La Nature
-
-
- LA NATURE
- REVUE DES SCIENCES
- ET DE LEURS APPLICATIONS AUX ARTS ET A L’INDUSTRIE
- p.n.n. - vue 1/432
-
-
-
- LA NATURE
- ET DE LEURS APPLICATIONS AUX ARTS ET A L’INDUSTRIE
- «
- JOURNAL HEBDOMADAIRE ILLUSTRÉ
- ABONNEMENTS
- Paris. Un an......................... 20 fr. »
- — Six mois......................... 10 fr. »
- Union postai.e. Un an. . — Six mois
- Départements. Un an................ 25 fr. »
- — Six mois..................... 12 fr. 50
- 26 fr. » 15 fr. »
- Prix du numéro : SO centimes.
- LES VINGT-QUATRE VOLUMES PRÉCÉDENTS SONT EN VENTE
- i
- Imprimerie A. Laliure, rue deFleurus, 9, à Paris.
- p.n.n. - vue 2/432
-
-
-
- REVUE DES SCIENCES
- ET IIE LRURS APPLICATIONS AUX ARTS ET A L'INDUSTRIE
- JOURNAL HEBDOMADAIRE ILLUSTRÉ
- . HONORÉ PAR M. LE MINISTRE DE l’iNSTRÜGTION PUBLIQUE D’UNE SOUSCRIPTION POUR LES BIBLIOTHÈQUES POPULAIRES ET SCOLAI RES
- RÉDACTEUR EN CHEF
- GASTON TISSANDIER
- . TREIZIÈME ANNÉE
- 1885
- PREMIER SEMESTRE
- PARIS
- G. MASSON , ÉDITEUR
- LIBRAIRE DE L'ACADÉMIE DE MÉDECINE
- 120, BOULEVARD SAINT-GERMAIN
- Page de titre n.n. - vue 3/432
-
-
-
- ’--é/
- H.,;-:
- 0
- 0
- *
- 'k..
- -s*-
- «
- «
- «
- i
- p.n.n. - vue 4/432
-
-
-
- 13* ANNÉE. — N° 601.
- 6 DÉCEMBRE 188 4.
- LA NATURE
- REVUE DES SCIENCES
- ET DE LEURS APPLICATIONS AUX ARTS ET A I/1NDU
- TÉLÉGRAPHIE
- ET TÉLÉPHONIE SIMULTANÉES
- PAR LES MÊMES FILS SYSTÈME VAN R YS SE LU E R GIIE
- 11 y a quelques années, aux débuts du téléphone, alors que l’admirable découverte de Bell, mise en doute par les uns, était niée par les autres, si quelqu’un était venu annoncer qu’il serait bientôt possible de télégraphier et de téléphoner simultanément par les mêmes fils, ce n’est plus du doute ni de l’incrédulité, mais une pitié profonde qui aurait accueilli le trop hardi novateur.
- Et cependant, le problème si incroyable qu’il paraisse, est aujourd’hui entièrement résolu ; la téléphonie et la télégraphie simultanées, créées de toutes pièces par M. Van Rysselberghe, constitue un système qui fonctionne aujourd’hui d’une manière courante en Belgique, et des essais vont être entrepris sur la ligne du Havre à Rouen. Nous croyons donc utile d’en entretenir de nouveau nos lecteurs1 ; nous ferons connaître les derniers perfectionnements du système, en prenant pour guide le constructeur même des appareils, M. Charles Mourlon.
- Le problème résolu par M. V. Rysselberghe peut se résumer en ces termes :
- Étant donnée une ligne conductrice terminée à chacune de ses extrémités par un système télégraphique et un système téléphonique, relier convenablement ces différents appareils de façon que le téléphone et le télégraphe puissent fonctionner simultanément et indépendamment l’un de l’autre, mais en faisant usage de la ligne unique et commune, ligne que nous supposerons toujours à deux fils, pour rendre la communication téléphonique plus parfaite. La première question à résoudre a été de donner aux courants destinés aux transmissions télégraphiques un caractère tel qu’ils n’influencent pas le récepteur téléphonique. Voici sur
- 1 Voy. n° 563 du 15 mars 1884, page 245.
- 13* anué«. — 1er semestre.
- quel fait très simple s’est appuyé l’inventeur pour résoudre ce problème :
- Lorsqu'on enlève la brusquerie des émissions et des extinctions de courants, ceux-ci deviennent inaudibles au téléphone.
- Aux courants brusques il substitue pour le télégraphe des courants graduels, c’est-à-dire des courants qui vont crescendo en commençant et decrescendo en finissant. Cette graduation, qui a lieu dans une durée inappréciable, s’obtient par l’intercalation dans le circuit de petits électro-aimants graduateurs, ou encore en mettant sur la ligne des condensateurs faisant l’office de dérivateurs, ou, enfin, si Ton veut obtenir des résultats plus parfaits, en combinant des électro-aimants avec des condensateurs.
- Condensateurs et électro - aimants agissent ici comme réservoirs, absorbant une certaine quantité d’électricité, quantité qu’ils restituent à la rupture du circuit.
- Pour bien comprendre le fonctionnement de ces appareils, servons-nous d’une comparaison donnée par l’inventeur :
- « Ces électro-aimants et ces condensateurs sont à l’égard des courants électriques ce que sont les réservoirs à air dans les pompes à incendie ; ce sont des poches qui se remplissent et qui se vident graduellement, enlevant ainsi toute brusquerie dans les changements de pression électrique. »
- Sous l’influence de courants gradués de cette façon, la membrane du téléphone fléchit bien encore, mais elle ne vibre plus : dès lors, elle ne donne plus de son au passage du courant télégraphique.
- En d’autres termes, les courants télégraphiques deviennent complètement silencieux, inaudibles, qu’ils soient directs, induits ou dérivés.
- Dès lors que l’on applique, d’une manière générale, à tous les télégraphes de l’Europe*cette combinaison d’un condensateur avec un électro-aimant qui forme la caractéristique de l’invention de M. Van Rysselberghe, et, à l’instant, tout le réseau européen deviendra silencieux. Alors on pourra non seulement organiser la téléphonie de ville à ville par des fils attachés aux mêmes poteaux que les fils télégra-
- 1
- p.1 - vue 5/432
-
-
-
- O
- LA NATURE.
- phiques, mais utiliser ceux-ci eux-mêmes pour la téléphonie. Ceci, bien entendu, en complétant lé~ système anti-inducteur par un dispositif qui assure l’indépendance des deux services ; en d’autres termes, en établissant entre la ligne télégraphique et l’embranchement téléphonique une séparation telle qu’elle livre passage aux courants rapides ondulatoires et peu intenses de la téléphonie, mais qu’elle barre le passage aux courants du télégraphe qui sont de nature essentiellement différente.
- Cette séparation, c’est encore par une comparaison émanée de l’inventeur que nous tâcherons d’en rendre compte. « Ainsi, a dit M. Yan Rvsselberghe, le soleil nous envoie sumultanément de la chaleur et de la lumière, deux mouvements vibratoires qui affectent nos sens de manière différente. Or, que l’on couvre d’une couche de peinture noire le vitrage d’une serre exposée au soleil, la lumière ne passera plus, mais la chaleur passera toujours. D’autre part, qu’on reçoive un rayon solaire sur une solution d’alun, cette fois, c’est la lumière qui passe tandis que la chaleur est*absorbée. »
- De même, il suffît d’un condensateur de faible capacité pour barrer le passage aux courants du télégraphe, tout en transmettant intégralement les courants ondulatoires de la téléphonie.
- Il n’est donc pas nécessaire, pour obtenir des transmissions simultanées, d’avoir recours à des téléphones ou des microphones spéciaux. Une fois le télégraphe approprié, à l’aide de graduateurs et de condensateurs séparateurs, on peut parler et écouter avec des téléphones et des microphones quelconques. Les bruits du télégraphe sont d’autant plus éteints que le système graduateur a été appliqué d’une façon plus ou moins générale sur le réseau. Mais si la transmission téléphonique se fait avec un système quelconque, sa qualité et sa puissance dépendent de la valeur de perte téléphonique dont se servent les interlocuteurs.
- On sait que dans les transmetteurs à charbon ou microphones, la reproduction électrique de la voix humaine a lieu par les variations de résistance qu’éprouvent les contacts en charbon sous l’influence des vibrations qui agitent la membrane-diaphragme ou planchette du microphone. Or les recherches de M. Yan Rysselberghe et les expériences faites par lui l’ont amené à la confirmation de ce résultat indiqué d’ailleurs par le calcul, que les variations de la résistance des contacts ont d'autant plus de valeur relative et que les variations du courant qui en résultent sont d'autant plus considérables que la résistance totale du circuit est plus faible.
- Il en résulte que M. Van Rysselberghe recommande, pour produire le courant inducteur, une source électromotrice à résistance intérieure extrême^-ment faible.
- On emploiera donc avec grand succès les éléments secondaires ou accumulateurs et les piles thermoélectriques.
- En général, toute pile à résistance intérieure très
- faible donne de bons résultats. C’est ainsi que l’inventeur recommande l’emploi des piles Leclanché à plaques agglomérées à grande surface de 180 millimètres de longueur et 70 millimètres de largeur, avec grand cylindre en zinc.
- Il faut également diminuer la résistance du microphone, ce qu’on obtient à l’aide de contacts multiples disposés en quantité, et employer une bobine d’induction dont le fil inducteur relié en circuit avec le microphone et la pile ou l’accumulateur a lui-même une très faible résistance.
- Enfin, on conçoit que, pour l’appel d’un poste téléphonique à un autre ou d’un bureau central à un autre, il n’est pas possible, lorsque le téléphone emprunte les fils du télégraphe, de se servir ni de sonneries trembleuses actionnées par la pile, ni de sonneries électromagnétiques appelées communément Magnéto Calls, car les courants engendrés par ces deux appareils ne manqueraient pas de contrarier le travail du télégraphe. Il faut donc avoir recours aux appareils téléphoniques eux-mêmes et tâcher qu’ils produisent un appel suffisant pour être entendu, quelle que soit la distance du bureau téléphonique avec lequel on désire communiquer.
- Il était même indispensable pour un service, important que les appels fussent visibles, c’est-à-dire qu’un numéro d’annonciateur apparût à chaque appel et établit l’identité du fil sur lequel l’appel s’est produit.
- M. Yan Rysselberghe a résolu d’une manière très heureuse ce problème délicat en appliquant et en développant des idées qui lui ont été suggérées par M. Sieur, fonctionnaire supérieur de l’administration des télégraphes français. Et actuellement, qu’il s’agisse d’un appel par fil exclusivement téléphonique ou qu’il s’agisse de demander la communication par fil téléphono-télégraphique, la manœuvre est la même.
- Tels sont les principes généraux d’un système encore nouveau, puisque les premières expériences basées sur la graduation des courants par des condensateurs ne datent que du 28 février 1882. La première expérience de télégraphie et de téléphonie simultanées par un seul et même fil eut lieu entre Bruxelles et Paris (355 kilomètres), le 16 mai 1882 ; et le 9 juin de la même année, on pouvait téléphoner et télégraphier de Bruxelles à Douvres, en passant par Ostende, et franchissant ainsi pour Ja première fois 125 kilomètres de ligne aérienne et 100 kilomètres de câble sous-marin.
- Il y a quelques mois, les fils du télégraphe de Bruxelles à Ostende ont été disposés pour que le roi et la reine des Belges puissent entendre, de leur chalet bâti au bord de la mer, les opéras exécutés sur la scène du Théâtre Royal de la Monnaie à Bruxelles, et cela sans déranger en quoi que ce soit le service télégraphiquei Le succès a été complet, et le 5 septembre 1884, on a pu entendre à Ostende le premier et le dernier acte de Faust, et, le 7 septembre, tout l’opêfa des Huguenots.
- p.2 - vue 6/432
-
-
-
- LÀ NATURE.
- Le 27 septembre, le système de M. Van Ryssel-berghe est passé dans la pratique; à partir de cette date, en effet, le service a été ouvert entre Bruxelles et Anvers, et les abonnés au téléphone ont pu causer gratuitement entre eux et à titre d’essai. Par décret du 17 octobre dernier, le service pour les communications payantes entre les deux villes a été réglé et le service ouvert le 20 octobre. Nous en avons fait connaître les conditions principales dans un précédent numéro, et nous avons indiqué les principales villes auxquelles ce système de communication serait prochainement étendu.
- C’est un succès dont nous ne saurions trop vivement féliciter M. Van Rysselberghe, et nous formulons le vœu qu’il ne nous soit pas donné d’en attendre trop longtemps le bénéfice matériel, si, comme on est en droit de l’espérer, les expériences entre Rouen et Le Havre donnent de bons résultats.
- Ed. Hospitalier.
- ÉTUDES
- SUR LES MARINES DE L’ANTIQUITÉ1
- BATAILLE DE DRÉPANE (249 ans avant J.-C.)
- Lorsqu’on étudie l’histoire de la première guerre Punique, et qu’on cherche à se rendre compte des opérations maritimes qui ont eu, sur l’issue de la lutte, une si grande influence, on est frappé du désaccord qui à chaque page se révèle entre les éléments du drame dont on suit les phases. Les ports ne contiennent pas les flottes ; la durée des jours ne suffît pas aux manœuvres décrites; les effectifs sont hors de toute proportion avec la population des deux républiques; la puissance de production de chantiers à peine créés dépasse celle de tous les arsenaux réunis de l’Europe.
- La critique historique est impuissante à expliquer ces contradictions ou à rectifier ces erreurs. Une seule version existe, répétée par les auteurs anciens avec quelques variantes, acceptée par les auteurs modernes avec un ensemble qui prouve l’unité de l’origine bien plus que la fidélité des récits.
- La critique technique nous enferme dans un dilemme. Ou bien il faut croire que les Romains étaient des êtres surnaturels, ce qui n’ajouterait rien à leur gloire, ou bien que Polybe n’a pas voulu repousser des traditions trop flatteuses pour l’orgueil du peuple dont il était l’hôte involontaire et l’admirateur passionné.
- Si, après avoir constaté l’erreur, on en cherche la cause, si on accepte tout ce qui est vraisemblable en n’éliminant que les faits contradictoires, si on se propose de réduire au minimum les doutes qu’il faut subir, et les négations auxquelles on est inévitablement conduit, on reconnaît que toute la diffi-
- 1 Voy. n° 590 du 20 septembre 1884, p. 250.
- culté se résume dans une seule question qui est du domaine de l’archéologie navale.
- Est-il ou n’est-il pas vrai que les quinquérèmes construites par les Romains lorsqu’ils entreprirent de créer une flotte étaient des navires portant de 400 à 500 hommes d’équipage, déplaçant 500 tonneaux, analogues a ces pentères grecques que nous avons vu figurer à la bataille de Chio?1 A cet égard Polybe est explicite, et il faut oq discuter sa compétence, ou croire, comme Enneus Florus, à l’intervention des dieux2.
- Lorsqu’on entreprend de restituer les galères qui furent victorieuses à Mylcs et à Ecnôme on ne trouve aucun des documents positifs qui ont permis de faire revivre la trière athénienne3 et en même temps, par induction, les types qui l’ont précédée et suivie. On sait que les premières galères romaines ont été imitées de celles des Carthaginois, nation de marchands qui dominait sur tout le bassin ouest de la Méditerranée4; on sait qu’elles ont été construites et armées, en nombres immenses, en très peu de temps, par un peuple qui ne possédait ni chantiers, ni outils, ni approvisionnements ; on connaît leurs navigations et leurs prouesses ; on peut encore étudier la configuration des rivages où des flottes ont été halées à terre sans préparatifs. C’est assez, en procédant par exclusion, pour établir les caractères généraux des navires qui ont figuré dans la première guerre Punique. En synthétisant ces caractères par un devis et un tracé on arrive au bateau dont l’image est ici reproduite (fig. 1), c’est une barque pontée de 20 mètres de long, de 45 tonneaux de déplacement, ayant un équipage normal de 70 hommes. Son appareil de propulsion se compose de 5 grandes rames de chaque bord ; c’est une construction qui rappelle à la fois la balancelle espagnole, la tartane ligurienne et cette galère héraldique que les peintres et les sculpteurs ont sans doute empruntée à quelque tradition lointaine.
- Sans vouloir entrer dans des détails qui ne seraient pas à leur place, sans prétendre à une exactitude que le sujet ne comporte pas, j’opposerai, cette quinquérème à la pentère à 300 rameurs décrite par Polybe; je les mettrai en regard dans un récit emprunté à Polybe lui-même. C'est un des plus clairs et des plus intéressants de son histoire.
- 1 Voy. n° 588 du 6 septembre 1884, p. 210 et n° 590 du 20 septembre, p. 250.
- * Le savant archéologue Graser donne à la pentère du temps d’Alexandre le Grand un déplacement supérieur à 500 tonneaux. On peut, en acceptant un chiffre d équipage de 470 hommes (Polybe) et des conditions analogues à celles de la trière athénienne, faire le devis d’une pentère déplaçant 300 tonneaux. Avec du bois vert et des charpentiers novices, le déplacement de 500 tonneau^ serait un minimum.
- 3 Voy. n°503 du 20 janvier 1883, p. 119.
- * Il paraît certain que les Carthaginois avaient deux espèces de galères : les unes, c’était le grand nombre, propres aux expéditions, au commerce, à la navigation à la voile dans le bassin de la Méditerranée ; les autres, du type grec, beaucoup plus rapides. C’est avec une de ces dernières qu’Annibal le Rhodien forçait le blocus de Lilybée.
- p.3 - vue 7/432
-
-
-
- 4
- LA NATURE
- Bataille de Drépane. — Depuis plus d’un an les Romains avaient mis le siège devant Lilybéc (Mar-sala). Drépane (Trapani) et Lilybée étaient les seuls ports qui restassent aux Carthaginois en Sicile. Us tenaient d’autant plus à la possession de cette dernière ville que la nature l’a dotée d’un port excellent, facile à défendre et très bien disposé pour l’usage das galères. Annibal, fils d’Amilcar, avait été envoyé au secours de la place, des combats meurtriers avaient été livrés entre les deux armées. Les assiégés avaient tenté vainement, à plusieurs reprises, de détruire les machines des assiégeants ; mais un jour il s’éleva une tempête violente qui favorisa leurs desseins ; ils
- tirent une sortie et après un combat acharné où l’armée romaine fit de grandes pertes, les ouvrages furent renversés, les machines brûlées et les murailles de Lilybéc purent être reconstruites.
- Polybe, liv. I, paraphrase (fig. 2 et lig. 3). « Lorsqu’on apprit à Rome, par des messages répétés, que la plus grande partie des équipages de la llotte avaient péri, soit à la défense des machines, soit dans les autres opérations du siège, on s’empressa de faire une levée de matelotsi, et on en envoya 10 milles en Sicile. Ils traversèrent le détroit et se rendirent au camp par la voie de terre. Aussitôt qu’ils furent arrivés le consul Publius Claudius
- Fig. 1 — Une quinquérème romaine à l’époque de la bataille de Drépane.
- convoqua les tribuns; il leur dit que l’occasion était favorable pour aller attaquer Drépane avec toute la flotte, qu’Àdherbal, général des Carthaginois, auquel la défense de la ville était confiée, devait se croire à l’abri de toute entreprise; que, ne sachant pas que les Romains avaient reçu des renforts, il les croyait, sans doute, incapables, après les pertes qu’ils avaient subies, de sortir avec leurs vaisseaux. Les tribuns partagent l’avis du consul : on arme les galères avec les anciens et les nouveaux équipages ; les volontaires pris parmi les meilleurs soldats de l’armée, séduits par l’espoir d’un riche butin après une courte navigation, s’y embarquent également.
- « Tout étant ainsi disposé, la flotte romaine appareille au milieu de la nuit à l’insu des Carthagi-
- nois, elle suit le rivage en silence laissant la terre à droite. Au point du jour les galères d’avant-garde sont aperçues de Drépane ; Adherbal très surpris de leur arrivée, mais se rendant compte immédiatement des desseins du consul, prend la résolution de tout risquer avant de laisser mettre le siège devant la ville; il rassemble à la hâte les matelots sur le rivage, il envoie des héraults dans tous les quartiers pour convoquer les mercenaires ; aussitôt qu’ils sont réunis, il les harangue ; il leur fait comprendre en quelques mots que, s’ils veulent combattre, ils peu-
- 1 II faut entendre ici par matelots des hommes destinés aux divers services du bord et notamment au service de la vogue, à l’exclusion des soldats qui, en général, étaient seulement combattants.
- p.4 - vue 8/432
-
-
-
- LA NATURE
- o
- vent compter sur la victoire, tandis que, s’ils reculent devant le danger présent, ils s’exposent à toutes les misères d’un siège. Tous se montrant pleins d'ardeur et demandant à être conduits à l’ennemi,
- Adherbal les félicite, leur ordonne de 's’embarquer et de suivre sa galère ; aussitôt il appareille et conduit sa Hotte sous les rochers qui bordent l’entrée du port du côté opposé à celui par lequel les Romains commencent à y entrer.
- « Le consul Publius voyant que les Carthaginois, contrairement à ses prévisions, n’étaient ni surpris ni effrayés de son arrivée, et qu’ils se disposaient à combattre, donna l’ordre à ses galères, dont les unes étaient déjà dans le port, dont les autres faisaient route pour y arriver, de virer de bord et de gagner le large. Il en résulta qu’entre celles qui avaient franchi la passe et celles qui y étaient engagées il y eut une grande confusion suivie non seulement clc désordre parmi les équipages, mais d’avaries dans les rames.
- Cependant les capitaines, à mesure que les navires se dégageaient les faisaient mettre en ligne le long du rivage l’éperon tourné vers l’ennemi. Publius, dans son ordre de marche, s’était mis au dernier rang ; il s’en suivit qu’après la formation qu’il avait ordonnée il se trouva à l’extrémité de l'aile gauche.
- « Adherbal ayant pris 5 galères de grande marche déborde la gauche de l’armée romaine, puis il range ses galères en ligne de front au large ; en même temps il fait porter l’ordre à
- tous les navires qui le suivent d'imiter sa manœuvre. Aussitôt que toute sa flotte est ainsi formée il signale de s’avancer contre l'ennemi. Pendant ce temps les
- Romains restaient le long du rivage, attendant la sortie du port de leurs dernières galères. De là il résulta que la flotte romaine acculée à la côte combattit avec un grand désavantage.
- « Dès que les deux lignes se furent rapprochées les galères prétoriennes hissèrent leurs pavillons et le combat commença. Au début la lutte fut assez égale entre des soldats qui étaient l’élite des deux armées ; mais bientôt les Carthaginois occupant une meilleure position, l’avantage commença à se déclarer pour eux ; ils l’emportaient en vitesse et en facilité dévolution à cause de la légèreté de leurs carènes, de l’expérience et de l’habileté de leurs rameurs; puis ils étaient dans de tout autres conditions : ayant formé leur ligne
- de bataille du côté du large, les galères trop engagées se retiraient facilement sur l’arrière de cette ligne, à cause de leur vitesse S tandis que les galères romaines, lorsqu’elles s’élançaient en avant à la poursuite d’un adversaire, et qu’il fallait ensuite reculer pour éviter les attaques obliques des ennemis qui les entouraient, tombaient en travers, et dans cette position, lourdes, mal manœu-vrées, elles recevaient des chocs qui finissaient par les couler. Un grand nombre périt de là sorte.
- 1 II faut sc souvenir qu’une des facultés essentielles de la
- —- 38°
- Fig. 2. — Carte pour servir à l’histoire de la bataille |de Drépnne.
- Fig. ü. — Ordre de bataille des armées romaine et carthaginoise.
- A. Galères d'Âdherbal. — Galères de P. Claudius. — Les galères de l’avant-garde romaine, achèvent de sortir du port ; la Hotte se range en ligne de front, le long de la côte dont elle suivait le bord. Les galères d’Adherbal, sorties en suivant la ligne ponctuée, sont venues se former en ligne de front, parallèlement au rivage. Sur l’arrière de la ligne de bataille se trouvent quelques galères eu serre-file.
- p.5 - vue 9/432
-
-
-
- 6
- LA NATURE.
- « Pour les Carthaginois il en allait tout autrement : si un- de leurs navires était en danger, ses voisins lui venaient en aide et le hâlaient vers le large ; quant aux Romains ils combattaient trop près de terre pour pouvoir reculer ; lorsqu’une galère était chargée de front et poussée par la proue, elle s’échouait de l’arrière ou se brisait sur les récifs de la côte. Le passage à travers la ligne, l’attaque après inversion des navires déjà engagés, manœuvres si importantes et si efficaces, les Romains ne pouvaient les tenter, à cause de la lourdeur des carènes et de l’inhabileté des rameurs; ils ne pouvaient non plus porter secours à ceux qui étaient trop pressés en leur passant à poupe, attendu qu’ils étaient trop près du rivage, et qu’il n’y avait pas de place entre eux et la terre.
- « Le consul voyant la bataille perdue, la plupart de ses galères soit échouées sur des bancs, soit jetées à la côte, s’échappa avec 30 vaisseaux de son aile gauche en rasant la plage. Les Carthaginois prirent tous les autres au nombre de 93 avec leurs équipages dont quelques hommes seulement se sauvèrent en sautant à terre après l’échouage de leurs navires. »
- Le récit qu’on vient de lire peut être complété comme il suit : Les Romains ayant fait des pertes telles qu’il leur était impossible soit de continuer le siège de Lilybée, soit de menacer Drépane, avaient cessé toute opération aggressive et avaient hissé leurs quinquérèmes à terre dans le voisinage de leurs camps AA (fig. 2), de telle sorte qu’elles fussent à l’abri du mauvais temps et des entreprises d’Adher-bal. Dans cette situation P. Claudius reçoit un secours de 10000 hommes; on peut supposer que, sur ces 10 000 hommes levés à la hâte, non amarinés et venus par terre, il s’en trouva 6000 prêts à s’embarquer dès leur arrivée. A ces 6000 hommes il ajoute 3000 matelots des anciens équipages et 3000 soldats d’élite; il compose avec ces 12 000 hommes l’armement de 123 galères qui se trouvent ainsi avoir des effectifs complets et des épibates supplémentaires. Le soir venu il fait mettre sa flotte à la mer; il part à 1 heure du matin du point A' côtoyant le rivage et marchant lentement. Ses navires sont formés, suivant la coutume des anciens, en ligne de file par pelotons. Les pelotons étant de 4 galères et l’intervalle des pelotons étant de 80 mètres, distance minimum permettant le passage de la ligne de file à la ligne de front, la longueur de la colonne est de 2800 mètres, soit un mille et un tiers.
- A 5 heures du matin, la vitesse ayant été de 2 nœuds (3700 mètres à l’heure), l’avant-garde est en B à 5 milles de Drépane : à ce moment elle est aperçue par les Carthaginois, Adherbal prend aussitôt ses mesures, il réunit les équipages, fait mettre à la mer celles de ses galères qui sont halées au sec, convoque les mercenaires dispersés dans la
- galère de combat bien aimée était de reculer très vite, en renversant la vogue, dans toute direction voulue.
- ville. A 7 heures il appareille, range les murailles de la ville et se dirige sur Columbaja (E), île rocheuse qui couvre l’entrée du port. Pendant ce temps les galères romaines ont augmenté de vitesse ; à 7 heures l’avant-garde donne dans le port P en laissant à gauche Pilot I (fig. 2). P. Claudius qui est à l’arrière-garde voit le mouvement de la flotte d’Ad-herbal ; il en comprend la portée ; il ordonne à ses galères de virer à bord, et il essaye de les mettre en bataille. Le combat se livre le long de la ligne II (fig. 2) dans les conditions et avec le résultat que nous connaissons.
- Tout cet ensemble de faits se tient admirablement; la vraisemblance en est parfaite, mais à la condition que les quinquérèmes de l’une et l’autre flotte ne ressemblent en rien à celles dont Polybe, dans son chapitre sur la bataille d’Ecnôme, a donné les effectifs. En effet, si chaque quinquérème est montée par près de 500 hommes, le consul n’en a pas armé 123 avec moins de 60 000 matelots et soldats y compris les volontaires. Les 10 000 recrues venues de Rome eussent été un bien faible appoint, et Adherbal n’eût pas vécu dans la confiance que lui supposait P. Claudius. D’un autre côté, si des quinquérèmes de cette dimension eussent été halées à terre, il ne les aurait pas mises à l’eau sans préparatifs et sans la connaissance des Carthaginois.
- Quant à ces derniers qui, suivant Phistorien grec, étaient de la même force que les Romains, il est clair qu’en 2 heures ils n’auraient pas jeté 50 000 hommes sur des galères qui, même en les supposant à flot, ne pouvaient être armées rapidement, leur tirant d’eau ne permettant pas de les accéder sans l’aide d’embarcations. De quelque façon qu’on envisage l’opération contre Drépane, tout est simple et facile si les quinquérèmes sont des barques; tout est impossible si ce sont des bâtiments de haut-bord.
- La comparaison des circonstances de la bataille de Chio avec celles de la bataille de Drépane rend ces conclusions encore plus saisissantes. A Chio nous voyons aux prises de vieilles marines, des flottes créées par des industries séculaires. Si les cata-phractes d’Attale, de Philippe et de Rhodes étaient des barques, le récit de Polybe n’a plus de sens; à Drépane, au contraire, comme à Myles, comme à Ecnôme, nous trouvons des essaims dont la construction, les mouvements, les entreprises ne sont compréhensibles que si l’unité est petite.
- Reste une difficulté : Polybe a parlé et aucun historien n’a récusé son témoignage1. Polybe a dit que les Romains avaient débuté dans les constructions navales par des pentères portant 300 rameurs et 120 soldats, qu’ils en avaient bâti et armé jusqu’à 220 en trois mois ; que le champ de bataille d’Ecnôme avait vu 700 galères et 300 000 combattants. Sommes-nous tenus de le croire? un grand historien est-il de droit infaillible? * Pour moi, je pense qu’il
- * Polybe écrivait un siècle après la bataille de Drépane.
- 2 Voltaire a écrit que la France, après les désastres du
- p.6 - vue 10/432
-
-
-
- LA NATURE.
- 7
- y a des erreurs qu’il faut combattre, de quelque nom qu’elles soient signées. Pour admirer il faut comprendre, et les grands exemples ne sont utiles qu a ceux qui croient à la possibilité de les suivre.
- Contre-amiral Serre.
- GRANDE EXPÉRIENCE
- DE LUMIÈRE ÉLECTRIQUE
- EXÉCUTÉE A NEW-YORK.
- PROMENADE ÉLECTRIQUE AUX FLAMBEAUX
- L’Amérique est le pays du progrès, de la rapidité, et souvent aussi de la réclame. Qu’il s’agisse d’un nouveau produit ou d’une candidature à une fonction élective, tous les procédés sont bons pour faire ressortir le produit ou le candidat, et forcer l’attention du gros public.
- Il n’est donc pas étonnant que l’électricité, avec ses résultats nouveaux, imprévus ou merveilleux, ait été mise à contribution dans des circonstances que l’originalité des procédés mis en œuvre nous engage à faire connaître avec quelques détails, à nos lecteurs.
- Dans les deux exemples que nous allons citer, la lampe Edison a été le moyen d’action employé pour éveiller l’attention publique. Dans le premier cas, pour les intérêts de la lumière Edison elle-même, dans le second, pour ceux d’un candidat à la présidence de la République des Etats-Unis.
- A l’Exposition d’électricité de Philadelphie, la Compagnie Edison exposait son système d’éclairage électrique à côté d’autres concurrents, et faisait distribuer des prospectus. Pour assurer un débit sérieux à ces prospectus, elle imagina de les faire distribuer par un grand diable de nègre coiffé d’un casque surmonté d’une lampe à incandescence, comme le représente la figure 1 que nous empruntons au Scientifie American. Cette lampe était reliée à deux conducteurs dissimulés sous les vêtements et se terminant à deux plaques de cuivre placées sous les talons des bottes du distributeur. On avait disposé tout autour de l’espace réservé à l’exposition d’Edison, un certain nombre de plaques de cuivre de dimensions convenables, en relation avec les deux bornes de la dynamo faisant le service de l’éclairage.
- En se plaçant au-dessus de deux de ces plaques, le nègre pouvait à volonté ouvrir ou fermer le circuit de la dynamo sur la lampe qui surmontait son casque et produire son extinction ou son allumage instantanément, par un mouvement tout à fait imperceptible, et tout en conservant les mains libres
- milieu du dix-huitième siècle, ne possédait plus qu’un seul vaisseau. Au moment où il affirmait ee fait, les archives du Ministère contenaient (elles contiennent encore) les noms et les états des 26 vaisseaux de ligne à flot et de 26 autres en construction Ce n’est pas de notre temps que la marine a commencé à être mal connue.
- pour distribuer ses prospectus. Plusieurs personnes nerveuses, nous apprend notre confrère de New-York, étaient désagréablement impressionnées par l’apparition soudaine de cette lumière inattendue, mais la foule qui entourait le nègre, était parfois si grande qu’il était souvent obligé de se déplacer pour rétablir la circulation.
- On a proposé, comme perfectionnement, de placer les plaques métalliques sous un tapis, et de munir les talons de pointes qui seraient venues en contact avec les plaques en perçant le tapis, de sorte que chaque pas du distributeur aurait produit un éclair. Le temps aura sans doute manqué pour réaliser ce perfectionnement. Cette simple exhibition — qui n’était qu’un amusement — a cependant été prise au sérieux par quelques gens de la campagne (l’expression est du Scientific American) qui se sont informés avec sollicitude du prix de revient d’une semblable application; c’était, à leur avis, justement ce qui leur était nécessaire pour se promener autour de leur maison !
- Arrivons à la seconde expérience exécutée à New-York dans la soirée du 31 octobre dernier ; elle constitue un spectacle original, unique et sans précédent dans l’histoire des illuminations et des promenades aux flambeaux. En Amérique, ces promenades aux flambeaux sont l’adjuvant nécessaire, indispensable d’une campagne présidentielle, et leur organisation met en œuvre le génie inventif de tous les meneurs de l’élection ainsi que celui de tous les partisans enthousiastes du candidat.
- Au point de vue scientifique, l’expérience aussi mémorable que curieuse, dont il s’agit, montre qu’une installation électrique, complète jusque dans ses plus petits détails, et en plein fonctionnement, peut être déplacée tout d’une pièce, sous forme d’une procession, malgré les inégalités du pavage, et fonctionner sans que le courant soit interrompu, sans que les lampes subissent la moindre variation d’éclat, ce qui montre à quel degré de perfection la machinerie électrique est aujourd’hui parvenue.
- Cette manifestation a été produite par l’Edison Electric Lighting Company de New-York, aux frais de ses propres employés, associés aux partisans du candidat dont notre confrère ne nous fait pas connaître le nom, lacune qui s’explique par le point de vue purement scientifique et curieux auquel il se place, le seul qui ait d’ailleurs pour nous quelque intérêt.
- Sur l’avant d’un grand chariot était placée une machine dynamo d’Edison, — type de 200 ampères, — et sur l’arrière, un moteur à vapeur de 40 chevaux de la New-York Safety steam Power C°. Une courroie transmettait le mouvement de la ma-
- chine à vapeur à la dynamo.
- La vapeur était fournie par une chaudière de pompes à incendie à vapeur; on sait combien ces chaudières se mettént rapidement en pression et sont puissantes par rapport à leur volume. La chaudière, fixée sur le chariot, à l’arrière, était reliée à la
- p.7 - vue 11/432
-
-
-
- 8
- LA NATURE.
- machine par deux tuyaux, l’un pour l’arrivée de vapeur, l’autre pour l’échappement ; ce dernier était muni d’un robinet à trois voies, à l’aide duquel la vapeur pouvait, soit s’échapper à l’air libre, soit dans la cheminée de la chaudière, pour activer le tirage. La chaudière était munie de deux voitures portant des réservoirs en tôle renfermant ensemble quatre mètres cubes d’eau environ et reliés à la chaudière par des manches à eau, et de deux autres voitures portant le charbon.
- Les machines étaient traînées par six chevaux attelés en tandem, guidés simplement par la parole du conducteur.
- D’un commutateur disposé sur le chariot, partaient quatre conducteurs, deux reliés à une riot et deux autres de l’autre côté. Cette corde qui avait 1200 pieds (400 mètres de long) entourait le groupe des manifestants; elle formait un carré vide au centre, et dans lequel se tenaient les voitures. Sur cette corde, de cinq en cinq pieds (lm,50) était une sorte de prise de courant convenablement disposée, d’où partaient deux fils souples reliés aux bornes d’une lampe fixée sur un casque porté par un proces-sionniste. Les colliers des chevaux étaient également garnis de lampes, et il y en avait 24 disposés sur le chariot portant la machine, soit en tout près de 300 lampes promenées par 250 manifestants, disposés en carré et formant l’ensemble représenté figure 3.
- La figure 2 montre un homme isolé, tenant en main la corde et les conducteurs, indiquant les dispositions du système. Le conducteur de la
- Fi". 1. — Le nègre électrique d’Eilii-ou à l’Exposition de Philadelphie J Lampe à incandescence sur la tête d'un distributeur de prospectus. (D’après une gravure américaine.)
- corde d’un côté du cha-
- Fig. 2. — Disposition des conducteurs dans la promenade électrique aux flambeaux, exécutée à New-York et représentée fig. 3.
- manifestation était à cheval ; il portait une lampe de 200 candies fixée au bout d’une lance.
- Pendant la plus grande partie de cette promenade électrique d’un nouveau genre, toutes les parties de cette immense installation mobile ont parfaitement fonctionné. la lumière était intense et magnifique, éclairant à profusion chaque recoin des rues qu’elle traversait. Mais au milieu de son parcours, il se produisit une extinction accidentelle totale due à un engorgement du tuyau reliant les réservoirs d’eau à la chaudière. L’accident fut vite réparé et la procession put reprendre sa promenade triomphante, au milieu des cris de surprise et des applaudissements qu’elle provoquait. Nous ne saurions dire si cette manifestation originale a contribué à augmenter le nombre de voix du candidat en faveur duquel elle était organisée, mais elle a certainement servi à populariser encore l’élairage électrique, déjà si répandu en Amérique; elle constitue une expérience curieuse et mémorable à plus d’un titre, et présente un caractère scientifique qui nous a engagé à la faire connaître à nos lecteurs.
- Nos renseignements personnels que nous tenons d’un habitant de New-York récemment arrivé à Paris, nous permettent d’ajouter à titre de curiosité, que le candidat pour lequel la manifestation dont nous venons de parler a été organisée, n’est pas celui qui a obtenu la majorité des suffrages. La manifestation a commencé à se produire à Madison-Square ; là, les lampes à incandescence ont brillé tout à coup, et la procession électrique aux
- p.8 - vue 12/432
-
-
-
- Hg 3.
- I^„d. promenade olccriqu. «omboa», «6c»,de à JCew-Y.*, d,„ la soirée du 5. octobre .884. - Erpcricc, do ». Edi...
- p.9 - vue 13/432
-
-
-
- 10
- LA NATURE.
- flambeaux a défilé pendant plus de deux heures consécutives dans les principales avenues de New-York.
- M. Edison lui-même dirigeait cette belle expérience; il faisait partie du cortège dans une des voitures qui suivaient les machines. Les applaudissements de la foule saluaient au passage le célèbre inventeur, dont le nom est justement devenu populaire dans les Deux-Mondes. Dr Z...
- LA TRACTION PAR CHENAUX
- POUR LES OMNIBUS ET TB AMWAY S
- Nous trouvons, dans les rapports sur les opérations du service de la cavalerie et des fourrages pendant l’exercice 1885, présentés au conseil d’administration de la Compagnie générale des Omnibus par M. Lavalard, d’intéressants détails sur l’effet utile des chevaux employés à la traction des omnibus et des voitures de tramways.
- M. Lavalard, en relevant sur toutes les expériences faites à la Compagnie des Omnibus depuis 1878, le travail moyen par sëconde, trouve qu’il est, pour les tramways de 82 kilogramme très par cheval et, pour les omnibus, de 95 kilogrammètres avec une vitesse moyenne de 3 mètres pour les premiers et 2m,50 pour les seconds.
- Chaque cheval, pendant le temps qu’il est attelé, fournit donc un travail égal respectivement à 1,4 et 1,3 cheval-vapeur de 75 kilogrammètres. C’est un travail considérable et qui ne peut être soutenu longtemps. Ce qui explique pourquoi les chevaux de la Compagnie des Omnibus ne peuvent parcourir plus de 17 kilomètres par jour avec une vitesse moyenne de 9 à 12 kilomètres à l’heure et une charge de 1610 à 1900 kilogrammes.
- La durée moyenne d’une course sur les lignes de tramways est de 46 minutes, et sur les lignes d’omnibus de 48. Pour les premiers, les limites extrêmes sont, minimum 32 minutes (Charenton à Créteil) et maximum 70 minutes (Louvre à Sèvres et à Versailles) et, pour les omnibus, minimum 26 minutes (gare Saint-Lazare à la place Saint-Michel), maximum 60 minutes (Montmartre à Saint-Jacques).
- Tous les jours les chevaux font au moins 2 courses ou un tour et certains 2 tours ou 4 courses. Ils travaillent donc en moyenne, sur les tramways, pendant 92 minutes quand ils font un tour, et 184 minutes quand ils font deux tours, et sur les omnibus, dans les mêmes conditions, pendant 96 ou 192 minutes.
- Le travail étant, sur les tramways, de 82 kilogrammètres par seconde est, pour un tour, de 452 000 kilogrammètres par seconde et, pour deux tours, de 905 200 kilogrammètres.
- Sur les omnibus, où le travail par seconde est de 95 kilogrammètres par seconde, le travail journalier est de 547 200 kilogrammètres pour un tour est de 1 094400 pour deux tours.
- Le travail d’un cheval-vapeur pendant 24 heures étant de 6 480000 kilogrammètres, M. Lavalard conclut que le travail journalier d’un cheval de tramway ne dépasse pas en moyenne le septième du travail d’un cheval-vapeur en 24 heures et peut descendre au quatorzième. Pour les chevaux d’omnibus, ces rapports sont un sixième et un douzième.
- Ces chiffres sout des moyennes : si on prend les maxi-
- mums, on trouve que, sur certaines lignes, les chevaux arrivent à faire à peu près le cinquième du travail d’un cheval-vapeur par 24 heures.
- Comme le cheval travaillant au pas peut être utilisé 8 à 10 heures par jour et réaliser le tiers ou même la moitié du travail du cheval-vapeur par 24 heures, on est amené à conclure que ce sont les conditions spéciales de charge, de vitesse et de temps qui ne permettent pas d’obtenir du cheval le travail qu’il pourrait donner dans des conditions plus normales et qu’on est à peu près au maximum de ce qu’on peut demander aux chevaux. On trouve la confirmation dans la comparaison avec les chevaux de la Compagnie des voitures qui, attelés à un coupé pesant 600 kilogrammes environ, peuvent faire en moyenne 62 kilomètres en 10 heures et donner un travail total de 1625 000 kilogrammètres pour 45 kilogrammètres seulement par seconde, alors que les chevaux d’omnibus avec 95 kilogrammètres par seconde, c’est-à-dire plus du double, ne donnent qu’un total journalier de 1 368 000 kilogrammètres.
- RIRLIOGRAPHIE
- Voijage de la Vega autour de l'Asie et de l’Europe, par À.-E. Nordenskiôld. Ouvrage traduit du suédois avec l’autorisation de l’auteur par MM. Ch. Rabot et Ch. Lallemand. Tome second. 1 vol. in-8° contenant 293 gravures sur bois, 3 gravures sur acier et 18 cartes. — Paris. Librairie Hachette, 1885.
- Eleclrolyse. Renseignements pratiques sur le nickelage, le cuivrage, la dorure, l’argenture, l'affinage des métaux et le traitement des minerais au moyen de l’électricité, par Hippolyte Fontaine. 1 vol. in-8° avec 34 gravures dans le texte. — Paris, Ilaudry et C’“, 1885,
- Electricité et magnétisme, par Fleeming Jenkin, professeur de mécanique à l’Université d’Edimbourg, traduit de l’anglais sur la septième édition, par H. Bebger et Croullebois. 1 vol. in-8°. — Paris, Gauthier-Villars, 1885.
- Traité élémentaire d’électricité, par James Clerck Maxwell, précédé d’une notice sur les travaux en électricité du professeur Maxwell, par W. Garnett. Traduit de l’anglais par Gustave Richard. 1 vol. in-8°. — Paris, Gauthier-Villars, 1885.
- La rage et les expériences de M. Pasteur, par Gaston Percheron. 1 vol. in-18. — Paris, Firmin-Didot et Cie, 1885.
- Le propriétaire et sa ferme délaissée, par M. Georges Ville. 1 vol. in-18. — Paris, G. Masson.
- Le magnétisme animal. Etude critique et expérimentale sur l’Hypnotisme ou sommeil nerveux, par le Dr Fernand Bottey. 1 vol. in-18. — Paris, E. Plon, 1884.
- Atlas complet de géographie en relief, dressé sous la direction de M. Henri Mayer. 1 vol. in-4° comprenant 26 cartes dont les montagnes sont gauffrées en relief. — Paris, E. Bertaux, éditeur-géographe, à Paris.
- Planisphère céleste contenant toutes les étoiles visibles à l'œil nu et les principales curiosités du ciel, dressé sous la direction de Camille Flammarion, par Paul Fouché. Une grande carte montée sur toile et se pliant sur rouleaux de bois. E. Bertaux, éditeur à Paris.
- p.10 - vue 14/432
-
-
-
- LA NATURE.
- 11
- Globe géographique de la planète Mars, d’après Camille Flammarion. Sphère de 0m,10 de diamètre environ, montée sur un pied; très intéressante et très utile, pour tous les amateurs d’astronomie ; complète très heureusement avec la planisphère céleste que nous venons de mentionner, les belles publications astronomiques de M. Camille Flammarion.—E.Bertaux, éditeur, à Paris.
- L'aérostat dirigeable de Meadon, par W. de Fo.\vielle. Publication du Spectateur militaire. 1 broch. in-8°. — Paris, A. Ghio, éditeur, 1884.
- JEUX ET JOUETS DU JEUNE AGE
- CHOIX DE RÉCRÉATIONS AMUSANTES ET INSTRUCTIVES
- Texte par Gaston Tissandier.— Dessins et compositions par Albert Tissandier.
- Ce livre, très luxueusement édité, en chromotypographie avec tirage à 6 couleurs, vient d’être publié par la librairie G.Masson. Il est formé de 48 pages, et chacune d’elles comprend une composition différente, faite par les procédés Gillot d’après les aquarelles de M. Albert Tissandier. Le tirage a été exécuté par M. Crêté, imprimeur, qui a réussi à produire une oeuvre destinée assurément à exciter l’intérêt des bibliophiles. L’album est complété par une reliure élégante rappelant les sujets traités. Les passages suivants que nous empruntons à la préface de cet ouvrage feront comprendre l’idée qui a présidé à son exécution.
- « On raconte qu’Henri IV ne craignait pas de se mettre par terre à quatre pattes pour jouer au cheval avec ses enfants. Le grand roi donnait ainsi le plus bel exemple de ce que doit être la leçon première. II faut qu’elle commence par la tendresse.
- « Les auteurs de ce livre, ils sont deux : l’écrivain dont le travail a été court, le dessinateur et l’artiste dont la besogne a été longue, aiment à se rajeunir au contact de deux petits êtres qu’ils chérissent, l’un comme papa, l’autre comme oncle. Ils se rappellent ce que jadis, alors qu’ils étaient enfants eux-mêmes on leur a appris de jeux attrayants et instructifs; ils se creusent la tête pour y faire revivre les souvenirs et les joies de la jeunesse, les promenades dans les champs, en plein air sous le beau ciel, la chasse aux papillons avec le filet, la cueillette des fleurs et des fruits pendant les vacances, les surprises de Noël et du jour de l’an, les amusements du premier âge ; et quand Hélène et Paul, ont bien pris la leçon avec maman, ils se chargent tout comme le faisait le bon roi, de leur donner la récréation1 ».
- Un de nos plus spirituels écrivains, M. Francisque Sarcey a été l’un des premiers à apprécier ce petit livre d’enfant: il l’a jugé digne d’être signalé à ses lecteurs et il lui a consacré dans Le XIXe Siècle un article que nous
- 1 Voici l’énumération des différents chapitres de l’album Jeux et Jouets : Aux parents. —Les Leçons de choses et l’enseignement par les jeux. Aux petits lecteurs.— Fleurs et fruits. — Dallons et cerfs-volants. — Ombres chinoises. — La Physique. — Les Cocottes en papier, le tricotage et l’art du dessin. — La Météorologie. — La Ménagerie. — Le Château de cartes, les bonshommes découpés et les colliers des perles. — Guignol et le théâtre des marionnettes. — Le Magasin de jouets. — Lanterne magique et fantasmagorie.— Les Questions et les devinettes. — La Botanique et le jardin d’appartement. — Le Dessert.— Les Jeux de société.— Le Labyrinthe. — 1 vol. in-4“ sur beau papier, avec reliure spéciale. — G. Masson, éditeur. Prix : 10 fr.
- reproduisons presque en totalité. C’est une bonne fortune pour La Nature d’avoir l’occasion d’offrir à ses lecteurs une notice de M. Sarcey, qui a bien voulu résumer lui-même les pages de l’album ayant particulièrement éveillé les souvenirs de son enfance.
- Nous sommes bien vieux... pardon! il me semble à présent que tout le monde a mon âge et je dirais volontiers : Qui est-ce qui n’a pas cinquante ans aujourd'hui?... Mettons que c’est moi qui suis bien vieux. Vous rappelez-vous toutes les inventions ingénieuses dont s’avisaient nos mères et nos sœurs pour nous amuser avec des joujoux improvisés, qu’elles fabriquaient elles-mêmes de leurs doigts agiles.
- On se promenait dans la campagne : la sœur aînée ou la mère cueillait un coquelicot, un beau coquelicot; elle en retournait sens dessus dessous les pétales rouges, prenant soin de mettre la queue de la fleur en bas et la tête en haut ; elle lui faisait une ceinture d’un léger fil et la coiffait d’une brindille en guise de coiffure à plumes. C’était une charmante et fraîche poupée.
- Un autre jour, c’était la saison des liljs : les enfants cueillaient des branches à brassées; la maman en détachait les fleurs et les enfilait une à une avec des aiguilles. On avait un bracelet ou un collier.
- On ramassait un gland de chêne tombé dans la forêt. La mère le taillait avec un canif : voila le gland transformé en corbeille. D’une coquille de noix elle faisait un bateau; d’une amande verte, un lapin; parfois elle taillait les oreilles du lapin dans l’amande même ; le plus souvent on les prélevait sur un joli radis rose.
- On rentrait à la maison; c’était un jour de pluie A quoi occuper le temps?
- D’une belle feuille de papier blanc, la mère confectionnait un régiment de cocottes, vous savez bien? ces cocottes classiques qui s’en vont aux champs, la première allant devant, comme dit la chanson. La première était énorme, çt, par une progression descendante, la dernière était d’aspect lilliputien. A la cocotte réglementaire on ajoutait la boîte bien connue des écoliers et la galiote dont les banquettes ont des rebords.
- Vous souvenez-vous du bouchon dont on faisait ii l’aide de quelques longues aiguilles, qui formaient les barreaux, une ingénieuse cage à mouches? de l’échelle à grenouille qui plongeait dans un grand bocal où nous avions préalablement introduit quelques menues branches de saule?
- Et le château de cartes ! des châteaux à quatre à cinq, à huit étages! des prodiges de construction aérienne ! Et ces fameux capucins de cartes, dont toute la file tombait, quand on avait du doigt renversé le premier de la rangée.
- Les vieilles cartes blanches, rouges et bleues! mais nous passions des soirées, les yeux fixés sur nos mères, qui, patiemment, de leurs ciseaux habiles, y découpaient des vaches et des chiens. Elles
- p.11 - vue 15/432
-
-
-
- 12
- LA NATURE.
- en faisaient parfois une voiture de blanchisseuse. Un beau dada rouge y était attelé côte à côte avec un cheval blanc ; une épingle suffisait à figurer les
- essieux des roues. On poussait des cris d’admiration et de joie.
- Et que de jeux qui, sans coûter un sou, amusaient
- Petile poupée faite avec un coquelicot Poupée hygrométrique ; sa robe doit être teinte Statuette d’un propriétaire,
- et une tige de graminée. avec du chlorure de cobalt. construite avec des pattes de homard.
- Specimen au trait des compositions en couleur du nouveau livre : Jeux et. Jouets du jeune âge
- les bébés en exerçant l’ingéniosité de leur esprit! La mère marquait au hasard cinq points sur une feuille de papier. 11 s’agit de dessiner un bonhomme, l’un des points donnant la place de la tète et les quatre autres points les pieds et les mains.
- On apporte le dessert sur la table : il s’agit de fabriquer une tête avec une orange. Gela n’est pas fort difficile : deux trous pour les yeux, une grande fente pour la bouche ; rien de plus aisé que de simuler les dents et le nez. Vous posez la tête sur une serviette tendue à l’ouverture d’un verre de champagne. C’était une de nos grandes joies : on tirait alternativement la serviette à droite et à gauche ; la tête remuait et prenait des airs penchés, les plus comiques du monde. Mais ce qui faisait irrésistiblement éclater de rire, c’était quand une main sournoise pressait la tête sous ses doigts. La bouche s’ouvrait toute grande : on eût dit quelle avait le mal de mer, et c’étaient de soudaines fusées de rire ! Et quels désopilants cochons on nous fabriquait avec un citron perché sur quatre allumettes!
- Vous rappelez-vous encore la souris confectionnée avec une serviette, le chien et le coq modelés dans une boulette de mie de pain, la tête du Brésilien obtenue dans une noix de coco, le défilé des cochons d’Inde taillés dans des amandes sèches?
- Que de jeux et d’amusements à bon marché, sans parler des ombres chinoises, que l’on peut varier à l’infini, rien qu’avec les diverses combinaisons des doigts enchevêtrés, de diverses façons, les uns dans les autres!
- Tous ces amusements et tous ces jeux étaient jadis fort en usage. On m’assure qu’aujour-d’hui les mères sont moins au courant de toutes ces inventions curieuses et drolatiques, qu’on se transmettait jadis, comme les contes de ma mère l’Oie, pour la plus grande joie des enfants. Ils achètent à grands frais des jouets pour les enfants, et les laissent se divertir tout seuls a les manœuvrer ou à les casser. Cela est plus tôt fait ; le joujou payé et donné, on n’a plus à s’occuper de l’enfant.
- Jadis nos pères se mettaient pour les femmes en
- Crocus fleuri dans un pot perforé. Les oignons ont été placés dans le vase avec de la mousse humide, que l’on doit avoir soin de maintenir toujours mouillé.
- p.12 - vue 16/432
-
-
-
- LA NATURE.
- 15
- frais de petits vers ou de lettres spirituelles. On passe aujourd’hui chez une fleuriste, on achète un bouquet, on l’envoie avec sa carte, et tout est dit. Des deux systèmes, quel est le meilleur?
- Je ne sais, mais, pour les bébés au moins, je re-
- grette l’autre. Les mères qui ont gardé les traditions de ces petis jeux,qui savent les varier avec adresse, y trouvent tant de ressources pour amuser les enfants, et c’est si gentil de voir leurs regards ardemment fixés sur les ciseaux qui manœuvrent,
- Specimen au trait des compositions en couleur du nouveau livre : Jeux et Jouets du jeune âge. i. Croix en papier. — 2. Mode de confection de la croix. — ô. Amandes vertes transformées en lapins. — 4. Panier fabriqué avec des joncs. — 5. Petite corbeille faite avec un gland. — 6. Cage à mouches obtenue à l’aide d’un bouchon et de longues épingles formant les barreaux.
- d’entendre leurs cris de joie et leurs rires frais et sonores, quand le papier de la carte s’est transformé sous des doigts experts en maison, en bateau ou en diable !
- Il a fallu que des millions de mères ^ou de nourrices s’ingéniassent à divertir leurs enfants, pour qu’il se constituât cet ensemble de combinaisons charmantes, qui forme à présent une manière de science.
- M. Gaston Tissandier a eu l’heureuse idée de la codifier. Il avait déjà, il y a quelques années, écrit un livre très amusant, très instructif tout ensemble, qu’il avait intitulé : les Récréations scientifiques, où il s'était amusé à indiquer (avec figures à l’appui) toutes les expériences que l’on peut faire chez soi, sans appareils, sans laboratoire. C’était un cours de physique et de chimie domestiques, dont
- le succès fut énorme: et l’Académie Française daigna même consacrer le succès en donnant un prix
- au livre, qui venait d’atteindre sa troisième édition1.
- L’auteur a voulu donner un frère à ce volume.
- Il vient d’en publier chez le même éditeur, M. G. Masson, un second qui est destiné au même public et qui a pour titre Jeux et Jouets du jeuhe âge, choix de récréations amusantes et instructives. Au lieu que le premier ouvrage était d’aspect scientifique, s’adressant plutôt aux pères de famille, celui-ci a été fait surtout en vue des mamans et des bébés.
- Il est donc orné d’une foule d’illustrations en
- 1 La quatrième édition .entièrement refondue et augmentée de figures nouvelles et do-4 planches en cliromotypographie, a été récemment publiée.
- La leçon de dessin. — Un cinq de cœur illustré,
- p.13 - vue 17/432
-
-
-
- 14
- LA NATURE.
- chromotypographie, reproduisant les compositions en aquarelles de M. Albert Tissandier; chaque page est encadrée de dessins qui font de cet ouvrage un charmant livre d’élrennes.
- M. Tissandier y explique (et la vignette rend son explication sensible aux yeux) ces mille et une façons d’amuser l’enfant avec un canif, un crayon, du papier, des caries, des fleurs ou des fruits. Les mères y retrouveront, comme je l’ai fait moi-mème, tous les souvenirs de leur enfance.
- Vous le dirai-je? depuis que ce diable de livre a pénétré dans la maison, mon cabinet est encombré de vieilles cartes et de marrons d’Inde, que l’on taille, que l’on découpe, que l’on sculpte. Voilà qu’on va me tendre ce soir un drap blanc sur le mur de la salle à manger, parce que les ombres chinoises s’y profilent plus distinctement.
- Si encore cela dispensait d’acheter des étrennes !
- Francisque Sarcey.
- NÉCROLOGIE
- Adolphe Brelim. — Un zoologiste, des plus populaires en Allemagne, le Dr A. Brehm, est mort récemment à l’âge de cinquante-cinq ans à Thuringe, son pays natal. Il apprit à cultiver les sciences naturelles et la zoologie avec son père qui aimait beaucoup à observer les mœurs des oiseaux. C’est aussi à ce genre d’étude que s’adonna plus particulièrement le jeune savant. Il est allé notamment étudier les mœurs des oiseaux sur les lieux même de leurs habitations, dans les différents pays de l’Europe, surtout en Espagne, en Norvège et jusqu’en Laponie. Il exposa ensuite, en un langage attrayant et en un style imaginé, si rare chez les savants allemands, les résultats de ses observations dans un des nombreux recueils de son œuvre capital : La vie des Oiseaux. Ce travail considérable eut des nombreuses éditions et fut traduit en plusieurs langues.
- Le naturaliste allemand aimait en général beaucoup à voyager. Déjà à l’âge de dix-huit ans il fit sa première excursion au nord de l’Afrique. Il y resta plus de quatre ans et en rapporta une riche collection zoologique. Il continua ses recherches théoriques d’abord à léna, puis à Vienne, où il publia ses Reiseskissens aus Nord Africa (Notes des voyages au Nord de l’Afrique), qui ont attiré sur lui, pour la première fois, l’attention du monde savant.
- Durant son voyage en Sibérie il s’arrêta dans différentes villes de l’Europe ou de l’Asie et fit des conférences sur l’histoire naturelle. Enfin de retour d’un long voyage exécuté en compagnie du duc de Cobourg, Brehm fut nommé directeur du Jardin zoologique de Hambourg. Plus tard il partit pour Berlin, où il fit construire un aquarium que l’on considère comme une des merveilles de la capitale allemande, et qui restera comme le plus beau monument élevé à sa mémoire.
- Parmi les différentes publications du savant naturaliste citons encore : Lcben der Vogel (La vie des Oiseaux) et Thiere des Waldes (Les Animaux des forêts). Nous ajouterons en terminant, que c’est à Brehm, et à son mode d’enseignement, que les Allemands attribuent la grande faveur que rencontre parmi eux l’étude des sciences naturelles.
- Antoine Quet. — Nous avons appris à la fin de la semaine dernière la mort de M. Antoine Quet, ancien recteur de l'Université de Grenoble, inspecteur général honoraire de l’instruction publique, commandeur de la Légion d’honneur. II s’est éteint à l’âge de soixante-quatorze ans, après une longue et douloureuse maladie.
- M. Quet, né à Nîmes le 18 octobre 1810, sortit premier de l’Ecole normale en 1835; mathématicien et physicien éminent, il laissera d’universels regrets dans le monde des sciences. Ses travaux sur des sujets variés des mathématiques et de la physique ont une importance considérable, que beaucoup d’autres savants ont mis à profit.
- C’est à M. Quet que sont dus notamment des travaux sur les procédés à employer pour enflammer les fourneaux de mines ou les torpilles, des expériences remarquables sur la lumière électrique stratifiée, une théorie de la capillarité, des mémoires sur l’induction et enfin des travaux sur le magnétisme terrestre, qui sont déjà très appréciés à l’étranger.
- Professeur au collège de Versailles, et à l’Ecole normale primaire de la même ville, il fut pendant six années, de 1840 à 1845, examinateur pour l’admission des Ecoles de marine, de Saint-Cyr et de l’Ecole forestière. En 1849, il passa au lycée Saint-Louis; et en 1854, il fut nommé recteur de l’Académie de Besançon. Deux ans après à celle de Grenoble. Il devint depuis inspecteur général de l’enseignement secondaire.
- CHRONIQUE
- L’Exposition du travail. — On annonce sous ce titre une exposition nouvelle pour l’été prochain au Palais de l’Industrie, aussitôt après la fermeture du Salon annuel. En attendant qu’elle se fasse permanente, l’exposition, œuvre essentielle de progrès, est entrée dans nos mœurs et le Palais de l’Industrie n’en chôme guère. Celle-ci particulièrement originale, a pour promoteur M. Ducret, l’honorable président de la Chambre des Industries diverses, un vaillant apôtre de l’éducation professionnelle qu’il présentait naguère à la Commission 'd’enquête comme le seul remède efficace à la crise industrielle. A Paris, à Vienne, à Amsterdam, partout où M. Ducret s’est trouvé en qualité de membre de la Commission française et du jury, M. Ducret a remarqué le succès croissant et très explicable des galeries du travail, beaucoup trop restreintes, en raison de leur importance et de leur avenir. Aussi a-t-il conçu le projet d’une exposition encore non essayée qui ne sera qu’une immense galerie du travail, une vaste « leçon de choses » et remplacera utilement pour les visiteurs studieux, un voyage à travers nombre d’ateliers. Toutes les industries n’y pourront être représentées par leur travail, soit pour cause d’outillage trop compliqué, ou de danger pour la sécurité. Elles le seront tout au moins par des devis et des plans, ainsi que celles que ne défend point suffisamment leur brevet ou leur marque de fabrique contre des curiosités intéressées. L’Exposition du travail à laquelle la Ville de Paris vient d’accorder une annexe considérable derrière le Palais de l’Industrie, a obtenu, dès l’origine, le patronage des trois Ministres de l’Instruction publique, des Travaux publics et du Commerce. Tout particulièrement vouée au perfectionnement et. au progrès de l’éducation professionnelle, elle sera armée d’un enseignement oral gratuit pour lequel sont inscrits déjà de nombreux professeurs et conférenciers. En outre une Commission supérieure de patronage est en train de s’organiser. M. Félix Faure, sous-
- p.14 - vue 18/432
-
-
-
- LA NATURE.
- 15
- secrétaire d’Etat, en a accepté la présidence et autour de son nom nous pouvons grouper déjà les noms de MM. Dietz Monin, Claude (des Vosges), Bozérian, sénateurs; Liouville, Ernest Lefèvre, députés ; Dépassé, Muzet, Desprès, conseillers municipaux ; Magnier, Gaston Carie, Gaston Tissan-dier, Escoffier, Jezierski, rédacteurs en chef, Laferrière, ftodanet, May, du Tribunal de Commerce, Albert Liouville, Huart, président de la Société des inventeurs, etc., etc. L’Exposition du travail sera internationale.
- Une ultra-centenaire. — La Gazette hebdomadaire de médecine, a récemment signalé l’existence, dans le bourg d’Auberives-en-Royans ( Isère), d’une femme âgée de cent vingt-quatre ans. Le curé d’Auberives confirme ce fait extraordinaire dans une lettre adressée à un journal de Lyon. « Je ne sais, dit-il, si cette dame a cent vingt-quatre ans, mais ce qui est sùr, c’est qu’elle compte cent et un ans de mariage; un acte d’huissier, demandant au nom d’un notaire les émoluments du contrat de mariage de M“° Girard, établit que Marie Durand, veuve Girard, s'est mariée en 1783. A quel âge s’esl-elle mariée? On ne peut le savoir, la personne en question ne sait pas le dire.»
- Éclairage intérieur des chaudières à vapeur en activité. — Voir ce qui se passe à l’intérieur des chaudières à vapeur en activité est évidemment un excellent moyen d’approfondir certains phénomènes. Mais cela ne semblait guère a priori facile à réaliser. 11 parait que la Société des chaudières brevetées à Londres, vient de résoudre le problème électriquement. On dispose tout simplement des lampes électriques à l’intérieur de la chaudière ; et des orifices d’observation fermés par des verres très épais, sont disposés pour permettre d’observer commodément les courants et tourbillons, les projections d’eau, les globules de vapeur, en un mot, tout ce que Ton veut examiner. Ce sera très commode pour étudier par exemple la question de l’eau entraînée mécaniquement avec la vapeur et la meilleure conduite d’une chaudière.
- --------
- ACADÉMIE DES SCIENCES
- Séance du 1er décembre 1884. — Présidence de M. Holland.
- Un scorpion silurien. — La paléontologie indique qu’à l’époque silurienne les mers devaient recouvrir la plus grande partie de la surface du globe. Les portions inondées, très restreintes, sont attestées par des végétaux appartenant surtout à la catégorie des lycopodes et à celle des calamites; les plantes, vu les conditions générales, devaient végéter dans une obscurité à peu près complète. Mais jusqu’ici on ne connaissait aucun animal terrestre de cette période reculée. C’est donc avec le plus vif intérêt qu’on examine une photographie, présentée par M. Alphonse Milne Edwards, et qui reproduit un véritable scorpion fossile trouvé dans les roches siluriennes de l’île de Gotland par M. Lindstrom. Un des anneaux de l’arachnide primitive montre l’ouverture d’un stigmate, témoignage de sacs pulmonaires internes et d’autres caractères rapprochent intimement cet antique vestige des scorpions de nos jours. M. Milne Edwards qui donne à ses présentations les caractères de vraies conférences, aussi instructives par le fond qu’élégantes par la forme, a saisi l’occasion qui se présentait à lui de toucher la question brûlante du transformisme. 11 est admis par les darwinistes que les arachnides et les crustacés d’aujourd’hui descendent des mérostomes des temps primaires : or, a dit M. Milne Edwards, voici une arachnide sem-
- blable aux scorpions actuels et qui a précédé tles mérostomes. Le fait ne laissera pas d’être embarrassant.
- Dosage des essences parfumées. — C’est avec beaucoup de détails que M. Schlœsing expose une méthode imaginée par M. Albert Levallois pour doser les essences dans les liquides aqueux où elles se trouvent diffusées. Elle consiste à verser de l’eau bromée dans le liquide parfumé. La coloration jaune caractéristique des bromes disparait tant que toute l’essence n’est pas combinée au métalloïde : elle persiste à un moment qu’il est facile de constater avec précision et il suffit de mesurer la quantité de brome ajoutée pour en conclure exactement la quantité d’essence. Les dosages pour les liquides colorés sont d autant plus sûrs que la concentration est plus grande de la solution étudiée. M. Levallois a cherché un moyen de concentration des eaux parfumées par les essences et, comme M. Schlœsing y a insisté, il y est parvenu par un procédé qui semble, à première vue, en contradiction parfaite avec les notions acquises en fait de distillation. Si on fait chauffer dans un alambic, un mélange d’eau et d’essence parfumée, cette dernière bouillant à une température bien plus élevée que l’eau, on peut admettre a priori que le condensateur ne recevra d’abord que de l’eau. Or il n’en est rien et si on adapte à l’alambic un réfrigérant ascendant, renvoyant constamment à la chaudière le liquide condensé, on constatera bientôt que dans le réfrigérant s’accumule toute l’essence avec une quantité d’eau extrêmement restreinte. Ce fait, d’abord paradoxal, s’explique en remarquant que la vapeur d’eau qui sort de 1 alambic est très loin d’être saturée d’essence : par suite un certain volume de cette vapeur peut se condenser dans le réfrigérant ascendant sans abandonner l’essence. A côté de son intérêt purement analytique, la découverte de M. Levallois se présente comme devant avoir une véritable importance industrielle.
- Portrait d’un tornado. — M. Faye ne cache pas sa satisfaction en mettant sous les yeux de l’Académie la photographie d’un tornado qui a ravagé une partie des Etats-Unis. Cette photographie, transmise par M. Lengley, attribue précisément au phénomène les caractères qu’il doit avoir dans la théorie si bien connue de notre savant compatriote.
- Tremblement de terre. — Le tremblement de terre qui vient d’agiter le Midi de la France a été observé à Nice, astronomiquement, c’est-à-dire dans des conditions toutes particulières. Le directeur de l’Observatoire, M. Perrolin, avait l’œil à la lunette et observait Hypérion, quand il s’aperçut que ce satellite de Saturne oscillait de 15 à 20 secondes à droite et à gauche du fil. En réalité, c’est la lunette qui sautait. La courbe du magnétomètre montre pour le même moment une inflexion brusque dont l’origine est évidente.
- L’Index géographique. — Un des éléments les plus importants du négoce maritime est sans contredit la connaissance bien exacte, non seulement des dangers nautiques, mais encore des dangers particuliers que peuvent présenter les ports et la notion certaine des frais auxquels on y sera soumis. Il y est indispensable également de savoir d’avance quelles y seront les ressources au point de vue des réparations, du ravitaillement, des approvisionnements de toutes sortes, du frèt à recueillir, etc., etc.
- C’est évidemment rendre service aux marins de toutes les nations, aux armateurs, aux négociants, aux assureurs, que de rassembler en un seul corps d’ouvrage tous ces renseignements. C’est ce qu’a fait M. Armand Lucy, en
- p.15 - vue 19/432
-
-
-
- 16
- LA NATURE
- créant l’Index géographique que présente en son nom M. Bouquet de la Grye. Prenant le navire au moment où il demande le pilote, l’Index géographique ne le quitte plus que lorsqu’il vogue vers sa destination. Aucun détail, n’a été négligé, depuis le tarif des bassins de radoub jusqu’au prix des volailles : taxe de pilotage, de phare, de port, de quarantaine, de quais, formalités légales, prix des remorqueurs, profondeur de l’eau, nature et sécurité de la rade, salaire dps travailleurs, des bateliers, prix du lest, facilités de réparations, prix des vivres, de l’eau, état sanitaire, hôpitaux et nombre de leurs lits, liste des consulats, communication avec l’intérieur.
- L’Index géographique paraîtra chaque année, tenu jour par jour au courant de toutes les modifications qui se produisent sur toute la surface du globe. Le fascicule présent, et que j’ai sous les yeux, concerne la France, la Belgique, Zanzibar, Hawaii.
- Annales da escolas de minas de Ouro-Preto.—En même temps qu’à l’Académie, M. Gor-ceiz, directeur de l’École des mines de Ouro-Preto au Brésil, veut bien m’adresser le troisième volume des Annales de cet établissement scientifique. On y trouve une intéressante notice sur le naturaliste Lund, Danois d’origine, mais Brésilien par les travaux dont il a enrichi la science.
- Un mémoire de Lund sur les cavernes du Brésil et sur les richesses paléontologiques fait suite à cette notice. M. Gor-ceiz étudie successivement, dans des mémoires séparés accompagnés de planches, les formations tertiaires d’eau douce des environs d’Ouro-Preto, le cascalho diamantifère, une nouvelle zéolithe des environs d’Abaeté, les minéraux accompagnant le diamant à Salobro, dans la province de Bahia.Chacun d’eux contient une foule de faits importants. D’ailleurs le savant directeur a su s’entourer de collaborateurs distingués et on lira avec intérêt les notes de MM. Thiré, de Oliveira et da Costavena.
- Varia. —M. Ducretet envoie des photographies d’étincelles électriques. — On peut d’après M. Lepasteur mesurer l’épaisseur des plaques, de blindage en place en observant le diamètre du cercle de fusion qu’v produit un échauffement local après qu’on les a enduits de cire. toutes choses égales, ce cercle est d’autant plus grand que l’épaisseur est plus faible. — M. Hirn réclame contre M. Marcel Deprez les découvertes des faits que nous mentionnons l’autre jour relativement aux lois du frottement.
- Stanislas Meunier.
- CLOCHE A YAPEUR
- Les chemins de fer secondaires des districts ruraux de l’Autriche n’ont, aux passages à niveau, ni
- barrières, ni portes, ni gardes; ils sont ouverts comme les tramways, il faut donc prendre des précautions spéciales pour éviter les accidents et prévenir de l’approche d'un train à une distance suffisante de ce passage. On préfère employer des cloches au lieu de sifflets qui ont l’inconvénient d’effrayer les chevaux. La figure ci-dessous montre la disposition de cloche à vapeur adoptée sur les lignes de l’Autriche et placée sur la locomotive ; sa construction est des plus simples. Elle se compose en principe d’un réservoir en fonte cylindrique A, un peu rétréci à la partie supérieure ; et fermé par une soupape B sur laquelle est fixé, à l’extrémité d’un levier, le marteau D qui vient frapper la cloche G. L’arrivée de la vapeur se fait par un petit tube latéral placé à la partie inférieure du réservoir A. L’ouverture sur laquelle s’applique la soupape B ayant un diamètre beaucoup plus grand que le tube de vapeur, il en résulte que la vapeur s’échappe plus rapidement qu’elle n’arrive dans le cylindre; chaque fois que la soupape s’ouvre, la pression baisse et la soupape retombe, le marteau venant frapper la cloche.
- La soupape est garnie d’un collier intérieur qui permet à la soupape de parcourir un certain chemin avant que la vapeur ne puisse s’échapper, et de régler ainsi la chute du clapet et l’intensité du choc. On augmente encore ce choc à l’aide d’un ressort qui prolonge Je levier et vient agir à chaque levée de la soupape pour activer la chute. La mise en marche et l’arrêt se produisent par la simple manœuvre d’un robinet, mais comme il se produit une certaine condensation dans le cylindre A chaque fois que l’on met la cloche en marche, le robinet est disposé de telle façon que, dans la position d’arrêt, il établisse une communication du • cylindre A avec l’extérieur, par un petit trou, et permette de faire ainsi écouler toute l’eau de condensation.
- En faisant varier la pression et l’ouverture du robinet, le nombre de coups, par minute, varie entre 130 et 240.
- Le même système est employé pour le garage des machines, dans les parties où l’on-doit circuler au milieu des lorries et des wagons manœuvres à la main ; les résultats ont été partout très satisfaisants.
- Le propriétaire-gérant : G. Tissandier.
- Cloche à vapeur employée dans les lignes secondaires des chemins de 1er autrichiens
- Imprimerie A. Lahure, 9, rue de Fleurus, à Paris.
- p.16 - vue 20/432
-
-
-
- .V OU2. — 13 DÉCEMBRE 1 884.
- LA NATURE.
- 17
- VÉLOCIPÈDE NAUTIQUE
- Le charmant petit appareil que nous représentons ci-dessous, a été construit par un tout jeune homme,
- M. Léon Bollée, l’un des fils de l’ingénieur constructeur bien connu du Mans, M. Am.édée Bollée dont nous avons fait connaître la curieuse voiture à vapeur1. Le vélocipède nautique dont il s’agit a été expérimenté à plusieurs reprises sur la rivière
- l’Huisne et les résultats obtenus ont été satisfaisants.
- L’appareil se compose de deux llotteurs en forme de fuseaux déplaçant 1400 litres, reliés par des entretoises servant à supporter un plancher. Entre les deux fuseaux, se trouvent la roue motrice à palettes mue par une ou deux personnes actionnant des pédales tournantes analogues à celles des tricycles. La personne placée à l’avant gouverne Je bateau, qui évolue assez facilement pour tourner dans un rayon égal au double de sa longueur. Enfin un garde-corps ajoute une grande sécurité aux passagers.
- Avec ce bateau on obtient une vitesse moyenne de 10 kilomètres à l’heure, en remontant le courant 43e année. — 1er semestre.
- de l’Huisne qui est assez rapide. En descendant la rivière, la vitesse est bien eiitendu beaucoup plus considérable. La force employée pour faire mouvoir
- cet appareil est tellement faible, qu’un enfant peut le conduire seul avec la plus grande facilité.
- L’appareil pesant environ 400 kilogrammes, le volume d’eau déplacé étant de 1400 litres, il reste donc 1000 kilogrammes pour la charge, et l’écartement des fuseaux étant relativement grand, le déplacement des personnes sur la galerie n’affecte que peu la stabilité de ce vélocipède nautique. Notre dessin explicatif (fig. 2) nous dispense d’entrer dans
- * Voy tables des matières des années précédentes.
- 9
- iss L
- Fig. 2. — Plan et coupe du vélocipède nautique.
- R. Roue motrice à palettes. —T. Tambour de la roue.— F. Flotteurs en tôle à cloisons étanches. — GG. Gouvernails à l’arrière de chaque flotteur, — P. P. Pédales tournantes actionnant la roue motrice au moyen de chaînes.
- p.17 - vue 21/432
-
-
-
- 18
- LA N AT U UE.
- de plus longs détails au sujet de ce système fort simple qui intéressera les amis, si nombreux aujourd’hui, tiu sport vélocipédiquc. Nous nous féliciterons si la notice que nous publions aujourd’hui donne à d’autres amateurs, l’idée de s’appliquer à ce genre de construction qui a l’avantage d’exercer l’adresse, l’ingéniosité et de favoriser dans les essais, le développement des forces musculaires1.
- G. T.
- L’ISUNDE
- MISSION DK 1883
- Lorsqu’on aborde la Terre de Glace (lce-land), le premier aspect du pays est mystérieux et froid.' Tout y respire la désolation et la morne désespérance. Cependant, le naturaliste se sent comme attiré vers cet inconnu plein de promesses.
- Les galets du rivage sont délavé bulleuse, téphrine, pyroxénique formée par l'écume soliditiée des éruptions volcaniques récentes. Le sol lui-même est de lave pyroxénique à grain serré, très voisine des andésites, recouverte par une mince coucbe de sable, tantôt gris, tantôt jaunâtre qui se change en une boue compacte dès qu’il vient à pleuvoir. Au loin l’horizon est borné par des montagnes à base noire, au sommet neigeux et scintillant, coiffées parfois d’un léger panache de fumée bleuâtre.
- La végétation est maigre et rabougrie; l’absence d’arbres imprime au pays un aspect des plus sauvages. En revanche, la faune offre le plus grand intérêt et l’on me permettra de résumer dans cet article, mes recherches zoologiques qui ont porté principalement sur les animaux marins. J’y ajouterai quelques considérations générales sur la llore et la géologie.
- Les murailles des fiords étant presque à pic, il en résulte une absence presque complète de faune littorale. Par contre, la zone des laminaires beaucoup plus profonde que sur les côtes de France, présente une abondante variété de crustacés et de mollusques, parmi lesquels il faut citer de très intéressantes caprellcs et de nombreuses variétés de chitons. Point de noctiluques ni de foraminifères dans l’eau ; de rares diatomées, entre autres les pleurosigma, y vivent encore. J’ai constaté leur présence au delà du cercle polaire.
- Les annélides sont nombreuses et variées et l’on y retrouve les cirrhatulus borealis et les pectinaria si abondantes sur les côtes nord de l’Europe. Les mollusques caractéristiques des mers polaires sont les aporrhaïs, genre voisin des ptéroceras et les cyprina Islandica qui vivent dans l’eau des fiords, rendue presque saumâtre en été par la fonte des glaciers. Les cardium se font rares tandis que les
- 1 Nous avons rapporté précédemment les descriptions de plusieurs vélocipèdes nautiques; nous y renvoyons nos lecteurs. Voy. tables des matières des années précédentes.
- genres venus, corbis et mactra sont bien représentés. On ne peut donner un coup de drague sans ramener de nombreux arcturus et des ascidies du genre cynthia. Les échinodermes sont représentés par des solasters aux bras nombreux, des astéries, des ophiures, des ophiocoma et au delà de 500 mètres de profondeur par des cidaris à longues baguettes rappelant leurs congénères fossiles des terrains secondaires.
- La faune icthyologiquc est d’une grande richesse. Je dirai quelques mots de la morue qui fait dans ces mers l’objet d’une pêche aussi suivie que fructueuse. C’est à tort que l’on a longtemps considéré les morues comme des poissons migrateurs; leurs voyages se bornent à s’élever ou s’enfoncer suivant la saison. Lorsque la banquise se forme, la morue se réfugie dans les fiords où le courant de marée empêche pendant longtemps l’eau de se congeler. Pendant les grands froids, elle vit sous la banquise. Dès que les glaces se disloquent, on la trouve par des fonds de 500 mètres; il est alors peu pratique de se livrer à la pêche. Lorsque les goélettes françaises arrivent, en mars, on prend les morues par de grands fonds, tandis qu’en juillet elles sont à 50 mètres à peine. Aujourd’hui les pilotes et les capitaines des goélettes sont d’acord pour assurer que la morue n’émigre pas comme on le croyait, car ils ont remarqué que les morues des îles Feroë ne sont pas les mêmes que celles d’Islande ou de Terre-Neuve; et, chacune de ces variétés constitue un type coté dans le commerce. Enfin, au printemps on pêche des morues de tout âge et de toutes tailles, depuis 10 centimètres jusqu’à lm,50 de longueur.
- Les Islandais pèchent aussi des loups (anarrhique loup) longs de près de 2 mètres dont les terribles mâchoires seraient capables de couper un bras humain. Ils font sécher leur chair qui est peu estimée et ne fait l’objet d’aucun commerce.
- L’abondance de la vie se manifeste dans ces mers peu fréquentées, avec une étonnante vivacité. Vers le milieu de juillet, il arrive parfois qu’on voit pendant des heures entières défiler des bancs de morues noires, la nageoire dorsale hors de l’eau, formant des colonnes de plus de 100 mètres de profondeur. Alors, on voit se livrer à la poursuite de cette abondante proie des milliers d’êtres vivants parmi lesquels l’homme n’est pas le moins acharné. Dans la mer, des bordes de squales et de phoques donnent la chasse aux malheureuses morues, tandis que dans les airs planent au-dessus d’elles des nuées de goélands,-de fous, de colymbes arctiques et même de rapaces terrestres parmi lesquels il faut mentionner le fameux gerfaut dont l’image est l’emblème héraldique de l’Islande.
- Pendant ce temps passent à l’horizon des bandes de vingt à trente baleines irisant l’atmosphère dorée par le soleil de minuit, ou jet porphyrisé de leurs évents. La grande chimère arctique, ce géant des squales, se livre en toute sécurité à ses puissants ébats ; sautant hors de l’eau, elle fait des bons de
- p.18 - vue 22/432
-
-
-
- LA NATURE.
- 19
- plusieurs mètres.La l’aune terrestre pour être moins variée n’est pas moins intéressante.
- La classe des oiseaux y est représentée par d’innombrables palmipèdes et échassiers. Goélands, mouettes, fous, macareux, plongeons, guillemols, manchots, pingouins, harles, colymbcs, pluviers, courlis cendrés, partagent avec l’eider l’empire des solitudes rocheuses et escarpées de la côte.
- La perdrix des neiges (lagopède), le moineau blanc, le gerfaut, le harfang et le grand corbeau freux sont presque les seuls oiseaux terrestres qu’on rencontre dans la campagne. Tous ces oiseaux doivent au climat une hypertrophie fonctionnelle du cœur et leur sang est hypcrhémoglobiné.
- Le centre de l’élevage des eiders qui fournissent le précieux édredon est à Yapna-fiord. Les naturalistes sensibles se sont trop apitoyés sur le sort de l’eider qui se plume véritablement pour remplacer au jour le jour le duvet qui tapisse son nid pour que j’insiste sur la constance de ce malheureux palmipède dont on exploite les sentiments maternels. Les îles à eiders sont fort intéressantes à visiter, elles sont littéralement couvertes de nids.
- Le chien islandais qui représente, pour plusieurs auteurs, l’ancêtre unique d’où sont descendues les races si variées que nous possédons aujourd’hui, ressemble beaucoup au renard ; il est habité par de nombreux parasites fort bien étudiés par le Dr Krabbe de Copenhague. C’est à la cohabitation de l’homme et du chien qu’il faut attribuer la fréquence des kystes à échinoeoques qui affectent 7 pour 100 de la population de l’Islande. On y rencontre aussi le tænia du renne ou tænia Krabbei, décrit par le Dr Moniez. Du chien au renard la transition est] toute naturelle.
- Le renard bleu (canis lagopus) ou isatis est, très estimé à cause de sa fourrure. Je dois fixer à son sujet un point litigieux. La majorité des naturalistes sont d’accord pour dire que l’isatis perd son poil qui est noir bleuâtre l’été, pour se revêtir pendant I hiver d’une fourrure blanche, immaculée, plus eu rapport avec la couleur du sol. Quelle que soit ma croyance aux adaptations naturelles et au mimé-risme en particulier, je suis obligé de démentir cette assertion. 11 y a deux espèces de canis lagopus, l’une bleue et l’autre blanche. J’ai vu de jeunes individus de chaque espèce, pendant l’été, quelques jours après leur naissance; et, l’on tue pendant l’hiver, alors que la fourrure est la plus précieuse, des renards absolument bleus. Ces espèces se croisent entre elles et j’ai eu l’occasion de voir dans une factorerie une peau de renard métis.
- Le renne se fait de plus en plus rare malgré sa rusticité, il est presque partout remplacé par le poney, sauf à Thorlacks, où l’on voit encore des traîneaux à la mode de Laponie. Une race de bœufs presque nains a été à grand’peine acclimatée dans î’ile, les femelles n’ont point de cornes.
- Je ne puis me dispenser de faire ici l'éloge du poney islandais qu’on voit errer sur le rivage, pareil
- à un ours, couvert de sa longue fourrure agglomérée par les glaces. Ce malheureux animal cherche des débris de poisson pour se nourrir, et l’on peut voir sa mâchoire d’herbivore modifiée par le mode d’alimentation, les canines des mâles, pointues et les incisives taillées en biseau donnent un démenti fonctionnel aux caractères qui nous servent à reconnaître en France l’âge de ces animaux. L’été venu, le poney islandais perd son poil d’hiver, mange un peu d’herbe, devient presque gras, infatigable. Sans lui, point de voyages, point de commerce et parfois point de viande pendant le long et rigoureux hivernage. C’est un animal très sûr qui sait choisir le bon chemin et refusera d’avancer s’il sent le sol s’enfoncer sous ses pieds, lion nageur, il traverse facilement rivières et torrents.
- L’Islandais vaut moins que sa plus noble conquête, abruti par la misère qui engendre la saleté, la lèpre, l’échinocoque et l’alcoolisme, il retrouve à peine quelques jours de lucidité pendant l’été. Il se souvient alors de l’ancienne splendeur de sa patrie au temps héroïque de Thor et d’Odin. Cette antique gloire lui suffit et, drapé dans son orgueil d’être déchu, il se refuse presque à tout travail, chantant entre deux hoquets des fragments des antiques Sagas où l’on parle d’une Islande verte et fleurie.
- Et elle l’était! J’en ai acquis la ccrlitude en étudiant les débris d’une ancienne flore arborescente visibles à quelques mètres de profondeur au milieu d’un véritable banc de tourbe composée en grande partie de restes de mousses (sphagnum). Les doutes seraient absolument levés par l’examen du gisement de lignite ou surtarbramlur de la baie de Virki dans Vapna-fîord.
- D’après une opinion qui paraît encore assez accréditée, ce bois, aujourd’hui recouvert d’une couche de 40 mètres de trachvte, aurait été apporté là par le gulf-stream et se serait échoué sur la côte avant l’éruption volcanique qui l’a recouvert.
- Il existe en Islande deux autres gisements analogues, l’un à Baula, l’autre dans le Skialfiande Bugt.
- C’est beaucoup plus au nord que l’on rencontre les épaves de bois flottés, à Griottness au-dessus du cercle polaire. Il suffît de comparer les bois de Virki à ceux de Griottness pour reconnaître que les pre -miers ne proviennent pas d’Amérique mais bien d’une ancienne forêt surprise en place par l’éruption qui l’a carbonisée.
- Les bois roulés par les fleuves rapides, frottés contre les rivages et les autres troncs qui accomplissent le même trajet, perdent successivement leurs branches et toute leur écorce ; un long séjour dans l’eau se reconnaît à des corrosions plus ou moins profondes dues aux mollusques térébrants.
- À Virki, au contraire, on trouve des branches et des racines plus minces que le petit doigt. La coupe du terrain ne laisse aucun doute sur ce qui s’est passé. En<in, j’ai examiné des fragments de ce bois au microscope et j'y ai reconnu la ponctuation aréo-lée qui est propre aux conifères.
- p.19 - vue 23/432
-
-
-
- 20
- LA NATURE.
- La végétation actuelle est bien loin de cette ancienne splendeur ; sa pauvreté fait ressortir le caractère sauvage et tourmenté des masses minérales.
- (Quelques maigres saules nains poussent avec peine dans les parties les plus basses de l’ile qui sont pompeusement qualifiées du nom de forêts (skôgr) par les indigènes du pays.
- Pour résister au froid intense qui les menace, les bourgeons de ces saules se revêtent d’une épaisse fourrure cotonneuse.
- Chose remarquable, pendant les deux mois d’été, juillet et août, toutes les plantes parcourent avec une incroyable rapidité le cycle de leur végétation. Pousser, fleurir, produire des graines et mourir sont pour elles des phases qui se succèdent véritablement à vue d’œil.
- La Parnassia paluslris est caractéristique de la végétation islandaise, on la rencontre partout.
- La flore du niveau de la mer présente une grande analogie avec celle des hauts sommets pyrénéensetprouve l’équivalence de la latitude et de l’altitude au point de vue du développement des plantes.
- Les renoncula-cées sont nombreuses ; le grand luxe des jardins de ReykiaAvick est la culture du triste aconit qui n’a pu, d’ailleurs, s’y naturaliser *.
- Quelques mots maintenant sur la géologie de cette région volcanique. Au premier abord, les rives des fiords paraissent formées d’un grand nombre d’assises stratifiées, rigoureusement parallèles les unes aux autres et plongeant d’un angle de 7° à 8° vers le centre de Pile.
- Ces strates sont le produit d’éruptions superposées de volcans en nappe. Chaque éruption est représentée par deux couches contiguës : la première, de basalte ou d’une roche pyroxénique analogue tantôt
- 1 La nomenclature des plantes recueillies dans une herborisation à Faskrud-Fiord au mois de juillet, suffira pour faire apprécier le caractère de la végétation. Voici ce petit catalogue : 7ianunculus nivalis-flammulareptans ; glacialis-hyper-boreus pygmœus; acris; Caltha paluslris ; Cardamine pratensis; Draba alpicola ; Arabis alpina; Nasturtium amphibium; Chrysatilemum inodorum ; Sedum villosum ; Veronica serpyfolia; Erigeron alpinum; Thymus serpyl-lum; Genliana verna-acaulis ; Humex acetosella; Poly-gonum viviparum; Myosotis intermedia; Papavcr nudi-cole ; Saxifraga oppositifolia ; Cornus Suediea. Tels sont les resplendissants présents de l’été.
- homogène et d’aspect prismatique, tantôt traversée par des filons de quartz, de pectohte ou de spath, contenant des rognons amygdaloïdes dont quelques-uns atteignent de très grandes dimensions. La seconde, est formée de wakes et de brèches détritiques, parfois réunies par un ciment résinoïde qui les agglomère en une roche qu’on a appelée tuf palagonitique.
- Les minéraux accidentels que l’on rencontre dans ces couches, sont, outre les zéolithes des basaltes, la calcédoine, l’opale, l’onyx et le jaspe. En certains endroits, en générai assez élevés, on trouve des roches vitreuses qui sont des rétinites. La forme générale de l’Islande, la convergence de l’axe des fiords vers le centre de l’ile, permettent de supposer qu’elle a été soulevée d’une seule niasse à une époque des temps tertiaires qu’il n’est guère
- possible de déterminer.
- Ce soulèvement en étoile représente assez bien le résultat d’une poussée verticale à travers une niasse qui, n’avant pu se plisser, se serait soulevée d’un seul bloc;
- ' Une remarque importante à faire est que les lignes de rupture passent en général par les anciennes cheminées qui ont servi de canal au basalte; ce fait est bien visible sur la falaise escarpée de la pointe üelatange sur la côte est. Ces cheminées s’épanouissaient à leur partie supérieure et, de leurs centres rayonnent de nombreux filons dont les restes sont représentés par des dykcs basaltiques. Postérieurement à l’émersion de l’Islande en l’état que je viens d'indiquer, cette île a été coupée diagonale-ment du S. 0. au N. E. par une éruption de tra-cliyte pyroxénique (de Chancourtois) formant une bande de 25 lieues de largeur, partant de Reykia-wiek pour aller aboutir à Vapna-liord. C’est sur les deux rives de cette bande que sont situés les volcans actuels (V. la Carte) L’action glaciaire qui dure encore aujourd’hui a laissé son impression caractéristique dans presque tous les fiords. Cette action se manifeste par la formation de terrasses, de moraines frontales dans le fond de toutes les baies et, les roches striées que l’on rencontre presque partout sont la preuve d’une extension glaciaire qui tend à reprendre possession de son ancien domaine.
- C’est à Eske-fiord que se trouve le célèbre gise-
- - - ^ ~°-nA J _____[ L,
- Twrw-A’ f )____
- Icunu J'
- ^ _ Lignite, . — SpatA, f~V - Band^d&TbaohgtR- fyrxKeêniquÆ/.
- lea nombres rrucrÿu£*s sur la, côte, Est indvpi&nt- la, dôcL*vixson,t*i 1.883.
- Fig. 1. — Mission en Islande en 18Sô. Carte géologique explicative dressée par l’auteur.
- p.20 - vue 24/432
-
-
-
- LA NATURE.
- 21
- ment du spath. C'est une vaste géode amygdaloïde pouvant avoir 25 mètres dans le sens du grand axe et 12 dans celui du petit.
- 11 est fort difficile de se procurer des rhomboèdres bien transparents, à cause de la grande fragilité de la masse qui se clive dès qu’on la frappe pour en détacher des fragments. Un morceau absolument pur de 8/6/2 centimètres coûte à la mine 4 couronnes danoises, soit 6 francs.
- Depuis qu’ils sont connus, les geysers ont excité la curiosité du public et suscité les explications des savants. Ces volcans d’eau bouillante sont situés dans une plaine*au pied du Darnar-Fell, qui fait partie d’un contrefort de l’Hécla courant E. et 0. Les geysers n’ont point de cratère à proprement
- parler, ce sont des cheminées s’enfonçant dans le sol sous des angles variables et ayant, dans les premiers temps, la forme d’un entonnoir. Plus tard, la silice dont leur eau est chargée, se dépose sur le sol et finit par former à la bouche du geyser un bourrelet généralement assez bas ; celui du grand geyser n’a pas 5 mètres.
- A part deux ou trois de ces puits qui ont des noms et qui sont fort anciens, les autres naissent et disparaissent suivant le plus ou moins d’activité de la nappe sous-jacente; aussi, l’aspect du groupe des geysers varie-t-il d’année en année A 2 kilomètres environ autour de ces petits cônes, le sol est imprégné de silice et forme un tuf rougeâtre des plus curieux. Les débris des repas des anciens touristes
- Fig. 2. — Le glacier de Westre-Horn, en Islande. (D’après un croquis de l’auteur.)
- et meme les excréments des chevaux sont silicifiés.
- Autour du grand geyser, la silice qui s’est déposée à l’état gélatineux, forme une roche lamelleuse ef-ilorescente à la surface, la geysérite.
- Les éruptions du grand geyser tendent à diminuer. Autrefois il jaillissait toutes lès 24 heures, aujourd’hui il reste souvent plus d’une semaine sans lancer sa gerbe qui s’élève à 70 mètres de hauteur (mesurée au sextant). Les éruptions durent une demi-heure à peine. Sur les flancs du cône on voit des petits bassins creusés dans la geyserite et qui reçoivent le trop-plein du cratère. On peut y prendre des bains siliceux à diverses températures. Le bassin supérieur a environ 10 mètres de diamètre et 2 mètres de profondeur. Du fond part une cheminée de 4 mètres de diamètre qui descend verticalement dans le sol. Lorsque le bassin est très plein il commence à déborder et l’on voit, à la
- surface, les bouillonnements précurseurs d’une éruption. Aussi, a-t-on souvent à enregistrer de fausses alertes pendant lesquels les observateurs jugent à propos de prendre la fuite. Parfois, on entend dans les cheminées des bruits souterrains absolument effrayants. Un autre geyser, le Strôckr doit à un rétrécissement de sa cheminée la propriété de pouvoir faire éruption â volonté.
- On n’a, pour cela, qu’à jeter dans le gouffre une vingtaine de mottes de terre enlevées avec une pelle, ce trou se bouche, la vapeur s’accumule et, au bout d’un quart d’heure, vous renvoie en un respectable jet d’eau et de boue l’indigeste nourriture dont on l’a bourré. Au mois de juillet de l’année dernière, il y avait 28 geysers en activité. Pour qui a parcouru le pays, il est presque certain que les geysers sont alimentés par les lacs environnants dont l’eau vient, par de profondes Assures, se réchauffer au
- p.21 - vue 25/432
-
-
-
- 99
- LA NATURE.
- contact de la pyrosphère. Quant au régime de ces volcans, il est aujourd'hui prouvé, par les expériences dcTyndall, qu'il faut attribuer les éruptions h un excès de tension acquis par la vapeur au fond du tube, sous l’influence du poids de la colonne d’eau qui remplit la cheminée et charge ainsi la soupape. On a, en effet, vérifié que la température de l’eau qui est de 90° à la surface du bassin, s’élève à 140° a 60 mètres de profondeur. En conséquence, il faut abandonner l’ancienne et invraisemblable explication qui attribuait à chaque cheminée une forme d’oo , pour rendre compte de l’intermittence des éruptions.
- Au pied du Barnar Fell, on trouve une montagne de boue sulfureuse rendue presque liquide par les eaux chaudes du ruisseau de dégagement du groupe des geysers. Cette montagne fumante est recouverte d’une mince croûte jaunâtre sur laquelle il faut bien se garder de s’aventurer, une grosse pierre suffisant pour la crever.
- Bien des choses sont encore à faire dans celte Islande dont l’intérieur est encore peu connu ; si, comme j’en ai l’espoir et le désir, il m’est permis de continuer mes explorations dans les mers arctiques, les lecteurs de La Nature seront des premiers tenus au courant de mes travaux ultérieurs
- Paul de Sède.
- CORRESPONDANCE
- COMMENT TRAVAILLENT LES AMÉRICAINS
- Je lis dans un des derniers numéros de La Nature', une réponse de M. Félix Ilément à un article intitulé : Comment travaillent les Américains-?
- Veuillez me permettre de présenter quelques remarques qui placeront sous leur véritable jour les faits que j’ai cités comme un exemple à suivre par les commerçants français, et que la réfutation de M. Félix Dément a involontairement dénaturés.
- M. Félix Dément commence par dire que je reproche aux Français de ne pas aller assez vite en besogne dans les affaires, et que pour un peu je les traiterais de paresseux. N’est-ce pas là un procès de tendance? Parce que je dis : tel ouvrier est lent à exécuter un travail, s’ensuit-il que je le trouve paresseux? Evidemment non.
- M. Félix Dément constate la déplorable habitude qu’ont les Français qui ont voyagé de nous amoindrir toutes les fois qu’ils nous comparent à l’étranger. Je suis sensible à ce reproche, et je ne crois pas qu’il doive m’être adressé.
- Quel était le sujet de ma conférence5? — De quelques industries et de l'outillage commercial aux Etats-Unis de l'Amérique du Nord. — Quel en était le but ? — Faire le récit de mon récent voyage aux États-Unis, soumettre à mes compatriotes le fruit de mes observations, et démontrer que nous ne traversions pas une crise industrielle, mais que nous nous trouvions à une époque de transition fatalement amenée par les découvertes du génie
- 1 Voy. n° C00 du 20 novembre 1884, p. 406.
- * Voy. u° 590 du 22 novembre 1884, p. 587.
- 5 Communication faite à la Société de géographie commerciale.
- humain, et que l’évolution économique dont nous souffrons, devait en grande partie, être attribuée aux Yankees, qui, de consommateurs, étaient devenus producteurs et concurrents.
- Ceci posé, j’ai dépeint les six grandes villes de l’Union où je m’étais arrêté, j’ai décrit le développement considérable de leur industrie, j’ai indiqué ce que j’entendais par outillage commercial, c’est-à-dire tous les appareils d’invention récente servant au transport rapide de la pensée et de la parole. J’ai parlé de leurs chemins de fer, de leur manière confortable de voyager, de leurs télégraphes, de leurs téléphones, de leurs messenger boys, de leurs elevalors à grains, etc., etc.
- Je serais heureux que vous voulussiez bien mettre sous les yeux de M. Félix Dément et des lecteurs de La Nature un extrait du rapport que j’ai adressé à M. le Ministre du Commerce qui m’avait honoré d’une mission, rapport qui a paru dans le Moniteur officiel du Commerce, n0’ 45, 46, 47 et 48, et dont voici quelques passages des conclusions :
- Il me faut tout d’abord constater l'activité fébrile du peuple américain, son esprit positif, son caractère froid et réfléchi. L’Américain a surtout conscience de la valeur du temps, et, pour arriver le premier, il ne néglige aucune circonstance favorable, ne dédaigne aucun nouvel engin, même aux dépens de la vie humaine...
- Ayant à surmonter les difficultés d’une nature neuve et puissante, ce peuple contracte dans les luttes quotidiennes de son existence, une force et une énergie indomptables, et, loin de s’épuiser, sa vigueur s’accroît au contraire par les obstacles qu'il rencontre et qu’il s’applique à surmonter.
- Mais celte vie d’efforts et de labeurs a besoin de moments de repos, et les ressorts toujours tendus de la machine humaine exigent un desserrement hebdomadaire. Ils le trouvent dans le repos absolu du dimanche. Je ne me place pas ici au point de vue religieux, mais au point de vue purement matériel, et je dis que c’est dans le repos absolu du dimanche consacré généralement à la famille, que le travailleur américain, à quelqu’ordre qu'il appartienne, trouve à réparer ses forces et à les renouveler...
- Il n’est pas de pays où l’outillage soit plus perfectionné, car, ayant tout à faire, l’industriel a voulu tout voir avant de s’installer, et il a le plus souvent amélioré, modifié, complété les outils ou les machines employés en Europe. Nulle part on n’a plus souci de la rapidité et de la précision de la machine-outil ou de la machine. L’outillage est dans un entretien, dans un état parfait de fonctionnement, et toute invention reconnue bonne est immédiatement accueillie et adoptée. La nouvelle machine remplace de suite celle qui produit moins bien, moins vite, et, par conséquent, à moins bon compte. N’ayant pas encore un grand nombre d’ouvriers habiles et experts, les Américains excellent dans toutes les industries où la machine supplée la main de l’homme, et ils l’emploient partout, pour éviter au travailleur des fatigues inutiles, et gagner du temps. Leurs usines sont aménagées pour éviter des transports, des va-et-vient, des pertes de temps. Perdre du temps, c’est produire moins vite, et, par conséquent, plus cher. Pour l’achat des matières premières, dont ils ne sont pas producteurs, ils excellent dans les moyens d’information. Leurs réseaux télégraphiques et téléphoniques sont les plus vastes qui existent, et le fonctionnement en est rapide, sur, presque infaillible. L’électricité est, dans la pratique, synonyme d’instantanéité; les appareils enregistreurs qui existent dans tous les endroits publics, sont gratuitement à la portée de tous; et les lacets de leurs rubans de papier fournissent à tous, les renseignements sur les cours des marchés des matières premières du monde entier. Quelle que soit la distance, qu’il faille traverser, l’Atlantique, le Pacifique, ou l’Océan Indien, ils sont prêts à partir du jour au lendemain pour se rendre sur les lieux de production et s’assurer un marché, non seulement une lois par hasard, mais une fois, deux fois, ou trois fois l’an. [ Ces voyages sont pour eux un délassement, un repos, et le
- p.22 - vue 26/432
-
-
-
- LA NATURE.
- 25
- go ahead n’est pas seulement une devise, c’est une réalité.
- Tl y a entre les mœurs commerciales américaines et les nôtres de grandes différences à établir et c’est surtout au moment où l’enfant fait place au jeune homme qu’elles sont le plus sensibles.
- Ce que nous appelons en France l'enseignement universitaire existe peu en Amérique, l’esprit de la jeunesse s’étant tourné de bonne heure vers le commerce. To make money, faire de l’argent, telle est la plus grande préoccupation des parents, telle est la conversation de chaque instant de la journée; qu’y a-t-il d’étonnant que les jeunes gens ne prennent intérêt qu’à étudier la meilleure manière de faire promptement fortune?
- Ecoutez une conversation entre jeunes gens, dans le monde, en Amérique; vous les entendez parler des cours des denrées, des fluctuations des marchés, des ordres de bourse, d’affaires en un mot. Je n’entends pas dire par là que ce doit être là un exemple à imiter. Non, mais si j’établis un parallèle entre ces jeunes gens américains, mûrs, sérieux à vingt ans, et ceux de France, je crois pouvoir dire que, si, chez les uns les affaires, le négoce, tiennent trop de place, chez les autres ils n’en tiennent pas assez..
- Tout en citant avec un certain enthousiasme, dont je ne me défends pas, cet admirable exemple de l’activité, de l’initiative du peuple américain, j’ai fait, certaines réserves, et j’en ai d’autres encore à faire.
- La nécessité d’alléger les charges écrasantes qui pèsent ailleurs sur l’agriculture, sur le commerce et sur l’industrie, est démontrée par l’exemple de l’Angleterre et des Etats-Unis ; et les causes de l’essor de ces deux grandes nations se trouvent, non seulement dans leur éducation et leur génie commercial, mais surtout dans la grande liberté, dans la grande indépendance dont ils jouissent, et dans les faibles taxes qui leur sont imposées.
- Les jeunes gens chez ces deux peuples n’ont pas non plus la grave préoccupation du service militaire. Rien n’entrave leur carrière, rien ne la retarde. Us n’en ont pas moins très vif le sentiment national ; à cet égard leur orgueil est sans égal ; ils sont fiers de la patrie américaine, et c’est encore dans le sentiment profond de leur puissance, qu’ils puisent la force et la hardiesse dans l’entreprise.
- Eh bien ! je vous le demande, y a-t-il, dans le portrait de l’Américain que j’ai tracé, rien qui soit de nalure à justifier la critique à laquelle je crois devoir répondre? N’y a-t-il pas lieu de faire connaître à nos compatriotes le modus vivendi de leurs concurrents d’au delà de l’Atlantique, et n’ai-je pas rempli palriotiquement ma mission et atteint mon but?
- M. Félix Ilément dit que la suppression des formules commerciales, c’est la suppression de la politesse. Ceci demande à être prouvé. L’Américain qui me bouscule dans la rue et me marche sur les pieds pour arriver le premier, (sans me demander pardon), je le rencontre chez lui, affable, prévenant, poli, ne parlant jamais aux dames que la tête découverte, respectueux pour les vieillards, secourable pour les faibles.
- Quel avantage retirent-ils de leur excès d’activité? dit ensuite M. Félix Ilément, en parlant des Américains. De passer plus de temps au milieu des leurs, dans leur home, de ne pas se laisser devancer par la concurrence, de profiler et de jouir de toutes les inventions modernes, et de mettre en échec le vieux monde imbu de préjugés et tardif au progrès.
- Oui, la supériorité comme la dignité de l’homme est dans la pensée. L’Américain pense constamment, et lorsque, le regard fixe, il mâche son ehewing iobacco, il combine, il calcule, il pense.
- En vérité, à quoi servirait donc la vapeur et l’électricité, à quoi serviraient ces efforts, ces expériences d’hommes de génie et d’audace qui cherchent la direction des
- aérostats et préparent le percement d’isthmes, sinon à aller plus vite?
- Est-ce qu’il n’y a pas entre les découvertes de l’homme et sa manière de vivre un enchaînement absolu? Est-ce que nous avons le temps, à la fin du dix-neuvième siècle, de nous baiser les mains comme les Espagnols ou de nous présenter l'assurance de notre considération distinguée, comme les Français, dans le langage d’affaires?
- Oui, il doit y avoir un langage d’affaires, et le plus bref, le plus concis est le meilleur. 11 doit y avoir aussi une écriture d’affaires, abrégée, rapide comme la parole, comme la pensée, si c’était possible. La sténographie est l’écriture commerciale de l’avenir. Du reste la sténographie n’est-elle pas une sorte d’assemblage de signes hiéroglyphiques tels qu’en employaient les Égyptiens pour exprimer une phrase, une sentence, une pensée toute entière ?
- Est-ce que cela empêchera de se reposer sous l’ombrage frais d’un hêtre... sub tegmine fagi?... Est-ce que cela nous empêchera :
- ........................victorieux, contents,
- De pouvoir rire à l'aise et prendre du bon temps?
- Non, mille fois non ; notre siècle est celui de l’électricité, de l’aérostation bientôt, c’est-à-dire de la rapidité dans l’espace.
- Quant aux peuples qui veulent être à leur aise dans la rue et ne pas se laisser marcher sur les pieds, ils resteront en arrière pour disparaître ensuite, oubliés dans le dolce far niente de leur contemplation. E. Lourdklet.
- UN GUERRIER AZTÈQUE
- OE l’armée DE SIONTÉZUMA A i/ÉPOQUE DE LA CONQUÊTE ESPAGNOLE (l52t)
- M. Eug. Boban, l’antiquaire et le voyageur bien connu des anthropologistes et des ethnographes, nous a récemment invité à aller voir dans son établissement du boulevard Saint-Michel, la curieuse restitution qu’il a faite du costume d’un jeune guer-• rier aztèque, chevalier de l’ordre du Tigre, de l’armée de Montézuma (Moclheuzoma). Le personnage est figuré en un mannequin très habilement exécuté que nous représentons dans la gravure ci-contre ; cet objet vraiment remarquable est destiné à l’une des plus importantes collections ethnographiques de Mexico. Le guerrier mexicain de l’époque de la conquête espagnole (1521) est, comme on le voit, revêtu d’une étoffe tigrée, surmontée d’une tête de tigre habilement façonnée. Cet habillement extraordinaire est assurément l’une des plus remarquables curiosités que l’on puisse mentionner parmi les costumes militaires. Les nombreux voyages que M. Boban a exécutés au Mexique, les innombrables documents qu’il y a recueillis sur les antiquités de ce pays si intéressant, la compétence que le persévérant antiquaire a acquis à la suite de ses études et de ses recherches, sont autant de garanties de l’exactitude de la restitution.
- Le masque du guerrier a été moulé sur un indigène vivant de la vallée de Mexico. La tête du
- p.23 - vue 27/432
-
-
-
- 24
- LA NATURE.
- tigre (en mexicain ocelotl) a été fabriquée en bois ! comme le faisaient les anciens Mexicains; elle a été armée de grandes dents, et grossie avec intention afin de former au moyen de la gueule ouverte, un véritable casque. Ce casque non seulement protégeait la tête du combattant, mais il avait aussi pour but de jeter la terreur chez l’ennemi.
- Cette idée d’effrayer l’ennemi a toujours été l’une des principales préoccupations des organisateurs militaires de l’antiquité ; elle a prévalu jusqu’à notre époque, car l’on ne saurait expliquer autrement la présence des crinières, ou des grands plumets sur les casques modernes ; ils ont assurément pour but de surélever la tête du soldat et de le grandir en quelque sorte aux yeux de ceux qu’il attaque.
- Aux époques gré-co-romaines, on voyait dans les armées, des soldats affublés de dépouilles de lions et de tigres, dans le but de leur donner un aspect redoutable. Cet usage existe encore aujourd’hui à un très haut degré dans l’Extrême-Orient, chez les Chinois et les Japonais.
- Le jeune guer-rier mexicain, que nous représentons, porte à la lèvre inférieure le tentetl, en cristal de roche teuilotl, sorte de petite pièce cylindrique connue sous le nom espagnol de sombrerito ce qui veut dire petit chapeau. En effet cette pièce ressemble un peu à notre chapeau à haute forme. C’était après avoir perforé la lèvre inférieure, que l’on introduisait le tentetl.
- Cette coutume de se perforer les lèvres et d’y mettre des ornements plus ou moins volumineux
- existe sur tout le continent Américain depuis le cap Horn jusqu’au détroit de Behring (et même jusque dans les parties équatoriales de l’Afrique).
- Le tentetl en cristal de roche, était l’insigne des officiers de la maison de l’empereur; on le donnait généralement en récompense à ceux qui avaient fait des prisonniers.
- M. Eug. Boban, comme les anciens Mexicains, s’est
- servi d’une étoffe tigrée pour confectionner le costume du guerrier; l’étoffemexi-caine était en coton, la sienne est en laine. Le guerrier a la main droite sur son épée; c’est une sorte de massue garnie de lames d’obsidienne.Elle a été moulée sur l’échantillon que M. Boban a rapporté du Mexique, avec ses grandes collections mexicaines qui figurent actuellement au Musée ethnographique du TroeadéroàParis.
- A la main gauche, le guerrier tient un bouclier circulaire recouvert d’une peau de chevreuil ; aü centre de ce bouclier est figuré un hiéroglyphe propre à l’ordre des chevaliers du Tigre ; aux poignets et sur les pieds du combattant sont fixées d’énormes griffes de tigre. Les pieds sont chaussés de cactli, sorte de sandales, encore en usage de nos jours parmi les indigènes. La tète est surmontéed’un panache de longues plumes brillantes.
- L’exécution de la pièce que nous signalons à nos lecteurs, ne laisse rien à- désirer, et nous avons regretté d’apprendre en la considérant, qu’elle n’était pas destinée à nos musées nationaux. G. T.
- p.24 - vue 28/432
-
-
-
- LA NATURE.
- Personne, dans les pays chauds, n’est sans avoir remarqué des petites constructions en terre, de forme irrégulière, appliquées contre les poutres, les lambris et les murs des maisons.
- A première vue on prendrait volontiers ces petites masses pour des taches de terre, pour des amas de poussière, amoncelés par le hasard et épargnés par la négligence des domestiques.
- 11 n’en est rien, et si l’on se donne la peine d’examiner avec quelque attention ces morceaux de terre gâchée, on verra que ce sont des nids dont les architectes appartiennent à la famille des guêpes maçonnes, hyménoptères de la tribu des Eu-méniens.
- Les trous ronds dont sont criblés ces nids sur leur face extérieure sont autant d’ori-fi c e s qui ont donné passage aux insectes parfaits. Ceux-ci après avoir accompli , chacun dans une cellule séparée, leurs mystérieuses métamorphoses, se dépouillent enfin de leur enveloppe de chrysalide et s’élancent joyeux pour jouir de la vie et de la lumière, après une longue réclusion.
- Suivons des yeux le travail d’une guêpe solitaire. Cet insecte ressemble à une grosse mouche noire; ses ailes violettes et irisées ont le plus brillant éclat. Son abdomen, séparé de son thorax par un étranglement très prononcé, rend bien justement cette comparaison qu’établissaient nos pères entre ces élégants insectes et nos grands-mères pincées
- dans leurs longs corsets. Les derniers anneaux de l'abdomen sont rouges, il en est de même du front qui est varié de fauve. Les mandibules se recourbent chez le mâle en forme de longue faucille, rappelant le sabre des guerriers d’Abyssinie, et produisent par leur grandeur démesurée, sans proportions aucunes avec la taille de l’insecte, l’aspect le plus bizarre. Cette mouche est un hyménoptère porte-aiguillon,
- de la division des diploptères , famille des Eumé-niens ou guêpes solitaires, c’est le Stjnagris calida, Fab.
- L’insecte femelle , car chez les animaux le male ne prend que bien rarement le soin de préserver et de pourvoir ses petits, se charge de la construction du nid. Elle commence par choisir un emplacement le long d’une solive ou a l’angle d’une fenêtre. Après un examen consciencieux des lieux, l’insecte s’éloigne.
- On le voit bientôt revenir chargé d’une boule d’un mortier fait de sable pétri avec les mandibules après avoir été dilué dans la salive.
- A l’aide de ses mandibules , la guêpe applique cette boulette contre le mur, l’étend et la façonne puis elle fait un nouveau voyage et arrive ainsi à accumuler une certaine quantité de mortier.
- Bientôt, en quelques jours, on voit un pâté de terre arrondi gros comme le poing, ou plat et allongé comme le montre notre figure. Le nid est alors criblé de trous ronds, chacune de ces ouvertures correspond avec une cellule ovale, très régulière de forme intérieurement, et dont les parois sont soigneusement polies.
- Les guêpes maçonnes (Synagrix calida), Fab.
- Aspect du nid construit en terre à J'angle d’une fenêtre. La partie inférieure du nid est coupée pour montrer l’intérieur des cellules.
- p.25 - vue 29/432
-
-
-
- 26
- LA NATURE.
- Le nombre de ces cellules est souvent considérable, certains nids en contiennent parfois plus de vingt. Le nid est alors au moins trente fois plus gros que l'architecte.
- Dans chacune de ces cellules, la mère va pondre un œuf et accumuler autour de lui des proies vivantes et pourtant incapables de se défendre contre la jeune larve qui sortira de l’œuf pour les dévorer.
- Voici le Synagris en chasse; son air est affairé, ses longues antennes sont en vibration coutinuelle, il voltige autour des petits buissons. Bientôt il aperçoit une chenille blottie sous une feuille. Celle-ci ne tarde pas à donner les signes de l’inquiétude que lui cause ce dangereux voisin. Elle relève la tête et les premiers anneaux du corps, clic cherche à fuir.
- Mais, semblable à un oiseau de proie, la guêpe fond sur elle, lui saisit le cou dans ses mandibules et la perce de son aiguillon. La chenille fait quelques mouvements convulsifs, vomit une liqueur verte et retombe inanimée. Son ennemi la saisit dans ses mandibules et l’emporte à son nid.
- La proie est toujours fort lourde et la distance souvent considérable. Mais la guêpe n’abandonne pas sa proie, et se reposant, quittant et reprenant sa proie, la traînant et la portant, la chasseresse revient enfin à son nid et disparaît avec la chenille dans une des cellules.
- L’insecte répète ce manège vingt fois, trente fois, suivant le nombre d’œufs à pourvoir, la moyenne étant de six chenilles pour chacun.
- Ce travail terminé notre mère guêpe ferme chaque ouverture du nid avec du mortier, puis elle se retire et ne tarde pas à mourir près du nid qu’elle a si laborieusement édifié. Telle est la règle pour ces petits êtres dont les actes nous semblent dictés par quelque chose de plus que l’instinct, et qui sont condamnés à ne jamais voir les petits pour lesquels ils ont déployé tant de prévoyance et de soin.
- Bientôt dans la cellule, nous verrons sortir de l’œuf un petit ver blanc, faible chétif et aveugle.
- Cet être débile, à peine né, attaque résolument une des chenilles entassées autour de lui. Cette chenille d’une taille gigantesque par rapport à son ennemi, essaye en vain de se débattre.
- Ses mâchoires ont des mouvements convulsifs, ses anneaux se contractent, mais elle ne peut se mouvoir. Et toujours, sans cesse, le ver rongeur pénètre plus avant dans son corps, déchirant ses flancs, lacérant ses entrailles. Quel rêve épouvantable ! Quel cauchemar pour la victime engourdie ! Son supplice ne finit qu’avec elle, et lorsque la larve qui grossit à mesure, a dévoré presque complètement les viscères de la première chenille, seulement alors on voit disparaître chez la victime les dernières contractions et les derniers spasmes.
- A quoi attribuer ce phénomène? La chenille est frappée de paralysie et présente, quoiqu’en état de vie, toutes les apparences de la mort. Cependant, si on la pique avec la pointe d’une aiguille, on verra
- de petits mouvements se produire, surtout aux extrémités du corps.
- La raison de cet état de choses est connu. La guêpe solitaire pique la chenille au milieu du corps de façon à atteindre de son aiguillon un des ganglions de la chaîne nerveuse. Cette piqûre amène chez la chenille une paralysie due à l’action du venin, et d’autant plus appréciable que l’on se rapproche davantage du point piqué, tout à fait insensible à la piqûre de l’aiguille.
- C’est toujours à cet endroit que la jeune larve attaque la première chenille, d’ailleurs la guêpe a eu le soin de pondre l’œuf presque sur cet endroit du corps de la victime destinée à être dévorée la première. Mais une fois que la larve grossit, que scs mâchoires deviennent plus fortes, elle attaque sans choix ses autres proies, et les laisse souvent à moitié dévorées pour en commencer une autre.
- Au bout d’un mois à peu près, la larve de la guêpe a atteint son développement complet; elle a terminé son repas et se prépare à se chrysalider.
- A cette époque c’est une sorte de ver arrondi, long d’environ 20 millimètres, blanc crémeux ou rose, charnu et comme pulpeux, à peu près inerte et complètement apode.
- La partie antérieure de son corps est inclinée en avant et la petite tête ronde ressemble à une boule d’opale sur laquelle se détachent par leur teinte roussâtre les mandibules, les mâchoires et les autres pièces buccales plus ou moins cornées.
- Cette larve est composée de quatorze segments en comptant la tête. Ces anneaux sont séparés nettement les uns des autres et portent de chaque côté un mamelon sur lequel on voit une petite boutonnière cornée. Ce sont les stigmates, organes extérieurs de la respiration. 11 y en a dix paires, les deux premiers segments et les deux derniers en sont dépourvus.
- La larve, arrivée à ce point de maturation, tapisse sa loge d’un premier réseau de soie, puis elle file et s’enveloppe dans un cocon soyeux d’un blanc jaunâtre, semblable à de la baudruche. La larve a eu soin de laisser ses déjections (elle a vidé son intestin en une fois, à la fin de son long repas), dans un coin de la cellule et de filer de manière à les laisser en dehors de la coque soyeuse.
- Si au bout de quelques jours on ouvrait ce cocon, on y trouverait une guêpe, mais absolument blanche et molle ; ses pattes et ses antennes repliées le long du corps, semblent, par leur transparence, autant de baguettes de cristal. Les ailes, repliées dans tous les sens, ont l’apparence de moignons et recouvrent en partie les pattes. Les pièces buccales sont étalées sur la poitrine. Tout l’insecte paraît bossu et replié sur lui-même. Mais peu à peu les yeux deviennent fauves, puis bruns, enfin noirs. Les pièces de la bouche se colorent, les diverses parties du thorax s’induisent, prennent leurs diverses teintes tranchées, enfin l’insecte apparaît avec toutes ses couleurs.
- p.26 - vue 30/432
-
-
-
- LA NATURE.
- 27
- Le Synagris reste encore quelque temps dans cet état de nymphe, mais enfin l’heure du réveil sonne pour lui. Il se dépouille de son enveloppe, fine pellicule inorganisée qu’il dévore ; il déchire son cocon perce les parois de sa cellule et voit enfin la lumière.
- Il s’arrête ébloui. Doucement il étend ses ailes au soleil, les déploie, les fait vibrer. Il allonge ses pattes, il les passe à plusieurs reprises sur sa bouche, et il s’envole enfin dans l’espace où il a quelques jours à vivre. Maurice Maindron.
- LE CHEMIN DE FER ET LE PORT
- DE I.A RÉUNION
- C’est vers le milieu du dix-septième siècle que les Français fondèrent leurs premiers établissements à Madagascar et prirent possession de l’île Bourbon.
- La nouvelle Compagnie des Indes Orientales, qui dût sa création à Colbert, développa dans ces colonies les cultures de la canne à sucre, du caféier, des diverses épices ; le commerce y prit un rapide essor, mais le défaut de ports pouvant mettre les navires en sécurité dans ces parages contre les tempêtes qui y sévissent fréquemment était, dès cette époque, un obstacle à la prospérité de Bourbon. Le Gouverneur de celle colonie prit alors possession de l’ile voisine, Maurice, à laquelle on donna le nom d’Ile de France. Ces deux magnifiques colonies virent croître leur prospérité jusqu’à la liquidation de la Compagnie des Indes. Cédées ensuite au domaine royal, elles furent plus1 tard avec les Seychelles et Madagascar réunies par un décret de l’Assemblée Nationale en un seul département ; Bourbon prit alors le nom de Réunion.
- Prise par les Anglais, ainsi que Maurice en 1810, La Réunion fit retour à la France en 1815, et depuis cette époque vit développer les travaux publics, les institutions de crédit et la culture de la canne à sucre, qui fut longtemps sa grande source de richesse.
- L’abolition de l’esclavage, en 1848, sagement préparée par une loi antérieure qui permettait aux esclaves de racheter leur liberté, ne fut pas une cause d’arrêt pour les travaux de culture ; les plantations de canne furent faites avec une telle activité qu’on déboisa malheureusement File.presque complètement, abandonnant ou reportant dans les hauts toutes les autres cultures. Depuis une vingtaine d’années, La Réunion a vu décliner son ancienne prospérité. Les ravages causés par les cyclones, ceux occasionnés par le borer, insecte qui s’attaque aux cannes à sucre, le développement énorme pris par la sucrerie de betteraves en Europe, furent les causes principales de ce déclin.
- Cependant La Réunion offre une grande importance comme escale des grands paquebots qui font
- actuellement le service de l’Australie et de la Nouvelle-Calédonie.
- Elle est en outre pour la France, surtout à notre époque de réveil des entreprises coloniales, et en vue de notre action présente à Madagascar, une base d’opérations d’une importance capitale. Tandis que Maurice, douée naturellement de plusieurs ports et rades magnifiques, était depuis longtemps en outre dotée d’un chemin de fer, La Réunion voyait son commerce entravé de plus en plus par la difficulté des opérations maritimes. Pour conjurer la ruine totale de cette magnifique colonie, le gouvernement prit l’heureuse résolution d’y créer un port et d’y construire un chemin de fer. C’est en 1872 que furent commencées les études techniques et commerciales de ces deux projets, qui n’en forment qu’un en réalité, car s’il était indispensable d’ouvrir enfin un abri sur et commode à notre marine, il n’était pas moins nécessaire de relier à ce port les différents quartiers de File. Il importe, en effet, au commerce de pouvoir concentrer en un seul point les sucres qui forment la principale marchandise d’exportation, afin d’arriver, par des mélanges appropriés, à obtenir les nuances, les marques demandées par l’Australie, l’Inde et les autres pays consommateurs ; il faut, d’autre part, pouvoir distribuer dans les différents quartiers de l’île, sans les grever des frais de transport excessifs des charrois, toutes les marchandises d’importation, céréales, riz, houille, bétail, etc.
- Une Société, au capital de 5 millions de francs, fut fondée en 1878 pour l’exécution des importants travaux de cette double entreprise du chemin de fer et du port, et fut autorisée à émettre des obligations représentant l’annuité de garantie du gouvernement fixée à 1 925 000 francs.
- Les travaux furent commencés de suite, et trois ans après le chemin de fer était livré à l’exploitation (fig. 1).
- Nous nous proposons de décrire ici avec quelques détails cette ligne, qui ne le cède guère aux chemins de fer les plus difficiles construits en Europe, car la longueur cumulée des travaux d’art de toute nature espacés sur son parcours total qui est de 126 kilomètres, n’est pas moindre de 15 kilomètres.
- La voie étroite, de 1 mètre de largeur entre les rails, qui est appelée, même en Europe, croyons-nous, à un immense développement dans l’avenir, s’imposait naturellement par des raisons d’économie tant dans la construction que dans l’exploitation; elle est d’ailleurs très largement suffisante pour satisfaire aux exigences du trafic, non seulement à l’heure actuelle, mais quel que puisse être le développement des transports dans l’avenir, en calculant sur les bases les plus larges.
- De Saint-Denis, qui est le chel-lieu de File, la ligne se dirige en suivant à peu près le littoral d’un côté jusqu’à Saint-Benoît, en desservant tous les quartiers de l’île qui forment la partie dite du Vont, et de l’autre côté jusqu’à Saint-Pierre, en passant
- p.27 - vue 31/432
-
-
-
- 28
- LA NATURE.
- par le port de la Pointe-des-Galets et desservant tous les quartiers de la partie dite Sous-le-Vent.
- Étant donnée la constitution géologique de l’île de La Réunion, on ne peut s’étonner du nombre et de l’importance des travaux d’art exigés par l’établissement d’un chemin de fer, nécessairement situé le long des côtes.
- En effet, la partie centrale de l’île, dont l’origine est volcanique, se compose de montagnes atteignant une altitude de 3000 mètres, et d’anciens cratères ravinés par les torrents d’eau que les cyclones portent dans ces parages. Il s’est formé l'a d’immenses cirques, entonnoirs formidables, d'où les eaux se précipitent, pendant la saison des pluies, avec une violence inouïe, ravinant le sol, et roulant à la mer des masses imposantes de pierres de toute sorte, qui atteignent des proportions énormes, puisque certains blocs roulés par ces torrents mesurent plus d’un mètre cube, et que l’on a pu évaluer à un million de mètres cubes les apports d’une seule descente de la rivière des Galets.
- Toutes ces rivières traversent la ligne et ont nécessité la construction de très nombreux et importants ouvrages. On ne compte pas moins de 92 ponceaux et 65 grands ponts.
- Entre Saint-Denis et la Pointe-des-Galets la côte est formée par une falaise de lave et de basalte de plus de 300 mètres de hauteur, sur une étendue de plus de 10 kilomètres, coupée par deux ravines; cette partie du littoral a dù être traversée par un tunnel dont les tronçons se relient par des viaducs en maçonnerie. On a déterminé la position de ce tunnel à 30 mètres environ de la falaise à pic qui vient battre la mer, ce qui a permis, au moyen de galeries perpendiculaires au tunnel, d’attaquer par un grand nombre de points simultanément cet impôt tant travail, entièrement fait d’ailleurs à main d’homme, au fleuret et à la dynamite.
- Ces petites galeries auxiliaires servant à l’extraction des déblais ont remplacé avantageusement les Duits intermédiaires qu’on a souvent employés dans L’exécution des tunnels.
- Nous ne pouvons, dans cette brève notice, donner même l’énumération de tous les ouvrages d’art dont
- nous avons cité le nombre relativement si élevé ; nous nous bornerons à indiquer les plus importants.
- De Saint-Benoît à Saint-Deflis la ligne commence par s’écarter du littoral en se dirigeant vers Saint-André et traverse la rivière du Mat sur un pont en treillis de 100 mètres d’une seule portée (fig. 2); la voie se rapproche ensuite du bord de la mer et va desservir les quartiers de Sainte-Suzanne et de Sainte -Marie en traversant encore sur des ponts métalliques les rivières de Saint-Jean, de Sainte-Suzanne et de Sainte-Marie, et rencontre, avant d’arriver à Saint-Denis, la rivière des pluies composée de sept bras qu’il a fallu traverser au moyen de sept ouvrages métalliques formant une longueur totale de plus de 130 mètres, puis la rivière du Chaudron et celle du
- Butor franchie par un pont biais de 40 mètres d’ouverture. Le chemin de fer pénètre ensuite dans la ville de Saint-Denis, chef-lieu de la colonie, sur un via-duc métallique porté par des colonnes en fonte. Au sortir de la ville on rencontre la rivière de Saint-Denis, que la voie traverse sur un pont de 60 mètres en deux travées, à la suite duquel se trouve un long viaduc en maçonnerie, puis on s’engage dans le tunnel de la Falaise, de 10 kilomètres et demi de longueur, et on franchit trois ponts, pour déboucher à la Possession, sur la plaine des Galets où se trouvent la gare des marchandises et le réseau des voies ferrées desservant le nouveau port. Le chemin de fer traverse ensuite la rivière des Galets sur un pont métallique de 400 mètres de longueur en 8 travées, franchit l’étang de Saint-Paul sur un autre pont de 100 mètres en 2 travées, et arrive à la ville de Saint-Paul, traverse en tunnel le cap La Houssaye, rencontre l’étang de Saint-Gilles, franchit encore par un pont métallique de 30 mètres en une travée, et vient croiser deux ravines profondes, dites la Grande et la Petite-Ravine. 11 a fallu, en ces points, construire deux grands | viaducs en maçonnerie, l’un de 5 arches (fig. 3), | l’autre de 7 arches en plein cintre, et dont la hau-i teur n’est pas moindre de 35 mètres.
- * La ligne arrive à la station de Saint-Leu, franchit
- .STDENIS,
- N ouveau Port fl—
- .ST LEU
- STLOUK
- (TJOSÉPH
- Fig. 1. — Carte de l’île de La Réunion avec le tracé du chemin de fer et l’indication du nouveau Port.
- p.28 - vue 32/432
-
-
-
- LA NATURE
- 29
- encore diverses rivières sur des ponts dont quel- | ques-uns sont en maçonnerie, d’autres avec tabliers
- Fig. 2. — Chemin de fer de l’ile de La Réunion. — Montage du pont de la rivière du Mât (100 mètres en une seule portée).
- D’après une photographie.
- métalliques à poutres droites en treillis, et aboutit à Saint-Pierre, point terminus de la partie Sous-le-Yent, après avoir traversé la rivière Saint-Etienne sur un
- grand pont de 10 travées mesurant chacune 50 mètres de portée.
- Malgré les difficultés de toute nature que ren-
- Fig. 5. — Chemin de fer de l’ile de La Réunion. — Viaduc de la Petite Ravine. (D’après une photographie.)
- contre forcément l’exécution d'un aussi gigantesque travail dans un pays qui offre peu de ressources et où tous les ouvriers spéciaux doivent être envoyés
- d’Europe, malgré les délais occasionnés par les transports de l’important matériel expédié entièrement de France, ce chemin de fer a été livré à
- p.29 - vue 33/432
-
-
-
- 50
- LA NATURE.
- 1 exploitation au bout de trois ans, et l’importance de son trafic, destiné à s’accroître considérablement lors de 1 achèvement du port, a dépassé rapidement les prévisions les plus optimistes. On avait compté sur un chiffre de recettes de 550 000 francs et dès à présent le trafic du chemin de fer s’élève à 800 000 francs par an.
- — A suivre. —
- UNITÉS ÉLECTRIQUES
- LE WATT ET LE JOULE
- La signification nette et précise de ces nouvelles unités électriques pratiques est si souvent méconnue, et prèle encore à tant de confusions, même dans les traités les plus estimés, que nous croyons utile d’en retracer rapidement l’origine et d’en donner une fois pour toutes les définitions exactes, puisque la pratique a sanctionné leur emploi.
- Le Congrès international des Électriciens tenu à Paris en septembre 1881 a donné les définitions et arrêté les noms des unités pratiques des cinq grandeurs électriques principales : résistance (ohm) ; force électi'otnotrice (volt) ; intensité (ampère) ; quantité (coulomb) ; et capacité (farad).
- On ne tarda pas à s’apercevoir que celte liste était incomplète et l’ont eut bientôt besoin d y adjoindre deux nouvelles grandeurs, et, par suite deux nouvelles unités :
- 1° L’unité pratique d’énergie électrique, égale au travail représenté par une quantité d’électricité agissant avec une force électromotrice de un volt (unité correspondant au kilogrammètre).
- 2° L’unité pratique de puissance, ou puissance d’un courant dont l’intensité est d’un ampère agissant avec force électromotrice de un volt (unité correspondant au kilogrammètre par seconde).
- Les praticiens avaient tout d’abord adopté les noms de volt-coulomb pour la première unité et de volt-ampère pour la seconde,lorsqu’au Congrès défi Association britannique tenu à Southampton en septembre 1882, son président, le regretté sir William Siemens, proposa de donner le nom de joule au volt-coulomb et celui do ivalt au volt-ampère.
- Ces noms si courts, si simples, furent rapidement adoptés par les praticiens, surtout en Angleterre ; l’emploi de ces unités pratiques facilite les calculs et fait disparaître toute ambiguïté; aussi le watt et le joule sont-ils aujourd’hui aussi employés que les autres unités électriques pratiques.
- Quelques exemples familiariseront d’ailleurs nos lecteurs avec les grandeurs de ces unités et leur véritable nature.
- Une lampe électrique fonctionnant avec A0 volts de différence de potentiel aux bornes et un courant dont l’in-sité est de 0,7 ampère est une lampe de 28 watts, et comme :
- 1 watt = kilogrammètre par seconde.
- il en résulte qu’une lampe de 28 watts exige 2,8 kilogratn-inètres par seconde.
- L’énergie dépensée par la lampe en une seconde est égale à 28 joules et comme :
- 1
- 1 joule = kilogrammètre
- le travail dépensé par la lampe en une seconde est égal à 2,8 kilograinmètres.
- Il V a donc entre l’unité électrique de travail (joule) et l’unité électrique de puissance (watt), la même différence qu’entre le coulomb et l’ampère. Le joule est la quantité de travail produite en une seconde par une puissance de un watt, comme le coulomb est la quantité d’électricité qui a passé en une seconde dans un circuit lorsque l’intensité du courant est de un ampère.
- Concevons un accumulateur électrique renfermant 100 000 de coulombs et pouvant débiter 10 ampères avec une différence de potentiel de 2 volts aux bornes.
- La puissance de cet accumulateur sera de
- 10x2 = 20 watts.
- Mais la quantité d’énergie électrique totale qu’il renferme est égale à
- 100 000 x 2 = 200 000 joules, si on lui fait débiter 20 watts, il fournira dans le circuit extérieur, chaque seconde, une quantité d’énergie égale à 20 joules, et comme il en renferme 200000, il pourra fonctionner pendant
- 200000
- —— = 10 000 secondes
- soit un peu moins de 3 heures.
- Car de simples modifications dans la construction de l’accumulateur, on pourrait donc doubler sa puissance sans augmenter sa capacité ; on aurait ainsi doublé les watts sans changer les joules ; ces deux éléments sont donc parfaitement distincts et représentent en quelque sorte les constantes de travail d’un accumulateur donné.
- Les piles Leclanché ont une faible puissance, et fournissent, relativement à leur poids une quantité totale de travail assez considérable; on peut dire, par abréviation, que ce sont des piles de peu de watts et beaucoup de joules; les petites piles employées par M. Trouvé dans ses lampes portatives, sont, au contraire, des piles de beaucoup de watts, tandis qu’on a cherché à réduire leurs dimensions pour les rendre légères, et qu’on a ainsi réduit, à dessein, le nombre de joules.
- On augmente les watts d’uDe pile donnée en diminuant sa résistance intérieure; on augmente les joules en augmentant la provision de matières actives et, par suite, son poids.
- Ces quelques exemples suffisent, pensons-nous, pour bien montrer les différences essentielles qui caractérisent le joule et le watt; l’unité de travail et l’unité de puissance. Voici d’ailleurs un tableau qui résume les différentes valeurs des unités actuellement employées :
- UNITES DE TRAVAIL.
- 1 kilogrammètre = U,81 joules.
- 1 joule 1 joule
- kilogrammètre. 9,81 °
- 107 ergs=10 ineg-ergs.
- UNITES DE PUISSANCE.
- 1 kilogrammètre par seconde = 9,81 watts. 1 cheval-vapeur
- 1 cheval-vapeur
- 1 horse-power anglais 1 watt
- 756 watts. 75kilograinmètres, par seconde.
- 746 watts.
- * kilogrammètre.
- 9,81 e7 ’ par seconde.
- Ces chiffres montrent que le cheval-vapeur français et
- p.30 - vue 34/432
-
-
-
- LA NAT U UE.
- 51
- Je horse-power anglais sont des unités de puissance légèrement différentes ; le horse-power anglais étant environ \
- supérieur de — au cheval-vapeur français.
- Pour faire disparaître cette anomalie, il suffirait, ainsi que cela a été proposé à la Conférence nationale des Electriciens tenus à Philadelphie d’adopter comme unité de puissance électrique industrielle le kilowatt.
- 1 kilowatt = 1000 watts.
- Le kilowatt a l’avantage de porter en lui-même sa définition, et son emploi dispense de la création d’un mot nouveau dont l’adoption présente toujours certaines difficultés. E. 11.
- —><><—
- CHRONIQUE
- Une Exposition d’électricité à Paris.—La Société internationale des Électriciens a décidé qu’une Exposition avec conférences, et à une date qui sera précisée, aurait lieu en janvier 1885, à l’occasion de sa première assemblée générale. Cette Exposition, qui durera peu de jours, aura lieu à l’Observatoire de Paris, dans une série de salles que M. l’amiral Mouchez, directeur de l’Observatoire, a bien voulu mettre à la disposition de la Société. Les électriciens français et étrangers, qu’ils soient ou non membres de la Société, qui désireraient prendre part à cette Exposition, peuvent, dès maintenant, et jusqu’au 25 décembre, adresser leurs demandes, avec indication de la nature des objets qu’ils comptent envoyer, à M. le président de la Société internationale des Electriciens, 5, rue Séguier à Paris. Les exposants n’auront d’autres frais à acquitter que ceux d’expédition et d’installation des appareils.
- Bronze Tucker. — Le Scientific American donne le moyen d’imiter parfaitement le bronze d’ornements avec la fonte ordinaire et appelle bronze Tucker ce nouveau produit. Il s’agit uniquement de colorer la fonte et de lui donner l’aspect du bronze. Pour cela, la fonte étant décapée ou même polie, on l’enduit d’une couche mince d’huile de lin ou de vernis à l’huile de lin; et on la chauffe à une température suffisante pour déterminer à l’air l’oxydation du métal. La température est poussée plus ou moins haut, suivant que l’on veut obtenir une nuance jaune clair ou brun foncé. De même on peut don ner au fer l’aspect du bronze en le polissant et le dégraissant, puis le soumettant pendant 2, 5, 4, 5 minutes, à l’action des vapeurs d’un bain acide composé moitié d’acide azotique et moitié d’acide chlorhydrique concentrés. On les enduit alors de vaseline, résidu décoloré et désinfecté de la distillation des naphtes; et l’on chauffe jusqu’à ce que la vaseline commence à se décomposer.
- - —
- ACADÉMIE DES SCIENCES
- Séance du 8 décembre 1884. — Présidence de M. Rolland.
- Le baromètre et les tremblements de terre. — A propos d’un tremblement de terre observé à Saint-Étienne dans la nuit du 27 au 28 novembre dernier, M. Laur signale l’allure particulière du baromètre au moment du phénomène. La pression avait été fort élevée pendant un laps de temps très long et avait enfin dépassé 770 millimètres. Tout à coup elle faiblit jusqu’à 745 et c’est précisément à
- ce moment que le sol fut agité. L’auteur se demande si des gaz comprimés dans les régions souterraines ne se sont pas tout à coup dégagés au moment de la baisse barométrique et si ce n’est pas précisément leur sortie qui a secoué la terre. La théorie est, comme on le voit, fort originale ; elle ne parait pas à l’abri de beaucoup d’objections. En tous cas il y a eu une coïncidence qu’il est nécessaire de noter.
- La chimie de la betterave. — Gomme suite à des travaux dont nous avons déjà plusieurs fois rendu compte, M. Le Play étudie la végétation de la betterave porte-graines pendant la seconde année. Le résultat analytique le plus net, consiste dans l’absence du sucre soit dans les racines, soit dans les feuilles. En même temps, la proportion de la potasse et de la chaux est de plus en plus considérable.
- Propriétés des antiseptiques. — Au cours de très longues recherches, M. le professeur Gosselin s’est assuré que les antiseptiques possèdent vis-à-vis du sang des propriétés fort différentes. Les plus énergiques tels que le phénol et l’alcool, déterminent la coagulation intravasculaire du sang; d’autres, comme la teinture d’iode, i’iodo-forme et l’iodure de mercure provoquent la coagulation extra vasculaire. Enfin il eu est qui, à l’exemple du sulfate de cuivre, de l’acide borique et du chlorure de zinc, n’exercent sur le sang aucun effet de coagulation.
- Le cuivre et le choléra. — Le collaborateur et le digne continuateur de Burq, M. le Dr Moricourt,- ancien interne des hôpitaux signale la préservation des ouvriers en cuivre durant l’épidémie cholérique que nous venons de traverser. Notre savant confrère, M. Emile Rivière,, dans sa communication du 24 novembre signale, il est vrai, parmi les personnes frappées deux tourneurs en cuivre (sur 971 cas traités dans les hôpitaux). Mais M. le Dr Moricourt déclare qu’un seul de ces ouvriers avait le choléra et qu’il a été guéri.
- Je profiterai de cette occasion pour signaler de nouveau l’excellent volume publié chez Masson par, M. le Dr Proust,, professeur agrégé à la Faculté de Médecine, sous ce simple titre : Le Choléra, étiologie et prophylaxie. Cet ouvrage est accompagné d’une carte représentant la marche des épidémies et il se termine par une instruction sur les précautions d’hygiène à prendre en cas d’épidémie.
- Mort réelle et mort apparente. — On a cru dans ces derniers temps avoir enfin trouvé un signe certain de la mort réelle : on faradise le sujet sur un point de son corps et on cherche si, en mettant la main sur un autre point on éprouve une secousse : dans le cas où la vie persiste la secousse est perçue; elle n’aurait pas lieu dans le cas contraire. Or, M. Ilochefontaine s’est assuré sur des animaux que les choses n’ont pas ainsi lieu. Vingt minutes après la mort la secousse est parfaitement transmise par le corps.
- Terrain houiller de la Basse-Loire. — Dans peu de régions le terrain houiller revêt des caractères aussi intéressants que dans la Basse-Loire. J’ai eu la bonne fortune lors d’une récente excursion géologique du Muséum de la visiter en détail avec M. le professeur Ed. Bureau, et je suis revenu émerveillé. Or, depuis cette promenade, M. Bureau avec la collaboration de son père, M. Louis Bureau, directeur du Musée de Nantes, a trouvé des faits qui rendent encore plus frappante la constitution du
- p.31 - vue 35/432
-
-
-
- LA NATURE.
- 32
- pays. Entre le terrain houiller inférieur ret le terrain houiller supérieur, exploités tous deux dans Maine-et-Loire et dans la Loire-Inférieure, MM. Bureau ont découvert le terrain houiller moyen parfaitement caractérisé par sa flore. Désormais c’est entre Angers et Nantes qu’on trouvera en France le bassin houiller le plus complet.
- Analyse spectrale. — Quand on étudie au spectroscope une étincelle électrique où l’on a introduit des substances à analyser on est considérablement gêné par des raies véritablement parasites dues aux vapeurs fournies par les électrodes ou par l’air. M. Demarçay arrive, d’après M. Cornu, à les éliminer en construisant une bobine qui, à l’inverse des bobines ordinaires, possède un fil induit gros et court.
- Varia. — Un agriculteur prétend que la décoction d’escargots tue le phylloxéra. Il ajoute cet aphorisme malheureusement très douteux que les vignes où se trouvent des escargots sont par cela même à l’abri du phylloxéra. — De liio Janeiro un M. de Souza (?) adresse un journal où, dans un article écrit en français, il réclame la priorité des essais de direction des ballons de MM. Du-puy de Lôme, G. et A. Tissandier,
- Renard et Krebs, etc. Il a cependant contre lui cette circonstance qu’il assure que son appareil était dépourvu de moteur; ce qui ne l’empêchait pas , quand on le lâchait, de marcher contre le vent (??).
- — La dissociation de l’hydrate de chlore occupe M. Lechatelier. — M. Aimé Girard pose sa candidature à la place vacante dans la section d’économie rurale. Stanislas Meunier.
- PHOTOGRAPHIE DES ECLAIRS
- Ayant depuis longtemps l’intention de reproduire des éclairs par la photographie, j’avais fait un repère sur ma chambre noire après avoir mis au point sur des nuages. De cette façon, je pouvais la replacer dans les mêmes conditions sans chercher à mettre au point de nouveau, ce qui, du reste, aurait été impossible, puisque je devais opérer la nuit. Dans la soirée du 15 juillet 1884, un orage se préparait; je braquai mon objectif dans la direction où les éclairs commençaient déjà à illuminer l’horizon. Les lueurs étaient assez intenses pour dessiner sur la glace dépolie la silhouette des arbres, ce qui me facilita l’orientation de mon appareil.
- Tout étant ainsi disposé, je remplaçai la glacedépolie par un châssis contenant une glace au gélatino-bromure d’argent. Je débouchai l’objectif et j’attendis. Pendant environ une demi-heure, les éclairs se produisirent seulement au-dessous de l’horizon. C’est ce qui a donné sur lepreuve la silhouette des arbres et aussi celle des nuages. Enfin, vers minuit, l’orage étant dans toute sa force, un éclair très brillant apparut dans le champ de l’objectif. Je m’empressai de fermer l’appareil et de retirer la glace pour n’avoir pas deux épreuves superposées.
- Au développement, je fus très étonné de voir les ramifications innombrables qui composent cet éclair. En effet, lorsqu’il se produisit, j’avais les yeux fixés sur l’horizon et je n’ai aperçu que la branche principale. En observant depuis le cliché à la loupe, j’ai remarqué qu’une des ramifications est double.
- Il y a d’abord un trait assez fort, puis un autre beaucoup plus fin le suit presque parallèlement dans tou te sa longueur, s’en rapprochant quelquefois seulement au point de se confondre avec le premier.
- M. Mascart, qui a eu l’obligeance de présenter cette épreuve à la Société française de Physique, dans sa séance du 21 novembre , a par-ticulièrement
- insisté sur la façon dont l’éclair est pour ainsi dire pulvérisé, tant les ramifications sont nombreuses. Il compare le passage de l’étincclle^dans 1 air, ù celui de l’étincelle de la bobine de Rhufmkorll dans un cube de verre, l’air étant aussi pour l’électricité un milieu résistant. L’analogie est du reste très grande entre l’épreuve que j’ai obtenue et les traces laissées dans le cube de verre par l’étincelle électrique. Depuis, il ne s’est pas présenté de circonstances favorables pour me permettre de recommencer une autre épreuve, mais je crois qu’il serait intéressant au point de vue scientifique d’avoir un grand nombre de photographies d’éclairs qui, du reste, s’obtiennent avec une très grande facilité. Cela pourrait peut être faciliter letude de ces phénomènes qui sont si peu connus. Desquesxes.
- Le propriétaire-gérant : G. Tissandier.
- Imprimerie À. Lahure, 9, rue de Fleurus, à Paris.
- p.32 - vue 36/432
-
-
-
- N° 603. — 20 DÉCEMBRE 4 884.
- LA N ATI UK.
- 53
- LE
- PLUS ancien animal terrestre connu
- Jusqu’à présent, les naturalistes n’avaient aucune notion des animaux terrestres à respiration aérienne des premiers âges du globe; ils étaient môme en droit de se demander si, à l’époque silurienne, il existait une faune terrestre contemporaine de cette faune marine si riche en mollusques, en crustacés, et qui comprend même quelques poissons. Les mers de cette période étaient peu profondes, mais elles étaient très étendues. Les continents s’élevaient
- à peine au-dessus de la surface des eaux, et leurs côtes, rongées par les Ilots, se modifiaient sans cesse. Quèlqiies végétaux appartenant au groupe des lyco-podiacées et des calamites ont laissé les traces de leur existence, et leur présence donnait lieu de penser qu’elles devaient servir d’abri ou de nourriture à des animaux.
- Une découverte faite dans l'île de Gotland, en Suède, nous fait connaître un de ces êtres. M. le professeur Lindstrôm, de Stockholm, a adressé à M. Alph. Milne Edwards la photographie d’un véritable Scorpion trouvé dans les assises siluriennes et présentant la plupart des caractères des scorpions
- Scorpion fossile des terrains siluriens de i'ile de Gotland (Suède). D’après la photographie adressée par M. Linstrôm
- à M. Alph. Milne Edwards.
- actuels. Nous ne pouvons mieux faire que de reproduire les passages principaux de la lettre deM. Lindstrôm.
- Stockholm, le 24 novembre 1884.
- Cher Monsieur, je vous envoie la photographie d’un Scorpion fossile récemment trouvé dans la formation silurienne supérieure de l’île de Gotland (en Suède). J’ai pensé qu’une découverte si étonnante vous intéresserait... La pièce est assez bien conservée ; on y voit la cuticule chitineuse brune ou jaune brunâtre, très mince, comprimée et ridée par-la pression des couches superposées. On distingue le céphalo-thorax, l’abdomen avec 7 lames dorsales et enfin la queue formée de six segments ou anneaux dont le dernier se rétrécit, devient pointu et forme le dard veuénifique. La sculpture de la surface, est tout à fait 43“ aimais. — 4“r semestre.
- comme chez les Scorpions récents et consiste en tubercules et en carènes longitudinales.
- Un des stigmates est visible à droite et démontre clairement que l’animal a respiré de l’air et toute son organisation prouve qu’il a vécu sur la terre ferme. Nous voyons donc dans ce Scorpion que nous avons désigné sous le nom de Palœophoneus nuncius, le plus ancien des animaux terrestres; les Libellules qui jusqu’ici remontaient à la plus haute antiquité avaient été trouvées dans le terrain Dévonien du Canada.
- On remarque dans la conformation de ce Scorpion un trait d’une haute importance fourni par les 4 paires de pattes thoraciques qui sont grosses et pointues, ressemblant aux pattes des embryons de plusieurs autres tra-chéates et d’êtres comme les Campodea. Cette forme de pattes n’existe plus chez les Scorpions fossiles de la formation carbonifère, chez lesquels ces appendices ressem-
- 3
- p.33 - vue 37/432
-
-
-
- 54
- LA NATURE.
- blent à ceux des Scorpions de nos jours. Un mémoire détaillé sur cet animal par le professeur T. Thorell et moi paraîtra dans quelque temps. Lindstrôm.
- Nous joignons à cette intéressante lettre une reproduction par la gravure de la photographie du Scorpion fossile dont il vient d’être question. C’est une haute curiosité que nous sommes heureux de présenter à nos lecteurs, après la communication qui en a été faite à l’Académie des Sciences par M. Àlph. Milne Edwards.
- —------
- LA COCAÏNE
- On ne saurait ouvrir en ce moment un journal de médecine sans y trouver un article relatant les propriétés merveilleuses de ce nouvel agent thérapeutique. Merveilleuses n’a rien d’exagéré, car on possède lâ un anesthésique local d’une efficacité qui paraît incontestée et dont les applications promettent d’être des plus variées.
- La cocaïne est un alcaloïde que Niemann isola le premier en 1859 de Yerythroxylon coca j elle cristallise en petits prismes incolores et inodores et forme avec les acides des sels, comme la plupart des alcaloïdes. L'erythroxylon coca est un arbuste ^originaire du Pérou, qu’on cultive dans diverses régions de l’Amérique du Sud. L’exploitation de cette plante, réservée jadis aux grands et aux prêtres, comme un objet sacré, s’est répandue de plus en plus et le gouvernement de Uolivie, un des principaux centres de culture, donne chaque année une récolte de plus de 25 millions sur lesquels l’Etal prélève un impôt assez lourd.
- La feuille de coca est d’un usage plus général chez les Indiens de ces régions que le tabac chez nous. L’Indien a toujours quand il se met en route une provision de feuilles qu’il pétrit en pâte avec une substance calcaire, formée des cendres de certaines plantes, ce qu’on appelle la llipta. 11 en forme une boulette qu’il chique, mâchonne constamment, en avalant la salive et absorbant ainsi les principes de la coca, principes toniques, excitants. Vraie ou non, la légende de ces vertus merveilleuses subsiste, et, dans l’Amérique du Sud, la chique de coca est regardée comme un moyen de calmer la faim et de tromper les angoisses d’un jeûne forcé.
- La cocaïne, qui n’a été isolée qu’en 4859, a des propriétés quelque peu différentes, mais tout aussi étonnantes. Niemann, qui l’avait découverte, avait bien reconnu qu'un fragment de ces cristaux de cocaïne, posé sur la langue, amenait une insensibilité locale complète; un autre physiologiste avait vu qu’injectée à certaines doses dans les veines d’un animal, elle provoquait la dilatation de la pupille; mais on n’avait tiré aucun parti de ces premières expériences, bien que von Anrep eût signalé les avantages qu’il y aurait à l’utiliser comme anesthésique local.
- C’est un médecin viennois, le J)r Karl Koller, qu> a eu le mérite de mettre au jour les singulières propriétés de cet alcaloïde et d’en tirer un profit immédiat, au point de vue de la pratique médico-chirurgicale. 11 eut l’idée d’instiller dans l’œil d’animaux quelques gouttes d’une solution aqueuse de chlorhydrate de cocaïne (ce sel est plus soluble que la cocaïne elle-même). Au bout de quelques instants on pouvait constater que la muqueuse oculaire était, comme la muqueuse buccale, influencée par le médicament. On pouvait toucher la cornée, la conjonctive sans que l’animal fit le moindre mouvement témoignant une sensation quelconque. Chacun sait, pour s’être fourré maladroitement le doigt dans l’œil ou pour y avoir reçu quelques grains de poussière, quel degré de sensibilité présente cette muqueuse. La cocaïne annihile toute douleur, toute sensibilité, l’anesthésie est absolue.
- Fort de ces premiers résultats, M. Koller n’hésita pas à répéter ses expériences sur l’œil humain, en commençant par lui et par quelques-uns de ses élèves. L’anesthésie se montra aussi absolue, aussi complète que chez les animaux. Non seulement on n’éprouve aucune douleur, mais on ne perçoit pas même une sensation tactile et on a cette impression bizarre, de toucher du doigt l’œil d’un autre. Cette anesthésie s’accompagne d’une dilatation pupillaire très marquée, un peu plus lente à venir que l’insensibilité. Avec une solution de 5 p. 100, il suffit de deux à trois instillations de 4 a 5 gouttes pour obtenir en deux minutes l’insensibilité complète, insensibilité qui persiste environ un quart d’heure. Cette durée suffit pour une foule d’opérations sur les yeux, telles qu’ablation de corps étrangers dans les culs-de-sac, paillettes de fer incrustées dans la cornée, abcès superficiels, etc. L’opération de la cataracte a pu se faire sans aucune sensation douloureuse, sauf la section et l’excision de l’iris (iridectomie).
- La cocaïne a un pouvoir anesthésique plus étendu lorsqu’on l’introduit dans l’économie par injection hypodermique. MM. Vulpian, Laborde et d’autres physiologistes ont fait à cet égard des expériences nombreuses qui ont été relatées dans le Bulletin consacré à l’Académie des Sciences. Une dose de 7 à 10 centigrammes injectée à un chien, amène, outre l’anesthésie de la muqueuse oculaire, une anesthésie du tégument cutané, en même temps qu’une excitation générale très marquée. Une grenouille est plongée dans un bain de cocaïne ; tout le tégument est devenu complètement insensible. Impossible de produire la moindre sensation en piquant la peau.
- On conçoit sans peine les applications nombreuses de ces propriétés. La cocaïne permettra aux oculistes une foule de petites opérations, d’examens toujours pénibles, quelquefois douloureux et qu passeront désormais inaperçus du malade. De même dans les maladies de la gorge et du larynx, l’introduction du miroir, d’un simple abaisse-langue provoque chez la majeure partie des sujets, des mou-
- p.34 - vue 38/432
-
-
-
- LA N A TU; K
- r>*>
- wnicnts réflexes qui de la nausée vont parfois jusqu'au vomissement. Ces réflexes sont supprimés avec un badigeonnage à la cocaïne. La liste serait longue de tous les essais qui ont été laits, et qui ont réussi, pour calmer la douleur, insensibiliser une région limitée. On recule souvent devant l’idée d’être endormi par l’éther ou le chloroforme, et cependant l’anesthésie s’impose pour la sécurité de l’opération; la cocaïne permettra, dans certains cas, d’éviter cet embarras. C’est une découverte précieuse pour la thérapeutique et qui méritait, à ce titre, d’être signalée à nos lecteurs. Dr Cartaz.
- LE TIR ET LES TIREURS
- Quand un jeune homme se présente pour la première fois dans un tir, son professeur lui explique que pour atteindre le but il suffit qu’au moment où le coup part, l’œil, la coche, le guidon et le but se trouvent sur la même ligne.
- Le néophyte prend l’arme, vise longtemps, presse la détente, le coup part et la balle va se perdre à dix mètres de la plaque.
- A côté de lui un tireur exercé, semblant ne viser qu'imparfaitement, atteindra à coup sur le noir, et exécutera en se jouant, de ces prouesses qui étonnent à juste titre les commençants, tels que doubler des balles, disposer les empreintes sur la plaque de façon à obtenir des trèfles, des carrés, des losanges, et cela soit à la carabine, soit au pistolet.
- Le tir est un art dont la théorie est simple et facile à comprendre, mais dans lequel la perfection ou simplement l’habileté est difficile à atteindre.
- Cette habileté s’acquiert surtout par la pratique.
- Les Américains qui, avec juste raison, cherchent à donner un caractère positif à leurs appréciations estiment le talent d’im joueur de billard à la somme qu’il a dû dépenser pour arriver à ce résultat.
- « Slosson, disait un journal, a bien un talent de 10 000 dollars. » On pourrait de même caractériser l’adresse d’un tireur par le nombre de coups de feu qu’il a tirés antérieurement.
- L’un des lauréats du Concours de Ainccnnes nous disait que chaque année il tirait tant à balle qu’à plomb, une moyenne de 8 à 900 coups de feu, et cela depuis environ vingt-cinq ans. — Soit un total de 22 000 coups de feu.
- Les tireurs ayant placés antérieurement 10, 12 à 15 000 balles ne sont pas rares. Beaucoup de tireurs du récent Concours de tir avaient à leur actif un nombre plus considérable de coups de feu. Au tir au pistolet on rencontre souvent des amateurs plaçant chaque année deux ou trois mille balles.
- Quant aux lireurs de profession tels qu’ira Paine ou le docteur Carver, c’est 40, 50 ou 60 000 coups de feu qu’ils tirent chaque année ; ces chiffres expliquent leur merveilleuse habileté.
- La chasse est eu quelque sorte l'école des lireurs, et il est bien peu de lauréats de concours de tir qui ne soient chasseurs habiles et passionnés. Un des arguments des partisans de la liberté de la chasse en France est l’adresse qu’acquiert le chasseur, adresse qui peut avoir une grande importance à un moment donné pour la défense de la patrie. Bien que les procédés aient changés, la chasse est maintenant comme autrefois l’école de la guerre.
- Bans les pays encore à demi sauvages, comme le Far-West américain, le Mexique, une partie du Canada, là où on rencontre encore des bêtes fauves, où la chasse doit fournir une partie de la nourriture, et où se trouve le chasseur de fourrures, le culte de la carabine est porté à l’extrême, l’adresse devient un honneur et l’exercice du tir est le jeu habituel de tout homme capable de porter une arme; aussi rencontre-t-on dans ces pays des tireurs d’une habileté qui paraîtrait incroyable si elle n’était aflirmée par de nombreux voyageurs.
- Le célèbre naturaliste Audubon raconte, par exemple, avoir été témoin au Kentucky, des exercices de tir suivants :
- Une forte planche est placée à une cinquantaine de pas des tireurs ; au milieu se trouve, à moitié enfoncé, un clou d’une grosseur moyenne ; la balle du tireur doit le faire pénétrer complètement. Or, presque toutes les balles atteignent la tète du clou, beaucoup ne font que la toucher sur les bords, ce qui n’a pour résultat que de courber la tige, mais un certain nombre de tireurs frappant de leur balle, avec une précision merveilleuse le clou au milieu de sa tête et dans l’axe de sa tige le font disparaître dans la planche (fig. 1).
- À la première épreuve, tous ceux qui n’ont pas touché le clou sont éliminés; après la seconde, les tireurs qui n’ont fait que courber le clou se retirent à leur tour, la lutte ne se continue qu’entre ceux qui ont enfoncé le clou. Le vainqueur est salué par des hourras !
- Le soir, les Kcntuckiens s’amusent, toujours d’après Andubon, à éteindre la chandelle. —La chandelle est placée sur une table à 60 ou 70 pas des tireurs. Un homme est assis auprès l’ayant à portée de sa main avec charge de la rallumer quand l’un des tireurs l’aura éteinte. Sa confiance dans l’adresse de ceux-ci est telle que les balles passent à trente ou quarante centimètres de sa figure sans que cela l’émotionne. — Les bons tireurs coupent la mèche ou éteignent la flamme. Les maladroits manquent le but ou brisent la chandelle, ce qui provoque les moqueries de leurs camarades.
- Voici un autre exercice des tireurs Kentuckiens : Un morceau d’écorce est coupé, puis fixé au tronc d’un arbre de façon à former une cible blanche. Le premier tireur le perce d’une balle au milieu, cette ouverture représente l'œil d'un buffle. Tous ses ca* marades tirent ensuite et font mouche dans l’œil j ainsi obtenu, et c’est à peine si après dix ou douze
- p.35 - vue 39/432
-
-
-
- 56
- LA NATURE.
- coups l’ouverture faite par la première balle a été déformée ou agrandie.
- Les jeunes lecteurs des romans de Fenimoore Cooper et de Gustave Avmard, ont tous été émerveillés de l’adresse à la carabine des trappeurs, boucaniers, chasseurs de fourrures. Or, il paraît que cette merveilleuse adresse attribuée par les romanciers à leurs héros se rencontre, en effet, réellement chez quelques chasseurs américains.
- Voici, par exemple, ce que nous a rapporté sur l’un d’eux un missionnaire revenant du Nouveau-Mexique :
- Ce missionnaire traversait une rivière dans un
- canot manœuvré par deux Indiens; avec lui passait un chasseur de fourrures, vêtu de cuir et armé du légendaire rifle américain, il était réputé pour son adresse, en était très fier et ne demandait qu’à la faire voir. Un écureuil lut aperçu à l’extrémité d’une branche, le trappeur ajuste et malgré les oscillations et le mouvement de translation du bateau, coupe la branche qui supportait l’animal et tous deux viennent tomber dans les fourrés du rivage.
- Dans ses chasses à l’écureuil il ne frappait jamais directement l’animal, ce qui eut abîmé sa fourrure, mais sa balle atteignait le sommet de la branche placé immédiatement au-dessous, le choc était assez
- violent pour tuer l’écureuil qui, du reste, était projeté en l’air et venait tomber sur le sol.
- A la suite d’un pari, ce chasseur exécuta, sous les yeux du missionnaire, le tour d’adresse suivant :
- Placé à cinquante pas d’une cabane de bûcheron, en face la porte, il devait atteindre à balle, un certain nombre d’oranges qui auraient été lancées à travers l’embrasure de cette porte. Une personne était placée dans la cabane et tenait une corbeille d’oranges, une autre à l’extérieur donnait le signal en comptant lentement un, deux, trois; l’orange projetée traversait l’embrasure, mais trois fois sur cinq elle vola en éclats, atteinte par la balle du tireur (fig. 2).
- Les chasseurs qui attaquent des animaux à peau épaisse, comme l’éléphant, le rhinocéros, le caï-
- man, visent l’œil, le point le plus vulnérable, et malgré le danger et l’émotion l’atteignent fréquemment.
- Dans la chasse aux animaux féroces, tigres, panthères, lions, on vise généralement soit le milieu du front, soit le défaut de l’épaule, c’est-à-dire l’espace compris entre la base du cou et la pointe de l’épaule. Une balle pénétrant, en effet, par cet endroit a de grandes chances de rencontrer soit de grosses artères comme une des carotides ou l’aorte, ou encore le poumon, ce qui amène l’expansion du sang dans les cavités, et, par suite, l’étouffement rapide de 1 animal. Elle peut encore atteindre le cœur ; dans ce cas, la mort est presque instantanée. Avec une seule balle bien placée, l’atteignant dans ces régions, l’animal meurt ou est mis dans l’im-
- p.36 - vue 40/432
-
-
-
- LA NATURE.
- 57
- possibilité de se défendre avant d’avoir pu se venger. — Au contraire, un lion ou un tigre même avec plusieurs balles en plein corps pourra parfaitement avant de mourir déchirer un ou plusieurs chasseurs et fuir à une distance considérable.
- C’est grâce à leur sang-froid, à leur grande habileté à atteindre l'animal au front ou au défaut de l’épaule, et cela souvent dans l’obscurité, que les grands chasseurs de bêtes fauves, Jules Gérard, Bon-bonnel, Pertuiset, ont dû leurs succès et leur réputation.
- Un autre exemple d’adresse : Dans les chasses réservées en France, on rencontre souvent des gardes
- assez habiles pour choisir leur victime au milieu d’une compagnie de perdreaux, épargner les jeunes et les femelles, sacrifier les vieux mâles.
- Cette adresse, résultant d’un exercice répété un grand nombre de fois peut s’expliquer physiologiquement, l’habitude et l’habileté ne sont en somme que le résultat d’une modification subie par nos organes.
- A chaque fois qu’un muscle se contracte, il subit une modification dont une partie reste permanente, c’est ce qu’on désigne sous le nom de « mémoire du muscle. » Le muscle exercé grossit, se développe, s’approprie au travail qu’on lui demande.
- Si on exige, par exemple, d’un muscle un mou-
- Fig. 'i. — Tireur du Nouveau-Mexique, traversant d’une balle de fusil des oranges lancées à travers une porte.
- iD’après le récit d’un missionnaire.)
- vement plus étendu que ceux auxquels il était habitué, il y a d’abord effort, tiraillement, tension pénible des fibres, puis celles-ci sollicitées un grand nombre de fois se modifient, s’allongent, et par un travail organique « apprennent » en quelque sorte à se contracter sur une plus grande longueur. Si la position du tireur qui semble pénible au débutant, est si aisée, si commode pour le chasseur exercé, c’est que les muscles de celui-ci se sont appropriés peu à peu à cette pose. — Cette modification des muscles résultant de l’habitude, se retrouve dans tous les exercices du corps, dans l’escrime, l’équitation, la natation, etc. C’est elle qui donne à l’homme exercé cette aisance, cette solidité qui semblent au débutant impossibles à atteindre.
- Les nerfs se modifient également sous l’influence de l’exercice; les nerfs moteurs, ceux qui ont pour mission de transmettre au muscle la volonté du cerveau, gardent aussi le souvenir des actions qu’on leur a fait transmettre, des corrections apportées par la volonté à tel ou tel mouvement pour le rendre plus précis, plus approprié à l’acte que l’on veut exécuter. C’est cette « mémoire des nerfs » qui nous débarrasse de la préoccupation de diriger et de surveiller nos mouvements quand nous répétons une action faite déjà un grand nombre de fois, elle nous permet d’agir par action réflexe, ce qui évite les hésitations, les tâtonnements. Toutes nos actions usuelles se font ainsi ; nous marchons, nous courons, nous tenons à table notre couteau, notre
- p.37 - vue 41/432
-
-
-
- r>8
- LA NATULE
- fourchette, de telle ou telle façon sans y penser, par habitude, par action réflexe.
- En somme, le. tireur exercé tient son fusil, vise, tire avec aisance et sûreté, grâce aux modifications que l’exercice répété a apporté dans ses organes, grâce à la mémoire de ses muscles et à la mémoire de ses nerfs.
- Les instructions sur le tir portent : Le tireur doit se placer en face la cible, élever son arme lentement, l’appliquer fortement contre l’épaule en penchant le haut du corps en avant, puis l’arme n’obliquant ni à droite, ni à gauche, le tireur fait passer le rayon visuel entre le fond du cran de la hausse et le sommet du guidon, la ligne de mire une fois prise, le tireur appuie le doigt sur la détente en ayant soin de retenir sa respiration, il fait partir le coup conservant toujours le corps et la tête immobiles. Lorsque le coup est parti, le canon doit rester encore une ou deux secondes dans la direction du point visé.
- Cette dernière recommandation a pour but de remédier à une des causes d’erreur dans le tir : au manque de sang-froid.
- Il y a en effet dans cet acte un moment décisif, c’est celui où pressant la gâchette le coup part; or, à cet instant il n’est guère de tireur quelqu’endurci qu’il soit, qui ne sente battre son cœur plus fort. Quant aux débutants, par une sorte d’instinct, ils relèvent leur fusil en même temps et envoient parfois la charge en Y air.
- Quelques vieux chasseurs dans le but d’apprendre aux néophytes à conserver leur sang-froid dans le tir, leur conseillent de viser posément le gibier au moment où il part, mais de ne pas presser la détente.
- Diverses autres causes peuvent influer sur l’adresse des tireurs. — En premier lieu se place la vue. La vue se perfectionne par l’exercice ; l’habitude de voir de loin donne une puissance de vue qui peut sembler extraordinaire.
- Les montagnards distinguent un camarade à plusieurs lieues, les chasseurs de chamois notamment ont le sens de la vue développé à l’extrême. Le marin perçoit la forme, la voilure, la nationalité d’un navire, alors que le passager n’aperçoit qu’un point noir. L’Arabe sait distinguer un ami d’un ennemi qui surgit à l’horizon. —Wrangel, dans son Voyage à la mer Glaciale parle d’un Yakoute qui distinguait les éclipses des satellites de Jupiter. Humbold, dans son Cosmos, cite un tailleur de Breslau qui percevait ce même phénomène.
- il est évident que les personnes douées d’une pareille acuité de vue distinguent dans le tir la cible ou le gibier d’une façon plus nette, plus distincte, que ne pourrait le faire un individu doué d’une vue ordinaire, et que c’est là un grand avantage pour l’adresse au fusil ou à la carabine.
- Certaines personnes voient les objets éloignés avec une déformation plus ou moins sensible. Cela tient généralement à une légère irrégularité dans la cour-
- bure de la cornée ou dans celle d’une des faces du cristallin ; le docteur Javal a notamment inventé un très curieux appareil pour déterminer ces déformations de l’œil. Ce défaut qui n’a que très peu d’inconvénients dans la vie ordinaire et passe inaperçu, contribue probablement à ces erreurs de tir, à ces « tics » qui font qu’un tireur place, par exemple, ses balles toujours trop à droite ou trop à gauche, ou encore trop haut ou trop bas. Le tireur qui connaît son « tic » y remédie en visant la cible du côté opposé à celui qu’il a une tendance à atteindre.
- L’arme a naturellement une importance considérable dans la justesse du tir, ainsi d’une façon générale on sait que les armes rayées et de petit calibre portent plus loin et plus juste que les armes de gros calibre et à canon lisse. Mais indépendamment du genre d’arme, quand un tireur a adopté un fusil ou une carabine, qu’il en connaît les qualités et les défauts, que ses mouvements se sont appropriés à sa forme, c’est de cette arme que dépend son adresse et il a pour elle la même affection que le marin pour son navire, l’ouvrier pour son outil, le mécanicien pour sa machine.
- Les choix des tireurs sont très variables : les uns aiment les armes légères se manœuvrant aisément et sans fatigue, tandis que d’autres préfèrent des armes lourdes, trouvant qu’elles s’épaulent mieux, qu’elles préservent de mouvements brusques et donnent plus de précison au tir. M. Pertuiset, le célèbre chasseur et tireur, aussi remarquable par sa force que par son adresse, se sert d’une carabine pesant de 25 à 50 kilogrammes, et que lui, peut prendre par le canon et enlever horizontalement à bout de bras.
- Au sujet de la crosse des armes, il y a une grande divergence d’opinion entre les tireurs : les uns préconisent la crosse droite, les autres la crosse recourbée, les uns les crosses longues, les autres les crosses courbes.
- La crosse recourbée comme celle des anciens fusils français donne peu de recul, la crosse droite anglaise en donne davantage. « Si la crosse est trop droite, dit M. de La Blanchère, vous êtes amené à relever le canon et vous risquez de porter au-dessus. Si la crosse est trop courbe le coup baissera et vous manquerez à plaisir, si elle est trop longue vous tendrez le bras et le coup baissera également. »
- En principe la crosse doit être appropriée au tireur, et cette appropriation a une grande importance au point de vue de la commodité et par suite de la justesse du tir. Il en résulte que toutes les armes de guerre fabriquées en grande quantité sur un modèle uniforme, ne conviennent qu’à des hommes moyens et sont d’un maniement incommode pour les individus s’éloignant de la moyenne, soit en plus petit, soit en plus grand. Dans ce cas c’est l’homme qui doit s’approprier à l’arme et non celle-ci au tireur.
- La sensibilité de la gâchette est aussi à considérer. Plus la gâchette est sensible, plus il y a de
- p.38 - vue 42/432
-
-
-
- LA NATüHE.
- 39
- chances pour que l’arme reste immobile au moment où le coup part. Si la détente est dure il se produit toujours, au moment où le ressort agit, une secousse qui peut faire dévier l’arme. C’est pour cela que la plupart des carabines de précision ont une détente demandant une pression très faible, ordinairement moindre qu’un kilogramme. — En Suisse, par exemple, beaucoup de tireurs se servent d’armes dont la détente est réglée à 100 ou 200 grammes, la plus légère pression du doigt provoque la détonation. — Alexandre Dumas, qui était excellent tireur, raconte que dans un Concours fédéral il voulut donner aux Suisses une haute opinion de son talent : on lui passe une arme, il l’épaule, mais à ce moment le coup part et la balle passe à 20 mètres au-dessus du but — à la grande joie de ses concurrents. — Mais quand on lui eut montré la sensibilité de la détente de son arme, il prit sa revanche et sauva sa réputation.
- Le fusil de guerre français actuel a la détente réglée à deux kilogrammes dépréssion.
- Quelques tireurs aiment les détentes dures, ainsi l’un des lauréats de Yincennes se servait d’une carabine dont la gâchette ne cédait qu’à une pression de trois kilogrammes.
- Le tireur doit être familiarisé avec l’arme dont il se sert. — Il doit en connaître les qualités et les défauts. — Un tireur qui change d’arme éprouve toujours une certaine hésitation. C’est qu’il existe toujours entre les fusils, même quand ils sont fabriqués mécaniquement, de petites différences, qui se transforment en défauts de justesse dans le tir. — Ces défauts, qui sont peu importants quand il s’agit de viser de grandes masses comme à la guerre, deviennent capitaux dans le tir de précision quand il s’agit, par exemple, comme nous le verrons plus loin, en parlant du tir de Vineennes, d’atteindre à 200 mètres une cible de 30 centimètres de large, cachée complètement à la vue par une tête d’épingle tenue à 33 centimètres de l’œil.
- La charge, la propreté de l’arme, les influences atmosphériques, le vent, la pluie, ont aussi leur importance dans le tir de précision et les tireurs exercés en tiennent soigneusement compte.
- — A suivre. — GüYOT-DaUBÈS.
- LES ACCUMULATEURS HYDRAULIQUES
- POUR LA MANUTENTION DES WAGONS AU CHEMIN DE FER DU NORD
- Il est peu de personnes aujourd’hui qui n’aient eu l’occasion de voir à quelle série de manœuvres donne lieu la manutention des wagons de marchandises dans les gares de chemins de fer. La formation des trains, leur dislocation, le chargement et le déchargement, sont autant d’opérations qui nécessitent le transbordement des voitures d’une voie sur une autre au moyen d’aiguilles, de plaques tournantes et de voies perpendiculaires. On sait qu’en
- général on se sert de chevaux pour toutes ces manœuvres. On peut, en temps ordinaire, faire traîner un wagon par un seul cheval; mais, lorsque le sol est glissant par suite de pluie ou de neige, on est obligé d’en mettre deux ou trois, quelquefois plus. Dans les gares importantes, lorsqu’il s’agit de déplacer par jour 1000 ou 1200 wagons, on comprend qu’il est difficile de faire manœuvrer, dans un espace relativement restreint, sans perte de temps et sans accident, le nombre d’hommes et de chevaux nécessités par une pareille manutention. Aussi la Compagnie du Nord a-t-elle, depuis quelques années, dans sa gare de La Chapelle, renoncé à l’emploi de ce.système primitif, en remplaçant les chevaux par des engins mécaniques, analogues à ceux qui fonctionnent déjà depuis longtemps en Angleterre. Ces appareils, qui donnent des résultats très satisfaisants, seront remplacés eux-mêmes très prochainement par de plus perfectionnés, dans lesquels la transmission de la force à distance par l’électricité jouera le plus grand rôle. Les études se font en ce moment, et c’est encore la Compagnie des chemins de fer du Nord qui est à la tête de ce progrès.
- Les lecteurs de La Nature seront certainement renseignés en temps utile sur le résultat de ces expériences, et, pour le moment, nous allons seulement essayer de décrire et de faire comprendre le système actuellement employé.
- Le nombre des wagons à déplacer variant à chaque instant, il faut une force considérable à certains moments, peu importante à d’autres. On comprend que dans ces conditions, si l’on installait par exemple une puissante machine a vapeur en un point central, une partie de la force qu’elle développe serait la plupart du temps inutilisée. Si, d’un autre côté, on établissait en divers points de la gare de plus petites machines, le résultat peu économique serait le même, car il arriverait souvent qu’une ou plusieurs de ces machines ne seraient pas employées ; cela aurait en outre le grave inconvénient de multiplier le nombre des mécaniciens et des chauffeurs.
- On a résolu le problème d’une autre façon en se servant d’un accumulateur. Ce mot n’est pas pris ici dans le sens de réservoir d'électricité, qu’on est maintenant habitué à lui attribuer le plus souvent depuis l’admirable découverte de M. Gaston Planté. Les engins dont nous voulons parler n’ont rien d’électrique. Tout le monde sait, du reste, qu’on appelle accumulateur en général, les appareils destinés à emmagasiner une force quelconque, qu’on ne saurait utiliser directement, et à la restituer au moment voulu, soit tout d’un coup si l’on a besoin d’un effort puissant et momentané ; soit lentement et d’une façon continue (comme dans les mouvements d’horlogerie) ; soit enfin par fractions aussi petites que l’on veut et à des intervalles de temps quelconques. Ce genre d’appareil était donc tout indiqué pour le cas particulier qui nous occupe.
- Notre grande gravure représente l’usine centrale
- p.39 - vue 43/432
-
-
-
- 40
- LA NATUBE
- dans laquelle on accumule de la lorce. L’accumulateur est formé d’une série de disques en fonte de grandes dimensions, placés les uns sur les autres et reposant sur la tête d’un piston plongeur
- On voit cette disposition au premier plan à gauche de la figure 5. Une locomobile de 15 chevaux actionne continuellement une pompe dont on voit les engrenages à droite, et qui, puisant l’eau dans
- Fig. 1, — Manutention hydraulique de la gare de La Chapelle. Chemin de fer du Nord, à Paris.
- la bâche représentée au-dessus, la refoule sous le | piston. De cette façon, la force relativement faible | que développe la locomobile, se trouve constamment employée à élever l’accumulateur et celui-ci est toujours prêt à redescendre, soit en totalité, soit en partie, suivant qu’on donnera, pendant un temps plus ou moins long, issue à l’eau renfermée sous le piston qui le supporte.
- Lorsqu’on saura que son poids est de 40 000 kilogrammes, on comprendra que la force dont on dispose est considérable.
- Pour la transmettre aux différents points où elle doit être utilisée (ces points sontaptuellement au nombre de onze, disséminés dans la gare) il ne fallait pas songer à des transmissions par câbles. C’est la transmission hydraulique qui a été adoptée, car elle se prête à toutes les circonvolutions possibles. En chacun des onze points choisis, on a donc
- disposé un cabestan actionné par un moteur hydraulique, système Brotherhood *, et on a établi une canalisation , formée de tuyaux en fonte, qui relie le corps de pompe du piston plongeur à chacun de ces moteurs, auquel la pression exercée par l’accumulateur se trouve ainsi directement transmise. Le robinet d’admission d’eau dans leur tu oir de distribution est commandé par une pédale placée à côté du cabestan, ce qui permet de les mettre en mouvement et de les arrêter au moment voulu, sans le secours des mains. La canalisation, ainsi que les moteurs, sont à 80 centimètres sous terre de manière à les mettre à l’abri de la gelée, et la tête seule du cabestan dépasse. Une conduite spéciale est destinée à ramener l’eau dans la bâche après quelle a été utilisée dans les moteurs. C’est
- 1 Voy. n° 452 du 28 janvier 1882, p. 131.
- p.40 - vue 44/432
-
-
-
- LA NATIJHK.
- 41
- donc toujours la même qui sert et, dans certains cas, cette condition économique n’est pas à dédaigner.
- La conduite de pression est circulaire, c’est-à-dire que partant de l’accumulateur et se dirigeant, par exemple, vers la droite, elle y revient par la gauche,
- après avoir passé à proximité des moteurs auxquels on la relie par une dérivation. Cette disposition permet d’isoler un point quelconque pour une répara tion, sans interrompre le service. Dans ce même but, afin d’éviter tout chômage, la machinerie est
- Fig. 3. — Usine centrale pour l’accumulation de la force. Accumulateurs hydrauliques de la gare de La Chapelle.
- Chemin de fer du Nord, à Paris.
- établie en double; on voit ci-dessus le second accumulateur à l’état de repos derrière le premier.
- Notre première gravure (fig. 1) indique la disposition de deux manœuvres faites simultanément sur des voies perpendiculaires entre elles. Dans l’une d’elles, représentée au premier plan, on voit un homme d’équipe venant d’enroulerune corde sur le cabestan,
- il pose le pied droit sur la pédale. Cette corde peut faire simplement deux tours, l’adhérence est suffisante pour que le wagon qui se trouve attaché à l’autre bout,, et qu’on voit à l’extrême droite de la figure, se trouve entraîné dès que le cabestan se mettra en mouvement. On arrêtera celui-ci, en cessant d’appuyer sur la pédale, dès que l’impulsion donnée au
- p.41 - vue 45/432
-
-
-
- 42
- LA NATüHE
- wagon sera suffisante pour qu’il continue sa course en vertu de la vitesse acquise ; un homme d’équipe le suit pour l’arrêter au moyen de cales emmanchées, dès qu’il est parvenu à destination.
- Chaque cabestan peut desservir soit directement, soit au moyen de poupées de renvoi, quatre ou cinq plaques tournantes et toutes les voies situées autour de lui dans un rayon de 100 mètres. Notre figure 2 montre la disposition du moteur Brotherhood qui l’actionpe.
- On comprend qu’avec ces dispositions on peut faire passer rapidement un wagon d’une extrémité de la gare à l’autre, dans une direction quelconque.
- On est rempli d’étonnement en voyant la facilité, la rapidité, la sûreté avec lesquelles ces manœuvres sont exécutées, par un personnel peu nombreux, relativement au nombre considérable des wagons déplacés.
- Les calculs faits par la Compagnie du Nord établissent que la manutention faite de cette manière est trois fois et demie plus rapide que lorsqu’on se sert de chevaux.
- Dans une exploitation aussi importante on ne saurait trop appliquer le proverbe anglais Time is money.
- Mais il y a encore une autre raison d’économie qui doit faire préférer la manutention par les engins mécaniques ; c’est qu’elle permet de réduire de moitié l’espace réservé entre les voies pour la circulation.
- Dans l’intérieur des villes, à Paris surtout où les terrains sont d’un prix si élevé, c’est une considération qu’il ne faut pas négliger.
- Ce système permet donc de réaliser des économies importantes à plusieurs points de vue et, en l’adoptant, la Compagnie du Nord a fait acte de bonne administration. G. Mareschal.
- MACHINE A PILOTER
- OU MOUTON AUTOMOTEUR A VAPEUR
- Doux comme un mouton, dit-on quelquefois; et cette réflexion ne saurait, à aucun degré, s 'appliquer au mouton automoteur de M. Lacour; car sur la tête d’un pieu à enfoncer, il frappe fort et ferme.
- Dans ce système Lacour, le mouton n’est autre chose qu’un cylindre à vapeur : et la tige du piston devenue fixe et immobile prend appui sur la tête du pieu qu’il s’agit de chasser jusqu’à refus dans le sol
- On comprend, à l’inspection du dessin, que si la vapeur entre librement par le robinet, elle fait monter le cylindre autour de son piston guide.
- La vapeur s’échappe-t-elle au contraire? Le mouton cylindre retombe aussitôt.
- Le tuyau d’amenée de la vapeur au cylindre est vertical et s’arrête à peu près à mi-hauteur du pieu et en arrière pour ne ] as gêner les ouvriers dans la manœuvre du treuil.
- Pour réunir l’extrémité de ce tuyau de cuivre au
- robinet de manœuvre, on emploie un bout de tube flexible de 8 à 10 mètres, permettant, à la prise de vapeur, de suivre l’appareil dans le mouvement progressif de descente du pieu auquel il participe.
- Le tuyau flexible a généralement 35 millimètres de diamètre intérieur, et une épaisseur de 10 millimètres environ. 11 est formé de couches alternatives de caoutchouc et de grosse toile, et doit être constitué en matériaux de premier choix, sous peine de durer quinze jours seulement au lieu de six mois. Mieux vaut payer cher et en avoir pour son argent.
- Vers le milieu de la conduite flexible, on amarre
- mr
- Mouton automoteur à vapeur.
- une cordé passant sur une poulie à gorge, fixée en haut de la sonnette, puis sur une autre poulie inférieure; et l’extrémité de cette corde étant attachée au mouton, il en résulte que celui-ci est toujours accompagné par son tuyau dans la descente progressive du pieu en terre.
- La corde se développe au fur et à mesure. Avec 6 atmosphères de pression k 1<* chaudière, le mouton marche à une excellente allure ; et la hauteur de chute est réglée par un ouvrier qui ouvre et ferme le robinet d’admission.
- Au commencement de l’enfoncement d’un pieu; on ne laisse pas retomber le mouton de trop haut de crainte de gauchir le pieu. Une fois la direction verticale bien assurée, on donne 15 ou 16 coups par minute; et la course donnée peut être, à ce moment, beaucoup plus grande.
- p.42 - vue 46/432
-
-
-
- LA NATU11E.
- 45
- En raison des chocs violents auxquels est soumis le système, on ne peut compter, en pratique, sur une jointivité absolue du piston fixe dans son cylindre ; et il y a plus ou moins de fuites. Mais c’est là un inconvénient secondaire. Une ouverture inférieure permet de purger constamment l’eau de condensation.
- Deux saillies ménagées au mouton glissent entre les jumelles ou montants verticaux de la sonnette, et assurent le guidage, tandis que des rondelles en tôle de 0m,50 empêchent le système de sortir de ses guides.
- Un boulon à œil de 0m,055, serré par un écrou à oreilles, assemble la tige du piston à la tète du pieu par l’intermédiaire d’un morceau de bois de 0n,,50 de hauteur sur 0m,15 de largeur appelé galopin.
- Lorsque ce morceau de bois est arrivé avec le pieu descendant au niveau de la première plate-forme de la sonnette, on le retire.
- Le boulon est assez exposé à être forcé ; et lorsque cela arrive, on fixe à l’œil un crochet de chaîne ; et avec le treuil à vapeur, on l’arrache.
- Pour déplacer la sonnette d’une ligne de pieux à une autre ligne parallèle, on procède comme avec les sonnettes ordinaires. Dans des conditions moyennes égales, la sonnette Lacour bat de 10 à 15 pieux dans sa journée, au lieu de 5 à 5 que battrait une sonnette ordinaire à déclic.
- Entre autres applications, M. P. Delorme, dans la construction des magasins généraux de Bercy-Conflans a battu 1750 pieux dans 250 puits avec l’appareil en question.
- Il se fabrique plusieurs modèles de moutons dont le poids varie de 500 à 1200 kilogrammes, et la course de 1 à 2 mètres. Les chaudières varient de 3 à 8 mètres de surface de chauffe.
- L. Poillon,
- Ingénieur des Arts et Manufactures
- CONFÉRENCE « SCIENTIA »
- Jeudi 11 décembre, a eu lieu le premier banquet de la conférence Scientia, fondée par MM. de Nansouty, directeur du Génie civil, Ch. Richet, directeur de la Revue scientifique, et Gaston Tissandier, directeur de La Nature.
- Le banquet, présidé par M. Jamin, était donné en l’honneur de M. Chevreul, dont on fêtait le quatre-vingt-dix-huitième anniversaire. Il a eu lieu dans les salons de Lemardelay, rue de Richelieu, à Paris.
- Plusieurs membres de l’Institut, parmi lesquels nous citerons avec MM. Chevreul et Jamin, MM. Fremy,Berthelot, Janssen, Alph. Milne Edwards, colonel Perrier, Hervé-Mangon, Paul Bert, amiral Mouchez, et les principaux représentants de la presse scientifique, avaient pris part à cette intéressante réunion.
- Yoici les noms des membres qui assistaient à ce banquet ; nous les désignons au hasard des signatures inscrites sur le registre de Scientia : R. Bischoffsheim, Gauthier-Villars père et fils, G. Masson, colonel Hennebert, Georges Berger, Laborde, Lucien Marc, Albert et Alfred Tissandier, Louis Figuier, West, de Ranse, Jackson, Lan-douzy, 'Vallin, Maunoir, Ferrari, E. Oustalet, Olivier,
- Dr Cartaz, Félix Hément, Gorceix, Burdeau, Boyer, Talan-sier, Lauth, Ribot, Rondeau, Topinard, Gley, Poisson, Hospitalier, Gariel, PP. Dehérain, Reinory, IL de Parville, Stanislas Meunier, Bottentuit, Dr Nicolas, Ch. Buloz, de Rochas, Rivière, Povet, Petit.
- M. Jamin a prononcé à la fin du repas la charmante allocution que nous reproduisons :
- Vous inaugurez aujourd’hui une association dont personne, avant vous, n’avait eu l’idée, vous conviez la science et le plaisir; vous avez compris qu’il y avait en France assez de Sociétés sévères, assez de conférences où l’on s’ennuie : en voici une où l’on se plaira, car elle n’a aucun dédain pour les joies mondaines, car elle sait que tout s’arrange en dînant. Vous avez voulu réunir la jeunesse à l’âge mûr, en vous plaçant modestement sous le patronage de l’Institut; l’Institut vous remercie, vous dit paternellement : « Mes enfants, ayez bon courage, nous vous approuvons, nous vous aiderons, nous vous aimerons; vous vous appelez Scientia, et nous aussi; ce drapeau, nous le suivons comme vous, et quand nous nous connaîtrons mieux, nous ajouterons un autre mot, dans nos cœurs, sans l’écrire sur le programme : Amicitia. » Laissez-moi porter un premier toast à la science, à l’amitié.
- En m’appelant à l’honneur de présider ce banquet, vous m’avez par cela même imposé le devoir de porter un autre toast, un toast d’honneur, à notre vénérable doyen, M. Chevreul; c’est une tâche embarassante que souhaiter à M. Chevreul de la santé ; — il en a une provision à rendre jaloux le mieux portant d’entre vous ; — de la gloire, on peut dire qu’il succombe sous le poids des honneurs, si tant est que M. Chevreul puisse succomber; du respect, — il en reçoit l’hommage unanime partout où l’on voit paraître sa radieuse figure. Quant à l’admiration pour ses travaux et pour son caractère, il la trouve dans le monde entier. Ce n’est pas de ce concert unanime qu’il faut surtout le louer. Mais il a une autre vertu, dont on n’a pas assez parlé ; il faut dire que, pendant sa belle et longue carrière, il a gardé à la science un amour passionné et une immuable fidélité; jamais les tentations de la politique, pourtant si décevantes, jamais le souci des affaires ne lui ont paru mériter l’honneur d’une distraction ; il a été, il est, il restera le premier étudiant de France, non pas seulement l’étudiant, mais le maître vénéré de tous ceux qui savent chercher et qui veulent découvrir. C’est pour cela que vous avez placé M. Chevreul au premier rang de vos associés, car il en est le plus pur modèle, et l’on peut lire sur son front glorieux, comme sur notre drapeau, le même mot : Scientia.
- Après ce discours quia été très applaudi, M. G. Tissandier, M. Ch. Richet, M. de Nansouty ont tour à tour remercié les savants et les écrivains scientifiques qui ont répondu avec tant d’empressement à leur appel. M. Chevreul, dans une allocution éloquente et émue, a remercié les assistants de l’honneur qui lui était fait. M. Boyer a parlé de l’union des sciences pures et appliquées. M. P. Bert a défendu les savants qui font de la politique et qui essayent de faire pénétrer la science dans les masses populaires ; tâche qui semble ingrate, et qui cependant contribue tant à la grandeur du pays.
- M. Richet a été désigné comme président du prochain banquet dont la présidence d’honneur sera offerte à M. Pasteur.
- ->*y"^-
- FILTRAGE DOMESTIQUE DES EAUX
- PROCÉDÉ RICHARD
- L’étude des récentes épidémies a montré l’importance que présentait au point de vue de la salubrité la composition des eaux dont on se sert pour l’alimentation publique et privée.
- p.43 - vue 47/432
-
-
-
- 4i
- LA NATURE.
- On ne saurait négliger aucune occasion d’assurer à l’eau, cet élément si indispensable de notre existence, toute la pureté, toutes les qualités que notre économie exige : il faut être sùr de l’eau que l’on boit.
- M. Emile Richard, inspecteur principal du service des eaux à Versailles, a eu l'heureuse idée de s’inspirer des principes de la chimie, sur la purification des eaux sous l'influence du charbon et sous l’action de l’oxydation du fer, pour imaginer un appareil domestique de /titration, d’une grande simplicité de construction. Voici comment M. Richard s'exprime à ce sujet :
- « J’admets que chacun a chez soi une fontaine filtrante, une houle à riz en fer, une chaînette en fer, un piton en fer et du charbon de bois : je concasse le charbon en morceaux aussi petits que possible, j’en remplis la houle que je fixe par son anneau à l’une des extrémités de la chaînette, je coupe la chaînette à la longueur voulue pour que la houle reste suspendue à 10 centimètres environ au-dessus du fond de la fontaine, c’est-à-dire assez haut pour plonger dans le courant moyen des veines fluides pénétrant dans la case de l’eau filtrée, assez bas pour atteindre toutes les molécules, et ne pas être pourtant couverte par les dépôts que produit le dépouillement de l’eau ; j’ouvre en crochet la dernière maille opposée à la boule, je fixe à l’intérieur du couvercle le piton, de façon à ce que la boule occupe l’axe de l’espace libre entre le filtre et la paroi de la fontaine, et j’accroche la chaînette, après avoir ajouté, toutefois, à la boule quelques grammes de fer pour l’obliger à plonger de suite. Les grosses boules à riz, que l’on rencontre dans le commerce, se vendent 1 fr. 75, 1 fr. 50. La boule de grande dimension contient environ 200 grammes de charbon sec, et celle de moyenne dimension en contient environ 140. La chaînette vaut 25 centimes le mètre; le piton, sans grande difficulté, peut être débattu et obtenu par-dessus le marché. L’installation n’est donc pas coûteuse; quant au charbon de bois, on en a‘ toujours chez soi en quantité plus que suffisante.
- Coupe d’une fontaine de ménage avec son appareil d’épuralion’de l’eau.
- A. Partie de fontaine dans laquelle on verse l’eau à lillrer. — B. Compaitiment de l’eau liltrce. — C. D. E. Pierre poreuse constituant le filtre habituel.— F. Robinet de ilcehaige à ouvrir seulement lors du nettoyage de la fontaine. —
- G. Robinet d’eau liltrée ou d’alimentation. —
- H. Ventouse du compartiment du filtre.— I. Couvercle en bois, mobile, de la fontaine. — J. Piton fermé fixé audit couvercle.— J. K. Chaîne en fer servant à h suspension du coffret.— L. Coffret-épurateur avec crochet suspendu à la chaîne J. K., s’ouvrant et renfermant le charbon de bois, placé à 0“,10 c. environ au-dessus du fond de la fontaine. — M. Pieds ou supports de la fontaine.
- M. Richard croit devoir insister, non sans raison, sur les qualités du fer qu’il introduit dans l’eau. Ce métal n’est-il pas ordonné, prescrit, par les médecins, en maintes circonstances? N’est-il pas jugé comme absolument salutaire ?
- Le coffret épurateur s’ajoute à la fontaine filtrante ordinaire dite de ménage, comme l’indique la figure ci-dessous, dont la légende explicative donne tous les détails.
- Un gramme de charbon de bois peut épurer un litre d’eau , les 200 grammes contenus dans le cof-fret épureront donc 200 litres d’eau; si la fontaine dans laquelle on doit le suspendre jauge 50 litres, et que chaque jour la consommation du ménage (boisson et préparation des aliments) représente 10 litres environ, on voit que le charbon pourra stationner 15 jours dans la fontaine sans être re nouvelé; en effet, les 50 litres jaugés par la fontaine, augmentés des 150 litres, consommés en 15 jours, font bien 200 litres, limite de la puissance épura trice du charbon.
- Le renouvellement du charbon de bois concassé en morceaux de 0,04 à 0,05 centimètres de longueur, et de 0,02 à 0,03 centimètres de grosseur, doit être opéré plutôt trop souvent que pas assez, le mieux est de faire coïncider cette opération et le nettoyage de la fontaine avec une période régulière de jours (huitaine, quinzaine, mois), on ne risque pas de l’oublier.
- Le charbon une fois sec, brûle très bien ; mais il n’a plus les qualités voulues pour être de nouveau plongé dans la fontaine.
- Une Commission spéciale, nommée à Versailles, a étudié les résultats obtenus au moyen de l’appareil d’épuration de M. Richard, et il a été reconnu par l’analyse chimique et micrographique, que l’action de ce système était d’une grande efficacité pour débarrasser les eaux des matières organiques et des produits gazeux qui pouvaient en altérer la pureté. Cela est en effet, la conséquence inévitable de l’heureux emploi du charbon, que l’on ne saurait trop recommander avec le système préconisé par M. Richard.
- p.44 - vue 48/432
-
-
-
- LA NATUKE.
- 45
- LÀ MYGALE ÀVICULAIRE
- Peu d’animaux inspirent une répulsion plus vive et plus générale que la gigantesque Araignée dont nous donnons aujourd’hui le portrait de grandeur naturelle. La Mygale aviculairc (Mygale avicularia, Latr.) excite l’horreur dans toutes les régions où on la rencontre. Aux Antilles, dans les forêts du Vé-nézuéla, de la Colombie, du Brésil, des Guyanes, de l’Ecuador, son aspect repoussant a motivé, chez les résidents comme chez les voyageurs, une terreur exagérée encore par l’imagination des indigènes.
- Que de fois, couche dans mon hamac, n’ai-je pas entendu, pendant les longues veillées des nuits équinoxiales, les Indiens et les péons, accroupis autour du feu allumé pour le campement dans la forêt vierge, sub Jove criulo, se raconter mutuellement des histoires — ou plutôt des fables — dont les Serpents, les Chauves-souris, les grandes Mygales, fournissaient l’inépuisable thème! A mesure que la soirée se prolongeait, les narrations se nourrissaient de contes de plus en plus extraordinaires. Des hécatombes d’oiseaux dévorés sur leurs nids par l’drana cangrejo (Araignée-crabe) aux longues pattes velues, aux mâchoires empoisonnées, l’orateur passait
- à des faits plus dramatiques, et souvent les dernières lueurs du brasier mourant prêtaient leur accompagnement fantastique au récit de quelque enfant saigné dans son berceau !
- Dégagée de ces exagérations locales si fréquentes chez ces esprits faibles, à l’état de nature, — et dont il ne serait pas difficile de trouver des exemples plus près de nous, — l’histoire de la Mygale aviculaire reste encore assez intéressante pour mériter d’être racontée et surtout d’être mieux connue.
- Linné a décrit cette espèce sous le nom d'Aranea avicularia. Ce qualificatif rappelle les mœurs de cette Aranéide, qui se nourrit parfois du sang des jeunes oiseaux et même des colibris adultes, saisis sur leurs nids. En 1802, le célèbre entomologiste
- Latreille fonda le genre Mygale *, qu'il établit pour des Arachnides de la tribu des Tbéraphoses. Tous les individus rentrant dans cette coupe générique sont chasseurs ; ils vivent, soit dans des nids qu’ils maçonnent en terre, soit dans les fentes des pierres et sous l’écorce des arbres, comme l’espèce qui fait le sujet de cet article. Quelques-unes, qui ont été étudiées avec sagacité, sont des ouvrières merveilleusement douées, comme la Mygale maçonne (M. cœ-mentaria, Latr.), du midi de la France, dont M. Dufour a fait connaître les étonnantes constructions, et la Mygale pionnière (M. fodiens, Walck.) de Corse, dont M. Audoin a décrit le nid admirable-
- 1 Ilist. nat. Fourni, et réc. observ. sur Abeilles, Araignées, etc., 1802, p. 345.
- p.45 - vue 49/432
-
-
-
- LA N A TU U K.
- 40
- ment tapissé, pourvu d’un opercule à charnière qui est un véritable chef-d’œuvre, etc.
- Les habitudes de la Mygale aviculaire sont moins exactement connues, soit que ses chasses, généralement nocturnes, expliquent qu’on la rencontre assez rarement, soit parce qu’elle sait se choisir des retraites peu accessibles. On peut trouver cependant quelques auteurs1 qui ont parlé avec justesse de cette curieuse et redoutable Araignée, mais plusieurs d’entre eux se sont copiés mutuellement, et d’autres se sont spécialement attachés à l’anatomie de l’insecte.
- Au cours de mes voyages dans l’Amérique équinoxiale, j’ai pu voir, à plusieurs reprises, la Mygale aviculaire à l’état de nature, et il me sera peut-être permis d’ajouter quelques observations personnelles à celles des voyageurs qui m’ont précédé.
- De plusieurs centaines d’espèces d'Araignées aujourd’hui décrites, celle-ci est la plus volumineuse. Le plus gros exemplaire que j’ai capturé et rapporté
- — celui même qui a servi à faire le dessin ci-joint
- — mesure exactement, les pattes étendues, 18 centimètres de diamètre. La première fois que je la vis. c’était à la Martinique, non loin de Saint-Pierre, dans les arbres qui bordent la route du Morne-Rouge. Son nid était suspendu à la branche d’un Palicou-rea, élégant arbuste de la famille des Rubiacées. et il rappelait beaucoup, par son aspect, les grosses bourses de chenilles que bon trouve si fréquemment sur les Pins d’Alep (Pinus Halepensis, Ait.) sur les montagnes des environs de Cannes et de Nice. Ce nid se composait d’un tissu d’un beau blanc soyeux, à plusieurs couches épaisses, consolidé par des fds très forts, rigides, capables d’arrêter un petit oiseau. Au centre étaient placés les œufs, qui peuvent atteindre le nombre de 1500 à 2000. Dès que les petits sont éclos et sortent du cocon, les grosses fourmis rouges du genre Myrrnicaleur font une guerre achar née, et se repaissent de leur chair blanchâtre, sans consistance et dépourvue de poils. Cette destruction vient heureusement contrebalancer les ravages que ferait la Mygale aviculaire, si elle se multipliait trop abondamment.
- En effet, l’animal adulte, dont le corps ne mesure pas moins de 7 centimètres de longueur sans les pattes, est aussi féroce que son aspect l’annonce. Tout son corps est hérissé de longs poils brun roux. Ses yeux sont au nombre de huit, étrangement groupés sur une petite élévation (céphalothorax); 6 sont disposés de chaque côté en triangle de la façon la plus bizarre, et les deux autres sont séparés, au sommet de cette éminence verruqueusc. A l’extrémité des mâchoires, noires, fortes et lisses, se trouvent les palpe s, en forme de pattes, terminées cha-
- 1 Latreille, l. c., et Habit. Araig. avic., in Mém. Mus., 1822, p. 456; Walekenaêr, Ann. Soc. enlom., 1835, t. IV; Dechambre, Dict. enc. méd., 2e séi ., t. II, p. 216; Moreau de Jonnès, Bull. Soc. philom., 1817, p. 155; Simon, Hist. nat. Araign., p. 70; Slraus, Syst. tégum. et musc, de l'Araiyn. avicul., Ann. sc. nat., t. XVII, 1820.
- cune par un énorme aiguillon noir, luisant, obliquement ventru comme le dard du scorpion, et, comme lui, rempli d’un venin dangereux.
- Ce ne sont pas là ses seules armes. A l’extrémité de son abdomen, deux glandes allongées secrétent un liquide abondant, lactescent, corrosif, que la Mygale peut lancer à volonté contre son ennemi, pour l’aveugler ou l’insensibiliser. Ajoutons à cela une force musculaire si considérable, qu’on peut très difficilement lui faire lâcher prise, même lorsqu’elle est accrochée à un corps lisse, et l’on se fera l’idée de la manière redoutable dont cette espèce est armée.
- 11 est rare qu’on voie la Mygale aviculaire chasser pendant le jour, si ce n’est, près de son nid, et principalement dans les endroits obscurs. Mais, dès que la nuit va tomber, elle sort de son repaire. Son agilité prodigieuse, qu’elle partage avec toutes ses congénères, est doublée d’une intrépidité rare. Elle attaque de gros lézards, comme l’Anolis caïman, des Antilles, et les serpents aussi, dit-on ; elle fond sur eux avec la rapidité de l’éclair, en les saisissant à la partie supérieure du cou, pour les empêcher de lui résister. Si elle surprend un oiseau-mouche sur ses œufs, elle lui enfonce ses terribles tenailles entre la base du crâne et les premières vertèbres, lui injecte son venin qui le paralyse et aspire à l’aise le sang de sa victime.
- J’ai raconté en ces termes, dans la relation de mon voyage publiée dans le Tour du Mondel, en quelles circonstances j’ai été mordu par une Mygale aviculaire dans la Cordillère occidentale des Andes de la Nouvelle-Grenade ;
- « A la Québrada de Tulpas, la végétation des monocolylédones prend des allures désordonnées, d’une beauté sauvage. Sur ses rives pittoresques, profondément encaissées, j’admire, penchés au-dessus des eaux bouillonnantes, une profusion d’A-roïdées, de Fougères, de Broméliacées, de Palmiers. Et je ne parle pas des Beslérias aux collerettes écarlates, ni d’autres Gesnériacées grimpantes aux calices hérissés et pourpres, ni des Ütrieu-laires aux fleurs roses, des Orchidées insectifor-
- mes, etc.
- « De charmants oiseaux-mouches traversent l’air, jetant leur petit cri aigu. En contournant le tronc d’un énorme Ficus, je vois un de ces bijoux vivants (la Lesbia Amaryllis) se poser sur la branche sar-menteuse d’un Piper. Son nid est là. Je me hisse doucement sur le tronc de l’arbre, mais au moment où j’avance la main, une araignée monstrueuse, la Mygale aviculaire, se précipite sur lui et le saisit à la gorge. En un clin d’œil je me jette sur l’affreux insecte, qui lâche sa proie, me saute au visage et me mord au côté gauche du cou. Je réussis cependant à le capturer, à le tuer, et il fait aujourd’hui partie de ma collection. Malgré une application presque immédiate d’eau phéniquée, il résulta de
- l
- Vol. XLV, 111)9° livr., p. 340.
- p.46 - vue 50/432
-
-
-
- LA N ATI II 1*
- 47
- cette piqûre un abcès dont je garderai la marque toute ma vie. »
- La morsure est lort douloureuse. Elle passe à tort pour très dangereuse ; elle l’est, en réalité, moins que celle d'autres espèces plus petites. Une fièvre qui peut durer 24 heures, avec plus ou moins d’intensité, suivant l’élévation de la température ambiante, une lassitude-de plusieurs jours, jusqu’à ce (pie le venin soit éliminé, sont les seuls accidents véritablement à craindre.
- Quoi qu’il en soit, si l'étude de pareils êtres pique la curiosité et donne de l’intérêt au souvenir de ces explorations lointaines, il faut bénir la Providence de nous avoir fait naître sous des deux plus cléments, loin des surprises désagréables que peuvent causer de telles rencontres1. Ed. André.
- CHRONIQUE
- Hache en bronze avec son manche. —Dans l’une de ses excursions en Bretagne M. Eugène Foucault, antiquaire à Fiers, a trouvé chez un cultivateur, au Faouët ( Morbihan), une hache en bronze garnie de son manche.
- Hache en bronze trouvée à Faouët (Morbihan).
- C’est ,croit-on, l’unique spécimen qui existe en France et même à l’étranger. Le manche a 54 centimètres de longueur totale, est cylindrique et légèrement courbé vers le point d’attache. La hache a 25 centimètres de long et n’a qu’un seul tranchant à peu près circulaire de 5 centimètres de diamètre : l’autre extrémité forme une sorte de tête de marteau. L’ensemble pèse 2k%7 et est dans un parfait état de conservation.
- C’est en creusant le sol que le propriétaire du Faouët découvrit cette belle hache a laquelle il n’a jamais attaché aucun prix. Comme cette arme était recouverte de vert-de-gris, en couches épaisses, notre homme n’eut rien de plus pressé que de gratter le manche afin de voir s’il n’était pas fait de métal précieux. Eügèsf, Yimont.
- Ii air de la mer chez sol. — On peut se procurer l’atmosphère des bords de la mer assez simplement : il suffit de prendre 10 volumes d’eau oxygénée contenant un centième d’éther chargé d’ozone, saturée d’iode et renfermant 2 centièmes et demi ‘de sel marin. On fait répandre cette solution, soit au moyen de la vapeur d’eau, soit en fines gouttelettes, à l’aide d’un pulvérisateur à raison de 120 grammes environ par heure. On obtient ainsi un air de la mer fort agréable et très sain, qui est peut-être le meilleur désinfectant et dont l’emploi sera précieux dans les hôpitaux. Nous signalons avec plaisir cette découverte, toute paradoxale qu’elle semble
- au premier abord, dit la Revue Scientifique à laquelle nous empruntons ce document, car elle sera précieuse pour beaucoup de personnes qui n’ont ni le loisir ni l’argent nécessaire à une station au bord de la mer On pourrait même ajouter que le temps n’est peut-être pas éloigné où l’on trouvera chez le pharmacien, voire même chez l’épicier : Un flacon pour 8 jours de bains de mer. Nous ajouterons, à notre tour, que nous signalons l’efficacité de cette préparation, sous toutes réserves, selon la formule consacrée.
- ACADÉMIE DES SCIENCES
- Séance du 15 décembre 1884.— Présidence de M. Rolland.
- Le Pleuraspidotherium. — xM. le Dr Lemoine, si bien connu de nos lecteurs pour ses grandes découvertes en paléontologie, désigne sous le nom de pleuraspidolheriurn un mammifère de terrain éocène inférieur des environs de Reims. Cette bête fossile est caractérisée par l'inclinaison de ses denticules dentaires qui rappellent certains marsupiaux actuels, ainsi que par diverses analogies qu’il présente avec les mammifères anciens du groupe du Palœo-therium. Ces rapprochements, basés tout d’abord sur de simples fragments de mâchoires, se sont trouvés confirmés par des découvertes successives qui ont mis l’auteur en possession de plusieurs tètes entières et de la presque totalité du squelette, de telle sorte que le nouveau mammifère peut être comparé à la fois au Pachynolophus Gaudry des sables à térédines, et au Phalangista vulpina marsupial actuel d’Australie.
- Ainsi, la formule dentaire générale est la même chez le Pleuraspidolheriurn et chez le Phalangista : on y rencontre trois grandes incisives supérieures, une petite barre, une petite canine suivie d’une fort petite prémolaire, une nouvelle barre puis cinq molaires en rangée continue rappelant complètement comme forme les dents du Pachynolophus. — A la mâchoire inférieure il y a, comme les Marsupiaux actuels, une paire de grandes incisives proclives qui correspond fonctionnellement aux trois paires d’incisives supérieures, mais entre ces deux grandes incisives inférieures, se rencontrent deux paires de fort petites dents qui n’existent pas chez les Marsupiaux actuels.
- M. Lemoine ajoute : « L’ancienneté du Pleuraspi-dotherium nous explique certains faits ataviques : la division du frontal en un frontal principal et deux frontaux antérieurs-, celle du temporal et de l’occipital le premier en trois, le deuxième en quatre éléments constituants ; la non soudure du cadre du tympan; une perforation entre les pièces constituantes de l’astragale; l’allongement de l’encéphale, chez lequel les hémisphères cérébraux sont tellement réduits qu’ils ne recouvrent plus le cerveau moyen. Ces caractères se retrouvent, jusqu’à un certain point, chez les Marsupiaux actuels, mais le Pleuraspidotherium diffère du type marsupial proprement dit par l’ossification de la voûte palatine, l’absence d’os marsupiaux au bassin, la présence au fémur d’un troisième trochanter, la configuration de l’astragale et du calcanéum. » C’est par l’inteimédiaire de M. Gaudry que lé mémoire de M. Lemoine a «té présenté à l’Académie.
- Géologie. — Un sondage réemt poussé à 220 mètres de profondeur dans le bassin de Brassac a procuré à M. Grand’Eury des échantillons où ce géologue a reconnu les fossiles et les roches caractéristiques de la partie su-, périeure du terrain houiller.
- 1 Yoy. Les Migales, u° 134 du 25 décembre 1875, p. 4b.
- p.47 - vue 51/432
-
-
-
- 4?
- LÀ NATURE.
- Analyse spectrale. — Poursuivant des recherches dont nous avons déjà parlé, M. Demarçay annonce qu’il obtient aisément des spectres jusqu’ici regardés comme d’une étude très difficile. C’est encore avec une bobine à fil enduit gros et court qu’il opère et il développe l’étincelle sur une mèche imprégnée de la dissolution à analyser. Parmi les résultats, on peut citer le spectre très pur du niobium et du tantale, et même, ce que M. Cornu qualifie de comble spectroscopique, le spectre du soufre et celui du phosphore quand le liquide est une solution d’acide sulfurique ou d’acide phosphorique.
- L'Encyclopédie chimique. — La librairie Dunod continue, avec la plus- grande activité, de publier l’immense mouvement chimique auquel l’illustre nom de M. Fremy restera attaché. Deux nouveaux fascicules, après trente autres déjà annoncés, paraissent aujourd’hui. L’un d’eux, constituant un volume de 600 pages grand in-8°, est une étude complète des alcaloïdes naturels. Il est dû à la plume de M. Chastaing, phanmeien on chef à l’hôpital de la Pitié, qui a dû bien des fois citer les résultats que la science doit à ses recherches personnelles. Le second fascicule est de M. Ogier, directeur du laboratoire de toxicologie de la préfecture de police. 11 traite de l’analyse des gaz.
- Nous continuerons de tenir nos lecteurs au courant des fascicules ultérieurs.
- Polarisation rotatoire magnétique. — M. Cornu, cherchant la forme de la surface de Fonde lumineuse dans un milieu isotrope placé dans un cliamp magnétique uniforme, arrive à ce résultat que cette surface consiste réellement en deux sphères correspondant l’une à la mtation droite, l’autre à la rotation gauche. Il en résulte que l’effet du magnétisme sur la lumière est de développer une vraie double réfraction et l’auteur indique une expérience qu’il n’a pu encore réaliser et qui permettrait de contrôler la réalité du fait qu’il annonce.
- Election. — La nomination de M. Jamin à la place de secrétaire perpétuel a laissé vide un siège dans la section de physique. 48 suffrages appellent M. Mascart à l’occuper contre 3 données à M. Henri Becquerel, 5 à M. Le Roux et 1 à M. Lippmann. Nous sommes persuadés que tous les amis de la physique sermt unanimes pour féliciter l’Académie de s’être adjoint le savant et sympathique professeur du Collège de Frame.
- Varia. — M. Thoulet, professeur à la Faculté des sciences de Nancy, étudie l’attraction développée entre les dissolutions salines et les corps solides qu’on y plonge : il s’agit de phénomènes rmtrant dans les affinités capillaires de ALChevreul. — Au nom de M. Sirodot, doyen de la
- Faculté des sciences de Rennes, M. Duchartre dépose un magnifique volume sur les batracospermes illustré de plus de 50 planches. — Des cas de monstruosités chez des Champignons sont décrits par M. Heckel. — M. Chancel étudie des corps isomères des acétones. — D’après M. Landerer,des lueurs crépusculaires récemment visibles devaient leur origine à des poussières cosmiques.
- Stanislas Meunier.
- —«-<£>«—
- RÉCRÉATIONS SCIENTIFIQUES
- PETITE LANTERNE D’ILLUMINATION
- On sait combien sont parfois ingénieux les humbles constructeurs de la petite industrie parisienne. La lanterne d’illumination que nous représentons ci-contre, et que l’on trouve dans les bazars à bon marché, en est un exemple. Elle ne coûte que 50 centimes, et est forme d’un dessin circulaire, personnages peints sur un papier transparent, qui tourne avec rapidité autour d’un axe, aussitôt que la bougie de la lanterne est allumée. La lanterne, ouverte à gauche de notre figure, explique le mécanisme simple qui produit la rotation. L’air chaud qui s’élève de la flamme rencontre un disque de fer-blanc, qui a été transforme en hélice, au moyen d’entailles faites suivant des rayons équidistants; l’hélice tourne autour d’un axe formé d’une tige de fer, et entraîne avec elle le dessin cylindrique qui s’y trouve fixé, et qui enveloppe la bougie. Le système est contenu dans un cylindre de fer-blanc ajourée, qui peut s’ouvrir au moyen d’une charnière. Un capuchon de fer-blanc est adapté h la partie supérieure de la lanterne afin que l’on puisse pendre celle-ci à une cordelette tendue qui se trouve ainsi protégée de l'action de la flamme. Le papier rotatif, tourne d’une manière continue, avec une assez grande vitesse, et les personnages qui s’y trouvent figurés paraissent ainsi se mouvoir et être animés. Toute personne un peu habile de ses doigts peut exécuter elle-même cette curieuse petite construction. I)r Z...
- Le propnêtaire-giranl : G. Tissaxwer.
- Lanterne d’illuiuuiation avec petit panorama tournant.
- Imprimerie A. Lahure, 9, rue de Fleurus, à Paris.
- p.48 - vue 52/432
-
-
-
- -N3 004. — 27 DÉCEMBRE 1 884.
- LA NATURE.
- 41)
- LA STATUE DE CLAUDE BERNARD
- ÀprèslamortdeClaude Bernard le il février 18781, on décida qu’une statue serait élevée au grand physiologiste, et que M. Guillaume, de l’Institut, serait chargé de l’exécution de cette œuvre d’art appelée à perpétuer le souvenir d’une de nos plus belles gloires scientifiques.
- Samedi lo décembre, à 9 heures du matin, le plâtre de la statue de Claude Bernard, à laquelle M. Guillaume a mis la dernière main, a été « présenté » à la place que cette statue doit occuper en
- l'attitude de la méditation. À côté de lui, sur la gouttière de vivisection, on voit figuré un chien en expérience et tout auprès divers instruments : un fait inattendu vient d’ètre observé, et Claude Bernard, le doigt au menton, réfléchit à ce qu’il vient de voir. C’était là une attitude très familière à Claude Bernard, et dont la vérité a frappé tous ceux des assistants qui l’avaient connu.
- Sur la table des expériences, où sont placés plusieurs instruments, une large pancarte qui se déroule, doit contenir la liste des travaux les plus im-
- 1 Voy. Notice nécrologique sur Claude Bernard, n“ 248 <lu 2 mars 1878, p. 210.
- 13e année. — 1er semestre.
- haut de l’escalier qui précède la grille d’entrée du Collège de France.
- Notre gravure exécutée d’après une photographie instantanée, représente cet intéressant essai, qui a eu lieu en présence de MM. Paul Bert, vice-président, Renan, Berthelot, Banvier, Vaillant, Dumontpallier, membres de la Commission du monument, et de M. Guillaume.
- Après examen, il a été décidé que la statue serait reculée un peu en arrière de la position qu’elle occupe sur noire dessin.
- Cette statue est d’un très grand effet et très simple. L’illustre biologiste est représenté debout dans
- portants du célèbre savant. Si grande qu’elle soit en réalité, on n’y pourra inscrire, en caractères de dimensions suffisantes, les découvertes qui ont à jamais illustré le nom de Claude Bernard : l’étude des poisons et particulièrement du curare et de l’oxyde de carbone, considérés non seulement en eux-mêmes, mais comme un puissant moyen d’analyse physiologique; les nerfs vaso-moteurs (vasodilatateurs, vaso-constricteurs), les nerfs sécréteurs ; l’origine de la chaleur animale; la glycogénie animale en général, et spécialement la glycogénie hépatique ; les rapports du diabète sucré et du système nerveux; le rôle digestif du pancréas; les phénomènes communs à la vie des animaux et à celle des
- 4
- Essai de la mise eu place de la statue de Claude Bernard, à l’entrée du Collège de France, à Paris.
- Modèle en plâtre posé sur un piédestal de bois, devant les membres de la Commission du monument, le samedi 13 décembre.
- (D’après une photographie instantanée.)
- p.49 - vue 53/432
-
-
-
- 50
- LA NATUUE
- végétaux; et par-dessus tout l’admirable synthèse des faits de la biologie générale. En voilà plus que n’en pourraient contenir et raconter les pancartes et les piédestaux.
- Par une coïncidence touchante, la statue regarde précisément la maison où Claude Bernard est mort, au n° 44 de la rue des Ecoles. Notre dessin d’ensemble, exécuté à une petite échelle, ne donne qu’une idée incomplète de l’œuvre de M. Guillaume. Nous la ferons mieux connaître à nos lecteurs. Dr Z...
- ÉLECTRICITÉ PRATIQUE
- Forme simple du commutateur de M. Gaston Planté. — L’appareil qui pourra être facilement construit par tous ceux qui ne craignent pas de manier la lime et le marteau se compose d’une planchette rectangulaire, à la surface de laquelle se trouve pratiquée une rainure d’environ 5 millimètres de profondeur et 4 à 5 millimètres de large. Dans cette rainure glisse à frottement doux une autre planchette plus petite, par exemple
- Fie-. 1
- Fier. 2
- Forme simple du commutateur de Gaston Planté Fig. 1. — Le pôle positif de la pile communique avec tous les pôles positifs des accumulateurs. Son pôle négatif, avec tous les pôles négatifs des accumulateurs, la lampe se trouve séparée du circuit. Les accumulateurs sont donc chargés en quantité.
- Fig, 2. — La planchette ABGD étant descendue, la pile se trouve isolée du circuit, les accumulateurs sont groupés en tension sur la lampe.
- un morceau de règle à dessin, à la surface duquel on a incrusté des lames de cuivre nickelé, et dont on peut voir la forme sur les figures ci-dessus.
- La course de cette planchette est limitée par des butoirs; et pour que l’une ou l’autre action s’exerce, il faut le pousser à fond de course.
- Sur la planchette extérieure, se trouvent placées les 10 bornes, qui relient l’appareil à la pile, aux accumulateurs et à la lampe. Des bornes, le courant passe au commutateur au moyen de languettes de cuivre nickelé LL' qui frottent sur les contacts incrustés dans la règle. Dans la première position, la pile charge les accumulateurs groupés en quantité et la lampe est isolée du circuit. Dans la deuxième position, les accumulateurs se déchargent en tension sur la lampe, la pile est isolée du circuit. Maurice Goulv,
- Chimiste,
- Appareil avertisseur du vol des coffres-forts.
- — Le système que nous allons faire connaître, d’après les indications que nous communique un de nos lecteurs, est d’une grande simplicité, d’un prix très peu élevé et d’un fonctionnement sur. Ce système comprend un petit appareil formé d’une boîte ABCD (voir détail fig. 1) analogue aux boîtes de sonneries à trembleur. Sur la face postérieure de cette boîte se trouvent deux ressorts lames R et R' dont le jeu est limité, en dessous, par deux butoirs isolés 1 et 2, et en dessus par deux autres 3 et 4. Le butoir 3 est relié à une borne F placée en haut de l’appareil et le butoir 4 à une deuxième borne E faisant pendant à la première.
- Cette boîte doit être placée verticalement à une assez grande hauteur, au-dessus du coffre-fort, ou de tout autre objet précieux qu’il s’agit de préserver.
- Elle reçoit à l’extrémité des ressorts R et R', la partie métallique de deux fils conducteurs GI.HJ. tendus assez fortement pour amener R et R' au contact de 1 et 2 (fig. 2).
- Ces fils sortent librement de la boîte ABCD et sont fixés seulement en IJ, dans l’intérieur du coffre, de façon à toujours maintenir R et R' éloignés de 3 et 4.
- Les extrémités de ces fils sont reliées à un contact à feuillure ordinaire, K, manœuvré par la porte du coffre.
- Tout est donc enfermé, le point d’attache des fils et le confia et à feuillure, seuls les fils conducteurs émergent du coffre et montent le long du mur, naturellement tendus sous l’action des ressorts R et R' sans que cette tension gêne en rien leur fonction de fils conducteurs.
- précieux,
- Fig. 1. — Detail de l’appareil.
- Fig. 2. — Schéma de la disposition d’ensemble.
- Dans ces conditions, la disposition générale est celle de la figure 2 et le système fonctionne de la manière suivante : se-
- Si une personne mal intentionnée réussit à ouvrir la porte du coffre, le contact à feuillure se met en mouvement sous l’action de la porte et la communication s’établit à travers : pôle -j-, sonnerie, borne E, ressort R, ressort r, ressort r\ ressort R', borne F pôle négatif. La sonnerie fonctionne et avertit l’intéressé qu’on en veut à sa caisse.
- Si le voleur, se méfiant des fils conducteurs qu’on a eu soin de placer bien en vue, les coupe pour éviter quelque indiscrétion de leur part, ou bien s’il les casse eu emportant le coffre, les ressorts R et R' remontent et viennent buter sur 3 et 4, le circuit se trouve encore fermé dans ce
- cas à travers pôle +, sonnerie, borne E | j F pôle
- négatif.
- Si le voleur ne coupe qu’un fil, le levier correspondant se met en mouvement et ferme de nouveau le circuit.
- La sonnerie fonctionne dans les trois cas qui peuvent
- p.50 - vue 54/432
-
-
-
- LA NAT CK K.
- 51
- se présenter dans un vol : Porte du coffre forcée; coupure des fils de ligne avant de forcer la porte ou emporter le coffre; arrachement des fils en emportant le coffre. Le voleur ne saurait donc réussir.
- LE CHARBON ET LES ACCUMULATEURS
- L’accumulation de l’énergie est un problème qui préoccupe, et à juste titre, les esprits, surtout depuis que l’emploi de l’électricité est venu donner un essor subit et une nouvelle direction aux recherches des savants.
- Mais là encore, le vieil adage: « 11 n’y a rien de nouveau sous le soleil », reçoit une singulière confirmation,car la nature elle-même nous fournit dans le charbon, un exemple d’accumulateur remarquable à tous points de vue et dont nous sommes loin d’avoir égalé toutes les qualités, dans les appareils industriels.
- On sait que tous les combustibles bois, tourbe, houille, etc., sont le résultat de la décomposition de végétaux à travers les époques géologiques ; la flore actuelle, ne renferme que quelques espèces de cryptogames incapables de nous donner une idée de l’aspect étrange que devaient avoir les terrains de l’époque primaire couverts de fougères, d’équisétacées, de conifères dont la grandeur, la force et l’activité de croissance, dues à une atmosphère bien différente de la nôtre, nous sont complètement inconnues aujourd’hui.
- Or une plante quelconque, est le résultat du travail de la végétation dont la cause directe est l’énergie des rayons solaires. Sous cette influence, la plante a vécu, s’est formée en absorbant les matières contenues dans le sol et respirant les gaz répandus dans l’atmosphère, Par la respiration, le végétal s’est imprégné de l’acide carbonique de l’air, a décomposé ce gaz en présence de la lumière et fixé le carbone dans ses tissus pour constituer son organisme, en même temps qu’il rejetait dans l’atmosphère l’oxygène pur, résidu de sa respiration.
- Le résultat de ce phénomène, est donc une décomposition, une électrolijse calorifique (si l’on peut employer ce terme) entièrement comparable au chargement d’un accumulateur par un courant primaire ; l’énergie calorifique du soleil remplaçant le courant électrique de l’exemple comparatif.
- L’analogie peut être poussée plus loin ; la restitution de l’énergie s’effectue d’une manière absolument analogue, c’est-à-dire par une combinaison chimique.
- En effet, lorsque nous placerons le carbone provenant de la décomposition de ces végétaux, dans des conditions lui permettant de s’associer à l’oxygène dont il a été séparé ; lorsque par une élévation de température (fait qui équivaut à la fermeture du circuit extérieur de l’accumulateur d’énergie électrique) nous produirons la combustion, il y aura restitution de l’énergie calorifique dépensée par les rayons solaires pour effectuer la dissociation de l’acide carbonique.
- Ainsi que nous l’avons dit, cette décharge prend le nom de combustion ; elle présente un caractère particulier, c’est qu’elle peut se régler suivant nos désirs d'une façon très simple, il suffit en effet de régulariser l’arrivée d’air sur le charbon pour obtenir un dégagement de chaleur uniforme.
- Les deux électrodes de cet immense accumulateur qui existent partout à la surface du globe, peuvent se trouver en présence l’une de l’autre sans qu’il se produise une combinaison, c’est-à-dire une décharge partielle, dans les
- conditions normales de l’atmosphère, les pertes intérieures par l'accumulateur lui-même sont nulles et l’énergie peut se conserver très longtemps à l’état potentiel puisqu’il n’existe pas d’action équivalente à l’attaque locale des plombs de l’accumulateur Planté,par exemple.
- Remarquons, cependant, qu’on peut produire la dissociation de l’acide carbonique par l’action de la chaleur seule, mais on n’obtient qu’un mélange d’oxyde de carbone et d’oxygène; de plus, le phénomène exige une température très élevée.
- 11 est inutile d’ajouter que l’on ne peut songer à baser un accumulateur d’énergie calorifique sur ce principe.
- Pendant la combustion du charbon, quelle est la valeur de l’énergie récupérée par rapport à celle qui a été communiquée par le soleil pour développer la plante, c’est-à-dire quel est le rendement? On ne peut même pas le supposer car nous ne pouvons évaluer le travail cellulaire intime qui se produit à l’intérieur d’un végétal. Mais quel que soit le coefficient de restitution de cet accumulateur merveilleux, il est on ne peut plus remarquable par sa grande capacité : 1 kilogramme de carbone pouvant développer théoriquement 8080 calories ou
- 8080 x 424=3898 270 kilogrammètres1, et par son aptitude à conserver sa charge puisque, aujourd’hui, toutes nos forces industrielles sont produites par la combustion de la houille, c’est-à-dire prises, dans le réservoir d’énergie calorifique que la nature a placé dans les entrailles du sol, réservoir où nous puisons aujourd’hui pour l’utiliser dans une proportion quelconque, quand nous le voulons, dans nos usines, dans nos appartements, l’énergie que les rayons solaires ont émises il y a des milliers de siècles.
- Les moyens employés par la nature ne sont pas, il est vrai, d’application industrielle ; ils ne peuvent nous servir d’exemple, non seulement à cause de leur extrême lenteur, mais parce qu’ils exigent l’mtervention d’un phénomène au-dessus de nous-mêmes par son essence, et dont nous ne pouvons disposer : la vie, mais le résultat peut être considéré comme une perfection que nous devons chercher à atteindre. P. Juppont,
- Ingénieur des Arts et Manufactures.
- 4 --<>^0--
- NOUVEL APPAREIL DE LAR0RAT0IRE
- POUR LA PRODUCTION CONTINUE DES GAZ
- Les lecteurs de La Nature connaissent le grand appareil à gaz que j’ai construit à notre atelier aérostatique d’Auteuil, pour le gonflement de l’aérostat électrique à hélice que nous avons expérimenté mon frère et moi2. Cet appareil a donné de si bons résultats au point de vue de la rapidité de production du gaz et de la continuité de la réaction, que j’ai eu l’idée d’en faire construire un modèle en petit pour l’usage des laboratoires.
- On prépare très souvent dans les laboratoires du gaz hydrogène sulfuré pour les analyses qualitatives ou quantitatives et pour la préparation du sulfhydrate d’ammoniaque, on prépare parfois aussi des quantités plus ou moins considérables d’acide carbonique ou
- 1 Les accumulateurs électriques ne rendent que 4000 kilo— grammètres par kilogramme de leur poids au maximum.
- - Yoy. n” 540 du 6 octobre 1885, p. 291.
- p.51 - vue 55/432
-
-
-
- 52
- LA NATURE.
- d’hydrogène pur. Ces gaz qui sc produisent à froid par l’action d’un liquide acide sur une matière solide, sulfure de fer, craie on zinc en grenaille, s’obtiennent généralement dans l’appareil de Deville, où un robinet adapté au tube de dégagement du générateur formé d’un grand llacon à tubulures, permet de refouler par la pression le liquide actif dans un vase communicant. On sc sert souvent encore de deux vases de verre, sphériques, communicant entre eux à leur partie inférieure, à l’aide d'un tube de caoutchouc. Le premier vase contient le corps solide à dissoudre, le second le liquide actif; en abaissant ou en levant le réservoir contenant ce liquide, on fait entrer ou sortir l’eau acide du premier vase, et on obtient à volonté la production du gaz.
- Ces appareils offrent un inconvénient : quand la réaction est ralentie, on ajoute dans le liquide l’acide qui la produit, mais cet acide est introduit dans une solution de plus en plus concentrée qui agit ainsi de moins cnmoinsbien.
- En outre, pour retirer le liquide, il faut interrompre la production et démonter tout l'appareil.
- 11 n’v a plus aucun de ces inconvénients et de ces ennuis, avec le petit appareil que représente la ligure ci-contre, montrant le système tel que nous l’avons expérimenté pour la production en petit du gaz hydrogène. L’appareil consiste en une grande éprouvette en verre de üra,60 de hauteur, munie de trois tubulures; ce type a été confectionné sur notre croquis par MM. Appert frères, les fabricants de verre bien connus. L’éprouvette remplie de tournure de zinc, est fermée à sa partie supérieure par une membrane imperméable telle que de la soie enduite de vernis à ballon. Un grand réservoir renferme le liquide formé d’acide sulfurique étendu de 7 ou 8 fois son volume d’eau. Quand on veut produire le gaz, on ouvre le robinet R. Le liquide descend dans le tube A, et traverse la grande éprouvette de bas en haut ; en contact avec la masse de zinc, il transforme ce métal en sulfate de zinc qui se dissout, et l’hydrogène produit se dégage à la partie supérieure
- par le tube D. Quand le liquide est arrivé à moitié de hauteur de l’épronvette, il s’échappe par la tubulure médiane adaptée au tube en U, indiqué par une lettre T sur notre figure, et s’écoule au dehors. Ce tube en U forme un sipbon de déversement qui permet au liquide de s’écouler, mais qui ne donne pas d’accès au gaz. Au fur et à mesure que le zinc se dissout, il est remplacé par la provision de réserve contenue dans la partie supérieure du vase.
- Avec cet appareil à écoulement, constant, dans lequel les résidus se trouvent éliminés au fur et à mesure qu’ils se produisent, et dans lequel le liquide actif est sans cesse renouvelé, la production
- du gaz est très rapide. Nous avons pu gonfler des petits ballons de baude-ruche de 40 litres en vingt minutes. La production du gaz est en outre facilement réglée par le robinet R ; il suffit de l’ouvrir plus ou moins pour activer ou ralentir la production. Quand l’opération est terminée, on ferme le robinet, et on fait passer un courant d’eau tiède a travers l’appareil, afin de chasser le sulfate de zinc qui pourrait y cristalliser. Il faut employer de l’eau tiède pour ce lavage, parccque le vase de verre, chauffé par la réaction, se casserait sous l’action d’eau froide.
- A -
- Cet appareil peut être employé aussi avantageusement pour la préparation de l’hydrogène sulfuré au moyen du sulfure de fer et de l’acide chlorhydrique, ou pour celle de l’acide carbonique par la craie et l’acide chlorhydrique étendu d’eau.
- Notre figure montre le mode de montage de l’appareil. Les tubes de dégagement du gaz, de sortie et d’entrée du liquide, sont directement adaptés aux tubulures par des bouts de tube en caoutchouc, solidement ligaturés. Le tube d’entrée du liquide A qui est assez élevé, doit être maintenu a l’aide d’un fil de fer fixé à l'éprouvette comme cela est représenté en G. Après sa sortie du générateur, le gaz doit être lavé et séché, comme cela a lieu avec les autres appareils de production. Gaston Tissandier,
- i\ouvel appareil de laboratoire de M. Gaston Tissandier, pour la production continue des gaz.
- p.52 - vue 56/432
-
-
-
- LA NATURE
- 53
- UNE EXCURSION DANS LES PYRÉNÉES
- L K .NOUVEL ABIII DE LA BRÈCHE DE ROLAND ET LES AIGUILLES DE GLACE DU GABIETOU
- Les touristes des Pyrénées ont eu cette année bien des déceptions Les Espagnols, avec la crainte
- du choléra, ont lcrmé toutes les issues de leurs montagnes à l’aide d’un ruban de soldats — peu de personnes ont osé franchir ces barrières, elles avaient à craindre à leur tour sept ou huit jours de lazaret dans les petites chapelles que l’on connaît aux frontières de ce beau pajs.
- J’ai été pris de la peurdetre privé de ma liberté.
- Les aiguilles de glace du Gabietou, dans les Pyrénées. (D’après nature, par M.^Albert Tissandier.)
- et n’ai pu cette fois que faire quelques pas en Espagne.
- Étant à Gavarnie à la fin de juillet 1884, je désirais voir le nouvel abri de la Brèche du Roland (2804m) et y passer la nuit. Cet abri a été construit en juillet 1883 par le Club Alpin Français qui avait
- voté la somme de 2000 francs pour ce travail. M. le comte Russell a été chargé du soin de choisir la place voulue. On lui avait donné à ce sujet et avec juste raison tous les pouvoirs, car personne mieux que lui n’a autant d’expérience sur ces intéressantes questions. Il n’y avait malheureusement pas
- p.53 - vue 57/432
-
-
-
- 54
- LA .NAITRE.
- beaucoup de choix pour Remplacement; le côté français exposé au nord-est était seul admissible puisque les pâtres espagnols détruisent toujours les abris que l’on fait sur leur versant. Ils en enlèvent les portes, et détruisent les maçonneries faites à grand’peine.
- Au bout de trois semaines une grotte de dix-huit mètres cubes était creusée au pied des murailles de Roland sur le versant français. Elles ont près de 100 mètres de hauteur dans ces lieux sauvages. Le panorama qu’on y découvre avec le premier plan des neiges de la Brèche est superbe et à l’heure du coucher du soleil le spectacle est grandiose. La proximité de cette grotte artificielle avec l’Espagne, à l’aspect calciné et aride, ajoute encore au pittoresque exceptionnel de cet endroit. La nuit est dure cependant dans cet abri; il y fait froid. Le soleil ne peut y pénétrer qu’à peine à l’aurore. Le sol sur lequel il faut reposer est glacial ; une bonne porte de tôle ferme l’entrée de la grotte, mais elle ne suffit pas et malgré nos couvertures mes guides Brioule et Pujo et moi-même nous n'avons pu dormir. Le froid nous gagnait. Il est facile de remédier à ce léger ennui de quelques heures sans sommeil ; nous aurions dù penser à cueillir en passant dans les Sarradets des paquets d’herbes et de fleurs. Des matelas étaient faits de cette façon et le froid de la roche ne nous aurait pas autant incommodé.
- Le lendemain matin nous montions au sommet du Tallion (5146 mètres). De la brèche de Roland, c’est une promenade connue. On y arrive sans fatigues, en longeant les murailles de Roland, côté espagnol et la fausse brèche puis enfin la moraine et les pentes de neige. A ces heures matinales, les montagnes sont belles et la facilité de la marche aidant, on admire à l’aise les cimes dorées des pics espagnols éclairées par le soleil levant, puis le côte français moins lumineux, mais non moins superbe. C’est avec regret que l’on quitte les hauteurs du pic, on y resterait des heures sans se lasser; c’est un spectacle si changeant, si merveilleux, quand le beau temps vous favorise !
- Mais il faut bientôt songer à la retraite, malheureusement; puis, d’après les bons, avis que M. le comte Russell m’avait donnés la veille, je devais redescendre à Gavarnie par le glacier du Gabietou.
- Le bas de ce glacier est de peu d'étendue, mais il est fort curieux à visiter. La route y est peu aisée et de la cime du Taillon pour arriver au plus bel endroit, les aiguilles de glace, il y a des passages presque dangereux à cause de la raideur des pentes et des pierres qui souvent se détachent des hauteurs. Ces aiguilles de glaces sont devenues une des plus grandes curiosités des Pyrénées parce quelles sont maintenant des échantillons uniques en leur genre.
- Le glacier du Gabietou se trouve rompu tout à coup sur le haut de roches presqu a pic; il est brusquement coupé et laisse voir toute l’épaisseur des séracs dont il est formé.
- lis ont, en cet endroit, de 12 à 14 mètres de
- hauteur. Ces masses sont énormes; il semblerait qu’on va les voir tomber, se précipiter du haut de cet abîme. Elles forment des pyramides, des aiguilles merveilleuses de couleur bleu d’azur et vert émeraude. Encadrées par les cimes du Taillon et du Gabietou, le spectacle est tout à fait imposant. Les glaciers des Pyrénées sont depuis longtemps, comme on sait, dans une période de décroissance.
- 11 y a une vingtaine d’années, M. le comte Russell a vu des aiguilles analogues au bas des glaciers des Gours-Blancs et de Litavrolles; mais elles ont aujourd’hui complètement disparu. Il ne reste à leur place que des pentes de glaciers crevassés mais unis. D’après les renseignements que m’a donnés le comte Russell,on peut voir encore cependant dans les Pyrénées de beaux séracs à grande échelle, dans le bas du glacier d’Ossouë par exemple. Us rappel, lent un peu ceux des Bossons au Mont-Blanc, mais ils n’ont pas d’aiguilles comme au Gabietou. Il faut donc se hâter d’aller les .voir et de les admirer car bientôt, sans doute, de nouveaux écroulements les feront disparaître. Albert Tissandier.
- LES
- VIEILLES VILLES DU NOUVEAU MONDE
- LE PALAIS DE KABAH. — LA VILLE LORILLARD
- Parmi les édifices du Yucatan tous semblables entre eux, il y en avait de plus simples et de plus riches ; les plus simples et les plus sévères remontant suivant la logique de l’art et de l’histoire à une époque plus ancienne et les plus riches à une époque plus moderne.
- La ville de Kabah dut appartenir à l’époque moderne. Ce qu’il reste de la façade du palais démontre qu’elle devait être dans son entier d’une richesse incomparable. Nous y remarquons une double frise contenue entre trois corniches saillantes dont l’ornementation se compose de ces grandes figures superposées trois par trois, figures que nous trouvons répandues dans des dispositions plus ou moins diverses sur tous les édifices du Yucatan.
- L’ornementation de ce palais de Kabah est poussé jusqu’à la prodigalité, jusqu’à la débauche et l’architecture disparaît totalement pour faire place à des motifs décoratifs; mais il est impossible de ne pas admirer les belles corniches qui encadrent les frises, corniches d’un travail exquis et qui ne déparerait aucun de nos monuments les plus beaux et encore n’avons-nous là qu’un fragment, l’état ruiné de l’édifice ne permet pas de juger de l’ensemble qui devait être des plus extraordinaires, cette formidable décoration s’étendant à une façade de cinquante mètres De plus, l’intérieur et l’extérieur du monument étaient peints et la polychromie était en usage chez les Yucatèques comme chez les peuples de l’Ancien Monde. Chez eux la peinture ne dut jamais être séparée de l’architecture ; ces deux arts
- p.54 - vue 58/432
-
-
-
- LA NATURE.
- /
- se prêtaient mutuellement secours. Chez eux, comme dans l’antiquité, la décoration extérieure était ln grande préoccupation de l’artiste, et cette peinture, ces couleurs vives, éclatantes, distribuées avec art sur les larges façades, au'milieu de l’enchevêtrement des ligures monstrueuses, devait singulièrement ajouter à la sauvage magnificence du palais.
- Quant à l’histoire de Kabah sur laquelle se taisent les historiens, nous possédons quelques points de repère qui vont nous permettre de la reconstituer. Nous savons en effet que le Yucatan, à l’arrivée des Espagnols, était divisé en principautés indépendantes, espèce de féodalité dont chaque seigneur avait sa cour. Mais un siècle avant la conquête et c’est là le seul document que nous ayons, le souverain d’une ville appelée Mayapan régnait sur toute la péninsule; c’est dire qu’il avait soumis les provinces environnantes et détruit comme d’habitude les capitales de ses rivaux. Le cacique de Kabah comptait parmi les vaincus, que les historiens désignent sous le nom de caciques de la Sierra.
- Le roi de Mayapan ne maintenait son autorité qu’à l’aide d’une garnison mexicaine : cela nous donne une date ; nous savons en effet que les Aztecs furent tributaires du roi d’Azcapotzalco et ne conquirent leur indépendance que sous le règne d’Itzcoatl vers 1425; qu’ils n’obtinrent de l’influence et ne se répandirent en vainqueurs sur les hauts plateaux, que sous le règne de Montézuma le Vieux, en l’année 1440, et que par conséquent ils ne purent envoyer de secours au roi de Mayapan que vers cette époque.
- Cette royauté absolue ne dura que peu d’années, car le joug en semblait d’autant plus lourd qu’il était maintenu à l’aide de soldats étrangers. Une coalition se forma et l’on nous parle des gens de la sierra qui sont ceux dont le cacique de Kabah faisait partie. La guerre éclata, le roi de Mayapan fut vaincu et la ville détruite de fond en comble.
- Ceci se passait en 1420, d’après Landa, et en 1460, d'après Herrera qui, d’après ce que nous avons dit plus haut, nous paraît de beaucoup le plus exact et qui justifie sa chronologie d’une manière tout à fait victorieuse. Car, dit-il, « il s’écoula 70 ans entre la chute de Mayapan et l’arrivée des Espagnols; il y eut 20 ans d’abondance et ouragan, 16 ans d’abondance nouvelle et peste, autres 15 années d’abondance et guerre intestine, puis repos de 20 ans, époque à laquelle arrivèrent les Espagnols1. » Cela fait bien 71 ans, qui, à partir de 1460, nous mènent à 1531, et Monteyo occupa Chiehen de 1528 à 1531. Mais quant à la modernité des villes en général et qui répondrait à la chute de Mayapan, Landa va nous éclairer à ce sujet.
- Dans l’un des chapitres de son ouvrage intitulé : Des diverses calamités qu éprouva le Yucatan un siècle avant la conquête, il dit : f Ces populations vécurent plus de 20 ans dans l’abondance et la
- 1 Herrera, décade IV, liv. X, ch. m.
- santé; elles se multiplièrent tellement que la terre entière ne paraissait former qu’une seule ville ; ce fut alors (1440 à 1460) quelles construisirent des temples en si grand nombre, tels qu’on les voit aujourd’hui de tous côtés, et qu’en traversant les forêts on retrouve au milieu des bois des groupes de maisons et de palais si merveilleusement travaillés1. » Cela est il assez clair?
- Mais nous avons mieux encore et l’interprétation des deux bas-reliefs que nous donnons ici (fig. 1) vont achever de nous convaincre.
- Ces bas-reliefs qui ont été arrachés par Stephens à un monument de Kabah dont ils faisaient partie comme linteaux de porte, célèbrent, à notre avis, la victoire du prince de Kabah et des caciques alliés sur le roi de Mayapan.
- En effet, ces deux bas-reliefs sont du même ordre que la pierre de Tizoc de Mexico, où les guerriers deux à deux représentent un vainqueur et un vaincu, c est-à-dire les conquêtes de Tizoc sur les peuples voisins personnifiés par les guerriers à l’échine courbée.
- A Kabah, que voyons-nous? Dans l’un des bas-reliefs, nous avons un homme debout, richement vêtu, avec la coiffure yucatèque à plumes immenses et la fameuse cuirasse de coton piqué. Cet homme est un vainqueur, car il commande; il menace l’homme a genoux qui l’implore et lui rend son épée.
- Dans le guerrier à genoux, vous reconnaîtrez facilement le soldat Atzec avec sa coiffure plus modeste et semblable à quelques-unes de celles que les peuples soumis livraient comme tribut aux Mexicains vainqueurs, et telle que nous les donne Lorenzana dans les lettres de Cortez à Charles-Quint. Le Mexicain n’a pour costume, outre sa coiffure, que son maxtli. Le second bas-relief est plus explicite; ce sont les deux mêmes hommes, dans le même costume d’apparat pour l’un, et les mêmes attitudes de vainqueur et de suppliant. Seulement, ici, le vaincu a rendu son épée, sa coiffure entière nous montre la figure du soldat émergeant d’une tête d’animal, telle que nous en représentent des manuscrits mexicains2, et le Yucatèque qui semble avoir fait grâce ordonne aü vaincu de partir.
- Nos deux bas-reliefs, dans l’un desquels le vainqueur semble recevoir le vaincu à merci, et dans l’autre lui commande de s’éloigner, ont donc trait à une bataille entre Yucatèques et Mexicains. Ils racontent la victoire de l’un et la défaite de l’autre, et comme nous savons que Mayapan fut la seule ville où les Aztecs furent appelés comme auxiliaires; comme nous savons également qu’à la suite de la destruction de la ville, les soldats étrangers reçu-
- * Landa, Relacion de las cosas de Yucatan, paragraphe 10, p. 59, traduction de l’abbé Brasseur.
- 2 Voy. la pierre de Tizoc et surtout les figures des guerriers, combattant dans notre gravure du Témalaeatl, ch. ni, p. 43 des Vieilles villes du Nouveau Monde; ce sont bien les deux mêmes figures ; la ressemblance est frappante et indiscutable.
- p.55 - vue 59/432
-
-
-
- 56
- LA NATURE.
- rent l’aman de lu part des vainqueurs et lurent internés dans la province de Maxcanu, à l’est de Mé-rida, où leur race s’est perpétuée, nous pouvons affirmer que les deux bas-reliefs nous racontent bien la défaite de Mayapan, et que, par suite, le monument qui les contient est postérieur à la destruction de la ville et qu'il daterait de 1460 à 1470; ce qu’il fallait démontrer.
- On trouvera peut-être que nous abusons, que nous amoncelons les preuves et que cela suffit; non, cela ne suffit pas; il faut appuyer encore, se répéter sans cesse, la chose en vaut la peine : le préjugé d’antiquité est trop ancré dans la tête de certains archéologues pour qu’il y ait jamais trop de preuves à leur donner de la modernité des monuments américains.
- Si de Kabali nous passons à la ville de Lorillard, sur la rive gauche de l’Usuma-cinta supérieur, nous manquerons de. pièces pour assigner une date précise aux monuments; cependant, nous pourrons les considérer comme également modernes, car les habitants devaient être contemporains des Itzaes du Peten, qui, nous le savons, eonser-vèrent leur indépendance plus de 150 ans après la conquête; leur capital Tayasal ne fut, en effet, détruite qu’en 1696, il est fort probable que nos Lacandons, plus éloignés et mieux retranchés dans leurs montagnes, durent survivre à leurs voisins.
- ' Cette supposition est confirmée par Villa Gutierre Soto mayor; cet historien nous apprend que les Itzaes du Peten étaient les ennemis des Lacandons, et il ajoute que, en 1694, deux ans avant la destruction de leur ville par les Espagnols, ils faisaient encore des expéditions sur l’Usumacinta dont ils descendaient les rapides ; mais Boyle va plus loin, puisqu’il nous affirme que les Lacandons étaient
- encore en pleine civilisation il y a 150 ans à peine, e’est-à-dire en 1750!
- Nous trouvons à la ville Lorillard des documents du plus haut intérêt, dans les linteaux de porte, linteaux de pierre couverts de bas-reliefs et dont quelques-uns d’un fini merveilleux, témoin celui que nous reproduisons ici (fig. 2) et dont nous croyons avoir donné une explication des plus vraisemblables.
- En dehors des têtes à front fuyant, qui, ainsi que nous l’avons dit au sujet de Palenque et du Yucatan, n’étaient point des types de race, mais seulement
- des types conventionnels modifiés suivant les coutumes de certaines classes, tout est parfait dans ce bas-relief, et d’une richesse de détail vraiment surprenante; rien dans les époques primitives des civilisations anciennes ne nous offre quelque chose de plus riche et de mieux traité; c’est pour le pays une œuvre magistrale. Ce document reproduit une scène religieuse et nous assistons à un sacrifice.
- L’un des personnages, l’homme agenouillé , un prêtre assurément, s’est passé une corde au travers de la langue et il l’a garnie d’épines, pour n’être point tenté de la retirer une fois la rude épreuve commencée; cela lui serait impossible, et malgré la douleur que doit éprouver le patient, il lui faudra, pour couronner le sacrifice, faire passer la corde toute entière.
- Le personnage debout est également un prêtre qui armé d'une grande palme l’impose au torturé, pour l’encourager dans son effroyable entreprise.
- Eh bien ! nous assistons là à une cérémonie tol-tèque ; en effet, Je culte de Quetzalcoatl laissé par le civilisateur sur les hauts plateaux, fut transporté par lui sous le nom de culte de Cuculcan dans les pays mayas, et Torquemada, Sahagun et Clavigero
- Fig. 1. — Bas-reliefs de Kabah, dans le Yucatan.
- p.56 - vue 60/432
-
-
-
- Linleau de pierre à Lorillard, dans le Yucatan Sacrilice à Cuculcan,
- p.57 - vue 61/432
-
-
-
- 58
- LA NATURE.
- nous parlent des supplices que devaient s’infliger les prêtres de cette divinité toltèque.
- « Les prêtres de Quetzalcoatl à Cholula se réunissaient sous la présidence du plus vieux d’entre eux appelé Achcantli, et, après un jeûne de cinq jours uni à des pénitences diverses, on les enfermait dans le temple, où ils apportaient avec eux une quantité de bâtons grands comme le bras et gros comme le poignet; alors venaient des charpentiers qui travaillaient ces bâtons; et ayant achevé de les amincir de la manière et dans la forme qu’il fallait, survenaient les maîtres ouvriers chargés de la fabrication des couteaux d’obsidienne destinés à ouvrir les langues; puis venaient des prières, et les vieux prêtres et les jeunes étant réunis et prêts pour le sacrifice, le plus adroit des maîtres ouvriers leur ouvrait la langue de part en part en y faisant un grand trou.
- « Aussitôt le principal Achcautli faisait passer ce jour-là au travers de sa langue ouverte plus de quatre à cinq cents de ces bâtons qu’avaient taillés les charpentiers ; les autres vieux faisaient de même et les jeunes, ceux du plus grand courage, les imitaient. Mais la douleur était si grande que plusieurs ne pouvaient arriver à un tel nombre ; car, encore que les premiers bâtons fussent quelque peu déliés, les seconds étaient plus gros et les troisièmes davantage, jusqu’à atteindre la grosseur du pouce et quelques-uns plus du double, etc.
- « Dans ce temps de jeune, le principal Achcautli se rendait dans les villes et villages pour exhorter les gens à la pénitence et pour signal, il portait à la main un rameau vert1 2 *. »
- Voilà bien norie homme avec son grand rameau et nous assistons bien à un sacrifice en l’honneur de Quetzalcoatl, Cuculcan. Désiré Charnay.
- LES VOYAGES D’EXPLORATION
- AU MEXIQUE ET DANS l’aMÉRIQUE CENTRALE De M. Désiré Charnay.
- L’intéressante notice qui précède est un résumé que M. Désiré Charnay a bien voulu écrire pour nos lecteurs ; l’article est accompagné de gravures extraites du magni-, fique ouvrage que l’auteur vient de publier sous le titre : Les anciennes villes du Nouveau Monde 2 ; il donne une juste idée de l’intérêt qui s’attache aux travaux de l’auteur. Il ne s’agit pas ici d’un simple voyage accompli au Mexique et dans l’Amérique Centrale, mais de nombreuses pérégrinations accompagnées de recherches patientes, de fouilles difficiles, d’investigations délicates et minutieuses, accomplies presque sans trêve ni relâche pendant trente-quatre années consécutives ! C’est en 1850 que M.Désiré Charnay, alors âgé de vingt-deux ans seulement, fit son premier voyage. Inspiré par le livre de Stephens, Incidents of Travel in Yucatan, il résolut de continuer l’œuvre inter-
- 1 Torquemada, Monarquia indiana, liv. X, ch. xxxi
- 2 1 vol. grand in-45 de 472 pages, accompagné de 214 gra-
- vures et de 19 cartes ou plans. (Hachette et Cie.) Prix, 40 fr.
- rompue du célèbre archéologue américain. En 1857, il entreprit une première mission que lui confia le ministère d’Etat, et il aborda résolument dans le Nouveau Monde son terrain d’exploration. Pendant quatre ans, M. Désiré Charnay parcourut le Mexique et le Yucatan, ne manquant jamais d’étudier et de photographier sur place les principales antiquités de ces pays remplis de merveilles. 11 revint à Paris en 1861. A peine ce premier voyage terminé, M. Désiré Charnay quitta la France pour une destination nouvelle. Il fut nommé historiographe de l’expédition de la Compagnie de Madagascar; mais le voyageur ne devait pas tarder à retourner sur le Continent américain ; et il visita plus tard l’Amérique du Nord pendant trois années, et l’Amérique du Sud, le Chili et la République Argentine pendant une autre année.
- C’est en 1880 que des circonstances dignes d’être connues, permirent à M. Désiré Charnay de reprendre et de compléter ses études de l’Ancien-Mexique et du Yucatan. Un riche négociant de New-York, Français d’origine et protecteur éclairé des sciences, M. Pierre Lorillard n’hésita pas à ajouter à une subvention accordée par le Ministre de l’Instruction publique à l’explorateur, la somme de 100000 francs qui devait permettre d’entreprendre des fouilles importantes dans les ruines et les nécropoles : cadeau princier qui honore à la fois le généreux donateur et l’heureux voyageur, que sa persévérance et son énergie avaient déjà si remarquablement distingué.
- Voilà comment M. Désiré Charnay, recommença de nouvelles et fécondes campagnes, qui lui ont permis de ressusciter des monuments dispersés, de faire revivre des populations oubliées, de reconstituer l’histoire de pays inouïs, où des temples et des palais surgissent de toutes parts, muets témoins d’un grand luxe et d’une grande puissance, et d’écrire une œuvre magistrale, qui inscrira le nom de son auteur sur le livre d’or des grands explorateurs.
- Le magnifique ouvrage de M. Désiré Charnay ; Les anciennes villes du Nouveau Monde, est rempli de véritables révélations archéologiques ; il abonde en gravures d’une grande finesse et de cartes explicatives qui en font un ouvrage de grand luxe. On y apprend à connaître une histoire jusqu’ici presque complètement ignorée; on y apprend aussi à apprécier un courageux voyageur, et un intrépide savant qu’a toujours inspiré un profond amour de la science et de la vérité. Gaston Tissandier.
- BIBLIOGRAPHIE
- Les Pyrénées françaises. L'Adour, la Garonne et le pays de Foix, par Paul Perret. 1 vol. in-8°, avec de nombreuses illustrations, par E. Sadoux. — Paris, H. Oudin, 1884.
- Les Mathématiques appliquées aux Beaux-Arts, par Le Natur. 1 vol. in-8°, avec 504 figures. — Paris, H. Messager, 1885.
- Le Chat. Histoire naturelle. Hygiène. Maladies, par Gaston Percheron. 1 vol. in-18. — Paris, Firmin-Didot et Ci0, 1885.
- La Mécanique pratique à la portée de l'ouvrier mécanicien, par Eugène Dejonc, 2e édition complètement refondue. 1 vol. in-18, avec figures. — Paris, Louis Camut, 1885.
- p.58 - vue 62/432
-
-
-
- LA NATURE.
- 59
- Les Fourmis, par Ernest André. 1 vol. in-18 illustré de la Bibliothèque des Merveilles. — Paris, Hachette et Cie, 1885.
- Le Courage civique, par Maxime Petit, 1 vol. iu-18, illustré de la Bibliothèque des Merveilles. — Paris, Hachette et Cio, 1885.
- L'An Mille. Formation de la légende. État de la France de l’an 950 à l’an 1050, par Jules Roy. — 1 vol. in-18, illustré de la Bibliothèque des Merveilles. — Paris, Hachette et Cie, 1885.
- Les Téléphones, par À. L. Ternant, 1 vol. in-18 de la Bibliothèqtie des Merveilles, 85 gravures sur bois. 2° édition. — Paris, Hachette et C'“, 1884.
- L’Eau, par Gaston Tissandier. 1 vol. in-18 de la Bibliothèque des Merveilles, 86 vignettes et G cartes. Cinquième édition. — Paris, Hachette et Cie, 1885.
- Annuaire pour l’an 1885, publié par le Bureau des longitudes, avec des notices scientifiques. 1 vol. in-52, Paris, Gauthier-Villars, 1885.
- Nouveau Manuel complet des Ponts et Chaussées. Ponts en bois et en fer, par M. A. Romain. 1 vol. de la collection des Manuels Rorel, orné de figures et accompagné de 7 planches. — Paris, librairie encyclopédique Roret.
- Cours de Physiqïie, par M. J. Violle, professeur à la Faculté des sciences de Lyon. Tomel, Physique moléculaire, 1 très fort vol. in-8° publié en 2 parties avec 56 figures dans le texte. — Paris, G. Masson.
- Cours de géographie, par M. Marcel Dubois, chargé du cours d’histoire et de géographie à la faculté des lettres de Nancy. — Première année : Notions élémentaires de Géographie générale. 1 vol. in-18. — Paris, G. Masson.
- Paris-Illustré, (Direction, 9, rue de Fleurus, à Paris.)
- Cette magnifique publication de grand format, qui est la première tentative faite d’un journal en couleurs, vient de terminer sa deuxième année par un numéro double des plus remarquables. La livraison intitulée Etrennes comprend de délicieuses aquarelles à six couleurs qui sont de véritables œuvres d’art et qui montrent les ressources que l’impression peut trouver aujourd’hui dans la chromotypographie. Paris-Illustré est un journal mensuel, qui est arrivé en peu de temps au tirage considérable de 25 000 exemplaires ; il est dirigé par M. Lahure, imprimeur, parM. Baschet, éditeur, et par M. Gillot, graveur. La rédaction est confiée à des écrivains connus, et les illustrations sont exécutées par des artistes de grand mérite. Chaque numéro coûte 1 franc. La première livraison de Paris-Illustré de 1885, vient d'être publiée à la veille de Noël. Elle est intitulée Les aérostats et la navigation aérienne. Le texte est entièrement rédigé par M. Gaston] Tissandier. Des planches en couleur, représentent les spectacles aériens, peints d’après nature par M. Albert Tissandier, d’autres figurent les épisodes les plus curieux de l'histoire de l’aéronautique composés par MM. Brun, Kaufmann et de Myrbach. De nombreuses gravures anciennes de la collection Tissandier ont été reproduites dans le texte.
- JOUETS SCIENTIFIQUES POUR 1885
- LE PETIT BALLON DIRIGEABLE DE M. LACHAMBRE. ----
- BOÎTE DE PHYSIQUE DE M. RENÉ LEBLANC
- 11 eût été surprenant que le succès obtenu cette année par les aérostats dirigeables, n’ait pas inspiré quelque constructeur pour la confection des jouets du Premier de l’An. M. Lachambre, le directeur de l’usine aéronautique de Vaugirard, où se confectionnent de grands et petits ballons, nous a récemment apporté, tout rempli d’hydrogène, le charmant petit ballon dirigeable que représente la figure ci-dessous. C’est une imitation en petit du ballon dirigeable de Chalais-Meudon. L’hélice, d’une grande légèreté, est placée à l’avant d’un tube creux formé de bambous recouverts de baudruche, et contenant un faisceau de lanières de caoutchouc. Ces caoutchoucs sont tordus en A à l’aide d’une crémaillère. Le mouvement est communiqué à l’hélice au moyen d’une transmission
- Le petit ballon dirigeable de M. H. Lachambre.
- par engrenage qui lui donne une grande vitesse de rotation. Un petit sac permet de lester l’aérostat et de le maintenir en équilibre dans un air calme. Quand on déclanche l’engrenage lorsque le caoutchouc a été tordu, le petit ballon se met en mouvement avec une vitesse assez considérable. En fixant à l’arrière le gouvernail, de manière à ce qu’il fasse un angle de 15 à 20 degrés avec l’axe du système, on arrive à imprimer à l’aérostat un mouvement de translation circulaire qui lui permet de tourner au milieu d’une grande salle. Ce petit ballon fonctionne pendant 3 à 4 minutes environ. H doit être rempli de gaz hydrogène bien pur et bien sec. M. Lachambre confectionne des aérostats un peu plus volumineux qui peuvent être gonflés avec le gaz de l’éclairage.
- Le petit ballon dirigeable que nous décrivons, ne constitue pas seulement un jouet ; il peut très utilement servir d’appareil de démonstration dans les Cours de physique, et c’est à ce double titre que nous le signalons à nos lecteurs.
- — M. René Leblanc nous a adressé d’autre part une charmante boîte de physique qu’il a fait construire par l’ancienne maison Rousseau, et qui comprend, sous une forme très simple et sous un volume très réduit, le matériel nécessaire pour l’exécution d’un nombre considérable d’expériences élémentaires de chimie, de physique et d’électricité. Un petit livre indiquant le mode d’opérer, constitue un véritable traité, très utile au débutant ; il renferme la description d’une grande quantité d'expériences dont plusieurs sont empruntées à notre Physique sans appareils.
- G. T.
- —
- p.59 - vue 63/432
-
-
-
- 60
- LA NATURE.
- EXPOSITION UNIVERSELLE
- DE LA NOUVELLE-OBLÉANS
- Toutes les nations cherchent aujourd’hui à développer leurs relations commerciales et, dans ce but, s’adressent, de plus en plus, aux grandes expositions internationales.
- A peine avons-nous assisté aux fêtes de Turin et de Londres que la ville d’Anvers se prépare pour 1885. Chaque branche de la science, chaque art spécial convie le public à constater ses progrès. Aujourd’hui, c’est l’hygiène, ou l’électricité, demain la peinture, puis les Concours agricoles, puis, en mai prochain, l’Exposition internationale d’horticulture aux Champs-Elysées et déjà il faut nous occuper de notre grande Exposition française de 1889.
- A l’occasion du centième anniversaire de la production du Coton aux États-Unis, production qui, de 6 balles en 1784, s’est élevée à plus de 7 millions de balles en 1882, la ville de la Nouvelle-Orléans et le gouvernement fédéral ont décrété une exposition universelle qui durera du 1er décembre 1884 au 31 mars 1885.
- Nous donnons ci-conlre le plan général de cette exposition, où l’horticulture ligure dans des conditions exceptionnelles qui ne se sont jamais présentées jusqu’ici.
- On sait que la Louisiane est une ancienne colonie française dont le tiers de la population a conservé la langue, les mœurs et les goûts de son pays d’origine : aussi les exposants français ont-ils dû y recevoir l’accueil le plus sympathique.
- Le percement de l’isthme de Panama ouvrira à la Nouvelle-Orléans un avenir commercial illimité comme centre de relations entre les deux Amériques et déjà toutes les nations, convaincues de ce brillant avenir, ont répondu à l’appel qui leur est fait par la Louisiane pour être dignement représentées.
- L’horticulture, en particulier, offrira, pour la première fois et pendant la saison la plus favorable, tous les sols, tous les produits et cultures de toutes les latitudes. Les fruits frais du Canada se trouvent exposés comme les fruits récemment cueillis des tropiques. Quant à l’Amérique du Nord, pour en bien distinguer les productions, les concours seront
- divisés en trois parties. La première renfermera les fruits du Canada et ceux des Etats situés à l’Est des Montagnes-Rocheuses, et au nord du 40° de latitude. Voilà pour le district Nord.
- Le deuxième concours comprendra les produits situés à l’Est des Montagnes-Rocheuses, mais au sud du 40e degré : ce sera le district Sud. Enfin, la troisième division, appelée District du Pacifique, comprendra tous les Etats et les territoires situés à l’Ouest des Montagnes-Rocheuses.
- On a construit pour les plantes délicates et pour les fruits une serre de 600 pieds de long sur 114 de large, et l’on compte y placer 25000 assiettes de fruits. Dans le but d’en assurer la conservation avant leur exposition, ils seront emmagasinés dans un bâtiment spécial où régnera une température constante de 4 à 5° centigrades.
- Les primes et récompenses offertes aux exposants sont principalement en argent, et varient de 5 à
- 250 dollars. En outre des divisions par latitude, comme je l’ai dit plus haut, les fruits seront classés comme « produits américains » et comme « produits étrangers ». Ainsi, les Oranges, par exemple, seront classées et récompensées suivant qu’elles pro-viennent des Etats-Unis ou de l’étranger, de la Floride, du Golfe
- du Mexique, ou de la Californie.
- En outre des arrangements dont il vient d’être question, se rattachant spécialement aux fruits de tous les pays et de toutes les latitudes, il y aura dans l’enceinte de l’Exposition des terrains consacrés à la culture des Orangers, des Citronniers, des Ananas, des Cocotiers, etc. Une partie spéciale est réservée aux plantes de pleine terre, à la Mosaïculture, aux plans de jardins en relief sur une échelle déterminée. Les Etats comme les Florides, le Mexique, le Pérou et la Californie se sont réservés des emplacements spéciaux pour y installer à l’avance toute la llore de leur région.
- Ainsi qu’on peut le voir, l’exposition de la Nouvelle-Orléans, en raison de sa position géographique et de son climat, offrira des avantages spéciaux, et nous serions heureux d’y voir augmenter entre nos anciens compatriotes et nos horticulteurs français des relations qui tourneraient à l’avantage des deux pays. Ch. Joly.
- Plan de l’Exposition universelle de la Nouvelle-Orléans.
- A. Bâtimi lit principal. — B. Salle de concert. — C. Scieries. — D Outillage pour le bois, etc. — E. Locomotives. — F. Jardins de l’Amérique centrale. — G. Jardin du Mexique. — H. Grande serre. 7— I. Jardin de la Californie. — J. Jardin de la Floride. — K. Bâtiments de l’agriculture. — L. Agriculture. — M. Jardin d’expériences. — N. Agriculture. — O. O. Plantes potagères. — P. Champ d'essai pour le bétail. — 0- Volailles, oiseaux, chiens, etc.
- p.60 - vue 64/432
-
-
-
- LA N AT üll E.
- 61
- LES TORPILLES
- DK LA MARINE A ÜT K ICH IENNE
- A l’époque de la dernière guerre Austro-Italienne en 1866, le gouvernement autrichien avait fait les plus grands efforts pour mettre scs ports à l’abri d’une attaque de la Hotte italienne. Des torpilles y avaient été coulées en grand nombre et une vigilance très grande était ordonnée à tous les commandants de ces places maritimes.
- La gravure qui accompagne ces lignes représente le poste d’observation ou d’inllammation où se tient
- un poste d’employés de la télégraphie militaire.
- Les torpilles sont placées sur plusieurs lignes concentriques, assez rapprochées ; elles sont immergées à une certaine profondeur au-dessous du niveau de l’eau et ne laissent à la surface aucun signe de leur présence. Un fil métallique relie chacune d’elles à un poste d’observation situé sur la côte sur un point assez élevé pour pouvoir bien voir le port. Cette chambre, d’assez grande dimension, est obscure. Dans la paroi se trouve une lentille regardant le port. Les rayons lumineux venant da dehors la traversent, se réfractent et vont passer dans un prisme qui les dirige sur une glace dépolie posée horizonta-
- Chambre d’observation et d’inflammation des torpilles de la marine autrichienne.
- lement sur une table qui occupe le milieu de la chambre.
- D’après les lois bien connues de l’optique, une image du port vient se former sur la glace. Des points noirs marqués sur cette image indique la place exacte de chaque torpille; ces points portent tous des numéros qui sont reproduits sur les touches d’un clavier. Il suffit de presser du doigt l’une des touches pour mettre la torpille correspondante en communication avec une batterie électrique par l’intermédiaire du fil métallique qui la relie au poste et pour en déterminer l’explosion.
- Un employé de la télégraphie ne quitte pas des yeux la glace où l’image fidèle du port est reproduite. Aucun détail, aucun mouvement ne lui
- échappe : si un navire ennemi tente de s’approcher, son image, grossissant au fur et à mesure qu’il avance, apparaît sur la glace et au moment où il arrivera à passer sur un point indiqué sur celle-ci, un simple coup frappé sur le clavier au numéro correspondant déterminera l’explosion, en anéantissant le navire.
- Ces torpilles sont immergées assez profondément pour que les navires du port puissent circuler sans avoir rien à craindre. Il est probable que c’est à la connaissance du danger que la flotte italienne aurait éprouvée en attaquant les ports autrichiens, que ceux-ci se sont trouvés à l’abri de toute surprise.
- Des installations analogue: à celle que nous
- p.61 - vue 65/432
-
-
-
- 62
- LA NATURE.
- venons de décrire sont adoptées aujourd’hui par la plupart des marines de l’Europe ; et il nous a paru intéressant de faire connaître les détails de ce puissant et redoutable moyen de défense.
- --c~^~c.-
- EXPÉRIENCE DE VÉGÉTATION
- Les lecteurs de La Nature savent tous que les parties vertes des plantes, quand elles sont exposées à la lumière, s’emparent de l’acide carbonique, le décomposent, fixent le carbone dans leurs tissus et mettent de l’oxygène en liberté. Le phénomène est le même que la plante vive à l’air ou dans l’eau. Pendant la germination de la graine, tant que les organes verts n’ont pas fait leur apparition, la vie est toute autre. C’est l’oxygène de l’air qui est alors absorbé par la plante, et c'est de l’acide carbonique qui est dégagé.
- Dans un petit tube d’essai nous pouvons observer ces deux grands phénomènes de la vie des plantes. Il suffira d’introduire dans le tube les végétaux verts microscopiques qu’on trouve en grande abondance dans les eaux aérées et qu’on désigne sous le nom d’algues. On y joindra deux ou trois graines de cresson ; on remplira complètement le tube avec de l’eau de fontaine, on le bouchera avec un bouchon de liège et on le renversera dans un verre rempli d’eau, le bouchon en bas.
- Notre verre étant placé devant une fenêtre à la lumière du jour, nous verrons bientôt sortir des algues de nombreuses petites bulles de gaz qui viendront se loger au sommet du tube en faisant peu à peu baisser le niveau de l’eau. Nous aurons été prudents en ne bouchant pas trop fortement le petit tube, afin que l’eau puisse sortir, sans cela il pourrait peut-être y avoir rupture.
- Le gaz qui se dégage est de l’oxygène provenant de l’acide carbonique que l’eau contenait en dissolution et que les algues ont décomposé; en y plongeant une allumette n’ayant qu’un point en ignition, nous la verrions se rallumer. Mais laissons l’appareil fermé comme il est, et attendons quelques jours. Les graines de cresson vont se développer, former des tiges, des feuilles, des racines ; elles ont profité de l’oxygène que les algues ont mis en liberté. S’il n’y avait pas eu d’algues, les graines seraient restées inei'tes.
- Nous engageons les lecteurs de La Nature à opérer comme nous avons fait, mais en employant un certain nombre de tubes. Dans les uns ils mettront les graines seules, dans les autres les graines et les algues. Ils verront le développement des graines se faire seulement dans les tubes où ils auront mis les petits végétaux verts.
- CHRONIQUE
- Tour colossale en maçonnerie. — Projet de m. Bonrdals. — Nous avons récemment décrit le projet d’une tour métallique de 300 mètres de haut, que notre célèbre constructeur, M. Eiffel, propose d’édifier pour l’Exposition universelle de 1889 L M. Bourdais, l’architecte bien connu du Palais du Trocadéro, nous a adressé à ce sujet un autre projet de tour très élevée» dans lequel il associe la maçonnerie au métal. La tour de M. Bourdais se composerait d’un premier soubassement de
- 1 Vov. n” 000 du 29 novembre 1884, p. 401.
- 60 mètres de hauteur, c’est-à-dire de la hauteur des tours de Notre-Dame de Paris.
- Au-dessus du soubassement commencerait la tour proprement dite, comprenant, avec un diamètre extérieur moyen de 28 mètres, cinq étages terminés par un chapiteau colossal. Les étages successifs, de 35 mètres de hauteur, ajourés afin de diminuer l’impression de lourdeur apparente dans toute la limite du possible, se diviseraient eux-mêmes en trois parties, l’une de 20 mètres formée de colonnettes élégantes, puis un attique de 9 mètres servant surtout à entretoiser les sommets des colonnes et à les rendre solidaires pour empêcher le déversement, et enfin une dernière partie de 6 mètres de hauteur, sorte de bague de la grande colonne, percée à jour de larges oculi.
- Le chapiteau final de 20 mètres de hauteur comprendrait 16 figures de 8 mètres ornant la corbeille du chapiteau. Des ascenseurs multiples, établis dans le noyau central en maçonnerie de 18 mètres de diamètre, donneraient accès aux différents étages et au sommet de la tour.
- C’est au puissant éclairage électrique, surtout de l’Exposition de 1889 et ensuite d’une partie de la Ville de Paris, que M. Bourdais vise principalement dans son projet de tour colossale. Il placerait à la partie supérieure de la tour un grand réflecteur formé d’une série de réflecteurs paraboliques imbriqués les uns dans les autres, constituant ainsi une sorte de gigantesque écaille lumineuse‘dominant Paris et l’Exposition.
- Chaque rue ou groupe de rues ou de boulevards parallèles, chaque grande place publique aurait en outre son réflecteur spécial divergent contre lequel viendrait se heurter un faisceau lumineux émané de la source centrale et proportionnée comme intensité à la surface de terrain que l’on se proposerait d’éclairer ; il y serait projeté d’une façon uniforme et douce. Pour produire un éclairage de fête, une illumination, il suffirait d’augmenter l’intensité des foyers.
- I nt- conversation télégraphique & fl flOOO kilomètres de distance.— Le rédacteur du Telegraphist, journal anglais, avait souvent entendu vanter l’excellence de la ligne télégraphique reliant Londres à Téhéran (Perse), et dont la longueur est de 6000 kilomètres, mais il était convaincu qu’à cette distance, l’appareil Morse ne pouvait transmettre nettement les signaux. Invité à tenter l’expérience, il se rendit au bureau central des télégraphes de Londres et se mit en communication tout d’abord avec le télégraphiste allemand de Emden. Quelques minutes après, il était en relation directe avec Odessa, puis bientôt avec Téhéran. Désireux de pousser l’expérience jusqu’au bout, il se fit mettre en communication avec Calcutta par Agra. L’employé de Calcutta ne tarda pas à lier conversation avec lui, et ne fut pas peu surpris d’apprendre qu’il échangeait directement ses idées, sans aucun intermédiaire, avec un compatriote installé au bureau central de Londres. Quand on pense que cette conversation a pu se faire au moyen de signaux très intelligibles, à raison de 14 mots à la minute, ail 000 kilomètres de distance, c’est-à-dire sur une longueur équivalente à 3 câbles transatlantiques posés bout à bout, on est saisi d’admiration pour la télégraphie et pour la science qui a pu reculer ainsi les limites du temps et de l’espace. Rappelons à ce propos, ajoute U Electricien auquel nous empruntons ces renseignements, qu’un statisticien s’est amusé à calculer la longueur totale des lignes télégraphiques existant sur notre globe. Cette longueur serait, paraît-il, de 2 millions de kilomètres, c’est-à-dire cinq fois la distance moyenne de la Terre à la Lune. Les États-
- p.62 - vue 66/432
-
-
-
- LA NATURE.
- 65
- Unis du nord de l’Amérique possèdent à eux seuls 500 000 kilomètres ; vient ensuite l’Allemagne avec 300000 kilomètres, et en dernière ligne, la Chine avec 2500.
- La population en Allemagne et en France —
- Au 5 juin 1882 la population de l’empire allemand montait à 45 222115 âmes. Le territoire français, d’après le recensement fait le 18 décembre 1881, comptait 37 622 048 habitants ; l’écart est donc déjà de 7 millions et demi entre la population des deux pays et cet écart ne peut que s’accroître. Le nombre des naissances dépasse en Allemagne de 522 000 (celui de 1882) celui des décès, en France, d’une centaine de mille seulement. En tenant compte de ce que l’Allemagne est un pays d’émigration et la France un pays d’immigration, on peut admettre que la population de l’empire allemand s’accroît de 300 000 à 350 000 âmes par année et celle de la France de 150 000 âmes environ. A chaque intervalle de dix ans l’excédent de la population allemande sur la population française augmente d’environ 2 millions d’âmes, de sorte que la supériorité de population du territoire allemand sur le territoire français, laquelle était de 7 millions et demi environ en 1882, sera de 11 millions et demi approximativement en l’an 1900. Sur les 45 222113 habitants de l’empire allemand, le nombre de ceux qui vivent principalement ou exclusivement (auschliesslich oder haupt-sachlich) de la production primitive ou primordiale (ur-produdion), à savoir l’exploitation agricole ou forestière, l’élevage des bestiaux et la pêche, monte, en y comprenant les enfants et les femmes, à 19 225 455 âmes. En France, les personnes qui vivent de l’exploitation agricole et forestière sont inscrites au recensement de 1881 pour le nombre de 18 249 209. La pèche n’est pas comprise dans ce chiffre, mais elle y ajouterait bien peu de chose, à peine une centaine de mille âmes. Ainsi quoique la population allemande excède de 7 millions et demi la population française, le nombre des personnes qui tirent leur subsistance de l’exploitation agricole et forestière dépasse à peine de 1 million en Allemagne le nombre de celles qui en France ont la même occupation.
- ACADÉMIE DES SCIENCES
- Séance du 22 décembre 1884. —Présidence de M. Rolland.
- Activité optique de la cellulose. —M. Albert Levallois, qui vient d’être nommé au concours directeur de la station agronomique de Nice, étudie depuis plusieurs mois la propriété qu’il a découverte chez la cellulose de déterminer la rotation à gauche du plan de polarisation de la lumière. M. Béchamp, dans une Note parue au dernier Compte rendu, conteste la réalité de ce phénomène cependant bien incontestable, puisqu’avec une colonne de 29 centimètres seulement de la solution cupropolassique de cellulose, la rotation égale 20 degrés. Aujourd’hui M. Levallois constate que M. Béchamp s’est sans doute trop hâter de nier des faits qu’il lui eût été facile d’observer lui-même en opérant convenablement.
- Le Kersanton du Croisic. — En parcourant la Grande Côte,entre le bourg deBatzetLe Croisic (Loire-Inférieure), mon attention s’arrêta sur unjépais filon de roche noirâtre et traversant la granulite presque verticalement. Ayant soumis cette roche à une série d’essais, j’ai reconnu qu’elle constitue une variété du Kersanton de Delesse, dont le gissement n’avait pas, que je sache, été signalé
- dans cette partie de la Bretagne. Je donne la déscriptiou complète de cette roche dans une Note présentée à l’Académie par M. le secrétaire perpétuel avec une bienveillance dont je tiens à le remercier. Parmi les échantillons examinés, certains se signalent par une abondance très grande de petits cristaux aciculaires d’apatite orientés souvent par une sorte de fluidalité.
- Aslérophyllites phanérogames. — Sous le nom d’Asté-rophyllites, les paléobotanistes ont groupé des rameaux d’origines très diverses, articulés, fistuleux, portant à chaque nœud, des ramules opposés ou verticillés ou bien simplement des feuilles aciculaires de grandeur variable, qui ont été détachées de tiges articulées elles-mêmes, Calamophyllitcs, Calamites, Calamodendrons, Arthro-pitus, etc.... Certains savants regardent toutes ces plantes comme étant, sans exception, des Cryptogames, tandis que d’autres, y voient outre des Cryptogames, de véritables Phanérogames. Or, si cette deuxième manière de voir est juste, on devra rencontrer sur les rameaux tantôt des fructifications cryptogames, tantôt des fructifications phanérogames. Jusqu’ici les fructifications de quelques Astérophyllites cryptogames étaient seuls connus; M. Renault les a décrites en détail et a montré que certains épis sont hétérosporés, c’est-à-dire pourvus de deux sortes de sporanges, des microsporances au sommet, des macrospores à la base. Aujourd’hui le même savant avec la collaboration de M. Zeiller appelle l’attention sur un rameau fertile d’Astérophyllite provenant de la collection rassemblée à Commentry, par M. Fayol, et qui présente un exemple bien net d’inflorescence phanérogame.
- En écrivant leur note le but des auteurs est de signaler un fait positif prouvant que certains Astérophyllites ont porté des grains et, par conséquent, sont Phanérogames.
- Acariens parasites des oiseaux. — On sait que les oiseaux portent sur leurs plumes un grand nombre de parasites. Dans des travaux récents, M. le Dr Trouessart a décrit des acariens variés qui envahissent ainsi la robe de divers oiseaux. En les recherchant il dut couper beaucoup de plumes et c’est ainsi qu’il découvrit, dans le tube même de ces plumes, de nouveaux acariens. Il en décrit aujourd’hui des espèces et même des genres variés dans une note déposée par M. Alphonse Milne Edwards.
- Le Filon de Pontgibaud. — D’après M. Gonard, un filon de Pontgibaud (Puy-de-Dôme) présente sur ses parois et par conséquent comme incrustation la plus ancienne, de la fluorine en gros octaèdres. Ces cristaux ont été recouverts d’un enduit mince et uniforme de silice et plus tard de la fluorine s’est constituée de nouveau. Cette fois, cependant, elle n’a pas cristallisé en octaèdres mais en cubes. Or, et c’est là le fait intéressant à retenir, bien que les cubes soient séparés des octaèdres par la couche de silice, leurs axes cristallographiques sont rigoureusement orientés comme ceux de ces derniers. M. Fouqué insiste sur l’intérêt de cette observation.
- Election. — A l’unanimité de 55 votants, M. Jules Reiset est appelé à remplir la place laissée vide dans la section d’économie rurale par le décès de M. Thénard.
- Varia. — M. le professeur Albert Gaudry présente avec la plus grande indulgence un petit volume que je viens de publier sous ce titre : Traité de Paléontologie pratique, gisement et description des animaux et des végétaux fossiles de la France, avec l'indication de localités fossilifères. — M. Cailletet réclame contre M. Amagat la
- p.63 - vue 67/432
-
-
-
- 64
- LA N AT U K K.
- priorité d’expériences relatives à la compression des gaz. — Une étude sur la constitution des rhizopores est présentée par M. Milne Edwards au nom de M. de Follin.
- Stanislas Meunier.
- ILLUSIONS D’OPTIQUE
- LES FIGURES A DOUBLE ASPECT
- Les dessinateurs et les peintres, ont souvent imaginé des compositions où les illusions d'optique interviennent pour produire des effets inattendus , et notamment des figures à double aspect. On retrouve parfois, parmi les anciennes estampes * ou les images d’autrefois, la représentation d’un personnage ayant une certaine physionomie quand on le considère dans un sens, et pre-nant une toute autre figure quand on le retourne, et qu’on le regarde dans un sens opposé. Il y a eu au Musée de Strasbourg des tableaux célèbres d’un peintre ancien, qui s’est amusé à représenter les quatre Saisons sous forme de quatre tètes, dont toutes les parties sont des fruits. De loin, les quatre têtes, ont un aspect normal ; quand on s’en approche on voit qu’elles sont entièrement formées par la réunion habile, de cerises, de poires, de pommes, de raisins et d’une multitude d’autres produits du sol. L’effet est très curieux et très amusant.
- Ce mode de récréation semble revenir de mode ; on voit depuis quelque temps exposée à Paris, chez les marchands d’estampes et de photographies, une tète de Christ qui a les yeux baissés. Quand on regarde fixement la tête pendant 25 ou 30 secondes, il semblerait que l’image du Christ a les yeux ouverts. L’illusion est produite par une ombre habilement dessinée sur la paupière close. L’œil
- se fatigue légèrement par la fixation continue vers le même point, et par suite d’un petit trouble dans la vision, l’ombre dont il vient d’être question prend par moments davis le dessin l’aspect de la prunelle.
- La curieuse composition que nous représentons ci-dessous est un spécimen intéressant de ces dessins à deux aspects. Elle représente quand on la considère de près, deux petits enfants au milieu desquels est un chien; ils s’amusent avec des petites poupées et des soldats de plomb. Placez ce dessin à quelques
- mètres de distance, vous apercevrez une tête de mort hideuse, avec sa mâchoire décharnée.
- Cette combinaison ingénieuse est due à un artiste italien fort habile, M. Gal-lieni, qui l’a pour la première fois présentée sous le titre de Choléra rnorbus. M. Gallieni en a donné l’explication suivante : La peur surexcitée par l’imagination est le plus sûr collaborateur de l’hôte du Gange.
- Cette pensée est pleine de justesse; la façon dont M. Gallieni l’a interprétée est curieuse et poétique, tout à la fois. 11 y a là des enfants vigoureux et frais qui caressent un chien et qui jouent. L’imagination affolée par la folle terreur d’épidémies parfois imaginaires, vous les montre déjà sous l’aspect de la mort.
- Que cette image, intéressante illusion d’optique, serve d’enseignement à ceux qui trop enclins à une crainte mal justifiée, ont cru voir récemment à Paris, les effets d’un choléra qui n’a jamais sévi que d’une façon tout à fait bénigne. Il a paru surtout redoutable à ceux qui le considéraient à distance, comme dans la composition du peintre Italien.
- G. T.
- Le propriétaire-gérant : G. Tissas lier.
- Spécimen d’un dessin à double aspect. — Le Choléra morbus, composition de M. Gallieni.
- Imprimerie A. Laliure, 9, rue de Fleuras, à Paris.
- p.64 - vue 68/432
-
-
-
- N° OU 5.
- 5 J A N-Y IKK 188h.
- LA N A TU UE.
- 05
- LE TIR ET LES TIREURS
- (Suite. — Voy. j>. 35.)
- Le tir militaire. — Le tir n’est pas seulement un sport, un jeu, un exercice où l’on montre son
- adresse, et où l’on peut, à la chasse, abattre du gibier ; il joue, connue on le sait, un rôle prépondérant dans les luttes entre les peuples, c’est-à-dire dans les guerres. Dans les combats modernes, en effet, les luttes corps à corps tendent à être- remplacées par ce qu’un général appelait « des échanges de/£*“
- Fig 1. — Un sergent des Gardes françaises, inclinant à l’aide d’une canne-hallebarde les fusils des hommes de sa compagnie.
- (Armées du dix-septième siècle.) «i.-
- projectiles, » c’est-à-dire de luttes au fusil ou au canon.
- A la guerre, on recherche à la fois un résultat matériel qui est de mettre le plus possible d’adversaires hors de combat, et un trésultat psychologique qui est d’effrayer l’ennemi et de rassurer les hommes de son côté. — Le tir avec les armes de guerre peut être envisagé à ce double point de vue. — Prenons, par exemple, le canon. Le nombre des tués ou blessés par les boulets ou obus est peu considérable relativement à
- Fig. 2. —Ce qu’il a fallu de balles de fusil (1300) pour tuer un soldat pendant la guerre franco-prussienne.
- dant le-sifflement des obus, la menace de ces projectiles , l’énorme bruit qu’ils produisent en éclatant derrière, à gauche, à droite du point où l’on se trouve, les exemples du nombre de tués et de blessés par un seul projectile éclatant au milieu d’une compagnie, fait que cette menace de chaque instant, effraye les hommes et les démoralise.
- A l’autre extrémité de la trajectoire, c’est-à-dire du côté du canon, l’effet est inverse. Le canon rassure les combattants , le fan-
- eelui des hommes atteints par les balles, et cepen- I tassin se sent protégé par cet engin à la voix puis-
- f*
- 13e année. — lor semestre. à
- p.65 - vue 69/432
-
-
-
- 66
- LA NATURE.
- santé, et mesure les ravages qu’il doit faire dans les rangs ennemis au bruit qu’il fait près de lui. Si un bataillon d’infanterie faiblit, il suffit de placer à côté une ou deux pièces d’artillerie pour le voir immédiatement se rassurer.
- 11 en est de même avec le fusil. On sait que le nombre de coups de fusils tirés pour atteindre un homme est considérable. Le maréchal de Saxe disait que la destruction d’un homme dans une bataille exigeait autant de plomb que le poids de son corps. Casscndi, qui traita la question en mathématicien, trouva que le poids du plomb dépensé dans, un combat était toujours de beaucoup supérieur au poids des hommes tués. Le même calcul a été fait pour les temps modernes. Ainsi, d’après M. de Ches-nel, « il aurait été tiré du côté des Autrichiens à la bataille de Solférino 8 400 000 coups de fusil, et on évalue à 2000 tués et 10 000 blessés la perte que le feu de l’infanterie a fait éprouver à l’armée franco-sarde. — Chaque soldat blessé aurait donc coûté 700 coups de fusil et chaque mort 4200. — Or, comme le poids moyen des balles était de 30 grammes, il aurait fallu au moins 126 kilogrammes de plomb par homme tué. » En sorte que, pour cette bataille, l’évaluation du maréchal de Saxe resterait au-dessous de la réalité.
- Pendant la guerre Franco-Allemande le nombre des cartouches dépensées par les Allemands a été de 30 millions, celui des coups de canons de 362 000, et du côté des Français le nombre des blessés ou des morts de leurs blessures a été de 35 000 environ. En déduisant approximativement le nombre de tués par les obus, on obtiendrait un mort par 12 ou 1300 coups de fusils (fîg. 2). Cette proportion semblerait indiquer beaucoup plus de précision dans les armes de guerre moderne, le fusil à aiguille, que dans la carabine autrichienne. Malgré cela la quantité de balles dépensées est énorme, relativement au résultat acquis.
- Voir en effet mille ou deux mille balles dirigées sur un groupe d’individus avant qu’uu seul ne tombe mortellement atteint semble extraordinaire, cela tient à ce que le soldat tire presque toujours sans viser. Ce fait était surtout sensible avec l’ancienne tactique, les tireurs réunis en ligne de bataille, tirant à feu de peloton ou à tir à volonté, bientôt la fumée masquait l’adversaire et le tir se faisait absolument au hasard. La préoccupation du soldat était de tirer le plus rapidement possible.
- Il en résultait que presque toutes les balles passaient au-dessus de la tête de l'ennemi, la tendance étant toujours de tirer trop haut. Cette tendance, du reste, a été remarquée depuis longtemps ; la canne des sergents des gardes françaises servait primitivement à incliner les fusils de la compagnie, de façon à baisser la ligne moyenne du tir (fig. 1). Pendant la guerre 1870-71, les officiers allemands employaient le même moyen et de leur sabre pesaient sur l’extrémité des fusils de leurs hommes.
- Le tir par ordre dispersé est beaucoup plus effi-
- cace. Si le tirailleur est isolé, livré à son initiative, abrité plus ou moins par un talus, quelques pierres, un repli de terrain, il prend mieux le temps de viser ; mais la proportion des balles perdues est encore très grande.
- Un officier nous racontait dernièrement que pendant la guerre Franco-Allemande, il s’était trouvé avec une compagnie de chasseurs en face d’une seule vedette prussienne à cheval, placée sur un mamelon découvert à 250 ou 300 mètres. Or, pendant plus d’un quart d’heure celte vedette servit de cible aux chasseurs, 400 coups environ furent tirés, à la fin le cheval fit un bond, se cabra et s’abattit, entraînant son cavalier. Une balle venait de l’atteindre. Or, il est à remarquer qu’un tireur exercé, connaissant bien son arme, serait arrivé au même résultat du premier ou tout au moins du second coup.
- 11 y a actuellement parmi les officiers français un groupe qui grossit peu à peu et qui préconise le remplacement des gros bataillons, des armées nombreuses par de petits groupes composés d’habiles tireurs, constamment exercés, robustes, excellents marcheurs et d’une grande résistance à la fatigue. — Le soldat ne vaut à la guerre que par le résultat qu’il peut produire. — Un tireur pris au hasard dans les lauréats du Concours de Vincennes, plaçant à 200 mètres au moins une balle sur trois dans une cible de 0m,30, vaudra à lui seul le nombre d’hommes nécessaire pour tirer assez de balles pour arriver au même résultat. Une compagnie formée des premiers lauréats du Concours pourrait anéantir une armée.
- On sait que le général L ewal propose un système mixte; la création des compagnies franches, composées d’hommes choisis par sélection, dans l’armée, comme tireurs et marcheurs, robustes, bien constitués. — Ces compagnies lancées en avant harcèleraient l’armée ennemie et pourraient lui faire le plus grand mal. — Derrière, au loin, viendrait le gros de l’armée avec ses longs convois, ses bagages et sa marche lente et compliquée.
- Pendant la guerre Franco-Allemande, les compagnies de francs-tireurs ont montré ce que pouvait faire l’habileté du tir, la résistance à la fatigue et l’audace. On sait que beaucoup d’entre eux avaient l’habitude de faire une coche à la crosse de leur arme à chaque ennemi abattu. — Or, quelques-unes de celles-ci avaient 15, 20, 25 de ces coches.
- Serait-il impossible de trouver sur tout le territoire de la France 2000 individus capables de parvenir à ce même résultat? Or, pendant la campagne 1870-71, les pertes des Allemands n’ont été que de 28 000 hommes tués environ, c’est-à-dire près de la moitié de ce que ces 2000 tireurs d’élite auraient pu obtenir.
- Ces faits démontrent suffisamment, nous semble-t-il, l’importance de la justesse du tir dans les guerres.
- Un mot de l’effet psychologique du tir au fusil.
- p.66 - vue 70/432
-
-
-
- LA NATURE.
- 07
- — Le sifilement d'une balle parait toujours plus rapproché qu'il ne l’est réellement. « Les balles nous sifflaient aux oreilles, » disent les troupiers dans leurs récits. — Ce sifflement produit sur les plus braves, les plus aguerris, une impression désagréable bien caractérisée par « froid dans le dos, » et cette impression peut être assez vive, quand elle est répétée pour démoraliser et même affoler des troupes aguerries, mais qui ne sont pas encore échauffés par le combat. En voici un exemple :
- Le colonel russe Kouropatkin raconte que pendant la dernière guerre Russo-Turque, les Turcs munis d'armes supérieures à la carabine russe, criblaient de balles les colonnes russes qui s’avancaient en rangs serrés et ne .devaient tirer qu’à moins de 600" mètres. — « Or, dit le colonel, lorsque l’épuisement des forces physiques, l’ébranlement des nerfs obligeaient nos troupes à s’arrêter en chemin, elles se couchaient non sur les "points qui eussent été les plus favorables, mais simplement dans les endroits où elles étaient domptées par cette sorte de crise. — Des fractions étaient arrêtées, les unes à 100, les autres à 40 pas de l’ennemi, sur des terrains’ complètement découverts, quand elles avaient en avant ou en arrière d’excellents couverts où elles auraient pu s’abriter. »
- Il arrive aussi parfois avec les armes a grandes portées que des réserves placées loin du champ de bataille, abritées derrière une colline, ne sachant pas ce qui se passe de l’autre côté, et dont le devoir est de se reposer, de manger et de dormir alin de se tenir fraîches pour le moment où elles auront à donner, ne soient prises tout à coup d’alerte par suite du sifflement des balles passant au-dessus de leurs tètes et dont la trajectoire a contourné la colline qui les sépare du lieu du combat. Ce sifflement agissant sur le soldat au repos, le préoccupe , l’énerve et fait qu’il ne paraîtra sur le champ de bataille que démoralisé, fatigué, « défraîchi. »
- Ce fait s’est présenté plusieurs fois pendant la guerre 1870-71, notamment à Saint-Privat du côté des Allemands, à Sedan du côté des Français.
- De l’importance prépondérante du tir au fusil d?ns la guerre, découle l’importance de cet exercice en temps de paix. L’apprentissage du tireur demande un temps très long. Ce fait démontre l’utilité de toutes les institutions créées en vue de cet apprentissage tels que tirs, sociétés, concours, écoles. Nous les étudierons d’une façon spéciale, en insistant surtout sur le magnifique Concours qui vient d’avoir lieu : le Concours de tir de Vincennes.
- — A suivre. — GuïOT-DaUBÈS.
- LE CHAUFFAGE DES VOITURES
- DE CHEMINS I)E FED
- Pendant longtemps, sur les chemins de fer français, les voitures de première classe ont seules été chauffées. Aussi était-ce pour les voyageurs une vé-
- ritable souffrance, que d’avoir en hiver un long parcours à faire en deuxième ou en troisième classe'. Le public se plaignait à bon droit, mais ses réclamations restaient sans effet. Cependant la plainte générale semblait puiser une grande force dans ce fait, qu’en plusieurs pays étrangers tous les wagons sont pourvus d’un appareil de chauffage. 11 n’en fallait pas plus pour faire accuser nos grandes Compagnies d’avarice et d’inhumanité, car en France on est facilement porté à trouver bien tout ce qui se fait au dehors.
- Nous ne voulons pas ici défendre les Compagnies françaises, ni les justifier des reproches encourus. Notre but est tout autre ; mais nous devons leur rendre en passant cette justice, qu’elles se sont émues de l’état de choses autrefois existant. La preuve en est dans le progrès aujourd’hui réalisé du chauffage général des trains dont le parcours a une longueur déterminée.
- Le problème du chauffage des voitures de toute classe paraît bien simple au premier abord, il est cependant des plus complexes et des plus difficiles à résoudre. Dans une question de cette nature, les moindres détails sont importants, et l’on peut même dire a priori qu’il est à peu près impossible de trouver un système qui puisse être universellement adopté. La forme du matériel, le goût des voyageurs, les conditions climatériques, les exigences du service, sont autant de facteurs dont il faut tenir compte, et qui varient évidemment d’un pays à un autre et même d’une Compagnie à la Compagnie voisine.
- Dans quelques pays étrangers diverses solutions sont appliquées, mais les unes sont gênantes et coûteuses, les autres dangereuses et malsaines. Et nous ne faisons pas ici une critique de parti pris, nous ne faisons que constater le résultat de l’expérience.
- D’ailleurs, pour que nos lecteurs puissent se faire eux-mêmes une opinion raisonnée, nous allons passer en revue les principaux systèmes proposés avec les résultats donnés par chacun d’eux.
- Avant de commencer, disons que les éléments de notre travail sont empruntés à un excellent ouvrage de M. L. Regrav, ingénieur en chef à la Compagnie de l’Est, ouvrage publié par ordre du Conseil d’administration de ladite Compagnie à la suite des études de chauffage faites dans les hivers 1875, 74 et 75 sur un train circulant de Paris à Nancy1.
- Le nombre des solutions appliquées en Europe se réduit actuellement à sept. En voici l’énumération :
- Poêles montés dans les voitures ;
- Appareils à air chaud;
- Appareils à combustibles agglomérés ;
- Chauffage à la vapeur ;
- Chauffage au gaz ;
- Circulation d’eau chaude dans les appareils fixes ;
- 1 Le chauffage des voitures de toute classe sur les chemins de fer, par L. Regrav, ingénieur en chef à la Compagnie de l’Est. Texte et atlas. — Librairie Paul Dupont.
- p.67 - vue 71/432
-
-
-
- LA NATURE.
- OR
- Chaufferettes mobiles à eau chaude.
- De tous ces modts de chauffage, il n’en est que deux que la Compagnie de l'Est n’ait pas essayés. C’est le chauffage au gaz (système Chaumont) et le chauffage à la vapeur.
- • L’appareil Chaumont, expérimenté par la Compagnie de l’Etat belge, donne un rendement calorifique satisfaisant, mais son installation est coûteuse et compliquée, et ses frais de consommation sont considérables. D’ailleurs, la question du chauffage par le gaz est solidaire de celle de l’éclairage, et pour se prononcer sur la première il faut attendre que la seconde soit entrée dans une voie vraiment pratique.
- Quant au chauffage à la vapeur, il exige une communication continue entre les voitures d’un même train, soit que le générateur de vapeur se trouve sur la locomotive, soit qu’il se trouve dans un wagon
- spécial. Or, une telle communication fort gênante pour les manœuvres, présente l’inconvénient d’empêcher le chauffage du train en totalité ou en partie si l’un des tuyaux de jonction vient à crever. Et cet accident peut-être plus fréquent qu’on ne croit par suite de la congélation de l’eau condensée dans le système si les soupapes d’écoulement fonctionnent mal, de plus le système est très coûteux à installer, et comme toutes les parties en sont très délicates les frais d’entretien sont considérables.
- Citons en passant les risques d’explosion et d’incendie, dans le cas d’un générateur spécial, et ajoutons pour terminer que tous les voyageurs français qui ont circulé dans des trains chauffés à la vapeur en ont rapporté une impression générale de malaise.
- Tous les autres systèmes ont été étudiés avec le plus grand soin et dans les meilleures conditions
- retour d'e
- Fig. 1. — Expérience de la Compagnie du chemin de fer de l’Est. — Chauffage par eau chaude circulant dans des boîtes fixes.
- possibles, en appliquant toujours les perfectionnements que l’expérience pouvait indiquer.
- Chauffage au moyen d’un poêle. — Rien ne paraît plus simple que de chauffer un espace donné au moyen d’un poêle. Aussi la solution du problème qui nous occupe, paraît toute indiquée. Seulement avec le matériel français, on ne peut songer sérieusement à mettre un poêle dans chaque compartiment; ce système est donc à peine applicable aux seules voitures de troisième classe.
- Le modèle essayé était un poêle calorifère au coke, type D, n° 5, de la Compagnie Parisienne du Gaz. Chaque appareil, tout installé, revenait à 250 francs; sa consommation de combustible coûtait 0 fr. 044 par heure de marche et 0 fr. 026 par heure de stationnement.
- Comme on le voit ce système a le grand avantage d’être économique, mais voici les inconvénients qu’il présente.
- L’air du wagon obéissant à la loi des densités, la température va en augmentant du plancher au pa-
- villon ; donc les voyageurs ont la tète plus chaude que les pieds, condition malsaine et dangereuse.
- Les environs du poêle ne peuvent être occupés sans inconvénients graves à cause des températures élevées qui s’y produisent.
- Enfin les régions éloignées sont peu ou point chauffées.
- Il faut ajouter encore que chaque voiture portant avec elle un foyer de charbon incandescent, le danger d’incendie est à craindre en cas de collision1.
- L’accueil fait par le public à ce mode de chauffage a rendu l’expérience décishe. Les voitures chauffées étaient généralement désertées. Les rares voyageurs qui y prenaient place ouvraient en grand leurs portières pour combattre la chaleur qui les incommodait.
- Appareils à air chaud. — Le premier appareil
- 1 Le 24 décembre 1875, sur la ligne d’Odessa, en Russie, 107 soldats ont été brûlés vifs dans l’inccndie allumé par les jioêles des voilures dans un train déraillé.
- p.68 - vue 72/432
-
-
-
- LA NATURE.
- CO
- essayé est celui de MM. Grandvnllet etKiénast.Nous I tats obtenus ont été négatifs. Les frais d'installation n’en dirons que quelques mots parce que les résul- | s’élevèrent à 800 francs; les frais de combustibles
- furent de 0 fr. 15 par heure avec la braise ni-tratée et de 0 fr. 072 avec le charbon nouveair, avec le premier combustible la température moyenne de la voiture n’était élevée que de 4° au-dessus de la température extérieure, avec le second l'effet utile était seulement de 5°.
- Les essais ont ensuite porté sur l’appareil Mousseron, calorifère à air chaud placé à l’extérieur de chaque voiture. La marche du véhicule détermine l’introduction de l’air froid autour du foyer, air qui passe dans le wagon après s’être échauffé.
- Ce système de chauffage offre le même inconvénient que les poêles pour la distribution des couches d’air.
- Hg. 2. — Appareil de M. Rcgray, construit à la gare de l’Est, à Paris, pour le chauffage des bouillottes de chemins de 1er.
- De plus, la capacité calorifique de l’air étant très faible *, la quantité de chaleur emmagasinée dans 1 0,2577 par kilogramme à pression c nstante.
- chaque voiture ne peut être considérable, et disparaît presque entièrement à chaque ouverture de glace ou de portière. De là, pour les voyageurs, des alternatives fréquentes de chaud et de froid.
- Les voyageurs se plaignaient en outre de maux de tète résultant de la mauvaise odeur de l’air chauffé au contact des foyers en fonte.
- En effet, à une température élevée, la paroi métallique est perméable aux gaz de la combustion qui se diffusent à l’extérieur.
- Comme on le voit, il est mauvais en principe et préjudiciable à la santé publique d’envoyer de l’air chaud dans les voitures , et les voyageurs aiment mieux souffrir du froid que d’être obligés d'endurer une chaleur apoplectique.
- Appareils à combustibles agglomérés. — Pour
- p.69 - vue 73/432
-
-
-
- 70
- LA NATO H K.
- ce procédé de chauffage deux appareils ont été essayés : l’appareil Grandjean, déjà en expérience sur les chemins de fer hollandais, et un appareil imaginé par les ingénieurs de la Compagnie de l’Est.
- L’appareil Grandjean consiste essentiellement en une chaufferette en tôle encastrée dans le plancher de la voiture et placée sous les pieds des voyageurs. Cette chaufferette est formée de trois enveloppes concentriques. Dans la partie centrale, qui communique j avec l’extérieur, on place les paniers à combustibles. Tout le système est recouvert d’une plaque faisant corps avec le plancher et munie d’une bouche de chaleur.
- Ce système est coûteux et l’effet utile en est très inégal. Mais d’autres inconvénients plus graves sont à signaler. Le chargement doit se faire par l’inté- i rieur des voitures, et l’introduction dans les coin- ! partiments dé paniers ^remplis de charbons incan- | descents est une cause dïNJtjg^ts et d’incendie. j
- En outre, les joints ne pouvant être parfaitement étanches, on a trouvé, deux heures après l’allumage ! dans l’air recueilli à la surface des planches, une proportion de 0,9 pour 100 d’acide carbonique. 1
- Et nous ne mentionnons que pour mémoire les ' difficultés d’allumage et de manutention, ainsi que j l’impossibilité de visiter les foyers quand les voitures sont occupées par les voyageurs.
- ' Circulation d'eau chaude dans des appareils fixes. — Thermo-syphon. — On essaya d’abord deux modèles un peu différents de l’appareil Weibel et Briquet.
- Cet appareil consiste essentiellement en une chaudière placée sous la caisse de chaque véhicule et dans laquelle l’eau s’échauffe au contact d’un foyer central. Cette eau se distribue ensuite dans des tuyaux de chauffe au moyen d’une canalisation fixée dans l’intérieur de la voiture. C’est en résumé un thermo-syphon analogue à ceux qui servent au chauffage des maisons et des serres.
- Ce système, dont les résultats élaient assez bons, laissait entrevoir que la solution pratique du problème est dans l’emploi de l’eau chaude, véritable volant de chaleur. Mais la disposition adoptée présentait de graves inconvénients. Ainsi la température était plus élevée à la partie supérieure des voitures que près du plancher; il n’était pas possible aux voyageurs de se chauffer les pieds ; et enfin la canalisation placée à l’intérieur des voitures rendait difficile le montage et l’entretien de l’appareil, et pouvait entraîner des dégâts en cas de fuite dans un joint.
- Tous ces inconvénients et quelques autres détails que nous laissons de côté, déterminèrent les ingénieurs de la Compagnie à imaginer un autre appareil fondé sur le même principe, le système est représenté ci-contre (fig. 1).
- Dans cette nouvelle disposition la chaudière était suspendue contre l’un des brancards en dessous de la caisse; des boites métalliques engagées dans le plancher de la voiture servaient de chaufferettes ; un tuyau de distribution partant du haut de la chau-
- dière reliaient les extrémités des chaufferettes sur l’un des côtés de la voiture; un tuyau de retour, parallèle au premier, reliaient les autres extrémités des chaufferettes et aboutissait à la partie inférieure de la chaudière.
- Voici maintenant les résultats obtenus dans une voiture de troisième classe :
- La température intérieure était en moyenne de 9°,88 au-dessus de celle de l’air extérieur. La distribution de la chaleur était bonne, plus élevée sur le plancher que près du pavillon. Les écarts entre la température des différents points de la voilure étaient en moyenne de 4° à 5°. Le thermomètre au contact des chaufferettes marquait 59°, nombre très suffisant. L’influence de l’ouverture des portières a été conslatée être peu importante.
- Cet appareil, susceptible d’ailleurs d’être perfectionnée, est bon en principe. Mais on peut lui reprocher la lenteur du premier chauffage, la présence d’un foyer attaché à chaque voiture et surtout la congélation possible de l’eau en cas d’extinction du foyer. Mais ces inconvénients ne sont pas sans remèdes et ne suffisent pas à faire rejeter le système.
- Chaufferettes mobiles à eau chaude. — Les houillotes employées dans ce mode de chauffage sont tellement connues qu’il est inutile de les décrire.
- Chaque chaufferette livrée aux voyageurs revient tous frais compris à 0 fr. 14 en moyenne, et sa durée est d’environ deux heures. Les frais d’aménagement des voitures sont nuis puisque les appareils sont complètement indépendants du matériel roulant. Et, chose fort appréciée des voyageurs, il leur est possible avec ce système de se maintenir les pieds chauds.
- Il est juste de mettre en regard de ces avantages les inconvénients suivants. Le chauffage peu énergique n’élève pas la température du compartiment Le refroidissement assez rapide des bouillottes exige un renouvellement fréquent, qui, surtout pendant la nuit, cause aux voyageurs une gène fort grande.
- Au point de vue de l’exploitation, un personnel assez nombreux est nécessaire pour le maniement rapide des bouillottes, et les opérations de vidange et de remplissage prennent beaucoup de temps et détériorent assez vite le matériel.
- Deux améliorations sont facilement réalisables : l’emploi de l’eau très chaude et la suppression de la vidange et du remplissage. On peut les obtenir à la fois, soit par l’injection dans les chaufferettes de vapeur surchauffée, soit par l’immersion pure et simple des bouillottes dans un bain d’eau très chaude.
- Le premier procédé est employé par la Compagnie d’Orléans. Il est assez rapide, et permet de préparer les chaufferettes d’avance. Mais on peut lui reprocher d’exiger un nombre considérable de chariots lourds et coûteux, de causer une perte de temps par les opérations de bouchage et de débouchage lors de chaque injection, et de détériorer assez vite le mécanisme de fermeture.
- p.70 - vue 74/432
-
-
-
- LA NATURE.
- 71
- Le second procédé est employé par la Compagnie de l’Est. Pour rendre les manipulations faciles et rapides, M. Regray a imaginé un appareil que nous «avons représenté dans son ensemble (fig. 2).
- Deux chaînes sans fin plongeant dans un puits plein d’eau chaude forment une sorte de noria. Les chaufferettes sont placées dans les maillons successifs qui, entraînés par le mouvement suffisamment lent d’un tambour, sont amenés tour à tour à la hauteur convenable, d’un côté pour recevoir la bouillotte froide, et de l’autre pour permettre d’enlever la bouillotte chaude.
- Des courbes directrices sont disposées de façon à rendre en quelque sorte automatiques ces deux opérations. A la sortie, deux brosses croisées épongent l’eau attachée à la surface des chaufferettes.
- Dans le puits, la température est maintenue à 100° par une injection de vapeur provenant d’une chaudière spéciale. Une petite locomobile à pompe alimente le générateur et fait mouvoir le tambour de la noria.
- Chaque bouillotte reste immergée pendant cinq minutes, et un appaieil fournit 288 bouillottes à l’heure. Le temps qui sépare chaque immersion est de 12",5, temps largement suffisant pour la manœuvre.
- Il est donc démontré que la question du chauffage rapide des bouillottes est aujourd’hui résolue, et qu’il est possible de chauffer désormais les voitures de toute classe par ce système, qui, sans être parfait, répond suffisamment aux conditions à remplir.
- Le lecteur a maintenant sous les yeux les pièces du procès. Il reconnaîtra comme nous que le problème n’est pas aussi simple qu’il le paraît, puisque malgré de longs et patients efforts, malgré des dispositifs ingénieux et variés, la solution définitive n’est pas encore trouvée.
- Toutefois, de la discussion des différents systèmes, se dégage une indication nette et précise. L’eau chaude est le seul intermédiaire calorifique qui donnera la solution de la question. Une simple comparaison des chaleurs spécifiques des différents corps aurait pu faire prévoir ce résultat *.
- Pendant la durée des expériences, le public s’est énergiquement prononcé contre des systèmes fort bien accueillis à l’étranger'. Il n’y a là rien de surprenant, car le froid est autrement rigoureux en Allemagne, en Autriche, en Russie, que dans les parties les moins favorisées de notre pays.
- Tout bien examiné, la France aura bien fait, cette fois, d’avoir attendu. Elle a pu ainsi profiter de l’expérience acquise par ses voisins. Et, comme le dit fort bien M. Regray à la fin de son livre : « Elle n’aura qu’à s’applaudir de s’être arrêtée à une solution que le temps a mûrie et que l’étude a consacrée. » H. Vila.
- 1 Voy. Le chauffage par l’acétate de soude, n° 502 du 13 janvier 1885, p. 101.
- FABRICATION DE L’ALUMINIUM1
- Bien que l'aluminium soit un des métaux les plus abondants de la création puisque toutes les argiles en sont des combinaisons, cependant les frais considérables que coûte son extraction l’ont empêché jusqu’à présent d’être d’un emploi aussi général que le comporteraient ses qualités de légèreté, d’inaltérabilité, d’élégance.
- Tout en appelant l’aluminium le fer de l'avenir, le savant chimiste anglais, M. Weldon, ne croit pas que l’on puisse encore actuellement le produire à bas prix.
- Il indique l’état actuel de la question et la voie dans laquelle les recherches devraient, d’après lui, être dirigées pour réduire les dépenses de fabrication.
- L’aluminium est fabriqué exclusivement chez M. Pé-chiney à Salindres (Gard), qui le livre à la Société de l’Aluminium (boulevard Poissonnière à Paris).
- La méthode employée à Salindres n’est pas nouvelle. Elle n’est autre que le procédé classique découvert il y a vingt-six ou vingt-sept ans par le savant chimiste H. Sainte-Claire Deville.
- Le procédé comprend trois opérations principales :
- 1° La préparation de l’alumine. On traite par l’eau le produit de la calcination d’un mélange de bauxite et de carbonate de soude ; et l’on obtient ainsi une lessive d’aluminate de soude que l’on décompose par un courant d’acide carbonique;
- 2° La préparation d’un chlorure double d’aluminium et de sodium. On mélange l’alumine avec du charbon et du sel marin, on sèche, et l’on chauffe dans un courant de chlore;
- o° La réduction par le sodium métallique du chlorure d’aluminium.
- Si l’on représente par 100 le prix de revient de 1 kilogramme d’aluminium à l’usine de Salindres, la préparation de l’alumine (y compris le prix de revient de la bauxite) représente 9,67 ; la préparation de chlorure doublé d’alumine et de sodium 51,40 ; et enfin la réduction du chlorure d’aluminium par le sodium (y compris le sodium et la chryolite employée comme fondant) atteint 56,93. C’est-à-dire qu’évidemment c’est cette dernière opération jqui entraîne l’élévation de prix du procédé.
- Pour fabriquer l’aluminium à bon marché ; il faut donc soit découvrir une méthode nouvelle, soit trouver le moyen de réduire le chlorure d’aluminium à bas prix.
- Si donc, ajoute M. Weldon, M. Webster a découvert un nouveau procédé de préparation de l’alumine anhydre, à l’aide de l’alun de potassium, cela modifie bien peu le fonds du problème.
- Eût-on l’alumine pour rien, que cela ne diminuerait encore le prix de l’alluminium que de 9,7 pour cent.
- Cela étant et le procédé ne s’étant point modifié depuis vingt-cinq ans, que peut-on espérer de l’avenir? M. Weldon ne croit pas à la possibilité de réduire directement l’alumine par le charbon, parceque l’affinité de l’aluminium pour l’oxygène est trop grande, et que 2 équiv. d’aluminium se combinant à 3 équiv. d’oxygène dégagent assez de chaleur pour chauffer 391 000 parties d’eau de 0° à 1°. Le charbon se combinant avec l’oxygène ne donne pas autant ; et ce serait pourtant là un minimum à atteindre pour dissocier l’aluminium de l’oxygène.
- De même faction de l’hydrogène sur le chlorure d’aluminium n’est pas davantage utilisable. Vainement objec-
- 1 Quelques réflexions de M. W. Weldon sur celte question. (Extrait du Journal of the Chemical industry, septembre 1883.)
- p.71 - vue 75/432
-
-
-
- 72
- LÀ NATURE
- terait-on que le carbone réduit le sodium de l’oxyde Na20, bien que la chaleur de formation de Na20 soit très supérieure à celle de l’oxyde de carbone CO. En réalité, le carbone ne réduit pas Na-0 ; mais en le chauffant fortement Na20 se volatilise ; et sa vapeur se dissocie partiellement en oxygène libre et sodium libre; et c’est alors seulement que le carbone s’empare de l’oxvgène libre, l’empêchant ainsi de se recombiner au sodium au moment du refroidissement.
- Disons en passant que cetle interprétation de M. Weldon est controversée. Quoi qu’il en soit, si l’on ne réussit ni à réduire l’alumine par le charbon ni à réduire le chlorure d’aluminium parl’hydrogène, comment espérer réduire le prix de revient de l’aluminium? M. Weldon engage les chercheurs à porter leurs efforts sur les points suivants :
- 1* Diminution du prix de revient du chlorure double d’aluminium et de sodium ;
- 2° Substitution d’un autre dérivé anhydre mais non oxygéné de l’aluminium du chlorure double ;
- 3° Remplacement du sodium par un réducteur moins coûteux;
- 4° Ou production du sodium lui-mème à bon marché.
- Nous avons cru intéressant de foire connaître sur l’état actuel de cette question l’avis d’un chimiste industriel aussi expérimenté que M. Weldon. L. Poillon.
- LES BOULETTES CONTRE LA FAIM
- ET EES CONSERVES ALIMENTAIRES CHEZ, LES GRECS
- Non, je ne dirai point que les Grecs ont inventé la cocaïne1; mais il est certain qu’ils connaissaient un anesthésique dont ils se servaient contre la faim comme les Indiens du Pérou se servent des feuilles de coca. Voici en effet ce qu’écrivait un ingénieur militaire du deuxième siècle avant notre ère, Philon de Byzance, dans un traité fort peu connu relatif aux approvisionnements à'faire dans les places fortes en prévision d’un siège :
- 11 sera bon de conserver dans les maisons particulières des scilles et des oignons et d’en cultiver soit dans la ville, soit autour des remparts. On pourra alors composer la pâte d’Épiménide, grâce à laquelle on épargnerait aux citoyens les souffrances de la faim s’il survenait une disette.
- Voici la recette de cette pâte : on fait cuire la scille, on la hache très menu, on la mélange avec un cinquième de sésame et environ un quinzième de pavot; on broie le tout ensemble en y ajoutant du miel aussi bon que possible et on en fait des boulettes de la grosseur des plus fortes olives. En prenant une de ces boulettes vers la 2e heure (8 h. du matin) et une autre vers la 10e (4 h. du soir), on ne saurait souffrir de la faim.
- Il y a encore une autre composition analogue à celle-là qui doit être préparée de la manière, suivante : on prend un demi-setier (4’,525) de sésame attique, un demi-conge (l1,636) de miel, un cotyle (O1,270) d’huile, une cbenice (l‘,079) d’amandes douces épluchées ; on torréfie le sésame, on pile et on tamise les amandes; on épluche ensuite les scilles en rejetant .les racines et les feuilles, on les coupe en petits morceaux que l’on inet dans un mortier où on les broie de manière à les réduire en pâte; après cela on pile de nouveau les scilles avec le miel, puis
- 1 Yov. n1 005 du 2 5 décembre 1883, p. 54.
- 2 Veleres malhcmaltci, p. 88.
- avec une quantité égale d’huile et on verse le mélange dans une marmite que l’on place sur des charbons pour le faire cuire. Quand ce mélange commencera à bouillir, on y jettera peu à peu le sésame et les amandes jusqu’à ce que le tout soit employé. Lorsque la préparation se sera suffisamment épaissie, on l’enlèvera du feu et on la divisera en petites boulettes. En en mangeant une le matin et une le soir on sera bien suffisamment nourri. Cette préparation est excellente pour les expéditions, car elle est agréable au goût, nourrissante et n’altère pas.
- On compose encore un aliment avec de la mauve et le fruit de la scille mélangés par parties égales, broyés dans un mortier et pétris avec du miel cuit. On en fait des boulettes semblables à celles dont nous avons parlé plus haut et qui peuvent suffire pour la nourriture dans une place assiégée....
- Il y a aussi une nourriture qui ne la cède à aucune autre : ce sont des viandes très cuites et hachées, puis mélangées avec du beurre et du miel. Il en est de même du suc de toutes ces viandes conservé dans des vases bien propres.
- Il est également utile de faire cuire doucement de l’ægilops dans une marmite neuve sur la cendre, et de la recouvrir d’huile. On aura ainsi non seulement un aliment, mais encore un remède contre la dysenterie.
- Si nos eaux venaient à se corrompre, il faudrait prendre de l’orge torréfié, en mettre la valeur d’un cyathe dans deux conges (environ deux cuillerées par litre) dans d’excellent vinaigre et réduire le fout par l’ébullition ; grâce à cette préparation, les eaux ne tarderont pas à redevenir potables.
- Ce même traité décrit divers modes de construction des greniers et des silos pour assurer la conservation des céréales et Philon conseille de mélanger aux grains de laconyze, c’est-à-dire de l'insecticide
- Vicat. A. de Rochas.
- --------*
- LANCEMENT D’UN NAVIRE DE GUERRE
- A C H A T H A M , EN ANGLETERRE
- C’est un magnifique spectacle que celui du lancement d’un grand navire, et quand a lieu cette belle opération navale, il y a généralement fête dans le chantier de construction. La gravure ci-contre, que nous avons reproduite d’après The Jllustrated London News, donne une juste idée de l’expérience qui a eu lieu récemment à Chatham en Angleterre en présence du duc et de la duchesse d’Edimbourg, et d’une affluence considérable de spectateurs. 11 s’agissait d’opérer le lancement d’un grand navire de guerre désigné sous le nom de Rodney.
- Par une disposition mécanique très ingénieuse, le duc et la duchesse d’Edimbourg ont pu mettre le navire en marche au moyen d’une simple roue qu’il leur a suffi de mettre en rotation. Le Rodney a glissé sur son plan incliné au milieu des acclamations de la foule, et a fait grincer le plancher sous son passage, eu s’élançant au milieu de la masse d’eau qui lui donnait accès.
- Çe grand navire, construit à Chatham, n’est pas sans offrir un certain intérêt; c’est le second exemplaire d’un nouveau type de navires qui devront porter
- p.72 - vue 76/432
-
-
-
- Lancement d’un grand navire de guerre, à Cliatham, ien Angleterre, le 8 octobre 1884
- p.73 - vue 77/432
-
-
-
- 74
- LA NATURE.
- les noms de grands amiraux anglais.Sa longueur entre perpendiculaires est de 98 mètres, et son diamètre au maître-couple est de 21 mètres. Ce navire est construit avec une légèreté relative digne d’ètre signalée, et il a cependant la stabilité ne'cessaire pour être muni de tourelles et de grosses pièces d’artillerie. Il est confectionné presque entièrement en acier, et est muni d’une solide cuirasse qui le préserve des projectiles, au-dessus de la ligne de (lottaison.
- VIBRATIONS DU SOL
- PRODUITES PAR LES TRAINS DE CHEMINS DE FER
- Le choix d’un emplacement pour le nouvel, Observatoire naval des Etats-Unis à Washington, a donné lieu à des expériences sur les vibrations que produisent les trains de chemin de fer; on voulait voir jusqu’à quel point en seraient affectées les observations par réflexion à la surface du mercure, observations qui jouent un rôle important dans les travaux méridiens.
- L’instrument dont on a fait usage pour ces observations est une lunette de 80 millimètres d’ouverture, de lm,20 de longueur focale, munie d’un oculaire grossissant environ 135 fois et suffisant pour obtenir nettement les images réfléchies. Dans chacun des endroits choisis, on planta en terre, à une profondeur de 1“,20 à lm,50, un fort poteau autour duquel la terre fut solidement tassée. • Le sommet du poteau reçut une planche épaisse, fortement vissée, et trois vis fixées sur cette planche servirent à leur tour de supports à une caisse de 25 centimètres sur 35 et de 25 millimètres de profondeur remplie de 10 kilogrammes de mercure ; on y ajouta deux tiers d’étain afin d’en augmenter la stabilité. Une nuit d’essai démontra la nécessité de recouvrir l’appareil d’un toit en verre afin de préserver la surface de mercure de l’influence du vent. Ce toit, il est vrai, augmentait le nombre des images par les réflexions successives sur ses faces optiquement imparfaites, et ces images étaient très faibles ; néanmoins le système de ces images séparées et très rapprochées les unes des autres constituait un excellent moyen pour apprécier les vibrations.
- Les observations se firent le soir sur l’image réfléchie de la polaire, de façon à ne pas devoir bouger le trépied du télescope, ce qui aurait été nécessaire pour suivre les mouvements d’une étoile plus éloignée du pôle.
- Les observations eurent lieu en quatre endroits différents et les appareils furent placés à des distances diverses du chemin de fer, données comme suit en mètres :
- Station A. à 480 mètres. Station B. à 1330 mètres. Station C. à 1500 mètres. Station D. à 1300 mètres.
- Voici quels furent les résultats obtenus ; L’établissement des poteaux était autant que possible le même dans les quatre stations ; la seule différence provenait de la nature du sol, gravier caillouteux compact en A et D, terre pure et sèche en B, terre légère et humide en C.
- A la station la plus rapprochée du chemin de fer, A (480 mètres), un train express marchant à 60 kilomètres par heure produisit un tel trouble dans l’appareil que le système des images fut bouleversé et se confondit en un bouillonnement de vagues de plus de 1' de diamètre. On reconnut l’approche de ce train au tremblement des ima ges, avant que les oreilles eussent perçu aucun bruit, une
- brise légère soufflant de la station vers le train qui s’approchait. Un train ordinaire faisant 25 ou 30 kilomètres à l’heure, rendit aussi les images confuses et tremblantes et chacun de ces deux trains causa assez de trouble pour empêcher une observation de réflexion méridienne pendant 2 1/2 ou 3 minutes, tandis qu’il passait.
- Aux stations B et C, éloignées respectivement de 1330 et de 1500 mètres, certains effets furent les mêmes, certains autres tout à fait différents. Les trains express y produisirent les mêmes troubles que les trains ordinaires à la station A et empêchèrent les observations des réflexions méridiennes. Mais, tandis qu’en A et B les effets troublants augmentaient jusqu’à un certain maximum et décroissaient d’une façon correspondante au passage de tous les trains, le tout pendant 2 ou 3 minutes, en C l’effet du train express fut tout à fait irrégulier, le mercure tendant à s’apaiser à plusieurs reprises puis reprenant ses mouvements pendant 2 ou 3 minutes, et l’effet du train ordinaire ne se faisant sentir que pendant une minute, au lieu de 2 et 5 comme en B.
- Cette dernière observation rapprochée des irrégularités produites par le train express, indique peut-être que la station C placée à 1500 mètres du chemin de fer, était à l’extrémité de ia surface de terrain sur laquelle le trouble se manifesta. Aux stations B et C, tandis que les trains express secouaient assez vivement le mercure pour empêcher les observations de réflexion, l’effet du train ordinaire, quoique distinctement perceptible, n’était pas plus fort que celui que produit le vent ou quelque autre cause locale dans un observatoire.
- A la station D, distante de 1300 mètres, c’est-à-dire un peu plus près que B et beaucoup plus près que C, les trains express ne produisirent aucun effet, sinon pendant 10 ou 15 secondes, lorsque le train traversa un petit pont à 1500 mètres environ de D; mais même alors, le trouble résultant des trains express était beaucoup moindre que celui produit par les trains ordinaires en B et en C, stations toutes deux cependant plus éloignées du chemin de fer. Le sol dans lequel le poteau avait été planté en D était presque exactement le même qu’en A, et l’explication la plus probable de la différence très marquée entre les troubles produits là et ceux des autres stations, est la présence d’un petit ravin profond de 15 à 18 mètres entre D et le chemin de fer et à 90 ou 120 mètres de D; dans ce cas, par conséquent, si les vibrations à cette distance du chemin de fer n’atteig»aient pas beaucoup au-dessous de la surface, le ravin tendait à les couper. Les quatre stations se trouvaient du même côté du chemin de fer et toutes dans un cercle d’environ 3000 mètres de diamètre, et pour autant qu’on puisse en juger d’après des fossés creusés pour la voie et des puits, elles paraissaient reposer sur une même couche de terre mêlée de gravier qui s’étend jusqu’à une grande profondeur.
- Des expériences ont encore été faites dans deux autres endroits, pour vérifier l’effet produit par le roulement des voitures sur une grande route. On a trouvé qu’un chariot portant quatre personnes et tiré par deux chevaux sur une route empierrée, à 120 ou 150 mètres de l’instrument, donnait une secousse momentanée au mercure chaque fois que la roue heurtait une pierre et aussi quand la voiture traversait un petit pont de bois éloigné d’environ 150 mètres; mais il ne se produisait de trouble persistant que lorsque le chariot s’approchait jusqu’à 60 ou 90 mètres de l’instrument1.
- 1 Transactions of the Seismological Society of Japon. (Ciel et Terre,)
- p.74 - vue 78/432
-
-
-
- LA NATURE.
- 75
- BIBLIOGRAPHIE
- Nouveau Manuel complet de la peinture sur verre, sur porcelaine et sur émail, par Reboulleau et Magnier. Nouvelle édition entièrement refondue, avec 1 pl. hors texte. \ vol. in-18, de la Librairie encyclopédique Roret. — Paris, 1885.
- Nouveau Manuel complet des Ponts et Chaussées, 5“ partie, Ponts en bois et en fer, par A. Romain. 7 pl. hors texte.
- 1 vol. in-18 de la Librairie encyclopédique Roret.— Paris, 1884.
- Carnet Météorologique. Tableaux imprimés pour l’inscription quotidienne des observations météorologiques. Modèle approuvé par le Bureau Central météorologique de France. Feuilles mensuelles collées sur carton. Société anonyme des Produits chimiques, 451, rue des Écoles, Paris.
- UNE APPLICATION DE L’ËLECl RICITÉ
- a l’agbicültüre
- On sait quel tort causent chaque année aux vergers et aux vignobles les gelées printanières, qui, aux mois d’avril et de mai, brûlent la fleur dans son épanouissement, le bourgeon dans son éclosion et compromettent en quelques heures l’avenir de récoltes sur lesquelles le cultivateur fondait ses espérances. Une. nuit calme, un ciel pur, il n’en faut pas davantage pour dessécher les rameaux gonflés de sève et frapper de mort une végétation luxuriante.
- Ces froids nocturnes, que l’imagination populaire se plaît à attribuer à la lune rousse, ont été combattus depuis quelques années, et non sans succès, par la production de nuages artificiels, produits au-dessus des champs par la combustion de matières goudronneuses. On peut ainsi atténuer l’influence du rayonnement et prévenir sur le sol un abaissement dangereux de la température. Mais le remède, il faut bien l’avouer, est d’une application difficile et coûteuse : il demande une surveillance minutieuse, une appréciation exacte des conditions météorologiques et bien souvent le nuage artificiel arrive ou trop tôt, ou trop tard. Un appareil automatique, placé au milieu même des cultures et associé, en quelque sorte, à leurs impressions, peut, au contraire, avec le concours de l’électricité, remplir, au moment précis, ce rôle tutélaire, sans exposer le cultivateur à des dépenses inutiles.
- Dans ce but, M. Lestellc, inspecteur des télégraphes à Mont-de-Marsan, a imaginé un ensemble de dispositions fort ingénieuses qui sont adoptées depuis deux ans sur certains vignobles des Landes et de la Gironde.
- Le système électro-automatique de cet inventeur comprend trois parties essentielles, reliées entre elles par des conducteurs électriques : un thermomètre, un commutateur et des allumeurs.
- Le thermomètre, placé dans le circuit, d’une pile, est disposée de manière que le courant se ferme dès que la température extérieure descend au degré où se produisent les effets désastreux de la gelée. Ce degré, déterminé par l’expérience dans les divers vignobles, est variable suivant les conditions de lieux, de terrains, de cépages.
- Le commutateur est un appareil mû par un mouvement d’horlogerie et destiné à faire passer le courant induit d’une petite bobine de Ruhmkorlf successivement dans une série de circuits.
- L’allumeur, fort bien conçu, porte une amorce qui s’enflamme sous l’action du courant induit, et une traînée de fulmicoton propage la combustion de l’amorce à un foyer voisin. Le courant se transmet aussitôt automatiquement à l’allumeur suivant, sans augmentation sensible de résistance, de sorte que tous les feux se trouvent allumés presque au même instant.
- Pour installer son système, M. Lestellc met le thermomètre verticalement sur une planchette au milieu du vignoble, à la hauteur des bourgeons et le relie à la pile par deux fils électriques. La pile est, d’ailleurs, en un point quelconque, par exemple dans l’habitation du viticulteur. Le commutateur et ses annexes, pile et bobine, peuvent être placés près d’elle. Du commutateur partent les fils sur lesquels on groupe les allumeurs en nombre variable, suivant l’étendue, la force ou le morcellement du vignoble à protéger. Ces fils sont ou enfouis dans le sol, ou suspendus à l’air libre suivant les circonstances .
- Les foyers, formés de feuilles, d’herbes, de débris combustibles de toutes sortes, sont disposés à 40 mètres les uns des autres dans toutes les directions. Pour en faciliter l'allumage par la traînée de fulmicoton qui part de l’allumeur, M. Lestelle met à leur base des matières très inflammables, telles que la paille trempée dans du brai fondu, les filtres pailleux (appelés griches dans le pays), dans lesquels on fait passer la gemme avant la distillation, etc. Le foyer est maintenu à l’abri des intempéries par une couverture de son de bois imbibée d’huile lourde de résine ; ces matières ont aussi pour effet d’augmenter la production de fumée. Enfin, pour protéger les allumeurs contre la pluie,, les chocs, et aussi contre la chaleur du foyer, on les introduit dans un tuyau de drainage.
- Lorsque la température extérieure descend à 2 degrés au-dessus de zéro, par exemple, le circuit du thermomètre se ferme; le courant anime aussitôt un petit électro-aimant situé dans le commutateur, le mouvement d’horlogerie se met en marche, et le courant induit de la bobine parcourt successivement les allumeurs, qui allument tous les foyers en moins d’une seconde.
- 11 suffit de renouveler les amorces, le fulmicoton et les loyers, pour que l’appareil soit de nouveau prêt 'a fonctionner.
- Afin de ne pas user sans besoin la pile du ther-
- p.75 - vue 79/432
-
-
-
- 76
- LA NATURE.
- momètre, pendant que la température reste à 2 degrés et au-dessous, M. Lestelle interpose dans le circuit un interrupteur qui ouvre automatiquement le courant dès que l’allumage est fini. Le commutateur ouvre de même automatiquement le courant qui actionne la bobine de Ruhmkorff, de sorte que la seconde pile ne s’use pas non plus inutilement.
- Les frais de première installation sont estimés par l’inventeur de MO à 120 Irancs par hectare. Il faut compter par hectare sept foyers en moyenne pour obtenir un nuage continu.
- Le système de M. Lestelle est appelé à rendre à l’agriculture des services assez sérieux pour que nous donnions ici le détail d’une installation faite à Mézos (Landes) sur une propriété de sept hectares.
- Le poste central comf rend : 1
- guérite, 1 appareil d’horlogerie à commutateur,
- \ thermomètre,
- 2 kilogrammes de fil de cuivre recouvert de gutta et coton n° 4,50 isolateurs en porcelaine, 1 interrupteur, 1 bobine Ruhmkorff, 1 pile Leclanché et 10 éléments torpille, 5 poteaux en bois.
- L’installation pour les 7 hectares a exigé d’autre part : 30 kilogrammes fil de cuivre recouvert ri° 4, 105 poteaux, 52 foyers avec allumeurs automatiques, 156 mètres dé tresse de poudre-coton, 52 tuyaux de dressage.
- On peut juger par ces détails que les dépenses ne sauraient s’élever pour une exploitation agricole de quelque importance à plus de 100 francs par hectare : les appareils une fois mis en place n’exigent aucun entretien et peuvent durer en quelque sorte indéfiniment. Qu’ils aient à fonctionner seulement une fois et le cultivateur, en sauvant sa récolte, retrouvera largement les frais de premier établis-
- portionneiles ; il est susceptible de rendre des ser vices aux dessinateurs, aux géomètres, aux calculateurs, et sa description nous paraît intéressante à faire connaître.
- Le système que nous représentons d’abord en vue d’ensemble, en indiquant son mode d’emploi (fig. 1), se compose d’une règle A (fig. 2) divisée en parties égales ou proportionnelles. — Cette règle pivote à la façon d’un compas autour d’une tige T, servant de point de centre et de pivot de rotation. — Le
- long de ccttc règle on peut faire mouvoir un curseur R, muni d’un trait C que l’on fait coïncider à une des divisions de la règle. Cette division correspond au nombre de parties égales ou proportionnelles, suivant lesquelles il s’agit de diviser la circonférence ou le cercle. Le curseur porte un petit galet E maintenu dans une chappe, et tournant autour d’un axe g à la façon d’une roue. Ce petit galet est muni d’une pointe, servant à tracer à chacune de ses révolutions, les points indiquant les divisions de la circonférence.
- Après cette description sommaire, nous ferons facilement comprendre le mode de fonctionnement de l’appareil, en prenant un exemple d’opération à réaliser. Supposons par exemple qu’il faille diviser une circonférence en 19 parties égales
- On fait coïncider le trait C à la 19e division de la règle ; on fixe la pointe de la tige T au centre de la circonférence, et on fait tourner la règle autour de l’axe T. La roue E tournera sur son axe g et à chaque tour qu’elle fera, sa pointe tracera un point qui correspondra à la dix-neuvième partie de la circonfé-
- Fig. 1. — Mode d’emploi du circuli-diviseur.
- Fig. 2. — Dessin explicatif de l’appareil.
- sement.
- ronce
- circonf. c r circonf. C TT
- LE CIRCULI-DIVISEUR
- Ce petit appareil imaginé par M. M< ra, professeur de sciences à Senlis, permet de diviser les circonférences ou les cercles en parties égales ou pro-
- 11 faut toujours que l’extrémité de la roue E, et le point de centre T soient à la même hauteur pour que les divisions de la circonférence soient très justes.
- p.76 - vue 80/432
-
-
-
- LA NATURE.
- 77
- LES TREMBLEMENTS DE TERRE
- DU 27 NOVEMBRE ET DU 28 DÉCEMBRE 1884
- Le Sud-Est de la France a été l'écemment le siège de secousses assez violentes. Les premières trépidations signalées,remontent au dimanche 25novembre, Entre 5 et 4 heures du soir, un tremblement qui, heureusement n’a duré que deux secondes, a été ressenti sur différents points du Briançonnais, du Queyras et de l’Em-brunais. — Les jours suivants, quelques mouvements du sol ont été notés, mais les oscillations les plus fortes se sont manifestées le 27 novembre à onze heures du soir.
- Elles ont suivi la direction générale de la vallée de la Durance et se sont propagées d'Aiguilles et Queyras, jusqu’à Marseille. Les dernières ondes de ce vaste mouvement ont été constatées à Grenoble d’un côté, et jusqu’à Toulon et Cannes de l’autre.
- D’après les renseignements recueillis sur place, les secousses ont été en augmentant du littoral méditerranéen à la frontière italienne et, pour un même lieu, plus intenses dans le fond de la vallée qu’au sommet de la montagne.
- Ainsi dans l’arrondissement de Briançon, par exemple, le tremblement de terre a été plus violent sur les bords de la Guisanne et de la Durance que près des crêtes voisines. Le fameux fort de YIn-fernet qui est perché à 2400 mètres de hauteur n’a pas été épargné il est vrai, mais les constructions y ont été moins endommagées qu’à Sainte-Catherine, dont l’altitude n’atteint pas 1500 mètres.
- Là les effets de la trépidation, pendant la nuit du 27, ont atteint un développement considérable. L’amplitude des oscillations a été suffisante pour jeter à terre une pendule qui était placée à plusieurs centimètres du bord extérieur de son support. Presque
- partout les murs des maisons sont lézardés et les plafonds étoilés ou déformés.
- La toiture d’un chalet à Sainte-Catherine a été subitement transformée en plaque vibrante ; elle a été détruite en plusieurs endroits équidistants entre eux. Ces trouées que représente notre ligure 1 ne sauraient être attribuées à la chute des briques qui ont pu se détacher des cheminées. Les ardoises ont été arrachées et non brisées et les portions de la charpente mises à nu, loin d’être dans l’aplomb des
- cheminées se trouvent précisément placées à égale distance de chacune d’elles. Du reste les cheminées extrêmes n’ont pas perdu une seule brique et néanmoins la couverture est tout aussi dété-rioriée en ces deux points que sur le reste des appentis
- (fig- !)•
- Un certain nombre de cheminées sollicitées à la base par une force considérable ont été rompues suivant leur périmètre de contact avec la toiture et déplacées parallèlement à elles-mêmes, de plusieurs centimètres par suite de la soudaineté du mouvement (fig. 2). D’autres, obéissant à un mouvement de rotation, ont pris une orientation nouvelle (fig. 5).
- Certaines chapes du poids de 500 à 400 kilogrammes, obéissant aux lois de l’inertie, n’ont pas suivi le mouvement d’ensemble, et sont restées en équilibre instable au sommet des cheminées. L’une d’elles, a effondré le toit pour venir s’abriter sous les combles (fig. 4).
- Tels sont les faits qu’il nous a paru intéressant de signaler à l’attention du public. Ils ont été relevés, au lendemain de l’accident sur des constructions b«à-tics parallèlement à la vallée de la Durance. Les maisons construites diagonalement à cette direction ont mieux résisté, pour la plupart, au tremblement de terre.
- Cette remarque tend à établir que les ondes les
- Action du tremblement de terre du 27 novembre 1884, sur un chalet situé à Sainte-Catherine, près de Briançon (Hautes-Alpes).
- Fig. 1. — Vue d’une façade parallèle aux ondes, avec indications des trouées produites dans la toiture.— F'ig. 2. — Détail des cheminées rompues à leur base. — Fig. 3 et 4. — Autres exemples de cheminées déplacées.
- p.77 - vue 81/432
-
-
-
- 78
- LA NATURE.
- plus puissantes ont dù suivre la direction générale de la vallée précitée et justifie le bien fondé des observations qui ont été faites à Briançon sur la catastrophe du 27 novembre dernier.
- A ces renseignements, que nous devons à M. Bernardeau, témoin du phénomène, nous en ajouterons d’autres que nous empruntons à une notice publiée par M. G. Vian, dans le Bulletin de la Société scientifique d’Àrgentan.
- Le 24 novembre dernier, le département des Hautes-Alpes a ressenti un léger tremblement de terre et plus particulièrement à Embrun et à Gap. Par une singulière coïncidence, des secousses analogues ont été ressenties le 27 novembre dernier à Marseille. La première secousse a été ressentie à Marseille, à H heures 5 minutes du soir, l’oscillation a duré cinq à six secondes environ ; puis après une minute d’arrêt une nouvelle secousse s’est fait sentir. La direction des oscillations était de 1 Est à l’Ouest. Fait très curieux, le tremblement de terre, au dire de nombreux témoins, n’a pas eu la même intensité sur tous les points de la ville. Quoique aucun accident ne se soit produit, les secousses ont été assez vives pour imprimer aux meubles un mouvement de trépidation ; des chaises ont été renversées; plusieurs personnes couchées ont parfaitement ressenti un léger balancement; quelques pendules se sont arrêtées; les sonnettes ont tinté; enfin les vitres vibraient comme quand il tombe du grésil. A l’Observatoire de la ville ces secousses ont été parfaitement ressenties, constatées, et divers instruments en ont subi l’influence. A Antibes (Alpes-Maritimes), le même soir, à 10 heures 55, c’est-à-dire presque exactement à la même heure, une légère.secousse de tremblement de terre a été ressentie; l’ébranlement a duré cinq secondes sans causer aucun accident. De Biot, situé dans le même département, le même phénomène et à la même heure a été signalé, mais dans cette dernière localité les secousses auraient été plus accentuées et auraient duré de 40 à 45 secondes. A Draguignan (Var),un tremblement de terre s’est produit le même soir, un peu après 11 heures ; les secousses ont été faibles, vu l’heure, peu de personnes les ont remarquées.
- A Turin une forte secousse a été ressentie le même soir à peu près à la même heure, mais il n’y a eu aucun dégât. A Grenoble, à 11 heures, trois secousses assez violentes, d’une durée de six secondes, se sont fait sentir et paraissent se diriger du Nord au Sud. Au théâtre, où se jouait le charmant opéra-comique Le Petit Duc, une panique de courte durée s’est emparée de tous les spectateurs. Dans un certain nombre de maisons, et surtout aux étages supérieurs, les murs et les plafonds se sont lézardés ; les meubles ont changé de place, les sonnettes ont tinté et les pendules se sont arrêtées. Il n’y a eu aucun accident de personnes. A Voiron (Isère), le phénomène s’est produit à 10 heures 56 minutes. Il a été précédé d’une trépidation qui a duré environ 12 secondes et a été suivi de quatre ou cinq fortes oscillations dirigées du Sud-Est au Nord-Ouest, pendant lesquelles on a entendu une espèce de grondement qui ressemblait à un fort coup de vent. A Saint-Marcellin, dans le même département, on a ressenti une forte secousse qui a duré 4 secondes, fait vibrer les vitres et réveillé en sursaut un grand nombre de personnes. A Vienne, les trépidations ont eu la même durée mais ont été moins fortes. Au même moment, plusieurs secousses ont été ressenties à Chambéry et dans les communes voisines. Puis, vers 5 heures du matin, il
- s’en est produit une autre extrêmement forte qui a été accompagnée d’une détonation semblable à un gros coup de canon. On a cru à une explosion ou à l’écroulement d’une maison. A Cagnes (Alpes-Maritimes), le tremblement de terre s’est fait sentir à deux reprises différentes et à de courts intervalles. Il en a été de même dans les environs. A Gap (Hautes-Alpes), les secousses ont été plus fortes que celles qui se sont fait sentir il y a quelques jours, mais, comme ces dernières, elles n’ont occasionné aucun accident. Enfin, dans le canton dî Genève, trois secousses successives, à 5 minutes d’intervalle l’une de l'autre, ont été ressenties vers 11 heures du soir, ainsi qu’à Lausanne.
- Au moment où nous réunissions les documents qui précèdent, nous avons appris la nouvelle d’un autre tremblement de terre qui a fait sentir son action en Espagne dans la soirée du 26 décembre.
- La secousse, qui a duré cinquante secondes, a causé une certaine panique et quelques accidents. A Madrid, bon nombre de spectateurs ont quitté le théâtre ; la maison de la rue Sombrerete, portant le numéro 2, a été ébranlée et a dù être évacuée. A Grenade, le toit d’une maison s’est effondré et a tué une femme et son enfant ; un mur s’est écroulé et a blessé deux* hommes. Les habitants, effrayés, se sont enfuis dans la campagne.
- Les dégâts sont considérables dans les provinces méridionales. Il y a plusieurs morts à Motril, Alha-ma et Loja. Le village d’Albuncielas est complètement détruit. À Séville, le choc a été très violent, plusieurs maisons sont détruites, le fameux couvent est en ruines.
- De nouvelles et violentes secousses ont été ressenties pendant la nuit du 28 au 29 décembre, dans la province de Malaga. La ville d’Alhama a été anéantie, et 300 habitants ont péri. La secousse a été ressentie à Lisbonne, à Madère et dans un grand nombre d’autres localités en Espagne.
- CHRONIQUE
- Une nouvelle découverte d’un cadavre de Mammouth. — De retour d’un voyage de Russie, M. Albert Gaudry présenta l’année dernière à l’Académie des sciences, des échantillons provenant des Mammouths trouvés dans le terrain glaciaire de la Sibérie par MM. Shmidt et le baron de Maydell et rapportés par ce dernier à Saintt Pétersbourg en 1881 b
- Aujourd’hui la Société de Géographie de Saint-Pétersbourg vient de recevoir de sa station scientifique, établie près du fleuve Lena, une intéressante communication concernant une nouvelle découverte, faite dans les glaces de la Sibérie, d’un cadavre de Mammouth. Malheureusement, la tète de l’animal et ses défenses, une partie de sa peau, quelques côtes et la jambe gauche de devant manquent à ce précieux vestige des âges préhistoriques; ces parties furent successivement emportées par les Yakoutes, peuple nomade de ces parages. Mais ce qui reste de cette rare trouvaille est dans un état d’une si parfaite conservation qu’on pourra facilement en faire la plus minutieuse étude.
- 1 Voy. La Nature du 29 décembre 1883, p. 67.
- p.78 - vue 82/432
-
-
-
- LA N AT IJ LE.
- 71)
- Ou sait que les annales de la paléontologie n’enregistrent que très rarement les semblables découvertes, présentant, à différents égards, un si haut interet scientifique. M. le Dr Bounge, directeur-adjoint de la station de Lena, informé, partit aussitôt sur le lieu de la découverte signalée, qui se trouve à 35 verstesde distance de la station, dans le villageKhaïgalakh. La découverte a été faite à la même place où il y a vingt-six ans, fût mis k jour le premier exemple d’un corps entier et bien conservé d’un animal fossile, appartenant à la môme espèce de ces grands pachydermes.
- Les travaux de déblaiement n’avancent que très Iente-tement à cause de la grande difficulté de creusement dans un terrain glacé, néanmoins le Dr Bounge espère terminer bientôt sa mission et communiquer ensuite ses résultats à Saint-Pétersbourg. E. Halpérine.
- — Nous sommes heureux d’apprendre à nos lecteurs que notre savant collaborateur M. le Misde Nadaillac a été nommé Membre-Correspondant de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres en remplacement de M. J. P. Man-tellier.
- --><^>-0-
- ACADÉMIE DES SCIENCES
- Séance du 29 décembre 1884. — Présidence de M. Rolland
- Nouveaux mammifères. — En révisant une collection zoologique rapportée d’Asie Mineure par M. Armand David, M. Alphonse Milne Edwards a été frappé des caractères offerts par la dentition et par la squelette de nombreux mammifères talpiformes. À première vue il semble que ce soient simplement des taupes entre lesquelles il est très difficile de faire des distinctions; mais une étude plu- profonde y montre des espèces diverses et même des genres distincts. M. Alphonse Milne Edwards voit dans ces faits un exemple des plus nets de Vadaptation des êtres au genre de vie qu’ils soDt appelés à mener.
- Insecte silurien. — A peine M. Lindstrôm a-t-il annoncé le scorpion fossile du silurien supérieur de Gothland, que M. Charles Brougniart signale aujourd’hui, par l’intermédiaire de M. Alphonse Milne Edwards un fait plus étonnant encore. Il s’agit non plus d’un arachnide mais d’un insecte et la roch .’ encaissante est le grès silurien du Calvados c’est-à-dire d’âge géologique plus reculé encore que la gangue du scorpion. L’échantillon étudié consiste en une aile dont les caractères sont ceux des ailes de blattes, et c’est une occasion de remarquer que malgré l’immense laps de temps écoulé les insectes paraissent avoir bien peu changé jusqu’à nos jours.
- Vitalité du bacille virgule. — D’après MM. Nicalé et Reich le bacille virgule, auquel on attribue le choléra, trouve dans l’eau de mer et tout spécialement dans l’eau du port de Marseille, des conditions favorables à sa conservation prolongée. Les auteurs supposent que l’eau conservée à bord des bâtiments doit souvent servir de véhicule au microbe dont il s’agit.
- La France au Congrès de Washington. — Le Congrès avait pour but de formuler sur la question du méridien et de l’heure uiverselle, des résolutions devant servir de base à des conventions diplomatiques ultérieures entre les gouvernements.
- 11 s’est réuni à Washington, le 1er octobre 1884, sur l’invitation des États-Unis.
- Au Congrès la France s’est trouvé en présence d’une
- résolution arrêtée et préparée de longue main en faveur du méridien de Greenwich.
- Les résolutions de la Conférence de Rome ont influé beaucoup sur le Congrès pour l’adoption de Greenwich.
- Mais la France a vaillamment soutenu la cause de la science et des intérêts de tous, contre la coalition des intérêts.
- Cette attitude désintéressée, et d’un caractère très élevé, [ conforme au génie national, à notre passé, et à nos traditions, a vivement frappé l'assemblée. Plusieurs orateurs en ont fait la remarque. Le méridien de Greenwich a été proposé par le Congrès, mais la France garde son méridien, et le méridien neutre qu’elle a proposé, représente la solution scientifique, et a l’avenir pour lui.
- Le Congrès a conservé la méthode défectueuse de compter les longitudes Est et Ouest, au lieu de le faire d’une manière continue, comme la Conférence de Rome l’avait proposé, pour harmoniser la numération des longitudes avec celle de l’heure universelle qu’on compte de 0 k 24.
- Le jour universel commence à minuit moyen de Greenwich. Mais la France a obtenu deux résultats importants :
- 1° L’Angleterre entre dans la convention du mètre ;
- 2° Le Congrès a émis le vœu que les applications du système décimal (dont notre pays a eu l’initiative) à la division du cercle et du temps, soient reprises et poursuivis
- En résumé, la France a tenu à Washington un rôle digne de son génie national et de ses traditions, et sans céder sur les principes, ellep obtenu deux importants résultats pour la science et le progrès, qui sont un hommage rendu à elle-même.
- Verre cristallifère de Commentry. — A la suite d’une excursion géologique que je fis dans le département de l’Ailier avec les élèves du Muséum, le savant directeur des mines de Commentry, M. IL Fayol, me remit la collection des produits recueillis dans les incendies spontanés des houillères. Parmi les échantillons les plus remarquables j'en ai distingué qui, k l’œil nu, se présentent comme des masses vitreuses tout à fait comparables aux obsidiennes et aux perlites. Toutefois, sous le microscope, ils laissent voir dans une masse vitreuse de très nombreux cristaux appartenant à diverses espèces minéralogiques telles que le pyroxène et l’anorthite. Dans une note présentée aujourd’hui par M. le Secrétaire perpétuel, je décris complètement ces curieux échantillons qui me paraissent éclairer d’un jour nouveau la question encore si obscure de l’origine des roches ignées.
- Varia. — A propos d’une note de M. Howath relative au passage des globules blancs du sang à travers les parois intactes des vaisseaux, M. Charcot rappelle que ce grand fait a été découvert, dès 1824, par Dutrochet. — M. Mascart dépose une série de publications du bureau central météorologique; nous y reviendrons. — Le dernier tremblement de terre d’Espagne où, dit-on, l’Alham-bra a été partiellement détruit, semble à M. Laur confirmer une théorie qu’il a précédemment émise. — Ayant demandé que l’Académie nommât une Commission pour étudier l’opportunité des Quarantaines. M. de Lesseps voit sa proposition rejetée sur les observations de M. Gosselin.
- Stanislas Meunier.
- 1 Le Gouvernamcnt forme en ce moment une grande Commission, qui s’occupera de la réalisation de ce vœu.
- p.79 - vue 83/432
-
-
-
- 80
- LA NATURE
- PHYSIQUE SANS APPAREILS
- Fabrication du gaz de l'éclairage. — Faites brûler sur une assiette de porcelaine bien propre, une feuille de papier de la grandeur de votre main ; il n’en faudra pas plus pour indiquer le phénomène de la carbonisation (la feuille tic papier se transforme en une masse noire) et de la formation des produits em-pyreumatiq ues, sous Faction de la chaleur. Au-dessous du papier brûlé, vous trouverez un dépôt jaunâtre, collant aux doigts, formé d’huile de papier, produit à l’abri du contact de l’air par une sorte de distillation.
- On peut très facilement donner une idée de la production du gaz de l’éclairage par la distillation du charbon de terre, au moyen d’une simple pipe en terre de deux sous. On met dans la pipe en guise de tabac, des petits morceaux de houill e concassée, et on ferme l’ouverture avec de la terre glaise ou de la terre à poêle, que l’on laisse sé-
- cher. — On a confectionné ainsi une cornue à gaz toute chargée; il suffit de la chauffer en la plaçant dans un feu de charbon, de telle façon que le tuyau de la pipe forme saillie en dehors du foyer; les gaz
- de la houille ne tardent pas
- à se dégager par le tube creux qui leur donne accès; on peut les enflammer, avec une allumette à la sortie du tuyau de pipe, où ils
- une flamme très éclairante.
- Voilà une petite usine à gaz de démonstration, bien facile à construire et à faire fonctionner.
- Si la pipe en terre vous parait un objet trop coûteux. vous pourrez recourir à un grand morceau de papier d’emballage, dont il vous suffira de fÿire un cornet pour avoir une usine à gaz. On tient le cornet par la pointe de la main gauche après avoir pratiqué un petit orifice dans le cône de pa-
- pier, vers sa partie supérieure. On allume le cornet à sa base ; il brûle. Mais la chaleur développé par la flamme, produit en outre une véritable distillation en vase clos des matières organiques du papier; les produits empyreumatiques et gazeux, s’élèvent dans le cornet, se dégagent par l’orifice supérieur où on les enflamme à l’aide de l’allumette qui a servi
- à produire la combustion du papier (tîg. 1). Il va sans dire que cette expérience ainsi disposée 11e se prolonge que pendant quelques secondes, mais sa durée , si courte qu’elle soit, est suffisante pour donner une démonstration île la production du gaz d’éclairage par la distillation des matières organiques. On doit prendre garde au danger du feu, quand on l’exécute; il est bond’apérer au-dessus d’un dallage et loin de toute matière combustible ou inflammable.
- Elasticité des corps. Pétrissez entre vos doigts une grosse boulette de mie de pain, bien tendre, de manière à lui donner la forme hérissée de
- à terre votre boulette de mie de pain, que son élasticité a protégée. L’expérience ne réussit que si la mie de pain est bien tendre. Elle ne manque pas d’exciter, parmi les assistants, l'hilarité, qui est le corollaire des démonstrations de la Physique sans appareils. G. T.
- Le propriétaire-gerant : G. Tissandiek.
- Fig. 1 — Production du gaz de l'éclairage avec un cornet de papier.
- saillies, que représente la figure 2 en grandeur d’exécution. Vous placez cet objet sur une table de bois, et vous frappez dessus à grands coups de poing. Impossible de déformer la boulette. Si forts que soient donnés les coups de poing, la matière élastique, un instant aplatie reprend toujours sa forme primitive. Prenez la boulette et, de toutes vos forces, projetez-la sur le plancher;
- Fig. 2. - Boulette de mie de pain modelée, Ie «hoc ne la déforme pas plus que produisent pour la démonstration de l’élasticité des corps, précédemment, et vous retrouvez
- Imprimerie A. Lahure, 9, rue de Fleurus, à Paris.
- p.80 - vue 84/432
-
-
-
- N" 606. - 10 JANVIER 1885.
- LA NAÎT HE.
- Si
- LE PiULYÉRISÀTEUR PNEUMATIQUE
- //
- ,4*
- vV
- 'f# ,,
- Fig. 1. — Vue d’ensemble d’une
- installation du pulvérisateur pneumatique.
- Nous allons faire connaître à nos lecteurs une nouvelle invention qui nous paraît très remarquable ; elle a été assurément inspirée par l’usage qui a été fait des jets de sable pour graver le verre ou fabriquer les limes, et elle se signale par son originalité comme par l’utilité de son emploi dans un grand nombre d’industries. Il s’agit d’une machine qui a pour but de réduire en poussière impalpable les morceaux concassés d’un corps solide, pierre, ou minerai, et que son inventeur a désigné sous le nom de pulvérisateur pneumatique.
- Le principe, essentiellement nouveau, de l’appareil, consiste dans l’emploi de deux jets de vapeur surchauffes, ajustés de manière à entraîner, d’une façon continue, les grains ou les fragments de la matière à pulvériser. Ces fragments, animés d’une vitesse considérable, se trouvent projetés avec une force énorme les uns contre les autres, de telle façon qu’ils se divisent par le choc et arrivent très rapi-13” année. — 1er semestre.
- | dement au degré de ténuité voulu. Le pulvérisateur pneumatique permet de réduire les corps solides en une poudre d’une si grande finesse, que la matière déjà fine, produite par les procédés actuels, est encore infiniment divisée par la nouvelle méthode.
- Voici comment on obtient ce résultat, au moyen du système dont nous représentons la vue d’ensemble dans la gravure ci-dessus (fig. 1).
- Il faut que la pierre, le minerai ou le produit que l’on désire réduire en poudre, soit préalablement concassé en morceaux d’environ 5 à 6 millimètres de diamètre. Ce travail s’obtient d’abord au moyen, d’un concasseur et d’un broyern* à rouleaux qui sont également de construction récente.
- La matière ainsi réduite est amenée dans un grand entonnoir E (fig. 2) ; elle est bifurquée dans deux entonnoirs plus petits B, C, placés en dessous de chaque côté de 1’ appareil.
- La vapeur nécessitée pour le travail est produite
- Fig. 2. — Coupe d’un pulvérisateur pneumatique.
- p.81 - vue 85/432
-
-
-
- 82
- LA NATURE.
- par un générateur tubulaire capable de maintenir sûrement une pression de 15 à 20 atmosphères. La vapeur est surchauffée à environ 600° centigrade en passant par un serpentin au-dessus du foyer, entre celui-ci et la chaudière.
- Ces générateurs ont été vérifiés à 65 atmosphères de pression; ils peuvent travailler en toute sécurité à 20 atmosphères et au-dessus, selon la nature du produit à pulvériser.
- Le jet de vapeur arrive dans les deux tubulures G, H conduisant aux tuyères qui se font face, mathématiquement ajustées vis-à-vis l’une de l’autre, et distantes de 90 millimètres ; en passant par les tuyères, ce courant entraîne régulièrement les particules avec une vitesse considérable.
- Il est facile d’imaginer la violence du choc qu’éprouve la matière, quand on se rend compte que la pression utilisée pour produire les deux courants en sens inverse, est de quinze à vingt atmosphères selon le degré de finesse qu’il s’agit d’obtenir et la nature du produit à pulvériser.
- La poudre produite par cette collision est entraînée et passe par une conduite pour se rendre dans la chambre à dépôts qui est elle-même chauffée par un serpentin, afin d’éviter toute condensation de vapeur. Une cheminée garnie d’une toile métallique empêche la poudre en suspension de s’échapper au dehors; celle-ci retombe, et le courant d’air trouve une issue.
- Après le choc, il n’y a donc que la poussière qui est enlevée et qui passe par un tamis dans la chambre à dépôts, mais tous les fragments n'ont pas été réduits à un même état de ténuité. Les parcelles moins divisées retombent dans le fond de l’appareil ; un élévateur à godets les fait remonter à la partie supérieure des entonnoirs où ils sont repris à nouveau.
- Une installation complète du pulvérisateur pneumatique se compose :
- 1° Du générateur avec surchauffeur;
- 2° De deux appareils pulvérisateurs ;
- 3° D’un concasseur-broyeur;
- 4° D’une machine à vapeur avec son générateur, destinée à faire fonctionner le concasseur ;
- 5° De l’appareil d’alimenttation des entonnoirs ;
- 6° D’une chambre à dépôts pour la poudre obtenue.
- L’installation est extrêmement simple et facile à organiser.
- Les chaudières sont de 20 chevaux pour un double appareil el pèsent près de 5000 kilogrammes. Quant aux pulvérisateurs la plus lourde pièce pèse 100 kilogrammes et toutes leurs parties sont renouvelables.
- Des expériences très probantes ont été faites aux États-Unis, à l’aide du nouveau pulvérisateur, car il s’agit encore ici d’une invention américaine. Le système est déjà très répandu de l’autre côté de l’Atlantique, surtout aux mines aurifères et argentifères. Quelques industriels l’ont appliqué à leur fabrication de ciment; ils ont produit une qualité tellement supérieure eu égard à la finesse, que leur
- production a été imposée en maintes circonstances dans des travaux importants. Les usages du pulvérisateur pneumatique peuvent être très nombreux et très importants, et cet appareil si curieux et si puissant doit être considéré comme une invention éminemment intéressante. Gaston Tissandier.
- TENUE A WASHINGTON POUR l’aDOPTION d’üN
- PREMIER MÉRIDIEN UNIQUE
- ET D’UNE
- HEURE UNIVERSELLE
- RÉSUMÉ DE L’ACTE FINAL D’APRÈS LES PROCÈS-VERBAUX DES SÉANCES
- Conformément à une décision spéciale du Congrès, le Président des États-Unis d’Amérique a invité les Gouvernements de toutes les nations avec lesquelles les États-Unis d’Amérique ont des relations diplomatiques, d’envoyer des délégués pour se réunir avec des délégués des États-Unis d’Amérique, à Washington, le 1er octobre 1884, dans le but de discuter, et, si possible, de déterminer un méridien unique propre à servir de zéro commun de longitude et de méridien normal horaire pour tout le globe. Cette conférence internationale s’est réunie aux jour et lieu indiqués et a terminé son travail en huit séances dont la dernière a eu lieu le 1er novembre 1884.
- Vingt-cinq nations ont assisté à la Conférence et pris part aux délibérations, chacune d’elles comptant pour une voix. Voici, par ordre alphabétique, le nom des vingt-cinq nations représentées :
- Allemagne, Autriche-Hongrie, Brésil, Chili, Colombie, Costa-Rica, Espagne,. États-Unis, France, Grande-Bretagne, Guatemala, Hawaï, Italie, Japon, Libérie, Mexique, Paraguay, Pays-Bas, Russie, Saint-Domingue, Salvador Suède, Suisse, Turquie, Vénézuela.
- Voici les résolutions adoptées et, dans chaque cas, les noms des pays qui se sont abstenus ou ont voté contre :
- I. — Le Congrès est d’avis qu’il est désirable d’adopter un méridien initial unique pour toutes les nations, aux lieu et place des méridiens multiples qui existent actuellement. — Résolution adoptée à l’unanimité.
- II. — La Conférence propose aux Gouvernements ici représentés, d’adopter le méridien passant par le centre de l’instrument méridien de l’Observatoire de Greenwich comme méridien fondamental pour les longitudes. — Résolution adoptée par 22 voix. Contre : Saint-Domingue. Abstentions : Brésil, France.
- III. — A partir de ce méridien, la longitude sera comptée dans deux directions jusqu’à 180 degrés ; la longitude est sera dénommée plus et la longitude ouest, moins. — Résolution adoptée par 14 voix. Contre : Espagne, Italie, Pays-Bas, Suède, Suisse. Abstentions : Allemagne, Autriche-Hongrie, Brésil, France, Saint-Domingue, Turquie.
- IV. — La Conférence propose l’adoption d’une heure universelle pour tous les besoins pour lesquels elle peut être trouvée convenable, cette heure ne devra pas empêcher l’usage d’une heure locale ou d’une autre heure normale qui paraîtrait désirable. — Résolution adoptée par 25 voix. Abstentions : Allemagne, Saint-Domingue.
- V. — Le jour universel doit être un jour solaire moyen. Il devra commencer pour le monde entier à partir de minuit moyen du premier méridien, coïncidant avec le commencement du jour civil et le changement de date
- p.82 - vue 86/432
-
-
-
- LA NATURE.
- 83
- sur ce méridien. Ce jour devra être compté de zéro à | vingt-quatre heures. — Résolution adoptée par 14 voix. Contre : Autriche-Hongrie, Espagne. Abstentions : Allemagne, France, Italie, Pavs-Bas, Saint-Domingue, Suède, Suisse, Turquie.
- VI. — La Conférence émet le vœu qu’on fasse commencer les dates astronomiques et nautiques dans le monde entier à minuit moyen aussitôt que faire se pourra. — Résolution adoptée sans vote nominal.
- VU. — La Conférence émet le vœu que les études techniques destinées à régler et à étendre l’application du système décimal à la division des angles et du temps soient reprises de manière à permettre l’extension de cette application pour les cas où elle présente de réels avantages. — Résolution adoptée par 21 voix. Abstentions : Allemagne, Guatemala, Suède.
- Fait à Washington, le 22 octobre 1884.
- Président : C. R. P. Rodgers.
- Secrétaires : R. Strachey, J. Janssen, L. Cruls.
- L’acte final a été approuvé dans la séance du 1er novembre et M. le Président a prononcé la clôture des travaux de la Conférence.
- UTILISATION DES EAUX A PARIS
- Par ce temps de compteurs à eau, les consommateurs seront sans doute bien aises de substituer, dans certains cas, à l’eau de source qui coûte 35 centimes environ le mètre cube, l’eau de l’Ourcq qui coûte moitié moins.
- Il s’agit, bien entendu, d’assurer des services installés à l’entresol ou au premier étage qui représentent à peu près la hauteur maxima où l’eau de l’Ourcq peut monter.
- Supposons un réservoir situé au premier étage à alimenter le plus économiquement possible.
- L’alimentation est généralement assurée par l’eau de l’Ourcq et à défaut de celle-ci par. ’eau de sourceintroduite dans la canalisation de l’eau de l’Ourcq.
- Dans certains cas, l’alimentation se fait simultanément par l’une ou l'autre des deux eaux amenée chacune par une canalisation spéciale et débitées par des robinets à flotteur.
- Le premier moyen est déplorable. D’abord, il condamne le consommateur à surveiller son robinet pour introduire en temps utile l’eau de source dans la canalisation de l’eau de l’Ourcq, ensuite et à moins d’établir des robinets d’arrêt dont la manœuvre toujours ennuyeuse est souvent négligée, lorsque l’eau de source est introduite dans la canalisation de l’eau de l’Ourcq, il arrive que, sa pression étant incomparablement plus élevée que celle de l’eau de l’Ourcq, elle refoule celle-ci, se substitue nécessairement à elle dans toute l’étendue de la canalisation et la remplace même au rez-de-chaussée, d’où résulte une perte au lieu de l’économie recherchée.
- Avec le second moyen on n’obtient qu’une demi-satisfaction. L’eau de source, en effet, arrivant sous une pression plus élevée que l’eau de l’Ourcq, le débit de cette dernière est comparativement nul.
- Voici le moyen d’assurer automatiquement, exclusivement le débit de l’eau de l’Ourcq chaque fois que la pression le permettra ;
- Amener aji réservoir les deux eaux par une canalisation spéciale, mais établir le robinet à flotteur de l’eau de l’Ourcq en contre-haut et le robinet à flotteur de l’eau de source en contre-bas.
- Ges conditions réalisées, qu’arrive-t-il? Tant que l’eau de l’Ourcq est sous une pression suffisante elle remplit le réservoir. Dès lors, le flotteur (eau de source) placé en contre-bas est immergé elle robinet qu'il actionne ne fonctionne pas.
- L’eau de l’Ourcq vient-elle à manquer? Le réservoir se vide, le flotteur (eau de source) est uni à découvert et le robinet qu’il commande entre aussitôt en fonction.
- L’eau de l’Ourcq revient-elle? Elle remplit le réservoir, et, immergé de nouveau, le système eau de source cesse de fonctionner. De la Chapelle,
- Secrétaire du Cercle de l’Union artistique.
- UNE NOUVELLE PENDULE AMÉRICAINE
- L’horlogerie américaine présente essentiellement — comme bien d’autres produits de ce pays — le caractère industriel et commercial qui constitue le signe distinctif d’un peuple chez lequel le temps est de l’argent.
- Faire vite et à bon marché, voilà le principal; faire fini est secondaire. Il ne faut pas chercher ailleurs l’origine de ces produits ingénieux, souvent grossiers de forme, mais toujours pratiques et originaux dont les Américains inondent à chaque instant les marchés du monde entier : outils nouveaux, tirelires singulières, jouets bizarres, etc. La fabrication en grand nombre des objets manufacturés permet de les livrer le plus souvent à un prix fabuleux de bon marché, et dont nous ne pouvons avoir en France qu’une idée bien affaiblie, à cause du nombre assez grand d’intermédiaires qui séparent le consommateur du fabricant, et prélèvent chacun un tant pour cent.
- C’est parmi ces articles américains fabriqués par milliers â l’emporte-pièce que doit figurer la nouvelle pendule dont nous voulons faire connaître le principe à nos lecteurs.
- Elle se distingue de tous les appareils analogues par la forme singulière et originale de son balancier, ou plutôt du système qui sert à maintenir un synchronisme plus ou moins parfait entre le temps écoulé et les indications du cadran.
- Le plus généralement, ce synchronisme est obtenu soit à l’aide d’un pendule à échappement, soit à l’aide d’un balancier ou volant circulaire entraîné par les oscillations d’un ressort d’acier roulé en hélice et auquel on donne le nom de spiral. Le penduleétant généralement assez court, les oscillations sont assez rapides, et l’on doit intercaler entre l’axe de l’aiguille des heures et celui de l’échappement un certain nombre de rouages ou mobiles destinés à réduire la vitesse de cet axe qui ne doit effectuer qu’un tour en 12 heures.
- On a essayé de diminuer le nombre de ces mobiles en cherchant, par des artifices convenables, à réaliser des pendules et des balanciers à mouvement lent. Nous nous souvenons avoir vu à l’Exposition de 1878 une pendule due à un inventeur italien dont le nom nous échappe, constituée par un balancier à
- p.83 - vue 87/432
-
-
-
- 84
- LA NAT U H K.
- torsion dans lequel la phase durait juste une minute. Le but poursuivi par l’inventeur était d’établir un appareil capable de fonctionner plusieurs années sans avoir besoin d’être remonté.
- La pendule américaine représentée ci-dessous, bien qu’elle ait besoin d’être remontée chaque jour, est fondée sur un principe analogue, et la phase du balancier, c’est-à-dire le temps qui sépare deux positions identiques du système régulateur dure dix secondes. Le mécanisme général et la minuterie ne diffèrent en rien des pendules ordinaires : on y trouve toujours le ressort moteur, la minu'e-rie et une série de rouages qui viennent finalement commander un axe vertical que l’on voit au-dessus du socle et dont il s’agit de régler la vitesse. C’est ici qu’intervient le mécanisme original. Cet axe vertical supporte une sorte de potence P à l’extrémité de laquelle est attachée une petite perle légère B à l’aide d’un fil de quelques centimètres de longueur.
- Supprimons pour un instant les autres pièces fixées sur le socle de la pendule. On voit que l’axe, sous l’action du ressort moteur, se mettra à tourner d’un mouvement rapide en entraînant la boule B dans son mouvement.
- Pour ralentir ce mouvement, il s’agit d’intercaler sur son chemin des obstacles convenables : c’est le but de la traverse horizontale terminée par les crochets T et des deux tiges verticales fixées sur le socle. La potence P entraîne le fil dans son mouvement et le fait heurter contre le bras T; elle se trouve alors arrêtée et, en vertu de la vitesse acquise, la boule B fait enrouler le fil autour de la tige de gauche, puis il se produit un déroulement du fil et un enroulement en sens inverse, ce qui permet au fil de dépasser le point T ; mais en se déroulant, il
- se heurte une seconde fois à la tige, s’enroule et se déroule de nouveau sur celte tige et ne peut finalement franchir ce double obstacle qu’après s’être enroulé successivement quatre fois, deux fois dans un sens et deux fois en sens inverse autour de cette tige. Le fil rendu libre permet à la potence de tourner de 180° autour de son axe vertical; après cette rotation elle rencontre deux obstacles analogues placés sur la droite de la pendule — position représentée en B' et en pointillé ; — etmet encore un certain temps avant de franchir ces obstacles et de revenh’ à la tige de droite. En faisant varier convenablement la longueur du fil, ce qui est facile à l’aide. d’un curseur disposé sur la potence P, on obtient que la phase complète du mouvement avec ses huit enroulements successifs du fil, quatre sur la tige de gauche, dure juste dix secondes, et la pendule se trouve réglée, sinon avec toute la précision d’un chronomètre, du moins avec une approximation suffisante pour les besoins j ourna-liers.
- Bien de plus curieux à analyser que tous ces mouvements successifs et réguliers, obtenus à l’aide de dispositions si simples de fonctionnement, mais si compliquées de combinaisons. On se demande comment l’inventeur — inconnu pour nous — de cet appareil original, a pu être conduit à l’imaginer. En dehors de l’intérêt de haute curiosité qu’il présente, le principe, appliqué dans cette pendule pourra être utilisé dans bien des cas où l’on cherche à régler un mouvement de rotation lent par des dispositions simples, économiques et peu encombrantes.
- Nouvelle pendule américaine. ,
- La rotation de l’axe se fait en dix secondes, après quatre enroulements autour de la tige de droite et quatre euroulemeiits autour de la tige de gauche. Ou règle en raccourcissant ou en allongeant le fil auquel la boule de verre B est suspendue.
- rv
- p.84 - vue 88/432
-
-
-
- LA NATURE.
- 85
- CRAPAUD TROUVÉ VIVANT
- DAA’S UNE l’IEHUE
- J’avais souvent entendu raconter par des paysans du Dauphiné des histoires de crapauds trouvés vivants dans des pierres, mais la chose me paraissait si étrange que j’attendais pour me former une opinion d’avoir vu par moi-même ou du moins par les yeux des témoins dignes de foi. Un document authentique qui existe au Musée de Blois m’a conduit à faire quelques recherches sur cc sujet et j’ai pu constater que des faits analogues avaient été constatés, d’une façon positive, une trentaine de fois.
- Voici les principaux par ordre de date :
- D’après Georges Agricola (De animalibus subter-raneis, 1546), on a trouvé, à Imberg et à Mansfeld, des grenouilles dans des pierres si solides qu’on n’y apercevait aucune ouverture apparente quand on les fendait avec des coins. On a trouvé un crapaud à Toulouse dans une pierre meulière.
- Fulgone (De mirabilibus,
- 1565) parle d’un crapaud trouvé à Autun dans des conditions semblables.
- On lit dans les Œuvres d’Ambroise Paré (édition in-folio, p. 664) ; « Estant en une mienne vigne près du village de Meudon, où je faisais rompre de bien grandes et grosses pierres solides, on trouva, au milieu de l’une d’elles, un gros crapaud vif, et n’y avait aucune apparence d’ouverture, et m'emer-veillay comme cet animal avait pu naître, eroistre et avoir vie. Alors le carrier me dit qu’il ne s’en fallait m’emerveillcr parce que, plusieurs fois, il avait trouvé de tels animaux au profond des pierres, sans apparence d’aucune ouverture ».
- Aldovrandi (De testaceis, fol. 81, 1645) cite un crapaud vivant trouvé à Anvers par un ouvrier qui sciait une grosse pierre.
- Richardson écrivait, en 1698, dans son Icono-
- graphie des fossiles d’Angleterre : « Lorsque je vous ai écrit, il y a huit ans, au sujet d’un crapaud trouvé au milieu d’une pierre, moi-même j’étais présent lorsqu’on cassa cette pierre et je fus aussitôt averti par les carriers. J’ai vu cet animal et l’endroit où il était placé. Cet endroit était au milieu de la pierre et celle-ci n’était percée d’aucun trou qu’on put voir à la vue simple. Je me souviens très bien
- que l’endroit où était placé l’animal était plus dur que le reste de la pierre ».
- Bradley rapporte (Acta cru-ditorum, année 1721, p. 370) qu’il a été témoin oculaire de la découverte d’un crapaud dans le cœur d’un gros chêne et qu’on a présenté de son temps à la Société royale de Londres un crapaud trouvé dans une pierre.
- On voit dans VHistoire de l'Academie des sciences (de 1717 à 1751) et dans A philosophical acount de Bradley (1721) quatre autres exemples de crapauds découverts dans de gros troncs d’arbres sans qu’on pût se rendre compte comment ils s’y étaient introduits. En 1760 on trouva dans un mur du Rainey un crapaud que l’on supposa, d’après la date de la construction, avoir été enfermé dans le plâtre une quarantaine d’années auparavant.
- J’arrive enfin au fait le plus récent dont plusieurs témoins oculaires existent encore, notamment la personne qui a fait de l’animal dans sa gangue la photographie que reproduit la figure 1.
- Le 25 juin 1851, trois ouvriers travaillaient à approfondir un puits près de la gare de Blois sur le plateau de la Beauce. Ce puits, creusé depuis deux ans, traversait successivement un banc de marne de 9m,75, un banc de calcaire épais de 6U1,66 et un banc du tuf de 0m,85(fig. 2). Un s’était arrêté à 19 mètres au-dessous du sol, à la partie supérieure d’une couche humide composée d’argile grasse et de silex roulés. C’est en reprenant le travail dans cette couche, et à environ 1 mètre au-dessous de sa face supérieure, qu’ils trouvèrent
- Fig. 1. — Silex fendu en deux, dans l’intérieur duquel on a trouvé un crapaud vivant. (D’après une photographie.)
- Terres T>éÿétciZ& IVP&y
- Depot, de; marrie'-.. y3
- Sablesnruoes-.......or»v28
- 7hf:....r............o?ûâ
- ^ ^ °G' Argiles. qra&iej\?et'silea>
- 1 ig. 2. — Coupe du terrain et du puits au fond duquel on a trouvé le silex représenté ci-dessus.
- p.85 - vue 89/432
-
-
-
- 86
- LA NATURE.
- un silex assez gros qu’on fut obligé de frapper à l'orifice du puits pour le dégager du baquet qui l’avait monté. Le silex frappé se fendit en deux portions presque égales : entre les deux fragments d’une pâte homogène et sans vides, se trouvait une sorte de géode incrustée d’une légère couche de matière calcaire. Dans cette cavité était un gros crapaud qui chercha à fuir, mais les ouvriers le saisirent et le replacèrent dans son logement. 11 s’y blottit aussitôt en s’y plaçant de manière à le remplir complètement ; les deux parties du silex furent rapprochées ; elles s’adaptèrent avec exactitude et l’animal s’y trouva renfermé comme dans une boîte.
- On entoura alors ce singulier caillou de gravats humides et on le laissa ainsi enterré sur place, sans y attacher d’importance, jusqu’au 27 juin époque à laquelle on l’apporta en ville pour le tnontrer à M. Mathonet qui le présenta à la Société des sciences et lettres de Blois. La Société nomma une Commission ; la Commission fit une enquête et on daguerréo-typa l’animal.
- On constata que le crapaud appartenait à la variété assez commune en France, du Bufo viridis ou variabitis; il pesait 15 grammes et avait 0m,052 de la bouche au cloaque. Il remplissait complètement en largeur la cavité qui était exactement moulée sur la partie inférieure de son corps, mais laissait un certain jeu sur son dos; son museau se trouvait légèrement encastré dans le fragment inférieur. Quand on enlevait avec précaution la partie supérieure il ne cherchait point, dans les premiers temps, à quitter son logement; mais, au bout de quelques jours, il se sauvait dès qu’il sentait l’action de Pair et courait assez rapidement en soulevant le tronc tout à la fois sur ses quatre pattes. Quand on le replaçait sur la partie plane de la cassure, il allait de lui-même se blottir dans la cavité en arrangeant ses membres de façon à ne pas être blessé par la superposition du couvercle.
- On le conservait enfermé dans son silex entouré de mousse mouillée au fond d’une cave ; on ne le vit jamais manger et on ne constata aucune déjection.
- Le 8 juillet il changea de peau.
- Le 21 juillet, le Dr Monins, membre de la Société, le présenta à Paris à l’Académie des sciences, où il fut examiné par une Commission composée de MM. Elie de Beaumont, Flourens, Milne Edwards et Dumeril. Ce dernie^ lut, dans la séance du 4 août 1851, un rapport très complet et très affirmatif dans lequel ont été puisés la plupart des renseignements qui précèdent; ce qui n’empêcha point certains académiciens de manifester leur crainte d’être victimes d’une mystification, comme pour le phonographe. *
- Le pauvre animal ne survécut pas longtemps à son triomphe; une semaine après, il perdait encore une fois le jour et cette fois pour jamais.
- Le fait de la découverte d’un animal vivant dans
- l’intérieur d’une pierre où il ne pouvait recevoir ni air ni nourriture, si ce n’est peut-être en quantité infiniment petite à l’aide de fissures invisibles à l’œil nu, me paraît suffisamment démontré par les témoignages que j’ai rapportés ; il reste à savoir comment l’animal avait pu pénétrer au milieu de cette pierre.
- Y est-il arrivé à l’état de germe microscopique, par une fissure que l’on n’a pas su voir, pour s’y développer ensuite au point d’arriver à la taille ordinaire d’un individu adulte, malgré le régime plus que sobre auquel il était condamné ?
- A-t-il été au contraire surpris, il y a des milliers d’années, par un bouleversement du sol et confit, pour ainsi dire, dans une enveloppe gélatineuse où sa vie a été suspendue comme on suspend le mouvement d’une montre?
- Je ne vois que ces deux hypothèses ; toutes les deux sont extraordinaires, c’est-à-dire qu’elles supposent des événements qui ne se produisent pas ordinairement, mais ni l’un ni l’autre ne sont absolument invraisemblables i, en ce sens qu’elles ne contredisent aucune des vérités primordiales, aucun des faits certains. Il est donc sage de choisir entre les deux celle en faveur de laquelle militent des observations analogues.
- Or, on ne connaît, je crois, aucun exemple d’animal ayant pu vivre et croître dans des conditions semblables2. Des expériences directes ont, au contraire, été faites par Hérissant (de l’Académie des sciences) sur l’invitation du duc d’Orléans à propos du crapaud trouvé dans le mur du Rainey : des crapauds ont été enfermés, sans préparation, dans du plâtre et plusieurs y ont été retrouvés vivants au bout de dix-huit mois; en 1822, Seguin l’aîné, correspondant de l’Académie des sciences, et en 1824, Will. Edwards reprirent avec succès les essais de Hérissant.
- Quelques-uns des crapauds de M. Seguin moururent, mais l’un d'eux fut retrouvé vivant au bout d’une dizaine d’années. Le plâtre était exactement moulé sur lui et il en remplissait toute la cavité. « Au moment où je brisai le plâtre, dit M. Seguin, il s’élança pour sortir de son étroite prison, mais il fut retenu par une .de ses pattes qui restait engagée. Je brisai cette partie du plâtre, et'l’animal s’élança à terre et reprit ses mouvements habituels, comme s’il n'y avait eu aucune interruption dans son mode d’existence5. »
- Le phénomène si remarquable de la suspension de
- 1 Voy. à ce sujet un très remarquable article de M. Ch. Richet, dans la Revue philosophique (décembre 1884).
- 2 On pourrait supposer que, le puits de Blois ayant été creusé jusqu’à la couche de silex roulés deux ans auparavant, c’est depuis cette époque que l’animal avait pu s’introduire dans la géode, mais est-il admissible que les infiltrations aient pu amener, dans une période aussi courte, assez de matières nutritives pour transformer le germe ou têtard microscopique en un animal pesant 15 grammes? Je ne le pense pas.
- 3 Lettre de M. Seguin à M. Mauvais (Comptes rendus de
- l’Acad. des sc., année 1851, p. 300). *•
- p.86 - vue 90/432
-
-
-
- LA NATURE.
- 87
- la vie n’est du reste point spécial aux batraciens; on le retrouve, à des degrés divers, à tous les degrés de l’échelle animale depuis l’infusoire jusqu’à l’homme. C’est ce que je me propose de montrer dans un prochain article. A. de Rochas.
- BIBLIOGRAPHIE
- Le livre de la Ferme et des Maisons de campagne, par M. T. Joigneaux. Nouvelle édition entièrement refondue. Cette nouvelle édition paraît par livraisons. Elle formera 30 livraisons environ de chacune 64 pages avec couverture imprimée. Il paraît une livraison le 1er et le 15 de chaque mois à partir du lor décembre. L’ouvrage sera complet fin février 1885. — Paris, G. Masson.
- Traité de paléontologie pratique. Gisement et description des animaux et des végétaux fossiles de la France, par Stanislas Meunier. 1 vol. in—18, avec 815 gravures et deux cartes géologiques. — Paris, J. Rothschild.
- Les Roches. — Description et analyse au microscope de leurs éléments minéralogiques et de leur structure. Gisements, Emplois,par Ed. Jannetaz. 2e édition. 1 vol. in-18,avec 2 cartes et 215 gravures et planches. — Paris, J. Rothschild.
- Construction des réseaux électriques aériens en fil de bronze siliceux. Lignes télégraphiques, téléphoniques, transport de force, lumière électrique, par Henry Yivarez. 2e édition. 1 vol. in-8°. — Paris, J. Michelet, 1885.
- LE CHEMIN DE FER ET LE PORT
- DE LA RÉUNION (Suite et fin. — Voy. p. 27.)
- En même temps que se poursuivait tout autour de l’île de La Réunion la construction du chemin de fer dont nous avons parlé dans un précédent article, des travaux gigantesques étaient entrepris pour la création du port de la Pointe-des-Galets. L’emplacement choisi, situé à la partie occidentale de l’île, présente de nombreux avantages. Les vents alisés qui viennent du sud-est n’atteignent pas, en effet, ce point qui se trouve abrité par les hautes montagnes du massif central de l’île. La plaine des Galets est aussi relativement à l’abri des cyclones, qui abordent en générai La Réunion à l’est-nord-est. Cette plage, sorte de delta, est formée par les accumulations depuis des siècles de débris de roches roulés par la rivière des Galets, à une hauteur moyenne de 5 à 6 mètres au-dessus du niveau de la mer. Dans la partie choisie pour le creusement du port, elle s’abaisse vers le large en une pente d’abord assez douce, mais qui devient très raide au delà des fonds de 10 à 12 mètres, ce qui est une sérieuse garantie contre les ensablements que pourrait faire craindre l’apport d’alluvions nouvelles. Enfin la pointe des Galets se trouve presque au milieu de la ligne du
- chemin de fer que nous avons décrit, parfaitement située par conséquent au point de vue du transport des marchandises d’importation et d’exportation. Creusé entièrement dans le sol de la pointe des galets, partie à bras d’hommes, mais pour la plus grosse part au moyen de puissants engins mécaniques, excavateurs et dragues, le port comprend un avant-port de forme carrée communiquant avec la mer par un large chenal qu’abritent deux jetées, un bassin intérieur rectangulaire et deux bassins plus étroits auxquels on a donné le nom de rues, perpendiculaires à ce bassin intérieur. Il comprendra en outre une cale pour la réparation des navires, des magasins docks, des ateliers importants, des estacades de débarquement avec grues à vapeur, etc. Les jetées qui protègent l’entrée du port ont la forme d’arcs de cercle de 250 mètres de rayon; elles s’avancent vers le large jusque dans des fonds de 15 mètres, et laissent entre leurs musoirs une ouverture libre de 100 mètres. Pour quiconque connaît les tempêtes de l’Océan Indien, la violence des raz de marée et des cyclones, la constitution de ces jetées apparaîtra comme un ouvrage bien hardi, une véritable construction digne des géants. Les blocs artificiels dont sont faites ces jetées atteignent des poids de 110 à 120 tonnes, et si l’on songe que ces blocs ont été maçonnés à une certaine distance des jetées, puis conduits et rangés méthodiquement, régulièrement en place pour former une véritable maçonnerie appareillée, et non jetés pêle-mêle en opus incertum comme il avait été fait jusqu’ici pour la plupart des jetées, on ne s’étonnera pas qu’il ait fallu créer un matériel spécial, tout nouveau, et qu’on ait donné le nom de Titan à l’énorme grue roulante capable d’opérer la pose de ces blocs. On a commencé par construire sur la terre ferme une amorce ou enracinement de la jetée, puis on a posé successivement des tranches de maçonnerie formées des énormes blocs artificiels en béton de ciment dont nous venons de parler, juxtaposés pour former une largeur de 40 mètres à la base, de 15 mètres en couronnement et superposés en nombre de plus en plus grand à mesure qu’on avançait vers le large, et que la profondeur allait par suite, en augmentant. Voici comment chaque bloc venait se poser, mathématiquement pour ainsi dire, à la place qui lui avait été d’avance assignée. Tous les blocs, les uns trapézoïdaux, les autres en forme de parallélipipèdes rectangles, étaient construits par files sur un immense chantier desservi par des bétonnières mécaniques, des grues à vapeur, et un chemin de fer pour l’approche des matériaux. Au-dessus de chaque file de blocs on pouvait faire circuler une grue roulante, assez analogue comme forme à celles qui servent dans nos gares au déchargement des wagons de pierre de taille, mais bien plus puissante, construite entièrement en fer, et soulevant chaque bloc tour à tour au moyen de deux puissantes presses hydrauliques. Le bloc ainsi soulevé, cet appareil bardeur se mettait en marche
- p.87 - vue 91/432
-
-
-
- 88
- LA NATURE.
- sur une double file de rails régnant tout le long de chaque rangée de blocs, et venait déposer l’énorme masse (les plus légers pesaient 50 tonnes, soit environ le poids d’une locomotive avec son tender, les plus lourds 120 tonnes) sur un truck muni de 2G roues qui conduisait alors ce bloc jusqu'à la jetée poulie porter au Titan. Le Titan se compose d'une sorte de grande poutre tubulaire, de 5 mètres de hauteur, de 45 mètres de long, portée au milieu de sa largeur sur le piston d’une presse hydraulique.
- Sur les poutres supérieures circule' un chariot roulant muni de treuils à chaînes galle, et capable de se mouvoir depuis l’arrière du Titan, où il vient accrocher le bloc amené par le truck, jusqu’à l’avant de l’énorme poutre, qui surplombe la mer devant la partie déjà achevée de la jetée.
- Le Titan tout entier et portant Je bloc représente un poids de 550 tonnes. Cette masse énorme est soulevée par la presse hydraulique centrale, et tourne sur son piston
- comme sur un pivot pour venir déposer le bloc suspendu au chariot roulant supérieur et le mettre en place à la mer dans la tranche de maçonnerie
- en cours d’exécution. Chaque tranche achevée, le Titan s’avance lui-même, au moyen de roues en acier roulant sur de gros rails. Un cyclone ou un raz de marée violent vient-il à surgir au cours du travail, le Titan tout entier recule le long de la portion de jetée qu’il a déjà construite, et vient se mettre à terre sur l’amorce de la jetée, à l’abri des vagues furieuses.
- La jetée sud a été terminée à la fin de 1881 ; la jetée nord est achevée depuis 1882 ; depuis cette époque, et même pendant leur construction, ces jetées ont eu à subir les assauts répétés de plusieurs cyclones et de raz de marée formidables ; leur solidité et l’excellence des principes de leur construction ont été affirmées par la façon victorieuse dont elles ont résisté à ces coups de mer dont les plus violentes tempêtes d’Europe ne peuvent donner une idée.
- Pamte des Galets
- Fig. 1. — Plan du nouveau port de la Poiute-des-Galets. (Ile de la Réunion.)
- Fig. 2. — Construction du port de la Réunion. — Chantiers des blocs.
- Pendant que se construisaient les jetées on avait commencé à creuser le port; lorsque l’achèvement des jetées permit d’ouvrir une communication entre la mer et le bassin d’avant-port en cours de creu-
- sement, les dragues, montées et mises à l’eau dans ce bassin se mirent à creuser le chenal, et une flottille de chalands porteurs ou gabarres, conduite par des remorqueurs, ne cesse, depuis cette époque, de
- p.88 - vue 92/432
-
-
-
- LA NATURE
- 8!)
- conduire en pleine mer les déblais fournis par les puissantes dragues à vapeur qui poursuivent et achèveront en 1885 le creusement du port tout entier. Ces dragues sont munies de godets en acier dont la
- contenance atteint -450 litres; leurs machines développent une force de cent cinquante chevaux-vapeur et les dimensions de leurs organes leur permettent de creuser le sol à 0 mètres de profondeur au-des-
- Fig. 5. — Chenal d’entrée du port de la Réunion. — Titan, ou machine à poser les blocs.
- sous du niveau de l’eau. Pour déraser le sol jusqu’au niveau de l’eau on a fait usage d’excavateurs du type dit américain, constitués par un énorme godet ou
- cuiller d’une capacité d’un mètre cube, fixée à l’extrémité d’un bras mobile actionné par une machine à vapeur; le tout, porté sur un chariot métallique qui
- tig. 4. — Port Je la Réunion. — Vue intérieure de la jetée nord, montrant la disposition des blocs. (D’après des photographies.)
- avance le long de la tranchée à mesure du travail. Avec tous ces engins mécaniques constituant un matériel très considérable, la Compagnie concessionnaire espérait légitimement pouvoir terminer le port en 4883.
- Malheureusement la rencontre, dans le creuse-
- ment de l’avant-port, d’un amas compact de galets denormes dimensions (quelques-uns atteignent et dépassent un mètre cube) et barrant presque tout l’avant-port, a notablement retardé les travaux. Mais à des difficultés nouvelles on oppose des procédés nouveaux ; des appareils à air comprimé, véritables
- p.89 - vue 93/432
-
-
-
- 90
- LA NATURE.
- cloches à plongeurs de dimensions considérables (110 mètres carrés de surface chaque) ont été expédiés l’automne dernier pour l’enlèvement de ce mur de galets que du reste les dragues sont parvenues à franchir, en s’aidant de la dynamite pour désagréger cette sorte de poudingue, et l’année 1885 verra certainement entrer les navires dans leport de la Pointe-des-Galets. Nos marins ne seront plus dès lors à la merci des cyclones, et notre belle colonie, mise en possession de l’outillage indispensable qui avait jusqu’ici fait défaut à son commerce, pourra soutenir victorieusement la lutte pour l’existence et voir refleurir son ancienne prospérité.
- P. Regnard.
- LE DOUNDAKÉ ET LA DOUSDAKINE
- t
- Par MM. Eu. Heckel et Fn. Schlagdenhauffen.
- Le Doundaké, ou Quinquina africain, est une écorce fournie par une rubiacée de la tribu des Naucléés du nom de Sarcocephalus esculentus Afz., arbre très répandu sur la côte occidentale d’Afrique depuis la Sénégambie jusqu’au Gabon. Ses propriétés toniques, fébrifuges et astringentes sont mises à profit par les indigènes de temps immémorial, mais c’est à peine si le produit est connu en Europe depuis 18761, Sa supériorité comme drogue ou comme matière tinctoriale a attiré l’attention des savants et, en 1883, MM. Marcus, Bochefontaine et Feris (Comptes rendus de VAcad, des Sciences, 28 juillet 1883), l’ont étudié au point de vue chimique et physiologique.
- Ces auteurs ont signalé dans le Doundaké la présence d’un alcaloïde, la Doundakine, caractérisé par son alcalinité, sa forme cristalline rhomboïdale, la propriété de précipiter au contact des iodures doubles et des phosphomo-lybdate et phosphotungstate de sodium, enfin parla production de phénomènes cataleptiques particuliers sur la grenouille et le cobaye à très faible dose (Ogr., 03).
- Tout en confirmant de tous points la partie physiologique du travail de ces auteurs, nous n’avons pu établir la nature alcaloïdique du principe actif. En effet, après épuisement préalable des corps gras et d’une certaine quantité de matière colorante de l’écorce au moyen de l’éther de pétrole et du chloroforme, nous obtenons, par l’action de l’alcool, un extrait qui contient deux principes colorants jaunes, différents quant à leur solubilité dans l’eau et l’alcool, et un troisième, brun kermès, insoluble dans l’alcool et l’eau, mais soluble seulement dans la potasse. Les deux premiers, en solution aqueuse, simulent en tous points les propriétés d’un alcaloïde puisqu’ils précipitent par les iodures doubles et les phosphomolybdate et phosphotungstate de sodium ; mais comme tous deux précipitent également par l’acide chlorhydrique, ils ne sauraient constituer en aucune façon des bases organiques. Ils sont d’alleurs azotés et ont pour formule
- > C28II19,N013 et C19II16N09.
- En suivant le procédé opératoire indiqué par les auteurs du mémoire cité plus haut, consistant à faire bouillir l’écorce dans l’eau aiguisée d’acide sulfurique, à ajouter un excès de chaux au liquide filtré et à épuiser le magma desséché par de l’alcool, nous avons obtenu un extrait
- 1 Coerre, Flore et faune du Rio Nunez, le décrivit sans le déterminer. (Archives de médecine navale, t. XXVI, 1876.)
- alcoolique dans lequel le microscope révèle, il est vrai, des traces d’un composé cristallin (tables carrées et non rhomboïdales), constitué par du chlorure de sodium. Cet extrait est soluble dans l’eau, non en totalité, ce que n’indiquent pas les auteurs : la solution aqueuse précipite par les réactifs des alcaloïdes, mais elle précipite également l’acide chlorhydrique. Or, comme ce liquide résultant de l’action de l’acide sur l’extrait, ne fournit plus de précipité par les iodures doubles, les phosphomolybdate et phosphotungstate de sodium, il s’ensuit que la substance en question ne doit pas être envisagée comme une base organique.
- L’amertume de l’écorce de Doundaké n’est pas due à un alcaloïde, mais à deux matières colorantes jaunes distinctes, de nature azotée.
- Ces matières colorantes abondantes et d’un beau jaune, méritent toute l’attention des industriels qui s’intéressent à l’art du teinturier, comme elles doivent fixer celle du médecin clinicien en raison de leur action physiologique.
- LE TREMBLEMENT DE TERRE
- DE L’ANDALOUSIE
- Vers lafm de novembre 1884, plusieurs secousses de tremblements de terre ont été ressenties dans le sud-est de la France et en Italie1. Un mois après, à partir du 25 décembre, des tremblements de terre d’une intensité considérable ont eu lieu dans le midi de l’Espagne, exerçant de véritables ravages dans différentes régions de l’Andalousie.
- Notre collaborateur M. A.-F. Noguès, ingénieur des mines, actuellement en résidence à Séville, nous a écrit sur les observations qu’il a faites a ce sujet, l’intéressante lettre que nous reproduisons :
- Le jour de Noël, 25 décembre 1884, à neuf heures moins sept minutes du soir (heure de Madrid), un tremblement de terre assez intense s’est fait sentir à Séville. Il y a eu deux secousses séparées par un intervalle de quelques secondes; la première secousse a duré 7 à 8 secondes ; les portes et les fenêtres étaient en trépidation, les lampes suspendues au plafond faisaient de larges oscillations, le fauteuil sur lequel j’étais assis, exécutait de petits mouvements rapides de droite à gauche, les meubles tremblaient, les murs semblaient se rapprocher. Un bruit violent comme celui d’un grand vent arrivé brusquement se faisait entendre au dehors ; tout tremblait dans la maison comme si une lourde cavalerie passait dans la rue. Aussitôt toutes les portes et les fenêtres s’ouvraient et les habitants de Séville descendaient effarés dans la rue ou, affolés, appelaient les voisins au secours, Les habitués du théâtre San Fernando quittaient brusquement leurs places et les chanteurs qui chantaient Un Ballo m maschera s’arrêtaient épouvantés ; tous les cafés et lieux publics se vidaient subitement et en certains endroits on sautait par les balcons. La seconde secousse a été un peu moins intense que la première et a duré de 5 à 6 secondes ; le mouvement vibratoire du sol semblait avoir une direction est-ouest; il se rapprochait de la ligne de dislocation des roches pyrogènes (pyrogéno-am-phiboliques) récentes de la Sierra Morena (tertiaires supé-
- 1 Voy. 11e 605 du 3 janvier 1885, p. 77.
- p.90 - vue 94/432
-
-
-
- LA NATURE.
- 91
- rieures). Les 22 et 23 décembre le vent du Nord-Est soufflait ; "ie 24 le vent a tourné au sud et la pression s’est considérablement abaissée; la journée du 25, vent Sud, a été pluvieuse, dans la soirée, le ciel s’était un peu éclairci, mais la diminution de pression persistait et le vent était toujours au sud. Quelques édifices ont été lézardés; une salle de l’hôpital a été crevassée, le café des Empereurs a souffert quelques avaries, à la ealle de las Sierpas une maison a été fendue dans toute sa hauteur.
- Des secousses ont été ressenties au même moment dans tout le midi de l’Espagne; les dépêches officielles disent même qu’il y a eu le 26 et le 27 décembre de nouvelles trépidations ; les désastres ont été terribles et ont pris les proportions d’une calamité publique.
- Dans tout le midi de l’Espagne, on a remarqué, le 25, une baisse rapide du baromètre et une élévation de la température. Après le tremblement, au contraire, le baromètre a eu pendant 48 heures de très fréquentes oscillations et le temps est devenu froid.
- Le phénomène semble avoir eu le plus d’intensité dans la partie montagneuse des provinces de Grenade, de Malaga et de Jaën où les petites villes, les villages, les fermes et les églises, peu solidement construits, ont beaucoup souffert.
- Contrairement au bruit qui a couru, l’Alhambra de Grenade et la plupart des monuments de cette ville ont échappé à toute atteinte. Ce qui a accru la panique à Grenade, c’est le récit des ravages que le phénomène a causés dans toutes les petites villes et dans les bourgades des sierras de la province.
- A Malaga, la consternation a été tout aussi grande qu’à Grenade. A la première secousse, on se lança vers les rues et les promenades et l’on passa la nuit dehors par crainte de nouvelles secousses.
- A Cordoue, le tremblement de terre a été accompagné par des bruits sourds ; à minuit, ainsi qu’à quatre heures trente minutes du matin, on a ressenti deux nouvelles secousses. A Xérès, on a constaté plusieurs oscillations ; les cloches des églises se mirent à tinter d’elles-mêmes.
- A Cadix, comme dans les deux autres tremblements de terre qu’on a ressentis dans cette ville depuis cinq ans, les secousses ont été moins vives dans certaines rues que dans d’autres.
- Depuis quelques semaines, il s’était produit de légères secousses en Portugal, en Galice d’Espagne et dans le Midi même, mais point avec les conséquences déplorables qui ont marqué la nuit du 25 décembre dans les provinces de Grenade et de Malaga.
- En somme, dans les deux provinces de Grenade et de Malaga, le chiffre des morts reconnu à la première heure était de 583 ; mais le nombre de gens ensevelis et non encore retirés des débris est, selon les dépêches officielles, plus considérable, et il y a beaucoup de blessés.
- Les pertes matérielles, maisons et édifices publics, sont immenses.
- Notre savant collaborateur, M. Noguès, s’est mis en campagne, pour explorer les régions dévastées, recueillir des documents précis, et dresser des cartes géologiques des régions atteintes. Nous publierons ces documents dans notre prochaine livraison.
- — A suivre. —
- LE TREMBLEMENT DE TERRE D’ISCHIA
- DU 28 JUILLET 1885
- Rapport de la Commission.
- A la suite du tremblement de terre qui dévasta l’ile d’ischia en juillet 1883, une Commission d’étude composée de MM. P. Cornetto, inspecteur du génie civil, G. D. Malvezzi, inspecteur en chef et F. Giordano, inspecteur du Corps des mines, fut chargée par le gouvernement italien de résumer les observations précises qui avaient pu être faites pendant le cataclysme, et de donner des indications relatives aux moyens préventifs pour l’avenir. Cette Commission, qui a terminé un long et intéressant mémoire avait pour premier et principal mandat de déterminer sur les lieux les dispositions prohibitives que l’on pourrait adopter et imposer, soit par un règlement, soit par une loi, aux personnes qui voudraient construire de nouveaux édifices ou restaurer les anciens, dans les communes de l’île éprouvées par le tremblement de terre ; elle pouvait aussi présenter toutes les observations et propositions qu’elle jugerait opportunes. Il fut recommandé à cette Commission d’examiner de près, au point de vue des réédifications, les usages et les besoins de la population, afin de pouvoir déterminer les formes et les qualités des constructions qu’il conviendrait le mieux de prescrire, en tenant compte des garanties de sécurité qu’elles devront présenter contre le retour probable de tremblements de terre et de la manière dont elles pourraient être disposées.
- La plupart des recommandations faites par la Commission dont nous avons sous les yeux le Rapport, ont un intérêt presque purement local, et nous n’en parlerons pas à nos lecteurs; mais nous emprunterons à ce grand et remarquable travail quelques faits précis qui compléteront les renseignements que nous avons antérieurement publiés l.
- » Le tremblement de terre du 28 juillet 1883 dans l’île d’ischia a fait 3075 victimes dont 2513 morts (y compris les personnes décédées dans les hôpitaux de Naples) et 762 blessés, non compris les contusionnés. Pour ce qui est des habitations, elles furent presque complètement détruites à Casamicciola où il n’est resté sur pied que le cinquième des maisons, elles furent toutes plus ou moins endommagées, et une seule resta intacte au milieu des ruines : c’est la maison Russo à la plage dite de Perrone. Il y avait avant la secousse 672 habitations à Casamicciola ; il y en eut 537 de détruites de fond en comble, et sur 4500 habitants il y en eut 1784 de tués. C’est dans cette localité, où la catastrophe se fit sentir dans toute son intensité.
- Dans la ville d’ischia, au contraire, ainsi que sur son territoire, à la partie orientale de l’île, et bien qu’il s’y fût produit de fortes secousses, il n’y eut ni victimes ni bâtiments détruits, mais seulement
- 1 Voy. n° 535 du 18 août 1883, p. 182.
- p.91 - vue 95/432
-
-
-
- 92
- LA NATURE.
- quelques maisons légèrement endommagées. Cette immunité relative est due à des conditions spéciales, principalement géologiques, dont ont aussi profité d’autres points des régions frappées et où les dommages furent très légers.
- La destruction produite par le tremblement de terre n’a pas été limitée aux habitations, mais s’est étendue notablement aux murs de soutènement des vignobles établis en degrés sur les flancs de la montagne et dont plusieurs longent les chemins de communication. Iles pluies torrentielles succédant à courts intervalles au tremblement de terre, entraînèrent les terres qui n’étaient plus maintenues et augmentèrent énormément l’importance des dommages qui frappaient ces populations déjà privées instantanément de leurs habitations. Plus de 9500
- personnes trouvèrent un refuge temporaire dans les 700 baraques environ, couvertes de fer ondulé, que le gouvernement fit construire, et elles les occupent encore en attendant naturellement d’autres dispositions définitives.
- Les personnes qui ont parcouru l’endroit où fut Casamicciola et spécialement cette zone où les habitations furent le plus bouleversées, trouvèrent la réalité plus cruelle qu’elles ne s’y attendaient. Ces quartiers furent presque entièrement nivelés jusqu’à terre. Les débris des fortes murailles des églises étaient couchés sur le sol mélanges à ceux des plus humbles habitations.
- De si tristes conditions engageraient la population à émigrer vers les zones moins dangereuses de Pile; mais d faut faire attention que ces sites sont les plus
- jPf* Comacahie
- Kestituta.
- ^Wpco Amemo
- I.DE PROCIDA
- i£JPfe&tandù>las
- I.DE VIVARA,
- ISCHIA
- ITitfbetargùes de tKpomeo Tufi et scories du rêsùuU
- énesplus dangereuses
- ooirincs dasfractures
- O Sources thermales
- I localités à choisir pOirr 1 les nouveaux:groupes
- estaccï
- lignes supposées
- CS Çuartùr- do baraques
- Ile d’Isehia. — Carte géognostique sismique du tremblement de terre de 1883, dressée par la Commission italienne.
- fertiles et les plus escarpés, et qu’une population industrieuse, par un travail immense, les ont recouverts de vignobles et d’arbres fruitiers jusque dans les derniers endroits accessibles. Pourra-t-on prétendre qu’ils les abandonneront pour aller sur d’autres zones généralement pierreuses et stériles? Mais l’amour du sol natal est tellement vif et opiniâtre, surtout chez les habitants des régions volcaniques sujettes à des tremblements de terre, qu’il faudrait absolument une loi rigoureuse pour empêcher de graves imprudences.
- L’examen des conditions géologiques de ces régions permettra surtout d’indiquer quelques règles opportunes pour le choix des sites où seront établis les centres d’habitation ; de plus, des mesures convenables de l’autorité, aujourd’hui très négligées dans ces localités, permettront de prévenir au moins la destruction des vies humaines. A moins donc de
- mouvements terrestres tout à fait extraordinaires et de beaucoup supérieurs à celui survenu en dernier lieu, les études que l’on entreprendra auront ce résultat utile d’éviter les dommages et en tout cas de les alléger grandement.
- Nous joignons aux renseignements qui précèdent la reproduction de l'intéressante carte géologico-sismique, qui est jointe au Rapport de la Commission italienne. Elle donne l’indication des zones principalement exposées aux tremblements de terre, des principaux points ravagés et des zones particulièrement dangereuses dans le voisinage des fractures de terrain. Elle offre enfin quelques renseignements géologiques qui en font un document utile à faire connaître dans l’intérêt de l’histoire de la sismologie terrestre. G. T.
- p.92 - vue 96/432
-
-
-
- LA NATURE.
- 93
- LE « FORÇAGE » DES LILAS
- Depuis quelques années seulement nous admirons en plein hiver, chez les fleuristes de Paris, de superbes bouquets de lilas blancs, de boules de neige et de roses. Nos tables en sont ornées le jour des réceptions amicales, ils contribuent aussi à l’ornement des fêtes de baptêmes, de mariages et remplacent souvent les bonbons au lor janvier. La consommation de ces fleurs est énorme et elle augmente encore de jour en jour. Peu de personnes savent ce-
- pendant où se fait leur culture; c’est dans la banlieue de Paris qu'on s’en occupe.
- Les deux plus importantes exploitations sont celles de M. Moynct, à Montrouge, et de M. Delaunay, à Montreuil-sous-Bois.
- J’ai eu l’occasion de visiter l’établissement de M. Delaunay il y a quelques jours, et grâce à l’obligeance de son aimable propriétaire j’en ai vu tous les détails et reçu de lui tous les renseignements.
- Les pieds de lilas employés sont de l’espèce dite de Marly aux belles teintes violettes, qu’ils doivent perdre entièrement dans l’obscurité des serres. Ils
- sont d'abord plantés dans de vastes pépinières à Vitry et y séjournent jusqu’à l’àge de six à huit ans. Au bout de ce temps on les transporte avec leur motte à l’usine de M. Delaunay où ils sont gardés de 2 à 6 mois sous des hangars. C’est pendant cet intervalle qu’on les coupe, au fur et à mesure qu’on les replantera dans la serre. Cette besogne est délicate et demande une grande expérience, car à ce moment Jes bourgeons sont à peine formés et il faut cependant ne garder que ceux qui devront donner des fleurs. Sur une motte, le jardinier ne coupera que quelques tiges à peine; sur une autre, il ne devra garder qu’une seule branche de tout l’arbrisseau.
- La serre principale dans laquelle sont plantés les lilas, a environ 50 mètres de longueur sur 7 de
- largeur et 3m,5û environ de hauteur. Les autres, de plus petite dimension, sont toutes creusées dans le sol ; une demi-obscurité y règne ; la toiture, divisée par travées, est faite de châssis vitrés recouverts d’un épais lattis.
- Le sol de la serre est formé de terre ordinaire sans fumier. Tout autour des murs intérieurs, sont posés des tuyaux pour le chauffage à l’eau chaude nécessaire au développement des plantes.
- Cette installation est admirablement faite et si l’on comptait toutes les serres réunies de M. Delaunay, il n’y aurait pas moins de deux kilomètres de ces tuyaux de chauffage.
- Les lilas doivent pousser à une température constante de 30 à 35° en moyenne. Le jour, lorsqu’il ne
- p.93 - vue 97/432
-
-
-
- 94
- LA NATURE.
- gèle pas, on lève légèrement les châssis vitrés pour renouveler l’air pendant deux heures seulement.
- La plantation des pieds de lilas s'exécute dans la serre, par travée, de deux jours en deux jours, afin de diviser les époques de la cueillette. Les mottes des arbrisseaux sont à peine enfoncées dans le sol et leur développement complet est si rapide qu’en vingt jours seulement, on peut faire la récolte des bouquets. La vue de la serre à ce moment est vraiment charmante. C’est une forêt parfumée de lilas d’une blancheur éblouissante, leurs grappes légères et floconneuses font le plaisir des yeux.
- Dans la serre une opération assez pénible est à faire vers le milieu de la croissance des bourgeons. Les jardiniers doivent couper tous ceux qui ne portent pas de fleurs afin de donner à celles-ci toute la force possible. Dans cette chaleur de 55° ils travaillent très légèrement vêtus. Ils doivent aussi arroser les plantes à la lance dont le bout est armé d’une pomme d’arrosoir. Les insectes ne sont pas à craindre, cependant quelquefois un hanneton arrive à naître; il est vite aperçu et c’est à peine s’il a pu avoir le temps de goûter aux bourgeons des lilas, que ses jours sont achevés.
- L’exploitation de cette culture dure dix mois, de septembre à juillet. M. Delaunay sacrifie environ deux cent mille pieds de lilas dans son établissement; avec les autres horticulteurs on peut en compter un million. Après avoir subi le chauffage ces lilas ne sauraient plus que végéter et mourir.
- Pour la culture des boules de neige, le chauffage est aussi de 30° à 35° en moyenne ; il faut le même soin que pour les lilas mais le développement de cette fleur est plus lent ; elle doit rester en serre six semaines. Quant aux rosiers, deux mois de chauffage de 15 à 16° sont suffisants.
- A l’occasion des fêtes du jour de l’an, la consommation des bouquets de lilas est énorme. Les horticulteurs de Paris en fournissent environ 12 000. On fait aussi des expéditions en Angleterre, en Belgique, en Russie : quatre à cinq cents bottes par semaine.
- Les Halles centrales sont le point de départ de la vente des lilas. Vers trois heures du matin ils arrivent dans des voitures fermées, entassés dans des paniers; s’il gèle on les emballe soigneusement dans des papiers, puis ils sont encore emmaillotés dans d’épaisses couvertures.
- Enfin la culture des muguets se fait aussi à Paris dans des établissements spéciaux. Ils y subissent seulement le chauffage, car toutes les griffes de ces fleurs viennent des environs de Berlin.
- Aluert Tissaxdier.
- ——------
- CHRONIQUE
- Expériences de téléphonie à grande distance.
- — M. Cocherv, ministre des postes et des télégraphes, s’est rendu vendredi 2 janvier à Rouen pour assister à de très curieuses expériences de téléphonie à grande distance.
- 11 s’agissait de constater les résultats de l’application entre Rouen et le Havre, soit sur environ 90 kilomètres du système de transmission simultanée de M. van Rvssel-berghe dont nos lecteurs ont eu précédemment la description (n° 601 du 6 décembre 1884, p. 1).
- L’expérience a parfaitement réussi et, pendant plus d’une heure, le ministre et les personnes qui l’accompagnaient : M. Hendlé, préfet de la Seine-Inférieure, M. Cor-dier, sénateur, M. Hervé Mangon, député etmembre de l’Académie des sciences, MH. Duvivier et Richard AAaddington, députés de Rouen, M. Ricard, maire de Rouen et plusieurs fonctionnaires supérieurs du ministère des postes et télé graphes, ont échangé très clairement des conversations avec MM. Siegfried, maire du Havre. Grenier, sous-préfet, le vice-président de la Chambre de commerce et plusieurs notabilités havraises qui se trouvaient au bureau télégraphique central du Havre. Les résultats ont été unanimement rer connus excellents, et le ministre a pu annoncer, en quittant Rouen, que la communication serait livrée au public d’ici une quinzaine de jours. Ce sera un nouveau progrès à ajouter à ceux qui ont déjà été réalisés récemment en matière de téléphonie; le mois de janvier 1885 aura, à cet égard, été fécond; déjà, depuis le 1er janvier, les premières cabines téléphoniques publiques ont été mises en service à Paris. Le même mois verra l’ouverture de la ligne téléphonique Rouen-Havre. Grâce à ce progrès étonnant, on pourra communiquer d’une ville à l’autre avec la plus grande facilité. 11 est probable qu’avant peu nous aurons aussi un service établi entre Paris et Rouen, soit avec le système van Rysselberghe, soit avec un fil spécial, soit avec d’autres appareils d’invention plus récente. Le prix de revient comparatif des installations décidera du choix.
- Grue électrique de 20 tonnes. — Depuis un mois, la fonderie du grand établissement de M. Farcot, à Saint-Ouen, emploie une grue de 20 tonnes, sur laquelle la Compagnie électrique a organisé un système de commande électrique dans les conditions suivantes. La machine génératrice est située à une distance de 100 mètres environ de la grue. A la vitesse de 1550 tours par minute, elle donne un courant de 13 ampères et 350 volts environ aux bornes. La machine réceptrice, logée sur l’appareil de levage, marche à 1000 tours et peut développer sur son axe une force de quatre chevaux. Un rhéostat particulier permet d’introduire progressivement des résistances qui peuvent atteindre 60 ohms, et de faire varier, par suite, à volonté la vitesse d’ascension des pièces. Rien n’a été changé aux conditions d’établissement de la grue, sur laquelle le montage des organes électriques a été fait de manière à conserver la possibilité de manœuvrer l’appareil à bras pendant les arrêts de la machine à vapeur. Un frein Mégy, construit par MM. Saut* ter et Lemonnier, donne une sécurité absolue en cas de dérangement accidentel, comme on a pu s’en convaincre dans les expériences de réception. Lorsqu’on enlève de grosses pièces fondues, au moment où elles quittent le moule, il se produit un vide; la pression atmosphérique, s’exerçant sur toute la surface de la pièce, vient s’ajouter et peut, dans certains cas, aller jusqu’à doubler le poids à soulever. Afin de prévenir toute chance d’accident par cette cause, on a imaginé d’utiliser le courant lui-même pour fixer la limite de la charge et interrompre le circuit dans le cas où celle-ci devient trop considérable. L’in-lerruption même du circuit sert d’avertissement pour le mécanicien. Auparavant, le service de la grue exigeait une équipe de dix hommes, qui est remplacée actuelle-
- p.94 - vue 98/432
-
-
-
- LA NATURE.
- 9a
- ment par un seul ouvrier. On a donc pu réaliser, au moyen de l’électricité, une économie considérable sur la main-d’œuvre.
- La vie de II. (àrabain Bell à Washington. —
- Alexandre Graham Bell que tous les tribunaux viennent de déclarer le premier inventeur du téléphone, excepté la Cour suprême des États-Unis, mais qui gagnera son procès devant cette cour comme devant toutes les autres, n’est aucunement grisé par son succès. 11 supporte la fortune comme personne, car il est immensément riche et son invention a enrichi également tous les menbres de sa famille. Mais Bell est resté toujours le même travailleur ardent et gai, tout dévoué à la science, comme il l’était au temps de sa pauvreté et de son obscurité. 11 n’aime pas l’argent pour l’argent et n’est pas un manieur d’affaires. Comme Agassiz et tous les autres grands hommes de science, il est trop occupé pour faire des affaires. Mats il aime les choses que l’argent procure. Son habitation de Scott Circle est remarquable par son confortable ; on y admire des tentures et des œuvres d’art, l’atelier de M. Graham Bell, son laboratoire Yolla, dans l’avenue Connecticut, ses appareils et sa bibliothèque sont magnifiquement organisés. L’inventeur serait cependant tout aussi heureux sans eux, car son bonheur réside dans sa famille d’une part, et ses recherches scientifiques d’autre part. Lorsqu’il n’est pas occupé dans son laboratoire, dans sa bibliothèque, ou dans l’école libre d’enfants sourds-muets qu’il a fondée, il est dans la société de sa femme et de ses enfants. Celui qui fait du téléphone Bell la magnifique affaire que l’on sait, est son beau-père, Gardiner G. Hubbard, homme d’une grande habileté et d’une grande expérience, aussi pratique que Bell est théorique. 11 est aussi très riche, presque autant que son gendre et vient, dit-on, de gagner encore 500 000 dollars tout récemment, au moment où les actions du téléphone Bell ont subi une hausse sur le marché'américain.
- Hubbard est un vieillard de relations agréables, qui écrit encore beaucoup dans les revues et les magazines, ainsi qu’il avait coutume de le faire lorsqu’il était professeur à Cambridge avec un salaire des plus modestes.
- Philadelphia Record.
- Le bois et le blé en Franee et en Amérique.
- — L’activité des Américains n’ayant pas encore suffi à faire du continent où elle s’exerce un pays aussi déboisé que le nôtre, le soin avec lequel nos pays ramassent les moindres branches leur est un sujet d’étonnement.
- Un de leurs voyageurs fait cette remarque'aussiloriginale que vraie : le bois coûte en France environ un sou les trois livres : c’est le prix du blé dans le Kansas; un cultivateur de cette région, qui brûlerait son blé, ne ferait pas acte de plus grande prodigalité que le Français qui se chauffe avec un fagot.
- Conserves d’oeufs. — L'Invention and Invenlor’s Mart annonce qu’il s’est formé, à Saint-Louis (États-Unis), une compagnie qui se livre à la fabrication des conserves d’œufs. — Le matériel est suffisant pour que l’on puisse opérer sur un million de douzaines par an. — On sépare de leurs coquilles les blancs et les jaunes, on les soumet à la dessiccation, et on les enferme dans des boîtes en fer-blanc de la même façon que les autres conserves. Une cuillerée à thé de conserve représente la valeur d’un œuf. Les fabricants affirment que ces conserves d’œufs peuvent se maintenir en bon état pendant trois ans,
- ACADÉMIE DES SCIENCES
- Séance du 5 janvier 1885. — Présidence de M. Boulev.
- Selon l'usage, l’Académie procède, dans cette première séance de l’année, à l’élection d’un vice-président à la place de M. Boulev qui prend possession du fauteuil. Le nombre des votants étant de 58, M. Jurien de la Gravière est désigné par 51 suffrages contre 2 donnés à M. Bonnet, 2 à M. lier mi te, 1 à M. Janssen, 1 à M. Tresca et 1 à M. Phillips.
- Météorologie. — M. Mascart a bien voulu me faire remettre les Annales pour 1882 du bureau central météorologique de France dont il est le directeur. On remarque dans ce volume deux Mémoires de M. Angot relatifs l’un à la marche des phénomènes de la végétation en France pendant les années 1880 et 1881 ; l’autre à la migration des oiseaux en France pendant ces mêmes années. Le premier de ces mémoires est accompagné de 14 planches montrant, par des courbes tracées sur la carte géographique, la floraison et la moisson du blé, de l’orge, du seigle; la floraison du narcisse, du groseillierà grappes, du lilas, du marronnier d’Inde; la feuillaison du bouleau, du chêne. Le second Mémoire a deux planches qui par le même système nous fait réellement assister point par point, à l’arrivée et au départ de l’hirondelleTle cheminée et aux deux passages de la bécasse.
- Plantes houillères. — Continuant l’étude des végétaux fossiles de Commentry, MM. Benault et Zeiller décrivent aujourd’hui un equisetum du terrain houiller. Jusqu’à présent ce genre n’était pas connu avant le terrain triasi-que. L’espèce nouvelle s’appellera Equisetum Mongi, en mémoire du directeur des Mines de Commentry, mort récemment, et auquel succède actuellement M. Fayol.
- Par une coïncidence particulière, M. le professeur Ed. Bureau adresse également aujourd’hui à l’Académie la description d’un Equisetum encore plus ancien que le précédent et provenant du terrain houiller inférieur de Maine-et-Loire. L’échantillon que j’ai pu voir moi-même est remarquable aussi, en ce que les empreintes qu’il présente sont imprégnées de ce silicate hydraté d’alumine ordinaire, sur les fougères houillères des Alpes, et que l’on connaît sous le nom de nacrite.
- A l’occasion de ces découvertes, M. Alphonse Milne-Edwards annonce que les couches du silurien supérieur du nord de l’Écosse ont fourni uu nouvel exemplaire de scorpion identique à celui de Gothland, sauf en ce qui concerne son sexe.
- Principes immédiats des végétaux. — Dans des communications antérieures, M. Frémy a montré comment les parties les plus variées des tissus végétaux fournissent, outre les corps cellulosiques, les substances auxquelles il a donné les noms de pectose, de vasculose et de cutose. Il annonce aujourd’hui que cette dernière, qui constitue comme un épiderme sur les parties les plus variées des organes aériens des plantes, peut être retirée de l’agave en grande quantité. Sa composition est celle de certains corps gras; on en retire 72 de carbone, 8 à 9 d’hydrogène et le reste d’oxygène. Elle brûle comme une graisse et résiste aux acides à ce point qu’on l’obtient en détruisant les corps qui l’accompagnent par un séjour de deux ou trois jours dans l’acide sulfurique. Sous l’action des alcalis, la cutose se dédouble en deux acides, dont l’un est visqueux et l’autre solide.
- La lumière, la chaleur, l’air les modifie de façon à les rendre insolubles dans l’alcool et à reprendre les propriétés
- p.95 - vue 99/432
-
-
-
- 96
- LA NATURE.
- de la cutose primitive. En terminant son intéressant travail auquel 31. Urbain a pris part, M. Frémv décrit des procédés propres à préparer la fibre textile dans un état absolu de pureté ; de cette façon la ramie ou ortie de Chine fournit un produit qui a toutes les apparences de la soie et dont les applications industrielles ne sauraient se faire attendre.
- Les tremblements de terre d'Espagne. — Les cataclysmes dont le sud de l’Espagne est le théâtre fournissent à des rêveurs la substance d’élucubrations plus ou moins gratuites. En même temps les géologues en tirent le sujet de sérieuses réflexions. C’est ainsi que M. Nogucs s’appuyant surtout sur les belles études de M. Mac Pherson, fait voir que la région secouée est remarquable par l’état morcelé des masses rocheuses qui en constituent le sol : les couches secondaires et tertiaires y sont plissées, contournées, faillées et recoupées par des roches éruptives dont quelques-unes récentes comme les basaltes. Il est très naturel que dans les
- profondeurs, une pareille région soit le siège d’é-boulements et de déplacements variés. La proximité de la mer et le déplacement progressif des côtes fournissent d’ailleurs des conditions favorables comme je l’ai montré démon côté, pour le développement de l’activité volcanique et l’ouverture d’un nouveau volcan dans la péninsule, en même temps qu’elle mettrait sans doute fin aux trépidations, n’aurait rien qui dût surprendre outre mesure.
- Varia. — On annonce la mort à l'âge de 85 ans de M. Desaignes, correspondant de la section de chimie. — M. Béjaud offre à l’Académie un buste en marbre du professeur Serres. -- 11 résulte du rapport de l’inspecteur de la navigation que le niveau le plus élevé atteint par la ; Seine en 1884 a été de 2m,91 au pont de la Tournelle et de 5m,90 au pont Royal le 25 décembre; les plus basses eaux ont été notées le 22 juillet à 0m,20 et lm,40 dans les mêmes localités. — Un grand mémoire sur le phylloxéra est adressé par M. Boiteau. — D’après M. Duclaux la germination des graines est impossible dans une terre absolument privée de microbes. Stanislas Meunier.
- LA SCIENCE PRATIQUE
- RONCE ARTIFICIELLE EN FIL DACIER GALVANISÉ
- Les transformations qui s’opèrent aujourd’hui dans l’industiie et dans l’agriculture amènent avec elles des besoins nouveaux et, par suite, de nouvelles fabrications. C’est ainsi que dans toutes les parties de la France où les agriculteurs ont reconnu
- que la culture des céréales n’était pas rémunératrice, la création de nombreuses prairies a nécessité l’établissement de clôtures à la fois économiques et rapidement en état de recevoir les animaux.
- Autrefois, les haies vives étaient la clôture la plus souvent employée, niais ces baies demandent de longues années pour devenir efficaces et ont, de plus, l’inconvénient de rendre improductive une bande d’environ 2 mètres de large autour des champs.
- Aujourd’hui, les agriculteurs, pour la plupart, ont renoncé à cette clôture, pour employer la ronce artificielle dont nous donnons un petit dessin suffisant pour en faire connaître la disposition et le mode d’emploi. Cette clôture consiste en deux fils d’acier tordus ensemble et sur l'un desquels sont placés de 12 en 12 centimètres, des piquants à deux
- pointes très aiguës.
- Confection d’une clôture en ronce artificielle.
- Elle présente un obstacle absolument infranchissable à tous les animaux de ferme et quoique, à première vue, on pourrait croire le contraire, elle n’est nullement dangereuse et il y a moins de risques à l’employer qu’à se servir du fil de fer lisse par le fait que les animaux, quand ils s’en approchent pour la première fois, reçoivent une piqûre subite qui les fait reculer, et les empêche d’y revenir. Quand on utilise un simple fd de fer, ou tout autre clôture métallique, les bêtes s’y appuient sans crainte, ils s’y frottent, passent les pieds à travers et finissent par se faire des blessures, ou détériorer le système. Il est très curieux de voir les animaux quand ils sont pour la première fois lancés dans un champ entouré de ronce artificielle : l’un après l’autre, ils s’approchent franchement de la clôture et aussitôt on les voit reculer après avoir reçu une bonne piqûre; une heure ou deux heures après avoir été introduits il n’y en a pas un qui se tienne à plus de 50 centimètres de distance.
- Cette ronce artificielle est également souvent employée pour clôtures de jardins et pour mettre sur les murs afin d’empêcher le passage des hommes. Son introduction en France est due à M. Pilter, le constructeur bien connu. Dr Z...
- Le propriétaire-gérant : G. Tissandier.
- Imprimerie A. Lahure, 9, rue de Fleurus, à Paris.
- p.96 - vue 100/432
-
-
-
- V 00 7
- 17 JANVIER 1885
- LA NATURE
- 97
- LE TYPHON DU 7 OCTOBRE 1884 À CAT ÂNE, EN SICILE1
- Le 7 octobre 1884, dès les premières heures du jour, par un temps variable, on vit l’Etna se couvrir
- d’un manteau de nuages, qui s'étendaient surtout dans la direction du N.-O. A huit heures du matin
- Fig. 1. — Le typhon du 7 octobre 1884. Aspect de maisons détruites à Ognina, près de Catane.
- (D’après une photographie communiquée par M. Silvestri, directeur de l’Observatoire de physique du globe, de Catane.)
- Fig. 2. — Le typhon du 7 octobre 1884. Aspect des jardins d’oliviers et de quelques habitations de cultivateurs, dans le voisinage de Catane, après le passage du météore. (D’après une photographie de M. Pelliciari.)
- il y avait une dépression entre la Sicile occidentale et la cote de la Tunisie. Sur la Sicile le gradient
- 1 La plus grande partie des renseignements que l’on va lire ont été empruntés à un intéressant mémoire qne le savant 13e année. — 1er semestre.
- était de 2 millimètres par degré. Cette dépression, d’après les données des observatoires météorologi-
- professeur, M. D. Macaluso, va publier dans quelques semaines. I/auteur a eu l’obligeance de nous prêter son manuscrit, qu’il
- 7
- p.97 - vue 101/432
-
-
-
- 98
- LA NATUBE.
- ques de Sicile, provenait du S.-O. et se dirigeait au
- N. -E. ; le lendemain matin, elle se trouva à la partie septentrionale de l’Italie.
- Dans la matinée un orage provenant de l’ouest aborda la Sicile et la parcourut entièrement de l’Ouest à l’Est, avec une vitesse moyenne de 28 kilomètres à l’heure. Dans plusieurs localités de la province de Catane, il y eut un grand obscurcissement du ciel, avec vent impétueux, décharges électriques intenses et pluie abondante entremêlée de grêle. A Aciréale les grêlons causèrent beaucoup de dégâts; à Leonforte il y en eut du poids d» 500 grammes.
- A Catane, le baromètre réduit à 0 et au niveau de la mer indiquait 761mm,8 à neuf heures du matin; il descendit à midi à 761"im,l. Cette pression n’est pas anormale, 762mm,5 étant la moyenne de l’année. La pression du jour précédent, était à neuf heures 762mtn,6 et 765mi“,5 à midi. Le thermomètre marquait 22°,5 à neuf heures; il monta d’un degré. La valeur de l’humidité relative, de
- O, 78 à neuf heures, s’éleva à 0,88 à midi, contrairement à ce qui a lieu d’ordinaire. Le vent soufflait faiblement avec une direction E.-N.-E. de huit heures à neuf heures, et S.-E. à midi.
- A onze heures le ciel se couvrit de nuages noirs de plus en plus denses; vers midi, le ciel s’obscurcit complètement et il était plus sombre à l’occident, où l’on voyait des éclairs qui faisaient pressentir un orage épouvantable. A midi 50 minutes, on vit se former au-dessous de Passo Pcrtese, à 18 kilomètres de Catane, une sorte de trombe qui descendait des nuages et qui,en passant sur le sol, ébranlait les arbres et soulevait les objets légers. Le prolongement de cette trombe s’accrut très rapidement jusqu’à rejoindre le sol sous forme d’une colonne irrégulière et très sombre, dont la partie supérieure était plus claire et de plus grand diamètre. Son mouvement de rotation était inverse de celui des aiguilles d’une montre; son mouvement de translation avait lieu de O.-S.-O. à E.-N.-E. Après avoir causé quelques dégâts, la colonne, en s’élargissant de plus en plus, ne cessait de s’avancer dans la même direction ; on la voyait parfois s’élever à plusieurs mètres au-dessus de la surface terrestre en ne touchant le sol que par moments. En passant dans la région appelée Santu Nuddu, après avoir grossi de façon à prendre l’aspect d’une énorme tour penchée à l’E., elle ne cessa de toucher la terre et de labourer le sol sur lequel elle commença son œuvre de destruction presque exactement dans la direction de O à E., en traversant Borgo Cibali et Pieanello jusqu’à la côte de Ognina. Là, en continuant sa route sur la mer, sur un espace de 5 kilomètres environ, elle s’amincit, se transforma en trombe marine et enfin se rompit et disparut tout à coup.
- Le bruit formidable produit par le passage de cette trombe a été comparé à celui de plusieurs
- a rédigé d’une façon très complète, après avoir séjourné plus de deux semaines sur le théâtre de la catastrophe, en y recueillant d’innombrables documents.
- trains roulant à grande vitesse sur un pont de fer. Les décharges électriques qui l’accompagnaient avaient peu d’intensité. 11 y eut seulement deux détonations assez fortes pour que leur bruit se distinguât de celui qui accompagnait le tornados. Des grêlons de grand diamètre tombèrent abondamment sur le bord septentrional de la zone de destruction, pendant que, sur la route du météore, ils étaient assez rares. Quelques-uns de ces grêlons atteignaient la dimension d’œufs de poule et parfois même celle d’oranges ; ils étaient hérissés d’aspérités.
- La vitesse du mouvement rotatoire de la trombe ji'était pas très grande ; celle de son mouvement de translation était de 12 mètres environ par seconde.
- La zone de dévastation a été de 27 kilomètres en longueur (en y comprenant 5 kilomètres parcourus sur la mer) avec une largeur moyenne de 550 mètres, la bande complètement ravagée ayant seulement 150 mètres de largeur. On a trouvé des traces de dégâts dans une largeur de 200 mètres de chaque côté de cette zone de destruction.
- On compte 26 ou 27 habitants qui ont été tués sur le coup par le typhon. Il n’y a pas eu moins de 500 blessés. Plusieurs maisons ont été détruites, parmi lesquelles se trouvaient de solides constructions (fig. 1). Les arbres ont été déracinés et quelques-uns transportés très loin de l’endroit où ils avaient pris racine ; des champs d’oliviers ont été ravagés et les troncs de ces arbres ont été tordus (fig. 2). Dans quelques jardins entre Borgo et Cibali, où le tornados déploya toute sa puissance, la terre végétale fut enlevée en laissant à découvert la lave du dessous.
- Le pavé de briques,dans plusieurs maisons, a été arraché. Un bloc de lave du poids de 8 kilogrammes a été lancé dans une fenêtre à 10 mètres au-dessus du sol. Un autre bloc de lave transporté par le vent apercé, à la façon d’un boulet de canon, la porte d’une maison de Cibali. Sur quelques murs restés debout, on voyait des pierres incrustées à 1 ou 2 centimètres de profondeur, et on distinguait à leur surface une série de trous de différentes grandeurs. A Borgo, une porte du rez-de-chaussée couverte de plaques de fer a été trouvée sur une terrasse située a 5 mètres au-dessus du sol et éloignée de 50 mètres de l’édifice d’où cette porte avait été arrachée.
- La plupart de ceux qui ont été surpris par l’ouragan ont éprouvé la sensation d’une sorte d'étouffement comme par manque d’air, sans avoir constaté aucune odeur spéciale d’ozone.
- Les murs, les arbres, les objets rencontrés par le tornados furent couverts de boue, qui en séchant formait une couche adhérente.
- De semblables phénomènes sont heureusement assez rares en Sicile ; cependant un typhon analogue est resté célèbre dans nos régions, c’est celui qui détruisit presque entièrement la petite ville de Palazzolo, située à 28 kilomètres environ de Syracuse. Jean Platania.
- Aciréale, le janvier 1885,
- p.98 - vue 102/432
-
-
-
- LA NATLli
- ÜJ
- A BIRMINGHAM
- Un acte du Parlemeut vient d’incorporer une compagnie constituée récemment à Birmingham dans le but de distribuer aux manufacturiers et aux consommateurs de l’air comprimé, mesuré au compteur, dans les parties les plus actives de la ville. Quels que soient les risques financiers de l’entreprise, il n’est pas sans intérêt d’examiner ses avantages au point de vue technique, et en particulier ceux que les promoteurs mettent en avant.
- Tout d’abord, ceux qui ont déjà des machines à vapeur pourront employer l’air comprimé dans leurs machines, à la place de la vapeur, et laisser leurs chaudières en repos, évitant la malpropreté des cendres et des escarbilles, l’air vicié et les fumées de la cheminée.
- L’espace occupé actuellement par les chantiers et l’approvisionnement de charbon pourra être utilisé pour d’autres services, ce qui n’est pas à dédaigner dans les villes où l’espace est si strictement mesuré et où il faut en perdre le moins possible.
- Les risques d’explosions de chaudières sont aussi réduits à néant pour les «onsommateurs. Enfin, l’avantage mis en relief, et certainement le plus important de tous, est que la force fabriquée en un centre commun, permet à chacun de ne prendre à chaque instant que ce dont il a besoin et quand il en a besoin. Ce procédé est assurément plus économique que celui de la force produite par une machine à vapeur qui doit toujours être maintenue en pression, qu’on en ait besoin une heure ou douze heures par jour. Enfin, il n’y a pas de perte de temps pour la mise en marche ni l’arrêt, tandis qu’avec la vapeur on est souvent obligé d’attendre la mise eu pression pendant assez longtemps quelquefois.
- L’air comprimé, déjà employé avec succès dans les travaux de mine et le percement des tunnels, pourra être utilisé par une foule de petites industries établies à Birmingham. Il pourra servir à la distribution pneumatique de l’heure ; il pourra être utilisé dans le cas de certains becs de gaz perfectionnés fondés sur l’incandescence. Ces becs, basés sur l’emploi d’une double canalisation de gaz et d’air, pourraient ainsi recevoir, dans un grand nombre de cas, de très utiles applications.
- L’air comprimé pourra aussi servir pour les machines à coudre et les nombreuses presses à main employées par beaucoup d’industriels à Birmingham. Les sous-produits des moteurs à air comprimé consistent en air froid, ce qui est plutôt un avantage qu’un inconvénient, car il rafraîchit et purifie l’atmosphère des locaux dans lesquels on les installe. Enfin, en dernier lieu, l’emploi de l’air comprimé permettra de réduire les primes d’assurance payées par les propriétaires actuels de machines à vapeur. Nous suivrons avec intérêt les travaux de distribution d’air comprimé à Birmingham. Bien, qu’à notre avis, il soit préférable de distribuer l’électricité, dont le rendement est meilleur, et qui peut donner directement et à volonté l’éclairage et la force motrice, une distribution d’air comprimé permettra d’obtenir indirectement l’éclairage électrique en actionnant des dynamos par l’air comprimé. Si le prix du cheval-heure (970 000 kilogrammètres), ne dépasse pas 25 centimes, il sera encore inférieur à celui que coûte la même force produite avec le gaz, et pourra partout se substituer à lui avec avantage, eu égard à ses plus grandes facilités d’emploi. E. II.
- LA DIRECTION DES AÉROSTATS
- JUGÉE EN' FRANCE ET A I.’ÉTRANGER
- Les expériences des aérostats dirigeables électriques de MM. Tissandier frères et de MM. Ch. Renard et Krebs ont donné lieu à un grand nombre de publications intéressantes dont il nous paraît curieux de résumer l’esprit. Un progrès considérable a été fait dans l’opinion des savants, des ingénieurs et du public. On ne nie plus la possibilité de diriger les ballons; il a été démontré que le point d'appui se trouvait dans l’air comme dans l’eau, et qu’il ne s’agissait aujourd’hui que de construire de grands aérostats très allongés munis de moteurs très puissants et très légers. Dans un remarquable travail publié dans la Revue des Deux-Mondes, M. Jamin, l’éminent secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences, a résumé avec beaucoup de netteté l’état de la question au point de vue pratique, et les pages qu’il a écrites sur les conditions d’un aérostat dirigeable sont magistralement exposées. L’Académie des sciences, qui comptait jadis des adversaires déclarés de la direction des ballons (Babinet doit être cité parmi les plus ardents d’entre eux), n’en compte plus aujourd’hui, et la savante Compagnie s’est montrée, depuis les belles expériences de M. Dupuy de Lôme, disposée à encourager les tentatives de ce genre. Le monde des ingénieurs est éminemment favorable à la question de la navigation aérienne par les aérostats, et M. Gaston Tissandier a été récemment appelé à exposer l’état de la question devant la réunion des Ingénieurs des Arts et Manufactures, qui se tient à l’hôtel Continental. La Société des ingénieurs civils ne s’est pas désintéressée de ce grand problème, et l’un de ses membres les plus compétents, M. Duroy de Bruignac, y a récemment présenté un très intéressant mémoire qui a été publié sous le titre de ['Etat présent de l’aéronautique. M. Duroy de Bruignac résume les expériences fondamentales ae M. Henri Giffard, de M. Dupuy de Lôme, de MM. Tissandier frères et de MM. Ch. Renard et A. Krebs; il étudie les avantages et les inconvénients des différents systèmes, et il conclut en disant que l’aéronautique est près d’atteindre son but. « Il faut, dit-il, perfectionner les dispositions du navire aérien, trouver un moteur de plus en plus léger, et améliorer le rendement du propulseur. »
- Des opinions tout à fait analogues ont été émises à l’étranger, en Amérique, eu Angleterre et en Allemagne. De l’autre côté du Rhin, M. le major Buchholtz a fait une longue conférence sur la direction des ballons, devant les membres de YEleldrotechnischerverein; il rend hommage aux travaux préliminaires de Giffard et de M. Dupuy de Lôme, et aux expériences récentes exécutées à l’aide de propulseurs électriques.
- --O“^>-0-
- PONTON MOBILE
- DONNANT PASSAGE AUX VOIES FERRÉES SUR LE MISSISSIl'I
- Le développement des voies ferrées en Amérique prend de jour en jour des proportions des plus considérables, et le passage des plus grands Douves n’est plus considéré comme un obstacle.
- L’activité toujours croissante de la navigation
- p.99 - vue 103/432
-
-
-
- 100
- LA NATUKE.
- fluviale et le désir d’éviter le surcroît d’élévation imposé pour les ponts fixes, a généralisé, aux États-Unis, l’emploi des ponts mobiles portant les voies ferrées sur les grands fleuves sujets presque tous à de très fortes crues périodiques. Tantôt ces ponts sont à travée tournante, c’est jusqu’ici le plus grand nombre : dans d’autres cas, on a adopté des ponts à soulèvement vertical, et La Nature en a donné deux exemples intéressants, l’un où la force motrice est empruntée à une machine à vapeurl, l’autre où un cylindre à pression hydraulique donne le mouvement nécessaire2.
- Ces derniers appareils ne sont, il est vrai, en usage que sur des cours d’eau de peu d’importance, ou sur des canaux dont les abords ne permettent pas le relèvement des voies.
- Une autre solution, qui semble sur le point de recevoir d’assez nombreuses applications, grâce à l’avantage qu’elle présente, de se prêter à'de grandes portées, consiste à établir les voies sur un ponton mobile, qui, hors de service, vient, se ranger parallèlement aux rives.
- La première installation de ce genre a été faite en 1850, par l’ingénieur Campbell, sur le lac Champlain. Les 'rives qu’il s’agissait de réunir étaient distantes de 1600 mètres. On construisit de chaque côté un appontement sur pilotis, avec une longueur totale de 1500 mètres environ :
- 91 mètres de l’intervalle restant étaient occupés par un ponton mobile de 9 mètres de large et de 2m,10 de creux. Comme le courant était assez faible et qu’on n’avait ù racheter que des variations maxima de lllI,80 dans le niveau des eaux, il suffisait de réunir les apponte-ments au ponton, par des tabliers à charnières qui s’abaissaient sur ce dernier. Cet appareil, quelque imparfait qu’il fût, a néanmoins fonctionné jusqu'en 1868,époque ù laquelle il a été remplacé par un pont tournant.
- Le Bulletin de ï American Society of Civil Engi-
- 1 Yuy. u° 552 (lu ‘20 décembre 1885, p. 05.
- '* Voy. n° 591 du ‘27 septembre 1884, p. ‘259.
- neers contient la description de pontons du même système, mais largement perfectionnés, établis à la traversée du Mississipi pour relier deux branches du Chicago Milwaukee Saint-Paul Railway.
- Les conditions d’établissement étaient beaucoup plus défavorables qu’au lac Champlain. Le fleuve a sur ce point une largeur totale de 2218 mètres; le courant y est très rapide et les variations de
- niveau vont jusqu'à 6m,60. 11 est divisé, par une île, en deux bras, également fréquentés par la navigation; l’un, le bras Mac-Gregor a 456 mètres, et, l’autre, celui de la Prairie-du-Chien, 608 mètres de largeur. La rapidité du courant et surtout l’importance des dénivellations ne permettaient plus de se contenter des tabliers employés par M. Campbell. Aussi, M. Lawler, ingénieur, chargé par la Compagnie du Chicago Railway du transbordement des marchandises et des passagers sur ce point, adopta le principe du réglage des voies à chaque passage, et
- d’une réunion rigide entre les pontons et les appontements.
- La première opération se fait au moyen d’un système de poulies fixé dans un châssis et réglé par des vérins hydrauliques. Pour effectuer la seconde, on termine les appontements par des cadres en bois revêtus de plates-bandes de fer, entre lesquels vient s’engager la tête d’une sorte d’ancre en fer forgé fixée à chaque extrémité du ponton. Celte ancre présente la forme d’un T, et a 0m,125 de diamètre. La barre du T butte contre les pièces du cadre, qui sont solidement assujetties sur les poulies par des boulons. La manœuvre est ainsi très simple.
- Quand on veut ouvrir le passage, on dégage l’ancre au moyen d’un levier qu’un homme suffit à manœuvrer. Le tablier du ponton se termine des deux côtés par des poutres armées en bois et fer de 9 mètres de longueur, qui viennent s'appliquer sur les appontements, et fournissent ainsi une base solide pour la jonction avec la voie permanente.
- Celle-ci repose sur des palées en bois qui occupent
- p.100 - vue 104/432
-
-
-
- LÀ NATURE.
- 101
- toute la largeur du fleuve, saut un intervalle de 125 mètres sur chacun des bras, rempli, un service, par les pontons.
- Us ont 12,n,50 de large au pont, 9 mètres au fond et lm,80 de creux. Le fond et les bordages sont constitués par des madriers en pin de Norvège de fort équarrissage : le pont est en pin blanc, l’intérieur est partagé dans le sens longitudinal par cinq fortes cloisons entretoisées transversalement.
- Au moment du passage, on règle la voie à un niveau un peu supérieur à celui de la voie permanente, puis on engage les ancres dans les cadres. Le ponton s’abaisse graduellement sous la charge du train, jusqu’à une profondeur de 0m,125, mais le mouvement est à peine sensible pour les passagers, grâce au mode de jonction, et les trains les plus chargés et remorqués par les locomotives les plus lourdes de la Compagnie circulent sans difficulté.
- Fig. 5. — Le grand ponton mobile du Mississipi. Sa position lors du passage d’un train.
- Pour rendre la liberté à la navigation, le ponton doit être ramené parallèlement aux rives. À cet effet, il porte une machine à vapeur de 20 chevaux, qui actionne une chaîne noyée dans le lit du fleuve. Cette chaîne passe sur un tambour; elle
- est solidement fixée en deux points situés l’un au-dessous, l’autre au-dessus du ponton. La durée totale de l’ouverture ou de la fermeture ne nécessite pas beaucoup de temps; elle est d’environ trois minutes.
- Le prix de ces appareils est sensiblement moindre
- Fig. 4. — Le même ponton rangé sur ta rive, après le passage du train.
- que celui des ponts à pivot : la dépense d’établissement pour les premiers n’est en effet que le 1/6 de celle des seconds.
- D’autre part leur manœuvre n’exige pas plus de frais, car elle emploie pour le réglage des voies le même nombre d’hommes que demanderait l’exploitation des ponts à pivot.
- Les pontons construits par M. Lawler pour la traversée du Mississipi sont en service depuis 1874 : leur fonctionnement a toujours été satisfaisant et n’a donné lieu jusqu’ici à aucun accident. Cette sécurité,
- jointe à l'économie de premier établissement, va généraliser l’adoption de ce système par la plupart des Compagnies dont les voies traversent le fleuve dans sa partie haute.
- Un certain nombre de demandes d’autorisation pour la construction de pontons du même genre ont été présentées dans ces derniers temps au Congrès et ont reçu de lui un accueil favorable.
- G. Richoc,
- Ingénieur des Arts et Manufactures.
- p.101 - vue 105/432
-
-
-
- 102
- LA NATURE.
- L’ANTIPYRINE
- On se préoccupe depuis quelque temps, dans le monde médical, des propriétés remarquables d’un nouvel agent thérapeutique, Vantipyrine, au sujet duquel nous allons donner ici quelques renseignements.
- L’antipyrine, qui est un alcali organique oxygéné, obtenu par synthèse en traitant l’aniline par l’éther acétacé-tique, constitue la diméthyloxyquinizine; sa formule est C2-II,2Aza02. Ce produit a été découvert récemment par M. Ludwig Knorr d’Erlangen; il est mis dans le commerce depuis peu, par la fabrique de produits chimiques de MM. Meister, Lucius et Brüning, de Hœchst (Allemagne).
- Les propriétés physiologiques de l’antipyrine sont très remarquables. M. le professeur Filehne a fait sur ce nouvel agent de très nombreuses observations pendant lesquelles la température a été soigneusement notée chez des malades atteints de maladies fébriles, aiguës ou chroniques.
- D’après ces recherches, on arrive à ramener à 38 degrés environ des températures auparavant très élevées. Pour atteindre ce résultat, il faut (chez l’adulte), de 5 à 6 grammes du médicament. Cette dose a été d’ailleurs très bien supportée dans la plupart des cas, sans autres accidents que quelques rares vomissements. On la donnait en trois fois à une heure d’intervalle, soit : 2 grammes -f- 2 grammes + 1 ou 2 grammes.
- La durée de l’effet est variable suivant les individus : la température ne remonte qu'après sept à neuf heures après le commencement de la chute, et quelquefois l’effet s’est prolongé dix-huit et même vingt heures. Une heure après l’ingestion de la première dose, l’effet est encore faible pour s’accentuer considérablement une demi-heure ou une heure plus tard. Le maximum d’abaissement est atteint trois, quatre, cinq heures après le commencement de la médication.
- Chez les enfants, la moitié ou même le tiers de la quantité indiquée plus haut a suffi pour produire les mêmes résultats. De même chez les phtisiques et les individus très débilités, il y a avantage à employer des doses plus faibles. La fréquence dû pouls décroît en même temps que la température, sans suivre toutefois une proportion rigoureuse; l’urine, sans albumine, n’accuse pas de changement décoloration. La respiration ne paraît pas influencée.
- Expérimentée à nouveau par le docteur F. May, à Cologne, et le docteur Rank, à Stuttgard, l’antipyrine a donné des résultats confirmant ceux obtenus par Filehne.
- Ces propriétés remarquables ont été vérifiées en Italie par le professeur Marigliano, de Gênes, et le docteur Délia Cella. A Paris, MM. Germain Sée, Hucharch, Denux et Henocque ont obtenu des résultats analogues à ceux qui . avaient été signalés en Allemagne.
- Après avoir parlé des propriétés physiologiques et thérapeutiques de l’antipyrine, nous dirons quelques mots de ses propriétés physiques et chimiques.
- Le commerce la livre sous la forme d’une poudre cristalline, grisâtre ou d’un blanc tirant sur le rouge, ayant au microscope l’aspect de petites feuilles ou de colonnes tronquées. Sa saveur est un peu amère, moins amère et moins persistante que celle de la quinine. Elle se dissout dans 50 parties d’éther; elle cristallise par l’évaporation du dissolvant. Elle fond à 115° C. Elle est très soluble dans l’eau : 10 parties d’antipyrine se dissolvent dans 6 parties d’eau froide ; à chaud, sa solubilité est encore plus grande, et une partie de la matière se dépose en refroidissant sous la formé cristalline. Elle est très so-
- luble dans l’alcool et dans le chloroforme. Elle devient rouge quand on la chauffe, puis elle brunit et brûle. L’acide chlorhydrique n’agit pas sur ce corps, l’acide azotique (D = 1.185) est également sans action sur lui1.
- LE FUSIL2
- Quelque imposante que soit la puissance de l’artillerie nouvelle, Je fusil, on ne saurait le méconnaître, est toujours l’arme la plus terrible que l’homme ait jamais inventée. Aussi est-ce la question des perfectionnements possibles de cette arme qui préoccupe le plus les inventeurs. Toutes les puissances s’attachent à la recherche d’une solution de ce problème ardu : Comment faire pour ne point abandonner les tirailleurs à leurs inspirations individuelles, au moment du combat? Comment en réunir un grand nombre sous la main d’un chef, de telle sorte que ce chef puisse en disposer à la manière d’un instrumentiste dont les doigts peuvent commander les touches d’un clavier? Comment jouer de tous ces fusils dispersés, isolés, et, cela d’une façon tellement harmonieuse qu’ils semblent n’être plus que les organes constitutifs d’une seule et même machine de guerre?...
- En attendant que la solution intervienne, étudions l’arme du tireur.
- En Angleterre, l’armée active et la milice sont armées du fusil Martini-Henry, modèle 1874; les volontaires ont aussi renoncé à l’ancien fusil Enficld, transformé au chargement par la culasse, suivant le système Suider. Toute l'infanterie allemande, armée active et landwehr, a le fusil Mauser, modèle 1871 ; les anciens Dreyse se donnent au landsturm.
- L’Italie a mis le Vetterli, modèle 1870, aux mains de ses fantassins de l’armée active et de la milice mobile. Elle donne à ceux de la milice territoriale l'ancien fusil Minié, transformé au chargement par la culasse, suivant le système Carcano. En Espagne, l’infanterie de ligne et l’infanterie de réserve sont armées du Remington, modèle 1871.
- La Russie a mis en service le fusil Berdan, n° 2, modèle 1871. En Autriche-Hongrie, l’infanterie se sert du fusil Werndl, modèle 1873-1877. Une partie de la landwehr fait encore usage du Lorenz, transformé au chargement par la culasse, selon le système Wânzl.
- 1 Nous empruntons les renseignements qui précèdent au Journal de pharmacie et de chimie, dans lequel nos lecteurs trouveront des documents très complets sur le nouveau produit. N° de janvier 1885.
- - La Librairie Jouvet et Cie vient de faire paraître la troisième édition de l’Europe sous les armes, par le colonel Hennebert, notre collaborateur. Nous remarquons dans la nouvelle édition de ce livre, consciencieusement remaniée, plusieurs études qui n’avaient point trouvé place dans la première édition. Celle du Fusil moderne nous ayant particulièrement intéressé, nous avons cru devoir la reproduire dans La Nature, bien convaincu que les lecteurs nous en sauront gré. G. T.
- p.102 - vue 106/432
-
-
-
- LA NATURE.
- 403
- Le calibre du Vetterli est de 10mra,35; celui du Berdan, de 10mm,66. Le Marner, le Remington et le Werndl mesurent 11 millimètres ; le Martini Henry, llmm,43.
- Le poids de la balle italienne est de vingt grammes; celui des balles russe et austro-hongroise de vingt-quatre grammes. Les balles allemande et espagnole pèsent vingt-cinq grammes chacune; la balle anglaise, enfin, est de trente-un grammes.
- Les hausses sont graduées : en Espagne, jusqu’à mille mètres; en Russie, 1065 mètres; en Angleterre, 1280 mètres; en Autriche, 1596 mètres; en Allemagne et en Italie, 1600 mètres.
- A la distance de 500 mètres du tireur, et pour un adversaire de taille moyenne (lm,60), le Vetterli et le Remington créent une zone dangereuse de 54 mètres de largeur; — le Marner, de 57 mètres ; le Martini-Henry et le Berdan n° 2, de 58; le Werndl, de 61 mètres.
- Quelle est, tout bien considéré, la valeur relative de ces divers fusils?
- Toutes les puissances se sont, bien entendu, proposé de créer une arme à feu portative dont le tir fût aussi efficace que possible. Or on sait que cet « effet utile » est proportionnel au produit de la vitesse par la justesse du tir. La vitesse dépend presque exclusivement du mode de chargement; la justesse croît — toutes choses égaies — avec la tension de la trajectoire. L’adoption du chargement par la culasse a donné la rapidité ; celle d’un calibre réduit, la tension recherchée. La justesse du tir dépend, d’ailleurs, directement de deux autres éléments essentiellement perfectibles, savoir : la justesse de l'arme et l’adresse des tireurs. Le premier est fonction de la constitution même de l’arme considérée et de l’organisation de la cartouche; le second varie avec le tempérament, la vigueur et l’instruction des hommes.
- 11 serait difficile d’établir une classification rationnelle des fusils actuellement en service, considérés au point de vue de leur valeur absolue, mais on peut, d’abord, les ranger par ordre de mérite sous le rapport de la rapidité du tir, l’un des facteurs de l’effet utile. Or, cette rapidité dépendant. presque exclusivement du mécanisme de culasse, on a classé les armes d’après le mode de fermeture dont elles sont dotées. Les fusils à culasse mobile, seuls admissibles dans le service de guerre1, peuvent avoir cette culasse mobile par glissement ou par rotation. On sait que, selon que le glissement s’effectue parallèlement ou perpendiculairement au canon, l’arme est dite à verrou ou à tiroir. Les fusils allemands Mauser et Rreyse ; le fusil russe Berdan n° 2 et l’italien Vetterli sont à verrou. Rappelons aussi que les armes à culasse mobile par rotation, se distinguent
- * On ne pouvait songer à l’adoption d’une de ces armes à canon mobile dont le Lefaucheux est le type le plus connu. A tout instant, en effet, le soldat doit pouvoir se servir de sa baïonnette. Son fusil doit, d’ailleurs, lui offrir des garanties de solidité incompatibles avec des dispositifs du genre Lefaucheux.
- en armes à tabatière ou à barillet, en armes à bloc tournant ou tombant, et en armes à rotation rétrograde. Le fusil anglais Enfield-Snider est à tabatière; l’autrichien Werndl, à barillet; l’autrichien Wiinzl, à bloc tournant ; l’anglais Martini-Henry, à bloc tombant ; l’espagnol Remington, à rotation rétrograde. Il est permis de penser que les systèmes à verrou offrent à qui doit s’en servir des avantages notables. Et, en effet, le verrou assure l’extraction de la cartouche par voie de traction directe; le jeu même du mécanisme de culasse amène la cartouche en place automatiquement, et il n’est point nécessaire de la pousser du doigt.
- Examinons maintenant comparativement de quelle manière sont remplies les autres conditions du problème. Voyons comment se comportent les différents modèles au quadruple point de vue de la tension de la trajectoire, de la justesse de l’arme, de la facilité du service et du poids des munitions.
- On sait que, aux très petites distances, la tension de la trajectoire dépend presque uniquement de la vitesse initiale. En ce qui concerne spécialement celte vitesse, c’est le fusil autrichien qui tient la tête (455 mètres). Viennent ensuite, par ordre de mérite, les fusils russe, allemand, italien et anglais (416 mètres)l.
- On n’a pas oublié non plus que, lorsque le trajet se poursuit, la tension de la trajectoire se modifie du fait de la manière dont la balle conserve sa vitesse dans l’air. Or, à calibre égal, les déperditions de vitesse sont en raison inverse du poids des projectiles — sensiblement de même forme — que l’on considère. Le poids de la balle pa r unité de section mesure donc bien ses propriétés de conservation de la vitesse dans l’air. Ici, c’est le fusil anglais qui prend le premier rang avec ses 29gr,8 de poids par centimètre carré. Suivent, l’un après l’autre, les fusils russe, allemand, espagnol, autrichien et italien (22gr,5).
- En combinant ces deux éléments de la question — vitesse initiale et poids — on obtient, à peu de chose près, la quantité de mouvement de la balle par centimètre carré de section.
- Au point de vue de la valeur de cette quantité de mouvement, la prééminence appartient encore au fusil anglais. Après lui se classent les fusils russe, autrichien, allemand, espagnol et italien.
- En somme, ce sont les fusils autrichien, russe et allemand qui, pour toutes les distances de tir, donnent les trajectoires les plus tendues. Au second rang se placent les fusils espagnol et italien, lesquels produisent la tension la plus faible. Hors rang se tient le fusil anglais qui, à ce point de vue de la tension, est inférieur à tous autres jusqu’à la distance de 200 mètres. Mais, entre 200 et 300 mètres, il dépasse successivement, sous ce rapportées fusils espagnol et italien; entre 500 et 750 mètres,
- 1 Voici que les petits Etats dépassent, dans cette voie, les grandes puissances dont il est ici question. Le fusil suédois donne 500 mètres ; le fusil serbe, 512 mètres de vitesse initiale.
- p.103 - vue 107/432
-
-
-
- 104
- LA NATURE.
- les fusils autrichien, allemand et russe. A partir de 800 mètres, il prend sur toutes les armes à feu européennes une supériorité qui ne cesse de croître avec la distance.
- La justesse d’un fusil est une qualité difficilement saisissable. Les écarts moyens des armes que l’on compare devraient être calculés d’après un nombre considérable de coups tirés, et tirés dans des conditions identiques. Or, jusqu’à présent, nous n’avons pas encore de données suffisantes, permettant de procéder rationnellement à ces calculs. Toutefois, il est constant que, sous le rapport de la justesse, c’est le fusil anglais qui l’emporte de beaucoup sur tous les autres. Après lui, les fusils russe, espagnol, allemand et autrichien sont à peu près équivalents. On ne saurait, enfin, méconnaître l’infériorité de l’italien.
- En ce qui touche la question de facilité de service d’une arme, il est indispensable de tenir compte du poids de cette arme, ainsi que du recul qu’elle comporte. Pour ce qui est du poids, c’est encore le îusil anglais qui réclame la préférence car il est le plus léger de tous. 11 ne pèse que 3k,97ü, sans baïonnette. Les autres modèles s’alourdissent dans l’ordre suivant : fusils espagnol, italien, autrichien, russe et allemand, Le poids de celui-ci s’élève à 4k,500.
- On sait que, toutes choses égales, un recul est d’autant plus fort que l’arme est plus légère. Au point de vue de la fatigue qu’ils imposent à l’épaule du tireur, les modèles que nous comparons se classent d’une autre manière que sous le rapport du poids. Le choc résultant du recul du fusil italien peut se mesurer à l’effet de chute d’un poids de 0k,920 tombant de la hauteur d’un mètre sur l’épaule. A cette arme italienne correspond la fatigue minimum. Viennent ensuite, par onlre d’intensité de recul, les fusils russe, allemand, espagnol, autrichien et anglais. Celui-ci donne un choc correspondant, dans les mêmes conditions, au poids de 2k, 140. C’est plus que le double du choc similaire auquel donne lieu le tir du fusil italien. Mais la robuste constitution des Anglais leur permet de supporter les effets de ce recul excessif.
- 11 est évident que, la rapidité du tir étant l’un des principaux facteurs de l’effet utile, le poids des munitions est à considérer. Or le poids de 5k,500 est celui qu’on admet aujourd’hui pour charge en munitions du soldat d’infauterie. A quel nombre de cartouches de chaque modèle ce poids de 5k,500 correspond-il? Ici, c’est le fusil italien qui occupe le premier rang, car chaque homme emporte 98 cartouches. Viennent ensuite, l’un après l’autre, les fusils espagnol, allemand, autrichien, russe et, enfin, anglais. Le tireur anglais n’est muni que de 72 cartouches, soit 26 de moins que le tireur italien.
- En résumé, les fusils russe, autrichien, allemand et anglais sont les meilleurs fusils européens.
- Notons ici que le fusil français, modèle 1874,
- n’est point mauvais, tant s’en faut. Au point de vue balistique, il n’est guère primé que par le fusil anglais; et, sous le rapport de l’organisation d’ensemble, il n’a rien à envier à ses congénères.
- Mais déjà les puissances ne se contentent plus de l’effet saisissant des armes actuelles à tir rapide. Elles inclinent à l’adoption prochaine d’un fusil à répétition. Tout récemment, lors du procès de Kraszewski, le huis clos ne se prononçait-il pas à propos de l’audition d’un rapport du ministre de la guerre allemand touchant les essais d’un nouveau fusil à répétition, système Mauser? La Russie doit, dit-on, se donner un nouveau fusil de ce genre. L’Italie essaye de son côté le système Bei'toldo, tendant à transformer le Vettcrli en arme à répétition, avec magasin de onze cartouches.
- Le problème que se posent les puissances est incontestablement ardu. Une bonne arme du système demandé doit être, en effet, dotée — jusqu’à 600 ou 700 mètres — d’une trajectoire assez tendue pour que la flèche n’en dépasse point la hauteur correspondant à la taille moyenne de l’homme. 11 faut que le mécanisme de répétition soit assez perfectionné pour que, sans désépauler, le tireur puisse faire, à jet continu, usage de toutes les cartouches enfermées dans le magasin. Le mode de chargement de ce magasin doit être assez ingénieux pour que le soldat puisse le remplir aussi facilement, aussi rapidement qu’il remplace aujourd’hui la cartouche simple, rejetée par l’extracteur.
- Arrivera-t-on un jour à quelque solution plausible?
- L’avenir le dira.
- Lieutenant-colonel Hennebert.
- LE CONCOURS DES VÉLOCIPÉDISTES
- A LEIPZIG
- Nos voisins d’Outre-Manche et d’OutredUiin, cultivent beaucoup plus que nous ne le faisons en France les exercices du corps, si salutaires à la santé individuelle, et si efficaces à la force des armées. Nous applaudissons aux efforts de nos sociétés de gymnastique et à ceux que l’on doit à tous les clubs de sport nautique, vélocipédique et aulres, mais nous voudrions voir la jeunesse répondre mieux à ces louables efforts. Le vélocipède, qui est extrêmement cultivé en Angleterre, ne l’est pas moins en Allemagne, et l’an dernier a été signalé par un grand concours qui a eu lieu à Leipzig, où s’étaient réunies toutes les sociétés vélocipédiques I de l’Empire. Les différentes sociétés ont fait valoir leurs principaux champions et chacune d’elles s’est signalée par des exercices souvent remarquables, que nous avons réunis sur la gravure ci-jointe. Le club de Magdebourg, et le club de Leipzig se sont surtout fait remarquer par l’adresse de leurs membres. L’exercice des banderolles a été très applaudi
- p.104 - vue 108/432
-
-
-
- Le concours des vélocipédistes, à Leipzig
- p.105 - vue 109/432
-
-
-
- 106
- LA NATURE.
- par l’assistance fort nombreuse ; il est figuré au milieu de notre dessin. A gauche de la vignette qui le représente, on voit le défilé des vélocipédistes, déguisés en chats ; leur passage n’a pas manqué de soulever les rires des spectateurs. L’exercice dessiné au-dessous de celui des banderolles a été exécuté par six amateurs du club de Magdebourg; les vélocipédistes ont très nettement décrit deux cercles tangents sur la piste où ils se suivaient à intervalles égaux, et ils ont continué leur promenade circulaire sans la moindre déviation.
- Les petites vignettes jointes à ces compositions représentent différents tours d’adresse, consistant à jongler sur un vélocipède, à y jouer du violon ou à s’y livrer soit seul, soit avec des collègues, à des exercices de haute école. Le véritable événement de la journée a consisté en une grande course des vélocipédistes. Il s’agissait de parcourir une piste de 10 kilomètres. Le vainqueur de la course a été un nommé J. Iluber que nous représentons à la partie supérieure de notre gravure. C’est lui qui a remporté la grande médaille d’or du concours. I)r Z...
- LÀ SUSPENSION DE LÀ YIE
- Tout le monde sait que la vie subsiste à l’état latent dans les graines des végétaux et peut s’y conserver, pour ainsi dire, indéfiniment.
- Ridolfi a déposé, en 1855, dans le Musée égyptien de Florence, une gerbe de blé qu’il avait obtenue avec des graines trouvées dans un cercueil de momie remontant à environ 3000 ans.
- Cette aptitude à la reviviscence se retrouve à un haut degré dans les animalcules d’ordre inférieur. L’air que nous respirons est chargé de poussières impalpables qui attendent, pendant des siècles peut-être, des conditions de chaleur et d’humidité propres à leur donner une vie éphémère qu’elles acquièrent et reperdent tour à tour.
- En 1707, Spallanzani put, onze fois de suite, suspendre la vie de rotifères soumis à la dessiccation et, onze fois de suite, la rappeler en humectant d’eau cette poussière organique. Il y a quelques années, Doyère fit renaître des tardigrades desséchés à la température de 150 degrés et tenus quatre semaines dans le vide.
- Si l’on remonte l’échelle des êtres on trouve des faits analogues produits par des causes diverses. Des mouches arrivées dans des tonneaux de madère ont ressuscité en Europe; des chrysalides ont été maintenues en cet état pendant des années (Réau-mur). Des hannetons noyés puis desséchés au soleil ont été ranimés après vingt-quatre heures, deux jours et même cinq jours de submersion (Balbiani).
- Des grenouilles, des salamandres, des araignées, empoisonnées par le curare ou la nicotine, sont revenues a la vie après plusieurs jours de mort apparente ( Van Hassell et Vulpian).
- Le froid produit, dans cet ordre d’idées, des effets extraordinaires. Spallanzani a conservé pendant deux ans plusieurs grenouilles au milieu d’un tas de neige; elles étaient devenues sèches, raides, presque friables et n’avaient aucune apparence extérieure de mouvement et de sensibilité ; il a suffi de les exposer à une chaleur graduelle et modérée pour faire cesser l’état de léthargie dans lequel elles étaient plongées.
- Des brochets' et des salamandres ont été, à diverses époques, ranimés sous les yeux de Mauper-tuis et de Constant Duméril, tous deux membres de l’Académie des sciences, après avoir été congelés au point de présenter une rigidité complète.
- Auguste Duméril, fils de Constant et celui-là même qui a été le rapporteur de la Commission relative au crapaud de Blois en 1851, publiait l’année suivante dans les Archives des sciences naturelles un très curieux Mémoire dans lequel il raconte comment il a interrompu la vie par la congélation des liquides et des solides de l’organisme. Des grenouilles, dont la température intérieure avait été abaissée jusqu’à — 2° dans une atmosphère à — 12° sont revenues devant lui à la vie ; il a vu les tissus revenir à leur souplesse ordinaire et le cœur passer de l’immobilité absolue à son mouvement normal.
- Il n’y a donc pas lieu de révoquer en doute les assertions des voyageurs racontant que les habitants du (nord de l’Amérique et de la Russie transportent des poissons entièrement congelés et raides comme du bois et les rendent k la vie en les trempant, dix ou quinze jours après, dans de l’eau à la température ordinaire ; mais je pense qu’il ne faudrait point trop compter sur le procédé imaginé par le grand physiologiste anglais Hunter pour prolonger indéfiniment la vie d’un homme par des congélations successives; il n’a encore été donné qu’a un romancier, M. Edmond About, d’assister à cette curieuse opération.
- Chez les mammifères, nous trouvons les apparences de la mort dans le sommeil hibernal, mais des apparences incomplètes, car la température des hibernants reste supérieure de un degré à celle du milieu ambiant et les mouvements du cœur et de la respiration sont seulement ralentis ; le Dr Preyer a observé qu’un hamster restait parfois 5 minutes sans respirer d’une façon appréciable après quinze jours de sommeil.
- Chez l’homme lui-même on a constaté bien des fois d’une façon positive la suspension de la vie ou au moins des phénomènes qui en semblent inséparables.
- On lit dans le Journal des Savants (année 1741) que le colonel Russel ayant vu mourir sa femme qu’il avait tendrement aimée ne voulut pas souffrir qu’on l’enterrât et menaça de tuer quiconque s’entremettrait pour emporter le corps avant qu’il eût constaté par lui-même la décomposition.
- Huit jours se passèrent sans que sa femme don-
- p.106 - vue 110/432
-
-
-
- LA N AT U UK.
- 107
- liât le plus léger signe de vie, « quand, à un moment où il lui tenait la main et la mouillait de larmes, la cloche de l’église vint à sonner, et, à son indescriptible surprise, sa femme se mit sur son séant, puis dit : — C’est le dernier coup, nous allons arriver trop tard. — Elle se rétablit. »
- M. Blandet a communiqué à l’Académie des sciences, dans la séance du 17 octobre 1864, un rapport sur une jeune femme d’une trentaine d’années qui, sujette à des accidents nerveux, tombait, à la suite de ses crises, dans une espèce de sommeil léthargique durant plusieurs semaines et quelquefois plusieurs mois. Un de ses sommeils dura notamment du commencement de l’année 1862 jusqu’en mars 1865.
- Le I)r Paul Levasseur rapporte1 que dans une famille anglaise la léthargie semblait être devenue héréditaire. Le premier cas se déclara chez une vieille dame qui resta pendant quinze jours dans une immobilité et une insensibilité complète et qui, recouvrant ensuite la connaissance, vécut encore pendant assez longtemps. Avertie par ce fait, la famille conserva, pendant plusieurs semaines, un jeune homme qui, lui aussi, paraissait mort et finit par revenir à la vie.
- Le Dr Pfendler, dans sa thèse inaugurale (Paris, 1855), décrit minutieusement un cas de mort apparente dont il a été lui-même témoin. Une jeune fille de Vienne (Autriche) fut attaquée, à l’âge de 15 ans, d’une maladie nerveuse qui amena de violentes crises suivies de léthargies qui duraient trois ou quatre jours. Au bout de quelque temps elle était tellement épuisée que les premiers médecins de la ville déclarèrent qu’il n’y avait plus d’espoir. On ne tarda pas, en effet, à la voir se soulever sur son lit et retomber comme frappée par la mort. « Pendant quatre heures, elle me parut, dit le Dr Pfendler, complètement inanimée. Je fis, avec MM. Franck et Schœffer tous les essais possibles pour allumer une étincelle de vie. Ni miroir, ni plume brûlée, ni ammoniaque, ni piqûres ne réussirent à nous donner un- signe de sensibilité. Le galvanisme fut employé sans que la malade montrât quelque contractilité. M. Franck la crut morte me conseillant toutefois de la laisser sur son lit. Pendant vingt-huit heures aucun changement ne survint: on croyait déjà sentir un peu de putréfaction. La cloche des morts était sonnée; les amies de la jeune fille l’avaient habillée de blanc et couronnée de fleurs ; tout se disposait autour d’elle pour l’inhumation. Voulant me convaincre des progrès de la putréfaction, je revins auprès de Mlle de M...; la putréfaction n’était pas plus avancée qu’auparavant. Quel fut mon étonnement quand je crus voir un léger mouvement de respiration. Je l’observai de nouveau et vis que je ne m’étais pas trompé. Aussitôt je pratiquai des frictions, j’eus recours à des irritants et, après une heure et demie, la respiration augmenta.
- 1 De la catalepsie au point de vue de la mort apparente. — Rouen, 1866.
- La malade ouvrit les yeux et, frappée de l’appareil funèbre qui l’entourait, revint à la connaissance et me dit : « Je suis trop jeune pour mourir. » Tout cela fut suivi d’un sommeil de dix heures; la convalescence marcha très rapidement, et cette jeune fille se trouva débarrassée de toutes ses indispositions nerveuses. Pendant sa crise, elle entendit tout : elle rapporta quelques paroles latines prononcées par M. Franck. Son plus affreux tourment était d’entendre les préparatifs de sa mort sans pouvoir sortir de sa torpeur.
- Les dictionnaires de médecine sont remplis d’anecdotes de cette nature, je n’en citerai plus que deux assez curieuses.
- Le 10 novembre 1812, pendant la fatale retraite de Russie, le commandant Tascher voulant ramener en France le corps de son général tué par un boulet et qu’il avait enseveli depuis la veille, le déterre, le charge sur un landau, s’aperçoit qu'il respire encore et le ramène à la vie à force de soins. Bien longtemps après c’était ce même général d’Ornano, alors maréchal, qui tenait un des coins du drap funèbre aux obsèques de l’aide de camp qui l’avait enterré.
- En 1826, un jeune prêtre revient également à la vie au moment où l’évêque du diocèse prononçait le De Profundis sur son corps. Quarante ans après, ce prêtre, devenu le cardinal Donnet, prononçait un discours profondément senti sur le danger des inhumations précipitées (Moniteur du 1er mars 1866, p. 258).
- J’espère avoir maintenant suffisamment préparé l’esprit du lecteur à l’examen du phénomène de la suspension volontaire de la vie dont je l’entretiendrai prochainement. A. de Rochas.
- LES TREMBLEMENTS DE TERRE
- DU 25 DÉCEMBRE 1884, EX ANDALOUSIE
- Les secousses souterraines qui, dans la nuit du 25 au 26 décembre, se sont produites dans l’Andalousie, ont déterminé un des plus terribles tremblements de terre dont la tradition locale ait gardé le souvenir; même celui de l’année 4755, pendant lequel une partie de la coupole de la cathédrale de Séville s’écroula, ne peut lui être comparé en intensité et en durée. Heureusement que ni la Giralda de Séville, ni l’Alhambra de Grenade, ni la Mosquita de Cordoba n’ont souffert des dernières oscillations du sol; ces précieux monuments de l’art Arabe sont sortis intacts de la catastrophe récente qui a fait tant de ruines dans l’Andalousie.
- Les effets du tremblement de terre du 25, dans diverses localités des provinces de Grenade et de Malaga, sont réellement désastreux ; sur divers points le phénomène souterrain a produit de véritables catastrophes, faisant de nombreuses victimes et détruisant des villages entiers; on ne con-
- p.107 - vue 111/432
-
-
-
- 108
- LA NAT LUE.
- naît pas encore toute l'étendue du mal ; on estime cependant déjà à plus de mille les victimes qui ont péri; dans les provinces de Cadix, Séville, Cordoue, Jaen et Alméria les effets destructeurs du tremblement de terre ont été moindres que dans celles de Grenade et Malaga. Le tremblement de terre du 25 n’a pas été limité au sud de l’Espagne; il s’est fait également sentir plus au nord, et en particulier à Madrid ; mais dans la région centrale, il a eu peu de durée, environ cinq secondes; peu d’intensité; l’oscillation s’est répétée deux fois en suivant une direction E.-O. Cependant dans certaines maisons de Madrid les sonnettes se mirent à tinter, les lampes suspendues à osciller, les pendules s’arrêtèrent, les portes et les fenêtres s’ébranlèrent, comme à Séville ; mais il n’y eut ni édifices crevassés ni personnes blessées. Dans une note précédente nous avons décrit le phénomène tel qu'il s’est manifesté;! Séville.
- Mais c’est dans l’Andalousie que s’est produite, avec une intensité inusitée la grande manifestation souterraine du 25. Cette région est d’ailleurs soumise à de fréquents mouvements oscillatoires du sol et la tradition locale est pleine de ces funestes souvenirs; sur certains points des provinces de Grenade et de Malaga, les mouvements vibratoires du sol ont continué durant les 26, 27,
- 9.8,29 et 30 décembre et au delà: au 30 décembre, une nouvelle secousse s’est fait sentir à Grenade à 7 heures moins huit minutes du soir et à 9 h. 30 m. Cette même nuit du 50, le tremblement de terre s’est également fait sentir sur la ligne de plus grande intensité de la province de Malaga à Yenuela, Periana, Riogardo, Alfornatejo, où des maisons ont été encore détruites. Enfin pendant la nuit du 25 au 26 une pluie abondante est tombée sur plusieurs localités pendant que la terre tremblait ; la pression atmosphérique avait considérablement baissé le 24 et le 25 décembre.
- Le tremblement de terre du 25 décembre a été d’ailleurs, par quelques mouvements du sol, peu intense dans le nord de l’Espagne; et en Portugal déjà le 22 décembre une faible secousse de 10 secondes environ s’observait à Poutevedra et à Yego ; presque en même temps un mouvement oscillatoire analogue était constaté à Lisbonne, dans tout le Portugal et jusqu’à l’île de Madère, et le 24 une légère oscillation à Séville. Enfin le tremblement de terre du 25 a été lui-même observé à Lisbonne, ensuite à Sé-
- ville à 8 h. 45 m. du soir : ce qui a fait admettre la direction rectiligne du phénomène O.-E. Décrivons rapidement ses effets.
- Province de Malaga. — C est dans la province de Malaga que le tremblement de terre a eu son maximum d’intensité. A Malaga même le phénomène se manifesta un peu avant 9 heures du soir; dès le commencement la surface de la mer semblait une masse liquide au commencement de l’ébullition. Les premières oscillations durèrent de 8 à 10 secondes et se répétèrent à 10,11.10 m., à 11 h. 40 dusoir, à 2 h. 5 m. du matin. Dès les premières secousses, la populations se précipita hors des habitations et chercha un refuge sur les places, les promenades, les voitures et même sur les navires de la rade ; cette population affolée ne recouvra le calme que deux ou trois-jours après; encore aujourd’hui (51 décembre) beaucoup d’habitants n’osent rentrer dans leurs demeures , d’ailleurs la plupart crevassées ou menaçant ruine. Les maisons rendues inhabitables à Malaga sont nombreuses ; les édifices publics ont tous plus ou moins souffert et quelques-uns sont ruinés; enfin, dans la province, des villages, entiers sont détruits, les éboulements faisant de nombreuses victimes.
- Le tremblement de terre s’est fait sentir avec intensité à Canillas-Aceituno, Colmenar, Casabermeja, Torrox. Nerja, Velez-Malaga, Alfarnalejo, Periana, etc., ligne N.-O. S.-E. et E.-O. à Estepona, Monbella, etc., ligne E.-O. à Alora, Antequera, etc., ligne N.-S.
- A Velez-Malaga, situé sur la ligne de maximum d’intensité, le tremblement de terre se manifesta avec une grande énergie, les oscillations se répétèrent jusqu’à 9 fois dans la même nuit; une partie considérable des maisons de cette ville sont tombées et les autres menacent ruine. La population campe encore en plein air dans les champs et sur les places publiques.
- A Colmenar, le tremblement de terre, qui commença à 8 h. 45 m.,se répéta cinq fois à de légers intervalles; à Periana, la presque totalité des maisons du village, 700 environ, se sont écroulées et de nombreuses victimes se trouvent encore sous les éboulis. La Sierra nommée Puerta del Sol s’est ouverte : on craint que la crevasse ne fasse disparaître les bains de Rosas.
- A Cavillas, à Alfarnatejo, à Pizarra, etc. un nombre considérable de maisons ont été renversées ; en cer-
- Fig. 1. — Carte d’Espagne, montrant approximativement les régions où s’est l'ait sentir le tremblement de terre du 25 décembre 1884, et indiquant le tracé du maximum.
- p.108 - vue 112/432
-
-
-
- LA NATURE.
- 109
- taines localités les autorités ont été ensevelies sous les ruines.
- A Estepona, la première secousse se produisit à 9 heures moins le quart; à deux heures du matin une nouvelle trépidation se lit sentir ; enfin la dernière oscillation du sol eut lieu le matin, à 6 h. 45 m. Dans cette petite ville, située dans la région des serpentines, la plupart des maisons ont souffert des avaries et sont actuellement inhabitables. A Torrox, Nerja, Periana. Alcaucin, etc., on a compté jusqu’à 26 oscillations; enfin dans les nuits du 27 au 50 décembre de nouvelles secousses se
- sont encore produites occasionnant de nouveaux préjudices. Sur la carte ci-jointe, nous avons figuré les lignes suivies dans la province de Malaga par le tremblement de terre ; c’est principalement sur la ligne Nerja-Velez et Velez-Senoria, Arehidona que le mouvement oscillatoire a été le plus intense et a produit le plus de catastrophes dans les deux provinces limitrophes Malaga-Grenade.
- Province de Grenade. — A Grenade, les cafés, les théâtres, les cercles étaient pleins quand le tremblement de terre du 25 se manifesta ; en ce moment chacun chercha avec précipitation une sor-
- Fig. 2. — Carie du tremblement de terre du 25 décembre 1884, dans la province de Malaga et de Grenade.
- tie, une issue quelconque ; les habitants abandonnaient leurs demeures et cherchaient un refuge à l’Olbaicin et sur la place Bibrambla, dans la rue Gé-nil, sur les promenades publiques; à 9 h. 10 m. du soir le tremblement de terre s’annonça par un bruit sourd et prolongé : les vitres tremblaient, les lampes suspendues au plafond commençaient, à se mouvoir à la manière des pendules, décrivant du N. au S. un arc de cercle d’environ 10 à 12 degrés.
- Ce premier mouvement fut un mouvement d’oscillation, le second de trépidation, d’ailleurs comme à Séville. La durée de chacun de ces deux mouvements a été de 14 à 15 secondes, pendant lesquelles les maisons tremblaient d’une manière effrayante.
- Beaucoup d’édifices et de maisons particulières ont éprouvé des avaries.
- A il h. 55 m. une nouvelle oscillation se produisit ; la panique s’empara de la population grenadine : dès lors toutes les classes de la Société se confondent en une intime communauté pour cher cher des abris contre le terrible phénomène souterrain qui les menace tous. A minuit et cinq minutes les oscillations continuaient à de petits intervalles, mais moins intenses que les premières : on a compté dans la nuit jusqu’à 8 répétitions successives des mouvements oscillatoires du sol.
- Le tremblement de terre s’est étendu dans toute la province produisant en certaines localités de véri-
- p.109 - vue 113/432
-
-
-
- 110
- LA N AT U HE.
- tables ruines; sur la ligne S.-E.-N.-O. de Motul à Loja, le phénomène souterrain a eu une grande intensité, les villages de Albuenulas, Arenas del lley, Jatar, Venta de Zaffarraja, Santa Cru/, que j’ai parcourus, sont aujourd’hui un amas de ruines et de décombres : la petite et très pittoresque ville d’Al-liama a été détruite, plus de mille maisons sont tombées ; les cadavres retirés des maisons éboulées s'élèvent déjà à plus de 550.
- A Guejar Sierra, situé au pied d’une montagne escarpée couronnée de masses rocheuses on a observé un phénomène intéressant. Une heure avant la première oscillation, les habitants entendirent un bruit sourd et prolongé, semblable à celui d’une tempête peu distante, mais lbrte. Au moment de la première oscillation, les grandes masses rocheuses qui couronnent la montagne choquèrent les unes contre les autres, produisant ainsi par ce choc un bruit sinistre qui donnait l’épouvante aux plus courageux.
- Les dégâts produits par le tremblement de terre du 25 décembre sont immenses ; des villages entiers ont été anéantis et les pertes de personnes s’élèvent déjà à plus de mille morts; on ne connaît pas encore toute l’étendue du désastre, tant à cause de la terreur des habitants qui ont survécu, encore affolés, que par les difficultés des communications dans les sierras de l’Andalousie.
- Provinces (le Cordoba, Séville, Jaen, Alméria. — Dans la province de Cordoba, le tremblement de terre du 25 se manifesta avec une certaine intensité, mais sans produire d’effets désastreux.
- Dans les provinces de Jaen et d’Almeria non plus nous n’avons à signaler des catastrophes ni des ruines. A Cadix le phénomène fut également de courte durée; enfin nous avons déjà décrit le tremblement de terre de la nuit de Noël tel qu’il fut observé à Séville où nous nous trouvions.
- Direction du mouvement. Relation du phénomène avec le sol affecté. — Sur la cote andalouse de la Méditerranée se trouvent une série de roches volcaniques (Alméria) et de roches pyrogènes variées, qui se développent, les premières dans la province d’Almeria, les autres dans celles de Malaga, Cordoba, Séville. Ces roches pyroxéno-amphiboliques à feld-spaths variés (serpentines, dioriles, amphibolites, pyroxénites, diallugites, etc.), sont pour la plupart récentes, tertiaires supérieures et même quaternaires.
- La région volcanique de l’Europe méridionale, comprenant l’archipel grec, la Grèce, Naples, la Sicile, l’Espagne méridionale, le Portugal avec les Açores se trouve sur un sol mobile où les tremblements de terre sont fréquents.
- Les roches volcaniques de la province d’Almeria sont dues à des manifestations souterraines peu anciennes, et les causes internes s‘y manifestent aujourd’hui par des tremblements de terre. Les diverses roches pyrogènes des provinces andalouses sont en relation avec les terrains tertiaires de la côte et avec ceux de la vallée du Guadalquivir.
- Dans la vallée du Guadalquivir, leur direction générale est N.-E. S.-O; elles pénètrent dans la Sierra Morena où elles disparaissent ou en prenant des formes variées ; ces roches pyroxéno-amphiboliques sont conjuguées à des filons métallifères variés qui, sur divers points, contiennent de l’or.
- Le mouvement oscillatoire du 25 décembre semble être en relation avec la ligne de fracture de ce système pyroxéno-amphibolique et avec la direction des roches volcaniques et pyrogènes de la côte. Les failles et ligues des fractures de cet ensemble complexe de roches pyrogènes récentes un peu anciennes se dénotent par le surgissement de nombreuses sources thermo-minérales dans les provinces d’Almeria, de Malaga, de Grenade. Dans la Sierra Tejeda, les bains de Dosas, ceux d’Alhama de Grenade, sont sur un même alignement; les villages d’Alhama, de Santa Cru/, d’Arenas del Rey, et où le tremblement de terre a fait tant de dégâts, sont bâtis sur le terrain tertiaire. Alhama, bâti sur un promontoire tertiaire, entouré de profonds escarpements, aux pieds desquels coule un torrent et souvent les sources minérales, ne pouvait résister à une ou plusieurs secousses violentes du sol. Alhama, une des plus pittoresques petites villes de la province de Grenade est aujourd’hui complètement éboulée, les villages de la ligne de maximum d’intensité, bâtis sur le trias ou sur des roches anciennes compactes, ont mieux résisté que ceux édifiés sur un sol plus moderne, caverneux en beaucoup de points, fendillé ou crevassé. A. F. Noguès,
- Séville, 31 décembre 1884. Ingénieur civil des Mines.
- CHRONIQUE
- Histoire d'un fil télégraphique et d’un rat. —
- Une précaution à ne pas oublier dans la pose des fils télégraphiques souterrains, 'c’est de mettre en place les fils en même temps que les conduites destinées à les contenir ; et si l’on en croit le journal Ingénieur-mécanicien de Manchester, un entrepreneur de Washington vient de se voir dans la désagréable nécessité de défaire et refaire à ses frais la canalisation électrique .de quatre quartiers, parce qu'il avait oublié d’y mettre les fils. Au sujet de cet incident peu en harmonie avec l’esprit pratique ordinaire des Américains, M. Morrill Moreau, directeur des bureaux de Washington de la Western Union C°, rappelait un curieux incident du même genre survenu à Londres en 1857. A Londres, les fils télégraphiques sont en grande partie souterrains. Mais tandis que les fils principaux se trouvent fixés le long de grands tunnels avec les tuyaux de gaz, les tuyaux d’égouts, etc., il y a quelques fils secondaires ou latéraux allant quelquefois très loin et placés dans de petits tuyaux.
- En 1857 un de ces fils dut être retiré pour être réparé; mais les ouvriers chargés de ce travail oublièrent d’attacher, au bout du fil télégraphique, un autre fil permettant de tirer dessus à l’autre extrémité du tube, pour le remettre à sa place ; si bien que lorsqu’il fallut le replacer, on n’en trouva pas tout de suite le moyen. On tourna néanmoins la difficulté par un stratagème singulier. U s’agissait en somme de faire passer dans la conduite un
- p.110 - vue 114/432
-
-
-
- LA NATUllE.
- 111
- fia fil d’acier pour pouvoir avec l’aide de ce fil d’acier tirer le fil télégraphique à sa place. A cet effet, on attacha un énorme rat au bout du petit fil d’acier ; et comme cet auxiliaire improvisé ne s’engageait dans le tuyau qu’en rechignant, on dépêcha h sa suite un furet qui se mit à le poursuivre.. Le rat prit son parti ; poursuivi par le furet, il courut tout d’une traite à l’extrémité du tuyau, y amenant le fil attendu. C’était le salut.
- Usine centrale d’électricité à Anvers. — Des
- travaux très importants sont en cours d’exécution à Anvers pour l’installation d’une usine centrale, destinée à la distribution à domicile de la lumière électrique dans des conditions avantageuses. La première installation comprendra plus de 6000 lampes à incandescence, les dynamos seront du système Gulcher et la transmission du courant se fera au moyen de câbles souterrains du système .Callender, placés dans des boîtes en fonte remplies de matière isolante. A quand le tour de Paris?
- La Société de géographie, a organisé une série de conférences qui ont été inaugurées le 13 janvier par M. Jans-sen, de l’Ifistitut. L’infatigable savant et voyageur a traité de la grande question du méridien universel. Les conférences se succéderont jusqu’à la fin de mars.
- — M. Fremy, membre de l’Académie des sciences, vient de publier une intéressante brochure sur les Savants délaissés; l’éminent directeur du Muséum, qui voudrait réaliser la Rémunération du travail scientifique pour les chercheurs peu fortunés, fait appel à l’initiative individuelle. M. Fremy termine son plaidoyer par un argument plein d’éloquence, en souscrivant lui-même pour 5000 francs.
- ACADÉMIE DES SCIENCES
- Séance du 12 janvier 1885. — Présidence de M. Boiley.
- Le Gadinia Garnoti, — C’est le nom d'un petit sipho-naire que M. de Lacaze-Duthiers a d’abord rapporté de son expédition à bord du Narwall avec M. l’amiral Mouchez et qu’il vient de retrouver en abondance aux envi-rong de Banyuls (Pyrénées-Orientales). Ce petit mollusque s'établit sous la sorte de trottoir, selon l’expression de M. de Quatrefages, que les millépores et autres algues inconstantes constituent sur les flancs des rochers dans la région toujours baignée par l’eau, très aérée des vagues qui déferlent. Il offre aux physiologistes un problème assez difficile puisque les uns y voient un animal pul-moné tandis que pour les autres c’est un animal pourvu de branchies. M. de Lacaze, qui vient de reprendre la question, la tranche par cette notion nouvelle que le Gadinia ne possède ni branchies ni poumons. Il paraît réaliser l’hématose de son sang par le bord de son manteau extraordinairement riche en vaisseaux, et l’organe pris jusqu’ici pour le siège de la respiration est en réalité le rein. L’auteur promet de revenir bientôt sur le même animal pour en décrire le système nerveux.
- Tremblements de terre d'Espagne. — Le savant géologue espagnol que nous citions l'autre jour déjà, M. Mac Pherson, adresse une carte où il a tracé tous les faits essentiels relatifs au tremblement de terre actuel. On y voit nettement le centre principal d’ébranlement entouré
- de zones successives où les trépidations sont de moins en moins fortes. Sur une seconde carte, M. Mac Pherson fait ressortir les relations des zones ébranlées avec la constitution du sol : les failles principales et secondaires sont orientées comme les secousses, tout spécialement dans la Serrania de Ronda que l’auteur a étudiée d’une manière tout à fait spéciale. On remarque, d’une part, les contournements considérables des schistes anciens et, d’autre part, l’existence des lambeaux tertiaires, c’est-à-dire très récents, à des altitudes qui dépassent 1000 mètres. D’ailleurs, il n’v a pas besoin d’aborder les périodes géologiques pour retrouver des preuves de la mobilité du sol dans l’Andalousie. Les tableaux de M. Alexis Perrey montrent que des tremblements de terre y ont été fréquemment éprouvés : le dernier en 1829.
- A propos des mêmes phénomènes, mentionnons une lettre de M. Laur qui, paraissant reconnaître le vague de ses prophéties précédentes, en formule cette fois une avec précision. Il annonce que si les fortes pressions qui régnent en ce moment en Russie et dans l’est de l’Eu-rope sont suivies d’une baisse barométrique brusque, le sol de ces régions sera secoué.
- Enfin on signale un décret du gouvernement italien qui réglemente les constructions dans les zones dangereuses de l’ile d’ischia : les pierres y sont absolument interdites; le fer et le bois seuls doivent être employés.
- Désincrustation des chaudières. — Si, à l’aide des piles d’une puissance relative, on met les parois intérieures d’une chaudière à vapeur en communication par fils à électricité positive d’un bout, et fils à électricité négative de l’autre bout, il se produit un courant électrique qui a pour effet, dans les chaudières ou appareils incrustés, de décomposer les sels accumulés et de les faire tomber au fond d’où on peut les enlever, soit par un système de siphon spécial, soit par un simple nettoyage. Pour les chaudières ou appareils non inscrustés et à préserver, le courant constant établi décompose les sels incrustants et produit un précipité pulvérulent également facile à enlever. Il résulte d’une série d’expériences réalisées avec minutie par M. Jeannolle, ancien préparateur de chimie au Conservatoire que, pour rendre parfaites ces différentes actions de l’électricité, il faut avoir soin d’appliquer sur les parois intérieures, soit de la mine de plomb, soit du fer pulvérisé, soit tout autre corps conducteur de l’électricité, opération à renouveler chaque fois que l’on vide les chaudières pour les nettoyer.
- Varia. — D’après M. Villiers il se développe dans le cœur et dans le rein des malades morts du choléra des alcaloïdes de la catégorie des ptomaïnes. — M. Léon Teisserenc de Bort continue ses études sur les courants de l’atmosphère. — Un Mémoire sur la bouche des insectes est adressé par M. Barthélemy. — D’après M. Duclaux la lumière vive exerce une action très défavorable sur le développement des microorganismes.
- Stanislas Meunier.
- —o-<£x—
- POMPE S1NS PISTON
- OU POMPE CHINOISE
- Prenez un tube (le verre de 1 mètre environ de hauteur, armé à sa partie inférieure ou à son extrémité supérieure d’une soupape s’ouvrant de dehors
- p.111 - vue 115/432
-
-
-
- H 2
- LÀ NATURE.
- en dedans dans le premier cas et de dedans en dehors dans le second cas ; plongez ce tube dans l’eau, et imprimez-lui une série de mouvements brusques de va-et-vient dans la verticale ; en saccadant ainsi les mouvements, vous verrez l’eau monter avec rapidité et jaillir si fortement au dehors que vous serez arrosé, si vous n’y prenez garde.
- L’explication de ce phénomène est très simple. En plongeant le système dans l’eau, le tube se remplit jusqu’au niveau extérieur du liquide où il est plongé, l’air est chassé dans l’intérieur. Si vous retirez brusquement le tube sans cependant faire sortir son extrémité inférieure de l’eau, la soupape se ferme, l’eau monte avec le tube et, par sa vitesse acquise, s’élève bien au-dessus du niveau précédent. Or, en répétant 5 ou 6 fois ce va-et-vient du tube dans l’eau, le tube se trouve rempli, il est amorcé, et rejette de l’eau toutes les fois qu’on le secoue verticalement de bas en haut; on se trouve agir à la façon d’un mineur pratiquant son trou de mine. Ce va-et-vient ne doit pas dépasser généralement 15 à 20 centi mètres.
- Nous parlons ici d’un tube de verre, parce qu’on voit s'accomplir le phénomène ; il est bien entendu qu’un tube quelconque produira les mêmes effets.
- La confection de l’appareil est très simple. On ferme le tube en haut ou en bas selon le système que l’on veut adopter, au moyen d’un bouchon percé d’un trou. On fait une soupape avec une peau de gant que l’on fixe au moyen d’une épingle courbée et d’un fil de laiton (fîg. 2). Il faut mouiller la peau afin qu’elle fonctionne convenablement et forme une soupape hermétique. La disposition de la soupape inférieure nécessite un tube d’assez grand
- diamètre, (fig. 1); nous conseillerons d’adopter de préférence la disposition indiquée (fig. 2) ; dans ces conditions un tube de 0IU,015 de diamètre, et de
- I mètre de hauteur peut très bien convenir.
- Le mieux est encore de se servir tout simplement de son index. On prend le tube de la main droite comme le montre la figure o, en appliquant l’index sur sa partie supérieure.
- II faut mouiller son doigt afin de compléter son
- adhérence, et ne pas appuyer trop fortement. 11 ne s’agit plus ensuite que de plonger l'appareil de quelques centimètres dans l’eau, en le secouant énergiquement de bas en haut ; l’eau monte abondamment à chaque mouvement d’oscillation et jaillit au dehors par l’ouverture supérieure. Le doigt doit être maintenu presque inerte, afin qu’il fonctionne à la façon d’une soupape molle.
- Ces expériences, qui nous ont été communiquées par un de nos lecteurs, réussissent très bien et sont fort intéressantes. Elles constituent
- un mode de construc-
- •
- tion facile de la pompe çhinoise qui se trouve décrite dans les traités d’hydraulique, et dont il existe un modèle au Conservatoire des Arts et Métiers à Paris. Mais contrairement à ce que croit notre correspondant, ces pompes ne pourraient être utilisées économiquement dans la pratique, en raison du frottement de la. colonne d’eau dans l’intérieur du tube sur une surface considérable. Il faut considérer la pompe sans piston pour ce qu’elle est : une intéressante expérience de physique expérimentale que tout le monde peut facilement réaliser.
- G. T.
- Le propriétaire-gérant : G. Tissanmer.
- Fig. 1. — Pompe sans piston avec soupape inférieure.— Fig. 2. — Variante avec soupape supérieure. — Fig. 3. — La même avec le doigt servant de soupape. Dans ces différents systèmes, l’eau monte en imprimant un simple mouvement de va-et-vient au tube.
- Imprimerie A. La hure, 9, rue de Fleurus, à Paris.
- p.112 - vue 116/432
-
-
-
- N° 608
- 24 JANVIER 1885
- LA NATURE
- 113
- HYDROMOTPR JAGN
- U existe une provision d’énergie motrice presque inépuisable dans les ileuves et les rivières qui descendent des hautes régions des continents vers
- la mer. Si, en effet, un mètre cube d’eau chemine avec une vitesse v, songez qu’il possède une
- P v*
- puissance vive égale à 1/2 mr!; ou 1/2 -
- susceptible d’être transformée en kilogrammètres ou en chevaux-vapeur, pourvu qu’il rencontre sur
- />
- fef
- ii:
- Fig. 1. — Hydroraoleur Jagn. — Détail du mécanisme.
- VUE DE FACE DE t’APPAREIl.
- JiFig. 2. — Vue d’ensemble de l’appareil et plan.
- sa route un récepteur convenable; c’est-à-dire que si, par exemple, la vitesse est de 2 mètres, chaque mètre cube qui passe recèle une puis-
- i , i/o 1000 w 2000 OAf.
- sance vive brute de 1/2. —-r-r X4ou —= 20o y y o j. y,8i
- kilogrammètres, soit cent kilogrammètres utilisables, si votre récepteur enreeucilleà peine 50 p. 0/0. — Additionnez par la pensée tous les mètres cubes i3® année. — ter semestre.
- roulés à chaque seconde par l’ensemble des fleuves et rivières de France seulement, et voyez à quel chiffre fantastique vous arrivez! L’imagination en reste confondue. Pourrait-on glaner quelques bribes dans cet immense flot de chevaux-vapeur se ruant vers la mer? C’est ce que plusieurs inventeurs se sont déjà demandé, et c’est dans cet ordre d’idées qu'ont été conçus la roue pendante de Colladon, la
- 8
- p.113 - vue 117/432
-
-
-
- 114
- LA NATURE.
- chaîne hydraulique pendante de M. Roman, le moteur hydraulique Zschisehe décrit dans La Nature du 1er mars 1884, la roue à axe vertical à palettes articulées, l’hélice fixe, le moteur Brooks essayé sur l’Ohio en 1872, etc. Pour des motifs que nous n’avons pas à apprécier, ces divers appareils ne se sont pas répandus et ne sont pas entrés dans le domaine de la pratique. L’hydromoteur de M. Jagn, ingénieur russe, nous paraît devoir être plus heureux et constitue à notre avis une solution réellement pratique du problème de l’utilisation de la puissance vive des cours d’eau.
- Les figures 1 à 4 en représentent les principaux détails et l’ensemble; grâce à ces figures, on comprendra, pensons-nous, sans aucune difficulté, la description que nous allons donner de l’appareil.
- Prenez deux câbles sans fin en chanvre ou en tille ou en aloès et enroulez -les, comme l’indiquent
- PLAN
- p 4* rsan
- 1
- læ ? •:? •'
- ÉLÉVATION
- Fig. 3. — Détail des poulies de retour.
- les figures 1 et 2, sur un tambour en bois porté entre deux radeaux solidaires ou barques. — Munissez ensuite ces câbles de distance en distance de parachutes en toile à voile fixés dessus, et capables de s’ouvrir en descendant dans le courant de l’eau et de se fermer ou replier sur eux-mêmes en en sortant. Ces parachutes ont à peu près la forme de bonnets de coton ou de cônes obtenus en prenant un disque circulaire de toile, découpant un secteur de 1/5 ou 1/6 de la surface totale, et cousant ensemble les bords coupés.
- Chaque parachute ou cône en toile est maintenu par six cordelettes ou tirettes l’entourant comme un filet et l’empêchant de se retourner. Ces cordelettes sont, comme les parachutes eux-mêmes, attachées ou fixées sur le câble et elles renforcent les parachutes pour résister à la pression du courant.
- L’expérience au dynamomètre a indiqué qu’il convenait d’espacer les parachutes du double de leur diamètre pour obtenir d’un câble son maximum d’effet. — En quittant le tambour et s’engageant dans l’eau, les parachutes s’ouvrent immédiatement et transmettent au câble la pression qu’ils reçoivent du courant eu égard à sa vitesse. — Le câble
- prend donc un mouvement de translation dans le sens du courant. Finalement les parachutes au moment de sortir de l’eau s’enroulent sur les poulies de retour dont nous donnons le détail (fîg. 5).
- Ces poulies sont montées avec leurs axes et coussinets sur un châssis en bois maintenu en place par un flotteur et des poids. — Une sorte de treillage en fer galvanisé, laiton, ou cuivre rouge, placé de chaque côté de chaque poulie, lui constitue une gorge profonde, facilitant l’enroulement des parachutes et évitant de les froisser et de les fatiguer.
- Des poulies de retenue représentées fig. 4 sont disposées de même, mais avec un ancrage en plus, et renvoient au tambour le brin montant. Dans la partie de leur parcours où ils remontent le courant pour sortir de l’eau, les parachutes sont tout à fait aplatis sur le câble, non seulement parce que le courant les
- PLAN
- Fig. 4. — Détail des poulies de retenue.
- refoule sur eux-mêmes, mais parce que l’eau qu’ils emprisonnaient est en quelque sorte aspirée. Des expériences faites sur la Néva, à Saint-Pétersbourg, ont démontré que la résistance à la montée ne représentait guère que 1 p. 100 environ de la poussée utile exercée à la descente, pour des parachutes de lm,20de diamètre. Cette résistance relative diminue pour des parachutes plus grands et augmente pour de plus petits.Elle atteint 5/100 pour des parachutes de 0m,60. Ainsi que l’indique la figure 2, la tension des câbles est maintenue et tout mouvement de lacet est évité en munissant les châssis des poulies B en arrière d’un bout de câble portant plusieurs parachutes ouverts par le courant et terminé par une planchette oblique C maintenue par un lest dans un plan vertical. L’obliquité de cette planchette fait que les deux câbles moteurs tendent à être écartés l’un de l’autre.
- Le grand tambour (fig. 1 et 2), monté entre deux portions de bateau sur une charpente qui les entre* toise ensemble, est l’organe essentiel récepteur et utilisateur de la puissance motrice développée. Ce tambour est en bois avec axe en fer et présente à droite et à gauche une couronne dentée en fonte
- p.114 - vue 118/432
-
-
-
- LA NATURE.
- 115
- servant à la transmission du mouvement. Il porte deux grandes rainures vers lesquelles les cables émergeant de l’eau sont dirigés par des poulies de renvoi. Des rouleaux compresseurs, garnis de chanvre ou de cuir, et dont les axes sont soumis à une pression élastique, servent à obtenir une adhérence suffisante sans être obligé d’enrouler le câble sur le tambour plusieurs fois comme on le faisait au début.
- Il est résulté d’expériences faites sur la Néva, à Saint-Pétersbourg, et sur le Rhône, à Lyon, qu’en espaçant les parachutes de quatre fois leur diamètre sur un câble horizontal, chaque parachute était influencé par le courant au même degré et absolument comme si les autres n’existaient point. Si, au lieu d’être horizontal, le câble est incliné de 10° sur le courant, il suffit d’espacer les parachutes de deux fois leur diamètre pour que cette même condition de non-influence mutuelle soit remplie. Il convient donc d’incliner les câbles a 10°.
- Le poids spécifique des câbles munis de leurs parachutes diffère extrêmement peu de celui du milieu ambiant; et ils restent flottants par la simple action du courant sans jamais toucher le fond. Cet effet s’explique sans peine en réfléchissant à ce que la vitesse de l’eau va en croissant du fond à la surface dans une même section transversale du cours d’eau et que la pression est donc plus forte sur le haut d’un parachute que sur le bas. Des parachutes de lm,20 de diamètre fonctionnent parfaitement et sans toucher le fond, dans une profondeur d’eau de lm,50 seulement. On a atteint, sans inconvénient, des distances de 4 à 500 mètres entre le tambour et les poulies de retour; et des supports intermédiaires ne sont nécessaires que pour le brin conduit, ou emportant les parachutes refermés. Avec des câbles métalliques, on ne pourrait plus aller qu’à 20 mètres sans supports intermédiaires. Quant aux diamètres des parachutes, ils varient de 0m,60 à 2 mètres, ce qui correspond à ces surfaces de 0m,28 à 3m,14. Les dernières expériences faites à Lyon ont donné comme travail moteur recueilli en chevaux 32 p. 100 du produit S.V5. (S surface totalisée des parachutes en activité et Y vitesse du courant) ; et la vitesse v des câbles la plus avantageuse a toujours été trouvée égale à 1 /3 V.
- Le câble Jagn peut fonctionner sous la glace et n’est guère influencé par le vent ni par les vagues, grâce à sa flexibilité et à sa propriété de pouvoir être immergé à une profondeur quelconque. Il ne gêne point la navigation ; et les pontons qui le supportent peuvent se déplacer et être transportés où l’on veut. Des poulies de renvoi lui permettent au besoin de suivre des cours d’eau même sinueux ; et la dépense nécessaire à son installation est très faible.
- On compte, dès à présent, pouvoir assurer que le gréement, bien installé, durera au moins quatre mois ; car sur la Néva l’état était encore très satis-
- faisant après quatre mois de travail de jour et de nuit. Après le cinquième mois seulement, il fallut remplacer 1/5 environ des parachutes. Après sept mois, le câble en chanvre n’était pas encore usé le moins du monde. C’est la profondeur du cours d’eau qui détermine le diamètre de parachute à employer; et tandis que pour une même vitesse de courant le prix des parachutes est proportionnel à leur nombre ou au nombre de chevaux recueilli, le prix du câble est à peu près proportionnel au carré de ce nombre de chevaux, puisqu’il est proportionnel à la longueur et à sa section ou à sa résistance à la traction.
- Pour les vitesses de courant trop faibles, l’appa-* reil deviendra promptement trop coûteux; et pour des vitesses très considérables, on pourra songer à obtenir de plus grandes puissances par des dispositions différentes. C’est pour des vitesses de lm,50 à 2 mètres ou un peu plus que l’appareil sera, croyons-nous, le mieux à sa place.
- Il parait que MM. Gabert frères, de Lyon, construisent deux hydromoteurs Jagn, dont l’un fonctionne à Lyon et dont l’autre fonctionnera près d’Avignon. Un moulin à hydromotcur est installé sur la Néva près de Saint-Pétersbourg et deux autres sont construits à Dresde et à Vienne.
- On comprend combien il est facile en résumé :
- 1° D’obtenir une surface active considérable et de l’augmenter ou de la diminuer suivant les variations du régime des cours d’eau ;
- 2° De s’installer à volonté en eau profonde ou peu profonde sans occuper beaucoup de place et sans gêner la navigation ;
- 3° De se transporter ailleurs si, pour une raison quelconque, ce déplacement est désiré.
- Nous croyons l’hydromoteur Jagn appelé à un grand avenir. L. Poillon,
- Ingénieur des Arts et Manufactures.
- LES ANIMAUX FÉROCES DANS LES INDES
- La Gazette officielle, de l’inde, vient de publier un rapport sur le nombre des personnes tuées par les bêtes sauvages et les serpents pendant l'année 1883. Ce nombre est de 22 905 contre 22 125 pendant l’année précédente. 20 057 décès sont attribués à des morsures de bêtes venimeuses, 985 personnes ont été dévorées par des tigres, 287 par des loups et 217 par des léopards. La perte du bétail s’élève à 47 478 animaux, ce qui fait une augmentation de 771 sur l’année précédente. Un fait digne de l'emarque, c’est que la plupart des décès de 1 espèce humaine sont dus à la morsure des serpents, tandis qu’on ne compte que 1644 animaux ayant été mis à mort par les bêtes venimeuses. Plus des trois quarts des décès ont eu lieu dans le Bengale et dans les provinces du Nord-Ouest. On a tué 19 890 animaux dangereux pendant l’année. Ces chiffres montrent que l’existence dans nos régions européennes a du bon, quoi qu’on en dise.
- —O-
- p.115 - vue 119/432
-
-
-
- ut*
- LA NATURE.
- INSECTE FOSSILE DES GRÈS SILURIENS
- sciences
- sur
- M, A. Milne - Edwards appelait récemment l'attention de l’Académie des la déco u ver te d’un scorpion ( Pnlœophoneus minci us Lindstrôm), dans les couches du terrain silurien supérieur de l’île de Gotland (Suède). La présence de ce scorpion dans des assises aussi anciennes est un fait très important, puisqu’elle prouve l’existence, à cette époque, d’animaux terrestres à respiration aérienne.
- Les insectes avaient été ren-
- tig. t.— Aile de Blatte fossile dans un morceau de grès silurien. (Grandeur naturelle.)
- core chez certaines Blattes de notre époque; on peut suivre la veine anale qui est assez droite, et s’étend presque jusqu’au bout de l’aile, puis les veines axillaires qui lui sont parallèles. Ce qui est fort remarquable et ce qui distingue cette empreinte de toutes les ailes de Blattes vivantes et fossiles, c'est la longueur de la nervure anale et le peu de largeur du champ axillaire.
- Parmi les Blattes de l’époque houillère, la Proyonoblattina Fritschii (Heer) et la Gera-blattina fasciyera (Scudder), ont une nervation rappelant un peu celle de notre aile silurienne. Nous proposons de nommer cet ancêtre des Blattes
- Fig. 2. — Reconstitution de l’aile ci-dessus
- contrés dans les terrains carbonifères ; les couches de Commentry en ont fourni environ treize cents;
- M. Scudder en a décrit six trou- __________
- vés dans les terrains dévoniens du Nouveau - Brunswick ; mais aucun représentant de cette classe n’avait encore été signalé dans des formations plus anciennes.
- M. Douvillé, professeur a l’Ecole des Mines, m’a communiqué un morceau de grès silurien moyen de Jurques (Calvados) (col-lection de Ver-neuil) sur lequel on distingue l’empreinte d’une aile d’insecte. L’état de conservation n’est pas parfait, mais on peut cependant distinguer la plupart des nervures. Cette aile, qui mesure 0m,ü35 de long, a appartenu à un Blattide: le champ huméral est large; on y voit la veine humérale supérieure, la veine humérale inférieure qui se biturque à son extrémité ; la veine vitrée ou médiane également divisée en deux rameaux; les veines discoïdales supérieure et inferieure et leurs divisions très obliques qui se rejoignent à leur extrémité, ainsi que cela se voit en-
- 1 Voy. n° 605, du 28 décembre 1884, p. 55.
- Fig. 5.
- Palœoblattina Douvillei, la dédiant à M. Douvillé, professeur à l’Ecole des Mines de Paris.
- Les géologues considèrent
- comme identiques les grès de
- May et de Jurques, dans le Calvados, qui appartiennent au silurien moyen; tandis que les schistes de l’île de Gotland appartiennent au silurien supérieur. L’aile de Blatlide dont nous venons de parler serait donc encore plus
- ancienne que le Scorpion décrit par le professeur
- Lindstrôm1. Un scorpion très voisin de celui qu’a décrit M. le professeur Lindstrôm (peut-être même de la même espèce), avait été découvert, il y a quelque temps, en Ecosse, dans des terrains siluriens analogues à ceux de l’île de Gotland. Le possesseur de cet échantillon intéressant n’a pas fait connaître immédiatement sa trouvaille, ne s’élant pas douté de l’importance qu’elle présentait. Ces découvertes, nous n’en doutons pas, vont éveiller l’attention des géologues, et nous espérons qu’ils voudront bien nous communiquer les échantillons qu’ils pourront rencontrer. Charles Brongniart.
- 1 D’après une note de M. Charles Bronguiart, présentée à l’Académie des sciences par M. Milne-Edwards.
- - Blatte vivante de l’époque actuelle, mâle et femelle. (Blabera claraziana, provenant du Mexique.)
- p.116 - vue 120/432
-
-
-
- LA NATURE.
- ai
- L’ACIDE SULFUREUX ET LE SULFURE DE CARBONE
- CONSIDÉllÉS COMME DÉSINFECTANTS
- On s’est beaucoup préoccupé, dans ces derniers temps, des agents désinfectants, et parmi ceux-ci l’acide sulfureux et le sulfure de carbone doivent être placés dans la liste des plus efficaces de ces produits.
- M. Alf. Riche a récemment résumé dans le Journal de Pharmacie et de Chimie l’état de la question,en ce qui concerne ces deux agents de désinfection, et nous allons .à notre tour fournir à ce sujet quelques renseignements à nos lecteurs, en prenant d’abord pour guide le savant chimiste.
- « M. Dujardin-Beaumelz a récemment demandé le concours de MM. Pasteur et Roux pour entreprendre de nouvelles expériences sur cette question, et il les a publiées a l’Académie de médecine1. Il a choisi à l’hôpital Cochin deux chambres d’une contenance de 100 mètres cubes, chambres placées dans des baraques en bois. Les parois de ces chambres, constituées par des planches, plus ou moins assemblées, laissaient passer l’air par de nombreuses fissures, quoique l’on ait eu le soin d’oblitérer les principales avec du papier. Dans chacune de ces chambres on a placé un lit et différents objets meublants, ainsi que des étoffes de diverses couleurs. Le brome, le chlore et le sulfate de nitrosyle ont été successivement rejetés.
- On a expérimenté sur trois sources d’acide sulfureux. Ce sont : la combustion du soufre, l’acide sulfureux liquéfié, et enfin la combustion du sulfure de carbone. La chambre était fermée pendant vingt-quatre
- 1 Bull. deJ’Ac. de méd., t. XIH, 1261, 1884.
- heures. Des tubes contenant des bouillons de culture renfermant différents proto-organismes, et en particulier le microbe virgule signalé par Koch, étaient placés dans ces chambres; d’autres tubes contenaient de la lymphe vaccinale. Après chaque expérience, ces tubes étaient portés dans le laboratoire de M. Pasteur, et l’on pouvait établir la comparaison avec d’autres tubes témoins.
- « Le procédé par la combustion du soufre est le plus simple et le moins coûteux. Pour pratiquer cotte combustion, il suffit de placer sur le plancher de la chambre une plaque de tôle1 sur laquelle on met dos briques réunies avec du sable, ou bien, ce qui vaut mieux, se servir d’un de ces petits fourneaux en terre réfractaire, comme l’a conseillé M. Pasteur, fourneaux de forme carrée ayant 25 centimètres de largeur sur 20 de longueur et dont les parois sont percées de petits trous de manière à faciliter la combustion.
- « Pour obtenir une combustion complète de la fleur de soufre, il faut avoir soin que sa combustion s’opère également sur toute sa surface, et l’on y arrive facilement en employant pour enflammer le soufre le pro* cédé qui consiste à arroser sa surface d’alcool, puis a enflammer cet alcool. En usant de ce procédé, on a obtenu la combustion complète et absolue non seulement de 20 grammes, mais encore de 40 et 50 grammes de fleur de soufre par mètre cube.
- « A la dose de £0 grammes par mètre cube, les différents bouillons de culture en expérience ont été stérilisés, sauf toutefois celui renfermant des bactéries charbonneuses; quant * On réussit sans difficulté avec uu grand têt placé sur du sable.
- Fig. 1. — Brûleur pour le soufre.
- Hg. 2. — Brûleur de M. Ckiandi-Bey, pour le sulfure de carbone.
- p.117 - vue 121/432
-
-
-
- 418
- LA NATURE.
- au virus vaccin, ses propriétés ont été détruites. Ce procédé si économique ne présente que les deux inconvénients que voici : possibilité de l’incendie lorsque le fourneau est mal construit, altération des objets métalliques qui se trouvent dans la chambre. La combustion du soufre, en effet, donne lieu à la projection de quelques particules de soufre, qui se projettent de tout côté et forment ainsi sur les différents objets de cuivre ou de fer une couche de sulfure métallique.
- « Le procédé par l’emploi de l’acide sulfureux liquide anhydre en siphons n’offre pas les mêmes inconvénients. Ces siphons renferment 750 grammes d’acide sulfureux. La dose nécessaire pour amener la stérilisation des bouillons de culture est d’un siphon par 20 mètres cubes. Voici comment on procède dans ce cas. On place au milieu de la chambre une cuvette ; un tube en caoutchouc, que l’on fait passer à travers une ouverture pratiquée à la porte, fait communiquer cette cuvette avec l’extérieur. Une fois la porte close, il suffit de placer l’ouverture du
- Fig. 3. — Brûleur de M. Ckiandi ; figure explicative.
- siphon dans le tube en caoutchouc et de presser doucement la pédale de ce siphon pour faire passer le liquide du siphon par le tube en caoutchouc dans l’intérieur de la cuvette, et l’évaporation de cet acide sulfureux liquide se fait rapidement à l’air libre. Ce procédé est des plus commodes, il évite les dangers, l’incendie, il laisse absolument intactes les dorures et les différentes parties métalliques qui se trouvent dans la chambre ; enfin la force de pénétration de cet acide sulfureux paraît encore plus grande que celle de l’acide sulfureux que l'on obtient par la combustion du soufre. Il n’a qu’un seul inconvénient, c’est son prix élevé. Chacun de ces siphons est vendu au public au prix de 5 francs. Pour les municipalités qui feraient un usage considérable de l’acide sulfureux sous cette forme, le prix s’abaisse à 2 fr. 50. On voit donc que, pour une pièce de 100 mètres cubes comme celle qui nous servait, cela faisait une dépense de 25 francs ou de 42 fr. 50. »
- Le procédé par la combustion du sulfure de carbone, qui fournit abondamment de l’acide sulfureux, et dont nous allons nous occupera présent, a été signalé par M. E. Peligot ; le danger de la combustion
- de ce produit volatil est entièrement conjuré, grâce au nouveau brûleur de M. Ckiandi-Bey, ingénieur. L’ensemble de cet ingénieux instrument est repré- „ senté ligure 2 où le dessinateur a montré par un arrachement sa disposition intérieure; nous en donnons d’autre part un dessin explicatif (fig. 5).
- Le brûleur de M. Ckiandy est formé d’un récipient extérieur en cuivre étamé ABCD, contenant un vase intérieur IHEF, sur les parois duquel sont fixés trois siphons RS. Pour faire fonctionner le brûleur, on place dans le vase intérieur le tube cylindrique KLMN ; on y verse le sulfure de carbone jusqu’au niveau aa. Cela fait, on remplit d’eau le vase extérieur jusqu’au niveau bb. Grâce aux siphons, l’eau pénètre dans le vase intérieur, presse le sulfure de carbone, plus lourd qu’elle, et le fait monter dans le tube intérieur jusqu’au niveau a'a', où il imbibe une mèche de coton que l’on allume. L’extrémité supérieure du tube est surmontée d’une cheminée PQ qui active le tirage,
- On peut accélérer ou ralentir à volonté la combustion du sulfure de carbone en surélevant ou en abaissant le niveau bb de l’eau du récipient exté-térieur,ce qui, dans un certain nombre de cas, peut présenter de grands avantages.
- Le brûleur est placé dans la pièce à désinfecter, on l’allume et on quitte la pièce que l’on a soin de fermer hermétiquement. Quand tout le sulfure de carbone est brûlé, il est remplacé par de l’eau, et la lampe s’éteint d’elle-même; la combustion se fait avec une grande régularité et sans aucun danger. Il suffit environ de 2k,500 de sulfure de carbone pour une pièce de 100 mètres cubes; le procédé est sûr et assez économique puisque le sulfure de carbone se vend commercialement au prix de 50 centimes le kilogramme, ce qui revient à 1 fr. 25 pour une pièce de 100 mètres cubes. Le brûleur coûte 50 francs, mais il peut servir presque indéfiniment.
- Le procédé de production de l’acide sulfureux par la combustion du sulfure de carbone est, comme on le voit, très pratique et très avantageux ; il n’altère pas les objets métalliques et fournit d’une façon continue, lente et régulière, un dégagement régulier du gaz désinfectant.
- Le brûleur de M. Ckiandi peut être encore appliqué à plusieurs industries. Ce système est susceptible de rendre de grands services pour le blanchiment des étoffes de soie et de laine; on peut y avoir recours pour le blanchiment des éponges, des chapeaux de paille et d’un certain nombre d’autres produits. ...
- Ces industries diverses trouveront dans ce mode de production un double avantage : le gaz acide sulfureux produit, est d’une grande !pureté,et son dégagement d’autre part peut être réglé à volonté selon les besoins, ce qu’il est impossible d’obtenir par la méthode de combustion directe du soufre.
- . Gaston Tissandier.
- p.118 - vue 122/432
-
-
-
- LA NATURE.
- 119
- ÉTUDES PRATIQUES
- SUR LA MARCHE DE L’HOMME
- EXPÉRIENCES FAITES A LA STATION PHYSIOLOGIQUE DU PARC DES PRINCES
- Les lecteurs de La Nature connaissent déjà la Station physiologique 1 et quelques-unes des expériences qui y ont été faites : ils ont pu voir comment, au moyen d’une série de photographies instantanées, on analyse le mécanisme si compliqué de la marche, de la course et du saut, et comment des mouvements si rapides que l’oeil ne saurait les saisir, se fixent en une sorte d’épure qui en retrace fidèlement les moindres détails.
- Ces expériences, intéressantes pour le physiologiste à qui elles apprennent à connaître de mieux en mieux le mécanisme de la locomotion, ont en outre, au point de vue pratique, une utilité qu’il n’est peut-être pas inutile de faire ressortir.
- Les bons marcheurs, les bons coureurs, les sauteurs agiles, ne sont pas seulement des hommes doués d’aptitudes spéciales ou qui, par des exercices fréquents, ont acquis une force musculaire plus grande, une plus grande résistance à la fatigue; ce sont aussi des praticiens, c’est-à-dire que, par le travail inconscient qui accompagne tout acte fréquemment répété, ils ont trouvé peu à peu le moyen de ménager leurs forces en produisant le plus d’effet possible. Et quoique tout le monde ait la prétention de savoir marcher et courir, il y a, parmi les marcheurs et les coureurs, des virtuoses, en leur genre, qui ne font aucun effort inutile, règlent le rythme et la longueur de leur pas suivant que l’étape devra être longue ou l’allure rapide.
- Ces praticiens seraient incapables de transmettre le secret de leur habileté ; ils ne le connaissent pas eux-mêmes, n’ayant guère réfléchi sur des actes qu’ils exécutent, en quelque sorte, machinalement. Mais ce secret, on peut le surprendre. Pour cela, je me propose, dès le retour de la belle saison, de soumettre à l’analyse photographique les mouvements de marcheurs et de coureurs remarquables. Il n’y a point de témérité à escompter le succès de ces futures expériences, car les particularités des allures perfectionnées se révéleront certainement dans les photographies. Enfin, il est permis d’espérer que, du moment où les caractères des bonnes allures seront bien connus, il deviendra possible d’enseigner d’une manière méthodique les principes de la’marche, de la course, du saut, et, en général, de tous les exercices du corps.
- Au point de vue militaire, la question de la marche de l’homme a une importance toute particulière, mais présente aussi des difficultés spéciales. Les exercices du soldat ne s’adressant pas à des hommes d’élite, doivent être réglés pour des individus de force moyenne. L’expérience seule doit
- 1 Yoy. n°536, du 8 septembre 1883, p. 226, et n° 539 du 29 septembre 1883, p. 275.
- décider en pareille matière ; aussi est-ce d’après de laborieuses recherches qu’on a fixé la longueur du pas du soldat, le rythme de sa marche, la charge qu’il doit porter, pour utiliser ses forces le mieux possible.
- Toutefois, si l’on considère que les différentes nations n’ont pas, à cet égard, des coutumes semblables, bien plus que chez une même nation les règlements militaires se modifient de temps en temps, il faut bien en conclure que l’on ne connaît pas encore assez les lois physiologiques du travail de l’homme.
- C’est pourquoi j’ai entrepris, avec le concours de quelques officiers supérieurs de l’armée, des expériences destinées à compléter les notions que l’on possède sur les conditions les plus favorables de la marche et de la course. La difficulté de ces études tient au nombre considérable des observations qu’elles nécessitent, à l’attention soutenue, à la patience presque surhumaine quelles exigent. Aussi, ai-je confié à des machines la fastidieuse besogne qui consiste à enregistrer les particularités de chaque observation individuelle, ne laissant à l’expérimentateur que la tâche d’en tirer les conclusions générales.
- Un appareil, dont la description a été donnée il y a quelques années dans ce journal, Vodographe, a pu, moyennant certaines modifications de détail, se prêter à l’inscription de la marche de l’homme, traduisant, d’une manière fidèle, la vitesse de l’allure, sa régularité plus ou moins grande, le nombre et la longueur des pas, enfin les modifications que les caractères de la marche éprouvent sous différentes influences.
- La figure 1 montre un homme qui court sur la piste d’expérience et les appareils qui inscrivent les caractères de son allure. C’est par une série de si-, gnaux électriques- très rapprochés les uns des autres que s’établit la communication entre l’homme qui se meut librement au dehors, sur une piste circulaire d’un demi-kilomètre de circonférence, et l’appareil inscripteur qui reste à poste fixe sur une table dans le laboratoire*
- A cet effet, une ligne télégraphique dont les poteaux sont distants de 50 mètres les uns des autres règne tout autour de la piste ; à chaque poteau est adapté un appareil interrupteur qui enverra un signal au moment précis où l’homme passera au-devant du poteau. Le coureur, en effet, trouve en ces endroits son chemin barré par une baguette horizontale (fig. 2), qui cède à la moindre pression, mais qui ne peut être déviée sans produire une interruption dans le circuit de la ligne télégraphique. Or, cette interruption se traduit par le déplacement d’un crayon qui trace sur un cvlindre tournant recouvert d’une feuille de papier; chacun des déplacements du crayon exprime que 50 mètres viennent d’être parcourus par le coureur. Le mécanisme de l’interrupteur électrique est fort
- | 1 Voy. n° 278, du 28 septembre 1878, p. 273.
- p.119 - vue 123/432
-
-
-
- 1-20
- LA NATURE.
- simple : la baguette est implantée perpendiculairement (fig. 3) sur un tube de cuivre tournant autour d’un axe vertical. Ce tube est coupé obliquement a sa partie supérieure sur laquelle repose une pièce mobile dans le sens vertical ; cette pièce présente en bas une surface oblique en sens inverse de la précédente. Tout mouvement de latéralité imprimé à la baguette, fera glisser l’un sur l’autre les deux plans inclinés et produira un soulèvement de la pièce mobile supérieure? C’est ce soulè\ement qui rompt le circuit de ligne. À cet effet, un ressort horizontal reposant sur un bouton de métal, établit au devant de chacun des poteaux un contact qui sera rompu
- chaque fois que la pièce mobile soulèvera le ressort. Cette rupture se produira à tout déplacement de la baguette, quel que soit le sens dans lequel l’homme chemine sur la piste. Aussitôt après le passage du coureur, la baguette reprend d’elle-mème sa position première, par l’action des plans inclinés pressés l’un contre l’autre; en même temps le courant un instant interrompu se rétablit. Une nouvelle rupture aura lieu chaque fois que le coureur passant au devant d’un poteau rencontrera sur son chemin une des baguettes interruptrices.
- Le courant d’un seul élément de pile parcourt toute la ligne télégraphique, et si nous en suivons le
- Fig. 1. — Disposition générale des expériences à la Station physiologique du Parc des Princes. — La piste d’expérience sur laquelle passe . un coureur.— La ligne télégraphique porte des interrupteurs à chacun de ces poteaux; elle est en communication avec l'odographe placé sur une table. En haut et à gauche de la ligure est un pendule qui détermine au loin un timbre électrique destiné à régler l’allure du marcheur.
- trajet sur la figure l,nous le voyons, partant d’un pôle de la pile, se rendre au sommet d’un premier poteau télégraphique, descendre le long de ce poteau, traverser le contact que forme dans l’appareil interrupteur le ressort pressant sur un bouton de métal, puis remonter jusqu’à la tête du premier poteau, d’où il repart pour aller 50 mètres plus loin gagner la tête du poteau n° 2, où il traverse de la même manière l’appareil interrupteur. Partant du dernier poteau, le courant de ligne rentre dans le laboratoire, traverse l’électro-aimant de l’odographe, et retourne à la pile. Tant que le courant est fermé, l’électro-aimant, fortement attiré, embraye un appa-
- reil d’horlogerie qui porte le crayon traceur. A chaque rupture du courant, le rouage devenant libre pendant un instant se met en marche et fait avancer le crayon sur le papier.
- Quelques indications suffisent pour faire comprendre le fonctionnement de l’odographe. Le cylindre couvert de papier tourne uniformément sous l’influence d’un mouvement d’horlogerie placé à l’extrémité de son axe dans une boîte close. La vitesse de cette rotation est telle qu’il passe au-devant du crayon uu demi-centimètre de papier par minute.
- D’autre part, le crayon dont la pointe portée par un bras de métal repose sur la partie supérieure du
- p.120 - vue 124/432
-
-
-
- LA NATURE.
- 121
- cylindre, est animé de mouvement, comme on l’a vu plus haut, chaque fois que le courant de la ligne subit une interruption.
- Pour cela, le chariot qui entraînera le crayon parallèlement à la génératrice du cylindre, est traversé par une vis qu’un rouage contenu dans la boîte d’horlogerie tend constamment à faire tourner. 11 est clair que la rotation de cette vis commandera le déplacement du chariot sur ses rails et du crayon sur le papier. Mais la vis porte deux oreilles qui s’accrochent sous l’armature de l’électro-aimant et empêchent tout mouvement de la vis. Dès qu’une interruption dü courant se produit, la vis est rendue libre et se met à tourner, mais le passage du marcheur devant l’interrupteur dure peu et bientôt le courant se referme, le fer doux est attiré de nouveau et quand la vis aura accompli un demi-tour, sa seconde oreille s’accrochera à l’armature de l’électro-aimant.
- Le crayon ne progresse donc à chaque rupture du courant que d’une quantité constante, correspondant à la moitié de la longueur du pas de lavis. Ce chemin est égal à 1 millimètre.
- Après une marche ou une course, la feuille de papier porte une ligne sinueuse semblable à celle qui est représentée en a figure 4.
- Dans ce tracé, le temps se compte dans le sens horizontal où les
- ligne par le marcheur qui passe devant un poteau. Chaque déplacement du style, c’est-à-dire chaque
- échelon de la ligne sinueuse a, exprime donc que le marcheur a parcouru 50 mètres. Ainsi, la course a de la figure 4 correspond à une marche dans laquelle 1200 mètres ont été parcourus en 15 minutes 55 secondes.
- En tirant une ligne qui joindrait entre eux tous les angles saillants de la courbe sinueuse a on aurait plus simplement l’expression de la marche, c’est ce qui a été fait pour les lignes b, c, d, etc., qui, par leur inclinaison plus ou moins grande, expriment que l’allure est plus ou moins rapide.
- Plus la ligne s’élève brusquement, plus elle exprime une allure rapide. Ainsi, la courbe i, la plus brusquement ascendante, cori'espond à une petite course dans laquelle 1600 mètres ont été parcourus en 9 minutes 1/2; l’allure la plus lente correspond à la courbe c, mètres en 16 minutes.
- à cause de ses di-|mensions r e s -'[freintes, donner '[que des frag-. ment s de tracés ; l’intérêt de ce genre d’inscription consiste au contraire à
- Fig. 2. — Le marcheur passant devant un poteau de la ligne provoque une interruption du circuit et actionne l’odographe télégraphique.
- marche à raison de 750
- Dans la figure 4, on n’a pu,
- Fig. 5. — Détails de construction de l’interrupteur.
- minutes’équivalent à 1 demi-centimètre. Les chemins se comptent dans le sens vertical où chaque nouvelle ascension de la ligne correspond à un déplacement du crayon, c’est-à-dire à la rupture du courant de la
- recueillir de longs tracés correspondant à plusieurs heures de marche. On a, de cette façon, une expression plus fidèle des caractères de l’allure et l’on y peut saisir , soit les effets de l’excitation qui, chez certains hommes, accélère la marche pendant les premiers quarts d’heure, soit ceux de la fatigue qui, plus ou moins tard et d’une façon
- p.121 - vue 125/432
-
-
-
- m
- LA NATURE.
- plus ou moins marquée, la ralentit. Chez certains sujets, la marche est d’une étonnante uniformité, ce qui se traduit par la rectitude parfaite du tracé odo-graphique.
- Toute irrégularité dans cette vitesse se traduit, au contraire, par des inflexions de la ligne : celle-ci monte quand la marche s’accélère, descend, quand elle se ralentit.
- Telle est la disposition expérimentale employée à la Station physiologique pour étudier les différentes influences qui modifient la vitesse de la marche : influences de la charge à porter, de la forme de la chaussure, de la rapidité du rythme du clairon qui règle le pas des soldats, etc. Ces expériences sont en cours d’exécution, et ne seront pas terminées de longtemps, mais elles ont déjà donné des résultats assez intéressants.
- La forme de la chaussure, disons-nous, influe sur la vitesse de la marche. Pour essayer de déterminer la meilleure forme que puisse avoir la chaussure du marcheur, j’ai fait faire des bottines dont le talon
- Fig. 4. — Ti’acés de l’odographe télégraphique correspondant à des courses et à des marches de vitesses différentes.
- se compose de plaques superposées hautes d’un 1/2 centimètre, et que l’on peut empiler en nombre variable les unes au-dessus des autres pour avoir un talon dont la hauteur varie entre 6 centimètres et 1 /2 centimètre. Dans une série de marches successives faites avec des talons de hauteurs décroissantes, j’ai toujours vu que la vitesse de l’allure augmentait à mesure que diminuait la hauteur du talon. Et ce résultat tenait à une augmentation de la longueur du pas-.
- En substituant les unes aux autres des semelles courtes, moyennes et longues, j’ai vu que le pas s’allonge et que l’allure devient plus rapide quand la longueur de la semelle excède sensiblement celle du pied. Au-dessus d’une certaine limite dont la détermination précise ne pourra être faite qu’après des expériences multipliées, l’allongement de la semelle entraîne une fatigue notable et la marche est gênée.
- Le rythme du tambour ou du clairon règle le pas du soldat en marche, et, quand on veut qu’un corps de troupe accélère son allure, on fait presser la mesure, et le nombre des pas effectués en un temps donné est plus grand. Mais s’ensuit-il que la vitesse de l’allure augmente dans le même rapport? On va voir que le problème est fort complexe et que l’accélération du rythme de la marche augmente la vitesse
- de l’allure jusqu’à un certain rythme voisin de 80 pas à la minute; au delà, l’accroissement de fréquence du pas amène un ralentissement de la marche.
- Pour déterminer cette influence du rythme, iUaut, à la disposition précédemment décrite, ajouter un appareil qui règle avec une précision absolue le nombre des pas qui seront faits dans chaque minute. Un pendule représenté en haut et à gauche dans la figure 1 interrompt, à chacune de ses oscillations, le courant d’une forte pile qui actionne un timbre placé au centre de la piste. Ce timbre électrique est établi sur une charpente élevée, de façon à être bien entendu de tous les points de la piste. Il est impossible au marcheur de ne pas régler son pas sur la sonnerie du timbre, de sorte qu’au bout d’un temps quelconque le nombre des pas effectués, sera exactement celui des oscillations du pendule. Or, un curseur glissant le long de la tige du pendule donne à celui-ci un nombre d’oscillations exactement déterminé d’avance pour chacune de ses positions.
- 75 - 80
- 85 90 pas
- Ma minute
- Fig. 5. — Courbes de la vitesse de la marche et de la longueur du pas en fonction, du rythme de l’allure.
- En imposant à la marche un rythme lent, 40 pas à la minute, puis, en opérant sur des rythmes de plus en plus rapides, on voit qu’un même nombre de kilomètres est parcouru en des temps inégaux suivant le rythme du pas.
- Deux célèbres physiologistes allemands, les frères Weber, avaient admis que les pas deviennent de plus en plus grands à mesure que leur rythme s’accélère. Mais cette formule est trop générale ainsi qu’on va le voir, et s’il est vrai que, dans la marche peu rapide, l’accélération du rythme 'augmente la longueur du pas, une accélération plus grande finit par le raccourcir.
- Mais, dira-t-on, comment, dans ces expériences, apprécier la longueur du pas. Cette longueur se déduit simplement du nombre d’oscillations du pendule effectuées pendant un tour dépisté qui représente un parcours parfaitement connu. Or l’expérience a montré que l’accélération progressive du rythme des pas amenait dans leur longueur les modifications exprimées par le tableau suivant.
- Ainsi l’accélération du rythme de 60 jusqu’à 80 pas à la minute avait augmenté la longueur dupas, mais à partir de ce dernier chiffre l’accélération a produit un effet tout contraire, elle a diminué la longueur dupas.
- p.122 - vue 126/432
-
-
-
- LA NATURE.
- 125
- On peut, avec avantage, remplacer le tableau numérique ci-dessus par l’expression graphique des variations de la vitesse de l’allure et de la longueur du pas en fonction de la fréquence du rythme. Ce tableau est représenté figure 5, il est assurément plus explicite que les trois colonnes de chiffres d’après lesquelles il a été construit.
- Durée du parcours Rylhme ou nombre Longueur
- pour des doubles pas des
- 1542 mètres. à la minute. doubles pas.
- 20'30" 00 1m, 35
- 18'40" 05 lm,37
- 16'27" 70 1“,45
- 14'38" 75 1,n, 51
- 13'52" 80 1“ 50
- 13' 3" 85 1” ,49
- 14' 1" 00 1“ .32
- La raison physique de ce raccourcissement du pas dans les rythmes très rapides a pu être déterminée, mais pour l’exposer, il faudrait des détails qui allongeraient encore un article déjà trop étendu. Je n’avais pour but aujourd’hui que de montrer comment les méthodes rigoureuses de la physiologie peuvent servir au perfectionnement des actes les plus usuels de la vie. Marey, de l’Institut.
- NÉCROLOGIE
- Edmond About. — Un des premiers écrivains de notre temps s’est éteint avec M. Edmond About, dont la mort a causé une émotion universelle dans le monde de l'intelligence et de la pensée. Il ne nous appartient pas de parler de l’œuvre de l’éminent académicien, ni des grâces de son style, ni du mordant de ses critiques ; mais il est de notre devoir de considérer en lui le grand travailleur, qui s’est élevé des rangs infimes au sommet de l’échelle sociale. Comme il devait le dire plus tard à ses enfants, « il n’avait pour ancêtres que des pauvres, des humbles et des petits. » M. Edmond About était né à Dieuze (Meurthe) le 14 février 1828; il était le fils d’un modeste épicier,et dès son plusjeune âge il se faisait remarquer déjà comme un esprit supérieur. M. Francisque Sarcey, son camarade d’enfance, son ami de la première et de la dernière heure, l’a rappelé non sans émotion : « Edmond About, dit M. Sarcey, avait été élevé, comme moi, dans une des institutions du lycée Charlemagne, où il payait sa pension en prix au concours. Ah ! qu’il avait déjà d’esprit et de grâce ! 11 était né écrivain. Il n’avait que quatorze ou quinze ans et ses professeurs nous lisaient ses devoirs de français comme des modèles de style. Quelle admiration il excitait parmi nous! J’étais le fort en thème, le bœuf au travail ; toujours le second. Lui, il cueillait, tout naturellement, et les premières places et les premiers prix. A l’Ecole normale, ce fut la même chose. Quelle verve toujours en mouvement! » On sait que M. Edmond About eut dans sa jeunesse le grand prix d’honneur de rhétorique, tandis que M. Taine avait le second prix, et M. Francisque Sarcey le premier accessit. Prévost Paradol était aussi un de ses camarades d’enfance.
- Après avoir dit quelques mots du travailleur, nous ne voulons pas oublier le patriote. M. Edmond About, né en Lorraine, avait pour la France « une tendresse exal-
- tée », suivant l’expression de M. Caro. Il aimait profondément son pays, et il affectionnait par-dessus tout la patrie perdue. Sa propriété d’Alsace, dont il n’a jamais voulu se défaire, fut fermée à la fin de la guerre, et il a voulu, comme il le disait, qu’elle restât française. M. Edmond About laisse une famille nombreuse, des enfants à l’éducation desquels il se consacrait avec un rare dévouement. 11 était serviable, bienveillant, et savait encourager la jeunesse laborieuse. 11 y aurait ingratitude de notre part à oublier les nombreuses marques d’estime et de sympathie qu’il n’a jamais cessé de témoigner à l’égard de La Nature et de plusieurs de ses rédacteurs ; aussi n’avons-nous pas manqué de nous joindre au cortège d’amis et d’admirateurs qui ont été pieusement déposer une couronne sur sa tombe si malheureusement ouverte avant l’heure.
- F.-E. Roudaire. — Nous avons appris avec douleur la mort du colonel Roudaire, officier d’une haute valeur, bien connu par son grand projet de la mer intérieure en Algérie. Né à Guéret (Creuse) en 1830, il entra à Saint-Cyr en 1854 et passa en 1856 à l’École des ponts et chaussées. Lieutenant en 1858, il fut promu capitaine d’État-Major en 1861 et chef d’escadron en 1878. C’est en 1873 qu’il fut chargé de travaux géodésiques pour la détermination de la méridienne de Biskra, et c’est alors qu’il fut frappé de l’abaissement d’une partie du Sahara au-dessous du niveau de la Méditerranée. 11 en conclut qu’une mer avait dû exister là jadis, et conçut dès lors le projet de percer les dunes qui forment une barrière entre la Méditerranée et le désert. On sait avec quelle ténacité, avec quelle persévérance, M. Roudaire s’était consacré à ce grand projet ; il avait pour lui des partisans nombreux et convaincus, mais il avait aussi des adversaires. Il était parvenu à convaincre M. Ferdinand de Lesseps, qui se montra son plus ardent protecteur. Roudaire était persuadé que le rétablissement de la mer des Chotts modifierait le climat d’une grande partie actuellement stérile de l’Algérie, et répandrait la prospérité et les richesses là où il n’y a que le désert et le néant.
- Le colonel Roudaire avait la foi qui suscite les grandes entreprises ; il avait la persévérance, peut-être eût-il réussi à réaliser son œuvre; la mer des Chotts était sa pensée unique, il en avait fait le but de sa vie. Distingué, aimable, séduisant, le colonel Roudaire laissera autour de lui les plus vifs regrets. Il est mort à 48 ans, de la fièvre qu’il a gagnée sur le seuil de Gabès, pendant les nuits passées sous la tente, au milieu des privations et des fatigues, alors qu’il se promettait de combattre sans trêve ni relâche, pour atteindre son but. Quelle que soit la destinée de ses projets, saluons la mémoire du colonel Roudaire. C’était un homme de désintéressement et de volonté. Gaston Tissandier.
- MONTPELLIER-LE-VIEUX
- Si les Pyrénées et les Alpes françaises sont tous les ans visitées et étudiées par de nombreux savants ou touristes, il n’en est pas de même desCévennes, dont les abords encore difficiles n’offrent pas à l’explorateur l’attrait de rendez-vous confortables pour organiser des ascensions. Cette partie de la France est encore connue trop sommairement, et cependant elle offre de grandes beautés naturelles d’un genre à part qui étonnent et enthousiasment les voyageurs pouvant se croire blasés après de
- p.123 - vue 127/432
-
-
-
- m
- LA NATURE.
- grandes courses dans les montagnes de l’Europe.
- La Nature faisait connaître naguère à ses lecteurs, le grand canon du Tarn1. Je viens aujourd’hui révéler aux chercheurs des merveilles naturelles, une région unique en Europe par sa situation et sa grandiose étrangeté.
- Sur un de ces hauts plateaux calcaires nommés causses et à une petite distance de la ville de Milhau, mais séparé d’elle par d’énormes falaises inaccessibles, se dresse une sorte de promontoire d’un millier d’hectares environ de superficie, qu’une crête rocheuse rattache au causse noir. Quelques sentiers de chèvres difficiles à découvrir y conduisent à tra-
- vers d’effroyables abrupts ou des précipices de 200 mètres ; et l’escalade est non seulement fatigante, mais même dangereuse pour un étranger n’ayant aucun guide et peu au fait de ces zigzags sur des corniches calcaires. Sur ce plateau se trouve une vraie merveille, une immense cité dolomitique à côté de laquelle Mourèze et Païolive si vantées sont de véritables pygmées. Les paysans des environs ont donné à cette ville fantastique le nom de Mont-pellier-le- Vieux et lui attribuent une origine diabolique qui l’a rendue plus célèbre parmi eux que sa beauté naturelle. Ce nom de Montpellier-lc-Vieux parait assez étrange d’abord, mais il faut savoir que
- Fig. 1. — Montpellier-le-Vieux. — Les Urnes. (D’après une photographie de l’auteur.)
- le surnom patois du chef-lieu de l’Hérault est, « lou clapas», ce qui, mot à mot, veut dire l’amas de pierres. Les bergers du Languedoc menant leurs troupeaux dans ces solitudes ont dù donner à cette ville de rochers le même nom qu’au véritable Montpellier.
- Si cette appellation de Montpellier-le-Vieux était connue assez loin à cause de ses légendes diaboliques, le site l’était bien moins, car le paysan peu curieux ne va pas perdre son temps à visiter des endroits incultes et solitaires. Lorsque en 1883 cette ville fantastique me fut signalée par un grand propriétaire du causse noir, M de Barbeyrac, peut-être aucun touriste et
- 1 Voy. n° 597, du 8 novembre 1884, p. 359.
- aucun savant ne l’avait encore visitée1. Depuis lors, sur l’appel que j’adressai aux membres de la Société de Géographie de Toulouse, divers voyageurs ont escaladé ces rocs et ont pu prendre des dessins ou des photographies de ces merveilles qu’aucune revue n’a encore décrites ^g. 1 et 2).
- Cette description est au reste fort difficile. Que l’on s’imagine un décor d’opéra fantastique créé par l’imagination de Gustave Doré, se prolongeant pendant deux ou trois kilomètres, dans des dimensions
- 1 Aujourd’hui la course en est des plus faciles en partant de Milhau. Ou trouve à l’Hôtel Guilhaumcnc tous les renseignements, et les habitants de La Roque-Sainte-Margucrite ont adouci les sentiers et donnent aux voyageurs fatigués des ânes ou des mulets pour y monter.
- p.124 - vue 128/432
-
-
-
- LA N AT U 11 K.
- dont on aura un aperçu lorsque j’aurai dit que certains rocs isolés, figurant une tour ou une pyramide, ont plus de cent mètres de hauteur, et que certaines rues passent au milieu d’édifices divers de 50 à 60 mètres d’abrupt. L’on se demandera sans doute comment s’est formé cet ensemble sur un plateau isolé, loin de tout cours d’eau ou d’infiltrations aqueuses. La géologie nous l’explique très aisément.
- On a appelé les causses des plateaux calcaires. Cela est vrai dans l’ensemble, mais il y a des exceptions, et la plus remarquable est bien certainement. Montpellier-le-Vieux et ses alentours. C’est que là,
- 125
- les roches dolomitiques mises à nu et formant la table du haut de la montagne appartiennent à un horizon essentiellement siliceux. Non seulement ces dolomies ont des différences de compacité favorisant les érosions et provoquant ces formes bizarres de rochers découpés et dentelés, mais encore sur de grandes hauteurs se rencontrent des veines ou des poches de sable très fin, qui, lorsqu’il est pris dans l’ensemble de la montagne, a l’apparence d’une roche gréseuse ; mais délité par les agents atmosphériques et entraîné par les pluies, il change totalement et de deux façons l’aspect de la contrée. Au point de vue de la végétation, il constitue une couche
- Fig. 2. — Montpellier-le-Vieux. — lîne rue de la Yille-du-Diable. (D’après une photographie de l’auteur.)
- siliceuse d’où le calcaire est presque absent. Une flore toute spéciale donne à ce sol une verdure inconnue à la région des causses, et ces ruines sont en bien des endroits couvertes de plantes alpines parmi lesquelles la plus remarquable par ses belles touffes d’un vert sombre émaillées tantôt de fleurs blanches tantôt de fruits d’un rouge vif, est une variété d’arbousier connue vulgairement sous le nom de raisin d’ours. En second lieu, ces veines ou filons ainsi délités et enlevés forment ces rues, ces tunnels, ces chemins qui donnent aux rochers restés debout i’aspect de pâtés de maisons, de tours, de châteaux, de grandes urnes, etc.
- On ne peut, à moins de l’avoir vue, se faire une idée de cette collection de fausses ruines où, à côté
- de rocs figurant des monstres gigantesques, sont des imitations de monuments grandioses. Tous ces enchevêtrements de rues, de voûtes, de couloirs, de saillies sur corniche, tantôt se coupant à angle droit comme une ville tirée au cordeau, tantôt offrant des places ou des cirques, créent un vrai labyrinthe de plus de 500 hectares où l’on erre souvent dans un grand embarras. C’est une ville fantastique, le fruit d’un songe vagabond, méritant bien le nom de Ville-du-Diable donné par les paysans.
- Tout ce vaste espace est plongé aujourd’hui dans une solitude absolue. Quelques chevriers y mènent de petits troupeaux, quelques paysans vont y couper des pins sylvestres qui sont tantôt épars dans les fissures des rocs et sur le sommet des tours, tantôt
- p.125 - vue 129/432
-
-
-
- 126
- LA NATURE.
- forment de hauts bouquets au centre des places ou des cirques. Il est certain, toutefois, d’après des fouilles très superficielles, que ces nombreuses grottes ont été habitées aux âges antéhistoriques.
- Je ne doute pas que les touristes chercheurs des contrées vierges, les amateurs de l’étrange ne soient largement récompensés, d’une heure et demie d’escalade dans des sentiers rendus très praticables i) par l’impression ineffaçable produite sur l’imagination la plus blasée par cette cité fantastique située à 12 kilomètres de Milhau et offrant, comme avenue, l’enchanteresse vallée de la Dourbée.
- Louis ue Malafosse.
- CRAPAUDS TROUVÉS VIVANTS
- DANS des pierres
- A l’appui de l’article publié précédemment à ce sujet par M. de Rochas (n° 606, du 10 janvier 1885, p. 85), on nous cite quelques faits analogues que nous nous empressons de publier. Voici d’abord ce que M. Eùgène Yi-mont, directeur de la Société scientifique d’Argentan,nous écrit : « En 1860, à Vaux (Ardennes), M. Didrich, aujourd’hui professeur au collège d’Argentan, profita avec quelques-uns de ses camarades, tous âgés de treize à quinze ans, du moment où des Quvriers avaient abandonné une tranchée, pour briser des pierres calcaires. Quel ne fut pas leur étonnement lorsque, en brisant un caillou, ils aperçurent un crapaud immobile ! Avec la pointe de morceaux de paille qui se trouvaient là, ils piquèrent le crapaud, qui se mit bientôt à sortir de son trou et à sautiller. Les enfants l’abandonnèrent ensuite. Auprès d’Argentan, il y a environ douze ans, on trouva également un crapaud vivant dans un lit calcaire situé à 8 mètres de la surface du sol. Divers carriers ont aussi découvert des crapauds dans les mêmes conditions, et le fait n’est pas aussi rare qu’on semblerait le croire au premier abord. »
- M. Alexis Desvignes nous écrit d’autre part, de Genève :
- « Je me trouvais il y a environ trois mois dans une usine située au bord de l’isar, à une soixantaine de kilomètres en amont de Munich. Des ouvriers étaient occupés à démolir le radier d’une turbine fait d’un très bon béton, lorsqu’ils trouvèrent dans l’intérieur du massif un crapaud de la grosseur du poing qu’un coup de pioche venait de mettre au jour. J’appris des propriétaires de l’usine que ce radier avait été construit douze ans auparavant. Cet intéressant batracien était donc resté tout ce temps emprisonné, privé d’air et de nourriture. A sa délivrance il entraîna avec lui un morceau de béton dans lequel tout son arrière-train était encaissé. Il semblait fuir la lumière, car il allait toujours chercher quelque coin sombre et y restait tranquille. Sur notre avis, il a été enfoui de nouveau dans le radier reconstruit. Espérons qu’il y vivra encore une fois en paix ! »
- M. Bertharion, ingénieur civil, garde-mines à Alais, nous informe que, dernièrement, on a trouvé dans les exploitations importantes xle Tavel et Lirac (Gard), appartenant à MM. Parceint et Gillet, un crapaud vivant dans un bloc de phosphate de chaux massif et d’une teneur très élevée,80 p.100. « Voici, d’après les
- 1 C’est du \illage de La Roque, situé à 300 mètres au-de*-sous de la cité, que part le meilleur sentier. 11 existe là une auberge, et la route qui y conduit s’achèvera cette année.
- renseignements que m’a donnés sur les lieux M. Ganne, directeur de l’exploitation, et ensuite par ceux que je viens de recevoir aujourd’hui même, comment on aurait trouvé cet animal. C’est dans l'exploitation de phosphate de chaux de Lirac, arrondissement d’Uzès(Gard), laquelle est située dans le terrain néocomien et dans l’étage supérieur de ce terrain (urgonien), que le crapaud a été trouvé. Des ouvriers étaient occupés à l’intérieur de la montagne désignée sous le nom de cône, à cause de sa forme pointue, à vider une grotte remplie de phosphate de chaux, quand tout à coup en brisant un bloc de phosphate qu’ils venaient d’abattre, ils constatèrent qu’il sortait de l’un des fragments du bloc un crapaud qui mourut immédiatement après être sorti de sa demeure. M. Ganne constata que le bloc de phosphate portait une petite crevasse de 2 millimètres de diamètre qui arrivait jusqu’à l’extrémité du bloc. Cette crevasse a peu d’importance, attendu que le bloc de phosphate a été trouvé noyé dans les argiles, terres qui constituent la gangue du gisement et qui sont imperméables. Aujourd’hui le chantier porte le nom du Chantier du crapaud. »
- M. Thibault, à Meung-sur-Loire, a enfin signalé le fait suivant dans une curieuse lettre qu’il adresse directement à notre collaborateur, M. de Rochas : « La lecture de votre intéressant travail, dit M. Thibaut, me remet en mémoire un fait qui vient à l’appui de vos idées. L’observation porte sur un nasicorne que je trouvai dans une fosse de tannerie pleine de jus assez concentré. Cet animal, très fréquent dans nos établissements, paraissait parfaitement mort et les membres étaient d’une rigidité extrême. J’attribuai d’abord ce fait au tannin et, par curiosité, je posai l’insecte au soleil : il se tenait sur ses pattes comme pendant la vie. Le soir il était encore inanimé, mais ses membres étaient devenus mous et il gisait sur le flanc. Le lendemain il était revenu à la vie. Assez étonné de l’aventure, je le remis dans la fosse pendant plusieurs jours : même durcissement et même retour à la vie. Je refis cinq ou six fois l’expérience, mais je ne puis plus préciser quelles furent les durées des immersions. J’ai trouvé aussi quelquefois des hydrophiles vivant très bien dans ces jus chargés de tannin et de divers acides. »
- CHRONIQUE
- Les ascensions du Mont-Blanc en 1884. —
- Il y a eu l’année dernière 42 expéditions exécutées au sommet du Mont-Blanc, du 30 juin au 26 septembre. Le nombre total des touristes a été de 61, parmi lesquels on compte une demoiselle anglaise, Mlle Richardson, qui est arrivée en haut du géant des Alpes le 12 août, étant partie la veille de Chainounix. Voici les nationalités des autres expédionnistes : Français 25, Anglais 10, Américains 10, Allemands 6, Suisses 5, Irlandais 4. On voit que, contrairement à ce que l’on croit généralement, ce sont les touristes français qui tiennent actuellement le premier rang parmi les alpinistes. Parmi nos compatriotes, il y avait cinq membres du Clup alpin.
- La plus vaste ferme du monde. — La ferme, ou ranch d’élevage du capitaine Richard King, du Texas, vient d’être achetée par V United States Land and Inves-tment Company, de New-York. La superficie de cette ferme est d’un peu plus de 800000 acres, d’un seul tenant. Cette immense propriété est entièrement clôturée et nourrit actuellement 200 000 chevaux, têtes de bétail et
- p.126 - vue 130/432
-
-
-
- LÀ NATURE.
- 127
- bêtes à laine. La compagnie a payé 6 500 000 livres. Elle compte sur un revenu annuel d’environ 1 500 000 livres en se basant sur la multiplication moyenne du bétail. Plusieurs capitalistes français, anglais et hollandais étaient en compétition pour l’acquisition du ranch King.
- L’Exposition d’électricité que la Société internationale des électriciens organise dans les salles de l’Observatoire de Paris, avec le concours de M. l’amiral Mouchez, sera ouverte le dimanche 15 mars prochain. Les demandes d’admission seront reçues jusqu’au 10 février au siège de la Société, 3, rue Séguier, à Paris.
- ACADÉMIE DES SCIENCES
- Séance du 19 janvier 1885. — Présidence de M. Boulev.
- Les tremblements de terre. — M. de Bottelia adresse de Madrid un résumé des faits relatifs aux phénomènes séismiques de l’Andalousie. Il y a joint une carte géologique dont il est l’auteur et insiste sur le peu d’ancienneté des soulèvements dont les environs de Grenade ont gardé les traces dans les lambeaux des terrains pliocènes redressés et contournés. M. de Bottelia relate l’observation des secousses par deux vaisseaux espagnols traversant l’Atlantique, et qui les ont notés, l’un, le 18 décembre, l’autre, le 23 du même mois. Ce dernier se trouvait non loin de San—Fernando.
- Il faut rapprocher do ces faits ceux que signale à M. Fouqué le gouverneur des Açores, et qui consistent dans de violentes secousses dirigées de l’est à l’ouest, et qui furent ressenties dans les îles le 22 décembre à 2 h, 1/2 du matin, c’est-à-dire trois jours avant que l’Espagne ne fut secouée.
- M. Laur, qui persiste dans ses théories inacceptables, croit en voir une confirmation dans les trépidations dont l’Italie du Nord vient d’être le théâtre. A cette occasion, M. Jamin fait nettement ressortir l’impossibilité d’une action barométrique sur le phénomène : Admettons que les gaz souterrains soient confinés dans un réservoir situé à 1000 mètres de profondeur, et soutenant par sa force élastique le toit rocheux auquel, pour simplifier, nous attribuerons une densité de 1,3. La pression de ce gaz, convertie en mercure, sera de 100 mètres, ou, si l’on veut, de 100 000 millimètres. N’est-il pas évident qu’une variation barométrique aussi intense qu’on voudra, de 50, de 40 millimètres, sera absolument insignifiante à son égard?
- En ce moment de passage à Paris, l’illustre directeur des mines du Chili, M. Domeyko,. résume les principales conditions dans lesquelles se manifestent les tremblements de terre. Il a, pendant près de cinquante ans, vécu en rapports à peu près quotidiens avec ces phénomènes, ce qui donne à sa parole une autorité particulière. D’après lui, les localités dont le sol est meuble sont plus volontiers et plus fréquemment ravagées que celles dont le sol est solide et spécialement granitique. Par exemple, il n’y a pas fort longtemps, les villes de Concepcion et de Chillan, qui sont dans le premier cas, furent absolument détruites des deux côtés de la Cordillère, pendant que des villes intermédiaires, mais établies sur le roc ferme, étaient respectées. Sortant un jour d’une mine au fond de laquelle il s’était livré à ses travaux ordinaires, il constata que son habitation avait été
- renversée par un tremblement de terre dont il n'avait ressenti aucun contrecoup ; et cette observation confirme une opinion très solidement enracinée chez les mineurs, que les tremblements de terre sont moins dangereux dans la profondeur qu’à la surface.
- Le laboratoire de Banyuls. — Déjà, à plusieurs reprises, nous avons entretenu nos lecteurs de la station zoologique établie dans les Pyrénées-Orientales. Cette utile fondation s’affirme de nouveau aujourd’hui par un travail de M. Varigny sur la physiologie expérimentale. L’auteur a étudié spécialement et avec beaucoup de développement, les actions d’arrêt dont les muscles sont le siège, et qui déjà ont été signalées par un grand nombre d’observateurs.
- La baleine de Luc-sur-Mer.—Les journaux ont annoncé qu’une baleine s’est échouée sur la côte de Luc-sur-Mer (Calvados). Ce que nous apprend aujourd’hui une nouvelle note de M. Délogé, professeur à la Faculté des sciences de Caen, c’est que l’échouement a eu lieu précisément sous les fenêtres du Laboratoire de zoologie maritime. L’animal, qui est un rorqual mâle (balenoptera mus-culus) est en parfait état de conservation. Les zoologistes, sans gêner les habitants du pays qui viennent en grand nombre prélever des tranches de graisse sur le cétacé, réalisent des préparations anatomiques qui seront très précieuses.
- Histoire des sciences. — Par l’intermédiaire de l’amiral de Jonquières, M. Narducci fftit hommage d’un volume qu’il vient de publier et qui est d’un haut intérêt historique. C’est un Traité de la sphère, de Bartolomeo de Sienne, astronome du treizième siècle. Le manuscrit, à l’insu de tout le monde, en était conservé depuis un temps inconnu dans la bibliothèque Yictor-Emmannel de Rome. Il renferme, paraît-il, une foule de faits importants, et l’on aura une idée du service rendu à la science par M. Narducci qui l’a tiré de l’oubli, quand on saura que Delambre, dans1 son Histoire de P astronomie au mo yen âge, n'en fait aucune mention.
- Varia. — M. Duclos, en étudiant la vitalité des microbes, annonce que, sur soixante-cinq ballons préparés il y a vingt-cinq ans par M. Pasteur, quinze renfermaient des proto-organismes encore vivants. — M. Béchamp assure être arrivé avant M. Duclaux à cette notion que la terre végétale renferme des microbes jouant le rôle de ferments. — C’est avec beaucoup d’éloge que M. Fouqué présente la deuxième édition de l’excellent Traité des roches de mon savant collègue et ami, M. Edouard Jannettaz. — M. Louis Olivier pense trouver dans le radiomètre un appareil propre à la mesure de l’intensité relative des différentes sources lumineuses. — M. Gorgen prépare le peroxyde de cobalt cristallisé en traitant le chlorure fondu par de la vapeur d’eau. — Il résulte des recherches de M. Gui-gnet que beaucoup de végétaux appartenant à des familles très diverses renferment de la glvcirrhyzène.
- Stanislas Meunier.
- UN YÉL0CIPÈDE AQUATIQUE
- POUR LA CHASSE AUX CANARDS
- Le curieux appareil que nous représentons ci-après (fig. 1) d’après une ancienne gravure anglaise de 1823, est un vélocipède aquatique qui a été
- p.127 - vue 131/432
-
-
-
- LA NATURE
- 128
- utilisé avec succès pendant tout l’hiver de 1822. Un amateur s’en est servi pour la chasse aux canards sur les nombreuses pièces d'eau du Lineolnshire, et il en a obtenu, parait-il, de très bons résultats. Le système est tout à fait ingénieux, il se compose de trois llotteurs qui ont environ 50 à 55 litres de ca-
- pacité et qui peuvent être faits en fer-blanc ou en cuivre. Ils sont pleins d’air et doivent être parfaitement étanches ; ils sont maintenus par des tiges de fer arquées, dans la position que montre le dessin, de telle sorte qu’ils forment les trois angles d’un triangle isocèle. Les tiges de fer sont munies à leur
- Fig- 1. — Vélocipède aquatique pour la chasse aux canards. Aquatic Tripod. (D’après une gravure anglaise de 1823).
- milieu d’une selle sur laquelle prend place le vélo-cipédiste. Le système flotte sur l’eau, et. soutient le chasseur à la surface. Ses pieds sont munis de palettes assez courtes, formant rames, et c’est au moyen de ces palettes qu’il navigue et qu’il se dirige à la surface d’une eau tranquille.
- Nous n’avons pas essayé le système, et nous ne saurions en garantir par nous-même l’efficacité, mais il serait très intéressant, à notre avis, d’en étudier la construction et de renouveler les essais du chasseur aux canards de 1822. Si un de nos lecteurs se trouve tenté de faire l’expérience, nous lui saurons gré de nous tenir compte des résultats obtenus.
- L’amusante gravure du vélocipède aquatique, qui o«t mentionnée sous le nom de aquatic tripod, nous a remis en mémoire un autre document du même genre que nous avons vu dans la galerie des estampes de la Bibliothèque nationale; c’est une
- lithographie naïvement dessinée, représentant des essais de vélocipède dans le jardin du Luxembourg, à Paris, en 1818. Nous en donnons ci-contre une reproduction réduite (fig. 2). On voit
- que les vélocipèdes de 1818 étaient en bois, ils portaient deux roues, une à l’avant, l’autre à
- l’arrière, et c’est avec les pieds sur le sol que le vé-locipédiste imprimait le mouvement au sys-
- tème. 11 nous a semblé qu’il y
- avait une certaine analogie entre ces vélocipèdes terrestres de 1818 et Yaquatic tripod de, 1822. Le chasseur aux canards vélocipédiste a dû s’inspirer, dans sa construction nautique, de ces appareils
- antérieurs. G. T.
- Le propriétaire-gérant : G. Tbsandier. Imprimerie À. Lahure, 9, rue de Fleurus, à Paris.
- p.128 - vue 132/432
-
-
-
- N° 609. — 51 JANVIER 1885.
- LA NATURE.
- 129
- LÀ CULTURE DE LÀ NÀCRE
- A TAHITI
- Notre belle et si poétique colonie (le Tahiti, intéressante à tant de titres, a pour production principale la nacre. C’est la nacre qui alimente son commerce , c’est la nacre qui donne lieu aux échanges relativement importants qui se pratiquent dans ces contrées lointaines d’Océanie, c’est la nacre qui attire les bateaux qui, depuis un siècle.parcourent les îles désolées et sauvages dont se composent les archipelsdes Tuamotu , des Gam-bier et des Tu-buaï.
- A cause de sa rareté, la nacre a toujours été considérée comme une chose de luxe. Avant que les navigateurs n’eussent découvert cette autre partie du monde, perdue dans l'immensité du Pacifique, elle était plus rare encore qu’aujourd’hui; elle avait plus de valeur peut-être, mais elle n’était assurément ni plus recherchée ni plus prisée.
- Actuellement on l’emploie beaucoup dans la fabrication d’objets et meubles spéciaux, et l’industrie française, notamment, a su l'associer à ses merveilleuses et incomparables conceptions artistiques.
- La nacre employée par l’industrie est fournie par des coquillages d’espèces diverses ; la plus estimée, la plus irisée, la plus belle aussi, est celle que produit l’huître perlière.
- 43° aimée. — 4er semestre.
- On distingue encore deux sortes d’huîtres perlières : l’une, connue sous le nom de pintadine (Meleagrina margaritifera), se trouve en Chine, aux Indes, dans la mer Rouge, aux îles Comores, au nord-est de l’Australie, dans le golfe du Mexique et particulièrement aux îles Tuamotu et aux îles
- Gambier; l’autre, plus communément désignée sous le nom d’huître perlière (.Meleagrina ra-diala), vient sur-lout aux Ipdes, dans les mers de Chine, dans la mer des Antilles, la mer Rouge et au nord de l’Australie.
- La première possède une coquille plus dure, plus azurée, plus transparente, atteignant des dimensions plus grandes que la dernière. On en voit qui mesurent jusqu’à trente centimètres de diamètre et pèsent plus de 10 kilogrammes; la Meleagrina ra-diata dépasse rarement dix centimètres dans la plus grande dimension et n’atteint jamais le poids de 150 grammes. Les deux variétés fournissent des perles. Suivant la mode, le goût du jour, on préfère tantôt les unes, tantôt les autres ; néanmoins les perles de la
- grande pintadine paraissent d’un éclat bien plus vif, de tons plus transparents et plus intenses que celles de sa congénère.
- Le commerce des perles est d’une évaluation difficile en ce qui concerne nos possessions d’Océanie. On ne peut fixer, à cet égard, un chiffre même approximatif, ce commerce échappant à tout contrôle
- 9
- Uuii pêcheuse île nacre attaquée par un requin, (b’apres les documents communiqués par l’auteur.)
- p.129 - vue 133/432
-
-
-
- 130
- LA N AT U LE.
- et s’exerçant en quelque sorte d’une façon clandestine. Les uns estiment qu’il s’élève à 100 000 francs environ par an, d’autres qu’il atteint 500 000 francs. D’après ce que j’ai vu aux îles Tuamotu, et considérant, d’autre part, le nombre assez grand de personnes qui, à Papeete seulement, s’occupent de ce commerce et en vivent, j’opinerai pour un chiffre se rapprochant de 300 000 francs1. C’est en Angleterre que se trouvent les plus importants marchés de perles fines.
- La grande pintadine vient sous les tropiques. L’archipel des Tuamotu et des Gambier est, avons-nous dit, le point où on la trouve en plus grande abondance. Là, elle est dans le milieu qui lui plaît. Au sein de ces lagons aux eaux claires et limpides, elle se développe en toute liberté, se reproduit dans les conditions les meilleures et sans être troublée dans l’accomplissement de cette fonction génératrice.
- L’archipel des Tuamotu et des Gambier, annexé en même temps que les îles de Tahiti et de Moorea, se compose de quatre-vingts îles, produisant presque toutes de la nacre, dont soixante-douze sont habitées d’une manière intermittente par environ cinq mille individus appartenant à la race maori. La France possède là une population excellente et dévouée, très lîère de sa nationalité nouvelle, restant indifférente à toutes les tentatives entreprises contre notre influence. Elle aime la France, le proclame et le manifeste hautement toutes les fois que l’occasion s’en offre. Laborieuse, docile, soumise, de mœurs simples et douces, observant avec une scrupuleuse fidélité les lois et les règlements qu’on lui a donnés2 * 4, elle est une des plus déshéritées et des plus pauvres qu’il soit sur le globe.
- La langue étroite de terre ou plutôt la couronne de récifs arides qui entoure le lagon de ces îles ma-dréporiques, éloignées de plus de mille lieues de tout continent, où l’on ignore pendant des mois, des années entières, ce qui se passe dans le reste du monde; la couronne de récifs où toute terre végétale est absente, où il n’y a que le sable des coraux brisés par la mer, lui donne à peine de quoi suffire à sa misérable et précaire existence.
- Alors que la population heureuse sa voisine, résidant sur les rives bénies et fortunées des îles de la Société, où tout croît sans travail et en abondance, mène une vie facile et remplie de plaisirs, le malheureux Tuamotu, lui, est réduit à se nourrir de cocos et de quelques rares et maigres graines de pandanus — à peu près les seuls fruits sur ces plages sablonneuses, — de poissons ou de coquillages qui, pendant plusieurs mois de l’année, sont empoisonnants, et aussi, il faut bien le dire, de la
- 1 L’Australie qui ne fournit environ par an que 250 tonnes
- de nacre, tandis que nous en exportons de 5 à 600, livre au
- commerce pour 300 000 francs de perles.
- 4 Aux îles Tuamotu comme aux îles Tahiti et Moorea, la perception des impôts se fait facilement. Il est bien rare qu’un indigène n’ait pas acquitté les redevances de l’année avant l’expiration du premier semestre.
- viande de chien, à défaut d'autre substance animale.
- Rien ne vient sur ces récifs battus par la mer, émergeant de l’Océan de la façon la plus imprévue, pas plus les animaux que les arbres. Il n’yad’autres oiseaux que les faméliques oiseaux de mer qui explorent les océans, d’autres quadrupèdes que ceux que l’on y a introduits, d’autres ressources alimentaires nécessaires à la vie de l’Européen que celles que les bateaux y apportent. Ni pain, ni viande, ni vin.
- L’anthropophagie, qui d’ailleurs a cessé depuis l’occupation française, était pratiquée par ce peuple cependant bien doux, bien bon et bien hospitalier. Mais le besoin pressant, l’impitoyable faim, n’expliqueraient-ils pas, dans une certaine mesure, cette barbare coutume?
- À l’heure actuelle, les îles des Tuamotu sont absolument sûres; on peut les visiter impunément; on y trouvera un peuple affable, obligeant, paisible.
- Le peuple des Tuamotu est essentiellement nomade. Il l’est par besoin autant que par goût. Quand un lagon est épuisé, quand la plonge ne produit plus rien, quand l’interdiction de la pêche atteint File sur les rives de laquelle il a élu domicile, l’indigène, sans amertume, sans regrets, sans soucis même, place dans son embarcation ce qui compose sa famille et son bien : sa femme, ses enfants, ses chiens, ses maigres et chétives poules, ses porcs, la natte dure qui lui sert de lit, abandonne la hutte où il était établi et va, un peu au gré des vents, chercher ailleurs, dans une autre île, souvent bien éloignée, non pas la fortune, — son ambition ne va pas jusque-là, et au surplus l’esprit de possession et d’économie n’existe pas chez lui, — ni même le bien-être, la vie confortable, mais de quoi vivre par le travail, lui et les siens.
- Sa seule industrie est la plonge. Tous y prennent part, les femmes comme les enfants. Ils ont pour ce dur et pénible métier une aptitude vraiment merveilleuse. 11 existe à Anaa une femme qui explore les fonds de vingt-cinq brasses de profondeur et reste parfois près de trois minutes sous l’eau. Cette femme n’est pas une exception. Et combien sont .dangereuses ces investigations dans les sombres profondeurs du lagon, où régnent en maîtres les requins affamés, contre lesquels, quand on ne parvient pas à les éviter, il faut engager une lutte où l’existence est en jeu! Il ne se passe pas d’année qu’un plongeur ne sorte mutilé du fond des eaux. Il n’y a qu’un an ou deux, — pour ne citer qu’un seul exemple, — une jeune femme eut l’épaule et le sein emportés par un de ces voraces habitants des mers.
- Lorsqu’un accident arrive, la terreur, l’épouvante se répand parmi les plongeurs ; la pêche de la nacre cesse pour quelque temps. Mais ce sentiment de crainte justifiée, de danger réel, ne persiste pas. D’ailleurs il faut céder aux besoins impérieux de la vie. Pour l’indigène des Tuamotu, la nacre est la
- p.130 - vue 134/432
-
-
-
- LA NATURE
- 131
- monnaie courante ; c’est avec de la nacre qu’il achète les vêtements sommaires dont il se couvre, le peu de pain, de farine ou de conserves qui complètent son alimentation, et enfin l’alcool, funeste présent de la civilisation, pour lequel, comme tous les Océaniens du reste, il a une passion prononcée. Hélas! quel est le peuple sans défauts et sans vices?
- Le peu riant tableau que je viens de tracer est exempt, je l’assure, de toute exagération. Je ne puis énumérer les souffrances qu’endurent ces braves gens qui nous sont si attachés, ni les vexations dont ils ont été ou sont l’objet de la part de trafiquants étrangers, aussi peu scrupuleux qu’âpres au gain, et qui abusent de l’honnêteté, de la naïveté de ces races primitives.
- 11 y a vingt ou trente ans, le commerce de la nacre, aux îles Tuamotu, procurait de beaux bénéfices à ceux qui s’y livraient. Moyennant une pièce d’étoffe sans valeur, quelques poignées de farine ou quelques litres de rhum, on obtenait une demi-tonne de nacre, valant mille ou deux mille francs, ou bien de belles perles fines dont les indigènes ignoraient le prix.
- Les archipels étaient fréquentés par des bateaux de diverses nationalités. La nacre était abondante, les perles étaient moins rares qu’à présent. Depuis lors, le nombre des bateaux trafiquants a augmenté ; les indigènes, sollicités par les avantages d’un commerce qui devenait plus fructueux à mesure que s’étendait la concurrence, se sont mis à pêcher avec une ardeur imprévoyante ; et maintenant ils s’aperçoivent que les lagons sont moins productifs , qu’ils se dépeuplent et que quelques-uns des plus fertiles donnent des signes manifestes d’épuisement.
- La situation intéressante de la population des Tuamotu, le danger dont elle était menacée d’être dénuée de toute ressource, privée de tout travail, la crainte aussi de voir tarir bientôt une des sources de revenus les plus productives de la colonie tahi-tienne, disparaître l’élément principal de son commerce1, ont appelé la sollicitude éclairée de l’administration coloniale.
- . Avec un empressement dont le conseil colonial de Tahiti a tenu à le remercier, M. le sous-secrétaire d’État a bien voulu me désigner pour aller remplir une mission en Océanie. Le programme d’études que m’avait donné le ministère était le suivant :
- 1° Quel est l’état réel des lagons produisant les huîtres? Commencent-ils à s’appauvrir?
- Quelle est la cause de cet appauvrissement, quels sont les moyens d’y remédier?
- 2° Ne serait-il pas possible de créer aux Tuamotu, aux Gambier, à Tahiti, a Moorea, pour la culture de la nacre, une industrie analogue à celle qui existe en France pour la culture des huîtres comestibles? Ne pourrait-on, par cela même, procurer aux indigènes des Tuamotu un travail rémunérateur,
- 1 La colonie de Tahiti exporte annuellement de 800000 à 1 000 000 de francs de nacre. Les droits provenant de l'octroi de mer s’élèvent à 20 000 ou 25 000 francs, selon les années
- sédentaire, continu, qui les rendrait indépendants et les soustrairait à la cupidité des trafiquants sans probité dont ils sont les victimes et les dupes? Ne leur épargnerait-on pas ainsi les peines et les dangers résultant de la pratique assidue de la plonge? Ne serait-ce pas un moyen de les attacher à leur foyer, à leur famille, à leur île natale, de leur préparer une vie plus paisible et de les élever peu à peu vers le niveau social des peuples de eivili- . sation ancienne?
- 3° Y a-t-il lieu de réglementer la pèche de la nacre dans les archipels? Quelles seraient les bases de cette réglementation?
- Bien que les statistiques n’accusent pas une grande diminution dans la production de la nacre (cela tient à ce que le contrôle est difficile et qu’il se fait un commerce clandestin facilité par le manque de surveillance et le voisinage des îles sous le Vent), il résulte de l’enquête minutieuse à laquelle nous nous sommes livré sur les lieux mêmes, que les lagons s’appauvrissent de jour en jour, que les belles nacres sont de plus en plus rares et que même, pour rencontrer des huîtres de dimension marchande, les plongeurs sont tenus d’aller les chercher dans les grands fonds.
- J’estime que si on ne prend pas de promptes et vigoureuses mesures, les lagons des Tuamotu risquent d’être très appauvris, sinon ruinés, avant qu’il soit peu d’années. Les dispositions appliquées par les administrateurs qui se sont succédé à Tahiti étaient excellentes assurément, mais insuffisantes pour prévenir cette ruine.
- L’interdiction de la pêche, prononcée pendant plusieurs années sur un certain nombre d’îles, en vue d’en favoriser la régénération, ne pouvait produire ce résultat, parce que, contrairement à ce qu’on avait cru jusqu’alors, la pintadine est hermaphrodite et non unisexuée.
- La cause de l’appauvrissement des lagons consiste dans la pêche abusive et exagérée à laquelle on s’est livré L G. Bouchox-Buandely.
- — A suivre. —
- LE COQ PHÉNIX DU JAPON
- De toutes les races de Poules récemment introduites en Europe, la plus remarquable assurément, sinon par la beauté, au moins par la bizarrerie de ses formes, est certainement la race Phénix dont plusieurs représentants vivent actuellement au Jardin d’Acclimatation du bois de Boulogne. Les premiers individus de cette race que l’on ait vus dans notre pays figuraient, dit-on, à l’Exposition univer-
- 1 Pour cc qui est des autres points contenus dans le programme d'études qui m’avait été tracé, ils ont été examinés un à un dans une lettre que l’auteur a adressée au gouvernement de Tahiti avant son départ de la colonie. Un projet de réglementation a d’ailleurs été adressé au Ministère de la marine.
- p.131 - vue 135/432
-
-
-
- 152
- LA NATURE.
- selle de 1878, dans la ferme japonaise où, chose curieuse, ils attirèrent à peine l’attention. Il parait cependant que Mine Bodinus, ne'e d’Holïschmidt, qui, dans sa ville d’Uccle-lès-Bruxelles (Belgique), s’occupe avec grand succès de l’élevage des volailles, ayant entendu parler de ces poules japonaises, chercha à les acquérir; mais elle ne réussit pas immédiatement dans ses démarches et c’est seulement un peu plus tard qu’elle reçut en cadeau, de la personne à laquelle ils avaient été donnés, quelques-uns des spécimens qui avaient été apportés à l’Exposition de 1878. - ' * • -
- Vers la même époque, la baronne d’Ulm-Erbach, née de Siebold, reçut de son côté un lot de poules de la même race, que son frère lui avait fait venir directement du Japon. Ces volailles arrivèrent un peu souffrantes ; néanmoins au bout de quelque temps elles paraissaient s’être complètement remises des fatigues du voyage, et la poule avait même pondu quand la mue survint et fit périr le couple avant que l’on fût parvenu a élever une seule couvée.
- En* 1879, de nouvelles poules semblables aux précédentes furent importées du Japon à Hambourg par M. Wicbman qui les désigna sous le nom de Phénix et qui s’occupa activement de leur propagation, de concert avec M. le conseiller Hugo du Roi, de Brunswick.
- Ces deux amateurs ne se contentèrent pas d’élever des Phénix de race pure, ils les croisèrent avec des Yokohamas et des Coqs de combat, et ils obtinrent des produits, de physionomies diverses, dont quelques-uns figuraient à l’Exposition ornithologique de Vienne, en 1884, à côté de véritables Phénix dans toute la splendeur de leur plumage, appartenant à Mme d’Ulm-Erbach et à M. du Roi.
- Au moment où l’attention commençait à se porter, en Allemagne et en Belgique, sur les volailles japonaises, M. Tony Conte, premier secrétaire de l’ambassade de France à Tokio, s’occupait également de doter notre pays de ces beaux Gallinacés, et, à la fin de l’année 1881, il réussit à se procurer plusieurs couples de Phénix qu’il adressa à M. ;A. Geoffroy Saint-Hilaire, directeur du Jardin d’Àeclimatation, et qui arrivèrent à Paris au mois d’avril 1882. Ces oiseaux s’accommodèrent fort bien de notre climat et se reproduisirent dans les parquets du Jardin d’Aeclimatation de telle sorte que, l’année suivante, cet établissement put céder à M,ue Bodinus quelques individus adultes et un grand nombre de jeunes, nés et élevés en France. On put désormais se faire une idée des caractères de la race et constater les différences qu’elle présente avec la race de Yokohama
- qui, comme son nom l’indique, est également originaire du Japon et qui a été introduite en France par le Père Girard et acclimatée par M. A. Geoffroy Saint-Hilaire.
- Chez le coq Phénix comme chez le coq de Yokohama, le port est droit, la tète relativement petite, le cou allongé, le corps svelte et haut monté et les faucilles, ou grandes couvertures de la queue, forment avec les lancettes, ou plumes des reins, un panache d’une rare élégance ; mais chez le premier la crête est sensiblement plus développée, les pattes sont un peu moins hautes, la poitrine est moins étroite, les parties inférieures du corps offrent une teinte plus sombre et le panache acquiert des dimensions extraordinaires. M. Tony Conte a remis, en effet, à M; Geoffroy Saint-llilaire, deux plumes caudales, ou, pour parler plus exactement, deux faucilles de coq Phénix qu’il a recueillis au Japon, et dont l’une mesure lm,80 et l’autre 2m,50 de longueur. On prétend même que sur un spécimen conservé au musée de Tokio les plus longues faucilles n’ont pas moins de 132 pouces 1/2, c’est-à-dire environ 5m,60
- de long. Enfin, sur une peinture japonaise dont le fac-- * similé a été publié
- cette année par le journal belge Chasse et Pêche1 et qui représente un couple de Phénix, le coq porte une traîne immense formée de rubans onduleux dont la longueur équivaut à 7 ou 8 fois la longueur du corps. Mais il 'est probable que, dans cette circonstance, l’artiste s’est laissé emporter par son imagination et a'quelque peu exagéré une particularité qui a valu au coq Phénix le nom japonais de Chou-vi-kei (Coq à longue queue).
- Dans la notice qui accompagne ce tableau, notice que Mme d’Ulm-Erbach a reproduite dans son article sur Xélève de la volaille au Japon, publié dans les Ornithologische Mittheilungen de vienne et dans le journal Chasse et Pêche, on lit cependant : « Ceci est le portrait scrupuleusement fait d’un couple de volailles Chou-vi-kei, élevé par son propriétaire Parafai Shimanouehi de Kouchi en Tosa (fig. 1)— Cette race de volailles extrêmement remarquable qui, parmi les nombreuses variétés élevées au Japon, a la queue la plus longue, est encore peu connue ; elle est originaire de la province de Tosa, dans l’île de Sihohu, et est aussi connue les noms de Shinowa-raton ou de Kurosassa Oski. 11 y a une soixantaine d’années l’éloge de cette remarquable volaille était universellement pratiqué à Tosa et depuis on s'en est servi pour divers croisements. »
- Dans un livre publié en 1859, un auteur japo-
- 1 Voy. le numéro de Chasse et Pêche du 6 avril 1884.
- Fig. 1. — Coq du Japon. (D’après un dessin japonais.)
- p.132 - vue 136/432
-
-
-
- LA NATURE.
- 155
- nais, M. II. Misehimura, a donné aussi de la race Chou-vi-kei une figure et une description sommaire que Mme d’Ulm-Erbach a traduite en ces termes : « En Corée il y a une espèce de volaille dont le coq a une queue étroite et longue de 3 pieds et à Tosa une espèce pareille, nommée Saganami, de la taille d’un coq ordinaire et qui ne se fait remarquer que par la longueur de sa queue, que le coq porte horizontalement de façon que les plumes, énormément longues, traînent par terre. Il existe probablement encore plusieurs autres variétés ressemblant au Paon, obtenus par divers croisements, les unes dorées, d’autres argentées ou encore toutes blanches, que l’on nomme, dans le pays, Skia fagi, etc. »
- En revanche, nous croyons que c’est à la race de Yokohama plutôt qu’à la race Phénix que le voyageur Robert Fortune a fait allusion dans le passage suivant, cité également dans l’article de Mwe d'Ulm-Erbach : « Je remarquai1 quelques variétés de poules étonnantes et magnifiques. Elles étaient au-dessus de la taille ordinaire et se distinguaient par leur beau plumage. Les plumes de la queue étaient allongées et gracieusement ondulées ; de fines plumes soyeuses descendaient des deux côtés. » Et plus loin encore, dans cet autre passage : « Mais les différentes races de poules me frappèrent2 plus que tout le reste. L’espèce que j'avais déjà vue à Nanga-saki existait également ici, mais il s’y trouvait de
- plus un oiseau d’un blanc pur avec une belle queue formant une courbe allongée et avec de longues plumes soyeuses descendant de chaque côté du dos. C’était un oiseau magnifique et valant bien la peine d’être introduit en Europe, si la chose n’est déjà faite. » En effet, non seulement ces dernières lignes ont été écrites à Yokohama, patrie de la race du même nom, mais la livrée blanche dont était revêtu l’un des oiseaux observés par Robert Fortune est précisément la livrée d’une des variétés actuellement connues en Europe, de la race de Yokohama ; enfin si le voyageur dont nous venons de citer le nom avait eu sous les yeux de véritables coqs Phénix, il eût été certainement frappé de la longueur démesurée des faucilles et il eût insisté sur ce caractère
- dans sa description, au lieu de dire simplement que la queue formait une courbe allongée.
- Mais revenons aux coqs Phénix. Ceux que nous avons vus en 1884 à l’Exposition ornithologique de Vienne et qui appartenaient à M. IL du Roi et à Mme d’Ulm-Erbach nous ont paru un peu moins élancés que ceux qui vivent actuellement au Jardin d’acclimatation (fig. 2). Ces derniers rappellent par leur physionomie et par leurs allures les Coqs de combat anglais, dont ils se distinguent d’ailleurs très facilement par leur livrée et par l’énorme développement de leurs plumes caudales. Leur tête, fine et gracieuse, est surmontée d’une crête simple et dres-
- 1 Le voyageur était alors au Japon.
- 3 L’écrivain se trouvait à Yokohama.
- p.133 - vue 137/432
-
-
-
- 154
- LA NATURE
- sée, qui est colorée en rouge, de même que les joues, et dont le bord supérieur est finement dentelé ; leur cou, très légèrement recourbé, paraît brusquement aminci dans sa partie supérieure, parce qu’il est revêtu de plumes lancéolées qui vont en augmentant de longueur, de haut en bas, et qui forment un ample camail recouvrant en arrière la naissance du dos, mais entr’ouvert en avant de manière à laisser voir le plastron. Celui-ci n’est pas d’un brun marron ou rougeâtre mélangé de blanc, comme chez la plupart des coqs de Yokohama ; il offre une teinte noire uniforme qui s’étend sur toutes les parties inférieures du corps et qui contraste toujours fortement avec la teinte des plumes de camail, que celles-ci soient d’unjaune paille extrêmement clair, comme dans la variété dite dorée, ou d’un blanc argenté, comme dans la variété dite argentée. Les plumes du camail, à leur tour, tranchent ordinairement sur celles du dos et des épaules qui, chez un grand nombre d’individus, affectent une belle teinte marron à reflets veloutés; mais, dans d’autres cas, elles se confondent plus ou moins par leur nuance avec une teinte café au lait répandue sur une partie du manteau. En revanche, les ailes sont toujours variées de vert métallique, de noir et de blanc, et la queue d’un noir mat est en grande partie dissimulée sous les faucilles qui offrent, comme la partie antérieure des ailes, des reflets verts extrêmement brillants. Sur les reins sont implantées de longues plumes, les lancettes, qui retombent de chaque côté jusqu’à terre et dont la couleur rappelle celle du camail. Enfin le bec, l’iris et les pattes n’ont pas des teintes absolument constantes : ainsi, chez le Coq Phénix doré à ailes de canard, les mandibules sont d’une teinte jaunâtre chair, les yeux d’un jaune orangé et les tarses d’un jaune pâle, tandis que chez le Coq Phénix argenté à ailes de canard les mandibules sont brunâtres, les yeux d’un rouge orangé et les tarses d’un gris de plomb.
- Les poules que l’on peut voir maintenant au Jardin d’Aeclimatation ont la tête taillée sur le même patron que celle du coq, les joues emplumées, la queue étroite et allongée; elles rappellent un peu, par leur aspect général, les poules de la race de Dorking, mais elles ne portent pas toutes la même livrée : chez les unes le gris brunâtre est la teinte dominante du plumage, tandis que chez les autres c’est le gris argenté. Les premières ont les plumes du camail beaucoup moins largement bordées de blanc que les secondes, dont l’abdomen tire au gris et dont le dos et les ailes sont ornées de zébrures plutôt grises que brunes.
- M. La Perre de Roo qui, dans plusieurs articles insérés l’an dernier dans le journal VAcclimatation, a décrit avec beaucoup de soin les poules et les coqs de race Phénix reçus précédemment par le Jardin du bois de Boulogne nous apprend que parmi ces spécimens la plupart appartenaient aux variétés ci-dessus décrites, mais que deux poules étaient re-
- vêtues d’une livrée entièrement blanche et avaient les pattes d’un blanc rosé tandis que les autres poules du même envoi avaient les tarses jaunes ou gris. Suivant le même auteur, qui tient ces renseignements de M. A. Nuyens et de M. YVeckemans, directeur du Jardin zoologique d’Anvers, dans un lot de Phénix acquis par ce dernier établissement et venant directement du Japon se trouvaient aussi un coq d’un blanc pur, un coq blanc à épaules rouges ressemblant à un coq de Yokohama par ses formes et par son plumage, une poule blanche marquée de quelques taches brunes sur la poitrine, deux poules d’un gris argenté portant à peu près la livrée d’une poule de Dorking, et deux coqs ayant le costume ordinaire de la race Phénix avec la physionomie d'un coq de ferme. Chez l’un de ces derniers individus la crête était simple, droite et régulièrement dentelée; chez l’autre elle était découpée de la même façon, mais se rabattait du côté gauche comme chez la poule espagnole; chez le coq d’un blanc pur elle affectait la même disposition, tandis que chez le coq blanc à épaules rouges elle se montrait sans aucune dentelure. Enfin chez la plupart des coqs qui faisaient partie d’un autre lot acquis vers la même époque par le Jardin d’Aeclimatation, la crête, d’après M. La Perre de Roo, était aussi basse que chez un coq de Yokohama.
- 11 résulte de ces observations que le type de la race Phénix n’est pas encore bien fixé ou qu’il a déjà été altéré par des croisements avec d’autres races. Peut-être aussi y a-t-il eu, à diverses époques, des alliances entre les volailles japonaises et des volailles introduites par les Espagnols aux Philippines ; c’est ce qui expliquerait la tendance manifestée par certains coqs Phénix à porter la crête rabattue comme les poules espagnoles. Quant à l’origine de la poule Phénix, il est absolument impossible de l’établir avec certitude : tout ce qu’on peut constater, c’est qu’elle offre des affinités avec la race de Yokohama et avec la race de combat qui, à son tour, nous paraît procéder, plus directement que beaucoup d’autres, du type sauvage du Coq de Bankiva (Gallus ferrugineus, Gm).
- Suivant les renseignements fournis à M. La Perre de Roo par M. Tony Conte, la race Phénix est peu répandue au Japon et y est tenue en très haute estime. Les riches amateurs gardent ces magnifiques volailles dans des cages assez hautes mais tellement étroites que l’oiseau ne peut s’y retourner. Ces cages sont munies de deux juchoirs, dont l’un est rapproché du plafond tandis que l’autre est situé à un niveau un peu plus bas et sert à la fois de marchepied à l’oiseau lorsqu’il gagne le deuxième échelon et de support à la queue lorsque le coq est perché. Toutes ces précautions ont pour but d’éviter l’usure des grandes faucilles qui constituent la plus belle parure du Phénix. Bien plus, il paraît que lorsqu’on sort les pauvres captifs de leur prison pour leur donner quelque récréation, on pousse la minutie jusqu a envelopper leurs longues plumes dans des
- p.134 - vue 138/432
-
-
-
- LA NATURE.
- 1 "5
- papillottes ! Trouvera-t-on dans notre pays beaucoup de personnes disposées à s’astreindre à de pareils soins? Nous ne le croyons pas; aussi pensons-nous que les Phénix sont destinés à rester dans la catégorie des volailles de luxe. Mais lors même qu’ils ne pourraient jamais être rangés dans la catégorie des oiseaux réellement utiles, ils ne mériteraient pas moins d’être recommandés à l’attention des éleveurs, d’autant plus qu’ils paraissent s’accommoder fort bien de notre climat. Chez Mme Bodinus où ils jouissent d’une demi-liberté, comme au Jardin d’Ac-climatation où ils sont enfermés dans des parquets de 5 à 4 mètres carrés de superficie, les Coqs et les Poules Phénix vivent en parfaite santé; leurs couvées qui éclosent vers le mois d’avril et de mai se développent dans de bonnes conditions et les poussins dont l’aspect rappelle d’abord celui des jeunes Casoars, peuvent être facilement nourris avec une pâtée composée de pain et d’œufs durs, de millet, de salade hachée et de larves de fourmis. Le seul moment critique dans l’éducation de ces oiseaux est celui où ils revêtent leur livrée définitive. Ils traversent alors une véritable crise et réclament une nourriture réconfortante. M. La Perre de Roo conseille de leur donner alors du sarrasin, du blé de bonne qualité, de la viande crue coupée en menus morceaux, du sang desséché, des insectes et de la verdure, de mettre dans leur auge un peu d’eau ferrugineuse et de les tenir dans un poulailler bien aéré, mais suffisamment chaud. E. Oustalet.
- LA MITRAILLEUSE MAXIM
- (THE MAXIM SELF ACTING MACHINE Gün)
- La mitrailleuse n’est point, comme on l’a dit, le fruit d’une invention nouvelle. Ce n’est qu’un perfectionnement de l’engin que nos aïeux du seizième siècle appelaient jeu d'orgues et dont Ilanzelet préconisait l’usage. « L’invention de ces orgues, dit-il, a esté fort pratiquée en Flandre par le comte Maurice (de Nassau) et sert de grande deffense contre la cavallerie, et partant sont de grand service tant aux villes comme en la campagne. »
- Pour ce qui est des temps modernes, la première mitrailleuse est celle du docteur américain Gatling *. Cet engin fut mis en service pendant la guerre de la Sécession des Etats d’Amérique (1861-1865), c’est-à-dire avant que la cartouche métallique eût été soigneusement confectionnée, comme elle l’est aujourd’hui. Or, on sait que la valeur du jeu d’une mitrailleuse dépend essentiellement du degré de perfection auquel a pu atteindre la cartouche employée. De là les difficultés que rencontra le constructeur américain.
- 1 Voy. l’article intitulé Les mitrailleuses de bord, système Gatling, n° 259, du 18 mai 1878, p 385. Voy. aussi la notice sur Les mitrailleuses aux colonies, n° 180, du 11 novembre 1876, p. 384.
- Après l’appareil dont le docteur Gatling ne put faire prévaloir l’usage courant, parut la mitrailleuse française. C’était, on se le rappelle, une bouche à feu dont les dimensions et le poids nécessitaient un emploi d’attelages et qui n’obtint pas le succès auquel elle croyait pouvoir prétendre.
- Viennent ensuite les mitrailleuses Ilotchkiss, Lo-well, Nordenfelt et Gardner, dont on sait l’organisation ingénieuse.
- Aujourd’hui, les journaux étrangers Engineering, Iron, Engineer, Scientific American, etc., célèbrent à l’envi les mérites et l’originalité d’une mitrailleuse automatique (self acting machine gun) de l’invention de M. Maxim. C’est ce nouvel engin que nous allons décrire.
- Dans toutes les mitrailleuses connues jusqu’à présent, le tir s’exécute par le moyen d’une manivelle (crank) ou d’un levier (lever) que fait mouvoir l’opérateur. C’est la main de l’homme, en somme, qui accomplit, à l’aide d’un mécanisme, les divers actes de l’opération voulue, depuis le chargement jusques et y compris l’extraction de l'étui.
- La vitesse de tir d’une mitrailleuse dépend en grande partie du type de la cartouche et de l’époque à laquelle remonte la confection de celle-ci. Si cette époque est lointaine, il peut se faire qu’on rencontre des traces d’humidité dans la poudre, non loin de l’enclume ou épinglette (primer). En ce cas, la cartouche est paresseuse, c’est-à-dire que le coup ne part point au moment précis où fonctionne le percuteur. Supposons que, dans un service de mitrailleuse, une cartouche sur mille soit entachée de ce défaut; la chose est fort admissible. Dans cette hypothèse, la manœuvre courante de l’appareil doit être réglée à un degré de lenteur tel que cette paresseuse ait le temps de prendre feu. Faute de cette précaution, ladite cartouche serait extraite de l’âme du canon avant d’avoir fait l’explosion voulue, ou au cours de l’explosion même, ce qui, dans les deux cas, mettrait la bouche à feu hors d’état de rendre les services qu’on est en droit d’en attendre, et cela peut-être au moment où l’on peut en avoir le plus besoin. Telle est la plus grande des difficultés auxquelles se heurtent les ingénieurs qui s’attachent à la recherche d’une solution rationnelle du problème de la construction des mitrailleuses. Or, dans la mitrailleuse Maxim, l’accident des cartouches paresseuses n’apporte aucun obstacle au tir rapide de celles dont l’inflammation est instantanée.
- Quel est le principe de l’appareil? L’organisation de cette bouche à feu ne comporte qu’une âme unique. Le recul, telle est la force motrice employée pour charger, armer, tirer, extraire l’étui de la cartouche et l’expulser. Les cartouches, au nombre de 355, sont insérées, l’une à la suite de l’autre, dans une ceinture de toile (canvas belt) et elles y sont fixées séparément par des pattes à œillets en cuivre dont on voit le détail ci-après (fig. 2, n° 3).
- p.135 - vue 139/432
-
-
-
- 136
- LA NATURE.
- L’appareil est établi sur un aftut-trépied (tripod stand), entre lequel et le haut du support se trouve un compartiment protégé contre les effets du feu de l’ennemi par une paire de boucliers légers.
- De quels mouvements cet appareil est-il capable?
- Le canon peut tourner autour de son axe vertical moyennant le jeu d’une manivelle qui fait mouvoir une vis de rappel (tangent screw). En desserrant l’écrou à trois poignées adapté au bas de . cet axe, on peut donner telle amplitude qu’on , veut à ce mouvement de rotation. Est-il nécessaire , de limiter cette amplitude . à l’éléndue de la largeur d’un pont, d’un passage ou d’un gué, des chevilles d’arrêt, qui se piquent , dans l’arbre du support,
- , fixent lès limites d’écartement voulues. Dans un f plan vertical déterminé, l’inclinaison qu’il est néccs-. saire de donner au canon s’obtient à l’aide' d’une vis de pointage. Il suffit de tourner la roue à main adaptée au support incliné qui relie l’affût à la culasse et, préalablement, de lever le doigt qui commande cette roue.
- Monté sur son affût, l’appareil mesure environ trois.pieds (0m,915) de hauteur et quatre pieds neuf pouces (lm,45) de longueur, de la poignée de culasse à la tranche de la bouche. La vitesse du tir peut varier de deux à six cents coups à la f minute, sans que cette vitesse maximum risque de compromettre la solidité du système ou d’en avarier le mécanisme. A une vitesse quelconque, le servant est libre de toute préoccupation autre que celle de viser. Son coup d’œil n’est jamais troublé par l’obligation de faire tourner une manivelle. Il peut garder son sang-froid et concentrer toute son attention sur le but qu’il s’agit d’atteindre.
- Examinons maintenant le mécanisme dont le fonctionnement assure le chargement et la mise du feu.
- Le canon B (fig. 4), qui est enfermé sous un manchon plein d’eau (water-jacket), peut, à raison de l’explosion d’une cartouche, exécuter un mouvement de recul d’environ 11 millimètres. Ce recul emporte la culasse (block), le chien (sear) et autres organes mobiles.
- Le canon B et la culasse A reculent d’abord avec
- la même vitesse. Mais, pour que l’étui soit extrait et qu’une nouvelle cartouche en prenne la place, il est indispensable que la culasse s’écarte notablement du canon. Cet écart nécessaire doit permettre à une autre partie du mécanisme d’entrer en jeu.
- Au début, culasse et canon sont reliés par le moyen d’un loquet C, lequel est commandé par
- l’arrêt N. Voyons l’effet que va produire le recul.
- Un coup part. Le canon et la culasse reculent, entraînant avec eux le loquet C. Presque immédiatement, sous l’effet de ce commencement de recul, le loquet C (loking hook) vient buter de son bec-avant contre l’arrêt (stop) N. Son bec-arrière se lève. La culasse et le canon sont, dès lors, indépendants l’un de l’autre. Mais le recul de la culasse ne pouvant suffire à assurer le fonctionnement , de l’ensemble des diverses parties du mécanisme, il était nécessaire de confirmer le mouvement de cet organe et d’en accroître l’intensité.
- Voici comment le constructeur a procédé (fig. 2, n° 1 ci-contre). .
- En B, et assez en avant du loquet G est établi sur le canon un levier horizontal a. Dès que le recul, en soulevant le loquet G, a rendu la culasse indépendante du canon, la pointe gauche du levier heurte l’arrêt b et ledit levier commence à tourner autour de son pivot. Ge faisant, il chasse rapidement la pièce c, laquelle étant liée à la culasse, refoule celle-ci en arrière. La vitesse de ce mouvement, assez lent au début, croît à mesure que l’un des bras augmente et que l’autre diminue de longueur. C’est d’ailleurs cette butée de l’arrêt b contre le levier a qui limite le recul du canon. Il est évident que celui-ci est arrêté dans sa course dès que a ne peut plus tourner autour de son pivot.
- On remarquera (fig. 2, n° 1) la présence de deux ressorts e e plantés ou fichés par un bout dans l’avant de l’appareil et ayant pour annexes, à leur extrémité libre, deux bras dd (toggle arms). Le rôle de ces petits organes est complexe. Entre autres fonctions, et à ne considérer que cette première partie du mouvement, leur action assure au canon une position après recul constamment identique à elle-même.
- Fig. 1 — Jeu d'orgues ou mitrailleuse ilu seizième siècle. (D’après Hanzelet.)
- Fig. 2. — Détail du mécanisme de la mitrailleuse Maxim.
- N” 1. Levier et ressorts à bras. — N° 2. Barillet récepteur ou alimentateur. — N° 3. Fragment de la cartouchière. — 4. Ba-
- rillets.
- p.136 - vue 140/432
-
-
-
- LA NATURE
- 137
- En outre, ces ressorts ee atténuent, au premier instant, la trop grande vivacité du recul, sans toutefois en diminuer beaucoup le travail. Us sont d’abord écartés par leurs bras dd; mais, dès que
- ceux-ci ont dépassé leur point mort, ils se referment et lavorisent le mouvement en arrière.
- Le canon étant arrêté du fait de la butée du levier a contre l’arrêt b, la culasse et le mécanisme qui
- Fig. 3. — Mitrailleuse Maxim. — Élévation latérale et vue de face
- s’y attache vont continuer à reculer jusqu’à ce que la manivelle (crank) I devienne horizontale (fig. 4). Au moment où la culasse va se séparer du canon,
- et avant que celui-ci ne soit arrivé à sa position de repos, l’extracteur M frappe une pièce de butée (peg) qu’il rencontre sur son chemin. Tournant
- alors sur un pivot placé sur le canon, il en détache l’étui par le moyen de deux bras ou crocs représentés par des lignes ponctuées. Le chemin parcouru par l’étui est d’environ six millimètres et demi.
- L’extraction est parachevée par une griffe (hook showri) fixée, au-dessus de la culasse, à la glissière
- (crosshead). Cette griffe est établie sous un ressort fixe et recourbé, vers le haut, a chacune de ses extrémités. Le constructeur n’a adopté cette disposition qu’à l’effet de réduire la pression aux deux bouts de la course de ladite griffe. Conduit par celle-ci, l’étui de la cartouche est ramené dans l’un des augets de l’alimentateur cylindrique G qui tourne
- p.137 - vue 141/432
-
-
-
- 138
- LA NATURE.
- en partie au moment où la manivelle I devient horizontale (voy. fig. 4 et fig. 2, n° 2). Tournant d’un cran avec cet auget,l’étui est jeté dehors au coup suivant. En même temps, arrive la nouvelle cartouche. Cette rotation partielle de l’alimentateur G amène, vis-à-vis du canon, l’auget suivant dans lequel cette cartouche est logée.
- En résumé, lors du mouvement de recul de la culasse : 1° la griffe (hook shown) enlève l’étui et l’amène'dans un auget de l’alimentateur G; 2° la manivelle (crank) I, qui cède au recul, prend la position horizontale et les rondelles II amortissent le choc qui peut se produire lors du passage de la bielle par son point mort ; 3° le levier d’armement (cocking lever) vient buter contre son taquet J. Le ressort à boudin enroulé autour du percuteur (striker) est par là comprimé ; et le percuteur, amené à la position de l’armé. Ledit percuteur garde cette position, maintenu qu’il est par le bec du chien (sear); 4° le locomoteur E (transférer) extrait, de sa griffe, une cartouche du barillet F (feed whele) et la conduit dans l’auget inférieur de l’alimentateur G; 5° au terme du recul, cet alimentateur, tournant d’un cran, entraîne le barillet dans le mouvement de rotation. En conséquence de ce mouvement, un étui tombe et une cartouche nouvelle arrive se placer vis-à-vis du canon.
- Telle est, rapidement résumée, la première phase de fonctionnement de l’appareil.
- Au cours de la seconde phase qui va commencer, la cartouche sera poussée dans sa chambre; le canon, relié à la culasse; le percuteur, actionné.
- Comment cela va-t-il s’effectuer?
- On a vu plus haut que, au cours de la première phase, la manivelle prenait, à certain moment, une position horizontale. Mais, alors, en vertu de la vitesse acquise, la bielle franchit son point mort et s’achemine vers une position symétrique, laquelle sera sa position de départ pour le coup suivant. Lorsque la manivelle a dépassé l'horizontalité, la culasse se porte en avant, pousse devant elle la cartouche et l’introduit, dans sa chambre. Le loquet C mord sur la partie antérieure de la culasse et relie celle-ci au canon. Ainsi réunis, canon et culasse poursuivent ensemble leur mouvement en avant. La quantité de mouvement de la manivelle et de la glissière suftit à faire avancer le canon jusqu’à ce que les bras dd (toggle arms) dépassent leur point mort (fig. 2, n° I). Cela étant, c’est sous l’action des ressorts ee que s’accomplit le reste du parcours.
- A l’arrivée au terme de ce voyage, le chien, venant à toucher la came (cam) K, déclenche le ressort du percuteur... Le coup part.
- Tel est lç fonctionnement de l’appareil au cas de l’exécution d’un tir rapide maximum, c’est-à-dire à raison de 600 coups à la minute.
- Au coup qui suivra celui que nous venons d’analyser, la même série d’opérations s’effectuera, avec cette différence que, au lieu de partir de la position
- indiquée en la figure 4, la manivelle I part de la position symétrique. Elle n’exécute jamais une révolution complète.
- Au cas où l’appareil ne doit pas être disposé en vue d’un tir rapide, il se fait, après la fermeture de la culassse, une pause dont l’étendue est déterminée par l’action d’un frein hydraulique (hydraitlic briffer) indiqué sous la lettre L en la figure 4.
- La pièce principale du frein est un piston mobile dans un cylindre avec canal (bg pass) pratiqué dans une cloison médiane. Ce canal comporte un robinet (plug), lequel est actionné par une tringle manœu-vrée au moyen d’une manivelle qui se déplace sur un limbe, en dehors de la caisse-enveloppe de la mitrailleuse, limbe gradué pour vitesses de tir comprises entre 2 et 600 balles à la minute.
- Voici quel est le mode de fonctionnement de ce régulateur de la vitesse : à la partie supérieure du canon se trouve adapté un taquet qui, juste avant le retour en batterie dudit canon, rencontre le piston du . frein. Exerçant son action sur deux ressorts (springs), ce choc pousse le liquide à travers le congé du robinet (plug) jusqu'à ce que le canon se soit assez avancé pour actionner le chien (sear) et que l’explosion se soit produite. Une soupape ménagée dans le piston du frein permet à celui-ci d’obéir, pendant le recul du canon, à l’action d’un ressort et de reprendre ainsi plus vite sa position initiale.
- Reste à exposer comment les cartouches sortent de la ceinture ou bande (belt) ci-dessus mentionnée et s’introduisent dans les augets de l’alimentateur G. La ceinture ou bande-cartouchière passe sur la roue F qui engrène avec cet alimentateur. Dans la position de l’armé, un extracteur E arrive sous la cartouche. Quand la glissière recule, ce crochet saisit une cartouche et l’amène dans un auget au bas du cylindre où il la laisse pour être montée au canon, du fait de la rotation de l’alimentateur.
- La manivelle extérieure du frein hydraulique peut aussi servir de déclencheur (trigger). Si, en effet, l’on ouvre complètement le robinet alors que le canon est chargé, l'explosion suit instantanément.
- Si ce robinet, au contraire, est complètement fermé, le tir devient impossible car, dans ces conditions, le chien ne peut, quoi qu’il arrive, être actionné. L’opérateur a donc ainsi un cran de sûreté sous la main.
- L’axe de la manivelle traverse la caisse de l’appareil. Il est pourvu d’une manette (handwheel) qui fonctionne aussitôt que le canon est mis en mouvement et tant que le tir s’exécute. On l’emploie alors que ce tir est arrêté du fait de la venue d’une cartouche défectueuse qui ne veut pas partir. En ce cas, il suffit de faire un tour pour se débarrasser de l’obstacle. On obtient aussitôt une reprise du fonctionnement automatique.
- Il est temps de conclure.
- En thèse générale, à quoi peuvent servir les mitrailleuses? Une distinction est ici nécessaire. Les engins que l’on classe sous cette dénomination géné-
- p.138 - vue 142/432
-
-
-
- LA NATURE.
- 159
- rique sont du type canon ou du type fusil. Les premières semblent, avoir fait leur temps. Il n’en est pas de même de la mitrailleuse-fusil, qui, légère, mobile, peu encombrante, occupant peu de personnel, peut être utilisée en mainte circonstance. On pourra s’en servir pour appuyer l’offensive ; pour occuper une position défensive avec un effectif restreint ; pour inonder de projectiles des points accessibles à l’ennemi; pour armer des hunes de batiments de guerre; pour défendre des retranchements, etc.
- Or la mitrailleuse Maxim peut être dite du type fusil, attendu qu’elle est loin d’exiger l’attirail de transport d’une bouche à feu de campagne. A ce titre, elle est à prendre en considération sérieuse. En ce qui concerne son économie spéciale, on a vu qu’elle est ingénieuse autant qu’originale. C’est la première fois, en effet, qu’on utilise réellement l’effet du recul, et le résultat obtenu peut être dit remarquable. D’autre part, cette mitrailleuse se trouve à l’abri des accidents que le départ tardif d’une cartouche paresseuse provoque parfois, dans d’autres appareils.
- Pour ces motifs, nous estimons que la self acting machine g un de l’ingénieur Maxim vient de réaliser un progrès.
- Lieutenant-colonel Hennerert.
- BIBLIOGRAPHIE
- L'homme et les animaux. Lectures de zoologie à la portée de tous par E. D. Labesse et II. Pierret. 1 vol. in-8° illustré de 421 figures et de 4 planches hors texte. — Paris, G. Masson, 1885.
- Les Oiseaux de chasse. Description. Mœurs. Acclimatation. Chasse, par G. de Cherville. 1 vol in-8° avec ÔO chromotypographics et illustrations par Ë. de Lephart. — Paris, J. Rothschild.
- L'Australie. Description du pays. Colons et natifs. Gouvernement. Institutions. Productions. Travaux pub lies. Mines, par E. Journet, ingénieur des ponts et chaussées. 1 vol. in-8° avec une carte politique et géologique. — Paris, J. Rothschild, 1885.
- L'Année électrique, ou exposé annuel des travaux scientifiques, des inventions et des principales applications de l’électricité à l’industrie et aux arts, par Ph. Dela-haïe, ancien élève de l’Ecole polytechnique. Première année. 1 vol. in-18, Paris, Baudry etCie, 1885.
- La création naturelle et les êtres vivants. Histoire générale du monde terrestre, par le I)r J. Rengade. Zoologie. Races humaines, t. II, 1 vol. in-4° de 808 pages avec de nombreuses figures et planches. Prix : 15 fr. Paris, Librairie illustrée.
- La locomotion aérienne, étude par À. Goupil. 1 vol. in-8°, Prix: 6 francs. Imprimerie A. Pouillard,— Charleville, 1884.
- Annuaire de l’Observatoire royal de Bruxelles. 1885. 52e année. — Bruxelles, F. Rayez, 1884.
- Almanach-Annuaire de l'électricité par Firmin-Leclerc,
- 1885. 1 broch. in-lS", 72, rue de la Butte-Chaumont, Paris.
- Exposition universelle de 1889. Considérations générales sur son organisation, par Georges Berger. 1 broch. in-8°. — Berger-Levrault et Cie, 1885.
- Zoologie générale, par Beauregard. 1 vol. in-32 de la Bibliothèque utile. Paris, Félix Alcan.
- APPLICATIONS NOUVELLES
- DU SYSTÈME POETSCH (fonçage des puits par la congélation)
- Nous avons déjà donné, dans notre numéro du 24 mars dernier, des renseignements succincts sur le fonçage des puits de mine par la congélation, méthode pratiquée pour la première fois par M. Poetsch, au puits Archibald, de la concession de Douglas dans la région lignitifère de Schweid-lingen. On sait qu’elle consiste essentiellement à enfoncer sur le périmètre du puits, des tuyaux dont on ferme l’extrémité inférieure, et dans l’intérieur desquels sont disposés d’autres tuyaux : une dissolution saline réfrigérante1 envoyée dans les seconds remonte dans l’espace annulaire et est ramenée par une pompe à une machine frigorifique, pour abandonner la chaleur recouvrée et recommencer le même parcours.
- L’expérience, quelque concluante quelle fut, n’avait été faite que sur une hauteur de 5m,50 de sables mouvants aquifères. Aussi, M. Haton de la Goupillère, en décrivant sommairement les opérations, devant la Société d'encouragement exprimait-il l’opinion qu’il y aurait « une témérité inadmissible à entreprendre par un tel procédé des fonçages d’une hauteur de quelque importance. » De nouvelles tentatives ont néanmoins été faites depuis avec un plein succès à la houillère Centrum, à Kœnigs-Wusterhausen, appartenant à M. W. Sié-mens, l’électricien bien connu; 55 mètres de sables boulants ont été congelés en trente-trois jours avec seize tuyaux analogues aux précédents. La masse solidifiée sur le périmètre du puits a atteint une épaisseur de lm,80. A la mine Émilia (Fenster-walde), on a pu également foncer un puits de 2m,70 à travers une couche de 56 mètres de sables aquifères.
- Dans ces divers travaux, la température qui atteignait à la mine Archibald — J 9° au fond du puits, pendant les derniers jours de l’expérience, n’était constatée qu’au moment de la descente de l’observateur. Après un certain temps de séjour au fond, la température de l’air remontait peu à peu, et lorsque plusieurs ouvriers étaient occupés au fond d’une manière permanente, elle se maintenait entre 0°,5 et 1 degré. Aussi, après une période assez courte de réchauffement de l’air, le froid ne cau-
- * La dissolution saline employée est une dissolution de chlorure de calcium, qui ne se congèle qu’à —40°.
- p.139 - vue 143/432
-
-
-
- 140
- LA NATURE.
- sait-il aucune gêne aux ouvriers : ils en ressentaient au contraire une action fortifiante.
- L’une des particularités les plus intéressantes consiste en ce que la congélation est assez forte pour faire prendre en un seul bloc les sables aquifères et le terrain qui les environne. A la mine Archibald, par exemple, lorsqu’on fut arrivé à la couche de lignite, on s’aperçut que le terrain était gelé à 1 mètre au-dessous de l’extrémité des tuyaux ; et le toit de la couche était si intimement soudé avec les sables aquifères superposés, qu’on pouvait briser des morceaux de la masse, sans que la cassure se produisît au plan de séparation des couches.
- Ce fait prouve que le système Poetsch peut s’appliquer avec une égale efficacité, quelle que soit l’inclinaison des couches, puisque la congélation transforme le terrain en une masse parfaitement homogène. Il pourrait notamment, dans certains cas, être employé, dans le percement des tunnels sous-marins, et 1’ « Engineering News » fait observer que celui del’Hudson River, à New-York, s’y prêterait tout particulièrement, car la couche de boues et de sables du fond présente une composition très uniforme et permettrait de travailler à chaque opération sur des longueurs de 30 à 45 mètres.
- Un examen attentif des parties congelées a démontré que l’épaisseur du bloc de glace croît avec la profondeur. Cela tient à ce que par la direction imprimée au liquide réfrigérant, le maximum de son action s’exerce à la base des tuyaux. Il se forme donc autour de chacun d’eux un véritable tronc de cône de glace dont la grande base est située à. la partie inférieure. Ces troncs de cône s’accroissent peu à peu et finissent par se pénétrer mutuellement, jusqu’à ce que tout le terrain ne forme plus qu’un seul bloc déglacé. ' .
- On peut conclure des résultats obtenus qu’avec un puits circulaire, une épaisseur de terre congelée de 1 mètre permet ' le fonçage sans cuvelage d’un puits de 2 mètres. ' • ' • * '
- L’enfoncement des tuyaux s’opère . de , diverses manières. Lorsque le puits est déjà foncé jusqu’au niveau de l’eau, et que la couche de terrains aquifères est peu épaisse, comme à la mine Archibald, on se contente de chasser les tuyaux dans le sable, en enlevant le sable de l’intérieur au moyen d’une cuiller à soupape. Avec des terrains fluides d’une grande puissance, on se sert d’une machine à forer à courant d’eau qui fait descendre quatre tuyaux à la fois. Si les couches à traverser contiennent des
- tig. 1 et 2. — Forage des puits pur la congélation. (Système Poetsch.)
- blocs erratiques, on les évite en inclinant le trou, ou s’ils sont de trop grandes dimensions, on les traverse avec un outil spécial.
- M. Poetsch se propose d’appliquer son système à la fondation des piles de’pont, et il vient, à cet effet, de passer, avec le gouvernement roumain, un contrat pour la construction des douze piles du grand pont de Bucharest.
- D’après le « Techniker », auquel nous empruntons les dessins ci-dessous, il aurait l’intention de procéder par deux méthodes :
- La première (fig. 1 et 2) constitue une combinaison de l’emploi de l’air comprimé et de la congélation. Après avoir descendu la chambre de travail par les moyens ordinaires, jusqu’à 4 ou 5 mètres au-dessous du fond, on implanterait au-dessous d’elle et sur son périmètre les tuyaux de congélation de manière à faire prendre en bloc tout le massif contenu dans la fouille à pratiquer au-dessus du roc, sur lequel doit reposer la fondation. Le caisson deviendrait alors _ f T Jfn' étanche, on enlève-
- Machmes T . ,, , , ,
- rait 1 ecluse a air, et le travail s’effectuerait à ciel ouvert.
- Dans le second procédé, on supprimerait l’emploi de l’air comprimé. Après avoir descendu un caisson ouvert sur l’emplacement de la pile, on enfoncerait les tuyaux dans le sol. La congélation opérée, on épuiserait l’eau du caisson avec des pompes et on travaillerait à ciel ouvert.
- Pour préserver la maçonnerie de l’action réfrigérante de la masse ambiante, M. Poetsch a l’intention de revêtir les parois de la fouille d’une couche de paille, et de faire les joints avec un mortier de sable et de goudron ou d’asphalte. Les expériences de M. L. Malo ont d’ailleurs démontré que la maçonnerie avec joints d’asphalte est susceptible d’une parfaite cohésion1. „ , .
- . La méthode Poetsch qui paraît maintenant entrée dans la.pratique, pour les fonçages dans les terrains fluides,, présenté le grand avantage, sur les systèmes précédemment mis en œuvre, de permettre de prévoir exactement, la dépense, et la durée du fonçage. Elle assure en outre le fonçage vertical des puits, car on opère dans un terrain solide, supprime complètement les appareils d’exhaure, et met entièrement à Pabri des difficultés spéciales qui naissent de l’inclinaison des couches aquifères. G. Richou.
- Ingénieur des Arts et Manufactures.
- 1 Vov. Note sur les maçonneries asphaltiques (Mémoires de la Société des ingénieurs civils, n° d’octobre 1883)
- p.140 - vue 144/432
-
-
-
- LA NAT U UE.
- 141
- LE MONITOGRAPHE
- GUIDE DU DESSIN D’APRÈS NATURE
- L’appareil que nous allons faire connaître à nos lecteurs est une petite chambre noire perfectionnée de dimension réduite (la figure ci-dessous la représente en demi-grandeur f d’exécution) qui peut avantageusement remplacer les glaces noires convexes dont se servent parfois les paysagistes.
- Avec l’emploi de ces miroirs, on est contraint de tourner le dos au paysage qu’il s’agit de représenter ; on a une image retournée dont la gauche est à droite et réciproquement. La glace étant noire pour éviter le phénomène de double réfraction, la gamme des tons n’est pas exacte et fournit des renseignements très désavantageux pour le peintre. . *
- Avec le monitographe que le peintre peut fixer sur le'chevalet qui sert ,
- de support à son tableau, on a une image réduite, mais très exacte en tous points ; l’appareil » est placé a la droite du paysagiste, qui a devant les yeux la scène qu’il veut représenter tandis qu’il en a en même temps la réduction non retournée sur le verre dépoli de son appareil.
- L’intensité lumineuse de l’image est égale, et les tons figurés sont vrais ; on peut les reproduire par la peinture ! Étant tous sur un même plan, la comparaison est facile.
- Le monitographe est très léger; il ne pèse
- que 250 grammes et n’offre, par conséquent, aucun embarras pour le transport. Il est monté sur une tige à mouvement rotulaire, dont nous représentons seulement la partie supérieure sur notre figure. Cette tige est terminée à sa partie inférieure par un pied que l’on peut fixer, à l’aide de deux vis, sur le montant de bois d’un chevalet de peintre.
- L’image se forme sur un verre dépoli, au-dessus duquel se relève un écran noirci à trois faces. Cet écran qui pivote sur un axe, peut s’abaisser pour le transport, et réduire le volume de l’appareil, tout en préservant le verre dépoli d’un choc qui pourrait le briser. L’image obtenue est assurément très réduite, puisqu’elle est formée tout entière sur une surface carrée dont les côtés excèdent à peine 5 centimètres; mais, si petite qu’elle soit, elle, est très nette, très lumineuse et suffit parfaitement à donner l’ensemble des masses, et même les plus petits détails. Cette image, formée à côté du dessinateur ou
- Le Monitographe, petite chambre noire portative pour faciliter l’étude du dessin d’après nature.
- du peintre assis devant le paysage qu’il veut représenter, lui donne une réduction très précise et très utile. L’appareil, d’ailleurs, pourrait être construit de dimensions plus considérables. Il est muni d’un objectif achromatique, qui glisse dans un cylindre métallique, et que l’on doit faire mouvoir pour obtenir la mise au point, afin d’avoir une image très nette.
- L’appareil, dont il nous reste à donner la description optique, comprend intérieurement deux prismes à réflexion totale. Le premier prisme a son arête principale verticale, le second a son arête principale horizontale. Le premier prisme redresse l’image donnée par le système lenticulaire de l’objectif dans le sens horizontal, le second dans le sens vertical. L’image formée sur l’écran est entièrement redressée.
- Nous avons expérimenté cet appareil qui nous a paru donner de très bons résultats; nous, avons constaté l’absence” d’a-j berration de sphéricité ét de réfrangibilité nous croyons qu’il pourra rendre’de véri-1 tablés services aux p'aÿ-j sagistes et aux officiers d’état-major qui ont un; ensemble de terrain à relever. ,j ;
- Le monitographe, qui est dû à M. Marius Malien, a été construit et étudié avec soin par l’opticien bien connu, M. F.-L. Chevalier.
- Certains professeurs de dessin,, et quelques artistes, n’aiment pas recommander ces sortes 1 d’appareils qui nuisent,
- d’après eux, à la facilité avec laquelle on arrive, avec l’exercice, à dessiner d’après nature. II ne faudrait pas assurément abuser de ces procédés optiques, qui peuvent retirer au peintre quelque chose de son inspiration, pour la reproduction des effets à rendre: mais une petite chambre noire portative aussi commode d’emploi que le monitographe, peut être précieuse à titre de renseignement, pour donner la réduction d’un ensemble. L’artiste et le dessinateur, sans rien négliger de l’étude et de la pratique de l’art proprement dit, auraient tort, à notre avis, de bannir de parti pris les instruments de réduction optique ou de mesures précises. Les plus grands peintres de portrait ne négligent jamais aujourd’hui de recourir aux renseignements fournis par la photographie.Le monitographe, d’ailleurs, n’a pas besoin d’être recommandé pour la pratique du dessin technique ; son usage s’y trouve tout indiqué. G. T.
- p.141 - vue 145/432
-
-
-
- 142
- LA NATURE.
- CHRONIQUE
- Eclairage électrique «lu passage des Panoramas à Paris. — Depuis quelques jours, certains magasins du passage des Panoramas sont éclairés par l’incandescence, et, si l’expérience réussit, ce qu’on peut espérer à en juger par les premiers essais, cet éclairage sera étendu à tout le passage, avec une installation proportionnée aux besoins à satisfaire. L’installation actuelle, faite par MM. Liepmann frères, comporte un moteur à gaz de 4 chevaux, système Otto, placé dans le sous-sol de leur magasin, actionnant une machine Gramme excitée en dérivation. Cette machine est employée, pendant la journée e une partie de la soirée, à charger une série de 22 accumulateurs Faure-Sellon-Volckmar, sur lesquels sont branchées les lampes à incandescence de Woodhouse et Rawson, type de 10 candies, dépensant environ 40 volts et 0,7 ampère. Partout la lumière électrique est très appréciée, pour les nombreux avantages qu’elle présente et qui sont trop connus de nos lecteurs pour que nous les énumérions de nouveau. Une application faite chez M. Stern, le graveur bien connu, mérite cependant une mention spéciale. Nous en donnerons la description d’après Y Electricien auquel nous empruntons ces renseignements. On sait que le timbrage des bristols exige un repérage exact des matrices pour obtenir une épreuve finie et irréprochable. Ces matrices sont placées dans la machine à timbrer de telle façon que leur éclairage est assez difficile. Avec les becs de gaz, il fallait tenir la lumière à une distance d’au moins 40 à 50 centimètres du point à éclairer ; les lampes à incandescence permettent d’approcher le foyer lumineux à quelques centimètres seulement de ce point. L’ouvrier peut alors travailler avec plus de commodité et d’exactitude, moins de fatigue et de perte de temps. Ajoutons enfin que la lumière fournie par les lampes à incandescence étant plus blanche que celle du gaz, permet de mieux assortir les couleurs et les nuances des gravures héraldiques, si fines et si délicates, exécutées par la maison Stern.
- Les chiens sacrés. — Un spécialiste bien connu de nos lecteurs, M. Pierre Mégnin, vient de fonder, avec le concours de naturalistes et d’agronomes, une intéressante revue de zootechnie, de chasse et d’acclimatation. Cette revue a pour titre l'Eleveur ; elle paraît en livraisons hebdomadaires de 16 pages, et les premiers numéros que nous avons reçus, sont très intéressants et très bien rédigés. Nous empruntons à la livraison du 18 janvier de l'Eleveur, quelques renseignements qu’il publie, d’après Y Académie des Inscriptions, sur les chiens sacrés dans l’antiquité.
- Sur une inscription phénicienne provenant de Citium et donnant un compte de dépenses pour un temple, il est question de la dépense des chiens compris dans le personnel du temple. Suivant M. Renan, ces chiens désignaient des scorta virilia, entretenues auprès de certains sanctuaires orientaux. Il est étrange, avait objecté M. Joseph Ilalévy, que les comptes du temple aient pu désigner par cette dénomination méprisante des individus accomplissant des pratiques réputées sacrées et des fonctions méritoires. M. Reinach était venu ensuite signaler, dans des inscriptions découvertes auprès du temple d’Esculape, à Epidaure, la mention d’enfants guéris de cécité dans le sanctuaire par le lècheinent de chiens sacrés. A son tour, M. Henry Gaidoz adresse à l’Académie une communica-
- tion, par l’intermédiaire de M. Alexandre Bertrand. Il signale, chez un grand nombre de peuples et dans beaucoup de religions, des pratiques et des croyances analogues à celles d’Epidaure. Aujourd’hui encore, les Hindous s’imaginent que les Anglais tuent les chiens pour s’emparer d’un remède souverain contenu dans la langue de ces animaux. Ce remède, c’est Yamarita; Yamarita des Hindous, les Vénitiens le nomment baume. Saint Roch fut guéri par le baume que distillait la langue de son chien. En Portugal, en France, en Écosse, la langue du chien passe parmi le peuple pour être médicinale. En Bohême, on fait lécher par des chiens le visage des nouveau-nés pour leur assurer une bonne vue. En Arménie, on croyait jadis à l’existence de divinités issues de chiens et dont l’office était de lécher les plaies des blessés sur les champs de bataille. Dans une scène d'Aristophane, on voit Plutus recouvrer la vue dans le temple d’Esculape, sous l’action bienfaisante des lèchements de deux gros serpents arrivés à l’appel du Dieu, etc.
- Les bonshommes en terre comestible des Indes orientales. — M. F. Heckmeyer, pharmacien en chef des Indes orientales, avait montré dans la section de médecine coloniale de l’Exposition d’Amsterdam de très curieux échantillons de terre comestible à l’état brut et après avoir subi la cuisson. Dix objets, faits de cette matière, sont grossièrement modelés en forme d’hommes ou d’animaux. Serait-ce par suite d’une tradition des temps préhistoriques et en souvenir des premiers essais artistiques de nos ancêtres que, pour amuser nos enfants, on donne encore des formes analogues aux pains d’épices et pâtisseries communes ? Bien qu’il ne s’agisse ici que d’une pure hypothèse, le rapprochement est néanmoins curieux. Les terres comestildes sont des argiles dont beaucoup de peuplades sauvages et même à demi civilisées font usage comme aliment. 11 est probable qu’à l’origine, des tribus misérables ont essayé de tromper leur faim en se chargeant l’estomac d’argile à défaut d’autres ressources. Soit que ces terres contiennent réellement un peu de matière organique assimilable, soit qu’elles aient une sapidité qui flatte des palais peu délicats, soit enfin que leur usage offre un attrait que nous sommes incapables d’apprécier, il nous faut bien constater qu’elles font partie du régime chez beaucoup de peuples d’Afrique, d’Amérique et d’Asie, qu’elles sont goûtées par les Indiens et même, dit-on, en Portugal, par quelques femmes.
- ACADÉMIE DES SCIENCES
- Séance du 26 janvier 1885.— Présidence de M. Bouley.
- Le tremblement de terre de l'Andalousie. — Par l’intermédiaire de M. Hébert, M. Noguès résume les observations que vient de lui fournir une excursion dans la province de Grenade. Il commence par signaler de nombreux et profonds crevassements du sol. Des crevasses sont très multipliées au pied de la sierra Téjéa; l’une d’elles a 16 kilomètres de longueur sur 3 à 15 mètres de largeur. Une bougie qu’on y descend à 6 ou 7 mètres de profondeur s’y éteint. Près de Santa-Cruz une fente du sol laisse dégager de l’hydrogène sulfuré en telle abondance qu’on en sent l’odeur à plus de 1 kilomètre de distance : une source nouvelle en jaillit aussi, elle donne 40 degrés au thermomètre et son débit est de 1 à 2 mètres cubes par seconde. En beaucoup de points la surface du sol a été entraînée selon les
- p.142 - vue 146/432
-
-
-
- LA NATURE.
- 143
- pentes par de véritables glissements : à Alhama, la ville haute est aussi venue se précipiter sur la ville basse qu’elle a écrasée. Un glissement lent s’observe à Albu-nuelas sur une bande assez considérable. Le centre de cette bande s’est déplacé de 27 mètres depuis le 25 décembre; les marges n’ont fait que 5 mètres durant le même temps. Des éboulements ont produit en divers points des amoncellements de blocs mesurant 1500 et 1500 mètres cubes et qui ont arrêté des ruisseaux peur les convertir en lacs. Dans la sierra Téjéa, tous les cours d’eau ont disparu laissant leurs lits à sec. D’après M. No-guès, les mouvements qui ont agité le sol ont été de deux sortes : les uns dirigés de bas en haut, et les autres latéralement, comme des balancements. Ces déplacements ont parfois revêtu un caractère d’instantanéité très remarquable : des blocs de maçonnerie, au lieu d’être déracinés, ont été exactement séparés en deux moitiés ; le tronc d’un olivier a de même été fendu dans toute sa hauteur et ses deux parties sont restées plantées vis-à-vis l’une de l’autre comme deux arbres distincts. De même des portions de tortures ont tourné sur elles-mêmes de 180 degrés sans que les tuiles aient quitté leurs situations relatives.
- A la suite de cette présentation, M. Hébert insiste sur la liaison des phénomènes sismiques actuels avec les failles d’âge divers qui traversent le sol.
- J’ajouterai, de mon côté, que M. Mac Pherson a bien voulu m’écrire, en date de Madrid, le 21 janvier, une intéressante lettre d’où j’extrais le passage suivant : « Ça a été, dit mon savant correspondant, un tremblement transverse à la chaîne Bétique qui a pris sa plus grande intensité sur l’endroit où cette chaîne est brisée en deux ; et le maximum d’action des vibrations a 'eu lieu sur les failles qui terminent cette rupture, failles naturellement transverses à la chaîne. Le fait se dessine d’une manière fort intéressante sur la carte de la province de Malaga où j’ai indiqué les lieux selon les dégâts qu’on y a éprouvés; elle vous montre que ceux-ci sont répartis suivant des bandes orientées de l’O. N. O. à l’E. S. E., parallèles aux cimes de la sierra Téjéa. Vous voyez aussi qu'en partant des deux grandes failles qui limitent la masse archéenne de la sierra Téjéa, où les dégâts ont été les plus considérables, le phénomène diminue ; bientôt cependant il présente une recrudescence, suivie d’une nouvelle diminution, puis d’une nouvelle recrudescence pour se perdre à peu près sur la masse de la serrania de Ronda ; chose étrange, de l’autre côté de cette serrania on voit réapparaître un centre secondaire. »
- Analyse de serpentines. — Le savant aide-naturaliste de chimie inorganique du Muséum, M. Terreil, ayant soumis à l’action dissolvante des acides des fragments d’une serpentine asbestiforme du Canada, en a retiré, comme résidu insoluble, de la silice hydratée, filamenteuse, d’un aspect soyeux tout à fait remarquable. Cette matière, qui est active sur la lumière polarisée, se retrouve dans des serpentines de provenances diverses.
- Développements des œufs du phylloxéra. — La région vinicole de la Marne a été jusqu’ici épargnée par le Phylloxéra vastatrix ; mais les chênes qui y croissent (Quercus sessiliflora) y nourrissent en abondance le Phylloxéra punclata qui en est fort voisin. Un infatigable chercheur, dont nous avons eu bien des fois à signaler les belles découvertes, M. le I)r Lemoine, professeur à l’Ecole de médecine de Reims, adresse par l’intermédiaire de M. Alphonse Milne-Edwards une étude embryogénique relative à ce dernier insecte. Il passe en revue successi-
- vement l’œuf parthénogénésique, les œufs sexués mâles et femelles et l’œuf d’hiver. Le point particulièrement intéressant concerne la résistance toute spéciale de ces œufs, résistance indiquée à la fois par le nombre et l’épaisseur des enveloppes de l’œuf et par ce fait que l’embryon, au lieu de se développer comme chez les autres insectes sous la coquille de l’œuf à la surface de la masse vitelline, pénètre durant son développement dans l’intérieur même de cette masse qui le protège et le nourrit. M. Lemoine a suivi les divers stades de ce mode de pénétration ainsi que l’apparition des divers articles et des ^divers appendices du corps de l’insecte, qui pendant toute cette période se trouve avoir la tète dirigée vers le pôle inférieur de l’œuf. Mais il lui faut bientôt, comme les autres insectes, faire rentrer dans l’intérieur de son corps la masse vitelline et prendre la position la plus favorable pour sortir de l’œuf; à cet effet il subit une véritable invagination à la façon d’un doigt de gant qui se retournerait en même temps que sa tète remonte peu à peu pour venir se mettre en contact avec le pôle supérieur. Ce renversement singulier dure en moyenne I heure 1/4.
- En me remettant la note dont j’ai extrait ce qui précède, M. le Dr Lemoine me donne un très important mémoire imprimé sur le développement de l’organisation de YEnchytrœus albidus, avec 5 planches, comprenant 120 figures.
- Election. — La place de correspondant de minéralogie laissée vacante par le décès de M. Sella, est attribuée à M. Prestwich par 52 suffrages sur 50 votants ; 17 voix se portent sur M. Domeyko et 1 sur M. Scacchi.
- Varia. — M. Baïhaut, directeur de l’Observatoire de Toulouse, discute les observations des satellites de Saturne. — Une méthode est proposée par M. d’Arsonval pour mettre les expérimentateurs à l’abri des courants électriques à haute tension. — La neutralité chimique des sels fournit à M. Berthelot la substance d’un mémoire, que M. Chevreul fait suivre d’observations très détaillées. — M. de Lesseps annonce que le projet de la mer intérieure africaine ne sera pas abandonné malgré la mort de M. Roudaire. M. le colonel d’état-major Landas partira ces jours-ci avec la mission préparée par la fondation du port aux environs de Gabès.— M. Friedel étudie la pyroélectricité de la topaze. — Dimanche 1er février à 2hl/2, M. le Dr George fera au Conservatoire des Arts et Métiers, une conférence sur les premiers secours contre les accidents du travail, avec projections lumineuses.
- Stanislas Meunier
- RÉCRÉATIONS SCIENTIFIQUES
- LA DANSE DES PANTINS. ------- LES SILHOUETTES
- La danse des pantins électrisés. — Nous avons déjà indiqué à nos lecteurs le moyen d’obtenir quelques manifestations électriques, sans avoir recours à aucune machine; nous allons décrire aujourd’hui une expérience récréative d’une grande simplicité d’exécution : il s’agit de la danse des pantins électrisés.
- Vous vous procurez un carreau de verre de 0m,55 à 0m,4Û de longueur sur 01U,25 environ de lar-
- p.143 - vue 147/432
-
-
-
- 14 if
- LA NATURE.
- geur; vous prenez ensuite deux livres assez volumineux que vous placez sur une table de telle manière qu’ils servent de support à la plaque de verre, comme le'représente la ligure 1. Il faut placer le carreau dans les livres, de telle sorte qu’il se trouve à une distance de 5 centimètres environ de la table. Cela fait, à l’aide de ciseaux, vous découpez dans du papier de soie très léger, des petits bonshommes, des dames, des pierrots, des animaux, des grenouilles. tout ce qui peut faire partie de la bande dansante. Ces petits personnages ne doivent pas dépasser 2 centimètres de hauteur; nous en reproduisons quelques spécimens en grandeur d’exécution à la partie supérieure de notre dessin (fig. I). Ils peuvent être découpés dans des papiers diver-
- Fig. 1. — La danse des pantins.
- le contact de la main suffit même pour animer les bonshommes. Il faut, pour réussir cette expérience, que le verre employé soit bien sec, ainsi que le tampon avec lequel on le frotte; en chauffant celui-ci, la manifestation est plus rapide et plus énergique. Le tampon de soie convient mieux que le tampon de laine.
- Les portraits-silhouettes. — Prenez une grande feuille de papier, noire d’un côté, blanche de l’autre, fixez-la au moyen d’épingles, ou de pointes, au mur de votre chambre, de telle façon que la surtace blanche soit en dehors. Placez sur une table, à une distance convenable, une lampe bien lumineuse, et faites avancer entre cette lampe et le mur la personne dont vous voulez reproduire le portrait (fig. 2). La silhouette de la personne à représenter étant nettement projetée sur l’écran, vous en dessinez
- sement colorés, ce qui embellit leur aspect.
- Vous introduisez vos personnages de papier dans la salle de bal, c’est-à-dire dans l’espace compris entre les livres, le carreau de verre et la table, et vous les y installez, les uns à côté des autres, couchés à plat. Vous frottez alors vigoureusement la surface supérieure du carreau de verre, avec une étoffe de laine ou de soie ; après avoir frotté quelques instants, vous voyez les petits personnages attirés par l’électricité développée, se dresser tout à coup, puis sauter au plafond transparent de leur salle de bal ; ils en sont bientôt repoussés et retombent, pour être attirés de nouveau, en se livrant ainsi à une danse extravagante. Quand on a cessé de frotter, la danse continue spontanément pendant un certain temps et
- Fig. 2. — Les portraits-silhouettes.
- soigneusement le contour à l’aide d’un crayon; il faut pendant toute la durée de l’opération que le patient garde la plus complète immobilité. Gela fait, enlevez le papier de la muraille, repassez le trait là où il est insuffisamment tracé, et découpez enfin le dessin. Il ne vous reste plus qu’à retourner votre découpage, et à le coller sur une feuille de papier blanc. La silhouette se profile en noir, et si vous avez été habile, la ressemblance est parfois très complète. Avec de l’exerciee, on peut arriver à être un artiste dans ce genre d’opération, et à reproduire des portraits analogues à ceux dont on voit l’image à la partie supérieure de notre gravure. G. T.
- Le propriétaire-gérant : G. Tissandier.
- Imprimerie A. Lahure, 9, rue de Fleurus, à Paris.
- p.144 - vue 148/432
-
-
-
- N“ 610. — 7 FÉVRIER 1 885.
- LA NATURE.
- 145
- DUPUY DE LOME
- I/éminent ingénieur du génie maritime, l’ancien directeur de nos constructions navales auquel la Marine moderne doit de si importants progrès, et dont les travaux ont eu un si grand retentissement dans le monde, vient de mourir à Paris, le 1er février 1885, à l’âge de soixante-huit ans.
- Charles-Henry-Laurent Dupuy de Lomé, fds d’un officier de marine, est né le 16 octobre 1816, à Plœmeur (Morbihan) dans le voisinage de Lorient. Il fit ses études au collège de cette ville, port militaire considérable qui offrait un milieu essentiellement favorable pour développer la vocation du futur ingénieur.
- Dupuy de Lomé, énergique au travail et tout animé de la ferme volonté de réussir, fut reçu élève à l’Ecole polytechnique avec le numéro 10, le 20 octobre 1855. Nommé successivement élève et sous-ingénieur du génie maritime, ses premiers travaux sur la mesure de l'effet utile des grandes machines, et sur la construction d’avisos légers, attirèrent bientôt l’attention des spécialistes.
- Après plusieurs années d’études, après une mission en Angleterre , le jeune ingénieur se préoccupa de l’immense intérêt qu’il y aurait pour la France à créer des navires de guerre dans lesquels on allierait, à une grande vitesse à la vapeur, toute la puissance pour le combat des anciens vaisseaux à voile, et il fut ainsi conduit à construire à Toulon le vaisseau le Napoléon qui, mis à l’eau le 16 mai 1850, devait donner un peu plus tard la mesure de sa supériorité, dans des conditions exceptionnelles.
- Le. 22 octobre 1853, pendant la campagne de Crimée, les escadres françaises et anglaises avaient à franchir le détroit des Dardanelles; la Ville de Paris, portant le pavillon de l’amiral Hamelin, était remorquée par le Napoléon. Bientôt, le vent et le courant contraire augmentèrent de violence, à tel point, que toute la flotte resta en arrière et que les deux vaisseaux français purent seuls passer le détroit devant le château des Dardanelles, dont ils saluèrent le pavillon. Pendant ce temps, l’amiral 43“ année, — 4“r semestre.
- anglais Dundas, sur le Dritannia, restait également au loin, impuissant à refouler le vent et le courant.
- Après le succès du Napoléon, les vaisseaux à vapeur de notre marine militaire furent exécutés sur le plan de ce bâtiment.
- Ces triomphes ne suffisaient pas à satisfaire la louable ambition de l’ingénieur de notre génie maritime; il fut appelé à transformer en vaisseaux à vapeur les vaisseaux à voile déjà en chantier. Dupuy de Lomé exécuta cette transformation de la manière la plus neuve et la plus hardie. Il proposa de séparer en deux parties l’avant et l’arrière des vaisseaux à voile, en sciant au maître-couple, leurs murailles des flancs, de retenir immobile la partie de l’avant, pendant qu’on ferait
- descendre sur cale toute la partie de l’arrière parallèlement à la direction de la quille, et de relier ensuite par une nouvelle charpente ces deux parties ainsi écartées. Cette opération d’allongement par le centre, fut d’abord essayée en 1853 sur le vaisseau VEylau, de 100 canons, qui reçut une machine de 900 chevaux nominaux. Le succès de VEylau répondit entièrement à ce qui avait été annoncé.
- Une grande activité régnait alors dans la direction de notre marine, sous l’énergique direction de l’amiral Hamelin, et Dupuy de Lomé allait avoir à étendre considérablement lé domaine de ses grands travaux. Au ’ mois de novembre 1856, il fut appelé à Paris et le gouvernement impérial le chargea, conjointement avec l’amiral Jurien de la Gravière et M. de Lavrignais, directeur du matériel de la marine, de préparer les éléments d’un Rapport sur la transformation complète de la flotte.
- Depuis la réunion d’une importante Commission en 1855, les premières batteries flottantes cuirassées avaient fait leur apparition. Elles avaient déjà donné en Crimée, pour l’attaque des places fortes maritimes de la Russie, la mesure de leur efficacité, et le 18 octobre 1855, notamment, les trois batteries flottantes, la Dévastation, la Lave et la Tonnante, avaient démantelé en quelques heures le fort de Kinburn, dont l’artillerie avait été impuissante contre leurs agresseurs. Dupuy de Lôme, avec une grande perspicacité, et beaucoup d’audace, fit valoir
- 10
- Dupuy de Lôme, né à Plœmeur (Morbihan), le *15 octobre 1816, mort à Paris, le l*r février 1885.
- (D’après une photographie de M. Truchelut.)
- p.145 - vue 149/432
-
-
-
- LA NATURE.
- m
- sa conviction, qu’il y avait lieu d’aller au delà dans cette voie des navires cuirassés, et qu’on ne devait pas craindre de leur donner place parmi les vaisseaux de la flotte destinés à agir en haute mer.
- L’éminent ingénieur étudia dans tous ses détails le plan d’une frégate cuirassée rapide qu’il avait en vue. On exécuta sous sa direction de nombreux essais sur les plaques de blindage, pour déterminer les espèces de fer et les procédés de forge qui procureraient le plus de résistance avec une épaisseur donnée, et pour savoir quelle était l’épaisseur nécessaire pour braver à bout portant le boulet plein de 68 tiré aux plus fortes charges, dans les canons du plus fort modèle des marines étrangères. L’épaisseur de 12 centimètres fut reconnue suffisante, et le mode de cuirassement des frégates à construire ne tarda pas à être arrêté. La Gloire, Y Invincible et la Normandie sortirent successivement des chantiers de Toulon et de Cherbourg.
- Tel est l’historique de l’origine des navires cuirassés qui marqueront une ère nouvelle dans l’histoire de la marine. Le nom de Dupuy de Lôme y restera toujours attaché.
- Comme il arrive dans les plus grandes entreprises, les premières constructions de frégates cuirassées, en 1858, furent l’objet de critiques railleuses, et les journaux anglais, notamment, ne se lassèrent pas d’avancer sans cesse que les frégates blindées, exécutées en France, étaient une conception impraticable, que la stabilité leur ferait défaut, que déjà chargées de tant de fer, elles seraient incapables de porter leur artillerie, et qu’elles ne sauraient avoir ni vitesse ni qualités nautiques.
- Jamais prévisions ne trouvèrent un plus formel démenti dans les faits de l’avenir.
- Dupuy de Lôme fut hautement récompensé des services qu’il sut rendre à son pays. Officier de la Légion d’honneur après la réussite du vaisseau à vapeur le Napoléon en 1853, il fut nommé directeur des constructions navales en 1856, commandeur de la Légion d’honneur en 1858, et grand officier en décembre 1863 après les essais dans l’Océan de la flotte cuirassée. Conseiller d’état du 29 décembre 1860, il entra à l’Académie des sciences en 1866, et en 1868 le gouvernement l’appela à l’inspection générale du génie maritime. Ayant pris sa retraite en cette qualité, Dupuy de Lôme en 1869 fut nommé député par le département du Morbihan1.
- En 1870, après nos défaites, après la chute de l’empire, il accepta de faire partie du Comité de la défense et il commença pendant le siège à s’occuper d’aérostation. Il présenta à l’Académie des sciences un projet de ballon dirigeable, pour l’exécution duquel le gouvernement de la Défense nationale lui ouvrit un crédit de 40000 francs (28 octobre 1870). Mais cet aérostat, en raison des difficultés de construction, ne fut prêt que quelques jours avant la
- 1 M. Dupuy de Lôme a été plus tard nommé sénateur inamovible, le 10 mars 1877.
- capitulation, et il ne devait être expérimenté que deux ans plus tard.
- Le 2 février 1872, M. Dupuy de- Lôme, accompagné de M. Z*idé, officier de marine, de M. Gabriel Yon, constructeur aéronaute, et de huit hommes de manœuvre, s’éleva, du fort de Yincennes, dans le grand ballon à hélice qu’il avait construit.
- La vitesse du vent, qui était ce jour-là de 15 kilomètres à l’heure, dépassait de beaucoup la vitesse propre de l’aérostat.
- L’expérience aérostatique de 1872 a été suivie de la publication d’un mémoire magistral que ne sauraient trop étudier ceux que la question des aérostats dirigeables intéresse. La Note sur l'aérostat à hélice, de M. Dupuy de Lôme, extraite du tome XL des Mémoires de l'Académie des sciences, peut être considérée comme un des travaux les plus complets qui aient été écrits sur les conditions de stabilité, de vitesse et de construction des aérostats fusiformes à propulseurs mécaniques.
- L’expérience de 1872 ne devait être d’ailleurs, en quelque sorte, qu’une tentative préliminaire, et M. Dupuy de Lôme a indiqué que ses huit hommes de manœuvre seraient remplacés par un moteur mécanique dès qu’on en aurait obtenu un ne présentant pas les dangers du feu.
- M. Dupuy de Lôme, par sa haute situation, sa notoriété et son influence, aura rendu de grands services à la cause de la navigation aérienne; sa parole était plus écoutée que celle des humbles pionniers de la science qui, bien avant ses essais, avaient aussi la conviction et la foi.
- L’illustre constructeur de nos premiers navires cuirassés avait le don de clairvoyance; ses prévisions, qui ont été réalisées sur l’Océan, le seront aussi, nous en avons la persuasion, dans l’atmosphère. Lorsque à Annonay, en août 1883, M. Dupuy de Lôme prenait la parole au pied de la statue des frères Montgolfier, dont on célébrait le centenaire, il faisait entendre que l’heure était proche où l’on verrait des aérostats à hélice se diriger dons l'atmosphère. Et le grand ingénieur donnait la juste mesure des résultats qu’on est en droit d’espérer, quand il disait que si les aérostats dirigeables pourraient souvent sortir de leurs ports et se rendre à destination dans une direction quelconque, il y aurait aussi bien des jours où ils resteraient à l’abri dans leurs refuges. « Ne savons-nous pas, ajoutait-il, qu’au début de la navigation maritime on ne prenait la mer que par des vents favorables à la route qu’on devait parcourir? Il a fallu bien des siècles pour transformer le radeau flottant en un rapide paquebot à hélice. »
- M. Dupuy de Lôme disait vrai.
- Il n’y a guère plus de cent ans que le radeau flottant de l’air a été lancé au-dessus des nuages; et nous n’en sommes encore, dans l’histoire des créateurs de la navigation aérienne, qu’aux marquis de Jouffroy et aux Fulton. Gaston Tissandier.
- p.146 - vue 150/432
-
-
-
- LA NATURE.
- 147
- TOMBOUCTOU
- L’arrivée à Paris de Si el Iladj-Abd-cl-Kader, envoyé en France comme ambassadeur de Tombouctou, vient d’appeler l’attention publique sur le fait de l’importance commerciale de la grande ville du Soudan, dite la mystérieuse. Tombouctou la Mystérieuse! Pourquoi? Depuis longtemps, on la connaît. Les Portugais et les Pisans du moyen âge s’étaient déjà ménagé des relations avec elle. Yers le milieu du quinzième siècle, le roi Jean II de Portugal y entretenait des agents consulaires. Ultérieurement, au seizième, Tombouctou a été visitée par Ibn Batouta, de Tanger, et El Kbasan, de Grenade, dit Léon l’Africain; au dix-septième, par le français Paul Imbert; au dix-neuvième, enfin, par Mungo-Park, Robert Adams, le major Alexandre Gordon Laing, René Caillié, Henri Barth et le docteur Oscar Lenz.
- Barth, qui y a passé huit mois (du 6 septembre 1853 au 19 avril 1854), nous en a rapporté l’histoire. Les origines de la ville se perdent dans la nuit des âges. Au cours de son récit du voyage des Nasamons, ou habitants de la Tripolitaine, Hérodote fait mention d’un grand centre de population nègre, centre que baigne un fleuve coulant de l’ouest à l’est. Ce fleuve, c’est évidemment le Niger; et cette ville, Tombouctou. Cette cité fameuse fut connue des Carthaginois, qui la désignaient sous le nom d’Hécatompyle ou ville aux cent portes, nom qui convient admirablement à une étoile de routes commerciales, rayonnant si bien dans tant de directions diverses. Les Romains l’appelaient Tabndium. Tombée successivement au pouvoir du Carthaginois Hannon et du Romain (Balbus, Tombouctou fut, à plusieurs reprises, détruite de fond en comble. Elle n’est définitivement sortie de ses ruines qu’au onzième siècle de notre ère, sous la main vigoureuse d’un chef de Touâreg, du nom de Mansa Sliman. Depuis lors, elle n’a jamais cessé d’affirmer sa vitalité et ce, malgré de grands désastres.
- Elle est prise au quatorzième siècle par Mansa Moussa, souverain du Melle; puis, par les Mossi; reprise par Mansa Sliman, nouveau roi du Melle. Au quinzième siècle, elle tombe aux mains d’At-Kil, chef des Touâreg Massoufa; puis, au pouvoir du So-nraï Sonni Ali. Au seizième siècle, sous le règne d’Askia, elle touche à l’apogée de sa splendeur. Ses richesses sont considérables. Elle a deux flottes, chacune de cent voiles, mouillées à Kabara. Maîtresse absolue du Niger, elle est devenue la Mekke Africaine, la « reine du Soudan ».
- C’est alors que s’allument les convoitises du Maroc. Tombouctou est conquise par le sultan Moulai Ahmed. La malheureuse cité demeure, jusqu’en 1826, au pouvoir des Rouma, c’est-à-dire des soldats.de l’armée impériale marocaine. A cette époque, les Foullanes s’en emparent, mais ils en sont chassés, en 1844, par les Touâreg du Taganet qui en sont aujourd’hui les maîtres.
- On comprend que les partis s’en soient maintes fois disputé la possession. Tombouctou occupe, en effet, à tous points de vue, une situation géographique exceptionnelle. Etablie au grand coude du Niger, comme l’est Orléans au coude de la Loire, c’est un marché magnifique, un emporium indiqué par la nature. Elle est assise au point de croisement d’une pléiade de routes que le commerce pratique depuis un temps immémorial. De Tombouctou, en effet, on peut piquer dans la direction nord : soit sur l’Oued Ifraâ par Toadcni, soit sur Insalah par Mabrouk; puis d’Insalah, sur R’damès et Tripoli. A l’ouest, ce magnifique centre d’affaires est., par le haut Niger, en relation directe avec le Sénégal ; au sud, par le Niger inférieur, avec le golfe de Guinée; à l’est, avec le Soudan par les routes Bouroum-Àgadès, Saï-Kano et le cours du Bénoué. Tombouctou est une étoile qui rayonne à la fois vers les bouches du Niger, l’Atlantique, la Méditerranée et le delta du Nil.
- Donc nombre de chemins mènent à Tombouctou. On peut, pour y aller, prendre la voie Tripolitaine, comme l’a fait Barth ; ou la voie Algérienne par El Golea, Insalah et Inzize; ou la voie Marocaine, qu’a pratiquée M. Lenz. On peut y venir de Mogador ou de la baie d’Arguin; de la Gambie, suivant les traces de Mungo Park; ou du Sénégal, suivant celles de René Caillié. U est possible d’adopter pour base Sierra-Leone, à l’exemple du major Laing et de Clap-perton ; ou de remonter la vallée du Niger inférieur à partir du golfe de Bénin, comme le font les Anglais. Nous Français, nous nous sommes proposé de résoudre le problème par la vallée du haut Niger.
- On sait que le Niger prend naissance au mont Loma, vis-à-vis des sources du Sierra-Leone. Son cours mesure un développement total d’environ 2400 kilomètres. A la hauteur de Tombouctou, sa largeur est à peu près celle de la Seine à Paris; sa vitesse, d’un nœud et demi environ. Ses eaux, de teinte laiteuse, sont encombrées de hautes herbes, — byrgou, nymphœa lotus, nénufar—formant de vraies forêts aquatiques. Taillées dans une roche argileuse, ses rives sont couvertes d’une végétation luxuriante : tamarins, mimosas, palmiers, melonniers et baobabs.
- Sur ses rives la vie se développe dans des conditions d’intensité merveilleuse; la fécondité de la * faune y est extraordinaire. Là, on assiste à d’interminables défilés de légions de buffles et de phalanges d’éléphants. On se heurte à des troupeaux de tortues terrestres, on est assourdi par les cris et le bruit d’ailes des cigognes, des ibis, des poules de Carthage, des francolins voltigeant par myriades.
- Le port de Tombouctou sur le Niger est une petite ville, du nom de Kabara, assise au flanc d’un gros mamelon en forme de cloche. On y compte 2000 habitants, 150 ou 200 maisons bâties en torchis d’argile et nombre de huttes en roseaux. On y trouve deux marchés 'destinés : l’un, à la vente de toute espèce de marchandises; l’autre, au débit de la viande. La population vit de l’élève du bétail, de la
- p.147 - vue 151/432
-
-
-
- 148
- LA NATURE.
- culture du riz, du bamia et des pastèques. Elle fabrique, avec certaines herbes du Niger, une espèce d’hydromel fort apprécié des consommateurs souda-niens. Le bassin fluvial, qui s’ouvre au pied du mamelon, affecte une forme circulaire d’une régularité tellement géométrique qu’on le croirait dessiné de main d’homme, mais il est bien l’œuvre de la nature.
- De Kabara à Tombouctou la distance est de huit à neuf kilomètres; elle se franchit par une plaine sablonneuse, laquelle n’est com-plantée que de buissons d’épines et de quelques arbres rabougris. Ces champs desséchés, à teinte de terre de Sienne, sont semés de petites dunes que les Touareg nomment Iguidi.
- On y voit frétiller des myriades de souris sauteuses ; on y entend des sons étouffés et plaintifs.
- C’est le chant du sable; c’est la dune qui gémit, à la manière du colosse de Memnon. De tous les points de ce chemin aride, le voyageur a sous les yeux le magnifique panorama de Tombouctou. Quand il touche au but, il lui faut, pour entrer en ville, passer sous une poterne voûtée qu’on nomme la « Porte de Kabara ».
- Les coordonnées géographiques de Tombouctou ont été nettement déterminées. La « Ville Sainte » est située par 18 degrés de latitude nord et 5 degrés 36 minutes de longitude orientale — méridien de Paris.
- L’altitude de ce site est de 245 mètres au-dessus du niveau des eaux moyennes de l’Atlantique.
- La « Reine du Soudan » affecte en plan la forme d’un grand triangle isocèle dont la base regarde le sud; et le sommet, le nord.
- Cette assiette triangulaire occupe le versant sud d’un épais mamelon tronconique; les constructions s’y étagent en amphithéâtre. Le pourtour de la ville est nettement dessiné par une muraille en ruines. Sous cette enceinte défensive — de 4 ou 5 kilomètres
- de développement total — sont enfermées un millier de maison^ et quelques centaines de huttes. Disséminées le long de la rue du rempart, celles-ci ressemblent à des ruches d’abeilles, attendu qu’elles sont façonnées en forme de cylindres, coiffés de calottes hémisphériques. Trois grands troncs de pyramide quadran-gulaire émergent de cet océan de maisons. Ce sont les minarets de trois mosquées célèbres, dites de Sidi lahîa, de Sa-nkore et de Sa-ngereber.
- Tombouctou se partage en sept quartiers distincts dont les plus importants sont ceux de Sa-nkore, de Sa-ngougou, de Sa-rahaina et de Bagindi. Sankore, quartier du Nord ou quartier haut, n’est habité que par des notables, pour la plupart gens de race blanche, Arabes ou Touareg. Sa-ngougou, le quartier Sud, est celui des marchands. Bagindi est un quartier bas qui, lors des crues du Niger, est sujet aux inondations.
- Les places publiques sont au nombre de trois : le Youbou ou grand marché; le Youbou- Kaina ou marché aux viandes, installé sur les ruines du palais des anciens rois So-nraïs; et un square de médiocre étendue ménagé par devant la mosquée de Sidi lahîa.
- Peu d’édifices à Tombouctou. On n’y trouve plus aucun vestige de l’ancien palais des rois So-nraïs ni de la citadelle que les Marocains y ont élevée au
- H-illct es-Cheik.
- AiA
- T A R
- A M T ,
- Tombouctou
- SaSarxty *
- Fig. 1. — Environs nord-est de Tombouctou. (D’après les documents les plus récents.)
- fiAClNDI
- yOUBOU-^1
- £
- SA-RAHAINA
- 9 so;
- Fig. 2. — Plan d'ensemble de Tombouctou. (D’après les documents les plus récents.)
- 1 et 2. Maisons d’Ahmed el-Bakaï, cheik de Tombouetou.— 3. Grande mosquée de Sa-ngereber. — i. Mosquée de Sa-nkore. — 5. Mosquée de Sidi lahia. — 6. Youbou, place du grand marché. — 7. Youbou-Kaina, place du Marché aux viandes. — 8. Porte de Kabara. — 9. Puits au centre d’un bois de palmiers. — 10. Puits au milieu d’un jardin. — 11. Le grand ravin de Kabara.
- p.148 - vue 152/432
-
-
-
- m
- LA NATURE.
- temps de leur occupation. Les seuls monuments splendeur, sont les trois mosquées précitées. Celle qui subsistent, pour attester le fait d’une antique de Sa-ngereber est du quinzième siècle. Bâtie par
- lig. 5. — Entrée d’une caravane à Tombouctou. (D’après un ancien croquis du D'Barth.)
- un Maure de Grenade, le styL est très remarquable.
- Un hôtel de personnage riche consiste en un rez-de-chausséecom-posé de quatre pièces séparées, deux à deux, par des cours intérieures et donnant, toutes quatre, sur une galerie couverte. Quant à l’ameublement, il est simple.
- Des nattes, des lits de roseaux, des bancs d’argile, des plats de bois de grand diamètre et d’immenses jarres à provisions. Au-dessus du rez - de - chaussée, règne une terrasse à parapets élégamment ajourés. Très proprement maçonnées en argile, les maisons ordinaires sont uniformément établies sur un plan qui rappelle celui des habitations de Pom-péi. D’aucunes sont humbles et d’aspect misérable. La plupart comprennent un bon rez-de-chaussée , surmonté d’un étage couvert en terrasse.
- à son pourtour, d’un petit mur à bahut, élevé à hauteur d’appui. Bien que naïf, le style de ces constructions trahit, de la part de leurs auteurs, quelques velléités d’ornementation architectonique. Quant à la voirie urbaine, elle implique un bizarre système de communications tortueuses. Toutefois les rues principales accusent un tracé rectiligne et se coupent à angle droit. Toutes sont uniformément étroites ; à peine deux hommes â cheval peuvent-ils y passer de front. Elles sont macadamisées en sable et gravier, avec caniveau longitudinal assurant un prompt écoulement aux eaux de pluie.
- Les populations du Soudan ne sont, en général, que des agglomérations humaines extrêmement confuses; suivant cette loi, la race des gens de Tombouctou est essen-
- arabe pur — en j Chaque terrasse est ceinte
- Fig. 4. — Si ei Hadj-Abd-el-Kader, ambassadeur de Tombouctou (D’après une photographie de M. Emile Tourlin.)
- p.149 - vue 153/432
-
-
-
- 150
- LA NATURE.
- tiellement hybride. Les métis si dissemblables qu’on I y rencontre peuvent néanmoins se ramener à quatre types distincts : Nègres purs, Berbères, Arabes et Foullanes. Çà et l'a, quelques juifs. En tout, de douze à treize mille âmes ; mais ce chiffre s’élève à vingt mille en novembre, époque de l’arrivée des caravanes et de la foire annuelle.
- Il est intéressant de savoir de quoi se nourrissent les Soudaniens. Voici le menu d’un festin offert par le cheik el Bakaï à des Européens : une bouillie de millet, de riz et de lait caillé fait office de potage. Les entrées consistent en macaronis divers : les uns, faits de farine de froment; les autres, de farine de maïs. On y mêle du riz, des dattes ou du miel; tous sont uniformément et terriblement poivrés. Pour rôti, des pigeons ; pour légumes, des panais, des patates, des amandes de terre et des courges. Le dessert se compose de bananes, de noix de gouro et de gâteaux de sorgho. Le tout arrosé de gia, ou bière de millet, et de menschou, sorte de sirop tiré d’une herbe du Niger.
- Tombouctou est une ville de plaisirs. La nuit, ses rues sont loin detre paisibles. Il s’y fait, en tout temps, beaucoup de bruit ; au moment de la foire, c’est un tapage infernal.
- Il vient à cette foire de novembre des Turcs de Tripoli, des Arabes algériens, des Marocains, des gens de R’damès et du Touat; des Touareg du Nord; des Soudaniens de Koukaoua, de Ivano, de Sokoto ; des Maures du Sénégal; des riverains du haut Niger, principalement de Bamakou, de Segou, de Sa-nsan-dig et de Djenné. De grands arrivages de marchandises s’entassent chez les représentants des maisons de commerce de Kano, de R’damès, d’Insalah, de Fez et de Mogador. Les magasins de ces agents sont alors bondés de céréales, de sel, de thé, de sucre, de dattes, de fruits de l’arbre à beurre et .de noix de Kola. On y trouve aussi quantité de bernous de Kano, de chemises de Sa-nsandig, de calicots de Manchester, une foule d’articles de mercerie anglaise importés par les caravanes du Maroc et par celles de R’damès via Touat.
- Insistons sur le fait de l’importance commerciale de la Reine du Soudan. Il s’importe, en temps ordinaire, à Tombouctou des cotons de Manchester, des soieries de Lyon, de grosses toiles de Saxe, des verroteries de Venise, des merceries de Nüremberg, des sucres et savons de Marseille, des soies communes et des calottes rouges de Livourne, des lames de sabre de Solingen, etc. Les articles de Manchester arrivant sur le marché représentent une valeur d’environ quarante millions ; la verroterie de Venise, cinquante millions ; les soieries de Lyon, vingt millions; les lames de Solingen, une centaine de mille francs. Le commerce d’importation est donc loin d’être insignifiant. Il arrive, par an, à Tombouctou cinquante mille chameaux portant chacun une charge de cent cinquante kilogrammes de marchandises, soit ensemble sept mille cinq cents tonnes.
- En retour, Tombouctou exporte en Europe, nom-
- bre de produits divers tels que : tabacs rustiques, cotons courte soie, indigos, riz et millets, gommes blanches, cires d’abeilles, peaux de zèbre, de mouton et de buffle, plumes d’autruche, plantes médicinales, civette, encens, noix de gouro, beurre végétal; des étoffes de coton, de l’or et des ivoires. Il convient d’ajouter à cette momenelature quelques produits de l’industrie locale : des articles de ferronnerie, de maroquinerie, de bijouterie; de grands plats et des seaux en peau de buffle durcie. Ensemble aussi de sept à huit mille tonnes.
- Ces chiffres suffisent à expliquer pourquoi le gouvernement de Louis XIV tenait tant à la possession du Sénégal.
- C’est à notre génération qu’il appartient de réaliser les desseins de Colbert.
- Lieutenant-colonel Hennebert.
- LES TREMBLEMENTS DE TERRE1
- DE DÉCEMBRE 1 8 8 4-J A N VIE R 1 8 85, E N ANDALOUSIE
- La persistance du mouvement tellurique, commencé le 22 décembre dernier, et qui a fait presque constamment sentir son action pendant un mois consécutif, à des intervalles plus ou moins rapprochés, est un des phénomènes géologiques des plus remarquables qui se soient produits en Europe dans notre siècle. Plus de trente villes ou villages ont été éboulés en partie ou en totalité, et ruinés ; le nombre des victimes connues dépasse plus de 2500 et les pertes matérielles s’élèvent à un nombre considérable de millions. Quelques localités populeuses ont été entièrement détruites ; la majeure partie de leurs habitants sont actuellement sans asile, sans ressources et sans abris; les tempêtes, les pluies et les neiges n’ont cessé de joindre leur action aux mouvements continuels du sol. La catastrophe est sans précédent similaire en ce pays et nul ne peut visiter la région frappée sans se sentir ému par l’immensité du malheur et de la misère des habitants des sierras de Grenade et de Malaga. Des crevasses se sont ouvertes sur beaucoup de points, le sol mobile se déplace, des ruisseaux ont vu changer leur cours ou le régime de leurs eaux, des monts se sont surélevés et d’autres se sont affaissés, des lacs se sont produits par suite d’un changement du niveau du sol; l’écorce terrestre a été fracturée, des sources se sont taries et d’autres sont venues sourdre brusquement. Enfin, l’orographie de la contrée frappée par les tremblements de terre a un peu changé depuis le 25 décembre dernier. On ne connaît encore qu’une faible partie des modifications opérées par ces mouvements du sol, car la région dévastée est difficile à parcourir, et en ce moment beaucoup de villages sont inaccessibles par suite de la crue des arroyos et le mauvais état des sentiers de montagnes et des che-
- 1 Suite. Voy. n° 607 du 17 janvier 1885, p. 107.
- p.150 - vue 154/432
-
-
-
- LA NATURE.
- 151
- mins. Quelques-uns d’entre eux sont impraticables.
- Les maisons et les édifices, ébranlés par les fortes secousses de la nuit de Noël, vont peu à peu tombant ou se dégradant sous l’inlluence des mouvements ultérieurs qui n’ont pas encore cessé, et des pluies persistantes. Nous allons entrer dans quelques détails relatifs aux phénomènes géologiques produits par ces récents tremblements de terre.
- Phases du tremblement de terre. — Extension du mouvement. — Le tremblement de terre, que nous avons déjà décrit, a présenté trois phases. Sa première phase se manifesta, avant le 25 décembre, à Pontevedra, Vigo, et en Portugal, c’est-à-dire dans la partie occidentale de la Péninsule ibérique. Sa seconde phase, très courte et très intense, se fit sentir au Centre et au Midi; son maximum d’intensité a eu lieu la nuit du 25 décembre dernier ; enfin, sa troisième phase qui dure encore dans les provinces de Grenade et de Malaga, s’est propagée encore plus à l’Est et jusqu’à la province deYalence. Le 16 janvier, à 8 heures du matin, on a ressenti à Grenade une forte secousse qui s’est répétée à 10 heures du soir; le même jour à Motril plusieurs édifices déjà ébranlés sont tombés par l’effet de cette même oscillation.
- Le mouvement oscillatoire du 25 décembre dernier embrasse une extension superficielle considérable ; l’aire du sol mise en mouvement, dans la Péninsule, est comprise depuis Cadix au cap de Gates et depuis Malaga à la chaîne Carpetena. Le mouvement fut de plus en plus intense à partir de cette masse montagneuse, dans la direction du Midi, jusqu’à atteindre son maximum dans la région comprise entre la serrania de Ronda et la sierra Nevada de Grenade. Le mouvement oscillatoire fut graduellement accentué en direction du Sud, surtout à partir du bord méridional du plateau central espagnol, limité par le versant de la vallée du Gua-dalquivir (Séville, Cordoue, Malaga, Grenade). M. Garcia Alvarez localise le phénomène en Andalousie et lui donne pour point de départ la sierra Nevada. En l’envisageant ainsi, le mouvement a décrit dans sa marche un arc ellipsoïdal (voir la carte, page 109); sur la ligne orientale se trouvent les villages atteints de Jatar, Arenas del Rey, Fornes, Jayana, Albunuelas et Murchas ; le phénomène est allé en décroissant à la naissance de la sierra Nevada au village le Palud ; sur la ligne occidentale se trouvent compris la sierra de Alliama, Zafarraya, Venta deZa-farraya, Santa-Cruz d’Alhama et Turro : le mouvement est allé en décroissant en arrivant à la sierra de Loja. Les secousses ressenties aux divers villages des provinces de Grenade et de Malaga se seraient communiquées par dérivations de la sierra Tejeda comme à Archidona, Canillas-Aceituna, Periana, Yelez, Ante-quera, etc.
- Mouvements telluriques du mois de janvier. — Nous n’exposons ici aucune théorie relative aux tremblements de terre, nous laissons aux traités de géologie le développement des hypothèses de la cha-
- leur centrale, de la théorie volcanique, de-celle des courants telluriques, des marées souterraines, des gaz comprimés, l’hypothèse des éboulements des masses internes se pressant sur de grandes cavités, celle des cassures dans un refroidissement séculaire de l’écorce terrestre, etc. ; nous ne parlons que des faits observés et des résultats constatés. L’action de l’intérieur contre l'écorce minérale de notre globe, crevée, fendillée, brisée, disloquée, crevassée et mobile, ne peut être niée, quelle que soit la cause des tremblements de terre.
- Dans les provinces de Grenade et de Malaga, depuis le 25 décembre dernier, les mouvements du sol n’ont pas discontinué. Voici un relevé d’observations faites à Malaga jusqu’au 5 janvier 1885 :
- 25 décembre 1884. 8b,45' soir : tremblement de terre. A lb,45' et 5b,60' du matin : oscillations.
- 26 décembre. Légères oscillations bien accentuées toute la nuit.
- 27 décembre. Oscillations à llh,5' du soir.
- 28 décembre. Mouvements répétés et peu sensibles toute la nuit.
- 29 décembre. Oscillations à lib,25', llh,45 de la nuit et à 5b,30' du matin.
- 30 décembre. Oscillations à 4b,58' à 6b,47' du soir continuant par de petites secousses.
- 31 décembre. Trépidation à 4b,55', à 5b,30' du soir avec de fréquentes oscillations.
- Ier janvier 1885. Oscillations à 12h,55' et 1 b,l0 de la nuit.
- 2 janvier. Oscillations à minuit.
- 3 janvier. Trépidations à 7h,30', à llb,50' delà nuit, à lb,45\ 2h,39, 2b,45', 4h,10 du matin.
- 4 janvier. Rien.
- 5 janvier. Légers mouvements.
- Depuis le 5 jusqu’au 16 janvier, les oscillations, trépidations, mouvements du sol, n’ont pas discontinué dans la province de Malaga, à Nerja, Torrox, Velez, etc., et dans celle de Grenade, à Alhama, Arenas del Rey, Grenade, Motril, Loja, etc., toujours précédées de bruits souterrains; le 11 janvier, les mouvements oscillatoires se sont produits avec une certaine intensité à Malaga et déterminaient la chute de quelques édifices crevassés par le tremblement de terre de la nuit de Noël. Le 16 janvier, à 8 heures du matin et à 10 heures du soir, deux secousses assez fortes se sont fait sentir à Grenade.
- Rrincipatix dégâts produits par les tremblements de terre en Andalousie. — Les dégâts matériels produits par les tremblements de terre de l’Andalousie sont immenses; nous ne pouvons que les énoncer rapidement. Albunuelas est détruite, Arenas del Rey et Alhama sont anéantis. Des 1757 maisons dont se composait Alhama, il n’en reste plus aujourd’hui que 200 à 250, et encore en mauvais état; à Santa-Cruz de Alhama, de ses 330 édifices, il ne reste plus une seule maison sur pied; des 432 maisons d’Arenas del Rey, il n’existe aujourd’hui qu’un amas de ruines; à Canillas deAceituna, il y a 376 maisons complètement détruites et 258 inhabi-
- p.151 - vue 155/432
-
-
-
- 151
- LA NATURE.
- tables. On compte à Malaga 89 maisons détruites et 200 inhabitables ou menaçant ruine ; des 10 000 maisons de Malaga, 7000 au moins nécessitent des réparations plus ou moins importantes. A Grenade, on compte également un nombre considérable d’édifices avariés ou endommagés.
- Les tremblements de terre ont produit aussi des dégâts à Periana, Canillas, Velez-Malaga, Torrox, Nerja, Venta de Zafarraya, Zafarraya, Murchas, Gue-vejar, Jayana,
- Cacin, Olivar, Ca-jar, Jatar, Jor-dales, Motril,
- Loja, For ne s,
- Du real (où le beau pont sur la route de Grenade à Mo-tril s’est crevassé), Turro,La-mala, etc. ; ils se sont fait également sentir à Es-cuzar, Cadiar,
- Bombaron, Cliite,
- Orgiva, Sorvilan,
- Calahouda, Tur-ron, Pulianillas,
- Lanteira, Mo-reina, Gabia de Chica, Albunol,
- Lanjaron, Mara-cena, Agron,Gua-jar, etc.
- La statistique des morts et blessés dans la province de Grenade est la suivante :
- A Alhama,
- 307 morts et 502 blessés ; Al-bunuelas, 102
- morts et 500 blessés ; Arenas det Rey, 135 morts et 253 blessés;
- Venta de Zafarraya, 73 morts,
- 28 blesssés; Santa-Cruz de Alhama, 13 morts, 8 blessés; Zafarraya, 54 morts, 86 blessés; Jayana", 17 morts, 5 blessés; Murchas, 9 morts, 12 blessés; Lacui, 18 blessés; Olivar, 4 morts, 3blessés; Alar, 1 mort, 20 blessés; Cajar, 1 mort; Zubia, 1 blessé; Jatar, 2 morts, 11 blessés; Canar, 1 blessé; Jor-dales, 1 mort ; Capilena, 2 blessés ; Motril, 1 mort ; Loja, 5 morts, 30 blessés. Total pour la province de Grenade : 695 morts et 1480 blessés, soit 2175 victimes; en y comprenant la province de Malaga, le nombre des victimes des tremblements de terre de l’Andalousie dépasse 2500.
- Relations des mouvements telluriques avec la structure géologique du sol. — Les diverses manifestations des récents phénomènes telluriques paraissent en relation avec la structure géologique de la contrée où ils se sont produits. « Le maximum d’action de tremblement de terre du 25 et des jours suivants a eu lieu dans l’espace compris entre la sierra Nevada et la serrania de Ronda, précisément dans la zone qui entoure la masse archaïque
- des sierras Te-jeda et Almijara, zone brisée, fracturée par les mouvements séculaires de l’écorce minérale de notre globe, partie fragile qui a eu le plus à souffrir de l’impulsion du mouvement oscillatoire dont les résultats ont été si déplorables pour l’Andalousie.
- Les dislocations et les mouvements du sol, les oscillations de l’écorce terrestre n’ont cessé de modifier le sol de l’Andalousie depuis les périodes géologiques les plus anciennes jusqu’à l’époque actuelle. Il est in-contestable: 1° que les bords de la Méditerranée, de Valence et Carthagène à Gibraltar, ont émergé successivement et se sont élevés à une assez grande hauteur à une époque relativement récente : 2° que des roches pyroxéno-amphiboliques ont traversé les sédiments tertiaires supérieurs dans la vallée du Guadalquivir (provinces de Séville et Cor-doue); 3° que des filons métallifères tertiaires supérieurs ou quaternaires se sont formés avec la venue au jour de ces roches ; 4° que de véritables volcans ont fait éruption à la fin de la période pliocène ou durant la période quaternaire dans la côte d’Alméria lorsque la Méditerranée avait pour rivage la sierra Alhamilla.
- Les mouvements vibratoires qui ont causé les
- Fig. 1. — Tremblement de terre de l’Andalousie. — Alhama. — Aspect de la rue haute de Mesones, le 5 janvier 1885. (D’après nature.) Communiqué par l’auteur.
- p.152 - vue 156/432
-
-
-
- LA NATURE.
- 153
- tremblements de terre de l’Andalousie se sont donc produits dans une région spécialement fracturée. Leur maximum d’intensité se trouve sur une courbe qui entoure la sierra Nevada et suit rectilignement les lignes de fracture des sierras de Ronda, Tejeda, Almijara, etc., lignes de fractures d’ailleurs indiquées par la plupart des arroyos et cours d’eau et par les accidents du sol tertiaire dans lequel sont bâtis la plupart des villages détruits ou frappés des provinces de Grenade et de Malaga.
- Phénomènes géologiques produits par les tremblements de terre : Crevassement du sol. — Les tremblements de terre de décembre dernier et de
- janvier ont, sur beaucoup de points, produit des crevassements du sol. Dans les environs de Periana, de larges fentes ou crevasses se sont ouvertes ; le mouvement des terres entraîne les maisons ; le village et la plupart des cortijos se sont éboulés ; des maisonnettes isolées ont même disparu dans les crevasses. Aux environs de la Venta de Zafarraya, des fentes profondes se sont produites à la surface du sol sur une longueur considérable; ces fentes, qui commencent au pied de la montagne, s’étendent jusqu’à la plaine en y pénétrant. A environ 700 mètres à l’ouest d’Albunuelas, il s’est fait des ouvertures elliptiques par lesquelles sort une matière
- grasse en bouillements. Dans la sierra Tejada les mouvements du sol ont acquis une telle importance que les bergers l’ont abandonnée, n'osant plus vivre au sein d’une nature en convulsions.
- Sur le versant de la sierra Tejeda qui s’enlace avec celle de Jata et de Albunuelas, s’est également ouverte une crevasse de trois mètres de large; elle commence près de la sierra de Jata et se termine près du village à zafarraya, sur une longueur de près de quatre lieues. A Guévéjar s’est aussi ouverte une crevasse parabolique d’une longueur de trois kilomètres et d’une profondeur considérable.
- Dans la sierra de Frigiliana, il s’est produit d’immenses éboulements, les rochers pittoresques qui dominent le village ont altéré leur position et menacent de tomber sur les habitations; le sol, en
- certains endroits, s’est aussi crevassé et fendillé.
- A trois kilomètres de Santa-Cruz et à deux d’Al-liama, sur le versant oriental de la rivière, au pied d’une montagne (cerro) il s’est également ouvert une grande fente d’où sortent des gaz fétides, à odeur d’œufs pourris, qui affectent l’odorat à un kilomètre de distance. De cette crevasse jaillit actuellement une source abondante d’eau sulfureuse chaude qui va se perdre dans les eaux de la rivière ; sa température est d’environ 4C2 degrés centésimaux et son débit de un à deux mètres cubes à la seconde. Tous les cerros qui se trouvent sur le chemin de Santa-Cruz à Alhama sont crevassés ; enfin le sol de la contrée est plus ou moins brisé, fendillé et crevassé.
- Par certaines crevasses on a vu sortir des vapeurs condensées sous forme de fumées.
- p.153 - vue 157/432
-
-
-
- 154
- LA NATURE.
- Translation du sol. — La ville d’Àlhama est bâtie sur un escarpement tertiaire au pied duquel coule la rivière Almarchar ; la ville haute est seule située sur la coupure, la ville basse, à son pied, sur les bords delà rivière. Le tremblement de terre du 25 décembre précipita les maisons de la ville haute sur la ville basse.
- Les terrains tertiaires et quaternaires des environs deAlhama, Santa-Cruz, Arenas del Rey, etc., sont peu consistants; les terres végétales ont peu d’adhérence avec le sous-sol, en sorte que les terres superticielles, le tertiaire même argileux, glissent et coulent sur les pentes. Les villages bâtis sur ce sol mobile, à maisons peu solides et mal construites dont les fondations ne pénètrent pas dans la roche dure du sous-sol, sont tombés aux premières oscillations du tremblement de terre. Les quelques édifices bâtis sur des roches solides, mais qui se trouvaient sur des lignes de crevassement ou d’étoilement du phénomène oscillatoire, n’ont pas résisté non plus.
- Le phénomène de translation le plus remarquable est ce qui se passe à Guévéjar, où certaines maisons ont avancé de 27 mètres depuis le 25 décembre dernier : le village tend à descendre et à se précipiter dans la rivière Cogollos.
- Le village de Guévéjar, bâti sur le versant S. 0. de la sierra Cogollos, est assis sur une couche argileuse; la rivière passe entre le cerro Cogollos et le cerro del Castillejo et coule au sud; le sous-sol est formé par une roche calcaire. Une grande crevasse en forme de fer achevai s’est ouverte; le village occupe un foyer de cette courbe parabolique. La fente principale commence au lit de la rivière; elle entoure tout le village en s’élevant sur le cerro del Castillejo; elle est divisée et subdivisée en d’autres plus petites; elle court en direction N. 83° E. une distance de 190 mètres; elle atteint et coupe le sommet de l’un des cerros où, en se’formant, elle a accumulé un amoncellement de matériaux pierreux d’environ 1300 à 1500 mètres cubes. Ensuite, elle descend en accentuant davantage la direction E. et montant de nouveau, elle arrive au point le plus élevé de sa course où elle présente 15 mètres de large et environ 7 à 8 mètres de profondeur accessible. De ce point elle descend en continuant son développement parabolique, s’infléchissant de plus en plus vers le N., elle descend enfin et coupe en deux, dans le sens de l’axe principal du prisme, les murs d’une fabrique de poudre.
- A part cette grande crevasse, il y en a une multitude de petites, qui courent, les unes parallèlement au centre du cercle de la grande fente, d’autres perpendiculairement ou dans la direction de l’axe du mouvement. Ces petites crevasses, en coupant les édifices et élevant le sol des habitations, donnent aux maisons du village un aspect étrange; les saillies ou proéminences, que ces crevasses ont produites dans le sol des habitations, ont quelque apparence avec les amas de terre en forme de sarcophage qui dans les cimetières indiquent les tombes : cet aspect a
- effrayé les habitants de Guévéjar la nuit de la Noël.
- Le mouvement de translation de Guévéjar, à la suite des crevassements du sol, n’est pas encore terminé : la nature argileuse du terrain favorise l’inclinaison dans le sens du fendage; les maisons plus ou moins crevassées sont abandonnées.
- Dénivellations. Changement du régime des eaux. — Les derniers tremblements de terre de l’Andalousie ont déterminé des dénivellations considérables qui, sur beaucoup de points, ont changé le régime des eaux. Les sources de la rivière Almarchar ont baissé de niveau, beaucoup de propriétés riveraines ne peuvent plus être irriguées. Tous les cours d’eau compris dans la zone de la grande crevasse de Guévéjar ont disparu, laissant leurs lits à sec : la fontaine du village s’est tarie. A l’extrémité sud de la crevasse, à 15 mètres de la rivière Cogollos, il s’est formé un petit lac de 9 mètres de profondeur vers son centre et d’une superficie d’environ 2000 mètres carrés. Le versant opposé de la rivière où le lac s’est formé, s’est élevé d’environ 13 mètres au-dessus de son niveau primitif.
- Le régime normal des eaux minérales a été également altéré ; des sources ont disparu, d’autres, au contraire, ont jailli. Près de Santa-Cruz, a jailli une source thermo-minérale abondante. Les eaux minérales de Alhama sourdent maintenant en plus grande abondance qu’avant la catastrophe. Avant, elles avaient une température de 47 degrés centésimaux et le caractère salin ; depuis la nuit du 25 décembre, elles ont acquis un caractère sulfureux très marqué qui se dénote dès que l’on entre dans le balné-raire; leur température actuelle est de 50 degrés centésimaux, soit 3 degrés de plus qu’auparavant; la piscine de l’établissement d’Alhama, de style arabe de la meilleure époque, sur construction romaine, n’a pas souffert la moindre avarie, tandis que la partie de construction moderne a été affectée par le tremblement de terre.
- Nature du mouvement déduite des observations géologiques. — Les observations géologiques que nous avons faites, toutes restreintes, locales et imparfaites qu’elles sont, démontrent que durant le tremblement de terre du 25 décembre, il s’est produit des mouvements d'oscillation et des mouvements de trépidation. Tous ceux qui ont ressenti comme nous le grand tremblement de terre de la nuit de Noël, ont d’abord éprouvé une secousse verticale, et après un court intervalle, un autre mouvement comme un balancement.
- La grande crevasse de Guévéjar est instructive: elle présente en deux de ses points deux sections intéressantes. Sur l’un, un tronc d’olivier a été partagé en deux parties depuis la racine jusqu’aux branches, sectionné comme par un coup de hache, chacune des parties occupant une lèvre de la fente, moitié de l’arbre sur un bord, l’autre moitié sur le bord opposé. Sur d’autre point, la crevasse a divisé en deux le mur qui soutient la roue de la fabrique de poudre de Guévéjar. Les fentes et fissures des
- p.154 - vue 158/432
-
-
-
- LA NATURE.
- 155
- maisons de ce village ont également la direction de la ligne décrite par les crevasses. Ces caractères imprimés au sol indiquent un mouvement d’oscillation.
- Le mouvement des briques ou carreaux des habitations qui furent soulevés par les côtés de leurs angles les uns contre les autres prouvent également la nature du mouvement oscillatoire.
- A Guévéjar, dans certaines maisons, les tuiles ont tourné d’une demi-révolution en restant renversées sur place sans qu’une seule soit tombée à terre.
- A Alhama, à Arenas del Rey, les carreaux et briques ont été également complètement renversés. Dans certaines maisons détruites, les étages inférieurs apparaissaient ensevelis à un niveau inférieur a leur niveau primitif, comme s’ils avaient obéi à un mouvement de haut en bas. Tous ces faits confirment que le tremblement de terre de la nuit du 25 décembre fut une combinaison d’un mouvement de trépidation et d’un mouvement d’oscillation.
- Le grand phénomène sismique dont nous venons de retracer l’histoire, n’est peut-être pas encore terminé à l’heure où nous écrivons. Le 21 janvier, de nouvelles oscillations se sont fait sentir à Velez-Malaga et à Loja (Grenade) a 111', 50' du matin; le 22 une secousse a eu lieu à Periana.
- La neige du 15 janvier s’est étendue de Séville à Huelva, et sur les bords de la Méditerranée à Alicante, Valence, etc. Il y a soixante-six ans qu’on n’avait vu de la neige à Huelva. Il y a vingt-cinq à trente ans que l’on n’avait vu de neige à Gordoue, a Séville et à Malaga.
- Grenade, le 2A janvier 1885. A.-B. NoGl'ÈS,
- Ingénieur civil des mines.
- LES MACHINES A TRIPLE DÉTENTE