La Nature
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- LA NATURE
- REVUE DES SCIENCES
- ET DE LEURS APPLICATIONS AUX ARTS ET A L’INDUSTRIE
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- LA NATURE
- REVUE DES
- ET DE LEURS APPLICATIONS AUX ARTS ET A L’INDUSTRIE
- JOURNAL HEBDOMADAIRE ILLUSTRÉ
- Paris. Un an... — Six mois
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- REVUE DES SCIENCES
- ET DE LEURS APPLICATIONS AUX ARTS ET A L'INDUSTRIE
- JOURNAL HEBDOMADAIRE ILLUSTRÉ
- HONORÉ PAR U. LE MINISTRE DE L'iNSTRUCTION PUBLIQUE d’uNE SOUSCRIPTION POUR LES BIBLIOTHEQUES POPULAIRES ET SCOLA1RB3
- RÉDACTEUR EN CHEF
- GASTON TISSANDIER
- ILLUSTRATIONS
- DESSINATE URS
- MM. BONNAFOUX, FÉRAT, GILBERT, E. JUILLERAT, A. TISSANDIER, etc.
- GRAVEURS
- MM. BLANADET, DIETRICH, MORIEU, SMEETON-TILLY PÉROT, etc.
- SEPTIEME ANNÉE
- 1879
- PREMIER SEMESTRE
- PARIS
- G. MASSON, ÉDITEUR
- LIBRAIRE DE L’ACADÉMIE DE MÉDECINE
- 120, BOULEVARD SAINT-GERMAIN
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- 7* ANNÉE. — N° 288.
- 7 DÉCEMBRE 1878
- LÀ NATURE
- REVUE DES SCIENCES
- ET DE LEURS APPLICATIONS AUX ARTS ET A L’INDUSTRIE
- L’ORIGINE DE L’ATMOSPHÈRE
- Quelle est l’origine de l’atmosphère?
- Voilà certes une question qui, à première vue, paraît tout à fait oiseuse. Car, enfin, pourquoi ne pas admettre que u l’océan aérien » comme on dit, vienne comme la mer et comme la masse solide du globe, de cette nébuleuse primitive dont l’histoire a immortalisé Laplace?
- Consultez un ouvrage classique de géologie ou de physique du globe et c’est l’opinion que vous trouverez en effet développée.
- Eh bien, cette solution du problème, toute simple qu’elle paraisse, entraîne néanmoins des difficultés qui ont paru insurmontables à diverses personnes et c’est pourquoi les savants du plus grand mérite se sont ingéniés à trouver autre chose.
- On va comprendre de quoi il s’agit :
- L’air n’est pas simplement composé d’oxygène et d'azote. On y connaît la présence constante de beaucoup d’autres choses telles que des poussières diverses, de la vapeur d’eau et de l’acide carbonique. Chacun a même admiré cette merveilleuse disposition naturelle en vertu de laquelle la respiration animale et la respiration végétale se complètent de façon à faire parcourir au carbone un cercle lermé de transformations toujours renouvelées : la plante décompose l’acide carbonique et dégage de l’oxygène que l’animal brûle au contraire et ramène à l’état d’acide carbonique.
- On pourrait croire, d’après ce fait — l’un des mieux constatés de la science — que le même acide carbonique sert indéfiniment depuis l’origine du monde et continuera à servir toujours.
- Mais il faut faire attention que si l’animal, en consumant l’oxygène le rend tout entier à l’atmosphère sous forme d’acide carbonique, la plante, au contraire, décomposant l’acide carbonique fixe le carbone à l’état solide dans ses tissus. Si, après la mort, la matière végétale se décompose librement, l’atmosphère rentre en possession de son carbone 7* innée. — Ie' lemcstre.
- qui lui est rendu à des états variés ; mais les choses se passent tout autrement, si, comme il arrive fréquemment cette décomposition complète n’a pas lieu.
- Très-souvent, comme on sait, le bois, les feuilles, enfouis après la mort du végétal dans une vase submergée, protégés ainsi contre le contact combinant de l’air, se transforment peu à peu en lignite, puis en houille ou charbon de terre et enfin en anthracite sinon même en graphite ou plombagine. 11 résulte de là qu’une très-forte quantité de carbone s’emmagasine dans le soi aux dépens de l’atmosphère et il est bien naturel de se demander s’il n’y a pas là une cause devant amener un jour la dégénérescence de toute la flore. En tout cas on a émis l’avis, que nous discuterons plus loin, qu’à l’époque où se produisait la bouille, l'atmosphère se composait d’éléments dans d’autres proportions qu’aujourd’hui. Ainsi, d’après M. Grand’Eury, « la quantité de vapeur d’eau qui accompagne une température élevée rendait cette atmosphère très-lourde, sans pour cela lui faire perdre sa limpidité, et augmentait son pouvoir calorifique en diminuant le rayonnement. » Quel était le rapport de l’oxygène à l’azote et à l’acide carbonique? M. Brongniart, continue-t-il, a incliné à croire à une plus grande proportion d’acide carbonique qui est favorable à la végétation jusqu’à un certain point plus élevé qu’aujourd’hui, mais au delà duquel il tue les végétaux, auxquels l’action vivifiante de l’oxygène est indispensable. En faveur de l’idée de M. Brongniart on peut citer cette estimation de Von Dechen que les terrains carbonifères contiennent six fois plus de carbone que n’en renferme actuellement Pair atmosphérique ; or on ne voit pas que les plantes houillères, reposant sur un sol sableux inondé, aient pu tirer d’ailleurs la plus mince fraction du carbone qu’elles nous ont légué en réserve dans le sein de la terre. »
- Pour le moment, le seul point que nous veuillons retenir c’est que les combustibles fossiles représen-
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- tent d’énormes amas de charbon qui, jadis à l’état d’acide carbonique, a été extrait dans la constitution de l’air il y a des milliers et des millions de siècles et qui est soustrait à l’exercice des fonctions biologiques.
- Il y a bien, il est vrai, de temps en temps, des houillères qui s’enflamment et qui restituent à l’enveloppe gazeuse le carbone qu’elles immobilisaient; il y a bien, aussi, depuis quelque temps l’industrie humaine qui contribue au même résultat; mais tout cela est bien loin de faire la balance et il n’en reste pas moins acquis que l’atmosphère s’est, depuis l’origine des choses, débarrassé, par l’intermédiaire de la végétation, d’une immense quantité de carbone.
- Mais ce n’est pas tout.
- Si l’on étudie la manière d’être dans la nature des roches, même les plus résistantes telles que les granités et les basaltes, on constate d'ordinaire que leur portion superficielle, en contact avec l’atmosphère est fortement attaquée. Une couche plus ou moins tendre y forme comme une écorce parfois très-épaisse.
- Ebelmen, dans un travail dont la publication, déjà ancienne de plus de trente ans, a fait époque, s'est préoccupé de préciser les changements que les roches ont ainsi subis. Parmi ses résultats, le seul point qui doive ici nous arrêter, c’est que l’agent auquel la transformation est due, est encore l’acide carbonique atmosphérique. En mordant sur les silicates pierreux, il les fait passer à l’état d’argile et en extrait des carbonates alcalins ou terreux que les eaux entraînent et qui ne tardent pas à se fixer comme matériaux constituants très-importants des terrains stratifiés. C’est d’ordinaire par l’intermédiaire des animaux marins et d’eau douce, mollusques, polypiers et autres, que ces carbonates sont amenés à l’état de calcaire ou pierre à chaux, mais il n’en est pas moins vrai que cette roche qui présente une épaisseur totale de plusieurs kilomètres sur la plus grande partie de la surface du globe a été approvisionnée d’acide carbonique par l’atmosphère.
- On a même essayé de se faire une idée de la rapidité du phénomène et c’est ainsi que M. Becquerel, ayant observé d’une part sur la face nord delà cathédrale de Limoges, que la partie décomposée du granit avait de 7 à 9 millimètres d’épaisseur et, d’autre part, que dans une carrière où l’on suppose que les pierres ont été prises, la couche altérée a lra,64, en a conclu que le granité de la carrière avait commencé à s’altérer depuis 7500 ans.
- Quoi qu’il en soit, en réunissant ces deux ordres de faits : fixation de carbone par la fossilisation végétale et fixation d’acide carbonique par le dépôt des roches calcaires, on reconnaît que la quantité totale de charbon provenant de l’atmosphère représente de véritables montagnes.
- Cette conséquence ne saurait être attaquée, mais alors l’idée d’un appauvrissement progressif de l’air
- ! en acide carbonique soulève des difficultés considé-: râbles. En effet, si cet appauvrissement est réel, nous devons, en retournant mentalement en arrière,
- | arriver à une époque où tout le carbone fixé main-| tenant existait dans l’air et nous nous trouvons ainsi t en présence d’une atmosphère inacceptable.
- | Un calcul bien simple montre qu’une couche de | calcaire recouvrant le globe, d’une épaisseur de 8 à | 9 mètres, contiendrait un poids d’acide carbonique égal à celui de l’atmosphère toute entière. D’après les résultats des recherches géologiques, on peut af-1 firmer sans exagération que la quantité des calcaires et des dolomies contenus dans la croûte terres -tre, et qui se sont déposés depuis l’apparition de la vie organique, représente une épaisseur au moins deux cents fois plus grande.
- Or, si l’on imagine dans notre atmosphère l’existence de tout l’acide carbonique, actuellement combiné dans les roches carbonatées, on reconnaît que ; sa pression seule, aux températures ordinaires, suffirait pour convertir à l’état liquide et même solide, une forte proportion d’une telle atmosphère et, dans ces conditions, toute manifestation vitale serait évidemment impossible
- Ce résultat est d’autant plus remarquable qu’il s’agit précisément de rendre compte, entre autres, du développement extrême de la végétation à certaines époques anciennes et spécialement à l’époque houillère.
- Evidemment la question qui nous occupe doit avoir été mal posée pour conduire à une pareille conclusion. Le fait même de l’appauvrissement continu de l’air en acide carbonique est bien loin d’être certain.
- La difficulté est donc celle-ci : l’atmosphère a fourni à la portion solide du globe des quantités gigantesques de carbone et celles-ci n’ont pas pu se trouver simultanément à l’état d’acide carbonique en mélange avec les éléments de l’air.
- Pour concilier ces deux faits d’apparence incompatible, il faut admettre que l’acide carbonique ne peut se mêler à notre enveloppe gazeuse qu’au fur et à mesure des besoins auxquels il peut satisfaire ; j en d’autres termes, il doit dériver d’une source d’où ; il s’écoule lentement d’une manière plus ou moins continue et régulière.
- Quelle peut-être celte source ?
- Nos lecteurs voient bien la position de la question et ils admettront, pensons-nous, que son étude est à la fois une des plus intéressantes que la science puisse aborder et l’une des plus difficiles auxquelles l’activité du chercheur ait à s’attaquer.
- On peut traiter le problème par deux voies bien différentes ; ou bien en faisant effort d’imagination pure, ce qui, remarquons-le tout de suite, conduit bien rarement à la vérité; ou bien en appliquant dans la mesure du possible, les principes de la méthode scientifique qui se réduisent ici à déduire une théorie de l’observation impartiale des faits. Tout récemment des géologues se sont engagés dans
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- ces deux directions si différentes ; nous examinerons dans un prochain article à quels résultats ils sont parvenus.
- Stanislas Meunier.
- — La suite prochainement. —
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- LE MONDE DES PLANTES
- AVANT L’APPARITION DE L’HOMME».
- Le livre que je présente au public sous ce nom n’est pas un nouveau venu pour les lecteurs de la Nature; il a au contraire des droits légitimes à leur bienveillance. C’est donc avec pleine confiance et sans fausse modestie d’auteur que je viens dire de l’œuvre ce que je souhaite qu’on en pense. Le titre fait voir qu’il s’agit du « monde des plantes, » c’est-à-dire de la végétation, considérée dans le cours immense des siècles qui précédèrent l’arrivée de l’homme. Si mille pas représentaient à nos yeux-cette durée presque sans limite, un pas à peine, peut-être seulement un dixième de pas, correspondrait à l’ensemble des temps historiques ou préhistoriques, de ceux pendant lesquels l’homme commença de jouer un rôle. Cependant, à travers ce déroulement des périodes, le règne végétal, toujours vivant, n’a cessé de se modifier en se compliquant ; il a subi des révolutions, il a éprouvé des éclipses et des appauvrissements momentanés, il a donné lieu à des renouvellements successifs. Les lecteurs de la Nature en savent quelque chose par l’histoire de l’époque tertiaire, dont le tableau leur a été donné, et ce tableau se retrouve à peu près intact dans le Monde dés Plantes, dont il forme les derniers chapitres. Ce n’est là pourtant qu’un tableau partiel, comme le serait une histoire des temps modernes, comparée à celle de l’antiquité tout entière. L’époque tertiaire, son nom le dit, a été précédée de deux autres : l’époque primaire ou paléozoïque et l’époque secondaire. Ces époques ont été bien plus longues que la précédente ou néozoïque. L’époque secondaire a été cinq fois plus longue que celle-ci; la primaire ou paléozoïque quatorze fois plus longue que la tertiaire, d’après des calculs approximatifs, tirés de l’épaisseur relative des formations sédimentaires dues à chacune d’elles. Enfin, ces grandes périodes ont été elles-mêmes précédées j d’une époque primordiale ou protozoïque, dont la durée dépasse au moins soixante fois celle des temps tertiaires et pendant laquelle la vie organique a dû prendre naissance.
- Il est vrai que si les durées chronologiques sont prodigieuses pour nous, êtres d’un jour, dont la traversée est si rapide, les lacunes des connaissances acquises sont telles que c’est à l’aide de ca- ! ractères à moitié détruits que nous lisons à grand’-
- 1 Un vol. gr. in-8, avec 13 planches, dont 5 en couleur et 418 figures dans le texte. G. Masson, éditeur.
- peine quelques pages éparses, échappées à la disparition des annales de ce qui eût vie autrefois. Cet effacement presque absolu de ce qui respira, de ce qui posséda des formes et des couleurs, de tous ces ensembles rayonnant de force ou délicatement construits, toujours revêtus d’une beauté au moins relative, leur effondrement au sein d’un lointain qui ne nous révélera jamais qu’imparfaitement les secrets engloutis par lui, tout cela porte en soi un enseignement mélancolique qui pousse l’homme, malgré lui, à s’élever au-dessus de ce qui tombe pour s’attacher à l’immuable d’où tout serait parti et où tout devrait faire retour. Mais la science est positive ; elle ne s’égare pas longtemps à songer à ce qu’elle sent être au-dessus et en dehors d’elle ; réduite à des débris épars, c’est à des débris qu’elle s’adresse; plus elle comprend son impuissance de tout cendre et de tout saisir, plus elle se consacre à reconstituer les reliques recueillies par elle, sans jamais désespérer de s'avancer plus loin. La science ne s’arrête
- Fig. 1 — Eopteris Crtei. Fougère Silurienne.
- (Réduction 1/4.)
- pas seulement devant cette impuissance de tout savoir, elle trouve encore un obstacle dans les difficultés matérielles d’une œuvre humaine, encore à ses premiers débuts. Elle réclamerait beaucoup d’espace, des planches et des figures à profusion ; elle voudrait tout exposer et tout reproduire ; en définitive, au lieu du monument qu’elle aurait l’ambition d’élever, force lui est de se contenter d’un seul volume et de se renfermer dans un cidre modeste dont elle s’efforce pourtant de tirer le meilleur parti possible.
- L’époque primordiale n’a laissé que de rares vestiges de ce que dût être la végétation, immédiatement après sa naissance et au moment de ses premiers développements. Son berceau demeure entouré d’une profonde obscurité, et pourtant j’ai été assez heureux pour enregistrer quelques progrès tout à fait nouveaux dans la recherche de ces ébauches primitives des plantes. On avait bien signalé des empreintes d’algues d’une nature assez énigmatique, mais aucune plante terrestre de l’époque primordiale, ce qui faisait soupçonner que la végé-
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- tation continentale n’existait pas encore clans cet j âge, pas plus que les animaux à respiration aérienne.
- Il aurait été plus logique d’admettre que les mers ! étaient alors trop étendues, les parties émergées j trop restreintes et situées trop loin des lits que l’on interrogeait, enfin que la flore était encore trop pauvre pour avoir donné lieu à des empreintes nombreuses et variées. Celte lacune vient cependant de disparaître et j’ai pu placer en tête du Monde des Plantes la figure exacte de la plus ancienne plante terrestre connue, ÏEopteris Morierei, retirée des ardoisières siluriennes d’Angers. Son existence ne peut plus inspirer des doutes sérieux, depuis que M. Crié a mis la main sur une seconde empreinte,
- plus complète que la première, se rapportant à une autre espèce du même genre et qui vient d’être signalée à l’Académie des sciences (fig. 1).
- Il existait donc des Fougères ou du moins des plantes terrestres que leur aspect engage à assimiler aux Fougères, bien avant la fin de l’époque primordiale. La végétation est certainement beaucoup plus ancienne qu’on ne le pensait ; son origine se perd dans un lointain incalculable, et une découverte du genre de celle que je viens de mentionner confirme pleinement la vérité de cette loi-axiome, formulée par moi à tant de reprises, que les fossiles ne nous représentent pas la nature elle-même, ni ses phénomènes avec lesquels on aurait tort de les identifier ;
- Fig. 2. — Vue idéale d’un paysage de l’époque des houilles.
- mais qu’ils constituent uniquement des indices et 1 des jalons, précieux en dépit de leur insuffisance, au moyen desquels nous essayons d’interpréter le passé, sans parvenir cependant à en sonder jamais toutes les profondeurs.
- A partir de l’époque primordiale, le règne végétal ne cessa de se développer et de progresser. Dans la marche qui l’entraîne, il faut pourtant distinguer deux causes déterminantes de changement, qui, malgré leur connexité inévitable, n’en ont pas moins chacune leur sphère d’action à part et leur raison d’être entièrement différente. L’une de ces causes est intrinsèque, l’autre extérieure par rapport au monde des plantes. L’une est inhérente à l’organisme : elle accuse son activité qui ne s’éteint jamais mais qui s’exerce d’une façon variable selon les
- temps et les circonstances ; l’autre provient du dehors; elle se trouve constituée par les milieux qui sollicitent la plante et qui exaltent ou dépriment l’organisme végétal, en provoquant en lui des modifications qui s’opèrent tantôt dans un sens, tantôt dans un autre.
- Ainsi, l’organisme végétal s’est déroulé en se ramifiant, dans des directions déterminées et plus ou moins divergentes ; et les circonstances extérieures, sans être la cause immédiate de ces évolutions, ont cependant influé constamment sur leur manière de se produire et de se réaliser. Si le règne végétal est demeuré obscur et faible jusqu’à l’époque paléo zoïque, c’est aux circonstances extérieures qu’il faut s’en prendre, circonstances sans doute médiocrement favorables à l’essor de ce règne ; et si plus tard cette
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- même végétation est devenue exhubérante, au temps I des bouilles, c’est sans doute aussi parce que d’au-
- Fig. 3. _ vue idéale d’une plage boisée à l’époque oolithique.
- Fig, -i. — Bords d’une lagune en Bohême, à l’époque Cénomanienne,
- très conditions prévalurent à la surface du globe, | conditions de chaleur et de lumière, d’humidité et
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- de densité atmosphériques, de climature et de configuration du sol que la terre n’a connu qu’une fois et qui portèrent le règne végétal, encore jeune, au plus haut degré de splendeur et de force. j
- Il est tellement vrai que les circonstances exté- i Heures, tout en influant alors sur la végétation, ne I h créèrent cependant pas, que, malgré son opu- j Ience excessive, cette végétation garda les mêmes éléments, essentiels et constitutifs d’un bout à l’autre de la période. Sa richesse, toute en vigueur, contraste avec le nombre relativement restreint des types de structure qu’elle comprenait, types tout à fait spéciaux et étroitement adaptés, mais incomplets et peu diversifiés, si nous les comparons à l’ensemble de ceux qui composent la flore terrestre actuelle. Les types carbonifères, bien éloignés des j nôtres, résultaient principalement du degré élevé de perfection relative que purent acquérir les deux seules classes dont se composait alors la flore terrestre : celle des « Cryptogames » et celle des « Gymnospermes ». La vue d’un paysage du temps des houilles, reproduite ici (fig. 2) et extraite de l’ouvrage, ne donne qu’une image très-affaiblie et une sorte d’échappée partielle du spectacle que présentait le règne végétal à cette époque. Cetle esquisse suffit pourtant pour en traduire les principaux traits ; elle nous fait pénétrer au milieu d’une nature très-différente de la nôtre, supérieure à celle-ci par son extrême vigueur et son incessante activité, inférieure par une sorte de monotomie qui lui était inhérente ; j mais en la considérant, il serait injuste d’oublier que c’est d’elle, en définitive, que procèdent les houilles, ces résidus accumulés au fond des lagunes de cet âge.
- L’époque secondaire qui succède à la primaire ou paléozoïque fut bien moins féconde que celle-ci.
- A la place des types carbonifères disparus ou amoindris et relégués à l’écart, la vue d’ensemble que j’ai essayé de tracer ne laisse voir que des Fougères au feuillage maigre ou coriace, des Cyca-dées de petite taille, et, à côté, des Conifères puissantes et massives, mais dénuées de grâce, roides de port et empreintes d’une désespérante monotonie de structure (fig. 3).
- Durant l’époque secondaire, la végétation immobile en apparence travaille pourtant à l’écart à se compléter par l’adjonction des Angiospermes et surtout par celle de la classe des Dicotylédones, à laquelle appartiennent les quatre cinquièmes des espèces de plantes actuelles. Ce travail évolutif nous échappe entièrement dans sa raison d’être, aussi bien que dans les particularités qui durent l’accompagner; les Dicotylédones, cependant, par une foule de détails instructifs de leur organisation actuelle, en conservent des vestiges qui, mieux étudiés, mettront plus tard sur la voie des moyens employés par la nature pour réaliser la transformation graduelle des types dont cette catégorie de plantes est à la fin sortie. Les fossiles, on ne saurait trop le répéter, ne nous ont transmis que les traits domi-
- nants des êtres les plus répandus de chaque période. Nous connaissons, des plantes jurassiques, celles qui peuplaient les bois, les lisières des eaux et les abords des anciennes plages ; nous ignorons celles que les vallées écartées, l’intérieur des terres et certaines régions isolées pouvaient et devaient contenir. Un jour peut-être, il en sera de ces dernières plantes comme des Fougères siluriennes et un heureux hasard nous en mettra des spécimens sous les yeux. Sans l’oiseau unique des carrières de Solenhofen soupçonnerions-nous la longue queue et les allures sauroïdes des volatiles de l’époque jurassique?
- Cette élaboration latente d’une classe longtemps subordonnée et destinée pourtant à devenir dominante, les mammifères nous en fournissent un exemple éclatant. Celui qui nous est offert par les Dicotylédones ou plantes à feuillage n’est pas moins frappant. Le moment de leur apparition, ou pour mieux dire, de leur extension ne coïncide pas avec les limites même de l’une des périodes tracées par les géologues. C’est avant la fin de l’époque secondaire, au milieu de la craie, sur l’horizon de l’étage ou subdivision, nommé le « cénomanien » que la révolution s’accomplit. Cette révolution est la plus grande que le règne végétal ait jamais vu se réaliser. J’ai tenté d’en reproduire une légère esquisse en groupant aux bords des eaux les plantes recueillies en Bohême dans des couches contemporaines de la diffusion des premières Dicotylédones (fig. 4). Tout paraissait étrange en se transportant le long d’une plage boisée de la période oolithique. Tout a changé comme par enchantement et les rives cénomaniennes présentent un spectacle dont la fraîcheur et la grâce n’échapperont à personne, sans que rien ne soit strictement exact dans l’aspect et les combinaisons des formes végétales reconstituées.
- On voit que le monde des plantes, avant de devenir ce qu’il est maintenant, a passé par bien des phases successives. Les problèmes qui se posent à propos de son histoire et qui sont relatifs aux anciens climats, aux changements du sol et aux modifications graduelles de l’organisme méritaient un examen à part; la partie descriptive aurait été peu compréhensible s’il avait fallu l’aborder sans préparation, c’est-à-dire sans aucune discussion préalables des phénomènes, envisagés d’une façon générale, et des théories qui prétendent les expliquer.
- C’est ce qui m’a engagé à faire précéder la revue des périodes végétales, disposées dans leur ordre chronologique, d’une première partie destinée à l’exposition raisonnée de toutes les questions que l’étude des êtres fossiles a pu faire naître.
- Il faut savoir dans quelles conditions la vie a commencé, comment elle s'est propagée et perfectionnée, ce qu’on doit entendre par la notion d’espèce, à quels climats successifs la surface terrestre a été soumise, avant d’aborder l’histoire des périodes en particulier et de décrire les associations végétales que chacune d’elles a possédées. — Du
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- LÀ NATURE.
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- moins j’ai cru utile de suivre ce plan. Le cadre de ces vues préliminaires était tout trouvé ; il m’a été naturellement fourni par d’anciennes études, insérées dans la Revue des Deux Mondes, que j’ai dû cependant retoucher largement pour les adapter soit à l’ensemble du livre, soit aux derniers progrès d’une science dont la marche ne s’arrête pas. Cette dernière réflexion me laisse l’espoir de reprendre l’œuvre un jour, en l’agrandissant de nouveau, pour peu que les lecteurs m’y encouragent : c’est-là une pensée que je me plais à émettre et sur laquelle je termine brusquement un article déjà peut-être trop long.
- Ct0 G. de Saporta,
- Correspondant de l’Institut.
- LES LAPONS
- AU JARDIN D’ACCLIMATATION.
- Après les Nubiens qui obtinrent un si vif succès durant l’été de l’année dernière1 sont venus les Esquimaux2, peuple d’hiver. Cet été, nous avons vu au Jardin d’Acclimatation les Gauchos des Pampas de l’Amérique du Sud3. En ce moment où commencent les premiers froids, M. Geoffroy Saint-Ililaire nous présente des Lapons. Nous n’avons pas besoin d’insister sur l’intérêt et l’utilité de ces exhibitions ethnographiques, grâce auxquelles le public, grand et petit, acquiert des notions exactes sur les peuples et les races exotiques. C’est ainsi que la venue successive à Paris d Esquimaux et de Lapons a dû dissiper une erreur trop commune qui faisait con -fondre chez les gens du monde ces deux populations si distinctes à tous les points de vue. Bien que tous de petite taille, Lapons et Esquimaux, anthropologiquement parlant, diffèrent par le caractère le plus essentiel, par la forme de la tête. Tandis que l’Esquimau a le crâne le plus allongé qu’on rencontre dans toutes les races humaines connues, le Lapon est franchement bracnycéphale, c’est-à-dire qu’il a le crâne très-court. Aux yeux de l’ethnographe, Lapons et Esquimaux ne sont pas moins très-différents : les derniers sont chasseurs et surtout pêcheurs, la mer est leur élément, les animaux marins, poissons, cétacés, phoques et morses constituent leur unique ressource, enfin pris à leur état naturel, c’est-à-dire en dehors du cerclé où ils ont pu subir l’influence des Européens, des Danois au Groenland, des Canadiens au Labrador, ou des Russes au détroit de Behring, les Esquimaux n’ont pas dépassé l’âge de la pierre polie. Il en est tout autrement du Lapon : depuis un temps immémorial, c’est-à-dire bien avant le commencement des temps historiques dans le nord de l’Europe, il a connu l’usage du cuivre et du
- ‘ Voyez la Nature, 5'année 1877, 2* semestre, page 198.
- * Voyez la Nature, même volume, page 390.
- . 3 Voyez la Nature, 6* année, 1878, 2e semestre, p. 295.
- bronze ainsi que l’art de les travailler. Il semble toutefois qu’il n’a appris cet art que des Scandinaves, auxquels la langue laponne a emprunté les noms des divers métaux. Le Lapon a sensiblement dépassé l’état sauvage caractérisé par la c basse et la pêche comme moyens principaux d’existence, il est pasteur et si la rude nature de son pays ne lui permet pas d’élever plusieurs espèces d’animaux, il sait trouver dans ses troupeaux de rennes une ressource sûre et abondante contre les difficultés de la vie. L’état pastoral où se trouve le Lapon en a fait naturellement un nomade ; toutefois, le climat du nord lui a appris ce que c'est que de demeurer sédentaire. L’hiver, ses stations sont plus longues et son alimentation est alors basée sur des provisions de conserve que la nécessité lui a enseigné à préparer. Le Lapon est donc placé à un degré supérieur à celui de l’Esquimau dans lcchelle des races humaines.
- Un simple coup d’œil jeté sur la petite exposition ethnographique laponne installée dans les bâtiments de l’administration du Jardin d’Acclimatation suffit pour en convaincre à première vue. Les bijoux seuls démontreraient la supériorité de leurs fabricants sur les pauvres chasseurs de phoques de l’Amérique polaire : ces ornements ciselés, repoussés, gravés avec un art tout particulier témoignent d’un goût original très-recommandable dans sa simplicité. Les motifs de l’ornementation ne sont pas très-compliqués et produisent cependant un effet excellent. La plupart des fibules sont composées de deux losanges (fig. 3, n° 1) placés bout à bout et réunis par des anneaux que dissimule un élégant petit bouton en forme de fleuron très-élégant et très-artistiquement travaillé à jour. Sur la surface de chaque plaque en losange sont disposés géométriquement d’autres boutons, pleins ceux-là, et façonnés au repoussé. Plusieurs des fibules ou agrafes sont garnies en outre de pendeloques rattachées par de petits chaînons et qui ne sont que d’autres petites plaques en losange. D’autres broches consistent en un gros anneau plein, d’où pendent trois disques ou rouelles dont la face est ornée de rayons gravés (fig. 3, n° 4) Cette bijouterie rappelle singulièrement les antiques ornements que l’on découvre dans les tumuli du nord de l’Asie. L’art de la poterie n’est pas non plus inconnu aux Lapons, bien que les vases qu’ils fabriquent soient d’une pâte grossière et de formes beaucoup moins élégantes que celles de leurs bijoux. En revanche, ils savent travailler le bois avec beaucoup d'adresse et produisent des ustensiles fort curieusement sculptés et ciselés ; nous publions ici la représentation aune cuillère (fig. 3, n° (j) qui nous révèle à son tourungoûtkrès-fin chez les nomades de l’extrême nord européen. De l’écorce des bouleaux qui remplis^ j sent les profondes forêts de l’intérieur de la Laponie, j ils façonnent mille objets légers et d’un usage facile.
- On peut admirer au Jardin d’Acclimatation une gi-, becière et surtout des sacs ou cabas en écorce argentée (fig. 3, n° 8) qui sont charmants à l’œil et qui doivent
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- être excessivement commodes. Cette écoree si souple I elle est si résistante que les ustensiles à la fabrica-sc plie à presque tous les usages et en même temps | tion desquels on l’emploie paraissent d’une grande
- Fig. 1. — Lapons et leurs patins.
- solidité. Nous ne serions pas surpris que tel ou tel sac d’écorce de bouleau bien cousu avec des tendons
- Fig. 2. — Lapons et leur traîneau.
- de renne et soigneusement calfaté à la couture ne fut un excellent récipient pour les liquides
- Le vêtement national des Lapons se composait procédés très-anciens, ainsi qu’en témoigne un cou-originairement de peaux et de fourrures, principale- teau en os (fig. 3, n° 5) qui est à la petite exposi-ment de rennes, préparées et tannées d’après des tion laponne du Jardin d’Acclimatation, et dont la
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- forme a été imitée plus tard lorsque les Lapons ont fabriqué des couteaux de métal. Au commencement de ce siècle ils employaient encore dans quelques localités des ciseaux ou grattoirs de pierre pour dé-
- tacher le poil des peaux de rennes. Toutefois, les relations que ce peuple noua de longue date avec ses congénères plus civilisés de Finlande et avec les Scandinaves qui le repoussèrent dans le nord de la Suède
- Fig. 4. — Lapons au Jardin d’Acclimatation. (D’après une photographie de M. Pierre Peut.)
- et de la Norvège lui firent connaître les étoffes de laine dont on se sert aujourd’hui en Laponie pour y tailler les habits d’été et les costumes de cérémonie. Toutefois, à nos yeux profanes d’Européens civilisés, la mode ne paraît pas avoir changé, et les vêtements de drap ou de molleton nous semblent faits sur le
- patron des anciens vêtements de peau. C’est toujoui’3 le pantalon et la longue blouse serrée à la taille par une ceinture de cuir ; ce costume est le même pour l'homme et la femme, peut-être celle-ci porte-t-elle la blouse un peu plus longue que l’homme. Les beaux habits de drap, surtout pour les jeunes filles,
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- sont de couleurs éclatantes, bleus, rouges, jaunes ; les ceintures, au lieu d’être une simple lanière, sont parfois des chefs-d’œuvre de passementerie multicolore chargés d’ornements de cuivre de formes très-originales (fig. 3, nos 2 et 3). Mais les vêtements de travail et de fatigue, blouses et pantalons, sont en peaux de renne, le poil en dehors; l’aspect n’a rien de merveilleux, le pelage d un gris terne ou d’un fauve sale du renne n’est en effet pas beau, mais il fournit des habits si chauds, si durables que l’on conçoit l’amour des Lapons pour ce costume vraiment national. La coiffure de l’homme consiste en un haut bonnet de drap noir ou bleu sombre, carré, sensiblement évasé par le haut qui est plat et dont les quatre coins sont bien accentués ; cela ressemble assez au chapska polonais. Une bande de drap rouge à la base, c’est-à-dire autour de la tête, égaie un peu cette coiffure qui est garnie de fourrure en hiver. Les jeunes femmes portent un bonnet tout particulier. Qu’on se figure un serre-tête enveloppant hermétiquement le crâne, entourant le visage tout entier, maintenu par de larges bandelettes, et se terminant sur l’occiput par un véritable cimier de casque en forme de bonnet phrygien : le haut est en drap rouge, vert, ou de quelque couleur très-voyante sur laquelle tranche les bandelettes qu’on a bien soin de choisir d’un ton bien différent. D'autres femmes, les mères de famille plus âgées, comme Kistan, l’épouse de Jean-Pierre Gaupa, qui est au Jardin d’Acclimatation, se couvrent la tête d’une simple petite calotte basse. L’hiver, les Lapons revêtent une lourde palatine de peau d’ours qui leur enveloppent le cou jusqu’aux oreilles, les épaules, le dos et la poitrine, tout en leur laissant la liberté de leurs mouvements pour la marche et la course. En temps ordinaire, ils sont chaussés de grossières bottines de cuir recourbées à la pointe et dans lesquelles se perd le bas des pantalons. En hiver, ils se servent de patins pour glisser sur la neige (fig. l),ce sont d’étroites planchettes de bois, longues de plus d’un mètre, au milieu desquelles est un anneau de cuir par lequel on passe le pied. A l’aide de cette chaussure et d’un bon bâton, les Lapons font de lointaines excursions dans leur pays glacé et couvert de neige, dans laquelle ils enfonceraient jusqu’au cou sans cette sage précaution.
- En fait d’armes, on a oublié en Laponie les anciennes pour adopter le fusil. Ce n’est pas à dire qu’on y trouve des chasseurs pourvus de Lefaucheux ou de carabines de précision se chargeant par la culasse ; les Lapons n’ont que de vieux mousquets démodés pareils à ceux qui faisaient les délices de nos ancêtres ; ils n’en sont pas moins adroits pour cela, et les animaux à fournit e de leur pays hyper-boréen, hermines, martes, renards, écureuils, l’ont appris à leur dépens. Chaque individu, dès l’âge de trois ans à peine, porte suspendu à sa ceinture, dans une gaine de cuir giossier, un fort couteau à lame épaisse qui sert à tous les usages domestiques et autres. Enfin, le Lapon a un talent tout spécial
- pour lancer le lasso, tout comme un Gaucho ou un Indien de l’Amérique du Sud. C’est de cette façon qu’il attrape dans son troupeau le renne indocile dont il a besoin, soit pour atteler à son traîneau, soit pour alimenter sa cuisine. >
- Si nous avons qualifié le renne d’indocile, ce n’est pas sans raison. Ce cervidé, tout domestiqué qu’il soit de longue date par les Lapons, est quelque peu rebelle au dressage et n’est jamais complètement dompté. 11 a une certaine propension à jouer des bois qui ornent sa tête et il n’obéit pas très-promptement à son conducteur ; à ce point de vue, son éducation est bien moins parfaite que celle du cheval et de l’éléphant. Il faut reconnaître, il est vrai, qu’en Laponie l’art de la sellerie et du harnachement se trouve encore dans un état très-primitif : le mors et la bride, par exemple, y sont absolument ignorés ; un simple licol sert à diriger tant bien que mal le renne dont les écarts sont réprimés à grands coups de bâton ; une forte sangle autour du corps constitue tout le harnais avec un trait unique qui s’attache sous le ventre de la bête et aboutit au traîneau. Celui-ci est très-étroit et ne peut contenir qu’une seule personne assise les jambes allongées ; la forme est celle d’une pirogue dont l’avant effilé se relève un peu, afin de mieux glisser sur la neige et dont l’arrière est plat et coupé perpendiculairement; une planchette sert de dossier au voyageur qui s’enveloppe jusqu’à la ceinture dans des pelleteries maintenues par des lanières qui se croisent (%• 2).
- Les rennes constituent la principale richesse du Lapon. On estime qu’un ménage, père, mère et un enfant, en doit posséder au moins cent pour être à l’abri du voisin. Avec cinquante rennes, un célibataire peut se tirer d’affaires, mais quiconque n’en a pas autant doit se mettre en service chez quelque grand propriétaire. Toutefois, les troupeaux les plus riches ne dépassent pas en général le chiffre de mille têtes de bétail ; le Lapon opulent qui atteint ce degré de fortune convertit le surplus de son gain en argent qu’il a bien soin d’enfouir dans quelque cachette connue de lui seul.
- Si la peau du renne fournit le vêtement, ce même animal forme la base de l’alimentation du Lapon. Le lait crémeux et épais est une ressource précieuse et par lui-même et par le fromage qu’il produit. La chair est mangée fraîche ou fumée, et ceux qui en ont goûté assurent qu’elle est très-savoureuse; on la conserve en la salant et en l’exposant à la fumée du foyer. Enfin, du sang du renne on prépare un mets national, bien que peu appétissant pour nous, la Malesvpta, « soupe au sang. » On commence par mêler dans un grand chaudron de fer de l’eau et des moiceaux de graisse que l’on fait fondre au feu, puis on y verse du sang frais auquel on ajoute des caillots de sang séché, du sel et de la farine. C’est là le plat favori des Lapons qui en font le plus grand cas, malgré son parfum et son aspect repoussants pour nous. La farine s’obtient des Scandinaves
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- par voie d’échange ainsi que les spiritueux dpnt on est devenu très-avide en Laponie.
- Jamais un Lapon ne quitte ses rennes, puisque sans eux il se trouverait fort dépourvu. Ceux-ci lui servent aussi de bêtes de somme, lors des migrations que la nature et le climat imposent aux habitants de ces régions. Ces voyages continuels n’ont d’ailleurs rien d’extraordinaire; les pulks ou groupes de Lapons vont de ci et de là, suivant le plus ou moins d’abondance de pâture pour leurs rennes ; ce qu’il y a de sûr cependant c’est qu’ils ne restent jamais dans les montagnes durant l’hiver. Les uns descendent sur le bord de la mer; les autres se réfugient dans les vastes vallées marécageuses de l’intérieur. Dès que les premières chaleurs reviennent, ils gagnent promptement les Alpes Scandinaves pour fuir les mouches et moustiques qui rendent l’habitation du bas pays insupportable. Pendant la belle saison, la vie nomade est menée dans toute son incohérence apparente, et les Lapons campent et décampent sans cesse. Aussi, la forme de leurs cabanes est-elle parfaitement adaptée à ce genre d’existence. On peut voir au Jardin d’Acclimatation avec quelle facilité les tentes se montent et se démontent ; de longues gaules fourchues de bois de bouleau sont dressées en faisceau de façon à former une véritable charpente conique et sont maintenues dans l’écartement convenable par des pièces de bois courbes qui forment comme une arcade dans l’intérieur de la tente ; le tout est recouvert d’étoffe, mais le sommet reste à jour pour laisser passer la fumée. Autrefois, les Lapons drapaient leurs tentes de peaux de renne; aujourd’hui, pour remplacer celle-ci, ils achètent aux Norvégiens de la toile à voile goudronnée ou cirée, ou bien aux Lapons de la côte des tapis et des couvertures tissés par ces derniers avec un goût très-original. Ces Lapons de la côte, plus civilisés que les autres et devenus presque sédentaires, élèvent des moutons et préparent des étoffes. Ils sont aussi de bons pêcheurs; dans de larges canots, dont on peut voir au Jardin d’Acclimatation une réduction, ils prennent la mer et vont jeter leurs filets dans les eaux fréquentées par ces myriades de poissons qui font leurs migrations annuelles à travers la mer du Nord. Nous donnons la représentation d’un peson de filet ; c’est tout bonnement une pierre enveloppée dans une bourse en écorce de bouleau (fig. 5, n° 7).
- Lorsqu’une famille laponne veut changer de résidence, on commence par enlever la couverture de la tente dont les diverses sections sont soigneusement pliées et assujetties en guise de bât par une sangle sur le dos des rennes. La charpente de la tente est démontée et les piquets de bois sont assemblés en fagots à l’aide d’une ficelle qui passe par un trou pratiqué à leur base; un de ces fagots est attaché de chaque côté d’un renne. Le reste du mobilier n’est pas non plus bien difficile à emporter car il ne consiste guère qu’en ustensiles de cuisine et en pelleteries qui constituent toute la literie. Les
- maisons d’hiver sont construites à peu près sur le même modèle, sauf qu’on les enveloppe de mottes de gazon bien tassées, ce qui les fait ressembler à un tertre ou à une énorme taupinière. A l’intérieur, le foyer n’est fait que de quelques grosses pierres, aussi la fumée y est-elle intense ; et c’est à ce fait ainsi qu’à l’éclat de la neige qu’on attribue le précoce affaiblissement de la vue chez les Lapons.
- Divisés entre trois États bien distincts, la Russie, la Suède et la Norvège, ces peuples n’ont guère de nationalité proprement dite, et la vie politique est absolument nulle chez eux. Ils n’ont même pas formé de tribus et vivent en petits groupes ou pulks composés d’une famille et de ses serviteurs, mais jamais très-considérables. Ils passent pour chrétiens, orthodoxes en Russie, luthériens en Suède et en Norvège ; au fond, ils ont gardé toutes leurs antiques croyances, toutes leurs vieilles superstitions finnoises. La religion nationale des Lapons était un polythéisme encore très-chargé de conceptions fétichiques. Si du ciel, ils avaient fait la demeure d’un dieu, Jubmel, si dans le tonnerre ils croyaient entendre la manifestation d’un autre dieu, Ukko, ils n’en avaient et n’en ont pas moins toujours une vénération toute particulière pour une foule d’objets inanimés, pour des arbres, des pierres, des rochers, des lacs et des rivières confondant encore le génie qui est censé habiter dans l’arbre, dans le rocher ou dans l’eau avec la rivière, la pierre ou la plante elles-mêmes. C’est ainsi qu’ils ont conservé la foi dans les talismans ou seida. Par la mythologie comme par le langage, les Lapons nomades sont les proches parents des Finlandais et appartiennent au groupe finnois dans la famille ourabo-altaïque ; ils en ont d’ailleurs les traits caractéristiques : crâne globuleux, face large, pommettes saillantes, yeux petits, nez court et large, ossature massive. Le teint est jaunâtre et la taille peu élevée. Sur les neuf individus présents au Jardin d’Acclimatation, un seul a les cheveux véritablement noirs, tous les autres les ont de nuances plus ou moins clairs; certains adultes les ont même d’un blond filasse tout à fait singulier. On prétend que les Lapons blonds ne sont pas de race pure et que ce sont surtout ceux de Norvège et de Russie qui présentent ce caractère de métissage, tandis que ceux de Suède, bruns pour la plupart, représenteraient mieux le véritable type. Toutefois, lorsque l’on considère que les Finnois (Finlandais et Esthoniens) sont blonds en immense majorité, que les Samoyèdes le sont aussi, que les individus blonds se comptent en grand nombre parmi les Tatars de Kazan, il devient difficile de décider si le type original ouralo-altaïque était blond ou brun foncé. En ce qui concerne les Lapons ou Same, leur parenté linguistique est si proche avec les blonds Suomi ou Finlandais que nous éprouvons un véritable embarras à dire qui, de l’homme aux cheveux très-noirs ou de l’un des individus blonds pâles du Jardin d’Acclimatation, est le véritable représentant du type lapon.
- Girard de Rialle
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- FRACTIONNEMENT
- DE LÀ LUMIÈRE ÉLECTRIQUE
- On sait que la lumière électrique peut être obtenue de deux manières, soit avec l’arc voltaïque, soit par l’incandescence d’un corps réfractaire échauffé par le passage d’un courant.
- Nous ne parlerons aujourd’hui que de ce second orocédé.
- L’expérience qui consiste à rougir un fil de platine ou mieux de platine iridié placé sur le circuit d’un courant, est une des plus fréquemment répétées de la physique. L’échauffement est d’autant plus grand que le fil est plus résistant et pour un métal donné que le diamètre est plus petit.
- Obtient-on ainsi de la lumière? Oui, mais fort peu, comme chacun sait. Nous ne voulons pas affirmer que par quelque artifice jusqu’ici inconnu on n’arrivera pas à produire un éclairage utile par l’incandescence d’un métal ; nous disons seulement que jusqu’ici ce moyen n’a pas donné de lumière proprement dite, de lumière pouvant être employée dans la pratique.
- Un des principaux inconvénients des fils métalliques, c’est que si on ne ménage pas l’intensité du courant, on arrive à fondre le fil.
- L’idée d’employer le charbon à la place des métaux paraît appartenir de M. King et dater de 1845. Nous empruntons au livre de M. Fontaine quelques renseignements sur l’invention de King telle qu’elle est exposée dans un brevet anglais.
- L’inventeur déclare que le charbon de cornue est le meilleur ; il signale qu’à raison de sa combusti-lité il faut le placer dans un vase clos où on fait le vide ; il dit aussi que deux ou plusieurs appareils semblables peuvent être mis dans un même courant, fourni soit par des piles, soit par des machines magnéto-électriques.
- Ces idées avaient passé inaperçues: elles se présentèrent de nouveau à l’esprit de M. Lodyguine, physicien russe qui obtint un prix de l’Académie des sciences de Saint-Petersbourg, en 1874.
- Les avantages présentés par le charbon furent alors précisés fort nettement par M. Wild chargé du rapport qui fit décerner le prix ; « le charbon possède à température égale un pouvoir rayonnant beaucoup plus grand que le platine ; la capacité calorifique du charbon est beaucoup moindre, de telle sorte que la même quantité de chaleur élève le crayon de charbon à une température plus élevée qu’il ne ferait un fil de platine. En outre la résistance électrique du charbon est environ 250 fois celle du platine de sorte que le crayon de charbon peut être beaucoup plus gros tout en élevant sa température autant que le métal. Enfin le charbon est infusible et sa température peut être élevée sans danger de lusion. »
- Plusieurs inventeurs russes, M. Kosloff, M. lvonn, M. Boulignine ont travaillé la même question, soit
- en Russie, soit à Paris et leurs efforts n’ont pas été inutiles, car ils ont maintenu l’attention sur cette question intéressante.
- En même temps M. Ferdinand Carré, bien connu par de nombreux et importants travaux, arrivait à produire des charbons artificiels de tout diamètre et de toute longueur ; il apportait là une facilité nouvelle et capitale aux personnes qui s’occupaient dp produire la lumière par incandescence.
- M. Reynier amené à faire des expériences suivies et nombreuses sur les lampes russes fut frappé du défaut capital qu’elles présentaient toutes; le crayon de charbon placé entre deux morceaux plus gros se désagrégeait plus ou moins vite par une action qui n’était pas la combustion, car elle se produisait même sans oxygène ; le crayon s’amincissait graduellement en son milieu et finissait par se casser ; il fallait le remplacer et cette substitution avait fini par être tout le problème posé aux inventeurs de lampes à incandescence.
- M. Reynier fut conduit à penser que si le crayon touchait par son extrémité un charbon massif, l’usure n’aurait plus lieu au milieu de la partie incandescente, mais au point de contact, de contact imparfait où la température devrait être la plus élevée.
- Cette idée fut un trait de lumière ; dès que l’usure du crayon se faisait graduellement à partir de son extrémité, il devenait inutile de ralentir cette combustion par l’emploi d’un vase clos, il n’y avait plus qu’à pousser le charbon à mesure de son usure, comme on pousse les bougies dans les lanternes des voitures. Bien plus, la combustion lente du charbon incandescent au contact de l’air était une circonstance favorable, puisqu’elle élevait la température.
- A partir de ce moment, la lampe Reynier existait dans la tête de l’inventeur; il n’y avait plus qu’à l’exécuter.
- Le 19 février 1878 un brevet fut pris, dans lequel il énuméra les dispositions les plus variées ; et en même temps des dessins très-élaborés remis à l’atelier de M. Breguet où les premiers essais furent faits.
- Le 13 mai une communication était adressée à l’Académie par l’intermédiaire de M. du Moncel ; et la note très-courte, insérée aux Comptes rendus, décrit fort nettement un appareil composé d’un crayon de charbon poussé contre un contact fixe 1 et rendu incandescent entre ce butoir et un point de contact placé à quelque distance du premier ; la note indique que la lampe peut fonctionner avec quatre éléments Bunsen2,
- Le 17 mai, M. Reynier faisait fonctionner sa lampe devant la Société de physique, et nous trouvons dans le procès-verbal autographié, distribué aux membres, la phrase suivante : « M. Reynie
- 1 Ce butoir peut n'être pas fait avec du charbon ; il peut être métallique.
- 2 Voy. la Nature, n° 275, 24 août 1878, p. 204, fjg. 1.
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- i:
- montre quatre lampes de ce système et les fait fonctionner toutes ensemble sur le courant unique de 36 éléments Bunsen, assemblés en deux séries de 18. Il fait fonctionner une lampe seule par le courant d’une petite machine Gramme, puis avec une batterie secondaire de 3 éléments Planté. L’auteur fait remarquer que cette expérience est un acheminement vers l’application de la lumière électrique aux éclairages domestiques. »
- C’était bien là la lumière électrique fractionnée ; mais la nouveauté n’était pas dans le fractionnement qui avait été déjà obtenu par les lampes russes ; elle était dans le procédé permettant d’entretenir la lampe par une action automatique simple.
- Dans ses premières expériences avec son nouvel appareil, M. Reynier trouva que le charbon fixe immobile servant de butoir au crayon incandescent présentait des inconvénients ; il imagina de donner un mouvement lent à ce butoir et lui donna la forme d’un disque tournant autour de son axe.
- La Nature a donné à ses lecteurs, le 24 août 1878, deux figures représentant deux dispositions de la lampe à disque mobile; nous en présentons aujourd’hui une nouvelle qui réalise un immense progrès à raison de sa simplicité.
- Le crayon de charbon est poussé vers le bas par son poids et celui du porte-charbon guidé par des ga'ets Ce crayon vient appuyer sur un disque de charbon un peu en avant de la verticale du centre du disque ; d’où il arrive que la descente du crayon, résultant de son usure, fait tourner le disque sans aucun mécanisme. Le crayon est maintenu à une petite distance par un manchon et en dessous vient s’appuyer un autre contact de charbon qui détermine la longueur incandescente. Par une disposition très-simple, la pression exercée par le crayon sur le disque se transmet et produit une action automatique de lrein sur le porte-charbon moteur; d’où il résulte que son poids est retenu efficacement tant que le crayon a toute sa longueur et appuie sur le disque, et que ce poids est au contraire dégagé quand le soutien inférieur vient, à manquer par suite de l’usure de la pointe.
- Il est intéressant d’observer que la température la plus élevée est au point de contact inférieur ; il en résulte que le charbon aminci par la combustion
- Coupe A B C D
- lente dans l’air est plus aminci vers le bas et que la taille et la progression du crayon sont encore facilitées par cette circonstance accessoire, qui, d’obstacle qu’elle était pour les lampes anciennes, est devenue adjuvant dans le système de M. Reynier.
- Mentionnerons-nous les avantages accessoires présentés par la nouvelle lampe ; son extrême simplicité, la facilité quelle présente pour mettre un nouveau crayon après la combustion du précédent, la légèreté des pièces qui ne donnent presque pas d’ombre.
- Nous avons vu tout récemment deux lampes de ce genre fonctionner ensemble avec le courant de 8 éléments Bunsen, soit quatre pour chacune. Ges lampes pouvaient être éteintes et rallumées indépendamment l’une de l’autre. La lumière obtenue avec une seule lampe a été expérimentée ensuite avec 6 et 8 éléments; elle a augmenté naturellement avec l’intensité du courant. Elle était dans chaque cas très-régulière, très-agréable, très-blanche. M. Reynier nous a dit l’avoir mesurée et trouvée égale à six Garcel.
- Cette lampe peut être intercalée dans le circuit d’une machine Gramme avec un régulateur, on peut obtenir ainsi une lumière additionnelle sans nuire à la lumière principale fournie par l’arc voltaïque.
- On peut également placer plusieurs de ces nouvelles lampes à incandescence ensemble dans le courant d’une machine magnéto-électrique et obtenir ainsi un certain nombre de feux éclairants au lieu d’un seul arc voltaïque.
- Tel est l’état actuel de la question. On a pu lire dans YEngincer du 1er novembre le récit d’expériences très-pompeusement annoncées par M. Wer-dermann ; la Nature a publié récemment une figure représentant l'appareil utilisé dans ces essais1; c’est une sorte de lampe Reynier avec butoir de charbon fixe, avec un énorme abat-jour de charbon (substance la plus impropre de toutes à servir de réflecteur pour la lumière). Nous ne pouvons rien découvrir de nouveau dans cet appareil, rien qui ne se trouve dans le numéro du 24 août dernier de la Nature, rien dans le détail des expériences. La mention des expériences de M. Wer-dermann n’aurait pas même ici sa raison d’être si les Comptes rendus de l'Académie des sciences n’avaient 1 Voy. la Nature, 6* année, 1878, 2“ semestre, p. 417.
- Nouvelle disposition de la lampe électrique de M. Reynier.
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- U
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- donné après YEngincer la description sommaire de son appareil (séance du 18 novembre 1878). M. Reynier a présenté lundi, 25 novembre, une réclamation de priorité à la savante assemblée. Nous croyons que jamais réclamation plus légitime n’a été articulée, et que tout le monde reconnaîtra bientôt avec nous que M. Werdermann n’a eu d’autre mérite que de faire pas mal de bruit avec assez peu de lumière. L’immobilité du butoir de charbon a pu paraître nouvelle aux personnes qui ne connaissaient pas de près les travaux de M. Reynier. Mais cet inventeur avait commencé par le butoir fixe, avant d’arriver au butoir mobile ; il s’aperçut bientôt que le butoir se creusait et que la pointe du crayon pénétrant dans la cavité ainsi produite, une partie de la lumière était perdue et une partie considérable parce que la pointe, ayant le moindre diamètre, est la partie la plus chaude et la plus éclairante du crayon incandescent.
- Alfred Niaudet.
- BIBLIOGRAPHIE
- Nouveau Manuel complet du fabricant de briquets et d'allumettes chimiques ou Traité général de tous les moyens connus de se procurer du feu et de la lumière par M. M * igné, suivi d'un exposé succinct de la lumière électrique et des appareils qui la produisent par M. Brandelï. 1 vol. in-18 des Manuels Roret, ouvrage orné de 47 figures. — Paris, librairie encyclopédique de Roret, 1878.
- Il n’est pas nécessaire de faire l’éloge de cette excellente collection des Manuels Roret, dont la réputation est universelle et qui rend tant de services comme source de renseignements sûrs et complets. — Le nouveau volume que nous annonçons aujourd’hui est digne de ses innombrables devanciers, il retrace le tableau de l’art de se procurer du feu, depuis le briquet des sauvages jusqu’à l’éclairage électrique. Aucun procédé, aucun système n’est omis, toutes les méthodes, toutes les formules sont exposées et publiées d’une façon très-complète.
- Torrents, fleuves et canaux de la France par M. H. Blerzv. 1 vol. in-18 de la Bibliothèque utile. — Paris, Germer Baillière, 1878.
- The Growth of the Steam-Engine by prof. R. H. Thcrston. 1 vol. in-8 illustré. New-York, D. Appleton and Co, 1878.
- Études stir la truffe par A. George Grimblot. 1 brocb. in-4. Imprimerie nationale, 1878.
- The causes of life, structure and species by the Rev. Edw. C. Towne. 1 vol. in-18, Manchester. Tubbs and Brook, 1878.
- Le chrysomèle des pommes de terre, par E. Olivier. 1 broch. in-18. Besançon, J. Jacquin, 1878.
- Les tumulus de la Boixe, par MM. Chaovet et Lelièvre. 1 hroch. in-8 avec planches. Angoulême, Chasseignac et (lie, 1878.
- Notes sur la période néolithique dans la Charente, par G. Chauvet, 1 broch. in-8 avec planches. Angoulême. Chasseignac et Cie, 1878.
- L'Industrie française de l'iode à l’Exposition de 1878. 1 broch. in-4. Brest, F. P. Gadreau, 1878.
- Second annual report of the Iowa Weaiher service by Dr. Gustavus Hinrichs. 1 vol. in-8. Iowa, 1878.
- Symon's monthly meteorological magazine, publication mensuelle. London, Edward Stanfort, 1878.
- The sixth annual report of the Board of Directors of the zoological Society of Philadelphia. 1 broch. in-8 illustrée. Philadelphia, 1878.
- Andamento diurno et annuale délia Velocità del Vento, delprofessoreDoMENico Ragona.1 vol. in-4. Modena, Società tipografica, 1878.
- CHRONIQUE
- Le télégraphe électrique dans l’Inde. — D’un rapport présenté dernièrement au Parlement anglais sur la télégraphie dans l’Inde, il résulte que cette branche des travaux publics a pris un grand essor dans ce pays pendant la période décennale 1868-1878 (1er janvier). Ainsi la longueur des fils télégraphiques, qui n’était en 1868, que de 18067 milles (le mille anglais vaut 1609 mètres), était, en 1877, de 39 700 milles. La longueur des lignes elles-mêmes est de 17 840 milles contre 13886 en 1868. Le nombre des bureaux télégraphiques est de 234, au lieu de 178.
- Mais c’est la transmission des dépêches qui présente les chiffres les plus significatifs. Ainsi, en 1877, on a constaté 1008119 dépêches privées contre 269 638 en 1868; les dépêches du gouvernement se sont élevées à 100916, tandis que, il y a dix ans, elles n’étaient que de 41306. Enfin le nombre total des dépêches transmises, y compris celles du service, a été de 1166833 en 1877, contre 373832 en 1868. Les recettes ont monté de 114499 livres sterling en 1868à 249 646 livrés sterling (6 241150 francs) en 1877. L’île de Ceylan est comprise dans ce relevé.
- Une nouvelle tle dans les mers polaires. —
- Un télégramme de Tromsoë donne sur la découverte d’une île dans les mers polaires, quelques détails nouveaux. Le capitaine Johannessen qui vient d’arriver à Tromsoë, a pénétré à une distance considérable au delà de la Nouvelle-Zemble, dans la direction de l’est; le 3 septembre, par 66 degrés de longitude est et 77,35 de latitude nord, il a découvert file à laquelle il a donné le nom de « En-somheden » (la Solitude). Cette île a environ dix milles de long ; elle présente un plateau uni dont le point le plus élevé n’excède pas 100 pieds au-dessus du niveau de la mer. Elle ne porte pas de neige, mais la végétation y est pauvre ; on y remarque cependant une grande quantité d’oiseaux. La mer était libre de glaces à l’ouest, au nord et au sud, mais au sud on voyait des bancs de glace. Il est évident que le Gulf-Stream touche la côte occidentale de l’île et forme un fort courant autour de la côte du nord en se dirigeant vers le sud-est. L’état des glaces est favorable à la navigation tant qu’on n’approche pas trop des côtes de la Sibérie. L’île nouvellement découverte est un peu au sud-est de la région visitée par l’expédition autrichienne de 1873-74.
- La neige à Vienne dans les premiers jours de novembre. — Personne ne se souvient à Vienne
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- d’avoir vu, dans les premiers jours de novembre, une aussi grande quantité de neige que celle qui est tombée le dimanche 3. La bourrasque, qui a commencé à sévir après minuit, n’a éprouvé aucune interruption pendant toute la journée du 3 novembre. A onze heures du matin il était déjà presque impossible de circuler dans les rues, par suite de l’abondance et de l’épaisseur de la neige qui était tombée ; les omnibus, les tramways et les voitures attelées d’un cheval furent obligées de suspendre leur service. Dans les jardins publics, au Prater et sur le Ring, la neige a causé des dégâts épouvantables, et une grande quantité des arbres qui ornent la Ringstrasse ont été sérieusement endommagés. L’orage était si violent, que sur le quai de François-Joseph, plusieurs grands poteaux télégraphiques en fer forgé ont été renversés. Dans sa chute,, un de ces poteaux a tué roide un passant. A Vienne et dans les environs, les fils télégraphiques ont été rompus, et malgré le zèle et la promptitude avec laquelle on s’est empressé de réparer les nombreux dégâts, la communication télégraphique n’a pu être rétablie sur toutes les lignes qu’apiès un travail de plusieurs jours.
- ACADÉMIE DES SCIENCES
- Séance du 1 décembre 1878 — Présidence de M. Fiz'kau.
- Toxicité du sulfure de carbone. — L’action délétère du sulfure de carbone se fait sentir chez tous les ouvriers qui ont ordinairement à manier cette dangereuse substance. M. le docteur Poincarré, professeur adjoint à la faculté de médecine de Nancy, a constaté que les premiers accidents consistent dans une période d’exaltation et dans un colapsus consécutif. L’autopsie montre que les deux oreillettes sont distendues par un excès de sang noir, les poumons montrent des taches livides, mais les désordres les plus caractéristiques s’observent dans le cerveau. L’encéphale en effet est réduit sur certains points en une sorte de pulpe diffluente. Au microscope on reconnaît que la substance grise est parsemée de gouttes graisseuses constituées, parait-il, par la dissolution dans le sulfure de carbone. Cette liquéfaction du cerveau explique surabondamment la nature mortelle des accidents causés par le poison étudié.
- Nébuleuses. — Pour la neuvième fois, M. Stéphan, directeur de l’observatoire de Marseille, adresse une liste de 40 nébuleuses découvertes et observées par lui. Une dixième liste sera bientôt complète, parfaisant le nombre de 400 nébuleuses ou amas d’innombrables systèmes solaires dont la connaissance est due à cet astronome.
- Triangulation. — Au nom de M. le commandant Peiner, M. Faye fait connaître la détermination de la latitude fondamentale de la carte d’Algérie et l’azimuth fondamental de cette même carte. La latitude est égale à 36° *45' 7", 9 et l’azimuth à 358 gr. 0 908, 3 ; avec une exactitude de 2 dixièmes de seconde pour le premier chiffre et de 15 centièmes de seconde pour l’autre. L’importance de ces chiffres vient de ce que c’est eux qui fixent sur le globe la position du réseau géodésique de l’Algérie. Le travail dont il s’agit sera prochainement soumis à deux vérifications importantes et tout à fait indépendantes l’une de l’autre. L’une d’elle résultera de la liaison du réseau algérien au réseau espagnol par les triangles tous égaux que l’on jettera prochainement par-
- dessus toute la Méditerranée grâce à la visibilité possible de temps en temps d’une côte à l’autre. L’autre vérification se fera par le réseau italien qui, grâce à diverses îles bien placées se rattache directement aux triangles tunisiens. C’est ainsi que la prévision si hardie de Biot et d’Arago sera réalisée et que l’Afrique sera réunie sans interruption au système anglo-français et franco-espagnol.
- Expériences sur les fers nickelés ou météoritiques. — Nons sommes admis à l’honneur de lire un mémoire relatif à la reproduction artificielle des alliages méléoriti-ques de fer et de nickel. Notre méthode consistant à réduire à la chaleur rouge par l’hydrogène pur le mélange des chlorures des deux métaux. Elle nous a fourni à l’état de pureté le lœnite, le kamacite, etc. Nous avons pu aussi obtenir divers alliages associés en un ensemble qui, traité après polissage par un acide, donne les figures de Widmannstætten. D’autres essais ont eu pour résultat de recouvrir des fragments rocheux de ces mêmes fers nickelés et même d’empater dans ces métaux des grains de péridot ou des morceaux de dunile. Le produit avait alors tous les caractères des météorites remarquables dont le fer de Pallas est le type le plus connu et il résulte de ces faits que ces masses cosmiques représentent sans hésitation possible de vraies brèches de filons concré-tionnés. L’analogie qu’on peut établir entre elles à ce point de vue et les filons terrestres ajoute un nouveau terme à la série des arguments qui conduisent à reconnaître une grandiose unité dans les phénomènes géologiques dont les diverses parties du système solaire sont le théâtre.
- Élection. — La séance est terminée par la nomination d’un membre dans la section de médecine et de chirurgie en remplacement de Claude Bernard. La liste de présentation discutée lundi dernier en comité secret portait : En l'e ligne : M. Gübler, en 2e, M. Charcot, en 3e, M. Marey, en 4e M. Paul Bert et en 5* M. Moreau. Les votants étant au nombre de 59, M. Marey est élu par 40 suffrages. M. Paul Bert est désigné par 45 bulletins, M. Charcot par 3 et M. Gübler par 1.
- Stanislas Meunier.
- ÉTINCELLE ÉLECTRIQUE AMBULANTE
- Les condensateurs à lame de mica qui entrent dans la construction de la machine rhéostatique1 se percent quelquefois, quand les lames de mica sont trop minces, sous l’action du courant de 800 couples secondaires, de même que le verre d’une bouteille de Leyde trop fortement chargée par une machine électrique. Cet accident m’a donné l’occasion d’observer un fait très-curieux, qui consiste dans une marche lente et progressive de l’étincelle électrique, et permet d’assister au développement successif de ses capricieuses sinuosités.
- L’un de oes condensateurs étant posé sur un plateau métallique isolé, en relation avec un des pôles de la batterie secondaire, si l’on touche l’armature supérieure avec l’autre pôle, une étincelle éclate sur un des points du condensateur où le mica est trop
- 1 Comptes rendus, t. LXXXV, p. 794, et t. LXXXV1, p. 76t. La Nature, 6* année, 1878, t*’ semestre, page 13.
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- mince,ou pré sente d’avance quelque fissure. Cette étincelle se met en mouvement, sous forme d’un petit globule lumineux très-brillant qui est accompagné d’un bruissement particulier, et trace lentement, sur la lame d’étain du condensateur, un sillon profond, sinueux et irrégulier.
- La figure ci-contre offre une copie fidèle de la portion de la surface d’un condensateur où le phénomène s’est produit. L’étincelle, apparue d’abord en A, se ramifie bientôt en B jusqu’en C; là, elle disparaît pour reparaître aussitôt au point B, avec une telle rapidité et dans un intervalle de temps si peu appréciable qn’elle semble avoir fait un bond; elle se dirige ensuite vers D ; là elle forme une nouvelle ramification qui s’arrête en E, reparaît en D, continue sa marche vers F, et ainsi de suite. Quelquefois, comme dans le cas présent, l’étincelle se montre de nouveau plus loin, sur un point Q détaché du sillon principal, pour s’arrêter ensuite en R, et le phénomène ne cesse que lorsque la lame de mica ne présente plus de partie assez mince pour être traversée. Dans d’autres cas, l’étincelle reste quelque temps stationnaire autour du même point; d’autres fois encore, l’une des ramifications s’allonge démesurément, et décrit, sur toute la surface, des contours analogues à ceux d’une carte géographique. Un tube à eau distillée a été préalablement interposé
- dans le circuit de la batterie secondaire, pour éviter des effets calorifiques trop intenses et la déflagration de tout le condensateur.
- Pendant que le phénomène se produit, on ne peut prévoir d’avance par quels points passera l’étincelle ; rien n’est plus bizarre que la marche de ce petit globule éblouissant, que l’on voit cheminer lentement et choisir les points sur lesquels il doit se diriger, suivant la résistance plus ou moins grande des divers points de la lame isolante.
- Le condensateur se trouve découpé à jour sur le trajet de l’étincelle, et l’étain forme un double chapelet de grains fondus autour des bords du mica consumé. C’est une sorte d’arc voltaïque qui se produit succesivement, aux dépens de la matière du condensateur, comme dans les bougies électriques de M. Jablochkoff; mais le mica contribue ici à
- Parcours d’une étincelle électrique ambulante.
- l’éclat du globule, plus encore que l’incandescence du métal, en produisant, comme le quartz et les silicates, la lumière électrosiliciqne1.
- Cette expérience peut jeter un nouveau jour sur le phénomène de la foudre globulaire. Elle confirme les vues déjà émises, sur ce sujet, par M. du Moncel, en 18572, et les considérations que j’ai exposées depuis, en me basant sur d’autres expériences3. Il en résulte qu’il doit se former vraisemblablement, sur le point où apparaît ce genre de manifestation de la foudre, les éléments d’un condensateur, dans lequel une colonne d’air humide fortement électrisée joue le rôle de l’armature supérieure, le sol celui de l’armature inférieure, et la couche d’air interposée celui de la lame isolante.
- Ici, l’étincelle est, sans doute, un globule de matière en fusion, d’une nature différente de celle qui constitue les globules fulminants. Mais j’ai fait voir aussi qu’on pouvait obtenir, avec de l'électricité dynamique à haute tension, des flammes électriques globulaires formées uniquement des éléments de l’air et des gaz de la vapeur d’eau raréfiés et incandescents, et que ces globules suivaient naturellement les mouvements imprimés à l’électrode au-dessus de la surface conductrice.
- Il ne restait plus qu’à montrer que des globules électriques lumineux, fussent-ils formés d’une autre matière, peuvent se mouvoir spontanément et lentement, alors même que l’électrode reste immobile. L’expérience que je viens de décrire met ce fait en évidence, et me parait de nature à expliquer, en particulier, la marche lente et capricieuse de la foudre globulaire.
- Gaston Planté.
- 1 Comptes rendus, t. LXXXIV, p. 914. — La Nature, 6* année 1878. 1er semestre, p. 203.
- * Notice sur le tonnerre et les éclairs, par le comte du Moncel, 1857, p. 49.
- 5 Bulletin de l'Association scientifique de France, n° 459, p. 505. — La Nature, 5® année, 1877, 2° semestre, p. 365.
- Le Propriétaire-Gérant : G. Tissandio.
- Coi-BEit. - Typ. et sltir. CnÉrâ.
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- N* 289. - 1 4 DÉCEMBRE 1878.
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- APPLICATION DU MICROPHONE
- AUX ÉTUDES SISMOLOGIQUES.
- Rocca di Papa, près de Rome, 7 octobre 1878.
- J’ai démontré précédemment1 7, que les commotions du sol en produisant des perturbations dans les courants électriques, comme le démontrent les galvanomètres dans les stations télégraphiques, mettent en action le microphone par les vibrations et les frottements des roches terrestres. Cela doit arriver dans de certaines limites, dans les commotions microsismiques, et celles-ci doivent être accompagnées encore par des bruits très faibles, que j’ai appelés microrombi, comme les tremble-
- ments de terre sont accompagnés de bruits plus violents appelés rombi. Tous ces phénomènes sont capables d’exciter le microphone ; et par conséquent j’ai prévu qu’on pourrait appliquer cet instrument aux observations microsismiques.
- J’ai signalé les expériences faites en Italie par le comte Mocenigo, sur les perturbations mécaniques des courants électriques; et j’ai invité le même savant à continuer ses recherches pour faire l’application du microphone aux études sismologiques. Le comte Mocenigo s’est mis à l’œuvre, et les résul tats de ses nouvelles expériences sont d’un puissant intérêt. L’honorable savant a commencé par modifier le microphone dont la forme à pendule qu’on voit représenté dans la figure 1 en M, est la plus avantageuse d’après lui. 11 a placé le microphone
- Fi s- 1. F‘S 2-
- Disposition de l’installation adoptée en Italie pour 1 étude des bruits souterrains au moyen du microphone.
- dans un rez-de-chaussée d’un hôtel isolé au milieu de la campagne ; il l’a relié à son cabinet d’études (fig. 2), situé dans la même maison. D’après les indications fournies il a pu classer toutes les différentes vibrations qu’il entend dans le téléphone T relié au microphone (ce téléphone est perfectionné, comme on voit dans la figure, par l’adjonction d’un cornet acoustique). Il a introduit dans le circuit même un galvanomètre G de sorte qu’il voit par la déviation de l’aiguille ce qu’il entend à l’oreille. 11 a pu reconnaître les différents sons produits par les différents phénomènes météorologiques, non-seulement le vent, la pluie, etc....; mais même les éclairs sans tonnerre sont indiqués dans son galvanomètre en même temps qu’ils le sont aussi dans son téléphone par un bruit spécial. Il a pu enfin re-
- 1 Voy. la Nature, 6* année, 1878, 2' semestre, p. 106.
- 7* u»ée. — t" ijaeslr*.
- connaître d’autres bruits de genre tout à fait différent, qui coïncident très souvent avec les agitations du sismographe. Par conséquent il est clair, que M. le comte Mocenigo est arrivé à réaliser ce que j’avais proposé, c’est-à-dire, de surprendre par le microphone des agitations terrestres.
- Michel-Etienne de Rossi.
- L’intéressaute notice qui précède doit être complétée par les documents suivants communiqués par M. Palmieri au sujet de l’étude du Vésuve.
- « Les légères vibrations du sol que mes sysmographes montrent au regard de l’observateur ou enregistrent en son absence, peuvent être perçues moyennant l’usage d’un microphone transmetteur et d’un téléphone receveur.
- « Le chevalier Pugnetti, inspecteur des télégraphes à Rome, m’a envoyé gracieusement, au mois de juin, un microphone pour tenter d’en faire un auxiliaire du sys-
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- LA NATURE.
- mographe. Mais le professeur Michèle Stefano De Rossi ayant fabriqué un appareil inicrophonique très délicat, est venu de Rome à l’observatoire du Vésuve pour l’essayer.
- « Les résultats ont été tels que nous les attendions.
- « L. Palmieri. »
- M. de Rossi nous a fait savoir depuis qu’il est allé au Vésuve pour y contrôler les résultats qu’il avait obtenus déjà pendant l’été dans son observatoire sismique de Rocca di Papa. Il avait là entendu avec son microphone les agitations des forces intérieures de la terre, lorsqu’elles allaient éclater dans l’éruption actuelle du Vésuve. Ensuite M. de Rossi s’est rendu à la Solfatara de Pozzuoli pour y essayer encore le microphone. Ici le travail intérieur du volcan a été entendu d’une manière tellement violente que les observateurs en étaient terrifiés. M. de Rossi promet prochainement la publication d’un rapport sur ces nouvelles expériences, qui permettent d’affirmer que la terre commence à parler. G. T.
- L’ORIGINE DE L’ATMOSPHÈRE
- ( Suite et fin. — Voy. p. 1.)
- Un savant géologue américain, M. Sterry Hunt, récemment venu à Paris pour voir l’Exposition et assister au Congrès de géologie, a lu à l’Académie des sciences un mémoire intitulé : Sur les relations géologiques de l'atmosphère.
- L’auteur, ne voyant pas immédiatement autour de lui de source convenablement disposée d’acide carbonique et identifiant, d’une manière tout à fait gratuite, l’origine de ce gaz et l’origine de l’atmos • phère entière, se plaît à croire que celle-ci constitue « un milieu cosmique et universel, condensé autour des centres d’attraction en raison de leurs masses et de leurs températures et occupant tous les espaces interstellaires dans un état de raréfaction extrême. »
- On conviendra sans doute que c’est là aller un peu vite, car aucun fait d’observation n’indique la réalité de cette atmosphère universelle. Mais l’auteur, une fois entré dans ce système de pures suppositions, d’ailleurs renouvelées du physicien anglais Grove, ne s’arrête pas en si beau chemin.
- Dans sa manière de voir, les atmosphères des divers corps célestes sont à l’état d’équilibre entre elles; d’où il résulterait que tout changement survenant dans l’enveloppe gazeuse d’une planète quelconque, soit par la condensation de la vapeur d’eau ou de l’acide carbonique, soit par la mise en liberté de l’oxygène ou d’un autre gaz, se ferait ressentir, par suite de la diffusion dans l’atmosphère de tout autre planète.
- Certes ou ne peut faire une hypothèse plus commode, puisqu’il en résulterait que pendant les périodes géologiques, telles que l’époque houillère, où une grande absorption d’acide carbonique a eu
- lieu à la surface de notre globe, notre atmosphère aurait été sans cesse alimentée par de nouvelles portions de gaz provenant du milieu universel et par suite des enveloppes gazeuses des autres planètes.
- Aussi l’auteur n’hésite-t-il pas à appliquer le même procédé à l’arrivée sur la terre des poussières cosmiques, dont le rôle apparaît, à la suite de travaux récents avec une importance de plus en plus grande. — Nos lecteurs savent que dans un travail qui nous est commun avec M. Gaston Tissandier, nous avons démontré l’existence de ces poussières dans les sédiments marins provenant des points les plus distants du globe et même à l’intérieur des roches stratifiées datant des époques géologiques les plus reculées. Les sphérules magnétiques qui ont été extraits de grès infraliasiques, triasiques, permiens, carbonifères et dévoniens représentent de véritables météorites fossiles auxquelles leurs dimensions microscopiques ne retirent rien de leur intérêt. Donc pour M. Hunt ces poussières, où l’on est généralement porté à voir le produit de la combustion des bolides, ne seraient pas autre chose que des débris arrachés « par diffusion » à d’autres planètes et venant combler chez nous un vide relatif de ces substances produit artificiellement.
- Nous sommes comme on voit en plein roman.
- Mais on ne peut longtemps se dissimuler que beaucoup de faits d’observation directe contredisent les vues du géologue américain. En première ligne, il faut rappeler qu’il existe des corps célestes, tels que la Lune et les petits astéroïdes situés entre les orbites de Mars et de Jupiter qui sont absolument dépourvus d’atmosphère. Pour la Lune spécialement la question a été étudiée à tant de reprise, avec tant de soin et dans des conditions si favorables qu’elles ne peut laisser aucun doute. De plus, d’autres astres comme Vénus et surtout Mercure possèdent une enveloppe gazeuse énorme qui n’est aucunement en rapport avec leur volume.
- Comme le savent nos lecteurs, les études de géologie comparée ont appris que, par le fait seul de l’évolution sidérale, l’atmosphère est peu à peu absorbée par le noyau solide de l’astre qu’elle entoure au fur et à mesure du refroidissement spontané de celui-ci. C’est ainsi qu’après avoir eu la densité qu’on lui voit chez Mercure, puis l’épaisseur qu’elle a dans Vénus, elle acquiert les dimensions relatives dont nous profitons sur la Terre, pour s’amincir ensuite comme elle a fait autour de Mars en attendant qu’elle disparaisse absolument ainsi que la Lune en offre l’exemple.
- Évidemment, il résulte de là que l'atmosphère est un des éléments essentiels de chaque astre au même titre que la mer et que les assises pierreuses.
- Mais l’origine de l’acide carbonique est certainement tout autre, et d’après ce qui a été dit tout à l’heure, il faut, de toute nécessité, admettre que ce gaz a été et est encore fourni à l’atmosphère parune source qui ne le donne que successivement.
- Ceci, on le voit, est conforme à ravis de
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- M. Ilunt, mais il ne faut pas perdre de vue qu’en-Irc la reconnaissance de cette nécessité et la supposition que la source en question soit extra-terrestre, il y a un abîme.
- Il y a déjà bien longtemps qu’Élie de Beaumont émettait l’avis que le centre du globe à l’état de fusion ignée pourrait bien être imprégné d’acide car -bonique qui se dégagerait par suite du refroidissement que subit notre planète et viendrait ainsi peu à peu remplacer le gaz soustrait à l’atmospbère par les actions énumérées plus haut. De son côté, Ebel-men se demandait si le dégagement de l’acide carbonique ne serait pas dû à des réactions secondaires de l’écorce terrestre.
- Les aperçus étaient, comme on va le reconnaître, dans la vraie direction; mais cela ne doit pas faire oublier qu’ils n’en représentaient pas moins, eux aussi, des fruits de pure imagination.
- Depuis cette époque, des faits d’observation proprement dite ont été recueillis et l’étude du problème a pris une forme vraiment scientifique.
- ^ Il y a peu de temps, la Nature publiait un article ou étaient rassemblés les arguments qui permettent de regarder comme démontrée l’existence d’un noyau de fer métallique au centre de la Terre. On y ajoutait que nous sommes même en possession d échantillons de ce noyau depuis la découverte de roches éruptives qui ont apporté des profondeurs des débris arrachés à ces masses centrales. C’est, on se le rappelle, au Groënland que les basaltes à fer natif ont été observés et l’on peut maintenant citer, comme plus probant encore, à côté du travail de M. Nordenskjold sur les blocs d’Ovifak, les belles recherches que M. Heenstonp a consacré aux roches du détroit de Waigatt.
- Donc, les régions profondes de notre globe sont de nature métallique. Mais l’examen chimique montre qu’il ne s’agit pas là de fer pur. C’est, au contraire, un alliage complexe et parmi les éléments qu il renferme nous devons citer d'une manière tout à fait spéciale le carbone qui s’y présente en proportion très-notable. M. Daubrée a reconnu dans certains blocs du fer d’Ovifak 4.6 pour 100 de carbone. La densité de ce métal étant égale à 5.8 environ, on voit qu’il ne renferme pas moins de 271 kilogrammes de carbone par mètre cube. Il en résulte qu’une couche d’une telle roche ferreuse ayant seulement 5 millimètres d’épaisseur, renfermerait autant de carbone que toute une colonne de l’atmosphère ayant même base. Pour une variété de fer renfermant le carbone en proportion mille fois moindre, il suffirait encore d’une couche épaisse de 5 mètres, c’est-à-dire bien mince encore pour l’équivalent dont il s’agit.
- 11 est donc légitime de dire que le métal central du globe est une véritable fonte.
- Ce premier résultat obtenu, comme on voit, en dehors de toute idée préconçue va faciliter beaucoup la solution du problème que nous poursuivons.
- En effet, si nous examinons les propriétés chimiques de la fonte, nous sommes bientôt frappés des faits dont on doit la connaissance à M. Cloëz. Dans le cours de l’an dernier, ce savant chimiste a reconnu que le traitement d’une fonte blanche contenant 0.04 de carbone pour de l’acide chlorhydrique aqueux d’une densité égale à 1.12, donne lieu à la formation de produits hydrocarbonés liquides et gazeux absolument comparables à ceux que produit la distillation des matières organiques. L’auteur signale spécialement des homologues de l’éthylène absorbables par le brome et pouvant se combiner aussi facilement à l’acide chlorhydrique; il mentionne également des composésforméniquesinsolubles dans l’acide sulfurique et inattaquables à cet acide, et qui, chose du plus haut intérêt pour nous, paraissent identiques avec les substances qui existent dans le sol et qu’on exploite en grand sous le nom de pétrole.
- Plus tard, M. Cloëz, a cherché à remplacer l’acide intervenant dans ses premières expériences par de l’eau pure. En employant une fonte riche en manganèse, il a vu l’eau bouillante déterminer l’oxydation très rapide du métal et en dégager des hydrogènes carbonés analogues aux précédents.
- Pour faire de ces faits si intéressants une application géologique féconde il suffit donc de prouver que sur le noyau de fonte infrà granitique dont l’existence a été reconnue plus haut peuvent arriver les infiltrations aqueuses et peut être plus ou moins acides que fournit la surface du globe. Or, il y a déjà longtemps que M. Daubrée a mis hors de doute la possibilité de pareilles infiltrations, et cela de la manière la plus décisive puisque c’est en les imitant artificiellement. D’ailleurs il suffit que des hydrogènes carbonés soient ainsi produits dans la profondeur pour que la question qui nous occupe n’ait plus rien d’obscur, car ces hydrocarbures une fois mis en liberté, leur faible densité les amène immédiatement dans des régions plus superficielles où elles rencontrent de l’oxygène qui, par combustion, les réduit immédiatement en eau et en acide carbonique.
- Telle est sans aucun doute l’origine de l’acide carbonique vomi par les volcans et par tant de sources minérales et que le sol granitique d’Auvergne entre autres, laisse exsuder en si grandes quantités. Telle est peut être l’origine des cires fossiles (on ozokérites) et des bitumes ainsi que des huiles minérales ou pétroles.
- On conçoit d’ailleurs bien aisément, comment le phénomène a pu, à certaines époques de l’histoire du globe présenter des recrudescences et des affaiblissements et comment une de ces exaltations a pu déterminer par exemple l’épanouissement de la luxuriante végétation houillère.
- Stanislas Mbünier.
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- LA NATURE.
- RECHERCHES EXPÉRIMENTALES
- SUR LES CAUSES DU BOURDONNEMENT
- CHEZ LES INSECTES.
- Les anciens naturalistes pensaient d’une manière générale que le bourdonnement est produit par la vibration des ailes, mais ils ne s’étaient guère préoccupés de ce phénomène et n’avaient pas songé à l’analyser. Réaumur le premier avança que lorsqu’on a coupé les ailes à une mouche à viande, elle continue à bourdonner et attira ainsi l’attention sur ce point. Diverses explications furent alors successivement produites :
- Yon Gleïchen attribua le bourdonnement à l’action des balanciers qui, comme des baguettes de tambour, viendraient frapper les cuillerons à coups redoublés.
- Cuvier se contenta aussi de cette explication.
- Sclielver admit que l'air sortant des stigmates fait vibrer les cuillerons.
- Chabrier appuya cette hypothèse.
- Enfin, récemment, Landois, à la suite de belles recherches sur les orifices respiratoires des insectes, admit que le bourdonnement est causé par le passage rapide de l’air entre les valvules qui ferment plus ou moins étroitement les stigmates thoraciques. C’est celte dernière hypothèse qui est généralement adoptée aujourd’hui.
- La diversité de ces opinions m’a engagé à reprendre l’étude de ce phénomène et à le soumettre à une analyse expérimentale rigoureuse d’autant plus que des recherches auxquelles je me suis livré sur la respiration des insectes m’ont donné à penser qu’il y avait, dans l’hypothèse de Landois, certaines impossibilités sur lesquelles je reviendrai plus loin.
- Notre premier soin pour éviter toute confusion doit être d’établir nettement ce qu’il faut entendre par bourdonnement. 11 est assez singulier qu’aucun des naturalistes qui ont traité ce sujet n’ait pris soin de donner du phénomène une explication claire. H est d’autant plus important de s’entendre que dans le langage ordinaire, bourdonner signifie produire un son sourd et continu. Cela arrive à beaucoup d’insectes auxquels pourtant on n’applique pas le terme bourdonner ; ainsi on ne dira pas d’un hanneton, d’une cétoine, d’un lucane qu’ils bourdonnent, bien que ces insectes rendent en volant un son grave et prolongé, tandis qu’on appliquera cette expression au cousin, à la mouche, etc. Tout cela prouve que le mot bourdonner possède un sens restrictif et je pense que dans l’acception scientifique on doit l’entendre ainsi : imiter ce que fait le
- bourdon, lequel est le type des insectes bourdonnants.
- Or quand on observe un bourdon, on s’aperçoit que pendant son vol il rend un son grave qui présente une sonorité toute particulière. Quand il est posé il peut émettre un son aigu tout différent. En analysant ces deux sons, on voit que le dernier est toujours à l’octave aigüe du premier.
- Nous dirons donc que le bourdonnement est la faculté pour un insecte de produire deux sons à l’octave.
- Cette définition restreint aux hyménoptères et aux diptères le phénomène qui nous occupe. Les coléoptères produisent souvent en volant un son grave et sourd, mais ils ne peuvent émettre le son aigu dont on vient de parler et par conséquent ne bourdonnent pas.
- La question étant nettement posée, jetons un coup d’œil sur les hypothèses précédentes.
- La supposition de von Gleichen d’après laquelle le bourdonnement serait occasionné par le choc répété des balanciers sur les cuillerons, ne résiste pas au plus simple examen, puisque les hyménoptères bourdonnent fort bien et qu’ils n’ont point de balanciers; de plus, j’ai montré dans un précédent travail que la fonction du balancier est d’une nature toute différente. Enfin si on enlève les balanciers à une volucelle, elle n’en continue pas moins à bourdonner. J’en puis dire autant des assertions de Cuvier et de Sclielver qui font jouer un rôle capital aux cuillerons. Ces auteurs n’ont évidemment eu en vue que les diptères. 11 est d’ailleurs très-facile de s’assurer en enlevant les cuillerons que la faculté de bourdonner reste intacte après l’opération.
- Quant à l’opinion de Landois qui est généralement admise, il y a un moyen bien simple de s’assurer qu’elle ne repose que sur des déductions anatomiques, lesquelles sont souvent trompeuses. Si on enduit avec de la poix ramollie ou de la glu les stigmates thoraciques de volucelles ou de frêlons (j’ai choisi de préférence ces insectes parce que le bourdon se prête mal à cette opération à cause des poils serrés qui garnissent son thorax), on constate que l’insecte bourdonne tout aussi bien qu’aupara-vant. On peut même obturer de la sorte tous les stigmates, thoraciques et abdominaux, rien n’est changé. Par conséquent, il est clair que les valvules stigmatiques que Landois a observées et décrites servent à un tout autre usage et ne jouent aucun rôle dans le bourdonnement.
- Il est évident que l’assertion de Landois repose sur cette idée préconçue que l’insecte peut expulser l’air contenu dans son appareil respiratoire avec une certaine énergie. Rien n’est moins démontré et même
- Fig 1. — Bourdon des mousses. — Grandes vibrations de l'aile. Son grave. — 112 vibrations doubles par seconde.
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- les travaux que j’ai entrepris sur la respiration des Insectes m’ont fait abandonner tout à fait cette hypothèse, imaginée jadis par Chabrier, sans aucune preuve à l’appui, pour l'édification de sa théorie du vol, théorie reconnue aujourd’hui inexacte1.
- Nous ne pouvons donc accepter aucune des hypothèses que nous venons de passer en revue.
- Une observation attentive du bourdonnement permet de discerner quelques faits très nets et très clairs qui vont nous guider dans l’interprétation du phénomène.
- D’abord il est indiscutable que le son grave accompagne toujours les grandes vibrations de l’aile, celles qui servent à la translation de l’insecte. On voit fort bien que ce son commence aussitôt que l’aile entre en mouvement et dès qu’on coupe l’aile il disparaît sans re-
- lipseallongée verticalement; pendant la contraction la coupe devient une ellipse allongée latéralement.
- Chacune des faces du thorax change donc constamment de position et pendant le vol le thorax vibre alternativement suivant ses deux diamètres dor-so-sternal et latéral.
- Les masses musculaires destinées au vol étant très-puissantes, ce mouvement vibratoire du thorax est très-intense, comme on peut s’en assurer en tenant un de ces insectes entre les doigts. Or, comme les contractions musculaires se répètent chez le Bourdon 224 fois par seconde, elles donnent lieu à un son musical qui n’est autre que la note aiguë. En effet, le thorax passant d’une forme à l’autre aussi rapidement, peut être considéré comme un corps vibrant qui ébranle directement l’air en contact avec lui
- sur toute sa périphé-
- Fig. 2. — Tracé de lr vibration thoracique — Son aigu. 224 vibrations par seconde.
- tour.
- Le son aigu ne se produit au contraire jamais pendant le vol; on ne l’observe qu’en
- dehors des grandes vibrations de l’aile, lorsque l’insecte est posé ou qu’on le tient de manière à gêner ses mouvements ; dans ce cas, on voit l’aile animée d’un frémissement rapide. Il se produit encore quand on a enlevé complètement les ailes.
- De ces deux faits nous pouvons tirer cette conclusion que le son grave appartient en propre à l’aile et qu’il est causé par ses mouvements de grande amplitude. Il n’y a là aucune difficulté.
- Quant au son aigu, il n’est certainement pas produit par l'aile puisqu’il survit à l’ablation complète de cet organe. Cependant chez l’insecte non mutilé l’aile y participe et éprouve un frémissement particulier pendant la production de Fig, 3. — Vibration thoracique inscrite par l’extrémité de l’aile pendant le alors? Le thorax et,
- rie, comme le fait, par exemple, la branche d’un diapason. L’origine du son aigu n’est donc pas dans l’aile mais dans le thorax. En définitive il y a chez les insectes bourdonnants deux organes sonores, l’aile et le thorax. Chacun de ces organes comme nous allons le voir peut produire deux sons le grave et l’aigu. C’est le mélange de ces deux sons et leurs combinaisons qui donne au vol de ces insectes son timbre et son caractère particulier.
- Prenons un bourdon qui vole. Sous cette allure il ne peut produire que le son grave. Si nous approchons de son aile un cylindre enregistreur et que nous inscrivions le tracé de son vol comme cela est représenté figure 1 nous verrons que l’aile décrit
- en une seconde 112 vibrations doubles Que se passe-1-il
- ce son. Pour en trouver la cause il faut remonter au mécanisme même de la mise en mouvement de l’aile.
- On sait que chez presque tous les insectes et en particulier chez les insectes bourdonnants, les muscles qui servent au vol ne s’insèrent pas à l’aile même mais aux pièces du thorax auxquelles cette membrane est fixée. C’est le mouvement de celles-ci qui entraîne l’aile et la fait vibrer. Chabrier qui a étudié et décrit avec une clarté extrême le mécanisme du vol a démontré que la forme du thorax change à chaque mouvement de l’aile, sous l’influence de la contraction des muscles thoraciques.
- Au repos la coupe du thorax représente une el-
- 1 M. J. Pérez, dans une communication faite le 2 septembre dernier à l’Académie des sciences, a repris la question du bourdonnement. D’après cet auteur, la cause résiderait dans les ailes; ce phénomène résulterait des battements répétés du moignon alaire contre les parties solides qui l'environnent. L’opinion de M. Pérez n’est pas plus solide que les précédentes, par cette raison que le son aigu continue à se produire meme quand on a enlevé avec beaucoup de soin le moignon de l’aile.
- l’aile vibrent à l’unisson et le son produit est composé du son alaire renforcé par le son tho racique. Ceci nous explique pourquoi chez les insectes bourdonnants le son grave a cette ampleur, cette sonorité toute particulière qu’on ne retrouve point chez les autres insectes. Les deux sons produits se confondent et il en résulte la perception d’un son unique grave très-puissant.
- Si, au contraire, l’insecte est au repos, et si sans disposer son aile pour le vol il met en contraction ses muscles thoraciques, le son grave ne se produit pas, mais on entend un son aigu très intense. Pendant la production de ce son, le thorax vibre avec beaucoup d’énergie, voici comment je m’en suis assuré. J’ai saisi un bourdon pareil à celui de l’expérience précédente et lui ayant collé à la partie dorsale du thorax un style très léger en bambou j’ai attendu qu’il rendit le son aigu Je l’ai alors approché du cylindre enregistreur et j’ai obtenu le tracé de la figure 2.
- Dans ce tracé le nombre de vibrations est 224, ce
- frémissement alaire — Le nombre de vibrations est égalemeut de 124.
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- qui est exactement le double du premier cas. Le son aigu est en effet à l’octave du son grave.
- 11 faut remarquer que pendant que le son aigu se produit, l’aile ne reste pas inactive. Elle est animée d’un frémissement vibratoire très-énergique. Si nous prenons le tracé de ce mouvement (fig. 5), nous constatons que si la forme du tracé est différente parceque nous avons ici la courbe en 8 de chiffre si bien étudiée par M. Marey, le nombre de vibrations est identique à celui que nous avions obtenu précédemment au moyen du style.
- Pendant le son aigu il est donc démontré que l’aile et le thorax vibrent à l’unisson. Comme l’amplitude du mouvement de l’aile est très faible, on peut dire ici que le son aigu est surtout thoracique mais que l’aile le renforce et concourt à lui donner de l’éclat.
- Dans les deux cas que nous venons d’examiner, nous avons vu les deux organes sonores fonctionnant ensemble et avec la même vitesse. Y a-t-il des cas dans lesquels ils peuvent travailler isolément.
- Chez l’insecte à l’état normal, quand l’aile donne le son grave, le thorax le donne aussi, et quand le thorax donne le son aigu, l’aile l’accompagne ; mais si on vient à couper les deux ailes on crée un cas particulier qui est très-instructif.
- En effet l’animal se trouve réduit au thorax comme corps vibrant. On pourrait croire que celui-ci conservera la laculté, comme lorsqu’il est uni à l’aile d’émettre à volonté le son grave ou le .son aigu. Eh bien, pas du tout. Le son grave est aboli sans retour et le thorax livré à lui-même ne rend plus que la note aiguë.
- C’est que l’aile est un véritable régulateur du mouvement des muscles. Il est en effet certain que le son grave est causé par la résistance de l'air qui règle en la modérant la vitesse de la contraction musculaire, tandis que dans le cas qui nous occupe les muscles se contractant à vide sans produire d’effet utile, atteignent leur maximum de vitesse, c’est-à-dire le double du premier cas.
- Quand l’aile est coupée, il est facile de remarquer que le son thoracique réduit à lui-même n’a plus le même éclat qu’auparavant. Toutefois, il s’entend encore fort bien à distance.
- Telle est, je crois, la meilleure explication qu'on puisse donner du mode de production des deux sons qui constituent le bourdonnement.
- Nous pouvons résumer notre théorie sous la forme suivante :
- Son thoracique.. -
- grave,
- aigu,
- Son alaire.
- grave, 3 aigu, 4
- 1 et 3. — Simultanément. — Pendant le vol. — Grande sonorité.
- 2 et 4. —Simultanément. — En dehors du vol. — L’aile frémit sur le dos.
- 1 seul. — Ne peut se produire. — A besoin de la résistance de l’air.
- 2 seul. — Se produit quand l’aile est coupée. — Son atténué.
- 3 seul. —Ne peut se produire, l’aile ne pouvant vibrer que par l’intermédiaire des pièces thoraciques.
- 4 seul. — Ne peut se produire pour la même raison.
- On se demandera peut-être pourquoi tous les insectes bons voiliers ne bourdonnent pas. La raison
- Chez les libellules, les muscles du vol s’insèrent à l’aile même ; c’est une exception. Il n’y a donc pas de son thoracique, en est simple, après les explications que je viens de donner.
- Parmi les Coléoptères, beaucoup produisent en volant un son sourd et assez retentissant, le Lucane l’Hydrophile, en un mot tous les gros Coléoptères. Chez ces insectes le thorax est trop résistant pour se déformer en entier sous l’action des muscle:, M n’y a donc pas de son thoracique perceptible, ca. pour que ce résultat se produise il faut comme chez les Diptères une grande surface vibrante; or chez les Coléoptères c’est seulement la pièce où est fixée 1 aile qui vibre et cette pièce n’a pas une grande étendue. Il doit y avoir néanmoins quand l’aile est coupée un son très faible, trop faible pour être perçu par notre oreille, mais dont le microphone révélerait probablement l’existence. Je n’ai pu faute d’instruments convenables éclaircir ce point.
- Les Lépidoptères se rapprocheraient des insectes bourdonnants sous le rapport de la disposition des organes, mais chez eux la vitesse de vibration est infiniment moindre et même quand l’aile est coupée les mouvements du thorax sont insuffisants pour produire un son musical perceptible. La Piéride du Chou, par exemple, ne donne que seize coups d’aile par seconde.
- Tels sont les motifs pour lesquels ces insectes ne produisent pas le son aigu qui caractérise le bourdonnement. Dr JoUSSET DE BELLESME.
- SOCIÉTÉ FRANÇAISE DE PHYSIQUE
- Séance du 15 Décembre 1878.
- M. Antoine Bréguet présente divers appareils de rotation électro-magnétique qu’il a imaginés en vue d’étudier les meilleures conditions de fonctionnement des machines du système de Gramme, considérée soit comme sources de courant soit comme électro-moteurs.
- 11 remarque : 1° que les courants induits, développés par le mouvement d’un circuit fermé mobile dans un champ magnétique, ont une intensité proportionnelle au nombre de lignes de force, rencontrées dans le déplacement; 2° que quand le circuit est traversé par un courant, le champ magnétique résulte à la fois des aimants fixes et du courant. Celui-ci, par sa présence infléchit et déplace les lignes de force du champ magnétique priini-
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- lif, et l’on obtiendrait des résultats très-défectueux, si on ne tenait pas compte de cette modification.
- Les conclusions auxquelles il parvient sont les suivantes : Lorsqu’on veut obtenir le meilleur effet possible d’un système électro-magnétique employé comme source de mouvement (c’est-à-dire quand le courant mobile provient d’une source étrangère), le diamètre suivant lequel sont placées les prises de contact doit être déplacé par rapport à la position qu’il occuperait dans le champ magnétique primitif et en sens inverse de la rotation d’un angle d’autant plus grand que l’intensité du courant est plus considérable, relativement à celle du champ magnétique. Si c’est au contraire le mouvement qui engendre le courant, le déplacement des prises de contact doit être opéré en sens inverse. On s’explique d’après ces considérations la position anormale en apparence, que l’on esL obligé de donner aux balais de la machine de Gramme pour obtenir le meilleur fonctionnement possible de l’appareil. M. Bré-guet insiste sur ce point que ce déplacement des balais ne peut être attribué à la force coercitive de l’anneau de fer doux, ainsi qu’on l’admet généralement.
- M. Gernez compare l’effet d’une action mécanique pour provoquer l’ébullition d’un liquide surchauffé ou la décomposition d’une substance explosive. Il prend un tube de 1 mètre de long, de 6 millimètres de diamètre au plus, et il y introduit soit une solution sursaturée d’acide carbonique, soit de l’acide azoteux, soit un liquide bouillant, à très-basse température comme l’acide sulfureux ou l’éther méthylchlorhydrique, lesquels se trouvent surchauffés à la température ordinaire. Si l’on vient alors à mettre le tube en vibration en le frottant dans le sens de sa longueur avec les doigts humides, l’acide carbonique brusquement dégagé de- sa solution sursaturée projette violemment le liquide hors du tube ; dans les mêmes conditions l’acide azoteux se décompose brusquement, et il y a aussi projection. Quant aux liquides surchauffés, comme leur transformation en vapeur exige l’emploi d’une certaine quantité de chaleur, on n’obtient que le dégagement d’une grosse bulle qui soulève la colonne liquide sans projection brusque ; au bout de quelques instants une nouvelle mise en vibration du tube sera accompagnée de la production d’une seconde bulle et ainsi de suite.
- M. Marey a étudié la décharge électrique d’un gymnote et constaté qu’elle se compose d’une série de décharges très-rapprochées comme celle de la torpille. Il a eu l’idée d’appliquer le téléphone à l’étude de la périodicité de ces décharges. Une torpille étant placée entre deux feuilles d’étain reliées au téléphone, on pique le lobe électrique de l’animal, et l’on entend une sorte de gémissement prolongé dont on a pu constater la hauteur. C’est le mii correspondant à 165 vibrations doubles par seconde. La décharge ordinaire de la torpille est de trop courte durée pour que l’oreille puisse, par l’intermédiaire du téléphone, constater autre chose qu’un bruit sans tonalité.
- LES ALLURES DU CHEVAL
- REPRÉSENTÉES PAR LA PHOTOGRAPHIE INSTANTANÉE.
- Nous recevons de M. E. L. Muybridge de San-Francisco (Etats-Unis) une série de photographies d’un intérêt peu commun ; nous les reproduisons ci-contre. Elles offrent la solution d’un problème
- longtemps et infructueusement étudié, qui consiste à retracer les différents temps de l’allure du cheval au pas, au trot et au galop1. Il y a là des difficultés considérables; tous ceux qui ont pratiqué la photographie instantanée comprendront l’importance de ces difficultés, et reconnaîtront que c’est par un prodige de patience et d’habileté qu’il a été possible de fixer dans ses différentes positions l’image d’un cbeval de course lancé avec une vitesse de près de 20 mètres à la seconde ; celle d’un train express ou de la tempête.
- Les résultats qu’a obtenus M. Muybridge intéressent le physiologiste qui étudie le mécanisme des mouvements complexes exécutés par le cheval dans sa marche, aussi bien que le peintre qui s’est donné pour mission d’en représenter l’aspect fidèle. C’est une bonne fortune pour la Nature de pouvoir les publier pour la première fois.
- Nous avons reproduit directement les photographies du savant Américain par les procédés d’héliogravure en relief; le lecteur a donc sous les yeux la représentation mathématique de documents qui perdraient tout leur intérêt, s’ils avaient été copiés par un dessinateur si consciencieux qu’il puisse être. Nous avons sacrifié la valeur artistique de la gravure à son exactitude, qui importe ici d’une façon capitale.
- Il suffît d’examiner attentivement les différentes positions du cheval photographié dans chacune des planches ci-jointes, pour se rendre compte de la complexité des mouvements qu’il exécute, et pour reconnaître que certaines de ces positions paraissent tout à fait invraisemblables. Si un artiste en avait donné la représentation par le dessin, on l’accuserait assurément de s’être livré aux fantaisies de son imagination. Mais quand on sait qu’il s’agit d’épreuves photographiques, on admire les enseignements qu’elles révèlent pour en tirer parti.
- M. Muybridge a choisi comme modèles les plus célèbres chevaux de course de l’autre côté de l’Atlantique. Le cheval Abe Edginton est représenté au pas dans la figure I, il se déplace dans cette allure avec une vitesse de 106 mètres à la minute.
- La figure 2 nous montre les différentes positions de Mahoruch au petit galop, animé d’une vitesse de 200 mètres à la minute,
- La figure 3 représente le cheval précédemment cité Abe Edington au trot, marchant avec une vitesse de 715 mètres à la minute. — Ces trois premières séries de photographie reproduisent assez fidèlement les reliefs du modèle, en mettant en évidence les parties lumineuses du modèle. Il n’en est plus de même pour les deux dernières séries qui ne nous offrent plus guère que des silhouettes rappelant des ombres chinoises ; mais quel intérêt dans leur examen ! »
- La figure 4 (celle du milieu de la page 25) nous montre les différentes positions du cheval Occident,
- 1 Ces photographies curieuses, dont nous offrons la primeur à nos lecteurs, sont actuellement déposées à Paris, chez MM. Brandon et Morgan Brown, I, rue Laffitte, à Taris,
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- lancé au trot avec une vitesse de 727 mètres à la minute. La figure 5 enfin est un véritable tour de force photagraphique ; elle reproduit la succession des temps de l'allure de SaVie Gardner, au grand
- galop de course, fendant l'espace avec une vitesse de 1 142 mètres à la minute.
- Nous recommandons à nos lecteurs de bien étudier chacune des positions du cheval dans ce mou-
- vement vertigineux. Dans le n° I (fig. 5) une | seule jambe, celle de devant droite touche terre, tandis que les trois autres sont suspendues par une énergique contraction des muscles. Dans le n° 3
- (fig. 5) on voit le cheval entièrement isolé, aucune de ses jambes ne touche le sol, elles sont ramassées sous le ventre, au moment où elles vont être lancées, comme sous l’action d’un ressort qui se détend.
- On remarquera daus les nos 8 et 9, comme une des jambes de devant est singulièrement tendue, dans une position qui n’aurait jamais été soupçonnée sans le secours de la photographie instantanée.
- Nous devons ajouter que l’écartement des lignes verticales sur les photographies de M. Muybridge
- est de 21 pouces anglais, soit de 0m,582 millimètres et celui des lignes horizontales de 0m,102 millimètres. — Les numéros indiqués au-dessus de chaque figure ont été ajoutés après coup sur le cliché, et servent à l’étude de chacune des images.
- Ces différentes gravures héliographiques forment
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- un précieux complément de l’intéressant travail que nous avons publié récemment (Moteurs animés, par M. le docteur Marey. — Voyez la Nature, 6° année, 1878, 2e semestre, p. 275 et-289). Elles constituent un document inédit d’une haute valeur, et dont nos lecteurs apprécieront assurément l’importance.
- Gaston Tissandier.
- DE LA SUPPRESSION ET DU RÉTABLISSEMENT
- DES TOURS
- La mortalité effrayante des nouveau-nés et des enfants en bas âge est une question qui touche aux plus graves intérêts de la société en général et des États en particulier. Depuis un certain nombre d’années, le chiffre de cette mortalité est allé croissant et si l’on remarque que la natalité, loin de compenser cette calamiteuse réduction, a suivi de son côté une échelle descendante, on comprend qu’il y a urgence à rechercher les causes de ce mal profond et à y remédier le mieux et le plus vite possible. Frappé des dangers que courent les enfants envoyés en nourrice, l’honorable docteur Th. Roussel a soumis au Parlement un projet de loi destiné à combattre ces dangers; ce projet de loi est actuellement en vigueur. Mais ce n’est là, croyons-nous, qu’un des côtés de la question et tôt ou tard, souhaitons que ce soit dans un court délai, il faudra réviser les ordonnances sur le service des Enfants Trouvés. 11 y a bientôt deux ans, M. Bérenger déposait au Sénat (23 février 1877) un rapport favorable sur une pétition du Dr Brochard relative à ce sujet. Dernièrement M. Marjolin plaidait devant l’Académie des sciences morales et politiques, avec sa compétence et son autorité légitime, la même question. Enfin, dans une brochure publiée l’année dernière, un jeune docteur, M. Ligier, faisait entrevoir, avec preuves à l’appui, les conséquences fâcheuses de la suppression des Tours. C’est en nous appuyant sur ces documents que nous allons faire passer les pièces du débat sous les yeux de nos lecteurs.
- Tout le monde connaît le tour, encore existant, mais non plus en usage, dans certains hospices des petites villes. C’est un large cylindre de bois, ouvert par la moitié, offrant ainsi une partie convexe et une partie ouverte, comprenant toute la profondeur du cylindre. Encastré dans la muraille de l’hospice, le tour présentait sa face convexe tournée sur la rue ; auprès du tour, était appendue une sonnette. La femme qui voulait déposer un enfant agitait la sonnette ; aussitôt prévenue, une surveillante faisait pivoter le cylindre qui venait alors présenter au dehors sa face concave ; l’enfant déposé, le tour achevait son évolution rotatoire et l’enfant était recueilli, sans que la surveillante ait pu, grâce à la disposition de l’appareil, apercevoir la femme qui avait apporté l’enfant.
- La création du tour est loin d’être aussi ancienne que l’institution des hospices d’Enfants trouvés; la gravure qui représente saint Vincent de Paul recueillant les enfants dans la rue n’est que l’exacte reproduction de la vérité. Les enfants étaient abandonnés dans les rues et c’est là qu’on les recueillait pour en peupler l’hospice. Peu à peu le tour fut établi dans la plupart des hospices et le décret de janvier 1811 sur les enfants trouvés fait mention du tour ; l’article 3 porte que dans chaque hos-
- pice il y aura des tours où les enfants seront déposés : à Lyon, le premier fut ouvert en 1804 ; à Paris, il ne fut établi qu’en 1827.
- Comme toutes les institutions, celle du tour ne fut pas à l’a Jri des critiques; l’administration l’accusa d’êlre la cause de l’augmentation croissante des enfants abandonnés; de 99 346 en 1819, ce chiffre était monté progressivement et en 1853 il atteignait 129699 ; aussi s’efforça-t-elle de provoquer la fermeture des tours et elle eut gain de cause ; de 1834 à 1837, 67 tours furent supprimés; en 1845, 138 étaient fermés; on en comptait encore 5 en 1862 ; il n’en existe plus depuis longtemps. Malgré une vive opposition de la part des conseils généraux, des sociétés médicales, d’un grand nombre de députés, la question, souvent remise à l’ordre du jour, est toujours restée sans réponse ou du moins sans application.
- Les reproches qu’on adressait à l’établissement et au fonctionnement des tours étaient-ils fondés? d’autre part la substitution du secours aux mères et de l’admission directe dans les asiles, à bureau ouvert, suivant l’expression administrative, a-t-elle modifié la situation? tels sont les points à examiner. Les moralistes ne se sont pas fait faute de déclamer contre une mesure qui, d’après eux, encourage le vice et favorise la débauche en permettant à la femme de dissimuler sa faute et d’oublier les devoirs les plus sacrés de la maternité. A mon avis, il ne faut pas, dans des questions aussi complexes, faire une part trop large au sentiment : qu’on s’insurge contre les abus, qu’on réprouve le vice et qu’on favorise la vertu, rien de plus juste. Mais il faut savoir si la proportion croissante des enfants abandonnés est uniquement le fait d’une dissimulation facile et il faut rechercher si le tour peut réellement être accusé d’encourager le vice. La réponse est aisée et dans un relevé, qui lui a coûté de longues et minutieuses recherches, le Dr Ligier prouve que le chiffre des enfants naturels a augmenté, toutes proportions gardées, depuis la suppression du tour et l’établissement du système actuel. Voici, à cetégard, des chiffres péremptoires :
- Enfants Années. légitimes. Enfants naturels. Rapports.
- 1822.. .... 902.896 69.736 77.2
- 1830.. 898.577 68.247 75.9
- 1832.. 870.504 67.677 77.7
- 1862., 921.248 73.913 81.3
- 1869.. 9.’ 3.094 75.633 83
- 1872.. 896.347 69.553 77.5
- Ainsi les chiffres les plus élevés coïncident avec la
- suppression du tour. — Celte statistique, dont nous
- n’avons donné que les principaux chiffres, prouve surabondamment que la morale n’a rien eu à gagner avec le système actuel.
- Il faut cependant avouer, et c’est là un des puissants arguments invoqués par les adversaires de l’établissement des tours, argument malheureusement justifié, il faut avouer, dis-je, que le nombre des enfants abandonnés n’a pas diminué au fur et à mesure qu’on s’éloignait des premiers temps de cette institution ; au contraire il s’est augmenté dans des proportions considérables, de 94 133 en 1816, il était arrivé à 129 699 en 1833. Ce chiffre a sensiblement décru, si nous nous en rapportons à une statistique de M. J. Lefort. En 1853, d’après cet auteur» le nombre des enfants trouvés montait à 72 472; celui des enfan's abandonnnés était de 25842. Au 1" janvier 1872, toujours d’après M. Lefort, il existait en France 8466 enfants trouvés et 46609 enfants abandonnés.
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- Les deux statistiques présentent une différence considérable, je n’ose croire qu’elles soient établies sur le même point de départ, aussi ne les donnerai-je qu’à titre de simple aperçu et sans en tirer de conséquences de l’une à l’autre.
- Quoiqu’il en soit et en admettant les chiffres bruts, le nombre des enfants abandonnés a été considérable, malgré l’existence des tours ; il est encore considérable aujourd’hui. Les tours ne sont donc pas un remède héroïque, comme on dit en médecine, contre ce fatal aveuglement des filles-mères. Ce n’est point là la thèse que je veux soutenir; ou aurait trop beau jeu contre moi. Non, les tours n’empêchent pas qu’on abandonne les enfants; mais empêchent-ils qu’on ne les détruise, arrêtent-ils une mère sur le penchant du crime, en un mot, les tours ont-ils une influence sur la criminalité, sur la proportion des infanticides. C’est ce qu’il me reste à prouver.
- Dans un langage éloquent, Lamartine avait saisi cet argument pour répondre à la suppression des tours : « Le tour fermé, disait-il, la mère, séduite et surprise par le. témoignage vivant de sa faiblesse, n’a plus que cette alternative : le déshonneur, la réprobation de sa famille, la vengeance d'un époux trahi ou l’infanticide. Le déshonneur accepté et affiché, l’exposition dans les lieux solitaires ou le meurtre de l’enfant, voilà les trois options que la clôture des tours laisse aux mères illégitimes : l’une est la honte, l’autre est la mort, la troisième est le crime. »
- M. Tardieu, mieux placé que personne, par ses fonctions de professeur de médecine légale, pour résoudre cette question de l’infanticide, est venu donner aux paroles de Lamartine un appui redoutable, car il repose encore sur la statistique et les chiffres ont une éloquence à nulle autre pareille. Dans un relevé de 1820 à 1866 par périodes quinquennales, voici le nombre d’accusations d’avortement relevés par l’éminent professeur :
- De 1826 à 1830... . 8 accusations, 12 accusés,
- De 1831 à 1835... . 8 — 14 —
- De 1836 à 1840... , 15 — 22 —
- De 1841 à 1845.. . 18 — 40 —
- De 1846 à 1850... , 22 — 48 —
- De 1851 à 1855... . 35 — 88 —
- De 1856 à 1860... . 30 — 79 —
- De 1861 à 1865... . 24 — 61 —
- Pour les infanticides la même progression existe ; je donne les chiffres extrêmes du même tableau.
- De 1826 à 1850... 102 accusations, 113 accusés.
- De 1846 à 1850... 152 — 172 —
- De 1861 à 1865... 206 — » —
- Il est impossible de "se refuser à l’évidence et de ne pas
- conclure que les avortements et les infanticides ont augmenté d’une façon notoire depuis la suppression des tours. Le débat peut être porté plus loin : si l’on étudie les tables de mortalité des enfants nouveau-nés, on remarque que ce nombre s’accroît d’une façon continue et que cet accroissement porte aujourd’hui presque exclusivement sur les naissances illégitimes.
- Je suis encore objigé de citer, à l’appui de ce que j’avance, quelques chiffres : ils sont empruntés à l’article mort-né du Dictionnaire encyclopédique par M. Bertillon :
- Enfants Enfants
- Années. légitimes. illégitimes.
- 1841 à 1845.... ... 50. 35 62.2
- 1858 à 1862.... ... 40. 55 74. 8
- 1868 à 1870.... ... 40. 60 84. 2
- Que conclure de cette disproportion effrayante? c’est que, comme le dit fort justement M. Bertillon, les causes productrices des morts-nés ou prétendus tels sont plus puissantes en France que dans les autres pays. D’une part, l’irresponsabilité légale du père, dont les conséquences pour la mère et l’enfant se sont si fort aggravées depuis quelques dix ans par la suppression successives des tours, a poussé la fille-mère au désespoir et de l’autre, telle est la sévérité extrême de la loi envers une malheureuse dont l’entendement est profondément troublé par les conditions mêmes de la parturition, que les médecins le plus souvent et quelquefois les juges eux-mêmes îœculent devant son application. L’illégitimité, en France, double le nombre des mort-nés, c’est-à-dire accroît gravement et continûment le nombre des infanticides.
- A ne prendre en considération que ce dernier côté de la question, on comprend qu’il y a intérêt urgent à rétablir une situation qui sauve la vie à de pauvres petits êtres, fût-ce au prix de sacrifices considérables. N’est-il pas en effet du devoir de tous, hygiénistes, médecins, hommes d’état, simples citoyens, de sauvegarder des existences, même en augmentant le nombre des abandonnés.
- Il y a un intérêt d’état, il y a un devoir humanitaire et si l’on n’a de meilleurs moyens à proposer, qu’on garde celui qui mettait à l’abri la vie des enfants en épargnant aux mères le crime et la condamnation.
- Il y a quelque temps je lisais dans un journal, le projet ou l’existence, je ne sais au juste lequel, d’une œuvre philanthropique qui serait le rétablissement des tours poussé à un haut degré de perfectionnement. Un généreux donateur avait fondé (ou avait le projet de fonder) un hospice, un asile qui recevrait les filles-mères ou pour mieux dire toute femme en état de grossesse, désirant dissimuler son état et les conséquences de cette grossesse. Sans autre formalité que la constatation de son état de grossesse, sans décliner ni nom. ni qualité, la femme serait admise à partir du quatrième au cinquième mois. L’hospice la recevrait rous le couvert du plus strict incognito ; on la garderait jusqu’après l’accouchement et elle partirait une fois remise sans qu’on sût d’où elle venait, où elle allait. L’enfant, s’il n’était conservé par la mère, était recueilli comme enfant abandonné et élevé comme ceux que la charité publique élève aujourd’hui.
- Cette idée qui témoigne d’un cœur profondément dévoué aux idées philanthropiques et surtout profondément délicat, m’avait vivement impressionné. Je n’ai malheureusement pas gardé souvenir du nom de ce généreux bienfaiteur de l’humanité, de l’apôtre d’une idée qui mérite de faire fortune.
- Je reviendrai sur cette question, mais je tiens à dire que, si elle était mise en pratique, cette innovation bienfaisante serait évidemment supérieure à l’institution du tour, elle assurerait de plus une existence moins pénible à de pauvres fdles qui arrivent souvent avec peine à surmonter les difficultés de l’existence matérielle unies aux embarras que leur crée leur état de gestation. L’hospice des filles-mères inconnues sauverait des enfants et permettrait souvent de ramener dans le droit chemin des esprit égarés.
- Les sacrifices pécuniaires sont peu de chose quand de pareils mobiles sont en jeu et nous savons qu’en France la. charité a des trésors inépuisables pour toutes les infortunes.
- —+&>—
- Dr A Cabtaz
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- LA NA T UH E.
- Fig. 1. — Nouvelle machine Gramme à courants alternatifs, employée pour l’eclairage électrique à Paris.
- L’ÉCLAIRAGE ÉLECTRIQUE A PARIS
- Nous avons entretenu les lecteurs de la Nature de la machine Gramme1 et de la bougie Jablochkolf2. Depuis l’époque à laquelle nous avons parlé de ces deux inventions, des progrès importants ont été faits dans leur application; il nous paraît utile de les faire connaître.
- M. Jablochkoff, après des essais nombreux pour faire fonctionner sa bougie avec les courants continus des machines Gramme, finit par songer que la difficulté qui l’arrêtait, c’est-à-dire l’usure inégale des charbons, disparaissait si on
- employait une machine à courants alternatifs.
- A partir de ce jour il fît usage de ces anciens et éprouvés appareils connus sous le nom de machines de l’Alliance, et il entra de plain-pied dans les applications pratiques
- Ce retour fut un événement singulier, car tout le monde et M. Jablochkoff le premier, avait, depuis l’importante invention de M. Gramme, le sentiment que l’avenir appartenait au courant continu et que les courants alternatifs entraient dans le passé.
- Toujours est-il que M. Jablochkoff ramenait l’attention sur la production des courants alternatifs et que le besoin d’une machine nouvelle se faisait sentir.
- 11 faut ici bien comprendre que l’invention d’un appareil producteur d’électricité sous forme de courants continus est fort diffi cile puisqu’il n’y en a que deux ou trois qui sont
- 1 Voy. la Nature, lr* année, 1873, p. 241.—3e année, 1875, l,r semestre, p. 138.—4* année, 1876, l*r semestre, p. 20.
- * Yoy. 5* année, 1877, l,r semestre, p. 337.— Même année,
- 2e semestre, p. 91
- tous inspirés du premier; mais que l’invention d’une machine à courants alternatifs est relativement aisée, et que chacun peut faire la sienne.
- M. Gramme avait breveté une vingtaine d’appareils de ce genre avant d’arriver à l’invention capitale qui l’a fait sortir tout d’un coup de l’obscurité. Il était donc mieux préparé que personne à réaliser la machine voulue et peu de mois lui suffirent pour produire l’appareil que nous allons décrire.
- Avant d’entrer dans la description, disons encore en thèse générale, que l’intensité magnétique d’un électroaimant est facilement rendue vingt fois plus grande que celle d'un aimant permanent. A volume égal, une machine à électro-aimants sera donc
- beaucoup plus puissante qu’une mants d’acier permanents.
- M. Gramme
- machine à ai-
- Fig. 2. — Coupe de l’appareil ci-dessus.
- considéra que l’emploi d’électro-aimants lui était imposé. II est vrai que ces électro-aimants ont besoin d’être excités par un courant extérieur et qu’il faut pour cela une machine spéciale à courants continus.
- Le système auquel s’est arrêté M. Gramme se compose donc de deux machines, — la première -qu’on appelle l’excitatrice qui est d’un volume relativement petit et qui excite les électro-aimants de l’autre, — la seconde, qu’on appelle distributrice, qui fournit des courants alternatifs dans un ou plusieurs circuits.
- De la première, nous n’avons rien à dire aujourd’hui; c’est la machine à courants continus qu’on connaît très généralement, et qui dès à présent est enseignée dans les ouvrages de physique élémentaire.
- La seconde est représentée par les figures ci-jointes (fig. 1 et 2). Un grand anneau de Gramme
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- LA NATURE,
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- est placé à la périphérie On se souvient que cet | fac-similé vl’un a organe électro-magnétique se compose d’une bague de fer sur laquelle on met des fds conducteurs de cuivre recouvert de coton, enroulés parallèlement à l’axe.
- Tandis que l’anneau des machines Gramme ordinaires est actionné en dehors, celui-ci est attaqué en dedans par un électro-aimant multiple composé de huit parties rayonnant autour de l’axe.
- Sur chacun de ces électro-aimants partiels, le fil conducteur est enroulé parallèlement à l’axe.
- On pourrait considérer cet organe magnétique , comme une bobine de Siemens multipliée ; il faut d’ailleurs remarquer que l’élec— tro-aimant multiple n’est pas une invention nouvelle. On peut consulter à ce sujet la Revue industrielle du 5 juin
- ppareil qui présente l’électro-aimant multiple à huit sections, appareil breveté par M. Gramme en 1867.
- Dans la machine actuelle, les huit pôles de cet aimant multiple sont alternativement Nord, Sud , Nord, Sud ; ces pôles présentent d’ailleurs un épanouissement qui a pour objet de les faire agir sur une partie plus grande de l'anneau extérieur.
- Les üls conducteurs de cet électroaimant étoilé, si on peut l’appeler ainsi, sont parcourus par le courant de la machine excitatrice; cet organe complexe tourne autour de l’axe et au milieu de l'anneau immo -hile. Il résulte de ce mouvement que chacun des fds placés à l’intérieur de l’anneau est alternativement ; entre un pôle Nord et le fer de l’anneau ; puis
- 1878, dans laquelle M Fontaine a donné le dessin j entre un pôle Sud et le fer de l’anneau , c’est-à-
- Pig. 5.
- Fig 5 — Globe d’éclairage électrique employé avenue de Fig. 4. — Bougie électrique.
- Fig.-l
- l’Opéra, à Paris
- Fig. 5. — Plan du porte-bougies électriques du globe ci-dessus.
- pjg. 6. __Disposition des pinces à ressort serrant les bougies
- électriques.
- dire sous des influences inductrices renversées. On comprend, par conséquent, qu’ils deviennent le
- siège de courants induits alternativement renversés. Tous ces fils enroulés autour de l’anneau étant
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- LA NATURE.
- Jixcs, on peut les associer de différentes façons ; la ligure 2 montre comment chaque huitième de la circonférence de l’anneau est partagé en quatre sections ; les trente-deux sections ou éléments qui composent l’anneau tout entier sont réunies en quatre groupes formés de sections prises de quatre en quaire; toutes les sections a sont réunies en un premier groupe, les sections b en un second, et de même pour les éléments c et d.
- Il suffit d’examiner la figure 2 pour voir que toutes les sections a sont placées de la même façon par rapport aux huit pôles de l’aimant mobile et que par conséquent leur association est commandée.
- Mais on voit aussi que d’autres combinaisons seraient possibles; on pourrait avoir soixante-quatre sections au lieu de [rente-deux autour de l'anneau ; on pourrait également associer les trente-deux sections en huit groupes an lieu de quatre; etc., etc.
- Dans les machines actuellement en usage, M. Gramme s’est arrêté à quatre groupes de sections qui chacune fournit l’électricité dans un circuit distinct.
- L’intensité des courants ainsi obtenus est naturellement dépendant des dimensions de la machine et de la vitesse de rotation donnée à l’électro-aimant mobile ; mais une certaine vitesse minimum est indispensable pour une bonne fonction; cette vitesse pratique est de 600 tours par minute pour les grandes machines (à 20 bougies) et de 700 tours pour les petites (à 4 ou 6 bougies), ce qui correspond à 4800 et 5600 inversions de courant par minute.
- Un point intéressant à signaler dans cette machine, c’est qu’elle ne présente pas de commutateur; il n’y en a pas dans le circuit de l’électro-ai-mant étoilé, car il n’y a là aucune inversion. La figure 1 montre bien à la partie antérieure deux frotteurs mobiles qui servent à fermer le courant excitateur ; mais ces frotteurs qui affectent la forme de balais ou brosses appuient chacun sur un cercle distinct ; ces cercles métalliques ne présentent aucune solution de continuité; ils sont tous deux isolés du bâti et communiquent chacun à l’une des extrémités du fil de l’électro-aimant étoilé.
- La machine est enfermée entre deux montants de fonte de fer latéraux et enveloppée par un certain nombre de planches d’acajou (fig. d) qui protègent très-efficacement l’anneau extérieur contre tous les chocs.
- On voit au dernier plan la poulie et la courroie qui servent à mettre la machine en mouvement.
- Pour l’éclairage de l’avenue de l’Opéra on fait usage de machines de la plus grande dimension, à quatre circuits distincts.
- Dans chacun de ces circuits brûlent à la fois quatre ou cinq -bougies Jablochkoff, quatre ou cinq suivant les cas.
- Ainsi pour chaque groupe de quatre ou cinq bougies, dont nous jouissons dans l’avenue et sur la place du Théâtre-Français, il y a un circuit com-
- posé de deux conducteurs isolés partant de la machine et allant porter l’électricité à chacun des candélabres de la série.
- Au haut du candélabre chacun a pu voir ces gros globes de verre diffusant (fig. 5), qui adoucissent la lumière de telle façon qu’on ne voit qu’une grande masse lumineuse, sans que l’œil puisse apercevoir, au travers de cette enveloppe, le point précis d’où part cette lumière.
- Dans ce globe sont placées quatre bougies disposées aux quatre angles d’un carré, comme on le voit dans la figure 5 qui représente en plan le porte bougies.
- La bougie elle-même est figurée sous sa forme actuelle (fig. 4) ; on se rappelle qu’elle est composée de deux charbons cylindriques parallèles, séparés par une cloison de plâtre. Les charbons sont emmanchés par leur partie inférieure dans deux petits tubes de laiton de 5 centimètres de long ; ces tubes isolés l’un de l’autre servent à établir les communications électriques ; ils sont serrés à ressort dans les pinces représentées par la figure 6.
- Chacune de ces quatre bougies peut brûler pendant une heure et demie ; de sorte qu’on a une provision pour six heures environ.
- Un commutateur placé à portée de la main et enfermé dans une boîte à l’abri des indiscrétions des passants, sert quand le moment est venu à mettre en circuit une bougie neuve à la place d’une bougie presque consumée; aussi peut-on voir du commutateur au globe monter cinq conducteurs, à savoir : quatre, c’est-à-dire un par bougies, et un servant de fil de retour commun.
- Par un mouvement rapide du commutateur, on passe d’une bougie à l’autre sans que l’interruption momentanée du circuit, trouble d’une manière appréciable la lumière des autres bougies du même circuit.
- Beaucoup de personnes ont vu fonctionner dans l’atelier de M. Jablochkoff un système automatique de remplacement d’une bougie brûlée par une neuve ; il est certain qye ce système ou quelque autre réalisé par l’infatigable inventeur, remplacera dans l’avenir le commutateur manœuvré à la main par un surveillant après chaque heure et demie écoulée. Le temps a manqué pour appliquer une disposition de ce genre, lors de l’établissement improvisé en quelques jours dans l’avenue de l’Opéra ; c’est ici en effet l’occasion de dire que la rapidité de cette installation a été une merveille à côté de tant d’autres ; à peine apprenait-on que l’autorisation avait été obtenue qu’on voyait briller les premiers globes à la place du Théâtre-Français. On remarquera que nous ne parlons pas ici de l’éclairage fait devant l’Opéra qui a précédé l’autre, à la vérité, mais qui n’était qu’un essai de démonstration publique et une entrée en matière.
- Par suite d’un contrat fait avec la Ville par la Société générale d’électricité, quarante-huit lumières ont été établies dans l’avenue de l’Opéra et les
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- places voisines. La distance moyenne entre ces candélabres est de 35 mètres à peu près; elle est plus, grande dans l’avenue, moindre sur la place du Théâtre-Français.
- Chaque lumière peut être regardée comme équivalente à 100 becs Carcel S mais le verre opale en absorbe environ un tiers et le réflecteur placé au-dessus du globe ne renvoie pas la totalité de la lumière qu’il reçoit.
- Quoi qu’il en soit de ces pertes, l’effet produit est fort beau et la coïncidence de l’inauguration de ce nouveau mode d’éclairage avec l’ouverture de l’Exposition universelle a été très heureuse.
- Disons en terminant que ces 46 lumières sont fournies par trois couples de machines (l’une excitatrice, l’autre distributrice); chacun de ces couples est commandé par une machine à vapeur de vingt chevaux. Ces appareils sont établis : un groupe dans les caves de l’Opéra, un autre dans une maison au milieu de l’avenue, le troisième enfin dans une maison voisine de la place du Théâtre-Français.
- Les journaux ont annoncé que le Conseil municipal a voté la prolongation jusqu’au 15 janvier de l’éclairage électrique dans l’avenue de l’Opéra, ce qui va permettre d’étudier l’opportunité d’une installation définitive.
- On pourra encore perfectionner avec le temps; mais ce qui a été montré à Paris en l’an de grâce 1878, tant dans les endroits qui viennent de nous occuper que dans plusieurs autres points de la ville, a excité l’admiration des étrangers intelligents et produit une grande sensation dans tout le monde civilisé.
- Nous nous réservons de revenir sur la question et de décrire certaines installations importantes qui n’ont pas eu le même retentissement que celles faites dans les rues de Paris, mais qui n’ont pas moins, à notre avis, un intérêt considérable.
- Alfred Nlvüdet.
- —«xJ>o—
- BIBLIOGRAPHIE
- Memoria sobre el sistema metrico por Enrique Heriz. 1 broch. in-8. Barcelona, 1878.
- Die Sahara oder von Oase zu Oase. Bilder aus dem Nalur et Volksleben in der grossen Afrikanischen Wüste. Von Dr. Josef Chavanne. A. Hartlebens Verlag. Wien, Pest, Leipzig. Publication périodique illustrée, avec gravures sur bois et planches en couleur.
- ——
- ACADÉMIE DES SCIENCES.
- Séance du 9 décembre 1878. — Présidence de M. Fizeao.
- Pouvoir absorbant du bois pour l’eau. — Un chimiste bien connu, M. Maumené s’est préoccupé de recher-
- 1 Le bec Carcel, ou unité française de lumière, est fourni par la combustion de 42 grammes d’huile d’olives cpurcc, brûlée par une lampe Carce’,dans des conditions minutieusement étudiées par MM. Dumas et Régnault.
- cher combien d’eau les différents bois peuvent absorber et pour cela il a commencé par dessécher complètement les échantillons à l’étuve, en présence d’acide sulfurique, pour les plonger ensuite dans l’eau. On savait depuis longtemps que les divers bois sont très inégalement poreux, mais les différences observées dépassent tout ce qu’on aurait pu prévoir. Le pouvoir absorbant varie en effet entre 9.37 pour 100 du bois et 174.86 pour 100.
- Récepteur téléphonique. — Au nom de M. Boudet, le secrétaire décrit un nouveau téléphone fort ingénieux. Il consiste en une petite boîte en bois delà grandeur d’une montre au fond de laquelle est dévidée une bobine de fil fin (n°30) d’environ 60 à 70 mètres de longueur. Sur le couvercle est soudée une mince rondelle d'acier que l’on aimante légèrement en la frottant plusieurs fois avec un aimant en fer à cheval.
- En se servant comme transmetteur d’un microphone très sensible, l’appareil reproduit la voix avec l’intensué du téléphone ordinaire ; le courant est alors fourni par un seul élémentLéclanché. Avec3 éléments la parole est reproduite avec dix fois plus d’intensité que dans le téléphone Bell. En se servant comme transmetteur du chanteur de M. Pollard, le chant s’entend à plusieurs mètres de distance.
- Maladie du caféier. — Il semble que toutes les plantes, d’où l’homme tire sa nourriture soient destinées à disparaître sous les attaques de parasites variés. Voici maintenant, d’après M. le docteur Jobert, que le café est menacé au Brésil de destruction complète à peu près comme la vigne l’est chez nous. Les observations de notre compatriote ont été faites à Cautegallo, province de Rio de Janeiro, à Sibeiria, à Serraria et dans la Fazenda de Saint-Clemente. Ce sont les caféiers les plus vigoureux de 7 à 10 ans qui sont attaqués de préférence. Ils jaunissent et ne tardent pas à succomber. Si on les arrache on trouve que leurs racines sont couvertes de nodosités rappelant celles des racines des vignes phylloxerées. Les nodosités contiennent des kystes où sont renfermées de petits vers nématodes de 1 quart de millimètre quand ils sont bien développés et qui appartiennent au genre anguillule. M. Jobert calcule qu’un pied de café peut être chargé de 30 millions de ces parasites.
- Bibliographie. — C’est d’une manière toute spéciale que M. le baron Larrey signale un volume intitulé Les progrès de l'hygiène par M. le docteur Nicolas et qui fait partie des Études sur l’Exposition de 1878 que publie la librairie Lacroix.
- Siliciure de fer. — Il y a quelques années, on recueil lait dans la terre aux Etats-Unis un lingot métallique ayant l’apparence du fer, mais n’offrant, malgré son séjour prolongé à l’humidité, aucune trace d’oxydation. M. Lawrence Smith, en ayant fait l’analyse, reconnut que ce métal est du siliciure de fer contenant 17 0/0 de silicium. L’inaltérabilité de ce composé est telle qu’il peut rester sans altération dans l’acide azotique à 1,40 de densité, dans le brome, dans l’iode. L’acide chlorydrique le dépolit. L’histoire du lingot n’est pas connue, mais il est évident qu’il doit son existence à quelque accident de fabrication du fer. M. Daubrée rappelle que malgré tous les efforts on n’est arrivé à incorporer que 8 0/0 de silicium dans le fer. De son côté M. H. Sainte-Claire Deville est frappé de l’analogie du produit étudié par M. Smith avec
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- LA NATURE.
- le siliciure de manganèse préparé il y a quelques années par M. Brunner.
- La mer intérieure d'Algérie. — A peine revenu de Tunisie, M. de Lesseps donne des détails sur la manière dont M. Roudaire conduit en ce moment l’expédition complémentaire qu’il fait dans les Chotts afin d’exécuter un grand nombre de sondages. M. Roudaire est accompagné de deux ingénieurs, d’un médecin, d’un administrateur, d’un dessinateur et de douze chasseurs d’Afrique. M. de Lesseps insiste sur les témoignages de l’ancien séjour de la mer dans les Chotts. La région maintenant sablonneuse est toute couverte de ruines romaines indiquant une région florissante. L’une des plus belles est celle d’un édifice aussi beau que le Colysée de Rome et que fit construire Gordien lors de sa candidature à l’empire : c’est peut-être la plus volumineuse réclame électorale qu’on se soit jamais permise. Stanislas Meunier.
- VOYAGE AUTOUR DU MONDE
- FAR LE COMTE DE BEAUVOIR ,.
- Il n’est plus besoin de recommander cet ouvrage auquel le public a réservé un si brillant accueil, et qui a mérité l’honneur d’être couronné par l’Académie française. — Si vous aimez la jeunesse, l’enthousiasme, la verve et l’entrain, lisez ce livre où le comte de Beauvoir vous retrace en un style facile et familier, les tableaux et les scènes si variés qui se sont offerts à ses yeux à travers l’Australie, Java, Siam, Canton, Pékin, Yeddo, San-Francisco. L’éditeur publie une édition illustrée de ce livre, où d’innombrables gravures ornent heu-
- reusement le texte. Nous en publions ici un spécimen qui représente un éléphant blanc sacré à Java ; nous l’accompagnons de quelques lignes explicatives empruntées au jeune auteur :
- « Au seuil du temple-écurie, une quinzaine de mandarins qui nous accompagnent se prosternent à quatre pattes en présence de l’animal-dieu ; et, nous conformant aux convenances, nous entrons chapeau bas dans le sanctuaire, avec force révérences respectueuses. La voilà donc cette divinité blanche qui est l’emblème du royaume de Siam, et devant laquelle s’incline tout un peuple. Quel n’est pa? notre désenchantement de trouver l’éléphant blanc de la couleur de tous les éléphants du monde. En revanche, il est surchargé de bracelets d’or, de colliers d’or, d’amulettes et de pierreries. On lui
- sert son repas sur d’énormes plateaux de précieux métal finement ciselés, et l’eau qui lui est destinée est conservée dans de magnifiques amphores d’argent. Pourtant, en approchant de l’animal chargé de reliques, nous pouvons bien trouver que sa peau est un peu moins grise, et d’une nuance plus blanchâtre que celle du « commun des éléphants ; » ce sont seulement ses yeux entièrement blancs qui l’ont désigné à tant d’honneur et à une si servile vénération, En cela, le dieu est albinos, qualité très-rare. »
- 1 Un vol. grand in-8 avec de nombreuses illustrations. Pans, Plon et G*, 1878.
- Le Propriétaire-Gérant: G. Tjssandier.
- Cobbbil. Typ. et stér. Cebtb.
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- iV 290. — 21 DÉCEMBRE 1878.
- LA NATURE.
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- L’OBSERVATOIRE DU VÉSUVE
- Les récentes manifestations volcaniques dont le Vésuve a été le théâtre, donnent un caractère d’ac-
- tualité à la gravure ci-jointe, qui représente, dominant les plaines de laves, l’observatoire du savant et
- L’Observatoire de M. Palmier! sur le Vésuve.
- courageux Italien, M. Palmieri. Le monument est situé au sommet d’un long et étroit promontoire de rochers sur le mont Contaroni, tout à proximité du cône volcanique actuel, et environ à 800 mètres de 7' icctt. — l,r sriüeslre.)
- riJermitage de San Sa 1 va tore, le point extrême que les voitures puissent atteindre. Il se trouve protégé par sa situation élevée, et lors de l’éruption de’l872, on put voir des fenêtres de l’observatoire, les tor-
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- LA NATURE.
- rents de laves vomis par le volcan, se diviser en deux courants de feu qui produisirent çà et là d’importantes perturbations. M. Palmieri lors de cette curieuse manifestation volcanique est assidûment resté à son poste et a pu conserver à la science l’histoire complète de cette éruption.
- La vue dont on jouit en haut de la tour qui domine l’observatoire est pleine d’une grandeur étrange. On est au centre d’une véritable mer de lave, çà et là s’ouvrent des gouffres menaçants. On croirait voir des vagues immenses qui s’élèvent souvent à plusieurs pieds de hauteur et qui dans d’autres endroits forment des constructions fantastiques. On a devant les yeux un cône désolé, couvert de cendres fumant silencieusement avec des intervalles de sourds grondements, ou d’oscillations du sol. Des instruments enregistreurs très sensibles conservent sans cesse la trace de ces moindres mouvements du sol, de leur intensité, ils indiquent la place exacte du cratère où ils se sont produits, ils donnent leur direction et l’heure exacte où la commotion s’est produite. Pendant que j’observais ces curieux instruments, la montagne fit sentir un léger tremblement, dont les détails furent immédiatement enregistrés par„l’appareil si ingénieusement installé etque^nous décrirons prochainement. — Lofs de la dernière éruption aussi bien qu’en 1876, les résultats les'plus remarquables enregistrés à l'observatoire ont largement contribué à calmer les sentiments de crainte exagérée de la part des habitants des localités yoisines ;; ceux-ci n’âvaient pas manqué d’être terrifiés des aspects menaçants du volcan. M. Palmier! a, en’, effet acquis une raré, perspicacité dans lès' prévisions relatives aux phénomènes sismiques du Vésuve, et son expérience due à de si longues études" est rarement prise en défaut. Parmi les résultats les plus curieux obtenus par le savant professeur, nous mentionnerons la coïncidence, remarquable qu’il a cru remarquer entre la pleine lune et le maximum d’intensité du mouvèment vol-cani-que.* ' . .
- L’observatoire a été élevé en 1844. M*1 Palmieri reçoit chaque année, du gouvernement italien, une somme considérable pour continuer ses remarquables observations1/ , ;\ _ ' "
- C-/' Tremblement, de>tërre
- - ti gazette de VMogrië dit que, le 10 décembre/ un. quiif-f d’heure avau/minuit/6n a ressenti à Cologne et dans plusieurs localités voisines', Une secousse de tremblement de terre qui a remué les meublés et fait trembler les vitres des maisons. Les observateurs du phénomène s’accordent à constater que la direction des oscillations était à peu prés celle du sud au nord, et à évaluer léur durée de 2 a 3 secondes ; quelques personnes ont cru ressentir une deuxième secousse qui aurait suivi la pferfiière à quelque* minutes d’intervalle.
- 1 D’après le Graphie, de Londres.
- LES PLANÈTES INTRA-MERCURIELLES
- On a fait beaucoup de bruit, il y a quelques mois, d’une découverte qu’un astronome américain a cru faire pendant la dernière éclipse totale de Soleil du 29 juillet. Au moment de la totalité, lorsque le disque éclatant du Soleil fut entièrement caché par le disque noir de la Lune, et lorsque l’œil se fût habitué à cette obscurité soudaine cet astronome chercha s’il n’y aurait pas dans les environs du Soleil une planète qui répondit à la planète théorique de Yulcain, dont l’existence a été annoncée par Le Verrier d’après l’analyse mathématique du mouvement de Mercure. On sait que pendant les éclipses totales de Soleil, notre atmosphère cessant d’être éclairée, la nuit se fait comme par enchantement et les pins brillantes étoiles apparaissent au ciel. C’est même cette métamorphose subite de la nature, qui frappe le plus fortement les peuples primitifs ; c’est elle qui lors de la plus ancienne éclipse historique, celle de Thalès, arrêta cette fameuse guerre des Mèdes et des Perses eu glaçant d’une mortelle terreur, les guerriers prêts à en venir aux mains; c’est elle qui lors de la dernière éclipse fit égorger une famille entière (sa propre famille, femme et enfants) par un nègre subitement fanatisé et convaincu d’un cataclysme causé par la colère de Dieu ; c’est encore elle, cette métamorphose extraordinaire de la nature, qui impressionne le plus l’esprit du savant lui-même préparé à observer l’éclipse, et si ému devant la grandeur du spectacle, qu’il a peine à analyser froidement pendant les quelques minutes de l’obscurité totale les détails astronomiques du phénomène.'
- L’astronome américain, M. Watson, auquel on doit déjà la découverte d’un grand nombre de petites planètes, a déclaré que son unique préoccupation pendant la dernière éclipse a été de chercher la planète intra-mercurielle. En annonçant cette observation à l’Académie des sciences, le directeur actuel de l’Observatoire de Paris, M. Mouchez, s’exprimait ainsi : « L’habile astronome d’Ann-Arbor a aperçu un astre de 4e grandeur, situé à 2 degrés du Soleil, dont la position était :
- Ascension droite, 8 h. 26ra ; déclinaison boréale, 18° 0'. .
- « L’étoile la plus, proche de cette’ position est Thêta du Cancer (8 h. 24™ et 18° 30) qui estûle 5e grrndeur. Cette différence de grandeur et de position permet de supposer que c’est très probablement la planète Vulcain qùi a été de nouveau aperçue par M. Watson.-L’Académie ne peut manquer de recevoir celte belle observation avec une grande satisfaction, car c’est une nouvelle consécration de la gloire scientifique de Le Verrier. M. Gaillot a calculé une orbite et une éphéméride. La durée de la révolution ne serait que de 24 jours. La planète est à sa plus grande distance du Soleil aujourd’hui (5 août), demain elle sera à 38 minutes de temps.
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- Cette distance est assez grande pour qu’on puisse trouver le moyen de l’observer, sinon à Paris, du moins dans des localités plus favorables. »
- Voici dans quelles conditions M. Watson a fait cette observation :
- Dans le but d’éviter la possibilité d’une erreur résultant de lectures fautives sur les cercles divisés, pour le cas où la planète serait aperçue, il avait placé sur les cercles de l’instrument des disques de papier-carte, sur lesquels les directions de la lunette, tant en ascension droite qu’en déclinaison, pouvaient être pointées au moyen d’un mécanisme inscripteur, avant et après la phase totale, les positions du Soleil furent ainsi marquées sur les cercles de papier, en sorte que les observations se trouvent rapportées directement au Soleil.
- Pendant le cours de cette recherche, dit-il, je rencontrai une étoile de 4e grandeur, laquelle brillait d’une lumière rougeâtre et présentait un disque sensible, bien que le grossissement de la lunette ne fut que de 45. J’en marquai la position sur un cercle de papier, et ensuite je la vérifiai une seconde lois. Je constatai, en outre, qu’il n'yavait dans l’astre aucune apparence de forme allongée, telle qu’aurait dû l’offrir une comète dans cette position par rapport au Soleil. D’après ce qui précède, je me crois autorisé à considérer l’astre dont il s’agit comme étant la planète dont M. Le Verrier avait prédit l’existence. »
- En publiant ces détails, le 14 août, l’astronome américain ajoutait :
- « Je suis en mesure de donner la position de la planète avec une exactitude considérable ; la voici :
- Ascension droite : 8 h. 26ra24s; déclinaison : 18°
- 1(3'.
- On voit que cette seconde position n’est pas identique à la première, puisque la déclinaison est de 18° 16' au lieu de 18° 0'. »
- Le 22 août, l’observateur ajoutait une nouvelle correction :
- « Par suite de l’emploi d’une valeur inexacte pour la correction du chronomètre une erreur s’est glissée dans les résultats. Voici la vraie position :
- Ascension droite : 8 h. 27m 55s ; déclinaison : 18° 16'.
- Ici il y a une nouvelle différence dans le premier chiffre. Il résulte d’abord de ccs variations que l’orbite calculée immédiatement au reçu de la dépêche a été faite trop prématurément et sur une base insuffisante.
- D’après l’observateur américain, les différences définitives entre la planète et le Soleil étaient :
- En ascension droite : 8m 21“ ; eh déclinaison :
- 0° 22'.
- Mais dans cette même lettre du 22 août, il annonce avoir observé en outre un second astre, également de 4e grandeur, qui offrait avec le Soleil les différences suivantes :
- En ascension droite : 27m 18s; en déclinaison ' 0° 55'.
- d’où résulte pour ce second astre la position :
- Ascension droite : 8 h. 8™ 583; en déclinaison : 18° 5'.
- Une 4e donnée transmise à la Société royale astronomique de Londres, corrige encore ces positions :
- 8b 27m 24“ -J-18° 1(3'
- 8h 9m 24“+ 18° 5'
- Rappelons pour nos lecteurs, que l’ascension droite d’un astre est sa distance au cercle tracé des pôles à l’équinoxe de printemps, et que sa déclinaison est sa distance à l’équateur céleste. Ce sont les longitudes et les latitudes du ciel, correspondant à celles de la terre, et servant à déterminer les positions des astres comme les longitudes et les latitudes terrestres servent à fixer en géographie la position exacte des villes.
- Sur ces entrefaites, un autre astronome américain, M. Swift a également annoncé avoir observé simultanément dans le champ de sa lunette, pendant la même éclipse totale, deux astres, dont l’un était l’étoile Thêta du Cancer, et l’autre une planète offrant l’éclat d’un astre de 5e grandeur* dont il estime approximativement la position à :
- Ascension droite : 8 h. 26U1 40“ ; déclinaison -|~ 18° 50' 55", position très approchée de l’astre vu et déterminé par M. AVatson. ,
- Cette éclipse du 29 juillet dernier, l’une des plus remarquables de ce siècle par la durée de l’obscurité totale, a été observée le long de la zone de la phase centrale qui traversait l’Amérique du Nord, par un grand nombre d’habiles astronomes, américains et anglais. Presque tous ont cherché s’ils apercevaient un astre nouveau dans le voisinage du Soleil, et à l’exception des deux précédents, tous affirment qu’ils n’ont rien vu, hormis les étoiles rendues momentanément visibles par l’obscurêissement de la lumière solaire.
- Est-ce à dire pour cela, que nous devions rejeter le témoignage de ces deux observateurs ? Non assurément. Mais de là à conclure que les deux astres signalés par M. Watson soient vraiment deux planètes circulant entre Mercure et le Soleil, il y a loin. De ces deux astres, le second ne serait-il pas l’étoile Zêta du Cancer, dont la position est :
- 8h 5™ 12’ et 18° 2'
- La différence de 5 minutes est bien grande sans doute, mais en se reportant aux conditions préciph tées de l’observation et aux doutes exprimés par l’observateur lui-même sur leur précision ainsi que sur le dérangement possible de sa lunette par un coup de vent, on ne doit pas la rejeter sans voir si elle expliquerait les observations. Or, dans lecas d’une erreur de 3 minutes, plus ou moins, la position du premier astre devient :
- 8h 24m et 18° 16' «
- C’est également à peu près la position de l’étoile thêta du Cancer;
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- Il suffit de prendre un atlas céleste et de placer le Soleil, où il était au moment de l’éclipse, contre l’étoile Delta du Cancer (qui a été aperçue à travers la couronne auréolaire du Soleil éclipsé contre le bord oriental, à gauche) pour être frappé de la vraisemblance de cette explication.
- Nous avons reproduit, par la petite figure ci-contre, l’aspect du ciel pendant la totalité :
- 1 Mercure, 5 Procyon,
- 2 Régulus, 6 Pollux,
- 5 Mars, 7 Castor,
- 4 Le Soleil éclipsé, 8 Yéuus.
- Dans le voisinage immédiat du Soleil, nous avons ajouté aux trois points a, b, c, les trois étoiles delta, thêta et zêta du Cancer. A notre avis, ce sont les étoiles b et c qui peuvent avoir été prises pour deux planètes par les observateurs américains. Sans doute, cette hypothèse est exorbitante, mais la rapidité, la difficulté et le vague des observations faites la justifient.
- M. Watson n’a signalé son observation de la seconde étoile que trois semaines après l’éclipse, après avoir revu en détail les conditions de son observation. C’est une preuve que cette étoile l’avait moins frappé que la première. Or l’éclat de la première est de 4e à 5e grandeur, et celui de la seconde n’est que de 5e à 6e.
- On ne saurait dans tous les cas, se défendre de l’impression que les positions données soient assez douteuses et ne puissent sérieusement être prises pour bases de calculs d’orbites, comme on l’a fait à l’Observatoire.
- M. Swift écrit d'autre part : « Je n’ai aucun doute que l’une des deux étoiles était Thêta du Cancer et l’autre la planète intra-mercuriellc » Science observer. Boston.
- Mais, si l’une des deux étoiles vues par M. Wat-son est Thêta du Cancer, l’autre, dont la différence avec la première est, d’après M. Watson, de 18m57s plus à l’ouest et de 13' plus au sud, se rapproche bien fort de Zêta, dont la différence avec Thêta est de 19“' 256 également à l’ouest est de 30' également au sud. Si cet astre avait été une planète, on n’aurait pas pu le voir sans voir en même temps l’étoile Zêta, qui en aurait été toute voisine, et dont nos astronomes américains ne parlent pas.
- Cependant M. Swift répond à cette objection qu’il a vu en même temps l’étoile Thêta et la planète et il en donne la différence suivante eutre les deux.
- Ascension droite. Déclinaison.
- Étoile Thêta... 8h,24m,40!' -f- 18°,o0',20"
- Planète........ 8h,26m,40’ + 18°, 30', 25"
- Les deux étoiles lui ont paru rouges, brillant a 3 degrés au sud-ouest du Soleil, et offrant de grands disques d’un éclat de 5e grandeur. U ajoute qu’il n’a pas fu d’autre étoile, ni même Delta, et que la distance entre elles était de 7 à 8' d’arc (Nature of 19 september).
- Dans ce cas, les deux astres vus par M. Swift ne sont pas les mêmes que les deux de M. Watson.
- Tout cela est bien embrouillé.
- Il y a plus, en observant l’étoile Zêta du Cancer on aurait pu voir deux étoiles au lieu d’une, car cette étoile est double. Elle est même triple, mais il faut un fort grossissement pour la voir triple, tandis qu’un grossissement moyen la dédouble facilement. Mais comme on ne s’est servi que d’oculaires très faibles, il est probable qu’il n’y aurait eu là aucune nouvelle cause de perplexité.
- Ainsi, en résumé, quoi qu’il soit possible que les observateurs américains aient vu une planète intra-mercurielle, ou même deux, on ne peut pas admettre comme un fait absolu et incontestable qu’ils en aient même vu une, à cause des difficultés spéciales des circonstances, des tergiversations des chiffres et des observations négatives de leurs compatriotes.
- Le fait n’est pas encore certain.
- Remarquons d’un autre côté, qu’on ne connaît pas d’étoile variable en ce point du ciel. Serait-ce une comète ? Elle n’eut pas offert ces caractères.
- Dans tous les cas, cette discussion sert à montrer qu’en astronomie on n’admet rien sans vérification, et que cette science mérite de plus en plus sa réputation d’être la plus exacte et la plus absolue des connaissances humaines.
- Cet étrange voisinage du Soleil joue vraiment de malheur dans les annales de l’astronomie. Plusieurs fois déjà on a cru voir passer des planètes devant le Soleil, et sur toutes les observations faites il n’en est pas une qui résolve définitivement la question.
- L’avant-dernière observation astronomique annoncée comme se rapportant à une planète intra-mercurielle, est celle d’un astronome allemand M Weber, qui a été présentée à Le Verrier par M. Wolf de Zurich comme ayant été faite le 4 avril 1876 à Peckeloh : « Un petit disque bien arrondi de 12" d’arc, se montra tout à coup pendant une éclaircie utilisée pour observer le Soleil. On ne put le suivre à cause des nuages. » M. Wolf calcula que cette observation s'accordait avec deux observations antérieures de 1859 et 1820 pour donner à cette petite planète une période de 42 jours. Le Verrier lui-même parut disposé à admettre cette observation, qui fut le signal d’un nouveau travail de l’illustre astronome français, réunissant et comparant toutes les observations du même ordre. On se souvient de l’émoi causé à cette occasion dans toute la presse scientifique. Or ce petit disque noir observé par Weber n’était point du tout une planète, mais simplement une tache solaire, ronde et sans pénombre. Elle avait été observée 5 heures auparavant à l’observatoire de Madrid et à l’observatoire de Greenwich, et il fut facile de constater que ce n’était là qu’une tache vulgaire.
- Le fait que la tache avait disparu le lendemain
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- avait paru confirmer l'hypothèse planétaire; mais il n’était pas suffisant, car il y a des taches tout aussi éphémères. La rondeur de la tache n’est pas non dIus un caractère distinctif. Reste le mouve-
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- ment propre. Ici il existe une circonstance qui a du souvent causer des illusions. Quand on observe le Soleil avec une lunette qui n’a pas de monture équatoriale, et dont le pied a les deux mouvements verticaux et azimutaux, comme c’est le cas ordinaire, la position d’une tache, par suite du mouvement diurne, change incessamment par rapport au diamètre vertical du disque ; même avec l’habitude des observations, il est difficile de se défendre du sentiment que la tache s’est déplacée sur le disque.
- Cette observation était donc à. supprimer. Mais il en est d’auties qui n’étaient pas pour cela condamnables et Le Verrier se servit de celles qu’il considéra comme les meilleures pour calculer l’orbite de celte planète théorique. Les différentes- interprétations lui donnèrent cinq orbites différentes dans lesquelles les périodes varient depuis 24 jusqu’à 51 jours. Il parut toutefois préférer celle qui donne une période de Séjours, et annonça que le 22 mars 1877, la planète en question pourrait passer devant le Soleil. Les astronomes du monde entier observèrent unanimement le Soleil ce jour-là pour épier le passage, mais le résultat fut absolument négatif.
- Aucun point noir ne se montra.
- Parmi les observations antérieures, Le Verrier en
- admit cinq comme certaines :
- Celles de Fritschs en.... 1802
- — Stark en....... 1810
- — Cuppis en...... 1839
- — Sidebotham en.. 1849
- — Lescarbault en.. 1859
- — Lurnmis en .... 1862
- L’une des meilleures est sans contredit celle du docteur Lescarbault, médecin de campagne passionné pour l’astronomie, et qui avait voué au culte des beautés du ciel le temps qui n’était pas absorbé par le soulagement des misères de la terre.
- Cet astronome amateur, observant le Soleil, le 26 mars 1859, de sa modeste maison d’Orgères, avait remarqué sur le disque radieux, une tache bien ronde et bien noire qu’il avait pu suivre pendant plus d’une heure, et dont il avait ainsi constaté le mouvement propre, en tenant compte sans doute
- des causes d’erreur dont nous parlions plus haut. C’est précisément cette année-là que Le Verrier avait reconnu la nécessité d’augmenter de 58" le mouvement séculaire du périhélie de Mercure, et émis l’hypothèse qu’une planète intérieure à Mercure rendrait compte de la différence. L’observation de mon vieil et savant ami venait donc en quelque sorte tout exprès confirmer la théorie, comme autrefois la découverte optique de Neptune était venue si brillamment confirmer la découverte théorique de ce monde lointain.
- Près de vingt années se sont écoulées depuis 1859 et un fait que l’on aurait cru pouvoir être rapidement confirmé à cause de la rapidité inévitable de la révolution de cette planète et de ses passages sans doute fréquents devant le Soleil, ce fait, dis-je, n'a reçu aucune confirmation. Et pourtant on a
- cherché la petite planète dans tout le voisinage du Soleil pour essayer de l’apercevoir aux époques de ses plus longues élongations ; et pourtant, il ne s’est peut être pas passé un seul jour depuis vingt ans sans que le Soleil n’ait été examiné en un point ou en un autre du globe, observé avec le plus grand soin, dessiné dans tous ses dé lails, voire même directement photographié. L’hypothèse d’un corps unique comparable à Mercure gravitant à une grande, proximité du Soleil et dans un plan probablement peu incliné sur l’équateur solaire, nous paraît avoir contre elle un trop grand nombre d’objections pour pouvoir être soutenue. La théorie mathématique de l’attraction universelle prouve néanmoins qu’il y a une cause au retard observé dans le mouvement de Mercure, et que cette cause, ne pouvant être trouvée en augmentant la masse de Vénus, aujourd’hui très exactement déterminée, doit être cherchée dans une masse perturbatrice entre Mercure et le Soleil. Mais cette masse peut ne pas être une planète digne de ce nom, elle peut être formée par un très grand nombre d’astéroïdes analogues aux minuscules fragments qui gravitent entre Mars et Jupiter, astéroïdes trop petits pour avoir souvent frappé l'attention des observateurs du Soleil ou des éclipses ; quoique quelques-uns puissent être assez gros pour avoir été aperçus dans certaines circonstances rares. C’est cette dernière théorie que nous adopterons. Camille Flammarion.
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- EXPLOSIONS
- CAUSÉES PAR LES POUSSIÈRES.
- M. Laurence Smith, professeur à Louisvillc (Kentucky), a assisté à l’une des dernières séances de la Société d'encouragement et a donné de nouveaux renseignements sur l’explosion qui a détruit cinq moulins à Minneapolis, auprès des chutes du Mississipi1.
- M. Laurence Smith rappelle d’abord qu’il s’agit d’une formidable explosion qui a eu lieu dans le moulin dit Washburn-Mill et, consécutivement dans deux autres moulins Humboldt-Mill et Diamant-Mill. Le premier est, probablement, la plus grande minoterie qui existe au monde-, elle expédie par vingt-quatre heures, 1800 barils de farine du poids de 190 livres chacun, c’est-à-dire 1 4/4 baril, ou 240 livres de farine par minute. L'explosion qui y a éclaté inopinément, en détruisant les moulins voisins et faisant de nombreuses victimes, avait un caractère tout à fait extraordinaire et M. Laurence Smith fut appelé pour faire des recherches sur la cause qui pouvait y avoir donné lieu.
- Ses recherches attentives à ce sujet lui donnèrent la conviction complète que cet événement était dû à la présence, dans l’air de la minoterie, d’une quantité importante de poussière combustible ayant un degré de ténuité et une inflammabilité suffisante pour agir comme l’aurait fait un gaz combustible mélé avec l’air ambiant. L’inflammation de ce mélange explosif, d’un nouveau genre, a dû être produit par réchauffement des meules tournant avec une rapidité extrême et ayant ainsi fait brûler et enflammé quelques parties de la farine, au milieu du nuage de poudre légère dans lequel elles sont plongées.
- Depuis cette première visite générale, un examen des faits a eu lieu en présence d’un jury d’enquête composé de MM. Peck et Peckam, professeurs éminents de l’Université de Minnesota, qui furent spécialement chargés de faire des* expériences sur le caractère explosif des produits des minoteries, quand ils sont tenus en suspension dans l’air.
- Dans ces expériences, on a divisé les matières en huit classes et, en réalité, on pouvait se borner à trois, savoir: le son, les diverses espèces de farine, et la poussière des moulins ou folle-farine.
- Aucune de ces catégories de matières combustibles ne brûle vivement quand la flamme est mise en contact avec elles. Lorsqu’elles sont réunies en dépôt et se présentent en masse, par exemple lorsqu’elles sont jetées sur un brûleur de Dunsen, la flamme s’éteint rapidement avec peu ou point de combustion de la farine ; mais les choses se passent tout autrement quand la poudre légère est dispersée en forme de nuage dans l’air et rencontre une flamme. Alors, et dans tous les cas, excepté quand on emploie le son, il y a une explosion plus ou moins forte. La présence de la flamme est nécessaire et on n’a pas pu déterminer la détonation par une étincelle électrique, pat le platine incandescent ou par des charbons rouges.
- Pour se rendre compte de l’effet dynamique de ces détonations, on plaça une petite lampe dans des boites de diverses dimensions de 1/20 à 1/2 mètre cube. On insuffla dans ces espaces des mélanges d’air contenant 50 à 50 grammes de poussière ou folle-farine et l’explosion eut toujours lieu. Avec une des petites boites le couvercle fut soulevé, malgré le poids de deux hommes qui se tenaient
- Voyez la Nature, Ge année, 1878, 2e semestre, p. 91 et 127.
- dessus, et la flamme s’échappa dans diverses directions. En se servant d’une des grandes boites solidement close, portant une espèce de soMpape de sûreté qui pouvait avoir un diamètre de un pouce et demi environ, la pression observée fut de 40 kilogrammes par pied carré. Cette épreuve reprise autrement, en remplaçant le poids delà soupape par celui d’une caisse solide d’un pied cube environ, pesant 5 kilogrammes, et en faisant détoner dans Ja boite 00 grammes de poussière parfaitement sècbe, causa une explosion qui lança en l’air la petite caisse à une hauteur de 2 à 0 mètres, avec un vif dégagement de flamme par l’orifice.
- Ces expériences furent variées de diverses manières et donnèrent au jury d’enquête la conviction qu’un courant d’air, entraînant un épais nuage de cette poussière, constituait un très grand danger lorsqu’il était exposé à rencontrer une flamme; que cette inflammation pouvait se communiquer à d’autres matières analogues suspendues dans l’air de manière à propager la détonation en une explosion générale qui pouvait produire les plus grands désastres. C’est ainsi que l’explosion de Washburn-Mill s’est communiquée aux deux autres moulins, qui ne 1m étaient pas contigus, et a produit les désastres qui les ont détruits, ainsi que les constructions voisines.
- Le jury d’enquête constata ces résultats et conclut en disant, qu’à l’exception du son, tous les produits du traitement des farines dans les moulins pouvaient donner lieu, soit directement, soit consécutivement, à des détonations de ce genre, quand ils seraient bien secs et mis en suspension dans l’air. Cette explosion pouvait même se réaliser spontanément si les meules, avec une vitesse excessive, tournant mal, avaient fait brûler, quelque part, une partie de la farine, avec production de flamme.
- La découverte d’un nouveau danger auquel nos minoteries sont exposées n’aurait aucun avantage, si nous n’en tirions pas quelque moyen pour prévenir ces malheureux événements. M. le professeur Peck termine l’exposé de ses recherches par des conseils prudents sur les meilleurs moyens d’as.urer à cette industrie la sécurité dont on l’avait cru douée jusqu’à présent. Il recommande une aération convenable; il prescrit de tenir avec soin toutes les flammes éloignées des ouvertures par lesquelles la farine s’échappe. Il demande aussi que ces ouvertures soient construites solidement en fer sur les trois faces tournées vers l’intérieur du bâtiment et que la quatrième face soit mise du côté extérieur, fermée seulement par une cloison légère, pour que l’explosion si elle avait lieu, put exercer son effet du côté du vide, sans réaction grave. Les constructeurs de moulins ne manqueront pas de trouver d’autres moyens analogues pour se mettre à l’abri d’un danger qui est maintenant connu de tous.
- Dans la dernière livraison des Annales de Chimie et de Physique, M. Berthelot vient de publier quelques documents curieux sur le sujet qui nous occupe.
- « La théorie, dit l’illustre chimiste, en est facile à concevoir, si l’on réfléchit qu’un mélange intime d’air et de poussière très ténue peut être assimilé à un mélange d’air et de gaz combustibles. Chaque grain de poussière s’entoure aussitôt d’une atmosphère en ignition, qui communique le feu aux grains voisins ; si les grains sont assez rapprochés, le phénomène peut être assez rapide pour que toute une masse gazeuse éprouve ces effets de dilatation brusque qui caractérisent l’explosion du gaz. On conçoit d’ailleurs que ces effets exigent des conditions toutes spéciales de mélange pour être réalisés, aussi bien qu’avec les systèmes gazeux proprement dits. »
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- GUILLAUME HARVEY
- d’après LE NOUVEL OUVRAGE DE >1. L. FIGUIER.
- M. Louis Figuier vient de publier à la librairie Hachette sous le titre Connais-toi toi-même, notions de phtjsiologie, un nouvel ouvrage qui a pour but d’apprendre à la jeunesse et aux gens du monde ce que nous sommes, comment nous respirons, comment nous digérons, quelles sont les fonctions de notre organisme.
- M. Figuier a raison de se plaindre de l’ignorance générale où l’on est de la physiologie, il cherche à combler une lacune de l’enseignement et il y réussit en publiant un livre comme il sait les faire, intéressant, instructif, où l’illustration apporte au texte un attrait puissant. Nous félicitons l’auteur d’avoir consacré une large place à l’histoire de la science qu’il étudie, et nous lui empruntons les quelques pages qu’il consacre à l’un des pères de la physiologie, à l’illustre Guillaume Harvey.
- Né à Folkstone, le 1er avril 1578, Guillaume (William) Harvey s'était adonné, dès sa sortie de l’Université de Cambridge, à l’étude des sciences naturelles. Suivant la coutume excellente des savants de cette époque, il avait employé sa jeunesse à parcourir les pays où la science jetait le plus d’éclat. Il avait successivement visité la France et l’Allemagne. Fabrice d’Aquapendente (Fabrizzio) illustrait alors l’Université de Padoue par son enseignement et par ses travaux. Harvey se rendit à Padoue, en 1602, pour suivre les leçons de Fabrice d’Aquapendente. Ce fut certainement pour développer les conséquences de la découverte de Fabrice, c’est-à-dire des valvules veineuses, qu’Harvey s’adonna, à son retour en Angleterre, à l’étude approfondie de la circulation du sang.
- C’est de 1613 à 1615 que Guillaume Harvey fit les nombreuses dissections d’animaux qui le conduisirent à sa découverte de la grande circulation du sang. Au mois d’avril 1615, il consigna par écrit, pour la première fois, ses idées sur cet important phénomène organique.
- Tel fut le sujet de la lecture publique que Guillaume Harvey fut invité à faire devant les professeurs du Collège royal de Londres. Le roi Charles Ier voulut entendre de la bouche de Harvey l’exposition de sa découverte.
- Pour répondre aux désirs du roi, Harvey fit plus d’une fois, en sa présence et devant les médecins de l’Université et de quelques personnes de la cour, la démonstration de sa théorie.
- Nous avons déjà dit qu’il y avait à la cour de Charles Ier un jeune gentilhomme, le vicomte de Montgomery, qui, à la suite d.’une blessure, avait eu les côtes gauches emportées, de sorte que l’on pouvait voir son cœur à nu et en sentir les mouvements en posant la main sur sa poitrine. Harvey profita, dit-on, de l’état du gentilhomme pour étudier les mouvements du cœur.
- On a prétendu que Charles 1er autorisa son médecin à faire sur un criminel condamné à mourir la
- démonstration de la circulation du sang. Cette anecdote a servi de sujet à un tableau peint par Fichel, en 1850, qui se voit dans le vestibule de l’Académie de médecine de Paris ; mais elle est de tous points controuvée. Le fait du vicomte de Montgomery est le seul authentique, et c’est sans doute ce qui a donné naissance à la légende du criminel qu’Harvey ouvre vivant, pour montrer les mouvements de son cœur.
- Les collègues de Harvey, c’est-à-dire les médecins du Collège royal de Londres, accueillirent avacbeaucoup de chaleur la doctrine de la circulation du sang, et pressaient l’auteur de consigner sa découverte dans un ouvrage. Charles Ier exprimait le même désir. Mais Harvey résista à toutes les instances qui lui furent adressées de livrer immédiatement sa découverte à la publicité. Il eut le courage, avant de rien publier sur ses travaux, de passer quatorze années consécutives à répéter patiemment ses expériences, à étudier le problème sous toutes ses faces, à se poser à lui-même et à résoudre toutes sortes d’objections.
- Lorsqu’il crut enfin avoir donné à sa découverte toute l’étendue désirable, il la consigna dans un livre, chef-d’œuvre de style et de clarté, qui fut imprimé à Francfort, en 1629, qui a pour titre : De motu cordis et sanguinis circulatione, et qui contient la démonstration du mécanisme complet de la circulation du sang.
- Harvey expose dans ce livre les nombreuses expériences qu’il a faites sur les animaux de toutes les classes, et il établit que dans la contraction du cœur il y a trois faits à distinguer : 1° le cœur se contracte, de façon à diminuer dans son diamètre transversal et à augmenter dans son diamètre vertical ; 2°. pendant sa contraction, les fibres du cœur se resserrent et cet organe donne à la main appliquée sur la poitrine la sensation d’un corps dur ; 3U le cœur s’élève et vient frapper de sa pointe les parois de la poitrine : c’est ce qui fait sentir le battement au dehors.
- Harvey démontre ensuite que le phénomène du poids est dù à la dilatation des artères par l’effet de l’impulsion du sang, lancé par la contraction du ventricule gauche du cœjmv «t que le pouls suit le rhythme des contractions du cœur. On a, dit-il, la preuve de cette concordance, lorsque l’on ouvre une artère, car l’on voit le jet de sang se produire en même temps que chaque contraction du cœur.
- Il prouve aussi que dans la contraction du cœur ce sont les oreillettes qui se contractent les premières. Les oreillettes envoient dans le ventricule correspondant le sang qui les remplit, et le ventricule, à son tour, lance le flot sanguin dans les vaisseaux.
- « J’ai la confiance, écrit Harvey, d’avoir trouvé que le mouvement du cœur se fait de cette manière : (l’abord l’oreillette droite se contracte, et dans sa contraction elle lance dans le ventricule droit le sang dont elle abonde, comme étant la tête et la citerne du sang. Le ventricule étant rempli, le cœur
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- en s’élevant tend aussitôt tous les muscles, contracte les ventricules et produit le pouls, par lequel le sang, continuellement envoyé de l’oreillette, est poussé dans les artères. Le ventricule droit le pousse vers les poumons, par ce vaisseau qui est appelé veine ar-térieuse, mais qui réellement par sa structure et tout son office est une artère ; le ventricule gauche pousse le sang dans l’aorte, et de là, par les artères, dans tout le corps. »
- Harvey fait remarquer que lorsqu’on lie une veine et qu’on l’ouvre au-dessous de la ligature, on voit s’échapper un flot dœsang. Si, au contraire, on ouvre la veine au-dessus du point oblitéré, on la trouve vide de sang.
- Harvey déclare que la fonction des valvules des veines n’est pas, comme l’a dit Fabrice d’A-quapendente , d’empêcher l’arrivée d'une trop grande quantité de sang, qui pourrait distendre les vaisseaux, mais d’empê-cher le retour du sang vers les parties qu’il a abandonnées.
- Il déclare que le cœur n’est pas un organe d’aspiration, mais un organe de propulsion, un muscle creux, lequel,
- en se contractant, envoie sans cesse et avec une très grande rapidité, le sang dans les artères. Le même sang revient ensuite au cœur, par les veines. Reproduisant la belle image d’Aristote, il compare le sang à l’eau qui circule éternellement entre le ciel et la terre.
- « L’eau, dit Harvey, tombe sous la forme de pluie, pour féconder la terre, puis les rayons du soleil la ramènent dans l’atmosphère sous forme de vapeur; elle s’y condense, et elle retombe de nouveau. De même le sang, chassé par le cœur dans les artères, porte partout la chaleur et la vie; puis, vicié et refroidi, il retourne vers le cœur, qui le renvoie de nouveau vers les organes d’où il était parti. »
- Les faits annoncés par Harvey étaient si nets, éta-
- Guillaume Harvey.
- qa en table,
- bits sur de si nombreuses preuves, qu’il semble que cette belle conquête de l’esprit humain aurait dû rallier immédiatement tous les suffrages et toute l’admiration de ses contemporains. Il en fut tout autrement. Cette découverte était si inattendue, elle choquait si manifestement toutes les notions reçues, qu’elle rencontra une résistance universelle. Presque tous les anatomistes, et parmi eux, le plus célèbre, Riolan, que l’on nommait 1 e prince des anatomistes, attaquèrent avec violence la découverte de Harvey. On ne craignait pas de la traiter de fausse et d’absurde.
- Le successeur de Riolan au décanat de la Faculté
- de médecine de Pans, Guy Patin, ne laissait échapper aucune occasion de décocher quelque trait de son esprit mordant contre l’inventeur de la circulation du sang. On aime à vanter, comme très spirituelles, les boutades de Guy Patin contre les partisans de la circulation.Quant à nous , elles nous ont toujours p a r u froides et sans portée. L’esprit ne peut briller là où manque la vé -rité, car l’esprit n’est que la gaieté du bon sens.
- S’il est vrai
- France le ridicule soit une arme redou-il est vrai aussi que le trait qui tombe à faux, ricoche et vient frapper le plaisant mal inspiré. Guy Patin, en voulant tourner en ridicule la nouvelle découverte, ne fit que prêter à lire à ses dépens. C’est Guy Patin que Molière à dépeint, dans son Malade imaginaire, sous les traits de Dia-foirus.
- « Ce qui me plaît en lui, dit Diafoirus, en parlant de son fils Thomas, et en quoi il suit mon exemple, c’est qu’il s’attache aveuglément aux opinions de nos anciens, et que jamais il n’a voulu comprendre ni écouter les raisons et les expériences des prétendues découvertes de notre siècle touchant la circulation du sang et autres opinions de même farine ! »
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- Et Thomas Diafoirus ajoute, en présentant une à Mademoiselle, comme un hommage que je lui dois grande thèse : | des prémices de mon esprit*. )>
- « J’ai contre les circulateurs soutenu une thèse, 1 En nous dépeignant Guy Patin sous les traits de qu’avec la permission de Monsieur, j’oserai présenter Diafoirus, Molière a suffisamment vengé Guillaume
- Harvey montrant à Charles I" et aux médecins du Collège royal de Londres le phénomène de la circulation du sang, sur une hiche vivante.
- Harvey des injustes attaques du satirique doyen de la Faculté de Paris.
- Le grand mérite des travaux du physiologiste anglais sur la circulation du sang, c’est qu’ils n’étaient que le résultat de l’observation et de l’interprétation des fais pris en eux-mèmes. La preuve la plus bril-
- lante en lut donnée après lui. Harvey, par ses expériences et ses raisonnements, avait été amené à admettre l'existence des vaisseaux capillaires dans l’intimité des organes. Il les avait devinés, car il ne les vit jamais. Ce ne fut que dix années après la 1 fa Malade imaginaire, acte II, scène vi.
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- mort de Harvey que Malpighi donna une magnifique confirmation à la doctrine de la circulation générale du sang, en découvrant les vaisseaux capillaires, et constatant de visu le passage direct du sang artériel dans le réseau capillaire, passage que Harvey avait proclamé comme certain sans l’avoir vu. Le microscope, qui venait d’être construit en Hollande pour la première fois, avait permis à Malpighi de réaliser cette découverte fondamentale.
- Aujourd’hui, la gloire de Harvey rayonne sans aucun nuage; on ne lui dispute pas la juste admiration que méritent sa persévérance et son génie. On a d’ailleurs ajouté dans notre siècle peu de chose
- ses découvertes. Nous devons au physiologiste anglais à peu près tout ce que nous savons touchant la circulation du sang dans le corps humain.
- Guillaume Harvey mourut à Londres, le 3 juin 4657. Le Collège royal des médecins de Londres lui fit élever une statue de marbre dans la salle des actes. C’était un juste hommage rendu par ses contemporains à l’observateur et au savant qui avait opéré une révolution dans la physiologie générale.
- Louis Figuier.
- BIBLIOGRAPHIE
- Mycènes, récit de recherches et découvertes faites à Mycènes et à Tyrinthe par Henry Schliemann, avec une préface de M. Gladstone, ouvrage traduit de l’anglais avec l’autorisation de l’auteur par J. Girardim accompagné de 8 cartes et plans, et illustré de gravures sur bois représentant plus de 700 objets trouvés pendant les fouilles. 1 vol. grand in-8. Paris, Hachette et Cie, 4879.
- Ce livre est assurément une des œuvres capitales de notre époque, et M Henry Schliemann, qui en a patiemment conquis les matériaux, enfouis sous un sol plusieurs fois séculaire, a bien conquis la gloire scientifique dont il a su entourer son nom, désormais illustre. Le patient investigateur, a déjà captivé l’attention du monde savant par la découverte de la véritable Troie du temps de Priam, et par celle des trésors incomparables qu’ib n’a cessé de recueillir pendant trois années consécutives (1870 à 1873) sous un amoncellement de ruines à His-sarlik1.
- Dans le courant de l’année 1876, M. et Mme Schliemann, ont été conduits à faire une nouvelle et importante résurrection historique, celle de Tyrinthe et plus spécialement de Mycènes.
- On sait par Diodore de Sicile que Mycènes fut détruite, il y a plus de deux mille ans, en l’an 468 avant J. C., alors que les Lacédémoniens étaient campés aux Thermo-pyles. Par suite de causes diverses, les Àrgiens déclarèrent la guerre aux Mycéniens. Ils rassemblèrent une armée considérable, et la conduisirent contre Mycènes. Les Mycéniens furent battus, contraints de se réfugier derrière leurs remparts et assiégés. Mycènes, après une longue défense, fut prise d’assaut. « Les Mycéniens, dit Diodore de Sicile, furent réduits en esclavage par les Àrgiens ; la dime du butin fut consacrée au service du culte religieux, et la ville fut rasée. Ainsi périt à jamais
- 1 Voyez la Nature, 2eannée 1874, 2° semestre, p. 185, 195, 250, 283.
- une ville qui avait été autrefois riche et puissante, qui avait produit quantité d’hommes illustres et accompli tant de glorieux exploits. Depuis lors, ajoute l’historien, elle est demeurée déserte jusqu’à notre époque » (c’est-à-dire jusqu’à l’époque d’Auguste).
- M. Schliemann si admirablement préparé par ses travaux antérieurs, si puissamment secondé par une érudition profonde, par une connaissance complète des textes anciens, aidé d’une véritable armée de terrassiers habiles, a relevé, en quelque sorte, les ruines de Mycènes, et a retiré de leur poussière, une prodigieuse collection d’objets qui étendent considérablement le domaine de l’histoire et de l’art.
- En lisant l’ouvrage de M. Schliemann, on est pris d une certaine émotion, analogue à celle qui anime le voyageur quand il pénètre dans un monument antique, où il sait que des générations ont passé, accomplissant leur rôle dans la suite des âges. On est pris d’un sentiment de respect, quand on suit avec l’auteur la route d Àrgos, ayant pour guide le texte de Pausanias, quand on pénètre dans l’Acropole, en passant sous la porte des Lions. On est saisi d’admiration quand on fouille avec lui la citadelle de Mycènes, quand on découvre le trésor d’Àtrée, qu’on relève successivement les dalles qui cachaient depuis plus de deux mille ans les cinq tombeaux d’Àgamennon, de Cassandre, d’Eurymédon et de ses compagnons, traîtreusement assassinés à leur retour d’I-lionpar Clytemnestre ou son amant, quand surtout, on y découvre d’innombrables merveilles dont l’ensemble forme le plus étonnant musée antique que le génie de l’explorateur ait jamais découvert dans les temps modernes. Ce sont des idoles en terre cuite, à tête de vache, précieuses reliques de l’ancien culte de Héra, des débris de poteries ornées d’admirables gemmes gravées, où l’on retrouve la plus pure manifestation de l’art grec, de nombreuses plaques d’or avec d’élégantes décorations en repoussé, des croix, des diadèmes et une couronne d’or, œuvre de toute magnificence trouvée sur la tète d’un des trois personnages enterrés dans le troisième tombeau, des coupes et des masques d’or, des bagues munies de leurs intailles à cachet, des bracelets, des vases d’argent et d’albâtre, des cuirasses ciselées en or massif, des épées de bronze à garde d’or et d’innombrables menus objets qui se rattachent à la vie antique.
- Quand on lit toutes les descriptions si minutieusement données par M. Schliemann, avec tant de respect pour la vérité historique, tant de ressources d’une perspicacité pleine d’érudition, quand on voit quelles difficultés l’au-tenr a dû vaincre, pour conduire ses recherches, diriger ses fouilles et assurer ses découvertes, on est tenté de l’appeler le Christophe Colomb du monde antique, dont le génie d’Homère a éternisé le souvenir.
- Gaston Tissandier.
- Les Étoiles, essai d'astronomie sidérale par le P. A. Secchi. 2 vol. in-8 avec 65 figures dans le texte et 17 planches en noir et en couleurs, tirées hors texte. Paris, Germer Baillière et Cie, 1879.
- La Bibliothèque scientifique internationale fait paraître un nouvel ouvrage tout à fait digne de prendre place parmi ses aînés, l'Espèce humaine, de Quatrefages, la Synthèse chimique, de Bertbelot, le Cerveau, de Luys, la Théorie atomique, de Wurlz et tant d’aulres.
- Cet ouvrage, intitulé les Étoiles, est l’œuvre de l’illustre astronome du Collège romain, le P. Secchi, dont il forme en quelque sorte le testament scientifique. Bien
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- que le titre indique seulement les Étoiles, c’est en réalité un résumé complet d’astronomie physique, car il traite aussi des Nébuleuses, qui se transforment plus tard en étoiles, et du Soleil, qui est une véritable étoile, la plus rapprochée de nous. On y trouve donc une histoire générale du développement des astres.
- La Forêt, son histoire, sa légende, sa vie, son rôle, ses habitants par Eugène Mullek. 1 vol. grand in-8 avec de nombreuses illustrations, et une carte de la forêt française tirée en couleur. Paris, P. Ducrocq, 1878.
- L’auteur de ce beau livre présente au lecteur, sous une forme pittoresque et atti'ayante, l’histoire complète de la forêt. 11 en aborde le côté légendaire, depuis les bois sacrés des anciens jusqu’aux druides du temps des Gaules et jusqu’aux profonds taillis devenus célèbres lors de la guerre des Chouans. Puis il ouvre aux yeux du lecteur le tableau, aussi grandiose que varié, de la forêt, dans tous les pays du monde, il le conduit au milieu des lianes de l’Amérique, des baobabs de l’Afrique, de l’ébé— nier et du santal de l’Inde. Après avoir présenté ce vaste panorama, il étudie la vie de la forêt, le rôle qu’elle joue dans les harmonies du globe, puis en présente les innombrables habitants, depuis le cerf dix-cors, jusqu’à l’humble fourmi. M. Muller est artiste autant que savant, et il ne veut pas quitter son sujet, sans parler de ceux qui ont aimé la forêt, des grands paysagistes comme Corot, Th. Rousseau, Diaz, et des sylvains comme Denecourt. Pour achever de faire connaître l’œuvre de l’homme, il termine son livre par l’histoire de la forêt urbaine, c’est-à-dire de . l’art des jardins dans toutes les nations civilisées. Le livre abonde en très remarquables gravures dessinées avec beaucoup de goût et qui font honneur aux éminents artistes qui l’ont illustré.
- Christophe Colomb, par le Cte Rosei ly he Lorgues. Edition illustrée d’encadrements variés à chaque page, et de chromolithographies. 1 vol. grand in-8. Paris, Société générale de librairie catholique. Victor Palmé, 1879.
- Ce livre qui traite une des histoires les plus importantes des découvertes humaines, est en même temps un véritable monument typographique. Les illustrations dont il abonde en font une œuvre d’art, qui a été admirablement exécutée sous la direction de M. Eugène Mathieu, avec le concours de dessinateurs du plus grand mérite, tels que MM. Yan d’Argent, Vierge, Tailor, et de graveurs habiles. Chaque page est enrichie d’un encadrement varié, composé avec un goût exquis, et contenant les richesses naturelles, les monuments, ou le tableau des épisodes qui se rattachent, à la vie du grand navigateur. La perfection du fini et l’exactitude des dessins ne le cèdent en rien aux beautés pittoresques ; les sites, les ornements du temps, les types, les portraits, les fureurs de l’Océan, les calmes incomparables sous ces latitudes baignées dans la lumière ; tout s’y trouve fixé par des crayons d’élite. Les chromolithographies atteignent une rare perfection, et complètent une œuvre qui tient sa place parmi les plus belles publications illustrées de notre temps. La partie historique est très complète et faite pour iutéresser tous les lecteurs.
- Comme le dit très bien M. Roselly de Lorgues, c’est par Christophe Colomb que s’est accomplie la découverte du nouvel hémisphère, et l’unification de l’humanité. Par lui s’est opéré le mouvement intellectuel le plus accéléré qui ait eu lieu depuis la dispersion des peuples. Grâce à lui nous possédons la première des lois fondamentales de cette planète. Grâce à lui la forme et l’étendue de notre habitation nous sont enfin connues. Grâce à lui, l’homme
- a pu mesurer l’empire des mers et dresser la carte de notre ciel.
- La Houille, par Gaston Tissandjer, 1 vol.de h Bibliothèque des Merveilles, illustré de 60 vignettes, troisième édition. Paris, Hachette et Cie, 1878.
- L’Eau, par Gasion Tissanbier. 1 vol. de la Bibliothèque des Merveilles illustré de 86 vignettes, quatrième édition. Paris, Hachette et Cie, 1878.
- NOTE
- SUR UNE NOUVELLE ESPÈCE DE MERLE BRONZÉ.
- Depuis la plus haute antiquité, les plumes sont recherchées comme objets de parure : du temps des Grecs et des Romains, des caravanes allaient déjà récolter des plumes d’autruche dans l’Arabie et dans le Soudan ; au moyen âge, les casques des chevaliers étaient ornés d’énormes panaches, leurs toques étaient surmontées d’aigrettes de héron, et les robes des dames étaient garnies de grèbe et de duvet de cygne ; plus tard, les marabouts et les oiseaux de paradis firent fureur. Mais c’est de nos jours que la mode des plumes paraît avoir atteint son apogée. Des milliers d’oiseaux brillants arrivent journellement d’Afrique, d’Amérique et d’Océanie, et sont employés pour garnir les manteaux ou pour décorer les chapeaux. Les merles bronzés, en particulier, sont l’objet d’un commerce considérable, et chaque année cent mille oiseaux de ce genre sont expédiés de l’Afrique tropicale. Le Muséum d’Histoire naturelle obtient ainsi beaucoup d’oiseaux intéressants pour ses collections publiques, et l’espèce nouvelle que nous allons faire connaître aux ornithologistes nous est parvenue par cette voie.
- Parmi les merles bronzés {Lamprocolius), on a distingué un assez grand nombre d’espèces dont les unes ne paraissent fondées que sur de simples variations individuelles de taille ou de coloration, tandis que d’autres, mieux établies, reposent sur des différences dans les formes générales, les proportions du bec, des pattes, des ailes, etc. Dans cette dernière catégorie, parmi les espèces bien tranchées, se range un oiseau provenant des îles Loss, situées un peu au sud de la Sénégambie, par 9 degrés latitude nord environ. Ce merle bronzé diffère en effet de tous les autres par sa taille assez faible, la longueur totale du corps ne dépassant pas Om,20 et étant, par conséquent, notablement inférieure à celle du merle bronzé resplendissant (Lamprocolius nitens), par ses formes, qui rappellent celles des coucous dorés (Chrysococcyx), le bec étant arqué et la courbe de la mandibule supérieure continuant la ligne frontale, enfin par les teintes de son plumage, le dessus du corps, les ailes, la queue, la gorge, le milieu de la poitrine et les sous-caudales, offrant une belle teinte verte métallique, à reflets dorés, tandis que la région des orei'les et les flancs ont une teinte pourprée à reflets de bronze florentin. Cette espèce nouvelle, aux teintes chatoyantes, pourrait être convenablement désignée sous le nom de Lamprocolius iris. Peut-être même se décidera-t-on à en faire le type d’un sous-genre particulier qui pourrait être appelé Coccycolius, afin dé faire allusion à ses ressemblances extérieures avec les coucous du genre Chrysococcyx.
- E. Oustalet.
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- U
- LA NATURE.
- LE MICROPHONE ET LE TÉLÉPHONE
- PERFECTIONNÉS.
- Le microphone existe aujourd’hui sous différentes formes et constitue un instrument très intéressant, bien qu’il soit loin d’égaler le téléphone sous le rapport de l’utilité. Le microphone est aisément construit sous ses formes diverses; mais toutes, à ma connaissance, ont quelque défaut spécial. Cet instrument assez sensible, d’une part, pour transmettre les moindres bruits est trop sensible, d’une autre part, pour pouvoir transmettre les bruits les plus forts. Les instruments, que l’on voit figures \, 2 et 5, sont considérablement perfectionnés. Ces microphones sont si simples et si faciles à construire que
- /
- Fig. 1.
- je donne la description de chacun d’eux, de manière à faciliter les expériences pour toute personne qui aura le désir de s’y livrer.
- L’instrument (lig. 1) est un diaphragme en bois, de l'épaisseur de 1/8 de pouce et de 4 pouces carrés; ce diaphragme est collé sur un cadre étroit supportés par des pieds convenables. Deux morceaux cylindriques de charbon A, R sont fixés avec de la cire à cacheter au diaphragme à la distance d’un pouce environ et également éloignées du centre. Toutes deux sont inclinées obliquement sous un angle d’environ 30 degrés, comme l’indique la gravure. Le charbon A est plus long que le charbon B et sa face inférieure est percée de trois trous coniques, pratiqués avec la pointe d’un canif; ces trous sont assez larges pour recevoir les extrémités supérieures des baguettes en graphite C. Les extrémi-és inférieures de ces baguettes entrent dans de pe-
- tites cavités du charbon inférieur. Les baguettes C sont simplement des crayons en mine de plomb pointus à chaque extrémité et fixés assez mollement entre les charbons; ils sont inclinés dans différents angles, de manière à ce que le mouvement du diaphragme, qui agirait sur l’un d’entre eux, mette simplement les autres en mouvement et leur fasse transmettre les sons avec netteté. Des fils métalliques, conducteurs du courant d’une pile, sont attachés l’un au charbon A et l’autre au charbon B.
- Les deux autres modèles que nous avons à faire connaître ne diffèrent pas sensiblement du système que nous venons de présenter au lecteur.
- Le diaphragme et son support (fig. 2 et 5) sont tels que nous venons de les décrire. Le microphone, que représente la figure 2, a un morceau de char-
- Fig. 2.
- bon de cornue, D, fixé dans une position inclinée, au diaphragme près du centre, par le moyen de cire à cacheter. Trois appendices en charbon, E, de dimensions différentes, sont suspendus à des fils très minces de manière à peser légèrement sur la surface supérieure du charbon D. Les trois fils minces se relient tous à un des fils de la pile et sont fixés à des distances convenables les un des autres, en face du diaphragme, par une goutte solidifiée de cire à cacheter. Un mince fil de laiton, enroulé autour du charbon D, se relie avec la pile. La construction du microphone, que représente la figure 3, est assez simple pour ne pas avoir besoin d’une longue description. Un des fils de la pile se termine par une série de nœuds, F, et il est fixé au diaphragme, plus haut que le centre. L’autre fil se relie à une plaque de métal G, qui est fixé au diaphragme, plus bas que le centre, cette plaque est recourbée et den-
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- telée pour recevoir les fils H, lesquels, pour cette raison, doivent être très lins.
- Ces instruments sont employés pour la transmission; un téléphone Bell, pour la réception. En se servant de quantité de baguettes, de tiges ou d’appendices au lieu d’une seule baguette, comme dans le microphone Hughes, on évite beaucoup d’inconvénients, parce qu’on peut réaliser les faits habituellement attendus des instruments de ce nom, tels que la transmission du tictac d’une montre, la marche d’une mouche ou d’une fourmi, le froissement du papier, les sons produits en sifflant, en jouant d’un instrument ou en chantant et, dans les conditions requises, la parole articulée, les chuchotements, etc.
- L’instrument, que l’on voit en profil (fig. 4) et
- Fig. 3.
- en coupe transversale, peut fonctionner tout à la fois comme microphone et comme téléphone transmetteur; car il fait parvenir des sons articulés aussi distinctement et aussi clairement que n’importe quel téléphone à formes connues. 11 n’est pas nécessaire de parler directement dans l’instrument, qui peut être dans une partie delà chambre, tandis que le parleur est à distance. L’instrument transmettra un chuchotement ou la conversation de deux ou trois personnes ; il reproduira les sons du violon, d’une flûte ou d’un sifflet. Il semble presque incroyable qu’un instrument construit de la sorte puisse produire les effets précités; tout le fonctionnement ayant lieu à l’aide d’un long levier mis en action par le diaphragme ; mais ce mode de construction augmente les vibrations du diaphragme et donne de l’efficacité à l’instrument. La pièce qui renferme le diaphragme de fer est montée sur un
- support et le diaphragme est resserré, comme dans le phonographe au moyen de rondelles en caoutchouc.
- Une mince tige de bois formant ressort est adapté à l’appareil comme le représente la figure 4, il s’étend verticalement suivant un diamètre du cercle servant de cadre au diaphragme de fer; il s’appuie au centre de celui-ci par l’intermédiaire d’un petit disque métallique auquel il est relié à l’aide d’une vis de pression. Ce disque n’est pas directement en contact avec le centre du diaphragme; il s’y appuie par l’interposition d’un morceau de caoutchouc. La tige de bois mince formant ressort s’étend jusqu’à
- Fig. 4.
- la partie inférieure du pied de l’appareil, elle est reliée à une petite baguette de charbon de cornue, qui s’appuie contre un morceau de même substance adapté à l'extrémité d’un petit ressort métallique (voir la ligure); le contact peut être établi au moyen d’une vis de pression montée dans ce ressort. La disposition des fils conducteurs est suffisamment indiquée par notre gravure.
- Cet instrument placé dans un circuit électrique, où se trouve un téléphone Bell, transmet la parole avec une netteté remarquable. On n’a besoin ni de cri ni de signal d’appel, car un son distinct introduit directement dans le système, produit dans l’instrument récepteur un bruit qui peut être entendu dans une partie quelconque d’une salie ayant des dimensions assez considérables1.
- G. H. IIopklns.
- 1 D’après le Scienlïfic American.
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- LA NATURE.
- CHRONIQUE
- Bolide observé à Mulhouse. — Nous lisons dans l’Express, de Mulhouse, du 15 décembre : Les gens qui, hier matin, se sont levés de bonne heure ont été témoins d’un phénomène bien rare. Peu après six heures, une vive lumière, qui semblait partir du zénith, s’est projetée sur la ville, et, en levant les yeux au ciel, les passants ont aperçu une gerbe d’étincelles qui prouvait que cet éclat ne provenait pas de la lune, très élevée en ce moment au-dessus de l’horizon, mais déjà inclinée vers l’ouest. Ce météore, qui tout à coup a disparu dans une sorte d’explosion en projetant une vive clarté, a produit sur les spectateurs le même effet que s’il avait éclaté au-dessus de leurs tètes. On doit en conclure que c’est dans les régions élevées de l’atmosphère que le phénomène s’est produit. La direction du météore parait avoir été celle du nord-ouest au sud.
- Notre correspondant de Colmar nous écrit ce matin que le météore a été également visible dans la cité col-marienne.
- Un héros du travail. — La Société d’émulation de Roubaix vient de décerner une médaille d’honneur à un ouvrier tisserand, M, Louis Germonprez, qui exerce son métier depuis soixante et onze ans. Voici l’extrait du procès-verbal de la dernière séance de la Société :
- « Le secrétaire donne lecture d’une lettre adressée à M. le président, par M. Joseph Quint, de notre ville, énumérant les titres du sieur Louis Germonprez à une récompense de la Société d’émulation, pour les longs services qu’il a rendus à l’industrie roubaisienne. Il résulte de ces titres que Louis Germonprez, plus connu sous le nota de Vieux Mmigue, travaille depuis soixante et onze ans de son métier de tisserand à la satisfaction des patrons qui l’ont successivement employé pendant ce long espace de temps, sans qu’il ait jamais comparu devant le conseil des prud’hommes ; qu’il a touché sa première fête des fabricants chez M. Carlos Florin, en 1807, et pour la soixante et onzième fois sans interruption, en 1878, chez M. Jean Bonnet; que ce brave vieillard, à qui il a été offert de lui obtenir un secours de 10 fr. par mois, a cru ne pas devoir l’accepter en disant qu’il était encore bien capable de gagner sa vie : et, en effet, il lisse actuellement, malgré ses quatre-vingt-un ans, une étoffe chaîne soie sur un peigne de 80 broches ; qu’enfin, cet homme de cœur a élevé une famille de dix enfants, sans jamais avoir réclamé l’assistance dn bureau de bienfaisance. La Société d’émulation, convaincue que, dans l’intérêt de la fabrique de Roubaix, on ne saurait trop encourager chez nos ouvriers de pareils exemples d’ordre et de travail persévérant, décerne au sieur Louis Germonprez une médaille d’honneur pour ses longs et bons services, comme coopérateur de l’industrie. »
- Cobalt métallique. — M. Gaiffe, constructeur d’instruments de précision, a fait présenter, par M. Troost, membre du Conseil de la Société d’encouragement, les recherches qu’il a faites sur les dépôts électriques du cobalt. Ce métal, qui est regardé comme peu commun, et qui n’était employé que pour les couleurs que fournissent plusieurs de ses combinaisons, peut très aisément être obtenu 'a l’état métallique par la galvanoplastie, et les nouvelles mines qu’on en a trouvées donnent l’assurance d’une production bien suffisante pour tous les usages aux quels il peut servir.
- M. Gaiffe a étudié ses propriétés, et les conditions les plus favorables pour son emploi. Il est blanc, d’un ton intermédiaire entre l’aluminium et le nickel. II n’est pas oxydable, et son oxyde incolore ne peut pas produire des taches comme la rouille du fer ; sa dureté est supérieure à celle du fer et du nickel. Le dépôt, par la galvanoplastie, peut en être fait facilement, soit pour avoir des dépôts adhérents, soit pour obtenir des couches facilement séparables. Il se prête aussi à un emploi qui peut avoir un grand intérêt. Si le cobalt ne s’oxyde pas comme le fer et s’il peut, comme lui et le nickel, être employé pour protéger la surface des planches gravées, il leur est bien supérieure à cause de sa plus grande dureté. Mais il a surtout l’avantage sur le nickel d’être dissous avec beaucoup de facilité par les acides faibles. Une planche cobaltée se prête donc à un plus grand tirage, et peut être débarrassée de ce métal par un lavage à l’éponge, sans que le cuivre soit le moins du monde attaqué, tandis que le nickel ne pourrait être enlevé sans dégrader plus ou moins la planche gravée.
- Le bain qui donne les meilleurs résultats est une soin- ' tion neutre de sulfate double de cobalt et d’ammoniaque. Lorsqu’on veut un dépôt adhérent, la pièce à couvrir doit être décapée avec le plus grand soin et préparée seulement au moment de la mettre dansle bain; elle doit être fixée au rhéephore avant d’être plongée dans le bain. Le courant réglé à 6 unités de force électro-motrice, au début de l’opération, doit être réduit à 5 unités quand toute la surface est devenue blanche. Quand on veut un dépôt non adhérent, on peut employer tous les moyens usités en pareil cas, ou bien amalgamer la surface de la pièce. Le mercure, qui favorise l’adhérence de l’argent, produit un effet opposé dans le dépôt du cobalt. Une pièce amalgamée se détache très facilement quand le dépôt a acquis une certaine épaisseur.
- Avec un courant d’intensité réglée, le dépôt du cobalt a lieu à peu près aussi rapidement que celui du nickel, et, en quelques jours, on peut obtenir une plaque de cobalt de 1 millimètre d’épaisseur.
- M. Troost a mis sous les yeux de la Société d’encouragement des spécimens variés de cette nouvelle industrie, des plaques colbaltées, des planches qui ont tiré des gravures après avoir été recouvertes, divers objets en cobalt et des feuilles recuites et laminées très dures et élastiques.
- Chronique d’histoire naturelle. — Parasitisme sur des Diatomées. — Nous trouvons dans le Bulletin de la Société belge de Microscopie, le récit de la découverte curieuse faite par M. Guinard, de Montpellier, d’un cas de parasitisme sur une diatomée. En examinant des pinula-riées recueillies dans des fossés creusés dans les sables des bords de la mer, exploités pour le ballast, M. Guinard a vu des Pinnularia parcourues par de petits points bruns aux mouvements rapides. Etudiés sous un fort grossissement (objectif n° 5 Nachet), ces petits points se montrèrent sous la forme de corps rectangulaires, renflés en leur milieu et présentant à chacun de leur quatre angles un long bras hyalin, d’une grande motilité. Ces parasites sont doués d’une agilité extraordinaire, et, à l’aide de leurs longs et flexueux appendices, ils explorent toutes les parties du frustule.
- Le Mammouth en Sibérie. — Dans une des dernières séances de la Société géologique de Londres, M, IL IIo-worlh a discuté la question de la présence du mammouth en Sibérie. Il a montré qu’il n’est guère possible d’admettre que ces animaux aient vécu plus au sud, et qu’ils aient été transportés par les rivières à l’endroit où on les
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- LA NATURE.
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- trouve maintenant, si bien conservés avec leur épaisse fourrure. Cependant le mammouth n’aurait pu supporter le climat actuel de la Sibérie septentrionale : un sol gelé à plus de 60 centimètres de profondeur, une végétation qui n’apparaît qu’au mois de juin, et qui reste rare et rabougrie. L'Elephas primigenius et le Rhinocéros ticho-rinus n’auraient pu y trouver leur nourriture. M. Iloworlh rejette d’ailleurs comme impossible une grande migration de ces animaux à travers la Sibérie.
- Reste l’hypothèse d’un changement de climat. Les plantes qu’on trouve dans les tissures des dents du rhinocéros, les débris végétaux qu’on rencontre associés aux restes du mammouth, appartiennent à la flore du sud de la Sibérie. On y trouve aussi des coquilles terrestres et d’eau douce d’espèces éteintes. Il est donc raisonnable de conclure que le climat de la Sibérie septentrionale s’est beaucoup refroidi, et qu’à l’époque du mammouth, il ressemblait au climat actuel de la Sibérie méridionale. M. Iloworlh admet que l’extinction du mammouth a été subite; et il l’attribue à une inondation causée par un cataclysme qui a en même temps modifié le climat.
- Les Bovidés fossiles. — Dans une note présentée à l’Académie des Sciences, M. Sanson expose les résultats de ses études comparatives sur les ossements fossiles ou anciens de Bovidés conservés dans les musées, etc. 11 a reconnu que tous ces ossements se partagent entre le groupe des bisons et celui des taureaux. Les premiers (aurochs de Cuvier), Bos unis de Bojanus, B. priscus d’Allen, B. latifrons de Horlan, B. anliquus de Lcydy, ne diffèrent pas spécifiquement du B americanus et du B. europæus, actuellement vivants. Les seconds se i attachent tous à quatre espèces vivantes aussi, et expérimentalement déterminées par leurs caractères craniologi-ques. Le B. primigenius de Bojanus est encore représenté aujourd’hui par le B. taurus ligeriensis, race nombreuse qui vit entre l’embouchure de la Loire et celle de la Gironde. — Le B. Irachoceras de Meyei et le B. frontosus de Nilson appartiennent à une seule espèce, encore en voie d’extension, qui peuple la Bresse et la vallée de la Saône, et s’étend dans la vallée de la Nièvre, le Cher et l’Ailier; abondante dans les cantons suisses de Berne et de Fribourg, et disséminée en Allemagne, en Autriche et en Italie. C’est la race bressane, comtoise, femeline et diarolaise, à laquelle M. Sanson a donné le nom de B. taurus jurassiens. — Le B. longifrons d’Owen, rattaché à tort au B. primigenius, n’est qu’un représentant ancien du B. taurus batavicus, notre race des Pays-Bas (Hollande, Belgique, nord de la France et de l’Allemagne). — Le B. brachyceras de Rütiinerer, et le B. taurus alpinus, dont la race a formé, dans les Alpes suisses, allemandes, noriques, italiennes et françaises, de nombreuses variétés. — Enfin, le prétendu B. bra-chycephalus de Wilekens, qui aurait laissé des restes dans les tourbières de Laybach, n’est qu’un métis du frontosus et du brachyceras.
- R. Vion.
- ACADÉMIE DES SCIENCES
- Séance du 16 décembre 1878— Présidence de M. Fizcau.
- Mesure spectroscopique des températures, — C’est en s’appuyant sur l’opinion très favorable de M. Berlhelol, que M. Dumas analyse avec détails un Mémoire où M. Crova, professeur à la faculté des sciences de Mont-
- pellier, arrive, parait-il, à mesurer les températures très élevées par l’observation des modifications subies par les raies du spectre. Il prend pour terme de comparaison la chaleur développée dans la mèche d’une lampe modérateur et qui est sensiblement égale à 1000 degrés. Il trouve que le platine, au moment où il devient rouge est à 524 degrés. Le blanc produit par le chalumeau à gaz oxhydrique sur le môme métal correspond à 810 degrés. La flamme de la bougie stéarique est à 1100 et le bec d’Argaut du gaz d’éclairage à 1400. Le mélange d’oxygène et de gaz d’éclairage projeté sur la chaux donne 1800°; la lumière électrique développée par soixante éléments de Bunsen, 5000 degrés ; le soleil, 4000. L’auteur pense pouvoir appliquer sa méthode d’une part à la mesure des températures stellaires et, d’autre part, d’une manière plus pratique à la surveillance d’une foule d’opérations métalliques et industrielles. 11 se propose d’ailleurs de développer la question dans un Mémoire plus étendu que sa note d’aujourd’hui dont le but est seulement de prende date.
- Manuscrit de Sadi Carnot. — On sait que le célèbre Mémoire sur h puissance motrice du feu publié en 1824 par Sadi Carnot, alors âgé seulement de vingt-huit ans, est devenu une rareté introuvable. Ce travail passé à peu près inaperçu pendant fort longtemps, n’a acquis toute sa renommée que du jour où on a reconnu qu’il est la vraie source de magnifiques recherches de Clausius, de Ran-kine, de Joule et de bien d’autres sur la thermodynamique. C’est donc avec satisfaction que les physiciens apprendront que M. II. Carnot, sénateur et propre frère de l’auteur, vient de rééditer cette œuvre d’un intérêt historique si puissant. Ils seront encore plus heureux d’apprendre que la nouvelle édition est enrichie de notes restées inédites jusqu’à ce jour et dont une au moins offre une importance considérable. Elle atteste, en effet, qu’à la fin de sa très courte vie, Sadi Carnot était parvenu à envisager la thermodynamique sous son véritable jour, c’est-à-dire à reconnaître que le travail produit par la machine à vapeur, représente une transformation de la chaleur. Le manuscrit du mémoire et des notes sera déposé à la bibliothèque de l’Académie des sciences.
- Physiologie de la pieuvre. — Dans le cours d’un long travail poursuivi au laboratoire de Roscoff, M. Frédéric (de Gand) a étudié les phénomènes chimiques qui se produisent dans le sang des céphalopodes. A l’état oxydé, correspondant à celui de notre sang artériel, ce liquide est d’un bleu intense; et il pâlit en perdant son oxygène. L’analyse montre qu’il contient une substance correspondant à l’hémoglobuline où un métal joue le même rôle que le fer dans le sang des animaux supérieurs, mais) chose remarquable, ce métal est le cuivre. L’auteur impose à la substance bleue le nom très expressif d'hêmo-cyanine.
- Influence physiologique de la lumière. — C’est encore au laboratoire de Roscoff que M. Young s’est proposé de voir si la lumière colorée aurait sur les animaux une influence comparable à celle qu’elle exerce sur les plantes. Les expériences ont été faites sur les œufs de la grenouille verte, de la truite et d’un limaçon d’eau douce. Le violet et le bleu se sont montrés remarquablement favorables ; le jaune et le blanc ont une action moindre, celle de l'obscurité est nulle ; au contraire le rouge et le vert paraissent décidément nuisibles. Une série confirmative d’expériences ont été faites sur les animaux à l’état d’inam-
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- LA NATURE.
- tion. C’est dans le violet et le bleu que la mort est arrivée le plus vite parceque la vie y était plus active et par conséquent les dépenses plus grandes. C’est dans le vert et le rouge que les animaux ont traîné le plus longtemps.
- Reptiles permiens. — M. le professeur Gaudry donne lecture d’un très important Mémoire de nouveaux reptiles permiens. Un nouvel actinodon, provenant de Chessy, montre des vertèbres véritablement fœtales, formées de diverses pièces articulées entre elles mais non soudées et disposées de telle façon qu’il est manifeste que la noto-corde existait encore chez l’animal adulte. Un nouveau genre, provenant d’Autun et que l’auteur appelle Cheiro-saurus, présente un humérus si perfectionné qu’il diffère à peine de celui des mammifères. L’opinion de M. Gaudry est qu’un être parvenu à un degré d’évolution si avancé doit avoir beaucoup de précurseurs dont la découverte est réservée aux recherches futures.
- Stanislas Meunier.
- LA NOCTUELLE PINIPERDE
- Le principal ennemi des pins est le Rombyx processionnaire du pin, dont les chenilles vivent en société dans de grands nids soyeux, blancs et ovoïdes, à la façon du Processionnaire du chêne, si communes en certaines années dans les bois des environs de Paris, et les poils des deux Processionnaires sont
- également urticants. En outre de ce Lépidoptère si nuisible, le pin silvestre est attaque aussi, et souvent avec d’assez graves dommages, plus toutefois en Allemagne qu’en France, par un papillon d’une autre grande famille, les Noctuelles. L’espèce est nommée Trachea piniperda, Panzer; sa chenille éclot dès le commencement d’avril d’œufs pondus les uns à la suite des autres sur les feuilles aciculaires. Elle est surtout redoutable parce qu’elle se montre avant le développement des pousses du printemps qu’elle dévore ; elle entre même dans ces pousses , s’v cache toute entière et les fait périr. Elle s’accroît en mai et juin et parvient à toute sa taille en juillet. Longue d’environ 06 millimètres sans poils, cylindroïde et un peu atténuée à l’extrémité postérieure, elle est d’un vert foncé vif, sur lequel tranchent de grandes et larges lignes longitudinales, blanches sur le dos, d’un rouge de rouille le long des stigmates. La tête et les six pattes écailleuses sont de couleur de rouille ; les pattes membraneuses au nombre de dix sont vertes.
- Ces chenilles descendent des pins à la lin de juillet et en août.
- Se cachant sous la mousse ou s’enfonçant un
- Papillon de la Noctuelle piuipcrde.
- peu dans la terre meuble qui forme ordinairement le sol des forêts de pins. Elles se changent en chrysalides ovoïdo-coniques, d’abord vertes, puis d’un brun foncé, avec deux épines à l’extrémité du dernier segment de l’abdomen, et c’est sous cette forme qu’elles passent l’hiver.
- Les papillons éclosent en avril et dès la fin de mars. Quoique rangés parmi les nocturnes, ils volent en plein jour, surtout au soleil, et sont fort agiles.
- Dans les matinées fraîches et brumeuses on les fait aisément tomber, alors qu’ils sont engourdies, en battant les branches des pins au-dessus d’un parapluie renversé. Le mâle et la femelle sont pareils et de jolies couleurs aux ailes supérieures, ce qui est peu fréquent chez les Noctuelles. Les antennes sont dentées et garnies de poils en faisceau chez les mâles, filiformes chez les femelles. Le corselet est épais, très velu, à poils rougeâtres, mêlés de pods blancs. Les ailes supérieures sont d’un rouge fauve assez vif, avec les nervures d’un gris-blanc et des espaces nuageux, olivâtres ou ocreux. On y voit deux taches très nettes, blanches
- avec de l’olivâtre à l’intérieur, la tache réniforme grande et oblique, l’orbiculaire petite et ovale; les ailes inférieures sont d’un noirâtre uni, avec la frange claire. Dans une variété plus rare, le rouge des ailes supérieures est remplacé par du gris-verdâtre et les taches sont jaunâtres.
- C'est à l’état de chenilles et surtout de chrysalide qu’on peut songer à détruire cette espèce funeste aux forêts de Conifères, si les Oiseaux, les Carabes et Staphyliens sont insuffisants. On secoue Içs arbres ou les branches au-dessus de draps, et on brûle ensuite les chenilles si visibles que le choc a fait tomber. 11 est plus simple de conduire de la-fin d’août au mois de mars, des troupeaux de porcs dans les pineraies ; ils fouillent le sol et dévorent les chrysalides. On pourra aussi couvrir la terreau-dessous des arbres avec de l’eau bouillante ou de la vapeur, ou bien employer l’excellent insecticide que l’agriculture doit à M. Dumas, des solutions assez concentrées de sulfo-carbonate de potasse, s il s’agit de beaux pins, ornements d’un parc, car la question de prix a son importance.
- On trouve assez fréquemment la Noctuelle pini-perde à Fontainebleau.
- Maurice Girard.
- Le Propriétaire-Gérant : G. T iss animer.
- chenille de la Noctuelle piuiperdc.
- 1682fi. — Typographie Lahure, rue de Fleurus, 9. à Paris.
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- LES ANTILOPES
- Les Ruminants qui, à une époque antérieure à la nôtre, se rattachaient probablement à d’autres ordres de mammifères par des formes de transition, constituent dans la nature actuelle un groupe bien défini dans lequel on trouve des espèces dépourvues
- d’appendices frontaux, comme les Lamas et les Chameaux, des espèces pourvues de bois caducs, comme les Cerfs, et des espèces armées de cornes creuses comme les Moutons, les Chèvres et les Bœufs. Les Cerfs nous ont déjà fourni plusieurs sujets d’articles et nous avons présenté successivement à nos lecteurs le Wapiti, YElaphurus Davi-dianus, etc.; mais jusqu’à présent nous avons
- laissé de côté tous les Ruminants dont le front est pourvu de prolongements osseux persistants et recouverts d’étuis cornés. Cette division comprend cependant une foule d’animaux, les uns utiles à l’homme qui a pu les réduire en domesticité, les autres remarquables par la beauté de leur pelage et l’élégance de leurs formes. Dans cette dernière catégorie se rangent les Antilopes, dont nous désirons nous occuper aujourd’hui. Le moment nous semble d’autant plus propice que le Muséum d’his-7* Année. — t'r semestre.
- toire naturelle a reçu récemment de M. le colonel Brière de l’Isle, gouverneur du Sénégal, toul un convoi d’animaux parmi lesquels se trouvent des Algazelles, un Kevel, une Antilope Nagor et plusieurs Guibs, mâles et femelles.
- Dans un travail datant de 1850, et qui, maigre les erreurs qu’il renferme, doit encore être consulté puisque c’est le seul Synopsis que nous possédions de cette famille. J. E. Gray divisait les Antilopes en trois catégories : 1° les Antilopes des champs au
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- nez saillant, aux narines dénudées à l’intérieur; 2° les Antilopes des déserts au nez aplati, aux narines velues, et 5° les Antilopes bovines au nez assez large, au muffle moite et de couleur noire. La première division comprenait à son tour les vraies Antilopes reconnaissables à leur corps svelte, de couleur claire, à leur queue courte, garnie de longs poils à la base, à leurs membres sveltes terminés par de petits sabots, à leurs cornes en lyres ou coniques, insérées immédiatement au-dessus des sourcils, les Antilopes cervines, toutes de grande taille, avec un corps massif, une queue allongée, touffue à l’extrémité, des pieds garnis de larges sabots, et des cornes tantôt lyrées, tantôt coniques, enfin les Antilopes caprines qui, comme leur nom l’indique, ressemblent un peu aux Chèvres par la forme générale, ayant le corps et les membres massifs, la queue courte, déprimée, velue à la base et des cornes coniques. Parmi les vraies Antilopes, M. Gray plaçait le Saïga, observé par Pallas dans les steppes de la Tartarie, et remarquable par son nez busqué, proéminent au-dessus de la mâchoire inférieure, une espèce moins connue du Tibet, le Chiru ou Remets Hodgsoni, et enfin le genre Gazelle qui est très riche en espèces et qui a été récemment l’objet d’une étude approfondie de la part de sir Victor Brooke.
- Les Gazelles peuvent être comptées parmi les animaux les plus charmants de la création. Leur tête fine est surmontée d’oreilles mobiles qui se dressent au moindre bruit, et de cornes élégantes, généralement annelées à la base et disposées en forme de lyre; leur face est animée par des yeux fendus en amande et d’une douceur extrême, et leur corps, d’un modelé si gracieux, s’appuie sur des pattes nerveuses, admirablement conformées pour une course rapide. Sur leur robe point de couleurs criardes, mais une teinte fauve ou isabelle, souvent recoupée par des bandes blanches ou grises de l’effet le plus agréable. Aussi, même dans nos jardins publics, les Gazelles excitent-elles l’admiration du public. Que serait-ce si nous pouvions les voir en liberté, dans les steppes et les déserts de l’Asie et de l’Afrique centrale, tantôt paissant, heureuses et confiantes, au milieu des touffes de mimosées, tantôt affolées, se précipitant comme un ouragan- et franchissant sans effort les buissons et les rochers qui se trouvent sur leur passage. Ceux de nos lecteurs qui ont habité l’Algérie ont pu sans doute être témoins de ce spectacle ; dans le sud de cette région, jusqu’au Sahara d’Oran, il n’est pas rare en effet de rencontrer des troupes de ces Gazelles que Buffon a décrites le premier et figurées dans son Histoire naturelle et qui ont été nommées plus tard Capra dorcas par Linné et Antilope dorcas par Pallas. Plus petite que le Chevreuil, la Gazelle dorcas a les pattes relativement plus longues, et par suite le cou plus développé. Sa tête, amincie en avant, se termine par un museau arrondi et présente, au-dessous des yeux, des fossettes lacrymales
- de grandeur médiocre, mais néanmoins biÀi distinctes. Les yeux eux-mêmes sont grands et vifs, et les oreilles égalent en longueur les trois quarts de la tête. Les cornes qui existent chez la femelle aussi bien que chez le mâle, sont chez ce dernier un peu plus fortes et ornées d’anneaux ou de cercles d’accroissement plus marqués ; elles se terminent en pointe aiguë et se recourbent en dedans et en avant. Quoique formée de poils rudes, la robe de la Gazelle dorcas est fort élégante : elle est en majeure partie d’un fauve clair, couleur de sable; mais la poitrine et le ventre sont d’un blanc éclatant, et sur les flancs, de chaque côté, courent une bande bien définie d’un brun roux, et une bande claire à reflets argentés ; la tête, d’un ton moins vif que le dessus du corps, est ornée de plusieurs stries, les unes claires, les autres foncées, le milieu de la face étant d’un roux pâle, les yeux étant entourés d’une zone claire, et une raie brunâtre descendant de l’orbite vers la lèvre supérieure qui est blanche, de même que la lèvre inférieure. Enfin la queue, longue et effilée, est d’une teinte noirâtre.
- On a souvent attribué à cette espèce une extension géographique beaucoup trop considérable, parce qu’on a confondu avec la Gazelle dorcas proprement dite certaines formes qui méritent d’en être distinguées spécifiquement, telles que la Gazelle isabelle (G. isabella), du Kordofan et du Sen-naar, la Gazelle corinne^G. rufifrons) du Sénégal, la Gazelle de Cuvier ou Kevel gris (G. Cuvieri) du Maroc et de l’Algérie, etc. La confusion était d’autant plus facile que toutes ces espèces présentent les mêmes teintes fondamentales et ne diffèrent que par la disposition des stries foncées et des taches à la surface du pelage, par la forme des cornes et par les proportions du corps. Les mœurs et le genre de vie ne varient pas sensiblement du reste d’une espèce à l’autre, de sorte que ce que nous dirons de la Gazelle dorcas pourra s’appliquer à toutes les Gazelles de l’Afrique septentrionale et tropicale.
- Les Gazelles ne se tiennent presque jamais au bord des rivières ni sur les hauts plateaux, elles préfèrent les endroits sablonneux où des collines alternent avec les vallons et où poussent de nombreux buissons de mimosées. Dans les déserts de l’Arabie Pétrée et dans les steppes du Kordofan, on rencontre parfois des troupeaux de quarante à cinquante têtes effectuant des migrations, mais d’ordinaire on n’aperçoit que de petites familles, composées d’un mâle, d’une femelle et de leur petit ou des bandes de huit à dix mâles qui ont été chassés par des rivaux plus forts. Pendant la grande chaleur, vers le milieu du jour, les Gazelles ruminent tranquillement à l’ombre, mais à d’autres moments de la journée elles sont continuellement en mouvement. Grâce à la couleur jaunâtre de leur poil, elles se confondent facilement avec le sol, et le regard d’un Européen, moins perçant que celui d’un
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- Arabe, ne les distingue guère à plus d’un kilomètre de distance. D’ordinaire tandis que les autres paissent, l’une se tient sous le vent en sentinelle, et quand elle donne l’alarme, toute la troupe détale avec la vitesse du vent. Les Gazelles, naturellement si craintives, peuvent montrer beaucoup de courage dans certaines circonstances, et les mâles en particulier soutiennent des luttes ardentes en l’honneur de leurs compagnes. Il est à remarquer du reste que dans toutes les régions où ces charmants animaux ne sont pas inquiétés, ils se montrent beaucoup plus confiants, et plusieurs voyageurs ont pu s’approcher à une centaine de pas de troupeaux de Gazelles qui n’avaient pas été effrayés par le bruit des armes à feu.
- Quand après avoir triomphé de ses rivaux un mâle peut obtenir une compagne, il lui reste longtemps attaché et dès la fin de mars s’occupe avec elle de l’éducation du petit. Celui-ci, quelques mois après sa naissance, est exposé à de grands dangers, et malgré la sollicitude de ses parents devient souvent la proie des carnassiers. Les Renards, les Loups, les Guépards et les Lions ne sont pas toutefois les ennemis les plus redoutables des Gazelles; de tout temps ces animaux inoffensifs ont été chassés avec passion par les habitants de l’Algérie, de l’Arabie et de la Perse. Les Européens tuent les Gazelles à coups de fusil, en se cachant derrière un buisson, mais les Arabes aiment mieux les atteindre à la course. Montés'NSur des chevaux rapides comme le vent, ils se lancent à la poursuite d’un troupeau; mais malgré toute la vitesse de leurs coursiers, ils ne triomphent qu’avec de grandes difficultés, et souvent à l’aide de plusieurs relais. Une fois arrivés à portée des Gazelles, ils lancent à ces pauvres bêtes des bâtons qui leur cassent les jambes. A cette méthode brutale les nobles persans et les chefs bédouins substituent la chasse au faucon, infiniment plus variée et plus féconde en péripéties. Le faucon, à peine déchaperonné, s’élève dans les airs, plane un instant, fond sur sa proie et lui enfonce ses serres dans les yeux ou dans la gorge. Vainement la Gazelle affolée cherche à se débarrasser de l’oiseau cruel, celui-ci la maintient, l’étour dit à coups de bec et donne au chasseur le temps d’arriver et de s’emparer du gibier. Un morceau de la victime récompense le faucon de son adresse. Généralement dans cette chasse, qui a été merveilleusement reproduite par le pinceau de Fromentin, les Arabes sont accompagnés de ces grands lévriers qui au besoin peuvent remplacer les Faucons et qui rivalisent de vitesse et d’élégance avec les Gazelles du désert.
- Dans toutes les espèces appartenant au petit groupe dont la Gazelle dorcas peut être considérée comme le type, le pelage est fauve et sur le croupion il n’y a qu’une tache blanche assez restreinte ; dans d’autres espèces, au contraire, cette tache blanche s’avance en pointe et empiète sur la couleur jaunâtre des hanches. C’est à cette seconde division
- qu’appartenait une Gazelle du Sénégal qui a vécu j pendant un an à la ménagerie du Muséum et qui,
- I par l’ensemble de ses caractères, se rapportait à la | forme décrite par M. Bennett sous le nom à'Antilope ! mohr. E. Oustalet.
- — La suite prochainement. —
- EXPOSiriON UNIVERSELLE DE 1878
- SOUVENIR RÉTliOSPECTIF
- L’idée mère de la constructiondes palais de l’Exposition est que celui du Trocadero est définitif pendant que celui du Champ de Mars devait disparaître. Le système et le style de construction ont nettement et heureusement accusé cette opposition. Tout en pierre de taille, le palais élevé au sommet de la colline du Trocadero se profile sur le ciel avec la pureté de lignes d’un édifice toscan, la puissance de masse d’un monument romain. La blancheur de la pierre est relevée par un emploi discret de la polychromie ; des dessins géométriques très simples se déroulent en lignes de nuances pâles et délicates
- Précédant le palais et faisant avec lui partie intégrante est la grande cascade où l’eau bouillonnante mêle ses courbes aux lignes du monument.
- En 1867, on avait dit : on n’ira pas plus loin. L’Exposition était si belle qu’en la visitant pour la première fois on était saisi d’admiration. Il y avait cependant quelques fautes — bien peu. — Le palais, d’une maussade couleur brune, n’avait rien de monumental, il paraissait écrasé, rien n’y arrêtait le regard, les perspectives tournantes et fuyantes étaient aussi désagréables à l’intérieur qu’à l’extérieur, la galerie basse qui l’entourait diminuait en apparence sa hauteur. C’était une construction purement utilitaire, parfaitement appropriée à sa destination, voilà tout. Le palais actuel, tout provisoire qu’il est aussi, n’est pas moins bien en rapport avec son but, et, en outre, c’est un monument. Rien n’est dissimulé ; l’ossature de la charpente en fer s’accuse franchement partout, c’est bien l’édifice moderne que les progrès contemporains de la métallurgie ont seuls permis d’exécuter, verre et fer. Les grands dômes et le vestibule central exagèrent heureusement la hauteur de sa vaste façade ; le regard ne se perd pas à travers les immenses verrières blanches, il est arrêté par la décoration éclatante et harmonieuses des fers peints et ornés de terre émaillée; jamais on n’avait fait en France, où l’architecture bannissait l’emploi de la couleur, un usage aussi hardi de la polychromie et l’on a réussi du premier coup.
- Tout dans le palais du Champ de Mars a été harmonieusement pondéré : pendant que le grand vestibule d’honneur du côté de la Seine est décoré d une façon somptueuse et plafonnée d’or, le vestibule opposé du côté de l’école militaire, consacré au travail manuel, a. une ornementation
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- élégante et simple où les dorures des coupoles et des voussures, qui ne seraient plus de mise, sont remplacées par une teinte blanche relevée par d’étroits filets de couleur.
- Nous croyons devoir insistér plus spécialement sur l’énumération des façades de la « rue des Nations », qui a certainement été une des parties les plus admirées de l’ensemble.
- On a eu la pensée heureuse et nouvelle d’inviter toutes les nations exposantes à construire à l’entrée de leur section respective, en bordure de la cour intérieure qui sépare la galerie étrangère de la galerie médiane des Beaux-Arts, une façade reproduisant l’architecture typique de chaque pays. Tous les peuples, à peu près, ont été séduits par l’originalité de cette idée et chacun a essayé de reproduire un échantillon de son meilleur style architectural.
- L’Angleterre, dont la section n’avait pas moins de 164 mètres de longueur , avait élevé sur cette étendue cinq bâtiments séparés par des jardins intermédiaires.
- La façade des Etats-Unis est en bois peint; elle est ornée des écussons de tous les États et Territoires. Les vieux États formés lors de la proclamation de l’Indépendance ont de véritables armoiries ; les Etats de création récente, simples roturiers n’ayant pas eu le temps d’acquérir la noblesse, inscrivent simplement leur nom sur le blason de l’Union.
- La Norvège et la Suède sont unies par une double construction très originale en bois équarri ayant conservé sa coloration naturelle.
- Une colonnade superbe de marbres précieux, ornée des mosaïques nationales, décorée de statues et de terres cuites annonce l’exposition du seul peuple qui, parmi tous les peuples de la terre, depuis deux mille cinq cents ans, tient haut le /lambeau de l’art sans que jamais son bras se soit
- lassé; de la nation unique dans l'histoire, qui, depuis vingt-cinq siècles allaite des grands hommes sans que jamais son sein se soit tari : l’Italie.
- Après l’Italie, on trouve la saisissante façade du Japon, le pays le plus policé de l'Asie. Une simplicité extrême et sévère, une robuste porte formée d’énormes poutres de bois non verni ni peint, partiellement cuirassées par des plaques de cuivre oxidé ; aux côtés de la porte deux fontaines jaillissantes en faïence de couleur représentant des fleurs de lotus offraient aux passants altérés des gobelets en bambous. Au fond, peints à fresque sur la muraille le plan de Tokio (jadis Yeddo) et la carte du Japon avec des indications statistiques en français sur l’Empire du Soleil levant.
- Après le pays que l’Europe a émerveillé et qui l’imite avec le zèle du néophyte — tout en gardant de l’originalité, — la Chine fait un contraste saisissant par son archaïsme voulu, hautain, presque menaçant. C’est le pays qui, pour la première fois (avec le Japon également), avait con -senti à venir parmi nous; il se suffit à lui-même, nous force à admirer ses productions et n’envie à l’Europe que sa science militaire. Sa façade est la classique façade de pagode à toit relevé ; mais l’entrée est ornée de statuettes dorées, sculptées avec une vérité el une perfection extraordinaires. Aucune concession n’est faite à l’Europe ; une inscription annonce que cette exposition est celle de « l’Empire de Grande Pureté » (ce qui veut dire l’Empire de la dynastie actuelle, dont Grande Pureté est le surnom choisi par elle pour la désigner) ; mais il faut savoir le chinois pour la lire.
- La suite des palais divers se succède comme la vision d’un kaléidoscope. Pour nous donner une idée de ses plus beaux monuments, l’Espagne a dù
- La Russie.
- Fig. 2. — La Suisse.
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- reproduire quelques motifs de ceux qu’ont bâti sur le sol ibérique ses anciens vainqueurs musulmans; sa façade typique est un échantillon de l’architecture mauresque.
- L’Autriche-Hongrie se signale par un grand portique orné de statues, sévère jusqu’à l’austérité, simple et grand.
- Comme la Suède et la Norvège, la Russie a une
- façade en bois; mais ici, au-dessus de murs en troncs écorces, il y a des ornements en bois peint et les constructions sont couvertes de toits en fer-blanc.
- La Suisse a une assez originale et assez heureuse construction ornée des armes des cantons, couronnée d’un beffroi dont la cloche est frappée par deux énormes jacquemarts, le tout abrité par
- Fig. 5. — Exposition universelle de 1878. — Palais du Trocadéro.
- une coupole azurée constellée d’étoiles et surmontée d’un petit clocher.
- Dans ce concours architectural, la palme est au majestueux palais de la Belgique ; la gigantesque façade a été tout entière taillée dans les carrières
- de marbre de la Belgique, tous les marbres de couleur, tous les matériaux de construction même ont été fournis par des exploitations belges. Bien n’a été négligé pour l’harmonie du coup d’œil dans cette reproduction en marbre d’un hôtel de ville
- Fig. 4. — Exposition universelle de 1878. — Palais du Champ de Mars.
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- du seizième siècle ; sur le soubassement, les pierres à bossage ont été laissées frustes; au rez-de-chaussée, le marbre est piqué, au premier étage il est poli, sauf les cariatides en granit ; au couronnement, les sculptures marmoréennes de nuance sombre sont relevées par de sobres ornements d’or.
- L’étroite façade de la Grèce est nuancée de couleurs vives, comme l’archéologie a prouvé que le
- faisaient les Grecs anciens, mais l’architecture grecque nous semble ainsi travestie ; nous ne connaissons les monuments hellènes que dépouillés par les siècles de leur peinture et l’éducation de notre œil n’est pas encore refaite à cet égard.
- Le Danemark avait une petite façade en brique qui n’était, pas sans valeur.
- Les Etats de l’Amérique centrale et méridionale
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- LA NATURE.
- avaient élevé en commun un élégant édifice orné de leurs armoiries respectives et pourvu de la véran-dah caractéristique.
- Après le balcon couvert de l’Amérique latine, étaient réunis les dragons de l’Annam, le plâtre colorié de la Perse, le bois sculpté de Siam, les murs bariolés du Maroc, les étroites fenêtres de Tunisie.
- Une mince construction abritait fraternellement les trois plus petits États de l’Europe : Monaco au rez-de-chaussée , Saint-Marin au-dessus, Andorre au dernier étage. Une tourelle signalait le Luxembourg.
- La cathédrale gothique de Coïmbre avait fourni les motifs principaux de la remarquable façade du Portugal. Enfin celle des Pays-Bas était la reproduction en brique des palais du dix-septième siècle de Harlem, de Lcyde et de Rotterdam.
- Ch. Boissày.
- CORRESPONDANCE
- SUR LES ALLURES DU CHEVAL REPRODUITES PAR LA PHOTOGRAPHIE INSTANTANÉE
- Les documents que nous avons publiés à ce sujet dans une de nos dernières livraisons (n° 289, 14 décembre 1878, p. 23), ont été appréciés par un grand nombre de nos lecteurs. Plusieurs d’entre eux nous ont demandé des spécimens des photographies de M. Muybridge, nous les renvoyons à l’adresse que nous avons publiée (p. 23, col. 2). Nous transmettons à M. Muybridge la lettre ci-jointe que nous recevons de M. Marey, de l’Institut, et nous espérons que l’habile physicien de San-Francisco, pourra répondre d’un façon complète aux questions intéressantes qui lui sont posées par notre savant correspondant. G. T.
- 18 décembre 1878.
- « Cher ami,
- « Je suis dans l’admiration des photographies instantanées de M. Muybridge que vous avez publiées dans votre avant-dernier numéro de la Nature. Pourriez-vous me mettre en rapport avec l’auteur. Je voudrais le prier d’apporter son concours à la solution de certains problèmes de physiologie si difficiles à résoudre par les autres méthodes. Ainsi, pour la question du vol des oiseaux, je rêvais une sorte de fusil photographique saisissant l’oiseau dans une attitude ou mieux encore dans une série d’attitudes imprimant les phases successives du mouvement de ses ailes. Cailletet m’a dit avoir essayé autrefois quelque chose d’analogue avec des résultats encourageants. Il est clair que pour M. Muybridge c’est une expérience facile à faire. Et puis quels beaux zootropes il pourra nous donner ; on y verra avec leurs allures vraies tous les animaux imaginables ; ce sera la zoologie animée. Quant aux prtisles, c’est une révolution chez eux, puisqu’on leur fournit les vraies attitudes du mouvement, ces positions du corps en équilibre instante qu’un modèle ne peut poser.
- « Vous voyez, mon cher ami, que mon enthousiasme déborde, répondez-moi bien vite et croyez-moi tout à vous. J. Marey.
- — M. J. Besson, industriel à Saint-Etienne, nous soumet une idée qui nous parait très heureuse relative à l’application de la lumière électrique dans l’exploitation
- des chemins de fer. Il propose d’installer une machine Gramme sur les locomotives, afin d’éclairer la voie en même temps que les wagons.
- — M. Millot, secrétaire de la Commission météorologique de Nancy, nous écrit que contrairement à ce qui a été dit dans la Nature, il croit que si on transformait le Sahara en une mer, on supprimerait le foyer d’appel de vents du nord produit par le désert, et que notre pays se trouverait plus que jamais soumis au régime des vents du S. 0.
- — M. Ein. Barrère nous envoie de Bayonne la description d’un orage à grêle d’une extrême violence qui a éclaté le 15 décembre 1878, à 6 heures 30 du matin, La foudre tomba sur un navire mouillé en rade et lui brisa un mât dépourvu de paratonnerre, qu’il réduisit en 200 fragments. Sur la côte elle pulvérisa un arbre. Ces décharges électriques furent accompagnées d’une chute de grêle qui couvrit le sol d’une couche de glaçons épaisse de 5 centimètres. Les grêlons étaient homogènes et transparents.
- SOCIÉTÉ FRANÇAISE DE PHYSIQUE
- Séance du 6 décembre 1878.
- M. Pellat expose l’appareil qu’il a imaginé pour effectuer la synthèse de couleurs composées de composition connue. Cet appareil repose sur l’expérience de cours suivants : On forme un spectre à la manière ordinaire, la lentille projetant les images de la fente lumineuse étant placée entre cette fente et le prisme; au delà du prisme on met une seconde lentille projetant sur l’écran l’image lumineuse blanche, intersection du faisceau avec la seconde face du prisme ; si alors à l’endroit où se produit le spectre, on intercepte un certain nombre de ses couleurs, l’image formée sur l’écran se trouve teinte de la couleur résultant des radiations conservées. M. Pellat a pu donner à cette expérience une grande précision et dans la formation de l’image colorée et dans son examen, et dans le mode d’interception des couleurs. Il a été conduit à ces recherches pour évaluer l’épaisseur maximum possible de la couche d’éther, qui dans les idées de Fresnel et de Cauchy, servirait de transition entre l’éther libre et celui qui est renfermé dans les corps transparents. D’après M. Pellat l’épaisseur de cette couche serait de beaucoup inférieur à 1/16 de longueur d’onde.
- M. Dumoulin-Froment présente un appareil basé sur l’invariabilité du plan de rotation du tore, et destiné à parer aux erreurs auxquelles peut exposer, en certains cas, l’emploi exclusif du compas de mer.
- M. Duter fait la description d’une expérience qui prouve que, dans certains cas, l’électrisation peut changer le volume des corps. On prend une enveloppe thermo-inétrique de grandes dimensions, on en fait un condensateur dont elle est la lame isolante, en faisant pénétrer à son intérieur un fil de platine, en la remplissant d’eau et en collant sur ses surfaces extérieures une feuille d’étain. On a ainsi une bouteille de Leyde que l’on charge par les procédés ordinaires. Aussitôt qu’elle reçoit la charge, on voit l’eau descendre, rester stationnaire tant que la charge persiste et reprendre instantanément son premier niveau par la décharge. M. Duter a varié l’expérience et a pu en conclure que pendant la charge, la capacité intérieure et le volume extérieur croissent, et
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- que celte dilalation de la lame isolante ne peut s’expliquer ni par un accroissement de température, ni par une pression électrique.
- M. Antoine Bréguet présente de la part de M. Edouard André un téléphone à ficelle trouvé dans la Nouvelle-Colombie en janvier 1876. L’instrument paraîtrait connu dans la Nouvelle-Grenade depuis longtemps.
- M. Niaudet attribue l’invention du téléphone à ficelle à M. Weinhold, professeur de physique à Chemnitz qui a publié en 1870 dans le Repertorium für experimental Physik, le détail d’une expérience sur la transmission de la voix humaine par un fil de fer.
- BIBLIOGRAPHIE
- Nouvelle Géographie universelle par Élysée Reclus. Tome IY. L’Europe septentrionale. lre partie : nord-ouest (Belgique, Hollande et Iles Britanniques). Un magnifique volume gr. in-8, contenant 6 cartes en couleur, 206 cartes insérées dans le texte et 80 gravures sur bois. Paris, Hachette et Cie, 1878.
- La Migration des oiseaux par A. de Brevans. 1 vol. in-18 de la Bibliothèque des Merveilles, illustré de 89 vignettes sur bois. Paris, Hachette et Cie, 1878.
- Les produits de la Nature japonaise et chinoise, comprenant la dénomination, l’histoire et tes applications aux Arts, à l’Industrie, à l'Économie, à la Médecine, etc., des substances qui dérivent des trois règnes de la Nature et qui sont employées par les Japonais et les Chinois, par A. J. C. Geerts, 1 vol. in-8, avec des fac-similé de gravures japonnaises tirées hors texte. Yokohama, C, Lévy, 1878.
- — Le 5e volume de la Bibliothèque des sciences contemporaines vient de paraître à la librairie C. Reinwald. 11 contient LA PHILOSOPHIE, par André Lefèvre, et réunit : 1° l’histoire des idées philosophiques depuis les temps les plus reculés jusqu’à l’époque contemporaine ; 2° l’esquisse de la philosophie expérimentale. Le but de l’auteur a été de préparer les gens du monde à l’intelligence des grands travaux modernes. — Le 4° volume de cette Bibliothèque contient L’ESTHETIQUE, par M. Eugène Véron, directeur du journal l’Art.
- La collection des œuvres de Ch. Darwin s’èst accrue de son dernier volume Sur les différentes formes de Fleurs, traduit par le professeur E. Ileckel, avec introduction du professeur Coutance. Nous mentionnons encore la Mythologie comparée, de Girard de Rialle, dont le Ier volume vient de paraître à la même librairie, qui publie également la Mythologie des Plantes, de M. A. Guberna-tis et le second volume de la Civilisation primitive, de E. B. Taylor, traduit par M. Edtn. Barbier. La seconde édition des Leçons sur l’homme, du professeur Cari Vogt, revue par M. Edm. Barbier, y est en vente depuis peu, ainsi que le Monde terrestre, de M. Ch. Yogel. qui sera complet en 3 volumes dont le deuxième est sur le point d’être achevé.
- LE TÉLÉPHONE APPLIQUÉ AUX TORPILLES
- Le captain M. Evoy, a imaginé d’utiliser le téléphone électrique du professeur Bell pour véri-
- fier l’état des torpilles mouillées qui servent à la défense des ports et des rades et dont l’explosion est produite par le contact. On sait que cette épreuve se fait habituellement en faisant passer un faible courant qui traverse la torpille et son amorce et en employant un galvanomètre d’une grande sensibilité. Le captain M. Evoy substitue à ce mode d’épreuve par l’électricité, ou du moins il lui adjoint un second moyen de contrôle obtenu par le son. A cet effet, il munit chaque torpille d’un téléphone Bell ordinaire, disposé do façon à ce que le disque vibrant soit placé dans un plan horizontal.
- Au-dessus de ce disque sont rangés un certain nombre de petits poids mobiles. Les poids à chaque mouvement de la torpille, produisent une vibration du disque et à cette vibration correspond un son particulier que perçoit le téléphone récepteur établi à terre. Chaque torpille annonce ainsi elle-même, pour ainsi dire, à l’opérateur placé dans l’observatoire, l’état dans lequel elle se trouve. Dans le cas où elle serait avariée, la torpille resterait silencieuse et l’opérateur en conclurait avec certitude qu’il y a lieu de la visiter. Les téléphones sont reliés aux fils ordinaires employés pour les torpilles, et leur usage ne s’oppose en aucune façon à l’emploi du mode d’épreuve par le courant électrique. Un seul téléphone établi à terre suffit pour la vérification d’un certain nombre de torpille.
- L’idée du captain M. Evoy servira probablement de point de départ à tout un ensemble de progrès importants en ce qui concerne les systèmes de défense des ports organisés avec des torpilles mouillées et peut-être pour d’autres applications. Cet officier a essayé d’employer dans des conditions analogues le microphone du professeur Hugh, mais il n’a pas obtenu d’aussi bons résultats qu’avec le téléphone, sans doute à cause de la sensibilité et de la délicatesse extrêmes de cet instrument ‘.
- COUP D’ŒIL
- SUR LA
- FAUNE DE LA NOUVELLE-GUINÉE
- LES INSECTES
- LE PHYLLOPHORA ARMATA
- Dans la première moitié du siècle, les Français, dans leurs explorations célèbres à travers l’Océanie, avaient abordé la Nouvelle-Guinée et nous avaient fait connaître des formes animales que les musées français étaient seuls à posséder; les temps sont bien changés et notre initiative s’est laissée distancer. La terre des Papous a été depuis ces dernières
- 1 Engineering et Revue maritime.
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- LA i\ A I U U E.
- années le but d’un très grand nombre d’explota-tions. Wallace l’a abordée et a cherché à donner une idée de sa flore et de sa faune dans un livre, TheMalay Archipelago, aujourd’hui connu de tous; les Italiens, sous l'impulsion du musée de Gènes, se sont efforcés de nous en faire connaître la géographie, les populations et surtout les productions du sol ; les noms de Beccari et de d’Albertis ont acquis üne grande notoriété. Cependant deux de nos voyageurs, l’un M. Léon Laglaize, le petit-fils de Lor-quin auquel nous devons d’importantes récoltes aux îles Philippines et en Californie, l’autre, M. A. Raffray, connu par ses voyages en Abyssinie et à Zanzibar, n’ont pas craint de tenter l’aventure et se sont efforcés de recueillir la faune de la Nouvelle-Guinée. Accompagné d’un jeune naturaliste, M. Maindron, M. Raffray a séjourné assez longtemps à Dorey, Amberbaki, Salwatty, etc., pour recueillir d’immenses collections d’un intérêt de premier or dre. Heureusement inspiré, le ministère de l’instruction publique a libéralement acquis ces .collections et chacun pourra trouver dans notre Muséum, et dans nos grandes Facultés, des représentants de la faune néo-guinéenne.
- Il ne m’appartient pas de parler de tous les types singuliers du règne animal qu’on rencontre en Nouvelle-Guinée, mais je pense que les curieux de la nature et ceux qui s’intéressent aux grandes idées soulevées par Darwin, Wallace et leurs disciples éprouveront quelque plaisir à voir passer sous leurs yeux les formes caractéristiques des insectes qui habitent ces régions du globe, formes en général essentiellement différentes de celles que nous rencontrons habituellement dans notre pays. Mais c’est avec un sentiment de regret que je me vois obligé de rester confiné dans la représentation des formes ; si le cadre du journal me l’avait permis, j’aurais emprunté les ressources de la couleur et j’aurais figuré un des exemples les plus extraordinaires de mimétisme tout nouvellement découvert par nos voyageurs français ; j’aurais mis en parallèle deux Papillons de forme semblable, de coloration identique, ornés des mêmes dessins, deux Papillons- tellement semblables que le naturaliste exercé est seul capable de saisir les caractères différentiels qui les séparent; et pourtant ces deux Lépidoptères appartiennent aux groupes les plus distincts, les plus éloignés dans l’échelle de la classification : l’un est un véritable Papilio appartenant au groupe des Lépidoptères diurnes, l’autre un Nyctalemon appartenant au groupe des Lépidoptères crépusculaires et nocturnes. Pourquoi ces deux êtres ont-ils revêtu le même costume? Nos voyageurs ont constaté le fait, apporté les preuves du fait, mais ils n’ont fourni à la science aucune observation qui puisse permettre d’affirmer que le Papilio Laglaizei est le Sosie du Nyctalemon Oron-tes, d’assurer que le Nyctalemon est le Sosie du Papilio.
- Je me contenterai aujourd’hui de faire l’histoire
- d’un insecte de l’ordre des Orthoptères, d’un Plnjl-lophora qui, par sa grande taille et sa physionomie mérite d’attirer l’attention. Thunberg, en 1815, eu créant le genre, a donné une figure très reconnaissable d’une espèce, aux élytres terminées en pointe, qui n’est point la nôtre et à laquelle il a donné le nom de P. speciosa. Andouin et Brullé, dans leur Histoire naturelle des Insectes (1855), avaient eu l’intention de représenter un Phyllophore de la Nouvelle-Guinée; mais la mauvaise fortune d’un éditeur, ayant entraîné l’interruption de la publication, le texte de l’ouvrage a dû paraître accompagné seulement de quelques planches; aussi ne faut-il pas s’étonner que les auteurs, qui ne remontent pas aux sources, aient cru devoir sur la foi du texte, renvoyer à des figures qui n’existent pas. Audinet Serville, dans son Histoire naturelle des Orthoptères (1859), a donne une nouvelle description du P. speciosa de Thunberg; mais plus tard (1855), dans la partie zoologiquc du voyage de l’As-trolabe et de la Zélée, M. E. Blanchard, par inadvertance sans doute, a décrit et figuré sous ce même nom de P. speciosa, l’espèce dont nous donnons un dessin très exact, espèce bien nettement caractérisée cependant par la taille, la puissance des épines qui bordent son immense prothorax, la forme très arrondie de ses élytres et à laquelle pour éviter de nouvelles confusions nous donnerons le nom de P. armata. Une espèce congénère, d’une taille encore plus considérable, a été également représentée dans l’atlas du voyage de Y Astrolabe sous le nom de P. grandis; c’est elle que Wallace (1872), dans son livre The Malay Archipelago, a figuré sous l’appellation erronée de Megalodon eusifer.
- Les Phyllophores sont des insectes apparentés à nos Sauterelles vertes, si communes dans nos campagnes ; comme elles, elles sont revêtues de fraîches teintes vertes, qui permettent de les confondre avec les plantes; comme elles, les femelles portent un sabre qui sert à l’introduction des œufs dans le sol ; comme elles également, les mâles sont pourvus d’un instrument musical destiné ,à chanter leurs amours. Mais autant nos Locusta sont délicates et faibles, autant les Phyllophora sont robustes. Le prothorax recouvre d’une armure protectrice, d’une véritable carapace, le corps et la majeure partie de l’abdomen; cet énorme bouclier, en forme de losange tronqué à sa région antérieure, est même garni d’une ceinture de piquants acérés, qui protège sûrement nos insectes de la dent ou du bec des animaux carnassiers. Les naturalistes rangent les Phyllophores parmi les insectes Orthoptères de la famille des Locustides. Le nom de Locuste réveille des souvenirs lugubres; il semblerait qu’en donnant à nos insectes le nom de la célèbre empokonneuse, complice de Néron, les auteurs aient voulu rappeler que les Sauterelles savaient aussi préparer les poisons. Il n’en est rien, elles sont à ce titre bien inoffensives; de mœurs paisibles, les Locustides habitent les campagnes, dont elles troublent seule-
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- Le Phyllophore armé, — D’après les individus récemment rapportés de la Nouvelle-Guinée.
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- LA NATURE,
- ment le silence de leurs assourdissantes stridulations.
- Jules Künckel d’Herculais.
- — La suite prochainement. —
- >0<
- STATISTIQUE DU MARIAGE
- On a beaucoup médit du mariage. C’est un thème à plaisanteries faciles, et souvent spirituelles, qu’on
- Nombre demart&ges pour 1000 vivants.
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- traduit en vaudevilles, en chansons, en caricatures.
- Notre intention n’est pas de plaider en sa faveur; il n’en a pas besoin Mais il nous semble curieux, il nous semble surtout important d’examiner la question, non plus en plaisantant, mais au moyen de documents sérieux et vraiment scientifiques.
- Le moyen le plus simple pour y parvenir me semble être de constater la nuptialité (ou chance de se marier) des veufs. Si ceux qui ont déjà passé par cette épreuve redoutée, veulent encore se marier, et s’ils égalent sur ce point les célibataires (ceux qu’on accuse d’avoir des illusions), c’est que l'expérience n’a rien pu contre ces illusions; en un mot, c’est que ces prétendues illusions ne sont pas si chimériques qu’on veut bien le dire, et voilà le mariage réhabilité. Si les veufs font mieux encore et surpassent les célibataires dans leur ardeur au mariage, il deviendra impossible de médire de l’union conjugale. Je crois que ses censeurs les plus critiques seraient obligés de s’incliner devant un pareil essai.
- Mais délions-nous. Cette comparaison est délicate. Il ne suffit pas de chercher combien, sur 1000 célibataires, il y en a qui se marient chaque année; puis de faire le même calcul pour les veufs, et de comparer. Un tel travail ne nous donnerait aucun résultat. Car les veufs, lorsqu’ils sont vieux (c’est le cas pour beaucoup), peuvent avoir gardé le meilleur
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- Fis. 1. Fig. 2.
- PAYS-BAS (1856-65).
- Nuptialité ou chance de se marier à chaque âge, suivant que l’on est célibataire, veuf ou divorcé. — La figure 1 se rapporte aux hommes, la figure 2, aux femmes. —Dans ce diagramme, comme dans les suivants, les chiffres marqués dans la figure indiquent combien, sur 1000 individus placés dans les conditions d’âge et d'état civil correspondants, il s’en marie chaque année.
- souvenir delà vie conjugale, et pourtant ne pouvoir y recourir. Ce qui les condamne au veuvage, ce n’est pas leur goût personnel, c’est leur âge, ce sont leurs infirmités, etc.
- Pour comparer avec fruit la nuptialité des célibataires et celle des veufs, il faut donc de toute nécessité les comparer aux mêmes âges. C’est ce que nous avons fait. Les résultats variant beaucoup avec le sexe, nous avons examiné séparément les hommes et les femmes. Les chiffres ainsi obtenus nous ont permis de construire les diagrammes ci - j joints qui sont tout à fait propres à réconcilier les | vieux garçons avec le mariage.
- Regardez avec quel empressement les veufs se '
- | précipitent vers une nouvelle union. Dans les Pays-Bas que je choisis pour type (fig. 1 ), parce que les résultats y sont plus complets, sur 1000 garçons de 25 à 55 ans, il s’en marie 110 ou 112 chaque année (c’est l’âge où les hommes se marient le plus). Savez-vous combien de veufs se marient dans les mêmes conditions? Il y en a 356, c’est-à-dire plus de trois fois autant! Aux autres âges, la différence est plus grande encore : les veufs se marient quatre fois plus que les garçons du même âge. Et les jeunes veufs ! C’est bien mieux encore : 200 au lieu de 4 garçons !
- Ces résultats, on les retrouve dans tous les pays du monde. Les diagrammes le montrent assez : la
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- France, l’Angleterre sont soumises à la même loi ; en Belgique, elle est encore plus manifeste.
- Ce qu’on me répondra je le sais bien, c’est que voilà des époux bien infidèles au souvenir de leur première femme. Eli oui! les regrets superflus n’ont qu’un temps, et il semble même que ce temps soit assez court, à voir la nuptialité empressée des jeunes veufs. Mais n’est ce pas un hommage qu’ils rendent au mariage, que de se précipiter si ardent-
- Nombre dema^'â-ges pou*" 1000 vivants
- ment sous ses lois? La société y gagne trop pour que nous songions à nous en plaindre.
- Il est piquant de savoir si les divorcés partagent avec les veufs ce regret d’avoir rompu l’association conjugale. Quoique ces messieurs ne songent généralement pas à pleurer leur première femme, — dont ils sont probablement fort aise d’être débarrassés, — et que le chagrin ne doivent pas les gêner beaucoup dans leurs nouvelles amours, il semble au premier abord qu’ils ne doivent guère se remarier. Le mariage leur a mal réussi, et ils ne doivent pas se soucier beaucoup de tâter à nouveau d’une épreuve qui leur a été si rude. Mais je suppose qu’ils se laissent tenter, la personne qu’ils recherchent ne doit-elle pas logiquement leur répondre : « Vous êtes un mauvais époux, je ne veux pas de vous! » Déplus, ils peuvent avoir des enfants (quoique ce soit rare, les enfants restant presque toujours à la mère), et cela ne facilite pas le mariage. Voilà trois raisons, et trois raisons excellentes pour que les divorcés reprennent bon gré, malgré, la vie de vieux garçons.
- Eh bien ! ce n’est pas tout à fait cela. Jusqu’à 26 ans à vrai dire, les deux premières raisons que je viens de mentionner semblent avoir une action réelle, et les divorcés se marient moins que les célibataires du même âge. Mais après26 ans! Combien ils sont distancés. Les divorcés se marient sans doute avec beaucoup moins d’empressement que les veufs (presque deux fois moins), mais bien
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- Fig. 3. Fig, 4.
- SUISSE (1876).
- Nuptialité à chaque âge, suivant l’état civil. — La figure 3 se rapporte aux hommes, la ligure i, aux femmes.
- Voir la légende des figures 1 et 2.
- plus que ceux qui ne connaissent pas encore le mariage par expérience.
- A partir de 40 ans, il se produit même un singulier phénomène, c’est que les divorcés se marient plus que les veufs eux-mêmes ! Est-ce là un résultat propre à la Hollande? Non, car dans le seul pays où cette recherche soit possible, en Suisse, nous trouvons à peu près le même résultat. (Voir les diagrammes 3 et 4).
- L’explication qui se présente à l’esprit n’est pas très aimable pour eux. C’est qu’fis n’ont divorcé que pour se remarier, dans la pensée bien arrêtée qu’ils
- avaient trouvé mieux. Pour éclairer ce problème, il faudrait savoir combien de temps après le divorce a eu lieu le second mariage. Si celui ci a été prévu et désiré d’avance, il est clair qu’il doit suivre de très près le jugement de divorce. Les documents ne nous livrent pas ce renseignement. L’explication, d’ailleurs, ne s’applique pas aux veufs. Un misanthrope peut bien supposer qu’un certain nombre de maris se brouillent avec leur femme afin d’en épouser une autre, mais quelle que soit sa mauvaise humeur, il ne peut croire qu'un grand nombre de gens tuent leur femme dans la même intention.
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- Nous reviendrons tout à l’iieure sur les causes de ces singuliers phénomènes. Elles sont complexes. Mais la principale nous paraît être celle-ci : c’est que le mariage, loin de donner des regrets aux hommes qui le contractent, leur crée au contraire des habitudes dont ils souffrent ensuite de se défaire.
- A présent, passons aux femmes.
- Nous trouvons, pour la plupart des pays, des résultats analogues à ceux que nous trouvons pour les hommes, mais ces résultats sont bien moins tranchés. Voyez la Hollande (fig 2) : A l’âge où les tilles hollandaises se marient le plus, de 25 à 30 ans, les veuves se marient moitié plus souvent qu’elles, et la même différence se poursuit aux âges suivants. Même chose en Suisse (fig. 4), à très peu de chose
- près. Même résultat aussi pour l’Angleterre (fig. 8). Il y a pourtant deux exceptions, l’une concerne la ville de Berlin (fig. 9) où les veuves, la trentaine une fois passée, se marient presque exactement comme les filles. En France (fig. 5), elles se marient un peu moins, sauf les jeunes veuves, à qui le veuvage paraît pesant dans tous les pays.
- On le voit, « le doux état de veuve » n’est généralement pas apprécié. Si le mariage paraît laisser de bons souvenirs aux hommes, il n’en laisse évidemment pas de trop mauvais aux femmes, excepté en France pourtant. Les maris français seraient-ils donc plus méchants que les autres? Je préfère croire qu’ils sont au contraire trop bons, et qu’ils laissent des veuves absolument inconsolables.
- Non>br« de mariages
- pou»* 1000 vivants.
- Fig. 6.
- DÉPARTEMENT DE LA SEINE (1861-65.).
- Fig. 5.
- FRANCE (1856-65)
- Nuptialité à chaque âge, suivant l’état civil et suivant le sexe. Nuptialité à chaque âge, suivant le sexe et suivant l’état civil.
- Quelle que soit la cause de la petite nuptialité des femmes françaises, c’est une tendance qu’il faut déplorer au point de vue social, au lieu de l’encourager comme les lois de 1804 ont eu le tort de vouloir le faire (art. 206, 380, 395, 396 du Code civil).
- Les femmes divorcées donnent une courbe assez analogue à celle des hommes divorcés Jusqu’à 30 ans environ, elles se marient moins que les filles. La différence est même très sensible. Mais à partir de cet âge, elles se marient deux fois plus que les filles, c’est-à-dire qu’elles sont encore plus portées au mariage que les veuves elles-mêmes. Et cette différence se perpétue jusqu’à la fin de la vie.
- Aux résultats que je viens de résumer, et qui sont encore inédits1, il convient de comparer ceux que
- 1 Voyez pour plus de détails les Annales de Démographie internationale, 1879, Bulletin de la Société d’An-
- l’étude de la mortalité par âges et par états civils a fournis à mon père. Il a montré :
- 1° En ce qui concerne les hommes, que à chaque âge, la mortalité des célibataires l’emporte sur celle des hommes mariés; et que la mortalité des veufs l’emporte, et l’emporte de beaucoup sur celle des époux, et sur celle des célibataires.
- 2° En ce qui concerne les femmes, on observe généralement les mêmes différences, mais elles sont moins marquées, et même moins constantes. Ainsi les femmes se passent de nous plus aisément que nous ne nous passons d’elles.
- Ces résultats, qu’on retrouve dans tous les pays, et que nous développerons ici dans un autre article, concordent si parfaitement avec les nôtres, que l’on peut affirmer qu’il y a entre eux une relation :
- thropologie, séance du 21 novembre 1878 et séances suivantes.
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- Le veuvage est nuisible pour les hommes? aussi voyez comme ils le fuient. Il est moins fâcheux pour les femmes ? aussi le fuient-elles avec moins de zèle que les hommes.
- C’est surtout aux jeunes hommes qu’il est préjudiciable (il double leur mortalité), aussi la nuptialité
- N o rr, br • d e n\ ar i âge s pour 1000 vivant*.
- Fig 7
- BELGIQUE (1851-60).
- Nuptialité à chaque âge, suivant le sexe et suivant l’état civil.
- Voir la légende des figures 1 et 2.
- des jeunes veufs est énorme comparée à celle des célibataires du même âge.
- On peut donc regarder comme probable que ces deux ordres de phénomènes, ont sinon des causes communes, du moins des causes liées entre elles par quelque rapport constant.
- Quelles sont donc les causes que l’on a assignées à la mortalité si différente des célibataires, des mariés et des veufs? Le docteur Bertillon a imaginé
- deux causes différentes qui sans doute contribuent chacune pour leur part, à les produire :
- Cela pourrait être d’abord ce que notre auteur a appelé îa sélection du mariage. Pour se marier en effet, il faut certaines qualités de santé et de fortune que tout le monde n’a pas.
- Tous les bossus, boiteux et autres infirmes, gens naturellement malingres et plus sujets à la mort que les autres, restent forcément célibataires et doivent aggraver la mortalité de cet état civil. Au contraire, les gens mariés sont des hommes recher-
- Nombre de mariages
- pour lUUUv.vi
- Fig. 8.
- ANGI.ETEUIIE (1857-66).
- Nuptialité par âges, suivant le sexe et suivant l’état civil.
- cliés pour leurs qualités physiques, morales et pécuniaires.
- Ce raisonnement est séduisant ; malheureusement il est sujet à de fortes objections que l’auteur a prévues. La conscription, qui laisse aux filles tous les infirmes du pays, vient en effet brouiller nos conclusions. De plus, il est établi que les pauvres ont plus d’enfants que les riches, et rien ne démontre qu’ils se marient moins qu’eux, au contraire. Enfin les veufs, qui présentent une mortalité si élevée, ont été, eux aussi, les élus du mariage. Pourquoi donc meurent-ils plus que les célibataires eux-mêmes?
- Selon mon père, c’est probablement parce qu’une autre cause intervient. C’est l’influence propre du mariage qui crée une vie régulière que le célibataire, vivant le plus souvent sans le contrôle de personne, ne connaît pas. L’homme qui rompt avec ces saines habitudes, en souffre. Aussi, se suicide-t-il plus que
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- LA NATURE,
- les gens mariés, et même plus que les célibataires. La l'olie l’atteint plus fréquemment. M. Janssens, de Bruxelles, a prouvé que la phthisie le frappe plus souvent, etc.
- Ce malaise physique et moral, mes chiffres tendent à montrer qu’il le ressent profondément et qu'il cherche à s’y soustraire par un nouveau mariage.
- L’explication de la sélection du mariage est ici d’une insuffisance manifeste. Les impropres au service militaire ne constituent en effet qu’un tiers de la population masculine, et il s’en faut de beaucoup
- N ombre demariagc» pOur 1000 vivant.*.
- VILLE DE BERLIN (187S-76).
- Nuptialité à chaque âge, suivant l’état civil et le sexe.
- que tous ceux qui sont jugés impropres au rude métier des armes soient pour cela incapables de se marier. Admettons pourtant une telle exagération la nuptialité de ces élus du mariage ne devrait surpasser de ce chef que de 50 pour 100 celle des célibataires; or, à tous les âges nous avons vu qu c’est de 500 à 400 pour 100 qu’elle la dépasse. Dira-t-on que le mariage crée la sélection de la richesse? Le fait est possible, mais nous avons indiqué qu’il est aussi très contestable, et qu’aucun document ne le fait même supposer.
- On invoquerait avec plus de raison les causes morales. Les gens qui se marient sont des gens qui se sentent faits pour la vie de famille. N’est-il pas remarquable qu’ils conservent ce goût après un
- premier mariage? Mais les chiffres qui les concernent sont si élevés qu’on peut croire sans erreur que l’ennui du veuvage (nous pourrions dire ses dangers), ajoutent encore à leur goût pour la vie conjugale, malgré la présence de leurs enfants.
- On peut supposer qu’au contraire la présence des enfants favorise le mariage. Il est certain qu’un veuf chargé d’enfants doit être enchanté de trouver quelqu’un qui se charge d’eux. Mais à côté de cette question s’en présente une autre : Est-il bien facile à un tel veuf de trouver une femme qui soit heureuse d’adopter une nichée d’enfants qui ne sont pas d’elle? C’est comme dans la chanson : Il ne tiendrait qu'à moi de l'épouser, si elle voidait. Entre ces deux volontés contraires, quelle est la plus forte? L’absence de documents statistiques laisse ici le choix au lecteur. Ce qui est incontestable et important, c’est l’inégale nuptialité des veufs et des célibataires. Le reste est, jusqu’à nouvel ordre, affaire d’appréciation.
- Une autre explication qui doit avoir une grande part de vérité a été développée par M. Broca : c’est que l’existence de beaucoup d’hommes est fondée justement sur la vie à deux. Dans le commerce, dans les petites industries, à la campagne, etc., la présence d’une femme est indispensable, non seulement au bonheur de l’homme, mais même à ses intérêts. Toutefois cette explication ne doit pas avoir une influence prépondérante, car dans le jeune âge, à une époque où l’homme n’a pas encore d’établissement, nous voyons la nuptialité des veufs dépasser celle des célibataires, plus encore qu’à tous les autres âges. Jacques Bertillon.
- ACADÉMIE DES SCIENCES.
- Séance du 23 décembre 1878. — Présidence de M. Fizeau.
- Géologie. — En entrant dans la salle n remarque le long du mur une très belle carte géologique de l’Espagne et du Portugal. Elle a pour auteur don Frederico de Bo-tello y de Ileornos et résulte de recherches poursuivies de 1848 à 1875.
- Mayer. — On annonce après plusieurs mois, la mort d’un des plus illustres cori’espondants de l’Académie, Jules-Robert Mayer. En même temps on sollicite des souscriptions pour lui élever un monument.
- Candidatures. — Le secrétaire perpétuel lit successivement deux lettres écrites l’une par M. Lory, l’autre par M. Albert Gaudry, qui désirent être comptés parmi les candidats à la place vacante daus la section de minéralogie par le décès de M. Delafosse.
- Chimie organique. — Il y a plusieurs mois déjà, nous avons dit comment M. Vincent a extrait des quantités énormes de chlorhydrate de trimélhylamine des vinasses de betteraves soumises à la distillation. On a pu en retirer beaucoup de cette ammoniaque composée et voir comment elle se comporte vis-à-vis de divers réactifs. Avec le sulfure de carbone elle donne ce résultat intéressant de développer la réaction que théoriquement on imagine entre l’ammoniaque et l’acide carbonique mais qui pratiquement ne se idéalise jamais. On sait que cette réaction consisterait dans la production de l’urée. Or la tri— méthylamine donne avec le sulfure de carbone une véri-
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- table urée, du sulfocarbonate de triméthylamine et non pas du sulfocarbonate.
- Physiologie de la pieuvre. — Poursuivant le cours de ses exercices intéressants, M. Frédéricq, fait voir aujourd’hui que si le poulpe agacé change de couleur, comme ferait un caméléon marin, c’est à la structure même de sa peau qu’il doit cette faculté. Le pigment coloi’é est contenu dans des enveloppes, dites chromatophores dans le tissu desquelles sont des fibres musculaires actionnées par des nerfs. Si les fibres sont relâchées c’est un pigment pâle qui est seul visible ; mais il est remplacé par un pigment foncé si les fibres se contractent. Poussant plus loin l’auteur croit avoir reconnu que le centre nerveux qui domine ses actions est le ganglion sous-œsophagien.
- Vers solitaires. — Ce pluriel est de circonstance car les Parisiens jouissent de deux vers parfaitement distincts, le tænia solium et le tœnia mediocanellata. Au nom de M. Poirier, aide-naturaliste au Muséum, M. de Lacaze Duthiers, présente une très belle préparation du système vasculaire de l’un de ces animaux. Il ajoute quelques remarques qui concernent l’hygiène. Le tænia solium transmis par la chair de porc, a l peu près complètement disparu à Paris, grâce aux mesures de police qu’on a prises à son égard. Au contraire le tænia mediocanellata est très répandu et cela vient de ce que la viande de veau, de bœuf et de mouton qui la donne n’est pas surveillée dans les abattoirs avec un soin comparable. Il est évident que l’attention de l’administration devrait être appelée de ce côté.
- L'explosion de l'École normale. — Nos lecteurs n’ont pas oublié l’accident survenu il y a quelques semaines à M. Zédé, qui étudiait à l’École normale la composition à donner à une poudre propre à fuser, mais ne détonant pas. Cette poudre consistait dans un mélange à parties égales de fulmi-coton et d’azotate d’ammoniaque. On l’enflammait dans un tube de bronze ayant une lumière de 6 millimètres de large. Trente expériences avaient été faites lorsque l’auteur ayant amené la lumière à n’avoir plus que 5 millimètres, voulut le répéter dans ces nouvelles conditions. Il y eut alors une explosion épouvantable; le tube fut brisé en soixante morceaux qui traversèrent le toit du laboratoire et pénétrèrent de 4 centimètres dans un mur en briques ; l’opérateur eut une cuisse brisée. M. Dupuy de Lôme, annonce que la Commission des poudres et salpêtres étudie le sujet avec un soin très attentif.
- M. Henri Sainte-Claire Deville ajoute que le fait rentre dans une catégorie déjà nombreuse. Il rappelle qu’il faut bien peu de modifications pour transformer une fusée en pétard, c’est-à-dire par faire qu’une matière fusante devienne explosive. Il cite aussi ce fait très intéressant constaté par M. Abel : on place 0 gr. 2 de chlorure d’azote dans un verre de montre et on le fait détoner avec un morceau de phosphore : le bruit est épouvantable, mais non brisant et le verre de montre souvent n’est pas cassé. Eh bien, qu’on dispose la même expérience en ayant soin de souffler sur le chlorure de façon à y déposer une vraie bourre d’humidité qui n’a certes pas un millième de millimètre d’épaisseur ; dans ce cas on constate que l’explosion est moins bruyante, mais les effets sont bien différents. Non seulement le verre de montre est pulvérisé, mais la table elle-même qui le supportait est percée
- Élection. — La place d’académicien libre laissée vacante par le décès de M. Belgrand, est attribuée à M. Da-mour par 48 suffrages sur 61 votants. M. Léon Lalanne réunit 10 voix, M. la Roncière-le-Nourv, 5.
- „ Stanislas Meunier.
- MÉTÉOROLOGIE DE NOVEMBRE 1878
- Ce mois est remarquable par l’absence presque complète de zones à fortes pressions barométriques : les cartes seules du 19 et du 20 présentent un anticyclone bien caractérisé tandis que c’est à peine si nous voyons le 2, le 3, le 9 et le 30 la ligne 770mm faire une courte apparition près de nos côtes occidentales. Aussi le 19 et le 20 sont les seuls jours qui soient beaux sur toute la France océanienne.
- Pendant ce mois des dépressions nombreuses se succèdent principalement dans le nord et l’ouest de l’Europe, le ciel est généralement couvert, les vents d’entre S. et 0. dominent et la pluie est considérable. Au parc Saint-Maur, l’eau s’est élevée à 74mm.
- Si l’on compare l’ensemble des cartes de novembre 1878 avec celles de novembre 1876 déjà publiées on est frap*pé du contraste qu’elles présentent. Les anticyclones dominent constamment en novembre 1876 et la ligne de pression 770mm disparaît seulement pendant 4 jours ; aussi, pendant cette année, novembre a-t-il été aussi clair et aussi sec qu’il a été sombre et pluvieux en 1878. ^
- Les bourrasques de ce mois ont présenté en outre un caractère très remarquable, c’est leur fixité. Il semble que le mouvement général de translation qui entraîne l'atmosphère de l’O. à l’E. à la surface de l’Europe se soit ralenti pendant certains jours. Nous en verrons 2 exemples remarquables, l’un pendant la première, l’autre pendant la seconde décade.
- lre Décade. — 4 dépressions sont à signaler : la plus importante dont le eentre se trouve le 1er sur la Baltique séjourne dans cette mer pendant une semaine, s’y transportant successivement du S. au N., de l’E. à l’O. et inversement. Son action s’étend jusqu’à la France où elle cause des vents d’entre O. et N. et une température très basse.
- 2e Décade. — 4 autres dépressions se montrent également du 10 au 20.
- La principale apparaît le 12 au sud de l’Angleterre, près des îles Scilly où le vent est violent d’O. N. O. et la mer grosse. Elle est indiquée seulement par une déformation de la courbe 745mm. Dans la soirée elle se creuse et son influence commence à se faire sentir sur la Manche : la pression la plus basse est alors près de Jersey.
- Le 13, au matin, son centre ayant marché lentement s’est approché du Havre. Le 14, il est entre le Havre et Dunkerque, et le soir reste sensiblement au même point.
- Le 15 au matin, nous le retrouvons dans le nord de l’Allemagne entre Cuxhaven et Borkum ; la dépression s’est donc avancée vers l’est rapidement dans la nuit du 14 au 15 : elle a formé un cyclone d’une ampleur et d’une énergie considérables dont l’action s’étend sur toute l’Europe : des tempêtes, des pluies et des orages intenses l’accompagnent. Le 15 au soir, rétrogradant vers O. en conservant son éner-
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- gie, le cyclone revient près île la côte anglaise, et nous le retrouvons sensiblement à la même place le 16 matin et soir, et le 17 matin et soir, mais, le 17, il commence à s’épuiser.
- Le 18, la bourrasque se transporte enfin vers le sud, traverse la France rapidement et disparaît vers la Méditerranée.
- Ce cyclone que nous avons pu voir naître le 12,
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- Vendredi 1 Samedi 2 Dimanche 3 Lundi4 Mard i 5
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- Mercredi 6 Jeudi 7, Vendredi 8 Samedi 9 Dimanche 10
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- Lundi 11 Mardi 12 Mercredi 13 Jeudi 14 Vendredi 15
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- Samedi 16 Dimanche 17 Lundi 18 Mardi 19 Mercredi 20
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- Jeudi 21 Vendredi 22 Samedi 23 . Dimanhe24 Lundi 25
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- Mardi 26 Mercredi 27 Jeudi 28 Vendredi 29 Samedi-30
- CARTES QUOTIDIENNES DU TEJIDS EN NOVEMBRE 1878 D’après le Bureau cetral météorologique de France. (Réduction 1/8.)
- se développer, sévir en tempête pendant les journées du 15 et du 16, puis décroître et mourir le 18, est un des plus importants que les cartes météorologiques aient mis en évidence jusqu’ici.
- 3e Décade. — 5 autres dépressions se montrent encore sur l’Europe ; l’espace nous manque pour les décrire. Notons seulement que le froid qui règne de-
- puis le 1er novembre, s’interrompt du 27 au 28 et que la température moyenne du mois est inférieure de plus de 1° à la moyenne normale.
- E. Fron.
- Le Propriétaire-Gérant: G. Tissandier.
- CORBEIL. — IMPRIMERIE CftÉTÉ.
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- N° 292. — 4 JANVIER 1879.
- LA NATURE,
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- LES BATRACIENS DE FRANCE
- LA RAINETTE VERTE.
- Vers le commencement d’avril, des cris stridents troublent nos nuits de printemps ; la note est vibrante, brusquement attaquée, plusieurs fois répétée ; l’on dirait, suivant Lacépède, une meute de chiens qui aboient au loin ; les mots krac, krac, krac ou carac, carac, carac.... prononcés rapidement et de la gorge, rendent bien l’effet produit par cette discordante musique, lorsque, secouant l’engourdissement de l’hiver, la Rainette s’éveille
- et se met à pondre au bord de quelque marécage caché par de grands arbres.
- Les œufs, qui tombent en général au lond de l’eau, forment des paquets comme ceux des grenouilles, mais ces paquets sont beaucoup plus petits et moins nombreux. Du douzième au quinzième jour après la ponte, suivant la température, il sort de l’œuf un petit têtard, à tête assez large, dont le ventre globuleux et très gros se détache en relief des faces latérales de la queue; le dessus du corps est vert, marbré de jaune et de brun ; le ventre est blanc brillant ; la queue, à stries très fines et très rapprochées, présente sur un fond gri-
- La Rainette verte.
- sâtre trois cordons longitudinaux de couleur jaunâtre. Deux mois et demi environ après l’éclosion la queue du têtard se résorbe et les jeunes Rainettes cherchent à quitter l’eau. L’entier développement de l’animal ne s’effectue, du reste, qu’avec lenteur; ce n’est que vers l’àge de quatre ans qu’il est en état de perpétuer l’espèce ; jusqu a cet âge il est presque muet.
- Aussitôt la ponte accomplie, la Rainette est sur les arbres, sur les branches desquels elle saute avec la plus grande agilité; lorsque les beaux jours sont venus on les voit se jeter sur les insectes qui passent à portée, les saisissant rapidement au moyen de la langue qui peut se renverser ; ses allures ressemblent assez à celles du chat qui guette un oiseau ou une souris ; c’est en sautant quelquefois à (7* iBcéf.— 1 r suuesin.)
- près d’un pied de distance qu’elle s’élance sur sa proie. Elle paraît plus stupide que les grenouilles qui craignent et évitent le danger ; se fiant peut-être sur la couleur trompeuse de son corps qui s’harmonise merveilleusement avec la teinte des feuilles qui l’entoure, elle se laisse saisir sans quitter la place où elle était tapie.
- « En automne, écrit M. Lataste, quand elles retrouvent la parole après un silence de quelques mois, les Rainettes sont moins bruyantes qu’au printemps. Chacune alors chante isolément; elles se répondent l’une à l’autre dans la feuillée, surtout les jours d’orage ; mais elles ne forment plus ces chœurs étourdissants des mois d’avril et de mai. Alors elles se taisent plus volontiers la nuit, surtout dans l’arrière-saison, tandis qu’au printemps on ne
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- LA NATURE.
- les entendait pas le jour. Le mot kroé exprime assez la note plus lente, moins criarde, moins fréquemment et moins rapidement répétée, qu’elles émettent à cette époque. » Lorsque la mauvaise saison est arrivée, la Rainette se terre dans la vase et volontiers par petites compagnies.
- La Rainette est trop connue pour qu’il soit utile de la décrire ici. Disons seulement qu’elle ressemble à une petite grenouille, à cette exception près que les doigts, au lieu de se terminer par une extrémité effilée, sont élargis en une sorte de ventouse; la membrane qui réunit les doigts est courte, bien quelle se prolonge en forme de bordure le long de leurs deux côtés ; la tête est courte, les yeux sont >ssez saillants, l’oreille est très visible. La peau, tout à fait lisse sur le dos, est fixement granuleuse sous le dessous du corps. En général, la Raine est du plus beau vert, avec quelques nuances jaunes vers les pattes de derrière ; une étroite bande jaunâtre, surmontée d’un cordon de couleur brunâtre, s’étend entre l’œil et l’épaule; les orteils présentent une teinte rosée; le dessous du corps est blanchâtre, avec quelques rellets bleuâtres; sur l'iris, de couleur d’or, la pupille se détache en ovale de couleur noire.
- La coloration du corps peut, du reste, varier suivant les circonstances et l’on voit parfois des Rainettes qui, du plus beau vert, passent au jaunâtre; d’autres sont violacées et tournent même au noir ; cette propriété de changer de couleur n’est pas spéciale à la Raine et toutes nos grenouilles sont dans le même cas. D’après M. Fatio, la chaleur, la lumière, la sécheresse tendent à éclaircir les nuances des Batraciens, tandis que le froid, l’obscurité et l’humidité produiraient l’effet inverse. Ce changement de coloration est certainement sous l’influence du système nerveux; de même que chez le Caméléon, la couche pigmentaire de la peau se compose de deux ordres de cellules superposées : les unes étoilées et de couleur sombre, les autres plus petites de forme ovalaire, mobiles et contractiles ; on comprend facilement, que par action réflexe, ces deux ordres de cellules suivant qu’elles se dilatent où se contractent, suivant les positions réciproques qu’elles prennent entre elles, peuvent faire varier la teinte générale de l’animal. Cette coloration est tellement sous l’influence de la vie que si l’on prend un animal du violet le plus profond et que l’on vienne à le plonger dans un flacon d’alcool, les couleurs normales apparaissent au fur et à mesure que meurt l’animal.
- Comparées aux Grenouilles, les Rainettes ne présentent d’autre différence que celle qui consiste dans l’élargissement en disque de l’extrémité libre des doigts; ce caractère est important; il coïncide en effet, avec un genre de vie tout spécial à ces animaux. Tous sans exception, hors le temps de la ponte, se tiennent sur les arbres, jouissant, au moyen de ces sortes de ventouses dont leurs pieds et ieurs mains sont pourvus, de se tenir sur les
- feuilles les plus lisses et de courir le long des surfaces les moins rugueuses.
- L’Amérique est la patrie par excellence des Hyl-veformes, quoique le groupe soit répandu dans le monde entier ; l’Europe est des moins bien partagée; on n’y trouve, en effet, qu’une seule espèce appartenant au genre Rainette proprement dit, la Rainette verte ou commune ; cette espèce se retrouve en Chine et au Japon.
- Bien que fort commune, la Raine semble avoir peu attiré l’attention des anciens auteurs. Pline nous apprend qu’il y a en Italie une petite grenouille qui grimpe aux arbres et qui y chante. Rondelet nous dit qu’il « faut mettre au nombre des crapaus la Raine qui s’appelle Dryophyte, en françois, naiée aux arbres, c’est-à-dire que l’on trouve aux chesnes, figuiers et autres arbres, é fort verte, de laquelle couleur avec le calamite est distinguée des autres. » Depuis le naturaliste du seizième siècle, tous les auteurs qui ont traité des quadrupèdes ovipares, comme l’on disait autrefois, ont parlé de la Rainette et nous n’entreprendrons pas de mentionner les nombreuses citations que l'on trouve dans leurs écrits.
- E. Sauvage.
- LE CIEL EN 1879
- A tout seigneur tout honneur. Commençons par le Soleil, notre exposition annuelle des faits intéressants à observer au ciel dans le cours de 1879.
- Une lunette de moyenne puissance suffit pour reconnaître ses taches et les dessiner. Le minimum des taches solaires est arrivé en 1877. Le nombre commence à s’élever maintenant. En 1879, il sera déjà assez fort, car l’activité solaire n’emploie que trois années et demie à atteindre son maximum, tandis qu’elle emploie sept ans et demi à retomber à sa phase minimum. C’est en 1881 que ces taches si curieuses et encore si énigmatiques atteindront le nombre de 300. On pourra donc avec intérêt diriger cette année tout instrument d’optique sur le Soleil, et il n’y aura guère de jours sans qu’on aperçoive plusieurs taches plus ou moins étendues, posées à sa surface et montrant d’elles-mêmes par leur translation le mouvement de rotation du Soleil.
- L’année 1879 compte deux éclipses de Soleil et seulement une de Lune. La première est une éclipse annulaire de Soleil invisible en France; elle arrive le 22 janvier prochain. La seconde est aussi une éclipse annulaire de Soleil, mais visible à Paris. Elle arrivera le 19 juillet. Commencement à 7h,46ni du matin, milieu à 7h,56m, fin à 8h,5m.
- Par un curieux effet de la marche de la Lune devant le Soleil et de la position de la France sur le globe terrestre, la ligne boréale de simple contact coupe le nord de notre pays, de telle sorte que cette éclipse annulaire, qui sera vue centralement en
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- LA NATURE.
- G7
- Afrique, au sud de l’Algérie, déjà un peu obliquement en Algérie, très obliquement en Espagne et en Italie, encore plus obliquement dans le midi et le centre de 'la France, sera à peine sensible à Paris, car il n’y aura plus qu’un petit fragment du bord austral du disque solaire qui sera éclipsé par le bord septentrional de la Lune : il n’y aura que les 13 millièmes du Soleil de cachés par la Lune; ce sera à peine visible, tandis qu a Lyon et à Bordeaux il y a 108 millièmes, à Toulouse 152, à Marseille 180 et à Alger 355. Au nord de Paris, dès Compiègne, on ne verra plus rien du tout, la parallaxe de la Lune la projetant juste en dehors du Soleil.
- La limite boréale de l’éclipse est tracée sur la carte de France par une ligne tirée de Quimper sur Pontorson, Argentan, Évreux, Soissons, Rethel, et prolongée sur Trêves et Mayence. Les pays situés au nord de cette ligne ne devront point apercevoir la moindre trace de l’éclipse. Les pays situés au sud devront apercevoir une échancrure d’autant plus marquée qu’ils en seront plus éloignés. Aussi sera-l-il très intéressant d’observer celte légère phase de Paris et des environs, de Versailles, Dreux, Laigle, Alençon, Rennes, Vannes à l’ouest, ainsi que de Meaux, Château-Thierry, Epernay, Reims, Châlons, Verdun, Metz à l’est. A Orléans, Tours, Angers, Troyes, Chaumont, Nancy, Strasbourg, la phase sera déjà assez sensible. 11 est rare que la limite d’une éclipse passe précisément par une région aussi habitée que la nôtre, d’où l’on puisse si facilement vérifier l’exactitude des calculs des astronomes. La Nature recevra avec plaisir les observations qui auront été faites à cet égard. Examiner combien de minute ou seulement de secondes on verra le bord du Soleil échancré : ce sera un moyen agréable et facile de constater avec précision la limite à laquelle l’éclipse se sera arrêtée. A partir de 7h,46m (heure des chemins de fer), tenir l’œil attaché sur le bord inférieur du Soleil. La phase maximum arrivera vers 7h,56m, la fin dix minutes plus tard. L'observation sera de vingt minutes au plus pour Paris, d’un quart seulement au nord, et de quelques minutes et moins encore pour la limite de la zone.
- On suivra facilement cette limite boréale de l’éclipse sur la petite carte de France ci-dessus. 11 ne faudrait pas consulter pour ce détail la carte de la Connaissance des Temps, sur laquelle le tracé de la France est loin d’être exact, et dont le canevas géographique est si peu soigné qu’on fait passer le méridien de Paris par l’Angleterre.
- Nous avons également dessiné quatre figures géométriques de l’éclipse pour les quatre phases qui nous intéressent le plus : 1° la phase centrale, visible chez les peuplades de l’Afrique centrale qui en subiront sans doute une mortelle frayeur; 2° la planète d’Alger et du nord de l’Algérie ; 3° la phase de Marseille et du midi de la France; 4° la phase de Paris et de la zone sur laquelle nous avons appelé l’attention. La première est tracée à l’échelle de un
- demi-dixième de millimètre pour une seconde. Le disque noir de la Lune a 46mm,3 de rayon pour 926", et le disque lumineux du Soleil 47mm,3 pour 947", de sorte que, malgré la grandeur de la figure l’anneau solaire de leclipse centrale n’a encore que un millimètre d’épaisseur (fîg. 2). Les trois autres ont pu être réduites de moitié (fig. 3, 4 et 5).
- La dernière éclipse totale de Soleil, celle du 29 juillet de l’année dernière, qui était invisible en France a été observée dans tout le territoire des Etats-Unis et a donné à la science d’importants résultats.
- La troisième éclipse de 1879 sera une éclipse partielle de Lune, en partie visible en France. Elle aura lieu le 28 décembre. Notre satellite entrera* dans la pénombre projetée par l’atmosphère terrestre à deux heures de l’après- midi ; elle pénétrera
- Fig. 1. — Carte marquant la limite boréale de l'éclipse de Soleil du 19 juillet 1879.
- dans le cône d’ombre de la Terre à 3h,47m. Milieu de l’éclipse à 4h,35m ; sortie de l’ombre à 5h,24m; sortie de la pénombre à 7h,9m. Ce jour-là la Lune se lèvera à 4b,lm du soir, déjà en partie éclipsée Elle n’aura au maximum de l’éclipse, que les 167 millièmes de son disque d’obscurcis.
- Nous n’avons pas besoin de rappeler à nos lecteurs, que quant à la Lune, ils devront toujours choisir pour l'observer les soirées qui précèdent ou avoisinent l’époque du premier quartier. Alors Jes reliefs étonnants de la topographie lunaire sont éclairés obliquement par le soleil levant et projettent de profondes ombres noires qui les accusent nettement, tandis qu’à l’époque de la pleine Lune tout est plat à cause de l’éclairement normal du soleil. Il n’y a guère de spectacles astronomiques plus saisissants que celui du globe solitaire de la nuit observé à l’époque du premier quartier.
- La Lune passera en 1879 devant tin certain nom-
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- LA NATURE.
- bre d’étoiles brillantes. Voici les principales occultations visibles à Paris.
- La plus intéressante sera celle de l’étoile de lre grandeur, Alpha du Scorpion ou Antarès qui aura lieu le 28 juillet. L’immersion de l’étoile derrière le disque lunaire aura lieu à 9h,48m du soir; l’émersion ou la sortie du disque lunaire aura lieu à 10h,26m. Ceux qui observeront cette occultation à l’aide d’une bonne lunette, pourront remarquer qu’Antarès est une étoile double et qu’elle a un petit compagnon bleu, qui fait contraste avec la couleur rouge de l’étoile principale. Ce compagnon est situé juste à l’ouest, et c’est précisément lors
- d'une occultation, qu’on a découvert sa duplicité.
- Aucune planète ne sera occultée par la Lune. Les étoiles les plus brillantes après Antarès seront : Héta du Taureau, de 3e grandeur, occultée le 1er février, de lh,22ni du matin à lh,52ul. Pi du Scorpion, de même grandeur, occultée le 14 février, de 5h,7m du matin à 6h,17ra; Delta des Gémeaux, de même grandeur, aussi occultée, le 4 novembre, de llh,lm du soir à llh,50; Epsilon des Gémeaux, de 3e grandeur 1/2, qui frôlera seulement la Lune, le 7 janvier à 5h,20ra du soir; 17 Taureau de 4e grandeur, occultée le 31 janvier de llh,50m du soir à minuit 53m ; 27 Taureau, de même grandeur, qui
- Fig. 2. — Eclipse annulaire centrale du 19 juillet 1819, visible eu Afrique.
- frôlera la Lune le 1er février à 2h,10m du matin, et qui sera occultée le 10 août, de minuit 52m à lh du matin. Omicron du Lion qui sera occultée le 5 décembre, de 2h,30m du matin à 5h,30ra; Têta du Verseau, de 4e grandeur 1/2, le 24 octobre, de 7h,21m du soir à 8h,39m; enfin, Pi du Lion, de 4° grandeur 1/2 également, le 8 novembre de 5h,15m du matin à 6h,20m. Nous ne signalerons pas les étoiles de 2e grandeur et au-dessous parce qu’elles sont moins intéressantes à observer.
- Examinons maintenant quelles seront les époques les plus favorables pour l’observation des planètes.
- La planète la plus proche du Soleil, Mercure s’é* cartera le plus de l’astre du jour aux époques suivantes. On sait que ce sont les seules époques où
- l’on puisse avoir quelque chance de distinguer au-dessus de l’horizon.
- Le 16 janvier, il avance sur le Soleil de 1\35“ et est visible le matin.
- Le 29 mars, il retarde sur le Soleil de l*,llm et est visible le soir.
- Le 19 mai, il avance sur le Soleil de lh,41m et est visible le matin.
- Le 26 juillet, il retarde sur le Soleil de l\52m et est visible le soir.
- Le 9 septembre, il avance sur le Soleil de l\10m et est visible le matin.
- Le 20 novembre, il retarde sur le Soleil de lh,18m et est visible le soir.
- Le 29 décembre, il avance sur le Soleil de P,35* et est visible le matin.
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- C’est vers ces époques seulement qu’on pourra les trouver. Il est visible à l’œil nu comme une belle étoile blanche ressortant du ciel crépusculaire. Pans une lunette, on ne le verra pas rond, mais en demi-lune, parce que ne brillant, comme la Terre, que par la lumière qu’il reçoit du Soleil, et for-
- mant un angle droit avec cet astre, nous ne voyons dans ces positions que la moitié de son hémisphère éclairé.
- Les Anciens avaient fort bien remarqué ces périodicités dans la visibilité de Mercure, qui semble jouer à cache-cache avec la lumière et ne se mon-
- Fig. 5. — Phase centrale de l’éclipse à Alger
- tre que le soir ou le matin avant le jour. Ils l’avaient surnommé le dieu des voleurs.
- Mercure est un monde dont nous connaissons aujourd’hui la distance, le volume, le poids, la densité, les saisons, l’atmosphère et les climats. Il est plus petit que la Terre, et c’est la plus petite, mais la plus dense des planètes de notre système.
- La seconde planète,
- "Vénus, gravite comme Mercure dans une orbite intérieure à celle de la Terre, et nous offre par conséquent des phases comme Mercure, et sur une plus grande échelle.
- Elle s’écarte davantage du Soleil, car dans ses plus longues élongations elle peut présenter une différence de trois à quatre heures avec lui, se lever plus de trois heures avant lui, et se coucher plus de trois heures après. Elle n’est donc jamais visible à minuit ; mais c’est « l’étoile du matin » et « l’étoile du soir. » Son éclat lui a valu depuis les temps les plus reculés la palme de toutes les beautés du ciel.
- Elle est passée derrière le Soleil au mois de décembre dernier, et depuis cette époque elle re-
- Fig. 4. — Phase centrale de l’éclipse k Marseille.
- tarde de plus en plus sur lui. Elle passera au méridien, 2 heures après lui le 14 avril, retardera de 2h 1/2 le 10 mai, de 3h le 7 juin, de3h,8m, le 15 juillet, jour de sa plus grande élongation. Ce sera l’époque la plus favorable pour l’observer comme étoile du soir. Puis elle se rapprochera insensiblement du Soleil pour arriver à passer devant lui, tout près, mais non exactement sur son disque le 23 septembre. A partir de cette époque elle deviendra étoile du matin. Elle avancera de 2h sur le Soleil le 12 octobre, de 3h le 6 novembre, de 3h,15m le 4 décembre, jour de sa seconde élongation, et ensuite elle se rapprochera de nouveau des rayons solaires, se levant de plus en plus lard.
- Nos lecteurs savent depuis longtemps que Vénus est un monde de même dimension que le nôtre, et qui offre la plus grande analogie avec la Terre.
- La planète Mars est passée en 1877 à sa plus grande proximité possible de la Terre, à 14 millions de lieues, ce qui nous a permis de continuer l’étude de sa constitution physique et de sa géogra-
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- phie. Grâce à la situation de cette planète juste derrière nous à l’opposé du Soleil, c’est aujourd’hui le monde que nous connaissons le mieux. Son année dure un an terrestre et 322 jours. Les saisons ont la même intensité que les nôtres et sont deux fois plus longues; on distingue dans ses climats trois zones géographiques comme ici : torride, tempérée et glaciale ; ses pôles sont couverts de neige que l’on voit fondre sous les chaleurs de l’été; son ciel est plus chargé de nuages en hiver qu’en été; ses nuages sont formés de la même eau que les nôtres; les êtres vivants y pèsent trois fois moins qu’ici ; sa géographie nous montre plus de terres que de mers, et, au lieu de vastes océans analogues à ceux qui recouvrent notre planète, on voit des méditerranées entrecoupées dont les golfes pénètrent profondément dans les terres. Les contii nents nous apparaissent teintés d’une nuance jaune rougeâtre qui ferait penser que les végétaux quelconques qui les tapissent sont non pas verts comme ici, mais jaunes ou rouges. Cette couleur rouge, visible à l’œil nu, est certainement la cause de l’attribution au dieu de la guerre dont Mars a été l’objet dès la plus haute antiquité. Cette planète est restée dans le voisinage de la Terre, en opposition avec le Soleil pendant les mois d’août, septembre et octobre 1877; elle s’est éloignée ensuite pour aller passer derrière le Soleil le 18 septembre 1878; et depuis cette époque elle se rapproche de nous.
- Le 1er janvier 1879, elle passe au méridien à 9h,51ra du matin, et reste par conséquent encore invisible pour l’observateur terrestre; le 1er février, elle passe au méridien à 9h, le 1er mars a 8h,40m, le 1er avril à 8h,13m, le 1er mai à 7h,42m, le 1er juin à 7h,4m. Dès cette époque on pourra la chercher pen dant la seconde moitié de la nuit. Le 1er juillet elle passe au méridien à 6h,25m et le 1er août à 5h,55m ; on pourra l’observer dès minuit. Mais l’époque la plus favorable sera les mois d’octobre, novembre et décembre. Le 1er septembre, en effet, le passage au méridien ayant lieu à 4h,36m, et la planète est déjà à minuit fort au-dessus des brumes de l’horizon. Le 1er octobre, elle passe au méridien à 3 heures du matin et le 1er novembre à minuit 43 minutes. Le 12 de ce mois, elle arrive à son opposition et à sa plus grande proximité de la Terre. On pourra revoir les satellites, perdus de vue depuis le mois d’octobre 1877. Le lor décembre, Mars passe au méridien à 10h,5m et le lor janvier 1880 à 8 heures du soir. Il brillera donc comme une magnifique étoile rouge, dans notre ciel du sud, pendant toutes les belles soirées d’octobre à janvier. Nous pourrons sans doute continuer l’intéressante étude de cette planète voisine, dont nous avons déjà pu tracer la carte géographique.
- Jupiter sera en opposition le 31 août, jour où son passage au méridien a lieu à minuit. Le 1er août il passe au méridien à 2\llm du matin ; le 15 septembre à 11 heures du soir; le 27 à 10 heures, le 11 octobre à 9 heures, le 26 à 8 heures.
- On voit donc que vers 9 heures du soir, il brillera au sud-est en août, au sud en septembre, au sud-ouest en octobre.
- Vu dans une lunette, même de faible puissance (dans une simple longue-vue), il se présente accompagné de son cortège de quatre lunes, dont les positions relativement à lui varient non seulement du jour au lendemain, mais encore d’une heure à l’autre, ce qui peut faire l’objet d’observations intéressantes. On est toujours agréablement surpris, lorsqu’on dirige une lunette sur Jupiter, de voir, au lieu d’un point brillant, un disque circulaire aplati en haut et en bas, accompagné de quatre lunes le suivant dans son cours, et présentant sur son disque des bandes transversales qui nous montrent la condition de son atmosphère.
- Saturne incline en ce moment ses anneaux de telle sorte que nous ne les voyons que par la tranche, la Terre se trouvant dans le prolongement de leur plan, disparition qui arrive tous les quinze ans. Ce monde merveilleux se trouvera en opposition le 5 octobre, époque de son passage au méridien à minuit. Il passe au méridien à 2 heures du matin le 4 septembre, à I heure le 20, àminuit, le 5 octobre, à 11 heures le 17, à 10 heures le lor novembre, à 9 heures le 15 et à 8 heures le 30. Octobre et novembre seront donc les mois les plus favorables pour l’observer. Ses anneaux commenceront à s’ouvrir comme en 1877, il croisera et rencontrera Mars dans son cours. Cette conjonction de Mars et Saturne arrivera le 30 juin. Il sera fort curieux d’observer la différence d’éclat et de couleur de ces deux planètes passant en perspective l’une près de l’autre dans la constellation des Poissons.
- La lointaine planète Uranus, à peine visible comme une étoile de 6° grandeur, plane toujours dans la constellation du Lion. Elle va se rapprocher de Régulus, s’arrêtera, et reprendra sa marche vers l’est.
- Pour la reconnaître, une petite carte serait nécessaire, ainsi que pour découvrir Neptune, la dernière planète connue de notre grande famille solaire. Si nos lecteurs le désirent, nous publierons ces petites cartes planétaires.
- Telles sont les principales curiosités du ciel à observer pendant l’année 1879.
- Camille Flammaiuojn'.
- EXTRACTION DU MERCURE
- Voici, d’après les Annales des mines, les quantités de mercure qu’ont lournies, depuis trois siècles, les célèbres mines d’Almaden: de 1564 à 1700, 17 863 72 tonnes; de 1700 à 1800, 42 149 50 tonnes; de 1800 à 1875, 60166 38; au total, 120 179 60 tonnes qui, au prix de 12 fr. par kilogramme représentent un peu plus de un milliard quatre cent quarante-deux millions de francs.
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- L’AFGHANISTAN
- L’Afghanistan, qui se déroule à l’est de la Perse sur le prolongement du plateau Iranien, est la transition de l’Asie occidentale à l’Inde. Le Turkestan le borne au nord, i’IIindoustan à l’est, le Bélou-tchistanau sud. Placé entre la Russie et l’Angleterre, ce pays est destiné à devenir un jour le grand champ de bataille de ces deux puissances qui se disputent la domination de l’Asie. Sa situation intermédiaire en fait un trait d’union entre le monde turc et persan, d’une part, et l’Asie centrale et méridionale de l’autre ; c’est en même temps une sorte d’immense forteresse qui, entre les mains des Anglais, peut arrêter le flot du nord, et qui, au pouvoir des Russes, surplombe pour ainsi dire le riche empire de Ylnde.
- Son étendue est d’environ 800000 kilomètres carrés. Sa population est évaluée à 6 millions, mais ce chiffre ne peut être donné que sous les plus complètes réserves. Quelques voyageurs anglais prétendent qu’il faut le porter à 7 millions ; d’autres affirment, au contraire, qu’il doit se réduire à 2 millions !
- L’Afghanistan est traversé par de grandes chaînes de montagnes, qui courent la plupart de l’ouest à l’est, en s’élevant graduellement. Le Caucase Indien ou l’Hindou-Kbouch, dont les plus hauts sommets couverts de neiges éternelles atteignent jusqu’à 6500 mètres, traverse la région septentrionale et y étend ses puissantes ramifications, en se rattachant au Karakoroum. Parmi les chaînes qui s’allongent du nord au sud et rayonnent du côté du Béloutchis-tan, la principale est celle des monts Soliman.
- Des défilés rares et étroits coupent ces montagnes et ne permettent que difficilement d’aborder le cœur du royaume, particulièrement Caboul, la capitale. On remarque à l’est la passe de Khayber ou Khyber, trop célèbre par un cruel désastre de l’armée britannique en 1842, mais que les Anglais ont, peu de temps après, franchi victorieusement pour venger leur défaite; le défilé de Khouroum ou Khouram, suivi de celui de Peivar, où les Anglais, encore, viennent de passer en vainqueurs (1878); au nord, le dénié de Bamian ou de Hagikak, dans l’Hindou-Khouch, celui que franchit probablement Alexandre le Grand. Une des portes de l’Afghanistan est aussi le défdé de Bolan au sud, sur le territoire de Bélou-tchistan, mais tout près des frontières afghanes.
- Au point de vue hydrographique, l’Afghanistan est partagé en trois divisions : le plateau de l’Iran, le bassin de l’Indus et le versant Aralo-Caspien, repré-senfé particulièrement par le bassin de l’Amou-daria. Sur le plateau, coule l’Helmend ou Hilmend (l’Ety-mander de l’antiquité), qui se perd dans le Hamoun, lac marécageux de 150 kilomètres de longueur, correspondant sans doute à Y Aria-Palus des anciens ; masse d’eau triste et saumâtre, où l’on trouve peu de poissons. Dans la direction de l’Indus, on voit des-
- cendre de l’ouest à l’est le Caboul, affluent de droite de ce fleuve. L’Amou-daria, l’ancien Oxus, marque la limite septentrionale du royaume, en recevant le Ivoundouz, le Dahaz et beaucoup d’autres rivières. Le Mourg-ab, qui va se perdre dans les sables du Kharism, appartient à la même région physique.
- Ainsi que dans la Perse, aux territoires fertiles succèdent des plaines sablonneuses et stériles; le principal désert est celui de Seistan ou de Chorawak d’une altitude constante d’environ 800 mètres, exposé à des chaleurs suffocantes, à des vents brûlants et malsains. L’ensemble du pays n’en est pas moins riche ; le blé, le riz, le lin, le cotonnier, la canne à sucre, les mûriers, la garance, le tabac, y croissent en abondance. Les animaux domestiques sont également nombreux : on y trouve d’excellents chevaux, fort estimés par les cavaliers anglais, des ânes, des chameaux, des moutons, de bonnes espèces bovines, des chèvres dont le poil sojeux rivalise avec celui des chèvres, de Tibet. La faune sauvage compte, entre autres, des lions, mais de moins haute taille que ceux de l’Afrique, des léopards, des tigres, des sangliers, des loups, des hyènes, des renards, des chacals, des ours, des singes, etc. L’Afghanistan, contrée montagneuse, possède des minéraux nombreux, que l’indolence des habitants laisse pour la plupart inexploités. Ainsi, on y rencontre de l’or, de l’argent, du mercure, du fer, du plomb, du cuivre, de l’antimoine, de la houille, du soufre.
- Malgré toutes ces productions, l’Afghanistan, par le fait même de l’absence de grande artère fluviale, est condamné à une sorte d’isolement. Ses cours d’eau, ces chemins qui marchent, suivant le mot de Pascal, ne la relient nullement aux contrées voisines. Son système hydrographique l’obligera donc probablement toujours à se traîner à la remorque des nations qui l’entourent. Seule quelque ligne ferrée franchissant le pays de part en part, de la Perse au bassin de l’Indus, pourrait devenir une ligne de vie pour toute cette région, mais il est assez probable que pendant longtemps encore le fanatisme et une déplorable apathie conspireront contre la création d’une pareille voie de communication. Les Afghans ont en horreur tout ce qui leur représente la civilisation, l’activité occidentale; chez eux, c’est encore faire acte de bon musulman que d’assassiner les chrétiens; aussi, mieux vaudrait tracer un chemin de fer chez les Comanches que dans certains districts de cette contrée, où l’on ne rencontre que des misé râbles se targuant de leurs crimes.
- Ce royaume s’est longtemps divisé politiquement en trois parties principales : le Caboulistan ou Afghanistan propre, le Séistan ou Sedjestan, et le territoire de Hérat. Depuis quelque temps, l’Afghanistan s’est annexé un certain nombre de Khanats au nord de l’Hindou-Kbouch, c’est-à dire ceux de Maïmaneh, de Balkh, de Khoulm, de Koundouz, de Badakchan, de Yakhan. Le Karifistan, le Souât et quelques autres cantons très montagneux du nord-est sont considérés par le roi de Caboul comme
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- compris dans sa monarchie, mais les populations à demi sauvages et généralement païennes qui les habitent sont de fait indépendantes.
- L’Afghanistan propre renferme la capitale de l’État, Caboul, située au nord-est, sur la rivière du même nom, à 1950 mètres d’altitude, au milieu d’une riche vallée qu'environnent les sites les plus grandioses et les plus pittoresques. La population ne dépasse pas 60 000 habitants ; elle doit quelque animation au commerce établi entre l’Inde, la Perse et leTurkestan. Le principal édifice est le Balka-Hissah, dont l’architecture assez élégante contraste avec la laideur de la plupart des constructions. Au sud-ouest, dans un district montagneux, est Ghiznih ou Ghaznih, berceau de l’illustre famille des Ghiz -névides.
- Les autres villes sont Istalif, entourée de vergers et de cultures de coton ; Djelal-abad, voisine du défilé de Khaïber ; Gandamak, sur la limite de la région chaude de l’Indus et des territoires froids de l’intérieur ; Bamian, au milieu des montagnes, dans une étroite vallée; une des plus curieuses cités de l’Orient ; les habitants de cette localité n’élèvent pas de maisons, mais vivent dans des excavations taillées dans le roc et qui sont au nombre de plus de 12 000. La ville de Ghoulgoula est également habitée par des troglodytes. On ignore à quelle époque précise ces deux étranges cités ont pris naissance. Elles sont aujourd’hui beaucoup moins habitées qu’autrefois.
- De toutes les villes de ce pays, Candahar a été longtemps la plus importante ; sa population était de 100 000 habitants; elle n’en a plus que 50 000. Ferrahou-Farrah, cité fortifiée qui appartient au bassin du lac Hamoun, ainsi que Subzaouar ou Sebsar, a eu fort à se plaindre de l’ambition des conquérants; elle fut prise par Tamerlan en 1584, par Chah-Àbbas en 1620, et par les Anglais en 1839.
- Au sud-ouest, le Séistan est la partie la moins riche et la moins salubre de l’Afghanistan, on croit y retrouver l’antique Prophthasia dans la ville bien déchue de Djétal-abad, qui fut un moment la rivale d’Ispahan.
- Le territoire de Hérat ou le Hhoraçan oriental, sous la suprématie actuelle de l’Afghanistan, fut, durant plusieurs années de ce siècle, un État indépendant, mais qui néanmoins se reconnaissait vassal de la Perse. La capitale, Iiérat (autrefois Aria ou Ariopolis, puis Alexandria) est peuplée de 100000 habitants. C’est une des meilleures positions stratégiques et commerciales de tout le plateau Iranien. Ses murailles ne l’ont pas garantie de l’attaque victorieuse de bien des ennemis. Tour à tour prise et reprise plus de vingt fois, elle est encore aujourd’hui l’objectif des conquérants. Sa position extrêmement favorable au commerce l’a fait surnommer Bender, le port. Nadir-Chah, qui y pénétra en vainqueur en 1731, disait : « Le Khoraçan est le sabre de la Perse, celui qui possède Hérat en a la poignée et peut être le maître du monde l »
- Cette cité, point de passage des grandes caravanes de l’Asie intérieure, est évidemment appelée à jouer aussi un rôle dans le terrible et inévitable conflit que l’avenir prépare entre la Russie et l’Angleterre.
- Les villes des régions du nord annexées récemment sont, entre autres, Maïmaneh (60 000 habitants) ; Mézarichérif, qui s’élève près des ruines de Balkh (l’ancienne Bactres), Ivhoulen, Faïzabad, capitale de Balakehan.
- Comme nous l’avons dit, la population de l’Afghanistan est d’environ 6 millions d’habitants, dont la moitié seule est de race afghane.
- Les Afghans, divisés en plus de 400 clans, forment deux groupes principaux, celui des Afghans proprement dits et celui des Patans. Ils paraissent, par leur langage, se rattacher à la famille Indo-Ce)-tique. Leurs chefs respectifs ont sur eux une autorité directe; ils n’obéissent au gouvernement central, à l’émir, qu’après avoir reçu les ordres de leurs supérieurs. Faudrait-il en conclure que ces groupes pourront, en se séparant, favoriser tel ou tel envahisseur? Évidemment non. Ces clans, qui s’entendent parfois assez mal ensemble, ont un sentiment commun qui les unit, c’est la haine du chrétien. Aussi, les Busses, pas plus que les Anglais, ne peuvent compter sur une franche alliance avec ces populations foncièrement fanatiques.
- Les habitants les plus nombreux sont ensuite les Tadjiks, population laborieuse, opprimée par les Afghans et les Ouzbèks, les Djats, disséminés de tous côtés, les Kfiars, massés dans le voisinage des montagnes du Kafiristan et dont le nom signifie infidèles, les Béloutchis, les Hindous, etc.
- A cette question souvent posée : « Quel est le chiffre de l’armée des Afghans? » l’on peut répondre, d'après les données russes, que toutes les forces réunies des divers clans représentent une armée d’environ 160 000 hommes ; on pourrait, assurc-t-on, ajouter encore 100 000 guerriers pris dans les montagnes de l’est-nord-est. Quant à l’armée régulière, disciplinée, de l’émir, elle ne se compose que d’environ 50 000 hommes.
- On ne saurait trop le répéter, la grande force du gouvernement de Caboul, ce ne sont pas des soldats, mais la nature même du pays.
- Nous avons déjà fait comprendre que les défilés qui traversent les massifs afghans sont, d’après le point de vue auquel on se place, les portes de Caboul ou les portes de l’Inde. On peut les défendre avec une poignée d’hommes et tenir ainsi en échec toute une armée.
- Crevasses, déchirures profondes de quelques mètres de largeur, entre d’immenses roches schisteuses, ces passages ne sont autres, la plupart du temps, que le lit de torrents à sec une grande partie de l’année, mais qui grossissent subitement à l’époque des pluies.
- Les passages difficiles qm conduisent de l’Inde à Caboul sont généralement désignés sous le nom de défilés de Khyber. Ce nom n’appartient cepen-
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- dant en réalité qu’aux gorges étroites qui s’étendent depuis les environs de Péohaver jusqu’à Daka, à l’entrée de la plaine de Djelalabad.
- Résumons-nous. Cette contrée ne résistera pas plus aux attaques réitérées des Anglais que l’Abyssinie, il y a peu d’années. Elle n’aura même pas le privilège d’être commandée par un de ces hommes supérieurs, tels que Théodoros, dont le fanatisme et l’exaltation doublent le génie et qui, parfois, en Orient, ont accompli des actes d’incroyable audace.
- Les défilés seront franchis, le léopard britannique ne reculera certainement pas devant les obstacles qui s’opposent à sa libre entrée dans les montagnes ; seul, l’aigle à deux tètes qui tient le monde et en sceptre dans ses serres, pourrait retarder sa marche.
- Richard Cortambert.
- SOCIÉTÉ DIE BIOLOGIE
- M. Paul Bert, nommé président perpétuel de cette Société, a prononcé le discours suivant :
- Messieurs et chers Collègues,
- Mon premier devoir, — devoir véritablement doux à remplir, — en prenant possession du fauteuil présidentiel, est de vous adresser l’expression de ma vive et profonde gratitude. Pour un homme qui a consacré sa vie au culte de la science, il n’est pas d’honneur, si haut placé qu’il soit dans la hiérarchie sociale ou dans l’opinion publique, qui puisse valoir une pareille marque d’estime, et aussi d’affection, donnée par les témoins de sa vie, les confidents de ses travaux, juges véritables à qui ne manquent ni la compétence, ni l’autorité.
- Ce sentiment, mélange de reconnaissance et d’une légitime fierté, augmente encore lorsque je considère les noms des collègues éminents sur lesquels aurait pu si justement se porter votre choix, et surtout lorsque je pense aux maîtres illustres auxquels vous m’avez imposé l’honneur de succéder, à notre fondateur Rayer, à notre second et dernier président Claude Bernard.
- 11 y aurait témérité, presque inconvenance à tenter, dans une allocution nécessairement brève, l’éloge de savants d’une si haute valeur. Mais il est du devoir de leur successeur, il est de notre devoir à tous, de saluer respectueusement la mémoire de ces hommes, dont les travaux et la direction ont tant contribué à donner à notre Société le renom dont elle jouit dans le monde savant.
- Inscrit depuis plus de quinze ans sur la liste des membres titulaires, je suis de ceux qui se rappellent avec précision notre premier président, que plusieurs d’entre vous n’ont pas connu. Je suis de ceux qui peuvent ici rendre témoignage de la vivacité et de la souplesse d’une intelligence toujours en éveil, de la variété de connaissances d’un esprit que ses productions écrites ne peuvent faire suffisamment apprécier, et de la bienveillance à laquelle on ne pouvait reprocher que le plus aimable des défauts, je veux veux dire l’excès, d’un président toujours prêt à encourager les jeunes travailleurs par la parole, par les conseils, et, s’il était nécessaire, par des sacrifices personuels.
- De son illustre successeur, que puis-je vous dire que vous ne sachiez tous? Tous vous l’avez connu, et le connaître, c’était à la fois l’admirer et l’aimer. Je ne sais pas d’homme, en effet, dont la supériorité fut aussi aisée à admettre, à supporter, à proclamer, même par les plus susceptibles, et que les plus indépendants eussent autant de facilité et de plaisir à appeler maître.
- C’est qu’il semblait être le seul à ignorer sa véritable grandeur. C’est que ce génie, si spontané, semblait n’avoir nulle conscience des efforts accomplis ; par suite nulle vanité de la victoire remportée. Il en résultait un contraste plein de grâce, auquel la bonté, qui était le fond du caractère de l’homme, ajoutait une force de séduction qui fut pour tous irrésistible.
- Ni Rayer, ni Claude Bernard n’ont été pour notre Société de simples présidents. Rayer, qui était l’un de ses fondateurs, qui en comprenait admirablement le rôle et la puissance fécondante, la considérait comme sa chose, comme son enfant, et lui donnait tous les soins et toutes les marques d’une affection paternelle. Claude Bernard, dont le nom se trouve aussi sur la liste de ses fondateurs, faisait alors, en 1849, ses premiers pas dans une carrière, que moins que personne, il aurait osé rêver si glorieuse. Mais, dès la première séance, deux communications préludent à la part active qu’il prendra désormais aux travaux de la Société de Biologie. Et, depuis ce jour son génie créateur, sans cesse en action, a toujours pris notre Société pour première confidente de ses recherches. Aussi, ne saurais-je trop recommander la lecture des Comptes rendus de nos séances à ceux qui veulent se faire une idée de la prodigieuse activité de ce maître dans l’art de la chasse aux découvertes ; de la bonne foi singulière qui lui faisait, dans le domaine doctrinal, édifier et détruire tour à tour, considérant ses propres théories comme un moyen d’action et non comme un prétexte au. repos ; enfin de la ténacité avec laquelle pendant près de trente ans, il sut creuser et ensemencer des sillons ouverts presque dès ses débuts scientifiques, et y recueillir chaque année de nouvelles moissons. C’est bien là celte patience qui, suivant une parole célèbre, caractérise le génie, sous la condition d’être, comme chez Claude Bernard, unie à la puissance créatrice.
- L’histoire de Claude Bernard se lie donc doublement à celle de notre Société. Et ce n’est pas seulement la phase purement expérimentale de sa vie que nous pouvons réclamer tout entière. Lorsque la maladie eut éloigné momentanément du laboratoire le vaillant lutteur qui, à lui seul, en avait rapporté plus de vérités jusqu’alors inconnues, que tous ses contemporains ensemble, il sembla se faire en lui une métamorphose : le chercheur naïf, auquel une sorte d’instinct montrait les découvertes, apparut comme le législateur de la méthode expérimentale, dont il traça en maître les règles dans le domaine de la Biologie.
- Or, la Société de Biologie a le droit de prétendre à une part de cette gloire nouvelle. Il est permis de penser que la multiplicité des sujets qui sont traités dans son sein, la variété des points de vue, l’intérêt général des problèmes, le défilé des aspects variés que présente l’étude des êtres vivants, ont puissamment agi sur l’esprit du maître, et entraîné ses méditations au delà de l’atmosphère relativement restreinte d’un laboratoire de vivisection.
- L’œuvre de Claude Bernard nous apparaît donc comme l’expression la plus complète et la plus élevée des sentiments qui ont inspiré nos fondateurs, et celle de Rayer y trouve à la fois sa réalisation et sa glorification.
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- Persévérons donc dans leur voie. Continuons à exciter au travail, à appeler dans notre sein tous ceux qui abordent, sous quelque face que ce soit,le problème de la vie. Qu’ils envisagent les phénomènes vitaux se manifestant dans le fonctionnement régulier de l’étal de santé ou parmi les conditions troublées qui constituent les maladies; qu’ils en étudient la marche et les causes chez les animaux ou chez les végétaux ; qu’ils se servent, pour les étudier, du scalpel, du microscope ou de la cornue; qu’ils interrogent le cadavre ou l’être vivant ; qu’ils établissent leur centre d’action dans les salles des musées, au lit des malades, dans les amphithéâtres anatomiques, dans les laboratoires de chimie ou de vivisection ; qu’ils appellent à leur aide l’observation médicale remontant de l’effet à la cause, ou l’expérimentation physiologique descendant de la cause à l’effet ; nous les convions tous ici ; tous ont leur place marquée ànotre foyer scientifique. Qu’ilsnecraignent pas les disputes stériles sur la définition de l’observation et de l’expérimentation, sur la prééminence de la clinique ou de la physiologie ; nous ne leur demandons que de faire œuvre scientifique, c’est-à-dire de déterminer le lien qui unit des faits toujours antécédents à des faits toujours conséquents. Et leurs travaux, à tous, prennent ici une place qui dépend, non d’une classification arbitraire des sciences, mais de leur véritable valeur, c’est-à-dire de la part d’inconnu dont ils ont enrichi la certitude scientifique dans l’immense domaine de la Biologie, domaine que nous pouvons définir en nous appliquant une parole légèrement modifiée du poète latin : « Nous sommes vivants, et rien de ce qui intéresse la vie ne nous est étranger. »
- Ce sont là, vous le savez aussi bien que moi, mes chers collègues, et vous me dispenserez d’entrer dans plus de développements, ce sont là les idées qui ont présidé à la fondation de la Société de Biologie, et qui depuis plus de trente ans lui ont servi de guide. Mes deux illustres prédécesseurs s’en étaient profondément pénétrés, et les faisaient vivre et rayonner autour d’eux.
- Le sentiment de leur vérité toujours jeune et féconde, la bonne volonté dans l’application, à défaut de ce qu’ont emporté les maîtres, ne me manquera pas dans l’exécution do la lâche si difficile et si honorable que vous m’avez imposée. Je n’en dirai pas plus, car la modestie qui insisterait devant l’évidence courrait risque de se voir taxée de vanité. Éternellement nous regretterons le maître illustre, le président paternel, qui savait si bien sourire aux nouveaux venus. La Société de Biologie portera toujours son deuil ; et quand les jeunes viendront à leur tour, nous leur dirons ce que fut l’homme, eux qui sauront seulement ce que fut le génie. Nous avons été frappés tous à la fois, et tous isolément; laissez-moi penser tout haut et vous dire, en vous remerciant du fond du cœur, que l’une des raisons d’un choix qui m’honore à un si haut degré, c’est que vous avez senti que parmi vous tous, j’avais été, par la perte du maître, le plus directement, le plus cruellement atteint. Paul Bert.
- DES CONDITIONS HYGIÉNIQUES DES HOUILLIÈRES
- D’APRÈS M. LE D' P. FABRE Médecin des mines de Commentry (Allier).
- Les ouvriers mineurs se trouvent placés dans des conditions spéciales qui peuvent avoir une influence générale sur leur santé. L’examen de ces circonstances de milieu a permis de constater des résultats dont nous al-
- lons présenter une indication sommaire, et nous pensons qu’il y a intérêt à savoir comment certains de nos semblables peuvent supporter un travail pénible, qui a pour but l’utilité générale, en arrachant aux entrailles de la terre le précieux combustible de nos usines et de nos foyers. Le médecin des mines de Commentry a cherché la vérité sur cette question, en homme de cœur et de dévouement, mais sans exagération sentimentale.
- La privation de la lumière solaire se traduit chez les mineurs de l’Ailier par la diminution du pigment cutané, l’absence de hâle, mais non par l’anémie globulaire ou diminution considérable du nombre des corpuscules du sang, comme l’a constaté M. le Dr Fabre par un examen et un comptage microscopique des globules du sang dans quatre cents expériences. On pourrait croire que cette absence d’anémie essentielle tient aux séjours des ouvriers hors de la mine (14 h. sur 24 et le dimanche en entier), mais que l’anémie surviendrait au contraire par une continuité prolongée d’existence dans les profondeurs privées de lumière solaire. L’examen du sang des chevaux qui restent toute l’année dans la mine, n’en sortant qu’une fois par an le jour de l’inventaire général, n’a pas confirmé cetle hypothèse. Sur 8 chevaux étudiés, le sang a été trouvé analogue pour le nombre des globules à celui des chevaux du dehors soumis au même genre de vie, avec la même ration alimentaire. En outre les maladies internes ont paru plus rares et les maladies chirurgicales au contraire plus fréquentes chez les chevaux du fond que chez les chevaux de l’extérieur.
- L’augmentation de pression atmosphérique au fond des mines de Commentry n’est pas assez grande pour causer aucun trouble physiologique appréciable, et les progrès accomplis dans la ventilation actuelle des mines ne laissent que très rarement se produire des accidents dus à l’air confiné. L humdité, qui est en général excessive au fond des mines, n’a pas d’action funeste sur les mineurs, tant que la température de la galerie ne dépasse pas 25» ; ils travaillent sans être incommodés dans un air saturé de vapeur d’eau. Si, au contraire, dans cet air très humide, la température s’élève davantage, les hommes se fatiguent très vite, et des éruptions cutanées se produisent chez eux assez souvent. Dans une galerie en cul-de-sac, à 31°,25 et presque saturée d’humidité, deux hommes, après y être restés une demi-heure en repos, ont olfert, l’un et l’autre une augmentation de 0°,6 pour la température axillaire. Au reste, dans les combustions spontanées assez fréquentes qui se produisent dans les houillères, les hommes sont obligés de travailler à de hautes températures et en se succédant rapidement pour confiner les incendies. Ils n’en ressentent que de la fatigue musculaire, si l’air reste suffisamment pur près de la partie incendiée.
- Les gaz irrespirables les plus fréquents dans les mines de houille sont l’acide carbonique, qui y est beaucoup plus abondant que dans les autres mines, l’oxyde de carbone, le gaz ammoniac, les carbures d’hydrogène, et, en outre, l’acide sulfureux et l’acide sulfydrique, si les houilles sont riches en pyrite de fer. Ces gaz ne sont dangereux que lorsqu’ils s’accumulent dans une galerie abandonnée; partout ailleurs, ils sont balayés, à mesure de leur formation, par le courant d’aérage. Eu raison de leur imprudence surtout, les mineurs aux rochers, qui sont occupés au percement des galeries, respirent trop souvent les gaz qui se dégagent après l’explosion de la poudre ou de la dynamite. Aussi sont-ils plus sujets qi e les .autres houilleurs aux affections du larynx, des bron-
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- cries et de l’estomac. Ce sont les piqueurs, respirant la plus grande partie des poussières des mines de houille, qui sont le plus souvent atteints des maladies chroniques des voies respiratoires, et la ventilation trop active peut aussi occasionner des accidents par refroidissement.
- Les bronchites sont extrêmement fréquentes chez les houilleurs ; ainsi que l’emphysème vésiculaire, ces affections aggravées par l’introduction des poussières charbonneuses; par contre, la phtisie pulmonaire paraît très rare, car le docteur Fabre n’a vu, en six ans, que deux cas de mort par cette cause, sur environ dix-huit cents ouvriers de fond. Il a été amené à reconnaître dans un récent travail [De l'anémie et spécialement de l'anémie chez les mineurs, Paris, Lauwereins, in-8, 1878) une aménie non pas essentielle ou globulaire, mais simplement fonctionnelle, sans diminution notable du chiffre des globules du sang, ceux-ci devenant seulement plus petits et plus pâles. Elle ne présente qu’une partie des caractères de l’anémie essentielle, et se trouve favorisée par la respiration des gaz méphitiques et le travail prolongé dans des galeries où la ventilation est difficile et même impossible.
- Ici le manque d’oxygène provient de l’air, qui n’en fournit pas assez aux globules du sang, tandis que, dans l’anémie globulaire, ce sont les globules trop peu nombreux qui n’apportent pas assez d’oxygène aux tissus. Cette anémie des houilleurs cède facilement par le repos et avec l’usage de quelques toniqueâ. Les chevaux n’offrent pas de phénomènes analogues, parce qu’ils ne circulent que dans des galeries vastes et bien aérées.
- Il me paraît résulter de l’intéressante communication du docteur Favre à la réunion des Sociétés savantes de 1878, communication que nous venons d’analyser, le fait suivant : la profession des mineurs de Commentry est plus pénible que réellement insalubre et n’offre pas autant de danger pour la santé que l’air vicié et confiné des filatures et surtout les manipulations fréquentes et la respiration des poussières des substances où entre le plomb ou le mercure. Maurice Giraud.
- ——0-^-0—
- UN VOLCAN LUNAIRE EN ACTIVITÉ
- Il y a quelques années, l’opinion avait prévalu que la Lune était depuis longtemps arrivée à la période de la quiescence physique, en un mot que c’était une planète morte. Neison, dans son admirable ouvrage sur la Lune, s’insurge vivement contre cette idée et le résultat des observations les plus récentes a été d’indiquer du moins la probabilité des progrès des changements volcaniques opérés durant ces dernières années. On a constaté au moins une disparition de cratère et d’un vaste cirque ; il est probable qu’il s’est comblé de bas en haut ; mais jusqu’ici aucun astronome n’a eu le bonheur de découvrir un fait tel que serait par exemple une éruption.
- La correspondance qu’on va lire, jette sur cette question une vive et nouvelle lumière. Nous l’empruntons au Scientijic American et nous la publions intégralement, en laissant à nos lecteurs le soin de se faire une opinion :
- À M. John Rodgers
- Contre-amiral, surintendant, directeur de l’Observatoire nautique des Etats-Unis.
- Keokuk (Iowa), 20 novembre 1878
- Amiral,
- Je prends la liberté de vous offrir une esquisse de l’observation lunaire faite le 12 novembre, à 8 heures et
- demie du soir; mon fils et plusieurs assistants, de la ville d’Oskaioosa (Iowa), latitude septentrionale approximative : 41° 30', ont observé avec moi. J’ai supposé que ce que nous avons vu constituait une éruption volcanique. Elle n’a été vue que pendant une demi-heure dans mon télescope de 6 pouces et demi, mais aussi nettement que l’on peut voir n’importe quel paysage de la Lune et sous la même couleur. Je désirerais bien savoir ce que vous pensez de cela.
- J’ai l’honneur d’être votre respectueux et dévoué serviteur. John IIammes.
- OBSERVATOIRE NAUTIQUE DES ÉTATS-UNIS.
- Washington, le 23 novembre 1878.
- Mon cher monsieur,
- Votre rapport sur ce que vous avez vu à la surface de la Lune, dans la nuit du 12 de ce mois, est très intéressant, si intéressant même que le fait ne sera pas accueilli par le monde astronomique sans les réserves les plus formelles. Votre observation sera attribuée à quelque cause fortuite, telle que la poussière sur le verre, une disposition défectueuse de l’instrument, une lumière accidentellement reflétée par la fenêtre d’un voisin ou n’im-
- Phénomène observé dans la Lune, par M. John Hammes à Oskaïoosa, Iowa, le 12 novembre 1878.
- porte quelle autre source d’erreur. Envoyez-moi donc un compterendu complet, avec les signatures des messieurs qui ont été avec vous les témoins de ce phénomène. Joignez-y un certificat de quelque personnage bien connu, gouverneur, maire, sénateur des États-Unis ou autre, donnant, dans son apostille des renseignements officiels sur les signataires.
- Homme ayant vécu dans ce monde, vous comprendrez, j’imagine, que les faits nouveaux ne sont admis par les astronomes qu’avec une extrême circonspection et qu’en publiant des détails comme ceux que vous m’avez envoyés, il faut avoir cent fois raison de le faire et avoir contrôlé de toutes les manières une première observation.
- Votre affectueux, John Rodgers,
- Contre-amiral, surintendant.
- TÉMOIGNAGES.
- Ville de Keokuk, cabinet du maire, 2 décembre 1878.
- John Hammes est bien connu dans notre ville et il jouit de la réputation d’un homme sûr et loyal.
- John N. Irwin, maire.— J. C. Parrott, P. M.— R. Root, député des États-Unis. M. — W. T. Rankin, assistant d’un attorney des États-Unis.
- Nous ajouterons à ces documents, que le cratère observé par M. Hammes est situé dans le voisinage de Ba con, Baroeius et Nicolaï, noms qui figurent sur la carte lunaire de Beer et Màdler.
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- ÉCLAIRS OBSERVÉS AU BRÉSIL
- Il nous a été donné d’observer, en août 1877, lors d’un orage assez violent qui avait pour théâtre le petite ville de Vassouras, dans la province deRio-de-Janeiro, deux formes singulières d’éclairs. Les décharges électriques se suivaient sans interruption et affectaient pour la plupart le trait sillonné, d’observation commune.
- Mais dans les zones intertropicales, la tension électrique des nuées est plus forte que chez nous, par suite de l’intensité des phénomènes d’évaporation, de là des dessins parfois bizarres occasionnés par certaines ramifications des éclairs.
- Une forme d’éclair fort curieuse est figurée dans le premier de nos croquis (fig. 1). C’est une sorte
- d’explosion offrant dans ses contours quelque analogie avec la flamme d’une bougie. La décharge affectait, au lieu du zigzag habituel, un ensemble pyriforme allongé, rectiligne, encadré d’une auréole également fort allongée.
- Une seconde forme d’éclair (fig. 2), plus commune sous la zone torride, présente un tronc principal, jaillissant d’un épais nimbus, se subdivisant en deux branches, dont l’inférieure ne tarde pas également à se subdiviser. Cette forme se rapproche assez bien des éclairs arborisés déjà signalés par M. Em. Liais.
- Les phénomènes électriques, bien que communs au Brésil, n’ont pas généralement l’intensité qui rend les orages des Antilles et des Indes si redoutables. Nous attribuons ces faits à l’orographie du pays et à sa végétation. Les chaînes de montagnes sont
- Fig. 1 Fig. 2
- Formes d’éclairs observés au Brésil.
- nombreuses et n'ont pas de ces pics saillants qui semblent tout attirer. Ce sont, pour ainsi dire, autant de sommets situés à peu près à la même altitude et qui chacun d’eux exerce un rôle dans les échanges aériens.
- D’autre part, la végétation couvre le pays d’un superbe manteau protecteur. Le pouvoir des pointes est exercé par des milliers d’organes qui permettent un écoulement constant de l’électricité négative du sol. Est-ce à un état réfractaire que certains végétaux doivent leur réputation d’attirer plus spécialement la foudre, en occasionnant des vides dans les zones protégées? Nous n’en savons rien. Mais c’est là la réputation faite notamment au Peroba(aspidosperma Gomesianum), aussi se garde-t-on bien de l’employer comme bois de charpente.
- Les nuages élevés échappant en partie à ces recombinaisons constantes des deux manières d’être de l’électricité, donnent lieu à des décharges acciden-
- tées dans leur parcours par suite du voisinage de nuées différemment électrisées. Le ton rose-violet des éclairs indique déjà une élévation fort grande.
- D’observations quotidiennes, trop courtes malheureusement, nous avons pu constater que les éclairs muets ou éclairs de chaleur se manifestaient de préférence dans les régions où l’altitude était la moindre. Léon Dümas.
- BIBLIOGRAPHIE
- Sahara et Sahel, par Eugène Fromentin, un volume in-4°, Paris, Plon, 1879. Ce n’est guère qu’une simple annonce que nous pouvons à cette dernière heure de l’année consacrer au beau livre élevé par la librairie Plon à la double gloire d’Eugène Fromentin, écrivain et artiste. Les éditeurs, avec un soin pieux, ont réuni, sous le titre de Sahara et Sahel, en un admirable in-4° les deux
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- LÀ NATURE.
- livres publiés par Fromentin sous le titre Un été dans le Sahara, Une année dans le Sahel, et la reproduction des œuvres artistiques les plus belles, des croquis les moins connus du grand peintre, traduits par les procédés les plus sûrs : une héliogravure de Goupil, douze eaux-fortes, quarante-cinq gravures en relief de Gillot. Les estampes exécutées avec cette fidélité respectueuse envers la pensée et la mémoire d’un grand homme qui a été la préoccupation des éditeurs, prouvent une fois de plus que, pour un vrai artiste, toutes les façons d’interpréter l’idée sont bonnes, les dessins reproduits par le procédé Gillot peuvent lutter presque avechs eaux-fortes.
- Au point de vue scientifique, tous ces types d'Arabes, animés du souffle de la vie par le génie du peintre, forment la plus intéressante galerie ethnographique, comme ses récits conservent le précieux souvenir de cette Algérie musulmane dont la civilisation française détruira nécessairement l’originalité. Nous regrettons que la typographie ne puisse reproduire une des eaux-fortes de ce livre, mais nos lecteurs aurons, nous l’espérons, un avant goût de cette œuvre en admirant prochainement quelques-unes des gravures en relief. C. B.
- CHRONIQUE
- lia Société de géographie a tenu sa seconde séance générale de 1878, le mercredi 18 décembre, dans son hôtel du boulevard Saint-Germain, sous la présidence de M. le vice-amiral La Roncière-le-Noury. Voici l’ordre du jour de celte intéressante réunion.
- Ouverture de la séance par M. le président. — Proclamation des noms des nouveaux membres admis dans la Société depuis la dernière séance générale, par le président de la Commission centrale.— Rapport annuel sur les travaux de la Société et les progrès des sciences géographiques pendant l’année 1878, par M. Ch. Maunoir, secrétaire général de la Commission centrale. — La région du Haut-Oxus, par M. de Ujfalvy. — Deux villes mortes du Pérou (Grand Chimou et le Cusco), par M. C. Wiener, avec projection à la lumière électrique par M. Molténi.
- Statistique de l’instruction en Allemagne et en France. — Sur les 86177 conscrits incorporés en 1877 dans l’armée allemande, 78622 avaient reçu l’instruction primaire en langue allemande, 5415 en d’autres langues, et 2140, soit 2483 pour 100, ne savaient ni lire ni écrhe. C’est le district de Posen qui a fourni le plus fort contingent de cette dernière catégorie ; 11,20 pour 100; puis viennent la Prusse, la Silésie, la Poméranie, la Wesphalie, le Hanovre, le Brandebourg, le Sleswig Holstein, la province Rhénane, Hesse Nassau, et enfin Ilohenzollern, dont tous les conscrits avaient reçu l’instruction primaire.
- D’après le recensement de 1876, il y a en France quatre millions cinq cent deux mille huit cent quatre-vingt-quatorze enfants de 6 à 13 ans.
- Le nombre des écoles primaires est de 71 547, dont 9352 absolument gratuites, 64025 instituteurs ou institutrices laïques et 37 215 instituteurs ou institutrices congréganistes sont chargés d’instruire tout ce petit monde.
- Mais voilà le côté cruel, on compte 624 743 enfants qui ne vont pas du tout à l’école.
- Gisements houtllers dans l’Afrique centrale. — Une lettre adressée de Livingstonia, à la date du 12 septembre, annonce qu’une mine de houille vient d’être
- découverte dans l’Afrique centrale, sur les bords du lac Nyanza. M. Rhodes, qui accompagnait le capitaine Nelton dans un voyage d’exploration et de chasse, s’était rendu à l’extrémité septentrionale du lac et de là s’était avancé sur sa rive occidentale. À un mille environ du lac et à dix milles au sud de Florence-Bay, il atteignit, en remontant un ravin, un sol plus élevé formé de grès.
- A une élévation d’environ 400 pieds au-dessus du lac, il trouva dans le lit du ravin quelques petits morceaux de charbon mêlés dans le gravier. En continuant ses investigations, il découvrit ensuite trois veines distinctes de charbon de terre. L’une d’elles n’a pas moins de sept pieds d’épaisseur, les deux autres sont épaisses d’un pied et de trois pieds.
- Tremblements de terre.— Une terrible secousse de tremblement de terre a été ressentie, le 8 décembre, à Mineo, dans la province de Caltagirone (Sicile) ; l’église était pleine. Tout à coup une sourde rumeur se fit entendre. Un cri d’épouvante partit de cette foule cçmposée en grande partie de femmes. La foule se précipita vers la porte. Elle croyait se sauver et elle allait au-devant d’un danger plus grand. Plus de vingt personnes tombèrent en fuyant ; on les les releva évanouies ou blessées. Deux femmes sont mortes écrasées.
- — Dans la nuit du 27 au 28 décembre une forte secousse de tremblement de terre a été ressentie à Saloni-que.
- — Nous recevons d’autre part la dépêche suivante de notre sympathique et courageux correspondant, M. le général de Nansouty. Pic du Midi, 26 décembre 1878. llll,53m soir. Nous avons ressenti ici une secousse de tremblement de terre. Direction E.-W ? Vent N. W. à 5-6. Baromètre, 557,3.
- ACADÉMIE DES SCIENCES
- Séance du 30 décembre 1878 — Présidence de M. Fizeaü.
- Oxyde de nickel. — Jusqu’ici les chimistes n’étaient pas parvenus à produire l’oxyde de formule *Ni5 O4, correspondant pour le nickel à l’oxyde de fer magnétique. M. Vanini comble aujourd’hui la Reune. Le nouveau composé se forme à 400 degrés et se décompose à une température plus élevée ; il n’a du reste aucunement les propriétés magnétiques de son correspondant du fer.
- Le vanadium et le noir d'aniline. — On n’a pas oublié l’annonce faite récemment de la substitution possible de l’acide chromique à l’acide vanadique dans la fabrication du noir d’aniline. Un chimiste industriel de Rouen, M. Witz, vient, avec la recommandation de M. le professeur Girardin, annoncer qu’il y a là une illusion et que le vanadium est absolument nécessaire. Le chrome donne un produit verdâtre tout à fait différent. L’auteur insiste sur la faible quantité de vanadium qui suffit à développer la réaction. H paraît que le noir se produit en présence d’un poids d’acide vanadique qui ne représente que la cent millionième partie du poids de l’aniline employée. Dans la pratique, un millième de ce poids est tout à fait suffisant et l’on voit que malgré le haut prix du vanadium l’emploi de quantités aussi faibles est parfaitement abordable pour l’industrie.
- La mer d'Algérie. — M. de Lesseps annonce que M. Roudaire a commencé ses sondages dans l’isthme de Gabès et ne rencontre que des sables et de l’eau, au lieu
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- de ces fameux rochers dont on faisait un obstacle au percement.
- Éleclrolyse de Veau. — Dans une longue série d’expériences, environ cinquante, qui ont duré chacune plusieurs heures, et pendant lesquelles il s’est produit des pressions de 100, £00, 300 atmosphères, etc., M. Bouvet a constamment reconnu l’existence des deux lois suivantes.
- 1° La décomposition de l’eau par un courant est indépendante de la pression.
- 2° La quantité d’électricité nécessaire pour décomposer un même poids d’eau est sensiblement la même quelle que soit la pression à laquelle s’opère la décomposition.
- L’auteur a reconnu en outre que les gaz oxygène et hydrogène, quelle que soit la pression se dégagent avec une égale facilité. Ces gaz peuvent être produits dans une seule éprouvette ou dans deux et dans aucun cas il n’v a de phénomènes secondaires déterminant une recomposition, même partielle, comme on l’a cru jusqu’alors. L’oxygène et l’hydrogène lorsqu’ils sont réunis dans une même éprouvette, même à une pression considérable et bien que constituant le mélange détonant, ne présentent comme maniement aucun danger.
- Exploration arctique. — Il résulte de documents reçus par M. Daubrée que M. Nordenskjold était parvenu le 27 août à l’embouchure de la Lena, il avait quitté dix jours avant, la bouche de l’Iénisséi et il avait doublé le cap le plus septentrional de tout l’ancien monde. Comme il l'avait prévu les côtes sont libres de glaces et cela vient du réchauffement de la mer par les fleuves sibériens dont l’eau est entraînée vers l’est par la rotation terrestre. Malgré une rapidité extrême de voyage l’auteur a effectué des sondages qui montrent que la faune de ces régions est très spéciale, circonstance qui tient à ce qu’elle n’a reçu le mélange d’aucune migration venant de la zone tempérée. M. Nordenskjold espérait avant l’hiver atteindre le détroit de Behring.
- Application géologique du téléphone. — M. de Rossi a fait dans les régions volcaniques de l’Italie des expériences téléphoniques extrêmement curieuses dont le résultat est que le téléphone permet de saisir les brui ts qui accompagnent les phénomènes souterrains. 11 cite le cas d’un téléphone qui au milieu de la nuit parla si fort qu’on craignit qu’il ne réveillât une personne endormie : peu après un tremblement de terre se faisait sentir. Nous avons reçu un travail imprimé en italien sur cette question si originale et nous y reviendrons prochainement avec détails.
- Stanislas Meunier.
- MOIS MÉTÉOROLOGIQUE AUX ÉTATS-UNIS
- OCTOBRE 1878.
- De nombreuses perturbations atmosphériques ont envahi le continent américain (lu, nord pendant le mois d’octobre dernier ; la Monthly Weather Review signale quatorze dépressions ou bourrasques, parmi lesquelles onze ont pu être suivies, et tracées sur la carte spéciale publiée par le Signal-Office de Washington.
- Trois de ces bourrasques se sont formées vers les
- basses latitudes, et, en se développant vers les régions du nord, où elles ont disparu, ont amené de violentes tempêtes et causé d’immenses dégâts. 11 est extrêmement rare de voir dans le même mois un nombre aussi grand de tourbillonsvenant du sud.
- Nous avions déjà cité un cyclone tropical en septembre; or les cartes des trajectoires des bourrasques suivies sur les États-Unis depuis 1870, n’offrent jusqu’ici aucun exemple d’une semblable série
- Le premier des cyclones de ce groupe a causé du 2 au o des gros temps prolongés et de nombreux sinistres dans les passes de la Floride ; c’est vraisemblablement le même qui sévissait sur Haïti dès le 25 septembre. D’après les observations faites à bord des vaisseaux naviguant alors dans ces parages, il a été possible de tracer sa trajectoire depuis cette date jusqu’au 10 octobre; elle a suivi sensiblement le cours du Gulf-Stream. Le deuxième est venu du golfe du Mexique le 10; après avoir traversé la Floride, la trajectoire de son centre, se tenant à quelque distance au large, se dirigea vers les hautes latitudes dans la direction du nord-est; c’est du reste un caractère commun aux cyclones venant du sud, de prendre, lorsqu’ils approchent du continent américain du nord, une direction parallèle à la côte. Le troisième est probablement un cyclone des tropiques ; sous son action, de fortes pluies sont tombées à la Jamaïque, à la Havane et à Key West au sud de la Floride; de nombreux naufrages sont survenus tout le long de la côte, depuis Cuba jusqu’aux États du nord-est ; près de la côte du New Jersey des îles furent entièrement submergées par une haute mer extraordinaire. A Philadelphie, la tempête fut terrible dans la matinée du 25; on estime qu’elle occasionna, rien que dans la ville, des dégâts de toutes sortes pour plus de 15 millions de francs. Au sommet du mont Washington, à l’altitude de 1916 mètres, le vent atteignit la vitesse de 200kilomètres à l’heure. Les avertissements de l’approche des gros temps avaient été expédiés dès le 20 à Key West, le 21 aux ports entre Jacksonville et Kitty-hawk, et le 22 à ceux du nord-est. Disons en passant que sur les 234 avis transmis pendant ce mois, 207, ou 88,4 pour 100, ont été complètement justifiés.
- Les autres bourrasques d’octobre ont suivi la marche générale de l’ouest à l’est vers le 45e parallèle. On sait combien la population, dans les États du Sud, a été cruellement éprouvée par la fièvre jaune pendant les mois d’été ; il est à remarquer que la diminution de la mortalité due à cette épidémie a coïncidé avec l’arrivée par le nord-ouest de zones de fortes pressions, accompagnées de vents du nord et de temps froid.
- Tandis que de fortes pluies sont tombées dans le Minnesota, dans la région des Lacs inférieurs et les États du Sud, il régnait au contraire une grande sécheresse dans les plaines élevées de l’ouest et aussi en Floride. Ainsi o Milton, les semailles d’automne n’étaient pas encore faites à la fin du mois, à cause
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- LA NATURE.
- de la sécheresse du sol; leseaux étaient si basses qu’un certain nombre de moulins établis sur les rivières avaient dû interrompre leur travail.
- Le 4 octobre, à 2 h. 50 m. du matin, un violent tremblement de terre a été ressenti sur les deux rives de l’IIudson, de Malborough à Peekskille.
- Th. Mouueaux.
- HORLOGE
- PNEUMATIQUE.
- M. Edward James Muybridge de San Francisco déjà connu de nos lecteurs, est inventeur de l’ingénieux instrument que nous reproduisons ci-contre. Le mécanisme que nous figurons, permet de distribuer avec précision l’heure à plusieurs cadrans, éloignés les uns des autres.
- Le système consiste en une horloge type ou normale commandée par un poids, un ressort ou toute autre force motrice appropriée. Ce moteur commande à son tour une ou plusieurs cloches à fond ouvert qui sont successivement plongées dans des vases contenant un liquide et élevées au-dessus du niveau de ce liquide ; leur
- I I
- abaissement a pour effet de refouler l’air contenu dans la cloche à la surface du liquide. L’air ainsi refoulé se dirige par un tuyau en dessous de petites cloches similaires plongeant dans un liquide de même nature et dont le soulèvement et l’abaissement alternatifs et réguliers ainsi obtenus commandent la minuterie d’autant de cadrans ordinaires situés dans les endroits plus ou moins éloignés. Afin que l’air servant à ces transmissions de mouvement ne puisse éprouver aucune variation par suite de changements thermométriques ou barométrique, les cloches commandées par l’horloge type sont soulevées au-dessus du niveau du liquide à chaque mouvement de va-et-vient de ce système.
- Nous n’entrerons pas dans Je détail minutieux de la description de toutes les pièces de cet appareil. Nos gravures y suppléeront. La figure supérieure représente l’horloge type qui fait mouvoir par le refoulement de l’air les aiguilles de cadrans éloignés, dont la figure inférieure représente un type.
- Ue Propriétaire-Gérant : G. Tissakuieb.
- Corbbil. Typ. et «ter. Cubtb.
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- JP 293. — 1 1 JANVIER 1879.
- LA NATURE.
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- LES PHYLLOXÉRAS SEXUÉS
- La question phylioxénenne est d’une actualité de plus en plus menaçante, aujourd’hui comme au moment des débuts du journal la Nature. Un im-
- Fig. 1. — Phylloxéra agame aptère en dessous, et scs œuis, ^ j
- portant article, très exact pour cette époque, mettait sous les yeux des lecteurs les phases alors connues de la vie de l’ennemi de nos vignes. (Nature, 1er vol., 1875, p. 4, 18, 43 et57, le Phylloxéra et la nouvelle maladie de la vigne). Une lacune capitale existait alors dans nos connaissances et a été comblée depuis. Le Phylloxéra ailé avait d’abord été
- Fig. 2. Phylloxéra agame aptère, suçant une racine.
- pris pour un mâle, par analogie avec les Pucerons et les Cochenilles ; mais on avait aperçu ensuite par transparence quelques œufs 'dans son corps examiné à un fort grossissement. Un ne savait pas où cette femelle faisait sa ponte, ni à quelle époque; on supposait que ces œufs redonnaient les Phylloxéras sans ailes des racines et de leurs renflements, c’est-à-dire les femelles aptères, les seules encore passablement étudiées.
- ï° Anuce, — l,r semestre.
- Il manquait un chaînon important au cycle biologique de l’insecte, l’existence d’un mâle, rmi apparaît toujours, d’une manière intermittente, dans le cycle des Pucerons et des Cochenilles. 11 est néces-
- Fig. 3. — Nymphe en dessous.
- «aire, pour bien comprendre les découvertes récentes, de résumer en peu de mots les notions anciennes ou nouvelles sur le Phylloxéra de la vigne, Phylloxéra vaüatrix, Planchon.
- Cet insecte appartient à une tribu, les Phylloxé • riens, intermédiaire entre celle des Aphidiens ou Pucerons et des Cocciens ou Cochenilles. Les Phyl- • Ioxériens ont des séries de reproductions sans mâles,
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- LA NATURE.
- ainsi que les Pucerons, mais ne sont jamais vivipares, pondant dans toutes leurs phases des œufs, à la façon des Cochenilles. Le premier Phylloxérien connu fut un minuscule insecte, d’un jaune-rouge, qu’on observe souvent sous les feuilles de chêne. 11 fut trouvé en Provence par Boyer de Fonscolombe, qui créa pour lui le genre Phylloxéra (dessécheur de feuilles) ; mais la découverte n’avait pas fait grand bruit. Plus tard on observa une espèce voisine, jaune, ayant seulement des points rougeâtres, dite Phylloxéra du chêne, sur le chêne ordinaire du centre et du nord de la France (Quercus peduncu-lata, Linn.); aux environs de Paris cette espèce est assez fréquente dans la belle saison. Je l’ai prise abondamment, il y a quelques années, dans la forêt de Sonars. Cette espèce, par une méthode compara-
- Fig. 5. — Phylloxéra sexué mâle en dessous et œufs mâle
- et femelle de l’agame ailé. i
- tive des plus sagaces, a fait l’objet des études appro- ! iondies de M. Balbiani, qui avait prédit à l’avance qu’on retrouverait des faits analogues pour le Phylloxéra de la vigne.
- Celui-ci est une espèce essentiellement polymorphe, où l’on compte trois phases très nettes. Il y a d’abord des femelles sédentaires, vivant principalement sur les racines de la vigne et les épuisant par leurs succions. Elles pondent sans mâles, en petits tas, des œufs ellipsoïdaux, d’abord d’un joli jaune soufre, , puis grisâtres et enfumés, où le microscope fait voir deux points rouges, qui sont les yeux de l’embryon.
- Il en sort des larves d’abord errantes, puis devenant des femelles, décrites depuis longtemps, de trois quarts de millimètre de long sur un demi-millimètres de large, insectes dodus et renflés, d’un ; jaune brunâtre, ayant un peu l’apparence de petits poux. Nous en donnons (fig. 1 et 2), de face et de profil, des dessins plus exacts que ceux de 1873. On aperçoit très bien à la loupe ces Phylloxéras sédentaires, et même à la vue simple. J’ai remarqué, en 1874 et 1875, lors de ma mission dans lesCha-
- rentes comme délégué de l’Académie des sciences, que les paysans, après que je leur avais montré une première fois ces Phylloxéras, les apercevaient très aisément et sans loupe. Ces hommes de la campagne, qui se couciient à la chute du jour, conservent une sensibilité de la rétine de l’œil que l’on perd par les veilles et le travail à la lumière jaune des lampes ou du gaz d’éclairage. Les racines sont parfois tellement chargées de ces femelles, de leurs larves et de leurs œufs, qu’elles paraissent couvertes d’une poussière jaune et tâchent en jaune les doigts (pii les pressent. Ces Phylloxéras aptères et sédentaires ont des yeux à trois facettes (trois ocelles soudés), car ils peuvent non seulement passer sous le sol d’une racine à une autre, mais sortir à la surlace et gagner les ceps voisins et leurs racines par les fissures du terrain. Leur marche est toutefois lente, et, s’ils existaient seuls, on arrêterait facilement les ravages en entourant les vignes attaquées de rigoles pleines de goudron ou de coaltar, qui seraient un obstacle infranchissable. En outre, bien que les larves de ces Phylloxéras souterrains passent l’hiver sur les racines, on finirait par voir s’arrêter leur funeste et immense propagation pendant la belle saison. En effet, la fécondité de leurs générations successives sans mâles s’épuise peu à peu, et le nombre des œufs diminue par ces propagations unisexuelles, de sorte que, ainsi que l’a reconnu M. Marès par des expériences sur ces femelles bien isolées, au bout de quatre ans la reproduction s’arrête.
- Malheureusement pour nous, la nature a prévu cet épuisement et y a porté remède. A mesure que la chaleur augmente et que les sujets aptères se multiplient en conséquence, certains individus paraissent avoir l’instinct que la nourriture va manquer aux colonies souterraines. Des essaimages lointains se préparent; des sujets s’allongent et, après une mue, présentent sur les côtés du corps deux paires d’appendices noirs, superposés, moignons qui sont les fourreaux des quatre ailes d’une nouvelle phase. Ce sont les nymphes (fig. 3) qui montent peu à peu au pied du cep, près de la surface du sol et sortent même au dehors. Par une dernière mue apparaissent des femelles, sans mâles comme les précédentes. Ce sont les migratrices, pourvues de quatre grandes ailes claires et irisées, les antérieures bien plus longues que le corps, un peu enfumées au bout, où elles sont larges et arrondies, les postérieures plus étroites et plus courtes. Les fortes nervures de ces ailes dénotent un bon voilier, malgré la petite taille de ces femelles, un peu plus de 1 millimètre, un peu plus grandes par conséqnent que les agames aptères des racines (fig. 4). En effet, si on met dans un grand bocal de verre des renflements chargés de nymphes, on ne tarde pas à voir éclore des Phylloxéras ailés qui se collent aux parois supérieures, se retournant et marchant avec agilité et volant comme la flèche d’un bout à l’autre du bocal. On comprend que ces femelles peuvent soutenir à l’air libre un vol de 10 à 12 kilomètres, ce qui est la
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- marche ordinaire annuelle de l’invasion phylloxé-rienne ; mais les vents violents peuvent les porter beaucoup plus loin. En outre, posées sur les voitures, les vagons, les raisins pour la table, les pampres d’enveloppe, elles voyagent au loin, et ces accidents de transport expliquent ces foyers phylloxériques d’avant-garde, encore à grande distance des centres étendus d’invasion. C’est par véritables essaims que, dans les journées chaudes de la fin de l’été, ces femelles ailées s’abattent sur les vignes, pourvues d’organes variés de vision. Leur large tète porte en dessus deux yeux très noirs, appareil panoramique qui leur permet de voir tout autour d’elles les vignes sur lesquelles elles porteront la désolation ; elles ont en outre des visions à courte distance, car elles ont gardé les deux yeux à trois cornées de l’aptère des racines et offrent en outre sur le vertex trois ocelles ou yeux simples isolés. Le corps de ces agames ailés est plus grêle que celui de l’aptère, les pattes plus longues, ainsi que les antennes, qui sont aussi à trois articles, le dernier très long et tronqué en biseau à l’extrémité. Le bout de l’abdomen s’allonge en pointe un peu obtuse. La couleur est d’un jaune terne, avec une bande brune irrégulière sur le dos ; il y a de la ressemblance avec une microscopique Cigale.
- Ces femelles sucent les parties aériennes des vignes, les jeunes feuilles et les bourgeons, au moyen d’un suçoir semblable à celui de l’agame aptère des racines, mais plus court. Elle n’ont qu’un petit nombre d'œufs et on a été longtemps avant de pouvoir observer leur ponte. C’est ici que se place une des plus importantes découvertes entomologiques de notre époque. M. Balbiani avait reconnu, dans scs expériences sur des sujets captifs, que ces femelles pondent six à dix œufs dans les duvets des jeunes feuilles et des bourgeons. Ces œufs (voir fig. 5) sont de deux grandeurs et plus gros que ceux de l’aptère des racines. Les uns ont 0llim,40 de long sur 0mm,20 de large, les autres 0ma>,26 sur 0mra,13 ; d’un blanc jaunâtre au moment de la ponte, ils deviennent ensuite d’un jaune plus intense, surtout les gros (fig. 5). M. Balbiani, d’après ce qu’il avait observé d’analogue pour le Phylloxéra du chêne, soupçonna avec raison que la ponte et l’éclosion naturelle de ces œufs allaient lui permettre de compléter l’histoire du Phylloxéra de la vigne. Il se trouvait à Cognac au mois de septembre 1875 lorsqu’il apprit qu’un vétérinaire des environs de Libourne (Gironde), M. Boi-teau, observait en nombre les pontes des Phylloxéras agames ailés sur les jeunes feuilles. Il se rendit anssitôt chez M. Boiteau, et, dès le lendemain de son arrivée, dans une vigne voisine de la maison, il observait l’éclosion des œufs des deux grandeurs et appelait M. Boiteau pour lui faire constater la naissance des sexués, la troisième, phase phylloxérienne. Le savant professeur du Collège de France annonça aussitôt l’importante découverte par une lettre adressée à l’illustre secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences, M. Dumas, à qui l’on doit un
- des meilleurs insecticides connus contre le Phylloxéra, le sulfo-carbonate de potasse et dont tout le monde connaît le zèle et les travaux dans cette question capitale pour notre pays. La priorité de l’observation des sexués par M. Balbiani s’est ainsi trouvée établie de la manière la plus authentique.
- En effet des gros œufs de l’agame ailé naissent des femelles, et des petits œufs des mâles. Ces Phylloxéras à sexes séparés sont toujours errants, cou. rant çà et là sur le cep. Ils n’ont pas d’ailes, ni les mâles, ni les femelles, et ne vivent que quelques jours, uniquement préoccupés du soin de la reproduction et se recherchant pour s’accoupler sur les écorces. De même que les papillons du Ver à soie et les autres Bombyciens, de même aussi que les Éphémères, ces sexués ne pourront être distraits de la fonction de propager leur espèce par la nécessité de se nourrir. Us ne mangent pas, manquent de tube digestif et, au lieu du rostre qui s’étend à la région ventrale des agames aptères et ailés, n’ont qu'un tubercule court et aplati (fig. 5 et 6), impropre à la succion.
- On comprend pourquoi les femelles ailées s’abattent sur les vignes toutes à la fois en nombreux essaims. Comme les sexués qui naissent de leurs œufs n’ont pas d’ailes, ils ont besoin d’être les uns près des autres en abondance au moment de l’éclosion, car ils périraient sans se reproduire s’ils étaient isolés çà et là. Ces sexués sont très petits, véritables avortons, sauf pour la fonction génitale. La femelle présente le troisième article de l’antenne pédoncule. Sa production d’œufs est encore bien plus restreinte que chez la femelle agame ailée, puis qu’elle ne possède qu’un seul œuf, énorme par rapport à sa taille et surmonté de sa capsule formatrice. Peu après l’accouplement elle semble toute gonflée par son œuf (fig. 7) et pond cet œuf d'hiver, toujours à l’air et sur le cep seul, entre les exfoliations de l’écorce, fait très important. En effet cet œuf, destiné à passer l’hiver, serait gravement compromis s’il était pondu sur les feuilles, organes caducs à l’arrière-saison. Cet œuf unique est cylindroïde et arrondi aux deux bouts, bien plus allongé que les trois formes d’œufs des femelles agames, sédentaires et migratrices. Il n’est pas jaune, mais d’un vert olivâtre avec des piquetures noirâlres. On l’aperçoit très difficilement sur l’écorce du cep, où le fixe un petit crochet. La mère meurt bientôt après la ponte, toute ridée et ratatinée (fig. 8), et ayant acquis une couleur d’un brun rougeâtre.
- M. Boiteau a toujours continué avec persévérance les observations commencées chez lui par M. Balbiani et a constaté plusieurs faits nouveaux. En juillet et août, les agames ailés sortis du sol pondent, comme nous l’avons dit, leurs œufs mâles et femelles sur les jeunes feuilles ; si la saison est plus avancée ils se logent sous les écorces en exfoliation du cep et y pondent leurs œufs, sans aller sur les feuilles. En outre, par les temps humides ou un peu froids,
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- les insectes ailés restent en grande quantité dans les couches les plus superficielles du sol et y déposent leurs œufs. M. Boiteau a pu dès lors constater très souvent des femelles aptères sexuées dans ces mêmes couches ; mais toutes remontaient à la surface du sol pour aller pondre sur le cep, et, au-dessous de 5 ou 6 centimètres jusqu’à une grande profondeur, M. Boiteau n’a jamais pu rencontrer dans le sol une seule femelle, morte ni vivante.
- C’est encore à M. Balbiani qu’était réservée la belle découverte de l’éclosion de l’œuf d’hiver au printemps, au mois d’avril. Il avait rapporté, du Li-bournais à Paris, de nombreux sarments de vigne chargés d’œufs d’hiver. Au printemps, grande déception 1 ces œufs, conservés à l’air sec et chaud de l’appartement, étaient morts et desséchés. Heureusement un sarment, échappé au balai, avait passé tout l’hiver sur un balcon, librement exposé au froid et à l’humidité. Il offrait des œufs d’hiver demeurés
- Fig. 6. — Phylloxéra sexué femelle, en dessous.
- intacts, d’où M. Balbiani vit sortir au printemps de 1870 des insectes très analogues aux agames aptères des racines, pourvues d’un très long rostre, ayant à l’intérieur de très-nombreux œufs, jusqu’à vingt-quatre gaines ovigères. La fécondité de l’espèce funeste a donc été renouvelée par l’accouplement, c’est-à-dire en suivant les lois ordinaires, pour un grand nombre de générations ; le cycle phylloxérien se trouve donc complet par la triple et consécutive existence des agames aptères sédentaires, des agames migrateurs ailés et des sexués aptères.
- Que deviennent les agames aptères pleins d’œufs sortis des œufs d’hiver? Les uns gagnent tout de suite les racines et donnent sans mâles la série des colonies dévastatrices souterraines. D’autres se portent sur les feuilles et font naître en dessous des galles en cupules enfoncées, de 2 à 3 millimètres, où se loge une mère pondeuse entourée de ses larves. L’article de la Nature de 1873 s’étend longuement sur ces galles et en donne une bonne figure ; mais on ne connaissait alors ces galles que sur les feuilles des vignes américaines. Elles sont beaucoup moins
- fréquentes sur les feuilles des vignes françaises (Vitis vinifera, Linn.), et n’ont été observées silices feuilles qu’à partir de 1875. On a obtenu par là une nouvelle confirmation d’un fait expérimenté par inoculation artificielle en 1873, à savoir que les insectes des galles sont les mêmes que ceux des racines, et réciproquement. Au reste, une autre espèce très nuisible, aussi importée d’Amérique, le Puceron lanigère du pommier (Schizonetira lanigera, Ilaus-mann), présente en été ses générations sur les branches, lesquelles se réfugient en hiver sur les racines. Les Phylloxéras des galles donnent plusieurs générations aptères suceuses sur les feuilles, et on y a même vu se produire des nymphes et des femelles ailées agames de migration. En général, lors des grandes chaleurs de l’été, les galles des feuilles de nos vignes se dessèchent, et leurs insectes meurent ou bien descendent aux racines.
- On voit donc que l’invasion phylloxérienne d’un
- Fig. 7. — Phylloxéra sexué, femelle en dessous, prête à pondre,
- vignoble est toujours précédée d’une ponte d’œufs d'hiver provenant des sexués sortis des œufs des femelles ailées de migration. On s’explique dès lors ce fait remarqué par M. Faucon, que si un vignoble a été purgé par une submersion de quarante jours de tous les Phylloxéras existant sur les racines, on n’en rencontre pas moins en été quelques Phylloxéras sur les racines, qui exigeront une nouvelle submersion l’hiver suivant, sous peine de voir la terrible engeance repulluler bientôt; c’est que la submersion n’a pas atteint les œufs d’hiver déposés sur le cep et provenant des pontes des ailés de l’été et des sexués leurs descendants. Le problème capital de la destruction du Phylloxéra est donc d’atteindre l’œuf d’hiver avant son éclosion printanière. Si on laisse se produire les insectes des racines, on peut dire qu’il est absolument impossible de les tuer tous, même par les meilleurs insecticides, à cause des mille obstacles opposés par le sol. L’anéantissement des œufs d’hiver peut être obtenu dans cette saison par plusieurs procédés; ainsi par un écorçage du cep avec des brosses très dures ou des gants à mailles
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- d’acier (méthode Sabaté), avec le soin de ramasser et de brûler toutes les raclures. On peut encore ébouillanter, c’est-à-dire injecter sur les ceps de l’eau bouillante ou de la vapeur d’eau, comme on le fait pour détruire les petites chenilles hivernantes de la Pyrale de la vigne. Enfin les ceps peuvent être recouverts d’enduits insecticides. M. Boiteau, pendant trois années successives, a très bien réussi à tuer l’oeuf d’hiver par le badigeon suivant :
- Eau............................ 2 parties.
- Huile lourde de coaltar..... 2 —
- Carbonate de soude............. 1 —
- Faire bouillir le tout pendant une heure à un feu doux.
- Lors de l’application, étendre de 9 fois en volume d’eau ordinaire, agiter le tout très fortement et ap • pliquer avec un pinceau ou un pulvérisateur. Selon les climats, c’est en février ou mars, ou au commencement d’avril, qu’il faut faire cette application, un peu avant l’éclosion de l’œuf d’hiver.
- Quant aux feuilles portant des galles, il faut les arracher à la main et les brûler.
- Il faut espérer qu’aussitôt après le vote définitif de la loi sur le Phylloxéra, des mesures générales et obligatoires seront prises pour la destruction des œufs d’hiver; avant tout il est indispensable de faire
- une visite
- générale
- des vignobles
- des pays limitrophes de l’invasion aujourd’hui connue afin de pouvoir dresser une carte exacte de l’état actuel. Il est probable qu’on découvrira le mal à son début dans Fi beaucoup de points où on ne le soupçonne pas, tant peut être lointaine la dispersion des femelles agames ailées.
- Il est un fait fort triste et qui est le plus grand obstacle à l’emploi des mesures énergiques de destruction à l’égard d’un insecte, qui est la seule cause de la maladie des vignes. Les ignorants, les prétenduspraf iciens ont tellement répété que la vigne est affaiblie ou dégénérée, que les saisons sont contraires, que le sol est épuisé, que sais-je encore, que bien des gens trouvent là un encouragement à leur apathie et à leur avarice, et se croisent les bras, comme le Turc qui regarde sa maison brûler, attendant je ne sais quel secours providentiel et ne comprenant pas que le Phylloxéra une fois transporté dans un milieu propice n’a aqcune raison de disparaître par lui-même, pas plus que les Punaises des lits, les Blattes des cuisines, le Puceron lanigère, qui sont également de tristes cadeaux d’importation. Bien des gens s’en vont répétant partout qu’un hiver rigoureux débarrassera les vignes de leur ennemi. Ils ne lont pas attention que la mauvaise conductibilité du sol met l’insecte à l’abri des intempéries
- atmosphériques. Je suis sûr qu’il n’y a pas vingt personnes en France connaissant mes expériences, faites dans le laboratoir e de M. Pasteur et publiées dans les Mémoires des Savants étrangers, par lesquelles j’établis que les larves d’hibernation sur les racines peuvent supporter sans périr des froids très rigoureux.
- C’est avec le sourire d’une méprisante incrédulité qu’on accueillait dans les campagnes les délégués de l’Académie des sciences prédisant des désastres trop justifiés aujourd’hui ; nous avions même contre nous le mauvais vouloir de certaines autorités administratives, pleines de confiance dans les assertions des praticiens du crû, et qui nous accusaient de jeter la panique et de déprécier la propriété. Les choses ont peu changé aujourd’hui, tant sont tenaces la routine et l’ignorance. La Commission de viticulture de la Société des Agriculteurs de France a fait en 1878 une visite générale des vignobles français phylloxérés, et voici ce que dit le rapporteur1 : « Qui ne sait qu’un des traits caractéristiques de l’invasion phylloxérique consiste précisément dans ce cortège d’incrédulité et d’illusions qui la précèdent? Jamais l’antique proverbe : Quos vult perdere Jupiter dementat n’a reçu une plus frappante application. L’on succombe au mal que l’on commence à peine à y croire, et le souffle implacable de la réalité vient trop tard, bien souvent, dissiper la fumée d’illusions décevantes. L’expérience des uns, si chèrement achetée, ne profite pas à distance ; et, malgré des exemples prochains, l’on espère toujours échapper à de si cruelles étreintes. A côté de ceux qui nient simplement, d’autres s’endorment inactifs, tenant placidement en réserve un insecte, une plante, un artifice de culture, une drogue d’eux seuls connue, qui, au dernier moment, utilisée par eux, maîtrisera facilement le fléau. »
- Espérons que la publicité du journal la Nature aura sur cette question sa part heureuse d’influence!
- Maurice Girard.
- Les gravures du précédent article sont extraites de la 5e édition des Métamorphoses des Insectes, Paris, Hachette et Cie, 1879, que vient de publier notre collaborateur, M. Maurice Girard. Le succès de ce pelitouvrage, adopté par la Commission des bibliothèques scolaires, provient des améliorations successives qui y sont apportées. Cette dernière édition contient l’histoire de la Doryphore des pommes de terre et celle du Phylloxéra de la vigne, avec des gravures inédites sur les phylloxéras sexués, communiquées avec beaucoup de bienveillance par M. Balbiani. En outre, l’ouvrage comprend de nombreuses améliorations de détail, sur les Némoptères, sur la mouche tsetsé, fléau de l’Afrique centrale. G. T.
- 1 Bulletin de la Société des Agriculteurs de France, 1er décembre 1878, p. 409.
- 8. — Phylloxéra sexué femelle après la ponte et œuf d’hiver.
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- LA NATURE,
- CORRESPONDANCE
- EXPÉhlTION DE M. FOUREST DANS l’AFRIQUE CENTRALE.
- LE FLEUVE OGÔOUÉ.
- Marseille, le 3 novembre 1878.
- Mon cher directeur,
- J'ai lu avec le plus vif intérêt l’article plein d’érudition et de finesse intitulé : « La Galerie ethnographique du Musée d'artillerie », inséré l’an dernier dans la Nature et que vos lecteurs doivent à l’habile plume de M. le docteur Bordier. Cette lecture m’a inspiré le désir de compléter les descriptions de votre savant collaborateur en venant y joindre une courte note sur quelques armes intéressantes qui ont été rapportées d’une expédition toute militaire faite par M. Fourest, enseigne de vaisseau, dans le haut de l’Ogôoué et dans certaines parties de ce fleuve jusqu’ici restées non décrites, sinon inexplorées. L’inté-lêt qu’offrent ces engins destructeurs est tout d’actualité puisque une expédition scientifique, sous la conduite de M. de Brazza, parcourt en ce moment ces régions et nous dira sans doute sous peu ce qu’est ce grand peuple des Osyebas d’où proviennent quelques-unes de ces armes. M. Fourest a surtout sévi contre les Bakalais et les Iwil-lis : ces derniers n’ont pas été visités par MM. Marche et Compiègne ; ce que cet officier de marine nous en a rapporté offre donc tout l’attrait du nouveau et de l’inconnu. Les pièces dont je vous adresse les dessins, dus à l’habile crayon de M. II. Pélissier, artiste marseillais, sont des dépouilles de guerre, sauf celles qui proviennent des Osyebas : les unes et les autres ont eu l’honneur de figurer à l'Exposition internationale africaine de l’Exposition universelle, c’est un attrait de plus puisque tous vos nombreux lecteurs de la capitale ont pu les examiner à loisir dans leur ék>-quente simplicité. Vous me permettrez, en les accompagnant d’appréciations, de reproduire ici quelques notes de M. Fourest sur les peuples de l’Ogôoué qu’il a visités pendant son expédition. Elles paraîtront présenter d’autant plus d’intérêt que les observations de cet officier de marine distingué auront pour résultat de relever considérablement dans l’esprit des Européens, ces peuplades qui nous ont toujours été dépeintes comme atteintes du plus haut degré de dégradation morale et intellectuelle dont l’humanité puisse être affligée dans une de ses races relativement privilégiées. M. Fourest, en officier intelligent qui sait satisfaire aux obligations professionnelles sans abandonner les droits de la science, a profité de son expédition, non seulement pour rapporter les armes qui font l’objet de cet article, mais encore pour relever certains points nouveaux et rectifier plusieurs localités, direction de montagnes ou cours d’eau qui jusqu’ici avaient été indiqués d’une manière erronée. Vous trouverez ci-joint la carte des bords du fleuve qu’il a visités, et je me hâte de transcrire ici les notes que M. Fourest a bien voulu m’adresser pour la Nature.
- « Chargé le 22 juillet 1876 du commandement de la cannonière la Tirailleuse, je quittai Libreville (capitale de nos possessions gabonaises) pour le Ramboué, situé à 60 milles environ au sud de Libreville, avec mission d’obtenir par un blocus rigoureux la soumission des Pahouins. Quelques jours avant, Bocca, chef de Diakaoulé, avait capturé le cotre la Maria et repoussé ensuite, en lui faisant subir des pertes sensibles, une expédition de 120
- hommes dirigée contre son village. Les Pahouins ont acquis, au contact de la civilisation européenne, des besoins impérieux : en les empêchant tous indistinctement, innocents et coupables, de faire du commerce avec les blancs, je devais forcément arriver à me faire livrer le chef Bocca et à délivrer le cotre ainsi que son équipage. Je n’aurais obtenu ces résultats qu’en perdant beaucoup de temps si je n’avais été assez heureux pour pouvoir employer le subterfuge suivant, que les circonstances m’inspirèrent. J’appris par des espions que le commandant du Gabon avait à Libreville deux chefs très influents que Bocca avait intérêt à ménager. J’obtins du commandant leur arrestation et leur transfert à mon bord. Dès que je les tins en ma possession, je fis savoir à Bocca que j’étais bien décidé à les faire fusiller si, sur l’heure, il ne venait attester leur participation aux faits de l’insurrection.
- « Sur cette invitation, le chef de Diakaoulé vint me dire avec beaucoup de franchise et de dignité qu’il était seul coupable, que la Maria avait été capturée par ses ordres, qu’il en avait massacré l’équipage et qu’il m’avait maintes fois envoyé par ses esclaves de l’eau limpide empoisonnée dans le but de se défaire de moi. Je fis enchaîner le chef Bocca et j’eus la satisfaction de pouvoir lever le blocus de Ramboué et de ses affluents (Bilagoué et Jambi) le 3 septembre 1876. Quelques mois plus tard, Bocca, déporté au Sénégal, s’empoisonnait avec le M’Boun-dou (poison d’épreuve des Gabonais) pour échapper au juste châtiment de ses nombreux forfaits.
- « Les quelques Français qui, à ma connaissance, ont écrit sur le Gabon, se sont trop hâtés de déclarer que les habitants de ce magnifique pays sont incapables de tout travail. La plupart des races de l’Ogôoué et les Pongoués (Gabonais, Boulous, Cap-Lopez) sont, en effet, d’un naturel très indolent et peuvent tout au plus être utilisés comme piroguiens ou comme traitants, mais les Bakalais et les Pahouins sont loin de mériter la fâcheuse réputation qui leur est faite. Tout le commerce est entre leurs mains, aussi peut-on facilement prévoir qu’ils seront appelés, dans un avenir probablement peu éloigné, à jouer un grand rôle dans le développement industriel du pays. Depuis quelques années ils occupent le bord du Como et de ses affluents et rapidement ils gagnent les rives de l’Ogôoué, aujourd’hui si mal exploitées. Gomment se refuser à admettre que les mêmes hommes qui s’occupent actuellement à chasser l’éléphant, à nous apporter le caoutchouc et l’ébène, se refuseront à s’adonner à la culture si peu répandue aujourd’hui du café, du palmier, de l’arachide, etc., le jour où on le leur demandera, ou mieux encore, au moment où les richesses actuelles seront épuisées sans retour. Les Pahouins sont essentiellement belliqueux. Pendant mon séjour dans le Ramboué, ils me donnèrent fréquemment des preuves de leur courage. Le blocus n’ayant jamais été effectif, ils essayèrent en plusieurs circonstances pendant la nuit de gagner le Como et ils le firent
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- LA NATURE.
- avec un tel déploiement de forces, que je dus prendre moi-même de grandes précautions pour éviter au moins une catastrophe. Trois jours après mon arrivée à Chinchona (au confluent du Bilagoué et du Ramboué), ils forçaient le blocus et me blessaient deux hommes, dont un mortellement, en répondant vigoureusement à nos armes.
- « La femme n’est point pour eux comme pour les Pongués et autres races un objet de commerce ; ils la respectent et la défendent. C’est là un indice certain de supériorité pour une race. La femme est assujettie au labeur, mais sans subir l’esclavage ; en tout elle est l’égale du mari. Son travail principal consiste à aller à la pêche et à soigner ses enfants.
- « Le Pahouin est malheureusement cannibale et d’une cruauté inouïe*. Malheur aux prisonniers : ils sont impitoyablement suspendus dans des fdets au-dessus de grands feux et lentement enfumés.
- « Cette expédition terminée, je dus peu de temps après aller sévir dans des circonstances qu’il serait inutile de rappeler ici, contre les Cap-Lopez, dans la baie de Nazareth, à 60 milles sud du Gabon. Il s’agissait de protéger, par un blocus sérieux, une goélette allemande contre les attaques des hommes de Pembé, Bonaviré et autres. C’est dans cette expédition que je rencontrai le docteur Lentz, explorateur autrichien, qui venait de passer deux années environ dans le haut du fleuve l’Ogôoué, et dont je pus admirer les riches collections autant que la profonde connaissance du pays qu’il avait parcouru non sans danger. Je tiens de sa générosité des renseignements aussi précieux, que pleins d’intérêt sur ces peuples et il y joignit, comme souvenir de notre entrevue, un couteau fort remarquable qui provenait des Osyebas1 2 * * * * * 8. J’eus le plaisir de ramener
- 1 Scs armes sont redoutables, parmi celles qu’a rapportées M. Fourcst et qui sont propres à ce peup'o, il faut remarquer comme types curieux et peu répandus (fig. 10) une hache en
- 1er munie d'un manche en bois très habilement sculpté et
- (lïg. 9) un couteau à lame également en fer, mais à manche en bois très dur, muni de son fourreau en bois recouvert d’une peau de serpent noir (fig. 5). Ces lames sont admirablement travaillées et viennent confirmer les appréciations du docteur
- llordicr qui dit avec tant de raison : « Si nous voulons admirer
- le fer dans sa pureté ethnique, c’est dans les mains des popu-
- lations de l’Afrique qu’il faut le chercher. » J’ajouterai que le
- Pahouin se fait remarquer par une véritable supériorité comme ouvrier travaillant le fer, mais il continue cependant, il faut le remarquer en passant, à se servir de manches en bois et à emmancher ses haches à la façon du Papou et de l’homme de la pierre polie (K. Hcckel).
- 8 Cette arme fort remarquable au point de vue ornemental indique chez le peuple d’où il provient une grande supériorité sur tous ses voisins de l’Ogôoué, soit comme ingéniosité, soit comme habileté à préparer les métaux. On remarquera, en effet, que le fer est ici associé au cuivre et au laiton qui, formant un ensemble de deux torsades fort élégantes et fort bien disposées pour la solidité du maniement, composent la totalité du manche ((ig. 2). Il convient de rapprocher de cet instrument de défense très parfait celui qui est représenté dans la figure 6 et que M. Fourest a reçu des Allemands établis dans les factoreries du haut Ogoué, comme provenant aussi des Osyebas. Le premier type (fig. 2) pouvant être considéré, en raison de sa provenance, comme absolument authentique, le second ne l’est pas moins, car il reproduit avec quelques imperfections bien appa-
- sur mon navire, à Libreville, cet explorateur escorté tle ses riches collections.
- « Les Cap-Lopez ont joué jusqu’à ce jour un rôle très important dans la traite des nègres. Les Portugais des îles des Princes et de Saint-Thomas leur remettaient des marchandises et ils se chargeaient, par l'entremise des Gallois et des Inengas, de procurer en échange à ces Européens des esclaves généralement Okandas. Le gouvernement français, malgré les nombreuses assurances données à la Chambre, est impuissant à cause de l’étendue de nos possses-sions (de la baie de Corisco à Sainte-Catherine, 90 milles des côtes), à défendre ce commerce honteux. Toutefois, depuis que les gouverneurs des îles portugaises ont reçu des ordres sévères pour empêcher la traite (1876), les Cap-Lopez sont bien déchus de leur ancienne splendeur. Ils en sont réduits à faire avec la capitale de notre colonie un grand commerce de volailles et de nattes, qui est beaucoup plus pénible et leur procure moins de bénéfices. Aussi ne doit-on pas s’étonner de les avoir vu, au mois de septembre 1876, essayer d’empêcher les blancs de remonter l’Ogôoué. Si leur tentative avait réussi, ils devenaient pour longtemps les courtiers de tout le commerce de ce fleuve, car ils sont plus intelligents et surtout plus guerriers que les Gabonais et les Boulous qui, quoique appartenant comme eux à la même race Pongué, sont restés dans des conditions d’infériorité relative, attribuable en partie à ce que ces derniers n'ont pas bénéficié du contact prolongé avec les Portugais.
- « Peu de temps après cette seconde expédition, je fus j envoyé dans l’Ogôoué pour escorter une goélette alle- mande qui devait remonter ce fleuve jusqu’aux l’acto-I reries les plus avancées et que je dus défendre con-! tre une attaque des Cap-Lopez. Je m’arrêtai au j village de N’gola (à 50 milles de l’embouchure) j pour prendre du combustible. La roi de ce village i est un des hommes les plus intelligents et les plus sympatiques que j’aie rencontré dans cette expédition. A peine fus-je mouillé, que Soungué (c’est son nom) venait à bord avec un cortège obligé de femmes (les Pahouins et les Bakalais seuls ne le font jamais), me souhaiter la bienvenue et m’assurer de sa fidélité. Bien que Cap-Lopez, il n’avait pris aucune part à l’insurrection. J’eus avec lui
- rentes les caractères saillants du premier dont il ne diffère que par l’introduction de la lame dans un manche en bois dur quadrillé de rainures à sa surface, pour en assurer la contention facile dans la main du guerrier Osyeba. C’est un mélange de deux types, l’un et l’autre nouveau. Mais dans les deux cas nous trouvons le manche composé de deux parties très distinctes en forme de vis et séparée par un disque fort élégant. Il n’y a pas à douter, après l’inspection de ces deux armes, que le peuple qui les fabrique ne soit doué de cette supériorité que tous les explorateurs annoncent et qui se traduit par la crainte qu’ils inspirent à tous leurs voisins. Mieux armés dans la lutte pour l’existence, ils ont pris dans le haut Ogoué un développement considérable qui a puissamment aidé à les rendre redoutables sur tous les points qu’arrose ce fleuve. Ce peuple n’est pas encore bien connu, il est probable que l’expédition de Brazza nous renseignera complètement sur les conjectures actuelles relatives à sa supériorité numérique et intellectuelle (E.lleckel).
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- une conversation très intéressante, nous parlâmes longuement de l’esclavage et il crut me donner en faveur de la traite des nègres de bons arguments. Il déplorait naturellement la suppression de ce commerce honteux et prétendait que c’était un acte d’humanité que d’acheter des hommes, voués pour la plupart à une mort certaine en leur qualité de prisonniers. Il prétendait traiter les siens avec une extrême bonté et les appelait ses enfants. Mais son embarras fut grand quand je lui parlais de ces fêtes religieuses où un esclave est impitoyablement mis à mort. Ce n’est pas du reste dans ces seules occasions qu’ont lieu les sacrifices humains, la mort d’un homme libre, quelque peu influent, entraîne celle d’un ou de plusieurs esclaves suivant l’importance du défunt.
- De N’gola, je partis à la recherche du chef qui avait attaqué la goélette et sur lequel le roi Soun-gué ne voulut ou ne put me donner aucun renseignement. Dans cet état d’incertitude, j’avais hâte d’arriver aux factoreries, où ma présence pouvait être utile à éviter d’autres malheurs ; aussi tout en poursuivant mon rebelle du nom d’Azizin-gelé, je ne m’arrêtai que devant les principaux villages où je pouvais descendre sans imprudence.
- « Les Camas ont toujours été les ennemis des Cap-Lopez, j’en profitai pour visiter leur capitale N’Donga (à 75 milles de l’embouchure), village peut-être le plus curieux du fleuve. Il est très étendu et mieux construit que les autres, de plus la demeure royale y est entourée d’une pallissade en bambou qui lui donne l’aspect d’une forteresse.
- « Les Camas passent du reste pour être très courageux. Ceux de N’Donga ne craignirent pas quelques jours avant mon arrivée d’aller au secours d’une pirogue de la maison Warman qui était attaquée par les Cap-Lopez. Je remerciai le roi et pensai que la meilleure manière de lui témoigner ma reconnaissance était de lui distribuer de l’eau-de-vie en abondance. Il parut très satisfait du procédé et se mit immédiatement à boire de larges rasades sans oublier toutefois de conjurer les mauvais esprits [faire félicite), en versant préalablement quel-
- ques gouttes de cette liqueur à terre. Certains chefs se couvrent la tête pendant qu’ils boivent. Je fus frappé en outre de la valeur que tout papier avait à ses yeux, car il me présenta une liasse assez volumineuse de ce qu’il appelait ses certificats. Quelques-uns avaient une certaine importance, ils constataient les services rendus, mais que de feuilles inutiles! que de pages arrachées à des livres! Je lui fis un sensible plaisir en lui en remettant une de grande dimension. — Les habitants de N’Donga fabriquent des nattes très fines, des tondos, fort estimés des dames gabonaises et même en Europe où ils ont aujourd’hui une certaine valeur (fig 11 et 12). Ils emploient, pour ouvrager ces plies épingles à cheveux, l’ivoire d’hippopotamequ’ils travaillent d’une façon remarquable et qu’ils savent admirablement incruster de nacre et d’ébène. C’est à peu près, du reste, leur seule industrie. Comme tous les nègres du fleuve, ils élèvent des moutons, des poules, des canards, etc. Je ne les crois point paresseux, tout le commerce de Fernand Vaz (il consiste surtout en caoutchouc) leur est dû et il est très-florissant. C’est, à 7 à 8 milles de N’Donga, près de Mayumbé (village Cama) que finit le delta du fleuve. Il communique en cet endroit avec le Fernand-Vaz, que l'on a peut-être tort de ne pas considérer comme l’une des principales branches de l’Ogooué.
- « Je passai en vue de quelques villages Cap-Lopez et arrivai enfin dans la région habitée par les Gallois. J’aurai désiré m’arrêter dans chaque village, malheureusement nous avions hâte d’arriver dans les factoreries, qui jusqu’à ce moment n’avaient pu communiquer avec nous. Je comptais profiter du long séjour que je devais faire à Ayenano (villages gallois, factoreries allemandes) pour faire en chaloupe à vapeur de nombreuses excursions.
- « De tous les peuples de l’Ogooué, les Gallois sont les plus indolents, les plus corrompus et les moins accessibles à la civilisation : je me livre au com-\ merce des femmes, telle est la réponse qui m’a été faite par tous les chefs de villages que j’ai visités.
- . CalI
- m *
- llois
- Carie du fleuve Ogôoué (Afrique centrale), dressée par M. Fourest, enseigne de vaisseau
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- LA NATURE.
- Aujourd’hui qu’ils ne sont plus commissionnés par les Cap-Lopez pour aller prendre des esclaves mâles chez les Okandas, ils spéculent plus que jamais sur la beauté de leurs femmes. Les Galloises méritent la réputation qui leur est faite, elles sont très proportionnées et sensuelles, les autres tribus les recherchent avidement. Jamais peuple ne s’atiffa d’une
- façon plus ridicule, c’est à la satisfaction de son mauvais goût que l’on destine tous les costumes plus ou moins grotesques expédiés au Gabon. L’ivrognerie est en honneur chez lui. Les autres races s’enivrent aussi, mais sans en tirer vanité. Quand le Gallois commence à boirer, rien n’arrive à le satisfaire. Si on lui donne de l’alouyou (eau-de-vie de
- Armes rapportées de l’Afrique centrale. — Expédition de M. Fourest.
- 1 et 2. Fourreau ei son couteau, provenant de la tribu des Osyebas (haut du fleuve Ogôoué), donné parM.leD' Lentz àM. Fourest.—3. Gaine d’un couteau pahouin recouverte d’une peau de serpent — Cloche du roi Iwillis (elle sert à imposer le silence quand le roi veut parler en public). — 5. Couteau Bakalâis pris entre les mains des indigènes du Cap-Lopez. — 6. Couteau provenant des Osyebas. — 7 et 8. Sacrificateur humain en fer avec son fourreau en laiton portant la figure d’une divinité (provient de Diakaoulé, estuaire du Gabon) — 9. Couteau de la gaine n" 5. — 10. Hache pahouine en fer, avec manche en bois. — 11 et 12. Tondos (épingles à cheveaux) gabonais en ivoire, incrusté de nacre et d’ébène.
- traite), il demande de l’alcool. Tout liquide, pour peu qu’il soit corsé, est bon pour lui. Je veux rapporter à ce propos une scène réellement comique dont j’ai été témoin à la factorerie allemande. Pour me souhaiter la bienvenue, les quatre chefs d’Aye-nano nous donnèrent un tam-tam (grand divertissement). Tandis que les dames s’égosillaient et se livraient à des danses lascives, les mâles, revêtus de leurs plus brillants costumes, s’adonnaient aux libations les plus capricieuses et les plus variées :
- eau-de-vie, huile de ricin, eaux de toilette, Lubin, encre, tout y passait ; ils semblaient ne plus établir de différence entre ces divers liquides. Une des causes d’abrutissement de ce peuple réside dans l’abus qu’il fait du tabac Congo. J’ai pu étudier, au Gabon, sur des prisonniers, les effets de cette plante qui est cultivée avec tant de soin par les Gallois ; ils en entourent leurs cases et en sont très avares. Les casse-têtes confectionnés par eux ont une certaine réputation ; c’est du reste, le seul peu-
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- LA NATURE.
- pie de l’Afrique équatoriale qui fabrique des armes semblables. 11 est trop peureux aujourd’hui pour se battre, et s’il a jamais à se défendre, il se sert comme tous les noirs, du fusil à pierre. Il est bien connu aussi pour son adresse comme piroguier. Les pirogues galloises sont très longues, très étroites, très difficiles à manœuvrer : ils pagayent toujours debout, tandis que les autres peuples le font assis, et ils sont obligés d’agir ainsi pour vaincre la violence du courant qui est très fort en cet endroit.
- « Dans les premiers jours qui suivirent mon arrivée, je dus me décider à châtier les Bakalais qui, quoique avertis de ma présence à Ayenano, n’en persistaient pas moins dans leur idée de forcer les factoreries à s’établir chez eux. Ils tiraient sans relâche sur les pirogues de la maison Hutton et Cookson (anglaise), les menaçant d’une destruction prochaine. J’installai un canon de 4 à l’avant d’un chaland, je le dissimulai sur une caisse et après avoir caché mes hommes de la même manière (4 octobre), je partis pour l’île Tazzié à la remorque de l’Orongué qui vint s’échouer volontairement en face des villages rebelles. Les Bakalais ne voulant pas laisser échapper une aussi belle fortune, s’embarquèrent rapidement dans leurs pirogues et ouvrirent sur nous un feu bien nourri dès qu’il furent parvenus à une faible distance. Us étaient loin de s’attendre à l’accueil qui leur fut fait et regagnèrent la côte en désordre. Ce peuple est digne d’intérêt : s’il a un caractère tracassier, il faut bien reconnaître qu’il est doué d’une grande ardeur pour le travail. Après avoir longtemps habité les rives du Ramboé, il a été obligé d’abandonner ce pays aux Pahouins qui le chasseront tôt ou tard de l’Ogôoué. Toutes les armes que l’on rencontre dans le bas du fleuve sont fabriquées par eux. Les Pahouins et les Bakalais sont les seuls peuples de ces régions qui travaillent le fer et le cuivre. Les Bakalais se soumirent, leurs chefs me payèrent l’amende que je réclamai et y joignirent des otages. Azizingclé, d’après tous les avis que je reçus, dut retourer à Bo-naviré, abandonné par tous ses hommes. Je pus donc continuer sans inquiétude mes excursions et je profitai pour cela de la chaloupe à vapeur qui était mise gracieusement à ma disposition. Je visitai le lac Zonangue, patrie des gorilles, et berceau de la religion galloise. C’est dans l’île de l’Arcugueu-goua qu’habite le grand féticheur. Ce lac est couvert d’une grande quantité d’iles ; je m’étonnai que Griffon du Bellay n’en aie signalé que deux. J’ai pu rectifier la position de quelques-unes de ces îles. J’acquis la certitude que la rivière appelée Ouzzou-vagizza, n’est autre que l’Ogôoué, qui forme en cet endroit l’île de Azzangué. Elle existe, elle est très large, navigable, mais elle n’a pas un cours bien long ; c’est tout simplement un affluent du grand fleuve, les bords en sont habités par les Gallois. L’Ogôoué reçoit un peu plus bas et par le travers de l’ile Azzangué un second affluent assez important. Je rectifiai la position de l’île Tazzié, le cours
- de la rivière N’gounée, qui non loin de son embouchure baigne un village hviliis.
- « Les Gabonais sont célèbres par leurs instruments de musique (sorte de petite harpe) ; les Pahouins et les Bakalais 1 pour leurs armes, les Camos et les Cap-Lopez pour leurs nattes et tindos ; les Gallois pour leurs casse-têtes et leurs pirogues ; les Iwillis pour la façon remarquable dont ils travaillent la terre. Après mon expédition contre les Bakalais, le chef du village Iwillis, dont je parle, m’envoya à titre de soumission, sa canne, sa cloche et sa pipe2
- « J’achetai depuis, lors de mes excursions dans le N’gouné des urnes et des alcarazas sentant fort mauvais, mais réellement bien travaillées.
- « Les Iwillis sont un peuple fort peu connu par la raison bien simple qu’ils n’habitent que les bords de l’Ogôoué. Ce peuple d’un naturel très dur est probablement en décadence, mais son abaissement n’est cependant en rien comparable à celui des Gallois. Il travaille et n’est pas peureux. Sa langue se rapprocherait, au dire des laptots sénégalais qui m’accompagnaient, de la langue arabe.
- « Je fis aussi une excursion dans le pays des Inen-gas, autour du lac Zilé et sur les hauteurs de Binda et d’Àbanboué. Je ne dirai que quelques mots de ce peuple qui ressemble un peu aux Gallois. Même décadence, même abrutissement. M. de Brazza a fait un long séjour à Lambariné, c’est là qu’il a pris les piroguiers qui l’ont conduit à Lopé (O’kanda) où il est resté longtemps.
- « Je n’ai pas parlé d'Adolina-longo que je place à 180 milles de l’embouchure et où je suis allé souvent à cause des factoreries. Je n’ai rien trouvé à signaler. Je suis allé aussi à Lopé. M. de Brazza en a le premier déterminé exactement la position géographique. Je laisse maintenant la parole à ce hardi explorateur pour faire connaître un pays et un peuple que je décrirais avec beaucoup moins de compétence que lui.
- « Veuillez agréer, mon cher directeur, l’assurance de mes meilleurs sentiments.
- « Dr E. Heckel,
- « Professeur à la Faculté des sciences, directeur du Muséum d’histoire naturelle de Marseille. »
- 1 La figure 5 représente un couteau provenant des Bakalais et pris par M. Fourest entre les mains des indigènes au Cap-Lopez (expédition du 19 septembre 1876). La forme se rapproche de celle que nous avons décrite figure 6, mais elle est moins parfaite et ne présente aucune association de métaux disposée en torsade. Cette arme n’est destinée qu’à être appen-due à la ceinture. Le sacrificateur humain typique delà figure 7 a été pris chez les Pahouins de l’Estuaire du Gabon. Il est remarquable surtout par le fourreau recouvert de cuivre jaune qui porte sur une de ses faces l’image d’une divinité (fig. 8) que les Pahouins aiment à figurer, car on la trouve découpée dans une plaque de cuivre jaune sur un fétiche curieux rapporté par M. Marche et dessiné dans la Nature, année 1878, p. 201 (E. Heckel).
- 2 La cloche est reproduite dans la figure 4 ; la pipe fait partie aujourd’hui d’une collection célèbre à Paris.
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- LA NATURE.
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- LE SON ET LE TÉLÉPHONE
- RECHERCHES DU Dr C. J. BLAKE.
- La Société des ingénieurs télégraphiques de Londres a eu la primeur d’une communication très originale sur les rapports du son et du téléphone.
- M. le docteur Clarens J. Blake, de Boston, un maître dont G. Bell a mis à profit les leçons dans l’œuvre si surprenante de la création du téléphone1, est venu exposer la suite de ses recherches.
- Il a indiqué à son auditoire que la découverte du nouvel instrument avait ouvert un champ nouveau à l’investigation scientifique. Beaucoup de chercheurs cultivent ce champ et l’on peut se demander déjà quelle moisson sera la plus abondante, dans le domaine des applications pratiques ou dans celui des progrès de la science pure.
- Le docteur Blake décrit ensuite l’organe de perception du son, c’est-à-dire l’oreille humaine, mécanisme admirable capable de recevoir et de transmettre les vibrations sonores dans une échelle très étendue. La portion de cet organe complexe, qui offre un intérêt spécial au point de vue du téléphone, comprend le tympan ou membrane tambour, et trois osselets du milieu de l’oreille avec leurs ligaments.
- Cette partie importante de l’appareil transmetteur du son a été déjà utilisée par M. Bell. Nous avons dit qu’elle pouvait être employée comme phonautographe pour représenter graphiquement les ondes sonores transmises; les études que nous allons aborder nous indiqueront la voie dans laquelle doit être cherché le perfectionnement du téléphone.
- Nous rappellerons d’abord la structure de l’oreille humaine. On y distingue trois parties, l’externe, la médiane et l’interne.
- L’oreille interne renferme dans une cavité de l’os pierreux les fibres terminales du nerf auditif.
- L’oreille externe comprend le pavillon et le canal auditif qui forme un passage d’environ un pouce et quart aboutissant à la membrane du tympan.
- Celle-ci sépare l’oreille externe et l’oreille médiane, elle a un diamètre d’environ un centimètre ; j le plan de sa surface est incliné d’environ 45° sur le grand axe du canal auditif. La surface extérieure de la membrane présente la forme d’un entonnoir dont les parties sont convexes vers l’extérieur.
- Au delà du timpan est l’oreille médiame, chambre osseuse, irrégulière, d’un diamètre variant de trois à cinq millimètres dans ses diverses parties. Cette cavité est en communication avec le pharynx par un canal étroit appelé la trompe d’Eustache.
- La fonction importante de ce canal est d’assurer la ventilation de l’oreille médiane, elle égalise ainsi la pression atmosphérique sur les deux faces du
- Voy. la Rature, 1878, 1er semestre, p. 337 et 555 (
- tympan ; cette égalité de pression est indispensable pour la vibration de la membrane.
- La figure 1 présente une section verticale de la tête montrant les relations du canal auditif, du tympan, de l’oreille médiane, de la trompe d’Eustache et du pharinx.
- Dans la cavité de l’oreille médiane se trouvent les trois osselets qui conduisent les vibrations du tympan dans l’oreille interne.
- La figure 2 montre une section verticale des trois compartiments de l’oreille : la partie intérieure du canal auditif, le tympan et la cavité de l’oreille avec les trois osselets.
- 1° Le marteau fixé au tympan, le long de la moitié inférieure de celui-ci ;
- 2° L’enclume, articulé avec la tête de marteau;
- 5° L’étrier fixé à l’extrémité inférieure de l’enclume et pénétrant dans l’ouverture de la muraille osseuse de la cavité de l’oreille médiane, c’est-à-dire dans la fenêtre ovale communiquant avec la cavité de l’oreille interne.
- Si l’on enlève la partie supérieure de l’oreille médiane, on aperçoit le muscle extenseur du tympan attaché par un tendon au marteau.
- Les ondes sonores qui entrent par le conduit auditif frappent sur la surface intérieure du tympan qui se met à vibrer à l’unisson. La courbure particulière et la variabilité de la tension des diverses parties { de cette membrane lui permettent de répondre ra-j pidement à l’appel d’une grande étendue de tons;
- | dans l’oreille normale, l’échelle est comprise entre ; 32 et 40,000 vibrations à la seconde. Avec une 1 contraction spéciale du muscle extenseur, la limite ; peut être reculée jusqu’à 45,000. Au delà de celte hauteur la membrane semble opposer un obstacle au passage des vibrations sonores.
- Cependant si telle est la limite de transmission | du tympan, il est remarquable, dit M. Blake, que j la limite de perception de l’oreille est plus élevée.
- ! L’honorable professeur cite à l’appui une expérience ; où, dans un cas de perforation, il a pu déterminer sur une oreille d’ailleurs normale, avec des tiges de Konig, une perception de tons allant jusqu’à 80,000 à la seconde.
- Ces préliminaires établis, nous indiquerons la préparation de l’oreille pour servir de phonautogra-phe. On coupe le haut de la cavité de l’oreille médiane, on Introduit par cette ouverture une lame de canif pour diviser le tendon du muscle extenseur du tympan et l’articulation de l’enclume, et les détacher de l'étrier. Cette section écarte la paroi qui tapisse la cavité de l’oreille médiane, de la portion d’os qui contient l’oreille interne. De cette façon on met à nu la surface intérieure du tympan ainsi que les osselets (voir fig. 3).
- Nous insisterons maintenant sur le mécanisme spécial de vibration des osselets. M. Blake a remarqué que la plus grande partie des os est projetée au dessus de la périphérie du tympan. Sous l’impulsion communiquée p?r ce dernier aux osse-
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- LA NATURE.
- lets, ils vibrent suivant un axe très approximativement représenté par la ligne noire du dessin. « En 1874, dit M. Blake, je fus conduit par cette étude à mesurer la distribution du poids dans les osselets au-dessus et au-dessous de la ligne axiale, afin de
- Fig. 1.
- déterminer la valeur mécanique qui pouvait avoir i comme équilibre la distribution de ce poids.
- J’eus pour résultat un excès moyen de poids au-dessus de la ligne axiale, dans la proportion de 15 à 8. Lorsque le muscle extenseur du tympan se
- Fig. 2
- contracte, les os sont repoussés de la paroi de la cavité médiane, le tympan et les ligaments des os sont tendus, le contrepoids permet à tout l'appareil vibrant de répondre plus promptement à une légère impulsion. »
- Pour employer l’oreille comme phonautographe,
- on colle contre la partie descendante de l’un des osselets, une fibre de chiendent disposée parallèlement à l’axe longitudinal de cet osselet. Avec un tel style, on peut obtenir des tracés sur une plaque
- Fig. 3.
- recouverte de noir de fumée, qui glisse dans un plan perpendiculaire à la ligne d’excursion.
- Nous citerons quelques expériences du professeur.
- Fi j. l
- La figure 4 représente le résultat de la phonation des voyelles.
- La ligne supérieure (a) est un tracé de la voyelle proférée à une hauteur déterminée, la ligne inférieure (e) représente la même voyelle prononcés
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- à l’octave supérieur (c’est une représentation de l’effet que la tension du muscle exerce sur les déplacements de la membrane).
- On peut compléter la préparation en introduisant dans l’oreille un véritable téléphone. Un disque de fer doux du diamètre de 7 millimètres a été collé aux parties descendantes du marteau et de l’enclume ; en face et à courte distance on a placé une bobine et un petit aimant (la résistance de la bobine était de 44 ohms).
- M. Blake qui s’est servi de ce téléphone-oreille
- Fig- 5.
- comme appareil récepteur a pu entretenir une conversation sur une ligne de plus de six cents pieds de longueur, l’opérateur parlant à l’autre extrémité dans un téléphone ordinaire.
- •M. Blake fait ensuite une comparaison entre l’oreille et le téléphone de Bell.
- L’embouchure de l’instrument peut être comparée à l’oreille externe, le disque de métal au tympan, la chambre à air à la cavité de l’oreille mé-
- Fig. o.
- diane, l’effet amortissant de l’aimant à la traction du muscle extenseur et le courant induit dans la bobine, à l’appareil sensitif. Au delà de ces compa-paraisons générales l’analogie cesse.
- Quelques détails maintenant sur la structure de la membrane du tympan. La tunique principale se compose de deux couches de tissii fibreux; les fibres de la couche extérieure sont disposées en rayons, celles de la couche intérieure en circonférences. Les fibres se croisent en s’entrelançant suivant ces deux directions générales. D'après cette structure, la membrane possède une grande élasticité et
- une grande force. Apte à la transmission des tons élevés, elle supporte sans se rompre la pression d’une colonne de mercure de deux centimètres de hauteur.
- Une conséquence de cette étude, c’est la remarque que le tissu artificiel représentant le mieux cet arrangement fibreux se retrouve dans certaines pâtes de papier. On explique ainsi pourquoi dans les téléphones récepteurs, des disques de cette substance rendent la voix, quoique un peu diminuée d’intensité, avec une modulation plus naturelle et
- Fig. 7.
- plus agréable. Les disques en papier reproduisent plus facilement les moindres élévations de tons, et éteignent, pour ainsi dire, les élévations les plus accentuées auxquelles le disque métallique répond trop facilement.
- M. Blake a cherché à établir l’inlluence de la nature du disque dans la transmission du son. Deux téléphones de Bell à gaine d’ébonite, sont reliés entre eux par un fil aérien d’une longueur de 600 pieds.
- Fig. 8.
- 1° On entend faiblement un diapason de 1,024 vibrations quand les plaques de fer doux sont dans les deux instruments.
- 2° On entend très nettement un diapason de 8,192 vibrations, faiblement un de 10,240, plus du tout un de 12,288, lorsque l’embouchure du téléphone transmetteur est retirée.
- 3° On entend très nettement un ton de 10,240 vibrations, faiblement un de 12,288, lorsque la plaque de fer doux du téléphone transmetteur est aussi enlevée.
- 4° On entend parfaitement des tons de 12,288
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- LA NATURE.
- vibrations, de 16,384 et jusqu’à 25,000 quand on remplace la plaque métallique du téléphone récepteur par un disque coupé dans une carte postale, au centre duquel on place un petit cercle de fer doux du diamètre de 15 millimètres.
- Il est aisé de se rendre compte de la propriété qu’ont certaines plaques de renforcer les tons avec lesquels elles vibrent à l’unisson, en adoptant le dispositif suivant : on relie plusieurs téléphones récepteurs à un instrument transmetteur devant lequel on joue plusieurs notes simultanées. On constate alors que de faibles différences dans les plaques et dans les effets modérateurs des aimants, suffisent pour faire dominer certains tons.
- Ici se termine la première partie de la communication de M. Blake; dans ce qui va suivre, il s’occupe plus spécialement de la transmission de la voix humaine par le téléphone.
- Il employa deux téléphones dont les plaques por-
- /
- r:-.
- taient un petit style de piatine permettant d’enregistrer les vibrations sur une lame mobile de verre enfumé.
- Commençons par les voyelles. Le son choisi fut celui de la voyelle a à une hauteur de 488 vibrations à la seconde. L’accompagnement du ton était obtenu au moyen d’un diapason donnant une note de cette hauteur.
- On fit d’abord la tare du téléphone transmetteur en enregistrant l’excursion du disque sans aimant. La moyenne des lectures pour la voyelle a, avec 488 vibrations par seconde fut de 0,2625 millim. Lorsque l’aimant fut replacé, la moyenne des lectures fournit pour la longueur de l’excursion 0,190 millim. ce qui faisait une différence de 0,0725 millim. soit une perte d’environ 27,65 pour 100.
- Pour le téléphone récepteur, l’excursion moyenne fut de 0,0135 millim., d’où une perte d’environ 92,9 pour 100 entre les deux disques du téléphone.
- M. Blake a constaté ces résultats par une autre méthode. Les cuvettes des deux instruments furent
- percées pour recevoir des tubes courts établissant une communication avec des flammes manométri-ques. Les figures 5, 6, 7 et 8 indiquent les tracés pour les diverses voyelles o, a, e et u.
- La ligne supérieure représente la flamme correspondant au téléphone transmetteur, la ligne inférieure la flamme du téléphone récepteur.
- Une remarque pratique en passant. Les dimensions et la forme de la chambre à air exercent une influence sur la qualité de l'instrument. Si la chambre est hermétiquement fermée, l’excursion du disque est diminuée par la résistance de l’air comprimé au-dessous de lui. On accroît la clarté du ton en pratiquant une ouverture dans la cham-, bre ; on imite ainsi la trompe d’Eustache de l’oreille médiane. Cette innovation est due à M. Watson.
- Après l’étude des voyelles, M. Blake a abordé celle des consonnes.
- Il a rappelé d’abord des expériences remarquables faites en 1874 par M. Barlow, qui ont été communiquées à la Société Royale de Londres. M. Barlow a construit un instrument pour mesurer la pression manométrique du souffle dans l’émission des sons articulés.
- Les diagrammes qu’il a donnés pour les consonnes montrent une courbe caractéristique pour chacune d’elles. La mesure de h pression et la distribution sur le diagramme sont résumés par M. Blake dans une expression synthétique : la valeur logo-graphique de la consonne.
- M. Blake fait remarquer que dans la vibration de la plaque du téléphone, lorsqu’on transmet des paroles, il y a lieu de distinguer l’excursion plus courte correspondant à la valeur musicale du ton, et l’excursion plus longue provenant de la pression du souffle. Celle-ci est variable précisément suivant la valeur logographique des consonnes proférées seules ou avec d’autres sons.
- Le professeur a réussi à enregistrer avec le tympan du phonautographe les courbes d’excursion donnant la valeur logographique des consonnes dans diverses circonstances.
- La figure 19 représente en a la courbe logographique de la consonne D.
- La même figure 14 montre en h la courbe logographique de la même consonne combinée avec une voyelle.
- c représente la courbe logographique de la consonne B.
- La ligne d la courbe logographique de la même consonne combinée avec une voyelle.
- Les courbes e et f représentent le phénomène pour la consonne F soit seule, soit combinée avec une voyelle.
- Le rapprochement du disque du téléphone et de l’aimant, sous l’action de la pression correspondant à l’émission des consonnes, augmente aussi l’effet amortissant de cet aimant sur le disque. On peut ainsi expliquer la difficulté plus grande qu’il y a à transmettre d’une façon intelligible, au moyen du téléphone,
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- LA NATURE,
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- les consonnes ayant la valeur logographique la plus élevée, c’est-à-dire celles qui correspondent à la plus grande excursion du disque, telles que les consonnes T. P. D.
- M. Blake a vérifié le classement des consonnes au point de vue de leur valeur logographique par un autre procédé. Un téléphone de Bell fut relié par un fil de 40 pieds (résistance 0,542 ohms) avec un galvanomètre réflecteur à court circuit de W. Thomson. Les consonnes furent proférées devant l’embouchure. La consonne T a donné la plus grande déviation de l’aiguille et fut choisi ponr type.
- Le tableau suivant donne les grandeurs proportionnelles des mesures au galvanomètre :
- T 100 1 55 K 31
- C 62 Z 53 L 21
- y 62 D 45 R 19
- p 58 S 40 N 11
- G 56 B 35 M 9
- Les excursions de l’aiguille pour les consonnes M et N sont très faibles. La cause en est dans la direction de la pression qui se produit non en dehors de la bouche, mais en arrière dans l’espace dupha-rinx et des fosses nasales.
- M. Blake a terminé sa communication en rendant un hommage mérité à M. G. Bell, l’inventeur du téléphone.
- Ch. Bontemps.
- CHRONIQUE
- Conférences scientifiques et littéraires de la Sorbonne. — Les conférences de l’Association scientifique auront lieu à la Sorbonne les jeudis à 8\30m du soir.
- La première série commencera le 16 janvier 1879 et se terminera le 3 avril; elle sera composée de la manière suivante :
- Séance du 16 janvier. M. le comte de Lesseps, membre de l’Institut : De l’Afrique centrale.
- Séance du 23 janvier. M. Egger, membre de l’Institut, professeur à la faculté des lettres : La Grèce à l’Exposition internationale de 1878.
- Séance du 30 janvier. M. Paul Bert, professeur à la Faculté des sciences : Les travaux de Claude Bernard.
- Séance du 6 février. M. Maspero, professeur au Collège de France : Les monuments égyptiens du Louvre.
- Séance du 15 février. M. Cornu, membre de l’Institut, professeur à l’École polytechnique : La Spectroscopie et ses applications à l’Astronomie.
- Séance du 20 février. M. Desjardins, membre de l’Institut : L’Épigraphie et l’Histoire.
- Séance du 27 février. M. H. Filhol, professeur à la Faculté des sciences de Toulouse : La France à l’époque tertiaire miocène.
- Séance du 6 mars. M. Clermont-Ganneau, directeur adjoint de l’École des hautes études : Les découvertes archéologiques dans les terres bibliques.
- Séance du 13 mars. M. Marey, membre de l’Institut, professeur au Collège de France : La circulation du sang.
- Séance du 20 mars. M. Davanne, vice-président de la
- Société française de photographie : Les progrès récents de la Photographie.
- Séance du 27 mars. M. Bréal, membre de l’Institut : La Science du langage.
- O O
- Séance du 3 avril. M. Cosson, membre de l’Institut : Le règne végétal en Algérie.
- La seconde série des Conférences commencera le 17 avril.
- Séance du 17 avril. M. Faye, membre de l’Institut, inspecteur général de l’enseignement supérieur, traitera des cyclones et autres grands mouvements de l’atmosphère.
- Séance du 24 avril. M. Tresca, membre de l’Institu et professeur au Conservatoire des Arts et Métiers, traitera des Progrès récents de la Mécanique.
- L’Association espère avoir aussi le concours de : M. Mézières, membre de l’Institut et professeur à la faculté des lettres; M. Breguet, ingénieur civil: Sur l’Acoustique ; M. le Dr Java], directeur de laboratoire à l’École pratique des hautes études : Sur la vue, etc. ; M. Camille Flammarion, astronome : Sur les étoiles doubles ; M. Stanislas Meunier, aide-naturaliste au Muséum d’His-toire naturelle : Sur les pierres tombées du ciel; M. Félix Hément, inspecteur de l’enseignement primaire.
- Les dates de ces dernières conférences seront indiquées ultérieurement.
- Un cas de Migration de Carpes. — M. A.
- Bartholoni, dans une lettre à M. Raoul Pictet insérée dans les Archives des Sciences physiques et naturelles, signale un fait de migration assez curieux. Il était au bord du lac de Genève, près d’un marais habituellement isolé, mais qu’une irruption des eaux du Foi'on avait mis, depuis cinq mois, en communication avec les eaux du lac ; sous l’action répétée des vagues soulevées par une brise violente, la grève se reformait rapidement, et bientôt la communication allait de nouveau se retrouver interrompue. M. Bartholoni vit des carpes quitter le ma • rais et regagner le lac. Elles profitaient du reflux des vagues, et parvenaient même à se mouvoir sur la terre et à franchir une grève, à la vérité à fleur d’eau, mais d’une largeur d’un mètre au moins. R. Vion.
- ACADÉMIE DES SCIENCES.
- Séance du 6 janvier 1879. — Présidence de M. Daübrée.
- Tous les ans la première séance du mois de janvier est consacrée en grande partie à des soins d’économie intérieure de l’Académie. Le président qui arrive au terme de son mandat, expose un résumé de tout ce qui s’est produit dans l’année écoulée. M. Fizeau a donc énuméré les membres et correspondants décédés depuis le 1er janvier 1878 et les membres et correspondants élus depuis la même date ; il a fait connaître aussi l’état des diverses publications de l’Académie : Comptes rendus, Mémoires, savants étrangers, etc.
- M Daubrée, vice-président en 1878, a pris possession du fauteuil et l’Académie a procédé à l’élection d’un vice-président pour l’année courante. Au premier tour de scru tin, les votants étant au nombre de 62, M. Edmond Bec querel est désigné par 45 suffrages, M. Rolland en réunit 5, M. Ossian Bonnet 3, M. Chasles 2, M. Jamin 1, et il y a cinq billets blancs.
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- LA NATURE.
- On renouvelle aussi la commission administrative dont les deux membres, MM. Decaisne et Chasles, sont réélus.
- Élection. — Pour en finir avec les élections, disons aussi que l’Académie procède par la voie du scrutin au remplacement deM. Delafosse dans la section de minéralogie. Le nombre des votants étant de 60 et la majorité par conséquent de 31, 43 voix se portent sur M. Delesse,
- M. Gaudry est désigné par 9 suffrages et M. Lory par 6. Une voix est pour M. Fouqué. Il y a un billet blanc.
- Le Bathynome. — L’intérêt scientifique de la séance a été pour le mémoire lu par M. le professeur Alphonse Milne Edwards sur un crustacé découvert dans les régions les plus profondes de l’océan Atlantique. Il a été recueilli en décembre 1877 lors de l’expédition scientifique du steamer américain « Black » au nord du Yuca-tan, par 1500 brasses de profondeur et adressé à j M. Milne Edwards, par M. Agassiz. Le savant zoologiste du Muséum y a reconnu un isopode type d’une famille nouvelle et il lui impose le nom de Bathynomus gigan-teus. De splendides dessins qui accompagnent le mémoire montrent que cet animal mesure 23 centimètres de longueur sur 10 de largeur. Ce qui frappe tout d’abord c’est la disposition complètement nouvelle de l’appare-' respiratoire. Il consiste en une nombreuse série de bronchies j en forme de houppes placées entre les fausses pattes ab-dominales et dont chaque brin étudié au microscope se j présente comme un tube recouvert de poils très fins. Une | pareille exubérance de l’appareil respiratoire est sans i doute nécessitée par les conditions mêmes qui régnent aux immenses profondeurs habitées par l’animal. Mais ce qu’on n’aurait pas prévu pour un être cantonné dans les régions obscures des mers profondes, c’est que le nouveau crustacé est muni d’yeux très développés. Chacun d’eux comprend 4000 facettes et réside à la base des an- j tennes. Suivant M. Alphonse Milne Edwards le bathynome i doit vivre cramponné aux algues ; il est d’ailleurs carni- i vore et paraît se nourrir spécialement de mollusques céphalopodes. Il est probable, comme l’auteur le fait judicieusement observer, que l’étude de semblables ani- j maux jettera de la lumière sur l’histoire des crustacés j fossiles et spécialement sur celle des trilobites.
- Mer algérienne. — Les prévisions émises l’autre jour j par M. de Lesseps sont complètement réalisées. 11 résulte j en effet d’un rapport adressé par M. Roudaire que les j sondages exécutés dans le sol du seuil de Gabès et poussés à dix mètres en contre-bas de la mer ne rencontrent que des couches de sables et d’argile sans apparence de ces rochers dont on s’était plu à faire des obstacles insurmontables et qui n’existaient que dans l’imagination des ennemis du projet. Les travaux de M. Roudaire seront un peu plus longs qu’on ne s’y attendait et dureront jusqu’au 15 janvier à cause de la mobilité de certaines couches du sol qui oblige à tuber les forages. En même temps notre compatriote étudie le régime de la mer au point où s’ouvrira le canal et il a établi, près de la côte, un maréo-mèlre dont les indications sont enregistrées avec soin.
- Stanislas Meunier.
- NOUVELLE LAMPE ÉLECTRIQUE
- DE M. E. DUCRETET.
- Lu principale particularité que présente cette ,ampe consiste dans l’emploi d’une colonne de mer-
- cure dans laquelle plongent un ou plusieurs crayons. La différence de densité agit seule en produisant une poussée1, qui amène constamment et régulièrement les crayons à leur point d’appui au fur et à mesure de leur usure. Une partie des crayons devient incandescente. Plus la poussée est forte, plus cette incandescence devient prolongée. Une pile de 6 à 10 Bunsen donne déjà de beaux effets, soit à l’air libre, soit à l’intérieur d’un récipient.
- Cette disposition assure une résistance égale dans le circuit, quelles que soient la longueur des crayons et leur usure, la partie immergeant dans le mercure n’intervenant pas dans le circuit, celle qui
- Nouvelle lampe électrique de M. Dueretet
- ressort reste constante. Un seul ou plusieurs crayons de longueurs et de sections quelconques peuvent être mis dans le même réservoir, arriver à leur point d’appui et produire un large foyer lumineux. A volonté et à distance, ces crayons étant enrayés, on peut les amener successivement, à volonté ou automatiquement à leur point d’appui et avoir une lampe à très longue durée.
- Un courant d’oxygène dirigé sur la partie incandescente active la combustion et, avec une pile relativement faible, on obtient une vive lumière 2.
- 1 Cette poussée peut être réglée au besoin par l’adjonction d’une petite masse à la partie inférieure des crayons.
- 2 Note présentée à l’Académie des sciences par M. Alfred Cornu. Séance du 30 décembre 1878.
- Le Propriétaire-Gérant: G. Tissandier.
- COBBEIL, TÏP. BT STBR, CRÉt£.
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- N° 294. — 18 JANVIER 1879.
- LA NATURE.
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- L4 LUMIÈRE ÉLECTRIQUE A LONDRES
- Nous avons décrit récemment l’installation des appareils électriques Jablochkoff, dans l’avenue de l’Opéra, à Paris; ce brillant système d’éclairage vient d’être inauguré à Londres, où il a produit une vive sensation de l’autre côté de la Manche. Nous empruntons au journal The Graphie les renseignements intéressants qu’il publie à ce sujet.
- L’essai d’éclairage électrique, d’après le système Jablochkoff, fait sur les bords de la Tamise a pleinement réussi; on a trouvé ce mode d’éclairage
- pratique et efficace, mais la question la plus importante, qui reste encore à résoudre, est celle de la dépense et ce n’est qu’après trois mois que l’on pourra faire un rapport définitif sur les expériences auxquelles on aura procédé. Nous avons déjà parlé du bec Jablochkoff et du mécanisme qui en produit et régularise la lumière ; nous n’avons à décrire ici que les dispositions prises pour les expériences auxquelles on procède en ce moment sur le nouveau quai compris entre les ponts de Westminster et de Waterloo.
- On compte 20 lampes, dont la clarté est tempérée à l’aide de globes en verre d’un mat opale.
- L’éclairage électrique du quai Victoria, à Londres.
- Elles sont placées à égales distances les unes des autres sur le parapet du quai ; chaque lampe reçoit le courant électrique, transmis par sept minces fils de cuivre qui communiquent par un souterrain à la chambre des machines, éloignée de 700 mètres du bec le plus reculé. La machine motrice, dont le piston accomplit 140 mouvements de va et-vient par minute, fait accomplir dans le même temps 600 tours aux aimants de la machine Gramme ; cette machine a une force de 20 chevaux; elle a été fournie par MM. Ransome, Sims et Head, d’Ipswich.
- La première nuit des expériences, on n’employa que dix lampes ; mais actuellement, la totalité des
- 1 Voy. la Nature, n° 289, du 14 décembre 1868, p. 28. Voy, aussi table des matières des années précédentes. i
- (7* atcéf. - !•' M'Biesîn.)
- lampes fonctionnent tous les soirs, et l’effet général est très satisfaisant. La lumière est forte et claire; toute la voie du quai en est brillamment illuminée et les rayons se projettent bien au delà de la rive ultérieure de la Tamise; quant aux becs de gaz qu’elle rencontre sur son passage, ils ne servent qu’à faire ressortir la splendide beauté de la rivale que l’époque actuelle leur suscite. De grands caractères imprimés peuvent aisément se lire à 15 mètres de distance ; le texte plus fin des journaux est très lisible à 10 mètres. Quant à la lumière électrique elle-même elle est complètement incolore, et les habitants de Londres lui ont fait un accueil enthousiaste.
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- LA NATURE.
- LES ANTILOPES
- (Suite. — Voy. p. 49.)
- L’Antilope Mohr a été probablement figuré par Buffon dans son Histoire naturelle sous le nom de Nanguer et a été confondu par Pal las avec une autre Gazelle, venant de l’Afrique orientale, sous le nom d'Antilope dama. Ces deux Gazelles ont en effet des cornes assez massives, très développées dans les deux sexes, le poil serré, court et assez doux, d’un fauve rougeâtre en dessus, d’un blanc pur en dessous; mais la Gazelle dama n’a point de marques faciales, tandis que la Gazelle mohr présente sur le milieu de la face une bande d’un roux grivelé qui se fond dans la teinte blanchâtre des joues, et sur les côtés une strie noire bien définie ; chez cette dernière d’ailleurs la teinte blanche du croupion entame fortement la teinte fauve ou r mssâtre des parties supérieures ; celle-ci remonte sur le cou en devenant plus foncée et descend sur le devant des membres antérieurs et sur le côté externe des membres postérieurs; la queue est toute blanche, sauf dans sa portion terminale, enfin les cornes, fortement annelées, ont leurs pointes tournées brusquement en avant. Ces deux races, que M. Bennett a le premier distinguées, occupent, en Afrique, des aires correspondantes, la première, la Gazelle dama, habitant la Nubie et le Kordofan, la seconde, la Gazelle mohr, vivant au Sénégal. Il faut en rapprocher la Gazelle de Soemmering (G. Soemmeringi, Gretschm.) à la face ornée de cinq bandes, les unes noirâtres, les autres claires, aux oreilles assez longues, aux cornes lyrées, robustes, fortement annelées dans le mâle, un peu moins développées dans la femelle, espèce que Rüppell a rencontrée fréquemment dans les vallées couvertes de buissons d’acacias, le long de la côte d’Abyssinie. La Gazelle de Grant (Gazelle Granti), décrite par sir Victor Brooke d’après les croquis pris à Ugogo par le capitaine Speke et le colonel Grant, se distingue de toutes les autres par l’énorme développement de ses cornes, et paraît avoir une aire d’habitat extrêmement restreinte. Enfin la Gazelle euchore (G. euchore, LichL)ouSprink-bockàe Sparrmann, qui habite l’Afrique australe, présente dans sa coloration, dans la nature de son pelage et dans la disposition de ses cornes certaines différences sur lesquelles Sundevall s’est appuyé pour faire de cette espèce le type de son genre Antidorcas. Chez le Spring-hock en effet le poil doux et fin est d’un brun ou d’un roux cannelle pâle surdos, d’un blanc pur sur le devant de la tête, la gorge, la poitrine, le ventre, la base de la queue, le bord et la partie interne des jambes ; la face est ornée d’une bande médiane d’un brun pâle et de deux stries latérales d’un brun foncé, les genoux sont dépourvus de ces touffes de poils qui sont si fréquentes chez les Gazelles, sur le dos s’étend une bande longitudinale blanche qui est légèrement extensible et dont la
- largeur varie suivant les mouvements de l’animal, les oreilles sont longues et pointues, et les cornes, en forme de lyre sont marquées de vingt à quarante anneaux. Tous les voyageurs qui ont parcouru les grandes plaines situées au nord de la colonie du Cap, Sparrmann, Levaillant, J. Verreaux, Livingstone, le capitaine Gordon Cumming, Cretschmar ont rencontré des troupes innombrables de Gazelles euchores, émigrant vers le sud, par les temps de sécheresse, et dévorant, comme les sauterelles, toute la végétation qu’elles rencontrent sur leur passage. « Le 28 décembre, dit Gordon Cumming, j’eus le plaisir de voir un de ces passages pour la première fois. Jamais gibier ne m’a apparu sous un aspect plus grandiose, plus formidable. Deux heures avant le point du jour, j’avais été réveillé dans mon chariot, et j’entendais à environ deux cents pas la voix des antilopes. Je crus qu’un troupeau paissait près de mon camp, mais quand le jour fut venu je vis toute la plaine littéralement couverte de ces animaux. Ils avançaient lentement, débouchant à l’ouest, entre deux collines, comme un fleuve, et disparaissant à environ un mille au nord-est, derrière une hauteur. Je restai deux heures à l’avant de ma voiture, en extase devant ce magnifique spectacle et j’eus même quelque peine à me convaincre de sa réalité, à la prendre pour autre chose que pour le produit de mon imagination exaltée de chasseur.
- « Durant tout ce temps, les masses passaient sans fin entre les collines. Enfin je sellai mon cheval, je pris ma carabine et suivi de mes compagnons, j’entrai dans le troupeau et fis feu. On abattit quatorze pièces. « Halte, c’est assez ! » commandai-je ; nous retournâmes pour mettre notre gibier à l’abri des vautours, et après l’avoir déposé dans un buisson et recouvert de branches nous revînmes au camp.... Quelque énorme que fut cette bande, j’en vis une autre plus considérable encore le même soir. Après avoir traversé les collines entre lesquelles avaient passé les antilopes, toute la plaine et les versants même des collines m’apparurent couverts de ces animaux. Aussi loin que la vue s’étendait, on ne voyait qu’eux. Ce serait un travail inutile de cher cher à évaluer exactement leur nombre; je crois cependant pouvoir affirmer que plusieurs centaines de mille antilopes ont passé sous mes yeux. »
- Dans leurs migrations les Spring-bocks ne suivent pas toujours le même chemin, et pour revenir ils prennent en général une route différente de celle qu’ils avaient parcourue à l’aller. Leurs troupes sont si serrées qu’elles entraînent comme un torrent tout ce qu’elles trouvent sur leur passage, les animaux inoffensifs, et, paraît-il, les carnassiers eux-mêmes. Entre les rangs il se produit de continuelles mutations, les Gazelles du premier rang, naturellement les mieux nourries, devant à un moment donné céder la place à celles du second rang, affamées et partant plus remuantes ; en outre, à chaque instant des individus malades ou infirmes sont forcés d’abandonner la colonne et deviennent fatale-
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- LA NATURE.
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- ment la proie des lions, des hyènes, des chacals et des vautours.
- Les Springs-bocks montrent une agilité vraiment surprenante, et méritent bien le nom qui leur a été imposé par les colons du Cap1 : ils peuvent s’enlever des quatre pieds et exécuter des bonds de 5 mètres d’étendue et de 3 mètres de haut. Souvent tout un troupeau franchit ainsi un escarpement de rochers, le chemin frayé par les hommes ou la piste d’un carnassier.
- Prise jeune, la Gazelle euchore s’apprivoise facilement : elle est cependant assez rare dans nos jardins zoologiques, car les individus embarqués au cap de Bonne-Espérance succombent pour la plupart dans la traversée, et ceux qui arrivent en Europe se tuent fréquemment en s’élançant contre les grillages des parcs où ils sont enfermés.
- Dans l’Inde se trouve une autre espèce d’Antilope qui a joui jadis d’une certaine célébrité parce qu’on tirait de son estomac le médicament fameux connu sous le nom de bézoard ; c’est Y Antilope bezoartica qui est devenue le type du genre Cervicapra de Gray. Elle a les cornes allongées, en spirales dressées et légèrement divergentes, les larmiers (ou fossettes lacrymales) très développés, le pelage d’un gris-brun, avec le bord et la face interne des cuisses, le ventre, la poitrine, les lèvres et les orbites d’un blanc pur, le devant des épaules, la région interne des jambes et la face antérieure des pieds d’une teinte noirâtre. Ces Antilopes qui vivent en petites troupes dans les vallées du Bengale et qui se nourrissent d’herbes et de plantes savoureuses, tenaient une certaine place dans la mythologie indoue et ont été célébrées par les poètes sous les noms d'ana, de safin ou de safi. De nos jours, elles sont l’objet d’une chasse active de la part des indigènes qui pour les capturer se servent tantôt de guépards et de faucons convenablement dressés, tantôt d’une antilope mâle aux cornes de laquelle sont attachés des nœuds coulants. Ce mâle apprivoisé étant lancé au milieu d’un troupeau sauvage, est immédiatement attaqué par les chefs de la bande et même par les femelles : dans la lutte, un grand nombre d’individus s’embarassent dans les lacs, tombent et deviennent la proie des Indous qui les gardent volontiers dans leurs demeures et les entourent d’une sorte de respect religieux. Les Cervichèvres s’apprivoisent assez facilement et peuvent vivre longtemps en captivité lorsqu’elles ont un espace suffisant à leur disposition : par leur beauté et par l’élégance de leurs mouvements, elles font l’ornement des parcs des radjahs et de quelques résidents anglais. On les abreuve de lait, et, dans certaines localités de l’Inde, les brahmines seuls ont le droit de se nourrir de leur chair.
- Les Céphalophes présentent au lieu de larmiers une simple ligne glandulaire de chaque côté de la face et ont le muffle large et dénudé, et le sommet
- 1 Spring-bock signifie bouc sauteur-
- de la tête orné d’une touffe de poils dressée entre les cornes. Les espèces de ce groupe, l’Antilope à quatre touffes, l’Impoon, le Grimme, le Philan-tomba, le Madoqua, le Bush-bock à calotte rouge, le Bush-bock à dos blanc et le Bush-bock à strie noire, le Coquetoon, le Guevei du Cap, le Guevei à croupion noir et le Guevei grivelé sont pour la plupart de petite taille et remarquables par l’agilité de leur course. Lorsqu’elles sont poursuivies, ces Antilopes font des crochets rapides, se glissent entre les herbes, se coulent entre les buissons et parviennent souvent à échapper aux chasseurs. Les unes habitent le Sénégal, les autres l’Abyssinie, d’autres le cap de Bonne-Espérance. Leur peau sert à fabriquer des fouets et leur chair est très estimée des colons anglais et hollandais.
- La plupart des Antilopes que nous venons de passer en revue se tiennent dans les endroits secs, dans les plaines sablonneuses ou sur les plateaux couverts de buissons ; les Éléotragues au contraire vivent dans les lieux humides au milieu des roseaux ; aussi ont-elles été désignées parfois sous le nom d'Antilopes de marais. Dans ce groupe le mâle seul porte des cornes qui sont tantôt dressées, tantôt divergentes, mais toujours coniques, annelées, et à pointe dirigée en avant. Les fossettes lacrymales font ordinairement défaut et les mamelles sont au nombre de quatre chez la femelle. Chez l’Inghalla ou Beit-Bock, qui peut être considéré comme le type des Eléotragues, la tête est large, avec un espace dénudé sur chaque tempe; le pelage est brun, grivelé de jaune, avec les joues et le cou d’un roux fauve, la base des oreilles, la poitrine, le ventre, l’intérieur des membres et le dessous de la queue d’un blanc pur, et le devant des pattes noir. Ces Antilopes ne se trouvent que dans les plaines marécageuses du pays des Namaquois et de la Cafrerie ; elles se nourrissent de roseaux, de graminées et souvent de blé en herbe ; aussi les Cafres cherchent-ils par tous les moyens à se débarrasser de ces voisins trop gourmands. Les Inghallas ne sont du reste pas très difficiles à atteindre et lorsqu’ils sont surpris, font entendre une sorte d’éternuement qui sert d’avertissement au chasseur; mais ils ont la vie très dure, et même percés d’une balle ils peuvent encore gagner la forêt voisine.
- E. Oustalet.
- — La fin prochainement. —
- SOCIÉTÉ FRANÇAISE DE PHYSIQUE
- Séance du 20 décembre 1878.
- M. le secrétaire général présente au nom de M. Bour-seul un microphone dont le principe consiste en l’emploi de deux feuilles de plaqué de fresne formant les parois d’une boîte remplie de charbon coke ou poudre impalpable. Le courant qui va ensuite actionner le téléphone traverse cette résistance que font varier les moindres bruits provoquant la vibration des plaques. Ainsi qu’on a pu
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- LA NATURE
- s’en convaincre, le timbre de la voix est beaucoup moins modifié que lors de la transmission par deux téléphones.
- M. Aymonnet décrit la méthode qu’il emploie pour graduer les galvanomètres. Il reçoit sur une pile thermoélectrique liée au galvanomètre, et dont il fait varier la distance à la source calorifique, alternativement les rayons directs et les rayons ayant traversé un corps très dia-thermane : il note les rapports des déviations correspondantes. Les limites angulaires entre lesquelles ces rapports sont égaux comprennent la portion du galvanomètre où les déviations sont proportionnelles aux quantités de chaleurs reçues par la pile. Il passe ensuite par des divisions successives à l’expérience des intensités correspondantes aux déviations comprises au-dessous et au-dessus de ces limites. On peut vérifier la graduation en faisant varier la nature du corps diathermane. En produisant des dérivations dans le courant et recommençant ainsi la graduation, M. Aymonnet s’est convaincu que les intensités des courants sont proportionnelles aux quantités de chaleur qui les engendrent.
- M. Joubert expose les recherches qu’il a faites sur la
- variation du pouvoir rotatoire du quartz avec la température. L’appareil d’observation était le saccharimètre Laurent, éclairé par la lumière de la soude. Pour les températures élevées, M. Joubert plaçait le quartz dans un tube chauffé par la vapeur d’un liquide bouillant, selon le dispositif employé par MM. Deville et Troost dans la mesure des densités de vapeur. Les températures au-dessus de la température d’ébullition du cadmium (840°), étaient produites par un fourneau chauffé aux huiles lourdes de pétrole. L’épaisseur des échantillons a varié de 15 à 40 millimètres.
- Les résultats ont été les suivants : Tous les quartz sont identiques au point de vue qui nous occupe. La courbe représentative des variations du pouvoir rotatoire du quartz avec la température s’élève d’abord rapidement jusqu’à 500°. De celte température jusqu’à l’ébullition du cadmium (840°) elle se confond presque avec une ligne droite, en présentant un point d’inflexion vers 500°. Au delà de 840° la courbe change brusquement d’al-lui es ; le pouvoir rotatoire qui variait si rapidement ne croît plus jusqu’à 1500° qu’avec une lenteur extrême.
- Rlicoîlr.l por prefsiou, ilo Al. i-tlison.
- RHÉOSTAT PAR PRESSION
- Nous avons résolu de signaler à nos lecteurs quelques-uns des appareils nouveaux de M. Edison. Nous remercions le savant Américain d’avoir Rien voulu nous adresser les documents nécessaires à la publication des gravures que nous publierons successivement. Nous parlerons aujourd’hui du nouveau rhéostat par pression.
- Le courant qui entre par la borne de droite sort par la borne de gauche, après avoir traversé la colonne dont la coupe montre la composition intérieure.
- Le tube À étant en ébonite ou en ivoire, le courant est obligé de traverser la partie intérieure qui est composée de feuilles en étoffes de soie imprégnées d’une substance dont la composition n’est point donnée, enduites de charbon et dont la conductibilité varie suivant l’état de compression.
- Pour donner la pression, on emploie la vis F dont le filet saillant D est creusé dans l’écrou E. Ce der-
- nier porte une échelle graduée verticale G, qui permet d’évaluer exactement le nombre de tours. Le limbe F G étant également gradué, les fractions de tour sont indiquées à la façon des vis micrométriques.
- Un tâtonnement préalable a permis de reconnaître quelle est la meilleure proportion à adopter entre le nombre des disques, leur nature et l’épaisseur des couches de charbon.
- Cette disposition ingénieuse autant que simple, est fort intéressante ; elle permet de profiter, sous une nouvelle forme, de l’influence du tassement des matières pulvérulentes sur leur conductibilité électrique, propriété dont M. Edison a déjà tiré tant d’inventions différentes.
- La sensibilité de ce rhéostat est, dit on, excessive, ce qui se comprend facilement puisqu’on peut approprier la nature et le nombre des disques au genre des courants qu’il s’agit d’étudier.
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- LA NATURE
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- FOSSILES NOUVEAUX
- DES ENVIRONS DE PARIS.
- Parmi les innombrables localités où la paléontologie est cultivée avec une activité de tous les instants, Paris se signale comme celle où le plus de collaborateurs concourent à l’œuvre commune. Tous les points fossilifères du bassin ont été fouillés et refouillés et, pour ne parler que des mollusques tertiaires, les espèces reconnues et décrites s’élèvent aujourd’hui à près de trois mille. Comme on le conçoit aisément, les découvertes de nouvelles formes deviennent chaque jour plus rares et il faut remarquer que chacune d’elles présente un intérêt croissant. C’est ce qui va être facilement compris.
- Le but final que l’on poursuit, en étudiant les vestiges des faunes et des flores disparues, est de reconstituer l’histoire de la vie à la surface du globe. On veut déterminer la distribution de chaque espèce et les variations qu’elle a pu subir dans le cours des temps ; car c’est en éclairant, sous toutes ses faces, la grande question du renouvellement des êtres, que la paléontologie fournit les renseignements les plus impi r-tants à la géologie générale.
- Ces travaux, d’un ordre si élevé, supposent avant tout un catalogue complet de tous les fossiles, et c’est pour les avoir tentés d’une manière prématurée qu’Alcide d’Obi-gny a dressé tant de tableaux synoptiques, dont la valeur,
- malgré la conscience et le travail dont ils sont
- les
- fruit, a été complètement annulée par mêmes de la science.
- Quiconque renouvellera ces essais pour des régions étendues, rencontrera les mêmes écueils : les conclusions les plus légitimes aujourd’hui seront vraisemblablement modifiées, peut-être même renversées, par les découvertes de demain.
- Mais il n’en est plus de même dans un point étroitement circonscrit et depuis longtemps étudié avec assiduité. C’est pourquoi l’on peut raisonnablement pousser jusque dans leurs derniers détails les comparaisons entre les faunes malacologiques des diverses assises tertiaires parisiennes. V En 1876, nous avons soumis à l’Académie'des sciences, un tableau synoptique construit d’une façon nouvelle, sans doute applicable dans beaucoup de cas, et qui résume, au point de vue des mollusques, l’histoire de notre bassin tertiaire.
- Le nombre total des mollusques qu’il comprend, c’est-à-dire la somme des espèces contenues dans les faunes successives des diverses formations s'élève au chiffre de 3576; mais 490 d’entre elles
- constituent des doubles emplois, figurant à la fois dans plusieurs faunes, entre lesquelles elles établissent des liens variés. 11 en résulte que le nombre d’espèces réellement distinctes est seulement de 2886. Le tableau montre comment la faune totale de chaque formation se décompose en espèces nées dans la formation elle-même et en espèces venant de plus bas. On y voit en même temps, comment cette faune contribue, soit par des espèces quelle a reçues "de couches antérieures, soit par ses propres espèces, aux faunes subséquentes. On constate enfin le nombre des espèces qui y disparaissent et, parmi elles, se signalent celles qui, y ayant pris naissance, représentent réellement la faune propre de cette formation.
- Par exemple, la faune du calcaire grossier, comprenant 1386 mollusques, 1285 apparaissent dans cette formation : 1026 y finissent et constituent la faune propre du calcaire grossier, et 259 passent dans les couches plus récentes. Il y a 101 espèces de mollusques que le calcaire grossier reçoit des formations antérieures ; 6 datent des sables de Braeheux et parmi elles 3 s’éclipsent dans les lignites et dans les sables de Cuise; les 3 autres, également absentes des lignites, figurent dans la faune de Cuise. De ces 6 coquilles, une seule persiste après le calcaire grossier et va s’éteindre dans le sable de Beau-
- Nouvclles coquilles fossiles. — Cerithium latimlcatum. champ. 5 mollusques du cal-Dentalium Leoniæ. — Limopsis concentrica. — Car- Caire grossier Sont originaires dium stampinense. des lignites. I/un deux s’é-
- clipse dans les sables de Cuise, tandis que les 4 autres y persistent; deux de ces derniers passent dans le sable de Beauchamp. Enfin, 90 coquilles sont originaires des sables de Cuise et, parmi elles, 51 s’éteignent dans la formation qui nous occupe, tandis que 59 autres continuent dans les sables moyens.
- C’est évidemment par des rapprochements de ce genre qu’on renouera les liens réels entre les formations successives et, cela fait, en comparant les espèces analogues de deux terrains voisins, on pourra déterminer ce qui revient à la variabilité des espèces dans la caractéristique de chacun d’eux. Il est donc important de connaître le bilan de chaque couche à une unité près et c’est pour cela que nous croyons devoir consigner ici la découverte toute récente des quatre coquilles figurées ici et dont chacune, comme ou va voir, présente des particularités intéressantes.
- La première, à gauche de la figure, appartient au genre Cérithe et offre une taille relativement grande. C’est une coquille trapue régulièrement conique, composée de huit tours croissant lentement de la manière la plus régulière. Les trois
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- progrès
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- premiers tours sont recouverts de quatre stries longitudinales dont la supérieure augmente progressivement, pendant que les trois autres vont peu à peu en s’effaçant. Dès le quatrième tour, la strie supérieure devient un vrai sillon qui reste ensuite seul sur les tours suivants, lesquels seraient lisses sans les fines stries d’accroissement qu’on y aperçoit. En même temps, la forme des tours change considérablement : dans les premiers, elle est régulièrement cylindrique et la suture est simple ; plus tard, ils s’aplatissent et la suture se fait par une très large rainure à fond plat parallèle au sillon et très rapprochée de lui. La bouche, qui n’est pas entière dans l’échantillon, est déprimée, oblique et quadrilatère. La columelle présente un gros pli très bien marqué. Nous avons imposé le nom de Cerithium latisulcatum, à cette coquille, qui diffère considérablement de tous les cérithes parisiens. Au premier abord on ne peut s’empêcher de constater que les tours de spires pro • fondement sillonnés qui viennent d’être décrits sont identiques aux tours qui, dans le Cerithium spira-tum de Lamarck, précèdent le rétrécissement si singulier de cette dernière coquille. C’est au point que certains fragments convenablemeut séparés des deux espèces ne seraient pas facilement distingués. Cependant la forme générale de notre cérithe et sa bouche, qui conduisent à placer la nouvelle espèce dans le voisinage du cérithe émarginé, empêchent de s’arrêter à l’idée d’un lien quelconque avec le Cerithium spiratum. C’est d’ailleurs en mélange avec cette dernière coquille que nous avons recueilli l’espèce nouvelle, à Chaumont-en-Vexin.
- A côté du cérithe se présente dans la figure, sous la forme d’un petit cône très allongé et un peu courbe, un petit dentale nouveau que nous avons dédié à Mme Léonie S‘-Meunier et appelé Dentalium ieoniœ. Cette coquille, qui appartient à l’horizon des sables moyens, diffère à première vue de tous les dentales du même niveau géologique, et se rapproche un peu du Dentalium ehurneum du calcaire grossier, était comme lui recouverte de nombreuses stries annulaires très profondes. Sur une longueur totale de 20 millimètres, on compte dix-neuf de ces stries dessinant comme dix-huit anneaux. Ceux-ci sont très réguliers et non pas serrés d’une manière variable, comme dans le Dentalium ebur-neum. La coquille est moins arquée que celle de ce dernier dentale et moins atténuée à son extrémité postérieure qui porte une fissure dorsale remarquable par sa longueur de 11 millimètres et par sa largeur : cette fissure est bien plus large en effet que celle de toutes les autres coquilles analogues ; elle se termine brusquement aux deux tiers de l’un des anneaux. L’ouverture est circulaire et transverse. J’ai recueilli l’exemplaire unique que je possède dans la grande sablière de Jaignes (Seine-et-Marne) au sein de la couche immédiatement superposée à l’assise caractérisée par d’innombrables Nummulites variolaria. Peut être, dans les idées actuelles de
- filiation des espèces, pourrait-on voir dans le Dentalium Leoniœ, la forme du Dentalium eburneum propre à l’époque des sables moyens.
- La petite coquille, représentée à droite et en haut du dessin par sa face interne et par sa face externe, est très singulière. Elle est tout à fait voisine pour sa forme générale des coquilles appelées limes ; elle n’offre aucun vestige de stries divergentes. C’est un Limopsis et nous l’avons appelé Limopsis concentrica à cause des stries d’accroissement régulières et très marquées qui en recouvrent la surface. La charnière, composée de sept dents rayonnantes, est divisée en deux parties très inégales (cinq dents d’un côté et deux de l’autre), par une dépression triangulaire très régulière et très nettement délimitée. J’ai recueilli cette petite coquille, dont je ne connais qu’une seule valve, dans le calcaire grossier inférieur de Chaumont-en-Vexin.
- Enfin, dans le coin inférieur droit de la figure, on voit une coquille qui m’a été donnée par M. Bris-son, à qui je me fais un devoir d’adresser ici mes vifs remerciements. Elle provient des sables à Cardita Bazini (niveau d’Ormoy) que l’on rencontre àValnay, près de la porte d’Étampes. Cette coquille, que nous appelons Cardium stampinense, rappelle au premier abord le Cardium aviculinum de Deshayes. Elle est fort anguleuse et presque quadrilatère. Une carène aiguë, qui la rend cordiforme, la divise en deux parties fort inégales dont l’antérieure est limitée par un bord courbe et presque hémicirculaire, tandis que la postérieure se termine par un bord rectiligne faisant avec le premier un angle très aigu. Extérieurement la coquille est recouverte de stries divergentes interrompues de temps à autre par des stries d’accroissement fort irrégulières. Les stries divergentes sont simples sur le côté antérieur ; en arrière, au contraire, elles sont chargées d’écailles imbriquées,
- Stanislas Meunier.
- DU .SOMNAMBULISME ET DU MAGNÉTISME
- A PROPOS
- DU COURS DU Dr CHARCOT A LA SALPÊTRIÈRE.
- La presse s’est occupée dans ces derniers temps d’expériences et de démonstrations sur le somnambulisme et le magnétisme, faites par M. le docteur Charcot à la Salpêtrière. Depuis plusieurs années, l’éminent professeur a inauguré, en dehors de son enseignement officiel, une série de leçons cliniques sur les maladies nerveuses dont son service est si abondamment pourvu. Ces leçons qui ont lieu chaque dimanche à neuf heures et demie, dans une salle de plus en plus insuffisante pour le grand nombre d’auditeurs, portent, comme je viens de le dire, sur la démonstration des principaux types de
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- névroses, épilepsie, hystérie, ou de maladies nerveuses proprement dites, paralysie agitante, lésions cérébrales, etc.... Le champ est des plus vastes, les sujets ne manquent malheureusement pas et ce cours obtient auprès des étudiants le succès le plus légitime.
- Cette année, le professeur a touché à quelques-unes des questions les plus délicates de la pathologie nerveuse, questions dont l’interprétation difficile, malaisée, a donné lieu à des controverses sans nombre, et qui se relient à un ordre de faits largement exploités, et souvent avec un succès prodigieux, par les charlatans de tous les âges et de tous les pays. Le merveilleux ou tout ce qui paraît l’être a toujours sur la foule crédule un attrait puissant ; il en a eu et qui plus est il en aura toujours, d’autant plus aisément qu’il trouve au service de sa vulgarisation, de sa propagation, des croyants, les uns de bonne foi, les autres se faisant sciemment les apologistes et les apôtres de la supercherie. Les adeptes du spiritisme, des tables tournantes, etc., n’ont pas cessé d’exister; et j’en connais plus d’un qui ne reculerait devant rien plutôt que de renoncer à croire. On se souvient du reste d’un grand procès plaidé il y a quelques années en Angleterre au sujet de duperies exercées par de prétendus spirites : plusieurs des témoins entendus, et parmi eux, des hommes d’une situation élevée, d’une éducation relevée, ont refusé de s’incliner devant la démonstration évidente de la supercherie. Après tout, c’était peut être un moyen de se tirer d’une fausse situation avec les honneurs de la guerre.
- La fin du dernier siècle et le commencement du siècle présent surtout ont été marqués par un en-goument, une fureur du magnétisme. Il y a maintenant cent ans (1778) que débarquait à Paris un médecin de Vienne, Mesmer, plus adonné à la physique qu’à la pratique médicale proprement dite. Le proverbe qui dit que nul n’est prophète dans son pays, l’avait sans doute poussé à tenter la fortune hors des frontières de l’Allemagne. Il arrivait du reste à point, l’époque était favorable à ses idées, le mouvement des esprits qui, depuis plusieurs années, se dessinait dans toute l’Europe, venait accroître les chances de succès de ce nouvel apôtre. Les épidémies de Saint-Médard, pour être modérées, arrêtées (grâce à la fermeture du cimetière), avaient encore leurs adeptes fervents et tout prêts à redevenir convulsionnaires. Mesmer avait du reste eu des prédécesseurs, mais peu d’hommes ont obtenu un succès plus rapide et plus surprenant ; on compte qu’il avait magnétisé plus de 8000 malades dans les premiers mois de 1784; une souscription organisée par ses clients et admirateurs monta au chiffre de trois cent quarante mille livres; cela dépasse la réussite des charlatans d’aujourd’hui. Malgré ses prodigieux succès les déboires furent encore plus rapides ; une commission composée de membres de l’Académie de médecine et de l’Académie des sciences, vint détruire le prestige de la
- science nouvelle. Peu à peu la faveur populaire fit également défaut et ce ne fut qu’après un certain intervalle qu’on vit reparaître la doctrine plus ou moins modifiée entre les mains des élèves de Mesmer.
- Il nous serait difficile d’énumérer ici les propositions sur lesquelles s’appuie la doctrine de Mesmer ; je conseillerai à ceux de mes lecteurs que la question peut intéresser la lecture d’un article remarquable dû à la plume du docteur Dechambre ; le mesmérisme y est étudié et discuté avec le plus grand soin et un luxe de détails qui ne peuvent trouver place ici (art. Mesmérisme du Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales). Pour résumer en quelques mots la théorie de Mesmer, disons qu’elle reposait sur l’existence d’un fluide universellement répandu, dont la subtilité ne permet aucune comparaison, susceptible de recevoir, de communiquer et de propager toutes les impressions du mouvement, soumis à des oscillations de flux et de reflux, d’augmentation ou de diminution. Le corps animal est animé par ce fluide et la propriété qui le rend susceptible des diverses influences (corps célestes ou corps animés) a été dénommée magnétisme animal.
- C’est en vertu de ces attractions, de ces influences manifestées par l’action du magnétisme animal que Mesmer lui reconnaissait la propriété de guérir immédiatement les maladies des nerfs et médiatement les autres. Pour ce faire, la méthode consistait au début dans l’attouchement et le regard, plus tard, soit Mesmer, soit ses élèves usèrent simplement de conducteurs, de baguettes ; l’affluence du public fit en fin de compte inventer le fameux baquet. Les effets obtenus au moyen des attouchements, du baquet, etc.... variaient depuis de simples troubles nerveux légers, hoquets, sanglots, fourmillements, jusqu’à la pâmoison complète et même la convulsion ; c’était là la crise, manifestation salutaire et Vultima ratio de la guérison. Je ne parlerai pas de l’extension donnée plus tard à la théorie, aux effets et surtout aux résultats du magnétisme ; il ne fallut pas longtemps pour imaginer les voyants et créer tout le cortège du somnambulisme extra-lucide. On trouvera dans l’article que je citais tout à l’heure du docteur Dechambre, une réfutation en règle de toutes ces supercheries; M.Dechambre a répété lui-même avec quelques-uns de ses confrères les expériences les plus saisissantes des prétendus somnambules et n’a pas de peine à démontrer leur nullité.
- Sur certains points, M. Dechambre est presque, à mon avis, allé trop loin, non que je ne sois pleinement d’accord avec lui sur le fond même de son argumentation, mais il paraît avoir rejeté trop carrément certains faits. Il est vrai de dire que, dans cette réfutation, aussi spirituelle que savante, l’auteur a voulu montrer surtout (et il a pleinement réussi) que les prétendus magnétiseurs n’agissaient qu’en trompant le public*
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- Certains faits, dis-je, n’en subsistent pas moins, et s’il faut laisser dans l’ombre ces théories bizarres et pseudo-scientifiques, il est bon de tirer des faits, de leur étude, ce qu’il y a à en tirer. C’est là ce qu’a cherché le professeur Charcot; faisant abstraction de ce que l’on avait écrit, pensé, sur le somnambulisme, sur la catalepsie, en un mot, sur tous ces états bizarres et qui semblent au premier abord invraisemblables, le médecin de la Salpêtrière a voulu étudier cet état pathologique, voir, par l’examen attentif des symptômes, dans quelle classe nosologique il pouvait rentrer, et établir, si faire se pouvait, les liaisons qui rat-
- tachent entre eux ces divers états maladifs. S’il n’est pas arrivé à une explication plausible et vraiment physiologique, il nous semble avoir cependant donné la démonstration positive qu’il s’agit là d’une des mille formes de l’hystérie, forme grave, forme rare, mais dont le spectateur, pour peu qu’il soit versé dans les connaissances médicales, saisira facilement les liaisons avec la forme commune, vulgaire.
- Déjà, à propos d’une jeune fille dont l’état singulier avait soulevé dans la presse des polémiques ardentes, on avait fait connaître un certain nombre de manifestations nerveuses étranges et dépendant tou-
- Fig. 1.— Catalepsie produite sous l’influence de la lumière électrique. — Cours de M. Charcot. (Dessine d'après nature à la Salpétncre )
- tes, au résumé, de l’hystérie; M. Bourneville, et avant lui M. Parrot, avaient montré que la stigmatisée de Louvain avait eu des prédécesseurs et qu’elle ne différait des malheureuses atteintes de la même maladie que par le bruit qui s’était fait autour d’elle. M. Charcot a montré dans son cours que certaines hystériques peuvent, sous des influences variables, tomber dans un état de somnambulisme et de catalepsie, et que dans certains cas ces accès peuvent être provoqués avec la plus grande facilité. Il a été facile aux assistants de contrôler la véracité de ces faits qui ont été reproduits publiquement à la Salpêtrière et dont nous allons essayer de résumer le tablean.
- Une malade est placée devant un foyer de lu-
- mière intense (lumière électrique, lumière de Drum-mond), le regard fixé sur ce foyer. Au bout de quelques instants (quelques secondes à quelques minutes) la malade devient immobile, l’œil fixe, frappée de catalepsie. Les membres sont souples et gardent l’attitude qu’on leur donne. Dans cet état, la physionomie de la malade réflète en quelque sorte les expressions des gestes : c’est ainsi que la figure se contracte, s’assombrit si l'on fait à la malade une attitude de menace ; au contraire, la physionomie devient souriante et ouverte si l’on joint les deux mains sur les lèvres comme pour envoyer un baiser. En dehors de ces modifications du masque facial sous l’influence de certaines attitudes, la malade reste impassible, fixe, insensible au monde exté-
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- rieur, transformée en véritable statue. Cet état dure aussi longtemps que l’oeil est fixé sur le foyer lumineux qu’il est impressionné par cet agent.
- Si alors, à un moment donné, on vient à interrompre brusquement l’impression des rayons lumineux, soit au moyen d’un écran, soit plus simplement en fermant les paupières du sujet, la catalepsie fait place à un état de léthargie, de somnambulisme, de sommeil provoqué. Ce changement est aussi brusque que la suppression de l’agent excitateur. La malade tombe à la renverse, le cou tendu, la respiration sifflante, un hoquet léger, les yeux convulsés, avec un ensemble de symptômes qui se rap-
- prochent des débuts de l’attaque hystéro-épileptique. Si on interpelle vivement la malade plongée dans cet état léthargique, on la voit se lever, s’avancer vers la personne qui l’a interpellée et exécuter divers mouvements combinés, tels que l’écriture, la couture, etc. Et cependant à ce moment la malade est toujours dans l’anesthésie la plus absolue, les yeux convulsés, les paupières fermées ou demi-closes. Bien plus, c’est là qu’on voit se révéler les symptômes invoqués par les magnétiseurs et qualifiés de somnambulisme, la malade peut répondre parfois aux questions qu’on lui pose ; il semble même que dans certains cas l’intelligence soit plus excitée.
- Fig. 2. — Catalepsie produite sous l'influence du son (diapason). - Cours de M. Charcot. (Dessiné d’après nature à la Salpétrière.)
- Il n’est pas besoin d’une lumière : le son produit par un diapason, une cloche, peut provoquer l’apparition de ces crises. Je me souviens d’avoir vu à la Pitié une jeune femme que l’on pouvait rendre cataleptique à son gré : il suffisait de la fixer quelques secondes du pied de son lit pour provoquer une crise. M. Charcot a fait installer dans son laboratoire un diapason monstre qui donne des vibrations intenses, profondes : il suffit de placer la malade sur la caisse vibrante pour qu’au second ou troisième coup imprimé au diapason elle tombe en catalepsie. J’ai vu essayer sur deux de ces hystériques l’impression produite par un coup de tam tam ; à peine le coup avait-il retenti que la jeune fille était en état de catalepsie, les bras et la tète
- dans la position de quelqu’un qui cherche à éviter un bruit assourdissant.
- A coup sûr voilà des faits qui tiennent du merveilleux : mais ce n’est pas tout. Disons d’abord que cet état léthargique, somnambulique, si l’on veut, cesse aussi subitement qu’il est apparu et cela avec la plus grande facilité; il suffit, par exemple, de souffler sur le visage du sujet. La léthargie s’efface, il y a une apparence de convulsion légère et la malade sort de son rêve sans le moindre souvenir de ce qui s’est passé.
- Ces deux états, catalepsie et léthargie, peuvent en quelque sorte exister simultanément et c’est là, à notre avis, un des points les plus curieux des expériences de M. Charcot. La malade étant en ctat de
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- catalepsie, comme dans le premier cas dont nous ; avons parlé, l’expérimentateur peut à son gré déterminer une hémi-'éthargie et une hémi-satalepsie, c’est-à-dire qu’une moitié du corps sera cataleptique, tandis que l’autre moitié sera léthargique, et cela aussi bien d’un côté que de l’autre, d’une façon tout à fait indifférente. Il suffît pour cela de provoquer la crise léthargique unilatéralement en obturant un œil, en supprimant l’influence lumineuse sur la rétine du côté que l’on veut rendre léthargique. Ce côté (le gauche supposons) n’a plus les propriété du côté droit, de conserver dans les membres une attitude quelconque.
- Il est un phénomène remarquable que nous devons signaler et qui apparaît avec la léthargie : ce phénomène est désigné par M. Charcot sous le nom d’hyperexcitabilité musculaire : voici brièvement en quoi il consiste. En appuyant sur un muscle, en le frottant légèrement, on provoque immédiatement sa contraction, qui peut facilement devenir contracture, si on a pressé fortement ce muscle. Bien plus, en pressant sur le tronc d’un nerf, on fait contracter les muscles qu’il innerve; en pressant sur le facial, à son émergence au-devant de l’oreille, on fait contracter la face du môme côté. A son gré l’expérimentateur reproduit les expériences physiologiques que Duchenne, de Boulogne, a faites autrefois au moyen de l’électricité.
- Ce phénomène est des plus curieux et des plus significatifs au point de vue de la réalité pathologique de cet état. Bien d’autres points intéressants demanderaient à être développés au sujet de ces faits ; mais ce serait entrer dans des discussions purement médicales, partant un peu abstraites et qui n’auraient qu’un intérêt absolument scientifique.
- Tels quels, ces faits bien observés, bien et judicieusement expérimentés, ont un intérêt considérable; ils ne sont pas nouveaux, c’est évident, et tout le monde a vu ou pu voir des faits plus ou moins semblables. En tous cas, il est une expérience que chacun peut répéter chez soi, dans sa chambre et à peu de frais, la voici : Prenez une poule et tenez-lui la tête sur le plancher ; du bec de la poule et pendant qu’elle est bien fixée, tracez à la craie blanche sur le plancher une ligne droite de 50 à 60 centimètres. Au bout d’un instant lâchez la poule ; elle est dans un état voisin de la catalepsie ; sans un mouvement elle reste le bec fixé à terre et les yeux dirigés sur le trait blanc1.
- La nature de ces désordres nerveux est loin d’être connue et si les faits reproduits sur les malades de M. Charcot ont de l’analogie avec les états observés ou produits par les magnétiseurs d’autrefois, cela ne prouve qu’une chose, c’est que les hystériques sont nombreuses. Mais il y a une conclusion formelle à tirer de ces études : c’est que, en dehors de . malades, en dehors de sujets atteints d’hystérie ou, pour moins préciser, d’affections névropathiques, les
- 1 Cette curieuse expérience a été décrite dans la Nature, 3* année, 1875, 2* semestre, p. 113, 140, 175.
- prétendus voyants n’ont jamais été que des trompeurs ou les complices des magnétiseurs, profitant de la crédulité et de l’ignorance du public pour user et abuser de leurs supercheries. Jusqu’ici M. Charcot ne donne et déclare ne connaître aucune explication scientifique; ce sont des faits de pure observation qu’il appartient à la science de déterminer ultérieurement ; en précisant les conditions dans lesquelles on peut les produire, les modifications qu’ils subissent sous l’influence de telle ou telle cause, on arrivera probablement à l’interprétation exacte. Mais ce ne sera pas suffisant pour faire tomber le bandeau des yeux des crédules, et tant que le monde sera monde je crois qu’il existera toujours des fanatiques du merveilleux et des croyants trop heureux de se laisser duper. Dr A. Cartàz.
- L’ÉRUPTION DE BOUE DE L’ETNA
- La Gazette d'Augsbourg publie une lettre du professeur de chimie et de physique à l’Université royale de Catane, lettre datée des derniers jours de décembre, et dans laquelle le professeur décrit l’éruption de boue qui s’est produite au commencement du même mois dans le voisinage de l’Etna, près Paterno.
- L’éruption continue et les masses boueuses projetées hors des nombreux cratères ont déjà formé un lac assez considérable de boue fumante qui gagne toujours en extension,
- Le 14 décembre, il y a eu intensité du phénomène, et la boue était expulsée avec une telle puissance qu’elle formait des colonnes de deux à trois mètres de hauteur. Le lendemain, l’éruption s’était modérée et avait repris sa physionomie des jours précédents.
- Il y a deux espèces de cratères : les uns lancent d’une façon assez calme une espèce de boue plus épaisse et une eau boueuse particulière, d’un goût salé, avec une écume tenant en dissolution du pétrole. Dans ces cratères, l’activité ne cesse point : de même le développement des matières gazeuses, qui s’étend sur toute la surface de la masse liquide contenue dans les ouvertures en forme de cratères ; ce développement, disons-nous, est incessant et régulier; il en résulte un état d’ébullition continu et la formation d’un cercle de vapeurs si chargées d’acide sulfurique, que la combustion d’aucun corps n’y serait possible, non plus que la présence d’aucun être vivant.
- Dans les autres cratères, au contraire, l’activité est intermittente, parce que la boue qu’ils projettent est très épaisse et que la grande résistance qu’elle oppose aux forces qui la soulèvent empêche la formation des substances gazeuses.
- De là, deux phases alternantes ; dans l’une, la pression hydraulique de la matière boueuse en mouvement l’emporte et le cratère reste quelques minutes dans un état d’immobilité ; dans l’autre, les amas successifs de boue développent une telle force d’expansion que rien ne peut leur résister ; des explosions souterraines se produisent et une nouvelle masse est lancée au dehors.
- Les cratères qui ont cette double activité portent un caractère particulier de trouble et d’instabilité constante : l’observateur, placé dans leur voisinage, perçoit un bruit souterrain, qui dénote un travail intérieur. Son oreille peut j suivre les mouvements que cette masse épaisse de boue
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- occasionne dans le fond du cratère et dans les profondeurs caverneuses du sol, soit que la masse, après avoir été projetée au dehors jusqu’à une certaine hauteur, retombe sur elle-même dans le gouffre et s’y tienne en repo^, soit qu’au bout de huit à dix minutes, elle soit de nouveau lancée au milieu du bruit et du tremblement du sol, pour traverser ensuite une période de paroxysme éruptif de même durée.
- Le temps que la colonne boueuse met à monter et à descendre, ainsi que la température de la masse, indi-auent que toute manifestation extérieure du phénomène éruptif correspond à des profondeurs souterraines considérables.
- UNE VISITE AU GÉNÉRAL DE NANSOUTY
- ASCENSION DU PIC DU MIDI.
- Vendredi 10 janvier 1879.
- M. le général de Nansouty ayant bien voulu nous promettre de nous donner des documents inédits sur la curieuse installation de son observatoire du Pic du Midi, et sur ses projets de construction d’un nouvel établissement à la pointe extrême de la montagne, M. Albert Tis-sandier, spécialement envoyé par la Nature, est allé recueillir de visu les renseignements de notre savant et courageux météorologiste. Il a choisi à dessein l’époque de janvier pour admirer et reproduire par le dessin les incomparables effets de neige que la chaîne des Pyrénées réserve au touriste à cette époque de l’année. Arrivé à Bagnères-de-Bigorre, M. A. Tissandier a appris, non sans émotion, que l’on avait des craintes pour la sûreté du général de Nansouty bloqué par les neiges dans son observatoire. Voici la lettre que nous avons reçue le 11 janvier :
- « Bagnères-de-Bigorre, 9 janvier 1879.
- « Me voilà à Bigorre. Le général de Nansouty est toujours bloqué dons son observatoire du Pic du Midi. Demain, je pars avec trois guides dans le but de lui porter des vivres frais qui doivent lui faire défaut. Nous commencerons à nous mettre en marche à quatre heures du matin et peut-être arriverons-nous à l’observatoire du Pic à la fin du jour. 11 y a sur le versant de la montagne une effroyable abondance de neige. Aujourd’hui, pour me mettre en haleine, j’ai fait l’ascension du Monné (1350 mètres) et j’ai essuyé une bourrasque terrible. Jamais spectacle si grandiose ne s’était offert à mes yeux, si ce n’est en ballon. J’ai dû me réfugier chez des braves gens de la montagne.
- « On dit que le général doit se trouver dans une position critique. Quelques personnes redoutent qu’une avalanche, se détachant de la roche à laquelle l’observatoire est adossé, n’ait écrasé ce courageux pionnier de la météorologie. Mais chassons loin de notre pensée de pareilles appréhensions, et imaginons-nous queje cours sur cette cime escarpée pour le plaisir de tendre au général une main amie, et pour égayer sa sollicitude par des nouvelles du monde civilisé.
- « J’enverrai demain de mes nouvelles.
- « Albert Tissandier. »
- Le samedi 11, à 4 heures de l’après-midi, nous rece vions la dépêche suivante :
- « Observatoire du Pic du Midi. Samedi 11 janvier, à 1 h. 20 m. soir.
- Albert Tissandier arrivé hier en bonne santé Dîner, bon appétit. Sommeil réparateur. Aujourd’hui préparé matériaux pour la Nature. Partira demain. Général de Nansouty. »
- Nous publierons dans notre prochaine livraison le récit de la curieuse et émouvante ascension de M. Albert Tissandier. Nous nous contenterons de dire aujourd’hui que l’ascension a été très pénible et que M. Tissandier et ses guides ont par moment enfoncé dans la neige jusqu'à la ceinture. Ils sont arrivés à l’observatoire après des efforls inouïs et tout grelottant de froid.
- LES INONDATIONS
- ET LES TOURMENTES DE NEIGE EN JANVIER 1879.
- Le commencement de ce mois a été remarquable par scs perturbations météorologiques, et par la coïncidence peu commune d’inondations et de tourmentes de neige qui ont sévi sur la presque totalité de notre territoire. Nous enregistrerons ici quelques-uns des faits les plus saillants de ces phénomènes remarquables.
- A la suite de la fonte des neiges de décembre, la plupart des fleuves de France se sont signalés par des crues intenses. A Nantes, le 5 janvier, la Loire marquait à 8 heures du matin 5 mètres 31 au-dessus du zéro de l’échelle du pont de la Bourse. La cote de 3 mètres 46 n’a pas été dépassé.
- — On écrivait de Nantes, le 7 janvier :
- L’aspect de la Loire, en amont comme en aval de notre ville, rappelle la terrible inondation de 1872. Le fleuve a envahi le pays sur une grande étendue : terres hautes et basses, champs cultivés et prairies sont ravagés par le fléau, les habitations qui bordaient le lit normal du fleuve sont évacuées; les bois coupés non ramassés, les fumiers des fermes, les semences en terre sont emportés par le courant ; les clôtures des propriétés, les haies sont comme ensevelies ; la plupart des chemins comblés, et si l’on distingue encore la place qu’occupait une usine, une fabrique, c’est grâce à la cheminée du fourneau qui seule émerge de l’eau à côté des bâtiments inondés.
- — Le 7 janvier, à Paris, le niveau de la Seine a dépassé six mètres sur presque tous les points de son parcours à l’intérieur de Paris. Le chemin de halage du quai d’Au-teuil était entièrement couvert par les eaux depuis le pont de Grenelle jusqu’à la rue Thénard. La pompe à vapeur a fonctionné énergiquement. Le niveau de la Bièvre a également monté de 0“,10.
- — La Garonne s’est élevé à plus de 7 mètres.
- — Les tourmentes de neige ont eu lieu le 8 janvier sur un grand nombre de points du centre de la France. Les trains de chemins de fer de Paris-Lyon-Méditerranée, du Midi et d’Orléans, ont été arrêtés en certains points, les voies étaient obstruées par une couche de neige de 1 mètre 50 d’épaisseur, à Lyon, à Dijon, à Montargis, à Orléans, à Nevers, etc.
- — On lit dans le Nouvelliste de Rouen, du 8 ;
- Une véritable tempête s’est déchaînée sur notre ville
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- LA NATURE
- dans la nnit d’hier. De minuit et demi environ jusqu’au matin, les sautes de vent se sont succédé, plus violentes les unes que les autres, et aux premières lueurs du jour, on voyait nos rues jonchées d’ardoises et de plâtras. Fort heureusement, la circulation étant nulle ou à peu près pendant cette partie de la nuit, il n’y eut aucun accident à déplorer. Dans la matinée, la tourmente s’est un peu calmée, mais bientôt les bourrasques ont recommencé et le vent n’a cessé de souffler en grande brise nord-est. Le froid est resté très vif toute la journée, elle thermomètre a varié de un à deux degrés au-dessous de zéro. Le baromètre a considérablement baissé; il était, avant-hier, à 702 millimètres, hier il est descendu à 748. Au Havre, il est tombé de la neige à ce point que la circulation des voitures s’est trouvée sérieusement entravée. On rencontrait fréquemment, dans la ville, des camions restés en détresse, dont les chevaux, ne trouvant plus pied sur le sol glissant, refusaient d’avancer. Les tramways ont dû interrompre leur service, à cause des déraillements qui se produisaient à chaque pas. L’épaisseur de la neige était telle qu’il a fallu jeter du sel sur les voies pour la fondre; mais, bien que, paraît-il, la compagnie ait employé à ce travail une soixantaine d’hommes, ee n’est que fort tard qu’un service partiel a pu être établi.
- — Le samedi 11 la neige n’a pas cessé de tomber à Paris jusqu’au milieu de la nuit.
- CORRESPONDANCE
- SUR DES DÉCOUVERTES. ARCHÉOLOGIQUES.
- Monsieur,
- Persan, 7 janvier 1879.
- On exécute en ce moment un chemin de fer d’intérêt local, partant de Pessan(Nord banlieue) et allant à Neuilly-en-Thelle, lequel chemin coupe un champ contenant de nombreuses sépultures, et qui sans doute à une époque très reculée fut un cimetière; mais rien de ce que j’ai pu recueillir à ce sujet ne fixe mon jugement.
- Presque tous les tombeaux mis à jour sont en pierre dure et composés de deux morceaux (exceptionnellement trois) avec joints transversaux et le couvercle généralement d’un seul morceau.
- Il s’en trouve aussi en plâtre, mais d’une exécution semblable à celle des tombeaux en pierre (à part les joints). Différents objets ont été trouvés : armes, armures, vases, céramiques...; dans un tombeau, m’a-t-on dit, on trouva un guerrier tout équipé et le tout en tel état de conservation que la barbe était intacte.
- La tranchée ouverte est celle destinée au passage des wagons de terrassement, soit environ le tiers du travail à exécuter, et pensant que la science pourrait trouver quelque chose à gagner (au moins pour l’histoire), si ces travaux étaient suivis par des personnes bien au courant, j’ai cru ne pouvoir mieux faire que de vous en aviser, certain qu’au nombre de vos nombreux correspondants il s’en trouvera auxquels vous ferez plaisir en les en instruisant.
- Je dois vous dire aussi qu’au temps de l’invasion des Gaules par J. César, un camp d’une grande importance existait sur le plateau qui domine Gouvieux (Gouvieux est situé à 10 kilomètres environ du point où on fouille, et sur la route qui joint Chantilly à Persan). Le lieu du campement porte encore le nom de camp de César.
- De nombreux combats furent livrés dans la vallée de l’Oise ainsi que l’attestent les boulles, médailles, monnaies et autres objets que les cultivateurs rencontrent fréquemment dans leurs sillons.
- Un de ces combats fut tellement meurtrier qu’il fut baptisé de tuerie et que le lieu probable où s’aocomplit l’action porte toujours le nom de Prés de tuerie, au pied de Beaumont-sur-Oise.
- Je regrette bien de n’avoir pas de loisirs pour m'occuper de ces questions si intéressantes; mais ces quelques renseignements permettront peut-être à gens plus experts que moi de recueillir dans les lieux désignés des choses utiles, et c’est avec cette espérance, monsieur, que je vous présente mes saluts empressés. F. Millet,
- Ingénieur civil.
- UN SPECTRE FOSSILE
- Nous avons fort peu l’idée d’insectes des plus étranges dans le monde entomologique, en raison de la longueur de leur corps et de son extrême gracilité chez la plupart, qui en font les plus allongés des insectes. Les Phasmiens, en effet, appartiennent presque sans exception aux régions les plus chaudes des deux continents et à l’Australie, le continent sans pareil, comme l’appellèrent les premiers explorateurs. Ce sont des Orthoptères marcheurs, n’ayant pas les pattes postérieures propres au saut, comme les Grillons, les Sauterelles et les Criquets. Ils forment une sorte de série parallèle avec les Mantes, autres Orthoptères marcheurs vivant aussi sur les feuilles et les rameaux des plantes. Mais les Mantes à corps grêle, auxquelles Théocrite, dans une de ses idylles, compare une jeune fille aux bras maigres, sont des carnassiers cruels, sans cesse en quête de la proie, tandis que les Phasmiens vivent exclusivement de feuilles. Ce sont des insectes lents et timides, appliqués aux branches et aux feuilles des arbres, et se confondant souvent d’une manière frappante, par leurs couleurs et leurs formes, avec des organes végétaux ; c’est là un moyen mimique de protection contre l’œil de l’homme ou de l’oiseau. Certains de ces Phasmiens entièrement privés d’ailes dans les deux sexes ressemblent tout à fait à des tiges, ce qui les a fait appeler bâton animé, bâton ambulant, grand soldat de Cayenne. Nous avons en France un représentant de ce type bizarre, le Bacille de Rossi ou Bacille français. complètement analogue à une petite branche verte. On le fait tomber au printemps, à tous les états de grandeur, car la larve est pareille à l’adulte, sauf la taille, en secouant les buissons aux environs de Nice, de Cannes et d’Hyères. L’espèce remonte un peu jusqu’au centre de la France, mais y est fort rare. Quelques Phasmiens ont par exception le corps et les pattes aplatis et en expansions membraneuses, de sorte qu’ils ressemblent à des feuilles dont les nervures de leurs ailes simulent la nervation. Ce sont les Phyllies ou mouches ambulantes, mouches-feuilles, dont une espèce est commune aux îles
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- LA NATURE.
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- Séchelles (voir les Satellites de Madagascar, journal la Nature, 2e trim. 1878, p. 348). Enfin la plupart des Phasmiens, par leur long corps cylindrique, d’oii partent de chaque côté de vastes ailes membraneuses (la paire inferieure), comme un suaire qui s’étalerait, font penser à leur aspect aux apparitions sinistres dn soir et ont été appelés fantômes, spectres, chevaux du diable, diables, etc.
- Les Phasmiens n’avaient jamais été rencontrés à l’état fossile, et on ne savait pas l’époque de leur première apparition. La récente découverte d’une forme à grandes ailes du dernier type a été faite dans une argile compacte micacée des terrains supra - houillers de Commentry (Allier), par conséquent à la partie supérieure des terrains primaires. L’empreinte de ce remarquable Or-thoptère, offrant encore par places une substance brunâtre, qui paraît le vestige d’un tégument, montre l’insecte de profil, avec toutes les parties conservées, sauf l’abdomen, qui a été rétabli sur le dessin, par analogie de grandeur et de forme avec les espèces actuelles les plus voisines. On peut observer, même à l’œil nu, les pattes complètes dentelées en scie, la tête ovalaire, un des yeux un peu allongé et qui devait être saillant surle vivant, des antennes courtes, avec le premier article petit et globuleux, le second plus gros, allongé et élargi à la partie supérieure, des palpes de quatre articles, le labre ou lèvre supé • rieure, une mâchoire à détails indistincts. Les pattes très bien conservées et terminées par des tarses de cinq articles, sont anguleuses et comme bordées de dents de s,eie, les deux premières paires à peu près égales en longueur, plus courtes que celles de la troisième. On voit une élytre, de taille moyenne pour les Phasmiens, d’environ un centimètre de longueur ; chez les Phasmiens et contrairement à la plupart des Orthoptères, les élytres sont très courtes et ne recouvrent pas les ailes inférieures, vastes et Fplissées au repos en éventail, comme on le voit si
- bien dans la grande Sauterelle verte. Les ailes inférieures sont de vastes membranes, qui n’offraient pas une division aussi nette en deux parties que chez les Phasmiens de l’époque actuelle. Elles étaient couvertes de bandes plus foncées, qui parcourent l’aile perpendiculairement aux nervures. Ces bandes colorées, soit en brun, soit en bleu, sont fréquentes dans les Phasmiens d’aujourd’hui, sur un fond clair, tantôt incolore, tantôt rose, tantôt jaune.
- Ce remarquable fossile a été décrit, avec beaucoup de soin et de précision, par M. Charles Brongniart, qu’une prédilection de famille semble porter aux
- études paléonto-logiques. Il a établi pour lui le genre Protophas-ma (le premier Phasme) et a dédié l’espèce, sous le nom de Pro-tophasma Duma-si, par un hommage de respect et d’affection, à l’illustre secré -taire perpétuel de l’Académie des sciences. M. Ch. Brongniart a très bien reconuu que ce genre se rapproche du genre actuel Cypho-crana plus que du genre Phas-ma, qui a les antennes longues et les pattes sans aspérités.
- Tout ce que nous connaissons de la flore et de la faune de l’époque carbonifère nous porte à supposer que la terre était, à ces époques reculées, couverte d’eau, probablement à peu de profondeur, et que de nombreuses lies parées d’une végétation luxuriante émergeaient de cette nappe liquide. A l’intérieur, sur le terreau formé par les feuilles, les fruits et les tiges des végétaux carbonifères, couraient des Blattes, dont on a retrouvé les vestiges fossiles. On rencontre beaucoup d’arbres de la famille des Conifères, dans la flore houillière, ainsi les Sigillaires, les Calamodendron, les Cordaites, etc. Il est probable que les Protophasmes rongeaient les feuilles de ces arbres résineux, en même temps que les Mantes, dont on a retrouvé des espèces carbonifères fossiles, se tenaient sur ces mêmes végétaux à l’affût des insectes. Les yeux bien développés des Pro
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- LA NATURE,
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- tophasmes et des Mantes, dont les représentants actuels vivent en plein soleil dans nos régions chaudes, indiquent que la terre jouissait partout (car les houilles existent de l’équateur aux pôles), à cette période si ancienne de son histoire, d’une température élevée et humide et d’une lumière intense. Maurice Girard.
- ——
- CHRONIQUE
- Tardieu. — Le docteur Tardieu est mort dimanche matin à quatre heures. Il était né à Paris le 10 mars 1818 et était fils du graveur-géographe de ce nom. Reçu docteur en 1848, puis agrégé, il fut nommé médecin en chef de l’hôpital Lariboisière, lors de son inauguration en 1850. Médecin de l’empereur, expert près de la Cour, titulaire de la chaire de médecine légale à la Faculté, le docteur Tardieu avait fait partie du conseil municipal pour le VI° arrondissement, le 15 novembre 1854. Il a été élu membre de l’Académie de médecine en 1858. Il était en outre président du comité consultatif d’hygiène depuis 1867, président de l’association générale de prévoyance et de secours mutuels des médecins de France et commandeur de la Légion d’honneur.
- Le docteur Tardieu laisse de nombreux ouvrages spéciaux fort estimés.
- Amortissement des vibrations. — Dans une des dernières séances de la Société cTEncouragement, M. le colonel Goulier, au nom de M. Flandin, a appelé l’attention du conseil sur le fait suivant :
- Ayant établi dans ses ateliers, rue Michel-le-Comte, un outillage mécanique pour le travail du bois, comprenant une raboteuse et une toupie, M. Flandin excita les vives réclamations de ses voisins qui, jusqu’au troisième et au quatrième étage, étaient grandement incommodés par les trépidations que ces machines imprimaient à la maison. En particulier, l’un de ses co-locataires, fabricant d’orfèvrerie religieuse, logé au troisième étage, constatait avec inquiétude que les ostensoirs et les ciboires se livraient, dans ses vitrines, à des danses trop accusées. M. Flandin se voyait donc sur le point de discontinuer chez lui le travail mécanique du bois, lorsque M. Paris, emballeur de la rue des Petites-Écuries, lui signala, comme un remède qu’il avait appliqué dans des circonstances analogues, l’emploi du caoutchouc vulcanisé. Immédiatement, M. Flandin fit interposer, entre la plaque de sa raboteuse et le massif qui la supporte, une plaque de caoutchouc de 6 centimètres d’épaisseur, puis, sous la toupie, une plaque plus mince.
- Il prit d’ailleurs le soin de couvrir les bords de ces coussins avec de la tôle, afin de préserver le caoutchouc des atteintes de l’huile. Par la présence de ces coussins, non seulement les trépidations furent presque complètement annulées, mais encore le ronflement des outils fut tellement atténué que, pendant leur marche, avec une vitesse qui dépasse souvent trois mille tours par minute, les habitants de la maison ne sont plus aucunement gênés par le jeu des machines.
- lîn phare télégraphique. — A l’entrée du port de Belfast, en Angleterre, existe un phare sur lequel on a installé récemment un appareil destiné à faire reconnaître le nom du port au milieu de la nuit. Cet appareil
- se compose d’un écran électro-magnétique qui produit alternativement des éclipses courtes et des éclipses longues, de manière à imiter les signaux employés dans le télégraphe Morse. L’avantage de ce système est de n’employer que des lumières blanches, dont la puissance de pénétration est beaucoup plus grande que celles des lumières colorées. De plus, le nombre des signaux pouvant varier à l’infini, chaque phare, chaque feu, pourrait au moyen de ce système indiquer son nom au navire en vue. Ce système très ingénieux, dû à M. Mortiner Evans, semble appelé à devoir se généraliser.
- Le tour du monde en «8 jours. — M. Iules Vernes doit être confus. Le tour du monde en 80 jours est dépassé. M. Hars, consul d’Amérique à Alexandrie d'Egypte, n’a mis que 68 jours pour parcourir la circonférence d’un grand cercle du globe terrestre; il a fait en vingt jours le trajet d’Alexandrie à San-Francisco par Brindisi, Paris, Londres, Liverpool et New-York ; en 20 jours également, celui de San-Francisco à Yokohama ; en 6 jours, celui de Yokahama à Hong-Kong; en 10 jours, celui de Hong-Kong à Ceylan; et en 12 jours, celui ée Ceylan à Suez, d’où quelques jours lui ont suffit pour atteindre Alexandrie.
- — M. Joseph Yinot, cour de Rohan, à Paris, a inventé un tableau de système planétaire sur lequel on peut suivre jour par jour les mouvements des planètes autour du soleil. Il l’enverra, gratis et franco, à tous ceux de nos abonnés qui lui adresseront une lettre ou une carte-postale.
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- ACADÉMIE DES SCIENCES
- Séance du 13 décembre 1878— Présidence de M. Daubrék.
- Origine du phylloxéra. — On sait à n’en pas douter que le phylloxéra nous est venu d’Amérique ; mais quelques personnes avaient, à ce qu’il paraît, prétendu que nous étions simplement victimes d’une restitution et que l’Europe est le vrai berceau de la terrible bestiole. Des observations récentes de M. Collot montrent que cette manière de voir est complètement erronée. Les vignes sauvages de Panama, qui vont d’arbre en arbre, dans les forêts comme de véritables lianes, sont, en effet, attaquées par le véritable phylloxéra qu’on rencontre en abondance sur leurs racines.
- A ce sujet, disons qu’un correspondant dont le nom nous échappe, noie qu’en Judée une tradition rapporte que la vigne a été débarrassée de parasites très funestes par l’application de l’huile extraite de l’asphalte de la mer Morte. On sait que chez nous les huiles de schistes ont en général tué le végétal en même temps que le puceron, et les viticulteurs sont très opposés à l’emploi du pétrole et de ses analogues. Cependant M. Boussingault assure qu’en Alsace, le bitume de Bechelbroun est employé couramment en agriculture comme insecticide sans inconvénient par les plantes. De plus le sable, incomplètement débarrassé de la matière hydrocarbonée, est jeté dans les champs et considéré comme un excellent amendement. M. Dumas émet le désir que M. de Lesseps mette la commission du phylloxéra à même d’avoir de l’asphalte de la mer Morte pour que des essais sérieux soient tentés.
- Histoire des mathématiques — En étudiant les manuscrits conservés à la Bibliothèque nationale, M. Aristide Mare a rencontré une dissertation du marquis de
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- LA NATURE,
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- l’Hôpital sur le problème célèbre de Fermât qui consiste dans la résolution en nombres entiers d’une équation indéterminée du deuxième degré. Ce travail qui date de 1672 est très incomplet, mais il est bon de le signaler comme ayant de si loin précédé les études de Legendre et de Lagrange qui ne paraissent d’ailleurs pas en avoir eu connaissance.
- Ferre métallisé. — Le bureau est recouvert d’une foule d’objets de verreries remarquables par leur éclat. M. Dumas indique le procédé suivi pour leur fabrication par un auteur dont nous n’entendons pas le nom. Le verre contenant un oxyde métallique est soumis au rouge à l’action réductrice du gaz d’éclairage; les métaux, cuivre ou argent, sont ramenés à l’état de liberté dans la masse même de la substance vitreuse. L’auteur adresse aussi de très beaux spécimens d’aventurine artificielle.
- Loi de compression des gaz. — C’est sur une échelle inusitée que M. Cailletet étudie en ce moment la diminution de volume que la pression croissante inflige aux gaz confinés. L’appareil, établi dans un puits de 530 mètres, foré au sommet de la butte aux Cailles est extrêmement ingénieux. Le tube qui contient le gaz et que l’auteur nomme le laboratoire est en verre doré à l’intérieur et fermé par en haut. Son extrémité inférieure communique avec un tube d’air plein de mercure. Ce tube extrêmement souple est enroulé sur un treuil à l’ouverture du puits ; on en lâche une longueur donnée, mesurée sur une tige graduée et on remonte ensuite tout l’appareil pour voir quelle diminution de volume le gaz a subi. Cette diminution est marquée par la ligne très nette suivant laquelle l’or a été dissous par le mercure. Les résultats sont imprévus, car ils montrent que la contraction ne se fait pas régulièrement et qu’après avoir augmenté jusqu’à une certaine limite elle diminue ensuite. La loi de Mariotte étant exprimée à des pressions peu considérables par la formule PV = 1 où P est la pression et V le volume, on trouve que sous 39 mètres de mercure (soit 50 atmosphères), PV=0.8184. Pour 200 mètres de mercure, le résultat n’est plus qne 0.79, mais il augmente ensuite et à la pression la plus forte que l’appareil puisse donner on a PV= 0.9330.
- Nouveau spectroscope. — En remplaçant le flint par le sulfure de carbone, M. Tenon obtient un spectre qui n’a pas moins de 15 mètres de long. Les raies se décomposent en raies très nombreuses, et l’on observe à côté des lignes noires des bandes nébuleuses avec ou sans noyaux.
- Blocs erratiques. — Il résulte du relevé de MM. Faisan et Chantre, que la partie moyenne de la vallée du Rhône renferme 1143 blocs erratiques dont 140 sont d’une conservation très désirable pour l’étude des phénomènes glaciaires.
- Stanislas Meunier.
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- MÉTÉOROLOGIE DE DÉCEMBRE 1878
- Pour comparer les divers tahleaux météorologiques comprenant l’ensemble de tout un mois avec le mois correspondant des années précédentes, une classification générale des cyclones est indispensable. Nous emploierons dorénavant la suivante : si la hauteur du baromètre au centre de la dépression est comprise entre 710 et 720 millimètres, le cy-
- clone sera dit de premier ordre', si cette hauteur est comprise entre 720 et 730 le cyclone sera de second ordre ; entre 730 et 740, il sera de troisième ordre ; puis de quatrième ordre jusqu’à 750 et enfin de cinquième ordre lorsque la pression au centre sera comprise entre 750 et 760 millimètres.
- En décembre 1876, les cartes nous ont montré1 une persistance inusitée des basses pressions sur les côtes occidentales de l’Europe, le mois a été chaud, humide, et trois cyclones de second ordre, venus par l’Irlande, ont été signalés. On peut prendre pour type des cyclones de cet ordre celu i du 4 décembre 1876 dont le centre ce jour est près de Yolentia (720a“).
- En décembre 1877, l’inverse s’est présenté2. Le régime anticyclonique a dominé sur toute l’Europe, le mois a été froid, sec : aucun cyclone de premier ou de second ordre n’a été vu ; le jour de Noël (25 décembre) fournit seul un exemple d’un cyclone de troisième ordre et la pression au centre s’abaisse à 735mm.
- Les cartes des observations simultanées (midi 53) publiées à Washington par M. Albert Myers montrent que pendant ce mois deux zones de fortes pressions existaient l’une sur l’Asie centrale, l’autre à l’ouest de l’Espagne. Elles tendaient à se réunir à travers l’Europe comme le montrent nos courbes des 17 et 18 et se sont rejointes en effet le 19, le 20, le 21 et le 22. Ces cartes, comprenant l’ensemble du globe, expliquent les nôtres ; elles montrent en même temps la solidarité qui existe à certaines époques entre le climat de notre région et celui de l’Asie et par suite la nécessité d’étendre de plus en plus le champ des investigations météorologiques.
- Décembre 1878 ne ressemble à aucun des deux mois précédents. Du 1er au 24 décembre, les fortes pressions qui apparaissent un instant près de nos côtes occidentales le 4, le 5 et le 6, restent près et à l’ouest des mêmes côtes. Les basses pressions s’étalent au contraire sur la Scandinavie, l’Europe centrale, l’Italie et les cyclones généralement de quatrième ordre suivent des trajectoires fort tourmentées mais dirigées le plus souvent du nord au sud. 11 en est résulté pour nous un vent dominant d’entre N. et E. une première série de froids prolongés et de neiges qui, à Paris, ont couvert la terre du 7 au 25. — A partir du 25 décembre, le courant équatorial fait brusquement invasion sur nos côtes occidentales, et nous rentrons dans le régime du temps chaud avec pluies analogue à celui
- 1 Foy. la Nature, n° 189, 13 janvier 1877.
- 2 Yoy. la Nature, n° 242, 19 janvier 1878.
- 3 Ces cartes commencent au l8r octobre 1877. Elles constituent un progrès nouveau dont les études météorologiques profiteront largement et qui fait le plus grand honneur à l’ardeur libérale avec laquelle le gouvernement américain s’attache à développer les créations utiles.
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- LA NATURE.
- CARTES QUOTIDIENNES DU TEMPS EN DÉCEMBRE 1878 D’après le Bureau central météorologique de France. (Réduction 1/8.)
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- Dimanche 1 Lundi 2 Mardi 3 Mercredi M- Jeudi 5
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- Vendredi 6 Samedi 7 Dimanche 8 Lundi 9 Mardi 10
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- Jeudi 26 Vendredi 27 Samedi 28 Dimanche 29 Lundi 30
- qui a dominé pendant décembre 1876.
- Un cyclone de troisième ordre se montre sur la carte du 31 et amène le temps si mauvais du 1er janvier dernier.
- A Paris, le mois a eu une moyenne barométrique de 2mm environ au-dessous de la normale; la température moyenne a été inférieure de plus de deux degrés et demi à la moyenne générale et il est tombé I 05mm d'eau. I
- En France, le total des pluies a été très grand et j a atteint 100mni en plusieurs stations. En Europe, j
- il a été encore plus grand et a dépassé 117mm en Finlande, 150mm à Naples, et 220 à Livourne. De Là une hausse considérable des fleuves et une première série d’inondations générales. Nous verrons le mois suivant reprendre une nouvelle période encore plus accentuée de froid et d’inondations. L’hiver 1878-1879 sera mémorable. E. Fron.
- Le Propriétaire-Gérant : G. Tissandier.
- ConBElL, TVP. ET STÉn. CRBTR.
- Mardi 31
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- N° 295.
- 25 JANVIER 1879.
- LA NATURE.
- SUR UN ISOPODE GIGANTESQUE
- DES GRANDES PROFONDEURS DE LA MER1.
- L’étude de la faune des grandes profondeurs de l’Océan a fourni depuis quelques années des résultats inattendus et d’une grande importance qui modifient d’une manière complète les idées des naturalistes sur la distribution des animaux marins.
- Dans un Mémoire lu il y a près de dix-huit ans à l’Académie des sciences, j’annonçais que des Vers, des Mollusques et des Zoophytes vivaient dans la Méditerranée à une profondeur de plus de 2000 mètres, que, parmi ces animaux, les uns différaient spécifiquement et même génériquement de ceux observés jusqu’alors, que d’autres n’étaient encore connus qu’à l’état fossile dans les couches des terrains miocènes ou pliocènes et enfin que d’autres n’appartenaient pas en propre aux zones profondes, mais se trouvaient également sur les côtes.
- Ces faits excitèrent d’abord l’étonnement et même l’incrédulité des naturalistes, mais ils ont été confirmés depuis par des recherches nombreuses faites sur une grande échelle et avec tous les moyens dont dispose la science actuelle. En Scandinavie, en Angleterre et aux Etats-Unis, le gouvernement comprenant l’importance que les études de cette nature peut avoir, a mis à la disposition des zoologistes de grands
- 1 Mémoire lu à l’Académie des sciences, dans sa séance du 0 janvier 1879.
- 7° Anute. — \‘T sriwjlrf.
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- navires pourvus de tous les engins nécessaires et c’est avec ces moyens d’action entraînant des dépenses très considérables qu’on a appris à connaître le fond des Océans. Rien de semblable n’a été tenté en France où cependant avaient été obtenus les premiers résultats dans la voie des explorations sous-marines. Je puis néanmoins, grâce à des circonstances particulières, ajouter quelques faits nouveaux à l’histoire de la population des grandes profondeurs.
- A plusieurs reprises, le gouvernement des États-Unis a fait exécuter de nombreux draguages dans les mers américaines, et dernièrement il a chargé M. Alex. Agassiz d’aller explorer le lit du Gulf-Stream, dans le détroit de la Floride entre la pointe sud de cette dernière province et l’île de Cuba. En décembre 1877, ce naturaliste s’embarqua à bord du steamer Blake et fit une série de draguages dont quelques-uns furent poussés à près de 2000 brasses et ramenèrent une quantité cdnsidérable d’animaux. M. A. Agassiz, avec l’assentiment de l’administration du Coast-Snrvey des États - Unis m’a envoyé tous les Crustacés recueillis pendant cette croisière et il m’a prié d’en faire l’étude. Cette collection est des plus nombreuses et des plus riches ; elle me fournira les éléments d'un travail dont j’aurai l’honneur, dans quelque temps, de faire connaître à l’Académie les résultats généraux, mais aujourd’hui je me bor -nerai à appeler son attention sur un des animaux les plus extraordinaires de ceux que je dois à M. A. Agassiz. C’est un gigantesque Isopode pêché
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- à 955 brasses au nord-est du banc du Yucatan, aux environs des Tortugas1.
- Cet Isopode, auquel j’ai donné le nom de Bathy-nomus giganteus, n’est pas seulement remarquable par ses dimensions relativement énormes, il mesure, en effet, près de 25 centimètres de long sur 10 de large, mais aussi par la disposition spéciale de son appareil respiratoire très différent de celui de tous les autres Crustacés connus.
- Il semble que l’appareil respiratoire d’un Isopode ordinaire aurait été insuffisant pour subvenir aux besoins physiologiques du» ©athynôme et qu’il lui ait fallu l’adjonction d’instruments spéciaux d’une puissance fonctionnelle plus grande. Les fausses pattes abdominales qui, d’ordinaire dans ce groupe, constituent à elles seules l’appareil branchial, ne forment chez le Bathynôme qu’une sorte de système operculaire au-dessous duquel se trouvent les véritables organes de la respiration, ou branchies. Celles-ci, considérées individuellement, ressemblent à de petits arbres ou à des panaches naissant par des tiges qui se divisent de plus en plus et constituent ainsi un véritable chevelu. Quand on les examine à la loupe on voit qu’elles forment un certain nombre de faisceaux distincts et plus ou moins développés : que chacun de ces faisceaux naît par un pédoncule tubulaire à parois membraneuses et flexibles qui bientôt fournit d’autres troncs ; ceux-ci ne tardent pas à se résoudre en une quantité d’appendices allongés, presque semblables entre eux, mais disposés sans régularité et ayant l’apparence d’un fuseau à parois délicates. Vus au microscope, ils se montrent creusés d’une cavité tubulaire bien distincte et terminée en cul-de-sac; leur surface extérieure est hérissée de très petits poils spini-formes qu’on ne peut apercevoir qu’à l’aide d’un assez fort grossissement et dont le nombre augmente près de l’extrémité de l’appendice. Ces branchies sont plus développées sur la cinquième paire de membres abdominaux que sur les membres précédents, elles forment en arrière de celle-ci une masse qui remplit toute la concavité du dernier segment du corps. Les autres branchies, quoique plus réduites, ont la même disposition essentielle. Chacune d’elles peut se diviser en deux groupes, le premier situé en dehors, est formé par environ vingt-huit petits faisceaux étagés, naissant par un pédoncule spécial qui se divise en une petite houppe ; le second situé en dedans, est de beaucoup le plus considérable et ne pouvant se loger tout entier sous le feuillet branchial, il le déborde. Le vaisseau qui s’y rend et qui constitue son pédoncule d’origine est très volumineux et ressemble à une sorte de sinus qui bientôt se divise en trois troncs, ceux-ci fournissent les rameaux et les ramuscules des appen-
- 1 Voyez, à ce sujet, A. Agassiz, Letler n° 1, fo C- P. Patterson, sup. Coast survey, on the dredging operations of the U. S. survey Sr Blake during parts of January and February 1878. (Bulletin of the Muséum of Comparative Zoology, Cambridge, t. V, p. 4.)
- dices terminaux. Si on injecte un liquide coloré dans le sinus situé à la base des pattes branchiales, on remplit facilement tout ce système et on peut suivre la marche du liquide non seulement dans l’arbre branchial, mais aussi dans un réseau irrégulier, creusé dans l’épaisseur de chacun des feuillets des fausses pattes abdominales et comparable à l’appareil branchial tout entier des Isopodes ordinaires. Un vaisseau marginal sert à recueillir le sang qui a respiré et le verse dans le tronc branchio-cardiaque.
- Chez les Isopodes, au contraire, les fausses pattes abdominales sont très simples et quand elles se compliquent pour servir aux besoins d’une respiration plus active, c’est par le plissement toujours rudimentaire de la lame postérieure de ces appendices. Ainsi chez les Nérociles, les Anilocres, les Amphroïdes et les Sphèromes, on observe des plis plus ou moins accusés. Chez les Cymothoés, la simplification est plus grande et le sang circule seulement entre les deux feuillets des lames branchiales.
- On connaît cependant deux genres d’Isopodes où des appendices rameux se montrent sur les côtes du corps ; ce sont les genres Ione et Képon de la famille des Bepyrides ; mais entre cet appareil rudimentaire et celui du Bathynôme il y a des différences fondamentales non seulement dans la position des panaches branchiaux mais aussi dans leur structure.
- Par sa conformation générale, le groupement de ses anneaux, la composition des pièces de sa bouche et la disposition de ses pattes, le Bathynôme appartient incontestablement à la division des Isopodes marcheurs, mais il se distingue des Sphéromiens par ses articles abdominaux libres, et par le développement de sa. nageoire caudale. Ces particularités le rapprochent des Cymothoadiens et parmi ceux-ci des Cymothoadiens errants, mais il offre dans la conformation de la tête, des antennes et des yeux certains caractères qui l’isolent de tous les groupes connus. Les yeux sont très développés, contrairement à ce qu’on aurait pu supposer chez un animal vivant à une aussi grande profondeur et dans un milieu très obscur. Ils sont formés chacun de près de 4000 facettes carrées et au lieu d’être placés sur le dessus de la tête, comme chez tous les Cymothoadiens errants, ils occupent sa face inférieure et ils sont logés au-dessous du bord frontal, de chaque côté de la base des antennes.
- Par la forme des pièces de labouche, leBithynôme se rapproche plus des Cirolanes que des autres représentants du même groupe. Par la disposition des pattes, il présente des ressemblances avec ces derniers Crustacés et avec les OEga, mais les caractères organiques que j’ai indiqués plus haut me paraissent assez importants pour séparer le Bathynôme de tous les autres Isopodes et pour le ranger dans une famille nouvelle du groupe des Cymothoadiens que je proposerai de désigner sous le nom de Cymothoadiens branchifères.
- Alpii. Milke Edwards.
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- GÉOLOGIE DE L’ILE DE CHYPRE
- Quoique située près de la Palestine, l’île de Chypre a été peu visitée avant les événements poli-
- tiques qui viennent d’attirer sur elle l’attention de l’Europe. Lorsque j’y suis arrivé, elle n’avait été l’objet d’aucun travail géologique, sauf une mention de ses coquilles subapennines par M. Bellardi. Avec le concours de M. Amédée Damour, j’ai dressé
- cm indique les régions montagneuses.
- Fig. 1. — Carte des soulèvements de l’île de Chypre.
- la carte géologique de Chypre au 1/250000.
- Chypre est d’une date relativement récente ; son principale soulèvement au-dessus des eaux de la mer n’a eu lieu qu’après la période tertiaire moyenne. Les terrains qui furent alors mis à jour sont des calcaires compactes, des macignos et des marnes blanches.
- Les premiers sont identiques, pour l’apparence, avec ces masses de calcaires à bip— purites qui abondent dans le midi de l’Europe, se retrouvent en Asie, en Afrique, et représentent l’emplacement d’une mer immense dont la Méditerranée actuelle n’est plus qu’un lambeau. La formation des macignos a succédé à celle des calcaires compactes; elle appartient sans doute à la première période tertiaire; ses caractères sont les memes qu’en Italie. Les marnes blanches superpo-
- sées aux macignos se confondent avec les rocîies de la période tertiaire moyenne décrites en Asie-Mineure par M. de Tchihatchef; je les ai retrouvées dans le Liban; leur extension permet de présumer
- qus, pendant la période tertiaire moyenne, la mer couvrait encore en Orient une bien plus vaste étendue que de nos jours.
- Après le dépôt des marnes blanches, deux soulèvements parallèles se produisirent : l’un forma la chaîne septentrionale de Chy pre ; l’autre la chaîne de l’Olympe ; en même temps l’île fut en grande partie émergée. Ces soulèvements furent accompagnés de l’épanchement de masses ophitiques et serpentineuses ; le groupe plutonique de l'Olympe s’étend sans aucune interruption sur une longueur qui n’a pas moins de vingt-cinq lieues. Il se pourrait que
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- Trodos
- les roches serpentineuses eussent été à peine fondues, qu’elles fussent sorties les dernières et seulement par l’action de pressions violentes; elles n’auraient pas coulé, mais leurs diverses parties auraient glissé les unes sur les autres; on s’expliquerait ainsi pourquoi elles forment le centre de l’Olympe et pourquoi elles ont l’aspect singulier de matières passées au laminoir. Près de leur pourtour, les massifs plu-toniques sont très altérés, pénétrés de silice et de substances métalliques. Les couches sédimen-taires qui les entourent présentent des exemples de métamorphismes très remarquables : le fer, le manganèse, la silice, la magnésie, ont été substitués à la chaux; ainsi les calcaires et les marnes dans le voisinage des massifs plutoni-ques sont à l’état de calcaires ferri-fères, siliceux, magnésiens ; de riches teintes vertes, jaunes, rouges, les colorent, et, lorsqu’ils sont en contact avec les massifs, ils sont remplacés par des ocres et des jaspes.
- Après les soulèvements qui
- suivirent la période tertiaire moyenne, une partie de l’ile resta encore plongée sous la mer; mais les régions émergées furent recouvertes d’une masse d’eau beaucoup moins puissante que pendant les périodes précédentes; du moins l’abondance et la nature des coquilles fossiles, ainsi que la gi ossièreté
- Moût lioodos, poiul culminant de Chypre vu d'Evricou.
- des sédiments, tendent à le prouver. Les terrains qui se déposèrent alors représentent la troisième période tertiaire; mais sans doute les uns appartiennent au commencement, les autres à la fin de
- cette période, car Montagne de ? i. . i pi
- Carbounas Zoumi Maratliassa d 1 e&l unJ
- pre, le tiers seulement des fossiles a ses analogues vivants dans nos mers, tandis qu’au centre de l’ile les deux tiers des fossiles ont encore leurs analogues vivants. La dernière période tertiaire a été terminée par de faibles soulèvements qui émergèrent la pointe orientale de Chypre, nommée le Car pas, produisirent dans les plaines du centre quelques H| rides parallèles à ^ cette pointe, et enfin donnèrent à peu près à l’ile sa configuration définitive.
- Un des traits remarquables de la géologie de Chypre est l’existence d’un cordon littoral presque continu, formé de calcaires grossiers, de conglomérats et de sables dans lesquels on trouve des coquilles encore fraîches et identiques avec les espèces qui vivent aujour -d’hui dans la Méditerranée.
- Je me suis attaché à l’examen des substances minérales utilisées dans les arts; j’ai rencontré en divers endroits de l’ile des monticules qui ne sont autre chose que d’immenses amas de scories provenant des anciennes exploitations métalliques.
- Le cuivre paraît avoir été le plus important des
- Fig. -4. — Machera vu de Litlirodonta.
- Fig. 5. — Vue de la Fontaine d’Amonr.
- Dessins géologiques de l’ile de Chypre. (D’après M. Albert Gaudry.)
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- produits de Chypre; c’est là qu’il a été exploité pour la première fois ; les Romains lui ont donné le nom de cette île (cuprum, ^a^xos des Grecs). On en a indiqué quatre minerais : le chalcite, le sco-lex, le chalcanthe et le sory. Je pense que le chalcite était du sulfure de 1er et de cuivre, que le scolex naturel était de la malachite, que le chalcanthe était du sulfate de cuivre, et que le sory était
- un mélange de sulfate de cuivre et de sulfate de fer. On fabriquait cinq composés cuivreux : du scolex, de la chrysocolle, de la spode, de l’airain brûlé et de l’écaille de cuivre. La lecture des textes grecs et latins autorise à supposer que le scolex artificiel était du sous-acétate de cuivre, que la chrysocolle était du sous-sulfate ou du carbonate de cuivre mélangé de parties terreuses, que l'ai-
- Fig 6. — Calébournou (Carpas).
- 1. Marnolite sur-argileusc grise (miocène). — 2. Sable blanc calcaire passant à la marne blanche (pliocène). — 3. Calcaire grossier marneux. — 4. Calcaires devenant marneux et blanchâtres. — 5. Sables jaunes calcaires endurcis ou friables. — 6. Bancs d’huîtres dans le calcaire mollasse. — 7. Calcaires mollasses et sables jaunes calcaires alternant ensemble; ils renferment des Huîtres et surtout des Peignes. — 8. Assises puissantes de calcaire mollasse remplies de coqudles, séparées par des bandes de sable fin.
- rain brûlé était tantôt de l’oxyde rouge de cuivre, tantôt du sulfure de cuivre noir, que l’écaille de cuivre était de l’hydrocarbonate de cuivre ; j’ignore ce que pouvaient être la spode et le diphryge. Outre le cuivre, les anciens ont signalé à Chypre la
- cadmie (calamine des modernes), le pompholyx (oxyde de zinc), la pyrite de fer, le mysi (sulfate de fer, la galène, confondue par Pline avec le molybdène et indiquée par lui comme un minerai de plomb et d’argent. Le peroxyde de manganèse (ma-
- Fig. 7. — Coupe du château de Buffavent, à Mia Milia.
- 1', Calcaire schistoïde rouge lie de vin.— i. Calcaire compacte blanc ou noir (crétacé).—2. Macigno (éocène) —3. Marne blanche
- (miocène). — 4. Wacke. — 5. Brèche à ciment marneux, blanche.
- Échelle des longueurs : 1000 mètres. — Échelle des hauteurs : 200 mètres.
- gnésie noire des anciens) abonde en Chypre et forme une partie notable des scories que j’ai rapportées ; cependant je n’en ai pas vu la mention dans les ouvrages de l’antiquité. Je n’ai trouvé non plus aucune citation d’exploitation de fer, bien que le fer oligiste cristallin du mont Sainte-Croix, semble de très bonne qualité. Voici les noms des pierres de Chypre qui ont le plus attiré l’attention des anciens : cristal de roche, jaspes d’une admirable beauté, sangenon et paideros (sorte d’opales),
- amiante, morion (je ne peux appliquer la description de cette substance qu a l’hydrolithe couleur de chair), émeraudes (les pierres ainsi nommées étaient probablement du quartz prase, de la malachite ou de la heulandite verte), diamant de Chypre (ce n’était point du quartz, ainsi que l’ont pensé les voyageurs modernes, mais de l’analcime), cyanos (c’était peut-être de l’azurite). Le cœruleum était un minéral différent du cyanos. La substance brune connue dans le commerce sous le nom de terre
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- d'ombre de Chypre n’est pas une terre d’ombre, mais une ocre; elle se trouve au contact des couches scdimentaires et d’un massif aphanitique nommé Mavro-Voimi. La terre verte provient de l’altération des roches plutoniques ; comme la terre brune elle sert pour la peinture. De nos jours, les produits minéraux les plus importants pour Chypre sont le sel, la pierre à bâtir et le gypse. Le sel se reforme chaque année dans de grands lacs naturels ; il constitue un revenu considérable. Le cordon littoral des roches quaternaires dont j’ai déjà parlé fournit de magnifiques pierres calcaires qui ont été utilisées dans l’antiquité pour les temples de Paphos et au moyen âge pour les nombreux édifices que les princes français de Lusignan et les Vénitiens ont fait élever. Le gypse est d’une grande abondance et d’une beauté exceptionnelle : il forme une variété tabulaire, très employée en Orient pour le dallage des maisons. Albert Gaudry.
- Ftg. 8. — Carte du bassin oriental de la Méditerranée.
- SOCIÉTÉ FRANÇAISE DE PHYSIQUE
- Séance du 5 Janvier 1878.
- M. Benoît montre à la Société un thermorégulateur de son invention, fondé sur l’accroissement de la tension maximum d’une vapeur saturée avec la température. Un petit vase clos, contenant de l’éther méthylique, est placé dans l’étuve dont la température doit être maintenu constante ; il communique avec un manomètre à mercure, à leur tour, les mouvements de ce manomètre servent à régler l’afflux, du gaz d’éclairage qui chauffe l’étuve. M. Benoît a pu ainsi maintenir une température de 85° C. constante à moins de 0°,1 près. L’appareil doit cette rare précision à la petitesse de sa masse, et à la rapidité avec laquelle la tension de la vapeur augmente avec la température. L’auteur montre qu’après l’avoir réglée pour la température ambiante il suffit de souffler rapidement sur le petit vase à liquide pour produire l’extinction des becs de gaz gouvernés par l’appareil.
- AI. d’Almeida présente au nom de Al. Alfred Alayer, et montre en projection à l’aide de la lanterne verticale de M. Duboseq, les expériences que ce physicien a imaginées pour figurer l’hypothèse des attractions et répulsions moléculaires. De petites aiguilles verticales en acier, portées sur de l’eau par des flotteurs de liège, et aimantées dans le même sens, représentent des molécules qui se repoussent ; l’attraction est exercée par un pôle d’aimant fixé au-dessus du système. Les aiguilles se dispo-eent d’elles-mêmes suivant des figures déterminées ; les
- unes, appelées par AL Alayer, figures de l*r ordre, sont peu stables : ce sont des polygones réguliers; les autres (figures du 2e, du 3e ordre), sont plus stables : elles sont formées par 2, par 3 figures du premier ordre ou davantage, imbriquées les unes dans les autres. AL Mayer a produit ainsi des figures très complexes ; il en a fixé la forme par une sorte de décalque sur le papier.
- AI. Lippmann expose des expériences qu’il a faites avec le concours de AI. A. Bréguet, et desquelles il résulte qu’un écran magnétique de fer doux ne modifie en rien la force électromotrice par la rotation relative d’un aimant et d’un fil de cuivre entouré par l’écran : un circuit fermé dont une moitié est cachée par un tel écran ne se comporte pas pour cela comme un circuit ouvert : la force électromotrice d’induction totale y est nulle comme quand le fer doux est supprimé. AL Lippmann conclut de là, au moyen de quelques considérations géométriques, que l’on ne peut pas produire de courants continus avec un appareil formé d’aimants, de fer doux et de fils de cuivre sans contacts glissants.
- CONFÉRENCES DE LA SORBONNE
- ^ AL Ferdinand de Lesseps a inauguré, jeudi 16 janvier, à j la Sorbonne la série des conférences organisées par l’As- sociation scientifique de France. Les cartes et les tableaux dont la salle était ornée indiquaient suffisamment le sujet choisi par l’orateur : « L’Afrique, son état, son développement futur. » Une assemblée nombreuse et distinguée a écouté avec attention le sympathique créateur du canal de Suez. AL de Lesseps n’a eu qu’à puiser dans ses souvenirs personnels, dans ceux des hommes illustres qu’il fréquente depuis sa première jeunesse, pour faire le périple de la grande presqu’île transformée en île par lui. En l’entendant parler de visu et auditu de la Tunisie et de l’Égypte d’il y a plus d’un demi-siècle, de Caillé, de Alé-hémet-Ali, d’Ismaël-Pacha, d’Ibrahim-Pacha, de Saïd-Pacha, on croyait entendre la voix des ancêtres, tandis que sa verve charmante semblait le reflet de l’immortelle jeunesse des dieux. Il a montré le but pratique des explorations contemporaines de l’Afrique intérieure, la colonisation de contrées admirables et fertiles, la suppression de l’esclavage.
- L’orateur a passé successivement en revue les différente régions du « noir continent » dont M. Stanley a raconté la traversée, et parlant des bateaux à vapeur égyptiens qui naviguent sur les lacs Victoria et Albert ; des 40 000 esclaves qui traversent encore la Tripolitaine ; de l’influence que la France doit exercer sur le nord du continent et le bassin du Niger ; de la mer intérieure que le capitaine Roudaire propose de creuser ; du voyage et des découvertes que viennent de faire les courageux Al AL Savor-gnan de Brazza et Ballay ; du développement que les Portugais veulent donner à leurs colonies ; de celui que prei>-nent les établissements anglais du Cap.
- C’est souvent que les applaudissements ont interrompu le discours agréable et semé d’anecdotes de M. de Lesseps ; ils ont été surtout nombreux quand il a été question du retour de MM. Savoignan de Brazza et Ballay. Tous les détails donnés ont servi de cadre à l’exposé d’une idée nouvelle et généreuse qui, nous l’espérons, fera son chemin : celle d’établir sur le Niger, en un point de là grande courbe que ce fleuve fait vers le nord, un comptoir-refuge d’esclaves, qui serait un centre de civilisation sous la di-
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- rection (le la section française de l’association africaine.
- Cette idée, si nous ne nous trompons, sera probablement le premier objet des discussions d’une Commission que la Société de géographie de France pense à former et qui, composée de personnes déléguées par cette Société, par l’Association africaine, par la Société de géographie commerciale de Paris et par les Chambres syndicales, s’occupera spécialement de l’exploration et du développement commercial de la région comprise entre l’Algérie, la Tunisie, le Sénégal et la Gambie.
- LA TOUR-BALISE DE LAYEZZI
- Il n’est pas de monuments plus variés dans leur aspect et dans les difficultés sans cesse renaissantes de leur érection que les phares; aussi la Nature a-t-elle assez souvent déjà traité ce sujet*.
- Les phares ne sont pas les seuls travaux de cet ordre qui puissent présenter des difficultés énormes ; parfois une simple tourelle en maçonnerie destinée à indiquer la position d’un écueil — une balise — est presque aussi difficile à construire qu’un phare. Telle a été la balise de Lavezzi qui fait l’objet de cet article.
- La Méditerranée ensoleillée n’est pas moins redoutable que l’Océan brumeux, et le plus grand engloutissement d’hommes par le naufrage d’un seul navire dont on ait gardé la mémoire s’est produit sur la mer Azurée.
- Au milieu même du détroit de Bonifacio existe un dangereux rocher sous-marin tapi presque à fleur d’eau, en arrière est un grand îlot presque désert : ce sont l’écueil et l’île de Lavezzi. Le 15 février 1855, à midi, la frégate la Sémillante, partie de Toulon la veille, portant des troupes en Grimée, se brisa, par une tempête affreuse, sur ce récif ; pas un seul des sept cent quarante-trois hommes qui étaient à bord ne fut sauvé; cinq cent quatre-vingt douze cadavres retrouvés après le désastre ont été inhumés dans deux cimetières créés pour eux aux deux extrémités de l’île et, sur le point culminant de celle-ci, l’administration de la marine a fait ériger un obélisque commémoratif à tous ces braves gens qui ont donné leur vie pour la patrie avant même de l’avoir quittée.
- De son côté, la Commission des phares a cherché les moyens de signaler ces redoutables brisants.
- Déjà, en 1845, le gouvernement sarde —devenu depuis le gouvernement italien comme un enfant devient un homme — avait fait élever sur la petite île Razzoli un phare éclairant le détroit « les bouches » de Bonifacio et l’écueil de Lavezzi qui les sépare. Après la catastrophe, on amarra sur le récif
- 1 Voir la Nature, 1" année, 1873, p. 387, 6’année, 1878( 2e semestre, p. 186 : le Phare d’Ai-Mcn ; lraannée, 1873, p 387, 4e année, 1876,1er semestre, p. 9 : le Phare du Four ; 2e année, 1874, 1er semestre, p. 404, 2e semestre, p. 104, 303 : les Phares des États-Unis; 6e année, 1878, 1ersemestre, p. 113 : la Disparition du phare de Krishna ; 4° année, 1876,1er semestre, p. 9 : Phares et Balises.
- lui-même un bateau-cloche, une énorme bouée en tôle ayant la forme et la dimension d’une chaloupe-pontée et portant une cloche de bronze de 70 kilogrammes surmontée d’une pyramide à six pans formés par six miroirs destinés à réfléchir les rayons du soleil et des phares voisins. Le danger étant toujours imminent, la cloche sonnait sans cesse le tocsin. Mais souvent le mugissement des flots couvrait la voix tutélaire qui avertissait du péril ; puis, dans une tourmente, la furie des vagues brisa la bouée contre le rocher même qu’elle était destinée à signaler; on mit un autre bateau-cloche, mais, l’accident pouvant se renouveler, on se décida à élever sur le roc sous-marin une tour-balise, c’est-à-dire une tourelle pleine en maçonnerie.
- L’écueil de Lavezzi, situé au point le plus méridional de la France, par 41°19’5"' de latitude nord, ne découvre jamais, la Méditerranée n’ayant pas de marées; il forme grossièrement une espèce de cylindre tronqué de 6m,50 de diamètre, dont la moindre profondeur au-dessous de la surface est de 2m,30 et la plus grande de 6 mètres ; tout autour de cette sorte de borne rocheuse dont la surface supérieure forme comme un petit plateau fortement incliné, la profondeur augmente brusquement et les navires peuvent passer en sécurité. Pour bâtir sur le roc on employa le système de la fondation par caisson imaginé par les ingénieurs contemporains pour établir les piles des ponts. En 1869, un caisson, une espèce de bateau sans fond ayant la forme et la dimension de la base de la construction projetée et dont la hauteur inégale avait été calculée d’après la profondeur du rocher, fut échoué sur le récif de façon que, sa partie inférieure suivant le contour de celui-ci, son bord supérieur dépassât le niveau de l’eau ; du béton fut coulé à l’intérieur et l’on put alors construire la tour sur cette base ; on crut désormais en avoir fini avec l’écueil.
- La balise le signalait le jour, il restait à pouvoir l’éviter la nuit. Le rocher étant trop petit pour permettre l’érection d’un phare, il fallut l’éclairer des îles voisines. Quand il s’agit des dangers de la mer, la fraternité n’est plus un vain mot ; chaque peuple prodigue la clarté aux marins de toutes les nations, c’est la communion de la lumière. En 1870, legou-i nement italien perfectionna l’éclairage du phare de Razzoli ; une lame de verre rouge fut fixée en avant des lentilles dans la direction de la balise de Lavezzi de façon à projeter sur elle, dans un angle de 7 degrés, un faisceau de lumière de cette couleur. Pour compléter l’éclairage, le gouvernement français a fait élever sur la pointe sud de l’île Lavezzi un phare de quatrième ordre constitué par une tourelle carrée de 10 mètres de hauteur accolée à la maison des gardiens et illuminé par une lampe à deux mèches alimentée à l’huile minérale de France. Le feu du phare est blanc, mais, dans deux directions opposées, deux lames de verre coloré ne laissent tomber l’une au nord, dans un écartement de 105 degrés, ou’un rayon vert sur des écueils qui
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- s’étendent entre l’ile et la Corse ; l’autre, au midi, dans un secteur de 80 degrés, qu’un rayon rouge sur le danger de Lavezzi.
- Le nouveau feu a été allumé le 15 mars 1874; désormais les navigateurs savent que tant qu’ils voient blanc au moins l’un des deux phares, ils n’ont point à se préoccuper du récif ; mais que, dès qu’ils apparaissent rouges tous les deux, ils doivent s’éloignes au plus vite, car ils se trouvent dans son voisinage, à l’intersection des deux faisceaux lumineux de cette couleur que Lavezzi et Razzoli envoient sur l’écueil.
- La victoire semblait définitive, quand, en 1875, après une tempête, on s’aperçut avec stupeur que la tour-balise n’existait plus, les vagues l’avaient déracinée. On signala provisoirement le rocher par une bouée et l’on se mit en mesure de reconstruire la tour ; mais , pour qu’elle fut désormais inébranlable, on décida de relier la maçonnerie au rocher par treize barres de fer, une au milieu de 6 centimètres de diamètre, quatre autour de 10 centimètres de diamètre, pénétrant de 60 centimètres dans le roc, huit au delà, enfoncées jusqu’à 1 mètre dans la roche et ayant 15 centimètres de diamètre.
- Le brisant de Lavezzi ne découvrant jamais, pour y percer les trous destinés à les recevoir, il fallait travailler au fond de la mer.
- La science sait faire vivre l'homme sous l’eau en le cuirassant du scaphandre, mais le métier de plongeur est très pénible, le froid envahit bientôt et l’on ne peut rester longtemps ; on ne pouvait dans ces conditions percer les trous directement ; on prit le parti de faire faire les fondations en béton par les plongeurs en réservant dans la masse douze puits étroits, constitués par des tubes de fonte posés verticalement sur le roc, et qui resteraient pris dans le béton, tassé tout autour jusqu’à ce qu’il dépassât le niveau de l’eau, de façon à former un îlot artificiel. H fallut faire venir de Marseille tout ce dont on avait besoin; des baraques pour les ouvriers furent installées dans l’ile Lavezzi, à 1800 mètres au nord do l’écueil. Ces travaux préliminaires avaient été entrepris en avril 1876. Le 1er juin, quarante-six hommes étaient réunis à Lavezzi ; ils commen-
- çaient les opérations le 5. Le surlendemain, elles étaient interrompues par des gros temps qui durèrent dix-huit jours ; il y eut successivement dans l’été onze tempêtes, si bien qu’en cent dix-sept jours on ne put travailler que pendant trente-six. Revêtus de l’armure sous-marine, le scaphandre, portant le gorgerin et les talonnières de plomb, coiffés du casque de bronze où aboutissent les tuyaux de res • piration à côté des gros yeux de verre, les plongeurs descendaient sur le roc, au milieu des éponges, des coraux et des coquillages, armés d’un poignard de bronze, comme aux temps préhistoriques — l’eau de mer corrodant l’acier, — pour se défendre, au besoin , contre les requins, voire les céphalopodes gigantesques qui parfois hantent cette région particulière de la Méditerranée. Si dramatique que put être la situation, les maçons aquatiques ne se laissaient point distraire et, seau à seau, entassaient le béton. Quand le froid les gagnait et qu’ils n’en pouvaient plus, ils faisaient un signal, on les remontait et ils se réchauffaient au feu flambant sur le canot. Les plus forts ne pouvaient faire cc dur travail sous l’eau que deux heures le matin et deux heures le soir, aussi les plongeurs, en sus de la paye journalière, recevaient-ils quatre centimes par minute passée sous la mer.
- Enfin le 50 septembre 1876, le massif de béton s’élevait à 1 mètre au-dessus de la surface et l’on pouvait s’établir sur cette île faite de main d’homme pour creuser le rocher à travers les douze tubes de fonte traversant le massif de part en part que l’on avait réservés. On commença le forage à l’aide de trépans d’acier pénétrant jusqu’au fond des puits, comme s’il se fut agi d’un sondage artésien. Des trous de 1 mètre purent être ainsi percés dans l’écueil ; les énormes barres de fer, pénétrant d’un côté dans le béton, de l’autre dans le roc, y furent introduites et scellées au ciment, et sur cette base on construisit la balise proprement dite, terminée le 14 septembre 1877.
- C’est une tourelle ronde s’élevant à 7 mètres au-dessus du niveau de la mer (8 mètres avec la balustrade) et de 9m,30 à 15 mètres au-dessus du rocher; la fondation a6m,50 de diamètre, le tronc de
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- Carte de la tour-balise et du phare de Lavezzi.
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- Construction de la tour-balise de Lavezzi, dans la Méditerranée,
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- cône qui la surmonte 5™,50 à la base, 4 mètres au sommet. La balise est peinte par bandes horizontales alternativement noires et rouges, ce qui indique aux marins qu’ils peuvent à leur gré passer de chaque côté. (Si pour éviter les dangers les navigateurs venant du large devaient laisser la balise à leur gauche, elle serait noire, et rouge avec couronne supérieure blanche s’ils devaient la laisser à droite). Elle est munie d’une échelle et couronnée d’une balustrade pour pouvoir servir de refuge en cas de naufrage ; mais ces travaux persévérants les rendront plus rares, il faut l’espérer. Charles Boissay.
- MOIS MÉTÉOROLOGIQUE AUX ÉTATS-UNIS
- NOVEMBRE 1878.
- L’excès de température signalé depuis le commencement de l’année 1878, s’est continué encore en novembre; relativement faible dans les États du littoral, c’est surtout dans la région moyenne des États-Unis que l’écart atteint sa plus grande valeur: dans la vallée du Mississipi supérieur, la moyenne du mois surpasse la normale de près de 10 degrés centigrades. Les grands froids ont commencé à faire sentir leur action sur le cours d’eau au nord du 45e degré de latitude ; dans le Dakota, la rivière du Missouri cessait d’être navigable dès le 8 et le 30 elle était complètement prise.
- La saison des pluies en Californie, qui commence habituellement en octobre pour se prolonger jusqu’en mars, n’avait pas encore fait son apparition cette année à la fin de novembre. La quantité d’eau recueillie est presque nulle sur le versant du Pacifique, et même, dans les stations au sud de San Francisco, il n’est pas tombé une goutte de pluie pendant tout le mois. La sécheresse s’est étendue à l’intérieur du continent ; dans le Kansas un grand nombre de sources ont tari et les fermiers étaient obligés d’aller au loin s’approvisionner d’eau pour les usages domestiques. Au contraire à la pointe sud-est des Etats-Unis, dans la Floride, la pluie, si impatiemment attendue, a facilité les semailles d’automne, que la sécheresse du mois d’octobre n’avait pas permis d’effectuer partout; au fort Barran-cas la pluie de novembre représente un volume de 450 litres par mètre carré.
- Un tremblement de terre a été ressenti le 18 au soir vers minuit en divers points des États de l’Illi-lois, du Kansas et du Missouri. Des dépêches reçues de Panama, à la date du 7, signalaient une grande activité de plusieurs volcans de la république de San Salvador. Ainsi qu’on le remarque fréquemment, ce phénomène a coïncidé avec un violent tremblement de terre qui a bouleversé la région méridionale de ce pays. On se rappelle que la ville de San Salvador fut presque détruite en 1839 par l’éruption du volcan au pied duquel elle est bâtie,
- et qu’un de ses quartiers fut de nouveau très éprouvé par le tremblement de terre de 1854.
- La Monthly Weather Review contient depuis quelques mois de précieux documents sur la météorologie générale et provenant principalement d’ob -servations faites à bord des bâtiments croisant l’Atlantique. Cette intéressante publication, qui comprend régulièrement des cartes de la distribution mensuelle de la pression, de la température, des pluies, des vents, ainsi que les trajectoires des centres de dépression qui traversent l’Amérique du Nord, s’est enrichie ce mois-ci d’une nouvelle carte dressée d’après les observations faites à la mer, et donnant la trajectoire des bourrasques venues de l’Atlantique pendant les mois de septembre et d’octobre 1878. Cette carte, nécessairement fort incomplète, montre pourtant qu’un certain nombre des bourrasques qui abordent l’Europe occidentale viennent de l’Atlantique au sud du 20e parallèle ; leur centre restant constamment au-dessus de l’Océan, il est extrêmement difficile d’en apprécier l’intensité et d’en prévoir la vitesse et la direction ; par là même, cette carte met en évidence l’insuffisance des systèmes de prévisions basées uniquement sur l’allure des bourrasques traversant l’Amérique du Nord, systèmes à l’aide desquels on croit pouvoir annoncer d’une manière efficace et précise l’arrivée des gros temps aux différents points des côtes occidentales de l’Europe.
- Th. Moüreaux.
- ACADÉMIE DES SCIENCES.
- Séance du 20 janvier 1879. — Présidence de M. Daubrée.
- Électricité. — L’intéressante expérience de M. Duter n’est pas sortie de la mémoire de nos lecteurs. Elle consiste à faire voir qu'une bouteille de Leyde remplie d’eau augmente de volume quand on l’électrise, de façon que le liquide baisse de niveau au fur et à mesure de la charge. M. Lebas cherche aujourd’hui à expliquer le fait en admettant que les deux électricités contraires s’étant accumulées sur les deux faces interne et externe de la bouteille, elles tendent par leur attraction mutuelle à comprimer le verre et par conséquent à l’amincir. M. Bertrand pense toutefois que l’effet observé est hors de proportion avec la grandeur des forces mises en jeu dans cette hypothèse.
- L’asphalte et la vigne. — Nous disions l’autre jour que M, Berton, voyageant aux environs de la mer Morte, y avait recueilli l’opinion généralement répandue dans le pays que l’asphalte préserve la vigne des vers et autres animaux qui s’attaquent à elle. L’auteur en avait conclu que le bitume de Judée serait peut-être efficace contre le phylloxéra. Comme complément à ces observations, il adresse l’extrait d’un manuscrit conservé à la Bibliothèque nationale à la suite de la Chronique de Robert-le-Moine où il est dit que le bitume est employé également pour protéger les chameaux de la vermine et la vigne des parasites.
- Propriétés magnétiques du nickel et du cobalt. — Dans une longue série de recherches qui seront prochai-
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- neraent publiées par les Annales de Chimie, M. Henri Becquerel s’est préoccupé d’étudier les propriétés magnétiques temporaires développées par influence dans divers échantillons de cobalt et de nickel. Le résultat principal consiste en ce que ces métaux sont beaucoup plus sensibles, toute proportion gardée, aux actions faibles qu’aux actions énergiques et que par conséquent il n’y a pas d’analogie entre leur manière d’être et la façon dont le fer se comporte dans les mêmes circonstances.
- Physique. — Parmi les autres travaux de physique mentionnés à la séance, nous signalerons des expériences de M. Hughes sur les effets d’induction produits dans les circuits téléphoniques — une élude de M. Plateau sur la persistance des impressions dans l’œil — de très curieuses recherches de M. Charles Cros sur la mesure de l’intensité lumineuse des couleurs — enfin la description d’une nouvelle pile, imaginée par M. Hérault. On n’a donné de détails que sur le dernier point. Il en résulte que dans la pile nouvelle, on emploie pour opérer la dépolarisation, le calomel ou protochlorure de mercure. Le liquide actif est le sel ammoniac. Les effets, paraît-il, sont très satisfaisants et, ce qui est remarquable, l’action a pour effet de reconstituer, avec le chlore du calomel le sel ammoniac au fur et à mesure de sa destruction.
- — Dès 4 heures, l’Académie se forme en comité secret. Stanislas Meunier.
- BIBLIOGRAPHIE
- Annuaire pour Van 1879 publié par le Bureau des longitudes, avec des notices scientifiques, 1 vol. in-52. Paris, Gauthier-Villars, 1879.
- Annuaire de l'Observatoire royal de Bruxelles, 1879, 46e année. Bruxelles, 1 vol. in-32^ F. llayez, 1878.
- Almanach de l'agriculture pour 1879, publié par J.-A. Barral, 1 vol. in-18. Paris, G. Masson.
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- LES SATELLITES DE MARS
- Le temps qui s’est écoulé depuis la découverte des deux satellites de Mars, la vérification qui en a été faite, et les études auxquelles l’observation de ces deux petits mondes a conduit les astronomes, constituent aujourd’hui une base suffisante pour nous permettre d’appeler spécialement l’attention de nos lecteurs sur ce sujet. Cette découverte est, sans contredit, l’un des événements les plus intéressants et des plus remarquables de l’astronomie contemporaine. On se souvient qu’elle a été faite au mois d’août 1875 par M. Asaph Hall à l’observatoire de Washington, à l’aide de la plus puissante lunette qui ait encore été construite. Elle n’est pas due au hasard comme celle d’un grand nombre de petites planètes et de comètes, mais a été le résultat d’une recherche systématique. La plupart des astronomes s’étaient habitués, comme le commun des mortels, à lire dans les livres classiques la phrase ordinaire : « Mars n’a pas de satellites », et cherchaient à surprendre les secrets de la nature,
- qui en garde toujours plus qu’elle n’en laisse saisir. Dans le cours de l’année 1862, Mars étant passé, comme il l’a fait de nouveau en 1877, à sa plus grande proximité de la Terre, un habile astronome, d’Arrest, directeur de l’observatoire de Copenhague, avait déjà entrepris cette recherche et observé avec le plus grand soin le voisinage du globe de Mars, sans parvenir à rien discerner, hormis de petites étoiles, perdues au fond des cieux, et devant lesquelles Mars passait en suivant son cours céleste. D’Arrest est mort en 1875; sa famille était d’origine française et avait été forcée, comme tant d’autres, de s’exiler, lors de la fanatique et maladroite révocation de l’édit de Nantes. À la fin du dernier siècle, William Herschel avait entrepris la même recherche sans résultat. Mais les instruments dont ces deux astronomes s’étaient servis, était loin du nouvel équatorial de Washington, dont l’objectif, qui ne mesure pas moins de 66 centimètres de diamètre, est d’une pureté comparable à celle de l’azur céleste, dont la longueur focale est de 10 mètres, dont la puissance optique permet des grossissements de 1500 fois, et qui est mu en sens contraire du mouvement diurne de la Terre par un mécanisme d’horlogerie de la plus grande précision. A l’aide de cet excellent appareil, l’éminent astronome américain entreprit l’examen attentif des alentours de Mars, dès le commencement du mois d’août 1877, afin d’observer assidûment cette planète voisine, pendant l’époque favorable de sa plus grande proximité de la Terre. Pendant les premières nuits il remarqua de petits points lumineux ; mais ils ne marchaient pas avec cet astre, et c’étaient seulement des étoiles fixes devant lesquelles la planète passait. Pour les découvrir il plaçait la planète en dehors du champ de la lunette, afin que son éclat n’éclipsât pas le voisinage et que les plus petits points fussent perceptibles. L’un de ces points, parut, dans la nuit du 11, suivre la planète; mais pendant que M. Hall l’examinait avec anxiété, pressentant déjà au fond du cœur qu’il allait prendre la nature sur le fait, tout à coup un brouillard s’éleva justement de la rivière Potomae et arrêta net l’observation. Les jours suivants le ciel resta obstinément couvert. Le 15 août, l’atmosphère se purifia; mais les orages l’avaient tellement troublée que Mars dansait dans la lunette et qu’on ne parvint plus à revoir le petit point, problématique. Le 16, il apparut de nouveau, mais de l’autre côté de la planète, et on put l’observer assez longtemps pour constater qu’il partageait son mouvement. Le 17, pendant que l’observateur l’examinait, un autre point lumineux se montra plus près encore de la planète, et les observations de cette nuit ainsi que celles de la suivante prouvèrent que ces deux objets appartenaient incontestablement à Mars. Le 19 l’annonce de la découverte fut envoyé en Europe. M. Hall continua d’observer ces deux satellites jusqu’au 31 octobre. Ensuite Mars s’éloigna de plus en plus de la Terre.
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- La dépêche d’annonce était ainsi conçue : « Deux satellites de Mars ont été découverts par M. Hall à Washington. Le premier, élongation ouest, 18 août, 11 heures, temps moyen de Washington, distance, 80 secondes ; période, 50 heures. Distance du second : 50 secondes.
- Cette nouvelle fut reçue comme un coup de foudre par les astronomes. La moitié au moins restèrent incrédules jusqu’à plus ample informé. Le premier soin fut naturellement de chercher à la vérifier. Mais huit jours ne s’étaient pas écoulés que la plupart des observatoires d’Amérique et d’Europe eussent dirigé leurs meilleurs instruments vers le même point du ciel, et reconnu l’existence sinon des deux satellites, du moins du plus éloigné, qui est le moins difficile à apercevoir. Aujourd’hui, ces deux nouveaux mondes ont été suffisamment observés pour que leurs éléments astronomiques aient pu être déterminés. Voici leur situation :
- Ils tournent autour de Mars à peu près dans le plan de son équateur ;
- Leurs orbites sont presque circulaires ;
- Le satellite le plus éloigné effectue sa révolution en 30 heures 18 minutes;
- Le satellite le plus proche effectue sa révolution en 7 heures 39 minutes;
- La distance du plus éloigné au centre de Mars est de 32", 5 ;
- La distance du plus proche au centre de Mars est de 13", 0;
- Le diamètre de Mars est de 9", 328.
- Si nous traduisons ces trois dernières valeurs en kilomètres, nous obtenons :
- Distance de Mars.............. 6760 kilomètres.
- Distance du sat. extérieur.... 20116 kilomètres. Distance du sat. intérieur.... 6051 kilomètres.
- Ces distances sont comptées, non à partir du centre du Mars, mais de la surface. Ainsi, du sol de la planète pour atteindre la première lune de Mars, il n’y a que 6051 kilomètres, ou 1500 lieues environ, et 5000 lieues pour aller à la seconde, tandis que de la terre à la lune (centre pour centre) on compte 96 000 lieues. Entre la première lune de Mars et la surface de la planète, il n’y a meme pas la place nécessaire pour y supposer un second globe de Mars, tandis qu’il faudrait trente globes terrestres pour jeter un pont d’ici à la Lune.
- Nous avons représenté sur la figure ci-contre ce petit système de Mars dessiné à l’échelle précise de 1 millimètre pour 1 seconde. On se rendra compte de sa différence avec le système terrestre en remarquant que, si ce globe de Mars représentait la Terre, nous devrions à la même échelle pheer la Lune à une distance de 28 centimètres.
- Voilà donc un système bien différent de celui de la Terre et de la Lune. Mais le point le plus curieux est encore la rapidité avec laquelle le premier satellite de Mars tourne autour de sa planète. Cette révolution s’effectue en 7 heures 39 miuutes, tan-
- dis que le monde de Mars tourne sur lui même en 24 heures 57 minutes 23 secondes, c’est-à-dire, que cette lune tourne beaucoup plus vite que la planète sur elle-même ; ce fait est en contradiction avec toutes les idées que nous avons pu avoir jusqu’ici sur la loi de la formation des corps célestes. Mars compte en moyenne 12 heures de jour et 12 heures de nuit, un peu plus, avec des saisons sensiblement plus marquées que les nôtres et deux fois plus longues.—Or, tandis que le Soleil paraît tourner dans le ciel des Martiaux en une lente journée de plus de 24 heures, la première lune a parcouru sa révolution entière en un tiers de jour. Il en résulte qu’elle se lève au couchant et quelle se couche au levant ! Elle passe sous la seconde lune, l’éclipse de temps en temps et parcourt toutes ses phases en il heures, chaque quartier ne durant même pas trois heures. Quel singulier monde! Voilà deux espèces de mois, l’un plus court que le jour, l’autre de un jour un quart !
- Ces satellites sont tout petits ; ce sont les plus petits corps célestes que nous connaissions. L’éclat de la planète empêche de les mesurer exactement.
- 11 semble néanmoins que le plus proche soit le plus gros et offre l’éclat d’une étoile de 10e grandeur, et que le second offre l’éclat d’une étoile de 12e grandeur. D’après les mesures photométriques les plus sûres, le premier peut avoir un diamètre de
- 12 kilomètres, et le second un diamètre de 10. Le plus gros de ces deux mondes est à peine plus large que Paris (du boulevard Murat au boulevard Da-voust).
- Plusieurs de nos lecteurs se sont déjà demandé sans doute pourquoi les lunes de Mars n’ont pas été plus tôt découvertes. On peut même se demander si elles viennent d’être créées. M. Boutigny, d’Evreux, célèbre pour ses études sur l’état sphéroïdal, écrivait à l’Académie des sciences ;
- « Si l’on se reporte au planisphère de M. Flammarion, et si on la compare avec la carte Beer et Madler, peut-être parviendra-t-on à prouver que les satellites de Mars sont de date récente. Le nouveau satellite de Saturne, découvert le même jour en 1848, en Europe et en Amérique, a pu être découvert immédiatement après sa naissance... La lune n’a pas toujours existé; une effroyable explosion de la masse incandescente du globe a pu lancer la Lune dans l’espace à la distance où l’attraction et la répulsion sont en équilibre. >'
- Sans nier la possibilité d’une projection actuelle de satellites par une planète ou de la planète par le Soleil, je pense qu’il n’est pas nécessaire d’admettre cette formation nouvelle pour expliquer la découverte récente de ces deux satellites. Ils ont été cherchés exprès à l’aide de la plus puissante lunette qui ait encore été dirigée sur Mars par un astronome minutieux et persévérant, et dans le moment même où Mars se trouvait dans les meilleures conditions d’observation. Voilà plus de conditions qu'il n’en faut pour expliquer le fait. Il n’y a qu’une
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- seule objection, c’est l’invisibilité des deux satellites pour d’Arrest en 1862, dans une lunette qui permet de voir aujourd’hui le plus éloigné. Elle s’expliquera en réfléchissant qu’on voit plus facilement un objet qu’on sait exister, qu’on ne le découvre quand on ignore son existence, et que d’ailleurs il est fort possible que l’astronome de Copenhague ne soit pas tombé dans les meilleures conditions atmosphériques, sur les moments de la plus grande élongation du satellite extérieur, les seuls où il aurait pu le découvrir. Cette plus grande élongation est de 85", et celle du plus proche est de 34" (il y avait erreur dans la dépêche d’annonce), l’éclat de Mars les fait disparaître, dans la grande lunette de Washington, le premier, à 25", le second à 7" ; ils doivent disparaître de beaucoup plus loin dans celle de Copenhague. Les mêmes raisons expliquent la découverte du dernier satellite de Saturne. Ainsi il est à peu près certain que ce ne sont pas là des formations nouvelles.
- Les satellites de Mars ont disparu depuis le mois de novembre 1877, à cause de l’éloignement de la planète. On ne les reverra qu’au mois d’octobre 1879, mais moins facilement que l’année précédente. Puis on cessera probablement de les apercevoir pendant 13 ans.
- Car ce n’est qu’en 1892 que la planète reviendra de nouveau à sa plus grande proximité de la Terre. Mais il y aura certainement alors des télescopes beaucoup plus puissants qu’aujourd’hui.
- Ces deux petites lunes ont reçu de leurs découvreurs les noms Deisnos (la Terreur) et Phobos (la Fuite) en souvenir de deux vers de Y Iliade d’Ilo-mère (livre XV) qui représente Mars descendant sur la Terre pour venger la mort de son fds Ascalaphe :
- « Il ordonna à la Terreur et à la Fuite d’atteler ses coursiers ;
- Et lui-même revêt ses armes étincelantes. »
- J’avoue que ces noms me paraissent assez mal choisis. 11 eut été difficile d’en trouver de moins appropriés à la nature du dieu des combats : la Terreur et la Fuite, voilà certes de tristes compagnons dont on l’affuble pour, l’avenir. Pourtant le choix ne manquait pas. Outre ses fils Ascalaphe et l’Amour, Bellone, la Renommée, la Gloire, ont toujours participé dans la mythologie aux honneurs qui lui ont été rendus, et lorsqu’il fut fait prisonnier dans la guerre des Géants, il a déjà eu pour le garder deux satellites, Otlius et Ephialte.
- L’analogie avait déjà fait soupçonner l’existence de ces satellites et les penseurs avaient dit assez souvent que puisque la Terre a un satellite, Mars devait en avoir deux, Jupiter quatre, Saturne huit, et c’est en effet ce qui arrive. Mais, comme on éprouve trop souvent dans la pratique la faiblesse de ces raisonnements de logique purement humaine, on n’y accordait pas plus de valeur qu’ils n’en possèdent réellement. Nous pourrions supposer de la même façon aujourd’hui que la planète Ura-nus a 16 satellites et que Neptune en a 32. C’est possible ; mais on n’en sait rien, et l’on n’a même pas le droit de regarder cette proportion, comme probable. Il n’en est pas moins curieux de lire le passage écrit par Voltaire en 1750 dans son chef* d’œuvre de Micromégas1.
- Ce roman astronomico-philosophique de Micro-mégas a été regardé comme une imitation de Gulliver. Ouvrons le chef-d’œuvre de Swift lui-même , composé vers 1720, et nous pourrons 1 ii e textuellement au chapitre III du voyage à la Puta : « Les astronomes de ce pays passent la plus grande partie de leur vie à observer les corps cé-j lestes fort supérieurs | aux nôtres. Ayant poussé leurs découvertes beaucoup plus loin que nous, ils comptent 10 000 étoiles fixes, tandis que nos calculs les plus larges ne vont pas au tiers de ce nombre. De plus, ils ont découvert deux étoiles inférieures ou satellite qui tournent autour de Mars, et dont la plus proche de la planète est à une distance du centre de celle-ci équivalente à 3 fois son diamètre, et la plus éloignée à une distance de 5 fois le même diamètre, La révolution de la première s’accomplit en 10 heures, et celle de la seconde en 21 heures, de sorte que les carrés des temps sont dans ki proportion des cubes des distances, ce qui prouve qu’elles sont gouvernées parla même loi de gravitation qui régit les autres corps célestes. »
- Que penser de cette double prédiction de deux satellites à Mars? La seconde n’a qu’un tort, c'est d’être un peu trop circonstanciée, ce qui fait qu’elle ne s’accorde pas dans les détails avec la réalité. Le hasard eut pu le faire concorder exactement. Certes les prophéties n’ont pas toujours été aussi claires, ni les coïncidences aussi frappantes. Cependant il est évident que personne n’avait jamais vu ces sa-
- 1 Voy. la Nature, 5e année, 1877, 2“ semestre, p. 270.
- 0 ' otion en ^ ' Système des satellites de Mars.
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- teliilcG av.at 1877, et qu’il n’y a dans cette rencontre que l’œuvre capricieuse du hasard. Mais on ne peut s’empêcher de remarquer qu’ici le raisonnement par analogie s’est trouvé dans le droit chemin. Quoi qu’il en soit, cette découverte constitue vraiment l’un des faits les plus intéressants de l’a-stroriomie contemporaine.
- Camille Flammarion.
- L’EXPÉDITION FRANÇAISE
- DE MM. SAVORGNAN DE BRAZZA ET LE Dr BALLAY DANS L’AFRIQUE CENTRALE.
- La géographie contemporaine peut s’enorgueillir d’avoir étendu considérablement nos connaissances sur d’immenses contrées restées jusqu’à ce jour soit complètement inconnues, soit décrites d’après les données les plus vagues et les plus contradictoires. La plus vaste de ces contrées, l’Afrique intertropicale, a été successivement abordée au nord par le Nil, à l’est par le Zambèze et les routes qui aboutissent à Zanzibar. C’est dans cette dernière direction surtout que les plus grands efforts ont été entrepris et couronnés des plus brillants résultats ; Livingstone, Cameron et Stanley s’y sont acquis un renom immortel.
- Du côté opposé, l’accès de l’Afrique équatoriale a toujours été plus difficile et plus dangereux que par la côte orientale. C’est à la France, dont les établissements coloniaux sont disséminés du Sénégal au Gabon, qu’est incombée plus particulièrement la tâche ingrate des explorations occidentales ; René Caillié, Mage et Quintin, de Compiègne et Marche ont dignement soutenu l’honneur de la géographie française dans les assauts donnés au mystérieux continent.
- L’expédition qui vient de se terminer avec l’année 1878 après trois ans de fatigues, de souffrances et de périls, avait pour but de reconnaître le plus grand fleuve de notre colonie du Gabon, l’Ogôoué. Elle était commandée par M. Savorgnan de Brazza, enseigne de vaisseau auxiliaire, assisté du médecin de marine Ballay, et renforcée, pendant sa première période, de la collaboration de M. Marche qui avait déjà, en compagnie de feu le marquis de Compiègne, reculé considérablement vers l’est notre connaissance du cours de l’ügôoué ; après avoir poussé une nouvelle exploration sur le cours inconnu du fleuve, M. Marche avait dû, en raison de son état de santé, abandonner ses compagnons et revenir en France au moment même où la deuxième partie de la campagne s’inaugurait sous les plus sombres perspectives. Ce fut lui qui rapporta les dernières correspondances des voyageurs dont on n’entendit plus parler pendant quinze mois.
- MM. de Brazza et Ballay avaient dès l’origine été atteints par la maladie; débarqués au Gabon à la fin de 1874, ils n’avaient pas tardé à ressentir les influences du climat et ils n’étaient pas encore rétablis lorsqu’en août 1875 ils quittèrent Lambaréné, limite extrême des factoreries européennes, pour commencer leur véritable campagne ; ils avaient pour escorte douze laptots (soldats indigènes du Sénégal au service de la France), commandés en sous-ordre par le quartier-maître Hamon.
- Dès l’origine, les explorateurs eurent à lutter contre la mauvaise volonté et la cupidité des noirs. Cette lutte de-
- vait se renouveler de distance en distance à mesure qu’cn passait d’une peuplade à une autre ; elle devait enfin se transformer en hostilités déclarées.
- Le cours de l’Ogôoué peut se diviser en trois parties à peu près égales : la supérieure, la moyenne et l’inférieure; la moyenne suit à peu près la ligne équatoriale; les deux autres inclinent d’environ un degré et demi vers le sud, l’un vers sa source, l’autre à son embouchure.
- Les marchandises et les bagages ne pouvaient être transportées qu’à l’aide des pirogues et des bras des indigènes; les Inenga conduisirent l’expédition jusqu’au cours moyen du fleuve,mais arrivés sur le territoire des Okanda, ils refusèrent d’aller plus loin. Ceux-ci élevèrent des prétentions excessives ; il fallut payer de la perte d’une partie des instruments et des marchandises leur dépit de n’avoir pas obtenu la rémunération qu’ils réclamaient.
- On fit une première halte à Lopé, grand village établi sur le cours moyen de l’Ogôoué ; de là M. de Brazza s’engagea par terre dans le pays des Fans avec lesquels il put nouer quelques relations amicales et pénétrer jusqu’à Doumé, position déjà fort avancée sur le cours supérieur. Ce fut là que vint le rejoindre le docteur Ballay, en août 1876, avec une partie des marchandises. M. de Brazza, épuisé par son voyage à pied, était tombé gravement malade.
- Quand il fut guéri, il voulut lui-même réunir tout ce qu’il possédait de marchandises, seule valeur d’échange à l’aide de laquelle on puisse obtenir, dans l’intérieur de l’Afrique, les aliments et les objets les plus indispensables à la vie. Il ne put rejoindre ses compagnons, à Doumé, qu’en avril 1877.
- On allait repartir quand les Adoumas élevèrent de plus sérieuses difficultés ; les blancs, disaient-ils, avaient apporté la petite vérole et il fallait qu’ils soignassent leurs malades ; ils réclamèrent ensuite des prix énormes pour transporter les bagages et déclarèrent enfin qu’ils ne laisseraient emporter qu’une partie des marchandises.
- La situation était critique ; on s’en tira par un expédient. On remplit secrètement un certain nombre de caisses de manière à obtenir un stock satisfaisant de caisses vides. Les caisses pleines furent emportées par MM. Ballay et Hamon, pendant que M. Savorgnan de Brazza, avec quelques laptots, feignait de faire bonne garde autour des caisses vides. Quand il pensa que ses compagnons avaient franchi la limite des Adoumas, le chef de l’expédition se déroba lui-même avec une pirogue et ses laptots ; mais comme le cours de l’Ogôoué était semé de rapides, la petite embarcation abandonnée à l’inexpérieuce de ses conducteurs, chavira à plusieurs reprises et l’on courut les plus grands dangers. Enfin, le ralliement de l’expédition s’effectua à la chute de Pou-bara, en amont de laquelle l’Ogôoué se réduit à n’être plus qu’un cours d’eau insignifiant.
- La campagne aurait pu se terminer ici, caria question de savoir si l’Ogôoué était, comme on l’avait cru, en communication avec de grands lacs intérieurs, se trouvait résolue par la négative. Mais nos courageux explorateurs craignaient de ne pas avoir assez fait pour la science. Après quelques jours de repos, malgré le délabrement de leur santé et l’épuisement de leurs ressources, ils résolurent, en mars 1878, de quitter le bassin de l’Ogôoué pour pénétrer plus avant encore dans l’intérieur.
- Le dernier emploi qu’on fit alors des services des indigènes libres fut désastreux ; on mit vingt jours pour faire une dizaine de kilomètres et plusieurs caisses furent pillées. Recourant alors à un parti extrême et qui lui répugnait,
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- M. deBrazza acheta une quarantaine d’esclaves pour porter tes bagages.
- Dans ces conditions, on traversa successivement les territoires des Ondoumbo, des Umbété et des Batéké où il fallut autant de diligence que de fermeté pour empêcher le pillage des marchandises par les indigènes et même par les porteurs.
- En quittant le bassin de l’Ogôoué, l’expédition eut à souffrir cruellement de la faim et de la soif, car les pays traversés étaient dévastés par la famine. Un cours d’eau, N’gambo, courant vers l’est, conduisit les explorateurs sur une rivière importante, l’Alima, qui apparaît pour la première fois sur le théâtre de la géographie, celte rivière, large de cent cinquante mètres, présente une profondeur de plus de cinq mètres; selon toute vraisemblance elle est un des affluents du Congo dont Stanley venait de découvrir le véritable cours ; mais nos voyageurs, depuis plus d’un an sans communication avec le monde civilisé, étaient loin de penser que ces eaux pouvaient, en dépit de leur direction, les ramener sur les bords de l’Atlantique.
- Ils décidèrent néanmoins de suivre l’Alima, d’abord par terre, puis avec des pirogues achetées aux indigènes. Mais bientôt, des démonstrations menaçantes auxquelles ne tardèrent pas à succéder des coups de feu partis des deux rives témoignèrent que les voyageurs étaient tombés dans les régions où Stanley avait eu à livrer de si rudes combats. Enfin, les balles des indigènes ayant blessé trois hommes de l’escorte, il fallut répondre à la fusillade par la fusillade.
- Le soir du même jour, on arriva en présence de grands villages qui, sur l’une et l’autre rive, étaient remplis d’ennemis. Il fallait éviter un combat de nuit sur le fleuve; M. de Brazza débarqua sa troupe et la fit se retrancher. Bien lui en prit, car au point de jour il était assailli par trente pirogues chargées d’hommes qui tous étaient armés de fusils. La lutte fut courte ; les noirs se dispersèrent après avoir fait l’épreuve de la supériorité des armes européennes.
- Toutefois, ce n’était pas avec une quinzaine de fusils et une provision déjà fort réduite de munitions qu’il fallait songer à poursuivre cette route périlleuse. On quitta donc le fleuve qui continuait à couler vers l’est, pour se jeter dans la direction du nord, où les naturels se montrèrent moins inhospitaliers : malheureusement on n’en put obtenir que d’insuffisantes provisions.
- Après avoir traversé plusieurs cours d’eau qui coulaient tous vers l’est, l’expédition, réduite au dénuement, dut se fractionner. M. de Brazza renvoya le docteur Ballay et le quartier maître vers l’Ogôoué et poursuivit sa reconnaissance jusqu’au delà de l’équateur. C’était là un acte de suprême héroïsme, car depuis plus de cinq mois on marchait affamés, pieds nus et les jambes couvertes de plaies. Le chef de l’expédition dut enfin battre en retraite à la veille de la saison des pluies, qui, en inondant le pays, lui aurait interdit tout retour. Il put, en septembre, rejoindre ses compagnons avec lesquels il redescendit l’Ogôoué. Le 30 novembre, l’expédition arriva au Gabon.
- Pour résumer en quelques mots èette énergique campagne, nous dirons qu’elle dura trois ans, dont quinze mois passés sans aucune relation avec le monde civilisé, que les explorateurs eurent à supporter toutes les souffrances et à lutter contre tous les dangers; que le seul itinérairede M. deBrazza, en pays inconnus, comprend plus de treize cents kilomètres dont près de huit cents par-
- courus à pied, et que la superficie conquise à la géographie sur le domaine absolument inconnu de l’Afrique équivaut à celle de plus d’un de nos petits états européens.
- CHRONIQUE
- Ascension du Pic du Midi. — Nous sommes obligés de remettre à notre prochaine livraison le récit de la visite faite par M. Albert Tissandier au général de Nan-souty. De nouvelles lettres que nous avons reçues nous apprennent que les craintes relatives à la situation des météorologistes du Pic du Midi étaient très exagérées. Leur existence est tout à fait pratique et les vivres existent en abondance dans l’observatoire. Quant à la rupture des fils télégraphiques, elle peut très bien être évitée en prenant de meilleures dispositions pour l’établissement de la ligne. L’ascension faite par la tourmente a été, comme nous l’avons dit, difficile. M. Albert Tissandier au dernier moment était transis de froid et surtout fort incommodé par l’extrême violence du vent, les trois guides qui l’accompagnaient ont dû le soutenir dans sa marche. L’hospitalité qu’il a trouvée à l’observatoire, le repas confortable qui lui a été offert, lui ont vite fait oublier son malaise momentané.
- Tours de force et tours d’adresse. — U y a parfois dans des spectacles de pur amusement de curieuses observations à faire sur la dextérité et l’énergie musculaire dont peuvent faire preuve certaines personnes exceptionnellement douées; il y a là des «cas limités » intéressants pour le physiologiste, et, de temps en temps, nous dirons quelques mots de certains exercices qui nous auront frappés.
- On voyait récemment à l’Hippodrome un gymnaste, du nom de Joignerey, qui déchargeait une pièce de canon, non pas en la supportant sur l’épaule, comme d’autres l’avaient fait, mais en épaulant comme un fusil, ce qui nous a semblé formidable. Le même homme suspendu par les jarrets à un trapèze, enlevait avec les dents un cheval et son cavalier. Cet acrobate serait-il le gymnaste Joignerey qui, pendant le siège, fut l’aéronaute du ballon emportant notre savant professeur de physique, M. Lissa-jous?
- Vers la même époque, on était étonné au Skating-théâtre par les exercices de l’équilibriste Treniz ; ce jongleur ne se contentait pas de s’enlacer lui-même dans une longue banderolle enroulée en une hélice aérienne, comme les Japonais seuls savaient le faire autrefois, mais avec des cubes de bois lancés et rattrapés en l’air, il ébauchait des rudiments de formes architecturales instables dont il modifiait la disposition avec une impeccable sûreté de main. Presque tous ses exercices d’ailleurs ne dénotaient pas moins d’habileté.
- Les ruines de Troie.—M. Schliemann, après avoir terminé ses fouilles de Mycènes dont la Nature, a parlé et parlera encore, a repris ses recherches sur l’emplacement de Troie. Les conditions qui lui sont faites sont fort dures : les deux tiers des objets découverts appartiennent de droit au musée impérial de Constantinople ; le dernier tiers seul revient à l’explorateur, Enrevanche, le présence du commissaire ottoman qui surveille officiellement les fouilles pour le compte du musée ajouterait s’il était nécessaire à l’authenticité des trouvailles M. Schliemann a un bonheur extraordinaire. On se rap-
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- pelle que l’une des plus fortes objections faites à l’identité du site découvert par le docteur avec l’Ilion d’Homère était l’absence, parmi les reliques, du fer, dont parle cependant le poète. Ceci prouvait avant tout la parfaite bonne foi du savant. Enfin la lacune vient d’être comblée. Mais il y a mieux : les échantillons de fer antique que l’on a trouvés en divers lieux étant presque toujours convertis en oxyde on ne pouvait guère déterminer l’état primitif du métal, acier ou fer forgé. L’échantillon tout récemment découvert à Troie, un poignard, a été re-liré d’un amas de charbon et de cendre qui l’a préservé de l’oxydation et l'on a pu s’assurer que l’arme était en acier. Voilà le dernier témoignage de la véracité réciproque d’Homère et de Schliemann. Ca. Boissay.
- — On vient d’abattre en Californie un arbre qui passait pour le patriarche des forêts de ce pays. La plus grande partie du bois qui en est provenu a été transporté à Son Francisco. On le connaissait sous le nom du « Vieux Moïse. » Si l’on peut calculer son âge par le nombre des
- cercles concentriques du tronc, il devait être âgé de 4840 ans.
- — La statue en bronze d’Arago, l’astronome, a été confiée par la ville de Perpignan au sculpteur Mercié. L’ébauche est terminée. Arago est représenté debout, une main levée vers le ciel, l’autre tenant un manuscrit déroulé. Il est vêtu d’une redingote, avec manteau. Une sphère céleste et divers attributs scientifiques reposent à ses pieds. Le socle sera orné de bas-reliefs représentant des épisodes de la vie de l’illustre savant.
- --C~Ç><5-
- MOTEUR MAGNÉTO-ÉLECTRIQUE HARMONIQUE
- DE M. EDISON.
- Ce moteur magnéto-électrique se compose d’un aimant en fer à cheval de grandes proportions et
- Moteur harmonique de M. Edison.
- fortement attaché à un talon en fer sur lequel il a été vissé, comme on le voit dans la figure que nous avons reproduite ci-dessus.
- Les deux liges de fer qui forment les branches de l’aimant sont garnies de deux masses de fer placées Tune et l’autre en regard de deux petits électroaimants que l’on peut voir facilement dans la figure.
- Mais si l’on porte son attention sur la manière dont les fils de cuivre sont disposés, on voit que les branches de l’aimant ne peuvent se mettre en mouvement sans que le courant qui lui donne sa vertu magnétique soit interrompu.
- L’interruption du courant électrique mettant fin à l’attraction magnétique, l’élasticité des tiges remet en place les masses métalliques et le courant commence à circuler de nouveau ; de là nouvelle attraction magnétique et ainsi de suite indéfiniment.
- Le nombre des vibrations que l’on peut ainsi obtenir est évidemment pareil à celui que donne un marteau de Neef (interrupteur automatique des bobines Rhumkorff).
- Les tiges mobiles possèdent des tiges qui pénètrent dans une boîte fermée où se trouve le dispo sitif destiné à recueillir le courant.
- Le tube qui termine à droite l’appareil est destiné à laisser arriver l’eau d’une pompe que le moteur de M. Edison met en mouvement.
- Il y aurait intérêt à savoir comment l’inventeur du phonographe s’y est pris pour recueillir des mouvements si rapides et à une si faible amplitude, mais il ne nous a point donné ce renseignement.
- Jusqu’à plus ample information, nous ne voyons pas en quoi cette combinaison se distingue d’une multitude d’autres qui ont été tentées avec dea succès toujours assez médiocres.
- Pour que cette machine puisse marcher d’une façon satisfaisante, il faut que les deux branches oscillent bien d’accord. C’est de là que vient le nom de machine harmonique qui lui a été imposé.
- Le Propriétaire-Gérant: G. Tissaxdier.
- CoHULIL, TYP. ET STER, CHUTE.
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- N* 29G.
- LA NATURE.
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- 1er FÉVRIER 1879.
- LES BATRACIENS DE FRANCE
- LES CRAPAUDS.
- S’il est un animal dont le nom seul inspire la répulsion et le dégoût, c’est à coup sûr le Crapaud, ce Batracien si timide et si inoffensif pourtant. Laid à faire peur, se traînant péniblement sur le sol, lent et lourd, de couleur terne et disgracieuse, à la peau froide et visqueuse, le pauvre déshérité a été de tout temps accusé des plus terribles méfaits ; on a toujours et partout édité contre lui, et sans appel, la peine de mort. Soupçonné de sortilège, de
- même que le Ilibou, cet autre disgracié et cet autre calomnié, il fut le compagnon de la sorcière préparant le poison dans son antre. C’est l’animal maudit et étrange ; son haleine seule suffit à donner la mort ; les dieux irrités le répandent sur la terre sous forme de pluie malfaisante ; presque immortel, il peut, au dire de la légende, rester de longs siècles enseveli dans la pierre, sans nourriture et sans air.
- Vivant presque exclusivement d’insectes, dont il fait une énorme consommation, le malheureux animal rend pourtant dans nos campagnes les plus grands services. Il est vrai que le pauvre hère est accusé de faire parfois la chasse aux abeilles et de
- Crapaud Calamite gravissant un mur.
- sc poster à l’entrée des ruches pour happer ces travailleuses au passage; mais s'il commet ce crime, le Crapaud le rachette et au delà par la guerre acharnée qu’il fait aux limaces, aux vers de terre et à toutes les bêtes malfaisantes qui font le désespoir des jardiniers. Détruit sans pitié, comme sans discernement, dans beaucoup de localités, son utilité a été tardivement reconnue et l’on s’efforce en bien des points de l’acclimater à nouveau.
- C’était une croyance unanime chez les anciens que par les grandes tempêtes il tombait parfois du ciel des Crapauds, nommés par les Grecs Dionestes, c’est-à-dire engendrés de Jupiter. Aristote croit que ces animaux prennent naissance dans les nues. Notre vieil auteur français, Rondelet, nous apprend que « aucuns pensent que les petits Crapaus d’eau, (7* amé<. —- l*r seme.'lrt.)
- ou par la vertu des astres, ou par impétuosité des vents sont portés en haut, puis qu’ils retumbent ; le signe de ce estre qu’il n’en tumbe iamais, que l’air estant esmen é pluuieux. Aucuns pensent qui n’en tombent point d’en haut, mais que c’est une espèce de Crapaut qui vit caché dans les creux de la terre, lequel deuinant la tempeste sort de son trou creux, é lors on croit qu’il tumbe du ciel, parce que deuant on n’en voient point. Mais l’expérience monstre le contraire auec l’authorité des grands personages. « Théophraste d’Éphèse, qui vivait 322 ans environ avant notre ère avait cependant écrit que les petites Grenouilles ne tombent pas avec la pluie, comme beaucoup le pensent, mais paraissent seulement alors, parce qu’étant précédemment enfoncés dans la terre, il a fallu que l’eau
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- se fit un chemin pour arriver jusqua leurs trous. On sait aujourd’hui, à n’en point douter, que les pluies de Grenouilles et de Crapauds n’existent pas ; par les temps humides et orageux, ces animaux sortent de leur retraite et se montrent en grand nombre sur les points où quelques instants auparavant il n’y en avait aucuns. « Je suis tellement éloigné de croire aux pluies de grenouilles, nous dit Ilœsel en 1758, qu’aujourd’hui j’ai, comme l’illustre Ray, la conviction que, s’il pleut des grenouilles, il peut pleuvoir des veaux; car si dans l’air une grenouille peut naître et acquérir le parfait assemblage de ses organes interne et externe, tandis que dans l’ordre naturel il lui faut quatorze semaines pour arriver à l’état parfait, je ne vois pas pourquoi il ne pourrait pas s’y former aussi bien d’autres animaux. » Depuis plus de deux siècles, une trentaine d’observations plus ou moins exactes, de récits plus ou moins apocryphes ont donné lieu à cette croyance que les Crapauds pouvaient vivre dans des pierres; l’amour du merveilleux est allé même jusqu a prétendre que l’on a trouvé de ces animaux au milieu de roches anciennes, dans des cavités sans communication avec l’extérieur et que, par suite, les Crapauds, contemporains de la formation de ces roches, y étaient enfermés depuis des centaines de siècles. La première observation que nous ayons est due à Agricola qui, en 1546, nous parle d’un Crapaud trouvé vivant dans une pierre meulière à Toulouse; la même observation est rapportée en 1561 par Melchior Guillandinus et en 1565, Fulgose, dans son Traité dès Merveilles, cite un Crapaud découvert par des carriers à Autun. Vers la même époque, Ambroise Paré raconte « qu’estant en vue mienne vigne, près le village de Meudon, où je fai-sois rompre de bien grandes et grosses pierres solides, on treuva au milieu de l’une d’icelles un gros crapaud vif, et n’y auoit aucune apparence d’ou-uerture, et m’emerueillay comme cet animal auoit peu naistre, croistre et auoir vie. Lors le carrier me dit, qu’il s’en falloit esmerueiller, parce que plusieurs fois il auoit trouvé de tels animaux au profond des pierres, sans apparence d’aucune ouverture. » Nous passons sous silence les faits rapportés par Weinrich, Libavius, Gesner, Niéremberg, Aldro-vande, Stengel, Bauschius, Becanus, Herman, Sachs, Nardius, Pallinus à la fin du seizième et dans le cours du dix-septième siècle ; nous rappellerons seulement les trouvailles de Richardson, de Bradlen, de Hubert, de Seigne faites de 1698 à 1756, pour dire quelques notes du Crapaud qui fit tant de bruit dans le monde scientifique vers le milieu du siècle dernier. Ce Crapaud provenait d’un mur au Raincy, près Paris, et avait été trouvé dans un massif de plâtre dans lequel on supposait qu’il avait dû vivre pendant quarante ou cinquante ans; la pièce fut remise par le duc d’Orléans à l’académicien Guet-tard qui, avec son collègue Hérissant, fit quelques expériences, desquelles il sembla résulter que des Crapauds renfermés dans des boîtes entourées de
- plâtre, étaient encore vivants après dix-huit mois de captivité. Cette expérience a été souvent répétée depuis et a souvent réussi. Comme tous les Batraciens, les Crapauds peuvent vivre de longs mois aux dépens de leur propre substance, à cette condition que leur peau ne se desséchant pas, ils puissent respirer par leur surface cutanée. Pour ce qui est des trouvailles de Crapauds dans des pierres, il se peut très bien que ces animaux aient été scellés, à l’insu des maçons, dans un mur, dans un trou de rocher; ces faits prouvent que les Batraciens peuvent vivre longtemps; Bonnaterre raconte, en effet, qu’un Crapaud élevé en Angleterre dans un état voisin de la domesticité, vécut pendant trente-six ans. Le Crapaud peut, du reste, acquérir une grande taille ; le Muséum possède un exemplaire recueilli en Sicile et qui mesure plus de 30 centimètres depuis le bout du museau jusqu a l’extrémité des membres postérieurs.
- Il est un préjugé très répandu aujourd’hui encore; l’on accuse le Crapaud de lancer un liquide empoisonné contre ceux qui l’approchent de trop près; nous avons à peine besoin de dire que le liquide que rejette l’animal lorsqu’on le tourmente est de l’eau à peu près pure tenue en réserve dans la vessie pour les besoins de l’économie, et dont il se débarrasse pour fuir plus rapidement. Des pores innombrables qui criblent la peau, des parotides surtout, peut s’écouler toutefois un liquide visqueux et dont l’action toxique est incontestable. Sans effet aucun sur l’homme et sur les gros animaux, lorsqu’il n’est pas introduit directement dans le sang, ce venin exerce une action redoutable sur les animaux de faible taille. A l’inverse du venin des Serpents, qui n’agit qu’autant qu’il est directement mis en rapport avec le sang, et qui ne paraît pas avoir d’action quand il pénètre dans l’économie par les voies digestives, le venin des Crapauds agit également, qu’il soit absorbé par ingurgitation, ou bien introduit par une blessure dans le torrent circulatoire. L’expérience suivante, due à M. F. Lataste, est concluante : « Voulant disséquer, dit-il, un beau Lézard vert, bien vivace que l’on venait de m’apporter, je lui fis mordre une seule fois la parotide d’un Crapaud. Je le lâchai aussitôt sur ma table. Il fit quelques pas chancelants et s’arrêta. A la septième minute, après la morsure, il fut agité de convulsions épileptiques. A la neuvième, il expira. » Beaucoup d’animaux cependant, même de faible taille, sont insensibles aux effets du venin et nous avons vu bien souvent des Couleuvres à collier avaler d’énormes Crapauds tout couverts de bave; à la ménagerie des Reptiles du Muséum, les animaux qui se nourrissent de Batraciens mangent, du reste, à peu près indifféremment Grenouilles et Crapauds.
- Il ne faut pas croire, du reste, que le Crapaud soit seul venimeux ; tous nos Batraciens de France, la Grenouille verte, la gentille Rainette elle-même, le sont à des degrés divers; le venin est beaucoup
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- plus actif toutefois chez certains Batraciens modèles, chez les Salamandres, par exemple; nous étudierons dès lors l’action de ce venin lorsque nous aurons fait l’histoire de tous nos batraciens.
- Les faits que nous venons d’indiquer se rapportent aux Crapauds de France, le Crapaud commun et le Calamite, deux espèces si communes que nous ne leur consacrerons qu’une courte description.
- Le Crapaud commun a la tête large et courte ; les yeux sont gros et proéminents ; le museau est très court et arrondi ; de chaque côté de la tète, commençant très près de l’œil et s’étendant sur les côtes de la nuque, sont des parotides fort saillantes. La tête est à peine distincte du tronc chez les mâles, bien séparée, au contraire, chez les femelles. Le tronc est large, arrondi, lorsque l’animal est gonflé d’air. Les membres antérieurs sont courts et robustes. La peau, très épaisse et rugueuse, est couverte, surtout sur la face supérieure du corps, de gros tubercules arrondis, rougeâtres à leur sommet. Chez les mâles, le dos est d’un roux olivâtre, pouvant passer au brun, au verdâtre, au rougeâtre, à peine marqué de quelques taches plus claires ; les femelles sont, au contraire, marbrées de taches brunes, jaunes ou d’un blanc sale ; le ventre est jaunâtre chez le mâle, légèrement maculé de taches grises chez la femelle. Au moment de leur transformation, les jeunes Crapauds, longs d’environ 4 centimètre, sont noirâtres en dessus, gris noirâtres en dessous ; peu à peu les teintes inférieures deviennent plus claires, le noirâtre du dos passe au brun, puis au roux, souvent même au rougeâtre. Quatre à cinq mois après la naissance, la couleur est rouge ou jaune ; le noir du dos a passé au brun verdâtre, puis au gris brun, et la peau devient verruqueuse.
- Il est à remarquer que le Crapaud, le plus grand de nos anoures, est l’espèce de nos pays dont le Têtard est le plus petit; ce Têtard est d’un noir foncé, brunâtre en dessus, bleuâtre en dessous. Les œufs sont pondus en deux cordons parallèles, chaque cordon ne portant qu’un ou deux œufs ; ces cordons, souvent de trois mètres de long, sont enroulés en échevaux autour des plantes aquatiques.
- Au moment de la ponte, c’est-à-dire vers le mois d’avril, le Crapaud commun fait entendre nuit et jour, mais surtout le jour, son coassement plaintif: Crrraa, crrraa, qaeru queru... qui, suivant M. de l’isle, rappelle un peu l’aboiement du chien. D’après M. Lataste, « il ne sort guère que la nuit, si ce n’est par la pluie, et quand la température est douce. 11 se creuse quelquefois un trou, prolongé horizontalement sous le sol, à une petite profondeur; mais paresseux, il préfère, le plus souvent, s’emparer de la galerie d’un mulot ou d’un rat; il se retire même au besoin sous une pierre, sous une souche, sous un tas de décombre. Il vit en philosophe dans sa retraite, passant de longues heures dans le recueillement. Quand la faim le presse ou que le temps lui paraît favorable, il en sort pour aller à la chasse, marchant plutôt qu’il ne saute.
- La femelle, d'après M. Fatio, s’écarterait de son domicile plus souvent et plus loin que le mâle ; on rencontre, en effet, beaucoup plus de ces derniers dans les champs, quoiqu’elles paraissent moins nombreuses que les mâles, au printemps. » Le Crapaud commun est un des derniers anoures qui disparaisse à l’approche de la mauvaise saison. Le mâle hiverne plus volontiers dans la vase, au fond des eaux ; la femelle, à terre, cachée dans les trous des vieilles murailles ou sous des décombres.
- Voisin du Crapaud commun, mais toujours de plus petite taille, le Calamite en diffère par sa coloration. Une bande jaunâtre ou rougeâtre s’étend sur le milieu du dos, qui est d’un vert jaunâtre, semé de taches brunes irrégulières et de petits points d’un rouge vif; le ventre est d’un jaune sale semé de petites taches brunes irrégulièrement disposées. Les individus jeunes sont d'un brun verdâtre et leur dos est orné, comme chez les adultes, de la raie jaunâtre caractéristique de l'espèce. Les têtards et les œufs sont fort semblables à ceux du Crapaud commun; les œufs sont toutefois placés à la file les uns des autres, au lieu d’être disposés en séries alternes, ainsi qu’on le remarque pour l’autre espèce. 9
- D’après M. A. de l’isle « le Calamite est presque exclusivement nocturne ; malgré son extrême abondance, on le trouve peu le jour dans les eaux pluviales, où on le rencontre en si grand nombre pendant la nuit. Il y revient chaque soir, quand le temps est doux, par bandes de trente, quarante, cent cinquante mâles qui chantent à l’unisson, se taisent et reprennent tous à la fois, et forment ces chœurs bruyants qui, comme ceux de la Rainette, s’entendent fort loin, à plus d’une demi-lieue de rayon. Son coassement, crau, crau, crrreu, crrreau, crrreau, ressemble par sa monotonie à la stridulation de la Courtilière. Les Rî mettes chantent par saccades, par fanfares bruyantes: elles impriment à leur vessie vocale des impressions brusques, courtes, multipliées ; le Calamite, qui l’a plus grosse, des vibrations lentes, prolongées, plus rares. »
- Le Calamite creuse le sol à l’aide de ses pattes antérieures ; très commun dans toutes les dunes du littoral du nord de la France, il s’enfouit rapidement dans le sable; Roësel a observé qu’il grimpe parfaitement le long des murailles à pic pour gagner le trou qu’il habite, souvent placé à plus d’un mètre de hauteur. Le Crapaud commun est répandu dans toute l’Europe et se retrouve en Chine et au Japon ; le Calamite habite l’Europe depuis l’Italie jusqu’en Suède et en Danemark. E. Sauvage.
- — A suivre. —
- BIBLIOGRAPHIE
- Méthode générale d'intégration continue d'une fonction numérique quelconque à propos de quelques théorèmes fournis par l'analyse mathématique appliquée au calcul des courbes d’un nouveau thermographe. Deux mémoires
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- LA NATURE.
- de MM. Raoul Pictet et Gustave Cellérier, 4 vol. in-8 avec planches. Genève, H. Georg, 1879.
- Département de Lot-et-Garonne. Commission départementale du phylloxéra, supplément à la cinquième livraison, 1 broch. in-8, Agen. Y. Lenthéric, 1878.
- Thèses présentées à la Faculté des sciences de Poitiers pour obtenir le grade de docteur ès sciences naturelles, par Paul Maisonneuve, docteur en médecine. lre thèse, Qstéologie etmyologiedu Verspertilio murinus. 2* thèse, Propositions données par la Faculté, 1 vol. in-8. Paris, Octave Doin, 1878.
- BAROMETRE A MIROIR
- Au Congrès Météorologique du mois d’août, M. Léon Teisserenc de Bort, secrétaire de la Société , Météorologique, a présenté un baromètre anéroïde j fondé sur une méthode analogue à celle qui a été \ répandue depuis les travaux de Gauss pour la lecture des petites rotations. Cet instrument , qui était alors à l’état rudimentaire, vient d’être exécuté d’une façon plus complète ; nous donnons ci-contre la gravure de cet appareil tel qu’il est construit pour une station.
- L’idée d’appliquer la méthode du miroir à la lecture du baromètre anéroïde a été mise en pratique par un savant allemand, le docteur Pioütgen, qui l’avait appliquée à un baromètre destiné aux recherches de laboratoire.
- M. Teisserenc de Bort, sans avoir connaissance de cet instrument dont la description a été publiée dans les Annales de Poggendorff, a cherché de son côté à obtenir un baromètre anéroïde qui pût se prêter aux observations précises en mer surtout par les gros temps, où le baromètre à mercure est impossible à lire.
- Le principe du baromeire anéroïde h miroir est fort simple. Le tube ou boîte élastique B porte comme dans la plupart des anéroïdes une pointe métallique qui suit ses mouvements. Dans les anéroïdes ordinaires la transformation du mouvement vertical en un mouvement rotatif nécessite soit une chaîne soit un râteau, soit une sorte de fourche qui s’engage dans un pas en hélice creusé dans l’axe qui porte Paiguille.
- Baromètre à miroir de M. Léon Teisserenc de Bort.
- Ces divers systèmes ont l’inconvénient de produire des frottements ; certains d’entre eux redoutent la poussière et la rouille. Dans le baromètre à miroir, la transformation du mouvement est obtenue par le simple contact d'une petite palette portée sur l’axe du miroir et de la pointe dont il a été parlé plus haut.
- Comme l’angle que peut décrire le plan du miroir n’excède pas 12 degrés de chaque côté de la verticale, il en résulte que le contact de la pointe sur la palette est toujours précis.
- Quant à l’amplification du mouvement nécessaire pour que l’on puisse apprécier les millimètres et leurs fractions, elle est obtenue en lisant à l’aide d’une petite lunette à réticulé L, l’image d’une échelle graduée E qui se reflète dans le miroir M. En combinant avec le grossissement de la lunette avec la distance de l’échelle au miroir on arrive à don -
- ner à l’appareil une longueur de moins de 20 centimètres sur 12 ce qui le rend très portatif. Il n’est pas sans importance de faire remarquer que l’amplification des mouve-menls de la boîte, qui dans les baromètres ordinaires s’obtient à l’aide de plusieurs leviers s’opère ici par un procédé optique; il en
- résulte que les nombreux frottements et les temps perdus des contacts sont éliminés en majeure partie.
- Il ne reste qu’un seul mouvement, celui de l’axe qui porte le miroir; dans le baromètre que nous représentons, les tourillons sont en acier et la chape en platine, afin d’éviter la rouille le tout est nikelé.
- M. Teisserenc de Bort, se propose d’en faire construire d’autres, où l’axe sera monté sur des rubis. Cette garniture n’augmentera pas sensiblement le prix de l’appareil. Cet instrument est trop nouveau pour que l’on puisse apprécier en pleine connaissance de cause le degré de précision qu’il peut atteindre. Disons seulement que dans l’ascension en ballon captif que fit le commandant Perrier dans le but d’étudier la marche des divers anéroïdes comparés au baromètre à mercure, le baromètre à miroir qu’il avait emporté, a montré une grande sensibilité, et il est bien revenu à son point de départ à l’atterrissement.
- Gaston Tissandier.
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- LA NATURE.
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- LE PRAXINOSCOPE
- On connaît l’illusion produite par le disque tournant de M. Plateau (Phénakisticope). A travers des fentes étroites, sont aperçus successivement des dessins représentant les différentes positions d’une action quelconque. La persistance des impressions lumineuses sur la rétine, donne à l’œil la sensation d’une image continue qui semble animée des mouvements mêmes dont les différentes phases ont été figurées fidèlement.
- Ce phénomène est certainement l’un des plus curieux de l’optique et excite toujours l’intérêt. Les ingénieux appareils qui, jusqu’à ce jour, ont permis de le produire, consistent tous dans l’emploi de fentes étroites qui, outre qu’elles réduisent dans une grande proportion, la lumière et, par suite, l’éclat et la netteté du dessin obligent à imprimer à l’instrument une grande vitesse de rotation, qui exagère outre mesure la rapidité des mouvements représentés, mais sans laquelle les intermittences de la vision ne pourraient se confondre en une sensation continue.
- Nous présentons ici un appareil basé sur une disposition optique toute différente.
- Dans le praxinoscope1 (nom donné par l’inventeur, M. Reynaud, à ce nouvel appareil) la substitution d’un dessin au dessin suivant, se fait sans interruption dans la vision, sans solution de continuité et, par suite, sans réduction sensible de la lumière, en un mot, l’œil voit continûment une image qui pourtant change devant lui incessamment.
- Yoici de quelle manière ce résultat est obtenu : après avoir cherché sans succès par des moyens mécaniques, à substituer l’un à l’autre les dessins successifs, sans interrompre
- la continuité de la vision, l’inventeur eut l’idée de produire cette substitution, non plus sur les dessins eux-mêmes, mais sur leurs images virtuelles. C’est alors qu’il combina la disposition dont nous
- 1 De TCfaïiç, action, et cxonetv, montrer
- Fis. 1.
- allons ici résumer la théorie. Soit une glace plane A B (fig. 1) placée à une certaine distance d’un dessin G D. L’image virtuelle sera vue en C' D'.
- Autour du point 0, milieu de C' D', comme centre, faisons tourner la glace et le dessin d’un même mouvement. Soient B E et D F leur nouvelle position; l’image sera en C" D". Son axe 0 ne se sera pas déplace'.
- Dans la position AB et G D primitivement occupée par la glace et par le dessin, plaçons une autre glace et un autre dessin. Imaginons l’œil placé en M. Une moitié du premier dessin sera vue en 0 D". Une moitié du second dessin sera vue en OC'. Si nous continuons la rotation du système, nous aurons bientôt la glace nu 2 en TT' et le dessin n° 2 en SS'. A ce moment
- ------- l’image du dessin n° 2 sera vue en
- M entier en C'" D'". Bientôt après la
- glace n° 2 et son dessin seront en B E et DF; imaginons alors une autre glace et son dessin correspondant en A B et CD, la même succession de phénomènes se reproduira.
- Il résulte de ce qui précède, qu’une série de dessins placés sur le périmètre d’un polygone régulier et tournant autour du centre même de ce polygone seront vus successivement à ce centre, si l’on a placé des glaces planes sur un polygone concentrique, dont l’apothème sera moitié moindre, et qui sera entraîné par le même mouvement.
- Dans sa forme pratique, l’appareil de M. Reynaud consiste en une boîte polygonale ou plus simplement circulaire (fig. 2) (car le polygone des dessins peut être remplacé par un cercle sans que le principe ni l’effet soient changés) au centre de laquelle est placé un prisme d’un diamètre exactement moitié moindre, et dont les faces sont garnies de miroirs plans (glaces étamées ordinaires). Une bande de carton, portant une série de dessins d’un même sujet dans les différentes phases d’une action, est placée à l’intérieur du rebord circulaire de la boîte et de telle sorte que chaque pose corresponde à une face du prisme déglacés. Une rotation modérée, imprimée à l’appareil qui
- Fig. 2- — Le Praxinoscope.
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- est monté sur un pivot central, suffit à produire la substitution des images et l’illusion animée se produit au centre du prisme de glaces, avec un éclat, une netteté, une douceur de mouvements remarquables. Ainsi construit, le praxinoscope forme tout au moins un jouet d’optique récréatif et gracieux.
- Le soir, une bougie placée sur un support ad hoc, au centre de l’appareil, suffit à l’éclairer très vivement, et permet à un grand nombre de personnes rassemblées en cercle autour de l’instrument, d’être en même temps, et sans la moindre gêne, témoins des effets qu’il produit.
- Outre l’attrait qu’offrent les scènes animées du praxinoscope, cet appareil pourra, sans doute, recevoir d’utiles applications dans les études d’optique. 11 permettra de substituer un objet, un dessin, une couleur, avec une rapidité instantanée, dans les recherches sur les images secondaires, subjectives, etc., sur le contraste des couleurs, sur la persistance des impressions, etc. Il permettra de faire ce que l’on pourrait appeler la synthèse des mouvements, en plaçant devant le prisme, une série de diagrammes obtenus d’après nature, par la photographie par exemple.
- M. Reynaud a disposé déjà un appareil qui projette, dans les plus grandes dimensions, l’image animée du praxinoscope et qui se prête, par suite, à la démonstration de ses curieux effets, devant un nombreux auditoire. Gaston Tissandier.
- UNE VISITE AU GÉNÉRAL DE NANSOIITV
- ASCENSION DU PIC DU MIDI *.
- Vendredi 10 janvier 1819.
- A mon arrivée à Bagnères-de-Bigorre et à Grip, les raffales de neiges étaient si impétueuses, si persistantes que je commençais à perdre l’espoir de pouvoir entreprendre l’ascension du Pic du Midi. Après deux longs jours d’attente, une amélioration parut se signaler dans l’état de l’atmosphère; le vent et la neige cessèrent. Dans la soirée du 9 janvier, nous décidâmes avec les trois guides habituels du général de Nansouty que notre départ aurait lieu le lendemain, à quatre heures du matin.
- Dès le lever du jour, le ciel était encore menaçant, la neige tombait en abondance; Brau-Menjucat et Nogues (c’est le nom de deux de mes guides) me dirent que l’ascension était encore impossible ; il fallait attendre.
- A neuf heures une éclaircie se fit ; nous partîmes. La route était remplie de neige et à différents endroits interceptée par des avalanches tombées les jours précédents; jusqu’à Tramesaigues cependant la marche était assez facile et nous fîmes une première halte. Il y a là des cabanes abandonnées pendant l’hiver, mais qui dans les premiers jours
- 1 Yoy. précédemment, pages 107 et 127.
- de l’été servent d’asile aux bergers des Pyrénées. Le général de Nansouty a fait installer dans l’une de ces huttes un dépôt de fils télégraphiques, de cordes, de vêtements divers destinés aux guides ; des lits même y sont organisés d’une façon primitive. Après être restés là quelques minutes afin que les guides puissent se préparer, mettre leurs chaussures, attacher les crampons qui évitent de glisser sur un sol gelé, nous commençâmes à pénétrer dans la véritable région de la neige. Le temps, gris et incertain, était calme, la température de 0 degré. Le paysage ne s’entrevoyait guère à plus de 500 mètres de distance, une brume épaisse cachait l’horizon; cependant par moments un rayon de soleil découvrait une cime neigeuse éblouissante de clarté, puis un instant après tout redevenait sombre. C’étaient des apparitions merveilleuses. Quant au Pic, les guides me montraient, dans la brume l’endroit où il devait se trouver, mais rien n’indiquait son existence. La neige s’épaississait à mesure que nous marchions ; déjà nous enfoncions jusqu’aux genoux; l’un des guides allant en avant nous indiquait le chemin à suivre. Nous marchions ainsi dans les pas qu’il avait tracés, gravissant avec peine les pentes rapides de la montagne. Tout près les uns des autres nous nous aidions mutuellement pour éviter les glissades; tantôt j’enfonçais jusque par-dessus la ceinture; ou l’un des guides, embarrassé par les sacs qu’il portait, se trouvait fort en peine dans l’amas de neige dont nous étions entouré. La marche était lente, pénible. De temps en temps, nous nous arrêtions pour reprendre haleine; le guide qui marchait en avant était remplacé par l’un de ses camarades, la fatigue étant plus grande pour celui qui nous ouvrait la marche.
- Nous trouvions une compensation à nos efforts en admirant les effets de la lumière du jour, qui éclairait la vallée d’où nous venions: des nuages s’avançaient majestueusement au milieu des neiges, et formaient des tableaux d’une beauté incomparable ; j’étais véritablement ébloui par le spectacle de ces magnificences naturelles aux aspects sans cesse variés. Je comparais ces belles scènes à celles qu’il m’a été si souvent donné de contempler en ballon Dans la nacelle de l’aérostat les panoramas sont assurément plus grandioses encore ; au milieu des solitudes des nuages, la nature déploie toutes les splendeurs qu’on peut rêver, mais les effets sont moins variés que dans la montagne. Le ballon fait toujours partie du même courant aérien, il se meut avec la couche de nuages où il se trouve, aussi les tableaux ne changent-ils pas aussi fréquemment; il y a moins de surprises, moins d’aspects inattendus.
- Nous étions déjà à une altitude de 1800 mètres et la pente la plus rapide d’environ 45 degrés était gravie, mais une fois là le temps changea ; le vent s’éleva, les brumes obscurcirent le ciel de plus en plus. Nous recevions dans le visage des raffales de neige qui entravaient singulièrement notre marche. A côté de nous, des amas énormes de neige indi-
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- quaient des avalanches récemment tombées du haut des rochers. Les poteaux télégraphiques de 7 mètres de hauteur étaient souvent ensevelis ; cinq ou six d’entre eux avaient même été brisés par la violence des tempêtes récentes et les fils se trouvaient rompus.
- A mesure que nous montions, la 'tourmente redoublait d’intensité, le vent était assez impétueux pour nous faire quelquefois trébucher dans la neige ; le jour allait finir, le ciel s’assombrissait, tout devenait lugubre autour de nous. Les guides, aguerris aux tempêtes, résistaient à ce véritable ouragan beaucoup mieux que je ne pouvais le faire. Lorsqu’il n’y avait plus guère que 300 mètres à gravir et qu’ils me montrèrent au travers des neiges l’observatoire du Pic, malgré ma volonté, mes forces commencèrent à faiblir. Je sentais dans la tête des picotements, je ressentais dans les oreilles un bourdonnement particulier, précurseur du mal des montagnes ; j’étais étonné de ce malaise imprévu, d’autant plus que dans mon ascension du mont Blanc, je n’avais rien éprouvé de semblable et je pensais être à l’abri de tels effets. Depuis plus de trois heures, il est vrai, nous avions de la neige presque jusqu a la ceinture. Le terrible vent m’empêchait de respirer librement et me suffoquait; il me fut encore possible de faire une centaine de pas, mais après cet effort je dois avouer que, sans l’appui des guides, il m’eut été difficile d’arriver au but.
- Le général de Nansouty, qui ne s’attendait guère à recevoir des visites en de telles circonstances, me reçut avec une cordialité dont je fus touché. Soigné et réchauffé devant un bon feu, mon malaise passager fut vite oublié. Bientôt je prenais place auprès de lui, faisant honneur à un repas copieux et bien gracieusement offert.
- L’installation du général est loin d’être luxueuse ; quoique rien ne manque aux impérieuses nécessités de la vie usuelle, on est frappé du dévouement dont il faut faire preuve pour accepter,dans le seul but de concourir aux progrès de la science, une existence aussi isolée, aussi primitive et cela pendant huit mois de l’année.
- L’observatoire du Pic du Midi est des plus pittoresques; nous entrons d’abord dans un couloir vitré par des portes latérales afin d’être garanti le plus possible des violences du vent et des raffales de neige. Le bureau télégraphique est au fond. Une respectable provision de bois meuble ce couloir ; quelques poules y habitent ; elles sont destinées à de fâcheuses aventures, l’une d’elles fut tuée en mon honneur. Quelques minutes auparavant la pauvre bête charmait par ses caquets l’intérieur de la véranda. Une salle ornée d’une vaste cheminée se présente ensuite aux regards du visiteur : c’est le vestibule ; les guides y couchent sur un lit de camp, deux bons chiens et deux chats sont les commensaux de ce logis, surveillés par l’intendant, le fidèle gardien de l’observatoire. Tout autour de cette pièce, rangés avec soin comme dans un navire, on peut
- voir un choix d’une multitude de provisions.
- La salle à manger du général s’ouvre dans cette pièce. En été un corps de bâtiment séparé, dont on peut voir la façade sur mon croquis, est arrangé de façon à recevoir les touristes, et une écurie pour les chevaux est placée en contre-bas de la construction principale.
- Au premier étage, l’espace manquant, il n’y a point d'escalier ; une échelle le remplace avec une corde à nœuds en guise de rampe. Une petite salle voûtée se présente; un poêle tout rouge de feu chauffe sans pitié tout l’étage et le froid du dehors est inconnu dans ces lieux hospitaliers. Les ornements principaux de cette pièce consistent en deux sortes de lits, l’un près du sol, servant à M. Baylac, le second observateur, compagnon dévoué du général de Nansouty. Au-dessus un autre lit, ou plutôt une étagère, pour me servir de l’expression pittoresque du général ; c’est le lit des visiteurs. On y grimpe à l’aide d’une échelle, on s’y étend sur une bonne peau de mouton. J’ai pu constater qu’on y dormait de bien bon cœur, car lorsque le lendemain je me réveillais pour admirer un lever du soleil idéal, les premiers rayons du jour lançant des lueurs rosées sur les cimes neigeuses des Pyrénées, j’avais honte de moi-même ayant presque hésité à sortir de ce lit perché à plus de 2400 mètres au-dessus de la mer.
- Le général a dans ce premier étage un cabinet de travail en commun avec M. Baylac ; cette pièce est malheureusement bien petite eu égard aux travaux qui s’y accomplissent ; un lit est disposé dans une petite pièce voisine ; le tout est chauflê par le poêle dont j’ai parlé.
- Dès le lever du jour, tout le monde se lève à la première heure; c’est la consigne inexorable. Le général commence ses premières observations.il faut aller au dehors interroger les thermomètres et les baromètres abrités sous l’abri construit sur une terrasse de pierre. De deux heures en deux heures et plus souvent encore quand les circonstances atmosphériques l’exigent, les observations sont renouvelées, précieusement inscrites et conservées avec soin. Il en est ainsi tout le jour, la nuit seule met un terme à ce travail.
- La modestie de mon excellent hôte ne me pardonnera pas mes éloges, mais rien ne pourra m’empêcher de témoigner ici mon admiration pour l’énergie et la patience que déploie sans cesse le courageux observateur du Pic du Midi.
- Heureusement l’état par trop primitif de l’installation du général de Nansouty va bientôt changer, grâce à de généreux dons offerts par des hommes qui aiment et protègent la science ; la Nature, dans un prochain article, fournira aux lecteurs des renseignements inédits sur le nouvel observatoire actuellement en construction.
- J’abandonne actuellement ces détails purement, techniques pour déclarer que je n’oublierai jamais ma journée au Pic du Midi. Les travaux météorolo-
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- giques auxquels on se livre, les innombrables observations que l’on est conduit à faire dans ces hautes régions de l’atmosphère, les études si attrayantes qui se présentent sur les nuages, sur les courants aériens, objets sans cesse renouvelés dans ce grand laboratoire de la nature, captivent et charment l’esprit au delà de tout ce qu’on peut dire.
- Durant les quelques moments de loisir qui se trouvent espacés entre les heures d’observations, le général dirige son brave compagnon, M. Baylac, dans un grand nombre de travaux divers. Un herbier fort intéressant de la flore des hautes régions du Pic est ainsi formé.
- J’y ai admiré quelques plantes rares, telles que la Gentiana gla-cialis, la Daphné cnœorum, la Sa lix herhacœa, etc. Des échantillons minéralogiques sont aussi recueillis et classés. M. Baylac peut même chasser dans cette saison; des pièges sont tendus par lui et souvent au lever du jour quelque gracieuse hermine se trouve sacrifiée et vient orner ainsi par sa belle robe blanche la collection de l’observatoire. Dans cette journée passée au Pic, les guides rétablirent le fil télégraphique rompu depuis dix jours.
- Ces accidents, qui arrivent fréquemment en hiver, seraient cependant faciles à éviter. Comment l’administration des télégraphes peut-elle rester aussi inactive ou indifférente devant de tels inconvénients? les frais d’un câble souterrain seraient-ils donc si considérables? 1800 mètres seulement d’un tel câble suffiraient pourtant, le reste du chemin à par-
- courir étant plus à l’abri des avalanches. Le général deNansouty, s’il avait toujours un fil électrique sous la main, pourrait sans cesse avertir les gens de la plaine, des dangers qu’ils peuvent courir au moment des dégels rapides ou des changements brusques de température. Qu’on n’oublie pas les derniers désastres causés par les inondations. Que l’on songe dans
- ce cas à l’importance de l’observatoire du Pie du Midi. N’est-il pas destiné à éviter bien des malheurs et bien des ruines?
- Pendant mon séjour au Pic, les guides du général ont réparé provisoirement le lil télégraphique, à ses Irais, comme cela arrive le plus souvent : l’administration fut aussitôt pré -venue ; elle envoyait le lendemain des jeunes gens, désireux de bien faire sans doute, mais sans expérience pour des réparations à faire à 1800 ou 2000 mètres de hauteur au milieu de la neige. Bien ne put donc se laire sérieusement,et les communications avec le Pic sont encore une fois interrompues à l’heure où j’écris. Pourquoi ne pas employer les vaillants gui des du général pour ce genre de travail? Ils habitent au pied de la montagne, ils sont toujours disposés à affronter les périls. Les employés officiels, au contraire, sont forcés de venir de Tarbes, dépasser à Bagnères-de-Bigorre et à Grip ; à peine connaissent-ils la neige; les tempêtes de la montagne les font hésiter; leurs casquettes brodées ne sauraient valoir les bonnes chaussures des guides pyrénéens ; ils ne sont pas accoutumés à supporter les hasards d’une ascension. De là des hésitations sans fin, des ro-
- Âsconsion du Pic du Midi, le 10 janvier 18"9. (Dessin de M. Mbert Tissandier.)
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- Les cimes de Penne-Longue (Pic du Midi) émergeant au-dessus des nuages. (Dessin d’après nature, par M. Albert Tissandier.)
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- tards pour les réparations cependant si nécessaires.
- Nous faisons des vœux sincères pour que l’admi-tration des télégraphes se décide à faire là des travaux durables, sérieux, afin que désormais nous puissions communiquer d’une façon régulière avec l’observatoire du Pic du Midi.
- Le samedi 11, le temps s’améliora d’une façon notable; notre départ fut décidé pour le lendemain. Nous partîmes avec le général dans la matinée. Des rayons d’un soleil doré rendirent le voyage agréable.
- Il nous fut donné de contempler les cimes de neige illuminées ; plusieurs fois, pendant les haltes, je pris plaisir à exercer mon crayon. J’offre au lecteur un spécimen de mes derniers croquis, il montre les cimes de Penne-Longue, brillantes de lumière, émergeant d’une couche de cumulus qui planait sur la neige. Au premier plan se projetaient les ombres portées par les roches escarpées du cap de Sen-cours ; çà et là la neige éblouissante offrait à nos regards un spectacle enchanteur. C’est avec un bien vif regret qu’il fallut se détacher de toutes ces merveilles pour redescendre à Grip.
- Quatre heures nous ont suffi pour descendre de l’observatoire, tandis qu’il m’avait fallu près de neuf heures de marche pour y monter.
- Albert Tissandier.
- L'ARCHIPEL CANARIEN
- ET SES HABITANTS PRIMITIFS.
- Les îles Canaries forment un petit archipel qui occupe un espace de 300 milles environ, compris entre 15°,40' et 20°,30' de longitude ouest, 29°,25', et 27°,38’ de latitude nord. Malgré sa proximité relative de l’Europe, ce n’est guère qu’à la fin du quinzième siècle qu’on eut sur ce pays des données un peu exactes.
- Historique. — Il est certain que ces îles avaient été découvertes longtemps avant l’arrivée du Normand Jean de Béthencourt, qui, en l’année 1402, partit de la Rochelle dans le but de faire la conquête de l’archipel ; mais avant lui on n’avait sur les Iles Fortunées que des notions assez vagues.
- Après la chute de Carthage, Rome, maîtresse du monde, envoya ses vaisseaux dans toutes les directions. Ils atteignirent les Canaries, ces îles dont les anciens Grecs soupçonnaient l’existence et qu’ils désignaient sous le nom de Fortunées. Au temps d’Auguste, Juba, roi de Mauritanie, envoya une expédition dans les îles Fortunées ; Pline nous dit que les envoyés de Juba visitèrent six îles, qu’il appelle Ambrion, Junonia major, Junonia minor, Capraria, Nivaria et Canaria.
- Après Juba, il nous faut parcourir un bon nombre de siècles pour trouver des données nouvelles sur les Canaries.
- Mais jusqu’aux voyages des Arabes il n’y eut au-
- cune expédition importante. Ben Farroukh, dans la dernière année du dixième siècle, débarqua à la Grande Canarie, mais, de même que ses successeurs, il ne rapporta que des notions très imparfaites ; de sorte que, dans sa géographie publiée en H54, Mohammed el Edrisi ne put guère faire autre chose que mentionner les îles Canaries. Les voyages des Arabes se continuèrent jusque dans le courant du quatorzième siècle ; mais déjà, à cette époque, divers Européens avaient abordé dans l’archipel.
- Lancelot Maloisel fut le premier navigateur européen qui parcourut ces parages ; il dut arriver à Lancerotte, île à laquelle il donna son nom, vers 1275. Je ne parlerai point de l’expédition de Thedisio Doria et des frères Yivaldo, qui partirent en 1291 et se perdirent sans qu’on ait su où ils avaient touché.
- Le 1er juillet 1341, Alphonse IV, roi de Portugal, envoya trois vaisseaux sous la conduite d’Angiolino, avec mission de reconnaître les Canaries; on en ramena, nous dit Boccace, des animaux, diverses productions et quatre hommes qui étaient « bien faits, agiles, affectueux, se traitaient réciproquement avec déférence et étaient plus civilisés que ne le sont beaucoup d’Espagnols. »
- Le pape Clément VI donna, en 1345, la souveraineté des îles Canaries (il les croyait au nombre de onze) à Louis de la Gerda, infant d’Espagne, moyennant une redevance annuelle de quatre cents florins d’or. Louis de la Cerda ne tenta jamais de conquérir son royaume.
- En 1360 deux navires espagnols abordèrent à la Grande Canarie. Faits prisonniers, les gens qui montaient ces navires ne tardèrent pas à abuser de l’hospitalité des Canariens, qui les avaient fort bien traités, de sorte que ces insulaires furent obligés de les mettre à mort.
- Dix-sept ans plus tard, Martin Ruiz de Avendano fut jeté sur les côtes de Lancerotte. Le roi le reçut dans sa propre demeure, mais le capitaine biscaïen en profita pour séduire la femme de son hôte.
- Francisco Lopez eut une aventure à peu près semblable. Entraîné sur les côtes de la Grande Canarie il fut, ainsi que ses hommes, très bien reçus par les Canariens. Mais au bout de douze ans ceux-ci furent forcés de se débarrasser des Espagnols qui étaient entrés en relation avec des pirates.
- Le roi de Castille envoya, en l’année 1385, cinq caravelles pour piller les Canaries, Fernando Poraza Martel, qui commandait l’expédition, n’osa aborder à Ténériffe; il se dédommagea sur Lancerotte. Bien accueilli par les indigènes, il répondit à coups de flèches, tua des gens, pilla le village et emmena comme esclaves cent soixante-dix personnes, parmi lesquelles le roi et sa femme. La même île fut encore saccagée en 1393.
- L’année 1386, Fernando Ormel attaqua la Gomère et y fit de grands ravages. Tombé au pouvoir du roi Amalahuije, il fut traité avec une rare générosité : le roi lui donna l’hospitalité et lui permit de retour-
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- ner dans son pays. C’est également ce que fit, à l’égard de Diego Silva, Tenesor Semidan, guanar-tème de Gaïdar, dans la Grande Canarie.
- Mais avant ces dernières agressions, vers 1330, un navire français avait été poussé sur les Canaries par une tempête ; l’équipage attaqua les insulaires et en emmena un certain nombre en captivité.
- En résumé, à l’époque de Jean de Béthencourt, on connaissait d’une manière assez précise la position des Canaries, mais on manquait tellement de notions exactes sur ces îles que quelques années avant le départ de l’aventurier normand, Clément YI les croyait au nombre de onze.
- Béthencourt, qui avait entendu vanter ces îles, résolut d’en faire sonroyaume.il s’adjoignit comme lieutenant un Gascon, Gadifer de la Salle; comme chapelains, un moine et un prêtre, Bontier et Lever-rier, qui furent en même temps ses historiens; comme interprètes, un homme et une femme Guan-ches, qui avaient été autrefois enlevés par des pirates.
- Inutile de parler des discordes entre Normands et Gascons, ni des nombreuses défections qui se produisaient à chaque point de relâche. Dans le courant de juillet 1402, Béthencourt aborda à Lancerotte et jeta l’ancre dans le port de Rubicon. Avec le peu d’hommes qu’il avait, il jugea plus prudent d’employer la ruse que la force ; il fit au roi de l’île des propositions amicales et établit là son quartier général. Il partit ensuite pour reconnaître Fortaven-ture, mais n’osa attaquer. C’est alors qu’il se décida à aller solliciter des secours en Europe ; il en obtint de la cour de Castille à qui il fit hommage de ce qu’il appelait ses conquêtes.
- Lorsque ces renforts arrivèrent, Gadifer soumit Lancerotte, qui n’opposa d’ailleurs aucune résistance ; puis il parcourut les autres îles sans réussir à s’établir sur aucun point. Béthencourt, qui, sur ces entrefaites revint d’Europe, fit à son tour deux tentatives inutiles sur Fortaventure et Canarie. 11 alla chercher de nouveaux secours et c’est à son retour qu’il s’empara de Fortaventure, puis de la Gomère et de l’ile de Fer (1405). Toutes ses tentatives sur les autres îles furent infructueuses.
- Pendant un voyage qu’il fit en France, Béthencourt mourut (1425). Canarie résista aux efforts de ses successeurs jusqu’en 1485, époque à laquelle le dernier Guanartème ou roi de l’île tomba, malgré sa bravoure, sous les coups de Pedro de Vera.
- Enfin Alonzo Fernandez de Lugo soumit en 1492 l’île delà Palme et en 1496 celle deTénériffe.Cette dernière opposa une résistance terrible. Malgré la trahison d’un certain nombre de rois (l’île en avait neuf), le brave Bencomo tint longtemps en échec les forces espagnoles et serait parvenu à les anéantir si des renforts incessants n’étaient venu combler les vides.
- C’est donc en 1496 seulement, c’est-à-dire quatre-vingt-quatorze ans après l’arrivée de Béthencourt que la couronne d’Espagne réussit à imposer le joug à ces vaillantes populations.
- Caractères physiques des anciens habitants. — L’archipel canarien renfermait, au moment de la conquête, diverses populations qui différaient par le type physique, par les coutumes, l’organisation sociale et jusque par le langage; il est facile d’y retrouver au moins deux races distinctes. On ne doit donc pas confondre sous le nom de Guanches tous les anciens habitants des Canaries, comme l’ont fait jusqu’ici presque tous les auteurs1. Cette appellation, il faut la réserver pour cette race qui peuplait probablement à l’origine la plus grande partie de l’archipel Canarien et qui, à Ténériffe, avait gardé sa pureté.
- Ces réserves faites, étudions d’abord cette race. C’était, nous disent tous les auteurs, une belle race, forte, agile, intelligente. La taille des Guanches dépassait la moyenne, mais n’atteignait nullement ces chiffres exagérés qu’on a donnés ; leur peau était un peu brunie, leurs yeux tantôt noirs tantôt bleus, leurs cheveux noirs ou blonds, mais la couleur qui semblait dominer était un châtain plus ou moins clair.
- Je sais bien que je m’éloigne notablement des idées admises en parlant de cheveux blonds et d’yeux bleus ; mais ces couleurs se rencontrent encore assez fréquemment dans le sud de Ténériffe parmi des individus qui m’ont offert le type guanche presque pur. En outre, Viana nous dit que la princesse Dacil, fille de Bencomo, avait les cheveux blonds et quelques taches de rousseur. Je dois ajouter que j’ai vu des momies guanches avec de beaux cheveux blonds et que j’en ai rapporté des échantillons.
- La tête était bien développée, allongée d’avant en arrière et offrait dans la région occipitale un renflement assez notable. Mais les caractères typiques se montraient surtout dans la face : front moyen, sourcils saillants et par suite yeux renfoncés, bien fendus dans le sens transversal, tandis que le diamètre vertical était petit. Les pommettes, très proéminentes, formaient un contraste frappant avec un menton étroit. Le nez droit, court, était large mais non épaté; la bouche devait être mal dessinée avec des lèvres un peu grosses et souvent un léger prognathisme alvéolo sous-nasal.
- A côté de ce type, disons quelques mots de l’autre race que j’ai retrouvée sur quelques points de Lancerotte et de Fortaventure, dans le nord de la Grande Canarie et parfois aussi à l’île de Fer. Cette autre race présentait les plus grandes analogies avec les Sémites actuels. Le crâne est aussi long que chez les Guanches, mais moins large. En même temps la face, en harmonie avec le crâne, est très longue, les sourcils peu saillants, les orbites élevés, les pommettes à peine accusées, le nez fin, etc. Chaque fois que j’ai pu voir des cheveux de cette seconde race, je les ai trouvés noirs. Dr Verneau.
- — La suite prochainement. —
- 1 Les chapelains de Béthencourt n’ont point fait cette confusion; ils ont appliqué aux habitants de chaque île une dénomination spéciale.
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- LA NATURE
- LE GLOBE-TELLURE
- La Nature a donné la description d’une œuvre d'horlogerie, servant à représenter de jour en jour-la position de la Terre relativement au Soleil1. Quelques-uns de nos lecteurs trouveront, peut être un certain intérêt dans la description d’un autre appareil, servant au même but, mais d’un prix plus modéré.
- Un globe terrestre sans aucun mécanisme, à condition que son axe soit parallèle à celui de la Terre, exposé aux rayons directs du Soleil, représente pour le jour, très exactement, la répartition de l’ombre et de la lumière sur la surface de notre planète.
- La figure ci contre représente un globe avec son support. Son axe se trouve dans le plan vertical et fait avec l’horizon l’angle égal à la latitude du lieu (Paris, 49° environ), si la planche AB est horizontale. Pour rendre l’axe du globe parallèle à l’axe de la Terre, on fait correspondre la ligne NS avec la méridienne du lieu (à l’aide d’une boussole, par exemple)2.
- Les rayons solaires éclairent toujours la moitié d’une sphère, quelle que soit sa dimension : planète ou petit globe. En comparant la répartition de l’ombre et de la lumière des deux sphères aux axes parallèles, on remarque que la ligne de séparation d’ombre et de lumière coupe l’équateur ainsi que les autres cercles de ces sphères d’une manière analogue. Il s’en suit qu’au jour donné la répartition de l’ombre et de la lumière du globe sera exactement la même que celle de notre planète.
- Le globe reproduit la répartition de l’ombre et de la lumière, non seulement pour le jour, mais aussi pour le moment du jour, lorsqu’il est tourné vers le Soleil du même côté que la Terre. L’endroit que l’on examine sur le globe (Paris, par exemple) doit dans ce cas être placé dans le plan méridien
- 1 Voy. 5* année 1877, 2e semestre, p. 45.
- 4 11 ne faut pas oublier que l’aiguille aimantée marque (à Paris) 22° environ à l’ouest du point N de la boussole. L’axe du globe doit être fait en laiton, puisque le fer a la faculté de déranger l’aiguille.
- du lieu et occuper le point le plus élevé du globe (voir la figure). G est alors que les deux hémisphères du globe, l’hémisphère sombre ainsi que l’hémisphère éclairé correspondront tout à fait à celles de la Terre : l’hémisphère éclairé a réellement le jour, et l’hémisphère opposé ne voit pas le Soleil.
- En observant le globe, ainsi installé pendant quelques minutes, il est facile de remarquer que la ligne de séparation d’ombre et de lumière ne reste pas immobile. Les contrées du côté droit (si l’observateur est tourné vers le Soleil) sortent de l’ombre, et celles du côté gauche y entrent. Les premières ont alors réellement le lever du Soleil et les secondes, son coucher.
- Le globe, faisant la double révolution avec notre planète, dans la durée d’une année reproduira dans la répartitiou de l’ombre et de la lumière tous les changements qui se manifestent sur la Terre dans une période annuaire. Ainsi au jour et au moment donné, le globe offrira le même spectacle que la Terre elle-même, éloignée de nous à une distance qui permettrait de la voir tout entière.
- 11 va sans dire que l’emploi d’un globe exposé au Soleil, n’exclut point l’emploi des mécanismes plus compliqués, car le premier ne peut servir que le jour et par un temps serein. L’avantage de ce globe-tellure est d’imiter la nature d’une manière trèsexaete; il est éclairé par le Soleil réel et la ligne de séparation d’ombre et de lumière est indiqué par les rayons solaires et non pas par un cercle métallique.
- Pour que la ligne de séparation d’ombre et de lumière soit bien marquée il faut qu’aux rayons directs du Soleil ne se mêle pas beaucoup de lumière diffuse, venant du plafond, des murs et du sol. On baisse les rideaux des fenêtres, s’il y en a plus d’une. 11 est bon aussi de peindre le support en noir. Si le globe est petit ou de dimension médiocre il suffit de poser le support sur une table à peu près horizontale, sans vérifier l’horizontalité à l’aide d’un niveau.
- Globe-tellure exposé au soleil. (Solstice d’hiver, midi à Paris.)
- J. Wawiloff (de Moscou).
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- LA NATURE
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- LE B OMB Y CE PUDIBOND
- Il y a quelques insectes qui ont frappé depuis longtemps les yeux des observateurs par des attitudes invariables, liées ou à des moyens de protection par imitation de végétaux ou à des particularités do mœurs souvent inconnues. Ainsi certains Bombyciens, à ailes supérieures débordant à demi au repos les inférieures, à couleurs brunes ou grisâtres, ressemblent à des paquets de feuilles sèches et ont été appelées les Feuilles mortes. Une autre espèce du même groupe, sans spi-ritrompe, ne prenant pas de nourriture et ne vivant que quelques jours pour l’accouplement et la ponte, a été appelée la Patte-étendue par Geoffroy, l’ancien historien des Insectes des environs de Paris. En effet, les adultes des deux sexes, fort peu remuants, même les mâles, se tiennent sur les écorces ou sur les feuilles, les ailes supérieures en toit sur les autres, ne laissant voir entre elles que l’extrémité de l’abdomen. Les deux pattes de devant, couvertes d’un duvet blanchâtre, sont étendues obliquement. L’espèce a été longtemps réunie aux Orgyes par la différence de taille des deux sexes et la conformation des chenilles, mais depuis, en considérant que chez le Bombyce pudibond les deux sexes ont les ailes oblongues et propres au vol, tandis que les femelles des véritables Orgya sont, ou privées tout à fait d’ailes ou n’en possédant qu’à l'état de moignons rudimentaires, on a formé pour ce Bombycien le genre Dasychira, Stephens, ce qui a fait appeler l’espèce scientifiquement Dasychira pudibunda, Linn. L’adulte, qui sort de la chrysalide à la fin de mai ou au commencement de juin, présente, chez le mâle, une envergure de 48 à 50 millimètres. Les antennes, d’un brun roussâtre, sont bordées comme de dents de peigne, les ailes supérieures nuancées de blanc, de gris et de brun, avec quatre lignes transversales ondulées d’un brun noirâtre, ainsi qu’une série de points aux bords extérieurs de l’aile ; il y a en outre au milieu une partie obscurcie entre les deux raies principales. Les ailes inférieures sont d’un gris cendré, avec une bande
- nuageuse brunâtre, parfois très peu marquée. Le dessous des ailes est analogue, les dessins bien moins accusés. L’abdomen d’un gris cendré est terminé brosse de poils.
- La femelle (fig. I), beaucoup plus grande que le mâle, est parée des mêmes dessins, avec un ton général plus blanchâtre; ses antennes, bien plus étroites que celles du mâle, sont simplement dentées. Au bout de l’abdomen se trouve souvent une bourre soyeuse. La femelle pond sur les écorces des œufs un peu aplatis, blanchâtres et placés à nu, car ils ne doivent pas hiverner. Il en sort en juillet des petites chenilles qui se dispersent aussitôt après leur naissance et demeurent solitaires jusqu’à la fin de leur vie. Elles sont parvenues à toute leur croissance à la fin de septembre ou au commencement d’octobre. Elles attirent alors l’attention pai de vives et élégantes couleurs. La tête est d’un jaune un peu verdâtre, ayant en avant une excavation en forme de A renversé. Le fond de la couleur est habituellement d’un joli vert-pomme ou d’un vert-jaunâtre, avec des poils de la même couleur formant des brosses épaisses, coupées carrément et d’égale longueur sur les anneaux 4, 5, G et 7, et entre ces brosses ressortent des incisions d’un beau noir de velours, paraissant plus ou moins larges, suivant que la position que prend la chenille les resserre plus ou moins. Les segments 8, 9 et 10 sont marqués de chaque côté du dos d’une raie noire interrompue à chaque anneau et souvent bordée de jaunâtre. Les côtés sont garnis de poils en aigrette, implantés sur de petits tubercules de la couleur du fond et le onzième, anneau (fig. 2) porte un long faisceau de poils d’un rose un peu violacé. Les stigmates sont blancs, cerclés de noir. Il y a des variétés de ces chenilles, les unes d’un vert foncé, les autres d’un gris v.olacé ainsi que les poils et les brosses; mais comme ies incisions et la raie latérale restent noires, on reconnaît aisément que l’espèce de la chenille n’a pas changé ; le pinceau du onzième anneau est alors noir un peu rosé ou d’un violet obsjur. Ces chenilles se filent entre les feuilles (fig. 2), ou dans les bifurcations des
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- LA NATURE.
- brandies, des cocons d’une jolie soie d’un blanc jaunâtre, avec les poils de la chenille entremêlés, cocons malheureusement trop clairs pour qu’on puisse songer à en tirer parti. La chrysalide quicbit passer l’hiver (celle de la figure appartient à un très petit mâle) est cylindrico-conique, un peu obtuse, d’un noir brun luisant, avec les incisions plus claires et les anneaux postérieurs rugueux et velus.
- On ne peut pas dire que le Bombyce pudibond soit habituellement nuisible, surtout parce que la chenille est isolée et ne cause pas par places les défoliations considérables qui sont le fait des chenilles sociales. Ce n’est qu’à la lin de l’été et en automne qu’elle est assez grande pour entamer fortement les feuilles. Elle est assez commune sur les pommiers et d’autres arbres fruitiers, sur le noisetier, l’orme, le peuplier, le chêne et autres essences forestières, enfin quelque fois sur le noyer. Cette espèce polyphage dépouille en certaines années les hêtres de leurs feuilles d’automne, ce qui ne les empêche pas de reverdir au printemps suivant ; cependant la croissance de ces arbres serait ralentie si cette défoliation se répétait plusieurs années de suite. Il faudrait alors écheniller à coup de gaule, ramasser les chenilles très visibles et reconnaissables qui tomberont par les secousses et Jes brûler.
- Maurice Giraud.
- CHRONIQUE
- L'n grand haras. - On annonce la création prochaine d’un grand haras dans les environs de la ville de Saint-Lô. Ce haras pourrait contenir deux cent quarante étalons. Le ministre de l’agriculture doit demander aux Chambres la somme de deux millions nécessaires pour fonder cet établissement. L’importance de l’élevage des chevaux en Normandie, surtout des chevaux de demi-sang, justifie cette dépense. Les haras ont en effet pour but de favoriser la production de ce genre de chevaux, qui peuvent être employés dans l’armée, surtout pour la cavalerie. La France ne produit pas la quantité de chevaux nécessaires pour la remonte de son armée, aussi les haras ont-ils été institués pour fournir des étalons de chevaux de sang destinés à donner avec les juments des races de pays, des chevaux de selle pour l’armée.
- La peste bovine en Allemagne. — La peste bovine dont nous avons annoncé l’existence en Allemagne continue ses ravages, on signale sa présence au moins sur trente-sept points différents. Les mesures les plus rigoureuses ont été prises par le gouvernement allemand. Des troupes ont été envoyées sur les points infectés pour faire exécuter la loi et isoler complètement le bétail des communes où la maladie a été signalée. On annonce également que les personnes qui ont introduit en Allemagne les bestiaux malades venant de Russie et celles qui n’ont pas suivi les prescriptions des lois sur les maladies contagieuses des bestiaux sont arrêtées et vont être sévèrement punies. C’est en effet par leur négligence que des sommes considérables vont être perdues par les cultivateurs allemands. Le gouvernement français ayant interdit l’importation des animaux d’Allemagne, il y a lieu d’espérer que,
- grâce à cette interdiction et aux précautions prises, le terrible fléau nous épargnera. Prosper Guyot.
- Curieux phénomène observé dans l’Océan Pacifique. — Le trois mâts barque missionnaire John-Wiliiams est arrivé dans le port de Sidney, après une absence de six mois qu’il a employés à visiter des stations de la « Mission de Londres, » dans le midi de l’océan Pacifique, et à leur remettre des marchandises. Ce navire, lit-on dans Y Exploration, a visité vingt-trois iles et a transporté à Sidney quatorze précepteurs originaires des iles en question. Ces pédagogues devaient partir immédiatement pour la Nouvelle-Guinée. L:* capitaine du John-Williams a fait un curieux rapport d’où nous extrayons le passage suivant :
- « Pendant une croisière à travers le groupe des îles Elise, nous avons navigué au milieu d’immenses quantités de pierre ponce, et les rivages de toutes ces îles en étaient littéralement bordés. Nous avons fait aussi la rencontre d’un grand nombre d’arbres qui avaient été déracinés avec violence ; quelques-uns n’avaient pas moins de 80 à 90 pieds de long, et ces arbres étaient d’une nature étrangère aux îles du sud. Les plus gros auraient pu être bien funestes à des navires marchant à grande vitesse.il serait intéressant de savoir d’où peuvent provenir ces pierres et ces arbres. Serait-ce de la Nouvelle-Bretagne ou de son voisinage ?
- « Les pierres seraient-elles le produit de quelque éruption sous-marine? S’il en est ainsi, d’où viennent les arbres? Il semblerait, après inspection, que les pierres ponces ont flotté depuis trois ou quatre mois. Les plus grosses avaient les dimensions d’une tête d’homme ; les plus petites n’étaient que de la poussière. En certains endroits de la mer, ces piei'res étaient en si grand nombre que les canots que le navire remorquait à quelques pas derrière lui, sortaient de l’eau et étaient traînés pardessus, comme sur une grande route pierreuse. »
- Nouvelle Guinée et Nouvelle-Zélande. — Dans une correspondance d’Honolulu, îles Sandwich (Océanie), du 10 septembre publiée par la Gazette d'Augsbourg, nous trouvons quelques renseignements sur la Nouvelle-Guinée, où les tribus sauvages auraient massacré et mangé cinq missionnaires wesleyens originaires des îles Fidji. Mais les blancs qui font le commerce dans ces parages, se réunissant aux indigènes de la côte, auraient livré aux cannibales une bataille où quatre-vingts de ces derniers auraient été tués. A la Nouvelle-Zélande, la population indigène des Maoris décroît de plus en plus. En 1769, le fameux navigateur Cook évaluait leur nombre à 500000. En 1810, on en comptait encore 140 000. Un recensement récent (51 décembre 1877) ne porte plus leur nombre qu’a 45 470. En revanche celui des blancs est actuellement de 417 623; celui des Chinois, de 5000.
- Des baleiniers, rentrés récemment à Honolulu, et revenant de la mer de glace, rapportent que dans plusieurs des îles Aloutiennes formant la limite nord du grand Océan, ont eu lieu de fréquentes éruptions volcaniques. Les hauts sommets des volcans d’Amoutka et de Tsche-goula lancent d’épais nuages de fumée, des colonnes de feu et des laves; de même l’Umnah, de 9000 pieds de hauteur.
- Le 29 août, le village de Makouschin a été complètement détruit par le tremblement de terre, avec invasion des flots de la mer.
- Production du pétrole aux ÉtaJs-lJnls. —
- En 1861, deux ans après la découverte, par le colonel
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- Drakc, des sources de pétrole, on en exportait 27 000 barils évalués à 1 million de dollars. En 1877, on a exporté 14 millions 500000 barils pour 62 millions de dollars, plus de 300 millions de francs.
- Comme article d’exportation, le pétrole vient maintenant au quatrième rang des denrées exportées par les États-Unis. En tête est le coton, pour plus de 1 milliard de francs ; puis le blé et la farine, pour 800 millions ; viande de porc conservée pour 400 millions ; enfin le pétrole pour 300 millions.
- En seize années, de 1861 à 1877, l’exportation totale du pétrole a dépassé 2 milliards 200 millions de francs.
- Transport d’une brouette de New-York à San Francisco. — Un excentrique, connu aux États-Unis sous le nom de l'Homme à la brouette, vient d’accomplir un véritable tour de force. Il avait parié de faire à pied le voyage de New-York à San Francisco en traînant une brouette. L’enjeu était de 5000 francs.
- Cet original, doué d’une force musculaire peu commune, a quitté New-York le 20 juin ; il était arrivé à la côte du Pacifique le 16 octobre dernier, après avoir couru les plus grands dangers, surtout dans la prairie et les Montagnes Rocheuses, où il a failli être scalpé par les Indiens. Précédé d'un Mexicain, revêtu du costume national et portant à la main une longue canne tout enrubannée, il. a traversé, vers une heure, la rue Montgomery, à San Francisco.
- Une foule de curieux s’empressait autour de l’infatigable marcheur, qui poussait tranquillement sa brouette devant lui sans se préoccuper de l’ébahissement des spectateurs. C’est un gaillard solidement bâti, bien que d’une taille au-dessous de la moyenne, et âgé de quarante ans. La brouette, construite tout exprès pour ce voyage extraordinaire, est très légère et garnie d’une boîte où étaient renfermées les provisions, et sur laquelle on lit : « En route de New-York à San Francisco. »
- Merveilleux diamant découvert dans l’Afrique australe. — Un diamant, qui ne pèse pas moins de 244 carats et qui, par ses proportions, équivaut au tiers du Kohinoor, a été découvert, en Afrique, dans la concession de terrains diamantifères du capitaine Jones. 11 est vrai, dit le Standard, que cette merveilleuse pierre précieuse n’est pas absolument de la plus belle eau, tous les diamants d’Afrique laissant à désirer sous ce rapport; elle est, en effet, légèrement jaune, mais sans aucune apparence de paille, et les experts, au jugement desquels elle a été soumise, ont déclaré qu’elle peut être taillée en brillant avec très peu de déchets, comparativement du moins. Cela établit naturellement une différence considérable dans la valeur de la pierre brute. Kohinoor, en effet, a perdu à la taille plus de? deux tiers de son poids ; il pesait 900 carats ; il n’en pèse plus maintenant que 270.
- Si le diamant du capitaine Jones, car c’est ainsi qu’on Rappellera probablement, ne perd que la moitié de son poids entre les mains des lapidaires, il pèsera 122 carats et sera à pen près de la moitié de Kohinoor. Dans tous les cas il rivalisera avec le fameux diamant de Sancy.
- Avant le diamant Jones et dans les mêmes lieux, il y a environ trois ans, il en avait été trouvé un autre, le fameux diamant Spalding, qui pesait 288 carats et demi et était par conséquent d’environ un tiers plus gros que le trésor du capitaine Jones. La différence n’est cependant pas très grande, et si le plus petit des deux peut être taillé
- avec aussi peu de perte qu’on l’espère, il pourra dans sa forme finale éclipser le Spalding.
- Il est remarquable qu’il y ait si peu de gros diamants dans le monde ; il n’y en a pas vingt de proportions supérieures à celui que nous décrivons et certainement on n’en compte pas deux cents qui soient dignes d’être spécialement notés.
- ACADÉMIE DES SCIENCES
- Séance du 27 janvier 1879. — Présidence de M. Daubrée.
- A propos du verglas. — Le verglas de ces derniers jours, si remarquable par ses caractères exceptionnels, a fixé l’attention de plusieurs physiciens qui transmettent à l’Académie le résultat de leurs éludes.
- M. Masse, professeur au lycée d’Épernay, pense que la glace dont, subitement, se sont trouvés recouverts tous les objets exposés à la pluie, les 22 et 25 janvier courant, résulte de la congélation d’une eau en état de surfusion. Ce n’était pas, comme il arrive si souvent, de l’eau gelée par sa chute sur des corps dont la température était au-dessous de zéro ; le passage à l’état solide résultant aussi bien du choc sur des objets relativement chauds, comme des parapluies et même la figure des passants.
- De son côté, M. Decharme, professeur au lycée d’Angers, signale la formation, les 22 et 23 janvier, d’une couche de glace diaphane par la congélation de la pluie sous l’action é’un vent d’est assez vif. Des feuilles d’arbres vertes étaient entourées d’une couche déglacé qui pesait cinquante fois autant qu’elles. Aussi beaucoup d’arbres se sont-ils brisés sous ce fardeau inusité. Des brindilles de Tamarix, qui n’ont pas 1 millimètre de diamètre, étaient entourées d’une gaine de glace formant de longues baguettes rigides ayant 2 centimètres d’épaisseur. Le verglas persistant durant trois jours a causé des accidents assez graves et interrompu divers services. Le télégraphe dont les fils étaient glacés fonctionnait très difficilement.
- Le 25 janvier, l’aspect de la forêt de Fontainebleau était vraiment inouï. Tous les arbres étaient recouverts d’une couche de glace transparente dont la beauté défiait toute description, on était dans une véritable forêt de diamant.
- Analyse du Sarracenia. — Le Sarracenia est une plante intéressante au double point de vue de sa structure et de son application thérapeutique. Pour la structure nous faisons allusion à ses feuilles dont le pétiole est disposé en amphore et se remplit d’eau comme il arrive au Népenthes si connu de tout le monde. Thérapeutiquement, il s’agit de l’efficacité du Sarracenia purpurea contre le rhumatisme. M. Hetet, pharmacien de la marine à Brest, donne aujourd’hui la raison de cette activité en démontrant dans la plante la présence d’un alcaloïde qui parait identique à la véralrine des colchicacées.
- Chimie minérale. — M. R. Moissan présente un mémoire sur les amalgames de chrome, de manganèse, de fer, de cobalt, de nickel et sur un nouveau moyen de préparation du chrome métallique. Pour préparer les amalgames, on traite le protochlorure du métal en solution dans l’eau, par l’amalgame de sodium; dans ces conditions, on obtient par double décomposition, du chlorure de sodium et un amalgame du métal eniDlové. Les amalgames de manganèse, de nickel et de cok.lt se préparent aussi par voie éleclrolytique ; on décompose,
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- LA NATURE
- par un courant, en présence d’une électrode négative en mercure les protocldures de ces métaux.
- En distillant l’amalgame de chrome dans un courant d’hydrogène on obtient du chrome métallique. On sait que ce métal n’avait été obtenu jusqu’ici qu’au moyen de températures très élevées et de manipulations assez longues. Ce nouveau procédé permet d’obtenir du chrome en quelques heures. Le métal ainsi obtenu est attaquable par l’acide chlorhydrique bouillant et résiste aux acides sulfurique et azotique. Le manganèse métallique s’obtient de la même façon et l’auteur a remarqué que lorsque la distillation du mercure se fait à une température voisine de 550 degrés, le manganèse recueilli est pyro-phorique. C’est là une nouvelle ressemblance entré le manganèse et le fer. Lorsque le manganèse est obtenu à une température un peu supérieure (440°), il n’est plus pyrophorique mais il a encore une telle affinité pour l’oxygène qu’il décompose avec incandescence, l’acide azotique monohydralé.
- Circulation des mollusques. — 11 y a plus de trente-cinq ans, l’illustre doyen des zoologistes français, M. Milne Edwards, annonça, chez les mollusques, l’existence d’une circulation semi-vasculaire et semi-lacunaire; le sang amené par les vaisseaux s’épanche dans les lacunes du tissu cellulaire. Cette découverte souleva alors des discussions très vives et la conclusion de l’auteur fut même repoussée par divers anatomistes. Cependant le temps a successivement démontré l’exactitude des observations de M. Milne Edwards,etM. Jourdan (de Nancy) vient maintenant montrer comment les capillaires artériels des Arions se terminent dans les lacunes par un orifice béant ouvrant au sang un écoulement facile. Le fait contesté naguère est donc complètement confirmé et même, en quelque sorte, complété.
- Nouveau téléphone. — L’Académie est rendue témoin par M. Gower, d’intéressantes expériences avec un téléphone de construction nouvelle. Si nous avons bien compris, en effet, c’est la vibration d’une lame, sous l’influence du son à transmettre, qui lancerait dans le circuit des courants d’induction développés en présence d’un aimant en fer à cheval de forme spécial. Grâce à la sensibilité de l’appareil un courant ainsi produit et qui n’a pas plus d’intensité que le courant ordinaire des lignes télégraphiques, supposé affaiblis par une longueur de fil égale à 290 fois le tour du monde, suffit pour produire* un son perceptible dans une salle entière. Nous avons entendu des airs de cornet à piston, des morceaux de chant et des phrases articulées.
- Stanislas Meumeiu
- LA NEIGE DES 22 ET 23 JANVIER 1879
- A PARIS.
- L’extraordinaire abondance de neige qui est tombée à Paris pendant plus de 10 heures consécutives à partir de l’après-midi du mercredi 22 janvier restera comme un fait mémorable dans la météorologie de notre capitale. Au centre de Paris, on pouvait constater que l’épaisseur de la neige, tombée à plusieurs reprises, dépassait une épaisseur de 50 centimètres. La neige a été précédée d’une chute de petits glaçons transparents qui n’avaient guère plus de 1 millimètre d’épaisseur et dont quelques-uns
- avaient des facettes cristallines. Ils formaient à la surface du sol un verglas très glissant.
- Dans la soirée du 22. les flocons de neige voltigeaient dans l’atmosphère comme de volumineux amas de laine. La plupart des becs de gaz étaient ornés de stalactites de glace qui attiraient parfois la curiosité des passants. La formation de ces stalactites dont nous donnons un spécimen est facile à expliquer. La neige en tombant sur le verre du réverbère, chauffé par la flamme du gaz, fondait, ruisselait en eau, et regelait sous forme de stalactite en retrouvant au-dessous de la lanterne une température inférieure à 0°. Dès le lendemain, le service du balayage a dû être organisé dans tous les quartiers de Paris. Le personnel occupé à ce travail et qui forme une véritable armée comprend, en premier lieu, 2500 ouvriers employés à la journée et en second lieu 2000 auxiliaires qui ne travaillent que la demi-journée.
- Mais dans les cas exceptionnels comme ceux de ces derniers jours, la direction de la voirie prend tel nombre d’ouvriers supplémentaires quelle juge nécessaire et dont le chiffre s’élève parfois à 1000 ou 2000. L’administration dispose donc d’un personnel d’environ 7000 travailleurs, y compris les chefs de brigades et les inspecteurs.
- Les balayeurs sont enrôlés par brigades au nombre de 115.
- Le Propriétaire-Gérant : G. Tissaxdier.
- ColUJIilL, TÏP. ET STÙll. CU ÉTÉ
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- N# 297. — 8 FÉVRIER 1879
- LA NATURE.
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- NOUVEL EMPLOI DES JETS DE SABLE
- Le sable lancé par la vapeur ou par l’air comprimé, avec une force suffisante, contre une matière dure et résistante, peut l’user comme le ferait le frottement d’un morceau de corps solide. Les applications de cette propriété sont nombreuses et importantes et l’on peut dire que l’art de graver sur le verre a été révolutionné de cette façon1. L’emploi du sable pour affiler une lime et pour aiguiser tous les outils garnis de pointes, même les rasoirs, est tout à fait nouveau et nous croyons, d’après les
- renseignements qui nous sont envoyés, qu’il a plus d’importance qu’on n’est tenté de le croire au premier abord. Un moment de réflexion suffira pour montrer qu’il n’y a réellement aucune différence entre frotter un métal avec du sable condensé en pierre meulière ou avec la même substance pulvérisée menue et soumise à la pression de l’air ou de la vapeur; mais on verra plus loin que le sable ainsi mis en mouvement a des propriétés que ne saurait égaler ni pierre meulière ni autre machine à moudre quelconque.
- Si l’on examine à la loupe les dents d’une lime taillée par la méthode ordinaire, on s’aperçoit que la | dentelure est très grossière; avec le jet de sable, les
- Fabrication de limes au moyen de jets de sable.
- dents sont régulières et parfaitement façonnées en forme de ciseau ; la différence saute aux yeux. La manière de changer la forme ou l’allongement des dents dépend purement de la direction du jet de sable contre l’arrière des dents, sous un angle de 10 à 15 degrés formé avec l’extrémité touchée de la lime. Cependant il est naturel qu’on se demande pourquoi le sable injecté exerce, comme il est aisé de le voir, une action élective, c’est-à-dire pourquoi il ne coupe pas la dent uniformément avec le résultat évident et inévitable d’émousser la dent au lieu de l’affiler. Ici toutefois l’on arrive à un de ces résultats d’une netteté extrême, que la mécanique sait fournir. L’effet produit par l’injection de sable est, jusqu’à un certain point, proportionnel 1 Voy. la Nature, 5' année, 1877, 2* semestre, p. 96.
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- à la résistance rencontrée. Ainsi une couche de caoutchouc verni ou même un morceau de papier détournera un jet de sable qui usera la pierre la plus dure, simplement parce que les molécules rebondissent après avoir touché la surface élastique. Or une dent, par son apparence cunéiforme, peut être regardée comme offrant une résistance constamment décroissante, de la base à la pointe, cette dernière devenant successivement, de plus en plus semblable à un ressort. La conséquence est que, tandis que le sable attaque une surface pleine et entière, sa force diminue par la souplesse et l’élasticité de la substance sur laquelle elle agit. Il en résulte que le frottement emporte une plus grande portion de la base que du sommet et que la pointe est usée bien plus rapidement que l’ensemble de la
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- LA NATURE.
- dent. Cette dernière doit donc toujours avoir un tranchant acéré. Une autre conséquence de ce fait, c’est que la répétition du procédé ne peut pas modifier le résultat. Une lime peut s’user au point de s’émousser ; soumise de nouveau à l’injection du sable, elle recouvrera ses dents telles qu’elles étaient auparavant; on pourra continuer de la sorte tant que les dents conserveront leur forme primitive.
- Le procédé est également applicable à la lime sourde et douce au toucher, comme à la râpe la plus dure, sans que la forme de l’outil soit le moins du monde changée. Nous pouvons affirmer qu’une lime neuve et affilée par le courant du sable a duré, à elle seule, autant que six autres limes pareilles, mais autrement confectionnées ; par son Irottement, elle a déplacé 50 pour 100 plus de métal, à nombre égal de fractions; nous pouvons ajouter de plus qu’une vieille lime toute usée, affilée de nouveau par le courant de sable, rend plus de service que n’importe quelle autre lime neuve différemment préparée.
- Le nouvel appareil employé pour affiler à l’aide du courant de sable est représenté ci-dessus. La lime est tenue avec soin et, en même temps, poussée en avant, avec un mouvement latéral de va-et-vient. Le sable et l’eau mélangés sont projetés sur chaque côté de l’outil par la vapeur sortant d’un tuyau, après avoir été entraînés dans les orifices de l’injecteur. Les jets se mêlent et entrent dans le grand tube incliné, d’où l’eau et le sable tombent dans le seau.
- * Quand des limes sourdes et douces au toucher ou des outils à lames délicates doivent être affilés, les tuyaux, près des orifices, sont soulevés, de sorte qu’on injecte de l’eau ne tenant en suspension que peu de sable, encore est-ce le plus fin; de la sorte, en diminuant l’entrée, on peut varier la quantité de sable introduite et, par conséquent, la force corrosive du courant.
- Le nouveau procédé est très usité en Amérique; de nombreux ateliers de Bridgeport, New-Haven, Ilut-ford et autres villes manufacturières de la Nouveüe-Angleteire (partie orientale des États-Unis) l’utilisent et le trouvent bien moins coûteux que l’ancien. La Compagnie Nicholson, fabriquant de limes, à Providence, a aussi fait un traité pour avoir le droit d’appliquer le procédé aux limes qu’elle confectionne.
- LES ANTILOPES
- (Suite et lin. — Voy. p. 49 et 98.)
- Par son muflle petit, son pelage fauve grivelé de noir et entre-mêlé de poils gris, le Wontoou Nagor ou Antilope rouge (Eleotragus reduncus) se dis-, lingue facilement de l’Eléotrague des roseaux [Ehoir agus arundinaceus). Signalé autrefois par Busfon, d’après un individu envoyé de Sénégambie à Paris v, par Adanson, le Nagor n’avait pas été observé de
- nouveau jusqu’en 1834. A cette époque Büppell «e procura en Abyssinie plusieurs Antilopes qu’il compara à son retour en Europe avec le type deBuffon, et qu’il n’hésita pas à rapporter à la même espèce. Mais M. Sundevall ne fut pas du même avis et considéra comme deux formes distinctes le Nagor du Sénégal et le Bohor de l’Abyssinie. En tous cas c’est au type observé par Rüppel que ressemble une Antilope qui a été envoyée l’été dernier au prince de Galles par le sultan de Zanzibar et dont nous avons été assez heureux pour nous procurer un dessin exécuté d’après nature. Les Antilopes rousses sont fort communes, paraît-il, sur les plateaux onduleux de la province de Woggera et dans les bas-fonds herbeux autour du lac de Dembéa, où les indigènes les connaissent sous le nom de Boher. On les voit d’ordinaire en petits troupeaux de quatre à six individus, qui ne se montrent point farouches, quoiqu’ils aient pour ennemis, outre les hommes, les lions, les léopards et les chiens sauvages.
- Les Algazelles qu’une certaine similitude de nom fait souvent confondre avec les Gazelles se distinguent nettement de ces dernières par leur taille beaucoup plus forte, leurs cornes droites, ou très légèrement arquées, placées sur le prolongement de la face, et si développées qu’elles atteignent chez les vieux mâles plus d’un mètre de long, par leur cou garni en dessus et en dessous d’une sorte de crinière, et enfin par leurs sabots rétrécis en avant et leurs faux-sabots bien marqués. L’image de ces Antilopes se trouve fréquemment reproduite sur les monuments de l’Egypte et de la Nubie, et dans les fresques exposées au Musée rétrospectif du palais du Trocadéro on peut voir de ces Antilopes les unes poursuivies par des chiens, les autres percées de flèches, d’autres enfin prises par le pied dans un nœud coulant. Quelques auteurs prétendent même que la figure de la Licorne aurait été inspirée par une Algazelle se profilant sur le ciel du désert, ses cornes rigoureusement superposées et semblant n’en faire qu’une seule. Quoiqu’il en soit, il est certain que des animaux du genre Algazelle ou Oryx, et probablement de l’espèce nubienne et sénéga-lienne, Oryx leucoryx, ont été connus des anciens qui leur attribuaient toutes sortes de vertus merveilleuses et se servaient de leurs cornes pour la fabrication des lyres. Ces cornes, longues de plus d’un mètre et épaisses de 4 à 5 centimètres à la base, sont ornées d’une quarantaine d’anneaux; presque contiguës à la racine, elles divergent ensuite légèrement en se recourbant quelque peu vers le bas et en dedans. Chez ïOryxbeisa, au contraire, qui vit en Abyssinie, les cornes sont droites; il en est de même chez les Gemsbock ou Oryx gazella, du cap de Bonne-Espérance. Cette dernière espèce que l’on désigne parfois aussi sous le nom vulgaire dePasan, est remarquable par sa taille et ses formes massives : elle a 21U,30 de long et lm,30 de hauteur au garrot, et ses cornes, très-longues et faiblement annelées se terminent en pointe aiguë. Son pelage
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- varie considérablement suivant les saisons : en été les partis supérieures du corps sont d’un fauve clair, la tète, les oreilles, la poitrine, le ventre et la face interne des membres d’un blanc pur, et le reste d’un brun noir foncé, cette dernière teinte dessinant sur le cou et autour du museau une sorte de bride. En hiver au contraire l’animal est d’un gris bleuâtre avec des reflets roux sur l’occiput, la nuque et le dos. Chez le Beisa les nuances rousses ou bleuâtres sont remplacées par du jaune clair, le pelage, comme dit Oppian, a la couleur du lait, et les taches noires ne s’étendent que sur les joues, sans entourer complètement le museau. Plutôt majestueuses qu’élégantes, les Algazelles se rencontrent en petites troupes dans les steppes arides de la Nubie, du Korfodan et de l’Afrique australe. Leur course est assez rapide pour que les meilleurs chevaux arabes soient seuls capables de les atteindre. Au moment où elles se voient serrées de trop près, elles font ordinairement têteau chasseur et se défendent vaillamment contre les chiens en distribuant des coups de cornes à droite et à gauche. L’homme même ne doit s’approcher qu’avec prudence d’une Algazelleblessée, car celle-ci, exaspérée par la souffrance, se précipite parfois sur son ennemi et le transperce en un clin d’œil. Aussi les Hottentots craignent-ils beaucoup de s’attaquer à ces Antilopes. De temps en temps, cepèndant, des Algazelles sont capturées vivantes au Sénégal, au Cap ou en Nubie et amenées en Europe dans nos ménageries, où elles doivent toujours être considérées comme des hôtes assez dangereux.
- ' Par leurs formes massives les Algazelles se distinguaient déjà des Antilopes typiques ; les Catoblé-pas s’en éloignent encore davantage et présentent dans leur aspect extérieur des caractères empruntés aux animaux les plus divers : ils ont la tête et le cou d’un taureau, le train de derrière et la queue d’un cheval et les membres d’une Antilope. Considérées isolément les diverses parties du corps ne sont point dépourvues d’élégance, mais elles s’accordent si mal entre elles qu’au moins au repos les Cato-blépas ou les Gnous, comme on les appelle vulgairement, sont des animaux assez disgracieux. Il est vrai que lorsqu’ils s’animent ils changent complètement d’aspect : emportés par une course vertigi -neuse, la tète encapuchonée, la crinière et la queue flottantes, les sabots frappant la terre dans un galop furieux, ils passent comme un ouragan et l’on est forcé d’admirer la souplesse de leur échine, la force de urs jarrets et la courbe gracieuse de leur encolure. On connaît deux espèces de ces animaux, le Catoblépas gnou et le Catoblépas gorgon, qui pour-certains naturalistes, peut-être trop enclins à multiplier les divisions méthodiques, sont devenus chacun le type d’un genre particulier. Le Gnou proprement dit, dont le Muséum d’histoire naturelle possède actuellement deux individus, l’un mâle et l’autre femelle, est une Antilope de la taille d’un poulain d’un an, aux cornes épaisses et recourbées, au
- front et à la poitrine ornées de touffes de poils. Sa robe est d’un gris brun, tirant tantôt sur le roux, tantôt sur le noir; la crinière et la queue sont d’une teinte blanchâtre, mélangée de gris, les sourcils et les moustaches d’un blanc presque pur. Les cornes aplaties et recourbées d’abord vers le bas, puis en dehors, sont l’apanage des individus adultes des deux sexes, mais n’existent point chez les très jeunes individus.
- Très communs jadis dans le voisinage du cap de Bonne-Espérance, les Gnous ont été peu à peu reportés vers le nord, dans le pays des Calres. Chaque année, dit-on, ils effectuent des migrations qui ne semblent pas commandées exclusivement par le besoin de la nourriture. Dans les grandes plaines oh ils errent en liberté, parfois ils restent immobiles des heures entières, puis tout à coup, pris d’une frayeur subite, ils bondissent et s’enfuyent rapidement; d’autres fois, ils se livrent des combats singuliers, se précipitant l’un contre l’autre, la tète baissée, décrivant des cercles et soulevant autour d’eux des nuages de poussière. En galopant ils vont l’amble ordinairement, et quand ils sont en gaieté ils exécutent les cabrioles les plus comiques. Les voyageurs assurent qu’à la vue d’un drapeau rouge les Gnous entrent en fureur comme des taureaux, et que poursuivis et serrés de trop près, ils se jettent sur le chasseur et cherchent à le tuer à coups de pieds et à coups de cornes. En captivité ces animaux conservent toujours un fond de sauvagerie ils sont capricieux, insensibles aux caresses et au bons traitements et ne s’attachent point à leurs gardiens : de temps en temps, sans cause bien appréciable ils bondissent comme pris de folie subite et la tête entre les jambes, la crinière flottante, parcourent comme des poulains indomptés la piste étroite de leurs parcs. Beaucoup de nos lecteurs ont pu sans doute comme moi être témoins au Jardin des Plantes de ces courses insensées.
- Dans un autres parc de la ménagerie du Muséum d’histoire naturelle se trouvent des Bless-boch, sorte de Bubales aux cornes disposées en forme de lyre, ou pelage d’un brun pourpré, avec la face et la partie supérieure des cuisses d’un blanc pur. C’est l’Antilope à front blanc, Damalis albifions de Gray, Antilope albifions de Burchell, qui habite l’Alrique australe et qui a été souvent confondue avec le Bonte-bock ou Damalis pygarga des mêmes contrées. Elle se trouve en petites troupes de 6 à 8 individus sur les frontières septentrionales de la colonie du Cap et en bandes plus nombreuses dans les plaines de la Cafrerie.
- Sundevall plaçait dans le même genre que les Bless-bocks d’autres Antilopes aux cornes grandes, légèrement recourbées et spiralées pour lesquelles Desmarest a créé le genre Oreas et de Blainville le genre Boselaphas. L’espèce type de ce groupe est l’Impoofo ou Antilope canna qui est répandue sur la plus grande partie de l’Afrique australe, au nord du cap de Bonne Espérance. Long de trois mètres en-
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- viron, la Canna mesure plus de deux mètres de hauteur au garrot et pèse de 3 à 400 kilogrammes à l’état adulte ; c’est donc un animal singulièrement massif qui par sa queue allongée, sa gorge pendante comme un fanon rappelle beaucoup les Bœufs, tout en conservant encore dans ses allures et dans la disposition de ses cornes des traits de parenté incontestables avec les Antilopes. Il est en général d’un brun pâle ou d’un gris jaunâtre en dessus, et d’un blanc sale en dessous ; mais sa couleur varie beaucoup avec l’àge et parfois la moitié postérieure de son corps présente des bandes transversales blan-• châtres.
- D’après le docteur Burchell, la viande du Canna rappelle beaucoup celle du Bœuf et surpasse en qualité celle de toutes les autres Antilopes; mais il y aurait donc un certain intérêt à acclimater cette grande espèce dans nos contrées : malheureusement les tentatives faites dans ce sens n’ont pas trop réussi jusqu’à présent, la Canna étant particulièrement sujet aux maladies épidémiques. En Afrique on courre cette Antilope comme le Cerf parmi nous, et l’on parvient, avec de bons chevaux à forcer les vieux mâles qui sont appesantis par la graisse ; cette chasse toutefois est assez périlleuse, les Cannas étant armés de cornes en épieus qui peuvent faire de graves blessures.
- Tout le monde connaît l’Antilope Guib (Trage-taphns scriptus), qui par sa taille médiocre, ses formes légères, ses cornes petites, sa lace dépourvue de strie frontale et son pelage d’un bai pâle, varié de taches arrondies et de bandes transversales blanches, contraste si nettement avec la Canna dont nous venons de parler ; nous n’insisterons donc point sur cette charmante espèce qui vit fort bien dans nos jardins zoologiques et qui s’y reproduit assez facilement. Nous rappellerons seulement que le Guib, comme beaucoup d’autres Antilopes, est sujet à d’assez grandes variations, certains individus ayant 9 bandes blanches et d’autres 7, les uns étant fortement tachetés et d’autres d’une teinte presque uniforme. Mais comme tous ces individus s’apparient et ont pour descendants d’autres individus dont la robe diffère essentiellement de celle des parents, il n’y a point lieu d’admettre parmi les Guibs l’existence de plusieurs espèces.
- Le Tragelaphus scriptus a pour patrie le Sénégal et la Gambie, il est représenté de l’autre côté du continent africain par le Tragelaphus décida, aux teintes plus sombres, aux bandes transversales peu distinctes, et dans le sud, près du cap de Bonne-Espérance, par l’Antilope des bois ou Bosch-bosk ( Tragelaphus sylvaticus) à la robe encore moins brillante, d’un brun noirâtre, avec une bande dorsale noirâtre et quelques taches blanches sur les hanches et la face interne des jambes.
- Les Nilgaus ou Portax, que Gray place à la suite des Guibs, sont rapprochés au contraire des Cannas par d’autres naturalistes. Ils ont en effet, comme les Cannas, les formes lourdes et le muffle large
- des Bovidés; chez eux le mâle seul est pourvu de-cornes courtes, anguleuses, presque lisses, insérées sur les côtés de la crête frontale et légèrement recourbées en avant, les larmiers sont profonds et, caractère frappant, les pattes postérieures n’atteignent jamais la longueur des pattes postérieures, de sorte que, comme chez la Girafe, les épaules sont toujours plus élevées que le croupion. A l’âge .adulte le Nilgau mesure environ 1 mètre 30 de haut; il a le cou de longueur moyenne, la tète fine, les yeux vifs, les oreilles allongées, les naseaux largement fendus, la queue descendant jusqu’aux tarses et assez fournie dans sa portion terminale. Les poils raides et couchés sur la majeure partie du corps, se dressent sur la nuque en une sorte de crinière et pendent en touffe sous la gorge. Us sont d’un gris brun à reflets bleus chez le mâle1, et d’un gris rougeâtre chez la femelle. Sous le ventre, au-dessus des sabots et sous la gorge il y a presque toujours un peu de blanc. Le Nilgau se trouve dans la vallée de Cachemire et dans le pays compris entre Delhi et Lahore. Les Anglais aussi bien que les grands seigneurs indous le chassent avec d’autant plus de passion que c’est un animal farouche et fort dangereux surtout lorsqu’il est blessé Le lieutenant-colonel Gordon Cumming raconte en effet que, serré de près, le Nilgau se jette brusquement sur ses genoux et darde avec la rapidité de la foudre ses cornes sur son adversaire ; les chiens qui s’attaquent à lui reçoivent force coups de pieds et reviennent souvent tout déconfits. Dans l’Inde les radjahs lèvent pour cette chasse toute une armée de rabatteurs, et parfois ils conservent dans leurs jardins des Nilgaus offerts par leurs sujets. En Europe on connaît depuis longtemps cette grande Antilope qui se reproduit dans les parcs et dont les jeunes s’élèvent sans difficulté ; on avait même songé à l’acclimater et à en faire un animal de boucherie, sa chair étant de bonne qualité sans avoir néanmoins la saveur de la viande de bœuf; mais on sera probablement obligé de renoncer à cette idée, car dans les jardins zoologiques, où ils jouissent cependant d’une liberté relative, les Nilgaus, même de deuxième et troisième génération, conservent le caractère farouche de leurs parents, se jettent sans le moindre prétexte sur leur gardien, et se tuent parfois contre les grilles de leur parc. Que serait-ee s’ils étaient enfermés comme nos bœufs et nos moutons L
- Pour compléter cette revue rapide des Antilopes, il nous resterait encore à parler du Dicranocères et des Chamois qui vivent les uns dans l’Amérique du Nord, les autres sur les hautes montagnes de l’Europe; mais comment retracer en quelques lignes à la fin d’un article déjà si étendu, les traits principaux de l’organisation de ces espèces, comment reproduire les détails de mœurs recueillis par Audu-bon, par le prince Max de Neuwied et par Tschudi?' Cela nous paraît véritablement impossible, et nous
- 1 C’est à cette coloration que l’animal doit son nom; en. persan, Nylhau signifie vache bleue.
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- Fig.
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- émà •
- L’Antilope Bohor [Antilope bohor, Riïppell), d'après l’aidividu femelle
- envoyé à S. A. R. le prince de Galles par le sultan de Zanzibar.
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- LA N AT U UE,
- espérons quoique jour pouvoir consacrer un article spécial à ces animaux si intéressants, dont le nombre diminue de jour en jour et qui sont à la veille de disparaître. E. Oustalet.
- UN OUVRAGE POSTHUME
- DE CHARI.ES SAINTE-CLAIRE DEVILLE.
- Sous ce titre : Coup d’œil historique sur la géologie et sur les travauz d'Êlie de Beaumont, la librairie G. Masson met en vente un cours de 19 leçons professées en 1875 au Collège de France par le si regretté Charles Sainte-Claire Deville. L’auteur a rédigé lui-même toutes les leçons, mais il n’a corrigé et analysé que les trois premières. Son élève et successeur, M. Fouqué, s’est chargé de faire subir aux autres les changements qu’il savait voulus par le maître; et c’est à ses soins que le public doit ce magnifique ouvrage, véritable monument philosophique et scientifique.
- Ayant à étudier un vaste ensemble, le professeur a adopté comme guide la célèbre classification qu’on doit à Ampère, celle des quatre points de vue : autoplique, cryp-torisliquc, troponomique, étiologique, et il l’a notablement perfectionnée par l’introduction d’un cinquième point de vue, technologique.
- Ces points de vue sont ceux auquel se place successivement l’esprit humain dans l’étude d’un objet quelconque. Examine-t-on d’abord ce qui, dans l’objet, se présente immédiatement, ce qui frappe d’abord, on est au point de vue autoptique. Veut-on ensuite rechercher ce qu’il y a de caché dans le même objet, on adopte le point de vue cryptorislique. Si l’on s’élève à des considérations plus hautes en voulant comparer les variations que subissent les choses « pour déduire de cette comparaison les lois générales qui président à ces variations, » on est au point de vue troponomique. Enfin si l’on remonte aux causes des effets connus ou si l’on prévoit les effets à venir d’après la connaissance des causes, on se met au point de vue étiologique. Ce n’est pas tout. L’homme ne se borne pas à étudier les choses, il sait les reproduire en en reconstituant les causes. Cette admirable faculté de l’esprit humain ne doit-elle pas donner lieu au point de vue technologique qui répond si bien à la « puissante initiative par laquelle l’homme rivalise avec la nature, en l’imitant, et l’oblige par d’heureux empiètements à seconder ses efforts? »
- Pour donner un aperçu des cosmogonies orientales et américaines, et des opinions des philosophes grecs, soit chez les Egyptiens, soit et surtout chez les Hindous, l’auteur fait remarquer que les prêtres et les philosophes recherchaient immédiatement les causes des phénomènes avant d’avoir étudié ceux-ci, avant même de les connaître. Au début de son histoire, l’homme est essentiellement étiologiste. Même tendance à noter dans ce que nous savons des connaissances des anciens Mexicains et des anciens Péruviens. Les Romains, avec Sénèque et Pline font des progrès réels dans l’art d’observer les faits naturels.
- Au moyen âge, l’esprit mystique domine dans toutes les recherches, même dans celles qui s’adressent à la philosophie naturelle, mais vers la fin du douzième siècle, il se rencontra a à côté des doctes prélats, des pieux abbés et même parmi eux, quelques hommes, doués d’une capacité étendue et d’un esprit original qui trouvèrent bon d’étudier un peu cet univers grossier et charnel en lui-même, et tel qu’il s’offrait aux regards, indépendamment
- des rapports plus ou moins probables qu’il pouvait avoir avec des réalités invisibles. »
- Ces hommes étaient les premiers peut être qui osaient aborder le point de vue autoplique. Parmi eux il faut citer Guillaume de Saint-Thierry, un des plus ardents adversaires d’Abailard, qui composa un Traité de la nature du corps et de l'âme dont le premier livre est un véritable manuel d’anatomie.
- Ce sont là les exceptions du moyen âge, et il faut venir j jusque bien avant dans les temps modernes pour trouver | la vraie observation, faite selon toutes les lois de la I méthode scientifique. Et même, pas bien loin de nous, n’avons-nous pas vu les plus grands esprits construire leur roman sur les origines de la terre? Ampère, Humphry Davy, Laplace, llerschel, et bien d’autres.
- Ilutton nous introduit dans la série des observateurs. Avec sa Théorie complète de la Terre, il doit prendre place dans l’école étiologique. Mais il se distingue nettement de tous ses devanciers, en ce que les faits qu’il cite, et qu’il connaissait presque tous de visu, sont admirablement observés.
- Il était contemporain du célèbre Wernier, et l’on sait que les partisans des deux maîtres so livrèrent à une lutte ai dente.
- Rien de plus opposés en effet que leurs systèmes. Si Ilutton est un descendant des anciennes écoles, Werner est la plus haute manifestation de l’école moderne qui avant lui avait produit Guetlard et Desmarets. Le plus pressant besoin pour l’illustre professeur de Freyberg n’est pas d’expliquer les faits, c’est de les bien connaître. Aussi, son premier ouvrage est-il un Traité des caractères minéraux, la science qu’il fonde c’est la géognosie ; il excelle dans la Classification et la description des terrains. C’est Werner qui introduit en géologie, avec un rare bonheur, le point de vue cryptoristique.
- Charles Sainte-Claire Deville consacre toute une leçon au point de vue technologique ou lithotechnique.
- La lithotechnie, chimique et mécanique, se propose de reproduire les phénomènes de la géologie qui se rattachent aux causes physiques et chimiques, et de réaliser artificiellement, par des procédés mécaniques, les formes, les dispositions, les allures générales que présentent les masses minérales dans la terre.
- Leibnitz, Newton eurent une idée de cette reproduction artificielle des phénomènes. Mais c’est à James Ilall que l’on doit les premiers essais qui aient bien réussi j dans ce genre. Après lui, il suffit de rappeler les noms de Faraday, de Gay-Lussac, de Grégory Watt, de Cagnard-Latour, de MM. Daubrée, Durocher, H. Sainte-Claire De-ville et Caron, pour mettre sous les yeux du lecteur d’innombrables expériences.
- L’école troponomique est née au dix-neuvième siècle avec Alexandre de Humboldt qui a inauguré la météoro-nomie, en cherchant les rapports des variations des phénomènes avec les temps et avec les lieux, avec les saisons, avec la distance des pôles ou de l’équateur, et en traçant sur le globe des lignes isothermes. Le Cosmos est la plus haute expression de la tendance généralisatrice de cet esprit supérieur.
- Il faut citer à côté de Humboldt, Léopold de Buch, un disciple de Werner, voyageur intrépide. Cuvier, pour qui Charles Sainte-Claire Deville, fait l’école paléontolo-gique est un troponomiste.
- Le couronnement du livre de Ch. Sainte-Claire Deville c’est Élie de Beaumont. Et même, dans la pensée de l’auteur, c’est pour aboutir à celte grande figure que l’his—
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- toire nous a montré la succession des progrès de la géologie. Tous les hommes illustres dont les caractères ont été tracés sont les ancêtres scientifiques d’Élie de Beaumont. Il tient de chacun d’eux quelque trait.
- Mais laissons parler le savant professeur : « Comme autopticicn, dit-il, pour saisir et exprimer les grands traits d’une contrée, Élie de Beaumont est de beaucoup au-dessus de Pallas ; il est l’égal de Saussure en exactitude, son supérieur en élégance, et, s’il ne trouve pas toujours à son service la plume enthousiaste et poétique de Humboldt, son coup d’œil en revanche, est plus pénétrant et plus profond.
- « Comme cryptoricien, c’est-à-dire pour analyser un phénomène dans ses détails, sans minutie néanmoins, on peut dire qu’il n’a pas d’égal parmi les géologues, ses prédécesseurs.
- « Comme troponomiste, dans la recherche des rapports et des lois qui les enchaînent l’un à l’autre, il peut être comparé à Léopold de Buch, avec cet avantage en sa faveur qu’il partit du point où s’était arrêté son illustre devancier. »
- Six leçons sont consacrées à l’œuvre d’Elie de Beaumont. La première s’en occupe au point de vue de l’au-toptique et de la cryptorislique. Si l’on veut avoir une idée du coup d’œil prompt et assuré qui faisait du grand géologue un autopticien si distingué, il faut lire ses premiers travaux sur les Vosges et sur les Ardennes. Sa Géologie pratique qui comprend la série de leçons faites dans la chaire du Collège de France de 1845 à 1844, dont quatorze seulement furent publiées , est la plus grande œuvre qui existe de géologie cryptoristique.
- Élie de Beaumont s’est surtout illustré comme troponomiste. C’est par la recherches des lois de variation, soit avec le temps, soit avec les lieux qu’il s’est élevé au premier rang des géologues. Son œuvre troponomique la plus générale est l'Etude sur les systèmes de soulèvement complétée par la Théorie du Réseau pentagonal.
- Le premier mémoire d’Élie de Beaumont sur ce sujet, intitulé : Recherches sur quelques-unes des révolutions de la surface du globe, etc., fut présenté à l’Académie des sciences dans la séance du 22 juin 1829, et dès le 26 octobre suivant, Alex. Brongniart faisait sur ce travail un rapport vraiment magistral. Six ans plus tard, Élie de Beaumont s’asseyait près de lui à l’Académie.
- Quanta la théorie du Réseau pentagonal elle n’a jamais été si admirablement exposée que dans le livre de Ch. Sainte-Claire Deville.
- Nous ne pouvons chercher à donner ici, une idée même succinte de l’œuvre que nous annonçons, mais notre but sera atteint si les lignes qui précèdent inspirent aux amis des sciences le désir de lire et de méditer les dernières pages et comme le testament scientifique du grand géologue qui nous a été enlevé si prématurément.
- Stanislas Meunier.
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- LE NOUVEL OBSERVATOIRE
- DU PIC DU MIDI.
- On a vu par le récit qui a éié publié dans notre dernière livraison d’une visite au général de Nan-souty combien est primitive l’installation de l’observatoire actuel du Pic du Midi. Le vaillant météorologiste des Pyrénées a résolu de compléter l’humble construction qui l’abrite depuis plusieurs années
- et de construire un véritable monument à une altitude plus élevée, tout au sommet de la montagne. De généreux amis de la science sont venus à son aide et ont mis entre ses mains les ressources financières propres à mettre à exécution cette belle entreprise. •
- Qu’il nous soit permis de citer les principaux donateurs auxquels la météorologie sera redevable d’un grand progrès :
- MM. Bischoffsheim
- Jean Cistac, don annuel depuis quatre
- ans de..........................
- Tourrasse, de Pau.................
- Société de géographie de Bordeaux......
- Conseil municipal de Bordeaux..........
- Académie des sciences..................
- Association scientifique...............
- Association française pour l’avancement
- des sciences.........................
- Le ministre de l’instruction publique
- (1878)...............................
- Le ministre des travaux publics (1879).. Le Conseil général de la Haute-Garonne,
- chaque année depuis trois ans........
- La ville de Bagnères (chaque année).... La Compagnie des chemins de fer du Midi M. D’Eichthal..........................
- 15000 fr. 5000 »
- 1000 » 600 » 500 » 500 » 1200 » 500 »
- 500 »
- 10000 » 10000 »
- 500 .» 600 » 1200 » 500 »
- « Il faudrait une longue liste, plus longue que le format de votre journal ne le comporte, nous écrit le général de Nansouty, pour publier les noms de toutes les personnes qui nous ont donné des témoignages de sympathie, depuis la modeste pièce de 1 franc jusqu’à la royale souscription de M. Bischoffsheim.
- « Ce sont ces offrandes qui, jusqu’à ce jjur, ont permis à la société Ramond de continuer les observations, à la station Plantade, et à construire la moitié de l’observatoire au sommet. Nous espérons que nous pourrons, avec l’aide des hommes de bonne volonté, terminer cette œuvre très difficile et plus coûteuse que nous ne l’avions prévue, même ayant plus que doublé les prix des travaux faits à la station Plantade en 1875. Ainsi là 1 mètre cube de maçonnerie coûtait 32 francs, sur notre projet nous le portions à 60 francs; il revient en réalité à 78 francs. »
- Malgré les difficultés de toute nature, l’œuvre, nous en avons la conviction, se terminera promptement, grâce au dévouement et à la persévérance des collaborateurs du général de Nansouty, qui constituent sous sa présidence la Commission du nouvel Observatoire. Ce sont MM. Vaussenat, ingénieur des mines; Cazes, greffier du tribunal; Frossard, président de la Société Bamond, et Michelier, ingénieur en chef. Parmi ceux qui se sont montré les plus soucieux du succès de l’entreprise, nous devons mentionner aussi M. Viollet-le-Duc, qui, pour certains détails de construction, a guidé la Commission de son expérience éclairée, et ne lui refusera pas son concours. * ; • - -
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- Notre gravure (lig. 2) montre l’ensemble du nouvel observatoire tel qu’il apparaîtra quand les travaux seront terminés : il est actuellement à moitié construit. A droite on aperçoit, perché sur une plateforme, l’abri des instruments d’observation. Au centre est la maison d’habitation dont notre plan (fig. 3) donne les dispositions, à gauche se dresse le paratonnerre destiné à garantir le monument de la foudre qui frappe très fréquemment le sommet du Pic. Ce paratonnerre, avec son câble qui plonge à
- 500 mètres plus bas dans le lac d’Oncet, a coûté 2800 francs. Le déblai du creux où est assise la construction a nécessité une dépense de 2500 francs. Ce qui est construit de l’observatoire, c’est-à-dire la moitié, a coûlé 22000 francs.
- Pour terminer, il faut encore un nouvel effort de la part de nouveaux bienfaiteurs ou du gouvernement; nous faisons des vœux sincères pour que les fonds nécessaires à terminer cette œuvre de science et d’initiative ne fassent pas longtemps défaut. M. le
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- Fig, 1. — Spécimen des courbes trihoraires dressées par le général de Nansouty à l’Observatoire du Pic du Midi.
- Courbes du 19 au 7.0 décembre 1878.— La première courbe (supérieure) exprime : force du vent, 0, calme plat; 7, ouragan. — La deuxième courbe (au-dessous) exprime : état du ciel, 0, ciel pur; 10, couvert. Les nombres qui l’accompagnent expriment la température à l'heure de l’observation. — La troisième courbe (ligne pleine) exprime : pression barométrique à zéro. Les nombres qui accompagnent cette courbe expriment la température au thermomètie attaché au baromètre — Les parties légèrement ponctuées des courbes expriment la nuit pendant lesquelles les observations no sont pas faites. — La courbe brisée entre deux observations exprime le vent en rafales. — Du plus à moins.
- ministre de l’instruction publique, nous a-t-on affirmé, s’est engagé pour cette année à verser une nouvelle somme de 10000 francs.
- Puissent ces lignes lui passer sous les yeux et lui rappeler sa généreuse promesse I
- L’exemple donné par le général de Nansouty a déjà porté ses fruits. Voilà le général Farre qui vient d’installer un observatoire au fort de l’Infernet. En Provence, il est question d’en établir un au mont Ventoux1. Ce sera une situation unique et qui rendra les plus grands services.
- Avec le bel observatoire du Puy-de-Dôme, la 1 Yoy. la Nature, 6* année, 1878, 1” semestre, p. 281.
- France se trouvera dotée d’un important réseau de stations météorologiques aériennes; les services que ces observatoires rendront se multiplieront par le concours mutuel qu’ils apporteront à la science 'quand ils seront surtout pourvus d’un système de fils télégraphiques établi d’une façon durable.
- Nous regrettons que l’administration des télégraphes marchande Rétablissement solide d’un câble télégraphique, à l’observatoire du Pic, quand nous .voyons l’administration des phares prodiguer ses jpeines et ses finances pour l’installation des phares, qui, somme toute, sont aussi utiles aux marines étrangères qu’à celle de la France.
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- Les observatoires du Pic du Midi, du Puy-de-Dôme, de l’infernet, du mont Yentoux, de Montlouis
- sont des phares intérieurs utiles tous les jours aux populations des départements qu’ils couvrent et à
- Fig. 2. — Vue du nouvel Observatoire du Pic du Midi, actuellement en voie de construction.
- la science aussi. A notre sens, ce n’est pas seule- [ sons qu’ii serait indispensable de construire, mais ment une communication permanente en toutes sai- j encore une large subvention qu’il faudrait fournir
- ,t.vo.
- Fig. 3. — Plan et coupe du nouvel Observatoire. — Plan du premier ctage : 1, couloir, magasin; 2, salon; 3, escalier; 4,salle à manger; S, cabinet de travail; 6, chambre d'ami; 7, Télégraphe; 8 et 9, chambres à coucher, — Le rez de chaussée sera destiné •iiix provisions.
- suivant les besoins différents de chaque observatoire et qui assurerait la possibilité à un homme ou à deux
- de vivre dans ces conditions toutes exceptionnelles Si le général de Nansouty mourait demain croit-
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- on trouver un volontaire qui dépenserait, de ses propres deniers, comme le fait actuellement le vaillant météorologiste, 15 000 francs par an pour l’amour de la science et des populations voisines.
- Nous pensons que les Ministères, qui profitent de ces observatoires, Instruction publique, Travaux publics, Intérieur et Agriculture, pourraient sans efforts assurer dans le présent et dans l’avenir le fonctionnement de ces utiles et nobles créations privées dont la remise à l’Etat ne ferait pas un instant discussion Gaston Tissandier.
- RÉSULTATS
- DES IRRIGATIONS, DESSÈCHEMENTS ET REBOISEMENTS RÉCEMMENT EFFECTUES EN FRANCE.
- Si le genre de notre journal l’eût permis, le vrai titre de ce court résumé statistique eut été : Un miracle. Les travaux de nos ingénieurs, souvent exécutés dans les régions les plus sauvages du pays, ne sont guère connus du public; de plus, si certains monuments, par les difficultés de leur exécution et l’évidence visible de leur rôle tutélaire, comme les phares et balises, ou parleur magnificence et leur hardiesse, comme certains ponts et viaducs, frappent les yeux et l’imagination, d’autres opérations plus simples qui ne produisent que des modifications graduelles dans l’état d’une vaste étendue, ne peuvent être appréciées que par la réflexion. Mais si nos sens ne peuvent en percevoir la grandeur, les chiffres qui expriment les résultats obtenus, parlent à notre pensée avec une si indiscutable éloquence que l’on reste frappé d’admiration pour la science qui procure de pareils bienfaits, et que l’on garde une profonde reconnaissance à ceux dont le savoir, long il acquérir, est ainsi utilisé pour le bien de tous, à concevoir et à exécuter ces travaux, sans avoir même la consolation de voir leur nom acclamé par la foule. Les ingénieurs du service hydraulique et agricole ont la conscience d’accroître la fortune publique, d’améliorer l’hygiène générale, d’augmenter la force vive du pays et c’est ià la récompense de leur tâche.
- La plaine du Forez, ne présentant pas assez de facilité pour l’écoulement des eaux, était devenu un foyer de pestilence, les fièvres de marais s’exhalaient des étangs qui la couvraient. En 1857, on s’est mis à l’œuvre pour dessécher les étangs, curer les cours d’eau, creuser des fossés d’écoulement et, en même temps que l’on faisait disparaître les eaux stagnantes, on amenait les eaux vives nécessaires à la création de prairies artificielles par un canal d’irrigation emprunté à la Loire et traversant la plaine du Forez. Les travaux ne sont terminés que sur le quart de la surface et voici le résultat obtenu : le petit bassin secondaire du ruisseau de la Mare est complètement assaini, les fièvres ont presque disparu; la dépense s’est élevée à 540 000 francs, la plus-value des terres est de quatre millions et demi. Le canal d’irrigation a été ouvert en tunnel ou construit en maçonnerie sur plus de six kilomètres; quand il sera fini il aura coûté sept millions, il permettra alors d’arroser 8000 hectares, auxquels il donnera une plus-value totale de vingt-auatre millions, soit 3000 fr. par hectare. — En outre le département gagnera 280000 fr. par an parla vente de l’eau
- Un travail d’irrigation analogue est en cours d’établissement dans la plaine de Toulouse, le canal de Saint-Martory (alimenté par la Garonne), irriguera 14 000 hectares. Avant l’irrigation l’hectare rapporte net 55 francs par an, avec l’irrigation 500 francs. Dans la vallée voisine de l’Estelle un canal d’irrigation a fait passer la valeur de l’hectare de 2500 à 7500 francs et son revenu de 80 à 350 francs. Le canal d’irrigation de la Baurne donnera à la plaine de Valence (Drôme) une plus value de trente millions.
- Ce qui précède est déjà admirable, mais ce qui suit tient du prodige. Les ingénieurs des ponts et chaussées, comme des génies tutélaires, font jaillir du rocher la source d’eau vive et changent en prairies fertiles les champs maudits.
- La Dombcs, au midi de Bourg-en-Bresse, était un de ces « pays maudits » ; les chemins toujours fangeux, entaillés de profondes ornières, ne permettaient pas aux attelages de transporter plus du quart de leur charge habituelle ; les étangs couvraient 49215 hectares épanchant la fièvre et la mort autour d’eux; les habitants robustes ne succombaient pas, mais restaient frappés d’infirmités qui en faisaient comme une race distincte, dans 21 communes la mortalité dépassait les naissances de 17 pour 100. En 1853, on entreprit la transformation du pays; 91 kilomètres de cours d’eau furent redressés, 289 kilomètres d’excellentes routes furent tracées, 32 puits publics d’eau potable furent creusés, 10462 hectares d’étang furent desséchés, le chaulage des terres prit de l’extension grâce à l’amélioration des chemins, et l’emploi de la charrue de Dombasle fit pénétrer la pluie et l’air dans le sol. Les résultats les voici : le froment a remplacé dans les champs le seigle et l’avoine, le trèfle croît sur l’emplacement des anciennes jachères, les prairies artificielles et la vigne remplacent les ferres en friche; aussi le fermage des terres qui oscillait entre 8 et 10 francs l’hectare varie aujourd’hui entre 50 et 100 francs. En 1857, la moitié dos habitants de la Dombes centrale (49 pour 100 exactement était atteinte par les fièvres, elles ont presque disparu. Dans les 16 communes qui composent ce pays, la mortalité annuelle est descendue de 8 à 5 sur 200 habitants, la population s’est élevée de 21 à 31 habitants par kilomètre carré. Enfin, la durée de la vie moyenne, qui se réduisait à vingt-cinq ans, s’élève à trente-cinq. Il résulte de l’augmentation du nombre des habitants et de leur vie plus longue une somme, une puissance de travail humain six fois plus grande qu’autrefois. La moyenne des réformés du service militaire s’élevait à 52 pour 100 ; elle est réduite à 9 pour 100 dans le plus mauvais canton. Que la science soit bénie !
- A l’ouest de la France, les landes de Gascogne offraient l’image du désert et de la stérilité; 2197 kilomètres de canaux d’assèchement ont été creusés, 291525 hectares ont été ensemencés de pins maritimes sur les propriétés de 162 communes, la dépense s’est élevée à neuf cent mille francs, la valeur créée à quatre-vingt millions appartenant aux communes; en outre 350000 hectares de forêts valant cent vingt cinq millions ont été créés parles particuliers ; la valeur totale des landes, qui était presque nulle, dépasse aujourd’hui deux cent cinq millions.
- Dans la baie de la Seine, des travaux d’endiguement de la Seine maritime, dont la dépense s’est élevée à dix-sept millions, il est résulté accessoirement la conquête sur la mer d’une superficie de 8365 hectares, qui vaudront, quand les 2077 encore en voie de formation auront aussi été transformés en prairies, trente-trois millions et demi.
- Nous n’ajouterons rien, tout commentaire est superflu en présence de pareils faits. Ch. Boissay. .
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- INFLUENCE DE LA FAMILLE
- SUR LA SANTÉ PHYSIQUE ET MORALE.
- Dans un précédent article, j’ai montré combien le mariage est généralement apprécié. J’ai montré, chiffres en main, que ceux qui en ont une fois essayé ne peuvent plus s’en passer, et se précipitent avec une ardeur sans pareille vers une nouvelle union. Dans tous les pays du monde, nous les avons vus se marier quatre ou cinq fois plus que les célibataires du même âge.
- Les veuves (surtout les jeunes veuves) ressemblent aux hommes sous ce rapport; pourtant, le mariage semble leur laisser des souvenirs moins agréables qu’aux hommes ; quoiqu’elles se marient plus souvent que les filles du même âge, cependant leurs mariages sont beaucoup moins fréquents que ceux des veufs.
- J’ai discuté les causes probables de ces singuliers phénomènes démographiques (sélection du mariage, etc.), et j’ai rappelé à leur occasion les travaux que mon père a publiés sur l’influence du mariage.
- Ce sont ces derniers résultats que je veux exposer aujourd’hui d’une façon plus complète.
- , Le diagramme 1 et 2 qui accompagne cet article représente, à chaque âge, la mortalité des garçons, des époux et des veufs. On y voit, en un coup d’œil, la loi générale qui gouverne la matière : c’est que (excepté pour le premier âge) :
- 1° Les gens mariés meurent moins' souvent que les garçons. Ainsi on voit sur la figure qu’un garçon de vingt-cinq ans a autant de chance de mourir qu’un homme marié de cinquante ans.
- 2° Les veufs meurent dans des proportions énormes : plus que les gens mariés, et même plus encore que les garçons. En sorte qu’un veuf de vingt-cinq à trente ans, par exemple, a autant de chance de mourir qu’un garçon de cinquante ans ou qu’un homme marié de cinquante-sept ans On voit que les différences sont considérables. Elles se retrouvent dans la vieillesse, mais moins considérables.
- 11 n’y a à cette loi qu’une exception : elle concerne les tout jeunes gens à qui le mariage ne vaut évidemment rien du tout. Dès qu’ils sont mariés, ils meurent cinq fois plus qu’auparavant. Deviennent-ils veufs? Le mal est pire encore, et leur mortalité devient effroyable.
- A présent passons aux femmes : Nous retrouvons pour elles la même loi générale, mais beaucoup moins tranchée. Les jeunes femmes, ayant à subir le premier accouchement, sont frappées plus souvent que les filles de leur âge. Et d’autre part les vieilles veuves (qui ont souvent une famille pour les soutenir), échappent aux causes de mort qui frappent les vieilles filles. Pourtant on voit qu’à presque tous les âges, l’avantage reste aux femmes mariées.
- En un mot, cette nouvelle étude du mariage nous fait aboutir à la même conclusion que notre premier article, c’est : 1° que le mariage est une excellente condition ; 2° qu’il est plus favorable aux hommes qu’aux femmes; elles se passent de nous plus facilement que nous ne nous passons d’elles.
- Remarquons, en effet, que ces recherches ont donné les mêmes résultats dans tous les pays où elles ont été faites. Le docteur Bertillon les a faites en France, dans les Pays-Bas et en Belgique, seules nations où elles fussent possibles à l’époque où son travail a paru. Depuis, la Suède, la fuisse, l’Italie, voyant combien cette étude est digne d’intérêt, ont réuni les documents nécessaires et ont abouti aux mêmes résultats.
- A Bruxelles on a fait mieux encore : M. Janssens, qui dirige, avec la science d’un statisticien consommé, « le service d’hygiène démographique » de cette capitale, a voulu savoir si la phtisie n’avait pas une grande part dans l’inégale mortalité des trois états civils. Il a trouvé des résultats très typiques qui montrent l’influence de la vie conjugale sur cette terrible maladie. Nous reproduisons, en les modifiant légèrement dans la forme, les diagrammes qu’il a exposés sur ce point au Pavillon des sciences anthropologiques (fig. 3 et 4).
- Ces diagrammes sont extrêmement remarquables. Ils montrent qu’à tous les âges la phtisie frappe doux fois plus les veufs que les autres hommes. Cette influence du veuvage est très constante, surtout pour le sexe masculin.
- On remarque en second lieu que les gens mariés sont généralement plus sujets à cette maladie que les célibataires. Cette seconde loi est constante poulies femmes.
- Pour les hommes, elle se vérifie avant vingt-cinq ans et après quarante-cinq ans. Mais pendant toute la seconde jeunesse (de 25 à 40 ans), nous voyons au contraire la vie de garçon amener une fréquence exagérée de la phtisie pulmonaire.
- En somme, ce tableau est assez favorable à la théorie de la transmissibilité de cette terrible maladie.
- Deux causes ont été invoquées par mon père pour expliquer cette série de phénomènes :
- 1° L’influence de la régularité de la vie conjugale. L’existence d’une famille crée, en effet, un contrôle qui force l’homme marié à mener une vie plus régulière et par suite plus saine au point de vue physique comme au point de vue moral. Nous verrons mieux encore tout à l’heure combien cette influence se fait énergiquement sentir ;
- 2° La sélection du mariage. Les époux se recrutent en effet dans la meilleure partie de la population, dans la partie la plus saine, la plus morale, la plus riche. Quoi d’étonnant si des individus ann triés meurent moins souvent que les autres ?
- L’explication est spécieuse, mais un instant de réflexion montre qu’elle n’est admissible que dans de très faibles limites. Car elle ne rend nullement
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