’Alpago où les secousses ont été les plus violentes et les plus répétées.
- On peut remarquer toutefois dès aujourd’hui qu’un grand nombre d’accidents sont groupés autour du lac Santa-Croce, dont le niveau s’est élevé de 50 centimètres environ. Comme ce lac, de forme
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- à peu près triangulaire est long d’environ 5 kilomètres et large presque d’autant à la base, on peut lui attribuer une surface d’environ 4 kilomètres carrés, c’est-à-dire 4 millions de mètres carrés.
- Le poids de l’eau dont le volume du lac s’est augmenté est donc de 120,000 quintaux.
- Quel puissant effort mécanique exercé par les gaz intérieurs pour refouler une telle masse !
- Centre du tremblement de terre du 29 juin (dressé d’après la carte d'écat-major autrichien).
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- Il ne paraît pas douteux que les Alpes ne soient le résultat d’une série innombrable de tremblements de terre se succédant les uns aux autres à intervalles plus ou moins rapprochés, et dont le résultat final a été de donner au terrain son relief actuel.
- Les derniers de ces tremblements de terre ont été
- évidemment liés avec l’apparition des rochers volcaniques faisant partie du système des monts Baldo.
- Ces monts de formation récente, et d’un volume insignifiant par rapport à celui des Alpes, surgissent au milieu des terrains jurassiques et des terres d'al-luvion qui constituent la Lombardie et la Vénétie. Si
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- LA NATURE.
- l’on prolonge l’axe du val Mareno, on voit qu’il correspond nettement à ce massif si important. Il en est donc ainsi de la direction des secousses qui, comme notre carte l’indique, semble également avoir coïncidé avec le Thalweg de la vallée.
- Quoi qu’il en soit, il y a déjà bien des siècles que Bellune n’a été ravagé par des tremblements de terre. Il faut remonter jusqu’aux premières années du douzième siècle, pour trouver la trace d’un événement analogue, qui, à cette époque, termina la période de quatre ou cinq siècles pendant lesquels les tremblements de terre ont été très-fréquents dans tout le district alpestre. Au douzième siècle, comme de nos jours, Trévise et Feltre paraissent avoir été épargnés, car les habitants de ces villes sont venus au secours de leurs compatriotes, victimes du fléau, avec une générosité que probablement leurs successeurs de 1875 ne parviendront point à dépasser.
- On a découvert, depuis quelques années, dans le val Mareno, des gisements, actuellement exploités, de ligniles. Ces lignites servent de combustible pour alimenter plusieurs industries locales. La couleur rouge subitement prise par les eaux delaVena d’Oro indique qu’il y a quelque part, dans les profondeurs de la terre et dans le voisinage de la Vena, des gisements de fer oxydé, peut-être exploitables.
- Il n’y a pas de catastrophes dont la science ne puisse tirer un parti véritablement avantageux. Mais dans des siècles d’ignorance et de superstition, la vue d’une rivière couleur de sang aurait été probablement exploitée par des charlatans éhontés !
- Les observations du tremblement de terre ont été faites à Venise, avec beaucoup de précision, par un correspondant du Times. D’après ce savant, les secousses semblaient se suivre avec une sorte de régularité.
- C’est une remarque qui a été faite bien des fois, et que l’on rencontrerait presque toujours dans les récits des observateurs, s’ils n’étaient trop souvent troublés par la crainte qu’ils éprouvent, pour profiter de ce qu’ils entendent, de ce qu’ils touchent et de ce qu'ils voient. Avec quel enthousiasme n’étudieraient-ils pas ces grandes et belles crises s’ils étaient certains d’y échapper !
- Ne peut-on, en effet, appliquer à la nature ce que le roi de Danemark disait avec tant d'à-propos, d'Hamlet : « Il est fou, je le veux bien, mais il y a une méthode dans sa folie. »
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- REVUE AGRICOLE
- LES CONCOURS RÉGIONAUX. -- RÉORGANISATION DU CONSEIL SUPÉRIEUR DU COMMERCE, DE L'AGBIGULTURE ET DE L’INDUSTRIE. ---------- LA FENAISON.
- L’agriculture est entrée dans la saison de ses travaux les plus importants. De tous côtés ont eu lieu les concours régionaux, les comices agricoles, et. malgré les désastres éprouvés par les départements |
- envahis, nous avons été heureux de constater que le courage et l’énergie n’avaient point abandonné les cultivateurs de notre malheureux pays.
- Parmi les améliorations qu’on se propose de réaliser dans les concours, nous signalerons la réforme des programmes dans un sens plus spécial à chaque contrée, dans le but d’encourager surtout la culture des végétaux et des animaux de chaque région agricole.
- Un autre vœu, très-important c’est que, dans les concours régionaux, l’espèce chevaline soit admise au même titre que les autres espèces d'animaux domestiques, et indépendamment de l’administration des haras. Si, depuis vingt-cinq ans, les agriculteurs avaient pu agir sur la production du cheval, l’élevage serait aujourd’hui considérablement amélioré, car il est incontestable que les concours régionaux sont les meilleurs stimulants de la prospérité agricole. Aussi est-il très-important que l’Assemblée nationale ne supprime pas les allocations qui sont destinées à ces concours.
- Puisque nous sommes dans les questions de réorganisation, nous devons dire que le nouveau ministre de l'agriculture et du commerce, M. de la Bouillerie, a inauguré son entrée en fonctions parla réorganisation du conseil supérieur du commerce, de l’agriculture et de l’industrie. Ce conseil, après divers changements, avait été rétabli par les décrets des 15 mars et 6 mai 1872. La nouvelle réorganisation augmente le nombre des membres et divise le conseil en trois sections, correspondant aux trois grands intérêts : commerce, agriculture et industrie sur lesquels il sera consulté.
- Le temps a été presque partout très-favorable à la fenaison, opération qui paraît bien simple et sur laquelle on a beaucoup discuté. Il paraît néanmoins hors de doute, aujourd’hui, que les combinaions alimentaires, résultant de l’opération du fanage, sont plus complètes ou mieux conservées dans les foins obtenus par la fermentation concentrée que par le séchage extérieur tel qu’on le pratique. Les inconvénients de celui-ci sont réels. Parle mauvais temps, il est difficile, onéreux et ne donne qu’un fourrage dont les qualités sont plus ou moins détruites, et qui même peut être avarié ; par un soleil trop ardent et sous l'influence d’un air trop desséchant, il favorise la chute des fleurs et des feuilles, et ne fournit plus que des tiges dures et ligneuses, dépouillées de leurs parties les plus riches et les plus alimentaires. Le faneur reste bien plus maître de l’opération lorsqu’il procède par fermentation.
- Le même moyen est applicable au fanage du trèfle, de la luzerne ou de la vesce. L’expérience a démontré que ces plantes, difficiles à dessécher au point voulu par le séchage appliqué au fanage des foins naturels, devenaient friables et cassantes par un temps très-chaud ou très-sec, et perdaient alors le meilleur de leur substance ; ce sont ces inconvé-nients qui ont montré les avantages delà fermenta-lion.
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- Voici comment on procède : on laisse en place, sans y toucher, les andains, pendant un ou deux jours, puis on forme des petits tas de cinq à six décimètres de diamètre sur autant d’élévation. On les confectionne avec la précaution de ne pas les serrer. Lorsque le temps est beau, en deux ou trois jours on obtient une demi-dessiccation qui permet de former d’autres tas, auxquels on donne la forme conique et une hauteur de 2 mètres environ. Il faut avoir soin que ces petits menions aient une forme régulière et pointue, afin que les fortes averses ne les endommagent pas.
- La fermentation se développe et la dessiccation s’opère sans autre manipulation ; les choses restent en cet état jusqu’à l’enlèvement du champ, si la première opération a été suivie de pluie.
- On se borne à retourner les petits tas et à les desserrer, afin que l’air puisse les pénétrer et. les faire parvenir à la demi-dessiccation, jugée nécessaire, avant d’en venir à faire les petits menions coniques.
- On ne charge la voiture, pour la rentrée de ces fourrages, que le soir et le malin ; on évite ainsi les heures d’ardeur du soleil et de grande sécheresse de l’air, durant lesquelles les feuilles et les fleurs se brisent si facilement.
- M. Heuzé, de retour de l’Exposition de Vienne, a exposé à la Société centrale d’agriculture le résul-lat de ses observations agricoles dans les provinces d'Autriche; il a cité les procédés de fanage usités dans le Tyrol et la Carinthie, et qui se distinguent par l’emploi de cavaliers en bois pour former des séchoirs.
- Pour notre pays, ce mode ne peut constituer qu’un expédient, qu’un accident; rien n’y est préparé pour l’employer à point nommé, et la récolte serait probablement fort compromise avant qu’on fût en mesure de la sauver par ce procédé.
- La moisson ne va pas tarder à commencer. On fauche déjà les escourgeons, et le ministre de la guerre vient d’adresser aux préfets des instructions au sujet du concours prêté par les soldats aux cultivateurs.
- Il résulte de ces instructions que pour rendre plus facile et en même temps plus prompte la transmission de demandes des cultivateurs, ces demandes seront approuvées et adressées aux autorités militaires, non par les préfets mais par les sous-préfets, qui ne devront, bien entendu, les appuyer qu’après s'être assurés qu’il y a i éellement insuffisance d’ouvriers civils dans les localités.
- De plus, l'indemnité à payer par les cultivateurs aux militaires mis à leur disposition, sera désormais fixée d’une manière uniforme pour chacune des dix régions géographiques, entre lesquelles se répartissent, au point de vue agricole, les départements de la France.
- Chacun de ces militaires recevra une somme de 1 fr. 25 c. par jour, outre la nourriture telle qu’elle est donnée aux ouvriers civils, travaillant dans les mêmes conditions. Enfin, pour assurer, autant que
- possible, le bon ordre et la discipline parmi les sol-dats qui seront employés chez les cultivateurs, l'au-torité militaire les fera surveiller, d’une manière
- spéciale, par la brigade de gendarmerie du canton où ils séjourneront momentanément. Ils seront, à la
- moindre plainte, renvoyés au corps et y subiront, s'il y a lieu, des punitions proportionnées à la gravité des faits qui leur seront imputés.
- Ernest MENAULT.
- LES PLONGEONS
- La tardive apparition des chaleurs a permis à diverses espèces d’oiseaux migrateurs, propres aux régions arctiques, de prolonger, cette année, leur séjour sous nos latitudes. Parmi ces espèces voyageuses se font surtout remarquer les Plongeons, dont nous donnons ici un dessin.
- Ces curieux Palmipèdes font partie du sous-ordre des Brévipennes, ou nageurs à ailes courtes ; ils se placent, par suite, à côté des genres européens cou-nus sous les noms de Grèbes, de Guillemots, de Mergules, de Macareux et de Pingouins. Le groupe des Brévipennes constitue une sorte de passage entre les Palmipèdes ordinaires et les singuliers Manchots des côtes antarctiques, dont les ailes tout à fait impropres au vol et n’ayant plus que des vestiges de plumes d’apparence squameuse, sont transformées en véritables palettes natatoires : ces sortes d’oiseaux-poissons, ainsi qu’on les appelle avec raison au point de vue morphologique, représentent le plus haut degré d’adaptation du type Oiseau à la vie aquatique et occupent en réalité, dans la deuxième classe des Vertébrés, une place analogue à celle des Cétacés dans la classe des Mammifères.
- Les Plongeons se distinguent des autres Brévipennes par des catactères extérieurs très-nets. La palmature, remarquable par son grand développement, est pleine et entière au lieu d’être festonnée comme chez les Grèbes ; elle est soutenue par trois doigts robustes dont l’externe est le plus long. Le pouce, ou doigt postérieur, est petit et porte à terre par le bout. Les tarses sont courts, reculés sous l’extrémité de l’abdomen et déjetés sur les côtés ; leur solidité est en rapport avec l’énergie de la locomotion; ils sont très-comprimés latéralement et presque tranchants en avant, afin d’éprouver moins de résistance de la part de l’eau, dans leur mouvement de projection. Le bec, au moins aussi long que le reste de la tête, est droit, fort, haut à la base, presque cylindrique et terminé en pointe conique ; ses bords sont rentrants et finement dentelés ; les narines, oblongues, assez larges, sont situées à sa base. L’iris est d’un rouge vif. Les ailes sont de faible longueur, pointues et étroites, avec la deuxième et troisième rémiges plus longues. La queue est très-courte, arrondie et composée de vingt pennes roides ; elle sert souvent d’appui à l’animal lorsqu’il est à
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- terre. Le plumage présente un fond brun ou noir tacheté ou strié de blanc; toutes les parties inférieures du corps sont d’un blanc pur. Le mâle et la femelle se ressemblent, cette dernière est seulement un peu plus petite; les jeunes, enfin, ont un plumage particulier et ne prennent la livrée des adultes qu’au commencement de la troisième année.
- Pendant la nage, les Plongeons s’aident tout à la fois de leurs ailes et de leurs puissantes pattes palmées; ces dernières, au lieu d’agir d’avant en arrière, comme chez la plupart des Palmipèdes, se meuvent de côté et se croisent en diagonale. Sous l’impulsion de ces quatre avirons, ils fendent l’eau avec une telle rapidité que le bateau le plus léger monté par les plus vigoureux rameurs, ne peut les gagner de vitesse. La position très-reculée des membres postérieurs favorise le mouvement de bascule que les Plongeons exécutent au moment où ils disparaissent sous les eaux, soit pour guetter ou surprendre leur proie, soit pour se dérober aux poursuites du chasseur. Ce sont de tous les oiseaux aquatiques les plus difficiles à tirer: lorsqu’ils nagent, leur corps est souvent entièrement submergé et la tête seule apparaît de temps en temps ; lorsqu’ils plongent, ils le font avec une telle promptitude qu’on ne peut trouver le temps de viser ; le séjour sous l’eau peut se prolonger plusieurs minutes, et s’ils remontent à la surface, c’est pour y glisser avec la rapidité d’une flèche, et bientôt disparaître de nouveau.
- Autant les Plongeons sont agiles dans les eaux, autant ils sont pesants et gauches sur la terre ferme; la position reculée des membres inférieurs cesse alors d’être avantageuse. Pour avancer et se soutenir sur leurs pieds courts et situés à l’arrière de l’abdomen, ils sont obligés de se tenir debout et le corps dressé presque verticalement, à la manière des Manchots ; les cuisses étant très-déjetées sur les côtés, la progression ne peut s’effectuer sans un balancement latéral de tout le corps, analogue à celui qui accompagne la claudication : cette allure embarrassée est surtout frappante chez le Grand-Plongeon et lui a valu le nom de loon ou boiteux qu’il porte en Laponie. En outre, le centre de gravité étant très-élevé, l’équilibre ne peut être maintenu qu’au prix des plus grands efforts ; aussi l’animal préfère-t-il souvent se traîner sur le ventre lorsqu’il veut gagner l’eau ou rejoindre son nid. Les Plongeons que l’on rencontre parfois sur le rivage se montrent pour la plupart tellement indolents, qu’ils restent étendus sur le sol lorsqu’on les approche et se laissent prendre à la main, plutôt que de se déterminer à fuir. Ainsi que l’a fait remarquer M. Hardy, ces oiseaux sentent si bien leur impuissance lorsqu’ils sont à sec qu’ils n’approchent des côtes qu'alors que le vent vient de terre et que la mer est fort calme ; alors ils aiment à longer le rivage de très-près ; mais que le vent change et vienne du large, on les voit aussitôt prendre leur vol et gagner la haute mer : cet instinct explique pourquoi on ne trouve jamais de
- plongeons parmi les oiseaux de mer surpris par la-tempête ou tués par les lames qui battent les rochers du rivage.
- Bien que pourvus seulement d’ailes courtes et de faible surface, les Plongeons se montrent capables d’un vol encore assez élevé et assez soutenu ; c’est d’ailleurs en volant, qu’aux époques de leurs migrations, ils traversent une contrée pour se rendre dans une autre, et qu’ils se transportent parfois à l’intérieur même des terres et à une distance plus ou moins considérable des côtes. Lorsqu’ils se meuvent dans l’air, ils poussent généralement de grands cris qui s’entendent de très-loin ; s’ils rencontrent un oiseau de proie, ils s’abattent obliquement avec une étonnante rapidité et se rendent inaccessibles à leur ennemi en plongeant à plusieurs reprises.
- La nourriture de ces Palmipèdes consiste principalement en menus poissons qu’ils poursuivent souvent jusqu’au fond de l’eau; ils sont si ardents à cette chasse qu’il arrive assez fréquemment qu’ils se trouvent pris dans les filets des pêcheurs. A défaut de fretin, les Plongeons s’alimentent de frai, de crustacés ou d’insectes aquatiques.
- Ces oiseaux sont monogames ; chaque paire niche séparément dans les anfractuosités des côtes désertes ou dans les îlots solitaires, quelquefois même à de grandes distances de la mer, sur le bord des lacs ou des étangs. Le nid, plat, composé de couches herbacées, est enfoui parmi les joncs et les roseaux; il est toujours placé très-près du rivage afin que la mère n’ait, au sortir de l’eau, que très-peu à marcher pour l’atteindre. La ponte s’effectue au mois de juin, et ne produit habituellement que deux œufs oblongs, à fond brun olive marqué de points et de taches de teinte plus foncée. Les mères défendent très-bravement leurs petits et lancent aux agresseurs de violents coups de leur robuste bec en forme de dague.
- Les Plongeons habitent les régions arctiques des deux mondes, et chassent indifféremment dans la mer et dans les eaux douces. Vers le milieu de l’année, on les rencontre en troupes nombreuses sur la plupart des terres boréales, mais lorsque le froid devient un peu vif, ils descendent des glaces de la baie d’Hudson et du détroit de Davis, des grottes de cristal du Groenland, du Spitzberg et de la Nouvelle-Zemble, des cotes déchirées de la Laponie, ainsi que des récifs des îles Cherry et de l’Islande pour se transporter sous des climats plus hospitaliers ; ils se dirigent alors vers les fiords méridionaux de la Scandinavie, vers les îles Shetland, les îles Féroë, les Orcades, l’Écosse et les Hébrides. Lorsque l’hiver est très-rigoureux, les Plongeons continuent à émigrer vers le sud, et peuvent ainsi s’avancer jusque sur les côtes de la Manche. Il n’est pas rare même que le froid les pousse jusque dans l’intérieur des terres: c’est ainsi que des familles de ces oiseaux voyageurs se rencontrent habituellement en hiver sur les lacs de la Suisse et que plusieurs individus isolés ont pu être capturés dans les lagunes de l’Artois, de la Picardie et
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- Les Plongeons.
- 1. Le Cat-marin (Columbus seplcntrionalis'). — 2. Lumme Columbus arcticus). — 5. Imbrim (Columbus glacialis).
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- jusque sur les cours d’eau de la Champagne. Les Plongeons qu’on observe ainsi dans nos contrées sont constamment des sujets jeunes ou adultes depuis peu, car c’est seulement dans leurs premières années que ces Palmipèdes à vol lourd et pénible possèdent la grande vigueur qui leur est nécessaire pour franchir de larges bras de mer. Dans le courant du printemps, ils quittent les latitudes tempérées pour regagner peu à peu les régions circumpolaires.
- Le genre Plongeon ou Columbus de Linné (de xXvp605, plongeur) comprend trois espèces dont les caractères ont été parfaitement définis par MM. De-gland et Gerbe dans leur savant ouvrage sur l'orni-I hologie européenne. Ces espèces, citées par ordre de faille sont: leCat-Marin (Columbus septentrionalis), le Lumme (C. arcticus) et l'Imbrim ou Grand-Plongeon (C. glaciaHs). (Voir la gravure.)
- Le Cat-Marin se reconnaît au premier aspect, à la tache d’un roux-marron vif, bordée d’une teinte gris de souris, qu’il présente sur le devant du cou. Les plumes de ses flancs sont variées de taches longitudinales brunes ; le dessus de son corps est d’un brun noirâtre parsemé de petites taches blanches irrégulières .à la partie supérieure du dos et prenant la forme de l'aies ou de bandes à l’extrémité des scapulaires, c’est-à-dire des plumes insérées sur l’épaule; chez les individus très-vieux, toute la surface du dos et des flancs est d’un brun noirâtre sans taches blanches. Le profil de la mandibule supérieure est droit, au lieu d’être convexe comme chez les deux autres espèces; enfin la taille des adultes est d’environ O111,62.
- Ce Plongeon habite les eaux boréales et plus particulièrement les côtes de la Norwége, des îles Lof-foden et de l’Islande ; il est de passage annuel sur les côtes de la Hollande, de la Belgique, de l’Angleterre et de la France ; il se montre également pendant l’hiver sur les rives des lacs de la Suisse et dans quelques-uns de nos départements du centre ; au mois de décembre 1851, un jeune Gat-Marin a été tiré dans le département de l’Aube, sur les bords de la Seine.
- • Le Lumme a le devant du cou noir, avec un demi-collier varié de blanc au-dessous de la gorge ; les plumes des flancs sont noires, sans taches à l’extrémité ; la taille des adultes est en moyenne de 0,68, les œufs, un peu plus gros que ceux de l’espèce précédente, ont un grand axe de Üm,080 à0m,085 et un petit axe de 01,049 à 0",051.
- Le Plongeon Lumme vit habituellement dans la Baie d’Hudson, sur les côtes du Groënland ainsi que dans les golfes du nord de la Sibérie et de la Russie ; mais il se répand dans beaucoup de contrées d’Europe à F époque de ses migrations. Plusieurs individus ont été rencontrés à la fin de novembre et dans le courant du mois de décembre, sur la côte de Dunkerque et jusque sur celle de Dieppe ; •deux autres ont été tirés à la même époque dans les ma rais de Vendin, aux environs de Béthune, à la suite de tempêtes et d’un vent impétueux soufflant du nord-ouest depuis quinze jours. Plusieurs voyageurs
- assurent que le Gat-Marin était autrefois très-commun aux Orcades, mais qu’on l’en a fait disparaître par un commerce exagéré de ses œufs.
- L’Imbrim ou Grand-Plongeon est d’une taille supérieure à celle de l’Oie : c’est pour cette raison que les habitants des Orcades et des Shetland lui donnent le nom A'embergoose. Il mesure O"1,76 à O111,80 depuis le bout du bec jusqu’à l’extrémité de la queue, ses œufs ont de 01,088 à O'11,091 de longueur sur O'n,O56 à 0m,058 de largeur. La tête et le cou sont d’un beau noir de velours à reflets verts et bleuâtres; le bec, également d’un noir lustré, est fort et plus long, relativement aux dimensions des autres parties du corps, que chez les deux espèces précédentes. Un double collier formé de bandes régulières et parallèles alternativement blanches et noires orne le de-vaut du cou et le bas de la gorge ; au-dessous, une large bande d’un noir lustré, moirée de vert et de violet, va se fondre en arrière avec le manteau. Les plumes des parties supérieures du corps sont du même noir de velours et présentent deux taches ovales à leur extrémité, petites sur le dos et sur les sus-caudales, mais grandes sur les scapulaires : ces rangées concentriques de mouchetures, produisent un très-bel effet, surtout au printemps, où les diverses teintes de plumage que nous avons données comme caractéristiques pour les trois espèces de Plongeons, se montrent dans tout leur éclat. Les rémiges et les caudales sont seules dépourvues de taches. De même que chez les deux types précédents, la poitrine et l’abdomen de l’Imbrim sont d’un blanc qui a pu être, sans exagération, comparé à celui de l’Hermine.
- L’Imbrim habite le nord de l’Europe et de l’Amérique ; il est très-abondant en hiver aux Hébrides, en Écosse et en Norwége ; son apparition en France est irrégulière et lorsqu’il nous visite, c’est toujours sous son plumage des premiers âges ; on l’a trouvé en robe de noce sur le lac de Zurich, où les jeunes des trois espèces se donnent souvent rendez-vous dans la saison froide.
- Les Plongeons ne sont pas d’un très-grand profit pour l’homme ; leur chair est coriace et exhale en outre une odeur huileuse repoussante ; leurs œufs seuls sont mangeables, et sont même dans plusieurs localités, l’objet d’un commerce assez actif. Les Sa-moyèdes de bords de l’Obi tannent les peaux du Grand-Plongeon et les préparent de façon à en conserver le duvet; ces peaux, réunies ensuite bords à bords par des coutures, sont dans cet état vendues aux Russes qui les confectionnent à leur tour en toutes sortes de vêtements, à la fois chauds, solides et imperméables. Le poète Regnard, dans son Voyage en Laponie, raconte que les indigènes de cette contrée couvrent leur tète d’un bonnet fait avec la peau du Lumme : « Ils le tournent, dit-il, de façon que la tête de l’oiseau excède un peu sur le front et que les ailes leur tombent sur les oreilles. » Détruire cet oiseau est aux yeux des Norwégiens une très-grande impiété parce que ses différents cris leur servent de présage pour le beau temps et pour la tempête. Se
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- LA NATURE.
- 1. GI we
- Ion OthonFabricius, auteur de la Fauna groenlan-dica, les naturels de la baie d'Hudson se couronnent de plumes de divers Plongeons et mettent à profit leur peau pour en faire, comme les Samoyèdes, des vêtements d’hiver. E. Vignes:
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- PHÉNOMÈNE ACOUSTIQUE
- DE GEBEL-NAGUS. ’
- Le Gebel-Nagus est une colline sablonneuse qui fait partie des contre-forts occidentaux du massif de Sinaï, et qui est à environ huit ou dix kilomètres du petit port de Tor. D’après les nouvelles observations du capitaine IL-S. Palmer, le sable de cette colline aurait l’étonnante propriété de rendre des sons musicaux, quand il est agité par des causes naturelles ou accidentelles. La légende indigène rapporte qu’autrefois il existait un monastère, plus tard enseveli dans les sables, dont les moines faisaient en-tendre le nagus ou trompette de bois, de là le nom géographique.
- L’étendue de la pente sablonneuse s’élève jusqu’à 60 mètres de haut. Le sable paraît différer peu de celui du désert environnant; ses grains, assez forts, sont des débris de quartz. Ils sont de même nature que les rochers des environs, friables, ayant la cassure jaunâtre ; ils sont bridés du soleil. Ce sable est si homogène et propre qu’il suffit du passage d’un homme, d’une bête de somme ou du vent pour provoquer sur cette pente inclinée environ à 29° le départ d’une traînée. Quelquefois aussi l'excès de chaleur combiné avec la pluie déterminent une séparation de la croûte superficielle avec les particules sablonneuses. Quand le mouvement du sable acquiert une certaine importance, il se forme de petites ondulations de sept ou huit centimètres de hauteur, que l’on pourrait comparer avec quelque exactitude à de l’huile ou un liquide épais qui coulerait sur une glace, avec des courbes et des festons variés. On entend alors un bruit singulier ; léger au début, il augmente avec la rapidité de progression du sable, jusqu’à ce qu’atteignant son maximum d’intensité, il soit perceptible à distance. Il dure pendant tout le temps que le sable glisse sur la pente.
- Ce son est difficile à décrire; il n’est ni métallique, ni vibratoire ; il ressemblerait plutôt aux notes les plus aiguës d’une harpe éolienne, ou bien encore au grincement produit par un bouchon que l’on promène durement sur un verre mouillé. On pourrait aussi le comparer au bruit de l’air chassé rapidement d’un flacon vide; tantôt il produit à l’oreille du voyageur l’effet du tonnerre éloigné, tantôt celui des sons graves du violoncelle.
- Le capitaine 11.-S. Palmer aurait observé que les couches superficielles étaient plus propres à la sonorité que les couches sous-jacentes. Le sable à la température d’environ 40° centigrades est d’autant plus
- mobile que la sécheresse détermine le glissement ; se le mouvement du sable se produit quand il y a un peu d’humidité à sa surface, le bruit est insen sible.
- On a tenté de faire des fouilles pour connaître l’épaisseur de la couche de sable et la nature du sol sous-jacent, mais le glissement des sables supérieurs remplissant toujours les tranchées a été un obstacle insurmontable. Dans certains endroits, on n’a pas rencontré autre chose que du sable ; dans d’autres on a mis à nu un roc dur et compact.
- Pendant les jours d’été, sous le soleil brûlant, quand souffle le vent du nord-ouest, le phénomène acquiert toute son intensité. Le capitaine Palmer l’a remarqué sur plusieurs pentes de la même colline, sans trouver d’autres différences dans la production des sons que des rapports plus ou moins accentués avec la direction du vent. Cette particularité sur le compte de laquelle on n’est pas encore bien définitivement fixé semble due au choc répété des grains de sable les uns contre les autres.
- On connaît plusieurs phénomènes semblables dans d’autres endroits et notamment à Reg-Ravan, à 50 kilomètres de Caboul, et dans les plaines sablonneuses d’Arequipa, au Pérou. Dans le Sahara, les vents légers qui frôlent les collines de sable produisent également une vibration particulière de même nature.
- J. CIRARD.
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- MACHINE SCHEMIOTH
- L’agriculture a depuis longtemps cherché à s’ap-proprier la vapeur pour remplacer le bras de l’homme ; mais diverses circonstances, inhérentes à la pratique même des moteurs à vapeur, en ont dans ce cas restreint l’application d’une façon désastreuse pour les intérêts privés. L’une des premières causes, sinon la principale de celles qui nuisent à l’emploi général des machines locomobiles, consiste dans la difficulté de se procurer, à des conditions d’éco-momie pratique, le combustible (houille ou coke) nécessaire à l’alimentation des foyers. Il est aisé de comprendre les embarras que présente, dans une grande exploitation agricole, le transport d’une masse considérable de charbon sur les divers points, souvent très-disséminés, où doit fonctionner un moteur à vapeur.
- C’est en vue de surmonter ces obstacles qu’un ingénieur russe, M. Schemioth, a eu l’idée de modifier i le foyer des machines locomobiles de manière à pouvoir y utiliser toute espèce de combustible. Dans ce but, M. Schemioth a entrepris, avec l’aide de MM. Ran-somes et llead, constructeurs à Ipswich (comté de Suffolk), une série d’expériences et de recherches fort longues, ayant pour objet d’appliquer les débris végétaux, et la paille en particulier, au chauffage des générateurs de vapeur.
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- LA NATURE.
- Pour bien saisir à quel point cette idée était ingénieuse et féconde en résultats, il faut remarquer que l’Ancien et le Nouveau-Monde renferment d’immenses contrées où le blé abonde tellement que la paille n’y a aucune valeur vénale : l’Amérique du Nord, depuis la Sierra-Nevada jusqu’à l’océan Pacifique, les vastes prairies de l’Amérique du Sud, et enfin la partie orientale de l’Europe comprise entre la mer Noire et l’Adria-
- tique sont couvertes presque en totalité par les cultures de blé ou de maïs. A l’époque de la moisson, les peuples nomades de ces diverses contrées abandonnent momentanément les villages pour établir des campements au milieu de leurs fertiles prairies ; lorsqu’ils ont fauché le blé, puis battu la récolte, ils transportent péniblement les grains, sur des chariots attelés de bœufs, à travers des routes à peine tracées, jus-
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- Pelesensn hay
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- La machine Sche nioth à
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- l’Exposition de Vienne.
- qu'aux entrepôts établis sur le bord des fleuves. Ces grains sont alors portés par bateaux jusque dans les grandes villes, d’où ils doivent être expédiés sur les lieux de consommation. Il est facile de comprendre quel parti on peut tirer, par un emploi intelligent, (les ressourees spéciales mises à la portée de l’homme par ces grandes exploitations; en efièt, la paille est à vil prix ou même à un prix nul dans ces pays privés de bétail où elle se trouve en surabondance. L’idée de son utilisation comme combustible une fois ad
- mise dans le but de suppléer aux bras de l’homme par le travail de puissantes machines, examinons comment les inventeurs ont résolu les difficultés pratiques de l’exécution.
- Lorsqu’on veut appliquer au chauffage d’une chaudière à vapeur des matières végétales, telles que le paille de blé ou de maïs, les joncs, les tiges de cannes à sucre, etc., on rencontre divers obstacles. La paille, par exemple, sous un volume assez considérable, fournit une quantité de chaleur notablement pim
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- LA NATURE.
- LO Ot
- faible que celle obtenue avec un poids égal de charbon; il importe donc, si l’on ne veut dépenser du combustible en pure perte, d’agrandir le foyer et de réduire, autant que possible, le volume de la paille employée pour le chauffage. Une autre difficulté inhérente au procédé consiste dans l’accumulation, sur les grilles du foyer, d’une quantité énorme de matières siliceuses qui finiraient par les obstruer complètement si l’on n’y prenait garde. Il en résulterait que le tirage nécessaire à la combustion ne s’effectuant plus, la boîte à feu se trouverait bientôt encombrée par le combustible éteint.
- Pour obvier à ces divers inconvénients, les inventeurs emploient les dispositions suivantes : ils agrandissent un peu le foyer; d’autre part, ils remplacent la grille ordinaire à coke par une autre, dont les barreaux sont écartés de dix centimètres environ ; dans chacun des intervalles de ces barreaux passe une dent d’une sorte de râteau, monté sur une tige mise à portée de la main du mécanicien. Il suffit de manœuvrer de temps en temps cette tige pour faire tomber les cendres accumulées sur la grille ; un tuyau relié à la pompe d’alimentation et aboutissant au cendrier permet au besoin d’inonder d’eau froide les cendres brûlantes que le vent pourrait emporter.
- Lorsqu’il s’agit d’introduire la paille dans le foyer, on la place d’abord dans une sorte d’auge disposée comme l’indique la figure ; cette paille vient alors s’engager entre deux rouleaux cannelés tournant en sens contraire, qui la chassent dans l’intérieur où elle est brûlée successivement avec une régularité parfaite. Au moment où l’on commence à allumer le feu, ces rouleaux sont mus par la main d’un homme ; mais une fois la machine mise en train, une courroie sans lin entretient automatiquement leur mouvement de rotation; il suffit dès lors d’un enfant pour remplacer la paille à mesure qu’elle est consumée. Enfin si l’on veut utiliser le charbon dans les foyers Schemioth, une manœuvre très-simple permet de changer la grille et la plaque d’arrière de la boîte à feu. Une de ces locomobiles figure, en ce moment, à l’Exposition universelle de Vienne l.
- P. de SAINT-MICIEL.
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- CHRONIQUE
- Le protoxyde d'azote. — Le protoxyde d’azote, dont un grand nombre de dentistes font aujourd’hui usage comme anesthésique, a été découvert par l’illustre Priestley en 1772. C’est en avril 1799 que sir Ilumphry Davy expérimenta sur lui-même l’action de ce gaz sur l’économie animale. Les sens et l’esprit du célèbre chimiste anglais furent exaltés à tel point par l’inspiration du protoxyde d'azote qu’il fut transporté dans une véritable extase. Il proposa de désigner le protoxyde d’azote sous le nom de gaz hilarant.
- 1 Les documents de cet article sont empruntés à VEngineering.
- Malgré les nombreuses expériences auxquelles le protoxyde d’azote a été soumis depuis, les opinions les plus contradictoires ont été émises relativement à son action physiologique. Les deux points de l’action de ce gaz, comme gaz respirable et comme agent anesthésique, encore aujourd’hui controversés, viennent d’être élucidés par MM. F. Jolyet et T. Blanche.
- Ces expérimentateurs ont placé des graines d’orge et de cresson sous des cloches contenant le protoxyde d’azote pur ; les graines n’offraient aucune trace de germination, même après un espace de temps de quinze jours. D'autres graines semblables placées de la même façon dans l’air atmosphérique sont entrées en pleine germination le troisième jour. MM. Jolyet et Blanche ont reconnu que le gaz hilarant arrêtait complètement le développement des graines germées et que celui-ci se continuait dès que l’accès était ouvert à l'air atmosphérique. Ils ont constaté que les fonctions essentielles de la respiration ne peuvent pas non plus s’effectuer dans une atmosphère de protoxyde d'azote pur. Des oiseaux y sont morts en trente secondes, des lapins et des chiens en quelques minutes.
- Dans une seconde série d’expériences, les savants dont nous analysons le curieux travail, ont recherche si le protoxyde d’azote possède réellement les propriétés anesthésiques qu’on lui attribue. Le protoxyde d'azote mélangé de 18 à 21 pour 100 d’oxygène, n’a causé sur des chiens aucun affaiblissement appréciable de la sensibilité ; des moineaux placés sous des cloches contenant un semblable mélange gazeux, sont morts après avoir transformé par leur respiration l’excès d’oxygène en acide carbonique. Chez les animaux respirant le protoxyde d’azote pur, les auteurs ont constaté, en excitant, à divers moments, le nerf sciatique, que la sensibilité disparaissait chez l’animal entre la troisième et la quatrième minute, c’est-à-dire à un moment où l’animal offrait tous les signes de l’asphyxie, comme l’a prouvé d’une manière irrécusable l’analyse des gaz extraits de son sang. MM. Jolyet et Blanche concluent de leurs remarquables investigations que si le protoxyde d’azote peut à un certain moment déterminer l’anesthésie, c’est par privation d’oxygène dans le sang, c’est-à-dire par asphyxie 1.
- Est-il prudent d’après ces recherches et ces résultats d'employer le protoxyde d’azote, dans les opérations chirurgicales et dans l’extraction des dents ? La réponse évidemment semble devoir être négative. Cependant nous ne pouvons nous empêcher défaire observer que depuis longtemps bien des personnes ont supporté l’action du protoxyde d’azote, sans qu’il en soit résulté aucun accident.
- Une forêt submergée sous la Tamise. — On sait en Angleterre qu’à Plumstead, à Dagenhan et dans d’autres parties de la Tamise, entre Weolwich etErith, on peut voir à la marée basse les restes d'une forêt submergée sur laquelle le fleuve coule aujourd’hui. Ce fait a été décrit il y a environ cent cinquante ans par le capitaine Perry. En 1817, le doyen Guckladdena fait l’objet d’un mémoire qu’il a présenté à la Société géographique de Londres.
- Un assez grand nombre de membres de l’association géologique, se sont récemment rendus à la station d’Ab-bey Wood et, de là à travers les marais, de Plumstead à Crossness, où des barques les attendaient pour aller visiter les restes de cette forêt submergée et les sommets émergeant des arbres sur les bords de la rivière...
- On avait fait des excavations dans les marais à environ
- 1 Comptes rendus de V Académie des sciences, t. LXXVII, n° 1 (7 juillet 1873).
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- douze pieds de profondeur. Le sol de la forêt avec tous les objets intéressants qu’il recèle, a été mis à nu et exposé aux regards.
- Au-dessous de six à huit pieds de terre d'alluvion, on a trouvé un sol formé de branches, de feuilles, de se mences, de troncs d’arbres, qui appartenaient à l’if, à l’aulne et au chêne. Une collection de restes d’animaux consistant en cornes de cerf, en ossements de bœufs bra-chycépi aies et d'autres espèces récentes, ont été mis sous les yeux des visiteurs {Journal officiel).
- Sir et lady Samuel Baker. —L’intrépide explorateur dont le télégraphe oriental nous a appris le retour, est actuellement au service du pacha d’Égypte qui lui a confié une petite armée. il y a huit ans qu’il a obtenu la grande médaille d’or de la Société royale de géographie de Londres pour la découverte du lac Albert-Nyanza dans lequel le Nil se jette en sortant du lac Victoria-Nvanza par une immense cataracte qu’il a nommée chutes de Murchi-son. Le lac Albert-Nyanza se trouve à sept jours de marche seulement deGondokoro, dernière station européenne où les méthodistes anglicans ont entretenu pendant quelques années une mission évangélique récemment licenciée.
- Dans son premier voyage comme dans l’expédition qui vient de se terminer, sir Samuel Baker était accompagné par sa femme qui a refusé de le quitter et qui a partagé tous ses dangers.
- La Perse contemporaine. — Il ne faut pas juger de la richesse des Persans par la splendeur des gemmes qui décorent la poitrine du roi des rois. Le pays de Cyrus n’est plus aujourd’hui ce qu’il était à l’époque où un peuple énergique préludait à la fondation d’un immense empire. La principale cause de celte décadence paraît être l’invasion d’une sécheresse toujours croissante, certainement due en grande partie à la nature qui vient aider l’impéri lie des hommes. Ses fleuves se dessèchent du côté du nord par suite d’un exhaussement progressif du terrain qui a mis à sec bien des lacs anciennement en communication avec la mer d’Aral ou avec la mer Caspienne.
- L’Oxus, dont les rives étaient jadis habitées par une population nombreuse, traverse actuellement un désert aride dans une grande portion de son cours. Ç et là des dunes de sel indiquent la place qu’occupaient du temps de la splendeur delà Perse les masses d’eaux salées qui, dans les temps anciens, devaient faire partie d’une grande mer intérieure.
- Il n’y a pas dans ce monde que les hommes qui meurent ; les peuples eux-mêmes ont leurs périodes de prospérités et de décadence, beaucoup plus intimement liées qu’on ne le croit, à la nature intime des choses.
- La culture du dattier. — L’agriculture dans le Sahara se réduit à cultiver le palmier-dattier ; ces arbres des latitudes tropicales ne viennent qu’aux lieux où l’industrie des Arabes est parvenue à arracher à 11 terre des nappes d’eau souterraines, ou à conduire au moyen de canaux, l’eau qui suit naturellement la pente des vallées. Les puits artésiens indigènes, les conduits dits feggara destinés à réunir toutes les eaux d'infiltration, prouvent autant de sagacité que d’opiniâtreté.
- La tige du palmier est andogine comme celle du cocolier et du bananier; elle n’apas de véritable écorce, ou plutôt la base des feuilles forme une sorte d’enveloppe rugueuse. Le palmier vit plus de cent ans. Il est dioïque ; ses fleurs sont toutes uniquement mâles ou femelles. Au printemps, à l’époque où ses régimes commencent à s’épa
- nouir, on procède à la plantation des arbres femelles. l a fécondation se fait artificiellement au mois d’avril, par un homme qui, monté au sommet de l’arbre, secoue une branche de palmier mâle au-dessus des fleurs femelles.
- Il est de toute importance que l’arrosement soit permanent, car suivant un proverbe arabe : « le palmier doit avoir le pied dans l’eau et la tète dans le feu. » Les groupes d'arbres qui forment des oasis plus ou moins importants sont irrigués comme le sont nos prairies, au moyen des ressources naturelles ou artificielles que la nature a mis à la disposition des Arabes. Si l’oasis n’est pas du tout arrosée, c’est (pie la nappe d’eau souterraine peut être atteinte directement par les racines des palmiers. L’oasis est pour le Saharien le refuge contre les ardeurs du soleil, le lieu où il peut étancher sa soif, et une ressource pour l’alimentation; sans lui, les sables seraient inhabitables.
- On cultive, sous l’ombrage, des légumes qui viennent également bien à toute époque de l’année ; l’arrosage se fait aussi par rigolage. Les navets, les oignons, les carottes, le piment et la plupart des légumes européens y ont une rapide croissance, mais la saveur est moindre que dans le Nord. La luzerne (saffssa) fournit jusqu’à six coupes par an. Il existe dans quelques oasis des plants de coton, de tabac, mais surtout de henné.
- Comme le palmier est un arbre qui ne mûrit que sous les climats chauds et jouissant d’une température uniforme, il ne réussit que médiocrement sur les limites du Tell algérien. La récolte a lieu en novembre; on monte dans l’arbre pour couper les régimes. Sa valeur varie de 5 francs à 100 francs, suivant son développement. Lerap-port est estimé de 5 fraies à 40 francs. A Sidi-Okba, à Biskra, dans le Souf, le rapport moyen est de 10 francs.
- Tremblements de terre de la Turquie d’Asie, du Chili et des États-Unis. — Le tremblement de terre de la haute Italie, a été précédé sur divers points du globe, de phénomènes semblables dont l’action s'est fait sentir à Bagdad le 21 juin, et au Chili un mois environ auparavant, le 13 mai dernier. Le tremblement de terre du Chili, a offert un caractère de gravité très-sérieux ; les secousses ont été très-violentes, à Valparaiso, à Santiago, à Quillota, à La Ligua, à Canguenes et à Salvador. Les oscillations du sol ont eu lieu à Valparaiso à midi 32 minutes et ont duré 42 secondes. La terre tremblait d’une façon effroyable sous les pieds des habitants terrifiés ; deux églises et plusieurs maisons ont été fortement endommagées ; des tuyaux de gaz ont été arrachés des plafonds où ils étaient fixés, des livres précipités des bibliothèques qui les contenaient.
- Dans la matinée du 6 juillet, trois secousses ont été ressenties à Buffalo aux États-Unis. Les monuments se sont mis à trembler violemment ; les navires en rade dans le port du lac Érié, ont subi l’influence de cette commotion. Quelques journaux anglais ajoutent que des secousses ont été ressenties dans les Indes, la veille du tremblement de terre italien, mais ce fait est erroné; l’événement dont ils parlent est antérieur d’une année au cataclysme de la Saint-Pierre ; il a eu lieu le 28 juin 1872 et non le 28 juin 1873, comme le rectifie, une excellente feuille des Indes anglaises, le Bombay Times.
- Les ballons militaires français. — Nous sommes heureux d’annoncer que le rapport fait par la commission mixte dans laquelle le ministère des finances était représenté par le directeur général des postes, et le ministère de la guerre par des officiers supérieurs du plus haut mérite, propose l’établissement d’une école aérostatique.
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- Tout ce qui concerne les aérostats destinés à la défense des places fortes, sera sous la dépendance de la guerre. Mais l’administration des postes conservera la direction du service des pigeons voyageurs, et un pigeonnier central sera établi au jardin d’acclimatation. Nul doute que les conclusions revêtues de l’autorité de M. Rampont, qui a rendu tant de services à la défense nationale en improvisant la poste aérienne du siège, n’entraînent l'adhésion des ministères compétents, et ne soit consacrées par un vote de l’Assemblée Nationale.
- Une ascension aérostatique à Berlin. — Un aérostat dont la Société aéoronautique et l’Académie des sciences se sont également occupées il y a quelque temps, a été conduit par son propriétaire... à Berlin.
- Les journaux allemands nous apprennent queM. Syvel a tenté devant un nombreux public au commencement du mois de juillet une expérience qui a échoué de la façon la plus complète. Le ballon qu’on avait eu toutes les peines du monde à gonfler, a fini par s’accrocher à un candélabre monumental.
- Les Allemands ont accueilli la déconvenue de l’aro-naute français avec leur bienveillance ordinaire.
- M. Syvel est le premier de nos compatriotes qui ait tenté une expérience de ce genre de l’autre côté du Rhin. Il ne figure point sur la liste des aéronautes du siège.
- Le docteur Carpenter à l’Académie des sciences.— Nous nous faisons un devoir d’enregistrer la nomination du docteur Carpenter, le célèbre micrographe anglais, comme correspondant de la section de Botanique de l’Académie des sciences.
- C’est à ce savant naturaliste que l’on doit les recherches exécutées dans les mers profondes.
- Après avoir dirigé d’une façon brillante les croisières de la Procurpine et du Lightning, le docteur Carpenter a employé sa haute influence pour déterminer l’amirauté britannique à faire les frais du voyage de circumnavigation exécuté par le Challenger dont nous avons parlé dans notre dernier numéro. Le docteur Carpenter présidait, l’an dernier, le meeting de l’association scientifique de Brighton. Son discours inaugural qui se faisait remarquer par des tendances philosophiques peu communes en Angleterre, a eu à cette époque les honneurs d'uue reproduction intégrale dans le Journal officiel et dans plusieurs journaux français. M. Carpenter est auteur du traité de micrographie le plus estimé de l’autre côté de la Manche, où ce genre d’études est, comme on le sait, poussé à un très-haut degré. On peut dire que c’est le Charles Robin des Anglais, quoiqu’il soit un spiritualiste très-convaincu appartenant à l’école d’Agassiz.
- L’expédition allemande du Congo. — La société africaine de Berlin dont nous avons annoncé la formation récente (voy. p. 32) a déjà envoyé une expédition au Congo, pour rechercher les sources de ce fleuve. Mais elle n’a pu parvenir à Saint-Paul de Loanda port de la côte occidentale d’Afrique où elle devait débarquer pour échapper à l’hostilité des populations nègres qui l'habitent. Elle a fait naufrage dans l'Océan Atlantique, et les savants qui la composent ont été recueillis à Sierra Leone par le consul américain. Nous sommes heureux d’ajouter que ce contretemps ne sera point sans doute préjudiciable aux progrès de la géographie. Car une expédition anglaise opère déjà dans ces contrées, et un jeune voyageur français qui a récemment développé son plan d’explorations devant la Société de géographie de Paris doit déjà être arrivé à Saint-Paul de Loanda.
- L’afrique paraît singulièrement rebelle aux tentatives
- des Allemands, car jusqu’à ce jour, l’histoire des expéditions tentées par nos vainqueurs n'est guère que le martyrologe de ceux qui les ont entreprises. Les Allemands s'entendent bien mieux, il faut le reconnaître, à décrire et à découvrir de nouveau les pays déjà explorés, qu’à être les véritables pionniers de la colonisation militante.
- Découverte d’Arachnides dans les gisements métallifères de Dudley. — Les gisements de Coal-brook Date sont depuis longtemps renommés pour les restes organiques qu’ils contiennent, tels que feuilles de fougère, insectes, ossements divers. Une' fouille nouvelle-a amené à jour un specimende « faux scorpion » du genre Phrynus, actuellement encore vivant, et non pas un coléoptère, comme le supposait Samouelle. Ce reste paléontologique est assez bien conservé pour offrir distinctement sur les faces dorsale et ventrale les caractères particuliers à son espèce ; il a quatre paires de pattes, qui se rencontrent au-dessous du céphalothorax. M. Woodward lui a donné le nom de Eophrynus, qu’il fait suivre du nom genre de Curcu-' lioides. Le nombre des insectes découverts dans le Coal-Measures est de 44 ; on y voit des représentants des Myriapodes, des Arachnides, des Coléoptères des Orthoptères et des Neuroptères.
- Les apports du Nil et le canal de Suez. — La question des atterrissements du»Nil est devenue importante dans ces dernières années, par suite des obstructions qu'ils pourraient provoquer à l’entrée du canal de Suez. M. Larousse a été chargé, par la Compagnie, d’examiner les modifications de l’appareil littoral et de comparer d’après des documents deux fois séculaires, les ensablements qui se produisent aux bouches de Damiette et de Rosette. Il a développé, dans un mémoire topographique, que le cordon littoral a peu varié depuis les temps historiques et qu’il ne se forme pas de nouvelles dunes dans l'isthme. Il a également établi que les apports du Nil, essentiellement vaseux, ont peu d'influence sur la disparition de la côte actuelle et que par conséquent il n’y a pas à redouter d’ensablements dans les régions de Port-Saïd. Un des principaux arguments delà commission organisée par la Compagnie,était que les ruines de Péluse sont aujourd’hui sensiblement à la même distance de la mer qu’au temps de Strabon, vers le commencement de l’ère chrétienne.
- POMPES A INCENDIE
- DE L’EXPOSITION DE VIENNE.
- Parmi les nombreuses pompes à incendie qui figu-rent dans les galeries de l'Exposition de Vienne, on nous signale un très-remarquable appareil, construit par un ingénieur hongrois, M. Walser, mécanicien à Pesth. Cet appareil se distingue de tous les autres par la facilité extrême avec laquelle on peut détacher la pompe de P avant-train qui sert à la transporter. Une qualité très - précieuse est encore le peu de longueur de l’essieu qui permet de lui faire suivre très-rapidement tous les détours des rues les plus étroites et les plus tortueuses.
- L’épouvantable accident de la rue Monge, prouve que l’art de la construction des pompes n’a pas dit son dernier mot, et qu’on ne doit négliger aucun des artifices qui permettent de les amener rapidement sur
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- LA NATURE.
- le lieu du sinistre. Des expériences comparatives seront, paraît-il, faites à Vienne, sur l’efficacité des différents systèmes de pompe. Nous pensons que les membres du jury ne se préoccuperont pas seulement
- de la quantité d’eau, de la force dujet, de la hauteur à laquelle il peut parvenir, mais qu'ils chercheront encore à encourager la rapidité d’exécution, c'est-à-dire l’économie de temps dans toutes les manœuvres
- Exposition de Vienne. — Pompe Walser, prête à atteler.
- Pompe Walser, prête à fonctionner.
- nécessaires à la mise en action ; car dans ce cas on peut dire que le proverbe anglais est plus que vrai : le temps n’est pas seulement de l’argent c’est aussi de la vie.
- Nous ne pouvons quitter ce sujet sans remarquer que les mesures préventives sont au moins aussi utiles que les mesures répressives, si l’on peut se
- servir de ce terme. On devrait donc également s’entendre sur les prescriptions de police qui ne sont pas de notre ressort, mais dont chacun appréciera trop facilement l’importance aujourd’hui.
- Le Propriétaire-Gérant : G. TISSANDIER.
- PARIS. — IMP. SIMON RAÇON ET COMP., RUE D'ERFURTII, 1.
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- Ne 9—2 AOUT 1875.
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- TEMPÉRATURES EXTRAORDINAIRES
- OBSERVÉES PENDANT ^EXPÉDITION DE KHIVA.
- La conquête de Khiva par les Russes n’a point été achetée au prix d’une lutte contre les hommes. En effet, les Turcomans se sont montrés d’une faiblesse peu ordinaire, même chez les peuples les plus sauvages. Cependant les troupes impériales n’en ont pas moins eu l’honneur de triompher du soleil ennemi, fort dangereux et qui, depuis le jour ou les Macédoniens disparurent dans les sables de Jupiter Ammon, a malheureusement arrêté plus d’une fois les troupes civilisées dans leur lutte contre les barbares.
- Le cabinet de Pétersbourg avait très habilement choisi pour l’expédition, le printemps, (fui est à peu près la seule saison où les steppes sont praticables, car les froids de l’hiver y sont aussi excessifs que les chaleurs de l’été y sont étouffantes ; cependant comme on s’attendait à rencontrer les plus grands obstacles naturels, on avait décidé que plusieurs colonnes, dont le rendez-vous général serait Khiva, se dirigeraient vers la cité dont on voulait opérer la capture. Cette opération importante a été exécutée, comme on le sait, à la fin de juin ; mais les troupes commandées par le colonel Markosoff ont été obligées de battre en retraite devant une température trop étouffante, événement dont nous devons étudier les causes et l’histoire.
- Le colonel Markosoff avait débarqué à Krosnovodsk, port du Turkestan que les Russes possédaient depuis longtemps de fait sur la mer Caspienne. Mais il n’avait pas moins de 1,000 kilomètres à faire dans la steppe avant d’atteindre Khiva, qui est construit dans une espèce d’oasis, non loin du fleuve Amour. C’est dans cette partie de la steppe que coulait anciennement une branche aujourd’hui desséchée du fleuve Amour, qui se jetait dans les temps anciens dans la mer d’Aral comme dans la mer Caspienne. En effet, l’empire du désert augmente de jour en jour dans ces régions aussi bien désolées par suite de l’indifférence des hommes que de la rigueur du climat. On ne trouverait plus un être vivant dans cette vaste contrée qui renfermait jadis des peuples innombrables, si les neiges accumulées pendant l’hiverne formaient une sorte de réserve que le soleil fond progressivement et qui, au moins pendant quelque temps, remplit les fonds des vallons et surtout les puits où viennent s’abreuver les voyageurs. Quand la saison chaude est déchaînée, nul, parmi les nomades eux-mêmes, ne peut braver impunément les ardeurs du soleil. Ceux qui ne restent pas tapis dans l’ombre des oasis s’enfuient vers le nord, du côté des Kirghiz.
- Après des difficultés inouïes, le colonel Markosoff parvint à atteindre des puits assez abondants. Mais pour continuer sa route il lui restait à franchir un désert dans lequel on avait à marcher six jours, avant d’atteindre les puits d’Or ta Kin, station d’où Khiva pouvait facilement être gagnée. Les Russes se mirent
- en route le 16 avril, après avoir pris toutes les mesures dictées par la prudence ; non-seulement chaque soldat portait sur lui une petite provision d’eau, mais les chameaux de l’expédition étaient chargés d’un grand nombre de barils. La ration de chaque homme avait été fixée à quatre bouteilles, et celle de chaque cheval à cinq litres par jour. Mais l’air était si sec et l’évaporation si active dans cette partie de la route, que l’eau des tonneaux diminua, dit le récit officiel russe, dans une proportion effrayante. Le 18, on s’aperçut que les barils, qui contenaient 50 litres au départ, n’en renfermaient plus que 35.
- Cette surprise terrible troubla d’autant plus les Russes que le sable mouvant avait été bouleversé par des événements géologiques, et qu'on avançait très-péniblement dans un sol raboteux. En même temps le soleil dardait avec une force extraordinaire. Le récit officiel prétend que la température dépassa 55° Réaumur, car les thermomètres qui n’avaient été gradués que jusqu’à ce point, cassèrent tous.
- Pour comprendre comment il a pu en être ainsi, il ne faut pas oublier que le plateau central de Tartarie est très-élevé au-dessus du niveau de la mer, que l’air est d’une sécheresse absolue, et qu’il n’y a pas dans tout ce pays maudit le moindre arbre pour donner un pouce carré d’ombre. Nous avons à peine besoin de faire remarquer que, pour prendre une bonne mesure thermométrique, il faut soustraire la boule de l’instrument à tous les rayonnements extérieurs, comme l’a fait Cou-telle dans sa fameuse opération égyptienne. Au point de vue physique, la température a été mal prise; l’opération doit être considérée comme erronée. Mais au point de vue réel, les soldats russes, que rien n’abritait, ont supporté une température supérieure à 55° Réaumur, un peu moins de 70° centésimaux et un peu plus de 155° Fahrenheit.
- Le lendemain, cette température étourdissante, unique dans les annales météorologiques, commençant de nouveau à se produire, le colonel Markosoff comprit qu’il était imprudent de persister dans une pareille entreprise et qu’il fallait retourner en arrière. Quoique décidée en temps opportun, la retraite ordonnée par cet habile officier eût elle-même été mortelle s’il n’avait disposé par échelons des réserves de troupes et de chameaux portant des outres d’eau. Grâce à cette sage précaution, les soldats purent trouver quelques ressources en se rabattant sur leur arrière-garde, mais cette eau insuffisante et de mauvaise qualité, eût été elle-même épuisée trop rapidement, si des éclaireurs n’avaient découvert des puits que l’on croyait comblés par les ennemis.
- Les Turcomans qui occupaient cette station ayant été chassés par quelques coups de fusil, on put désaltérer enfin les troupes et songer à sauver les traînards, au-devant desquels on envoya des chameaux chargés d’eau. On découvrit un grand nombre de malheureux soldats qui, tombés dans un état complet d’évanouissement, attendaient la mort au milieu des sables.
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- LA NATURE.
- Quoique rafraîchis d’une façon providentielle, inespérée, les soldats russes avaient trop cruellement souffert dans cette courte campagne, pour qu’il fût prudent de la reprendre. Les troupes du colonel Markosoff furent contraintes de battre définitivement en retraite sur Krasno-Vodik, où la nouvelle des succès obtenus par les autres sections de l’armée vint les consoler de l’échec que l’extraordinaire chaleur du soleil leur avait fait subir.
- LE PERCEMENT DU SAINT-GOTHARD
- Les travaux de percement du Saint-Gothard se continuent avec la plus grande activité. De nombreux ouvriers, armés du pic, de la poudre et dela dynamite, attaquentles flancs du massif alpestre, sur le versant nord, du côté du Gœschenen, sur le versant sud, du côté d’Airolo. Pour que les deux excavations qui vont toujours en se rapprochant du centre de la montagne, se rencontrent, pour que l’immense rempart où la nature a entassé granit, schistes et calcaire, soit percé de part en part par un tunnel de 15 kilomètres de longueur, il faudra, pendant de longues années, accomplir des prodiges de travail et de persévérance.
- Quoique cette œuvre ait été entreprise, ne l’oublions pas, dans un but hostile à la France, quoiqu’elle ait soulevé bien des nuages dans l'atmosphère de la politique, elle n’en offre pas moins une importance capitale au point de vue scientifique : les résultats qu’on en peut attendre au nom de la géologie, de l’art de l’ingénieur et des intérêts commerciaux, sont considérables.
- Nous mettons sous les yeux de nos lecteurs la coupe du tunnel, faite d’après un géologue distingué, M. Giordano, et nous l’accompagnerons des curieux détails géologiques, que vient de publier, à ce sujet, la Bibliothèque universelle de Genève1.
- « Le Saint-Gothard présente au centre deux massifs granitiques considérables, dont le plus septentrional occupe la partie supérieure de la vallée de la Reuss, et le plus méridional forme les sommités du Monte-Prosa, de la Fibbia, du Piz Lucendro ; ils restent à l’ouest du trajet du tunnel, et sont compris dans une masse considérable de gneiss ou de micaschiste feldspathique qui forme une grande partie du tunnel et dans laquelle se trouvent des alternances de roches dioritiques et amphiboli-ques. Une zone de calcaires plus ou moins micacés, associés à des calcaires cristallins, est intercalée au milieu de ces roches, au nord d’Andermatt, d’Ilos-penthal et de Zumdorf. Elle longe la vallée d’Urse-ren et passe au col de la Furca, où elle est associée
- 1 Archives des sciences physique s et naturelles, t. XLVI, n° 184. — Nous adiessons nos remerciements sincères au directeur de cette publication, qui a bien voulu nous autoriser à laire graver noire coupe géologique d’après celle qu’il a publiée en Suisse.
- à de la cargneule. Le gneiss recommence au delà de cette zone, mais sur une faible largeur, et il s’appuie contre le granit de Gœschenen, dans lequel est creusée la partie sptentrionale du tunnel, et qui appartient au massif de Finsteraarhorn. Au sud, le gneiss passe à des schistes amphiboliques, micacés et grenatifères d’une grande épaisseur, dans lesquels le tunnel se termine du côté d’Airolo. A ces schistes succède une zone calcaire qui occupe le fond de la vallée du Tessin et qui est de même nature que celle d’Urseren. Elle est associée à des dolomies grenues et à de grandes masses de gypse qu’on voit dans le val Canarie et sur plusieurs points du cours du Tessin ; elle s’appuie au sud contre des masses puissantes de schistes calcaires et micacés qui forment l’Alpe Piscium, le Pico di Mezoddi, etc.
- « La zone de calcaire d’Airolo se prolonge , à l’ouest, jusqu’au col des Nuffenen et au delà. On y voit la cargneule en contact avec un gneiss bien caractérise, puis une roche calcaire schisteuse, foncée, d’un aspect singulier; sa surface présente des bélem-nitesmal conservées mais dont la forme et la structure interne sont très-reconnaissables, et des corps bizarres dont les uns ont la forme de prismes et les autres celles de lentilles.
- « Les roches de Nuffenen et celles de la Furcasont probablement de même époque. Par analogie avec d’autres parties des Alpes, on est tenté de les rapporter au terrain liasique ; peut-être les roches à bélemnites des Nuffenen sont-elles intercalées par suite d’un plissement dans les roches triasiques que paraissent présenter les dolomies, les gypses et les calcaires micacés des environs d’Airolo. Le travail de M. Giordano donne sur ce sujet peu d’éclaircissements. Ses hypothèses sur l’âge des gneiss et des micaschistes de ce massif ne seront probablement pas admises sans discussion.
- Il considère ces roches comme des roches paléozoïques, métamorphiques, et il serait particulièrement disposé à les regarder comme faisant partie du terrain carbonifère ; le centre du massif appartiendrait aux roches les plus anciennes. Les masses granitiques centrales auraient pénétré ces roches à l’état pâteux, y auraient envoyé des fdons et les auraient profondément modifiées. Ce fait se serait passé après l’époque triasique. Le Saint-Gothard présente une structure en éventail très-régulière. M. Giordano regarde cette structure comme le résultat d’une croûte dont la partie supérieure aurait été enlevée par érosion. »
- Ces détails géologiques sont complétés par la coupe du Saint-Gothard (voir ci-contre), qui est exactement reproduite à 166 ; la ligne inférieure représente le niveau de la mer ; les chiffres de la légende explicative donnent l’étendue en mètres des diverses couches à perforer. En les additionnant on obtient la longueur totale du tunnel, qui est exactement de 15,070 mètres.
- Une assemblée générale des actionnaires de l’œuvre gigantesque que nous étudions a eu lieu le
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- 50 juin dernier. Un long rapport sur les travaux
- exécutés jusqu’à la fin de
- | L’attaque du massif alpestre s’exécute des deux | côtés à la fois ;
- l’année 1872
- été pré-
- a
- senté au nom de la direction et du conseil général d’administration. On a rencontré les plus grandes difficultés aux débuts de l’entreprise. Il a fallu d’abord ouvrir une longue tranchée en avant du tunnel, et c’est seulement le 50 septembre que le terrassement fut terminé ; 5,000 mètres cubes de roches ont été broyés et arrachés des versants du Saint-Gothard pendant l’exercice 1872 ! .
- Mais on reconnut bientôt que des ébou-lements de rochers, dus à la raideur des talus, rendaient les travaux difficiles et dangereux. L’entrepreneur prit la résolution d’établir une voûte protectrice devant l’entrée de la galerie. Grâce à ces précautions, les travaux ont pu se continuer en faisant sauter les roches au moyen de la poudre et de la dynamite.
- Les travaux d’installation que nécessite l’établissement de perforation mécanique du tunnel, ont été commencés en septembre. On utilise comme force motrice la Reuss, du Saint - Gothard. En employant des turbines avec 80 mètres de chute, on aura1, pour faire fonction- , ner les machines, une force disponible de 600 chevaux. Cette force mettra en mouvement les machines de perforation, au moyen de l’air comprimé qui sera encore utilisé à la ventilation du tunnel.
- sur les deux versants nord et sud,
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- l’activité est lamême, mais sur les deux versants de l’immense montagne, dont le sommet s’élève jusqu’à 5,300 mètres au-dessus du niveau des mers, la résistance de la nature contre l’attaque de l’industrie a été également énergique , également difficile à surmonter. Ladureté des roches semble avoir eu pour alliés le froid, la neige et les inondations, qui pendant tout l’hiver se sont en quelque sorte opposés à la témérité humaine.
- Vers la fin de décembre, du côté du nord, des neiges abondantes apportèrent aux travaux de sérieuses entraves que des infiltrations d’eau avaient déjà singulièrement ralentis quelque temps auparavant. Pendant longtemps il fallut en effet réunir les efforts des travailleurs pour boucher les fentes, où les eaux s’écoulaient en cascades, et la galerie ne pouvait guère avancer que d’un mètre par semaine. Toutefois, ces obstacles furent vaincus, et pendant le dernier trimestre de l’année dernière, on avança les travaux de près de 10 mètres par jour, en moyenne.
- S ur l’autre versant du Saint - Gothard, du côté d’Airolo, les conditions atmosphé-
- été tout aussi défavorables. Sur quatre-
- vingt-douze jours, il n’y a eu que cinquante-cinq jours sans pluie et sans neige. Dans le seul mois
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- d’octobre, on a compté vingt et un jours pluvieux. La perforation mécanique à Airolo empruntera sa force motrice aux eaux de la Tremola ; on obtiendra une force de 600 chevaux, au moyen de 165 mètres de chute.
- Malgré les intempéries de l’air et la résistance des massifs géologiques, un jour viendra où le travail intelligent aura primé cette force inerte des éléments; le voyageur, commodément assis dans un wagon, s’engagera comme à travers une taupinière, dans le sein même d’un des plus énormes géants du massif alpestre !
- CASTON TISSANDIER.
- LE SECOND TUNNEL SOLS LA TAMISE
- Avant d’avoir parcouru la Tamise, je ne m’expliquais pas pourquoi les Anglais avaient creusé un tunnel sous son lit au lieu d’en réunir les rives par un pont ; mais, quand j’eus vu de mes jeux le nom-bre prodigieux de navires à la haute mâture qui sillonnent incessamment le fieux e depuis le pont de Londres jusqu’à la mer, je compris que la construction d’un pont tournant était impossible dans cette partie de la Tamise, car il aurait entravé la navigation sans améliorer sensiblement la viabilité terrestre, puisqu’il aurait dû rester presque toujours ouvert
- Aussi, les premiers projets de voie sous-fluviale remontent-ils loin. En 1815, Dodd proposa de construire un tunnel sous la Tamise entre Gravesend et Tilbury; les travaux furent entrepris mais pronspte-ment interrompus. En 1817, on en commença un autre, à Londres même, entre Rotherhithe et Lime-house, on y travailla jusqu'en 1825 et, après six ans d’efforts et de dépenses, il fallut F abandonner. Sans se décourager, Isambard Brunei se disposa, la même année 1825, à creuser une voie sous-fluviale entre Wapping et Rotherhithe Les travaux en furent commencés en 1825; tout le monde sait que les difficultés furent inouïes et que le fécond esprit de Brunei réussit à toutes les parer. Après quatre inondations moins graves, les eaux s'engouffrèrent une cinquième fois dans le tunnel en construction, au mois d’août 1828, en noyant les ouvriers. Le creusement fut suspendu par cette catastrophe, mais en janvier 1855 le tenace Brunel le reprit et cette fois le mena à bien. Le tunnel fut inauguré le 25 mars 1845. Il a 566 mètres de longueur, 1 lm,60 de largeur, et est à 19,50 de profondeur au-dessous du sol. Il est divisé en deux galeries accouplées, de 6m,85 de hauteur, réunies par des arcades mitoyennes.
- Je l’ai visité pour la première fois il y a quelques années. Le tunnel ne pouvait être traversé que par les piétons, et l’une seulement des deux galeries jumelles leur était réservée, l’autre était divisée en boutiques auxquelles les arcades de communication des deux voies contigües servaient de devanture; le
- gaz éclairait ce passage, pour lequel il n’y avait ni jour ni nuit. Tous les étrangers affluaient dans ce bazar sous-fluvial.
- J’ai de nouveau traversé le tunnel récemment. Les piétons n’y passent plus, les boutiques en ont été enlevées, le gaz est éteint ; est-ce une destruction? Non, c’est un progrès. Le tunnel a été acheté, en 1866, par la London Brighton and south Coast railway Company pour permettre à son réseau d’aller, par dessous la Tamise, se souder à celui de la Great Eastern railway Company; on a établi les pentes, les tranchées, les souterrains nécessaires pour amener les wagons jusqu’au passage sous-fluvial ; chacune de ces deux galeries, réservées jadis, l’une aux passants, l’autre aux marchands, est maintenant occupée par une voie de fer. Les voyageurs peuvent toujours passer sous la Tamise pour un penny; mais, depuis 1870, c’est en wagon qu’ils vont, en deux minutes, de Wapping à Rotherhithe ou de Rotherhithe à Wapping.
- Au point de vue de l’art de l’ingénieur, ce tunnel de Brunei est une œuvre magnifique, mais, financièrement, il a été la cause d’un épouvantable désastre. Avant les travaux d’appropriation au pasage des trains, il avait déjà coûté 15,550,000 francs et ne rapportait pas un demi pour cent du capital dépensé. Aussi, peidant bien longtemps, ne songea-t-on plus à faire de nouvelles voies sous-fluviales. Cependant les piocédés du génie civil se perfectionnaient rapidement, et un nouveau tunnel a pu être entrepris dans des conditions toutes différentes.
- La construction du tunnel de Brunel avait duré dix-huit ans, celle du tunnel de Barlow fils a duré dix-huit mois tout compris, et les travaux de forage ont été faits en six mois. Le tunnel de Barlow fils coûte quatre cent mille francs, tandis que celui de Brunel a coûté plus de quinze millions.
- Pour perforer le tunnel sous l’eau, on se sert d’un appareil imaginé par Brunel et nommé le bouclier; c'est un court tube eu tôle, du diamètre extérieur du souterrain, divisé, à sa partie antérieure, en cellules étanches à l’intérieur de chacune desquelles travaille un ouvrier. Par suite de cette disposition, si l’eau, filtrant à travers les terres, vient à jaillir par un point, pendant le creusement, elle peut seulement remplir la cellule correspondante, fermée à sa partie postérieure, et non pas inonder la galerie.
- En arrière des cellules et au sein desquelles les terrassiers enlèvent les terres qui se présentent devant la face antérieure de ces compartiments, d’autres ouvriers établissent, à l’intérieur du tube de tôle, formant la partie arrière Qu bouclier; le revêtement du tunnel, destiné à empêcher l’éboule-ment des terres et l’irruption des eaux. Puis, lorsque les terrassiers ont excavé le terrain devant eux à l’aide de vis (ou de presses hydrauliques) s’appuyant contre le revêtement déjà construit, on fait glisser le bouclier jusqu’au nouveau front d’abatage du terrain, jusqu’à la partie qu’il s’agit d’enlever à nouveau, et l’on pose le revêtement de la courte section
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- dégagée entre le bouclier extérieur et la paroi déjà établie, — section que le tube de tôle protège en attendant contre l‘é-boulement ou l’inondation.
- Le bouclier du tunnel de Brunei pesait cent vingt tonnes et portait trente-six ouvriers. Le bouclier du tunnel de Barlow pesait deux tonnes et demie, portait trois ouvriers et avait 21,1,4 4 de diamètre. Le tunnel de Brunei a été revêtu d’un mur en briques, celui de Barlow d’une paroi de fer formée d’anneaux de 45 centimètres de longueur; chaque segment étant divisé longitudinalement à son tour en quatre parties dont trois d’égales dimensions, et une quatrième n’ayant que 38 centimètres de largeur et servant de clef de voûte. Quand on fait glisser le bouclier entre le sol et le revêtement de fer intérieur, il reste entre ces derniers un vide au moins égal à l’épaisseur du tube protecteur du bouclier; ce vide se remplit à l’aide d’un coulis de chaux hydraulique que l’on injecte par un trou ménagé au centre de chacun des segments des anneaux successivement juxtaposés.
- Le tunnel de Brunei est sensiblement horizontal, celui de Barlowest légèrement concave, en sorte que son point le plus profond est au centre.
- Le nouveau tunnel réunit la place de
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- Great Tower hill, en amont de la Tour de Londres, à la rive méridionale de la Tamise , faubourg de Southwark. De forme tubulaire, il n’a que 2m,10 de diamètre intérieur, sa longueur est de 596 mètres ; on y descend par deux puits de 3 mètres de diamètre et 18m,25 de profondeur. Projeté en 1868, il a été achevé en avril 1870. A l’origine, les passants étaient descendus dans un salon mobile, mû par un monte - charge, entraient au niveau du tunnel dans un omnibus, mis en mouvement par un câble de fil de fer, et, après avoir passé sous la Tamise en wagon, trouvaient à l’autre extrémité un second ascenseur qui les ramenait au jour. Les deux monte - charges et le câble auquel était lié l’omnibus étaient actionnés par deux machines de quatre chevaux chacune, une au fond de chaque puits. C’était le plus petit chemin de fer du monde. Y compris la montée et la descente, le trajet total durait trois minutes et coûtait un penny.
- S’est - il présenté inopinément une impossibilité matérielle d’exploitation, les dépenses n'étaient-elles pas en rapport avec les recettes? Je l’ignore ; toujours est-il que, lorsquej’ai visité le tunnel de la Tour, cet ingénieux système de locomotion n’existait plus : un incommode escalier de bois
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- LA NATURE.
- escend au fond du puits, là il faut s’engager à pied dans le tunnel ; ce n’est point une galerie de brique spacieuse comme le tunnel de Brunei, c’est un interminable tuyau de fer, peint en blanc, à peine assez haut pour qu’un homme de grande taille passe sans s’y courber (encore doit-il ôter son chapeau); les passants ne peuvent se croiser qu'en montant sur les parois déclives de ce cylindre creux ; des jets de gaz, que ne protègent ni verre ni lanterne, s’échappent des trous d’une conduite. Plein d’une atmosphère humide et chaude, étouffée, étouffante, à l’odeur écœurante et fade, cet énorme tuyau, légèrement ondulé, plissé transversalement, ne donne pas l’idée d’un égout, mais plutôt d un intestin grêle. A l’autre bout de ce tube, on trouve le colimaçon d’un second escalier enroulé dans l’autre puits , et, dix minutes après l’avoir quitté, on retrouve le grand air.— Ouf! — Cela coûte un sou.
- Ceci prouve (pie de semblables passages sous-fluviaux, ne pouvant être que difficilement aérés, ne se prêtent guère qu’à une circulation rapide comme celle des trains. Mais, d’autre part, on voit que les passages sous l’eau ne sont pas d’une construction aussi difficile que jadis. Aussi bon nombre de tunnels de ce genre sont-ils en cours d'exécution ou en projet. A Londres, la construction d’un troisième tunnel a été autorisée, en 1866, entre Milwall et Deptford. Un grand tunnel sous la Mersey est en construction entre Liverpool et Birkenhead, un autre est projeté sous la Severn. Le tout sans parler des grands projets de jonction sous-marine de l’Irlande à l’Écosse, de l’Angleterre à la France et de l’Europe à l’Asie sous le Bosphore. En Amérique, il existe deux tunnels, l’un sous la rivière, l’autre sous le lac Michigan, à Chicago ; et deux autres sont en construction sous le Niagara, à Buffalo, et sous le Mississipi, à Memphis.
- Charles BOIsSAY.
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- LES CARTES DU DEPOT DE LA GUERRE
- (Suite et fin. — Voy. p. 115.)
- CARTE DU NIVELLEMENT GÉNÉRAL DE LA FRANCE.
- Cette carte, depuis longtemps attendue, vient d’être mise en vente. A l’échelle de 800000, elle est un extrait obtenu à l’aide de la photographie et du dessin, delà carte topographique de la France au 40,06. Le terrain est représenté par des courbes de niveau équidistantes, au lieu de l’être par des hachures comme dans la carte au 20,106.
- De ces courbes, les unes dites principales, sont quant aux altitudes, espacée de 400 en 400 mètres et figurées par un trait assez fort. Les courbes in-termediaires au nombre de trois sont d’un tracé très-mince. Les altitudes entre les courbes successives de l’une ou de l’autre sorte varient donc de 100 en 100 mètres. Cependant, dans quelques par
- ties, aux inclinaisons très-brusques, la petitesse de l’é huile n’a pas permis de tracer entre les courbes principales les 5 courbes intermédiaires. On a dû n’en tracer qu’une, de sorte que les différences d’altitude sont en ces points de 200 mètres, au lieu de 100, comme presque partout.
- Les lignes de nivellement sont en noir et celles de l’hydrographie (rivières, fleuves, lacs et mers) en bleu.
- De cette différence de teintes, il suit que l’impression a dû nécessiter deux tirages successifs, ce qui créait une assez grande difficulté si l’on voulait obtenir une concordance parfaitement exacte entre les lignes des deux teintes. Ces difficultés résultent, on le sait, des déformations du papier aussi bien que de la manœuvre de l’impression. Le résultat, à ce point de vue paraît, htons-nous de le dire, très-satisfaisant. D’ailleurs, quelques légers défauts de concordance n’eussent été d’aucune conséquence, car il faut remarquer qu’ici, le relief du terrain est la chose importante et que quand bien même, ce qui n’est pas, les déplacements des lignes de l’hydrographie eussent été de un demi-millimètre, il n’y aurait pas lieu de s’y arrêter.
- L’impression à un seul tirage donnait bien, il est vrai, le moyen d’obtenir une exactitude rigoureuse. Mais dans le cas du travail qui nous occupe, on comprend quelle importance il y avait à présenter très-nettement le relief du terrain, ce qui eût été de toute impossibilité, si les lignes du nivellement eussent été de même couleur que celle de l’hydrographie. La confusion eût été inévitable en une multitude de points.
- Ce travail comble une lacune considérable dans les moyens de description de notre sol et que l’industrie particulière eût été absolument incapable de remplir. Il suffit, en effet, pour s’assurer de l’existence de cette lacune, de comparer entre elles des cartes à grande échelle dues à des auteurs d’un mérite incontesté. On remarquera que des reliefs, même très-saillants, ont sur presque toutes ces cartes des physionomies assez différentes et souvent contradictoires. On n’en sera pas étonné, si l’on songe à la rareté et à l’incohérence des documents précis que pouvaient posséder les auteurs de ces cartes. Qu’on réfléchisse ensuite à l’immense quantité de points dont il est nécessaire de connaître l’altitude et la position en plan pour déterminer la forme du massif le moins compliqué et l’on conviendra qu’un service aussi largement doté que celui de la carte de France au Dépôt de la guerre, était seul capable de mener à bien une aussi grosse entreprise.
- Après cette publication, on ne sera plus excusable de produire des cartes de France, représentant le sol d’une manière aussi fantaisiste que nous en avons pu voir jusqu’à ce jour. Les grands massifs, les plateaux, les collines importantes peuvent être aujourd’hui dessinées et décrits avec une rigueur presque mathématique et qui ne laisse dans l’esprit ni confusion ni incertitude. Cette fiction de chaînes de mon-
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- LA NATURE.
- ou Ct
- tagnes ininterrompues, enceignant comme de murailles ou de parapets les bassins de nos fleuves, et que les écoles et les traités de géographie ont admises si complaisamment presque jusqu’à ce jour, a désormais fait son temps et devra disparaître devant la réalité si clairement manifestée.
- Ce produit de tant de travaux est-il à l'abri de toute critique et n’est-il susceptible d’aucuns perfectionnements ? Cela n’est pas probable, mais c’est par l’usage seulement qu’il sera possible de juger sûrement ses imperfections. Tel qu’il est cependant, nous voyons qu’il constitue un document imposant et dont l’emploi doit être dans une multitude de circonstances, un instrument de puissance considérable. On ne peut malheureusement, tout en reconnaissant ce beau résultat acquis, se défendre de cette réflexion : Pour quelles raisons a-t-on tardé jusqu’à ce jour, à faire jouir le pays de documents accumulés au Dépôt de la guerre depuis près d’un demi-siècle, sachant que ces documents, même incomplets, eussent été d’une utilité si considérable, aussi bien dans l’étude des questions industrielles que dans celles relatives à la défense du territoire ?
- Eugène GVILLEMIN.
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- LE PAPYRUS D'EBERS
- Le roi de Saxe vient d’acheter et de faire déposer à la bibliothèque de Leipzig, un papyrus égyptien, sur la préparation des médicaments, découvert à Thèbes par le docteur Ebers, et que ce savant s’est procuré avec une adresse et une persévérance toutes patriotiques. Le docteur Georges Ebers raconte lui-même, dans la Gazette d'Augsbourg, les péripéties de cette acquisition que menaçait de lui enlever certain Américain, moins adroit que lui ; c’est d’après son récit que nous allons indiquer, à grands traits, l’importance et le contenu du papyrus d'Ebers.
- C’est un très-beau papyrus jaune, assez bien conservé, malgré les nombreux dépliages qui en ont altéré certaines parties, et qu’il faut manier avec les plus grandes précautions. Il se compose de 110 colonnes, et porte sur le revers un calendrier double de huit colonnes. Chaque colonne a une largeur de 8 pouces, et comprend 22 lignes; elle est paginée en haut et au milieu. L’écriture va de droite à gauche ; elle est à l’encre noire, sauf les têtes de chapitres qui sont à l’encre rouge ; les caractères sont beaux, fermes, élégants ; le prêtre qui les a tracés était un artiste. Leur forme semble les faire remonter au dix-septième siècle avant J.-G. Au reste, sur le double calendrier est mentionné le nom du roi Ra-ser-ka (Aménophis Ier), ce qui prouve que le papyrus n’est pas postérieur à la première moitié du dix-septième siècle.
- Quant à la composition elle-même, elle remonte encore plus haut que la transcription. On sait que les
- plus anciens écrits égyptiens étaient des écrits médicaux. Manéthon nous apprend que les Égyptiens hono-| raient un de leurs premiers rois comme médecin. Cette assertion est confirmée, non-seulement par le fragment de papyrus de Brugsh et Chabas, conservé au musée de Berlin, mais encore par celui que nous mentionnons.
- Le premier chapitre du papyrus traite de l’origine même du livre qui provient du temple d’An (Hélio-polis). Puis, viennent les remèdes proprement dits employés contre les diverses maladies, avec des détails étendus sur les maladies d’yeux, les remèdes contre la chute des cheveux, les ulcères, la fièvre, les démangeaisons, etc.
- Au chapitre consacré à la maîtresse de ménage, comme l’appelle l’écrivain égyptien, en succède un autre, traitant de la maison même, de l’importance de sa propreté pour la santé, des moyens de chasser les insectes, de leur interdire l’accès des demeures, d’empêcher les serpents de sortir de leurs trous, des moyens d’éviter la morsure des cousins, les piqûres de puces, de désinfecter les vêtements et le logis.
- Il est traité plus loin, comme d’une chose mystérieuse des rapports de l'âme avec le corps, puis des moyens secrets de connaître le cœur et ses battements.
- En terminant son coup d’œil sur le papyrus, qu’il rapporte aux temps des premiers pharaons, très-peu après Ménès , Ebers s’excuse de ne l’avoir pas plus profondément étudié faute des ressources littéraires qui lui ont manqué dans son voyage ; mais il se promet de le déchiffrer complètement, à l’aide de ses collègues, tâche qu’il ne pense pas possible de terminer cependant avant plusieurs années. Il a l’espoir que, grâce aux traductions diverses de la Bible, on pourra arriver à la détermination des noms de certaines maladies aujourd’hui inconnues ; il y sera encore aidé par les vieux ouvrages égyptiens, parles dictionnaires des langues sémitiques, par des ouvrages grecs, analogues comme fond au papyrus (particulièrement celui de Dioscoride). Il estime déjà que le papyrus lui apportera 100 mots absolument nouveaux. Enfin il pense que si, sous le rapport de la physiologie, de la pathologie et de la thérapeutique, sciences si avancées de nos jours, le papyrus n’ajoutera aucune idée nouvelle, au moins jettera-t-il Une vive lumière sur l’histoire de la médecine dans ces âges reculés.
- Dr G. DELVAILLE.
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- LE CAP BLANC-NEZ ET LE CAP GRIS-NEZ
- Les spectacles si variés et si admirables qu’offrent à l’observateur les rivages de la mer sont un magnifique exemple des modifications éternelles que subit la surface du globe terrestre. — Quand la côte est basse, et le fond sablonneux, les vagues poussent ce sable vers le bord ; à chaque reflux il s’en des-
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- LA NA TI R F.
- sèche un peu, et le vent, qui souffle presque toujours de la mer, en jette sur la plage. Ainsi se forment les dunes, ces monticules sablonneux, qui, si l’indus-trie de l’homme ne parvient à les fixer par des végétaux convenables, marchent lentement mais invariablement vers l’intérieur des terres. Quand, au contraire, la côte est élevée, la mer qui n’y peut rien rejeter y exerce une action destructive ; ses vagues en rongent le pied et en escarpent toute la hauteur en falaise, parce que les parties plus hautes, se trouvant sans appui, tombent sans cesse dans l’eau ; elles y sont agitées dans les flots jusqu’à ce que les parcelles les plus molles et les plus déliées disparaissent. Les portions plus dures, à force d’être roulées en
- sens contraires par les vagues, forment ces galets arrondis ou cette grève qui finit par s’accumuler assez, pour servir de rempart au pied de la falaise. (Cuvier).
- Pour avoir une juste idée de la force destructive des Ilots de l’Océan, il suffit de les observer, pendant la tempête au sommet d’une falaise du cap Blanc-Nez. L’impétueuse armée des vagues se jette à l’assaut de la muraille de pierre, avec une épouvantable fureur ; on entend de terribles mugissements produits par ce combat de l’élément liquide contre la terre ferme. Celle-ci est toujours vaincue dans la lutte ; des éboulements se produisent sous le jeu de cette action puissante ; des pans de rochers s’é-
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- Les roch'rs du cap Gris-Nez.
- croulent et après la tourmente la mer les divise, les arrondit en galets.
- Le Blanc-Nez et le Gris-Nez, sont deux promontoires, situés à côté l’un de l'autre, au nord de la France , entre Boulogne et Calais. Ils sont formés de magnifiques falaises, peu connues du touriste, et cependant les plus imposantes peut-être que présentent les côtes françaises. Le géologue y trouve un remarquable exemple des évolutions lentes du' globe, sous l’action des vagues de l’Océan. En effet, le pas de Calais ne cesse pas de s’élargir depuis des siècles ; et d’après les observations de M. Thomé de Gamond, la falaise du Gris-Nez recule environ de 25 mètres par siècle.
- Les deux caps Blanc-Nez et Gris-Nez sont formés de roches calcaires, qui appartiennent au terrain oolithique supérieur ; on y trouve un grand nombre d’empreintes de coquillages fossiles, notamment des ammonites d’une dimension considérable. Quelques-
- unes d’entre elles, beaucoup plus petites, sont formées de pyrite de fer qui abondent surtout dans le calcaire du Blanc-Nez. Cette pyrite s’y rencontre partout dans la masse rocheuse soit en minces filons, soit en rognons de la grosseur d’une noix ; quand on brise ces rognons , on en dévoile la remarquable constitution ; ils sont formés d’aiguilles de sulfure de fer, qui rayonnent autour d’un centre, et affectent un éclat particulier. Leur couleur est d’un beau jaune métallique, et les pêcheurs ignorants, de la localité, sont persuadés que ces minéraux contiennent de l’or. Le soufre et le fer sont cependant leurs seuls éléments constitutifs.
- Le cap Blanc-Nez, dont notre gravure, faite d’après nature, donne une représentation exacte, forme une vaste muraille, qui n’a certainement pas moins de 2 kilomètres d’étendue. Son point culminant est situé à deux cents mètres au-dessus du niveau de la basse mer. Le cale lire, qui en constitue la masse, est
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- aussi blanc que la craie, et quand le soleil y darde ses rayons, l'œil peut à peine en supporter l’éclat. Quand on longe le rivage au pied de la falaise , on traverse un curieux amoncellement de rochers éboulés, de pierres roulées qui s’étendent à une grande distance vers la pleine mer, sur un lit de sable menu. Le point d’où l’on part, au pied de la falaise, pour entreprendre l’excursion est le village de Saugatte : à l’extrémité opposée, on admire des petites cascades d’une eau douce et fraîche, qui s’écoule sans cesse des fissures des rochers, et ruisselle dans la mer pendant les hautes marées.
- Le cap Gris-Nez est beaucoup plus rapproché de Boulogne que de Calais, il s’avance [dus loin dans la mer, et ferme la pointe extrême du nord de la France vers l’Angleterre. Quoiqu’il ne soit situé qu’à une faible distance du Blanc-Nez, son aspect est tout à fait caractéristique. Ses falaises ne s’élèvent pas à une hauteur considérable, elles sont formées d’un sol friable, où se trouvent, étagés en lignes horizontales, d’immenses rochers calcaires de forme ronde. Ces rochers sont aussi noirs que ceux du Blanc-Nez sont blancs ; un grand nombre d’entre eux sont éboulés et produisent, au bord de la mer, un étrange
- Les falaises du cap Blanc-Nez.
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- chaos de pierres gigantesques , dont quelques-unes atteignent des dimensions prodigieuses (Voir la gra-vure ci-contre).
- Il est certain que ces pierres tombées de la falaise, forment un véritable rempart contre les vagues ; on dirait que la nature a pris soin de protéger le gisement terrestre, afin que l’envahissement des flots ne soit pas trop rapide.
- Dans un grand nombre de localités, les débris tombés des falaises sont immédiatement déblayés par la mer, et la destruction est alors considérable. C’est ainsi que de l’autre côté du pas de Calais , les falaises de l’Angleterre sont démolies par l’Océan avec une énergie de beaucoup supérieure. D’après Beet Jukes, les fermiers doivent environ compter sur une perte de! mètre par an, le long de la falaise
- britannique. Sur d’autres points de l’Angleterre, de semblables faits sont fréquents. A l’est de la péninsule de Kent, les flots de l’Océan ont envahi 6 kilomètres de terre ferme depuis l’époque romaine. Les vastes domaines du comte Goodwin ont été entièrement submergés ; à la place d’une propriété riche et luxuriante, on aperçoit aujourd’hui des rochers, des récifs, où les navires viennent parfois se briser pendant la tempête.
- Les côtes françaises, où s’élèvent le Blanc-Nez et le Gris-Nez , sont beaucoup moins endommagées , comme nous venons de le voir. Ce dernier cap est protégé par un rempart formidable de rochers si solides et si massifs, que la force des flots ne peut évidemment les entamer que lentement et d’une façon peu sensible. Comme l’a dit un poète, on pourrait
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- LA NATURE.
- comparer ces rocs, éboulés de la falaise, à des combattants qui protègent de leurs cadavres, la forteresse d’où l’ennemi les a arrachés. Toutefois si l’œuvre de la mer n’est pas aussi rapide, elle n’en est pas moins manifeste, et de siècle en siècle l'Océan travaille, là comme partout ailleurs, à modifier le contour des continents, à niveler l’écorce terrestre. Bien avant nous, de grands observateurs ont compris et admiré ces éternelles évolutions de la matière, au sein de la nature ; il y a plus de mille ans, Aristote exprimait, à ce sujet, des idées auxquelles on ne saurait rien ajouter aujourd’hui : « La terre, dit cet illustre philosophe, dans son Traité des météores, ne présente pas toujours le même aspect: là où nous foulons aujourd'hui un sol continental, la mer a séjourné et séjournera encore ; la région où elle est à présent fut jadis et redeviendra plus tard encore un continent. Le temps modifie tout. »
- L. LHÉRITILR.
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- CURIOSITÉS DE LA MÉTÉOROLOGIE
- LES MIROIRS D’AIR.
- Les éléments essentiels de la théorie des miroirs d’air ont été découverts, par Monge, dans des circonstances qui méritent d’être rapportées.
- Les soldats de l’expédition d’Egypte ne tardèrent point à s’apercevoir qu’ils étaient presque tous les jours victimes d’une illusion cruelle; chaque fois qu’ils poursuivaient l’ennemi dans le désert, ils voyaient apparaître devant eux des nappes d’eau qui semblaient fuir comme pour leur faire subir le supplice de Tantale. Le crédit des savants qui accompagnaient le général Bonaparte eût été singulièrement ébranlé s’ils n’avaient donné une théorie complète d’un phénomène gênant et incessamment renouvelé.
- Sommé de répondre, l’inventeur de la géométrie descriptive s’exécuta de bonne grâce. Son explication fut prête lors de l’apparition du premier numéro de la Décade égyptienne, journal scientifique de l’expédition qui dura jusqu’à la capitulation du général Menou. Un numéro était sous presse, et son apparition aurait eu lieu à l’époque ordinaire sans cette catastrophe, que les savants voyaient venir, mais à cette époque d’héroïsme la plus triste perspective n’arrêtait point les travaux.
- Les Anglais étaient parfaitement au courant des faits et gestes de l’armée d’Egypte, qu’ils faisaient surveiller par leurs espions avec un soin jaloux. Nulle part les numéros de la Decade égyptienne n’étaient lus avec autant de soin qu’à Londres; aussi, presque immédiatement après la publication du mémoire de Monge, le révérend Vince et le célèbre Wollaston publient de longs mémoires sur les mirages dans les Transactions philosophiques. Les Allemands ne tardèrent point à venir à la rescousse
- comme les traînards pesamment chargés, arrière-garde d’une armée qui envahit le pays ennemi et qui livre au pillage tout ce qui lui tombe sous la main. C’est donc à nos compatriotes que revient l’honneur d’avoir jeté les bases d’une des théories physiques les plus intéressantes, ainsi que nous espérons être à même de le montrer.
- Wollaston eut cependant une idée fort ingénieuse. Il imagina de mettre dans une fiole plate du sirop de sucre, sur lequel il jeta avec précaution de l’eau pure. Une fois cette eau reposée, il la surmonta d’une couche d’alcool. La bouteille contenait donc trois
- couches, diaphanes toutes trois, mais douées chacune
- d’un pouvoir réfringent spécial. La surface de séparation de l’eau et du sucre, ainsi que celle de l’eau et de l’alcool, produit alors des effets de réflexion et de réfraction tout à fait analogues à ceux qu’on observe sur les miroirs d’air. Quand on se place convenablement, on voit ap-paraître, dans le voisinage de cette surface invisible, deux images, l’une droite et l’autre renversée. On s’en assure à l’aide d’une étiquette que l’on colle sur le verre de l’éprouvette ap-platie (fig. 1).
- Est-il besoin de faire remarquer que des phénomènes analogues se produisent
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- Fig. 1. — Expérience de Wollaston.
- forcément dans l’atmosphère, quand une couche d’air douée d’un pouvoir réfringent très-faible, vient à se placer au dessous d’une couche plus réfringente? C’est le cas normal qui se produit dans le désert, lorsque le sable est surmonté par une couche d’air très-chaud. La bouteille plate de Wollaston donne donc un moyen très-simple de répéter les observations faites sur une plaque de tôle fortement échauffée.
- Il est facile de voir que, dans l’expérience de Wollaston, les deux couches ne sont point nettement séparées ; car en vertu de la diffusion le sirop monte dans l’eau en même temps que l’alcool y descend. Mais la loi des variations de densités doit être ré-
- gulière. Sans cela le phénomène ne se produirait point. On verrait des stries, des troubles de vision, des images imparfaites, plus ou moins analogues aux trépidations que produit une flamme ou de la vapeur invisible qu’on intercale, en plein jour, entre son œil et un objet éloigné.
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- LA N A TUBE.
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- Comme nous l’avons dit plus haut, les phénomènes sont quelquefois plus complexes, et la réver-bération produite par le miroir d’air peut avoir lieu dans le ciel. C’est le phénomène qui se présente lorsqu’un courant d’air chaud se trouve intercalé entre deux couches d’air froid. Alors les images extraordinaires se montrent aussi bien à la surface supérieure qu’à la surface inférieure de la couche intermédiaire. C’est ainsi que l’on peut expliquer les diverses variétés du mirage qui ont été observées à différentes reprises dans la Manche, et dont les mémoires insérés, en 1799 et en 1800, dans les Transactions philosophiques, donnent de nombreux exemples. Ces miroirs célestes produisent des apparitions d’armée, de villes ou de troupeaux apparaissant dans les nuages. Les cas de suspension aérienne observés à Paris se rapportent au même phénomène. Cette explication a même été indiquée d’une manière grossière par Cardan à propos de l'apparition d’un ange planant au-dessus de la ville de Milan. Il a fait voir que cette figure n’était que l’image d’une statue surmontant un des clochers de la cité.
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- Fig. 2. — Fac-similé d’une estampe de la Bibliothèque nationale1 (1557)
- Dans Lycosthène, Julius Obsequens et autres chroniqueurs, on parle très-souvent de l’apparition d’armées venant se montrer dans les nuages, et qui pouvaient être simplement l’image de combats se livrant à quelque distance. Cependant, il peut également se faire que ces apparitions, simplement fabuleuses, n’aient jamais eu lieu, et que les dits chroniqueurs n’aient fait que duper leurs lecteurs, si eux-mêmes n’avaient point commencé à être les premières dupes (fig. 2).
- 1 Cette gravure est reproduite d’après un livre très-rare et très-ancien, intitulé : Prodigionun ac ostentorum chronicon. NDLVII, dû à Lycosthène. Nous aurons l’occasion de parler très-prochainement de cet ancien ouvrage.
- Nous n’en finirions pas si nous voulions expliquer toutes les illusions auxquelles les miroirs d’air peuvent donner lieu. Mais il est un genre de troubles de la vision dont nous ne pouvons nous empêcher de dire quelques mots. En effet, rien n’oblige, comme on a le tort de le croire, à supposer que ces miroirs soient nécessairement plans. Ils peuvent prendre une forme curviligne dans certaines circonstances particulière du refroidissement ou du réchauffement atmosphérique. Car ce phénomène se produit aussi bien dans un cas que dans l’autre. Ce qui le prouve surabondamment, ce sont les récits du capitaine baleinier Scoresby, dans son Tableau des régions arctiques.
- Les mirages sont plus nombreux peut-être sous les pôles que dans l’équateur. La seule différence, c’est que le pouvoir réfringent de la couche perturbatrice, au lieu d’être produit par une augmentation de chaleur, est le résultat d’une contraction extraordinaire produite par le froid. Si on admet que le sable du Sahara produit une action positive, il faudra dire que les glaces de la banquise produisent une action négative. Mais fous les raisonnements faits pour un cas conviendraient à l’autre en changeant les signes dans le sens qui convient. Si les miroirs d’air sont curvilignes, les images peuvent être déformées et amplifiées comme avec une lentille. On peut, avoir de véritables anamorphoses. Ces miroirs d’air doivent se produire souvent la nuit d’une façon irrégulière, quand il fait froid à terre et que le ciel est serein, ce qui arrive très-fréquemment. En effet, les ascensions aérostatiques prouvent qu’il fait généralement plus chaud à une certaine altitude. Ne serait-ce point par hasard ce mirage imparfait qui produirait le tremblotement ou la scintillation des étoiles et des planètes? Si les étoiles scintillent presque toujours, même quand les planètes sont tranquilles, c’est sans doute, en admettant l’hypothèse que nous hasardons, que leur lumière traversant un nombre bien plus grand de matières diaphanes ne nous saurait arriver limpide, tranquille et pure. Il n’y aurait rien d’extraordinaire à admettre qu’elle éprouve une réfraction et un trouble particulier, en pénétrant dans notre monde solaire. Quoiqu’il en soit, on peut dire que la théorie physique des mirages est encore à faire, car on a oublié d’observer et l’on s’est borné à disserter à perte de vue sur les courbes qui peuvent le mieux représenter les trajectoires.
- Avec un mélange d’eau froide et d’eau chaude, on pourra certainement produire des effets de mirage analogues à ceux qu’on obtient avec différents liquides diaphanes. Il suffirait, je pense, de chauffer l’eau par le haut, afin que les bulles n’en troublent pas la transparence.
- Nous ne pouvons terminer cette revue sommaire sans protester contre deux erreurs des physiciens. La première, de beaucoup la moins grave, est de croire que les rayons lumineux suivent forcément une ligne régulière, mais, d’après ce qui précède, on peut voir qu’ils peuvent suivre une trajectoire quelconque
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- comme le représente par exemple la figure 5, où le rayon lumineux est représenté par la ligne LMNR. Cette trajectoire n’a rien pour la définir que les lois infiniment variables de la répartition de la quantité d’humidité et de la quantité de chaleur. La seconde, beaucoup plus grave, c’est de s’imaginer qu’il y a dans les lois de la réfraction une sorte de compensation, telle qu’on n’est pas obligé de tenir compte de l’état hygrométrique de l’air, car, si la vapeur d’eau introduit un pouvoir réfringent plus grand, elle
- Fig- 3.
- produit, d’autre part, une raréfaction de l’air; cette chimérique compensation, imaginée par suite d’expériences incomplètes de Biot et d'Arago, est ruinée par les phénomènes de mirage. L’expérience suivante de Wollaston, qu’il est facile de répéter, ne laisse point de prise au plus léger doute.
- En faisant évaporer de l’eau sur une plaque de dix pieds de longueur, et en visant un objet éloign lumineux, on voit un déplacement appréciable; l’image est relevée (fig. 4).
- Fig. 4. — Mirage artificiel de Wollaston.
- Ces phénomènes se constatent mieux, en faisant évaporer de l’alcool et surtout de l’éther répandus sur une planche ou une plaque de verre de dimension moindre. En augmentant la rapidité de l’évaporation, on s’aperçoit facilement que la déviation augmente. Les images interverties, vues au-dessus de la mer à petite distance, n’ont point d’autre cause. C’est un phénomène analogue à celui qu’on produit artificiellement avec une petite quantité d’éther, et qui dans la nature demande un espace beaucoup plus grand, parce que la différence du pouvoir réfringent de la
- vapeur d’eau et de l’air est infiniment plus faible que celle de l’air et de l’éther vaporisé.
- Nous terminerons en faisant remarquer que bien des fois, dans les opérations géodésiques, on a aperçu des changements dans le résultat des visées pour les points lointains. Nous avons meme lu, quelque part, qu’on se proposait de tirer des conclusions météorologiques de ces déplacements des images. Nous serons heureux de voir qu’on donne suite à un projet si utile, non-seulement pour le progrès de la géodésie, mais encore pour celui de la physique elle-même, caries circonstances multiples dans lesquelles se produisent les mirages ne tarderont point à être élucidées. AV. de FONVIELLE.
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- LES WAGONS-AMBULANCES
- Les changements introduits dans l’art militaire par l’emploi des armes à longue portée ont amené un double résultat qu’il est impossible de méconnaître : la diminution du nombre des morts et l'augmenta-lion de celui des blessés restés sur le champ de bataille. Une pensée généreuse, bien digne d’un siècle de progrès, fut de chercher à sauver, en temps utile, ces malheureuses victimes de la guerre par une organisation efficace des sociétés de secours. — 11 ap-pallient à l’Amérique d’avoir eu, en avril 1864, la première idée sérieuse d’une association de ce genre. Depuis cette époque, des progrès de toute sorte ont été apportés à la grande œuvre philanthropique, pour laquelle les différentes nations ont rivalisé de zèle. — Nous n’avons pas à décrire ici les nombreux appareils destinés au sauvetage des blessés ; le sujet est vaste et donnerait lieu à de trop longs développements. Toutefois nos lecteurs verront peut-être avec quelque intérêt certains détails sur un point important de la question : le transport rapide des blessés sur les chemins de fer, au moyen de wagons spéciaux, pourvus de tout le confortable nécessaire à des malades.
- Les wagons-ambulances ont été employés, pour la première fois, en Amérique, pendant la guerre de la sécession. Les champs de bataille des États-Unis étaient encombrés de blessés, dont l’agglomération eût amené des résultats désastreux au point de vue hygiénique, si l’on n’avait pris des mesures pour les éloigner de ces centres d’infection. Il ne fallait assurément pas songer à placer dans des voitures ordinaires, si commodes qu’elles pussent être, des hommes amputés ou atteints de blessures graves; les wagons à voyageurs furent donc réservés aux soldats que le peu de gravité de leur état permettait de transporter ainsi sans inconvénient. Quant aux autres, le problème consistait à trouver un moyen de les soustraire aux fatigues de la route et aux intempéries des saisons, en créant pour eux de véritables dortoirs roulants. Une des principales difficultés d’exécution résidait dans l’aménagement des lits; il
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- y avait là, en effet, un double écueil à éviter : car, si 1 les malades étaient horriblement secoués ; d’un au-l’on fixait solidement ces lit s à la paroi de la voiture, | tre côté, si on les suspendait à des courroies rigides,
- 1 çilianu/"
- Wagon d’ambulance russe.
- Coupe du wagon d’ambulance russe.
- les couchettes étaient ballottées en différents sens, et 1 celle du mal de mer. Pour obvier à ces divers iucon-les hommes éprouvaient une sensation analogue à | vénients, on a eu recours à un mode spécial de sus-
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- pension : chaque lit, composé d’un cadre en bois, recouvert d’un matelas solidement fixé, est accroché, par de fortes courroies en caoutchouc, à des anneaux de même matière insérés aux parois du wagon à l’aide de crochets en fer. L’élasticité du caoutchouc amortit les secousses imprimées par la marche, au point de les rendre presque insensibles pour les malades. Ces lits sont superposés, sur trois rangs en hauteur, de chaque côté de la voiture, suivant une disposition analogue à celle usitée sur les paquebots.
- Les wagons de ce système, comme tous ceux employés en Amérique, sont à couloir central, et munis d’une plate-forme avec escalier à chaque extrémité ; la caisse est divisée en trois compartiments : le premier forme cabinet pour le médecin, avec table et lit-canapé ; cette pièce renferme la pharmacie et tous les instruments nécessaires ; le second contient les lits des malades, et le troisième est destiné à chauffer, au moyen d’un poêle, le dortoir et la chambre du médecin. Ces voitures, en raison de leur longueur exceptionnelle, ne sont pas montées sur des essieux fixes ; un système de quatre roues, réunies par un plancher mobile autour d’un axe vertical, supporte chacune des extrémités de la caisse, de manière à permettre le passage dans les courbes les plus prononcées. Par l’emploi de ce mode de traction, il a été construit des wagons d’une dimension telle qu’ils pouvaient réunir tous les éléments nécessaires au service de l’ambulance: dortoir, cabinet du médecin, salon d’opérations, cuisine et pharmacie. Celui dont nous donnons deux figures en perspective et en coupe, a été construit en Russie ; il est à deux étages, l’un destiné aux malades, et l’autre contenant seulement la chambre du médecin, des réservoirs à eau et à glace, et les collections d’instruments de chirurgie, ainsi que les thermomètres, baromètres, etc. A l’étage inférieur, on trouve successivement, installés avec un confortable parfait, la cuisine, le laboratoire de pharmacie, et le dispensaire pourvu d’une table à opérations ; le reste de la voiture appartient à l'ambulance proprement dite ; les blessés y sont pourvus de lits moelleusement suspendus, de chaises longues articulées et de fauteuils ; la température y est entretenue à un niveau constant au moyen d’un appareil à circulation d’eau tiède, réglé par l’électricité ; enfin, des ventilateurs maintiennent l’air intérieur à un état de pureté satisfaisant. Ce wagon, construit à Moscou, par les élèves de l'É-cole technique Komissaroff, a été offert à l’impératrice de Russie pour la Société de secours placée sous son patronage. Les frais de construction se sont élevés à près de 38,000 francs.
- Nous ne pouvons oublier de mentionner, en terminant, un intéressant progrès accompli par la France dans la question qui nous occupe. La Société de secours aux blessés vient d’envoyer à l’Exposition de Vienne un train complet de wagons-ambulances, construits dans les ateliers d'Ivry. Chacune des voitures composant ce train a une destination bien définie et porte un titre indiquant son usage spécial :
- approvisionnement, cuisine, réfectoire, ambulance, médecin, magasin.
- Cette installation admirablement organisée et si bien faite pour soulager les blessés fait le plus grand honneur à la Société française et à son honorable président. P. de Saint-Michel.
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- CHRONIQUE
- Le météorite d'NKull, — Le 7 juillet dernier, la ville d'llull, dite aussi Kinyston-upon-Hull, située en Angleterre (York), au confluent de l'Humber et de l'Hull, a été mise en émoi par le passage dans le firmament d’un météore d’un éclat inusité. L'aérolithe a décrit dans le ciel une courbe majestueuse, s’étendant sur un arc de deux ou trois degrés; malgré l’heure avancée de la nuit (1 h. 10), un grand nombre d’habitants ont pu observer cet imposant phénomène. La lumière projetée par le météore était d’une vivacité extraordinaire; elle a fait sentir son action pendant plus de cinq minutes. La trace lumineuse, d’un blanc éblouissant, paraissait traverser le carré des étoiles de la constellation de la petite Ourse.
- Les torpilles prussiennes. — Nous avons récemment parlé des constructions navales de la Prusse (voyez p. 79). Un des derniers numéros de la Gazette d’Augs-bourg nous donne des renseignements sur une nouvelle torpille offensive, qui a été expérimentée d’après les ordres du gouvernement impérial. Cette torpille est lancée par une chaloupe canonnière dans la direction voulue, et fait explosion à un moment donné quand elle a été dirigée vers le navire ennemi qu'il s’agit d’atteindre. De nouvelles expériences vont être exécutées en pleine mer, et la division des torpilles de la marine prusienne attend un plein succès de ces essais.
- Ascensions aéorestatiques. — Dans le courant des mois de juin et juillet, M. Eugène Godard a fait une série de campagnes aérostatiques fort intéressantes. Le 26 juin, le célèbre aéronaute a exécuté une fort belle ascension à Dijon, avec son ballon le Météore. Il est descendu tout près de la gare de Langres, après avoir atteint l’altitude de 3,000 mètres, hauteur à laquelle les voyageurs ont contemplé un admirable coucher du soleil ; l’astre disparaissait majestueusement dans un océan "de brumes aussi rouges que le sang, et dont l’éclat était tellement intense qu’on eût dit des plaques de fer incandescent. — Le 6 juillet, M. Eugène Godard s’élevait dans les airs devant les habitants de Troyes, et le 16, il recommençait une troisième ascension à Reims. — L’aérostat dans ce dernier voyage a été saisi à 2,800 mètres d’altitude par un vent violent qui l’a entraîné avec une vitesse de 1,000 mètres à la minute. Le ballon, en effet n’a pu rester en l’air 'qu’une demi-heure, et il est descendu à 30 kilomètres de Reims à Saint-Germainmont, canton d’Asfeld, arrondissement de Rethel.
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- ACADÉMIE DES SCIENCES
- Séance du 21 juillet 1873. — Présidence de M. de QUATREFAGES.
- Tout chemin mène à Rome. M. Ferdinand de Les-seps arrive à l’Institut par le canal de Suez. La première classe s’est honorée en s’adjoignant le célèbre ingénieur qui a fait de la plus grande traversée du monde
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- une excursion de cabotage ; aussi, malgré la chaleur torride que nous subissons, tous b s membres valides de l’Académie ont-ils eu à cœur de prendre part au scrutin. La place que se disputaient les candidats, d’ailleurs nombreux, était celle d'académicien libre, laissée vacante par le récent décès de M. A. de Verneuil. Le nombre des votants étant de 60 , 33 voix se sont portées sur M. de Lesseps ; M. Bréguet a obtenu 24 suffrages, et MM . du Moncel, Jacq-min et Sédillot, chacun 1.
- Après une communication de M. Bouillaud sur la suite de ses études du cerveau, la nitrification de la terre arable occupe le savant et sympathique directeur de l’École d’application des tabacs. L'acide azotique, on le sait, se forme aux dépens de l’air contenu dans la terre, mais ce que M. Schlœsing démontre, c’est que la quantité d’acide produit n’est pas proportionnelle à celle de l’oxygène que cet air contient.
- La terre étant imprégnée d’air normal, le phénomène de la nitrification en opère en quelque sorte l’analyse et ne s’arrête qu’au moment où la proportion d’oxygène est descendue à 1 1/2 p. 0/0. De plus, on constate que l’énergie de la nitrification va en croissant quand cette proportion passe progressivement de zéro à 16 p. 0/0. Mais de 16 à 21 p. 0/0 (qui est la proportion normale) elle diminue très-sensiblement. C’est là un fait très-inattendu et d’autant plus intéressant qu’il trouve son analogue exact dans la combustion spontanée des matières organiques dans la terre arable.
- — Même, si vous n'étiez pas disposés à suivre M. le général Didion dans l’analyse mathématique à laquelle il se livre, rien ne vous sera plus facile que de répéter la curieuse expérience qu’il fait devant l'Académie. Placez horizontalement un miroir et déposez-y (la convexité en dessous) un verre de montre très-bombé. Interposez une goutte d’eau entre le verre et le miroir, puis inclinez le dernier peu à peu.
- Au lieu de glisser le long du plan comme on aurait pu s’y attendre, le verre se met à rouler de droite à gauche, ou inversement le long d’une ligne qui semble sensiblement horizontale : l’expérience est très-intéressante, et l’effet observé s’explique très-simplement... par des calculs très-compliqués.
- — Les intéressants articles, publiés ici même par M. Vignes, sur le terrible parasite, le phylloxéra vastalrix, permettront à nos lecteurs d’apprécier l’importance du fait que signale aujourd’hui M. Dumas au nom de M. Cornu. On sait que deux sortes très-distinctes de phylloxéra ont été signalées : celui des racines et celui des feuilles, qui est incomparablement plus rare. M. Cornu a placé une feuille infestée de ce dernier dans un vase où se trouvait un cep jeune et absolument sain, comme le montrait la terminaison régulièrement conique de ses radicelles. En très-peu de temps, cette vigne fut attaquée, et les radicelles se recouvrirent des gibbosités caractéristiques : le phylloxéra des feuilles est donc le même que le phylloxéra des racines.
- — « Tout cela est bel et bon, interrompt M. Le Verrier, mais voilà bien des communications sur ie phylloxéra, et en définitive ses ravages continuent toujours. Y a-t-il dans les travaux faits, quelque chose qui ressemble à un remède? car c’est là le point... »
- M. Dumas fait observer qu’à côté de la question pratique, il y a le problème scientifique. — D’ailleurs, on peut ajouter que, dans le Midi où l’on a fait comparativement l’essai des innombrables méthodes proposées, toutes ont échoué... sauf une : celle qui consiste à arroser la vigne avec de
- l’urine contenant un peu de sulfure de potassium. L’ammoniaque est à la fois un poison pour l’insecte et un engrais pour la plante ; il y a peut-être lieu de fonder quelque espérance sur ce procédé. — Cela serait d'autant plus désirable que les cultivateurs sont dans la plus profonde consternation, bien que la récolte actuelle se présente très-bien. Leur opinion unanime est que si un remède efficace n’est trouvé promptement, la vigne est destinée à disparaître de France dans un très-petit nombre d’années !
- Stanislas Meunier.
- LE CIEL AU MOIS D’AOUT 1873
- La planète Mercure sera, le 12 août, en conjonction inférieure avec le Soleil, en d’autres termes, se trouvera dans le point de son orbite le plus rapproché de la terre pendant la révolut ion qu’elle effectue en ce moment autour de l’astre radieux. C’est dire qu’elle sera absolument invisible, étant déjà si difficile à observer, quand elle n’est pas plongée dans la lumière solaire. Mercure est bien, le jour de sa conjonction, de quelques degrés au-dessous du disque du soleil, mais trop rapproché pour qu’une observation soit possible (la latitude héliocentrique australe est de 7 degrés). Mais son mouvement synodique est rapide, et le 30 août il atteindra son maximum d’élongation occidentale ; se levant alors une heure trois quarts avant le soleil, on pourra si le ciel à l’orient est bien dégagé de vapeurs, le chercher dans le Lion, devançant Régulus de 5 à 6 degrés.
- Par la même occasion, les amateurs astronomes qui aiment à se lever avant le soleil — ce n’est pas, pour la saison, un bien grand sacrifice — pourront observer Vénus qui se lève quelques minutes après une heure du matin et qui, pendant ce mois, franchit une ligne allant d’un point situé au nord du quadrilatère d’Orion, presque parallèlement à l’équateur, jusqu’à un point du Petit Chien voisin du Cancer. La belle et blanche planète passe, dans ce parcours, au-dessus de deux brillantes étoiles, Beteigeuze à l’angle d’Orion, et Procyon, que sépare l’une de l’autre la large branche de la voie lactée.
- Mars, en quadrature le 11 août, continue son mouvement dans la Balance et, à la fin du mois, aura pénétré dans l’éventail que forme Antarès avec les quatre étoiles du Scorpion, 3, 8, T, q. L’heure de son coucher avance de 40 h. 41 m. du soir à 9 h. 25 m. environ, de sorte que la planète ne sera pas, pour l’observation, dans une situation très-favorable.
- Jupiter, toujours dans le Lion, sera à peine visible le soir, car il se couche de plus en plus tôt, à peine une heure après le soleil, le 1er août, et quelques minutes seulement après lui, à la fin du mois.
- Saturne seul reste à peu près visible toute la nuit, dans la constellation du Sagittaire, mais dans une situation toujours peu favorable, à cause du peu d’élévation de la planète au-dessus de l’horizon, du moins dans nos contrées de la zone tempérée boréale.
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- Mais laissons là les planètes. Le véritable intérêt pendant le mois d’août, est ailleurs pour les amateurs d’astronomie physique. On sait que les nuits qui précèdent et suivent le 10 août sont, périodiquement, le théâtre d’une apparition d’étoiles filantes inaccoutumée. La terre, à cette époque, se trouve traverser l’essaim de météores auquel on a donné le nom de Perséides, parce que c’est dans la constellation de Persée qu’est situé le point radant de cet essaim. Ce n’est pas que le nombre des météores soit maintenant bien considérable ; depuis une vingtaine d’années, il est en décroissance. Mais le phénomène n’a pas pour cela diminué d’intérêt, car il s’agit toujours, tout en constatant la loi de cette décroissance, de déterminer le point ou les points de convergence des trajectoires lumineuses, de manière à se rendre compte de ses variations déposition. Les observateurs de ces apparitions sont très-nombreux aujourd’hui soit à l’étranger, soit en France, ce qui est d’un grand avantage pour l'astronomie, puisque leschancesd'une observation favorable se multiplient avec le nombre des postes établis dans ce but. En 1869, par exemple, le midi de l’Espagne avait un temps couvert qui n’a permis à M. Arcimis, de Cadix, de n’observer que 25 météores ; mais déjà, à Marseille, M. Borelly en enregistrait 146 dans la seule nuit du 10 au 11 août entre 8 h. 1/2 du soir et 2 h. du matin ; quelques beaux bolides furent en outre remarqués. A Palerme, M. Tacchini était encore plus heureux: il notait 472 météores et calculait pour le point radiant une ascension droite de 43° avec une déclinaison boréale de 57°, correspondant à un point de la constellation de Persée. A Urbino (Italie), M. Serpieri observait 470 météores, mais les étoiles filantes y semblaient distribuées en plusieurs groupes ayant chacun leur point radiant distinct. Il y avait toutefois accord avec les observations de Palerme, en ce sens que la position moyenne des points radiants coïncidait toujours avec celle que M. Tacchini avait calculée. A Velletri enfin, sur 566 étoiles filantes observées, 461 parurent appartenir à l’essaim des Perséides, les autres étaient des étoiles sporadiques.
- Depuis plusieurs années, grâce à l’initiative de l’Association scientifique de France et de plusieurs astronomes étrangers, une organisation spéciale a été instituée pour l’observation régulière des essaims météoriques, et particulièrement pour ceux du 10 août et du milieu de novembre. Des cartes célestes sont distribuées aux divers groupes d’olservateurs ; ces cartes ne sont autre chose que les projections de la pas tie du ciel visible à ces époques sur l’horizon, et c’est là qu’on trace pendant la durée même des observations les trajectoires des météores, en notant autant que possible le point de départ et le point d’évanouissement de chacun d’eux, en y joignant l’heure de l’apparition. Les chronomètres des diverses stations sont réglés télégraphiquement, de sorte que toutes les observations se trouvent comparables. On peut ainsi réunir et discuter une série de documents, qui, d'année en année, se trouvent destinés à fournir
- tous les éléments de l’interprétation du phénomène : la position des points radiants, la vitesse de translation des météores, la hauteur au-dessus de l’horizon terrestre de ceux qui ont été observés simultanément en des stations suffisamment éloignées, leur couleur, etc. Nos lecteurs savent sans doute qu’un astronome italien, M. Schiaparelli, a proposé une théorie très-ingénieuse de la périodicité des essaims météoriques, qu’il assimile à des courants de matière nébuleuse analogue à celle qui constitue les comètes. 11 y a plus ; la discussion des éléments de plusieurs essaims a démontré à peu près l’identité de plusieurs d’entre eux avec certaines comètes observées. Ainsi, l’essaim des Perséides ne serait qu’un fragment de la comète de 1862, tandis que les météores de novembre, les Léonidas, ainsi nommés de leur point radiant qui est un point de la constellation du Lion, paraissent devoir être identifiés avec une comète que M. Tempel a découverte en 1866, et dont la période de révolution est d’environ 53 années. L’assimilation est d’autant mieux fondée que les comètes en question et les essaims ont, à fort peu de chose près, les mêmes éléments astronomiques : excentricité de l’orbite, inclinaison, sens du mouvement, position du nœud et du périhélie, grand axe, tout se ressemble dans les orbites respectives.
- Il y a donc là une question d’un haut intérêt pour l’astronomie physique. Aussi convions-nous tous ceux qui s’intéressent à cette belle science à contribuer, par leurs observations personnelles, à l’avancement de cette branche spéciale dont la culture ne nécessite point la possession d’instruments coùleux ou d’une installation difficile. L ue carte du ciel pour la latitude du lieu et la nuit de l’observation, la connaissance des principales constellations et des étoiles des trois premières grandeurs, de manière à reconnaître aisément, dans le ciel et sur la carte, les points d’où partent et où aboutissent les étoiles filantes observées ; une montre bien rég ée, marquant si c’est possible les secondes, un carnet pour noter les circonstances particulières des apparitions : avec ce simple attirail et ces dispositions préliminaires, un observateur pourra toujours faire une besogne utile. Mais cette besogne sera meilleure et plus complète, si en chaque station les observateurs se réunissent par groupes se partageant les diverses régions du ciel, de manière à n’avoir à examiner qu’un quart, un cinquième,un sixième de l'horizon. Ceux qui voudraient avoir des instructions plus précises les trouveront dans les Bul-le'ins dc l’Association scientifique. Le numéro du 28 août 1870 contient une note très-étendue de M. Goulier (de Metz), où ce savant donne les explications de Fu-agc des projections gnomoniques pour la solution de divers problèmes, la recherche du point radiant, l’altitude des météores, etc. Nous y renvoyons nos lecteurs.
- AMÉDÉE GUILLEMIN.
- Le Propriétaire-Gérant : G. TISSANDIER.
- PARIS. —IMP. SIMON RAjON ET COUP., RtE D’ENFUNTII, 1.
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- No 10. — 9 AOUT 1875
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- LA PLANÈTE MARS
- D’abnÈs LES DERNIÈRES OBSERVATIONS ASTRONOMIQUES.
- ÉTUDE DE SA GÉOGRAPHIE ET DE SES CONDITIONS d’habitabilité.
- La période d’observation qui vient de s'écouler, pour la planète Mars 1, m’a permis de compléter sur cette planète des études commencées pendant les oppositions de 1869 et 1867. C’est le 27 avril dernier qu’elle est passée juste derrière la Terre, et que sa lumière était la plus vive. Dès les premières observations, j’ai constaté qu’elle nous présentait son pôle-nord, très-incliné vers nous et marqué par une tache blanche, peu étendue, formant un point brillant à la partie inférieure du disque (image renversée dans lalu nette asl ro-nomique). Les taches ocreuses qui représentent les continents, et les taches gris verdâtre qui représentent les mers se dessinaient sous une forme plus ou moins accentuée, selon la transparence de l’air et selon les heures du soir.
- Pour que l’observation de Mars puisse donner de bons résultats, deux conditions sont requises , outre sa proximité relative à l’époque de son opposition. Il faut que l’atmosphère de la Terre
- Aspect de la planète Mars en juin 1S75. (D'aprS un crouis de M. C. Flammarion.)
- soit pure dans le lieu de l’observation, et il faut aussi que l’atmosphère de Mars ne soit pas chargée. En d’autres termes, il faut que le temps soit au beau pour les habitants de cette planète. En effet, Mars est entomré comme la Terre d’une atmosphère aérienne, qui de temps en temps se couvre de nuages aussi bien que la nôtre. Or ces nuages, en se répandant au-dessus des continents et des mers, forment un voile blanc qui nous les cache totalement ou partiellement. L’étude de la surface de Mars est, dans ce cas, difficile ou même impossible. Il serait aussi stérile de chercher à distinguer cette surface, quand le ciel de Mars est couvert, que de chercher à distinguer les villages, rivières, routes ou chemins de fer de la France, lorsqu’on la traverse en ballon au-dessus d’une opaque couche de nuages. On voit par là que l’observation de cette planète n’est pas aussi facile qu’ou le supposerait à première vue. De plus l’at-mosphère terrestre la plus pure, la plus transpa-
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- rente, est ordinairement traversée de fleuves d'air, chauds ou froids, coulant en différentes directions au-dessus denos tètes, si bien que par lanuit lapluscalme, il est presque impossible d’arriver à faire un dessin passable d’une planète telle que Mars, l’image vue dans la lunette étant ondulante, tremblante et diffuse. Je suis persuadé que si l’on comptait rigoureusement les heures pendant lesquelles l’observation de cette planète a été parfaite, quoique sa période d’opposition arrive tous les deux ans et que les lunettes soient inventées depuis plus de deux siècles et demi, on formerait peut-être à peine, une semaine d’observation constante.
- Malgré ces fâcheuses conditions, la planète de la guerre est la mieux connue de toutes (l’art infâme qu’elle symbolise a été, il est vrai, le plus cultivé et le plus honoré sur la terre, mais cette innocente planète n’en est pas responsable). Seule la lune, grâce à sa proximité et à son absence d’atmosphère et de nuages, a été l’ob-woeg jet d’une étude plus particulière et plus assidue, de telle sorte que sa géographie, ou pour y Bireatn parler plus exactement, la sélénographie, est aujourd’hui complètement déterminée. L’hémisphère lunaire qui nous regarde est mieux connu que la terre même ; ses vastes plaines désertes sont estimées à un hectare près ; ses montagnes et ses
- cratères sont mesurés à dix mètres près, tandis qu’il y a, sur la terre, 30 millions de kilomètres carrés (60 fois l’étendue de la France), que le pied de l’homme n’a jamais foulés, que son regard n’a jamais visités. Mais après la lune, c’est Mars qui est le mieux connu de tous les astres. Aucune planète ne peut lui être comparée, Jupiter, la plus grosse, Saturne, la plus curieuse, toutes deux beaucoup plus importantes que lui et plus faciles à observer dans leur ensemble à cause de leurs dimensions, sont enveloppées d’une atmosphère constamment chargée de nuages, de sorte que nous ne voyons jamais leur surface. Uranus et Neptune ne sont que des points brillants. Mercure est presque toujours éclipsé comme les courtisans dans les rayonnements du soleil ; Vénus, Vénus seule, pourrait être comparée à Mars,: elle est aussi grosse que la terre, et par conséquent deux fois plus large que Mars en diamètre, elle est plus proche de nous et peut même venir à moins de dix millions de lieues d’ici. Mais elle a un défaut, c’est de graviter entre le soleil et nous, de sorte qu’à
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- sa plus grande proximité, son hémisphère éclairé étant naturellement toujours du côté du soleil, nous ne voyons que son hémisphère obscur, bordé d’un mince croissant (ou pour mieux dire, nous ne le voyons pas). Il en résulte que sa surface est plus difficile à observer que celle de Mars. Ainsi, c’est Mars qui l’emporte, et c’est de toute la famille du soleil, le personnage avec lequel nous ferons le plus tôt connaissance.
- Remarquons à ce propos que la Terre est pour Mars dans le même cas que Vénus pour nous, et pour Vénus dans le même cas que Mars pour nous. Nous connaîtrons plus tôt la géographie de Mars qu'il ne connaîtra la nôtre, et tandis que nous ignorons encore celle de Vénus, sans doute les astronomes de Vénus connaissent maintenant parfaitement la géographie de la terre.
- La géographie de Mars, disons nous, ou, pour parler plus exactement, Yaréographie, a déjà pu être étudiée et dessinée. Ce qui frappe le plus au premier abord dans l’examen de l’ensemble de la planète, c’est que ses pôles sont marqués comme ceux de la terre par deux zones blanches, par deux calottes de neige. Le pôle nord comme le pôle sud sont même parfois si brillants qu’ils paraissent dépasser le bord de la planète, par suite de cet effet d’irradiation qui nous montre un cercle blanc plus grand qu’un cercle noir de mêmes dimensions. Ces glaces varient d'é-tendue ; elles s’amoncellent et s’étendent autour de chaque pôle pendant son hiver, tandis qu’elles fondent et se retirent pendant l’été. Dans leur ensemble elles s’étendent plus loin que les nôtres, et parfois descendent jusqu’au 45e degré de latitude, c’est-à-dire jusqu’aux contrées qui correspondent à l’emplacement de la France sur la terre.
- Ce premier aspect de la planète lui donne une analogie avec la nôtre, comme division de ses climats en zones glaciales, tempérées et torrides. L’examen de sa topographie montre au contraire une dissemblance assez caractéristique entre la configuration de ce globe et celle du nôtre.
- En effet, sur la terre, il y a plus de mers que de continents. Les trois quarts du globe sont couverts d’eau. La terre ferme est principalement composée de trois vastes îles, de trois continents, l’un s’étendant de long en large, de l’ouest à l’est, et formant l’Europe et l’Asie, le deuxième, placé au sud de l’Europe, comme un V aux angles arrondis, et formant l’Afrique ; le troisième s'étendant sur l’autre face du globe, de haut en bas, du nord au sud, et formant les deux grandes terres d’Amérique simulant aussi deux V superposés. Si l’on ajoute le petit continent d’Australie placé au sud de l’Asie, on a l’ensemble de la configuration du globe.
- Il n’en est point de même à la surface de Mars. Il y a plus de terres que de mers, et au lieu d’être des îles émergées du sein de l’élément liquide, les continents semblent plutôt réduire les océans à de simples mers intérieures, à de véritables méditerranées. Il n’y a point là d’Atlantique ni de Pacifique, et le tour du
- monde peut presque s’y faire à pied sec. Les mers sont des méditerranées, découpées en golfes variés, prolongés çà et là en un grand nombre de bras s’élançant comme notre mer Rouge à travers la terre ferme : tel est le premier caractère de Yaréogra-phie.
- Le second, qui suffirait aussi pour faire reconnaître Mars d’assez loin, c’est que les mers sont étendues dans l’hémisphère sud, entre l’équateur et le pôle, d’une part; d’autre part, en moins grande quantité dans l’hémisphère nord ; et que ces mers australes et septentrionales sont reliées entre elles par un filet d’eau. Il y a même sur la surface entière de Mars trois filets d’eau allant du sud au nord; mais comme ils sont fort éloignés l’un de l’autre, on ne peut guère en voir qu’un à la fois d’un mème côté du globe martial. Ces mers et cette passe qui les réunit forment un caractère très-distinctif de la planète, et il est rare qu’on ne l’aperçoive pas en mettant l’œil au télescope.
- Les continents de Mars sont teintés d’une nuance rouge ocreuse, et ses mers se présentent à nous sous l’aspect de taches d’un gris vert accentuées encore par un effet de contraste dû à la couleur des continents. La couleur de l’eau martiale paraît donc être la même que celle de l’eau terrestre. Quant aux terres, pourquoi sont-elles rouges? On avait d’abord supposé que cette teinte pourrait être due à l’atmosphère de ce monde. De ce que notre air est bleu, rien ne prouve en effet que celui des autres planètes doive avoir la même coloration. Il serait donc possible de supposer celui de Mars rouge. Les poètes de ce pays célébreraient cette nuance ardente au lieu de chanter le tendre azur de nos cieux ; au lieu de diamants allumés à la voûte azurée, les étoiles y seraient des feux d’or, flamboyant dans l’écarlate ; les nuages blancs suspendus dans ce ciel rouge, les splendeurs des couchers de soleil centuplées, ne laisseraient pas de produire des effets non moins remarquables que ceux que nous admirons sur notre globe sublunaire.
- Mais il n'en est rien. La coloration de Mars n’est pas due à son atmosphère, car, quoique ce voile s’étende sur toute la planète, ses mers ni ses neiges polaires ne subissent pas l’influence de cette coloration, et Arago, en prouvant que les bords delà planète sont moins colorés que le centre du disque, a montré que cette coloration n’est pas due à l’atmosphère; cardans ce cas, les rayons réfléchis par les bords de la planète pour venir à nous, ayant plus d’air à traverser que ceux qui nous viennent du centre, seraient au contraire plus colorés que ceux-ci.
- Cette couleur caractéristique de Mars, visible à l’œil nu, et qui sans doute est cause de la personnification guerrière dont les anciens ont gratifié cette planète, serait-elle due à la couleur de l’herbe et des végétaux qui doivent couvrir ses campagnes ? Aurait-on là-bas des prairies rouges, des forêts rouges, des champs rouges ? Nos bois aux douces ombres silencieuses y seraient-ils remplacés par des arbres au feuillage rubicond, et nos coquelicots écarlates seraient-ils l’em-
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- blême de la botanique martiale? On peut remarquer en effet qu’un observateur placé sur la Lune ou même sur Vénus, verrait nos continents fortement teintés de la nuance verte. Mais en automne, il verrait cette nuance s'évanouir sous les latitudes où les arbres perdent leurs feuilles ; il verrait les champs variés de nuances, jusqu’au jaune d’or, et ensuite la neige couvrir les campagnes pendant des mois entiers. Sur Mars, la coloration rouge est constante, et on la remarque sous toutes ses latitudes, aussi bien pendant leur hiver que pendant leur été. Elle varie seulement suivant la transparence de son atmosphère et de la nôtre. Cela n’empêche pas cependant que la végétation martiale ne doive entrer pour une part dans cette nuance générale, qui est due dans son ensemble à la couleur même des terrains de cette planète. Mais ces terrains ne peuvent pas être dénudés partout comme les sables du S hara. Ils sont très-probablement recouverts d’une végétation quelconque et comme ce n’est pas l’intérieur des terrains mais leur surface que nous voyons, il faut que le revêtement de cette surface, que la végétation, quelle qu’elle soit, ait pour couleur dominante, la couleur rouge, puisque toutes les terres de Mars offrent ce curieux aspect.
- Nous parlons des végétaux de Mars, nous parlons des neiges de ses pôles, nous pailons de ses mers, de son atmosphère et de ses nuages, comme si nous les avions vus. Sommes-nous autorisés à créer toutes ces analogies? En réalité, nous ne voyons que des taches rouges, vertes et blan hes, sur le petit disque de cette planète: le rouge est-il bien delà terre forme, le vert est-il bien de l’eau, le blanc est-il bien de la neige ?
- Oui, maintenant nous pouvons l’affirmer. Pendant deux siècles on s’est mépris sur les taches de la lune que l’on prenait pour des mers, tandis que ce ne sont que d’immobiles déserts, plages désolées où nulle brise ne souftle jamais et que nul mouvement ne saurait animer. Mais nous ne sommes pas dans le même cas pour l interprétation des taches de Mars. Voici pourquoi :
- L’aspect invariable de la Lune ne nous montre jamais le plus modeste nuage à sa surface, et les occultations d’étoiles ne décèlent pas la plus légère trace d’atmos hère L’aspect de Mars, au contraire, varie sans cesse. Des taches blanches se déplacent sur son disque, modiliaut trop souvent sa configuration apparente. Ces taches ne peuvent donc être que des nuages. Les taches blanches de ses pôles augmentent ou diminuent suivant les saisons, exactement comme nos glaces circumpolaires terrestres, qui offriraient précisément le même aspect et les mêmes variations à un observateur placé sur Vénus. Donc ces taches blanches polaires martiales sont, comme les nôtres, de l’eau glacée. Chaque hémisphère de Mars est plus difficile à observer pendant son hiver que pendant son été, étant souvent couvert de nuages sur sa plus grande partie : c’est précisément aussi ce qui se présenterait pour la terre à notre observa
- teur de Vénus ; tout le monde sait que le ciel est plus souvent couvert en hiver qu’en été, et qu’il y a des semaines entières où les brouillards ou les nuages nous cachent à la vue du ciel. Mais les nuages de Mars, à quelle cause sont-ils dus ? Évidemment, comme les nôtres, à l’évaporation de l’eau. Et les glaces? Évidemment aussi à la congélation de l’eau. Mais est-ce la même eau- qu’ici? Il y a quelques an-liées, cette question fût restée insoluble. Aujourd’hui il est possible de la résoudre.
- Les merveilleux procédés de la spectroscopie ont été appliqués à l’étude des planètes, principalement par le savant physicien anglais Huggins1.
- Les planètes réfléchissent la lumière qu’elles reçoivent du soleil ; lorsqu’on examine le spectre de leur lumière, on retrouve le spectre solaire, comme s’il était réfléchi par un miroir. En dirigeant le specs troscope sur Mars, on constate d’abord dans les rayons lumineux émis par cette planète une identité parfaite avec ceux qui émanent de l’astre central de notre système. Mais en employant des méthodes plus minutieuses, M. Huggins trouva pendant les dernières oppositions de la planète, que le spectre de Mars est traversé, dans la zone orangée, par un groupe de raies noires coincidant avec les lignes qui apparaissent dans le spectre solaire au coucher du soleil, quand la lumière de cet astre traverse les couches les plus denses de notre atmosphère. Or ces raies révélatrices sont-elles causées par notre propre atmosphère ? Pour le savoir, on dirigea le spectro-scope vers la lune, qui se trouvait alors plus près de l’horizon que la planète. Si les raies dont il s’agit étaient causées par notre atmosphère, elles auraient dû se montrer dans le spectre lunaire comme dans celui de Mars, et même avec plus d’intensité. Or elles n’y furent même pas visibles. Donc elles appar-ten ient évidemment à l’atmosphère de Mars.
- L’atmosphère de Mars ajoute donc ces caractères particuliers à ceux du spectre solaire, ciractères établissant que cette atmosphère est analogue à la nôtre. Mais quelle est la substance atmosphérique qui produit ces lignes accusatrices? En examinant leur position, on constate qu’elles ne sont pas dues à la présence de l’oxygène, de l’azote ou de l’acide car-bonique, mais à la vapeur d’eau. Donc il y a de la vapeur d'eau dans l'atmosphère de Mars, comme dan- la nôtre. Les taches vertes de ce globe sont bien des mers, des étendues- d’eau analogues aux eaux terrestres. Les nuages sont bien des vésicules d’eau comme «elles de nos brouillards, les neiges sont de l’eau sol.difiée par le froid. Il y a plus, celle eau révélée par le spectroscope étant de même composition ch mique que la mitre, nous savons qu’il y a là aussi de l’oxygène et de l’hydrogène.
- 1 Sous avons appris avec plaisir, que la lecture de nos ouvrages, la Pluralité des mondes et les Mondes imaginaires, a spécialement engagé cet illustre physicien à appl-quer la spectroscopi • à l’analyse des atmosplières planétaires et de leur constitution chimique. (Correspondance anglaise du Cosmos/ octobre 164, p. 375 et 1867 passim.)
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- Ces documents importants nous permettent de former une idée de la météorologie martiale, et de voir en elle une reproduction très-ressemblante de celle de la planète que nous habitons. Sur Mars comme sur la terre, le soleil est l’agent suprême du mouvement et de la vie ; là comme ici son action détermine des résultats analogues. La chaleur vapo-rise l’eau des mers et l’élève dans les hauteurs de l’atmosphère. Cette vapeur d’eau revêt une forme visible par le même procédé qui produit nos nuages, c’est-à-dire par des différences de température et de saturation. Les vents prennent naissance par ces mêmes différences de température. On peut suivre les nuages emportés par les courants aériens sur les mers et les continents, et maints observateurs ont pour ainsi dire déjà photographié ces variations météoriques 1.
- Si l’on ne voit pas encore précisément la pluie tomber sur les campagnes de Mars, on la devine du moins, puisque les nuages se dissolvent et se renouvellent. Si l’on ne voit pas non plus la neige tomber, on la devine aussi, puisque comme chez nous le solstice d'hiver, y est entouré de frimas. Ainsi il y a comme ici une circulation almosphérique, et la goutte d’eau que le soleil dérobe à la mer y retourne après être tombée du nuage qui la recélait. Il y a plus. Quoique nous devions nous tenir solidement en garde contre toute tendance à créer des mondes imaginaires à l’image du nôtre, cependant celui-là nous présente comme dans un miroir une telle similitude organique qu’il est difficile de ne pas aller encore un peu plus loin dans notre description.
- En effet, l’existence des continents et des mer-nous montre que celte planète a été comme la nôtre le siège de mouvements géologiques intérieurs, qui ont donné naissance à dis soulèvements de terrains et à des dépressions. Il y a eu des tremblements et des éruptions modifiant la croûte, primitivement 'unie du globe. Par conséquent, il y a des montagnes et des vallées, des plateaux et des bassins, des ravins escarpés et des falaises. Comment les eaux pluviales retournent-elles à la mer? Par les sources, les ruisseaux, les rivières et les fleuves. Ainsi il est difficile de ne pas voir sur Mars des scènes analogues à celles qui constituent nos paysages terrestres : ruisseaux gazouillants courant dans leur lit de cailloux dorés
- 1 Le 18 octobre 1862, à 8 heures 15 minules du soir, le P. Secchi observa sur h planète Mus une tiche en forme de tourbillon, qu'il dessina sé mec tenante, et qui donne tout à fût l’idée d un vasle cyclone. Le 15 octobre de la même année, M. Lockyer, en Angleterre, remarqua vers 10 heures du soir qu’une pirtie du continent, qui aurait du être visible, était cachée par un long vo ie blanc, qui s’étendit ensuite sur l’Océan voisin. Le même soir, après minuit, M. Dawes remarqua aussi celle traînée de nuages qui occupait alors une place assez éloignée au sud. Pendant l’opposition de 1875, j’ai souvent remarqué que, du jour au lendemain, à la même heure matinale et dans les mêmes conditions optiques, l’aspect de la planète était singulièrement changé. C'est ainsi que le 22 juin, à 9 heures du soir, une vaste traînée nuageuse, étendue vers l’équateur, lui donnait un certain air de ressemblance avec Jupiter.
- par le soleil, rivières traversant les plaines en tombant en cataractes au fond des vallées, fleuves descendant lentement à la mer sur leur lit de sable fin. Les rivages maritimes reçoivent là comme ici le tribut des canaux aquatiques, et la mer y est tantôt calme comme un miroir, tantôt agitée par la tempête ; seulement elle n’y est jamais animée du mouvement pé-riodique du flux et du reflux puisqu’il n’y a point de lune pour le produire. Du moins les marées causées par l’attraction du soleil n’y sont pas aussi sensibles que celles qui sont déterminées chez nous par l’attraction combinée des deux astres.
- Ainsi donc, voilà dans l’espace, à quelques millions de lieues d’ici, une terre presque semblable à la nôtre, où tous les éléments de la vie sont réunis aussi bienqu’aulour de nous : eau, air, chaleur, lumière, vents, nuages, pluie, ruisseaux, vallons, montagnes. Pour compléter la ressemblance, nous remarquerons encore que les saisons y ont à peu près la même intensité que sur la terre, l’axe de rotation du globe étant incliné de 27 degrés (l’inclinaison estde23de-grés pour la terre). La durée du jour y est de 40 minutes supérieure à la nôtre. Devant cet ensemble, est il possible un instant de s’arrêter à la constatation de ces éléments et de ces mouvements, sans songer aux effets qu’ilsontdù et qu’ils doivent produire? Les conditions physico-chimiques, qui ont donné naissance aux premiers végétaux apparus à la surface de notre globe étant réalisées là-bas comme ici, comment auraient-elles pu se trouver en présence sans agir d’une manière ou d’une autre? sous quel prétexte scientifique pourrions-nous imaginer un em-pê hement arbitraire à la réalisation de ces résultats? Il faudrait en effet une interdiction incompréhensible un veto suprême, quelque chose comme un miracle permanent d’anéantissement, pour empêcher les rayons du soleil, Pair, l’eau et la terre (ces quatre éléments devinés par les anciens) d’entrer à chaque instant dans l’évolution organique : tandis que la moindre gouttelette d’eau se peuple ici de myriades d’animalcules, tandis (pie l’Océan est le séjour de milliers d’espèces végétales et animales, quels efforts ne faudrait-il pas à la raison, pour imaginer qu’au milieu de pareilles conditions vitales, le monde dont nous nous occupons puisse rester éternellement à l’état d’un vaste et inutile désert?...
- Camille FIANMARION.
- — La suite prochainement. —
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- LES FONDATIONS PAR L’AIR COMPRIMÉ
- De tous les ouvrages que les ingénieurs ont à exécuter, ce qu’il y a de plus difficile peut-être est de donner des fondations solides aux ponts établis sur de grandes rivières. Le lit des cours d’eau est le plus souvent de la vase ou du sable, l’obstacle que la maçonnerie oppose au courant détermine des affouille-
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- ments. Le travail ne peut être durable qu’à condition l trouve quelquefois à 20 ou 50 mètres au-dessous de d’en descendre les fondations jusqu’au roc, qui se | l’étiage. C’était prodigieusement coûteux, quelquefois
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- Pont de Saint-Louis sur le Mississipi.
- Pile de l’Est, — Coupe parallèle à l’axe du pont, sur l’axe du puits central.
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- impraticable par les méthodes connues des anciens constructeurs. Il y a trente ans environ, un ingénieur français, M. Triger, a inventé une méthode nouvelle
- que l’on applique aujourd’hui en tous pays. C’est ce que l’on appelle les fondations par l’air comprimé.
- Depuis longtemps déjà, quelques ingénieurs avaient
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- fonde des piles de pont an moyen de puits tubulaires par le moyen que voici. Sur un anneau en charpente dont le pourtour inférieur est garni d’un couteau verti-cal en fonte, on élève plusieurs assises de maçonnerie. Le poids fait enfoncer 1 anneau jusqu’au fond de la rivière, tandis que le niveau supérieur de la mai on-nerie est au-dessus de l’eau On drague alors à l'in-térieur de ce puits, en sorte qu’il s’enfonce peu à peu, à mesure qu on en élève plus haut les parois. L'enfoncement ne s’arrête que lorsque la base du puits repose sur le terrain solide. On remplit alors l’intérieur avec du béton et l'on a un pilier massif et résistant.
- Ce procédé s’applique avec avantage dans les terrains mous et bien homogènes. La grande difficulté, dans la pratique, est de rendre la descente régulière et d empêcher le puits de s’incliner dans un sens ou dans l’autre. Mais l’inconvénient est que l’on ne peut descendre au fond et s’assurer, de visu, que la maçonnerie est bien assise sur un sol inébranlable.
- Voici le perfectionnement qu'imagina M. Triger. Il existe dans la vallée de la Loire un terrain houiller, qui passe sous le fleuve à 25 ou 50 mètres de profondeur, et qui est recouvert d’alluvious composées de sables et de galets, au milieu desquels la Loire s’est creusé son lit. Pour les besoins de l’exploitation, il était nécessaire de creuser un puits d’estrac-lion à travers ces alluvions essentiellement perméables. Il était impossible d’appliquer à ce travail les moyens d’épuisement habituels, car c’eût été comme si l’on avait voulu épuiser la Loire elle-même. M. Triger s’avisa de dresser dans cette couche de sable aquifère un tube métallique vertical, fermé parle haut, à l’intérieur duquel il comprimait l’air au moyen d’une pompe à vapeur. L’air comprimé refoulait l’eau jusqu’à la base du tube, si bien que les ouvriers qui y étaient enfermés pouvaient travailler à sec et creuser le sol. En haut du tube était emmanchée une boîte métallique, suffisamment haute pour qu’un homme s’y tînt debout, avec deux soupapes, un robinet et deux portes à fermeture hermétique. Par l’une des soupapes la boîte recevait l’air comprimé, et par l'autre soupape elle le transmettait au tube. Le robinet permettait de r tablir l’équilibre de pression, entre la boîte et l’atmosphère. L’une des portes servait à entrer dans la boîte, et l’autre porte à passer de la boîte dans le tube. On comprend sans peine comment ce mécanisme fonctionne, soit pour faire entrer et sortir les ouvriers, soit pour évacuer les déblais et introduire les matériaux. M. Triger fit ainsi creuser son puits à plus de 50 mètres au-dessous du niveau de l’eau.
- Pour appliquer cette mé hode à la construction d’un pont, on procède ainsi qu’il suit. Une pile se compose de deux ou trois tubes, suivant la largeur du tablier, alignés parallèlement au cours de l’eau. Chaque tube est formé d’anneaux en fonte de 5 mètres de diamètre, 2 mètres de haut et 50 à 40 millimètres d’épaisseur. Il est important que le joint entre deux anneaux superposés soit bien étan
- che. Quand un tube est descendu jusqu’au sol incompressible, on le remplit de béton ou de sable.
- Il y a des détails d’exécution dans lesquels nous ne pouvons entrer ici ; ainsi pour empêcher que le tube ne s’incline à mesure qu’il s’enfonce, on le guide de différentes façons ; pour qu’il ne se soulève pas comme un tonneau vide, on le surcharge de poids à son sommet. Il y a aussi des précautions à prendre pour empêcher qu’un tube en cours de descente ne dérange l’équilibre des tubes déjà posés à côté de lui. Le lecteur qui voudra étudier plus complètement le sujet trouvera des renseignements étendus dans le Manuel de l'in énivur deM. Debauve.
- Lorsqu’il s’agit de construire le pont de Kehl sur le Rhin, les ingénieurs français, MM. Vuigner et Fleur-Saint-Denis, qui avaient la direction de ce grand ouvrage, tenaient par divers motifs à ce que les piles intermédiaires fussent en maçonnerie de même que les culées. Il fallait donc modi.ier le système Voici comment ils s’y prirent. Un caisson métallique, ouvert en dessous et surmonté de trois cheminées en tôle, est amené sur l’emplacement de la pile. On le fait • chouer sur le fond du fleuve en le sur hargeant de maçonnerie. L’une des cheminées descend jusqu’au niveau inférieur du caisson; elle est destinée à l’évacuation des déblais. Les deux autres sont pourvues d’écluses à air. On insuffle l’air comprimé afin de refouler l’eau du caisson ; puis, les ouvriers y descendent et affouillent le terrain. A mesure que le caisson s’enfonce dans le lit du fleuve, on monte la maçonnerie par dessus, en sorte que celle-ci s’exécute toujours au-dessus de l’eau Quand le roc est atteint, on comble la chambre de travail avec un béton bien compimé, ainsi que les cheminées Le bois, la tôle et la fonte peuvent être rongés par l’eau avec le temps ; mais cela ne compromet pas la solidité de l’ouvrage, qui se trouve être d un seul bloc de maçonnerie.
- Le procédé de fondation par caissons, inauguré au pont de Kehl, a servi postérieurement en plusieurs autr s circonstances ; ainsi à 1 orient sur le Scorff, à Vantes sur la Loire. Les Américains nous l’ont emprunté et en ont fait des applications d’une grande hardiesse. Au pont de Saint-Louis sur le Mississipi, le caisson, de '25 mètres de longueur sur 18*“,50 de large, a été descendu jusqu’à 51 mètres en contrebas des eaux ordinaires. A New-York, sur la rivière de l’Est, le caisson a 52 mètres de long et 51 mètres de large.
- Le dessin ci-contre, reproduit d’après le bel atlas de M. Malézieux (Mission en Amérique), représente l’une des piles du pont de Saint-Louis en cours de construction. On remarquera que les écluses à air sont placées dans le caisson même. C’est l’un des avantages que les caissons ont sur les tubes, Pour « e dernier, en effet, l’écluse doit toujours surmonter le tube, et, par conséquent, il est nécessaire de la démonter quand on ajoute de nouveaux anneaux.
- Les fondations par l’air comprimé s’exécutent rapidement. C’est, en général, l’affaire d’une seule
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- campagne. Seulement, la dépense est toujours fort élevée. Chacune des piles du pont deKehlest revenue à 500,000 francs.
- Les ouvriers, placés dans le caisson ou au fond des tubes, travaillent sous une pression de deux, trois et même quelquefois trois atmosphères et demie. On s’est demandé quelle influence cela exerce sur leur santé. Un médecin de la Compagnie de l’Ouest, le docteur Foley, a suivi avec beaucoup de soin les travaux de fondation du pont d'Argenteuil. Il en a retiré les conclusions suivantes:
- La première fois que l’on entre dans l’écluse à air, l’impression est fort pénible, douloureuse même. La tête, les oreilles surtout, sont le siège de douleurs quelquefois très-vives. Une fois dans l’air comprimé, l’homme n’éprouve plus guère de gène ; il peut même y séjourner sans inconvénients durant plusieurs heures. Mais, à la sortie, les douleurs reparaissent, souvent plus intenses qu’à l'entrée. Cela dépend au reste de deux circonstances accessoires, d’abord le degré de pression intérieure et aursi la rapidité des opérations d’éclusement ou de déséclu-sement. Au bout de quelque temps, on n’éprouve plus rien au passage des écluses. En somme, des ouvriers bien portants et d’une bonne constitution peuvent se livrer à ce travail des mois entiers sans en souffrir aucunement, à condition, cependant, que le séjour dans l’air comprimé soit réduit à trois ou quatre heures consécutives, lorsque la pression dépasse trois atmosphères.
- De toutes les méthodes introduites récemment dans l’art des constructions, les fondations par l’air comprimé sont sans contredit ce qu’il y a de plus remarquable. C’est aussi l’invention qui a rendu le plus de service aux ingénieurs. Il y a un siècle, lorsqu’on voulait construire un pont sur le Rhône ou la Loire, on y mettait quinze à vingt ans, et encore n’était-on jamais certain d'obtenir la solidité requise On exagérait l’épaisseur des ouvrages en maçonnerie par crainte de ne leur pas donner une base suffisante. Aujourd’hui, on édifie en quelques mois un pont sur un fleuve d’un kilomètre de large.
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- LA DISTRIBUTION GÉOGRAPHIQUE
- DES HUILES MINÉRALES.
- Le rôle important que le pétrole joue dans l’industrie, depuis plusieurs années, l’abondance des gisements, sont autant de motifs qui excitent l’intérêt des recherches des sources. Linné classait toutes les huiles sous la dénomination de « minéraux inflammables » comprenant les bitumes, l’ambre, le charbon et les huiles de napthe. Plusieurs autorités compétentes ont admis que les huiles naturelles ne sont que le produit de la distillation du bitume.
- Les sources bitumineuses sont connues depuis la
- plus haute -antiquité ; celles de l’Euphrate, de la Judée, les sources de naphte de Bakou, sur la mer Caspienne, L’asphalte de la mer Morte, a provoqué autant par son abondance que par les propriétés qu’on lui attribue, les commentaires de beaucoup de voyageurs. La même observation s’applique aux gisements de Bakou, dont les gaz inflammables ou vapeur de naphte, produisent des phénomènes remarquables. On a même érigé en cet endroit un temple consacré au feu naturel, comme il en existe un à Kangra, dans lePunjab; l’un et l’autre sont devenus un but de pèlerinage.
- Les dépôts d’huiles minérales n’ont pas toujours été exploités; une crainte superstitieuse empêchait de s’en servir. Mais aux environs de la mer Caspienne, les voyageurs anciens et modernes s’accordent pour reconnaître leur permanence ; l’industrie moderne n’a pas craint d’ériger, à Bakou, une fabrique de paraffine, à côté de l’lle-Sacrée, où était le temple de Feu.
- Il existe une certaine relation entre les volcans de boue et les sources d’huiles naturelles ; ces rapports sont manifestes entre les volcans de boue de la Sicile et ceux de Crimée, quoique dans d’autres endroits je même fait n’ait pas été signalé. Un des exemples les plus frappants se rencontre à Hinglaj, près de la côte sud du Beloutchistan. L’émission des gaz, signe précurseur de substances inflammables intérieures, est très-commune dans les volcans de boue.
- Ce phénomène se manifeste dans le Caucase, en Italie, dans l’Amérique du Sud et tout particulièrement en Chine, où les puits de gaz servent aux habitants pour leurs usages domestiques. Avant la découverte des sources de Pensylvanie, les puits de Burmah étaient assez abondants pour fournir l’exportation. On rencontre encore des dépôts importants d’huiles minérales dans le Pégou, et on observe des émissions de gaz à Chittagong, que l’on nomme les fontaines ardentes de Bramah. Il existe aussi des gisements de combustibles minéraux à Assam, où l’on creuse des puits d’extraction. Dans ces derniers temps, on a découvert des régions pétrolifères, au sud de l’Inde et même en Australie; à Sumatra, on a vu tout récemment des sources d'huile naturelle mélangée de pétrole.
- La distribution géographique de ces produits minéraux n’est pas localisée ; on en trouve sur tous les points du globe. Cependant, il semble qu’ils sont plus particulièrement répartis dans les bassins des grands fleuves, comme l’Indus, l’Euphrate et leurs tributaires, dans le Saint-Laurent, au Canada, dans le Mississipi, dans le Rio-Colorado et les autres rivières de Californie et du Mexique. On les voit aussi dans les bassins de dépression des lacs, tels que la mer Caspienne et la mer Morte. On trouve encore des huiles minérales pures ou mélangées de matières bitumineuses, dans les îles de la Méditerranée, en Sicile, dans l’archipel grec et à l’île de Ceylan.
- Parfois l’huile minérale se trouve accompagnée de substances de nature toute différente. Ainsi, dans
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- le Punjab, en pratiquant des forages pour exploiter l’huile, on acquit la conviction qu’elle reposait sur un terrain salinifère très-étendu. J. Girard.
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- VOYAGE D’EXPLORATION EN INDO-CHINE
- par M. Francis Garnier.
- Ce voyage a été entrepris, par ordre du gouvernement français, sous la direction de M. le capitaine
- de frégate Doudart de Lagrée, et de M. Francis Garnier, lieutenant de vaisseau. Non-seulement la Société de géographie de Paris a cru devoir couronner cette belle expédition, en partageant sa grande médaille d’or entre les deux chefs, mais la Société géogra-phique de Londres, en présence des admirables résultats obtenus par les voyageurs, n’a pas hésité à leur décerner sa patron s medal, ou médaille de la reine Victoria. L’un des explorateurs, M. Francis Garnier, est à la veille de repartir pour de nouvelles investigations dont nous allons entretenir nos lec-
- Voyage en Indo-Chine. — Cataructe de Salaphe.
- tours. Nous voulons auparavant rappeler son premier voyage, dont le récit vient d’être publié à la librairie Hachette1 : les nombreux documents qu’a rapportés M. Garnier font de son livre une œuvre vraiment exceptionnelle.
- L’expédition, après avoir quitté Saïgon, s’est d’abord portée aux ruines d’Angcor, où sont amoncelés des débris inouïs de monuments d’une richesse incomparable, qui défient certainement parleursplen-
- 4 Deux magnifiques volumes in-folio, richement illustrés. — Hachette et Ce, 1873.
- deur toutes les merveilles de l Europe civilisée. En passant en revue les gravures du livre de M. Garnier, faites d'après des photographies par d’excellents artistes, on croirait feuilleter les illustrations d’un volume des Mille et une nuits ; escaliers grandioses, gradins gigantesques, ornés de sculptures étourdissantes, conduisent à des temples, à des palais auprès desquels les apothéoses de nos féeries ne sont rien.
- Le monument des quarante-deux tours à Angcor-Tom et la chaussée des Géants, attestent une civilisation et un art qui remplissent de stupéfaction l’observateur et 1c philosophe. — M. Garnier et ses com-
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- pagnons , après avoir visité Cambodge, Pnom, Bachey, etc., continuent leur voyage jusqu’à l’ile de Khong, en passant auprès des admirables cataractes de Salaphe, qui offrent un des plus beaux panoramas qu’il soit possible d’admirer.
- « On voit là, dit M. Garnier, des chutes d’eau de plus de quinze mètres de hauteur verticale, et d’une longueur qui atteint parfois un kilomètre. (Voir la gravure ci-contre). En amont le fleuve se rétrécit un instant, puis il s’épanouit de nouveau sur l'immense
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- Voyage en Indo-Chine. — Palmier Caryotas.
- plateau de 10ches, qui précède les chutes, en se perdant au milieu d’iles sans nombre, et en embrassant entre ses deux rives un espace de près de cinq lieues ! »
- Il faut suivre partout les voyageurs, décrivant les mœurs curieuses des populations qu’ils visitent, les réceptions dont il sont l’objet, donnant le tableau
- des spectacles naturels, auprès desquels ils séjournent, l’aspect des monuments et des ruines qu’ils étudient, pour avoir une idée exacte de cette magnifique exploration. La gravure qui représente les palmiers caryotas, et qui est faite d’après nature, par M. Delaporte, un des membres de l’expédition, ne représente-t-elle pas la richesse luxuriante de ces
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- LA NATURE.
- beaux pays, que dorent les feux d’un soleil ardent, inconnu dans nos climats? Que de peines, que de labeurs, ont endurés les voyageurs pendant trois années, pour rapporter l’histoire complète d’une importante partie de l'Indo-Chine , mais aussi quelle jnie pour ces infatigables explorateurs , d'ètre revenus sous le toit hospitalier de la patrie, et de décrire à leurs concitoyens les étonnantes merveilles qu’ils ont visitées !
- Malheureusement, M. Garnier est obligé de nous citer, de temps à autre, des faits qui prouvent une fois de plus combien la France est lente à étendre au dehors ses relations. Nous en reproduirons un qui nous a paru saillant: « Muong-Lin, dit M. Garnier, est un grand village, entouré de rizières très-bien établies, où se tient tous les cinq jours un marché assez considérable. La valeur relativement élevée des denrées indique des communications commerciales très-importantes. De nombreuses étoffes anglaises apparaissent dans les étalages. On ne peut s'emre-cher d'admirer l’habileté et le sens pratique de nos voisins en fait d'exportations. Ils ont créé pour l’Indo-Chine une fabrication spéciale.... Quand aurons-nous en France, assez de prévoyance, assez de souci des intérêts à venir, pour essayer d’implanter au-si nos produts à l’étranger, au lieu de considérer l’exportation comme l’exutoire de tous les rebuts de nos fabriques ? »
- Comme nous le disions plus haut, M. F. Garnier a pris la résolution d'entreprendre un second voyage, dans le but de rechercher dans le Thibet l’origine des grands fleuves qui arrosent l'Inde et l’ludo-Chine. La géographie de ces contrées a donné lieu à de vives discussions, à des polémiques même passionnées, qui dénotent l’importance du problème que le vaillant explorateur de l'Indo-Chine veut résoudre. Les difficultés sont considérables, mais M. Garnier, déjà initié aux obstacles à vaincre, espère réussir avec le temps, la patience et le courage. Fort de l’appui du ministre de la marine et de la Société de géographie, qui lui assureront les ressources nécessaires à son exploration, il commencera par séjourner à Ilan-Kéou, au centre de la Chine. Après avoir étudié t’hy-drographie des admirables rapides du fleuve Dieu, il s’engagera vers sa grande exploration Faisons des vœux pour ce voyageur, avec tous ceux que préoccupent les intérêts de la science et l’honneur de notre pays1.
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- LES AIMANTS
- TAAV\UX PE Al. J AMIN.
- L’action exercée par la pierre d’aimant sur la limaille de fer, action qui se manifeste par 1 adhérence de celle-ci, est un phénomène qui, depuis qu’il est
- * Voyez, pour plus amples détails, le Tour du Monde, 1873, page 366.
- connu, a appelé l’attention des observateurs qui ont cherché à étudier les lois auxquelles elle obéit. Mais cette action même, est restée sans application jusqu’à l’époque actuelle. C’est une autre propriété des corps aimantés, celle de se diriger suivant une ligne déterminée en chaque point du globe, qui les fait employer dans les boussoles : nous ne citerons que pour mémoire les électro-aimants employés dans les télégraphes et les moteurs électriques, et qui se rattachent aux phénomènes produits par les courants plutôt qu’au magnétisme, puisque l’on sépare encore les effets produits par ces deux agents malgré l’issimilation qu’en a faite Ampère.
- Mais si les attractions dues aux barreaux aimantés sont restées à l’état d’expériences de cours et n’ont point donné lieu à des applications pratiques, ce n’est pas à dire que ces barreaux ne soient fréquemment employés; seulement c’est une tout autre propriété que l’on met en jeu, celle de développer des courants d’induction dans des circuits métalliques voisins : ces courants peuvent servir à faire marcher des télégraphes, à décomposer des dissolutions métalliques, à produire tous les effets des courants des piles; mais c’est surtout à obtenir la lumière électrique qu’ils servent; nous rappellerons, à cet égard, les belles machines de la compagnie l'Alliance qui sont appliquées, entre autres, aux phares de la llève. Il est facile de concevoir que les effets produits sont d’autant plus intenses que les aimants employés sont plus forts.
- Cette question des courants d’induction produits par des aimants n’est pas celle dont nous voulons nous occuper aujourd’hui : nous voulions montrer seulement l’intérêt qui s’attache à la production d aimants énergiques.
- Jusqu’à ces derniers temps, la fabrication des aimants semblait abandonnée à la routine, et les divers pays de l’Europe se trouvaient tributaires de la ville de Harlem, où l’on s’adressait invariablement lorsque l’on voulait avoir un aimant puissant. Malgré les belles recherches de Coulomb, de Biot... rien ne déterminait les conditions dans lesquelles on devait se placer pour la forme à donner à l’aimant, les dimensions qu’il devait avoir, en vue d’une puissance déterminée ; on savait seulement qu’un bon aimant portait environ dix fois son poids. Quant au mode d’aimantation, c’était une question de tour demain.
- Depuis quelque temps les travaux sur le magnétisme sont revenus à l’ordre du jour et plusieurs mémoires ont été adressés à l’Académie des sciences sur ce sujet : parmi ces recherches, il importe de citer spécialement celles de M. Jamin, qui l’ont conduit à la production d'aimants puissants.
- Ce savant, dont le noni est également connu du public parisien comme celui d’un habile professeur, avait établi un appareil destiné à rechercher le mode de distribution du magnétisme : il évaluait l’intensité du magnétisme en un point d’un barreau, en mesurant la force nécessaire pour en arracher une petite sphère de fer doux. Armé de ce moyen d’investigation,
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- M. Jamin étendit les recherches auxquelles il s’était d’abord borné; il voulut se rendre compte de ce qui se passe lorsqu’on approche un fer doux d’un aimant. En variant les conditions d'exp. i iences, guidé d’ailleurs par des idées théoriques, M. Jamin arriva à mettre en évidence l’existence de ce qu’il appelle la condensation magnétique: cette action, dans le détail de laquelle nous ne voulons pas entrer, serait analogue à celle que l’on observe dans la bouteille de Leyde pour l électricité et permet d’augmenter dans des limites assez étendues la quanlité de magnétisme développé sur un aimant.
- D’autre part, M. Jamin étudiait les différences dans la force magnétique que l’on peut communiquer à un poids donné de 1er suivant la forme sous laquelle on le prépare : il put ainsi se rendre compte de l’avantage qu’il y a à composer un barreau aimanté de plusieurs lames minces superposées. La nature de l'acier, son degré de tremy e, influent sur la force d un aimant ; mais jusqu’à présent on ne savait rien de positif sur les conditions dans lesquelles on devait se placer. Les travaux que nous analysons sommairement ont mis en évidence ce fait remarq able que le degré de trempe, de revenu ou de recuit que l’on doit chercher à atteindre n’est pas uniforme et qu'il dépend de l’espèce d’acier employé : ainsi sont expliqués les incertitudes des constructeurs, les insuccès des uns et les réussites des autres. On saura actuellement, par la nature du barreau employé, le degré de trempe le plus convenable.
- On peut se rendre compte, parce qui précède, de l’intérêt qui s’attache aux recherches de M. Jamin. Nous terminerons en disant que tous le- détails de la fabrication des aimants lurent travaillés avec soin et queM. Jamin put présenter dernièrement à l’Académie des sciences un aimant, construit d’après les indications fournies par ses travaux et qu’il estime être le plus fort qui ait été construit jusqu’à ce jour : cet aimant est cipable de supporter un poids de 500 kilogrammes et lui-même ne pèse que 50 kilogrammes.
- Sera-t-il possible d’obtenir des barreaux aimantés d’une plus grande puissance? Nous l’ignorons et nous ne voyons pas, dans les conditions actuelles, quelle en serait l’utilité, au moins 1 utilité directe et immédiate : il nous paraît au contraire fort intéressant de savoir que désormais, par suite des travaux de M. Jamin, on pourra construire rationnellement des aimants produisant le maximum d'elfet dont ils sont susceptibles, et que les machines d’induction seront plus énergiques sous un même poids, ou plus légères pour une même énergie.
- Il faut espérer que le savant membre de l’Institut ! continuera ses recherches et quil dépassera le but-qu’il a atteint, car si nous ne voyons pas Futilité immédiate de la production de très-'orts aimants, nous savons que les recherches théoriques qui sem-blaient d’abord les plus abstraites, non-seulement ont souvent provoqué des nouvelles découvertes théoriques, mais ont aussi été le point de départ
- d’applications pratiques dont quelques-unes ont eu une influence considérable sur le développement de la civilisation. Qui peut prévoir toutes les conséquences que l’on pourrait déduire de la production d'aimants d’une énergie illimitée !
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- L’ASSOCIATION FRANÇAISE pour l’avancement DES sciences,
- session. — Congrès de Lyon. — Août 1833,
- L’Association française pour l’avancement des sciences, fondée en 1 872 par un groupe de savants 1, qui désiraient concourir au relèvement intellectuel de notre pays, en faisant naître sur tout le territoire une salutaire agitation scientifique, a obtenu dès la première année un véritable succès. Le congrès tenu à Bordeaux du 5 au 12 septembre 1x72 réunissait près de 30 membres ; les travaux et les communications présentés ont été nombreux ; des conférences, fai-1 es par des hommes chez qui la science n’enlève rien au charie de la parole, ont réuni, en même temps que les membres du congrès, l’élite de la société bordelaise; des excursions dont quelques-unes fort importantes (stations préhistoriques des Eyzies, travaux de défense des rivages de la pointe de Grave, hauts fourneaux de Labouheyre et mines de la Bidassoa) ont servi à établir des relations amicales entres les savants français et étrangers qui y ont participé, ot ont fourni au plus grand nombre des notions exactes sur des sujets d’un intérêt incontestable.
- La ville de Bordeaux avait tenu à honneur de recevoir dignement les hôtes qui arrivaient de la France entière et de l’étranger, pour assister à ces grandes assises scientifiques, et malgré quelques détails peu satisfaisants, dont la cause se trouve dans les difficultés d’une installation et d’une création, on peut dire que le congrès a contenté, à tous égards, les membres qui y ont pris part.
- Le congrès n’a eu, il ne pouvait avoir, qu’une durée limitée, une semaine; mais indépendamment des séances mêmes qui le composaient, il aura produit des résultats utiles. Parmi ceuv-ci, il faut compter, en première ligne, la création, à Bordeaux, d’un groupe girondin, dépendant de l’Association française tout en ayant sa vie propre, et dont le but est d’entretenir, à Bordeaux et dans la région avoisinante, le mouvement intellectuel qu’a fait naître le congrès. Le groupe girondin a choisi pour président le docteur Azam, qui, comme secrétaire du Comité local, avait préparé, avec un zèle si intelligent et si dévoué, la session de Bordeaux ; tout fait espérer que cette association prospérera. Il est à souhaiter qu’il s’en forme une semblable dans chacune des villes où se tiendront des congrès scientifiques.
- 1 MM. Combes, Claude Bernard, Broca, Cornu, Delaunay, d'Eichthal, de Quatrefages, Wurtz.
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- LA NATURE.
- L’Association française, créée pour aider au développement du mouvement intellectuel en France, compte distribuer chaque année des encouragements, des subventions à des savants, bien que les frais d’installation aient atteint un chiffre assez considérable, et quoique les ressources ne fussent pas, dès lors, ce que l’on espérait, par suite de retards dans les versements, l’association a tenu à consacrer ce principe dès sa naissance, et une somme de 1,500 fr. a été répartie par les soins du bureau ; il faut espérer que d’ici quelque temps il sera possible de décupler ce chiffre, pour le moins.
- Enfin, les Comptes rendus du congrès de Bordeaux, qui viennent d’être terminés et qui forment un magnifique volume, seront pour les membres de l’Association, en même temps qu’un souvenir du Congrès, un ouvrage dans lequel on trouvera des travaux importants qu’ils auront à consulter souvent, sans aucun doute. Nous regrettons que nous ne puissions parler plus longuement de ce volume dont la publication fait grand honneur, à tous égards, au bureau de l’Association française 1.
- L’Association française va tenir à Lyon, le 21 de ce mois, une nouvelle session. Tout fait espérer que la réunion sera fort brillante ; la ville de Lyon a voté un crédit de 20,000 francs pour les frais occasionnés par le Congrès, et a mis à la disposition de l’Association le palais Saint-Pierre et l'hôtel de ville. Un Comité local, qui réunit toutes les notabilités lyonnaises, s’est constitué pour préparer la tenue de la session, s’occuper de l’installation matérielle, des excursions, et concentrer tous les travaux de la région ; nous savons, dès à présent, qu’il s’est tenu à la hauteur de cette mission, et nous ne doutons pas de l’excellence des dispositions qui auront été adoptées.
- Le bureau de l’Association2, de son côté, a dû se préoccuper de tout ce qui, dans cette préparation de la session, n’est pas exclusivement local, et nous
- 1 Ce volume est distribué, chaque année, à tous les membres de l’Association.
- 2 Le bureau de l'Asscciition est composé ainsi qu’il suit pour l’année 4873 :
- President : M. de QUATREFAGE , membre de l’Institut, professeur au Muséum d’histoire naturelle.
- Vice-Président : M. WURTZ, membre de l’Institut, doyen de la Faculté de médecine de Paris.
- Secrétaire général : M. Levasseur, membre de l’Institut, professeur au Collège de France.
- Vice-Secrétaire général : M. LAUSSED\T, lieutenant-colonel du génie.
- Trésorier : M. G. Massov, libraire-éditeur.
- Archiviste : M. FREDEL, conservateur des collections scientifiques à l'École des mines.
- Secrétaire du conseil: M. C. M. GARIEL, ingénieur des ponts et chaussées, professeur agrégé à la Faculté de médecine de Paris.
- Le président pour l’année 1874 sera M. Wurtz; le secrétaire général, M. Laussedat. Le vice-président et le vice-secrétaire seront nommés à l’élection au Congrès de Lyon ; ils devront être choisis de telle sorte que le bureau contienne un membre appartenant à chacun des groupes de sciences suivants :
- 1er groupe : Sciences mathématiques;
- 2e groupe : Sciences physiques et chimiques ;
- 3e groupe : Sciences naturelles ;
- 4e groupe : Sciences économiques. |
- croyons savoir que la deuxième session de 1875 sera brillante; on espère que les assistants seront nombreux, que les travaux seront intéressants, et l’on sait qu’un certain nombre de savants étrangers ont promis leur concours effectif.
- Après une année d’existence, à peine, l'Association française compte près de 1,000 membres et possède outre les souscriptions annuelles (20 francs par membre), un capital qui rapporte 8,500 francs de rente, c’est une véritable puissance; mais il faut plus encore, et nous souhaitons à l’Association française une prospérité au moins égale à celle de sa sœur ainée, the British Association ; nous voulons espérer qu’avant quelques années elle comptera 10,000 membres et pourra dépenser annuellement 150,000 à 200,000 francs. Il y a sans aucun doute en France plus de 10,000 personnes qui s’occupent de science pure et qui s’intéressent à ses applications si nombreuses : toutes peuvent et doivent faire partie d’une association dont le but est éminemment patriotique. Elle a pris pour devise ces mots : Par la Science, pour la Patrie, qui sont de nature à lui concilier toutes les sympathies sans exception.
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- LE SPECTROSCOPE TOTALISATEUR
- DE M. NORMAN-LOCKYER.
- L’approche de l’époque où les préparatifs du passage de Vénus seront rendus publics donne un grand intérêt d’actualité à la description d’appareils analogues à celui que nous représentons. Le télescope de M. Lockyer a été employé en décembre 1871 pour observer la grande éclipse qui, on s’en souvient, avait attiré l'attention du monde savant tout entier.
- Pour comprendre le jeu de ce spectroscope totalisateur, il faut d’abord saisir la marche du télescope monté équatorialement sur lequel il était placé. Cet instrument, ayant été orienté suivant un plan méridien, il a fallu donner à l’axe A une direction parallèle à celle de l’axe du monde, qui fait à Pont de Galls (Ceylan), un angle d’environ 84° avec le zénith. Cette opération a été effectuée à l’aide du limbe-gradué C et d’un pignon caché par la glissière B. Des vis calantes ont permis de donner à l’axe A une situation inébranlable.
- L’appareil porte deux cercles gradués, l’un, pour les ascensions droites, et l’autre perpendiculaire au premier pour les déclinaisons. Une fois le télescope mis en place, on le met en mouvement autour de l’axe A avec une vitesse réglée sur le tem] s sidéral. Ce mouvement est donné par l’horloge D, qui est mise sous la surveillance d’un régulateur à force centrifuge, système Foucault, représenté à la droite de notre gravure. Le mouvement se communique par les tringles et les roues d’angles qui aboutissent à l’axe F. La série de ces mouvements est facile à comprendre.
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- Les rayons venant de l’astre sont réfléchis par un miroir parabolique en verre argenté (système Foucault) de 9 pouces 1/2 de diamètre et 6 pieds seu-ment de distance focale.
- Cette distance focale est bien inférieure à celle que devrait avoir un instrument de cette force, mais, dans le cas qui nous occupe, on cherchait surtout à obtenir une image très-vive du soleil. La pièce K est
- Télescope spectroscopique de M. Lockyer.
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- l’oculaire construit de manière à ce que tous les rayons reflétés par le miroir argenté soient reçus en un faisceau unique de 1/8 de pouce de diamètre. C’est l’ensemble de cette lumière que M. Lockyer
- s’est proposé de soumettre à l’analyse spectrale. L’observateur, pour des raisons qu’il serait hors de propos d’énumérer et d’apprécier, voyait donc un champ crculaire rempli de raies et de couleurs
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- spectrales, lorsqu’il adaptait à son télescope l’équipage que nous donnons en coupe et en plan (fig. 1 et 2). La pièce G repiésente un simple prisme, et la pièce B une série de prismes servant à iendre la dispersion plus grande.
- Ces deux pièces, C et B, équilibrées Lune par l’autre, étaient ajustées, comme on le voit dans la figure en coupe, de manière à ce que l’on puisse amener à volonté l’une ou l’autre devant l’oculaire du télescope A', et avoir, par conséquent, deux degrés différents de dispersion.
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- Toutes ces modifications spéciales avaient été faites en vue d’une observation unique; celle du disque solaire pendant un instant très-court, cinq minutes à peine. L’argent employé à de grandes observations n'est jamais perdu pour la cause de l’humanité. Est-ce que notre plus bel apanage n’est point l’étude de la nature? A quoi sommes-nous bons sur la terre, si nous restons indifférents aux merveilles que le ciel nous montre?
- CHRONIQUE
- L'exposition russe à Vienne. — La Russie s est particulièrement fait remarquer à Vi nne par une exhibition formidable d'engins de guerre. Nous décrirons prochainement le canon qu’elle a envoyé dans la capitale autrichienne, et qui dépasse en puissance et en gr indeur, le célèbre canon Krupp. Le gouvernement russe s’est appliqué à étaler aux yeux des visiteurs des fusils de toute sorte, des pièces d artillerie et des mitrailleuses.
- Cet étalage militaire fait dire avec esprit à un journal américain que l’ours du Nord montre les dents !
- Une nouvelle lumière électrique à Londres.
- — Ou fait actuellement de très-curieuses expériences d’éclairage public au moyen de la lumière électrique, à l’en
- droit où est placé le magnifique cadran de Westminster. M. C. W. Cooke, inventeur d’un régulateur perfectionné, projette au loin des rayons it tenses, concentrés à l’aide de lentille s analogues à celles que l’on emploie dans les phares. L'intérêt de ces expériences est incontestable au point de vue scientifique, mais nous douions fort que la lumière produite par l’arc voltaïque puisse pénétrer dans le domaine de la pratique, en raison de son éclat beaucoup trop vif.
- Le boa constrictor de Poodoccottah. — Le Times des Indes anglaises nous apprend que les environs de Poodoncottah étaient depuis quelque temps ravagés par un immense boa constrictor, que les naturels considéraient comme un ètre sacré.
- Lu enfant égaré dans les marais situés près de la ville fut mis en pièces et dévoré par le m nstre. Deux intrépides Angl is, MM. Johnsione et Pennington, au risque des plus grands dangers, attaquèrent ce terrible boa-constrie-lor et parvinrent à le tuer à c ups de fusil. La peau du serpent, déposée au muséum de Madras, ne mesure pas moins de 0 mètres 25 cent.
- Curieuse utilisation de la chaleur solaire. — Pendant la cons ruction récente d'un pont en Hollande, une poutre de 4G5 pieds de long se trouva mal placée sur ses supports; elle était à un pouce de la place qu'elle devait occuper, et l’on se demandait quel moyen on pouvait en ployer p ur la remettre dans sa position véritable, lorsqu’on pensa à utiliser la chaleur solaire. La différence entre le jour et la nuit ateignait 'JS0 ; on jugea qu’elle était suffisante pour obtenir l’effet (pie l'on che rchait. Dans ce but, l’extrémité qu’il s’agissait de remettre à sa place fut invariablement fixée le matin, tandis que l’autre extrémité fut laissée libre. Sous l’influence de la chaleur solaire la poutre s’allongea, et son extrémité libre s avança d’une certaine quantité. Vers le soir, et avant le coucher du soleil. elle extrémité li re fut à son tour fixée invariable-imml, tandis que l’extrémité opposée fut dégagée ; par suite du froid de la nuit, une contraction se produisit, et l’extrémité libre, se déplaçant, se rapproc1 a de la place qu’elle devait occuper ; cette double operation fut répétée le lendemain, et les déplacements furent tels que, après ces d ux jours, la partie qu’il s’agissait du mouvoir avait repris la place quelle devait occuper régulièrement.
- C’est là, croyons-nous le premier exemple d’une application industrielle de la dilatation produite par la chaleur solaire. On sait qu’un procédé analogue fut employé au Conservatoire des arts et métiers; mais la dilatation était due à une source de chaleur artificielle.
- Wépart de la uniata. — La Juniata est partie de Terre-Neuve, le 9juillet dernier, pour aller à la i echerche du Polarist Toute la populatio 1 de Saint-Jean était réunie sur la jetée et a acclamé les hardis voyageurs. La Juniata doit toucher à Disco pour établir un dépôt de provisions et à Leperniavik pour acheter des chiens et des traîneaux groënlandais. Le navire a élé blindé en fer pour qu’il puisse résister à la pression des glaces ; il se dirige à toute vapeur vers le détroit de Smith. Est-il besoin de dire que tous nos vœux accompagnent les explorateurs? Nous nous consolerons difficilement en songeant que la patrie de Gus ave Lambert n’est point représentée dans celte expédition par un seul volontaire!
- Hérodote et sir Baker. — Les journaux anglais ne révoquent point, jusqu’à ce moment du moins, la réalité
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- de la découverte attribuée à sir Baker par le télégramme du Daily News annonçant son arrivée à Kartoum. Si cette nouvelle est exacte, le lac Tanganyika, découvert par Livingstone et le lac Albert Nyanza, découvert par sir Baker dans son premier voyage, ne font qu'une seule et même mer intérieure, dont la longueur n’est pas moindre de trois cents lieues, dix fois celle du lac de Genève. Dans son enthousiasme, le Daily News s’écrie que c’est la première fois qu’on a entendu parler d’une pareille merveille. Mallieureuse-ment pour notre confrère, la mer intérieure d’Afrique, d où sort le Nil, a été décrite par Hérodote. Strabon ajoute même qu’il y a dans cette mer intérieure une grande île, dont difterents peuples, les Éthiopiens et les Numides, se disputent la possession. Ce géographe parle d’un second lac, qui serait le lac Victoria Nyanza, découvert parles capitaines Spoeke et Grant, et dont le- eaux se jettent dans le lac Albert parla cataracte Murchison, comme sir Baker l’a observé dans son premier voyage. Les explorations actuelles ne sont donc qu’un retour aux anciennes idées des Grecs, que l’on avait dédaignées pendant près de quinze siècles ! Il va sans dire que nous rapportons l’opinion d’Hérodote, à titre de document historique du plus haut intérêt, sans vouloir retirer à sir Baker la moindre parcelle de la gloire qui lui est due.
- Horrible naufrage aérien. — M. La Mountain, bien connu aux États-Unis par ses nombreuses ascensions, et principalement par un voyage aérien des plus émouvants, où il avait failli être englouti dans les eaux du lac Erié, vient de périr au milieu des airs, de la façon la plus dramatique, la plus épouvantable. La Mountain s’est élevé en montgolfière à lonia dans le Michigan, le 4 juillet, date célèbre de l’anniversaire de l’indépendance des États-Unis. Des milliers de spectateurs assistaient au départ de 1 aéro-nante. L’infortuné La Mountain avait eu l’idée funeste, de suspendre sa nacelle non pas à un filet entourant le globe aérien, mais à une série de cordes indépendantes les unes des autres et attachées à un cercle de bois placé à la partie supérieure de la montgolfière.
- Ces cordes ne tardèrent pas à se rapprocher les unes des autres, et à une grande hauteur, elles se réunirent de manière à laisser ressortir la plus grande partie du globe aérien ; le cercle de bois supérieur fut arraché; le ballon s’échappa ! L’aéronaute fut précipité du haut des airs, avec sa nacelle et les cordes pendantes On le vit s’accrocher convulsivement à l’esquif aérien, et tomber vers le sol avec une vitesse indescriptible. Il lâcha prise à 50 mètres environ au-dessus du niveau de la terre, et son corps vint brusquement s’écraser dans un champ, en présence de plusieurs milliers de spectateurs! Ce drame épouvantable arracha des larmes aux assistants, et la plupart des femmes s’évanouirent! Le corps de La Mountin s’incrusta dans le sol, et y produisit une cavité de 15 centimètres environ de profondeur. Les médecins constatèrent que les os de l’aéronaute avaient été broyés par le choc, quelques-uns même étaient littéralement pulvérisés. La tête de l’infortuné était écrasée d’une façon horrible, sa mâchoire inférieure, complètement détachée, était couverte d’une épaisse couche de sang ! La Mountain était renommé par son grand courage, qu’il avait souvent déjà poussé jusqu’à la témérité.
- Les orages de samedi, 26 juillet, & Paris. — Deux orages ont successivement éclaté sur Paris, le premier vers 1 heure, il a seulement attaqué les régions occidentales; le second vers six heures s’est précipité, avec beaucoup de fureur vers les régions oriemtales. On n’a pas
- constaté moins de 18 cas de foudre à Belleville, la Chapelle et énilmontant. Malgré ce grand nombre de sinistres, une seule victime paraît avoir été frappée mortellement. Encore n’a-t-elle pas succombé sur le coup. Un arbre a été foudroyé dans le jardin du Luxembourg. La nuée orageuse était de dimension très-faible, et elle avait une marche en apparence assez lente à cause de la grande hauteur à laquelle elle planait Une violente ondée a séparé les deux orages. Mais à peine quelques gouttes de pluie ont-elles précédé la reprise de six heures. Les foudres des orages secs sont les plus redoutables et les plus énergiques, parce que l'électricité reste concentrée, ce qui n’arrive point dans les orages humides. Alors, la majeure partie de l'électrii ité se disperse sous forme insensible accompagnant forcément l'eau qui se précipite à la surface delà terre.
- Expériences pour l’arrosage des rues de Londres. — Le Times rapporte avec de grands détails des expériences qui sont faites en Angleterre pour établir des deux côtés des voies principales des conduites percées de petits rous destinés à l’ai rosage.
- La pression de l’eau est suffisante pour que les deux jets aillent se reoindre. Ce mode d’arrosage est, parait-il, très-expediti et le prix de la pose des conduites d’eau ne serait que peu élevé en considération des économies qu’elle permettrait de réaliser sur l’arrosage ordinaire.
- Les assurances de l’usine Krupp. — Le célèbre constructeur prussien vient d’assurer ses usines d’Essen, à douze compagnies allemandes pour la somme de 28 millions et demi de francs. Cette somme ne couvre que les parties de rétablissement susceptibles d'être détruites par le feu. La fonderie à vapeur, le chemin de fer, les lignes télégraphiques, les bureaux spéciaux, et de canalisation, le stock de métal, ne sont pas compris dans ce total !
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- ACADÉMIE DES SCIENCES
- Séance du 28 juillet 1873. — Présidence de M. DE QUATREEAGE+,
- C’est par l’annonce d’un nouveau deuil que s'ouvre la séance.
- M. Gustave Rose est mort à Berlin, le 15 juillet, d'une péripneumonie. Le nom de ce célèbre savant est lié d’une manière indissoluble à une série de grands progrès en chimie et en minéralogie. M. Rose, en effet, s’est attaché à prouver que les résultats de l’analyse chimique sont toujours concordants avec ceux de la cristallographie, et c’est comme application de ce fécond principe qu’il ét iblit, dans le groupe, jusque-là si confus des feldspaths, les qu dre espèces orthose, anorthite, labrador, ctoligoklase. M. Gustave Rose s’est occupé aussi avec assiduité des météorites. C’est à lui que Ion doit la spécification des cinq types si net' désignés sous les noms à’eukrile, de chladnite, de chassignite, de howardite, et de shalkite, dont nous aurons à entretenir nos lecteurs dans notre prochain article sur les pierres qui tombent du ciel.
- — « La question de l’amélioration des relations entre la France et l’Angleterre est plus que jamais à l’ordre du jour. » — C’est par cette phrase élégante queM. Dupuy de Lomé commence la description d’un système de communication au travers du pas de Calais. Ce travail constitue par son étendue, par son importance et par le talent que l’auteur déploie à l’exposer, le fait saillant de la séance.
- Après avoir éliminé les projets qui consistent dans un tunnel sous-marin ou dans un pont au-dessus de l’eau,
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- LA NATURE.
- 'l'auteur montre que l’entreprise ne peut avoir de succès que par l’emploi de grands navires. Mais, dans ce cas, il faut de grands ports où, même à marée basse, ceux-ci puissent aborder. Sur la côte anglaise un port de ce genre existe. A Douvres, grâce à la construction d’une longue jetée, on a un débarcadère où, même à marée basse, le fond est à 40 mètres. Mais, du côté français, rien de pareil n’existe. Avant tout il faut donc améliorer un port de nos côtes. Seulement cette entreprise coûterait fort cher et on doit se demander si l'opération serait de nature à faire récupérer ses frais. Or on ne peut prévoir ce résultat que si le nouveau mode de transport s’applique aux marchandises dont le transit, comme on sait, fait vivre les compagnies de chemin de fer. Alors une nouvelle difficulté se présente ; elle est relative à rembarquement. Pour faire une traversée de 1 heure et demie, il ne faut pas qu’on ait à passer 24 Leures à arrimer les marchandises dans le navire.
- Évidemment rembarquement le plus rapide consiste à mettre à bord le train tout entier qui le contient, et c'est ainsi qu’on arrive forcément à la conception des navires porte-train.
- Dès lors l’entreprise est de nature à couvrir ses frais et il faut voir quel port on doit chercher à améliorer. Celui qui par sa position est naturellement désigné, c’est Calais. | Mais à marée basse on n'y peut entrer qu'ave • de très- ; petites embarc tions ; aussi le service des ponts et chus- | sées a-t-il construit une double jetée traversant la zone des j sables du littoral. Ce travail repris à plusieurs reprises est toujours devenu inutile à cause de l'ensablement que le courant reproduit très-rapidement, et on y a définitivement renoncé. Il faut donc s’attacher à faire un port qui ne contrarie pas le régime des courants, et par cela M. Dupuy construit en mer, à 550 mètres de la laisse déliassé mer, un îlot en forme de ravi lie présentant sa pointe au courant. Cet ilot, ouvert du côté de la terre, renferme un vaste bassin qui servira de port toujours à l’abri du gros temps. L’i'ot est relié à la terre ferme par un pont à grandes arches de 1150 mètres de longueur et prolongeant la voie ferrte jus-qu’au port d’embarquement. Un train arrivant de France traverse ce pont, arrive à l’dot par une pente de 5 millimètres par mètre, et, reculantalors sur une autre voie, vient s'engager, grâce à des dispositions très-ingénieuses, dans l’entrepont d’un navire disposé pour le recevoir.
- Ce navire de 135 mètres de long peut recevoir soit un train de 17 wagons dont 3 pour les bagages, soit un train de 15 wagons de marchandises. Sa force est de 5500 chevaux. Il fait 18 milles marins à l'heure et effectuera, par conséquent, sa traveisée en moins de 1 heure et demie par le plus mauvais temps. L’auteur entre dans une foule de détails au sujet de l’embarquement et du débarquement des trains, et expose les conditions que remplissent ses navires pour que le roulis y soit le moins sensible. Il termine en annonçant que son travail va être soumis à l'Assemblée nationale avec un projet de loi qui résoudrait prochainement avec l’Angleterre la « question de l’amélioration de nos relations. »
- — Si l’on ajoute à ces divers faits une communication fort intéressante sur la planète Mars, un mémoire de M. Sédillot sur l'application de l’électricité à la médecine et à la chirurgie et l'élection de nombreuses commissions chargées de juger les ouvrages adressés à différents concours, on aura un bilan à peu près exact de la séance.
- STANISLAS NEUNIER.
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- RUPTURE DU CABLE DE SINGAPORE
- PAR UN POISSON.
- On a déjà enregistré, aux États-Unis, des faits curieux sur la rupture de câbles électriques sous-marins dus à l’attaque d’habitants des mers. Le câble de la Floride à Cuba a été une fois déjà endommagé parla morsure de grands poissons ; il en a été de même du câble plongé dans la mer de Chine. — M. Frank Buchland donne, dans le Scientific American, de curieux détails sur un accident survenu au câble de Singapore. Ce câble a été dépouillé de son enveloppe de chanvre et percé, de part en part, par une cause accidentelle.
- Spécimen du câble rompu de Singapore.
- Notre figure, reproduite d’après un dessin de M. Buchland, représente en 1 une coupe destinée à montrer la disposition intérieure des fils ; en 2, est l’orifice ouvert, en 5 l’enveloppe rabattue. — Ce câble, posé le 11 décembre 1870, cessa de fonctionner en mars 1871. Un navire fut chargé de le relever, et trouva la rupture à 200 milles de Singapore. Le câble était percé, comme nous le figurons, et des morceaux d’os se trouvaient comme broyés au milieu de l’orifice. M. Buchland, naturaliste distingué, examina longtemps ce curieux échantillon, séparé du reste du câble ; il remarqua que l’orifice avait été percé et non broyé par une mâchoire. Après avoir longtemps médité en vain sur les causes certaines de cet accident, il trouva enfin, et par hasard, dans sa collection un poisson-squale (pristis antiquorum) dont il détacha la scie, avec laquelle il pratiqua, dans le câble, un orifice semblable à celui qui y existait déjà.
- M. Buckland ajoute que les poissons-scies ont l’habitude de fouiller les fonds marins pour chercher leur nourriture, en imprimant un mouvement de va-et-vient à l’espèce de lance aiguë dont ils sont armés. L’extrémité de la scie d’un de ces poissons se sera engagée dans les filaments extérieurs du câble, un soubresaut brusque de l’animal l’aura fait pénétrer plus profondément encore, jusqu’à ce que de violents efforts aient brisé la scie, après l’avoir fait traverser le câble de part en part. G. T.
- Le Propriétaire-Gérant : G. TISSANDIER.
- PARIS. — IMIP. SIMON RAÇON ET COMP., RE D’ENFURTII, I.
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- Ne 11. _ 16 AOUT 1875.
- LA NATURE.
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- LES EXPLORATIONS AU SPITZBERG
- Dans les premiers jours de l'automne 1872 le navire Pépita, qui avait pu s’échapper du Spitzberg, apporta à Tromsoe de tristes nouvelles de cet archipel si extraordinaire. Les glaces s’étant prématurément refermées à la suite de gelées précoces, qui se sont du reste fait sentir jusqu’au nord de l’Angleterre au commencement de septembre, un grand nombre de pêcheurs norwégiens se trouvaient cernés dans ces hautes latitudes, et étaient exposés à mourir de faim, de froid, de misère. En même temps, le succès de la troisième expédition scientifique, dirigée par le professeur Nordenskiold, se trouvait compromis. Le navire Polliem, commandé par le capitaine Palander de la marine royale de Norwége, était obligé d’hiverner à Mossel-Bay, avec le Gladan et Y Onkel-Adam.
- D’autres navires se trouvaient au cap Gray, dans le voisinage de Mossel-Bay et probablement dans l’Is-fiord ou fiord de la glace, dont le nom vient malheu-reusement d’acquérir une’triste célébrité à la suite d’une catastrophe épouvantable, qui a vivement attiré l’attention publique.
- Aussitôt que les nouvelles apportées par la Pépita furent parvenues, le gouvernement norwégien donna ordre à l’Albert et à Y Ours-Blanc (Isbjorn), de prendre la mer et de porter des secours aux malheureux séquestrés. En même temps la Société de géographie, de Berne, aidée par un généreux patron des expéditions arctiques, expédia, à ses frais, un troisième navire appelé le Groenland. Mais tous les efforts furent infructueux. La banquise se montrait impénétrable. Les trois navires durent successivement revenir en Europe, renonçant l’un après l’autre à lutter contre les vents, les glaces, l’obscurité, en un mot toutes les ténèbres d’un hiver arctique.
- Ce retour s’accomplit au milieu d’une anxiété d’autant plus grande, qu’après un hiver remarquable par sa douceur, on eut à essuyer un printemps qui ne fut pas moins exceptionnel par sa rigueur intempestive; de telles circonstances prolongèrent fatalement les inquiétudes publiques dans toute la Scandinavie.
- Les Anglais n’attendirent pas les nouvelles du Spitzberg pour se diriger vers les lieux où tant de souffrances étaient sans doute à alléger. M. Leigh-Smith fréta un transport qu’il expédia à destination de Mossel-Bay, dans les derniers jours de mars, et lui-même se mit en route quelques jours plus tard, sur le yacht à vapeur la Diana. Vers le commence-cernent de juillet, on apprit que le navire Onkel-Adam, venait d’arriver à Tromsoe avec des dépêches, du capitaine Palander, pour le ministre de la guerre, et de M. Nordenskiold, pour M. Oscar Dickson, le riche négociant de Gothembourg, qui rivalise de zèle avec M. Grinnell, de New-York, et qui a déjà fait d’immenses sacrifices pour encourager ces magnifiques explorations.
- Le capitaine de Y Onkel-Adam lança des télégrammes à Stockholm, à Gothembourg et à l’Académie des sciences de Paris, à laquelle M. Nordenskiold se réserve de communiquer le résultat de ses observations. Ce n’est pas la première fois qu’il agit de la sorte, car en 1861 il a déjà communiqué à M. Dau- . brée, le savant professeur du Muséum, le résultat de sa quatrième exploration arctique faite dans les glaciers du Groenland. Jusqu’à ce jour les savants Scandinaves comptaient sur la bonne foi des savants allemands pour leur servir d’intermédiaire avec le reste du continent européen.
- Ainsi l’immortel Hansteen, quoique membre correspondant de l’Académie des sciences pendant un demi-siècle, n’a pas envoyé une seule communication à cette savante assemblée. L’accueil fait cette fois aux savants Scandinaves, prouve qu’ils n’ont point eu tort d’abandonner leurs traducteurs qui trop souvent donnaient raison au fameux proverbe : « Traduttore traditore. »
- Enfin les journaux de Rome, recevaient des télégrammes adressés au nom de M. Parent, lieutenant de vaisseau de la marine italienne, qui a accompagné M. Nordenskiold dans sa belle expédition. M. Parent est le fils d’un des députés qui représentent la Savoie, à l’Assemblée nationale de Versailles; engagé dans la marine avant l’annexion, il n’a pas cru devoir abandonner ses camarades pour changer de patrie.
- Quelques jours après, le Gladan arrivait àTromsoe; après s’être ravitaillé, ce navire s’est rendu à Gothembourg, son port d’armement. Il est chargé d’un grand nombre de curiosités, dont certaines viendront à Paris.
- M. Nordenskiold, le capitaine Palander et le lieutenant Parent ne sont point attendus à Tromsoe avant une huitaine de jours, car le Polhem ne veut revenir en Europe qu’après avoir épuisé toutes ses provisions, et il ne quittera pas ces hautes régions sans tenter encore une fois de passer de l’autre côté de la banquise dont il est si rapproché.
- L’arrivée du transport de M. Leigh-Smith et du navire la Diana, aura peut-être même changé leurs dispositions , quoique la continuation des pluies donne lieu de craindre que la barrière des glaces qui se trouve au nord du Spitzberg, n’ait point été entamée par les rayons du soleil, et que les explorateurs Paient trouvée aussi difficile à franchir qu’au printemps.
- Les renseignements que YOnkel-Adam et le Gladan ont apportés, ont trait à la météorologie, au magnétisme terrestre, aux aurores boréales, à la vie des animaux marins et des plantes marines qui sont aussi riches, aussi plantureuses en hiver qu’en été. En effet, les froids terribles qui rendent l’habi-tation du Spitzberg si difficile, n’affectent en quelque sorte que la pellicule de l’Océan.
- En attendant que ces trésors soient entre les mains des diverses nations du midi de l’Europe il est opportun de jeter un coup d’œil d’ensemble sur ce groupe d’îles singulières, dont la Norwége se serait l emparée l’an dernier si la jalousie des autres puis-
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- Pointe Welcome. Hivernage forcé des navires Pépita et Frede-rica. — B. Cap Grey. Hivernage forcé des navires Elisa, Dra-gsur, Cygne, Hellene. —C. Baie Mossel. Hivernage volontaire de Nordenskiold. Navires Polhem, Gladan, Onkel-Adam. — D, Treurenberg baie. Cimetière. Observatoire de Parry. — E. Mont Hécla. — F. Terre du Nord-Est. Cette île a été traver-
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- sée dernièrement par Nordenskiold. — C. Cross baie. Cimetière hollandais. Hivernage de Bravais. — H. Pointe de terre où l’on a reconnu la présence de gisements de houille et de schistes bitumineux. — 1. Montagne des Crocodiles. — K. Cap Thordsen, où 18 Norwégiens sont morts du scorbut eu 1873, dans une cabane auparavant construite par des mineurs suédois.
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- sauces du Nord n’avait produit des hésitations qui ne seront, espérons-le, que temporaires. En effet, le Journal officiel de Stockholm a publié récemment un article qui semble indiquer que le gouvernement du Royaume-Uni comprend la nécessité de planter le drapeau de la vie humaine sur une terre, située juste à moitié chemin de l’Europe et du pôle Boréal. Cet archipel étrange, sans équivalent dans l'hémi-sphère austral, doit servir nécessairement d’étape aux explorateurs préoccupés de l’étude de ces régions inaccessibles, mais aussi pleines d’attraits qu'entourées de mystères et de dangers.
- Il est à peu près impossible de dire de combien d’îles se compose le groupe du Spitzberg, car probablement on ne les connaît pas toutes. Il est à présumer qu’un certain nombre de fjords se prolongent en réalité jusqu’à la mer et sont des bras de l’océan Glacial, analogues au détroit de Ilinlopen, qui sévare les deux terres principales, le Spitzberg occidental et la terre du nord-est. (Voy. la carte ci-contre).
- Nous signalerons, au nord, l’archipel des Sept îles qui s’approche, comme on le voit du 81e degré, et qui, pendant l’hiver et le printemps, ne forme qu’une masse solide de glaces avec la terre principale. Tous les anciens explorateurs qui ont étudié le Spitzberg; Ross, Parry, Martens et Phipp (plus tard lord Mulgrave), sont représentés dans cet archipel. Quant à Bareutz, qui l’a découvert, il a donné son nom à une terre séparée du Spitzberg par le grand fiord (stor fiorden) et situé au sud-est de l'ile du nord-est.
- Pendant longtemps on croyait que cette masse de terres ne formait qu’une seule île ayant une trentaine de lieues de longueur, et suffisamment grande pour être consacrée au Christophe Colomb de cet archipel, mais on s’aperçut plus tard que la terre de Barentz était coupée en deux morceaux, par un détroit profond, celui de Walter Thymens. On donna à cette nouvelle terre le nom de Stans qu’elle gardera.
- Nous citerons encore une île longue, montagneuse, située dans la direction du nord-ouest au sud-est, qui, si le Spitzberg était la Grèce, pourrait être comparée à l’Eubée. C'est le Foreland du prince Charles. Du cap Platen au cap sud, l’archipel possède environ une centaine de lieues, c’est un tiers de plus que la distance qui sépare Cobbe-Bay de l’extrémité orientale de l’avant-terre de Stans, et qui marque, par conséquent sa largeur. Sous des climats moins terribles, le Spitzberg serait un des archipels dont les nations maritimes se seraient disputé la possession avec le plus d’acharnement, mais les guerres qui désolent les Océans, ne se sont jamais étendues jusqu’à ces parages où le seul sang qui ait jamais coulé, est celui des baleines, des phoques et des ours blancs 1.
- Les fiords sont innombrables, comme on doit le comprendre d’après ce que nous avons dit ; le premier que l’on rencontre sur la côte orientale est le
- 1 Les Anglais eurent une fois ht velléité d’accaprer la pèche, mais cette tentative isolée ne donna point lieu à un conflit sanglant.
- Horn-Sound (sondage de la corne), où aborda Barentz lorsqu’il découvrit le Spitzberg, il y a deux cent cinquante ans.
- A une vingtaine de lieues se trouve Bel Sound, où hiverna, il y a deux cent vingt ans, un Anglais nommé Pelham, qui a laissé une très-curieuse narration de ses aventures. Cette narration a été réimprimée, il n’y a pas plus de 23 ans, par une société anglaise, avec le plus grand succès. A une quinzaine de lieues plus au nord se trouve le fiord de la glace (Isfiord), dont nous avons déjà parlé. C’est là qu’on a découvert 18 marins morts de faim, au printemps de 1875. Leur journal, qui pourra satisfaire la sombre curiosité des amateurs de catastrophes, ne tardera point à être publié in-ertenso. Versons en passant quelques larmes sur la tombe de ces martyrs du progrès.
- Plus haut se trouve Cobbe-Bay qui a été étudié avec soin, par les derniers explorateurs Scandinaves. Magdalena-Bay, ainsi nommée en l’honneur d’un navire qui accompagnait VÆole, dans la première expédition de Nordenskiold. Enfin nous devons appeler l attention sur les baies qui se trouvent à l’extrémité nord-ouest de l’archipel et nous ne pouvons en séparer les îles voisines. En effet, c’est dans cet archipel que, surtout dans la dernière moitié du dix-septième siècle et dans la seconde moitié du dix-huitième, les pêcheurs de baleine s’étaient donné rendez-vous. Chaque nation avait adopté un cantonnement dont les limites étaient religieusement respectées, peut-être parce que les gouvernements ne s’étaient point imaginé d’aller y faire la police. Les Hollandais, les Scandinaves, les Anglais et même les Espagnols avec lesquels les Français étaient confondus, avaient leur stationnement. La découverte de la mer de Baffin a porté un coup de mort à cette prospérité. Il faut dire que les baleines y ont été pour quelque chose, car elles ont quitté les parages du Spitzberg, qu’elles affectionnaient, croyant être plus tranquilles dans ceux du Groenland. Il n’est plus guère resté au Spitzberg que les chassseurs de phoques et de morses.
- Le détroit qui sépare l’île d’Amsterdam de la Grande-Terre, porte le nom singulièrement énergique de Smeeremberg, ce qui en Hollandais veut dire: montagne grasse; ce nom, d’après les statisticiens de l’histoire des pêches, a été plus d’une fois mérité. Mais les beaux jours de la pêche sont passés pour le Spitzberg, et les baleines ne reviendront pas. Cet archipel doit donc trouver un autre genre de gloire et de prospérité.
- — La suite prochainement. —
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- ÉVAPORATION DE L’EAU
- PAR LES FEUILLES.
- En mesurant exactement la quantité d’eau qu’il faut employer pour maintenir constamment une plante dans de bonnes conditions d’humidité on ar-
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- LA NATURE.
- rive à se rendre compte des quantités énormes de liquide qu’elle évapore. Cette méthode a été employée depuis bien des années par les physiologistes, puisque les premières expériences qui l'ont utilisée remontent au dix-septième siècle et j / sont dues au docteur , Woodward. renss
- Toutefois ce procédé de mesure est grossier, car bien qu’on place sur les pots en expérience des plaques métalliques qui recouvrent complètement la terre , on ne réussit pas à empêcher une certaine évaporation " due à la surface du 1 sol, de telle sorte qu’on • ne peut pas affirmer Fig.1.—Appareil pour déterminer que toute l’eau employée à l’arrosage ait traversé la plante ; le procédé que j’ai employé dans les recherches que j’ai entre-
- prises sur ce sujet à l’École de Grignon, il y a quelques années, et qui est analogue à celui qu’avait imaginé le naturaliste français Guettard cent ans auparavant, est plus précis ; au lieu de mesurer l’eau d’arrosage, je recueille directement l’eau évaporée ; la disposition que j’ai adoptée est très-simple. Elle consiste à fixer la feuille en expérience dans un petit tube d’essai ordinaire, à l’aide d’un bouchon fendu qui pince la feuille sans la déchirer; le tube est soutenu par un support, — /je,»»" de façon à maintenir la feuille dans sa po-quantité d’eau émise parles feuilles. sition normale (fig. 1).
- Quand l’appareil ainsi disposé est placé au soleil, on ne tarde pas à voir l’eau ruisseler sur les parois du tube, elle augmente
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- Fig. 2. — Appareil pour montrer que l'évaporation de l’eau par les feuilles est due à la lumière et non à la chaleur.
- peu à peu et dans l’espace d’une heure on recueille une quantité d’eau notable, qui atteint souvent le poids de la feuille en expérience et parfois le dépasse du double, ainsi que le montrent les nombres suivants;
- Le 8 juin 1869, une feuille de blé pesant 28,410 a donné en une heure au soleil 26r,01o d’eau, c’est 88.2 d’eau pour 100 de feuilles; le 2 juin une feuille de seigle pesant 0gr,055 a donné 06,035 d’eau ou un peu plus que son poids.
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- LA NATURE.
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- Fig. 5. — Appareil employé pour reconnaître l’influence des rayons lumineux diver-ement colorés.
- Le 6 juillet 1870, après une sécheresse prolongée, le soleil étant éclatant, 100 de jeunes feuilles d’orge donnaient respectivement 155 et 120 d’eau; le 7 juillet on opéra sur du maïs, on obtint en une heure, de 100 feuilles, 229, 187, 179 et 178 d’eau : ce sont les nombres les plus forts qu’on ait trouvés.
- Pour obtenir des feuilles une quantité d’eau aussi considérable, il faut qu’elles soient exposées au soleil, si elles sont seulement soumises à la lumière diffuse, l’évaporation diminue considérablement , enfin
- elle cesse presque absolument dans l’obscurité, on en jugera
- par les nombres suivants toujours rapportés à 100 de feuilles, obtenus à l’aide de feuilles de blé. Une feuille exposée au soleil a donné en une heure 88.2 d’eau, à la lumière diffuse 17.7, et à l’obscurité 1.1.
- Avec de l’orge, on a trouvé pour la feuille au soleil 74.2 d’eau; 18.0 pour la feuille simplement soumise à la lumière diffuse et enfin 2.3 pour la feuille maintenue à hl’obscurité.
- Ces expériences sont très-faciles à répéter, elles sont à la portée de toutes les personnes qui s’intéressent à l’histoire naturelle, il suffit d’introduire une feuille dans un flacon en verre blanc et de la maintenir avec un bouchon coupé, pour reconnaître combien sont différentes les quantités d’eau exposées au soleil ou dans une chambre obscure.
- Il paraît difficile de ne pas admettre d’a-
- près les résultats précédents que la lumière a sur l’accomplissement du phénomène une influence décisive, toutefois pour s’en assurer complètement, pour qu’on ne prit pas attribuer à un simple échauffement
- Fig. i. - Appareil employé pour reconnaître l’influence des divers rayons du spectre solaire.
- de l’atmosphère du tube la transpiration abondante obtenue, on maintint les feuilles pendant toute la durée de l’exposition au soleil à une basse température soit en plaçant le tube qui les contenait dans un manchon constamment parcouru par un courant d’eau froide, ainsi que le représente la figure 2 ; soit
- encore en substituant à l’eau de la glace pilée qu’on renouvelait à mesure qu’elle entrait en fusion. En opérant ainsi on reconnut qu’une feuille de blé pe-sant ,182 donna 0,171 d’eau en une heure quand elle fut maintenue au soleil, et seulement 0gr,005dans l’obscurité, l’eau du manchon était restée pendant
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- toute la durée de l’expérience à 15 degrés ; à la température de 4° obtenue à l’aide de la glace on obtint en une heure au soleil pour 100 de feuilles, 108 d’eau.
- Il est donc évident que c’est la chaleur lumineuse quidétermine le phénomène d’évaporation comme elle détermine la décomposition de l'acide carbonique par les feuilles, et il était curieux de voir si en poursuivant la comparaison on arriverait à reconnaître que les rayons lumineux efficaces pour déterminer la décomposition de l’acide carbonique le sont aussi pour favoriser l’évaporation.
- On sait que lesrayoncles plus éclatants, les rayons jaunes et rouges sont ceux qui agissent avec le plus d’énergie sur les feuilles pour déterminer la décomposition de l’acide carbonique.
- On s’en assure aisément en plaçant une plante marécageuse dans une dissolution légère d’acide carbonique, puis en entourant le flacon muni d’un tube de dégagement, d’un manchon renfermant diverses dissolutions colorées1, on reconnaît que les rayons verts et bleus qui noircissent si rapidement les papiers photographiques n’agissent que très-faiblement sur les feuilles et n’occasionnent qu’un très-léger dégagement d’oxygène, tandis qu’au contraire les rayons jaunes et rouges sans action sur les papiers photographiques activent singulièrement la décomposition de l’acide carbonique. Or ce sont précisément ces mêmes rayons qui favorisent l’évaporation de l’eau par les feuilles, ce qu’il est facile de reconnaître à l’aide de l’appareil représenté dans la fig. 5 ; on voit que le tube renfermant la feuille en expérience est placé dans une cloche à gaz remplie d’une dissolution colorée facile à remplacer, de telle sorte que la feuille est successivement éclairée car une lumière rouge jaune, etc., on a trouvé que l’efficacité des rayons pour déterminer l’évaporation les range dans l’ordre suivant : jaunes, rouges, bleus et verts; quand le manchon renfermait une dissolution jaune on a obtenu une quantité d’eau double de celle qui a été recueillie quand une dissolution verte entourait la feuille.
- On observe encore des résultats analogues en opérant à l’aide des rayons solaires séparés au moyen d’un prisme de verre. L’expérience était disposée comme l’indique la figure 4. Les rayons réfléchis dans une direction constante à l’aide de l’héliostat qu’on aperçoit au travers de la fenêtre entr’ouverte arrivaient au fond d’une pièce sombre2, tombaient sur un prisme et se divisaient en un spectre bien étalé, un des tubes en expérience était maintenu dans la lumière rouge orangée, tandis que l’autre restait dans la lumière verte et bleue ; les résultats furent dans le même sens que les précédents, c’est-à-
- 1 Voyez, pour plus de détails, mon Cours de chimie, agricole (Hachette et Cie, 1875), d’où j’extrais les gravures jointes à cet article.
- 2 Pendant l’expérience les rayons pénétraient dans la pièce au travers d’un orifice percé dans un volet ; on a représenté dans la figure la fenêtre ouverte pour laisser voir l’héliostat.
- dire qu’on obtint plus d’eau évaporée dans la lumière juune que dans la bleue, mais les quantités d’eau rc-| cueillies furent très-faibles, parce que la lumière était très-affaiblie par sa réflexion sur le miroir de l’héliostat et par son passage au travers du prisme.
- Quoi qu’il en soit, le résultat était acquis, les rayons efficaces, pour déterminer la décomposition de l’acide carbonique, sont aussi ceux qui favorisent l’évaporation de l’eau par les feuilles, et deux des phénomènes les plus importants de la vie végétale paraissent avoir entre eux une liaison dont la nature est encore inconnue.
- Ce phénomène d’évaporation joue en effet un rôle capital dans le transport des principes immédiats d’un point du végétal à l’autre. Prenons un exemple simple et que chacun pourra suivre sans difficultés. Au mois de juillet, quand le blé, l’avoine ou l’orge commencent à mûrir, on voit jaunir les vieilles feuilles du bas, tandis que les plus jeunes, fixées à la partie supérieure de la tige, sont encore vertes et en pleine végétation. Si on examine ces vieilles feuilles jaunies, on reconnaît qu’elles ne renferment plus ni glucose, ni sucre, ni amidon, ni matières albuminoïdes ; tous les principes que l’analyse y décelait un mois auparavant ont disparu, ils se sont acheminés vers les feuilles supérieures qui les recueillent, jusqu’au moment où, la graine commençant à se former, ils quittent encore les feuilles supérieures entraînant ceux que ces feuilles supérieures ont elles-mêmes élaborés; une accumulation s’opère dans la graine, qui devient le réceptacle de tous les principes immédiats que la plante a formés pendant la durée de la végétation. Ce transport des principes immédiats des feuilles du bas, vers les feuilles supérieures, est dû au phénomène d’évaporation qui vient d’être décrit. Il est facile de reconnaître, en effet, que les jeunes feuilles évaporent beaucoup plus d’eau que les vieilles, et de plus, comme on démontre aisément que les matières dissoutes dans un liquide sont entraînées avec lui vers les parties d’un appareil où l’évaporation est la plus active, on en conclut que le transport des principes immédiats qui se produit pendant la maturation des plantes est déterminé par le mouvement de l’eau des vieilles feuilles vers les jeunes. Comme enfin il a été démontré plus haut que l’évaporation est due à l’intensité lumineuse, on voit que la lumière exerce, sur les phénomènes de la végétation, une importance capitale et que deux années chaudes peuvent être inégalement favorables à la végétation, si elles sont inégalement lumineuses.
- Mon excellent ami, M. le baron Thénard, m’a cité un proverbe bourguignon qui justifie les conclusions précédentes : v La bise, disent les vignerons, est la mère nourricière des coteaux » Or, la bise est le vent du nord-est, veut froid mais sec, qui chasse les nuages et laisse, à la lumière, tou. son éclat ! C’est encore à lui que je dois l’observation suivante :
- En 1865, la Bourgogne fit du vin d’excellente qualité, en 1866 il était à peine potable ; en relevant
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- les indications thermométriques on trouva que les deux années ont été aussi chaudes l’une que l’autre, mais l’une a été humide, le ciel était couvert, tandis qu’en 1865 le soleil était éclatant.
- L’importance de la lumière, dans les phénomènes de la végétation, n’avait pas au reste échappé à un des esprits les plus distingués de ce siècle, A. de Humboldt, qui, dans le Cosmos écrivait, il y a déjà longtemps : « Si là où les myrtes croissent en pleine terre (Sal-combe, sur les côtes de Devonshire; Cherbourg, sur celles de Normandie), et où le sol ne se couvre jamais en hiver, d’une neige persistante, les températures d’été et d’automne suffisent à peine pour porter les pommes à maturité ; si la vigne, pour donner un vin potable, fuit les îles et presque toutes les côtes, même les côtes occidentales, ce n’est pas seulement à cause de la température qui règne en été sur le littoral ; la raison de ces phénomènes est ailleurs que dans les indications fournies par nos thermomètres, lorsqu’ils sont suspendus à l’ombre. Il faut la chercher dans l’influence, de la lumière directe, dont on n’a guère tenu compte jusqu’ici, bien qu’elle se manifeste dans une foule de phénomènes. Il existe, à cet égard, une différence capitale entre la lumière qui a traversé un ciel serein et celle qui a été affaiblie et dispersée en tout sens par un ciel nébuleux. »
- Nous avons vu dans les pages précédentes que la quantité d’eau, évaporée par les feuilles, était considérable ; essayons d’en déduire l’évaporation d’une surface cultivée, nous pourrons en tirer peut-être quelques conclusions importantes sur les quantités d’eau qu’elle devra recevoir pour que les plantes y prospèrent.
- Nous avons trouvé à Grignon, où ont été faites toutes les expériences citées dans cet article, que dans un champ de maïs médiocrement garni, on comptait 30 pieds par mètre carré ; le poids des feuilles, le 9 juillet, était environ de 242 gr. par mètre carré. Ces feuilles, par une journée claire, donnaient au minimum 150 pour 100 d’eau en une heure, ou en dix heures 1,500 d’eau pour 100 de feuilles. Les 242 grammes de feuilles devaient donc donner 5,650 grammes d’eau.
- Ainsi, en une journée de dix heures, un mètre carré jetait dans l’air plus de trois kilogrammes d’eau, un hectare en donnait donc 50 tonnes ; ce chiffre peut paraître énorme, il n’est pas très-éloigné cependant de celui qui a été calculé, il y a plus d’un siècle, par le célèbre naturaliste anglais Haies, qui estimait qu’un hectare planté en choux, émettrait, en une journée, 20 mètres cubes d’eau ; enfin, le botaniste Schlei-den a déterminé, au moyen de pesées directes, la quantité d’eau évaporée par un mélange d’avoine et de trèfle, semé dans une caisse de tôle remplie de terre. Il l’avait trouvé égale à 5,284,000 kil. par hectare, du 12 avril aul9 août. En comptant 129jours pour cette période, on trouve 25 tonnes par jour, nombre peu différent de celui que nous avons donné plus haut.
- Ces quantités sont celles que consomme la culture
- ordinaire, mais si nous passons à la culture maraîchère infiniment plus intensive que celles dont il vient d’être question, nous trouvons, pour les quantités d’eau d’arrosage, des nombres infiniment plus élevés ; on estime que les maraîchers de Paris versent par an, sur leurs terrains richement fumés, une hauteur d’eau de 4 mètres ; en admettant que la culture dure 250 jours, car en hiver elle est presque arrêtée, on trouve que l’hectare reçoit journellement 160 mètres cubes d’eau ; on sait combien sont productives les cultures ainsi largement approvisionnées d’eau et d’engrais, elles élèvent le rendement brut de l’hectare à 2,000 ou 5,000 fr., au lieu delà laisser, comme la grande culture à 500 ou 600 fr.
- P.-P. DEHIÉRAIN.
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- TRAVERSÉE DE L’ATLANTIQUE
- EN BALLON.
- M. John Wise est un aéronaute américain bien connu de l’autre côté de l’Atlantique. Il s’est rendu célèbre aux États-Unis par quelques belles excursions aériennes et notamment par un grand voyage exécuté en juillet 1859, de Saint-Louis au comté de Jefferson. Depuis que M. Wise a exécuté cette longue traversée atmosphérique de 1,150 milles, il n’a qu’une ambition, c’est de mettre en action, l’histoire légendaire d’Edgar Poe, c’est de réaliser l’étonnante traversée de l’océan Atlantique par voie aérienne ! Il n’était pas facile, on le conçoit, de trouver des bailleurs de fonds, pour prêter le concours de l’argent, à une semblable témérité. M. John Wise en véritable Yankee, ne s’est pas découragé devant les obstacles. Après avoir frappé à d’innombrables portes, toujours restées closes, il a vu s’ouvrir enfin celle du Daily Graphie, journal américain, dont le directeur se propose de faire tous les frais de l’entreprise. Le propriétaire du Daily Graphie fait construire un ballon gigantesque sur les plans de l’aéronaute. Mais celui-ci s’engage à ne faire aucune exhibition, à n’entreprendre aucune ascension sans le consentement de celui qui lui donne le moyen de réaliser son projet. L’ascension sera publique et il est possible que l’immense concours de monde, attiré par un spectacle exceptionnel, permette au Daily Graphie de rentrer dans ses dépenses, et de réaliser même, dans le cas 4e succès, un bénéfice assez important.
- L’aérostat que M. John Wise, construit actuellement à New-York sera le plus grand de tous les ballons connus jusqu'à ce jour. Son volume, de 20,000 mètres cubes environ, dépassera celui de l’aérostat captif de Londres, construit par M. H. Giffard; il surpassera ce dernier ballon de 5 mètres environ en diamètre. Pour que l’on puisse se rendre compte exactement de la dimension comparative des différents aérostats, nous en représentons ci-contre trois modèles, dessinés à la même échelle. Le plus petit aérostat, de notre figure, cube 650 mètres ; son dia-
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- mètre est de 10 mètres, il est de grandeur suffisante pour enlever deux voyageurs, et la plupart des ballons qui s’élèvent dans les fêtes publiques n’ont pas une dimension supérieure. Le ballon du milieu a 14 mètresde diamètre, il mesure 2,000 mètres environ c’est le type des aérostats du siège de Paris, dont la force ascensionnelle était suffisante pour enlever, dans la nacelle, le poids de huit ou dix voyageurs. Le plus grand enfin, représente l’étonnant ballon captif de Londres ; son diamètre est de 27 mètres, son volume de 10,500 mètres cubes. Ce gigantesque aérostat gonflé d’hydrogène pur, enlevait à 500 mètres de hauteur, trente-deux voyageurs, retenus à terre par un câble, qui ne pesait pas moins de quatre mille kilogrammes. C’est un ballon semblable et de même grandeur, le Pôle-Nord, que nous avons conduit dans les airs, le 26 juin 1869.
- 1. Pallon de 630, métros cubes. — 2. Ballon du siège de Paris (2000 m. c.). — 5. Aérostat captif de M. Giffard (11,500 m. c.).
- M. II. Giffard, en construisant ces admirables globes aériens dans des conditions nouvelles de solidité, d'imperméabilité, a ouvert à l’aéronautique de nouveaux horizons. Grâce à de persévérantes études, cet habile ingénieur est parvenu à établir des aérostats immenses, capables de conserver indéfiniment le gaz hydrogène dont on les remplit. L'aéronaute américain a le projet de prendre modèle sur le ballon captif de Londres. Il pourrait avoir à sa disposition un navire aérien, doué d’une force ascensionnelle de 20,000 kilogrammes environ, s’il employait l’hydrogène pur ; mais comme il se servira du gaz de l’éclairage la force ascensionnelle de l’aérostat, atteindra seulement 14,000 kilogrammes. En admettant que le matériel complet (ballon, filet, soupape, cercle, nacelle, bateau de sauvetage, cordes d’arrêt, ancres, vivres, etc.) pèse 6,000 kilogrammes, il restera, comme poids disponible, 8,000 kilogrammes pour le lest et les voyageurs.
- Voilà dans quelles conditions le départ s’exécutera de New-York, vers lafindece mois. M.Wiseprétendqu'à une altitude de 5,000 à 4,000 mètres, il existe, dans l’atmosphère des courants réguliers, et qu’un fleuve aérien, dont le cours serait pour ainsi dire immuable, le lancera au-dessus des mers jusqu’à la surface de l’Europe. Nous laissons à l’aéronaute toute la res
- ponsabilité de cette hypothèse qui nous paraît n’être basée que sur de vagues conjectures ; nous aurions un peu plus de confiance dans les ressources qu’il prétend trouver au-dessus du gulf-stream. Ce fleuve chaud qui traverse l’étendue de l’Atlantique, doit entraîner avec lui, un fleuve d’air, que le navigateur aérien pourrait mettre à profit.
- Nous n’entrerons pas dans la discussion de ces questions météorologiques, et nous passerons sous silence les détails de construction que donnent les journaux américains, sur la confection de l’aérostat. Disons toutefois que ce grand ballon sera muni d’une barque insubmersible, chargée de vivres pour trente jours au moins. Il sera pourvu d’un aérostat additionnel destiné à emmagasiner l’excès de gaz fourni par la dilatation.
- Malgré le volume considérable de l’aérostat, malgré le poids de lest, dont ce navire aérien sera pourvu, la tentative de M. Wise a-t-elle quelque chance de succès ? Ne présente-t-elle pas au contraire les caractères d’une folie, d’une extravagance... ou d’une mystification?
- Nous ne mettons pas en doute la bonne foi de l'aé-rouante, qui a déjà fait preuve d’audace et de courage ; mais nous croyons qu’il n’a pas assez mûrement médité les conditions du problème qu’il se propose d’aborder. Pour passer de New-York en Europe il faut que l’aéronaute parcourt un espace de 5,500 kilomètres environ. Supposons qu’un hasard exceptionnel le favorise, qu'un bon vent, d'intensité moyenne, ayant une vitesse de 10 mètres à la seconde, souffle régulièrement, sans déviation, de l’ouest à l’est, il est in-dispensablequ'il séjourne dans l’atmosphère six à sept jours, au minimum, puisque le chemin qu’il parcourra en 24 heures sera, dans notre hypothèse, de 864 kilomètres. Or un aérostat, si volumineux qu’il soit, construit dans les conditions actuelles, et malgré son imperméabilité complète, peut-il séjourner dans l’atmosphère pendant 7 jours? G’est à quoi nous répondrons, en toute certitude, par la négative. En effet, quand un ballon quitte terre, quand il s’élève, une partie du gaz qu’il renferme est d’abord expulsée par la dilatation due à la diminution de pression de l’atmosphère ; mais l’aérostat va se trouver plongé bientôt dans des milieux où la température est bien inférieure à celle des couches d’air terrestres qu’il a quittées. Le refroidissement va contracter le gaz..., le ballon perd sa force ascensionnelle, il descend. Pour le maintenir au niveau qu’il a atteint, il faut diminuer son poids, l’aéronaute jette du lest. S’il passe une première nuit à de grandes hauteurs, il est certain qu’il sera obligé d’alléger ainsi presque continuellement son navire aérien. Le lendemain matin, au lever du soleil, les rayons ardents, brûlants, vont échauffer le gaz contenu dans l’aérostat. Le ballon, en partie dégonflé pendant la nuit, va s’arrondir, son étoffe flasque va se tendre comme la peau d’un tambour, il montera dans les hautes régions atmosphériques. C’est à ce moment qu’il faudrait à l'aéro-naute une partie du lest qu’il a été obligé de jeter
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- G cO
- pendant la nuit. Que ne donnerait-il pas pour l retrouver ce poids perdu, au moyen duquel il mettrait un frein à l’ardeur de son coursier aérien ? Si le soleil est chaud, le ballon s’élèvera si haut, qu’il sera nécessaire de modérer son ascension en perdant du gaz.... La seconde nuit va venir, le phénomène inverse va se reproduire. Cette fois l'aéronaute n’a plus les mêmes ressources que la veille ; la provision de lest, qui est sa vie, va sans cesse en s’épuisant. Je veux bien admettre qu’il en ait encore assez pour la deuxième nuit, pour la troisième ; en aura-t il * suffisamment pour la sixième, pour la septième, si les différences de températures de jour et de la nuit sont conidérables comme il est probable? Le moment arrivera vite où les sacs de sable seront vides1 ; le ballon
- descendra sans que rien puisse le retenir. Mais au lieu de rencontrer, comme au-dessus des continents, un sol hospitalier, c’est à la cime des vagues qu’il va se heurter ! Son ancre, au lieu de mordre, va plonger en vain dans les eaux; si lèvent est violent, malgré leur bateau de sauvetage, les voyageurs peuvent se préparer à la plus épouvantable des morts. L’aérostat sera impitoyablement enlevé par le vent, le traînage effroyable le lancera de vague en vague, à la surface océanique ! Bien habiles seraient les hommes emportés par une telle force, s’ils trouvaient le moyen de détacher leur barque de sauvetage !
- Gaston TISSANDIER.
- — La suite prochainement. —
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- L'homme focsile de Menton.
- LES GROTTES DE MENTON
- ET LA QUESTION DE L’HOMME FOSSILE.
- La découverte d’un squelette humain, dans l’une des grottes de Menton, a produit, on se le rappelle,
- 1 Dans notre ascension, exécutée au champ de Mars en 1869, avec le ballon le Pôle-Nord, nous avons été obligés, pour maintenir en l’air cet énorme ballon de 10,000 mètres, de jeter, en trois heures de temps, 800 kilogrammes de lest. Le ballon à terre était exposé à un soleil brûlant. La température du gaz pouvait certainement dépasser 40°. À 3,000 mètres, la température était de 4° au-dessous de zéro; l’aérostat descendit bientôt avec une vitesse extraordinaire. Le lest fut jeté, sac par sac, sans interruption. Dans ces conditions, maigri 1,000 kilogrammes de lest, le Pôle-Nord eut été incapable de séjourner en l’air plus de 24 heures.
- un véritable événement dans le monde savant; elle s’est présentée comme un nouvel et frappant exemple de l’homme fossile.
- Cette découverte a déjà été l’objet de bien des commentaires, mais elle offre à la critique quelques caractères saillants que l’on a omis d’exposer jusqu’à ce jour et que nous croyons intéressant de passer en revue.
- Chargé par M. le ministre de l’instruction publique de faire des fouilles dans les cavernes de Menton, déjà explorées par plusieurs savants, M. le Dr Rivière étudia neuf grottes, situées sur le territoire italien, au voisinage de la frontière. Ses recherches le mirent bientôt en possession de nombreuses pièces qui se présentèrent comme l’affirmation des assertions émues avant lui par MM. Antonio Grand, Forel (de
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- Morges), Geny, Perès, Issel, Chantre, Bonfils, Mog-gridge, etc., à savoir que l’homme préhistorique avait habité ces cavernes.
- Les grottes de Menton sont creusées, ainsi que j’ai pu le vérifier par moi-même, non dans le crétacé inférieur, comme l’a écrit M. Rivière, d’après les auteurs de la carte géologique de France, mais dans le calcaire garumnien, immédiatement au-dessous de l’étage tertiaire nummulitique, si bien développé aux environs de Vintimille, entre cette ville et celle de Menton. De larges failles, probablement post-éocènes, ont donné lieu au creusement naturel de ces cavernes et même de quelques-uns des abris décrits par M. Rivière.
- Les fouilles dirigées par cet observateur ont été conduites avec un grand soin, sinon une grande expérience; ses descriptions se ressentant en effet du peu de pratique du chercheur, elles sont quelquefois ou diffuses ou incomplètes. Il n’en faut pas moins reconnaître que M. Rivière a fait preuve d’une rare persévérance dans ses recherches, dans ses travaux, et que cette pratique des fouilles qui lui faisait défaut à l’origine, il l’aura certainement acquise dans le cours de ses belles découvertes.
- Il résulte de l’ensemble des investigations de notre confrère, que généralement à la partie supérieure d’un certain nombre des cavernes étudiées, gisent des instruments et des outils de l’époque préhistori-que qui a immédiatement précédé, dans l’ouest de l’Europe, l’apparition des métaux. Au-dessous des couches de la surface, abondent des débris d’industrie humaine indiquant une civilisation bien plus primitive, en même temps que la superposition des amas, leur assignait une antiquité plus considérable. C’est dans ce dépôt ancien qu’a été retrouvé, à une profondeur de 6m,55, le fameux squelette humain dont nous représentons l’aspect. Le terrain paraissant vierge de remaniement, il était naturel de penser et de dire, ainsi que l’a fait M. Rivière, que le squelette était contemporain du dépôt qui l’entourait. Mais quel est l’âge géologique et paléontologique de ce dépôt ? c’est ce qu'il est impossible d’affirmer d’une manière parfaitement exacte d’après la description de M. Rivière.
- En effet, tandis que certaines espèces de la faune, entourant ce squelette, permettent de désigner une époque paléontologique ancienne, l’étude des instruments en os, et en pierre, celle de la parure encore attachée au squelette, semblent nous conduire à une époque plus récente.
- La présence de l'ursus spelœus, du felis spelœa, et des autres felis ; de l'hyena spelœa, du rhinocéros tichorrinus, du bos primigenius (urus), paraît bien indiquer qu’il s’agit d’un gisement datant de l’époque paléontologique quaternaire la plus ancienne (époque de l’ours). La découverte de types d'instruments en pierre, semblables à ceux du Moustier, confirme encore cette hypothèse.
- Mais, d’autre part, l’abondance des cerfs de diverses espèces (il y en a cinq), et des autres rumi
- nants de petite taille, la présence du chamois surtout, que je ne connais guère, pour ma part d’une manière authentique, que dans les gisements postérieurs à ceux de l’âge de l’ours, la multiplicité de fort beaux poinçons en os, à formes caractéristiques, des aiguilles, des ciseaux, des lissoirs, un bâton de commandement, le tout également en os, la parure si distinctive du squelette, la similitude de cette parure avec celle de l'homme fossile du Périgord découvert par MM. Massena, Lalande etCartailhac,dans un gisement incontestable de l’âge du renne, la ressemblance enfin de cet homme avec celui de Cra-Magno, me font penser qu’il y a là toute une série d’objets d’un âge postérieur à celui de l’ours, c’est-à-dire de l’âge du renne.
- Mais, dira-t-on, comment est-il possible d’affirmer que la seconde série de pièces citées appartiennent à l’âge du renne, puisque le renne ne se trouve pas lui-même parmi les cerfs énumérés par M. Rivière. La réponse est aujourd’hui facile à faire.
- ' Bien que l’on n’ait pas encore terminé d’étudier en Italie, les nombreuses grottes dont ce pays abonde, les recherches des Capellini, des Regnoldi, des Belluci, des Issel, des Scarabelli et de tant d’autres géologues célèbres dont nous avons admiré les collections au cinquième congrès préhistorique de Bologne, ont prouvé que le renne n’existe pas dans les débris paléon-tologiques fournis parles grottes de l’ancien Piémont. Cependant l’industrie caractéristique de cette époque s’y dessine d’une manière tellement nette, qu’il a été possible à tous les archéologues français du congrès, de dire sans hésiter: «Voilà une industrie exactement contemporaine de celle que le renne caractérise en France par sa présence. »
- Du reste, nous pouvons voir aujourd’hui, grâce au progrès de la géologie, que des glaciers avoisinaient toujours les régions dans lesquelles les rennes abondaient. Or, les côtes de la Méditerannée n’ont jamais fourni des moraines glaciaires ; il est donc permis de penser que le renne ne pouvait pas y vivre, puisque d’ailleurs l’étude de son émigration permet de le suivre remontant vers le nord, à mesure que les glaciers ont disparu presque complètement du centre et de l’ouest de l’Europe.
- Pendant que le renne était ainsi limité dans certaines régions de la France et disparaissait ensuite, la civilisation de cette époque suivait sa marche d’ascension et de statu quo ; elle se répandait dans de solides conditions pour ne s’effacer qu’à la longue, après avoir imprimé les mêmes usages à des peuplades fort éloignées les unes des autres, mais qui cependant avaient déjà des habitudes de voyages et d’échanges.
- Ce n’est guère, en effet, qu’à l’époque du renne que nous voyons, pour la première fois, dans les dépôts renfermant les débris de la civilisation de cette époque, des objets caractéristiques d’un pays, transportés par l’homme dans un autre. C’est ainsi que les coquilles du bord de l’Océan ont été portées sur les bords de la Méditerranée, dans les grottes de
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- Menton, par les hommes contemporains de celui que nous devons aux recherches de M. Rivière.
- L’homme fossile de Menton paraît être un représentant, non des peuplades de l’ours, ainsi que l’a cru M. Rivière, mais bien de celles de l’âge du renne. Il a probablement été inhumé dans une grotte antérieurement habitée par l’homme à l’âge de l’ours. Le remaniement de la caverne aura passé inaperçu pendant les fouilles.
- Dans un prochain article nous compléterons ces aperçus en donnant un résumé de la question générale de l’homme fossile, de manière à bien faire saisir au lecteur le côté géologique et paléontologique de cette nouvelle branche de la science. Nous le mettrons en mesure de porter lui-même un jugement sur la grande signification philosophique et morale des découvertes si instructives et si nettes, que l’on doit à ce sujet, aux savants de notre siècle.
- l)rF. GARRIGOU.
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- LA PLANETE MARS d’après les DERNIÈRES observations astronomiques
- ÉTUDE DE SA GÉOGRAPHIE ET DE SES CONDITIONS d’habitabilité.
- (Suite et fin. —Voy. p. 143.)
- Nous avons résumé nos connaissances physiques et chimiques sur la planète Mars. Nous pouvons les compléter par l’examen de ses conditions mécaniques particulières, telles que son poids, son volume, sa densité, et l’intensité de la pesanteur à sa surface.
- Le diamètre de Mars est à celui de la terre dans la proportion de 5 à 8, c’est-à-dire qu’il est presque moitié plus petit ; il est de 1654 lieues, celui de la terre est de 5184. La surface de Mars par conséquent, est deux fois et demie moins étendue que celle de la terre. Le poids total de la planète, ou sa masse est seulement le dixième du poids total de notre globe. D’après les mesures, prises à l’Observatoire de Paris, l’aplatissement polaire de ce globe est assez prononcé, car il égale 3.
- La densité moyenne des matériaux qui composent cette planète est inférieure à celle des matériaux constitutifs de notre globe; elle est de 71 pour 100. Il résulte de cette densité et des dimensions de Mars que le poids des corps y est extrêmement léger à sa surface. Ainsi l’intensité de la pesanteur étant représentée par 100 à la surface de la terre, elle n’est que de 58 à la surface de Mars. C’est la plus faible intensité delà pesanteur que l’on puisse trouver sur toutes les planètes du système. Il en résulte qu’un kilogramme terrestre transporté là ne pèserait plus que 582 grammes. Un homme du poids de 70 kilogr. transporté sur Mars n’en pèserait pas 27. Il ne serait pas plus fatigué pour parcourir 50 kilomètres que nous pour en parcourir 20, et l’effort musculaire dont l’exercice a fait inventer le jeu de « saute-mou
- tons» aux écoliers en récréation, serait capable de les faire sauter, non plus seulement sur le dos de leurs camarades, mais bien sur le toit des maisons et à la cime des pommiers.
- Les êtres vivants, végétaux et animaux, étant composés des matériaux constitutifs de la planète et organisés suivant l’intensité des forces en action dans le milieu qu’ils habitent, la connaissance des éléments et des forces, qui se manifestent sur Mars, pourrait peut-être nous éclairer sur un commencement de solution pour le grand problème de Yhabi-tabilité.
- Les études de la statistique moderne démontrent scientifiquement que l’homme est le produit de la planète terrestre, en tant qu’être organisé et abs-traction faite de son âme, dont nous ne nous occupons pas ici. Son poids, sa taille, la densité de ses tissus, le poids et la taille de son squelette, la durée de la vie, les périodes de travail et de sommeil, la quantité d’air qu’il respire et de nourriture qu’il s’assimile, toutes ses fonctions organiques, même celles qui paraissent le plus arbitraires et jusqu’aux époques maximades naissances, des mariages et des décès, en un mot la machine humaine tout entière, est organisée par la planète. La capacité de nos poumons et la forme de notre poitrine, la nature de notre alimentation et la longueur du tube digestif, la marche et la force des jambes, la vue et la construction de l’œil, la pensée et le développement du cerveau, etc., etc., tous les détails de notre organisme, toutes les fonctions de notre être, sont en corrélation intime, absolue, permanente, avec le monde au milieu duquel nous vivons. La construction anatomique de notre corps est la même que celle des animaux qui nous précèdent dans l’échelle de la création. Nous sommes faits comme nous le sommes, parce que les quadrupèdes mammifères sont construits comme ils le sont, et ainsi de toutes les espèces animales, qui se suivent comme les anneaux d’une même chaîne; en remontant d’anneau en anneau, on retrouve les premiers organismes rudimentaires qui sont plus visiblement encore, mais pas davantage, le produit dés forces qui leur ont donné naissance.
- Cette vérité rappelée, nous voyons que la forme humaine terrestre n’a rien d’arbitraire, qu’elle est le résultat de l’état de la planète, et que par conséquent, elle diffère sur chaque monde suivant les conditions organiques si dissemblables d’une planète à l’autre.
- Appliquons cette analyse à l’étude de la vie sur Mars. Déjà nous l’avons dit, cette planète est de tous les mondes du système solaire, celui qui ressemble le plus au nôtre, les manifestations de la vie à sa surface ne doivent donc pas être absolument étrangères à celles de la vie terrestre. L’analogie si remarquable, qui relie ce monde au nôtre doit avoir déterminé chez lui des évolutions organiques partagées comme ici entre deux ordres généraux : la végétation et l’animalité. Or nous voyons que les végétaux tirant leur substance de l’air principalement
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- ont une faible densité, inférieure à celle de l’eau; 1 ainsi la densité du sapin est de 0,5 celle de l’eau étant 1 ; celle du peuplier est de 0,4 ; celle de l’orme est 0,6 ; celle du chêne est 0,7 ; celle du tilleul est 0,6, etc. Les animaux étant composés de substances dans lesquelles l’eau entre pour la plus grande part, ont une densité moyenne un peu supérieure à celle de l’eau. Ainsi la densité moyenne du corps humain est de 1,07, celle de l’eau étant prise pour unité; celle des os est de 1,8; celle des cartilages est de 1,1 ; celles des nerfs est de 1,04; celle de la graisse est de 0,9, etc.
- Ajoutons que la densité intérieure de tout astre est nécessairement composée de couches variées dont la légèreté augmente depuis les régions centrales, jusqu’aux couches supérieures. C’est ainsi que tandis que la densité générale du globe terrestre est de 5,5 comparée à celle de l’eau, celle des matériaux qui avoisinent la surface (pierres, grès, calcaire, granité) est de 2,5 à 2,7. La même proportion doit exister sur Mars. L’eau y est plus légère qu’ici. La densité des corps organisés doit y être inférieure à 0,8 celle de l’eau y étant peu supérieure à 0,7.
- Les animaux et les végétaux doivent y être de plus haute taille qu’ici, quoique la planète soit plus petite. Ce n’est pas le volume d’un globe qui règle les dimensions des êtres vivant à sa surface, mais l’intensité de la pesanteur relativement aux conditions de milieux et de vitalité. Ainsi des hommes deux fois plus hauts que nous, auraient une certaine difliculté à marcher, et se casseraient fort souvent les jambes à cause de l'inten-ité de l’attraction terrestre. Il leur faudrait quatre jambes, pour une plus grande stabilité. Les quadrupèdes en effet peuvent dépasser ces proportions, exemple : chevaux, chameaux, éléphants. Les seuls animaux qui puissent marcher sur deux jambes, les singes anthropomorphes, sont d’une taille inférieure à la nôtre, et il est possible que l’homme ne soit arrivé à sa taille naturelle qu'après des siècles d’exercice et de développement. Cette taille décroît aujourd’hui dans les pays très-civilisés à cause de la vie citadine et de l’accroissement du système nerveux au détriment du système musculaire. Dans l’eau, les animaux peuvent atteindre des dimensions plus considérables, (exemple : cachalots, baleines) à cause de leur légèreté spécifique dans ce milieu. Le règne végétal nous montre certaines espèces d’arbres, qui s’élèvent à des hauteurs géantes, à cause de leur immobilité. Ainsi la taille des êtres est intimement et nécessairement déterminée par l’intensité de la pesanteur.
- Il est donc probable que les choses sont établies • sur une plus grande échelle à la surface de Mars et que les plantes et les animaux y sont beaucoup plus élevés qu’ici. Ce n’est pas à dire cependant pour cela que les hommes1 y aient notre forme et soient des
- 1 Je donne le nom d’hommes dans chaque planète aux êtres de la race animale raisonnable qui la domine, quelle que soit d’ailleurs leur forme extérieure, laquelle dépend de celle des ascendants zoologiques antérieurs.
- géants. En remontant à la formation delà série zoologique, on peut augurer, que la succession des espèces aura fortement subi l’influence de la pesanteur. Tandis qu’ici la grande majorité des races animales a dû rester clouée à la surface du sol par l’attraction terrestre, et qu’un bien petit nombre ont reçu le privilège de l’aile et du vol, il est bien probable qu’en raison de la disposition toute particulière des choses, la série zoologique martiale s’est développée de préférence par la succession des espèces ailées. Dans ce cas, les races animales supérieures y sont munies d’ailes. Sur notre sphère sublunaire le vautour et le condor sont les rois du monde aérien; là-bas, les grandes races vertébrées, la race humaine elle-même, qui en est la résultante et la dernière expression, ont le privilège très-digne d’envie, de jouir de la locomotion aérienne. Le fait est d’autant plus probable qu’à la faiblesse de la pesanteur, s’ajoute encore l'existence d’une atmosphère analogue à la nôtre et peut-être plus dense.
- Sur la terre, un corps qui tombe du haut d’une tour ou d’une fenêtre, parcourt 4 mètres 90 cent., dans la première seconde de chute. Sur Mars, le même corps, attiré moins fortement, ne tombe qu’avec une vitesse presque trois fois moindre. Soit en raison de 1 mètre 87 cent, dans la même unité de temps. Les tentatives faites pour s’élever dans les airs à l’aide d’ailes construites dans ce but, n’ont pas réussi sur notre planète et ne peuvent réussir, parce que la pesanteur nous fait tomber de 4mètres90cent. dans une seconde, et que le mouvement des ailes s’appuyant sur l’air ne peut nous élever de la même quantité dans le même temps. Si l’on pouvait faire quatre battements d’ailes par seconde il suffirait de s’élever de 53 centimètres par battement1 pour pouvoir se soutenir et planer. Or la force d’un cheval pouvant seulement élever le poids d’un homme pesant 75 kilogrammes de 1 mètre en une seconde, et la force de l’homme étant au plus le cinquième de celle du cheval, le force de l’homme ne monterait son propre poids en une seconde que d’un cinquième de mètre, ou de 20 centimètres. En un quart de seconde, elle ne s’élèverait que de 5 centimètres. Donc l’homme ne peut pas voler sur la terre par sa propre force musculaire.
- Sur Mars l’intensité de la pesanteur étant presque trois fois moindre, au lieu de 53 centimètres, il suffirait de s’élever de 12 centimètres par battement d’ailes d’un quart de seconde pour pouvoir se soutenir dans l’air et planer. Or, le même effort musculaire, qui nous élèverait ici à 5 centimètres nous porterait là à 13 centimètres, ce qui serait déjà suffisant pour vaincre la pesanteur. Mais d’autre part, un poids de 75 kilog. n’en pèse que 28 kil. 65 à la surface de Mars. Si donc, nous supposions aux hommes de
- 1 La chute des corps se fait par un mouvement uniformément accéléré. Dans le premier quart de seconde, il n’est que de 327 millimètres ; il est de 654 dans le deuxième quart, de 1308 dans le troisième, et de 2616 dans le quatrième. Total : 4m,90.
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- Mars, une force musculaire égale à la nôtre, et un poids réduit proportionnellement à l’intensité de la pesanteur, nous en conclurions qu’il leur serait aussi facile de voler qu’à nous de marcher, et qu’ils peuvent se soutenir dans les airs à l’aide d’une construction anatomique peu différente de celle des grands voiliers de notre atmosphère.
- Ce sont là, sans contredit, des hypothèses bien conjecturales ; mais elles sont appuyées toutefois sur une argumentation judicieusement fondée. La faible intensité de l’attraction de Mars permet aux végétaux de s’élever beaucoup plus haut que sur la terre, toutes choses égales d’ailleurs. Il en est de même pour les animaux qui marchent sur le sol. Cette même cause a dû déterminer une prédilection pour les formes aériennes, et les races animales les plus importantes, c’est-à-dire les vertébrés, depuis le premier échelon du genre jusqu’à l’homme lui-même, ont dû se construire, se développer, se succéder et s’établir définitivement dans la vie atmosphérique. La sélection naturelle n’a pu qu’aider encore à l’affirmation vitale de ce règne aérien.
- Tout ce que j’expose ici ne doit s’entendre qu’au point de vue de l’organisme vital considéré en lui-même, et non pas au point de vue des formes extérieures. Je ne suppose point qu’il y ait sur Mars, des peupliers, des sapins, des chênes; nides chiens, des chats ou des éléphants, ni des hommes formés d’une tête pareille à la nôtre portée par un buste installé sur deux jambes, etc., le tout accompagné d’une paire d’ailes, à la façon des anges de Michel-Ange ou de Callot. Ce serait fort se méprendre sur les essais d’anatomie comparée qui précèdent, que de pousser l’anthropomorphisme jusque-là. Non! de la forme nous ne pouvons rien dire, ni rien penser. Elle dépend de la direction primordiale, qui a été prise par les premières cellules organiques à l’époque de l’apparition de la vie à la surface de la planète ; et il est probable que les formes de la vie diffèrent essentiellement sur chaque monde. Je ne parle donc ici que de l’ensemble, et j’expose ce que l’énorme différence de pesanteur a dû déterminer dans les manifestations de cette vie, quelles qu’elles soient d’ailleurs.
- Quoi qu’il eu soit, nous devons savoir que notre organisation humaine terrestre, a été fabriquée, agencée, déterminée par la planète que nous habitons. Nous sommes la résultante mathématique des forces en action à la surface de ce globe. C’est cette vérité nouvelle de l’analyse scientifique moderne, qui nous autorise à essayer des recherches telles que les précédentes, lesquelles eussent été purement romanesques à une autre époque. En résumé, le problème se pose en ces termes : l’homme est la résultante des forces planétaires; étant données ces forces, poser l’équation, et calculer cette résultante, inconnue jusqu’ici pour tous les mondes différents du nôtre.
- D’ailleurs la planète Mars est la seule dont la physiologie générale soit suffisamment connue pour permettre d’essayer cette recherche.
- Aux données qui précèdent, ajoutons celles qui constituent les périodes de la vie : la durée du jour et celle de l’année. La rotation de cette planète sur son axe s’effectue en 24 heures 37 minutes et 22 secondes 1 : le jour et la nuit y sont donc peu différents des nôtres quant à la durée, et ils varient comme ici suivant les saisons, étant plus longs en été qu’en hiver, selon les latitudes. L’année de Mars est presque double de la nôtre, car elle compte 687 de nos jours ; en la dénombrant en jours de Mars, on trouve qu’elle se compose de 668 3 de ces jours. De l’équinoxe de printemps à l’équinoxe d’automne, il y a 372 jours martiaux : c’est la belle saison de l’hémisphère boréal et la mauvaise de l’hémisphère austral. Les saisons hibernales ne durent que 297 jours pour l’hémisphère boréal, et par conséquent 372 pour l’hémisphère austral. De plus, comme la planète suit une ellipse très-prononcée, les extrêmes de température y sont plus différenciées qu’ici : elle est de 5 millions de lieues plus près du soleil à son périhélie qu’à son aphélie. C’est au solstice d’été de son hémisphère sud, que cette planète est actuellement à sa moindre distance du soleil, et par conséquent reçoit de cet astre, le maximum de chaleur. Il résulte de ce fait que les neiges polaires australes doivent beaucoup plus varier d’étendue que celles du pôle boréal, et c’est aussi ce que montre l’observation.
- Chacune des saisons de Mars dure presque six de nos mois. La chaleur et la lumière que cette planète reçoit du soleil y sont en moyenne moitié plus faibles que celles que nous recevons. Le disque du soleil y est une fois et demie moins large. Les habitants de Mars, voient le ciel, les constellations, absolument telles que nous les voyons. Quand aux planètes, Jupiter est pour eux, plus brillant que pour nous. Il en est de même des trois autres grosses planètes Saturne, Uranus et Neptune.
- Ils doivent avoir découvert à l’œil nu et avant nous les centaines de petites planètes qui gravitent entre leur orbite et celui de Jupiter. Mercure rapproché du soleil et perdu dans ses rayons est très-difficile à distinguer. Vénus leur paraît comme Mercure nous paraît à nous-mêmes. La terre où nous sommes est pour eux une brillante étoile, qui tantôt paraît à l’occident après le coucher du soleil, et tantôt précède en avant-courrière le lever de l’astre roi. Elle leur offre des phases comme Vénus nous en offre à nous-mêmes. En un mot nous sommes leur « étoile du berger, » l’astre le plus brillant, le plus magnifique de leur ciel étoilé. Peut-être même nous dressent-ils des autels !
- Telle est la physiologie générale de cette planète voisine, dont la surface est quatre fois plus petite que celle de la terre, mais qui est plus favorablement par-
- 1 Exactement : 88,642sec ,755. La rotation sidérale de la Terre est de 86.164 secondes. Il y a naturellement dans l’année de Mars comme dans l’année terrestre une rotation solaire de moins. Par conséquent l'année de Mars se compose de 669 3 jours sidéraux, et le jour solaire, le jour civil qui est de 24 heures chez nous est là de 24h 39“ 35".
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- tagée entre les continents et les mers. L’atmosphère qui l’environne, les eaux qui l’arrosent et la fertilisent, les rayons du soleil qui l'échauffent et l’illuminent, les vents qui la parcourent d’un pôle à l’autre, les saisons qui la transforment, sont autant d’éléments pour lui construire un ordre de vie analogue à celui dont notre propre planète est gratifiée. La faiblesse de la pesanteur à sa surface a dû modifier particuliè-lement cet ordre de vie en l’appropriant à sa condition spéciale. Ainsi le globe de Mars ne doit plus se présenter à nous désormais comme un bloc de pierre tournant au sein de l’immensité dans la fronde de l’attraction solaire, comme une masse inerte, stérile et inanimée, mais nous devons voir en lui un monde vivant, peuplé d'ètres sans nombre voltigeant dans son atmosphère , orné de paysages où le bruit du vent se fait entendre, où l’eau reflète la lumière du ciel. Nouveau monde que nul Colomb n’atteindra, mais sur lequel cependant toute une race humaine habite actuellement, travaille, pense, et médite comme nous sans doute, sur les grands et mystérieux problèmes de la nature.
- Camille Flammarion.
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- CHRONIQUE
- Préparatifs en Russie pour le passagedeVé-nus — Les astronomes russes ont résolu d'établir vingt-quatre stations pour observer le passage de Vénus. On est fondé à espérer que le temps sera très-favorable pour toutes les observations astronomiques dans les stations de Sibérie et de la côte du Pacifique, car il n’y a dans le mois de décembre qu’une moyenne de trois jours nuageux dans cette partie des possessions russes. Les froids excessifs du mois de novembre sont considérés comme un obstacle invincible pour ce genre de travail. Chaque station est munie de nombreux appareils, horloges, chronomètres, télescopes, etc. Les astronomes doivent faire des travaux préliminaires d’essai à l’observatoire impérial central de Pultovva. Les positions géographiques des stations qui auront ainsi obtenu de bons résultats seront ensuite déterminées par une commission géographique choisie dans la marine russe. Pour compléter cette partie du travail on construit un télégraphe à travers la Sibérie jusqu’à Nicolavesk. (Nature.)
- Découverte d’une carrière de pierres lithographiques. — La plupart des pierres lithographiques, dont on fait aujourd’hui une consommation considérable, proviennent de l’Allemagne. On vient d’en découvrir un gisement très-important en Italie sur la frontière française et sur la côte du golfe de Gènes ; les pierres extraites, sont de très-belle qualité, elles remplaceront avec avantage, celles des carrières exploitées, dont un très-grand nombre commençaient à s’épuiser d’une façon très-sensihle.
- I n puits à gaz combustible. — A six milles environ de Titusville en Pensylvanie, on a foré un puits qui peut être considéré comme une des merveilles du monde. Il s’en échappe des torrents d’un gaz combustible que l’industrie américaine vient d’utiliser pour l’éclairage et le chauffage de la ville de Titusville. Chaque jour de vingt
- quatre heures, plus de trois millions depieds cubes de gaz, jaillissent de l’orifice pratiqué dans le sol. Une grande partie du gaz est perdue ; l’autre partie est dirigée dans des tuyaux vers la ville, où il donne d’excellents résultats pour le chauffage. Il y a aujourd’hui à Titusville deux cent cinquante habitations qui l’emploient journellement. Ce gaz naturel n’est pas très-riche en carbone : son pouvoir calorifique est considérable. Pour les besoins de l’éclairage, on l’enrichit en carbone, en le faisant passer dans des huiles de naphte ou de pétrole.
- Ascension du roi de Siam. — Le roi de Siam est un petit ballon tout blanc pesant 125 kilogr. et cubant 520 mètres, coûtant 1500 francs que M. Félix Gratien a construit pour le gouvernement siamois. Il doit figurer aux fêtes de la majorité du second roi, qui auront lieu à Bangkok le 26 septembre prochain. Mais avant d’en prendre livraison les délégués du gouvernement français ont voulu assister à l’essai de ce petit aérostat. L’ascension a eu lieu le 5 août à midi et demi. A 5 heures, M. Félix Gratien exécutait sa descente près de Meaux. Avec son aérostat en miniature il avait donné une répétition du voyage du Géant. Qui oserait dire que les ballons n’ont point d’esprit. La difficulté de préparer du gaz dans les usines naissantes de Bangkok est la cause de l’exiguïté des dimensions de cet aérostat qui avec du gaz hydrogène pourrait largement porter deux personnes. Si le roi de Siam n’a point d'aéronaute ce sera un condamné à mort qui fera l’ascension.
- Observation de l'opposition de la planète Gerda. — Les conseils que nous avons donnés pour l’observation de la planète. Flore sont suivis en Amérique avant que la Nahire y soit parvenue ! Le docteur Peters ayant calculé dans le Journal américain des sciences l’orbite de la planète Gerda (122e du groupe), une des dernières découvertes, un astronome de l’Observatoire national de Washington, M. Stockwell, vient de publier dans les Nouvelles astronomiques de Kiel les* éphémérides pour l’observation de sa prochaine apparition ; cet événement astronomique aura lieu le 27 octobre prochain à 1 heure 11'15" du malin (temps moyen de Paris). L’observation aura cependant lieu dans des circonstances moins favorables non-seulement que celles de la planète Flore mais encore que celles delà planète Phocea. Le mouvement en ascension droite sera de 11' en 24 heures et le mouvement en déclinaison de 4'. A ce moment la planète n’étant point à son périhélié, la quantité de lumière qu'elle nous donnera ne sera que les 83/100 de sa valeur maxima. M. Stockwell évalue qu’elle sera alors égale à une étoile de douzième grandeur. A ce moment critique de son mouvement apparent, la planète Gerda se trouvera par 2 h. 4 m. 49 d’ascension droite et 11° 13' de déclinaison boréale. Elle sera par conséquent dans le voisinage de la constellation du Bélier mais un peu au-dessous de ce groupe d’étoiles.
- Découverte de Troie. — D’après un article du docteur Otto Delitsch, dans un périodique allemand, on aurait découvert les ruines mêmes de Troie, qui jusqu’ici avaient échappé à toutes les investigations des archéologues. Le docteur Schliemann aurait mis à jour des objets qui pourraient être considérés comme des témoignages irrécusables de remplacement d'Ilion. Il semblerait que le pays est plus élevé de 13 à 15 mètres que du temps d’Homère. On a retrouvé des vases et des figurines expressives; parmi ces restes précieux on mentionne un buste de femme et des tètes de hiboux, ce qui semblerait indi-
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- LA NATURE.
- quer que l’endroit de la découverte était effectivement le temple de Pallas Athene, la divinité tutélaire de la ville. On aurait ainsi retrouvé l’enceinte fortifiée et la tour principale de la forteresse. Les travaux se poursuivent activement avec 150 ouvriers terrassiers.
- Agassiz aux iles Élisabeth. — Les journaux d’Amérique nous apprennent que le célèbre Agassiz, membre correspondant de l’Académie des sciences de Paris, vient de procéder à l’inauguration de l’école d’histoire naturelle pratique dont il a accepté la direction dans cet archipel. Cet établissement est encore unique dans le monde. Quoique depuis plusieurs années on ait établi des aquariums dans plusieurs ports de mer, on n’avait pas encore songé à créer un enseignement spécial au milieu du district marin où vivent les plantes et les animaux dont on s’occupe.
- L’instruction qui sera donnée par le plus grand naturaliste de l’école, sera entièrement gratuite ; les élèves"n‘au-ront qu’à subvenir aux frais de leur nourriture et de leur entretien personnel qui seront peu considérables. Aussi les demandes d’admission ont été si nombreuses, que M. Agassiz a dû en rejeter le plus grand nombre : craignant de voir reparaître sous forme de visiteurs et de flâneurs ceux qu’il avait dû éconduire, il a dû publier une sorte de proclamation pour avertir le public qu’il n’y avait pas dans l'ile le moyen de loger des personnes autres que les 50 élèves et leurs professeurs.
- Nous apprenons en même temps qu’un armateur de New-York vient de donner à l’école un yacht destiné aux promenades, eucursions scientifiques, draguages, etc.,etc.
- M. Agassiz qui s’établit ainsi, à l’âge de 72 ans, dans une petite île du golfe Buzzard, ne manquera certainement pas, malgré son grand âge, de doter la science d’importants progrès. On sait que le célèbre naturaliste a déjà exécuté, dans le cours de sa longue carrière, de magnifiques explorations, qui l’ont habitué à une existence semblable à celle qu’il va mener dans un pays peu habité.
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- ACADÉMIE DES SCIENCES
- Séance du 4 août 1873. — Présidence de M. Bertrand.
- M. Tyndall assiste à la séance.
- — Au nom de son collègue de la guerre, le ministre de l’instruction publique s’informe du sort des nombreux mémoires relatifs à l’aérostation que depuis trois ans l’Académie a reçus, par l’entremise du premier de ces départements. — Aucun rapport n’est prêt et comme on ne peut prévoir quand ils le seront tous, M. Dumas propose d’extraire immédiatement de l’amas de pièces à examiner ce qui est évidemment mauvais et de faire du reste l’objet d’un rapport qui, restreint à cet ordre de documents, pourra être promptement terminé.
- — L’orage qui a éclaté le 26 juillet, à Troyes (Aube) et sur lequel une lettre de M. Eugène Parent donne d’intéressants détails est digne d’attention non-seulement comme ayant offert de nombreux exemples de foudre globulaire mais aussi à cause des caractères inusités qu’elle a présentés. Ici, c’est un globe de feu de la grosseur d’une orange qu’on voit courir dans la rue et disparaître sans bruit. Un peu plus loin, un autre globe de feu se montre dans un magasin, en sort par la porte, y rentre par le même chemin et disparaît encore sans bruit après avoir imprimé sur le plafond le dessin d’un store placé sur son passage. Ailleurs enfin un troisième globe éclate toujours
- sans bruit en projetant une pluie de feu dans tous les sens. Cette allure silencieuse est comme on peut le voir par la notice d'Arago sur le Tonnerre un caractère qui n’avait pas encore fixé l’attention. M. Dumas constate que les éclairs en boule paraissent fréquents cette année et il cite la Manche comme en ayant été plus particulièrement témoin.
- — Le secrétaire présente au nom de M. Lawrence Smith professeur à l’Université de Louisville (Kentucky) la collection en un volume de tous les mémoires minéralogiques et géologiques de l’éminent savant américain. Il signale spécialement un grand travail sur le corindon de la Caroline du Nord ; on en trouve des cristaux transparents et propres à la joaillerie et en même temps d’opaques et fendillés qui atteignent parfois l’énorme poids de 300 à 400 kilogrammes. Un autre volume non moins précieux dans un genre différent est offert de la part de M. le docteur Marey qui y a réuni ses ingénieuses et savantes expériences sur la mécanique animale.
- La détermination du volume d’air nécessaire à la salubrité des lieux habités est l’objet d’un mémoire du général Morin. Il a pris son point de départ sur les recherches si précises faites naguère sur le même sujet par le savant et modeste M. Félix Leblanc qui analysant en 1842 l’air de l’amphithéâtre de la Sorbonne à l’issue d’une leçon de M. Dumas, lui trouvait des caractères véritablement toxiques. Il s’en faut de beaucoup que ces recherches aient produit les fruits qu’on eût pu en attendre. Prenez l’air de nos modernes casernes, où l’espace moyen est par homme de 10 à 12 mètres cubes, cet air aurait besoin d’être renouvelé à raison de 80 à 90 mètres cubes par homme et par heure, pour être salubre ; or on ne le renouvelle pas du tout ! Les choses se passent autrement en Angleterre, où d’abord les casernes sont relativement plus vastes, l’espace y étant de 17 mètres cubes par tête et où le renouvellement se fait à raison de 87 mètres cubes. La nécessité d’une circulation si active n’étonne pas, quand on sait que chaque homme exhale en une heure 12 litres de vapeur d’eau et 20 litres d’acide carbonique.
- Un dernier fait. Une chambre à coucher cubant 60 mètres et habitée par une seule personne n’est salubre que s’il y passe 40 mètres cubes par heure. Que le jour de l’hygiène est donc encore loin de nous !
- — Une exhibition de Cucujos petits insectes envoyés de Cuba à M. des Cloizeaux et qui ont la propriété de devenir lumineux quand on les immerge dans l’eau, procure une agréable distraction. L’Académie, à notre connaissance, jouit de ce joli spectacle pour la seconde fois. De 1500 insectes expédiés de la reine des Antilles il ne reste plus qu’une douzaine de sujets vivants.
- Stanislas Meunier.
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- LA MÉTÉOROLOGIE DU MOIS DE JUILLET
- Quoique le thermomètre se soit élevé à deux reprises différentes jusqu’à 32° au-dessus de zéro, et que nous ayons traversé quelques journées véritablement étouffantes et quelques nuits qui ne l’étaient guère moins, c’est surtout par l’abondance des orages et la fréquence des coups de foudre que cet été est véritablement remarquable.
- L’orage le plus violent est sans contredit celui qui a éclaté dans la journée du 26, à deux reprises différentes. La première secousse orageuse a eu lieu un
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- peu après midi. Elle a été suivie, comme il arrive ordinairement, d’une pluie torrentielle ; mais il n’en a point été de même de l’orage qui a éclaté vers six heures'. A peine si quelques gouttes d’eau sont tombées, ce qui explique parfaitement, comme nous l’avons déjà fait remarquer, la violence des coups de foudre.
- L’arbre foudroyé que nous avons représenté est un acacia qui se trouve dans le jardin du Luxembourg, au milieu d’une petite prairie, près de la rue Vavin. Il est très-probable que la victime ne périra point malgré les nombreuses cicatrices qu’elle porte, car il en est des arbres comme des hommes et des animaux ; les blessures faites par la foudre sont celles dont on se guérit le plus facilement. Il y a de la ressource toutes les fois que l’être n’est pas tué sur le coup. Les branches ont à peine été touchées, ce qui n’a rien d’étonnant, car elles étaient encore couvertes d’humidité et par conséquent très - conductrices. Les portions de l’écorce qui ont été déchirées sont surtout celles qui se trouvaient desséchées, et qui n’avaient point été exposées à l’averse violente du matin, c’est principalement dans les parties les moins conductrices dans les lacunes ou dans les quasi-lacunes que l’effet destructeur du fluide s’est fait plus vivement sentir.
- C’est pour bien faire comprendre cet effet que nous avons donné le dessin ci-dessus, qui,
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- Arbre du jardin du Luxembourg, foudroyé le 20 juillet 1875.
- sans cette circonstance, n’offrirait nul intérêt. Il ne serait peut-être pas impossible de retrouver, dans ce coup de foudre, l’influence d’objets de fer situés dans le voisinage. En effet l’acacia du Luxembourg se trouvait à faible distance des grilles qui ferment le jardin et des échalas en fer qui soutiennent les espaliers de l’école pratique d’arboriculture, mais les orages de cette période nous offrent des exemples bien plus saillants. Un bourgeois d’Aix-les-Bains qui se promenait avec sa femme, n’a point été touché par la foudre, qui a tué cette malheureuse à ses côtés. On a constaté, comme d’ordinaire, que les boueles d’oreilles et autres bijoux, avaient été le point de dé
- part de décharges intenses, et que la victime portait sous sa robe des cerceaux d’acier. Cet événement tragique a eu lieu le 27 juillet.
- Les journaux d’Alsace rapportent qu’un violent orage a éclaté au-dessus de Melzingheim, petite commune de ce pays où existe une filature qui a été fulgu-rée. La foudre a frappé 26 fois consécutives les bâtiments qui ont été incendiés. Comment expliquer ce lait, fort rare du reste dans les annales delà météorologie, si ce n’est par un concours de circonstances exceptionnelles permettant à la foudre d’exercer ses al-finités avec toute leur terrible énergie. Il est plus que probable que cette usine renfermait de grandes masses de fer qui auront déterminé la forme de la trajectoire du fluide.
- Toutefois il est bon de noter qu’il ne suffit jamais d’une circonstance unique quelque énergique qu’elle puisse être pour entraîner une fulguration. La chute de la foudre est toujours le résultat de l’accumulation fortuite d’une série de causes dont l’analyse est toujours délicate et difficile, quelquefois indéchiffrable. Une étude systématique de tous les coups de foudre serait indispensable, mais elle est au-dessus des forces d’un physicien isolé. Les bureaux météorologiques pourraient seuls l’entreprendre avec quelque succès.
- M. Leverrier vient d’adresser aux chambres de commerce, une circulaire pour leur demander si elles verraient avantage à recevoir,
- vingt-quatre ou quarante-huit heures à l’avance, l’annonce du temps probable.
- Il est facile de prévoir ce que sera la réponse à la question posée par le savant académicien. Mais nous croyons que les sociétés d’agriculture ne seraient pas moins empressées à répondre favorablement, si on demandait leur avis sur l’opportunité d’étudier les coups de foudre et les phénomènes qui s’y rattachent plus ou moins directement.
- W. DE Fos VIELLE.
- Le Propriétaire-Gérant : G. TISSANDIER.
- PARIS, — IMP, SIMON RAJON ET COMP., HUE D’EAFURTII, 1.
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- No 12. — 25 AOUT 1875
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- LES TORPILLES OFFENSIVES
- La question des torpilles offre une importance capitale; elle préoccupe très-sérieusement les marines des pays civilisés, et s’impose tout à la fois aux études d’un grand nombre de savants : mécaniciens, physiciens et chimistes. La torpille en effet apporte d'étonnantes complications à la science déjà si complexe du combat naval.
- Nous avons raconté ailleurs1 les débuts de la torpille depuis sa création par deux Américains, Bush-nell et Fulton, jusqu’à sa réapparition lors des guerres de Crimée et d’Italie, et le rôle important
- qu’elle a rempli dans la guerre de sécession, aux États-Unis,
- Nous ne connaissions alors que la torpille défensive, celle que l’on place dans les rivières, les entrées de port, et que le choc ou l’électricité enflamme. Ce genre de torpilles, dites dormantes, a fait depuis de considérables progrès ; on peut même affirmer que si ces engins n’ont pas atteint la perfection, ils sont bien près d’offrir aux eaux qu’ils auront à défendre une sécurité absolue, quelque ingénieux que se montre l’agresseur à les découvrir. Le talent dépensé dans cette voie par toutes les marines devait amener ce résultat. Mais ce (pie l’on n’osait prévoir au début, c’est le rôle offensif de la torpille rendue
- Le Spuyfen-Duyvil, bateau torpille américain.
- mobile, qu’elle soit conduite sur l’ennemi par des hommes de la trempe des brultiers grecs Canaris et Pépinis, ou des torpédistes américains Davidson et Cushing, ou que la redoutable machine soit remorquée par des bâtiments spéciaux sur le théâtre d’un combat naval (système Harvey), ou enfin que, douée d’une force propre, elle aille frapper un navire désigné à ses coups (systèmes Whitehead-Luppis, Lay, Ericsson, etc.) C’est pourtant sous ces trois formes qu’elle se présente aujourd’hui aux méditai ions des tacticiens et des ingénieurs, dont l’œuvre, depuis un demi-siècle, recommence sans cesse avant même d’être achevée.
- La première marine qui ait fait l’expérience des torpilles, nous l’avons dit, est la marine des États-Unis. Après les avoir employées pour la défense de leurs rivières, pendant leur guerre de sécession, les
- 1 Le Fond de la mer. — Paris, lIetzel ; in-8°.
- Américains en vinrent peu à peu à imiter les Chinois et imaginèrent des machines qui, abandonnées au courant des fleuves, allaient éclater contre les flancs des navires qu’ils voulaient détruire. Mais ce peuple ingénieux et hardi ne devait pas en rester àces essais, si satisfaisants qu’ils fussent.
- En 1865, alors que la flotte fédérale bloquait Charleston, il y avait dans ce port un petit bateau dont il faut parler, car il est l’ancêtre des torpilles mobiles. Construit pour les travaux sous-marins, son mécanisme était des moins compliqués ; il consistait en un simple engrenage qui, mû à la main, faisait évoluer une hélice. Submergé il recevait l’air par le moyen assez élémentaire d’un long tuyau maintenu à la surface de l’eau par un flotteur. Un officier rebelle, dont le nom nous échappe, l’ayant vu, songea aussitôt à l’utiliser pour aller la nuit fixer une torpille sous les flancs de l’un des navires qui cernaient le port.
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- Dans ce but, il plaça un de ces engins à l’avant du petit bateau et se dirigea droit sur le navire-amiral, qui était l’Hoosatonic ; il l’atteignit, fixa sa torpille et s’éloigna... Un moment après, l’arrière de YIIoo-satonic sautait, et le bâtiment tout entier s’abîmait dans les flots ! Le torpedo-boat était créé.
- L’exemple donné devant Charleston ne fut pas perdu. Les Américains commencèrent à construire des petits canots sur le modèle de celui qui avait si bien frappé le navire fédéral, avee cette différence, qu’ils n’étaient pas sous-marins et qu’ils étaient pourvus d’une machine à vapeur.
- A l’avant, un espar d’une vingtaine de pieds s’avançait. Un mécanisme très-simple permettait de manœuvrer cette lance, à l'extrémité de laquelle était la torpille. Celle-ci consistait en un vase de cuivre ayant la forme d’une bouteille de champagne, rempli d’une poudre puissante, et dont le ventre était pourvu de cinq détonateurs. La tête de l’espar s’enfilait dans le col de la bouteille, où celle-ci était retenue par une clavette.
- Le mécanisme qui faisait mouvoir la lance permettait de l’incliner sous l’eau dans la mesure nécessaire pour atteindre le navire au point que l’on supposait le plus vulnérable.
- Le premier essai de ce genre de bateau eut lieu dans la nuit du 9 avril 1804 contre le Minnesota, navire amiral fédéral, mouillé à Hampton-Roads, devant Newport-News. Le canot employé dans cette affaire se nommait le Squib et avait été confié au fameux capitaine Davidson. Aidé de deux hommes, celui-ci descendit la rivière dans le Squibet s’approcha d’abord de YAtalanta ; mais ce bâtiment étant près du rivage, et d’ailleurs environné d’embarcations, les torpilleurs se dirigèrent sur le navire le plus voisin, qui se trouvait être le Roanoke; malheureusement ce dernier n’était guère plus accessible que le premier, occupé qu’il était à faire son charbon, et par conséquent presque entièrement entouré de chalands.
- Le Squib fut helé ; Davidson répondit qu’il venait du fort Monroë et qu’il apportait des dépêches pour l’amiral; bénévolement on lui indiqua alors le lieu où était mouillé le navire de cet officier.
- La lune brillait au ciel, çà et là cependant, obscurcie par quelques nuages, ce qui ne permettait pas au Squib de se diriger aussi bien que le désirait son audacieux équipage. Avant d’atteindre le Minnesota, Davidson fut donc interpellé plus d'une fois par les navires près desquels il dut passer. Il leur fit la réponse qu’avait déjà reçue le Roanoke, et continua sa course; mais en approchant du Minnesota les qui vive ! devinrent plus impérieux, et ordre fut donné de délivrer ses dépêches au tender, qui était en arrière.
- Davidson comprit que le moment était venu d’agir. Lançant donc son canot, il contourna le navire de façon à l’atteindre sur tribord.
- L’officier de quart, croyant à "une faute de manœuvre, réprima vertement le commandant du canot ;
- mais celui-ci ne tenant aucun compte de l’observation dont sa gaucherie simulée était l’objet, l’officier comprit enfin le péril qui le menaçait et donna aussitôt le signal d’alarme. « C’est le canot-torpille Squib des confédérés! » lui cria Davidson. Au même moment, le Squib frappait le Minnesota à 8 pieds au-dessous de sa ligne d’eau, tout près de l’hélice.
- Le choc fut si violent que l’arbre de l’hélice fut projeté hors du centre, quatorze canons de la batterie furent démontés, et plusieurs matelots jetés hors de leurs hamacs. Le Squib, cause de ce désordre était lui-même dans une situation difficile : le choc ayant fait sortir de leurs paliers les tourillons de son unique cylindre, il se trouvait dans l’impossibilité de s’éloigner. Quelques matelots et marines du navire fédéral, revenus de leur surprise, lui tirèrent plusieurs coups de carabine et quelques coups de canon débordée ; mais le Squib était trop prèsde la frégate pour être atteint. Enfin son mécanicien, qui avait conservé toute sa présence d’esprit, ayant remis les tourillons à leur place, la machine reprit son mouvement et le canot, favorisé par l’obscurité, rentra dans la rivière, sous une pluie de projectiles dont aucun ne le toucha.
- Les confédérés ne furent pas seuls à faire usage des canots-torpilles. M. Wood, professeur de machines à l’Ecole navale d'Annapolis, inventa un bout-dehors et un obus-torpille qui, pendant la guerre, fut appliqué à quelques canots d’avant-poste. Ce bout-dehors diffère de l’espar des confédérés en ce qu’il est creux; il contient intérieurement un plus petit bout-dehors ou tige. Le tout est avancé ou abaissé au moyen d’un mécanisme. C’est avec un bateau de ce genre que le lieutenant Cushing, de la marine fédérale, entreprit l’expédition qui l’a rendu célèbre.
- C’était en 1804. Les navires fédéraux étaient sur le Roanoke, devant Plymouth. Deux fois Y Albemarle, monitor confédéré, avait paru au milieu d’eux, et chaque fois leur avait fait les avaries les plus graves. « Las de le combattre sans résultats avantageux, dit le secrétaire de la marine dans son report de 1804, le commandant des forces navales dut se préoccuper d’en avoir raison par des moyens autres que les moyens ordinaires, et choisit dans cette intention le lieutenant W. B. Cushing. On mit à sa disposition un des canots destinés au service d’avant-garde, sur lequel on plaça une torpille Wood d’une puissance extraordinaire. Le lieutenant Cushing reçut l’ordre de faire ses préparatifs, et l’exécution suivit de près, aussi brillante que rapide. Avec quatorze officiers et matelots qui s’offrirent pour le seconder, il remonta le Roanoke jusqu’à Plymouth dans la nuit du 27 octobre, attaqua le bélier amarré à quai, défendu par son équipage et par un détachement de soldats postés à terre, et le coula. »
- « Le lieutenant Cushing revint seul avec un de scs hommes, ajoute le Report; tout le reste fut tué. Mais le succès de cette audacieuse entreprise faisait tomber la plus solide défense de Plymouth. »
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- Ce type de bateau-torpille (picket-boat} a survécu à la guerre de sécession. Il n’y a pas aujourd’hui une seule marine qui n’en ait un plus ou moins grand nombre dans ses arsenaux.
- On doit aux fédéraux un autre modèle de bateau-torpille : le Spuyten-Duyvil. Il a 74 pieds de long et jauge 150 tonneaux. Il est muni de compartiments dans lesquels on peut introduire de l’eau jusqu’à le couler à la hauteur de la ligne du pont. Ce pont, qui dans ce cas est la seule partie du navire qui émerge, est doublé de plaques de fer. Au milieu se trouve la guérite du pilote; elle est également cuirassée. Le système de torpilles adopté pour ce type de bateaux est celui dont M. Wood est l'inveu-leur ; il est manœuvré de l’intérieur par un mécanisme puissant : une cloison s’abaisse et l’espar armé de sa tor-pille va frapper l'ennemi sous sa ligne de flottai
- Al fl
- Le $pnylen-bliyvil détruisant des obstructions sous-marines.
- son et sans qu’une goutte d’eau puisse entrer dans le navire agresseur1.
- La guerre de sécession ayant pris fin au moment de son lancement, le Spuyten-Duyvil n’a servi jusqu’à présent qu’à faire sauter, avec un succès dont notre dessin représente fidèlement les effets, les barrages que les Américains avaient établis sur quelques-unes de leurs rivières.
- Son infériorité par rapport aux picket-boats est, à notre sens, d’être plus visible, et par suite moins propre à un coup de main. Celui que l’amiral Porter fait construire en ce
- Mancusre de la torpille Hlarvey.
- moment à Brooklyn, dans le plus grand mystère et sur des plans semblables, ne nous paraît pas mieux conçu, au moins au point de vue de Vinvisibilite'. 11 est néanmoins supérieur à son aîné sur ce point qu’il « est muni, dit le New-York Times, d’un épe-
- 1 La gravure que nous donnons du Spuylen-Duyvil (p. 177) est extraite de la nouvelle édition de notre ouvrage les Mer-veilles de l'art naval. — Hachette et Cie, 1875,
- ron long de 40 pieds à l’extrémité duquel fonctionne une machine qui, sous l’action de l’électricité, pourra envoyer de petites torpilles contre l’ennemi. » Mais les essais donneront-ils gain de cause à son auteur?... Nous le répétons, s’il est possible de trouver dans une escadre un certain nombre d’hommes décidés et capables de manœuvrer ce genre de bateaux (picket-boats, plus ou moins vastes), un navire bien gardé aura toujours des chances nombreuses d’échapper à leur contact ; et leur action ne saurait être effective que dans des circonstances particulières et assez rares. La même critique peut être adressée à l'invention deM. Harvey, qui, elle aussi, malgré l’engouement dont elle est encore l’objet de la part de quelques marins, ne saurait avoir, dans les rencontres navales un effet décisif. Voici en quoi elle consiste :
- Etant donné un navire
- de guerre, ce navire, allant au combat, remorque de chaque bord une torpille amarrée à un câble filé à 100 mètres de l’arrière ; une bouée soutenant la torpille la maintient à une profondeur telle que la caisse immergée ne puisse pas passer sous la quille du navire qu’elle est destinée à heurter. Mais pour qu’elle frappe en plein dans la carène, la caisse contenant la matière explosible et la bouée doivent avoir une forme allongée, effilée, de manière à diminuer la résistance à la marche dans l’eau. Cette caisse est munie d’un appendice fixe, qui, maintenu sous une in
- clinaison déterminée, fait l’office de gouvernail; l’appareil tout entier s’écarte ainsi du navire qui le remorque, jusqu’à faire un angle de 45 degrés environ. La figure formée par le bâtiment agresseur et les deux torpilles remorquées est celle d’un V renversé (A), ouvert de 90 degrés.
- Lorsque la torpille est convenablement disposée, on enlève la clavette de sûreté, qui neutralise le méca-
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- nisme percutant, et il suffit, dans cette situation, d’un léger choc sur le bras du levier supérieur pour déterminer l’explosion. Les expériences ont constaté que si la torpille rencontre le bâtiment ennemi ou glisse le long de ses flancs, un des deux leviers dont elle est pourvue fonctionnera invariablement ; de ce côté les résultats sont certains. L’appareil est également maniable à bord. Son infériorité provient des manœuvres spéciales et tout à fait extraordinaires imposées au navire torpilleur. Ainsi l’explosion ayant lieu au contact, ce bâtiment doit courir sur l'en-nemi et le ranger de façon que rime des torpilles vienne heurter la carène. Quoi qu’en dise M. Harvey, dans ses instructions, cette opération est assez difficile pour qu’en beaucoup de cas elle devienne un obstacle insurmontable au succès. Il est logique de penser d’ailleurs qu’un cuirassé muni d’une forte artillerie, bien servie, ne la laissera pas s’exécuter aussi tranquillement que le suppose M. Harvey. Sa torpille ne nous paraît donc ne devoir exercer sur l’ennemi qu’un effet moral. Il est vrai que cet effet peut jouer dans une lutte, et sur un officier manquant de coup d’œil, de décision, de sang-froid, un rôle capital.
- Les tentatives faites dans ces derniers temps pour doter la torpille d’une force motrice indépendante auront sans contredit sur les futurs engagements maritimes, si elles aboutissent (ce qui nous semble certain), une action beaucoup plus marquée. Pour ce motif, et bien qu’elle ne soit pas encore l’idéal, la torpille AV hitehead-Luppis mérite l'attention des hommes qui dirigent en ce moment leurs études sur la question qui nous occupe.
- Son invention est due à M. Luppis, officier de la marine autrichienne, et à M. Whitehead, ingénieur d’une manufacture de Fiume. Le gouvernement anglais, après que l'Autriche l’eut essayée pendant plusieurs années, en paya le secret 250,000 francs, avec promesse de verser une seconde somme de 125,000 s’il était reconnu qu’il fut possible de le rendre pratique. M. Whithead exhiba sa machine devant quelques officiers anglais, en 1870, dans la Medway. C’était un vase en fer, en forme de cigare, d’environ 4",25 de long et mû au moyen d’une hélice et d’une machine à air comprimé. Un gouvernail automatique dirigeait l’appareil, et son immersion était réglée par un système de valves.
- Le bâtiment destiné à lancer la torpille Whitehead porte à l’avant, dans la direction de la quille, un tube spécial fixé sous la flottaison. Au moyen de l’air comprimé, on lance le projectile-torpille, dont le moteur entre en action au sortir du tube et communique sa vitesse à la torpille. Cette vitesse a été, dans la Medway, d’environ 4 mètres 40 par seconde; il faudrait donc à la torpille 66 secondes pour franchir les 270 mètres qui constituent sa portée estimée.
- Comme on le voit, la torpille Whitehead est, pour ainsi dire, un éperon prolongé, et allant frapper le navire ennemi sur un point où l’artillerie a de nombreuses chances de rester inefficace. Le seul inconvénient qu’on lui reconnaisse est celui-ci :
- Au moment du lancement, il est nécesaire que la vitesse du bâtiment qui projette la torpille soit inférieure à celle qu’on peut imprimer au projectile. Il convient donc, à cet instant, de modérer la marche du navire, jusqu’à ce qu’elle soit d’un nœud (1,875 mètres) ou d’un nœud et demi inférieur à celle de la torpille. Cette précaution est de toute nécessité pour éviter les causes d’accidents. Elle représente aussi une obligation que les marins signalent comme un embarras des plus graves. On entrevoit facilement , en effet, les conséquences auxquelles peut entraîner une diminution aussi notable de la vitesse normale. On comprend tout le danger qu’il y a, pour l’agresseur, à ralentir sa marche au moment même où il s’approche de l’ennemi et s’expose à ses coups. D’autre part, la torpille n’étant plus fixée à l’avant du bâtiment, mais au contraire lancée comme un projectile vers un but mobile, l’incertitude du résultat, qui est le choc, augmente rapidement avec la distance du bâtiment à atteindre. Enfin pour lancer sa torpille à propos, l’agresseur doit, tenir compte de la direction du bâtiment qu’il attaque, apprécier sa vitesse et manœuvrer ensuite pour présenter son avant sous un angle de tir dilficile à préciser avec des données aussi problématiques.
- Il peut arriver néanmoins que des circonstances se prêtent à une bonne manœuvre de la torpille, ainsi qu’il arriva lors de l’expérience faite dans la Medway, par VOberon sur VEagle, qui fut atteint avec un plein succès à une distance de 418 mètres. La torpille Whitehead devient alors une arme contre laquelle aucun navire ne saurait lutter. Mais ces conditions de réussite se reproduiront-elles deux fois?..
- Pour donner une plus grande certitude à l’action de la torpille Whitehead, en Angleterre (et, croyons-nous, en France) on s’efforce de remédier aux défauts qui ont donné lieu aux critiques que nous venons de reproduire, tandis qu’en Russie, en Allemagne, en Italie, en Autriche, aux États-Unis, on recherche, avec des engins de formes diverses, une utilisation absolument pratique de l’air comprimé. Les Américains, dont les chantiers ont cessé, depuis leur guerre de sécession, de construire des navires de guerre, montrent, en revanche, dans cette voie nouvelle l’ac-tivité qui est le trait le plus saillant de leur physionomie nationale. Le constructeur du Spuyten-Duyvil, M. Lay, a fait agréer du gouvernement un bateau-torpille automobile dont les expériences n’ont pas encore donné les résultats que son inventeur en espérait. Il y a, pensons-nous, plus de fond à faire sur la torpille mobile sous-marine que son compatriote M. le capitaine John Ericsson se propose d’expérimenter prochainement. Les obstacles qu’il prétend surmonter sont nombreux et de plus d’un genre, mais il a dans le succès une foi si profonde, qu’on ne peut se défendre de la partager. M. John Ericsson s’est acquis d’ailleurs, dans le monde scientifique et marin, une place exceptionnelle. C’est lui qui, concurremment avec l’Anglais Smith, a rendu pratique l’usage de l’hélice. Son propulseur est le premier
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- qu’aient employé la France et les États-Unis. Lors de la guerre de sécession, il a imaginé le type Monitor, adopté depuis par toutes les marines. Enfin dans ces derniers temps, il a puissamment contribué, avec le capitaine Coles, à imposer les tourelles tournantes aux grands cuirassés.
- Tel est le degré de perfection atteint par les torpilleurs à l’heure où nous écrivons. Si leur science a fait, depuis une dizaine d’années, d’immenses progrès et dans la forme des engins, dans la composition des substances qui les chargent, et enfin dans les moyens propres à en produire l’explosion, il leur reste, pour en faire des armes d’une valeur absolue, bien des problèmes à résoudre. Il ne nous paraît pas, quant à nous, que ce résultat soit impossible ; nous avons même lieu de supposer qu’on l’atteindra dans un avenir très-rapproché. Ce jour-là, l’art du combat naval aura dit son dernier mot, la guerre d’escadre, épuisé ses combinaisons. Encore une fois la science, plus puissante que le droit, aura primé la force. Léon Renard.
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- DES CHAMPIGNONS COMESTIBLES
- ET VÉNÉNEUX.
- Les exemples d’empoisonnement dus aux champignons sont malheureusement assez fréquents pour que bien des personnes bannissent l’usage de cet aliment.
- Les champignons peuvent cependant apporter à l’alimentation un sérieux appoint, beaucoup plus important même que le gibier, qui devient de plus en plus rare, par suite du braconnage et en dépit de l’énorme aggravation des droits de chasse. L’utilité ménagère des champignons est encore démontrée par la pratique en Italie, où ce précieux comestible a sa place marquée sur le marché des villes ; l’administration publiquey prend du reste toutes les mesures de prudence, et y envoie des inspecteurs officiels, parmi lesquels on compte de savants professeurs. Nous en avons vu écraser parfois sous leurs pieds des agarics douteux. Grâce à cette surveillance, les paysans n’ap
- 1 et 2. Amanita vaginata. — 3, 4 et 5. Amanite bulbeuse (Am. phalloïdes Fr.)
- 5* ?
- portent guère à la ville que les espèces dont ils connaissent les qualités.
- Le sçul moyen "de distinguer sûrement un champignon vénéneux d’un champignon comestible est de le connaître en particulier; aucun caractère général, quel qu’il soit, ne peut remplacer cette connaissance
- spéciale. C’est un préjugé des plus funestes de croire qu’un champignon est comestible s’il ne noircit pas une cuiller d’argent, un oignon ou s’il ne possède ni verrues, ni lait, ni odeur désagréable,.etc. Ces prétendus signes, presque aussi nombreux que ceux qui croient devoir y ajouter foi, sont certainement la cause de la plupart des empoisonnements produits par les champignons. Ilâtons-nous de dire qu’ils n’ont aucune valeur. Ainsi l’amanite bulbeuse (Amanita phalloides et Am. mappa, voyez la figure ci-dessous), espèce dangereuse s’il en fut, ne noircit pas l’argent, elle n’a ni verrues, ni lait, ni suc apparent ; sa chair est d’un blanc fixe ; son aspect général est assez semblable à celui des champignons de couches. Il en est encore à peu près de même pour la fausse oronge (Am. muscaria) et en général pour toutes les amanites vénéneuses.
- On peut se rendre compte, a priori, de l’insuffisance de ces caractères prétendus distinctifs et de l’impossibilité où l’on est d’en donner de vrais, si l’on songe au nombre considérable des espèces et des types entièrement différents, que comprend la grande classe des cryptogames. La famille des champignons forme à elle seule un groupe aussi complexe et aussi varié que le règne des animaux : or personne ne prétendra qu’un naturaliste puisse donner un caractère général qui permette de distinguer à première vue un animal utile d’un animal nuisible. Quelle relation établirait-il d’une part entre le cheval, le chien et le ver à soie, animaux utiles, et de l’autre entre le tigre, le hanneton et le faucon, qui sont si nuisibles?
- L’impossibilité de cette généralisation est la même, qu’il s’agisse des champignons ou des animaux ; elle est aussi évidente aux yeux de tout naturaliste. C’est qu’en effet, la nature n’a pas divisé ses produits comme l’a longtemps cru notre amour-propre, en deux groupes opposés, les uns utiles, les autres nuisibles à l’homme. Si le poison des champignons était toujours le même, on comprendrait l’existence d’un réactif qui le dévoilât, mais il n’en est malheureusement pas ainsi. Chaque genre, chaque espèce semble avoir son principe toxique particulier. Cette grande diversité n’atteint pas seulement les cryptogames. On l’observe aussi chez les phanérogames, où l’on trouverait
- difficilement deux espèces qui continssent le même toxique. Dans la famille des solanées, par exemple, la belladone (Atropa belladona), le tabac (Nicotiana tabacum) et la Jusquiame (Heliocyamus niger), exercent les effets les plus énergiques sur l’organisme, spécialement sur le système nerveux ; leurs
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- principes toxiques sont différents. De plus, la même famille contient la pomme de terre et la tomate, qui constituent d’excellents aliments.
- La science, en analysant ces principes toxiques des solanées et d’autres familles phanérogames, et en reconnaissant leurs propriétés fatalement actives, a doté la médecine de puissants remèdes et a rendu de grands services à l'humanité. Mais ce travail est encore à faire pour les champignons. On n’a pas pu, jusqu’à ce jour, isoler bien nettement un seul des poisons d’une plante de ce grand groupe végétal. D'après les travaux du D)r Reveil 1, les meilleurs que l’on ait sur ce sujet, l’amanite bulbeuse contiendrait jusqu’à trois toxiques différents : un principe très-volatil, un principe résineux et enfin un -principe soluble dans l’eau. C’est à ce dernier qu’il faudrait surtout attribuer la gravité des symptômes qu’on remarque chez les personnes empoisonnées. Quoi qu’il en soit, ces symptômes sont aussi redoutables qu’effrayants. Les malades, quelquefois pris d’un sommeil plus ou moins long, tombent ensuite dans une agitation nerveuse extraordinaire ; ils ont des tremblements, une respiration haletante, des battements de cœur, puis un délire que terminent le coma et la mort. Ces symptômes sont spéciaux à la famille des amanites. Les lactaires et les russules empoisonnent plutôt par l’inflammation des organes digestifs ; les empoisonnements par les autres champignons peuvent se rapprocher plus ou moins de l'un de ces deux groupes.
- On doit citer, parmi les particularités que présentent les poisons de quelques champignons, la propriété qu’ils ont de disparaître par la cuisson. C’est ce qui a été spécialement prouvé pour l'Ama-nita vaginata (coucoumelle jaune. grisetté) (voy. fig.) et Am. rubescens et V Agaric nebularis. Ces champignons se vendaient journellement sur quelques marchés du midi de la France ou de l’Italie, pendant que les expériences les plus concluantes des savants du Nord semblaient devoir les faire retarder comme vénéneux. Cette divergence provenait des différents modes de l’emploi. Les savants expérimentaient sur leurs chiens avec des champignons crus, et les méridionaux sur eux-mêmes avec des champi-gnons cuits. Cette distinction, faite pour la première fois par le Dr Bertillon, a une grande importance pratique, car, d’après ses expériences, le poison ne serait pas détruit par une cuisson un |peu prolongée.
- Devant cette diversité de toxiques, on conçoit maintenant combien il est impossible d’indiquer un caractère chimique ou botanique qui distingue l’ensemble des champignons comestibles des champignons vénéneux. Certaines personnes, et même des circulaires adminis ratives, ont préconisé un moyen qui, au premier abord, semble pouvoir lever cette difficulté : « Toute espèce de champignons, disait-on,
- ♦ Bibliothèque de. l’Académie de médecine , mémoire ma-nuscrit.
- attaquée par les insectes ou les limaces, est comestible, car ces animaux doivent être avertis par leur instinct. »
- Malheureusement un si beau raisonnement est mis complètement en défaut par l’expérience ; j’ai cueilli mille fois les espèces les plus vénéneuses, mangées par les vers et les limaces, sans que ces animaux, semblassent en souffrir.
- L’expérience directe est facile : on n’a qu’à mettre quelques grosses limaces dans un panier avec des amanites bulbeuses ; le lendemain ces champignons seront largement entamés par ces animaux, qui n’en resteront pas moins en parfaite santé.
- On ne doit pas en conclure pourtant que leur organisme soit insensible à ces poisons, mais que leurs organes digestifs ou ne se laissent pas traverser par eux ou les neutralisent. Si, en effet, on injecte le suc de ces mêmes champignons dans leurs tissus, on les voit succomber très-rapidement.
- Le poison des champignons agit donc sur ces animaux comme le curare sur l’homme; absorbé par nos organes digestifs, il ne produit aucun phénomène funeste, tandis qu’il cause une mort rapide s’il est introduit directement dans nos tissus.
- On comprend pourquoi les limaces n’ont à faire aucune distinction d’espèces entre les champignons, et nous avons tort de vouloir nous fier à leurs connaissances mycologiques. Du reste, tous les animaux herbivores n’ont pas les mêmes immunités ou la même insouciance que la limace; c’est ainsi que la vache mange très-bien le Boletus edulis, mais elle repousse (généralement) le Boletus satanas, qui est de la même famille que le premier et qui lui ressemble.
- Pour nous, nous n’avons qu’un moyen d’apprendre à connaître les champignons, c’est de les voir et de les étudier un à un en nous aidant, pour plus de sûreté ou de commodité, soit d’un maître, soit d’un bon livre. Un professeur de cryptogamie se trouve difficilement. Il n’y a en France que très-peu de personnes qui connaissent bien les champignons. Comme professeur, il n’y a, je crois, en Europe, que l’illustre suédois Fries qui fasse un-cours de mycologie; et c’est à Stockholm’. Les meilleurs livres à étudier sont en français la Mycologie suisse, de Secretan, les Champignons de France, du docteur Cordier; les Champignons du Jura et des Vosges, du docteur Quelet, et les articles de mycologie du docteur Bertillon dans le Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales (Agaric, Amanite, Bolet, Lactaires, Lépiotes, etc.).
- La base fondamentale de la mycologie est établie dans les ouvrages de Fries, qui sont tous écrits en latin. Enfin, si l’on sait l’anglais, on devra se procurer la Flore de Cooke, petit ouvrage très-clair, très-bien ordonné; le meilleur certainement que l’on puisse conseiller à un commençant.
- Nous ajouterons, en terminant et sous forme de conclusion, que l’étude des champignons est pleine de charme et d’attraits, pour l’amateur; mais tant
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- LA NATURE. 185
- qu’il n’aura pas contrôlé son savoir, il devra bien se garder de manger les champignons qu’il aura cueillis lui-même !
- A. Bertillon.
- TRAVERSÉE DE L’ATLANTIQUE
- EN BALLON,
- (Suite et fin. — Voy. p. 167.)
- Nous avons supposé les conditions du voyage aussi favorables que possible, et nous avons vu qu’un aérostat construit dans les conditions ordinaires ne peut pas rester dans les hautes régions de l’air plusieurs jours consécutifs, par suite de la différence des températures diurnes et nocturnes. Nous devons ajouter qu’un aéronaute, eût-il la certitude de rester 8 jours à l’altitude de 2,000 mètres, commettrait la plus folle imprudence, en s’abandonnant aux hasards d’une telle traversée océanique, sans moyens de direction. Que le vent vienne à tourner vers le sud ou vers le nord, le voilà lancé au-dessus de surfaces océaniques, pour ainsi dire sans limites! Pour oser risquer les chances d’une telle entreprise, il faudrait que le navire aérien auquel on confie sa vie et sa fortune fût au moins capable de séjourner un mois de suite au milieu des plages atmosphériques. On augmenterait ainsi par la durée du voyage la chance de rencontrer un continent.
- L’acronaute américain ne paraît pas avoir étudié les moyens de maintenir un aérostat imperméable pendant plusieurs semaines à un niveau élevé. En enveloppant l’hémisphère supérieur d’un ballon, comme le captif de Londres, d’une mousseline blanche légère, qui, n’adhérant pas à l’étoffe, en serait séparée par une couche d’air, on protégerait ainsi le gaz intérieur des influences d'échauffement et de refroidissement.
- Il est probable que, dans ces conditions spéciales, le séjour du ballon, à une certaine hauteur dans l’atmosphère, pourrait se prolonger pendant un espace de temps considérable ; mais encore avant de se lancer au-dessus de la mer, serait-il prudent de vérifier le fait par des expériences réitérées, exécutées à la surface des continents. Malgré les précautions accumulées, on serait toujours dans l’impossibilité de parer aux accidents imprévus, tels que pluie, chute de neige, formation de cristaux de glace, qui peuvent subitement charger l’aérostat d’un poids considérable, en s’amassant à sa surface, et contraindre l'aé-ronaute de descendre malgré lui. N’aurait-on pas enfin à craindre, dans un voyage au long cours, l’effroyable rencontre d’un nuage orageux, l’épouvantable menace de voir le ballon enflammé par la foudre?
- Les détails des préparatifs que l’on exécute à New-York, pour cette traversée de l’Atlantique, nous sont apportés par les récits des journaux américains ; nous n’y avons rien rencontré jusqu’ici qui dénote, de la part de ceux qui veulent entreprendre un tel pro
- jet, des connaissances approfondies de l’aéronautique. Mais M. Wise tentera-t-il sérieusement la grande traversée?.C’est ce que nous saurons dans un avenir prochain. Nous ajouterons toutefois, et nous pouvons parler avec connaissance de cause, de l’impression ressentie par le navigateur aérien quand il voit la mer se dérouler au-dessous de sa nacelle avec la perspective d’y être englouti 1, que pour quitter sciemment, dans un ballon, le rivage américain, avec un bon vent d’est vous lançant vers un océan de 6,000 kilomètres de large, il faut être bien audacieux.... ou bien fou !
- Il va sans dire qu’une telle appréciation s’adresse à l’aéronaute qui dispose seulement des moyens actuels de navigation aérienne. Il se peut que cette traversée s’accomplisse un jour dans des conditions moins périlleuses, mais alors ce sera avec un aérostat perfectionné, qui séjournera longtemps dans les hautes régions de l’air et qui sera muni d’un moteur et d’un appareil de propulsion.
- Pour exécuter la traversée océanique avec les seules ressources de l’aéronautique moderne, il faudrait un étonnant concours de circonstances exceptionnelles, analogues à celles qui ont permis à M. Rolier de sauter en ballon de Paris en Norwége, de passer la mer du Nord et de parcourir un espace de 1,500 kilomètres en 16 heures !
- Il ne nous paraît pas nécessaire d’insister sur l’imprudence qu’il y aurait à compter à l’avance sur de semblables hasards.
- Avec nos ballons, tels qu’ils sont aujourd’hui, un projet comme celui de M. Wise est condamné à l’avance. Il n’y a jusqu’ici que deux aéronautes que les vents aient poussés au-dessus de l’immense étendue de l’Atlantique; tous deux ont été engloutis dans les abîmes océaniques. Nous voulons parler du marin Prince, parti de Paris pendant le siège, le 50 novembre 1870, et de Lacaze, qui s’est élevé dans les airs dans les mêmes circonstances, le 27 jan-vier 1871.
- Des navires ont aperçu les aérostats planant au-dessus de la surface des mers, mais nul ne saura jamais en quel point de l’Océan ont disparu ces deux martyrs de la foi patriotique !
- Avant d’entreprendre la traversée de l’Atlantique par voie aérienne, il faut d’abord perfectionner les ballons, les étudier, les munir d’appareils de direction, il faut en un mot créer la véritable navigation aérienne. Le premier sauvage qui a traversé une rivière sur un tronc d’arbre, creux n’eût pas tenté, avec cette embarcation rudimentaire, un voyage au long cours.
- Or nos aérostats sont à l’atmosphère ce que le tronc creux du sauvage est à l’Océan! Bouées aériennes, flottant au gré des vents, ils ne sont que
- 3 Nous faisons allusion ici à notre voyage, exécuté en 1868, au-dessus de la mer du Nrd. Les détails de cette expédition aérostatique sont racontés dans le livre intitulé : Voyages aériens (Hachette, 1870).
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- Q
- LA NATURE.
- l’enfance d’un art sublime, dont le présent ne compte guère encore que des promesses pour l’avenir.
- Nous reviendrons quelque jour sur ce grand problème de la navigation aérienne.
- GASTON TISSANDIER.
- LA METALLURGIE DU FER ET DE L’ICIER
- PROCÉD É SIEMENS.,
- Il y a vingt ans, la métallurgie du fer était arrivée à un degré de perfection qu’il semblait difficile de dé
- passer. La production de l’acier était plus en retard, ce que l’on attribuait surtout à l’ignorance dans la-quelle on restait encore de la véritable composition de cette matière. Le plus fâcheux était de ne pouvoir fa-briquer l’acier que par petites quantités à la fois et avec un prix de revient très élevé. Rappelons par quels traitements passait le minerai pour être transformé en fonte d’abord, puis en fer, puis en acier. Cet exposé n’aura pas d’ailleurs un intérêt purement historique, cai les nouvelles méthodes sont encore loin d’avoir détrôné partout les anciennes.
- Le fer se trouve généralement dans la nature sous forme d’oxvde. Quand on le chauffe au contact du charbon, cet oxyde de fer est réduit par l’oxyde de
- Fig I.— Haut fourneau
- iM
- I 9
- :
- I
- carbone qui se transforme en acide carbonique. Le fer se sépare donc; mais le minerai est mélangé d’une gangue argileuse réfractaire qui retient les particules métalliques. Il faut transformer cette gangue en une matière plus fusible ; on y parvient en ajoutant du carbonate de chaux.
- L’opération s’effectue dans un haut fourneau (fig. 1). On verse par l’orifice du haut le gueulard B, surmonté de la cheminée A, des couches alternatives de minerai, de combustible et de carbonate de chaux que les ouvriers appellent castine. Tout cela se mélange, s’échauffe et se combine en descendant peu à peu du haut en bas de la cuve BC du haut fourneau, puis dans le ventre CD. Par l’orifice inférieur, s’écoulent en circulant dans la partie EF dite
- Vouvrage, les laitiers formés d’argile et de chaux. Tout au fond du creuset G s’assemble le métal qui est passé à l'état de fonte, car la température très-élevée qu’exige la fusion des laitiers favorise la combinaison du fer et du charbon.
- L’air lancé par les tuyères pour alimenter la combustion s’est d’abord transformé en acide carbonique dans la partie où le feu est le plus ardent; puis ce gaz s’élève, rencontre de nouvelles couches de charbon et se réduit en partie à l’état d’oxyde de carbone. Aussi les gaz qui sortent par le gueulard sont-ils très-combustibles; on peut les allumer, et ils brûlent avec une longue flamme transparente ; mais c’est de la chaleur perdue.Comme la consommation de charbon est excessive dans la métallurgie du fer, et en
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- LA NATURE.
- on
- -=
- constitue la plus forte dépense, on s’est efforcé d’utiliser cette chaleur perdue. Tantôt on l’a employée
- pour échauffer l’air insufflé dans le haut fourneau ; tantôt on s’en est servi pour chauffer les chaudières qui font marcher la machine soufflante, ou bien pour faire subir au minerai un grillage préalable. Mais rien de tout cela n’a bien réussi. D’une façon ou de l’autre, on dérange l’allure du haut fourneau et on perd d’un côté ce que l’on gagne de l’autre.
- f
- AAs 2,,
- La fonte que produit le
- haut-four neau passe SUC- Moutrant l’ouverture pour l'introduction de la foule en fusion et les on avait des hauts four-cessivement dans d’autres tuyères, en terre réfractaire. neaux gigantesques qui
- foyers, feu de finerie et four fournissaient 50 à 40 tonnes
- à puddler, où elle se transforme en fer malléable. I de fonte en vingt-quatre heures. Le prix du fer et Enfin on obtient l’acier, soit par le puddlage, en rédui- 1 de la fonte s’était beaucoup abaissé, mais l’acier
- saut peu à peu des fontes de première qualité dans un foyer à flamme oxydante, soit par cémentation,
- en chauffant doucement le fer avec un mélange de charbon.
- Telles étaient, il y a quelque vingt ans, les méthodes métallurgiques en usage. On croyait alors avoir réalisé de grands progrès, notamment par la substitution du coke, comme combustible, au charbon de bois. Au lieu des forges catalanes de l’ancien temps qui donnaient 600 à 700 ki-
- Fig. 2. — Appareil de Bessemer, pour la fabrication de l’acier, logrammes de fer par JOUI’,
- ams te alam
- Fig. 5. — Appareil Siemens, pour la
- fabrication directe du fer et de l'acier.
- avait encore une valeur vénale exorbitante ; aussi n’en consommait-on guère.
- L’acier puddlé ne se produisait qu’au moyen de fontes aciéreuses, provenant de certains minerais manganésifères que l’on ne trouve pas en tous pays.
- Vers 1856, un ingénieur anglais, M. Bessemer, fit connaître un procédé nouveau qui devait être une révolution dans l’industrie de l’acier. M. Bessemer fait couler de la fonte dans une cornue de grande dimension, capable de recevoir jusqu’à 10 tonnes de métal, et préalablement chauffée au rouge. A travers la masse liquide, il insuffle des courants d’air à haute pression introduits par le bas de la cornue (fig. 2). L’oxygène décarbure la fonte et, dans un espace de vingt minutes, la réduit en acier de composition
- bien homogène. On est arrivé ainsi à fabriquer des rails d’acier à 520 francs les 1,000 kilogrammes, tandis que les rails en fer valent encore 180 francs.
- Il a été dit plus haut que les gaz sortant par le gueulard des hauts fourneaux entraînent avec eux beaucoup de chaleur perdue et que l’on n’a pas réussi à employer utilement cette chaleur sans déranger l’allure de la fabrication. Le même fait se produit dans toutes les industries qui consomment une grande quantité de houille. Par exemple, toutes ces hautes cheminées de chaudières à vapeur que l’on voit dans les villes industrielles lancent dans l’atmosphère des gaz chauds qui représentent du charbon brûlé en pure perte.
- M. Siemens a proposé d’y remédier au moyen de
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- LA NATURE.
- son régénérateur. Cet appareil se compose de deux fours accolés, pourvus chacun d’une cheminée d’appel. Dans chacun d’eux aussi se trouvent des carneaux en briques, d’une vaste surface, à travers lesquels l’air est obligé de circuler. Par l’un d’eux, entre l’air qui alimente le foyer; par l’autre sortent les gaz produits par la combustion. Ce dernier s’échauffe donc. Lorsqu'il a acquis une certaine température, on renverse le courant d’air au moyen de registres disposés à cet effet. L’air atmosphérique arrive alors au foyer après s'être échauffé dans le four, et, il sort du foyer en traversant le four froid auquel il abandonne sa chaleur en excès. On renverse de nouveau le courant après un temps convenable, en sorte que chaque four absorbe et rend successivement la chaleur. Il est aisé de se rendre compte qu’un foyer alimenté avec de l’air chaud consomme moins de combustible que s’il était alimenté avec de l’air froid, puisqu'on économise tout le charbon qui serait, employé à donner cette chaleur initiale à l'air d’alimentation. .
- On comprendra maintenant en quoi consiste le nouveau procédé métallurgique de M. Siemens pour la fabrication du fer et de l’acier : la cornue rotative et l’ensemble de l’appareil sont représentés dans la figure 5. S est l’un des deux fours accolés du régéné. rateur. Il et 1F sont les deux cheminées, l’une pour l’entrée et l’autre pour la sortie de l’air. Contre la bouche commune aux deux fours s’appuie un creuset cylindrique R, en fer, garni intérieurement d’une couche épaisse de terre réfractaire. Ce creuset repose sur quatre galets et reçoit par des engrenages et une manivelle M, un mouvement de rotation, lent ou rapide à volonté; il a 2 mètres de diamètre sur 2m,70 de long.
- Voici maintenant comment se conduit l’opération. On chauffe le creuset au rouge en y faisant entrer le courant d’air fourni par le régénéra leur; puis, on y charge une tonne environ de minerai broyé en fragments de la grosseur d’un pois ou d’une fève, avec la quantité convenable de castine. En même temps on donne un léger mouvement de rotation. En quarante minutes, la masse est chauffée à blanc; on y ajoute alors 250 à 500 kilogrammes de charbon et on tourne plus rapidement pour opérer le mélange. Les réactions chimiques s’opèrent comme dans un haut fourneau, mais,plus rapidement et plus complètement. Le métal produit, se précipite au fond du creuset où, grâce à deux nervures circulaires indiquées sur le dessin, il se sépare en trois blocs. En deux heures de temps, l’opération est terminée. On arrête le creuset dans une position telle que l’orifice d’écoulement soit en bas, et les trois blocs de métal produits sont recueillis dans un wagon inférieur C. Il est clair que le résultat obtenu est du fer ou de l’acier, suivant que l’affinage est plus ou moins prolongé.
- L’un des avantages de ce procédé est, paraît-il, de fournir un métal d’une pureté remarquable, le soufre et le phosphore que peuvent contenir les mi
- nerais étant presque absolument éliminés. Un autre avantage est de restreindre beaucoup la quantité de charbon consommée. M. Siemens prétend arriver à produire une tonne de fer avec 1,250 kilogrammes de charbon, et une tonne d’acier avec 2 tonnes de charbon, tandis que les anciennes méthodes métallurgiques exigent 5 à 4 tonnes de charbon pour une tonne de fer.
- Le creuset rotatif de M. Siemens est déjà en usage dans plusieurs usines anglaises, et notamment dans les usines de la Landore Steel Company, à Sivansea, qui produit par ce moyen mille tonnes d’acier par semaine.
- L’Exposition universelle de 1867 fut, on s’en souvient, un vrai triomphe pour la métallurgie du fer. Depuis lors, cette industrie n’est pas restée stationnaire ; comme on le voit, elle progresse et se perfectionne sans cesse. Il y a lieu de s’en féliciter, car il n’est guère de substances plus utiles à l’humanité que le fer et l’acier, dont les applications s’étendent et dont la consommation s’accroît, d’année en année, d’une façon prodigieuse. IL BLERZY.
- REVUE MÉDICALE
- UN MOT D’HYGIENE PLBLIQUE.
- PHTHISIE PULMONAIRE. — LES MALADIES RÉGNANTES, CALCULS DE IX VESSIE,
- Une grosse question d’hygiène publique a été soulevée récemment, à l’Académie de médecine, par MM. Chauveau et Colin. Il s’agit de savoir si l’inges-lion de la matière tuberculeuse et de la viande provenant d’animaux atteints de cette maladie, peut avoir une influence sur la production de la phthisie. On conçoit toute l’importance qu’aurait ce fait s’il était démontré, surtout quand on sait que la tuberculose est très-fréquente chez certains animaux livrés à la consommation; le lapin, par exemple, et la vache laitière que l’on a épuisée, afin de lui faire produire le plus possible.
- M. Chauveau a fait ingérer à des gériisscs de la matière tuberculeuse: tous ces animaux sont devenus phthisiques. — Mais M. Colin, qui a fait les mêmes expériences, assure n’être arrivé à aucun résultat; il croit, en outre, que si les génisses de M. Chauveau sont devenues phthisiques, cela tient à ce que cet expérimentateur faisait avaler de force les matières aux animaux, en faisant pénétrer, par ce moyen défectueux quelques parcelles dans les bronches, où elles agissent alors par simple action de contact. — La matière tuberculeuse', selon M. Colin, ne serait pas plus absorbée dans l’estomac que certains virus et venins que l’on peut avaler sans danger, tandis qu’ils causent des accidents terribles s’ils sont appliqués sur une solution de continuité de la peau.—M. Raynal (d’Alfort), soutient l’opinion de M. Colin; Mais M. Bouley (de l’Institut), a rapporté
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- LA NATURE.
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- des expériences de M. Saint-Cyr et de quelques vé-térinair s allemands, Worms, Gunther, Leiseving, qui confirment absolument l’opinion de M. Chauveau. Nous tiendrons les lecteurs au courant; en tous cas, la solution de la question est celle-ci : Doit-on permettre ou interdire la consommation de la viande qui provient d’animaux manifestement tuberculeux? A Bordeaux, la vente de ces viandes est interdite.
- 1— M. Th. Williams (Med. chir. Transactions), étudie l’influence des climats chauds dans le traitement de la phthisie pulmonaire. — Il est d’usage d’envoyer les phthisiques à Pau, à Madère, à Nice, à Naples, etc., et trop souvent l’on ne tient pas assez compte, dans le choix de ces stations, du tempérament du malade, ni du degré plus ou moins avancé de la maladie, et cependant il est tel climat excitant qui pourra, dans certains cas précipiter la marche des lésions organiques, tandis qu’il donnera chez d’autres malades, des résultats favorables. Ainsi, notons les résultats obtenus chez 251 phthisiques envoyés dans diverses stations, M. Williams trouve :
- 65 malades améliorés sur 100
- 6 — état stationnaire —
- 29 — aggravés ou morts —
- En général, il préfère les climats chauds et secs, tels que l’Egypte, aux climats humides, tels que Madère. Les voyages sur mer exercent une bonne influence, quoique d’autres auteurs, M. Brochard, en particulier, prétendent le contraire.
- La phthisie n’est pas toujours identique à elle-même : tantôt sa marche est lente, torpide ; tantôt, au contraire, elle est rapide, presque inflammatoire. Les stations varieront nécessairement suivant que l’on aura affaire à l’une ou à l’autre de ces formes, et l’on devra indiquer dans le premier cas, les climats à température douce et constante ; dans le deuxième cas, les climats chauds et secs, mais peu excitants.
- M. Williams insiste encore sur la nécessité de continuer l’usage de l’huile de foie de morue, des préparations de quinquina et de suivre, aux stations une hygiène sévère. — Ce dernier point est capital et donne toute la thérapeutique de la phthisie.
- — Les rapports de M. E. Besnier sur les maladies régnantes offrent toujours beaucoup d’intérêt. Dans sa dernière communication à la Société médicale des hôpitaux, il fournit des tableaux comparatifs de la mortalité à Paris pendant les mois d’avril, mai, juin, des années 1867-1875. — Cette dernière année se fait remarquer jusqu’à présent par une sorte d’accalmie pathologique. — Ainsi, pas un décès de variole pendant cette période de trois mois, tandis qu’en 1870, le chiffre s’en est élevé à 179 en avril, 250 en mai, 242 en juin : en 1869, 59 pour le même trimestre. — La phthisie pulmonaire reste stationnaire de 220 à 500 décès par mois. — La lièvre typhoïde ne nous donne pour 1875 que 57 décès, contre 45 en 1872, 89 en 1870, 71 en 1869, et 59 en 1868.
- — On a proposé depuis longtemps de dissoudre les calculs de la vessie à l’aide de liquides divers.
- M. II. Thomson (the Lancet, 1875) résume l’état de la science à ce sujet et montre combien cette importante question demanderait d’être étudiée à nouveau. On a employé le citrate et le carbonate de potasse dans l’espoir de dissoudre les calcul- d’acide urique ; puis les sels de soude, certaines eaux minérales ; d’autres fois, les injections dans la vessie, d’eau pure, de solutions alcalinées, acides : aucun de ces moyens n'a donné de résultats absolument certains. MM. Prévost et Dumas avaient conseillé l’emploi de l’électricité, mais depuis, sauf Bence Jones, peu de médecins ont tenté des essais dans cette voie. Dv. Z.
- LA DÉCOUVERTE DE L’AMÉRIQUE
- PAR LES SCANDINAVES.
- Les Scandinaves qui habitent en ce moment l’Amérique ont pris l’initiative d’une souscription en l’honneur de leur compatriote Leif Erickson, qui a découvert l'Amérique, en l’an 1000. Nous allons indiquer dans quelles circonstances et résumer quelles sont les preuves qu’on met en avant, en faveur de ce grand navigateur si longtemps inconnu. Sa gloire ne porte aucun préjudice à celle de Colomb, mais il ne faut pas confondre ces révélations historiques avec les légendes évidemment apocryphes, telles que les prétendues inscriptions phéniciennes trouvées au Brésil et la Bible fabuleuse des Mormons.
- On sait, par les Sagas, qu'Eric le Rouge découvrit le Groenland en 984. Deux ans après, un navigateur Scandinave, nommé Biorn Herriulson, se rendait au Groenland, avec un navire ayant 25 hommes d’équipage, lorsqu'il fut saisi par un vent d’est et jeté sur les côtes de l’Amérique du Nord, qu’il aperçut; mais il n’eut pas le courage d’y aborder, ce dont il fut très-sévèremént blâmé. Cependant quatorze années s’écoulèrent sans que personne songeât à l’imiter. Le premier qui eut cette idée fut un fils d’Eric le Rouge, Leif Erickson, qui, en l’an 1000, débarqua près de Fall River au Massachusetts.
- Les Normands entretinrent depuis lorsdes rapports avec le nouveau continent qu’ils nommèrent Vine-land, parce que la vigne y pousse spontanément. Deux ans après, Thorswald Erickson (peut-être un frère de Leif Erickson), fut tué dans un combat, par un chef indien et enterré dans son armure, près d’un cap appelé aujourdhui Carnet Point.
- Vers 1840, ce squelette fut découvert et des échantillons de son armure furent envoyés à Berzelius, qui en fit l’analyse. Ce savant découvrit que la composition chimique du fer était analogue à celle des armures de la même époque, conservées dans les musées du Nord. Dès lors on admit, en Amérique, qu’on avait découvert le squelette d’un roi de la mer. Cette version fut acceptée par Longfellow, qui composa en son honneur une ballade intitulée: the Man in armour; les notes qui précèdent la ballade
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- oc
- LA NATURE.
- du poëte américain, racontent une partie des faits précédents qui ont été confirmés par les Sagas, déchiffrés, dessinés et publiés à Copenhague, aux frais du gouvernement danois.
- Un récit analogue se trouve dans les légendes latines d’Adam de Brème, auteur d’une Description du Danemark et des pays plus au nord, publiée à la fin du douzième siècle, d’après des renseignements recueillis de la bouche de Suenon Esthidson, un des successeurs de Canut le Grand, qui avait des prétentions justifiées à l’érudition.
- On sait encore que les inscriptions runniques trouvées au célèbre Dighton Writing rock, ont été gravées en l’an 1007, par Tharson Karlsague, un de ces anciens visiteurs ou conquérants du littoral américain. Les conquêtes faites par les Normands, dans des pays plus riches et plus civilisés, ne paraissent point avoir été la seule cause qui ait commencé par ralentir, et fini par supprimer ces rapports. Il paraît qu’ils n’ont cessé, qu’après l’invasion de la fameuse peste noire qui enleva les neuf dixièmes des habitants de la Norwége, et qui fit descendre sa population, beaucoup plus nombreuse qu'aujourd'hui, au chiffre de 500,000 habitants. Mais comme il est constant, d’après l’autobiographie, de [Christophe Colomb, que ce grand navigateur a visité l’Islande en 1477, on comprend qu’il y ait appris des circonstances qui n’avaient pu être oubliées. Les renseignements qu’il a puisés à une source authentique auront entretenu sa résolution, en lui donnant la force de surmonter tous les obstacles qu’il rencontra, avant de faire partager sa conviction à Isabelle la Catholique et au roi Ferdinand.
- —
- DÉVELOPPEMENTS
- DE LA TÉLÉGRAPHIE ÉLECTRIQUE
- EN ANGLETERRE.
- Le post-master général vient de présenter à la Chambre des communes un rapport très-long et très-détaillé, qui permet d’apprécier l’importance des développements dont la télégraphie est susceptible.
- Le nombre des bureaux télégraphiques est de 5,400. Il paraît suffisant pour les besoins d’un pays dont la surface ne dépasse pas le quart de la France, et dont la population n’excède pas 20 millions d’habitants. Mais si le nombre des stations parait avoir à peu près atteint son maximum, il n en est pas de même des services que les appareils sont appelés à rendre au public. Ainsi le nombre des télégrammes ordinaires, c’est-à-dire transmis par la poste, s’élève à 15 millions, tandis que l’an dernier il n’était que de 12 millions. Actuellement le public consomme 3 télégrammes par 4 habitants, y compris les femmes et les enfants. On voit que chaque bureau transmet en
- moyenne 2,700 messages, soit 9 par jour de travail, non compris les dimanches et jours fériés.
- Le réseau anglais aune longueur de 800,000 kilomètres, ce qui donne une ligne égale à vingt fois le tour de la terre et deux fois plus grande que la distance de la terre à la lune. Le trajet moyen est de 120 kilomètres par station, chiffre qui tient à la multiplicité des fils employés. Le nombre moyen est d’un peu plus de vingt messages transmis par chaque kilomètre de fil. Il y a, comme on le voit, environ un kilomètre de fil par 25 habitants.
- Mais ces nombres ne donneraient qu’une faible idée de l’extension du service télégraphique de l’autre côté du détroit. En effet, la presse politique jouit du bénéfice d’un tarif réduit, et les télégrammes ne sont point compris dans le relevé précédent.
- En 1872, on a transmis pour elle 28,000,000 de mots, c’est-à-dire six fois plus de matière que le Times n’en a publié. L’année précédente, on n’en avait transmis que 21,000,000. Certains débats parlementaires donnent lieu à une correspondance dont l’activité est bien faite pour nous surprendre, car dans une seule nuit on a transmis 200,000 mots aux différents journaux de province.
- Certains journaux et certains particuliers louent des fils à l’année. Ces fils sont utilisés quelquefois pendant la journée pour la télégraphie privée. Le périmètre du réseau en location est de 8,000 kilomètres, donnant lieu à un revenu d’un million. Parmi les fils encore loués nous citerons ceux qui relient la Chambre des communes à l'office du Times, et ceux qui sont loués au Manchester Examiner. On ignore naturellement le nombre des mots ainsi transmis.
- Nous citerons encore comme étant une institution tout à fait caractéristique, l’institution d’un bureau télégraphique roulant, qui rend de très-grands services et est quelquefois très-lucratif pour l’administration. L’an dernier, on l’a employé aux manœuvres d’automne, aux régates des universités d’Oxford et de Cambridge, au jeu de cricket, à l’exposition de la Société d’agriculture (club de Smiths-field), etc., etc. Quelquefois même des lignes provisoires sont établies. C’est ce qui a eu lieu pendant la durée d’un congrès d’échecs au Palais de cristal. L’office de cet établissement a été mis en communication provisoire avec Birmingham, Glasgow, Hull et Bristol.
- C’est ainsi que le goût de la télégraphie électrique se généralise et pénètre dans toutes les sphères de la société.
- Dans le relevé précédent nous n’avons point compris les messages de la télégraphie internationale qui, à cause de la position insulaire de l’Angleterre, sont expédiés par voie sous-marine. Les télégrammes d’Écosse et d’Irlande, qui ont un service à part, ne figurent pas non plus dans ce tableau.
- AV. de FONVIELLE.
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- LA NATURE.
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- L’APLS’
- On sait que les graines ont la propriété de conserver, pendant un temps très-long, leurs propriétés germinatives, assurant ainsi à des périodes très-éloi-gnées, la reproduction de l’espèce : le blé, l’orge, l’avoine, et presque toutes les céréales, possèdent cette faculté à un très-haut degré.
- Ce fait bien connu pour les plantes est assez rare pour les espèces animales ; cependant il existe dans les genres inférieurs.
- Les expériences de Spallanzani ont montré déjà depuis bien longtemps que les infusoires privés d’eau
- cessent en apparence de vivre, de même qu’ils ont la propriété de reprendre leur existence interrompue lorsqu’on les place dans un milieu favorable à leur nutrition.
- Dans ces derniers temps, les inondations de la Seine qui ont recouvert par trois fois les campagnes riveraines, ont mis en évidence des faits du même genre. — M. Car
- 1. Apus. — 2. Limnadie. (Grandeur naturelle.)
- E
- bonnier, pisciculteur distingué, en faisant chercher dans la plaine de Gennevilliers les insectes et les vers qui servent à la nourriture des poissons de ses aquariums, fut tout étonné d’apercevoir, nageant au milieu du liquide, un petit animal de forme particulière, le corps muni d’une carapace, appartenant à la famille des Crustacés : cet animal était l'Apus.
- L’Apus est un crustacé de longueur totale de 5 à 6 centimètres, bien caractérisé par sa carapace en forme de bouclier, et par ses pattes en nombre considérable ( 60 paires environ) qui lui servent d’appareil respiratoire. Il habite ordinairement les eaux stagnantes et même croupies ; lorsque l’eau où il se trouve s’évapore,il meurt; mais ses œufs coriaces et durs résistent à l’action de la chaleur et des grands froids, et se développent lorsque les circonstances extérieures leur ramènent l’eau et la température nécessaires à leur développement. La conservation de ces œufs, pouvant durer cinq ou six ans et même plus, explique la réapparition de l’Apus aux environs de Paris, d’où il était disparu depuis les dernières crues de la Seine.
- Au contact de l’eau, les œufs, de couleur rouge,
- 1 Crustacé apparu aux cm irons de Pâtis lors des dernières inondations.
- se transforment, et l’Apus apparaît ; il ne subit rien moins que vingt mues différentes qui changent totalement sa couleur et son aspect dans l’espace des trois mois suffisants pour assurer son développe-ment.
- L’Apus se nourrit d’insectes, de chair morte, et surtout de branchipes, petits crustacés très-voisins de lui par leur organisation.
- Les branchipes possèdent les mêmes propriétés reproductrices que les apus, de telle sorte qu’ils apparaissent en même temps que ces derniers ; c’est là une prévoyance singulière de la nature, qui place à côté de l’apus l’animal qui doit le nourrir.
- Enfin, à côté de ces deux espèces, s’en place une
- troisième, l’espèce Limnadie établie par M. Brongniart, et observée dans les mares de Fontainebleau; c’est là que les limnnadies apparaissent dans les grandes pluies, alors que le sol, suffisamment détrempé par l’eau, se trouve dans les conditions propres au développement des œufs.
- La carapace de la Limnadie est beaucoup plus développée que celle
- de l’Apus; elle recouvre, en effet, tout le corps, et a la forme d’une coquille bivalve.
- Tels sont les caractères essentiels de ce groupe de crustacés si remarquables par leur mode de reproduction. Les dessins que nous en donnons et que nous avons reproduits d’après le beau livre de M. Milne Edwards sur les crustacés (Suites à Buffon), achèveront de donner au lecteur une idée exacte de la conformation singulière de ces petits animaux.
- E. LANDRIN.
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- CHRONIQUE
- Prix d'un million de francs. — JL de Douhet vient de proposer récemment à l’Assemblée nationale de fonder deux prix d’encouragement, l’un de 1 million de francs, accordé à l’inventeur qui fixerait l’azote atmosphérique à l’état d’ammoniaque, l’autre de 1 million 500,000 francs, donné à celui qui trouverait une nouvelle force motrice économique et n’utilisant pas de charbon. — Il est évident que ces deux découvertes ne seraient pas trop pavées, car elles pourraient être considérées comme une intarissable source de richesses : mais cette proposition sera-t-elle adoptée par la commission d’initiative parlementaire? C’est ce dont nous doutons. Ne se dira-t-on pas,
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- LA NATURE.
- et avec raison, que l’homme assez ingénieux pour mettre la main sur de semblables découvertes n'attendra pas que l’on fonde des prix, quels qu’ils soient, pour les mettre au jour? Si ses procédés sont réellement ellicaces, illui suffira de les breveter, et les millions afflueront dans sa caisse. M. de Douhet a-t-il en outre bien médité sur le problème de la force mécanique produite sans charbon ? On est tout aussi loin de le résoudre avec les ressources actuelles de la science que de trouver la pierre philosophale.
- Le printemps perpétuel. — M. Valapert vient nous donner le moyen de faire le printemps perpétuel, et de produire à volonté la pluie et le beau temps. Que les incrédules lisent la petite brochure qu’il vient de publier, et ils seront convaincus ! Le moyen consiste à changer le cours des fictives chauds de l’Océan, à détourner le Gulf-stream par exemple, en construisant au sein des mers des îlots artificiels, et à diriger ainsi vers despavs déterminés ces artères calorifiques du globe terrestre. Pour obtenis la pluie, il faut arracher à l’aide de puissants movens mécaniques des montagnes de glace des mers polaires, et les remorquer dans des directions déterminées, où elhs four-mront à l’air par leur fusion, des torrents de vapeur d’eau. On voit que ces méthodes sont ingénieuses... au point de vue théorique. Mais ne faudrait-il pas les compléter en donnant à l’humanité le moyen pratique de construire des îles et de transporter des montagnes?
- Le lac Okeechobee. — C’est le nom indien d’un lac à peine connu qui est dans le sud de la Floride, et qui vient d’ètre visité par un intrépide explorateur, M. G.-K. Allen, de Sainte-Marie, accompagné de quatre autres voyageurs. Le New-York Herald publie les récits de cette pérégrinalion difficile, qu’on croirait empruntée aux légendes de Sindbad le marin. Le lac Okeechobee est protégé par une zone de marécages boni beux et de fondrières, à travers lesquels il est fort dangereux de s’ n-gager. Malgré les difficultés et les périls, les vovageurs atteignirent les ondes du lac, dont la longueur est de 65 milles et la largeur de 50 milles. Ils découvrirent trois îles au milieu de cette immensité d’eau. L’une d’elle est bordée de rochers immenses entassés péle-mèle, offrant le spectacle d’un chaos indescriptible ; d’énormes falaises se dressent sur d'autres points. Au sud, les voyageurs trouvèrent une magnifique forêt, où di s acajous séculaires s’élevaient compactes et touffus à coté de magnolias-lauriers. Au milieu de ces bois, vivent en grand nombre des araignées gigantesques, qui n’ont pas moins de deux pieds de longueur. Ces mygales ont des membres puissants, leurs yeux sont entourés d’un cercle jaune ponceau très-bril-huit. Le corps est cerclé de bandes jaunes, noires, et ponceau très-brillantes. — M. G.-K. Allen et ses compagnons ont découvert dans cette ile curieuse des masses de pierres, amoncelées régulièrement, comme les restes d’une construction humaine. Le lac Okeechobee est situé à 45 milles de la baie de Jupiter sur la côte de l’Atlantique et à 200 milles de Sainte-Augustine.
- Les défenses fossiles de mammouths livrées au commeree. — On a soutent trouvé en Sibérie, à la baie Escholtz, de nombreuses défenses d’animaux antédiluviens et particulièrement des défenses de mammouth. On a même découvert, comme le lecteur ne l'ignore pas, des squelettes entiers dans un état de conservation suffisant pour laisser voir des traces de crins ou poils qui recouvraient la peau de ces animaux. Dès que ci s gisements de défenses furent connus, la spéculation tenta de s'en emparer ; on puisa
- largement dans ces amas mis
- en réserve par la nature.
- De Russie, ce produit antédiluvien fut exporté en Angle
- terre, où dernièrement un navire arriva de Revel avec un
- chargement complet, qui excita pendant quelque temps la curiosité des visiteurs, dans les docks de Lon Ires. Les plus grandes défenses mesurent 3 mètres de long et ont un diamètre maximum de 18 centimètres; leur poids est d’environ 100 kilogrammes. L’ivoire n’est pas d’aussi bonne qualité que celui des dents mêmes de l'éléphant d’Afrique, et il est probable que le séjour dans la terre pendant une longue succession de siècles l’a singulièrement détérioré. — Ce stock de défenses s’est cependant vendu à raison de 1,250 francs la tonne.
- Statistique de la poste anglaise. — Pendant l’année 1872, le nombre des bureaux de poste a été augmenté de 500, ce qui porte le total à 12,200; il y a en outre 700 boîtes aux lettres sur la voie publique. Le nombre des lettres transportées en 1871 s’est élevé à 915,000,000; dans ce chiffre il faut comprendre 99,000,000 d’imprimés. 3,600,000 lettres sont tombées au rebut par suite d’erreur d’adresse. 15,000 lettres ont été jetées dans les boîtes sans aucune suscription. .
- Fétidité de l’eau de la Clyde. — La Clyde, qui possède une réputation universelle pour ses chantiers de construction navale, a une eau aussi fétide que les égouts de fumier croupis au soleil. A Glascow, au quai de Bromie-law, la poussière aqueuse soulevée par les aubes des bateaux à vapeur exhale une odeur repoussante; on voit, même par un temps froid, des bulles de gaz se dégager du fond vaseux de la rivière. La Tamise, dont l’eau est réputée si nauséabonde, n’est pas à comparer à celle de la Clyde ; la marée vient quotidiennement entraîner les dépôts qui s’y forment, tan iis que la propagation de la marée atteint difticilemen t Glascow ; elle est retardée par les sinuosités de l’estuaire et des lacs qui précèdent. Cette rivière si petite, mais source d’une si grande prospérité pour ses industrieux riverains, n’est cependant pas malsaine, puisque les épidémies sont rares sur ses bords.
- La vie dans l’obscurité. — Pendant la nuit d’hiver passée dans les parages polaires par l’expédition suédoise à bord du Pulkem, M. Kjellmann, botaniste de l’expédition, fut frappé de trouver des algues en pleine vigueur au sein des ténèbres les plus opaques. La sonde ramena également des mollusques viyant sans lumière dans une eau glaciale. On fut tenté de croire qu’il existait certaines sources de lumière inconnue. Pour vérifier ce fait, on descendit dans un appareil spécial une plaque sensibilisée par les procédés photographiques, qu’on laissa séjourner vingt-quatre heures sur le fond de la mer où l’on rencontrait ces animaux et les végétaux. Elle n’offrit, quand on la retira, aucune trace d’impression lumineuse. Cette expérience prouve donc encore une fois qu’il existe des animaux et des végétaux organisés de telle façon que la lumière leur est inutile ; elle leur serait peut-être même nuisible, puisqu’il faut un milieu propre à chaque sujet pour que son existence soit assurée.
- Orage du 9 août à Nimes. — Cet orage, d’une violence extraordinaire, a fondu, à sept heures du soir, sur Aimes. Un vent semblable à un cyclone a en un instant jonché le sol de branches d’arbres, démoli deux baraques de saltimbanques sur la place des Arènes et un grand nombre de celles qu’on avait dressées pour la foire sur l’esplanade; celles du côté est, ont renversé en tombant la balustrade con-
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- Ire laquelle elles s’appuyaient. Le nombre de vitres brisées par la grêle est incalculable. Les grêlons étaient en grande partie gros comme des noix ; quelques-uns mêmes atteignaient la dimension d’un œuf. Les mo neaux francs qui cherchaient chaque soir un abri sous le feuillage touffu des platanes de l’avenue ont tous péri. Dès que la pluie a cessé, on s’est occupé de les ramasser et on peut dire, sans crainte d’exagération, que l’on en a trouvé de 3 à 4,000. Heureusement l'orage n’a duré qu’un quart d’heure et son rayon semblait assez circonscrit ; mais partout où il a passé, la récolte de raisins et d’olives peut être considérée comme perdue. [Messager du Midi.)
- Trombes marines. — On a observé, le 20 juillet, sur la petite rade de Cronstadt, un phénomène atmosphérique extrêmement rare dans nos parages. Trois trombes s’avançaient à la fois de la pleine mor vers la côte d’Ora-nienbaum. L’une de ces trombes formait un type complet du phénomène, c’est-à-dire que son entonnoir d’en haut se réunissait à l’entonnoir renversé formé à la surface de l’eau. Les deux autres étaient des demi-trombes, n’ayant que l’entonnoir supérieur. Les trois trombes ont disparu en s’approchant du rivage. [Messager de Cronstadt.)
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- CORRESPONDANCE
- M. Thaunaron, président de la Chambre consultative d’agriculture de Valence, nous écrit une lettre fort intéressante sur les désastres causés par le phylloxéra dans le département de la Drôme. Ce département, qui récolte annuellement pour 18 ou 20 millions de francs de vin, est condamné cette année à voir baisser sa production dans une proportion effroyable. M. Thaunaron nous informe que les articles publiés dans la Nature ont été très-appréciés et très-utiles, dans les régions particulièrement atteintes. Il nous demande de nouveaux renseignements sur des travaux récents, concernant le terrible ennemi des vignes. Le désir de notre correspondant ne tardera pas à être satisfait. Nous ne saurions trop insister sur une question qui touche de si près à de grands intérêts nationaux.
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- ACADÉMIE DES SCIENCES
- Séance du 11 acid 1875. — Présidence de M. de QUATREFAGES.
- L’éminent M. Laurence Smith présente une nouvelle note sur le gisement de corindons de l'Amérique du Nord, gisement qui, pour son étendue superficielle, comme pour l’abondance et la pureté de ses produits, est le plus important que l’on connaisse. Un bloc isolé, trouvé en 1846, a fourni la première indication de son existence ; mais ce n’est qu’en 1865 que le minéral a été rencontré in situ^ L’exploitation s’en fait maintenant sur une large échelle dans un but industriel : le corindon remplace l’émeri.
- — L’une des plus grandes et des plus riches cavernes de l’âge du renne vient d’être découverte dans le département des Hautes-Pyrénées. Sous une couche épaisse de stalagmites, dont la formation a été beaucoup plus active dans cette localité que celle des stalactites, un dépôt considérable de matériaux incohérents renferme une quantité extraordinaire d’objets d’industrie de cette époque paléo-archéologique et d’ossements d’ours (l’ours actuel des Pyrénées), de loup, de renne, de chamois, de bouquetin, de bœuf, de cheval, de coq de bruyère, etc. Le
- cerf abonde plus que le renne, mais celui-ci est caracléris-tique. On a trouvé sur un bois de cerf l’image gravée du coq de bruyère. — Il y a là, dit-on, dans des conditions d’extraction facile, des centaines de mètres de ce précieux dépôt.
- — Le savant M. Trécul, qui a la parole pour lire un mémoire sur, ou plutôt contre la théorie carpellaire, dépose son manuscrit sur la tribune et se rendant au tableau, expose ses idées de vive voix et en s’aidant du dessin, méthode pour l'adoption de laquelle nous faisons des vœux. La théorie carpellaire ramène la composition du fruit à celle de la feuille ; le fruit (l'ovaire) est une feuille ; par des exemples empruntés aux renonculacées, le laborieux botaniste précité combat cette manière de voir. Son argument nous parait se résumer en ce fait principal que ni par le nombre, ni par la disposition, les nervures des carpelles ne sont en conformité avec celles des folioles. La prétendue feuille carpellaire n’est donc pas une feuille. L’auteur conclut que le fruit est un organe d’une nature toute particulière destiné à remplir une fonction spéciale, comme la feuille en remplit une autre qui est celle de la respiration. STANISLAS Meunier.
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- EXPLORATION DE LA PALESTINE
- L’esprit de recherche religieuse, qui est la conséquence immédiate du protestantisme, a déterminé de nombreuses explorations individuelles dans les terres bibliques; Robinson, Lynck, Munck, de Saulcy, ont laissé des travaux remarquables. Mais il importait, pour la science archéologique, de produire un ouvrage d’ensemble, entrepris sous une direction régulière, s’étendant à toute la Palestine et comprenant la géographie, la géologie, l’histoire naturelle et la description des ruines antiques. On constitua en Angleterre une société : Palestine Exploration Fund, qui lit appel à l’initiative individuelle pour obtenir les capitaux nécessaires à la réalisation de cette grande entreprise. Depuis plusieurs années, on s’est mis à l’œuvre ; les documents les plus importants sur l’histoire de ce berceau de la civilisation ont déjà rémunéré les patients investigateurs. Les dépenses se sont élevées, depuis le commencement des opérations, à 20,000 livres sterling; un cinquième de la Palestine est relevé et décrit. Il reste 1,613 milles à relever pour avoir terminé la Palestine, qui s’étend entre le Dan et Beersheba, et d’un autre côté entre le Jourdain et la mer, sur une surface de 6,600 milles géographiques. On dresse tous les mois la carte de 140 à 170 milles carrés.
- Les opérations n’ont lieu que pendant la belle saison. On a commencé par mesurer une base près de Jenin, où la position astronomique avait été déterminée rigoureusement. Ce fut le point de départ de la brigade du lieutenant Couder. Les explorateurs campent pendant trois semaines aux mêmes endroits, choisis à une distance d’environ 12 milles les uns des autres ; le camp est ainsi le point de ralliement des opérations exécutées dans son rayon, qui embrasse 60 à 150 milles de superficie aux alentours. Le pré-
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- LA NATURE.
- mier jour du campement est consacré à la préparation des moyens d’exécution et à la détermination astronomique de la position ; on choisit ensuite des points culminants d'où l’on puisse découvrir un rayon de 10 à 15 milles, sans avoir d’obstacles devant soi.
- Le travail de la journée dure dix heures. Quand les grandes lignes sont construites, on fait une triangulation secondaire dans laquelle on insère les détails.
- On conçoit que l'orthographe des noms propres soit une dilticulté réelle quand il s’agit de la faire concorder avec la prononciation. La commission anglaise doit prochainement s’adjoindre M.Canneau, drogman de l’ambassade française à Constantinople, pour résoudre les difficultés de linguistique qui s’offrent constamment ; sa connaissance spéciale du dialecte delà Palestine en fera un précieux auxiliaire.
- La carte dressée par le comité d’exploration sera la meilleure qui ait été encore publiée ; on l’accompagnera d’une relation de toutes les particularités du voyage ; la description des rumies et les documents archéologiques feront l’objet d’un travail spécial.
- J. GIRARD.
- —
- DIMENSIONS COMPARATIVES DES NAVIRES
- A VAPEUR.
- Nous empruntons au Scientific American une idée qui nous a paru fort originale, c’est celle de représenter à la même échelle les plans des bateaux
- Baleau-mouche. métres. Le llallOnure. Ligne Lloys. Longueur: 50 metres
- Le Hussia. Ligne Cunard. 108 mètres.
- Le Moravian. 88 mètres.
- VAllanlic. Ligne Withe Star. 151'",50.
- Le Creat Eastern. 209 mètres.
- à vapeur les plus connus, les plus célèbres. Mais tandis que le journal de New-York ne donne que quelques types de transatlantiques, nous mettons sous les yeux de nos lecteurs, les deux extrêmes de la construction des navires à vapeur : le bateau mouche, qui voyage du pont d’Ivry au pont du Point du jour, et le Great Eastern, ce géant des mers, cet admirable poseur de câbles sous-marins, qui navigue de l’Europe à l’île de Terre-Neuve. Le Great-Eastern est plus large, que le bateau mouche n’est long ; le premier mesure plus de 200 mètres, le second en compte à peine dix fois moins. L’énoncé de ces chiffres est loin d’être aussi frappant que la vue du diagramme ci-dessus ; le dessin, qui parle aux yeux, a parfois une éloquence vraiment saisissante.
- Le Baltimore, le Moravian, le Russia, sont des bateaux à vapeur qui accomplissent constamment la traversée de l’Atlantique. Il est inutile de rappeler que le navire la Ville du Havre, placé au-dessous de ceux-ci dans notre dessin, est l’ancien Napoléon III transformé. Ce magnifique steamer a déjà quitté trois fois la ville du Havre, pour traverser l’Océan dans les conditions les plus satisfaisantes. L’Atlantic, un peu plus long que la Ville du Havre, est devenu célèbre par son épouvantable naufrage. Il a échoué en mars 1873, en causant la mort de 750 passagers !
- Le Propriétaire-Gérant : G. TISSANDIER.
- PARIS. — IMP. SIMON RAÇON ET COM1'., RUE D’ERFURTII, 1.
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- No 15. — 30 AOUT 187 3.
- LA
- t =
- LES EXPLORATIONS AU SPITZBERG
- (Suite et tin. — Voy. page 161.)
- Notre tâche serait remplie d’une façon tout à fait imparfaite si nous ne donnions, à nos lecteurs, une idée des paysages de la côte septentrionale du Spitz-berg, dont nous avons retracé précédemment les contours.
- Nous reproduisons une vue remarquable due à l’éminent artiste suédois Chydenius, d’après le ma-guifique ouvrage que Nordenskiold a publié en 1861,
- sur ses premiers voyages. Le paysage que nous avons représenté, est la baie de Treurenberg, illustrée par le séjour que le capitaine Parry y fit en 1827. Elle n’est séparée de Mossell-Bay que par l’épaisseur du mont Ilécla où vient d’avoir lieu l’hivernage de 1875 ; c’est le même district et en quelque sorte la même physionomie. A la gauche de notre gravure, on aperçoit un cimetière, sinistre rendez-vous des explorateurs, que les éléments n’ont pas respectés.
- Les dimensions de Mossell-Bay sont beaucoup moindres que celles de Treurenberg-Bay, et le paysage ne peut y avoir la même majesté sauvage ; mais
- *9:
- La baie île Treurenberg au Spitzberg, d’après Nordenskiald.
- en regardant la carte que nous avons donnée précédemment (p. 162), on peut s’assurer que Mossell-Bay possède un avantage sérieux. Ce havre en effet est efficacement abrité contre les vents du nord, qui sont dans ces hautes latitudes une des causes les plus énergiques de refroidissements. Malheureusement, cet avantage a été acheté par une disposition corrélative qui a coûté bien cher à l’expédition de Nordenskiold, car Mossel-Bay, comme on peut encore s’en assurer, n’est pas moins énergiquement protégée contre les vents du sud. Il en résulte que les brusques débâcles qui ont signalé à plusieurs reprises l'hivernage de 1872-1873, et qui ont permis aux pêcheurs réfugiés derrière le cap Gray de s’évader, n’ont point dégagé le Gladan et Y Onkel-Adam qui sont restés retenus malgré eux
- captifs dans les glaces, auxquelles cinq navires voisins, montés par de simples pêcheurs, ont échappé sans coup férir.
- Le Polhem était le seul navire destiné à hiverner ; le Gladan, qui avait porté son charbon, et YOnkel-Adam ses rennes et le lichen qui leur servait de fourrage, devaient regagner la Norwége à l’arrière-saison ; cette partie du programme eût été remplie si l’hiver n’avait fait invasion avec la rapidité d’un coup de foudre. Ayant été construit spécialement pour le service des postes du Sund, le Polhem possède toutes les qualités nécessaires à un navire destiné à naviguer au milieu des glaces tant qu’elles n’ont point acquis une énorme épaisseur. L’avant est assez solide et assez effilé pour rompre des blocs dont des vaisseaux ordinaires seraient embarrassés. Il est, de plus,
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- n S. te
- LAINATURE.
- pourvu d’une excellente machine plus forte que celles qui sont ordinairement consacrées à des navires d’un tonnage aussi faible, car il ne jauge que 200 tonneaux, ce qui explique que son équipage ne fût que de vingt-cinq hommes, mais on n’avait rien négligé pour assurer leur bien-être; outre les articles d’uniformes, dont étaient pouvus les marins suédois, on leur avait fait, avant le départ, une distribution de vêtements en peau de renne pareils à ceux dont se servent les Lapons. On avait heureusement pris à bord pour dix-huit mois de vivres, de sorte que les quarante-cinq parasites involontaires, formant l'équi-page des deux navires captifs, n’ont pas été réduits à mourir de faim et de misère, comme ils auraient pu l’être. Dans les approvisionnements figurait, pour une portion notable, le Penni-cam, substance dont on fait grand usage dans toutes les explorations polaires depuis celles que l’amirauté anglaise a organisées pour la recherche du capitaine Franklin. Le Penni-cam qui a été inventé par les Indiens de l'Amérique du Nord, chez lesquelsil est en usage depuis un temps immémorial se compose de viande mélangée de graisse. C’est l’aliment le plus nutritif de tous ceux que l’on connaisse. Il suffit de deux kilos, grâce à son intermédiaire, pour entretenir un homme d’aliments solides, pendant vingt-quatre heures, dans un climat où la faim canine est à l’ordre du jour.
- Le Glaclan et le Polhem avaient été mis à la disposition de l’expédition, par le gouvernement suédois avec une somme de 15,000 rixdalcrs, environ 45,000 francs. Le surplus, ainsi que VOnkel-Adam, a été donné par M. Oscar Dickson, riche négociant de Gothembourg, qui, comme nous l’avons dit précédemment, patronne les expéditions arctiques, aussi chaleureusement que Grinnel des États-Unis, que l'anglais Félix Booth et que le comte Romanoff1. M. Oscar Dickson a même agi avec une intelligence plus profonde de la situation, car il s’est efforcé de donner un but industriel aux expéditions scientifiques du Spitzberg, et il a l’intention d’établir, dans les environs du mont Thorsden, une petite colonie permanente, afin de s'y livrer à l’exploitation de très-riches gisements de phosphate de chaux. Ne serait-ce point un fait bien remarquable que de voir une île condamnée, en apparence, à une stérilité éternelle fournir aux nations plus favorisées par la nature, les moyens de ne point épuiser les facultés génératrices de leur sol? Pourrait-on donner un plus bel exemple de l’étonnante solidarité qui relie, l’une avec l’autre, toutes les parties de la terre, de sorte qu’en réalité l’humanité ne forme qu’un seul faisceau? On peut admettre, en principe, qu’il n’y a pas de pays assez déshérité pour ne pouvoir fournir son contingent à l’harmonie universelle. C’est à la science, à la vraie science qu’il appartient non-seulement de décrire et de découvrir ces régions, mais encore de dé-
- 1 Le comte Romanoft fit les frais de la grande expédition de Kotzebue, Félix Booth de celle du capitaine Ross, et Grinnel de plusieurs expéditions américaines à la recherche du capitaine Franklin.
- terminer l’usage économique auquel chacune a dû être réservée, dans le plan de la construction du monde.
- L’expédition, qui avait le droit de se croire dans l’abondance, se trouva tout d’un coup dans une misère relative des plus gênantes. Ces embarras seraient devenus une véritable famine si les baleiniers des caps n’avaient trouvé moyen de s’évader. Malheureusement, les Lapons qui soignaient les rennes, les laissèrent disparaître dans les glaciers, où il fut impossible de les suivre. La maladresse de ces demi-sauvages donna, — qu’on nous pardonne l’expression, — le coup de pied de l’âne à l’expédition en traîneau. En effet, la ration solide de chaque homme est de deux kilos, comme nous l’avons vu plus haut. A ces deux kilos il faut ajouter un kilo d’alcool employé comme combustible pour faire la cuisine et pour fondre l’eau destinée à la boisson ; une expédition de seize hommes consomme donc près de 50 kilos par jour, ce qui fait 1,500 kilos par mois. Si on ajoute à cela les effets de campement et le poids des traîneaux qui est de 60 kilos, on arrive facilement à se convaincre de l’impuissance de la force humaine. La seule question qui reste à résoudre c’est de savoir s’il vaut mieux employer des chiens, comme on le fait ordinairement,, ou des rennes comme Nordenskiold a essayé de le faire dans son premier voyage.
- Les rennes ont l’inconvénient très-sérieux d’être enclins à déserter, tandis que les chiens sont un modèle d’intelligence et de fidélité. En outre, les rennes sont des herbivores qui ont besoin d’un fourrage très-volumineux et très-pesant. Les chiens sont plus faibles mais ils se contentent d’une nourriture plus concentrée.
- Avant de quitter Tromsoe, au mois de juin 1872, les Suédois ont eu le plaisir de rencontrer l’expédi-du Teghetoff, organisée par des Autrichiens. Ces vaillants explorateurs essayent en ce moment de revenir au détroit de Behring en suivant les côtes septentrionales de Sibérie. C’est peut-être la plus rude de toutes les campagnes arctiques ; tentée il y a cent trente ans, à deux reprises, elle n’a point réussi. Les Autrichiens ont, de même que les Suédois, emporté des traîneaux, mais ils se servent de chiens qui paraissent admirablement dressés. Espérons qu’ils auront été mieux servis par la fortune que leurs émules ; mais nous devons nous hâter de reconnaître que l’expédition Nordenskiold, au point de vue théorique, a parfaitement réussi. En effet, le voyage en traîneau, quoiqu’il fut entrepris dans des circonstances aussi déplorables, n’a pas duré moins de soixante jours pendant lesquels, sans le secours de bêtes de trait, on a parcouru près de cent lieues. Cette activité développée avec des rennes ou des chiens, aurait conduit infailliblement les voyageurs dans les régions mystérieuses dont ils ont eu tant de peine à effleurer le seuil.
- Le Polhem avait apporté, à Mossell-Bay, une cabane en bois, très-chaude, très-commode et très-bien
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- LA NATURE.-
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- construite, qui a permis d’exécuter toutes les observations avec une régularité comparable à celle des grands établissements astronomiques. Aussi, l'expé-dition qui a échoué au point de vue géographique, malgré une très-intéressante exploration des glaciers de l’île du nord-est, a-t-elle définitivement débarrassé la science d’une des chimères les plus funestes au point de vue des explorations polaires.
- Il est désormais impossible d’admettre l’existence de la mer libre du pôle, et nous nous attendons à voir M. le docteur Peterman faire très-prochainement son mea culpa. Ne faudrait-il pas avoir l’esprit bien obscurci par les préjugés du grossier matérialisme germanique pour ne point confesser que le pôle est occupé par une glacière tellement prodigieuse que, dans tous les sens, les débris de sa débâcle en encombrent les approches. De quelque côté que l’on monte à l’assaut, que ce soit par la mer de Behring, par le Spitzberg, par le Groenland, par la Nouvelle-Zemble, par le détroit de Smith, ne rencontre-t-on point des glaces dérivant vers le sud avec une grande vitesse, et se précipitant avec tant d’abondance qu’aucun navire n’est encore parvenu à les forcer ? L’invention de la vapeur nia jusqu’ici rien fait. Qui sait, si pour triompher de ces effluves apportant l’hiver, en dépit du soleil qui semble devoir donner l’été, il ne faudrait pas appeler à son aide les ballons ? Mais que d’années s’écouleront sans doute avant que l’on puisse, sans tomber dans le ridicule, prononcer leur nom !
- Ces glaces doivent de plus être, au moins en hiver, à une température constamment très-basse, car le vent ne peut souffler du côté où elles sont accumulées sans que le thermomètre tombe avec une étonnante rapidité. Les températures observées pendant l'hivernage de Mossell-Bay prouvent en outre que le minimum de froid augmente d’une façon notable avec la latitude, même dans ces régions où l’on ne pouvait croire que le minimum de froid allait être atteint. Les météorologistes de l’expédition ont constaté, à deux reprises différentes, un chiffre de 38° au-dessous de zéro, atteint pendant des tempêtes du nord, tandis que les tempêtes du sud donnaient 1 et 2 degrés au-dessus de zéro.
- Les baleiniers, renfermés par les glaces au nord du fiord de la glace, c’est-à-dire cent cinquante kilomètres plus bas, ont trouvé les mêmes oscillations aux mêmes époques, mais bien moins intenses ; leur maximum était de 4° au-dessus de zéro et leur minimum de 32°; une différence aussi notable serait radicalement inexplicable si l’on refusait de comprendre que les courants aériens du Nord n’ont pu se refroidir- qu’après avoir traversé l’amas des glaciers polaires.
- Nous ne croyons pas devoir terminer le récit des nouvelles explorations au Spitzberg sans donner quelques détails sur l’épouvantable mort des dix-huit marins du cap Thordsen. (Voy. la carte de la page 162.) Le journal de ces infortunés nous est aujourd’hui connu : ce livre funèbre commence au
- 7 octobre 1872. Nous en extrayons les dernières lignes, à dater du 19 janvier 1875 :
- « Dieu a appelé à lui, écrit le capitaine Fritz Mack, à 5 heures 50 du matin, Tonnes G. Peterson qui était malade du scorbut depuis le 5. Le même jour, à midi et demi, est mort de la même maladie Ilendrick llertnas, qui a été attaqué le 19 décembre... » À la date du 2 février on lit : « Le scorbut a atteint son plus haut degré ; trois hommes seulement en sont exempts... Aujourd’hui, 20 février, pour la première fois nous avons vu le soleil en 1875, » et le lendemain : « Aujourd’hui le Seigneur a appelé à lui notre camarade Christian Larsen Kjoto, qui est mort après 82 jours de maladie. »
- Le livre funèbre se continue ainsi en un style horrible par sa froide et dramatique concision. Le 25, le capitaine Mack écrit : « Je suis le seul qui ne soit point saisi par le fléau. Que Dieu nous vienne en aide. » Le 28 : « Aujourd’hui mourut encore un de nos camarades; » le 6 avril : « Martin Hansen a succombé à 6 heures du matin ! » Plus loin enfin se lit la dernière ligne : « Qui restera pour écrire mon nom ! »
- LA TÉLÉGRAPHIE ATMOSPHÉRIQUE
- LES TUYAUX PNEUMATIQUES.
- La question de la distribution des dépêches dans l’intérieur des villes, a remis en faveur les systèmes de transport pneumatiques, qui, après avoir eu leur heure de célébrité, semblaient depuis vingt ans voués à l’oubli.
- Nous allons, en suivant les phases de cette question, montrer par quelle logique la télégraphie atmosphérique dérive de la télégraphie électrique', nous nous attacherons ensuite, plus spécialement à la première, et après avoir indiqué ce qu’elle est aujourd’hui, nous rechercherons quel avenir lui est réservé.
- La dépêche télégraphique est devenue un objet de consommation courante; on veut aller vite en ce temps, il était naturel, étant donnée cette tendance, qu’on utilisât avec empressement un moyen aussi commode de transmettre presque instantanément ses impressions ou ses volontés à toutes les distances. Quelques-uns prétendent même que cette con-quête de l’industrie n’est pas étrangère à la fièvre de progrès qui nous dévore, nous n’entrerons point dans ce débat.
- Ce qu’il faut retenir, c’est qu’une ville comme Londres ou Paris expédie et reçoit chaque jour un grand nombre de télégrammes. Les fils qui servent de conducteurs à l’électricité, sont multipliés dans toutes les directions afin de suffire à ce trafic. Ils aboutissent dans l’intérieur, à un centre qui est l'hô-tel des télégraphes.
- Cette station centrale parle urbi et orbi, en d’au*
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- très termes, elle reçoit les dépêches de la ville pour les répandre dans le monde entier, elle se prête aussi au mouvement inverse. Le côté qui nous intéresse ici, c’est la distribution dans la ville même; examinons ce qu’on a fait pour arriver au but.
- Chaque maison ne pouvant être mise immédiatement en communication avec le centre du réseau télégraphique, il a fallu adopter un moyen terme. Dans l’exemple que nous prendrons, Paris, on a divisé la ville en circonscriptions d’un rayon moyen de 500 mètres pour limiter les déplacements des piétons L’application de cette règle a donné sur le plan cinquante points distants les uns des autres d'un kilomètre, où sont installés autant de succursales de grand bureau.
- Un tracé rayonnant fait communiquer électrique
- ment tous les postes auxiliaires avec la station centrale ; ce système semble, à première vue, irréprochable. Mais bientôt l’expérience a fait reconnaître que les diverses succursales fournissent très-irrégulièrement leur contingent de besogne. Le télégraphe est un agent nerveux par excellence, il suit les caprices du public et lui-même est fantasque comme le temps. Ceci demande quelques mots d’explication.
- A la Bourse, plus qu'ailleurs, les jours se suivent sans se ressembler; 5 ou 4 fils suffiront aujourd'hui pour écouler le stock; demain, vienne un incident, 20 ou 50 fils seront nécessaires. La transmission électrique n’est pas instantanée ; les mots sont formés par des signaux successifs, il faut deux minutes pour envoyer 20 mots. Pour être prète à toute éventualité,
- Fig. 1. Appareil à production de l’air comprimé.
- l’administration devra faire les frais d’un personnel souvent inoccupé et réunir un matériel considérable : le procédé est ruineux.
- D’autre part, les appareils électriques composés d’organes très-délicats, sont sujets à des dérangements d’autant plus fréquents qu’ils sont plus surmenés, les nerfs des employés se mettant ensuite de la partie, vous comprendrez que pour la télégraphie urbaine, la transmission électrique est un méchant moyen dans les stations encombrées.
- Voici un exemple où, après avoir marché trop vite dans la voie du progrès, on fut ramené en arrière. Pendant trois ans on assura le service de l’échange des dépêches entre la station centrale et la Bourse, au moyen de voitures. C’était bizarre, et néanmoins les rieurs n’eurent pas beau jeu, une amélioration notable fut la conséquence du changement de système.
- On était sur la voie du tube pneumatique; en voyant circuler tout le jour sur le même trajet celte
- file de courriers qui gênaient la circulation, on pensa qu’un tube souterrain reliant les deux points pourrait servir de trait d’union avec moins d’embarras. Le tube est posé, les dépêches placées dans de petites boîtes arrivent soufflés par Pair comprimé, comme une balle lancée dans un fusil à vent.
- Les Anglais qui avaient réalisélespremiers chemins de fer atmosphériques furent encore les premiers en ligne dans cette nouvelle application : depuis 1854 des tubes sont employés à Londres pour la distribution des dépêches ; cependant jusqu’à ces dernières années le développement du réseau a été très-lent. L’exemple a été suivi à Paris et à Berlin en 1865; nous parlerons aujourd’hui du système de Paris.
- Représentons-nous sur le plan, les 50 stations distantes les unes des autres d’un kilomètre environ, reliées par un tube de fer interrompu à chacune d’elles. La station centrale par laquelle s’effectue le transit des dépêches avec l’extérieur, est à la rue de
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- Réseau des tubes pneumatiques à Paris.
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- Grenelle; il y a ensuite les stations de quartiers, rue Boissy-d’Anglas, Grand-Hôtel, Bourse, etc.,actuellement au nombre de 1 7.
- Comment fonctionne ce réseau ? Comme un petit chemin de fer souterrain dans lequel les wagons sont des boîtes cylindriques, et le moteur, de l’air comprimé, préparé dans les stations. Au bureau central on forme les trains, composés d’autant de boites qu’il y a de succursales à desservir. Les trains sont omnibus quand ils s’arrêtent aux gares intermédiaires, express lorsqu’ils brûlent ces dernières.
- Chaque quart d’heure, un train omnibus quitte la rue de Grenelle, et franchit la distance qui la sépare du bureau de la rue Boissy-d’Anglas (1,500 mètres) en une minute et demie. Là il est reçu dans une colonne verticale P (fig. 4), et l’on en tire la boîte qui apporte les dépêches à distribuer dans le quartier, les autres sont remises dans la section de ligne qui se dirige vers le Grand-Hôtel, et ou y ajoute une nouvelle boîte emportant les dépêches à transmettre, déposées depuis le dernier courrier. Le train repart donc, composé d’autant de curseurs que précédemment ; il subit les mêmes manipulations au Grand-Hôtel, à la Bourse, à la place du Théâtre-Français et à la rue des Saints-Pères. Il rentre à la rue de Grenelle, 42 minutes après le départ, ayant échangé toutes ses boîtes et rapportant les dépêches du départ.
- Nous avons laissé à dessein de côté le rôle des réseaux secondaires, pour ne pas compliquer l’explication. A l’inspection de notre carte, le lecteur verra qu’une circulation analogue à celle du premier réseau s’établit, en correspondance avec elle, sur les deux circuits :
- Bourse. Bourse.
- Rue J .-J. Rousseau. Rue Ste-Ce'cile.
- R. des Vieilles-Haudriettes. Gare du Nord. Place du Château-d’Eau. Bouler. Rochechouart.
- Porte St-Denis. Rue Lafayette.
- Bourse. Bourse.
- C’est comme une série d’engrenages commandés par un pignon-central.
- Il reste, à parler de 1 a ligne directe qui va de la rue de Grenelle à la Bourse, et des embranchements des Champs-Elysées, de la Place du Havre, et la rue des Halles. Sur la première circulent les trains express d’aller et de retour, dont les départs sont intercalés entre ceux des trains omnibus, afin de desservir ces stations qui sont les plus actives, deux fois par quart d’heure. L’aller se fait parla pression, le retour par V aspiration. Le même mode d’exploitation est appliqué aux embranchements, qui correspondent avec les trains omnibus du premier réseau ou réseau principal.
- Pour compléter ces indications, nous allons entrer dans quelques détails plus spéciaux
- Tubes. — Les tubes de lignes sont enfer; le diamètre intérieur est de 0in,065. Ils sont assemblés par des joints à brides, disposés ainsi que le montre
- la figure 2 ; on admet des courbes de 5 à 20 mètres de rayon.
- Production de l’air comprimé ou raréfié.— Divers systèmes sont employés. Le premier en date est une application du principe de l’appareil de physique connu sous le nom de Fontaine de Héron. On transvase l’air atmosphérique d’un premier récipient B (fig. 4), dans un second récipient communiquant avec le premier au moyen du tube bb, par une introduction d’eau dans le récipient B. L’air ainsi forcé est puisé dans le récipient pour être dépensé dans le tube. La facilité que procure la canalisation d’eau de la ville de Paris de renouveler autant que l’on veut cette opération, a rendu ce moyen très-pratique en fournissant une solution élégante.
- Fig. 2. Tube pneumatique.
- Lorsqu’on n’est pas tenu à faire les installations dans des quartiers où les machines ne sont pas tolérées, l’emploi de la vapeur est beaucoup plus économique pour la compression de l’air. On a recours alors à des pompes ordinaires, avec lesquelles on peut assurer un service actif et soumis à moins de causes d’irrégularités. C’est ce dernier mode qui a été préféré dans les récents établissements.
- Les trains composés de dix boites pèsent quatre kilogrammes environ, ils sont poussés ou aspirés par une différence de pression de trois quarts d’atmosphères, qui donne la vitesse moyenne de un kilomètre par minute. CH. Bontemps.
- — La suite prochainement. —
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- REVUE AGRICOLE
- LA MOISSON. - CONCOURS DE MOISSONNEUSES. - LES RECOLTES DÉROBÉES.----------------------- CONCOURS HIPPIQUE. -FERMES-ÉCOLES. ------------------------------- ÉCOLE DE BERGERS, A RAMBOUILLET.
- Tout est fauché dans les champs et le cultivateur attend chaque jour un peu d’eau pour ses regains et
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- pour ses avoines. D’autres plus pressés en ont déjà rentré et battu. Les avoines, qui vont arriver en quantité sur nos marchés, sont le seul produit qui, celte année, soit véritablement abondant : il offre, une compensation à la médiocre récolte de blé dont la Beauce souffrira certainement, quoique le prix s’annonce déjà comme assez élevé. C’est un fait reconnu que les prix élevés d’une mauvaise récolte n’enrichissent jamais l’habitant des campagnes, car sa consommation comme celle de son personnel étant toujours la même, s’il ne lui reste qu’une petite quantité d’hectolitres à vendre, une augmentation de 5 à 6 fr. et même davantage par hectolitre, ne comble pas le déficit causé par le mauvais rendement, surtout au prix actuel de la main-d’œuvre. Pour couper les blés il a fallu dans certaines localités, payer 25 à 28 fr. par hectare, ce qui met la journée à 7 et 8 fr.
- Les petits cultivateurs, ceux qui font toute leur besogne par eux-mêmes, joindront à peine les deux bouts. Ceux qui n’ont point d’attirail, et qui sont obligés de payer tous les frais de labourage et de récolte seront en déficit. Il n’y a donc que les cultivateurs un peu importants, ceux qui ont des produits plus variés qui, dans une récolte abondante d’escourgeons et d’avoine, et dans de beaux blés sur betteraves, trouveront un certain profit, mais en général l’année sera bien médiocre pour le cultivateur. C’est pourquoi nous croyons qu’il est de plus en plus nécessaire de diminuer les frais de main-d’œuvre en employant les machines : une moissonneuse avec deux chevaux et un homme pour la conduire, coupe 4 à 5 hectares de blé par jour ; de plus, elle confectionne assez convenablement la javelle, il ne reste donc plus que le liage auquel on peut n’employer que les femmes. Du reste, le concours de moissonneuses qui vient d’avoir lieu à Grignon a prouvé surabondamment quel parti on peut tirer de ces engins agricoles. On a dit, avec raison, que l’outillage agricole est désormais une question de vie ou de mort pour l’agriculture.
- Après la moisson et surtout après la sécheresse que nous venons de traverser, un certain nombre de cultivateurs intelligents font ce qu’on appelle des récoltes dérobées, c’est-à-dire qu’ils labourent immédiatement après la moisson et sèment certaines plantes : navets, sarrasin, millet, maïs, quarantin, moutarde blanche et spergule. Ce qui paraît le plus avantageux, ce qu’on peut faire partout, c’est de semer soit du sarrasin pour enfouir en vert, soit un mélange de sarrasin, de moutarde blanche.et de millet pour fourrage vert, après la navette, le colza, les vesces et même l’escourgeon et le seigle. Comme c’est à la fenaison qu’on enfouit ou qu’on coupe, et que deux mois suffisent généralement pour amener ces plantes à ce point, leur culture n’empêche pas de faire suivre un blé d’automne dans les meilleures conditions. Nous ferons remarque? que c’est surtout dans des circonstances semblables, que les engrais pulvérulents offrent de l’avantage. Une petite quan
- tité de guano, de tourteaux ou de poudrette, appli" quée au sarrasin ou au mélange indiqué, pourra souvent doubler sa fumure ou le fourrage obtenu.
- Nous avons vu avec satisfaction les vœux qui ont été émis dans les concours régionaux pour que désormais les chevaux soient admis dans ces concours. En attendant que l’année prochaine ces vœux soient réalisés, nous sommes heureux de constater qu’un concours général et spécial de chevaux, sera ouvert le 12 du mois prochain, à Landerneau (Finistère), il se continuera le 15 et sera clos le 14, par une grande revue d’honneur des animaux primés et par la distribution des primes aux propriétaires lauréats. Ce concours a pour but de faire connaître les ressources hippiques de la Bretagne et d’apprécier la force productive de l’industrie chevaline, dans les circonscriptions des dépôts d’étalons de Lamballe et d'Hennebont. Il sera précédé, le 11 septembre, du concours départemental d’étalons pour le Nord-Finistère, arrondissement de Brest et de Morlaix. On espère que cette grande fête hippique attirera, en Bretagne, bon nombre de visiteurs intéressés et que les résultats immédiats se traduiront par un redoublement de rapports entre ce pays, producteur du cheval apte à tous les services, et les pays de consommation, notamment les grands centres du Midi, qui ont, depuis longtemps déjà, pris l’habitude de s’approvisionner en Bretagne. Ce n’est pas seulement au point de vue des usages personnels, mais aussi pour les besoins de notre armée, que l’élevage du cheval est aujourd’hui de première importance et l’on ne peut qu’approuver tout ce qui tend à le développer.
- Le Ministère de l’agriculture et du commerce vient de publier les rapports sommaires sur les fermes-écoles en 1872. On se rappelle peut-être que dans la séance de l’Assemblée nationale, du 4 décembre 1872, M. le ministre de l’agriculture et du commerce annonçait qu’à l’avenir les rapports présentés sur les fermes-écoles, par messieurs les inspecteurs généraux de l’agriculture, seraient annuellement publiés. C’est l’accomplissement de cette promesse qui motive la présente publication.
- Le ministère fait observer dans une note, qu’il n’a pas été possible de publier in extenso ces rapports. Plusieurs in-4° n’auraient pas suffi pour contenir de tels documents, où sont consignées les observations sur tous les détails de la ferme, enseignement et pratique. On a dû s’en tenir à de brefs extraits, rédigés par MM. les inspecteurs, et constatant la situation actuelle de chaque ferme.
- La lecture de ces documents nous a démontré que le recrutement des fermes-écoles devient malheureusement très-difficile. Malgré tous les avantages qui sont offerts aux fils des paysans, auxquels on donne dans ces écoles la même rémunération que s’ils étaient ouvriers dans les fermes, malgré des primes et une bonne instruction, les enfants de la campagne ont tant de répugnance pour l’étude, ils tiennent si peu à apprendre sérieusement leur métier, qu’ils
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- préfèrent vivre plus libres et rester ignorants! Le travail et la discipline de la ferme-école les épouvantent.
- Cette mauvaise disposition est telle que l’école de bergers du liant Tingry est devenue déserte : en présence de ce fait, il vient d’être décidé que ce bel établissement serait transporté à Rambouillet, où l’on espère que le recrutement sera plus facile. Sou-haitons-le aussi, mais ajoutons qu’il n’est pas aisé de vaincre l’indifférence en pareille matière.
- Ernest MENAULT.
- LA VIE DES ANIMAUX Par A. E. BnruA.
- Brehm peut-être considéré comme le Buffon de l’Allemagne ; son histoire des animaux est depuis lontemps célèbre de l’autre côté du Rhin ; elle offre en effet des mérites exceptionnels qui l’ont fait apprécier à sa juste valeur par les naturalistes les plus éminents. On sent que celui qui a retracé la Vie des animaux, a étudié de près la nature vivante ; voyageur infatigable, Brehm a parcouru presque tous les pays du monde, pour voir de près les êtres divers, mammifères, oiseaux, reptiles ou poissons, dont il avait l’ambition de se faire l'historien. Conteur plein de verve, naturaliste de haut mérite, il sait aussi bien décrire une espèce que donner le récit d’une chasse dans les forêts vierges, ou d’une pêche dans les mers polaires. L’œuvre de Brehm était à peine connue en France. La librairie J.-B. Baillière vient d’en publier une magnifiq ue édition française, que nous nous empressons de signaler à nos lecteurs. L’étude des sciences naturelles est malheureusement bien délaissée parmi nous ; que de charmes, que d’attraits que de douces jouissances intellectuelles, n’offrent-elles pas cependant à ceux qui en aiment la culture?
- L’œuvre de Brehm, quelle que soit la nationalité de l’auteur, est de celles que l’on doit partout accueillir et apprécier.
- Nous en extrayons le chapitre suivant, pris à peu près au hasard, dans les innombrables document; que l’auteur publie sur les mammifères et les oiseaux :
- LES CACATOES.
- Les cacatoès, proprement dits, sont caractérisés par leur plumage blanc, mêlé de rouge pâle chez quelques espèces, et par leur huppe formée de plumes longues et étroites, disposées sur deux rangs, huppe qu’ils peuvent abaisser ou redresser à volonté.
- Les cacatoès sont propres aux Indes et aux terres australes.
- En liberté, ils forment des bandes excessivement nombreuses, qui, au temps des amours, ne se séparent pas complètement. Ils passent la nuit dans les
- 1 Quatre volumes grand in-8° richement illustrés. — Paris, J.-B. Baillière et fils. — Notre gravure est extraite de ce bel ouvrage
- cimes touffues des arbres les plus élevés. Le matin, ils saluent l’aurore de leurs cris retentissants, puis ils s’élèvent dans les airs et se dirigent vers un -champ couvert de ses moissons, ou vers quelque autre endroit qui leur promet une pâture abondante. Leur principale nourriture consiste en fruits, en grains, en céréales ; ils mangent, en outre, des champignons, des petits tubercules, des bulbes, qu’ils savent habilement déterrer à coups de bec ; comme les poules, ils avaient de petits cailloux de quartz, pour broyer leurs aliments. On trouve toujours leur gésier et leur jabot remplis de substances les plus diverses. Ils causent de grands dégâts dans les champs nouvellement ensemencés, et dans les plantations de maïs, lors de la maturité des grains. Toute la journée, sauf aux heures de midi, ils sont en activité et toujours sur leurs gardes. Tout ce qui se passe excite leurs cris ; c’est surtout lorsqu’une bande arrive là où une autre s’est déjà abattue, que s’élève un tapage assourdissant, dont on peut se faire une idée, si on a entendu quelques-uns de ces oiseaux captifs.
- Rassasiés, ils retournent à leur place de repos, dans la forêt, et y restent tranquilles à faire leur digestion ; puis ils vont faire un second repas et reviennent le soir à leur demeure, pour s’y livrer au sommeil.
- Au moment des amours, les cacatoès s’accouplent et chaque paire se choisit un creux convenable pour y établir son nid. C’est tantôt dans un arbre, tantôt dans les crevasses d’un rocher. Certaines parois rocheuses à pic, au bord des fleuves du sud de l'Aus-tralie, sont ainsi visitées chaque année par des milliers de ces oiseaux, comme dans les mers du Nord, les falaises par les pingouins. On a même dit que les cacatoès avaient miné certains de ces rochers, et la vigueur de leur bec est telle que cela ne paraît pas complètement impossible.
- La femelle ne pond que deux œufs blancs, un peu pointus, semblables à ceux d’une poule naine. Je ne sais comment les parents élèvent leurs petits.
- Les dégâts causés par les cacatoès les font détester par les cultivateurs, qui mettent tout en œuvre pour les détruire. Les voyageurs rapportent que ces poursuites les rendent très-défiants, et qu'alors, comme les autres perroquets et comme les singes, ils déploient, dans leurs maraudes, une ruse extrême ce qui fait qu’on ne peut pas les éloigner facilement des plantations.
- Les indigènes ont une manière particulière de chasser les cacatoès. « Il n’y a rien de plus intéressant, dit le capitaine Grey, qu’une chasse aux cacatoès. Les Australiens emploient leur arme, le boume-rang, consistant en un morceau de bois dur, en forme de faucillé, qu’ils lancent à plus de cent pieds. Cette arme fend l’air, en décrivant des cercles, et, quoiqu’elle s’écarte de la ligne droite, elle atteint presque sûrement son but; c’est de cette même arme faite alors en bois et en fer, que se servent les naturels du centre de l’Afrique.
- « Un indigène se met à la poursuite d’une bande
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- nuit. Le chasseur s’avance prudemment; il se glisse entre les arbres, rampe de buisson en buisson, cherche à ne pas troubler ces oiseaux vigilants. Mais il a été entendu ; une agitation générale révèle l’approche de l’ennemi. Les cacatoès sentent qu’un danger les menace, sans savoir encore quel est ce danger. Le chasseur, arrivé au bord de l’eau, se montre alors à découvert. Tout le peuple ailé s’élance dans l’air, et, au même moment, le boumerang est lancé avec force. Il glisse en tournoyant à la surface de l’onde, puis monte en décrivant une courbe et arrive au milieu des oiseaux. Un second, un troisième, un quatrième sont lancés de même. En vain, surpris, les cacatoès cherchent à fuir ; le trajet en apparence capricieux de l’arme, paralyse leur fuite. Un est touché, puis un autre, puis un troisième; ils tombent par terre, assommés, ou l’aile brisée. Ils crient de douleur et de colère, et ce n’est que quand le chasseur a achevé son œuvre, que le reste de la bande se rassemble, prend la fuite et va chercher un nouvel asile dans les cimes les plus touffues et les plus élevées. »
- D’après le nombre de cacatoès que l’on voit vivants en Europe, on peut conclure que ces oiseaux sont faciles à prendre. Simplement nourris, ils supportent très-bien la captivité et les voyages. Quand on pense que chez nous, pour quelques dizaines de francs, on peut avoir un cacatoès de troisième ou de quatrième main, il faut en déduire que, dans leur patrie, leur prix est très-peu élevé.
- Les cacatoès s’habituent vite à l'homme. Ils sont moins astucieux que les autres perroquets, et se montrent reconnaissants des bons traitements. Une mauvaise éducation seule les rend méchants et désagréables, et il est difficile de les corriger d’une mauvaise habitude. Leur excellente mémoire ne leur laisse rien oublier. Ils gardent le souvenir des injures ; une fois qu’on a perdu leur confiance, on ne peut plus la reconquérir. Ils sont rancuniers, et quelquefois même dangereux pour celui qui leur a fait du mal. C’est là peut-être le seul défaut des cacatoès. En somme, la douceur fait le fond de leur caractère.
- Mais les cacatoès ont encore d’autres qualités : ce sont des oiseaux des mieux doués ; on les instruit aussi facilement que les perroquets les plus intelligents ; ils apprennent à parler; ils savent joindre ensemble divers mots, et d’une manière sensée ; employer la phrase qui convient à la situation ; on peut leur enseigner divers tours d’adresse ; en un mot, ils sont intelligents à un haut degré.
- Leur voix a quelque chose qui plaît ; ils prononcent avec douceur et avec des témoignages d’affection le mot cacadou, dont on a fait leur nom de famille, A la vérité, quand ils sont excités d’une façon ou d’une autre, ils crient d’une manière désagréable.
- Bien soignés, les cacatoès peuvent être conservés longtemps ; on en cite un qui a vécu en Europe soixante-dix ans. Ils ne sont pas difficiles à nourrir, et s’habituent à tout régime. Mais il vaut mieux leur
- donner une nourriture simple : des grains, du riz cuit, un peu de biscuit, leur suffisent. Si leur alimentation est trop abondante, ils deviennent trop gras, et contractent, dit-on, toutes sortes de défauts, dont il devient difficile de les corriger. Ainsi, l’on prétend que les cacatoès que l’on nourrit de viande se déplument. Cette opinion est-elle fondée ? Je ne veux pas la discuter; mais, dans tous les cas, bien des cacatoès ont cette détestable habitude. Ils s’arrachent tou-tes les plumes, et, celles-ci ne cessant de repousser, ils sont dans une mue continuelle, c’est-à-dire dans un état maladif. On ne connaît encore aucun remède efficace pour les empêcher de se mutiler de la sorte.
- La chair des cacatoès passe pour un mets excellent ; le bouillon préparé avec cette chair est surtout très-vanté.
- LE CACATOES A HUPPE JAUNE.
- Cette espèce est une de celles que l’on voit le plus souvent en captivité. C’est un assez grand oiseau, de 45 cent, de long, auplumage blanc éclatant. La huppe, les plumes qui recouvrent les oreilles, le milieu du ventre, les ailes et la partie radicale de la face interne des pennes caudales sont jaunes de soufre pâle ; le bec est noir; les pattes sont d’un brun grisâtre.
- Ce cacatoès s’est-il répandu del’île de Van-Diemen, dans toute la Nouvelle-Hollande et jusque dans la Nouvelle-Guinée? ou bien, sont-ce des espèces différentes, bien que semblables par le plumage, qui habitent ces diverses contrées ? la question est encore irrésolue. On a noté quelques différences dans la forme du bec, et cela semblerait confirmer la deuxième opinion. Le cacatoès de l’île de Van-Diemen est le plus grand ; c’est lui aussi qui a le bec le plus allongé ; le cacatoès de la Nouvelle-Guinée est le plus petit, son bec est court et arrondi.
- D’après Gould, le cacatoès à huppe jaune est commun dans toute l’Australie, sauf dans la partie occidentale.
- Il vit en grandes bandes de plusieurs milliers d’individus, et paraît préférer les plaines découvertes et les bois peu touffus aux buissons de la côte,
- LE CACATOES DE LEADBEATER.
- Une seconde espèce, propre au continent australien, le cacatoès de Leadbeater, aussi nommé Cacatoès Inca (voir la gravure ci-contre), se distingue de la précédente par la splendeur de son plumage. Il est blanc, mais , la partie antérieure de la tête, le front, les côtés du cou, le milieu et la face inférieure des ailes, le milieu du ventre, la partie radicale de la face interne des pennes caudales sont roses ; sous les ailes les plumes sont d’un beau rouge carmin. La huppe a des couleurs vives ; les plumes en sont d’un rouge brillant à la base, jaunes au milieu, blanches à l’extrémité. Lorsque l’oiseau baisse sa huppe, on n’en aperçoit que le blanc ; mais quand il la relève, le rouge apparaît, et le jaune forme une bande qui ajoute encore un ornement à cette partie. L’iris est
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- brun clair, le bec couleur de corne clair, les tarses sont brun foncé. La femelle se distingue du mâle par les couleurs moins vives du ventre et par le jaune plus étendu de la huppe jaune.
- Le cacatoès Inca est plus petit et plus élancé que le cacatoès à huppe jaune.
- D’après Gould, ce superbe oiseau est répandu dans tout le sud de l’Australie, mais il se tient de préférence près des arbres à gomme et dans les buissons qui bordent les cours d’eau. Il est très-commun sur les rives du Darring et de la Murray ; il manque complètement sur les côtes nord et nord-ouest de l’Australie.
- A l’époque des amours, ces cacatoès se montrent tous les ans à des endroits fixes, et en très-grand nombre.
- Ils animent, de la façon la plus charmante, les forêts de l’intérieur des terres. Leur voix est plus plaintive que celle de leurs congénères’.; elle n’en a pas surtout le ton rauque. Leur présence ravit d’enchantement le voyageur qui traverse les forêts qu’ils habitent.
- Le cacatoès Inca est, sans contredit, la plus belle espèce actuellement connue du genre, aussi est-il très-recherché des amateurs. C’est un des plus précieux ornements d’une collection de perroquets, quelque riche qu’elle soit. Tout en lui, la beauté de son plumage, comme la douceur de son caractère, contribue à charmer l’observateur. Il supporte parfaitement la captivité, et, au dire de certains auteurs, il serait plus doux et plus facile à priver que tous les autres perroquets. Toutes ces qualités donnent de la valeur à un pareil oiseau, et aujourd’hui un cacatoès Inca se paye trois fois autant qu’un autre perroquet.
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- L’ŒUVRE DE MAURY'
- CARTES DE VENTS ET DE COURANTS.
- En remerciant Maury de l’envoi de ses premières cartes de vents et de courants, Humboldt disait : « C’est là une grande entreprise, aussi importante pour la navigation pratique que pour les progrès généraux de la météorologie, et c’est ainsi que l’ont envisagé en Allemagne toutes les personnes qui s’occupent de géographie physique. C’est déjà un beau résultat de ces travaux que d’avoir abrégé le temps de la traversée des Etats-Unis à l’Équateur, et l’excellente disposition de ces cartes permet de concevoir des espérances encore plus élevées. »
- Les cartes publiées par Maury sont divisées en six séries :
- Série A. — Cartes de traversées (Track Charts). — Les feuilles de cette série reproduisent les routes des navires dont on a dépouillé les journaux. Elles indiquent les caractères généraux de temps et de
- 1 Voy. p. 52, Vie de Maury.
- vent, la force et la direction des courants, les circonstances de mer les plus importantes, observées pendant la traversée.
- Série B. —Cartes des alizés (Trade wind Charts). — Ces cartes indiquent les régions de calmes d'a-lizés et de mousson aux différentes époques de l’année. Elles marquent les limites du mouvement oscillatoire auquel obéit la zone transversale, occupée par les alizés sur l’Océan. — Elles montrent que les régions alizées non situées dans le voisinage immédiat des terres sont généralement privées de pluie et peuvent être considérées comme des zones d’évaporation. — Elles montrent aussi, comme règle générale, que lorsqu’on quitte les régions alizées pour se rapprocher des pôles, on trouve plus de précipitation que d’évaporation. Elles indiquent que les vents qui vont d’une température à une autre plus élevée vaporisent plus d’eau qu’ils n’en précipitent. Au contraire, les vents qui vont d’une température à une autre plus basse sont les vents de pluie.
- Entre les deux zones des alizés se trouve la région des calmes équatoriaux, d’environ six degrés de latitude en largeur. Cette zone, qui a sur l’Océan un mouvement d’oscillation vers le nord et vers le sud correspondant à celui des alizés, est une région de précipitation constante. La carte permet d’indiquer, d’après ce mouvement, les points du globe qui ont deux saisons de pluie, ceux qui n’en ont qu’une, ainsi que les époques de ces saisons selon la localité.
- Série C. — Cartes pilotes (Pilot Charts). — Ces cartes sont les plus importantes de la collection. Pour les construire, l’Océan a été divisé en carrés de cinq degrés de latitude sur cinq de longitude. Chacun de ces carrés montre le rapport d’un vent quelconque à la somme de tous les autres pour chaque mois de l’année, et on peut ainsi déterminer la route qui, selon toutes les probabilités, donnera à un bâtiment à voiles la traversée la plus courte. Ces nouvelles routes résument l'expérience de tous les navigateurs dont les observations ont été recueillies et coordonnées à l’Observatoire de Washington. Dans la pratique elles ont beaucoup abrégé la traversée moyenne des navires allant des États-Unis dans l’Amérique du Sud, dans l’Océan Indien et dans le Pacifique.
- Serie D. — Cartes thermales (Thermal Charts). Elles indiquent la température de l’eau à la surface de l’Océan, de manière à pouvoir, d’après la simple inspection de la carte, reconnaître et distinguer les températures de chaque mois de l’année. Ces cartes fournissent des renseignements d’un haut intérêt sur la circulation des eaux de l’Océan; elles jettent également un jour précieux sur la question des climats dans les divers pays du globe; enfin elles ajoutent considérablement à ce qu’on savait déjà sur l’important phénomène du gulf-stream.
- Série E. — Cartes des pluies et des tempêtes (Storm and rain Charts). — Leur but est démontrer combien, sur l'Océan, dans chaque carré de cinq degrés de latitude sur cinq de longitude, on trouve par
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- LA NATURE.
- mois, de jours de pluie, de brume, de calme, d’orages et de tempêtes, ainsi que la direction de laquelle ces tempêtes sont venues. Elles résument donc, pour un point donné à la mer, les diverses exceptions aux circonstances de temps habituelles et dominantes, et leur examen offre une étude à la fois intéressante et instructive.
- Série F. — Cartes baleinières (Whale Charts). Cette série montre d’un coup d’œil les parages où l’on a le plus poursuivi la baleine ; les mois les jdus favorables à cette pêche, qui, aux États-Guis, occupe chaque année une flotte de 600 navires montés par plus de 15,000 matelots. Une carte générale montre les régions fréquentées par les baleines franches, celles fréquentées par le cachalot, et celles où l’on rencontre les deux espèces de baleine.
- 505 Observations
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- Lorsque ses travaux furent interrompus par la guerre, Maury préparait encore une carte physique de l'Océan, qui aurait réuni sur la carte de chaque océan toutes les particularités pouvant y être observées : bourrasques, grêles, brumes rousses, pluies de poussière, clapotis de courants, glaces flottantes, bois de dérive, bancs de goémon, coloration et phosphorescence de la mer, végétaux et animaux de toute espèce, etc.
- Maury a donné dans la huitième édition de ses Instructions nautiques la liste des cartes qu’il avait ‘erminées et de celles qui étaient en préparation. Ce grand travail comprenait plus de cent cartes. La plupart des séries publiées sont incomplètes. Mais les lacunes seront remplies par les nations maritimes, qui toutes concourent à des travaux dont l’importance et l’utilité sont maintenant incontestées. Déjà l’Angleterre, la Hollande, la Frailce ont reproduit, sous une forme plus commode, les cartes pilotes, base de l’œuvre de Maury, et ajouté de nouvelles observations à celles qu'il avait enregistrées. Les dispo
- sitions adoptées pour-porter sur les cartes américai nés le résultat des observations ont été simplifiées, de manière à offrir aux marins une représentation facilement et rapidement appréciable. La figure ci-jointe montre la forme employée sur les cartes de routes françaises. Dans chaque carré, désigné par son numéro d’ordre, on a tiré, à partir du centre, seize rayons correspondant aux aires de vents principales. On donne à chacun de ces rayons une longueur proportionnelle à la fréquence relative des vents qu’il représente. Pour éviter la confusion, les rayons sont extérieurs à un petit cercle tracé au centre. La ligne qui va du centre vers l’ouest indique le vent d’est, et ainsi de suite. Au haut du carré est inscrit le nombre total des observations qui ont servi à construire la figure; au bas le nombre des observations de calmes.
- Les cartes de Maury ont fourni les principaux éléments de la construction des nouvelles cartes de vents et d’autres cartes également modifiées par ses continuateurs. Nous verrons dans un prochain article sur la géographie physique et la météorologie de la mer, comment ses beaux travaux, ses féconds aperçus facilitent aussi les voies nouvelles ouvertes par son génie investigateur, en même temps qu’ils répandent le goût de l’étude et qu’ils font naître dans les esprits « cette grande curiosité scientifique, source de tant de jouissances intellectuelles et de si grands bienfaits au sein des sociétés. »
- E. MARGOLLÉ.
- — La suite prochainement. —
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- LA FÉCONDATION DE LA SAUGE
- Parmi les nombreuses découvertes qui ont enrichi la physiologie végétale dans ces derniers temps, une des plus intéressantes est sans doute celle du rôle des insectes dans la fécondation des fleurs. Aurait-on cru qu'après toutes les théories, plus ou moins ingénieuses, inventées pour expliquer le passage du pollen sur le stigmate de la même fleur et dans lesquelles on est allé jusqu’à invoquer, pour des plantes terrestres, l’intervention de l’eau qui, on le sait, est si nuisible au pollen, on pût reconnaître un jour que, dans le plus grand nombre des cas, les organes floraux sont disposés de manière à empêcher précisément ce contact et que le pollen doit être déposé sur le stigmate d’une autre fleur ou même sur une fleur d’un autre pied ?
- Généralement une fleur fécondée par elle-même, reste stérile et il arrive même que le pollen exerce une action délétère sur les organes femelles de la fleur dont il provient lui-même, comme par exemple dans plusieurs espèces du genre oncidium. Les plantes aquatiques, chez lesquelles le transport du pollen s’effectue par l’eau, sont en très-petit nombre, et leur pollen, ainsi que leurs stigmates
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- présentent une disposition particulière. Chez un certain nombre d’autres plantes, c’est le vent qui se charge du pollen (conifères, graminées, etc.) ; dans ce cas les fleurs sont insiguiliantes, privées de nectar et d’odeur, et leur pollen est en si grande abondance qu’il a donné lieu, dans certaines contrées, à la fable de la pluie de soufre. Quand ce sont les insectes qui doivent porter le pollen d’une fleur à l’autre, celles-ci sont au contraire parées de couleurs éclatantes, de formes très-variées, parfois bizarres, elles exhalent souvent des odeurs suaves et sécrètent un nectar qui sert de nourriture à un grand nombre d’insectes.
- Rien n’est plus étonnant et plus charmant à la fois que la variété qui existe entre ces mille et mille formes de corolles, d’étamines, de pistils, de nectaires , tous disposés de manière à charger l’insecte, malgré lui, du pollen qu’il doit emporter, à recevoir le pollen qu’il apporte et à empêcher le contact du pollen et du stigmate dela meme fleur. Souvent la disposition mécanique des différentes parties de la fleur et leur jeu au moment de la visite de l’insecte sont d’une complication extrême, comme l’a montré M. Darwin pour beaucoup d’orchidées mais il y a des fleurs dont le mécanisme est plus facile à comprendre quoiqu’il soit tout aussi ingénieux et surprenant. C’est le cas de la Sauge (Salvia praten-sis), plante très-commune de la famille des Labiées, qui est caractérisée par l’existence de deux étamines au lieu de quatre.
- Fleur de Salvia pratensis.
- A. Jeune fleur. Un stylet a été introduit de manière à faire sortir les anthères. — B. Fleur plus âgée. — C. Corolle fendue longitudinalement. — D. Partie inférieure des étamines fortement grossie. — s. Stigmate. — a. Anthères fertiles. — a'. Anthères stériles. — f. Filet. — c. Connectif.
- La corolle de la Sauge, A, B, est profondément divisée en deux lèvres ; la lèvre supérieure qui correspond à deux divisions de la corolle, se recourbe en arc et renferme le style et les anthères ; la lèvre inférieure est divisée en trois lobes ; le lobe moyen est très-grand, concave ; les lobes latéraux sont plus petits et se roulent généralement de dedans en dehors. Le tube de la corolle est un peu bossu à la base et cette bosse ou dépression contient le nectar qui est sécrété par une partie charnue (disque) placée au-dessous de l’ovaire.
- Les étamines ont une forme tout à fait particulière dont on peut prendre une idée nette dans les figures C et D. En C la corolle a été coupée longitudinalement de manière à laisser les étamines intactes ; dans la
- figure D une partie des étamines a été dessinée à part. L’étamine se compose du filet, de l'anthère et d’une partie du filet placée entre les deux moitiés ou les deux loges de l’anthère et qu’on appelle le connectif. Les filets des étamines de la Sauge sont très-courts et s’insèrent sur les côtés du tube de la corolle, /'dans C et D ; des deux loges de l’anthère une seule a, s’est développée régulièrement, l’autre n's’est transformée en un appendice aplati, de forme à peu près rectangulaire, légèrement courbé, convexe en dehors ; ces deux organes se juxtaposent de manièrre à former une espèce de cuiller qui ferme très-exactement le tube de la corolle ; ils adhèrent même assez fortement par leurs pointes antérieures. Le connectif qui est presque nul du côté inférieur, s’allonge à sa partie supérieure en un filament grêle, arqué, qui porte à son extrémité la seule loge de l’anthère qui renferme du pollen.
- Quand on cherche, à l’aide d’une pointe, A, à pénétrer dans le tube de la corolle, on rencontre la petite cuiller a', et, en exerçant un léger effort, on fait tourner les connectifs autour des filets ; les anthères fertiles cachées sous la lèvre supérieure, se projettent en avant et déposent le pollen sur le petit instrument ; dès qu’on retire celui-ci l’élasticité des filets ramène les anthères sous la lèvre supérieure. Au moment où le pollen est mûr, le style qui se trouve également caché au fond de la lèvre supérieure, n’est pas encore arrivé à son développe
- ment complet et le stigmate bifide dépasse à peine l’extrémité de la corolle s A mais, dans la fleur plus avancée déjà privée de son pollen, le style s’allonge de haut en bas et porte le stigmate jusqu’au niveau de l’entrée du tube s B.
- Il nous est facile maintenant de comprendre le jeu de la fleur de Salvia au moment delà visite d’un bourdon. L’insecte s’accroche à la lèvre inférieure de la corolle; il cherche à pénétrer dans le tube, mais il ne peut le faire qu’en poussant devant lui les branches courtes des deux leviers formés par les connectifs ; en même temps les parties supérieures arquées s’avancent, embrassent complètement le corps de l’insecte et appliquent les anthères ouvertes sur son abdomen de sorte que le bourdon se retire
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- tout couvert de pollen. Tant que le bourdon ne visite que des fleurs du même âge, dont le style est encore très-court, le stigmate ne peut guère recevoir de pollen, mais lorsqu’il veut entrer dans une lleur plus âgée B, il frôle avec son dos couvert de pollen étranger le stigmate $ qui se trouve ainsi fécondé. De ce que le pollen de la Sauge est déposé sur le dos de l’insecte, il résulte encore qu’il ne peut guère être porté sur une fleur d’une autre espèce, pour laquelle il doit se trouver sur la tête ou sur la trompe ; quelles que soient les fleurs que le bourdon visite avant de rencontrer une Sauge, le pollen dont il est chargé n’est pas gaspillé et sert, dès que cet insecte rencontre une fleur de Sauge d’un âge convenable.
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- CHRONIQUE
- Le choléra. — Dans les premiers jours de ce mois, le choléra a fait son apparition à Berlin. Il y a eu au moins 8 cas bien caractérisés en une semaine. L’épidémie, d’après le Progrès médical, a éclaté depuis lors avec une grande violence parmi les troupes qui occupent les casernes de la place. D’après d’autres renseignements le choléra s'est déclaré à Hambourg avec une certaine intensité. Il sévit à Munich avec une violence plus considérable; chaque jour compte depuis quelque temps une moyenne de 15 à 20 cas de choléra dont un grand nombre sont mortels. Dans la journée du 8 au 9 août, il y a 19 cas nouveaux et 6 décès. Dans la haute Italie, à Venise, à Pa-doue, à Trévise, on compte chaque jour un certain nombre de cas de choléra.
- Un mirage extraordinaire. — Le vendredi 15 août les habitants de Flessingue, petite ville maritime de Hollande, située à l’embouchure du Ilondt, aperçurent tout à coup une ville entière émerger du sein de la mer. Au milieu d’une brume légère, on distinguait des maisons, des arbres, se découpant avec netteté sur un fond grisâtre. Quand le train de chemin de fer où se trouvaient de nombreux voyageurs pour Heyst, passa les écluses le phénomène s’offrait dans toute sa beauté. La ville céleste apparaissait à l’envers, les maisons avaient leurs bases tournées vers le ciel, et leurs toits dirigés vers la mer. Ce mirage est très-probablement dû à des couches d’air formant miroir1 : il s’est produit par un temps très-lourd. La chaleur, au dire de nombreux témoins, était insupportable ; les éclairs brillaient çà et là dans le ciel, et les roulements d’un tonnerre lointain se faisaient entendre.
- Les tremblements de terre. — Les tremblements de terre continuent à se produire dans le Val Mareno avec assez d’intensité pour avoir fini de ruiner l’église de Bel-lune. Moins éclairés que nos compatriotes de la Drôme, les habitants de ces montagnes vivent dans des alarmes continuelles. Comme l'intensité des secousses est loin d’augmenter, il faut croire qu’elles ne sont que des conséquences indirectes de la catastrophe antérieure. En effet, il est naturel qu’une secousse un peu vive bouleverse d’une façon notable l’assiette des terrains. Le régime des eaux minérales, ces agents si efficaces de commotions intestines doivent être profondément altérés. Il n’est pas étonnant
- Voir les Miroirs d'air, p. 138.
- qu’elles parviennent pour la première fois dans des cavités intérieures où sont accumulées des substances qui les décomposent, soit à cause de leur nature propre, soit en raison de la température élevée à laquelle elles se trouvent soumises.
- La surface de la terre est dans un travail constant elle repos apparent dont elle jouit n’est qu’une illusion tenant à la brièveté du temps pendant lequel nos observations sont faites.
- D’Italie le fléau a passé dans le midi de la France, où il s’est manifesté vers le milieu de ce mois. Dans la nuit de jeudi 15 à vendredi, à trois heures moins cinq minutes, lit-on dans la Sentinelle du Midi, un mouvement s’est fait sentir à Montélimart, Chàteaureuf du Rhône, Rac, Donzère, Pierrelatte, Viviers, le Theil, Rochemaure et Meyné. Plus faible à Montélimart et à Châteauneuf la secousse a été presque violente à Donzère et à Pierrelatte.
- A Pierrelatte, la façade d’une maison s’est écroulée sur le coup, plusieurs habitations sont lézardées. A Donzère, toutes les maisons du quartier des Joannins sont crevassées, quelques-unes sont tombées. La montagne de Naon, sur la commune de Rac, s’est fendillée en divers sens. Les sources sortant de cette montagne ont disparu ou se sont fait jour à d’assez grandes distances de leur ancienne issue. Les habitants de ces villages sont dans la consternation ; ce n’est plus qu’en tremblant qu’ils entrent chez eux, et la plupart ont passé la dernière nuit en pleine campagne.
- La géographie de l’Afrique centrale. — Le Times a publié une série de lettres de Sir Samuel Baker, affirmant que les deux lacs Tanganyika et Albert Nyanza ne forment qu’une seule et même Caspienne d’eau douce. Cette assertion est en contradiction formelle avec celle de M. Stanley qui prétend avoir fait avec le docteur Livingstone le périple de la partie septentrionale du Nanganyika, et reconnu qu’il ne communique avec aucun autre bassin lacustre. Les probabilités sont en faveur de la version de M. Stanley, car Sir Samuel ne dit pas avoir lui-même navigué cette fois sur le lac Albert. Les renseignements qu’il donne lui auraient été fournis par des voyageurs indigènes. Cependant il est prudent de ne point adopter départi définitif avant les débats qui s’ouvriront devant l’Association Britannique à Bradford, le 15 septembre prochain. Les doutes que soulèvent les excursions géographiques de Sir Samuel n’entament point les résultats militaires et politiques qu’il est parvenu à atteindre. Son expédition était avant tout une conquête comparable à celle des Cortez et des Pizarre. Mais il a recueilli une multitude de documents précieux que nous nous empresserons de faire connaître.
- Un champignon colossal (Bovista giganlata}. — Un des marchands de comestibles de la rue Vivienne a exposé pendant une dizaine de jours au commencement du mois d’août un énorme spécimen de celte espèce de Lycoperdon vulgairement appelée vesse de loup. Le jour où il a été apporté des environs de Limoges, ce champignon avait 55 centimètres de longueur et 125 centimètre de circonférence. Il a atteint ces dimensions tout à fait colossales en trois jours. Mais il n’a pas tardé à se ralatiner, à s’aflaiser sur lui même, et à se fendiller. Si on lui en avait laissé le temps celte masse qui avait l’aspect d’un énorme concombre eut pour ainsi dire disparu d’elle-même. Rien n’est plus curieux que de voir la manière dont ces plantes véritablement extraordinaires apparaissent et font en quelque sorte explosion. Dans
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- quelques pays on mange les bovistes dans leur jeune âge, malgré leur saveur âcre mais le Bovista gigantæa de la rue Vivienne n’était point destiné à trouver preneur.
- Une nouvelle planète. — On a découvert une 155e petite planète située entre l’orbite de Mars et celle de Jupiter. Cette planète est de onzième grandeur. Sa position dans le ciel est de 23h,2m en ascension droite, et de 2°,40' en déclinaison australe. L’auteur de la découverte estM. Waston, directeur de l’observatoire de Ann-Arbor (Amérique).
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- ACADÉMIE DES SCIENCES
- Séance du 18 août 1875. — Présidence de M. Bertrand.
- Dans des communications antérieures, M. Chevreul a appelé l’attention sur l’effervescence inattendue que le guano manifeste quand on le met en contact avec l’eau. L’auteur montre aujourd’hui que cette propriété est due à la présence du bicarbonate d’ammoniaque, et l’analyse et la synthèse ont été nécessairement mises à contribution pour faire cette démonstration. En présence de l'effervescence qui nous occupe, on pourrait croire que le guano mis dans un champ humide perd instantanément tout son excès d’acide carbonique, et par conséquent son activité. Mais il n’en est rien, il faudrait pour cela que l’eau fût continuellement renouvelée. Une fois saturée elle devient inerte et la décomposition n’a lieu que successivement. La matière dissoute par l’eau est cristalline : M. Chevreul reconnut qu’elle est constituée par un sel ammoniacal, mais jusqu’ici son acide n’est point encore déterminé et il est probable qu’il appartient à la longue série des dérivés uriques. Le résidu que l’on obtient par l’action de l’eau est partiellement soluble dans l’alcool. Ce dissolvant renferme divers principes immédiats du guano et parmi eux le principe odorant c’est-à-dire l’acide avique. Enfin ce que l’alcool ne dissout pas consiste surtout en phosphate de chaux. Une remarque intéressante à l’égard de l’acide avique, c’est que le guano dépouillé de cette substance, et rendu par conséquent inodore, reprend peu à peu son arôme caractéristique. C’est la reproduction de ce que M. Chevreul lui-même avait observé dès le début de sa carrière chimique à l’occasion du musc. Ayant privé celui-ci de son principe odorant il trouva qu’il l’avait recouvré après plusieurs années. Suivant M. Chevreul, c’est par un mécanisme analogue que le gibier laisse sur le sol une trace permanente sensible à l’odorat du chien.
- — Une bien ingénieuse invention est exposée à l’Académie par M. Dupuy de Lôme au nom de M. Pellegrin. Il s’agit d’envoyer par le télégraphe un dessin ou un relevé topographique qui, chose curieuse, n’a pas besoin d’être exécuté au moment de l’expédition. C’est, comme on voit, beaucoup plus fort que le télégraphe Caselli. Le procédé est d’ailleurs extrêmement simple. Supposez qu’on veuille envoyer un relevé topographique. On dispose verticalement une glace hémi-circulaire dont la circonférence est graduée ; au centre est une alidade graduée elle-même et posant sur un coulant un mica marqué d’un point noir : ce point grâce au mouvement de l’alidade et à son propre mouvement le long de celle-ci, peut prendre sur la glace toutes les positions possibles. En avant de la glace se trouve un viseur fixe. Cela posé, on met l’œil au viseur puis on amène le point noir successivement sur tous les points du relevé à reproduire, et on note les coordonnées polaires de chacun d’eux ; les nombres ainsi obtenus sont envoyés par le
- télégraphe. Le récepteur est analogue, mais le mica est remplacé par un style et on marque sur la glace successivement tous les points désignés. Le dessin est donc transmis sans qu’il soit nécessaire qu’on l’ait dessiné, au départ.
- — D’après M. Fabre le massif des monts d’Aubrac dans la Lozère présente des traces certaines de phénomène glaciaire. Les galets basaltiques striés sont, paraît-il, très-fréquents.
- — Le bassin de la Loire fournit à M. Grand’Eury des fossiles végétaux du terrain houiller, d’un intérêt extrême. La houille n’a en général rien conservé de l’organisation des végétaux dont elle dérive; mais il n’en est pas de même des roches siliceuses et spécialement des poudingues qui l’accompagnent. Là on retrouve des vestiges admirablement conservés de plantes ordinairement herbacées qui révèlent tous leurs caractères distincts, leur mode de fructification, etc. C’est toute une flore nouvelle que l’auteur fait connaître aux botanistes.
- — M. Daubrée expose une découverte bien inattendue que M. Nordenskiold vient de lui annoncer dans une lettre datée des régions polaires. Le savant Scandinave a reconnu que la neige est toujours accompagnée d’une poussière noire composée surtout de charbon et de fer métallique et ayant tous les caractères d’une matière météorique. L’auteur avait fait cette observation d’abord sur de la neige recueillie à Stockholm, mais pensant qu’on pouvait U attribuer aux impuretés répandues dans l’atmosphère par les nombreuses cheminées de la ville, il demanda à son frère de recueillir les substances minérales de la neige qui tombe dans les forêts désertes de la Finlande. L’examen de cette matière confirma les premières observations qui se vérifièrent encore par de la neige recueillie par 80 degrés de latitude lors de la dernière expédition arctique. Ce fait acquiert encore plus d’intérêt quand on remarque que les météorites tombées à Hessle (Suède), le 1er janvier 1869 étaient accompagnées d’une poussière charbonneuse, et d'autre part que les météorites charbonneuses dont le type a été formé par la chute d’Orgueil, tombent en poudre dès qu’elles sont humidifiées ; il en résulte en effet que chaque chute de météorites doit être accompagnée de l’arrivée dans l’atmosphère d’une quantité plus ou moins grande de poussière, et d’autre part que l’explosion des bolides à la suite desquels on en voit peu tomber, peut être causée par l’arrivée de pierres charbonneuses qui se résolvent en poudre dans l’atmosphère. Stanislas MEUNIER.
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- AÉROLITHES
- ET TREMBLEMENTS DE TERRE d’après LYCOSTHÈNE.
- La pluie d’étoiles filantes d’août a sillonné le ciel le 10 de ce mois ; des feux souterrains ont continué à imprimer au sol de la haute Italie et de quelques paities du midi de la France des secousses violentes et des trépidations brusques. Il nous a paru intéressant à propos de ces faits récents de chercher dans le passé, des exemples de phénomènes analogues, et en feuilletant de vieux livres à la Bibliothèque nationale, notre attention s’est particulièrement fixée sur le curieux ouvrage de Lycosthène. Nous n’avons pu résister au plaisir ae reproduire quelques-unes des gravures se rattachant à ces sujets dont
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- LA NATURE.
- nous nous occupons ici depuis quelques semaines.
- Lycosthène était un savant et un vulgarisateur des sciences, il était alsacien et vivait au seizième siècle : son véritable nom était Conrad Wolffhart. Diacre de Saint-Léonard à Bâle, professeur de grammaire et de dialectique, Lycosthène avait une passion pour l’étude de la nature et de la physique du globe. C’est en 1557 qu’il publia la première édition de son ouvrage intitulé : Prodigiorum ac ostentorum chroni-con. Ce livre est un recueil du plus haut intérêt au point de vue historique : les illustrations qui le remplissent, sont des gravures sur bois, grossières, primitives, mais charmantes de naïveté l. Les fac-similé que nous reproduisons ici, représentent les originaux avec le plus grand carac
- Tremblement de terre en Italie. 510 ans avant J.-C. — L. Papirius Cursor consul (d’après Lycosthène).
- tère de vérité ; ils se rapportent à quelques-uns des phénomènes dont Lycosthène donne rémunération.
- Le tremblement de terre de 540 avant J.-C. se ma
- nifesta en Italie avec une extrême violence, et il fut suivi par une peste des plus terribles. On remarquera que le dessin du livre de Lycosthène offre cette particularité singulière, de représenter au temps des Romains une ville moyen âge. Les éditeurs du seizième siècle, n’étaient pas, paraît-il, bien scrupuleux, au point de vue de l’exactitude historique. L’énorme pierre qui tombe du ciel, au milieu d’une pluie abondante, est venue s’engloutir dans un lac du Latium en Italie, 174 ans avant J.-C. Quant à la chute d'aérolithes au temps de l’empereur Va-lens, elle se signala par une abondance extraordinaires de pierres, et causa de véritables désastres.
- Le livre des prodiges de Lycosthène est rempli de faits extraordinaires, mirages, chute de croix,
- pluies de sang, etc. ; les documentsqu'il renferme sont évidemment présentés sous une forme fictive, mais ils n’en ont pas moins une origine réelle, et retracent
- Pierre tombée du ciel dans le Latium. 174 ans avant J.-C. (D’après Lycosthène.)
- Chute d’aérolithes sous le règne de l’empereur Valons. An 566. y (D'après Lycosthène.)
- -Nü
- dd
- une succession curieuse de phénomènes relatifs à la météorologie et à la physique du globe. Ne dédaignons pas ces vieux livres du passé ; gardons-nous de railler leur apparence puérile, manions-les au contraire avec respect, avec attention. Un grand
- 1 Nous avons déjà reproduit une de ces curiosités. — Voir Curiosités de la météorologie, p. 138; . *
- nombre de nos ouvrages actuels, lus dans deux cents ans par nos arrières-petits-fils, sembleront peut-être aussi naïfs que l’ouvrage de Lycosthène peut nous le paraître aujourd’hui.
- Le Propriétaire-Gérant : G. TISSANDIER.
- PARIS. — IMF. SIMON RAÇON ET COMP., RUE d’eRFURTU, 1.
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- No 14. — 6 SEPTEMBRE 1875
- LA NATURE.
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- LES TREMBLEMENTS DE TERRE
- EN FRANCE.
- Au moment où nous écrivons ces lignes, il y a en France, à côté de nous, un assez grand nombre de nos concitoyens qui ont abandonné leurs demeures, leurs foyers, qui campent en pleine campagne, couchent sous des tentes, en proie à la plus effroyable anxiété. Le sol, depuis deux mois, a plusieurs fois tremblé sous leurs pas, ébranlant leurs maisons et fissurant leurs murs ; ils se demandent avec une légitime épouvante quelles peuvent être les conséquences de ces premières menaces des feux souterrains; ils ignorent actuellement si la terre qui leur donne asile aujourd’hui ne sera pas demain leur tombeau ! Ces dramatiques événements s’accomplissent , comme nous l’avons déjà annoncé (p. 207), dans le midi de la France, principalement dans l'Ar-dèche et la Drôme, sur les deux rives du Rhône, comprises entre Montélimar et Pont-Saint-Esprit. Grâce à un de nos correspondants, M. R., qui demeure au centre même du tremblement de terre français, à Bourg-Saint-Andéol, il nous est possible de donner aujourd’hui à nos lecteurs des renseignements inédits sur un phénomène extraordinaire et heureusement exceptionnel dans notre pays.
- Le 14 juillet 1875, à minuit précis, les habitants de
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- Carte des tremblements de terre en France. (14, 19 juillet et 8 août 1873.)
- Bourg-Saint-Andéol (Ardèche) et ceux du voisinage de la rive gauche du Rhône, ont ressenti la première secousse de tremblement de terre. La journée qui se terminait ainsi par une brusque trépidation du sol avait débuté par de violentes convulsions atmosphériques ; à midi, des coups de foudre s’étaient fait entendre sans interruption, des éclairs avaient sillonné sans cesse la nuée sombre au milieu d’une épouvantable averse de grêle et de pluie. « Le 19 juillet, écrit notre correspondant, nous subissons une nouvelle secousse, à 3 h. 55 min. Sa durée n’est que 2 secondes environ; on eût dit que l’on se trouvait sur un pont tubulaire, au moment où un train de chemin de fer y passe. A Viviers, à Rochemaure, où existe un volcan éteint, à la Voulte, sur la rive droite du Rhône, à Saint-Paul-Trois-Châteaux, à la Garde, à Donzère, à Châteauneuf et à Montélimar sur la rive gauche du Rhône, la secousse se fit sentir, avec une extrême violence ; Donzère et Châteauneuf
- ont été surtout éprouvés. Les maisons de la rue principale de cette dernière ville sont toutes lézardées, et, par mesure de précaution, on les a étayées aussi solidement que possible. Un grand nombre d’habitants couchent actuellement sous des tentes à la campagne. L’église est lézardée de haut en bas, et pour cause de sûreté publique, elle est fermée aux fidèles. On célèbre les offices en plein air. Les eaux de plusieurs sources des environs de Châteauneuf ont subitement changé de couleur. Les unes sont devenues noires, les autres rouges. Les habitants sont dans la stupeur.
- « Le 8 août, à 4 h. 5 min., c’est-à-dire à peu près à la même heure que le 19 juillet, une nouvelle secousse de 3 secondes se fait très-nettement sentir. Elle est précédée d’un bruissement comparable à celui du vent qui souffle dans les arbres. Le centre principal est toujours Châteauneuf; Donzère, Bourg-Saint-Andéol et Viviers, sont vivement ébranlés. Le mouvement du sol s’est communiqué jusqu’à Clermont-Ferrand, dans le Puy-de-Dôme. Toutes les maisons qui avaient été lézardées par les précédentes trépidations ont été endommagées plus sérieusement encore, et elles s’ébouleraient infailliblement si de semblables ébranlements se renouvelaient. »
- M. R., après ces détails du plus haut intérêt, nous donne un récit curieux de circonstances extraordinaires qu’il a observées lui-même. « Des
- chiens se sont mis à hurler avant la secousse, comme s’ils avaient eu le pressentiment d’un événement extraordinaire. Un perroquet fort bavard, de mon voisinage, fut comme terrifié, et il en perdit la parole pendant plusieurs jours. Un homme qui passait dans les champs fut, au moment de la secousse, frappé aux rotules des deux genoux, comme d’une commotion électrique. » Les eaux du Rhône se sont précipitées sur le rivage, comme agitées par un énorme bateau à vapeur. Le 14, le 19 juillet et le 8 août, jours des secousses, le télégraphe électrique ne pouvait fonctionner régulièrement. Ce fait nous paraît offrir une importance capitale et nous ne croyons pas qu’il ait encore été observé dans nos contrées.
- Cet ébranlement des rives du Rhône est le quatrième tremblement de terre qui se soit fait sentir en France depuis le commencement de notre siècle; en 1822, en 1841 et en 18G6, notre pays a déjà été soumis dans des régions diverses à des phénomènes
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- LA NATURE.
- analogues. Il y ajuste un siècle, presque jour pour jour, les contrées atteintes aujourd’hui étaient assez fortement ébranlées. L’illustre naturaliste Faujas de Saint-Fond nous rapporte qu’en 1773, pendant un mois de suite, les rivages du Rhône tremblèrent 'violemment dans les environs de Châteauneuf, et cela dans le courant du mois d’août. Quelques mois auparavant, en janvier 1773,le petit village deClau-sayes, perché au sommet d’une colline, fut entièrement détruit par le mouvement de la terre. Les habitants, sur l’ordre d’un commissaire envoyé par le gouvernement de la province du Dauphiné, quittèrent le village et campèrent dans la plaine.
- D’après ces souvenirs historiques, on conçoit que les événements actuels sont bien faits pour jeter l’alarme parmi les habitants de la Drôme et de l'Ar-dèche, et surtout parmi les riverains du Rhône. Ne doivent-ils pas aussi exciter notre compassion, en même temps que notre curiosité? Rien ne semble devoir être plus épouvantable, en effet, que cette colère des feux souterrains, contre laquelle on est si fatalement impuissant. Quand la terre, notre mère et notre appui, nous fait défaut, quand elle s’agite convulsivement, l’homme doit se sentir aussi faible qu’un enfant; n'est-il pas incapable de fuir, de combattre ou d’implorer? Sa vie n’est plus soumise qu’au hasard de réactions qu’il ne connaît pas et qui s’accomplissent, à son insu, sous ses pas : que la croûte terrestre se soulève seulement de quelques millimètres de plus, il sera impitoyablement écrasé, lui et les siens, avec sa demeure et sa ville tout entière ! Il ne faut pas oublier toutefois que le temps des grandes convulsions géologiques est passé ; tout semble prouver que les anciens cataclysmes géologiques ne se renouvelleront plus. Ces mouvements du sol contemporain indiquent bien que les forces naturelles qui ont façonné le relief terrestre, soulevé les montagnes et découpé les continents, ne sont pas anéanties. Elles travaillent sans cesse, dans le fond des océans, comme dans les entrailles de notre pla-nète, mais elles accomplissent aujourd’hui leur œuvre, lentement et progressivement. Les oscillations brusques du sol, les mouvements violents, peuvent être considérés de nos jours comme une lointaine réminiscence des anciennes convulsions du globe, rares exceptions parmi les sublimes harmonies de notre monde. Gaston Tissandier.
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- LE CIEL AU MOIS DE SEPTEMBRE 1873
- Aucun phénomène céleste remarquable n’est calculé ou prévu pour les nuits de ce mois. Mais les observateurs attentifs, qui ne sont pas enchaînés à une besogne forcée par les observations régulières des grands établissements scientifiques, n’en devront pas moins explorer le ciel, toutes les fois que les brumes et les nuages n’en couvriront pas la surface. En leur
- recommandant le mois dernier l’étude du passage de l’essaim météorique du 10 août, nous avons oublié de les prévenir qu’une circonstance particulière ne permettrait pas à leurs recherches, même dans l'hy-pothèse d’un très-beau temps, d’être bien fructueuses. En effet, il y avait pleine lune le 8, et par conséquent les plus brillants des météores pouvaient seuls, pendant les nuits voisines de cette date, vaincre en intensité la lueur lunaire et être aperçus : les nombres recueillis dans le but de constater soit l’affaiblissement, soit la recrudescence du phénomène, devaient perdre ainsi toute leur signification. Toutefois, était-ce une raison de s’abstenir absolument, ainsi que l’a conseillé le Bulletin de l'Association scientifique de France ? Ce n’est pas notre avis. Il y a toujours tout à gagner à suivre avec persévérance une série d’observations commencées, et nous allons motiver notre manière de voir.
- Compter le nombre des météores filants, dans les nuits successives qui caractérisent cette période, est sans doute une fort bonne chose. Si la nuit est à la fois très-sereine et très-obscure, on aura un résultat qui, au point de vue de l'observa-lion, sera considéré comme un maximum. Mais n’y a-t-il pas néanmoins intérêt à noter les météores, moins nombreux qui se montrent dans un ciel illuminé par l’astre des nuits à l’une quelconque de ses phases ? En comparant ce nombre restreint à celui des météores des années antérieures qui affectent la même grandeur apparente, on peut en conclure le nombre probable de ceux que l’illumination du ciel n’a pas permis de voir. En outre, le nombre des météores n’est pas le seul élément du phénomène à considérer ; il y a la direction des trajectoires, les éléments de parallaxe aux cas d'observations simultanées, et ce sont surtout les plus gros météores qui sont favorables à ce genre de recherches. Il y a enfin les particularités physiques qui ne sont pas à dédaigner dans une branche de la science encore si peu avancée.
- Dans le mois de septembre, il n’y a guère, jusqu’à présent, d’essaims bien accusés. Cependant, dans une liste des points radiants dressés par Alexandre Ilers-chel, pour les essaims d’étoiles filantes, nous voyons les dates du 6, du 12, du 17 et du 19 septembre comme celles d’apparitions antérieurement observées. 6 de la Baleine, a de Cassiopée ; a, 3, 8 du Cocher, la Polaire sont les positions approchées des points radiants de ces essaims. Il y a évidemment intérêt à vérifier si de nouveaux flux de météores se représenteront à ces diverses dates.
- Il y a un autre phénomène céleste à observer dans ce mois. C’est la lumière zodiacale dont le fuseau conique et incliné à l’horizon est ordinairement visible à l’orient, le matin, une heure ou deux avant le lever du soleil. En septembre, les lueurs crépusculaires ont le matin et le soir une faible durée et peu d’intensité : c’est à cette circonstance et à l’inclinaison moindre du fuseau zodiacal à l’horizon qu’est due la plus grande facilité d’observation du phéno-
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- mène. Sa hauteur et sa forme, son intensité, l’incli-son de son axe sont autant de points qui méritent d’ètre soigneusement constatés.
- Revenons maintenant à l’astronomie planétaire. Septembre sera, cette année, un mois très-peu favorable aux observations des grandes planètes ou des planètes moyennes. Le 21, a lieu la conjonction supérieure de Mercure, qui se lève les jours précédents d’autant plus avant le soleil que la date est plus rapprochée du 1er du mois, et les jours suivants se lève un peu après : dans tous les cas, observation difficile. Vénus parcourt son arc diurne en partie la nuit, en partie le jour. L’heure de son lever varie de 1 h. 40 minutes à 2 h. 24 minutes du matin : pendant trois ou quatre heures, elle est donc visible ; mais sa plus grande élongation occidentale ayant eu lieu le 11 juillet, elle se rapproche angulairement du soleil en s’éloignant de la terre. Mars aussi s’éloigne rapidement et d’ailleurs il se couche de bonne heure (de 9 h. 24 du soir à 8 h. 48) ; c’est à peine si on peut le voir quelque temps, un peu au-dessus de l’horizon quand les dernières lueurs du crépuscule sont éteintes. Jupiter se lève le matin, de 5 h. 28 m. à 4 h. 34. m. Dans les premiers jours du mois, il n’apparaît donc sur l’horizon que quelques minutes après le lever du soleil ; vers la fin de septembre, il précède l’astre radieux de 1 h. 25 minutes à la latitude de Paris; il ne sera donc observable que dans les derniers jours.
- De toutes les planètes principales, c’est donc Saturne qui continuera, malgré sa faible altitude, à se trouver dans les circonstances les plus favorables à l’observation. Il se lève à la vérité de bonne heure (entre 4 h. 52 et 5 h. 52 du soir), mais il passe au méridien de 9 h. 11 à 7 h. 50 et, jusqu’à son coucher, qui a lieu peu après, minuit, il reste visible. Nous nous bornerons ce mois-ci à ces indications sommaires, en renvoyant le lecteur aux bulletins astronomiques des mois précédents pour trouver la situation respective de chaque planète dans les constellations. Nous les retrouverons un peu plus tard quand ces positions seront assez notablement changées pour nécessiter des indications nouvelles.
- En septembre, trois occultations par le disque de la lune d’étoiles visibles à l’œil nu auront lieu aux dates suivantes. L’étoile de 5me ou 4me grandeur T du Sagittaire sera occultée le 2 septembre et la durée du phénomène sera, pour Paris, de 1 h. 13 minutes. Le 28, une étoile de 5e grandeur de la même constellation sera occultée pendant 54 minutes. Enfin « delà même constellation, aussi de 5e grandeur, le sera pendant 1 h. 04 minutes, le 30 septembre. Si, au lieu de se borner à Paris, on considérait les divers lieux de la terre, on trouverait 21 occultations et notamment celle de la planète Mars le 27 septembre. On sait de quel intérêt sont ces phénomènes pour les marins, qui peuvent déduire de ces observations la longitude du lieu où se trouvent leurs navires.
- En résumé, en dehors des observations régulières des grands observatoires, il y aura peu à glaner, ce
- mois de septembre, pour les amateurs astronomes, du moins pendant la nuit, à moins qu’ils ne se livrent à des études d’astronomie sidérale sur les étoiles et les nébuleuses. C’est malheureusement, en France, un domaine peu cultivé. Il serait temps de prendre pour exemple, sous ce rapport, nos voisins d'outre-Manche, qui, dans de nombreux observatoires privés, parfaitement installés, étudient sans relâche ces objets si intéressants. En attendant, il y a le soleil, ses taches, ses facules, scs protubérances, qui, grâce aux méthodes nouvelles d’observation, enrichissent chaque jour de faits nouveaux les données qui serviront de base à l’élaboration d’une théorie vraie de sa constitution physique. La moisson a été si riche depuis quelques années qu’elle a fait éclore maintes hypothèses, un peu hâtives à notre sens, mais dont les auteurs en se combattant et en se réfutant réciproquement, font un travail de déblayement nécessaire. Nous engageons les astronomes à se livrer de préférence aux observations. AMÉDÉE Guillemin.
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- NOUVEAU
- VOYAGE DANS LA CHIYE CENTRALE
- Le savant explorateur français, l’abbé Armand David, qui depuis douze ans n’a pas cessé de parcourir la Chine, en marquant chacune de ses étapes par de nouvelles conquêtes scientifiques, a récemment adressé une lettre fort intéressante à M. Daubrée, vice-président de la Société de géographie. C’est au prix des plus grandes fatigues que la récente exploration du vaillant voyageur s’est accomplie; car l’abbé David a l'habitude de traverser presque toujours à pied les pays qu’il étudie, et il ne manque pas de pousser des pointes en dehors de sa route, pour peu qu’il y ait à côté de son chemin quelque moisson à recueillir au nom de la géographie ou des sciences naturelles. Au mois de mars de cette année, notre compatriote a éprouvé de sérieuses difficultés au sud-est de Chen-Si, près de la ville de llang-Tchong-Fou, sur les frontières de Tse-Tchuen et du Kan-Sou. C’est en vain qu’il a tenté de pénétrer dans cette dernière province, où une violente rébellion des musulmans vient d’éclater; il fut obligé de rétrograder faute de guides et de porteurs. L’abbé David, pour arriver jusque-là, a traversé les monts Tsin-Lin, où il lui a été possible de recueillir de véritables richesses géologiques et minéralogiques.
- Les détails que donne l’explorateur sur la province Chen-Si sont du plus triste intérêt. La ville la plus importante de ce district, Ilan-Tchong-Fou, vient d’être presque entièrement détruite par les rebelles Tchang-Mao. Ces rebellés, que les Chinois appellent Tseï (voleurs), réunis en nombre incalculable, ont pu exercer impunément des dévastations et des ravages épouvantables. Triste spectacle que celui de ces dissensions, de ces querelles, de ces
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- guerres que l’on rencontre partout hélas ! à la surface du sphéroïde terrestre. Détournons les yeux de ces scènes navrantes, pour envisager les résultats scientifiques de la nouvelle exploration.
- Les recherches géographiques de l’abbé David ont eu principalement pour but d’étudier le cour s d’un grand fleuve Chinois, le Kan-Kian, qui traverse la ville d’Han Tchong -Fou et va se jeter plus loin, dans le fleuve Bleu, actuellement exploré, comme nous l’avons dit, par un autre de nos compatriotes, M. Francis Garnier 1. Au nord des monts Tsin-Lin, l’abbé David a rencontré des gisements houillers assez considérables ; il a eu même la bonne fortune d’étudier le mode d’exploitation usité par les Chinois dans les collines de Lean-Chan. Il existe là des massifs géologiques fort puissants formés d’un calcaire cristallin, sonore comme un métal, et qui donne une chaux vive d’excellente qualité. Le combustible nécessaire à la transformation du carbonate de chaux naturel en chaux vive est précisément extrait des houillères voisines, que les habitants exploitent sur une grande échelle. Les calcaires de Lean-Chan abondent en coquilles fossiles, ils en sont pour ainsi dire formés de toute pièce ; ces coquilles sont de dimensions très-variables, il en est d’aussi fines qu’un cure-dent, tandis que d’autres atteignent la grosseur du bras.
- On se rappelle que l’abbé David, lors de ses précédents voyages, a rapporté en France des collections incomparables d’animaux empaillés, de pierres, de roches, de produits divers peu connus et souvent nouveaux; il n’en sera'pas de même cette fois, comme vient de l’annoncer une lettre récente de M. Francis Garnier. Ce dernier voyageur a rencontré l’abbé David au point où Je Ilan-Kian se réunit au fleuve Bleu ; l'infortuné missionnaire avait perdu dans un naufrage sur le Ilan-Kian toute sa précieuse cargaison. La barque qui portait l’explorateur et sa fortune de collections a sombré, engloutissant avec elle d’innombrables objets recueillis au prix des plus persévérants efforts. Cet événement a vivement frappé l’esprit de l’abbé David, quia pris la résolution de revenir en France, où il ne tardera pas à nous rapporter, à défauts d’échantillons, des récits du plus haut intérêt et des faits toujours utiles à inscrire dans les annales de la science.
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- LA TÉLÉGRAPHIE ATMOSPHÉRIQUE
- (Suite. — Voy. p. 193.)
- LE MATÉRIEL ET LES DÉPÊCHES.
- Boîtes à dépêches. — Les voyageurs qui prennent place dans les convois lilliputiens que nous avons décrits sont des plis fermés contenant un message. On les empile par groupes de 50 à 40 dans un curseur.
- 1 Voy. Voyage d'exploration en Indo-Chine, p. 152.
- Ce curseur ou boîte est formé de deux cylindres : l’un intérieur, en tôle; l’autre extérieur, en cuir, servant d’enveloppe au premier. Pour composer un train, il faut ajouter après la dernière boîte un piston, afin de ne pas perdre la pression de l’air. Le piston est un morceau de bois garni d’une collerette en cuir, qui prend la forme intérieure du tube et constitue un joint presque hermétique, sans trop de frottement.
- Appareil de réception et d'expédition. — Nous avons donné dans le précédent article le dessin du récepteur adopté d’abord, il est fort simple et peu encombrant; l’expédition se fait par la même porte qui sert à l’extraction des boîtes. Quand il faut transborder un train d’une ligne dans une autre, cette manœuvre n’est ni assez rapide ni assez commode. On emploie maintenant un système plus complet qui est représenté ci-contre.
- Le dessin s’explique de lui-même : deux lignes pénètrent dans le bureau, aboutissant chacune à un appareil distinct. Au premier plan, un agent ouvre la porte A au moyen du levier d qui sert à l’expédition; les boîtes et le piston sont jetés dans le tube, et attendent au point bas le courant d’air qui doit les propulser. Ce courant est produit au moment de l’ouverture du robinet c, qui commande la tête de l’appareil opposée au tube. Le robinet c' distribue l’air sur la seconde ligne. Au second plan, la porte de réception B est ouverte par un deuxième agent, le train est en gare, les boîtes attendent qu’on les retire du tube pour donner le jour aux télégrammes. Tout cet attirail a quelque chose de la forme d’un canon; l’effet seulement est plus bénin, les artilleurs ne sont pas exposés à être tués ; le pire accident qu’ils aient à redouter est de boucher le tube. Nous reviendrons sur cet inconvénient, qui se produit très-rarement.
- Avant de quitter l’appareil horizontal, nous indiquerons une disposition qui est usitée, lorsqu’au lieu de l’appliquer à un poste tête de ligne, on le fait fonctionner dans une station intermédiaire. Cette distinction se rattache au groupement des bureaux par rapport aux moyens de production de force. Il est évident, en effet, qu’il n’est pas nécessaire que chaque bureau ait à sa disposition une provision d’air comprimé ou raréfié pour desservir les lignes adjacentes. On conçoit très-bien, qu’au moyen de centres de production répartis, par exemple, de trois entrois kilomètres, on puisse desservir trois sections consécutives.
- L’installation de la station intermédiaire sera calquée sur celle del'écluse d’un canal. Lorsque le train aura franchi la première section, une valve convenable maintiendra la pression à Vamont pendant l’opération du transbordement du train, et un robinet de communication, ouvert à propos, permettra à l’air de passer de la première section dans la seconde, pour pousser le train qui y aura été engagé. Le lecteur complétera cette esquisse ; par cette description sommaire, il aura une idée des divers dispositifs de
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- détail que comporte l’exploitation du réseau des tubes pneumatiques. Le développement total pour le service télégraphique de Paris atteindra 50 kilomètres pour desservir autant de stations.
- Dépêches. — La machine est montée, nous pouvons pénétrer plus avant dans le jeu des cycles. Los dépêches appartiennent à deux catégories : il y a les demandes et les réponses, les ordres et le compte rendu de l’exécution. Tout cela peut s’échanger d’abord entre un point de la ville et un point de l’extérieur (province ou étranger), ou inversement. Ce qu’il faut dans ce cas, c’est un centre, nom que nous avons donné à l’hôtel des télégraphes de la rue
- de Grenelle, en relation d’une part avec Vextérieur par le réseau des fils électriques, et avec X'intérieur par le réseau des tubes pneumatiques. Les circuits fermés, représentés sur le plan donné précédemment (p. 197), expliquent comment cette double circulation est obtenue par l’échange des boîtes de dé-paît substituées aux boîtes d’arrivée dans chaque bureau de passage.
- Les facteurs effectuent la distribution dans la circonscription de leur station, tandis qjue le public vient au guichet pour faire taxer son message. Au-trefois l’administration avait adopté un système de timbies d’affranchissement qui devait être complété
- Appareil Je rei eption et d'expédition.
- par l’établissement de boîtes fixes levées | ériodique-ment, afin de faciliter le dépôt. Il a fallu reconnaître que l’éducation télégraphique n’était pas assez avancée dans notre pays pour que l’adoption de cette mesure fut opportune. Les dépêches ainsi affranchies par l’expéditeur étaient lopins souvent rédigées d’une manière incomplète ou écrites d’une façon illisible, lorsqu’il n’arrivait pas que le compte des mots était erroné, au détriment de la taxe.
- Le réseau des tubes pneumatiques remplit encore une fonction importante. Il s’adapte bien au service dit de la petite poste, c’est-à-dire à l’échange des dé-] êches de la ville pour la ville. On aperçoit dans ce cas un avantage nouveau : les dépêches peuvent être remises en original. Avec le tracé adopté, lorsque le réseau sera complet, un pli pourra toujours être
- remis d’un quartier à l’autre le plus éloigné, dans un intervalle de temps qui ne dépassera pas une heure.
- Chaque année le développement des lignes augmente et le nombre des télégrammes de Paris pour Paris dont la minute elle-même peut être transmise, est de plus en plus grand.
- Il semble que le compte des mots soit un non-sens dans ce système de transmission, et que l’application de la taxe devrait se faire d’après le poids. Cette observation qui est souvent reproduite est fondée; si l’usage incien a révalu jusqu'ici, c’est que les dépêches qui transitent ercliisivemcnt par le tube sont l’exception, tant que le travail général n\st pas terminé.
- Signaur elect} ignés. — Nous terminerons aujour-
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- d’hui en indiquant comment la télégraphie électrique remplit un emploi accessoire dans le fonctionnement des tubes pneumatiques.
- Les manœuvres d’expédition et de réception des trains ressemblent, ainsi que nous l’avons dit, à celles de l’exploitation d’un chemin de fer en miniature. La plupart du temps, ce chemin est à voie unique; pour éviter les collisions et les portes d’air quand le convoi est arrivé à destination, on a disposé parallèlement au tube un fil électrique aboutissant dans chaque station à une sonnerie et à une pile. Des signaux réglementaires sont échangés à chaque arrivée; grâce à cette précaution, les rencontres deviennent presque inq ossibles. Les seuls accidents sont les dérangements produits par des avaries survenues aux divers accessoires de l’exploitation.
- Ch. Bontemps.
- — la suite prochainement. —
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- LA MORTALITÉ EN FRANCE
- Une des dernières séances de l’Académie de médecine 1 a été presque entièrement consacrée à une fort curieuse communication de M. Bertillon sur le mouvement de la population française. Nous empruntons à la Gazette hebdomadaire de médecine et de chirurgie le compte rendu de cette intéressante séance.
- M. Bertillon constate avec regret que la population tend à diminuer tous les ans sensiblement en France. Quelles sont, en dehors des événements imprévus (épidémies, guerres ou famines), les causes de cette diminution progressive? L'auleur ne peut naturellement les indiquer; il se contente d’appeler l’attention sur cette question fort importante et de fournir des documents qui permettront peut-être de résoudre un jour ce problème.
- Aujourd’hui il se propose de montrer l’influence de l’âge, du sexe, de l’état civil, des professions et des saisons sur la marche de la mortalité, non-seulement dans toute la France en général, mais encore dans chaque département. Pour aider à la démonstration, l’auteur fait passer sous les yeux de l’Académie une série de cartes de France où des teintes graduées depuis la couleur la plus claire jusqu’à la plus foncée permettent de saisir d’un coup d’œil dans chaque département l’état de la mortalité suivant l’àge, le sexe ou le climat. C’est, pour nous servir de l’expression de M. Bertillon, « une véritable lanterne magique, » fort intéressante, fort curieuse sans doute, mais bien lugubre aussi ; car la mort domine toujours la scène, et nous la voyons dans tous ces tableaux frapper de préférence ici les nouveau-nés, là les enfants en bas âge, plus loin les adultes ou les hommes mûrs, et les frapper prématurément suivant des lois qui nous sont malheureusement encore inconnues.
- 1 19 août 1873.
- Ce travail comprend environ quarante cartes, dont M. Bertillon n’a fait passer qu’une dizaine sous les yeux de l’Académie. Naturellement nous ne les citerons pas toutes, nous nous contenterons d’en rappeler quelques-unes où l’on trouve des renseignements instructifs et parfois fort inattendus.
- Ainsi, dans un tableau qui représente la mortalité suivant les âges, on trouve que, pour la première année, il y a une différence notable entre les départements les plus favorisés et les plus malheureux : dans les premiers, on a 100 décès sur 1,000, dans les autres plus de 500. La principale cause de cette effrayante mortalité serait due, suivant M. Bertillon, à la désastreuse industrie des nourrices. « Si l’on arrivait, ajoute-t-il, par des mesures énergiques à ramener la mortalité exagérée de ces départements à la mortalité moyenne, on sauverait annuellement 14 à 15,000 enfants. »
- De un à cinq ans, la mortalité est beaucoup plus marquée dans tous les départements du littoral de la Méditerranée, où elle monte à 60 sur 1,000, tandis que dans d’autres elle n’atteint que 22 sur 1,000. M. Bertillon croit que cette diflérence tient surtout à la chaleur, à la sécheresse et aux vents qui soufflent continuellement dans ces parages. De vingt à trente ans, la mortalité augmente subitement et d’une façon très-sensible. La différence entre les départements les plus favorisés et les plus frappés est près du double. M. Bertillon appelle l'attention de l’Académie sur cette augmentation subite de la mortalité à l’âge adulte, augmentation qui serait propre à la France, car il ne l’a pas constatée pour les autres pays de l’Europe. Le sexe parait avoir quelque influence : ainsi, dans certains département-, la mortalité du sexe masculin dépasse de 5 à 10 pour 100 celle des femmes ; dans d’autres, au contraire, les femmes meurent plus que les hommes, et dans une proportion de 10 à 20 pour 100.
- Dans un autre tableau, nous voyons quelles sont les chances de mort pour chaque âge ; la première année, c’est une véritable hécatombe, et près du quart des enfants succombent dès leur entrée dans le monde. Plus tard, les chances diminuent jusqu’à vingt ans, où l’on constate l’augmentation subite signalée plus haut et malheureusement spéciale à notre pays. Il faut arriver à quarante-cinq ans pour retrouver la même mortalité que de vingt à vingt-cinq, c’est-à-dire qu’un jeune homme de vingt-deux ans a plus de chances de mourir qu’un homme de quarante ans. Voilà certainement un fait dont on ne se doutait guère.
- M. Bertillon nous montre ensuite l’influence des villes ou des campagnes sur la mortalité ; cette in-fluence se faisant surtout sentir suivant que l’enfant est légitime ou illégitime. Il arrive à ce singulier résultat que la mortalité est beaucoup plus grande pour les enfants illégitimes dans les campagnes que dans les villes, et il insiste sur ce fait qui, suivant lui, n’avait pas encore été signalé. Dans les villes, en effet, la mortalité des enfants illégitimes n’est que
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- de 33 pour 1,000, tandis que dans les campagnes elle monte à 52 pour 1,000.
- M. Ricord lui demande s’il a établi dans ce tableau une différence entre les enfants illégitimes indigents et les enfants illégitimes qu’on envoie de la ville en province pour s’en débarrasser, ce qu’il appelle des infanticides par commission. M. Bertillon lui répond qu’il n’a pris que les enfants illégitimes nés dans le département même. Quant aux saisons, elles auraient, au point de vue de l’enfance, une influence contraire aux idées généralement admises ; car, d’après les tableaux de M. Bertillon, c’est dans les mois chauds qu’on trouve pour les enfants la plus forte mortalité.
- M. Bertillon a cherché ensuite quelle pouvait être l'influence de la profession. Ne trouvant pas de documents en France, il en a emprunté à l’étranger et a trouvé dans une statistique anglaise que, dans la période de trente-cinq à quarante-cinq ans, c’est-à-dire dans la force de l’âge, la mortalité était de G pour 100 par au pour les pasteurs et les magistrats, 7 pour les fermiers, 9 pour le petit commerce et les épiciers, 10 pour les maçons, les cordonniers, les domestiques et les lords anglais, 15 pour les médecins et 19 pour les marchands de spiritueux, les aubergistes et autres métiers favorisant les excès alcooliques. Frappé de cette égalité étrange et inattendue du maçon et du noble lord anglais devant la mort, de trente-cinq à quarante-cinq ans, égalité qui n’existe plus aux autres périodes de la vie, M. Bertillon s’est demandé quelle pouvait en être la raison, et il en donne l’explication suivante : que, dans l’enfance et la vieillesse, les nobles anglais bénéficient, sans pouvoir en abuser, des bienfaits de la fortune, tandis que dans la force de l’âge ils en usent et en abusent et arrivent à mourir dans la même proportion que les maçons et les domestiques. M. Bertillon termine enfin cette fort intéressante communication par l’étude de l’influence du mariage et du nombre des enfants sur la mortalité, la criminalité et le suicide, et à ce dernier point de vue il démontre, tableau en main, que les suicides sont bien moins nombreux chez les époux ou les veufs qui ont des enfants.
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- LA NOUVELLE-CALÉDONIE
- La Nouvelle-Calédonie, l’une des îles les plus vastes de la Mélanésie, est comprise entre 20 et 23 degrés de latitude sud et les 161 et 164 degrés de longitude est méridien de Paris. Longue de 75 lieues et large de 13, elle présente une superficie de deux millions d’hectares, c'est-à-dire quarante fois l’étendue du département de la Seine. Entourée à une distance de vingt kilomètres par une ceinture de récifs madré-poriques coupée seulement à l’embouchure des grands cours d’eau, l’île est partagée par de hautes montagnes en vallées étroites, sauf celles du Diahot, où coulent une multitude de rivières torentueuses qui
- répandent sur leurs bords la plus luxuriante fécondité. Telle est en peu de mots la grande terre autour de laquelle est semé à des distances peu éloignées un certain nombre d’îles et d’archipels. A l’est, ce sont : l’île Nou ou Dubouzet, qui ferme le port de Nouméa, plus bas les trois îles Le Prédour, Hugon, et Ducos dans la baie de Saint-Vincent, l’île Ouen aux carrières de Jade ascien, dont les naturels faisaient autrefois leurs plus belles haches ; au sud, l’île des Pins, la Kunié des indigènes ; à l’ouest, l’archipel des Loyalty, composé des trois grandes îles : Maré, Lifou, et Uvéa, auquel se rattache plus haut le groupe des Belep; enfin au nord, l’archipel des Neménas.
- Découverte, le 4 septembre 1774, par Cook, qui débarqua à Balade, elle fut ensuite visitée à deux reprises par d’Entrecasteaux. Des catéchistes protestants avaient déjà vainement essayé de convertir les indigènes, lorsque nos missionnaires y débarquèrent en 1843. Leurs tentatives ne furent pas beaucoup plus heureuses, car ils étaient quatre ans plus tard forcés par un soulèvement général des naturels de se réfugier à l’île des Pins, En 1851, une embarcation delà corvette l’Alcmène, montée par treize matelots et deux enseignes, fut surprise par les indigènes ; nos malheureux compatriotes furent massacrés et leurs restes partagés entre ces cannibales, qui les dévorèrent. Les insultes répétées infligées à notre pavillon, les rapports des commandants de navires de guerre qui s’étaient avancés dans l’intérieur de l’île on en avaient reconnu les côtes, les discussions à la Chambre sur le choix d’une colonie pénitentiaire, déterminèrent le gouvernement à prendre possession de la Nouvelle-Calédonie, et, le 1er mai 1853, le pavillon français y fut solennellement planté. Depuis cette époque, nous avons eu maintes fois maille à partir avec les indigènes, mais les châtiments répétés que nous leur avons infligés, ainsi que l’importance croissante de nos établissements et l’ouverture de nombreuses voies de communication à travers le pays, leur ont montré l’inanité de la résistance, et nous sommes aujourd’hui les maîtres incontestés d’une magnifique contrée qui pourra devenir, si le gouvernement persévère dans la voie inaugurée par le commandant actuel, M. de la Richerie, une de nos colonies les plus prospères.
- Dans cette île montagneuse les sommets les plus élevés atteignent 1,500 mètres, les pentes sont douces et cultivables et les côtes sont découpées en criques d’un accès difficile, mais d’un excellent mouillage. Notre gravure, qui représente le port d’Oubatche, donne une juste idée de la magnificence des rivages de la Nouvelle-Calédonie, où des coteaux riants et luxuriants encadrent de véritables oasis de verdure.
- Les ressources minérales sont d’une richesse prodigieuse. Ce sont : le grès, la pierre calcaire, les marbres gris, roses, blancs ou verts, l’ardoise, souvent d’assez mauvaise qualité, l’argile commune, dont on fait à Nouméa des briques et des tuiles, le kaolin, le fer qu’on ne pourra malheureuse-
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- ment songer de longtemps à exploiter, à cause du bon marché des fers travaillés de l’Australie et la tourbe extraite en abondance des marais de la cote. Des affleurements considérables de houille ont été découverts dans le voisinage de Nouméa, mais le charbon qu'on en extrait, peu chargé de bitume, semble être d’une qualité inférieure. C’est l’exploitation de l’or qui a donné jusqu’ici les plus beaux résultats. En 1871, dans une salle du musée de Nouméa étaient
- exposés deux énormes morceaux d’or amalgamé d’une valeur de 17,000 francs, et à la même époque l’or du Diahot valait à Sidney 90 francs l’once. Au reste, dans toute la partie septentrionale de la colonie, dans l’ile de Palm, on trouve presque partout des terrains aurifères et l’on exploite aujourd’hui les carrières de quartz aurifère de Maughine.
- Cependant ce n’est pas dans l’exploitation des mines, si nombreuses et si riches qu’elles soient, que
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- le colon trouvera le revenu le plus sûr et le plus rapide. En effet, la nature, prodigue de ses dons, a gratifié cette terre vierge d’une fécondité que vient encore développer son climat exceptionnel.
- Le blanc n’a pas à subir d’acclimatement dans ce pays d’une salubrité extraordinaire, et malgré le grand nombre de marais que l’on a déjà commencé d’utiliser pour la culture, les fièvres paludéennes sont rares et l’on n’a jamais signalé parmi nos travailleurs ni dyssenterie, ni maladie de foie, ni coliques sèches, fléaux habituels de ces climats. La chaleur modérée varie entre ces deux points extrêmes, 15 et
- 50 degrés centigrades. Le seul inconvénient du pays, c’est la multitude des moustiques, dont on ne parvient à se débarrasser qu’en s’entourant d’épais nuages de fumée. L’année se partage en deux saisons : l’hiver-nage, saison des pluies et des grandes chaleurs, et la saison sèche et fraîche. A certaines périodes de l’année, d’immenses cyclones s’abattent sur l’île ; ces trombes de vent et de pluie brisent et emportent tout sur leur passage ; les ruisseaux devenus torrents débordent sur les plantations riveraines, les bouleversent, les entraînent au loin ou les recouvrent d’une épaisse couche de sable et de cailloux.
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- Quoi qu’il en soit, les cultures les plus variées poussent sans effort ; le riz, le maïs, la pomme de terre, la betterave, la patate douce et tous les légumes d’Europe se sont acclimatés facilement. La culture de la vigne paraît également devoir réussir. Le pêcher, le fraisier, l’ananas, l’oranger, le citronnier, le papayer, le pommier cannelle, lemango, le vanillier, le bananier, le cocotier, les piments sont des produits indigènes ou importés qui donnent des fruits excellents. La canne à sucre, l’igname, le taro, le ricin, le niaouli, et le san-dal, donnent des rendements toujours plus considérables , ainsi que le coton, dont la culture tend tous les jours à se propager.
- Après la description générale du pays, après l’énumération de ses richesses minérales et végétales, il convient de dire quelques mots de la race indigène. Les Néo-Calédoniens, dont l’on évalue généralement le nombre à 50,000, sont fortement constitués. Beaucoup plus noirs que les Polynésiens, ils le sont moins que les nègres; leur barbe est fournie et leur chevelure épaisse et crépue. Les femmes dans l’extrême jeunesse ont un moment d’éclat, auquel la laideur la plus repoussante ne tarde pas à succéder.
- Les guerres de tribu à tribu, causées par la jalousie des chefs ou le besoin de se procurer des prisonniers destinés à être mangés, ainsi que les affections de poitrine auxquels sont sujets les
- Nouvelle-Calédonie. — Fort d'Oubatche, an cap Colnet.
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- indigènes, le peu de fécondité des femmes, ainsi que l’usage de la polygamie, sont les causes principales du peu de densité de la population. Les naturels possèdent en agriculture des connaissances assez avancées, savent étager leurs cultures sur les flancs des collines et détourner les ruisseaux pour les arroser, mais ils sont d’une telle imprévoyance, qu’à peine faite, la récolte est déjà consommée; de là ces famines fréquentes pendant lesquelles ils se repaissent d’une sorte de stéatite qui endort l’estomac. Nous n’avons pu jusqu’ici les plier à notre civilisation ; ils viennent bien travailler quelques jours à la fabrication de l’huile de coco, mais ils disparaissent dès qu’ils ont gagné assez d’argent pour acheter une pipe et du tabac.
- Le gouvernement, reconnaissant l’insalubrité de la Guyane, a envoyé à la Nouvelle-Calédonie en 186%, un premier convoi de 250 forçats, bientôt suivi de plusieurs autres, qui débarquèrent leur cargaison humaine au pénitencier de l’ile de Non. Depuis cette époque, le nombre des ouvriers de la transportation s’est constamment élevé; il était, au 51 décembre 1871, de 2755 ; leur sort s’est amélioré en raison de leur bonne conduite et 274 de ces égarés étaient, au 1er janvier 1872, libérés, mais en surveillance.
- Nos établissements se sont développés. Nouméa est devenue une ville, où l’eau est malheureusement introuvable; les bourgs de Nakety, de Kanala, de Kouahoua, de Ilouagap, d'Hienguene, de Poebo, et de Balade se sont créés, les défrichements et les plantations se sont étendus, le commerce et l’industrie ont pris une certaine activité, que vont sans doute développer les conditions nouvelles d’existence faites à la colonie par la loi du 23 mars 1871, qui affectait à la déportation certaines parties de la Calédonie et quelques-unes de ses dépendances.
- Gabriel Marcel.
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- EFFETS DE LA LUMIÈRE Sun LE SÉLÉNIUM.
- La Société des ingénieurs du télégraphe a reçu dernièrement une communication très-importante, faite par M. Willoughby Smith sur l’effet extraordinaire de la lumière sur le sélénium. La découverte du sélénium est, comme on le sait, déjà ancienne, mais c’est tout dernièrement seulement qu’on a utilisé ses propriétés particulières dans certaines opérations électriques. Le sélénium, après avoir été fondu et doucement refroidi, possède une couleur éclatante d’un bleu gris ; si on le refroidit rapidement, il prend l’éclat métallique. Sa densité est de 4,50. Il s’amollit à la température de 74° centigrades et devient pâteux à 100° ; on peut l’étirer en fils, quand on le soumet à une plus haute température. D’après des expériences exécutées depuis peu, il paraît que le sélénium est un corps conducteur de
- l’électricité, mais c’est une des substances qui offre le plus de résistance à son passage. Les grandes difficultés qui se présentent pour la fabrication de ce métal rendent les recherches expérimentales assez rares. Cependant, on a obtenu quelques spécimens qui ont permis d’entreprendre des essais du plus haut intérêt.
- Dans le magnifique système imaginé par M. Willoughby Smith et qu’il a introduit pour l’essai des câbles sous-marins pendant leur submersion, il est nécessaire d’établir à la côte une résistance qui indique celle que le câble oppose par son isolation ; le câble est constamment essayé par ce moyen. Un courant provenant d’un nombre donné d’éléments passe à travers un galvanomètre, situé à bord du navire qui déroule le câble ; de là il suit le fil sous-marin et vient aboutir à un second galvanomètre placé à la côte, d’où il se rend dans le réservoir commun, la terre, en surmontant la haute résistance qu’elle oppose. On observe un écart sur l’aiguille du galvanomètre du navire, écart dû à la légère perte qu’éprouve le courant d’électricité dans son trajet à travers le câble aussi bien qu’à son arrivée dans la terre. Un écart constant est donc obtenu (il décroît à mesure que le câble se déroule) et pendant que le système, capable de maintenir cet essai à tout instant, est en action, on a l'énorme avantage de pouvoir établir une libre correspondance entre le navire et la côte, sans interrompre l’essai permanent d’isolation. Cette communication s’établit facilement entre les deux stations en augmentant ou en diminuant légèrement l’écart permanent du galvanomètre, par une modification de la dose d’électricité dans une telle mesure que ces changements puissent être pris comme des signaux de convention.
- Avec ces dispositions, il y a un grand intérêt à employer quelque matière qui possède la résistance requise, il y aurait un grand avantage à ce que cette résistance soit constante sous toutes les circonstances et qu’elle reste aussi invariable que possible. L’auteur de ce système, connaissant les propriétés du sélénium, se décida à faire des expériences à ce sujet. Il obtint plusieurs petits barreaux variant d’une longueur de 5 à 10 centimètres et d’un diamètre de 1 à 1,5 millimètres. Ces petits barreaux, entourés de fils de platine, étaient renfermés dans des tubes en verre. On trouva que le sélénium possédait la haute résistance que l’on recherchait, mais malheureusement il y avait une grande disparité dans sa con-stance et les essais concordaient rarement entre eux. En recherchant les circonstances qui occasionnaient d’aussi grandes différences dans ces résistances, on remarqua en dernier lieu que la lumière était une des causes principales de ce fait, et M. W. Smith découvrit alors que la résistance était modifiée proportionnellement à l’intensité de la lumière à laquelle le sélénium était exposé. Quand les barreaux étaient fixés dans une boîte munie d’un couvercle qui pouvait glisser de façon à intercepter toute | lumière, leur résistance était la plus haute et de-
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- meurait très-cons tante, ils remplissaient ainsi pleinement les conditions recherchées dans cet essai; mais aussitôt qu'on ouvrait le couvercle de la boîte, la conductibilité s’accroissait depuis 15 jusqu’à 100 pour cent, suivant l’intensité de la lumière arrivant sur les barreaux. Différentes expériences eurent lieu pendant lesquelles on interceptait la lumière soit avec la main, soit avec des verres colorés, et l’on trouva chaque fois que la résistance variait avec l’in-terruption de la lumière.
- La température pourrait aussi être une cause d’altération pour les qualités du sélénium en essai, mais il fut prouvé qu’elle n’agissait en rien; on plaça un des barreaux dans un vase d’eau que l’on soumit à diverses températures, la chaleur n’exerçait aucune action sur le pouvoir conducteur du sélénium; la différence dans les résultats était uniquement due à l’accroissement ou à la diminution de la lumière.
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- PLUIE MÉTÉORIQUE
- Le 18 mars de cette année, il est tombé, à Alexandrie, une averse tout à fait extraordinaire; l’eau de la pluie, au lieu d’être pure et limpide, était trouble, jaunâtre et chargée d’un sédiment ferrugineux. L’observatoire météorologique d’Alexandrie, recueillit dans son pluviomètre, un volume assez considérable de cette eau anormale, que M. Giulio, professeur de chimie à l’université de cette ville, s’est chargé d’analyser avec le plus grand soin. Nous avons en notre possession les résultats de ce travail intéressant et nous sommes heureux de les publier, au moment ou l’illustre professeur Nordenskiold, vient de jeter un jour nouveau sur les sédiments atmosphériques; cet explorateur, comme le savent nos lecteurs, a examiné la neige des régions polaires et il y a découvert des granulations de carbone, probablement dues aux débris de météores, pulvérisés dans les hautes régions de l’air. Des pluies analogues à celle qui est tombée à Alexandrie ont fréquemment inondé le sol des pays civilisés, mais c’est à peine si l’on a daigné prêter quelque attention à ces grandes expériences de la nature. Combien de fois n’a-t-on pas repoussé avec dédain le récit d’observateurs sincères rapportant qu’ils avaient vu tomber des pluies de soufre et des pluies de sang, affirmant que l’eau du ciel offrait des propriétés exceptionnelles ! Ce n’était évidemment ni du soufre ni du sang qui coloraient l’eau condensée au sein de l’air, mais probablement la matière des aérolithes pulvérisés, qui s’était mêlée à la vapeur d’eau des nuages, au moment où elle reprenait l’état liquide, ou bien encore les poussières terrestres enlevées du sol par quelque ouragan.
- L’eau tombée du ciel, à Alexandrie, le 18 mars 1873, trouble, et d’une couleur gris jaunâtre, était sans odeur et d’une saveur particulièrement terreuse. Après un long repos elle laissait déposer un sédiment
- brunâtre, tacheté de grains noirâtres, sans qu’elle pût devenir complètement limpide, quel que soit le temps de repos auquel elle était soumise. Quand on la filtrait, la fine poussière qui en troublait la transparence était si ténue qu’elle passait d’abord à travers les pores du filtre, et ce n’est qu’après un grand nombre de filtrations successives, qu’il fut possible de l’obtenir limpide et claire. A cet état, sa densité était de 1,00029.
- Elle n’offrait pas de réaction acide ou alcaline ; elle était par conséquent complètement neutre. D’après M. Guilio, voici la composition de cette eau de pluie.
- Un litre contenait 08,123 de matières solides, formées de 085,067 de substances minérales et de 08,036 de substances organiques. Les matières minérales solubles dans l’acide chlorhydrique étaient formées de carbonate de chaux, de carbonate de magnésie, de sesquioxyde de fer (0gr,016), de traces de silice et d’alumine. Les matières minérales insolubles étaient essentiellement formées de silice et d’alumine. La matière organique renfermait de notables proportions d’azote.
- Les dernières observations du professeur Nordenskiold tendent à démontrer que l’eau condensée à l’état de pluie ou de neige, peut en balayant les hautes régions de l’air, se charger de poussières météoriques, dont elle rapporte les vestiges, jusqu’à la surface du sol. Il y a déjà quelques années, un chimiste des États-Unis, M. Phipson, ayant exposé au vent des plaques de verre enduites d’un corps visqueux comme la gélatine, pendant les nuits où les averses de météores étaient abondantes, a retrouvé de nombreux débris de poussière ferrugineuse à la surface polie de la glace qu’il avait opposée au courant atmosphérique. Il est certain que des météorites se brisent et font en quelque sorte explosion dans les hautes régions de l’air ; il est donc très-naturel que la poussière produite par cette porphyrisation tombe à la surface de la terre, ou est entraînée par les eaux pluviales qui peuvent se former au moment de cette pulvérisation. Il est possible même que ces sédiments célestes jouent un grand rôle dans l’économie de notre globe, et nous ne serions pas éloigné de croire que si les météorites visibles à l’œil nu sont innombrables, ceux que l’on ne voit pas, et qui tombent sur notre terre à l’état de poussière impalpable, sont plus innombrables encore.
- Il ne faudrait pas cependant pousser à l’excès une semblable théorie ; les pluies chargées de substances minérales semblables à celle qui est tombée à Alexandrie peuvent uniquement contenir des poussières terrestres enlevées dans l’air par des vents violents. Sachons être éclectiques dans les explications des phénomènes terrestres, comme la nature l’est elle-même dans les causes qui les produisent.
- Gaston Tissandier.
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- LES PÈCHES DU CHALLENGER
- ASTACUS ZALEUCUS.
- Nous ne manquerons pas de tenir nos lecteurs au courant des découvertes les plus curieuses faites dans cette grande croisière scientifi -que, encore sans précédents dans l’his -toire des explorations du monde, quoique les fonds de la mer aient été explorés déjà, et notamment par des savants français 1. Nous allons inaugurer cette intéressante série en représentant un crustacé aveugle que M. Wyville Thompson nomme l'écre-visse astacus za-leucus. Cet étrange habitant des mers a été découvert à une profondeur de 2000 mètres, dans les environs de Saint-Thomas (mer des Antilles). Il vit donc dans un milieu où règne une pression de 200 atmosphères. Ce qui rend véritablement remarquable la constitution de cet astacus, ce n’est point seulement tel ou tel détail de son organisme, mais l’absence absolue d’organes visuels. Non-seulement les yeux manquent , mais on ne trouve même pas de traces des pédoncules qui dans les genres analogues portent ces organes. Tout a disparu de la façon la plus complète.
- Astacus zaleucus.
- Nouveau crustacé aveugle trouvé à 2000 mètres au fond de la mer. (Grandeur naturelle.)
- Il semblerait que les pédoncules ont été extirpés par un très-habile opérateur, qui aurait trouvé qu’un appareil visuel est inutile à un être destiné à vivre dans d’épaisses ténèbres et qui aurait poussé la
- 1 Voy. \’Expédition du Challenger, p. 97.
- précaution jusqu’à boucher avec une membrane chi-tineuse la base des pédoncules extirpés.
- Si nous examinons les palpes extérieures de notre écrevisse aveugle, nous trouverons qu’elles sont très-longues, comme il convient à un animal qui se meut dans les ténèbres. Quant au rostre, il est terminé par deux houppes élégamment recourbées et garnies de poils qui doivent servir au tact et lui donner une véritable' délicatesse.
- Les deux pinces sont inégales, comme il arrive souvent aux homards, mais ce défaut de symétrie ne provient point d’une disposition attaquant la distribution des organes de part et d’autre de la ligne médiane du corps. Peut-être une des pattes a-t-elle été perdue dans une des luttes désespérées de la vie sous-marine. Plus jeune que l’autre, cette pince mineure est encore à l’état rudimentaire. Quoi qu’il en soit, la pince majeure est pourvue de crocs et de dents qui feraient envie à un crocodile. Tout aveu-glequ’elleest, l’écrevisse zaleucus doit trouver très-souvent moyen d’assouvir sa voracité aux dépens des innombrables habitants du fond des mers.
- SALENICA VARISPINA.
- Ce joli spécimen d’une espèce d’oursin établie par Agas-siz a été capturé, le 24 mars, en quittant
- le port de Charlotte-Amélie (île de Saint-Thomas). Le navire n’avait point encore franchi la passe Culebra, et la mer avait déjà 1250 mètres de profondeur. Les sa-lenica varispina sont très-répandus dans ces parages intéressants du monde sous-marin, où l’on ne trouve que peu de coraux et très-peu de coquillages. Le
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- fond se compose d’un sable onctueux d’une très-grande finesse, où ils peuvent se mouvoir aisément à l’aide de leurs rayons épineux, dont les développements sont, comme on le sait, très-considérables. Quoique le test globulaire de ce rayonné n’ait qu’un centimètre de diamètre, les grands rayons en ont jusqu’à cinq. C’est seulement du côté de la bouche que ces organes ont des dimensions beaucoup moindres. Tous ces organes, surtout ces derniers, sont remarquables par leurs profondes dentelures.
- Dans quelques spécimens on a trouvé des épines légèrement courbes, mais rien n’a justifié l’assertion d’Agassiz qui, d’après l’inspection d’un jeune salenica varispina, prétend que ces étranges organes, qui chez tous les oursins repoussent avec une si merveilleuse facilité , peuvent prendre une forme quelconque. En effet, la majeure partie des épines des individus capturés étaient de même forme. Toutefois on a trouvé quelques rayons ayant une légère courbure. Ceux qui se trouvent dans le voisinage de la bouche ont des dimensions moindres et sont légèrement aplatis en forme de rame, disposition de nature à faciliter la locomotion.
- Tous ces rayons sont imperforés, ce qui permet à l’animal d'introduire par de petites ouvertures microscopiques les proies infimes qui viennent se fixer sur ses épines, et dont il fait en quelque sorte son ordinaire. Ce n’est pas, en effet, tous les jours que sa bouche peut lui servir.
- Salenica varispina.
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- Trouvé à 1200 mitres de profondeur, (Double de grandeur naturelle.)
- Elle est cependant placée, comme on le voit, au milieu d’une série de trous par lesquels il peut projeter les bras gélatineux à l’aide desquels il saisit les proies majeures et les applique avec force contre ce que l’on peut appeler ses lèvres.
- L’organisation intérieure de cet être étrange ne diffère en aucune façon de celle des oursins que l’on recueille sur les rivages de la Méditerranée. La partie qui serait comestible, s’il valait la peine d’aller les pêcher à une profondeur aussi grande, serait les ovaires, qui laissent échapper des germes en nombre
- immense. Cette étrange fécondité n’empêche point probablement les oursins de se reproduire par scissiparité. Aussi, comme bon nombre d’individus ont été brisés par les mâchoires de la sonde, on peut supposer que les échantillons prélevés par le Challenger n’ont pas diminué la population sous-marine. Les individus entamés ont peut-être repoussé à l’époque où nous écrivons ces lignes, grâce à une opération analogue à celle que Médée fit subir à son père Jason pour le rajeunir. Pourtant il n’y a rien de certain à cet égard.
- Les oursins qui possèdent un anus distinct de la bouche, et situé généralement sur la face opposée, marchent en tête de l’embranchement des rayon-nés et sont doués d’une organisation relativement élevée. L’extrême abondance de ces salenica est d’autant plus remarquable que le test lui-même est zébré très-délicatement de bandes rouges et blanches teignant les zones, que l’on nomme ambulacraires et inter ambulacraires.
- Les modifications physiques de l’habitat semblent exercer une influence à peu près nulle sur l’organisation des échidnées en général. C’est ce qui explique que les espèces vivantes offrent tant d’analogie avec celles du monde fossile. Cette race innombrable traverse sans se sentir touchée, les révolutions les plus considérables. Les oursins sont certainement de tous les animaux doués de motilité, ceux qui ont le plus de tendance à se fossiliser. Pendant leur vie, ils res
- semblent tant à la pierre que la nature n’a qu’un bien faible effort à faire pour pétrifier leurs cadavres.
- La présence de ces salenica varispina dans des fonds de 1250 mètres est importante à un autre point de vue. Elle montre que quand nos fossiles tertiaires se sont formés, c’était peut-être au sein d’océans d’une profondeur immense.
- — La suite prochainement. —
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- LA NATURE.
- CHRONIQUE
- Le pétrole. — L’importation du pétrole a atteint le chiffre de 150,385,869 gallons (682,751,945 litres). Ce total présente une différence de 5,250,000 gallons en moins (23,855,000 litres) sur l’exportation de 1871. Cette réduction doit être attribuée aux efforts que l’on a tentés à la fin de 1872 pour élever le prix du pétrole en réduisant la production des puits. Les ports de Philadelphie et de New-York ont expédié ensemble 146,000,000 gallons (662,840,000 litres), tous les autres ports n’ont donc contribué que dans une proportion de 5 pour 100 à l’exportation.
- Les vignobles en 1823. — D'après le Messager du Midi, la récolte en vin s’annonce à peu près partout en France, dans de bonnes conditions. Dans le Maine-et-Loire, le Loiret, le Loir-et-Cher, L’Indre-et-Loire, les vignes sont fort belles. Les vignobles du Bordelais présentent un bel aspect; ceux de la Provence sont également beaux et donnent de grandes espérances malgré l’oïdium et le phylloxéra. En Savoie, dans le Beaujolais et le Maçonnais, les vignes sont relativement dans une excellente situation. Dans la Côte-d’Or, le vignoble est magnifique. Les fruits échappés aux gelées grossissent d'une manière surprenante. Le Jura, la Lorraine et la basse Bourgogne sont les contrées les plus maltraitées. En Roussillon, la récolte sera très-supérieure à celle de l’an dernier. Dans l’Hérault, la plaine de Lunel est touchée par les maladies dans quelques endroits. Si le temps continue à être favorable, la récolte sera avancée, les raisins sont beaux. Dans l’arrondissement de Béziers, nous écrit-on, la température, excessivement élevée depuis deux semaines, est très-favorable aux vignes. La vigne prospère sur divers points et la maturation sera précoce, si, comme d’habitude, les nuits de septembre sont fraîches et humides.
- Exploration dans le Far-WVest. — Le professeur Marsh, de Yale-College, a organisé une expédition scientifique pour explorer certaines régions peu connues du Far-West aux États-Unis. C’est surtout au point de vue géologique que le voyage a été entrepris. Le professeur Marsh et ses compagnons de route sont arrivés, il y a un mois environ, au fort Marcpherson, dans le Nebraska. Des fouilles habilement dirigées ont conduit à la découverte de chevaux et de rhinocéros fossiles. On a trouvé aussi des ossements de chameaux. Ces dernières espèces qui, d’après les investigations nouvelles, habitaient le continent américain, ont disparu dans la suite des temps.
- Francis Ronalds. — Tous les auteurs qui ont écrit l'histoire de la télégraphie électrique parlent d'un Anglais, Francis Ronalds, qui, dès 1816, transmettait des signaux à huit milles de distance par un fil métallique recouvert d’une substance isolante et au moyen de l’électricité statique. Ce précurseur de la plus merveilleuse découverte des temps modernes est mort, le 8 août dernier, à l'âge de quatre-vingt-cinq ans. Il était attaché à l’Observatoire royal de Kew. Pensionné sur les fonds de l’État depuis 1852, anobli en 1870, « en récompense de ses travaux remarquables sur la télégraphie, » sir Francis Ronalds était un vrai savant, nous dit YAthenæum, travaillant sans autre ambition que de trouver la vérité, et sans aucun souci de se faire une réputation.
- Le chloroforme en chemin de fer — Le journal
- anglais the Lancet nous rapporte qu’une dame a été transportée en chemin de fer, pendant un trajet d’une heure et demie, sans qu’elle se doutât qu’elle voyageait, puisqu’elle a été maintenue plus de deux heures dans l’état d’anesthésie chloroformique. The Lancet ne nous parle pas des graves motifs qui ont pu déterminer le médecin à prendre une résolution si énergique; il affirme cependant que l’opération a parfaitement réussi. Le médecin a commencé à endormir la malade à Londres ; elle ne s’est réveillée que deux heures après, mais elle était à Norwood et avait parcouru, sans en avoir soupçon, un espace de plus de 50 kilomètres.
- A propos de la cherté du charbon. — MM. Tel-lefsen Holt et Wills, de Cardiff, observent dans leur circulaire : « Que la cause de la grande élévation du prix du charbon est un léger arrêt dans la production du charbon relativement à l’accroissement ordinaire de cette production. Quand on considère qu'en 1836, la production totale n’était que de 3,600,000 tonnes, et qu’en trente ans, elle s’est élevée à l’énorme chiffre de 120,000,000 de tonnes par an, on doit être émerveillé que la détresse ne se soit pas produite plus tôt. On surmontera cet état de malaise doucement, mais sûrement. Les hommes qui sont affectés à d’autres travaux, les laboureurs, les artisans et même les matelots, sont alléchés par les hauts prix que les mineurs ont obtenus, et ils sont attirés vers les houillères. Les consommateurs font aussi tous leurs efforts pour arriver à économiser le charbon. Ajoutons à ceci que les propriétaires de houillères s’empressent de faire ouvrir de nouvelles et d’anciennes mines que l’on ne pouvait pas exploiter avec profit lorsque les prix du charbon étaient peu élevés. »
- La houille en Amérique. — Les sources les plus abondantes de charbon seront vraisemblablement, dans un avenir prochain, les grands gisements des États-Unis d’Amérique, qui n’ont pas une surface moindre de 518,000 kilomètres carrés. On compte en Amérique plus de vingt gisements, grands et petits. La Pennsylvanie possède 32,780 kilomètres carrés de terrains renfermant de la houille bitumineuse, et 1,217 kilomètres carrés, contenant de l’anthracite ; la Virginie occidentale en a 38,850 kilomètres carrés, l'Illinois 77,700 kilomètres carrés, le Michigan 33,670 kilomètres carrés, l’owa 62,160 kilomètres carrés, et le Missouri 54,590 kilomètres carrés. Si on ajoute à cela les immenses gisements situés dans l’ancien bassin des Apalaches et s’étendant sur une surface de 525,770 kilomètres carrés, on pourra se faire une idée approximative des immenses trésors de houille que renferme l’Amérique du Nord. (La Houille.)
- Un nouveau ver à soie. — Les journaux italiens donnent des renseignements curieux que nous leur empruntons, sur des essais qui se font au Brésil, pour favoriser la production d’une soie fournie par une espèce particulière de papillon jusqu’ici peu connue au Brésil même, et inconnue en Europe. Ce papillon (bombyx saturnia), que l’on appelle communément porta-espejos ou porte-miroirs, a une envergure d’ailes au moins quatre fois plus grande que notre papillon de vers à soie. Chaque génération produit deux cent quarante cocons. Le ver à soie se nourrit de la feuille de ricinus commuais et aussi de la feuille de Yanacardium occidentale. L'aspect du cocon est tout à fait différent de celui des cocons ordinaires. On dirait qu’il est enveloppé d’une pellicule en forme de sac, ressemblant à une toile d’araignée; dès qu’on l’enlève, il reprend sa forme d’œuf. Sa couleur est toujours grisâtre
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- on tissu diffère de celui des cocons européens en ce sens qu’il est tissé comme un nid d’oiseau ; le ver ne s’enferme pas dans le cocon, il y laisse une ouverture par où il s’échappe à l’état de papillon.
- Le travail du bombyx saturnia est assez rapide ; il ne lui faut guère plus de trois semaines pour construire son cocon, et une période égale pour en sortir, en sorte que la récolte de la soie peut s’obtenir en sept semaines environ Le procédé de la filature est très-simple : les fils, grâce à la structure du cocon, se dévident sous l’action de l’eau chaude ; la fibre du fil a beaucoup de consistance. Un seul fil de 12 pouces de longueur peut soutenir un poids de 4 grammes, et une liasse de 54 fils soutient un poids d’environ 1 kilogramme. Les fils sont malheureusement un peu grossiers. On s'efforce d’en obtenir d’une plus grande finesse par des essais ardemment poursuivis, afin de les adapter au tissage et à la couture. Si ce produit de la soie brésilienne pouvait victorieusement sortir de la période des essais, il fournirait de la soie très-bon marché. Les frais de production sont bien inférieurs à ceux que nécessite la culture en Europe. Le cocon est très-abondant dans le nord du Brésil, surtout dans les provinces de Piahuy. Le ver se nourrit sur l'arbre et il résiste aux intempéries. L’arbre abonde tellement qu’on pourrait élever assez de cocons pour suffire à la cargaison de plusieurs navires.
- Le vent chaud des déserts du Turkestan. — Nous avons parlé des températures extraordinaires observées pendant l'expédition russe de Khiva (p. 129). L’Invalide russe donne de curieux détails que nous allons reproduire au sujet de la météorologie de ces régions maudites. On va juger des simouns du Turkestan par les extraits suivants d’une lettre écrite par un officier russe faisant partie de l’expédition.
- « Nous avons essuyé aujourd’hui ce vent brûlant et suffocant auquel M. Vambéry donne le nom de « tebbad » et qui devient si redoutable pour le voyageur des steppes. Il soulève des masses énormes de sable incandescent, change entièrement l’aspect des monticules de sables (barkhans), et enfouit sous le sable des caravanes entières. C’est après avoir traversé l’Amou-Daria et une partie de l’oasis de Khiva, sur une étendue de 60 verstes, que ce vent est venu fondre sur la ville de Khiva. Au soleil, il est insupportable, surtout par une température de 55 degrés Réaumur à l’ombre, comme celle d’aujourd’hui ; on ne respire un peu que dans les saclias (maisons) aux plafonds élevés et dont les volets sont hermétiquement clos. Les indigènes assurent que plus tard il fera encore plus chaud. » Les cas de maladie sont cependant peu fréquents, ajoute le correspondant russe à la date du 10 juillet 1875.
- Vambéry a failli périr sous l’action de ce vent chaud qui menaçait d’enfouir littéralement le voyageur et ses compagnons sous de véritables marées de sable brûlant, et de les enterrer vivants au milieu de déserts abandonnés.
- Curieuse application de la photographie. — Il résulte d’un rapport sur les photographies des criminels à Londres, dit POfficiel d'après le Pall Mali Budget, que, du 2 novembre 1871 au 51 décembre 1872, 575 arrestations ont eu lieu en Angleterre, parce que l’identité des criminels avait pu être établie grâce à leurs portraits photographiés. Pendant cette période, en effet, on a reçu des prisons de comtés et de bourgs à l’Habituai Criminals’ Office, 50,465 photographies de criminels. Ce qui précède prouve donc que l’habitude de faire le portrait des malfaiteurs au moyen de la photographie est utile, et nous dirons de plus qu'il ne coûte pas très-cher, puisque les portraits
- des détenus de 115 prisons de l’Angleterre et du pays de Galles, depuis le jour où l’acte de 1870 eut force de loi jusqu’au 51 décembre de l’année dernière, n’ont coûté que 2,948 1. st. 18 sh. 5 pence. Peut-être devrait-on désirer, pour qu’elle pût rendre des services plus réels, que la galerie des portraits des criminels fût ouverte au public. Il serait possible par là d’arrêter plus facilement les malfaiteurs que la police recherche et sur lesquels elle ne peut mettre la main. Il en serait de même des corps de personnes mortes et qui n’ont pas été réclamés. On trouverait par là, nous n’en doutons pas, le moyen d'arrêter des meurtriers, dont le nom, le plus souvent, reste aussi bien un secret que celui de leurs victimes.
- BIBLIOGRAPHIE
- Leçons d'hygiène, parle Dr Riant (A. Delahaye, 1875). — Cet ouvrage est un de ceux qu’il est bon de signaler ; il est rempli de recommandations que tout le monde devrait mettre à profit. Les règles de l’hygiène, bien suivies, ne sont-elles pas en effet les causes de la santé, de la force physique et de la tranquillité morale qui en est la conséquence? M. le Dr Riant est un de ces esprits laborieux, avides de se signaler par des œuvres utiles, et l’ouvrage qu’il vient de publier est certainement destiné à être apprécié par tous ceux qui se soucient des bienfaits de la santé. L’air et les agents atmosphériques, lumière, chaleur, électricité, sécheresse et humidité, sont d’abord étudiés au point de vue de l’influence qu’ils exercent sur la santé. Les altérations de l’air, les endémies, les épidémies sont passées en revue par l’auteur, qui donne dans la suite de son livre des conseils sur la bonne disposition des habitations, sur les soins du corps, sur les aliments et sur les boissons au point de vue de l’hygiène. L’ouvrage se termine par quelques chapitres fort intéressants sur l’hygiène du travail et sur l’utilité des exercices physiques. M. le Dr Riant recommande la pratique de la gymnastique, de la natation et de tous les exercices du corps, si malheureusement délaissés dans les grandes villes.
- Télescope et microscope, par MM. ZURCHER et NARGOLLÉ (Bibliothèque utile, librairie Pagnerre. Paris). — Ce petit livre, si modeste qu’il soit de format et de prix, nous ouvre ces deux immenses abîmes : l’infiniment grand et l’infini-ment petit. Les auteurs y étudient d’après les travaux modernes les infusoires qui grouillent par milliards dans une goutte d’eau, et les nébuleuses, ces soleils lointains qui scintillent innombrables dans les profondeurs de l'empyrée. L’histoire du microscope et du télescope, les merveilles qu’ils nous révèlent, sont habilement décrites par MM. Zur-cher et Margollé, qui ont réussi à écrire un livre scientifique sous une forme charmante et pleine d’attrait.
- ACADÉMIE DES SCIENCES
- Séance du 25 août 1875. — Présidence de M. BERTRAND.
- Deux nouvelles comètes. — Au nom de M. Le Verrier, absent en ce moment de Paris, M. Wolf transmet la nouvelle de la découverte de deux nouvelles comètes observées, a première le 21 août, à Marseille, par M. Borelly, et l’autre presque en même temps, à Paris, par M. Paul Henry. Cette
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- dernière est ronde, brillante, presque visible à l’œil nu et pourvue d’un noyau central. La comète de Marseille a été soumise par MM. Wolf et Rayet à l’examen spectroscopique et a donné des résultats intéressants. Au lieu des trois bandes que donnent d'oidinaire les comètes, celle-ci n’en fournit que deux, l’une dans le vert, l'autre dans le bleu, et toutes les deux tres-intenses. Ce spectre propre de la comète est noyé dans un spectre continu très-faible résultant de la lumière que l’astre errant reçoit du soleil et réfléchit vers nous. En même temps qu’il fait connaître ces résultats, M. Rayet annonce qu’il a soumis, le 16 août dernier, les focales solaires à un nouvel examen spectral. En examinant le bord solaire au-dessus d’une focale, il a vu, au voisinage de l’astre, les deux raies D caractéristiques du sodium apparaître sans renversement; à une plus grande hauteur, les deux raies étaient renversées, mais en un point intermédiaire, l’une des deux raies seulement, la moins réfrangible, était renversée, l’autre ne l’était pas. Ce fait extrêmement curieux et dont on ne possède pas dT’explica-tion satisfaisante, n’avait jamais été observé jusqu’ici relativement au sodium; on sait qu’au contraire, le magnésium a déjà fourni des phénomènes exactement pareils.
- Théorie solaire de N. Zollner. — Il y a d’autant plus d’intérêt à exposer en peu de mots la théorie solaire de M. Zllner, que le P. Secchi vient d’en faire le sujet d’une discussion approfondie ramenant le contrôle de cette hypothèse à la constatation pure et simple de certains faits astronomiques. Aussi écoute-t-on avec une attention soutenue le résumé qu’en fait aujourd'hui M. Faye. Pour M. Zller, le soleil n’est pas autre chose qu’un globe de matière fondue, à la surface de laquelle se produisent des scories qui sont des taches. Tout autour existe une énorme atmosphère. Avec cela M. Zllner prétend expliquer toutes les particularités de mouvements et de formes que présentent les taches. Pour leur mouvement la chose va assez bien, car il est tout à fait analogue à celui de corps flottants, et cependant certains détails ne cadrent pas avec la manière de voir du savant allemand. Pour les caractères physiques des taches, voici comment M. Zollner expose les choses. On sait ce qui se passe dans l’atmosphère terrestre au-dessus des îles de l'Océan. Celles-ci s’échauffent et se refroidissent plus rapidement que l’eau qui les environne ; il se développe autour d’elles des brises alternativement ma-rines et terrestres, qui constituent assez bien comme des tores dont le sens de rotation change succès-ivement. Sur le soleil, en admettant les îles de scories, la même chose doit se produire avec celte différence, que le sens du mouvement de la brise doit être toujours le même. Donc dans l’atmosphère du soleil, autour de chaque scorie, doit se produire un appel de gaz qui, se refroidissant sous l’action de l’écran qui les sépare de la mer de feu, doivent plonger vers le centre de la tache et se refroidir. En se refroidissant, ces vapeurs peuvent arriver à se condenser au moins partiellement en un nuage dont l’opacité relative doit constituer autour du noyau noir de la tache, le phénomène que connaissent tous les observateurs. Mais ces gaz, qui plongent vers la tache, glissent sur elle dans des directions centrifuges, viennent lécher la surface incandescente du soleil, et, alors subitement portés à une température très-élevée, doivent être lancés dans l’atmosphère jusqu'à une hauteur extrêmement considérable, constituant ainsi les protubérances. On voit qu’en définitive cette théorie est assez simple, mais elle présente tout de suite une difficulté. En effet, ce tore de vapeur moyenne que M. Zollner suppose au-dessus de chaque tache, c’est-à-dire au-dessus du disque du soleil ayant de trois à quatre secondes de hauteur, de
- vrait être extrêmement visible pendant les éclipses totales; or on n’a jamais rien aperçu qui lui ressemble. Mais ce n est pas là l’objection que fait le P. Secchi ; elle est encore bien plus radicale.
- On vient de voir que pour M. Zollner ce sont les taches qui produisent les protubérances ; le P. Secchi affirme que c est toujours le contraire qui a lieu : on voit les protubérances se produire d’abord et déterminer les taches. Il y a là évidemment une difficulté insurmontable. D’ailleurs, il faut remarquer aussi que le point de départ de M Zollner ne peut pas être soutenu. Il est impossible d’admettre que le soleil soit un globe de matière en fusion et encore bien moins que les taches soient des scories. La première supposition mettrait le soleil dans les plus mauvaises conditions de durée, et la seconde serait tout à fait incompatible avec la longue persistance des taches qu’on a vues parfois se maintenir pendant six mois de suite. En effet, chaque mètre carré de la surface solaire livre passage par jour à douze cents millions de calories, c’est-à-dire à une quantité de chaleur suffisante pour fondre en un jour, par simple rayonnement, une couche de fer battu d’un kilomètre d’épaisseur ; et c’est sur ce bain qu’on suppose la formation de scories persistantes! Ces remarques suffisent évidemment pour faire renoncer à la théorie de M. Zollner.
- La ladrerie bovine. — Il y a déjà bien longtemps que Leuckhardt, ayant donné à un veau des œufs du tænia medio canellata, ou tænia à tête inerme, vit l’animal contracter une maladie absolument identique à la ladrerie du porc. Toutefois la question n’était pas élucidée quand M. Saint-Cyr, professeur à l’École vétérinaire de Lyon, trouva une occasion de l’étudier de nouveau. Un élève de l'école, parti pendant la guerre comme garde mobile, revint avec un ver intestinal qui le faisait beaucoup souffrir. Ce ver ayant été évacué, M. Saint-Cyr reconnut qu’il appartenait à l’espèce très-rare qui vient d’être nommée. Il en administra des anneaux à plusieurs veaux et retrouva bientôt dans leurs muscles des cysticerques tout prêts à repasser dans l’intestin de l’homme à l’état du tænia qui les avait produits. Il résulte de ces remarques intéressantes que les bêtes à cornes sont susceptibles d’une ladrerie analogue à celle du porc, et que les inspecteurs de boucherie devront porter dorénavant leur attention sur ce nouveau danger pour la santé publique. — A propos d'entozoaire, mentionnons un tænia de 30 centimètres, déposé sur le bureau et que M. le docteur Jules Séguin a extrait de l’abdomen d’une ablette de 8 centimètres. Le ver était encore plein de vie plusieurs heures après la mort du poisson.
- Le sulfure de carbone contre le phylloxéra. — Dans une lettre de M. Dumas se trouve indiqué contre le phylloxéra l’emploi imaginé par M. Monestier du sulfure de carbone. On fait au pied de chaque cep, au moyen d’une barre de fer, trois trous dans chacun desquels on verse 30 grammes de sulfure de carbone, puis on bouche ces trous avec des bouchons. La lourde vapeur chasse peu à peu l’air renfermé dans la terre autour des racines, et au bout de huit jours tous les phylloxéras sont tués. La dépense est de 15 à 20 centimes par cep et le résultat est, dit-on, assuré. Toutefois l’auteur cherche à remplacer le sulfure de carbone par quelque composé plus commode. Il parait que la vigne ne soufre aucunement de ce traitement. STANISLAS MEUNIER.
- Le Propriétaire-Gérant : G. TISSANDIER.
- PARIS. — IMF. SIMON RAÇON ET COUP., RUE D'ERFURTII, 1.
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- • 15. — 13 SEPTEMBRE 1875.
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- LES PÈCHES DE CHALLENGER
- (Suite. — Voy. p. 220.)
- LE HYALONEMA TOXERES.
- En 1835, Siebold rapporta du Japon un zoophyte étrange composé de deux parties qui semblaient distinctes l’une de l’autre : une tige siliceuse transparente, et des spiculés qui paraissaient incrustées dans un tissu spongieux. M. Gray, chargé de l’examen de ce produit énigmatique des mers mystérieuses , au milieu desquelles surgit cet archipel, déclara que le célèbre explorateur avait décou vert une éponge sur laquelle un polype parasite s’était incrusté. Quelque paradoxale que fût cette opinion, elle prévalut jusqu'en 1867, époque d’une polémique très-ardente entre M. Gray et M. Bowerbank, écrivant tous deux dans les Annales de la Société zoologique de Londres, où M. Gray avait publié son premier mémoire sur PHya-lonema, de Siebold.
- M. Bowerbank prouva très-bien, à la suite de longues analyses microscopiques, que les spiculés, au lieu d’être
- llyalonema toxeres (partie inférieure).
- llyalonema toxeres (partie supérieure). — Grandeur naturelle.
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- introduites après coup dans le tissu spongieux, par un être hostile, sont des organes protecteurs. Ces épines, bizarrement implantées, font partie essentielle de l’éponge qu’elles sont destinées à défendre contre l’avidité des animaux qui peuplent les mers. La discussion qui s’éleva entre MM. Gray et Bowerbank éclata à propos d’un llyalonema Lusitanicum, découvert dans la baie de Lisbonne, et dont M. Gray refusait de faire une espèce distincte.
- Le llyalonema toxeres trouvé par M. Wyville Thompson, ressemb’e également à l’une et à l’autre de ces espèces, qui offrent, comme il est facile de le comprendre, tant de rapports. En effet, on ne peut nettement séparer les éponges les unes des autres, puisqu’il y a quelque chose d’arbitraire dans le groupement des cellules, et dans la forme générale elle-même, ces êtres bizarres n’ayant point une figure aussi nettement définie que celle d’un arbre ou d’une fleur. Ce Hyalo-nema a été découvert dans le même fond que la Sale-nia Varispina. L’expansion ré-niforme que nous avons représentée a environ 7 à 8 centimètres de diamètre. La face supérieure est légèrement concave, et elle possède un assez grand nombre d’ouvertures oscu-laires qui ne paraissent pas avoir été distribuées régulièrement.
- Il en est de même des pores de la face inférieure, où cependant l’irrégularité parait moindre. On peut même reconnaître deux espèces de pores remplissant des fonctions tout à fait distinctes. Il semble que les uns servent d’organes d’absorption et les autres, au contraire, d’orifice d’espul-sion, de sorte que l’eau est animée dans l’intérieur d’un mouvement
- plus ou moins rapide de va-et-vient. Ce double courant est, comme on le sait, indispensable à la vie de l’éponge.
- On voit très-bien, dans le dessin de la partie inférieure, le point d’attache du câble de verre, c’est-à-dire des filaments transparents, en silice, qui retenaient l’éponge au fond de la mer, mais ce curieux organe a été brisé très-près de la tête, et le Challenger n’a ramené que le fragment, mal-
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- LA NATURE.
- heureusement très-court, qui adhérait au tissu spongieux.
- Comment la silice est-elle absorbée et élaborée de manière à produire une construction aussi singulière? c’est un mystère que la découverte de V Hyalonema toxeres ne peut permettre de résoudre. Cependant il n’est point sans intérêt de savoir que cette élaboration si curieuse peut avoir lieu à 1,200 mètres au-dessous de la surface des mers.
- L’épais-eur de l’expansion membraneuse qui termine la tige transparente de notre Hyalonema toxeres, n’a point un centimètre d’épaisseur.
- Cette masse fibreuse est traversée dans tous les sens par des lignes d’une substance plus résistante qui se réunissent et finissent par former le câble de verre. Elle est bordée, dans tous les sens, par une série de cils vibratiles. Ces Hyalonema abondent dans les régions sous-marines voisines de Saint-Thomas, car la drague a saisi plusieurs fragments avant d’amener le spécimen complet qui a permis à M. Wyville Thomp-sondedécrire l’espèce qu’il a cru devoir former. Il n’est point -inopportun de rappeler que la transparence du câble de verre est parfaite dans toutes les espèces d’Hyalonema; c’est même à cette circonstance que ce genre doit son nom, qui en grec veut dire filaments transparents. Ces appendices merveilleux sont des objets si gracieux, que les Japonais en surmontent l’extrémité de faisceaux de papier doré ou d’étoffes brillantes, et eu font des espèces d’aigrettes. Depuis que le Japon est ouvert, les pêcheurs mettent à part les plus beaux spécimens pour les vendre aux collectionneurs d’objets d’histoire naturelle.
- — La suite prochainement, —
- —
- LE CHOLÉRA
- S’il y a un danger réel à parler d’un sujet capable de jeter l’alarme et de causer l’effroi, il y aurait également imprudence à vouloir cacher des faits que nous signale la presse de la plupart des pays civilisés de l’Europe. Il n’y a malheureusement pas à se le dissimuler, l’ennemi est à nos portes ; le fléau a été signale en Russie, en Prusse, en Autriche, dans la haute Italie ; il a fit quelques victimes dans l’hôpital militaire du Havre ; si l’épidémie n’a encore exercé nulle part des ravages terrifiants, elle prend cependant des proportions croissantes dans certains pays. Il est indispensable d’arrêter par des mesures énergiques les progrès de l’épidémie. Les médecins étudient actuellement les moyens qui semblent efficaces pour lutter contre l’invasion menaçante; nous espérons que leurs efforts, joints à ceux des autorités qui multiplient les quarantaines dans les ports, contribueront à nous débarrasser de cette épée de Damoclès, si souvent suspendue au-dessus des sociétés européennes dans le courant de notre siècle.
- A Kœnigsberg surtout, le choléra prend chaque jour un caractère plus menaçant. Tandis que l’on ne
- comptait au commencement d’août que 46 à 18 cas de mort par jour, la mortalité vers le 10 du mois s’est élevée à 40 par vingt-quatre heures1. A la fin du mois dernier, le choléra a enlevé dans la même ville jusqu’à 146 malades par jour2.
- A Magdebourg, à Berlin, à Wurtzbourg, à Munich, les feuilles médicales nous signalent des chiffres analogues. Depuis quelques semaines, le fléau a augmenté ses ravages à Vienne ; il a suivi une progression croissante depuis le 1er août jusqu’au 25, époque à laquelle des renseignements nouveaux ne nous sont pas parvenus. Le comité d’hygiène de la ville a pris les mesures les plus énergiques pour assainir et nettoyer les égouts, désinfecter les vêtements des cholériques, etc. De toutes parts, on s’arme avec intelligence des moyens de défense propres à combattre l’apparition du terrible visiteur. Le choléra est officiellement reconnu à Venise, et les navires nombreux qui vont de cette ville à Alexandrie, sont soumis à une quarantaine dans le port de cette dernière localité. A Gorfou, à Smyrne et dans les ports de la Grèce, une quarantaine est imposée aux navires venant de Trieste et de Venise. Mêmes précautions sont prises au Havre, ainsi que dans certains ports des Etats-Unis, où plusieurs cas de choléra nostras ont été signalés. Grâce à ces mesures hygiéniques, l’épidémie qui a menacé quelques villes, notamment Londres, a diminué rapidement pour disparaître tout à fait. De semblables faits sont bien de nature à nous rassurer , ils semblent nous prouver d’une manière certaine que les lois de l’hygiène, bien appliquées, font reculer le fléau, qui aime surtout à régner dans les localités insalubres et malpropres.
- Au moment où la question émouvante et pleine d’actualité du choléra est à l’ordre du jour, nos lecteurs accueilleront avec intérêt quelques détails historiques que nous sommes en mesure de leur donner.
- Le terme de choléra dérive des deux mots grecs zoXn, z» (écoulement de bile); il a toujours servi aux auteurs anciens pour désigner une maladie que caractérisait un flux intestinal abondant. Le choléra n’a ravagé l’Europe que depuis cinquante ans ; d’après des statistiques certaines, il lui a coûté plusieurs millions d’hommes ; il en a certainement enlevé plus de 300,000 à la France. Il doit être considéré comme une maladie nouvelle dans nos climats, car il diffère complètement des épidémies européennes des siècles qui ont précédé le nôtre. Le choléra est né sur les bords du Gange, au pied de l'Hymalaya, où depuis des siècles il sévit cruellement sur les populations de ces régions du globe. Le livre des Védas, un des plus anciens documents de l’histoire, fait mention du fléau, et nous atteste qu’il remonte aux origines les plus lointaines de la civilisation indienne. Sonerat rapporte que depuis 4768 jusqu’en 1774, le choléra â coûté à Pondichéry et à ses environs plus de 60,000 habitants. En ‘1804, en 1806, en 1816, de
- 1 Ikrliiier IdinUclie Wochenschrift.
- * Cenlrulteiliing.
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- nouvelles épidémies ont encore frappé successivement ces régions de l’Inde, avec la plus cruelle énergie.
- Jusque-là le fléau semble être resté dans le cercle de ses anciennes limites, mais en 1817, il déborde du cadre où il s’était maintenu jusque-là. A cette époque, on le voit gagner de proche en proche les rives du Gange, comme l’incendie qui accroît ses ravages. Semblable en effet à un feu dévorant que rien n’arrête, il attaque Calcutta en septembre, envahit le sud de la presqu'ile de l'Indoustan, traverse la mer, et passe à Ceylan, où il fauche sans pitié la moitié de la population. En 1819, il s’avance plus loin encore, étend ses ravages jusqu’à la presqu’île de Malacca, envahit Java et certaines régions de la Chine ; en 1821, il gagne la Perse, en respectant quelques grandes villes, telles que Téhéran et Ispahan,que les autorités avaient pris soin de protéger par des cordons sanitaires.
- C’est en 1826 que l’épidémie semble pénétrer en Europe pour la première fois. Son foyer se développe dans le Bengale ; le fléau suit bientôt la route des caravanes par l’Asie centrale; il franchit l'Oural et se manifeste, en août 1829, à Orenbourg, où il vient d’être importé par des hordes kirghizes. Désormais les frontières de l’Europe sont franchies par le choléra ; le germe terrible est semé ; il croît et se multiplie. En 1851, il immole par milliers les victimes dans tout l’empire russe, depuis Moscou jusqu’à Odessa ; il trouve en Europe des conditions favorables à son extension, de grandes agglomérations humaines et des mouvements continuels de la population. Les troupes russes l’emportent avec elles jusqu’à Varsovie. Le fléau marche peu à peu vers les contrées de l’ouest; une fois en Pologne, il est aux portes de l’Autriche et de la Prusse qu’il envahit en 1851. L’Allemagne tout entière est saisie de terreur et comme de vertige en présence des désastres causés par cette première apparition du choléra asiatique, que l’on appelle bientôt le choléra nostras ou sporadique. Cette date de 1851 est celle de l’apparition définitive du fléau dans l’Europe occidentale. L’Angleterre est bientôt frappée ; l’importation se fait par l’entrée dans un de ses ports d’un navire infecté venant de Hambourg. Dans les premiers mois de 1852, le choléra est signalé à Paris, puis quelque temps après en Belgique et en Hollande. L’invasion de la Hollande par le fléau est due à un simple pêcheur qui, atteint du choléra en Angleterre, viola la quarantaine établie dans les ports hollandais ; de nombreux cas de l’épidémie se signalèrent d’abord autour de lui, et se développèrent peu à peu sur une grande étendue. Les épidémies, de 1852 à 1856, ont été fréquentes et terribles sur divers points de l’Europe ; c’est pendant cette période qu’elles ont étendu leurs dévastations à Toulon, à Marseille et jusqu’en Algérie.
- Après 1856, une période de neuf années s’écoule sansque le choléra soit nulle part signalé en Europe. En 1811, il sévit à Téhéran, dans la Perse, où des pèlerins indiens l’importent à la Mecque. 11 gagne la
- mer Noire, Moscou et Saint-Pétersbourg en octobre 1847. Il jaillit de là sur l’Europe entière et ne respecte cette fois aucune contrée de notre continent. La Suède et la Norwége sont atteintes, et bientôt les Etats-Unis payent eux-mêmes leur tribut au fléau, qui frappe New-York, la Nouvelle-Orléans et certaines parties du Canada. La France fut de nouveau visitée par le choléra en 1855, 1854 et en juin 1865. C’est encore cette fois par les pèlerinages de la Mecque que l’épidémie est parvenue jusqu’à nous. Après avoir causé la mort de 25,000 habitants à la Mecque, elle étendit ses ravages à Constantinople, à Malte, à Marseille. Elle gagna Toulon, et Paris le 15 septembre.
- On voit par ce tableau succinct que le choléra a presque toujours suivi les mêmes routes dans sa marche envahissante. A trois reprises différentes, il s’avance de son centre de production, jusqu’aux confins de l’Europe, traverse la Russie et l’Europe centrale. Une quatrième fois il change son itinéraire et nous envahit par la Méditerranée, infestant l’Europe méridionale avec les voyageurs et les vaisseaux. L’implacable visiteur suit à n’en pas douter les grandes routes que l’homme parcourt, et ses allures paraissent être d’autant plus promptes que les communications sont plus fréquentes. Il suffit d’un voyageur atteint par le fléau pour en semer le poison dans une nation fout entière!
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- L’ŒUVRE DE MAURY
- (Suite et fin. — Voy. p. 203.)
- GÉOGRAPHIE PHYSIQUE ET MÉTÉOROLOGIE DE LA MER.
- Nous avons dit que cette nouvelle branche de la science avait eu son origine dans les études relatives à la construction des Caries de vents et de courants. Ces études, qui embrassaient les observations de toute nature faites par les navigateurs durant leurs traversées, ouvraient un champ illimité de recherches, aussi favorables aux intérêts de la science qu’à ceux de la navigation et du commerce. Mais Maury avait très-bien vu que tout système d’observations, pour produire des résultats, doit être organisé en vue de questions posées d’une manière précise. L’adoption par la conférence de Bruxelles d’un mode uniforme d’observations météorologiques à la mer, fut le point de départ d’un rapide progrès dans la connaissance des phénomènes et des mouvements généraux de l’atmosphère et de l’Océan. Les principales nations maritimes, intéressées plus directement à ce progrès, réunirent en peu d’années de très-nombreux documents, dont le rapprochement permit d’entrevoir le brillant avenir réservé à la météorologie et à la géographie physique du globe.
- A la première page de ses instructions nautiques Maury disait: « Dans les travaux de notre entreprise nous nous sommes imposé une loi absolue, dont
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- LA NATURE.
- l’expérience nous a démontré le prix : nous maintenir étranger à toute théorie préconçue, ne jamais désirer que nos recherches vinssent à l’appui d’un point de vue plutôt que d’un autre, ne jamais laisser l’opinion devancer les faits dont elle doit être l’expression, telle est cette loi. Une fois ces faits étudiés, sinon toujours suffisamment, du moins autant que le permettaient les données dont nous dispo-sions, nous avons cherché à en donner l'explication. Lorsque plusieurs solutions venaient à se présenter, nous avons choisi celle qui, en dehors du point considéré, s’accordait avec le plus grand nombre possible de faits déjà connus, et nous ne l’avons offerte que sous toutes réserves. »
- C’est en restant fidèle à ces principes que Maury, .s’appuyant d’ailleurs sur les travaux des savants illustres, vit son œuvre s’agrandir et embrasser bientôt presque toutes les mers du globe, environ les trois quarts de la surface totale de notre planète. Jamais champ plus vaste n’avait été ouvert à la science, et les travaux qui viennent chaque jour en montrer la fertilité disent assez tout l’attrait qu’il offre à la curiosité des explorateurs.
- Nous ne pouvons ici qu’indiquer quelques-uns des principaux sujets traités par Maury, et qui renferment les éléments des plus intéressantes et des plus utiles études : « Le vent et la pluie, les vapeurs et les nuages, les marées et les courants de l’Océan, sa salure, sa profondeur, sa chaleur et sa coloration, la température de l’air, les teintes des nuages et leurs formes, la hauteur des arbres, la grandeur de leurs feuilles, l'éclat de leurs fleurs, tous ces faits sont, pour ainsi dire, les exposants de certaines combinaisons physiques, ou mieux encore, le langage dont se sert la nature pour nous faire connaître ses lois ; or, comprendre ce langage, interpréter ces lois, tel est notre but, et pour y arriver nulle observation ne doit être dédaignée. »
- Les grandes lois de la circulation atmosphérique trouvent plutôt leur application sur mer que sur terre, et en thèse générale, pour ce qui les concerne, la mer est la règle et la terre l’exception. On comprend dès lors l’importance des travaux qui coordonnent les observations des marins sur les vents pour tous les points de l’Océan et pour chaque saison de l’année. Déjà d’ailleurs, dans le cours de ces travaux, nombre de faits remarquables ont été indiqués, notamment sur les climats des différentes régions du globe, et sur le rôle géologique des vents. On sait que les mêmes latitudes ne donnent pas toujours les mêmes productions du sol. Les climats du Labrador et de l’Angleterre, de la Virginie et de la Californie, de l’Australie et du bassin de l’Amazone, régions en partie comprises sous les mêmes parallèles de latitude, diffèrent beaucoup, et cette différence exerce une influence considérable sur leurs ressources agricoles. En Angleterre on laisse presque toute l’année les troupeaux au pâturage, pendant qu’au Labrador l’hiver est si rigoureux que l’homme même peut à peine trouver de quoi subsister. Dans cette froide
- contrée les vents dominants soufflent de l’ouest, comme dans les plus doux climats de l’Europe occidentale ; mais au lieu de venir de la mer et d’appor-ter des vapeurs chargées de calorique, ils arrivent du côté de la terre et sont presque toujours secs.
- Nous aurions encore à indiquer l’influence sur les climats des grands courants océaniques: le gulf-stream, le courant noir du Jupon, le courant de llum-boldt sur la côte ouest de l’Amérique du Sud, etc., et à montrer la relation de ces courants avec les vents qui en suivent la direction. Mais nous devons nous renfermer dans les limites d’un simple résumé, et nous nous proposons d’ailleurs de revenir bientôt, dans une description du gulf-stream, sur cette très-intéressante partie de la géographie physique de la mer.
- L’étude des mers intérieures montre avec évidence que les vents jouent en géologie un rôle important. La mer Moite, la mer Caspienne, la mer d’Aral, les grands lacs de l’Amérique du Nord, ont eu jadis un niveau plus élevé, des pluies plus abondantes qu’aujourdhui, par suite de la plus grande quantité de vapeurs que les vents y apportaient. Les diverses transformations géologiques de la surface terrestre, les chaînes de montagnes qui se sont formées par soulèvement, les continents qui ont surgi du fond de la mer, ont nécessairement fait varier la quantité de vapeur d’eau transportée par les vents. Partout où l’évaporation a surpassé la précipitation, le niveau des mers intérieures et des lacs a dû baisser jusqu’au rétablissement de l’équilibre par la diminution progressive des surfaces d’évaporation. En se plaçant à ce point de vue, on voit que « l’histoire des âges de notre globe est écrite sur les ailes des vents, en partie du moins, en caractères aussi lisibles que ceux dont la nature a laissé l’empreinte sur les roches où le géologue va les déchiffrer. »
- Les pluies de poussière, appelées par les marins brumes rousses, à cause de la couleur rouge brique ou cannelle de la poussière recueillie, servent, pour ainsi dire, à étiqueter les vents et permettent de suivre leur trajet à travers l’atmosphère. Ces pluies sont fréquentes entre les parallèles de 17° et 25° nord, et dans le voisinage des îles du Cap-Vert. On a cru longtemps qu’elles étaient originaires d’Afrique. Mais les expériences microscopiques d’Ehrenberg ont démontré que la poussière qui les forme se compose d’infusoires et de débris organiques provenant de l’Amérique du Sud. Aux époques où les vallées du bas Orénoque et du bassin de l’Amazone sont converties en déserts arides, la poussière qui tourbillonne dans les savanes desséchées est élevée par des ouragans équinoxiaux jusqu’à la région des courants atmosphériques qui passent au-dessus des alizés, et transportée par ces courants à travers l’Atlantique. Nous citerons à ce sujet un fait curieux récemment observé. Le quatrième jour après le début du terrible incendie qui a détruit Chicago, on recueillait aux Açores de la cendre transportée par les vents, en même temps que le ciel prenait un aspect roussâtre
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- du côté du nord-ouest, et qu’une odeur empyreuma-tique se répandait partout.
- Les grandes sondes faites par la marine américaine depuis l’adoption du plan recommandé par Naury, et le perfectionnement des procédés de son-
- dage, ont donné une vive impulsion à ce genre de recherches. En rectifiant des idées erronées sur la profondeur des mers, on a pu déterminer avec une approximation suffisante l’orographie de certaines parties de l’Océan. Les sondes d’après lesquelles a
- CARTE DES PROFONDEURS DE L'OCEAN ATLANTIQUE
- été dressée la carte de l’Atlantique depuis le parallèle de 50° N. jusqu’à celui de 10° S., n’ont pas donné de profondeur supérieure à 7,045 mètres (Voy. la
- carte ci-dessus). C’est probablement entre les Bermudes et les bancs de Terre-Neuve que se trouvent les plus grands fonds. Du cap Race, sur l’île de Terre-
- COUPE DES PROFONDEURS DE L'ATLANTIQUE
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- Neuve, au cap Clear en Irlande, s'étend le plateau sous-marin sur lequel a été posé le premier câble télégraphique unissant l’ancien et le nouveau monde.
- C’est aussi sur ce plateau qu’ont été d’abord recueillis les échantillons du fond composé de coquilles microscopiques dans un état parfait de conservation. L’examen de ces coquilles a mis en lumière des faits d’une grande importance, tant pour la géologie que pour la zoologie, et les lecteurs de la
- Nature ont pu déjà apprécier, dans les intéressants articles de notre collaborateur M. J. Girard, tout l’attrait des études qui ont pour objet le prodigieux travail des myriades d'animalcules dont les profondeurs océaniques sont peuplées.
- Les courants de surface et les courants sous-marins, les mouvements lents connus sous le nom de dérive de l’Océan, la salure et la densité des différentes mers, leurs températures, b s grands mou-
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- DS C ©
- LA NATURE.
- vements et les phénomènes de l’atmosphère, ont donné lieu à d'innombrables observations, résumées dans la géographie physique de la mer avec un rare esprit de généralisation. L’entreprise si véritablement internationale qui a été le point de départ de ces observations est poursuivie par des savants éminents en Amérique, en Angleterre, en Allemagne, en Hollande, en Italie, en France, dans la plupart des États civilisés, et les résultats obtenus permettent d’espérer que les masses de documents qui sont maintenant coordonnés et discuté, conduiront aux plus importantes applications théoriques et pratiques. L’avenir de la science, principalement de la météorologie, est dans l’association. Le lieutenant Maury a mis sur la voie de ce progrès par la réalisation d’une idée aussi simple que féconde : l’étude et la discussion des observations enregistrées dans les journaux de bord. Mais les premiers et admirables fruits de cette heureuse idée ont été dus à ses méthodiques études, à sa pénétrante induction, à son profond amour de la nature, et à l’élévation d’un esprit d'élite dont la place est marquée dans la glorieuse histoire de la science au dix-neuvième siècle.
- ELIE MARGOLLÉ.
- LES CRIQUETS DÉVASTATEURS
- Il ne se passe pas d’année où l’on ne lise dans quel-que journal un récit d’invasion de Sauterelles, des calamités qui en résultent, et souvent des craintes si justifiées de la famine, conséquence de la visite des terribles cohortes ailées. L’Algérie vient de nouveau, en 1875, d’être éprouvée parleurs ravages.
- Si, depuis l’avant-dernière plaie d’Egypte, on est bien édifié sur le fléau, on connaît encore fort mal les agents. Les espèces migratrices de l’Amérique et de l’Australie sont pour la plupart inédites, et beaucoup de confusion existe relativement aux espèces qui envahissent l’Europe ou les régions de l’Asie Mineure et du nord de l’Afriq æ, qui sont ses dépendances commerciales les plus voisines dans les deux plus grands continents de l’ancien monde. . Peut-être rendrons-nous service en présentant à cet égard des notions scientifiques encore assez incomplètes.
- D’abord que signifie le mot Sauterelles? Rien qu’il y ait des genres sauteurs dans divers ordres d’insecte-, on applique seulement ce nom à ceux des orthoptères dont les cuisses postérieures sont longues et épaisses et pourvues de muscles puissants.
- Repliées contre la jambe qui s’appuie sur le sol, elles se débandent brusquement en se redressant et lancent le corps de l’animal en avant comme par l’effet d’un ressort. Nous reconnaissons les orthoptères à leurs grandes ailes hétéronomes, existant dans la plupart des espèces, les antérieures en général étroites et coriaces surtout au bord antérieur (pseudé-lytres), les postérieures (ailes principales) membraneuses, amples, élégamment repliées en éventail
- au repos, afin que les pseudélytres puissent les recouvrir et protéger contre les chocs et les déchirures la voile délicate. Les orthoptères constituent les gros mangeurs parmi les insectes; ils sont pourvus de pièces buccales courtes et fortes, propres à broyer et à couper les végétaux. En outre leur tube digestif à nombreuses poches rappelle l’estomac multiple des ruminants, qui sont, eux aussi, les grands destructeurs des plantes.
- Tout d’abord élucidons une question de vocabulaire entomologique, à propos des insectes orthoptères dévastateurs ; il y a peu d’exemples en zoologie d’aussi grands écarts entre le langage vulgaire et les noms de la science exacte.
- Les véritables sauterelles sont les Locustiens. Leur type le mieux connu est celui de la grande sauterelle verte (Locusta viridissimaJÀnn.), VàSauterelle à coutelas, de Geoffroy, qui vole à quelques mètres de distance, en étalant ses vastes ailes de gaze verte, dans les blés, les prairies, les plates-bandes de légumes, les bordures des champs. Le mâle, retiré souvent dans les haies et caché par les feuilles, chante pendant toute la nuit à la fin de l’été. On croirait entendre zie, zic,zic, avec des interruptions égales à la durée de chaque note. C’est ce grand et bel insecte qu’on nomme souvent la Cigale, aux environs de Paris.
- Il est représenté en tête de la fable classique, dans des anciennes éditions illustrées, faites sous les yeux de La Fontaine, qui partageait l’erreur commune. Si l’on examine de près cet insecte caractéristique et qui n’est pas nuisible, on observe que ses pattes se terminent par des tarses de quatre articles. Le nombre des articles des tarses fournit, comme on le sait, d’excellents caractères de classification aux entomologistes. En outre, ces insectes ont de longues et Unes antennes, et les Locustiens femelles oftrent l’abdomen prolongé par un long tuyau en gouttière, destiné à la ponte des œufs. Cet oviscapte, qui rappelle par la forme un coutelas ou un sabre, selon qu’il est droit ou courbe, indique des insectes qui déposent leurs œufs dans des cavités, des fentes du sol, des fissures des végétaux. Le chant des Locustiens est produit, presque exclusivement chez les mâles, par le frottement de certaines parties des pseudélytres ou ailes de devant l’une contre l’autre. C’est la résonnance du tambour de basque, toujours avec la même note, variant suivant les espèces, d’une monotonie fatigante.
- Les orthoptères dévastateurs appartiennent à un autre groupe : les Acridiens ou Criquets. Les différences sont très-notables pour quiconque a un peu l’habitude d’observer. Les antennes sont plus ou moins courtes et épaisses. Les tarses n’ont plus que trois articles. Les femelles ne présentent plus au bout de l’abdomen le tube allongé des précédentes. Les qua-ti e pièces accolées deux à deux sont devenues quatre valvules, courtes et pointues, deux supérieures, deux inférieures. Aussi la ponte a lieu sur le sol même ou dans de vastes creux où l’insecte peut introduire tout
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- son abdomen. En outre les organes musicaux sont différents. Les violonistes remplacent les cymbaliers. Le chant des mâles résulte du frottement des pattes de derrière, munies d’épines ou de stries, contre les grosses nervures des pseudélytres. La note est grave quand le mouvement de la patte est allongé et lent, aiguë s'il est court et précipité. Les timbres diffèrent selon les espèces, comme avec des crécelles de bois, de carton ou de métal. Ces stridulations sont plus variées que celles des vraies sauterelles ou Locustiens. De plus, elles ne se produisent que pendant le jour. Les mâles aiment à se chauffer au soleil juchés sur les hautes herbes. Dans certaines especes ils font à l’approche des femelles des contorsions bizarres, comme pour les séduire et attirer leur attention. Le chant d’appel ou d’amour est plus doux et d’une autre note que le chant de jalousie et de colère, quand plusieurs mâles se rencontrent.
- En Algérie on devrait, depuis longtemps, être éclairé sur ces insectes en raison de trop fréquentes et cruelles expériences. Cependant la routine l’emporte encore et on ne peut adopter, même officiellement, un langage exact. On y appelle sauterelles les jeunes acridiens dépourvus d’ailes, et criquels ceux qui, parvenus au développement complet, promènent au loin, avec le secours des vents, leurs légions affamées. Lors de la dernière grande invasion de notre colonie, dans l’article du Moniteur qui annonce le fléau à toute la France et l’ouverture d’une souscription publique (1er juillet 1866), il est dit que les sauterelles donnent naissance à des légions de criquets. Autant vaudrait scientifiquement prétendre que le faon du cerf devient un bœuf. Malheureusement, chez nous, ces erreurs d’histoire naturelle sont des plus fréquentes, même parmi les personnes instruites. Cela tient surtout à la déplorable idée qui a germé dans quelques cerveaux de théoriciens satures de mathématiques pures, lorsque, sous leurhaute et maladroite initiative, les sciences naturelles ont subi un véritable ostracisme dans l’enseignement secondaire, et cela parmi les compatriotes de Cuvier et de Geoffroy Saint-Hilaire.
- Les criquets, comme tous les orthoptères, sont des insectes à métamorphoses dites incomplètes. A leur sortie de l’œuf ils sont agiles et pourvus de leur conformation définitive. Ils n’ont plus qu’à s’accroître en taille, à acquérir les organes alaires et à développer un appareil génital rudimentaire. Leurs mœurs, leur nourriture restent les mêmes pendant toute leur vie. Il paraît probable, comme l’indique Murray, que cela dépend d’un développement embryonnaire très-avancé, et qu’ils subissent sous les enveloppes de l’œuf les phases que d’autres insectes accomplissent au dehors, celles de larve et de nymphe sédentaire ou second œuf. De cette façon tout se trouve ramené à un plan unique.
- Nous aurons à examiner les principales espèces qui nous infligent ces dévastations, rangées par nos ancêtres au nombre des plus cruels châtiments de la colère céleste, puis nous indiquerons, dans une revue
- rapide, quelques détails historiques sur leurs apparitions en France et en Algérie. Il est tout d’abord un fait encore inexpliqué et très-important. La plupart des espèces d’Acridiens, quoique considérables en nombre d’individus, restent disséminées sur d’immenses espaces, surtout dans les localités montagneuses et arides, et ne causent pas de véritables dégâts. D’autres,zoologiquement analogues, demeurent aussi à l’ordinaire cantonnées dans des steppes lointains, ainsi dans la Tartarie ou au Sahara, et n’ont qu’une locomotion très-bornée, prolongeant leur saut par un vol de quelques mètres, qui n’est le plus souvent qu’une action de parachute. Mais en certains moments, sans doute lorsque les parasites sont devenus impuissants à restreindre dans de justes limites l’accroissement prodigieux d’une famélique multitude, quand toute nourriture manque, l’instinct migrateur se développe. Les insectes en général s’écartent peu des lieux qui les ont vus naître et qui nourriront leur postérité ; des circonstances insolites, une sorte de pressentiment mystérieux, amènent des voyages au long cours, dans tous les ordres de ces miniatures zoologiques si hautement privilégiées par leurs fonctions de sensibilité et de locomotion, et, je dirai meme, par les lueurs intellectuelles. Ne voit-on pas des voyages aériens des papillons blancs du chou et de la rave, ou de la belle-dame (Vanessa cardui, Linn.), et aussi des coccinelles ou bêtes à bon Dieu. Les sphinx du liseron et du laurier rose viennent des profondeurs de l’Afrique jusqu’en Angleterre renouveler des espèces imparfaitement appropriées à nos climats, et destinées à disparaître sans cette immigration; de même que les colonies de la race européenne dans la zone torride boréale ont besoin de renouveler, par de continuelles arrivées de sujets d’origine, une race où la reproduction s’arrêterait sous l’influence d’un climat débilitant. Les insectes des mares (coléoptères, hémioptères) passent souvent plusieurs générations sans faire usage de leurs ailes; tout à coup, la proie épuisée, ils s’envolent par quelque chaude soirée d’été, et portent le ravage dans des eaux nouvelles.
- Quand les Acridiens dévastateurs vont entreprendre leurs funestes pérégrinations, ils passent quelques jours à se préparer. Grimpés sur les broussailles ou au sommet des gazons brûlés par le soleil, on les voit gonfler et rétrécir alternativement les anneaux de leur abdomen.
- Ce sont des mouvements d’inspiration par lesquels ils chargent d’air leurs trachées ou tubes respiratoires, emmagasinant une forte provision d’oxygène, source de force musculaire par la combustion. Ces trachées, qui à l’ordinaire sont plates et paraissent dans la dissection sous l’eau comme de minces rubans d’argent, deviennent gonflées et cylindriques, avec des vésicules plus renflées par places.
- Comme à un signal, précédée de quelques essaims d'avant-garde, une immense armée de destruction et de mort prend son essor, et, gagnant une couche atmosphérique où règne le courant propice, se dirige
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- LA NATURE.
- vers les régions cultivées, parcourant des centaines de kilomètres en nuage qui intercepte le soleil.
- Le choc précipité des ailes ressemble au sombre mugissement de la mer courroucée. Il me parait certain, d’après mes expériences sur les insectes bons voiliers, que la température du corps, d’ordinaire assez faible parmi les orthoptères, qui volent peu, doit alors présenter un grand excès au-dessus de l’air ambiant, comme chez les sphinx, où la main suffit pour constater une forte chaleur, lorsque pendant les soirées fraîches de septembre, on saisit entre les doigts leur corps frémissant.
- Maurice Girard.
- — La suite prochainement. —
- —
- LA TÉLÉGRAPHIE ATNOSPHÉRIQUE
- (Suite et fin. — Voy. page 195-212.
- LES DÉRANGEMENTS.
- Il n’est pas de visiteur qui, voyant partir les curseurs engagés dans les tubes pneumatiques, ne pose cette question : « Si les boîtes s’arrêtent en chemin, comment peut-on les retirer ? » Pour satisfaire cette curiosité, nous passerons en revue les divers organes de la transmission , et ainsi nous classerons les dérangements.
- Commençons par les tubes.Ils peuvent pécher par un défaut de j)oli intérieur, par des joints à ressaut, par des fuites d’air à ces mêmes
- Diagramme du chronographie.
- 1. Ligne du trembleur électrique. — 2. Ligne du pendule à secondes, 3. Ligne de la membrane.
- joints. Dans l’établissement, des précautions ont été prises contre ces trois sortes de dangers. Le degré de poli est suftisamment parfait : cette qualité est obtenue, sans alésage, au moyen dépassés sur un mandrin, effectuées avant que le tube soit complètement refroidi. Les joints représentés fig. 2 (p. 198), donnent une continuité presque mathématique à la surface intérieure ; enfin, des garnitures de caoutchouc assurent Yétanchéité.
- De ce côté donc, il y a peu de chances d’avaries, et par conséquent d’arrêts des trains. En fait, depuis 1866, il n’y a pas eu un seul accident causé par le vice des tuyaux : il est utile de rappeler que l’expérience est faite sur une longueur de 20 kilomèlres Reconduites posées, que les joints se succèdent tous les 5 mètres, enfin que dans la taversée delà Seine, le tube est fixé au tablier d’un pont métallique.
- Dans la deuxième catégorie d’organes, sont les machines produisant l’air comprimé ou raréfié. Nous ne dirons rien des dérangements qui en dépendent, ils n’ont pas de caractère spécial à l’application présente, on y remédie par les moyens connus.
- Il reste les boîtes. Des types nombreux ont été essayes avant le système des deux étuis en tôle et en cuir, dont la fermeture est hermétique et l’ouverture facile. Par sa simplicité, ce mode a prévalu. Mais il n’est pas dans la condition humaine de réaliser la perfection ; il arrive donc quelquefois que des boîtes s’ouvrent pendant le trajet. Comment cela se produit-il, c’est plus difficile à expliquer dans chaque cas particulier.
- Tantôt la collerette du piston est en muvais état et l’air divise le train ; les étuis se séparent et les dépêches se sèment dans le tube. D’autres fois, des rides se forment dans l’enveloppe de cuir, dont l’effet est de coincer le train si bien qu’il est impossible de le faire démarrer. Une autre forme du dérangement, c’est quand le piston se casse, et que les morceaux se placent entre les boîtes et le tube. On conçoit que nous ne puissions épuiser la série des incidents de cette nature; dans les huit d-rangements en moyenne par année, que présente l’exploitation, il est rare de trouver deux fois la répétition de la même cause. La cause d’ailleurs ne présente qu’un intérêt d’instruction pour l’avenir, il faut aller au plus pressé et sauver rapidement le train en détresse.
- Souvent des manœuvres alternées avec l’air comprimé et l’air raréfié dégagent l’obstacle ; à Berlin, pour le
- même objet, M. Siemens emploie de l’eau forcée avec laquelle il inonde la conduite. L’important est d’extraire le train, sans avoir besoin de démonter la ligne. Quand on a épuisé la série des moyens thérapeutiques anodins, il faut alors recourir à l’opération de la fouille. On voit ainsi apparaître la nécessité d’une détermination préalable, suffisamment précise, du lieu du dérangement. Un premier moyen est indiqué par la nature de l'in-stallation. On a à sa disposition un réservoir d’air comprimé à une certaine pression ; si cet air est répandu en partie dans la section du tube comprise entre le réservoir et l’obstacle, la pression nouvelle est dans un rapport connu avec \&pression primitive. En deux mots, la loi de Mariotte, qui règle les rapports des pressions et des volumes d’une même masse de gaz dans deux circonstances différentes, fournit
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- Cl
- le moyen de trouver un des éléments (volume), quand on connaît les trois autres (deux pressions et un volume). Nous n’en dirons pas davantage, ce moyen ne comportant qu’une précision relative.
- M. Siemens préfère mesurer la quantitéd'eau qu’il faut dépenser pour remplir la ligne jusqu’à l’obstacle ; la précision doit être plus grande, mais il faut convenir que le procédé, malgré la simplicité apparente, a un aspect quelque peu primitif. On voit bien comment on introduira cette grande masse d’eau, mais il est plus difficile de concevoir qu’elle se puisse enlever aisément,
- Nous parlerons, pour finir, d’un moyen détourné, auquel s’applique notre gravure. Nous exposerons le principe avant de décrire l’appareil.
- Le lecteur sait que lorsqu’on produit un ébranlement à l’origine d’une conduite remplie d’air, cet ébranlement se propage dans l’air de la conduite avec une vitesse de 530 mètres par seconde. Quand l’ébranlement rencontre un obstacle, il se réfléchit et revient au lieu d’origine avec la même vitesse de 350 mètres par seconde. Si donc on compte le temps qui s’écoule entre le départ et le retour, la durée ainsi définie correspond au trajet de l’ébranlement
- 1elegraphie atmosphérique. — Chronographie pour la deterinination du point d’arrêt des curseurs.
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- sur une longueur égale au double de la distance de l’obstacle ; de l’observation de la durée, on conclut facilement la valeur de la distance.
- Exemple : L’intervalle de temps entre le départ et le retour de Vonde produite par l’ébranlement est de 1/5 de seconde ; le double trajet a pour expression 330m . .
- — - — 110m, et la distance de l’obstacle est de a
- 110 yp .
- —o — 55 mètres.
- J
- Pour réaliser l’expérience, qui n’est autre chose que celle qui donne la mesure de la vitesse du son dans l’air, on a reproduit la méthode appliquée par M. Régnault à l’étude de la propagation dans les canalisations de la ville de Paris.
- Les traces du départ et du retour de l’onde sont
- enregistrées sur un chronographe, au moment de la fermeture d’un circuit électrique, qui est obtenue par le mouvement d’une membrane de caoutchouc placée à l’extrémité libre du tube.
- On connaît la propriété du courant électrique, d’aimanter un fer à cheval par son passage autour des deux noyaux. L’aimantation du fer à cheval communique à une palette placée au-dessus des pôles une attraction, qui cesse dès que le courant est rompu. Sans qu’il soit besoin de plus d’explications sur ce dispositif connu qui est la base de presque tous les appareils télégraphiques, on accordera qu’avec des conducteurs convenablement établis, il sera possible de faire marcher l’armature du fer doux (électro-aimant), comme la membrane élastique; en d'autres termes, si la membrane se soulève 2, 5, 4
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- fois dans une seconde, l’armature s'atlachera 2,3, 4 fois dans le même temps au noyau, et les durées comme les intervalles des contacts seront identiques dans les deux appareils.
- Ceci posé, nous revenons au chronographe. Le temps s’y marque et s’y compte au moyen ^électro-aimants qui sont en relation avec les instruments usités dans cette mesure. Les battements d’un pendule à secondes sont répétés électriquement et enregistrés suivant une ligne n° 2 (voy. la gravure ci-contre), qui est décrite par une pointe fixée à l'élec-tro-aimant, sur un cylindre enfumé animé d'un mouvement de rotation continu. L'électro-aimant dont la pointe décrit la ligne n°2, est mobile sur un chariot qui s’avance suivant une génératrice du cylindre, en même temps que celui-ci tourne.
- Le chariot porte deux autres électro-aimants : l’un correspond à un subdiviseur du temps qui donne les fractions moindres que la seconde. C’est lui qui trace la ligne n° 1, représentant par ses
- ... , 4 festons des subdivisions égales à 53 de seconde ; ce fractionnement correspond à l’oscillation de la palette d’un trembleur électrique, sorte d’organe dans lequel les interruptions et les rétablissements du courant s’opèrent à raison de 33 par seconde dans le modèle représenté ici.
- Le troisième électro-aimant, en rapport avec la membrane de caoutchouc, correspond au mouvement de l’onde dans le tube ; il fournit la ligne n° 3 de la figure. On peut remarquer qu’une même onde éprouve plusieurs réflexions successives.
- Il est facile, en jetant les yeux sur notre diagramme, de voir comment on tire de l’expérience le résultat cherché. Dans le nouvel exemple, l’obstacle est placé à 62 mètres ; l’intervalle entre deux marques successives de la membrane est de 42 subdivisions. La comparaison des lignes n° 4 et n° 2 montre qu’il y a 35 subdivisions dans une seconde, les indications de 42
- la ligne n° 5 équivalent donc à - de seconde. La 00
- 42
- double distance représente 35 X 350m, et la longueur simple donnée par l’expérience est ainsi de A.
- 5 X == X 350 — 60 mètres : l’approximation est . 00
- de 2 mètres.
- Il faut expliquer maintenant comment on produit l’onde, et décrire la figure qui représente l’ensemble de l’expérience. A gauche, T est le tube dans lequel un pistolet V est placé pour produire la détonation qui donne naissance à l’onde. Sur la table, au centre de la figure, est le chronographe ; M est le mouvement d’horlogerie qui fait tourner le cylindre enregistreur, à la surface duquel se développent les lignes n1,n°2, n° 5.
- S est le chariot portant les trois électro-aimants dont chacun trace sa ligne. L’électro-aimant extrême (ligne n° 1 ) est le trembleur, en relation avec-la pile PP". L’électro-aimant médian (ligne n° 2),
- est relié au pendule à secondes R. Enfin l’électro-aimant (ligne n° 5) communique électriquement avec la membrane de caoutchouc qui surmonte le tube T et en ferme exactement l’ouverture, sur laquelle elle est tendue comme une peau de tambour.
- Le lecteur nous pardonnera ces détails arides ; nous avons cru utile de faire connaître avec quelque longueur un procédé fondé sur l’emploi d’un enregistreur. Les méthodes d’observation doivent des ressources précieuses à ces appareils, dont l’usage se répand chaque jour au grand profit de la science.
- Cu. BONTEMPS,
- L’ASSOCIATION FRANÇAISE pour l’avancement des sciences,
- (Suite. — Voy. p. 133.)
- 2° session. — Congrès de Lyon. — Août 1693,
- La séance d’inauguration dont nous avons récemment parlé, a eu lieu le 24 août dans les salons de I'lltel de Ville. Le président, M. de Quatrefages, après une courte allocution de M. le préfet du Rhône, a prononcé un discours qui a été fréquemment interrompu par les applaudissements. L’orateur remercie d’abord la municipalité lyonnaise de la large hospitalité qu’elle accorde à la science. « L’Association française, dit l’honorable président, retrouve à Lyon la splendide et cordiale hospitalité de Bordeaux... La municipalité qui, la première, est venue en aide à notre comité lyonnais n’existe plus ; son dernier acte, peut-être, a été de voter la riche subvention qui devait satisfaire aux besoins, au superflu de la session. Loin de répudier ce vote, la municipalité actuelle l’a généreusement accepté comme lui léguant une dette d’honneur.
- «... N’admirez-vous pas, messieurs, comment des hommes partout ailleurs en lutte ardente, se sont trouvés subitement sentir et penser de même dès qu’il s’est agi de notre Association ? — C’est que, placée en dehors et au-dessus des opinions qui se combattent, n’appartenant à aucune, elle n’en tient pas moins à toutes, par les sentiments généreux et vrais, par ce que les hommes d’intelligence et de cœur portent en eux. Or, croyez-le bien, messieurs, il y a de ces sentiments dans toutes les doctrines qui nous divisent, il y a de ces hommes dans tous les partis. Le malheur est qu’ils ne savent à quoi se rattacher et se prendre pour se rencontrer. La France d’aujourd’hui est comme une mer démontée au len-demain d’un ouragan, alors que les flots, cherchant le niveau perdu, retombent et s’entrechoquent dans un inextricable désordre. Chez nous aussi, les groupes formés au vent des révolutions, se heurtent le plus souvent sans but et usent à ne rien faire les forces vives de la nation. Chacun d’eux a son drapeau, hostile à tous les drapeaux voisins. Nous aussi, nous avons le nôtre, et nous le plantons hardiment au
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- LA NATURE.
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- cœur de la mêlée comme un signal de rendez-vous à tous les hommes de bonne volonté. Quelle que soit leur bannière habituelle, ils peuvent sans la trahir passer quelques jours au moins à l’ombre de celle qui n’a d’autre devise que les mots science et patrie. Qu’ils viennent donc grossir nos rangs où les attendent à coup sûr d’heureuses surprises. Ils y apprendront à se rendre justice ; et tels qui se croient aujourd’hui adversaires irréconciliables, seront demain alliés sérieux, plus tard peut-être amis dévoués. La science les unira. Quiconque aime le vrai doit aimer la science, cette lumière de l’esprit qui chasse l’erreur d’où qu’elle vienne, comme le soleil dissipe la brume sortie de la fange d’un fleuve ou descendue du ciel. Quiconque aime son pays doit aimer la science, qui seule peut forger les armes nécessaires aux luttes de tout genre du présent et de l'avenir. »
- Nous ne saurions trop approuver ces nobles paroles ; certes l’avenir est à la science, qui seule est capable de rapprocher les partis, s’ils professent l’amour de la vérité et du progrès. Le discours de M. de Quatre-fages a eu surtout pour but de faire valoir l’importance de l’enseignement scientifique, qui doit formelles véritables hommes de l’avenir ; les arguments abondent dans les bonnes causes ; ils n’ont pas fait défaut à l’orateur, Puisse-t-il avoir été entendu quand il a dit : « Nous voulons voir la science avancer et se répandre dans notre pays naguère si cruellement éprouvé ! Tous nous avons pleuré les malheurs de la France; tous nous souffrons de la plaie que ses désastres sans exemple lui ont laissée au flanc; tous nous songeons à l’avenir. La grande tache de l’Association française est de le préparer en montrant la route qui con luit au but, en indiquant les armes qui, dans les luttes de la paix ou de la guerre, peuvent seules donner la victoire. »
- Ce discours a été suivi par la lecture du compte rendu des travaux de l’Association par le docteur C. M, Gariel, remplissant les fonctions de secrétaire en l’absence deM. Levasseur. M. G. Masson, trésorier, a pris ensuite la parole pour donner le compte rendu de la gestion financière de l’Association. « Les souscripteurs annuels étaient au 51 juillet au nombre de 659, soit 172 de plus que lors de la session de Bordeaux. Ces nombres augmentent de jour en jour... tels qu’ils sont ils nous assurent pour l’exercice 1875 un revenu de près de 24,000 francs ; ils témoignent d’une prospérité toujours croissante et toujours plus en rapport avec le but élevé que vous poursuivez. »
- Après cette première séance, les membres du Congrès procèdent à l’élection des bureaux, dans leurs diverses sections.
- Le soir a eu lieu, à huit heures, au palais de la Bourse, une conférence publique faite par le célèbre naturaliste M. E. Karl Vogt. Les volcans formaient le sujet de la séance. M. Vogt a parlé longuement, à l'occasion des feux souterrains, du phénomène des tremblements de terre. Il croit qu’il est erroné d’en rapporter les effets au feu central : il suppose que les tremblements de terre sont dus aux réactions chi
- miques produites par le contact de l’eau avec des métaux alcalins, qui se rencontreraient dans les profondeurs de l’épiderme terrestre.
- Les séances de la section des sciences médicales de l’Association ont eu lieu à compter du 22 août : elles se sont signalées par un certain nombre de communications d’un grand intérêt. Les travaux de M. Ollier, sur les moyens chirurgicaux pour activer l‘accroissement des os chez l'homme, ceuxdeM. Chauveau sur la transmission de la tuberculose par voie digestive, ceux de M. Blanc sur le traitement du choléra, ont surtout excité l’attention. Nous continuerons à mentionner les faits importants du congrès de Lyon, et nous parlerons prochainement des excursions scientifiques qui viennent d’être entreprises, et de la belle réception quia été faite aux membres de l’Association par la ville de Genève.
- — La suite prochainement. —
- —
- LE CANON RUSSE DE 40 TONNES A l’exposition DE VIENNE.
- Le gouvernement russe a envoyé à Vienne un gigantesque spécimen de son matériel d’artillerie navale; il n’est peut-être pas sans intérêt d’établir un parallèle entre les divers systèmes actuellement en usage pour la fabrication des bouches à feu de gros calibre. Notre intention n’étant pas, en raison même de l’importance du sujet, de faire un historique complet des canons de marine, nous parlerons seulement de ceux dont le diamètre est supérieur à 25 centimètres : les uns se chargeant par la bouche, les autres par la culasse. C'est surtout, en effet, de ces énormes pièces que les grandes puissances de l’Europe se servent aujourd’hui, pour l’armement des navires et la défense des côtes, alors qu’il s’agit de lutter, d’une manière sérieuse, contre des vaisseaux blindés et des batteries flottantes pourvues de cuirasses en fer de 12 à 35 centimètres d’épaisseur !
- Les trois principaux systèmes usités sont les suivants :
- Système de Woolwich (ou Fraser),
- — Krupp,
- — français ;
- le premier employé par l’Angleterre, le second parla Prusse et la Russie, et le troisième par la France, l’Italie et plusieurs autres puissances.
- Avant de passer à l’examen de ces divers modes de fabrication, il importe d’indiquer les motifs qui ont engagé les constructeurs modernes à substituer le fer au bronze : ce dernier métal offrait cependant un grand avantage, celui de pouvoir être facilement coulé dans des moules, tandis que le fer et l’acier ne peuvent être travaillés qu’au moyen d’un outillage spécial, impliquant une augmentation notable de la main-d œuvre. Les bouches à feu en bronze, qui donnent d’excellents résultats comme pièces de cam-
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- pagne pour lancer des boulets de 12 livres, ne peuvent être utilisées lorsqu’il s’agit de projectiles de 250 kilogrammes, exigeant des charges de 50 kilog. de poudre. Pour comprendre l’impossibilité dans laquelle on se trouvait d’employer le bronze pour les gros calibres, il est bon de rappeler que lorsqu’un tube métallique est soumis à une pression intérieure, la résistance de ce tube n’est pas proportionnelle à son épaisseur et dépend surtout de la ténacité du métal qui le compose. On peut même arriver à formuler ce résultat, en disant qu’un cylindre creux, d’une épaisseur quelconque, ne peut supporter une pression intérieure plus forte que la résistance à la rupture d’une barre de même matière : ainsi, par exemple, si une tige de métal d’un centimètre carré de section se brise sous l’effort d’un poids de 1,000 kilogrammes, un cylindre de ce même métal éclatera s’il est soumis à une pression de 1,000 kilogrammes environ par centimètre carré.
- D’après cela, lorsqu’un canon doit subir l’effet brusque et presque instantané de pressions supérieures à 5,000 atmosphères, il est clair que les métaux qui le composent doivent offrir une résistance énorme sous une épaisseur telle que le poids de la pièce n’en rende pas la manœuvre impraticable.
- Partant de ces principes, les ingénieurs des difé-rents pays ont cherché à combiner le plus avantageusement possible, dans la fabrication des bouches à feu, l’emploi des métaux dont la ténacité est la plus grande : le fer et l’acier. Mais, en raison des dif-ficultés de toute nature que présente la mise en œuvre de blocs de fer pesant 20 tonnes et plus, on a du former chaque canon de plusieurs parties travaillées séparément, puis réunies à chaud par le moyen de gigantesques marteaux à vapeur. Cette manière d’opérer offre surtout l’avantage de fournir des pièces parfaitement homogènes, par suite du fini que com porte le procédé de détail; de plus, on peut ainsi donner aux diver es parties du canon une position relative telle, que chacune d’elles concoure à la résistance à l’éclatement dans un sens déterminé. Ainsi, la force de cohésion du fer forgé étant, dans la direction des fibres, double de celle qu’il présente en travers, il y aura intérêt à forger une pièce de culasse dans le sens parallèle à l’axe du canon, tandis que les tourillons qui supportent la pièce devront être travaillés perpendiculairement à ce même axe.
- Ces quelques préliminaires posés, nous allons examiner successivement les trois systèmes de construction énumérés plus haut, en prenant pour type de chacun d’eux une bouche à feu remarquable par ses dimensions et réalisant tous les perfectionnements apportés jusqu’à ce jour.
- 1° Système de Woolwich (chargement par la bouche).
- L’artillerie anglaise, pleine d’enthousiasme il y a quinze ans pour les canons de sir W. Armstrong, se chargeant par la culasse, paraît aujourd’hui avoir reporté ses préférences sur le mode de chargement par la bouche. La fonderie royale de Woolwich fournit
- actuellement, dans ce système, des pièces de tous les calibres, depuis celui de 7 livres (poidsdu projectile), jusqu’à celui de 12 pouces (0m50) de diamètre, lançant des projectiles de 518 kilogrammes. Le Woolwich’s Infant, représenté par notre gravure, constitue le plus beau spécimen de ce genre de fabrication. Ce canon se compose d’un tube en acier qui forme l’âme, d’un second tube plus épais en fer enroulé (coiled iron), enveloppant le précédent sur la moitié environ de sa longueur du côté de la volée, d’un bloc de culasse qui s’emboîte avec le second tube, et enfin d’un tampon de culasse en fer forgé. Le travail des coils ou barres de fer enroulé mérite une mention spéciale : pour les obtenir, on place dans un four chauffé au rouge un mandrin légèrement conique, autour duquel, par une rotation dans un sens déterminé, on peut enrouler en hélice une barre de fer placée dans le four. Cette barre est ensuite dégagée du mandrin, puis chauffée au blanc soudant, et enfin soumise à l’action d’un puissant marteau-pilon qui rapproche les spires de l’hélice et régularise les surfaces intérieure et extérieure du coil. On peut former des tubes d’une solidité remarquable en superposant des coils dont les diamètres vont en augmentant ; on a d’ailleurs soin, à chaque opération, de les chauffer à blanc et de les porter sous le marteau pour les souder entre eux.
- Voici maintenant de quelle manière sont assemblées les différentes parties du canon : le tube en acier, après avoir été foré aux 9/1 Omes environ, est forcé dans le second tube, composé lui-même d’un double coil et préalablement chauffé au feu de bois. La volée étant ainsi ajustée, on la réunit de même au bloc de culasse, formé d’un coil double et d’un triple, emboîtés l’un dans l’autre et maintenus par la frelte des tourillons. Tous ces assemblages se font à chaud ; pendant chaque opération, un courant d’eau froide dirigé dans l’intérieur de l’âme refroidit la pièce de manière à régulariser le serrage des diverses couches concentriques; puis la masse étant chauffée à blanc, on la soumet à l’action de marteaux pesant vingt et trente mille kilogrammes, qui en soudent les diverses parties avec une solidité à toute épreuve. Il ne reste plus alors, après avoir fileté la vis du tampon de culasse et l’avoir fixée, qu’à aléser soigneusement l’intérieur et l’extérieur de la pièce, puis à rayer l’âme.
- Lesolficiers de l'artillerie anglaise se félicitent des bons résultats donnés par l’emploi du canon que nous venons de décrire. Quoique la pièce seule pèse 35 tonnes, la manœuvre en est assez facile, grâce à un ingénieux système d’affût ; le Woolwich’s Infant lance des projectiles de 518 kilos avec une vitesse initiale de 400 mètres environ.
- 2° SystèmeKrupp (chargement parla culasse).
- Les canons de ce système étaient, dans l’origine, formés d’un bloc massif d’acier fondu, qu’onamenait ensuite, par le travail du marteau et du tour, à ses dimensions définitives. Depuis lors, M. Krupp a adopté, dans ses ateliers d’Essen, la fabrication par
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- frettage qui n’offre pas les mêmes inconvénients. Il y avait en effet, dans le procédé primitif, de sérieuses difficultés à vaincre, en raison du poids énorme des masses à forger. Le fiettage, on le sait, consiste dans l’application à chaud d’anneaux en acier sur le corps du canon maintenu froid. Cette opération donne à la pièce une résistance à l’éclatement bien supérieure à celle d’un culot massif de même épaisseur totale.
- La bouche à feu représentée par notre gravure,
- quoique fabriquée en Russie dans les ateliers Oboukhoff, est faite selon le système Krupp : elle est formée d’un gros tube en acier fondu entouré d’anneaux de frettage, superposés sur quatre rangs de manière à s’échelonner le long de la pièce. Le tube intérieur est prolongé en arrière des frettes et porte une ouverture latérale destinée à recevoir le mécanisme déchargement ou culasse mobile.
- Voici en quoi consiste ce mécanisme : un coin cylindro-prismatique, ayant sa face plane perpendi-
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- * %
- Nouveau canon russe de 40 tonnes (système Krupp).
- Canon anglais de Woolwich (système Fraser). — 55 tonnes.
- Canon de O"1, 27 de la marine française. — 20 tonnes.
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- * | ; *4 1 {14, 3 Ps I q)
- culaire à l’axe de l’âme, est mis en mouvement par l’action d’une vis à pas allongé, qui s’engage à la fois dans une portion d’écrou fixée au canon et dans une rainure non filetée pratiquée à la partie supérieure du coin. Lorsqu’on a, par le mouvement de cette vis, déterminé le serrage approximatif du coin, pour le rendre plus complet, on fait mouvoir une seconde vis à pas plus court, et mobile dans un écrou fixé en arrière du coin sur son milieu. Une manivelle permet d’agir successivement sur ces deux vis. Pour assurer P obturation, c’est-à-dire pour empêcher les gaz chauds provenant de la combustion de la poudre de détériorer les joints de la culasse mobile, on emploie l’obturateur de Broadwell. Un anneau élastique en acier, dont la surface postérieure
- est plane et creusée de gorges circulaires de 0,005 de large sur 0m,002 de profondeur, est fixé à l’orifice postérieur de l’âme, de manière à se trouver en contact intime avec le rebord d’un plateau encastré dans le coin de serrage, lorsque la culasse mobile est fermée.
- Si les gaz chauds arrivent dans les gorges de l’anneau, ils s’y répandent, y perdent leur pression et ne s'échappent pas au dehors. On évite ainsi, en même temps, les fuites et l’inconvénient résultant du passage des filets de gaz échauffés, qui produiraient des stries du métal, amenant ainsi une détérioration rapide des joints. Les projectiles sont cylindro-coni-ques, en fonte, etrevctüs d’une chemise de plomb; trois couronnes de ce dernier métal, faisant saillie à
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- l’extérieur, ont pour effet d’engager le projectile dans les rayures, de manière à lui donner le mouvement de rotation nécessaire, et en meme temps empêcher la fuite des gaz pendant le tir, inconvénient qui serait très-grave au point de vue de la justesse et de la portée.
- Le canon d'Oboukhoff, construit pour la marine russe, dans le système que nous venons de décrire, pèse 40 tonnes; il lance des projectiles de 290 kilogrammes avec une vitesse initiale de 410 mètres environ.
- 5° Système français (chargement par la culasse). Nous prendrons pour type de ce système le canon de 0m,27 (modèle de 1870), qui représente le plus gros calibre couramment adopté par la flotte. La fabrication d’une de ces bouches à feu s’effectue comme il suit : On coule un tube en fonte, puis on y adapte successivement deux rangs de frettes en acier puddlé, fixées à chaud par des procédés analogues à ceux que nous avons décrits plus haut. Une heureuse modification apportée au modèle de 1864 consiste dans l’addition, à l’intérieur de l'âme, d’un tube court en acier placé le long de la chambre de culasse jusqu’à l’extrémité du logement du projectile. L’effet principal de ce tube est de prévenir le déculassement, c'est-à-dire la rupture des filets de la vis intérieure, rupture qui se produisait assez fréquemment lorsque l'ame était en fonte sur toute sa longueur. La fermeture de culasse consiste en une vis centrale placée dans l’axe du canon de manière à former bouchon à l’arrière. Cette vis, dite à filets interrompus, se compose d’un cylindre en acier, fileté le long de trois secteurs d’un sixième de circonférence, séparés par trois autres secteurs non filetés. Une disposition semblable de la vis intérieure permet d’introduire la culasse mobile par glissement. A cet effet on lui donne une position telle que ces filets soient en regard des parois lisses de la culasse, et inversement. Il suffit alors d’un sixième de tour de la manivelle fixée à l’arrière du bouchon pour le visser complètement. L’obturateur est formé d’un anneau en cuivre, en forme de gouttière amincie, placé dans l'àme de manière à appuyer, par sa face postérieure, contre une autre couronne en cuivre encastrée dans la tête de la vis ; il s’établit ainsi un contact d’une intimité parfaite qui prévient toute fuite des gaz. Le projectile est revêtu de ceintures en cuivre dont la supériorité sur celles en plomb est de ne pas encrasser l’àme : au contraire, le cuivre offre, en raison de sa dureté, l’avantage d’assurer par le tir même le nettoyage des rayures. Le canon de O'“,27 pèse 20 tonnes environ et lance des projectiles de 216 kilogrammes, avec une vitesse initiale de 420 mètres.
- Nous ne croyons pouvoir mieux établir une comparaison entre les divers systèmes énumérés ci-dessus qu’en empruntant les lignes suivantes à une brochure récemment publiée par un officier distingué, M. Sébert :
- « Tandis que nos bouches à feu actuelles, qui te-viennent, toutes terminées, à 1 fr. 251e kilogramme,
- peuvent imprimer à leurs boulets massifs une vitesse de 420 à 450 mètres, selon le calibre, et à leurs obus une vitesse de 470 à 500 mètres, les canons anglais de construction Fraser, à tube intérieur d acier, coûtent plus de 3 francs le kilogramme, et ne donnent que des vitesses de 590 à 415 mètres, lorsqu’ils tirent des projectiles dont les poids sont dans le même rapport avec les calibres que ceux des boulets français.
- « Les canons Krupp, en acier, coûtent bien davantage encore. Leur prix s’élève à 6 francs le kilogramme. Ils ne peuvent cependant imprimer à leurs projectiles massifs, avec la poudre prismatique, qu’une vitesse de 410 mètres au maximum; et les accidents survenus, dans ces dernières années, avec ces canons, en Russie et en Italie, accidents dont on n’a qu’imparfaitement réussi à masquer l’importance, sont venus prouver qu’ils n’avaient même pas pour eux l’avantage de la sécurité de l’emploi...
- « Le canon français de 52 centimètres, dont quatre spécimens sont déjà construits, et dont le projectile, du poids de 550 kilogrammes, aura une vitesse initiale de 410 mètres, traversera les murailles revêtues de plaques de :
- 45 cent. à toutes distances ;
- 20 — à 6,700 mètres;
- 25 — à 4,500 mètres;
- 50 — à 2,500 mètres. »
- On ne peut nier l’éloquence de ces chifftes qui font voir la valeur des résultats obtenus : espérons que chaque jour, les expériences de nos savants officiers viendront fournir de nouvelles preuves des progrès qu’il serait temps de voir réalisés par l’artillerie française.
- P. DE SAINT-MICIEL.
- CHRONIQUE
- Météores aqueux. — Les orages se sont signalés récemment sur plusieurs points de notre territoire avec une violence extraordinaire. Vers la fin du mois dernier, une trombe d’eau s’est abattue sur la ville de Tulle et y a exercé de nombreux dégâts. La grêle se mêlait à une pluie effroyable, qui tombait avec une indicible énergie, accompagnée de violents coups de foudre. Les rues de Tulle furent en une minute transformées en véritables torrents. A la même époque, la ville de bouviers (Eure) a été également éprouvée. Une trombe de vent, mêlée de grêle, s’est jetée sur la ville et les environs, où tombaient des grains de grêle aussi gros que des œufs de pigeon. Tous les carreaux des habitations volaient en éclats, les feuilles et les branches même ne tardèrent pas à joncher le sol, sous les coups réitérés des projectiles célestes. Les dégâts sont incalculables : les caves de bouviers ont été toutes inondées; pas une maison de la ville n’a été respectée. Dans les campagnes, les pommiers ont été dépouillés de leurs fruits, et les moissons, qui n’étaient pas encore rentrées, complètement perdues. La paille elle-même a été réduite en fragments. Jamais semblable désastre n’avait eu lieu dans le pays.
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- LA NATURE.
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- Les tremblements de terre. — Nous avons encore de nouveaux phénomènes à enregistrer, et cette fois, s’ils sont bien exacts, ils présentent les caractères d’épouvantables fléaux. Il paraîtrait, d’après des renseignement récents, que la ville de Ligua, située au nord du Chili, a été complètement ruinée par un tremblement de terre, et qu’elle s’est effondrée, engloutissant 8,000 habitants sous ses décombres. Il est certain que le Chili tout ent er a été ébranlé à la date du 8 juillet, et les populations étaient persuadées que leur dernière heure allait sonner. A Santiago, les habitants se sauvaient affolés en poussant des cris de terreur. Une des secousses a duré plus d’une minute! Les autres ont été beaucoup plus courtes. Elles ont été précédées d’un roulement souterrain épouvantable. De nombreuses maisons ont été détruites à Valparaiso. Cette catastrophe du 8 juillet a jeté l’épouvante dans le pays, car pendant les trois mois qui l’ont précédée, les Chiliens ont compté trente secousses de tremblement de terre !
- Vers la fin du mois dernier, une forte oscillation du sol s’est fait sentir à Smyrne, aux Dardanelles et à Scio, où plusieurs maisons ont été lézardées.
- Rails en Amérique. — En 1854, la consommation annuelle de rails dans les États-Unis était de 447,658 tonnes, sur lesquelles 339,459 tonnes étaient importées et seulement 108,016 fabriquées dans le pays, soit un tiers de la consommation. En 1872, la consommation de rails s’est élevée à 1,504,591 tonnes, sur 1.squelles 975,000 tonnes ont été. confectionnées par les Américains eux-mêmes, et 529,591 tonnes ont été importées. Les anciennes proportions sont renversées, ce qui dénote l’importance des progrès accomplis par la métallurgie américaine.
- Société d'acclimatation de Cincinnati. — Cette nouvelle société a surtout pour but d’élever des oiseaux, remarquables par leur chant ou pour les services qu’ils peuvent rendre aux fermiers ou aux horticulteurs. La société annonce qu’elle a dépensé, le printemps dernier, 25,000 francs, pour élever 15 différentes sortes d’oiseaux et qu’elle a réussi à acclimater l’alouette d’Europe, qu’on rencontre en grand nombre maintenant dans les environs de Cincinnati. Parmi les oiseaux qu’elle se propose encore d’acclimater, il faut citer les mésanges, qui sont de grands ennemis des insectes nuisibles à la végétation.
- Exposition universelle de Madrid. — Le Journal ofthe Society of Arts nous apprend que malgré l’anarchie qui règne en ce moment en Espagne, il y aura, au mois d’octobre, à Madrid, une exposition des produits manufacturés nationaux, d’agriculture, des mines, de produits chimiques, d’industrie et d’arts graphiques. Les produits étrangers seront reçus contre envoi franco. Les marchandises seront vendues moyennant une faible commission. Telle sera la première série des expositions qu’on se propose de faire en Espagne.
- Interruption de la pose du cable télégraphique du Brésil. — Le navire à vapeur la Seine a commencé la pose de cette ligne entre Lisbonne et Madère, et non point entre Madère et Rio-Janeiro, comme l’ont annoncé certaines feuilles. Mais le 24 août, après avoir filé seulement 383 nœuds, l’opération a été interrompue.
- Les échanges de signaux ont cessé entre Lisbonne et la Seine. Nous donnerons des détails sur cette expédition télégraphique et sur les épisodes auxquels elle pourra donner lieu, car la ligne du Brésil est sans contredit une des plus importantes. Elle est destinée à mettre en communica
- tion avec l'Europe, non-seulement le réseau propre au Brésil, mais le réseau qui, de Montevideo et Buenos-Ayres, va rejoindre les télégraphes du Chili.
- Le climat de la côte de Guinée. — La situation géographique de cette partie de l’Afrique, si voisine de l’équateur, est la cause unique de la mauvaise réputation qu'on lui a faite. Mais la température qui y règne est sensiblement inférieure à celle du Sénégal.
- La température observée dans une chambre est souvent de 86° Fahrenheit, ce qui n’a rien d’excessif. Il est vrai que le thermomètre descend rarement au-dessous de 78°. L’humidité de l’air est telle que l’on vit habituellement comme dans un bain de vapeur.
- Les Européens peuvent très-bien sortir en plein jour, sans prendre d’autres précautions que de se couvrir convenablement la tète, mais les effets de l’humidité de l’air sont très-curieux. Les objets de fer sont très-rapidement rouilles et oxydés, le sel fond dans la salière même, le cuir et les vêtements pourrissent très-rapidement. Les matières animales et végétales se décomposent avec une rapidité ef-frayante. Enfin, pour compléter ce curieux tableau, nous dirons que les habitants ont l’habitude, pour se débarrasser de cette éternelle humidité, d’allumer des feux dans les chambres avant d’en faire usage.
- La première saison des pluies commence en avril et finit avec les premiers jours de septembre, et la seconde comprend le mois de novembre. Décembre est le mois le plus chaud de l’année ; c’est l’époque où les brises de terre et de mer alternent avec une régularité mécanique.
- Le metéore de Bruxelles. — Un phénomène astronomique des plus curieux a été observé, à Bruxelles, vers la fin d’août, par plusieurs personnes de la partie haute de la ville et nolamment du voisinage de Sainte-Gudule. A huit heures un quart du soir, d'après Y Indépendance belyet une large zone nuageuse couleur ardoise et de teinte uniforme, au-dessus de laquelle apparaissait la moitié de la flèche de l’hôtel de ville, ceignait l’horizon du sud aunord, ayant sa plus grande élévation à l’ouest. Au-dessus de cette zone, le ciel était d’un bleu limpide et constellé d’étoiles. En ce moment, un corps lumineux ayant la dimension et la configuration exactes, l’éclat, le scintillement, en un mot l’aspect complet d’une étoile, émergea tout à coup, vers le sud-ouest, de la ligne du nuage sombre et, s’élevant graduellement avec une demi-rapidité régulière et majestueuse, prit la direction du nord, et, après avoir franchi, en montant toujours de plus en plus, toute la partie ouest de l’horizon, soit pour l’œil du spectateur l’espace compris entre la gare du Midi et celle du Nord, finit par se perdre et disparaître dans les profondeurs du ciel. La marche de ce corps lumineux, semblable de tous points, nous le répélons, à une étoile, a duré, d’un bout à l’autre du long parcours que nous venons d’indiquer, environ deux minutes, et rien dans cette course ascensionnelle et correcte n’a présenté la moindre analogie avec les évolutions rapides et saccadées des étoiles filantes dont l’apparition a lieu vers la même époque de l’année.
- Les réservoirs de Montsouris. — Les eaux du canal de dérivation de la Vanne vont bientôt approvisionner les immenses réservoirs de Montsouris, qu’une véritable armée de travailleurs construisent actuellement avec la plus grande activité. Nous empruntons au Journal officiel les curieux renseignements qu’il a publiés à ce sujet. L’ouvrage est assez avancé en ce moment pour qu’on puisse juger de son étendue, de la véritable majesté que présentera sa construction intérieure. L’un des angles du premier
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- LA NATURE.
- des deux réservoirs supérieurs est déjà couvert ; le second angle est à la bauteur de la galerie terminale qui fera intérieurement le tour de la construction. Tout l’ouvrage est en meulière et ciment. Les murs extérieurs, renforcés par des culées obliques, ont une épaisseur de 5 mètres. Le sol est uni, sauf aux approches du mur, où se trouvent une série de cuvettes peu profondes, séparées par des cloisons de façon à former une suite de cryptes qui supportent la galerie intérieure. En face de chacune des loges ainsi fermées s'alignent des pilastres carrés, amincis vers le haut, et supportant les voûtes d’arètes qui doivent terminer l’édifice. Cette forêt de pilastres produit un effet merveilleux. Aucun temple n’en peut présenter un analogue, et une promenade aux torches dans cet immeme bassin, lorsqu’il sera plein d’eau, serait certainement une des curiosités les les plus étranges qu'on pût rêver.
- La Vanne apportera par jour à ce réservoir 100,000 mètres cubes d’une eau excellente. Ce ne sera pas un luxe inutile pour Paris, qui jusqu'à présent n’a par tête et par jour qu’une moyenne de 108 litres d’eau, tandis que Londres en a 132, Madrid 600, et Rome, la ville la plus favorisée sous ce rapport, 1,492. L'appoint fourni parla Vanne portera notre moyenne à 156 litres en permettant de réserver pour les seuls services d’arrosage et de voirie la plus grande partie des eaux de l’Ourcq et de la Seine, qui ne sont pas des meilleures pour l’alimentation.
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- ACADÉMIE DES SCIENCES
- Séance du 1" septembre 1875. — Présidence de M. BLRTRAND.
- L'aurore boréale du 5 février. — Nos lecteurs se rappellent la magnifique aurore qui a été visible en février. Un astronome italien des plus célèbres, M.Donati, a voulu voir si le phénomène s’est présente simultanément dans tous les points où on l’a vu, ou si son apparition s’est trouvée lice d’un manière quelconque avec l’heure locale.
- Le résultat est intermédiaire entre ces deux suppositions. Par exemple, à Pékin, toute la manifestation avait pris fin à 2 heures du matin, et le maximum s'était montré à 9 heures du soir ; tandis qu’à Paris, le maximum avait lieu à 6 heures du soir et que tout était terminé à minuit.
- A première vue, il semble que Paris ait été en avance sur Pékin; mais c’est le contraire, vu la position occidentale de la France par rapport à la Chine. Mais le calcul montre qu’au point de vue de l’heure locale il y a eu avance de Paris sur Pékin, et M. Donati a constaté que cette avance a été de plus en plus marquée, à mesure que le point considéré était situé plus vers l’ouest jusqu'en Californie. La conclusion de l’auteur est que l’aurore est un phénomène dû, avant tout, à des causes cosmiques telles que seraient des aurores sur le soleil, et il part de là pour émettre l’opinion que la météorologie sera nécessairement renouvelée avant peu, justement par l’introduction, dans l’étude de tous les phénomènes atmosphériques, de causes extra-terrestres.
- Nouvelle théorie des aurores polaires. — A ce sujet, M. Faye présente, avec le talent d’exposition qui distingue cet académicien, des aperçus tout nouveaux quant à la cause des aurores polaires. Au lieu d’invoquer, avec M. Donati, des causes cosmiques, en quelque sorte occultes, il croit, avec juste raison suivant nous, qu’il y a tout avantage à rechercher l’explication du phénomène dans la puissance répulsive que le soleil manifeste avec tant d’évidence. Si la place nous le permettait, nous rappellerions en quoi consiste la belle découverte de la force répulsive du soleil.
- I Bornons-nous à dire que c’est sous l’influence de cette orce, opposée en direction à la gravité, que les comètes acquièrent à la fois et leurs longs appendices appelés queues et leur éclat, deux caractères qui augmentent si rapidement à mesure que ces astres errants approchent du soleil. Ceci posé, M. Faye est d’avis que des phénomènes tout à fait analogues doivent prendre naissance dans les régions les plus hautes de l’atmosphère et donner lieu justement au phénomène auroral. On est revenu de l’estimation d’après laquelle l’atmosphère n’aurait qu'une quarantaine de kilomètres. Cette hauteur, sufiisante pour rendre compte des phénomènes de réfraction, est complètement en disaccord avec celles que démontrent les étoiles filantes et les bolides en s’enflammant à 80 ou 100 kilo-mètres au-dessus de la surface du sol. Mais cette dernière limite elle-même n’est sans doute pas la dernière. Plus haut, des matières si rares qu’elles peux ont être comparées à celles qui restent sous le récipient de nos meilleures machines pneumatiques, doivent constituer une couche sur laquelle la force répulsive, qui n’agit comme on sait que sur les masses les plus faibles, doit avoir une influence efficace. Sous l’effet de cette force, ces particules doivent dire vivement repoussées à raison peut-être de un kilomètre par seconde, et c’est avec cette vitesse que, cédant ensuite à l'attraction de la terre, elles pénètrent dans les couches plus profondes de l’océan aérien. Suivant M. Faye, la perte de vitesse qui doit en résulter est capable d’échauffer beaucoup ces molécules, au point de les rendre faiblement lumineuses et de développer les aurores. Il y a là, comme on voit, une idée très-simple extrêmement originale et bien faite pour fixer l’attention.
- Changement de forme et spectre de la comète de M. AT. Henry. —Dans notre dernier article, nous avons signalé la découverte de cette comète. MM. Rayct et André, qui en ont poursuivi l’étude, adressent à l’Académie une. belle planche représentant le nouvel astre et y joignent des détails intéressants. Le 23 août, la comète était sphérique avec une condensation lumineuse vers le centre. Dans la nuit du 26 au 27 on constata que son spectre consistait dans les trois raies brillantes P b et F sans trace de spectre continu. Du 29 au 30 elle présenta un diamètre beaucoup plus grand que précédemment et évalué à8 minutes; en même temps elle manifesta une queue assez large. Le noyau avait acquis l’éclat d'une étoile de 6e grandeur, et les auleurs croient que cet astre est destiné à devenir visible à l’œil nu. Au spectre discontinu dû à la lumière propre de la comète, est venu se joindre un spectre causé par la lumière réfléchie du soleil.
- Les mers martiales comparées aux océans terrestres. — M. Elie de Beaumont donne lecture d’une note dans laquelle nous montrons que si le niveau des océans terrestres venait à baisser suffisamment, ces océans prendraient des formes toutes pareilles à celles des mers de Mars. L’intérêt de cette remarque réside dans ce double fait que Mars, dans la théorie de l’évolution sidérale, représente un astre plus âgé que la terre et offrant des conditions que celle-ci présentera plus tard ; et que l’effet le plus visible de l’avancement en âge des globes du système solaire inférieur consiste dans l’absorption de l’atmosphère et des océans par le noyau solide. Cette nouvelle remarque vient confirmer un grand nombre d’autres observatious déjà présentées et leur donner par conséquent une nouvelle force.
- Stanislas Meunier.
- Le Propriétaire-Gérant : G. TISSANDIER.
- PARIS. — IMF. SIMON RAGON ET COUP., RUE D’ERFURTH, 1.
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- N’ 1G. — 20 SEPTEMBRE 1873
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- LES BOUÉES DE SAUVETAGE
- A LUMIÈRE INEXTINGUIBLE.
- Ou emploie, depuis longtemps, à bord des navires, diverses espèces de bouées, ou flotteurs, pour le sauvetage des hommes tombés accidentellement à la mer. Le règlement des vaisseaux de l’Étatest formel : dès que le cri: Un homme à la mer ! s'est fait entendre, le factionnaire placé près de la bouée doit trancher, d’un coup de hache, la corde qui retient celle-
- ci suspendue à l’arrière du bâtiment. La bouée de jour est formée d’un disque en liège assez épais, traversé en son milieu par un tube métallique vertical : dès que l’appareil tombe à l’eau, un mécanisme très-simple fait sortir, à la partie supérieure du tube, un drapeau rouge qui doit servir de guide au naufragé. La nuit, une autre disposition est en usage : au centre du flotteur est fixé un cylindre en cuivre contenant une fusée d’artifice; lorsqu’on vient à couper la corde qui tient la bouée, cette dernière, pendant sa chute, raidit un autre bout de filin attaché par un
- Nouvelle bouée lumineuse (système Silas).
- petit crochet en S, à la partie supérieure de la fusée, laquelle se trouve, par la secousse même, presque entièrement sortie du tube, puis aussitôt enflammée par son amorce; le crochet, supportant alors le poids de tout le système, ne tarde pas à céder, abandonnant la bouée qui tombe à la mer. On obtient de la sorte un signal lumineux durant vingt minutes environ.
- Il est aisé de comprendre les inconvénients de ce procédé: la flamme de la poudre peut être éteinte par l’effet du vent, de la pluie, ou des vagues ; de plus, par sa nature même, cette flamme, quoique visible à une certaine distance, ne jouit pas de propriétés éclairantes qui permettent de faire distinguer, dans l’obscurité, les objets environnants. Dans le but d’obvier à ces difficultés, inhérentes à l’emploi de la poudre ou de toute autre matière combustible habi
- tuellement usitée, MM. Seyferth et Silas ont mis en pratique une idée fort ingénieuse : utiliser la propriété singulière offerte par un composé du phosphore, le phosphure de calcium, de fournir, au contact de l’eau, un gaz qui brûle spontanément à l’air, en donnant une vive lumière que la tempête même ne peut éteindre1.
- Voici en quoi consiste l’appareil imaginé par les inventeurs, avec les modifications apportées à sa forme primitive par/le conseil de l’École de pyrotechnie de Toulon : /la bouée, en bois ou liège, analogue à celles déjà employées par la marine, porte à
- 1 Le phosphure de calcium est un coips solide, de couleur brune, composé de pbo-phore et de calcium : on sait que ce dernier, réuni à l’oxygène, constitue la chaux. En présence de l’eau, le phosphure donne lieu à un dégagement d’hydrogène phosphore qui s'enflanme spontanément à l’air.
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- son centre une cavité dans laquelle est installé le système éclairant. Ce dernier se compose d’une boîte métallique (destinée à contenir le phosphore de calcium), encastrée dans le flotteur et traversée par un tube qui dépasse d’une certaine longueur en haut et en bas. Ce tube, dans la portion qui traverse la boîte, est percé de trous permettant, au moment favorable, l’entrée de l’eau nécessaire à la décomposition du phosphure. Deux robinets, disposés, l’un à la partie supérieure du tube, l’autre au-dessous du réservoir métallique, sont reliés par une tige qui les rend solidaires l’un de l’autre: ils sont manœuvres parla traction d’une corde, attachée par un anneau à la tête du robinet supérieur, que protége contre les chocs une calotte métallique percée d’un trou dans lequel passe la corde. Pour faciliter le change tient de la boîte à phosphure, quand sa provision est épuisée, l’assemblage de celle-ci avec le tube est à vis ; dans le but de rendre la fermeture plus hermétique, une rigole ménagée à cet effet permet de couler un peu de résine qui intercepte complètement le passage de l’air.
- Tels sont les organes essentiels de l’appareil ; il est facile maintenant d’en comprendre le jeu. Lorsque le factionnaire a coupé l’amarre, passée dans une poulie, qui tient la bouée suspendue par ses trois chaînettes, la première secousse fait raidir une ficelle de résistance moyenne, attachée d’une part à la tige des robinets et de l’autre à un piton fixé sur la poulie : cette action suffit à faire ouvrir les deux robinets qui doivent permettre l’entrée de l’eau et la sortie du gaz. Ce premier mouvement accompli, la ficelle se brise ; on choisit en effet, pour cet usage, le filin qui sert à fabriquer les cartouches à boulets ; ce cordage ne peut supporter, sans rupture, la secousse donnée par un poids de 50 kilos environ. La bouée tombe alors à la mer, et l’eau s’introduit aussitôt dans le tube inférieur, par les trous duquel elle passe dans le réservoir: dès que l’eau se trouve en contact avec le phosphore de calcium, l'hydrogène phosphoré se dégage et vient s’enflammer à l’orifice du tube supérieur dont le robinet est ouvert ; la flamme obtenue jouit d’un éclat remarquable et ne peut s’éteindre tant qu’il reste du gaz. Le dégagement est même si intense, au commencement de l‘o-pération que, pendant les cinq premières minutes, la flamme a plus de 50 centimètres de longueur; on a reconnu, dans les expériences faites à Toulon, qu’une charge de 450 grammes de phosphure, avec un tube dont l’orifice supérieur est de 4 millimètres, fournit une lumière qui dure une heure dix minutes. Pendant la dernière demi-heure, la réaction se faisant avec plus de lenteur, par suite de l’épuisement de la matière contenue dans le réservoir, il y a, dans le jet de flammes, quelques intermittences, mais elles sont de courte durée. Nous avons représenté le curieux appareil, flottant à la surface des flots au moment où, grâce à sa vive lumière, il va pouvoir assurer le salut au malheureux qu’un coup de mer a arraché de son havire.
- M. F. Silas, archiviste de l’ambassade de France, à Vienne, a développé, dans un mémoire publié en 1869, diverses autres applications du phosphore de calcium à des appareils qui pourraient être d’une grande utilité pour les marins, exposés pendant la nuit à tous les dangers de la tempête. L’auteur fait valoir les avantages que présenterait son procédé pour établir: — un petit fanal portatif, qui, réuni par un lien à la ceinture de sauvetage, flotterait derrière le naufragé de manière à le faire distinguer dans l’obscurité; — un fanal de détresse à grande flamme, permettant à un navire en danger de signaler sa présence au loin, et d’éclairer au besoin les embarcations de sauvetage; — enfin, divers systèmes de transmission nocturne de dépêches, signaux, etc. — M. Silas indique encore un autre usage spécial de ses appareils qui mérite d’être mentionné : il propose de les utiliser, sur les voies de chemins de fer, pour garantir un train en détresse par un feu visible à une distance considérable, n’exigeant pour être allumé qu’un peu d’eau et résistant au vent et à la pluie.
- L’amiral Rigault de Genouilly, ministre de la marine, avait, en 1868, fait étudier avec le plus grand soin, par l’École de pyrotechnie de Toulon, les bouées à lumière inextinguible; tous les rapports faits par les commissions appelées à juger du mérite de cette invention lui furent très-favorables. Depuis cette époque, on a entrepris sur ce sujet une série de recherches dirigées à un double point de vue: d’une part, le fonctionnement facile et immédiat des bouées, et de l’autre, la parfaite conservation du phosphure soumis à des circonstances atmosphériques variables. On a d’ailleurs fait distribuer à toutes les stations navales que possède la marine française dans les mers lointaines des bouées Silas destinées à être expérimentées sous différentes latitudes.
- Les études consciencieuses faites à cet égard par nos officiers avaient été un peu perdues de vue à la suite de la dernière guerre ; elles sont reprises en ce moment avec toute l’attention que comporte un sujet intéressant à un si haut point la navigation maritime. Une circonstance récente vient encore con-tibuer à l’actualité de la question qui nous occupe: la mar ne anglaise se dispose à adopter, d’une manière générale, les bouées à lumière inextinguible, sous le nom d’un étranger qui s’est contenté de copier l’idée de notre compatriote1. Il appartient à la France de revendiquer la priorité de cette invention, et de rendre à chacun ce qui lui est dû, selon l’adage latin ; Suum cuiqve.
- P. de SAINT-MICHEL.
- 1 Nous avons pailé de cette invention page 77) et nous sommes heureux de rectifier aujourd’hui l’erreur que nous avions bien involontairement commise, au détriment d un de nos compati iotes. G. T.)
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- Le père Denza, directeur de l’observatoire de Mon-calieri, a altaqué, dans une lettre que publient la plupart des journaux italiens, les prédictions faites par les astronomes de Paris sur les pluies et les cha-leurs de l’été. Le savant astronome a eu la bonne idée de donner un tableau du maximum des tempé-tures de toutes les stations en communication scientifique avec l’établissement qu’il dirige. Ou reconnaît que tous ces maximas se sont produits dans le cours du mois de juillet, et qu’on peut les séparer en deux groupes, ceux qui ont atteint leur maximum dans la première décade et ceux qui ne l’ont atteint que dans la troisième. Le milieu du mois ayant été troublé par des orages qui ont cette année coïncidé avec la pleine lune, la température a partout été moindre du 10 au 20 que du 1er au 10 ou du 20 au 51. Nulle part le maximum ne s’est produit après le 51 juillet. C’est à peu de chose près ce qui s’est passé dans nos régions avec cette différence que, le maximum de température, s’est plutôt produit à la fin de juillet qu’au commencement, contrairement à ce qui a eu lieu en Italie.
- Maxima du commencement de juillet.
- Alexandrie. . . . 55°2 Serraville .... 55°2 Bra 55°
- Vercelli.......... 3409
- Lodi............... 54°6
- Moncalieri .... 54°2
- ................... 55°7
- Saluces........... 3505
- Plaisance......... 5207
- Volpeglino .... 52°7
- Palanza......30°6
- Ivrée....... 52-2
- Mondovi......5109
- ............. 515
- Vasallo...... 29°
- Castelfino .... 27°8
- Sacra-Saiut-Michel 26-1
- Aoste....... 2100
- Simplon..... 19°6
- Grand-Saint Bern. 1608
- Maxima de la fin de juillet.
- Domadonala . ... 53°4
- Suse............ 5209
- Casale.......... 3208
- Cogne............. 2403
- Petit-Saint-Bern. . 1902
- Col-de-Valdenoble 16°
- Nous ne citons pas seulement cet instructif tableau pour mettre en évidence les oscillations dont la température est susceptible dans un district météorologique de faible étendue ; nous tenons surtout à faire comprendre combien les influences locales sont susceptibles de modifier l’état du temps. En effet, nous voyons figurer des chiffres différant de 15°. Quoique le soleil luise pour tout le monde, ses rayons n’agissent point de la même manière, même dans tout pays. C’est une vérité dont le père Denza ne paraît que médiocrement se douter.
- Les raisonnements que nous avons faits pour la France septentrionale n’ont aucune valeur pour le district alpestre, dont nous ne nous occupons point. En France, nous dépendons'plus du courant polaire que du courant tropical, car le voisinage des résidus de la
- débâcle annuelle produit des effets toujours très-énergiques et dont les Italiens n’ont point à tenir compte, au moins de la même manière que nous. Au commencement de juillet, d’après le rapport du lieutenant Parent et du capitaine Pahlander, la banquise se rencontrait déjà par le 80°, 48. Elle permettait à peine d’approcher de l'ile Ross. Un soleil très-énergique n’a pas manqué de la démembrer. Les dernières nouvelles reçues de la Diana ne laissent aucun doute à ce sujet.
- Il n’est pas impossible que le hardi yacht ait pu franchir les débris accumulés sur la côte septentrionale du Spitzberg, et s’avancer plus loin que les autres navigateurs arctiques ne l’ont fait. Mais ces débris ont-ils tous disparu sous l’action des rayons solaires? La chose est infiniment peu probable, car des glaçons énormes ont été récemment rencontrés dans les parages de Terre-Neuve. Il est à présumer que ces glaces, échouées le long d’une multitude de baies et de rivages, ne vont point tarder à se ressouder. Suivant toute probabilité, elles deviendront la racine de nouvelles banquises qui seront pour nous la cause d’un automne pluvieux et d’un hiver rude prématuré.
- L’été exceptionnellement chaud pour nous de 1875 semble devoir être suivi, comme en 1775 et en 1795, par un automne désagréable et un hiver rigoureux, n’en déplaise au père Denza. Peut-être en sera-t-il autrement en Italie : c’est une question que nous n’examinons point aujourd’hui, nous ne parlons que pour la France, et encore uniquement pour la partie de la France qui fait partie du bassin océanique. Certains astronomes, qui trouvent tout naturel qu’on s’occupe du nombre des taches solaires et de leurs périodicités, seront sans doute surpris qu’on fasse entrer des phénomènes terrestres en ligne de compte dans la prévision rationnelle du temps. Mais, même dans le cas où nous nous tromperions dans l’usage que nous faisons de ces données, il ne nous resterait pas moins la satisfaction d’avoir été un des premiers à. en signaler l’utilité. Qu’il nous soit permis d’ajouter que notre manière de voir est partagée par M. John Colwells, de la marine royale d’Angleterre, habile navigateur qui connaît très-bien les mers arctiques, où il faisait campagne l’an dernier et dont nous préférons l’autorité à celle du célèbre jésuite italien. Nous prendrons la liberté de faire remarquer que l’influence du voisinage des glaciers se fait sentir d’une façon très-remarquable dans les chiffres recueillis par le père Denza, quoique les glaciers des Alpes soient bien peu de chose en présence des masses de glace qui flottent sur l’Océan !
- L’altitude est un élément important dans le décroissement de la température. Ainsi le Simplon n’offre que 19°,6 dans son maximum de 1875, année très-chaude, parce qu’il est à un niveau de 2,005 mètres. Le petit Saint-Bernard, qui est à 185 mètres plus haut, n'a atteint que 19°,2. Enfin le grand Saint-Bernard, qui est à 465 mètres au-dessus, ne donne plus que 16-8. La décroissance est beaucoup plus rapide
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- dans ce cas, parce que le pic est environné par les glaciers, grâce auxquels le district alpestre se trouve singulièrement refroidi. W. de FONVIELLE.
- LA GUINÉE SEPTENTRIONALE
- A PROPOS DE L’EXPÉDITION ANGLAISE.
- La portion de la côte de Guinée qui sépare la répu-blique nègre de Liberia des bouches du Niger a une étendue d’environ quatre cents lieues. Elle"se dirige presque exactement de l’ouest à l’est, et se trouve située à une latitude moyenne de 4 à 5 degrés au nord de l’équateur. Cette longue ligne de pays mari-times se partage en trois parties à peu près d’égale étendue : la côte d’Ivoire, dont il semble que la république de Liberia finira par s’emparer, la côte d'Or, d’un accès plus facile et possédant un assez grand nombre de ports ; enfin la côte des Esclaves, la plus arideet de toutes la plus inhospitalière. C'est sur la côte d’Or que l’attention publique se trouve dirigée en ce moment. C’est donc de cette vaste partie de la Guinée que nous parlerons plus particulièrement.
- L’embouchure de tous les fleuves de la Guinée septentrionale est obstruée par des péninsules très-longues et très-étroites, formées par des limons dé-posés pendant les grandes inondations, mélangés de sables, et où s’est développée lentement une végéta-lion bien moins robuste que celle des forets inextri-cables de l’intérieur. Aucune partie du périmètre de l’Afrique n’offre à un aussi haut degré cet étrange caractère provenant en partie de l'état d’abandon dans lequel ont été laissés, depuis l’origine des âges, de puissants cours d’eau dignes de rivaliser avec les plus grandes artères fluviales du monde.
- Peut-être la côte d’Or est-elle plus riche que les autres parties de la Guinée en métaux précieux, car c’est dans cette partie de la côte que la poudre est sinon plus abondante, du moins plus pure. C’est aussi là que les nègres et les grands, qu’on nomme cabossirs, ont le plus d’ornements, de bijoux et d’ustensiles en or. On comprend facilement le soin avec lequel les Anglais cherchent à établir leur influence, à peu près exclusive, dans un pays où le plus précieux de tous les métaux sert quelquefois à des usages auxquels nous réservons ordinairement le fer, et où le climat, quoique terriblement chaud, n’est point aussi destructeur qu’on pourrait le croire. En effet, l’année offrant deux saisons de pluies, les sécheresses ne sont naturellement pas très-longues.
- Le principal obstacle qu’ils ont rencontré provient des Achantis, peuplade très-puissante, qui a fondé dans ces régions barbares un véritable empire, très-bien décrit en 1818 par un diplomate anglais nommé Bowdich, et qui n’a point considérablement changé depuis cette époque, ni de mœurs, ni d’étendue, ni
- de religion. C’est toujours la même nation aussi énergiquement idolâtre et barbare, aussi sanguinaire, aussi jalouse de son indépendance.
- Les origines de la querelle qui fait aujourd’hui couler le sang dans une terre avide de sacrifices humains sont trop obscures pour que nous cherchions à les déterminer. Les Achantis affirment que les Anglais ont violé les lois internationales en refusant de livrer un cabossir qui avait enlevé des trésors appartenant au roi. Les Anglais prétendent que l'humanité leur fait un devoir de ne point abandonner ce personnage, qui est venu chercher l’hospitalité du foyer britannique, car le roi des Achantis ne s’en emparerait que pour le faire périr dans les supplices que peut rêver l’imagination d’un barbare. Dans le voisinage de la mer, le sol est léger, sablonneux et, par conséquent, peu favorable à la culture. C’est seulement dans l’intérieur que la végétation tropicale reprend ses droits, et elle ne tarde point à être d’une richesse prodigieuse. C’est sur la zone stérile, découverte par des marins dieppois à la fin du quatorzième siècle, que plusieurs nations ont successivement formé des établissements qui n’étaient à l’origine que des grands foyers de la traite des nègres, et qui ont perdu mo-mentanémént une grande partie de leur importance, dès que la chair humaine a cessé d'èlre une mar-chanlise.
- Les Hollandais et les Danois, et même les Anglais s’étaient donc contentés de forts malsains, situés sur le bord de la mer, c’est-à-dire dans la partie inhabitable du pays, et n’avaient jamais songé à porter leurs établissements dans la région que peuplent des singes semblables à des hommes, et des hommes semblables à des fauves.
- Les Danois ont occupé pendant plus d’un siècle les forts de Friedersborg, de Christianborg, de Kœnig-stein, dont l’Angleterre hérita en 1849 par un traité d'acquisition.
- Les Hollandais ont longtemps possédé à la côte d’Or des établissement- d’une importance encore plus grande : Saint-Georges-d'Elmina, le principal comptoir de tout le pays, et Crèvecœur, en même temps qu’une multitude de villages et de territoires peuplés par plus de 100,000 habitants.
- Un peu avant cette époque (janvier 1871), nous avons abandonné spontanément les possessions que nous avons récemment réoccupées sur cette côte. A la suite d’explorations et de traités passés avec les chefs indigènes, nous avions en effet acheté, il y a trente ans, les comptoirs d’Assinie et de Grand-Bassam, situés l’un et l’autre sur les frontières de la côte d'Ivoire. Une révolte qui avait éclaté en 1853 et dans laquelle le général Faidherbe, alors simple capitaine du génie, avait commencé à se faire connaître, ayant été réprimée, nous serions encore établis dans ces régions, si l’on n’avait été réduit par les malheurs des temps à économiser la solde d’une centaine de soldats nègres, et l’entretien de quelques embarcations de guerre. Grâce à ces circonstances funestes, les Anglais sont donc actuellement les
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- • LA NATURE.
- to D-ot
- maîtres incontestés de tout ce vaste territoire : quoi- | du littoral, et leur empire s’étend jusqu’aux premiers qu’ils soient obligés
- de respecter la neutralité du pays que nous avons occupé, ils n’ont plus à redouter une influence étrangère, rivale de la leur.
- Leur capitale est le château du cap Corse, ville de 16,000 âmes, la plus peuplée de la côte après Saint-Georges-d’El-mina, longtemps sa rivale. Malheureusement pour les Anglais , la cession que les Hollandais ont faite de leurs droits ne paraît point avoir été acceptée avec une égale satisfaction par tous les habitants de la côte. Les gens d'El-mina, ayant accueilli les Achantis, ont vu leur ville brûlée de fond en comble par des navires de guerre de Sa Majesté britannique. Mais ce succès n’a point empêché les Achantis d'envahir successivement toutes les parties du territoire occupé par les alliés de l’Angleterre et de cerner étroite-ment les Anglais dans le château du cap Corse, après avoir battu leurs auxiliaires. Le plus redoutable ennemi contre lequel les Anglais aient à lutter est sans contredit la fièvre, compliquée cette année de la petite vérole. Les causes de cette épidémie désastreuse sont attribuées au système vicieux de construction des fosses d’aisance qui paraissent infec-
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- ter les eaux potables. — La capitale des Achantis se | nomme Coumassiet, ville située au nord de la chaîne |
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- rameaux des monts Gong. Cette chaîne du littoral est d’un accès fort difficile, non point parce que ses hauts sommets sont très élevés, mais parce que ses pentes sont couvertes d’une végétation inextricable. C’est par le fer et le feu qu’une armée peut seulement arriver à s’y frayer un passage. Aussi les Achantis, qui peuvent, dit-on, mettre sur pied deux cent mille guerriers pour défendre leur territoire dans le cas d'invasion étrangère, doivent compter sur la nature plus encore que sur leur nombre.
- Leur puissance date de la fin du dix-sep tieme siècle, époque à laquelle un guerrier, nommé Saï-Toutau fonda leur monarchie, où le pouvoir se transmet par ligne collatérale féminine. Ils ont été quelquefois assezheu-reux dans leurs guerres contre les Anglais, car ils conservent à Coumassiet le crâne du général Mac-Carthy, tué dans un combat en 1828. Leur roi, nommé Coffy Calcaly, s’en sert pour boire le vin de palmier dans les occasions solennelles, alors qu’on procède à d’horribles sacrifices humains pour rendre les fétiches favorables.
- C’est sur les territoires abandonnés par la France que les Achantis se procurent
- actuellement des armes, que leur apportent des nègres Fantis, très-actifs courtiers de ce commerce
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- interlope. Ce n’est point à nous qu’il importe d’examiner s’il est à espérer que cette circonstance ramène notre pavillon dans ces régions. Mais nous ne pouvions donner une idée de la géographie de ces contrées sans raconter sommairement l’histoire des vicissitudes auxquellis notre domination y a déjà été soumise, et qui ne sont peut-être point les dernières.
- Au sud de la côte d’Or, commence la côte des Esclaves, également connue sous le nom de royaume de Dahomey. Cet empire barbare est encore plus célèbre que celui des Achantis par les horribles cruautés qui s’y commettent. On y trouve cependant une oasis où l'humanité exerce tous ses dioits les plus raffinés, et où biille le dévouement le plus sublime : c’est l’établissement français d'Onydat, occupé maintenant par des sœurs dépendant de l’évêque du Gabon, et qui, abandonnées à elles-mêmes, car la France n’a jamais pris possession de ce territoire, n’ont en quelque sorte que Dieu pour les protéger sur la terre. Autour de ces religieuses se sont groupés des noirs affranchis, que ces admirables filles ont élevés à vivre libres; sans y avoir aucun droit, ils arborent le drapeau de la France, dont ils ont appris à balbutier la langue.
- La mort du roi de Dahomey, qui est toute récente, donnera peut-être lieu à des complications nouvelles, et, par conséquent, ajoutera un nouvel intérêt aux conquêtes morales que la vertu chrétienne a su faire sur une côte où règne le paganisme le plus sauvage.
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- LES FONDS DE LA MER
- Nousn'avonspas négligé de donner de nombreux détails sur l’exploration des profondeurs de l’Océan, ac-tuellement entreprise paruneexpédition anglaise,dans des conditions exceptionnelles1. Il ne nous semble pas nécessaire d’insister sur l’importance de ces sondages opérés au fond des mers; ils sont certainement appelés à nous révéler, en même temps que les mystères delà vie sous-marine, les merveilles de la constitution de notre globe, car sur notre planète, les continents occupent à peine le quart de la surface, et l’eau qui s’y étend est véritablement la généralité. La géologie des fonds de la mer, science à peine créée, est destinée à ouvrir de nouveaux horizons à l’étude de notre sphéroïde; les savants qui vont fouiller ces profondeurs océaniques, aussi éloignées de la superficie des mers, que les sommets de nos plus hautes montagnes le sont en sens inverse, ont, à n’en pas douter, de riches butins à recueillir, dans ces domaines encore vierges de tout regard humain. Mais les renseignements que nous avons procurés à nos lecteurs nous ont a'tiré certaines réclamations.
- Quelques-uns de nos lecteurs, fort compétents
- 1 Expédition du Challenger, p. 97 ; — Pêches du Challenger, p. 220-225.
- dans ces sortes de travaux scientifiques, nous ont fait observer que nous mettions en évidence une expédition anglaise d’une importance évidemment capitale, mais que nous négligions jusqu’ici de signaler les travaux qui avaient été entrepris depuis longtemps, dans le même sens, par des savants français. Nous nous hâterons de dire que la science n’a pas de patrie ; c’est peut-être un de ses beaux privilèges ; tous les hommes de bonne volonté qui étudient la nature, qui professent l’amour du travail, qui consacrent leur intelligence à conquérir dans le monde de l’inconnu quelque fait nouveau, pour le bien de l’humanité, sont tous au même titre, et quelle que soit leur nationalité, dignes de notre estime et de notre reconnaissance. Mais il n’en est pas moins juste d’accorder à chacun selon ses œuvres, et de rendre à César ce qui appartient à César. Nous avons parlé avec quelques détails de la belle exploration du Challenger ; nous croyons devoir compléter, en quelque sorte, les documents que nous avons publiés à ce sujet, en mentionnant des entreprises antérieures, exécutées dans le même but par un groupe de savants français qui poursuivent actuellement leurs remarquables investigations des fonds de la mer. A l’époque où parurent les rcmar-quables travaux de Maury sur la géographie de la mer, MM. de Folin et Périer eurent l’idée de compléter les travaux du savant américain sur la météorologie marine en créant la géologie du fond des mers, en étudiant la faune et la flore de ces incomparables vallées enfouies dans les abîmes de l’Océan. En 1865, M. de Folin eut l’occasion de commencer de curieuses observations marines, près de l’isthme de Panama, et il découvrit tout un monde de petits ostra-codes foraminifères ; ces résultats furent aussitôt communiqués à la Société Linnéenne de Bordeaux ; leur importance fut comme une révélation. MM. de Folin et Périer comprirent quelles richesses inouïes la science devait puiser dans les fonds de la mer ; pour s’assurer des ressources ils fondèrent en 1867. avec M. Fischer, les Fonds de la mer, publication remarquable, qu’ils envoyèrent aux États-Unis, en Allemagne, en Italie, faisant un appel au monde savant de tous les pays civilisés pour former une coalition d’un nouveau genre, destinée à dévoiler les innombrables merveilles que cache à nos regards l’immensité de la nappe océanique. Cette publication continue et prospère ; elle abonde en révélations curieuses en observations fécondes, et elle nous offre une preuve manifeste de l’initiative intelligente que notre pays a su prendre dans les explorations des profondeurs de l’Océan. Les auteurs des Fonds de la mer se sont depuis longtemps signalés à l’attention des savants par de remarquables opérations de sondage, et, dès 1868, ils publièrent de très-intéressants travaux sur les fonds du golfe de Gascogne où ils recueillirent un sable magnétique de la plus haute curiosité, où ils découvrirent plusieurs espèces animales inédites, dont quatre crustacés nouveaux et deux mollusques. Malheureusement la France ne
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- sait pas encourager les travaux de ce genre ; tandis que de l’autre côté de la Manche, les naturalistes, avides d’explorer les profondeurs océaniques, ont été pourvus d’un magnifique navire, véritable arsenal de l'observation scientifique, tandis qu’on leur a assuré les ressources d’un voyage autour du monde, nous laissons nos savants jeter leurs sondes à quelques kilomètres de nos côtes !
- GASTON TISSANDIER.
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- LES CYCLONES
- Les cyclones ou tempêtes tournantes sont l’un des phénomènes les plusimportants et les plus curieux de l'atmosphère. Ces formidables météores, dont la route est marquée par tant de désastres, sont désignés par différents noms : ouragans (Ilurracan), dans l’océan Indien ou l’Atlantique ; typhons {Tyfoon), dans la mer de Chine ; simoun, dans le désert ; tornades, sur la côte occidentale d’Afrique. Ces derniers tourbillons ne s’étendent qu’à une petite distance de leur point de formation, tandis que les cyclones peuvent couvrir une surface circulaire dont le diamètre varie de cent jusqu’à cent cinquante milles marins. En même temps qu’il tourbillonne avec une vitesse qui va croissant de la circonférence au centre, où règne un calme complet, le cyclone obéit à un mouvement de translation dont la vitesse, comme celle du mouvement de rotation, varie suivant l’intensité de l’ouragan, et augmente à mesure qu’il progresse.
- Les études poursuivies, depuis le commencement du siècle, par d’éminents météorologistes, dont nous aurons à citer les travaux dans le cours de ce résumé, ont permis de suivre la marche et de tracer la route des cyclones. Les navigateurs, guidés maintenant par la connaissance des lois qui régissent ces météores, et dont la découverte est une des belles conquêtes de .la météorologie, peuvent sinon les éviter, du moins les traverser avec moins de chances de perdition. Mais, avant de faire connaître ces lois des tempêtes et les intéressantes observations qui ont conduit à leur découverte, nous reproduirons, en l’abrégeant, la relation d’un cyclone observé dans les régions de l’Océan où ces tourbillons se rencontrent le plus fréquemment, et où ils présentent les caractères les plus redoutables. L’ensemble de cette relation, qu’a bien voulu nous communiquer l’un des officiers du bâtiment assailli par l’ouragan, suffira pour mettre nos lecteurs à même de suivre avec plus d’intérêt ce que nous aurons à dire de la théorie des cyclones, et de son application aux mouvements tournants de l’atmosphère :.
- « Le 3 octobre 1871, par un temps calme, pluvieux, le transport T Amazone, vaisseau mixte à deux ponts commandé par M. Riondet, capitaine de frégate, appareillait de Port-de-France pour Rochefort, avec 220 hommes d’équipage et 124 passagers. Notre machine étant trop peu puissante pour lutter avan
- tageusement contre les alizés, qui soufflent constamment .du N.-E. ou de l’E.-N.-E. dans ces parages, nous nous élevâmes dans le nord afin d’aller chercher des vents favorables. Après avoir doublé l’île de la Désirade, on établit toute la voilure, et les feux de la machine furent éteints. Nous filions ainsi six nœuds au plus près du vent.
- « Le 8, le temps commença à se couvrir vers l’est ; les nuages passant à l’ouest par le nord nous amenaient quelques grains, pendant lesquels le vent sautait de l’E.-N.-E. au N.-E. Aux nuages blancs et arrondis, caractéristiques des alizés, succédaient peu à peu des cirrus et des nimbus. Pendant la nuit les grains devinrent fréquents ; de fortes rafales et une pluie torrentielle les accompagnaient. On commença à [rendre des ris dans les voiles. Dans la journée du 9, le vent força; une grosse houle soulevait la mer, et pendant les grains, la brise refusait momentanément. Avant la nuit nous avions déjà deux ris aux huniers, un ris aux basses-voiles et deux aux voiles goélettes; nous portions en outre l’artimon et le petit foc. Les étoiles disparaissaient sous un rideau de nuages grisâtres, et des éclairs se montraient dans la partie ouest. Le baromètre commençait à descendre, mais si lentement que nous n’avions aucune inquiétude. Dans la matinée du 10, le vent se fixa au N.-E. et les grains se succédèrent presque sans interruption, amenant une pluie à larges gouttes. La mer tourmentée, marbrée d’écume, élevait de grandes vagues dont le sommet transparent se recouvrait d’une légère poussière blanche; le ciel, couvert d’épais nuages d’un gris de plomb, était menaçant.
- « L‘ A ma zone poursuivait toujours sa route. Notre unique souci était la perte de temps que nous occasionnait ce coup de vent, qui, directement contraire à notre route, nous rejetait dans l’ouest. Le 10, à midi, nous étions par 25"52 de latitude nord et 67041' de longitude ouest. Le vent redoublait. Sa violence était devenue telle que les vagues ne pouvaient plus élever leurs crêtes, elles étaient renversées dans leur propre sillon. De longues stries blanches couraient à la surface de la mer, surmontées à une grande hauteur d’une poussière d’écume entraînée par le vent. C’est alors seulement qu’on songea à la possibilité d’un cyclone. Etions-nous en présence d’un de ces ouragans ou d’une tempête rectiligne ? La manœuvre étant opposée dans chacun de ces deux cas, il importait d’avoir le plus tôt possible une certitude. Une forte houle, la violence croissante du vent et la baisse du baromètre, qui sont les indices d’un cyclone, sont aussi ceux d’une tempête ordinaire, avec cette différence que la baisse barométrique est plus prononcée dans le premier cas. Or le baromètre, qui le 9 à midi marquait 764 millimètre, était descendu progressivement jusqu’à 759 millimètres le 1 Oà midi, baisse qui n'avait rien d’alarmant et pouvait faire croire à un simple coup de vent. Nous étions, il est vrai, dans les parages les plus fréquentés parles cyclones, mais ces phénomènes sont rares, et comme nous savions qu’il en était récemment passé deux (l’un le
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- 21 août, et l’autre le 2 octobre, qui avait détruit une grande partie de la ville de Saint-Thomas), nous ne pensions pas qu’un troisième les suivrait de si près. D’ailleurs le vent gardait une direction constante, et à l’approche d’un cyclone il tourne dans un sens bien connu. Il n’y a qu’une seule exception à cette règle, c’est lorsqu’on se trouve directement sur le passage du centre, ce qui est le cas le plus dangereux.
- « Des nuages gris plomb envahissaient l’horizon et le zénith, une brume épaisse nous entourait peu à peu. La mer grossissait toujours, et les grains se succédaient avec une rapidité remarquable. A midi et demi, la voile du grand hunier est déchirée par son milieu et emportée en mille morceaux. Vers deux heures, le temps était si couvert que de l’arrière on distinguait à peine l’avant du bâtiment. On ne voyait plus qu’une faible partie de la mer autour de nous, c’est-à-dire les deux ou trois lames les plus voisines, dont la hauteur était effrayante. Le baromètre donnait les indications suivantes :
- « Midi, 759mm; — 1 h. 40,757mm; — 4 h., 752nim; 4 h. 43, 747nim. Devant une baisse aussi rapide le doute n’était plus possible. Nous étions en présence d’un cyclone, et comme nous avions marché jusque-là dans le N.-O., que de plus, le vent n’avait pas changé de direction et soufflait du N.-E., le cyclone courait comme nous; son cercle mouvant se transportait du S.-E. au N.-O., et son centre devait passer sur nous. La manœuvre à faire était donc de fuir, vent arrière, le plus rapidement possible, afin de gagner le demi-cercle- maniable, c’est-à-dire le côté du cyclone où la vitesse de translation étant en sens inverse de la vitesse de rotation, la modère un peu. Nous avions déjà perdu un temps précieux, et à cinq heures du soir, alors que le centre n'était plus qu’à dix lieues et se rapprochait avec une vitesse double de la nôtre, nous hésitions encore, et nous avions bien lieu d'être pleins d’anxiété. D’après les derniers devis de l'Amazone, il était reconnu que ce bâtiment était encore très-bon dans ses parties avant, mais que l’arrière était mauvais, et qu’il ne fallait guère compter sur sa solidité. Si donc, malgré les apparences, nous nous trouvions en présence d’une tempête rectiligne, en fuyant devant le temps nous courions le risque de perdre notre gouvernail et de rester à la merci de la tempête, ou de démolir notre arrière, d’engager peut-être, alors qu’à la cape le bâtiment ne courait aucun risque. Dans cette grave situation, le commandant demanda aux officiers leur avis ; tous furent d’accord pour dire que nous étions incontestablement en présence d’un cyclone, et qu’il fallait en conséquence courir les chances de fuir vent arrière, malgré l’état de la mer et la violence des lames.
- « Vers cinq heures du soir, on commença donc à laisser porter. L’évolution fut fort lente. Ce n’est qu’à six heures que nous nous trouvâmes vent arrière, au S.-O., fuyant devant le temps sous la trinquette et la misaine avec deux ris. Malheureusement nous ne pûmes courir ainsi qu’une demi-heure. Vers 6 h. 30,
- le navire refuse d’obéir à son gouvernail, il embarde et vient au S.-E., nous ramenant ainsi dans le cyclone. Il est probable que le gouvernail avait été démonté par les lames. Nous étions donc à la merci de l’ouragan.
- « II faisait déjà nuit noire. Le vent avait acquis une violence si prodigieuse qu’à chaque instant nous nous disions qu’il ne pouvait plus forcer, et cependant il augmentait encore ! Il ne fallait plus songer à manœuvrer sur le pont, au milieu d’une nuit épaisse et d’un fracas étourdissant. Le commandant et l’officier de quart seuls restaient encore en haut, mais ce n’est qu’en se parlant à l’oreille qu’ils parvenaient à échanger quelques paroles. Au lieu d’avoir le cap au S.-O., nous l’avions successivement au S.-E., au sud, etc., au gré de la tempête, nous rapprochant ainsi toujours du centre de l’ouragan. Les hauteurs barométriques étaient : à 6 h. 50 de 725mm; — à 7 h. 15, 712"““ ; — à 7 h. 25, 7021.
- F. ZURCHIER.
- — La suite prochainement. —
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- L’INDUCTION PÉRIPOLATRE
- En 1824, Gambey remarqua qu’une aiguille aimantée que l’on écarte de sa position d’équilibre oscille pendant un temps bien moindre lorsqu’elle est placée au-dessus d’un bloc de cuivre rouge, que lorsqu’elle se trouve éloignée de toute masse de métal. La nature du corps employé excluait l’idéed’une action magnétique agissant directement ; mais qu’elle qu’en fût la cause, l’existence d’une force agissant sur l’aiguille et due à la présence du cuivre rouge était certaine. Arago, s’appuyant sur ce fait, modifia l’expérience et mit en évidence l’existence de celte force de la manière suivante. Un disque de cuivre rouge peut être animé d’un mouvement de rotation assez rapide autour d’un axe vertical; au-dessus est placée une aiguille aimantée, mobile sur un pivot. L’aiguille est en repos, l’une de ses extrémités dirigée vers le nord : si l’on vient alors à faire tourner le disque de cuivre, on voit l’aiguille se mettre en mouvement et être entraînée dans le sens de la rotation du disque ; une feuille de papier ou de parchemin est tendue au-dessous de l’aiguille, de telle sorte que l’on ne peut admettre que l’air ait pu communiquer à celle-ci le mouvement du disque. Ces deux expériences sont concluantes : lors du mouvement relatif d’un disque de cuivre et d’un aimant, il se développe une force appliquée aux pôles de ce dernier et agissant dans le sens du mouvement relatif du disque, par rapport à l’aimant.
- Disons, en passant, que cette propriété fut appliquée dans la construction des galvanomètres et que l’on parvint, par l’interposition d’une plaque de cuivre, à ramener assez rapidement au repos les aiguilles de ces appareils, aiguilles qui oscillent d’autant plus lentement et d’autant plus longtemps que le galvanomètre est plus sensible.
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- LA NATURE.
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- Lorsque plus tard les actions des courants furent connues plus complètement, lorsque l’induction eut été découverte, on fut conduit naturellement à rattacher à ces effets les expériences que nous venons de rappeler sommairement et qui étaient étudiées jusqu’alors sous le nom de magnétisme en mouvement. La découverte des électro-aimants qui donnent le moyen d’obtenir des actions magnétiques, d’une intensité considérable, permit de reprendre les expériences en les variant et en les rendant plus nettes. Nous rappellerons l’expérience de Faraday, qui met
- en évidence, d’une manière saisissante, l’action de l’aimant sur le cuivre : un cube de cuivre auquel on communique une grande vitesse de rotation tourne entre les pôles d’un électro-aimant; tant que celui-ci est inactif, le cube tourne presque sans rien perdre de sa vitesse ; mais sitôt qu’un courant électrique passe dans les fils qui entourent l’électro-aimant et le rend actif, le cube est arrêté. L’effet est presque instantané ; si, d autre part, une petite force, comme celle qui provient de la torsion d’un fil par lequel le cube est suspendu, continue d’agir, le mouvement se
- Nouvel appareil d'induction, construit par Rulnkorff.
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- prolongera, mais avec une vitesse extrêmement faible ; le cube a l’air de se mouvoir dans un milieu pâteux. Le mouvement reprend et s’accélère sitôt que l’on interrompt le courant et que les fers doux qui constituent l’électro-aimant se trouvent ramenés à l’état naturel.
- En modifiant les conditions de l’expérience, Faraday put conclure que c’est la production de courants d’induction dans le cuivre qui est la cause de l’arrêt observé. Dans d’autres expériences, auxquelles nous ne nous arrêterons pas, l’existence de ces courants fut démontrée par l’exploration directe d’un disque de cuivre tournant devant un aimant, exploration qui permit de définir leurs trajectoires d’une manière certaine.
- L’expérience de Faraday, que nous venons de citer, peut être présentée sous une autre forme : un dis
- que de cuivre rouge, à axe horizontal, peut recevoir un mouvement de rotation très-rapide (10,000 tours par minute), qu’on lui communique par une série de roues dentées et de pignons mus par une manivelle. Ce disque passe entre les deux extrémités du noyau de fer doux d’un électro-aimant, dans les fils duquel on peut à volonté faire circuler un courant. Tant que le courant n’agit pas, et lorsque le disque a atteint la vitesse qu’il peut acquérir, il suffit d’un faible effort pour entretenir le mouvement, et si l’on abandonne la manivelle, la rotation se continue pendant longtemps avec un ralentissement graduel. Mais l’arrêt est immédiat au moment où l’on ferme le circuit qui contient une pile et les fils de l’électroaimant.
- C’est Foucault qui fit disposer l’expérience comme nous venons de l’indiquer ; il n’avait pas pour but de
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- répéter simplement l’expérience de Faraday d'une manière un peu différente ; mais il voulait étudier ce qui se passe lorsque l’on continue d’appliquer à la manivelle une force suffisante pour entretenir le mouvement de rotation du disque. On observe alors que, lorsque le courant passe, il faut, pour maintenir la même vitesse, développer un effet considérable, produire un travail mécanique que l’on peut évaluer et qui atteint une valeur très-notable. Que devient ce travail mécanique qui n’est pas nécessaire pour maintenir la vitesse de rotation, à proprement parler et qui n’est rendu indispensable que par l’effet du courant? Foucault pensait que, conformément aux idées qui étaient nouvelles à l’époque où il construisait son appareil, ce travail mécanique devait être transformé en chaleur ; l’expérience justifie complètement cette prévision et l’on observe que, en forçant le disque à tourner lors du passage du courant, on parvient à élever sa température d’une quantité appréciable à la main, on peut même atteindre le point de fusion de la cire, en prolongeant l’expérience pendant deux minutes et en employant le courant produit par six éléments Bunsen.
- Tel était l’état de cette question, au moins dans les points les plus importants, et depuis l'appareil de Foucault aucune particularité notable n’avait été signalée, relativement à l’action des aimants sur le cuivre en mouvement, lorsque N. Le Roux présenta l’appareil dont nous voulons parler .actuellement, et étudia ce qu’il appelle : \induction péripolaire.
- Sur une table solidement construite sont portées par des pieds en fer quatre bobines recouvertes de fil de cuivre isolés ; ces fils peuvent être reliés à une pile par l’intermédiaire du commutateur C, qui permet d’interrompre le courant ou de fermer le circuit à volonté. Des noyaux de fer doux sont placés au centre des bobines ; leurs extrémités dépassent les bobines et constituent les pôles des électro-aimants lorsque le courant passe. Un disque en cuivre rouge DD' est placé dans le plan de symétrie de l’appareil, parallèlement aux axes des bobines.
- Ce disque peut tourner autour d’un axe horizontal qui passe entre les extrémités opposées des fers doux et dont on voit l’extrémité en A. A cette même extrémité se trouve le dernier pignon qui sert à transmettre au disque D le mouvement de rotation produit par la manivelle, mouvement qui atteint plus de 180 tours à la seconde, soit 10,000 tours à la minute. Aux extrémités des noyaux de deux bobines opposées, et par-dessous, sont fixées deux pièces de fer doux F', entre lesquelles passe, sans les toucher, le disque de cuivre D. Lorsque l’appareil est ainsi disposé, il constitue un puissant appareil de Foucault, avec lequel on peut répéter les expériences que nous avons indiquées plus haut. Mais, en outre, et par-dessus les noyaux des électro-aimants, on peut placer deux pièces de fer doux F analogues à celles que nous venons de signaler en dessous ; lorsque ces pièces sont posées et que, comme les pièces F', elles sont aimantées par leur contact avec les électro-aimants, le
- disque D est, dans toute son étendue, soumis à l’action d’un champ magnétique présentant la plus grande symétrie dans toutes les directions. Dans ce cas, on observe que la rotation du disque est aussi facile lorsque le courant passe que lorsque le circuit est interrrompu ; que l’on n’éprouve pas alors la résistance qui est si manifeste dans l’appareil de Foucault, que le disque ne s’échauffe pas d’une manière sensible.
- Cependant, le courant électrique passe ; dans la pile, du zinc est dissous : il y a donc une énergie dépensée de ce côté, on doit observer quelque part ailleurs une action, manifestation de cette énergie. L’étude des effets qui doivent se produire par suite de l’induction, conduisit M. Le Roux à admettre l'existence d’un courant allant du centre du disque à la circonférence ; il fallait vérifier cette conclusion. A cet effet, un support métallique vertical est en contact avec l’axe du disque; une tige horizontale fixée à ce support est terminée par un fil de cuivre dont l’extrémité repose sur la périphérie du disque. Lorsque celui-ci tourne sans que le courant passe, on n’observe aucun elfet spécial; par suite du frottement, l’extrémité du fil s’échauffe bien un peu à la longue ; mais cette action, prévue du reste, est de peu d’importance. Si l’on vient, au contraire, à mettre la bobine en communication avec la pile, on observe, au point de contact du fil et du disque, une série continue d’étincelles très-vives, jaillissant avec intensité et dénotant l’existence d’un courant très-énergique dans le circuit formé par le disque, son axe et les diverses pièces qui y sont adaptées et que nous avons décrites.
- C’est dans l'existence de ce courant prévu par la théorie que consiste l’induction péripolaire de M. Le Roux. Jusqu’à présent, on ne voit pas à cette expérience d’applications pratiques ; mais elle est cependant fort intéressante en ce qu’elle est une confirmation des idées théoriques sur l’induction ; M. Le Roux, en présentant cet appareil à la Société française de physique, a montré que les résultats étaient d’accord particulièrement avec la loi de Lenz qui résume les actions des courants.
- Cet appareil agencé par M. Ruhmkorff, l’habile constructeur d’instruments de physique, a été présenté également à la réunion des sociétés savantes à la Sorbonne. Les explications fournies par M. Le Roux ont été écoutées avec attention, et les membres de la réunion ont suivi avec intérêt les expériences qui ont été exécutées sous leurs yeux.
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- LES FLEUVES1
- Les montagnes ne sont pas jetées irrégulièrement sur l’épiderme terrestre ; elles y forment, au contraire des réseaux découpés avec symétrie, des lignes tra-
- 1 Ce chapitre est extrait du volume l'Eau, dont la 3e édition vient d’être mise en vente à la librairie Hachette.
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- LA NATURE.
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- cées suivant une certaine précision, des charpentes régulièrement construites. Les fleuves qui arrosent les grandes plaines des continents sont aussi distribués avec ce caractère d’harmonie qui préside à toutes les créations de la nature.
- Dans l’ancien continent, les plus grandes chaînes de montagnes se dirigent d’occident en orient, et celles qui s’étendent du nord au sud en sont les rameaux secondaires. Les plus grands fleuves se déroulent dans la direction qui leur est imposée par ces proéminences du sol. L’Euphrate et le golfe Persique, le fleuve Jaune, le fleuve Bleu, tous les grands cours d’eau de la Chine cheminent de Lest à l’ouest, et il en est de même des principales artères de tous nos continents. Les principaux cours d’eau de l’Afrique et de l’Asie, les lacs, les eaux méditerranéennes s’étendent encore de l'occident à l’orient, ou de l’orient àlocci-dent, le Nil et quelques rivières de la Barbarie font seuls exception.
- Le continent du nouveau monde nous offre la même précision dans la distribution des artères liquides qui le traversent ; une énorme chaîne de montagnes divise, sépare l’Amérique en deux versants ; les eaux qui glissent sur ces pentes immenses se dirigent vers la mer, en sillonnant le sol, d’occident en orient, ou inversement.
- Tel est le coup d’œil d’ensemble, le spectacle vu de loin. En examinant de plus près le système d’irrigation continentale, on voit les fleuves se replier avec irrégularité, étendre ou rétrécir les eaux, suivre tantôt la ligne droite et tantôt la ligne courbe, décrire mille sinuosités, serpenter dans la vallée, se resserrer dans les rochers et les détroits, glisser rapidement sur les pentes ou stationner dans les bas-fonds courir au-dessus des rapides, se précipiter dans les cascades ou se reposer dans les lacs.
- Généralement la largeur des fleuves augmente depuis la source jusqu’à l'embouchure; quand on remonte le courant, les rives se rapprochent. Généralement aussi les courbes qu’ils décrivent sont plus nombreuses à l’approche de l'Océan. Dans l’intérieur des terres, ils suivent souvent la ligne droite ; près du rivage, au contraire, ils tracent des courbes nombreuses et se replient sur eux-mèmes : ils remontent vers les continents, puis descendent vers l’Océan et parcourent ainsi, dans un petit espace, des directions inverses. On dirait que le fleuve généreux n’a pas assez prodigué de bienfaits au territoire qu’il arrose, il paraît abandonner à regret les continents qu’il a fécondés.
- Les plus grands fleuves de l’Europe sont: le Volga, qui a 5,340 kilomètres de parcours ; le Danube, qui en a 2,750; le Don, 1,780; le Dnieper, 2,000; la Vistule, 960.
- En Asie, le fleuve Yangt-tse-Kiang se promène à la surface du sol sur une étendue de 5,350 kilomètres ; le Cambodge trace une courbe de 5,890 kilomètres; le fleuve Amour, de 4,580; le Gange glisse ses eaux dans un lit de 3,000 kilomètres; l’Euphrate, de plus de 2,000.
- Le Sénégal, en Afrique, accomplit un voyage de 4,500 kilomètres, en y comprenant le Niger, qui n’est qu’une continuation de ce grand fleuve. Le Nil a environ 3,880 kilomètres d’étendue. •
- * Enfin, l’Amérique est sillonnée par les artères fluviales les plus grandes, les plus larges du monde entier. Le Mississipi fertilise les contrées qu’il traverse sur une longuur de 7,000 kilomètres environ, et la superficie de son bassin est d’environ 180,000 lieues carrées, plus de sept fois la surface de l’empire français ! la largeur du grand fleuve américain est de 300 à 900 mètres, depuis le saut de Saint-Antoine jusqu’au confluent d’Illinois ; de 2,500 mètres au confluent du Missouri; et de 1,500 mètres à la Nouvelle-Orléans, au confluent d’Arkansas. Sa profondeur est de 15 à 20 mètres, au confluent de l'Ohio ; et de 60 à 80 mètres, entre la Nouvelle-Orléans et le golle du Mexique. Sa vitesse est de quatre milles à l’heure, et, au moment des fortes crues, il est très-difficile à remonter. L'Orénoque a 2,300 kilomètres de parcours; le fleuve de la Plata, 5,200.
- Mais bien plus puissant encore est le vaste courant du fleuve des Amazones, qui s’unit aux eaux de l’Atlantique par un estuaire de 300 kilomètres. Tout est colossal dans ce fleuve, qui rend à l’Océan toute la pluie et la neige récoltées par un bassin de 7 millions de kilomètres carrées. Il est si profond, que les sondes de 100 mètres ne peuvent pas toujours en mesurer les abîmes ; il est si large, que les vaisseaux le remontent sur près de 1,000 lieues de distance, et que l’horizon repose sur ses eaux en cachant ses rivages. C’est une véritable mer d’eau douce qui, pendant les crues, débite, avec une vitesse de 8,000 mètres à l'heure, 244,000 mètres cubes d’eau, c’est-à-dire le volume d’eau que fourniraient à la fois 5,000 fleuves comme la Seine.
- Les fleuves les plus rapides sont le Tigre, l'Indus, le Danube, etc. Tous les grands cours d’eau reçoivent dans leur lit un grand nombre de rivières qui forment autour de l’artère principale des ramifications plus ou moins abondantes. Le Danube reçoit dans son sein plus de 200 rivières ou ruisseaux; le Volga, 35, etc.
- Si la mer était à sec, il faudrait aux fleuves de la terre 40,000 ans pour remplir le vaste bassin de l’Océan.
- Que de variété d’aspects, que de diversité de tableaux nous offre le cours de tous ces fleuves ! Ceux-ci roulent des eaux bleues et vermeilles sur un lit de cailloux siliceux, ceux-là glissent une eau jaunâtre sur un fond limoneux ; en voici qui serpentent sur un sol fertile et parcourent des collines émaillées de toutes sortes de productions végétales ; en voilà qui roulent à travers des rochers abrupts, ou dans des sables infertiles.
- Dans nos climats, ce sont les gazons frais et fertiles, les peupliers, les saules, qui recherchent l’eau bienfaisante et enfoncent leurs racines dans le sol humide. En Afrique, les palmiers reflètent leur gra-
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- LA NATURE.
- cieux feuillage dans l’onde des fleuves, comme dans l’immense vallée du Nil ; le gigantesque baobab domine d’autres cours d’eau, comme le Zambèze. Dans les régions tropicales, une végétation luxuriante et désordonnée encombre les rivages des fleuves; les arbres, entassés pêle-mêle, dressent leurs troncs au milieu d’herbes enchevêtrées ; leur feuillage s’étend au-dessus des roseaux touffus, des végétaux aqueux, aux feuilles gigantesques ; les lianes et les plantes grimpantes forment, au milieu de ce dédale vivant, mille guirlandes gracieuses. Les troncs d’arbres s’affaissent au-dessus du sol; mais la foule des plantes est si compacte, qu’ils ne peuvent se coucher contre
- terre ; ils sont soutenus dans l’espace par mille tiges d’herbes épaisses, par mille liens qui les rattachent aux vivants. La fécondité de la nature apparaît dans toute sa puissance au milieu de cette surabondance de vie qui déborde de toutes parts.
- Cet encombrement de végétation fait naître dans les fleuves de l’Amérique un phénomène remarquable, produit par une accumulation d’arbres flottants appelés rafts. Les arbres déracinés par l’effort du vent ou par les éboulements, entraînés par les courants, arrêtés dans leur marche par des îles, des hauts-fonds ou d’autres obstacles, forment des îles mouvantes, qui peuvent embrasser toute la largeur du courant,
- L’Amazone à son embouchure.
- et mettent une entrave à la navigation. Parmi les plus grands rafts ou îles flottantes, nous devons mentionner celui d’un des bras du Mississipi, l'Afcha-falaya, qui emporte constamment dans son cours une grande quantité de bois amenés du Nord. En 40 années, ce fleuve a accumulé sur un même point une quantité de débris flottants tellement considérables, qu’il a formé une île énorme de 12 kilomètres de long sur 220 de large, et 2"‘,50 de profondeur. En 1816, cette masse s’abaissait et s’élevait avec le niveau du fleuve, ce qui n'empêchait pas les progrès de la végétation de la couvrir d un manteau de verdure ; à l’automne, des fleurs en égayaient l’aspect. En 1835, les arbres de l'ile flottante avaient atteint 60 pieds de hauteur, et des mesures durent être prises par l’État de la Louisiane, pour anéantir ce raft immense qui opposait un insurmontable obstacle à la navigation.
- Sur la rivière Rouge, sur le Mississipi, sur le Missouri, on rencontre fréquemment des amas de même
- nature, et le cours de ces fleuves est ainsi entravé par des amas d’arbres déracinés et par les débris trop abondants des naufrages ; « unis par des lianes, cimentés par des vases, ces débris deviennent des îles flottantes ; des jeunes arbrisseaux y prennent racine ; le pistia et le nénuphar y étalent leurs roses jaunes; les serpents, les caïmans, les oiseaux viennent se reposer sur ces radeaux fleuris et verdoyants qui arrivent quelquefois jusqu’à la mer, où ils s’engloutissent. Mais voici qu’un arbre plus gros s’est accroché à quelque banc de sable et s’y est solidement fixé ; il étend scs rameaux comme autant de crocs auxquels les îles flottantes ne peuvent pas toujours échapper; il suffit souvent d’un seul arbre pour en arrêter successivement des milliers ; les années accumulent les unes sur les autres ces dépouilles dotant de lointains rivages: ainsi naissent des îles, des péninsules, des caps nouveaux qui changent le cours du fleuve 1. »
- 1 Malte-Brun.
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- LA NATURE.
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- Dans le cours de l’Orénoque et dans celui de quelques autres fleuves américains, la nature se plaît à colorer les eaux des nuances les plus diverses; il en est de bleues, de vertes et de jaunes ; il en est de brunes comme le café, il en existe enfin qui sont aussi noires que de l’encre. Les eaux de l’Atabapo, dont les bords sont tapissés de carolinées et de mé-lastomes arborescents, celles du Terni, du Tuamini et de la Guainia, ont la teinte brune du chocolat; à l’ombre des palmiers, elles prennent une couleur complètement noire ; emprisonnées dans des vases transparents, elles sont d’un jaune doré. Ces colorations, dues sans doute à une dissolution abondante
- de matières organiques, font de l’eau un véritable miroir ; c’est ainsi que, lorsque le soleil a disparu sous l’horizon, l'Orénoque forme une masse opaque où se reflètent, avec une admirable clarté, la lune et les constellations méridionales.
- Les eaux de l’Orénoque, comme celles du Nil et d’un grand nombre d’autres fleuves de l’Afrique ou de l’Asie, teignent en noir les rivages et les rocs granitiques qu’elles arrosent depuis des siècles; il s’ensuit que la coloration des rochers et des pierres qui s’élèvent en amphithéâtre sur leurs rives marque en toute évidence leur ancien niveau. Sur les bords de l’Orénoque, dans les rochers de Kéri, à l'embou-
- mins ppteemmff
- Formation d’ilcs flottantes sur le Missouri
- I
- chure du Jao, on remarque des cavités peintes en noir par l’action du fleuve; et ces cavités sont cependant situées à plus de 50 mètres au-dessus du niveau de la surface actuelle des eaux. Leur existence nous enseigne et nous démontre un fait déjà constaté par d’autres preuves analogues dans tous les lits des fleuves enropéens, à savoir que les courants dont la grandeur nous frappe d’étonnement ne sont que les restes modestes des masses d’eau gigantesques qui traversaient les continents dans les temps géologiques, alors que l’homme n'était pas né 1.
- Gaston TISSANDIER.
- CHRONIQUE
- L'enseignement en Allemagne. — Un journal d’outre-Rhin, la Gazette de Vos, vient de faire paraître
- 1 HIumboldt.
- une statistique que nous nous empressons de publier : on ne saurait trop montrer la richesse de l’instruction en Allemagne, dans un pays comme le nôtre où, sous ce rapport, la misère est si grande.
- D’après les derniers renseignements officiels, l’empire allemand compte 380 gymnases, pro-gymnases et lycées ; 156 écoles latines (en Bavière et Wurtemberg), 270 real-schulen ; 12 hautes écoles techniques et polytechniques. La Prusse possède, en outre, 26 écoles provinciales des arts et métiers ; la Saxe 5 écoles de commerce et 4 écoles des arts et métiers et écoles d’architecture ; Saxe-Cobourg-Gotha, 3 écoles de ces deux dernières catégories ; la ville de Hambourg possède une école des métiers pour les garçons et une autre pour les filles. La Bavière compte 33 écoles de métiers, de commerce et d'agriculture ; la Prusse 29 écoles agricoles avec 41 écoles d’hiver d'économie rurale. Le reste de l’empire allemand possède encore 56 écoles appartenant à l’une ou à l'autre de ces catégories.
- La Prusse compte 260 écoles publiques supérieures des filles; le reste de l’Allemagne en compte 51. 143 séminaires pour la formation d’instituteurs et pour leur perfectionnement sont en pleine activité dans l’empire aile-
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- LA NATURE.
- mand, pendant l’année présente ; l’instruction primaire est donnée dans 60,000 écoles. Tous les États de l'Alle-magne ont des écoles pour les sourds-muets et pour les aveugles. La Prusse en possède 35 pour les sourds-muets et 14 pour les aveugles. A l’égard des écoles des métiers artistiques, la Bavière occupe le premier rang, mais le Wurtemberg et la Prusse ont fait dernièrement de grands progrès dans cette direction.
- Découverte de sarcophages dans le Calvados.
- — En traçant à Benerville, près de Deauville, un chemin littoral, on a trouvé, assez près de la surface du sol, trois cercueils, dont la forme semble indiquer l’origine franque. Deux sabres et quelques grands couteaux ont été recueillis dans un état de conservation remarquable ; ils offrent les caractères d’armes analogues, existant dans nos musées, et appartenant d’une manière certaine à l’époque des premiers siècles de la monarchie. A côté de ces reliques précieuses, on a encore rencontré une boucle de ceinture et quelques belles agrafes en bronze.
- L’expédition aérostatique de M. Wise. — Les journaux que nous recevons de New-York continuent à nous donner de nombreux détails sur la traversée de l‘ Atlantique en ballon. Ce projet, bien digne d’un intrépide Yankee, excite l’admiration des Américains, et leurs feuilles parlent longuement des préparatifs de l’expédition. On parle de la couture du ballon, de la construction de sa nacelle de sauvetage, de l’approvisionnement de vivres, etc. C’est le succès de feu le Géant de Nadar. Le Scientific American, qui n’est pas ennemi de la gaieté, conseille aux passagers des paquebots transatlantiques d'emporter, lpour la traversée de l’Océan, des parapluies en fer-blanc, afin d'amortir le choc du lest que M. Wise pourra jeter sur leurs tètes ! Au moment de mettre sous presse, des feuilles anglaises nous apprennent le départ de l’aréostat. M. Wise a quitté New-York dans les premiers jours de septembre, avec quatre passagers. Jamais semblable exemple de hardiesse ne s’est offert dans l’histoire de l’aérostalion. Nous accompagnons de nos vœux sincères cette étonnante expédition.
- Les diamants de l’Exposition de Vienne. — C’est depuis fort peu de temps, que l’admirable collection de diamants exposés à Vienne s’est complétée par l’arrivée d’un merveilleux échantillon, le diamant du Cap, dit Stewart-Diamant, le plus gros de son espèce qui ait été trouvé dans l’Afrique du Sud. Sa teinte est légèrement jaunâtre, mais il ne pèse pas moins de 288 carats. On l’a estimé 760,000 francs. Le lot de terre sur lequel ce diamant s’est trouvé, a.été vendu 750 francs à un Anglais, M. Spalding, qui l’a cédé bientôt à M. Antonie. Quand le propriétaire mit la main sur le Stewart-Diamant, il en resta pétrifié d’étonnement et de joie. On le porta chez lui, car il était incapable de se tenir debout, et son émotion fut telle qu’il resta pendant deux jours sans pouvoir prendre de nourriture. Le diamant du Cap est placé, à Vienne, au milieu d’une constellation de pierres précieuses de la plus grande richesse, qu’entourent sans cesse une foule de visiteurs, attirés par les feux de ces pierreries, comme les alouettes par les reflets des miroirs.
- Concours de groseilles en Angleterre. — On cherche à tout améliorer en Angleterre, et les concours sont multipliés pour toutes espèces de produits. Dans le mois dernier, dit le Journal de l'agriculture, nous pouvons citer comme caractéristiques les concours qui ont eu
- lieu pour les plus belles groseilles. Il n’est, pour ainsi dire, pas de petite ville du centre et du nord de l’Angleterre qui n’ait des exhibitions de ce genre. Les concours de Lau-cashire sont surtout célèbres, et à Manchester, on voit exposées des groseilles d’un poids énorme. A l’Exposition de Newark, le premier prix a été remporté par M. Egglestone, qui avait exposé des groseilles rouges du poids moyen de 41 grammes. D’autres récompenses ont été décernées, en grand nombre, pour des groseilles dont le poids dépassait 50 grammes.
- CORRESPONDANCE
- Nous avons donné des renseignements nombreux sur les récentes explorations du savant explorateur M. Nor-denskiold ; nous sommes heureux d’apprendre à nos lecteurs que des détails tout à fait inédits nous seront fournis par M. Nordenskiold lui-même sur ses prochaines expéditions, comme l’atteste une lettre qu’il vient d’adresser à notre collaborateur, M. W. de Fonvielle. Voici quelques extraits de cette lettre suivis de la signature que nous avons fait autographier :
- ...... « Votre aimable lettre méritait une réponse im-« médiate, mais, à peine de retour, je suis très-occupé « par l’organisation de ma nouvelle expédition. Dès que « je serai arrivé à Stockholm, je profiterai de quelques « instants de repos pour vous envoyer les renseignements « que vous me demandez.
- « Je saisis cette occasion pour vous remercier de Fin-« térêt que vous avez pris , ainsi que les hommes de « science et la presse de votre pays, à nos expéditions are-« tiques, intérêt, croyez-le bien, très-apprécié en Suède, « où l’on a toujours eu de si vives sympathies pour votre « beau pays. »
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- Nos lecteurs seront touchés, comme nous, de ces marques d’estime et d’affection, adressées à la France par une des notabilités scientifiques d’un des plus beaux et des plus sages pays de l’Europe.
- ACADÉMIE DES SCIENCES
- Séance du 8 septembre 1875. — Présidence de M. BLnTRANn.
- Nouvelle variété de guano. — Poursuivant scs très-intéressantes recherches sur le guano, M. Chevreul signale aujourd’hui une nouvelle variété de cette substance, qu'il désigne sous le nom provisoire de guano brun. C’est une matière en partie friable et en partie compacte, qui a si mauvais aspect, qu’un agriculteur praticien, le voyant dans le laboratoire de l’auteur, n’hésita pas à dire qu’il avait été mouillé et ne valait certainement rien comme engrais. Ce jugement, quoique porté par une personne très-compétente, est absolument erroné, car, et c’est là lefait le plus frappant de ces études, bien que la portion la plus active du guano consiste en sels solubles dans l’eau, l'on n’en débarrasse pas le guano. C’est là un nouvel exemple de cette affinité capillaire, découverte par M. Chevreul dès les premières années de ce siècle, et qui se retrouve dans une foule de phénomènes. Le sel ammoniacal a contracte par affinité capillaire une combinaison si intime
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- avec la portion poreuse et insoluble du guano, qu’il faut des agents très-énergiques pour les détruire. L’eau mise en contact de la matière se sature de sel soluble, et n’enlève rien de plus, ce qui est extrêmement intéressant au point de vue agricole, puisqu’il en 'résulte que le guano déposé dans la terre peut dépenser petit à petit sa substance active, au lieu de l’abandonner tout d’un coup. En présence de l’importance des faits de ce genre, il y a lieu de s'étonner, avec M. Chevreul, que les chimistes aient jusqu’ici attaché si peu d’attention à l’affinité capillaire, et l’on doit croire que son étude réserve à la science toute une série de découvertes. En passant, M. Chevreul signale l'état particulier dans lequel se trouvent les oiseaux qui se sont fossilisés au sein des couches de guano. A première vue, il semblerait que ces oiseaux étaient rachitiques, pendant leur vie : leurs os, en présence de l’eau, s’écrasent, sous une baguette de verre, en grumeaux floconneux, et divers échantillons, plus ou moins transformés, ont permis de suivre les phases de cette modification particulière. Au microscope, ces os manifestent leur structure normale et se montrent tout couverts de petits cristaux, qui rappellent ceux qui prlinent les fibres des viandes salées. Ces cristaux sont encore formés du sel d’ammoniaque cité tant de fois dans ces recherches. Quant à la nature de ce sel, M. Chevreul annonce qu’il en a extrait l’acide sous la forme de magnifiques cristaux de plus de cinq centimètres de long ; toutefois, il ne veut pas s’avancer et remet à une autre communication de dire quelle est la composition de cette belle substance.
- Apparition du phylloxéra aux environs de Cognac. — Dans la précédente séance, M. Lecoq de Boisbaudrand avait adressé à l’occasion des échantillons de racines et de feuilles de vigne qu’il croyait atteints par le phylloxéra. M. Milne Edwards, à qui ces échantillons avaient été renvoyés, vient confirmer les craintes de M. de Boisbaudrand. La vigne porte réellement le phylloxéra sous ses différents états et présente ces excroissances caractéristiques de la présence de cet insecte. M. Cornu, pensant que les remèdes ont pls de chance de réussir sur un point où l’infection est localisée, se propose départir immédiatement pour Cognac, où il répétera les expériences déjà faites aux environs de Montpellier. — A cette occasion, un ingénieur parisien, M. Belval, fait remarquer que, depuis près d’un an, il a signalé le sulfure de carbone (employé tout récemment avec succès par M. Monestier), comme devant donner contre le phylloxéra, des résultats favorables. —Le secrétaire présente une sorte de tarière perforée dans toute sa longueur, et destinée à porter directement le liquide anti-parasitaire sur les racines de la vigne. — Un auteur, dont le nom nous échappe, pense que le remède au phylloxéra consisterait dans l’injection, autour des racines, du gaz de l’éclairage : le gaz portatif pourrait servir à cet usage. Peut-être cependant est-il certaines localités vinicoles où les voitures circuleraient fort malaisément. C’est à peu près aussi pratique que cette idée d’un anonyme qui propose, pour préserver Paris du choléra, d’établir sur Montmartre, sur les bulles Chaumont et sur le Trocadéro, d’énormes machines à vapeur qui puiseraient l’air par des haulcurs pour l’injecter sous forme de vent, plus ou moins vif, dans les quartiers populeux de la ville. — Toujours est-il qu’on peut voir par cette énumération que la question du phylloxéra continue à passionner les chercheurs.
- Nouvelle méthode de représentation des observations météorologiques. — Le directeur de l’observatoire d’Alger, M. Bulard, expose des tableaux destinés à rendre facilement visibles le résultat des observations météorologiques Pour ce qui est, par exemple, de l’état du ciel, il repré
- sente, par les chiffres de 0 à 10, la quantité de nuages que contient le ciel depuis l’état de pureté jusqu’à l’état opposé, puis il affecte des teintes spéciales aux diverses formes de nuages : le blanc représente les cirrus; le gris les cumulus, etc. Grâce à ces conventions, il trace des tableaux extrêmement expressifs de l’état du ciel, pendant une journée, un mois, une année. En terminant, l’auteur exprime le désir de voir le gouvernement venir en aide à l’observatoire pour la publication des douze années d’observation, dès ce moment prêtes à paraître ; il se félicite d’ail-leurs de l’appui qu’il a toujours trouvé auprès de M. le général Chanzy, gouverneur de l’Algérie. — C’est ici qu’il faut mentionner la nouvelle communication deM. de Magus sur la détermination chronométrique des longitudes en mer. Les résultats, conformes à ceux déjà publiés, montrent que la méthode est extrêmement précise. Ceci est tellement l’opinion des astronomes, que l’auteur vient d’être chargé, par la commission du passage de Vénus, d’exécuter toutes les mesures de longitudes. — M. Émile Duchie-min adresse une petite boussole dont l’aiguille est remplacée par un cercle d’acier aimanté, dont chaque moitié correspond à un pôle. Il parait que les corrections sont beaucoup plus faciles avec cet instrument qu’avec les autres.
- Phénomènes volcaniques dans l'Archipel. — L’ile de Mysiros, dans l’Archipel, a été, le 10 juin, le siège d’une éruption volcanique. D’après M. Gorceix, le commencement de l’année avait été signalé par diverses manifestations volcaniques dans ces parages, et spécialement par des secousses de tremblement de terre. L’de est entièrement constituée par des laves; Strabon parle de sa formation volcanique et beaucoup de voyageurs l’ont visité. Elle, contenait deux solfatares dontM. Gorceix avait étudié chimiquement les émanations. Malheureusement ce chimiste n’était pas sur les lieux au moment de l’éruption et il demande que l’Académie lui facilite une nouvelle expédition. Stanislas Meunier.
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- LES NAVIRES CIRCULAIRES
- DE L’AMIRAL POPOFF.
- L’idée des navires à flottaison circulaire n’est pas absolument nouvelle. Il y a quelques années, un projet de bâtiment de ce genre, soigneusement étudié, fut présenté par M. John Elder à l’amirauté anglaise, mais sans succès. Quoi qu’il en soit d’ailleurs de l’originalité de l’invention, c’est à l’amiral Popoff, de la marine impériale russe, qu’appartient l’honneur de l’exécution du premier navire de cette forme étrange. Ce type de garde-côte, sur lequel les Russes fondent de grandes espérances, est jusqu’ici fort peu connu, et on ne lira pas sans intérêt, croyons-nous, les détails suivants sur ces deux navires (le Kiew et le Novogorod), dont la mise à l’eau s’est effectuée il y a quelques semaines à Nikolaïef.
- Ces batiments, d’un diamètre de 50m, 2, sont construits en fer et bordé en bois et doublage en cuivre ; leur tirant d’eau est de 5m, 70 environ, et le pont supérieur se trouve en abord à 0,65 au-dessus de l’eau. Le déplacement à ce tirant d’eau est de 2,530 tonneaux. Les fonds sont complètement plats, au lieu de présenter une arête saillante comme sur
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- LA NATURE.
- les premières batteries circulaires de M. Elder; leur muraille est verticale et forme à la partie arrière un porte-à-faux abritant le gouvernail. La stabilité dans le mouvement de propulsion est assurée au moyen de douze quilles de 0"‘,08 de hauteur environ.
- Au milieu du navire est fixée une tourelle de 9 mètres de diamètre et de 2m, 15 de hauteur, renfermant deux canons de 11 tonnes en acier (probablement canons de 8 pouces) se chargeant par la culasse et tirant en barbette. Au milieu de la tourelle se trouve un axe creux, servant au passage des munitions, autour duquel pivote le châssis de chacun des canons ; ceux-ci peuvent par suite être pointés en dehors de la direction même de l'axe du navire, sur un angle total de 30° à 35°. Les batteries doivent, en outre, recevoir des tubes porte-torpilles.
- La partie inférieure de la carène est constituée par une double coque, dont les tôles sont espacées de O"1,90 ; la tôle inférieure a 13 millimètres d’épaisseur, l’autre 6 millimètres ; le fond est divisé en un très-grand nombre de compartiments étanches.
- Parallèlement au pont supérieur et à une distance de lm,85 au-des-sans, se trouve le faux-pont : l’un et l’autre sont réunis entre eux et avec la coque inférieure par un certain nombre de cloisons étanches. Sur
- Coupe longitudinale.
- Le nouveau navire circulaire russe. — Plan du pont.
- —ii Coupe transversale.
- l’avant de la tour est une superstructure légère servant, d’une part, à la protéger contre la mer, de l’autre à fournir un logement pour le commandant et un carré pour les officiers, qui doivent être au nombre de onze. Le faux-pont comprend : à l’avant, le logement de l’équipage, qui comprendra quatre-vingt-cinq à quatre-vingt-dix hommes; sur l’arrière, en abord, les soutes à charbon et les chaudières (chacune d’elles porte sa cheminée) ; au milieu, les chambres des officiers et un puits pour le passage des munitions ; à l'arrière, 6 machines à vapeur de quatre-vingts chevaux, système Woolf, actionnant chacune une hélice indépendante. Machines et chaudières ont coûté 1,100,000 francs. Au-dessous du poste de l’équipage sont les soutes de toute espèce ;
- les soutes à poudre et à projectiles sont au-dessous des chambres des officiers. Deux roues de gouvernail sont placées dans ce faux-pont.
- La cuirasse est formée par deux virures de plaque de 0"1,91 de largeur; la virure supérieure a 229 millimètres d’épaisseur, la virure inférieure 178 millimètres. Ces plaques reposent sur un matelas en tcak de 178 millimètres pour la plaque supérieure et 229 millimètres pour la plaque inférieure.
- La tourelle est constituée de la même manière; mais les plaques ont toutes 229 millimètres. A 0"1,60 environ à l’intérieur de la muraille règne une cloison étanche formée par des tôles de 19 millimètres, divisant la batterie en deux parties , de telle manière qu’une voie d’eau dans un des compartiments extérieurs soit sans aucune influence sur le salut même du navire.
- Le grand-duc Constan-tin, grand-amiral de Rus-sic, s’étant rendu il y a quelques semaines à Ni-kolaïef, on a profité de cette circonstance pour faire en sa présence un premier essai du Novo-gorod, bien que le navire ne fût pas entièrement prêt à prendre la mer. Avec une pression de vapeur de 2k,390, un vide de 5-46 millimètres, et à l’allure de 62 tours, on a obtenu une vitesse de 6 nœuds (la vitesse prévue est de huit à neuf nœuds); le bâtiment s’est comporté à la mer
- d’une manière surprenante. Le Novogorod obéit très-bien à son gouvernail, et à la même vitesse de 6 nœuds, il a tourné pour ainsi dire sur lui-même, dès que l’on a stoppé ou seulement ralenti les trois machines d’un bord. Avec les machines de tribord, marchant en avant, et celles de bâbord en arrière, le navire a fait un premier tour en 2 minutes et un second en 1 minute 19 secondes sans presque changer de place. En renversant la marche des machines, le batiment s’est arrêté en quelques secondes et a commencé à tourner dans l’autre sens, sans changer davantage de place. L. R.
- Le Propriétaire-Gérant : G. TISSANDIER.
- PARIS. — INP. SIMON RAÇON ET CoN., RUE D'ENFURTI, 1.
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- N» 17. _ 27 SEPTEMBRE 1 873.
- LA NATURE.
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- L’ÉCOLE ANDERSON
- AUX ÎLES ÉLISABETH.
- Au commencement de l’année 1873, l'ile Peni-kese, une de celles qui font partie de l’archipel Élisabeth, à l’entrée de la baie Buzzard, appartenait à M. Anderson, riche négociant de New-York. M. Agas-siz ayant manifesté, dans un de ses ouvrages, le désir d’établir quelque part sur les bords des États de la nouvelle Angleterre, une École d’histoire naturelle spécialement consacrée à l'étude des animaux marins, M. Anderson écrivit au grand ichthyologiste pour mettre à sa disposition la propriété de ce charmant
- domaine, dont la valeur était estimée à 2,500,000 francs. Ce généreux donateur, comme on en trouve si peu de ce côté de l’Atlantique, ajoutait à son présent, plus que princier, une somme de 1,250,000 francs en espèces pour construire l’École d’histoire naturelle, et il priait M. Agassiz de vouloir bien en être le fondateur.
- Agassiz, qui avait refusé la direction du Muséum d’histoire naturelle de Paris, proposée par Napoléon III, son ancien élève, répondit favorablement à une offre si inattendue, si honorable, tant pour l’homme généreux qui la faisait que pour le savant qui en était l’objet. Il mit cependant à son adhésion une condition formelle. Il exigea que l’ancien pro-
- -il »
- 7
- L'École d’histoire naturelle Anderson, dirigée par M. Agassiz.
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- priétaire de l’île Penikese conservât une maison de campagne dans une presqu’île qui en fait partie.
- M. Anderson ayant souscrit volontiers à cette obligation, un acte en règle de donation fut rédigé et remis à M. Agassiz par M. Anderson en personne. C’est alors seulement que ces deux hommes, dont le nom ne sera point séparé dans l'histoire des sciences, se serrèrent la main pour la première fois, car jus-qu’alors ils étaient parfaitement étrangers l’un à l’autre.
- Aussitôt cette cérémonie essentielle accomplie, on se mit à l’œuvre pour construire les bâtiments destinés aux élèves, aux collections, aux laboratoires et aux professeurs.
- Les constructions, terminées en temps utile pour que les cours de l’été 1875 aient commencé en juillet, sont simples et commodes ; elles sont assez vastes pour recevoir une cinquantaine d’élèves, nombre qui a été considéré comme largement suffisant. Elles
- se composent d’un édifice à un seul étage, dans le rez-de-chaussée duquel ont été placés les laboratoires et les amphithéâtres. Une aile a été réservée pour le logement du directeur et du corps enseignant.
- C’est le 8 juillet, à midi, quatre jours après la célébration du quatre-vingt-dix-septième anniversaire de la déclaration d’indépendance, que l’École a été ouverte par le professeur Agassiz, en présence de M. Anderson, des élèves et de quelques notabilités scientifiques.
- Par une coïncidence bizarre, c’était à peu près à la même époque que M. Agassiz, qui était depuis longtemps attaché à l’Académie des sciences de Paris, en qualité de simple correspondant, était nommé un des huit associés étrangers de cette illustre assemblée.
- Agassiz a prononcé un discours que tous les journaux américains ont reproduit avec un empressement qui nous surprend peu de leur part, car 111-
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- lustre ichthyologiste a eu surtout en vue de populariser la nécessité, trop peu comprise encore malgré la multiplication du nombre des aquariums, de vivre, en quelque sorte à côté des animaux marins, si on veut les étudier d’une façon réellement utile.
- Ce n’est point de la vérité imparfaite, renfermée dans les livres, que le véritable ami des sciences se contentera, c’est à la nature elle-même que l’homme intelligent s’adressera s’il veut obtenir une réponse sérieuse.
- Heureuse sera cette petite île de Penikese. Elle deviendra bientôt l’épouvantail de la routine, si les professeurs n’oublient jamais cette magnifique parole d’Agassiz : « Dans les examens que je ferai subir aux élèves de l’École Anderson, je ne leur demanderai jamais ce qu’on leur a appris, mais uniquement ce qu’ils ont pu voir. » Il y a, dans ce but, un entraînement magique.
- L’exemple de M. Anderson a déjà trouvé des imitateurs. M. Gallampa, de Swampscott, a fait cadeau à l’École Penikese d’un yacht valant 100,000 francs. Ce joli navire, que nous avons représenté sur notre dessin, sera d’un grand usage pour les sondages sous-marins et les excursions indispensables à un enseignement d’un caractère aussi pratique que celui que M. Agassiz se propose de donner.
- Un corps professoral nombreux, formé d’hommes éminents dont les noms sont pour la plupart connus en Europe, s’est mis à la disposition de M. Agassiz. Il se compose du docteur A. Packard et du professeur Putnam de l’Académie Peabody, à Salem, du comte Pourtalès et du professeur Mitchell, du service hydrographique, des professeurs Joseph Lo-vering et N.-S. Shaler de Harvard College, du professeur Brown-Séquard, du professeur Waterhiouse Hawkins, d’Angleterre, du professeur Arnold Guyot, de Princeton New-Jersey, enfin de M. Paulin Rolter, artiste du Muséum de Cambridge.
- Cent cinquante élèves s’étant présentés pour être admis dans une école qui ne peut en contenir que cinquante, on a été obligé d’en éliminer les deux tiers. Toutefois, apprenant l’intérêt que les dames prennent toujours à l’étude de l’histoire naturelle, si bien appropriée à leurs goûts, à leurs habitudes d’observation et à leur patience, M. Agassiz leur a, avec raison, réservé vingt places. Il n’a pas eu le mauvais goût de les exclure, comme on le fait encore dans un grand nombre de pays, et notamment dans certaines universités suisses. Craignant de voir reparaître, sous forme de visiteurs, les personnes qui n’avaient pu être admises d’une façon régulière, M. Agassiz a publié dans tous les journaux un avis annonçant au public qu’il n’y a pas d’hôtel dans l’île et qu’on ne peut recevoir à l’école d’autres hôtes que les élèves et les personnes attachées à leur instruction.
- Il ne sera pas superflu de donner maintenant quelques détails sur l’administration matérielle d’un établissement d’éducation si bien en dehors de tout ce qui a été organisé jusqu’à ce jour.
- Les élèves n’ont à payer que leur nourriture, préparée par un cantinier et vendue à prix coûtant. Comme les dortoirs ont été construits sur les fonds de l’École, on n’exige des pensionnaires aucun loyer proprement dit. Ils ont cependant une somme minime à verser chaque semaine pour représenter l’usure des meubles garnissant leur chambre à coucher, et le service personnel auquel donne lieu leur séjour dans l’établissement.
- Les bâtiments ont été construits d’une façon économique, et l’École n’a point dépensé, à beaucoup près, tout son capital. Une somme de près de un million, placée sur l’État ou en valeurs de tout repos, sert à assurer le payement des professeurs et le service général, de sorte que les élèves, qui vivent à bien meilleur marché que n’importe dans quelle ville des États-Unis, n’ont à supporter aucuns frais d’instruction.
- Enfin, comme un grand nombre de personnes désireront faire des collections pour leur usage personnel, peut-être même pour les vendre, les vases et l’alcool, achetés en gros par l’école, sont mis à la disposition des élèves, à prix coûtant, ce qui facilite beaucoup un genre d’étude attrayant et utile.
- On ne saurait imaginer un système plus libéral et plus voisin de la gratuité absolue. Nous ne perdrons pas de vue les travaux d’un établissement qui, inauguré d’une façon si brillante, se trouve placé sous une direction si habile, si intelligente et si franchement philosophique.
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- LES CRIQUETS DÉVASTATEURS
- (Suite. — Voy. p. 250.)
- Il existe de très-grandes difficultés, au point de vue entomologique, pour distinguer entre elles les espèces d’Acridiens migrateurs dont les ravages sont à redouter pour nos cultures. Elles sont réparties en plusieurs genres par les auteurs modernes.
- Le genre Acridium (Geoffroy) renferme l’espèce la plus redoutable, qui heureusement ne vient jamais en Europe. Les caractères les plus saillants de ce genre sont tirés de la région moyenne du corps, de son premier anneau, le prothorax, portant la première paire de pattes. Il offre en dessous une corne cylindrique, libre et proéminente, droite ou courbe. La partie supérieure, peu prolongée en arrière, distinctement comprimée sur les côtés, présente en dessus une crête ou carène médiane plus ou moins élevée, sans carènes latérales sensibles ; les organes du vol sont bien développés dans les deux sexes, et composés, selon le caractère général des orthoptères, d’une paire antérieure d'élytres semi-coriaces, et en dessous d’ailes membraneuses beaucoup plus larges, dont toute la région postérieure se plisse au repos en éventail et se replie au-dessous de la région antérieure, de sorte que toute l’aile est alors protégée et cachée par l'élytre, comme un étui qui empêche les
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- déchirures de la voile délicate par les aspérités du sol ou des buissons, alors que l’insecte marche ou saute. La figure où l’on voit deux Acridium l’un au repos, l’autre parcourant l’atmosphère, fait bien comprendre cette distinction.
- L’espèce la plus répandue de ce genre funeste doit avoir son origine dans divers lieux déserts de l’ancien monde, comme les steppes de l’Asie centrale d'une part et l’intérieur de l’Afrique de l’autre, sans qu’on puisse préciser exactement la limite australe. Elle étend ses ravages par d’immenses colonnes voyageuses des rivages orientaux de la Chine aux côtes du Maroc et du Sénégal ; on en rencontre des légions dans toute la Chine, la Perse, l’Asie Mineure, l‘É-gypte, le Soudan et les anciens États barbaresques ou tout le nord de l’Afrique et, ce qui est fort triste pour nous, l’Algérie. C’est le Criquet nomade ou pèlerin [Acridium peregrinum, Olivier). Il est de grande taille, pouvant atteindre 65 millimètres dans les deux sexes. Le corps est dépourvu de poils, ordinairement d’un jaune vif, avec beaucoup de lignes et de points ferrugineux, formant comme une marqueterie. Les antennes sont jaunes à la base puis brunes. Les élytres, plus longues que l’abdomen, assez étroites arrondies au bout, sont opaques et jaunes à la base ainsi qu’au bord antérieur, puis transparentes avec des séries de taches noirâtres, ce qui constitue des bandes transversales très-irrégulières. Les ailes, aussi longues que les élytres, sont amples et transparentes, à nervures jaunes avec le bord antérieur teinté de la même couleur.
- L’abdomen et le dessous du corps sont brunâtres et luisants, et les pièces qui le terminent sont courtes ; les pattes sont d’un beau jaune avec les épines des jambes postérieures noires.
- La détermination de cette espèce est due au savant voyageur Olivier (Voyage dans l'empire ottoman, t. II, p. 424), à la fin du dernier siècle. Voici comment s’exprime Olivier, alors en Syrie, sur les migrations de cette espèce, dont il a été témoin, et ce récit est précieux en ce qu’il émane d’un homme habitué aux observations scientifiques : « A la suite de vents brûlants du midi, il arriva de l’intérieur de l’Arabie et des parties les plus méridionales de la Perse des nuées de sauterelles (nom vulgaire), dont le ravage pour ces contrées est aussi fâcheux et presque aussi prompt que celui de la plus forte grêle en Europe. Nous en avons été deux fois les témoins (Olivier et son compagnon Bruguières).
- « Il est difficile d’exprimer l’effet que produisit en nous la vue de toute l’atmosphère remplie de tous les côtés et à une très-grande hauteur d’une innombrable quantité de ces insectes, dont le vol était lent et uniforme, et dont le bruit ressemblait à celui de la pluie; le ciel en était obscurci et la lumière du soleil considérablement affaiblie. En un moment, les terrasses des maisons, les rues et tous les champs furent couverts de ces insectes, et, en deux jours, ils avaient presque entièrement dévoré toutes les feuilles des plantes ; mais heureusement ils vécu
- rent peu, et ne semblèrent avoir émigré que pour se reproduire et mourir. En effet, presque tous ceux que nous vîmes le lendemain étaient accouplés, et, les jours suivants, les champs étaient couverts de leurs cadavres. J’ai trouvé cette espèce en Égypte, en Arabie, en Mésopotamie et en Perse. »
- Olivier fait mention d’une variété de YAcridium peregrinum, où le fond jaune est remplacé par du rougeâtre clair. Audinet-Serville dit avoir reçu cette variété de Palestine, prise sur le mont Sinaï. Elle existe aussi en Algérie, comme me l’a fait connaître M. Come, qui professa longtemps l’histoire naturelle au lycée d’Alger ; ces Sauterelles rouges sont souvent prises à tort comme une espèce particulière. Les mœurs du Criquet pèlerin ont été observées dans notre colonie, notamment par M. II. Lucas lors de l’exploration scientifique de l’Algérie, entreprise sous Louis-Philippe à la suite des victorieuses campagnes du maréchal Bugeaud. C’est l’espèce qui s’y rencontre le plus abondamment, bien qu’elle n’y soit pas dévastatrice tous les ans. Les indigènes la nomment El Djerad (la sauterelle) ou Djerad el arbi (la sauterelle arabe). Elle présente cinq mues ou changements de peau : la première a lieu cinq jours après la sortie de l’œuf, la seconde six jours après la première, la troisième huit jours après la seconde, et dans ces trois premières mues (état de larve) l’insecte n’a pas d’ailes ; ensuite se produit la quatrième mue au bout de neuf jours, et l’insecte est alors en nymphe, avec les élytres et les ailes raccourcies, pendantes sur le dos, impropres au vol et enveloppées de fourreaux. Enfin la cinquième mue ou l’état parfait arrive dix-sept jours après, en tout quarante-cinq jours à partir de la sortie de l’œuf.
- L’espèce apparaît au milieu du printemps à l’état adulte, venant du sud. Ces criquets ne commencent à voler qu’entre sept et huit heures du matin, suivant que le temps est plus ou moins clair, demeurant jusque-là engourdis sur les branches d’arbres, sous les feuilles larges, dans l’herbe des fossés, surtout quand il est tombé de la rosée pendant la nuit. L’accouplement s’opère dans la journée, le mâle grimpé sur le dos de la femelle. Il agite de temps en temps ses longues pattes, et la femelle y répond par un mouvement analogue. La femelle marche et mange, gardant avec elle le mâle, qui souvent même ne la quitte pas pendant la ponte. Cet acte s’opère de préférence dans des terres meubles, sablonneuses. Si la terre est un peu dure la femelle y creuse un trou cylindrique, large d’un centimètre environ,en donnant une demi-rotation à son abdomen et ouvrant en même temps ses quatre valves terminales, qui tassent la terre sur les côtés; on dit que les trous soit creusés par la femelle, soit probablement préexistants en partie, peuvent avoir une profondeur de trente millimètres, et qu’alors les anneaux de l’abdomen qui s’enfonce en terre se distendent comme un tube élastique.
- On voit un grand nombre de femelles pondant en cercle, serrées les unes contre les autres là où la
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- œrre est meuble, ce qui fait que souvent le même amas de terre renferme un grand nombre de grappes d’œufs. Le trou est d’abord enduit d’une matière albumineuse rejetée par l'oviducte, puis les œufs, au nombre de 80 à 90, sont pondus en trois rangées et entourés chacun de la même viscosité, et enfin la femelle ferme le trou au-dessus de la grappe d’œufs par une bave blanche et mousseuse, destinée à dérober le nid aux insectes parasites. La matière d’enduit se sèche, brunit et s’incruste de grains de terre formant alors une sorte de coque courbe, arrondie à bout et tronquée à l’autre, que ferme une calotte de terre. Les œufs sont d’un beau jaune au moment de la ponte, oblongs, arrondis aux deux bouts, longs de 0m,008 à0,009, larges de 0,002. Huit jours après la ponte, ils deviennent d’un blanc grisâtre, et ont perdu leur transparence. Les petites larves à grosse tête éclosent 20 à 25 jours après la ponte, suivant la nature du sol, l’influence atmosphérique, l’humidité, etc., causes qui avancent ou retardent l’incubation. Elles mangent la substance albumineuse de la glèbe des œufs, et même parfois la coque de ceux-ci. D’un blanc sale en éclosant, elles durcissent et se colorent en peu d’heures, devenant noires avec des marquetures blanches. Les femelle pondeuses meurent souvent sur place, et, dans la grande invasion de 1866 en Algérie, on remarquait que les amas de criquets rejetés sur le sable par les vagues contenaient beaucoup de mâles et peu de femelles ; cependant quelquefois les couples survivent plusieurs jours à l’accouplement et à la ponte.
- Le genre Acridium nous offre une autre espèce dévastatrice pour laquelle les renseignements sont moins précis. Elle offre beaucoup de variations, ce qu’indiquent les noms d'Acridium ta rtaricum, Linn.; et Lineola, Fabr. donnés à ses deux principales races. L’espèce est plus petite que la précédente, ayant 0m,059 à 0,058, chez la femelle et 0'n ,055 à0m,017 chez le mâle, dont la taille est notablement moindre, fait fréquent chez les insectes. La tête, le corps et les pattes sont d’un vert jaunâtre, passant souvent au brun en se desséchant, poilus, maculés de brun. Les élytres, beaucoup plus longues que l’abdomen, sont comme nébuleuses en raison de leurs nombreuse nervures brunes ; les ailes transparentes, rembrunies au sommet, ont vers le milieu une large bande noirâtre, arquée, sans contours nets. Les deux races diffèrent par les couleurs des pattes.
- Cette espèce se rencontre en Italie, en Espagne, en Portugal, en Dalmatie, en Sardaigne, en Hongrie, dans le Tyrol austral. On en trouve des individus isolés, mais très-rarement en septembre, dans les prairies, jusque dans le milieu de l’Allemagne. Elle existe dans la Provence, et l’entomologiste Solier l’indique parmi les espèces nuisibles des environs de Marseille. On ne l’a jamais rencontrée au centre ni au nord de la France. Joignons à ces localités l’Egypte l’Algérie (H. Lucas), la Syrie (c’est, dit-on, l’espèce qu i se vend cuite sur les marchés de Bagdad), peut-être les Indes orientales. Latreille et Ericson disent que
- cette espèce émigre souvent et dévaste les campagnes ; cependant elle ne possède peut-être pas partout cette redoutable propriété. En effet, un excellent observateur, Rambur, bien connu pour ses explorations de la Corse et de l’Andalousie, affirme qu’en Espagne cet Acridien ne se trouve pas en troupe ni à terre, comme la plupart des espèces voyageuses, mais habite isolément sur les arbres. Si quelqu’un s’approche de l’arbre où il gîte, il s’envole avec un frémissement, presqu’à la façon d’un oiseau, mais toutefois ne vole pas loin.
- Un second genre contient les espèces les plus dangereuses pour l’Europe, c’est le genre Pachy-tylus, Fieber. Le prothorax n’offre pas de proéminence en dessous, et présente en dessus, outre la carène du milieu, des carènes latérales peu développées; il se prolonge en arrière. Les épaules sont obtuses et proéminentes; les ailes sont bien développées, raccourcies quelquefois chez la femelle, mais demeurant propres au vol. Le P. migra-torius, Linn. atteint 0m,054 chez la femelle et 0in,0 19 chez le mâle, dimensions moindres que celles du Criquet pèlerin. Son corps est lisse, sans poils, ordinairement vert, quelquefois brunâtre. Les élytres et les ailes dépassent beaucoup l’abdomen dans les deux sexes ; les élytres sont jaunâtres à la base, parsemées partout de taches brunes en bandes nuageuses; les ailes sont grandes, d’un vert jaune au milieu, souvent enfumées au bout. Les pattes postérieures sont d’un jaunâtre pâle avec les jambes souvent bleuâtres. Une seconde race, qui paraît remonter plus au nord de l’Europe, a les jambes postérieures d’un rouge sanguin plus ou moins prononcé. C’est le P. danicus, Linn. ou cinerascens, Fabr., dont beaucoup d’auteurs font une espèce distincte. Ce Criquet migrateur, originaire, dit-on, des steppes de la Tartarie, produit ses ravages dans une grande partie de l’Europe, se trouve aussi en Asie-Mineure, en Algérie (II. Lucas), à l’ile de Madère, et aussi, paraît-il, à l’île de France. Il habite constamment l’Espagne et l’Italie, la Hongrie, la Dalmatie. Il apparaît, dit-on, en hiver en troupes dans les campagnes du Valais. Des individus isolés se prennent au mois de septembre près de Fribourg-en-Bris-gau, de Francfort-sur-le-Mein, etc. Il en est de même pour le centre et le nord de la France. Il est commun dans les plaines arides de la Sologne, mais difficile à approcher. Près de Paris, on rencontre parfois à l’arrière-saison ce curieux insecte, de beaucoup le plus grand de nos Acridiens ; il a été trouvé à Fontainebleau, dans une prairie près de Sceaux, eu septembre, à Vanves, à Montrouge (les deux sexes), enfin dans le jardin même du Muséum. Ce sont des sujets emportés au loin par le vent ; Geoffroy, notre vieil historien des insectes de Paris, n’apas connu cette espèce. Le Criquet migrateur remonte au nord jusqu’en Danemarck et en Suède ; une de ses colonnes fut poussée par les vents en Angleterre en 1748. On l’a rencontré en Irlande, près de Dublin. Un des entomologistes les plus distingués de la Belgique et de
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- l’Europe, M. le sénateur de Sélys-Longchamps, nous i apprend que ces deux races existent locales en Belgique, celle à jambes rouges dans les bruyères de la 1 Campine, et en llesbaye celle à jambes bleuâtres ou d’un jaune pâle. L’espèce est assez fréquente dans les années chaudes, à la fin d’août et en septembre, dans les champs de trèfle et de pommes de terre; M. de Sélys-Longchamps pense qu’elle peut se reproduire pendant plusieurs années de suite, bien qu’on ne la trouve pas tous les ans. Les Sphinx du laurier-rose et célerio, originaires du centre de l’Afrique, offrent des faits analogues. Les individus 1 septentrionaux du Criquet migrateur sont d'ordi-naire plus petits que ceux des régions australes.
- Plusieurs auteurs disent que le mâle stridule, ce qui n’a jamais été indiqué pour le grand Criquet d’Afrique (Acridium peregrinum). De Géer rapporte qu’une femelle du Criquet migrateur, qu’il conservait dans une boîte, pondit un grand nombre d’œufs qu’elle attacha à des tiges de gramen. Ils étaient allongés, d’environ 01,005, arrondis aux deux bouts, d’une couleur de chair obscure, à coque très-fragile, et entourés d’une matière écumeuse, rosée, sécrétée par la mère et qui devint dure en se desséchant.
- Une seconde espèce du genre Pachytylus est un de nos plus jolis criquets ; malheureusement ses belles couleurs doivent sembler une faible compensa-
- Criquet migrateur (Acridium pereyrininn).
- Mâle adulte et petit-. sortant de l'œuf. — Femelle au vol. — Nymphe. — Œufs dans leur gaine.
- lion aux agriculteurs dont elle dévaste les champs. Le P. stridulus^Ânn. se reconnaît tout de suite à ses ailes inférieures, d’un beau rouge vermillon, bordées de noir. Chez le mâle, les élytres et les ailes dépassent l’abdomen ; elles sont plus courtes que lui chez la femelle. Celle-ci est en outre bien plus grande que le mâle, ayant de O'",O27 à 0m,035 de long, tandis que le mâle n’a que 01,020 à 0“*,027. Cette espèce fréquente une grande partie de l’Europe, causant parfois de grands dommages aux récoltes dans les régions méridionales. A la fin de juillet, en août et septembre, il vole dans les lieux un peu élevés, sablonneux, aride et pierreux et dans les prairies montagneuses des Alpes et des Pyrénées, en Italie supérieure, dans la Dalmatie, l’Istrie, dans tout le sud-est de la France. Je ne crois pas qu’on le rencontre près de Paris, car il ne faut pas le confondre avec une autre espèce à ailes rouges dont nous di
- rons un mot. On le trouve dans toute l’Allemagne, la Russie et aussi en Suède, et, d’après de Géer, dans les endroits montagneux et secs où l’on fait du charbon de bois. Il vole par saccades et s’élève assez haut, en produisant un frémissement particulier qui lui a valu son nom. Ce n’est nullement la stridulation volontaire du mâle appelant la femelle, mais un bruit mécanique dû au frottement des nervures très-épaisses du bord antérieur des ailes contre le bord postérieur des élytres.
- Un dernier genre de criquets à espèce nuisible est celui des Caloptenus, Burmeister, ou Calliptamus, Audinet-Serville. Plus voisin des Acridium que les Pachytylus, ce genre a un tubercule au-dessous de la poitrine et trois carènes au-dessus du prothorax. Les élytres et les ailes sont bien développées et les cuisses postérieures très-dilatées. Les Caloptènes se reconnaissent immédiatement à leur corps épais et
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- trapu, à leurs courtes et grosses cuisses de derrière. Ils se trouvent dans l’Europe méridionale et moyenne, l’Asie, l’Afrique septentrionale et australe et l’Amérique septentrionale, sur les montagnes et les collines arides, insolées, pierreuses, et dans les régions sablonneuses, de juillet à septembre. Les divers exemplaires de la même espèce paraissent varier, suivant le lieu natal, en couleur, grandeur et stature. Le type est le C. italiens, Linn., ayant de O111,028 à O"1,030 et 0m, 040 de longueur dans les sujets femelles. Il a une couleur ordinairement jaune ou roussâtre, avec des ailes d’une charmante couleur d’un rose délicat et les pattes de derrière sanguines, agréablement vergetées de noir. Le mâle est deux fois plus petit que la femelle, n’ayant que 0"',012 à 0m,016; c’est peut-être en raison de cette faiblesse qu’il est armé à l’extrémité de l’abdomen de deux appendices recourbés et débordants, comprimés et excavés en dedans, propres à retenir étroitement la femelle dans l’accouplement et à la maîtriser. Cette espèce est fort redoutable par ses ravages et se trouve en Espagne, même en hiver. Rambur dit qu’en Andalousie, elle paraît souvent en troupes si nombreuses qu’à chaque pas on en fait lever des centaines. I lie ravage l’Italie et notamment la campagne de Rome, attaque en France les champs de luzerne et les vignobles, se trouve en Allemagne jusque près de Berlin dans les prairies sèches, en Saxe, en Russie méridionale, en Sibérie. Solier la range parmi les espèces dévastatrices de la Provence récoltées dans les chasses primées par les municipalités. Elle remonte en individus isolés aux environs de Paris, où elle est commune certaines années. On la trouve toujours à Lardy, localité aride bien connue des jeunes amateurs parisiens par ses espèces méridionales, et je suis persuadé qu’elle existe aussi fréquemment dans les landes sèches de Champigny et de la Varenne-Saint-Maur. Autrefois Audinet-Serville la trouvait au champ de Mars, à Sèvres et à Saint-Cloud, mais ces lieux ont bien changé depuis quarante ans et n’ont plus rien de champêtre.
- Les grands continents ont leurs criquets dévastateurs, mais je n’oserais pas entreprendre, avec le peu de connaissance que nous avons des Orthoptères, l’histoire des espèces d’Amérique et d’Australie. On a reçu tout récemment au Muséum une espèce probablement inédite, ressemblant d’aspect au P. mi-gratorius, et qui couvre parfois de ses nuages obscurcissants le ciel de la Nouvelle-Calédonie, si tristement célèbre en nos temps troublés. Peut-être vient-elle d’Australie.
- Un dernier mot pour les Parisiens. On rencontre en abondance dans nos environs une espèce qui vole sur les vignobles et les coteaux, -mais qu’on ne peut pas appeler dévastatrice, car ses dégâts sont insignifiants. Elle appartient au genre Œdipoda, Latr., à poitrine plate, mais avec des cavités latérales sur la tête que n’ont pas les genres précédents. Tout le monde connaît le criquet à ailes bleues et noires de Geoffroy, l’OE. cœrulescens, Linn. volant à peu près
- partout de la fin d’août au milieu de septembre et qu’on trouve même dans les rues excentriques de Paris bordées de jardins maraîchers et de terrains vagues. Les élytres sont d’un gris cendré avec deux bandes transverses d’un jaune terne et le bout un peu transparent ; les ailes sont bleues entièrement bordées de noir, d’une transparence enfumée au sommet. Les deux sexes ont les organes du vol également bien développés, et le mâle à peu près moitié moindre en taille que la femelle. La couleur bleue des ailes ne passe pas au rouge par les fumées des gaz acides. On trouve plus rarement près de Paris, localisée dans les lieux les plus secs, une variété dite germanica Charpentier, où le bleu des | ailes est remplacé par un beau rouge, tout le reste de l’insecte demeurant pareil. Ce criquet à ailes rouges de Geoffroy, remonte moins au nord que l’autre. On le rencontre à Lardy en aussi grande quantité que le type bleu; il est bien moins commun àSénars. Il manque en Belgique et sur les falaises arides du nord de la Bretagne, où le bleu s’envole à chaque pas devant le promeneur. Je ne l’ai jamais pris à Compiègne, tandis que le cœrulescens y abonde. Il est facile de distinguer la variété rouge d’avec le P. stridulus, et cependant des auteurs recommandables s’y sont trompés. Chez le criquet stridule les élytres sont brunâtres et sans bandes, les ailes inférieures rouges ne sont qu’incom-plétement bordées de noir, seulement au côté extérieur, et le bout n’est pas transparent ; enfin les organes du vol se raccourcissent chez les femelles.
- Il nous reste à faire un historique rapide des ravages des criquets en France et en Algérie, à indiquer les moyens bien incomplets de s’en préserver ou plutôt de les restreindre.
- Maurice Girard.
- — La suite prochainement. —
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- L’ASSOCIATION FRANÇAISE
- pour l’avancement DES SCIENCES.
- (Suite et fin — Voy. p. 133 et 254.)
- 2° session. — Congrès de Lyon. — Août 1833.
- Pendant la durée de la session, il y eut deux séances générales, le vendredi 22 août et le lundi 25; les questions qui y furent traitées ne convenaient peut-être pas toutes à cette nature de séances et auraient pu sans inconvénient être renvoyées aux sections. On entendit successivement, le vendredi, M. l’abbé Ducrest, qui fournit des renseignements sur la station préhistorique de Solutré, que l’on devait visiter en excursion ; M. Gaudry, professeur au Muséum d’histoire naturelle, qui fit connaître le résultat de ses recherches paléontologiques au mont Lé-héron (Vaucluse); le docteur II. Blanc, chirurgien-major de l’armée britannique, qui lut une partie de son travail sur le choléra, dont, nous avons déjà parlé; M./A. Dumont; ingénieur en chef des ponts
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- t cv
- et chaussées, qui exposa en quelques mots son projet de canal d’irrigation dérivé du Rhône et ayant spécialement pour but l’inondation des vignes pour arriver à la destruction du phylloxéra. Dans la séance du lundi, M. F. de Lesseps indiqua, malheureusement d’une manière trop vague, la question du chemin de fer qui doit relier l’Europe à l'extrême Orient ; le docteur Bertillon, président de la Société d’anthropologie, présenta un mémoire sur la mortalité en France, mémoire qui, pour être utile aux auditeurs, aurait gagné, croyons-nous, à être simplifié de manière à ce que les conclusions fort intéressantes puissent frapper l’esprit davantage ; enfin, M. F. Papillon lut un travail sur les rapports de la science et de la métaphysique.
- Nous pensons que, cette année, les séances n’ont pas été aussi utiles qu’on pourrait le désirer et si elles ne devaient pas avoir à l’avenir un programme dont la composition expliquât mieux la réunion de tous les membres, il serait préférable de les supprimer et de les remplacer par des séances de sections. C’est, en effet, dans ces séances que réside réellement l’intérêt scientifique du congrès; c’est là seulement que peuvent être présentés les travaux sérieux et complets, c’est là que peuvent avoir lieu de fructueuses discussions.
- Les conférences qui ont lieu pendant la durée du congrès ne sont pas exclusivement destinées aux membres de l’association ; par leur nature, elles ont un caractère de vulgarisation qui les rend intéressantes et attrayantes pour ce public, maintenant si nombreux, qui dans les grandes villes éprouve le besoin de s’instruire, le désir de savoir. Aussi cescon-férences, qui ont lieu le soir, sont-elles publiques et gratuites ; à Lyon, elles avaient lieu dans la grande salle de la nouvelle Bourse, spécialement disposée à cet effet et brillamment éclairée par des nombreux lustres. Outre la conférence de M. G. Vogt, dont nous avons parlé, il y eut également une conférence de M. Aimé Girard, professeur au Conservatoire des arts et métiers, sur les Progrès récents des industries chimiques : le sujet était des mieux choisis, car à Lyon nombre d’industries s’appuient sur la chimie ; la teinture en particulier est une application en grand des procédés étudiés dans les laboratoires. M. Janssen, membre de l’Institut, fit une conférence sur la constitution physique et l’avenir du soleil ; cette séance dut avoir lieu à la salle de l’ancienne Bourse, à cause des expériences de projection qui l’illustraient ; M. Janssen était connu et fort apprécié à Lyon, où il était venu à plusieurs reprises pour faire des conférences très-suivies ; aussi la foule qui se pressait pour l’entendre était-elle grande. Nous n’avons pas besoin de dire que M. Janssen traita parfaitement et d’une manière fort intéressante le sujet qu’il avait choisi et sur lequel il a une compétence spéciale.
- Les excursions qui ont lieu pendant la durée d’un congrès ont un double but: elles permettent d’aller voir surplace des usines, des mines, des coupes géo
- logiques, des stations anthropologiques, etc.;mais en outre, bien que généralement elles soient la cause d'une véritable fatigue physique, elles n’en constituent pas moins, pour les membres du congrès, un délassement qui vient couper d’une manière agréable et instructive la série des séances fatigantes qui constituent la partie la plus sérieuse de la session ; elles fournissent, en outre, aux savants des diverses sections, l’occasion de se rencontrer, de se connaître, et souvent dans des conversations qui s’y établissent des discussions y prennent fin, des travaux s’y ébauchent.
- La première excursion, cette année, avait pour but la visite de la station préhistorique de Solutré, près Mâcon: les excursionnistes, au nombre de 175 environ, partis par un train spécial, furent reçus à Mâcon par une délégation du conseil général de Saône-et-Loire et par le bureau de la Société académique. Il fallut presque aussitôt prendre place dans les voitures rassemblées non sans peine pour parcourir les 10 kilomètres qui séparent Solutré de Mâcon. A Solutré, des drapeaux flottaient aux fenêtres, des arcs de triomphe de verdure étaient dressés sur la route que nous devions suivre : à côté de l’emplacement des fouilles, s’élevait une tente sous laquelle on avait dressé une table autour de laquelle nous prenions place un peu plus tard pour faire honneur à un repas magnifique, préparé par les soins du Comité local de Lyon. La station de Solutré offre au savant des foyers préhistoriques sur lesquels on trouve des squelettes vraisemblablement contemporains de ces foyers (un squelette de femme fut trouvé dans une fouille en présence des membres du Congrès); en outre, il existe des os de cheval en quantité considérable ; on n’évalue pas à moins de quarante mille les chevaux dont on trouve les restes : ces animaux ont tous à peu près le même âge, et certains savants qui ont étudié la question pensent qu’ils devaient être domestiqués. Il y a là des problèmes intéressants, mais il faudrait, pour les indiquer d’une manière complète, posséder des connaissances que nous regrettons de ne pas avoir.
- Avant de rentrer à Lyon, le train qui nous portait s’arrêta à Neuville, où les excursionnistes furent reçus d’une manière splendide par un membre fondateur de l’Association, M. Guimet; une table de 200 couverts au moins était dressée dans une salle de spectacle appartenant à M. Guimet, amateur sérieux de musique. Pendant la durée du repas, des solos et des chœurs, dont quelques-uns étaient l’œuvre de notre amphitryon, furent exécutés et ajoutèrent un charme de plus à cette réunion. Disons tout de suite que, le dimanche soir, M. Guimet, offrait une fête splendide aux membres du congrès, dans le parc de la Tête-d’Or. M. Guimet doit à l’application de la science, la fortune dont il jouit (il est propriétaire du bleu-Guimct, découvert par son père); mais, on le voit, il sait rendre à la science les honneurs auxquels elle a droit. A l’étranger, de semblables réceptions pendant les congrès scientifiques ne sont
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- pas rares; nous sommes heureux de constater que, à cet égard, la France ne reste pas en arrière des pays voisins, et nous espérons que l’exemple donné par M. Guimet sera suivi dans les sessions suivantes.
- La seconde excursion consistait dans la visite des hauts fourneaux de Terrenoire, à la Voulte ; le trajet eut lieu par bateau à vapeur, et bien qu’il fut assez long, de 6 h. du matin à 1 h., personne ne s’en plaignit ; le voyage est des plus pittoresques et les rives du Rhône présentent les aspects les plus variés et les plus intéressants se succédant d’une manière continue. La visite de l’usine intéressa vivement les excursionnistes ; on étudia d'une façon particulière la fabrication des tuyaux de fonte qui est une spécialité de ces usines ; la culée de deux hauts fourneaux attira l’attention des personnes qui n’étaient pas familières avec cette opération ; le spectacle est attrayant, même pour ceux qui ont déjà eu l’occasion de le voir. Après avoir visité l’usine dans son entier, on se rendit à l’entrée d’une galerie de mines que l’on avait préalablement remplie de gaz délétères en y faisant brûler, pendant vingt-quatre heures, du coke et des pyrites ; des ouvriers munis d’un appareil inventé par M. Fayol, ingénieur de l’usine de Commentry, pénétrèrent dans ses galeries sans éprouver la moindre gêne ; l’un des membres du Congrès, ledocteur Gosse, deGenève, emboucha égalementl’ap-pareil et put entrer aussi dans ces galeries sans être aucunement incommodé, si ce n’est par la température qui était très-élevée (40° environ). Lorsque ces expériences intéressantes et probantes furent terminées, et après une courte visite à l’entrée des galeries en exploitation, nous prîmes quelque repos sur la terrasse de l’ancien château, d’où l’on a une vue magnifique sur la vallée du Rhône. Enfin, après avoir visité la chapelle des ducs de Soubise, l'on dut quitter l’usine, non sans adresser des remerciements sincères au directeur, M. Jacquier.
- En se rendant à la station où nous devions prendre le chemin de fer, quelques membres eurent l’occasion de visiter un atelier de dévidage de cocons, etee ne fut pas là la partie la moins intéressante de l’excursion.
- Pendant la durée de la session, le président avait reçu des autorités de la ville et du canton de Genève une invitation de se rendre dans cette ville. Nous n’eùmes garde de manquer une semblable invitation.
- Les membres du Congrès furent reçus à Genève par une commission, chargée de leur procurer des logements; puis il fallut partir presque aussitôt pour se rendre aux environs, à Versex, où un membre fondateur de l’Association, M. Vernes, tenait à recevoir les excursionnistes : illumination, musique, festin, rien ne manquait à cette réception, qui avait lieu dans une splendide propriété au bord du lac et où se trouvait réunie la meilleure société de Genève.
- Le lendemain, il y eut promenade sur le lac, à bord d’un bateau à vapeur pavoisé, où les autorités de la
- ville et du canton nous souhaitèrent la bienvenue avec la plus grande sympathie et firent des vœux pour la prospérité de l’Association. Enfin le reste de lajournée fut consacré à la visite des bâtiments académiques, bibliothèques, collections, musées, etc.; il fallait se hâter, car l’heure du départ approchait et l’on n’eut que le temps d’adresser à nos voisins de chaleureux remerciements. Sans aucun doute tous les membres du Congrès, qui ont participé à cette visite, en conserveront le meilleur souvenir; en outre, cette invitation, faite parles aulorités de Genève, est une preuve de l’intérêt qui s’attache, même à l’étranger, à notre Association et nous la considérons comme un heureux présage. En résumé, la session de Lyon a offert un intérêt réel ; nous ne doutons pas que l’Association française ne soit dès à présent considérée comme une institution importante et essentiellement utile au progrès scientifique.
- LES PORTS DE MER
- DANS LES INDES ANGLAISES.
- Depuis un certain nombre d’années, les Anglais exécutent des travaux d’art gigantesques sur le littoral de leurs possessions dans les Indes ; l’accès des côtes est souvent difficile dans ces régions, et le gouvernement n’a pas hésité à sacrifier des sommes considérables pour faciliter aux navires l’entrée, de ports pour la plupart assez dangereux. Nous empruntons à l’Engineering quelques renseignements sur la digue gigantesque de Manora qui se construit actuellement à Kurrachee, port situé sur l’une des bouches de l’ndus. Les constructions ont été d’abord exécutées de la façon suivante : on a posé sur le fond naturel de la mer des fondations de pierre brute, surélevant ce fond de manière à le rapprocher jusqu’à 15 pieds de la surface des basses eaux. Sur cette couche on superpose des blocs de béton qui ne pèsent pas moins de 27 tonnes chacun. Ils sont étagés les uns sur les autres ; des dalles sont placées verticalement comme l’indique la gravure ci-contre, et forment de chaque côté de la digue deux murailles latérales d’une étonnante solidité. Ces blocs sont transportés et fixés au moyen d’une grue, glissant sur des rails à mesure que la digue s’avance vers la haute mer. Les premières fondations se sont opérées à l’aide d’une drague à vapeur, destinée à tracer le sillon, où devait s’élever le rempart de Manora. Les travaux sous-marius ont été ensuite exécutés à l’aide de plongeurs. La jetée de pierre s’accroît de jour en jour, malgré la lenteur inévitable de telles opérations ; plus de 147 pieds linéaires ont pu être établis dans un seul mois, et on espère que cette œuvre pourra être menée à bonne fin.
- Cette courte description des travaux de Manora offre un double caractère d’actualité, au moment où un officier anglais fort distingué, le général Arthur
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- Cotton, vient d’adresser à son gouvernement un long | rapport sur les ports de l’Inde Le port de Kurrachee
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- Digue de Manor). — Kurrachee (Inle- anglaises).
- n’a pas les sympathies de sir Arthur Cotton, qui blâme | les grandes dépenses qui y sont faites actuellement.
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- Nous ne discuterons pas l’appréciation du savant anglais, mais nous reproduirons d’après l'Économiste français, les résultats de ses intéressantes investigations sur quelques-uns des plus importants ports de l’Inde.
- En partant de l’est, le premier port de quelque importance que l’on rencontre sur cet immense développement de côtes est celui de Rangoon, situé sur l’une des quatorze bouches par lesquelles l’Irawaddy, le grand fleuve des Birmans, se jette, après un parcours de 1,800 kilomètres, dans le golfe de Martaban. La ville de Rangoon renferme 25,000 habitants et son port a de la valeur, tant au point de vue militaire qu’au point de vue commercial ; mais on lui reproche d’être d’une entrée difficile, et on s’est déjà demandé s’il n’y aurait pas lieu de créer un établissement semblable sur la branche principale de l’Irawaddy. De même, les abords de Calcutta ne sont point faciles et c’est pourquoi le gouvernement indien a essayé, il y a quelques années, de remédier à cet inconvénient par l’ouverture d’un autre port sur la rivière Mutlah, qui a reçu le nom de Port Canning et qu’une voie ferrée a réuni à la capitale du Bengale. Mais on a de la sorte dépensé beaucoup pour arriver à un faible résultat.
- Le port de Cattack, à False Point, qui n’existe que depuis la grande famine de la province d’Orissa, n’est point mauvais ; mais l’ancrage y est soumis aux caprices de la grande rivière qui vient s’y jeter à la mer, et tel est aussi le cas de Coringa, trop voisin des bouches du Godavery. Nos traités français de géographie continuent de parler du bon port de Masulipatam, situé sur une des branches de la Kishnah. La vérité est que la prospérité de Masulipatam n’est plus qu’un souvenir et que le vrai débouché du bassin de la Kishnah et du bassin du Godavery est aujourd’hui Coconada, grâce aux canaux qui l’unissent à ces deux rivières.
- En suivant toujours le littoral de l’est à l’ouest, on arrive à Madras. La position de Madras, comme grande place maritime, n’a pas été des mieux choisies : le général Cotton ne fait nulle difficulté de le reconnaître, et cette observation, déjà faite pour Calcutta, il l’étend à Bombay même. Mais enfin, ces ports existent, on a consacré à leur amélioration de très-grosses sommes, et, dans l’état actuel des choses, ce serait folie de les supprimer. Tout ce qu’il y a lieu de faire, c’est de les améliorer encore. Sir Arthur Cotton estime qu’en dotant la rade de Madras d’un brise-lames, on en aura fait de beaucoup le meilleur des ports indiens actuels ; c’est une opinion qu’il défend depuis près d’un demi-siècle, et elle a encore pour elle l’opinion d’à peu près tous les hommes compétents.
- En continuant de s’avancer vers la pointe sud de la péninsule, le cap Comorin, on rencontre Pondichéry et Tuticorin. Pondichéry étant à la France, ne figure point dans le travail du général Cotton. C’est le chef-lieu de nos établissements dans l’Inde, un port peu commode et une ville qui renferme aujour
- d’hui 40,000 habitants, tandis qu’elle en avait 90,000 au temps de Dupleix.
- Tuticorin n’est qu’qu amas d’écueils et non un port. Il ne doit quelque importance qu’à sa situation au vent du Pont-d'Adam, dans l’île de Ceylan, pendant la mousson du sud-ouest. Il est évident qu’au sud, l’Inde anglaise manque d’un bon port. Sir Arthur Cotton pense que ce port pourrait être créé près du cap Comorin, ou à 20 milles plus à l’ouest, à Colachul, par exemple, sur les côtes du territoire de Travancore, Mais les lieux n’ont pas encore été bien reconnus, et d’ailleurs, ni le cap Comorin, ni Colachul ne sont en pays anglais. Aussi le commandant Dundas Taylor indique-t-il de préférence la baie de Mutapetta, autrement appelée Port Lorne. Ce point possède, selon lui, tous les éléments d’un bon port de commerce, auquel on pourrait faire aboutir et le réseau des chemins de fer de l’Inde méridionale et le système de canalisation que propose le lieutenant général Cotton.
- Cette question d’un bon port au sud de l’Inde a conduit le commandant Taylor à l’examen d’une autre question assez controversée, la création d’un canal maritime entre le golfe de Manaar et la baie de Palk, ou, en termes plus généraux, entre l’ile de Ceylan et l’Inde du sud.
- Nous arrivons à Bombay, qui est une ville de plus de 800,000 âmes et le premier port militaire de toute l’Inde britannique. C’est aussi un grand entrepôt commercial, et l’on évalue à plus d’un milliard le chiffre des affaires qui s’y traitent annuellement. Si Bombay était accessible par eau à l’Inde intérieure, au taux de 1/20° de denier par tonne et par mille, ce à quoi la chaîne des Chattes empêche de songer, le commerce dont ce point est le centre, et qui est représenté par 1,000,000 de tonnes, paraîtrait susceptible de quintupler. Aussi bien le port de Bombay et sa rade paraissent-ils réclamer des améliorations assez nombreuses; il y aurait lieu de réduire la trop grande étendue de l’une par des brises-lames et de construire des quais dans l’autre, car Bombay n’échappe point à l’application de cette sentence de M. l’ingénieur des ports, Roberston, qu’il n’y avait pas sur tout le littoral de la péninsule un seul point où un grand navire puisse débarquer sa cargaison sans l’intermédiaire de bateaux de transport.
- On voit que bien des progrès restent à réaliser sur le littoral des Indes anglaises, mais nos voisins d'outre-Manche, avec l’énergie, la constance qui les caractérisent, ne regardent pas à jeter des millions sur ces rivages lointains, qu’ils transforment peu à peu ; ils y édifient des jetées et des digues, ils y creusent des bassins, et ils se signalent chaque jour par quelque nouvelle victoire sur les éléments. Leurs propres intérêts commerciaux subissent l’influence de ces grands travaux, mais il ne faut pas oublier que par contre-coup la civilisation tout entière doit aussi en tirer profit.
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- CHRISTOPHE NIANSTEEN
- Ilansteen était un savant physicien de la Norwége, il est mort à Christiania, le 11 avril de cette année ; nous reproduisons d’après notre homonyme d’outre-Manche, Nature, quelques détails sur la vie de cette grande intelligence.
- Né le 26 septembre 1784, Ilansteen avait atteint l’âge de 88 ans. En sortant de l’école de la cathédrale de Christiania, où il avait reçu son éducation première, il entra à l’Université de Copenhague, en 1802, comme étudiant en droit, mais il abandonna bientôt cette carrière pour celle des mathématiques. En 1806, il commença son œuvre comme professeur de mathématiques à l’école de Fredericksburg, dans l’île de Zélande ; c’est là aussi qu’il se signala par ses premières observations dans ses études du magnétisme terrestre. Il se distingua, tout d’abord, en obtenant le prix qui avait été fondé pour le plus remarquable travail sur le magnétisme par la Société royale des sciences de Copenhague. Quelques années plus tard, en 1814, il obtenait la chaire d’astronomie, à l’université de Christiania, qui avait été créée récémment par Frédéric VI de Norwége.
- Son grand ouvrage intitulé : Untersuchungen über den Magnetismus der Erde, fut publié en 1819, aux frais du roi. Ce travail est illustré de nombreuses cartes ; il forme la réunion la plus complète des observations sur les variations de l’aiguille aimantée, il se fait remarquer en outre par ses larges appréciations philosophiques. Dans la suite de ses recherches physiques, Ilansteen entreprit son célèbre voyage en Sibérie. Il s’avança jusqu’à Kiatchta et Irkustsk, accompagné par Erman et Due ; les frais de l’expédition étaient libéralement défrayés par le gouvernement norwégien. L’établissement des dix observatoires magnétiques et météorologiques, par l’empereur de Russie, sur la recommandation de Humboldt, fut un des plus beaux résultats de ce voyage.
- C’est à Hansteen que nous devons, dans nos connaissances sur le magnétisme, la détermination de la période de 111 ans, comme étant la longueur périodique de la déclinaison magnétique, cycle qui a récemment pris une si remarquable importance en faisant concorder l’astronomie à la météorologie et à d’autres phénomènes terrestres. Bientôt après son retour de Sibérie, le gouvernement vota les fonds nécessaires pour élever un observatoire astronomique et météorologique, qui fut construit sous sa direction. Cet observatoire a rendu de grands services; la météorologie lui est redevable des plus importants progrès.
- La description trigonométrique et topographique de la Norwége, commencée en 1837, fut encore exécutée sous la direction d'Hansteen. En 1856, on célébra l’accomplissement des cinquante ans de services publics du grand physicien, on frappa une médaille commémorative en son honneur. Peu de temps
- après, il cessa ses cours, et en 1861 il se reposa de ses labeurs en rentrant dans la douce tranquillité de la vie privée.
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- LES CYCLONES
- (Suite. — Voy. p. 247.)
- « A 7 h. 1/2, le commandant prit la détermination de sacrifier les mâts supérieurs au mât d’artimon. Trois gabiers se présentent pour en couper les gal-haubans. Touchante fraternité ! avant d’affronter la mort ils s’embrassent, puis, la hache à la main, ils s’élancent dans l’obscurité et exécutent l’ordre donné. Un instant après, le mât d’artimon tout entier est emporté, entraînant dans sa chute les embarcations suspendues aux flancs du navire et une partie des bastingages de l’arrière.
- « Le bruit du choc des lames contre les murailles, qui se déformaient, s’inclinaient, était épouvantable. Notre masse entière était soulevée par intervalles, puis on sentait le navire, couché sur le flanc, plonger sous l’effort réuni de la mer et des vents. Plus d’une fois le commandant crut que nous avions engagé. Dans les batteries on avait de l’eau jusqu’à mi-jambes; la mer entrait de tous les côtés. Afin de ne pas épouvanter davantage les passagers, nous disions que l'Amazone avait une coque assez solide pour résister au cyclone ; mais nous ne savions que trop qu’elle était en mauvais état et que notre perte était presque certaine. Personne ne perdait cependant courage ; on avait à cœur de faire son devoir jusqu’au bout. Je dois rendre d’ailleurs cette justice aux passagers : c’est que pendant la tourmente je n’entendis aucun cri de désespoir ou de détresse. Le commandant sur le pont, les officiers disséminés partout pour faire exécuter ses ordres, donnaient l’exemple du sang-froid, et l’équipage montrait un dévouement admirable. Les hommes, passagers, étaient aux pompes ; les femmes s’étaient rassemblées dans les cabines qui n’avaient pas été envahies par la mer et priaient.
- « Je me trouvais à quelques mètres du grand mât quand j’entendis dire qu’il avait été emporté comme le mât d’artimon. Je voulus m’assurer de cette chute, dont le fracas avait été assourdi par le bruit de la tourmente, en montant sur le pont. Au haut de l’échelle du grand panneau, je fus assailli par les bourrasques d’une pluie si drue, si serrée, et me fouettant le visage avec une telle force, que j’aurais pu croire à de la grêle si cette pluie n’eût été tiède, presque chaude. Lèvent qui la chassait ainsi par rafales, avec cette vitesse terrible, faisait entendre un rugissement continuel. Rien ne saurait exprimer cette rage de destruction. On n’entendait distinctement ni le grondement du tonnerre, ni celui de l’Océan, ni le bruit des débris de mâts s’entre-choquant. Les éclairs sillonnant les nues presque sans intervalles, avec une vivacité extraordinaire, faisaient succéder à la profonde obscurité une lumière éblouis-
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- saute, éclairant le ciel chargé d’épais nuages et la mer qui bouillonnait et menaçait à chaque instant de nous engloutir. Le grand mât avait été brisé par le vent ; il n’en restait qu’un tronçon. Les mâts supérieurs de misaine étaient aussi tombés, emportant le bout dehors du grand foc. La moitié de la vergue de misaine avait été emportée par sa voile. La foudre tombait presque sans interruption, et des aigrettes lumineuses coui aient sur l’extrémité des mats comme des feux follets.
- « A 7 h. 45, le baromètre était descendu à 698mm. Baisse incroyable, et l’une des curieuses observations faites pendant cette nuit terrible. A 7 h. 55, le calme le plus complet succéda sans transition à la tourmente. La pluie cessa, le vent et la mer tombèrent à la fois. Ceux qui ignoraient la marche ordinaire d’un cyclone se félicitaient de voir la fin de la tempête. Mais nous, nous comprenions que nous étions dans le centre; nous savions que le danger allait devenir plus imminent que jamais.
- « On s’empressa de profiter de l’accalmie, qui devait être bien courte, pour dégager le pont, autant que possible, des débris qui l’encombraient. Les matelots travaillaient avec ardeur sous la direction de leurs chefs, éclairés par la pâle lumière que répandait maintenant le ciel étoilé.
- « Le baromètre marquait toujours 692m ; il était affolé et ses oscillations étaient de plus de 10mm. On entendait au loin un grondement sourd. De légères fraîcheurs, sans direction déterminée, venaient frapper le visage. La mer était tourmentée dans tous les sens. Une brume épaisse la recouvrait, et des nuages grisâtres s'élevaient au-dessus de l’horizon jusqu’à une hauteur de 40 degrés environ, laissant à découvert au-dessus de nos têtes un cercle de ciel pur, d’un bleu transparent, étincelant de la lumière des étoiles. Ce cercle s’étendait davantage sur tribord que sur bâbord, ce qui nous indiquait que la zone centrale de calme de l’ouragan passait sur nous suivant une petite corde de sa circonférence et non suivant
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- Courbe barométrique du cyclone do l'Amazone..
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- un diamètre. Au bout d’un quart d’heure à peine, une brise folle de l’ouest commença à se faire sentir, de légères vapeurs envahirent le zénith ; en un clin d’œil le ciel s’assombrit, et à ce calme d’une majesté indescriptible succédèrent les plus violentes bourrasques. La pluie balaya de nouveau l’espace avec sa prodigieuse vitesse, les explosions électriques retentirent ; ce fut pour nous l’heure suprême ! Nous savions que si le navire pouvait résister à ce premier choc, notre salut était presque assuré, la tempête devant ensuite diminuer rapidement. Mais résisterait-il?...
- « Notre gouvernail ne tarda pas à être emporté. Il n’y avait plus aucune manœuvre à faire ; la machine ne fut utilisée que pour pomper l’eau de la cale. L’équipage était soit aux pompes à bras, soit à faire la chaîne, soit à veiller les voies d’eau pour les aveugler. Nous nous laissions entraîner par l’ouragan. Le vent, aussi terrible que celui qui avait précédé notre entrée dans le centre, imprimait cepen
- dant au bâtiment des mouvements moins violents, parce qu’il n’avait plus d’appui sur les mâts de l’arrière dont la chute nous sauva. Le grondement de la tempête était plus sourd. Quant à sa direction, elle était opposée à celle observée dans la première partie du cyclone, ce qui doit être quand on passe dans le centre.
- « Le commandant et l’officier de quart étaient encore sur le pont; mais, pour ne pas être emportés, ils étaient contraints à se cramponner des deux mains, et bientôt ils furent obligés de descendre aussi. Au moment où ils quittaient le pont, une lame monstrueuse s’avançait, dominant le navire d’une dizaine de mètres, et semblant le menacer d’une porte certaine. Cette lame nous prit par le travers, nous enveloppa dans son tourbillon et, passant par-dessus le pont, arracha les bastingages de chaque bord sur une grande longueur, emportant les embarcations suspendues par le travers du grand mât.
- « On renaissait toutefois peu à peu à l’espoir;
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- nous parvenions à étaler l’eau qui entrait dans la cale et le baromètre remontait à vue d’œil, par saccades. A 2 h. 10, il était encore à 698nm, comme dans le centre; mais à 3 h. 15, il remontait à 705mm; à 3 h. 40, à 715mm; à minuit, à 752mm. Dès ce moment, on pouvait se considérer comme sauvé ; et, en effet, le baromètre continua à remonter rapidement; à 6 h. du matin, il était à 757mm. Pendant cette terrible nuit, on ne s’occupa que de vider l’eau qui entrait à torrents de tous les côtés. A chaque moment, il semblait que le bâtiment allait s'entr'ouvrir sous les chocs furieux de la lame.
- « Quand enfin le jour vint nous éclairer, quel af-fligeant spectacle il offrit à nos regards ! Partout des désastres et un incroyable désordre. De toutes nos embarcations il ne restait plus que la chaloupe à va-peur. Les manœuvres s’entrelaçaient dans tous les sens avec les débris hachés des mâts et des parois. Ces cordages retenaient encore des tronçons de mâts flottants, qui formaient bélier contre les flancs du navire à cha que coup de roulis. On s’empressa de se délivrer de ces dangereuses épaves, on déblaya un peu le pont, et on travailla immédiatement à installer un gouvernail de fortune. Par un bonheur inouï, nous n’avions perdu qu’un seul homme, un Annamite, qui s’était réfugié sous la chaloupe et avait été écrasé par sa chute. Notre situation était grave. Nous n’avions plus de mâts, plus de gouvernail, plus d’embarcations, et les voies d’eau étaient toujours à craindre, avec le fort roulis qui nous secouait par suite de l’absence de mâture.. La machine, heureusement, n’avait pas trop souffert, et c’est en elle que nous mettions tout notre espoir. Nous nous trouvions à 180 lieues de Saint-Thomas, terre la plus voisine. Le plus beau soleil brillait sur nos têtes; on respirait avec joie l’air calme et tiède. » Le 17 octobre, après six jours de nouvelles fatigues et d’inquiétudes, l'Amazone entrait àPorto-Rico, où arrivèrent bientôt la frégate la Magicienne et l’aviso à vapeur le Talisman, de la station des Antilles, qui devaient l’escorter jusqu’à la Martinique. Le 30, elle mouillait de nouveau sur rade de Port-de-France. Les typhons de l'océan Indien et des mers de Chine sont précédés par les mêmes signes et accompagnés par les mêmes phénomènes que les cyclones de l’Atlantique, dont ils ne diffèrent que par quelques particularités peu importantes. Quoique ces ouragans soient surtout fréquents dans la zone torride. ils apparaissent aussi quelquefois dans nos climats tempérés. Après la relation qui précède et qui nous permettra de mieux préciser nos indications, nous avons maintenant à dire quelles règles doivent guidei les navigateurs engagés dans le dangereux tourbillon des cyclones, et quelle lumière la science moderne a jetée sur le ténébreux chaos des forces terribles que nous venons de voir à l’œuvre.
- F. Zurcher.
- — La suite prochainement. —
- 1 REVUE AGRICOLE
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- LA QUESTION DES SUBSISTANCES, ÉCONOMIE A RÉALISER PRODUCTION A AUGMENTER.
- La grande préoccupation de la saison a été celle des subsistances. Si le déficit de la récolte a été souvent exagéré, il n’en est pas moins vrai que, d’après les documents très-sérieux publiés par la maison Barthélemi Estienne, de Marseille, il n’y a pas en 1875 un seul département où la récolte ait été très-bonne. On en comptait 43 dans le cas contraire, l’année précédente.
- Le tableau suivant permet de se rendre compte des différences que présentent les quatre principales espèces de grains.
- Evaluation de la récolte dans les départements :
- (Blé) (Seigle) (Orge) (Avoine)
- Très-bonne. . . » » 18 52
- Bonne 8 8 39 24
- Assez bonne. . 15 5 12 19
- Passable.... 52 20 13 5
- Médiocre. . . . 12 21 4 »
- Mauvaise. . . . 1 20 1 9
- On voit, d’après ce tableau où les chiffres repré-
- sentent le nombre des départements, que la récolte
- de blé a été passable dans 52 d’entre eux. Si l’on tient compte des surfaces cultivées en blé, dans chaque département, et si l’on apprécie par le chiffre 18 la récolte bonne, le chiffre 14 la récolte assez bonne, le chiffre 12 la récolte passable, le chiffre 10 la médiocre et le chiffre 6 la mauvaise, on arrive, en faisant la somme des produits et en la divisant par la surface totale, à apprécier l’ensemble de la récolte par le chiffre 11.5. Or on sait que le chiffre 20 correspond à une récolte de 120 millions d’hectolitres, c’est-à-dire au chiffre le plus élevé que, dans l’état actuel de notre agriculture, nous puissions obtenir. Pour avoir ce résultat delà récolte de 1873, il suffit donc d’établir la proportion entre le chiffre 11.5 de la récolte actuelle et celui de 20 ; on aura pour résultat 69 millions d’hectolitres. Or on mange 72 millions d’hectolitres de blé, les semences en consomment 14 millions, le déficit serait donc de 17 millions d’hectolitres, mais, comme l’a fait observer M. Barrai, dans toutes les années de rareté, la consommation diminue, le pain de froment est remplacé par d’autres nourritures. Et il est très-probable qu’un complément de 8 à 10 millions d’hectolitres pourra certainement suffire.
- L’Algérie est rangée, pour le blé, l’orge et l’avoine, dans les régions où la récolte a été passable ; l’Alsace-Lorraine dans la région où la récolte a été passable pour le blé, bonne pour l’orge et l’avoine, mauvaise pour le seigle. En ce qui concerne l’étranger, voici comment la récolte de blé peut être appréciée :
- Angleterre, récolte moyenne.
- Ecosse, au-dessous de la moyenne.
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- LA NATURE.
- Irlande, moyenne.
- Italie, médiocre.
- Provinces-Danubiennes, médiocre.
- Russie méridionale, médiocre.
- Suisse, assez bonne.
- Espagne, bonne.
- Belgique, passable.
- Etats-Unis, bonne. Turquie, passable.
- Egypte, médiocre.
- Ces renseignements, qui ne sont point exagérés, prouvent que généralement la récolte du blé n’a pas été bonne. Heureusement que les Etats-Unis, d’où nous tirons une bonne partie de nos grains, sont mieux partagés. L’Espagne, qui est à nos portes, se trouve également dans de bonnes conditions. Il est donc facile de prévoir que notre déficit pourra, sans trop de difficulté, être comblé par l’importation.
- Cette nécessité nous amène à insister sur tous les moyens qui peuvent augmenter la production des céréales en France.
- Nous ne dirons rien sur la nécessité d’organiser le crédit agricole ; cette question nous entraînerait hors du cadre de la Nature. Mais nous parlerons d’une cause de perte dans la production des céréales, due au manque de bons outils agricoles, et surtout au défaut d’emploi de semoirs mécaniques.
- Il est reconnu que, par la méthode encore très-usitée de semer à la volée, les quatre cinquièmes de la semence mise en terre restent improductifs et constituent une perte considérable. Cela s’explique dans les semailles à la main ; une partie de la semence reste sur le sol, sans être couverte, et les oiseaux la mangent ; d’autres grains sont enterrés à une trop grande profondeur, ils ne germent pas et sont dévorés par les rongeurs, ou bien ils ne germent que tardivement et ne fournissent que des tiges étiolées, étouffées par les premières sorties. L’emploi des semoirs mécaniques fait disparaître ces inconvénients. Lessemen-ces sont entièrement recouvertes par le semoir et tous les grains sont placés à la même profondeur; cette profondeur est d’ailleurs réglée suivant la nature du sol ; de cette façon, la levée a lieu rapidement, et presque en même temps avec l’espacement de 15 centimètres. La végétation est, de plus, activée par l’air qui circule entre les lignes et les racines, se développant mieux dans la terre restée libre. Les blés, ainsi semés, sont beaucoup moins sujets à la verse, la tige moins encombrée prend plus de dureté et résiste davantage. Déplus, le grain étant déposé par le semoir à une petite profondeur, le collet de la plante se trouve au ras du sol et les talles se développent plus facilement.
- Dans la méthode ordinaire, on emploie environ 2 hectolitres par hectare, et jusqu’à 3 dans les terres maigres ou peu favorables au froment.
- A l’aide du semoir, on a souvent obtenu de beaux résultats en ne semant que 145 litres et même 97 et 60 litres seulement à l’hectare.
- On a reproché à l’ensemencement en ligne de faire mûrir les blés inégalement, et au semoir mécanique de laisser entre les lignes des espaces où l’herbe pousse vigoureusement. Mais MM. Crespel, Delisse, d’Arras, et bien d’autres cultivateurs, sont arrivés à éviter ces inconvénients. En exécutant des lignes croisées, la semence est répartie aussi bien et même mieux qu’à la main ; tout le terrain est suffisamment couvert. Il n’y a pas de tallage tardif et d’épis précoces qui mûrissent mal.
- Le semoir ne peut être employé partout, mais o1 estime qu’on peut en généraliser l’usage sur trois millions d’hectares, et si les cultivateurs convertissaient en engrais les économies résultant de son em-ploi, le produit de la seule récolte du blé s’accroîtrait d’une somme annuelle de 556 millions, et l’augmentation du commerce des engrais s’élèverait chaque année à 261 millions. Cela ne mérite-t-il pas d’arrêter un peu l’attention?
- Ernest MENAULT.
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- CHRONIQUE
- Auées de criquets aux Etats-Unis. — L’Algérie a été, cette année, en proie à une invasion des cohortes ailées (voy . p. 250 et 258) ; certaines régions des Etats-Unis ont été, le mois dernier, véritablement ravagées par les criquets. Ces insectes se sont précipités par masses innombrables vers le sud, en passant au-dessus d'Omaha (Nebraska). Ils formaient, dans le ciel, des taches semblables à de gros nuages orageux, et se sont jetés dans les campagnes avoisinant Omaha, où ils ont ravagé toutes les cultures de maïs.
- Le tremblement de terre de Valparaiso. — Voici les renseignements importants que fournit, à l’occasion du cataclysme du 7 juillet, le journal Valparaiso and wesl coast Mail :
- La véritable direction de la secousse ne peut être déter-ninée exactement, mais il est certain que Valparaiso se trouvait très-rapprochée de son foyer d’intensité. Le mouvement du sol dura pendant l’intervalle de 75 secondes. Il était deux heures du matin ! Le tremblement avait été précédé d’un mugissement souterrain, qui fut comme un avertissement pour les personnes éveillées à cette heure matinale. Le calme momentané qui suivit le premier choc fut employé par les uns à achever de s’habiller, par les autres à se mettre à la recherche de leurs amis; d’autres encore allèrent s’assurer de l'étendue du désastre. Bientôt des feux furent allumés en plein air. Dans la cité, personne n’eût songé à consacrer au repos ces dernières heures, dans l’éventualité d’une nouvelle secousse ; des familles entières étaient préparées au départ, tandis que les plus hardis restaient dans les rues et sur les places publiques. On n’eut rien à signaler de particulier jusqu’à 10 heures 55 minutes, moment où une nouvelle et forte commotion chassa tout le monde dans les rues. Pendant l’après-midi, on vit des gens se diriger vers les cerros ou collines environnantes, emportant leurs literies ; avant le coucher du soleil, la campagne était envahie par des citadins de toutes conditions. Depuis la première secousse au matin du 7, jusqu’à 6 h. 22 m. du 8, où une nouvelle commotion eut lieu, on ressentit vingt petits chocs se
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- LA NATURE.
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- produisant dans les couches les plus basses du sol. Toutes les voies ferrées ont été endommagées sérieusement et englouties sous les blocs de terre que le tremblement soulevait à Paso Rondo, à SanPedro et à San Roman. Heureusement, aucun des navires en rade devant Valpa-raiso n’a eu à souffrir, malgré le terrible effet que produisait le tremblement de terre sur l’Océan. L’eau entrait à perte de vue en ébullition, et cela durait ainsi plusieurs minutes après chaque commotion. Les villes et les villages des environs ont eu leur part dans le sinistre.
- Santiago a été aussi très-vivement atteint, comme nous l’avons dit précédemment. Beaucoup d’habitants croient que le tremblement de terre est la conséquence de quelque éruption volcanique des Cordillières, comme cela a eu lieu en 1822 et en 1824.
- ACADÉMIE DES SCIENCES
- Séance du 15 septembre 1875. — Présidence de M. Bertrand.
- Le pouls. — Voilà un sujet en apparence bien vulgaire et qui cependant réservait à l’observation des faits du plus haut intérêt. C’est M. Bouillaud, dont le nom est intimement lié à ses connaissances sur les fonctions du cœur, qui a fait du pouls une étude approfondie, et qui en expose aujourd’hui les résultats à l’Académie. On admet généralement, suivant la définition de Longet, que le pouls n’est autre chose qu’un mouvement de choc perceptible, quand on applique la main sur la peau qui recouvre une artère. Quoique cette définition soit acceptée partout, il s’en faut de beaucoup qu’elle soit satisfaisante ; elle ne concerne, en effet, qu’une partie du phénomène total qui a lieu réellement. A côté de ce choc, dû à l’impulsion que le cœur imprime au sang, il y a un autre petit choc causé par la contractilité propre à l’artère ; de façon que le pouls au lieu d’être, comme on le dit d’ordinaire, un instrument à deux temps (un choc et un repos), est réellement à quatre temps (deux chocs séparés par deux repos). Le fait explique la figure bien connue que donne le sphygmo-graphe, de M. Marey, et cette figure montre en même temps combien ces différents temps de la révolution artérielle se succèdent régulièrement.
- Il faut remarquer que la découverte de M. Bouillaud permet seule de comprendre complètement le phénomène de la circulation du sang. On comprend bien en effet, dans la manière de voir ordinaire, comment le sang est poussé du cœur dans les artères, mais rien n’explique comment le liquide nourricier passe des artères dans le système capillaire. Au contraire, le mouvement de contraction propre des artères, ou systole artérielle, qui vient d’être indiqué, l’explique complètement. Seulement il y a lieu de se demander par quel mécanisme se produit cette contraction intermittente des artères. La contraction du cœur tient à sa nature musculaire, mais jusqu’ici on n’a trouvé aucune fibre contractile dans les artères, et le progrès que vient de faire la physiologie, soulève un problème nouveau. En terminant, M. Bouillaud fait remarquer que cette maladie, connue depuis longtemps des sujets qui présentent un pouls double n’est que l’exagération de l’état offert par tout le monde dans les conditions normales.
- Produits de l'o:nydation des fers météoriques. — Les données de la géologie comparée conduisent à admettre que le noyau interne de notre globe est formé de masses comparables aux roches météoritiques. Il en résulte que nos roches, dites éruptives, doivent, à mesure qu’on les considère à une plus grande profondeur, se
- rapprocher de plus en plus des roches extra-terrestres, jusqu’à se confondre avec elles. C’est ainsi que nous avons montré, il y a déjà longtemps, que les filons de serpentine doivent être regardés comme représentant le chapeau de filons plus profond, de la pierre météorique appelée chan-tonnite. Une même relation doit se retrouver entre nos fers oxydés ou magnétites et les filons de fers météoriques. Un très-grand nombre d’expériences variées nous ont montré, en effet, que des fers météoriques oxydés dans des conditions convenables, acquièrent, au double point de vue de la structure et de la composition, tous les caractères importants des magnétites associées aux serpentines terrestres. L’élimination du nickel a lieu très-facilement sous l’influence de l’oxydation et du lavage par les eaux salines.
- Observation de la comète IV de 1873. — MM. Rayet et André poursuivent leurs observations sur la comète découverte récemment par M. Henry. Depuis le 1er septembre, le ciel a été généralement très-défavorable aux observations. Cependant, le 2, on peut reconnaître que la queue avait environ une longueur de deux degrés ; le diamètre de la tête n’avait pas augmenté depuis les observations antérieures et mesurait de 8 à 9 minutes d’arc ; mais la forme de cette tête s’était beaucoup modifiée, le noyau ayant pris une position moins centrale et plus rapprochée de la région antérieure. Dans la nuit du 10 au 11 septembre, entre une heure et deux heures, une éclaircie permit de revoir l’astre errant qui, malgré la proximité de la lune, apparut avec beaucoup d’éclat. Le noyau restait visible dans des conditions, où les étoiles de 5° grandeur étaient effacées et la tête était nettement tordue en arc de cercle. Cette comète marche avec une rapidité extrême vers le soleil, mais elle ne tardera pas à devenir invisible dans notre hémisphère, et nos astronomes ne peuvent espérer la revoir que longtemps après son passage au périhélie, alors qu’elle se trouvera de nouveau dans des conditions analogues à celles où elle est aujourd’hui.
- Transmission du choléra. — Suivant M. le docteur Pel-larin, qui fait une longue lecture à ce sujet, les déjections des cholériques constituent l’agent le plus efficace de transmission du choléra. S’élevant contre les médecins qui pensent que la cause de l'épidémie est apportée par l’air, l’auteur soutient que celle-ci ne voyage que par les individus qui en ont pris le germe dans les pays envahis. Le but de l’auteur, en faisant cette lecture, d’ailleurs fort intéressante, est surtout de rappeler qu’il a émis, dès 1839, cette opinion que d’autres praticiens viennent de publier comme nouvelle. STANISLAS Meunier.
- LES NOUVELLES COMÈTES
- Le ciel a été, depuis la fin de juillet, d’une richesse inaccoutumée en apparitions de comètes. On en a découvert six en ce court laps de temps. Quatre d’entre elles sont nouvelles, les deux autres, qui ne sont pas les moins précieuses, étaient attendues. La première de celles-ci porte à neuf la famille si intéressante des comètes, dont la périodicité est établie; la seconde offre un éclat exceptionnel.
- Le diagramme ci-contre représente trois de ces comètes, qui intéressent à un si haut point les astronomes.
- Nous avons choisi une des deux comètes deM. Bo-relly, une de celles que l’habile directeur de l'Obser-
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- LA NATURE.
- vatoire de Marseille a retrouvées, et enfin celle qui fait tant d’honneur à M. Paul Henry.
- La comète Brorsen, retrouvée par M. Stephan, le 2 septembre, à 4 heures du matin, était alors d’une faiblesse extrême. Elle aurait certainement échappé à l’investigation sans la merveilleuse pureté du ciel de notre grande cité phocéenne, admirablement située pour jouer un rôle brillant dans la réorganisation de l’astronomie française.
- Il est inutile de dire qu'au premier moment, la comète n’offrait aucune trace de queue. Elle passera vers le 16 octobre à son périhélie, qui se trouvera entre Vénus et Mercure. Dans la nuit du 11 au 12, sa tête et son noyau se sont développés, ce qui tient naturellement à ce que la comète marche vers le so-jeil avec une grande rapidité.
- Elle est directe tandis que les deux autres comètes représentées sont rétrogrades. Cette circonstance permet d’affirmer presque à coup sûr qu’elles ne sont point périodiques, mais à orbes paraboliques ouvertes, de sorte qu’elles regagneront les espaces stellaires d’où elles ont été tirées par l’effet de l’attraction solaire, combiné avec son mouvement de translation vers la constellation d’Hercule. On comprend, en effet, que le soleil puisse difficilement capter des corps étrangers, dont le mouvement propre soit dirigé en sens inverse du sien, et qu’ils ne fassent que traverser le système solaire quand ils marchent en sens inverse des planètes1.
- La comète Borelly, qui est la première découverte, a été aussi la première à passer à son périhélie. Elle y est arrivée le 10 septembre, vers 10 heures du soir.
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- Orbites des com’tes : Borelly, Brorsen et Ilcnrv (septembre et octobre 1875).
- La comète Henry n‘y doit parvenir que vingt jours après.
- Ces deux comètes sont parvenues dans l’intérieur de notre orbe ; elles auraient pu, par conséquent, nous rencontrer si nous nous étions trouvés précisément au point où elles perçaient son plan, et de plus si notre distance avait été égale à la leur en ce moment. La terre, par son attraction, déviant les comètes de leur route quand elles passent dans son voisinage, les chances de rencontre augmentent quand les astres errants se meuvent dans des places voisines de notre écliptique, ce qui n’est point le cas pour les phénomènes actuels. En effet, la comète Paul Henry arrive avec une inclinaison déjà très-grande de 58°, et celle de M. Borelly descendant en quelque sorte du pôle tombe avec une inclinaison de 84°. Mais les deux comètes font toutes deux une excursion dans ce qu’on peut appeler la sphère inférieure à la terre. La comète Borelly reste à distance respectueuse et son périhélie est deux à trois fois
- plus éloigné de l’astre que celui de la comète Henry. Aussi, toutes choses égales d’ailleurs, cette dernière doit-elle recueillir une quantité de lumière neuf fois plus grande. C’est vers le 20 septembre, que la comète Paul Henry doit s’approcher le plus de la terre. M. Hind a prédit que son éclat serait alors comparable à celui d’une étoile de troisième grandeur. M. Weiss a estimé, dans ses éphémérides, que son éclat dépasserait, vers cette époque, quatorze fois celui du 31 août. Il n’est point encore temps de comparer ces prédictions scientifiques avec la réalité. Les queues des comètes sont toujours dirigées à l’oppo-site du soleil, mais les particularités qu’elles ont pu offrir ou qu’elles offriront encore ne peuvent être utilement discutées en ce moment.
- 1 La comète de 75 ans est la seule exception connue à cette loi.
- Le Propriétaire-Gerant : G. TISSANDIER.
- PATIS. — IMF. SIMON RA ON ET COMP., RUE D’ERFURTII, 1.
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- N 18. — 4 OCTOBRE 1 875.
- LA NATURE.
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- LA NITRO-GLYCÉRINE ET LA DYNAMITE
- Depuis 1 époque de l’invention de la poudre à canon jusqu’à notre siècle, l’histoire des substances explosibles ne compte pas de progrès saillants. Mais depuis un petit nombre d’années, elle s’est signalée par des découvertes nouvelles d’une importance considérable. C’est surtout en 1846, lorsque M. Schœnbein produisit pour la première fois le coton-pou Ire, que l’art de préparer les matières fulminantes vit s’ouvrir de nouveaux horizons. M. Schœnbein s’était borné à
- signaler les effets balistiques du coton-poudre, sans indiquer son mode de préparation. La wnvelle sul -
- stance étonna singulièrement le monde scientifique. Ce coton, qui ne diffère -en aucune façon apparente de la ouate ordinaire, qui brûle comme la poudre au contact d’une flamme, causa une véritable stupéfaction parmi les chimistes.Grâce à de persévérantes recherches, on ne tarda pas à découvrir le mode de préparation de la nouvelle substance ; on l’obtint par l’action de l’acide nitrique sur les matières cellulosiques telles que coton, papier, etc.1. M. Schœnbein se décida alors à publier son procédé de préparation, qui consistait à faire agir sur le coton cardé, un mélange d’acide nitrique et d’acide sulfurique.
- Peu de temps après, en 1847, M. A. Sobrero eut l’idée d’étudier l’ac-
- Emploi de la dynamite en temps de guerre. — Sautage de palissades, exécuté par l'intermédiaire d’un lil électrique.
- lion spéciale de l’acide
- nitrique sur d’autres substances organiques, sur la glycérine notamment, qui s’obtient, comme on le sait, dans la saponification des corps gras. La glycérine, ce principe doux deshuiles, comme l’appelait Scheele, cette matière inoffensive, à la saveur douce et sucrée, se transforme sous l’action de l'acide nitrique en un liquide détonant, terrible , le plus énergique des produits explosifs connus. « La nitro-glycérin.e, sui-
- ' L'action de l’acide nitrique sur la matière cellulosique peut s’expliquer par la réaction suivante :
- 2(C19I10010) + 3(A:03110) = 10110+ C34111304334.0*
- Matière Acide Eau. Coton-poudre cellulosique. nitrique. vu pyroxyline.
- Déjà, en 1852, le chimiste Braconnot avait découvert la xyloi-tlinc, matière qui brûle facilement et qui s’obtient par l’action de l’acide nitrique sur l’amidon.
- vaut l’opinion de M. Berthelot, disloque les mou-lagnes ; elle déchire et brise le fer, elle projette des masses gigantesques. »
- Mais cette nitro-glycérine découverte par Sobrero resta longtemps sans application ; on ne considéra guère cette substance que comme un produit dangereux, et pendant dix-sept ans elle demeura à l’état de curiosité de laboratoire. C’est seulement en 1864, qu’un ingénieur suédois, M. Nobel , commença à l’utiliser dans l’industrie et à mettre à profit dans le tirage des mines et des roches son énorme force explosive.
- On ne tarda pas à reconnaître en Amérique et en Europe qne l'emploi de la nitro-glycérine offrait, dans le sautage des roches, une économie considérable sur la poudre de mine utilisée auparavant. Mais la difficulté de régler les conditions de sa détonation causa successivement des accidents effroyables. On cita des exemples nombreux d’explosion spontanée de ni-tro-glycérine, bien faits pour terrifier ceux qui étaient disposés à utiliser la nouvelle matière. Les explosions survenues à Aspinwall, à San Francisco, à Sidney, à Hlirsch-berg en Silésie, alarmèrent à juste titre les gouvernements des divers payscivilisés; elles furent en effet si soudaines, si effroyables, que jamais semblables sinistres ne s’étaient signalés dans les annales de l’industrie. Le lecteur va en juger par quelques faits que nous croyons inté
- ressant de reproduire, d’après un mémoire lu à la Société des ingénieurs de Londres.
- En 1866, le steamer l'Européen débarquait sa cargaison le long du warf de la compagnie d'As-pinwall. Tout à coup une explosion formidable se fait entendre. Le pont, les agrès et les flancs du navire volent en éclats et sont projetés au loin. Quinze personnes sont littéralement mises en pièces par la détonation. L'Européen avait à son bord plusieurs caisses de nitro-glycérine, qui avaient fait explosion au moment où des porteurs les avaient trop brusquement maniées. Quelques jours après, le steamer le Pacifique débarquait à San Francisco deux barils de nitro-glycérine. A peine ces barils furent-ils portés en ville, qu’ils éclatèrent spontanément. La détonation fit plusieurs victimes ; elle se
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- LA NATURE.
- produisit avec une violence si extraordinaire que tout un quartier fut littéralement ébranlé, comme il aurait pu l’être sous l’action d’un tremblement de terre.
- En présence de semblables sinistres, tout le monde se révoltait contre l’emploi de la nitro-glycérine, et l’opinion réclamait avec instance le bannissement d’une substance que l’on était en droit de considérer comme un danger public. Peu à peu l’usage de la nitro-glycérine devint moins fréquent jusqu’en 1867, époque à laquelle M. Nobel eut l’idée de mélanger cette substance explosible avec un corps inerte, pulvérulent comme la silice : la nitro-glycérine, divisée par son mélange avec le corps pulvérulent, ne perd en aucune façon ses propriétés énergiques, mais elle ne détone que sous l’action d’une forte amorce de fulminate de mercure, son maniement devient pratique et exempt de péril. Ce mélange de nitro-glycérine et d’une poudre inerte, fut désigné sous le nom de dynamite.
- Désormais les craintes justifiées dont l’usage de la nitro-glycérine était l'objet , cessèrent d’exister : l’emploi de cette force nouvelle, mise entre les mains des industriels par la chimie, se généralise de jour en jour; les gouvernements, loin d’interdire aujourd’hui l’usage de la dynamite, en encouragent en quelque sorte les applications. C’est ainsi que, tout récemment, une commission chargée d’examiner un projet de loi sur le prix de vente de la nouvelle matière explosible a présenté son Rapport à l’Assemblée nationale1 et reconnaît l’innocuité de son emploi2.
- Il nous paraît intéressant, à ce sujet, d’étudier les propriétés, le mode de préparation, les différentes applications de la nitro-glycérine et de la dynamite.
- La nitro-glycérine se prépare dans le laboratoire en laissant tomber goutte à goutte de la glycérine dans un mélange formé de 2 parties en poids d’acide sulfurique et de 1 partie d’acide nitrique concentré. A chaque addition de glycérine, on agite le mélange et on le laisse refroidir. Il se dégage pendant cette opération des torrents de vapeur rutilantes. La quantité de glycérine employée est de 2 à 5 grammes environ pour 4 à 5 grammes d’acide nitrique. On laisse la réaction se produire pendant plusieurs minutes, on jette le tout dans un vase d’eau : la nitroglycérine obtenue se rassemble au fond du vase sous forme d’un corps huileux blanchâtre. On la lave à grande eau par décantation et on la recueille à l’aide d’une pipette.
- M. Kopp, en 1866, opéra ces réactions sur une bien plus grande proportion ; il put traiter à la fois dans
- 1 Voy. Journal officiel de la république française, n° 219. — Assemblée nationale; séance du 11 juillet 1875.
- 2 Nous parlons ici de la dynamite fabriquée. Il va sans dire que les opérations de la production que nécessite d’abord la fabrication de la nitro-glycérine sont toujours périlleuses. C’est ainsi qu’une épouvantable catastrophe a encore eu lieu récemment à Saint-Médard-en-Sal les, dans la Gironde. L’atelier affecté à la préparation de la dynamite a fait explosion, Un ouvrier a été tue sur le coup ; quatre autres grièvement blessés.
- un grand vase en grès 500 grammes de glycérine par 2 kilogramnies d’acide sulfurique mélangé de la moitié de son poids d’acide nitrique fumant. Pendant le siège de Paris, un chimiste distingué M. Paul Champion, assisté de M. IL Pellct, perfectionna singulièrement aussi le mode de production de la nitro-glycérine; il parvint à préparer à la fois plusieurs kilogrammes de cette terrible substance par divers procédés qu’il a étudiés à la suite de nombreuses expériences1. MM. Champion et Pellet se signalèrent pendant le siège par les services qu’ils rendirent à la défense, pour faire sauter des arbres, des murailles, etc., au moyen du produit explosif qu’ils préparaient eux-mèmes.
- La nitro-glycérine est un liquide huileux, doué d’une odeur faiblement éthérée et aromatique, qui produit des maux de tète. Sa saveur, d’abord légèrement sucrée, est âcre et brillante. La nitro-glycérine est soluble dans l’éther, l’esprit de bois (alcool mé-thylique), et l’alcool ordinaire. Ce curieux composé ne détone pas sous l’action d’une flamme ou de la chaleur ; il ne fait explosion que par l’effet d’un choc.
- « Si l’on soumet, dit M. Abel, à l’influence d'une source de chaleur suffisamment intense une portion de la masse liquide, on obtient à l’air libre une inflammation et une combustion graduelles que n’accompagne aucune explosion. Il arrive même, lorsqu’on met la nitro-glycérine à l’abri du contact de l’air, que l’on rencontre une véritable difficulté pour faire naître et développer avec certitude la force explosive à l’aide d’une source de chaleur ordinaire. Mais si l’on soumet la matière à un choc brusque, comme celui d’un marteau vigoureusement frappé sur une surface dure, on obtient une explosion accompagnée d’une détonation2. »
- En général, pour faire détoner la nitro-glycérine on produit une espèce de choc ou d’ébranlement au moyen de l’explosion d’une amorce fulminante ; le fulminate de mercure réussit dans presque tous les cas à ébranler la masse et à la décomposer subitement.
- M. Berthelot, à qui l’on doit un magnifique travail sur les matières explosibles, nous mentionne quelques chiffres du plus haut intérêt, qui donnent une idée de l’extraordinaire puissance de la nitro-glycé-rine : « 1 kilogramme de nitro-glycérine, dit le savant chimiste, détonant dans une capacité égale à 1 litre, développera une pression théorique de 243,000 atmosphères, quadruple de celle de la poudre, une température de 93,400 degrés, et une quantité de chaleur égale à 19,700,000 calories ; le travail maximum sera presque triple de celui de la poudre. 1 litre de nitro-glycérine pèse 1 kil. 60. En détonant dans une capacité complètement remplie, comme il arrive dans un trou de mine, ou bien quand on opère sous
- 1 Nous renvoyons le lecteur qui serait désireux de mieux apprécier les études récentes dont la dynamite a été l’objet, à l’ouvrage de M. Paul Champion : la Dynamite et la Nitroglycérine. (J.-B. Baudry. Paris, 1872.)
- 2 Annales de chimie et de physique.
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- l’eau, cette substance devrait développer une pression de 470,000 atmosphères,huit à dix fois aussi grande que celle produite par le même volume de poudre. La chaleur dégagée étant de 38,000,000 calories, le travail maximum pourra s’élever à plus de 16 milliards de kilogrammètres, valeur quintuple de celle du travail maximum de la poudre sur le même volume. Ces chiffres colossaux ne sont sans doute jamais atteints dans la pratique, surtout à cause des phénomènes de dissociation ; mais il suffit qu’on en approche pour expliquer pourquoi les travaux et surtout les pressions développées par la nitro-glycérine surpassent les effets produits par toutes les autres matières explosibles usitées dans l’industrie. Les rapports que les chiffres signalent entre la nitro-glycé-rine et la poudre, par exemple, s’accordent assez bien avec les résultats empiriques observés dans l’exploitation des mines 1. »
- On conçoit, d’après ces faits, quels peuvent être les ressources que la nitro-glycérine met entre les mains de l’industrie dans le travail des mines, dans la perforation des tunnels, etc., mais malheureuse-ment ce capricieux agent détone parfois, comme nous l’avons vu par les accidents cités plus haut, sous l’influence d’un choc insignifiant. Une caisse de nitroglycérine est posée lourdement sur le sol ; il n’en faut peut-être pas davantage pour déterminer l’explosion de la terrible substance. Aujourd’hui la ni-tro-glycérine ne s’emploie plus guère qu’à l’état de dynamite.
- La dynamite, dont le nom vient du grec (Svopg, force, puissance), est un mélange mécanique de nitro-glycérine et de silice poreuse. Cette silice constitue par la porphyrisation une poudre blanche qui peut absorber par le mélange jusqu’à 75 pour 100 de nitro-glycérine : « L’absorption de la nitro-glycérine dans les grains de silice, dit M. Barbe, auteur d’un remarquable mémoire sur la dynamite, place le liquide dans les interstices d’une substance poreuse susceptible de mobilité et ne transmettant pas les chocs même les plus violents. Les petits canaux de cette silice forment de petits réservoirs d’huile explosive dans lesquels le liquide n’est maintenu que par l’action de capillarité. Des chocs violents appliqués à de grandes masses de dynamite produisent une compression des molécules, leur déplacement, peut-être même l’écrasement partiel de quelques vaisseaux infiniment petits, mais les particules de la masse de nitro-glycérine elle-même ne reçoivent pas le choc nécessaire à leur explosion. Ces considérations ont été entièrement confirmées par la pratique. Le mélange de la nitro-glycérine et de la silice s’effectue très-simplement. La porosité de la silice assure une répartition uniforme. »
- Il existe un grand nombre d’autres substances pulvérulentes propres à servir d’absorbant de la nitro-glycérine. Le kaolin, le gypse, et surtout le sucre
- 4 Comptes rendus de l’Académie des sciences, t. LXXI, 1870.
- en poudre, donnent de bons résultats d’après les travaux de MM. Ch. Girard, Millot et Vogt. D’après les travaux de M. Paul Champion, le plâtre peut absorber jusqu’à 50 pour 100 de nitro-glycérine, le carbonate de magnésie 75 pour 100. Ce dernier chimiste utilisait pendant le siège de Paris une dynamite formée de cendres de boghead (résidu de la fabrication du gaz riche d’éclairage) mélangées à 55 pour 100 de leur poids de nitro-glycérine.
- La dynamite offre l’aspect d’une matière pulvérulente ; elle est généralement formée, quand elle est bien préparée, de 64 à 70 pour 100 de nitro-glycérine et de 36 à 30 pour 100 de matière pulvérulente. La dynamite à 60 pour 100, bien fabriquée, soumise au choc du marteau sur une enclume, ne détone pas comme la nitro-glycérine. Si la température s’élève à 40 ou 50 degrés centésimaux, l’explosion a lieu. Elle se produit encore, mais partiellement, sans s’étendre aux parties avoisinantes si on la frappe violemment quand elle est étendue en couche très-mince. Nous ne décrirons pas les expériences qui ont été faites par de nombreux expérimentateurs sur l’action du choc sur la dynamite, nous nous bornerons à résumer ces travaux divers, en disant avec MM. Bolley, Kundt et Pestalozzi : « On peut faire tomber d’une grande hauteur des caisses remplies de dynamite sans qu’il y ait explosion. » Cette substance détonante bien emballée peut donc être presque impunément transportée ; cependant quand elle est à l’état libre et qu’elle est soumise à un choc violent, produit entre deux corps durs, fer contre fer, par exemple, elle ne manque pas de se décomposer.
- Les derniers observateurs que nous venons de citer ont étudié l’action de la chaleur sur la dynamite. Voici ce qu’ils disent à ce sujet : « On place une cartouche de dynamite dans un étui de fer blanc ouvert à une extrémité. Jetée dans le feu, cette dynamite brûle sans faire explosion. Après avoir mis de la dynamite dans le même tube, on le ferma avec un bouchon métallique à vis et on le plaça de nouveau dans un feu ardent. On eut bientôt une forte détonation, et les charbons furent dispersés de tous côtés. De ces expériences on peut conclure que la dynamite à nu ou sous une enveloppe présentant une faible résistance, ne peut faire explosion sous l’action du feu le plus intense, et qu’au contraire, dans les mêmes circonstances, elle peut produire une explosion considérable quand elle est enfermée dans une enveloppe de quelque résistance. »
- L’emploi de la dynamite dans l’industrie a acquis depuis peu une importance considérable : quand on veut se servir de cette substance explosible, on la fait détoner en enflammant une amorce au fulminate de mercure mélangé de nitrate de potasse (salpêtre). La cartouche de dynamite peut être munie d’une mèche analogue à celle que l’on utilise depuis longtemps dans les mines pour l’explosion de la poudre. Mais il est très-avantageux, dans un grand nombre , de cas, de faire partir la dynamite à distance à l’aide
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- d’un courant électrique dirigé par un fil conducteur Après avoir placé la dynamite dans le trou de mine que l’on veut faire sauter, après y avoir superposé l’amorce destinée à la faire détoner, munie au préalable de fds de platine, on adapte à ceux-ci les fils conducteurs de l’électricité, que l’on déroule jusqu’au point d’où l’on veut déterminer l’explosion. Il ne s’agit plus que de faire passer le courant électrique dans les fils conducteurs; il arrive jusqu’aux fils de latine dont l’amorce est munie, il jaillit sous forme d’étincelle, enflamme une petite mèche de coton-poudre, fait détoner le fulminate de mercure et produit enfin l’explosion de la dynamite. — Un ex-ploseur magnéto-électrique^ très-employé pour ce mode d’expérimentation, est dû à M. Bréguet ; il consiste en une armature de fer douxen contact avec les pôles d’un aimant. Nous ne décrirons pas les dis-
- positions de cet appareil, nous nous bornerons à dire qu’il suffit de donner un coup de poing sur un bouton auquel l’armature est adaptée par l'intermé-diaiie d’un levier, pour donner naissance à une étincelle électrique due aux courants d’induction qui ont pris naissance. Cet appareil ne nécessite ni pile, ni aucun accessoire ; il est toujours prêt à fonctionner et offre les plus sérieux avantages. — Une de nos gravures représente le sautage de palissades, opéré en temps de guerre, au moyen de cet instrument vraiment remarquable. Une ou plusieurs cartouches de la matière explosible ont été placées à la base des palissades à faire sauter, des fils conducteurs de l’électricité mettent en relation ces cartouches avec Yeœploseur que l’on voit représenté sur le premier plan. Un coup de poing, donne sur le bouton de l’appareil, fait passer un cou-
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- Effets produits par l’explosion de cartouches de dynamite sur un mur.
- rant électrique dans les fils conducteurs, l’étincelle jaillit à leur extrémité et détermine la détonation de la dynamite. Un mur peut être lézardé et fissuré à distance, comme le représente la gravure ci-dessus, et cela par le seul intermédiaire d’un fil métallique presque invisible, conducteur du courant électrique. Les applications de la dynamite à la guerre ouvrent ainsi à l’art militaire de nouveaux horizons ; cette substance d’une si grande puissance peut servir à abattre avec une étonnante promptitude des palissades, des murs, des maisons et des ouvra-ges d’art. Quelques parcelles de dynamite, placées dans des orifices ouverts dans un tronc d’arbre, font immédiatement tomber l’arbre entier quand on détermine leur explosion. Cette matière fulminante a aussi été efficacement employée à ouvrir des tranchées dans un sol gelé, sur lequel la pioche étaitsans action. Elle peut encore déterminer le brisement rapide des canons ennemis : il n’est pas, en un mot, de destructeur plus énergique, et de matière plus détonante, plus puissante. Nous ne croyons pas nécessaire d’ajouter que ces qualités en font un agent pré
- cieux dans la confection des torpilles que la marine étudie aujourd’hui avec si grande attention et dont il a été précédemment question. (Voy. p. 177 )
- Les applications de la dynamite à l’industriene sont pas moins importantes ; le mélange de nitro-glycé-rine et de silice est employé journellement au percement des galeries et des tunnels ; le mont Saint-Gothard est ouvert actuellement par la dynamite entassée dans les trous de mine que l’on perfore dans ses flancs. La dynamite sert à l’abatage des roches, des minerais, dans les mines et les carrières, au fonçage des puits, aux travaux de tranchées des chemins de fer, aux travaux sous-marins. Elle est souvent usitée pour le brisement des glaces, pour l’exploitation des terrains gelés. Elle rend enfin de grands services pour la division des blocs métalliques, de loups ou de laminoirs, que l'industrie ne saurait diviser en fragments sans son concours.
- M. Barbe, qui a étudié de près ces différentes applications de la dynamite, nous donne le récit de curieuses expériences qu’il a exécutées lui-même. Dans les carrières de calcaire de Volcksen, en lia-
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- novre, trois coups de mine chargés de 5 kilog. de dynamite, ont détaché 600,000 kilogrammes de roche! Dans le creusement d’un puits, le même expérimentateur a vu la dynamite produire des effets extraordinaires. La roche, à partir du trou central, se fissurait suivant des lignes rayonnantes et se disloquait complètement, de telle sorte qu’il était facile de l’extraire au coin. Rapportons encore une expérience très-intéressante faite dans uneargile très-grasse, très-ferme, où la poudre à canon ne produisait aucun effet. La nouvelle matière explosible donna des résultats étonnants : « Une montagne entière, dit M. Barbe, fut soulevée et déchirée dans tous les sens. »
- « Les ponts métalliques tombés, dit M. P. Champion sont d'unrelèvementdifficile à cause de leur poids et de la longueur des pièces qui les composent ; on a souvent avantage à les briser en fragments, dont l’extraction s’exécute ensuite à l’aide des moyens ordinaires. Dans ce cas, ainsi que nous l’avons pratiqué au pont en tôle de Billancourt, il suffit en général d’appliquer des récipients pleins de dynamite contre les parois métalliques les plus résistantes. C’est ainsi qu’avec une charge de 5 kilogrammes de dynamite, nous avons pu briser et disjoindre les rivets réunissant des plaques de tôle d’une épaisseur de 12 millimètres chacune. »
- Un dernier usage de la dynamite nous reste à signaler, c’est celui qu’on a pu en faire pour la pêche. Dans les travaux sous-marins, on a remarqué depuis longtemps que, lorsqu’une forte charge de dynamite avait fait explosion, l’ébranlement formidable se communique à la masse d’eau qui s’étend au-dessus du lieu de la commotion, et cause la mort ou l’étourdissement des poissons, que l’on voit immédiatement remonter à la surface de l’eau et y flotter complètement inertes.
- « Entre des mains exercées, la dynamite peut donner lieu à des résultats importants. On insère dans une cartouche du poids de 50 à 60 grammes une amorce surmontée d’une mèche Bickford, de 30 à 40 centimètres de longueur, que l’on fixe par une ligature solide. On attache la cartouche à un fragment de bois qui doit servir de flotteur et qui est muni d’une corde longue de un mètre, à l’extrémité de laquelle on place une pierre assez lourde pour entraîner ce flotteur. Dans ces conditions, la cartouche surnage à un mètre au-dessus du fond de la rivière. On descend avec précaution sous l’eau la cartouche ; ainsi préparée et on l’abandonne après avoir mis le feu I àlamèche.Aumomentde l’explosion, si la distance de la cartouche à la surface de l’eau est d’environ 2m,50, on n’entend qu’un bruit analogue à celui d’un coup de fouet. Quelques secondes après, l’eau est soulevée en forme de boule de 1 in,50 de diamètre. Les poissons les plus rapprochés de l’explosion ne tardent pas à monter à la surface et sont tués sur le coup. Les autres n’apparaissent que quelques instants et ne sont qu’étourdis. L’approche de la main qui veut les saisir suffit quelquefois pour les ranimer et les faire
- disparaître. Aussi doit-on se hâter de les recueilli1 avec un filet. » Cette méthode est de celles qui sont complètement prohibées en France par les lois de la pêche. Elle est actuellement employée, en Norwége, pour pêcher les poissons marins qui arrivent par bancs innombrables à certaines époques de l’année et produit des résultats merveilleux. L’explosion d’une cartouche puissante amène à la surface de la mer des monceaux de poissons, tellement considérables, que les pêcheurs ont à peine le temps de les recueillir.
- On voit, par ces résultats, que la dynamite peut être considérée comme une arme nouvelle d’une puissance formidable, mise entre nos mains par la chimie moderne ; cette matière détonante n’offre plus les dangers de la nitro-glycérine pure, elle se présente aujourd’hui comme le plus admirable outil dont l’homme dispose, pour attaquer la matière inerte, dans les grands travaux de son industrie.
- Gaston TISSANDIER.
- LES PLUS GRANDS TÉLESCOPES
- DU MONDE.
- I. - LE TÉLESCOPE DE MELBOURNE.
- Les merveilleuses découvertes auxquelles la sublime science du ciel a conduit l’esprit humain transportent nos pensées en des mondes étrangers à la terre. La géographie de la lune, l’activité chimique du soleil, la météorologie de Mars, le mystère des anneaux de Saturne, la composition des étoiles, l’état des univers lointains illuminés par des soleils multiples et colorés, les divers sujets de l’astronomie planétaire et sidérale, captivent notre attention, notre admiration même, et plus d’un lecteur des études d’astronomie, plus d’un amateur, plus d’un contemplateur se demande à l’aide de quels instruments la vue de l’homme a pu être amplifiée au point de pénétrer jusqu’en ces régions inaccessibles. Si généreusement récompensée par le succès, la curiosité studieuse s’est surexcitée encore, pendant ces dernières années, par le noble désir d’ajouter des conquêtes nouvelles à celles qui ont déjà été obtenues. Maintenant que nous pouvons mesurer la distance des étoiles, (problème insoluble il y a seulement cinquante ans) ; maintenant que nous pouvons analyser la constitution physique des astres (recherche irréalisable il y a seulement quinze ans) ; maintenant que nous pouvons constater le mouvement des étoiles qui s’éloignent ou s’approchent de nous en restant en apparences immobiles sur le même rayon visuel (question jugée absurde, il y a seulement trois ans) ; nous ne devons plus nous arrêter. Nous voulons aller plus loin. Il est intéressant pour nous de passer en revue les derniers efforts récemment accomplis dans cette voie.
- Parmi les grands instruments d’optique récemment
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- • LA NATURE.
- construits, et qui peuvent frapper Ajuste titre notre attention, nous devons citer, en première ligne, le grand télescope de l’Observatoire de Melbourne (Australie), dont les feuilles publiques des deux continents ont maintes fois entretenu leurs lecteurs. La Société royale d’Angleterre a bien voulu m’envoyer un exemplaire de la correspondance à laquelle la construction de ce télescope a donné lieu entre les astronomes d’Angleterre et d’Amérique. Ces documents me permettront de rapporter exactement son histoire.
- Le projet de l’établissement de ce télescope remonte à l’année 1849. Dans la réunion de l’Association britannique de cette année à Birmingham, sous la présidence du révérend docteur Robinson, on avait pris la résolution de faire auprès du gouvernement de la reine des démarches ayant pour but d’établir un réflecteur, qui n’aurait pas moins de trois pieds d’ouverture, au cap de Bonne-Espérance, et de compléter le personnel de cet observatoire autant qu’il serait nécessaire au succès de l’entreprise. Cette résolution rencontra un cordial concours de la part du président du conseil de la Société royale, qui suggéra qu’il valait mieux ne pas désigner la localité précise dans l’hémisphère austral où l’on devait établir le télescope. Cette modification adoptée par le conseil, la requête fut présentée au comte Russell, alors premier lord de la trésorerie, par des représentants des deux sociétés, au commencement de 1850. Le gouvernement répondit que, bien qu’il comprit l’intérêt qui s’attachait à cette demande, il se présentait cependant tant de difficultés à propos des voies et moyens, qu’il ne serait pris aucune détermination sans une enquête ultérieure. Cette réponse ne fut pas jugée assez défavorable pour faire perdre l’espérance du succès, si l’on profitait d’une occasion propice pour tenter une nouvelle démarche. Aussi la question fut-elle de nouveau portée devant l’Association par le colonel (aujourd’hui général) sir Edward Sabine, dans son discours d’ouverture comme président de la réunion de Belfast, en 1852. Il en résulta que la requête fut une seconde fois présentée au gouvernement, en 1855, par une commission de l’Association britannique, agissant de concert avec la Société royale.
- Le pays se trouva bientôt après engagé dans la guerre de Crimée. Il fut répondu qu’on ne pouvait pour le moment disposer d’aucun fonds, mais on promit de reprendre la question quand la guerre serait terminée. Naturellement il n’en fut rien : les gouvernements ne peuvent guère s’occuper de science !
- Pendant ces négociations, la question avait été l’objet d’études sérieuses de la part de la Société royale, qui, dès sa séance du 25 novembre 1852 avait accueilli la résolution prise par le conseil de l’Association britannique de présider à la construction d’un grand télescope « destiné à l’observation de l’hémisphère céleste austral. » Dès le 15 décembre de la même année, nous trouvons une lettre de
- l’astronome Nasmyth à lord Bosse, avec un premier projet, accompagné d’un dessin, dans lequel on voit un télescope de 55 pieds de longueur muni à son extrémité supérieure d’une chaise à bascule dans laquelle l’observateur est assis. Ce télescope, construit dans le système newtonien, a son miroir placé à son extrémité inférieure ; l’astre vers lequel on le dirige est reproduit par ce miroir avec un agrandissement considérable ; pour voir cette image, il faut se placer au foyer, au bout du tube, à 35 pieds du miroir : à l’aide d’une lunette qui traverse ce tube et d’un petit miroir incliné, l'observateur voit, fortement agrandie, l’image de l’astre vers lequel ce télescope est dirigé. Cet observateur est rattaché au tube par sa chaise, ne fait qu’un pour ainsi dire avec son instrument, est emporté avec lui dans tous ses mouvements, en gardant toutefois, bien entendu, la position verticale, grâce au système de' bascule qui permet à la dite chaise de tourner dans tous les sens. Ce système offrait quelque chose de hardi et d’original. Cependant il n’enflamma pas les membres de la commission.
- Pendant plusieurs années on discuta le système que l’on adopterait pour cette construction, le diamètre du miroir, le métal dont il serait composé, la longueur du tube, le poids total de l’instrument et l’emplacement qui lui conviendrait le mieux dans l’hémisphère austral. Une question surtout était l’objet des discussions les plus vives, celle du prix auquel devrait revenir la construction d’un pareil instrument. Le gouvernement anglais ne se décidant à accorder aucune subvention, on en était réduit aux efforts particuliers, qui du reste devraient pouvoir être les meilleurs et suppléer à l’action gouvernementale. On estimait que le prix de revient dépasserait certainement 100,000 francs. Sur ces entrefaites, le désir de posséder un grand télescope se manifesta tout spécialement à l’Observatoire de Melbourne. Il y avait déjà quelques années que l’on s’était endormi sur ce projet, lorsqu’on 1862, l’attention fut réveillée par une proposition de cet observatoire, appuyé par la colonie Victoria. Le comité de la Société royale de Londres reprit la question interrompue, et la législature coloniale déclara qu’elle accordait une subvention de 125,000 francs. Une fois le projet adopté, on choisit pour constructeur M. Grubb, de Dublin, qui est le Secrétan de l’Irlande. Le traité fut signé avec lui en février 1866, et il fut convenu qu’un télescope de quatre pieds anglais serait livré à la commission à la fin de l’année 1867.
- En étudiant les projets d’élaboration du nouvel instrument, M. Grubb et les membres de la commission arrivèrent à laisser de côté les systèmes en usage, qui ont donné cependant d’excellents résultats à l’astronomie sidérale, les télescopes newtoniens, dont ceux d’Herschel, de lord Rosse, de Foucault, de Lassell ne sont que des reproductions variées, et revinrent à une ancienne forme, qui n’était presque plus employée, celle de Gregory ou de Cassegrain. Dans ces deux derniers systèmes, défectueux à plu-
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- sieurs égards, la pièce essentielle du télescope, son miroir, est percée d’une ouverture circulaire, à travers laquelle passe un tube contenant l’oculaire. Si l’on dirige l’instrument vers un astre, le miroir qui reçoit l’image de l’astre la renvoie sur un petit miroir placé en avant et à son foyer. Par une seconde réflexion, le petit miroir renvoie l’image vers le centre du grand et en arrière, où se trouve l’oculaire (fig. 1). L’observateur est placé, comme dans les lunettes, à l’extrémité inférieure du télescope, tandis que, dans les télescopes newtoniens, il est placé vers l’extrémité supérieure soit de côté, ou même dans certaines constructions, tournant le dos à l’objet qu’il observe.
- Ce système offre des avantages et des inconvénients. Ses avantages sont de réduire le tube à une longueur inférieure à celle qui est nécessitée par les autres formes, de permettre à l’astronome de rester sur le sol et de se servir du télescope comme d’une lunette, et d’agencer l’instrument comme on monte les lunettes. La monture équatoriale du télescope de Melbourne permet en effet de donner au télescope tous les mouvements possibles, de le diriger rapide
- ment vers tous les points du ciel et de lui appliquer un mouvement d’horlogerie qui maintient constammen t
- Fig. 1. — Coupe du télescope de Grégory.
- dans son champ
- l’astre vers lequel il est dirigé. (Cette dernière disposition est applicable et appliquée du reste à tous les équatoriaux des observatoires. ) Ses inconvénients sont surtout d’avoir moins de lumière, — la double réflexion éteint un plus grand nombre de rayons lumineux que dans la disposition newtonienne, — et d’avoir une seconde image trop grande, car elle est amplifiée cinq à six fois par le petit miroir. De plus, en construisant le miroir en métal au lieu de le construire en verre, comme nous le faisons en France, on lui donne un poids considérable (celui-ci pèse 1,590 kilog.) et, les variations de température aidant, il est susceptible de se déformer. Quoi qu’il en soit, les avantages ont paru supérieurs aux inconvénients aux constructeurs du télescope, puisqu’ils se sont décidés pour le système Cassegrain.
- Il fallut construire spécialement tous les engins qui devaient servir à son établissement : moule pour le miroir ; machine à vapeur pour le creuser, lui donner la courbure voulue et le polir ; matériaux pour le support, pour le montage et pour le tube; axe, engrenages, etc., etc. L’opération capitale était naturellement de réussir l’énorme miroir métallique de quatre pieds de diamètre. Une machine à vapeur fut installée exprès pour lui seul ; elle mettait en mouvement l’engin destiné à creuser le disque de fonte de même diamètre que le miroir et de même courbure, mais convexe au lieu de concave. Pour le dégrossissement, on se servit de sable et d’eau, et, pour la dernière retouche, d’émeri très-fin et d’eau.
- La pression moyenne pendant l’opération était de 112 livres, et le nombre des coups de la machine de 32 par minute. Le miroir, mobile lui-même, faisait de son côté un tour sur son axe par 14 coups. Il ne fallut pas moins de 650 heures d’opération continuelle pour faire le dégrossissement, et de 520 heures pour achever la courbure.
- Ce fut ensuite le tour du polissage, opération délicate, qui demanda d’autres machines et d’autres engins, et fut conduite à bonne fin comme la précédente. Puis ce fut la fabrication du petit miroir, courbé de façon à recevoir tous les rayons émanés du grand et à renvoyer l’image vers son centre. Il fallut ensuite faire le corps du télescope, extrêmement solide, habiller le grand miroir et l’établir sur un support digne de confiance; on fabriqua celui-ci en lames croisées et en épais métal, de manière à éviter toute flexion, toute déformation ultérieure. Lorsque l’instrument optique fut achevé, on termina l’étude du montage; il fallait l’établir de telle sorte qu’il pût être dirigé sans fatigue et rapidement vers tous les points du ciel, et, de plus,
- rester mobile , parfaitement équilibré, et se mouvoir automatiquement sous l’action précise d’un mouvement
- d’horlogerie, de manière à suivre les astres dans leur mouvement apparent au-dessus de nos têtes. Nous n’entrerons pas dans de plus longs détails. Pendant un an les machines fonctionnèrent ; pendant un an les pièces se construisirent simultanément sous la main des ouvriers spéciaux ; l’œil d’un visiteur étranger aurait cru voir, à travers les flammes de l'usine, les tours et les poulies, d’étranges préparatifs pour un canon de forte dimension et deviner les pièces d’un gigantesque instrument de destruction, car ce sont là aujourd’hui les plus fréquents, les plus étudiés des travaux que les gouvernements protègent et désirent. Mais il ne s’agissait pas ici d’un de ces perfectionnements de l’artillerie qui sont la honte et l’opprobre des nations civilisées ; il s’agissait d’une construction vraiment digne du génie de l’homme, destinée à abaisser la hauteur des cieux, ou plutôt à nous élever au-dessus de ce bas monde et à nous rapprocher des splendeurs de la création éternelle.
- On a pris pour modèle de la substance du miroir celle du miroir du gigantesque télescope établi par lord Rosse à son parc de Parsonstown ; elle est composée de quatre équivalents de cuivre pour un d’étain. Cette composition métallique est très-résistante. Son pouvoir réflectif est excellent, car le cuivre réfléchit les rayons les moins réfrangibles, par exemple les rayons rouges, en plus grande quantité que ceux des autres couleurs, tandis que le zinc réfléchit au contraire les rayons violets en plus grande quantité que les rouges, de sorte qu’un alliage des
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- deux métaux dans la proportion indiquée donne un miroir aussi complet que possible, pour réfléchir tous les rayons en une égale mesure. On a calculé que son pouvoir optique équivaut à celui d’un objectif de 54 pouces, qu’il serait à peu près impossible de faire dans l’état actuel de l’optique.
- Nous avons dit que ce miroir pèse 1,590 kilog. Le
- tube, long de 27 pieds, en pèse 1,210. L’instrument tout entier ne pèse pas moins de 8,240 kilog., et est si parfaitement équilibré, qu’on peut de la main seule, l’élever en 20 secondes de l’horizontale à la verticale.
- Le tube, construit à jour pour alléger le poids, n’a d’autre but que de porter vers son extrémité supé-
- Le télescope de Melbourne.
- rieure le petit miroir, qui renvoie l’image dans l’oculaire placé au centre du grand, comme nous l’avons expliqué. Il est rivées. Des cercles de fer l’enserrent et quatre diaphragmes sont fixés à égales distances dans son intérieur. Il est si
- formé de bandes d’acier croisées et
- Fig. 2. — Coupe du télescope de Cassegrain.
- solidement établi, qu’un poids de 112 livres attaché à son extrémité ne lui donne qu’une flexion de 206 de pouce.
- En résumé, ce grand télescope, que l’on peut nommer un chct-d’œuvre de travail, présente les proportions suivantes en mesures françaises. Le miroir a 1m,20 de diamètre; sa distance focale est de 9m,60. Il semble que le télescope devrait être au moins aussi long que la distance focale ; mais dans le système Cassegrain, le petit miroir est convexe et coupe le faisceau des rayons lumineux avant la for
- mation du foyer ; il est donc en deçà du foyer (fig. 2). Aussi la longueur totale du télescope est-elle de 9 mètres. Sa largeur est de 1"’,55. Neuf oculaires lui sont adaptés. Les grossissements de ces oculaires, et c’est en définitive là le point capital, sont compris entre 200 et 1,000;
- l’astre observé avec ce dernier pouvoir est vu comme s’il était rapproché de mille fois sa distance ; ainsi la lune, qui est à 96,000 lieues d’ici, est vue comme si elle n’était qu’à 96 lieues.
- Quelque prodigieux que soient ces résultats obtenus par l’optique moderne, il n’est pas douteux qu’ils seront dépassés, et que les appareils astronomiques de l’avenir rapprocheront encore de notre globe l’image de l’astre des nuits.
- Camille Flammarion.
- — La suite prochainement. —
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- COLORATION ACCIDENTELLE DES EAUX
- DOUCES OU MARINES.
- PRÉTENDUES PLUIES DE SANG.
- Dès la plus haute antiquité, la couleur rouge de certaines eaux paraît avoir attiré l’attention des peuples. De tout temps on a parlé de pluies sanglantes, de fleuves changés en sang, et ces phénomènes ont donné lieu aux explications les plus bizarres, aux terreurs les plus ridicules.
- On lit dans l’Exode (chapitre vu) « Et fit cruor in omni terraÆgypti, tam in li-gneis vasis quam in saxeis. »
- Traduction : « Et l’on vit paraître du sang dans toute la terre d’Égypte, tant dans es vases de bois que dans ceux de pierre. » Homère (Iliade, liv. XII, v. 55 et liv. XVI, v. 459), parle des rosées de sang qui précédèrent le combat entre les Grecs et les Troyens, et de celles qui amenèrent la mort de Sarpédon, roi des Lyciens.
- Pline, dans son Histoire naturelle (liv. II, chap.xXxvI), rapporte qu’à Rome, sous le consulat de M. Acilius et de C. Porcius, il plut du lait et du sang : lacté et sanguine pluisse.
- Enfin l'historien Tite Live mentionne une pluie semblable qui tomba sur le marché aux bœufs : in foro boario sanguine pluisse.
- Dans des temps beaucoup plus rapprochés de nous, des phénomènes du même genre ont été observés sur divers
- Artemia satina.
- Adulte grandeur naturelle et fortement grossi.
- 0, œil lisse ou médian. — y, y. yeux pédonculés. — a, e, antennes. — p, poche incubatrice avec quelques-uns des œufs qu’e.le renferme, vus par transparence. — là 11, les onze paires de pieds, tout à la fois natatoires et respiratoires. — ab, abdomen. ap, appendices caudiforme», — c, tube digestif coloré en rouge par les Monas Dunalii.
- points de l’Europe, et (tant le progrès en toute chose est lent à s’accomplir), y causèrent de ridicules terreurs, et même de vraies séditions
- La cause, ou plutôt les causes, de ces prétendues pluies de sang, sont aujourd’hui bien connues. On sait qu’il faut les attribuer soit à des poussières minérales répandues dans les couches d’air que traverse la pluie, soit aux déjections de certains papillons parvenus au moment de leur dernière métamor-
- 1 Telles sont les pluies sanguinolentes qui tombèrent, en 1608, à Aix, en Provence, et y provoquèrent un soulèvement populaire; en 1646,à Bruxelles; en 1755, à Ulm et à Lucerne; en 1819, à Blankenbo irg, près d'Ostende; en 1821, à Gies-sen, etc., etc.
- phose, soit à des dépouilles d’infusions enlevées par le vent.
- Mais le vulgaire ignorant n’en continue pas moins à croire aux pluies de sang, et il s’incline aveuglément devant de soi-disant prodiges qui n’ont de réalité objective que dans l’imagination aventureuse de ceux qui les prônent comme de vrais articles de foi.
- Laissons donc là toutes ces erreurs, toutes ces superstitions dont la science moderne a fait bonne justice, et occupons-nous maintenant de faits bien avérés, dont la cause ne saurait donner lieu à aucune équivoque, ni soulever la moindre incertitude. On sait aujourd’hui, à n’en pouvoir douter, que les eaux douces, accidentellement colorées, doivent les teintes variées qu’elles présentent soit à des animalcules infusoires (Eu-glena viridis, E. sanguinea. Astasia hœmatodes), soit à des végétaux microscopiques ( Oscillatoria rubescens , Sphœroplea annulina),cpie\-quefois même à de petits entomostracés (Daphnia pu-lex, Cyclopsquadricornis).
- Les eaux de la mer elles-mêmes ne sont pas étrangères à ce genre de coloration. Ainsi, en 1820, le capitaine Scoresby, cité par Ch. Morren, constata que la teinte bleue ou verte de la mer du Groenland était due à un animalcule voisin des Méduses. Il en compta 64 dans un pouce cubique ; 110,592 dans un pied cube, et 25 quadrillions 888 tril-lions dans un mille cubique1. D’après M. Arago, les bandes vertes si étendues et si tranchées des régions polaires renferment des my-
- riades de Méduses, dont la teinte jaunâtre mêlée à la couleur bleue de l’eau, engendre le vert. Près du cap Palmas, sur la côte de Guinée, le vaisseau du capitaine Tuckey paraissait se mouvoir dans du lait. C’étaient aussi des multitudes d’animaux flottant à la surface, qui avaient masqué la teinte naturelle du liquide. Les zones rouges de carmin, que divers navigateurs ont traversées dans le Grand Océan, n'ont pas une autre cause. » A une époque toute récente (1844), MM. Turrel et de Freycinet ont vu, sur les côtes du Portugal, l’océan Atlantique coloré en rouge foncé par un végétal microscopique du
- 1 Ch. Morren, Recherches sur la rubéfaction des eaux.— Bruxelles, 1841.
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- genre Protococcus [Protococcus atlanticus, Montagne). Cette teinte n’occupait pas moins de 8 kilomètres carrés d’étendue. M. Montagne, qui a fait connaître l’algue qui la produisait, termine ainsi son mémoire : « Si l’on considère que pour couvrir une surface d’un millimètre carré, il ne faut pas moins de 40,000 individus de cette algue microscopique, mis à côté l’un de l’autre, on restera pénétré d’admiration en comparant l’immensité d’un ici phéno-mène à l’exiguïté de la cause à laquelle il doit son origine 1. »
- Quant aux eaux de la mer Rouge, elles doivent la rubéfaction périodique qui les distingue à la présence d’une algue confervoïde que les naturalistes ont désignée sous le nom de Trichodesmium erythrœum, Ehrenberg. Enfin Pallas nous apprend qu’il existe en Russie un lac salé, nommé Malinovoé-Ozéro, ou lac de framboise, parce que : sa muire et son sel sont rouges et ont l'odeur de la violette. Il attribue, évidemment à tort, cette couleur aux rayons du soleil, et il ajoute qu’elle se perd par les temps pluvieux.
- RUBÉFACTION DES EAUX DES MARAIS SALANTS MÉDITERRANÉENS.
- Connue depuis longtemps des sauniers du Languedoc, mais étudiée pour la première fois par les savants, vers l’année 1856, et par nous-mème en 1839, la coloration des marais salants méditerranéens a donné lieu, elle aussi, à des explications diverses et plus ou moins rapprochées de la vérité. MM. Audouin, Dumas et Payen, de l’Institut, l'attri-huaient à des Artemia salina, petit crustacé bran-chiopode, quipulluleen effet dans les partennements2 où la salure est de beaucoup inférieure au degré de saturation qui amène la précipitation du sel marin, mais qui est beaucoup plus rare dans ceux où l’eau, amenée à un très-haut degré de concentration, est quelquefois d’un rouge de sang.
- MM. A. de Saint-Hilaire et Turpin, tous deux aussi de l’Institut, prétendaient que la véritable cause de celte coloration étrange était due à des végétaux mi-croscopiques d’une organisation très-simple, auxquels ils ont donné les noms deprotococcus sangui-nem et hœmatococcus kermesinus. C’était aussi l’opinion de M. F. Dunal, doyen de la Faculté des sciences de Montpellier, qui s’était, avant MM. Aug. de Saint-Ililaire et Turpin, occupé de la rubéfaction des eaux de nos marais salants. Chargé moi-même, à cette époque, de l’enseignement de l’histoire naturelle au collège royal de Montpellier, où je comptais parmi mes élèves des jeunes gens qui, depuis, sont devenus des maîtres justement renommés (MM. Louis Figuier, Amédée Courty et Henri Marès,
- 1 Montagne, Annales des sciences naturelles, année 1846, p. 265 (partie botanique).
- % Les sa uni ers (ouvriers des salines) du Languedoc désignent sous les noms de tables, de partennenients, de pièces maîtresses, les divers compartiments où ils introduisent l’eau de mer, parvenue à dilféren ts degrés de salure.
- par exemple), je voulus étudier à mon tour le curieux phénomène de la rubéfaction des eaux, et, dans ce but, je me rendis aux salines de Villeneuve, situées à quelques kilomètres de Montpellier. Elles étaient alors d’un rouge fortement prononcé. Je m’empressai de faire, sur les lieux mêmes, une petite provision de l’eau dont la nuance rappelait le plus celle du sang, et je remplis également à moitié quelques flacons de celle qui, moins salée
- 1 H M
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- • Ase,
- 1. Eau rouge des marais salants, puisée à la surface. — 2. La même eau reposée. — Le- infusoires sont montés à la surface du liquide
- que la première, était aussi moins rouge. Examinée bientôt après au microscope, l’eau puisée dans les divers partennements me montra des myriades de petits êtres, que je décrirai ainsi qu’il suit : Corps ovale ou oblong, souvent étranglé dans son milieu, quelquefois cylindriques, incolore chez les très-jeunes individus, verdâtre chez ceux qui sont un peu plus avancés, d’un rouge ponceau chez les adultes ; bouche en forme de prolongement conique, rétractile, point d’yeux, estomacs et anus indistincts.
- A l’aide des fortes lentilles de mon microscope, je pus apercevoir encore, à la partie antérieure de ces prétendus protococcus, deux longs prolongements flagelliformes et d’une transparence parfaite, qu’ils agitaient rapidement, et au moyen desquels ils parcouraient la goutte liquide étendue sur le porte-objet de mon instrument. Le doute n’était donc plus possible. Les protococcus et les hœmatococcus de MM. Dunal, Aug. de Saint-Ililaire et Turpin étaient des animaux : c’étaient de vraies Monades, auxquelles je fus heureux de servir de parrain. Je les baptisai du nom de Monas Du-nalii, voulant rappeler ainsi que mon excellent et regretté maître, le professeur Dunal, avait été le premier à entrevoir la cause réelle de la coloration des marais salants méditerranéens, mais il n’avait fait que l’entrevoir.
- En effet, il n’avait examiné nos animalcules qu'a-près leur mort, c’est-à-dire au moment où ils étaient devenus globuleux et immobiles comme des proto-
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- coccus1, et il les avait vus morts, parce qu’il avait totalement rempli et hermétiquement bouché les flacons qui les renfermaient. Or, ces petits animaux ont un immense besoin de respirer. Accumulés en nombre prodigieux dans une quantité d’eau trop restreinte et entièrement soustraite à l’influence de l’air extérieur, ils avaient succombé tous pendant le
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- • - ,
- i ).9,3 ‘6 t.
- Monas Dunalii, grossis 420 fois.
- a, très-jeunes individus tout à fait incolores. — b, individus non adultes et colorés en vert.— c, Monas adultes d’un rouge très-foncé. — d, Monas un peu moins rouges.
- voyage de Villeneuve à Montpellier. Devenus immobiles et globuleux, ils avaient été pris pour de vrais protococcus. Nous avions, nous, évité cette cause d’erreur en remplissant seulement à moitié nos flacons et en les laissant largement ouverts, ou mieux encore en examinant l’eau des salines au moment où elle venait d’être puisée.
- le 1er octobre 1859, après un été des plus secs, dont on ait gardé le souvenir, le liquide contenu dans les tables indiquait 25° de salure à l’aréomètre de Baumé, et il présentait une teinte si foncée, qu’en y plongeant, à une faible profondeur, le coin de mon mouchoir, je le retirai rouge comme si je l’avais plongé dans du sang. Le 28 octobre, après vingt jours de pluies continues, les eaux des pièces maîtresses, au lieu d’offrir cette nuance pourpre qu’elles avaient le premier du mois, ressemblaient à du sang très-chargé de sérum, et les monades y étaient moins nombreuses et moins rouges, quoique ces eaux atteignissent encore 20° de salure.
- Portion du tube digestif de VArtemia salina, au travers duquel on aperçoit en a, a des Monades mortes mais, non encore digérées, et en b, b des cristaux cubiques de sel marin.
- Monas Dunalii, vus quelque temps après leur mort et devenus globulaires.
- Un fait bien digne de remarque qui se rattache à l’histoire des Monas Dunalii, c’est que, semblables sous ce rapport auprotococcus nivalis,qai colore la neige des régions polaires, tantôt en vert, tantôt en rouge, nos animalcules présentent, dans leur jeune âge, une teinte verdâtre, qui passe aussi au rouge de brique, puis au rouge sanguin.
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- Les mêmes, décolorés.
- Le degré de concentration des eaux exerce sur eux une influence des plus marquées. En effet,
- 1 Je me suis convaincu, par des expériences directes, qu’il suffit de mettre une goutte d’alcool très-étendu, ou même une simple goutte d’eau douce sur le porte-objet où se meuvent rapidement les Monades de Dunal, pour voir ces animalcules devenir à l’instant immobiles et globuleux,
- Enfin, nous ne devons pas oublier de dire que les Monades sont très-sensibles à la lumière, qu’elles la recherchent avec une sorte d’avidité. On peut aisément s’assurer de ce fait en mettant un certain nombre de nos infusoires dans un flacon aux deux tiers plein d’eau marine. On ne tarde pas alors à les voir s’élever à la surface du liquide et se rassembler en plus grand nombre du côté le plus éclairé. Si l’on retourne le vase où ils sont captifs, de manière à les placer du côté le plus obscur, ils reprennent bientôt après leur position première.
- Notons aussi que nos animalcules descendent quelquefois au fond des tables qu’ils occupent, et qu’a-lors la coloration de la surface diminue ou disparaît totalement. Ajoutons enfin que nous avons pu, moyennant certaines précautions, faire arriver nos Artemia vivants à Paris, qu’ils ont eu l’honneur d’être présentés à l’Institut, et qu’ils ont été vus au microscope par quelques-uns des membres les plus 1 illustres de la savante compagnie.
- Il était donc bien démontré désormais que les Monas Dunalii étaient la cause delà coloration en rouge des marais salants méditerranéens; mais en étaient-ils la cause unique? Les Artemia salina, signalés par MM. Audouin, Dumas et Payen, ne contribuaient-ils pas, eux aussi, au phénomène qui nous occupe? Tel était le nouveau problème à résoudre,
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- LA NATURE.
- et il fut bientôt résolu. Rappelons d’abord que ces petits crustacés se trouvent en bien plus grand nombre dans les eaux peu salées que dans celles qui sont parvenues au degré maximum de concentration. Rappelons surtout que dans ces dernières leur présence est relativement très-rare et, en quelque sorte, accidentelle. Ceux qu’on y trouve sont languissants ; ils souffrent évidemment dans ces eaux trop denses où les sauniers les ont introduits avec les eaux moins concentrées, amenées par eux dans le bassin où le sel doit cristalliser. Ici, disons-nous, on voit les artemia nager avec peine et tout à fait à la surface du liquide. Ils paraissent plus ou moins colorés en rouge ; ils le sont, en effet, dans toute l’étendue de leur canal digestif. Mais cette coloration est tout à fait secondaire, et doit être attribuée aux monades qu’ils ont avalées avec l’eau, qui a fini par laisser déposer dans leur intestin les gros cristaux de sel marin qu’on aperçoit à travers ses tuniques transparentes, au milieu des monades digérées en partie ou en totalité 1.
- Loin d’être la cause de la nuance pourpre que présente l’eau des salines arrivée au degré ultime de concentration, les Artemia doivent donc eux-mêmes leur coloration accidentale aux menas Dunalii qu’ils ont ingérées dans leur canal digestif, ou qui se sont ogées entre les filaments de leurs pattes branchiales. La preuve en est que nous avons pu teindre en rouge des Artemia naturellement incolores, en les forçant à vivre pendant quelque temps dans de l’eau de mer colorée elle-même soit par des monades rouges, soit simplement avec du carmin ou de la laque carminée.
- Mais, quoique dépouillés du rôle qui leur avait été attribué dans la rubéfaction des eaux, les Artemia salina n’en sont pas moins pour le physiologiste un sujet d’étonnement et de méditation. En effet, à l’exemple de plusieurs animaux appartenant au grand embranchement des articulés (psyché, abeille, papillon du ver à soie), nos crustacés jouissent du singulier privilège de se reproduire sans avoir obéi à la loi générale de l’union sexuelle. Sur plusieurs milliers d’individus soumis à notre observation, nous n’avons pas trouvé un seul mâle nettement caractérisé. Le célèbre naturaliste génevois Carl Vogt déclarait tout récemment2 n’avoir pas été plus heureux que nous sous ce rapport. D’où il faut conclure que les Artemia de nos salines perpétuent leur espèce à l'aide de femelles constamment vierges, dont les œufs, quoique privés du baptême séminal, se développent dans une poche incubatrice située à la base de l’abdomen maternel, et donnent naissance à des petits qui, avant de ressembler complètement à leur mère, devront subir d’étonnantes métamorphoses. On a donné le nom de parthénogénèse à ce mode
- 1 Le sel récolté dans les salines de Villeneuve et des environs est souvent plus ou moins coloré en rouge par les Monas Dunalii, qui lui communiquent en outre une odeur de violettes passablement prononcée.
- 2 Au Congrès des naturalistes suisses réunis à Fribourg, en août 1872.
- singulier de reproduction par des femelles vierges, et indépendamment du commerce des mâles, qui souvent n’existent pas, ou du moins ne sont pas encore connus. Notons en terminant que les œufs de nos Artemia vierges ne produisent que des femelles, tandis que les œufs non fécondés de la reine-abeille ne donnent naissance qu’à des mâles, uniquement à des mâles. Dr N. Joly (de Toulouse).
- —
- LE CIEL AU MOIS D’OCTOBRE 1873
- Ce n’est pas sortir du domaine de l’astronomie que de parler des marées et des bourrasques qui, à cette époque de l’année, ont coutume d’aborder les côtes occidentales de l’Europe avec une violence particulière ; le voisinage de l’équinoxe est toujours si-gnalé-de cette façon dans les derniers jours de septembre et souvent dans les premiers du mois d’octobre : les raisons astronomiques de cet état de choses sont connues de tout le monde, ce qui nous dispensera de nous étendre sur ce sujet. Bornons-nous à mentionner la grande marée de syzygie, du 7 au 8 octobre, qui est annoncée comme l’une des plus considérables du siècle; elle est caractérisée par le nombre 1,14, nombre par lequel il faudra multiplier l’unité de hauteur de chaque port, pour avoir la hauteur des plus grandes eaux à la marée de ce jour. Mais on ne doit pas oublier que cette hauteur peut être sensiblement modifiée par la force et la direction du vent régnant.
- Les mauvais temps de l’équinoxe touchent encore les astronomes sous un autre point de vue ; le ciel étant fréquemment pluvieux, couvert de nuées ou de brumes épaisses, est peu favorable aux observations célestes. Ces circonstances ont dû être particulièrement désagréables cette année aux observateurs qui avaient plusieurs comètes, nouvelles ou nouvellement retrouvées à surveiller, la comète IV, 1875, découverte le 23 août dernier par MM. Paul et Prosper Henry, dont MM. Rayet et André ont pu étudier le spectre, et qu’ils soupçonnaient devoir devenir visible à l’œil nu, puis les comètes V et VI, nouvelles apparitions des comètes périodiques de Brorsen et de Faye. Les observatoires européens seront peut-être plus heureux en octobre qu’en septembre. Faisons donc une rapide revue des phénomènes célestes pendant le mois qui va courir.
- La portion du ciel que nous aurons plus spécialement en vue, en octobre, au-dessus de l’horizon de notre zone tempérée boréale, comprendra, outre la zone circumpolaire dont nous ne dirons rien parce qu’elle est toujours la même pendant toute l’année, les constellations qui se groupent autour du carré de Pégase : le Bénard, l’Aigle, la Lyre à l’occident, Andromède, Persée, le Taureau, à l’orient, les Poissons et la Baleine vers le sud. Signalons notamment deux ou trois objets célestes bien connus, mais qui ne perdent pas pour cela de leur intérêt, au point de
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- 2° OO CM
- vue de l’astronomie sidérale. C’est d’abord l’étoile variable 0 de la Baleine, la fameuse Mira, dont la période est de 351 jours 20 heures, qui, pendant ce temps, atteint d’abord l’éclat d’une étoile de
- deuxième grandeur, conserve cet éclat pendant quinze jours, décroît ensuite jusqu’à devenir, au bout de trois mois, invisible à l’œil nu. Pendant cinq autres mois, elle reste invisible, mais tout ce
- Mercure en octobre 1875.
- Vénus et Jupiter en octobre 1873.
- qu’on sait, c’est qu’elle diminue jusqu’à devenir inférieure en éclat aux étoiles de onzième grandeur; il serait intéressant, croyons-nous, d’étudier ses phases d’indivisibilité avec plus de soin et de précision. Le catalogue d'Argelan-derdonne, pour1840, à cette étoile 52° 49' d’ascension droite et 5° 42' de déclinaison australe. Une autre variable, non moins intéressante, est Algol, de la Tête de Méduse, dans la constellation de Persée. Sa période , beaucoup plus courte que celle de Mira, n’est que de 2 jours 20 heures et 49 minutes, de la seconde à la quatrième grandeur. Enfin, un autre objet curieux à observer est la célèbre nébuleuse d’Andromède, au sujet de laquelle les amateurs pourront exercer leur vue , puisqu’elle est
- Z
- E
- Point rayonnant de l’essaim d’étoiles filantes du 18 au 20 octobre, d’après A. Herschel. — Étoile V. d’Orion.
- assez aisément visible à l’œil nu. Nous l’avons ainsi souvent distinguée, même à Paris. Dans les lunettes tant soit peu puissantes, on distingue parfaitement la forme d’ovale allongé de la nébuleuse, que sa lumière transparente faisait compa
- rer « à la flamme d’une chandelle vue à travers une feuille de corne » ce sont les expressions de Simon Marius, astronome du dix-septième siècle, qui a le premier attiré sur les nébuleuses l’attention suivie des astronomes. Les plus récentes et les plus intéressantes observations que nous connaissions de la nébuleuse d’Andromède sont celles de l’astronome améri -cain Bond. Grâce à la puissante lunette de Cambridge, ce savant a pu la décomposer partiellement en étoiles ; il en a compté plus de 1,500. Quant à la forme elliptique de la nébulosité, elle s’est trouvée passablement modifiée par le grossissement. Il serait curieux de l’observer à nouveau, avec un instrument d’une pareille puissance, afin de com-
- parer les dessins de cet objet singulier avec celui de Bond, et aussi dans le but de vérifier si quelque changement physique s’opère, avec les années, dans le sein de ces agglomérations d’étoiles ou de matière nébuleuse; c’est un côté de l’astro-
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- nomie physique qui nous paraît bien négligé en France. L’Observatoire de Marseille, grâce au télescope de Foucault, serait seul en état de poursuivre des études de ce genre. La même nébuleuse a été étudiée par M. W. Huggins, au point de vue spectroscopique. Cet astronome a constaté dans le spectre de la nébuleuse, spectre en apparencee continu, l’absence de la totalité du rouge et d’une partie de l’orangé, et il remarque que l’amas stellaire d’Hercule, facile à résoudre en étoiles, présente un spectre précisément semblable.
- Un mot maintenant des planètes.
- Mercure, pendant le mois d’octobre, parcourra de la Vierge dans la Balance, une longue ligne à peu près parallèle à l’écliptique. Il n’est toujours pas aisé à voir, pour ne pas dire impossible, puisqu’il ne se couche que peu de temps après le soleil, un quart d’heure environ le 1er octobre et une demi-heure à la fin du mois.
- Vénus sera toujours visible le matin, trois heures environ avant le lever du soleil. D’un point situé très-près de l’étoile y du Lion, cette planète va, en en longeant l’écliptique entrer, dans la Vierge, où elle atteindra à la fin d’octobre une position très-voisine du point d’où était parti Mercure au commencement.
- C’est aussi dans cette même région céleste que Jupiter se verra, de 2 heures à 4 heures avant le soleil. Il se mouvra du Lion dans la Vierge, entre des points ayant pour ascensions droites 41 h. 17m et 11 h. 40m, et pour déclinaisons boréales 5° 41 et 3° 23'.
- De toutes les planètes principales, c’est toujours Saturne qui présentera, pendant ce mois, les circonstances les plus favorables à l’observation. Il passe, en effet, au méridien, 7 h. 10m du soir à 5 h. 1/4 environ, c’est-à-dire entre une heure et une demi-heure après que le soleil est couché, et il ne se couche lui-même qu’entre onze heures et demie et dix heures et demie du soir. Mais il est toujours peu élevé au-dessus de l’horizon, dans nos latitudes du moins, et les influences atmosphériques sont généralement gênantes dans ces conditions, pour qui veut faire des études minutieuses sur les particularités physiques d’un astre aussi curieux que Saturne. Les plus récentes acquisitions dans ce genre sont, croyons-nous, les nombreuses observations et mesures micrométriques de P.-G. Bond, et encore les observations spectroscopiques de MM. Janssen et Huggins, d’où il paraît résulter qu’il y a de la vapeur d’eau dans l’atmosphère de Saturne. Cette planète est sur les confins des constellations du Sagittaire et du Capricorne.
- Uranus est dans le Cancer; Neptune dans les Poissons. La première de ces grosses planètes, bien petites à l’œil nu, se lève vers minuit le 1er octobre, vers 4 0 h. 1/2, à la fin du mois. Elle sera donc d’une observation facile : on pourra la voir comme une étoile de sixième grandeur, un peu au nord de deux étoiles de même éclat distantes de quelques minutes et dont la plus méridionale est marquée O dans le
- catalogue de Boyer. Uranus, à qui l’on attribuait d’abord six, puis huit satellites, est-il réduit à quatre, comme le prouveraient les dernières observations de Lassell? C’est ce que les astronomes, munis des plus puissants instruments et observant dans un ciel très-pur, pourraient seuls décider, car si quelques-uns des satellites de Saturne sont très-difficiles à voir, ceux d’Uranus ne sont pas non plus d’une observation aisée.
- Neptune est en opposition le 49 octobre; précisément à la même date, Saturne sera en quadrature.
- Du 48 au 20, du 25 au 26 octobre, essaim périodique d’étoiles filantes à observer. Le point radiant du premier est, d’après A. Ilerschel, l’étoile v d’Orion; celui du second essaim, déterminé par IIerrick, est voisin de l’étoile s des Gémeaux.
- AMÉDÉE GUILLEMIN.
- ——
- CHRONIQUE
- L’expédition de Khiva. — Cette étonnante campagne, que la Russie accomplit au milieu des plus effroyables obstacles (voy. p. 129), apportera certainement à la science un sérieux contingent de faits nouveaux. L’armée de terre n’est pas seule à prendre part à l’expédition : une flottille russe s’efforce de pénétrer dans le fleuve Amour, en anéantissant les digues de l’Ourkoun-Daria, Ces reconnaissances opérées par les Russes, dans des pays où nul Européen ne pouvait pénétrer qu’au prix des plus grands périls, offrent une importance capitale au point de vue géographique. D’après l'Invalide russe, on saitdéjà que le cours d’eau le plus important qui traverse ces régions est le Kouvan-Djarma ; il se dirige sur le lac Doua-Kara, et de là par le bras Yanghi-Sou, dans le golfe Toustclié-Bass. Ce dernier cours d’eau est un véritable torrent, impétueux, terrible. Il roule ses eaux sur un sol rocailleux avec une x itesse extraordinaire, et forme çà et là des rapides du plus imposant aspect.
- Un monument à la mémoire de Lieblg. — Le comité de direction de la Société chimique de Berlin a décidé qu’une statue de l’illustre chimiste serait érigée à Darmstadt, à Giessen ou à Munich : il fait appel au public pour obtenir les fonds nécessaires à la réalisation de ce projet, et adresse des circulaires, à tous les chimistes de l’Allemagne. D’après l’importance des souscriptions, il y a lieu de croire que la statue de Liebig sera digne de l’homme dont elle perpétuera l’image.
- Tempêtes. — Elles sont extraordinairement fréquentes cette année. L’atmosphère semble rivaliser de fureur avec les feux souterrains qui ont si terriblement ébranlé le sol depuis quelques mois. Sur la mer Noire, plus de 100 na-vires se sont perdus et plus de 800 personnes ont péri sous l’action d’une tempête épouvantable, vers la fin du mois dernier. Sur les côtes de la Nouvelle-Écosse, la mer en furie a fait de nombreuses victimes, et plus de 56 bateaux-pêcheurs ont fait naufrage, jetés sur les côtes par un vent formidable.
- Exploration du fleuve Bleu. — M. le lieutenant de vaisseau Francis Garnier, qui, aux dernières nouvelles, s’était arrêté à l’embouchure du Yuen-kiang, sur le lac rong-ting, a traversé toute la région des rapides sans
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- LA NATURE.
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- accident sérieux et est arrivé à Tchong-kin-fou le 50 juin, cinquante jours après son départ d’IIan-kéou. Dans la région des rapides, l’immense fleuve se rapproche de la chaîne de montagnes qui sépare le bassin du Yang-tse de la Chine septentrionale. Il traverse des contrées merveilleusement accidentées, dont les mouvements géologiques devaient fatalement rendre périlleux le cours du fleuve, tout en lui prêtant les aspects les plus pittoresques. M.Gar-nier se plaît à reconnaître avec quelle cordialité et quels égards les autorités chinoises se sont mises à la disposition d’un voyageur, qui, d’ailleurs, était déjà pour les mandarins de ces provinces une vieille connaissance. Les relèvements hydrographiques, les observations surtout, ont été souvent contrariés par le mauvais temps. Les résultats scientifiques de toute espèce recueillis par M. Francis Garnier ont néanmoins une grande importance.
- —
- CORRESPONDANCE
- M. Bulard, directeur de l’Observatoire national d’Alger, nous envoie un fort remarquable travail sur les observations météorologiques qu’il a exécutées depuis plusieurs années et dont nous avons parlé précédemment (p. 255). L’Observatoire d’Alger, qui n’est encore qu’une simple maison d’habitation, est situé à 217 mètres au-dessus du niveau de la mer. Il est pourvu de tous les instruments nécessaires à de bonnes observations ; nous ne doutons pas qu’il est certainement destiné à faire honneur à notre belle colonie.
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- ACADÉMIE DES SCIENCES
- Séance du 22 septembre 1873. — Présidence de M. Bertrand.
- Le double deuil qui a frappé la science cette semaine est connu de tout le monde avant que M. le président informe officiellement l’Académie de la mort de M. Né-laton et de M. Coste. Aussi la proposition faite par M. Larrey de lever la séance immédiatement, après le dépouillement de la correspondance, reçoit-elle un silencieux acquiescement de toute l’assistance. Il faut donc nous borner aujourd'hui à ce que renfermait la correspondance, mais ce ne sera pas renoncer à tout intérêt, grâce au retour de M. Dumas et au détail dans lequel entre, au sujet de plusieurs pièces, M. le secrétaire perpétuel.
- Projet de communication avec les habitants de Vénus.
- — Un jeune savant qui s’est déjà signalé par plusieurs travaux marqués au coin de l’originalité la plus remarquable, M. Charles Gros, pense que le prochain passage de Vénus serait une occasion favorable pour savoir s’il y a des habitants dans cette planète, et, dans ce cas, pour entrer en relation avec eux. Comme le fait remarquer M. Gros, « il est possible que Vénus soit habitée ; il est possible qu’il y ait des astronomes parmi ses habitants, il est possible que ces astronomes jugent que le passage de leur planète sur le disque solaire peut attirer notre curiosité ; il est enfin possible que ces savants essayent, à l’aide de moyens particuliers, de nous envoyer des signaux, précisément à l’instant où ils peuvent supposer que beaucoup de télescopes sont braqués sur leur planète. » Nous nous permettrons une seule observation tirée surtout des conversations se rattachant à l’observation sidérale : c’est qu’il y aurait, suivant toute probabilité, avantage à renverser les rôles, en remplaçant Vénus par Mars : c'est-à-dire qu’il faudrait saisir le moment d’un passage de la terre par rapport à
- Mars et essayer de faire des signaux aux habitants supposés de cette planète. Tout porte à croire, en effet, que les habitants de Mars doivent être plus avancés que nous sous tous les rapports et à l’inverse des habitants de Vénus, planète plus jeune ; ils peuvent donc être mieux préparés à saisir nos tentatives de correspondance, d’autant plus que, parmi . eux, un autre Charles Gros a pu faire une proposition relative à la terre, mais toute analogue à celle que l’Académie reçoit au sujet de Vénus.
- Traînée persistante d'un bolide. — Les récents travaux de M. Nordenskiold ont donné un nouvel intérêt à l'observation des traînées de bolides. M. Chapelas en signale une qui, à la suite du passage du globe lumineux, a persisté le 20 septembre pendant [dus de dix minutes. Cette traînée phosphorescente a montré, dans une lunette, quelle était animée d’un mouvement ondulatoire causé très-certainement par l’action du vent qui l’entraînait.
- Proportion de l'acide carbonique de l'air à diverses altitudes. — On admet, en général, d’après les mesures de Saussure et d’autres savants, que l’air contient normalement 4 dix-millièmes d’acide carbonique pendant la nuit et 5 dix-millièmes et demi pendant le jour. Cependant plusieurs chimistes allemands, tels que M. Schultz, ont trouvé récemment des nombres différents : suivant eux, la proportion diurne est égale à 4 dix-millièmes au lieu de 5. M. Truchot, chargé d’expériences à la station agronomique du centre à Clermont-Ferrand, montre que le désaccord n’est qu’apparent et tient à ce que les diverses mesures ont été faites à des altitudes différentes. Ainsi, Clermont-Ferrand, le sommet du puy de Dôme, et le sommet du pic de Sancy étant en gros à 1000, 1500 et 1900 mètres au-dessus du niveau de la mer, la quantité d’acide carbonique en dix-millièmes s’y est trouvée respectivement et toutes choses égales d’ailleurs : 5, 15, 2 etl, 72. On voit que cette proportion décroît très-régulièrement quand l’altitude augmente et on explique aisément que Paris puisse fournir le nombre 4.
- Observation sur le phylloxéra ailé. — Jusqu’ici le phylloxéra ailé a été considéré comme une rareté. En prenant 10,000 œufs d’insectes, on en voyait éclore 1 ayant des ailes. M. Cornu, à qui l’on doit déjà tant d’observations sur ce sujet, montre qu’en choisissant les points, on peut sur 50 ou 40 œufs obtenir 50 ou 40 phylloxéra ailés. Pour cela, il faut recueillir les insectes, non pas sur les grosses racines, mais à l’extrémité couverte de nodosités des plus fines radicelles. Ce fait prend une très-grande signification pratique quand on remarque que les vignobles attaqués les premiers sur une région présentent avant tout l’altération des radicelles ; elle est causée évidemment par les insectes qui, grâce à leurs ailes, ont pu parvenir dans le pays. Ces phylloxéra ailés pondent, en général, très-peu d’œufs : trois tout au plus, et ces œufs donnent naissance aux insectes aptères, dont la fécondité est, au contraire, si grande et si désastreuse. Stanislas Meunier.
- L/’ITINÉRAIRE DES GRANDES ÉPIDÉMIES
- La question de la propagation, de l’extension des épidémies est encore, à l’heure qu’il est, vivement controversée.
- Deux opinions sont en présence : les uns pensent que cette propagation est due à l’importation directe par des individus, par des marchandises, en un mot, par des objets contaminés ; les autres, quelle résulte de
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- LA NATURE.
- la marche progressive de l’épidémie, grâce aux transport des principes épidémiques par l’atmosphère, et leur incubation, leur évolution dans les localités favorables à leur développement. Quoi qu’il en soit, si toutes les étapes de l’épidémie sont parfois bien dif-ficiles à retrouver, le fléau paraît par moments procéder par bonds, par sauts brusques pour s’abattre à l'improviste sur des populations qu’il ne semblait pas menacer, il n’en est pas moins vrai que l’on suit très-bien, pour toutes les grandes épidémies de l'é-poque moderne, une route nettement marquée. Que ces épidémies déciment, comme le choléra, les populations humaines, qu’elles ravagent, comme le typhus contagieux des bêtes à cornes, les troupeaux de nos campagnes, c’est de l’Orient, c’est de l’Asie qu'elles s’avancent vers nos contrées occidentales.
- Au sujet du choléra épidémique, nous renverrons le lecteur à un des articles précédemment publiés ; mais nous croyons qu’il est intéressant de rapprocher de ces itinéraires ceux d’un autre fléau également redoutable, dont la marche a été parfaitement étudiée et retracée par M. Reynal dans son Traité de lapolice sanitaire des animaux domestiques 1. Sur une carte très-claire, placée à la fin de cet ouvrage, le savant professeur de l’École d'Allort a indiqué la marche suivie par la peste bovine dans les États de l’Europe centrale à l’époque des neuf grandes épidémies qui ont promené la ruine jusqu’aux rivages de l’Atlantique. Ces invasions, que l’histoire a décrites avec assez de précision, sont celles de 1711, 1740, 1756, 1775, 1815, 1865, 1866, 1867 et 1870-71. Le soin qu’a pris M. Reynal de marquer, outre les chemins de fer, les routes que suivent les bestiaux, les marchés et les lieux de quarantaine, fait mieux comprendre certaines particularités des trajets accomplis par les épidémies.
- Celle de 1711, partie des environs deKorosk, non loin de Pultawa, et en Ukraine, passe par Ékatéri-noslaw, par Kichinev, franchit les Karpathes, arrive à Témesvar, traverse la Hongrie, la Styrie, l'Illyrie, le Tyrol, l’Italie du Nord, passe les Alpes et aboutit à Grenoble, en Dauphiné. Celle de 1740 part, des enviions d'Arad, en Hongrie, traverse la Moravie, la Bohême et, aux alentours de Prague, bifurque ; le fléau, d'une part, continue, traverse la Bavière, le Wurtemberg, la Prusse rhénane, le Luxembourg, pour venir mourir à Metz ; d’autre part, se dirigeant vers le sud, il franchit le Danube, bifurque encore pour aller vers Stuttgart et aller s’éteindre à Strasbourg, tandis que, par une autre route, passant par Munich, il traverse la Suisse et s’avance jusqu’au versant occidental du Jura. Celle de 1756 a son point de départ à Vienne ; elle passe à Prague, à Leipzig, à Cassel, Cologne, Bruxelles et jusqu’en Artois, sans atteindre Lille.
- Toutes ces épidémies cheminent par la voie de terre ; celle de 1775 se propage par mer. On la voit partir de la Haye, franchir le pas de Calais, la Man-
- 1 Paris, P. Asselin, 1873, in-8°.
- che, contourner le Finistère, entrer dans le golfe de Gascogne et débarquer à Bayonne. Les transports maritimes ont souvent ainsi servi à propager la contagion de la peste bovine. L’épidémie de 1815 part de la Poméranie ; elle marche, comme celle de 1870-71, à la suite des armées qui envahissent notre territoire. Elle traverse le Brandebourg, le Hanovre, la Prusse rhénane, passe à Metz, à Reims et parait s’éteindre à Paris. En 1865, le fléau, qui ravagea si cruellement l'Angleterre, s’y trouve importé par plusieurs voies toutes aboutissant à Londres, d’où il se répand ensuite dans le pays. Un tracé part de Revel, en Esthonie, suit la Baltique, passe à Copenhague, franchit le Skager-Rack, et, traversant la mer du Nord, entre dans la Tamise et débarque à Londres. C’est là encore que s’arête un tracé qui part en droite ligne d’Eperlecques, non loin de Lille.
- Un autre part de Rotterdam, un quatrième unit Londres et Paris, un cinquième joint la Hollande à la Belgique. En 1866, nouvelle épidémie, quittant Vienne pour passer par Linz, Munich et aboutir en Suisse à Coire. Celle de 1867 part encore de Vienne, traverse la Bohême, la Bavière, le Wurtemberg et arrive dans le cœur de la Bavière rhénane. Enfin la cruelle épidémie de 1870-71, qui est venue joindre en France ses maux à ceux de la guerre la plus funeste, part de Forbach, passe à Pont-à-Mousson, gagne directement Paris et arrive à Orléans; de là, elle va, à Caen, infecter la Normandie; elle se dirige aussi sur Angers et sur Rennes, portant en Bretagne ses ravages et la ruine.
- Tels sont les différents trajets suivis à diverses époques par le typhus contagieux des bêtes à cornes. Si l’on en vient à les dessiner sur une carted’Europe, ce qui est facile d’après les indications données ci-dessus, l’on s’aperçoit que le choléra et la peste bovine ont progressé le plus souvent sur des routes parallèles ou parfois confondues. Ce fait, d’ailleurs, s’explique aisément quand on songe à la direction des grands courants que suivent les peuples dans leurs relations internationales, relations auxquelles les chemins de fer et les lignes de paquebots ont ajouté, avec une activité nouvelle, des dangers nouveaux au point de vue de la transmission des maladies contagieuses épidémiques. Quant aux mesures prophylactiques et aux moyens de combattre le fléau quand il a éclaté, ils se résument, pour les épizooties, dans l’application énergique et rigoureuse des cordons sanitaires, de Vabatage et de ^isolement; pour les épidémies humaines, dans les quarantaines et l’isolement, assuré par une surveillance active et une re-cherthe minutieuse de tous les cas individuels, fies mesures ont aujourd’hui fait leurs preuves, et c’est aux agglomérations humaines à user strictement, pour étouffer le mal à sa naissance, des moyens puissants et sûrs consacrés par une sérieuse expérience.
- Charles Letort.
- Le Propriétaire-Gérant : G. TISSANDIER.
- PARIS. — IMP. SIMON RAÇON ET COMP., RUE D’EAFURTII, 1.
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- No 19. — 11 OCTOBRE 1875.
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- Lorsque Dupuytren mourut, un des membres de l’Académie de médecine, résumant la vie et les tra
- vaux de ce grand homme, s’écria : « Ainsi a vécu celui qui porta pendant plus de vingt ans, d’une man si ferme, le sceptre de la chirurgie française. »
- Nélaton a ramassé ce sceptre, que la mort avait fait tomber des mains de Dupuytren. Pendant sa
- longue et belle carrière, il a su lui aussi, le tenir haut, grâce au merveilleux ensemble de facultés dont la nature l’avait doué.
- Le chirurgien, pour s’élever au rang des grands maîtres, doit posséder des qualités multiples que l’on rencontre bien rarement dans le même cerveau; il est indispensable que l’anatomie et la physiologie
- lui soient familières, mais il ne lui suffit pas d’être savant, il faut qu’il y ait en lui l’étoffe d’un artiste, afin qu’il sache bien saisir le sens de la forme, comme le sentiment du beau. N’est-il pas appelé à entraver ou à respecter le travail de la nature, que « tantôt il combat, suivant l’expression d’un praticien habile, et tantôt il appelle à son aide, lorsqu’il lui faut conti-
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- nuer l’œuvre de Prométhée sur des statues désormais | animées. » Le chirurgien doit avoir un sang-froid à | toute épreuve, de l’énergie, de l’autorité sur ses sem- i blables. Il doit se montrer tour à tour ingénieux, inventif, adroit et fécond en expédients. C'est principalement à son intention que Franklin a dit : « 11 faut savoir percer avec une scie, et scier avec une vrille. »
- Nélaton réunissait, en son intelligence, ces rares facultés qui, jointes à l’amour du travail, lui permirent d’atteindre le rang des grands hommes, sans que l’éclat de la naissance, ou les avantages de la fortune lui aient prêté le moindre secours aux débuts de sa carrière.
- Il naquit le 17 juin 1807. « On avait remarqué de bonne heure, dit un de ses biographes anonymes, chez l’enfant et chez le jeune homme les qualités les plus heureuses. Il était docile, appliqué, réfléchi ; son intelligence était plus sûre que vive, ses moyens plus solides que brillants. Il se destina, s ms trop d’hésitation, à la carrière de la médecine et ses débuts dans l’école ne semblent avoir présenté rien de particulier. Ses camarades ne voyaient en lui qu’un élève assidu à l’amphithéâtre et à l’hôpital, curieux d’apprendre, intelligent, ingénieux, mais exempt de ces ardeurs fougueuses qui rompent tous les obstacles et qui marquent souvent les débuts des grands caractères. »
- En 1856, Nélaton est reçu docteur en médecine et sa thèse qui avait pour titre : Recherches sur l'affec-tion tuberculeuse des os, produisit une véritable sensation dans le monde médical. Ce travail, essentiellement fondé sur l’anatomie et la clinique, révélait chez son auteur un esprit original, audacieux, fécond. Quelques années après, en 1859, Nélaton est nommé chirurgien des hôpitaux, et agrégé à la Faculté de médecine ; pendant dix ans on le voit sans cesse prendre part à tous les concours ouverts pour le professorat, avec une constance inébranlable et une étonnante ténacité. Le travail semble être sa seule préoccupation, et il acquiert beaucoup de science et beaucoup de pratique dans cette phase de son existence, jusqu’au moment où il est nommé au concours, professeur de clinique chirurgicale en avril 1851.
- Un changement manifeste s’opère alors dans les allures de ce candidat d’hier, aujourd’hui devenu maître ; il se sent à l’aise sur la scène où il a ambitionné depuis longtemps de jouer un rôle. Son esprit d’observation se révèle, sa hardiesse et son jugement se manifestent; il attire à lui la jeunesse, les étudiants, il est entouré d’une assistance nombreuse et renouvelle bientôt le succès des cliniques de Dupuytren. Nous laisserons apprécier le professeur par un de ses amis, qui a su retracer, en un tableau sincère et vivant, les mâles qualités et le mérite de Nélaton:
- « Ce qu’il fut comme professeur de clinique chirurgicale à la Faculté de médecine, dit M. Sappey, un court parallèle nous le dira. Nélaton était élève de Dupuytren. Entre tous ses titres, aucun n’avait plus
- de prix à ses yeux. Depuis le jour où il lui fut donné, pour la première fois, de voir et d'entendre cet homme célèbre jusqu’au moment où une lente agonie est venue le clouer sur son lit de douleur, l’élève a conservé pour le maître une déférence égale à sa vive admiration. Formé à son école, doué des puissantes facultés qui l’avaient illustré, il grandit en quelque sorte à l’ombre et dans le culte de sa mémoire. A trente ans de distance, l’élève était devenu l’émule du maître. Le chirurgien de la Clinique avait pris eu Europe la grande position qu’occupait autrefois le chirurgien de l'Hlôtel-Dieu. Si la loi qui règle nos destinées avait permis alors qu’ils se trouvassent en présence, le maître eût été fier d'un tel successeur; et l’élève, toujours animé des sentiments de sa jeunesse, se fût incliné encore avec le même respect devant celui qu’il considérait comme la personnalité vivante du génie de la chirurgie.
- « Ils se rapprochaient par les grandes qualités qui font l’homme supérieur et le chirurgien éminent, mais différaient, du reste, par tous les autres côtés de leur organisation. L’un et l’autre brillaient par le regard pénétrant qu’ils apportaient dans l’examen des malades, par l’art infini qu’ils mettaient à grouper dans leur enchaînement le plus naturel tous les phénomènes observés, par la lucidité avec laquelle ils précisaient le siège et la nature de la maladie. Celle-ci déterminée, il montraient la même habileté à saisir les indications qu’elle présente, le même talent à les remplir. C’était surtout dans les cas difficiles qu’on aimait à les voir et à les entendre ; déroulant le tableau de la maladie, ilsn’en dissimulaient pas les points obscurs, ils les mettaient, au contraire, en pleine évidence ; puis, par l’interprétation logique des faits, par la comparaison de ceux-ci avec des faits analogues puisés dans les annales de la science ou dans leurs souvenirs, par une savante et lumineuse discussion, ils soulevaient peu à peu le voile sous lequel se cachait la lésion à combattre et finissaient le plus souvent par la montrer dans tout son jour. Qui n’a vu notre éminent collègue aux prises avec une de ces grandes difficultés de la chirurgie, qui n’a assisté à une de ces leçons dans lesquelles il répandait sur son sujet et sur ses auditeurs les vives clartés de son esprit, ne saurait avoir une juste idée du caractère et de l’élévation de son talent. Il apportait dans les opérations une main ferme et sûre, calculant et prévoyant tout d’avance, allant droit à son but, ne se préoccupant que des intérêts du malade. Si l’un de ces accidents que la science la plus consommée ne permet pas de prévoir venait à surgir, avec une admirable présence d’esprit il modifiait à l’instant même tout son plan d’opération, et arrivait à son but, aussi sûrement, aussi rapidement par une route improvisée.
- « Comme professeurs, Dupuytren et Nélaton ont obtenu tous les deux un éclatant succès. Tous deux étaient suivis dans leur clinique par la foule desélèves et des médecins étrangers. De la part de ceux-ci c’était le même empressement, le même dé-
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- sir de les entendre, la même déférence ; et cependant combien les deux maîtres étaient différents ! Dupuy-tren avait une puissante constitution, une belle stature, une physionomie hautaine, le regard sévère. Grave, solennel, imposant, il tenait la foule à distance. Lorsque le moment était venu de prendre la parole, sa voix au début semblait presque éteinte ; ensuite elle s’élevait peu à peu, puis remplissait toute la salle ; il s’animait alors et bientôt, par son élocution claire, facile, abondante et correcte, il s’emparait de 1 esprit de son auditoire, qu’il tenait suspendu à ses lèvres. Nélaton était simple et digne; son attitude, son langage, ses manières, tout en lui exprimait la bienveillance ; les élèves l’entouraient et l'a-bordaient sans crainte; aux réflexious et objections qu on lui soumettait il répondait volontiers, discutait quelquefois et toujours sur le ton de la simplicité et de la plus grande courtoisie. Être utile à ses malades, instruire ses élèves, remplir, en un mot, la haute mission qui lui était confiée, la remplir le mieux possible, telle était sa grande et sa seule préoccupation. Il avait aussi le don de la lucidité, et le don, plus rare, de captiver l’attention de ses auditeurs. Mais il arrivait à ce but, moins peut-être par les formes brillantes du langage que par les développements cliniques dans lesquels il entrait et sur lesquels il savait répandre le plus vif intérêt. Dupuy. tren restera comme le type le plus accompli du professeur, et Nélaton comme le modèle le plus parfait du clinicien1. »
- M. Sappey, comme on Te voit, rend surtout hommage au clinicien ; un autre biographe de Nélaton nous donne sur le praticien quelques intéressants documents.
- «Comme opérateur, dit ce biographe, Nélaton était surprenant, incomparable. Il y a peu d’opérations qu’il n’ait portées à leur perfection : le traitement des polypes naso-pharyngiens, la suture intestinale dans l’établissement d’un anus contre nature, l’opération du bec-de-lièvre, la suture des os, etc., voilà des opérations dont il a, par sa pratique, définitivement constitué le manuel opératoire. Son esprit était plein de ressources : avec un morceau de bois, un fil de fer, des ciseaux, il improvisait un instrument ou un appareil. Par goût, et un peu par vanité, il évitait dans les opérations ce déploiement d’appareils et d'instruments : «je n’aime guère, disait-il, la chi-« rurgie à grand orchestre; » et sa main petite, sèche, velue, aux doigts pointus, mal onglés et au long pouce , semblait jouer avec les difficultés et les obstacles. »
- Son sang-froid égalait sa dextérité. « Quand on a fait un diagnostic correct et que l’on sait où l’on va, disait-il, on ne risque jamais rien. »
- « Si vous avez le malheur, en opérant, de couper la carotide d’un homme, répétait-il quelquefois, rappelez-vous qu’il faut environ 2 minutes pour que
- 1 Gazette hebdomadaire de médecine et de chirurgie 26 septembre 1873.
- la syncope se produise et environ autant de minutes pour que la mort ait lieu. Or, quatre minutes, c’est quatre fois le temps suffisant pour placer une ligature sur le vaisseau pourvu que vous ne vous pressiez pas. » Ne jamais se presser ! telle était la formule de son sang-troid et le secret de sa promptitude opératoire. « Vous allez trop vite, mon ami, disait-il un jour à un de ses aides, nous n’avons pas, vous le savez, de temps à perdre. »
- En 1867, Nélaton donna sa démission de professeur de clinique chirurgicale ; il fut nommé professeur honoraire. L’année précédente, il avait été nommé chirurgien de l’empereur; l’opération qu'il avait réussie sur le jeune prince impérial, en 1865, contribua singulièrement à illustrer son nom. Mais le mérite de cette opération avait été singulièrement exagéré, Nélaton se plaisait à le reconnaître lui-même. Le diagnostic, devenu légendaire, de la blessure de Garibaldi, fut encore, dans la vie de Nélaton, un événement important qui contribua puissamment à le rendre populaire, et qui devint, tant il eut de retentissement, le thème de chansons populaires (1862).
- Nélaton avait été nommé commandeur de la Légion d honneur le 24 janvier 1865; un décret du 14 août 1868 l’éleva à la dignité de sénateur. Ce grand praticien n’a publié que quelques rares ouvrages, dont la plupart sont des œuvres collectives1.
- On lui a reproché de n’avoir pas assez écrit, mais, où et comment en aurait-il trouvé le loisir ? Il se levait souvent à quatre heures du matin pour préparer ses cours, et tous les instants du jour étaient consacrés au travail. Vers la fin de sa belle carrière, il y avait parfois plus de soixante visiteurs qui rem-plissaient son salon à l’heure de la consultation et attendaient avec impatience les oracles du maître. Si Nélaton n’a pas écrit, il a fait faire des progrès importants à la pratique chirurgicale, simplifiant les opérations, perfectionnant les outils et les appareils, transmettant à ses nombreux élèves ses méthodes et ses procédés. — Comme homme, Nélaton était simple, affable et bienveillant; il avait cependant peu d’amis. Sa vie, longtemps prospère, était devenue intolérable depuis quelques années. Une affection organique du cœur condamnait au repos cet esprit si actif, qui n’avait jusque-là connu que le mouvement. Depuis deux mois, la maladie, avait fait de grands progrès. Nélaton ne se dissimula point la gravité de son état; il ne tarda pas à perdre toute illusion, mais n’en eut pas moins l’énergie d’attendre sa fin prochaine avec la résignation des âmes fortes. Après avoir noblement vécu, il sut bien mourir
- 1 Voici l'énumération des principaux écrits de Nélaton : Recherches sur l'affection tuberculeuse des os (thèse, 1837, in-80) ; — Traité des tumeurs de la mamelle (1859, in-8o) ; — de l'Influence de la position dans les maladies chirurgicales (1851) ; — Éléments de pathologie chirurgicale (1844-1860, à vol. in-8o). — Cette dernière œuvre capitale a été faite «avec la collaboration de quelques-uns de ses élèves, qui y ont résumé les principaux points de la pratique et de renseignement du maître,
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- (21 septembre 1873) : son nom ne périra pas, et restera comme une des grandes gloires de la chirurgie française.
- LES PIERRES QUI TOMBENT DU CIEL (Suite. — Voy. p. 87.)
- On a admis, pendant fort longtemps, que les météorites des diverses chutes étaient identiques entre elles, sous tous les rapports, ou au moins fort peu différentes les unes des autres. Cette opinion, pour le dire en passant, a même été fort utile pour amener les savants à reconnaître la réalité du phénomène qui nous occupe : de ce que les pierrres étaient toutes semblables entre elles, on concluait plus aisément que leur origine était commune. Aujourd’hui, au contraire, on a reconnu qu’il existe autant de variétés entre les météorites qu’entre les roches terrestres, et on en est même arrivé à ce point que leurs caractères communs se bornent à fort peu de chose. Ce qui frappe tout d’abord, quand on egarde une série de météorites, c’est l’irrégularité de leur forme extérieure. Leurs angles, sans doute vifs à l’origine, sont émoussés comme par l’effet d’un frottement énergique ou longtemps continué : il suffit, en effet, de les comparer aux blocs de roches terrestres, ayant subi l’exercice d’actions analogues pour reconnaître une identité dans les formes générales. Un second caractère général des météorites est l'existence, à leur surface, d’une écorce noire extrêmement mince et tout à fait caractéristique. Toutefois, elle n’est pas identique chez les diverses météorites. Ordinairement d’un noir mat, elle est, au contraire, très-luisante chez
- certaines pierres que nous citerons tout à l’heure; et même une météorite tombée, en 1843, à Bishop-ville, aux États-Unis, offre une croûte luisante qui est presque blanche. A part ces deux caractères de forme fragmentaire et de surface vernissée, les masses qui tombent du ciel ne nous offrent rien de général à noter ; en les examinant nous verrons surgir entre elles de profondes différences.
- Lorsqu’on passe en revue une collection de ces corps, ce qui attire nécessairement l’attention, c’est l’existence, parmi elles, de masses n’ayant aucuns analogues parmi les roches terrestres : elles sont composées de fer métallique compacte. On les désigne depuis très-longtemps sous le nom de fers mé-téoriques, et, par opposition, d’autres sont appelées pierres météoriques. Entre ces deux termes extrêmes on trouve des masses qui établissent des transitions presque insensibles.
- Ce fait de la présence ou de l’absence du fer métal-lique paraît être le meilleur caractère pour faire les grandes divisions parmi les météorites. Mais, en examinant les choses de plus près, on reconnaît que les pierres absolument dépourvues de ce métal sont extraordinairement rares. La plupart des météorites contiennent à la fois, et, même quand la première apparence ne le ferait pas croire, du fer et de la pierre en proportion d’ailleurs extrêmement variable. Mais la situation relative de ces minéraux est loin d’être toujours la même. Tantôt la pierre est à l’état de grains englobés dans le fer, tantôt, au contraire, le métal est en grenailles disséminées dans la pierre. C’est d’après de pareilles considérations que M. Daubrée a établi chez les météorites les quatre grandes divisions que représente le tableau ci-dessous :
- Ne contenant pas de pierre.. .
- IIOLOSIRÉRES,
- Contenant du fer ) ....
- , ' ( Contenant a la lois
- Météorites. .( I)iela ique. . • du fer et des ma-
- I I tières pierreuses.
- Le fer constituant un réseau où sont englobés des grains pierreux. .
- SïSSlbÈRES.
- Le fer constituant des grenailles disséminées au milieu d’une gangue pierreuse.................
- SPORADOSIDÈRES.
- Ne contenant pas de fer métallique.
- Asidères.
- Les holosidères^ ou fers météoriques, constituent des roches très-singulières, non-seulement si ou les compare aux roches terrestres, mais même si on les compare aux autres météorites. Ils sont formés d’un métal compacte tout à fait pareil, pour l’aspect et les principales propriétés physiques, à l’acier le mieux fabriqué. La chute de ces fers est beaucoup plus rare que celle des météorites des autres groupes. Ainsi, depuis plus de 120 années, on n’a
- observé dans l’Europe entière que quatre chutes d’holosidères, et même l’une de ces chutes est douteuse. Elles ont eu lieu à Hraschina, près d’Agram, en Croatie, le 26 mai 1751 ; à Eaufro-mont, dans les Vosges, en décembre 1842 (c’est celle-ci qui est douteuse); à Braunau, en Bohême, le 14 juillet 1847; enfin à Tabarz, en Thuringe, le 18 octobre 1854. Cette rareté contraste avec le nombre relativement très-grand des chutes de
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- pierres. Pendant ces mêmes 120 ans, qui n’ont fourni que 4 fers, le ciel a laissé tomber sur l’Europe plus de 190 pluies de pierres, dont plusieurs se composaient de milliers de météorites distinctes les unes des autres.
- Quoi qu’il en soit, on connaît, à la surface du globe un nombre considérable de blocs métalliques qui sont évidemment d’origine météorique, quoique leur chute n’ait pas eu de témoins. Malgré cette circonstance, on les reconnaît comme météoriques, avec autant de certitude que si on les avait vus tomber et cela, parce qu’ils présentent toute une série de caractères qu’aucune roche terrestre ne peut nous offrir et qu’on retrouve dans les masses fournies par les chutes observées. Disons un mot des principaux de ces caractères.
- Souvent les fers météoriques sont ductiles et malléables. La collection du Muséum contient plusieurs barreaux forgés avec le métal céleste. Il suit de là
- que certains sauvages utilisent le fer météorique à la fabrication d’ustensiles qu’ils seraient contraints, sans cela, de façonner avec de la pierre, et la collection renferme, par exemple, une petite hachette de ce genre, provenant des Esquimaux. De même, les peuples civilisés utilisent aussi le fer météorique, mais plutôt pour le convertir en objets d’ornement qu’en ustensiles ou en outils. Un des derniers empereurs de Russie avait une épée faite du métal extra-terrestre, et M. Boussingault raconte que Bolivar en avait une de même nature. Parfois cependant le fer météorique est trop cassant pour se prêter aux usages ordinaires de ce métal. C’est, par exemple, ce qui se présenta pour le fer tombé, en 1620, devant D’Gehan Guir, l’empereur du Mogol, qui ne put en obtenir des armes qu'après y avoir fait ajouter une forte proportion de fer doux. La collection du Jardin des plantes, renferme plusieurs fers qui se pulvérisent sous le choc du marteau.
- Fig. 1 — HOLOSIRE découvert à Caille (Alpes-Maritimes), en 1828, et montrant à la fois les figures de Widinannslœtlen et nu rognon eylindroïde du sulfure de fer, appelé troilite. (Grandeur naturelle )
- Quant à la composition des holosidères, elle n’est pas aussi simple qu’on pourrait le croire et contraste avec celle de l’acier. Cependant l’analyse chimique donne des résultats, en général peu compliqués, mais qui, comme on va le voir, ne rendent pas compte de la nature spéciale de chaque fer. Ainsi, M. Rivot, analysant le célèbre fer de Caille, sur lequel nous reviendrons dans un moment, y a trouvé :
- Fer................................... 95,5
- Nickel................................. 6,2
- Silicium............................... 0,9
- Cobalt, chrome...................... traces
- 100.4
- Ces nombres fournissent évidemment des notions très-utiles, mais ces notions sont très-incomplètes. Un coup d’œil suffit, en effet, pour montrer que le fer analysé n’est pas un minéral défini, semblable à lui-même dans toutes ses parties, mais que, comme la plupart des roches, il consiste dans le mélange de plusieurs minéraux différents. Outre le fer nickelé, qui constitue la masse principale, on y voit de gros rognons cylindroïdes, d’une matière spéciale appelée troïlite, que l’on observe très-bien sur notre figure 1, et qui est formée d’un sulfure particulier de
- fer et de nickel. Sous l'influence des agents atmosphériques, ce sulfure, très-attaquable, disparaît peu à peu et laisse vide la place qu’il occupait ; c’est par cela que le gros échantillon de Caille est tout lardé de cavités cylindroïdes, que pendant longtemps on a cru forées artificiellement. Autour de la troïlite on reconnaît des couches concentriques de graphite tout à fait analogue à la mine de plomb et qui pourrait, comme elle, servir à la fabrication des crayons. Enfin, dans certaines régions du fer, on reconnaît des amas d’une matière métallique spéciale, appelée schreibersite, et qui est formée par la combinaison du phosphore avec le fer, le nickel et le magnésium.
- Mais ceci n’est pas encore tout. Le fer nickelé, que nous considérons comme simple, est lui-même très-complexe. Une expérience très-ingénieuse, imaginée par le physicien Widmannstætten, montre qu’il consiste dans l’assemblage de lamelles formées d’alliages définis mais différents les uns des autres.
- Pour faire l’expérience de Widmannstætten, on produit sur un fer une surface plane, puis on la polit avec soin et, cela fait, on la soumet à l’action d un acide, de l’acide chlorhydrique par exemple. Au lieu de s’attaquer uniformément, comme ferait du fer
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- terrestre, le métal céleste laissa apparaître un réseau admirablement dessiné, que l’habile crayon de M. Jahandier a su reproduire figure 1, et qui doit son origine à ce que divers alliages, inégalement attaquables, occupent les uns vis-à-vis des autres des situations très-régulières. En poussant l’attaque à un degré convenable, la surface primitivement lisse du fer se transforme en un véritable cliché d’où l’on peut tirer des épreuves comme d’une planche gravée. Les divers alliages qui sont associés dans la figure de Widmannstætten sont, comme nous l’avons dit, parfaitement définis ; on a pu les isoler, les purifier, les analyser, et c’est alors seulement qu’il a été possible de classer les holosidères, c’est-à-dire de séparer ceux qui sont réellement différents les uns des autres et de rapprocher ceux qui sont analogues. En opérant ainsi, on a vu, par exemple, les 70 chutes de
- fer météorique, que possède le Muséum, se répartir entre 11 types parfaitement définis, dont chacun a pu se présenter à diverses reprises.
- Nous insistons sur cette dernière remarque qui reviendra pour d’autres météorites et qui sera fertile en enseignements. Pour montrer comment des fers de chutes différentes peuvent être rigoureusement identiques, il suffira de dire que précisément les trois plus gros blocs de notre grande collection nationale appartiennent à un morne type. Le moins volumineux, pesant 104 kilogrammes, et remar-quable par sa forme conique, a été découvert au Chili en 1866, par don Lisara Fonseca, propriétaire dans les Andes, qui voyageait dans le but de découvrir des filons métallifères. Il avait avec lui plusieurs mineurs et 25 mules. Après trois mois des recherches les plus pénibles et d’ailleurs compléte-
- Fig 2. — SYSSIDRE dérouvert en 1776, à Krasnojarsk (Sibérie), par le naturaliste russe Pallas Cette météorite consiste en une éponqe de fer métallique englobant de petits cristaux de péridot. On l’appelle souvent fer de Pallas. (Demi-grandeur naturelle )
- ment infructueuses, il ne lui restait plus, le 15 novembre 1866, que 14 mules qui pouvaient à peine marcher, quand, traversant un endroit sablonneux et aride, dans la région laplus élevée des Andes, entre Pœdernal et le Rio Juncal, son attention fut attirée par un gros bloc, qu’il ne se décida à emporter que parce qu’il le crut d’argent natif. Ce n’est qu’à très-grand’ peine qu’il parvint à l’amener à Nantoco, dans la vallée de Copiapo, où l’on reconnut sa véritable nature.
- La seconde masse en poids de fer météorique du Muséum est célèbre dans la science pour avoir été découverte en 1828, par Brard, à la porte de l’église du petit village de Caille (alors Var, aujourd’hui Alpes-Maritimes). On la connaissait, dans le pays, sous le nom de la pierre de fer, et on prétendait qu’elle avait été trouvée 200 ans auparavant sur la montagne voisine d'Audibert, à la suite d'un violent orage. Elle pèse 540 kilogrammes. C’est un petit fragment de ce fer que représente notre figure 1. Enfin la plus grosse de toutes, du poids de 780 kilogrammes, a été rapportée de Charcas, Mexique, en 1866, par l’armée expéditionnaire. Ce fer était
- enchâssé dans le mur de l’église, où on lui vouait, un culte particulier ; les femmes surtout lui étaient dévotes, croyant fermement qu’il pouvait, en échange d’offrandes, les soustraire à l’horreur de la stérilité. Nos soldats ont pris le fétiche, on l’a placé au Muséum sur un socle avec une étiquette, on l’a scié, poli, analysé, — et l’on ne dit pas que le chiffre de la population mexicaine ait sensiblement baissé.
- On a vu, tout à l’heure, que la seconde division des météorites consiste en fer, renfermant çà et là des grains pierreux : ce sont les sysaidères. Or certains fers proprement dits, renfermant à l’état microscopiques des cristaux de nature pierreuse, établissent, entre les deux premières divisions, une transition insensible. Du nombre peut être cité le fer trouvé à Tuczon, au Mexique, en 1846, et qui contient plus de 5 0/0 de petits cristaux de péridot disséminés dans sa masse. Les véritables syssidères sont beaucoup moins nombreux que les fers proprement dits. Pour les étudier, la méthode décrite pour ces derniers est applicable. Leur portion métallique se prête à l’expérience de Widmannstætten, et l’on reconnaît souvent alors qu’elle consiste en
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- divers alliages, qui se sont concrètes autour des grains pierreux. Ce point est très-important, en ce qui concerne l’origine de ces curieuses masses. La nature des grains pierreux est variable suivant les cas et leur étude est très-instructive.
- L’un des syssidères le plus célèbre est celui qu’on appelle le fer de Pallas, et dont la figure 2 donne la représentation. C’est comme une éponge de fer dont les vacuoles sont remplies de cristaux parfaitement nets du minéral appelé péridot. Il fut trouvé, en 1776, par l’illustre naturaliste russe Pallas, à Krasnojarsk, en Sibérie, où l’avait apporté peu de temps avant un cosaque forgeron. Celui-ci l’avait trouvé sur une haute montagne voisine de l'Iénisséi, et son aspect, absolument différent de toutes les roches du pays, avait conduit les habitants à lui attribuer des vertus surnaturelles. La masse pesait 700 kilogrammes, et l’on peut voir, au Muséum, un moulage en carton qui reproduit sa forme originelle; mais elle a été débitée en un nombre immense d’échantillons, répartis entre les diverses collections du monde.
- Parmi les autres masses, faisant partie du groupe des syssidères, nous devons en citer deux dont la nature est particulièrement significative en ce qui concerne l’origine des météorites. L’une d’elles provient du désert d’Atacama, au Chili. A première vue, elle ressemble beaucoup au fer de Pallas, et sa partie métallique est même identique à celle de celui-ci, mais sa portion pierreuse en diffère tout à fait. Au lieu d’être formée par des cristaux de péridot, elle consiste en fragments anguleux d’une roche appelée dunite, et qui se compose de péridot granulaire associé à du fer chromé. La seconde masse vient aussi du Chili, de la cordillère de Deesa, près de Santiago, et présente des caractères tout à fait exceptionnels ; sa portion métallique, quoique de même composition que le fer de Caille, ne donne pas par les acides les figures de Widmannslætten, et sa portion pierreuse consiste en fragments irréguliers d’une roche noire, très-dure et très-complexe elle-même de composition. Le fer de Deesa joue un très-grand rôle dans ce que nous appellerons la géologie des météorites.
- Stanislas Meunier.
- — La suite prochainement. —
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- COSTE
- Coste (Jean-Jacques-Marie-Cyprien-Victor), célèbre naturaliste français, que nous venons de perdre, était originaire du département de l’Hérault. La petite ville de Castries, située au milieu d’un des plus riants cantons des environs de Montpellier l’a vu naître, il y a bientôt 66 ans. Son enfance s’est écoulée dans ce riant et fécond département, véritable jardin delà France méridionale, patrie de Cambon, de Daru, de Cambacérès, de Barthez, de Viennet, de tant d’hommes célèbres dans tous les genres. Dès sa plus
- tendre enfance, Coste donna les signes de cette riche et puissante organisation, qui lui permit d’acquérir sans travail apparent, par une sorte d’intuition artistique, les connaissances les plus ardues. Les séductions de son heureuse nature méridionale lui valurent au sortir du collège, et pendant qu’il était encore sur les bancs de l’École de médecine, l’amitié de Delpech, le restaurateur de la grande chirurgie dans les départements du Midi.
- Ce dernier, qui avait une rare intelligence et un esprit élevé, ne tarda point à apprécier la valeur du concours qu’il pouvait trouver dans cette jeune activité. Il commença par faire de Coste son chef de clinique, puis il l’associa à ses difficiles recherches sur le développement des embryons. On vit deux auteurs, l’un au début de la carrière, l’autre dans tout l’éclat de sa réputation, apporter de Montpellier à l’Académie, au mois de novembre 1851, un Mémoire sur le développement du poulet dans l'œuf. Les auteurs s’étaient mis en mesure de répéter devant l’Académie toutes les expériences qu’ils avaient exécutées dans le fond de leur province. Ils avaient eu l’audace de tenter un véritable tour de force, car ils ne se proposaient rien moins que de présenter en une seule séance des œufs à toutes les périodes de l’incubation. Le succès d’une tentative un peu hors de saison, à une époque où les œufs deviennent rares, ne pouvait être complet. Cependant le rapport de Flourens fut des plus favorables. Ampère loua beaucoup les expérimentateurs d’avoir signalé les analogies remarquables que présentent les phénomènes de l’évolution embryologique pendant les premières périodes, avec les transformations qui s’accomplissent dans les corps inorganiques quand on les soumet à l’action d’un courant voltaïque de longue durée et de faible intensité. C’est à cette époque que M. Becquerel père commençait à publier ces belles recherches, qui ne sont pas encore épuisées, sur l’action de l’électricité dans la production de certaines cristallisations.
- Le choléra, qui devait produire tant de ravages, et s’élever en quelque sorte à la hauteur d’un événement politique, avait envahi l’Angleterre. Le gouvernement de Juillet avait envoyé à Sunderland le célèbre Magendie, Delpech n’hésita pas à prendre volontairement le rôle de commissaire investigateur, accompagné par M. Jules Desfourneaux, qui fit avec générosité les frais de l’expédition, et de son inséparable le docteur Coste, il se rendit en Angleterre pour suivre la piste du mal épouvantable devant lequel chacun fuyait.
- Les trois associés furent reçus avec distinction par le prince de Talleyrand, alors ministre de France auprès de la cour de Saint-James, et ils se rendirent sans perdre de temps à Newcastle, alors le foyer de l'épidémie. Après différentes pérégrinations qu’il serait trop long de raconter, les trois Français tombèrent malades à Masselborough, petite ville des environs d’Edimbourg ; on était alors vers le 10 février. Quoique le jeun: Coste eût été le plus [sérieusement
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- atteint, il parcourut rapidement le reste de l Écosse pendant que ses deux compagnons se repliaient sur Londres, où le choléra venait d’éclater. Ils arrivaient tous trois à Paris avant le 22 mars, jour funeste où les premiers signes de l’invasion furent constatés. Quand la crise éclata, ils étaient donc sur le champ de bataille, prêts à mettre au service de leurs compatriotes le fruit de l’expérience personnelle qu’ils avaient acquise en pays étranger, au péril de leur vie.
- C’est à l'Hôtel-Dieu que le docteur Récamier utilisa leurs avis. Le livre du professeur Delpech, à la rédaction duquel Coste prit une grande part, permet de voir que la maladie avait été très-sûrement diagnostiquée ; on avait nettement reconnu l’existence de la diarrhée prémonitoire, et indiqué pour la com
- battre l'eficacité des boissons opiacées. Il est vrai, l’on émettait quelques doutes sur l’utilité des cordiaux alcooliques que prônait Magendie, et l’on inclinait pour les saignées, d’après le système rival du docteur Brousseau.
- Ces dangers et ces travaux mirent naturellement en évidence le jeune docteur Coste, qui n’eut pas de peine à se faire admettre au Jardin des Plantes en qualité de préparateur des cours d’anatomie. Il assistait à cette étonnante leçon où Cuvier sembla pressentir si nettement la paralysie foudroyante qui vingt-quatre heures plus tard devait le frapper. Il faisait partie du petit nombre d’admirateurs et d’amis qui deux ou trois jours plus tard, reçurent le dernier soupir du législateur de la paléontologie.
- I
- Travaux de M Co-te,
- Epinoche gardant son nid et agitant l'em autour de ses neufs avec ses nageoires.
- Delpech, qui dirigeait un grand établissement d'or-thopédie, et qui était en outre professeur à l’Académie de médecine, ne pouvait rester longtemps éloigné du siège ordinaire de ses travaux et du centre de sa clientèle. Il revint donc .à Montpellier ; ce fut pour se faire assassiner en plein jour par un fou furieux, son ancien pensionnaire, qui lui tira un coup de fusil par la fenêtre d’un hôtel, et qui se brûla la cervelle avant qu’on eût pu le saisir.
- Coste, resté à Paris, continua ses travaux, qui lui valurent la grande médaille d’or de l’Académie des sciences pour l’année 1834. Son maître et ami Delpech lui était associé dans cette belle récompense.
- Une note de Dutrochet, rapporteur d’une des commissions qui ont eu à se prononcer sur la valeur des travaux de Coste et Delpech, permet de juger la nature des obstacles que le jeune expérimentateur rencontra et la flexibilité d’esprit dont il dut faire preuve pour parvenir à les vaincre. « Puisque nous sommes
- amenés à parler ici, dit l’académicien, de notre dernier rapport sur le travail relatif à l’ovologie du lapin, nous croyons devoir présenter une observation que nous ne fîmes point alors. Les travaux de M. Coste furent présentés à l’Académie dans plusieurs communications successives, lesquelles furent toutes renvoyées à la même commission. Les journaux qui rendent un compte habituel des séances de l'Académie donneront au fur et à mesure l’analyse de ces travaux successifs. Or, M. Coste, par notre avis, supprima entièrement son premier travail. Il reconnut qu'il s'était trompé et il accepta la manière dont NOUS DÉVELOPPIONS LES PHÉNOMÈNES QU'IL METTAIT sous nos veux. Mais par un sentiment de bienveillance nous crûmes devoir nous abstenir de parler dans notre rapport des parlies du travail que M. Coste avait retirées, nous eûmes tort ! ! » En effet, les journaux, ces maudits, attribuèrent à toutes les parties du travail de M. Coste, l’approbation que Dutro-
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- chet n’avait accordée qu'à l’ovologie rectifiée de la Brebis.
- Parmi les communications intéressantes de celte période de la vie de Coste, nous devons signaler un examen anatomique des jumeaux de Siam qui, à cette époque, excitaient vivement la curiosité publique. M. Coste pensait alors comme l’on pense aujourd’hui, que la réunion des deux moitiés de cet être complexe, a eu lieu dans les premiers temps de la gros-
- sesse de la mère, cependant, à une époque où les deux embryons avaient déjà une individualité formée, quoiqu’ils n’eussent chacun qu’une taille d’un demi-pouce. Il n’y a donc point confusion de viscères, et la séparation chirurgicale aurait toute chance de réussir. Le mémoire qui avait valu à Coste et à Delpech la médaille d’or de l’Académie des sciences fut augmenté des recherches ultérieures du jeune savant, et publié chez Jean-Baptiste Baillière, sous le
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- Travaux de M. Coste.
- Epinoche faisant son nid, et épinoche aidant la femelle à pondre.
- titre de Recherches sur la génération des mammifères et sur la formation des embryons.
- Coste y expose complètement sa grande découverte, qui consiste dans la formation de l’œuf par l’organe femelle, et par sa fécondation à l’aide des produits de l’organe mâle au-devant desquels il semble lui-même se rendre. • *
- Le succès de cet ouvrage détermina la nomination de Coste à la suppléance de de Blainville, dans la chaire d’anatomie comparée au Muséum. Il tint le cours pendant les années 1856 et 1857, avec un succès qui détermina M. Guizot à créer pour l’auteur, dé
- sormais célèbre, une chaire d’embryologie comparée au Collège de France.
- C’est surtout dans les laboratoires du Collège de France que la réputation de Coste s’épanouit. Son Aquarium devint une des curiosités non seulement du bel établissement de la place Cambrai, mais de Paris même. Une des premières découvertes qu’il y fit obtint un retentissement immense, c’est là qu’il révéla au monde nouveau les mœurs singulières de l’épinoche que ni les rêcheurs ni les poètes n’avaient jamais soupçonnées. Il décrivit ce petit habitant des eaux limpides avec une naïveté et un style émou -
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- vant qu’on rencontre rarement dans les Mémoires de l’Académie des sciences.
- Les planches qui accompagnent ce charmant travail sont dessinées et coloriées avec soin. Elles montrent toutes les phases de ce drame de la vie intime d’animaux qu’on croyait dépourvus de toute intelligence.
- Les poissons réhabilités se montrèrent sous un jour nouveau et vrai; on s’intéressa, on se passionna même pour les péripéties de cette lutte de l’amour paternel contre des ennemis innombrables. Car l'in-dustrieux mâle ne se borne point à construire son nid avec un art admirable; il n’a pas seulement le talent d’attirer la femelle inconstante sous le toit qu’il lui a si laborieusement préparé! c’est lui qui défend les œufs avec un véritable héroïsme pendant tout le temps de la maturation, et qui agile l’eau autour de ces objets si chers afin d’éviter que des byssus ne s’y développent et ne les empêchent d’éclore.
- W. de FONVIELLE.
- — La suite prochainement. —
- LE DÉNOUEMENT
- DE L’HISTOIRE DU POLARIS
- La seconde partie de l’équipage du Polaris qui a été relrouvée dans les mers polaires vient de regagner le rivage de l’Europe.
- Au moment où sévit la tempête du 15 octobre qui sépara du bâtiment 19 matelots du Polaris, la plus grande partie des provisions : viande conservée, pommes de terre, thé, sucre, café, embarcations et jusqu’aux vêtements avaient été débarqués sur le glaçon où comptait se réfugier tout entier l’équipage du malheureux bâtiment à demi défoncé parles icebergs. Par cette nuit obscure, avec ce vent déchaîné et cette neige qui tombait à flots pressés, le Polaris fut emporté à travers une mer relativement ouverte au milieu de blocs énormes qui s’entre-choquaient avec un bruit terrible. Aussitôt que la tem été fut un peu apaisée, les 14 matelots restés à bord explorèrent l’horizon, espérant apercevoir leurs 19 malheureux compagnons qui avaient été entraînés par la bourrasque. Ce fut en vain. A bord du Polaris, la situation était affreuse; un bâtiment qui coulait bas d’eau et qu’on ne pouvait maintenir que par le jeu constant des pompes, peu de vivres, pas de vêtements et très-peu de charbon, c’était une mort certaine et à courte échéance. Il fallut éteindre aussitôt tous les feux, sauf celui de la pompe à vapeur, sans laquelle le bâtiment eût été bientôt rempli. On avait fait déjà du chemin lorsqu’on aperçut la petite île Littleton ; le bâtiment y fut échoué et l’équipage s’empressa de débarquer toutes ses provisions qui, bien ménagées, pouvaient lui assurer une existence de quatre mois. Une hutte fut élevée sur la glace, non sans peine toutefois, car il fallut entraîner les matériaux pendant un quart de mille sur une glace raboteuse, à travers des morceaux de neige. Fort heureusement un petit campement d’Esquimaux n’était pas loin ; ils furent
- aux naufragés d’un grand secours, leur procurant des peaux et des fourrures ainsi qu’une ample provision de foies de morses, préservatif certain contre le scorbut. Une fois que le stock de charbon fut épuisé, et rien n en fut perdu, l’équipage se mit à dépecer la mature du navire, qui s était enfoncé aussitôt que la pompe avait cessé de fonctionner.
- Ce fut pendant une de ces visites au Polaris que le second, Henri Cherter, eut l’idée de construire une embarcation avec les planches légères qui garnissaient les cabines des officiers. Son idée fut approuvée par le reste de l’équipage, mais l’exécution n’en fut pas facile, car il n’y avait à bord qu’un seul charpentier, et les gants et les fourrures dont les mains et le corps des matelots étaient enveloppés rendaient leurs mouvements lents et difficiles. Enfin, à force de travail et de persévérance, deux embarcations furent achevées au commencement de l’été. Ce fut à la fin de juin que l’équipage abandonna le Polaris et la hutte qui leur avait servi de demeure pendant plus de huit mois. Le temps ne les favorisa pas tout d’abord, et pendant une journée ils ne cessèrent d’être couverts par les vagues qui passaient au-dessus de leurs têtes. Vingt jours de suite, ils errèrent sur la mer, ne pouvant faire de feu et mangeant crus les oiseaux qu’ils avaient abattus, se réfugiant toutes les nuits sur un glaçon, n’ayant pour se réchaufter que la chaleur d’une pauvre lampe, et pour reprendre quelques forces qu’une simple tasse de thé par jour. Au bout de ce temps, un bâtiment baleinier, le Ravenscraig, les aperçut et les recueillit à demi morts de froid, de fatigue et de faim ; puis ils furent transbordés sur l Arctique, mieux installé pour recevoir ce surcroît d’équipage, et ne tardèrent pas à débarquer en Irlande.
- Le correspondant du Daily Telegraph, à qui nous empruntons ces détails, ajoute que le médecin de l’expédition, qui a saigné le capitaine Hall, affirme que ce dernier est mort d’apoplexie et non empoisonné, comme on l’avait dit tout d’abord. C’est dans le délire que le malheureux chef de l’expédition aurait proféré cette accusation, que rien n’est venu justifier.
- Le docteur Bessel, malgré tant de mésaventures, rapporte, paraît-il, un grand nombre d’informations curieuses, d’expériences et d’observations intéressantes qui enrichiront certaines branches de la science : la géographie, la physique et la météorologie. Pour la première fois, des observations du pendule ont été faites à la latitude 81038' et les observations astronomiques n’ont pas été interrompues pendant tout le temps que le malheureux équipage cherchait à échapper à sa longue captivité. G. Marcel.
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- LES CRIQUETS DÉVASTATEURS
- (Suite. — Voy. p. 250, 258.)
- Les migrations des criquets ne se produisent pas à des époques fixes et périodiques comme celles des
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- oiseaux. Elles paraissent l’effet d’une véritable volonté, et, suivant l’entomologiste Amyot, qui aimait beaucoup les recherches d’érudition, ce motif les aurait fait ranger par Salomon au nombre des quatre animaux auxquels il accorde la sagesse. Un ancien compilateur d’entomologie, Moufet, que nous citerons plusieurs fois1, en donne, sans y entendre aucunement malice, une autre raison : « Elles (les sauterelles) vivent entre elles avec concorde, sans qu’il soit besoin du secours d’un roi ou d’un empereur. Elles volent même (Salomon, Proverbes, 30) ensemble sans roi, et conservent mutuellement la bonne harmonie. Aussi l’Église a dit : « Tes gardiens seront comme les sauterelles, et tes enfants comme les sauterelles des sauterelles, c'est-à-dire non-seulement grands par le nombre, mais en accord et en confirmation par le consentement des âmes. » Ce qui étonne le plus dans les apparitions des criquets migrateurs, c’est leur nombre incroyable, dépassant tout ce qu’on peut imaginer et justifiant le nom arbeh (multiplication) donné par les Hébreux à la septième plaie d’Égypte (Exode, liv. X). Leurs nuées obscurcissent le ciel dans leur passage, au point, disent certains rapports, qu’on ne pourrait lire dans les maisons. Une multitude de ces insectes, blessés ou tués par la pression, tombent de ces légions sinistres. Nous prendrons quelques exemples aux époques les pl is récentes, garantie d’authenticité. Après sa défaite à Pultawa, et en retraite dans la Bessarabie, l’armée de Charles XII se trouvait dans un défilé, lorsque les hommes et les chevaux furent coniraints de s’arrêter, aveuglés par une grêle vivante sortie d’un nuage épais interceptant le soleil. L’approche des criquets fut annoncée par un sifflement pareil à celui qui précède la tempête, et le bruit des ailes et des corps entre-choqués surpassait celui des flots se brisant sur les rivages. Quelques citations donneront une idée de l’étendue énorme de ces essaims de désolation. Le général Levaillant en a vu à Philippeville un nuage de 3 à 4 myriamètres de longueur former sur le sol, en s’abattant, une couche de 3 centimètres de hauteur. A la fin de 1864, au Sénégal, les plantations de cotonniers furent détruites, et on observa un nuage vivant qui passa du matin au soir; la vitesse lui donnait quinze lieues de longueur, et ce n’était qu’une avant-garde, car au coucher du soleil la portion terminale paraissait sous forme d’un nuage encore plus épais. Le voyageur anglais Barrow rapporte que, dans l’Afrique australe en 1797, ces insectes couvrirent le sol sur une étendue de deux milles carrés, et que, poussés vers la mer par un vent violent, ils formèrent près de la côte un banc de plus d’un mètre de hauteur, sur une longueur de cinquante milles ; puis, lorsque le vent vint à changer, l’odeur de putréfaction se fit sentir à cent cinquante milles de distance. Les famines produites par la voracité des acridiens ne sont pas les seules causes de la mort des hommes et des animaux domestiques ;
- 1 Inxectorum sive minimorum animalium theatrum. — Londres, 1634, p. 123 et suiv.
- il s’y joint souvent une épidémie pestilentielle due aux émanations putrides. Les invasions de criquets sont de vraies calamités nationales. En 1855, la Chine fat ravagée par les acridiens, dont les nuages cachaient le soleil et la lune. Partout où ils s'arrêtaient, les moissons les plus belles et les plus abondantes étaient en un instant dévorées entièrement, et les champs mis à nu ; les récoltes à l’abri dans les granges furent aussi consommées en grande partie. Les habitants terrifiés fuyaient de toute part sur les montagnes. Dans les pays inondés, où il n’y avait pas de récoltes, les acridiens pénétrèrent dans les maisons et détruisirent les vêtements. Les ravages, commencés en avril, continuèrent sans interruption jusqu’à la gelée et à la neige.
- C’est avec l’aide des vents que des insectes médiocrement conformés pour le vol peuvent entreprendre leurs immenses voyages. Ils sont souvent entraînés beaucoup plus loin qu’ils ne veulent et emportés dans la pleine mer. M. Kirby rapporte qu’en 1811 un navire retenu par le calme à 200 milles des îles Canaries, fut tout à coup, après qu’un léger vent de nord-est eut commencé à souffler, c’est-à-dire venant du nord de l’Afrique, enveloppé par un nuage d’acridiens qui, s’abattant sur le navire, couvrirent de leur multitude le pont et les hunes. M. Fischer de Fribourg (Orthoptera Europœa, Leip-sig, 1853) cite le fait suivant. Au mois de septembre, sous 18° latitude nord, dans la mer Atlantique, au milieu de la tempête, de grandes troupes d’acridiens ont été observées pendant deux jours, à 450 milles du continent ; dans l’après-midi du second jour, le ciel fut obscurci par leurs bataillons et comme couvert de nuées, et toutes les pat liés du navire où se trouvaient les observateurs en furent recouvertes ; pendant deux jours une masse considérable de ces insectes morts nagea sur l’Océan.
- La France n’est pas à beaucoup près aussi souvent le théâtre de ces invasions redoutables que les con-tréesplus orientales et plus méridionales de l’Europe. Cependant elles font aussi partie de l’histoire de ses calamités. Voici à ce sujet quelques renseignements anciens puisés dans les récits confus de Moufet. En 181 après J.-C., en Illyrie, Gaule et Italie, pendant la guerre et encore après son apaisement, comme un châtiment supplémentaire aux nations coupables, des sauterelles, en nombre indéfini et plus grandes que les autres, dévastèrent toute la végétation. La France fut, dit-il, misérablement dépeuplée dans les années de l’ère chrétienne 455, 874, 1337, 1553, 1374. Portés par les vents dans la mer et rejetés par le flux sur les rivages, les cadavres des acridiens infectaient l’air, et achevaient par la peste les populations de ces sombres époques, déjà épuisées par la famjine. La France ne fut pas épargnée dans les grandes migrations de 1747, 1748, 1749, qui envahirent l’Europe. Quelques détails précis ont été conservés sur des invasions partielles de la Provence par l’entomologiste Solier. (Ann. Soc. entom. de Fr., Ire série, t. Il, 1833, p.[486). En 1613, Mar-
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- seille dépensa 20,000 francs, et Arles 25,000 fr. de primes payées pour la destruction des acridiens, à raison de 25 centimes par kilogramme d’insectes et 50 par kilogramme d’œufs; dans cette année furent recueillis 122,000 kilogrammes d’orthoptères et 12,200 kilogrammes d’œufs. Le fléau reparut plusieurs fois dans notre siècle. En 1805, une chasse dans la petite commune de Château-Gombert produisit 2,000 kilogrammes d’œufs. Le criquet italique (voir précédemment) fut l’espèce qui produisit cette année le plus de ravages dans les cantons de Saint-Martin, Saint-Servan, Château Gombert, le plan des Caques et les Olives, du territoire de Marseille. C’est la même espèce qui, un peu plus tard, en 1809 et dans les années suivantes , envahit en grandes troupes obscurcissant le soleil les provinces méridio-nalesdu royaume de Naples, surtout la terre d'Otrante et la terre de Bari. En 1820 et 1822, les criquets ravagèrent les territoires d’Arles et des Saintes-Maries ; en 1824, ils reparurent plus nombreux dans les mêmes localités ; la dépense fut de 5,542 francs pour 65,861 kilogrammes aux Saintes-Maries, aux prix indiqués, et 6,600 kilogrammes à Arles. On en remplit dans ces deux localités 1,685 sacs à blé. En 1825, le mal est pire, car les mêmes communes dépensent 6,200 francs, ce qui suppose 82,000 kilogrammes d’insectes. En 1852, soixante et une personnes recueillirent aux Saintes-Maries 1,979 kilogrammes d’œufs et 5,808 en 1855, y compris, il est vrai, le poids de la terre des coques ovigères. Les diverses espèces européennes que nous avons énumérées se partagent les dégâts.
- Pour remédier au mal, on commence la chasse des insectes en mai, et elle a lieu surtout en mai et juin. La plupart des femmes et des enfants des Saintes-Maries, d’Arles, de Saint-Jérôme, etc., y sont occupés une partie de l’été. On se sert d’un drap de toile grossière dont quatre personnes tiennent chacune un bout. Les deux qui marchent en avant font raser le sol par le bord du drap, et les deux qui suivent tiennent élevé le bord postérieur, de manière à ce que le plan de la toile fasse avec l’horizon un angle d’environ 45°. Les insectes, forcés de s’élever pour fuir, sont ainsi recueillis par la toile qui s’avance au-dessus d’eux, et on les jette dans des sacs quand on en a ramassé une certaine quantité. On peut se faire une idée de la quantité prodigieuse de ces insectes quand on saura qu’un paysan en a pris, en un seul jour, jusqu’à 50 kilogrammes, en ne se servant pour cela que d’un filet de toile analogue à celui des entomologistes. On peut évaluer à 1,600 coques à œufs le nombre qui est contenu dans le kilogramme, chaque tube contenant de 50 à 60 œufs; c’est donc environ 80,000 œufs par kilogramme. Un enfant exercé peut en récolter 6 à 7 kilogrammes par jour, et se les procure en piochant près des rocs et dans les parties où la terre a le moins d’épaisseur. On récolte les œufs en août, septembre et surtout octobre. Maurice Girard.
- — La suite prochainement. —
- CARBONISATION ÉPIGÉNIQUE DU DIAMANT
- On croyait avoir épuisé l’histoire chimique du diamant au commencement de 1870, lorsqu’un accident de fabrication arrivé à MM. Laurier, riches joailliers de Marseille, vint ouvrir une nouvelle série de recherches auxquelles personne n’avait songé jusqu’à ce jour.
- La guerre franco-allemande, qui éclata bientôt après, fit perdre de vue à nos savants ces horizons nouveaux et les faits remarquables que nous allons décrire passèrent presque inaperçus en France. Mais les Allemands ne les ont pas laissé perdre, ils s’en sont emparés ; comme par droit de conquête, G. Rose, de Berlin, en fait l’objet d’un long mémoire qu’il publie triomphalement dans le numéro de mars des Annales de Poggendorf, pour 1875. Bon Allemand, ce pirate scientifique ne fait que citer M. Marrons du bout des lèvres, quoiqu’il n’ait rien ajouté d’essentiel à la communication originale qu’on peut lire dans les Comptes rendus de notre Académie des sciences.
- Le seul service rendu par l’auteur allemand, c’est qu’il a accompagné son travail de quelques figures. Nous avons fait copier la plus intéressante d’entre elles.
- MM. Laurier avaient à émailler le support en or de deux diamants d’un grand prix servant de boutons de chemise. Ils crurent que le diamant soustrait à l’influence de l’air et chauffé dans un moufle ne serait point attaqué à la température relativement assez basse, suffisante pour exécuter l’opération de l’émaillage. Quelle ne fut pas leur surprise en s’apercevant que la surface du diamant s’était couverte de taches noirâtres, semblant provenir de ce que le charbon dans lequel il avait été enfermé s’était soudé à la surface ! Passé à la meule, le diamant reprit son éclat primitif. L’altération n’avait été que superficielle.
- M. Marrons, consulté, choisit des diamants de belle eau et de taille régulière, qu’il fit chauffer et qu’il soumit à l’action de l’air pendant un temps très-court. Puis il examina le diamant qui avait subi cette opération avec un microscope grossissant 560 fois.
- Le physicien de Marseille aperçut sur les faces polies de la pierre de nombreuses petites facettes produites par l’apparition de triangles équilatériaux. Ces triangles appartiennent à des octaèdres juxtaposés et orientés avec précision, de manière à envoyer à l’œil le reflet de toutes les faces triangulaires homologues. Lorsque l’action est exercée sur des diamants à facettes courbes, propres à couper le verre, les facettes se réunissent de manière à former de longs filaments affectant la forme de véritables arabesques. En examinant ces filaments avec un pouvoir grossissant considérable, on voit qu’ils sont formés de facettes triangulaires semblables à celles qui se montrent isolées dans les autres parties de la surface. La seule 1 différence est que ces prismes sont fortement serrés
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- les uns contre les autres. Même avec le grossissement ordinaire, il est déjà facile de voir que ces longs prismes sont terminés par des facettes triangulaires équilatérales. On peut comparer cette étonnante propriété à celle qui distingue certaines substances recevant des cicatrices cristallisées quand on les dissout lentement dans l’acide chlor-hydrique. Nous ne nous chargeons point d’expliquer comment il se fait que la combustibilité du diamant offre une régularité si merveilleuse. Mais il nous paraît que cette sorte de décomposition anatomique est de nature à mettre sur la trace de la constitution intime
- Aspect d’un diamant chauflé, vu au microscope sous un grossissement de 560 diamètres.
- (Le diamant est représenté en vraie grandeur dans le cercle noir en haut de la gravure.)
- de la gemme, dont la production naturelle est encore un des plus profonds mystères de la nature. Nous livrons le fait brut tel qu’il a été donné par M. Marrons et tel que G. Rose, de Berlin, l’a, par conséquent, laissé aux méditations des chercheurs.
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- CHRONIQUE
- Pèche de marsouins dans le golfe de Mar-seille. — Les côtes de la Méditerranée voisines de Marseille ont été visitées, le mois dernier, par une prodigieuse quantité de marsouins qui y ont fait leur apparition à la suite d’un violent mistral. Les pêcheurs marseillais ont pu, en manœuvrant habilement leurs barques, rabattreles animaux marins sur le rivage, où l’on en a fait un véritable massacre. De nombreux spectateurs se jetaient sur ces innocentes proies, qui faisaient retentir l’air de gémissements et de cris effroyables. Les marsouins sont les ennemis des pêcheurs, parce qu’ils détruisent les poissons qui fréquentent les côtes, qu’ils les dévorent avec avidité, en faisant ainsi une funeste concurrence à cet autre mangeur qu’on appelle l’homme.
- Revue aérostatique. — Un événement dramatique a mis récemment en émoi la ville de San Francisco. Un aéronaute, M. Gruet-Buislay, en s’élevant de Woodwards-Gardon, alla se buter contre un poteau; son ballon se déchira, mais il n'en continua pas moins à s’élever. Il passa bientôt au-dessus du Long-Bridge, et se mit tout à coup à descendre avec une rapidité vertigineuse. L’aéronaute, à 40 pieds de hauteur, se jeta dans l’eau, et comme il est excellent nageur, il en fut quitte pour un plongeon; il revint sur le rivage du fleuve, aux applaudissements de la oule, vivement émue par cet incident palpitant.
- — Nos lecteurs ont sans doute appris la mort de M. Godard père, âgé de 71 ans : il était le doyen des aéronautes français, et il mérite certainement une page dans l’histoire de l’aérostation. M. Godard a conservé en France la tradition des ballons par ses nombreux voyages aériens, à une époque où les savants ne s’occupaient guère de l’art sublime créé par les Montgolfier. Il a élevé ses fils dans l’amour de l’aéro-station, et MM. Eugène, Jules et Louis Godard, ont suivi l’exemple paternel en popularisant tous les jours, par leurs innombrables ascensions, le goût des voyages atmosphériques.
- — Le ballon captif de Vienne joue de malheur. Après avoir été éventré par une bourrasque, il a été remplacé par un nouvel aéro
- stat, qui n’a même pas pu être gonflé. Le gaz a littéralement filtré à travers son étoffe, et l’aéronaule, pendant le gonflement, s’est trouvé dans la situation critique des Danaïdes. Mais, contrairement aux cinquante filles de Danaüs, c’est lui-même qui a fabriqué tout seul son tonneau sans fond.
- Les animaux utiles. — Plusieurs instituteurs du département de Seine-et-Marne viennent de faire afficher dans leurs écoles une liste des animaux, des oiseaux et des insectes utiles à l’agriculture. Parmi les bestioles recommandées, figurent : la couleuvre et l’orvet, qui détruisent' les limaces, les chenilles et les sauterelles; la taupe, qui se nourrit de vers blancs et de courtilières ; la fauvette et le grimpereau, qui tuent les guêpes et mangent les cloportes; les mésanges, qui dévorent par milliers des moucherons, des cousins et des insectes nuisibles; les chouettes, les étourneaux, les hirondelles, les martinets, etc., etc., qui font une guerre acharnée aux ennemis du laboureur. {Journal officiel.)
- La traversée de l’Atlantique en ballon. — Cette expédition, préparée avec tant de bruit, annoncée au son des trompettes de la réclame, a échoué de la façon la plus piteuse. Le gonflement du ballon de MM. Wise et Donald-son s’est exécuté par un temps magnifique et calme. Mais à peine l’aérostat fut-il plein qu’il se déchira sous la seule action de la pression du gaz. — Son étoffe n’avait aucune consistance et le reste du matériel était digne de l’enveloppe ridiculement mince pour un aérostat de proportion gigantesque. — Avant l'accident, M. Wise avait déclaré que le matériel était insuffisant et qu’il se retirait, ne voulant pas risquer sa vie dans un appareil grossier et mal construit ; M. Donaldson continua le gonflement jusqu’au moment où la déchirure s’ouvrit dans les flancs de l’aérostat, que l’on vit subitement s’affaisser comme une
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- loque de mauvais chiffons. N’avions-nous pas raison de nous tenir sur la réserve en parlant de ce ballon, qui, aussi gros qu’une montagne, n’a même pas accouché d’une souris ?
- Les membres correspondants de l’Association britannique. — Nous donnerons prochainement des détails sur la session de l’Assiocation britannique; mais nous mettons dès à présent sous les yeux de nos lecteurs la liste des membres correspondants que le comité général de l’association scientifique anglaise vient de nommer, et parmi lesquels on remarquera le nom d’un de nos colla, borateurs. Voici quelques uns des savants choisis par le comité : MM. Wurtz, Bergeron (de Lausanne), le professeur Delvague (de Liège), E. Croullebois, W. de Fonvicille, Paul Gervais, Survey (de Washington), von Richter (de Pétersbourg), etc.
- La pêche aux harengs. — Elle donne cette année des résultats magnifiques sur nos rivages. A Boulogne-sur-Mer, quarante-quatre bateaux pécheurs ont débarqué au port plus de sept cents leasts de harengs, soit environ 7 millions de poissons. La pèche aux maquereaux n’est pas moins miraculeuse. Douze ou quinze embarcations remplissent constamment leurs filets, et chaque jour elles rapportent à terre une innombrable quantité de poissons.
- Les récompenses à l'Exposition de Vienne. — Pour les 70,000 objets environ qui figurent à l’Exposition universelle, il n’a pas été distribué moins de 26,002 récompenses, car tel est le chiffre des diplômes d’honneur, des médailles de progrès et de mérite, des’ diplômes de mérite, des médailles de bon goût, d’art et de coopération qui ont été décernées. Ces 26,002 récompenses se décomposent comme suit: 421 diplômes d’honneur, 3,024 médailles de progrès, 10,465 diplômes de mérite, 8,800 médailles de mérite, 8,326 médailles de bon goût, 978 médailles d’art, 1,998 médailles de coopération. Voici le nombre total des récompenses reçues par chaque pays représenté à l'Exposition : Belgique 612, Brésil 202, Chine 128, Danemark 309, Allemagne 5,066, Égypte 75, Angleterre et Colonies 1,156, France 5,142, Grèce 183, Italie 1,908, Japon 217, Madagascar, etc. 10, Maroc, Tunis, Tripoli 20, Mexique 1, Monaco 9, Pays-Bas 284, États-Unis d’Amérique du Nord 411, Autriche (sans la Hongrie) 5,991, Perse 29. Portugal 441, Roumanie 238, Russie 1,018, îles Sandwich 8, Suède et Norwége 434, Suisse 722, Siam I, Espagne 1,157, républiques de l’Amérique centrale et méridionale 44, Turquie 470, Turkestan 1, Hongrie 1,604. (Correspondance Havas.)
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- LE ROYAUME D'ATCHIN
- Le royaume d'Atchin, ou plutôt d’Acheen, sur lequel une expédition malheureuse des Hollandais vient d’attirer l’attention de l’Europe, est situé au nord-ouest de l’île de Sumatra. Sa ville capitale occupe, à deux ou trois milles de la mer, le fond d’une vallée que forment deux rangs de collines en amphithéâtre. La rivière qui la traverse n’est pas large, mais elle se divise en un grand nombre de canaux et se jette à la mer au milieu d’un delta marécageux. « Imaginez-vous, dit un missionnaire français qui explorait le pays à la fin du siècle dernier, imaginez-vous une foret de cocotiers, de bambous, d’ananas,
- de bananiers, au milieu de laquelle passe une assez belle rivière couverte de bateaux, mettez dans cette forêt un nombre incroyable de maisons faites de cannes, de roseaux, d’écorces, et disposez-les de telle manière qu’elles forment tantôt des rues et tantôt des quartiers séparés (Kampongs) ; coupez ces divers quartiers de prairies et de massifs d'arbres fruitiers, et vous vous ferez une idée d’Acheen. » Les choses ont peu changé depuis cette époque, l’aspect du pays et de la ville est toujours le même, quelques constructions nouvelles se sont élevées, mais elles sont toujours de même sorte, et les seuls monuments en pierre que la ville possède sont le palais du sultan, ainsi qu’une citadelle, fondée en 1521 par le sultan Allah Oeddin, qui défend le cours de la rivière avec le concours de quelques bastions, fortins ou kratons armés à l’européenne.
- Le royaume d’Acheen, qui, selon Barros, était une dépendance de l’État de Pedir, au moment où les Portugais débarquèrent à Sumatra, et qui devrait, au contraire, si l’on s’en rapporte au témoignage de certaines chroniques malaises, remonter comme État indépendant jusqu’au treizième siècle, a subi des fortunes diverses et s’est agrandi aux dépens de scs voisins les radjahs de Daya, de Lambri, de Pedir, de Samoudra, de Perlak-Posei et d'Arou. Mais il semble que la souveraineté du sultan sur ces pays soit plutôt nominale qu’effective et certains d’entre eux pourraient bien profiter des circonstances actuelles pour secouer le joug et se déclarer indépendants. La pulation, estimée à plus d’un million d’habitants, parle le haut malais sur la côte et l'atchinais dans l’intérieur du pays. Séparés au sud par une chaîne de montagnes des tribus Battas, qui sont considérées comme aborigènes, les Atchinois n’en diffèrent pas d’une manière sensible; ils sont cependant plus grands, plus vigoureux, plus foncés de peau, plus actifs et plus industrieux que leurs voisins. Ils possèdent plus d’intelligence et de sens commercial, et les industries qui sont en honneur dans les autres parties de l’île ont atteint chez eux la perfection. Ils faisaient autrefois avec les naturels d’une partie de la côte de l'Indoustan, appelée Talinga, un grand commerce d’étoffes épaisses de coton et de soie, et recevaient en échange de l’opium et du fer. Le riz, le poivre et le bétel sont les principales productions du pays qui s’exportent en quantités considérables, ainsi que le bois de sapan, la gutta-percha, les rotins, le benjoin, le camphre, le soufre, tiré d’un volcan du voisinage, l’ivoire qui provient d’une espèce d’éléphants semblable à celle de-Ceylan et la poudre d’or. Certains de ces articles ont vu tour à tour leur production ou la consommation diminuer ; tels sont le camphre et la poudre d’or qui est ramassée dans les montagnes voisines d’Acheen, mais dont la plus grande partie * provient des ports méridionaux de Malaboo et de Soosoo. Si l’on ne connaît de nos jours que d’une façon approximative l’importance des transactions auxquelles donne lieu cette dernière production, on comprend qu’il est imposible de la déterminer
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- dans les siècles passés. On sait cependant qu’au dix-septième siècle, une quantité d’étrangers, Portugais, Hollandais, Danois, Anglais ou Chinois, se réunissaient chaque année à une foire tenue aux portes d'Acheen ; c’était, pendant deux mois, le marché d’or le plus considérable de l’Orient. Depuis cette époque, les renseignements recueillis par les voyageurs sont assez incomplets et souvent contradictoires ; ainsi Crawford, en 1820, estimait l’exportation de l’or à 10,450 onces, tandis que six ans plus tard Anderson l’évaluait à 32,000 onces.
- Marsden, qui a publié à Londres à la fin du siècle dernier une Histoire de Sumatra, nous donne une assez triste idée des mœurs et des habitudes des At-chinois. Suivant l’importance du délit, dit-il, le vol est chez eux puni de la perte d’un doigt ou du poing ; si le vol a été commis sur un grand chemin, le coupable est noyé et son corps est exposé pendant quelques jours ; s’il a été pratiqué aux dépens d’un prêtre (lesAtchinois sont musulmans et fanatiques), le sacrilège est brûlé vif. Tout homme convaincu d’a-dultère est livré à la vindicte des amis du mari outragé, qui se rendent dans une grande plaine, forment un cercle et placent le coupable au milieu. Une sorte de sabre, appelé gadoo-bong, lui est remis et s’il peut rompre le cercle de ceux qui l’entourent et s’enfuir, il échappe à toute poursuite ultérieure; hâtons-nous d’ajouter que le plus souvent c’est le contraire qui arrive et que le malheureux est mis en pièces sans pouvoir se défendre. On aurait tort de conclure de cette excessive sévérité des lois répressives, de la barbarie de cette législation draconienne, ajoute le voyageur, que les Atchinois soient un peuple moral et vertueux. Il n’en est pas, au contraire, de plus vicieux, de plus rapace et de plus sanguinaire. Les Hollandais ont eu souvent maille à partir avec eux, et la dernière expédition n’avait été entreprise que pour mettre fin aux attaques incessantes d’une multitude de pirates et d’écumeurs de mer, quis trouvaient, dans le royaume d’Acheen, un refuge assuré.
- L’expédition hollandaise du 22 mars dernier n’eut pas de grand résultat, mais une nouvelle campagne vient d’être organisée, et il y a lieu d’espérer qu’un des repaires importants des pirates malais sera détruit.
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- ACADÉMIE DES SCIENCES
- Séance du 29 septembre 1873. — Présidence ~de M. BERTAAN.
- Le pouls redoublé. — Le pouls redoublé, que présentent cei tains malades, n’est que l’exagération de l’état physiologique récemment découvert, comme nous l’avons dit, par M. Bouillaud, et en vertu duquel le pouls doit être comparé à un instrument d’hydraulique à quatre temps. Laissant de côté, au moins pour le moment, l’explication de cette faculté nouvelle des artères de posséder un vrai mouvement de systole, l’auteur étudie aujourd’hui les principaux traits des phénomènes qu’il signale. Il montre surtout comment ce phénomène jette du jour sur la varia
- tion que présente la circulation chez les divers sujets où on peut l’étudier. Ces variations, connues depuis longtemps se l’apportent à la vitesse, à la force et au rhythme. — On sait que la vitesse des pulsations est extrêmement différente chez les diverses personnes; mais il y a lieu de remarquer combien ces différences doivent être prises en considération dans le diagnostic des maladies. Par exemple, on peut trouver des malades atteints de fièvre typhoïde et n’offrant cependant que 72 pulsations, c'est-à-dire la vitesse normale moyenne. Or on reconnaît qu’à l’état physiologique, ces sujets ne représentent que 40 pulsations, parfois beaucoup moins, comme ce meunier, cité parM. Bouillaud, et dont le pouls ne battait que 32 fois par minute. — Ces mêmes variations se retrouvent par la force des pulsations, et la cause en est la même que précédemment, c’est-à-dire qu’elle tient à l’hypertrophie des artères. — Enfin, le rhythme offre des modifications qu’on ne peut expliquer sans supposer certaines lésions du système nerveux. M. Bouillaud va même plus loin et admet l’existence d'un centre nerveux spécial affecté à la coordination des mouvements circulatoires.
- Action de la chaleur sur le virus charbonneux. — Pour arriver, d’une manière rationnelle, à un traitement propre à la guérison de la pustule maligne, M. Davaine étudie d'abord l’influence de divers agents sur le virus charbonneux. Il commence par la chaleur et, comme réactif, il emploie un lapin dans les veines duquel il injecte du sang infecté et préalablement additionné d’eau. Après avoir constaté l’action toxique d’une pareille injection, l'auteur soumet le liquide virulent à une température progressivement croissante. A 52 degrés, les propriétés actives de la substance sont absolument anéanties et l’injection peut se faire sans danger. Ce résultat est d’autant plus intéressant qu’il ne se répète ] as à l’égard de certains autres virus analogues. Ainsi le virus septicémique peut être soumis à une ébullition prolongée sans perdre quoi que ce soit de son activité. Quoiqu’il en soit, et pour en revenir au charbon, on voit que la cautérisation peut être remplacée par réchauffement à un degré tout à fait supportable. Ainsi M. Davaine, ayant inoculé le virus dans l’oreille d’un lapin, a pu le détruire en soumettant cette oreille, dans l’eau, à une température de 52 degrés ; mais pour que le succès se produise, il faut que la circulation soit arrêtée dans la partie en trait-ment, car elle s’opposerait à un échauffe-ment suflisant, et dans ce cas on s’expose à voir périr la région privée du liquide nourricier. Peut-être les observations deM. Davaine conduiront-elles à certaines prescriptions dans les cas de rage.
- Le goitre et le sulfate de chaux. — Un régiment arrivant à Saint-Etienne,- 250 hommes sont subitement pris de goitre. Le docteur Bergeret, témoin du fait, l’étudie et arrive à des conséquences extrêmement dignes d’intérêt si elles sont légitimes. Il faut dire que ce praticien a antérieurement étudié le goitre dans sa patrie d’élection, c’est-à-dire en Valais; et il a cru reconnaître que cette cruelle maladie est due à la présence du sulfate de chaux dans les eaux. A Lyon, les eaux sont très-séléniteuses. A Saxon, il y avait beaucoup de goitre tant qu’on puisait l’eau au-dessous d’une certaine couche de gypse; depuis qu’on la prend au-dessus la malalie a disparu. — Ceci étant constaté, revenons à Saint-Etienne : ici pas de plâtre dans l’eau, celle-ci est si pure qu’on peut la comparer à de l’eau distillée. Mais M. Bergeret n’en trouve pas moins la confirmation de son système ; suivant lui, en effet, l’urine des soldats malades renferme une quantité inusitée de sulfate soluble et la proportion d’acide sulfurique suit très-exactement la marche de la matière, croissant et diminuant
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- avec elle. Que conclure de là? D’après l’auteur, que, sous l’influence de la fatigue, les militaires ont fabriqué du sulfate de chaux aux dépens du soufre contenu dans les tissus de leur corps et que, cela fait, ils subissent l’action malfaisante de ce plâtre qu’ils ont fabriqué à si grand’ peine, comme ils subiraient celle de gypse apporté par de l’eau. — Comme on voit, cela est très-joli. Mais M. Larrey déclare avoir maintes fois assisté à ces épidémies de goitre dans l’armée, et cela, non pas sous l’influence de certaines eaux, mais tout simplement sous l’action mécanique d'un col d’uniforme très-dur qui détermine l’inflammation du corps thyroïde. Le général Morin raconte, à son tour, un cas dont il a été à la fois acteur et spectateur et qui confirme pleinement cette conclusion ; de façon que l’épidémie stéphanaise, malgré les savantes théories de M. Bergeret lui-même, ne paraît pas concerner le goitre, proprement dit, mais une affection beaucoup moins grave, que l’on guérit en desserrant sa cravate et que l’on peut désigner sous le nom de thyroïdite. Stanislas Meunier.
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- L’EXPLOITATION DE LA TOURBE
- EN ÉCOSSE, POUR REMPLACER LE CHARBON.
- Les grèves qui ont dernièrement jeté la perturbation dans les mines de charbon de toute l’Angleterre viennent d’avoir pour résultat direct une recherche plus active de la tourbe, combustible abondant sur le sol écossais. Le prix du charbon est doublé depuis un an et l’industrie souffre de la rareté de ce pain quotidien. La tourbe des marais : peat, a été dédaignée jusqu’ici, à cause de sa consistance insuffisante et de son caractère pulvérulent. Celle que l’on extrait en France, dans la vallée de la Somme, est filamenteuse ; elle s’extrait facilement en mottes qui, séchées à l’air libre, sont transformées en briquettes compactes, consommées en partie dans le pays pour différents usages, en partie à Paris pour le chauffage du bitume des trottoirs.
- La nature de la tourbe d’Ecosse ne permet pas un mode d’exploitation aussi simple ; il faut avoir recours à des procédés mécaniques pour transformer cette terre spongieuse en une briquette solide et résistante, d’abord afin de faciliter la manutention préalable et le séchage, et ensuite, dans le but de laisser une libre circulation d’air dans la masse incandescente du foyer. Depuis à peine un an que l’industrie écossaise s’occupe de résoudre ce problème, plusieurs machines ont été inventées. Elles préparent la tourbe, comme les déchets de charbon de terre, qui étaient restés inutilisables avant qu’on les transformat en briquettes. Le système Eichorn, déjà appliqué avec succès en Allemagne et en Suède, où il y a aussi beaucoup de tourbières inexploitées, est celui qui semble être le point de départ de la réforme future de cette industrie. Avec ces machines on obtient des briquettes de différentes formes du poids de 100 à 500 grammes.
- On commence par malaxer la tourbe humide comme une pâte molle, jusqu’à ce que ses divers
- éléments soient bien amalgamés ensemble. L’appa” reil consiste en une hélice tournant dans un cylindre avec une vitesse qui est en rapport avec la résistance de la matière et la densité que l’on veut donner au combustible ; ainsi réduit à l’état de pulpe, il passe, par l’extrémité inférieure du cylindre, dans une ouverture de 0m,12 de diamètre. Le cordon que l’on obtient ainsi est ensuite recoupé comme la terre dans les machines à fabriquer les briques. On obtient ainsi des cylindres, que l’on fait passer dans un tambour agitateur dont l'axe subit une déviation constante ; ceci a pour but de leur donner une forme sphérique bien préférable dans la combustion, parce que l’air passe à travers tous les interstices laissés libres entre les petites boules. La tourbe est ensuite placée surdes planchers mobiles dessiccateurs formés de lattes juxtaposées ; on les dispose sur des voitures spéciales destinées au transport jusqu’à l’endroit où ils doivent être exposés à l’air. En été, il faut seulement trois ou quatre jours de dessiccation. La tourbe préparée par ce procédé ressemble en apparence au charbon de terre et brûle avec une flamme brillante ; le degré de chaleur que l’on obtient est à peu près le même ; la seule différence consiste dans un peu plus de lenteur pour l’allumage.
- On admet que l’appareil d'Eichorn est celui qui réunit les conditions les plus avantageuses pour la fabrication des briquettes. Leur forme globulaire est un grand progrès par rapport à la combustion. Comme la machine se prête à toute compression et à tout modèle des briquettes, il est facile de l'approprier à telle nature de tourbe que l’on exploitera; par conséquent, on n’est pas réduit, comme dans le travail à l’emporte-pièce, à choisir uniquement les couches les plus avantageuses ; en les amalgamant, on aura un combustible de bonne qualité. Il est également facile de régler le degré de compression, suivant la nature de la matière travaillée.
- On s’occupe activement en Ecosse de passer de la théorie à la pratique ; une compagnie vient de se former à cette intention. Les matériaux ne lui manqueront pas, car tous les fonds des vallées en contiennent des amas abondants. Il y a eu récemment à Inverness un meeting où la question a été discutée; une machine a été mise en construction pour faire des essais dans les environs de Nairn. Deux foyers d’expérimentation avaient été allumés ; l’un à la tourbe, l’autre au charbon, avec quantité égale de combustible. La chaleur développée par la tourbe fut aussi intense que celle du charbon de terre. Les gaz du charbon donnèrent une flamme brillante, tandis que, d’autre part, il n’y eût qu’une incandescence uniforme, mais le degré de calorique développé fut équivalent, sinon supérieur.
- J. Girard.
- Inverness, août 1873.
- Le Propriétaire-Gérant : G. TISSANDIER.
- PARIS. — IMF. SIMON RAÇON ET COUP., RUE D’ERFURTU, I.
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- No 20. — 18 OCTOBRE 1873.
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- LE MÉGATHÉRIUM
- DU MUSÉUM D’HISTOIRE NATURELLE.
- Il manquait aux incomparables richesses fossiles du Muséum d’histoire naturelle le squelette complet du Mégathérium, de cet étrange représentant des êtres gigantesques qui peuplaient autrefois la surface de notre globe. Dans tous les musées du monde civilisé on ne comptait que quatre squelettes de ce mammifère, souvent désigné sous le nom d’animal du Paraguay. L’un d’eux existe à Madrid, le second à Londres, le troisième à Buenos-Ayres, et le quatrième enfin, très-incomplet, est conservé à l’Ecole normale de Paris.
- Les galeries d’anatomie comparée, du Jardin des Plantes viennent de s’enrichir d’un magnifique squelette de Mégathérium; il y a plusieurs années déjà que les os du colosse fossile ont été envoyés au Muséum, mais il a fallu les débarrasser complètement du limon durci des pampas qui les couvrait d’une enveloppe épaisse, les classer, les réunir et souder leurs débris, pour ressusciter enfin le squelette primitif. Cette tâche laborieuse et savante est terminée depuis quelques jours. Désormais le nombre des squelettes de Mégathérium, reconstitués, s’élève à cinq, mais le nouvel échantillon du Muséum est le plus remarquable de tous, par son intégrité et par l’admirable état de la conservation des pièces qui le composent. Il est digne de la collection qui brille de
- Crâne du Mégathérium du Jardin des Plantes (d’après une photographie de M, Molloni). (1/10 de grandeur naturelle.)
- l’éclat qu’y ont jeté les Cuvier, les Geoffroy Saint-llilaire et leurs illustres successeurs.
- Le Mégathérium n’a jamais été, en France, l’objet d’une publication détaillée, et les traités de paléontologie de notre pays ne donnent à son égard que des renseignements incomplets et souvent trop sommaires. Les détails que nous publions sur ce curieux animal sont tout à fait nouveaux chez nous : nous espérons qu’ils seront lus avec autant d’intérêt par les géologues et les paléontologistes que par la majorité de nos lecteurs.
- Les restes du Mégathérium se rencontrent assez fréquemment aujourd’hui dans l’Amérique du Sud, dans les pampas de la Confédération argentine, au Paraguay, et principalement sur les larges rives du cours d’eau de ce nom, ainsi que sur celles du Rio de la Plata.
- Le nouveau squelette du Muséum mesure 5,25 de longueur, 21,55 de hauteur et 21,22 de largeur. Nous devons ajouter que ce remarquable squelette, quelque prodigieuses que soient ses
- dimensions, n’appartient pas cependant à un sujet de la plus grande taille. Il est inutile de dire qu’il excède de beaucoup la grandeur des plus énormes éléphants modernes, et qu’il justifie parfaitement l’étymologie de son nom, qui veut dire grand animal.
- Les seuls animaux actuels qui, sous le rapport de leur conformation générale et de leur physionomie, aient une ressemblance manifeste avec le Mégathérium, sont l’aï et l’unau. Quoique ces genres d’animaux, également de l’Amérique méridionale, ne dépassent pas la taille d’un chat, on doit les considérer en quelque sorte comme les représentants du Mégathérium à notre époque.
- L’animal du Paraguay n’était pas autrefois le seul géant de l’ordre des édentés, auquel il appartient : les mylodons, les scélidothériums, les mégalonyx, vivaient jadis dans les mêmes régions que le Mégathérium, et, comme lui, ils ne sont plus représentés que par de chétifs animaux.
- La structure du squelette du Mégathérium offre
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- un grand intérêt ; nous allons examiner rapidement ses caractères principaux. On remarque d’abord que cet animal fossile avait la tête relativement petite, avec des apophyses jugales très-développées, la fosse orbitaire peu étendue indiquant un œil petit. Le bout du museau, un peu proéminent en avant, donne lieu de croire à un rudiment de trompe analogue à celle du tapir ou à celle qui est attribuée au Paléothérium, espèce également fossile. Le cou est très-long et compte sept vertèbres ; le thorax, très-ample, comprend 16 paires de côtes ; les cartilages costaux, extrêmement robustes, sont entièrement ossifiés, comme cela s’observe chez tous les édentés. Le sternum est composé de huit vertèbres à facettes articulées, multiples, très-nettes et fortement accusées pour permettre, entre elles et avec les cartilages costaux correspondants, un jeu très-facile et bien remarquable. La région lombaire est formée de trois vertèbres qui s’enchevêtrent entre elles par le dédoublement de leurs apophyses articulaires, comme cela se remarque encore chez la plupart des édentés. Le sacrum, comme chez tous ces animaux, excepté l'Oryctérum, est soudé et synostosé avec les os iliaques. La queue, composée de 18 vertèbres extrêmement fortes, est pourvue d’os en V d’une dimension extraordinaire. L’omoplate, très-étendue, présente cette particularité, non spéciale au Mégathérium, mais qui n’existe que dans quelques genres de ses congénères, d’avoir l'acromion et l’apophyse coracoïde soudés ensemble et formant une vaste arcade. Les clavicules sont très-fortes et amplement articulées avec le sternum et l’omoplate. L’humérus droit a sa face articulaire supérieure dirigée directement dans l’axe de l’os. Son extrémité inférieure est très-élargie transversalement et montre une fosse olécranienne presque nulle. Le cubitus, pourvu d’un olécrane très-robuste, ne descend pasjusqu’au carpe, et, par conséquent, ne s’articule pas avec lui. Le radius forme à son extrémité supérieure une cupule très-prononcée ; en bas il est très-large, avec des gouttières tendineuses et une apophyse styloïde très-accusées.
- Le carpe comprend 8 os et les doigts de devant, dont les divers rayons ont un jeu articulaire extrêmement restreint, sont au nombre de quatre. L’externe ou petit doigt est atrophié et converti en moignon. Les trois autres sont terminés par des phalanges onguéales énormes, munies de gaines très-vastes et profondes et qui devaient porter des ongles extrêmement grands. L’examen d'ensemble du pied de devant du Mégathérium fait voir que cet animal était littéralement pied-bot, qu’il ne prenait appui que sur l’extrémité du petit doigt, et sur le côté externe de la phalange onguéale du doigt voisin, et que, dans cette disposition, les griffes énormes qui armaient ses doigts complets se trouvaient garanties contre l’usure par l’effet de la marche.
- Passant à la description des membres postérieurs, nous remarquerons que le bassin présente un évasement extraordinaire, dans sa partie iliaque, et qu’il est extrêmement étendu en largeur et en hauteur.
- La symphise pubienne, étroite d’avant en arrière est entièrement soudée; le fémur, extraordinairement massif, est très-court et presque quadrilatère ; la rotule, proportionnellement petite, se place tout à fait sur le côté externe de la trochlée fémorale, qui elle-même est très-peu indiquée. Le tibia et le péroné, entièrement soudés dans leur point de contact ordinaire, ne forment qu’un seul os, très-court et très-volumineux, dans lequel l’existence des deux pièces qui le composent n’est marquée que par un vaste espace interosseux. Le pied de derrière, encore plus dégradé et plus difforme que l’antérieur, montre que le calcanéum, l’os le plus important à considérer dans le pied du Mégathérium, est très-volumineux et prolongé en arrière par une très-longue apophyse qui appuie sur le sol par une large surface. On peut dire, qu'ainsi présenté, le membre postérieur du Mégathérium paraît bien plutôtremplirl'office d’un énorme pilier que celui d’un appareil ambulatoire.
- L’examen d’ensemble du Mégathérium montre, par le développement et la saillie de ses apophyses et par l’aspect rugueux et comme réticulé que l’on remarque à la surface de ses os, que cet animal devait jouir d’une très-grande puissance musculaire. Mais il n’est pas moins évident que ce colosse anéanti, porté sur ses membres difformes, disproportionnés, et convertis en arrière en énormes piliers, ne pouvait avoir aucune agilité et que, n’étant nullement apte à faire beaucoup de chemin, il était sans doute destiné à trouver sans beaucoup se déplacer l’énorme quantité d’aliments qu’il absorbait pour son entretien. Une particularité assez singulière que révèle la constitution du squelette de ce gigantesque animal et qui peut d’abord paraître étrange, c’est qu’il devait avoir la commode faculté de s’accroupir sur son train postérieur à peu près comme un kanguroo. La raison de cette hypothèse, qui d’ailleurs ne paraît faire doute pour personne, est déduite chez le Mégathérium de la concentration évidente de la masse du côté du train postérieur, de la gracilité relative des membres antérieurs comparée au développement exagéré des postérieurs, de l’énorme ampleur du bassin, de la longueur de l’apophyse postérieure du calcanéum et de la puissance considérable de la queue, dispositions qui se trouvent plus ou moins réalisées chez les animaux qui peuvent se tenir debout.
- La description du système dentaire du Mégathérium, qu’à dessein nous n’avons pas traitée avec le squelette, mérite d’être étudiée avec quelques détails. Les dents du Mégathérium, au nombre de cinq à la mâchoire supérieure et de quatre à la mâchoire inférieure, toutes de la sorte des molaires, présentent entre elles une uniformité de structure toute particulière ; elles sont dépourvues d’émail, presque exactement droites, et en même temps d’une seule venue, c’est-à-dire sans aucune trace de distinction entre la couronne et la racine. Leur surface triturante se compose de collines saillantes trausverses, alternant avec des sillons de même forme et de même
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- direction, disposées les unes et les autres de manière à donner lieu dans le rapprochement des mâchoires à un engrènement d’une extrême précision avec les inférieures et les supérieures. Leur extrémité radiculaire montre une vaste cavité qui annonce l’existence d’une pulpe dentaire persistante et, comme conséquence physiologique de cette circonstance, la poussée continue de ces organes ou l’équilibration parfaite entre leur usure et leur accroissement. D’après ces dispositions de l’appareil dentaire du Mégathérium, l’action de couper et de mordre sont si évidentes, qu’on n’hésite pas à admettre que le régime de cet animal était exclusivement de nature végétale. Nous croyons devoir ajouter ici que les édentés, dont le nom générique semble voulo r dire animaux entièrement privés de dents, ne sont réellement qu’en petit nombre dans ce cas. Ceux qui sont dentés n’ont jamais plus de deux sortes de dents, molaires ou canines, mais point d’incisives. Ces organes montrent entre eux une grande uniformité de structure.
- L’époque géologique pendant laquelle vivait le Mégathérium est la formation post-pliocène, la partie la plus superficielle du terrain tertiaire supérieur. C’est, en effet, dans les pampas de l’Amérique du Sud qui se rattachent à cette période et dans les localités que nous avons déjà indiquées, que M. Séguin, chercheur zélé et infatigable, qui a passé plus de dix années à la recherche des ossements fossiles dans ces contrées, a découvert le squelette du Mégathérium que le Muséum possède actuellement. La formation post-pliocène, comme on le sait, a directement précédé la période actuelle ; elle est relativement peu ancienne dans les âges de la terre ; aussi n’a-t-on pas été surpris, dans l’état actuel de la science paléontologique, de voir produire l’affirmation que le Mégathérium, comme tant d’autres espèces anéanties, avait été contemporain de l’homme primitif. M. Séguin a recueilli dans quelques-unes des fouilles qui se sont opérées sous ses yeux des ossements humains enfouis simultanément, selon lui, avec les restes du Mégathérium.
- Quelle a été la cause de l’extinction du gigantesque mammifère dont nous nous occupons, et des autres grands édentés qui vivaient à son époque? Il y a tout lieu de croire qu’une immense inondation ayant subitement noyé tous ces êtres, ils auront été presque immédiatement ensevelis dans des torrents de limon, au milieu desquels leurs squelettes gisent depuis un nombre incalculable de siècles. Cette hypothèse paraît confirmée par l’observation des géologues et des paléontologistes, qui ont remarqué que les ossements du Mégathérium et de ses congénères ne se trouvent que bien rarement épars dans le sol ; habituellement l'individu est découvert tout entier et comme inhumé à la place où il est retrouvé.
- En terminant, nous croyons qu’il n’est pas sans utilité d’exprimer certains regrets au sujet de l’admirable squelette du Muséum. Croira-t-on qu’une pièce d’un si haut intérêt scientifique ne peut pas
- actuellement être placée sous les yeux du public? Les galeries du Jardin des Plantes sont littéralement pleines, et, faute d’emplacement, il faut loger un des plus beaux échantillons de la paléontologie moderne dans un hangar où sa conservation paraît mal assurée.
- LES PLUS GRANDS TÉLESCOPES
- DU MONDE.
- (Suite. — Voy. p. 277.)
- l(. - L.O1D KOSSE EN IRLANDE. - LASSEL A L'ILE DE MALTE.
- Après avoir assisté à la construction du grand télescope récemment installé à Melbourne, il est intéressant pour nous de compléter notre appréciation sur la valeur de cet instrument d’optique et de le comparer aux plus grands appareils analogues qui aient été construits jusqu'à ce jour.
- C’est ici le lieu de rappeler à nos lecteurs la dilfé-rence qui existe entre les télescopes et les lunettes. Tout le monde connaît celles-ci. On sait qu’elles se composent essentiellement d’une lentille de verre, nommée objectif, montée à l’extrémité d’un tube, à l’autre extrémité duquel il y a une autre lentille, plus petite, nommée oculaire. Ce sont là les parties essentielles de toute lunette. L’oculaire se compose, dans les grandes lunettes, non d’une seule lentille mais de plusieurs combinées pour produire le plus grand effet optique ; c’est un petit tube de cuivre, qui se visse à l’extrémité intérieure du tube de la lunette, et s’enlève à volonté pour faire place à un autre, attendu que la lunette est susceptible de recevoir plusieurs oculaires différents, dont les grossissements sont variés. Cette pièce porte le nom d'oculaire parce qu’elle est placée pr' de l’oeil. La grande lentille porte le nom d’objectif parce qu’elle est placée du côté de l’objet à observer.
- Le télescope, bien différent de la lunette, se compose non d’une lentille de verre transparente, mais d’un miroir opaque, lequel, bien entendu, ne peut être placé de la même façon qu’un objectif, car alors il ne servirait à rien, mais est installé à l’extrémité inférieure d’un tube. L’oculaire, par conséquent, devant être comme dans la lunette, au foyer où se forme l’image, ne peut être placé qu’en avant du miroir, à moins que, comme dans le système de Cas-segrain, on ne renvoie l’image vers le grand miroir percé d’une ouverture. Cette ouverture centrale faite au grand miroir n’empêche pas les images de se former complètement et parfaitement.
- Le grossissement normal des lunettes est de 2 fois par millimètre du diamètre du miroir ou de l’objectif. Ainsi une lunette de 0m,ll de diamètre, instrument d’étude ordinaire des astronomes, peut supporter un grossissement normal de 220 fois. C’est-à-dire que l’objet observé est grossi 220 fois en diamètre ou 48,400 fois en surface. C’est comme s’il
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- était rapproché de 220 fois. Ce grossissement n’est pas le plus iort que l’on puisse donner, et j’ai souvent appliqué avec succès, dans des conditions exceptionnelles de transparence atmosphérique et de tranquillité, des grossissements de 260 et 500 fois. Mais l’oculaire normal est 220, et parfois même il faut se contenter de 150 ou 100, quand l'atmosphère n’est pas très-pure. Pour les télescopes, ce grossissement proportionnel est un peu moins élevé.
- D’après cette proportion, le télescope de Melbourne ayant un miroir de 1m,20 devrait pouvoir supporter un grossissement de 2,000 à 2,400 fois. Mais le système Cassegrain, comme nous l’avons dit, fait perdre beaucoup de lumière. Un tel oculaire ne donnerait que des images troubles et diffuses. Toutefois le grossissement maximum de 1,000 indiqué me paraît trop modeste , et si l’instrument fabriqué par M. Grubb est aussi parfait qu’on le dit, il me semble qu’on pourrait l’élever utilement au delà de 1,500. Notre grand télescope Foucault, établi à l’Observatoire de Marseille, et dont le miroir en verre argente est de 0"1,80, supporte facilement un grossissement de 1,000 fois, qui peut, dans certaines circonstances exceptionnelles, être porté à 1,500. Celui de lord Rosse, dont le miroir a lm,85 de diamètre, avec une distance focale de 17 mètres, supporte un grossissement normal de 5,000 fois. On a même pu, dans certaines circonstances, l'élever jusqu’à 4,000, 5,000 et même 6,000, mais certainement en perdant beaucoup de netteté et sans rien gagner, excepté pour des cas très-rares.
- L’instrument de Melbourne n’a pas donné, du reste, les résultats qu’on attendait, après tout le tapage qu’on en a fait surtout. Ce qu’il y a de plus curieux, c’est que, estimé excellent, quand on l’essaya en 1868 en Irlande, il paraît inférieur depuis son installation en Australie, qui eut lieu à la fin de 1869. Peut-être les mi, irs ont-ils un peu perdu de leur poli par suite de l’opération singulière qu’on leur a fait subir : ils avaient reçu une couche de vernis à la gomme, destinée à protéger leur surface pendant la traversée. Pour les nettoyer, à leur arrivée, on les a plongés dans l’alcool méthylique, puis dépouillés dans l'eau. C’était là un traitement un peu rude.
- L’un des premiers usages auxquels on appliqua ce télescope fut de le diriger sur la Lune, ce monde si voisin de nous et si différent, et de faiie la phioto-graphie directe de cet astre. M. Ellery, astronome royal d’Australie, a annoncé, en 1872, à la Société royale de Londres que l’on a obtenu des photographies de la Lune « meilleures qu’aucune de celles dont il avait eu connaissance, dit le journal anglais Nature. Ces images de la Lune ont environ 5 pouces de diamètre, tandis que les précédentes épreuves photographiques du même astre n’avaient que trois quarts ou sept huitièmes de pouces de diamètre, bien qu’on en ait tiré ensuite des agrandissements d’environ 2 pieds. »
- Cette allégation n’est pas tout à fait exacte. Aux
- États-Unis, M. Rutherfurd a obtenu des photographies directes de la Lune de 4 pouces de diamètre, au moyen d’une lunette de 13 pouces anglais (01,55) d’ouverture, achromatisée spécialement pour les rayons chimiques. L’exposition des clichés originaux a varié d’un quart de seconde, dans la pleine Lune, à deux secondes pour le premier ou le dernier quartier. Mais les photographies des États-Unis n’empêchent pas celles d’Australie, et en relevant cette inexactitude, je ne voudrais pas paraître déprécier l’instrument de Melbourne, qui reste, sans contredit, un des plus beaux qui existent.
- Déjà on l’a appliqué à l’observation des lointaines planètes, Uranus et Neptune, mais sans rien découvrir de nouveau. Les étoiles doubles, les nébuleuses ont fait l’objet d’études spéciales, et l’on a cru reconnaître entre autres dans la nébuleuse Ilèta d’Argo des changements qui se seraient produits depuis qu’elle a été décrite, en 1854, par sir John Ilerschel ; mais ces changements ne sont pas certains, car de faibles déformations dans la courbure du miroir peuvent modifier l’aspect d’une nébuleuse. Depuis quatre ans, plus de 60,000 étoiles ont été observées à Melbourne, et le dernier rapport constate que, malgré quelques défauts, le grand télescope rendra d’éminents services à l’astronomie. On avait fondé d’immenses espérances sur cet instrument, et le docteur Robinson, l’un des promoteurs de cette entreprise scientifique, s’écriait en le voyant partir de Liverpool pour l’Australie : « Il est impossible de songer, sans être dominé par l’enthousiasme, au trésor des grandes découvertes qui attendent l’astronome fortuné dont le regard sondera les cieux à travers ce puissant appareil, presque le premier qui soit au monde! » Belles paroles que l’on comprend bien, mais qui tout d’abord ont été singulièrement déçues, attendu que l’astronome de Melbourne auquel il fut confié en 1869 donna sa démission en 1870, par suite de difficultés administratives. Les hommes ne sont pas parfaits ! D’ailleurs il faut bien avouer ici qu’en général ce ne sont pas les instruments qui font les découvertes, mais les astronomes.
- Tel est ce fameux télescope, qui désormais est installé sous le beau ciel d’Australie pour l’étude des univers lointains. Il est intéressant pour nous de lui comparer rapidement les plus grands instruments astronomiques qui existent sur cette planète, de voir à quel point en est actuellement l’optique, et quels progrès nous pouvons espérer faire encore pour nous rapprocher des grandeurs célestes.
- Le plus grand des télescopes construits jusqu’à ce jour est celui qui a été élevé par le célèbre lord ‘ Rosse dans le parc de son château de Parsonstown en Irlande, et qui lui a fait découvrir les merveilleuses nébuleuses en spirales, ces amas de soleils si éloignés de la terre, que leur lumière emploie des millions d’années pour nous arriver. Le tube de ce télescope véritablement colossal a 55 pieds anglais (161,76) de longueur, et pèse 6,604 kilogrammes. Par sa forme, il pourrait être comparé à la cheminée d’un navire à
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- vapeur de proportions énormes ; il est terminé, en bas, par un renflement carré, espèce de boîte qui renferme le miroir, dont le diamètre est de 6 pieds , et le poids de 5,809 kilogrammes, c’est-à-dire près de quatre fois le poids de celui d'Tlerschel. Le poids total de l’appareil est de 10,415 kilogrammes. Ce magnifique instrument, établi sur une espèce de fortification oblongue, d’environ 75] pieds du nord au sud, y est placé entre deux murailles latérales à créneaux, hautes d’une cinquantaine de pieds, qui ont été construites des
- deux colés pour servir de point d’appui au mécanisme destiné à le mouvoir. A ces murailles latérales sont adaptés des escaliers mobiles qui peuvent être amenés à l’ouverture du télescope, quelle que soit la position qu’il prenne. Avec lui, on pénètre dans les profondeurs du ciel les plus incommensurables, au delà de toute distance où l’œil ait jamais pénétré. On s’en est servi pour décrire la forme exacte de nébuleuses qui jusque-là n’avaient présenté que confusion. En ouvrant, en 1855, la session de l'Association britannique, à Glascow, le
- Le grand télescope de Lassel, dans l’ile de Malte.
- duc d'Argyle disait : « Cet instrument, en agrandis-sanl énormément le domaine de l’astronomie, a jeté quelque incertitude sur la généralité des lois qui régissent les corps célestes et fait douter si les nébuleuses spirales obéissent bien réellement à ces lois. »
- « Le télescope de lord Rosse, disait Babinet, ne rendrait pas sans doute visible un éléphant lunaire, mais un troupeau d’animaux analogues aux troupeaux de buffles de l’Amérique serait très-visible. Des troupes qui marcheraient en ordre de bataille y seraient très-perceptibles. Les constructions, non-seulement de nos villes mais encore de monuments égaux aux nôtres, n’échapperaient pas à notre vue. L’Observatoire de Paris, Notre-Dame et le Louvre, s’y distingueraient facilement,
- et encore mieux les objets étendus en longueur, comme les cours de nos rivières, le tracé de nos canaux, de nos rempaits, de nos routes, de nos chemins de fer et enfin de nos plantations régulières. » Ce gigantesque télescope, construit il y a vingt ans, n’a pas encore été dépassé. Il a coûté 500,000 francs à son propriétaire. Depuis la mort de lord Rosse, son fils suit ses nobles traces et consacre la meilleure partie de sa vie à l’étude du ciel.
- Avant la construction de cet immense appareil, le plus grand et le plus fameux avait été celui d'llers-chel, qui avait frappé les imaginations, non en raison des découvertes astronomiques auxquelles il avait donné lieu (ce dont on ne s’occupait qu'accessoire-ment), mais plutôt à cause de ses dimensions énor-
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- mes, qui étaient de 59 pieds 4 pouces anglais (12 mètres) de longuet r, et de 4 pieds 10 ponces ( 1 ,n,47) d’ouverture. De pareilles proportions étaient cependant bien mesquines auprès de celles que lui attribuaient les personnes qui ne l’avaient pas vu. Un matin, le bruit se répandit dans Londres que l’illustre astronome lIerschiel venait de donner un bal dans le tuyau cylindrique de son télescope. Cette fantaisie parut pleine d’originalité, et servit à faire considérer comme véritablement phénoménal l’instrument, que l’on regardait déjà comme un colosse.
- La nouvelle du prétendu bal d'llerschel fut démentie ; il se trouva que l’on avait confondu le célèbre astronome avec un brasseur, et le grand télescope avec un immense tonneau à bière, dans l’intérieur duquel on avait effectivement dansé un quadrille. Quelque désœuvré avait sans doute trouvé piquant de transporter à Slough le lieu de la fête, et de faire danser toute une société dans un tube de fer où un homme de la plus petite taille aurait eu de la peine à se tenir debout. On était si prévenu en faveur du célèbre instrument d’Herschel, que le démenti ne fut pas accepté par tout le monde, et que longtemps après on parlai encore du singulier bal donné par le grand astronome. Ce telescope était de ceux dits à vue de face (front view télescopes). L’image de l’astre venait se peindre sur un miroir concave, situé un peu obliquement au fond du tube, où l’astronome l’observait avec une loupe, ou à la simple vue, en se plaçant à l’extrémité antérieure et en tournant le dos aux objets. Le miroir concave de ce télescope pesait à lui seul plus de 1,000 kilogrammes. Pour faire mouvoir un instrument d’une pareille lourdeur, Hlerschel fut obligé d’imaginer un mécanisme des plus compliqués et se composant de toute une combinaison de mâts, d’échelles, de poulies et de cordages, comme le gréement d’un grand navire de guerre. Ce gigantesque appareil n’avait pas peu contribué à donner au télescope de Slough sa fantastique célébrité.
- Aujourd’hui, cet instrument n’existe plus que comme une relique de famille, pieusement conservée dans le parc. Le 1er janvier 1840, sir John HIerschel, sa femme, leurs enfants, au nombre de sept, quelques anciens serviteurs de la famille se réunirent à Slough. A midi précis, l’assemblée fit plusieurs fois processionnellement le tour du monument, ensuite elle s’introduisit dans le tube du télescope, se plaça sur des banquettes préparées d’avance pour la recevoir et entonna un Requiem en vers anglais, composé par sir John Hlerschel lui-même. Après sa sortie, l’illustre famille se rangea en cercle autour du tuyau, et l’ouverture fut scellée hermétiquement. La journée se termina par une fête intime.
- Ces deux télescopes de lord Rosse et d’Herschel ont été si souvent dessinés, qu’ils doivent être connus de nos lecteurs. Il n’en est pas de même de celui dont nous allons parler.
- Actuellement, l’un des plus grands télescopes
- qui fonctionnent dans les observatoires, est aveç ceux de lord Rosse et de Melbourne, celui de Lassel, dans l’île de Malte, Son diamètre est de 4 pieds anglais, comme celui de Melbourne, auquel il devait d’abord servir de modèle. Il est construit dans le système newtonien et sa longueur est de 10 mètres. L oculaire est placé à l’extrémité supérieure du tube, qu'il traverse perpendiculairement, pour viser le petit miroir plan, incliné à 45 degrés, sur lequel viennent converger les rayons lumineux réfléchis par le grand miroir placé au bas du tube. L’astronome est donc obligé de s’élever jusqu’à la hauteur de l’oculaire, et pour cela on a construit une véritable tour, qui glisse le long d’un chemin de fer autour du télescope; elle est à plusieurs étages, et l’astronome se place sur un balcon mobile qui peut monter et descendre suivant les hauteurs nécessaires à l’observation, et se rapprocher du centre suivant l’inclinaison du télescope. Comme les vagues d’air qui traversent constamment l’atmosphère dans tous les sens, surtout verticalement après les journées chaudes, en léchant les murs des édifices, sont très-nuisibles à la netteté des images, quand le grossissement employé est très-fort, on cherche à les éviter autant que possible en installant les grands instruments en plein air. C’est ce qui arrive pour celui-ci, qui n’a même pas pour le soutenir les murs épais que lord Rosse a donnés au sien. On retire le miroir du fond du tube quand on ne s’en sert plus. A cause des leviers et de la tour, cet instrument ne peut pas être dirigé vers tous les points du ciel. Les grossissements applicables à ce télescope varient de 500 à 1,500. C’est à l’aide de cet instrument que M. Lassel a découvert le satellite de Neptune, ainsi que le 1er et le 2e d'Uranus, avec un oculaire grossissant 1,660 fois. Le savant astronome l’a construit à ses propres frais : il lui revient à 72,000 francs. Le miroir est en métal et le tube est établi à jour dans sa partie supérieure, comme on le voit sur notre gravure. ' Camille Flammarion.
- — La suite prochainement. —
- LA FLORE CARBONIFÈRE
- DU DÉPARTEMENT DE LA LOIRE.
- Un savant distingué, M. Grand’Eury, a fait de la flore des terrains houillers supérieurs, et notamment de ceux du bassin de Saint-Etienne, l’objet d’une nouvelle et importante étude dont les résultats, communiqués d’abord à l’Académie des sciences, ont été succinctement exposés par M. Ad. Brongniart dans un travail du plus haut intérêt1.
- Le paysage qui accompagne notre texte a été composé par M. A. Tissandier, d’après les dessins originaux de M. Grand’Eury. Les proportions, le port et
- 1 Annales des sciences naturelles ; Botanique ; 5e série t. XVI.
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- la station de ces plantes y ont été rigoureusement observés; ce dessin donne, par conséquent, une idée très-exacte de la flore houillère du bassin de Saint-Étienne. Le diagramme au trait est destiné à montrer la partie souterraine des végétaux et à en indiquer en même temps les dimensions exactes.
- Le caractère essentiel de cette flore ancienne, celui qui contribue le plus à la physionomie particulière du paysage, est la prépondérance des cryptogames vasculaires qui comprennent les fougères, les lyco-podiacées, les équisétacées.
- Les fougères constituaient la famille la plus nombreuse en espèces, dont un grand nombre avaient des dimensions énormes. Ce que nous voyons ordinairement des Nevropteris et des Odonto-pteris, ne sont que les dernières divisions de feuilles qui avaient jusqu’à 5 à 6 mètres de longueur; M. Grand’Eury a trouvé des fructifications d'Odon-topteris qui permettent de ranger ce genre et le genre Nevropteris, qui en est très-voisin, dans la tribu des Marattiées.
- Les Lepidodendrons, qui sont des Lycopodiacées arborescentes, manquent presque complètement à Saint-Étienne ; ils se trouvent beaucoup plus fréquemment dans les terrains houillers anciens ou moyens. Les Équisétacées, au contraire, occupent une part très-importante dans le terrain houiller du bassin de Saint-Etienne et dans la flore primitive en général. Aujourd’hui cette famille n’est plus représentée que par un seul genre composé de végétaux de petite taille connus sous le nom de prêles qui croissent dans les terrains marécageux.
- Un regard sur notre gravure, dont la moitié gauche est exclusivement composée de ces prêles gigantesques, suffit pour montrer au lecteur combien ces plantes étaient variées et à quel développement elles atteignaient à cette époque. Tous ces végétaux se reconnaissent à leurs tiges marquées d’articulations dont les intervalles sont sillonnés de stries parallèles. Les travaux de M. Grand’Eury ont conduit ce savant à y établir une division entre les vraies Calamites et les Calamodendrées. Il a suivi les Calamites dans tout leur développement; elles ont des rhizomes rampants, articulés, ou des bases de tiges dressées donnant naissance à des racines et produisant des bourgeons souterrains comme nos Equisétacées actuels (voy. la gravure au trait). Les tiges des Calamités sont droites et le plus souvent simples, mais quelquefois ramifiées, comme dans les Calamites ra-mosus, dont les branches se terminent par de petits rameaux qui n’ont souvent que quelques millimètres de diamètre. Les Calamites paraissent avoir été des plantes herbacées fistuleuses et se rapprochaient, par conséquent, de nos prêles, malgré leurs dimensions ; elles s’en distinguaient pourtant par l’absence de gaines et de toute espèce d’organes appendiculaires.
- Les Calamodendrées sont des Equisétacées arborescentes, dont les rameaux et les jeunes tiges portent des feuilles verticillées et dont les tiges renfer
- ment un cylindre ligneux entourant une large moelle. Elles renferment deux genres distincts : les Cala-modendrons et les Arthropitys. Sous le nom provisoire de Calamophyllites, M. Grand’Eury entend des tiges portant des feuilles longues et étroites, verticillées, dressées, souvent appliquées contre la tige et qui paraissent être identiques avec les anciens Aste-rophyllites. Les Dicotylédonées gymnospermes (Conifères et Cycadées) paraissent avoir formé la plus grande partie des végétaux terrestres et ont beaucoup contribué à la formation de la houille. Le Flabellaria brassifolia, qu’on avait pris autrefois pour un palmier, est devenu le type du genre Cordaïtes, à côté duquel vient se placer le genre Noggerathia. Ces derniers sont rares dans le bassin de Saint-Étienne ; mais les Cordaïtes y sont très-abondants et très-variés ; ils ont des feuilles sessiles, rétrécies à la base et ressemblent aux Daunnara de la végétation actuelle par leurs organes végétatifs, et, par leurs fructifications, aux Taxinées; les rameaux sont très-divisés et forment des embranchements successifs à divisions alternes dressées ou étalées. Les arbres qui se trouvent à la droite de la gravure peuvent donner une bonne idée du port de ces végétaux. Ils avaient souvent 20 à 30 mètres et plus d’élévation ; le tronc était droit et nu, la couronne très-ramifiée et les branches se terminaient chacune par un bouquet de longues feuilles comme celles des Yucca; ou, dans d’autres cas, plus courtes, elliptiques, comme celles des Daunnara.
- Les Sigilluria, qui paraissent devoir se classer parmi les Dicotylédonées gymnospermes, à côté des Cycadées, avec leurs racines connues sous le nom de Stigucaria, sont également assez fréquents à Saint-Etienne. M. Grand’Eury divise le système stéphanais en divers étages établis sur des différences notables de flore et de végétation; dans les couches inférieures, ce sont les Cordaïtes qui prédominent; dans les couches moyennes, les fougères sont les végétaux les plus abondants et les plus variés ; les Calamites, les Calamodendrons, les Annularia caractérisent plus particulièrement l’étage supérieur. Grâce à ses persévérantes recherches, de véritables richesses fossiles sont sorties des bassins houillers de Saint-Étienne, et la science de la flore antédiluvienne s’est accrue de documents nouveaux, que nous sommes heureux de faire connaître à nos lecteurs.
- L’époque houillère, à laquelle correspondent les dépôts immenses de charbon qui sont devenus pour l’industrie moderne une nécessité et une source, pour ainsi dire, intarissable de richesses, présente un intérêt non moins grand pour celui qui veut étudier la nature des végétaux de celte époque et qui les compare à ceux qui couvrent aujourd’hui la surface du globe.
- La flore de l’époque, houillère remonte, en effet, jusqu’à l’origine du règne végétal; les végétaux dont on trouve les restes dans les terrains de transition qui précèdent les terrains houillers sont peu nombreux et ne diffèrent guère des végétaux de l’époque
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- houillère; ceux-ci peuvent donc être considérés comme la végétation primitive.
- Au commencement, les terres émergées nourrissaient un certain nombre de plantes ; cette végétation, faible et peu nombreuse d’abord, a augmenté progressivement et n’a atteint son maximum de développement que vers la lin de l'époque houillère, où nous la trouvons représentée par des forêts immenses qui couvraient une bonne partie de la surface des terres émergées.
- M. Élie de Beaumont a calculé la quantité de carbone que produisent annuellement nos forêts actuelles ; d’après ces calculs , il ne pourrait se former sur l’étendue des dépôts houillers que 0,016 de ce combustible en un siècle. Dumont a compté à Liège 85 couches de houille, dont quelques-unes ont 2 mètres et au delà d’épaisseur ; admettons, pour ces couches, une épaisseur moyenne de 0,60 : nous aurons un dépôt pour la formation duquel il aurait fallu à peu près 300,000 ans de nos forêts.
- Un premier examen de cette llore si ancienne nous met en présence de deux faits d’une importance capitale : malgré la différence qui existe entre ces végétaux anciens et ceux qui couvrent actuellement notre globe, les lois générales d’organisation végétale n'ont nullement changé et les formes qu’on y rencontre se rattachent plus ou moins directement à quelques-unes des formes qui existent encore de nos jours.
- La flore houillère né-
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- cessitait un climat chaud et des conditions de température et d’humidité uniformes; la proportion considérable d’acide carbonique dont l’atmosphère était chargée peut expliquer en partie la force et l’exubérance de cette végétation, dont le principal effet consistait à fixer une grande quantité de carbone en purifiant l’atmosphère.
- On a reconnu parmi les formations carbonifères anciennes trois positions géologiques différentes auxquelles correspondent trois flores qui présentent des différences très-prononcées. Les terrains houillers les plus anciens de France sont ceux de l’Ouest, compris dans les départements de Maine-et-Loire et de la Loire-Inférieure. Ceux des départements du Nord, qui paraissent être contemporains de ceux de la Belgique, de l’Angleterre et de la plupart de ceux de l’Allemagne, viennent ensuite. Enfin ceux qui entourent le plateau central de France sont les plus récents.
- Les admirables travaux que nous venons de passer en revue jettent un jour nouveau sur l’histoire des plantes fossiles des houillères, en même temps qu’ils apportent au penseur et au philosophe de nouveaux sujets de méditations sur les évolutions du globe terrestre.
- Comme l’a dit l’illustre Cuvier, « si l’on met de l’intérêt à suivie dans l’enfance de notre espèce les traces presque effacées de tant de nations éteintes, comment n’en mettrait-on pas aussi à rechercher dans les ténèbres de l’enfance de la terre les traces de révo-
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- Recon-tilution de la flore honilleie du hassn de Saint-Etienne (d après les découvertes ce N. Grand Eury)
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- LA NATURE.
- lutions antérieures à l’existence de toutes les nations? Nous admirons la force par laquelle l’esprit humain a mesuré les mouvements du globe, que la nature semblait avoir pour jamais soustraits à notre vue ; le génie et la science ont franchi les limites du temps ! »
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- LES CRIQUETS DÉVASTATEURS
- (Suite et tin. — Voy. page 250, 258, 298.)
- Notre colonie algérienne est véritablement une des contrées où les acridiens méritent le nom biblique de plaies, tant leurs apparitions y sont calamiteuses. L’espèce principale, cause du mal, est VAcridiumpe-regrinum, vulgairement sauterelle volante^ voyageuse d'Afrique. Devant ses apparitions maudites on néglige, comme insignifiants, les méfaits du criquet migrateur et du criquet italique, que possède aussi l’Algérie. Au dire des Arabes, le pays est ravagé à fond en moyenne tous les vingt-cinq ans, sans compter les dégâts partiels. Dans ce siècle, une première grande invasion eut lieu en 181 G, et la famine et la peste en furent la conséquence. En 1845, l’Algérie fut de nouveau éprouvée en entier par le fléau des acridiens, et le mal se prolongea pendant quatre ans ; cette invasion eut peu de retentissement, étouffée sous les faits de guerre de cette époque, et surtout parce que les cultures des Européens étant encore peu développées et n’occupant que des étendues restreintes de territoire, les plaintes furent minimes. Il n’en fut pas de même en 1866 ; la pacification était depuis longtemps complète, et les efforts des colons avaient voulu répondre par une démonstration palpable aux détracteurs de laculture algérienne. La terre était revêtue de la plus splendide parure quand les essaims faméliques, sortis du Sahara, vinrent de nouveau envahir toute la colonie, et les désastres méritèrent le nom de calamité publique qui leur est donné dans le rapport du Comité central de souscription, présidé par le maréchal Canrobert (Moniteur du 6 juillet 1866). L’invasion commença au mois d’avril ; les criquets, sortis des gorges et des vallées du sud, s’abattirent d'abord sur la Mitidja et le Sahel d’Alger ; la lumière du soleil était interceptée par leurs nuées ; les colzas, les blés, les orges, les avoines furent dévorés, et les insectes dévastateurs pénétrèrent même dans les maisons, déchiquetant les habits et le linge. Les Arabes tentaient d’empêcher par de grands feux et d’épaisses fumées la descente des essaims affamés. A la fin de juin, les larves sorties des œufs, mourant de faim en raison de la déprédation précédente, comblaient les sources, les canaux, les ruisseaux. L’armée, par corvées de plusieurs milliers d’hommes, réunit ses efforts à ceux des colons et des indigènes pour enfouir les cadavres amoncelés, mais avec peu de succès devant le nombre immense des criquets. Les moyens les plus efficaces pour détruire la fatale engeance sont les suivants : ramasser avec de grands
- filets traînants les insectes vivants, surtout le matin où ils sont encore engourdis, et le soir où ils commencent à dormir, les mettre en sacs et les enterrer profondément ou dans des bains de chaux ; c’est la chaux qui sauva en 1845 la belle commune d’Hussein-Dey. Le feu est aussi un puissant auxiliaire. En 1866, le garde champêtre d’Hussein-Dey, nommé Fontanille, garantit comme il suit les beaux jardins de cette localité : disposant de soldats, il recherchait les bandes de jeunes criquets encore aptères, et les dirigeait vers des massifs préparés de chaumes et de broussailles, et, lorsqu’il en avait amené ainsi des masses considérables, il mettait le feu. A l’Alma, où convergeaient de nombreuses et grandes bandes de larves qui longeaient la rivière, on avait découpé le terrain en grands fossés, plus larges au fond qu’à l’entrée, et des hommes, munis de balais, y amenaient les bandes d’insectes qu’on ensevelissait sous les déblais. Il faut avoir soin de ramasser, de mettre en tas et de brûler ou enterrer les cadavres des criquets, de peur d’infection. Enfin le meilleur procédé de destruction est de s’attaquer aux glèbes d’œufs. On retourne à la charrue ou à la herse les terres meubles où les femelles aiment à pondre ; la plupart des œufs périssent par l’effet seul du soleil qui les dessèche. En outre, on peut facilement les faire ramasser à la main, ou employer, pour fouiller les terres vagues, de jeunes porcs très-friands des œufs ; enfin les oiseaux deviennent d’un secours efficace une fois les œufs mis à découvert. Un certain nombre d’animaux sont, en effet, les auxiliaires de l’homme dans la chasse aux sauterelles, et il est urgent de s’opposer àleur destruction en Algérie. Ce sont les musaraignes et les hérissons, les corbeaux, les étourneaux, la huppe, le rollier, le martin roselin, le martin triste, etc. ; puis les couleuvres, lézards et crapauds.
- Ce qui a manqué, principalement en Algérie, en 1866, ce ne sont pas les moyens défensifs, mais l’absence d’entente et de direction générale. On parviendra à agir avec quelque efficacité contre ces insectes quand il y aura corvée universelle, obligatoire contre eux, et surtout surveillance exacte. C’est également le seul moyen en France de diminuer les ravages des hannetons, en obligeant tous les propriétaires à la chasse des adultes avant la ponte. Il faudrait une police rurale, bien organisée et nulle en pratique jusqu’à présent.
- Revenons à l’Algérie. En 1866, les provinces d’Oran et de Constantine furent envahies presque en même temps. Le sol était jonché de criquets à Tlemcen, où, de mémoire d’homme, ils n’avaient paru. Ils attaquèrent à Sidi-Bel-Abbès, à Sidi-Brahim, àMosta-ganem, les tabacs, les vignes, les figuiers, les oliviers même, malgré leur amer feuillage ; à Bélizane et à l’Habra, les cotonniers. Les mandibules des criquets entament même les feuilles épaisses de l’aloès et les tiges épineuses des cactus. La route de 80 kilomètres, de Mascara à Mostaganem, était couverte de cadavres d’acridiens sur tout son parcours. On les rencontra dans la province de Constantine, du
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- Sahara à la mer et de Bougie à la Galle, dévastant les environs de Batna, Sétif, Constantine, Guelma, Bone, Philippeville. De même qu’en 1845, le fléau continua les années suivantes, et produisit sur le territoire arabe une désolante famine, aidée, il faut le dire, par un mauvais système de propriété et de culture et le fatalisme musulman. On se souvient de l’angoisse pénible, de la stupeur' profonde, que produisit en France la lamentable lettre de l’archevêque d’Alger, si dignement évangélique.
- Les criquets ont reparu en Algérie cette année même, mais, je l’espère, partiellement. Il est dit, dans une lettre datée du 25 mai 1875, qu’à Magenta, province d’Oran, des volées d’acridiens signalées depuis plusieurs jours sont venues s’abattre dans la vallée de Sidi-Ali-Ben-Youl. Pendant deux jours les habitants ont fait des efforts pour éloigner le fléau de leurs riches récoltes. Ils parvinrent, la première journée, à faire partir les bandes vers l’ouest et à arrêter momentanément l’invasion ; mais le lendemain tout fut inutile. Des masses jaunes et noires, malgré une ligne de feux établie sur plusieurs kilomètres de largeur, tombèrent sur la vallée et les environs, et en couvrirent une étendue de près de 200 hectares. Dans la matinée du 28 plusieurs champs de pommes de terre étaient littéralement couverts de criquets accouplés, qui n’ont pas laissé une feuille de verdure; les blés et les orges ont aussi été maltraités.
- Malgré le travail opiniâtre des colons et des indigènes des douars, on n’a pu réussir à éloigner ces insectes malfaisants. Le moment de la ponte étant arrivé, ces masses innombrables vont rester dans la contrée, et celle-ci, la plus riche de la province, deviendra fatalement le nid d’éclosion des criquets. Devant l’impossibilité matérielle d'arrêter le fléau, tous les moyens connus ont été mis en pratique pour le diminuer, et la destruction des sauterelles a commencé sur une immense échelle. Des escadrons de cavalerie, des détachements d’infanterie, auxquels sont venus se joindre colons et indigènes, concourent à l’œuvre de destruction. D’énormes quantités ont été écrasées par les pieds des chevaux des cavaliers, assommées, brûlées sur les broussailles au moyen d’arrosage de pétrole, et, à la fin, ramassées par sacs et jetées au feu. Les quantités détruites se comptent par mètres cubes ; mais qu’est-ce que cela ? Un verre d’eau enlevé à la mer !
- Les moyens employés dans tous les temps et par tous les peuples à l’égard des criquets dévastateurs sont analogues à ceux dont nous venons de parler pour la France et l’Algérie. Moufet rapporte, d’après Pline, Valeriola et Peucer, qu’il y a plusieurs méthodes pour détruire les œufs. Au début du printemps, on dérive des torrents sur les lieux où sont les œufs, afin qu’ils humectent toute la superficie delà terre, ou au moins la plus grande partie. Si cela ne peut se faire en raison de la position du lieu ou de sa pente, on fait fouler la terre par les pieds d’une multitude d’hommes, de sorte qu’il ne reste aucun
- endroit qui soit plus profond ou plus élevé que les autres. Si les pieds ne suffisent pas, il faut se servir de la claie, du râteau, du rouleau de campagne, afin de broyer les nids plus facilement et de mieux aplanir le sol. Il est utile d’employer en grand nombre les chars de guerre, car leur passage et la rotation-répétée de leurs roues écrasent plus promptement les œufs. On doit recommander l’usage de la charrue qui retourne les terres fouillées par les sauterelles et coupe les glèbes d’œufs. Pline rapporte qu’il était passé en loi dans le pays de Cyrène de combattre les criquets de trois manières : enfouir les œufs, détruire les larves, tuer les adultes, et que si quelqu’un manquait à ce devoir, il était frappé de peines. Les habitants de Magnésie et d’Éphèse marchaient contre les sauterelles en ordre militaire. Dans l’ile deLemnos, chaque citoyen était tenu d’apporter chaque jour au magistrat une certaine mesure de sauterelles. Ces insulaires, ainsi que les Thessa-liens et les Illyriens, nourrissaient aux frais publics des mouettes, oiseaux envoyés jadis par Jupiter, touché des prières des hommes accablés par les ravages des acridiens. Ces mouettes détruisaient et les criquets et leur funeste postérité.
- Moufet parle également de l’usage où l’on est, à l’apparition des nuages de désastre, d’épouvanter les acridiens adultes par le bruit des cloches, des trompettes, des cymbales, et les détonations du canon, afin de détourner leurs cohortes. Il en est qui pensent, ajoute-t-il, qu elles peuvent être mises en fuite par les clameurs d’une grande multitude d’hommes, comme si elles entendaient ces horribles cris, croyance que Moufet trouve absurde, fort à tort, car les insectes ont l’ouïe très-fine. Certains creusent dans les prés des fosses profondes où ils font tomber les sauterelles, terrifiées par des crécelles qui ébranlent l’air, et, quand elles y sont accumulées, on les enfouit subitement sous de la terre ou sous des décombres qu’on y jette, de manière à les tuer.
- A côté de ces méthodes rationnelles et d’une efficacité partielle, on ne doit pas s’étonner si la superstition et l’ignorance ont préconisé autrefois une foule d’autres recettes, ou inapplicables, ou insuffisantes, ou ridicules. On recommande d’arroser les moissons et les herbes avec des décoctions de plantes amères, de coloquinte, d’absinthe, de noyer. On croyait que les criquets traversent sans s’abattre les pays où des chauves-souris ont été attachées au haut des arbres. Denys d’Utique et Cassius Geoponica affirment qu’en semant de la moutarde dans les vignes, cette plante éloigne les criquets par son odeur âcre. Le conseil est donné de laisser putréfier les amas de sauterelles mortes, afin d’éloigner les vivantes par les émanations empestées, idée aussi bizarre que dangereuse. Aristote assure que l’odeur du soufre, de la corne de cerf et du styrax brûlés chassent les sauterelles. Palladius, dans les Préceptes de Démocrite, écrit gravement que les sauterelles ne causeront aucun mal aux herbes et aux arbres si on suit le procédé que voici : on expose à l’air un vase
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- LA NATURE.
- contenant de l’eau, avec plusieurs crabes fluviatiles ou marins, de sorte qu’il y ait évaporation au soleil pendant dix jours, puis on frotte de cette eau, pendant huit jours, tout ce qu’on veut préserver. Ar-noldus dit qu’on peut écarter les sauterelles par la fumée de la bouse de vache brûlée ou de la corne gauche calcinée. Pourquoi exclure superstitieusement la droite, demande le bon Noufet, car la raison et la nature nous montrent que les choses de droite sont préférables à celles de gauche? Bornons là ces citations dont l’énoncé laisse une triste impression dans sa forme parfois burlesque. Le peu d’efficacité des ressources humaines contre les fléaux suggère ces conceptions étranges, ces chimères destinées à calmer la peur, à reculer l’échéance du désespoir.
- Maurice Girard.
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- LES CYCLONES
- (Suite et fin. — Voy. p. 247 et 267.)
- LA LOI DES TEMPÊTES.
- Le navigateur, dès qu’il est entré dans une des régions du globe où apparaissent les cyclones, doit redoubler d’attention dans l'observation des signes météorologiques et surtout dans celle du baromètre.
- Ces régions sont aujoud'hui bien connues et on connaît aussi les limites des époques pendant les-qnelles les cyclones sont à craindre.
- Dans la zone intertropicale la pression atmosphérique est soumise à des variations diurnes, d’une régularité telle, qu’elles pourraient presque servir à indiquer l’heure, de sorte qu’au moindre dérangement de cette marche uniforme, il faut être sur ses gardes. Les ouragans sont annoncés par une rapide succession de hausses ou de baisses légères. Une hausse marquée, de quelque durée, précède ensuite la baisse progressive du niveau du mercure, qui avertit qu’on est entré dans le cercle de la tempête.
- L’apparition de nombreux cirrus qui se dissolvent et donnent au ciel une couleur laiteuse doit éveiller l’attention dans toutes les régions. Il y a ensuite dans chacune d’elles des pronostics particuliers, qu’on trouve réunies en tableau dans les Guides spéciaux 1. Un des plus fréquents est la teinte rouge cuivré des nuages. Toute houle qui ne correspond pas au vent régnant doit donner l’éveil.
- Plusieurs ouvrages ont donné, dès le commencement du siècle, des indications sur lestempêtes dans lesquelles le vent a un mouvement rotatoire. Les Observations sur les vents et les moussons, que pu-
- 1 Guide du marin sur la loi des tempêtes, par Pidding-ton, traduit par M. Chardonne.au. Paris, Mallet-Bachelier, 1853. —• Étude sur les ouragans de l'hémisphère austral, par M. Bridet, capitaine du port à Saint-Denis (Réunion). — Guide des ouragans, par M. Roux, capitaine de frégate. Paris, A. Bertrand, 1872.
- blia Capper, en 1801, étaient surtout remarquables. Mais, en 1834 seulement, le physicien américain Redfield définit, avec une précision scientifique, la nature et la marche des cyclones, d’après de nombreuses séries d’observations. Il montra que la rotation de la grande masse d’air qui constitue ces météores a lieu en sens inverse dans les deux hémisphères, qu’elle s’effectue constamment de l’ouest .à l’est, en passant par le sud, ou en sens inverse du mouvement des aiguilles d’une montre dans l’hémisphère boréal, de l’ouest à l’est, en passant par le nord, c’est-à-dire dans le sens du mouvement des ai-guilles, dans l’hémisphère austral.
- Il fut établi aussi que la translation normale des cyclones a lieu de chaque côté de l’équateur, où ils prennent naissance en général, suivant une parabole qui a pour axe un parallèle, et dont la convexité est tournée du côté de l’ouest. En moyenne, le sommet est situé sur le parallèle de 30° dans l’hémisphère Nord, et sur celui de 26° dans l’hémisphère Sud. La seconde branche de la courbe a fréquemment une plus grande étendue que la première.
- Le diamètre des cyclones, la vitesse de rotation et leur vitesse de translation sont très-différents. D’après les données les plus générales, le diamètre serait ordinairement, au début, d’environ 200 kilomètres; il grandit en arrivant aux hautes latitudes et peut atteindre 1,500 kilomètres. M. Relier1, indique 15 à 45 kilomètres à l’heure, pour la vitesse de translation. Selon M. Bridet, elle ne serait que de 4 kilomètres près de l’équateur et s’élèverait progressivement jusqu’à 25 kilomètres. On a constaté à l’équateur des cyclones stationnaires. Dans les mers de Chine, les typhons subissent des influences locales si fortes que la forme de leurs trajectoires diffère beaucoup de celle que nous avons indiquée, et on constate fréquemment que ces météores s’approchent de l’équateur au lieu de s'en éloigner. Les observations d’un savant officier hollandais, M. Andrau, ont montré que, dans les hautes latitudes, la portion du tourbillon tournée vers l’équateur atteint seule la surface terrestre ; ce qui tiendrait à ce que l’axe de rotation conserve son parallélisme.
- On a vu, dans la relation du cyclone de VArna-zone, qu’au centre se trouve un espace caractérisé par le calme et la baisse la plus forte du baromètre. Le niveau du mercure descend rarement aussi bas qu’il est descendu dans cette tempête, mais souvent il arrive à 710 millimètres environ. Autour de ce calme central, où la surface de l’eau est soulevée par une sorte d’aspiration, le vent, dans son mouvement circulaire et sa plus grande intensité, soulève une mer affreuse. M. Roux désigne plus particulièrement ce premier circuit sous le nom de zone de l’ouragan. Elle est enveloppée par une zone où le vent souffle en tempête et au dehors de laquelle se trouve la zone des grandes brises et des rafales.
- 1 Des Ouragans, tornados, typhons et tempêtes, par Kel-1er, ingénieur-hydrographe [Annales maritimes, 1847).
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- LA NATURE.
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- La distinction la plus importante est celle des deux moitiés du disque situées de part et d’autre de la trajectoire. L’une prend le nom de demi-cercle dangereux, parce que la vitesse du vent y est la somme des vitesses de rotation et de translation, et l’autre celui de demi-cercle maniable, les mêmes vitesses se retranchant l’une de l’autre, et le vent y étant par suite relativement modéré.
- Toutes les descriptions des cyclones s’accordent à signaler les environs du centre comme présentant les plus grands dangers, surtout à cause de l’énorme clapotis engendré dans la mer par le choc des vagues s’élevant confusément et retombant sur elles-mêmes. Ces mouvements produisent les lames sourdes, si dangereuses, que tous les marins connaissent.
- Il faut donc éviter le centre à tout prix ; c’est la tâche principale que le capitaine doit se proposer dans les manœuvres à combiner pour lutter avec succès contre l’ouragan. Quelle est la position de ce centre? La réponse découle de la nature même du cercle : on trouve toujours le centre sur la droite de l’observateur qui fait face au vent qui souffle, et à 90° de la direction de ce vent. Des « roses de tempêtes » tracées sur delà corne transparente, peuvent aider dans cette recherche ; chaque exemplaire du Guide de Piddington en renferme une dans la pochette de sa couverture. Les noms des rumbs de vent inscrits tout autour des cercles concentriques sont utiles pour la solution de la question qui se pose en second lieu : le navire est-il placé sur la route du centre, à droite où à gauche de cette route? Supposons-nous dans l’hémisphère nord et voyons comment, lorsque le cyclone avance, les vents doivent varier dans chaque cas. On reconnaîtra ensuite, inversement, la position du navire d’après la variation du vent.
- Sur la ligne de translation, le navire ressentira un vent soufflant dans une direction constante, mais augmentant toujours de force à mesure que le centre se rapprochera ; il entrera ensuite dans le calme central, et en sortant du périmètre de ce calme trompeur, il se trouvera sous l’étreinte d’un vent de direction opposée à celui de la première phase et tout d’abord d’une violence extrême.
- A gauche de la ligne du centre, c’est-à-dire du côté maniable, le navire parcourra une courbe plus ou moins étendue et la direction du vent variera de droite à gauche. Du côté dangereux, à droite de la ligne du centre, la direction du vent variera au contraire de gauche à droite. On voit donc que la position du navire peut se déduire aisément de la variation du vent observée avec soin.
- Nous avons donné la courbe barométrique relevée à bord de l'Amazone, qui a passé par le centre. Naturellement, quand le navire ne parcourt qu’une corde, la courbe des pressions a une forme semblable; seulement le minimum est situé moins bas. M. Bridet adonné un tableau déduit de l’observation d’un grand nombre de cyclones, à l’aide duquel on
- peut déduire approximativement la distance du centre de la hauteur- barométrique observée.
- Nous nous supposerons toujours dans l’hémisphère boréal ; pour que nos indications puissent s’appliquer à l’hémisphère austral, il suffit de prendre les dénominations inverses. Considérons d’abord un navire qui se reconnaît placé à gauche de la ligne de translation, côté maniable. Il fuira perpendiculairement à cette ligne et aura d’abord vent arrière, puis grand largue (recevant le vent par la hanche) et enfin vent de travers. Après avoir baissé, le baromètre remontera. Pour ne plus perdre de chemin, le . capitaine peut mettre alors à la cape (sous petite voile au plus près du vent), jusqu’à ce que le cyclone ait entièrement passé. Un navire, de faible tonnage, se voit quelquefois obligé de prendre la cape avant d’être arrivé bien loin, pour ne pas s’exposer à recevoir de très-fortes lames par l’arrière. Cette cape doit être celle qui est désignée par le nom de bâbord amures1, où le navire prend le vent par la gauche, en regardant l’avant ; les changements du vent le laissent toujours dans la voile, et on évite ainsi les sautes dangereuses, qui la masquent ou la frappent par devant. Il y a des capitaines qui ont constamment couru vent arrière après être entré dans le cyclone, et leur navire a ainsi avancé avec lui, en tournant en cercle. Piddington cite le Charles Heddle, qui a fait trois tours avant de sortir du disque de tempête.
- Prenons maintenant un navire situé du côté droit de la trajectoire, ou côté dangereux. On voit tout de suite que le vent arrière, ou le largue, jetterait ce navire vers le centre. La seule route à faire est celle qui s’approche le plus de la perpendiculaire à la course du cyclone, et il faudra prendre tribord amures, porter le plus de voiles possible, enfin mettre à la cape quand on y sera forcé par la violence du vent. Avec les amures à bâbord on risque encore de tomber au centre, et avec la succession des vents de gauche à droite, on risque de masquer, tandis qu’avec les amures à tribord, les vents, quoique plus violents que dans le demi-cercle maniable, donnent toujours dans les voiles.
- Reste le cas du navire placé sur la ligne de translation. Il exige évidemment le vent arrière, qui transportera le navire dans le cercle maniable où il fera les manœuvres déjà recommandées.
- M. Bridet consacre un chapitre intéressant de son ouvrage à la manière d’utiliser un cyclone pour faire la route qui conduit à destination. Un navire, par exemple, part de l’île de la Réunion, pour se rendre dans l’Inde, et fait route au N.-E. autant que possible. Supposons-le sous l’influence d’un cyclone débutant généralement par des vents sud-est avec baisse de baromètre. Un capitaine inexpérimenté, sollicité par le vent favorable, poursuivrait cette
- 1 On appelle amures les cordages servant à assujellir du côté de l’avant du navire le point ou l’angle de la voile, pour la disposer de manière à ce que la surface intérieure soit frappée par le veut lorsqu’il est oblique à la route,
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- LA NATURE.
- route, qui le jetterait vers le centre de l’ouragan et l’exposerait aux plus grands dangers. Il faut immédiatement la changer avant que le baromètre atteigne 755mm. Selon la règle modifiée pour l’hémisphère Sud, il faudrait mettre à la cape bâbord amures et attendre ainsi que le cyclone ait passé. Mais on peut aussi passer hardiment en avant du météore, pour atteindre le cercle maniable de l’autre côté de la ligne de translation.
- Supposons, le vent étant au S.-E., direction moyenne des alizés, que le navire se trouve en B, avec le baromètre à 755mm et toutes les apparences de l’approche d’un cyclone. Le tableau qui donne les distances du centre, pour les hauteurs du baromètre, indique 157 milles, ce qui donne encore 21 heures avant la rencontre. Mettons-nous dans les circonstances les plus défavorables : la distance n’est que
- Tracé montrant la marche d’un navire évitant un cyclone.
- de 150 milles et le répit de 11 heures seulement. Supposons de plus la vitesse de translation de 12 milles au lieu de 8, la moyenne ordinaire. Le capitaine aura néanmoins encore le temps suffisant pour couper en avant du cyclone. Pour cela le navire B marchera vent arrière au N.-O.; six heures après il aura parcouru 60 milles au moins et sera parvenu en C, après avoir franchi la ligne de translation. Le centre aura marché, pendant ce temps, jusqu’en P et ne se trouvera plus qu’à 60 milles du navire. Celui-ci aura en C du vent de sud et avancera jusqu’en D, où le centre R ne sera plus qu’à 50 milles. Le baromètre aura baissé de 755mm à 740mm, les rafales auront augmenté de violence ; mais dès lors les dangers les plus redoutables sont franchis. En D on a du vent S.-O. et on peut reprendre la route primitive. Comme le vent est très-favorable, le chemin perdu en courant au N.-Oi sera promptement regagné.
- M. Bridet montre aussi qu’un navire revenant de l’Inde à la Réunion peut, en présence d’un cyclone, faire une manœuvre analogue. Entre les mois de juin et d’octobre, on rencontre assez fréquemment, près du cap de Bonne-Espérance, des cyclones qui arrivent dans cette région en parcourant la seconde branche de leur trajectoire. On peut les utiliser souvent pour
- faire route vers la Réunion. Dans le retour en Europe, il est aussi très-avantageux, pour doubler le cap, de passer résolùment devant le tourbillon.
- F. ZURCHER.
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- CHRONIQUE
- Ascension du ballon « le Jean Bart. » — Samedi, 4 octobre, MM. Albert et Gaston Tissandier ont exécuté un nouveau voyage aérien, dont nos lecteurs trouveront le récit dans notre prochain numéro. Ils se sont élevés de l’usine à gaz de la Villette, accompagnés de M. Paul Henry, astronome, du peintre M. Bonnat, et d’un autre voyageur. La descente a eu lieu à Crouy-sur-Ource dans des conditions exceptionnelles, bien faites pour rassurer ceux qui prétendent encore que les voyages aériens sont dangereux.
- Découvertes d'objets de l’ge de pierre. — On trouve en ce moment, dit le Journal de Genève, près de Luscherz (non loin de Cerlier auprès du lac de Bienne), par suite de l’abaissement des eaux amené par la correction des eaux du Jura, des haches de pierre, les unes avec un manche en corne de cerf, les autres en néphrite ; des aiguilles de corne, des objets de toilette consistant surtout en dents percées, etc.; outre ces objets fabriqués, on rencontre aussi en grande quantité des bois du cerf géant, de l’élan et d’autres animaux à cornes qui n’existent plus; des crânes de castor, etc. M. Jenner, de Berne, rassemble tous ces objets et les fait nettoyer avec le plus grand soin pour les installer plus tard dans le musée archéologique.
- Le fer en Amérique. — On estime que le dixième de la population entière des Etats-Unis vit aux dépens des manufactures et de la production du fer. La valeur du métal fabriqué annuellement est de 900 millions de dollars ; 940,000 hommes sont employés dans cette industrie et la moyenne des gages qui leur sont alloués atteint 600 millions de dollars.
- Une nouvelle mine de corindon, en Pennsyl-vanie. — Près d’Unionville, dans le comté de Chester, en Pennsylvanie, on a découvert une mine de corindon que les propriétaires ont commencé à exploiter et à préparer pour les besoins du marché. Pour ce dernier sujet, ils ont monté une machine appropriée pour réduire le corindon en poudre à différents degrés de finesse. Réduit à cet état, le corindon prend une jolie couleur blanche et est très-net. La mine présente l’aspect d’un lit presque vertical de corindon bien disposé pour que l’exploitation ne soit pas trop difficile. Une profonde excavation laisse voir une gorge de près de 5 mètres de largeur qui disparait à l’est et à l’ouest, sous la couche de gravier et d’argile qui surmonte le corindon sur les côtés de la mine. La crête du lit, duquel on extrait le corindon à l’aide de la poudre, à environ 1m,70 d’épaisseur. Il est naturellement impossible d’évaluer l’étendue de la couche. Elle s’étend probablement sur toute la largeur de la colline et elle peut atteindre quelques centaines de pieds de profondeur. Le professeur Garth a récemment visité cette mine et celle de la Caroline du Nord; il doit bientôt faire un rapport intéressant à ce sujet.
- Congrès des météorologistes à l’Exposition de Vienne. — Le premier des Congrès universels de la
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- LA NATURE.
- Cl co
- météorologie, convoqué à Ostende par l’illustre Maury, n’aurait point eu lieu, si la France n’avait secondé la grande initiative du grand Américain. Nous avons le regret de dire que nous ne pourrons nous vanter d’avoir contribué au succès de celui qui s’est ouvert à Vienne le 2 septembre, car de toutes les puissances civilisées, y compris la Chine et le Japon, la France est la seule qui ne se soit pas fait représenter. Malgré cette abstention, le Congrès a décidé que le compte rendu des séances serait publié en français aussi bien qu’en allemand. Il est probable qu’une édition anglaise sera également faite, mais ce sera aux frais du gouvernement britannique, et par les soins deM. Scots Russel, directeur du service météorologique qui était son représentant. Une résolution de la plus haute importance a été adoptée. Le Congrès a décidé que l’on choisirait une heure relative au méridien de Greenwich, pour organiser des observations instantanées dans tous les observatoires météorologiques du globe. Celte heure sera probablement 9 heures du matin, qui répondra à une heure de la soirée à New York et à une heure avancée de la nuit à San Francisco. Grâce à cette sage détermination, nous serons à même d’avoir un tableau de l’état du globe au même moment physique, élément inestimable pour servir de base à toutes les comparaisons.
- M. Donati, qui représentait le gouvernement italien, s’est fait remarquer par son zèle à défendre cette utile proposition, dont mieux que personne il pouvait apprécier l’importance, car il venait de publier son grand mémoire fondamental sur la météorologie cosmique dans le premier volume des annales de l’Observatoire d'Arcetti. Mais se sentant pris soudainement d’indisposition, il fut obligé de quitter Vienne avant la clôture de la session, à laquelle il avait pris une part si active lors de scs débuts. C’était le 12 septembre qu’il expirait à Florence dans les bras de quelques serviteurs et de quelques amis. Une question qui avait été soumise au Congrès n’a point été résolue comme offrant trop de difficultés. Il s’agissait de déterminer la place que les thermomètres doivent occuper afin de prendre la température de l’air, et de ne point se laisser in-lluencer par les objets environnants. Elle sera de nouveau étudiée. Le Congrès a examiné également la question de la prévision du temps. Il n’a point été favorable à la publication de probabilités et a recommandé de se borner à l’annonce des phénomènes susceptibles de propagation dans un sens déterminé. Peut-être cette interdiction est-elle trop' radicale. En tous cas, il serait raisonnable, comme on le fait en Amérique de publier chaque jour un état comparatif des prédictions qui avaient été faites et de la manière dont elles se sont trouvées réalisées. En pareille matière, un contrôle ne saurait être évité si l’on veut être utile non point à la réputation d’infaillibilité de tel ou tel astronome, mais à la science du temps. Nous croyons savoir qu'un illustre astronome avait été désigné par la voix publique comme le représentant delà France, mais qu’il n’a point voulu accepter cette mission, parce que l’administration n’a point mis à sa disposition les moyens de représenter dignement notre nation. Le ministre n’a pas jugé convenable de faire un autre choix.
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- ACADÉMIE DES SCIENCES
- Séance du 6 octobre 1875. — Présidence de M. de QUATREFAGES.
- Condensation du gaz par le charbon pur. — Le fait saillant de la séance est la présentation par M. Dumas d’un travail de M. Melsens sur la condensation des gaz par le
- charbon pur, On sait que, pour obtenir le charbon pur, on le soumet, sous l’influence d’une température convenable, à l’action d’un courant de chlore ; toutes les matières étrangères sont entraînées et un coup de feu final enlève le chlore lui-même. Dans cet état, le charbon peut condenser son propre poids de chlore, ce qui dépasse de beaucoup tout ce qu’on a vu jusqu’ici dans cette voie. Les autres gaz volatils, cyanogène, ammoniaque, acide chlorhydrique, acide carbonique, etc., sont condensés en proportion analogue ; au contraire, la condensation est très-faible pour les gaz insolubles, tels que l’oxygène, l’hydrogène, l’azote, etc. C’est en partant de ces faits que M. Melsens modifie une expérience célèbre de Faraday et rend facilement visible la liquéfaction de certains gaz. Voici comment il opère : un tube de 1 mètre de long est rempli de charbon pur que l’on sature de gaz, de chlore, par exemple. Ce tube portant, à sa partie supérieure, une petite branche recourbée et fermée, on le soumet dans un manchon à la température de 100°, tandis que la petite branche est plongée dans un mélange réfrigérant. Sous l’action de la chaleur, le chlore se dégage ; il distille vers la portion froide, et là, se comprimant lui-même, il passe à l’état liquide; en quelques moments on a ainsi de 0m,15 à 0m,20 de chlore liquéfié, et il suffit d’arrêter l’expérience pour que ce liquide se volatilisant, sa vapeur soit de nouveau absorbée par le charbon, toute prête à se dégager de nouveau par la même manipulation. Le froid extrême déterminé par cette volatilisation est rendu sensible par le givre qui se dépose sur l’appareil.
- L’affinité capillaire du charbon pur pour certaines vapeurs est si grande qu’elle développe souvent une notable élévation de température : du brome à 20 degrés étant versé sur du charbon à la même température, on observe un échauffement instantané pouvant dépasser 45 degrés. On a une autre preuve de cette énergie d’affinité dans ce second fait que les vapeurs absorbées par le charbon ne se dégagent que bien au-dessus du point thermométrique où bout le liquide dont elles proviennent. Ainsi du charbon saturé d’alcool ou d’éther n’abandonne ces substances, cependant si volatiles, que vers 100 degrés.
- Météorologie fossile. — Voiei une idée ingénieuse émise par M. Charles Gros. On sait que les arbres dicotylédones acquièrent chaque année une nouvelle couche ligneuse, de façon que le nombre de ces couches indique l'âge de chaque tronc. Or il suffit d’une observation superficielle pour reconnaître que ces diverses couches n’ont point la même épaisseur, la même dureté, les mêmes caractères, en un mot : ce qui doit tenir à ce que les diverses années qui se succèdent pendant la vie d’un arbre ne sont pas également favorables à son développement. En comparant divers troncs contemporains et en y retrouvant la même succession de couches minces et de couches relativement épaisses, on arriverait peut-être à reconstituer la météorologie des époques auxquelles ces arbres étaient en végétation. Il faudrait aussi arriver à faire la part dans ces observations de ce qui revient à la température de l’été, à l’état hygrométrique, au vent, à l’état électrique, etc., mais ceci résulterait d’études préparatoires fertiles sans doute en faits intéressants. Enfin, les bois fossiles ayant souvent conservé tous les détails de leur structure, on comprend que le nouveau mode d’investigation météorologique s’appliquerait également aux périodes géologiques. Il y a là, sans doute, un sujet très-digne d’exercer les efforts d’observateurs sagaces, et il faut espérer que M. Gros trouvera lui-même le moyen de mettre; ) ingénieuse idée à exécution.
- Encore le phylloxéra. — Dans les sciences, le progrés
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- LA NATURE.
- consiste souvent dans la disparition d'une idée fausse qu’on j croyait exacte, ou, si l'on veut, dans le rétablissement d’un ' problème non résolu à la place d’une solution incomplète. C’est ce qui a lieu aujourd’hui pour le phylloxéra. Nous avons dit précédemment que, d’après M. Monestier et d’autres expérimentateurs, le sulfure de carbone possède la double faculté de détruire le phylloxéra en respectant la vigne. Il parait aujourd’hui qu’il faut revenir d’une assurance si agréable. Que le sulfure de carbone tue les parasites, voilà qui ne fait, au moins jusqu’ici, de doute pour personne, mais M. Lecoq de Boisbaudrant conclut de ses expériences qu'il pourrait bien déterminer en même temps la mort du végétal en traitement.
- Le phénate d'ammoniaque contre la pustule maligne. — Dans une lecture écoutée avec intérêt, M. le docteur Déclat rapporte des cas vraiment frappants de guérison du charbon par l’acide phénique, et surtout par le phénate d'ammoniaque employé d’abord comme cautère, puis comme boisson titrée à la dose de 1 à 2 grammes en vingt-quatre heures. Parmi ces cas se trouve celui de quatre bouchers qui, employés pendant le siège à abattre des animaux plus ou moins malades, furent tous les quatre pris de charbon. Deux d’entre eux étant les patrons furent soignés chez eux ; les autres, simples garçons, furent envoyés à l’hôpital. Ces derniers, malgré l’apparence, furent les mieux partagés, car, traités par M. Déclat et soumis par lui au traitement ammoniacal, ils ne tar-dèrent pas à être guéris ; pendant ce temps les deux autres, soignés par les anciennes méthodes, virent se succéder les divers accidents de l’elfroyable mala
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- Dolmen de Caranda.
- A, élévation face Est. — B, plan. — 1, terre végétale. — 2, sable jaune. — 5, dallage grossier.
- die et succombèrent. On sait que M. Déclat propose l’emploi des mêmes médicaments dans le traitement du choléra. Stanislas Meunier.
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- DOLMEN DE CARANDA
- En 1872, on reconnut à quelque distance du moulin de Caranda, près Fère-en-Tardenois (Aisne), l’existence d’un dolmen enfoui sous terre et en partie écroulé. — Des fouilles furent aussitôt opérées, mais elles amenèrent peu de résultats, par suite de l’amoncellement des pierres, qui ne purent être dé
- gagées. — Un habitant du pays, M. Frédéric Moreau, résolut cette année d’entreprendre de nouvelles recherches. Conduites avec ordre et méthode, elles viennent tout récemment d’être couronnées d’un entier succès. En effet, après avoir relevé, non sans de grandes difficultés, et rétabli en leur place les pierres du dolmen, et déblayé avec le plus grand soin le sable qui l’obstruait, M. Frédéric Moreau eut la bonne fortune de découvrir, sur le dallage formant le sol du monument, le crâne et la plus grande partie d’un squelette, dont l’inhumation paraît devoir remonter aux temps préhistoriques, et, mêlés à ces débris, divers instruments de la même époque , parmi lesquels figurent notamment, un poinçon en bois de cerf ou de chevreuil, des pointes de lance et de flèche, et un grand couteau en silex finement taillé. Tous ces objets, qui présentent un haut intérêt au point de vue de l’histoire de l’homme, sont en état de parfaite conservation.
- Le dolmen de Caranda est situé au sommet d’une éminence circulaire, au bas de laquelle coule la petite rivière d’Ourcq, presque encore à sa source. Sa forme est celle d’un carré long régulier, mesurant environ 5 mètres en longueur, 2 en largeur et 2 en hauteur. Il est orienté de l’est à l’ouest, mais sa véritable entrée est à l’intérieur même du monument : elle se fermait au moyen d’une pierre mobile venant s’ap
- pliquer sur deux pilactres disposés pour la recevoir; quatre pierres au midi, six au nord, une seule à l’ouest, formaient les parois du dolmen dont l’ensemble était couvert par plusieurs dalles de grande dimension.
- Autour du dolmen, et sur le même mamelon, ont été découvertes des tombes anciennes, où l’on constate la présence de nombreux silex, mais qui datent d’une époque relativement plus récente, ainsi que l’attestent les armes en fer, les poteries et autres objets qui ont été trouvés au milieu des ossements.
- Le Propriétaire-Gérant ; G. TISSANDIER.
- PARIS. — 1MP. SIMON RAÇON ET COMP., GUE D’ELFURTI, 1,
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- No 21. — 25 OCTOBRE 1873.
- LA NATURE.
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- DANS LES NUAGES!
- Nous avons déjà parlé de l’ascension aérostatique que nous avons exécutée, mon frère et moi, en compagnie de quelques autres observateurs, le 16 février de cette année1. Quoique initiés, depuis longtemps, aux incomparables splendeurs des hautes régions at-mosphériques, nous avions rarement assisté à des scènes aussi grandioses, à des effets de l umière aussi étranges. Non-seulement nous avons admiré les auréoles aux sept couleurs , qui ceignent l’ombre aérostatique , projetée sur des nuages aussi blancs que la neige des Alpes, mais nous avons eu la bonne fortune de rencontrer un nuage à glace, semblable à celui que MM. Barrai et Bixio ont traversé jadis, au grand étonnement de l’illustre Arago, qui attacha une importance considérable à cette observation météorologique. L’existence de petits glaçons suspendus dans l’atmosphère, déjà entrevue par les théoriciens, dans l’explication qu'ils ont donnée des halos et des par-hélies, rencontra des incrédules, malgré l’autorité des savants aéronautes de 1850. M. Barrai a bien voulu nous féliciter récemment d’avoir
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- La nacelle du Jean-Bart plongée dans un nuage de glace.
- vérifié son observation et de dissiper les doutes qui pouvaient encore exister à cet égard. Nous attendions l'occasion d’un nouveau voyage aérien pour donner quelques détails sur la nature de ces nuages singuliers, qui ne s’offrent que bien rarement aux regards du navigateur aérien. Avant de parler de notre récente ascension exécutée le 4 de ce mois, nous compléterons donc le récit de notre expédition du 16 février.
- Il était 2 heures 25 du soir, nous avions plané pendant trois heures consécutives, au-dessus d’un pla-
- 1 Voy. p. 54, Ombres extraordinaires.
- teau de nuages, surmonté d’un dôme céleste, d’un bleu intense. A 1,200 mètres d’altitude, l’aérostat quitte ce pays de la lumière pour s’enfoncer dans le massif des vapeurs aériennes ; il nous fait passer subitement de la clarté resplendissante, au crépuscule sombre, de la chaleur de l’été (17°,5) au froid de l’hiver (— 2°). Les vapeurs qui nous entourent ont un aspect particulier; elles sont blanches, opalines et nous cachent entièrement la vue de l’aérostat ; nous mettons nos paletots à la hâte, car nous sommes subitement saisis par un abaissement de température aussi prompt. Quelle n’est pas notre surprise en apercevant des cristaux de givre qui se déposent sur nos vêtement s et qui croissent subitement comme une végétation fantastique ! On voit grandir à vue d’œil ces arborescences singulières. Mais ce n’est pas seulement sur le drap que les cristaux glacés forment des houppes hérissées, ils se groupent sur nos cordages, sur noire panier d’osier et sur le fil de cuivre, long de 200 mètres que j’ai laissé pendre de la nacelle pour étudier l’électricité atmosphérique. Nous jetons les yeux autour de nous, et nous constatons que le nuage au sein duquel l’aérostat nous a plongés est entièrement formé de paillettes
- adamantines, réunies çà et là en masses allongées, comme l’indique la gravure qui accompagne notre récit 1. Ce nuage détermine la condensation du gaz et nous fait descendre avec une rapidité vertigineuse. Un de nous a le temps d’approcher le doigt du fil de cuivre, et il reçoit une forte étincelle électrique, qui ne laisse pas que de nous causer
- 1 Celle gravure a été faite d’après un croquis de M. Albert Tissandier, et publiée déjà dans le charmant Journal de la Jeunesse. Le directeur de celte publication a bien voulu mettre un cliché à notre disposition avec le plus aimable empresse-ment.
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- LA NATURE.
- une certaine inquiétude, car nous ne pouvons oublier que cette foudre en miniature jaillit sous une masse de gaz inflammable de 2000 met. cubes! Mais l’idée que nous obtenons pour la première fois, dans de telles circonstances, une manifestation électrique aussi énergique, aussi extraordinaire, apporte une compensation à nos craintes. Le baromètre, malgré le lest que nous jetons par dessus bord, indique que la descente est toujours rapide; à 1000 mètres nous entrevoyons la terre ; le nuage de glace avait, par conséquent, une épaisseur de 200 mètres environ. Il nous a semblé que les petits cristaux de glace dont il était formé existaient surtout au centre,
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- Certe du voyage du ballon le Jean Barl, le 4 octobre 1875.
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- et qu’ils étaient cachés en haut et en bas sous une couche de vapeur d’eau. Ce nuage, vu à quelques centaines de mètres plus bas, avait à peu près l’apparence d’un cumulus ordinaire.
- Mais nous n’avons pas le loisir de le contempler longtemps, car la brusque variation de température a singulièrement contracté notre gaz : le ballon a dû se charger, en outre, d’un poids considérable de glaçons ; il se précipite vers la terre, que nous voyons approcher avec une rapidité prodigieuse. Par malheur, le plateau de Montireau, où nous descendons malgré nous, est à 200 mètres au-dessus du niveau de la mer ; c’est en vain que nous lançons tout pleins les sacs de lest qui nous tombent sous la main; la nacelle se heurte contre le sol avec un choc impitoyable. Un vent violent nous enlève ensuite et nous lance avec fureur au-dessus des arbres, jusqu’à ce que l aérostat, éventré par la rafale, se dégonfle et nous laisse à terre...
- S’il est vrai que les jours se suivent et ne se ressemblent pas, on peut affirmer qu’il en est bien de même pour les ascensions aérostatiques. Jamais nous n’avons opéré une descente, aussi tranquille, aussi douce, que le samedi 4 octobre, lors de notre dernier voyage aérien: notre nacelle, lentement ramenée à terre par un jeu de lest régulier, est pour ainsi tombée entre les bras des habitants de Crouy-sur-Ourcq, qui ont pu nous remorquer à l’état captif, jusqu’au milieu de leur ville. Les braves gens qui nous entourent mettent un empressement si louable à nous aider, ils nous accueillent d’une façon si obligeante, si hospitalière, qu’il est impossible de leur refuser le plaisir de s’asseoir sur les banquettes de la nacelle aérostatique : nous faisons mouler à 200
- Ombre du ballon projetée sur une prairie et entourée d’une auréole de difiraction.
- mètres de hauteur, des aéronautes improvisés, enlevés par l’aérostat qui s’élève et descend, à l’état captif. Quels que soient le charme, l’imprévu, de ces épisodes, il nous faut ici les passer sous silence et arrêter l’élan de notre plume, qui, si nous n’y prenions garde, nous entraînerait loin du domaine de la science, jusque sur un terrain pittoresque, dont nous devons nous borner à effleurer la frontière.
- La particularité la plus remarquable de cette ascension aérostatique est la route suivie par l’aérostat sous l’influence de deux courants aériens superposés. Au moment où nous nous sommes élevés de l’usine à gaz de la Villette, à midi trois minutes, le courant aérien inférieur nous a lancés dans la direction Est-Sud-Est, tandis que, vers l’altitude de 700 mètres, le courant supérieur Sud-Ouest nous a dirigés vers le Nord-Est. On nous a vus décrire dans l’espace une courbe très-prononcée, comme l’indique le tracé de notre voyage. Cette particularité se présente assez fréquemment au voyageur aérien. Il ne nous semble pas nécessaire d’insister sur l’importance considérable
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- LA NATURE.
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- qu’elle offre au point de vue de la navigation aérienne, puisqu’elle permet à l’aéronaute de choisir à son gré deux directions différentes.
- On se rappelle peut-être que des circonstances analogues nous ont sauvé d’un naufrage imminent, en 1868, lors de notre ascension de Calais, où entraîné jusqu’à sept lieues au large en pleine mer du Nord, il nous a été possible de revenir à terre, en rebroussant chemin, sous l’influence d’un courant de surface, complètement opposé au courant supérieur1. L’étude des couches atmosphériques superposées ne présente pas moins d'intérêt au point de vue météorologique ; elle ne peut être bien exécutée qu’à l’aide de l’aérostat. Dans l’ascension, en effet, l’observateur mesure avec exactitude la vitesse des courants supérieurs, dont l’action échappe aux anémomètres terrestres. Connaissant la durée de notre voyage et la longueur de la distance parcourue, nous avons constaté que le courant supérieur dans lequel nous étions plongés avait une vitesse de 55 kilomètres à l’heure. La vitesse du courant inférieur n’était que de 6 à 7 kilomètres à l’heure, ainsi que M. Paul Henry qui nous accompagnait a pu le constater.
- L’observateur de la nouvelle comète, habitué aux mesures astronomiques, est facilement arrivé à un résultat exact en observant la différence des temps du passage des bords du ballon sur une ligne terrestre. C’est avec une légitime surprise que nous avons ainsi constaté l’existence d’un courant atmosphérique, entraîné par un mouvement relativement très-rapide au-dessus d’une couche d’air terrestre d’une si faible vitesse.
- A la hauteur maximum de l’ascension, c’est-à-dire à 2,600 mètres, l’aérostat s’est trouvé plongé dans un banc de cumulus très-espacés. Ces nuages étaient dominés par une couche épaisse de cumulo-nimbus, dont nous avons évalué l’altitude à 5,600 mètres environ ; quelques éclaircies s’ouvraient çà et là, dans ce massif de vapeurs, et nous laissaient entrevoir le bleu du ciel. A ce moment, M. Paul Henry a constaté que la polarisation de l’atmosphère était beaucoup plus faible qu’à la surface du sol. Pendant le voyage on a relevé à l’aide d’un psychromètre l’état hygrométrique de l’air et les températures2. L’air à l’altitude de 2,000 mètres était particulièrement sec, et la quantité d’humidité était plus considérable en se rapprochant de terre.
- Nous n’avons pas cessé d’apercevoir l’ombre du ballon, non pas cette fois sur les nuages, mais sur la terre. A 1 h. 55, à l’altitude de 700 mètres, cette ombre projetée sur une prairie est apparue, entourée d’une auréole de diffraction, très-lumineuse et de couleur jaune. Le dessin ci-contre qui a été exécuté dans la nacelle par M. Albert Tissandier, représente fidèlement ce curieux phénomène. — Malheureusement, quelque intéressant qu’ait été notre voyage, nul effet de lumière, aussi grandiose que le
- 1 Voy. Voyages aériens. — L. Hachette et Ce, 1870.
- 2 Voy. Comptes rendus de l’Académie des sciences. — Séance du 13 octobre 1873.
- 16 février dernier, aussi imposant que dans le cours de quelques-unes de nos ascensions précédentes, ne s’est offert à nos yeux. C’est pour nous un regret réel, car nous avions offert une place dans notre nacelle à un artiste éminent, M. Bonnat, dont le pinceau serait digne de créer la nouvelle école de la peinture aérostatique.
- Mais le ciel, une autre fois, sera plus favorable ; pour notre part, nous serons toujours heureux de fraterniser au-dessus des nuages, avec de véritables amis delà nature, artistes ou savants; car il ne faut pas oublier que l’art véritable et la science bien entendue doivent être considérés comme deux alliés inséparables. L’artiste et le savant ne gravissent-ils pas avec la même ardeur, des chemins également difficiles, qui, quoique différents, conduisent l’un et l’autre au sublime sommet de la vérité1?
- Gaston Tissandier.
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- L’ASSOCIATION BRITANNIQUE
- Session de Bradford (1833).
- La réunion de l’Association britannique a eu lieu cette année, à Bradford, ville du comté d’York, dont la population atteint environ cent cinquante mille habitants, chiffre qui n’a rien d'exception-nel de l’autre côté du détroit. Cette industrieuse cité est renommée pour le nombre considérable de gens, riches qu’elle possède. On la considère avec raison comme la métropole des manufactures d’étoffes de laine, industrie très-florissante, quoiqu’elle soit loin d’avoir reçu les mêmes développements que celle du coton, dans laquelle l’Angleterre est sans rivaux.
- La population de Bradford n'a pas montré le désintéressement, ou au moins l’espèce de patriotisme municipal qu’on rencontre presque toujours dans les villes que choisit l’Association. Bien des visiteurs se sont plaints dans les journaux d’avoir été fort étrillés par les hôteliers, et même par les particuliers qui s’étaient dévoués à les loger. Malgré ce nuage financier, la session s’est en somme heureusement passée.
- Elle n’a commencé qu’au milieu de septembre. Ce changement dans les habitudes traditionnelles de la société avait pour but de donner le temps d’achever l'hôtel de ville, dont l’inauguration, pompeusement annoncée, était une des attractions de
- 1 Nous espérons, à la saison prochaine, ouvrir une nouvelle campagne d’observations aérostatiques. L’Administration des postes nous a confié un magnifique aérostat de 2,000 mètres cubes; l’Académie des sciences nous a fait l’insigne honneur de mettre à notre disposition la somme nécessaire à l’acquisi-tion d’instruments de précision, dont nous venons de nous pourvoir; la Compagnie parisienne nous prête le plus utile concours, en nous autorisant à gonfler notre ballon à l’usine de la Villette, où le directeur ne néglige rien pour faciliter nos études. Il y aurait ingratitude à ne pas répondre, par la reconnaissance et par le dévouement à la science, à de tels encouragements. G. T.
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- LA NATURE.
- Bradford. Cet édifice n’a pas coûté moins de 2 millions et demi, non compris l’achat du terrain, pour lequel la ville a dépensé un million. Tous les journaux d’Angleterre ont décrit soigneusement les splendeurs de ce palais municipal, et surtout l’horloge qui offre un détail exceptionnel. Le constructeur a imaginé un mécanisme très-compliqué, qui allume et éteint automatiquement le gaz nécessaire pour éclairer le cadran, à une heure variable suivant les saisons. Il est bien malheureux que cet habile homme n’ait pas tenu compte de l’état du ciel et des brumes qui, même dans le comté d’York, peuvent troubler ses combinaisons.
- Les succès si enviables de l’Association britannique tiennent, en partie, à ce que les membres du bureau directeur ne négligent jamais de suivre le précepte d’Horace, relatif à l’alliance de l’utile et de l’agréable. Ils s’efforcent de ferre punctum dans le choix qu’ils font des villes. Ainsi, pour se mettre à la hauteur des besoins de la session de 1872, Brighton avait pris l’engagement d’ouvrir son aquarium.
- L’hôtel de ville des Bradfordiens eût été un peu sec. Aussi a-t-on essayé de le relever par une procession moyen âge, dans laquelle les ouvriers se sont affublés de leurs costumes traditionnels. L’Illustration anglaise a donné de nombreux dessins, pour représenter cette étrange préface aux débats scientifiques dont nous avons à entretenir nos lecteurs. La cérémonie, qui était hors de saison, l’on peut dire : hors de siècle, a été accueillie par une pluie battante, que les exécutants ont reçue avec un courage et une résignation dignes d’une meilleure cause.
- M. Joule, qui avait été nommé président, pour 1873, à la session de Brighton, ayant vu que son état de santé ne lui permettrait pas de remplir les devoirs de sa charge, a donné il y a deux mois sa démission. On lui a choisi pour remplaçant M. Williamson, chimiste industriel, dont le nom est honorablement connu de l’autre côté du détroit. Conformément aux usages traditionnels, le docteur Carpenter, président de la session de Brighton, a remis ses pouvoirs à M. Williamson dans la première séance générale, après avoir prononcé une petite allocution fort simple et du meilleur goût. M. Williamson, après avoir remercié son honorable prédécesseur en excellents termes, a prononcé un très-long discours, presque entièrement consacré à un exposé populaire de la théorie atomique. Il l’a terminé par quelques propositions destinées à donner à l’éducation publique une vive impulsion. L’honorable orateur, demande que par une série de concours gradués d’année en année, l’élite des élèves des écoles publiques puisse arriver jusqu’au plus haut enseignement universitaire. Cette manifestation de sentiments progressifs n’excite pas d’opposition, mais il n’y a guère lieu d’espérer que le parlement y donne suite dans sa prochaine session.
- Malgré le tort réel produit par un changement dans l’époque ordinaire des sessions, le nombre des
- membres inscrits s’est encoré élevé à plus de 1,900, et les recettes ont dépassé 50,000 francs. Ces chiffres n’ont point été de beaucoup inférieurs à ceux obtenus à Brighton, ville de plaisance si admirablement placée. Il est facile de prévoir qu’ils seront largement dépassés dans les grandes cités, Belfast, Bristol et Glascow, où l’Association se réunira successivement pendant les trois années 1874, 1875 et 1876. Belfast, moins riche que Bristol et Glascow, fera certainement de grands efforts pour attirer dans son sein une large affluence de savants français. Nous aimons à croire que nos concitoyens n’imiteront point l’indifférence des Allemands vis-à-vis de ces pauvres Bradfordiens, et que notre académie ne négligera rien pour affermir ces rapports affectueux avec l’Irlande, qui n’ont jamais été interrompus.
- On a remarqué que l’archevêque d’York, un des deux métropolitains de l’Église anglicane, s’est fait inscrire à l’ouverture de la session au nombre des membres ordinaires. Il a même poussé la condescendance jusqu’à faire, dans la cathédrale de Bradford, un sermon spécial à l’usage des membres de l’Association. Bien entendu il n’y a que les anglicans qui s’y sont rendus et personne ne s’inquiétait de la foi de son voisin.
- — La suite prochainement. —
- LES PIERRES QUI TOMBENT DU CIEL
- (Suite. — Voy. p. 87, 292.)
- Arrivons au troisième grand groupe de météorites, celui des sporadosidères, caractérisées par l’existence de grenailles métalliques disséminées dans une gangue pierreuse. Ce qui frappe tout de suite, quand on examine ces météorites, c’est que la proportion relative de la pierre et du fer est extrêmement variable, et à ce point de vue on peut les subdiviser en polysidères, en oligosidères et en krypto-sidères, suivant que le fer est abondant, rare ou caché à la vue. Dans la première subdivision, nous trouvons la très-intéressante météorite représentée dans la figure ci-contre. Elle provient de la sierra de Chaco en Bolivie, où elle constitue, à la surface du sol un très-grand nombre de blocs de toutes grosseurs. Cette météorite est remarquable par les traces qu’elle a conservées d’actions géologiques très-complexes. Une section polie, comme celle que la figure reproduit, montre les grosses grenailles métalliques, de forme tuberculeuse et donnant des figures régulières par l’action des acides, associés à des gros grains pierreux, de composition variée et reliées entre elles et avec ceux-ci par un fin réseau de fer, rappelant, dans certaines parties, celui des masses syssidères. Un fait important est que ce type de météorite s’est trouvé reproduit avec la plus scrupuleuse précision par la masse tombée, le 4 juillet 1842, à Barea, près de Lo-grono, en Espagne.
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- C’est aux oligosidères que l’on donne d’ordinaire le nom de pierres météoriques. Leur portion prédominante est, en effet, de nature lithoïde et consiste le plus souvent en silicates magnésiens. Le nombre de types que conduit à y distinguer l’étude minéralogique est très-considérable, et nous ne pouvons songer à les énumérer ici. Il suffira de citer rapidement ceux qui sont les plus remarquables, ceux surtout dont l’examen est de nature à nous éclairer sur l’origine des pierres qui tombent du ciel.
- On ne peut examiner une série nombreuse d’oli-gosidères, comme celle qui est exposée au Muséum, sans être frappé des différences qui séparent certains types de tous les autres. En première ligne, à cause de son étrangeté, il faut signaler la météorite tombée à Igast, en Livonie, le 17 mai 1855, et qui a été étudiée par le professeur Grewinck, de Dorpat. Elle se montra sous un aspect exceptionnel au moment même de son arrivée, carie bolide qui la fournit, au lieu d’éclater dans les hautes régions de l’atmosphère , vint faire explosion tout près du sol en heurtant contre le tronc d’un tilleul. Son aspect, absolument analogue à celui de certaines pierres ponces, n’est reproduit par aucune autre météorite, et sa composition, consistant surtout en feldspath orthose et en quartz , est égale
- SPORADOSIDÈRE découverte en 1865 dans le Sierra de Chaco (Bolivie) et consistant en une gangue pierreuse, dans laquelle sont disséminées de grosses grenailles métalliques, formées de 1er nickelé et des fragments arrondis de gros cristaux noirs de nature péridotique et pyroxénique.
- (Grandeur naturelle.)
- ment inaccoutumée. Elle ne diffère de certaines roches feldspathiques terrestres que par la présence d’une très-faible quantité de fer métallique qui la rend fortement magnétique.
- D’autres météorites se distinguent par la couleur noire de leur masse qui contraste avec la nuance grise des masses nombreuses de même origine. L’une des mieux caractérisées est la météorite tombée le 9 juin 1867 à Tadjera, près de Sétif, en Algé-rie. Son arrivée fut aussi accompagnée d’un phénomène non ordinaire. Son bolide fit explosion à la surface même du sol, sur lequel il creusa un sillon de plus d’un kilomètre de longueur. On verra combien cette météorite, par l’analogie de sa composition avec les pierres les plus communes et par l’étrangeté de sa couleur noire, est riche en enseignements. Comme pierres noires, on peut mentionner aussi celle de Stawropol, Caucase (24 mars 1857), dont la structure est entièrement oolithique, c’est-à-dire compo
- sée de petites boules juxtaposées, et celle de Renazzo, près de Florence (15 janvier 182-4), qui rappelle par son apparence vitreuse, et malgré de très-grandes différences de composition, certaines obsidiennes terrestres.
- On connaît des météorites qui sans être noires comme les précédentes sont néanmoins de teinte beaucoup plus foncée que l’on ne le voit d’ordinaire; telles sont entre autres la pierre d’Ornans (Doubs, 11 juillet 1868), qui est si friable qu’elle tache les doigts qui la touchent, et celle de Lancé (Loir-et-Cher, 24 juillet 1872), qui’représente jusqu’ici la dernière masse météoritique tombée sur le sol de la France.
- Les couleurs sombres, sous forme de marbrures, se retrouvent dans certaines pierres dont le type est tombé à Chantonnay, en Vendée, le 5 août 1812 , et nous en parlons parce que les marbrures offriront, au point de vue géologique , un très-sérieux intérêt.
- Ceci nous amène insensiblement aux pierres grises qui sont si fréquentes qu’on les a réunies sous le nom aujourd’hui abandonné de type commun. Sur dix chutes de météorites que l’on observe, il y en a peut-être neuf qui appartiennent à cette catégorie.
- Cependant, en les examinant de plus près, on reconnaît
- qu’elles se répartissent entre divers types distincts qui, au point de vue de la structure, se groupent en trois catégories. Ce sont d’abord des roches compactes à grains plus ou moins serrés, extrêmement fréquentes et composant surtout les deux types que nous aurons plus loin à désigner sous les noms d’aumalite [à cause de la chute d'Au-male (Algérie) 25 août 1865] et de lucéite [à cause de la chute déjà citée de Lucé (Sarthe) 13 septembre 1768]. En second lieu, il y en a qui sont entièrement oolithiques, comme par exemple la météorite tombée le 9 décembre 1858 à Montréjeau (Haute-Garonne), et celle tombée à Quenngouck, dans l’Inde, à la suite du bolide dont nous avons précédemment reproduit l’apparence. (Voy. p. 89.) Enfin certaines pierres grises, des plus intéressantes comme on verra, sont bréchoïdes, c’est-à-dire résultent de la réunion de fragments distincts de roches reliés entre eux par un ciment. C’est exactement la
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- structure que nous offrent beaucoup de roches terrestres, telles que les brèches de froissement de beaucoup de filons et les pépérinos de nos volcans.
- Parmi ces brèches extra-terrestres sur lesquelles il nous faudra*revenir, la pierre de Saint-Mesmin (Aube), tombée le 30 mai 1866, présente des fragments blancs empâtés dans une substance foncée, et la météorite tombée le 28 février 1857 à Parnal-lee, dans l’Inde, étudiée lithologiquement, a révélé l’existence de fragments appartenant à douze espèces différentes de roches.
- La troisième division des sporadosidères, celle qu’on appelle des kryptosidères, parce que le fer s’y dérobe à la vue et ne devient sensible qu’à la faveur de certaines expériences, est beaucoup moins nombreuse que les précédentes. Elle renferme des masses dont plusieurs sont intéressantes par leur comparaison avec diverses roches terrestres. Eu tête figurent les météorites alumineuses appelées eukrites par Gustave Rose, et qui sont remarquables par l’éclat de leur croûte rappelant un vernis, caractère dû à leur grande fusibilité relative. Pendant le passage de la pierre au travers de l’atmosphère, la couche superficielle a ruisselé dans certains cas et produit des bourrelets dont la disposition permet de retrouver la situation du projectile. C’est par l’étude de ces bourrelets que l’on arrive à distinguer chez les météorites le côté d’avant du côté d’arrière. Les eukrites sont essentiellement formées par le mélange cristallin et grenu d’un feldspath (anorthite ou labrador) avec le pyroxène augite. Or c’est rigoureusement la composition de certaines laves volcaniques terrestres et spécialement de celles du volcan islandais appelé Thjorza. La chute de ces météorites est rare, et les collections n’en représentent guère que cinq. Deux ont eu lieu en France, à Jonzac (Charente-Inférieure), le 13 juin 1819, et à Juvinas (Ardèche), le 15 juin 1821.
- Au nombre des kryptosidères se trouve un autre type remarquable par le même genre d’intérêt, c’est-à-dire reproduisant une roche terrestre. C’est celui qui a fourni la chute observée à Chassigny, dans la Haute-Marne, le 3 octobre 1815. Cette pierre est formée du mélange de péridot granulaire avec le fer chromé, exactement comme les fragments cités tout à l’heure dans le fer d’Atacama. C’est une roche qu’on retrouve sur la terre, sous le nom de dunite, à la Nouvelle-Zélande, où elle constitue de hautes montagnes d’après M. de Ilochstetter, ainsi qu’à Bourbon et en France, dans l’Ardèche, où elle se trouve en fragments empâtés dans certains basaltes.
- Enfin nous mentionnerons comme kryptosidère la météorite si singulière tombée le 25 mars 1845 à Bis-hopville, Caroline du Sud. Elle sè distingue à première vue par la blancheur de lait de sa substance, qui est constituée par le minéral magnésien que les minéralogistes appellent eustatite, et par sa croûte que nous avons déjà mentionnée comme étant presque blanche, au lieu d’être noire comme à l’ordinaire.
- Nous aurons terminé la longue revue des types
- de météorites quand nous aurons dit quelques mots des étranges masses de la section des asidères, plus connues sous le nom de météorites charbonneuses. Ces météorites renferment, outre du charbon libre, des composés hydroxycarbonés analogues à ceux de la chimie organique. Aussi ont-elles arrêté l’attention des physiologistes en même temps que celle des minéralogistes. Il y avait lieu, en effet, de se demander si ces composés remarquables, analogues à ceux qui dérivent par altération de nos matières végétales, avaient pu se produire sans le concours des vivants, et l’on comprend les conséquences auxquelles cette découverte aurait conduit. Mais, d’après les expériences synthétiques de M. Berthelot, il ne semble pas que la collaboration de la vie soit indispensable à la formation des corps dont il s’agit, et ceux-ci peuvent être comparés jusqu’à un certain point aux bitumes de nos volcans.
- Stanislas Meunier.
- — La suite prochainement. —
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- LA COTE DU GABON
- Au moment où il est question des nouvelles explorations entreprises, dans le Gabon, par deux de nos compatriotes, MM. Marche et de Compiègne, nous croyons devoir donner quelques détails sur la géographie de contrées, à peine connues du monde civilisé, et qui intéressent tout particulièrement notre pays.
- Ce district de l’Afrique torride est traversé par l’équateur et appartient encore à la France. Il est probable que les explorations scientifiques dont il est l’objet et que les découvertes des Français ont provoquées, donneront une nouvelle impulsion à la colonisation, ou plutôt à l’occupation française. Le pays est, en effet, sillonné par de nombreuses factoreries, la plupart étrangères, et qui, grâce au caractère docile des indigènes, gagnent chaque jour du terrain. Elles s’enfoncent progressivement dans les terres. Ce mouvement de propagation de l’inlluence européenne est d’autant plus remarquable qu’une nouvelle race venant des profondeurs encore inconnues de l’Afrique, et bien supérieure aux peuplades abruties qui jusqu’à ce jour occupaient seules ces rivages, se fait une place de plus en plus grande. Ces nouveaux venus sont les Palhouins ou Faces, dont tous les voyageurs font le plus grand éloge.
- C’est depuis 1842 que nous sommes établis à l’embouchure de l’estuaire du Gabon en un point nommé Libreville, où l’évêque catholique de toute la contrée a établi sa résidence. Il n’y a pas encore dix ans cependant que l’on a des notions sommaires sur la géographie de cette partie importante de l’Afrique occidentale, car suivant toute probabilité, le fleuve découvert en quelque sorte par M. Serval, lieutenant de vaisseau de la marine impériale, est un frère du Nil, et vient comme lui s’alimenter aux
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- LA NATURE.
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- grands lacs de l’intérieur, auxquels il sert de déversoir. L’histoire de l’exploration du Gabon nous donne un exemple saillant de la gravité des erreurs que les explorateurs européens sont exposés à faire lorsqu’ils arrivent dans des régions inconnues. On croyait naturellement que le magnifique estuaire du Gabon, dont les dimensions sont colossales, ouvrait un passage aisé jusqu’au centre du continent. Mais on s’engageait dans une sorte de cul-de-sac aquatique sans issue. En effet, toutes les rivières qui se jettent dans l’estuaire ont un cours très-peu long et descendent des montagnes de cristal très-voisines de la côte. Le vrai fleuve existait, mais il se trouvait au sud de l'estuaire. Sa grandeur était dissimulée par un gigantesque delta. Il s’émiettait en une multitude de branches que l’on croyait des rivières sans conséquence. Ainsi, en 1865, M. Serval fut-il littéralement stupéfait lorsque après quelques jours de marche dans l’intérieur, il aperçut devant lui un fleuve immense descendant vers le sud, avec un cours large, impétueux, profond. L’Ogové, qui roulait devant lui ses ondes, est la grande voie qui conduira probablement notre pavillon dans les régions où l’Égypte a établi sa puissance, grâce aux admirables expéditions de Baker. Le lieu où M. Serval a fait ces observations se nomme Adolina Longo. Il a été vendu à la France par un monarque palhouin, très-sympathique à nos voyageurs, et très-amateur de l’eau-de-vie, qu’on nomme dans ces pays le roi soleil.
- C’est là que les deux explorateurs français dont nous avons précédemment parlé, anciens soldats de la guerre franco-allemande, viennent d’établir leur quartier général. Ils nouent des relations avec les tribus voisines et attendent l’arrivée des savants de Berlin pour se lancer dans le haut du fleuve à coup sûr. Quand nos ennemis seront encore à se débrouiller dans le dédale du delta, MM. Marche et de Compïègne navigueront paisiblement vers les lacs intérieurs. L’avenir de l’expédition s’annonce sous les plus heureux auspices. En effet, un courageux voyageur, M. Laplat, du Sénégal, infatigable pionnier, a déjà éclairé la route et l’on sait que, sur un parcours de 500 kilomètres en amont d’Adolina Longo, le fleuve ne diminue ni de force de courant, ni de largueur, ni de profondeur. C’est en cet endroit que des bâtiments à vapeur feraient merveille. Si MM. Marche et de Compiègne en avaient à leur disposition, ils pourraient certainement devenir de nouveaux Baker. La flore et la faune du Gabon promettent aux explorateurs d’aussi grandes merveilles que son occupation étendue, consolidée, agrandie, donnera nécessairement de trésors à la France.
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- COSTE
- (Suite et fin — Voy. p. 295.)
- C’est au collège de France que M. Coste créa, les appareils de la pisciculture qui, réduite à un petit
- nombre de préceptes, reçut pour la première fois une forme réellement scientifique. Il imagina ces fameuses étagères à éclosion et ces bassins où l’alevin, nourri d’une façon appropriée à ses appétits, acquiert rapidement assez de développement pour pouvoir être abandonné à lui-même dans des eaux courantes. Il y devina successivement tous les détails des manipulations délicates auxquelles donne lieu la récolte des œufs et de la laitance, et l’opération de la fécondation, variable suivant la constitution physique du frai, des différentes espèces.
- Il construisit les premiers aquariums qui, figurant dans toutes les expositions, y répandirent partout le goût de la pisciculture, et, ce qui est encore plus précieux, des habitudes d’observation, si nécessaires au développement de l’intelligence. Étendant ses études sur tous les habitants des eaux, il analysa successivement la génération des huîtres, dont les mystères étaient inconnus, et celle, des crustacés, dont les mues n’avaient été analysées que d’une façon imparfaite et insuffisante.
- M. Guizot avait pris M. Coste en affection et voyait peut-être en lui un futur ministre de l’instruction publique. Mais la révolution de février éclatant, M. Coste fut appelé en toute hâte au ministère des affaires étrangères pour diriger... l’évacuation, et protéger la fuite de la famille du ministre, devenu si justement impopulaire. C’est sous le ministère de M. Dumas que le gouvernement commença à prendre sous sa protection la pisciculture, et la fondation de l’Empire ne fit que mettre entre les mains de M. Coste de nouveaux moyens d’action dont il sut faire, on doit le reconnaître, un excellent usage.
- Le gouvernement impérial lui donna les ressources nécessaires à la création de l’établissement de Ilu-ningue, destiné à l’empoissonnement d’eaux qui ne sont plus malheureusement françaises. Il favorisa la création de l’aquarium marin de Concarneau, que la Prusse peut vainement essayer d’imiter. Ce bel établissement modèle fut établi par un ancien marin, vieux loup de mer, qui mit au service des idées de M. Coste un enthousiasme dont les jeunes gens sont rarement susceptibles.
- Si M. Coste eût voulu s’enrichir, combien il lui eût été facile de le faire 1 mais il mourut sinon pauvre, du moins sans laisser aucune fortune. Ce sera la justification de ses amitiés impériales. Jamais il ne fit usage de son influence que pour la science, et il ne demanda de faveur que pour ses collaborateurs. Le gouvernement lui confia une mission pour étudier la pisciculture en Italie, et l’élève du saumon en Écosse, où elle a pris une importance si extraordinaire. Le résultat de ces importantes études fut la publication d’un magnifique volume édité avec luxe à l’Imprimerie impériale, et aujourd’hui épuisé, comme toutes les œuvres de M. Coste. L’auteur y décrit avec une grande vivacité de style cette étonnante fabrique de poisson frit et mariné qui s’est établi à l’embouchure du Pô dans les lagunes deComacchio. Il raconte également avec une naïveté
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- LA NATURE.
- charmante une visite au lac Pezzaro, où Virgile avait placé le soupirail qui mena Énée aux enfers.
- Tant que l’Empire fut prospère, on ne jurait à la cour que par la science de M. Coste. Il était l'in-time de Villeneuve-l'Étang, où l’on mangeait grâce à lui de si délicieuses fritures, aux dépens de ses élèves. Mais quand les revers de l’expédition du Mexique eurent ébranlé toute la machine impériale, on agit comme si l’on se repentait d’avoir nommé M. Coste inspecteur de la pêche maritime et fluviale. On prêta l’oreille à toutes les oppositions; si l’on eût osé, on eût allégé le vaisseau de l’Etat en jetant à la mer la pisciculture et le pisciculteur. M. Coste avait commis, en effet, bien des crimes ; depuis qu’il s’était occupé des huîtres, le prix de ces coquillages avait augmenté d’une façon fabuleuse. Les poissons jetés sans discernement dans les eaux où ils ne trouvèrent point de plantes aquatiques s’ils étaient herbivores, et de carpes à dévorer s’ils appartenaient aux races carnassières, avaient singulière- " « ment dépéri; mais les orages de la politique ne tardèrent point à faire oublier ceux de la pisciculture ! Dès 1851, M. Coste (il n’avait encore que 44 ans) fut nommé membre de l'Insti-
- tut en remplace- Travaux
- ment de Blainville Récolte de» c dont il avait été le
- suppléant pendant deux ans au Muséum d’histoire naturelle. Comme nous l’avons raconté, il eut pour concurrent M. de Quatrefages, déjà célèbre à cette époque et qui était soutenu par l’influence toute-puissante encore d’Arago.
- Pendant sa longue carrière académique, M. Coste prit une part active à plusieurs débats importants, parmi lesquels nous citerons la génération spontanée et le darwinisme. Représentant la grande école française de Cuvier, M. Coste ne crut pas devoir se laisser séduire par aucune de ces doctrines. Mais animé envers tout le monde d’un inaltérable sentiment de bienveillance, M. Coste apporta dans son argumentation une telle réserve qu’il ne semblait jamais attaquer l’homme dont il combattait le plus vivement les opinions.
- Lorsque Flourens fut atteint de la maladie terrible à laquelle il devait succomber, c’est par M. Coste qu’il se fit suppléer dans ses fonctions de secrétaire perpétuel. Malgré ses instances, M. Coste ne voulut recevoir aucune partie des émoluments, et il exerça gratuitement ses laborieuses fonctions pendant trois ans qu’il tint le fauteuil, à la place de l’illustre zoologiste. C’est comme suppléant de
- Flourens que M. Coste prononça l’éloge de Dutrochet, qui, comme nous l’avons vu plus haut, lui avait fait sentir durement sa supériorité. M. Coste ne garda point rancune à sou ancien rapporteur et il s’exprima sur son compte en termes noblement émus.
- Lorsqu’il s’agit de pourvoir à la succession de Flourens, M. Coste eut pour adversaire M. Dumas, dont le grand talent et la haute influence rendaient la compétition si redoutable. Les partisans de la candidature du grand chimiste auraient triomphé plus difficilement s’ils n’avaient pu invoquer en faveur de leur candidat la faiblesse de la vue de M. Coste, qui ne pouvait que difficilement s’acquitter du dépouillement de la correspondance. Peu de temps après cette lutte honorable pour les deux rivaux, l’Académie, ayant à nommer son président dans la section des sciences physiques, éleva M. Coste à cette haute distinction. Si M. Coste n’avait été retenu hors de Paris par le soin de sa santé lorsque nos désastres se succédèrent avec une rapidité foudroyante, il aurait été chargé de représenter la première Assem-}* ‘s blée scientifique du monde devant la Prusse jalouse et la Commune igno-rante.CefutM.Faye
- M. Coste. qui le suppléa. Il
- s de poisson, tint le fauteuil pendant toute l’année terrible que M. Coste passa forcément loin de Paris.
- M. Coste ne se releva pas complètement des épreuves qu’il avait subies pendant cette horrible période ; c est seulement en 1872 qu’il put revenir à Paris, et reprendre de nouveau part aux délibérations de l'In-titut. Mais si le corps avait été profondément ébranlé l’esprit était resté intact, l’intelligence avait gardé toute sa vivacité. Il reprit son cours avec une nouvelle ardeur au Collège de France. Son collaborateur, M. Gerbe, mettait scs yeux infatigables et son talent de dessinateur au service des investigations.
- M. Cosle avait retrouvé son public qui, malgré les malheurs des temps, se pressait autour de sa chaire, presque aussi nombreux qu'autrefois. Jamais il n’avait conçu d’aussi vastes desseins, pour conserver à la France la supériorité que ses travaux lui avaient donnée, dans une science qui marchait de toutes parts à pas de géant. Car les aquariums, dont nous avions pour ainsi dire le monopole, s’étaient multipliés dans les grandes capitales. Les Anglais avaient construit, à Brighton, un magnifique établissement; l’Association britannique en avait fondé un dans la baie de Naples ; l'aquarium de Berlin devait à nos défaites une réputation croissante. Il fallait réparer
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- la perte d’Huningue. Il était indispensable d'enseigner l’art d’exploiter le littoral, où tant de ressources sont encore délaissées. Il fallait surtout, par des lois et des règlements sages, empêcher la dépopulation de nos côtes, devenues d’autant plus précieuses grâce aux développements des voies ferrées. Il n’est pas en effet, aujourd’hui, d’habitant de l’intérieur, qui, plus heureux que Louis XIV, il y a deux siècles, ne soit certain d’avoir régulièrement sa marée.
- Jamais la tête du savant n’avait été plus remplie de projets de recherches destinées à couronner l’édifice seulement ébauché de la pisciculture, quand la mort est venue interrompre cette existence si active, si patriotiquement occupée. M. Coste était alors chargé
- d’une mission pour préparer la réglementation de la pêche de la marine. Il tomba malade dans un délicieux et frais château de Normandie, où le retenait, pour quelques jours, une vive et tendre amitié. Il était déjà dangereusement malade lorsqu’il apprit la mort d’un neveu qu’il avait fait entrer dans la diplomatie depuis de longues années, où une carrière brillante lui était réservée. Entré au service comme simple chancelier de consulat, M. Émile Coste venait d’être nommé consul, au poste important de Cartha-gène, lorsqu’un mal dont il avait contracté les germes dans les régions tropicales, l’enleva après une douloureuse maladie. Cette catastrophe produisit sur l’esprit de M. Coste l’effet le plus foudroyant. R
- Travaux de M. Coste.
- Etagère de pisciculture, destinée à l’éclosion méthodique des œufs.
- s’imagina que son heure dernière était arrivée, et il expira, en effet, quelques jours après, malgré tous les soins dont il était entouré. M. Coste fut enterré dans la retraite où la mort était venue le chercher. Il n’y a point eu, à ses funérailles, de discours académiques, mais ni les larmes, ni les fleurs ne manqueront à sa tombe ! W. de FONVIELLE.
- DE LA CONSERVATION DES VINS’
- La vigne est une des richesses caractéristiques du sol français; elle yoccupe près de 2 millions 1/2 d’hectares, répartis entre 78 départements; on estime la récolte moyenne à plus de 60 millions d’hectolitres,
- 1 L. Pasteur, Études sur le vin, ses maladies, etc., 2e édit. — Paris, F. Savy, 1875, in-8°, avec 32 planches gravées en taille douce, imprimées en couleur, et 25 gravures dans le texte.
- valant chez le propriétaire plus de 1 milliard, dont plus du tiers est exporté, principalement en Russie, dans les Pays-Bas, en Angleterre et en Allemagne.
- Malheureusement, les vins de France supportent difficilement les voyages prolongés. Ils sont sujets à de nombreuses maladies ; arrivés à leur destination, ils se détériorent, et cela d’autant plus rapidement qu’ils sont livrés à des mains moins habiles, dans des celliers mal disposés, privés de ces mille soins qui font de l’élevage des vins un art difficile où peu de personnes excellent, même en France. Les meilleurs crus sont souvent les plus délicats ; chaque année, par exemple, la maladie dite de l’amer détériore de grandes quantités des vins les plus exquis de la Bourgogne, et occasionne, ainsi que les autres altérations du précieux liquide, des pertes immenses: il n’y a peut-être pas une seule cave en France, chez le pauvre comme chez le riche, qui ne renferme quelque portion de vin altéré.
- Frappé du préjudice que les maladies des vins
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- portent à une des branches les plus riches de notre commerce, M. Pasteur se résolut, il y a déjà un certain nombre d’années, à diriger ses recherches sur cette importante question, afin de découvrir, s’il était possible, un moyen d’empêcher l’apparition de toutes ces maladies. Le résultat de ces recherches a été publié sous le titre de: Études sur le vin, et la première édition de ce bel ouvrage, qui a été couronné par le jury de l'Exposition universelle de 1867, fit, à l’époque de son apparition, sensation dans la science française , qu’elle venait enrichir de précieuses et si utiles découvertes.
- Ces découvertes se rattachent, par des liens étroits, aux magnifiques travaux de l’illustre savant sur le monde microscopique. Jusqu’à lui on avait admis que le vin est un liquide dont les principes réagissent sans cesse les uns sur les autres, qui se trouve constamment dans un état de travail moléculaire particulier, et que, lorsqu’il renferme une matière azotée
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- 1
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- Fig, 1. — Appareil de M. Terrel des Chênes, chauffant 10 hectolitres à l’heure.
- de la nature du gluten, ou, comme on dit aujourd’hui, albuminoïde, celle-ci peut se modifier ou s’altérer par des causes inconnues et provoquer alors les diverses maladies du vin. Or, un des résultats principaux des études de M. Pasteur est précisément d’établir que les variations qui s’observent dans les qualités du vin abandonné à lui-mème soit en tonneau, soit en bouteille, reconnaissent pour causes des influences extérieures à sa composition normale. De l’ensemble de
- ses observations et de ses expériences, il s ensuitquel vieillissement des vins réside essentiellement dans les phénomènes d’oxydation dus à l’oxygène de l’air, qui se dissout et pénètre dans le vin de diverses manières. De plus, ce n’est pas dans l’action spontanée d’une matière albuminoïde, modifiée par des causes inconnues, qu’il faut chercher une deuxième source des changements propres au vin, mais dans la présence de végétations parasitaires mi-croscop i q u e s ; celles-ci trouvent dans ce produit des conditions favorables à leur développement, et l’altèrent soit par soustraction de ce qu’elles lui enlèvent pour leur nourriture propre, soit principalement par la formation de nouveaux éléments qui sont un effet même de la multiplication de ces parasites dans la masse du liquide alcoolique.
- De là cette conséquence claire et précise qu’il doit suffire, pour prévenir les maladies des vins, de trouver le moyen de détruire la vitalité des germes des
- parasites qui leur donnent naissance, de façon à empêcher leur développement ultérieur. Mais quel est ce moyen?
- Les maladies des vins ont été reconnues dès la plus haute antiquité, et l’empirisme a tout tenté pour essayer de les prévenir ; ses efforts sont loin d’avoir été stériles. Sans rappeler l’usage si fréquent de la poix-résine ou des aromates chez les Grecs et les Romains, pour donner de la durée à leurs vins, on
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- obtient de très-bons effets de conservation par l’emploi du sucre, comme pour les vins liquoreux ; par l’emploi de l’alcool, ou vinage, pratiqué avec succès soit par addition de sucre à la vendange, comme en Bourgogne, soit par addition directe d’alcool au vin, comme dans le Midi; enfin il y a le gaz acide sulfureux, car le méchage des fûts est une des plus anciennes pratiques de l’art de faire le vin. Nous laissons de côté, la pratique non moins ancienne du plâtrage, fort suivie encore dans le Midi, pour donner de la stabilité et de la limpidité au vin.
- Tous ces modes de conservation ne sont efficaces
- que parce qu’ils ont pour effet de gêner considéra-rablement le développement des parasites du vin.
- M. le professeur Scoutetten a appliqué dans le même but l’électricité ; le procédé de la congélation du vin est connu depuis fort longtemps, et M. de Vergnette-Lamotte a eu le mérite de le rendre tout à fait pratique. Il est enfin une méthode aussi simple que peu dispendieuse, dont il était réservé à M. Pasteur de montrer et de développer tous les avantages, en l’introduisant dans les usages industriels : nous voulons parler du chauffage des vins, appliqué scientifiquement à leur conservation.
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- d'ensemble de l’appareil de
- M. Terrel des Chênes à l’entrée d’une cave.
- De tout temps l’emploi de la"chaleur, sous diverses formes, a été mêlé aux pratiques de la vinification. Depuis Columelle et Pline jusqu’à Fabroni, Belon et l’abbé Rozier, jusqu’à Appert, l’on voit que le vin cuit ou soumis à l’action de la chaleur est regardé comme doué de propriétés nouvelles, de qualités plus solides. Ce n’est pourtant qu’a près des expériences aussi multipliées que précises, patiemment poursuivies pendant des années, que M. Pasteur en est arrivé à formuler d’une manière certaine les conditions d’une opération qui résout si heureusement un problème étudié depuis plusieurs siècles. C’est cette opération que nous allons maintenant décrire ; nous ne pouvons, bien entendu, entrer dans le détail des expériences à la suite desquelles l’illustre savant est parvenu à démontrer qu’il suffit de porter le vin, ne
- fût-ce que pendant une minute, à la température de 55° à 60° centigrades pour enlever aux germes de parasites qu’il renferme leur faculté de reproduction. Le procédé du chauffage des vins est aujourd’hui entré dans la pratique industrielle, et ce sont les appareils mêmes qu’elle emploie qu’il nous reste à faire connaître. Parmi ces appareils, déjà assez nombreux, nous en choisirons deux, décrits dans l’article rédigé parM. J. Raulin et inséré dans les Études sur le vin de M. Pasteur.
- Ces appareils sont essentiellement industriels; chacun olfre des avantages qui lui sont propres ; aussi ont-ils été généralement appréciés des praticiens, comme le prouvent les récompenses qu’ils ont obtenues dans divers concours : celui de MM. Giret et Vinas en particulier a obtenu, en 1870, le prix de
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- 5,000 francs, proposé, par la Société d’encouragement, pour « les meilleurs appareils de chauflage et de conservation des vins. » Trois médailles d’or ont été décernées dans diverses expositions agricoles à celui de M. Terrel des Chênes. Voici comment est construit ce dernier, qui est, comme plu-
- sieurs autres, à circulation continue et à bain-marie avec réfrigérant.
- 1° Caléfacteur (fig. 4 ) : F boîte à feu central, avec foyer à la partie inférieure; P porte latérale pour le combustible, qu'on introduit par la porte P' quand l’appareil est en marche ; B bain-marie ; v, robinet de
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- Fig 5 - Appareil de MM. Giret et Vinas, chauffant 10 hectolitres à l’heure.
- vidange. Au-dessus du bain est un réservoir ouvert à l’air libre, constamment rempli d’eau, séparé du bain-marie par une cloison horizontale et communiquant avec lui par une soupape o attachée à un levier relié au robinet v. Quand le bain atteint une température trop élevée, les gaz sortent par o, l’eau rentre, et ramène le bain à la température normale, tout en l’alimentant, ss serpentin pour la circulation du vin, formé de 40 petits tubes en cuivre de 4™m de diamètre
- intérieur, aboutissant, d’une part, à la bouche N, d’autre part à la bouche K.
- 2° Ptéfrigerant ; RR gros tuyau entourant le caléfacteur et renfermant 4’) petits tubes parallèles s' de 4um de diamètre, qui aboutissent, d’une part, à une boîte 11, où plonge un thermomètre t, d’autre part à une cavité en R à l’autre extrémité du gros tube.
- Le vin froid arrive par le tube a, pénètre en R dans le gros manchon ou réfrigérant, en sort en N' par une
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- tubulure, pour pénétrer dans le caléfacteur en N ; parcourt les 40 tubes ss du caléfacteur, sort en K, rentre par le tube l dans le réfrigérant, parcourt les 40 petits tubes s‘s‘ du réfrigérant, pour quitter l’appareil par le tube e.
- Posé sur une brouette, il peut être déplacé par un seul homme (fig. 2) ; une pompe à air A, également portée sur une brouette, comprime de l'air à la partie supérieure du tonneau T dont on veut chauffer le vin ; un tube adapté à la partie intérieure de ce tonneau envoie le vin en e dans l’appareil à chauffage B ; un autre tube S dirige le vin chauffé de l’appareil dans un tonneau vide T'.
- Résultats économiques de cet appareil (grand modèle) :
- Prix, avec tous les accessoires : 1,200 fr.; nombre d’hectolitres chauffés à l’heure à 60° : 10. Prenant le vin vers 15° et le portant à 60°, il le refroidit vers 52°. Il dépense 5 kilog. de charbon par heure, soit 1 centime 1/2 par hectolitre ; diamètre à la base : 050 ; hauteur totale, 2; poids total avec la pompe et accessoires, 250 kilog.
- Voici la description qu’il nous reste à donner de l’appareil de MM. Giret et Vinas.
- 1° Caléfacteur (fig. 3) : P boîte à feu avec tubes FF ; C bain-marie, dont le cylindre est fixé sur le foyer à l’aide de deux rebords entre lesquels est une bande de toile trempée dans de la colle de farine ; ces deux rebords sont pressés par des pinces en fer g ; MM caisse ou circule le vin, formée de deux cylindres concentriques reliées en haut et en bas par deux rondelles annulaires.
- 2° Réfrigérant: RR cylindre avec caisse inférieure NN ; le couvercle du cylindre extérieur est mobile, fixé au cylindre par une disposition g' comme en g ; les surfaces en contact avec le vin sont étamées.
- Le vin sort de T par le tube A, passe en NN, qu’il parcourt de bas en haut ; par le tube B, il va en MM, sort en B' après avoir été chauffé, rencontre le thermomètre t qui en indique la température maxima, repase en D, où il se refroidit en parcourant de haut en bas la boîte extérieure, et sort en pour se ren-au tonneau. r, servent à vider l’appareil après l’opération. Les tubes terminés par un entonnoir, prenant naissance en B et en D, servent au dégagement de l’air et des gaz.
- Comme prix, rendement, dépenses en combustible, cet appareil se rapproche beaucoup du précédent.
- Bien que ces deux appareils semblent encore susceptibles de recevoir quelques améliorations, même assez importantes, il ne faudra certainement pas chercher à s’écarter beaucoup de leur disposition pour les perfectionnements qu’on tentera de réaliser. Tels qu’ils sont, ils ont déjà rendu des services immenses, et l’industrie vinicole ne tardera pas à jouir sans réserve d’un des plus précieux bienfaits dont elle soit redevable à la science française.
- Chaules LETONT.
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- LES ŒUFS DE POULPE
- La récente incubation des œufs de l’Octopus, que possède l’aquarium de Brighton et dont nous avons précédemment parlé (p. 95), est actuellement surveillée avec avidité par plusieurs naturalistes. M. Lee a publié dans Land and Water de curieux détails sur la maternité de cet être bizarre connu vulgairement sous le nom de pieuvre.
- L’Octopus balance doucement sa grappe d’œufs, comme en un berceau, dans la membrane en forme de bateau ou d’auge, d’un de ses bras. Il leur prodigue les plus grands soins, les quittant rarement même pour un instant, si ce n’est pour prendre la nourriture qui serait hors de sa portée s’il n’abandonnait pas sa position. L’antique naturaliste de Stagyre n’avait donc pas de notions exactes, lorsqu’il affirme que la femelle ne prend aucune nourriture pendant l’incubation, et qu’elle s’affaiblit, s’épuise maigrit. Dans le bassin où se trouve l’Octopus que nous étudions, il s’en trouve sept autres de la même espèce ; on leur jette chaque jour pour leur nourriture environ 25 crabes vivants (carcinus menas). Bien que la femelle quitte rarement son nid, elle en obtient cependant généralement sa part, et je l’ai vue saisir avec trois de ses bras, et attirer vers elle trois crabes à la fois. Leur test est bientôt écrasé et broyé par son bec puissant ; et, lorsqu’elle a dévoré le contenu, les débris du test sont rejetés hors de son autre.
- Si Aristote s’est trompé en supposant que l’Octo-pus femelle ne prend pas de nourriture pendant la période de développement de ses œufs, je pense qu’il a eu raison d’admettre que l’anxiété de la mère pour sa progéniture et ses soins incessants agissent défavorablement sur sa santé. Une poule qui couve maigrit, et je m’imagine quelquefois que notre poulpe donne des signes de dépérissement. Sa respiration semble parfois pénible. Lorsque l’eau est inhalée (j’emploie ce mot à dessein, car l’animal respire l’oxygène qui y est contenu) à la partie ouverte du manteau-sac, le tube-siphon, à son orifice, est souvent tiré puissamment au dedans, et lorsque la paire de soufflets du corps se ferme, la même ouverture du tube est distendue à l’extrême par la sortie de l’eau exhalée. L’Octopus femelle tourne souvent l’orifice de son tube, comme le pompier fait de la lance de son tuyau, de façon à diriger un jet de l’eau qui sort, sur ses œufs ; dans quel but, je suis incapable de le dire. Mon opinion est qu’une incubation réelle n’est pas nécessaire, et qu’elle n’a pas lieu. Je crois que la mère veille sur ses œufs pour les protéger et les empêcher d’être dévorés par les poissons ou par d’autres poulpes, peut-être même par leur propre père.
- Jusqu’à ces derniers temps, aucun des naturalistes vivants ne connaissait les œufs de l’Octopus ni leur incubation ; mais, depuis bien des années, j’ai recueilli de temps en temps des œufs de Sepia et de
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- Loligo à différents états de développement, et je les ai fait éclore sans le secours de leur mère, simplement en les suspendant dans un bassin ou un baquet dont je changeais l’eau fréquemment. La même chose a été faite par feu mon ami John Keast Lord, l’année dernière, à l’aquarium de Brighton, où cette éduca-don se fait maintenant, avec les œufs des deux espèces. Dans quelques-unes des grappes d’œufs de la Sepia, apportées il y a quinze jours, les jeunes Seiches se sont considérablement approchées de leur forme parfaite. D’abord, le petit animal a la tête et les yeux démesurément larges, mais graduellement il arrive à ressembler davantage à ses parents. Sil'on écarte le tégument noir, comme on enlèverait la pelure d’un grain de raisin, on peut voir l’embryon se mouvant dans le fluide qui remplit l’œuf. Épluchez sous l’eau ce petit pépin de raisin vivant, et il se mettra à nager avec pleine connaissance et en possession de toutes ses facultés, aussi libre et aussi dégagé que s’il connaissait le monde depuis longtemps. Il voit les obstacles et les évite ; et si vous le retirez de l’eau et le prenez dans votre main, le précoce petit gail-.ard, qui n’est pas né depuis une minute, vous tachera les doigts de son encre. Vous pouvez dompter | un vieux poulpe, il apprendra à vous reconnaître i comme un ami, qui ne lui veut pas de mal ; mais les jeunes sont aussi timides que nos bébés, et regardent tout le monde, leur mère exceptée, comme ennemi. (Société linnéenne.)
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- CHRONIQUE
- Le volcan Mauna Loa. — Il est actuellement en pleine éruption. Son cratère comme on le sait, domine l’Océan, au milieu d’une des îles Sandwich, et les navigateurs qui ont passé récemment dans ces parages, affir-ment que le ciel est embrasé à plus de 100 kilomètres à la ronde par les feux que vomit le gouffre béant. Une illumination, grandiose, incomparable, éclaire l’ile tout entière : on entend des mugissements lointains, des grondements sourds, qui forment le concert de cette effroyable fête du domaine de Pluton.
- Une grue colossale. — Le Scientific American donne la description d’un appareil flottant du genre des grues, mais de proportions colossales, dont il est fait usage pour la construction des nouveaux quais de New-York. Cette puissante machine, pour laquelle son constructeur, M. Bishop, a été breveté, a déjà été employée lors de la construction de l’aqueduc du High Bridge. La partie flottante de l’appareil est de forme rectangulaire ; un des côtés a 65 pieds de long, l’autre en a 70. Sa profondeur sous l’eau est de 15 pieds. Cette espèce de caisse est construite principalement en bois de pins de Géorgie. Pour éviter tout jeu du bois et tout changement de forme, le tout est cerclé de 16 ligatures en fer. Une tour est construite sur cette caisse et supporte la grue proprement dite. La charpente de cette tour se compose de 12 madriers de 65 pieds de longs qui mesurent 14 pouces carrés à leur extrémité inférieure et 12 à leur extrémité supérieure. Ces madriers, solidement fixés par le bas dans un cercle de fer, se réunissent par le haut et sont liés ensemble par un
- autre cercle de fer sur lequel il sont boulonnés. Sur ces madriers sont clouées des planches qui font de l’appareil une véritable tour conique creuse dans l'intérieur de laquelle est placé le moteur qui fait mouvoir une vergue de fer de 65 pieds de long placée sur le sommet de la tour et dont un des bras peut manœuvrer des blocs de bétons de 100,000 kilogrammes !
- La société de microscopie de Victoria. — Un meeting s’est dernièrement réuni dans la salle des séances de la Société royale à Melbourne, dans l’intention de fonder une société de microscopie. Depuis longtemps, les personnes adonnées à ce genre d'études désiraient se réunir afin de comparer le résultat de leurs travaux et de se donner réciproquement des conseils. La motion du docteur Robertson, « qu’il est désirable dans l’opinion du meeting'de former une société qui recevra le nom de société de microscopie de Victoria », a été adoptée sans discussion. Cette société sera divisée en deux classes : la première composée d’observateurs expérimentés qui en seront membres, la seconde d’amateurs et d’étudiants qui seront associés. Dans la même séance, un comité provisoire a été constitué pour étudier les règlements et statuts de la société et les soumettre à la prochaine réunion, qui a dû avoir lieu le 29 août.
- L’Association française pour l’avancement des sciences. — Le succès des deux premières sessions de l'Association française a engagé plusieurs villes à inviter l’Association à les choisir comme lieu de réunion pour les années suivantes: le Congrès de 1874 doit se réunir à Lille, d’après le vote de l’assemblée générale ; des propositions ont été faites pour 1875 par Toulouse, le Havre, la Rochelle, Nantes. Dans cette dernière ville, sur les instances de la Société académique de la Loire-Inférieure, le conseil municipal a voté une somme de 10,000 francs pour les frais de session si le Congrès se réunit à Nantes en 1875 ; dans cette somme il a été entendu que ne doivent pas être compris les frais de réception et les fêtes s’il en est donné. D’autre part le conseil général a émis le vœu que la session de l’Association eût lieu à Nantes et a promis, dans ce cas, de voter une subvention. Les fonds mis à la disposition de l’Association sont loin d’atteindre les sommes votées par les villes anglaises pour les sessions de l’Association britannnique ; nous pensons cependant qu’il est intéressant de signaler ce fait qui prouve que I on commence en France à se rendre compte de l’utilité générale qui s’attache au progrès delà science.
- ’ Concours régionaux agricoles. — Les concours régionaux pour 1874 se tiendront dans les départements suivants : Aisne, Alpes-Maritimes, Indre, Landes, Loire-Inférieure, Lozère, Manche, Saône-et-Loire, Deux-Sèvres, Tarn et Yonne; on s’occupe en ce moment de désigner les villes qui seront les sièges de ces solennités. Il faut pour cela le concours des municipalités. Dès aujourd’hui des décisions sont prises dans les six villes suivantes : Soissons pour l’Aisne, Châteaudun pour l’Indre, Auxerre pour l'Yonne, Albi pour le Tarn, Mende pour la Lozère, Nice pour les Alpes-Maritimes. Soissons est, dans ce nombre, la seule ville qui ne soit pas le chef-lieu du département.
- Une baleine prise dans un câble télégraphique. — Le câble télégraphique du golfe Persique à dû être relevé au mois de juillet dernier, pour être soumis à des réparations urgentes. A mesure que cette opération toujours difficile s’exécutait, on remarqua que le remon-
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- tage devenait de plus en plus dur ; la machine du treuil I fonctionnait difficilement, quant on vit tout à coup appa-raitre à fleur d’eau une baleine qui se trouvait prise comme | dans un nœud coulant. Les fils formant enveloppe étaient brisés, la gutta-percha, déchirée. Il semble probable que cette baleine cherchant à s'emparer des parasites qui se fixent habituellement sur les câbles, s’est subitement trouvée enlacée dans le fil, pendant qu’on le remontait à la surface de la mer. En se débattant elle s’est enroulée à la naissance de la queue. Comme le câble présentait des morsures fréquentes dans certains endroits voisins de celui où le cétacé avait été pris, les ingénieurs ont supposé que des requins ou d'autres monstres marins ont été cause de la désagrégation qui avait intercepté le courant électrique.
- Vitalité des insectes aquatiques. — Le docteur J.-R. Schiner rapporte, dans les Verhandlungender Kaiser-liih-Koniglichen zoologisch-bolanischen Gesellschaft in Wien, un étonnant exemple de la vitalité des insectes aquatiques. Il avait laissé un aquarium complètement à sec, depuis le mois d’août jusqu’au mois d’octobre 1871. A son retour, il voulut l'emplir de nouveau. Lorsque, au bout de quelques heures, l’eau fut devenue claire et transparente, il y vit, à sa grande surprise, s’agiter six petits insectes : trois Halyplus, deux espèces de Philhydrus, et anColym-beles. Cependant, les fenêtres de l’appartement étaient restées fermées, et l’eau, puisée à la fontaine delà maison, était parfaitement claire. Il faut donc admettre que les insectes avaient vécu dans une sorte d’engourdissement. Le dessèchement, même complet, d’uu étang ne suffit donc pas à faire mourir ou émigrer tous les insectes parfaits qui y habitaient. (Société Linnéenne.)
- Une découverte archéologique. — Il n’est bruit à Nidau que d’une trouvaille merveilleuse. On aurait pêché dans la Thielle une longue caisse de quatre pieds de long, marquée aux chiffres I d. I, toute bardée de fer et pleine de pièces d’or. On prétend qu’en 1588, dit le Journal de Genève, les Bernois laissèrent chavirer sur la rivière, gonflée par les eaux, une de leurs barques qui servaient au siège du château, et que, dans cette barque, se trouvait déposée la caisse en question. C’était àl’époqueoù Enguerrand IV, le dernier des sires de Coucy, avait reçu de l’Autriche le comté de Nidau comme apanage. Ce qui resta des biens du sire de Coucy fut cédé aux Orléans. On a également mis à découvert une butte lacustre dans laquelle on a trouvé toute une famille, dont les squelettes sont assez bien conservés pour qu’on puisse encore voir la peau et les cheveux. Le tout sera déposé incessamment au musée de Nidau.
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- ACADÉMIE DES SCIENCES
- Séance du 15 octobre 1875. — Présidence de M. DE QUATIEFAGES.
- Encore un deuil : M. Antoine Passy est mort cette semaine. L’Académie n’a pas pu se faire représenter à ses obsèques, qui ont eu lieu loin de Paris, mais une notice biographique sera rédigée par le doyen de la section à laquelle appartenait l’académicien décédé. — A cette occasion, signalons l’apparition d’un volume, déposé sur le sureau par M. Dumas et qui sera lu avec le plus vif in
- térêt par tous les amis des sciences. C’est la biographie complète de Rumfort. Américain de naissance, il fut longtemps ministre en Bavière, contribua puissamment à Londres à la fondation de l’Institution royal avec Davy et Faraday, enfin habita Paris pendant de nombreuses années et prit part aux travaux de l’Institut. Le volume présenté aujourd’hui constitue l’introduction aux œuvres complètes de Rumfort, dont l’éditeur est M. Ellis.
- Ascension scientifique. — Le secrétaire perpétuel résume avec le plus grand soin la relation que notre rédacteur en chef, M. Gaston Tissandier, adresse de son dernier voyage aérien. Les deux faits signalés spécialement par M. Dumas comme particulièrement intéressants sont, d’une part, les brusques variations observées par le voyageur, quant à l’élat hygrométrique de l’air des diverses couches traversées, et en second lieu l’apparition d’une magnifique auréole lumineuse autour de l’ombre portée par l’aérostat au moment où celui-ci passait au-dessus d’une prairie.
- Le climat des montagnes. — Le sujet traité par M. le D' Lombard sera une transition entre la communication précédente et les travaux absolument terrestres qui suivront : il s’agit du climat des montagnes considéré surtout au point de vue de l’hygiène et de la médecine. D'après l’auteur, les populations montagnardes sont pres-que complètement à l’abri de la phthisie pulmonaire ; seulement, comme il paraît que les pneumonies sont très-communes chez elles, on peut regarder leur bénéfice comme fort douteux. Une remarque intéressante mais qui, semble-t-il, aurait dû être faite depuis longtemps, est relative aux malades auxquels on ordonne l’air des montagnes : elle consiste dans la nécessité, lors d’une pareille prescription, d’avoir égard à l’altitude que le malade habite normalement. Ainsi le séjour à 600 mètres fera le même effet sur un malade habitué à l’altitude de 300 mètres que celle-ci à un riverain de l’Océan.
- Un réactif de la galène. — Un phénomène jusqu’ici mystérieux, mais qui n’en est pas moins propre à rendre des services aux minéralogistes et aux chimistes, est signalé par M. Janneltaz, aide-naturaliste au Muséum. Il s'agit du dégagement très-net de l’hydrogène sulfuré lorsque l'on broie le sulfure de plomb ou galène avec le b -sulfate de potasse sec. Les autres sulfures naturels essayés n’ont pas reproduit ce dégagement inattendu qui paraît propre à faire reconnaître la galène jusque dans ses mélanges. Le fait est d’autant plus remarquable que le su-fure de plomb est l’un des composés les plus stables que l’on connaisse.
- Le phylloxéra. — Le phylloxéra continue d’exercer la sagacité et la patience des observateurs. Laissons de côté l’idée fort peu pratique de M. Pollet (?), qui consiste à combattre l’insecte par de la mie de pain déposée au pied des ceps infectés. Nous avons aujourd’hui à analyser un nouveau travail de M. Maxime Cornu. Cet infatigable observateur a voulu savoir comment, en définitive, le phylloxéra des racines passe aux feuilles, et il y est parvenu. On pensait que le phylloxéra des racines, prenant des ailes à la suite de ses métamorphoses, allait se fixer sur des feuilles, où il déterminait le développement des galles. Mais il paraît que les choses se passent autrement. Lorsque les racines dont l’insecte fait sa nourriture de prédilection viennent à s’épuiser, le phylloxéra les quitte et parvient à la surface du sol. Quoique pourvu seulement d’yeux rudimentaires, il est très-sensible à l’action de la lumière, et
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- dans plusieurs expériences, il a paru même le rechercher avec empressement. Une fois sur le sol, il grimpe le long d’une tige, atteint les feuilles les plus jeunes et par conséquent les plus tendres, et là s’établit en déterminant les désordres déjà décrits. Il faut qu’il soit en disposition convenable pour faire cette ascension, car le plus souvent, quand on le transporte sur la feuille, il se laisse tomber à terre pour regagner les racines.
- Le phylloxéra du chêne. — Comme on sait, la vigne n’est pas le seul végétal soumis aux attaques du phylloxéra; trois autres végétaux sont dans le même cas et chacun a son insecte particulier. Le phylloxéra du chêne se présente dans des conditions spécialement favorables à l’étude, et M. Balbiani les a mises à profit. Dans son travail d’aujourd’hui, qui n’est qu’un commencement, l’auteur s’occupe surtout de l’anatomie et de la physiologie de l’insecte, et il montre comment le [curieux mode de reproduction dit parthénogénèse, qui s’étend à l’aide d’un seul mâle à plusieurs générations successives de femelles joue un rôle considérable dans la multiplication des parasites. Comme le remarque M. Dumas, ces faits sont d’autant plus intéressants qu’ils peuvent éclairer divers points de l’histoire du phylloxéra de la vigne.
- Faune ornithologique de Vile Rodrigues.— La séance est terminée par la lecture d’un très-intéressant mémoire de M. Alphonse Milne Edward, sur les oiseaux dont on trouve les ossements dans les dépôts les plus superficiels de l’ile Rodrigue. Ces oiseaux, disparus complètement de la nature vivante actuelle, peuplaient l’ile il y a moins de 200 ans, en 1691, époque où le voyageur Leguat la visita. Il y a dans les faits consignés au mémoire de nombreuses données du plus haut intérêt, au point de vue général du renouvellement des faunes à l’égard duquel il faut déplus en plus renoncer à l’ancienne supposition de cataclysmes faisant à chaque instant table rase de tout ce qui existait, pour le remplacer par quelque chose de nouveau.
- Séance du 20 octobre 1875.
- Reproduction du phylloxéra. — Encore aujourd'hui, le phylloxéra a les honneurs de la séance. Poursuivant ses études sur le phylloxéra du chêne, M. Balbiani donne des détails relatifs au mode de reproduction de ce parasite. Comme on l’a vu plus haut, les femelles ailées, sont fécondes sans réclamer le concours d’aucun mâle. Les œufs qu’elles pondent sont de deux espèces différentes et reconnaissables à leur aspect extérieur ; des uns sortent des mâles et des autres des femelles. Presque au sortir de l’œuf ces nouveaux venus se recherchent et s’accouplent à la manière de la plupart des animaux et tout à l’inverse de leurs parents immédiats.
- Ces phylloxéras construits en vue exclusive de l’acte générateur sont sous tous les rapports extrêmement mal développés. On en jugera par ce seul détail : leur système digestif est complètement rudimentaire ; ils n’ont ni trompe ni bouche et ils se nourrissent pendant les quelques jours de leur existence, aux dépens de la matière vitelline qui remplit leur intestin. Tandis que les femelles fertiles par parthénogenèse sont extrêmement prolifiques, celles qui ont subi l'accouplement ne pondent qu’un œuf, et celui-ci, au lieu d’éclore très-rapidement comme c’était le cas tout à l’heure, est le siège d’un travail très-lent d’évolution. Tout porte à penser qu’il est destiné à
- passer tout l’hiver à mûrir pour donner au printemps une génération capable de se multiplier très-vite.
- Le phylloxéra en Amérique. A son retour d’une mission remplie aux États-Unis dans le but d’étudier le phylloxéra dans sa patrie d’origine, M. Planchon expose à l’Académie qu’il existe de l’autre côté de l’Atlantique des cépages absolument épargnés par le fléau. Ce sont spécialemen t ceux où l’on cultive une espèce de vigne dont les racines sont âcres au lieu d’être douceâtres, et il se pourrait que nos vignes greffées sur ce bois échappassent à l'attaque de l’insecte. Malheureusement des considérations de physiologie végétale tirées de la diversité des bois qu’on observe entre nos vignes et celles d’Amérique, font craindre que la greffe ne réussisse pas.
- Le remède au phylloxéra sera peut-être dans un petit animal que M. Planchon rapporte dans un tube et que les Yankees désignent sous le nom de Cannibale de phylloxéra. C’est un acarien qui vit sur les racines de la vigne mais qui loin de leur nuire les protège en faisant une chasse sans trêve ni merci au parasite. La manière dont celui-ci s’est acclimaté chez nous fait espérer que son ennemi se fera de même à notre pays. M. Planchon en va faire éclore cet hiver afin de pouvoir tenter au printemps des expériences dans ce sens.
- Planètes et étoiles doubles. — Les planètes parcourent, autour du soleil, une courbe fermée : ce fait suffit à M. Bertrand pour découvrir à nouveau les lois de la gravitation. Si l'on veut, le savant géomètre montre que toutes ces lois découlent, comme conséquences forcées, de la première proposition. La chose est évidemment curieuse mais sans intérêt pratique, puisque le mouvement planétaire est aujourd’hui connu. Il n’en est plus de même si l’on applique la démonstration, comme le fait l’auteur, au cas des étoiles doubles. Ici encore il y a parcours d’une courbe fermée; mais c’est tout ce que peut indiquer l’observation. Cela suffit, d’après ce que nous venons de dire, pour démontrer que, dans ces systèmes éloignés, les lois de Newton ont toute leur force comme autour du] soleil. — « C’est gentil, » murmure M. Paye.
- Ammoniaques composés de l'esprit de bois. — Parmi les découvertes considérables de la chimie organique, se place, au premier rang, celle des ammoniaques composés à laquelle est attaché le nom de notre compatriote, M. Wurtz. Tout ce qui se rapporte à la nature de ces corps complexes est digne du plus haut intérêt, et c’est à ce titre que nous mentionnons le travail de M. Vincent. Ce chimiste s’est demandé d’où proviennent les ammoniaques composés qui accompagnent l’esprit de bois, avec une telle persistance, qu’il y a eu un notable progrès quand on a pu trouver à leur égard un procédé de purification. Pour résoudre la question qu’il s’était posée,] M. Vincent a étudié successivement l’action de l’ammoniaque sur tous les corps qui prennent naissance dans la distillation du bois, et il a reconnu que ni l’alcool méthylique, niles carbures d’hydrogène, ni l’acide acétique, ne donnent les produits cherchés. C’est un dérivé secondaire de la distillation, l’acétone, due à une modification spéciale de l’acide acétique, qui, au contact de l’ammoniaque et par voie de substitution, peut don. ner trois ammoniaques composés parfaitement distincts et parfaitement caractérisés.
- Stanislas Meunier.
- Le Propriétaire-Gérant : G. TISSANDIER.
- PAIS. — IMP. SIMON RAÇON ET COMP., BUE D’ERFURTII, 1.
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- No 22. — Ie' NOVEMBRE 18 73.
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- LES TAUPINS LUMINEUX
- Les personnes qui s’intéressent un peu aux insectes, qui les observent pour augmenter l'agrément des promenades à la campagne, connaissent des coléoptères, nommés élatériens par les entomologistes, et qu’on voit voler dans les prairies, les clairières, sur les bords des routes, surtout dans les mois de mai et de juin. Le plus souvent d’une couleur noire ou bronzée, souvent aussi revêtus de poils soyeux couchés, parfois d’un beau rouge, ils sont remarquables par leur forme oblongue, leur grand corselet en trapèze, plus ou moins prolongé en pointe aux angles
- postérieurs, et par la brièveté de leurs pattes. Impuissants pour cette raison à se retourner lorsqu’on les place sur le dos en cherchant à prendre appui avec leurs pattes, ils sautent brusquement et retombent sur le ventre, produisant un bruit sec, d’une certaine analogie avec un coup de marteau, qui les a fait appeler taupins, maréchaux ; ce petit manège, qui amuse beaucoup les enfants, a donné à la tribu constituée par ces insectes son nom scientifique, traduction de scarabées à ressort de quelques auteurs anciens. Le corps retourné se cambre sur le plan de position, en s’appuyant au moyen de la tête et de l'extrémité de l’abdomen. Une pointe du dessous du corselet pénètre, par un brusque mouvement de l'in-
- Cucujos de la Havane.
- Pyrophorus strabus, vu de profil. — Pyrophorus nocliculus, au vol et au repos.
- secte, dans une fossette du dessous de l’anneau suivant, et le dos vient alors heurter le plan d’appui, d’où, par réaction, l’animal est lancé en l’air.
- Une grande famille de ces insectes, des régions chaudes de l’Amérique, a une autre propriété encore plus curieuse, bien connue depuis longtemps, mais sur laquelle l’attention publique a été de nouveau appelée tout récemment, même dans les journaux non scientifiques.
- Ces élatériens sont les pyrophores ; doués d’une phosphorescence bien plus vive que celle de nos modestes vers luisants, émaillant l’herbe de leurs petits feux, et même que celle des lucioles, voltigeant en étincelles plus vives dans les broussailles, sous les yeux émerveillés des touristes en villégiature à Cannes ou à Hyères.
- Le siège de la phosphorescence des taupins lumineux n’est pas le même ; il réside dans deux gran-
- des taches elliptiques d’un jaune clair pendant le jour placées sur les côtés du corselet, et aussi en une tache triangulaire blanchâtre et transparente, située en dessous sur la membrane qui unit au thorax le premier anneau de l’abdomen. L’éclat répandu est assez fort pour permettre de lire à petite distance. Vers le milieu du siècle dernier, des morceaux de bois des îles contenant des larves ou des nymphes de pyrophores se trouvaient dans un atelier du faubourg Saint-Antoine. Les insectes vinrent à éclosion, et en volant pendant les premières heures de la nuit, illuminèrent par intervalles les fenêtres de vastes pièces complètement inhabitées à cette heure. Il n’en fallait pas tant pour amener un rassemblement de curieux, les Parisiens d’autrefois étant tout pareils à leurs descendants. Grand émoi ! c’est à qui n’osera entrer pour saisir les âmes errantes de ces revenants dont les lueurs présageaient quelque grand désastre. L’his-
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- toire est rapportée tout au long dans une lettre d’un médecin du quartier, le docteur Rondazoy, lettre qu’insérèrent les Mémoires de l’ancienne Académie des sciences, en 1766. Au nouveau monde, les pyrophores furent le sujet d’une autre illusion. Lorsque les bandes espagnoles se ruèrent au massacre des indigènes, une troupe, nouvellement débarquée et en hostilité avec les anciens occupants, crut voir dans les nombreux pyrophores brillants au bord d’un bois les mèches des arquebuses d’une armée et n’osa engager la bataille. Les indigènes des régions qui forment aujourd’hui les Guyanes, la Colombie, le nord du Brésil, se servent depuis un temps immémorial de ces insectes, qui, après le coucher du soleil, illuminent des broussailles de leurs girandoles étincelantes. Ils les attirent en balançant en l’air des charbons ardents, ce qui montre bien que les lueurs phosphorescentes sont des flambeaux d’hyménée destinés à l’appel des sexes.
- Les Indiens attachent les pyrophores au bout d'une petite baguette ou sur les orteils de leurs pieds nus, et s’éclairent ainsi dans les ténèbres des bois. Leurs femmes s’en forment des colliers et des pendants d’oreilles, ou en ornent leurs noires chevelures, bien plus éblouissantes sous les larges feuilles des palmiers que les reines de l’Europe avec leurs diadèmes de diamants.
- Les dames créoles ont imité dans leur coquetterie les filles sauvages des bois. A la Havane, se trouve l’espèce de pyrophore la plus commune en Amérique le P. noctilucus Linn. Dès la fin d’avril, après les premières pluies, on les voit voler au crépuscule dans les lieux boisés et les plantations de cannes à sucre. Pendant le jour ils restent cachés dans les creux d’arbres, les troncs pourris, sous les herbes fraîches, car ils aiment beaucoup l’humidité et on ravive leur phosphorescence d’éclat un peu verdâtre, en le plongeant dans l’eau. Ils portent à la Havane le nom de cucujos ou cocuyos, et cessent de paraître à la fin de juillet ; mais on peut les conserver captifs dans des petites cages de jonc ou de fils de fer, jusqu’au mois de novembre, en les nourrissant avec des morceaux de canne à sucre, et en ayant soin de les baigner deux fois par jour afin de remplacer pour eux les rosées du matin et du soir. Ce sont les bijoux vivants des dames, d’un bien autre éclat que les pierres précieuses. On les introduit le soir dans de petits sacs en tulle léger qu’une habile femme de chambre attache avec goût sur les jupes ; d’autres, entourés de plumes d’oiseaux-mouches et de diamants, sont piqués dans les cheveux avec la mantille, au moyen d’une longue aiguille qui passe sans les blesser, entre leur tète et le corselet. J’emprunte quelques détails à M. Chanut, au sujet des dames créoles de la Havane, à qui les pyrophores servent de jouet. « Souvent, par un charmant caprice, elles les placent dans les plis de leur blanche robe de mousseline, qui semble alors réfléchir les rayons argentés de la lune, ou bien elles les fixent dans leurs beaux cheveux
- noirs. Cette coiffure originale a un éclat magique, qui s’harmonise parfaitement avec le genre de beauté de ces pâles et brunes Espagnoles. Une séance de quelques heures, dans les cheveux, ou sous les plis de la robe d’une senora, doit fatiguer ces pauvres insectes habitués à la liberté des bois. Cette fatigue se révèle par la diminution ou la disparition passagère de la lumière qu’ils émettent ; on les secoue, on les taquine pour la ramener. Au retour de la soirée, la maîtresse en prend grand soin, car ils sont extrêmement délicats. Elle les jette d’abord dans un vase d’eau pour les rafraîchir; puis elle les place dans une petite cage où ils passent la nuit à sucer des morceaux de canne à sucre. Pendant tout le temps qu’ils s’agitent, ils brillent constamment, et alors la cage, comme une veilleuse vivante, répand une douce clarté dans la chambre. » En recherchant les bois décomposés, où vivent les larves de ces taupins lumineux, on pourrait aisément les amener en France en grand nombre, et les faire éclore en serre chaude, peut-être même avoir une reproduction. Je ne sais trop si j’oserai soumettre cette idée aux graves membres du conseil de la Société d’acclimatation, mais ces insectes seraient l’objet d’un fructueux commerce. Je prédis un succès étourdissant à la première de nos élégantes, du monde ou du demi-monde, qui, par une belle soirée d’été, ferait le tour du lac, en femme de feu, couverte d’étoiles animées.
- Le P. noctilucus a été tout récemment présenté à l’Académie des sciences, à l’état vivant, par M. le marquis de dos Harmanas, qui en avait emporté plus de quinze cents de la Havane 1.
- Il a fourni à MM. Robin et Laboulbène2 l’objet d’une étude intéressante sur l’appareil lumineux de ces insectes. Au-dessous du mince tégument qui recouvre les taches phosphorescentes, existe l’organe photogène, masse humide, charnue, grisâtre, semi-transparente ; plus profondément se trouve une couche de tissu adipeux, d’un blanc mat, que traversent les nerfs et les trachées de l’organe, les uns et les autres fort nombreux, surtout les dernières, en raison de la quantité considérable d’oxygène nécessité par la combustion de la matière phosphorescente. Plusieurs années auparavant on avait présenté à la savante compagnie un autre pyrophore vivant, provenant des terres chaudes du Mexique, le P. strabus, Germar, au fin pelage cendré. Nous remarquerons, en manière de digression, que notre malheureuse expédition du Mexique n’a laissé absolument d’autres résultats que quelques découvertes scientifiques intéressantes, et l’introduction en France des axolotls, acclimatés aujourd’hui. Quoique la fin ait été achetée un peu cher et arrosée de trop de sang, il nefautpas s’en plaindre ; la politique passe, la science reste. J’ai vu chez M. E. Blanchard, ces pyrophores mexicains. Leur lumière est encore plus verte que celle
- 1 Comptes rendus de l’Académie des sciences. — 2° semestre 1877, n° 5, p. 155,
- 2 Gomples rendus. — 2“ semestre 1873, n° 8.
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- des pyrophores noctiluques de la Havane, et ressemble à la couleur des lanternes de certaines voitures publiques. L’analyse de cette lumière a été faite alors au spectroscope par MM. Pasteur et Gernez1. Le spectre en est fort beau, mais continu, sans aucune apparence de raies. On était auparavant arrivé au même résultat pour le spectre de la phosphorescence des lampyres ou vers luisants, autres coléoptères, et aussi des lombrics phosphorescents (annélides).
- Dans l’ancien monde existent, dans quelques îles de la Mélanésie, des élatériens analogues aux pyrophores de l’Amérique, et doués aussi de la phosphorescence avec les mêmes organes. M. Candèze en a formé le genre photophorus, comprenant actuellement trois espèces, des Nouvelles-Hébrides, des îles Viti, de l’île Lifu.
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- LES ILES DES NAVIGATEURS
- Les îles Samoa, ou des Navigateurs, forment un'des archipels les plus intéressants des parages qui avoisinent le port d'Apia, en Océanie ; elles ont, dans ces derniers temps, attiré l’attention des Américains et des Allemands et commencent à jouer un rôle assez important dans le commerce général des pays civilisés. La Gazette d'Augsbourg publie une correspondance curieuse, envoyée d’Apia, sur la description des îles des Navigateurs, et sur les mœurs de leurs habitants, dont le nombre s’élève environ à 60,000 âmes. Les renseignements fournis par la feuille allemande ont été traduits dans le Journal officiel, auquel nous empruntons quelques documents du plus haut intérêt.
- Sous les rapports physique et intellectuel, les insulaires des îles Samoa sont supérieurs à ceux des autres archipels, bien qu’il n’aient pas renoncé à toute vélléité de cannibalisme. Le sol y est d’une fertilité extraordinaire. Cependant jusqu’ici les seuls articles d’exportation ont été l’huile de noix de coco, la racine d'arrow, le caoutchouc, la fève de ricin, le gingembre, le café, le tarro, la racine de yam, le fruit de l’arbre à pain et le coton. On y pourrait planter du riz et du sucre; mais h population est trop indolente, et il faudrait, pour augmenter la production, des émigrants européens apportant leurs bras et leurs capitaux.
- Pendant les quatre dernières années, une guerre sanglante a régné entre les différentes îles, chacune prétendant à la suprématie. On a enfin conclu la paix, et il en est sorti une espèce de république fédérale, sous l’administration temporaire d’un président résidant à Apia. Habitués de longue date au maniement de la massue, de l’arc et de la lance, les indigènes ne sont pas encore très-familiers avec les armes à feu, bien que ces dernières se trouvent dans presque toutes les mains. Dans la chaleur du
- 1 Comptes rendus, t. LIX, p. 509 (19 septembre 1864).
- combat, ils se ruent les uns sur les autres, et frappent avec la crosse, ne commençant à tirer que lorsqu’ils sont derrière leurs remparts. Le tomahawk des Indiens d’Amérique joue aussi son rôle.
- Après une bataille, les femmes se rendent dans le camp ennemi pour réclamer les têtes coupées. Dans l’accomplissement de cette mission, elles sont tenues pour sacrées, et nul n’oserait porter la main sur elles. D’ailleurs, elles sont l’objet de plus de respect que chez d’autres tribus sauvages ; elles ne travaillent pas comme chez les Indiens ; ce sont les hommes qui font les ouvrages les plus durs. La polygamie leur est inconnue ; cependant, le mariage n’y est soumis à aucune formalité. Quand un garçon et une fille se conviennent, ils s’unissent, jurant de marcher ensemble dans la vie, et ce lien est considéré comme légal.
- Le teint des indigènes est d’un sombre olivâtre ; mais les enfants nés de blancs et de femmes du pays ont le teint beaucoup plus clair, avec une peau transparente.
- Dans l’absence d’une loi écrite, les chefs des différentes tribus se sont adressés récemment à quelques consuls étrangers pour leur demander leur concours dans la rédaction d’un code.
- LES PIERRES QUI TOMBENT DU CIEL
- (Suite. — Voy. p. 81, 292, 324.)
- Jusqu’ici on ne connaît que quatre chutes bien constatées de météorites charbonneuses. Chronologiquement, ce sont celles d’Alais (Gard) le 15 mars 1806; de Cold-Bokkeweld, cap de Bonne-Espérance, le 13 octobre 1838; de Kaba, Hongrie, le 15 avril 1857, et d’Orgueil (Tarn-et-Garonne), le 14 mai 1864. Cette dernière, dont un échantillon est représenté dans la figure ci-contre, a été spécialement étudiée. M. Cloëz a pu en isoler la matière organique pour la soumettre à l’analyse, et lui a trouvé une composition qui la rapproche tout à fait de la matière humique que l’on trouve dans les tourbes et les lignites et des substances dites résines fossiles, comme l'ozokérite et la scheerérite.
- Dans les météorites charbonneuses, le charbon libre et les matières organiques sont mélangées à des particules pierreuses dont les plus abondantes consistent en silicates magnésiens hydratés voisins de la serpentine. On y trouve aussi de la pyrite magnétique, des cristaux de breunérite ou carbonate double de fer et de magnésie, et enfin des sels solubles tels que le chlorhydrate d’ammoniaque, le chlorure de sodium, le sulfate de soude, etc., etc. C’est une composition qui, comme on le voit, diffère profondément de celle de toutes les autres météorites. Une propriété très-remarquable des pierres charbonneuses est de se désagréger complètement sous l’influence de l’eau, pour reprendre d’ailleurs leur cohésion première sous l’action de la dessiccation.
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- Il résulte de là que si le bolide d’Orgueil, par exemple, au lieu d’arriver par un jour serein, avait traversé des couches d’air chargées d’humidité ou des nuages, au lieu de donner des pierres, il aurait fourni une poudre et peut-être même une boue. Or, ce cas s’est nécessairement réalisé dans une foule de circonstances, et c’est ainsi que s’expliquent les chutes de poussières observées fréquemment après l’explosion de bolides. Un des exemples les plus nets à cet égard se produisit à Montréal, au Canada, les 3 et 4 juillet 1814 et en novembre 1819. Les poussières tombées dans ces deux circonstances étaient semblables et caractérisées par leur couleur noire. La pluie de 1819 est la mieux étudiée, et il est probable, d’après la description qui en a été donnée, que sa composition était fort voisine de celle des météorites charbonneuses. Le phénomène fut surtout sensible à Montréal même ; le ciel s’obscurcit de plus en plus jusqu’à ce que les ténèbres fussent complètes. On entendit dans les airs des détonations formidables accompagnées de lueurs intenses que l’on prit pour des éclairs. L’opinion générale fut qu’un orage remarquable par sa violence coïncidait avec l’incendie d’une forêt voisine qui donnait naissance à la suie qui tombait. Ce n’est que plus tard, en discutant les circonstances du phénomène, que l’on arriva à reconnaître sa nature météorique.
- Beaucoup d’autres exemples pourraient être énumérés; il suffira de rappeler le suivant. Le 14 mars 1813, il tomba à Cutro, en Calabre, des météorites accompagnées des phénomènes de lumière et de bruit que nous avons décrits et qui ne manquent jamais en pareille circonstance. Mais, chose remarquable, en même temps que ces pierres, il tomba une grande quantité de poussière. De plus, cette poudre ne tomba pas seulement à l’endroit où l’on recueillit des pierres; elle couvrit la Calabre, la Toscane et le Frioul. Le vent, qui depuis deux jours avait soufflé de l’est, se renforça le 14 mars, et une nuée dense qu’on voyait sur la mer parut s’approcher du continent. Vers deux heures un quart après midi, le vent se calma un peu ; mais la nuée qui avait couvert toutes les montagnes commença à obscurcir la lumière du jour et à prendre un aspect menaçant. Sa teinte n’était plus rougeâtre comme on l’avait vu de loin, mais véritablement de couleur de feu, ou plutôt comme du fer rouge. A quatre heures et demie, les ténèbres fu-rentcomplètes et l’on fut obligé d’allumer les lumières dans les maisons ; le peuple effrayé courut en foule dans la cathédrale, où il força le prêtre qui prêchait le carême et le vicaire capitulaire lui-même à monter en chaire pour se mettre en prières. A peine le sous-préfet en eut-il connaissance qu’il se rendit à l’église pour tâcher de calmer le peuple, mais réfléchissant au danger qu’il courait en se mettant en opposition avec une impulsion populaire aussi prononcée ; il se fit remplacer par quelques prêtres. La précaution fut inutile. Vers cinq heures, les clameurs redoublèrent. Le ciel était rouge jaunâtre, la lumière du soleil presque totalement obscurcie, et le côté du nord of
- frait déjà d’épaisses ténèbres. Quoique la mer soit éloignée de près de six milles, ses mugissements profonds arrivaient presque dans la ville; on entendit des bruits sourds dans l’air sillonné par des éclairs. Alors commencèrent à tomber de grosses gouttes d’eau chargées d’une poudre rougeâtre qu’on prit pour du sang, et que d’autres crurent être une pluie de feu. Dans cet état de choses, une circonstance extraordinaire mit le comble à la terreur. Le feu prit à une maison de la ville, et le spectacle en devint bien plus imposant encore ; alors la populace ne connut plus de frein ; elle crut à la fin du monde, l’incendie étant à ses yeux le commencement de la déflagration universelle. Le peuple courait çà et là en poussant des cris et des hurlements lamentables. Les uns tendaient les bras aux prêtres en les suppliant de les confesser sur l’heure ; ceux qui n’en avaient pas à leur portée se confessaient en public et à haute voix, d’autres se donnaient la discipline, d’autres se frappaient le visage et la poitrine et s’arrachaient les cheveux en attribuant à leurs péchés le fléau qui allait punir la race entière. On demanda à grands cris de porter en procession les images des saints, ce qui fut accordé de suite comme le seul moyen de prévenir les désordres inévitables dans un rassemblement pareil. On sortit donc les statues, et le peuple se mit jusqu’au soir autour d’elles en faisant retentir l’air de ses prières et de ses cris. Vins la nuit, le ciel commença à s’éclaircir, les éclairs cessèrent ainsi que la pluie, et le peuple se rassura, surtout lorsque la cause de l’incendie fut connue et que ses progrès furent arrêtés.
- Le fait observé à Cutro que des pierres sont accompagnées de poussière est sans doute très-fréquent, mais d’ordinaire il passe inaperçu. Il a été revu le 1er janvier 1869, lors de la chute de Hessle, en Suède, et cela grâce au tapis de neige qui couvrait la campagne et sur lequel apparaissait facilement la poudre charbonneuse qui entourait chaque météorite.
- Il est probable que cette poudre joue un grand rôle dans la formation et la persistance des traînées des bolides; puis elle doit se mêler souvent à l’air d'une manière intime et retomber très-lentement. Ce qui le prouve, ce sont les récentes observations faites par M. Nordenskiold sur la neige, recueillie dans plusieurs régions septentrionales. A la suite d’une neige extraordinairement abondante qui eut lieu aux environs de Stockholm, il en recueillit la portion la plus superficielle, c’est-à-dire la plus propre, et, l’ayant fait fondre, il en isola à son grand étonnement une poudre noire consistant en matière organique riche en carbone et en paillettes de fer métallique, c’est-à-dire ressemblant tout à fait à la poussière qui accompagnait les pierres de Hessle. L’expérience, répétée loin des lieux habités qui pouvaient introduire et causer des erreurs, c’est-à-dire dans l’intérieur de la Finlande et au Spitzberg, donna les mêmes résultats. La neige et la pluie amènent donc des poussières cosmiques en petite quantité.
- Ce fait est à rapprocher de la curieuse découverte
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- faite par Reichenbach de la présence constante dans | la terre végétale de substances telles que le nickel et le phosphore, qui sont les plus caractéristiques des météorites et qui doivent également être apportées à l’état de poudre impalpable. Il monta sur le Lahis-berg, en Autriche, qui est une montagne conique haute de 500 à 400 mètres, couverte à son sommet d’un bois de hêtre. Il pénétra dans le taillis, y choisit un endroit que probablement le pied de l’homme n’avait jamais foulé, et ramassa quelques poignées de terre qu’il soumit à l’analyse. Il y trouva des traces de cobalt et de nickel. Des échantillons pris sur le llaindelberg, sur le Kallenberg et sur le Dreymarck-
- stinberg, montagnes voisines de la première, conduisirent aux mêmes résultats, et l’analyse du sol de la plaine appelée le Marchfeld révéla également les traces du nickel. Ces faits sont d’autant plus significatifs que le massif de montagnes qui vient d’être cité est composé de grès et de calcaire où l’on n’a jamais trouvé le moindre filon métallique.
- Il résulte de ces intéressantes remarques que la matière météorique est appelée à entrer dans le cycle de la vie organique terrestre ; l’altération des matières métalliques fournit aux plantes une certaine quantité d’éléments assimilables qui parcourent dès lors la série si variée des transformations que l’on connaît.
- A-IDRE, ou météorite charbonneuse, tombée le 14 mai 1864 à Orgueil (Tarn-et-Garonne) , et consistant en une matière de composition analogue à celle des substances ligniteuses et tourbeuses. (Demi-grandeur naturelle.)]
- Ce que nous avons dit de l’origine des poussières fait comprendre qu’il peut aussi tomber des boues météoriques. A un certain degré d’humidité, la pierre d’Orgueil prend les caractères d’une pâte plastique et rappelle à tous égards les substances visqueuses dont la chute a été enregistrée à maintes reprises comme suivant l’explosion de certains bolides. Ces substances ont été quelquefois signalées comme répandant une odeur fétide, ce qui doit porter à les considérer comme étant de nature organique et comme se rapprochant par conséquent des météorites charbonneuses. C’est par une transition insensible que nous sommes amenés à nous demander s’il n’arrive pas quelquefois des liquides et des gaz météoriques. On peut croire que ce sont de pareilles matières qui entrent dans l’atmosphère sous la forme de ces bolides dont l’explosion ne paraît rien fournir. D'ailleurs on connaît des liquides et des gaz météoriques à l’état de gouttelettes emprisonnées dans les cristaux de cer
- taines météorites pierreuses; M. Sorby l’a démontré dans une foule de circonstances. De même les fers météoriques contiennent souvent des gaz retenus par occlusion et qui doivent éclairer sur les conditions dans lesquelles ces fers se sont produits, exactement comme les gaz de fer terrestre pourraient renseigner, s’il en était besoin, sur l’allure du fourneau qui les produit. Stanislas MEUNIER.
- — La suite prochainement. —
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- MACHINE MAGNÉTO-ÉLECTRIQUE
- DE GRAMME.
- Le problème que s’est proposé M. Gramme est celui de transformer la force mécanique en électricité, en se servant comme intermédiaire du magné-
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- LA NATURE.
- tisme. Pixii a le premier résolu ce problème en construisant une machine qui est plus connue sous le nom de Clarke et qui a reçu une série de perfectionnements de MM. Wilde, Siemens, Wheatstone et Ladd. Tous ces appareils, fondés sur le même principe, produisent des courants alternativement de sens contraire, de sorte que pour beaucoup d’usages on est obligé de pourvoir la machine d’un redresseur ou commutateur; cet organe est sujet à s’user rapidement par les étincelles qui s’y produisent inévitablement et ces étincelles même font perdre une quantité notable de l’électricité produite.
- Beaucoup de physiciens cherchaient un moyen de produire des courants d’induction continus, et ce problème est encore à l’ordre du jour; mais M. Gramme en a trouvé une solution éminemment pratique fondée sur un artifice très-remarquable. Son appareil se compose d’un électro-aimant de forme particulière, mobile entre les pôles d’un aimant ou d’un électro-aimant. L’électro-aimant mobile présente l’aspect d’un anneau tournant autour de son centre et dans son plan. On peut lui donner le nom d'é-lectro-aimant sans fin, car le noyau est un anneau de fer sans solution de continuité et le fil qui est enroulé sur ce noyau ne présente non plus aucune solution de continuité. On peut le concevoir comme formé par un électro-aimant droit, qu’on aurait courbé en cercle, et qu’on aurait soudé par les extrémités, fer contre fer, et fil avec fil. On sait que certains électro-aimants droits (notamment ceux des bobines d’induction) sont formés de bobines distinctes placées les unes au bout des autres en chaîne, c'est-à-dire en tension; c’est aussi de cette façon qu’est distribué le fil sur l’anneau de Gramme.
- Pour comprendre l’action de la machine, il faut ce reporter à l’expérience la plus simple qu’on puisse faire sur l’induction, mais il faut l’analyser complètement.
- Considérons un barreau aimanté A B d’un mètre de long, et une spire de fil conducteur, en mouvement réciproque ; si on approche la spire du barreau, il s’y développe un courant d’induction, c'est là le gros du phénomène que nous allons examiner en détail. Si on fait entrer le barreau dans la spire par une série de mouvements successifs d’égale étendue ( 5 centimètres par exemple), on observe qu’à chacun de ces mouvements correspond un courant d’induction et que ces courants sont de même sens jusqu’au moment où la spire arrive en face de la ligne neutre et qu’ils sont de sens opposé, si le mouvement continue dans le même sens au delà de la partie neutre ou point milieu.
- • Ainsi, dans le parcours entier de la spire sur l’aimant, on distingue deux périodes tranchées ; dans la première moitié du mouvement, les courants sont de sens direct; dans la seconde, ils sont de sens inverse. Or que se passe-t-il dans la machine Gramme ? l’anneau de fer est aimanté par l’influence de l’aimant et le magnétisme s’y trouve distribué de la
- manière suivante : en B et A (fig. 1) sont des pôles, tandis que dans les points à angle droit M, M', il y a des parties neutres; pendant le mouvement de l’anneau, cette distribution du magnétisme ne change pas, ou du moins elle ne change pas dans l’espace, par cette raison même qu’elle change instantanément dans le fer, qui est sans force coercitive.
- Tout se passe donc comme si le fer était immobile et si les spires de fil seules se mouvaient sur un barreau aimanté. Si l’on poursuit cette analyse, on voit que, dans chacune des bobines de l’anneau de Gramme considérée isolément, il se développe un courant qui, partant d’un des pôles A, conserve le sens direct jusqu’à la ligne neutre M', prend le sens inverse de M jusqu’au pôle B, garde le sens inverse de B à la ligne neutre M' et reprend le sens direct de M' au pôle A. En d’autres termes, le courant qui prend naissance dans une bobine reste le même d’un point neutre à l’autre ; si son sens est direct au-dessus de cette ligne, il est inverse au-dessous.
- Dès lors nous voyons que les 15 bobines qui, à un moment donné, sont dans le demi-cercle supérieur, sont toutes à la fois parcourues par des courants de sens positif qui s’ajoutent en tension ; les 15 bobines qui sont dans la moitié inférieure sont également le siège de courants tous de sens inverse, associés en tension ; le courant total d’en haut est exactement équilibré par le courant total d’en bas, et l’ensemble de la machine est tout à fait comparable au système de deux piles de 15 éléments chacune, associées en opposition; quand on veut utiliser un système semblable, on n’a qu’à mettre les deux extrémités d’un circuit en communication avec les pôles opposés communs des deux piles; dès lors les courants des deux piles ne sont plus en opposition : ils sont associés en quantité.
- C’est aussi de cette façon qu’il faut recueillir les courants développés dans l’anneau de Gramme ; il faut établir les collecteurs sur la ligne des points neutres; ces collecteurs sont formés de pinceaux métalliques ou balais qui frottent sur la série de pièces métalliques R (fig. 4) liées métalliquement avec les points de jonction des bobines.
- Cette disposition étant tout à fait nouvelle, il importe de s’y arrêter un instant, pour la faire bien comprendre'.
- La figure 1 montre assez clairement les différentes bobines ou éléments de l’anneau, et les pièces rayonnantes R, isolées les unes des autres et rattachées chacune au bout sortant d’une bobine et au bout entrant de la voisine. On voit donc que les courants seront recueillis sur les pièces R comme ils le seraient sur la soudure même d’une bobine à l’autre.
- La figure 2 montre encore les pièces rayonnantes R de la même façon; l’appareil y est vu par derrière. La figure 3, qui présente une coupe de l’anneau, montre que les pièces R sont recourbées à angle droit et que leur seconde partie, parallèle à l’axe, est logée à l’intérieur de l’anneau et le dépasse. La figure 4 enfin, qui représente la machine
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- 16 -y D2
- vue par devant, montre les pièces R rapprochées en un cylindre de petit diamètre, mais toujours isolées les unes des autres. On y voit également les balais, frottant sur les pièces R, dans le plan perpendiculaire à la ligne des pôles, c’est-à-dire aux points milieux ou neutres M, M'. Il est aisé de comprendre, en se reportant à ce qui précède, que le sens du courant fourni par la machine change quand on change le sens de la rotation.
- On voit également que l’intensité du courant augmente avec la vitesse de rotation; et comme la résistance est constante, on est conduit à penser que
- la force électro-motrice seule varie ; une expérience grossière nous a montré que la force électro-motrice est proportionnelle à la vitesse, et cette observation a été vérifiée avec certaines réserves par M. Mascart. Quant à la continuité du courant, elle résulte manifestement de ce qui précède ; le mouvement producteur de l’électricité est continu et le circuit n’est jamais rompu, car les frotteurs ou balais commencent à toucher l’un des rayons avant d’avoir abandonné le précédent, et leur nature flexible et multiple fait qu’ils touchent toujours par quelques-unes de leurs parties sinon par toute leur largeur.
- M
- Fig. 2.
- Fig. 5.
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- ;i
- Telle est la machine Gramme qui fournit des courants continus comme une pile, des courants constants si son mouvement est uniforme et des courants d’intensité variable à volonté dans des limites assez étendues, avec la vitesse du mouvement. Il est facile de modifier cette machine pour lui faire produire des effets de tension ou de quantité en enroulant sur l’anneau du fil fin ou gros ; la résistance de la source varie ainsi à volonté par la construction de la machine et à ces différentes résistances correspondent des tensions différentes de l’électricité fournie par la machine.
- La théorie paraît indiquer que pour une même dépense de force mécanique, la tension varie en raison inverse de la racine carrée de la résistance. On peut considérer la machine Gramme comme un élément de pile et l’associer avec d’autres semblables soit en tension, soit en quantité, pour obtenir des effets qu’on peut calculer à l’avance.
- Les personnes qui ont suivi les progrès introduits dans les machines magnéo-électriques depuis M. Wilde remarqueront que ces derniers perfectionnements consistaient au fond dans ce seul point, d’ailleurs fort important : les aimants excitateurs des machines Pixii et Clarke ont été remplacés par des électro-aimants beaucoup plus puissants, excités eux-mêmes par l’action de la machine. Il va sans dire que cette substitution des électro-aimants aux aimants est applicable à la machine Gramme ; et elle a été réalisée en effet ; c’est au moyen de machines de ce genre qu’on est parvenu à produire les étonnants effets de lumière dont nous parlerons plus loin. Mais la découverte récente, faite par M. Jamin, de nouveaux procédés pour obtenir des aimants d’une force extraordinaire et d’un prix relativement bas soulève une question fort importantei.
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- LA NATURE.
- Y a-t-il réellement avantage à substituer des électro-aimants aux aimants? Il nous semble que poser cette question, c’est la résoudre. Supposons, en effet, que nous ayons à notre disposition un aimant d’une énergie magnétique égale à celle de l'électro-aimant qui le remplacerait, l’avantage du premier sur le second est frappant ; car l’électro-aimant n’a de vertu magnétique qu’autant qu’on l’excite au moyen d’un courant électrique, c'est-à-dire d’une dépense de force ; tandis que l’aimant garde invariablement le magnétisme qu’il a une fois reçu. Ainsi, au point de vue de la production économique de l'électricité, on voit qu’une machine à aimant dépense beaucoup moins qu’une machine à électro-aimant. D’ailleurs un électro-ai-mant est fabriqué avec du fer très-doux et du cuivre rouge en fils recouverts de coton et soigneusement isolés ; son prix ne peut donc être aussi économique que celui d’un aimant construit par la méthode Jamin.
- En résumé donc, une machine magnéto-électrique à aimant coûte moins à établir qu’une machine à électro-aimant, et la production de l’électricité avec la première coûte moins qu’avec la seconde. On pourrait encore indiquer des avantages accessoires, par exemple, celui-ci : le magnétisme de l’aimant est constant, tandis que celui de l’électro-aimant est variable avec la vitesse de la machine ; cette permanence du magnétisme donne au moins une plus grande facilité à certaines expériences.
- Les applications de cette machine sont faciles à réaliser ; déjà les ateliers de M. Christophle emploient depuis six mois une machine de grande dimension qui est mise en mouvement par un moteur à vapeur ; cette machine a une résistance et une tension très-faibles ; la tension est celle de deux éléments Bunsen seulement; mais la quantité est très-grande : elle est égale à celle de 52 Bunsen ordinaires.
- D’autres machines sont en construction pour la même maison, et le jour n’est pas éloigné où toute la galvanoplastie, la dorure et l’argenture industrielles se feront à la machine à vapeur. On brûlera du charbon avec de l’air, au lieu de brûler du zinc dans des acides. L’économie qu’on réalise par ce changement de procédés est de 80 pour 100. Une première machine à lumière a été construite et a donné des résultats inattendus ; on a mesuré au photomètre une lumière égale à 900 becs Carcel, c’est-à-dire la lumière artificielle la plus intense qui ait encore été produite. Cette machine dépensait environ la force de quatre chevaux-vapeur.
- Il sera facile de faire des machines moins puissantes qui ne dépenseront qu’une force beaucoup moindre. Ces appareils, d’une construction très-simple et très-solide, seront d’un emploi avantageux à bord des navires ; ils n’ont aucun des inconvénients qui ont empêché la marine d’adopter les machines de l’Alliance. Les nombreuses collisions qu’on a eu à déplorer, l’hiver dernier, dans la Manche et dans la mer d’Irlande, donnent un intérêt particulier à
- cette importante application. Pour ces grandes applications industrielles, ce sont des machines à électro-aimant qu’on a employées jusqu’à présent.
- Les petites machines à aimant ont trouvé aussi de nombreux usages. Les médecins ont déjà reconnu que la machine Gramme pouvait suffire à tous les cas dans lesquels ils emploient l’électricité. Elle permet la cautérisation au moyen d’un fil de platine rougi. Elle se prête à la décomposition électro-chimique des tissus, qui se pratique dans la résolution de certaines tumeurs. Elle fournit un courant continu et peut être mise en mouvement par le malade lui-même, dont on soumet un organe à l’action du flux électrique continu. Enfin elle donne des chocs violents chaque fois qu’on rompt le circuit et peut remplacer les appareils d’induction voltaïque qui sont si employés dans la pratique médicale. En effet, l’extra-courant de rupture du courant de la machine a une tension relativement considérable, parce que la source est un fil enroulé un grand nombre de fois sur un noyau de fer doux.
- On construit dès à présent des machines d’une grandeur moyenne qui se meuvent à la main et qui permettent de faire la plupart des expériences des cours de physique; ces appareils sont également utiles dans les laboratoires de recherches de physique ou de chimie, pour toutes les expériences qui ne sont pas de longue durée; ils épargnent l’embarras de monter une pile Bunsen, opération qui prend un temps assez long et qu’on hésite souvent à faire quand on songe que l’expérience poursuivie ne durera que quelques minutes ou quelques secondes. Il va sans dire que, dans tous les cas, l’emploi de la machine Gramme fait réaliser une économie notable d’acides et de zinc, sans parler du temps des aides ou préparateurs. D’ailleurs pour une foule de recherches, il est intéressant de savoir au juste quelle est la force du courant au moment où il produit un phénomène déterminé; avec l’appareil en question, il suffit pour cela de mesurer exactement la vitesse à un instant précis, ce qui se fait aisément au moyen d’un diapason dont les vibrations s’écrivent sur un plateau partageant le mouvement de l’anneau. Jusqu’ici on n’a pas réalisé d’appareil télégraphique proprement dit, fondé sur l'emploi de la machine Gramme ; mais les inconvénients très-grands des piles qui doivent être transportées, donnent à penser que les armées emploieront de préférence le courant des machines Gramme, que l’opérateur fera mouvoir soit au pied, soit au moyen d’un moteur à ressort ou à poids.
- Pour terminer, nous indiquerons un dernier point de vue auquel il est intéressant de considérer la machine Gramme. On a beaucoup cherché deux problèmes, qui sans doute présentent tous deux un vif intérêt ; on s’est proposé :
- 1° De transformer l’électricité en force mécanique, c’est-à-dire de construire des moteurs électriques.
- 2° De transformer la force mécanique en élec-
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- tricité, c’est-à-dire de construire des machines électriques.
- A vrai dire, on ne peut résoudre l’un de ces problèmes sans résoudre l’autre en même temps ; toutes les jolies machines électro-magnétiques de Wheat-stone, de Froment et d’autres physiciens, qui ont été construites en vue du premier problème, c’est-à-dire d’une création de force, peuvent être retournées et devenir des machines magnéto-électriques ; il suffit de les faire tourner dans le sens de leur mouvement habituel pour développer des courants électriques de sens opposé à ceux qui produisaient le mouvement. D’un autre côté, les machines électriques, la machine de Holtz, la machine de Pixii (sous toutes ses formes : Clarke, Wilde, Siemens, Ladd), peuvent
- devenir des machines motrices; il suffit pour les faire tourner de les soumettre à une source électrique de sens contraire à l’électricité qui serait développée par la machine. La machine de M. Gramme a été imaginée en vue de la production de l’électricité, et elle présente la solution la plus satisfaisante aujourd’hui de ce problème, tant au point de vue théorique qu’au point de vue pratique, et par cela seul, on peut affirmer et l’inventeur a vérifié d’ailleurs que cette machine est le meilleur moteur électrique connu, c’est-à-dire qu’elle a un meilleur rendement que toutes celles qui l’ont précédée. Pour mettre en lumière cette réversibilité de la fonction de la machine Gramme, il suffit d’en mettre deux dans le même circuit ; si on fait tourner la première
- Fig.
- 4. — Vue d’ensemble de la machine Gramme.
- à la main, la seconde se met aussitôt à tourner en sens inverse sous l’influence du courant électrique fourni par la première.
- NIAUDET BREGUET.
- —
- L’ASSOCIATION BRITANNIQUE
- Session de Eradford (1873).
- (Suite. — Voy. p. 525.)
- Tous les journaux anglais sans exception rendent un compte exact et fidèle des séances de l’Association britannique, c’est un avantage essentiel dont l’Association française sera probablement longtemps encore privée. Car aucun journal politique de France n’a eu l’intelligence de donner une place sérieuse à des débats qui intéresseraient très-certainement la grande majorité de leurs lecteurs. L’organe officiel ou
- plutôt quasi-officiel, est le journal anglais Nature, dirigé par M. Norman Lockyer, astronome du plus haut mérite, célèbre par ses travaux sur l’analyse spectrale des protubérances solaires. La Nature ne néglige aucune communication essentielle. Tout ce qui est d’intérêt général y est soigneusement résumé. Mais les communications sont si nombreuses que nous engageons les personnes qui désireraient juger en connaissance de cause ce qui s’est passé, à se procurer directement le journal de Bradford. Il publie avec une subvention de l’Association, tous les suppléments nécessaires pour que l’on puisse juger des débats de l’Association aussi exactement que s’il s’agissait d’un procès Tichborne ou même d’un procès Bazaine.
- Nous ne ferons point assister nos lecteurs aux di-ners et aux soirées officielles, qui n’ont offert cette année aucun intérêt scientifique. L’Association britannique ne doit point avoir ses Dangeau. Nous allons résumer rapidement quelques-uns des inci-
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- LA NATURE.
- dents scientifiques qui se sont produits, ne choisissant que les principaux.
- Nous devons commencer cette trop courte revue par la section de géologie que présidait la professeur Philipps, le dernier vivant des fondateurs de l’Association, qui date de 1831, du lendemain du bill de réformes, c’est-à-dire du jour où les classes laborieuses ont conquis le pouvoir politique pour la bourgeoisie. Sir Roderich Murchison, sir John Ilerschell, le grand Faraday, sir David Brewster ne sont plus, le vénérable Philipps, aujourd’hui plus qu’octogénaire, est seul à représenter la pléiade des fondateurs dans la quarante-deuxième session de l’Association!
- Dans son ouvrage sur les Glaciers, M. Tyndall a cherché à priver Agassiz de ses droits incontestables et en faire honneur au révérend Forbes, savant de second ordre, dont les allures ont été plus que suspectes pendant qu’Agassiz faisait, il y a une trentaine d'années, ses grandes expériences dans les Alpes. Le professeur Tait, ancien ami de M. Tyndall, a protesté énergiquement en faveur de la justice et de la raison ; Inde irœ. M. Tyndall, aveuglé par la passion, a publié dans la Nature une lettre fort injurieuse qui semblait devoir amener des explications extra-parlementaires, mais l’orage s’est apaisé. Probablement le professeur Philipps qui, dans un excellent discours, a laissé percer ses sympathies pour Agassiz, aura prononcé son Quos ego.
- Quoi qu’il en soit, M. Tyndall a écrit une lettre publique d’excuse, et en récompense il a été nommé président du meeting qui aura lieu à Relfast l’an prochain. Ce n’a point été, cependant, sans quelque opposition de la part du maire de cette ville, qui demandait, non sans quelque raison, la nomination d'un savant irlandais.
- Le discours du président de la section de biologie a produit une assez grande sensation. Le professeur Allman s’est déclaré adversaire de la théorie de l’évolution, ou au moins des conséquences exagérées que les darwinistes cherchent à en tirer. Aux yeux de ce savant éclairé, cette vue de l’esprit est avant toutes choses un moyen de classifier les faits, un procédé commode pour les relier, c’est une hypothèse technique.
- M. Ferrier a exposé le résultat d'expériences analogues à celles de Flourens sur l’encéphale des vertébrés, mais obtenues à l’aide de l’électricité voltaïque. L’auteur endort les animaux, sur lesquels il opère avec du chloroforme, puis il leur enlève une portion du crâne. Une fois le cerveau mis à nu, il stimule certaines parties chez les animaux les plus variés. Résultat étrange, bien propre à éclairer sur le rôle des différentes portées d’un tout aussi complexe, en opérant sur des poissons, des grenouilles, des pigeons, des rats, des singes, des lapins, des chats, des chiens, des chacals, l’opérateur a trouvé que la stimulation de l’encéphale produisait constamment les mêmes effets. Ces belles expériences exposées en public pour la première fois, suffiraient
- pour rendre mémorable la session de Bradford. Nous n’insisterons point, en ce moment, sur les innombrables conséquences qu’on en peut tirer.
- Il est bon de remarquer que deux savants allemands avaient rencontré, sans doute, par hasard, ce mode d’investigation, mais qu’ils n’en avaient point saisi l’importance et qu’elle eût été oubliée si M. Ferrier ne l’avait faite sienne et ne s’en était emparé.
- Le principal attrait de la session de Brighton était, sans contredit, la présence de M. Stanley, dont les découvertes inattendues avaient soulevé tant de jalouse opposition, et dont tant de personnes suspectaient encore la bonne foi. Peu s’en est fallu que Bradford ne fût encore mieux favorisé. Le capitaine Markham a failli amener à l’Association britannique les naufragés du Polaris, qu’il avait accompagnés à Dundee, mais il ne put triompher de l’empressement un peu égoïste et médiocrement intelligent de ces marins. Ils ne voulurent point retarder d’un jour leur retour à Washington, sous prétexte que le secrétaire de la marine les avait convoqués.
- D’un autre côté, sir Baker qui devait se rendre à l’Association britannique, avait fait, comme on le sait, naufrage dans la mer Rouge, et cette circonstance a retardé d’un mois son arrivée en Angleterre, où il ne tardera pas à recevoir une triomphante réception. Malgré ces contre-temps fâcheux, le capitaine Markkham a donné des détails écoutés avec un intérêt des plus vifs. Le jour où il a pris la parole, la salle de la section de géographie rappelait celle de Brighton quand M. Stanley racontait ses voyages en présence de l'ex-empereur Napoléon. Les découvertes de Baker et de Livingstone ont été discutées par des voyageurs venant de l’Afrique centrale, et gain de cause paraît avoir été donné à Baker. L’unité des deux lacs semble avoir définitivement triomphé.
- Un sujet fort intéressant, mais qui doit suggérer aux patriotes anglais de tristes réflexions, a été traité avec de très-sérieux développements dans la même section. Il s’agit des rapports commerciaux à établir entre l’Inde anglaise et le khanat, aujourd’hui occupé par les Russes, de Khiva. Sir Rutherford Al-cock, qui présidait la section de géographie, n’a point fait la moindre allusion au chemin de fer projeté par M. de Lesseps. Le discours de l'honorable orateur est, si l’on excepte cette omission, fort complet et fort bien étudié.
- — La suite prochainement. —
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- LA CULTURE DE LA BETTERAVE
- SES AVANTAGES.
- Après la récolte de pommes de terre, qui s’est faite dans de bonnes conditions, arrive celle des betteraves, qui n’est pas moins importante, aujourd’hui surtout, que les fabriques de sucre se créent dans le centre de la France. Au point de vue agricole, c’est un fait très-heureux pour les départe-
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- LA NATURE.
- I-1
- ments du centre que l’extension de la culture de la betterave.
- Elle nécessite des labours, des binages, des engrais, elle amène les cultures intensives et toutes les heureuses conséquences qui ont été si bien exposées par Morel-Vindé. Le premier, il a posé comme principe : 1° que la culture de la betterave et la fabrication de son sucre remplissent toutes les conditions nécessaires pour l’adoption générale d’une plante sarclée dans tous nos systèmes culturaux ; 2° que le perfectionnement de notre agriculture sera la suite certaine de la plus grande extension donnée à cette culture et à cette fabrication.
- La betterave industrielle ou sucrière, ainsi que la pratique a permis de le constater depuis 50 ans, possède les avantages suivants : elle permet d’utiliser très-avantageusement les jachères, qui restent complètement improductives pendant une année, lorsque les terres sont de qualité ordinaire et non arides ; elle remplace très-économiquement dans le nettoiement du sol par les binages qu’elle exige les terres jachérées qu’on laboure et herse à diverses reprises, dans le but de supprimer ces myriades de plantes nuisibles dont la couche végétale recèle dans son sein ou les semences ou les racines vivaces ; enfin qu’elle soit utilisée dans une sucrerie ou dans une distillerie établie suivant le système de M. Champonnois, elle fournit une pulpe qui, bien employée, permet avec profit l’élevage, l’entretien ou l’engraissement des bêtes bovines ou ovines.
- M. Gustave Heuzé fait observer dernièrement avec raison que, dans la plupart des assolements modernes en usage dans la région septentrionale de la France, la betterave est placée généralement en tête de la rotation, c’est-à-dire sur la sole fumée; quand elle occupe une seconde et parfois une troisième sole pendant la durée de l’assolement, elle suit une céréale ou une plante industrielle. C’est par exception qu’elle est précédée par elle-même, c’est-à-dire qu’elle est cultivée deux fois de suite sur la même sole. Toutes choses égales, d’ailleurs, elle ne revient pas sur le même champ pendant la durée de sa rotation, sans être précédée par un engrais quelconque.
- On s’est demandé si cette plante exerce réellement une influence favorable sur la céréale qu’elle précède dans la plupart des assolements. Cette question est non-seulement importante, mais elle emprunte à notre dernière récolte une certaine actualité, car cette année, les blés sur betterave ont parfaitement réussi. La betterave joue le rôle d’une plante sarclée et l’on sait que quand la récolte nettoyante ou sarclée comme les choux, les rutabagas, en laissent la terre libre très-tardivement, c’est-à-dire en décembre, janvier, février et mars, on ne peut les faire suivre avec succès que par une céréale de printemps : froment, orge ou avoine, ou par une culture de millet, de sarrasin. C’est ainsi qu’on agit dans la Vendée et l’Anjou, en Angleterre et en Écosse.
- C’était bien évidemment dans le but d’éclairer les
- agriculteurs sur les avantages que présente un assolement bien étudié, bien combiné, que Morel-Vindé publiait en 1822, son mémoire ayant pour titre : Observations pratiques sur la théorie des assolements, véritable plan de culture selon Yrart, qu’il est très-utile de rédiger si l’on veut passer graduellement avec toutes les précautions convenables de l’assolement triennal avec jachère à la rotation quadriennale sans jachère.
- Alors comme de nos jours, le problème à résoudre pour renoncer à la jachère morte ou à la jachère improductive était celui-ci :
- Trouver une plante dont la nature exige dans le cours d’une année deux ou trois binages et dont les produits soient d’un emploi facile et utile ou d’un débit certain.
- Pendant longtemps, dans divers départements, les agriculteurs qui voulurent résoudre cet important problème adoptèrent avec avantage la pomme de terre, les choux non pommés, les navets ou le rutabaga.
- Le Languedoc, la Guyenne ne pouvant cultiver ces divers plants sur de grandes étendues par suite de la sécheresse de leur climat, conservèrent le maïs ou blé de Turquie comme plante sarclée ou nettoyante. C’est d’abord dans la région du Nord que la betterave à sucre a permis d’abandonner la jachère et d’obtenir des céréales productives sur des terres exemptes, pour ainsi dire, de plantes indigènes ou nuisibles.
- L’admirable découverte du sucre dans la betterave est dans notre économie nationale une de ces révolutions heureuses et rares dont les contemporains peuvent quelquefois ne pas assez sentir le prix, mais à laquelle la postérité, comme l’a dit M. Heuzé, finira par marquer sa place parmi les grandes richesses agricoles et commerciales. Nulle autre plante ne peut présenter cet avantage de faire naître universellement sur le sol de la France une denrée de nécessité absolue qu’il fallait aller chercher au delà des mers et de donner cette denrée sans froisser d’anciennes habitudes, ni d’anciens intérêts, et par conséquent sans craindre ni cultures rivales ni produits jaloux.
- Et quand on observe que la plante qui, par la production de ce sucre rend enfin possible l'amé-lioration universelle de l’agriculture, fournit de plus par son rendu le meilleur de tous les engrais pour les bestiaux ; quand on ajoute à cette première considération que cette même plante remplit, en outre, à tel point toutes les conditions exigées des plantes sarclées, qu’il faudrait encore la substituer à la jachère pour nettoyer nos terres quand bien même elle ne donnerait pas de si riches produits, on a raison de s’étonner que la culture et la fabrication de son sucre aient été si longtemps à se répandre, surtout en considérant combien le chiffre de la production s’est accru chaque année.
- Ernest MENAULT.
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- LA NATURE.
- LE BATEAU PORTE-TORPILLES
- DE L’AMIRAL PORTER ET LA TORPILLE LAY.
- L’amiral Porter, de la marine américaine, fait achever en ce moment à Brooklin la construction de son célèbre porte-torpilles. Ce navire aura une longueur de 173 pieds, une largeur de base de 28 pieds et un
- creux de 13; il sera en fer. Divisé en compartiments étanches, c’est-à-dire en caissons que l’on pourra remplir d’eau et vider à volonté, il s’enfoncera, lorsque cela nécessaire jusqu’à ne laisser voir qu’un pied de son pont. Une autre disposition ingénieuse distingue ce navire : il est bâti sur le principe dit brackel-system, c’est-à-dire qu’il est composé de deux coques; la plus petite, dans la pins
- Le bateau-torpille de l’amiral Porter.
- grande^ de sorte que si la première est atteinte et fortement avariée, la coque intérieure restera avec les machines, l’artillerie et tout le matériel essen-
- tiel du navire. Ces machines seront, dit-on, du meilleur système connu et d’une puissance extraordinaire; elles feront marcher le navire en avant
- La torpille Lay.
- ou en arrière, avec la même vitesse. Une roue Fowler sera placée intérieurement. Ce propulseur nouveau, qui est regardé par les constructeurs des navires comme un important perfectionnement, permet de gouverner et de faire marcher un bateau avec la même roue. Elle fonctionne par dyssymétrie; on assure qu’en changeant l’inclinaison des pales, ce qui peut s’exécuter facilement, il serait possible de se passer de gouvernail. Un appareil électrique perfectionné reliera entre elles, la machine, les chambres à torpilles, la tourelle du pilote et les autres parties du navire. Ajoutons qu'indépendam-ment de l’espars armé d’une torpille qui est figurée, sur notre dessin, à l’avant du bateau, il y en aura
- de disposées de bout en bout des deux côtés, de telle façon que, quel que soit celui de ses flancs qu’il présente à l’ennemi, on pourra les décharger de ce bord, à l’aide de l’électricité. Son éperon, dans d’autres circonstances, peut devenir également une arme redoutable; sa grande longueur lui permettant de frapper son ennemi, lorsque, suivant toutes les apparences, il en paraîtrait éloigné d’une quarantaine de pieds.
- La torpille automobile Lay que représente notre second dessin1 est moins connue, son inventeur n’ayant point divulgué tous les plans d’après lesquels
- 1 Ces gravures nous sont communiquées par la Bevue man-time et coloniale.
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- il l’a construite. Ce que l’on sait d’elle, c’est ce qu’ont pu divulguer les expériences : sa forme, ses dimensions et le moteur qui la fait agir. Elle a 25 pieds de long, son moteur est l’électricité. Mais ce n’est pas sans raison qu’on a critiqué les moyens employés pour lancer, stopper et gouverner cet engin, qui comprennent naturellement un mécanisme d’une nature délicate et excessivement complexe. Aussi, ses essais n'ont-il pas encore donné gain de cause à M. Lay; son rival, M. Ericson affirme même qu’il n’en sortira point à son avantage, d’où une polémique très-vive entre les deux inventeurs, suivie d’un pari de 2,000 dollars (10,000 francs), dont l’enjeu
- devra être donné à quelque œuvre de charité. Nous ferons connaître les résultats de cette lutte dont la science doit profiter de tant de façons.
- Léon Renard.
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- LES MOISISSURES MICROSCOPIQUES
- On trouve dans le monde microscopique une quantité de merveilles qui passeraient tout à fait inaperçues, sans les révélations du plus admirable des instruments d’optique. Un chercheur patient, habitué aux délicates investigations, peut contempler
- Les oisissures microscopiques.
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- dans les simples moisissures, dans ces taches sales et verdâtres qui n’inspirent que répulsion , un herbier perpétuel, où il n’a qu’à puiser pour rencontrer à profusion les plus admirables richesses de la végétation. Que de métamorphoses s’accomplissent dans quelques centimètres carrés de ces mucosités repoussantes! Prenez délicatement une parcelle de ces croûtes aux teintes noirâtres, déposez-les sur le porte-objet du microscope; si votre choix a été heureux, vous vous trouverez en présence d’un parterre de ces plantes si variées, et cependant si élémentaires.
- Le monde des moisissures est exubérant dans son infinie petitesse ; combien faut-il de filaments pour tapisser des murs ou des caves entières, quand chacun de ces rameaux déliés a environ un diamètre de quelques dixièmes de millimètres. Une quantité est superposée les uns aux autres ; cet amas prodigieux est le mycélium, sorte de forêt vierge en miniature, dans laquelle les branches mortes entassées,
- forment en quelque sorte le berceau d’où s’élancent de nouvelles tiges. Malgré leur extrême ténuité, ces végétaux résistent aux atteintes du temps et des causes accidentelles. Leur étonnante fécondité, qui les met à l’abri de la destruction, est due à un double mode de reproduction : la graine et la fragmentation. Il suffit d’une fibrille de moisissures pour qu’un pied entier se propage, si elle tombe dans un endroit propice sous le rapport de la température, de l’humidité et de la lumière. La graine est émise en prodigieuse quantité, et certains cryptogames microscopiques en produisent des milliers en très-peu de temps. On remarque au milieu de ces masses filamenteuses de petits globules transparents , tantôt isolés , tantôt adhérents aux extrémités des ramules ; ces corps sont des spores, c’est-à-dire la graine des cryptogames.
- Partout où il y a de l’humidité, on trouve des moisissures en taches plus ou moins étendues, sui-
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- vant l’intensité de la lumière sous l’influence de laquelle elles se sont développées. L’aspect filamenteux est celui sous lequel elles se présentent le plus communément, mais elles revêtent aussi des formes qui, quoique élémentaires, s’éloignent de cette simplicité. Nous avons groupé dans notre gravure les moisissures les plus curieuses. A gauche, s’étalent des lichens crustacés et foliacés, surmontés de Pe-nicillium sur la tête desquels se développent des sporules. A droite, se trouvent quelques Aspergil-lus, avec leur sommet chargé de spores, comme une tête de palmier. On voit au milieu, sur le premier plan, des Actinothirium, des Arycia et de longs chapelets de globules, qui sont autant de membres épars du même sujet; au second plan, des Sphero-nema, des Cucurbitaria, des Stillum, etc.
- Les moisissures ou mieux les Fungoïdes microscopiques, occupent dans le monde végétal une large place par leurs effets. Doués de cette étonnante force de multiplication, ils détruisent les végétaux nécessaires à l’alimentation : la vigne est atteinte de Y oïdium, le blé de la nielle, la pomme de terre du pernospora. Ainsi une petite plante, inconnue de tous ceux qui n’ont jamais mis l’œil au microscope, cause des ravages dont l’étendue est en raison inverse de sa taille. Une vulgaire moisissure enlace de ses filaments une autre plante plus grande qu’elle, et finit par causer sa mort ; certaines maladies épidémiques n’ont d’autre cause que l’invasion d’un parasitisme interne. Insignifiants par eux-mêmes, puisque les Fungoïdes ne sont appréciables que sous les plus forts grossissements, ils se développent avec tant de rapidité, qu’ils occasion-nent les plus terribles désordres dans l’économie.
- Le microscope nous montre que la nature est inépuisable dans ses plus infimes créations. Il existe une innombrable population d’êtres organisés, de végétaux étranges qui captivent l’imagination, inspirent à l'âme des sentiments élevés et invitent l’intelligence à l’admiration des œuvres de la création.
- J. Girard.
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- CHRONIQUE
- Succédané de la quinine. — Un pharmacien de Manille, M. Gruppe, a exposé à Vienne un succédané de la quinine. Ce nouveau médicament est une substance amère hygroscopique, incristallisable, extraite de l’écorce d’une apocynée, YEchites scholaris L., qui croît abondamment aux îles Philippines. Les naturels du pays l’emploient depuis longtemps comme fébrifuge, sous le nom de Dita. (Société Linnéenne.)
- Les mines d’or de l’Alaska. — On lit dans le World de New-York du 22 septembre : « Le rendement que donne le gisement aurifère de la baie d’argent dans l’Alaska met en ce moment en grand émoi la population de Silka, capitale du territoire. Une lettre de cette ville, datée du 29 août, dit que ce jour-là on avait expédié à Portland dans l’Orégon 200 tonnes de roches quartzeuses contenant de l’or. Un grand nombre d’Indiens travaillaient
- à Silver-Bay à extraire le minerai et le préparer pour le transport. On a mis à découvert des spécimens recueillis à 25 pieds et que les essais ont démontré contenir pour une valeur allant jusqu’à 900 dollars à la tonne. Les propriétaires de la raine refusent de vendre le site au prix de 200,000 dollars.
- Le même correspondant dit qu'une lettre écrite par un officier du gouvernement à Fort-Wrangel dans la partie méridionale du territoire annonce que « les mines les plus riches qui aient jamais été découvertes dans l’Alaska » ont été trouvées près du lac Deasse, et que par leur seul travail manuel, les vingt ou trente mineurs qui l’exploitent recueillent de 2 à 5 onces d’or par jour. L’Alaska est une longue presqu’île de l’Amérique russe, au N.-0. du continent, et à 1,000 kil.Sud du détroit de Behring ; elle se lie vers le sud aux îles Aléoutes. Cet archipel, découvert en 1741 par Behring, fait partie de l’Amérique du Nord et appartient à l’empire russe. L’Alaska est à 54° 35’ de latitude N. et à 165° 7’ de longitude 0. Ses habitants se livrent à la chasse et à la pêche et font quelque commerce de pelleteries.
- Sépulture de l’âge de pierre. — Un nouveau monument des temps préhistoriques vient d’être mis au jour dans les environs de Paris. Deux membres du comité archéologique de Senlis, MM. Millescamps et Uahn, fouillent en ce moment à Luzarches un véritable cimetière dont l’existence avait été révélée il y a une vingtaine d’années. Dans cette sépulture qui remonte à l’âge de la pierre polie a été trouvé un certain nombre d’instruments en silex taillés, tels que : un beau grattoir intact, des haches de diverses dimensions, des couteaux, des ciseaux, des pointes de flèches, une quantité de petites lames fines et minces, délicatement travaillées ; il y a aussi des perçoirs en os d’animaux différents ; enfin, sur les débris d’un squelette de femme, a été recueilli un ornement en pierre polie, percée de deux trous, qui a probablement servi d’amulette ou de pendant de collier. Quelques crânes et certains ossements ont attiré l’attention du docteur Broca, qui se propose d’en faire l’objet d’une communication à la Société d’anthropologie de Paris. Les dimensions et la disposition de la sépulture, le mobilier funéraire qui y a été déposé sont relevés avec soin par MM. Millescamps et Uahn, qui soumettront les résultats de leur découverte à l’examen des hommes compétents.
- Nouvelles «le Livingstone. — Une correspondance de Sierra-Leone, adressée à Ylrish-Times, rapporte que M. Cressey, passager du steamer Africa, reçut en remontant le fleuve du Congo, le 17 août, une lettre d’un de ses amis établi à 300 milles au-dessus de la rivière, l’informant qu’à 200 milles plus haut, un homme blanc, accompagné par un certain nombre de serviteurs indigènes, avait été vu se dirigeant vers la côte de l’Ouest. Se trouvant à court de vivres, il avait été détenu par une tribu qui le gardait prisonnier jusqu’à ce qu’il se fût ravitaillé. D’après la description faite de l’individu par les tra-fiquants indigènes à l’ami de M. Cressey, on a pensé que cet homme était le docteur Livingstone. Le frère du docteur Charles Livingstone, en apprenant cette nouvelle au vieux Calabar, croit lui-mème que l’homme en question ne peut être autre que le célèbre et intrépide voyageur anglais. (Journal officiel.)
- Le soleil et les colonies françaises. — Au dix-hui-tième siècle, les Espagnols disaient avec orgueil « que jamais le soleil ne se couchait sur leurs domaines. » Mais cet adage
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- a cessé d’être vrai depuis l'émancipation des colonies d'Amérique qui servaient d'étape intermédiaire entre les Philippines, le vieux continent, et remplissaient un office auquel Cuba ne peut suffire. Actuellement on répète la même chose, à juste titre de l’Angleterre, qui possède le Canada et l’Australie et ses colonies des Antilles et son empire de l’Inde. Mais nous ne sachons pas que jamais personne ait fait remarquer encore, que malgré tous nos malheurs, cet adage pût s’appliquer aux divers points du globe sur lesquels flotte notre pavillon tricolore. En effet, nos colonies d’Orient finissent par 165°de longitude orientale à l’île des Pins, dépendance de la Nouvelle-Calédonie, et nos colonies d’Occident par 65° de longitude occidentale à la Guadeloupe. La différence de longitude comprise entre ces deux points extrêmes est donc seulement de 130° géographiques, espace que le soleil parcourt en 9 heures 20' et qui dépasse de 2 heures 40 la durée du jour des équinoxes égal à 12 heures pour toute la terre. Comme la Guadeloupe est placée par 15° de latitude boréale et la Nouvelle-Calédonie par 22° de latitude australe, non-seulement les jours les plus courts d’une colonie répondent aux jours les plus longs de l’autre, mais l y a une sorte de compensation presque exacte, car lorsque les jours de la Guadeloupe diminuent, ceux de la Nouvelle-Calédonie augmentent presque de la même durée, et vice versa. Tout se passe donc à peu près pendant le cours de l’année de la même manière que pendant les jours de l’équinoxe. En outre, nous avons pour nous tout le crépuscule et toute l’aurore, dont il est vrai que, dans les régions tropicales, la durée n’est pas longue.
- Conservation des viandes. — Les expériences sur la conservation des viandes par le froid ont parfaitement réussi à Londres. Des viandes amenées d’Australie ont été dégustées avec le plus grand succès. Le procédé indiqué consistait à envelopper les viandes dans une enveloppe isolante et d’y entretenir une très-basse température en faisant constamment fondre de la glace à la partie supérieure. Le succès de cette première tentative a été si complet qu’on a résolu d’en faire une seconde sur une grande échelle. On a mis à bord d’un vaisseau 90 tonnes de viande, et la quantité de glace que l’on croyait suffisante pour entretenir la basse température nécessaire à la conservation. Lorsque le navire a été signalé dans la Tamise, les membres de la compagnie se sont rendus à bord. Mais à leur grand désappointement ils ont appris que le navire n’avait pas eu de glace en suffisance et que l’on avait été obligé de jeter toute les viandes à la mer. La difficulté consiste donc uniquement à entretenir une très-basse température pendant tout le temps de la traversée. C’est un problème que l’on pourrait résoudre si la fabrication de la glace artificielle était plus avancée qu’elle ne l’est actuellement, malgré les promesses de certains prospectus récents.
- Sinistre aérien. — Les journaux américains nous apportent le récit épouvantable d’un nouvel accident de ballon arrivé à Chicago. L’aéronaule s’enlevait en mon-gollière perdue au-dessous de laquelle était suspendu un trapèze sur lequel il faisait ses tours de gymnase. Son appareil a pris feu au moment du lâchez tout. L’incendie a continué, alimenté par le courant d’air qui accompagne fatalement l’ascension rapide, et a même contribué à diminuer l'énergie du refroidissement de l’air intérieur. Il en est résulté que la montgolfière s’est élevée plus haut que d’ordinaire. Mais bientôt le trapèze auquel le malheu
- reux se tenait suspendu a été détaché et il a été précipité d’une hauteur de 600 mètres. Il est arrivé avec une vitesse si effrayante, que ses jambes ont pénétré dans le sable ; le reste du corps offrait l’aspect d’une épouvantable bouillie sanglante.
- ACADÉMIE DES SCIENCES
- Séance du 27 octobre 1875. — Présidence de M. de QrATREFAGES.
- Les diamants du Cap. — C’est dans un dépôt détritique reposant sur les couches du trias que se rencontrent, au cap de Bonne-Espérance, les diamants qui ont tant fixé l’attention dans ces derniers temps. M. Hugon, qui vient de faire une étude géologique de la région diamantifère, remarque d’abord que le terrain fournissant les gemmes a été remué par les hommes. On y trouve, en effet, des écailles d’huîtres, des fragments d’œufs d’autruche et des objets d’industrie, tels que des perles tombées de quelque collier. Les diamants gisent dans ces dépôts à toutes les profondeurs, depuis la surface jusqu’à la roche vierge, et leur abondance est telle, que tous les chercheurs ont vu leurs travaux récompensés d’une manière fructueuse.
- Les diamants sont toujours plus ou moins cassés, ce dont on va voir la cause dans un moment. On remarque qu’en général ils sont d’autant plus jaunâtres que leur volume est plus grand. Plusieurs ont atteint le poids de 224, de 246 et même de 288 carats. Dans aucun pays on n’a vu des mines fournissant autant de beaux diamants que celles du Cap. Une seule exploitation a produit trois mille diamants par jour pendant huit mois !
- Les plus précieux, c’est-à-dire ceux dont l’eau est la plus pure, sont cristallisés en octaèdres à arêtes vives. Mais, chose très-inattendue et qui rend compte de leur état fragmentaire habituel, ils sont très-sujets à éclater spontanément au contact de l’air, et cela dans le cours de la première semaine après l’extraction. Exceptionnellement, cette explosion d’un nouveau genre peut se faire au bout de trois mois ; en tout cas, on l’empêche, paraît-il, en enduisant les diamants de suif. Jamais ce fait n’avait été signalé jusqu’ici et il est peut-être de nature à guider les recherches tentées pour découvrir le mode de formation et l’origine de la plus précieuse des pierres précieuses.
- En terminant, l’auteur signale l’abondance des grenats comme indice de la présence du diamant. Il note aussi que là où sont beaucoup de petits diamants on n’a guère de chance d’en trouver de gros.
- Les mouvements des plantes. — On sait que plusieurs plantes sont douées de la faculté d’exécuter des mouvements plus ou moins étendus. Les unes se livrent ainsi à des mouvements spontanés, comme on l'observe, par exemple, pour les étamines de la rue (ruta), qui viennent d’elles-mêmes se placer en contact avec le pistil ; les autres exécutent leurs mouvements lorsqu’elles reçoivent une excitation extérieure ; telle est la sensitive (mimosa pudica), dont les feuilles se ferment au moindre attouchement. Depuis longtemps les physiologistes se sont demandé si ces divers phénomènes reconnaissent la même cause, ou s’ils sont dus à des actions distinctes. M. Paul Bert,pour trancher la question, a même soumis la sensitive, sous une cloche de verre, à l’action de vapeurs anesthésiques, et il a vu que cette plante continuait de se fermer spontanément, le soir, alors qu’elle était devenue complètement inerte aux excitations extérieures.
- Il a paru à M. Eckel, professeur à l’École de pharmacie
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- de Montpellier, que ce résultat n’était pas suffisamment net parce qu’il était fourni par une plante possédant à la fois les deux ordres de mouvements. Aussi s’est-il adressé à des végétaux chez qui cette superposition n’existe pas. On sait que les étamines de l’épine vinette (berberis) 'touchées au moyen d’une pointe fine, se contractent fortement, et nous venons de rappeler que les étamines de la rue se meuvent spontanément. Gela posé, l’auteur met sous deux cloches distinctes un pied de ces deux plantes, et les soumet à l’action des vapeurs du chloroforme. Bientôt, sous l’influence anesthésique, l’épine vinette est complètement endormie, tandis que la rue possède encore ses mouvements-C’est-à-dire que l’expérimentateur de Montpellier confirme pleinement les résultats de M. Bert.
- Le phylloxéra. — Naturellement, il est encore question du phylloxéra. Revenant sur la question de l’emploi du sulfure de carbone, M. Gaston Basile conteste que la vigne ait à souffrir de ce remède, d’ailleurs si efficace contre le parasite. Il ajoute que la dose de 150 grammes, par cep, a pu être réduite, dans des essais récents, à 50 grammes et moins encore, de sorte que la dépense est notablement diminuée.
- Un naturaliste très-connu, M. Guérin Menneville, défend de nouveau son opinion, d’après laquelle le phylloxéra n’est pas du tout cause de la maladie de la vigne. Suivant lui, cet insecte a existé de tout temps chez nous, et restait confondu parmi les innombrables parasites de la vigne, jusqu’au jour où un état pathologique spécial de celle-ci a fourni des conditions favorables à sa multiplication. En même temps, M. Maxime Cornu annonce s’être assuré expérimentalement que le phylloxéra déposé sur les radicelles saines y développe, au contraire, tous les accidents caractérisant les vignes malades.
- L'Homme-Chien. — Au sujet de l’exhibition qui a lieu en ce moment, dans Paris, d’un homme dont le système pileux est développé d’une manière exagérée, tandis que son système dentaire est tout à fait atrophié, M. Boulin fait remarquer, avec son érudition ordinaire, que des anomalies du même genre ont été plusieurs fois signalées.
- Ainsi, il y avait, en 1855, dans la province d’Anam, en Cochinchine, une femme offrant les mêmes caractères. De même, Wallis, directeur du jardin de botanique de Calcutta, a décrit et figuré, en 1826, un individu exactement pareil. C’est plus qu’il n’en faut pour montrer que des éleveurs d’un nouveau genre pourraient arriver à créer une race humaine offrant les caractères généraux du malheureux qui est en passe de devoir une fortune à son affreuse difformité. Stanislas Meunier.
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- LE CIEL AU MOIS DE NOVEMBRE 1873
- Nos précédents bulletins donnent, sur les positions actuelles des planètes principales, des détails assez nets pour qu’on puisse, pendant le mois de novembre, suivre aisément leurs mouvements sur la voûte étoilée sans indications nouvelles. D’ailleurs, tout l’intérêt astronomique du mois, en dehors des observations régulières, va se concentrer sur le phénomène que présente le passage de la terre dans le voisinage de l’essaim météorique des Léonides, vers le 13 ou le 14. On se rappelle que, l’an dernier, les circonstances se sont trouvées si défavorables que presque partout les observations ont été impossibles ;
- temps pluvieux et généralement couvert, et là où il y a eu quelque éclaircie, proximité de la pleine lune. Cependant, dans une ville d’Italie, à Montera (Basi-licate), le phénomène fut observé, et le nombre des étoiles filantes qui se montrèrent entre 3 heures et 6 heures du matin, le 14 novembre, fut assez considérable pour qu’on n’ait pu douter du retour périodique de l’essaim des Léonides à la date ordinaire. Cette année, la pleine lune aura lieu le 4 novembre ; du 12 au 15, il n’y aura plus à redouter l’influence gênante de la lumière de la lune, qui sera dans sa dernière phase, et sera d’ailleurs couchée, quelques minutes après 2 heures du matin. Il n’y a donc à désirer qu’une chose, c’est qu’à la date indiquée, le ciel soit assez beau pour que les nombreux observateurs du phénomène puissent en noter toutes les circonstances. Une des plus intéressantes est toujours la détermination du point de radiation, ou des points de radiation, si, comme il est possible et probable, le courant se divise à la longue en des courants partiels distincts.
- Le mois de novembre 1872, si l’on a bonne mémoire, en compensation des observations manquées du 14, a offert aux astronomes une véritable surprise dans la nuit du 27, par la magnifique averse météorique qui a bombardé les hauteurs de notre atmosphère : on se rappelle aussi qu’on a aussitôt attribué ce brillant météore à la rencontre que la terre aurait faite d’un des fragments de la comète de Biela. Quelques-unes de ces fugitives étoiles se seront-elles attardées, une année durant, dans les mêmes régions de notre orbite ? C’est peu probable, car la comète de Biela n’est qu’une des plus petites agglomérations nébuleuses de ce genre et ne peut être assimilée à la longue traînée qui constitue l’essaim de novembre ; mais comme sa période est d’environ 7 années, il est possible que nous repassions plus tard au milieu du même fragment et que nous soyions de nouveau témoins d’un semblable feu d’artifice céleste.
- Il y aura, ce mois, deux éclipses, se succédant comme d’habitude à une demi-lunaison de distance: la première aura lieu le 4 novembre et sera en partie visible à Paris. La lune se lève, ce jour-là, à 4 heures 34 minutes du soir ; or, à 1 heure 17 minutes, elle entre dans la pénombre; à 2 h. 15 m., son disque entrera dans l’ombre ; le milieu de l’éclipse ayant lieu à 4 heures, nous ne pourrons voir que la seconde moitié et la fin du phénomène. Quant à l’éclipse de soleil du 20 novembre, elle sera partielle, et d’ailleurs invisible à Paris et dans presque tout l’ancien et le nouveau continent : c’est dans les régions voisines des terres australes du sud que cette éclipse, un peu plus forte que le demi-diamètre solaire, sera principalement visible. A tous égards, c’est donc un phénomène qui aura peu d’intérêt pour nous.
- Amédée GUILLEMIN.
- Le Propriétaire-Gérant : G. TISSANDIEE.
- PARIS. — IMP. SIMON RAÇON ET COMP., RUE D’ERFUNTII, 1.
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- No 25. — 8 NOVEMBRE 1873.
- LA NATURE.
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- UTILISATION DES EAUX D’ÉGOUT
- A GENNEVILLIERS.
- Parmi les devoirs les plus importants d’une administration municipale, il faut mentionner en première ligne la nécessité d’enlever au dehors, dans un temps très-limité, les détritus organiques, les eaux pluviales, les eaux ménagères et même les matières de vidange, pour assurer ainsi, à chaque instant du jour, l’assainissement de la cité.
- Les villes de Londres, de Paris et de Bruxelles se sont depuis bien longtemps déjà préoccupées de cette question capitale. Au moyen de galeries ou égouts rayonnant sous terre, alimentés à Londres spécialement par des eaux courantes qui entraînent les substances solides, on a pu faire converger dans une série de collecteurs centraux toutes les matières qui constituaient pour la ville des foyers d’infection permanents. Mais la solution du problème n’est ainsi résolue que d’une façon incomplète : il ne suffit pas, en effet, d’assurer la salubrité publique dans la ville,
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- Machine à vapeur élevant les eaux de l’égout collecteur dans les plaines de Gennevilliers.
- il faut, en outre, que cet as-ainissement ne vienne pas créer, pour les populations limitrophes du mur d’enceinte, d’autres centres insalubres, d’autant plus dangereux que les matières organiques ont alors subi une fermentation qui remplit Pair d’exhalaisons putrides, essentiellement nuisibles à la santé publique.
- La première partie de la question a reçu depuis longtemps et reçoit encore tous les jours, à Paris, une solution très-satisfaisante; il nous sera facile de le démontrer en nous reportant vers l’année 1850. A cette époque, la ville de Paris ne possédait, en effet, que 130 kilomètres d’égouts1. Depuis, des travaux considérables ont été exécutés : les galeries et les branchements se sont ramifiés de tous côtés et,
- 1 Rappoits de MM. Mille, et Durand-Claye.
- aujourd’hui, la longueur totale de ces ramifications est de 600 kilomètres.
- Trois égouts collecteurs reçoivent les eaux et les portent à la Seine : l’un partant du Jardin des Plantes, longe la rive gauche de la Seine, la traverse au moyen d’un siphon, sous le pont de l’Alma, et vient se jeter près d’Asnières dans l’égout collecteur de la rive droite. Le deuxième, que l’on visite le plus facilement, part de la place du Châtelet et vient se jeter à Asnières auprès du pont du chemin de fer, après avoir desservi les quais et le boulevard Males-herbes. Enfin, l’égout collecteur départemental dessert Montmartre, la Chapelle et Saint-Denis, recevant, en outre, les eaux vannes très-imparfaitement purifiées du dépotoir de Bondy ; il débouche dans la Seine auprès du canal de Saint-Denis.
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- LA NATURE.
- Ces égouts amènent tous les jours à la rivière une masse d’eau tellement considérable qu’elle représente à elle seule la vingtième partie du débit de la Seine, en tout 260,000 mètres cubes d’eau. Mais si la salubrité de la ville de Paris a été ainsi assurée au prix de ces énormes travaux, il n’en est plus de même pour les pays riverains de la Seine. Une simple promenade d’Asnières à Saint-Germain, sur le fleuve, montrerait surabondamment les inconvénients de ce système. L’eau bourbeuse qui s’échappe des égouts vient s’étaler à la sur-
- face du fleuve et y trancher nettement par sa cou-leur; des matières grasses, des bulles de gaz, des détritus infects en suspension signalent le parcours de cette rivière coulant dans une autre rivière. Vers Argenteuil seulement, l'eau commence à s’éclaircir, mais alors toutes les matières organiques se déposent sur la rive sous forme de vase noire et nauséabonde. Cela n’est encore rien en temps ordinaire ; il faut juger de l’état des choses lorsqu’un orage violent vient s’abattre sur Paris. Les égouts sont alors complètement lavés par la masse d’eau qui s’écoule; les
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- Distribution des eaux d’égout dans la plaine de Gennevilliers.
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- usines de Saint-Denis profitent de cette occasion pour envoyer à la rivière tous les résidus nuisibles qu’elles tiennent patiemment en réserve, et l’eau est alors tellement infectée que le poisson, asphyxié, meurt et vient flotter à la surface. Là, subissant lui-même une nouvelle fermentation, il dégage des émanations tellement infectes que les abords du fleuve et les promenades sont complètement désertés par les habitants riverains.
- Les odeurs et les miasmes ainsi produits peuvent être, non-seulement incommodes, mais encore nuisibles à la santé publique : c’est ainsi que M. le docteur Decaisne n’hésitait pas à rapporter les dernières épidémies de diarrhée qui ont sévi à Versailles, dans le commencement de l’année, à l’insalubrité des eaux de la Seine. De pareils résultats créés au détriment de la banlieue ne devaient pas tarder à attirer exclusivement l’attention des habiles et savants ingénieurs qui dirigent le service des eaux
- d’égouts de Paris; aussi, vers 1867, des essais furent tentés pour débarrasser le lit du fleuve de ces matières impures. Deux procédés pouvaient être mis en présence : l’un consistait à porter jusqu’à la mer les eaux d’égouts ; l’autre, mille fois plus rationnel, prenait les détritus organiques, les séparait par le colmatage ou par une épuration chimique de la masse du liquide, et les faisait servir aux besoins de l’agriculture. C’est à cette dernière résolution que MM. Mille et Durand-Claye s’arrêtèrent ; depuis cette époque, la ville de Paris, multipliant ses essais et ses expériences, a fait des dépenses considérables pour atteindre le but qu’elle se proposait. Aujourd’hui, que la solution est presque complète, il nous reste à la faire connaître à nos lecteurs.
- Si l’on soumet à l’analyse les eaux d’égouts à leur sortie des collecteurs d’Asnières, on constate qu’un mètre cube d’eau contient en moyenne 2k,327 de matières en dissolution et en suspension correspondant
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- à 0*,043 d’azote, à 0*,017 d’acide phosphorique et à 0*,106 de potasse et de soude; et si l’on cherche la valeur de l’engrais qui y est contenu, on trouve que le prix du mètre cube peut atteindre approximativement 11 centimes à Asnières et 55 centimes à Saint-Denis ; cette augmentation s'expliquant par l’apport des eaux vannes de Bondy dans l’égout départemental. En multipliant ces résultats, on trouve que la quantité d’engrais jetée chaque jour à la Seine atteint une valeur de 16,000 francs, soit par an 15 à 18 millions. Sous une autre forme, 150 à 140 mètres cubes d’eau seulement représentent environ, comme agent fertilisant, 1,000 kilogrammes de fumier de ferme. Ces chiffres, surtout théoriques, de
- vraient être nécessairement abaissés dans la pratique ; mais ils n’en suffisent pas moins pour montrer l’importance énorme qu’il y a à recueillir et à utiliser l’eau d’égout.
- Pour arriver à ce résultat, il faut, ou jeter directement l’engrais liquide sur un sol perméable, qui puisse l’absorber complètement et en séparer les principes utiles, ou bien précipiter la matière organique au moyen du sulfate d’alumine, rejeter l’eau pure à la Seine et vendre l’engrais.
- Ces deux procédés ne nous paraissent pas devoir être employés séparément avec un succès complet; mais un troisième qui aurait pour but de prendre à chacun d’eux ‘ce qu’il présente de particulièrement
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- Ancienne machine du pont d’Asnières. — Figure montrant la coupe de l’égout collecteur, la prise d’eau, et la pompe centrifuge à vapeur.
- intéressant nous paraîtrait avoir plus d’avantage pour les résultats financiers d’une pareille opération.
- C’est là, en effet, le système préconisé par MM. les ingénieurs Mille et Durand-Claye, et c’est à ce double point de vue qu’ont été dirigés les travaux faits par la ville de Paris. Au point où les eaux d’égout se jettent dans la Seine, une pompe centrifuge élève une partie des eaux au niveau du sol pour les refouler dans des conduites spéciales, qui les mènent à Gennevilliers.
- Anciennement, l’eau était élevée au moyen d’une simple locomobile placée à l’entrée même de l’égout, comme le figure notre dessin au trait ; aujourd’hui, que la période des essais est terminée, la ville a installé, auprès du pont de Clichy, une machine pouvant monter en un jour environ le tiers du débit de l’égout collecteur. Plus tard, cinq autres machines seront installées auprès de la première pour compléter le service;
- La machine à vapeur qui sert à l’aspiration et au refoulement des eaux sort des ateliers de M. Farcot. Elle se compose d’un générateur placé à la partie supérieure de l’usine et de la machine proprement dite qui se trouve de plain-pied avec le sol. — Notre gravure (page 555) montre seulement cette dernière partie.
- La machine est horizontale, de la force de 150 chevaux ; elle monte 500 litres d’eau par seconde, soit 1,800 mètres cubes à l’heure, refoulant, en outre, cette masse de liquide en dix minutes jusqu’à Gennevilliers, c’est-à-dire à 2 kilomètres de distance. Le grand volant, qui a 8 mètres de diamètre, pèse 25,000 kilogrammes; il peut faire de 27 à 50 tours à la minute. Au moyen d’une disposition spéciale et toute nouvelle, une partie des espaces nuisibles est supprimée, ce qui permet à la vapeur d’arriver directement sur les faces du piston sans déperdition de force vive; on a ainsi une augmentation assez considérable de travail produit;
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- La pompe centrifuge, que cette machine met en marche, est munie de deux manomètres indiquant, à chaque instant, l’un, le degré de vide, et l’autre, la hauteur d’eau soulevée, y compris les résistances considérables dues au frottement de l’eau sur les conduites.
- L’eau, en quittant l’usine de Clichy, est refoulée dans des conduites en fonte de 60 centimètres de diamètre, emboîtées les unes dans les autres et posées en terre; ces conduites passent sous le pont de Clichy, suivent un chemin parallèle à la Seine, sous la digue de Gennevilliers et viennent déboucher dans un réservoir et dans des bassins, établis auprès de la Seine à côté du champ d’essai de la ville. De là, elles sont déversées dans la plaine de Gennevil-liers par des conduites en grès et par des rigoles de distribution, ayant une largeur de 60 centimètres à 1 mètre et une profondeur variable. Ces rigoles traversent la plaine et se dirigent vers les champs d’expérience de Gennevilliers, endroit connu dans le pays sous le nom de Château de la France. Enfin, d’autres conduites partent de l’égout départemental de Saint-Denis, traversent le pont de Saint-Ouen et arrivent par une pente naturelle jusque dans la plaine. Un simple regard jeté sur le plan que nous publions mettra le lecteur au courant de cette distribution des eaux.
- Actuellement, la ville de Paris fournit gratuitement aux propriétaires l’eau d’égout, voulant ainsi faciliter les essais elles expériences; bien plus, prêchant par l’exemple, elle entretient un jardin où un grand nombre de cultures ont été installées, cultures réussissant toutes à merveille.
- D’un autre côté, les propriétaires du Château de la France, MM. Joliclerc et Brull, concessionnaires des eaux d’égout, par un traité passé avec la ville de Paris, ont mis à profit, depuis deux ans, les eaux et l’engrais qui leur étaient fournis, se livrant surtout d’une manière toute spéciale à la culture maraîchère. Le procédé employé pour se servir des eaux d’égout est bien simple ; on construit grossièrement sur le champ à irriguer un certain nombre de sillons reliés entre eux par une rigole transversale, et l’on met celle-ci en communication avec la conduite de la ville au moyen d’une simple vanne en bois, qu’on peut ouvrir ou fermer.
- Les résultats obtenus par ces irrigations permanentes sont plus que frappants; sur un terrain aride, composé exclusivement de sable, on voit apparaître, sous l’action fécondante de l’eau, une végétation luxuriante : des choux énormes, des poireaux, des artichauts, des carottes, des salades, des arbres fruitiers, des plantes pharmaceutiques, menthe, absinthe, etc., y vivent et s’y développent, prenant en peu de temps des proportions colossales. Les cultures printanières elles-mêmes, à cause de la température plus- elevée de l’eau, y réussissent mieux que partout ailleurs. Fait curieux, les eaux charriant un certain nombre de graines se chargent elles-mêmes d’ensemencer les champs ; c’est ainsi
- que MM. Joliclerc et Brull ont vu se développer des tomates en grand nombre, là où ils n’avaient rien semé.
- Pour la culture maraîchère, l’eau a le double avantage de tenir lieu d’engrais et de substituer une opération mécanique à l’arrosement toujours si dispendieux pour le maraîcher.
- En effet, un marais ordinaire d’un hectare exige actuellement environ 1,300 francs d’arrosage, 1,500 francs de fumure et 1,500 francs de loyer; avec l’eau de la ville, les deux premières dépenses seraient certainement réduites de beaucoup, puisqu'elles pourraient être remplacées par un fermage relativement minime.
- Le rendement à l’hectare pourrait alors s’élever de 500 francs, prix ordinaire, à 4,000 francs, en moyenne; ce résultat pourrait être atteint sans aucune exagération.
- Jusqu’ici le sol de la plaine de Genevilliers est tellement perméable, que toute l’eau fournie est immédiatement absorbée ; mais il est probable qu’à un moment donné, il n’en sera plus de même. C’est alors que les entrepreneurs devront mettre en vigueur l’épuration par les procédés chimiques, dont nous parlions plus haut, installant en même temps un outillage spécial pour enlever les matières grasses, qui se trouvent à la surface de l’eau en assez grande quantité, ainsi que des bassins superposés de profondeur variable pour séparer, par décantation, les matières organiques qui, formant une espèce de laque avec le sulfate d’alumine, se précipitent au fond du liquide, en l’espace de quelques instants. En un mot, ils devront chercher à tirer le meilleur parti possible de toutes les matières qu’ils auront en suspension.
- L’augmentation de valeur des terrains qu’ils auront ainsi améliorés sera pour eux la source de bénéfices importants qui leur permettront peut-être de franchir la Seine, et de porter leur canalisation jusque dans les plaines de Nanterre, d’Argenteuil, de Franconville et de Pontoise. La ville de Paris aura alors rendu à ces pays un double service, en purifiant les eaux de la Seine et en améliorant les terrains qui avoisinent le fleuve.
- Enfin, une dernière objection a été soulevée bien souvent : les eaux d’égout s’évaporant ainsi dans la plaine ne constituent-elles pas un nouveau foyer pestilentiel et’ ne donnent-elles pas un goût particulier aux productions du sol?
- Nous engageons le lecteur soucieux de se rendre compte de la valeur de cette objection, à visiter lui-même les travaux. Il pourra constater que les eaux courantes des canalisations ne dégagent aucune odeur, et que l'eau des puits n’est en aucune manière altérée par l’absorption des eaux à travers le sol. Quant à la saveur des légumes, il suffira de dire que les restaurants et les hôpitaux de Paris sont les clients assidus des cultivateurs de la plaine.
- Il ne reste donc plus à la ville qu’un certain nombre de travaux à accomplir pour que l’assainissement
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- de Paris et de sa banlieue soit totalement terminé, au point de vue où nous nous sommes placé. Nous pensons que l’administration de la ville ne saurait s’arrêter en chemin, et qu’elle permettra à MM. Mille et Durand-Claye de mener à bonne fin les travaux que ces savants ingénieurs ont si habilement conçus et dirigés. ED. LANDRIN.
- LA PLANÈTE JUPITER
- Le dessin qui accompagne cette notice sur la plus volumineuse des planètes de notre monde solaire, représente le disque de Jupiter, tel qu’il apparut, dans la nuit du 28 janvier dernier, à 11 h. 11m. du soir, au foyer du télescope d’un astronome italien, M. Tacchini, de Palerme. Deux caractères principaux frappent tout d’abord l’œil, dans cette représentation du globe de la planète : sa forme très-visiblement elliptique, et les longues zones, les unes claires ou brillantes et les autres obscures, qui sillonnent le disque dans un sens à peu de chose près parallèle au plus grand de ces diamètres.
- La forme ellipsoïdale du disque aurait suffi pour faire préjuger un mouvement de rotation, sinon pour en donner la période; la théorie
- Jupiter. — Aspect du disque dans la nuit du 28 janvier 1875 D’après un dessin de M. Tacchini.
- de la figure des corps célestes déduite de la gravitation et de l’hypothèse probable de leur fluidité originelle, rendent compte, comme on sait, de leur aplatissement. Mais des observations directes ont permis de déterminer la durée de la rotation de Jupiter, dès le milieu du dix-septième siècle, et c’est à Cassini 1er que cette découverte est due, nous dirons tout à l’heure par quel moyen.
- Le dessin de M. Tacchini nous montre le disque partagé en neuf zones principales très-inégales en largeur, quatre bandes brillantes et cinq zones obscures. Deux de ces dernières occupent les parties boréales et australes de la planète, celles qui avoisinent en effet les pôles ou les extrémités de l’axe de rotation; leur teinte est, à peu de chose près, uniforme, et l’observateur caractérise leur couleur en disant que « les calottes polaires étaient faiblement cendrées. » Des trois autres bandes obscures, assez étroites, celle qui est la plus voisine du pôle nord présentait deux taches plus noires, l’une arrondie et
- qui, n’était sa grosseur, semblerait l’ombre portée par un des satellites ; l’autre irrégulière et déchiquetée sur son bord septentrional. Dans la bande obscure la plus voisine du centre, on voit en sens opposé deux taches dont la forme est contournée en tourbillons. Tout au-dessous, est une assez vaste région « légèrement grisâtre, » et assez irrégulière, qui est, sur tout son contour, enveloppée d’une zone étroite de même forme : les parties blanches de cette zone, ainsi que celles qui, du côté du centre, limitent la bande obscure australe, étaient d’un blanc très-vif « comme argenté, » dit M. Tacchini. Les deux zones brillantes limitant les calottes polaires étaient également d’un blanc vif.
- Enfin la plus large des zones claires du disque, outre la longue tache irrégulière que nous venons de décrire, renfermait trois petites taches noires, de forme oblon-gue, et une grande tache semblable à une S très-allongée, dont le contour bordé de blanc se projetait sur un fond de couleur rose.
- Ce qu’il y a de remarquable , selon l’astronome italien, dans cet aspect du disque de Jupiter, c’est la forme accidentée des taches et des bandes, qui dénote une période d’activité particulière de la planète : aussi priait-il les observateurs munis des instruments nécessaires de vouloir bien étudier le spectre de sa lumière pendant cette
- période de variabilité. Nous espérons bien que son désir aura été exaucé. En attendant que nous puissions connaître les résultats des recherches recommandées, nous allons profiter du dessin que nous avons sous les yeux pour entrer dans quelques détails sur la constitution physique de Jupiter et sur les questions que soulève l’examen des taches de son disque.
- Occupons-nous d’abord des bandes, abstraction faite des taches plus petites et plus irrégulières, dont elles sont accompagnées.
- Leur parallélisme entre elles et à l’équateur de Jupiter est un fait à peu près constant. Elles offrent sans doute, dans leur développement, des irrégularités, des déviations, mais il est visible que ce ne sont là que des accidents, des résultats de perturbations locales qui n’affectent point la généralité de la loi ainsi formulée. Dans toutes les observations, dans tous dessins qui les représentent, ce parallélisme se manifeste : nous avons, en ce moment, un grand nom-
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- bre de ces dessins sous les yeux, faits à des époques bien différentes ; le nombre et la position, la largeur, l’éclat des bandes y varient de toutes les façons, mais toutes sont, à fort peu de chose près, dirigées suivant une ligne parallèle au grand diamètre de la planète, diamètre qui coïncide à la fois avec l’équateur et avec la projection de l’orbite. Les premiers observateurs constatèrent pareillement ce fait, et, bien qu’Arago s’étonne que les écrits de Galilée ne fassent aucune mention des bandes, que le père Zucchi aurait vues le premier à Rome, en mai 1650, il est très-probable qu’elles n’échappèrent point à l’illustre astronome. Les Eléments d'astronomie de Cassini II en font foi. « Aussitôt que Galilée l’eut observé (le globe de Jupiter) avec des lunettes, il y aperçut plusieurs bandes obscures et à peu près parallèles entre elles, suivant la direction de la route qu’il décrit par son mouvement propre. » Cassini ajoute aussitôt: « Le nombre de ces bandes obscures n’a pas toujours été le même ; quelquefois il y en a eu jusqu’à huit ; dans d’autres temps, il n’y en a eu qu’une, et on en distingue trois pour l’ordinaire, celle que l’on a toujours aperçue est plus large que les autres, située dans la partie boréale de son disque, tout proche de son centre. »
- On voit que la variabilité du nombre des bandes a été dès l’abord remarquée tout aussi bien que leur parallélisme. A dire vrai, quand on examine le disque, à ce point de vue, il n’est pas toujours aisé, si le grossissement de l’instrument est assez fort pour que les détails de forme soient nettement visibles, de distinguer et de compter les bandes qui se subdivisent souvent en traînées plus étroites. Ce qui est certain, c’est qu’elles changent d’une époque à l’autre, c’est que le disque en est plus ou moins recouvert et qu'ainsi les zones brillantes formant les intervalles des bandes obscures ont une étendue variable. La large bande obscure, dont parle Cassini, existe en effet assez généralement dans la moitié boréale, limitée au sud par une ligne qui est très-voisine du centre de la planète ; mais ce n’est pas toujours la plus large ; c’est ce que prouvent les mesures faites en novembre 1810 par Arago de la largeur des deux principales bandes obscures qu’on voyait alors près du centre de Jupiter; la bande boréale était la plus petite.
- La permanence d’une bande centrale, telle que la mentionne Cassini, est donc toute relative et ce qu’il faut retenir des nombreuses observations auxquelles nous nous référons, c’est que les bandes obscures de Jupiter varient, suivant les époques, en nombre, en position, en étendue. Ajoutons qu’elles ne présentent pas toutes ni toujours la même teinte. La description que nous avons donnée plus haut, d’après M. Tac-chini, de l’apparence présentée en janvier dernier parle disque de Jupiter, prouve que ni les bandes obscures, ni les bandes brillantes n’ont la même couleur. Undessin deM. W. Lassell, reproduit dansles Monthly Notices (janv. 1872) de la Société astronomique de Londres, donne, sur ce point, d’intéressantes
- indications, ainsi que deux autres dessins dus à M. John Browning et insérés dans le même recueil. A l’équateur se trouve une large zone dont la teinte est d’un brun orangé selon M. Lassell (brown orange), bronzée (tawny-coloured),à’après M. Browning. La différence des instruments et des appréciations individuelles suffit pour expliquer la légère différence des nuances ainsi indiquées. Les bandes sombres, situées de part et d’autre dans les deux hémisphères, ont une teinte pourprée ; entre l’une d’elles et la bande équatoriale, M. Lassell marque une large zone dont la lumière était vert d’olive (olive green). Enfin, les régions voisines des pôles étaient, selon M. Browning, d’un gris bleuâtre, la teinte bleue étant d’autant plus prononcée qu’on considérait des parties plus rapprochées des pôles mêmes.
- Des observations faites, en 1869 et 1870, par le second des savants que nous venons de citer, prouvent que les changements de couleur des bandes concordent avec les variations de position ou d’étendue. Ainsi, en octobre 1869, la bande équatoriale que des observations antérieures avaient montrée incolore et plus brillante que tout le reste dudisque, était devenue plus sombre que deux bandes blanches situées au nord et au sud et colorée d’une teinte jaune verdâtre.
- Amédée Guillemin.
- — La suite prochainement. —
- CHACORNAC
- Jean Chacornac, l’astronome bien connu, est mort le 6 septembre dernier. Chercheur infatigable, il s’était fait un nom parmi les observateurs qui enrichissent la science du ciel par la découverte d’astres nouveaux. Travailleur assidu, il avait abordé avec les plus consciencieux efforts toute une série de labeurs, dont les résultats publiés pour la plupart témoignent de la grande activité de son esprit.
- Chacornac, né à Lyon le 21 juin 1825, dut, jeune encore, se placer dans le commerce ; nous le trouvons employé successivement dans plusieurs maisons de cette ville, d’où il vint à Marseille. Il était là commis dans un bazar, lorsqu’il fit la connaissance du directeur de l’Observatoire, M. Valz, qui lui permit de fréquenter cet établissement et laissa une lunette de quatre pouces à sa disposition. Chacornac commence alors ses observations sur les taches solaires, à la date du 4 mars 1849, et s’adonne avec ardeur à l’exploration du ciel. Ses efforts ne sont pas infructueux, car, le 15 mars 1852, il rencontre une comète nouvelle, dont le directeur de l’Observatoire annonce de suite la découverte à l’Académie, au nom de J. Chacornac, élève-astronome.
- A partir de cette époque, on peut donc le considérer comme complètement engagé dans la carrière astronomique qu’il doit parcourir avec succès. Il amasse dès le début des matériaux considérables
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- qui le conduiront plus tard à la confection de nouvelles cartes célestes, dont plusieurs savants avaient eu déjà l’idée. M. Hind en Angleterre et M. Valz en France s’étaient occupés, en effet, de ce genre de travail, et voulaient construire des cartes plus détaillées que celles de l'Académie de Berlin, les seules dont on faisait usage.
- Les quatre petites planètes, Cérès, Pallas, Junon et Vesta ont été découvertes dans les sept premières années de ce siècle. Trente-huit ans plus tard, en 1845, Ilencke, de Driessen, découvrit la planète Astrée, et en 1847, la petite planète Hébé. L’attention des observateurs fut ainsi ramenée à la recherche des astéroïdes qui circulent entre Mars et Jupiter. Dans leur route, les petites planètes devant nécessairement traverser le plan de l’écliptique, il suffisait de limiter à plusieurs degrés au-dessus ou au-dessous de ce plan les cartes nécessaires pour la vérification du ciel dans les régions fréquentées par ces petits astres. M. Valz en avait déjà construit quelques-unes, lorsqu’il eut l’idée de s’adjoindre Chacornac, qui le seconda puissamment dans ses projets; c’était en 1852. Cette année même, le 20 septembre, Chacornac, en confectionnant des cartes écliptiques, découvre Massilia (aperçue la veille par M. de Gasparis, à Naples); et l’année suivante, dans la nuit du 6 au 7 avril, il trouve Phocéa.
- En 1854, M. Le Verrier, nommé directeur de l’Observatoire de Paris, appelle Chacornac et le fait nommer astronome-adjoint, à la date du 4 mars. Il est entendu que Chacornac continuera ici les travaux commencés à l’Observatoire de Marseille, et que l’Observatoire de Paris lui fournira les moyens de faire paraître l’Atlas écliptique.
- Les six premières livraisons, comprenant 36 cartes, ont, en effet, été publiées depuis cette époque jusqu’à l’année 1863 ; elles ont été construites au moyen d’un équatorial de 9 pouces, ce qui a permis à l’auteur d’y placer les étoiles jusqu’à la treizième grandeur. L’exactitude de ces cartes a été constatée par les astronomes qui s’en sont servis dans la recherche des petites planètes ; quelques-unes renferment plus de 3,000 étoiles. Tout en confectionnant ses cartes, Chacornac a découvert plusieurs petites planètes. Le jour même, 3 mars 1854, où la recherche des phénomènes qui peuvent se présenter accidentellement dans le ciel, a pu être provisoirement organisée à l’Observatoire de Paris, Chacornac trouvait Amphi-trite, que M. Albert Marth, de l’Observatoire de Regent’s-Park, à Londres, avait vue deux jours auparavant. Il découvrit ensuite Polymnie (28 octobre 1854), Circé (6 avril 1855), Léda (12 janvier 1856), Lætitia (8 février 1856), Olympia (12 septembre 1860). Ces observations d’astres nouveaux lui ont valu à plusieurs reprises les récompenses de l’Académie, qui lui décerne, en 1863, le prix d’astronomie « pour les belles et importantes cartes célestes qu’il a construites, avec tant de soin, et qui son d’un si grand secours pour les explorateurs du cie étoilé. »
- Les travaux de Chacornac sont nombreux, et il faut ajouter à ceux que nous avons déjà énumérés la série de ses observations sur les taches solaires, dont il s’est occupé pendant de longues années. Les Comptes rendus de l’Académie des sciences renferment à ce sujet une foule de notes dont l’ensemble constitue une description détaillée des changements observés à la surface du soleil, et témoigne de son habileté d'observateur. Les dessins qui accompagnent ses différents mémoires ont été exécutés par lui avec le plus grand soin. Nous pouvons en dire autant de ceux des planètes, des nébuleuses, qu’il a étudiées avec le télescope de Foucault de 80 centimètres de diamètre, actuellement à l’Observatoire de Marseille. Sur ce dernier point, Chacornac avait repris l’observation des nébuleuses en spirales de lord Rosse, en particulier de celle des Chiens de chasse, où il a reconnu que la petite nébulosité est elle-même composée de lignes spirales se rattachant aux rayons de la grande. Plusieurs des dessins de l’astronome français, comparés à ceux des mêmes nébuleuses d’Herschel, paraissent indiquer de légères variations de formes. Chacornac a signalé, en outre, le cas très-curieux d’une petite nébulosité isolée et ayant disparu, dans la constellation du Taureau.
- Chacornac était aussi très - familiarisé avec les études sélénologiques. Il a trouvé dans la lime ample matière à d’intéressantes investigations; il a dessiné avec attention un certain nombre de paysages lunaires, examiné tout particulièrement les montagnes rayonnantes de notre satellite et imaginé une théorie ingénieuse, qui rattache ces phénomènes aux autres mouvements du sol lunaire. Chacornac est un des observateurs qui admettent la continuité de l’action volcanique à la surface de la lune.
- Notons encore des expériences photométriques intéressantes ; en particulier, celles faites de 1855 à 1859, sur la question de savoir si le centre du soleil est réellement plus lumineux que ses bords; en résumant ces observations, le centre du disque aurait un éclat sensiblement uniforme sur une étendue égale aux trois dixièmes du diamètre, et les bords seulement la moitié de cette intensité. La pénombre des taches serait d’un éclat supérieur à celui du bord du soleil. Chacornac a pu également mesurer de très-petites différences d’intensité de la lumière des astres.
- Nous devons à Chacornac la découverte de plusieurs étoiles variables, des observations du satellite duSirius. En 1856, il observe les étoiles filantes du mois d’août avec M. Goujon à Paris, tandis que MM. Besse-Bergier et Liais vont à Orléans. En 1858, son attention se porte sur la belle comète de Donati, dans laquelle il trouve des traces de polarisation, ce qui concorderait avec le résultat obtenu en 1855 par Arago, sur la lumière de la comète de Halley. En 1860, il fait partie de l’expédition française, envoyée en Espagne pour observer l'éclipse totale de soleil du 18 juillet.
- Les travaux remarquables de Chacornac l’ont fait
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- nommer astronome titulaire le 22 février 1857, et chevalier de la Légion d’honneur le 15 août de la même année. Il avait bien mérité ce succès, obtenu au prix de journées et de nuits entières, consacrées, sans regret, à la science dont il était épris. Il avait toujours l’œil à la lunette, entassant des observations soignées et abondantes ; plein de zèle et d’activité, il ne connaissait pas de limites et travaillait sans cesse. Mais ce labeur excessif, joint à des craintes exagérées, le fatiguait considérablement, et sa santé en fut même gravement compromise. Il fut obligé de quitter l’Observatoire au mois de juin 1865, et se réfugia peu après à Villeurbanne, près Lyon.
- Chacornac retrouve alors pour son esprit la tranquillité nécessaire, et reprend ses occupations favorites. Il construit de ses mains un télescope de 40 centimètres de diamètre et de 5 mètres de distance focale, avec lequel il continue l’étude des taches du soleil, qu’il poursuit jusqu’à sa fin : il était arrivé à cette conclusion que des séries de volcans se trouvent à la surface du soleil, et que les facules aussi bien que les taches se forment par leur éruption. Il amène la construction d’un télescope de 81 centimètres presque à son achèvement. C’est dans son observatoire particulier que la mort est venue le frapper et l’enlever à la science qu’il avait illustrée par de nombreuses découvertes et d’importants travaux. A. FRAISSINET.
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- LES VERS A SOIE
- a l’exposition DU CONGRÈS DES ORIENTALISTES.
- LE VER A SOIE DE L'AILANTE
- Au milieu des incomparables richesses exposées depuis un mois au palais de l’Industrie, l’attention des visiteurs a été particulièrement attirée par les diverses espèces de vers à soie dont l’agriculture européenne a été récemment dotée, grâce aux travaux et à la persévérance de M. Guérin-Méneville. L’extrême Orient nous a donné jadis le ver à soie ordinaire, celui qui se nourrit des feuilles du mûrier; il met aujourd’hui entre nos mains quatre espèces nouvelles, dont les produits, plus faciles à obtenir, habillent dans le Céleste-Empire des populations entières. Parmi celles-ci, les deux producteurs les plus importants de la soie à bon marché, que l’on pourrait appeler la soie du peuple, sont le ver à soie de l'allante ou vernis du Japon, et les vers à soie du chêne. Nous reproduisons ci-contre l’aspect du ver à soie de l'ailante, accompagné de son beau papillon, et nous donnons à son sujet des intéressants détails que nous empruntons à l'Économiste français, d’après les précieux documents de M. Guérin-Méneville. Ce ver à soie de l'ailante est le seul qui ait été expérimenté chez nous sur une grande échelle et qui s’y soit naturalisé. Indiqué, il y a plus d’un siècle, parle père d’Incarville, il fut envoyé en Europe par des re-
- ligieux italiens en 1870, et dut à M.Guérin-Méneville d’être presque aussitôt connu en France.
- i Le ver de l’ailante présente deux avantages considérables : il vit en plein air, n’exige par conséquent ni les soins, ni les dépenses d’une magnanerie, et ne court pas les risques des épidémies résultant presque toujours des variations de température ; l’ailante, d’un autre côté, pousse avec une extrême facilité dans les terrains les plus ingrats et se maintient vert et frais quand tous les autres arbres jaunissent et s’effeuillent. Nous en avons la preuve dans ceux qui garnissent le boulevard des Italiens, dont la verdure tranche si vivement sur la sécheresse hâtive de leurs voisins. L’ailante est le faux vernis du Japon. Il a été introduit en France par nos missionnaires, dans la seconde moitié du dix-septième siècle. C’est un grand arbre de la famille des térébin-thées, dont le nom, dans l’idiome indien, signifie arbre du ciel. Il croît avec vigueur dans le centre de la France. Il a réussi dans les terrains ou rien ne pousse, même la mauvaise herbe. Nous n’avons aucun arbre dont la croissance soit plus rapide, et comme aucun animal n’y touche, il constitue la meilleure essence des reboisements de montagnes et de pentes.
- Cependant la nouvelle industrie a rencontré des difficultés dans les habitudes prises, dans les préventions toujours si puissantes chez nous et surtout dans la qualité inférieure de la soie produite par le bombyx cynthia. Cette soie ne pouvait pas, dans le principe, se dévider en soie grége au moyen des appareils employés pour celle du mûrier. Cela tient à ce que la chenille du bombyx se ménage une issue dans son cocon pour la sortie du papillon et brise ainsi la continuité de son fil. Ces cocons ouverts devaient donc être traités comme leurs similaires du ver de mûrier, et on ne pouvait en tirer que de la bourre de soie. Mais depuis quelques années cette difficulté a été résolue par la création de nouveaux appareils, et le bombyx de l’ailante produit aujourd’hui de la soie grége avec autant de facilité que celui de nos magnaneries. Les vitrines du palais de l’Industrie contiennent plusieurs échantillons de cette soie grége et des étoffes qu’on peut en tirer.
- Aussi la culture de l’ailante et du bombyx cynthia va-t-elle prendre une grande extension. Essayée avec le plus grand succès en Algérie, en Provence, dans la Sologne et dans la Champagne, elle nous apparaît aujourd’hui comme la ressource providentielle des terres impropres à toute autre exploitation. L’expérience a prouvé qu’elle réalise des bénéfices inattendus dans les localités abandonnées jusqu’ici pour leur stérilité. Divers agriculteurs en on fait l’objet d’essais considérables qui tous ont parfaitement réussi. M. le comte de Lamotte-Baracé avait commencé dès 1859 cette acclimatation industrielle de l’ailante, dans son domaine de Coudray-Montpensier (Indre-et-Loire). Il a été imité depuis par MM. Givelet, Cherny-Linguet, Maillet, etc., en Champagne; par M. de Milly, dans les Landes ; par madame Brevant, née de Morteuil, dans la Côte-d’Or, et par vingt autres personnes qu’il
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- Bombyx cynlhia. — Vers à soie de l’ailante ou vernis du Japon.
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- serait trop long de citer. L’un des derniers, M. Usèbe, I dont la plantation ne date que de 1866 et a été faite sur une superficie de trois hectares, dans un terrain de sable siliceux, très-léger, où le chêne lui-même restait à l’état buissonneux, —• près du château de Milly (Seine-et-Oise), — est arrivé à ce résultat que chaque hectare lui produit près de 300 francs net sur un sol sans valeur, tandis que les meilleures terres de blé ne rendent guère plus de 150 à 200 francs.
- On voit par ces résultats l’importance capitale du ver à soie de l’ailante, et par suite l’immense intérêt qui s’attache aux travaux de M. Guérin-Méne-ville. Malheureusement les obstacles qu’il faut surmonter pour vaincre la routine, terrasser l’indifférence, sont indescriptibles ; mais le premier pas est fait aujourd’hui, et nous souhaitons que notre compatriote poursuive sa route sur un sol aplani, où le succès couronnera son œuvre.
- Nous croyons intéressant de compléter les documents qui précèdent en donnant quelques détails sur l’élevage du ver à soie de l’ailante.
- Ce ver à soie peut donner jusqu’à trois récoltes par an dans les pays chauds ; mais dans le centre de la France, il n’en donne que’ deux, et une seule dans le nord. Les deux récoltes correspondent aux 'deux mouvements de la sève : la première se fait de mai en juin, la seconde, d’août en septembre. Si l’on n’en fait qu’une, elle peut commencer fin juin et se terminer fin août. Dans les régions où les deux récoltes sont possibles, ce sont tous les cocons de la seconde récolte et une portion seulement de ceux de la première qui passent le reste de l’automne et l’hiver, sans donner leurs papillons. Dans les régions plus froides où l’on ne peut faire qu’une récolte, presque tous les cocons se conservent sans éclore jusqu’au printemps suivant. Ces cocons, destinés à la reproduction, doivent être réunis en chapelets de 50 à 100, au moyen d’un fil que l’on passe avec une aiguille, en perçant seulement leur épiderme vers le milieu et en ayant grand soin de ne pas faire pénétrer l’aiguille dans leur intérieur, ce qui tuerait les chrysalides. Ces chapelets sont conservés et suspendus dans une pièce sans feu, si l’on ne veut avoir qu’une seule récolte1.
- Vers la fin de mai, les papillons sortent de ces cocons de grand matin et y restent accrochés tout le jour, pour développer leurs ailes.
- Vers le soir, on prend indistinctement les mâles et les femelles et on les enferme dans une cage à parois de grosse toile transparente, dans une sorte de garde manger, ou même dans un panier. Les accouplements ont lieu pendant la nuit, et, le lendemain matin, on prend tous les couples, sans les désunir, et on les met avec précaution dans une boîte (de ponte) couverte avec une toile transparente ou avec une
- 1 Dans les pays où l’on veut avoir deux récoltes, il faut conserver les cocons dans une pièce chauffée, ce qui hâte l’éclosion des papillons, en les faisant .apparaître au commencement de mai ou même un peu plus tôt.
- gaze grossièr. Dans la journée, les mâles quittent leurs femelles, qui se mettent à pondre contre les parois de la boîte: on retire ces mâles, que l’on remet "dans la boîte aux mariages et on laisse les femelles tranquilles.
- Chaque soir on met les papillons éclos le matin dans la boîte aux mariages, et chaque matin on en retire les couples pour les placerdans les boîtes de ponte. Chaque jour toutes les femelles mises la veille dans une boîte de ponte seront placées dans une autre boîte, et l’on recueillera les œufs qu’elles auront donnés dans la nuit. Ces œufs sont facilement détachés avec l’ongle ou avec un couteau de bois; on les met dans de petites boîtes en inscrivant la date de leur ponte.
- Les boîtes, laissées découvertes, sont placées dans une chambre chauffée à 22 ou 25 degrés centésimaux dans laquelle on entretient constamment de la vapeur d’eau et que l’on arrose fréquemment pour que la chaleur soit assez humide, et l’éclosion des œufs a lieu dix ou douze jours après, et de grand matin.
- Dès que les vers paraissent, on place sur la boîte des folioles d’ailantes et ils y montent immédiatement pour commencer à ronger leurs bords.
- Vers la fin de la journée, ces parties de feuilles, chargées de tous les vers éclos, sont enlevées délicatement pour ne pas écraser les jeunes chenilles, et on les met sur des bouquets de feuilles entières dont la queue plonge dans des bouteilles pleines d’eau ou dans des baquets couverts d’une planche percée de trous pour recevoir la tige des feuilles.
- Les jeunes vers sentant se flétrir les petites feuilles sur lesquelles ils se trouvent, les quittent bientôt pour monter sur celles qui sont conservées fraîches dans l’eau des bouteilles ou des baquets, et ils y peuvent demeurer deux ou trois jours sans autres soins.
- Comme les jeunes'vers descendent quelquefois le long des tiges et vont se noyer, il faut garnir le goulot des bouteilles d’un tampon de papier ou de linge. Il faut aussi placer quelques feuilles au pied des bouteilles. pour que les vers qui viendraient à tomber par accident puissent s’y réfugier, en attendant, qu’on les ait replacés sur des bouquets.
- Les feuilles, trempant dans l’eau, ne tardent pas à être dévorées par les vers, et ceux-ci s’échapperaient de tous côtés et se disperseraient, si l’on négligeait de leur donner une autre nourriture. Pour cela il suffit de placer près de ces bouquets dévorés ou flétris, d’autres bouteilles garnies de feuilles fraîches, et les vers passent d’eux-mêmes sur ces nouvelles feuilles.
- Si l’on fait une éducation importante, on peut poser les vers sur les haies d’ailantes au bout de deux ou trois jours; mais il faut éviter de faire celte translation par un mauvais temps et au moment où les vers sont endormis pour la première mue.
- A partir de ce moment, il n’y a plus à s’occuper de ces vers à soie que pour donner la chasse aux oiseaux, surtout aux mésanges et fauvettes, si l’on en
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- voyait venir un trop grand nombre dans la plantation, et pour les [préserver, dans certains pays, des fourmis, guêpes, etc. qui ne peuvent plus leur nuire sérieusement quand ces vers ont acquis une certaine grosseur. Dans de petits essais, faits dans un jardin en ville, près d’une ferme ou d’un bois, ces attaques peuvent nuire gravement à une éducation d’expérience et la détruire, comme elles détruisent d’autres cultures placées dans les mêmes conditions ; mais dans une éducation faite en rase campagne et sur une assez grande échelle, comme celle deM. le comte de Lamotte-Baracé, dans Indre-et-Loire, le déchet produit par les attaques des ennemis est le même que celui qu’ils font subir à nos autres cultures ; c’est la dîme que nous payons et que nous payerons toujours aux parasites, ce qui n’empêche pas nos céréales, nos vignes, etc. de nous donner des produits dont nous nous contentons depuis des siècles. Du reste, plus les éducations de ce ver à soie s’étendront, et plus cette part due aux parasites sera proportionnellement minime.
- Environ un mois après la pose de ces vers sur les allantes, si la saison est favorable, ils font leurs cocons contre une feuille ou au bout d’un rameau, en prenant soin de fixer solidement la feuille et le cocon à la tige au moyen d’un véritable ruban de soie, et il ne s’agit plus que de détacher ces cocons cinq ou six jours après leur formation, pour faire la récolte.
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- LES NUAGES ARTIFICIELS
- Les idées les plus simples sont bien souvent celles qui paraissent les plus difficiles à trouver. Ne semble-t-il pas assez pratique de garantir certaines cultures des gelées printanières, en les couvrant d’un manteau protecteur, formé d’un nuage de fumée? Il n’y a que bien peu de temps cependant que des essais nombreux ont été entrepris en France ; ils se multiplient, il est vrai, de jour en jour, et leur efficacité réelle permet de supposer qu’ils se généraliseront encore. Un propriétaire de la Gironde, M. Fiabre de Rieunègre, donne de curieux renseignements pratiques sur cette méthode singulière, en racontant le magnifique succès qu’il a obtenu au commencement de cette année :
- « Les nuages artificiels, dit cet agriculteur, ne sont pas une nouveauté; il y a un très-grand nombre d'années que plusieurs viticulteurs de nos pays les ont essayés ; je connais des essais qui datent de quatre-vingts ans. Il est certains pays, le Chili par exemple, où ils sont entrés dans la pratique de tous les jours ; il y a là, sur les derniers contre-forts des Cordillères, d'importants vignobles ; ils étaient autrefois presque toujours ravagés par des vents glacés qui descendent des montagnes et que l’on est parvenu à défendre avec succès contre des froids de cinq et même de six degrés au-dessous de zéro. »
- Pour obtenir les nuages artificiels, M. Fiabre de
- Rieunègre préconise l’emploi de la combustion de la balle de froment.
- « Les feux obtenus avec les huiles lourdes ne remplissent pas, ce me semble, dit notre expérimentateur, les deux conditions de bon marché et de durée. Je n'entre pas dans des détails inutiles, mais j’affirme par expérience, que si l’on veut les conserver allumés pendant tout le temps qui est nécessaire, ils deviennent très-onéreux, surtout si l’on tient compte de l’achat des godets qui quelquefois ne serviront pas deux fois dans dix années et dont le prix devra, par conséquent, être en totalité porté au compte de l’opération elle-même.
- Avec la vieille méthode améliorée, j’ai trouvé le moyen de faire, au commencement de cette année, un feu d'une grande durée et ne coûtant presque rien. J’ai employé de la balle de froment, qui est la substance qui m’a paru le mieux remplir les conditions exigées ; elle brûle très-lentement et produit beaucoup de fumée. On peut cependant la remplacer avec des litières, des mousses, de la sciure de bois et même du mauvais foin. J’en ai fait faire de gros tas de 2m,50 de diamètre placés à 12 mètres environ l’un de l’autre ; trois feux ainsi établis suffisent pour couvrir un hectare.
- Cela fait, on attendit les événements. Les gelées du 25, du 26 et du 27 avril arrivèrent. Lorsque le thermomètre descendait à un degré au-dessus de zéro, la cloche du château se faisait entendre pour éveiller et rassembler non-seulement mes domestiques, mais tous nos voisins, surtout ceux du Nord, que mes sollicitations et mon exemple avaient entraînés et qui agissaient avec le même entrain et la même confiance que moi-même. A ce signal, toute la population était surpied.
- Dès que le thermomètre marquait zéro, à un nouveau signal, le feu était mis aux litières, aux balles de froment, à tout ce que l’on avait pu se procurer, et plus de trois cents foyers énormes, non pas de feu mais de fumée, car nulle part la flamme ne trahissait la présence du feu, couvraient en un instant la plaine d’un épais nuage, sur une étendue de 150 hectares environ. La fumée montait immédiatement vers le ciel, mais saisie par le froid de l’atmosphère, elle descendait presque aussitôt dans les vignes, rasant la terre et couvrant les plantes d’un manteau protecteur. Les feux étaient entretenus jusqu’au moment où le thermomètre remontaitau-dessus de zéro. C’est ainsi que furent facilement vaincus les froids du 25 et du 26 avril, mais la terrible et désastreuse nuit du 27 nous réservait des difficultés nouvelles, contre lesquelles, heureusement, nous avions pris nos précautions. Vers quatre heures du matin, le vent, qui n’avait cessé de souffler du nord-ouest, passa subitement au nord-est, amenant avec lui un froid glacial et entraînant les nuages artificiels que nous avions si péniblement accumulés.
- Immédiatement, à un signal donné, les feux préparés dans une autre direction étaient allumés, l’atmosphère redevenue sereine était de nouveau voilée et
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- LA NATURE.
- les plantes couvertes du même manteau protecteur. Le résultat de toutes ces précautions a été complet et admirable, mes voisins et moi nous avons été entièrement préservés. Notre petite localité située à Lan-goiran, dans les terrains d’alluvion qui bordent la Garonne et qui gèlent toujours avec la plus grande facilité, présentait, au milieu de la désolation générale, l’aspect le plus riche et le plus riant, et aujourd’hui je suis en pleines vendanges avec l’espérance de faire douze cents pièces bordelaises environ, c’est-à-dire autant que j’en aie jamais fait. Ainsi, avec une dépense tellement minime que je ne saurais l’évaluer, je sauvais une récolte qui vaut 150,000 fr. environ. » (Journal de l’Agriculture.)
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- L’ASSOCIATION BRITANNIQUE
- Session de Bradford (1873).
- (Suite et fin. — Voy. p. 525 et 545.)
- M. Norman Lockyer a présenté à la section de physique et de mathématiques le résultat de ses longues recherches sur la constitution physique du soleil. La librairie Macmillan va très-prochainement les publier sous un format analogue au Soleil du père Secchi. Les rapports des comités spéciaux ont été très-nombreux. Celui des météores lumineux, par M. Glaisher, devient d’année en année plus volumineux et plus intéressant. L’analyse spectrale des flammes météoriques confirme d’une façon très-nette le résultat des expériences de Graham, de Nordens-kiold sur la présence de l’hydrogène dans le fer météorique et de fer dans les solitudes neigeuses du Groenland. Elle donne également raison à Wœlher, qui a découvert de l'oxyde de carbone inclus dans les météorites récemment apportées à Stockholm. Désormais les météorites et les aérolithes sont réunis par des liens indissolubles. Bientôt personne n’osera plus soutenir la doctrine insensée que les météorites proviennent d’un ancien corps céleste ayant fait explosion.
- L’Association britannique a reçu d’excellentes nouvelles d’une station d’histoire naturelle, organisée à Naples, d’après un système analogue à l’aquarium de Concarneau. La station de Naples se suffisant à elle même, l’Association britannique portera sa sollicitude sur d’autres climats.
- Dans la dernière séance de la session, le comité général a distribué les encouragements aux recherches scientifiques exécutées sous la surveillance de l’Association. Les crédits s’élèvent à une quarantaine de mille francs, répartis entre trente comités dont nous ne pouvons donner l’énumération complète. Nous citerons cependant celui de l’Efficacité des paratonnerres^ qui fut crée à Brighton, sur la proposition de M. Wilfrid de Fonvielle et dont M. Glaisher est le président; celui de sir Charles Lyell, pour l’Exploration des cavernes du comté de Kent; celui de M. Fronde, pour mesurer la rapidité de lamarche
- des vaisseaux; celui du professeur Herschel, pour déterminer le pouvoir conducteur des roches; celui du professseur Williamson pour mesurer l'efficacité du pyromètre de Siemens, etc., etc.
- Au lieu de se traîner à la remorque du gouvernement, l’Association ne craint pas de résister énergiquement. Le ministère, ayant déclaré qu’il ne pouvait accorder de subsides à l'Observatoire de l’île Maurice parce que l’enquête sur Futilité de sa création n'é-tait pas terminée, l’Association a immédiatement décidé que, jusqu’à nouvel ordre, cet observatoire si utile à l’étude des cyclones serait entretenu à ses frais. Des démarches actives seront faites pour que cette lourde commission, dont le travail est si pénible, arrive enfin à formuler des conclusions.
- Le conseil a continué à soutenir, dans une lutte honorable contre l’ignorance du chancelier de l’échiquier, le directeur du jardin de Kew, le célèbre botaniste Hooker.
- 11 a également reçu des instructions pour obtenir que le gouvernement local de l’Inde fasse exécuter les observations nécessaires pendant le passage de Vénus en 1874. Une somme de dix mille francs a été arrachée, non sans peine, au duc d’Argyll, pour les opérations photo-héliométriques, mais l’Association n’a point dit son dernier mot à ce sujet.
- Les deux grandes lectures destinées aux ouvriers n’ont point eu le succès qu’on en attendait. L’une d’elles était consacrée à l’examen de la théorie atomique et moléculaire. L’orateur, M. Clerk-Maxwell, avait pris la peine de réduire en nombres les chimères dans lesquelles se plaisent certains atomistes exagérés. On sait qu’on suppose que la pression des gaz est produit par le mouvement des molécules; or, d’après M. Clerk-Maxwell, qui a sans doute de bonnes raisons pour se livrer à ces jeux d’esprit, un million de molécules d’hydrogène, mises côte à côte, auraient une longueur d’un millimètre. Il y en aurait donc un million de milliards dans un millimètre cube. La masse de cette petite sphère étant représentée par 1, celle de l’oxygène serait 16, celle de l’acide carbonique 14 et celle de l’oxyde de carbone 22. Ces myriades de molécules d’hydrogène se lanceraient dans tous les sens, contre les parois du vase qui les renferme avec une vitesse de 1,859 mètres par seconde (ni plus ni moins) et le nombre des chocs qu’elles donneraient, par seconde, en oscillant autour de leur position réelle serait de 17,750 millions.
- Cette affectation de rigueur, cette puérilité des grands nombres incompréhensibles, a fait lever les épaules à plus d’un homme de sens. Les ouvriers n’ont point donné dans le panneau analytique. Nature publie, dans son numéro du 2 octobre, une poésie satirique sur les évolutions moléculaires. Le non-sens est représenté par un auteur qui prend le dp
- pseudonyme infinitésimal comme marchant à l’assaut de la tour fortifiée où se cache la vérité.
- Les deux derniers jours de la session ont été con-
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- LA NATURE.
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- sacrés à visiter les principaux sites des environs, mais ces excursions, quoique intéressantes, n’ont offert aucun incident digne d’être rapporté.
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- EMPLOI DE LA LUMIÈRE POLARISÉE
- DANS LES RECHERCHES MICROSCOPIQUES.
- La micrographie a souvent recours à la lumière polarisée pour mettre en évidence certaines propriétés des corps qu’elle étudie.
- Pour obtenir le rayon lumineux polarisé, on dispose, au-dessous de la platine du microscope, un petit prisme de Nicol, et au-dessus de l’oculaire, un autre plus fort, qui prend le nom d'analyseur. En faisant tourner cette dernière pièce, on produit des effets de coloration très-remarquables sur les sujets que l’on examine. Les expériences ne réussissent qu’avec des substances spécialement préparées etdont la transparence, l’épaisseur, les saillies opaques sont
- Fig 1. — Cristaux d'asparagine vus à la lumière polarisée.
- Grossissement x 15.
- sensibles aux effets de la lumière polarisée. Les cristaux de l’asparagine revêtent des tons chatoyants d’une richesse étonnante, si un habile préparateur a étudié patiemment le degré de concentration de lumière le plus favorable. La fig. 1, qui ne peut donner une idée de la coloration obtenue, montre la
- , Fig. 2. — Cristaux de sulfate de cuivre éclairés par la lumière réfléchie. — Grossissement x 20.
- forme des cristaux susceptibles de s’illuminer et de se revêtir de mille nuances que l’on croirait empruntées à l’arc-en-ciel.
- Pour certains cristaux épais, nettement coupés
- avec des saillies géométriques, les effets de lumière ne sont plus aussi brillants, mais ils n’en offrent pas moins un intérêt réel. Ainsi les cristaux de sulfate de cuivre éclairés par la lumière réfléchie (fig. 2) ne se distinguent pas très-nettement ; leur transparence les fait confondre avec le fond lumineux renvoyé par le miroir. L’aspect change totalement quand on fait usage de la lumière polarisée. Comme le montre la fig. 5, ces mêmes cristaux se détachent sur un fond noir qui les fait ressortir comme des diamants autour
- Fig. 3. — Cristaux de sulfate de cuivre éclairés par la lumière
- ! polarisée. — Grossissement x 20.
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- i desquels les couleurs du spectre viennent rehausser l’éclat. Chacun d’eux est bordé de filets multicolores.
- On applique aussi les propriétés de la lumière à l’examen de certaines substances végétales, qui possèdent aussi des facultés polarisantes. On remarquera dans la fig. 4, les poils étoilés d’un pétale de Deutzia yracilis, détachés en un ton coloré sur un fond bril-; tant. Cette préparation permet, en vertu de ses pro-
- Fig. 4. — Épiderme de Deutzia gracilis avec les poils étoilés détachés en noir sur fond brillant par effet de polarisation. — Grossissement x 30.
- priétés spéciales, de modifier les effets de couleur par un simple changement de position du prisme polariseur. Suivant un certain angle d’incidence lumineuse, les poils qui sont en relief apparaissent roses ou verts, sur un fond noir, suivant un autre ils se montrent inversement noirs sur un fond coloré.
- L’emploi de la lumière polarisée, dans la micrographie, permet de réaliser les plus séduisantes expériences, mais l’opérateur réussit seulement avec certaines préparations faites dans ce but spécial ; encore faut-il qu’il s’habitue à des manipulations délicates et patientes. J. Girard.
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- LA NATURE.
- CHRONIQUE
- Texcoco. — L’ancienne capitale des Aztèques, la ville de Texcoco, située au pied de la Cordillière orientale de la vallée de Mexico, vient d’être décrite minutieusement par un voyageur, M. Guillaume Hay. Cette antique cité, à peine connue jusqu’ici, compte environ 6,000 habitants dont un tiers appartient à la race indienne, et l’autre tiers est composé de métis. Les environs de Texcoco, sont formés de roches volcaniques, recouvertes d’une terre végétale, épaisse et fertile ; çà et là se rencontrent des ruines remontant à l’époque de l’apogée de la civilisation aztèque.
- Les chemins de fers européens. — D’après les derniers documents publiés à ce sujet par le ministère des travaux publics, on sait que la longueur totale des chemins de fer de l’Europe atteint 95,888 kilomètres, c’est-à-dire, plus de deux fois la circonférence du grand cercle terrestre. Le pays le plus riche en voies ferrées est la Grande-Bretagne, qui compte une longueur de 24,760 kilomètres de chemins de fer. L’Allemagne en possède une longueur de 17,522 kilomètres, la France de 16,954, l’Autriche de 8,051, la Belgique de 5,052. La Russie n’a que 7,674 kilomètres de voies ferrées, chiffre très-res-treint pour le plus grand empire du monde.
- Une locomotive routière. — Un nouveau système de locomotive routière a été essayé à Rouen. Une foule nombreuse a suivi avec un intérêt marqué les premières expériences qui ont eu lieu le 20 octobre. Cette locomotive se compose de deux cylindres à vapeur, accouplés sur un arbre coudé ; le diamètre de chaque cylindre est de 165 millimètres, la course de 228 millimètres, et la vitesse moyenne de 220 tours à la minute. Par un procédé nouveau et ingénieux, les roues de l’appareil sont recouvertes de bandages en caoutchouc, et ces bandages eux-mêmes reçoivent une garniture de sabots en acier destinés à les préserver des pierres tranchantes du chemin. La largeur des bandages est de 550 millimètres, leur épaisseur est de 40 millimètres. La force que la locomotive peut développer est de 50 chevaux environ ; elle est alimentée de vapeur par un générateur vertical à tubes. La vitesse de l’appareil varie de 4 à 10 kilomètres à l’heure, suivant l’emploi de vapeur, les rampes à franchir et la charge à traîner.
- L’affection parasitaire des meutes du Poitou.
- — M. Legros, lors d’une des dernières séances de la Société de biologie, a signalé des faits singuliers relatifs à une épidémie fort grave, qui exerce des ravages parmi les chiens des meutes du Poitou. « Un propriétaire, dit M. Legros, a envoyé quelques bêtes malades à M. Mathieu, avec le concours duquel, j’ai pu constater, dans le sang de ces animaux, la présence de filaires hématiques décrits pour la première fois par MM. Gruby et Delafond. Ces filaires ont le corps très-étroit, long de de millimètre ; ils sont extrêmement vifs, très-alertes et se meuvent encore dans le sang tiré delà veine au bout de 24 heures. »
- Le roi de l'Oukami. — Le R. P. Horner a fait récemment une fort intéressante communication , à la Société géographique, sur le beau voyage qu’il a entrepris de Bagamoyo à l’Oukami, où il a pu pénétrer en partant de Zanzibar, « L’Oukami, dit l'explorateur, est gouverné par un roi ou Kinngarou qui jouit de l’autorité la plus absolue
- et la plus despotique. Celui que nous visitâmes était un vieillard octogénaire regardé comme le fondateur de ce royaume, et vénéré comme une sorte de divinité par ses sujets, qui dans la langue du pays l’appelaient Mroungouja Kali, c’est-à-dire Dieu en second. Il avait grand soin d’entretenir son peuple dans ces idées superstitieuses. C’est ainsi qu’il possédait un turban merveilleux, qui selon lui, le rendait invincible dans les combats, et un tabouret non moins merveilleux, qui avait la singulière vertu d’amonceler les nuages et de faire tomber la pluie. Dans sa jeunesse, il s’était rendu célèbre par ses exploits militaires. Il était parvenu à se former un harem qui dépassait celui du sultan de Zanzibar, car on assure que le nombre de ses femmes s’élevait au chiffre de huit cents. » En dehors de la cour royale, il n’y a plus partout que misère et désolation : la traite des esclaves est en pleine vigueur dans l’Oukami. Cependant le R. P. Horner nous apprend que des tentatives sont faites par des hommes dévoués pour lutter contre ces infâmes barbaries.
- Le sucre de betterave en Allemagne. — La production du sucre de betterave en Allemagne a pris une importance considérable depuis 25 ans, particulièrement dans le grand duché de Bade, la Saxe et la Silésie. Pendant la campagne de l’hiver dernier, il y avait 522 raffineries de sucre de betterave en opération, elles ont produit plus de 5 millions de tonnes de sucre quoique le rendement ait été moindre qu’à l’ordinaire. La douceur de la température durant l’automne et l’hiver derniers a occasionné une nouvelle germination des betteraves, peu de mois après qu’elles avaient été récoltées ; une grande partie de leur sucre a été ainsi décomposé avant qu’on les ait fait bouillir. En outre de ce nombre de raffineries, il en existe encore 245 appartenant à la Prusse et spécialement à la Prusse saxonne, où, près de Magdebourg, il s’en trouve un grand nombre rapprochées l'une de l’autre ; il en est de même dans les provinces Rhénanes.
- Erratum.
- Dans le numéro de la Nature du 1er novembre s’est trouvé par accident un dessin incorrect sur les Taupins lumineux, que nous prions les lecteurs de corriger comme il suit. Le Pyrophorus noctilucus au vol doit avoir les élytres étalées ainsi que les ailes, tandis que le dessinateur l’a fait voler à la façon des Cétoines, qui sont une exception sous ce rapport. Le Pyrophorus strabus a les pattes un peu trop longues.
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- ACADÉMIE DES SCIENCES
- Séance du 3 novembre 1873. — Présidence de M. de QUATAEFAGES.
- Effet de capillarité. — Mettez dans un petit flacon un peu de sulfure de carbone, puis, au travers du bouchon, faites-y plonger un papier à filtrer roulé en flèche, dont l’extrémité supérieure reste au-dessus du bouchon. Grâce à la porosité du papier, le liquide s’élèvera, traversera le bouchon, et, au contact de l’atmosphère, s’évaporera rapidement. En s’évaporant, il produira un froid de 16 à 18 degrés au-dessous de zéro, dans les circonstances ordinaires ; par conséquent, l’eau contenue dans l’air à l’état de vapeur sera condensée et précipitée à l’état de givre. Au contact du sulfure de carbone, cette eau formera avec lui un hydrate particulier, étudié depuis longtemps par MM. Berthe-
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- lot et Duclaux, qui, se déposant sur le papier, y formera une couche blanche persistante. Une nouvelle quantité de sulfure remplaçant constamment dans le papier celui qui vient de s’évaporer, le phénomène continue sans cesse et, au bout d’un instant, un champignon blanc de plusieurs centimètres de haut et de large surmonte le flacon. Telle est l’expérience signalée par M. Decharme et répétée aujourd’hui devant l’Académie. Elle semble de nature, pour M. Dumas et pour M. Chevreul, à rendre compte de certains phénomènes géologiques, tels que les concrétions ferrugineuses et calcaires, dont les formes générales sont identiques à celles des stalagmites artificielles dont nous venons d’indiquer la formation.
- Dérivés du caoutchouc. — Étudiant le caoutchouc du Gabon, M. Aimé Girard en a isolé une substance cristalline blanche qui, soumise à l’analyse, s’est résolue en éther méthylique et en sucre de raisin. Dans une seconde série de recherches, l’auteur s’attachant au caoutchouc de Bornéo, en retira une seconde matière, analogue pour l'aspect à la première, contenant comme celle-ci de l’éther méthylique, mais en différant en ce qu’elle renferme du sucre de raisin condensé, si on peut dire; c’est-à-dire répondant à la formule C42142012, au lieu de CsH606, qui convenait dans le premier cas. M. Girard pousse les choses plus loin, et voici que le caoutchouc de Madagascar lui abandonne un composé continuant admirablement la série, si bien indiquée par les deux autres. C’est encore une matière cristalline, donnant à l’analyse de l’éther méthylique, mais on y trouve en outre un sucre dont la molécule contient C4sII4s018, c’est-à-dire qui représente le sucre de raisin condensé deux fois.
- La série si nette au point de vue de la composition chimique se manifeste aussi relativement aux propriétés physiques. Ainsi, le premier composé fond à 212 degrés; e second à 220, et le dernier à 255 : la température monte avec le degré de condensation, ce qui est conforme aux lois établies. Il en est de même pour les propriétés optiques. Le premier composé est inactif sur la lumière polarisée; le second fait tourner le plan de polarisation de 32 degrés vers la droite ; le dernier détermine dans le même sens une rotation de 79 degrés. M. Girard a donc découvert toute une série de composés, liés entre eux de la manière la plus intime, et représentant des éthers dont les acides sont des isomères du sucre de raisin.
- Volcans et tremblements de terre. — Nous avons dit, dans un précédent article, que M. Gorceix demandait à être envoyé par l’Académie à Nysiros, dans l’archipel où se manifestent en ce moment des phénomènes volcaniques. Ce géologue arrivé à Smyrne et sur le point de partir pour l’île qu’il doit étudier, donne sur les faits observés depuis le mois de juin quelques détails nouveaux. Le 2 juin, après une très-violente secousse de tremblement de terre suivie bientôt de deux autres moins fortes, un petit cratère s’ouvrit tout à coup. Des pierres et des cendres furent lancées de toutes parts et un torrent d’eau salée et chaude convertit l’ancien cratère en un lac. L’évaporation dessécha bientôt le sol qui se trouva recouvert, comme les arbres eux-mèmes, d’une épaisse couche de sel marin qu’on aurait pris pour du givre. Des gaz combustibles s’échappèrent en longues flammes, mais on ne parle pas de coulées de laves. Le 24 septembre, il y eut recrudescence dans ces phénomènes peu à peu affaiblis. De Rhodes on voyait s’élever à l’horizon une épaisse fumée.. Plusieurs habitants furent blessés, et il a été question d’évacuer Nysiros.
- Une dépêche télégraphique informe le secrétaire d’un
- fait moins important peut-être, au point de vue géologique, mais d’un intérêt beaucoup plus poignant pour nous, vu la situation des lieux soumis au phénomène. Vendredi dernier à 1 h. 20, on ressentit à Nancy une secousse de tremblement de terre : les sonnettes furent agitées, les objets déplacés. A12 kilomètres delà ville, à Varangéville-Saint-Nicolas, les choses prirent l’allure d’un vrai désastre. Des éboulements se produisirent dans les magnifiques galeries souterraines des salines et ils déterminèrent la ruine totale des bâtiments et des cheminées de l’usine. Dix-sept personnes furent blessées et deux tuées. Nous ne pouvons nous empêcher de nous rappeler, à cette occasion, l’aspect de fête que présentaient ces mêmes galeries, malgré leur situation à 150 mètres au-dessous de la surface du sol, éclairées par d’innombrables torches, lors d’une des dernières courses géologiques du Muséum.
- Muscles rouges et muscles blancs. — Envoyant un lapin dépouillé de sa peau tout le monde a été frappé de la différence de coloration que présentent les divers muscles d’une même région, d’un membre par exemple. Les uns sont rouge foncé, les autres sont presque blancs. Dans un travail du plus vif intérêt, M. Ranvier montre que ces nuances distinguent deux catégories de muscles ayant des structures différentes et des propriétés différentes. On se rend compte de ce dernier fait en soumettant, par exemple, les muscles qui nous occupent à l’action de l’électricité. Les blancs se contractent presque instantanément, et si on y détermine un série très-rapide d’excitations ils donnent une série de contractions très-nettement distinctes les unes des autres. Au contraire les rouges sont beaucoup plus paresseux ; il leur faut un certain temps pour obéir à l’excitation et les décharges interrompues n’y font qu’une contraction permanente. Il parait que ceux-ci sont de la nature du cœur et comme lui des muscles de la vie animale; les autres seraient des muscles de la vie volontaire.
- Un bon livre. — C’est UAlmanach astronomique de M. Joseph Vinot, le zélé directeur du journal le Ciel. M. Paye, en le présentant, en fait le plus complet éloge. On y trouve, outre les éléments numériques obligés de tout almanach, une foule de notions intéressantes sur tous les chapitres de l’astronomie. Saisissons cette occasion pour annoncer que M. Vinot reprendra, le 9 de ce mois, à 10 heures 1/2, dans la grand amphithéâtre de l’Ecole de médecine, son cours public et gratuit d’astronomie populaire qui a eu tant de succès l’année dernière.
- Stanislas Meunier.
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- LE NID DU RÉPUBLICAIN
- Nous empruntons à la dernière édition du bol ouvrage de M. F.-A. Pouchet, l'Univers ; les infiniment grands et les infiniment petits 1, la description charmante de quelques-unes des extraordinaires constructions d’oiseaux : « En fait de construction ingé-nieuse, suscitée par l’amour de la famille et du travail, dit le savant auteur, il n’en est pas qu’on puisse
- 1 Un vol. grand in-8°. L. Hachette et Cio. Oet ouvrage est illustré de magnifiques gravures, dont le spécimen du Nid du Républicain, montre la valeur et l’intérét.
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- comparer à l’œuvre du Républicain. Ce petit oiseau du Cap, gros comme nos moineaux, auxquels il ressemble absolument, vit en sociétés nombreuses dont tous les membres se réunissent pour former une immense cité, ayant l’apparence d’un toit circulaire, entourant le tronc de quelque gros arbre. On y compte parfois plus de trois cents cellules, ce qui indique qu'elle est habitée par plus de six cents oiseaux. Ce nid est tellement pesant, que Levaillant, qui en recueillit un durant son voyage en Afrique, fut obligé d’employer une voiture et plusieurs hommes pour le transporter. »
- Le Républicain n’est pas le seul oiseau capable d’édifier une habitation si merveilleuse. On va en juger par quelques autres exemples empruntés à la même source.
- « Dans son ouvrage sur les oiseaux de l’Inde, dit M. Pouchet, M. Jerdon rapporte le curieux manège de certaines espèces, du genre Ilomrains, dont les mâles ont l’habitude, à l’époque de la ponte, d’emprisonner la femelle dans sou nid. Ils en ferment l’entrée au moyen d’un épais mur de boue, qui n’offre qu’une petite ouverture par laquelle la couveuse respire et peut seulement passer le bec pour recevoir les ali-
- Md du Républicain.
- o 25 7.527
- 04 MAtn snad2 Hate 12 Ma. 11,
- monts que lui apporte son trop sévère époux. Cette réclusion forcée ne cesse qu’au moment où se termine l’incubation.
- « Dans son voyage aux Indes, Sonnerai parle d’une mésange dont le nid, en forme de bouteille et fait avec du coton, mérite d’être signalé. Quand la femelle couve à l’intérieur, le mâle, vraie sentinelle vigilante, reste au dehors, couché dans une poche spéciale, ajoutée à l’un des côtés du goulot. Mais lorsque sa compagne s’éloigne et qu’il veut la suivre, à l’aide de son aile, il bat violemment l’orifice du nid, et parvient à l’obstruer pour protéger la progéniture contre ses ennemis.
- « On rencontre parmi la gent ailée de véritables
- couturières... Je n’entends nullement parler ici des Tisserins, dont les nids, en herbes fines, connus de tout le monde, représentent un lacis inextricable, mais de la Sylvia sutoria, Lath., charmante fauvette qui prend deux feuilles d’arbres très-allongées lancéolées, et en coud exactement les bords en surjet, à l’aide d’un brin d’herbe flexible, en guise de fil. Après cela, la femelle remplit de coton l’espèce de petit sac que celles-ci forment et dépose sa progéniture sur ce lit moelleux. Ce nid, qui est extrêmement rare, est un véritable chef-d’œuvre d’intelligence. »
- • Le Propriétaire-Gérant : G. TISSANDIER.
- PARIS. — IMP. SIMON MAÇON ET COMP., MUE D’ERFURTII, I.
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- No 24. — 15 NOVEMBRE 1873.
- LA NATURE.
- es co LD
- LES PÈCHES DU CHALLENGER1
- (Suite. — Voy. p. 220 et 223.)
- GNATHIOPHANSIA CIGAS ET G. ZOEA.
- Ces singuliers crustacés Schizopodes ont été dragués
- le 50 juin 1873, par 1,000 brasses de fond à 114 milles à l’ouest de Madère.
- Il est très-curieux de constater qu’ils offrent une grande ressemblance avec les Lophogastres, autres Schizopodes découverts par Sars, dans son exploration des parages océaniques voisins des îles Lofoden. Leur
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- Gnathophansia gigas, vu de dos.
- G. Zoea.
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- Gnathophansia gigas, vu de profil.
- taille est très-grande, gigantesque même, si on considère que les proportions de leurs congénères sont
- 1 Nous continuons à énumérer les magnifiques résultats obtenus par la belle expédition du Challenger, grâce au concours de M. N. Lockyer, directeur de Nature, qui nous communique les documents et les gravures relatifs aux belles investigations de M. W. Thompson.
- très-faibles. On les a représentés de grandeur naturelle.
- L’espèce gigantesque que nous représentons de dos et de profil semble très-abondante, car un second spécimen a été pris ultérieurement à 400 milles à l’ouest de Madère, par une profondeur un peu plus du double de la première, à 2,200 brasses. Dans la pre-
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- LA NATURE.
- mière station, la boue, retirée du fond de la mer, était mélangée de sable verdâtre. Dans la seconde, les globigerina, animaux microscopiques qui semblent le premier degré de l’épanouissement de la vie, étaient en nombre immense. L’habitat des gna-thopkansia parait donc être une vaste province.
- Le gnathophansia zoea, trouvé dans des circonstances analogues, ne diffère pas seulement par sa taille, qui est moindre, mais par la partie postérieure de son bouclier, qui est armé d’une pointe que l’on ne retrouve pas dans son plus robuste congénère.
- Dans les deux espèces, le bouclier sternal est carac-téris' par un rostre très-long et épineux. En outre, ce tégument est embelli par des sculptures très-curieuses, des espèces d’armoiries naturelles fort étranges. Le bouclier des crustacés analogues à Vapus de nos eaux marécageuses, à la crevette de nos côtes, est la pièce osseuse du squelette tégumentaire que l’on peut surtout considérer comme caractéristique. On ne sait pas très-exactement comment ce bouclier se forme, et par la fusion de quelles parties il est en réalité produit. L’anatomie du gnathophansia vient donner, à cet égard, d’utiles ren-eignements. En effet, il est facile de voir que cette pièce importante n’est formée que par un repli de la peau, qu’elle ne tient au corps que par la partie antérieure, et que tous les segments thoraciques en sont indépendants. La liberté des mouvements de lapai tie postérieure du corps est donc très-grande.
- Les antennes, les écailles, les différents organes de la bouche offrent beaucoup de ressemblance avec ceux des lophogastres de Michel Sars, ce qui indique que les habitudes des Schizopodes sous-marins des Açores ressemblent beaucoup à celles des îles Lofo-den, par des profondeurs trois ou quatre fois moins grandes.
- Les pattes-mâchoires ne sont point toutes pareilles comme chez les limules. La division du travail physiologique a déjà commencé à se produire. Toutes les pattes de la région céphalo-thoracique ne sont point chargées de cumuler la triple fonction de préhension, de mastication et de locomotion. Non-seulement les pattes-mchoires sont terminées par des appareils bifides, servant de pince, mais on rencontre de véritables pattes maxillaires, comme chez les lophogastres. La seconde de ces pattes maxillaires offre même une disposition étonnamment surprenante. Au bout de chaque maxillairen° 2, il a poussé un œil. Cette disposition semble indiquer que la nature a organisé l’animal pour vivre dans des ténèbres si épaisses qu’il faut un moyen spécial pour reconnaître la nourriture avant de la broyer. L’œil étant placé sur la dent, on comprend qu’il est difficile de mieux faire pour que l’animal voie bien clair.
- Ces yeux accessoires existent dans d’autres familles déjà décrites et connues, mais ces animaux n’ayant rien de commun avec les lophogastres, ce précédent ne doit pas diminuer notre admiration pour une aussi grande merveille.
- On voit que certaines pattes de ces gnathophansias
- sont pourvues de poils (voy. le g. gigas de dos). Cette circonstance montre que ces animaux sont pourvus, comme leurs congénères, de pattes qui leur servent à respirer plutôt qu’à se mouvoir.
- La forme de la queue indique bien, en effet, (pie c’est en agitant cette partie du corps que l’animal progresse, et non en se servant des pattes, qui, malgré leur état constant d’agitation, sont réservées plus particulièrement à d’autres usages.
- — La suite prochainement. —
- LES PLUS GRANDS TELESCOPES
- DU MONDE.
- (Suite et lin. — Voy. page 277, 507.)
- LE TÉLESCOPE FOUCAULT, - LES PLUS PUISSANTES LUNETTES DES OBSERVATOIRES.
- Le plus grand télescope qui existe, avons-nous dit, est celui de lord Rosse. Le meilleur paraît être celui de Foucault, construit par l’Observatoire de Paris et installé sous le ciel plus privilégié de Marseille. Ou sait que le laborieux et regretté physicien a imaginé de remplacer le métal des télescopes par du verre, ce qui diminue le prix de construction et facilite considérablement le travail. Un disque de verre, du diamètre voulu et d’une épaisseur proportionnelle, est creusé sur l’une de ses faces suivant une courbure déterminée, et forme un miroir sphérique. Par des retouches locales, longues et délicates, on amène ensuite cette courbure à l’état parabolique et à sa plus grande perfection optique ; la distance focale est raccourcie et la lumière est augmentée. On argente cette surface et l’on obtient ainsi un excellent miroir de télescope. C’est le système newtonien qui a été employé. Les rayons réfléchis par le miroir sont reçus sur un prisme, et on étudie l’image à l’aide d’un oculaire qui traverse le tube du télescope. Le miroir du grand télescope Foucault a 80 centimètres de diamètre et 4'11,80 de distance focale. La longueur totale de l’instrument est de 5 mètres, le diamètre du c rele horaire est de 2 mètres. Il n’a coûté que 50,000 francs.
- Il a été construit en 1864 par la maison Secrétan. Monté en équatorial et muni d’un mouvement d’horlogerie de la dernière précision, il peut être dirigé vers tous les poinls du ciel et suivre les astres dans leur cours. Au jugement des astronomes des différents pays qui l’ont vu à l’œuvre, c’est le meilleur des télescopes construits jusqu’à ce jour. Si certaines difficultés, dont j’ai entendu parler par Foucault lui-même, ne l’avaient pas empêché de terminer le grand télescope de 1 m,20 de diamètre qu’il avait commencé à l’Observatoire de Paris, nous aurions en France un instrument véritablement hors ligne, qui rivaliserait avec celui de lord Rosse pour les grossissements dont il serait susceptible, et le dépasserait au centuple en
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- précision et en netteté; le disque de verre, de 650 kilog., a été fondu à Saint-Gobain, dégrossi etdébordé par Sautter. Il est là depuis dix ans. Espérons qu’on le terminera un jour.
- Secrétan construit actuellement, pour Toulouse, un télescope Foucault de 80 centimètres. Celui de Marseille a déjà donné de brillants résultats : découvertes de nébuleuses, d’étoiles doubles, de variables,
- Le grand télescope Foucault, de l’Observatoire de Marseille.
- comètes et planètes, entre les mains de MM. Ste-phan, Coggia et Borelli. Il n’est pas douteux qu’à Toulouse, M. Tisserand ne suive les traces de son collègue le directeur de Marseille, et ne nous prépare ; des travaux di
- gnes de la science française.
- Le télescope de lord Rosse, en Ir
- lande, celui de Lassel à Malte, de Melbourne en Australie et de Foucault à Marseille sont les quatre plus grands télescopes qui fonctionnent actuellement dans les observatoires. Il y en a plusieurs autres de moindre puissance dont nous n’avons pas à nous occuper ici, quoiqu’ils aient rendu des services à la
- science. Mais notre exposé des plus grands instruments du monde serait incomplet si, après avoir considéré les télescopes, nous ne passions maintenant en revue les lu net tes. En effet, quelles que soient : les dimensions
- Coupe du télescope Foucault.
- prodigieuses et la perfection des instruments précédents , il y a des
- lunettes astronomiques qui, tout en étant moins colossales, sont cependant égales, sinon supérieures à ces télescopes.
- Aujourd’hui la question se pose entre les télescopes et les lunettes, et elle n’est pas encore résolue. Il est difficile de décider de quel côté est la
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- supériorité. Il est plus facile de construire un grand miroir qu’une grande lentille, mais certainement, à égalité de diamètre, une bonne lentille est préférable à un bon miroir.
- Les plus grandes lunettes qui aient jamais existé ont été construites avant l’invention des verres achromatiques, et cela à l’Observatoire de Paris, il y a deux siècles. Pour éviter les couleurs diffuses qui se formaient sur le disque de l’astre observé, il fallait de faibles courbures et des distances focales qui tiennent du fantastique. L’objectif était séparé de l’oculaire par une distance de plusieurs centaines de pieds, sans tube naturellement. Il fallait chercher les astres en tenant l’oculaire à la main.
- C’est à propos de ces lunettes fantastiques qu’éclata en 1663, entre Auzout et Ilooke, une grande querelle au sujet de la lunette monstre de 10,000 pieds de longueur, que ce dernier voulait construire dans le but d’apercevoir des animaux dans la lune.
- Hookc trouvait la chose si réalisable, qu’il écrivait à Auzout (Mém. de l'Acad. des Sciences, t. VII, p. 79), qu’en supposant les mandrins bien faits et d’une bonne longueur, et les verres travaillés et polis avec un grand soin, il ne voyait aucune raison qui empêchât de faire aussi facilement une lunette de 1,000 et de 10,000 pieds qu’une de 10.
- Après avoir réfuté toutes les théories émises par l’astronome anglais sur la fabrication de sa lunette incomparable, Auzout répondait une dernière fois : « Je vois bien que M. Ilooke veut, à quelque prix que ce soit, découvrir des animaux dans la lune, mais je crois qu’il doit se contenter s’il peut y découvrir quelque ville ou quelque château, car on sera assuré, après cela, qu’il y aura des animaux ; et si les par-tics obscures que nous y voyons sont des mers, et qu'onfasse des flottes en cetteplanète-là pour se battre, comme l’on fait ici, ce serait une chose assez divertissante devoir quelque jour une flotte ou deux, de cent ou six-vingts vaisseaux chacune, voguer sur leurs mers, comme les habitants de la Lune en pourraient voir présentement sur les nôtres. »
- La plus colossale des lunettes qui aient été employées autrefois fut celle qu’Auzout lui-même avait travaillée; elle avait 300 pieds de longueur focale, et cependant elle ne grossissait que six cents fois. C’est avec un instrument de cette sorte que Dominique Cassini fit la découverte de plusieurs satellites de Saturne. Dans le but d’en tirer le parti le plus utile, il avait fait monter dans le jardin de l’Observatoire de Paris de grands mâts et tout un énorme échafaudage en charpente qui avait servi à la construction de la machine de Marly. Cet appareil était destiné à porter les objectifs, et l’observateur devait pouvoir se placer, son oculaire à la main, dans toutes les positions, à une distance convenable de l’image aérienne.
- La découverte des verres achromatiques permit de construire des objectifs formés de deux lentilles de verre juxtaposées, complémentaires l’une de l’autre, qui réfractent les rayons de lumière sans les colorer.
- La première de ces lunettes est biconvexe, et formée du verre ordinaire de nos glaces (crown-glass) ; la seconde est piano-concave et formée du cristal dans lequel entre une quantité notable de plomb ( flint-glass). On peut dès lors leur donner une grande courbure, qui rapproche le foyer, et évite ces longueurs désespérantes. Une lunette d’un objectif de 30 centimètres, dont le grossissement normal est de 600 fois, n’a plus maintenant que 5 mètres environ de distance focale et de longueur.
- La difficulté de construire des lentilles de verre pures et transparentes, exemptes de stries, qui n’absorbent que peu de lumière et ne colorent pas les rayons en les réfractant a été le grand obstacle qui a retardé la construction des grandes lunettes. Pour donner un exemple de la rareté des instruments d’optique au commencement de notre siècle, je rappellerai que nos lunettes astronomiques les plus répandues aujourd’hui, celles de l“‘,60 de longueur, dont l'objectif a 4 pouces ou 11 centimètres de diamètre, que tout astronome a maintenant chez lui pour son usage quotidien, n’existaient pas alors en France. En 1804, Napoléon, projetant de se rendre au camp de Boulogne, fit venir Delambre et lui demanda de lui procurer une excellente lunette. « Sire, répondit l’astronome, nous pouvons vous donner la lunette de Dollond,qui est dans nos cabinets, et Votre Majesté ferait une chose agréable aux astronomes si elle voulait nous accorder en échange une excellente lunette de 4 pouces, que vient de construire M. Lerebours. — Elle est donc meilleure? — Oui, sire.—Alors, je la prends pour moi. » Cet objectif achromatique de 11 cent, est le premier qui ait été fait en France.
- Grâce à la persévérance de Guinaud des Brenets, ouvrier du canton de Neufchâtel, de Frauenhofer, opticien bavarois, de Lerebours et de Cauchoix, opticiens français, de Mertz, de Munich, on ne tarda pas à dépasser cette dimension. Secrétan , à Paris, établit ses ateliers de construction sur une base nouvelle, fondée sur les derniers progrès de l’optique, et donna à la France les plus remarquables instruments. Son confrère Eichens s’est placé comme lui à la tète des opticiens français. Voici, par ordre chronologique, quelles sont les grandes lunettes astronomiques qui ont été successivement installées dans les principaux sanctuaires où l’on étudie les cieux, loin des bruits et des tracas du monde vulgaire.
- En 1816, Lerebours termina une lunette de 19 cent, de diamètre, qui fut achetée par le bureau des longitudes. G’était à cette époque le [dus grand et le plus parfait réfracteur qui existât alors dans le monde. Les Anglais n’ont atteint cette même dimension qu’en 1827, et Frauenhofer n’a terminé l’instrument de Dorpat qu’en 1824. On aura une idée de la persévérance et des obstacles que rencontrent les opticiens dans la construction des objectifs à large ouverture, si l’on remarque que les difficultés croissent comme le cube du diamètre de l’objectif; autrement dit, un objectif de 20 centimètres est huit fois plus
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- LA MATURE.
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- difficile à réussir qu’un de 10, et un de 21 centimè-1res 27 fois plus difficile qu’un de 7.
- En 1825, Lerebours acheva une lunette de 24 cent, de diamètre et de 51,32 de foyer seulement, qui lui avait été commandée par Louis XVIII pour l’Observatoire. L’année suivante, Frauen-hofer termina une lunette de même diamètre et de 4,53 de foyer pour l'Observatoire de Dorpat. C’étaient alors les deux meilleurs instruments du monde. Voici ce qu’écrivait à cet égard J. HIerschel à Schumacher , dans les Astrono-m bche Nachrich-ten : « Les détails que m’a transmis M. Struve sur le pouvoir extraordinaire de l’instrument con-struitparFrauen-Ilofer ne doivent laisser aucun 1 doute sur l’excellence d'une lunette capable de séparer les deux étoiles composantes de « du Lion et de donner la mesure de leur écartement. Je ne connais jusqu’à présent qu’une lunette au moyen de laquelle cette étoile ait été vue double; c’est celle de Lerebours , actuellement montée à l’Observatoire de Paris. » L’astronome South s’ex
- 500, (Alg
- kchelle z8
- I o grand équatorial de l’Observatoire de Paris.
- primait de son côté dans les termes suivants : « Les grossissements sont de 156, 153, 224, 420 et 560 ; avec l’avant-dernier, w du Lion présentait sur un côté une étoile d’un bleu léger ; avec le dernier, les deux étoiles se voyaient admirablement bien. » Les étoiles doubles sont, en effet, la meilleure épreuve pour mesurer la puissance des lunettes.
- En 1829, on essaya à l’Observatoire de Paris, une
- bonne lunette de 8 met. de long et 53 c. de diamètre construite par Cauchoix. Elle fut refusée par Arago, qui n’aimait pas Cauchoix. Sir James South l’acheta pour l’Angleterre, et en fit cadeau à l’Observatoire de Dublin. On l’a installée il y a seulement quelques années, et le directeur de cet Observatoire , M. Brunnow, déclare que c’est une des meilleures qu’il connaisse.
- En 1853,Mertz livra à l’Observatoire de Bogen-hausen une lunette de 28 cent, d’ouverture et de 5 mètres de longueur. Le même opticien termina en 1838 un objectif de 58 cent, et de 7 mètres de distance focale pour l’Observatoire de Pulkowa. C’est encore aujourd’hui l’un des meilleurs instruments qui existent et l’un de ceux auxquels on doit les plus brillantes découvertes : il est entre les mains de Struve. Il supporte des grossissements de 1,000 et au delà.
- En 1840, Lerebours termina pour l’Observatoire de Paris un objectif de 38 c. de diamètre et de 8 mètres de foyer. Les opticiens anglais construisirent à la même
- époque une lunette de mêmes dimensions pour l’Observatoire de Cambridge (États-Unis). Ces trois lunettes, de 14 pouces (Pulkowa, Paris et Cambridge), étaient les trois plus belles lunettes des observatoires au milieu de notre siècle. Malheureusement, celle de Paris ne réalisa pas les espérances qu’on avait fondées sur elle. Le verre s’altéra, et elle ne put servir. Arago l’avait déjà représentée fonc-
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- *2* tO
- LA NATURE.
- tionnant sous l’immense dôme tournant de notre Observatoire, le plus immense dôme qui existe, et on la voit encore aujourd’hui dessinée dans l'Astronomie populaire. Mais le dôme est resté solitaire, et sa plus grande curiosité en ce moment est d’être admirablement constellé d’étoiles par les innombrables balles de chassepot qui l’ont criblé aux derniers jours d’agonie des convulsions de la Commune.
- Il y a aussi à l’Observatoire deux disques de Oint et crown pour un objectif, qui ne mesurent pas moins de 75 centimètres de diamètre, mais qui ne sont pas assez purs pour être travaillés. Ce sont les plus grands qui existent.
- La plus puissante lunette de l'Observatoire de Paris est le grand équatorial de la tour de l’ouest, coupole blanche qui fait à peu près le pendant du dôme dont nous venons de parler. Comme instrument de précision, c’est l’un des plus parfaits qui existent au monde. L’objectif est une lentille de 52 centimètres d’ouverture et de 5 mètres de distance focale. Monté sur un pied parallactique, un mouvement d’horlogerie le fait tourner autour de l’axe du monde, en sens contraire du mouvement de la terre, de sorte que, dirigé vers quelque point du ciel que ce soit, la lunette garde constamment l’astre dans le champ de la vision et le suit dans son cours apparent. La coupole tourne elle-même, et l’astronome semble faire exception à la loi universelle qui emporte le ciel, car il reste immobile comme si le globe tournait sous ses pieds sans qu’il participe à son mouvement. Ce magnifique équatorial a été construit par Secrétan et installé en 1860. Il a coûté 50,000 francs, prix auquel il serait impossible de le reconstruire actuellement.
- La grande lunette méridienne, construite en 1865 par Secrétan au prix de 55,000 francs, est un autre chef-d’œuvre de précision. C’est la plus grande lunette méridienne qui existe. Son objectif est de 25 cent., sa longueur est de 3m, 85.
- L’équatorial de l’Observatoire du Collège romain, à l’aide duquel le P. Secchi a fait ses brillantes découvertes, a été construit en 1854 par Mertz, de Munich. Son objectif est de 24 centimètres et sa longueur de 4m,52. Les oculaires s’étendent jusqu’à 760 et 1,000. Le savant astronome romain lui a appliqué un puissant spectroscope pour l’étude spéciale du Soleil ; plusieurs fois à Rome j’ai été appelé à contempler les protubérances, jets de flamme de trente et quarante mille lieues de hauteur qui s’élancent constamment autour de cet astre gigantesque, comme les vagues colossales d’effroyables tempêtes.
- De 1850 à 1860, plusieurs grandes lunettes ont été construites en France, par Porro et par Dieu ; deux d’entre elles mesuraient jusqu’à 55 centimètres (Porro) et 52 (Dieu); leur longueur était de 15 mètres pour la première et 15 pour la seconde. Mais elles n'étaient pas plus puissantes que l’équatorial de 52 centimètres de l'Observatoire de Paris.
- L’équatorial de M. Rutherfurd, à New-York, par lequel il a obtenu ses belles photographies de la lune,
- a pour objectif une lentille de 55 centimètres d’ouverture. Il a été terminé en 1869.
- En 1860, on a établi à l’Observatoire royal de Greenwich un grand équatorial de 52 centimètres d’ouverture. On peut le mettre sur le même rang que celui de Paris. Dans la description que le directeur de l’Observatoire d’Angleterre, M. Airy, a bien voulu m’adresser, il n’y a pas moins de 55 figures de précision sur les différentes pièces qui constituent cet instrument. Sa monture est toute différente de celle de Paris. Mais les deux instruments sont analogues et servent aux mêmes usages.
- L’Observatoire de Chicago s’est fait construire, par Alvan Clark, une lunette dont l’objectif a un diamètre de 47 centimètres. L’Observatoire de Cincinnati possède une lunette équivalente. Nous ne pouvons encore rien dire de la supériorité de ces instruments, aucun fait astronomique important n’ayant signalé leur usage.
- Une grande lunette a été construite en 1869 par Cook and Sons, fabricants d’instruments d’astronomie à York, pour un commerçant qui fait le plus noble usage de sa fortune, M. Newal, fabricant de cà-bles sous-marins, de Gateshead. Le tube, qui a la forme d’un cigare, a 52 pieds de longueur et 5 pieds 6 pouces de diamètre au milieu. Le verre de l'objec-tifa 25 pouces (65 cent. 1/2). Le pilier en métal sur lequel il est porté a 20 pieds de hauteur, et environ 6 pieds de diamètre à sa base. Gateshead n’est pas le lieu où il est destiné à rester toujours; M. Newal a l’intention de construire à Madère un observatoire pour l’y établir.
- Ajoutons encore que l’Observatoire national des Etats-Unis vient de se faire construire la plus grande lunette qui existe. L’objectif a été fourni par Chance, de Birmingham. On l’a terminée et montée en Amérique. U a 26 pouces anglais, c’est-à-dire 66 centimètres. L’instrument, installé en 1872, donne des images bien nettes avec un grossissement de 1,500. La dépense totale a été d’environ 50,000 dollars, ou 250,000 francs.
- MM. Clark, de Cambridge (Massachusetts) ont entrepris, en 1872, l’exécution d’une lentille de 69 centimètres pour le gouvernement des États-Unis, au prix de 50,000 dollars. La lunette dont elle fera partie ne sera pas installée dans une ville, mais sur une montagne, sur les plateaux élevés de la Sierra-Nevada à une altitude de 2,700 mètres, qui se recommande par la pureté de son. atmosphère et par un ciel presque toujours sans nuages. Le professeur Davidson et le professeur Young ont étudié dans ce but la Sierra-Nevada et les montagnes Rocheuses.
- C’est là le plus grand réfracteur construit jusqu’à ce jour. Si l’objectif est parfaitement réussi, on aura dans cet instrument la plus puissante lunette astronomique du monde. Sa longueur pourra ne pas déliasser 10 mètres. Les grossissements dont elle sera susceptible pourront atteindre 2,000.
- Tels sont les plus grands instruments d’optique qui existent, télescopes et lunettes, réflecteurs et ré-
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- fracteurs, comme disent nos voisins d’outre-Manche. On voit que jusqu’à présent, les plus parfaits télescopes ne dépassent pas les grossissements de 2,000 et les lunettes employées 1,500. C’est donc sans raison suffisante que notre excellent maître Babinet supposait qu’on pourrait voir dans la lune des objets de la dimension de Notre-Dame de Paris 1.
- Un jour sans doute, et sûrement même, on ira plus loin, et cela très-prochainement, si l’on en juge par les progrès faits en optique depuis un demi-siècle. Il semble que l’Amérique est fortement disposée à pousser aussi loin que possible les tentatives de ce genre. Déjà on vient de proposer d’y fonder une société par action de 10 dollars chacune dans le but de construire un télescope monstre. Le Scientific American annonce qu’un Américain s’est engagé à payer 23 dollars pour voir l’occultation de Mars par la lune, en s’engageant à se rendre dans n’importe quelle partie des Etats-Unis. « On ne doit pas, dit l’auteur de cette motion, demander pour cela de l'argent au gouvernement, qui a assez à dépenser déjà; mais les capitaux seraient promptement couverts si ce télescope monstre était placé à Philadelphie pour l’Exposition de 1876; les actionnaires auraient sûrement un bénéfice de 200 pour 100, et la science en tirerait gratis un grand profit. » On parle aussi d’appliquer un million de dollars, c’est-à-dire plus de cinq millions de francs, à la construction d’un télescope gigantesque, qui serait à nos meilleures lunettes ce que le Great-Estern est aux canots. Faisons des vœux pour que d’aussi hardies tentatives puissent réussir, et que l’optique du dix-neuvième siècle rapproche enfin la lune à quelques kilomètres et nous permette enfin d’en distinguer les habitants !
- Je ne puis cependant m’empêcher d’ajouter, en terminant, que ce n’est pas tant la dimension des lentilles ou des miroirs que leur perfection, qui con-
- 1 Grossir un objet 2,000 fois, c’est exactement comme si on e rapprochait d’autant. Or la distance de la lune est de 96,000 lieues. Cet oculaire la montre donc comme si elle était à 48 lieues. A cette distance, la meilleure vue serait loin de distinguer Notre-Dame ! On a souvent répété qu’on la rapprochait à 16 lieues, parce qu’on supposait applicable le grossissement de 6,000 du télescope de lord Rosse ; mais ce grossissement n’est pas net, et quand on dépasse 2,000 pour la lune, on ne voit pas mieux pour cela. Ainsi, 48 lieues, c'est.la distance minimum à laquelle on puisse étudier sérieusement la surface de notre satellite, et comme le télescope de loid Rosse n’est que rarement appliqué à cette étude, c’est en général avec des grossissements de 1,000, 80J et 600 qu’on examine cette surface, c’est-à-dire à des rapprochements de 96, 120 et 160 lieues. C’est assez pour en lever le plan et en faire la topographie. On peut voir, du reste, que le diamètre de la lune étant de 5,584 kilomètres, en sous-tendant à nos yeux un angle de 51 minutes d’arc, une longueur apparente d’une minute correspond à 109 kilomètres, et une longueur d une seconde à 1,819 mètres. Or un giossissement de 600, et même de 400, suffit pour distinguer une seconde. On distingue la demi-seconde, soit 900 mètres environ, avec un grossissement de 800, et un quart de seconde, soit 450 mètres, avec un oculaire de 1,600. Si le télescope de lord Rosse permet de distinguer nettement une longueur de 500 mètres, ou une surface de 9 hectares, c’est tout.
- duira aux résultats désirés. On ne sauraiteroire quelle énorme différence sépare souvent des instruments de même puissance et de même prix. Il faudrait que de tels appareils fussent ‘uniquement faits par amour de l’art, et, si l’on peut dire, par des astronomes. Ainsi je pourrais signaler à ce propos que deux jeunes astronomes de notre Observatoire, MM. Henry, à qui l’on doit la découverte récente de la comète qui porte leur nom, viennent précisément de réussir à merveille un petit télescope, de 18 centimètres de diamètre et de 1 mètre de distance focale, qui supporte nettement un grossissement de 400 fois, dédouble Gamma-deux d’Andromède, etc. Si tous les télescopes étaient aussi parfaits que celui-là, la question serait résolue en leur faveur, et les lunettes seraient détrônées. Camille Flammarion.
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- LES POISSONS DE CHINE
- EXPOSÉS AU CONGRÈS DES ORIENTALISTES.
- Tous ceux de nos lecteurs, et ils sont certainement nombreux, qui ont visité au Palais de l’industrie l’exposition des produits de l’extrême Orient, ont dû remarquer deux poissons aux formes étranges, aux éclatantes couleurs, dont l’acclimatement est dû aux soins de notre habile pisciculteur, M. P. Carbonnier; ces deux espèces, dont l’introduction en Europe est toute récente, sont le cyprin télescope et le macro-pode.
- On a cru, jusqu’à ces derniers temps, que tous les animaux figurés sur les peintures chinoises étaient chimériques et qu’ils n’avaient jamais existé que dans l’imagination des artistes du Céleste-Empire ; il est parfaitement reconnu, aujourd’hui que nous commençons à mieux connaître les produits naturels de l’empire du Milieu, que beaucoup de ces êtres existent réellement ; l’artiste a exagéré souvent certaines particularités bizarres, a parfois mal rendu certains détails ; il n’en est pas moins vrai que les êtres représentés peuvent être la reproduction de la nature.
- Le poisson télescope est une preuve à l’appui de ce que nous venons de dire. Sa conformation est, en effet, singulièrement anomale : son corps, doré sur les flancs et au ventre, d’un noir soyeux comme le velours vers le dos, est globuleux; les dorsales sont dédoublées et la queue s’étale en une longue nageoire courbée ; les yeux forment sur les côtés de la tête une saillie qui peut s’élever jusqu’à 5 centimètres ; ils semblent portés comme une lentille l’est par un étui de lunette. Les mœurs de cet étrange poisson semblent aussi bizarres que sa forme; la forme globuleuse de son corps rend son équilibre extrêmement instable : aussi ne nage-t-il qu’avec difficulté. M. Carbonnier a observé que, pendant la ponte, qui a lieu au fond de l’eau, les mâles se mettent plusieurs à la poursuite de la fe-
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- melle, la poussent de la tête, la bousculent, la font rouler sur elle-même, lui infligeant ainsi un véritable supplice jusqu’à ce qu’elle ait évacué scs œufs. Le télescope n’est sans doute qu’une variété du cyprin doré ou poisson rouge, monstre créé à dessein au moyen de procédés d’élevage assez puissants pour que l’anomalie première ait pu se perpétuer ; de tout temps, du reste, les Chinois ont poussé au plus haut degré l’art de créer des monstruosités animales ou végétales.
- De formes moins étranges, de petite taille, d’un gris pâle peu remarquable au repos, les macropodes n’attirent d’abord guère l’attention; mais qu’ils viennent à être excités, aussitôt leurs longues nageoires du dos et du ventre se redressent, les rayons se colorent de pourpre mélangé de vert et de bleu, la caudale, longue et fourchue, se développe en éventail, les bandes dont les flancs sont ornés deviennent jaunes, rouges, bleues et sillonnent le corps de rayons aux couleurs changeantes; la lumière se joue sur les écailles et lance mille rayons, tandis que l’œil s’illumine d’une lumière d’un vert d’azur; aussi ces poissons justifient-ils les noms de poissons de paradis ou de poissons changeants sous lesquels on les connaît.
- Les mœurs de ces ravissants petits êtres sont encore bien plus curieuses que leurs couleurs ne sont jolies. Comme chez beaucoup de poissons, comme chez les vulgaires épinoches de nos ruisseaux de France (les épinoches sont intéressants à observer et pourtant si dédaignés dans les aquariums), c’est le mâle qui est chargé des soins de la progéniture, c’est lui qui soigne et élève-les petits, c’est lui qui fait le nid dans lequel devront éclore les œufs; seulement le macropode fait un nid à la surface de l’eau et ce nid est un plafond d’écume. Rien de charmant comme la description si imagée qu’a retracée M. Carbonnier; aussi ne pouvons-nous mieux faire que de lui emprunter quelques lignes.
- « Les femelles prirent peu à peu, dit-il, un extrême embonpoint que j’attribuai d’abord à l’abondance de la nourriture, mais qui n’était que le prélude du frai. En effet, je remarquai, non sans surprise, un grand changement dans l’aspect et la manière d’être de mes poissons. Chez les mâles, les bords des nageoires s’étaient colorés en jaune bleuâtre, l’épine qui prolonge chaque nageoire ventrale était d’un jaune safrané; ils faisaient la roue, tout comme les paons et les poules d'Inde, et semblaient, par leur vivacité, leurs bonds saccadés, et l’étalage de leurs vives couleurs, chercher à attirer l’attention des femelles, lesquelles ne paraissaient pas indifférentes à ce manège ; elles nageaient avec une molle lenteur vers les mâles et semblaient se complaire dans leur voisinage.
- « Bientôt, remarquant que les mâles se disputaient les femelles et devinant qu’une ponte allait avoir lieu, je choisis le mâle le plus vigoureux et le plaçai avec une femelle dans un aquarium particulier.
- « Après dix minutes passées à examiner leur nouveau domicile, le mâle vint se placer contre la ace transparente, bien à la surface de l’eau, et absorbant, puis expulsant sans trêve des bulles d’air, il forma ainsi une sorte de plafond d’écume flottante, d’une surface d’un centimètre carré, qui se maintint sur l’eau sans résorption.
- « Bientôt la femelle s’étant approchée du mâle, je vis ce dernier dilater ses nageoires, et se ployer en arc comme un cerceau, puis la femelle, qui se tenait verticalement la tête à fleur d’eau, vint en oscillant, placer — partie inférieure de son corps dans le demi-cercle formé par le mâle, lequel, ployant et contractant ses longues nageoires, l’attacha à son flanc et pendant une demi-minute, au moins, fit d’évidents efforts pour la renverser. Bien de plus gracieux que les mouvements de ces animaux parés de leurs vives couleurs, et se laissant tomber ainsi de la surface à 15 et 20 centimètres de profondeur. Pendant les intervalles de repos, le mâle ne cessait de travailler à son plafond d’écume. » Enfin la ponte eut lieu, le mâle serrant fortement la femelle contre lui; les œufs viennent flotter à la surface de l’eau.
- Le rôle du mâle commence alors; il recueille peu à peu dans sa bouche les œufs épars et les porte dans le plafond d’écume. « Lui seul va se charger des soins nécessaires à l’heureuse incubation de ces œufs, reconstituant le plafond d’écume dès qu’une lacune venait à s’y produire, prenant avec sa bouche quelques œufs, là où ils étaient agglomérés en trop grand nombre, pour les placer dans un endroit inoccupé ; donnant un coup de tête là où la couche d’écume lui semblait trop serrée, pour en éparpiller le contenu; remplissant tous les vides en y produisant tout de suite de nouvelles bulles; » ces bulles de nouvelle formation sont placées immédiatement au-dessous des œufs, ce qui les force ainsi à remonter bien au-dessus du niveau de l’eau ; la portion du cône d’écume renfermant les œufs n’est dès lors plus mouillée que par capillarité. Aussitôt après l’éclosion, le mâle continue à prodiguer aux embryons les soins qu’il a donnés aux œufs. Il se met à la poursuite de ceux qui s’échappent, les frappe avec la bouche et les ramène au plafond d’écume ; un d’eux est-il malade, le mâle le prend dans sa bouche, va chercher une bulle d’air et nettoie le petit alevin. Peu d’animaux supérieurs prodiguent des soins aussi intelligents que ceux dont le macropode mâle entoure sa progéniture.
- Ces macropodes font partie d’une étrange fami le que les naturalistes désignent sous le nom de pharyngiens labyrinthiformes. Grâce à une disposition particulière qui leur permet de conserver pendant assez longtemps leurs branchies humides, beaucoup de ces poissons peuvent émigrer d’un marais à demi desséché à un autre plein d’eau, les nageoires élen-dues pour maintenir l’équilibre, en avançant au moyen des opercules fortement dentelés qui, tour à tour ouverts et refermés, donnent à leur corps uu mouvement de progression.
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- Polssons des eaux douces de Chine.
- Macropode male et femelle. — Cyprin télescope vu de face et de profil. — Leuciscus idellus. — IIypophthalmnichthys molitrix
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- Les deux espèces dont nous venons de décrire rapidement les mœurs ne sont que des poissons d’ornement, et il est fâcheux que l’attention n’ait pas été appelée sur l’introduction en France d’espèces qui entrent, pour une large part, dans l’alimentation des habitants du Céleste-Empire ; nous voulons parler de quatre espèces que MM. Dabry de Thiersant et Blecker ont dernièrement signalées. Ces espèces appartiennent à la famille des cyprins. Le dessin ci-contre en représente deux, connus dans la science sous les noms d'Ilypophthalinichthys molitrir et de Leuciscus idellus; les deux autres espèces font partie des mêmes genres. La chair de ces poissons est excellente et très-appréciée des Chinois, qui en font une grande consommation. Ils peuvent peser jusqu’à 40 et 50 livres quand ils sont adultes ; on les élève à l’état domestique dans des viviers. Nous empruntons à l’intéressant ouvrage de M. Dabry de Thiersant, sur la pisciculture et la pêche en Chine, les détails suivants sur la manière dont les Chinois élèvent les poissons, qui sont pour eux d’une si grande ressource alimentaire : « Le vivier doit être établi autant que possible près d’une éminence et non loin d’un cours d’eau avec lequel on puisse le faire communiquer... L’été, on donnera à manger aux poissons une ou deux fois par jour ; l’hiver, tous les deux jours. La nourriture varie un peu suivant les provinces. Ainsi, dans le Hun-nan, pendant deux mois et demi, les habitants se servent de préférence de l’eau de fumier. Les autres mois de l’année, ils remplacent cette eau par des herbes aquatiques hachées menu. Il n’en est pas de même dans le Kiang-si, où l’élevage des poissons a été poussé plus loin que partout ailleurs. Les procédés en usage dans cette province ont été recommandés comme les meilleurs dans le Cheou-che-tong-kao, vaste encyclopédie que l’empereur Kien-long fit publier dans le but de propager ce que la science avait produit jusqu’alors de plus parfait et de plus pratique sur l’agriculture et l'horticulture. Voici, en quelque mots, la méthode préconisée par le gouvernement et qui fournit, en réalité, les résultats les plus avantageux... Chaque bassin est destiné à recevoir 600 yong-yu (Hypoph-thalmichthys), et 200 houênu-yu (Leuciscus), d’un pouce et demi environ de longueur. La nourriture journalière de ces alevins consiste en herbes aquatiques hachées menu et en coquilles d’œufs durcis dans le sel, dont les poissons sont très-friands, surtout pendant l’hiver. Vers le milieu de la cinquième lune, en juin, on retire du ba-sin tous les poissons, que l’on dépose sur une toile. On examine si quelques poisson étranger ne s’est pas glissé parmi les espèces domestiques, et, le triage opéré, on transporte ces derniers dans un vivier que l’on a eu soin de creuser non loin du bassin... A la deuxième et à la troisième lune (mars ou avril), on prend tous ces poissons et on les met dans un autre grand vivier, que nous nommerons vivier d’élevage... Il faut, aux poissons transportés chaque année du vivier moyen, deux charges d’herbes aquatiques environ, pour cent
- jours. Ils grossissent alors très-rapidement, et ceux qui, à leur arrivée, pesaient une livre, après douze mois atteignent facilement trois livres ou trois livres et demie... Il n’est pas nécessaire que les herbes qui sont données aux poissons des grands viviers soient toujours fraîches ; de vieilles herbes avec la racine remplissent le même but. Il est rare que celles que l’on jette le soir dans le vivier ne soient pas dévorées entièrement pendant la nuit. L’hiver, la nourriture des poissons est plus difficile à se procurer. On supplée aux herbes par des boules très-sèches, grosses comme le poing, faites avec de la terre grasse, que l’on mélange à des fragments de vieilles nattes en paille de riz, à moitié pourries, et que l’on coupe en morceaux plus ou moins menus, suivant que les boules sont destinées aux moyens ou aux grands viviers, au milieu desquels elles sont jetées tous les deux ou trois jours... Toute famille à la campagne a son vivier, qui, chaque année, est alimenté au moyen d’alevins qu’on y dépose au printemps. Dans l’espace de douze mois, les espèces domestiques atteignent facilement deux livres et deux livres et demie; on peut les pêcher après sept mois. La plus grande partie du poisson des viviers est consommée par les habitants de la ferme, à moins que la pièce d’eau ne soit telle qu’ils puissent multiplier aisément sans craindre le dessèchement auquel sont exposés les petits réservoirs. Dans ce cas, comme ces espèces domestiques se reproduisent et se développeut très-rapidement, le vivier devient pour son propiétaire une mine inépuisable d’alimentation et de revenus.
- Il serait vraiment à désirer que l’on pût tenter d’acclimater en France ces espèces comestibles, aujourd’hui surtout que l’on doit redouter l’épuisement de nos rivières ; c’est une difficulté, sur la solution de laquelle nous appelons toute l’attention de la Société d’acclimatation. E. S.
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- EXPÉDITIONS SCIENTIFIQUES DE KHIVA
- l’amou-daria ET la mer d’aral.
- Le fait de l’occupation par les troupes russes des régions du Turkestan, jusqu’ici fermées aux voyageurs, offre une importance considérable au point de vue de la géographie et de la physique du globe. Le gouvernement du czar se préoccupe des questions scientifiques, que sa récente conquête lui permet d’étudier, et plusieurs expéditions scientifiques se sont déjà organisées sous ses auspices, pour explorer des-pays à peine connus, et pour éliminer les inconnues de grands problèmes de géographie physique. Quelques savants émérites, MM. Bogdanow, Krause, Korolikow, Kuhn, ont eu pour mission de parcourir le khanat de Khiva dans toute son étendue, pour se livrer à des études ethnographiques et géographiques, accompagnés d’un habile photographe, M. Kriwhow, qui complétera les documents écrits par une série de
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- vues, de paysages et de monuments. Nous passerons sous silence l’expédition du colonel Iscobelew, uniquement chargé de choisir un point stratégique entre la mer Caspienne et Khiva, afin de tenir en respect la terrible tribu des Turkomans-Teke, peuplade féroce et audacieuse ; mais nous croyons devoir signaler plus spécialement les explorations exécutées sous la direction du colonel Gluchowski, et du baron de de Kaulbars, dans le but de visiter ledelta de l’Amou-Daria, c’est-à-dire de l’ancien Oxus, qui nous offre l’exemple d’un fleuve ayant changé de lit; et qui, après s’être jeté jadis dans la mer Caspienne, vient aujourd’hui mêler son onde à celle de la mer d’Aral.
- D’après les premiers résultats obtenus par l’expédition russe, il semblerait que le cours de l’Oxus ait été détourné par les hommes au seizième siècle. Le colonel Gluchowski nous apprend, en effet, qu’il a découvert les traces d’une digue formidable, paraissant remonter à cette époque, et dont il a déterminé la position avec la plus scrupuleuse exactitude. Il s’agirait d'entrejenkre actuellement une œuvre immense, c’est-à-dire de rendre à l’Amou-Daria, son ancien lit, de refaire le premier travail de la nature, en détruisant celui de l’homme, de restituer aux côtes de la mer Caspienne, les eaux du fleuve qui les arrosait autrefois, afin d’ouvrir à la Russie une voie de communication facile et sure, qui lui épargnerait les fatigues et les dangers d’une marche à travers des steppes dénudés, des déserts arides. Les travaux gigantesques que nécessite le nouveau changement du cours de l’Amou-Daria seront-ils entrepris par la Russie ? ne reculera-t-on devant les dépenses qu’ils nécessitent et les obstacles qu’ils présentent ? C’est ce que nous ne saurions dire pour le moment, n’ayant pas encore connaissance des conclusions de la commission russe, mais il nous paraît intéressant de donner au lecteur quelques détails sur l’histoire du grand fleuve qui, après un cours de 1,600 kilomètres, baigne de ses eaux les villes de Termedz, Tchardjou, Khiva, et d’examiner les conséquences de son retour dans son ancien lit.
- Le changement du cours de l’Oxus, si singulier qu’il puisse paraître d’abord, est un fait parfaitement admis et démontré, depuis les magnifiques voyages de Mouravief, de Vambéry et de Stebnitzki. Le premier de ces explorateurs a visité une partie de l’ancien lit du fleuve, le second l’a parcouru également dans le grand circuit qu’il décrit autour du plateau de Ka-flankir, le troisième en a relevé les méandres sur une longueur de 500 kilomètres. Si le projet russe se réalise, si l’Amou-Daria rentre dans son lit caspien, il en résultera des modifications géographiques fort importantes, et qu’on ne pourrait prévoir sans un examen sérieux, à savoir que la mer d’Aral ne tarderait pas à se dessécher. D'après M. Venioukoff, la mer d’Aral constitue un vaste marécage de faible profondeur, qui, malgré sa superficie de 1,200 milles géographiques carrés, ne contient qu’un volume d’eau relativement peu considérable. M. Elisée Reclus, qui a publié un remarquable travail sur la mer d’Aral,
- dans \e-Bulletin de la Société de géographie, nous démontre que cette masse liquide ne tarderait pas à disparaître, par évaporisation, si l’Oxus ne rempla-çait pas constamment les eaux qui s’échappent sans cesse à l’état de vapeurs. « En raisonnant par comparaison, dit M. Reclus, nous pouvons admettre que la proportion de vapeur enlevée par année au bassin de l’Aral égale au moins celle que la saison des sécheresses retranche du lac de Copaïs, soit une couche d’environ 4 mètres, et que les pluies et les neiges lui apportent en revanche une quantité d’eau égale au plus à celle qui tombe à Ouralsk, soit une tranche de 28 centimètres. L’Aral perdrait ainsi chaque année plus de 3 mètres 1/2 d’eau, et par suite il serait complètement à sec dans l’espace de trois années au moins, de cinq années au plus1, si l’Oxus et le laxartes ne lui apportaient l’excédant des pluies tombées sur les versants occidentaux du Tian-Chan, du Pamir, de l'Indou-Kouch. Pour tenir à la même hauteur le niveau du lac d’Aral, ces deux cours d’eau doivent rouler dans l’année une masse totale d’environ 250 milliards de mètres cubes. »
- Les renseignements fournis par les savants russes établissent, sans toutefois donner des chiffres absolus, que la quantité d’eau apportée par les deux fleuves n’est certainement pas suffisanle pour compenser la perte annuelle que la mer d’Aral subit par l’évaporation de son eau. Dans les circonstances actuelles, le bassin de l’Aral tend donc à diminuer, « le désert de sable s’agrandit aux dépens de la solitude des eaux.» Les géographes russes de l’expédition de Khiva ont confirmé ces appréciations, en observant que le lac d’Aïbougkir, dont la présence est nettement indiquée sur d’anciennes cartes, n’existe plus aujourd’hui.
- On conçoit, d’après ces faits et ces calculs, que si l’Oxus cesse de couler dans la mer d’Aral, ce vaste bassin tendra à disparaître avec une rapidité beaucoup plus grande. « L’Aral, dit M. Reclus, privé annuellement de plus de cent milliards de mètres cubes d’eau fluviale, perdra au moins le dixième de sa masse; en quatre ou cinq ans, il n’aura plus que la moitié de sa contenance actuelle ; tous ses fonds plats, c’est-à-dire la partie de beaucoup la plus étendue de son bassin, seront desséchés, et il ne restera plus d’eau que dans les deux bassins qui se trouvent l’un au centre actuel, l’autre dans les parages occidentaux du lac. Ge n’est pas tout, le Syr lui-même, ayant à prolonger son cours dans les plaines desséchées qu’emplissaient naguère les eaux lacustres, s’affaiblira dans sa marche, il n’apportera plus qu'une quantité d’eau très-inférieure à son volume actuel, et ce qui restera du lac d’Aral en diminura d’autant ; l’ancienne mer n’offrira plus que de petits lacs et des marais perdus dans les steppes. »
- Nous avons parlé uniquement des derniers chan-gements du cours de l’Amou-Daria à la fin du seizième siècle, mais en remontant plus loin dans le passe, il
- 1 L’auteur,' par des calculs basés sur la profondeur moyenne de la mer d’Aral, a calculé que le volume de l’eau, qui la constitue, est de 100 milliards de mètres cubes.
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- semble évident que ce n’est pas la première fois que ce fleuve singulier a quitté son lit. A cette époque, comme nous l’avons dit, l’Oxus quitte le bassin de la mer Caspienne pour rentrer dans celui de la mer d’Aral. Il paraît certain que, vers le commencement du treizième siècle, le phénomène inverse s’était produit, et que ce fleuve, changeant son cours à la suite de la rupture de ses digues par un fils de Djengiz-Khan, s’était jeté dans la Caspienne après avoir coulé pendant plusieurs siècles vers la mer d’Aral. Si les hypothèses du dessèchement du bassin de l’Aral, quand ses eaux cessent d’être alimentées par un fleuve, sont vraies, ce bassin a dû cesser d’exister dans le cours de l’histoire. Or c’est ce que confirme le récit de voyageurs anciens. Un grand nombre de géographes de l’antiquité décrivent la mer Caspienne sans parler de la mer d’Aral dont l’existence n’aurait pu leur échapper, à une époque où la Bactriane et la Sogdiane étaient si connues du monde grec. Plus tard Marco-Polo, qui a certainement passé dans les régions où s’étendent actuellement les eaux de l’Aral, ne fait aucune mention de cette mer intérieure. Il est probable qu’elle était desséchée à ces époques parce que l’Oxus se jetait dans la Caspienne depuis quelques siècles. D’après ces faits, il faudrait considérer l’Aral comme une nappe d’eau intermittente qui aurait plusieurs fois été desséchée dans le cours de la période historique, et qui ne tarderait pas à se dessécher encore si les Russes rendent à l’Amou-Daria le lit dans le sein duquel il a déjà roulé ses eaux.
- Gaston TISSANDIER.
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- DONATI
- Donati (Jean-Baptiste) est né, en décembre 1826, à Pavie, du docteur Pierre Donati et de Louise Can-tini. C’était quelques mois après la mort du célèbre Piazzi, de Palerme, illustre astronome que Donati peut être considéré comme ayant remplacé. Il n’avait encore que 25 ans lorsqu’il fut attaché à l’Observatoire de Florence que dirigeait l’illustre Amici de Modène, célèbre surtout en France, par les perfectionnements qu’il a introduits dans la construction des microscopes, et très-populaire en Italie par les efforts patriotiques qu’il a faits pour naturaliser à Florence la belle industrie de la construction des instruments de précision. Deux ans après, le jeune Donati était nommé astronome adjoint et professeur d’astronomie à l’École supérieure de Florence, et il découvrait la cinquième comète de 1855, dont il envoyait la description à l’Académie des sciences de Paris. A celte époque, ses communications avec cette grande assemblée étaient fréquentes et importantes.
- Il venait d’être nommé astronome titulaire lorsqu’il découvrit, en juin 1858, la merveilleuse comète qui devait rester visible jusqu’en janvier 1859, et dont les immenses proportions devaient si vivement frapper le vulgaire. Par un bonheur mérité, dont les hommes supérieurs savent seuls profiter, le
- nom de Donati devenait tout d’un coup populaire. Cette comète, dont nous retraçons un des aspects, semblait bien faite pour ramener les astronomes aux sages théories d’Hévélius et de Gergonne. Donati se consacra à la décrire et à l’observer avec un soin admirable. Il reçut de l’Académie des sciences de Paris, le prix de la fondation Lalande pour 1859, partagé avec M. Goldsmidth et plusieurs autres observateurs. Peut-être fut-il peu satisfait de n’avoir point été distingué par un prix unique, car depuis cette époque ses rapports avec l'Aca-démie devinrent rares. Il ne les reprit plus que peu de temps avant sa mort. La lettre de remerciements qu’il écrivit à l’Académie fut tardive. Il paraît qu’une première lettre avait été égarée, c’est au moins ainsi que l’on explique son silence. Une circonstance bizarre se produisit à cette époque. Le nom de Donati est estropié dans les tables académiques, on l’écrit Batta-Donati, et on le range sous la lettre B.
- Donati, qui appartenait au parti national italien, applaudit aux événements qui s'acçozaplirent bientôt dans la haute Italie, et aux annexions qui, agrandissant l’œuvre interrompue par le traité de Villafranca, étaient autant d’étapes vers la constitution de Vltalia una. En 1864, il succéda à Amici, et le transport Florence de la capitale de l’Italie vint accroître considérablement l’importance de l’observatoire dont la direction lui était confiée. Décidément l’astronome semblait né sous une heureuse étoile. Il profita de cette circonstance pour obtenir du gouvernement italien des crédits suffisants et pour mettre son observatoire au niveau des grands établissements astrono-miques des capitales de premier rang. Il fut aidé dans cette tâche nouvelle par l’enthousiasme que suscita la célébration du centenaire de Galilée, et par la résolution prise de transporter l’Observatoire de Florence dans les jardins d'Arcetri, où le fondateur de l’astronomie moderne était mort victime de la plus odieuse persécution. L’inauguration solennelle eut lieu en 1872. Donati, qui s’était foulé le pied quelques jours auparavant, ne put y assister. Il fut obligé de faire lire par un de ses amis le discours qu’il devait prononcer.
- Malgré tout son génie, Amici n’avait pu parvenir à créer à Florence un centre de fabrication d’instruments de haute optique, digne de lutter avec les grands ateliers de précision de Paris et même de Munich. Son successeur fut plus heureux, grâce au glorieux anniversaire que nous venons de rappeler. Il parvint à faire fabriquer, à Florence, une grande machine parallactique, et un autre appareil du même genre, mais de dimensions moindres, qu’il transporta à Palerme, pour l’observation de l’éclipse de 1870, malheureusement perdue à cause des nuages. C’est encore à Florence, dans l’atelier placé sous l’invocation du grand nom de Galilée, que Donati fit construire un grand spectroscope à 25 prismes, qui fut exposé à Vienne en 1873, et qui devint la cause de sa mort.
- En 1866 Donati publia un mémoire posthume de Massotti, sur la détermination des orbites à l’aide de
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- trois observations. Il possédait si bien cette théorie qu’il se vantait de pouvoir calculer l’orbite d’une comète en moins de trois jours de travail.
- Dès que les méthodes de l’analyse spectrale furent connues, Donati songea à les appliquer à l’étude de
- la constitution physique des astres. Le mémoire qui lui assure l’honneur d’avoir inventé cette nouvelle branche si féconde d'astronomie physique a paru dans le Nuovo Cimento, en 1860.
- Ces idées nouvelles mirent quelque temps à se
- La conèle dp Donati
- développer. Quand elles eurent pris tout leur épanouissement, Donati songea à donner à ces études une organisation sérieuse. Il fut un des promoteurs de l’association des spectroscopistes italiens. Entraîné dans cette voie féconde il conçut le projet d’une autre science nouvelle, à laquelle il donna le nom de météorologie cosmique. L’idée mère repose sur cette idée que toutes les influences qui
- agissent sur l’état du temps, n’ont point leurorigine dans notre atmosphère, mais qu’il y en a un grand nombre qui dépendent manifestement de l’état du soleil. M. Donati est arrivé à cette conception fondamentale par suite de l’observation de l’aurore boréale des 4 et 5 février 1872, qui s’est montrée dans tous les pays civilisés et partout à peu près à la même heure locale, comme si elle avait la même
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- tendance à se propager que l’heure elle-même. Eu effet, ce fait mémorable étant constaté, on en doit conclure que les manifestations électriques ou magnétiques qui l’ont accompagnée ne pouvaient provenir d’un phénomène spécial à la terre, mais de quelque modification dont le pouvoir thermique ou magnétique du soleil était soudainement l’objet. Ces conceptions grandioses ont été développées dans un mémoire adressé à l’Académie des sciences de Paris, et inséré dans le n° du 25 mars 1872, et dans le dernier de scs écrits qui se trouve dans la Are livraison du tome Ier des Annales de l’Observatoire d’Ar-cetri ; cette publication commença en 1875, un an seulement après l’inauguration de ce bel établissement.
- Qui pouvait croire que l’astronome, si plein de vie, de santé, de projets, allait être enlevé si rapidement à la science, et que son mémoire des Annales de l’observatoire allait être son œuvre testamentaire.
- C’est à Vienne qu’il reçut le germe fatal de l’épidémie cholérique. Parti malade, il fut atteint enroule de la diarrhée premonitoire. Arrivée à Bologne, il visita l’Observatoire, et passa la journée avec quelques amis, au lieu de se soigner comme l’indiquait la prudence. C’est avec peine qu’il gagna Florence. Un médecin appelé en toute hâte ne put arrêter les progrès du mal, qui avait pris des développements effrayants. Il expira le 12 septembre, après quelques heures de souffrance. La questure le fit enterrer secrètement, remettant, par motif de prudence, à plus tard la cérémonie funèbre. Les personnes qui l’avaient .soigné, dans sa courte maladie, furent soumises à une quarantaine rigoureuse. La plupart des détails biographiques que nous avons donnés sont dus àM. Dominique Cipoletti, son suppléant à l’Observatoire de Florence. La modestie de Donati était si grande, que, sans les patriotiques efforts de ce savant, on ignorerait certainement la grandeur de la perte que les sciences astronomiques viennent de faire.
- W. de FONVIELLE.
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- DES PROFONDEURS DU LAC LÉMAN.
- La Société helvétique des sciences naturelles a tenu cette année sa cinquante-sixième session annuelle. La réunion de la Société a eu lieu à Schaf-fhouse. Parmi les nombreux et intéressants travaux présentés, nous avons remarqué la communication de M. le docteur F. A. Forel, sur la faune des profondeurs du lac Léman. Elle nous a paru offrir un grand intérêt, au moment où les investigations des fonds aquatiques sont à l’ordre du jour.
- En même temps que les naturalistes Scandinaves, anglais et américains prouvaient la possibilité de la vie sous de hautes pressions dans les grandes profondeurs de l’Océan, M. Forel a suivi depuis 1869 des études parallèles dans les lacs suisses et est ar
- rivé à des résultats analogues. Le limon du lac Léman, au delà de 30 mètres de fond, est partout d’une finesse extrême, argilo-calcaire, assez plastique pour pouvoir être modelé et cuit au four ; si la drague en fait une coupe convenable, on y remarque à peu près constamment la superposition suivante : a. Une couche de 3 à 4 centimètres d’épaisseur, légère, jaunâtre, formée de limon minéral, de débris d’animaux morts et. d’animaux vivants; c’est la couche animale. — b. Une couche noirâtre de 1 centimètre environ d’épaisseur. — c. Une couche bleuâtre, argileuse, très-plastique et relativement très-dense, qui paraît se continuer dans la profondeur.
- C’est dans la couche supérieur que l’on trouve la faune profonde. M. Forel l’étudie au moyen de deux méthodes distinctes. La première consiste à laisser reposer le limon dans une terrine plate pleine d’eau. Les animaux vivants sortent de la vase l’un après l’autre et viennent nager ou ramper dans l’eau; au bout de quelques jours, on laisse sécher le limon et alors les pisidiums, les cypris et les cyclops viennent à la surface du limon tracer les méandres de leurs passages ; enfin, en raclant le limon sur la lame d’un couteau, l’on obtient les chétopodes et les nématoïdes. Par ce procédé l’on constate que le limon du fond du Léman est très-riche en animaux vivants, et l’on peut évaluer leur nombre à une centaine environ par litre de limon.
- La deuxième méthode consiste à tamiser l’eau sale, obtenue par le lavage à très-grande eau du limon jaunâtre de la couche animale. Avec des tamis de plus en plus fins l’on obtient ainsi, d’une part, des animaux vivants assez intacts pour qu’on puisse les bien observer ; d’une autre part, les débris d’animaux morts, spécialement les coquilles de mollusques, les carapaces de crustacés, les polypiers de bryozoaires, les œufs et les excréments des diverses espèces. Le nombre de ces débris est énorme et M. Forel évalue de 5 à 10 mille les fragments de carapaces d'entomostracés, qu’il a ainsi tamisés dans un litre de limon.
- Cette abondance de débris organiques peut expliquer la richesse en produits azotés et phosphatés de certaines marnes et argiles employées en agriculture comme amendements.
- La faune qui vit dans les profondeurs des lacs est soumise aux conditions de milieu suivantes :
- 1° Les animaux sont dans l’impossibilité de venir respirer à la surface de l’air en nature; 2° L’eau est rarement pure, le plus souvent troublée par les eaux glaciaires en été, torrentielles pendant le reste de l’année ; ces eaux, gagnant le niveau correspondant à leur densité, forment des couches horizontales troubles, dont le limon se dépose lentement dans les plus grandes profondeurs ; 3° Température très-basse de 5, 6,7 ou 80 suivant les lacs et suivant les années ; 4° Température constante sans variations diurnes ou annuelles ; 5° Lumière nulle ou très-faible. A l’aide de procédés photographiques M. Forel a prouvé qu’en été, à Morges, la lumière n’influence plus le
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- chlorure d’argent à la profondeur de 50 mètres; 6° Repos presque absolu. Les vagues ne remuent plus, le fond et les courants du lac sont très-faibles. Le plus fort courant mesuré par M. Forci marchait à raison de 12 mètres par minute; 7° Pression considérable à raison d’une atmosphère par 10 mètres d’eau; 8° Flore presque annulée. Au delà de 25 mètres il n’y a plus traces de plantes vertes. Encore quelques algues violettes et un très-grand nombre de belles diatomées.
- Dans ces conditions vivent les animaux appartenant à tous les types et presque à toutes les classes, depuis les vertébrés représentés par les poissons, jusqu’aux protozoaires représentés par les infusoires.
- Al. Forel a étudié aussi la faune des lacs de Neuchâtel, Zurich, Constance (Bodensee et Untersee). Quelques sondages dans chacun de ces lacs lui ont permis de constater, sinon l’ensemble des espèces, du moins un assez grand nombre d’animaux analogues pour qu’il puisse avancer que dans les autres lacs suisses la même faune profonde se retrouve à peu près dans les mêmes conditions.
- Voici les conclusions que formule Al. Forel :
- 1° Il y a dans les lacs trois faunes distinctes : La Faune lillorale ou faune des rivages, allant jusqu’à 15 ou 20 mètres de fond. La faune profonde, allant de 20 à 25 mètres jusqu’à 300 mètres et plus. La Faune pélagique;
- 2° Toutes les formes de la faune littorale ne se rétrouvént pas dans la faune profonde ;
- 3° Toutes les formes de la faune profonde ont leurs similaires ou leurs analogues dans la faune littorale. Les modifications qu’on trouve dans les types des profondeurs semblent une adaptation au milieu;
- 4° il n’y a pas dans la faune profonde de différences horizontales. Au même niveau, la faune est la même à Villeneuves et à Morges ;
- 5° En fait de différences verticales en suivant la profondeur, l’on peut remarquer que quelques (deux ou trois) espèces, que l’on connaît entre 30 et 100 mètres n’ont pas été retrouvées à 300 mètres, mais que tous les types de 300 mètres se retrouvent entre 50 et 100 mètres ;
- 6° Différences locales assez fortes. En certaines places sont des bancs de coquilles d’œufs, de carapaces de crustacés ;
- 7° Différences suivant les saisons assez importantes pour quelques groupes (larves d’insectes);
- 8° La faune profonde étant la mieux déterminée entre 30 et 60 mètres, c’est à cette profondeur qu’il convient de l’étudier ;
- 9° En comparant la faune des différents lacs, l’on reconnaît que les caractères généraux des faunes profondes sont les mêmes ;
- 10° Que les caractères spéciaux varient pour quelques types dans les différents lacs.
- En terminant, Al. Forel insiste sur l’intérêt que présentera l’étude des modifications spécifiques dans les différents lacs qui ont dû servir de centre de formation particulière depuis l’époque glaciaire, et
- dans lesquels les espèces ont dû se modifier isolément pour s’adapter au milieu depuis un temps relativement assez court1.
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- CHRONIQUE
- Les lustres de l'Assemblée nationale. — Jusqu’ici on allumait à l'avance les lustres destinés à éclairer nos représentants ; on faisait brûler le gaz à petite flamme jusqu’au moment où, en ouvrant le robinet de canalisation, on donnait aux lumières leur intensité normale. Ce système avait l’inconvénient de brûler du gaz inutilement, d’élever la température de l’air en été et de vicier l’atmosphère par les produits de la combustion. Aujourd’hui, grâce à un ingénieux système électrique, on allume les 352 becs de la salle d’un seul coup. On a disposé à l’avance des fils conducteurs minces qui permettent à l’étincelle électrique de jaillir à l’orifice même de chaque bec de gaz. Ce procédé, fort pratique, devrait être utilisé dans les théâtres et dans les établissements qui ont un grand nombre de brûleurs. L’application de ce système ingénieux est dû à M. Ruhmkorff, et remonte déjà à dix ans environ, quoique certains journaux mal renseignés lui donnent une origine récente.
- La médecine pneumatique. — M. le docteur Bé-clard, secrétaire perpétuel de l’Académie de médecine, a récemment présenté à la docte assemblée de nouveaux appareils inhalateurs fort ingénieux, dus au docteur J. Ren-gade. Ces appareils donnent au médecin la possibilité d’administrer directement, par les voies aériennes, des médicaments extrêmement actifs, et de pratiquer, par conséquent, avec beaucoup plus d’efficacité qu’on ne l’a fait jusqu’à ce jour, le traitement rationnel des maladies laryngées et pulmonaires. M. le docteur Rengade a publié sous le titre de Médecine pneumatique une fort intéressante brochure, où il décrit les appareils qu’il a imaginés pour l’inhalation des gaz, des vapeurs, des poussières liquides qui semblent se présenter comme les plus utiles auxiliaires de la thérapeutique pour combattre les terribles maladies des voies respiratoires.
- Ascension du ballon de Nassau. —• Le 26 septembre, M. Coxwell a fait une ascension avec le ballon le Nassau, qu’il avait acheté à la mort de l’aéronaute, Green, et qu’il a réparé avec le plus grand soin. Ce ballon avait servi au duc de Brunswick pour traverser la Manche, et au malheureux Cooking pour faire sa fatale expérience avec le parachute retourné. Cette ascension a eu lieu des ruines du palais d’Alexandra Park ; elle avait pour but de démontrer qu’il n’existe pas de courant général aérien dans la direction du Sud-Ouest, et par conséquent que la tentative pour traverser l’Atlantique en ballon est insensée. Le temps était clair et le vent inférieur venait de l’est. A une hauteur assez faible, le vent a tourné vers le nord-est, et à 10,000 pieds anglais, il était nord-sud. Les nuages supérieurs suivaient cette direction aussi loin que la vue des aéronautes qui s’étaient élevés à 3,000 mètres pouvait porter. Ils avaient pris avec eux dans les airs une hélice horizontale destinée à modérer leur force ascendante.
- 8e échec du ballon Transatlantique. — L’as-cension du ballon Transatlantique dont les dimensions
- 1 Archives des sciences physiques et naturelles» — Genève, 1875.
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- avaient été diminuées, a eu lieu le 6 octobre de Capitoline Grounds (New-York). Le vent, qui semblait pousser les voyageurs aériens vers la mer, los a rejetés vers le nord, ils sont arrivés après quatre heures de voyage à New Canaan (Connecticut), ayant parcouru une distance totale d’environ 120 kilomètres. L’ascension s’est terminée d’une façon qui n’est point nettement expliquée, mais il semble que le ballon s’est choqué contre une colline.
- Cet accident, peu ordinaire, a mis le désarroi dans l’équipage, qui a sauté à terre. Le ballon, abandonné à son mallieureux sort, a été retrouvé à un mille de distance. Cette ascension malheureuse est cependant digne de marquer sous certain point de vue dans les annales de la science, car les aéronautes ont, pendant ce court voyage, lancé six fois du haut des airs des pigeons qui sont revenus en quelques minutes au point de départ.
- Le télégraphe du Colorado. —• On vient d'établir dans le Colorado, aux États-Unis, une nouvelle ligne télégraphique qui passe au sommet du pic de Peak. Cette montagne à plus de 3,000 mètres d’élévation. La station télégraphique qui a été construite à son sommet est à un niveau qui dépasse de beaucoup celui des stations créées jus u’ici sur les montagnes. Elle sert de poste météorologique, et, trois fois par jour, elle envoie à Washington une dépêche donnant l’état de l’atmosphère.
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- ACADÉMIE DES SCIENCES
- Séance du 10 novembre 1873.— Présidence de M. de QUATRLFAGES.
- La Société Ramond. — Au moment de partir pour Biskra, et peut-être pour Tugurt, M. Charles Sainte-Claire Deville signale à l’Académie le zèle avec lequel la météorologie est cultivée dans les Pyrénées. A Bagnères-de-Bi-gorre, la Société Ramond, toujours digne de l’illustre nom qu’elle porte, et grâce à l’initiative de son président, M. le pasteur Frossard, vient, de concert avec une seconde société dont le siège est au col de Sincourse, de fonder un véritable observatoire météorologique. U consiste en deux pièces prélevées sur une hôtellerie, établie au pied même du Pic-du-Midi, à 2,354 mètres d’altitude, et où l’on a disposé tous les appareils et tous les instruments nécessaires. Grâce à des systèmes d’observations simultanées, faites les unes à l’observatoire et les autres au sommet de la montagne, à 2,870 mètres, on a déjà un nombre considérable de résultats importants. Sans doute, ces résultats seraient plus grands encore si la Société Ra-mond jouissait de moyens d’action plus étendus ; et il faut remarquer qu’il suffirait, pour les lui procurer, que le gouvernement la reconnût comme établissement d’utilité publique, car alors, outre le prestige de cette désignation officielle, elle acquerrait la faculté de recevoir des dons et des legs. Grâce au chaleureux appui que témoignent à cette œuvre, d’abord M. Dumas, puis M. Élie de Beaumont et enfin le président lui-même, il est à espérer que cette consécration désirable ne se fera plus longtemps attendre.
- Le titane des basaltes. — Analysant une nombreuse série de roches basaltiques d’Auvergne, M. Roussel y a presque constamment trouvé du titane et du vanadium. Ce dernier est en quantité trop faible pour être dosé, mais on le reconnaît facilement. Au contraire, le titane est parfaitement dosable, et représente ordinairement 0,75 pour 100 de la roche, quelquefois même, comme dans le basalte du Puy-de-Dôme, il s’élève à 2 pour 100 et même à 2,5.
- Solubilité du plomb dans l'eau. — L’hygiène s’est préoccupée, à maintes reprises, de la solubilité du plomb dans l’eau, et des conséquences d’insalubrité qui peuvent en résulter. Aujourd’hui, M. Fordos, chimiste bien connu par des travaux importants, reprend la question.il montre que l’eau aérée attaque le plomb et donne lieu à la formation du carbonate de plomb ou céruse. Si l’expérience se fait dans un vase de verre, la céruse se précipite sur les parois et les recouvre d’une couche mince, de façon que les bouteilles rincées à la grenaille sont comme doublées d’une pellicule de matière toxique.
- En résumant ces faits, M. Dumas rappelle l’expérience qu'il faisait il y a vingt ans devant l’auditoire de son cours de chimie de la Sorbonne : dans une série de flacons on mettait de l’eau distillée, de l’eau de pluie, de l’eau de Seine, etc., puis, dans chacun d’eux, on introduisait du plomb. Or on n’était pas arrivé au quatrième flacon, que ce temps si court suffisait pour que l’eau distillée du premier donnât déjà très-nettement les réactions saturnines. Toutefois, ce résultat n’a lieu qu’avec de l’eau très-pure; la moindre trace de sel calcaire rend, pour ainsi dire, le plomb insoluble. M Balard etM. Chevreul s'empressent de confirmer cette conclusion en ajoutant que le rôle le plus énergique, pour empêcher la solution, est dévolu aux sulfates et spécialement aux sulfates de chaux. Une longue lecture de M. Belgrand roule sur le même sujet et confirme ce fait, que l’eau un peu minéralisée passe sans inconvénient dans des tubes de plomb, tandis que l’eau distillée se charge rapidement de sel métallique.
- Un exemple ancien, rappelé par M. Dumas, montre bien celle énergie dissolvante de l’eau distillée. Il y a quelques années des accidents saturnins (coliques de plomb, etc.) se manifestèrent dans l’équipage d’un vaisseau. On reconnut que le poison était apporté par l’eau, obtenue à bord par distillation ; or l’alambic n’offrait pas trace de plomb, le serpentin n’en contenait pas; il n’y avait, en plomb, qu’un petit tuyau de quelques centimètres, que l’eau traversait pour se rendre du serpentin dans le réservoir où on la conservait.
- Exhalation des plantes. — Reprenant un sujet déjà traité par de nombreux chimistes, et récemment par notre collaborateur M. P.-P. Dchérain, M. Barthélemy, professeur au lycée de Toulon, étudie l’évaporation à laquelle donnent lieu les plantes. Cette exhalation peut, suivant lui, se faire de trois manières : insensiblement, comme c’est le cas le plus général ; où bien par émission brusque de gaz saturé, qui s’échappe par les stomates, lorsque la plante subit une élévation subite de température ; ou bien enfin par exsudation, quand le travail d’absorption des racines est plus actif que le travail de fixation du carbone ; ce cas a lieu, par exemple, dans l’obscurité.
- Thermomètre moteur. — Voici une idée originale, mais qui ne parait guère susceptible d’application sérieuse. Autour d’une roue à axe horizontal, M. de Paz dispose, suivant les rayons, une série de thermomètres bien égaux. Cela fait il expose une moitié de la roue au soleil, l’autre étant maintenue à l’ombre. Le tuyau des thermomètres échauffés se dilatant, leur centre de gravité s’éloigne du centre de suspension ; c’est comme s’ils étaient devenus plus lourds ; ils font tourner la roue.
- Stanislas Meunier.
- Le Propriétaire-Gérant ; G. TISSANDIEK.
- PARIS. — IMF. SIMON RAÇOY ET COMP., RUE D’ERFURTI, 1 .
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- N° 25. — 22 NOVEMBRE 1873.
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- DES DEUX INDIVIDUS EXHIBÉS
- SOUS LE NOM d’hommes-CHIENS.
- C’est sous ce nom très-peu scientifique, comme on voit, que l’on présente au public parisien un paysan russe et son fils âgé de trois ans, qui doivent aux
- longs poils soyeux qui couvrent tout leur visage, de faire le tour de l’Europe. Cette bizarrerie est d'ailleurs la seule justification du nom dont les ont affublés les plaisants de notre capitale.
- Ces individus, examinés récemment par quelques anthropologistes, sont en outre remarquables par l’atrophie du système dentaire. Nous passerons succès
- Andrian Joftichjew, dit l’Uomme-Chieit, dessiné d’après nature.
- sivement en revue chacune de ces difformités, et nous verrons que ce n’est pas une simple coïncidence qui les fait rencontrer toutes deux chez les mêmes individus.
- Cet homme, appelé Andrian Jeftichjew, se présente vêtu de la chemise de soie rouge que portent les propriétaires russes. Il est né dans le gouvernement de Kostroma, pays couvert de forêts ; il a cinquante-cinq ans. Quoique de taille moyenne, il est taillé en Hercule ; sa démarche est lourde, son intelligence obtuse, ainsi que doit l’être d’ailleurs celle de tout paysan russe. Disons enfin qu’il a été strumeux dans
- son enfance, ainsi que l’attestent les taches blanches que l’on remarque au-devant de sa pupille.
- Les longs poils qui couvrent tout son visage sont d’un blond assez sale. Relevés sur le front pour ne pas gêner la vue, ils tombent du nez, des tempes, des joues, et surtout de l’intérieur des conduits auditifs, en longues mèches soyeuses d’une longueur de 7 à 8 centimètres qui donnent à leur porteur la physionomie d’un chien griffon.
- Le devant de la poitrine est couvert de poils serrés et nombreux; ses avant-bras ont des poils follets assez longs, mais clair-semés. Nous aurions voulu
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- examiner le reste du corps, mais l’homme refusa absolument de se déshabiller.
- On se tromperait si on attribuait cette difformité à une extension de la barbe à tout le visage. Loin de là, cet homme ne possède à vrai dire ni barbe, ni sourcils, ni même de cils, enfin, aucun des poils normaux du visage humain. Il est impossible en effet de confondre avec les poils rudes de la barbe, ces longs filaments plus fins et plus soyeux que les cheveux. Pour mieux établir cette différence, j’ai comparé au microscope un des poils qui poussent sur le menton d'Andrian, avec un poil d’une barbe très-douce. Ce dernier, ayant près de 150 de millimètre, était trois fois plus épais. J’ai comparé également au microscope un des poils qui poussent sur sa tête avec un cheveu ordinaire; celui-ci était de plus de moitié plus épais.
- De quelle nature sont donc ces poils longs, fins et soyeux, sans moelle, développés en foule sur le visage de cet homme? Nous croyons que ce sont les poils follets répandus normalement sur le visage humain, qui ont pris ici une longueur extraordinaire, sans augmenter de beaucoup de grosseur.
- Notre visage, en effet, est en temps normal, littéralement couvert de poils extrêmement nombreux et serrés mais invisibles, tant ils sont fins et courts. Et ici je ne puis mieux faire que citer notre plus savant anatomiste, M. Sappey : « Sur la peau des ailes et du lobe du nez, les poils sont aussi rapprochés que ceux qui végètent au-devant des lèvres et du menton. Le pavillon de l’oreille, dont la peau est si mince et si douce au toucher, présente lorsqu’on l’examine à la loupe, une véritable forêt de poils. Il en est de même de la peau plus mince et plus transparente encore qui recouvre les paupières. Le sein le plus blanc et le plus uni en est ombragé sur toute sa surface. »
- On conçoit que cette forêt microscopique dont parle le savant professeur puisse croître au point d’acquérir les dimensions que nous lui voyons chez notre paysan russe. Nous verrons tout à l’heure que cette exubérance du système pileux a été déjà, mais bien rarement observée.
- Passons à présent à son petit garçon, Fédor. Il est âgé de trois ans ; il est très-vif et paraît plus intelligent que son père, comme la plupart des enfants du peuple. Son visage est également velu, et il le sera peut-être plus que son père; à présent, les poils sont plus blonds, plus courts et encore plus fins ; ils sont disposés sur son nez en forme de couronne, ce qui donne au visage une expression singulière.
- Le soi-disant Russe qui a conduit ces deux hommes à Paris raconte que la mère, morte depuis peu de temps était également poilue, et ne donne aucun autre détail sur leur famille. Il raconte, en outre, qu’Andrian Jeftichjew est un « homme des bois » vivant dans les forêts, se nourrissant de racines, etc., renseignements qui ne méritent qu’une confiance relative.
- Un phénomène d’une haute importance, parce qu’il se rattache à plusieurs autres du même ordre, est relatif à la denture de ces individus. Le père n’a que 5 dents en tout, une en haut et 4 en bas, et on
- nous dit qu’elles n’ont poussé qu’à l’âge de 17 ans, et son fils n’en a que 4 en bas et pas une seule en haut. Or les quelques individus velus dont on connaît les observations avaient également des mâchoires fort mal garnies. On a souvent parlé d’une danseuse espagnole, Julia P..., qui vécut assez longtemps à Londres, et dont le visage (d’ailleurs parfaitement hideux), était tout couvert de poils, assez semblables à ceux d’Andrian, mais plus roides, je crois ; le savant dentiste, le docteur Magitot, a bien voulu me montrer le moule des deux mâchoires de cette horrible personne ; eh bien, on y constate l’absence des dents de sagesse en bas et en haut, celle des incisives inférieures et de plusieurs autres dents. Ce n’est donc pas sans surprise qu’on lit ensuite dans M. Darwin que Julia P... possédait double rangée de dents. — La jeune Espagnole en question possédait, entre autres agréments, d’énormes tumeurs fongueuses des gencives, ce qui donnait à sa bouche l’extérieur d’un museau de singe, mais il me parait difficile de confondre ces masses rouges et charnues avec des dents.
- Des voyageurs anglais ont observé dans la Birmanie une famille de 4 personnes (le père, la fille et deux petits-fils) absolument velues. Il n’y avait de nu, au moins chez l’homme, que les mains et les pieds. Tous avaient des râteliers fort incomplets. De même qu’Andrian, l’Indien d’Ava, Shwe Maong, n’avait ni barbe, ni sourcils; la tête et le tronc étaient couverts de poils soyeux, venus à l’âge de G ans ; il n’avait que 9 dents.
- Tels sont les exemples les plus authentiques d’hommes velus que je connaisse, et on voit que chez tous, on observe simultanément à la vigueur du système pileux un état misérable du système dentaire. Évidemment il n’y a pas là une simple coïncidence.
- Nous admettrons donc, avec M. Darwin, une relation entre ces deux systèmes, et voyant, dans les exemples précédents, l’un péricliter tandis que l’autre prospère, nous dirons avec lui qu’il y a eu ici balancement entre eux. D’autres faits observés chez les animaux nous montreront la sympathie qui lie quelquefois leur sort.
- Tout le monde sait qu’en passant à l’état de cochon, le sanglier perd à la fois sa rude fourrure et ses redoutables défenses. Ici, les dents ne diminuent pas en nombre, mais en puissance; le système dentaire s’atrophie.
- On a pu voir à la récente exposition des chiens, au Jardin d’acclimatation, plusieurs espèces de chiens nus. Tels sont les chiens égyptiens, les chiens turcs, les seuls balayeurs de Constantinople, enfin les chiens dont se régalent les Chinois. Eh bien, ces animaux ont des mâchoires très-incomplétement garnies, et qui certainement ne leur permettraient pas de vivre à l’état sauvage. Ces exemples semblent indiquer certaines relations entre le développement des poils et celui des dents, mais le lecteur voit combien ces relations sont mal connues, et combien de nouvelles observations sont nécessaires pour les éclairer.
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- Mais nous voilà bien loin d’Andrian et de Fédor. On peut se demander à quelle cause il faut attribuer leurs deux anomalies. Il faut, comme dans les cas de ce genre, interroger : 1° le milieu dans lequel ils ont vécu; 2° l’état de leurs ancêtres. —Nous ne prétendons pas établir à quelle cause il faut s’attacher davantage, mais la question méritait d’être posée. Les milieux ont une influence des plus promptes sur la toison des animaux; ainsi nos moutons changent sous les tropiques leurs riches toisons contre une jarre courte et rare; par contre, les animaux qui viennent des pays chauds, dans notre jardin d’acclimatation, acquièrent en quelques années une robe protectrice. Mais, sur le système pileux de l’homme, les milieux paraissent avoir peu d’influence.
- Nous ne connaissons pas les ancêtres d’Andrian, mais nous voyons qu’il a transmis sa difformité à son fils ; celle-ci peut donc être héréditaire, comme elle l’a été durant trois générations chez les Birmans que je citais tout à l’heure. Nous ne parlons pas des parents de la danseuse Julia; ils sont l’un et l’autre inconnus.
- L’hérédité est une cause trop puissante pour que nous n’en tenions pas le plus.grand compte. Elle nous paraît la cause la plus probable de la difformit qui nous occupe.
- Terminons par un nouveau trait anthropologique touchant Andrian Jeftichjew ; ceux qui regardent la religiosité comme caractérisant l’humanité apprendront avec intérêt que cet homme-chien, doué d’ailleurs d’une intelligence moins que rustique, destine -tout l’argent qu’il pourra récolter à un ordre religieux de son pays, pour faire dire des prières après sa mort, car il tient, paraît-il, à porter son affreux visage en paradis. Dr J. Bertillon.
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- LE PHARE D'AR-NEN
- Pendant bien longtemps le nombre des feux protecteurs fut très-peu considérable sur nos côtes ; nos rivages étaient encore presque partout obscurs quand un phare fut élevé, en 1695, sur la pointe du Stiff, dans l’île d’Ouessant et un autre, au siècle suivant, en 1740, sur le cap Saint-Mathieu ; ces deux feux étaient destinés à signaler les abords de Brest, notre grand arsenal.
- Néanmoins on ne pouvait toujours pas entrer de nuit dans le chenal de la rade de Brest, sans risquer detomber sur les écueils qui le limitent aunord et au sud ; aussi, les bâtiments de guerre et de commerce s’arrêtaient-ils en pleine mer, pour attendre le jour. Dans le but de leur procurer un refuge en rade, pendant les tempêtes nocturnes, bien plutôt que pour accélérer la navigation, on construisit, aux pointes, du Petit-Minou et de Portzic, deux phares, d’après le rapport de Beautemps-Beaupré ; vus l’un au-dessus de l’autre dans le même plan vertical ou
- cachés l’un derrière l’autre, ils indiquent que l’on est dans le bon chemin pour arriver à Brest ; il suffit de naviguer en gardant les deux feux dans cette même position relative pour atteindre au port. Ces deux phares ont été allumés le 1er janvier 1848. Dix-huit mois plus tard, un nouveau feu était inauguré, le 1er juillet 1849, sur la pointe deKermorvan; il permettait, en se mettant dans la direction qu’il jalonne avec le phare de Saint-Mathieu, de suivre la nuit le chenal du Four et de pénétrer de la Manche dans la rade de Brest; il jouait un rôle analogue aux feux du Minou et de Portzic qui, dans le chenal de l'Iroise, donnent la possibilité d’entrer à Brest en venant de l’Océan.
- La Bretagne forme un môle immense, allongé vers l’Amérique et, par suite, Brest, le port de la France et de toute l’Europe médiane le plus rapproché du nouveau monde, est devenu le point de départ des steamers transatlantiques.
- Dès lors, le commerce, les passagers, la poste n’ont pu tolérer les lenteurs que subissaient la marine de l’Etat et le petit cabotage; actuellement les navires réclament la possibilité d’arriver et de partir, à jour et à heure fixes, quel que soit l'état du ciel et de la mer, et l’on a eu à s’occuper de signaler complètement les côtes. Un grand phare de premier ordre, projetant sa clarté à 45 kilomètres et présentant un caractère nouveau, un éclat lumineux de 20 en 20 secondes, un éclat rouge alternant avec deux éclats blancs, a été construit à la pointe de Créac’h, dans l’ouest de l’île d’Ouessant ; on l’a allumé le 20 décembre 1863.
- La Cornouaille française, comme sa sœur britannique, léchée par les courants chauds dérivés du gulf-stream est, pour cette raison, fort brumeuse. Or, en temps de brouillard, les phares deviennent invisibles et cessent de guider les navigateurs ; alors, la lumière étant impuissante, on a recours au son et les endroits à signaler sont pourvus d’appareils acoustiques. Le plus habituellement on emploie des cloches, mais, pour porter le son très-loin, il est préférable de se servir d’une trompette à air comprimé, dont l’invention appartient à M. Daboll et a été perfectionnée par M. Holmes.
- Une trompette de ce genre a été établie en 1867 sur l’extrémité la plus au large de l’île d’Ouessant, au point le plus occidental de la France par 7° 28'39" de-longitude 0. La trompette résonne pendant les brumes de 10 en 10 secondes, pendant 2 secondes, et son bruit puissant se fait entendre à 11 kilomètres par un temps calme. La portée varie de 3 à 15 kilomètres suivant que le navigateur se trouve du côté du vent ou sous le vent. L’air destiné à faire résonner le puissant instrument est comprimé dans un grand réservoir en tôle, par deux pompes mises en mouvement au moyen d’une machine à vapeur de trois chevaux; cette machine ouvre et ferme la communication entre l’instrument et les réservoirs aux intervalles adoptés, et fait tourner la trompette sur son axe, de façon à diriger successi-
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- vement son pavillon sur tous les points de l’horizon maritime1.
- L’île d'Ouessant est reliée à la côte ferme par une longue suite d’écueils; pour signaler leur limite méridionale (qui forme la rive nord du chenal de l'lroise), on a élevé sur un rocher, en pleine mer, le phare des Pierres-Noires; ce feu est rouge, à éclipses totales de 10 en 10 secondes, et une cloche supplée la lumière, en cas de brume ; on l’a allumé le 1er mai 1872.
- Du côté du passage du Four, il y a, au débouché de cette passe, dans la Manche, à deux milles (5 k. 7) du port d'Argenton, un roc isolé qui a donné son nom au chenal ; on résolut d’y élever un phare pour éclairer l issue septentrionale de cette passe. L’entreprise était difficile, le roc du Four ne dépasse le niveau de la haute mer que de deux mètres et ne présente qu’une masse abrupte et glissante d’un granit très dur. Néanmoins la construction a pu être effectuée en trois ans sans accident. Actuellement on procède à l’aménagement intérieur du phare et on compte pouvoir l’allumer à la fin de l’année (1873). 11 se compose d’une tour en granit surmontée d’une tourelle en tôle.
- Les phares étant très-multipliés sur cette côte, comme on peut le voir sur notre carte, il importe de varier le caractère de leur lumière pour rendre impossible la confusion des feux entre eux ; aussi le nouveau foyer lumineux du Four, élevé de 28 mètres au-dessus de la haute mer, présentera-t-il un caractère spécial, encore inappliqué ; il sera alternativement fixe et scintillant pendant 50 secondes pour chacun des deux aspects, les éclats de la scintillation se succédant à des intervalles de 5 secondes trois quarts. La lumière sera fournie par une lampe à trois mèches concentriques alimentées à l’huile minérale.
- En temps de brume une trompette à air comprimé résonnera toutes les 5 secondes ; mais, comme dans le phare, on dispose de trop peu de place pour y installer les pompes et réservoirs de la trompette de Daboll, M. Lissajous, notre savant professeur de physique, a simplifié beaucoup les dispositions de l’instrument : les chaudières, d’une force totale de 4 chevaux, envoient directement dans le cornet un jet de vapeur; ce jet entraîne de l’air qui fait résonner la trompette, et un mouvement d’horlogerie règle le jeu des tiroirs (mus par la vapeur), qui, aux intervalles choisis, ouvrent et ferment la communication entre la chaudière et l’appareil. L’approvisionnement du phare, en charbon et eau douce, est suffisant pour alimenter les chaudières pendant plus de 150 heures.
- L’extrémité intérieure du chenal du Four sera signalée pendant les brumes par une cloche placée au phare de Kermorvan.
- 1 On nous écrit que la portée est, en fait, extrêmement variable, et parfois tellement réduite qu’elle n’atteint pas la limite des écueils d’Ouessant (qui s’étendent à 4 kilomètres au large) : l'instrument cesse alors d’assurer la sécurité des navigateurs*
- Désormais les issues de la rade de Brest, vers le nord et l’ouest, seront convenablement signalées, mais si les phares de Creac’h (Ouessant) et des Pierres-Noires guident, du côté du nord, dans le chenal de l’Iroise, la chaussée de Sein, qui le borne au sud, est encore très-mal éclairée.
- Le cap dit Bec du Raz de Sein se prolonge vers l’Ouest, d’abord par l’île de Sein, puis par une longue suite d’écueils à fleur d’eau, formant la chaussée de Sein, et s’étendant jusqu’à 27 kilomètres du Bec du Raz. Ces écueils sont les plus dangereux de nos côtes ; ce sont eux qui rapportaient chaque année aux seigneurs de Léon, leurs possesseurs, dix mille sous d’or par le « droit de bris », par la vente des épaves des navires qui s’y brisaient ; ce sont ces rocs maudits qu’un de ces princes barates qualifiait de « pierres précieuses plus que celles qu’on admire aux couronnes des rois. »
- Depuis le temps où Guilhomer de Léon a proféré ce blasphème, dont il n’avait point conscience, peu à peu la lumière s’est faite, à la fois matériellement et moralement, sur les rivages et dans les lois. La baraterie, autrefois droit régalien, est aujourd’hui qualifiée crime et les phares ont illuminé les écueils.
- La commission de 1825 proposa, pour éclairer la chaussée de Sein, d’élever deux phares de premier ordre ; sur le Bec du Raz et dans l’île de Sein. Ces deux feux ont été allumés le 15 mai 1839, celui du cap est fixe, celui de l’île fait briller un éclat de 4 en 4 minutes. Comme la chaussée se prolonge dans la direction de la ligne droite passant par les deux phares, tant que l’on aperçoit les deux feux éloignés horizontalement l’un de l’autre, on est assuré que l’on est en dehors des dangers : quand ils apparaissent dans la même verticale, on sait qu’il faut gouverner de manière à voir le feu fixe du cap, à gauche du feu changeant de l’île, si l’on veut entrer dans l’Iroise. Le feu du cap doit être, au contraire, à la droite de celui de l’île, si l’on veut passer dans le sud de la chaussée.
- Mais, dans tous les cas, comme la lumière du phare du Bec du Raz ne se voit pas à plus de 7 kilomètres au delà de la chaussée, on sait que, dès que les deux feux sont visibles, l’un à côté de l’autre, on doit changer de route, car le péril est imminent, on arrive sur l’écueil.
- Ces indications suffisent à peu près en temps ordinaires ; mais, dès qu’une brume, même légère, obscurcit l’air, le danger et les incertitudes ne peuvent plus être conjurés, car alors la lumière ne porte pas jusqu’à la limite des récifs. Pour remédier à cet état de choses, il faut établir un feu près de cette limite même, et la nature inégale et rocheuse du fond ne permettant point de mouiller un feu flottant ni d’élever un phare en fer, la difficulté est extrême. Néanmoins, en avril 1860, la commission des phares demanda qu’une étude de la chaussée fut faite sur place pour s’assurer si l’un des écueils de l’extrémité ne pourrait servir d’assiette à un phare en maçonnerie. Cet examen eut lieu en juillet de la même année.
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- On reconnut que, par les plus basses marées, il apparaît une roche à 5 kilomètres de l’extrême pointe occidentale du bas-fond, mais elle découvre à peine et ce n’est qu’à 6 kilomètres de cette extrémité, à 11 kilomètres de l’île de Sein, qu’on trouve un écueil dépassant de 3 mètres le niveau des plus basses mers ; mais cette roche, appelée Ar-Men, n’a pas plus de 8 mètres de large sur 15 de long, aussi ne sembla-t-elle pas propre à recevoir les fondations d’un grand phare et l’on se résigna à proposer l’érection d’une tour sur une roche plus grande qui n’est qu’à 5 kilo
- mètres seulement de Sein. La commission des phares n’accepta point cette solution imparfaite et demanda, à l’administration de la marine, de nouvelles études; elles eurent lieu en 1865 et ne furent pas plus satisfaisantes. Sans se décourager, on confia, en 1866,à M. l’ingénieur Ploix, la mission d'explorerunetroi-sièmefois la chaussée de Sein; son examen ayant été plus complet, sa conclusion fut plus hardie; il proposa de s’établir sur la roche Ar-Men. « C’est une œuvre excessivement difficile, presque impossible, mais peut-être faut-il tenter l’impos
- Carte des phares des abords de Brest.
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- Cav pafku d
- sible, eu égard à l’importance capitale de l’éclairage de la chaussée. » Telles étaient les conclusions du rapport de M. Ploix ; elles furent adoptées le 26 novembre de la même année, par la commission des phares, qui proposa la construction sur cet écueil d’un soubassement en maçonnerie destiné à devenir la base d’un phare.
- Pourtant, la mer est si grosse dans ces parages, même par les temps les plus calmes, les courants sont si violents (17 kilomètres à l’heure), que la roche, incessamment couverte par les lames, n’avait jamais été foulée par un pied humain. M. Ploix s’en approcha à 15 mètres, M. l’ingénieur Joly en fit le tour encore de plus près, mais ni l’un ni l’autre ne purent aborder cette masse de gneiss coupée en deux par une profonde fissure où la vague rejaillissait, et se terminant à pic du côté de l’est, où l’abordage se
- rait le plus facile. Ce furent les pêcheurs de l’ile de Sein, leur syndic le premier, qui eurent l’honneur de débarquer d’abord. Eux seuls pouvaient guetter et saisir l’instant favorable, si excessivement rare, où la roche devenait accostable ; eux seuls étaient assez bons nageurs, assez bons marins pour naviguer entre ces rocs sur cette mer qui jamais ne s’apaise et conquérir cet affreux écueil. Ces hommes, qui ne s’étaient jamais servis d’un autre outil que de leur filet, consentirent à manier le marteau et le fleuret du mineur pour creuser des trous dans la roche. Ces trous
- étaient destinés à recevoir des barres de fer verticales, ayant pour but de relier les maçonne’ ries au rocher, et, par suite, les différentes parties de celui-ci entre elles.
- Les trous devaient avoir 50 centimètres de profondeur sur 7 environ de diamètre ; le percement de chacun d’eux devait être payé cinq cents francs1. — Ce chiffre seul donne une idée des difficultés auxquelles on s’attendait ; ici nous laisserons parler le rapport officiel, saisissant dans la sobriété administrative de son style: « Les pêcheurs se mirent résolument à l’œuvre en 1867. Dès qu’il y avait
- possibilité d’accoster, on voyait accourir des bateaux de pêche ; deux hommes de chacun descendaient sur la roche, munis de leur ceinture de liège, s’y cramponnant d’une main, tenant de l’autre le fleuret ou le marteau, et travaillaient avec une activité fébrile incessamment couverts par la lame qui déferlait pardessus leur tête. L’un d’eux était-il emporté, la violence du courant l’entraînait loin de l’écueil contre lequel il se serait brisé ; sa ceinture le soutenait et une embarcation allait le prendre pour le ramener au travail. A la fin de la campagne, on avait pu accoster sept fois, on avait en tout huit heures de travail, et quinze trous étaient percés sur les points les plus élevés. L’année suivante, on se trouvait en présence de
- 1 Au total, l’administration a payé 29,000 francs pour 55 trous. Elle a fourni en outre les outils et les ceintures de sauvetage.
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- plus grandes difficultés puisqu’il fallait se porter sur des points plus bas qui découvraient à peine, mais on avait acquis de l’expérience ; on eut seize accostages, dix-huit heures de travail et l’on parvint à creuser quarante nouveaux trous ; on put même exécuter les dérasements partiels nécessaires à l’établissement de la première assise des maçonneries. »
- La construction proprement dite fut entreprise en 1869. Des barres de fer furent implantées dans les trous et l’on maçonna en petits moellons bruts et ciment à prise rapide ; son emploi était indispensable, car on travaillait au milieu des lames qui se brisent sur la roche et parfois arrachaient des mains de l’ouvrier la pierre qu’il se disposait à placer. Un marin expérimenté, adossé contre une pointe du rocher, était au guet et l’on se hâtait de maçonner quand il annonçait une accalmie, de se cramponner quand il annonçait l’arrivée d’une grosse lame. Plus de la moitié de la base du phare a été fondée à 1m,50 seulement au-dessus des plus basses mers ; c’est ce qui a rendu les difficultés tout à fait exceptionnelles.
- Les ouvriers, le conducteur, l’ingénieur, M. Cahen, qui encourageait toujours les travailleurs par sa présence, étaient tous munis de ceintures de sauvetage. Toutes les fois que l’état exceptionnel de la mer présentait quelques chances de débarquement, une petite chaloupe à vapeur, portant le personnel et les matériaux, partait de l’ile de Sein, de manière à arriver en vue de l’écueil quatre heures après la pleine mer, mais on ne trouvait pas toujours le calme sur lequel on comptait et la journée était perdue. Quand on pouvait débarquer, on transbordait les matériaux de construction dans les canots d’accostage, et c’est à la main qu’on les déposait sur la roche. Il s’ensuivait que moellons en granit de Kersanton et sacs de ciment devaient être assez petits pour être portés par une personne.
- Exécutées dans de semblables conditions, on ne peut s’étonner que les maçonneries du soubassement reviennent à près de mille francs le mètre cube.
- En 1869, il en fut exécuté 25 mètres cubes, il mètres et demi en 1870, 25 mètres et demi en 1871 54 mètres et demi en 1872, 22 mètres en 1873 ; au total 156 mètres cubes et demi.
- Elles dominent de 15 mètres environ le niveau des plus basses mers et atteignent celui des hautes mers ordinaires, à lm,50 au-dessous des plus hautes mers. Entre ces deux niveaux le massif plein formant le soubassement forme un cylindre de 7m,20 de diamètre.
- Le plus difficile est fait : on est parvenu à combler la fissure qui divisait la roche et dans laquelle les vagues rejaillissaient. On a établi sur le piton sud-ouest de l’écueil d'Ar-Men une plate-forme en maçonnerie, qui permet d’y faire accoster la chaloupe ou d’assez forts bateaux et d’y débarquer les matériaux directement à l’aide d’un petit appareil de levage dont ils sont porteurs. On peut employer aujourd’hui le ciment de Portland, à prise lente, qui résiste mieux à l’eau de mer que le ciment à prise rapide de
- Parker-Médina, et toutes les maçonneries exécutées avec cette dernière matière seront recouvertes de ciment de Portland pour en assurer la conservation.
- Sur le soubassement, qui sera exhaussé à 2 mètres au-dessus de la pleine mer d’équinoxe, on construira un phare de premier ordre dont le projet, ainsi que celui de toute cette construction, est dû à M. Léonce Reynaud, directeur du service des phares. Le phare d’Ar-Men sera scintillant et de premier ordre, il sera éclairé par une lampe du nouveau modèle alimentée à l’huile minérale d’Ecosse, provenant de la distillation du boghead. La nouvelle lampe porte cinq mèches concentriques ; la flamme a 0m,l 1 de diamètre et l’éclat du feu fixe (égal dans toutes les directions) équivaut à celui de 820 lampes carcel ordinaires. En outre, à égalité de lumière, le nouvel éclairage coûte près de quatre fois moins cher que celui à l’huile de colza.
- La tour du phare aura 50 mètres de hauteur sur 6ra,50 de diamètre à la base et 4m,90 au sommet; elle comprendra sept étages, dont l’un sera occupé par un appareil sonore destiné à signaler la position en temps de brume.
- Les ouvriers ne pouvant encore travailler que très-exceptionnellement à Ar-Men, on les emploie pendant le reste du temps à élever des digues de défense dans l’ile de Sein qu’ils habitent et à construire un phare en maçonnerie sur l’îlot Tévennec. De même que la rade de Brest communique au nord avec la Manche par le chenal du Four, à l’ouest avec l’Océan par l'Iroise, elle se joint au sud avec le golfe de Gascogne par le Raz de Sein. C’est pour éclairer ce dernier détroit qu’un phare a été construit sur le Tévennec et qu’un autre feu, logé dans une tour en tôle, sera ensuite élevé sur l’écueil la Vieille. Le phare du Tévennec est terminé, il pourra recevoir son appareil optique et être allumé avant la fin de cette année (1875).
- Il est impossible d’assigner une limite à ces travaux plus téméraires que tous ceux qui jusque-là avaient été tentés pour l’érection des phares. On devrait s’estimer heureux de les terminer en 1876.
- Alors la redoutable côte armoricaine sera vaincue, humanisée ; elle sera devenue hospitalière comme le sont ses enfants bretons, parmi lesquels les ingénieurs ont recruté les obscurs et héroïques soldats du travail, pêcheurs et ouvriers, qui, par un labeur inouï, vont faire d’un écueil inabordable le piédestal d'un phare protecteur. Charles Boissay.
- LA PLANÈTE JUPITER
- (Suite. — Voy. p. 357.)
- L'Annuaire du bureau des longitudes, dans le tableau des éléments physiques du système solaire, donne la durée de rotation des planètes principales. On y trouve pour Jupiter le nombre : 9 heures 55
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- minutes. C’est, en effet, la moyenne, à peu de chose près, de toutes les déterminations anciennes et modernes de cet élément.
- Il est, à coup sûr, intéressant de connaître, avec quelque précision, le résultat des recherches auxquelles se sont livrés les astronomes pour calculer les durées des rotations planétaires. Mais les recherches elles-mêmes, dans leurs détails, offrent encore un plus grand intérêt, pensons-nous, que le résultat final. La raison en est aisée à comprendre, et elle est particulièrement frappante pour la planète que nous étudions.
- Comment, en effet, peut-on reconnaître et calculer le mouvement de rotation d’un corps céleste ? Il faut pour cela, que des particularités physiques se montrent sur le disque, que ces particularités, taches obscures ou brillantes, aient une certaine permanence, afin que, de l’étude de leurs mouvements apparents à la surface, on puisse conclure avec certitude le mouvement qui les entraîne, en le dégageant des modifications de position ou de forme qui leur sont propres. C’est ainsi que l’observation des taches solaires a permis d’abord de constater le mouvement du globe incandescent sur son axe, puis la durée approximative de la rotation. Des observations plus précises et plus multipliées ont prouvé que les taches ne sont pas absolument fixes, qu’elles varient de forme, d’étendue, de position ; que suivant leurs distances à l’équateur solaire, elles donnent des nombres différents pour la durée de la rotation, etc. toutes circonstances qui se sont trouvées du plus haut intérêt pour la constitution physique du soleil.
- Des questions toutes semblables vont se présenter pour Jupiter. Son disque, vu au télescope, est parsemé, le dessin de M. Tacchini en fait foi, d’un grand nombre d’accidents, bandes plus ou moins régulières, taches obscures ou brillantes, propres à l'étude du mouvement en question. Les bandes, à elles seules, grâce à leurs irrégularités, auraient permis d’en calculer la durée, qui est assez rapide pour que, dans l’intervalle de deux ou trois heures, le déplacement d’un de leurs points soit sensible, et sans que leurs déformations en masquent la loi. Nous avons sous les yeux deux dessins de Jupiter faits par un habile observateur que la science a eu tout récemment la douleur de perdre, M. J. Chacornac. Le premier représente la planète vue le 13 octobre 1856, à 8 h. 50 m. du soir ; le second donne son aspect le même jour, à 9 h. 30 m., c’est-à-dire précisément une heurt plus tard. L’une des bandes est partagée en divers fragments de forme très-caractéristique, très-reconnaissables entre eux; la mesure micrométrique de la position de plusieurs points, position qui a varié très-sensiblement dans le court intervalle des deux observations, suffisait évidemment pour obtenir une détermination approchée de la rotation de Jupiter.
- Mais ce ne sont pas les bandes, ce sont des taches particulières, dont quelques-unes ont offert un degré de permanence remarquable, qui ont servi à dé
- terminer la rotation de Jupiter. Cette découverte date de l’année 1665 et elle est due à Dominique Cassini. Il est intéressant d’en connaître les détails; voici comment ils sont donnés par Cassini II dans les Éléments d'astronomie.
- « Au mois de juillet de l’année 1665, mon père découvrit divers changements, tant dans les trois bandes obscures de Jupiter que l’on y aperçoit ordinairement que dans le reste de son disque, et il y vit naître des brillants, comme on en a vu autrefois dans le Soleil. Il découvrit aussi, dans la partie septentrionale delà bande la plus méridionale de Jupiter, une tache qui paroissoit se mouvoir sur son disque apparent de l’orient vers l'occident, et qui, après avoir cessé de paraître, revenoit sur le disque apparent et au même point où on l’avoit vue dans la révolution précédente, après un intervalle de 9 h. 56', ce qu’il reconnut par un grand nombre de révolutions observées pendant les six derniers mois de l’année 1665, et les six premiers mois de l’année 1666. Cette tache paroissoit plus large vers le centre que vers la circonférence, où elle se rétré-cissoit, de sorte qu’elle seperdoit de vue avant que d’arriver au bord de Jupiter ; son mouvement paroissoit plus vif près du centre que vers les bords, ce qui fait connoître qu’elle étoit adhérente à la surface de Jupiter, et qu’elle tournoit sur son axe par un mouvement qui, considéré du centre de Jupiter, se faisoit de l’occident vers l’orient. Cette tache, après avoir été visible l’espace d’environ deux années, cessa de paraître jusqu’au commencement de l’année 1672, qu’on l’aperçut de nouveau dans la même forme et dans la même situation à l’égard du centre de Jupiter, où on l’avoit vue en 1665 1666 et 1667. Comparant les intervalles de six années, on trouva sa révolution de 9 h. 55' 51", et continuant ces observations, jusqu’à la fin de l’année 1674, on trouva que ses révolutions étoient de 9 h. 55' 53" 1/2, plus lentes de deux secondes 1/2 que par la première comparaison.»
- On voit, par ce court exposé de la découverte, que toutes les circonstances du mouvement de rotation et des apparences qui les manifestaient avaient été parfaitement notées par le célèbre astronome : sens et durée du mouvement, variation de la vitesse apparente, disparition de la tache vers les bords, fait sur lequel nous reviendrons plus loin, parce qu’il est important pour la constitution de l’atmosphère de Jupiter.
- Mais ce qu’il faut noter, dans les observations de Cassini, comme une circonstance vraiment remarquable, c’est la longue permanence de la tache qui a fourni les résultats précédents ; nous voyons déjà que, sur un total d’environ huit années, la tache a été visible pendant cinq ans. Après une nouvelle disparition de deux ans et demi, elle reparut encore pendant environ six mois, à partir de juillet 1667, puis fut de nouveau pendant huit ans invisible, pour être observée de mars 1685 à octobre 1687, c’est-à-dire deux ans et demi environ. Ces observations
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- nouvelles donnèrent à Cassini la moyenne de 9 h. 55' 52" pour la durée de la rotation de Jupiter. La même tache revint encore en 1692, en 1694, puis en avril 1708 : rotation 9 h. 55' 48", plus courte de 4 secondes que la moyenne précédente. Enfin, la même tache noire fut aperçue par Maraldi en 1715.
- Les divers nombres qui résultent, pour la durée de la rotation de Jupiter, des observations prolongées de Cassini, s’accordent assez entre eux, pour qu’on puisse considérer leurs différences comme dues aux erreurs d’observation.
- Mais cet accord remarquable n’existe plus, si, au lieu de considérer la tache si longtemps observée parle célèbre astronome, on déduit la durée du mouvement de rotation d’une autre tache qu’il vit, à partir du 15 décembre 1690, et dont il suivit les mouvements apparents, jusqu’au mois de février de l’année 1691. Cette tache fit sa révolution en 9 h.51 minutes. Or « cette nouvelle tache, plus obscure que l’ancienne, étoit adhérente, non pas à la bande la plus méridionale de Jupiter, mais à la bande moins méridionale du côté du centre, dont elle étoit fort proche. » Il faut ajouter que, pendant son apparition, d’ailleurs relative-.ment courte si on la compare à celle de l’ancienne tache, elle fut loin de conserver la même figure; non-seulement elle changea de forme, mais elle se divisa en trois fragments peu éloignés les uns des autres, pour se réunir de nouveau en forme de tache allongée.
- De deux autres taches, observées également en décembre 1690 et janvier 1691, Cassini déduisit une rotation de 9 h. 53 m.; une cinquième, vue en janvier de cette dernière année, lui donna 9 h. 51 m. Enfin, « il en parut au commencement de l’année 1692, qui étoient près de l’équinoctial de Jupiter, dont la période n’étoit que de 9 h. 50 m., et généralement toutes les taches qui passèrent près du centre de Jupiter parurent avoir un mouvement plus vite que celles qui en étoient plus éloignées. »
- Voilà un fait d’une grande importance, dont les astronomes n’ont pas manqué de chercher aussitôt l’interprétation physique. Cassini lui-même se hâte d’ajoute à la constatation du fait une hypothèse qu’il formule en ces termes : « Ces taches, qui avoient un mouvement plus prompt que les autres, étoient aussi plus près de son équinoctial, qui est parallèle aux bandes ; ainsi, suivant l’analogie des bandes de Jupiter avec nos mers, on pourroit comparer le mouvement de ces taches à celui des courants, qui sont plus grands près de l’équateur de la terre que dans tout autre endroit. »
- Avant de rapporter les explications de ces inégalités imaginées depuis par d’autres astronomes, citons les observations qui les ont confirmées. Herschel, dans son mémoire de 1781 sur Jupiter, a trouvé, pour la rotation de Jupiter, déduite d'une même tache obscure vueenl778, 9h. 55' 40" et 9h. 54 55",c’est-à-dire enmoyenne 9 h. 55' 16". C’est, à 32 secondes près, le nombre de Cassini. Mais en 1779, une tache claire équatoriale a fourni au même astronome une rotation
- de 9 h. 51' 45" et de 9 h. 50' 48". Beer et Nædler, ont fait, du 4 novembre 1854 au 19 avril 1835, une série d’observations de deux taches qui ont donné une moyenne de 9 h. 55' 26" etM. Airy, à la même époque, a trouvé un nombre qui n’est inférieur que de 2 secondes à celui des astronomes allemands. Mais les taches observées avaient une latitude boréale de 5 degrés.
- Il paraît donc certain que la durée de la rotation de Jupiter, telle qu’on la trouve dans les Éléments astronomiques de l’Annuaire du Bureau des longitudes ne peut et ne doit s’appliquer qu’aux taches extra-équatoriales de la planète, que cette durée est moindre pour les taches voisines de l’équateur et qu’ainsi entre Jupiter et le Soleil, il y a une analogie évidente en ce qui concerne leurs mouvements de rotation.
- Mais tandis que la loi des variations de durée que présentent les rotations des taches solaires est connue et a pu être formulée par MM. Carrington, Spœ-rer, Faye, il n’en est pas de même pour les taches visibles sur Jupiter. Il y a là une lacune qu’il serait important de combler, qui tient sans doute à la rareté des accidents ayant, sur le disque de la planète, une suffisante permanence, et aussi à la difficulté des mesures micrométriques. Mais tant que cette étude ne sera point faite avec quelque rigueur, il est aisé de comprendre que toute interprétation physique de phénomènes mal définis sera au moins prématurée. L’examen des conjectures émises au sujet de la constitution physique de Jupiter va montrer que cette réserve n’a rien que de légitime.
- Amédée GUILLEMIN.
- — La suite prochainement. —
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- LES PÊCHES DU CHALLENGER
- (Suite et fin. — Voy. p. 293.)
- FLABELLUN ET CERATOTROCHUS.
- Les deux coraux sur l’organisation desquels nous avons à appeler l’attention de nos lecteurs appartiennent tous deux à la classe très-nombreuse des polypes à tige. Ils ont l’un et l’autre dans leur intérieur un prolongement de ce pivot central, qu’on ne pourrait voir sans en pratiquer une coupe. Mais la tige intérieure n’est pas le point de départ de cloisons véritables. Les seules séparations qui existent dans la cavité centrale, sont dues à des expansions latérales qui se révèlent au dehors par des cicatrices ou côtes dont le nombre est variable et leur donnant un aspect particulier.
- Ces caractères essentiels sont ceux de la grande famille des Turbinoliens, auxquels nos coraux appartiennent. Quoique offrant des différences essentielles, que nous allons faire connaître, ils font partie de deux genres très-voisins l’un de l’antre.
- On pourrait appeler le Ceratotrochus rotifère ou ombellifère, parce que ses tentacules sont disposées
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- en cercle autour de l’orifice servant à la fois de bouche et d’anus, suivant les cas.
- Le Flabellum ou éventail est comprimé dans le sens latéral. A cette différence d’aspect extérieur il faut en joindre une plus essentielle qui sert à caractériser l’espèce. Le Flabellum est recouvert d’une sorte d’épiderme, tandis que l’épiderme du Ceralo-^rochus se borne à envelopper d’un bourrelet l’extrémité du calice. Aussi le Ceratotrochus ressemble à une coquille d’un beau blanc, tandis que le Flabellum offre des teintes très-variables. L’épithélium du Flabellum est brillant et, sur le bord du calice, teinté en rose léger.
- Il est hors de doute, d’après ce qui précède, que la génération ne doit point se produire par scissiparité, mais que le Flabellum, aussi bien que le Ceratotrochus, donne naissance à des animaux qui jouissent d’une grande moti
- Ceratotrochus trouvé au fond de l’Océan à une profondeur de 1,800 mètres.
- lité, et qui font l’essai de la vie nomade avant de se fixer d’une façon définitive.
- Ces êtres sont l’un et.l’autre aussi parfaits que peuvent l’être des animaux qui n’ont qu’une bouche pour organe, et qui n’appartiennent pas, par conséquent, à la classe des corallaires perforés comme les rayon-nés supérieurs.
- La disposition des tentacules du Flabellum est très-belle et peut se résumer à peu près comme nous allons le faire.
- L’orifice commun ( bouche - anus ) est environné de petits bras mobiles régulièrement rangés en cinq cercles, et correspondants chacun à une division longitudinale de la’ cavité viscérale.
- Flabellum trouvé au fond de l'Océan, à une profondeur de 1,800 mètres.
- La cavité viscérale possède dans son intérieur des cloisons très-minces qui sont disposées suivant le système du développement binaire : 5 du premier cycle, 6 du second, 12 du troisième, 24 du quatrième, et 48 du cinquième.
- De chaque espace limité par deux cloisons, jaillit un tentacule ; finalement il se trouve autour de la bouche-anus 96 tentacules. Ces 96 tentacules sont disposés sur quatre rangées de manière que tous les tentacules émanant d’un même cycle sont répartis sur le même cercle.
- Les tentacules les plus voisins de la bouche sont
- ceux qui émanent du troisième cycle. Ceux du cinquième et du sixième, de beaucoup les plus nombreux et qu’on rencontre les premiers, sont les plus courts. En outre, chacun d’eux est accompagné de petits tentacules supplémentaires qui n’émanent point des cloisons intérieures.
- Il n’y a rien d’arbitraire dans ce bel ordre digne des plus brillantes fleurs qui décorent nos parterres. Un esprit philosophique trouverait incontestablement la raison de chacune de ces dispositions curieuses, dont nous devons abstraire certaines irrégularités de détail pour mieux faire comprendre le magnifique plan d’ensemble.
- Le Flabellum est si vivace que deux spécimens ont épanoui leurs tentacules à bord du Challenger aussitôt qu’on les a mis en contact avec de l’eau de mer. Ces jolis tentacules sont coniques, ils sont nuancés d’une légère
- teinte rougeâtre, et délicatement veinés près de leur base par des bandes de gris et de jaune tirant un peu sur le rouge. Les Flabellums paraissent être beaucoup plus communs que les Ceratotrochus dans les parages sous-marins voisins des Açores, car on en a retiré plusieurs spécimens au commencement de juillet, par une profondeur de 1,000 brasses. Celui dont nous devons la reproduction à Nature possède une hauteur de 0m,050. Le grand diamètre du calice est de 0ra,065, et le plus petit de 0m,050. Nous ferons remarquer que les côtes latérales font un angle de 120° à 149° et que, sans être à proprement parler épineuses, elles sont très-fortement den
- telées, ainsi que les autres côtes. Le bord du calice lui-même affecte assez bien la forme d’un cercle entamé d’une façon semi-régulière.
- Le genre Ceratotrochus et le groupe Flabellum ont été tous deux créés par M. Milne Edwards père, lorsqu’il a établi les lois de la classification des corallaires.
- Nous ne pouvons malheureusement ici nous attacher à montrer les différences spécifiques qui sont très-curieuses, mais, somme toute, moins profondes qu’il ne le semblerait probable, si l’on tenait compte de l’immense différence de milieux. Il est facile
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- d’en conclure qu’en établissant ses divisions, le célèbre naturaliste français a bien réellement mis la main sur un groupement qui existe dans les procédés créateurs de la nature.
- Le Ceratotrochus dont la muraille (nous sommes tentés de le dire, la coquille) est blanche, est coloré en garance foncée. Cette matière colorante tirée du fond de l’abîme a été analysée au spectroscope. On lui a trouvé une propriété optique caractéristique. Son spectre d’absorption se compose de trois bandes distinctes. Qui s’attendait à ce qu’il fût aussi curieux à étudier que celui des nébuleuses !
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- W. J. MACQUORN RANKINE
- S’il est de toute justice que nous rendions un hommage mérité aux savants que la mort enlève à la France, bien fréquemment hélas! depuis quelque temps, il importe de signaler au moins d’une manière sommaire les travaux des hommes illustres qui succombent à l’étranger. Trop souvent, nous devons le reconnaître, nous avons ignoré jusqu’au nom de théoriciens et de praticiens qui jouissaient dans les pays voisins d’une réputation méritée. Il faut s’efforcer au moins que leur mort ne nous laisse pas indifférents ; il faut que nous sachions aussi pourquoi nous avons à les regretter.
- W. J. Macquorn Rankine, que la mort a enlevé à l’Angleterre, était un de ces savants dont le nom était peu connu en France. Ses travaux sur la thermo-dynamique ont contribué grandement à l’établissement de cette partie de la science et suffiraient cependant pour que son nom doive échapper à l’oubli ; il avait d’ailleurs une réputation méritée comme ingénieur, et savait mener de front les recherches de théorie pure et les applications les plus variées de la pratique. Ne fût-ce qu’à cet égard, il serait intéressant de rappeler en quelques mots les travaux de Rankine et de montrer, par son exemple, qu’il n’est nullement impossible d'ètre à la fois théoricien et praticien.
- W. J. Macquorn Rankine1 naquit à Edimbourg, le 5 juillet 1820. Ses études, dirigées spécialement par son père, furent très-complètes. L’Académie d’Ayr, l’École supérieure (High School) de Glascow, l’Université d’Edimbourg, le comptèrent successivement parmi leurs élèves et il y prit tout d’abord un goût très-vil pour les sciences naturelles.
- Avant même d’avoir terminé ses études (1838). M. Rankine avait manifesté la tendance philosophique de son esprit, par un essai sur les Méthodes de recherches en physique; quelques années plus tard (1842), cette même tendance se retrouvait dans ses travaux sur les Conséquences de l’hypothèse des tourbillons moléculaires, de laquelle il déduisait par
- * Nous empruntons à ['Engineering une partie des renseignements qui suivent.
- le calcul une théorie de l’élasticié, entre autres. La même année, il publiait un travail d’une autre nature : Recherches sur l'emploi des roues cylindriques, etc., dans lesquelles il montrait d’ingénieuses applications de la théorie à la pratique. Ces travaux intéressants à divers égards étaient, en outre, remarquables par la netteté des descriptions et la clarté du style, qualités rares chez un jeune homme (il avait 22 ans) et que l’on trouve à un haut degré dans tous ses ouvrages.
- En 1849, les travaux de M. Régnault et du docteur Ure, en fournissant à Macquorn Rankine des données expérimentales qui lui manquaient, lui permirent de reprendre ses travaux sur la chaleur, qu’il avait abandonnés ; il réunit les recherches qu’il avait faites dans un mémoire présenté, en 1850, à la Société royale d'Édimbourg : Action mécanique de la chaleur principalement sur les gaz et les vapeurs. Bien que les idées qu’il émettait dans ce travail ne fussent pas absolument nouvelles, la manière remarquable dont il les traite le fit distinguer spécialement. Ce travail un peu modifié sur les indications et les critiques du professeur Thomson, de Glascow, fut publié en 1851 dans le Philosophical Magazine, sous le titre suivant : Théorie centrifuge de l’élasticité appliqué aux ga'z et aux vapeurs.
- La thermo-dynamique, dont les premiers principes furent établis par Mayer, Joule et Colding, est redevable de nombreux progrès à Clausius, à W. Thomson, à W. Rankine. Le mémoire de ce dernier Sur une loi générale de la transformation de l'énergie, est des plus importants, et nous regrettons de ne pouvoir nous y arrêter, non plus que sur un mémoire (Outlines of the science of energetics}, dans lequel il crée une science nouvelle F énergétique, basée sur les considérations de l’énergie et de laquelle la mécanique rationnelle ne serait qu’un cas particulier.
- Nous sommes obligés de passer sous silence de nombreux travaux de mathématiques pures et de mécanique ; nous voulons cependant citer encore le discours qu’il prononça à l’ouverture des cours de l’Université de Glascow (1856): Harmonie de la théorie et de la pratique dans la mécanique, et un rapport qu’il présenta, en 1858, à la Philosophical Society de Glascow Sur les progrès de la mécanique appliquée.
- On peut se rendre compte par l’énumération que nous venons de faire, bien qu’elle soit incomplète, quel intérêt s’attache aux travaux théoriques de Macquorn Rankine et de quelle importance sont les titres scientifiques que nous venons de résumer.
- D’un autre côté, les travaux pratiques de Macquorn Rankine méritent également d’être signalés, bien que peut-être d’une valeur moindre que ses recherches de théorie pure.
- M. Rankine prit part, en 1859, à la construction des chemins de fer de Dublin à Drogheda (Irlande), sous la direction de sir John Macmill ; de 4 8 41 à 1851, il s’occupa des chemins de fer d’Écosse ; il fit, vers la même époque, un projet de distribution
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- d’eau pour Edimbourg, qui ne fut pas exécuté ; il en fut de même d’un projet d’alimentation et de distribution d’eau pour la ville de Glascow (1852), qu’il fit en collaboration avec John Thomson et dans lequel il utilisait les eaux du lacKatrine.
- Après une série de lectures faites par Rankine sur la théorie mécanique de la chaleur à la demande du professeur Louis Gordon, et à la retraite de celui-ci (1855), Rankine fut nommé professeur de génie civil et de mécanique à l’Université de Glascow et sa réputation comme professeur égala bientôt celle qu’il s’était acquise comme savant. Il prit, vers la même époque, une part active aux discussions relatives à l’art de l’ingénieur qui furent soulevées, dans les congrès tenus à Glascow, par l’Association britannique, pour l’avancement des sciences, puis par the Institution of the mechanical engineers. Il fut, en 1858, nommé président de la première session de YInstitution des ingénieurs d’Écosse : for the encouragement and advancement of engineering science and practice. Et cet honneur lui était bien dû tant à cause de sa valeur comme ingénieur, que du zèle qu’il avait montré lors de la fondation de cette institution.
- Les rapports qu’avait Rankine avec les ingénieurs qui s’occupaient des travaux de construction de navire, et ces travaux sont très-importants à Glascow, le conduisirent naturellement à s’occuper d’architecture navale, et bientôt il devint, dans ces questions, une autorité dont la réputation s’étendit dans tout le royaume. Ses recherches sur ce sujet, recherches dans lesquelles il sut allier avec succès le calcul à l’expérience, ouvrirent des voies nouvelles à certains égards.
- Outre de nombreuses notices biographiques sur des ingénieurs et des savants et des articles remarquables pour le journal the Engineer, Rankine a écrit des traités pratiques qui jouissent encore en Angleterre et en Amérique d’une grande réputation : nous citerons entre autres les traités de mécanique appliquée (1848), de machines à vapeur (1852), de génie civil (1862), etc., et un Traité théorique et pratique de la construction des navires, en collaboration avec Watt, Napier et Rames.
- Lorsque nous aurons ajouté que Macquorn Rankine avait de nombreuses occupations comme ingénieur consultant, on sera étonné qu’il pût encore trouver le temps de s’occuper de recherches abstraites.
- Une carrière aussi bien remplie, aussi féconde que celle que nous venons de retracer devait attirer à Rankine des honneurs de tous genres : ils ne lui manquèrent pas. Dès l’année 1842, il fut nommé membre de la Société royale des arts d’Ecosse, et l’année suivante il était élu membre associé de Y Institution des ingénieurs civils. Ses travaux sur les gaz et les vapeurs lui valurent le titre de membre de la Société royale d'Edimbourg (1850), et cette même année il était désigné comme secrétaire local de la section des sciences mathématiques et physiques au congrès tenu
- à Edimbourg, par l’Association britannique pour l’avancement des sciences.
- A la suite des travaux de Rankine sur l’énergétique, il fut nommé membre de la Société royale de Londres et reçut le prix Keith, qui lui fut décerné par la Société royale d'Édimbourg. Enfin, en 1861, Rankine devint président de la Philosophical Society, de Glascow, et présenta à cette société, jusqu’à la fin de sa vie, des travaux remarquables ; le dernier parut la semaine qui précéda sa mort. W. J. Macquom Rankine fut atteint, en 1872, d’une maladie qui l’avait éloigné de ses occupations, tout en lui laissant l’intégrité de ses facultés intellectuelles. On pouvait espérer qu’il reprendrait bientôt ses recherches et qu’il pourrait mener à bonne fin plusieurs travaux qu’il avait entrepris, lorsqu’il fut enlevé brusquement par une attaque de paralysie ; il était âgé de 55 ans seulement.
- Telle fut, esquissée rapidement, la vie du savant ingénieur et de l’éminent professeur auquel la thermodynamique est redevable de quelques-uns de ses progrès. Nous regrettons de n’avoir pu insister davantage sur l’importance d’un certain nombre de ces travaux et nous souhaitons que les indications que nous avons pu rassembler puissent être utiles à quelques-uns de nos lecteurs et leur donnent le désir de recourir aux ouvrages originaux.
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- PISCICULTURE ET LA PÊC_ -_
- Par M. P. DABRY de Thiersant*.
- Après de longues années passées en Chine, après des voyages nombreux exécutés dans des diverses régions du Céleste-Empire, M. P. Dabry de Thiersant, consul de France et savant distingué, a spécialement étudié la pisciculture chinoise, dont les méthodes, offrent un degré de perfectionnement que nous sommes loin de soupçonner. Non-seulement cet observateur infatigable, dont il a déjà été parlé précédemment (p. 578), a décrit les engins dont les Chinois se servent pour leurs pêches, les procédés qu’ils mettent en usage, mais il a étudié les innombrables espèces de poissons qui vivent dans les eaux de l’extrême Orient, et il a rapporté en France 850 espèces, dont une grande quantité étaient inconnues jusqu’ici aux naturalistes européens. L’ouvrage qu’il a récemment publié, avec le concours du gouvernement français, est une œuvre capitale que nous ne saurions passer sous silence, en raison des révélations dont il abonde. « C’est aux Chinois, dit M. de Thiersant, que revient l’honneur d’avoir créé l’aquiculture, c’est-à-dire l’art de faire produire à l’eau tout ce qu’elle peut fournir à l’homme d’utile et
- 1 1 vol. in-folio, avec 50 planches en taille-douce. G. Mas-son, 1870.
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- de profitable à l’agriculture. Ce sont eux également qui ont inventé la pisciculture ou l’élevage artificiel des poissons domestiques. Au milieu des espèces si variées qui peuplent leurs eaux fluviales, ils ont su en distinguer un certain nombre auxquelles, en raison de leurs caractères physiologiques, de leur conformation et de leurs instincts, ils ont cru devoir donner le nom de poissons de la famille (Kia-yu). Ces espèces, que l’on retrouve dans les viviers de toutes les fermes, appartiennent au genre cyprin... Leur origine est encore inconnue. Les ouvrages d'ichthyologie chinoise disent qu’elles ont existé dans les grands fleuves de l’empire, où, suivant l’expression des pêcheurs, « elles sont aussi nombreuses que les étoiles au firmament. » M. de Thier-sant indique les procédés, aussi simples que pratiques, que les Chinois mettent en usage pour élever les poissons domestiques, et il décrit les admirables dispositions que les législateurs ont prises pour protéger les habitants des eaux contre leurs ennemis, et pour assurer leur développement et leur propagation. « Hâtons-nous, dit-il, de suivre l’exemple du peuple le plus industrieux de l’univers ; et tâchons d’appliquer avec discernement à nos contrées le résultat de son expérience séculaire. »
- Fig. 1. — Pèche aux cormorans, d’après un dessin chinois.
- La multiplicité des filets, des appâts, des engins de pêches employés par les Chinois, est vraiment effroyable ; lignes de fond, crocs en fer, éperviers de toute grandeur, de toute forme, sont maniés là-bas avec une habileté, une précision inconnues à nos pêcheurs européens. — Au milieu des nombreuses descriptions de M. de Thiersant, nous choisissons quelques faits curieux, pris à peu près au hasard, car ils ne représentent qu’une bien faible partie des surprises que nous offre son bel ouvrage.
- La pêche aux cormorans, très-usitée en Chine, dans les lacs et les étangs où il n’y a pas de courants est d’autant plus attrayante pour nous, qu’elle pourrait très-bien s’exécuter dans nos climats; elle a été pendant quelque temps l’objet d’une pratique assez assidue en Angleterre. Voici les curieux détails que M. de Thiersant nous donne à ce sujet :
- Le cormoran est très-estime des Chinois pour la pêche. Ils lui donnent le nom de lou-sse; on le
- trouve dans plusieurs provinces, mais on recherche particulièrement ceux du Hou-nan et du Ilo-nan. Bien dressés à la pêche, le prix des cormorans est assez élevé et va jusqu’à 00 talels (160 fr.) la paire. Ce prix s’explique par les longs soins et la patience qu’exige leur éducation. Les cormorans peuvent pondre à deux ans, et au moment de cet acte, qui a généralement lieu à la troisième lune, on prépare dans un endroit retiré et obscur, un nid de paille sur lequel la femelle vient pondre ses œufs, qu’elle couve presque toujours elle-même. L’incubation dure trente jours. Pendant les sept premiers jours, on donne aux oiseaux de la viande hachée très-menue qu’on leur distribue trois fois par jour et qu’ils préfèrent à toute autre nourriture. Néanmoins , après ce temps, on ajoute à la viande de bœuf, des petits poissons. Le dixième jour, l’éleveur transporte les petits cormorans sur son bateau , où ils prennent aussitôt place sur le perchoir commun, dont les bois sont garnis de chanvre ; dès qu’ils sont assez forts, on les met à l’eau et on les laisse quel ques minutes au milieu de leurs aînés. Au bout de quelques semaines, ils sont déjà merveilleusement dressés à happer et recevoir au passage les petits poissons qui leur sont jetés du bateau.
- Ce n’est qu’à sept ou huit mois qu’ils sont bien dressés pour la pêche.
- On leur met alors autour du cou un collier de teng-tsee (rotin) pour les empêcher d’avaler le poisson ; on leur attache à la patte une cordelette longue de deux pieds environ, et terminée par une flotte en bambou ou en bois. A un signal donné parle pêcheur qui est posté sur son bateau, la main armée d’une gaule fourchue de cinq à dix pieds de longueur, tous les cormorans plongent dans l’eau, cherchent leur proie, et quand ils l’ont saisie, reparaissent à la surface tenant le poisson dans leur bec (fig. 1). Le pêcheur accroche alors la flotte avec sa longue perche, sur laquelle monte aussitôt le cormoran, et, avec sa main retire le poisson, qui est jeté dans un filet. Lorsque le poisson est très-gros, et pèse, par exemple de sept à huit livres, les cormorans se prêtent une mutuelle assistance, l’un prenant le poisson par les nageoires, un autre par la queue, etc. Les plus petits poissons qu’ils
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- rapportent pèsent un quart de livre. Chaque capture I moyen de bambous, très-faiblement maintenus contre est récompensée par un petit morceau de poisson, | les bords de l’ouverture et qui tombent dès que les
- que l’oiseau peut avaler malgré son collier.
- Il arrive souvent que les cormorans fatigués de ne rien prendre, ou bien par paresse, essayent de se reposer : alors le maître impitoyable, frappe à côté d’eux, l’eau avec sa gaule, et les pauvres oiseaux, effrayés , s’empressent de continuer leur travail, qui n’est suspendu que de midi à deux heures. La nuit, on les laisse dormir tranquillement.
- Cette pêche, qui n’est interrompue que par les grands froids, est assez productive ; vingt à trente lousse peuvent prendre plus de six francs de poissons par jour. En général, les pêcheurs aux cormorans sont associés, et les oiseaux, appartenant à chaque société , portent une marque particulière ; on a le plus grand soin d’eux, et lorsqu’ils sont malades, ou leur fait prendre de l’huile de sésame. Les cormorans peuvent rendre des services
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- Fig. 2. — Plongeur chiinois prenant à la main des oiseaux d’eau.
- jusqu’à l’âge de dix ans.
- Les Chinois font une chasse active aux oiseaux d’eau, et les procédés qu’ils emploient sont si bizarres, que s’ils n’avaient été sérieusement étudiés et vus de près, on croirait qu’ils sont l’œuvre de l’imagination d’un conteur. Tantôt ils tendent à la surface de l’eau, de grands filets verticaux, à .mailles larges, nommés me - tso-ouang. Lorsque les vols d’oiseaux viennent pour se poser sur la surface de l’eau, ils s’emmaillent dans les fi-
- Fig. 5. — Pêcheur chinois recueillant des coquillages au fond d’un lac.
- oiseaux se perchent dessus.
- Ailleurs, des hommes entièrement nus, entrent dans l’eau, ne laissant au-dehors que leur tête, couverte d’une sorte de casque, percé de trous qui leur permet de respirer et de voir (fig. 2) ; sur les épaules repose une sorte de rebord sur lequel sont placées des mangeoires, remplies d’appât et qui attirent les oiseaux. Dès que ceux-ci se sont posés sur l’appareil, tcho-ye-yâ, l’homme les saisit et les place dans un filet qu’il porte suspendu au-devant de lui.
- Notre fig. 3, représente un pêcheur se servant du Kia-pang-ouang, formé de deux longs bâtons à l’extrémité desquels est une double de raquette. En rapprochant les deux raquettes, l’homme saisit les coquilles et les remonte jusqu’à lui.
- Le lecteur a compris que nous avons choisi, dans l’ouvrage de M. de
- lets qui sont flottants et s’y prennent en grand nombre. Dans d’autres
- endroits, ils font usage de sorte de trébuchets en filets, ye-yang- ouang qui sont tenus ouverts au
- Thiersant, quelques faits attrayants sans dépouiller le côté essentiellement sérieux et utile de son œuvre. Nous n’en finirions pas s’il fallait énumérer les innombrables ressources qu’il est possible de tirer, non-seulement de la pisciculture et de la pêche en Chine, mais de la sage et prudente législation qui les régit. Malheureusement, nous autres, Français , qui nous plaisons à railler les habitants de l’Extrême-Orient, à nous moquer de leurs préju-
- gés séculaires, de la résistance qu’ils opposent
- au progrès et à l'innova-. tion, ne sommes-nous pas souvent, par ici, aussi Chinois que là-bas? Le mépris que nous aimons à
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- professer à l’égard de nations que nous ne connaissons pas n’est-il pas le caractère d’un orgueil mal placé, d’une sotte présomption et d’une ignorance coupable? Sachons gré aux hommes, comme M. Dabry de Thiersant, qui après avoir quitté le foyer et la patrie pendant de longues années, viennent nous éclairer, sédentaires incurables que nous sommes, et nous apporter le fruit de longues études, dont nous ne manquerions pas de tirer un profit immense, si nous savions secouer le joug de la routine.
- Gaston TISSANDIER.
- CHRONIQUE
- Le Challenger à l’ile Saint-Paul, — Le Challenger, poursuivant son voyage de circumnavigation, est arrivé le 27 août dernier à l’ile Saint-Paul, rocher isolé au milieu de l’Atlantique, sans eau, sans autres habitants que des oiseaux de mer. L’exploration avait pour but principal l’examen géologique du sol de ce point, distant de plus de 100 milles des deux continents. La constitution du sol est un mélange de feldspath et de silicate d’alumine et de magnésie, ayant quelques rapports avec la serpentine. Il n’y a pas de traces d’éruptions volcaniques. Les membres de l’expédition n’ont rencontré que deux espèces d’oiseaux Sula fusca et Sterna Slolida, qui sont en telle abondance qu'il suffit de frapper avec un bâton leurs bandes épaisses pour en abattre une quantité. Il ne pousse aucune plante sur ce rocher ; aucune graminée, pas même de lichens. Ce rocher solitaire fut visité,en 1852, par M. Darwin, pendant la campagne du Beagle et par sir James Ross, à bord de VErebus et de la Terror en 1859. Les navires du commerce y relâchent rarement, à moins qu’ils n’y soient contraints par les circonstances de la navigation. Les savants du Challenger y trouvèrent néanmoins une note renfermée dans une bouteille, laissée par le capitaine Pack, del’Ann Mil-licent, datée du 19 juillet 1872.
- Mort de M. Mùc Clure. — La marine anglaise vient de perdre un de ses meilleurs et de ses plus brillants officiers dans la personne de ce héros des explorations polaires.
- M. Mac Clure n’était encore que midshipman lorsqu’il débuta dans la carrière des explorations arctiques, où il devait se distinguer d'une façon si brillante. Il faisait partie de l’expédition de lord Ross en 1826. Pendant l’insurrection du Canada, il eut le commandement d’un navire de guerre sur les lacs. Mais ses services militaires sont complètement effacés par le succès de son expédition à la recherche du capitaine Franklin. H reçut de l’Amirauté britannique le prix de 10,000 sterling pour la découverte du fameux passage Nord-Ouest. Mais la navigation profitera peu de cette découverte géographique, qui semble devoir rester à l’état purement théorique, car les détroits de l’archipel arctique sont encombrés de glaces qui le rendent impraticable pour les navigateurs. Le navire du capitaine Mac Clure lui-même n’a point passé d’un océan dans l’autre, et il n’a pu donner cette preuve matérielle, inutile du reste, de la réalité de ses assertions. Lady Franklin ayant vu dans les journaux qu’on attribuait à Mac Clure la découverte du passage, a protesté en faveur de son mari. Car la découverte d’un squelette faite près du passage
- semble indiquer que les compagnons de l’infortuné martyr ont usé de ce détroit. Mais les malheureux perdus dans les glaces ignoraient peut-être qu’en continuant leur route, ils auraient pu changer d’Océan. Du reste, ils ont bientôt après emporté dans l’autre monde le secret de leur trouvaille. Or il est admis en principe qu’une découverte non publiée est comme nulle et non faite. Dans ce cas particulier, on doit, tout en défendant les droits de Mac Clure, combattre avec les plus grands égards l’honorable exaspération d’une femme aussi digne d’intérêt à tous égards.
- Retour de la Diana. — M. Leigh Smith est de retour en Angleterre. Il a eu une entrevue avec le correspondant du Herald, sur les résultats de sa campagne et sur son opinion relativement à la possibilité de gagner le pôle Nord par le Spitzberg.
- M. Leigh Smith, ainsi que nous l’avons raconté déjà, a été arrêté par des banquises plus hautes et plus nombreuses que celles qu’il avait déjà rencontrées. Il n’a pu parvenir ainsi près du pôle Nord. Il est d’avis que la seule route qui soit à essayer encore est celle du détroit de Smith, où le malheureux capitaine Hall avait guidé le Polaris. C’est en effet de ce côté que seront dorénavant concentrés tous les efforts des explorateurs. M. Leigh Smith a fait, du reste, remarquer que ses explorations n’avaient un caractère scientifique que par-dessus le marché, s’il est permis d’employer ce terme. Elles sont avant tout des excursions de chasse et de pèche ; à ce point de vue, le Spitzberg doit être considéré comme le paradis terrestre des chasseurs. M. Smith se propose d’y retourner en touriste et pour se distraire.
- Il n’est peut-être pas inopportun de citer une légende norwégienne en vertu de laquelle le purgatoire est au pôle Nord. La porte de l’enfer serait au contraire le Mael-strom. Elle ne s’ouvre qu’une fois l’an, le jour anniversaire de la fête des Morts.
- t ue vache de 200,000 francs. — Le Scientific American nous fait le récit d’une vente extraordinaire de bestiaux qui a eu lieu à New-York-Mills, près d'Utica, N. Y. Les animaux mis en vente appartenaient, pour la plus grande part, à l’espèce des Duchesses et des Oxfords. Une vache duchesse d’Oneida a été achetée par lord Skelmer-sdale d’Angleterre la somme de 12,000 dollars. Une autre appartenant à la même espèce a été vendue 40,600 dollars, c’est-à-dire plus de 200,000 francs de notre monnaie. Cette vente, qui comprenait 111 animaux, a atteint le chiffre fantastique de 590,890 dollars. Le propriétaire de ce bétail, l’honorable Samuel Campbell, est un éleveur fort célèbre aux États-Unis. On voit que, de l’autre côté de l’Atlantique, les bœufs et les vaches destinés à faire des élèves sont disputés avec autant de passion que les tableaux de nos maîtres, vendus aux commissaires-priseurs.
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- BIBLIOGRAPHIE
- La Marine cuirassée, par M. P. DISLRE, ingénieur des constructions navales, etc. — Un vol. grand in-8° avec 7 planches. — Gauthier-Villars, 55, quai des Grands-Augustins.—Paris, 1873.—Prix: 7francs.
- Cet ouvrage est, de l’avis des hommes compétents, un des plus remarquables qui aient été écrits sur l’importante
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- question des navires cuirassés. M. Dislère divise son sujet en deux parties distinctes ; dans l’une, historique et critique, l’auteur rappelle la succession des études et des travaux faits pour constituer soit en France, soit à l’étranger, les marines cuirassées, en même temps qu’il étudie les conditions principales auxquelles doivent actuellement satisfaire les navires d’escadre, les garde-côtes, etc., et la mesure dans laquelle y satisfont les types existants ; dans la seconde partie sont réunis, sous formes de tableaux, les chiffres permettant de se rendre un compte aussi exact que possible des principaux navires cuirassés ; cette étude a été faite pour 85 navires, en service ou en chantier.
- Le but primitif de l’ouvrage était simplement d’exposer la situation actuelle de la marine cuirassée, en laissant au lecteur le soin de conclure ; mais, après une étude aussi complète, l’auteur s’est trouvé amené de lui-même à la nécessité d’émettre une opinion, et il n’a pas hésité à conclure en faveur du décuirassement de nos navires d’escadre, tout au moins en dehors d’une ceinture à la flottaison.
- Nouveau traité de chimie industrielle, par R. Wagner, professeur de chimie à l’Université de Wurzbourg. — Édition française publiée d’après la huitième édition allemande, par le docteur L. Gautier. — 2 beaux vol. grand in-8°, formant 1,586 pages, avec 406 figures dans le texte. — F. Savy, 24, rue Uautefeuille. Paris. — Prix : 20 francs.
- Il n’est pas nécessaire d’insister sur l’importance des industries chimiques qui jouent aujourd’hui un rôle si considérable, et qui rendent chaque jour à la société moderne de nouveaux services parles innombrables conquêtes qu’on leur doit. Parmi les traités nombreux qui décrivent l’ensemble des industries chimiques, celui de M. Wagner était un des plus estimés, et des plus appréciés des chimistes. Nous ne saurions trop féliciter M. le docteur Gautier d’avoir publié une édition française de ce magnifique et utile ouvrage. Nous avons remarqué certains chapitres qui nous ont paru très-complets, très-clairement rédigés et remplis de détails que ne donnaient guère jusqu’ici les nombreux traités que nous connaissons.
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- ACADÉMIE DES SCIENCES
- Séance du 17 novembre 1873.— Présidence de M. de QUATREFAGES.
- M. Burdin. — La section de mécanique vient de perdre le doyen de ses correspondants, M. Burdin, ingénieur en chef des* mines, mort à Clermont-Ferrand, dans sa quatre-vingt-sixième année, le 12 de ce mois. Le nom de M. Burdin est attaché à plusieurs grands progrès des sciences. C’est à lui qu’on doit la première turbine, dont l’invention ne lui a rapporté que de l’honneur, tandis que d’autres, plus heureux, grâce à certaines améliorations de détail, en ont tiré, en outre, de grands profits. Bien avant Poncelet et Coriolis, M. Burdin avait dans une quarantaine de pages remarquables déposé le germe de la théorie si féconde du travail. Enfin, il a l’antériorité sur M. Ericson, relativement à l’application de l’air chaud dans l’industrie : encore ici, comme pour les turbines, il n’a pas pu arriver à un résultat pratique, mais ses recherches n’en ont pas moins été de la plus haute utilité pour la solution définitive du problème.
- Fabrication de la bière. — Pour beaucoup de person
- nes, l’événement de la séance a été la communication par M. Pasteur, d’un procédé de fabrication de la bière, par lequel ce liquide serait soustrait à toute chance d’altération. Ce procédé est fondé, comme celui du même auteur relatif au vin, sur la doctrine maintenant célèbre sous le nom de panspermie, et d'après laquelle la décomposition et la putréfaction des substances organiques sont causées par des germes organisés arrivant par l’air. Nous n’entrons pas dans la description des méthodes indiquées par l’auteur, parce que nous ne pouvons être convaincus de l’exactitude de son point de départ. En effet, M. Pasteur pose en fait qu’une décoction de levure de bière, abandonnée dans un ballon ouvert, mais dont le col étiré a été contourné, peut subsister indéfiniment sans altération. Or, on nous a fait assister à des expériences faites rigoureusement suivant les indications de M. Pasteur, et dans lesquelles la levure devenait le siège de végétations abondantes. Celles-ci n’apparaissent d’ailleurs pas tout de suite ; il faut d’ordinaire plusieurs mois pour qu'elles prennent naissance, et quelquefois même plusieurs années ; mais leur possibi-. lité met à néant le point de départ de M. Pasteur, et ruine par conséquent tout l’édifice qu’il construit sur cette base.
- Un fer météorique. — Au nom de M. Lawrence Smith, professeur à l’université de Louisville (Kentucky), M. Dumas met sous les yeux de l’Académie une grande lame polie de fer météorique. Elle provient d’une masse volumineuse, découverte à Iloword, dans l’Indiana, en creusant un fossé de 60 centimètres de profondeur. C’est un métal analogue à l’acier, et renfermant de gros rognons de ce sulfure particulier de fer et de nickel qu’on appelle troï-lite. Ces rognons sont comme encadrés de phosphure, dit schreiberite. M. Smith, en terminant son mémoire, se livre à certaines considérations relatives à l’influence du phosphore sur la solub lité du fer, qui pourrait devenir peut-être le point de départ d’applications industrielles, mais qu’il faudrait, au préalable, soumettre à des études spéciales.
- Le phylloxéra plus fort que les botanistes. — Pendant très-longtemps les botanistes ont confondu ensemble les végétaux, d’ailleurs fort voisins, qui constituent maintenant les Igenres vitis (vigne), ampélopsis (vigne-vierge) et cissus. Or, il résulte des recherches de M. Maxime Cornu que le phylloxéra, beaucoup plus avisé, ne commet pas la même confusion. Si on le place sur une vigne, quelle que soit son espèce, il s’y fixe et produit ses ravages, mais il respecte les ampélopsis et les cissus.
- Dosage de l'ammoniaque dans l'air. — Déjà nous avons signalé un très-intéressant travail de M. Truchot, sur la proportion d’acide carbonique contenu dans l’air à différentes altitudes. Le même auteur a fait une étude analogue au sujet de l’ammoniaque. Il trouve que Clermont-Ferrand donnant, par mètre cube d’air, de 1 à 2 milligrammes d’ammoniaque, le sommet du Puy-de-Dôme en fournit 3 milligrammes, et le sommet du pic de Sancy 5,5. Le résultat reste le même, que le temps soit beau, ou couvert, ou pluvieux. C’est un résultat tout à fait imprévu et bien de nature à engager les chimistes à persévérer dans l'étude approfondie de l’atmosphère. Comme le fait remarquer M. Elie de Beaumont, les faits de cette nature montrent toute l’importance des observatoires établis dans les montagnes. Les résultats qu’ils fournissent constituent comme le cadre fixe où viendront se ranger les données procurées par les observatoires mobiles des aérostats.
- Le maximum de densité de l'eau. — Un ingénieur très-distingué, M. Piarron de Mondésir, adresse une explication, toute mécanique, du phénomène connu sous le
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- LA NATURE.
- nom de maximum de densité de l’eau. Nous craindrions, sur une simple audition, de ne pas rapporter exactement ce raisonnement, forcément très-délicat, mais le nom de l’auteur nous faisait un devoir de signaler ce travail à l’attention de nos lecteurs.
- Evaporation du sulfure de carbone. — Revenant sur le travail analysé en son nom la dernière fois, M. Decharme émet des doutes quant à la composition des stalactites blanches produites sur le papier poreux sur lequel s’évapore le sulfure de carbone. On avait admis qu’elles consistent dans l’hydrate de ce corps, mais l’auteur incline plutôt à penser qu’elles sont purement et simplement formées de givre. En
- même temps il annonce avoir reproduit son expérience avec le chloroforme et même avec l’éther sulfurique quoique plus difficilement. Stanislas Meunier.
- BARREAUX DE GRILLE
- A CIRCULATION D'EAU.
- Nous empruntons à la Revue maritime et coloniale les renseignements qu’elle publie au sujet d’un nouveau système de grilles, destiné au chaulfage de
- l’eau d’alimentation des machines à vapeur. M. R. J. Ellis, de Liverpool, a imaginé une circulation d’eau à travers les barreaux de grille. Le croquis ci-joint montre les dispositions qu’il a adoptées. Les ligures 1 et 2 représentent les barreaux en fonte dans
- lesquels on a ménagé deux canaux ; les ligures 5 et 4 montrent un barreau formé d’un tube en fer recourbé. Pour chacun de ces arrangements le barreau n’est fixé qu’à l’une de ses extrémités, l’autre bout repose seulement sur un support, ce qui laisse
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- le barreau libre de céder à tout effet de dilatation ou de contraction. Le support sur lequel le barreau est fixé, contient deux canaux F et G, qui communiquent avec les canaux des barreaux. L’eau d’alimentation est pompée dans le canal F et part dans celui G, pour aller dans les chaudières, après avoir été ainsi très-échauffée. Les joints entre les barreaux et le support sont faits au moyen d’une garniture convenable. M. Ellis prétend que cette installation de barres forme non-seulement un mode de chauffage efficace pour l’eau d’alimentation, et qu’elle ajoute une certaine quantité à la surface de chauffe de la
- chaudière, mais encore qu’à cause de l’état relativement froid des barreaux, les crasses y adhèrent moins, et conséquemment que le service des fourneaux est plus facile. L’action de la pompe assure une bonne circulation de l’eau dans les barreaux, et le système de construction que l’on a suivi permet de changer rapidement un barreau si cela est nécessaire. Les informations que nous avons prises sur l’emploi de ces barreaux en pratique leur paraissent favorables.
- Le Propriétaire-Gérant ; G. TISSANDIER.
- PARIS, —IMP. SIMON RAGON ET COUP., RUE D'ERFURTH, 1.
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- No 2G. — 29 NOVEMBRE 1873.
- LA NATURE.
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- LES VERS A SOIE
- A l’exposition DU CONGRÈS DES ORIENTAI ISTES1.
- LE VER A SOIE DU CIÉNE.
- Nous avons vu l'importance du ver à soie de l'ai-lante que M. Guérin-Méneville a introduit en France, où il ne tardera pas à rendre à l’agriculture d'impor-tants services. Le ver à soie du chêne qu’il nous reste à étudier n’a pas encore été l'objet d’essais aussi nombreux, mais il est certain qu’il peut être
- facilement acclimaté en Europe ; il vit en plein air, et on en connaît plusieurs espèces originaires de l’Inde, de la Chine, du Japon, et même de l'Améi-que du Nord. C’est un prêtre M. Perny qui a introduit dans notre pays le ver à soie du chêne de la Chine, aussi M. Guérin-Méneville, a-t-il cru devoir désigner cette espèce sous le nom de bombyx Pernyi. Ce ver à soie vit dans le nord de la Chine où le climat est tout à fait comparable au nôtre; il se développe encore dans l’Inde, où il donne la soie Tussah, d’une solidité exceptionnelle, qui produit ces foulards si estimés par leur extraordinaire solidité. L’es-
- Ver à suie du chune (1
- Yanid-inai complétement développé. (Grandeur naturelle.) — 1. Jeune ver grossi. — 2. Œuf grossi.
- pèce du Japon que M. Guérin-Méneville a appelée Yama-Maï, est également digue d’intérêt ; elle a été introduite déjà dans plusieurs contrées européennes, où elle convertit les inutiles feuilles des chênes, en une substance textile des plus précieuses. ;
- Déjà sous l’impulsion de M. Guérin-Méneville, le Yama-Maï a été adopté en France, en Autriche et en Angleterre. Il nous sulfira de citer les noms de MM. Lamotte-Baraie, de Milly, Personnat, Maumenet, de Saulcy, etc., qui dans notre pays ont donné une véritable extension à la nouvelle culture. En Autriche, M. le baron de Bretton, a obtenu à la troisième génération, 4,000 cocons et 300,000 œufs du nouveau bombyx. MM. Wallace et Ward de l’autre côté
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- de la Manche, ont commencé avec activité l’exploitation forestière des chênes de leurs domaines, par la culture de l’Yama-Maï.
- Il suffit d’avoir jeté les yeux sur les produits exposés au Congrès des Orientalistes, pour se rendre un compte exact de la valeur de la soie produite par le ver du chêne. Nous avons vu là quatre petits châles brochés du plus bel aspect. Ils provenaient du Bombyx Pernyi des cultures du roi d’Italie qui a singulièrement encouragé la nouvelle exploitation. C’est dans son domaine de Mandria près Turin, que S. M. Victor-Emmanuel, a fait entreprendre par M. Comba de sérieuses expériences d’élevage du nouveau ver à soie. Du reste en ce moment même, M. Guérin-Méne-ville, effectue avec le plus grand succès, une éducation de cette espèce à son laboratoire séricole de No-
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- LA NATURE.
- gent-sur-Marne. Il a plac’ à l’exposition des Orienta-listes, des bouquets d chêne, couverts de ce nouveau ver à soie que le public ne s’est lass d’admirer, et qui offre pour la France un intérêt d’autant plus grand, qu’il est susceptible de se nourrir, non-seule-ment du chéne, mais du châtaignier, si abondant sur notre sol.
- Nous ne décrirons pas toutes les espèces de ver à soie du chêne; nous parlerons seulement de celle qui est lapins usitée au Japon sous le nom de Yama-Maï. L’œuf du 1 ama-Maï est rond de forme aplatie, d’un brun plus ou moins foncé et couvert de granules noirs. Son plus grand diamètre est 01,003, mais son épaisseur varie suivant l’état d’incubation où il se trouve ce qui le rend plus ou moins aplati. Nous représentons cet œuf grossi à la droite de notre gravure (2), et de
- grandeur naturelle sur la feuille de chêne placée à la partie inférieure du dessin.
- Dès que le jeune ver est sorti, il acquiert rapide-ment, par son contact avec l’air, un volume supérieur à celui qu’il avait dans l’œuf. Peu de temps après , la jeune chenille est déjà longue de 0,007 comme on le voit sur notre gravure, où nous l’avons ,
- , , du \ ama-wai. figuree a côté des
- œufs. Sa tête, le premier segment thoracique et les pattes écailleuses sont d’un roux couleur d’acajou, sans tache, et le reste du corps est d’un jaune doré couleur de gomme-gutte. Tous ces segments à partir du deuxième jusqu’au onzième, sont parcourus par cinq lignes longitudinales noires qui se détachent très-nettement en rayures distinctes. Au bout de ce premier âge qui dure seize jours, la chenille après son premier changement de peau, est longue de O"1,012, sa couleur est vert tendre, un peu jaunâtre au-dessous. Au troisième âge après un deuxième changement de peau, elle atteint une longueur de O1",052, et prend une couleur d’un beau vert Irais, au quatrième âge la couleur verte s’accuse, la longueur de l’individu est de 0‘",070. A son développement complet la chenille est considérablement grandie, elle n’a pas moins de 01,083 de long ; notre gravure en reproduit exactement l’aspect, à la partie supérieure du dessin. La couleur de cette énorme chenille est à peu près la mmie que celle des feuilles dont elle se nourrit.
- A ce moment qui est son cinquième âge, la che-
- nilledu R. lama-]Itï, ne tarde pas à commencer son cocon; elle réunit deux feuilles avec quelques fils, qu’elle a pris soin d'attacher à la branche par de minces cordons. Elle se nourrit alors des plus tendres rameaux qu’on lui donne, contrairement à ce que l’on observe chez les autres vers à soie, puis elle se vide, rend une grosse goutte de liquide transparent et se met à filer.
- La chrysalide qui est le sixième âge de la chenille, est contenue dans un cocon fermé. Pour l’ouvrir elle est pourvue à sa partie antérieure d’un réservoir de liquide dissolvant qui a la propriété de ramollir la soie du cocon et qui permet au papillon de se frayer un passage pour en sortir. Le cocon du R. Yama-Maï offre une grande ressemblance avec celui du ver à soie du mûrier ; les Japonais les dévident très-facilement et en for
- ment une soie, belle grége, qui ressemble à s’y méprendre à celle du ver à soie du MWes mûrier.
- Si l’on abandonne le cocon à lui-même, après un repos de cinquante jours, le papillon éclôt. Le bombyx du 1 ama-Maï, dont notre gravure représente en demi-grandeur un in-! dividu femelle, à côté de son cocon,est d’un beau m-giandeur lalurcl . ’
- jaune d or VII, tirant un peu à l’orangé, tant sur le corps que sur les ailes. Sa tête est d’un jaune roussâtre avec les antennes un peu plus pâles, allongées, à barbes courtes. Le dessous des ailes est brun et semé de points grisâtres.
- Ces espèces de vers à soie dont nous venons de parler, ne sont pas les seules que l’Orient puisse nous fournir ; le bomby.r de l’épine-vinette, qui vient de I’llimalaya, celui du ricin , cultivé dans divers districts de la Chine, sont susceptibles de nous four-nir de vérilables sources de richesses. Mais malgré l’initiative d’hommes intelligents, malgré les exemples fournis par quelques propriétaires émérites, il est probable que des années s’écouleront, nombreuses encore, avant qu’on sache tirer profit de ces espèces utilisées sous d’autres latitudes. Espérons toutefois que la soi' des nouveaux bombyx, ne rencontre ra pas pour s introduire en France autant de résistance que celle du ver à soie du mûrier. L’introduction de l’industrie de la soie date en France du quinzième siècle ; la culture du mûrier et l’éducation des vers à soie ne reçut cependant une impuL
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- LA NATURE.
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- sioii vraiment sérieuse que sous le règne d’Henri IV, c’est-à-dire un siècle après environ. En 1603, Barthélemy de Laffemas, valet de chambre du roi, publia une brochure qui contribua singulièrement à répandre les notions, propres à favoriser le développement de l’éducation des vers à soie. Cet opuscule intitulé : La preuve du plant et profit des mûriers, valut à son auteur des lettres de noblesse et le titre de contrôleur général du royaume. Quelques temps auparavant le Théâtre d'agriculture d’Olivier de Serres, avait déjà vulgarisé l’usage des plants de mûrier et des vers à soie qui s’en nourrissent.
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- LES PIERRES QUI TOMBENT DU CIEL
- (Suite et tin. — Voy. p. 87, 292, 324, 559.)'
- On a vu dans notre précédent article, que les météorites constituent des roches aussi variées que les roches terrestres. Or, supposons que sur un autre astre, on recueille des échantillons des diverses roches terrestres, exactement comme nous recueillons ici des météorites. La question qui se pose est celle-ci ? Ces roches terrestres ont-elles dans leur substance des caractères tels qu’on en puisse conclure qu’elles dérivent d’un gisement commun ? Si l’on veut, pourrait-on conclure de leur étude qu'elles ont eu ensemble des relations stratigraphiques ?
- Remarquons tout de suite qu’il ne suffirait pas de trouver des échantillons rigoureusement identiques entre eux pour qu’on fût autorisé à dire qu’ils sont compatriotes. Il n’y aurait en effet qu’à supposer l’exercice des mêmes causes dans des points différents de l’espace pour rendre compte de l’identité de masses qui pourraient n’avoir eu aucunes relations mutuelles. Mais, parmi la série des roches terrestres, on trouverait bien vite, outre les roches homogènes, des masses bréchoïdes, c’est-à-dire formées par la cimentation de divers fragments appartenant à des espèces différentes de roches monogéniques. Et l’étude de ces brèches serait au point de vue qui nous occupe, extrêmement instructive. Ainsi, on trouve dans les Pyrénées une brèche dont les fragments agglomérés se rapportent à des espèces lithologiques très-différentes les unes des autres. Dans un échantillon moins gros que le poing on reconnaît aisément du granité, du taleschiste, du phyllade, du calcaire, etc., le tout à l’état de fragments anguleux fortement cimente par une substance argileuse.
- Il est bien évident que le géologue extra-terrestre qui étudierait cette brèche serait assuré qu’elle provient d’une localité où existaient à l’état de formations distinctes du granité, du taleschiste, du phyllade et du calcaire. Il aurait la preuve du même coup que dans ces localités où les diverses roches se seraient formées, il y aurait eu développement des actions géologiques que nécessite la formation des brèches ; c’est-à-dire, concassement de ces diverses roches, charriage et mélange de leurs débris, puis enfin
- cimentation de ceux-ci. Ces conclusions seraient bien justes, n’est-ce pas, puisque nous voyons dans les Pyrénées, où nous pouvons aller, que cette brèche est réellement en relation avec les assises de roches dont les débris ont concouru à sa formation. Cette même découverte de relations stratigraphiques de roches non observées en place pourrait résulter aussi de ce fait qu'il existerait entre des types très-nettement différents, des passages minéralogiques insensibles. De ce que, par exemple, le granité passe au gneiss par les transitions les plus ménagées, il résulte que ces deux roches se sont formées dans des conditions très-voisines et doivent se trouver en contact : c’est ce qui a lieu. Enfin, pour borner nos exemples aux cas les plus saillants, il est clair que si notre géologue reconnaissait qu’il peut par certaines manipulations de nature à être reproduites dans la nature, transformer certains types de roches en d’autres types, il en conclurait que ces derniers dérivant des autres, supposent l’existence antérieure de ceux-ci et proviennent conséquemment du même gisement. Ainsi, trouvant que la craie blanche peut sous l’action de la chaleur passer à l’état de marbre blanc comme celui d’Antrim, il serait sûr que celui-ci est le produit d’une transformation de la craie et en conclurait de la manière la plus indubitable que la craie et le marbre proviennent du même gisement, ce qui est vrai.
- Eh bien, ces différentes circonstances se sont présentées dans l’étude des météorites et, comme nous allons essayer de le montrer, on est en droit de dire que celles-ci sont des fragments qui, malgré la grande distance qui les sépare, ont été jadis en relations stratigraphiques. En effet, beaucoup de météorites sont bréchiformes. Celle que représente la figure 1, tombée le 30 novembre 1866 à Gangas de Onis, près de Santander en Espagne, est dans ce cas. Les fragments blancs qu’elle renferme en si grand nombre sont formés de la roche oolithique que nous citions l’autre fois comme étant tombée à maintes reprises et par exemple à Montréjeau (Haute-Garonne), en 1868; la partie sombre dans laquelle ces fragments sont empâtés est identique à la roche tombée entre autres circonstances à Limerick (Irlande). D’après ce que nous disions des brèches terrestres, il est clair que la météorite de Gangas de Onis démontre les relations stratifiques pour les roches représentées respectivement par les chutes de Montréjeau et de Limerick ; et comme les trois types de Gangas, de Montréjeau et de Limerick comprennent chacun un grand nombre de chutes différentes qui les ont fournis à diverses reprises, on voit que beaucoup de météorites regardées jusqu’ici comme distinctes, se relient les unes aux autres.
- Mais l’exemple de Gangas de Onis n’est qu’un cas entre autres. Il est des météorites bréchiformes, telle que celle recueillie en 1866, à Saint-Mesmin, dans le département de l’Aube, qui renferment des fragments non plus de la roche oolithique de Montréjeau, mais de la roche finement grenue dont le type est
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- LA NATURE.
- tombé lors de l’explosion historiquement célèbre de Lucé (1768), et qu’un nombre considérable de chutes ont fourni depuis. Dans ces brèches la rochede Lucé est associée, comme tout à l'heurecellede Montéjean, à la pierre sombre de Limerick, et cette identité des pâtes ferait déjà pressentir les relations mutuelles de ces deux groupes de brèches, si d’autres observations n’étaient là pour les démontrer.
- Un fait beaucoup plus frappant encore est fourni par l’étude de la météorite tombée le 28 février 1857, à Parnalléa, dans l’Inde. Cette roche fournie d’ailleurs par d’autres chutes se présente comme une espèce de poudingue, dont les grains se rapportent à au moins sept types lithologiques distincts et parfaitement caractéri és. Trois de ces tpes sont repré-
- sentés, entre autres, par les chutes de Tadjera, Algérie (1866), de Chassigny (Haute-Marne, 1815) et de Bishopville (États-Unis, 1845). Les quatre autres n’ont pas encore été signalés à l’état de météorites distintes et ont, par conséquent, ce très-vif intérêt de nous permettre de pressentir l’arrivée plus ou moins prochaine de types qui n’ont pas été observés jusqu’à présent. D’un autre côté, les passages minéralogiques cités tout à l’heure, comme indiquant les rapports stratigraphiques de roches terrestres, se retrouvent parmi les météorites et démontrent des liaisons analogues. Ainsi, les roches déjà mentionnées de Lucé et de Montréjeau, qui diffèrent surtout l’une de l’autre par la structure globulaire de cette dernière, trouvent dms la [lierre de Forsyth, aux Etats-Unis,
- Fig. 1. — BLLCIL MLIEORIIIQLE tombée, le 50 novembre 1 860, à Cangas de Onis , province de Santander, en Espagne, et consistant en fragments blancs de monhésite cimentés par une pâte foncée de liinerickite. (Deux tiers de la grandeur naturelle.)
- un intermédiaire ménagé. Cette transition entre les météorites libres se retrouve entre les brèches qu’elles peuvent donner et la météorite trouvée à Assam, dans l’Inde, en 1846, se rapproche autant des brèches du type de Cangas de Onis que de celles du type de Saint-Mesmin. De même la météorite tombée à Ohaba, dans le Siebenbourg, en 1857, établit un [tassage entre les pierres de Montréjeau et de Limerick ; de même la météorite de Dolgowola, en Volhynie (26 juin 1864), relie entre elles les masses d’Aumale, Algérie et de Lucé, etc.
- Tout à l’heure, à propos des roches terrestres, nous citions comme décelant des relations stratigra-phiques la transformation artificielle de certaines [tierces en d’autres pierres. Celle transformation que l’on appelle métamorphique peut se reproduire parmi les météorites où elle donne lieu aux mêmes conséquences.
- Le premier fait connu de ce métamorphisme mé-léoritique a démontré, d’api ès les considérations précédentes, la relation stratigraphique de trois types extrmement importants de roches extra terrestres.
- Le premier, représenté par la chute d’Aumale (Algérie), consiste en une roche grise, cohérente, très-
- I dure, dont 11 cassure rappelle celle de certains grès. On y distingue de petites grenailles métalliques, surtout sur les surfaces polies, et l’analyse y décèle l'exis-tence de minéraux magnésiens, les uns solubles dans les acides, comme le peridot, les autres insolubles, comme le pyroxène ou l’amphibole. Le deuxième | type est représenté, par exemple, par la pierre tombée en Vendée, à Chantonnay, le 5 août 1812. C’est encore une roche grise, mais traversée en tous sens par de larges marbrures parfaitement noires, dont l’étude a longtemps préoccupé les chimistes et que Vauquelin avait analysées sans succès. La compo-sition chimique de ce type est semblable à celle du précédent malgré la différence d’aspect. Enfin le troisième type se distingue encore bien davantage de la pierre d’Aumale. C’est une pierre tout à lait noire compacte, très-dure, prenant bien le poli. D’ailleurs, l’analyse fournit ici encore les mêmes résultats que précédemment. Ce type est tombé à Tadjera (Algérie) en 1867. Eh bien des expériences très-simples
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- ont montré que la pierre de Tadjera n’est autre chose que le résultat du métamorphisme de la pierre d’Aumale, exactement comme le marbre d'Antrim est le résultat du métamorphisme de la craie. Prenez un morceau de la pierre grise d’Aumale et, à l’abri du contact de l’air, portez-le à la chaleur rouge ; au bout d’un temps convenable, etaprès refroidissement, vous constaterez qu'il s’est transformé dans la pierre noire de Tadjera, avec tant de perfection qu’il est impossible de l’en distinguer, de quelque manière que l’on s’y prenne.
- Cela posé, il est évident que la roche de Tadjera n’a pu se produire que là où il y avait déjà de la roche d’Aumale et, par conséquent, que ces deux types proviennent d'un même gisement originel où ils se trouvaient en relations stratigraphiques. Quant à la
- pierre de Chantonnay, avec ses marbrures noires, on s’assure qu’elle représente le produit du métamorphisme incomplet de la roche d’Aumale. Celle-ci chauffée, comme il vient d’être dit, avant d’être entièrement métamorphosée en pierre de Tadjera, passe par l’état de pierre de Chantonnay; et l’on voit que cette dernière pierre démontre les relations stratigraphiques des deux autres types de deux manières différentes, savoir : en décrivant de l’un d’eux, par transformation métamorphique, puis en établissant entre eux un de ces passages minéralogiques qui nous occupaient tout à l’heure.
- Ce que nous venons de dire, pour les trois roches compactes d’Aumale, de Chantonnay et de Tadjera, nous pourrions le répéter mot à mot, pour les trois roches oolithiques de Montrejeau, de Belaja-Zerkwa et
- Fig. 2. — BuCnE DE FILON MTÉORITIQUE, découverte en 1865 dans la Cordillère de Deesa, au Chili, Elle consiste en une masse métallique ayant les caractères du fer de Caille, préalablement fondu, empâtant des fragments anguleux de la roche noire, qui est tombée à Tadjera (Algérie) sous forme de météorite, et qui résulte du métamorphisme de la roche grise représentée, par exemple, par la météorite d’Aumale (Algérie). — (Deux tiers de la grandeur naturelle).
- deStawropol; la seconde est le résultat du métamorphisme incomplet de la première ; l’autre est le résultat de son métamorphisme total.
- Il faut remarquer, à cet égard, que les expériences sur le métamorphisme météorique ont permis de réaliser, pour la première fois la reproduction artifi-cielle de certains types de météorites : les pierres de Chantonnay et de Tadjera, d’une part et les pierres de Belaja-Zerkwa et de Strawropol, d’autre part, ont été imitées dans tous leurs détails, les premières au moyen de la pierre d’Aumale et les autres au moyen de la pierre de Montréjeau. Nous verrons que depuis et toujours dans la même voie, on est arrivé à reproduire la pierre de Tadjera, au moyen d’une roche terrestre appelée serpentine.
- C’est à la fois à l’examen des brèches et à la découverte du métamorphisme météoritique que se rattache l’étude d’un fer très-remarquable, reproduit dans notre figure 2 et qui a fourni des données très-précieuses pour la stratigraphie des roches extra
- terrestres. C’est le fer découvert en 1866 dans la cordillère de Deesa, près de Santiago du Chili. Comme on le voit, par la ligure, c’est une masse métallique renfermant à l’état de dissémination des fragments anguleux d’une roche noire de nature essentiellement pierreuse: c’est donc une brèche, mais d’un genre tout différent de celles qui nous occupaient il n’y a qu’un instant.
- Une étude minutieuse de ce fer montra que les fragments pierreux sont rigoureusement identiques à la roche de Tadjera, citée déjà tant de fois. Pour le fer, le résultat fut un peu plus compliqué ; chimiquement ce fer est semblable de tous points au fer de Caille, figuré dans un précédent numéro, mais pour la structure il n’en est pas du tout de même. Traité suivant la manière indiquée on ne peut pas en obtenir les figures de Widmannstætten, que le fer Caille donne si nettement, comme on se le rappelle: à ce point de vue le fer de Deesa, malgré sa composition qui admet du nickel, et les autres éléments météori-
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- tiques, se comporte plutôt comme le fer terrestre. D’un autre côté, on fait disparaître complètement la différence en question, si avant de soumettre le fer de Caille à l’expérience de Widmannstætten, on le fait fondre pour le laisser ensuite refroidir très-lentement. Par suite de cette fusion, le fer météorique, sans changer de composition, perd sa structure reconnaissable aux acides et acquiert dès lors tous les caractères du fer de Decsa. C’est une espèce de métamorphisme. De façon que, dans le fer de Deesa, les fragments pierreux résultent du métamorphisme de la pierre d’Aumale et le fer du métamorphisme du fer de Caille. A part les conséquences qui résultent de ces faits, quant aux relations stratigraphiques, il
- faut bien remarquer qu’ils nous révèlent parmi les météorites des actions géologiques dont on était bien loin de se douter et qui établissent entre ces roches et les masses minérales terrestres une analogie intime.
- En effet, il n’y a qu’une manière d’expliquer la formation du fer de Deesa, dont la nature complexe et les détails de structure sont si remarquables. C’est d’y voir le premier échantillon qui ait été signalé d’un filon éruptif extra-terrestre tout semblable, à la nature près, aux dykes de porphyre et de basalte que renferme en si grand nombre l’écorce de notre globe. Evidemment du fer de Caille, préalablement fondu, a été injecté au travers d'assises superposées et frac-
- 1 is. 5. — FAIlIrs 1ejetées les une par les autres dans la météorite tombée, le i juin 1812, à Aumières (Lozère). (Demi-grandeur naturelle.)
- turées de roche d’Aumale qui, sous l'influence de la chaleur, s’est transformée en roche de Tadjcra et s’est trouvée empâtée en fragments dans la pâte métallique, comme des débris de gneiss, par exemple, sont si souvent empâtés dans les filons de granité.
- Nous allons revenir sur ces faits importants qui montrent dans le gisement originel des météorites tant d’analogies avec la terre elle-même, mais avant, et pour résumer ce qui précède nous dirons que dès aujourd’hui il y a plus de vingt types distincts de roches météoritiques pour lesquels est faite la preuve des relations stratigraphiques. Les méthodes qui ont concouru à cet te démonstration et sur lesquelles nous ne pouvons insister, sont très-nombreuses et leur conclusion commune est d’autant moins atlaquable.
- Il en résulte que l’on est en droit de constituer à proprement parler une géologie des météorites, qui, dès maintenant, a fourni des données intéressantes. Elle consiste à déterminer le rôle géologique de divers types météoritiques comparés aux roches terres
- tres, et, comme résumé de ces études, à tenter la restauration du globe d’où proviennent les roches cosmiques.
- Déjà nous venons de voir, par l’exemple du fer de Deesa, qu’il y a des météorites éruptives. Et notons en passant, que les fers, d’ailleurs assez nombreux, qui ne donnent pas de figures par l’expérience de Widmannstætten peuvent être considérés, d’après ce qui précède, comme des échantillons de filons entièrement métalliques. D’un autre côté des études spéciales ont montré que la pierre de Chantonnay représente à l’inverse un type de filons complètement pierreux. Il y a donc parmi ces filons cosmiques au moins autant de variété que parmi les filons terrestres. Sur la terre, les éruptions de roches supposent toujours l’existence antérieure défailles, c’est-à-dire de fentes mettant en communication l’intérieur du globe avec l’atmosphère. Ces failles se reconnaissent souvent au rejet qu'elles ont fait subir aux roches qui constituent leurs deux parois; ces roches d’abord
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- en continuité, sont écartées verticalement de quantités qui peuvent être considérables. De plus la surface de ces failles montre les traces de frictions énergiques ; elle est polie, cannelée et striée. De même les météorites présentent, dans une foule de cas, des failles véritables avec rejets et polissage. La figure 3 montre par exemple un fragment de la chute d’Au-micres (Lozère, 4 juin 1842), où une faille en recoupe une autre, qu’elle rejette de plusieurs centimètres. Cette seconde faille se présente en haut, à gauche de la figure, dans une situation à peu près horizontale, et se continue en bas, à droite, parallèlement à sa première direction, mais descendue par la grande faille oblique, à plus de cinq centimètres. La pierre d'Aumières est constituée justement par cette roche grise dont nous avons parlé, comme fournie par la chute d’Aumale, et qui jouit de la curieuse propriété de devenir noire sous l'influence delà chaleur. Or, on conçoit que les glissements qui ont eu lieu le long des failles et en ont poli les surfaces, ont du développer de la chaleur : il en résulte que les points voisins de ces surfaces ont subi un vrai métamorphisme qui, de gris qu’ils étaient, les a colores en noir. Aussi les failles apparaissent-elles, de loin, comme de fines lignes noires tracées à la plume. En comparant divers échantillons on voit que plus les rejets sont considérables, et par conséquent plus l’effort mécanique a été grand, plus la ligne noire est épaisse. Son épaisseur permet donc de se faire une idée de l’énergie des actions dynamiques subies par la pierre ; et la roche grise d’Aumale et d'Au-mières nous apparaît comme une sorte de thermomètre extrêmement sensible de nature à rendre de grands services dans l’étude des météorites.
- Par exemple, nous avons vu, dès le début de ces études, que l’intérieur des masses météoritiques est extrêmement froid, imprégné du froid de l’espace. Eh bien, grâce aux remarques précédentes, relatives au métamorphisme météoritique on peut se demander si la mesure de la température, jusqu’ici inconnue de l’espace, n’est pas de nature à devenir l’objet d’une mesure expérimentale. Les météorites, en effet, permettraient peut-être d’en faire un cas particulier de la méthode des mélanges. Il suffirait de les refroidir assez pour qu’une application subite de chaleur à l’extérieur reproduisit la croûte noire et mince, pour qu’on fût en mesure d’apprécier la tem pérature qui règne dans les régions interplanétaires. Mais ce sujet est encore trop vague pour que nous y insistions davantage.
- Revenons aux phénomènes géologiques dont les météorites nous offrent des traces. Les failles terrestres sont très-fréquemment remplies par des minéraux concrétionnées dont l’ensemble constitue les filons métallifères. Chez les météorites, on retrouve des filons de même nature, filons qu’il ne faut pas confondre avec les filons éruptifs cités tout à l’heure. Le fer de Pallas, représenté dans un précédent article, constitue un type des plus nets de filon météoritique concrétionné. Il contient, comme on se le rappelle,
- des cristaux de péridot, noyés dans une sorte d’éponge métallique. Quand on scie cette météorite pour la soumettre ensuite à l’expérience de Wid-mannstætten, on reconnaît que la matière métallique s’est concrétionnée lentement autour des cristaux pierreux, exactement comme dans certains filons terrestres où l’on voit de la galène déposée peu à peu sur des cristaux entiers ou brisés de barytine.
- Un autre exemple, peut-être plus instructif encore, est fourni par le fer du désert d’Atacama, en Bolivie, qui consiste aussi en une éponge ferrugineuse enveloppant des fragments pierreux. Ici, ces fragments ne sont plus des cristaux, ce sont des débris irrégu-hors de la roche que nous avons citée sous le nom de donite, et qui consiste dans le mélange du péridot granulaire avec le fer chromé. Cette météorite, au point de vue des actions auxquelles elle est due, et du mécanisme de sa formation, est la reproduction rigoureuse de certains filons du Harz, appelés par les mineurs filons en cocardes, et qui consistent dans des fragments irréguliers de roches schisteuses, enveloppées de couches concentriques de divers minéraux concrétionés tels que le quartz et la galène.
- Enfin, c’est aussi sur les failles que prennent naissance, dans l’écorce terrestre, les phénomènes volcaniques. Sans affirmer qu’il y ait eu, parmi les météorites, de véritables volcans, on ne peut contester qu’il n’y ait plusieurs roches cosmiques identiques à celles qui sur la terre ne se rencontrent que parmi les éjections de bouches ignivomes. Du nombre sont les météorites alumineuses, comme celle de Juvinas et de Jonzac, tout à fait identiques à certaines laves et, par exemple, à celles de certains volcans islandais. — On peut citer aussi la météorite singulière tombée en 1855, à Igast, en Livonie, et qui est semblable à une ponce quartzifère. — On peut citer la météorite de Chassigny, Ilautc-Marne (1815), tout à fait pareille à la dunite, si fréquente à l’état de fragments empâtés dans les basaltes de l’Ardèche et de l’île Bourbon. —Enfin, on peut ajouter que les météorites charbonneuses manifestent des analogies intimes avec certaines matières bitumineuses d’origine volcanique.
- En résumé, les météorites offrent au géologue :
- Des roches normales ;
- Des roches élastiques (brèches) ;
- Des roches métamorphiques ;
- Des roches éruptives ;
- Des roches filonniennes concrétionnées.
- Des roches volcaniques.
- On ne peut qu’être frappé de l’analogie que présente tout cet ensemble avec celui des roches terrestres. En outre, comme conséquence nécessaire de ce rapprochement, on est conduit à se demander si les masses cosmiques, dont nous venons d’étudier les principaux caractères, n’occupaient pas, dans ce gisement commun d’où elles dérivent, des positions relatives analogues à celles qu’affectent les roches terrestres dans l’épaisseur de notre globe. Mais c’est
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- LA NATURE.
- là un nouveau sujet d’élude qui demande à être traité à part et que nous n’aborderons pas aujourd’hui. Stanislas Meunier.
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- L’EUCALYPTUS GLOBULUS
- Une question d’un puissant intérêt, l’assainissement des terrains marécageux au moyen de plantations d’Eucalyptus globulus vient d’être traitée dans la séance de l’Académie des sciences du 15 octobre dernier ; le moment nous semble donc propice pour donner quelques détails sur un arbre dont les qualités multiples n’ont été appréciées en Europe que depuis une vingtaine d’années. Déjà grâce aux efforts infatigables de M. Ramel, on est parvenu à l’acclimater dans le sud de la France, en Algérie, en Corse, en Espagne, à Cuba et au Mexique ; et les immenses avantages que l’on a retirés de la propagation de ce végétal nous donnent lieu de penser que sa culture ne tardera pas à s’étendre dans tous les pays chauds.
- Originaire de la Tasmanie, où il a été découvert en 1792, par La Billardière, pendant le voyage à la recherche de l’infortuné La Peyrousse, l’Eucalyptus globulus, par sa beauté, sa solidité et sa hauteur, qui n’a vraiment de rivale que celle du Wellingtonia de Californie, par les services de tout genre qu’il est appelé à nous rendre, méritait d’être plus rapidement connu de nous.
- Nous empruntons aux Fragmenta phytographice australiæ, du savant directeur du jardin botanique de Melbourne, le docteur Muller, une description détaillée de cet arbre magnifique :
- « L’Eucalyptus globulus, de la famille des Myr-tacées, est un arbre très-élevé, à rameaux tétragones au sommet. Ses feuilles les plus jeunes sont subcor-diformes, opposées; les autres alternent, diversement pétiolées, coriaces, uni-colores , comme vernies, aiguës et souvent un peu contournées en faux depuis la base, ou étroitement lancéolées, allongées en mu-crone et couvertes de nervures pennées, saillantes; les nervures de la circonférence sont éloignées des bords. Les boutons floraux sont pruineux, verru-queux, ridés ou presque lisses, à double opercule. Le tube du calice est souvent hémisphérique ou pyramidal, turbiné, anguleux ou pourvu de côtes rares égalant presque la longueur de l’opercule intérieur , déprimé hémisphérique ou subitement en forme de bouclier depuis le centre. Les filets des étamines sont allongés, les anthères subovales. Leurs fruits grands sont souvent hémisphériques ou déprimés, turbinés. Ils ont 4, 5 à 3 loges; le sommet de la capsule est élevé et un peu convexe. Le tronc dont les lames corticales extérieures (comme chez le platane) sont souvent détachées, est lisse et cendré. »
- Cet arbre d’une rapidité de croissance extraordinaire est connu sous le nom de gommier bleu de Tasmanie [Tasmanian blue gum tree) à cause de ses feuilles d’un vert bleu opaque. Poussant dans les
- vallées et sur les versants humides des montagnes boisées, il atteint souvent 60 à 70 mètres de hauteur avec 10, 15 ou 20 mètres de circonférence à la base et plus rarement 100 mètres avec 28 mètres de circonférence. Son bois droit, régulier, n’a comme dureté de rivaux que les bois de taun et de teck, sur lesquels il l’emporte en ce sens qu’il est respecté par les animaux xylophages, grâce à la substance aromatique dont il est imprégné. Enfin, lorsqu’il est exposé quelque temps à l’air, il devient incorruptible, il est alors utilisé pour tous les travaux maritimes tels que digues, jetées, quais, etc.; on en fait aussi des traverses de chemin de fer, des poteaux télégraphiques ; enfin, la plupart des baleiniers d'Ilobart-town et des steamers entre la Tasmanie et l’Angleterre sont en Eucalyptus. L’exportation de ce bois, dit l’habile jardinier delà ville de Paris, M. André, s’est élevée il y a quelques années à Van Diemen à plus de 800,000 livres sterling, soit 20 millions de francs. Un des ces arbres qui avait 97 mètres de haut et dont les premières branches se montraient à 65 mètres, a été vendu, étant débité 6,140 francs. L’exposition de Londres en a vu deux troncs énormes, et des planches de plus de 25 mètres de longueur sur 5m,50 de large et de 011',08 d’épaisseur envoyées par le capitaine Goldsmith sont arrivées en Angleterre. Il ne faut pas que nous songions pour notre part à obtenir des résultats aussi merveilleux, la différence Je température est trop grande même en Provence pour que nous voyions l’eucalyptus atteindres les proportions que nous citions plus haut. Nous devons dire cependant que les semis faits à Antibes, à Ilyèrcs et dans les environs ont donné des résultats très-satisfaisants et que cinq ans ont suffi pour que certains sujets atteignissent 20 mètres de haut. A Paris quelques essais ont été tentés, un eucalyptus a même atteint 4'“,50 en quatre mois d’été, mais il a fallu le rentrer l’hiver et nous ne pourrons jamais en faire sous notre latitude que des plantes de serre et d’agrément.
- La première idée qui vienne à l’esprit lorsqu’on envisage cette rapidité de croissance, c’est la facilité du reboisement de nos forêts épuisées ; car bien que la consommation du bois ait baissé dans des proportions notables depuis l’application du fer à l’industrie, elle est encore telle qu’il est facile de prévoir le moment où nos forêts ne pourront plus suffire à nos besoins. Nous possédons en France d’immenses étendues de i terres incultes ou malsaines telles que la Crau, les Landes, les étangs de Thau et d’Aigues-mortes, la Camargue, l’embouchure du Var qui pourraient être sans grands frais plantées d’Eucalyptus et qui, vingt ans après, grâce à la prodigieuse faculté d’absorption de ce végétal1 seraient devenues des terres de première qualité. Il faut lire dans la brochure du docteur Guimbert les quelques pages qu’il consacre à cette importante question bien digne d’être prise en considération par nos économistes et nos agriculteurs.
- 1 II peut absorber dix fois son poids en vingt-quatre heures.
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- Mais il nous faut signaler certains autres avantages non moins précieux que nous procurerait l’acclimatation de l’eucalyptus. Grâce aux puissantes émanations camphrées de ses feuilles, les influences paludéennes sont combattues, et l’on attribue à l’immense quantité d’eucalyptus qui poussent en Australie le peu de fièvres qu’on y constate. Les Anglais qui ont été les premiers à reconnaître cette propriété bienfaisante ont fait aussitôt dans leur colonie du cap l’essai de ces plantations ; deux ou trois ans ont suffi pour faire disparaître complètement les conditions insalubres de leur possession.
- Quelques années après , pareil essai fut fait en Algérie : en 1867, 15,000 eucalyptus furent plantés par M. Trottier dans une propriété qu’il possédait près de la rivière Ilamize et où les fièvres sévissaient cruellement. Dès l’année suivante, bien que les arbres n’eussent pas plus de deux ou trois mètres de haut, les fermiers furent complètement préservés des fièvres qui n’ont plus reparu depuis cette époque. Il en a été de même à la ferme de Ren Machy-dlin qui était entourée de marécages, de même encore sur les rives du Var où le docteur Gimbert cite à l’entrée du pont du chemin de fer une maison de garde-barrière voisine de
- Eucalyptus globulus.
- terrassements, de colmatages. Cette maison était meurtrière; tous les ans, on était obligé de changer les gardiens dont la santé était attaquée par l'impalu-disme. M. Villard, ingénieur, fit planter, il y a deux ans, quarante arbres dans le voisinage de la maison; dès cette année les employés de la voie furent préservés de la fièvre. Planté en fourré autour des lieux malsains, il empêche par son ombre l’action du soleil sur la terre, empêche les miasmes de se porter au loin et les modifie par ses émanations antiseptiques, en même temps qu’il absorbe l’humidité du sol, condition essentielle de la [production des
- miasmes ; enfin grâce à la persistance de son feuillage, la terre n’est plus couverte de ses détritus qui produisent en se désomposant les effluves pernicieuses.
- Mais ce ne sont pas les seuls services que l’on ait déjà tirés de l’Eucalyptus et l’extension de cette culture en Espagne a permis de constater les propriétés fébrifuges de cette plante qui a reçu dans le pays le nom d'arbre à la fièvre. Les expériences répétées des docteurs Brunei, à Montevideo, Carlotti, en Corse, Tristany, en Espagne , Marès, en Algérie, Gimbert et Gubler, en France, ont permis de constater qu’il guérit le plus souvent les cas rebelles à la quinine et aux autres fébrifuges. On l’applique également comme désinfectant au pansement des plaies résultant d’accidents ou d’opérations chirurgicales , on l’emploie comme stimulant local par l’application de feuilles fraîches sur les plaies qui ont de la peine à se cicatriser. Le docteur Gubler en conseille également l’usage dans les affections catarrhales et les maladies des voies respiratoires.
- On ne saurait donc trop encourager les efforts tentés pour l’acclimatation d’un arbre qui possède tant de qualités diverses, hier inconnues parmi nous, et dont la propagation l’hygiène encore plus peut-être que l’in— Gabriel Marcel.
- LA PLANÈTE JUPITER
- (Suite et tin. — Voy. page 557 ct 360.)
- L’étude télescopique du disque de Jupiter fournit-elle des notions positives sur la constitution physique de la planète? Cette question peut se poser d’une autre façon, et se résumer en ces deux autres questions:
- intéresse dustrie.
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- + o
- LA NATURE.
- Que sont les bandes obscures, de teintes et de couleurs variées, que sont les bandes brillantes? Comment expliquer les taches noires ou sombres, plus ou moins permanentes, plus ou moins variables, et les taches brillantes que quelques observateurs ont aussi aperçues sur Jupiter?
- Nous avons déjà vu Cassini comparer le mouvement des taches à celui des courants équatoriaux, les bandes étant assimilées aux mers terrestres; mais on n’a pas tardé à comprendre que les bandes variaient trop souvent de forme, d’étendue et de position, pour qu’on puisse les regarder comme des masses liquides, renfermées dans des bassins solides et consistants.
- On sait comment W. Hlerschel expliquait les bandes et comment il rendait compte, soit de leur parallélisme, soit de l’inégalité de vitesse des taches selon qu’elles étaient plus ou moins voisines des régions équatoriales. Voici ce qu’il dit, à cet égard, dans un mémoire de 1795 : « Je suppose que les bandes brillantes et les régions polaires de Jupiter, dont la lumière surpasse celle des bandes faibl s ou jaunâtres, sont les zones où l’atmosphère de cette planète est le plus remplie de nuages. Les bandes faibles correspondent aux régions dans lesquelles l’atmosphère, complètement sereine, permet aux rayons solaires d’arriver jusqu’aux portions solides de la planète où, suivant moi, la réflexion est moins forte que sur les nuages. »
- Le parallélisme des bandes provient, suivant le même astronome, des vents analogues à nos alizés qui existent dans les régions équinoxiales de Jupiter et qui sont dus au mouvement de rotation. Les taches sont des nuages accidentels que les courants équatoriaux entraînent avec des vitesses variables, selon leur latitude jovicentrique plus ou moins grande.
- Arago, en rapportant l’opiniond’Ilerschel, fait une réserve au sujet de la direction des vents réguliers de la planète; il fait remarquer qu’ils doivent souffler dans une direction opposée à celle des alizés terrestres, puisque ces derniers, tendant vers l’ouest, ralentiraient le mouvement de rotation au lieu de l’accélérer. Aussi, pour résoudre cette difficulté, admet-on aujourd’hui généralement que ce sont les alizés supérieurs ou contre-alizés, qui déterminent le mouvement propre des taches'. Cette hypothèse, en effet, s’accorde avec l’observation. Mais nous avons déjà fait voir ailleurs qu’elle n’était pas nécessaire, et que l’on peut aussi considérer les alizés proprement dits, comme rendant un compte suffisant du mouvement propre des taches. « Si les taches, disions-nous, sont des accidents atmosphériques ayant un mouvement propre, comme tous les astronomes le pensent, ce n’est pas la rotation du globe de Jupiter qu’on dé termine, mais la rotation des nuages ou mieux la différence de durée de la rotation de Jupiter et du mouvement propre du nuage. Or, si l’on suppose que ce nuage se forme à une latitude donnée, soit entraîné vers l’équateur, par une cause analogue à la
- cause des vents alizés terrestres, son mouvement de rotation éprouvera un retard, mais ce retard sera d’autant plus considérable que la latitude du point où le nuage s’est formé sera plus grande. Les taches qui auront des points de départ plus voisins de l’équateur paraîtront se mouvoir plus vite que les autres, et c’est aussi ce que l’observation constate. »
- Du reste, à considérer avec W. Hlerschel, Beer, Mœdler et Arago, les taches obscures qui ont servi à déterminer la durée delà rotation comme des nuages accidentels, il y a une sorte de contradiction avec l’opinion des mêmes astronomes qui regardent les bandes brillantes comme formées de nuages doués d’un pouvoir réfléchissant supérieur à celui du sol de la planète. Évidemment, s’il en est ainsi, les taches obscures sont des vides, des trouées dans l’atmosphère de Jupiter, produites probablement par des mouvements des masses aériennes en forme de tourbillons ou de trombes : le dessin deM. Tacchini (p. 557) offre plusieurs exemples de taches obscures de ce genre. Dans cette hypothèse, les bandes blanches seraient formées d’une accumulation de nuages semblables à nos cumuli, à surface fortement réfléchissante; les bandes sombres laisseraient voir le sol au travers d’une atmosphère encore chargée de vapeurs, mais de vapeurs plus transparentes ; les taches les plus sombres enfin seraient, comme nous le venons de dire, des espaces à peu près entièrement dépourvus de vapeurs réfléchissantes, des trouées dans l’atmosphère jovienne.
- Quant à cette atmosphère, elle paraît devoir être très-profonde ou très-dense : c’est ainsi qu’on explique un phénomène constaté par tous les observateurs à savoir que les bandes obscures ou brillantes s’affaiblissent considérablement vers les bords du disque. Beer et Mœdler disent, à propos des taches qui leur servirent en 1854 et 1855 à mesurer la durée de rotation: « Les taches dont nous parlons ne purent jamais être poursuivies jusqu’aux bords ; elles s’évanouirent toujours 1 h. 24 m. ou 1 h. 27 m. après leur passage par le centre. Cet intervalle répond à 52° ou 54° de longitude jovicentrique, à partir du centre ; ainsi dans une contrée du globe où l’affaiblissement causé par l’atmosphère n’atteignait pas encore le double du minimum, ces taches étaient déjà invisibles, ce qui ne peut s’expliquer qu’en admettant une atmosphère très-dense de la planète. » Arago dit de même avec raison: « La diminution et l’augmentation de la réflexion des parties des bandes qui se correspondent près des bords de la planète a lieu naturellement ; en effet, un nuage doit paraître d’autant plus lumineux que le soleil l’éclaire plus obliquement ; d’autre part, la portion d’atmosphère diaphane qui correspond à la bande obscure doit renvoyer à l’œil d’autant plus de lumière qu’elle a plus de profondeur. »
- Nous ne savons si le lecteur envisage comme nous ces conjectures sur la constitution atmosphérique de Jupiter. Mais elles nous semblent bien insulfisantes, bien incomplètes et bien vagues. Pour ne prendre
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- qu’un exemple, n’est-il pas clair en effet, qu’elles ne peuvent s’appliquer aux taches obscures pour ainsi dire permanentes que mentionnent les observations prolongées du premier Cassini. La lenteur des variations des saisons sur Jupiter explique bien la permanence d’une tache pendant quelques-uns de nos mois : ainsi les deux taches observées par Mœd-1er et Boer, de novembre 1854 à avril 1835, sont restées visibles pendant 167 jours terrestres, cinq mois et demi. Une telle durée d’une masse atmosphérique sur notre terre serait considérable mais il faut considérer que ce n’est guère que la vingt-cinquième partie de l’année de Jupiter, comme la moitié d’un des mois de cette planète.
- Mais que dire de la tache si longtemps observée par Cassini, laquelle paraît s’être montrée au même point depuis 1665 jusqu’à 1715, c’est-à-dire pendant cinquante années avec de longs intervalles, il est vrai, des disparitions; pendant des années entières, l’illustre astronome put l’observer, sans qu’aucun doute lui restât sur son identité. Nuage ou trouée, il est également difficile d’expliquer ce long séjour, en un même point, d’un produit atmosphérique. Faut-il supposer, comme on l’a fait, qu’en cette région de Jupiter existent de hautes montagnes, un immense plateau que l’on verrait ainsi surgir quand l’atmosphère qui le recouvre serait moins chargée de vapeurs, tandis que les parties plus denses de l’air ambiant masqueraient encore toutes les régions voisines ? Conjectures, on le voit, purement hypothétiques.
- Dans tout ce qui précède, nous n’avons abordé qu’une partie des questions relatives à la constitution physique de Jupiter, et encore, sommes-nous loin d’avoir exposé tous les doutes qu’elles font naître dans l’esprit, tous les desiderata bien propres à faire hésiter tous ceux qui ne font pas de la science une affaire d’imagination et qui préfèrent un fait bien établi, bien précis à la plus séduisante des hypothèses. Mais cette notice est djà longue et nous ne voulons pas mettre plus longtemps à l’épreuve la patience de nos lecteurs. Amédée GUILLEMIN.
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- LE PORT ALLEMAND DE VEN
- II se passe actuellement de l’autre côté du Rhin, des faits de la plus haute importance au sujet desquels il nous semble utile d’appeler l’attention publique : le gouvernement allemand ne recule devant aucun sacrifice pour utiliser les ressources de la science, au point de vue militaire, et pour doter l’empire d’une marine formidable, capable de rivaliser avec celle des premières nations maritimes. Des travaux gigantesques, que nous croyons pouvoir mentionner comme des merveilles de l’art des constructions de l’ingénieur, ont été exécutés sur les côtes de l’empire d’Allemagne, qui, si exiguës qu’elles soient, ne s’en hérissent pas moins, d’appa
- reils formidables, de ports puissants, et de forteresses défendues par les fameux canons d’acier, que l’ingénieur Krupp sait fondre dans ses usines. Le mois dernier, les membres du conseil fédéral et du Reichstag allemands, ont été invités à visiter le nouveau port allemand de Wilhelmshaven. D’après le Sperneshe zeitung, les visiteurs, firent la traversée de Bremerhaven à Wilhelmshaven sur un navire « pavoisé, comme dans un jour de fête, orné de pavillons et de banderolles. » La Revue maritime, publie d’après le Rivista maritima, de curieux détails sur une solennité, qui a fait sensation en Allemagne.
- Le maréchal de Moltke était l’objet de l’admiration générale. « A notre passage, dit un des témoins de cette fête, nous pûmes observer avec plaisir les favorables dispositions des ports des deux gracieuses villes de Geestemünde et de Bremerhaven, qui maintenant comptent environ 50,000 habitants chacune, et qui voient apparaître chez elles et sur le Weser un nombre extraordinaire de navires, véritable forêt de mâts. Ceci prouvait à chacun de nous qu’une flotte militaire doit être pour l’Allemagne quelque chose de plus qu’un objet de luxe. Dès que le Mosel eut son avant tourné vers la rade de Jahde, nous aperçûmes un certain nombre de navires, parmi lesquels nous reconnûmes les corvettes Hertha et Ariadne et 1c navire en essai la Loreley. Tous les yeux se dirigèrent sur ces bâtiments avec un intérêt marqué; car c’était un spectacle tout nouveau pour plusieurs d’entre les conseillers qui étaient à bord du Mosel, que celui d’un simulacre de combat en pleine mer...
- « Wilhelmshaven est bâtie, au bord de la mer, sur un terrain qu’il a fallu disputer pied à pied, à l’eau, et ce qui est pis encore à la vase et aux marais. Çà et là s’élèvent les habitations, isolées et groupées, formant de longues rues et présentant partout l’aspect d’une cité naissante. Avec quel intérêt naturel, les membres de la commission ne durent-ils pas contempler ces établissements maritimes, pour lesquels on conçoit de si belles espérances et on a voté de si grosses sommes !...
- « Les visites que nous fîmes au Grosser Kurfürst continue notre narrateur allemand, et à la frégate Prinz Friedrich Carl, en activité de service, furent très-intéressantes ; nous admirâmes à bord de celle-ci, les canons Krupp, qui lancent des projectiles du poids de 200 kilogrammes.
- « Pendant le petit nombre d’heures de notre séjour dans cette ville, nous n’eûmes pas le temps de faire une visite sérieuse aux grands établissements maritimes que l’on y a construits ; nous pûmes à peine jeter un coup d’œil sur les machines et les ateliers, et remarquer la série des navires placés sur les deux côtés du grand bassin : YAugusta, les deux frégates Kronprinz et Friedrich Carl, l’imposant Kœnig Wilhelm, le Prinz Adalbert, l'aviso Falke, Y Aider, etc.
- « A 7 heures du soir, nous nous rendîmes à bord
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- LA NATURE.
- du Kœnig Wilhelm, toute la batterie avait été transformé en un grandiose salon. Six cents personnes prirent place à la table, somptueusement servie. Le feld-maréchal de Moltke porta le premier toast : « A la santé de S. M. l’empereur, qui accroît toujours l’empire et se montre le conservateur de la paix, grâce à l’armée et à la flotte. » Les canons de la plage saluèrent ce toast de 101 coups de canons. Le chef de l’Amirauté, ministre de la marine, von Stosh, prit ensuite la parole et acclama le Conseil fédéral, le Reichstag, et les hôtes qui se trouvaient à bord du Kœnig Wilhelm. En qualité de Prussien, il pria les assistants de vouloir bien lui permettre de rappeler que 20 ans auparavant, Wilhelmshaven, était un désert, et que la valeur, unie à un esprit sérieux et à la constance, avait seule pu produire ces grandioses constructions que les fédérés admirent aujourd’hui. »
- « C’est à vous Messeigneurs du Reichstag et du Conseil fédéral, dit en terminant l’orateur, qu’il appartient de nous aider à accroître nos avantages et élever notre flotte à la hauteur qu’exige la dignité, l’honneur et la sécurité de l’Allemagne. »
- Pendant trop longtemps, nous avons failli, par excès d'indifférence, ne daignant meme pas jeter les yeux par-dessus nos murs. Que les terribles leçons d’un passé récent, nous soient salutaires, et que l’exécution d’un port allemand de l’importance de celui de Wilhelmshaven, ne reste pas inaperçu de ce côté du Rhin. Ces travaux qui viennent d’être inaugurés en Prusse, sont la conséquence directe de la science ; qu’on ne l’oublie pas : c’est par la science qu’une nation peut s’élever aujourd’hui, c’est à la source vivifiante de l’étude qu’elle peut puiser sûrement les éléments de sa grandeur.
- G. T.
- LA MÉTÉOROLOGIE COSMIQUE
- Tel est, comme nous l’avons dit dans notre article nécrologique sur Jean-Baptiste Donati, le nom de la science nouvelle que l’immortel directeur de l’Observatoire d’Arcetri a créée, quelques mois avant d'être enlevé par une terrible épidémie. Cette science naissante a été révélée par la grande aurore boréale que Donati a fait observer par tous les agents diplomatiques du royaume italien.
- Devenus les bases et les fondements d’une science si importante, ces beaux et grandioses phénomènes acquièrent une importance toute nouvelle, on peut dire exceptionnelle; aucune des circonstances qui les concernent ne doit dorénavant être négligée, quoiqu’il soit difficile de tout dire à leur endroit. Pour .convaincre nos lecteurs de la richesse inépuisable de ces variétés, dont on ignore la cause, nous avons pris, en quelque sorte au hasard, deux dessins. Voisins l’un de l’autre, rapprochés par le hasard, ils montreront mieux l’un et l’autre que de merveilles à décrire, que d’explications à découvrir.
- Notre première aurore, observée en France au
- mois de septembre 1731, a été dessinée par Mairon dans son bel ouvrage. C’est une des apparitions qui ont pu porter certains physiciens à s’imaginer que les aurores boréales étaient des queues de comète ! La seconde est beaucoup plus moderne. Elle fut observée par des Américains dans l’ancienne Amérique russe, aujourd’hui territoire d’Alaska, le 27 décembre 1865. On dirait un ruban lumineux formé par les replis d’un rideau de cirrhus qui vient du zénith et descend juqu’à l’horizon. Le spectacle fait involontairement songer à l’échelle mystérieuse que, suivant la légende, le patriarche aurait vue en rêve.
- Il est probable que l’extrême bizarrerie de ces apparences tient à quelque circonstance, dont on trouvera l’explication simple quand on aura fait un pas plus avant, mais sur lesquelles nous devons réserver notre opinion tout entière.
- Donati s’est borné, comme nous l’avons dit dans sa notice nécrologique, à établir rigoureusement le synchronisme relatif à chaque méridien successif. En d’autres termes, si toutes les heures étaient comptées d’après un même méridien universel, on verrait que l'aurore a fait le tour du monde, en marchant juste aussi vite que le mouvement apparent du soleil. Cette belle et grande loi, aussi simple que les plus lumineuses énoncées par le grand Keppler, prouve surabondamment que la cause des aurores gît dans le soleil lui-même. Cette vue si nette vient confirmer les longs et magnifiques travaux de M. Brown, l’astronome de Trevandum, qui a exposé des lois expérimentales non moins logiques, non moins surprenantes, et cela sans connaître les travaux de Donati, qui n’étaient point alors parvenus dans l'Inde. M. Brown a remarqué que les aurores boréales ont une périodicité de 26 jours, c’est-à-dire qui semble réglée sur le mouvement de rotation du soleil autour de son axe. Bien de plus naturel, si on admet la théorie de l’incomparable llanstoen qui veut que le soleil soit le siège de puissants courants électriques, en un mot, que ce soit un immense solé-noïde tels que ceux qu’Ampère et Arago nous ont appris à construire. En effet, il n’est point admissible que la surface du soleil soit homogène, d’où il résulte que l’action magnétique des divers méridiens solaires qui se déplacent sans relâche doit varier incessamment ; mais tous les 26 jours les divers méridiens solaires reprennent la même position relative à nous, d’où résulte que tous les 26 jours les mêmes méridiens ont repris leur même position, et que, par conséquent, l’action magnétisante du soleil doit offrir cette période.
- En comparant les mouvements de la pression barométrique en Écosse et en Tasmanie, M. Brown a constaté que les variations sont simultanées dans ces deux stations dont la latitude magnétique est la même, et qui sont situées l’une dans l’hémisphère antral, l’autre dans l’hémisphère boréal. Cette simultanéité rappelle évidemment celle qui a été constatée dans l’apparition des aurores dans les deux hémisphères. Mais ce n’est pas tout, car ces
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- S. CI
- deux variations sont périodiques et leur période est également de 26 jours. D’où résulte l’idée hardie que les variations de la pression barométrique sont dues à des variations de l’action magnétique du soleil et indépendantes de la gravitation. Cette idée renverserait de fond en comble pi isieurs théories admises par certains physiciens. Non-seulement les aurores seraient un signal que le temps a changé, mais on comprend qu’elles doivent être insépara-bles de ce changement de temps, puisqu’elles dérivent, elles aussi, de l'électricité du soleil.
- M. Brown n’a point jeté en l’air cette conception à l’état brut, sans l’étayer de nombreuses observations et de sérieux corollaires. Pendant le cours de l’année 1869, il a établi dans les montagnes du sud de l’Inde neuf sta-
- d’eau et s’est convaincu que le globule est plein. 2° il a observé que le phénomène de l’évaporation, même dans les plaines les plus chaudes de l'Inde, ne produit aucun mouvem nt latéral, malgré l’énorme quantité d’eau qui se rend ainsi dans les nuages. Il en résulte, que tout le mécanisme de la circulation atmosphérique et oca-nique, dont on a fait tant de bruit, paraît loin d’avoir dans la na-ture la même impor-tancequedans la science contemporaine. 5° 11 a observé que la direction des nuages est tout à fait indépendante des variations de la pression barométrique. Ce fait saillant résulte de très-longues et très-nombreuses observations laites en Écosse, avec un grand soin et dans lesquelles on tenait compte de la direction relative de toutes les couches.
- tions, pour déterminer la valeur de la variation barométrique , et il a étudié une période distincte de la précédente, dont l'existence est constatée pour toute la terre, et que l’on nomme diurne ou plutôt semi-diurne.
- Le tableau de ces nombreuses observations prouve que l’amplitude varie proportionnellement à la valeur absolue de la pression , c’est-à-dire plus grande dans le voisinage des plaines que sur les sommets escarpés. D’où il n’est pas difficile de déduire qu’il faut que la pression même soit produite par une force extérieure
- Aurole boréale obseivée à Brevillepont, 26 septembre 1751.
- Aurore boréab observée dans
- l’Alaska, le 27 décembre 1863.
- , telle que le serait
- une
- mois dans la tombe. Dans
- Suivant Al. Brown le moteur de tous ces mouvements atmosphé-riques ne peut être que l’électricité solaire. Nous reviendrons avec plus de détails sur tous ces faits que nous ne pouvons qu'indiquer d’une façon sommaire. Alais n’est-ce point une coïncidence digne d’être signalée,que de voir le témoignage de Brown confirmé par Donati mourant, et Donati donner raison , par des voies nouvelles, à l’incomparable Ilansteen, ce génie si peu compris et cependant qui rayonne de si vives lumières, qui ne l’a précédé que de quelques notre dernière revue de
- action électrique émanée du soleil.
- Chemin faisant, AL Brown attaque, dans ses moires (voir les comptes rendus 1872-1875), préjugés mis en avant par des météorologistes
- Mé-des qui
- n’ont point observé la nature et que l’on trouve énoncés dans tous les traités de physique : 1° La vapeur à l’état vésiculaire est un mythe ; car Al. Brown a longuement observé au télescope de la vapeur
- météorologie nous avons critiqué, avec quelque violence, des opinions du Père Denza, qui nous paraissaient erronées. Alais nous serions désespérés qu on vit dans notre polémique une attaque contre le talent de cet observateur qui nous paraît digne de continuer la tâche de Donati, car il a déjà organisé, aux frais du gouvernement italien, les observations électriques dans sept observatoires metéoroio-
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- giques, parmi lesquels nous citerons Moncalieri et le grand Saint-Bernard, dont la grande élévation rend les indications si précieuses C’est le célèbre Palmieri, de l'Observatoire vésuvien, qui est l’inventeur des instruments en usage dans ces nouvelles stations. Nul doute que la météorologie cosmique, entre des mains pareilles, ne fasse des pas de géant, et qu’on ne puisse dire bientôt d’elle:
- Mes pareils à deux lois ne se font pis connaître, Et pour leurs coups d’essai veulent des coups de maître.
- W. DE FONVIELLE.
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- CHRONIQUE
- Les orchidées du Muséum. — La serre des orchidées au Jardin des Plantes, où les obus prussiens ont causé de sérieux désastres, acte complètement réparée, et de magnifiques fleurs s’y épanouissent actuellement au milieu de l’atmosphère chaude où elles sont plongées. Ces fleurs multicolores, les plus admirables productions végétales, sont très-recherchées des amateurs. Elles ont une valeur considérable, comme l’atteste une vente célèbre faite à Londres. Lord Londesborough, grand amateur d’orchidées, a payé un bel exemplaire de Cymbidium eburneum 8 livres 10 schellings, c’est-à-dire 212 francs, un autre pied de la même espèce 75 livres 10 schellings (1,887 fr. 50) un Epidendrum vilellinum majus, 16 liv. 10 schellings, (412 fr. 50). 70 pieds d’orchidées ont produit à la vente dont nous parlons plus de 20,000 francs. La collection des orchidées du Muséum, unique dans son genre, avait été presque entièrement détruite, pendant le siège de Paris, par les projectiles ennemis. Elle est redevenue aujour-d’hui ce qu’elle était jadis ; souhaitons que nos autres blessures se cicatrisent de même !
- Tremblement de terre à Alger. — Les feux souterrains qui ont si fréquemment ébranlé cette année l’écorce terrestre ne se sont pas livrés à un long repos. Ils viennent de manifester leur action dans notre colonie algérienne. Une secousse de tremblement de terre assez violente s’est fait sentir à Bouffarick, le 1G octobre dernier, à dix heures quarante-deux minutes du soir et a duré au moins cinq à six secondes. La direction des oscillations n’a pu être exactement déterminée, les avis sont à peu près partagés. Cependant on penche pour la direction du sud au nord. Le 17 octobre, on ne reconnaissait aucune trace de dégâts : pas de lézardes aux bâtiments, pas d’accidents d’aucune nature, mais les populations, on le conçoit, ne sont que bien médiocrement rassurées.
- Les couleurs d'aniline à l'Exposition de tienne. — M. le professeur Kopp, qui a étudié spécia-liment ces remarquables produits exposés à Vienne, nous apprend que l’industrie des couleurs dérivées du goudron de houille s’est signalée par de remarquables progrès. Elle a pris une extension considérable. « La fuchsine, constituée par un sel de rosaniline, dit M. Kopp, s’obtient exclusivement par la réaction d’un poison violent, l’acide arsénique, sur l'aniline commerciale. Pour se faire une idée de l’énorme consommation d’acide arsénique provoquée par la fabrication de la fuchsine, nous n’avons qu’à rappeler que pour l’Allemagne seule, elle est évaluée à 1,100,000
- kilog. ; or, de beaucoup, la plus grande partie des résidus arsénifères était écoulée dans les fleuves et rivières, et ce n’est que dans quelques localités, comme par exemple à Ilaan, près d'Elberferd, et pendant quelque temps dans les environs de Bâle, que ces résidus étaient soumis à des traitements rationnels pour en retirer l’arsenic sous une forme commerciale. » Le violet Hlofmann, qui, en 1867, était une nouveauté, se fabrique aujourd’hui en abondance; le vert-lumière a pris une extension considérable ; à l’Exposition de Vienne, figurent enfin de magniques échantillons de violets et de verts de méthylaniline. Comme nouveauté de l’Exposition, M. Kopp mentionne la safranine, belle matière colorante rouge rose, qui donne à la soie le plus admirable et le plus brillant- aspect.
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- Or de la Colombie anglaise. — Un journal américain constate que l’or expédié par express des bords de la rivière Fraser et des districts aurifères de la Colombie anglaise depuis 1858 jusqu’au 1er septembre 1875, s’élève à 25,278,944 dollars. En estimant à la moitié l’or apporté par les particuliers durant la même période, on peut évaluer la production totale de la Colombie durant les quinze dernières années à 44 millions de dollars ; c’est une moyenne de 2,261,000 dollars par an. Le développement des ressources minérales du district a été dû surtout à la construction d’une route jusqu’au district minier de Caribou et qui a coulé 1,250,000 de dollars. La tête de ligne estle port de Yale sur la rivière Fraser, à l’une des extrémités, et la ville de Bakerville, sur la voie de William, à l’autre bout : la route à 400 milles de longueur, et serpente le long de la côte. Ainsi que dans les districts aurifères de la Californie, de Nevada, d’AusIralic, l’or ne peut plus s’extraire des placées par de simples lavages. Il faut maintenant des installations pour broyer, des machines à vapeur pour l’épuisement des eaux. Les exploitations se réduisent en ce moment à une trentaine de compagnies. La plus importante est la compagnie appelée Lane et Kurtz Cariboo Mining company, qui appartient à des actionnaires et capitalistes de San Francisco. Quelques autres mines sont exploitées par des capitalistes anglais. La plupart des exploitations fournissent du minerai d’or en quantité rémuné-rative ; et pour le petit nombre des mines qui ne se trouvent pas dans ce cas, il faut attribuer l’insuccès à l’insuffisance des capitaux mis enjeu.
- Pèse-bébés. — A l’Académie des sciences morales et politiques, à propos d’un rapport fait par M. Levasseur sur le résultat de ses observations à l’exposition devienne, en ce qui concerne l’éducation de l’enfance, M. Lévêque a si-gnalé un berceau envoyé à celle exposition parM. le docteur Coussin (de Bellevue), et combiné de manière à indiquer le poids d’un enfant. D’un autre côté, dit la Gazette de Médecine, M. Husson a donné d’intéressants détails sur d’autres berceaux-balances essayés dans les hôpitaux de Paris et destinés aussi à faire connaître le poids successif de l’enfant. Cet instrument vient en aide à la surveillance administrative. Il est, en effet, certain que toutes les deux ou trois semaines la différence de poids fournit sur le trai-tement du nourrisson une indication qui n’est pas à dédaigner. Mais la nécessité de déshabiller les enfants n’est pas sans inconvénients.
- Exploration du désert de Libye (Afrique). — On a récemment vu passer à Leipzik, à destination de Trieste, deux fourgons de bagages pour l’expédition qui va bientôt explorer le désert de Libye (partie orientale du Sahara). La forme insolite des colis, leur taille énorme
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- attiraient l’attention des passants ; mais ce qu'on remarquait surtout, dit l'Officiel d’après la Gazelle de Cologne, c’était un grand nombre de caisses vides en fer. On pou-\ait en compter jusqu'à 500. Ces récipients-doivent servir à transporter l’eau nécessaire au personnel de l’expédition chacune de ces caisses peut contenir 100 livres (mesure allemande) d’eau. Elles sont émaillées à l’intérieur, pour que le liquide puisse s’y conserver plus longtemps intact. Ces provisions sont la principale garantie de la réussite de l’entreprise ; car, si l’expédition a ce qu’il lui faut en ce genre, indépendamment des ressources que lui fourniront les sources et les puits, elle pourra manœuvrer dans toutes les directions.
- Onsaitquc c’est levice-roi d’Égypte quifaitgénéreusement les frais de cette exploration à travers le désert. Ce prince avait déjà soutenu de ses deniers, le voyageur Schweinfurth le zoologue Hœkel, sans parler de Baker, qui, en dehors des frais de son expédition, a reçu du vice-roi pendant quatre ans, 10,000 liv. st. chaque année. Il est probable que l’expédition nous apportera des renseignements sur la géologie et le relief de la partie est du Sahara, qu’elle nous dira par exemple si dans celte section du grand désert il existe des chaînes de montagnes, des dépressions, des hauteurs, des oasis, des formations de sable, etc.; en un mot, qu’elle fera connaître un coin de notre globe, grand comme le centre de l’Europe et reste jusqu’à ce jour complètement inexploré et inconnu. Le départ d’Europe des voyageurs aura lieu à la fin de novembre. On quittera l’Égypte au commencement de décembre, et, à la fin de ce dernier mois, nous pourrons avoir déjà des relations du voyage, datées peut-être de Tarafreh. Quant au but principal, Koufra, au centre du désert de Libye, on peut y parvenir pour la fin de janvier dans les circonstances les plus favorables. Il avait d’abord été question de partager l’expédition en deux troupes, mais il a été décidé que tout le monde partirait ensemble de Minich ou de Siout, en se dirigeant vers l’ouest. Ces deux points ont été choisis à cause de leur position sur un chemin de fer; ils formeront une base fixe d’opérations.
- Observations scientifiques des Russes à Kiva.
- — Le temps que les troupes russes doivent passer encore dans le Rhanat de Khiva est employé, sur les ordres du général Kaufîmann, à la continuation des études scientiques interrompues par l’expédition contre les Turcomans. Le colonel Gluchowski et le lieutenant-colonel baron Kaulbars ajoute le Journal officiel, à qui nous empruntons ces documents, sont occupés en ce moment à des levés topographiques du pays. Les Usbeks de Khiva ne manifestent plus cette haine fanatique contre les étrangers (kafirs) qui domine en général chez les musulmans d’Asie. Ils sont très-communicatifs, dit un correspondant russe de la Gazelle d'Ausbourg, et ne prétendent point que toutes les inventions européennes sont des ouvrages du démon (shaitan).
- C’est ce que peuvent constater les officiers qui s’occupent de topographie, de photographie et d’astronomie. Les photographies prises par M. Kriwhow excitént partout les plus vives sympathies. Les indigènes s’efforcent devenir en aide à l’artiste et ils se laissent très-volontiers photographier. La cause en est que les Khivains ne peuvent être considérés comme des Usbeks pur sang ; l’introduction d esclaves persanes ayant depuis des siècles amené un mélange de races, de même que le voisinage des Russes a provoqué un mélange avec le sang moscovite. La mère du divan Beghi Mat Niaz était une prisonnière russe. Comme nous l’avons déjà dit précédemment, l’expédition russe ne manquera pas de nous fournir une quan
- tité de détails du plus haut intérêt, sur des nations à peine connues. Nest-il pas triste qu’il faille la guerre pour amener ces résultats ?
- Le télégraphe Hughes. — Depuis que M. Hughes découvrit en 1850, aux États-Unis, le synchronisme de son curieux appareil, à l’aide des vibrations d’une tige métallique, il fit faire des progrès rapides à son admirable découverte, qui prend tous les jours une plus grande extension. Un habile praticien, M. G. Miriel, vient de publier un remarquable ouvrage, où il décrit avec de grands développements le télégraphe Hughes, où il explique la théorie de son emploi, où il parle de son maniement et des avantages qu’offre ce beau système. Le livre de M. G. Miriel sera apprécié par tous ceux qui s’intéressent aux progrès de la télégraphie.
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- BIBLIOGRAPHIE
- Une synthèse physique. — Ses inductions et ses déductions. — Universalité des grandes forces ; leurs conditions originelles ; leur rôle dans le fluide élhérê. Avec un appendice physico-physiologique, par le docteur Aug. Durand (de Lunel), officier de la Légion d’honneur, médecin principal de Are classe, en retraite, médecin consultant à Vichy. — Paris 1873. — Un vol. in-18, de 185 pages. — E. Savy, éditeur, 24, rue Ilautefenille, Paris. — Prix: 3 francs.
- Le ciel géologique.— Prodrome de géologie comparée, par STANESLAS Meunier. — 1 vol. in-8u. — Firmin Didot frères, fils et Ce, 5G, rue Jacob, Paris. — Prix: 4 francs.
- Ce bel ouvrage, auquel le monde savant a déjà fait un si favorable accueil, abonde en vues nouvelles, élevées, qui en font une œuvre essentiellement originale ; l’auteur y jette les bases d’une science nouvelle, appelée à un grand avenir, et certainement destinée à ouvrir de vastes horizons à la pholosophie naturelle.
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- EMPLOI DES TUYAUX DE PLOMB
- POUR LA CONDUITE DES EAUX.
- Le conseil municipal de Paris a été saisi, dans une de ses dernières séances, d’une question d’hygiène publique des plus importantes, puisqu’elle met en cause la santé de plusieurs millions de personnes. Il s’est occupé d’une espèce d’agitation qui s’est produite depuis quelque temps et qui continue encore au sein de la population parisienne au sujet de l’usage des tuyaux de plomb servant à la distribution des eaux potables.
- Cette agitation a pour point de départ une pétition présentée à la signature d’un grand nombre de personnes honorables, pétition par laquelle on demande la suppression absolue des tuy aux de plomb et leur remplacement par des tuyaux également de plomb, mais revêtus intérieurement d’une mince couche d’étain. On invoque pour cela l’action délétère des composés plombiques, action malheureusement trop connue, et l’on admet que la surface de ce métal en contact
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- LA NATURE.
- avec l’eau qu'il transporte forme en s’oxydant des composés qui entrant en dissolution dans cette eau, sont ingérés journellement par les habitants au grand détriment de leur santé. La question ainsi posée prend son origine dans un sentiment des plus honorables; elle intéresse, en effet, la plus grande partie des populations ; car ce n’est pas seulement à Paris que les eaux sont ainsi distribuées, mais encore dans toutes les grandes villes et même dans les campagnes.
- Les faits qu’on a invoqués sont-ils vrais? les craintes qu’on a suscitées doivent-elles être regardées comme sérieuses ? Ces questions, le savant directeur des eaux et égouts de Paris a promis de les résoudre dans une prochaine publication, et l’on peut être assuré qu’elles seront résolues de manière à ne laisser aucun doute dans les esprits. Mais, en attendant cette publication, il ne sera certainement pas déplacé de traiter ici la question aussi brièvement que possible.
- Disons tout d’abord que ce n’est pas la première fois que cette question surgit; elle s’est déjà produite il y a une vingtaine d’années. Vers cette époque un honorable industriel a proposé, comme aujourd’hui, de remplacer les tuyaux ordinaires de plomb par des tuyaux étamés à l’intérieur. Je ne sais si les conseils d’hygiène et de salubrité de la ville de Paris se sont occupés de cette proposition, mais il est très-probable qu’ils en ont eu connaissance; dès lors, si l'emploi de ces tuyaux étamés n’a pas été prescrit, c’est que très-probablement ces corps savants, si experts dans les questions de ce genre, ont jugé que les conditions dans lesquelles s’effectuait la distribution de nos eaux ne présentaient aucun inconvénient p ar la santé publique.
- Voyons, en effet, si ces craintes d’intoxication sont réellement sérieuses. Il est parfaitement connu de tous les chimistes que le plomb placé dans de l’eau pure aérée (eau distillée) s’oxyde rapidement et se change en hydrate et en carbonate de plomb, dont une partie se dissout à la faveur de l’acide carboni-que de l’atmosphère. C’est ainsi que Barruel a retiré 62 grammes d’hydrateet de carbonate de plomb de six voies d’eau distillée laissées pendant deux mois dans une cuve de plomb. C’est encore un fait de cette nature que l’on a observé quand on a introduit l’eau de mer distillée dans l’alimentation des équipages ; les appareils de condensation de la vapeur d’eau, ainsi que les réservoirs, étant de plomb, on a signalé des cas d’intoxication par l’usage de cette eau, et depuis l’emploi de vases étamés, ces accidents ne se sont plus produits. Ces faits nous démontrent que quand il s’agira de conduire et de conserver des eaux pures, comme eau distillée, eau de citerne alimentée par la pluie et peut-être certaines eaux très-pures qui coulent sur les roches granitiques, il sera très-prudent, sinon absolument nécessaire, de proscrire l’emploi de tuyaux de plomb non revêtus intérieurement d’un agent protecteur, puisqu’il est démontré que ces eaux peuvent dans ces conditi ns se charger d’un composé toxique
- Mais si l’eau pure aérée attaque le plomb avec lequel elle se trouve en contact, il n’en est plus de même quand cette eau renferme quelques millièmes seulement de sels terreux, comme sulfate et carbonate de chaux, et même des matières organiques. Les eaux de cette nature sont sans action aucune sur le plomb et ne peuvent se charger d’aucun principe délétère fourni par ce métal. Tous ces faits sont non-seulement très-bien précisés dans les traités de chimie, mais sont encore démontrés expérimentalement dans les cours de nos écoles.
- Il suffit maintenant de considérer la composition générale des eaux qui alimentent Paris pourvoir que toutes ces eaux, même celles qui doivent nous être amenées, renferment ces sels terreux dans la proportion par litre d’environ 0,1 (puits de Grenelle) jusqu’à 0,45 (eau d’Arcueil et canal de l’Ourcq). Toutes ces eaux sont par leur nature incapables de se charger par dissolution des composés toxiques du plomb, à la condition de se conformer aux indications données par M. le docteur Guérard, c’est-à-dire que le plomb n’émerge pas à l’intérieur de la conduite de fer et ne soit pas directement en contact avec ce métal et l’eau ; car ce savant a démontré que le plomb étant positif par rapport au fer et surtout à la fonte, dans ce cas le plomb peut s’oxyder et se car-bonater. Mais nous croyons savoir que toutes les dispositions convenables sont prises par l’administra-tion pour obvier à cet inconvénient, que l’étamage intérieur des tuyaux de plomb ne pourrait guère prévenir.
- Comme on le voit par cet exposé des connaissances scientifiques, les craintes qu’on a fait naître sont véritablement imaginaires, et l’expérience pratique journalière, et l’on peut dire séculaire, vient encore protester contre elles. En effet, tous nos établissements publics sont non-seulement alimentés d’eau potable à l’aide de ces tuyaux de plomb ; mais un grand nombre étaient, il y a peu de temps encore, munis d’immenses réservoirs doublés de ce métal, dans lesquels l’eau séjournait pendant assez longtemps. Cependant il n’est, je pense, à la connaissance de personne que les populations sédentaires ou autres qui les ont habités pendant des temps assez longs aient eu à souffrir d’une intoxication plombi-que quelconque1.
- 1 L’article que l’on vient de lire est du à un chimiste distingué, M. Personne, qui l’a écrit pour la Gazette hebdomadaire de médecine. Nous avions l’intention de rassurer déjà nos lecteurs au sujet des craintes, depuis longtemps répandues dans le public, relativement à la circulation des eaux potables dans les tuyaux de plomb Nous n’avons rien à ajouter à l’article de M. Personne, qui rend un réel service en signalant au public des vérités depuis longtemps connues des chimistes. L’alarme est semée depuis quelque temps par quelques journaux politiques qui, malleureusement, font souvent preuve d’ignorance, quand ils abordent des questions technioues.
- G. T.
- Le Propriétaire-Gérant : G. TISSANDIEL.
- PATIS. — IMP. SIMON naçov ET COMP., TUE D’EnFUATII, I.
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- INDEX ALPHABÉTIQUE
- A
- Académie des sciences (Séances hebdomadaires), 142, 159, 175, 191, 207, 233, 240, 254, 271, 308, 318, 335, 384, 399.
- Académie des sciences naturelles de Philadelphie, 31.
- Accroissement de la population de Londres, 95.
- Acide carbonique (Les migrations de l’), 107.
- Action de la chaleur sur le virus charbonneux, 303.
- Aérolithes, 87, 143, 207, 292, 324.
- Aéronaute en Russie (Un), 31.
- Aérostat captif de Vienne, 111.
- Aérostation, 63.
- Aérostats (Direction naturelle des), 77.
- Aérostats militaires français, 126.
- Aérostats militaires en Prusse, 16.
- Affection parasitaire des meutes du Poitou.
- Agassiz aux îles Élisabeth, 175.
- Age du bronze en Sibérie, 62.
- Age du renne, 83.
- Aimants (travaux de M. Jamin), 154.
- Ammoniaques composés, 336.
- Amou-Daria (L’), 378.
- Animaux utiles, 301.
- Apports du Nil et le canal de Suez (Les),127.
- Apus (L’), 189.
- Arachnides dans les gisements métallifères de Dudley, 127.
- Arbres bouteilles (Les), 15.
- Arbres (Durée de l’existence des), 40.
- Arrosage des rues de Londres, 159.
- Arts disparus (Les), 71.
- Arts du dessin en France à l’époque du renne, 83.
- Arum muscivorum, 77.
- Ascensions aérostatiques, 127, 142, 319, 383.
- Association britannique, 323, 345, 364.
- Association française pour l’avancement des sciences. Congrès de Lyon, 155, 234, 262, 334.
- Associations pour protéger les nids d’oiseaux, 111.
- Assurances de l’usine Krupp (Les), 159.
- Astacus zaleucus, 220.
- Aurore boréale du 5 février, 240.
- Azote atmosphérique et la végétation (L’), 76.
- B
- Baleine prise dans un câble, 334.
- Barreaux de grille à circulation d’eau, 400.
- Bateau de sauvetage en fer, 31
- Bateau porte-torpille, 348.
- Ballons (voy. Aérostats), Boa-constrictor de Poodoocoltal (Le), 158.
- Bouées de sauvetage à lumière inextinguible, 241.
- Bouée de sauvetage lumineuse, 77.
- C
- Cacatoès (Les), 200.
- Calédonie (Nouvelle-), 215.
- Canon russe de 40 tonnes (Le), 235.
- Cap Blanc-Nez et cap Gris-Nez, 135.
- Capillarité (Effets de), 367.
- Carbonisation épigénique du diamant, 300.
- Carpenter à l’Académie des sciences (Le docteur), 127.
- Carrière de pierres lithographiques, 174. Cartes du Dépôt de la guerre, 115, 134.
- Cartes de vents et de courants, 203.
- Chaleur solaire (Curieuse utilisation de la), 158.
- Challenger (Expédition et pêche), 97, 200, 225.
- Champignon colossal, 206.
- Champignons comestibles et vénéneux, 181.
- Champs de lave du lac Klamath (Orégon), 62.
- Changement de forme delà comète Henry, 240.
- Charbon (A propos de la cherté du), 222.
- Charrue mitrailleuse (Nouvelle), 63.
- Chemin de fer du Righi, 7.
- ------- de l’Asie centrale, 47.
- ------- du Grand Central asiatique, 78.
- ------- du Mont-Cenis, 104. ------- européens,
- Chine centrale (Voyage dans la), 211.
- Chloroforme en chemin de fer (Le), 222.
- Choléra (Le), 206, 226.
- Ciel (Le) au mois de juin, 2. juillet, 65, août, 143. septembre, 211.
- Ciel (Le) au mois d’octobre, 284 ------- novembre, 352.
- Climat des montagnes, 335.
- Coloration accidentelle des eaux douces ou marines, 281.
- Comètes (Les nouvelles), 223, 271.
- Concours de groseilles en Angleterre, 254.
- Condensation du gaz par le charbon pur, 319.
- Congrès des météorologistes à l’Exposition de Vienne, 318.
- Conservation des vins (De la), 329. Conservation des viandes,
- Coquillage (Le plus petits des), 78. Correspondance, 287.
- Coste, 295, 327.
- Côte du Gabon (La), 326.
- Coton aux îles Fidji, 15.
- Cotopaxi (Ascension du), 4b.
- Couleurs d’aniline, 414.
- Cours de géologie du Muséum, 111.
- Criquets dévasteurs (Les), 230, 258, 298, 314.
- Croisade scientifique (Une grande), 46.
- Cucujos, 175.
- Culture delà betterave, 346.
- Cyclones (Les), 247, 267, 316.
- D
- Dans les nuages, 321.
- Darwin (Argument contre), 46.
- Dattier (La culture du), 126.
- Découverte de l’Amérique par les Scandinaves, 187.
- Découverte de Troie, 174.
- Découverte d’objets de l'âge de pierre, 318.
- Défenses fossiles de mammouths, livrées
- au commerce, 190.
- Dérivés de la houille (Traités des), 16.
- Dérivés du caoutchouc, 336.
- Désert de Libye, 414.
- Détroit de Magellan, 32
- Diamants à l’Exposition do Vienne, 254,
- Diamants du Cap, 351.
- Diatomées, 14.
- Dolmen de Caranda, 320.
- Dynamite, 273.
- E
- Eaux d’égouts à Gennevilliers (Utilisation des), 553.
- N
- S
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- INDEX ALPHABÉTIQUE.
- École Anderson aux îles Élisabeth, 257 Enseignement en Allemagne (L‘), 253.
- Enseignement supérieur en France, 1. Établissement scientifique de Burlington-House, 62.
- Étés extraordinaires, 78.
- Eucalyptus globulus, 408.
- Examens scientifiques en Chine, 63. Exhalation des plantes, 584.
- Expédition à la recherche de Livingstone, 61. du Challenger, 97. de Samuel Baker, 127. —— allemande du Congo, 127. allemande au pôle, 11. • aérostatique de M, Wise, 254. de Khiva, 129, 286, 578, 415. —- dans le Far-West, 222. Exploitation de la tourbe en Angleterre, 304.
- Exploration du fleuve Bleu, 287. Exposition de Vienne, 94,127, 158, 235, 254. universelle de Madrid, 239. Évaporation de l’eau par les feuilles (L’), 163.
- F
- Faune du lac Léman, 382.
- Fécondation de la sauge (La), 204.
- Fer en Amérique (Le), 518, Ferry-Boats deM. Dupuy de Lôme, 159.
- Fétidité de l’eau de la Clyde, 190. Flachat (Eugène), 87.
- Fluves (Les), 250.
- Fiore carbonifère du département de la Loire (La), 510.
- Fondations par l’air comprimé (Les), 148. Fonds de la mer, 30, 35, 46, 97, 246. Forêt submergée sous la Tamise, 125. Fourmis rouges, 31.
- France industrielle (La), 91.
- Frégate cuirassée allemande, 79.
- Fungoïdes (Développement sur les oiseaux) 63.
- G
- Gamme (La), 37.
- Géographie de l’Afrique centrale, 206. Géographie physique de la mer, 227. Gnathophansia, 369.
- Goitre et le sulfate de chaux (Le), 303. Graines de peuplier à Paris (Les), 78, Grottes de Menton (Les), 169.
- Grue colossale, 334.
- Guano (Nouvelle variété de), 254. Guinée (La), 239, 244.
- H
- Hanstein (Christophe), 267.
- Hérodote et sir Baker, 158.
- Homme-Chien (L’), 552, 585.
- Houille en Amérique (La), 222.
- Huiles minérales, 151.
- IIyalonema toxeres, 225.
- Hygiène (Leçons d’), 223.
- I
- Ile Saint-Paul, 96.
- Iles des Navigateurs (Les), 339.
- Indo-Chine, 152.
- Induction péripolaire, 248.
- Industrie des mines en Russie, 47.
- Infusoires, 60.
- Instruments enregistreurs photographiques, 66.
- Isthme de Darien, 111.
- Itinéraires des grandes épidémies, 287.
- J
- Jardin de Kiew (Le), 15.
- Jupiter (La planète), 3, 357, 560, 409.
- K
- Kauri (Le), 15.
- Khiva (Expédition de), 129.
- Laboratoires du Muséum (Les nouveaux), 5.
- Lac Okeekobee (Le), 189.
- Ladrerie bovine, 224.
- Lagon de la mer de Corail, 50.
- Liebig, 24.
- Limon de la Seine examiné au microscope 10.
- Locomotive routière.
- Lumière électrique à Londres, 158.
- Lumière polarisée dans les recherches microscopiques, 565.
- Lune (Chaleur de la), 52.
- (son influence sur les éléments magnétiques du globe pendant une éclipse) 47.
- Lustres de l’Assemblée Nationale, 385.
- M
- Machine à gaufrer le velours d'Utrecht, 92.
- — él ectro médical de Ruhmkorff, 61. ----- magnéto-électrique de Gramme, 541.
- ----- Schemioth, 125.
- Mac-Clure, 598.
- Marées (Utilisation de la forces des), 62.
- Mars (La planète), 3, 66, 145,171, 240.
- Marteau-pilon à vapeur, 93.
- Maury. M. F. 53, 73, 203, 227.
- Médecine (Revue de), 64, 186,
- Médecine pneumatique, 383.
- Mégathérium du Muséum (Le), 305,
- Membres correspondants de l’Association britannique, 202.
- Mers martiales, 240.
- Métallurgie du fer et de l’acier (Procédé Siemens), 184.
- Météores aqueux, 235.
- Météore de Bruxelles, 259.
- Météorite d'Hull, 143.
- Météorites (voy. Aérolithes).
- Météorologie cosmique, 412.
- Météorologie fossile, 319.
- Météorologie (Revue de), 48, 112, 175, 243.
- -------- aux États-Unis, 15.
- Mètre (Le), 17.
- Microscope appliqué au diagnostic (le), 80.
- Mine de corindon en Pensylvanie , 318.
- Mines d’or de l’Alaska, 350.
- Mirage extraordinaire, 206.
- Miroirs d’air (Les), 138.
- Moisissures microscopiques (Les, 349, Monères (Les), 109.
- Monument à la mémoire de Liebig, 26.
- Mortalité en France (La), 214.
- Moulins des cannes à sucre, 44.
- Mouvements des plantes, 351.
- Muscles rouges et muscles blancs, 367.
- N
- Naufrage aérien, 159.
- Navigation à vapeur en Angleterre, 47.
- Navire décuirassé (Le), 49.
- Navires à vapeur (Dimensions comparatives des), 192.
- Navires circulaires de l’amiral Popoff, 255.
- Nélaton, 289.
- Nid du Républicain, 567.
- Nitroglycérine et la dynamite (La), 275.
- Nouvelles de Livingstone, 550.
- Nuages artificiels, 363.
- Nuages (Dans les), 321.
- Nuées de criquets aux États-Unis, 279,
- 0
- Observations de la comète IV de 1875. 271.
- Observations météorologiques (Nouvelles 255.
- Observatoire de Paris, 33.
- Observatoire Dudley à Albany, 59.
- Œufs de poulpe (Les), 553.
- Oiseau moqueur (L’), 75.
- Ombres extraordinaires, 55,
- Opposition de la planète Flore, 108, Opposition de la planète Gerda, 174.
- Or de la Colombie anglaise, 414.
- Orage du 9 août à Nîmes, 190.
- Orage du 29 juillet, à Paris, 159.
- Orchidées du Muséum, 414.
- P
- Palestine (Exploration en), 191.
- Panama (Isthme de), 15.
- Papyrus d’Ebers (Le), 135.
- Passage de Vénus (préparatifs en Russie!, 174.
- Pêche aux harengs, 302.
- Pêche de marsouins dans le golfe de Marseille, 301.
- Pêche et pisciculture en Chine, 395.
- Pêches du Challenger, 220, 225, 369, 592.
- Perce-oreilles (Les), 99.
- Percement du St-Gothard (Le), 130.
- Perse contemporaine (La), 126.
- Pèse-bébés, 414.
- Pétrole (Le), 222.
- Phare d’Ar-men (Le), 387.
- Phénate d’ammoniaque contre la pustule maligne (Le), 320.
- Phénomène acoustique de Gebel Nagus, 123.
- Phénomènes volcaniques de l'Archipel, 255.
- Photographie (Curieuse application de la), 225.
- Phylloxéra (le), 4, 18, 45, 57, 143, 255, 287, 519, 324, 550, 352.
- Pierres musicales, 16.
- Pierres qui tombent du ciel (Les), 87, 143,207, 292, 324, 559.
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-
- INDEX ALPHABÉTIQUE.
- to
- Pieuvre, 4/, 95.
- Pisciculture en chemin de fer (La), 95 Plage de Cayeux (oscillations de la), 54, Planètes et étoiles doubles. 336.
- Planète (Une nouvelle), 207.
- Plongeons (les), 119.
- Pluie météorique d’Alexandrie, 219.
- Poison des Pahiouins, 15.
- Poissons de Chine, 575.
- Poissons (chaleur naxima qu’ils peuvent supporter) 15.
- Polaris (Le), 81, 113, 298.
- Pompes à incendie à l’Exposition deVienne, 127.
- Pont de Schnurtobel, 9.
- ------- de Combe, 105.
- ------- (le plus grand du monde), 47, Ponts aux États-Unis, 27.
- Port allemand de Wilhelmshaven, 411.
- Ports de mer dans les Indes anglaises, 264.
- Pouls (Le), 271, 505.
- Presse scientifique en Norwége (La), 62.
- Printemps perpétuel (Le), 190.
- Prix d’un million de francs, 189.
- Produits de l’oxydation des fers météoriques, 271.
- Projet de communication avec les habitants de Vénus, 287.
- Proportion d’acide carbonique contenue dans l’air à diverses altitudes, 287.
- Propriété acoustique d’une fontaine de l’institut, 63.
- Protoxyde d’azote, 125.
- Puits à gaz combustible, 174.
- Puits glacé de Vermont, 15.
- R
- Rails en Amérique, 239.
- Réactif de la galène, 335.
- Récompenses à l’Exposition de Vienne, 502.
- Réservoirs de Montsouris, 259.
- Revue aérostatique, 301.
- Revue agricole, 118, 198, 269.
- Roi de l'Oukami (Le),
- Ronalds (Francis), 222.
- Rose (Gustave), 159.
- Route d’Amérique sur l’Océan, 62.
- Royaume d'Atchin (Le), 502.
- Rupture du câble de Singapore par un poisson, 160.
- S
- Salenica Varispina, 220.
- Sarcophages dans le Calvados (Découverte de), 254.
- Saturne, 66.
- Sélénium (Effets de la lumière sur le), 218.
- Sépulture de l’âge de pierre, 350.
- Singe-lion ou Marikina, 111.
- Singes (Intelligence des), 95.
- Sinistre aérien, 551.
- Société africaine d’Allemagne, 52.
- Société d’acclimatation de Cincinnati, 239.
- Société de microscopie, 334.
- Société Ramond, 384.
- Société scientifique de Buenos-Ayres, 63.
- Soleil elles Colonies françaises (Le), 550.
- Solubilité du plomb dans l’eau, 384.
- Sondages (voy. Fond de la mer), 55, etc.
- Sparlerie chez les Arabes, 31.
- Spectroscope totalisateur de M. Lockyer, 156:
- Spectres aériens, 55.
- Spitzberg, 160, 13.
- Statistique de la poste anglaise, 190.
- Succédané de la quinine, 350.
- Sucre de betteraves en Allemagne, 566. Sulfate d’ammoniaque (Nouveau procédé de fabrication, 16.
- T
- Taupins lumineux (Les), 337.
- Teinture et impression par l’indigo, 114.
- Télégraphe d’Australie, 11.
- Télégraphe du Brésil (Interruption dans la pose du), 259.
- Télégraphe du Colorado, 384.
- Télégraphe Hughes, 415.
- Télégraphe transatlantique (un miracle de la science), 65.
- Télégraphie atmosphérique, 195, 212, 232.
- Télégraphie électrique en Angleterre (Développements de la), 188.
- Télescope de Melbourne, 277.
- -------- de lord Rosse et de Lassel, 307.
- Télescope Foucault, 371.
- Télescope d’un million de dollars, 52. Télescope et microscope, 223.
- Températures extraordinaires observées pendant l’expédition de Khiva, 129.
- Tempêtes, 286.
- Texcoco, 366.
- Théorie nouvelle des aurores polaires, 240.
- Théorie solaire de M. Zollner, 224.
- Thermomètre moteur, 384.
- Titane des basaltes, 384.
- Torpilles offensives, 177.
- Torpilles prussiennes, 177.
- Traînée persistante d’un bolide, 287.
- Transmission du choléra, 271.
- Traversée de l’Atlantique en ballon, 167, 183, 501.
- Tremblements de terre sous-marins, 15. ------- de Saint-Pierre, 98, 115. ------- en France, 269.
- ---- au Chili, au Pérou, etc.,95,126, 206, 207, 259, 414.
- —— de Valparaiso, 270.
- Trombes marines, 191.
- Tunnel sous la Tamise (Le second), 132. Tuyaux de plomb pour la conduite des eaux, 415.
- ü
- Utilité des oiseaux, 78.
- V
- Vache de 200,000 francs, 398.
- Valeur d’une pomme de terre (La), 77.
- Vent chaud des déserts du Turkestan, 225.
- Vénus (La planète), 3.
- Vénus (Passage de), 62.
- Ver à soie (un nouveau), 223.
- Vers à soie de l’ailanle et du chêne, 360, 401.
- Vie dans l’obscurité (La),190.
- Vignobles en 1873, 222.
- Vision (Phénomènes de la), 94.
- Vitalité des insectes aquatiques, 335.
- Volcan Cotopaxi, 46.
- Volcans et tremblements de terre, 566.
- Volcan Mauna Loa, 534.
- Voyages (voy. Explorations).
- w
- Wagons ambulances, 141.
- Wagons de chemins de fer américains, 69.
- ERRATA
- Page 11, col. 2, L 13, au lieu de Poralis Usez Polaris.
- — 46, — 2, — 50, — — Physiologiste lisez Philologue.
- — 59, — 2, — 23, — — Donataires lisez Donateurs.
- — -174, — 2, —38, — — Apparition lisez Opposition.
- — 245, — 1, —26, — — Serraville lisez Serravalle.
- — » — » — 28. — — Diello lisez Biella.
- Page 245, col. 1.51, au lieu de Visevane lisez Vigevano.
- — » — ' — 56, — — Domadonala lisez Domo d'Os-sola.
- — v — » — » — — Cogne lisez Coni.
- — » — » — 18 et 30, — Daunnaria lisez Dammara.
- — • — » —51, — — Sigilluria lisez Sigillaria.
- — » — » — 34, — — Stigucaria lisez Stigmaria.
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- LISTE DES AUTEURS
- PAR OR RE ALPHABÉTIQUE
- Bertillon (Dr). —Des champignons comestibles et vénéneux, 181. — Des deux individus exhibés sous les noms d’Hom-mes-Chiens, 585.
- BLERZY (H). — Les ponts aux États-Unis, 27. — Les wagons des chemins de fers américains, 69. — Les fondations par l’air comprimé, 148. — La métallurgie du fer et de l’acier, procédé Siemens, 184.
- Boissaï (Charles). — Le chemin de fer du Righi, 7. — Le chemin de fer du Mont-Cenis, 104. — Le second tunnel sous la Tamise, 132. — Le phare d’Ar-men, 587.
- BONTEMPS (Ch.). — La télégraphie atmosphérique, 195, 212, 232.
- DEHÉRAIN (P.-P). — Évaporation de l’eau par les feuilles, 163.
- Delvaille (Dr C). — Le papyrus d’Ébers, 135.
- Flammarion (Camille). — La planète Mars, d’après les dernières observations astronomiques, 145,} 171. — Les plus grands télescopes du monde, 277, 307, 370.
- FONVIELLE (WILFRID de). —Les expéditions allemandes et la conquête du pôle Nord, 11. — La météorologie des mois de Mai, Juin, Juillet, 48, 112, 175. — Bulletin de la navigation aérienne, 63. — Un miracle de la science, 65. — Curiosités de la météorologie ; les miroirs d’air, 138. —Développement de la télégraphie électrique en Angleterre, 188. — Revue météorologique, 245. — Coste, 295, 326. — Donati, 380. — La météorologie cosmique, 412.
- FRAISSINET (A), — Chacornac, 558.
- Gariel (Dr C. M). — La gamme, 56.
- GARRIGOU (Dr F). — Les grottes de Menton et la question de l’homme fossile, 169.
- Girard (Jules).— Les diatomées, 14. — Le fond d'un lagon de la mer de Corail, 30. — La vie animale dans les grandes profondeurs de la mer, 35. — Phénomène acoustique de Gebel-Nagus, 123. — La distribution géographique des huiles minérales, 151. — Exploration de la Palestine, 191. — L’exploitation de la tourbe en Angleterre, 304. — Les moisissures microscopiques, 549. — Emploi de la lumière polarisée dans les recherches microscopiques, 365.
- Girard (Maurice). — Les perces-oreilles, 99. — Les criquets dévastateurs, 231, 259,314. Les taupins lumineux, 337.
- Güillemin (Amédée). — Bulletins astronomiques : le ciel aux mois de Juin, Juillet, Août, Septembre, Octobre et Novembre, 2, 65,143, 210, 284, 352. — La planète Jupiter, 357, 360, 409.
- Güillemin (Eugène). — Les cartes du dépôt de la guerre, 115, 134.
- JOLY (Dr N). Les arts du dessin en France à l’époque du renne, 83. — Coloration accidentelle des eaux douces ou marines, 281
- LANDRIN (E,. — L'apus, 189.--------Utilisation des eaux d’égout à Gennevilliers, 553.
- LuTonT (Charles). — L’itinéraire des grandes épidémies, 288. — De la conservation des vins, 329.
- Lhéritier (L). Durée de l’existence des arbres, 40. — Nouveaux moulins des cannes à sucre, 44. — L’île Saint-Paul, 96. — Le cap Blanc-Nez et le cap Gris-Nez, 135.
- Marcel (Garriel). — La Nouvelle-Calédonie, 215. — Le dénouement de l'histoire du polaris, 298. — L’eucalyptus glo-bulus, 408.
- Margollé (Élie). — M F. Maury, 52, 73. — L’œuvre de Maury, 202, 227.
- Menault (Ernest). — Revues agricoles, 118, 198, 269. — La culture de la betterave, ses avantages, 546.
- Meunier (Stanislas). — Académie des sciences, séances hebdomadaires, 142, 159, 175, 191, 207, 233, 240, 254, 271, 303, 318, 351, 384, 599. — Les pierres qui tombent du ciel, 87, 292, 524, 339, 403.
- Niaudet BREGUET. — Machine magnéto-électrique de Gramme, 541.
- Renaud (Léon). — Le navire décuirassé, 49. — Les torpilles offensives, 177. — Les navires circulaires de l’amiral Po-poff, 255. — Le bateau porte-torpilles, 348.
- Schneider (Aimé).— Les monères, 109.
- Saint-michel (P. de). — Les arts disparus, 71. — Machine Schemioth, 123. — Les wagons ambulances, 140. — Le canon russe de 40 tonnes, 235. — Les bouées de sauvetage à lumière inextinguible, 241.
- Tissandier (Gaston). —L’enseignement supérieur en France, 1. — Les nouveaux laboratoires du Muséum, 5. — Le mètre, 17. — L’Observatoire de Paris, 53. — Ombres extraordinaires, 54. — Une souscription scientifique, 59. — Les instruments enregistreurs photographiques, 66. — L’azote atmosphérique et la végétation, 76. — L’expédition du Challenger et les sondages océaniques, 97. — Les découvertes du polaris, 113. — La teinture et l’impression par l’indigo, 114. — Le percement du Saint-Gothard, 130. — Rupture du câble de Singapore par un poisson, 160. — Traversée de l’Atlan-tique en ballon, 167, 183. — Les tremblements de terre en France, 209.— Pluie météorique, 219. — Les fonds delà mer, 246. — Les fleuves, 250. — La nitroglycérine et la dynamite, 273. — Dans les nuages, 321. — L’Amou-Daria et la mer d’Aral, 578. — Le port allemand de Wilhelms-haven, 411. — La pêche et la pisciculture en Chine, 395.
- Vignes (E). — Le phylloxéra, 4, 18, 47, 57* —Les plongeons, 119.
- ZURCIER (F). — Les cyclones, 247, 267, 516.
- Z. (Dr). — Revues médicales, 66, 186.
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- TABLE DES MATIÈRES
- N. B. Les articles de la Chronique, imprimés dans ce volume en petits caractères, sont indiqués
- dans notre table en lettres italiques.
- Astronomie.
- Bulletins astronomiques pour les mois de Juin, Juillet,
- Août, Septembre, Octobre et Novembre (A. GUILLE-min)......................... 2, 65, 143, 210, 285, 552
- L’Observatoire de Paris (G. ............................ 55
- L’Observatoire Dudley à Albany (G. TISSANDIEn). ... 59
- L’opposition de la planète Flore........................108
- La planète Mars, d’après les dernières observations astronomiques. — Conditions de son habitabilité (C. Flammarion)........................................... 145, 171
- Les nouvelles comètes,............................. 223, 271
- Les plus grands télescopes du monde : Télescope de Melbourne, de lord Rosse, de Lassel, de Foucault (C. Flammarion).. ..................................... 277,507, 570
- La planète 'Jupiter (A. Guillemin)........... 357, 560, 409
- La chaleur de la lune................................... 32
- Le télescope d'un million de dollars. ....... 32
- Influence de la lune sur les éléments magnétiques du globe.................................................... 47
- Le prix de la première lunette employée au passage de Vénus................................................. 62
- Préparatifs en Russie pour le passage de Vénus. . . 174
- Observations de l'opposition de la planète Gerda. . . 174
- Changement de forme et spectre de la comète de
- MM. Ilenry.........................................240
- Les mers martiales................................2 10
- Observation de la comète IV de 1875............... 271
- Projet de communication avec les habitants de Vénus. 287
- Théorie solaire de M. Zollner......................224
- Planètes et étoiles doubles.........................356
- B* 2 S ?
- La gamme (D: C. M. Gariel)............................ 36
- Machine électro-médicale de ........................... 61
- Les instruments enregistreurs (G. TISSANDIEN)......... 66
- Phénomène acoustique de Gebel Nagus (J. GIRARD). . . 123
- Les aimants. — Travaux de M. Jamin. . ................154
- Le spectroscope totalisateur de M. N. Lockyer..........156
- L’induction ......................................... 249
- Machine magnéto-électrique de Gramme (NIAUDET BRE-guet)..................................................341
- Emploi de la lumière polarisée dans les recherches microscopiques (J. Girard)............................. 365
- Pierres musicales..................................... 16
- Singulière propriété acoustique d’une fontaine de l’Institut............................................. 65
- Une nouvelle lumière électrique à Londres.............158
- Effets de la lumière sur le sélénium...............218
- Effets de capillarité................................ 367
- Le télégraphe Hughes..................................415
- Chimie.
- Les nouveaux laboratoires du Muséum (G. TISSANDIEA). 5
- L’azote atmosphérique et la végétation (G. TISSANDIER). 76
- Les migrations de l’acide carbonique et les phénomènes du rochage............................................106
- La teinture et l’impression par l’indigo (G. Tissandier). 114
- Évaporation de l’eau par les feuilles (P.-P. DEHÉRAIN). 163
- La nitro-glycérine et la dynamite (G. Tissandier). . . . 273
- Carbonisation épigénique du diamant................. 300
- De la conservation des vins (Ch Letort)...............329
- Utilisation des eaux d’égout à Gennevilliers (E. Landrin) . 353
- Emploi des tuyaux de plomb pour la conduite des eaux. 415
- Nouveau procédé de fabrication du sulfate d’ammoniaque............................................... 16
- Le protoxyde d’azote...................................125
- Une nouvelle variété de guano. ........................254
- Proportion de l’acide carbonique dans l’air, à différentes altitudes .....................................287
- Condensation du gaz par le charbon pur................319
- Un réactif de la galène...............................335
- Succédané de la quinine...............................550
- Conservation des viandes...............................351
- Ammoniaques composés de l'esprit de bois...............336
- Dérivés du caoutchouc..................................366
- Le titane des basaltes.................................384
- Solubilité du plomb dans l’eau.........................584
- Les couleurs d'aniline à l’Exposition de Vienne. . . . 414
- Sciences naturelles.
- Le Phylloxéra (E. Vignes).......................4, 18, 43, 57
- Examen microscopique du limon déposé pendant les crues de la Seine (J. Girard) .... 10
- Les diatomées (J. Girard)........... . .... 14
- Le fond d’un lagon de la mer de Corail (J. Girard). . . 30
- La vie animale dans les grandes profondeurs de la mer (J. Girard) 35
- Les oscillations des côtes et la plage de Cayeux. . . 34
- Durée de l’existence des arbres (L. .................... 40
- Les infiniment petits.................................... 60
- L’oiseau moqueur......................................... 72
- L’arum muscivorum........................................ 76
- Les arts du dessin en France, à l’époque du renne (N. Jolt) 83
- Les perce-oreilles (M. Girard)........................... 99
- Les monères (A. Schneider). . . ' * 109
- Les plongeons (E. Vignes)................................119
- Le cap Blanc-Nez et le cap Gris-Nez (L. LuÉuTIER). . . 135
- Des champignons comestibles et vénéneux (A. Bertillon). 181
- L’apus...................................................189
- Les cacatoès............................................ 200
- La fécondation de la sauge...............................204
- Astacus zaleucus.........................................220
- Salenica ................................................220
- llyalonema toxeres.......................................225
- Les criquets dévastateurs (M. Girard). . 230, 258, 298, 314
- Les grottes de Menton et la question de l’homme fossile (Dr F. 169
- L’école Anderson aux îles Elisabeth......................257
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- 422
- TABLE DES MATIÈRES.
- Coloration accidentelle des eaux douces et marines (De N. Joly)....................................
- Le mégathérium du Muséum d’histoire naturelle. . . . La flore carbonisée du département de la Loire.
- Les œufs de poulpe.............................
- Les taupins lumineux (M. ............................................
- Les moisissures microscopiques (J. .............
- Le nid du Républicain....................
- Les pêches du Challenger................. 220, 225, 569,
- Gnathophansia gigas............................
- Les poissons de Chine exposés au congrès des orienta-
- listes (E. S.).................................
- La faune des profondeurs du lac Léman........
- L’eucalyptus globulus (G. MARCEL)............
- Le kauri.....................................
- Les arbres bouteilles..........................
- Chaleur maxima que peuvent supporter les poissons.
- Les fourmis rouges.....
- Une nouvelle pieuvre. .........................
- L’âge du bronze en Sibêiic.....................
- Développement des fungoïdes sur les oiseaux vivants.
- Les chauves-souris de l'époque antédiluvienne et les chauves-Souris contemporaines..................
- Les plus petits des coquillages.................
- Les graines de peuplier à Paris.................
- De l’intelligence des singes............
- La pieuvre française à Brighton.................
- Le singe-lion du Jardin d’acclimatation.........
- Une forêt submergée sous la Tamise..............
- Le boa-constriclor de Poodoocotah...............
- Agassiz aux îles Élisabeth ..........................................
- La vie dans l’obscurité.........................
- Un champignon colossal.........................
- Un nouveau ver à soie........................... Nuée de criquets aux États-Unis................. Pêche de marsouins dans le golfe de Marseille. . . Découverte d’objets de l’âge de pierre....... . La société de microscopie de Victoria...........
- Vitalité des insectes aquatiques................
- Reproduction du phylloxéra.......... 356, Les mouvements des plantes............
- L’homme-chien.................. Exhalation des plantes .............
- Les orchidées du Muséum........................
- Météorologie. — Physique du globe.
- La météorologie des mois de Mai, Juin, Juillet (W. de
- ................................»..............
- Revue météorologique (W. de ....................
- Ombres extraordinaires.— Spectres aériens et auréoles lumineuses (G. ................................
- Les instruments enregistreurs photographiques (G. Tis-................................................
- Les tremblements de terre en Italie, en France, en Amé-que, etc......... 95, 98, 116, 126, 206, 209, 239,
- Les pierres qui tombent du ciel ...............
- 87, 292, 324, 339, L’expédition du Challenger et les sondages océaniques (G. 97, 220,
- Températures extraordinaires observées pendant l’expédition de Khiva ... .
- Curiosités de la météorologie. — Les miroirs d’air (W. de ................................................
- Pluie météorique (G. ..........................
- Les cyclones (F. ZURCHER)..................... 247, 267,
- Maury et son œuvre (E. MARGOLLÉ). ... 52, 73, 203, Les fleuves (G. ......................................
- Les fonds de la mer (G. ......................................................
- Dans les nuages (G. ................................
- L’Amou-Daria et la mer d’Aral (G. TISSANDIEN).......
- La météorologie cosmique (W. de FONVIELLE).......... Service météorologique aux États-Unis............... détroit de Magellan................................
- Les étés extraordinaires....................
- 281 505 510 555
- 357
- 549
- 567
- 392 569
- 373 582
- 408
- 15
- 15
- 15
- 51
- 47
- 62
- 65
- 65 78
- 78
- 95
- 95
- 111
- 125
- 158 175
- 190
- 206 222
- 270
- 501
- 518 354
- 535 552 351 352
- 584
- 414
- 48 234
- 54
- 66
- 270
- 405
- 225
- 129
- 138 219 518
- 227
- 250
- 246
- 521
- 378
- 412
- 15
- 52
- 78
- La météorite d’Hull......................142
- Les orages du samedi 26 juillet, à Paris.159
- Le printemps perpétuel...................190
- Orage du 9 août à Nîmes. . . . ......... 191
- Trombes marines..........................191
- Un mirage extraordinaire............. 206
- Le vent chaud des déserts du Turhestan...223
- Météores aqueux................ 238
- Le climat de la côte de Guinée...........259
- Aurore boréale du 5 février..............240
- Théorie des aurores jiolaires............240
- Nouvelle méthode de représentation des observations météorologiques.........................255
- Phénomènes volcaniques dans l'archipel...255
- Tempêtes.................................286
- Traînée persistante d’un bolide..........287
- Congrès des météorologistes à Vienne........ 518
- Le volcan Mauna Loa......................534
- Le climat des montagnes.............. 555
- Volcans et tremblements de terre.......... 566
- La Société Ramond................ 584
- Tremblement de terre à Alger.............414
- Exploration du désert de Libye...........414
- Observations scientifiques des Russes à Khiva. . . . 415
- Géographie. — Voyages d’exploration.
- Les expéditions allemandes cl la conquête du pôle Nord (W. de FOs VIELLE)................................ Il
- L’expédition du Polaris........................81-115
- Le dénoûment de l’histoire du Polaris (G. Marcel). 215
- L'ile Saint-Paul (L. Lhéritjer)................... 90
- Voyage d’exploration en Indo-Chine par J. GARNIEn. . . 152
- Les explorations au Spitzberg.................161, 193
- Explorations en Palestine (J. GIRARD).............191
- Nouveau voyage dans la Chine centrale..............211
- Nouvelle-Calédonie (G. Marcel).....................215
- La Guinée septentrionale...........................244
- Le royaume ........................................502
- Le voyage du Challenger. ... 46, 97, 220, 225, 369, 592
- La côte du Gabon.................................. 526
- Les îles des Navigateurs. . . .....................359
- La Société africaine.............................. 52
- J^emière ascension du Cotopaxi.................... 46
- Expéditions à la recherche de Livingstone par le
- Congo............................................ 61
- Les champs de lave du lac Klamalh-Oregon.......... 62
- Sir et ladij Samuel Baker..........................126
- La Perse contemporaine............................126
- L’expédition allemande du Congo...................127
- Départ de la Juniata. . . ........................158
- Hérodote et sir Baker.............. 158
- Le lac Okeechobee.................................190
- La géographie de l’Afrique centrale........ . 206
- Exploration dans le Far-West.......................222
- L’expédition de Khiva.............. 286
- Exploration du fleuve Bleu.........................286
- Nouvelles de Livingstone...........................550
- Le soleil et les colonies françaises...............550
- Texcoco...............................................
- Le roi de l’Oukami....................................
- Le Challenger à l’ile Saint-Paul..................398
- Retour de la Diana. ..............................-98
- Mécanique. — Art de l’ingénieur.
- Le chemin de fer du Righi (Cn. Boissaï)............ 7
- Le télégraphe d’Australie......................... 15
- Les ponts aux États-Unis (H. Blerzï).............. 27
- Moulins des cannes à sucre (L. LNÉnTIER).......... 44
- Les wagons de chemins de fer américains (II. Blerzï). • 69
- Marteau-pilon..................................... 93
- Machine à gaufrer le velours .................... 92
- Le chemin de fer du Mont-Cenis (Cu. Boissaï)......104
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- TABLE DES MATIÈRES.
- 423
- Pompes à incendie à l’exposition devienne...............127
- Le percement du Saint-Gothard (G. ......................150
- Le second tunnel sous la Tamise (Ch. ...................132
- Les fondations par l’air comprimé (H. BLERZY). .... 148
- Rupture du câble de Singapore par un poisson(G. TISSAN-..........................................................160
- La métallurgie du fer et de l’acier (II. BLERZY)......184
- Développement de la télégraphie électrique en Angleterre (W. de .............................................188
- La télégraphie atmosphérique. — Les tuyaux pneumatiques. — Le matériel et les dépêches. — Les dérangements (Cn. .................................... 195, 212, 232
- Les ports de mers dans les Indes anglaises..............2C4
- Exploitation de la tourbe en Angleterre (J. Girard). . . 304
- Le phare d’Ar-men (Ch. Boissay).........................587
- Barreaux de grille à circulation d’eau..................400
- Le port allemand de ....................................411
- Isthme de Panama........................................ 15
- Les voies ferrées de l'Asie centrale.................... 47
- Le plus grand pont du monde............................. 47
- Utilisation de la force des marées...................... 62
- Le Grand Central asiatique.............................. 78
- Le canal de l’isthme Darien.............................111
- Les apports du Nil et le canal de Suez..................127
- Curieuse utilisation de la chaleur solaire..............158
- Rails en Amérique..................................... 259
- Les réservoirs de Montsouris............................239
- Une nouvelle mine de corindon...........................518
- Une grue, colossale................................... 554
- Une locomotive routière.......................... . • 566
- 'Thermomètre moteur.............................. . 384
- Médecine et Physiologie.
- Revues médicales Dr Z............................61-186
- Machine électro-médicale............................ 61
- Phénomènes de la vision............................. 91
- Le choléra. •.................................. 206-226
- La mortalité en France..............................211
- L’itinéraire des grandes épidémies (Ch. LETORT). . . . 288
- Des deux individus exhibés sous le nom d’IIommcs-Chiens (Dr J. Bertillon) 585
- Le poison des Pahouins. . .......................... 15
- Les maladies régnantes Dr Z........................ 64
- L'agoraphobie....................................... 64
- Le carbonate de lithine dans la goutte et la gravelle. 64
- Corps étrangers dans le conduit auditif............. 64
- Le chloroforme en chemin de fer......................222
- Le pouls.............................................271
- Le pouls redoublé................................... 303
- Action de la chaleur sur le virus charbonneux. . . 303
- Le goitre et le sulfate de chaux................... 503
- Le phénate d’ammoniaque contre la pustule maligne. 520
- Affection parasitaire des meutes du Poitou.........
- Muscles rouges et muscles blancs....................367
- La médecine pneumatique.............................385
- Pèse-bébés........................................ 414
- Agriculture.
- Le phylloxéra (E. Vignes).....................4, 18, 45, 57
- Revues agricoles, Concours de moissonneuses (E. ME-NAULT). 118, 198, 269
- Récoltes dérobées. — Concours hippique. — Fermes écoles. — Écoles de bergers. ..............................198
- La question des subsistances............................. 269
- Machine Schemioth (P. de Saint-Michel).....................123
- La culture de la betterave (E. .......................... 346
- Les vers à soie à l’Exposition du congrès des orientalistes 360
- Le ver à soie de ..........................................360
- Les nuages artificiels.....................................363
- Le ver à soie du chêne. ...................................401
- La culture du dattier......................................126
- Association pour protéger les nids d’oiseaux. . . . 111
- Les vignobles en 1873............................ 222
- La ladrerie bovine..................................224
- Le sulfure de carbone contre le phylloxéra..........224
- Apparition du phylloxéra aux environs, de Cognac. 255
- Observation sur le phylloxéra ailé..................287
- Les animaux utiles..................................501
- Nouvelles études sur le phylloxéra........ 319, 536, 352
- Le sucre de betteraves en Allemagne. ....... 566
- Une vache de 200,000 francs....................... 398
- Art militaire — marine.
- Le navire décuirassé (L. Renard).......................... 49
- Le Borussia, frégate cuirassée allemande.................. 79
- Les cartes du dépôt de la guerre. — Carte de l’état-major.
- — Carte du nivellement général de la France (E. Guillemin) 115-134
- Les wagons ambulances (P. de Saint-Michel). .... 140
- Les torpilles offensives (L. Renard).................. . 177
- Dimensions comparées des navires à vapeur.................192
- Le canon russe de 40 tonnes à l’Expositon de Vienne (P. de Saint-Michel) 235
- Bouées de sauvetage à lumière inextinguible (P. de Saint-Michel) ..................................................241
- Les navires circulaires de l’amiral Popof (L. Renard). . 255
- Le bateau porte-torpilles (L. Renard)........................
- La navigation à vapeur en Angleterre...................... 47
- Bouée de sauvetage lumineuse. . . ........................ 77
- Les torpilles prussiennes............................... 142
- Aéronautique.
- Ombres extraordinaires. (G. .................... 54
- Traversée de l’Atlantique en ballon (G. Tissandier). 167, 183
- 254, 501
- Dans les nuages (G. Tissandier).................321
- Les aérostats militaires en Prusse.............. 16
- Un aéronaute français en Russie................. 31
- Bulletin de la navigation aérienne.............. 63
- Direction naturelle des aérostats.............. 77
- L'escapade du ballon captif de Vienne...........111
- Les ballons militaires français.......... 126
- Une ascension aérostatique à Berlin.............127
- Ascensions aérostatiques........................142
- Horrible naufrage aérien...........................
- Ascension durai de Siam.........................174
- Revue aérostatique............... 301
- Ascension du ballon le Jean-Bart................518
- Sinistre aérien................................ 351
- Ascension du ballon le Nassau.................. 583
- Deuxième échec du ballon transatlantique. .... 583
- Notices nécrologiques. — Histoire de la science.
- .......................................................... 24
- M. F. Naury (E. Margollé)..........................52, 73
- Eugène ................................................... 87
- Le papyrus d’Ébers (Dr Delvaille)................155
- La découverte de l’Amérique par les Scandinaves. . . 187
- Aérolithes et tremblements de terre, d’après Lycosthènes. 207
- L’œuvre de Maury (E. Margollé)................... 203, 227
- L’école Anderson aux îles Elisabeth..............257
- Christophe Hansteen..............................267
- Nélaton..........................................289
- ............................................... 295,327
- Chacornac (Fraissinet)...............................
- Donati...............................................
- Macquorn Rankine. «..................................
- Gustave Rose. . . . .................................
- Francis Ronalds......................................
- Un monument à la mémoire de Liebig.....................
- Mort de Mac Cl tire. ................................
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- TABLE DES MATIÈRES.
- Sociétés savantes. — Associations scientifiques.
- Expositions universelles.
- Académie des sciences. — Comptes rendus des séances hebdomada res (S. Meünier). 142, 159, 175,191, 207, 223 240, 254, 271, 287, 303, 319, 335, 351, 384, 399 L’Association française pour l’avancement des sciences.
- — Congrès de Lyon 1873..................... 155, 234, 262
- L'Association britannique.................... 323, 345, 364
- Académie des sciences naturelles à Philadelphie. . 31
- Société scientifique de Buénos-Ayres. ................ 62
- L’établissement scientifique de Burlington-House.. . 62
- Logement gratuit des professeurs à l’Exposition de
- Vienne.................-............................127
- L’Exposition russe à Vienne...........................158
- Société d'acclimatation de Cincinnati................ 259
- Exj)osition universelle de Madrid. .......................
- Les diamants de l’Exposition de Vienne. • . . . . 254
- Les membres correspondants de l’Association britannique ................................................302
- Les récompenses à l’Exposition de Vienne. . ... . 502
- Congrès des météorologistes à Vienne...............318
- L’Association française............................. 334
- Variétés. — Généralités.
- L’enseignement supérieur en France (G. TissANniER). . . 1
- Le mètre (G. Tissandier)............................. 17
- L’Observatoire de Paris (G. Tissandier).............. 53
- Une souscription scientifique (G. Tissandier)........ 59
- Un miracle de la science (W. de FONVIELLE)........... 65
- Les arts disparus (P. de Saint-Michel)............... 71
- Le dolmen de Caranda, ............................. 520
- La pêche et la pisciculture en Chine (G. Tissandier) . . . 395
- Une grande croisade scientifique.......... 46
- L’industrie des mines en Russie...................... 47
- La route d’Amérique sur l'Océan...................... 62
- La presse scientifique en Norvège.................... 62
- Nouvelle charrue mitrailleuse........................ 62
- Les examens scientifiques en Chine................... 62
- La valeur d’une pomme de terre. . ................... 77
- L'accroissement de la population de Londres. . . . 95
- Le docteur Carpenter à l’Académie des sciences. . . 127
- Expériences pour l’arrosage des rues de Londres. . 159
- Les assurances de l’usine Krupp...........159
- découverte d'une carrière de pierres lithographiques. 174
- Un puits à gaz combustible................174
- Découverte de Troie.......................174
- Prix d’un million de francs.......... . . 189
- Les défenses fossiles de mammouths livrées au commerce.....................................190
- Fétidité de l’eau de la Clyde............. 190
- Statistique de la poste anglaise..........190
- A propos de la cherté du charbon..........222
- La houille en Amérique....................222
- L’enseignement en Allemagne...............253
- Découverte de sarcophages dans le Calvados.254
- Concours de groseilles en Angleterre......254
- l.a pêche aux harengs............. 302
- Le fer en Amérique........................318
- Une baleine prise dans un câble.......... 334
- Une découverte archéologique..............355
- Les mines d'or de l'Alaska............ 350
- Sépulture de l'âge de pierre..............350
- Les chemins de fers européens.......... 566
- Les diamants du Cap.......................351
- Les lustres de l’Assemblée nationale.... 583
- Le télégraphe du Colorado.................384
- Or de la Colombie anglaise.............. 414
- Bibliographie.
- Traité des dérivés de la houille, par MM. Ch. Girard et de Laire.................................................. 16
- Manuel du microscope dans ses applications au diagnostic et à la médecine, par MM. Mathias Duval et Léon ........................................................ 80
- La France industrielle, par Paul Poiré................... 91
- Vie des animaux, par Brehm...............................200
- Leçons d’hygiène, par le Dr Riant........................223
- Télescope et microscope, par MM. Zurcher et MARGOLLÉ. 225
- L’eau, par M. G. Tissandier..............................250
- Traité de la conservation des vins, parM. Pasteur. . . 329
- La marine cuirassée, par Dislère.........................399
- Nouveau traité de chimie industrielle, par 'Wagner . . . 599
- Une synthèse physique, par Durand...................... 415
- Le ciel géologique, par S. Meunier.......................415
- FIN DES TABLES.
- PARIS. — 1M P. SIMON RAÇON ET COMP., RUE d’eRFURTH, t.
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