Le Devoir
-
-
- HÜÜ^II y lîl^lïlffir ïir V îïiïtîiÉfr frfi
- p.n.n. - vue 1/838
-
-
-
- p.n.n. - vue 2/838
-
-
-
- p.n.n. - vue 3/838
-
-
-
- 10e Année, Tome 10.— N" 382 Le numéro hebdomadaire 20 c. Dimanche 3 Janvier 1886
- T
- I
- m
- fi*
- El
- REVUE DES QUESTIONS SOCIALES
- BORE AD
- A GUISE (Aisne)
- Toutes les communications
- ABONNEMENTS PAYABLES D’AVANCE par l’envoi, soit au bureau de Guise, soità celui de Paris , de timbres-poste ou de mandats de poste, dont le talon sert de quittance.
- et réclamations doivent être adressées à
- France
- On an ... 10 fr.
- Onion postale On an. . . . 11 fr. »»
- M. GODIN, Directeur-Gérant Fondateur du Familistère
- Six mois. . . 6 »» Trois mois. . 3 ï»
- Autres pays
- On an. . . . 13 fr. 60
- ON S’ABONNE
- A PARIS
- , rue Neuve-des-Petits-Champs Passage des Deux-Pavillons
- S’adresser à M. LEYMARIE administrateur delà Librairie des sciences psychologiques.
- SOMMAIRE
- La conquête de Madagascar. — Accroissement de l’Armée anglaise. — Mouvement de la paix en Allemagne.— Discours de M. Passy. — Bulletin de la paix.— La boule payante en Amérique. — Estimation du travail d’une mère par son garçon.
- L’œuvre de M. Rossi en Italie. — Patriotisme et commerce.— L’association de Paix et l’arbitrage internationale et la question d’Orient. — L’affaire du commandant Bazaine.— Les caisses des écoles des arrondissements de Paris. — Rapport de M. Camille Pelletan.
- LA
- CONQUÊTE DE MADAGASCAR
- On est enfin disposé à mettre un terme aux aventures de la politique coloniale
- Un traité de paix avec le gouvernement malgache nous délivre des inquiétudes de voir prolonger indéfiniment une politique coloniale brutale et ruineuse.
- Nous approuvons pleinement le traité intervenu entre notre gouvernement et celui de Madagascar.
- Mais nous ne l’interprétons pas comme un acte impliquant un renoncement à étendre notre race dans les autres continents.
- Nous n’avons jamais condamné le principe de la politique d’extension.
- Jusqu’à présent, nous bavons systématiquement combattue dans ses moyens d’action, parce que systématiquement elle n’a cessé d’avoir recours à la force et à la violence.
- Le récent traité avec Madagascar, à notre sens, doit marquer la fin des aventures et le commencement de la véritable politique d’extension, de celle qui procède en vue du progrès général au lieu de poursuivre des avantages passagers, dont la durée est subordonnée à la soumission d’un peuple aux volontés d’un autre peuple.
- La conquête de Madagascar et des autres contrées hostiles ou fermées aux idées générales qui dominent les nations civilisées est une œuvre essentiellement progressiste, qu’il faut poursuivre par tous les moyens que conseille la raison.
- Il est même de l’intérêt de la France de ne pas se laisser devancer par une autre puissance dans ces pays neufs.
- Les débouchés momentanés, qu'il est certainement possible de trouver à Madagascar et ailleurs, facilitront l’évolution sociale que l’on ne peut longtemps ajourner en présence des progrès constants de la production.
- Nous demandons la conquête pacifique de Madagascar, nous espérons que les ministres ou, à leur défaut, les députés opposés aux aventures de l’opportunisme, saisiront bientôt la Chambre de projets rationnels d’extension extérieure.
- Avec une faible partie des crédits que l’on veut justement refuser aux entreprises militaires,il sera facile ,de commanditer des tentatives comparables à celle des Stanley et des Brazza au Congo.
- Si l’on ne trouve en Europe des explorateurs suffisamment expéri mentés, il n’est pas douteux que parmi les lieutenants des deux civilisateurs de l’Afrique centrale on puisse recruter des hommes ca-
- Page de titre 1 - vue 4/838
-
-
-
- 2
- LE DEVOIR
- pables de décider les Hovas et les Malgaches à entrer dans le mouvement commercial qui s’étendra bientôt sur tout le globe.
- Il est regrettable que, le jour même où l’opposi-sition combattait le vote des crédits du Tonkin, aucun député républicain n’ait eu la pensée de déposer à la Chambre une demande de crédits destinés à une campagne d’exploration pacifique à Madagascar.
- Il est temps d’organiser les missions du progrès et de les substituer aux expéditions militaires qui massacrent les peuples et aux envahissements des prédicateurs qui les abrutissent.
- Ces tentatives pacifiques ne seront pas sans profit pour les peuples qui les commanditeront. Elles seront infiniment moins onéreuses que les conquêtes militaires et surtout beaucoup plus durables.
- Au reste, toute action contraire suppose qu’il existe des peuples destinés à être les tributaires des autres.
- Cette conception peut avoir cours dans un pays aristocratique ; elle n’est pas défendable dans une démocratie qui a proclamé l’égalité de tous les citoyens devant la loi.
- II n’est pas contestable que certains peuples sont moralement inférieurs à d’autres ; mais cette infériorité résulte d’un défaut de culture, d’un manque d’initiation ; il serait injuste de prendre prétexte de cette infériorité relative et momentanée, qui s’explique par une série de circonstances que l’on peut faire disparaître presque subitement, pour établir une prépondérance politique durable des nations civilisées sur les autres moins cultivées.
- Les défenseurs de cette politique coloniale qui a basé ses prétendus droits de conquête sur l’infériorité des races ne tiennent aucun compte du passé ; ils oublient que les races d’aujourd’hui, dites supérieures, ont été précédées, elles aussi, de civilisations qui les plaçaient à un degré d’infériorité relative.
- N’est-il pas évident que la différence de civilisation entre un Européen et un Malgache est moins sensible que celle qui distinguait autrefois un Romain d’un Gaulois.
- Pourquoi ériger en système des idées qui, observées à d'autres époques, auraient été un empêchement à notre émanacipation?
- D’ailleurs il est certain que les habitants de Madagascar ont fait, depuis très peu de temps, de grands progrès vers la civilisation.
- Nous recevions, il y a quelques jours, une lettre
- d’un de nos abonnés de la Réunion que ses affaires appellent fréquemment à Madagascar.
- Voici quelques extraits de la lettre de notre correspondant, M. Aldor Rohan, avocat à Port-Louis Ile Maurice.
- « L’Ile de Madagascar est réellement un beau « pays, mais fort dangereux pour les étrangers qui « ne résistentpas à la fièvre qui règne sur les côtes. « Pour arriver à la capitale qui se trouve au centre « de l*île, il faudrait traverser des forêts et des « marécages, car il n’y a pas de chemin tracé.
- « La troupe française en marche serait harcelée « de tous les côtés. . . . Les Hovas sont des
- « gens instruits et bien avisés par les Anglais e^ « les Américains.
- « Ce qui serait bon pour le monde civilisé, surtout « pour Maurice et la Réunion qui sont à deux a jours de Madagascar, ce serait d’avoir un bon « traité de commerce avec ce beau pays, qui bien-« tôt, dans une dizaine d’années, tout auplus, fera « partie du monde civilisé.
- « L’instruction y est obligatoire ; ils ont des éco-« les et des chapelles partout; le protestantisme € domine ; avec ces éléments de liberté, forcément « Madagascar sera bientôt ouvert au commerce du « monde entier et à la civilisation ; il ne faut pas « non plus perdre de vue que c’est un peuple de « mœurs très douces pouvant se passer de tout le « luxe de l’extérieur ; ils ont tout chez eux. Par des « moyens doux et conciliants la France dominera « à Madagascar.
- Il est sage, il est de notre intérêt de favoriser cette évolution et de retirer une juste rémunération de notre concours.
- Nous pouvons servir le progrès et obtenir de» avantages nationaux par une intervention prudente et pacifique chez les Malgaches.
- Pour cela, il ne suffit pas de renoncer aux expéditions militaires ; il faut les remplacer par des explorations pacifiques.
- Nous demandons au gouvernement de voter des crédits pour encourager toute tentative susceptible d’aboutir à la conquête morale des populations malgaches.
- Accroissement proposé de l’Armée anglaise.
- On lit dans le Daily News du 30 novembre :
- — La résolution suivante a été adoptée par le comité Exécutif de l’Associaiion de l’Arbitrage international : « Consi-« dérant que la récente proposition d’augmenter le nombre « des simples soldats dans l’armée Britannique menace de
- p.2 - vue 5/838
-
-
-
- EE ^revoir
- 3
- « sérieuses charges ^additionnelles les contribuables déjà a surchargés, — les dépenses militaires de l’annéefdernière a ayant été plus lourdes qu’à aucune période depuis la guerre « de Crimée, — le comité proteste contre cette augmen-€ tation.
- « Le principal prétexte donné par une telle expansion de « nos établissements militaires est qu’une force Anglaise « considérable est maintenue en Egypte et qu’ii est néces-« saire d’accroître la garnison européenne dans l’Inde ; mais « il est évident que la meilleure conduite serait de rappeler « nos troupes d’Egypte aussitôt que possible, et de ne point « ajouter encore aux charges militaires de l’Inde déjà trop « accablantes. »
- IVIOUVEIMT DE LA PAIX !
- EN ALLEMAGNE
- Nous recevons de « The international arbitration and Peace association » les renseignements suivants :
- Grand meeting à Stuttgard.
- jUn tel meeting es! réellement un événement en Allemagne où tout ce qui ressemble à une organisation politique est contrecarré par Tadministration, où'-fie mot-même de « Paix » a particulièrement un son anti-patrio-; tique pour les classes officielles et militaires.
- Aussi, lorsque le( président de notre.comité,M. Hodgson Pratt, commença son travail à Stuffgar.d, il y aiun.,an, jm des,notables habitants delà ville, membre du Reichstag lu1 dit que tout effort pour fonder à Stuttgard un groupe de la paix serait absolument perdu.
- Néanmoins, dès sa première visite, M. Hodgson .Pratt réussit à rassembler quelques personnes et à leur faire examiner la question • mais après son départ( tout moyiye-ment cessa.
- A sa seconde yisite, cette , année, il vit un plus grand nombre de personnes,, représentant tous les partis, et deux meetings préparatoires furent successivement tenus. Un comité provisoire fut enfin formé et le maire consentit à présider la réunion. Cette assemblée eut lieu le 14 Novembre 1885.
- Le DrF. Lipp, secrétaire, ^t,«n rapport sur les trayaux ,,du comité, et proposa Irrésolution suivante qui fut acceptée à l’unanimité.
- «}L'assemblée décide de» fonderr,en Wurtemberg une « association pour rallier l’opinion publique à la solution « par l’arbitrage de toutes les difficultés internationales,
- « afin d'assurer le maintien général de la paix.»
- Le Drf Lipp en développant les motifs de celte résolution fit l’historique de l'idée de la paix internationale. Après avoir rappelé, les propositions de Bernardin de St-Pierre et d'Emmanuel Kant, il mentionna les efforts accomplis par la société ; des amis, la Hem'a-Hutter, les amis de la paix en Angleterre et Elihu Burrjtt en Amérique.
- Il parla ensuite des résolutions de la ligue de paix et de liberté de Genève et des efforts actuels de M. Hodgson Pratt .en faveur de l’association d’arbitrage .international.
- Il termina en disant :
- « Nos ancêtres ont fait tous les effoits et sacrifices pos-« siffles pour faire de nous upe nation civilisée.
- « Le meilleur moyen d’exprimer notre gratitude à nos « aïeux est d’élever la position sociale et politique de ceux « qui viernent après nous Qu’à la fin du vingtième siècle « nos en fants recueillent, par l'établissement de la paix» « le fruit de nos aspirations et de nos labeurs !
- (Applaudiss ements vifs et prolongés)
- Herr Cari Meyer, Membre démocratique du Parlement allemand, parla ensuite.
- Il déclara venir, au nom du parti populaire, saluer avec une joie sincère la naissance de l’Association.
- « La seconde clause du programme du parti démocra-« tique, dit-il, fait à ses amis politiques et à lui-même « le devoir de donner un appui efficace au mouvement « en faveur de la paix.
- « Çette œuvre d’humanité est noble, elle rend service « à tous, elle est digne des efforts de tous les hommes « de bonne volonté. Quand même ils n'obtiendiaient pas « la paix permanente, tous lés hommes de cœur désirent « la paix aujourd’hui, et doivent être prêts à marcher en « avant vers ce but, la main dans la main avec les autres « peuples. »
- Herr Bruno Geiser, (Membre socialiste du Reichstag) .idpplara, à son tour, .queson pprti est rajlié à la/ cause de la paix, qu’il aspire à la réalisation de l’harmonje complète et universelle entre tous les peuples.
- « Quant aux questions de désarmement ses amis po-« litiques ont déjà, dit-il, exprimé leurs vuesauParle-« ment. Ils n’ont j amais demandé que le peuple alle-« mand désarmât seul et fît face aux ennemis .sans « moyens de défense personnelle.
- « Dans presque tous les cas, la grande majorité du « peuple a par tout voté pour la paix.
- « La passion militaire a été inculquée par des, moyens « artificiels et dans une intention expresse, comme cela « fut le cas en France en 1870.
- cf II est nécessaire à présent de faire connaître aux masses « la loi des nations. Gotlhold Ephraïm Lessing a dit : « Ce qui coûte le sang n’est pas digne du sang : » « Au-dessus de toutes les divisions de partis, les vrais « amis de l’humanité doivent se tendre la main et « marcher unis.
- « Ainsi le progrès sera assuré, la lumière brillera « parmi les peuples et la paix demeurera parmi les na-« tions.»
- ! Applaudissements)
- p.3 - vue 6/838
-
-
-
- 4
- LE DEVOIR
- Avant la levée de la séance, 136 personnes signèrent la liste en qualité de membres des amis de la paix et adoptèrent la constitution qui avait été précédemment tracée.
- Un comité permanent,composé des personnes suivantes fut élu : Herr von Hellwald (homme de lettres) président ; Herr Edward Elben vice-président ; Herr F. Lipp, L, L, D. hon, sec ; Herr von Diefembach ( conseiller du gouvernement) ; Herr Bruno Geiser membre du parle-m ent, Ober Bürgermeister ; Dr, von Hack ; Cari Meyer, membre du parlement; Herr Director Probst ; Herr G. Staelin; Herr Dr Schall; Herr Alla Moser; Herr Brann (chapelain de la cour ; Herr G. Lofter; professeur Dr Beyer ; Herr Galter, Trésorier,
- Le journal « Stuttgarter Ta.gbla.tt » en publiant le compte-rendu de la réunion dont nous venons de parler, ajouta :
- « Ce meeting a fourni le rare exemple de l’union de « tous les partis politiques.
- « Puisse l’esprit de concorde régner dans la nouvelle « société pour le bonheur des nations et l’avantage de « l’humanité!»
- Le lundi suivant, 16 novembre, un autre meeting fut tenu à Darmstadt, capitale du grand duché de Hesse Darmstadt. M. Hodgson Pratt y fut convoqué et prononça un discours.
- Un comité provisoire fut nommé pour faire les démarches nécessaires à la formation d’une nouvelle société de la paix.
- V**
- Rappelons, enfin, qu’une société de la Paix a été, des juin dernier, fondée à Francfort sur le Mein ; et félicitons M. Hodgson Pratt de son dévouement et de ses infatigables travaux pour la cause de la fraternité internationale.
- ----------------------------------------------—
- Discours de M. Passy.
- A l’occasion de la discussion des crédits pour le Tonkin, M. Passy a été l’éloquent interprète des hommes de progrès, de tous ceux qui espèrent en l’avènement de la justice. Nos lecteurs apprécieront combien notre cause gagnerait à compter à la Chambre des représentants aussi convaincus.
- Voici la partie essentielle du discours de l’honorable député de Paris :
- « On nous a dit qu’il y avait-là,pour nous, un devoir d’humanité, une nécessité commerciale, que notre commerce et nos marchandises suivaient le pavillon, que nous devions ap-
- porter à ces populations éloignées nos lumières, notre civilisation, afin de les élever jusqu’à nous.
- « Oui, les grandes découvertes modernes ont eu pour effet d élargir le monde, de mêler et de confondre les peuples.Sans doute nous ne bornons plus nos intérêts à ce coin de terre que nous habitons ; nous avons besoin de porter au loin nos produits, notre langue et notre civilisation. Mais c’est précisément pour cela que je suis et que je reste résolument opposé à la manière dont on entend diriger cette expansion.
- « Les marchandises suivent le pavillon, dites-vous ! Oui, mais nrn pas le canon. (Applaudissements.)
- « J’er'.demande pardon à Mgr l’évêque d’Angers, mais je dois confesser ma faute tout entière. En l’entendant partir en guerre à la séance d’hier, avec tant de résolution et d’entrain, je me demandais si je n’avais pas en face de moi à la tribune, non pas même le cardinal de Richelieu, mais Jules II entrant par la brèche dans quelque ville prise d’assaut, et j’étais tenté de dire avec Racine
- « Eh quoi! Nathan, d’un prêtre est-ce là le langage ?
- (Applaudissements et rires )
- « Comment ! Voilà des peuples que vous n’appelez plus depuis quelques temps des races inférieures, mais des tard-venus, des cadets auxquels leurs aînés doivent tendre la main pour leur apporter leurs richesses et leurs lumières, et vous parlez de les envahir par le fer et par le feu, vous, patriote et alsacien, qui protestez avec tant d’énergie et de justice contre les envahissements de la force, et qui ne reconnaissez à aucune puissance le droit d’enlever à un peuple un lambeau de son territoire ! (Vifs applaudissements.)
- Vous oubliez donc qu’il y a d’autres peuples, moins avancés peut-être en civilisation, doués certainement d’une sensibilité inférieure à la nôtre, à moitié sauvages, n’ayant pour habitations que de simples tanières, soit, mais où l’homme tient aussi à son sol natal, si misérable soit-il? Ce territoire stérile, qui est sans valeur pour vous, il est pour ces gens-là leur Alsace et leur Lorraine à eux. (Applaudissements.)
- Ah! sans doute, les §*ands peuples ont bien raison de se montrer jaloux de leur indépendance et de leur dignité, mais ne doivent-ils pas respecter l’indépendance et la dignité des autres peuples ? (Très bien ! très bien !)
- « Au lieu de mettre sur ces terres éloignées le pied et la main, il y aurait d’autres moyens à employer, moins coûteux et plus sûrs : ce serait de gagner les hommes en leur apportant vos capitaux, de féconder leur sol, d’élever les âmes en répandant vos lumières. (Très bien ! très bien !)
- & Je mets ces dernières paroles sous le patronage d’un homme que la France s’honore de compter parmi ses enfants les plus illustres et ses patriotes les plus éprouvés : Michelet.
- « Après nous avoir montré l’Espagne, — qui, soit dit en passant, a été perdue par l’Amérique et ses colonies,— sacrifiant sa fortune nationale, son agriculture, pour aller à la recherche des trésors trchés de sang, après nous avoir dit, d’après Herrera, qu’en 25 années elle avait réduit la population indienne de 1 million à 42 ou 45,000 habitants, Michelet ajoute que, quand on étudie ces grandes entreprises, quand on voit les Pizarre, les Gortez créer ces empires lointains qui ont immortalisé leurs noms, mais aussi leur cruauté, alors on éprouve deux sentiments.
- p.4 - vue 7/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 5
- « Le premier, l’admiration de l’audace, du génie, avec lesquels l’homme a conquis les mers, maîtrisé sa planète ; le second, l’étonnement de le voir si inhabile en tout ce qui touche l’homme ; de voir que, pour la conquête des choses, il n’a su faire nul emploi des personnes, que partout le navigateur est venu en ennemi, a brisé les jeunes peuples qui, ménagés, eussent été, chacun dans son petit monde, l’instrument spécial pour le mettre en valeur. »* _________________
- BULLETIN DE LA PAIX
- L’administration du Devoir suspend momentanément la publication du Bulletin de la Paix. Les renseignements et documents relatifs aux idées d’arbitrage et de désarmement seront, plus spécialement réunis dans le deuxième numéro de chaque mois de l’édition ordinaire du Devoir. Ce numéro sera servi aux abonnés du Bulletin de la Paix jusqu1 à, expiration de leurs sabonnements.
- La Boule payante en Amérique
- Le petit journal du 28 décembre nous donne, sur le perfectionnement et l’organisation des magasins en Amérique, line information que nous reproduisons, en raison des réflexions dont nous croyons devoir la faire suivre.
- Communication du Petit Journal
- Profitons d’un moment d’accalmie politique et parlons d’autre chose.
- Il n’est pas un homme de réflexion qui ait pu contempler en détail le fonctionnement du mécanisme intérieur de l’un de nos grands magasins modernes sans se sentir pénétré d’admiration.
- Il est certain qu’il y a là de quoi provoquer et défrayer l’enthousiasme.
- Un budget quotidien de plus d’un million, — plus considérable, en conséquence, que le budget de nombre de grandes capitales et de petits États, — en circulation perpétuelle, réparti en une foule de chapitres divers, sous les rubriques les plus variées ; une armée d’employés aux multiples attributions; tout un enchevêtrement de services et de rouages nécessitant l’action incessante de toutes les facultés de l’intelligence humaine... tout cela discipliné, manœuvré, administré, au doigt et à l’œil, sans arrêt, presque sans accroc, avec une rapidité une régularité, un ordre, une économie de temps et de ressorts une simplicité dont on a trop souvent, hélas ! à déplorer l’absence ou l’insuffisance dans nos ministères et nos autres ins_ titutions publiques.
- Les personnages, inconnus en dehors du petit monde qui gravite autour d’eux, qui ont inventé et mis en œuvre ce merveilleux système, étaient évidemment, dans leur genre, des hommes de génie. Ils avaient le génie du travail et du commerce, le génie de l’initiative individuelle. On comprend que ce sujet ait séduit et tenté des romanciers célèbres.
- Eh bien ! ce n’était pas encore la perfection !
- Les américains viennent d’imaginer une innovation qui, pour ne porter en apparence que sur un détail secondaire, n’en paraît pas moins appelée à révolutionner de fond en
- comble les mœurs et l’organisation des grands établissements commerciaux de demain.
- * +
- Dans les gigantesques magasins de MM. Sharpless frères, à Philadelphie, situés Cbestnut-street, cette rue élégante et fiévreuse, où les fils télégraphiques et téléphoniques sont si nombreux et si serrés qu’ils tamisent littéralement, comme le feuillage des arbres de nos avenues, la lumière du soleil, les clients n'ont pas la peine de passer à la caisse.
- Plus de bousculades, plus de longues attentes, plus de dérangements, plus d'erreurs !
- Le cash-railway, — autrement dit, « le chemin de fer des recettes », ou la € boule payante » se charge de la beso-gne..
- L’acheteur, dit M. Albert Tissandier dans ses intéressantes Lettres sur l’Amérique en cours de publication, l’acheteur paye directement à l’employé qui l’a servi. Il peut désormais s’asseoir à l’aise.
- L’employé dépose l’argent et la note dans une boule en bois, et la lance sur un petit chemin de fer incliné à rails de bois bordés de cuir pour éviter le bruit. La boule arrive ains au centre du magasin, aux bureaux de la caisse. i
- Les comptoirs sont nombreux, mais comme les boules ont joutes un diamètre différent et portent des numéros, la confusion n’est pas à craindre.
- Les diamètres différents obligent, en effet, les boules à suivre des embranchements déterminés, les rails de bois étant de la largeur correspondante, et les numéros rappellent aux employés la place de leur comptoir.
- Lorsque le caissier central a reçu l’argent ainsi expédié par le chemin aérien, il donne la monnaie, acquitte la note ej remet le tout dans la même boule, qu’il lance sur un plan incliné inférieur.
- La boule, arrivée à destination, tombe dans un filet disposé à cet effet. L’employé ouvre ce petit wagon sphérique et en remet le contenu à l’acheteur, qui a pu attendre à sa place sans avoir à se soucier de rien.
- La double opération n’exige guère plus de deux ou trois minutes.
- Il va de soi que les clients ne peuvent sortir du magasin sans produire, comme dans nos bouillons Duval, leur facture acquittée, ou sans justifier qu’ils n’ont fait aucun achat.
- Il paraît que le spectacle de cet inextricable réseau de voies aériennes, qui se croisent dans tous les sens pour desservir les différents comptoirs, avec leurs boules roulant en silence vers leurs destinations respectives, ne manque pas d’un certain cachet original et pittoresque. Je le crois sans peine.
- C’est toujours la substitution, — tant de fois signalée, — de l’automatisme à la force musculaire ou intellectuelle, de la machine inerte à l’homme conscient.
- Cette substitution fatale va en s’accentuant tous les jours, en élargissant de plus son domaine. Elle pénètre aujourd’hui jusque dans les moindres détails du travail industriel et de la vie domestique.
- ' L’individu, le travailleur de chair et d’os, compte de moins en moins. A chaque heure, une nouvelle étapi. est conquis
- p.5 - vue 8/838
-
-
-
- 6
- LE DËŸOÏR
- à ses dépens par le rival muet que la science a mis à ses trousses, par le travailleu*' mécanique.
- Telle est la marque significative de cette fin de siècle ; telle sera sans doute aussi la marque, plus caractéristique encore, du siècle qui vient. Ainsi le veulent la force des choses et la logique de l’histoire économique.
- Cette transformation a d’incontestables avantages,puisqu’elle permet à l’homme de produire beaucoup plus au prix de moindres efforts.
- Mais elle a aussi ses inconvénients. Comme il s’en faut que la consommation marche du même pas que la production, nous courons le risque de voir surgir des engorgements du marché, des chômages, des stagnations, des crises comme celles que nous traversons depuis deux ans et qui a déjà semé tant de ruines.
- * *
- J’ajoute, ce qui est plus grave, que la valeur de l’homme, en tant que travailleur, diminue.
- En présence de l’envahissement du machinisme, l’ouvrier perd peu à peu le sens artistique, l’originalité, le goût, le tour de main, la dignité professionnelle.
- Si cela continue, nous en viendrons à voir le monde du travail divisé en deux catégories distinctes, séparées par un abîme sans fond : d’une part, un petit état-major d ingénieurs, de chimistes, de comptables et de mécaniciens ; d autre part, une tourbe de manœuvres et d'hommes de peine, une poussière humaine en butte à tous les vents malsains de la misère et des pires passions.
- Ceci n’est point, comme bien on pense, pour jeter une protestation stérile en travers de la grandiose évolution del’in-
- dustrialisme moderne, dont nous sommes les premiers a reconnaître et à saluer la poésie et la majesté. ,
- Seulement, il faudrait, de toute nécessité, que les vieilles institutions sortissent de l'ornière de la routine, et qu’une nouvelle politique, une nouvelle sociologie, une nouvelle pédagogie, faites de réalisme, de hardiesse et de science, viennent a-dapœr les jeunes générations aux besoins et aux tendances de
- l’ère moderne.
- Autre temps, autre mœurs.
- A un outillage inédit, à des intérêts sans précédents et sans analogies, il faut unpersonnel neuf et deshommes transfigurés
- Thomas Grimm.
- Cet article reproduit ce cliché tant de fois répété que la machine tend à faire de l’ouvrier une machine à son tour. G est là une erreur qu’il faut détruire. La machine fait, au contraire, ce qui est purement mécanique dans le travail de l’homme, et elle laisse à l’ouvrier le soin des fonctions et de l’ensemble ; elle n’exige pins guère de lui que le travail intelligent ; l’ouvrier est obligé de surveiller les engins mécaniques, d’en concevoir l’organisme, de les entretenir, de parer aux dérangements qui peuvent s’y produire.
- Croît-on, par exemple, qu’il fallait à nos grand-mères une somme supérieure d’intelligence et de culture pour filer la laine et le lin avec un méchant
- rouet de bois et faire au prix d’une assiduité extrême, en une année, des produits moins boas et en moindre quantité qu’un ouvrier fileur n'en fait actuellement en un jour ?
- Et il en est ainsi dans presque tous les cas. La machine est le produit d’un développement considérable du génie humain ; elle est l'essor de l’intelligence de l’ingénieur et le stimulant permanent de l’intelligence de l’ouvrier.
- Qo’on ne pense pas que l’homme assiste sans fruit au spectacle incessant du fonctionnement de la machine et de ses prodiges de production. Son intelligence s’agrandit à ce spectacle et, certes,cela n’est pas sans contribuer pour une certaine part aux revendications ouvrières actuelles.
- La partie pénible et fatigante du travail est, par la machine, enlevéeà l’ouvrier du moins en principal, la machine est enfin un organisme créé par l’homme et qui travaille à son profit. Que dis-je à son profit ? Ah ! c’est là, précisément, qu’est le mal. Le Petit Journal semble l’entrevoir sans oser le dire. Le mal c’est que la machine est détournée de son but, qu’au lieu de travailler au profit de tous les citoyens, elle ne fonctionne qu’au profit des capitalistes. Voilà pourquoi l’automatisme est un mal ; c’est qu’il concourt à l’enrichissement de quelques-uns au lieu de travailler au profit de tous.
- San-' cela, la mécanique moderne serait une cause de bien-être social au lieu d’être une cause de misère. Non-seulement elle délivrerait l’homme de la partie pénible et fatigante du travail, mais elle créerait pour lui tout le bien-être et les loisirs auxquels il aspire.
- Pourquoi 1© Petit journal qui entrevoit ces horizons, qui pressent les institutions nouvelles destinées à nous sortir de l’impasse de malheurs où nous sommes, accorde-t-il si peu de place aux idées de ces novateurs auxquels il semble faire appel? Pourquoi reste-t-il dans l’ornière de la routine gouvernementale et ne pousse-t-il pas davantage les pouvoirs publics à la réforme des abus dont la répartition de la richesse est entachée.
- Ce ne sont pas les hommes d’intelligence et de talent qui lui font défaut. Le « Petit Journal » pourrait certainement montrer plus clairement aux pouvoirs publics les voies d’une nouvelle politique, d’une nouvelle sociologie et faire plus que dire: Autre temps, autres mœurs.
- 4 un outillage inédit,à. des intérêts sans précédents et sans analëgies, il faut un personnel neuf et
- p.6 - vue 9/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 7
- des hommes transfigurés ; il pourrait montrer les institutions par lesquelles on doit arrivera cette transfiguration. ________. ^________________________
- ESTIMATION DU TRAVAIL
- d’une mère par son garçon.
- « Ma mère allume le feu, me réveille, me donne mon déjeuner et m’envoie à l’ouvrage, » disait un jeune garçon.
- « Puis, elle veille au lever de mon père, lui sert à déjeuner et apprête tout ce qu’il lui faut pour sortir. Cela fait, elle donne aux autres enfants leur déjeuner et les envoie à l’école ; enfin, elle et le baby déjeunent à leur tour. »
- « Quel âge a le bébé ? » demandai-je ;
- « Oh ! deux ans à peine, mais il sait parler et marcher aussi bien qu’aucun de nous. »
- — « Etes-vous bien payés ? »
- — « Je gagne 10 fr. 50 centimes par semaine et le père 10 fr. 50 par jour.
- « Et votre mère, combien gagne-t-elle ? »
- — « Ma mère ! répondit le garçon d’un air effaré, « Mais rien du tout, elle ne travaille pour personne. »
- — « Gomment cela, n’avez-vous pas dit qu’elle travaillait pour chacun de vous ? »
- — « Oh oui,elle travaille pour nous,mais il n’y a aucun droit de salaire en cela. »
- Trop de jeunes gens et d’hommes gagnant des sommes beaucoup plus fortes que celles mentionnées ci-dessus, agissent comme si, non-seulement rien n'était dû à « la mère», mais encore comme si la mère devait recevoir à titre de don ce qu’on veut bien lui allouer.
- (Herald of peace)
- L’Œuvre de M. Rossi en Italie(1)
- m
- Ecole de Mécanique de Vicenze.
- Le premier, en Italie, M. Alessandro Rossi a ouvert la question qui va s’agitant depuis quelques années dans les congrès pédagogiques, c’est-à-dire celle d’allier dans l’enseignement la pratique à la théorie, de faire alterner le travail et l’école.
- Nous avons vu comment, dans les Ecoles primaires fondées par lui pour ses ouvriers, M. Rossi tient déjà compte de ces principes dans une certaine mesure.
- Voyons, maintenant, comment il a appliqué pleinement les mêmes principes dans les remarquables écoles d’agriculture et de mécanique dues à sa généreuse initiative.
- Arrêtons-nous d’abord à l’école industrielle ou de mécanique de Vicenze.
- En 1878, Rossi eut l’idée de fonder dans [la province de Vicenze une école-collège théorique et pratique de mécanique.
- Il offrit au gouvernement 50.000 fr. pour les dépenses d’éta-blissementdece collège, et 50.000francs de subvention annuelle pendant 6 ans, c’est-à-dire 300.000 fr. pour les frais d exercice ; total 350.000 fr. aux conditions suivantes :
- (1) Voir le Devoir des 20 et 27 décembre 1885.
- Ie Que la commune de Vicenze concède l’établissement ;
- 2° Que la province et l’Etat concourent, par moitié, pour le complément des 100.000 fr. de frais d’établissement et, en outre, pour le complément des 100.000 fr. par an nécessaires aux frais d’exercice durant 6 années, après quoi l’on verrait dans quelles mesures l’école aurait réussi et si elle devait continuer ;
- 3° Que le gouvernement laisse à la province toute latitude nécessaire pour exécuter et maintenir le programme du fondateur ; qu’il admette et même recherche la surveillance de celui-ci pour prendre part, avec la province, aux examens ; que le fondateur soit informé de tout fait notable.
- La commune, la province et le gouvernement acceptèrent ces conditions.
- Rossi obtint, en outre, du gouvernement que sa donation ne fut point assujettie aux graves impôts d’enregistrement. Néanmoins, les professeurs ne furent pas assimilés à ceux reliés à l’enseignement public ; ils furent payés comme maîtres privés et ne jouirent pas des privilèges spéciaux concernant le service militaire.
- Rossi choisit ces professeurs parmi les ingénieurs qui avaient fréquenté, depuis leur sortie des Ecoles, les travaux de l’étranger.
- Il leur assigna comme rétribution :
- 1° Pendant la première période triennale 4.000 fr. par
- an.
- 2° Pendant la deuxième période triennale 4.800 fr.
- Au directeur il assigna :
- Pendant la première période triennal 8.000 fr.
- Pendant la seconde 9600 fr.
- L’institution s’agrandit rapidement ; elle dut augmenter ses locaux, acquérir un moteur et toutes les machines-outils nécessaires pour les travaux du bois, du fer, etc. grues, tours, étaux, etc. etc.
- L’établissement comprend une année prépatoire et quatre ennées d’enseignement normal.
- A la fin delà lre année, si quelque élève ne montre pas d’inclinations décidées pour la mécanique, on invite les familles à le retirer, l’Ecole exigeant pour les mathématiques et la mécanique des aptitudes spéciales.
- A l’école de mécanique de Vicenze l’instruction technique et pratique est la même que celle donnée dans les Ecoles de Châlons, Aix, Angers et Lille, en France ; mais on reçoit à Vicenze une meilleure culture littéraire.
- A mi-terme de la troisième année, les élèves déclarent à quelle branche spéciale de travaux ils entendent se livrer. Le cours de 4m8 année les perfectionne dans la carrière choisie, soit : construction de machine, de chemins de fer, moulins à vapeur.papéterie, tissage, ou n’importe quelle industrie reliée à la mécanique.
- L’expérience réussit pleinement.
- Il advint qu’à peine les études finies, les élèves furent recherchés avec empressement par les maisons d’industrie et qu’ils virent s’ouvrir devant eux des carrières largement rémunérées, chose très-rare en Italie.
- On ne peut suffire aux demandes d’élèves sortant de cette école.
- Aussi, le succès de l’institution étant assuré, Rossi déclara à la province son intention de cesser sa contribution après la
- p.7 - vue 10/838
-
-
-
- s
- )f (
- LE DEVOIR
- sixième année, c'est-à-dire en 1884, afin que la province pût aviser.
- <>lle-ci, plus que satisfaite, vota la continuation du subside de 25.000 fr. pour six nouvelles années et le gouvernement, !" son côté, reconnaissant l’excellence de cette école, porta sa contribution de 25.000 fr. à 35.000 fr.
- En fait, tous les commissaires qui assistèrent aux examens louèrent la sage direction de l’Ecole et maintinrent dans ses lignes générales le programme du fondateur.
- A la fin des six premières années, l’Ecole possédait à l’inventaire un matériel de 83.000 fr. et un bénéfice de caisse d’environ 160.000 fr.
- Pour peu que les corps locaux et le gouvernement augmentent leurs contributions, le sort de cette institution sera assuré financièrement, sans qu’il soit nécessaire d’augmenter la pension qui est de 600 fr. par an pour les élèves delà province de Vicenze et de 700 fr. pour ceux des autres parties du royaume.
- Ferme-école de Sant’Orso
- Comme champ d’application de l’enseignemeut donné dans nn collège fondé par lui à Schio pour 80 élèves, Rossi fonda à mi-chemin entre les deux centres industriels de Schio et de Piovène, au pied du mont Sumano, la ferme-école d’horticulture de Sant’Orso qui fut inaugurée le 2 janvier 1883.
- Le but de cette institution e-t de préparer des jeunes gens à diriger la culture des fruits, de la vigne, et des plantes potagères.
- L’enseignement comprend : des notions d’économie agraire , la physique et la chimie dans leurs rapports avec l’agriculture , la botanique élémentaire, l’étude des animaux utiles et nuisibles, la fruticulture et, d’autre part, la langue italienne, l’arithmétique, la géométrie, la géographie, la comptabilité, le dessin, et la constructien deserres etjardms.
- Les élèves sont dressés à conserver ou à acquérir les habitudes simples et austères propres aux agriculteurs, à économiser le temps et l’argent, à être en toute chose ordonnés et laborieux.
- Ils sont aussi dressés à s’instruire les uns les autres ; les chefs de groupe sont pris parmi les meilleurs élèves.
- L’emploi du temps, varié selon les saisons, indique comment l’instruction pratique est distribuée.
- Un voyage aux Alpes a lieu chaque mois ; quelques excursions horticoles ont lieu chaque année.
- Le cours est de deux ans consécutifs avec une seule vacance de deux semaines par an, au gré du directeur. L’élève a la faculté de continuer le cours pendant une 3me année, mais à ses frais personnels et avec l’assentiment du directeur.
- Le recteur est responsable du service moral et sanitaire.
- La pension de 365 fr. par an sert exclusivementà la nourriture Cette dépense est confiée aux élèves eux-mêmes, qui élisent, à ce sujet, dans leurs rangs, un Econome.
- Cet Econome pourvoit au service culinaire, avec l’aide et sous la responsabilité du recteur quia charge de veiller à ce que la nourriture soit hygiénique, et réponde au genre de vie des élèves.
- Pour avoir une conception exacte de cette institution, il , nous faut entrer dans quelques détails.
- Le domaine comprend deux corps de ferme ; il est coupé ]
- par la route de Schio-Piovène-Arsiéro et en relation directe avec une voie ferrée économique des plus utiles, soit pour le transport des élèves du collège «le Schio à la ferme de Sant’Orso, soit pour l’écoulement des produits ou pour l’apport des engrais considérables venant de Schio.
- Tout le domaine est ceint de murs; il comprend 50 hectares, couverts de cultures, d’arbres fruitiers, vergers, vignes, spécialement raisins de table.
- L’irrigation est très-soignée. Les eaux qui descendent du
- mont Sumano sont utilisées pour préserver tout le do maine de la sécheresse.
- L’un des corps de ferme comprend ;
- A-Un vignoble de 50.000 ceps de vignes,
- R. Lejardin potager, formé de 70 carrés de chacun 1000 mètres, divisés par des voies le long desquelles courent les fossés d’irrigation ; des tramways économiques, substitués aux vulgaires brouettes, économisent la force et le temps.
- C. — Deux hectares de plant es fertiles.
- D. — Un fruitier de 30.000 plants.
- L’autre corps de ferme comprend : 3 hectares destinés à la culture des asperges ;
- Les maisons destinées aux cultivateurs et l’établissement principal qui mesure 54 mètres de long sur 14 de large et qui comprend :
- Dessous-sols pour la conservation des fruits et des plantes;
- Un premier étage pour les bureaux de la direction et de l’Administration ;
- Un cabinet de chimie et de physique ;
- Deux salles pour les leçons ;
- Un musée ;
- Une bibliothèque, etc. etc.
- Le second étage comprend les magasins et les habitations des directeurs.
- La ferme a, en outre, des granges et autres batiments d’exploitation ;
- Un bassin de réserve de 5.000 métrés cubes d’eau ;
- Des serres multiples ;
- Des réserves pour les engrais couverts et à air libre ; etc. etc ...
- La Ferme-Ecole de Sant’Orso, véritable modèle en son genre, a été inaugurée le 2 janvier 1883.
- M. Rossi prononça à cette occasion un discours, dont nous extrayons ce qui suit :
- « Je suis heureux d’avoir à vous donner la bienvenue et de vous trouver si alertes et si joyeux; je ne m’arrêterai pas à vous faire un discours *, à Schio on raisonne par les faits.
- « En venant ici vous savez ce que vous avez à faire, vous avez compris votre but. Néanmoins, je vais résumer en quelques mots vos devoirs.
- « Notre école n’est pas une école d’enfants ; mais une fabrique d’hommes. Ici, vous devez vous former le caractère, vous dres&er à l’habitude du travail.
- « A cela contribuera puissamment l’air ambiant dans lequel vous vivrez; avec le temps vous verrez ce que peut le travail et comment, par lui, les cités sont transformées.
- « "Votre but, ici, n’est pas de faire des savants, mais des hommes pratiques sachant se rendre compte de ce qu’ils font et rien de plus.
- p.8 - vue 11/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 9
- « Vous apprendrez à amender les terres, à recueillir les moissons, à manier la bêche et la faucille, à planter, à semer, à surveiller la croissance des fruits ; à distinguer les animaux qui attendent à l’existence de l’homme et ceux qui la défendent ; à savoir pourquoi telle greffe convient à telle plante, pourquoi telle autre ést pernicieuse; vous analyserez, par des méthodes faciles est sûres, les terrains variés du domaine, et vous vous convaincrez par les faits du mode de culture le plus convenable pour eux et des engrais les mieux adoptés à leur nature.
- a Vous avez rapidement parcouru le futur champ des expériences. C’est une bonue fortune pour vous qu’il s’en faille encore de quelques mois que les terrains soient défrichés.
- « Vous aurez ainsi l’occasion de voir comment s’utilise le sol des montagnes ; comment on prépare les couches, comment on plante un vignoble, quels soins exigent une bonne irrigation, quel parti on peut tirer des herbes rustiques d’un pré.
- « Fils de cultivateurs vous avez dès l’enfance entendu parler d’agriculture, vous savez tous que l’Italie traverse une grave crise agraire.
- « Nous ne pouvons faire face à la concurrence des jeunes nations de l’Amérique qui, soit paice quelles sont moins chargées que nous d’impôts, soit parce qu’elles onUe sol à plus bas prix, envoient sur nos marches des cereales a un prix inferieur à celui que nos propres céréales coûtent aux producteurs italiens. Certaines personnes ont dit que 1 elevage des animaux pourrait nous sauver ; peut-être cela serait-il bon pour un temps, mais cette amélioration ne pourrait durer.
- « Dieu a assigné à 1 Italie le climat le plus fortune de la zône tempérée, le plus propre à la culture des plantes potagères, des céréales, et des fruits ; c est donc à cette cultuie que doivent s’adonner les Italiens.
- « De même que nous ferons de la culture intensive, nous devrons aussi faire des études intensives. Il faut en deux années acquérir tout ce que l’Ecole peut vous enseigner.
- « La séparation entre vous et vos parents vous sera pénible mais c’est une chose nécessaire. Vous vous mettrez vous-mêmes à l’épreuve et apprendrez comment on vit en société.
- « Si vous le désirez je vous servirai de père, je serai tendre avec les bons élèves et très-sévère avec les récalci-
- tants.
- « Aimez-vous, et respectez-vous les uns les autres. . . Conservez la dignité d’hommes de caractère et de vrais
- travailleurs. <
- « Souvenez-vous que vous êtes destinés devenir les pionniers de l’horticulture comme, de leur côté, les jeunes gens de l’école industrielle de Vicenze sont les pionniers de la mécanique. »
- Nous souhaitons que la Ferme-Ecole de Sant’Orso soit couronnée du même succès que l’Ecole industrielle de Vicenze et, nous le répétons, nous tiendrons nos lecteurs au courant des informations utiles qui pourraient nous être adressées sur la marche de ces grandes Ecoles comme sur elle des Institutions fondées à Schio au bénéfice des ouvriers.
- Patriotisme et commerce.
- Les politiciens résolus à continuer l’aventure tonkinoise ont reçu des encouragements qu’on aurait dit inspirés par le patriotisme et qui, en réalité,n’étaient que l’expression de faméliques appétits.
- La Chambre de commerce de Paris, endoctrinée par son président, M. Dietz a voté une résolution demandant l’occupation du Tonkin. D’après les termes de ce voeu, on dirait que les membres de cette association n’ont eu d’autre préoccupation que la sauvegarde de l’honneur national.
- Mais on a appris depuis que M. Dietz, associé de la maison Japy frères fabricants d’articles d’exportation, avait pris premier rang avec quelques autres patriotes de même farine pour obtenir du gouvernement le monopole de constituer une compagnie fermière du Tonkin.
- Si l’on n’avait mis à jour cette petite combinaison, il pouvait se faire que l’expédition du Tonkin et l’occupation ruineuse de cette contréee auraient eu pour principal résultat d’augmenter la fortune des tripoteurs enrôl 's par l'honorable président de la Chambre de commerce de Paris.
- Au Hâvre aussi, on a voté des résolutions prétendues patriotiques. Là, on qualifie de cette épithète tout ce qui favorise les transports. Peu importe aux commerçants du Hâvre que le gouvernement ruine les finances du pays, pourvu que les armateurs y trouvent leur compte.
- La Chambre de commerce de Troyes n’a pas été en retard sur le Hâvre, ses membres ont aussi rédigé une adresse patriotique dans laquelle on parle du drapeau national et de l’honneur français.
- Hélas, nous ne pouvons nous empêcher de penser que la ville de Troyes a pour principale industrie 1a. fabrication des articles de bonnëterie, que l’Asie offre à ces produits des débouchés que beaucoup de gens supposent devoir être agrandis par 1 occupation militaire du Tonkin.
- On prétendra peut-être que l’intérêt national étant le résultat des intérêts divers, il y a lieu de juger moins sévèrement les délibérations des chambres de commerce de Paris, du Hâvre, de Troyes et d’ailleurs.
- Ces corps, avant de délibérer, n ont point fait d’enquête pour apprécier quels avantages généraux résulteraient pour le pays; ils n’ont consulté que leurs appétits égoïstes ; aucun de leurs membres n’a même réfléchi combien il était immoral de s'arroger le monopole du patriotisme, de la part de
- p.9 - vue 12/838
-
-
-
- 10
- LE DEVOIR
- gens que la loi militaire exonère des expéditions lointaines, par le volontariat d’un an.
- Eût-on fait cette enquête, tous ces gens eussent-ils été convaincus que l’ensemble de la population française aurait beaucoup à gagner par l’annexion du Tonkin, ce n’était pas une raison pour masquer une grande opération commerciale sous les couleurs du patriotisme et de l’honneur national.
- Quoique l’on dise, quoique l’on fasse, il n’y a pas d’honneur pour une nation à dépouiller un autre peuple ; le vol qui déshonore chaque citoyen qui s’en rend coupable ne perd rien de son immoralité et de son infamie, lorsqu’une nation entière abuse de sa force pour conquérir et opprimer des peuplades affaiblies et désorganisées.
- Ce patriotisme qui subordonne tous ses actes, toutes ces tendances, à la réussite de projets commerciaux, qui escompte le dévouement et les sacrifices des autres sans jamais risquer quelque chose, n’est qu’une immorale spéculation qu’il faut dénoncer et flétrir au nom du véritable honneur national et des intérêts réels de la patrie.
- Ces déclamations sont dangereuses parcequ’elles peuvent égarer la foule. Il y a des mots qui ont encore assez de prestige pour vivement impressionner les masses, chaque fois qu’on les prononce avec quelque retentissement.
- La majorité de nos concitoyens, chaque fois qu’on lui parle du drapeau, de l’honneur national, de patriotisme, perd tout sang-froid; elle ne sait plus examiner; on peut l’entraîner dans les pires aventures, si les habiles trouvent assez de dupes ou de complices pour se faire l’écho des sonores déclamations de faméliques spéculateurs.
- Méfions-nous des gens qui, selon l’expression de Rochefort, jouent du patriotisme comme d’autres du cor de chasse.
- L’Association de paix et d’arbitrage internationale et la question d’Orient
- Le comité exécutif de l’association de paix et d’arbitrage international dans sa réunion du 10 décembre dernier a pris la résolution suivante ;
- «Considérant l’échec des grandes puissances à la conférence de Constantinople pour prévenir l’explosion des hostilités et régler d’une façon satisfaisante les difficultés dans la péninsule des Balkans, le comité attribue cet échec à ce que seuls les Grands états étaient représentés à la conférence et il émet, en conséquence, l’avis que dans toute future conférence Européenne, concernant les affaires internationales, tous les Etats, petits comme grands soient représentés. »
- L’affaire
- DU COMMANDANT BAZAINE
- Les journaux du Morbihan racontent un fait extrêmement grave qui se serait passé à Vannes. Il s’agit d’un soldat mort à la suite des mauvais traitements qui lui auraient été infligés.
- ^ Voici ce que racontent à ce sujet le Progrès et VAvenir de Morbihan :
- « Aubin Joseph, né à René (Loire-Inférieure), jeune soldat de la deuxième portion de la classe, avait été incorporé dans la 4e batterie du 35e régiment d’artillerie. Bien qu’appartenant à une famille de riches cultivateurs, Aubin éprouvait une grande frayeur pour le cheval et ne pouvait se résoudre à en monter un seul Les instructeurs virent-ils en cela un mauvais vouloir ? Toujours est-il que lundi dernier, Aubin refusant de monter à cheval, un sous-officier alla trouver le commandant Bazaine, qui donna l’ordre d’attacher le jeune soldat sur le cheval. Mais on ne se contenta pas de lier les jambes au malheureux, on le ligota complètement avec des cordes à fourrage, on prétend même (détail horrible) qu’une courroie lui fut passée autour du cou, puis le cheval fut lancé au galop dans le manège.
- » On se ligure les tortures du pauvre soldat, qui sentait à chaque secousse les courroies le serrer, l’étranglei, et la selle lui entrer dans le corps. A un moment donné, la selle tourna, le malheureux s’affaissa et tomba lourdement sur le sol, se faisant à la tête une profonde blessure.
- Alors, au lieu de faire transporter immédialement à l’infirmerie le pauvre Aubin, ceux qui étaient là s’acharnèrent sur lui. Un sous-officier s’approcha et frappa à coups de cravache le malheureux, qui se tordait dans d’affreuses douleurs.
- » On le conduisit près du commandant Bazaine, et sous ses yeux, sous ses ordres, dit Y Avenir, on malmena le malheureux soldat, tremblant de tous ses membres, pouvant à peine se tenir séant, à bout de forces physiques, en état moral absolument perdu.
- » — Qu’on le mène au trou !
- » Tel fut l’ordre du supérieur. Et, comme il y a toujours des excès de zèle, même dans la brutalité, le sous-officier chargé d’exécuter la consigne administra à la victime un coup de pied ou de genou dans les reins qui la fit tomber.
- » Cette fois on dut porter sur une civière le soldat à la prison.
- » On prétend même qu’à ce moment, mais nous nous refusons à le croire, un officier aurait dit aux porteurs de mettre la civière sur leurs épaules, afin que le moribond tombât de plus haut.
- » En arrivant à la cellule, Aubin eut une faiblesse. Son visage défait, plus pâle qu’un linge, eût dû exciter un peu de pitié.
- » — Ah ! le poltron, le lâche ! — dit le chef, — qu’on aille chercher un seau d’eau et qu’on le lui jette au visage !
- « Ce qui fut dit fut fait, et l’artilleur qu’on avait assis,sous le jet du flot liquide et glacé tomba sur le sol. Il y fut abandonné.
- » * d Deux heures plus tard on revint.
- p.10 - vue 13/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 11
- » On relevait un cadavre.
- » On s’occupa alors de faire conduire le corps à l’hôpital et l’on répandit adroitement le bruit qu’Aubin n’était que malade A l’hôpital, on l’affirma encore et alors, les infirmiers cherchèrent à ranimer celui qui n’était plus.
- » Le lendemain, le frère d'Aubin est arrivé à Vannes, et mercredi ont eu lieu les obsèques du pauvre martyr. Une couronne avait été offerte par les camarades du défunt.
- » A la gare, au moment où le convoi arrivait, plusieurs cris de : « à bas Bazaine ! » ont été poussés. On rapporte encore qu’un placard aurait été apposé sur le chemin du commandant Bazaine, avec ces mots.- « L’oncle vendait nos soldats, le neveu les tue. »
- » De plus, ces jours derniers, l’officier et le sous-officier que le public considère comme les plus coupables dans cette triste affaire ont été hués à différentes reprises.
- » L’autopsie du cadavre, dit le Progrès, a été faite par MM. Roy, médecin en chef de l’hôpital militaire, et Olivier, médecin aide-major au 35e d’artillerie, assisté de MM. Maurie et de Closmadeux. On dit que le corps portait les traces de nombreux coups de cravache. Sur le cou, on remarquait l’empreinte de la courroie qui serrait le malheureux. Des plaies existaient à la tête, au genou et à la main droite. Les seaux d’eau glacée jetés à la tête d’Aubin ont déterminé une congestion cérébrale.
- d La famille du malheureux Aubin à l’intention de poursuivre les auteurs de sa mort Celui qui se chargerait de cette poursuite serait le général Duez, ancien commandant de la 22e division à Vannes, grand ami de la famille et parrain d’une des sœurs d’Aubin.
- » On rapporte encore que la famille aurait fait procéder, à Nantes, aune seconde autopsie du cadavre.»
- En présence de faits aussi graves, le ministre de la guerre ne saurait rester indifférent. Nous espérons qu’une enquête sera faite et que les responsabilités seront établies. Des actes semblables ne sauraient rester impunis.
- Les Caisses des Ecoles des arrondissements
- DE PARTS
- Nous appelons l’attention de nos lecteurs sur les intéressants renseignements que contient le rapport suivant, présenté au conseil municipal de Pans par M. Gaufrés ; ce document constate les efforts de l’initiative privée en vue de l’entretien des enfants nécessiteux des écoles de la ville de Paris. Voici cette pièce :
- M. le Rapporteur. — Messieurs, la création des caisses des écoles remonte à 1860. Depuis cette époque, jusqu’en 1877 et malgré la loi du 10 avril 1877, sans lien entre elles, leur fonctionnement laissa beaucoup à désirer. C’est seulement depuis le 13 novembre 1877 que le conseil mu nicipal, usant du droit que la loi iui confère de créer des caisses des écoles, formula les principes auxquels seraient attachés pour ces institutions le caractère officiel et l’existence légale, Il ouvrit ainsi la seconde période de leur histoire, période d’organisation régulière, démocratique et définitive. Ces principes, rappelés depuis dans divers rapports au Conseil mu-
- nicipal et mis partout en pratique avec succès, sont les suivants : 1° minimum de la cotisation annuelle lixé à 6 fr. ; 2° majorité assurée dans les comités d’administration aux membres élus sur les membres de droit du comité, s’il en existe de tels; 4° l’exercice financier de la caisse commençant le Ie octobre pour finir le 30 septembre ; 5° enfin compte rendu moral et financier adressé chaque année au Conseil municipal.
- Le 20 juin 4884, M. Hovelacque vous rendit compte des résultats obtenus jusqu’alors ; je vais avoir l’honneur aujourd’hui de vous faire connaître la situation actuelle.
- A cette heure vous avez approuvé les statuts de dix-sept caisses des écoles ; trois seulement, celles des 7e, 8e et 9e ar*-rondissements n’ont pas encore mis leurs statuts en harmonie avec les désiderata du Conseil.
- Vous trouverez dans mon rapport un tableau indiquant, pour chacun des arrondissements, la date de l’approbation des statuts, le montant des recettes, des dépenses et du capital en caisse.
- Ce tableau se résume de la manière suivante.
- Recettes : 840,577 fr. 15 c. ;
- Dépenses: 666,469 fr. 13 c. :
- Capital : 1,830,811 fr. 93 c.
- En outre, l’Administration fait appel au dévouement du comités de ces caisses pour la gestion des cantines scolaires, la distribution des sommes allouées aux écoles maternelles et aux fonds d’équiment des bataillons scolaires.
- Bien que ces dépenses ne grèvent pas leur budget, il est juste de tenir compte des soins que demandent la répartition et l’emploi des sommes allouées pour ces différents services.
- Dès maintenant, l’on peut considérer la réorganisation comme accomplie au point de vue politique, et il ne reste plus à examiner qu’une question purement pédagogique.
- Examinons d’abord les ressources.
- La plus sérieuse do? "crottes provient des cotisations ; mais la plupart des caisses ne réunissent pas encore un nombre assez grand de sociétaires : il est important de faire une active propagande pour une œuvre si éminemment utile.
- Certains arrondissements ont recours à des bals et à des fêtes foraines.
- Enfin, des dons spéciaux et des legs viennent encore en aide à diverses caisses.
- Le capital total des caisses des écoles de Paris est de plus de 1,800,000 francs : leurs recettes annuelles atteignent plus de 900,000 francs, et leurs dépenses près de 630,000 francs.
- Ces dépenses peuvent se diviser en deux grandes catégories assistance, encouragements.
- La principale assistance consiste dans la fourniture de vête-aux enfants dont beaucoup, sans cela, ne pourraient fréquenter l’école.
- Dans le premier arrondissement, des secours sont accordé» aux parents qui ne peuvent se passer du travail de leurs enfants.
- Dans le 98 arrondissement, un fonds spécial est recueilli pour envoyer un mois à la campagne ou au bord de la mer, sous bonne surveillance, les enfants maladifs. L’essai a merveilleusement réussi.
- Les caisses des 5e et 15e arrordissements ont fourni des boissons hygiéniques pendant l’épidémie cholérique.
- p.11 - vue 14/838
-
-
-
- 12
- LE DEVOIR
- Les récompenses décernées aux éléves consistent en prix supplémentaires, livrets de caisse d’épargne, excursions scolaires, voyages de vacances, etc.
- En outre, des cours d’adultes sont faits soit directement, soit par les associations parisiennes d’instruction ; des livres sont offerts aux bibliothèques populaires, et les écoles professionnelles dans lesquelles des bourses sont fondées reçoivent des allocations.
- La caisse du 11e arrondissement, heureuse d’avoir ains1 introduit dans la carrière de l’enseignement d’excellents sujets, voudrait s’attacher dans l’avenir à l’œuvre spéciale de cultiver jusqu’au bout les jeunes talents qui se révèlent dans ses écoles. « Dans cet ordre d’idées, lisons-nous dans son rapport, les secours en chaussures et vêtements devraient être donnés par la vide de Paris à l’aide d’allocations dont lacaisse accepterait la gestion, ainsi que cela se pratique pour l’œuvre des cantines, » et les ressources de l’arrondissements seraient réservées à la découverte et à la fécondation des talents qu’il verrait éclore. La caisse des écoles du 11e arrondissement a demandé à modifier dans ce sens son fonctionnement. Nous ne pensons pas que le Conseil municipal puisse entrer dans cette voie. Beaucoup d’écoles de la Ville ou de l’État s’ouvrent d’ailleurs gratuitement aux entants bien doués, et l’on sait que la protection généreuse de l’une ou de l’autre est loin de leur faire défaut.
- Trois caisses des écoles ont institué, à titre d’essai, des classes de garde en faveur des enfants qui, après l’heure de la classe, ne peuvent retrouver leurs parents à la maison. Deux écoles de la rue Saint-Denis dans le 2e arrondissement trois écoles dans divers quartiers du 17e, d’autres encore dans le 13e, gardent ainsi sous surveillance les jeunes garçons, en attendant qu’une mesure générale s’applique à toutes les écoles de Paris.
- Dans le 18e et le 17e arrondissements un concours sur un sujet de l’ordre moral et civil est institué entre les candidats de chaque école nommés à l’élection par leurs condisciples. Le lauréat est couronné avec solennité le jour de la Fête naiionale. Cette institution a donné les meilleurs résultats et il est à espérer qu’elle se propagera dans les autres arrondissements.
- Si ces réflexions et les vues consignées dans mon rapport obtiennent votre approbation, nous vous prions, messieurs/ de vouloir bien adopter le projet de délibération que votre 4® commission a l’honneur de vous soumettre,
- « Art. 1er. — Il n’y a pas lieu, pour la Caisse des écolu du 11e arrondissement, de modifier ses statuts et son mode de fonctionnement à l’effet d’employer la totalité de ses ressources propres à encourager les études des éléves de ses écoles exceptionnellement doués.
- « Art. 2. — L’administration est invitée à faire remettre aux caisses des écoles des feuilles uniformes pour la comptabilité tant des opérations faites par leurs ressources propres que de celhs qui concernent les cantines scolaires, les écoles maternelles et les bataillons scolaires. Il est à désirer, notamment, que les sommes capitalisées par les caisses des écoles dans les exercices précédents ne soient pas confondues avec les recettes annuelles et qu’elles soient exprimées en francs et centimes, non en titres de rentes ou de valeurs diverses.
- « Art. 3. — Le Conseil croit devoir appeler l’attention des j administrateurs des caisses des écoles sur futilité de dévelop- i
- per : l’expérience des classes dites de garde ; l’épargne scolaire ; les colonies de vacances en faveur des enfants maladifs la fête scolaire du 14 juillet et, d’autre part, de ne pas augmenter outre mesure le nombre des prix et des livrets à distribuer à la fin de l'année scolaire.
- « Art. 4. — Le présent rapport sera adressé, parles soins de l’Administration, à tous les présidents des caisses d’écoles des arrondissements de Paris.
- Ces conclusions sont adoptées (1885 ; 2092).
- Rapport de M. Camille Pelltan
- I
- HISTORIQUE La campagne du Tonkin
- Nous publions le rapport de M. Pelletan, secrétaire de la commission des crédits du Tonkin, à titre de pièce historique ; il contient le résumé de tous les principaux faits de cette triste aventure.
- La commission a eu entre les mains presque tous les documents officiels sur l’histoire de l’expédition, nous n’avons à nous en occuper que dans la mesure où ils fournissent des renseignements applicables à la situation actuelle et aux difficultés auxquelles peut nous exposer l’occupation ; une guerre avec la Chine, une révolte de l’Annam, et des désordres continuels du Tonkin.
- Notre examen sera d’autant plus facile que ces trois points se trouvent caractériser trois périodes différentes de l’année : on s’est battu contre les Chinois jusqu’au mois de mars ; l’arrivée du général de Courcy a été signalée par les événements de Hué, et nos troupes ont travaillé, jusqu’aux derniers renseignements survenus, à réprimer le brigandage, la piraterie et les révoltes.
- On avait considéré les Chinois pendant longtemps, d’après les souvenirs de la camoagne de Pékin, comme des multitudes sans aucune valeur militaire. Les combats de Lang"-Son causèrent une brusque surprise.
- Il semble qu’on tente, depuis quelque temps, de faire renaître les illusions disparues : on récrit l’histoire de la campagne du priniemps dernier : on essaye de tout rejeter sur la faute d’un seul. La conduite inexplicable d’un officier a tout fait.
- Les documents détruisent absolument cette légende. Dès le mois de décembre de l’année précédente, les témoins les moins suspects reconnaissaient que les Chinois avaient appris la guerre. M. Brièie de l’Isle, le 26 décembre, envoyait au ministre l’appréciation du général Négrier, constatant que les soldats du Céleste Empire « avaient manœuvré et s’étaient battus absolument à l’européenne ». La défense de Tuyen-Quan, si glorieuse pour notre armée, avait prouvé qu’ils savaient conduire un siège. Dés la fin de janvier, nous nous défendions à peu près sur tous les points.
- Nous n’avons pas à apprécier ici la retraite de Lang-Son, quelque jugement qu’on porte sur la retraite, la situation militaire de la fin du mois n’en reste pas moins claire. Elle ressort avec une déplorable évidence de la dépêche envoyée le 25 mars, par le général de Négrier, dont l’énergie et le
- p.12 - vue 15/838
-
-
-
- 13
- LE DEVOIR
- sang-froid sont universellement reconnus. Il faut citer le .texte de cette dépêche avec les explications du général en
- chef: , ,
- « Brière de l’Isle au ministre de la guerre .
- « Hanoï, 25 mars. — Je reçois le télégramme ci-après du général Négrier: « Uong-Dang, 24 mars. 11 h. du soir.
- L’ennemi a attaqué le poste de Dong-Dang, le 22 à 2 heures du matin, J’ai dû me porter en avant pour me donner de 1 air. Le 23, j’ai pu m’emparer de la première ligne des forts du du camp retranché de Bangho. Le 24, mes efforts ont échoué devant une supériorité numérique considérable et des attaques e veloppantes dont les effectifs croissaient sans cesse. \ors 2 heures l’artillerie n’ayant plus de munitions, j’ai dû rompre le combat. Je n’ai pu me dégager qu a grand peine. Je suis rentré à Dong-Dang à 7 heures du soir. Tous les blessés ont été portés sur Lang-Son. Nos pertes sont très sensibles (suit 1 état des pertes), environ deux cents hommes tués ou blessés, sans compter' les officiers et sous-officiers mentionnés nominativement en assez grand nombre. Le 111* a perdu tous ses sacs : il est complètement hors d état d être remis en ligne. L’ennemi a des forces telles que je suis obligé de me reporter sur Lang-Son, et il faut prévoir de graves événements. f
- « Notre grosse difficulté est toujours dans l approvisionnement de Lang-Son pour un, si gros effectif. Dans ces conditions, je suis obligé darre ter l’offensive que je me disposais à prendre sur Song-Hoï. Ma place est à Hanoï et Hong-Hoa, pour faire faceavec la flottille et le restant de mes forces à toute éventualité et pour fournir a Negriei, par tous moyens héroïques, des vivres et des muni-
- tions. » * î
- Ce n’est pas un échec passager, dû à la faute d un seu , par conséquent facile à réparer, que celui dont un soldat aussi ferme termine le récit par ces mots : « Attendez-vous aux plus graves événements. » Les dépêches de M. Brière de l’Isle confirment cette impression. Le général se disait menacé de redoutables et nombreuses armées chinoises, non- seulement par la route de Lang-Son, mais encore sur le Song-Koï, fort loin, par conséquent, de la région sur laquelle il n’était renseigné que par le colonel Herbinger. Ce qui prouve quelle importance il attachait aux autres périls c’est qu il n a pas cru pouvoir se porter immédiatement au secours du corps d’armée en retraite.
- Il serait donc superflu de nier que la Chine ait pu employer a la guerre du Tonkin assez de soldats pour contraindre les nôtres à reculer devant la supériorité du nombre. Mais, dit-on, la preuve que cela est faux, c’est quelle a signé le traité précisément à ce moment. L’objection paraît spécieuse : l’axamen des pièces rend la réponse facile.
- L’action diplomatique
- Au mois de mars, ce n’était pas le gouvernement chinois qu’on avait besoin de décider à signer le traité dans les termes où il a été signé : c’était le gouvernement français. Depuis l’affaire de Bac-Lé, la Chine avait offert à maintes reprises d’exécuter le traité de Tien-Tsin, et si la guerre avait recom-
- mencé, c’était parce que le gouvernement français avait exigé, en * utre, soit une indemnité, soit, plus tard, 1 occupation de quelques points de Formose. A cet égard, les documents sont formels : on a rompu sur la question de I indemnité, alors que la Chine acceptait les trois autres points de 1 ultimatum français.
- Plus tard, il est vrai, le langage du Céleste Empire changea, et les propositions communiquées au mois d octobre à l'Angleterre parurent inacceptables, mais cette attitude ne dura pas, et le 23 février, sir Robert Hart faisait transmettre àM. Ferry le télégramme suivant :
- « L’empereur a autorisé la proposition des quatre articles suivants :
- « Article premier. — D’une part, la Chine consent i* ratifier la convention de Tien-Tsin de mai 1884, et d autre part, la France consent à ne rien demander de plus que ce qui est stipulé par cette convention.
- Art. 2. — Les deux puissances conviennent de cesser les hostilités partout, aussi vite que les ordres pourront être donnés et reçus, et la France aurait à lever immédiatement le blocus de Formose.
- 3° La France convient d’envoyer un ministre dans la Chine , c’est-à-dire à Tien-Tsin ou à Pékin, pour arranger un traite définitif, et les deux puissances fixeront alors la date pour e
- retrait des troupes. .
- 4°M. James Duncan Campbell est investi des pouvoirs nécessaires, en qualité de commissaire spécial, pour signer, avec le fonctionnaire nommé par la France, un protocole qui servira de préliminaire.
- C’était, presque textuellement, le protocole que le gouver- . nement français devait signer le 4 avril.
- M. Ferry se borne à répondre, le 2 mars, qu il ne croyait pas qu’un traité dans lequel aucune indemnité n était stipul e « tût bien accueilli par l’opinion publique en France. »
- Les événements lui faisaient accepter à la fin de mars ce
- [ü’il refusait au commencement du mois.
- Ainsi, il ressort des textes eux-mêmes que les événements >nt eu pour conséquence, non pas de faire accepter a la ffiine des conditions qu’elle hésitait à accepter, mais au contraire d’amener le gouvernement français, qui jusque-là s y îtait refusé, à se contenter des conditions proposées, depuis dus d’un mois, avec le consentement formel et officiellement :onstaté de l’empereur de Chine.
- Aussitôt après ces événements, le commandement en chef ut retiré à M. Brière de l’Isle et le général deCourcyfut nvové nourle remnlacer.
- La conquête de l’Annam
- On aurait pu croire que la mission de celui-ci serait toute pacifique : il n’en fut rien. M. de Courcy paraît avoir eu dès la première minute une idée qui n’a fait que s’affermir dans son esprit : c’est qu’il restait à agir contre l’Annam. La né-ressité lui en a été démontrée presque instantanément. C est le 1er juin qu’il arrive au Tonkin ; c’est le 1er juin qu’il exprime par télégramme au gouvernement la nécessité d’effrayer la cour de Hué par « une forte action diplomatique ». Le 5 juin, il revient à la charge : il dénonce des mandarins de Hué, comme ayant fait attaquer les commissaires chinois par une troupe d’Annamites. Il demande l’autorisation d’agir , il
- p.13 - vue 16/838
-
-
-
- 14
- LE DEVOIR
- insiste perpétuellement ; le 12 juin d’abord ; le 16 ensuite :
- « J’attends, dit-il, avec impatience, la ligne de conduite à suivre vis-à vis cour de Hué ; grande utilité procéder par intimidation, persuadé résultat favorable.»—Bref, il ne s’arrête point qu’il n’ait arraché au gouvernement l’autorisation d’agir.
- Il s’embarqua pour Hué avec un bagage significatif. 11 disait dans sa dépêche du 25 juin : « J’emporte avec moi nombreux griefs contre les régents. » — Il ajoutait : « Agirai prudemment, mais énergiquement. » La fin nous renseigne sur le sens précis de cet adverbe : « Télégraphiez Hué si ministère s’oppose à coup de force. »
- Il.se trouva que les Annamites provoquèrent ce que M. de Courcy demandait au gouvernement de permettre. On connaît la surprise de la nuit du 4 juillet. L’agression soudaine des Annamites trouve l’esprit du général tout préparé. Dès le lendemain matin, il télégraphiait : « Le seul résultat est que nous pouvons dicter nos lois à l’Annam ». Et le 8, il montrait qu’on n’avait qu’àse féliciter de l’œuvre « commencée bien malgré nous », ajoutait-il. 11 continuait en disant : « Au point de vue des intérêts français, la prise de possession de l’Annam, c’est une conquête bien plus facile et assurée que celle du Tonkin, qui ne doit pins maintenant marcher qu’a-près. » Et il conseillait l’annexion delà façon la plus pressante. Il réclamait le 8 ; il insistait le 10 ; et se déclarait le 11 « attristé» de ne point voir ses projets sur l’Annam approuvés. Le minist ère résiste : il fallut céder.
- Malheureusement, il l’emporte sur un autre point. A la suite de l’affaire da Hué, le roi était en fuite. Le général de Courcy demande l’autorisation de le remplacer par un autre roi ; on le lui refuse; il renouvelle ses efforts, et finit par obtenir ce qu’il demandait. Ce n’est pas là une des moindres difficultés de notre situation en Indo-Chîne. Un des témoins que nous avons entendus, M. Lemaire, qui a été notre agent dans l’Annam, nous a dit que si l’on affaiblissait l’occupation, nous serions obligés de donner au nouveau roi les moyens de se défendre ; que si nous réduisions trop nos effectifs, la tentation serait trop forte pour les Annamites : qu’au Tonkin même le roi destitué avait des partisans, ne serait-ce que les lettrés. Telle est la situation plein de difficultés dans la quelle nous a jetés le général de Courcy.
- Pendant ce temps, rien n’était terminé au Tonkin. Ce pays restait et reste encore en proie à des désordres graves. Le général Brière de l’isle télégraphiait, le 22 avril : « Des bandes se réunissent partout. » (Suivent les récits de deux attaques). Le 7 mai : « les villes et les places évacuées par les Chinois seront pillées par les irréguliers » ; le 16, il rendait compte d’un combat contre les pirates. Le 1er juin, le général de Courcy télégraphiait à son tour : « Le général Brière de I’Isle me prévient que des troupes dans les provinces augmentent. » Le 12 juin, il signalait un rassemblement d’environ 1.000 pirates et Pavillons-Noirs. Le 36 juillet, il écrit : « Grande agitation dans le pays ; bandes chinoises augmentent à Thuan-Quan, Thaï-Nguyen et Lang-Son. Les généraux Brière et de Négrier rencontraient des difficultés énormes à assurer l’article néfaste du traité Patenôtre relatif à la tranquilité
- assurée par nous sur la frontière de Chine. » Il revient sur le même sujet le 20 octobre.
- « J’ai souvent rappelé cet article de traité de paix absolument inapplicable actuellement : il pourra l’être seulement après pacification au Delta; — le 19, « Les opérations militaires se continuent dans le Delta ; chaque jour des engagements ont lieu. — Les opérations sont fort pénibles, les chemins étant interrompus, les rebelles ayant coupé digues et inondé les pays occupés par eux. — Je suis impitoyable pour les chefs des Chinois pris dans le Delta. »
- Il faudrait multiplier ces citations à l’infini. Toutes les dépêches ne mentionnent que troubles, révoltes, rassemblement de pirates et de Pavillons-Noirs, engagements et expéditions de toutes sortes. Et où cela se passe-t-il ? Dans le Delta ou aux environs. Et que trouve-t-on partout ? Des Chinois les armes à la main. La dernière dépêche qui est toute récente, est significative : « Les chefs des Chinois pris dans le Delta. »
- Quant à aller au-delà, on n’y songe pas. C’est à peine si l’on entrevoit 1 e temps où on pourra y aller : « Je me charge de maintenir l’ordre dans le Tonkin et dans l’An-nam, dit le général de Courcy, d’arriver peu à peu à la pacification générale en ne conservant, à partir du 1er avril, que 13,000 hommes, répartis en Ànnam et au Tonkin. Dans un temps fort court, trois ans au plus, l’autorité civile choisie peut se substituer à l’autorité militaire ; mais pour arriver à ce résultat, il est bien entendu que toute opération excentrique en dehors du grand Delta ne pourra être entreprise que plus tard... »
- Ainsi, voilà comment le Tonkin est conquis ! — On a tout juste les forces nécessaires pour reconquérir lentement et incessamment sur le brigandage les portions de territoire que i’on occupe depuis un an ou deux.
- Cela peut se prolonger, si l’on en croit la dépêche de M. de Courcy en date du 5 novembre ; « C’est une guerre de gendarmerie en grand, dit-il, qui durera un certain temps. En Cochinchine, cette guerre a duré cinq années.» Cette situation explique pourquoi on juge non-seulement impossible actuellement, de diminner les effectifs : on les augmentait encore récemment.
- Rien d’étrange comme cette conquête, qui n’exige jamais tant d’hommes qu’une fois que la paix est signée. Les états qui nous ont été remis établissent que, depuis le mois d’avril, le ministère de la guerre a envoyé à peu près 14,000 hommes au Tonkin : Il faut assurément tenir compte des pertes et des rapatriés. Il est mort 3,654 Français au Tonkin, depuis la paix : 3,139 du, 1er avril au 2 octobre, 515 et plus du 20 octobre au 28 novembre; 6,728 ont été rapatriés; l’armée compte aujourd’hui trois mille hommes de plus qifà l’époque où elle avait les troupes chinoises à combattre et l’on juge cet effectif nécessaire, puisqu’on a encore envoyé 3,634 hommes en octobre et en novembre.
- C’est avec les effectifs grossis de la sorte que, depuis le mois d’avril, on n’a osé aller encore ni à Lao Kaï, ni à Cao-Bang, ni à aucun des points voisins de la frontière chinoise.
- En résumé, une conquête dont une moitié est encore à - terminer (celle du Delta et des régions avoisinantes), dont
- p.14 - vue 17/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 15
- l’autre moitié, la plus difficile, est encore à commencer ; — et une paix qui exige plus de troupes, et qui tue plus d’hommes que la guerre : voilà la situation actuelle au Tonkin.
- II
- Question Economique
- C’est au nom des intérêts commerciaux qu’on a essayé de justifier les conquêtes lointaines.
- Ce qui tout d’abord a attiré sur le Tonkin l’attention et les armes de la France, c’est la route ouverte sur la Chine par la vallée du Song-Koi. Quelle fortune de posséder les meilleures routes fluviales, pour pénétrer dans une des régions de cet immense Empire, dont les prodigieuses richesses joueront un jour un si grand rôle dans le mouvement commercial du monde !
- Qu’y a-t-il de sérieux dans ces espérances ? Pour répondre il faut examiner deux questions : La possession du Tonkin ouvrira-t-elle une route importante au commerce vers la Chine ? — Ét quelle part la France peut-elle espérer dans le mouvement d’échange de la nouvelle colonie? — A dire vrai, cette dernière part est la seule qui offre à notre pays un intérêt réel. On ne voit guère quelle sorte d’avantage nous tirerions du spectacle d’un commerce qui se fait, il est vrai, à l’ombre de notre drapeau, mais auquel la France n’aurait qu’une paît insignifiante.
- Nous n’insisterons donc pas sur la première question ; d’autant plus que nous n’avons, pour le moment, que des données très insuffisantes. Après deux ans de guerre et sept mois de paix, nos troupes n’ont pas encore pénétré dans la haute vallée du Fleuve-Rouge. Depuis le fameux voyage de M. Dupuis, M. de Kergaradec est le seul européen qui l’ait remonté ! Les renseignements que nous avons sont assez bien résumés par ce passage d’un rapport officiel : « Je crois que si le Yun-nam devient un jour le centre de production et de consommation qu’on rêve, on sera conduit dans l’avenir à remplacer par voie ferrée la route si imparfaite qu’offre Song-Koi. » En d’autres termes, le Fleuve n’offre peut-être pas par lui-même une route commerciale ; mais on peut en ouvrir une sur les bords. Pour cela, il suffit, là comme ailleurs, de construire un chemin de fer.
- Les débouchés
- Mais, je le répète, la question déterminante n’est pas là. Quel marché peuvent trouver au Tonkin les productions françaises? — Il y a, pour la colonie nouvelle, un point de comparaison tellement indiqué, au point de vue économique, comme à tous les autres points de vue, que toutle monde s’est trouvé d’accord pour s’y reporter : c’est la Cochinchine province détachée du même Empire, peuplée par le même sang et singulièrement analogue par sa constitution physique. Il y a vingt-cinq ans que la Cochinchine nous appartient : on peut donc jug.ir que l’expérience est suffisante.
- Eh bien ! la Cochinchine importe tous les ans pour 4 ou 5 millions de produits français; et ce chiffre n’augmente nullement. Il est vrai que les chiffres des deux dernières années paraissent avoir subi une progression rapide : les chiffres des douanes françaises donnent au commerce spécial 7,156,897 pour 1883, 8.086,762 pour 1884 (le Tonkin compris). Les chiffres fournis par la colonie, et qui comprennent probable-
- ment le commerce général, indiquent pour îa première de ces deux années 1,808,324 piastres, c’est-à-dire un peu plusde 8 millions. Mais les statistiques officielles indiquent en même temps que 1 Etat, à lui seul, a réimporté la même année, à destination du Tonkin, pour 416,900 piastres, c’est-à-dire pour plus de 2 millions de provisions et de marchandises de toutes sortes.
- Les chiffres de détail indiquent d’ailleurs que l’augmentation du commerce, dans ces deux années, porte exclusivemen sur les marchandises qui peuvent servir à l’approvisionnemen des troupes: le vin et les liqueurs seuls, pour 1884, donnent sur les années précédentes, environ 3 millions de plus. Il n’y a de progrès que de ce côté. En d’autres termes, l’augmentation apparente tient uniquement à ce que Saigon a été pendant la guerre un lieud’approvisionnement pour l’expédition du Tonkin. Des sommes qui pouvaient sembler, avant examen, indiquer une progression du commerce français, sont formée exclusivement des quelques millions qui sont rentrés au bercail, sur les 300 millions dépensés par la France dans l’Extrême-Orient. La consommation des produits français en Co-chine reste absolument stationnaire. Elle continue à oscillier de 4 à 5 millions.
- Si l’on fait maintenant le décompte de ces quatre à cinq millions, on est frappé de voir que la portion qui peut venir à la consommation indigène est tout à fait insignifiante. Plus du tiers est formé de vin, de liqueurs, de comestibles, dont l’usage ne semble pas encore être entré dans les habitudes annamites. Le chiffre dérisoire des tissus, vêtements, pièces de lingerie (530,000 francs en 1880, tombant à 450.000 en 1884) indique seul qu’il ne s’agit guê' e là que de la consommation européenne. Les décomptes plus détaillés fournis par les chiffres coloniaux ne laissent guère aucune illusion à ce sujet. Le fait même de notre présence en Cochinchine y maintient 3,000 hommes de troupes, et un peu moins de 2,000 Français sur lesquels il y a 1,100 fonctionnaires, d’après la déclaration que nous a faite M. Tompson, gouverneur actuel delà Cochinchine. Nourrir et habiller en partie ces quelques milliers d’européens, dont le plus gros chiffre est payé sur le budget, fournir peut-être aux commandes des travaux publics (la statistique de 1883 indique une forte somme pour les chemins de fer que nous construisons) : Voilà, à peu près, tout le rôle de notre commerce en Cochinchine.
- Il est superflu de remarquer qu’à en juger par ces résultats, ce serait une triste façon d’ouvrir des débouchés au commerce de la France que de prendre des colonies comme la Cochinchine. Elle coûte annuellement à la France, suivant les calculs, trois ou cinq millions ; sans compter les charges annuelles des dépenses de conquête. Ce seraient ainsi dix ou douze millions au moins que la France payerait chaque année pour vendre cinq à six millions de ses produits. Même en écartant les dépenses de conquête, le calcul resté ruineux. Un commerce de cinq millions ne représente pas trois millions de bénéfice. De pareils débouchés coûtent plus cher qu’ils ne rapportent.
- Est-ce donc que le peuple annamite soit trop pauvre pour consommer les produits étrangers? Tout au contraire. Le commerce d’importation de la Cochinchine a une sérieuse importance.— Dès les dernières années, de 1880 à 1883, il s’est
- p.15 - vue 18/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- élevé en moyenne à 9 millions de piastres ou 40 millions de francs. Seulement, ce ne sont pas les produits français que j nos sujets de Cochinchine achètent. Les tissus anglais y sont venus en 1883-de Singapore, pour une somme d’environ 10 millions ; c’est-'à-dire plus du double, pour une seule année,de toutes nos importations normales ; un autre détail est plus étrange : la Chine importe pour trois ou quatre millions en soieries, etl’Annam lui-même pour plus de deux millions et demi, dans la Cochinchine française !
- Ces chiffres indiquent., assez , nettement que la possession politique d’une province a peu d’influence sur son commerce. Notre drapeau a beau flotter sur le marché de Saigon : militairement, il est à nous ; commercialement, il est aux Anglais» aux Chinois et à d’autres. Au reste, si l’on examine le commerce de toute la région où se trouvent la Cochinchine et le Tonkin, on voit que le fait est général. Ajoutez la Chine, que nos armesmnt ouverte aux produits européens, le Japon, ou l’influence française a pourtant eu son rôle, et l’Indo-Chine,oû nous sommes à notre seconde expédition, le chiffre des productions françaises est fout à fait insignifiant : 7 ou 8 millions en tout pour la Cochinchine, pour une si vaste partie du globe terrestre et de l’espèce humaine. Cela est surtout sensible pour la Chine. Avant de chercher dans le fleuve Rouge une route hérissée d’obstacles, vers une des provinces les plus reculées et les moins peuplées de cet immense empire, nous avions, comme le reste de l’Europe, accès par la mer aux provinces où se presse une population nombreuse, et où surabon-dent les richesses dé tout genre. Il est surprenant de penser que nous revendons que prés de3 millions de marchandises à un pays peuplé de 400 millions d’habitants. Cela est-il bien encourageant, pour chercher à grands frais un accès nouveau et difficile à un marché qui parait se soucier médiocrement de nos produits?
- Les raisons de cet état de choses sont connues. Tout le monde les signale,. Notre gouverneur actuel en Cochinchine, M. Thomson, nous les rappelait. Pour s’ouvrir un accès aux marchés de l’Extrême-Orient, il faudrait que l’industrie française modifiât ses habitudes. Il lui manque deux.choses pour pouvoir profiter des débouchés ouverts dans ces régions : d’abord, elle excelle par la qualité de ses produits; mais elle ne peut atteindre au bon marché des produits étrangers. Ensuite elle est plus habituée à imposer son goût qu’à consulter le goût de ses clients. Aussi laisse-t-elle aux autres la fabrication de ses produits à bas prix, et accommodés aux besoins des indigènes, qui ont cours à peu près exclusivement sur certains marchés.
- Sera-t-elle condamnée par la nécessité à réformer ses habitudes et à forcer son génie? Pourra-t-elle le faire? Les conditions économiques de la France s’y prêtent-elles? Ce sont là des questions trop complexes pour être abordées ici. Mais, assurément, personne ne pourrait répondre par l’affirmative avec quelque certitude. Ce qui est acquis, c’est que dans les conditions actuelles de la France, et avec le caractère séculaire de son génie industriel etacommercial, elle ne profite pas des débouchés qui sont dans les conditions économiques de la Cochinchine et du Tonkin ; si elle les ouvre, c’est au profit de ses rivaux étrangers. On a essayé de modifier artificiellement cette situation, en écartant les produits non frân-
- çais par des droits de douane. Quelque opinion qu’on puisse aroir sur la protection et en ce qui concerne la France, il faut bien croire qu’on lui trouve de lourds inconvénients, au point de vue colonial; on ne peut pas l’appliquer à toutes nos colonies, ce moyen d’augmenter nos importations. C’est, d’abord, que les colonies protesteraient. On peut proposer ce système à une population européenne, composée en majorité de fonctionnaires, mais on se garde bien de le proposer pour celles de nos colonies d’outre-mer où existent de sérieux intérêts économiques français. C’est ensuite qu’on s’exposerait à de funestes représailles. Notre commerce en Cochinchine est bien peu de chose si on le compare à celui que nous faisons dans certaines colonies étrangères, et l’industrie française risquerait fort de payer les frais de l’expérience.
- Il faudrait donc fermer les yeux à l’évidence pour croire que le Tonkin pourrait devenir pour la France, dans les conditions actuelles, un impartant débouché commercial. Il serait ce qu’est la Cochinchine, très bien défi nie avant nous par un de ses anciens gouverneurs : une colonie militaire. C’est à ce titre que la France conserve la Cochinchine, sans laquelle elle n’aurait pas un seul point dans toute l’étendue de l’Extrême-Orient. Nous y avons placé un arsenal ; nous n’y avons pas de marché.
- Il y a une conclusion générale à tirer de la discussion qui précède. Il est singulièrement fâcheux, qu’à une époque où la France souffre d’une crise d’ailleurs commune à toute l’Europe, en ait été entraîné, pour défendre une certaine politique, à faire croire qu’on allait remédier au mal par des conquêtes.
- C’était préparer ce pays à de cruels mécomptes et à de dangereuses erreurs. Non, le canon ne suffit pas à créer des marchés pour le commerce. On peut, en conquérant une possession lointaine, se livrer simplement à la conquête commerciale d’un concurrent. Ce ne sont pas les batailles : c’est le bon marché, c’est la qualité des produits qui ouvrent les débouchés ; ils n’appartiennent pas au peuple le mieux armé : ils appartiennent au producteur le mieux outillé. Que notre industrie fabrique plus chèrement que nos concurrents, et nous ferons la guerre pour leur profit. Qu’elle fabrique mieux et à meilleur marché, et nous n’aurons plus besoin de lui chercher des débouchés les armes à la main. Mais il n’est pas au pouvoir des industriels seuls d’arriver à ce résultat : ils réformeraient en vain leur outillage et leurs méthodes, si ceux qui gouvernent ne modifient pas, dans la mesure de leurs pouvoirs les conditions économiques de la nation. Remettre les finances en ordre, alléger des charges qui grèvent le travail, ne point grossir une dette énorme qui pèse sur toutes les branches de production, perfectionner cet outillage national commun à toutes les industries : voilà les véritables moyens de nous donner des débouchés nouveaux ; pour tout cela, il faut des millions, précisément les millions que dépensent les guerres et les occupations à quatre mille lieues de la France. — Non : les conquêtes lointaines n’ouvrent pas de débouchés : elles en ferment.
- Nous venons de voir les profits probables de Fexpédition ; examinons les charges.
- A suivre
- Le Directeur Gérant : GODIN
- Suies, — lmp, Baré.
- p.16 - vue 19/838
-
-
-
- 10e Année, Tome 10.— N” 383 Le numéro hebdomadaire 20 c. Dimanche 10 Janvier 1886
- LE DEVOIR
- REVUE DES QUESTIONS SOCIAUES
- BOREAD
- A GUISE (Aisne)
- Toutes les communications et réclamations doivent être adressées à M. GODIN, Directeur-Gérant Fondateur du Familistère
- ABONNEMENTS PAYABLES D’AVANCE par l’envoi, soit au bureau de Guise, soità celui de Paris, de timbres-poste ou de mandats de poste, dont le talon sert de quittance.
- Franoe
- Un an ... 10 fr. »» Six mois. . . 6 »» Trois mois. . 3 »»
- Union postale Un an. ... 11 fr. »» Autres pays
- On an. . . . 13 fr. 60
- ON S’ABONNE
- A PARIS
- 5, rue Neuve-des-Petits-Champs Passage des Deux-Pavillons
- S’adresser à M. LEYMAR1E administrateur delà Librairie des sciences psychologiques.
- SOMMAIRE
- La féodalité financière et l’hérédité de l’Etat. — Objections à l’hérédité de l’Etat. — Aphorismes et préceptes sociaux. — Les élections anglaises et le droit politique des femmes. — Avis à nos lecteurs.— Ligue pour la défense et l’organisation des droits du travail.— La question sociale et les possibilités socialistes.— La consommation se restreint.— Numéros de propagande. — Rapport de M. Camille Pelletan. — Maître Pierre. — Etat-civil du Familistère. — Librairie du Familistère.
- ------------——» • » -----------—-------—
- LA FÉODALITÉ FINANCIÈRE ET L’HÉRÉDITÉ DE L’ETAT
- 8me Article.
- L’hérédité de l’État n’est pas une idée fantaisiste > c’est un droit réel appartenant à la société sur tous les biens parce qu’elle contribue à les produire. Ce droit a été jusqu’ici sacrifié à la convoitise des puissants, parce que le fort ayant fait la loi aux faibles la notion de justice sociale n’a pu recevoir son application. L’inauguration du droit d’hérédité de l’État est une œuvre d’équité sociale qu’il appartient à la démocratie et au socialisme moderne de réaliser.
- Les violences de la guerre ayant été en tout pays une des principales causes du droit de propriétéf le vainqueur s’est arrogé le pouvoir de faire la loi à son profit, au profit de sa famille et des siens.
- (1) Voir le Devoir des 8, 15, 22, 29 Novembre, 13, 20 et 27 Décembre 1885.
- Non-seulement il a dépouillé le peuple de ses biens, mais il a fait en sorte que ces biens restent à perpétuité aux mains des familles mêmes qui s’en étaient emparées.
- L’esclavage et la servitude ont fait passer ces coutumes barbares dans les mœurs des nations ; de là sont venues nos habitudes et nos lois sur l’héritage. Le sentiment du juste et du droit a été tellement perverti que ceux qui possédaient la fortune se sont exonérés eux-mêmes de toutes les charges publiques.
- 'C’est ainsi que naguère, avant la Révolution française, la noblesse et le clergé étaient exempts d’impôts sur les biens considérables qu’ils possédaient. Il n’a pas fallu moins d’une révolution pour déraciner la coutume abusive et l’iniquité de l’exemption d’impôts dont ces deux ordres jouissaient.
- La Révolution française inaugurant le principe de la proportionnalité de l’impôt frappa au cœur ces privilèges, mais les sociétés humaines ne s’affranchissent pas d’un seul coup des maux dont elles souffrent ; l’habitude et la routine les entraînent à revenir sur leurs pas et à conserver un levain du passé.
- Voilà pourquoi des monopoles nouveaux ont repris la place des anciens.
- A l’aristocratie de la noblesse a succédé l’aristocratie du capital. Les nobles et les prêtres ayant perdu leurs privilèges, l’aristocratie de la richesse se constitua pour rétablir sous une autre forme les privilèges, non d’exemption ostensible de l’impôt, mais à peu près effective.
- p.17 - vue 20/838
-
-
-
- 18
- LE DEVOIR
- On n’a fait payer à la richesse qu’un simulacre d’impôt et l’on a reporté sur le peuple, par la voie des contributions indirectes, une forte partie des charges qu’il supportait sous la féodalité.
- Le régime était changé, mais les mêmes principes s’infiltraient dans les institutions nouvelles.
- Une nouvelle aristocratie de la richesse s’est ainsi reconstituée, établissant dans les lois fiscales des abus analogues à ceux qu’on avait supprimés.
- L’aristocratie du capital a organisé les choses à son profit sur le terrain économique, de sorte qu’en lieu et place des nobles et des vilains, nous avons aujourd’hui les propriétaires et les fermiers, les industriels et les ouvriers, les riches et les pauvres, ceux qui jouissent de tous les biens et ceux qui souffrent de toutes les misères.
- Il en est ainsi parce que les monopoles de la richesse se sont continués dans les familles, parce que jamais les richesses enfantées par le travail n’ont fait retour aux travailleurs, et que l’Etat lui-même a continué à fonctionner uniquement en faveur des classes riches ; celles-ci, par la nature des privilèges qui leur permettent de perpétuer la richesse au seul profit de leurs familles, ayant le double avantage de constituer la classe dirigeante et de faire les lois à leur propre avantage.
- Mais du moment où l’État rentrerait chaque année en possession de plus de deux milliards de richesses, dont la moitié en valeurs mobilières et l’autre moitié en immeubles, la véritable République, la République des Réformes et des bienfaits sociaux serait inaugurée.
- Il est facile d’entrevoir ce qu’un gouvernement sage serait en état de faire pour le bonheur du peuple avec un milliard de valeurs disponibles, en sus de son budget ordinaire, et un autre milliard de biens immeubles partiellement réalisables, sur lesquels dans tous les cas les impôts seraient effacés, en même temps que les fermages payés aujourd’hui aux intermédiaires. Les citoyens n’auraient plus à compter que la rente ou le fermage réduit revenant à l’État, rente ou fermage qui, avec le droit d’hérédité nationale et les revenus des services publics, constituerait tou-tas les ressources de la nation au bout d’un certain temps.
- Ainsi se réalisera l’heureux moment où les res-
- sources publiques se composeront de revenus provenant de services rendus par l’État aux citoyens.
- Les ressources à prévoir en remplacement des mille impôts actuels se composeraient pour la France, approximativement, de la façon suivante :
- Ressources provenant du
- droit d’hérédité de l’État.
- Héritages de valeurs mobilières- 1,100,000,000
- Ventes emphytéotiques d’immeubles, moitié des héritages . . 550,000,000
- Rente de l’État remplaçant les impôts et les fermages sur tous biens immeubles de la nation,
- 2 0/o sur cent milliards.......... 2,000,000,000
- Ressources provenant des services publics :
- Postes et télégraphes............. 165,000,000
- Revenus des chemins de fer recouvrés par l’État, 4 0/o environ
- du capital.......................... 700,000,000
- Domaines actuels, revenus .... 53,000,000
- Services publics à organiser . . . (Pr mémoire)
- Total 4,515,000,000
- Quatre milliards cinq cent millions réalisés en six articles budgétaires, quelle simplification dans les recettes ! Et pourtant cette réforme facile dans la constitution des ressources de l’État ne s’accomplira que lentement et difficilement.
- On continuera à tracasser, à pressurer le travail, à imposer aux citoyens en activité de production mille sujétions nuisibles à leur liberté et à leur tranquilité, plutôt que de demander à la fortune de ceux qui sont morts la restitution des dons gratuits qu’ils avaient reçus de la nature et de la société et la part due pour le concours que l’État leur avait prété, en leur facilitant les voies de la fortune.
- Ce droit d’hérédité nationale n’est-il pas assez évident pour que l’État l’exerce au nom des citoyens dépouillés de toute part sociale?
- Est-il possible que l’iniquité des lois fiscales actuelles se continue indéfiniment en faveur de ceux qui possèdent ? Les pouvoirs publics continueront-ils à sacrifier ce droit et à demander au labeur le surcroit des charges publiques ?
- Non il faut tarir cette source d’iniquités, elle ne peut durer plus longtemps.
- Si nos députés et nos gouvernants ne peuvent s’élever d’emblée à des mesures rationnelles capables d’attaquer le mal jusque dans ses racines,
- p.18 - vue 21/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- qu’ils sachent au moins ouvrir la voie par une expérience sur les dégrés en ligne collatérale comprenant les petits-neveux, les cousins germains et au-delà.
- Nous avons vu que cela donnerait déjà 217 millions.
- Qui oserait affirmer que la succession à ces degrés de parenté soit plus légitime au prolit des parents qu’elle ne le serait au profit des ouvriers qui ont coopéré, par leurs travaux, à l’édification des fortunes memes ? Cousins issus de germains, petits neveux, petits cousins, sont indifférents le plus souvent au défunt et n’ont, la plupart du temps, droit à l’héritage que parce que la négligeance du défunt a fait qu’il s’est laissé surprendre par la mort, sans avoir légué ses hiens aux personnes de sa préférence, à celles qui lui avaient rendu de réels services, ou à celles qu’il affectionnait. Telle est la condition dans laquelle, le plus souvent, les héritiers entrent en possession des biens.
- L’État qui, jusqu’ici, est resté indifférent au sort des classes laborieuses ne s’est jamais élevé ni à un sentiment, ni à une pensée de justice assez larges pour comprendre que le droit de l’État est entier sur les biens délaissés dans de telles conditions. ; son droit est entier parce qu’il a concouru à la création de la fortune par les avantages qu’il a accordés du vivant du décédé.
- Le droit de la société est entier parce que le décédé a élevé sa fortune avec le concours du travail du peuple ; le droit de la société est entier, au nom du peuple,- parce que les biens délaissés reposent sur un emprunt fait au domaine accumulé des générations qui nous ont précédé.
- Qu’ont fait le plus souvent les petits cousins et les petits neveux du décédé, voire même les neveux. La plupart du temps, ils ont désiré sa mort et jouissent de l’aubaine lorsqu’elle arrive Le droit d’héritage en ligne collatérale, à ces degrés surtout, est une immoralité civile et politique. Pour qu’elle soit légitime et morale,il faut que le possesseur ait fait son testament ; mais, encore, cela ne doit pas et ne peut pas éteindre les droits de la société ; celle-ci doit conserver au moins la moitié des biens délaissés par testament.
- Pourquoi même ne pas subordonner tout droit d’héritage au testament, en tous degrés de la ligne collatérale, comme cela est exigé entre personnes non parentes ? Le droit de tester sauvegarde les droits légitimes.
- Qui, mieux que le possessseur, connaît ceux qui à ses yeux sont les plus dignes de lui succéder dans ses biens ? Et, puisqu’il a le droit d’en disposer de son vivant, pourquoi considérer que l’État ou la société soit sans droit, lorsque le défunt n’a exprimé aucune volonté avant de mourir ? N’est-ce pas, au contraire,l’État seul qui devrait alors, au nom de- la société, intervenir comme représentant de tous les facteurs qui ont contribué à créer les biens délaissés.
- Pour la ligne collatérale toute entière, il n’y a aucune raison ni philosophique ni morale qui justifie plus longtemps l’abandon des droits de l’État. Il y a, au contraire, de très sérieuses raisons politiques qui commandent de faire valoir ce droit; car, avec le droit d’hérédité de l’État, l’équilibre du budget serai timmédiatement établi ;
- La dette nationale serait promptement remboursée ;
- Les impôts indirects à la charge des masses laborieuses seraient supprimés ;
- Les réformes sociales pourraient être abordées ;
- Même en commençant avec l’hésitation des hommes irrésolus et en s’attaquant seulement aux successions au-delà du quatrième degré, l’État recueillerait immédiatement la somme de......................
- En remontant aux petits cousins, aux petits neveux, et aux grands oncles. . v. . . .
- En prélevant 50 0/o sur les héritages entre personnes non parentes, on obtiendrait. . .
- Soit au total....................
- trois cent vingt • quatre millions en faisant porter l’hérédité de l’État sur les degrés de parenté où les individus ne se connaissent plus dans la plupart des cas.
- Et si l’on étendait l’hérédité de l’État à la part des collatéraux comprenant les cousins gerinains, jusqu’aux neveux et oncles, frères et sœurs, on aurait une autre somme de. ......... .
- Au total un milliard quarante neuf millions . ................. 1.049.000.000
- Et cela, en n’appliquant l’hérédité de l’État qu’aux personnes non parentes et à la ligne collatérale.
- 91.000.000
- 126.000.000
- 107.000.000
- 324.000.000
- 725.000.000
- p.19 - vue 22/838
-
-
-
- 20
- LE DEVOIR
- En présence de ressources aussi faciles à se procurer et, surtout, lorsque l’État y a un droit aussi incontestable, pourquoi donc se traînerait-on péniblement dans les errements du passé ? Pourquoi aurait-on encore recours soit à des emprunts, soit à des impôts nouveaux, au risque de conduire de plus en plus la France dans des embarras inextricables ?
- Pourquoi suis-je seul à proposer ce moyen efficace de résoudre les difficultés politiques et sociales de notre temps !
- Il faut véritablement que les intelligences soient bien engourdies en ce moment pour n’être accessibles à aucune généreuse et grande idée, pour vouloir rester dans la routine absurde des impôts et des emprunts, lorsqu’il devient évident que par ces moyens nous ouvrons, de plus en plus, le gouffre de misère pour les classes ouvrières, gouffre dans lequel la société peut sombrer à son tour en ne laissant que ruine et dévastation. Est-il concevable, lorsqu’il serait si facile à nos gouvernants de prévenir tous ces malheurs, qu’ils restent indifférents au danger et se refusent à rien faire pour le prévenir.
- A suivre.
- OBJECTIONS
- A L'HÉRÉDITÉ DE L'ÉTAT
- Nous extrayons d’une lettre qui nous est adressée les observations suivantes :
- « Votre 7me article sur l’hérédité de l’Etat est de nature à dissiper un malentendu qu'il importe, en effet, de ne pas laisser se propager et qui consiste à confondre l’hérédité de l’Etat avec l’impôt sur les successions.
- « Permettez-moi d’espérer que le prochain article contiendra une réponse tout aussi claire, s’il est possible, à une objection qui repose sur une fausse interprétation de certains passages de l’exposé des motifs de votre projet de loi et du projet de loi lui-même, tels que cette phrase, page 93, de o Mutualité nationale contre la misère » :
- «r Sous un tel régime (l’hérédité nationale) les « citoyens n’auront plus d’autre redevance à payer « a l’Etat que celle du loyer des choses qu’ils « détiendront à titre de fermiers ou comme pro~ « priétaires : » et l’article 40 tout entier du projet de loi.
- « Vous ne sauriez vous imaginer combien l’interprétation selon moi abusive) qui est faite de ces .dispositions est nuisible à la propagation, non-seulement du principe de l’hérédité de l’Etat, mais encore de toutes les autres propositions soutenues par vous, par suite de la méfiance que soulève celle-là.
- « Pour comprendre la répulsion que cela produit dans le public dont je parle, il ne faut pas habiter un pays de grande
- culture comme le département de l’Aisne, où presque tout le monde est fermier a l’exception d’un nombre infime (le très gros propriétaires, mais un pays comme le département du Puy-de Dôme où le sol est excessivement morcellé et où le possesseur du moindre lopin, quelque servile et rampant qu’il soit hors de là, est habitué à se redresser comme un hidalgo quand il est sur sa ferre et à dire en la frappant du pied : Je suis maître chez moi !!! »
- Je ferai remarquer à mon correspondant que pour faire une réponse claire, il faut avoir à répondre à des questions clairement posées. Or, je ne vois pas dans cette note d’objection précise.
- Je n’ai pas la prétention de voir les égoïstes ni les gens bornés accueillir avec effusion l’institution de l’hérédité nationale; ces caractères sont opposés à toutes les réformes quelles qu’elles soient. Ils ne peuvent concevoir que ce qui est avantageux à eux seuls; ils ont en aversion tout ce qui peut être profitable aux autres; par conséquent, l’hérédité de l’Etat, bien qu’elle assure à tous les hidalgos terriens de France cent fois plus degaran ties et de sécurités que ne leur en offre la terre sur laquelle ils se croient maîtres, ne peut leur convenir; car, elle exige de l’étude pour être comprise, et ces gens-là n’étudient pas.
- Pour leur démontrer que malgré leur fierté de propriétaire, les plus nets profits de leur travail passent en d’autres mains que les leurs et que le droit d’hérédité nationale serait un remède à cet abus,il me faudrait faire un livre qu’ils ne voudraient pas lire et que, du reste, ils ne pourraient comprendre.
- Il est pourtant une réponse à faire à leur amour delà liberté chez soi, c’est que l’hérédité nationale, plaçant les mutations de la propriété sous la responsabilité de l’Etat, n’en laisse pas moins complètement le propriétaire actuel et le propriétaire futur maîtres sur leurs terres et que, par conséquent, ils pourront toujours, frappant du pied leur propriété, dire avec vérité : je suis maître chez moi! ! ! Ils le pourront d’autant mieux qu’ils ne seront plus exploités par les intermédiaires et que les profits sortis de leurs terres leur resteront Quand ils s’enrichiront, alors ils comprendront.
- Les petits propriétaires et les travailleurs associés pourront d’autant mieux arriver à ce but que la véritable démocratie républicaine, celle qui fera 1 hérédité de l’Etat, sera celle qui respectera le plus au monde la liberté du citoyen.
- Il faut bien se persuader que ce n’est pas le propriétaire exploitant lui-même sa propriété que le régime de l’hérédité nationale a pour but d’attein-
- p.20 - vue 23/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 21
- dre ; puisque, au contraire, ce régime rendra la propriété plus accessible à tout le monde et don- I nera à tous les hommes de labeur des garanties nouvelles.
- Ce que l’hérédité nationale doit produire c’est que les fortunes à la Vanderbilt ne soient plus le partage d’un seul homme ; c’est que des richesses d’un milliard, c’est-à-dire de cent mille fois dix mille francs, de quoi enrichir d’un seul coup toutes les familles d’un département, nepuissent échoir à des héritiers, sans qu’il en retourne une partie au profit du peuple, au profit du travail àqui ces fortunes sont dues. Ce sont donc les grandes fortunes princières et financières que l’hérédité de l’Etat doit réduire à de justes proportions, facilitant ainsi pour tous les travailleurs 1 accès à la propriété.
- Aussi faut-il s’attendre à ce que ce ne seront ni les princes, ni les ducs, ni les barons de la finance qui demanderont l’application du droit d’hérédité nationale sur leurs biens ; ils seront plus disposés à ajouter quelques impôts à la charge du peuple qu’à consentir la restitution d’une part des biens qu’ils lui doivent; cette restitution dût-elle s’opérer non de leur vivant, mais après leur mort.
- L’hérédité de l’Etat sera instituée par quelques hommes d’intelligence et de cœur qui en auront compris la valeur et qui auront accès sur les destinées du pays. C’est surtout pour ceux-là que j’écris.
- Revenons à la note; car ce qui précède répond à l’objection résultant de l’égoïsme, de l’ignorance et de la fierté du petit propriétaire, mais cela n’a pas de rapport avec la phrase citée ni avec l’article 40 du projet de loi, puisque, au contraire, ces passages visent le maintien du droit de propriété débarrassé des charges et complications dont il est entouré aujourd’hui.
- La demande d’explications qui m’est faite laisse donc sur ce point une telle confusion que c’est le cas de dire qu’on ne peut satisfaire tout le monde et son père. Car si, d’un côté, l’idée de l’hérédité nationale porte ombrage aux propriétaires; d’un autre côté, elle inquiète les partisans d’un collectivisme confus et mal défini.
- J’inquiète les petits propriétaires parce qu’ils voient toucher au droit de propriété ; ne voulant pas se rendre compte qu’il s’agit simplement de réformer les abus et de leur assurer une exploitation plus facile, ils sont opposés à l’idée. Mais j’ai également contre moi les collectivistes sans plan
- 'avenir défini, parce que je déclare la propriété
- individuelle indispensable à la libre activité et à l’initiative des citoyens.
- Il faut donc plus de précision dans l’objection afin que je sache sur quoi la réponse doit porter.
- Trouverait-on, par hasard, qu’il faille entendre que le loyer des choses à réclamer par l’Etat pût s'appliquer aux propriétaires actuels? Ce serait véritablement très mal comprendre la proposition et, s’il en était ainsi, ce serait lire avec trop peu d’attention ; car il est dit partout, dans tout ce que j ’ai écrit à ce sujet, que ce loyer ne s’applique qu’aux biens cédés par l’Etat. Pour ces derniers n’est-il pas juste que l’Etat, devenu propriétaire, n’abandonne temporainement son droit à tel citoyen plutôt qu’à tel autre, qu’à la condition de retirer de ce chef un revenu librement consenti ? Ce revenu est la représentation de la part de droit de ceux qui nejouissent pas de cesbiens; la justice et l’équité du droit naturel s’opposent à ce que l’Etat agisse autrement.
- Les lignes citées de la page 93 de « Mutualité nationale » et le projet de loi tout entier sont dans la logique des principes que j’ai toujours posés ; à savoir que les impôts doivent se transformer en revenus provenant des services rendus par l’Etat. Or, en supprimant les intermédiaires de la propriété et, par conséquent, les fermages qu’il s perçoivent, en supprimant aussi les impôts qui grèvent ces biens, il est matériellement indispens able que l’Etat perçoiv’e l’équivalence des frais qu’il fa pour les citoyens qui en profitent. Il y aplus, il dof prélever la part des pauvres qui n’ont plus d’autres droits que ceux que leur réserve la société.
- Or, un modique loyer attaché à la propriété, dès que l’Etat en facilite les mutations et en assure 1 jouissance sans autres impôts ni fermages, n’est p; -autre chose qu’un paiement semblable à celui du port de lettre que le citoyen effectue en raison c i service que l’Etat lui rend.
- Notre correspondantcomprendra que cette répon: manque de précision parce que le motif de son observation n’est pas assez déterminé. Je m’empresserai de donner des réponses précises quand les demandes seront précises ebes-mêmes.
- APHORISMES ^PRÉCEPTES SOCIAUX
- LXXXXV
- Richesse et Mutualité
- Les fortunes doivent, après la mort de leurs détenteurs, revenir à l’État, au moins en partie pour donner au peuple les garanties qui lui sont dues ; elles doivent servir a constituer un fonds de mutualité nationale contre la misère, en récompense des services rendus par les travailleurs.
- p.21 - vue 24/838
-
-
-
- 22
- LE DEVOIR
- Les élections anglaises et le droit politique des femmes.
- Nous disons dans le « Women’s Suffrage journal :
- Le résultat des élections à la Chambre des Communes est entièrement encourageant pour les partisans du droit des femmes.
- Le nombre des amis connus de la cause est de 314. —Le nombre des opposants connus est de 104.
- Le nombre total des membres de la Chambre des Communes étant de 670, il y a donc 356 membres dont l’opinion concernant le droit politique des femmes n’est pas connue, et qui au moment du vote de la loi iront grossir les deux groupes donnés ci-dessus l’un comptant, aujourd’hui, 314 membres, l’autre 104.
- Women’s suffrage journal conclut que toutes les chances sont en faveur de l’adoption du projet de la loi déposé par M. Woodbal concernant l’exercice du droit politique par les femmes.
- Le même journal, dans un précédent numéro, avait relaté comment trois femmes avaient exercé le droit de vote dans les élections parlementaires qui viennent d’avoir lieu. 11 s’exprimait ainsi :
- Dans le district de Hanley, à Northroad, le 24 novembre dernier, il se trouva que le nom de « Francis Yates, Hot-Jane » était inscrit au rang des électeurs.
- La seule personne de ce nom et de cette adresse Madame Francis Yates, une veuve, se présenta au scrutin, accompagnée d’un ami M. Bettany.
- M. Ashmall, le président, refusa de recevoir le bulletin de vote de Madame Francis Yates jusqu’à ce qu’il ait eu l’occasion de consulter le chef de la municipalité.
- Après midi, le maire de Hanley et son secrétaire passèrent au cours de leur tournée d’inspection et la question leur fut soumise.
- Ils se prononcèrent pour l’admission de l’intéressante éleclrice ; aussi, lorsque celle-ci se présenta de. nouveau, fut-elle admise à déposer son bulletin de vote.
- Le Birmingham Daily Post dit de son côté :
- Un curieux incident est arrivé à Saint-Paul. - Une dame se présenta au bureau d’élection, Nelson Street et demanda un bulletin de vote.
- Sachant que les dames ne sont pas légalement qualifiées pour voter aux électi - ns parlementaires, le président fut surpris et amusé de cette demande. Mais la postulante attira son attention sur la liste des électeurs où se trouvait assez clairement le nom de Susannah Perks dûment enregistré.
- Gomment le nom do cette dame avait-il été inscrit et avait-il échappé à l’examen de révision du tribunal des avocats ?
- Nul ne pouvait l’expliquer mais le fait était indiscutable : Madame Perks occupait la fière et unique pos ition de femme électeur dans le bourg.
- Malgré tout, le président hésitait à laisser voter Madame Perks. 11 appela donc en consultation M. Bradley l’agent d’électién de M. Chamberlain et tous deux tombèrent d’accord de recevoir le vote de Madame Perks.
- « Nous sommes informés » dit le « Manchester Guardian » « qu’une temme s’est présentée à un bureau de vote et a réclamé le droit de voter, sur ce motif qu’elle était inscrite au rang des électeurs. En se reportant au registre on reconnut que le nom de baptême Frances avait été pris pour Francis ; il était exact qu’on avait porté cette dame sur la liste des électeurs parlemen taires.
- Dans ces circonstances, le président reçut le vote, mais
- n’en tint pas compte dans le résultat final. »
- ----------------—------———________________________
- Avis à nos lecteurs
- Le Devoir publie, a partir du présent numéro sous le titre « Ligue pour la défense et la propagande des droits du Travail», une série d’articles concernant le mouvement qui s’accomplit en ce moment en Angleterre, touchant les sociétés coopératives de production.
- Nous enverrons les numéros du « Devoir » contenant ces articles a toutes les sociétés coopératives de France, dont nous pourrons nous procurer les adresses, espérant qu’elles y puiseront les plus utiles enseignements pour l’organisation des Chambres consultative et économique qui se poursuit en France depuis quelques mois.
- LIGUE POUR LA DÉFENSE
- ET L’ORGANISATION
- DES DROITS DU TRAVAIL I
- Nous sommes heureux de signaler à nos lecteurs un mouvement de grande importance qui se produit en Angleterre.
- Il s’agit de la constitution d’un corps nouveau « Labour association » pour le développement de la production coopérative, basée sur l’association du travail et du capital.
- Nous avons en mains une série de documents sur cette Ligue nouvelle, et nous en extrayons ce qui suit pour bien renseigner nos lecteurs sur ce dont il s’agit :
- Pendant ces dernières années d’urgents appels avaient été faits aux coopérateurs pour les amener à donner plus d’attention et un plus grand soutien au côté productif de leur mouvement. La réponse néanmoins n’avait pas été telle que le sujet le méritait.
- La question de confiera un comité exécutif spécial, travaillant sous la direction du Bureau central de la Fédération‘en vue désintérêts de la production coopérative, fut portée devant le congrès
- p.22 - vue 25/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 23
- de Leeds en 1881 et devant celui d’Oxford en 1882 ; là elle fut acceptée en prin ipemais non en détail.
- Aucun pas ne fut accompli au congrèsd’Edimbourg en 1883.
- Mais au Congrès de Derby, en 1884, une nouvelle impulsion fut donnée à la question.
- Une conférence de délégués et amis, réunissant 250 personnes, environ, eut lieu le lundi 2 juin 4884 et là fut formée l’association du travail par le vote des résolutions suivantes :
- 1° La Conférence approuve la formation d’un comité et d’une caisse de propagande destinés à amener les travailleurs et l’opinion publique, en général, à reconnaître l’importance qu’il y aurait à rendre les ouvriers co-propriétaires des ateliers et paiticipanls aux actions et bénéfices.
- 2° Le comité dont la liste suit est un comité général ayant pouvoir d’inviter les Chefs coopérateurs, les Trades-Unionistes et les amis du travail à se joindre à eux.
- (Environ cent noms furent proposés et acceptés,)
- 3° Jue comité général a pouvoir de désigner un comité exécutif chargé d’agir.
- Le mercredi suivant, dans la matinée, le comité général se réunit à nouveau et prit la résolution suivante :
- « Le comité exécutif aura son siège à Londres, tandis que la partie proprement dite d’affaire de la fédération continuera d’avoir son siège dans le Yorkshire ».
- MM. E. V. Neale, Lloyd Jones, Edward Qwen Greening, Harold Cox, Bolton King et Edward W- Greening furent désignés comme membres du premier comité exécutif, avec faculté de s’adjoindre de nouveaux membres.
- M. Bolton King fut nommé secrétaire honoraire et M. E. W Greening trésorier honoraire.
- 11 fut convenu que toutes les souscriptions promises seraient renouvelables annuellement pendant cinq ans, à moins que les souscripteurs en stipulent autrement, étant compris que l’œuvre de propagande entreprise devait durer au moins cinq ans.
- Les souscriptions furent fixées pour commencer au minimum d’un schilling par an (1 fr. 25), de façon à ouvrir la porte au plus pauvre ouvrier désireux de se joindre au mouvement.
- Le comité exécutif se réunit hebdomadairement et travailla avec vigueur. Mais, à chaque pas, il se trouvait entravé par la nécessité de contrôler avec soin ses dépenses.
- Il fut reconnu que si le mouvement était appelé^
- à devenir national, des mesures actives devraien être prises pour constituer un fonds de garanties un bureau central et un secrétariat permanent. En conséquence M. Henri Rowley, autrefois président, de la société coopérative de Scheffield, fut nommé secrétaire etun bureau fut ouvert,nùl Norfolk Street Strand, London W. C.
- Ces mesures essentielles étant prises, le comité exécutif discuta et résolut la question de nom de la ligue nouvelle. Il adopta pour titre : « Labour association » avec ce sous-titre : Forpromoting co-co-pérative production based on the co-partnership of the Workers.
- Association du travail pour le développement de la production coopérative basée sur l'association des travailleurs.
- Ecoutons maintenant le père, l’ame de la coopé" ration, M. Edward Vansittart Neale, exposer les principes, le but et la méthode de «Labour associa“ tion » :
- « L’association a pour but de constituer un corps d'adhérents actifs, reliés par un ensemble défini de conceptions pratiques et travaillant pour le plus noble but qui puisse s’offrir à qui a foi dans le développement de l’humanité, c’est-à dire travaillant à substituer, dans le monde affairé de l’industrie,le concert et l’union à l'antagonisme et aux conflits; afin que la domination toujours croissante de l’homme sur les forces de 1 1 nature s’exerce autant que possible pour le bien-être des masses laborieuses, et qu’ainsi la richesse cesse d’être répartie, au sein de la lutte, dans des conditions telles que, suivant la parole mais non l’esprit de l’Evangile, ceux qu* ont déjà beaucoup voient continuellement ajouter à leurs richesses, tandis que ceux qui possèdent peu de chose sont en perpétuel danger de se voir ravir le peu qu’ils détiennent.
- « Pour atteindre le système proposé, l’Association fait appel :
- 1° Au corps général des coopérateurs.
- 2° Aux grands corps des travailleurs associés dans les Trades-Unions.
- 3° Au public en général.
- « Je vais expliquer ici brièvement sur quelles bases l’association fait ces appels.
- 1° L’attitude actuelle des soi-disants coopérateurs à l’égard du travail productif est absolument opposée à celle prise par les justement célèbres pionniers de Rochdale, quand ils inaugurèrent la coopération.
- « Dès le début de leur œuvre, ces initiateurs inscrivirent dans leur programme, comme but réel
- .I<V; • U
- p.23 - vue 26/838
-
-
-
- 24
- LE DEVOIR
- et final de leurs efforts, la constitution de colonies domestiques où les travailleurs soutenus par les fruits de leurs propres labeurs seraient capables, par des institutions sagement organisées, d’assu-surer à eux-mêmes et à leurs familles tous les avantages éducationnels, intellectuels, moraux et sociaux que le travail humain, aidé des merveilleuses machines-outils de l’industrie moderne, peut atteindre.
- « Le commerce qu'ils entreprirent pour subvenir à leurs besoins immédiats n’ était, pour eux, qu’un moyen d’accumuler graduellement les fonds requis pour leur objet final, en réalisant sur leurs consommatiois journalières les bénéfices provenant de l’écart entre les achats en gros et la revente au détail, vente opérée aux prix ordinaires majorés des seuls frais indispensables.
- « Les fruits remarquables, obtenus en moins d’un demi-siècle de la graine ainsi semée, sont le gage de la profondeur de vues des pauvres tisserands de Rochdale concernant les ressources que les classes ouvrières peuvent se procurer, par la simple opération de se vendre à elles-mêmes les objets dont elles ont besoin.
- » Nous sommes convaincus qu’ils n’ont pas vu moins clair concernant le but final qu’ils s’étaient assignés.
- « L’expérience de toutes les nations qui se sont élevées au-dessus de l’état primitif de sauvagerie, montre que la première condition de cette élévation est l’accumulation des résultats du passé rendant plus effectif le travail présent.
- « La vie actuelle doit partout ses richesses aux dépôts des générations antérieures, dépôts nommés J capital dans le langage de l’économie politique moderne.
- « La profonde source de nos maux sociaux vient, «selon moi, de ce que l’utilisation du travail passé, au lieu d’étre systématiquement dirigée en vue du bien commun de tout le corps des travailleurs, a été abandonnée aux hasards de ce combat de la vie dans lequel ceux qui peuvent saisir le pouvoir l’exercent à leur seul avantage et le gardent tant qu’ils peuvent.
- a Comment sortirons-nous de cet état ?
- « L’expérience déjà gagnée nous montre la voie. En général,les travailleurs n’accumulent pas de capital pour eux-mêmes, mais ils peuvent permettre que le capital soit accumulé en leur faveur et appliqué de façon à leur assurer, collectivement, les bénéfices qu'ils sont trop faibles de se procurer individuellement ; cela, au moyen d’institutions où les besoins ,
- des individus sont satisfaits par la mise au service de tous du capital accumulé.
- « Ceci n’est pas une utopie. C’est un système qui, présentement, atteint le but d’une façon prospère dans la grande fonderie coopérative « Le Familistère » fondée par M. Godin à Guise, France.
- « Là, travail et capital participent aux résultats de leur double concours, au prorata du montant des salaires de chacun d’eux ; (salaires estimés en ce qui concerne le capital à 5 fr. pour cent francs) avec cette condition générale que les parts allouées au travail, converties en actions et portées au crédit de leurs possesseurs respectifs, sont employées, si ce n’est à l'extension des affaires, à rembourser le capital primitif, suivant l’ordre d’inscription aux | livres de l’association.
- « Dans des publications ultérieures nous espérons développer en détail le fonctionnement de cette admirable institution, nous bornant ici à indiquer combien radicalement le système pare au grand mal de l’inégalité du point de départ des situations entre les hommes.
- « A Guise, comme partout, existent ces inégalités de conditions, stimulant naturel des efforts, et aussi la transmission de la propriété qui est la base de notre société actuelle ; seulement la mauvaise influence possible de ces forces est neutralisée.
- Un père imprévoyant n’admoindrit en rien pour son fils la faculté d’accumuler le capital que celui-ci tirera de son propre travail ; cette faculté s’exercera sans aucun désavantage, malgré l’imprévoyance du père ; car elle est inhérente à une institu- I tion dont le capital n’est pas perdu par le fait de l’appauvrissement de quelques-uns des membres ; institution où l’éducation, la maladie, la vieillesse disposent, statutairement et sans charge pour l’individu, de fonds de réserve spéciaux ; institution où le travailleur et sa famille jouissent, non-seulement de ces avantages, mais encore des conditions d’existence agréables et hygiéniques, au prix d’un loyer modéré dans un édifice construit en vue d’assurer à tous les habitants les avantages inhérents à des demeures bien étudiées.
- « Si nulle imprévoyance du père ne peut priver le fils de ces bienfaits sociaux, nulle accumulation de capitaux par un chef de famille ne peut faire plus que mettre son auteur en état d’obtenir une longue file de pièces richement décorées dans le palais uni- î taire, mais sans lui donner pour cela aucun moyen $ d’augmenter ses avantages personnels au détriment des voisins plus pauvres, en accaparant, par exem- ;
- i
- p.24 - vue 27/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 25
- pie, les ressources du fonds commun. Car la direction de l’entreprise est confiée non aux capitalistes en tant que capitalistes mais an corps des travailleurs associés qui, nous le répétons, sont perpétuellement convertis en capitalistes par les statuts; mêmes de l’Association.
- A suivie.
- U QUESTION SOCIALE
- ET
- les possibilités socialistes.
- VII
- LE SYSTÈME FISCAL ET FINANCIER DU RÉGIME INDIVIDUALISTE
- Jusqu’à présent nous avons signalé les tendances désordonnées de l’ordre social individualiste et l’empirisme de sa justification théorique.
- Absurde dans ses conséquences, insensé dans sa doctrine, l’or Ire individualiste est cynique dans l’emploi des moyens destinés à lui procurer les ressources indispensables à son fonctionnement.
- Ces ressources proviennent de deux sources, les impôts et les emprunts, deux formes de la pire exploitation du travail.
- S’il n’était évident que ces procédés se sont introduits dans la pratique sous la tutelle de personnalités inconscientes des effets réels qui devaient en provenir, on serait tenté d’attribuer à tous ceux qui ont collaboré à l’édification de notre système fiscal et financier une malignité et un machiavélisme qu’ils n'ont jamais eus.
- Il ne rentre pas dans notre cadre de décrire les diverses formes de l’impôt et de faire ressortir les bizarreries ou les vices de chacune. A cet égard nous nous bornerons à rappeler la constation faite par M. Godin, dans un récent article sur l’hérédité de l’Etat, que la fiscalité trouve, sous le titre général d’impôts, 72 manières de faire payer au travail les charges qui incombent à la richesse.
- Le fait d’avoir frappé le travail d’un impôt, à une époque oùla richesse accumuléeest abondante, est une flagrante iniquité,
- Mais la manière dont se répartissent les charges prélevées sur la richesse, charges qui se repercutent généralement sur le travail, est àla fois injuste te et fantastique dans ses proportions.
- Laissons parler l’éloquence des chiffres.
- Voici un relevé des frais appliqués aux ventes judiciaires, d’après les statistiques officielles. J
- | Importance des ventes Nombre total Montant moyen Moyenne des frais
- Judiciaires — (Prix des ventes par vente par cent francs
- d’adjudication) du prix d’adj des frais non compris remises aux avoués.
- 500 et moins 1307 286 353 123,39o/o
- 501 à 1000 1814 764 388 50, 76
- 1001 à 2000 3326 1480 416 28, 15
- 2001 à 5000 6479 3390 177 14, 98
- 5001 à 10000 4768 7112 564 7, 92
- Plus de 10000 6608 43602 979 2, 29
- Faisons l’interprétatk n.
- Les 1307 individus,dont les ventes judiciaires représentaient un total de 373,802 fr.,soit une moyenne de 286 fr., ont dû payer une note de frais s’élevant à 461,471 francs, c’est-à-dire qu’on leur a pris près de 100,000 fr. en plus que la valeur de ces ventes ; tandis que les vendeurs de la catégorie au-dessus de 100,000 fr. ne payaient que 8565 fr. pour la même somme de 373802 fr. .
- N’est-ce pas admirable cette justice distributive, à la veille du centenaire de la Révolution accomplie aux cris de Liberté, Fraternité, Egalité.
- Si nous prenons l'enregistrement, bien que la proportion ait un caractère moins franchement spoliateur, on paie toujours en raison inverse de la valeur de l’acte à enregistrer.
- La côte personnelle du travailleur et du milliardaire est la même ; bien que pour le premier 6 fr. représentent deux journées de travail, lorsqu’ils sont pour le second moins que les revenus de l’oisiveté pendant une seconde. Etablissons rigoureusement la proportion : un salarié gagnant 1000 francs par an, soit 3 francs par jour ouvrier, donnera pour sa cote personnelle 1/166 de son revenu, tandis qu’un richard ayant 1000 fr. de revenu par jour paiera d/60833; en réduisant ces deux fractions on arrive à constater que, propos-tionnellement aux revenus de ces deux citoyens, le pauvre, le travailleur, paye une cote personnelle 368 fois plus élevée.
- Dans les contributions indirectes, les écarts extrêmes méritent aussi d’être signalés. A l’octroi de Paris, tous les vins en bouteilles paient indiférem-ment 10 centimes d’entrée, de telle sorte qu’une bouteille du vin commun destiné aux petites gens paie 50 0/o de sa valeur, tandis que des vins de Sauterne, cotés 15 fr. la bouteille chez les propriétaires, sont frappés d’un droit équivalent à un quarantième de leur valeur.
- Ce défaut de proportionnalité est le moindre vice de notre système fiscal, lorsqu’on le compare à l’af-
- p.25 - vue 28/838
-
-
-
- .26
- LE DEVOIR
- freuse inflexibilité des contributions indirectes vis' à vis des déshérités et des travailleurs.
- Si l’on présentait au parlement unprojet de loi réclamant que les possesseurs de terrains incultes soient frappés d’un impôt égal à celui des terrains bâtis, on serait certain de le voir repousser par tous nos représentants, et ils auraient raison. De même, si on leur demandait d’appliquer à une maison, dès que les fondations sont commencées, la même somme de contributions qu’elle paiera lorsqu’elle sera occupée par des locataires, ils trouveraient exagérée une telle proposition. Les économistes ont même prouvé que les logements inoccupés devaient être dispensés de l’impôt.
- Mous ne condamnons pas ces appréciations.
- Mais nous sommes bien forcés de constater qu’on ne procède pas de même à l’égard du travailleur.
- Dès que l’enfant le l’ouvrier est venu au monde jusqu’à ce qu’il soit capable de travailler, son père devra chaque jour, à chaque heure, payer les contributions incorporées dans le prix des objets nécessaires à la subsistance ou à l’en retien de cet enfant. Et si le père lui-même, m tigré le plus ardent désir de travailler, ne trouve à louer ses bras, il faudra quand même, sous peine de mourir de faim, qu’il acquitte les impôts indirects qui frappent les objets indispensables à sa consommation.
- On dira qu’en cela.il n’y a rien que ne subisse la famille du riche.
- Soit.
- Mais quelle comparaison sérieuse peut-on faire entre l’homme qui possède le superflu et celui qui manque du nécessaire.
- Ces monstrueuses inégalités et cette inflexible tyrannie des impôts indirects viendraient-elles a être corrigées, notre système financier ne serait pas moins supporté en définitive par les classes laborieuses ; ce qui est contre toute justice.
- En effet, le propriétaire, l’industriel, et le commerçant tiennent un compte de frais généraux qu il répartissent au prorata de la valeur des produits qu’ils fabriquent ou manipulent.
- Prenons un industriel qui paie à la douane, aux patentes, aux contributions foncières, aux portes et fenêtres, etc., etc., une somme de cent mille francs
- Si notre industriel fait cinq millions d’affaires, il répartira ses impôts à raison de 1 0/o de la valeur des produits de son industrie, après avoir frappé le même produit du tant pour cent de bénéfice qu’il a l’habitude de prélever. Le commerçant qui achètera ce produit agira d’une manière analogue, fin définitive tous les impôts successi-
- vement incorporés à la valeur de cet objet seront supportés par 1 consommateur, qui ne fait pas de commerce ou qui le fait trop peti ement pour le porter t ses frais généraux une évaluation de sa dépense personnelle, comme cela se fait dans les grandes affaires.
- Si l’on suppose que l’État se résigne à prendre l’un des 72 modes d’impôt, comme moyen unique de se procurer des ressources, il n’y aura qu’une simplification fiscale, mais l’amélioration sera sans effet appréciable sur le bien-être du travailleur ; car étant donné que les ressources budgétaires sont presque insuffisantes, il faudrait demander à l’impôt unique tout ce que l’on recevait auparavant des 72 autres; et l’industriel, le commerçant et le propriétaire qui paraîtront être atteints par cet impôt unique, après comme avant, le porteront a leurs frais généraux et se le rembourseront mutuellement jusqu’à ce qu’il soit payé par un consommateur ne pouvant le repassera un autre.
- Nous n’en dirons pas davantage sur l’impôt, il est inique et imperfectible.
- Les ressources publiques, à certains moments, après les grandes catastrophes ou à l’heure de certains travaux importants, dans tous les cas de dépenses imprévues, sont généralement obtenues par des emprunts d’État.
- Encore un système combiné, de tele manière qu’il augmente sans cesse les privilèges du capital, au détriment des droits du travail.
- Chaque emprunt de l’État donne lieu à de nouveaux impôts ou à la conservation d’anciens qui seraient devenus inutiles sans lui.
- Le prêteur de l’Etat est désormais garanti de tous les risques de ses revenus ; l’industrie, lecommer-ce, tout le reste peut péricliter, les revenus du créancier de l’État sont invariables.
- Par le fait seul que le revenu est garanti, il est difficile que la valeur du titre puisse descendre pendant de longs delais au-dessous du taux d’émission.
- Lorsque l’État emprunte en pleine prospérité, le prêteur est certain de toujours recevoir l’intérêt fixé au moment de l’émission et d’avoir toute facilité à l’avenir de pouvoir négocier son titre sans éprouver de pertes, à moins qu’il ne soit contraint d’opérer cette vente à une époque coïncidant avec une catastrophe nationale.
- Mais celui qui prête à l’Etat après de grandes calamnités publiques, celui-là recevra, tout le temps qu’il conservera son titre, un intérêt usuraire et l’avenir lui offrira de nombreuses occasions de réaliser un capital supérieurà celui de son prêt.
- p.26 - vue 29/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 27
- Après notre désastre de 1 «70-1871, l’emprunt de cinq milliards fut émis en titre de cinq pour cent au prix moyen de 83 fr. 50. Ces titres sont cotés maintenant 109 fr. De telle sorte que les prêteurs qui constituèrent ces cinq milliards possèdent aujourd’hui plus de 6 milliards et demi. On voit qu’à plus d’un les malheurs de la patrie furent profitables.
- Les résultats financiers de l’emprunt de la libération du territoire peuvent se résumer ainsi :
- L’Etat a versé 5.000.000.000 aux Prussiens, mais les travailleurs paieront - haque année près de trois cents millions de rente aux capitalistes qui on^ prêté ces cinq milliards.
- Si nous supposons que ces cinq milliards eussent été prêtés à des particuliers ; < eux-ci s’ils voulaient se libérer maintenant n’auraient qu’à payer cinq milliards ; mais ils n’en est pas de même pour l’Etat, si nous voulions nous libérer avec nos créanciers de 1871, nous devrions rembourser une somme supérieure à six milliards et demi.
- Les capitalistes sont toujours vainqueurs, quand le travail est le garant des emprunts, intérêts et capital.
- Sous le régime individualiste, il existe encore une application du système financier qui mérite une mention spéciale ; celle qui consiste à concéder les grandes entreprises à des particuliers et à garantir les intérêts des capitaux employés.
- Ce système a fait merveille dans l’exploitation des chemins de fer.
- Pendant la période de prospérité, les entrepreneurs de chemins de fer ont reçu des dividendes qui auraient permis de servir à des prêteurs ordinaires l’intérêt légal et d’amortir le capital premier ; dès que des symptômes significatifs ont fait pressentir un ralentissement des affaires, l’Etat est intervenu pour élever sa garantie aux taux des plus grands revenus.
- Les lignes comprises dans les conventions doivent encaisser, annuellement, un milliard cent millions environ pour faire leurs frais.
- Cherchons quelle charge leur impose la conservation des privilèges capitalistes. La valeur totale des actions garanties est de 3 milliards et demi, le taux des revenus garantis est de 5 °/«» so^ pour
- les 3,500,000000 ; 475,000,000
- Les obligations représentent 10 milliards et demi et rapportent moyennement 4 % soit...................420,000,000
- Total. . . 570,000,000 I
- Ces chiffres établissent péremptoirement que plus de la moitiédes recettes des chemins de fer est absorbée par le service des privilèges capitalistes; ils prouvent aussi que, si l’E at avait fait construire nos lignes avec des capitaux empruntés à intérêts fixes,en faisant les transports d’après les tarifs appliqués jusqu’à ce jour, il aurait remboursé les prêteurs et pourrait par ce fait abaisser le prix des transports de moitié, ou bien les maintenir au même taux et nous débarrasser de plus de 700,000,000 des impôts les plus lourds.
- Il ne faut pas perdre de vue que la valeur totale des actions de chemins de fer représente le double du capital dépensé ; c’est ce qui nous permet de soutenir que l’État, en endossant l’obligation de garantir 5 0/o de revenus aux possesseurs de ces actions, fait bénéficier ces derniers d’un revenu plus que suffisant pour payerles intérêts et l'amor -tissement du capital premier.
- En outre, ces sommes énormes remboursées, au lieu de rapporter à leurs possesseurs des revenus de paresse, auraient dû s’utiliser dans d’autres entreprises industrielles, sens peine d’amener une forte baisse des salaires du capital, toutes circonstances très profitables à l’amélioration du sort des travailleurs.
- Notre mécanisme fiscal et notre système financier, celui-ci source d’impôts, le second source «les moyens de perception, sont deux rouages que l’on dirait faits pour L oyer les travailleurs.
- Nous admettons que leurs promoteurs et leurs défenseurs n’ont pas eu conscience de ces tendances, mais cette ignorance ne change pas les effets de ces iniques procédés économiques.
- Maintenant la clarté est faite sur ces questions brûlantes. Il ne faut pas croire que le peuple consente encore longtemps à patienter. Si on ne lui enseigne à temps à s’en débarrasser rationnellement, il est facile de prévoir qu’il i risera l’ordre individualise à coups de force, comme il traita la noblesse après 1789. Voilà les moindres malheurs que peuvent nous attirer les outranciers conservateurs d’un ordre social condamné par l’examen.
- LA CONSOMMATION SE RESTREINT
- Les protectionnistes de l’agriculture ne sont pas contents. Non-seulement le prix des blés ne monte pas, mais le prix du bétail a légèrement baissé.
- Voilà le résultat des surélévations de tarifs.
- Les gros propriétaires de cette diminution contrarie demandent déjà qu’on rehausse les tarifs.Cinquante francs
- p.27 - vue 30/838
-
-
-
- 28
- LE DEVOIR
- par tête de gros bétail, ving cinq francs sur les porcs, six francs sur les moutons...
- Eh bien ! si par malheur ils venaient à obtenir ce qu’il demandent, nous les avertissons que les prix tomberaient encore plus bas qu’its ne sont aujourd’hui.
- C’est qu’en effet ce qui fait baisser les prix en ce moment, ce n’est pas l’abondance de la viande, c’est la dimunition de la consommation.
- À cette heure, les temps sont durs pour les pauvres gens. La crise, le chômage mettent l’ouvrier à la misère. On n’est plus assez riche pour manger de la viande ,
- D’autant que, le pain ayant déjà renchéri quelque peu, c’est tout au plus si l’on a assez de pain.
- Et il arrive alors que la consommation se restreint.
- Nous n’avons pas encore les chiffres exacts de la consommation parisienne Nous les donneront prochainement. Mais nous pouvons affirmer déjà que la diminution est de près d’un cinquième.
- Et nous avons quelque raison de croire qu’elle est plus considérable encore en province, dans les campagnes surtout.
- Si le prix du pain vient à hausser, on ne consommera presque plus de viande du tout.
- Et l’éleveur ne trouvant plus de consommateurs pour acheter sa marchandise, vendra moins et moins cher.
- Voilà les conséquences inévitables de toutes les surtaxes. Elles retombent toujours sur ceux qui les obtiennent.
- Demandez plutôt aux sucriers ce que leur a valu leur surtaxe de 8 francs ? Le sucre qui devait monter à 60 francs et à 46 50. Et les faillites vont leur train...
- Prenez y garde, messieurs les protectionnistes.
- NUMÉROS DE PROPAGANDE
- L’administration du Devoir envoie franco des numéros de propagande de chaque tirage hebdomadaire au prix de 75 centimes les dix exemplaires.
- Adresser les demandes à la Librairie du Familistère.
- Rapport de 1. Camille Pelletai!
- Suite
- III
- QUESTION MILITAIRE Les effectifs
- Les charges sont de deux sortes : militaires et administratives. Examinons d’abord les premières.
- Une pensé saisit d abord l’esprit, lorsqu’on pense à l’An-nam et au Tonkin : Que de forces il va falloir immobiliser p >ur occuper cet énorme pays et pour contenir cette population innombrable ! La commission se réunit ; elle interroge les ministres ; elle interroge l’ancien général en chef ; et, soudain, tout change. — Que faut-il laisser d’hommes là-bas? — Une poignée : six mille Français. - On les renforcera du double d’Annamites.
- Ce chiffre a été pour nous le commencement des évaluations, étonnantes en tout genre, que nous réservaient certaines dépositions entendues par nous, et qui nous apparaissaient dans un si grand contraste avec ce que nous trouvions dans tous les documents écrits. Quelque surprise que nous
- ait causée cette indication, nous devons reconnaître qu’elle
- avait pour elle les autorités officielles les plus solides : deux ministres et un ancien commandant en cheL M. le président
- duconseil, le général Campenon, le général Briére de l’Isle
- nous ont répété successivement le chiffre de six mille, avec un accord bien fait pour nous impressionner.
- Le seul malheur, c’est qu’il s’agit là, non d’un effectif à réaliser, ni même d’un engagement à prendre, ma:s d’une simple promesse d’avenir, sinon d’une espérance. Pour le moment, on garde là-bas de tout autres forces. Et à quelle date pourra-t-on se contenter de ces six milles hommes pour garder le Tonkin et l’Annam ? Plus tard, dit M. le président du conseil. Pas immédiitement, répond le ministre de la guerre. Dans deux ou trois ans, reprend le général Briére de l’Isle. Ce n’est encore qu’une présomption.
- Peu importe : aussitôt ces paroles prononcées, on compte comme si elles s’étaient déjà réalisées. Parlez-vous de nos forces immobilisées ? On ne pense pas aux vingt mille hommes qui sont là-bas et qui recevaient encore des renforts au mois dernier ; pas même aux douze raille auquels on promet de réduire l’effectif au printemps. Et on nous répond :
- « Qu’est-ce que six mille hommes pour notre défense ? — Faut-il établir un budget ? On se garde bien d’y porter ni les forces actuelles, ni les forces annoncées pour le mois de mars. C’est sur six mille hommes qu’on calcule. On ne discute pas, on n’essaye pas de justifier ni d’expliquer. 11 est reçu que le Tonkin n’exigera plus que six mille hommes.
- Mais nous interrogeons un témoin, qui doit avoir quelque compétence en ces matières : c’est un ancien gouverneur de laCochinchine, M. Le Myra de Villers. 11 raisonne d’après l’exemule de la Cochinchine, et il demande pour l’occupation, non pas six mille hommes, mais cinquante mille. — Nous voilà bien près du chiffre de soixante mille, que M. Briére de l’Isle disait, dans une dépêche, lui être nécessaire pour l’occupation de tous les points évacués par les Chinois. Nous devons reconnaître que M. Briére de l’Isle, consulté sur cette contradiction apparente, nous a répondu que le chiffre indiqué par lui dans son télégramme au ministre était une « boutade».
- M. Le Myre de Villers a parlé sérieusement. Ainsi les évaluations varient de six à cinquante mille.
- Quoi qu’il en soit, les données fournies comme des espérances officielles sont celles-ci : 12,000 pour le printemps I prochain. (C est l’évaluation de MM. de Gourcy et Briére de f l’Isle) ; et plus tard, dans la période normale 6.000.
- p.28 - vue 31/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- On devine combien de telles promesses peuvent étonner. Le projet du gouvernement est d’appliquer le même régime à l’Annam et au Tonkin. Le Tonkin seul a six millions d’habitants, selon les uns, douze suivant les autres ; et de 90,000 à 200,000 kil. carrés, (car les évaluations les plus élémentaires varient du simple au double, pour ce pays dont on fixe si hardiment les effectifs d’occupation et les revenusj. Avec l’Annam, cela fait dix à quinze millions d’habitants, cent quarante à deux cent soixante mille kilomètres carrés. Et six mille Français, aidés par des Annamites, suffiront pour ce vaste domaine, cinq ou six fois plus peuplé que l’Algérie entière.
- Comparons avec la Cochinchine, à la suite de M, Le Myre de Vilîers : Dans les premières années de la colonie, alors quelle était restreinte à trois provinces ayant chacune 300,000 habitants, et 20,000 kilomètres carrés, combien fallait-il d’hommes pour la maintenir ? — Six à huit ou neuf mille. Faites la proportion de la population du Tonkin : vous arriverez bien au-dessus de 50,000 hommes. — Six mille suffisent au ministère — dans un avenir inconnu : six mille au général Brière de l’Isle —encore moins que ce qu’il demande pour aller partout en Chine. Sur quoi peuvent-ils se fonder ?
- En rappelant l’opinion de M. l’amiral Jauréguibéry, qui exposait un jour en 1830, à la commission du budget, que la possession du Tonkin entraînerait des dépenses excessivement élevées, on citait un mot le Francis Garnier, disant que « s’il était facile de conquérir le Tonkin, il serait fort difficile de s’y maintenir. » C’est M. Antonin Proust, qui défendait à la tribune un crédit tonkinois, le 21 juillet 1881, qui rappelait ce propos pour prouver qu’ancun projet d’expédition ne se cachait derrière le crédit,
- Le mot de M. Francis Garnier est exact : voilà pourquoi les effectifs e diminuent pas depuis la conquête ; voilà pourquoi ils ne tomberont pas à six mille hommes. Il ne suffit pas d’examiner l’étendue de la population du nouveau domaine : il faut encore en examiner la situation. L’histoire de l’an dernier nous a montré les trois difficultés de l’occupation. Examinons-les rapidement.
- Difficultés de l’occupation
- D’abord les pirates et les brigands : les pirates, qui dévastaient le bas pays, les côtes et le Delta ; les brigands qui gouvernent presque les hautes régions,si difficiles à pénétrer.
- Le Tonkin semble être le domaine de ces deux sortes d’aventuriers que renouvellent le voisinage et la corruption des populations fourmillantes du Céleste-Empire. 11 faut dire, dans l’ouvrage remarquable du capitaine Bouinais, les pages consacrées aux forbans à qui les bras enchevêtrés du Delta prêtent un si commode asile, et contre lesquels les villages tremblants, s’enferrent inutilement d’nn rempart de bambous; nous avons vu qu’alliés à tous les révoltés, ils luttent encore contre nos troupes dans le Delta, constamment occupé par nous depuis deuxans, et sillonné de nos canonnières. Avant-hier encore 15 décembre, arrivait au ministère un télégramme annonçant que le général Munier poursuit les pirates entre le canal: des Bambous et la mer.
- S’il en est ainsi de ceux-là, sur un terrain où la répres-
- 29
- sion semble relativement si facile, que sera-ce quand on en viendra aux régions montagneuses ? Qui n’a été frappé de l’étrange aspect des bandes qui ont constamment occupé le haut Tonkin ; avec leurs chefs de caractère mixte qui se disputaient le pays en conquérants, commandaient de véritables armées; installaient des douanes à leur profit et arrivaient à se faire revêtir de titres officiels, ou pourvoir de secours, tantôt par l’Annam, tantôt par la Chine?Croit-on qu’on en viendra aisément à bout dans des régions à peine accessibles, hérissées de hautes montagnes et couvertes de bois. Les eût-on réduits à la fuite, la frontière chinoise est là pour les recueillir; les eût-on décimés, la frontière chinoise est là pour leur fournir un contingent d’aventuriers. Même sans cette difficulté, l’histoire enseigne combien il faut d’années pour détruire le brigandage dans le pays où le désordre en fait une sorte d’institution. Que sera-ce ici avec un tel voisinage !
- La situation politique de l’Annam crée un autre danger. On l’a vu, le roi qui était le souverain légitime pour les Annamites, qui vient d’acquérir, à leurs yeux une légitimité de plus, depuis qu’il représente la cause nationale contre la domination étrangère, s’est'enfui, après l’affaire de Hué, dans les montagnes d’où il essaye de susciter des révoltes contre nous et contre son successeur.On ne peut s’empêcher d’être alarmé des conséquences du protectorat à deux points de vue. M. Lemaire nous le disait ; au Tonkin même, les annamites sont certainement acquis au roi déchu. Il sera donc probablement le véritable souverain, pour les fonctionnaires au moyen desquel s nous allons gouverner le pays. Nous exercerons notre domination par rinte’’médiaire du roi, dont le titre sera contesté en secret, dont le nom sera forcément impopulaire. Sitôt qu on nous verra faibles, « la tentation, disait M. Lemaire, sera trop forte pour les Annamites. — G est 1 insurrection à la première occasion favorable.
- Et puis enfin, sur une longueur de près de deux cents lieux, le Tonkin touche an Céleste-Empire. Cette frontière, M. Brière de l’Isle affirme qu’elle est formée en grande parfis (( montagnes presque impénétrables. Cette affirmation a lien d’étonner, si l’on songe qu il s agit la de régions sur lftRff„ftlles les géographes les plus consciencieux avouent n’avoir aucun renseignement. Les cartes dressées par nos officiers montrent cette frontière traversée de routes nombreuses, surtout à l’Est, sur la moitié de leur longueur. On sait maintenant, de quels efforts militaires la Ch'ne est capable. Nul ne sait, mieux que M Brière de l’Isle; on se rappelle en quels termes il exprimait l’espoir de, dèfeodre, jusqu a 1 arrivée des renforts, le Delta contre les armées chinoises avec vingt mille soldats français. Assurément, il ne peut compter de' défendre le Tonkin tout entier, avec six mille hommes ni fermer la frontière avec les petits ouvrages construits selon ks habitudes orientales, munis de garnisons annamites, qu’il a indiqués à la commission.
- Et c’est ce pays, peuplé de 15,000,000 d’habitants, avec les brigands, avec une insurrection latente et le voisinage du puissant empire à la suzeraineté duquel nous l avons arraché — et qui nous l’a disputé deux ans — oui, c’est ce pays qu on veut garder avec dix mille ou même avec douze mille hommes ’
- p.29 - vue 32/838
-
-
-
- 30
- LE DEVOIR
- Le garder, non : le mot est impropre. On veut s’obliger à j le reconquérir. Ce que le ministère paraît préparer, c’est j l’occupalion totale en théorie, et restreinte au Delta et aux j environs, en pratique II ressort de tous ces documents que, provisoirement, il s’en tiendrait là. On fait valoir, à trop juste titre, que le climat des hautes régions ne permets ait pas à nos soldats d’y vivre. C’est donc avec les contingents annamites qu’on occuperait, dans le système de M. Brière de l’isle et dans celui de M. de Gourcy, Lang-Son, Cao-Bang, Lao-Kai, et toutes les hautes parties du pays, au jour, encore incertain et incessamment reculé, où on les occuperait. D’ailleurs, pour le moment, on n’y songe pas : car tous les travaux publics prévus au budget se rapportent au Delta ; et la première condition pour occuper le haut pays serait de tracer des routes pour y arriver. Il est donc aisé de prévoir qu’on laisserait celte légion à tous les périls qui la menacent, soit en ajournant l’occupation, soit en la confiant peu à peu exclusivement aux contingents annamites ! ' C’est là l’explication des chiffres de troupes qu’on indique. M. de Courcy le dit formellement : Dépêche du 8 août : Veuillez dire au gouverr.ement que sacrifices faits actuellement peuvent faire réaliser son vœu le plus cher, qui est celui du pays : renvoyer en France, au printemps, moitié effectifs troupes françaises: M’en porte volontiers garant, n’ayant pas à faire opérations excentriques, Lao-Kaï, Cao-Bang, Lang-Son... »
- Il n’y a qu’un mot pour qualifier les effectifs qu’on nous indique : c’est le système des petits paquets appliqués à i’oceu-pation. C’est le protectorat désarmé devant les trois périls que nous indiquions tuut à l’heure.
- D’abord contre le brigadage du haut pays. Et sur ce point il suffit de rappeler les promesses signées par la France. Elle s’est engagée à assurer l’ordre dans le pays et notamment sur la frontière de Chine. Cet engagement imprudent, elle n’a rien fait et ne peut rien faire pour le tenir dans la moitié du territoire. Puisse aucune complication ne sortir de cet état de choses !
- Ensuite, avec six mille hommes perdus au fond de l’Extrême-Orient, àquatre mille lieues de pays, on ne peut rien contre une insurrection ; on ne peut surtout évidemment rien contre une invasion chinoise! — Non, personne ne soutiendra plus qu’avec une frontière laissée saris défense ou défendue seulement par de petits postes annamites, on puisse exposer six mille Français à disputer le pays à 60,000 ou 80,000 Chinois !
- Eh bien! veut-on que la France ait une colonie à la porte de la Chine, sans préparer sa défense ? Admettra-t-on que la France ait une colonie à la merci de la Chine?
- La conséquence est trop facile à voir. C’est après les malheurs, conséquences forcées d’une diminution des effectifs, qu’on aurait le droit de dire : l’honneur du drapeau est engagé ! On n’aurait diminué d’up certain chiffre les hommes envoyés là-bas que pour être contraints à une expédition nouvelle, qui forcerait à envoyer beaucoup pim. — Répétons-le : c’est là précisément le système des petits paquets, c’est-à-dire le plus désastreux de tous.
- i Si donc nous cherchons le prix réel de l’occupation, nous sommes placés dans ce dilemme :
- Ou les chiffres du ministère — et lors la charge en est
- incalculable : il faut y faire rentrer le prix des expéditions qu’on s’oblige à taire ;
- Ou des chiffres sérieux de troupes, avec les dépenses de constructions de forteresses. Et alors, la charge annuelle du budget sera pesante ; la charge destinée au pays le sera plus encore.
- Cette charge, nous n’avons pas à la déterminer. Il n’entre évidemment pas dans notre compétence de fixer un chiffre d'effectif. Nous ne connaissons que celui de M. Le Myre de Villers, qui correspond, d’après sa déposition, à une dépense annuelle d’environ cent millions pour construire les casernements.
- Nous ne nous hasarderons pas dans une discussion de chiffres militaires. Quelques réductions que l’on fasse subir à ceux-ci, si l’on tient compte des autres dépenses, il îaut convenir que les contribuables français payeraient cher une occupation suffisante du Tonkin.
- Il est vrai qu'ils payeraient plus cher encore une occupation insuffisante.
- A suivre
- MAITRE PIERRE
- Par Edmond ABOUT ( Suite )
- XI
- M. TOMERY.
- Le gros homme s’arrêta sur cette plaisanterie ri^tique. Sa bouche démeubtée se fendit jusqu’aux oreilles, et son ventre se mit à danser joyeusement dans son gilet. L’auditoire s’associa de bonne grâce à son énorme gaieté, sauf peut-être M. le maire qui riait jaune en cherchant une réplique. Mais trois coups frappés dans la rue interrompirent la discussion,.
- Un profond silence se fît dans la cuisine, et tout le monde se rangea près de la porte, excepté les femmes Mari nette pâlit visiblement, sous la lumière rouge des chandelles, et, pour se donner une contenance, elle rajusta le foulard de sa plus proche voisine.
- Le dialogue suivant s’engagea à travers la porte entre le maire et M. Tomery. L’un et l’autre parlaient patois :
- « Qui frappe si tard ?
- — Un honnête garçon qui n’est pas marié.
- — Passez votre chemin ; nous avons des filles.
- — Je rie viens pas pour leur faire peur, mais pour boire un verre de vin avec vous.
- — Nous sommes des pauvres gens, et nous ne buvons que de l’eau vinaigrée.
- — Je me suis arrêté au cabaret avec mes deux camarades et nous avons fait emplir deux cruches que voici.
- \ — Entrez donc, et Dieu vous soit en aide!»
- p.30 - vue 33/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 31
- La porte s’ouvrit, et les trois citadins défilèrent dans la cuisine en chancelant un peu sur leurs échasses. On ramassa sur le seuil deux énormes paniers de vin de Bordeaux qu’ils étaientsencés avoir apportés eux-mêmes» et qui représentaient deux cruches de piquette, en vertu d’une fiction constitutionnelle. M. Tomery et ses compagnons mirent pied à terre avec quelque difficulté, quoique leurs échasses ne fussent pas hautes, et ils se secouèrent pour la forme, car ils étaient venus sous ries parapluies-Leur costume tout neuf sentait je ne sais quel mélange de fantaisie et de couleur locale. Leur béret national devait arriver directement de Paris, et leur veste avait été taillée dans le style rustique par un célèbre coupeur du boulevard : autant aurait valu commander un habit de cour au tailleur de Bulos. La peau de mouton qu’ils portaient en pardessus était plus fine et plus soyeuse que nature : on eût dit que chacun d’eux avait écorché un mouton du jour de l’an, dans la boutique de Girouv. Leurs échasses, que j’examinai de près, étaient des échasses de cérémonie, des échasses pour aller dans le monde. En résumé. M. Tomery et ses deux acolytes s’étaient déguisés pour cette demande en mariage comme pour un bal de l’Opéra.
- Du reste, ils n’avaient ni mauvaise tournure ri mauvaise façon, quoiqu’ils eussent bu un coup d’avance pour se donner de la gaieté. J’appris immédiatement à les distinguer par leurs noms, car chaque paysan qui leur serrait la main ne manquait pas de leur dire : Bonsoir, monsieur Tomery fils ; votre serviteur, monsieur Bijou aîné. Le maire, plus initié aux usages du monde, les avait réunis tous les trois dans une salutation officielle : «Veuillez agréer, messieurs, l’assurance de ma haute considération. » Juste comme à la fin d’une lettre à M. le préfet.
- M. Tomery, le candidat, était un gros réjoui de trente ans, bien nourri, bien frais, bien rond, l’œil vif, l’oreille rouge, la moustache en croc ; la physionomie avenante d’un viveur de province, qui scandalise la ville en se couchant à minuit. 11 est à remarquer que les plaisirs de Paris détruisent rapidement leur homme, tandis que les débauches départementales le poussent tout doucement à l’obésité. La province n’offre guère aux jeunes gens que des entraînements tranquilles et des débordements mesurés d’avance. Elle les émancipe plus tard, les range plus tôt, et ne leur lâche jamais complètement la bride. Elle leur permet de boire sans soif, d’acheter des chevaux et d’entretenir une danseuse, mais elle leur verse à haute dose le sommeil, ce contre-poison de tous les plaisirs, qui manque aux viveurs de Pans.
- J’étais littéralement émerveillé de la jeunesse et de la figure de M. Darde, le plus adolescent des témoins de M.
- Tomery. Il avait ving-cinq ans, il avait mangé une jolie fortune, il avait fondé, soutenu et enterré le Jockey-Club de Bordeaux, et il ressemblait à un bel enfant qu’on va chercher au collège. Sa monslacbe brune courait comme une fumée au-dessus de sa lèvre, et ses favoris vierges autour de ses joues roses étaient comme le duvet d’un fruit.
- M. Bijou aîné, homme fait et même un peu défait, plein de jours et chargé de rhumatismes, prouvait que les rivières de province ne font pas grâce aux canotiers. Ce vétéran des régates bordelaises était raide comme un aviron et jaune comme un coucher de soleil. Sa figure blafarde et tant soit peu transparente se hérissait de petites brosses de chiendent. Ses arcades sourcilières étaient absolument nues ; en foi de quoi les habitants de Bordeaux l’appelaient : le chef des enfants sans sourcils.
- Les nouveaux venus saluèrent Marinette sans lui rien dire ; ainsi l’ordonnait la coutume. Le candidat doit se faire valoir par tous les moyens indirects, mais un seul mot dit en sa faveur par lui ou par Jes siens serait considéré comme une manœuvre électorale. Marinette leur fit sa petite révérence courte et sauvage, et courul aider la mairesse qui servait sur table. Le service et la cuisine étaient dévolus aux femmes de la maison, comme partout où il n’y a pas de domesliques Ces dames étalèrent les mets du pays, la bouillie de maïs, les sardines salées,les ragoûts d’anguiile et les canards du bassin d’Arcachon (onfits dans la graisse. La maîtresse de la maison, armée d’une cuiller de bois qui aurait pu passer pour une écuelle servit la bouillie en guise de potage, et quand les assiettes pleines jusqu’aux bords, le maire déclara que la séance était ouverte.
- Mon escabelle était à la gauche de la mairesse. J’avais devant moi Marinette, assise entre le maire et M. Tomery. J’apercevais, au bas bouts de la table, d’un côté M.Pavard de Tancogne ; de l’autre, l’assiette réservée à maître Pie rre : j’étais donc aux premières loges.
- à suivre.
- État civil du Familistère.
- Semaine du 28 décembre 1885 au 4 janvier 4886 Naissances :
- Le 29 décembre, de Maillet Antonia, fille de Maillet Jules et de Rabelle Rosa.
- Le 29 décembre, de Garbe Thérèse^ fille de Garbe Léon et de Godelle Marie.
- Décès
- Néant :
- Le Directeur Gérant : GODIN
- p.31 - vue 34/838
-
-
-
- LIBRAIRIE DU FAMILISTERE
- GrTJISE (.Aisne)
- OUVRAGES de M. GODIN, Fondateur du Familistère
- Le Gouvernement, ce qu’il a été, ce qu’il doit être et le vrai socialisme en action.
- Ce volume met en lumière le rôle des pouvoirs et des gouvernements, le principe des droits de rhomme, les garanties dues à la vie humaine, le perfectionnement du suffrage universel de façon à en faire l’expression de la souveraineté du peuple, l’organisation de la paix européenne, une nouvelle constitution du droit de propriété, la réforme des impôts, l’instruction publique première école de la souveraineté, l’association des ouvriers aux bénéfices de l’industrie, les habitations ouvrières., etc-, etc.^ L’ouvrage est terminé par une proposition de loi à la Chambre des députés sur l’organisation de l’assurance nationale de tous les citoyens contre la misère.
- In-8° broché, avec portrait de l’auteur........................................ 8 fr.
- SolllÜOnS SOClftlOS. Exposition philosophique et sociale de l’œuvre du Familistère avec la vue générale de l’établissement, les vues intérieures du palais, plans et nombreuses gravures :
- Édition in-8°.................................................................10 fr.
- Edition in-18..........................................>......................5 fr.
- Mutualité sociale et Association du Capital et du Travail ou extinction du paupérisme
- par la- consécration du droit naturel des faibles au nécessaire et du droit des trava'Heurs a participer aux bénéfices de la production.
- Ce volume contient les statuts et règlements de la Société du Familistère de Guise.
- In-8° broché, avec la vue générale des établissements de l’association........5 fr.
- Sans la vue...................................................................4 fr.
- Mutualité nationale contre la Misère. — Pétition et proposition de loi à la Chambre des députés
- brochure in-8°, extraite du volume « Le Gouvernement .........1 fr. 50
- Les quatre ouvrages ci-dessus se trouvent également : Librairies Guillaumin et Cie, 1d, rue Richelieu, Paris
- Les Socialistes et les Droits du travail . . 0,40 cent La Richesse au service du -peuple .... 0,40 cent.
- La Politique du travail et la Politique des privilèges 0,40 La Souveraineté et les Droits du peuple. . . . . 0,40
- ÉTUDES SOCIALES
- N° 1 - Le Familistère. brochure illustrée contenant cinq vues du Familistère et de ses dépendances, fait connaître les résultats obtenus par l’association du capital et du travail, association
- ouvrière au capital de 6.600.000 francs .... .....................................0 fr. 40
- Dix exemplaires 2 fr. 50.
- N' 2 - La Réforme électorale et la Révision constitutionnelle......................o fr. ?»
- N° 3 - L’Arbitrage international et le Désarmement européen........................o fr. 25
- N° 4 - L'Hérédité de l’État ou la Réforme des impôts...............................0 fr. 25
- N° 5 - Associations ouvrières. — Enquête de la commission extra-parlementaire au ministère
- de l’Intérieur. Déposition de M. GODIN, fondateur de la Société du Familistère de Guise Les Nos 2 à 5 des Études sociales- se vendent : 10 exemplaires 2 fr.
- » » » » 100 » 15 fr.
- Histoire de l'association agricole de Ralahine (Irlande). Résumé des documents de
- M. E T. Craig, secrétaire et administrateur de l’association. Ouvrage d’un intérêt dramatique, tr duit par Marie Moret.....................................................................0,75 cent.
- Histoire des e^uitebles pionniers de Rochdnîe, de g. j. holyoake. Résumé traduit de
- l’anglais, par Marie Moret............................................................. 0,75 cent
- La Fille de son Père. Roman socialiste américain, de Mme Marie Howland, traduction de M. M., vol, broché.....................................................................3 fr. 50
- Collection du « DEVOIR »
- 1er volume broché
- 2me » »
- 3me » »
- 3 fr. 3 »
- 6 »
- 4me volume broché. 5me m »
- 8 fr.
- 9 fr.
- Les 6me 7me et 8me volumes ne se vendent qu’avec la collection entière, les 8 volumes brochés ensemble 80 fr., franco.
- Guise.— Imp, Baré
- p.32 - vue 35/838
-
-
-
- 10' Année. Tome 10.— N* 3S4 Le numéro hebdomadaire 20 c. Dimanche 17 Janvier 1886
- LE DEVOIR
- REVUE DES QUESTIONS SOCIALES
- BUREAU
- a GUISE (Aisne)
- Tentes les communications et réclamations doivent être adressées A M. GODIN, Directeur-Gérant Fondateur du Familistère
- ABONNEMENTS PAYABLES D’AVANCE par l’envoi, soit au bureau de Guise, soità celui de Paris, de timbres-poste ou de mandats de poste, dont le talon sert de quittance.
- France Un an ... Six mois. . . Trois mois. .
- 10 fr. s» 6 » 3 »
- Union postale Un an. . . . 11 fr. »» Autres pays
- Un an. . . . 13 fr. 60
- OH S’ABOVHB
- A PARIS
- 6, rue Neuve-des-Petlts-Champs Passage des Deux-Pavillons
- S’adresser à M. LEY1IARIE administrateur de la Librairie des scienoes psychologiques.
- SOMMAIRE
- Les emprunts, les impôts et l’hérédité de l’État. — Le «Times» et le Familistère. — Ligue pour la. défense et l’organisation des droits du travail. — Charité et assistance sociale. — Aphorismes et préceptes sociaux. — Le nouveau ministère. — La banque de France. — Les droits protecteurs. —• La mer libre du pôle. — Fédération coopérative. — La religion laïque. — Cinquantenaire des chemins de fer. — Maître Pierre.
- LES EMPRUNTS, LES IMPOTS ET L’HÉRÉDITÉ DE L’ÉTAT. (1)
- 9mo Article
- Lorsqu’on a inauguré le régime des emprunts d’État, on faisait alors dans les cercles du gouvernement cette théorie que les emprunts avaient le mérite de faire supporter aux générations à venir, en retour des avantages que les emprunts leur transmettent, une part des sacrifices que le pays s’imposait.
- Alors,l’emprunt était considéré comme une chose grave, consentie uniquement pour créer des instruments de travail : chemins de fer, canaux, etc,... c’est pourquoi l’on trouvait juste de ne pas faire supporter tgute la dépense à la génération présente, mais d’en reporter une partie sur les générations futures. On trouve toujours de bonnes raisons apparentes pour faire passer les mauvaises choses.
- Mais, plus tard, on ne s’est plus contenté de faire des emprunts pour créer des chemins de fer;on a
- (1) Voir le Devoir des 8, 15, 22, 29 novembre ; 13, 2q,27 décembre 4885 et 10 janvier 1886.
- emprunté, non pour enrichir la nation de nouveaux instruments de production,mais pour créer des instruments de destruction, pour faire la guerre. Les emprunts d’État ont été un procédé accepté par les classes dirigeantes et capitalistes, parce qu’elles y ont trouvé ce double avantage de se soustraire au paiement des charges publiques et, en même temps, de réaliser de bons placements et de faire de gros bénéfices, dont le peuple fait les frais par l’impôt.
- Tous les emprunts, sous l’empire, ont eu ce caractère, et, en 1871, lorsqu’il s’est agi de payer les frais de la guerre, personne n’a voulu comprendre l’énormité des mauvaises influences que devait exercer dans l’avenir l’emprunt réalisé par le petit homme d’Etat qui présidait alors la République.
- En appelant ainsi les financiers à la curée, Thiers n’eut guère alors que des approbateurs. La classe riche donnait environ quatre-vingt francs à l'État, pour recevoir un titre de cent francs rapportant intérêt à 6 p. 0/0 et procurant,en outre, quelques années plus tard, une prime de 35 francs, sur 80 francs ! La ruine du pays a donc servi aux prêteurs à doubler en peu de temps leurs capitaux, tandis que les travailleurs, écrasés d’impôts,étaient obligés de payer, chaque année, les arrérages de ces emprunts dont les classes dirigeantes s’enri» chissaient.
- Si, au contraire, les possesseurs de la richesse avaient été appelés alors à verser 5 p. 0/0 de leur fortune, la France eut été quitte et libre des lourdes charges qui pèsent eucore aujourd’hui sur
- p.33 - vue 36/838
-
-
-
- 34
- LE DEVOIR
- elle, et les difficultés et les complications financières qui en résultent eussent été épargnées à notre pays.
- La dette que les classes dirigeantes n'ont pas voulu payer au sortir de la guerre, il faudra la payer un jour ou faire banqueroute. Que gagneront à cela les détenteurs du capital ?
- Qu'ils examinent froidement le problème. Le sacrifice qu'ils n’ont pas voulu faire et ne veulent pas faire en faveur de la libération du pays, ils peuvent être contraints et forcés de le faire au centuple dans un effondrement de la fortune publique.
- Ce serait une rude expiation de l'égoïsme des classes dirigeantes.
- Ne vaudrait-il pas infiniment mieux prendre le parti que j’ai indiqué et, après avoir refusé de payer de son vivant, consentir à payer après sa mort ? Le mal commis se réparerait par uîi bien puisqu’il servirait à l’inauguration d'un droit social jusqu'ici oublié, le droit de l’État, au nom de la société, aune part des richesses acquises.
- Le remboursement de la dette est un fait qui s’impose à la méditation des intéressés, et ces intéressés c’est la nation entière ; car, le pays ne pourra pas toujours supporter le poids écrasant des impôts que la dette fait peser sur lui. Et puisque le moyen est trouvé de faire ce remboursement en ne demandant rien à ceux-mêmes qui possèdent la fortune, il ne doit pas y avoir d’hésitation à proclamer ce droit, à moins que la classe dirigeante ne soit atteinte d’une cécité qui doive la conduire à l'abîme.
- Il est vrai que, chez elle, la passiondes richesses, le désir de thésauriser, l’ambition des glorioles de la fortune sont bien capables de produire un aveuglement tel, que non-seulement elles peuvent avoir le désir de conserver ce dont elles jouissent, mais, encore, celui de s’approprier ce qu’elles entrevoient en espérance ; et, comme les classes pauvres n’héritent pas ou n’héritent guère, les classes riches voudront se réserver le monopole de l’héritage et, par conséquent, elles se refuseront à admettre le droit d’hérédité de l’État sur les fortunes acquises. Ainsi, l'on poussera la société dans l'abîme, en ne voulant pas prendre à • temps la mesure conservatrice, de l’hérédité de l’Etat qui nous éviterait ces malheurs. .
- Peut-on croire que le peuple supportera toujours la charge des impôts indirects, les chômages, l'abaissement des salaires, la misère, la faim, sans dommages pour la société ?
- Ces dommages ne seront-ils pas cent fois pis qu’un sacrifice partiel du veau d’or sur l’autel de la justice ; car ce serait justice de songer aux classes ouvrières, tandis qu’il y a iniquité de tous les jours et de tous les instants à ne pas le faire. Or, une société qui ne se soutient que par l’iniquité marche à sa perte.
- Les gouvernements incapables peuvent se désintéresser des conflits de l’industrie pendant les périodes prospères, mais doit-il en être ainsi quand il s’agit de la subsistance et de la vie des familles, quand les travailleurs se voient réduits à la plus affreuse misère dans une société gorgée de richesses ? Non, il y a en ceci un danger social immense, auquel la sagesse des gouvernants doit le plus promptement possible porter remède.
- Remède ! Quel remède ! Prendront-ils toujours parti pour le fort écrasant le faible ? Laisseront-ils la misère accomplir son oeuvre ? Cela durera jusqu’à ce que, par un événement imprévu, le faible soit devenu le fort, alors ce sera le jour des représailles !
- Tous ces malheurs seraient évités si, au lieu de s’abandonner aux ambitions insatiables et à la curée de la richesse publique, nos gouvernants ouvraient un peu leur cœur à l’amour du bien du peuple.
- Il ne faudrait pas un effort suprême pour délivrer les nation* civilisées du misérable régime d'assujettissement dans lequel les classes dirigeantes en possession de la fortune maintiennent les classes ouvrières. Il ne faudrait qu’une bonne loi sur l’hérédité ; il suffirait de faire cesser le monopole de l’héritage dans la famille. Avec une telle loi la fortune s’étendrait aux classes laborieuses ; l’État ne prendrait plus tous les jours à ces classes une partie de leurs moyens de subsistance ; au contraire, il leur donnerait des éléments de travail et de bien-être en même temps que des garanties sociales effectives.
- Avec la puissance de ces ressources en terres et en capitaux, l’État pourrait encourager le principe d’association agricole et industrielle ; il aurait vite fait disparaître les dangers des questions so-t ciales ; car, le paysan serait vite* mis eu jouissance de la terre, et l’ouvrier des> instruments de travail.
- . Sur ces grandes propriétés terriennes qui ne servent aujourd’hui qu’à l’entretien de l'oisiveté, on verrait bientôt des colonies de travailleurs s’installer et faire surgir, par l’association de . l’agriculture àt ^industrie, le bien-être au profit, de
- p.34 - vue 37/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 35
- ceux qui, jusqu’ici, n’ont connu que privations et misères.
- Protégeant également l’action individuelle, l’Etat aurait à offrir aux citoyens, chaque année, pour un milliard de biens fonds, sur lesquels toute liberté d’action serait laissée pour le bon aménagement des cultures.
- L’État pourrait ainsi donner satisfaction à tous les besoins légitimes de la nation, car il n’aurait pour cela qu’à suivre l’impulsion imprimée au progrès par les efforts libres des citoyens.
- Alors, les idées sociales trouveraient leurs moyens d’expansion sans désordre ni conflits. La population laborieuse recueillerait les fruits de son travail, l’exploitation de la terre ne comp-porterait plus d’intermédiaires entre le sol et le travailleur, parce qu’en recevant le sol des mains de l’État, le cultivateur l’obtiendrait débarrassé de la surtaxe des fermages, n’ayant plus à payer que le revenu remplaçant l’impôt.
- Les déshérités de 1’ état social actuel trouveraient des champs libres ponr se réunir sons la protection de l’association* et les citoyens désireux d’une grande indépendance d’action individuelle auraient, en agriculture et en industrie, des facilités inconnues jusqu’ici pour donner essor à leurs capacités.
- A suivre.
- ------—------------. ♦ » . ——------------------
- LE
- TIMES* ET LE FAMILISTERE
- Danssonnuméro du 5 janvier dernier, le plus renommé des journaux d’Angleterre, « le Times » contient deux articles, dont un en premier Londres, sur l’association du Familistère de Guise.
- Un tel fait dénote l’importance prise par la question sociale dans les principales nations d’Europe.
- Bien des journaux anglais depuis 1865 ont, à maintes reprises, publié des études sur l’œuvre du Familistère ; le Times lui-même nous avait, à divers occasions, consacré quelques petits articles ; mais cette fois c’est à une étude de fond qu’il ouvre ses colonnes, et venant d’un organe dont l’action sur l’opinion publique anglaise est si universellement reconne, le fait à une importance que nous ne pouvons passer sous silence.
- Le premier des deux articles du Times est institulé : Le Familistère de Guise.
- Dès les première mots l’auteur de l’article, venu lui-même à Guise étudier sur place l’œuvre dont il avait à parler, signale combien la question à d’intérêt «pour tous « ceux qui se préoccupent de la plus urgente des ques-« tions du jour ; savoir, les relations entre le capital et « le travail.»
- Nous ne pouvons reproduire cet article qui développe des faits connus de nos lecteurs : d’abord, les incidents notables delà vie de M. Godin; puis, la description complète des palais sociaux dans tous leurs arrangements matériels, leurs dépendances, services généraux, nourri-cerie, écoles, bibliothèque, magasins de vente des choses de consommation usuelle, buanderie, bains, etc., etc. Il relate les fêtes annuelles ; il décrit l’usine, les travaux qui s’y accomplissent. Il expose le fonctionnement de l’association entre le capital et le travail, le système administratif, la répartition des bénéfices entre les diverses catégories de membres, avec indication des mesures spéciales par lesquelles le capital de fondation est transféré aux mains du personnel travailleur.
- Dans cette dernière partie de son œuvre, l’auteur n’oublie pas de mentionner les prélèvements faits sur les bénéfices annuels, pour le budget des institutions de prévoyance sociale: éducation et instruction de l’Enfance, pensions de retraite aux infirmes et invalides du travail, aux veuves et orphelins, allocations journalières en cas de maladie, service médical et pharmaceutique.
- Là, seulement, nous trouvons une note qui n’est pas rigoureusement exacte, et que le fondateur du Familistère a cru devoir relever prés du directeur du Times, par la lettre suivante, qui vient d’être publiée dans le Times du 11 courant :
- Guise, Familistère 7 janvier 1886.
- M. le Directeur du journal The Times.
- « Le journal The Times, du 5 courant, consacre deux a articles à décrire et apprécier l’œuvre que j’ai fondée à « Guise et qui se résume dans l’association du Familis-« 1ère.
- « Ges articles sont certainement le résultat d’un exact men sérieux et attentif de cette fondation, et ils en « donnent aux lecteurs du Times une idée aussi juste « que le comporte un simple rapport.
- « Mais, précisément, le sentiment de vérité et d’exac-« titude dont ces articles sont empreints m’engage à vous « signaler une erreur qui, certainement, est le fait d’une « fausse information par laquelle on aura surpris la « bonne foi de l’auteur.
- « Il dit : M. Godin, bien qu’il n’empêche en au-« cune façon les travailleurs de son établissement « d’accomplir leurs devoirs spirituels, est notoi-« rement hostile à la religion. Nulle instruction « religieuse n’est donnée dans les Ecoles et nul « effort n’est fait pour élever l’esprit des enfants « qui suivent ces cours.
- « (M. Godin, though he does not place any obs~ « tacle in the way of his colony attending to their « spiritual duties, is notoriously hostile to reliai gion. There is....no religious instruction given « in the schools and no effort made to elevate « the minds of the children who attend them.)
- « Cette affirmation est inexacte, on peut s’en assurer « en consultant les statuts de l’association du Familistère « ( en vente à London, librairie Sampson Low ) on verra « que le premier article de la déclaration des principes « commence par ces mots :
- p.35 - vue 38/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 36
- « Pour rendre hommage à Dieu, Etre suprême, « source et principe universel de la Vie,,..
- « On verra également que les statuts se terminent par « un appel à la tolérance religieuse.
- « Bien loin d’être absente de la fondation du Familis-« tère la pensée religieuse y a pris la première place.
- « Oui, c’est en vertu du sentiment religieux, de « l’amour et du respect de la vie humaine, de l’amour, « enfin, de l’humanité et de son Créateur que l’associa-« tion du Familistère a été fondée; et je crois que jamais « personne ne fera pareille fondation s’il n’est inspiré (.< de semblables sentiments.
- « Aussi, les écoles du Familistère non-seulement pra-« tiquent l’enseignement de la morale, mais donnent à « cette partie des études la plus sérieuse attention.
- « Nos écoles suivent du reste le programme du gou-« vernement et observent la loi.
- « A la vérité ma religion est tolérante, j’ai voulu, en « associant les travailleurs, pouvoir faire place à toutes « les croyances dans le sein de l’association et permettre « aux membres de vivre en bonne intelligence.
- « C’est cela, sans doute, qui aura donné lieu aux infor-« mations erronées que votre correspondant a reçues.
- « Je serais heureux, Monsieur le Directeur, de vous « voir porter cette rectification à la connaissance de vos « lecteurs, afin qu’ils n’aient pas une fausse opinion sur « la liberté de religion et de culte pratiquée dans la pre-« mière association coopérative du capital et du travail,
- « Veuillez agréer, M. le Directeur, mes sentiments dis-« tingués. »
- Godin,
- Le second article insérée dans le Times du 5 courant concernant le Familistère débute ainsi :
- « La petite ville de Guise, dormait depuis plus de deux siècles et demie, c’est-à-dire depuis le renversement des ducs fondateurs de la sainte Ligue, M. Godin l’a réveillée et a, de nouveau, glorifié le nom de Guise par une Ligue, mais, cette fois, bien différente de base et de matériaux.
- « La coopération ne se contente pas, en France, d’être simplement comme en Angleterre une agence de commerce pour les denrées de consommation usuelle.
- « Elle vise un but plus large : celui de réformer les conditions de l’existence et d’établir des communes modèles.»
- L’auteur, renvoyant à l’article précédent pour la description du Familistère, appuie tout spécialement, ensuite, sur la liberté dont jouit l’habitant du palais social « libéré d’abord du joug despotique du concierge » et maître absolu de toutes les choses de son intérieur domestique.
- Il fait voir que l’actiom administrative ne s’exerce dans les palais sociaux que pour prêter aux habitants le concours des services d’utilité commune et pour les garantir contre le dénûment, par l’organisation des assurances de protection mutuelle en cas d’infortune.
- Son exposé du fonctionnement de l’association en ce qui touche la répartition des bénéfices entre le travail et 1 Mpital est clairement et habilement présenté.
- Cherchant surtout à tirer des conclusions, il dit :
- « M. Godin à démontré que la coopération (on peut dire en ce cas l’association) n’est pas incompatible avec l’obtention de bénéfices, pourvu que l’ensemble des associés consentent à laisser la gouverne des affaires à ceux qui ont prouvé leur capacité de direction.
- « M. Godin a prouvé que le capital pouvait, sans s’exposer à des pertes, se consacrer judicieusement à fournir à un nombre de ménages,groupés ensemble,un bien-être, un confort que chacun d'eux serait incapable de se procurer avec ses ressources isolées et improductives.
- « Il a fait plus. Par la constitution de l’association, il a donné à tout habitant du Familistère le plaisir et la fierté de se sentir propriétaire de son chez soi. C’est là un trait dont la valeur ne peut être méconnue.
- « Mais il y a une lacune dans la description faite par notre correspondant et c’est le manque d’indication sur ces deux points :
- « Les habitants du Familistère ou les conseillers de Gérance de la société, eussent-ils pu, sansM. Godin, doter l’association de la prospérité dont-elîe jouit ?
- « Seraient-ils en état de maintenir cette prospérité le jour où ils n’auraient plus M. Godin ?»
- Ces deux questions posées par le rédacteur du Times peuvent se iésumer en une :
- Le monde des travailleurs a-t-il en soi l’intelligence voulue pour diriger lui-même les industries qui le font vivre ?
- Cette question, déjà plus d’une fois traitée dans le Devoir, y sera prochainement reprise et examinée à fond.
- Le rédacteur du Times continue en disant :
- « On ne peut espérer voir adopter et maintenir dans l’industrie moderne le principe coopératif que si les travailleurs peuvent accumuler eux-mêmes les fonds nécessaires et les utiliser avec profits. Bien qu’il ne soit’pas impossible de trouver des hommes consentant à se dévouer à une tâche analogue à celle remplie par M. Godin,de tels bienfaiteurs donnant à la fois leur génie et leur fortune seront toujours une exception.
- « L’exemple du Familistère de Guise acquerra une inappréciable valeur le jour où son fonda'eur ayant cessé d’être l’Administrateur-Gérant, aura cédé la place à un successeur qui ne soit pas, comme lui, un génie industriel, mais simplement un homme honnête et de capacités courantes.
- « Bien que l’œuvre du Familistère ne puisse, aujourd’hui, absolument prouver la praticabilité du principe de coopération dans l’industrie, il n’en est pas moins acquis que cette association a doté des centaines de familles d’une vie véritablement humaine et civilisée. Le fondateur s’est consacré et se consacre à un noble ouvrage ; il s’est conformé dans ses actes au véritable esprit religieux que, néanmoins, d’après l’auteur de la description du Familistère, il aurait tendance à répudier.»
- Nous avons répondu plus haut concernant l’idée religieuse dont, bien à tort, on croit le Fondateur du Fami-
- p.36 - vue 39/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 37
- Iistère dépourvu, tandis qu’au contraire ses écrits témoi- j gnent qu’il a les convictions les plus profondes et les plus arrêtées sous ce rapport.
- Quant à la question desavoir si le travail doit lui-même et par ses seules forces s’affranchir de la misère et réaliser les conditions de son émancipation et de sa prospérité, nous concevons que les capitalistes et les classes dirigeantes la posent ainsi, mais dans le monde entier les travailleurs répondent en réclamant leur droit à la vie, leur droit à une part des richesses naturelles et sociales.
- C’est ce que M. Godin s’efforce de mettre en lumière dans tous ses écrits, et cela non-seulement en démontrant ce qui devrait être, mais en indiquant les moyens pratiques d’atteindre le but sans violence ni trouble pour qui que ce soit.
- Sa nouvelle étude sociale : Ni impôts ni emprunts, L’hérédité de l’Etat dans les successions, base des ressources publiques répond, encore aujourd’hui, à ces nécessités sociales.
- ----------------- -----------------------
- LIGUE POUR LA DEFENSE
- ET L’ORGANISATION
- DES DROITS DU TRAVAIL (1) II
- (Suite du discours de M. Neale)
- « Je me suis étendu sur le fonctionnement de l’association du travail et du capital, au Familistère de Guise, pour montrer à toutes les classes à qui nous faisons appel, mais spécialement aux coopérateurs préoccupés de voir leurs capitaux s’accumuler plus vite qu’ils ne peuvent les utiliser, quelles sources de bien-être général et quelles mines pour le bon placement des capitaux s’offriraient à eux, s’ils voulaient sérieusement poursuivre la réalisation du programme primitif des pionniers de Rochdale, d’après le plan dont M. Godin leur fournit le modèle.
- « Uutel rappel du but assigné au mouvement coopératif est malheureusement devenu urgent aujourd’hui, où la grande masse des coopérateurs égarés par le succès même des magasins de vente, en sont arrivés à subordonner entièrement la production à l’échange, au point d’émettre la théorie suivante : La plus grande somme de bénéfices doit être répartie entre le plus grand nombre de personnes, en n’accordant à l’ouvrier que le strict salaire auquel il consent à travailler et en n’allouant au capitaliste que le plus bas taux d’intérêt possible. Quant aux bénéfices ils doivent être répartis entre les consommateurs, soit
- Lire le Devoir du 10 janvier 1886.
- directement par réduction de prix ou indirectement par une augmentation des dividendes sur les achats. Les sociétés de consommation unies entre elles doivent fonder des ateliers de production comme elles ont actuellement fondé les grands centres de vente en gros.
- « C’est là une funeste erreur. Si, comme je l’ai posé, la condition de l’amélioration permanente du sort du peuple est la conversion du travailleur en capitaliste, tout système de répartir les bénéfices à titre de dividendes sur la consommation faillira certainement à atteindre ce but. Tel est l’enseignement aujourd’hui donné par les sociétés de consommation.
- « Le grand corps des coopérateurs en est venu à considérer les dividendes uniquement comme une source de revenus immédiats, et tend fortement à n’en pas laisser diminuer le taux sous quelque prétexte que ce soit, serait-il excellent au point de vue socialiste.
- « Le but de « Labour Association » est donc de ramener les coopérateurs à la vérité de leur principe, en préconisant le plan complet d’association du travail exposé ci-dessus. :
- « Plusieurs années avant la fondation de notre office central de vente en gros tWholesale Society» j’ai présenté dans le journal « Christian Socialiste la « Wholesale society » comme devant être le centre d’oû l’ouvrier coopérateur pouvait espérer obtenir les fonds nécessaires à l’installation d’industries qui eussent trouvé dans cet office central des débouchés pour leur production. Je montrais la Wholesale society exerçant l’autorité voulue pour donner la stabilité aux industries coopératives, pendant les périodes de début ; et quand ces industries seraient arrivées à maturité les reliant ensemble en une véritable fédération dans laquelle chaque industrie coopérative fût restée individuellement libre, mais où toutes, néanmoins, eussent été unies par le lien commun des bons services mutuels, et sauvegardées contre le danger d’établir entre elles une concurrence ruineuse. J’adhère plus que jamais à cette conception de l’importante fonction qu’il appartient aux offices centraux de vente en gros de remplir.
- « Ainsi, les coopérateurs, au lieu de viser à faire commerce de ce que l’industrie produit en général, se donneraient ce but tout différent :
- Produire ce dont les coopérateurs ont besoin et en organiser la vente.
- p.37 - vue 40/838
-
-
-
- 38
- LE DEVOIR
- « Dans les entreprises d’industries coopératives que l’office central de vente en gros pourrait ainsi organiser aujourd’hui, tous les profits seraient, comme nous l’avons indiqué ci-dessus, convertis en actions pour être alloués aux travailleurs.
- « Ces actions remplaceraient, graduellement, le capital de fondation et fourniraient un fonds sur lequel les statuts sociaux pourraient asseoir la première responsabilité contre les pertes, avec une garantis constamment croissante pour le reste du capital original non encore remboursé.
- « Une fois ce remboursement opéré, l’office central aurait l’agréable devoir de transmettre une industrie bien établie, richement approvisionnée et en plein fonctionnement, à un corps de travailleurs qn’il aurait lui-même dressés à l’efficace di-rection de cette industrie et qu’il aurait, en outre, dotés des meilleures conditions d’existence, à l’instar de ce qui est fait en France, au Familistère de Guise.
- 2°— « Il me reste à dire quelques mots aux deux autres classes à qui nous faisons appel savoir : les membres des Trades-Unions et le public en général.
- « L’usage habituellement donné au fonds des Trades-Unions met ces sociétés dans l'impossibilité de placer leurs ressources dans des industries d’où ces fonds ne pourraient, ensuite, être retirés sur demande ni à très-court terme. Mais cette circonstance n’empêche pas lesTrades-Unions de pouvoir employer leur organisation à vulgariser la connaissance des meilleurs modes de production coopérative. Elles peuvent, en outre, donner des avis concernant les localités et les moments les nlus propices à l’instauration de
- telles industries, et mettre toutes personnes ou sociétés désireuses de fonder des industries coopératives en relation avec les travailleurs les mieux disposés à leur prêter un cordial soutien.
- 3°— « Je passe à la troisième classe de personnes à qui nous nous adressons, au public en général.
- « Les rapports entre patrons et ouvriers sont aujourd’hui l’objet de la plus sérieuse attention.
- « La tendance à croire que la solution la plus favorable des problèmes sociaux doit résider dans quelque mode d’association entre le travail et le capital est si généralement exprimée, que je me sens plein d'espoir d’obtenir l’étude elle concours de tous ceux qui portent à ces questions un réel intérêt et, spécialement, des chefs d’industrie.
- « Personne plus ces derniers ne pourrait prêter
- un concours efficace à l’inauguration de rapports satisfaisants entre le travail et le capital.
- « Les pins frappants exemples sous ce rapport nous ont été fournis par feu M. Leclaire, à Paris, et nous sont offerts, aujourd’ hui, par M. Godin dans l’œuvre du Familistère de Guise. Je ne doute pas que nous puissions rassembler beaucoup de ces hommes sous notre étendard.
- « Je dois cependant signaler de suite un des côtés essentiels du problème. Si une réelle solution des rapports entre le capital et le travail peut venir de la part des chefs d’industrie, c’est exclusivement de la part de ceux qui aborderont le problème dans le même esprit que Leclaire et Godin, de ceux qui ne se demanderont pas : Comment arranger les choses de façon à intéresser le travailleur à ce qu’il fait pour nous, sans pourtant diminuer nos profits sur son ouvrage ? Mais qui, au contraire, se diront sérieusement :
- 1° Comment les produits de l’action commune du capital et du travail peuvent-ils être équitablement répartis entre ces deux facteurs ?
- 2° Quelles institutions permettront aux travailleurs de tirer de leurs salaires le plus d’avantages possibles ?
- 3° Comment ces institutions peuvent-elles être inaugurées et maintenues avec efficacité ?
- « J’espère que la ligue fondée aujourd’hui pour la défense et l’organisation des droits du travail fera opérer de telles enquêtes et conduira à leur résultat satisfaisant. »
- Les principes et le but de : « Labour Association» étant ainsi exposés, mentionnons les moyens pratiques adoptés par le comité exécutif :
- I— Former l’opinion publique sur la question du travail associé, par les procédés suivants :
- 1° Publier et fournir une littérature spéciale;
- 2° Donner des discours, conférences, etc. ;
- 3° Tenir des assemblées de toutes classes de personnes intéressées à l’élévation du sort de l’ouvrier ;
- Aider les ouvriers à s’organiser eux-mêmes pour leur propre et mutuel emploi ;
- Amener les -Trades-Unions à s’employer activement dans le mouvement coopératif ;
- Assurer l’action commune des Trades-Union-nistes et des Coopérateurs pour leur mutuel bénéfice et leur mutuel progrès ;
- Donner des informations générales sur la condition des industries coopératives et sur le sort des travailleurs.
- p.38 - vue 41/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 39
- Il — Pour atteindre à ces différents objets :
- 1° Organiser des loges ou branches fonctionnant soit par elles-mêmes, soit de concert avec les amis ou sociétés du voisinage d’après le plan suivant :
- 2° Chaque loge se réunit une fois au moins par mois.
- 3° — Les réunions des loges sont à volonté des réunions sociales ou des réunions d’affaires.
- 4° — Chaque loge se gouverne elle-même ; ses attributions sont le s suivantes :
- A — Recueillir les fonds de propagande en vue d’Assemblées, conférences, etc. Quatre cinquièmes de ces fonds sont attribués aux travaux de la loge • un cinquèmeest remis au comité central. 1
- B — Prendre les mesures préliminaires pour la constitution des industries coopératives les plus vraisemblablement appelées au succès, et recevoir toute souscrisption promise pour un tel but.
- 5° — Chaque loge élit un secrétaire, un trésorier, un controleur et un comité. Elle désigne un délégué temporaire pour assisterai! comité de district, aussitôt qu’un tel comité est établi.
- Le secrétaire, le trésorier et le délégué temporaire peuvent être, en même temps, membres du comité,
- 6° — Les fonds de la loge peuvent être déposés dans la fédération productive, ou autrement, si la loge en décide ainsi avec l’approbation du bureau central.
- 7° — Chaque loge adresse au moins tous les trois mois un rapport au comité exécutif.
- Ce rapport contient 'laliste des membres élus, et l’état des comptes d’après des formules fournies par le bureau central.
- 8° — Le comité central executif est élu annuellement par les loges. Les voix de chacune des loges sont proportionnelles au nombre de leurs membres.
- 10°— Le comité exécutif a pour attributions :
- A — La publication et la fourniture de tout ce qui a trait au mouvement.
- B — Les arrangements pour les assemblées annuelles.
- G — L’organisation des conférences locales.
- D — L’ouverture des relations avec les corps existants relatifs au travail et avec les sociétés favorables à l’a mélioration du sort de l’ouvrier.
- E — Aider les corps locaux à se procurer des orateurs pour les réunions.
- F — Aider les corps locaux à s’organiser eux-
- mêmes et à poursuivre les vues de l’Association.
- G — Correspondre avec les sociétés et associations productives étrangères.
- 11° Les comptes rendus du bureau central sont vérifiés par les contrôleurs désignés en assemblée annuelle.
- « Il doit être compris,» dit M. Neale, «que l’Association du travail est essentiellement un corps de propagande cherchant à former l’opinion et ainsi à stimuler le mouvement coopératif ; son but est aussi d’être le centre d’union des industries coopératives dont elle pourrait provoquer la fondation. Mais l’association ne s’engage pas directement eile-/nême dans quelque industrie que ce soit et, par conséquent, elle n’entraîne dans aucune responsabilité commerciale ni industrielle les personnes qui se joignent à elle. »
- Outre le plan d’organisation pratique exposé ci-dessus, le comité exécutif rédigea trois appels : un aux Trades-Unionnistes, un aux Coopérateurs, et un au public en général.
- Des exemplaires en sont délivrés sur demande par le secrétariat.
- Type de Statuts
- Des statuts modèles pour sociétés coopératives de production ont été préparés par M. E. Y. Neale et approuvés par le comité exécutif. Ces statuts sont actuellement aux mains de l’imprimeur et pourront être livrés très-prochainement. Les sociétés qui en désireront des exemplaires n’auront qu’à présenter leur demande au secrétariat d u bureau ceutral, N° 1, Norfolk Street, Strand. W. C. Londres.
- (A suivre)
- Charité et assistance sociale.
- Sous ce titre qui se passerait au besoin de commentaires : Comité de secours aux ouvriers sans travail, un certain nombre de notabilités Saint-Quentinoises viennent de s’ssocier pour provoquer par leur exemple et leur appel, la charité dans la ville de Saint-Quentin où la crise industrielle menace de prendre des proportions désastreuses.
- Dans le pressant appel que le Comité adresse à ses concitoyens, nous relevons ces passages navrants qui révèlent la douloureuse situation de la classe ouvrière à Saint-Quentin :.
- « Les administrateurs du Bureau de bienfaisance, assiégés de demandes de secours, se voient dans l'impossibilité de venir efficacement en aide à la misère de douze cents per-
- p.39 - vue 42/838
-
-
-
- 40
- LE DEVOIR
- sonnes que le chômage de nombreux ateliers prive de pain et de feu.
- « Ils ont vu avec douleur, dans ces derniers jours, des hommes dans la force de l’âge, de conduite honnête et d habitudes laborieuses, venir demander en pleurant du pain pour leur enfants.
- De l’aveu même des notabilités delà classe aisée il ne s’agit plus maintenant de vagabonds, de paresseux de mécontents, ce sont des homme dans la force de l’âge, de conduite honnête et d’habitudes laborieuses, qui viennent demander en pleurant du pain pour leurs enfants.
- Voilà donc les droits des hommes honnêtes et laborieux, lorsque les classe aisées n’en*ont plus besoin; ils ont le droit d’aller mendier en pleurant auprès de gens qui n’ont pas le devoir de leur donner, qui ont de leur côté le droit de refuser l’aumône.
- On n’a trouvé rien de mieux que d’organiser des quêtes qui produduiront peut-être 20 000 francs, 8 fr pour chaque malheureux !
- Mais les droits de l’homme sont donc lettres mortes, sous notre troisième république. Il existe cependant des lois qui obligent la commune à en-tervenir dans ces cas d’extrême abandon. Aux hommes honnêtes et laborieux, il faut d’autres garanties que la liberté de la mendicité et la liberté de l’aumône; il faut l’assistance sociale, sanction du droit à la vie,première des obbligations sociales que proclamèrent nos pères de 89, tant elle était l’expression des besoins et des aspirations qui avaient fait la Révolution.
- APHORISMES & PRÉCEPTES SOCIAUX
- LXXXXVI
- Répartition de la Richesse.
- La répartition de la richesse est abusive, mais le main1 est pas dans ce que les grandes capacités tirent de grands profits de leurs connaissances et de leurs talents. Le mal existe en ce que, par droit de naissance, les incapables héritent de leurs prédécesseurs et que la richesse s'accumule ainsi entre quelques familles. Par ce fait, ceux qui naissent h coté de Vopulence sont privés du nécessaire et des moyens de leur développement.
- Chacun devrait être l'ouvrier de ses œuvres.
- ---------------» » -------------------
- LE NOUVEAU MINISTÈRE
- La majorité du ministère est formée d’hommes que l’on a déjà vu à l’œuvre ; leur passé n’indique pas qu’on doive beaucoup attendre de de leur présence au pouvoir, à moins qu’autre-fois leur bonne volonté ait été paralysée par le contact de leurs collègues.
- Parmi les nouveaux venus Messieurs Granet et Lockroy se sont distingués jusqu’à ce jour par leur persévérante ardeur à lutter contre les ministères qu’ils accusaient avec raison d’impuissance et de stérilité.
- Ces antécédents disposeraient à penser que Messieurs Granet et Lockroy n’ont pas consenti à faire partie du nouveau cabinet sans la promesse formelle des anciens ministres d’inaugurer une politique de réforme et de progrès.
- Les programmes électoraux de ces deux ministres réclament comme réformes immédiates ; la séparation de l’Église et de l’État ; la nomination du sénat par le suffrage universel ; la liberté d’association, l’égalité du service militaire et des institutions protectrices du travail et des travailleurs.
- M. Sarrien, de son côté, revient au pouvoir après les élections avec un mandat électoral plus précis que précédemment ; ses électeurs lui ont imposé un programme qui'ne diffère pas de celui de Messieurs Granet et Lockroy.
- Que va-t-il se passer ?
- Si les modérés ont donné la promesse que nous fait supposer le désir de MM. Lockroy et Granet de ne pas s’exposer aux critiques, si bien méritées par leurs prédécesseurs, rien ne s’opposerait dans le gouvernement à une série de réformes depuis longtemps désirées par le parti républicain. Si les choses se passent inversement nous aurons à constater une fois de plus la puissance corruptrice des hautes fonctions et la faiblesse des politiciens.
- On dit déjà que les ministres ont éliminé de leur programme les questions irritantes susceptibles de les diviser.
- Un tel accord prouverait simplement, à n’en pas douter, la naïveté et la puérilité de ses auteurs.
- Des hommes peuvent élaborer un contrat valable entre eux, lorsque l’exécution de ce contrat ne dépend que de ceux qui participent à l’élaboration des clauses. Mais quelle valeur peut avoir
- p.40 - vue 43/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 41
- un engagement qui lie des tiers étrangers aux délibérations préparatoires de ce contrat.
- Admettons, comme le prétendent certains journaux, que le ministère écarte de son programme toutes les questions qui ne sont pas réclamées des deux nuances politiques que réunit le ministère.
- Gela empêchera-t-il ces questions d’être portées devant les Chambres par d’autres que les ministres?
- Ne sera-ce pas au contraire un motif pour les intrigants et les ambitieux de les soulever dans le but d’amener la chute du ministère.
- Que le ministère le veuille ou non, les questions irritantes viendront devant le parlement malgré les intentions contraires des ministres.
- On cite déjà plusieurs députés résolus à présen-senter des projets visant la séparation des Églises et de l’Etat, même plusieurs ne peuvent retarder longtemps leur initiative sans se mettre en contradiction avec de solennels engagements. Ceux-là, nous n’en doutons pas, auront la sagesse de ne pas violer ces promesses ; au reste il ne sont pas à la veille de cueillir des portefeuilles.
- Donc, les projets de séparation de l’Eglise et de l’Etat seront présentés à la Chambre.
- Verrons-nous à ces occasions Messieurs Lockroy, Granet, Sarrien, faire litière de leur propramme électoral, ou bien aurons-nous la satisfaction d’avoir l’adhésion des anciens ministres, ou bien sacrifiera-t-on les préjugés sur l’entente ministérielle et chaque membre du ministère votera-t-il en toute liberté se déclarant prêt à exécuter les décisions de la représentation nationale ?
- La première hypothèse serait recommencer l’opportunisme ; la deuxième donnerait satisfaction à tous les républicains progressistes ; la troisième inaugurerait une méthode politique qui ferait gagner à la cause républicaine tout ce que perdraient les ambitieux par la disparition d’un grand nombre d’occasions inutiles de changer les ministres.
- Il est même facile de prévoir que cette dernière règle sera celle du nouveau cabinet ; car il résulte des pourparlers de M. Freycinet et Clémenceau que le premier est résolu à ne pas voter la séparation de l’Eglise et de l’Etat ; et il nous répugne autant de supposer M. Lockroy capable de renier son passé que de le croire assez étourdi pour avoir accepté de faire partie d’un ministère provisoire.
- Les «apparences, fau contraire, sont que M. Lockroy a dû prendre ses précautions et qu’il
- est rentré au ministère avec un programme nettement défini.
- Sa nomination a été exceptionnellement publiée à l’officiel avec une mention indiquant que ce portefeuille sera désormais appellée Ministère du commerce et de l'industrie, et le decret spécifie que les bureaux des sociétés professionnelles et des syndicats seront désormais annexés à cette administration.
- Il est regrettable qu’on ait pas osé aller jusqu’à dire le Ministère du Travail, de l’Industrie et du Commerce.
- Néanmoins, si M. Lockroy veut véritablement coopérer à l’émancipation du Travail, le rattache-chement du bureau des sociétés professionnelles lui donnera toute latitude à cet égard.
- Laquelle de ces hypothèses que nous venons d’examiner, sans aucune illusion, sera-t-elle préférée par nos dirigeants?
- Notre opinion est qu’à défaut d’une entente sur les grandes réformes nos ministres feraient preuve de sagesse en se faisant les exécuteurs des volontés de la Chambre, sans mettre aucun d’eux dans l’obligation de renier son passé et de priver son parti de son légitime concours.
- La moralité et la République gagneraient beaucoup à l’adoption de cette tactique.
- Qui remportera, des intérêts de la République ou des appétits des ambitieux ?
- Nous lisons dans le Petit journal la communication suivante qui ne nous paraît être que ce qu’on appelle vulgairement un ballon d’essai. Nous reviendrons sur cette question qui se rattache si directement à l’extension des monopoles.
- On se préoccupe beaucoup déjà, dans le monde des affaires, du renouvellement éventuel du privilège de la Banque de France.
- Le moment n’est pas éloigné où il faudra traiter cette grave question.
- Créée par la loi du 24 germinal an XI (14 avril 1803) et, à cette époque, établie pour quinze ans, la Banque de France a obtenu à diverses époques des prorogations de privilège en échange de concessions et d’avantages.
- La dernière date de 1857 et fut accordée pour trente ans.
- Sans entrer, quant a présent, dans le vif de cette grosse question, qui touche d’une manière si directe aux intérêts primordiaux du pays, nous devons dire^quelques mots de la
- p.41 - vue 44/838
-
-
-
- 42 LE DEVOIR
- ——mm——mm^mmm—————i^ii » i —' — '.Il
- LES DROITS PROTECTEURS
- véritable agitation qu’elle provoque, agitation qui se traduit au sein des chambres syndicales de toutes les industries par des travaux très approfondis, tendant peu à peu à l’établissement de véritables cahiers, résumant tous les besoins et tous les désirs du commerce.
- Nous avons parcouru un grand nombre de ces documents et nous en résumons les caractères principaux, ne doutant pas d’ailleurs que cette publication, en provoquant de nombreuses observations particulières, ne soit utile à la bonne solution de ce très gros problème.
- Ce qu’il importe de dire et de bien préciser, c’est que le principe même d’une banque privilégiée, unique, n’est pas contesté ; on se rappelle encore le désarroi qui précéda et suivit l’émission à jet continu des assignats.
- On voudrait seulement que la Banque de France fût plus accessible au moyen et petit commerce.
- Les chambres syndicales du commerce et de l’industrie s’accordent généralement à recommander l’adoption des mesures suivantes :
- 1® Enquête faite par le gouvernement auprès des chambres de commerce, des tribunaux de commerce, des chambres syndicales sur les améliorations à apporter au système actuel.
- 2° Exécution par la Banque de France, pour le compte de l’Etat du plus grand nombre de services de finance et de trésorerie.
- 3« Payement gratuit par la Banque à Paris et dans ses succursales des coupons de rentes françaises 3 0/o et 4 1/2 0/o, ainsi que des autres valeurs émises par l’Etat.
- 4° Escompte du papier de commerce au-dessous du taux officiel et escompte des effets à deux signatures.
- 5° Participation de l’Etat aux bénéfices de la Banque après prélèvement d’un minimum pour les actionnaires et application du résultat de cette uarticipation à la diminution des impôts.
- 6a Augmentation du nombre des membies du conseil de régence, parmi lesquels la proportion des commerçants et des industriels devra être plus forte quelle ne l’est actuellement.
- 7u Modification dans un sens plus libéral des articles 10 et il de la loi du 24 germinal anXI, concernant la composition des assemblées générales d’actionnaires, afin que le nombre des actions nécessaires pour avoir droit d’assister aux assemblées soit diminué et que, par conséquent, le nombre des actionnaires présents se trouve augmenté.
- 8° Augmentation du capital social de la Banque, de manière â ce qu’il soitplus en rapport avec la circulation et le développement des affa'res devant être le résultat des différentes mesures qui viennent d’être recommandées.
- Nous nous réservons d’apprécier d’une manière plus approfondie, en temps opportum, les avantages et les inconvénients des différentes modifications au régime actuel de la Banque de France, modifications qui, même alors quelles seraient reconnues bonnes en théorie, ne devraient être mises en pratique qu’avec la plus grande prudence.
- Rien, en effet, ne doit être aventureux dans la construction et dans la gestion d’un établissement qui, tont en étant indépendant, dans de certaines Iimiies, n’en a pas moins son crédit intimement lié non seulement à celui d’un nombre immense de particuliers, mais encore au crédit de l’Etat.
- Nous empruntons à un journal parisien l’article suivant, qui est une critique des plus fines des théories protectionnistes, en honneur dans un certain milieu :
- PÉTITION
- A LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS
- Paris, 10 décembre 1885.
- Messieurs les Députés,
- La grande majorité de la Chambre montrant le désir qu’elle a de protéger efficacement l’agriculture nationale, je viens, messieurs les Députés, vous prier d’appuyer la pétition ci-dessous :
- Je suis inventeur de la culture du coton sous le climat de la France, même du Nord. Cette culture est dispendieuse et nécessite une protection pour pouvoir devenir florissante.
- Si mon industrie agricole était protégée, je pourrais aisément employer 100,000 ouvriers, ce qui donnerait un développement considérable à l’agriculture française.
- Les terres les plus propices sont celles du Nord, propres à la culture des betteraves et blés, deux cultures qui, comme l’on sait, ruinent totalement ceux qui en font.
- En présence de l’immense fortune que cette invention amènera à mon pays, ou du moins aux gens qui l’exploiteront, je pourrais vous demander la prohibition des cotons américains, vu le précédent pour les porcs salés au profit des porcs nationaux ; mais je me contenterai de droits sagement protecteurs et de quelques avantages que l’État accorde du reste déjà à d’autres industries ; il ne peut donc me les refuser :
- 1° Tout coton étranger devra payer à l’entrée en France un droit de 6 fr. par kilogramme.
- 2° Le gouvernement français s’engage à n’employer dans ses commandes, pour les fournitures de l’Etat, que des tissus produits exclusivement avec le coton national (comme cela a été demandé pour les blés, fers, etc.).
- 3° Tout producteur de coton national (suivant mon procédé) recevra une garantie de l’Etat pour l’émission d’emprunts (comme l’Etat le fait aux Compagnies de chemins de fer).
- 4° Dans le cas où ledit producteur ne gagnerait pas 10 0/0 net, l’Etat rembourserait aux actionnaires ou commanditaires la différence pour compléter ces 10 0[0 (comme l’Etat le fait avec les Compagnies de chemins de fer).
- 5° Afin que la balance du commerce soit en faveur de la France, ce qui, comme on ne cesse de le dire à la Chambre, constitue le principal élément de prospérité d’an pays, et afin de développer encore plus la culture, il sera donné une prime d’exploitation de 6 fr. par kilogramme, pour tout coton français exporté (comme l’Etat en paye une aux raffmeurs de sucre et aux armateurs).
- p.42 - vue 45/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 43
- Je pense messieurs les Députés que vous approuverez hautement ma pétition et la ferez discuter d’urgence.
- Mon procédé est du reste simple et facilement applicable. Il faut couvrir les terrains propices de vastes serres vitrées et soigneusement chauffées en entretenant 26 degrés de chaleur min mum toute 1 année. Cette uniformité de température permet deux récoltes et des cotons de très bonne qualité.
- Cette culture donnerait, en outre, un essor considérable à la vente de la houille et sauverait cette industrie de l’état pitoyable dans lequel elle est : on peut estimer à 33 kilog de houille chaque kilogramme de coton poussé.
- En outre, cela permettrait à la France de ne plus acheter de coton à l’étranger et l’argent de la. France resterait en France.
- La différ ence sur le produit complètement fabriqué serait peu sensible, et, du reste, tout français serait heureux et fier de payer sa chemise 50 centimes ou 1 fr. de plus ensachant qu’elle est totalement nationale, et, comme il est habitué à payer plus cher aussi les divers autres produits protégés, tels que son pain, sa viande, ses habits, etc., cela ne le changerait pas beaucoup.
- Sauf quelques députés économistes, ignorant profondément ce qui peut faire la richesse de l’agriculture et de l’industrie françaises, je pense que l’immense majorité du Parlement approuvera et votera ma pétition. Ils pourront m’objecter qu’on ne peut demander un droit plus élevé au coton brut qu’au coton manufacturé, vous leur répondrez que le blé paie plus de droits que le pain ; que le papier paie 8 francs les 100 kilos de droits et que celui imprimé, c’est-à-dire ayant subi une main d’œuvre, ne paie pas, que les fils d’acier avec quoi on fait la bijouterie payent plus de droits que la bijouterie. Si le gouvernement dans sa sagesse en a pensé ainsi, comment n’approuverait-il pas complètement ma pétition qui ne peut être combattue que par des gens qui amèneraient la ruine de l’agriculture et de l’industrie nationales, pour l’application de théories économistes qu’on fait certainement même mieux d’ignorer, ce dont je dois hautement féliciter la grande majorité des députés.
- J. Jacquot.
- 30, rue des Bourdonnais.
- La mer libre du Pôle
- Nos lecteurs se souviennent peut-être que la Jeannette, ce navire que Gordon Benett, le célèbre directeur du journal Américain, le New-York Hérald, avait armé pour un voyage de découvertes au Pôle nord, s’est perdu dans l’Océan Glacial, au nord du Delta de la Léna. Ce nom est celui d’un fleuve qui coule en Sibérie, du sud au nord. Pour parvenir à ce point, le bâtiment américain était passé de l’Océan Atlantique dans l’Océan boréal par le détroit de Béhririg.
- Or, on cite un fait qui semblerait jeter un jour nouveau sur la question de la mer libre du Pôle et du passage possible d’Amérique en Europe par cette mer. Au bord de la baie de Baffin, sur la côte de Groenland, on a découvert et harponné un glaçon flottant, sur lequel étaient un cadavre et des objets provenant de la Jeannette. Parmi ces objets, il y avait des vêtements à demi-usés, marqués au nom du matelot
- Noros, que l’infortuné capitaine De Long envoya à la découverte et à la recherche de secours- Noros rencontra des Sibériens, mais ne pouvant se faire comprendre d’eux, il ne put porter secours à son capitaine, qui mourut de froid et de faim.
- Or, quel chemin ce glaçon a-t il suivi pour parvenir à la baie de Baffin. Deux suppositions sont à faire. Ou bien il a longé la côte asiatique, le rivage européen, est passé au nord de la nouvelle Zemble, au sud du Spitzberg, au nord de l’Islande et est descendu le long de la côte est du Groenland de l’Amérique Russe, pour pénétrer dans la baie de Baffin ; c’est là un voyage de onze mille kilomètres.
- Etant donné cet énorme parcours, sachant que la direction des courants-marins ne permet guère de supposer que le glaçon ait suivi la route indiquée plus haut, on est amené à conclure que ce glaçon a trouvé un chemin inconnu, qu’il a coupé au plus court, et passé par une mer libre polaire et est arrivé par le nord dans la baie de Baffin.
- Si cela était, il y aurait donc possibilité d’arriver au pôle nord et pent-être existe-t-il ce fameux passage rêvé par tant de navigateurs et dont la recherche a coûté tant d’existences de marins. Si le glaçon a suivi une voie ouverte par le pôle nord, le trajet, au lieu d’être de onze mille kilomètres, n’a pas dépassé six mille kilomètres.
- (Avenir)
- — -*---------------------—» r ------— .... . -- . -___
- Fédération coopérative
- Organisation et statuts.
- Article Premier — Les Sociétés coopératives de consommation constituent entre elles une association générale sous le nom de « Fédération des Sociétés coopératives de consommation de France. »
- Effets de la coopération. — La Fédération est formée dans le but :
- l9 D’étendre et de fortifier les influences bienfaisantes de la coopération sur la probité, la justice et l’économie dans la production, l’échange et la consommation ;
- 2° De développer entre tous les hommes des sentiments de solidarité.
- Art. ii. — Pouvoir dirigeant. — La Fédération est dirigée par un Congrès qui se réunit tous les ans dans une des villes de France désignée par le Congrès précédent.
- Art iii. — Composition du Congrès. — Le Congrès est composé des délégués des Sociétés coopératives de France.
- Art. iv. — Chiffre de délégués que peut envoyer une Société. — Toute Société peut envoyer un délégué au Congrès. Celles quffeomptent plus de 500 membres, un délégué par groupe de 500.
- Art. v. — Condition nécessaire pour être délégué. — Les délégués doivent être des coopérateurs effectifs, mais ne sont pas tenus d’appartenir à la Société qu’ils représentent.
- Art. vi. — Direction pendant l'intervalle des Congrès. — Dans l’intervalle des Congrès, les intérêts de la
- p.43 - vue 46/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- Fédération sont gérés par deux Chambres nommées par lui dans les conditions fixées par le Congrès de 1885.
- La Chambre consultative et la Chambre économique
- Nombre des membres des Chambres. — Ces deux Chambres sont composées chacune de 21 membres pris autant que possible dans les différents centres coopératifs de la France.
- Leur remplacement'pendant l’intervalle des Congrès. — En cas de vacances, elles se complètent elles-mêmes et choisissent, autant que possible, les nouveaux membres dans la région où la vacance se produit.
- Art. vii. — Rôle des Chambres. — La Chambre consultative a pour mission de remplir les fonctions suivantes définies par le congrès de juillet 1885. (Page 30 du compte rendu). Statistique, historique et archives de la coopération, rassemblement des statuts de toutes les Sociétés, étude de toutes les questions générales intéressant la coopération de consommation : patente, impôts, droits divers, douanes, octrois, entrepôts, etc.; analyse comparative des diverses formes, organisation et fonctionnement des Sociétés ; détermination, d’après les résultats obtenus, des conditions les plus favorables au succès, recherche des statuts type ; propagande de la coopération par des conférences, des traités à bon marché et toutes publications ; diffusion des vrais principes suivant lesquels elle doit être pratiquée ; examen, au besoin avec le concours de jurisconsultes, des questions juridiques relatives à la coopération, défense et représentation des intérêts de la coopération devant les administrations et les pouvoirs publics ; envoi de renseignements aux Sociétés sur tous les points qui lui seront soumis ; formation des centres régionaux, organisation du Congrès, arbitrage.
- La Chambre économique a pour mission de rechercher en France et à l'étranger et communiquer aux Sociétés tous les renseignements pouvant guider leurs achats, tant au point de vue de la qualité que du bon marché des produits ; recevoir, analyser, classer et garder les échantillons-types des divers fournisseurs ; grouper les commandes des Sociétés en vue d’achats communs, préparer et faire les adjudications au profit des groupes de Sociétés : publier les mercuriales, les cours de marchandises, les inventions, les procédés ou appareils mécaniques servant à analyser les produits et à reconnaître les fraudes.
- Art. viii. — Adhésion à la Fédération. — Les Sociétés désignées pour faire partie des Chambres doivent, dans le mois qui suit l’envoi du compte rendu, déclarer formellement si elles adhérent à la Fédération. Si elles ne donnent pas cette adhésion, elles sont remplacées conformément au troisième paragraphe de l’article vi.
- Art ix. — Chiffre de la cotisation. — Les Sociétés adhérentes à la Fédération paient une cotisation pour les frais généraux des deux Chambres. Cette cotisation est de 0,fr. 05 par membre participant, et par an, pour la Chambre consultative, et de 0,fr. 10 pour la Chambre économique.
- Payement de la cotisation, — Les cotisations sont payées d’avance et par trimestfe en Janvier, avril, juillet et octobre.
- Epoque du payement. — Pour chaque adhésion nouvelle, la cotisation a pour point de départ le commencement du trimestre dans lequel cette adhésion est donnée.
- Art x. — Société démissionnaire. — Toute Société qui n’aura pas payé sa cotisation depuis trois mois sera considérée comme démissionnaire, après avis du trésorier.
- Art. xi. — Adhésion aux Chambres. —Les Sociétés ont la facilité d’adhérer à i’une ou à l’autre des Chambres séparément ou à toutes les deux ensemble.
- Nature des renseignements. — Les Sociétés qui n’adhèrent qu’à une Chambre ne recevront que les renseignements et les communications afférents à cette Chambre.
- Art. xii. Société an formation. — Toute Société en formation a le droit d’obtenir gratuitement de la Chambre consultative les renseignements qui lui sont nécessaires.
- Art. xiii. — Réunions des Chambres. —Les Chambres ont des réunions de deux espèces :
- 1° Les sessions ordinaires ;
- 2° Les sessions plénières.
- Les sessions ordinaires sont tenues séparément par chacune des deux Chambres, et les sessions plénières sont communes à toutes deux.
- Art. xiv. — Sessions ordinaires. - Les sessions ordinaires des Chambres ont lieu au moins une fois par mois. Elles ont pour but de traiter les questions couran tes et d’étudier celles qui doivent figurer à l’ordre du jour des sessions plénières.
- Art. xv. — Sessions plénières. — Les sessions plénières ont lieu au moins trois fois par an, la dernière réunion se tenant dans la ville où siège le Congrès, la veille de son ouverture, pour la lecture du rapport. Aucune décision importante ne peut être prise sans qu’elle ait été votée en session plénière.
- Art. xvi. — Questions à envoyer à l’étude des Chambres pour les sessions. — Les Sociétés doivent envoyer au siège social de la Fédération, un mois au moins à l’avance, les questions qu’elles désirent voir mettre à l’ordre du jour des sessions plénières.
- Art. xvn. —Ordre dujour de la session plénière. — L’ordre dujour définitif est adressé à chaque Société par la Chambre consultative dans le mois qui précède l’ouverture de la session.
- Art. xviii. — Représentation des Sociétés de province. — Sous-délégué. — Les Sociétés de province désignées pour faire partie des Chambres peuvent se faire représenter pendant les sessions ordinaires par un sous-délégué.
- Délégué. — Dans les sessions plénières elles doivent, autant que possible, être représentées par un délégué direct ou par un coopérateur de leur région.
- Art. xix. — Un délégué ne peut représenter deux Sociétés. — Un sous-délégué ou un délégué ne peut représenter plus d’une Société.
- 1 Art xx. — Présence du délégué direct. — Dans les
- p.44 - vue 47/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 45
- sessions plénières ou ordinaires, si le délégué direct est présent, le sous-délégué a seulement voix consultative.
- Art. xxi. Société non représentée aux séances. — La Société dont le représentant aura manqué à trois séances consécutives, en sera avisée par le secrétaire général et devra choisir un autre délégué.
- Art. xxii. — Nomination du Bureau. — Les Chambres nomment leurbureau au scrutin secret. Il se compose de :
- Un président,
- Vice-président,
- Secrétaire des séances,
- Secrétaire général, ) Commun aux deux
- Trésorier général, J Chambres.
- Durée. — Les membres du bureau sont nommés pour un an et rééligibles.
- Art. xxiii. — Fonctions du secrétaire général, — Le secrétaire général est chargé de la correspondance avec les Sociétés. Toutes les communications officielles de la Fédération sont signées par lui, avec le président de la Chambre consultative pour les questions d’administration et avec le président de la Chambre économique pour les questions commerciales.
- Art. xxiv. — Fonctions du trésorier général. — Le trésorier-général correspond avec, les Sociétés pour toutes les questions budgétaires. Il reçoit les cotisations et paie les dépenses votées par les Chambres. Si le trésorier n’habite pas la ville où siègent les Chambres, il doit, si les besoins du service l’exigent, avoir un agent chargé, sous sa direction, de pourvoir aux menues dépenses.Il en est responsable. Le trésorier donne à chaque session un relevé de ses comptes.
- Art. xxv. — Centres régionaux. — Les Chambres provoqueront la constitution de centres régionaux dans les principales villes de la France.
- Art. xxvi. — But des centres régionaux.— Etudier les questions économiques et commerciales de leur région et les communiquer aux Chambres. Travailler au dévelop-jement régional delà Fédération.
- Art. xxvii. — Publications officielles. — Les Sociétés fédérées ont la liberté de faire toutes publications en leur nom personnel, mais ne peuvent en faire aucune au nom de la Fédération.
- La Chambre consultative ayant seule autorité pour le faire.
- Art xxviii. — Modification des statuts. — Toute demande de modification des statuts devra être faite par les Sociétés et envoyée à la Chambre consultative deux mois avant le Congrès.
- LA RELIGION LAÏQUE
- Nous recevons de Nantes le premier numéro d'un nouveau journal : la Religion Laique.
- Nous publions la partie socialiste de la profession de foi de notre jeune confrère auquel nous souhaitons Ion eue vie.
- Voisi en quels termes la rédaction exprime ses con victions socialistes :
- € Nous confessons que nous sommes socialistes en même temps que républicains et spiritualistes, mais il ne faudrait pas que nous fussions classés parmi les exagérés de la souffrance.
- Nous ne sommes pas des mangeurs de bourgeois ni de ceux qui prétendent que la richesse est inutile à la marche régulière d’une société harmonique. L’antagonisme qui existe entre pauvreté et richesse, malheureux et heureux, capital et travail disparaîtra fatalement le jour où les hommes voudront comprendre et pratiquer la justice et la solidarité.
- S’il est vrai comme le prétend le doux et aimable génie de la Judée que les riches auront beaucoup de mal à se faire ouvrir les portes du ciel ; (Entendre les portes de la nouvelle société qui s’organisera lorsque les hommes auront atteint la perfection nécessaire et voulue.)
- S’il est vrai que la richesse doit purifier son origine qui selon les moralistes, est suspecte, il importe que ceux qui détiennent la fortune abandonnent leurs prétentions et ne fassent plus scandale en prélevant de gros intérêts au détriment des prolétaires.
- Capital et travail doivent s’entendre et retirer (dans l’association,) un bénéfice égale pour chacun d’eux.
- La solidarisation des intérêts, l’association du capital et du travail, des lois de garantie et de protection pour ces deux associés, tel est notre programme sommaire d’économie sociale, et il ne peut y en avoir d’autre.
- Le travail n’a pas plus le droit de dominer la richesse que la richesse de dominer le travail. Patrons et ouvriers, capital et travail ont une synonymie incontestable dans l’es-jrrit de tous les penseurs. Pourquoi donc se dévorent-ils ? Pourquoi le despostisme d’un côté et la révolution de l’autre ?
- L’avenir appartient aux pacifiques, aux amants du beau, du vrai, du juste et du parfait. La richesse usurpée et le travail révolté ne peuvent prétendre au gouvernement d’une société démocratique. Mais pour que ce rêve se réalise, pour que cette fraternité s’établisse, pour que cette société naisse viable, il faut que les hommes et les femmes deviennent bons ; que la philosophie, la religion et la science s’entendent pour améliorer les consciences et élever les cœurs au-dessus des intérêts grossiers et personnels des classes sociales.
- Cette œuvre est celle du temps et ce n’est point spontanément, par le balai ouïe pétrole, quelle peut s’acomplir. Il appartient aux meilleurs, aux plus parfaits, à tous ceux qui s’éclairent au soleil de la raison d’en hâter l’avènement en enseignant les foules et en leur apprenant à vivre ce grand mot des initiés et des sages :
- Aimez-vous les uns les autres !
- Cinquantenaire des chemins de Fer.
- II y aura cinquante ans,en 1887,que fut inaugurée officiellement la ligne de Paris à Saint-Germain, le premier des chemins de fer de France.
- U Illustration des Chemins de fer estime qu’il y a
- p.45 - vue 48/838
-
-
-
- 46
- LE DEVOIR
- lieu de fêter ce cinquantenaire avec solennité, et dans ce but elle a organisé un comité.
- Notre comité, dit-elle, devra examiner et fixer définitivement tous les détails de la solennité de 1887. En attendant que nous puissions publier un programme complet, nous pouvons dès aujourd’hui en indiquer les grandes lignes, afin que les lecteurs de l’Illustration des Chemins de fer puissent nous soumettre leurs idées et collaborer ainsi à une manifestation qui doit être digne d’une union passionnée pour le travail et le progrès.
- Voici les quatre divisions adoptées en principe pour la célébration du cinquantenaire :
- 4° Exposition internationale de l’industrie des chemins de fer et de celles qui s’y rattachent ;
- 2° Congrès international des chemins de fer pour l’étude des questions de tarifs, de sécurité, de confort, etc.;
- 3° Cérémonie officielle d’inauguration de la ligne de Paris à St-Germain.
- 4° Erection d’une statue à Marc Séguin ; fêtes des chemins de fer.
- En proposant une exposition spéciale et un congrès, nous avons obéi à cette pensée, que le prétexte de cérémonies officielles et de réjouissances publiques, soit aussi l’occasion d’une manifestation qui puisse faciliter l’établissement de relations nouvelles et donner un vif essor au développement de l’industrie nationale.
- Nous, estimons que rien ne doit être négligé de ce qui peut apporter un remède à la crise qui pèse depuis si longtemps sur le commerce et le travail ; c’est ^pourquoi, avec tous les concours utiles qui se joindront à nous, nous poursuivrons énergiquement la réalisation d’une oeuvre qui oblige tous ceux — et ils sont nombreux — qui doivent quelque chose à la création et au développement des chemins de fer.
- ——----------------» -♦ * ----------— ----—
- MAITRE PIERRE
- Par Edmond ABOUT
- ( Suite )
- XI
- M. TOMERY.
- Le premier service passa sans incident remarquable. La mairesse me fit goûter l’eau du puits de Bulos, qui me parut fort potable. Le maire m’observa que les deux puits qui la fournissaient avait l’honneur de porter son nom. Elle n’avait pas assurément la saveur fraîche, brillante et pour ainsi-dire métallique de l’eau qui a couru sur les rochers, mais le suisse François la buvait sans grimace, et moi aussi. En revanche, les paniers de M-Tomery contenaient du vin rouge de Château-Laffitte, et vingt-cinq bouteilles de ce vin blanc de Sauternes Yquem que la chambre de commerce de Bordeaux a rangé hors classe. Les Landais renoncèrent bientôt à l’eau vinaigrée pour faire honneur aux présents de leurs hôtes, et le diapason de la gaité générale s’éleva insensiblement. Les convives ne se tenaient pas immobiles à leurs places, comme dans un dîner de service. Les femmes étaient
- toujours en mouvement pour soigner un plat ou servir un ragoût, et les hommes se levaient l’un après l’autre pour changer d’assiette ou prendre les choses dont ils a-vaient besoin. Dans ces allées et venues chacun regardait devant soi pour ne pas marcher sur la queue d’un chat ou sur la patte du chien de la maison : ces animaux familiers étaient partout à la fois, se frottaient à toutes les jambes, tiraient toutes les serviettes, et laissaient des échantillons de leur poil à tous les pantalons. Les plais arrivaient sans ordre bien déterminé : les poissons avec la salade et les ragoûts après les rôtis ; mais on eut de tout en abondance, tant qu’un des conseillers municipaux en pensa mourir. Le seul incident fâcheux fut une erreur de la mairesse qui avait mis bouillir une livre de café vert avec un abatis de dindon.
- Marinette ne craignait pas de se montrer préoccupée. Elle se retournait de temps en temps vers la porte. Quelquefois elle me regardait dans les yeux comme pour me demander conseil, et jë haussais les épaules en signe de compassion. Elle évitait les regards du maire et regardait en dessous de la figure de M. Tomery.
- Le maire était tout à son affaire : il représentait ! Ses paroles étaient choisies et ses gestes mesurés avec soin. 11 ne se mouchait jamais sans tourner le dos à la table, et il n’entendait pas éternuer un voisin sans lui dire : Que dieu vous enrichisse ! S’il avait besoin de sel, il disait â M. Darde fils : Sans vous rien prescrire, monsieur Darde, veuillez me communiquer la salière. Si on le priait de faire passer un plat, il répondait sans hésiter : J’y souscris ! Et si quelqu’un lui offrait du poulet, il disait en étendant la main : Je serais partie prenant de cette volaille. Il trinqua plusieurs fois avec ses voisins, mais il fit remarquer que c’était un usage de campagne et qu’on ne trinquait pas à la préfecture de Bordeaux ni probablement au Sénat de Paris.
- Les trois messieurs de la ville s’amusaient médiocrement, et buvaient à petits coups sans parvenir à se mettre en train. Ils étaient presque aussi gênés au milieu de ces paysans qu’un paysan au milieu de citadins, car ils avait peu d’idées à échanger avec eux. S’ils s’étaient trouvés ensemble dans un coin, peut-être auraient-ils eu de quoi rire ; mais le festin n’était pas assez comique pour qu’on pût s’en égayer isolément.
- En résumé, cette demande en mariage, que j’avais espérée plus pittoresque, ressemblait à une plaisanterie qui tourne mal. Ce qui m’avait paru si curieux dans la légende me semblait déjà triste Pt fatigant. Marinette s’agitait sur son escabeau comme une personne qui souffre, et M. Tomery ne comprenait rien à cette attitude. Le maire devait lui avoir promis un autre accueil. Un instant je crus deviner qu’il cherchait le pied de sa voisine,
- p.46 - vue 49/838
-
-
-
- 47
- LE DEVOIR
- et la fille du désert lui lança sous la table quelque chose qui n’était pas un aveu.
- Peut-être ma présence entrait-elle pour un peu dans la gêne des nouveaux venus. Les représentations ne sont pas de mode à Bulos, et d’ailleurs ni le maire ni personne chez lui ne savait mon nom. M. Tomery et ses compagnons devaient voir que je n’étais pasdupays, etils pouvaient trouver étrange que j’assistasse à une cérémonie dont ils faisaient les frais de toutes façons. Je rencontrai quatre ou cinq fois les yeux de M. Tomery, et je pense que l’ennui de se voir observé dans une situation ridicule ne ;e disposa pas en ma faveur
- Le maire plein de tact, comme à son ordinaire, aggrava ma situation: « Messieurs et dames,* dit-il en se frottant les mains, «c’est une belle fête! ah ! c’est une belle fête ! Elle fera époque dans les annales de Bulos. On en parlera jusqu’à Bordeaux. Que dis-je? Il en sera question dans les feuilles de Paris. »
- « Oui, messieurs,» poursuivit le maire, en me désignant du bout de sa fourchette. «Nous possédons dans nos murs une organe de l’opinion ; un homme qui a fait le chemin tout exprès pour étudier mes landes et nos mœurs.»
- — Pas tout à fait, répondis-je. J’étais venu pour l’inauguration du chemin de Toulouse, et la curiosité de voir un pays à la mode m’a égaré depuis deux jours ; M. le maire m’a arrêté au passage en m’invitant à dîner, et je serais parti malgré la pluie si j’avais su que j’étais indiscret.
- — Vous ne l’êtes pas, monsieur, répondit M. Tomery en me saluant. Nous nous trouvons ici au même titre que vous, en vertu des vieilles lois de l’hospitalité.
- — Que diable ne parliez-vous plus tôt ? s’écria M. Darde, en saluant à son tour. C’est une bonne fortune de trouver quelqu’un avec qui causer... de Paris. !
- A son tour, M. Bijou se pencha sur la table et me montra deux rangées de dents jaunes qui me souhaitaient la bienvenue.
- « Ah ! vous arrivez de Paris ! reprit vivement M. Darde fils. Que dit-on ? Que fait-on ? Étiez-vous dimanche aux courses ? Qui est-ce qui court ? Qui est-ce qui fait courir ? Pensez-vous que M. Aumont se soit retiré définitivement ? Qui est-ce qui aura la veine cette année ? Je parierais pour Lupin ou pour M. Mosselmann : ses chevaux ont des noms qui doivent porter bonheur. M. le Marquis de Lagrange a-t-il gardé Monarque ? Parlez moi de Diamant, de Nat, de Flying Buck, de Monsieur Henry ? Vous n’êtes jamais allé au Derby ! J’ai vu ça, moi. Admirable, monsieur ! Il n’y a que les Anglais qui sachent s’amuser !
- — A cheval.
- — Bien entendu. Tout du long de la route, au retour, nous nous sommes jeté des bouteilles, des plats, des ter-
- rines. Dis donc, Bijou ? n’est-ce pas là que tu as eu h tète à moitié cassée »?
- M. Bijou aîné inclina la tête en signe d’approbation.
- A suivre.
- Nous recevons la 2me série d'un ouvrage destiné, nous semble-t-il, à un grand succès : Histoire de Quinze ans. par M. Ed. Benoit-Lévy.
- Cette édition, malgré son luxe, est publiée en Livraisons à 10 centimes (la première est gratuite). L’abonnement, pour cent livraisons reçues à domicile, est de 10 fr.
- Cette œuvre a pour but de retracer l’Histoire politique de la République depuis le 4 septembre, ses efforts contre la réaction et les progrès qu’elle a pu réaliser. Cette période méritait d’être étudiée en détail, et tous les citoyens avaient besoin d’un livre populaire, sorte de répertoire de ces quinze années. C’est là, de la part de l’auteur, de la bonne propagande républicaine.
- Nous conseillons, à tous nos lecteurs, de se procurer cet ouvrage, magnifiquement illustré par les premiers artistes.il leur sera d’une utilité constante pour l’étude de toutes les questions actuellement à l’ordre du jour.
- S’adresser à M. Faurie, 28, boulevard Voltaire,
- Paris.
- L’Astronomie, Revue mensuelle d’Astronomie populaire, de Météorologie et de Physique du globe, par M. C. Flammarion. — N° de janvier 1886. Annuaire astronomique pour l’année 1886, par M. E. Vimont. — Les étoiles filantes du 21 novembre et la comète désagrégée, par M. C. Flammarion.— Documents envoyés de tous les pays sur les étoiles filantes du 21 novembre. — Observations astronomiques, par M. Vimont. (Gauthier-Villars, quai des Augustins, 55, Paris.)
- État civil du Familistère.
- Semaine du 4 au 10 janvier 1886
- Naissances :
- Le 4 janvier, de Varlet Marie-Georgette, fille de Varlet Charles et de Lebègue Clotilde.
- Le 5 janvier, de Ballavoine Madeleine Louise Gabrielle, fille de Ballavoine Paul et de Baudes-son Marie.
- Décès :
- Néant.
- Le Directeur Gérant : GODIN
- p.47 - vue 50/838
-
-
-
- LIBRAIRIE DU FAMILISTERE DE GUISE (AISNE)
- OUVRAGES de M. GODIN, Fondateur du Familistère Le Gouvernement, ce qu'il a été, ce qu’il doit être et le vrai socialisme en action.
- Ce volume met en lumière le rôle des pouvoirs et des gouvernements, le principe des droits de 1 homme, les garanties dues à la vie humaine, le perfectiopnement du suffrage universel de façon à en faire l’expression de la souveraineté du peuple, organisation de la paix européenne, une nouvelle constitution du droit de propriété, la réforme des impôts, l instruction publique première école de la souveraineté, l’association des ouvriers aux bénéfices de l’industrie, les habitations ouvrières, etc., etc.
- L’ouvrage est terminé par une proposition de loi à la Chambre des députés sur l’organisation de 1 assurance nat onale de tous les citoyens contre la misère. f
- In-8° broché, avec portrait de l’auteur...................................................... ir-
- SollltioIlS sociales. Exposition philosophique et sociale de l’œuvre du Familistère avec la vue générale de l’établissement, les vues intérieures du palais, plans et nombreuses gravures :
- Éditi m in-8°...........................................................................^ f •
- Edition in-18...............................................|.......................... • 5 Ir.
- Mutualité sociale et Association du Capital et du Travail ou extinction du paupérisme
- par la consécration du droit naturel des faibles au nécessaire et du droit des travailleurs à participer aux bénéfices de la production.
- Ce volume contient les statuts et règlements de la Société du Familistère de Guise.
- In-8° broché, avec la vue générale des établissements de l’association..................5 fr.
- Sans la vue.............................................................................4 fr.
- Mutualité nationale contre la Misère. — Pétition et proposition de loi à la Chambre des députés
- brochure in-8°, extraite du volume « Le Gouvernement ».....................• • . . 1 fr. 50
- Les quatre ouvrages ci-dessus se trouvent également : Librairies Guillaumin et Cie, /4, rue Richelieu, Paris
- Les Socialistes et les Droits du travail . . 0,40 cent. La Richesse au service du peuple .... 0,40 cent.
- La Politique du travail et la Politique des privilèges. 0,40
- La Souveraineté et les Droits du peuple..............0,40
- ÉTUDES SOCIALES
- N° 1 - Le Familistère, brochure illustrée contenant cinq vues du Familistère et de ses dépendances, fait connaître les résultats obtenus par l’association du capital et du travail, association
- ouvrière au capital de 4.600.000 francs .... .....................................0 fr. 40
- Dix exemplaires 2 fr. 50.
- - N” 2 La Réforme électorale et la Révision constitutionnelle.....................o fr. 25
- N° 3 - L’Arbitrage international et le Désarmement européen........................0 fr. 25
- N° 4 - L'Hérédité de l’Ëtat ou la Réforme des impôts...............................0 fr. 25
- N° 5 - Associations ouvrières. — Enquête de la commission extra-parlementaire au ministère de l’Intérieur. Déposition de M. GODIN, fondateur de la Société du Familistère de Guise
- N° 6 - Ni Impôts ni Emprunts — L’Hérédité de l’Etat, base des ressources publiques o fr. 25
- Les Nos 2 à 6 des Études sociales se vendent : 10 exemplaires 2 fr.
- ______________________»________»________»________»__________100 » 15 fr.
- Histoire de l'association agricole de Ralahine (Irlande). Résumé des documents de
- M. E T. Craig, secrétaire et administrateur de l’association. Ouvrage d’un intérêt dramatique, tr duit par Marie Moret....................................................................0,75 cent.
- Histoire des équitables pionniers de Rochdale, de g. j. holyoake. Résumé traduit de
- l’anglais, par Marie Moret.................................................... 0,75 cent
- La Fille de son Père. Roman socialiste américain, de Mme Marie Howland, traduction de M. M., vol, broché....................................................................3 fr. 50
- Collection du « DEVOIR »
- 1er volume broché
- 2me » »
- 3me » »
- 3 fr. 3 »
- 6 »
- 4me volume broché. 5me » »
- 8 f r.
- 9 fr.
- Les 6me, 7me, 8ma et 9rae volumes ne se vendent qu’avec la collection entière, les 9 volumes brochés ensemble 90 fr., franco.
- Guise,— lmp. Barë
- p.48 - vue 51/838
-
-
-
- 10e Année, Tome 10.— N* 385 Le numéro hebdomadaire 20 c. Dimanche 24 Janvier 1886
- t v TiwrAni
- LISi ilHivvlll
- REVUE DES QUESTIONS SOCIALES
- BUREAU a GUISE (Aisne) ABONNEMENTS PAYABLES D’AVANCE 1 par l’envoi, soit au bureau de Guise, soità celui de Paris, de timbres-poste ou de mandats de poste, dont
- Toutes les communications le talon sert de quittance.
- et réclamations France Union poatalf
- doivent être adressées à Un an ... 10 fr. »» Un an. ... 11 fr.»
- H. GODIN, Directeur-Gérant Six mois. . . 6 »* Antres pays Un an. . . . 13fr. 60 ||
- Fondateur du Familistère Trois mois. . 3 »»
- OH S'ABOHHB
- A PARIS
- , ras Kenve-des-Petlts-Champs Passage des Deux-Pavillons
- S’adresser à H. LETMARIE administrateur delà Librairie des sciences psychologiques.
- PROGRAMME POLITIQUE D’ACTUALITE
- RÉFORMES POLITIQUES.
- Placer la protection et le respect de la vie humaine au-dessus de toutes choses dans la loi et dans les institutions.
- Eviter la guerre, la remplacer par l’arbitrage entre nations.
- Faire des garanties de la vie humaine la base de la constitution politique et sociale du gouvernement.
- Consolider la République en inaugurant la souveraineté nationale par l’organisation du suffrage universel.
- Fonder cette organisation du suffrage sur la base du scrutin de liste nationale pour l’élection des députés et du renouvellement partiel et annuel de la Chambre.
- Election et dépouillement à la commune.
- Recensement départemental au chef-lieu du département.
- Recensement national à Paris.
- Proclamation du quart des députés à élire paroi les candidats qui auraient obtenu le plus de voix.
- Affichage de cette proclamation dans toutes les communes de France, avec la liste de tous les candidats qui auraient obtenu plus de 10.000 voix.
- Second tour de scrutin, le troisième dimanche après l’affichage de la liste des candidats sortis du vote.
- Ce système aurait pour conséquences :
- La réforme du régime parlementaire ;
- La moralité dans les élections ;
- La liberté de l’électeur dans le choix de ses candidats, avec la presque certitude de donner un vote utile ;
- L’égalité des citoyens devant l’urne ; chaque électeur votant, partout la France, pour autant de noms qu’il y a de Ministères, c’est-à-dire de départements des affaires publiques ;
- La possibilité de la représentation proportionnelle et, par conséquent, des minorités ;
- La représentation par les supériorités ;
- p.49 - vue 52/838
-
-
-
- 50
- LE DEVOIR
- Le contrôle des électeurs sur leurs mandataires ;
- La moralisation du régime représentatif, les députés qui failliraient à leur programme et à leurs engagements étant vite remplacés ;
- Avec ce système les députés élus‘par le collège national seraient les députés de la France ; ils ne seraient plus élus qu’en raison de leur conduite législative ; ils seraient responsables devant la nation de l’observation loyale de leurs engagements et du programme qui leur aurait mérité l’élection.
- RÉFORMES CIVILES.
- Abolition régulière et progressive des abus de l’impôt en prélevant les ressources nécessaires à l’Etat sur la richesse acquise ; mais en faisant ce prélèvement après la mort des personnes et non de leur vivant
- A cet effet, établissement du droit d’hérédité de l’Etat dans les successions.
- Droit d’hérédité progressive sur les héritages en ligne directe ; l’Etat prélevant peu de chose sur les petites successions, mais élevant son droit progressivement jusqu’à 50 ()]0 sur les fortunes dépassant cinq millions.
- Droit de 50 0[0 sur tous les testaments.
- Droit complet d’hérédité de l’Etat en ligne collatérale et sur tous les biens n’ayant ni héritiers directs ni légataires.
- Abolition de l’impôt sur tous les biens tombés en héritage à l’Etat, mais substitution à cet impôt d’un revenu sur tous les biens revendus par l’Etat et d’un fermage sur tous les biens loués par lui.
- Suppression régulière, par ce moyen, des fermages payés aux propriétaires intermédiaires ; la propriété immobilière devant être exploitée par ceux qui la détiennent soit comme fermiers, soit comme propriétaires.
- RÉFORMES SOCIALES.
- Institutions de garanties sociales en faveur des classes laborieuses et pauvres par l’hérédité de l’Etat.
- Protection à l’association entre le capital et le travail.
- SOMMAIRE
- Aphorismes et préceptes sociaux. — Fin des monopoles par l'hérédité.— Déclaration ministérielle. — Protection des femmes Anglaises employées dans l’industrie.— Ligue pour la défense et Vorganisation des droits du travail. — Académie des sciences morales et politiques. — Chaire de Socialisme.— La représentation nationale.— Un scandale.— Avant d’être ministre.— Lapêcheau Harengs.— Société républicaine d’économie sociale. — Bibliographie.— Maître Pierre.
- APHORISMES & PRÉCEPTES SOCIAUX
- LXXXXVI
- Répartition de la Richesse.
- La première protection de la société doit consister à garantir par une sage mutualité l’indispensable à l’existence de tous les citoyens.
- La deuxième à leur assurer l’instruction et tous les moyens de développement de l’intelligence et de l’esprit.
- La troisième à faire que les bénéfices reviennent au travail et à l’activité qui les produit.
- FIN DES MONOPOLES
- PAR
- L’HÉRÉDITÉ DE L’ÉTAT
- 10me Article.
- Il n’y a pas que la France où le monopole de la terre et de la richesse par voie d’hérédité soit la cause du paupérisme et de la misère du peuple ; ce monopole est la plaie de toutes les nations.
- Il a été la plaie des nation* anciennes, depuis la constitution féodale de la propriété par les brigandages de la guerre dépouillant et asser-vissant les vaincus au profit des vainqueurs ; il est aussi la plaie des nations modernes chez lesquelles il se continue ou s’organise par d’autres moyens.
- Aux États-Unis d’Amérique, par exemple, la civilisation a dépouillé les indigènes par voie
- Lire le Devoir des 8, 15, 22 et 29 Novembre, 13, 20, 27 Décembre 1885, 10 et 17 janvier 1886.
- p.50 - vue 53/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 51
- d’envahissement; mais ce n’est pas à main armée qu’elle s’est partagée les terres. D’immenses espaces étaient abandonnés devant elle, et c’est par la spéculation du capitalisme que ces terres ont cessé d’être libres. C’est par l'accaparement des terres que les États-Unis, nations naguère si prospères, en sont arrivées, en quelques années, aux mêmes embarras que les nations de l’ancien continent d’Europe. Tant que la terre a été d’un accès plus ou moins libre à la colonisation, la prospérité des États-Unis s’est développée ; mais du moment où la spéculation est parvenue à accaparer les terres, les États-Unis avec leurs immenses plaines n’offrirent plus d’autre ressource aux émigrants que de se mettre à la merci des accapareurs et des spéculateurs, et le travail de colonisation a perdu son essor.
- Eh bien, les avantages que le nouveau monde est en train de perdre, il faut que le monde ancien travaille à les recouvrer; il faut que. par le droit d’hérédité nationale. In société rentre en possession du sol et que, sous la protection de l’Etat et d’une législation rationnellement établie, la terre et les instruments de travail deviennent accessibles à tous.
- Cela pourrait se faire sans trouble ni révolution si les hommes étaient assez sages pour se ménager l’avenir ; ils pourraient faire que l’État, usant du droit légitime qu’il doit avoir dans toute richesse acquise par le fait des services qu’il a tenus à la disposition de ceux qui ont fait fortune, rentre, après la mort des citoyens, en possession de tout ou partie des biens qu’il les a aidés à acquérir.
- Or, en 1884, les successions se sont élevées:
- En ligne directe, à 3.385.767.836 fr.
- Par testaments et
- entre époux, à . • 750.389.105 4,136.156,941
- En ligne collatérale, à . . . . 942.245.307
- Total. . . . 5.078.402.248
- Cette somme de cinq milliards, soixante dix-huit millions, quatre cent deux mille, deux cent quarante huit fr. se partageant :
- En biens meubles pour une valeur de 2.426.910.264 fr.
- Et en biens immeubles pour une valeur de. . . . 2.651.491.984
- Somme égale. . 5.078.402.248
- Donations entre-vifs :
- En ligne directe 971.263.928
- Entre époux et personnes non parentes ............. 19.692.747 990.956.675
- En ligne collatérale . . , . . 31.575.054
- 1.022,53 D729
- N’est-il pas évident que sur des sommes aussi considérables de biens qui passent gratuitement dans de nouvelles mains, il serait juste que l’État reçût la part de richesse qu’il a aidé à produire ?
- Ne serait-il pas équitable que cette part lui revînt au moins dans l’intérêt des travailleurs qui ont élevé ces fortunes à la sueur de leur front ?
- L’État pourrait ainsi aider les travailleurs mêmes à organiser la mutualité nationale, pour assurer à tous l’indispensable à l’existence ; il pourrait les aider encore à organiser le travail en agriculture et en industrie, de manière à ce que le travailleur participât aux bénéfices, en raison de la valeur du concours qu’il apporte à la production.
- Au contraire, les fortunes princières et financières thésaurisent dans tous les pays du monde, augmentent l’étendue de leurs propriétés et de leurs richesses, accaparant partout les profits du travail, et condamnant par ce fait les travailleurs à la misère.
- La crise formidable qui sévit aux États-Unis aurait-elle lieu si la propriété n’y était pas accaparée par de grands spéculateurs; si, faute de trouver du travail en industrie, le peuple trouvait toute facilité à l’exploitation des terres incultes que renferment encore aujourd’hui ces États.
- Mais ces terres qui seraient capables de fournir du pain à ceux qui en manquent sur tous les continents, sont maintenant détenues parles spéculateurs qui ne les délivreront plus qu’avec gros bénéfices, de sorte que le travailleur doit payer par avance une prime au propriétaire foncier avant de pouvoir user du sol. Cette prime sur les émigrants, sur les colons, prélevée au profit des spéculateurs finit par mettre toutes les sources de la richesse publique aux mains d’un petit nombre pour lequel tous les autres travailllent, au lieu de travailler pour eux-mêmes.
- Le peuple concourt par un labeur incessant à la création de tout ce qui est indispensable aux entreprises de ces spéculateurs, mais en faisant cela, il augmente la puissance de ses exploiteurs, il se rive au joug du salaire.
- p.51 - vue 54/838
-
-
-
- 52
- LE DEVOIR
- La féodalité financière prélève tous les bénéfices ; les accroissements de la fortune et de la richesse du pays se concentrent en un certain nombre de mains ; on voit alors s’élever des fortunes colossales de un milliard 500 millions comme celle de Vanderbilt, fortunes dont les revenus suffiraient à eux seuls pour nourrir cent mille individus.
- Alors, au lieu de terres libres et d’un pays libre, il n’y a bientôt plus que des exploiteurs et des exploités. Aussi est-ce d’Amérique que souffle ce vent de tempête qui demande l’expropriation sans indemnité de tous les propriétaires, ou la main mise par l’Etat sur les revenus du sol et de la propriété.
- Et moi je leur dis : Laissez tous ces hommes ardents aux entreprises jouir en paix de la fortune qu’ils ont acquise, mais que l’État, au nom du peuple, reprenne, à leur mort, la moitié au moins des biens tombés en leur possession. Ce procédé légal, fondé en principe sur la justice et l’équité mettra fin à tous les monopoles et ouvrira l’ère de la rédemption du travail.
- Puisque les Etats-Unis ont versé dans l’ornière des vieux continents, puisqu’ils ont favorisé l’accaparement, puisqu’au lieu de distribuer les terres à de véritables colons exploitant par eux-mêmes, ils ont admis des spéculateurs intermédiaires entre l’État et les colons, spéculateurs qui aujourd’hui exploitent le peuple des fermiers, des cultivateurs et des ouvriers, que par l’hérédité de l’État le nouveau-monde rentre en possession de ses terres, la spéculation sera sapée par la base, l’activité colonisatrice reprendra son essor, et les centaines de mille ouvriers sans travail auxquels la terre est devenue aussi inaccessible que l’atelier, parce que les accapareurs la détiennent, retrouveront les mêmes facilités qu’autrefois.
- La possession de la terre dans des limites dépassant ce que chacun peut en mettre en valeur est un accaparement du droit social dont les conséquences se manifestent par la richesse et l’opulence des uns, la misère et les souffrances des autres.
- Mais ce n’est pas au nouveau monde que ces abus ont pris naissance ; ils n’ont fait que s’y transporter de notre vieille Europe. C’est donc à celle-ci qu’il appartient de donner l’exemple de l’émancipation des peuples.
- L’Europe a tout autant besoin que les États-TTms, si ce n’est plus encore, d’assurer les moy-
- ens d’existence de ses habitants par une plus équitable répartition de la richesse.
- Toutes les nations européennes portent dans leur constitution le cancer rongeur des abus de la propriété ; toutes, elles protègent la propriété de préférence à la vie humaine ; partout, elles protègent la richesse et ses monopoles à l’exclusion du travail, et, par conséquent les classes riches de préférence aux classes pauvres.
- L’Angleterre est un premier exemple des iniquités consacrées de la possession delà terre et des abus qui en résultent.
- Quelle belle solution l’hérédité de l’État serait pour ce malheureux peuple d’Irlande, pour ce peuple infortuné auquel a été ravie la terre de son propre pays.
- Alors, au lieu de voir se transmettre de père en fils le monopole de la terre, le monopole d’un sol volé par la conquête, la nation rentrerait avec le temps, par l’hérédité nationale, en possession de son sol.
- Que l’Angleterre édicte une telle loi, l’Irlande sera pacifiée et retrouvera vite la prospérité et la paix.
- D’un peuple aujourd’hui condamné à la plus affreuse misère surgira un élan irrésistible de régénération.
- Mais, au lieu de cela, la civilisation présente, oublieuse des droits de la vie humaine, accorde encore au droit de propriété une telleprotection, de tels privilèges, que l’homme n’est rien devant ce droit ; que la vie, humaine est sacrifiée à l’arbitraire du propriétaire.
- Qu’il plaise, aux détenteurs de vastes contrées comme cela existe en Irlande, en Écosse, en Allemagne, en Russie, en Italie etc., de faire raser les fermes et les villages occupés par leurs tenanciers, d’établir la solitude sur leurs terres de les peupler de bêtes fauves afin d’avoir des chasses grandioses, cela leurest permis.
- On expulse les fermiers et les paysans et cela sur une étendue égale à un département français; les familles des fermiers vont où elles peuvent, restent sans droit à la vie, meurent de misère, peu importe, cela est conforme à la loi humaine, à la protection due au droit de propriété.
- Ces monstruosités sont encore dans les lois de nos jours sur le droit de la propriété.
- On conçoit qu’il en sera ainsi tant que le droit de propriété ne sera pas limité, tant que les individus pourront indéfiniment augmenter leur ri-
- p.52 - vue 55/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 33
- chesse, la transmettre en famille, la gérer sans souci des tenanciers, des travailleurs, des ouvriers qu’ils occupent,
- Car, il n’y a pas que le propriétaire terrien qui jouit de ce droit abusif, le propriétaire de l’usine et de la fabrique possède le même privilège.
- De même que les propriétaires de grands domaines peuvent faire la solitude sur leurs terres, leurs forêts et leurs prairies, augmenter les beaux ou raser les fermes ; de même les propriétaires d’usines et de fabriques peuvent baisser les salaires, congédier lesouvriers, fermer les ateliers, démolir usines et fabriques suivant leur bon plaisir, sans que fermiers, cultivateurs, laboureurs, ingénieurs , employés ni ouvriers aient à prétendre le moindre appui contre cet attentat à leurs moyens d’existence.
- Qu’on ne pense pas que j’entende porter atteinte à l’initiative et à la liberté d’action individuelle, bien au contraire, rien ne doit être plus respecté que la liberté du citoyen; ce que j’entends, c’est de ne pas donner à quelques-uns la faculté de faire tout le mal possible à la grande masse du peuple, par les abus de la propriété ; l’hérédité de l’État serait le frein salutaire contre ces excès. A suivre.
- Considérant comme d’un heureux présage la déclaration que le Ministère vient de faire devant les Chambres, nous la donnons à nos lecteurs et la consignons dans le Devoir à titre de document.
- Déclaration Ministérielle
- Voici le texte de la déclaration ministérielle, lue à la Chambre et au Sénat.
- Messieurs,
- Appelés à exercer le pouvoir dans des conditions difficiles, nous sommes cependant pleins de confiance dans le succès de nos efforts, si vous voulez bien nous aider de vos lumières et nous soutenir de votre approbation.
- Concentration républicaine
- La composition de notre cabinet vous indique la ligne de conduite que nous entendons suivre.
- Dans la situation créée par les dernières élections législatives, aucun gouvernement ne saurait durer sans l'appui de toutes les fractions de la majorité républicaine. Ce qui s’impose donc est une politique de conciliation entre ces diverses fractions, demandant à chacunes d’elles certains sacrifices, en considération des sacrifices consentis par 1 es autres.
- De là doit sortir une marche mesurée, prudente, mais continue, vers les réformes réclamées par la démocratie. Il convient de les aborder successivement, avec méthode, sans vouloir tout faire accepter à la fois de ceux que des programmes trop vastes inquiètent et éloignent.
- Epuration du personnel
- La tâche de l’année 1886 nous parait fort simple à définir : En premier lieu nous avons à ramener l’ordre et la discipline dans l’administration.
- A la faveur des idées libérales qui sont l’honneur de la République, et de l’indépendance qu’elle tend de plus en plus à assurer au citoyen, certains fonctionnaires en sont arrivés, par une singulière confusion, à se considérer comme affranchis de toute obligation envers l’Etat, en dehors de l’accomplissement de leur devoir professionnel. Non-seulement ils n’apportent pas leur appui aux institutions au nom desquelles ils exercent leur mandat, mais ils se croient permis de les combattre ouvertement. Il est temps qu’un spectacle aussi anarchique cesse.
- Il faut que nul n’oublie désormais que la liberté d’opposition contre le gouvernement n’existe pas pour les serviteurs de l’Etat. Ceux-ci doivent à la République tout au moins une attitude digne, loyale et respectueuse. Nous sommes décidés à obtenir partout le dévouement et la fidélité, et à faire, dans ce but, les exemples nécessaires.
- La question cléricale
- L’intervention du clergé dans nos luttes politiques, et récemment encore dans les élections,est pour tous les esprits sages un sujet de sérieuses préoccupations. Chacun a compris qu’une telle situation ne saurait se perpétuer et que le grave problème de la séparation des Eglises de l’Etat ne tarderait pas à s’imposer irrésistiblement.
- C’est là, il faut bien le dire, une des questions que la politique seule est malhabile à trancher, car elle a ses racînes jusque dans les profondeurs les plus intimes de la conscience du citoyen.
- Avant que le législateur prononce souverainement, il faut que la libre discussion, les débats solennels des Chambres, le rayonnement des idées aient préparé dans le pays les solutions les plus conformes aux tendances de l’esprit moderne.
- En attendant, le clergé doit, sous peine de provoquer une brusque rupture, se renfermer dans le rôle que lui tracent son mandat et la nature même des choses. Le gouvernement saura, de son côté, tenir fermement la main à ce que les droits de la société civile soient scrupuleusement respectés. Il désire l’apaisement, mais il n’hésitera pas à faire sentir le poids de son autorité à ceux qui seraient tentés de la méconnaître.
- p.53 - vue 56/838
-
-
-
- 54
- LE DEVOIR
- L’équilibre du budget
- La seconde partie de noire fâche consistera à rétablir l’équilibre dans le budget. Depuis plusieurs années, sous l’influence de causes diverses, dont quelques-unes échappent entièrement à l’action des gouvernements, les dépenses ont excédé les ressources normales.
- De là des découverts et des emprunts successifs, qui, sans porter atteinte à la solidité de notre crédit, méritent cependant toute l’attention des pouvoirs publics. Le pays a clairement manifesté qu’il voulait avoir des finances à l’abri de toute critique.
- Nous croyons que le budget de 1887, qui vous sera bientôt présenté, répondra à son attente. Nous comptons réaliser l’équilibre sans recourir à l’emprunt pour doter les services et pourvoir aux dépenses coloniales et sans créer de nouveaux impôts. De sévères économies, opérées dans les divers départements ministériels, quelques remaniements de taxes, sans influence sur la consommation, nous fourniront les ressources nécessaires et nous permettront même, nous l’espérons, de faire une part spéciale à l’agriculture.
- Les départements de la guerre et de la marine sont appelés à faire aux nécessités budgétaires de sérieux sacrifices ; il les réaliseront sans compromettre en rien notre force militaire, que votre patriotisme ne laisserait pas affaiblir.
- Suppression du budget extraordinaire
- Notre intention n’est pas seulement de faire entrer dans le budget normal les dépenses qui, cette année encore, comme celles du Tonkin et de Madagascar, grèvent la dette flottante,mais aussi de supprimer le budget extraordinaire, grâce à certaines combinaisons qu’il serait prématuré d’indiquer aujourd’hui.
- Réforme de l’impôt
- En même temps que ces moyens combinés permettront de faire face honorablementaux besoins du prochain exercice, nous nous préoccuperons de préparer avec maturité, pour les budgets suivants, les réformes que notre état social et économique peut rendre nécessaires dans notre législation fiscale.
- Nous serons inspirés dans ces études far-l’esprit démocratique de notre époque et par le ferme désir d’assurer une répartition plus équitable des charges qui pèsent sur le1 contribuable.
- Les aventures coloniales
- S’il est un point sur lequel le suffrage universel se soit exprimé sans équivoque, c’est sur la direction à donner à nos affaires extérieures. Il entend que la France aifurie politique digne et pacifique et quelle concentre sesj forces sur le continent, pour être respectée de tous sans être une menace 'pour personne. 1
- Il ne veut plus de ces expéditions lointaines, qui sont pour le pays une source de sacrifices dont la compensation n’appartiendrait pas toujours clairement.
- Il sait, d’ailleurs, que les colonies ne prospèrent que lorsque la métropole est puissante et que les bonnes finances sont la première condition d’un commerce florissant.
- Les protectorats
- Soucieux du bon renom de la France, nous conformant aux décisions du Parlement, nous garderons les possessions récemment acquises ; nous nous appliquerons à en tirer le meilleur parti possible, en limitant les sacrifices, en les réduisant à ce qui est strictement indispensable.
- Dans cette pensée, nous organiserons le protectorat de l’Annam et du Tonkin, ainsi que celui de Madagascar, sur des bases extrêmement simples. Comme nous l’avons indiqué dans une discussion récente, nous estimons que les dépenses du premier de ces protectorats qui figurent à l’exercice 1886 pour 75 millions, tomberont à 30 millions en 1887 et disparaîtront graduellement en quelques années.
- C’est en vue de poursuivre plus directement ce but que le service des protectorats a été temporairement séparé de celui des colonies et rattaché au département des affaires étrangères. Plus tard, quand le problème sera résolu, ils seront réunis en une seule et même administra, lion.
- Projets divers
- A côté de ces travaux essentiels, qui nous paraissent constituer l’œuvre propre de l’année 1886, s’en placent d’autres, qui réclameront de vous des décisions.
- Nous citerons les mesures qui intéressent le sort des travailleurs, les lois militaires, la révision de notre procédure civile et ckiminelle, la réduction des frais de justice, les lois d’enseignement et un projet prochain pour régler la condition et améliorer le traitement des instituteurs.
- Après 1886
- Nous croyons, messieurs, que si le cercle que nous venons de tracer devant vous est convenablement parcouru, l’année 1886 aura été bien remplie. Nous pourrons ensuite, sur le sol déblayé et raffermi, à l’abri d’institutions qui détient toute attaque — et qu’au besoin nous saurons faire respecter de tous, — avancer résolument vers les réformes que le pays attend de nous ; car l’ordre républicain n’est pas l’immobilité. Il doit être un effort incessant vers le progrès, un accroissement continu de la liberté, une élévation constante du niveau matériel et moral de la démocratie,
- C’est la grande tâche que nous apercevons pour la lé-
- p.54 - vue 57/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- gislature qui s’ouvre véritablement aujourd’hui ; elle est | digne de votre patriotisme éclairé. Vous pourrez, en l’accomplissant, aborder avec confiance les consultations successives du suffrage universel.
- Nous convions à cette tâche, sans distinction de parti, tous ceux qui ont exclusivement à cœur l’intérêt de la France et l’avenir de la République.
- Protection des femmes Anglaises employées dans l'Industrie.
- Le Devoir pratique l’échange avec un vaillant petit journal dont le but, bien que ne pouvant apporter qu’une atténuation aux misères sociales s’il était généralisé, intéressera certainement nos lecteurs.
- Ce journal est intitulé : Women’ s union journal (journal de l’unioa des femmes.) Il s’intitule en sous-titre :
- Organe de la ligue de protection et de prévoyance des femmes.
- Cette ligue s’entend des femmes employées dans les industries quelconques de la Grande-Bretagne
- Sous l’impulsion de la ligue un certain nombre d’unions fé-minimes se sont fermées depuis des années et fonctionnent régulièrement.
- Ces unions ont leur bureau : Présidence, Secrétariat, Trésorerie . Elles o»t des assemblées fixes. Leurs écritures sont tenues d’une façon régulière.
- Londres compte sept de ces Unions de femmes « Women's union journal » expose comme suit le but principal de son action :
- « Trois millions et demi de femmes gagnent des salaires dans des industries diverses en Angleterre et dans les Galles.
- « Chaque industrie dans laquelle les femmes sont employées devrait donner lieu à une Union de protection et de prévoyance.
- « De telles Unions ont pour objet :
- 1° De protéger les intérêts professionnels des membres en s’efforçant, quand il est nécssaire, de prévenir la baisse injuste des salaires et d’égaliser les heures de travail.
- 2° De constituer un fonds servant aux membres des allocations hebdomadaires , en cas de maladies ou de chômage.
- 3* De publier les avis concernant le travail, les offres d’emploi et les informations utiles.
- 4® De faciliter le réglement amiable des conflits entre patrons et ouvriers.
- « Les membres de chaque Union arrêtent en Assemblée générale leur réglement et le taux des cotisations.
- « Dans quelques-unes des Sociétés la souscription est de 20 à 30 centimes par semaine ; le droit d’admission est de lfr 25 ou 2fr 50, et l’allocation en cas de maladie ou de chômage est de 6fr 25 à 8fr 75 par semaine, pendant une période d’une à huit semaines par an. »
- En attendant la généralisation des associations entre le capital et le travail, nous souhaitons que les ouvrières françaises par des institutions analogues à celles relatées ci-dessus, développent chez elles les sentiments de prévoyance et de fraternité, et s’organisent pour se prêter un mutuel concours. -------------±----------------------------------------------
- 55
- LIGUE POUR LA DEFENSE
- ET L’ORGANISATION DES DROITS DU TRAVAIL (D III
- Conférences
- Le comité exécutif, étant d’avis que les conférences constituent le mode de propagande le plus pratique et le plus satisfaisant, organisa des conférences trimestrielles dans les endroits où lu population ouvrière désirait être initiée au principe par lequel le travail s’emploierait lui-même.
- La première conférence eut lieu à Hebden Bridge, le 13 janvier 1885.
- Environ 100 délégués étaient présents.
- M. E. Y. Neale lut un discours intitulé :L’association du travail, ses principes, son but et sa méthode.
- Une discussion animée suivit; le débat fut clos par la Résolution suivante prise à l’unanimité : « La conférence, ayant entendu M. Neale exposer « les principes, le but et la méthode de l’association « du travail, approuve les choses exposées et « recommande que tous les efforts possibles soient « faits pour obtenir en leur faveur Je soutien de « toutes les personnes partisans de l’élévation du « travail. »
- La seconde conférence eut heu à Goventry, le samedi 21 mars 1885. Environ 80 délégués y assistaient.
- M. E. O. Greening lut un discours intitulé : Organisation des sociétés coopératives de production.
- Ce discours fut très apprécié et les délégués étaient des plus désirnux d’obtenir toute information possible concernant l’élablissement et le fonctionnement des Loges de l’Association du travail.
- Une réunion publique eut lieu dans la même ville le soir même. Les résolutions suivantes furent votées à Tunanimité :
- 1 « — Dans l'application du principe de l’association du travail réside la véritable et pacifique solution des problèmes industriels et sociaux du jour.
- 2® L’Assemblée souhaite la bienvenue à la Ligue nouvelle pour le développement de la production coopérative basée sur l’association des travailleurs.
- 3° — L’Assemblée s'engage à soutenir a Coven-
- (1) Lire le Devoir des 10 et 17 janvier 1886.
- p.55 - vue 58/838
-
-
-
- 56
- LE DEVOIR
- try une ou plusieurs loges de Labour Association »
- Loges
- Des loges, maintenant, en pleine activité, furent établies dansles localités suivantes : Hebden Bridge, Newcastle, Bradfort, Ripley Coventry, Keighley, Leeds. Plusieurs autres sont en voie de formation.
- Le secrétaire de la loge de Hebden Bridge écrit : « Nos membressont principalement des ouvriers de la société manufacturière de futaines. Grâce en partie à l'influence de la Loge, cette société a ouvert la liste de ses actions aux épargnes de son personnel ouvrier ; ces épargnes sont reçues à titre d’actions spéciales, remboursables, si le possesseur vient à cesser d’être attaché aux travaux de la société.»
- La loge de Leeds est composée entièrement d’ouvriers juifs tailleurs, imprimeurs et mécaniciens. Ces ouvriers ont leurs Trades-Unions et désirent ardemment voir appliquer les fonds des Trades-Unions, au propre emploi des ouvriers, afin d’être libérés du joug écrasant du système actuel.
- Situation Financière
- Le premier rapport annuel de « Labour Association » que nous avons en mains, se termine par la liste des souscripteurs et donateurs pour l’année finissant au 30 Avril 1885, et par l’état des comptes au 22 mai 1885.
- Nous comptons 57 souscripteurs ou donateurs parmi lesquels 5 compagnies ou Sociétés industrielles, 1 Institut coopératif et 4 loges.
- Les souscriptions et donations annuelles s’élèvent ensemble au total de 4.285 fr, 70 cent.
- Il a été dépensé du 2 juin 1884 au 12 mai 1885, 3.922 fr, 20 : ce qui laisse une réserve de 363fr, 50. Nous avons vu qu’il était entendu que, sauf déclaration contraire, les souscriptions et donations étaient renouvelées pendant cinq ans.
- Sociétés coopératives de production reliées à « Labour Association»
- La loge métropolitaine N° 9 de « Labour Association » a déjà, sous l’influence de la ligue nouvelle, fondée une société intitulée :
- « London productive society limited »
- Cette société a pour objet la fabrication et l’expédition d’articles variés de consommation domestique, à vendre par l’entremise des sociétés coopératives de consommation.
- Le comité provisoire, composé de six membres
- parmi lesquels nous retrouvons M. E. Vansiltart Neale et MM. Greening, père et fils, a décidé de commencer par la fourniture du cacao.
- En conséquence, une enquête est actuellement suivie par le comité pour recueillir près des sociétés coopératives de consommation les informations voulues, pour satisfaire pleinement aux besoins de ces sociétés.
- Aussitôt que les arrangements nécessaires seront complétés un tarif sera dressé au comité de chaque société coopérative.
- « London productive society » est enregistrée conformément à la loi de 1876 sur les sociétés industrielles.
- Son capital est constitué par l’émission d’actions transférables de la valeur d’une Livre f25 francs).
- La responsabilité de chaque actionnaire est limitée à la somme des actions qu’il détient.
- La Société est fondée sur le principe de l’Association du Travail, la somme des bénéfices étant employée au bien des travailleurs, comme on va le voir par l’extrait suivant des principales règles des statuts.
- I. Le nom de la société est :
- « London Productive Society limited »
- II. L’objet spécial de la société est la fabrication et l’expédition d’articles variés d’usage domestique vendus par les magasins coopératifs, les épiciers les débitants d’huile et les droguistes.
- III. Le siège social de la société est : 115, Gannon Street, à Londres.
- IV. Nul ne peut être membre s’il n’a 18 ans révolus.
- V. Le comité se compose d’un président et de six commissaires. Le mandat de deux des commissaires expire à chaque assemblée ordinaire.
- Le président est le directeur de la Société.
- Le premier président de la Société demeurera un an en fonction, après quoi il peut être écarté par un vote de la majorité des membres de la Société votant sur la proposition du Comité. Le secrétaire est un des membres du comité.
- VI. Le sceau de la société aura la forme d’un diamant portant ces mots: Pas à pas (Step by Step) et le nom de la Société sera gravée sur chaque face.
- VII. Les bénéfices restants, après prélèvement pour le fonds de réserve et les amortissements et paiement de toutes les charges industrielles et autres, seront appliqués comme suit :
- 1° Au capital actions, intérêts à 5 p o/0 par an 2° Le reste sera réparti comme suit :
- p.56 - vue 59/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 57
- 30 p 0/o aux travailleurs, au prorata du montant de leurs salaires ;
- 10 p. o/O au fonds de réserve.
- 10 p. 0/o au fonds éducationnel et social.
- 10 p. 0/o au président en qualité de directeur-gérant ;
- 6 p. 0/o aux membres du comité de direction, c’est à dire 1 p. 0/o à chacun des commissaires ;
- 4 p. 0/o au fonds de rémunération des services exceptionnels.
- Ces attributions sont votées en assemblée générale.
- 20p. 0/o aux Sociétés coopératives constituant la clientèle de « London Productive Society.
- Ces 20p. 0/o sont répartis au prorata des achals. Mais n’ont droit à cette répartition que les sociétés qui ont réglé leur compte dans les trente et un jours suivant la date de l’envoi des marchandises.
- lOp 0/o au capital, au prorata du montant des actions de chaque actionnaire.
- Les seules parts de bénéfice comptées en espèces sont les intérêts du capital.
- Les autres parts, soit celles allouées aux travailleurs, aux chalands ou les dividendes aux actionnaires sont comptées en actions.
- VIII. L’article ci-dessus est déclaré fondamental et ne pourra être écarté ou modifié sans le consentement des deux tiers des membres en cause.
- •¥• *
- L’un des documents qui contiennent les informations que nous venons de donner se livre à propos de l’art.. 7 aux considérations suivantes :
- « Par les dispositions de l’art, en question tous les membres seront graduellement convertis en actionnaires et auront intérêt à la stabilité et à la prospérité future de l’Association, autant qu’à ses bénéfices immédiats.
- « M. Godin qui a créé la fonderie coopérative de Guise, si merveilleusement prospère, attache grande importance à ce système d’accumuler les bénéfices et de les convertir en capital. »
- Il continue : '
- « Le mode accepté pour la répartition des profits entre le capital et le travail est une combinaison des meilleurs systèmes en usage sous ce rapport.
- « La part faite aux acheteurs dans toutes les Sociétés coopératives de consommation est une mesure démontrée si féconde par la pratique que place lui a été faite comme on l’a vu ci-dessus.
- « Ce mode de répartition détruira, nous l’espé-
- rons, les conflits actuels entre capitalistes et ouvriers, acheteurs et vendeurs, travailleurs de la main et travailleurs de la pensée, et réalisera, entre ces éléments nécessaires de la production, une association qui utilisera chacun d’eux pour le bien de tous, contrairement à ce qui se passe aujourd’hui, où chacun gaspille ses énergies dans une compétition inut île et coûteuse.
- « Les parts de bénéfices mises de côté pour le fonds de réserve seront employées, si la société devient prospère, à assurer les travailleurs contre le dénûment, en cas de maladie, infirmités, vieillesse, etc.
- « Le dixième des bénéfices consacré comme nous avons dit à un fonds éducationnel et social, sera bientôt suffisant, nous l’espérons, pour fournir aux familles employées par la Société une salle de lecture, une salle de réunion, une salle de récréation, etc, toutes choses additionnelles au foyer domestique et des plus nécessaires pour les ouvriers vivant à Londres. »
- Dans l’assembléegénérale des coopérateurs tenue à Londres, le 16 0 ; b 1885, pour jeter les bases de London productive Society», M. E. W. Gree-ning expliquait comme suit l’objet principal de la nouvelle Société :
- « La fabrication du cacao a été choisie parce que le cacao est un article de grande consommation et de bon rapport.
- « 1500 L. de cape la! 037.500 frs) seront nécessaires pour commencer à faire la poudre de cacao dans des proportions modérées ; 500 L. (12.500 frs) seront nécessaires pour les chocolats et probablement autant pour les crèmes ; mais le comité se limitera au début à un seul article et en assurera la prospérité avant de passera un second. »
- Il peut être intéressant, pour faire connaître à nos lecteurs comment les Anglais langent une affaire, de traduire ici la circulaire envoyée par « London productive Society », à chaque Société coopérative de consommation, pour commencer les opérations.
- La circulaire contient dix questions numérotées avec place réservée pour la réponse.
- Elle débute pour une courtoise invitation aux Sociétés de consommation de bien vouloir donner les réponses demandées et retourner la circulaire à l’envoyeur.
- De courts iinprimésindiquant les mérites sociaux et industriels de « London productive society » accompagnent la circulaire.
- p.57 - vue 60/838
-
-
-
- 58
- LE DEVOIR
- Voici les dix questions :
- 1° Quelle est votre consommation annuelle en cacao ?
- 2° Quelle sorte de cacao est préférée par vos acheteurs ?
- Quel prix payez-vous le plus souvent ?
- 3° Quelle dimension de paquet est le plus souvent demandée ?
- 4° Préférez-vous le cacao empaqueté ou en boites?
- 5° Donneriez-vous de préférence vos commandes à des coopérateurs fabriquant le cacao, s’ils vous livraient cette denrée à qualité égale et à aussi bon compte que vos vendeurs actuels, et en vous accordant un droit de participation dans les bénéfices ?
- 6° Combien d’affiches-réclames pourriez-vous exposer dans votre magasin d’épicerie et dans votre magasin central et ses dépendances ?
- Quelles dimensions d’affiches-réclames vous plairaient le mieux ?
- 7° Seriez-vous désireux d’avoir pour vos fenêtres des réclames transparentes ?
- Si oui ! combien ?
- Et de quelle taille à peu près ?
- 8a Vous plaît-il de recommander à vos membres l’adoption en assemblée générale de résolutions analogues à celles, ci-jointes ? (Résolution souhaitant la bienvenue à la nouvelle société productive, s’engageant à la soutenir et votant pour l’achat d’un nombre donné d’actions.).
- Dans l’affirmative,veuillezindiquer quelle somme d’actions vous seriez d’avis de prendre ?
- 9° Vous serait-il agréable de recevoir en notie nom, dans vos assemblées, un ou plusieurs orateurs qui vous expliqueraient le but de « London productive society» et sou tiendraient les résolutions à prendre en sa faveur ?
- Si, oui, veuillez nous dire pour quelle part vous seriez consentants à participer au fonds des dépenses préliminaires, destinées à couvrir les frais de voyages ?
- 10° Combien de prospectus de «London productive society» pourriez-vous avantageusement distribuer parmi les coopérateurs ?
- * *
- Aujourd’hui les dépenses préliminaires de « London productive Society » sont à peu près couvertes par les souscriptions. Bon nombre d’actions ont été placées ; plus de 60 sociétés coopératives de consommation ont fourni les instructions deman-
- dées par la circulaire, promis de s’approvisionner à la société nouvelle et se sont engagées à faire tous leurs efforts pour assurer son succès, aussitôt que la fabrication nouvelle paraîtra sur le marché.
- * *
- Quatre autres sociétés sont actuellementen cours prospère de formation comme celle dont nous venons de parler.
- it
- * +
- A mesure que des informations utiles nous parviendront sur cet intéressant mouvement, nous en ferons part à nos lecteurs.
- Académie des sciences morales et politiques (16 janvier)
- Le surmenage intellectuel et les habitudes sédentaires dans les écoles. — Au nom de l’hygiène, M. Gustave Lagneau vient protester contre les usages en vigueur dans nos écoles et montrer les funestes conséquences yjui en résultent pour produire l’abâtardissement de la race et la propagation de maladies constitutionnelles et héréditaires.
- Déjà MM. Thiers, Carnot, de Laprade, Dury, Jules Simon, Gréatd ont insisté sur la nécessité de limiter le travail intellectuel des écoliers. En dépit de ces remontrances, auxquelles on aurait dû déférer, car elles venaient d’hommes dont l’expérience était consommée et la clairvoyange non suspecte, il semble qu'on hait eu d’autre souci que d’augmenter le fardeau déjà trop lourd des jeunes étudiants : les programmes se sont étendus ; les représentants de toutes les connaissances ont rivalisé d'ardeur pour introduire leurs études dans l’enseignement et donner à cet enseignement la sanction des examens. Le catalogue des questionsauxquelles doit pouvoir répondre l’infortuné qui brigue les diplômes des baccalauréats constitue une effrayante encyclopédie où la chimie, l’algèbre, la physique, la géoméirie, l’histoire universelle, le latin, le grec, l’allemand, l’anglais, la rhétorique et la philosophie se donnent la main.
- C’est absurde et, de plus, extrêmement dangereux.
- S’appuyant sur de nombreuses statistiques portant sur plus de 40,000 élèves et empruntées à vingt observateurs .de tous pays, parmi lesquels il suffira de citer MM. Wave, Colin, Durr, Key, Giraud-Teulon, Javal, Maurice Perrin, Motais, M. Lagneau démontre que les effets du mauvais éclairage des salles et de l’encombrement des dortoirs, des attitudes vicieuses, des habitudes sédentaires, de l’immobilité prolongée, sont la myopie, la scoliose, les déviations de la colonne vertébrale, .les maux d’estomac, la carie dentaire, enfin la tuberculose.
- Le surmenage intellectuel détermine des céphalalgies rebelles, des épistaxis réitérés, la fatigue mentale, un véritable épuisement cérébral.
- M. Lagneau conclut en demandant qu’on modifie les plans d’enseignement et les programmes d’examen en vue d’alléger le fardeau trop lourd à porter qu’on impose à des enfants et
- ; i l
- p.58 - vue 61/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 89
- à dus jeunes gens ; il demande surtout que les heures enlevées au travail intellectuel soient données à des exercices militaires en plein air, à des promenades instructives, à la gymnastique, etc.; il réclame enfin, pour les jeunes gens plus âgés un supplément d’espace, de liberté et d’exercices physiques.
- Chaire de Socialisme.
- Les journaux annoncent une curieuse innovation à l’université de Harvard, Etats-Unis. Un professeur, le révérend John Craham Brooks, a été désigné pour occuper une chaire de Socialisme. Il va de soi, que le révérend M. Brooks ne prêchera pas le socialisme révolutionnaire à la jeunesse dorée de Harvard. Mais l’institution de cette chaire nouvelle n’en est pas moins un intéressant signe des temps.
- (The Common'we&l, (Londres)
- -----------------. « «• .------------------------
- LA
- Les faits nous donnent raison sur biens des points que nous avons signalés pendant la préparation des élections du 4 octobre.
- Nous soutenions que la permanence des comilés et une forte organisation cantonale étaient indispensables au triomphe des candidatures républicaines.
- Nous étions alors à peine écoutés d’un petit nombre de militants pas assez puissants pour influencer les élections générales.
- Mais le lendemain du vote, lorsqu’il fut bien prouvé que l’échec relatif des républicains s’expliquait par le défaut d’organisation, tous les journaux du parti, qui n’avaient accordé aucune attention à nos prévisions, publiaient de nombreux articles engageant les électeurs à se départir de leur inactivité et à fonder des sociétés politiques.
- Dès qu’il a été question de passer à l’exécution, les modérés, surpris par cette mesure dont ils ne contestaient pas l’urgence, se sont mis en frais d’imagination pour trouver quelque combinaison hybride correspondant exactement à leurs aspirations ; ces gens-la voudraient des sociétés politiques qui ne soient pas politiques,formées avec des républicains qui ne soient pas des républicains, et préconisant des réformes qui ne soient pas même des changements.
- Les uns ont imaginé des sociétés dont le but avoué serait de préparer la célébration du centenaire de 89. En réalité, les citoyens réunis dans ces groupes s’occuperaient ordinairement de choses sans portée ; mais, dès que les besoins se feraient sentir, et les modérés seraient les appréciateurs de
- ces circonstances, sur un signal et d’après un mot d’ordre venu de la concentralion des opportunistes de haute marque, tous les membres des sociétés du centenaire feraient campagnes électorales en faveur des candidats patronnés par la fine fleur des gens qui exploitent la modération comme d’autres travaillent dans les denrées coloniales.
- Dans c? rtains départements, on poursuit la formation de syndicats agricol s. Peu importe aux fondateurs la manière dont ces groupements comprendront l’agriculture, pourvu qu’ils aient au milieu de ces syndicats juste assez de meneurs pour provoquer, à l’heure opportune,un semblant d’agitation politique limité à la défense de candidats qu’on désignera au dernier moment.
- Nous ne contestons pas la nécessité de ces groupements. Nous ne trouvons rien à reprendre dans la formation d’une société qui a pour but de préparer la célébration du centenaire, pourvu que les groupes de cet ordre soient organisés sans arrière-pensée et que leur but réel soit celui qu’indique leur titre.
- Ce n’est pas m u: qui redoutons les syndicats agricoles ; nous voudrions que tous lesagric ilteurs soient encadrés dans ces associations, mais pour s’y occuper principalement de l’agriculture.
- Nous serions encore charmé de voir ces groupes, à certaines occasions, se livrer à toutes les manifestations poliliques, morales ou religieuses permises au citoyen.
- Ce que nous blâmons, c’est la tactique qui tend à former des sociétés sous un titre quelconque, au tre que celui propre à nettement formuler le but.
- Nous déclarons néanmoins que nous préférons ces sociétés à deux fins, l’une, celle avouée, peu sérieuse, l’autre, celie que l’on cache, étant l’objectif véritable, à l’indifférence qui fait vivre les citoyens dans l’isolement et dans finssouciance complète de la chose publique.
- Mais nous regrettons que le parti républicain se laisse aller à faire les choses à demi, qu’il n’ait pas la fierté d’agir au grand jour et qu’il manque de confiance en une politique franchement républicaine.
- L’œuvre urgente, nécessaire, est la vulgarisation des idées démocratiques, et les mots qui expriment loyalement ce besoin sont «Education civique» « Propagande. Républicaine. »
- Que les militants véritablement préoccupés de l’avenir, désireux d’en finir avec la réaction, donnent rendez-vous à leurs concitoyens dans des So_
- p.59 - vue 62/838
-
-
-
- 60
- LE DEVOIR
- ciétés de propagande républicaine et d’Education civique.
- * *
- Nos projets de renouvellement partiel et annuel qui avaient été accueillis, avant le vote, à peine par quatre ou cinq journaux et autant de comités, sont maintenant reconnus excellents par un grand nombre de nos adversaires d'alors.
- Beaucoup de ceux qui nous accusaient d’utopie et d’exagération ont compris,trop tard, il est vrai,que si l’on avait suivi nos conseils la réaction aurait à peine compté 20 voix de plus au Parlement.
- Nous avions beau prévenir nos confrères que le suffrage universel était exposé à des surprises, à des pièges, que l’inexpérience et le défaut de liberté dans lesquels il a été maintenu jusqu’ici devaient faire prévoir des fautes passagères dont les conséquences pouvaient avoir de longs et désastreux effets.
- Nous parlions alors à des gens qui ne voulaient ni voir ni entendre. Nous étions des systématiques qui invoquaient tous les arguments à l’appui de leurs fantaisies.
- Cette confiance aveugle est maintenant dissipée ; heureusement que la démonstration n’a pas dépassé la portée d’inconvénients réparables.
- Nous savons de bonne source que )a question sera prochainement soumise à la Chambre.
- La majorité comprendra-t-elie quelle sécurité donnerait à nos institutions une loi établissant le renouvellement partiel et annuel par tiers.
- Avec la loi présente, si une dissolution s’imposait à un moment difficile, n’y aurait-il pas lieu de redouter une seconde erreur plus dangereuse que celle du 4 octobre.
- Avec une loi comme celle que nous proposons, les électeurs n’auraient qu’à nommer, chaque année, le tiers de la représentation. La manifestation serait suffisante pour faire connaître le fond de la pensée publique ; les pouvoirs publics n’auraient pas suspendu leur fonctionnement ; et, dans aucun
- cas, le gouvernement établi ne serait sujet à un subit bouleversement, comme cela arri verait le lendemain d’une élection générale ayant produit une majorité réactionnaire.
- La loi sur le renouvellement partiel et annuel par tiers s’imposera à brève échéance ; elle a déjà rallié beaucoup de ceux qui la repoussaient il y a peu de temps.
- A
- * *
- . Que de fois nous avons [répété que le vote par
- liste départementale perpétuerait une partie des inconvénients du scrutin d’arrondissement ; parce que les relations particulières des candidats et des électeurs influents jouaient uu trop grand rôle, parce que les personnalités prenaient une place qui appartient en principe à l’idée.
- De toutes les manières de voir que nous avons émises à propos du suffrage universel, nulle plus que le scrutin de liste nationale n’a rencontré autant de résistance.
- Les vices que nous déclarions inhérents au scrutin de département étaient, disait-on, des griefs imaginaires.
- La réponse est faite maintenant à toutes ces critiques, et faites par d’autres que par nous.
- Monsieur Clovis Hugues, par une lettre courageuse, vient de dévoiler à la masse électorale les intrigues et les appétits qui s’agitent autour du représentant et qui entravent l’accomplissement du mandat électoral.
- Comment s’étonner que les députés s’occupent si légèrement des affaires du pays, qu’ils ne trou-1 vent aucun projet proportionné aux besoins de la nation, lorsque leur attention est constamment détournée de ces grandes et dignes préoccupations par les mesquineries des intérêts personnels des solliciteurs en quête de situations qu’ils ne méritent pas.
- On n’évitera pas ces abus si graves au point de vue du progrès social, si on n’habitue l’électeur à élever ses vues vers les sujets d’intérêt national.
- Étant donné le désir des électeurs de chaque parti de faire tous leurs efforts pour assurer le triomphe de leur cause, on les verrait partout rechercher les capacités attestées par une notoriété nationale.
- Du même coup on serait débarrassé de cette nuée de courtiers électoraux qui s’efforcent dans les comités départementaux de rabaisser les questions d’intérêt public au niveau de l’intelligence d’avocats sans cause, ou de rappetisserles réformes selon les proportions acceptées par des personnalités sans prestige ne voyant dans la députation que la satisfaction d’une sotte vanité.
- Restituons à notre représentation nationale la majesté qui marqua ses débuts. Remplaçons les pétitions des courtiers électoraux par des cahiers précis énumérant nos griefs et nos réclamations civiques.
- Le renouvellement partiel, annuel, par tiers, au scrutin de liste nationale,l’organisation permanente
- p.60 - vue 63/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 61
- des sociétés d’Education civique et de propagande relèveront notre représentation au niveau républicain et l’empêcheront de déchoir désormais.
- UN SCANDALE
- Nous recevons d’un de nos correspondants la lettre suivante:
- Monsieur le rédacteur en chef,
- Avant hier me rendant dans le Nord par l’express du matin j’ai trouvé dans mon compartiment un soldat presque mourant. Un de mes amis, avec qui je voyageais, se joignit à moi pour soulager cet infortuné auquel nous fîmes prendre des boissons réconfortantes, après quoi nous le fîmes conduire chez sa mère, après avoir pris la précaution d’avertir celle-ci.
- Ce malheureux n’avait même pas en sa possession quinze centimes pour annoncer son arrivée à sa mère. En outre il avait passé la nuit dans la cour de la gare du Nord !
- Je lui demandai de quel mal il souffrait. Il me remit alors son livret et des papiers. Il revient du Tonldn avec un cerfi-ficat de blessure et un certificat d’anémie compliquée de diarrhée. Son estomac rejette tout aliment solide ; ce pauvre garçon n’a plus que la peau sur les os et cependant on a refusé de l’admettre à l’hôpital, à Toulon où il a débarqué il y a quelques joars. On lui a dit qu’il était as&ez fort pour rejoindre sa famille à l’autre extrémité de la France et on lui a donné un congé de convalescence de 4 mois.
- Un congé de convalescence à un homme dans cetétat!
- La République Radicale.
- Avant d’être ministre
- La loyauté de M. Lockroy n’a jamais été soupçonnée ; ses antécédents nous autorisent à penser que son passage au ministère se ressentira des déclarations récentes du député de Paris.
- Voici quelques paroles extraites d’un discours de M. Lockroy.
- « Nous ne saurions trop le redire, la République c’est le gou-« vernementdelamasse, c’est-à-dire le gouvernement depRO-« tection pour les malheureux. La première République a « libéré les paysans, il faut que la troisième République « résolve la question sociale. »
- Le but de la République est convenablement défini : nous attendons les premiers pas vers la solution pratique.
- La pêche aux Harengs.
- Le compte rendu de la pêche aux harengs dans les îles Shetland vient d’être dressé pour la saison écoulée. Il en résulte un total de 330,000 barils, dont 310,000 exportés au continent et 20,000 dirigés sur les côtes avoisinantes. La valeur de cette pêche dépasse dix millions le francs. Elle a employé plus de 800 bateaux et fourni du travail à 10,000 hommes.
- Ce rapport nous remet en mémoire diverses particularités assez remarquables du hareng. C’est bien le poisson le plus mystérieux et le plus extraordinaire de tous les habitants de l’Océan.
- Tous les ans à la même époque, les harengs s’élèvent par centaine de millions des profondeurs de la Mer Glaciale. Cette multitude immense se divise en trois groupes distincts, qui prennent chacun une route différente. Les chemins earcou-rus par ces trois bancs ne varient jamais, et leur précision est tîlle qu’on a pu marquer leur passage sur les cartes géographiques.
- Le premier groupe se dirige vers l’Irlande, dont il longe la côte sud ; le second pénétre dans la mer Baltique et vient alimenter les côtes de la Suède et de la Finlande ; et le troisième descend la mer du Nord, et se subdivise au nord de l’Ecosse en deux ou trois autres groupes secondaires. L’un d’eux longe les côtes de l’Irlande et l’autre traverse le Pas-de-Calais. Ces deux divisions se rejoignent dans la Manche et puis.... disparaissent sans que personne ait pu savoir ce que devenaient ces millions de poissons.
- On ne pêche le harengs ni sur les côtes de l’Espagne ou du Portugal, ni dans le bassin de la Méditerranée, et jamais on a vu un hareng descendre plus bas que l’embouchure de la Loire.
- Cette disparition subite est d’autant, plus extraordinaire que ces migrations immenses parcourent les distances que nous avons indiquées plus haut avec une ranidité vertigineuse et comme poussées par une impulsion gigantesque. Rien n’arrête leur course furieuse. Une flotte de cuirassés diviserait leurs rangs, sans les retarder d’une minute et sans les faire dévier d’un mètre. On les croirait lancés pour aller jusqu’au bout du monde, et puis, tout à coup, plus rien ; la multitude s’est dispersée, enfouie dans les abîmes de la mer, comme si un obstacle infranchissable s’était dressé devant elle pour lui dire : Tu n’iras pas plus loin.
- La fécondité du hareng est bien connue de tous ; il suffit pour s’en rendre compte d’ouvrir une femelle. Elles portent de 27.000 à 31.000 œufs environ, suivant la taille et la force du poisson.
- D’ailleurs s’il en était autrement la race des harengs serait bientôt éteinte, car depuis l’homme jusqu’aux plus petits habitants de la mer, le hareng ne compte que des ennemis. Les bancs de harengs, sur tout le parcours de leur voyage de migration, sont entourés et harcelés par une nuée de poissons de toute taille et de toute espèce, dont ils forment la nourriture, et on peut évaluer à des millions le nombre de ceux qui n’atteignent pas le terme de leur voyage.
- N’avions-nous pas raison de dire en commençant que le hareng est le poisson le plus mystérieux et le plus extraordinaire de tous les poissons ?
- Société Républicaine d'Ëconomie Sociale
- La séance du comité d’administration de cette importante société dont l’action sociale pratique est appelée à rendre d’autant plus de services qu’elle se place en dehors, de toute action politique proprement dite, a été tenue lundi 11 Janvier, sous la présidence du citoyen Elie May,
- La Société ayant décidé de consacrer une partie de ses travaux à l’examen des projets en instances devant les corps élus,
- p.61 - vue 64/838
-
-
-
- 62
- LE DEVOIR
- le Comilé a fait la distribution suivante des travaux entre les diverses commissions.
- Commission de législation : 1° Projet de Législation Internationale du travail (Proposition Vaillant au conseil Municipal, — Prp. Camélinat, Boyer, Clovis Hugues, Basly, Gilly et Prudhon à la Chambre). 2° Réduction des heures de travail (Propos. Vaillant et Strauss au Conseil municipal ; Prop. Nadaud à la Chambre). - 3° le travail des femmes et
- des enfants (Prop. Nadaud à la Chambre). — 4° Hygiène et Sécurité des ateliers (Prop. Nadaud à la Chambre). — Assainissement des logements insalubres (Prop. Nadaud). — 6° Garanties ouvrières à stipuler dans les cahiers des charges. (Prop. Pally à la chambre). Protection des Enfants (Prop. Roussel au Sénat).
- Commission des finances. — 1° L’impôt sur les ouvriers étrangers (Prop. Thiesse à la Chambre. — Prop. Vaillant Chabert et Robinet au conseil municipal)'2° Abolition des Octrois, Impôts sur le capital (Prop. Yves Guyot). — 3U Impôt progressif sur les successions (Prop. Laguerre Maret et Giard à la chambre. — Projet Godin. — 4° Révision de chemin de fer (Prop. Farcy). — 5° Le privilège de la banque de France ; 6° La question des Mines.
- Commission Agricole. — Les champs de démonstration (Circulaire Ministérielle).
- Le citoyen Rouanet donne ensuite lecture d'un projet de loi sur le travail des femmes et des entants adopté par la Commission de législation et portant de notables modifications à la loi du 19 Mai 1874. — La discussion de ce projet et la lecture du Rapport sur la question sont renvoyées à la prochaine séance. La séance est levée à minuit. N. — B. — Tous les citoyens, adhérents ou non à la Société républicaine d’Economie Sociale, qui auraient des renseignements, des documents ou des observations d’une nature quelconque à présenter sur l’une des questions énumérées plus haut, sont priés de les adresser au secrétaire des Commissions d’Etude, Bureau de la Revue Socialiste 19, rue du Faubourg St-Denis 19. — Les demandes de renseignements ou d’adhésions à la Société sont égalements reçus à cette adresse et chez le citoyen Elie May, administrateur trésorier, 17 rue Béranger, auquel doivent être envoyées les cotisations.
- BIBLIOGRAPHIE
- Le livre de M. P. Géraud ; L’Unitéisme, dont nous avons rendu compte dans le Devoir du 15 février dernier, est en vente, aujourd’hui, 5 rue Neuve des Petits Champs, Paris. (1 Vol. 3 fr. 50).
- Nous rappelons à nos lecteurs que l’auteur appelle Uni-iêisme le pur et réel universalisme.
- « Notre titre », dit-il « résume toute la pensée qui préside « à cet ouvrage. Unitéisme c’est-à-dire religion universelle « basée sur la raison commune à tous les hommes et de tous « les temps et de tous les lieux, sur ce qui est généralement « admis et consenti ; organisation sociale et accomplissement « progressif de la création de la société humaine. »
- Cet ouvrage a le méritée trop rare à notre époque d’être profondément pensé et sincèrement écrit. Il est digne de l’attention des réformateurs.
- La Tribune des Peuples
- (Revue internationale du monvement social dans les cinq parties du monde)
- ADMINISTRATION :
- Librairie des Deux-Mondes
- Paris. — 17, rue Loos. — Paris.
- ABONNEMENT D’UN AN :
- Union postale 6 îr. Département 5 fr.
- Paris 4 fr. le numéro 25 cent.
- -----------------------------------—---------
- MAITRE PIERRE
- Par Edmond ABOUT
- { Suite )
- XI
- M. TOMERY.
- « C’est là et partout, repris M. Tomery. Ce pauvre Bijou a la spécialité des malheurs. S’il monte en dog-cart, l’essieu casse ; s’il court steeple-chase, il tombe dans la rivière ; s’il dîne au restaurant, les crevettes sont empoisonnées; s’il se bat en duel avec un ami, il empoche un coup d’épée. C’est sa manière de s’amuser.
- — C’est bon, c’est bon ! répliqua M. Bijou aîné ; je me rattrape sur l’eau.
- — Sur l’eau ! c’est le rhumatisme qui te rattrape. Il est vrai que par compensation tu arrives bon troisième après laNéva de Rouen et le Duc-de-Franboisi de Paris.
- — C’est bon! Tu verras aux prochaines régates. Je me suis fait faire un bateau neuf dont ils me diront des nouvelles. D’abord, je te parie cent louis que tu ne trouves ni en France ni en Angleterre une équipe comme celle du Richelieu !
- — Garde tes cent louis, je n’en veux pas. Croiriez-vous, monsieur, dit M. Darde, en se tournant vers moi, croiriez-vous que Bijou a tenu dix louis pour Watkins contre Spreoty ? Spreoty est le premier jockey du monde, il n’y a pas à discuter là-dessus. Je ne veux pas médire de Watkins, ni de Wells, ni de Mann, ni de Carier, ni de Pratt; mais campez-moi Spreoty à cheval sur une canne, avec des poids tout le long du corps : il partira au petit galop, sans se presser, il laissera prendela corde atout le monde ; mais au dernier tour hurrah ! il fera tant des éperons, de la cravache et de tout, qu’il gagnera d’une pomme de canne, pour le moins. »
- La conversation était engagée, on ne la laissa plus languir. Ces messieurs n’avaient pas vu Paris depuis plusieurs mois; mais, aux questions dont ils m’accablaient, je crus reconnaître que c’était à moi de les interroger. Que leur érudition fût vraie ou fausse, acquise sur la place ou dans les journaux, elle m’étonna quelque peu. Je m’aperçus
- p.62 - vue 65/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 63
- que la jeunesse des grandes villes a fait depuis quelque temps assez ample connaisance avec Paris. Ces trois messieurs étaient assuiément plus Parisiens que moi. Ils parlaient des chevaux et des jokeys célèbres comme s’ils avaient pu vivre dans leur intimité. Ils raisonnaient sur les habits et les cliassures avec une précision miraculeuse. Je fus tout étonné d'apprendre à Bordeaux que les grands tailleurs du boulevard allaient passer de mode: qu’on se ferait habiller en Angleterre chez Pooleou au faubourg Saint-Germain, chez un M. Alfred. Je vis prophétiser le régne des panamas, qui trônèrent effectivement pendant tout Pété, et l’on me parla de certaines bottines d’étoffe à bout verni que les hommes à la mode devaient porter même au bal, à l’exclusion de toute autre chaussure.
- A propos du club qee M. Darde avait essayé de fonder à Bordeaux, j’entendis raisonner sur l’organisation desclubs de Paris ; comment le Jockey et le Baby s’étaierit fondus ensemble ; pourquoi il était si difficile d’être admis à l’Union, et comme quoi la crèche semblait avoir peu d’avenir.
- Mais lorsqu’il fut question de l'Opéra, ce fut bien une autre histoire. J’étais loin de supposer que la ville de Bordeaux fût si versée dans les affaires de l’Opéra. Non-Seulement M. Darde établit un parallèle des \ lus savants entre les pointes de Mme Ferraris et les grâces de Mme Rosati, en réservant les droits de Mlle Legrain et de la danse française ; mais M. Tomery, qui avait eu ses entrées dans la maison, nous prouva clair comme le jour que la jeu_ nesse de Bordeaux était appelée à régner sur le foyer de la danse, et qu’avant dix ans le vaisseau du Corsaire et tout son équipage viendrait mouiller dans la Gironde, sous le commandement d’un état-major bordelais.
- Cependanit, la pauvre Marinette bâillait entre ses dents et sans le souci qui la tenait éveillée elle aurait dormi dans son assiette. Le maire et tous les assistants s’ennuyaient de ne pas comprendre et de rester hors de la conversation comme des pauvres à la porte d’un festin. L’enfant terrible de la commune, Jean Pavard de Tanco-gne, interrompit familièrement M. Tomery.
- « Dites donc, monsieur Tomery, lui cria-t-il du haut de la table, il paraît que les bourgeois s’amusent à Paris ! Mais parlez-moi un brin de ma caste, à moi. Qu’est-ce qu’on dit de la noblesse ?
- M. Tomery lui répondit en souriant : « On n’en dit pas grand’chose, vieil aristocrate.
- — Et pourquoi ça, vrai Dieu !
- — Parce qu’elle est passée de mode.
- — Mais pourquoi qu’elle est passée de mode ?
- — Parce qu’elle ne servait à rien, probablement.
- — Vous servez donc à quelque chose, vous ?
- — Garde champêtre ! interrompit le maire.
- — Laissez-moi seulement faire un raisonnement. Je suis le dix-septième mâle de ma race,Jean Ier avait gagné, Dieu sait comment, une centaine d’arpents de terre.Tous les aînés de la famille ont cultivé ça de père en fils jusqu’à la Révolution, tandis que les cadets tiraient le diable par la queue. Toutes les fois qu’il y avait trois Pavard au monde, il y en avait un aîné pour cultiver le pays, un cadet pour le défendre, et un culot pour bénir les champs
- - -M3SMB»
- à tour de bras le jour des Rogations.Mais jamais,au grand jamais, je n’ai ouï dire qu’un Pavard ait perdu son temps à des bêtises comme vous autres parvenus !
- Garde champêtre ! dit le maire, vous excitez les classes de la société à s’armer les unes contre les autres.
- — Soyez tranquille ! Il ne s’armeront pas du tout. On disait, il y a dix ans, que la jeunesse s’ennuyait, et qu’il lui fallait une guerre. On leur en a donné, de la guerre, et de la bonne encore ! Combien y en a-t-il qui aient eu la curiosité de voyager en Grimée ?
- — Silence ! cria le maire, le moment est venu de porter un toast. »
- Il se leva, remplit son verre et dit d’un ton ferme et convaincu :
- « Messieurs, sans faire aucune allusion aux événements matrimoniaux qui, s’il m’est permis de le dire, se préparent plus ou moins dans cette honorable assemblée, permettez-moi de porter comme magistrat municipal une santé bien délicate, qui est dans vos cœurs comme dans le mien, quoiqu’il ne me serait peut-être pas permis, comme homme, a moins d’y être provoqué directement, de me proposer un toast à moi-même. Mais au centre des conquêtes pacifiques, comme le disait encore M. le préfet, qui s’accomplissent en l’honneur du siècle et en faveur du Gouvernement dans la commune de Bulos, la modestie personnelle doit se taire devant l’éclat de la chose; et chacun, le verre en main, peut s’écrier avec moi sans crainte de surfaire le présent ni d’engager à l’avenir : Au magistrat qui a eu le bonheur d’assainir, de cultiver, de bâtir et de peupler les Landes ! Au savant sans prétention qui, après avoir construit à ses frais, quoique non sans profit, les chalets de Bulos, a trouvé de l’eau pure pour les habitants ! Au pacificateur qui a détruit les loups les taureaux et autres vermines sauvages, et établi un équilibre européen entre les cultivateurs et les bergers de la commune ! A celui que la modestie ne me permet pas de nommer, mais qui sera toujours heureux et fier de vous serrer dans ses bras !
- — A maître Pierre ! hurla le garde champêtre.
- — Présent ! » dit maître Pierre en ouvrant la porte.
- A suivre.
- Le Directeur Gérant : GODIN
- p.63 - vue 66/838
-
-
-
- LIBRAIRIE DU FAMILISTÈRE DE GUISE (AISNE)
- OUVRAGES de M. GODIN, Fondateur du Familistère
- Le Gouvernement, ce qu'il a été, ce qu’il doit être et le vrai socialisme en action.
- Ce volume met en lumière le rôle des pouvoirs et des gouvernements, le principe des droits de 1 homme, les garanties dues à la vie humaine, le perfectionnement du suffrage universel de façon à en faire l’expression de la souveraineté du peuple, ' organisation de la paix européenne, une nouvelle constitulion du droit de propriété, la réforme des impôts, 1 instruction publique première école de ia souveraineté, l’association des ouvriers aux bénéfices de l’industrie, les habitations ouvrières, etc , etc.
- L’ouvrage est terminé par une proposition de loi à la Chambre des députés sur l’organisation de l'assurance nationale de tous les citoyens contre la misère.
- In-8° broché, avec portrait de l’auteur..............................................8 fr.
- Solutions sociales. — Exposition philosophique et sociale de l’œuvre du Familistère avec la
- vue générale de l’établissement, les vues intérieures du palais, plans et nombreuses gravures :
- Edith nin-8°...............................................................................10 fr.
- Edition in-18...............................................................................5 fr.
- Mutualité sociale et Association du Capital et du Travail ou extinction du paupérisme
- par la consécration du droit naturel des faibles au nécessaire et du droit des travailleurs à participer aux bénéfices de la production.
- Ce volume contient les statuts et règlements de la Société du Familistère de Guise.
- In-8° broché, avec la vue générale des établissements de l'association..........................5 fr.
- Sans la vue...............................................................................4 fr.
- Mutualité nationale contre la Misère. — Pétition et proposition de loi à la Chambre des députés
- brochure in-8°, extraite du volume « Le Gouvernement »...................................1 fr. 50
- Les quatre ouvrages ci-dessus se trouvent également : Librairie Guillaumin et Cie, 14, rue Richelieu, Paris
- Les Socialistes et les Droits du travail . . 0,40 cent. La Richesse au service du peuple .... 0,40 cent.
- La Politique du travail et la Politique des privilèges 0,40 La Souveraineté et les Droits du peuple. .... 0,40
- ÉTUDES SOCIALES
- N° 1 - Le Familistère, “ Brochure illustrée contenant cinq vues du Familisière et de ses dépendances, fait connaître les résultats obtenus au Familistère de Guise par VASSOCIATION DU CAPITAL ET DU TRAVAIL, association ouvrière au capital de 4.600 000.
- Un exemplaire 0 fr. 40 cent. Dix exemplaires 2 fr. 50
- N° 2 - La Réforme électorale et la Révision constitutionnelle....................o fr. 25
- N° 3 - L’Arbitrage international et le Désarmement européen......................0 fr. 2s
- N° 4 L’Hérédité de l’État ou la Réforme des impôts.............................0 fr. 25
- N° 5 Association ouvrières. — Enquête de la commission extra-parlementaire au ministère de l’Intérieur. Déposition de M. GODIN, fondateur du Familistère de Guise
- N° 6 - Ni Impôts, îli Emprunts — L’Hérédité de l’Etat, base des ressources publiques o fr. 25
- Les NoS 2 à 6 des Études sociales se vendent : 10 exemplaires 2 fr.
- » »_________»_____ »___________400___»______15 fr.
- Histoire de l’association agricole de Ralahine (Irlande). Résumé des documents de
- . E, T. Craig, secrétaire et administrateur de l’association. Ouvrage d’un intérêt dramatique, traduit par Marie Moret..................................................................0,75 cent.
- Histoire des équitables pionniers de Rochdale, de g. j. holyoake. Résumé traduit de
- l’anglais, par Marie Moret.......................................................- 0,75 cent
- La Fille de son Père. Roman socialiste américain, de Mme Marie Howland, traduction de M. M., vol. broché................................................................. . 3 fr. 50
- M
- Collection du « DEVOIR »
- 4me volume broché. 5me » »
- 1er volume broché....................... 3 fr.
- 2m® » » ...................... 3»
- 3m® » » ...................... 6»
- Les 6me, 7me, 8ma et 9me volumes ne se vendent qu’avec la collection entière, les 9 volumes brochés ensemble 90 fr., franco.
- 8 fr.
- 9 fr.
- p.n.n. - vue 67/838
-
-
-
- 10e Année, Tome 10.— 11“ 386 Le numéro hebdomadaire 20 c. Dimanche 31 Janvier 1886
- REVUE DES QUESTIONS SOCIALES
- BUREAU
- a GUISE (Aisne)
- Toutes les communications et réclamations doivent être adressées à M. GODIN, Directeur-Gérant Fondateur du Familistère
- ABONNEMENTS PAYABLES D’AVANCE
- par l’envoi, soit au bureau de Guise, soità celui de Paris de timbres-poste ou de mandats de poste, dont le talon sert de quittance.
- France
- Un an ... 10 fr. »»
- Union postale Un an. . . . 11 fr. ï»
- j
- Six mois. . . 6 s» Trois mois. . 3 »»
- Autres pays
- Un an. ... 13 fr. 60
- " ON S’ABONNE
- A PARIS
- S, rue Neuve-des-Petits• Champ s
- Passage des Deux-Pavillons
- S’adresser-à M. LEYMARIE administrateur delà Librairie des sciences „ psychologiques.
- PROGRAMME POLITIQUE Ei'ACTUALITÊ
- RÉFORMES POLITIQUES.
- Placer la protection et le respect de la vie humaine au-dessus de toutes choses dans la loi et dans les institutions.
- Eviter la guerre, la remplacer par l’arbitrage entre nations.
- Faire des garanties de la vie humaine la base de la constitution politique et sociale du gouvernement.
- Consolider la République en inaugurant la souveraineté nationale par l’organisation du suffrage universel. ,1~
- Fonder cette organisation du suffrage sur la base du scrutin de liste nationale pour l’élection des députés et du renouvellement partiel et annuel de la Chambre.
- Election et dépouillement à la commune. ^
- Recensement départemental au chef-lieu du département.
- Recensement national à Paris.*
- Proclamation du quart des députés à élire parmi les candidats qui auraient obtenu le plus de voix au premier tour de scrutin.
- Affichage de cette proclamation dans toutes les communes de France, avec la liste de tous les candidats qui auraient obtenu plus de 10.000 voix.
- Second tour de scrutin, le troisième dimanche après l’affichage de la liste des candidats sortis du vote.
- Proclamation des députés restant à élire dans les candidats ayant obtenu le plus de voix au second tour.
- Ce système aurait pour conséquences : <
- La moralité dans les élections ;
- La liberté de l’électeur dans le choix de ses candidats, avec la presque certitude de donner un vote utile ;
- L’égalité des citoyens devant l’urne ; chaque électeur votant, partout la France, pour autant de noms qu’il y a de Ministères, c’est-à-dire de départements des affaires publiques ;
- La possibilité de la représentation proportionnelle et, par conséquent, des minorités ; ' ,
- / l. ,j
- p.64 - vue 68/838
-
-
-
- LE DEVOIB
- La représentation par les supériorités ;
- Le contrôle des électeurs sur leurs mandataires ;
- Cette organisation du suffrage universel rendrait la candidature vraiment démocratique et la rendrait possible aux hommes de talent et de mérite sans fortune.
- Elle moraliserait le régime représentatif, les députés qui failliraient à leur programme et à leurs engagements étant vite remplacés ;
- Avec ce système les député élus par le collège national seraient les députés de la France ; ils ne seraient plus élus qu’en raison de leur conduite législative ; ils seraient responsables devant la nation de l’observation loyale de leurs engagements et du programme qui leur aurait mérité l’élection.
- RÉFORMES CIVILES.
- Abolition régulière et progressive des abus de l’impôt en prélevant les ressources nécessaires à l’Etat sur la richesse acquise ; mais en faisant ce prélèvement après la mort des personnes et non de leur vivant.
- A cet effet, établissement du droit d’hérédité de l’Etat dans les successions.
- Droit d’hérédité progressive sur les héritages en ligne directe ; l’Etat prélevant peu de chose sur les petites successions, mais élevant son droit progressivement jusqu’à 50 ()]0 sur les fortunes dépassant cinq millions.
- Droit de 50 0{0 sur tous les testaments.
- Droit complet d’hérédité de l’Etat en ligne collatérale et sur tous les biens n’ayant ni héritiers directs ni légataires.
- Abolition de l’impôt sur tous les biens tombés en héritage à l’Etat, mais substitution à cet impôt d’un revenu sur tous les biens revendus par l’Etat et d’un fermage sur tous les biens loués par lui.
- Suppression régulière, par ce moyen, des fermages payés aux propriétaires intermédiaires ; la propriété immobilière devant être exploitée par ceux qui la détiennent soit comme fermiers, soit comme propriétaires.
- RÉFORMES SOCIALES.
- Institutions de garanties sociales en faveur des classes laborieuses et pauvres par l'hérédité de l’Etat.
- Protection à l’association entre le capital et le travail.
- SOMMAIRE
- Aphorismes et préceptes sociaux. — Les obstacles au travail et la consommation écartés par l’hérédité de l’Etat.— La presse et l’association du Familistère.— Le mouvement socialiste dans les deux mondes. — Les récidivistes et la Guyane. — Les établissements hospitaliers. — Le renouvellement partiel.— La crise agricole et la question sociale. — La question sociale et les possibilités socialistes.—- La rage.— Maître Pierre, -------------—^-----------------------
- APHORISMES & PRÉCEPTES SOCIAUX
- LXXXXVII
- Répartition de la Richesse.
- La richesse doit appartenir en toute proportion à celui qui l’a fait naître ; mais elle doit, à la mort de son possesseur, rentrer au moins en partie, au domaine social de l’Etat pour venir en aide aux masses laborieuses.
- LES OBSTACLES AU TRAVAIL ET A LA CONSOMMATION ÉCARTÉS PAR L’HÉRÉDITÉ DE L’ÉTAT.
- lime ArtiCle
- Il est évident pour tout homme de raison que le travail est le créateur de la richesse. Sans le travail nous n’avons à notre service que l’état de nature et, sous ce rapport, l’espèce humaine est moins favorisée que les espèces animales. Celles-ci sont pourvues par la nature même de la nourriture qui leur est nécessaire. Elles sont garanties contre les intempéries par une fourrure appropriée à leur état.
- Au contraire, c’est par le travail que l’homme doit se créer des vêtements, des abris et préparer les produits naturels pour les rendre propres à sa nourriture et à tous ses besoins.
- p.65 - vue 69/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 66
- Ce que l’homme reçoit de la nature est chose commune à tous les êtres de la création. L’homme a été créé pour approprier les choses naturelles à son pins grand avantage. C'est par le travail qu’il procède à celte appropriation.
- Ce travail d’aménagement des choses constitue la richesse des sociétés et des individus.il est donc évident que plus l’homme crée de choses utiles à son usage, plus il se donne de facilités pour l’emploi de son existence, pius il progresse, plus il contribue au développement de la richesse et à la gloire de la vie sur la terre.
- Par quel étrange renversement des choses en sommes-nous arrivés à ce que l’homme soit privé des moyens de travailler et de pouvoir agir de manière à améliorer son sort ?
- C’est parce qu’au lieu de servir à améliorer le sort commun de tous, le travail a été détourné de sa destination.
- Un petit nombre a accaparé le travail du grand nombre, en môme temps qu’il a accaparé tout ce que la nature donne à l’humanité; de sorte que ceux qui n’ont pas pris part à cet accaparement des dons naturels se trouvent, par ce fait, dépouillés du droit naturel de travailler pour eux-mêmes. Tous les moyens de travail étant passés en la possession des détenteurs de la richesse, les simples ouvriers, les travailleurs, sont à la merci de ceux qui ont la propriété des choses.
- Il se passe alors ceci : ceux qui possèdent font travailler pour eux-mêmes, et quand ils n’ont plus besoin de travail ils congédient l’ouvrier. Celui-ci est privé de ses moyens d’existence ; il n’a plus que la charité publique pour ressource, et si celle-ci lui fait défaut, tous les moyens de travail lui étant interdits, il est obligé de souffrir de faim et de misère.
- Ne sent-on pas quelle iniquité sociale il y a dans cet accaparement de toutes choses sans réserve du droit des travailleurs ? Quoi ! le travail est la faculté donnée à l’homme pour utiliser les facultés qu’il tient de la vie même afin de créer et de produire pour ses besoins et ceux de ses semblables, c’est parle travail qu’il peut mettre en œuvre les dons que la nature lui offre de toutes parts, et, au nom du droit de propriété, on lui interdit le droit de travailler ! Le citoyen ne peut plus toucher à rien même pour manger sans devenir un délinquant on un voleur, si tel est le bon plaisir de ceux qui possèdent la richesse !
- Telle est l’étrange aberration dans laquelle est
- tombée la société. L’homme pourvu des facultés du travail, avec lesquelles il peut créer la richesse à son prolit en même temps qu’au profit de» autres, est condamné à rester inactif, est condamné à la misère, lui et toute sa famille, parce que la société est constituée de telle sorte, que ceux qui ont la propriété de toutes choses n’ont plus besoin, à un moment donné, de faire travailler pour leur propre profit. Mais ceux qui n'ont rien n’ont-ils donc pas besoin de travailler pour eux-mêmes, de se donner le nécessaire ?
- N’ont-ils donc même pas droit, en vertu de leur travail passé, à ce que leur existence soit assurée quand toute la richesse qu’ils ont produite a été accaparée et mise en réserve par d’autres.
- Ah ! cette iniquité sociale est tellement grande qu’elle nous obstrue la vue et ne nous permet plus de rien voir ; c’est une monstruosité qui nous aveugle, qui étreint la société et qui l’étouffera si, par un effort d’intelligence et de cœur, elle ne sait s’élever au sentiment de justice qui doit inaugurer l’hérédité nationale, pour faire retourner aux travailleurs la part de richesse nécessaire à leur assurer le travail et les moyens d’existence.
- Dans la dernière moitié de ce siècle on s’est surtout occupé d’augmenter la production. Le capital a créé l’industrialisme ; il a fait tous ses efforts pour créer le travail par la machine. La production s’est considérablement accrue, mais les classes dirigeantes n’ont rien fait pour donner au peuple les moyens de consommer dans la proportion de la production.
- Pourtant, il est élémentaire que pour produire il faut pouvoir consommer.
- La terre, la matière première,la culture, l’usine la fabrique et l’atelier devraient donner en permanence du travail à l’homme, et le travail devrait lui donner les moyens de vivre.
- Mais la terre, la matière première, la culture l’usine, la fabrique et l’atelier sont des monopoles individuels ; les personnes qui les détiennent s’en servent quand cela leur rapporte profit.
- Les masses ouvrières ne reçoivent pas pour leur labeur un salaire suffisant ; elles ne peuvent acheter tousles produits que leur travail aidé de celui de la machine met au jour ; alors l’encombrement des produits arrive, les détenteurs des instruments de production ferment les ateliers, mettent les ouvriers en chômage.
- Le chômage prive les populations des ressources
- p.66 - vue 70/838
-
-
-
- 67
- LE DEVOIR
- qui leur sont habituelles et les oblige à restreindre davantage encore leurs achats ; les crises s’accentuent; la consommation diminue d’une manière générale ; les masses ouvrières privées de travail sont privées du nécessaire; la misère envahit lés sociétés ; des familles ouvrières sont sans pain, sans vêtement, sans abri; elles n’ont plus d’autre ressource que la mendicité, la charité publique ou la mort; voilà Je triste tableau que nous offrent aujourd’hui les nations civilisées regorgeant de richesses.
- Pourquoi en est-il ainsi au milieu de l’abondance? Est-ce parce que la société ne sait pas produire suffisamment pour nourrir, vêtir, abriter et chauffer tout le monde ? Non, ce n’est pas cela puisqu’il y a du blé qu’on ne vend qu’à bas prix, des étoffes entassées dans des magasins dont on ne sait que faire, des maisons vides et sans locataires, du charbon qui reste sur la mine faute d’acheteurs ; alors, pourquoi donc y a-t-il des gens sans pain, sans vêtement , sans abri et sans feu?
- Evidemment, c’est parce que les choses sont mal arrangées ; c’est parce que la répartition des produits du travail se fait abusivement, que les uns prennent trop et que les autres ne reçoivent pas assez ; c’est parce que les travailleurs sont empêchés de travailler pour eux-mêmes, c’est parce que la masse du peuple estprivée d’argent, tandis que les classes riches,au contraire, accumulent millions sur millions, les gardent et les transmettent à des héritiers qui n’en ont pas besoin.
- Cet entassement abusif de la richesse aux mains de l’aristocratie du capital est le grand mal de notre époque; c’est le désir de plus en plus insatiable de thésauriser qui mènera les nations à un cataclysme, s’il ne surgit du milieu d’elles quelques hommes d’intelligence, animés de l’amour du juste et du bien qui, prévoyant le danger, avisent au moyen héroïque de le prévenir, en inaugurant le droit d’hérédité nationale par lequel, au décès des personnes, les travailleurs recouvreraient la part de richesse qui leur est due, sous forme d’institutions donnant au peuple des garanties d’existence et de travail.
- Mais combien nos classes dirigeantes sont loin de se prêter à une telle solution des misères sociales, quand on les voit, bien loin de songer au peuple qu’elles ont le devoir de protéger, ne savoir que faire de leurs richesses et, ne pouvant plus e xploiter la gent civilisée, songer à exploiter la • nt sauvage.
- Sous l’influence des classes dirigeantes, nos gouvernants décident alors qu’il y a lieu d’aller chercher des débouchés en Tunisie, au Tonkin, etc ; ils font la guerre ; ils font tuer le peuple ; ils dépensent des centaines de millions soutirés aux familles par les impôts ; puis, il faut remplacer ces sommes par des emprunts, le peuple a des charges nouvelles à supporter et pas de travail ni de ressources pour les payer. On rêve Madagascar, on rêve Congo, lorsque les consommateurs ouvriers sont là, m France, sans pouvoir consommer, condamnés à la misère, tandis que les centaines de millions dépensés en entreprises lointaines et en guerres déplorables auraient pu servir à organiser des débouchés sur place en mettant le peuple à même de consommer.
- Et les consommateurs qu’on va chercher au loin, on ne les trouve pas !
- Et la consommation nationale ne suffit pas pour vider les magasins, parce qu’elle n’est commandée que par la misère et la charité publique, et que dans ces conditions il lui faut du temps pour accomplir son œuvre de dégorgement de la production.
- Mais regardez-y classes dirigeantes.
- Vous ne savez que faire de vos richesses. Au lieu de les utiliser en créant, au profit de vos concitoyens malheureux, les éléments du bien-être et de la vie confortable, les éléments de la prospérité nationale, vous jetez vos capitaux dans le courant des Emprunts d’État. Si l’on ouvre un emprunt turc, égyptien, un emprunt pour l’Amérique méridionale* pour la République argentine, vous souscrivez trois fois la somme demandée. vous enlevez ainsi à la France les bénéfices que le travail y a produits, pour les transporter dans les pays lointains, lorsque le peuple qui a créé ces capitaux s’étiole dans la misère.
- Gréez donc des consommateurs sur place avec votre surabondance de richesse, au lieu de la donner dans des Emprunts d’Etat pour la gaspiller, le plus souvent, à organiser la guerre et la destruction entre les nations.
- Vous avez des capitaux en trop grande abondance, regardez-y et vous verrez que le peuple qui vous les produit par son travail n’a pas de quoi manger à sa faim, n’a pas de quoi se vêtir ni se chauffer quand il fait froid, n’a même pas toujours un misérable abri pour se garantir des intempéries.
- p.67 - vue 71/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 68
- La France a besoin des capitaux qu’elle produit. Esi-ce qu’elle ne pourrait pas, au lieu de les porter ailleurs, les employer à doter le pays de chemins de fer, à améliorer le sol et l’agriculture, à créer un outillage nouveau, quand les autres nations la surpassent sur ce dernier point.
- La France, d’un autre côté, peut trouver des consommateurs pour son industrie, sans aller les chercher au dehors à prix de sang et d’argent ; les consommateurs sont au sein même de la nation. Vingt millions de Français, mis à la portion congrue, pourraient être appelés à consommer ce qu’ils sont en état de produire.
- Cette situation commune à toutes les nations civilisées ne devrait pas seulement inquiéter les classes dirigeantes ; elle devrait susciter la recherche d’un remède.
- Tous les hommes réfléchis sentent que la situation gênée et précaire des classes ouvrières place les sociétés sur un volcan de revendications. Un sentiment intime fait comprendre aux classes dirigeantes comme aux classes dirigées que l’ouvrier doit trouver dans son travail le pain de chaque jour pour lui et sa famille; qu’à défaut d’autre droit le droit du travail lui est indispensable puisqu’il e st son unique moyen d’existence, et que, malgré cela, très souvent le travail lui est interdit.
- Il est entendu que le peuple ne peut consommer qu’à la condition d’avoir la faculté d’acheter les choses consommables. Or, les masses ne peuvent acheter qu’avec ce qu’elles tirent de leur travail. Si elles n’en retirent rien, elles ne peuvent acheter rien ; si elles en tirent peu de chose, elles achètent peu de chose; si elles en tiraient la valeur entière, elles pourraient acheter l’équivalent de leur production ; alors il n’y aurait plus de sur-production.
- Il faut donc, pour la régularité de la consommation, que la masse ouvrière trouve dans la richesse publique une part suffisante pour lui permettre de consommer, concurremment avec les classes riches, tout ce que le travail enfante. Il faut que tout ouvrier tire de son labeur l’équivalence de ce qu’il apporte à la production.
- Autrement, si la classe riche absorbe tous les bénéfices au-delà du salaire, elle seule peut consommer avec abondance. Mais, quand tous ses besoins sont satisfaits le travail arrête, la classe ouvrière n’ayant pas accès sur le trop-plein de fa production; la misère avec toutes ses douleurs est là conséquence d’un tel accaparement.
- On le voit, il ne suffit pas de créer des moyens de production, il faut ménager au peuple les moyens de consommer ce que le travail donne ; autrement, les produits s'accumulent d’une manière gênante pour ceux qui les possèdent et sans que le peuple puisse en jouir.
- C’est dans cette situation de misère du peuple que vous donnez les capitaux dont vous ne savez que faire à la République argentine, que vous les donnerez ces jours - ci au centre de l’Afrique ! C’est en vue du placement de vos richesses et pour créer de prétendus débouchés à. vos marchandises que vous avez englouti nos finances en Tunisie, au Tonkin, lorsque vous avez en France des multitudes plus malheureuses qu e les Kroumirs et les Tonkinois ! Ne devriez-vous pas leur accorder lapréférence et faire d’elles des consommateurs ? Ne sont-elles pas composées de vos concitoyens ?
- Si l’on veut que la richesse produite reste dans le pays, si l’on veut arriver à créer des débouchés industriels, c’est-à-dire une consommation équi-valente à la production, il faut donc restituer au peuple par l’hérédité de l’État la part de biens qui
- lui est nécessaire et qui lui est due pour son travail.
- Sur plus de deux milliards cinq cent millions de richesse immobilière ............................. 2,500,000,000
- Et plus de deux milliards cinq cent millions de richesse mobilière 2,500,000,000 Qui, chaque année, tombent en succession, soit ....... 5,000,000,000
- Cinq milliards de propriétés délaissées à la mort de leurs propriétaires, il est temps, pour le salut du pays, que la nation, au nom du peuple des travailleurs, reprenne la juste part qui lui est due.
- La restitution qui s’opérerait en faveur du peuplé par l’hérédité de l’Etat se ferait indirectement d’abord par l’amortissement de la dette et la suppression des impôts indirects, des octrois et des prestations; ce qui donnerait à chaque famille française la possibilité de consommer, en plus, par an, enviion deux cents francs que l’impôt lui enlève aujourd’hui ; ce serait un milliard cinq cents millions rendus à la consommation ei. autant de débouchés de trouvés.
- Le droit d’hérédité nationale écarterait tous les dangers sociaux ; car il détruirait les abus des monopoles en restituant à la sociéiéetpar opi'jséquerd aupeuple les richesses accaparées par la spéculation.
- p.68 - vue 72/838
-
-
-
- 69
- LE DEVOIR
- A l’avenir les monopoles ne seraient plus que temporaires, et ils seraient la récompense du génie et de la capacité comme le sont les brevets d’invention ; les richesses qui en résulteraient seraient des économies faites au profit du peuple,puisqu’elles lui reviendraient au décès des personnes qui en auraient joui.
- La Presse et l'Àssociation du Familistère
- A peine le Times, de Londres, avait-il consacré à l’œuvre du Familistère le compte-rendu détaillé et l’article de fond dont nous avons parlé dans notre numéro du 17 courant, que d’autres journaux de Londres s’empressaient, à leur tour, de faire connaître à leurs lecteurs l’œuvre de M. Godin.
- Citons parmi ceux venus, jusqu’ici, à notre connaissance.
- The Spectator, une des plus importantes revues hebdomadaires de Londres ;
- The Christian World, journal bi-hebdomadaire ;
- Le Courrier de Londres, qui paraît tous les samedis et est rédigé en français ;
- The Women’s Union J ournal, feuille mensuelle, organe de la ligue de protection des femmes engagées dans l’industrie.
- Sous le coup des misères sociales aiguisées par la crise industrielle dont le monde entier ressent les effets, l’intérêt public s’attache de plus en plus à l’étude des expériences d’association entre le capital et le travail, parce que tout penseur se rend compte que la solution du problème social ne peut être indéfiniment ajournée et que des associations telle que celle du Familistère peuvent efficacement en indiquer la voie.
- LE MOUVEMENT SOCIALISTE
- DANS LES DEUX MONDES
- Nous recevons de M. Edward H. G. Clark, un américain, un livre qui fournit un nouvel appoint en faveur de la thèse, si universellement agitée aujourd’hui,concernant la part légitime de richesse qui devrait revenir au corps social et qui est indûment retenue par une minorité de privilégiés.
- Cet ouvrage est intitulée :
- Man’s Birthright or the higher law of property.
- ( Droit naturel de l’homme ou Principe supérieur du droit de propriété.)
- L’auteur déclare dans l’introduction n’avoir point découvert lui-même le principe supérieur du droit de propriété auquel il se rallie comme à une vérité incontestable, et n’avoir pour objet dans son livre que de faciliter
- aux lecteurs l’étude du maître qui lui a tout fourni sur la question, c’est-à-dire David Reeves Smith par son œuvre intitulée : Ownership and sovereignty (Propriété et souveraineté.)
- 11 indique comme suit dans la préface de la seconde édition de l’ouvrage ce qu’il faut entendre par le principe supérieur du droit de propriété :
- « De récentes discussions sur le principe delà propriété ont amené les penseurs à reconnaître, avec une clarté parfaite, que la terre ou les dons de la nature, sont, de droit primordial, la propriété commune de toutes les générations, le genre humain tout entier en ayant un égal besoin pour soutenir son existence.
- « Mais, que le genre humain dans son ensemble ait le premier droit à toute la richesse de la terre, et que le peuple de chaque pays ait le premier droit à l’entière richesse de ce pays, cela ne semble pas être aussi aisément compris. Cependant, c’est précisément sur ce principe que reposent les lois de toutes les nations.
- « Quand un citoyen des Etats-Unis, par exemple, est contraint, au nom du peuple, à payer l’impôt, pourquo cette dette passe-t-elle avant tout autre ?
- « Simplement parce qu’il est sous-entendu que la souveraineté en fait de propriété réside nécessairement dans le peuple et que le gouvernement ne l’a jamais ni ne peut jamais l’abandonner.
- « Mais remontons au principe.
- « En quoi consiste aujourd’hui la richesse américaine ?
- « Elle est composée partie des dons delà nature, des biens inestimables de Dieu envers toutes les générations, partie delà valeur ajoutée à ces dons par les individus.
- « La valeur créée par les individus devrait naturellement revenir aux individus mêmes, dans une mesure, suffisante pour les indemniser pleinement de leur labeur et les inciter à de nouveaux perfectionnements.
- « Mais nui ne peut créer une valeur quelconque si ce n’est en l’ajoutant à quelque partie ou fragment de l’inaliénable propriété commune.
- a Or, quand un individu prend une partie des dons communs de la nature pour y ajouter le fruit de son labeur, manifestement il redoit quelque chose à la société pour l’usage qu’il fait de cette partie, et la société, elle, lui est redevabl e du perfectionnement ajouté par lui à l’objet en question.
- « C’est une transaction d’affaire des deux côtés.
- « Les améliorations individuelles, les productions ne sont en conséquence la propriété personnelle de leur auteur, que sous réserve du droit du propriétaire souverain, du suprême capitaliste, le peuple qui a une part d’intérêt dans toute propriété individuelle.
- « Mais comment déterminer équitablement la part de l’individu et celle de la société dans toute propriété ?
- « Combien est aisée la solution de ce grave et menaçant problème, lorsque d’avance on en a le mot.
- « Si le peuple de tout un pays, c’est-à-dire toutes les générations dans leur ensemble, possèdent en bloc la richesse de ce pays, la part de chaque génération dans cette richesse est évidemment une part inaliénable, un intérêt
- p.69 - vue 73/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 70
- se transmettant d'heure en heure, d'année en année.
- « Or, une telle portion de valeur dans une propriété est simplement une rente.
- « Donc, la part du peuple sur les biens actifs détenus par les individus est une rente sur ces actifs.
- « En outre, le taux de cette rente est, par avance, fixé et défini par la nature elle-même.
- « Pour connaître le taux de richesse qui doit constamment revenir à la société,il suffit de connaître le taux moyen de la mortalité du peuple.
- « La moyenne de la mortalité est annuellement de 2 p. OiO de la population.
- « Donc, la rente naturelle, annuelle, due à la société pour la détention de toute valeur est de 2 p. 0{0 de cette valeur.
- « Cette taxe sur chaque dollar de biens dans les Etats-Unis appartient au peuple dans son ensemble; le reste du dollar est le droit indéniable de l’individu.
- « Mais il ne peut jouir de ce droit indéniable et s'approprier un bien en permanence qu’en payant la rente due à la société.
- « A la mort de l'individu, si la rente sociale a été régulièrement servie, les biens actifs appartiennent aux héritiers, mais toujours à condition de payer la rente due à la société.
- « En fait, le droit de tester et de léguer est une nécessité publique autant qu'une question de justice privée.
- « Le bien-être de nos héritiers est, à la fois, un stimulant pour nos efforts et un frein à l’extravagance. Il doit donc être reconnu par la société, mais en ordonnant les choses de façon à ce que la société profite constamment, le plus possible, du développement de sa richesse géné-iale, du développement de son capital commun.»
- * *
- Un autre volume touchant à cette même question de richesse sociale nous a été envoyé de Londres, bien que l’auteur, M. Laurence Gronlund, soit aussi un américain.
- Ce livre est intitulé :
- The coopérative Commonvealth
- (La richesse publique coopérative)
- C'est un exposé du socialisme moderne. L'auteur s'exprime comme suit dans la préface dont nous donnons ci-dessous des extraits :
- « Les pages suivantes ont pour but de faire voir à mes compatriotes que les phénomènes industriels politiques et sociaux, aux Etats-Unis comme en Angleterre, évoluent, d’une manière parfaitement naturelle, vers un nouvel ordre social et démocratique, que j'ai appelé coopérative commonwealth. (Richesse publique Coopérative.)
- « Je me suis efforcé de démontrer que ce nouvel ordre social sera un heureux événement aussi bien pour les travailleurs intellectuels que pour les travailleurs manuels, pour les femmes autant que pour les hommes.
- « La révolution à venir est strictement une Evolution; ce n'est pas un mouvement de classe, mais une poussée de la nation entière. Je me suis attaché à faire voir qu'il ! y a dans l’univers une Raison déterminant le chemin que j
- l’humanité doit suivre; que, par conséquent, nous ne nous y engageons pas par choix ni volontairement, mais spontanément ; et que le socialisme est inévitablement la plus prochaine période de notre essor social....
- « La question brûlante dont les anglais comme tous les américains auront d’abord a supporter la discussion, puis à trouver la solution est celle-ci : « Ce que vous, capitalistes, appelez votre propriété est-il bien réellement votre propriété? Et le détenez-vous spécialement pour en faire ce qu’il vous plaît ?
- « Dans ces circonstances, j'ai pensé que mes compatriotes avaient besoin d'être bien informés de la nouvelle philosophie, — et le socialisme n’est pas autre chose, — partagée aujourd'hui par des centaines de mille hommes avec une ferveur égale à celle des premiers Chrétiens pour la parole du Christ.
- « Je crois et j'espère véritablement que d’ici à 20 ou 25 ans la Révolution sera pour le peuple Britannique dans son austère réalité. J'espère qu’elle ne sera pas marquée par le sang. Une révolution violente est à la société ce qu’est l’ouragan pour un navire luttant sur un océan démonté : ce n’est que par des efforts herculéens qu'on réussit à éviter les écueils et à gagner le port. Même dans ces conditions nous ne serions encore qu'au début de notre tâche....
- « Tout semble indiquer qu’en Angleterre, la prochaine révolution se fera par la Chambre des Communes. Prenons le programme radical pour les Elections générales : L'assiette des impôts graduée, l'éducation, libre, la municipalisation du sol et sa location aux travailleurs de l’agriculture.
- « Ces mesures ne sont pas particulièrement socialistes, mais elles tendent formellement vers une direction socialiste.
- « Le fait même que la terre de Grande-Bretagne ait été tenue jusqu’ici en immenses domaines est un grand avantage pour le peuple. Là vraie politique est ïde la garder ainsi en la transférant seulement du coptrôle individuel au contrôle national ou municipal, eti’en la louant aux sociétés coopératives de travailleurs agricoles.
- « Pour accomplir cette évolution, toutefois,la premièr e chose nécessaire est de convaincre une minorité vigoureuse et déterminée d’hommes et de femmes, intelligents, énergiques, enthousiastes; qu’un changement radical doit être fait. Non que cette minorité ait à déterminer la Révolution future, — un individu, une coterie, une majorité même, ne peuvent pas plus faire une Révolution, que la mouche ne peut faire tourner les roues cfu coche; la Révolution se fait elle-même ou «croît d'elle même»,— mais une minorité prépare toute révolution ei, quand le moment décisif est arrivé, la minorité agit sur les masses comme l’effort agit sur le levier.
- « Ce livre a donc surtout pour objet d’obtenir une telle minorité qui sache (pour employer le langage populaire) qu’elle combat à côté de Dieu et que, par conséquent, elle ne peut faillir.»
- La conclusion de l’auteur est que dans le prochain ordre social « tous les instruments de production' seront sous le contrôle de la collectivité des membres d une na-
- p.70 - vue 74/838
-
-
-
- 71
- LE DEVOIR
- tion; tous les citoyens seront des fonctionnaires publics, et tous les travaux seront rémunérés selon leurs résultats.»
- Ces divers ouvrages montrent le travail considérable qui s'accomplit dans les esprits pour arriver à formuler les conditions pratiques de l’extinction du paupérisme et de l’organisation de la répartition équitable des richesses sociales.
- 11 est remarquable de voir sur tous les points du monde les penseurs se rencontrer dans l’idée commune de la transformation inévitable du régime de la propriété.
- Mais, tandis que la plupart des plans proposés ne semblent réalisables qu’au sein de crises politiques et de bouleversements sociaux, la proposition de M. Godin concernant le droit d’hérédité de l’Etat nous ferait atteindre le but, c’est-à-dire la répartition équitable des richesses sociales et l’organisation de la sécurité et du nécessaire à la vie pour tous, sans préjudice pour qui que ce soit, sans perturbations ni conflits, au sein du travail et de la paix.
- * *
- Deux autres faits des plus remarquables prouvent en ce moment la vitalité des préoccupations sociales.
- D’un côté, en Angleterre, des hommes éminents avaient songé à exproprier les détenteurs du sol irlandais, à nationaliser ce sol et à le louer aux ouvriers cultivateurs ; de l’autre, en Allemagne, M. de Bismarck aurait, lui aussi, conçu un plan que le Temps, dans son numéro du 19 janvier apprécie en ces termes :
- L’opinion publique en Allemagne se préoccupe assez vivement des mesures annoncées par 1er discours du trône j au Landtag de Prusse pour garantir la situation de la population de race germanique dans les provinces orientales de la monarchie, Jusqu’à présent l’opposition avait eu beau jeu à lutter contre les procédés arbitraires que le gouvernement avait seul mis en usage contre l’élément polonais, et elle avait protesté avec énergie contre des expulsions qu’elle déclare contraires aux principes de l’humanité. Désormais, le terrain du débat va être singulièrement déplacé, et, s’il faut en croire les renseignements adressés de Berlin à la Correspondance politique, de Vienne, le prince de Bismarck n’hésiterait pas, pour affaiblir l’autorité de l’aristocratie foncière polonaise et pour renforcer proportionnellement l’influence de l’élément allemand, à prendre l’initiative d’une réforme agraire devant la hardiesse de laquelle le législateur anglais, pourtant assez peu timide lorsqu’ils’agit de l’Irlande, a reculé pour l’île-sœur.
- Il s’agirait de la création d’une classe de paysans-propriétaires allemands dans les provinces orientales, classe soustraite par l’organisation même de sa tenure à la suprématie du grand propriétaire polonais et ne dépendant que de l’Etat. A cet effet, le Landtag serait invité à voter un crédit de plusieurs millions de marcs, lequel serait affecté à l’acquisition de domaines. Ces domaines seraient partagés en parcelles suffisantes pour l’entretien d’un paysan'et de sa famille, et chaque parcelle serait constituée en terre à rente (Rentengüter), c’est-à-dire que j la propriété en résiderait sur la tète de l’occupant, moy- I
- ennant le payement à perpétuité d’une rente foncière inaliénable.
- En somme, ce serait la fondation de véritables colonies agricoles que méditerait le prince de Bismarck.Après avoir fait de la place par l’expulsion en masse des ressortissants étrangers, il comblerait les vides en appelant à la vie une classe nouvelle, toute pénétrée de l’esprit germanique, placée dans une situation complètement indépendante â l’égard de la noblesse polonaise, et en relations intimes avec l’Etat prussien, qui lui servirait de lundlord. On doit remarque que ce projet n’est pas le fruit de la seule conception du chancelier.Les traits principaux en ont été récemment exposés dans une discussion des plus intéressantes, à laquelle s’est livré le Collège de l’Economie rurale (Landes (Economie Collegium).
- Ce qui fait l’originalité de cette mesure, et ce qui n’est pas présisément propre à lui assurer la bienveillance spontanée du parti des hobereaux, c’est qu’elle tend à réaliser l’idée favorite d'une certaine école de réforma-| leurs sociaux et à créer de toutes pièces une classe de ! paysans propriétaires, en portant une atteinte grave à l’organisation actuelle de la propriété foncière, à la constitution présente de la société rurale et à l’influence de l’aristocratie terrienne.
- Il sera curieux de voir l’accueil que les divers partis feront à ce projet s’il est réellement soumis iu Landtag. L’embarras sera grand parmi ceux qui combattent la politique des expulsions et condamnent l’inhumanité de ces bannissements sommaires, mais qui sont en sympathie avec le principe des réformes sociales que tendrait à réaliser cette innovation hardie.
- --------------------. . » . —--------------------
- Les Récidivistes à la Guyane
- On lit dans le Temps du 16 janvier « si l’on veut se débarrasser en bloc des récidivistes, la Guyane doit être chargée de cette sinistre besogne, et elle s’en acquittera d’une façon radicale. Mais, si l’on se sent porté à faire grâce à des hommes qu’aucune loi ne condamne, en somme, à mourir de la guillotine sèche, et si l’on veut en vain ne pas dépenser des millions en pure perte, à Cayenne, puisque deux mois après l’arrivée des délégués, il y en aura très peu de vivants, il faut dénoncer la convention qui nous lie à l’Angleterre et réunir ce qui n’aurait jamais dû être séparé, les Nouvelles Hébrides à la Nouvelle Calédonie ». J’ai tenu à transcrire la citation entière. C’est une des premières fois, je crois, que dans la presse autre que dans la presse radicale, on appello de son vrai nom la relégation des récidivistes : la guillotine sèche.
- Les établissements hospitaliers. — La statistique officielle sur les conditions actuelles des établissements hospitaliers de la France vient d’être publiée.
- Le nombre des hôpitaux est de 371, dont 21 pour le département de la Seine ; celui des hospices de 426, et celui des hôpitaux-hospices de 846.^ total: 1,643 établissements hospitaliers.
- Le personnel comprend : 2,865 médecins et chirurgiens (Seine 171) ; 10,851 religieuses (Seine 384) ; 3,105 empioy-
- p.71 - vue 75/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 76
- és; 11,830 servantes; soit un personnel, pour l’ensemble, de 28,651 personnes.
- Les lits affectés au service des malades s’élèvent au chiffre de 72,025 (10,375 pour la Seine) les infirmes, vieillards et incurables en ont 54,839 (Seine 10,961) ; les enfants assistés 16,636 (Seine 684) : le personnel en possède 23,512. Au total : 167,012.
- Cette statistique, la dernière dressée, concerne l’année 1885 et constate qu’au cours de cette année, les journées de présence pour toutes les catégories de malades se sont élevées, pour toute la France, à 31,191,036-
- Il a été admis 422,468 personnes ; 366,278 ont été guéries. 42,687 sont mortes.
- Les recettes de toute sorte ont été de 108 millions 935,094 fr., et les dépenses de 109 millions 850.917 fr.
- Le nombre des enfants assistés pour toute la France a été de 71,160, ainsi répartis: enfants trouvés, 2,043 ; enfants abandonnés, 57,981 ; orphelins, 11,136. Le nombre des enfants secourus chez leurs parents a été de 47,464. La somme des dépenses faites pour les enfants a été de 14 millions 251,957 francs:
- Le Renouvellement Partiel
- Nous lisons dans la Tribune de l’Aisne
- M. Dupuy, député de l’Aisne, vient de déposer sur le bureau de la Chambre une proposition de loi signée d’un certain nombre de ses collègues et tendant au renouvellement partiel de la Chambre des députés.
- Les ennemis du gouvernement de la République et ses prétendus amis, plus dangereux assurément que des adversaires déclarés, repoussent à priori la proposition. C’est une raison péremptoire pour qu’elle soit tenue pour bonne.
- D’ailleurs, le Congrès républicain de l’Aisne a inscrit la réforme dans son programme auquel le suffrage universel a adhéré par ses votes.
- C’est donc en exécution de leur mandat que les députés de notre département ont déposé la proposition de renouvellement partiel.
- Leur projet comporte le renouvellement par tiers de la Chambre des députés. Le mandat des représentants du suffrage universel serait de six années ; mais chaque département aurait à renouveler tous les deux ans le tiers de sa députation.
- De cette façon, les élections partielles pourraient être supprimées, à moins que plusieurs vacances viennent à se produire simultanément, ce qui est un cas assez rare. Au lieu donc d’énerver le suffrage universel par des élections répétées, on en rendrait les consultations moins fréquentes, mais plus méthodiques et plus significatives.
- Le renouvellement partiel aurait pour résultat de préserver le pays de ces grandes secousses des élections générales qui les remettent tout en question. 11 assurerait donc la stabilité si désirable du gouvernement républicain.
- Il assurerait aussi l’esprit de suite dans le Parlement et la #continuité des travaux législatifs.
- On ne peut oublier, en effet, qu’à la fin de chaque législature un grand nombre de projets delois dépo ésparle gouver-ment et de propositions émanant de l’initiative privée deviennent caducs.
- C’est ainsi qu’à la fin de la première législature de la République, étaient restés en souffrances :
- 50 projets de loi ;
- 191 propositions.
- A la fin de la deuxième :
- 49 projets de loi ;
- 148 propositions.
- A la fin de la troisième ;
- 103 projets de loi ;
- 310 propositions.
- Ces chiffres ont bien leur éloquence.
- Les adversaires de la proposition des députés de l’Aisne dont nous parlions tout à l’heure objectent avec le bon sens et la bonne foi qui les caractérisent.
- — Mais, si la Chambre adoptait dès maintenant cette réforme et se l’appliquait à elle-même, elle allongerait le mandat que les électeurs lui ont confié.
- Cela est inexact.
- Un tiers des députés seulement verrait la durée de leur mandat portée à six années, tandis qu’un autre tiers la verrait diminuée à deux ans. Il y aurait donc une exacte compensa lion et si l’on prend la Chambre dans son ensemble, la durée du mandat ne changerait aucunement.
- LA GRISE AGRICOLE
- et la question sociale.
- Nous empruntons à un journal de l’Aisne le récit d’intéressantes expériences agricoles qui confirment l’opinion que nous avons souvent émise, que la culture du blé trouverait une prospérité momentanée dans les grands rendements, sans échapper pour cela à la crise finale à laquelle seront soumises toutes tes institutions de l’ordre individualiste.
- Nous citons le texte de notre confrère, non sans faire remarquer que cet organe, pendant la période électorale, était un des plus ardents à soutenir, au profit de candidats orléanistes, que la crise agricole était provoquée par la mauvaise politique du parti au pouvoir :
- De jolies expériences viennent d’être faites dans notre région, dans le département du Pas-de Calais et dans celui du Nord, à Wardrecques et à Blaringhem. M. Dehérain et son collaborateur, M. Porion, se sont mis à i’œuvre avec l’ardeai des hommes de science et les résultats sont extrêmement intéressants.
- A Wardrecques le prix de location d’un hectare n’est guère inférieur à 200 fr. ; il supporte un impôt de 16 fr. Il y a loin de la coupe aux lèvres, mais il y a plus loin encore de ce chiffre à celui de notre fertile vallée d’Aisne. En 1885, à Wardrecques, les frais de culture, de moisson et de battage se sont élevés à 260 fr. Il faudra joindre à cette dépense de 476 fr. le coût de la fumure, pour avoir l’ensemble des frais qu’occasionne la culture d’un hectare de blé. Admettez q le le prix du quintal de blé ne dépasse pas vingt francs et qic
- p.72 - vue 76/838
-
-
-
- 73l
- LE DEVOIR
- l’otf retire quarante francs de mille kilogrammes de paille. Dans ce cas est-il possible, au moyen d’engrais appropriés et de semences bien choisies, d’accroître la récolte au point qu’elle laisse un bénéfice? Ou bien faut-il renoncera cultiver le blé, tant que des tarifs douaniers n’auront pas élevé artificiellement le grain à un prix plus rémunérateur ? Grave question. C’est par une judicieuse expérience que MM. Dehérain et Porion ont essayé de la résoudre.
- Le terrain sur lequel ils disposèrent leurs expériences avait porté en 1882 des betteraves avec fumure de 40,000 kil'o-grammes de fumier, en 1883 du blé sans fumure, en 1884 des. pommes de terre auxquelles on avait administré 169 hectolitres de chaux pour la saison d’automne et 41.000 kilogrammes de fumier pour le printemps. A l’automne de l’année 1884 la terre a été préparée convenablement ; elle a reçu une fumure de 850 kilogrammes de tourteaux par hectare, et le blé à épi carré a été semé à l’aide du semoir, suivant un écartement de 0m20. Au printemps on a tracé sur ce terrain des parcelles d’essai de 100 mètres carrés et on a distribué des engrais complémentaires, sulfate d’ammoniaque ou azotate de soude avec association de superphosphates ou de chlorure de potassium ou même ces deux sels à la fois. En 1885 la saison a été très favorable ; sans engrais complémentaire on a obtenu 4.000 kilogrammes de grain et 7,000 kilogrammes de paille sur la parcelle conservée comme témoin, et sur la parcelle totale 4 hect. 9, l’énorme quantité de 3.700 kilogrammes de blé par hectare. La valeur de la récolte de la parcelle conservée comme témoin est donc égale à 1.080 francs ; la dépense, le prix de la fumure intégralement compris, étant égale à 583 francs, il reste un bénéfice de 492 francs par hectare. Bien que les engrais complémentaires aient élevé la récolte, le supplément de grain et de paille qu’ils ont fourni couvre à peu prés exactement la dépense d’acquisition et,)par suite, le produit net n’est pas augmenté. En résumé, suç la plaine de Wardrecqu^s le blé à épi carré a fourni de 50 hectolitres à 52 hectolitres de grain, laissant un bénéfice de 500 francs environ par hectare sur les parcelles d'essai; sur l’ensemble de la pièce la récolte s’élève à 47 hectolitres environ.
- A Blaringhem on a usé encore du blé à épi carré ; mais, malgré des circonstances moins favorables, on a réalisé sur. les parcelles d’essai le magnifique rendement de 62 hectolitres de grain qui mérite de fixer l’attention Le prix de location est moins élevé : de là un nouveau progrès.
- Tous calculs faits, la terre de Wardrecques et celle de Blàringhem ont fourni plus de 50 hectolitres de grain par heétare ; à Grignon ce blé si digne d’éloges ne s’est pas démenti ; chez d’autres observateurs il s’est encore comporté de la même manière. Contrairement à une opinion généralement répandue on n’a eu aucune difficulté à vendre le blé réédité.
- Ainsi, c’est démontré. Dans les bonnes années les cultivateurs de la région septentrionale, devenus si habiles dans l’art de travailler la terre, pourront encore, malgré les bas prix, s’adonner avantageusement à la culture du blé, s’ils choisissent des variétés à gros rendement, susceptibles de supporter de fortes fumures sans verser. L’affirmation de M. Dehérain est précise. Il ajoute avec raison : «Depuis une trentaine d’années l’attention des agronomes s’est portée surtout
- vers l’emploi des engrais, et de remarquables progrès ont été accomplis ; il nous paraît cependant qu’aujouid’hui les études doivent tre dirigées principalement veis le choix des semences. Les résultats déjà obtenus montrent qu’à l’aide d’une sélection persévérante il est possible de doter la culture de variétés infiniment supérieures à celles qu’on sème habituellement.»
- Voilà qui est clair : On peut encore faire 500 francs de bénéfices sur un hectare d’excellente terre parfaitement fumée et amendée, et ensemencée d’une variété de blé judicieusement choisie.
- Nous ajoutons qu’en procédant avec autant de soin dans les autres terrains livrés à la culture du blé, il serait possible d’obtenir, à prix de revient rémunérateur, des rendements assez elevés pour récolter en Fracne le froment nécessaire à notre consommation.
- Nous prenons acte de ces faits pour répéter que la solution de la crise agricole n’est qu’une question de science et de capital, deux éléments à la portée des cultivateurs, s’ils consenlent à étudier, à expérimenter, à s’associer pour se procurer le capital lorsqu’il leur fait défaut.
- Maintenant, s’ensuit-il que cette solution agricole augmente la sécurité des fermiers et des travaillleurs agricoles et consolide i’ordre social?
- Momentanément, les fermiers qui ont de longs baux bénéficieront de ces améliorations, ils pourront en faire profiter les salariés agriculteurs. Mais à l’échéance de ces baux, le propriétaire d’abord, qui aura noté chaque année les gros revenus encaissés par ses fermiers, aura des tendances à hausser le prix des fermages ; puis les fermiers des contrées voisines, habitués à réaliser souvent un bénéfice nef moindre que 50 francs par hectare, s’empresseront de disputer le bail par des offres de plus en plus élevées, jusqu’à ce qu’ils les jugent trop fortes pour ne plus espérer un bénéfice supérieur à celui dont ils se contentaient avant.
- En définitive, les propriétés foncières, devenues plus productives par le savoir-faire des cultivateurs, acquerront une plus-value vénale et de location qui reviendra entière au propriétaire. A la moindre nouvelle dépression des rendements agricoles, qui descendent quelquefois, pendant plusieurs années, au-dessous des rendements moyens, malgré une bonne culture, le fermier atteint dans ses bénéfices ordinaires cherchera une compensation dans la diminution du salaire ; les propriétaires laisseront faire jusqu’à ce que le
- p.73 - vue 77/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- fermier ne puisse plus payer le loyer convenu ; alors on recommencera à crier misère, on réclamera du gouvernement des révisions douanières et l’on verra se lever de nouveau une légion de politiciens, servis par une presse convenablement subventionnée, se disant certains de rétablir la prospérité publique pourvu que le pouvoir leur appartienne.
- Nous ne pensons pas que l’on puisse nous faire entrevoir une autre perspective, sous le régime de l’aliénation indéfinie du sol entre les mains de spéculateurs ne cultivant pas les terres qu’ils possèdent.
- Au contraire, si nous supposons la solution de la crise agricole complétée par la solution de la question sociale, si l’hérédité de l’État fait revenir le sol à la propriété nationale après la mort des individus, la société entière profite d’une partie des plus-values, et ces ressources nouvelles lui permettent soit de diminuer les autres charges que supporte le travail, soit d’augmenter l’outillage public sans emprunt, soit de fortifier les institutions garantîtes, sans jamais élever les baux à des taux excessifs.
- Dans cette hypothèse, la nation entière participe aux bienfaits du progrès, au lieu de les laisser monopoliser par quelques privilégiés comme il arrive maintenant.
- Les améliorations spéciales, professionnelles, s’accomplissent avec une incroyable rapidité. Il est regrettable que les plus experts en ces matières ne comprennent pas comment elles sont reliées au progrès social.
- Dès que l’on tiendra compte de cette connexité, l’évolution humaine s’accomplira donnant à tous les citoyens sans exception la sécurité et le bonheur.
- Le tableau suivant, que vient de publier l’administration des douanes, résume les mouvements de notre commerce extérieur dans les années 1884 et 1885.
- Importations
- Objets d’alimentation. . Matières nécessaires à l’industrie ...............
- Objets fabriqués . . .
- Autres marchandises. .
- Totaux................
- 1885 1884
- 1.380.468.000 1.414.155.000
- 2.055.420.800 2.105.147.000 588.665.000 631.758.000
- 191.324.000 192.419.000
- 4.215.877.000 4.343.479.000
- 74
- Exportations
- Objets d’alimentation . .
- Matières nécessaires à l’in
- dustrie.............
- Objets fabriqués . , .
- Autres marchandises. .
- Totaux.................
- LJ QUESTION SOCÎâLE
- ET
- les possibilités socialistes, y ni
- INCOMPATIBILITÉ DU PROGRÈS SOCIAL ET
- D’UNE SAINE MORALE AVEC LA CONSERVATION DE L’ORDRE INDIVIDUALISTE.
- Nous n’avons pas écrit que l’ordre individualiste était odieux, uniquement parce que nous sommes persuadé que ses promoteurs et ses défenseurs n'ont pas eu et n’ont pas conscience de son iniquité.
- Les lecteurs qui n’admettent pas notre critérium doivent se dire que, si l’ordre individualiste est dominé par un principe aussi absurde que nous le proclamons, nous devrions prouver que tout est absurde dans la société présente, car un principe ne peut qu’engendrer des conséquences logiques avec sa donnée essentielle.
- Qui formule cette objection ne manque pas de la considérer cou. u.e irréfutable, car elle germe toujours dans un cerveau qui confond le progrès scientifique elle progrès social.
- La science avance par enjambées géantes, les progrès delà mécanique et delà production sont immenses, cela ne fait aucun doute; mais l’insouciance, même la répugnance des classes dirigeantes d’harmoniser les institutions sociales avec ces évolutions constituent un danger réel d’autant plus redoutable que s’accentuera le développement scientifique.
- Passons aux preuves.
- La grande industrie et la production à bon marché, telles qu’elles sont possibles sous le régime présent exagèrent sans cesse les inégalités entre les hommes.
- Si nous prenons une industrie à son état relativement simple et à sa phase de grande fabrication, nous constaterons que, malgré l’amélioration sensible de la situation du salarié, la différence entre lui et le salariant s’agrandit à mesure que les formes de l’industrialisme se généralisent.
- 713.442.000 762.414.000
- 662.524.700 669.075.800
- 1.629.743.000 1.637.988.000 179.322 080 163.023.000
- 2.185.031.800 3.232.508.000
- p.74 - vue 78/838
-
-
-
- 75
- LE DEVOIR
- Gomme démonstration nous raisonnerons sur une hypothèse qui doit s’écarter peu de ia vérité, notamment dans la production des tissus.
- A l’état d’industrie moyenne, l’entrepreneur de tissage confiait à un ouvrier travaillant à domicile une quantité de matière d'une valeur de 75 centimes pour façonner un mètre de tissu à raison de { fr. pour l’ouvrier. Lorsque ce mètre de tissu était à l’étalage du détaillant, le prix de vente n’était pas inférieur à 3 fr. par suite des frais et des bénéfices prélevés par les nombreux intermédiaires. Dans ces conditions, l’ouvrier pouvait racheter avec son franc de salaire 1/3 du mètre de tissu confectionné par lui. Si nous nous plaçons à une époque, époque qui a dû exister, durant laquelle ce cas était à peu près général, nous pouvons dire que,sous ce régime de moyenne industrie,le travail était salarié dans de telles proportions qu’il pouvait racheter un tiers des objets composant la production.
- Lorsque le tissage, que nous avons pris comme exemple, est passé dans le domaine de la grande industrie, on trouvera certainement une phase qui s’écarte peu de la suivante : un mètre de tissu exige encore 75 centimes de matière première, mais par l’amélioration de l’outillage, l’ouvrier fait 8 mètres pendant le même temps qu’il employait précédemment à façonner un mètre. En considération des obligations inhérentes à la vie d’ouvrier de fabrique, le travailleur sera payé à 20cen* times par mètre, de telle sorte qu’il pourra gagner 1 fr. 60 dans le même temps qui lui était payé chez lui 1 fr. Le prix de ce mètre de tissus ne sera pas moindre, chez le détaillant de 1 fr. 60. 11 arrivera alors que l’ouvrier devra dépenser le salaire de la façon de 8 mètres pour racheter un mètre du produit. En généralisant, comme dans la première interprétation, nous devons reconnaître que la grande industrie nous a conduit à une situation économique nouvelle, dans laquelle le travail ne peut plus racheter qu’un huitième de la production, au lieu de pouvoir en acquérir le tiers, comme cela était le cas sous un système moins perfectionné de production.
- Nous reconnaissons que le 1/8 de la production, en époque de grande industrie, procurant aux travailleurs 1 fr. 60, semble préférable à la petite industrie qui limitait à 1 fr. le salaire de l’ouvrier. Mais la relativité des choses n’est pas une donnée négligeable à notre époque de libre examen.
- Nous devons retenir que, si l’on représentait par 1/3 la puissance d’achat des classes laborieuses
- relativement à la totalité de la production, à un certain moment de la petile industrie, à une période de la grande production, cette puissance d’achat n’est plus exprimée que par 1/8, c’est-à-dire quelle a diminué relativement de plus de moitié.
- De même la puissance d’achat des salariants qui était représentée pas 2/3 dans le premier cas se trouve exprimée par 7/8 dans le deuxième.
- Avec ces mêmes données, nous constatons encore que, si l’inégalité entre la situation des classes laborieuses et des classes riches était repré-sentée par 2 à l’époque où les salariés avaient 1/3 de la production et les salariants 2/3, cette inégalité est représentée par 7 pendant la phase correspondant à notre deuxième hypothèse.
- Pour aller au fond de la question, il nous reste à faire intervenir le nombre des individus de chaque classe. Nous pensons faire la part belle cà nos contradicteurs en admettant que la population laborieuse qui a pour elle l’équivalent du tiers ou du septième de la production, suivant la phase industrielle, est deux fois plus nombreuse que celle qui accapare les 2/3 ou les 7/8. En tenant compte de cenouveau facteur, nous trouvons que l’inégalité entre les individus des deux classes doit être représentée par 4 lorsque nous chiffrons par 2 la différence entre les deux classes ; comme il est rigoureusement exact d’exprimer par 14 l’inégalité entre les individus des deux classes, lorsque la différence entre celles-ci est représentée par 7.
- Dans un chapitre précédent nous avons fait entrevoir une autre conséquence de l’accroissement relatif des prélèvements des classes riches, lorsque nous avons établi la genèse des pléthores économiques.
- Nous pouvons définitivement conclure que la grande industrie et la production à bon marché sous le régime individualiste, par les suspensions de travail qu’amènent les engorgements économiques et par l’exagération des inégalités entre les classes,sont en opposition avec les idées de progrès social qui tendent à rapprocher les individus et les classe et à écarter les sujets de discorde.
- Certains progrès probables auront même pour effet immédiat d’amener l’écroulement rapide de l’ordre individualiste.
- U n’est pas douteux que, si l’on parvenait par la généralisation des canaux ou par de nouvelles découvertes à mettre en œuvre des moyens de transport plus économiques que ceux des voies ferrées,
- p.75 - vue 79/838
-
-
-
- L E DEVOIR
- 76
- la valeur de nos lignes serait considérablement j réduite.
- Cette hypothèse est admissible avec les progrès de l'électricité, des ballons.
- Cependant, cette progès marquerait infailliblement l’heure de l’effondrement économique. Les chemins de fer deviendraient des non-valeurs et les 15 milliards que l’État garantit aux possesseurs des voies ferrées, actionnaires ou obligataires, viendraient grossir de pareille somme la dette nationale ; U faudrait augmenter d’un seui coup nos budgets annuels de 600,000,009 ; le service des intérêts de la dette nationale coûterait alors à la nation près de deux milliards.
- Croit-on que le travail national pourrait supporter une charge aussi lourde ?
- Un progrès aussi considérable rendrait inévitable la banqueroute de l’État individualiste, ce serait le commencement delà désorganisation sociale par la force des choses.
- On parie beaucoup, depuis quelque temps, du transport et de la distribution des forces par l’électricité comme d’une invention à la veille de rentrer dans la pratique générale.
- Ce jour-là ne donnera-t-il pas le signai de la ruine de tontes les grandes fortunes basées sur l'exploitation des houillères, sur les entreprises d’éclairage par le gaz de la houille, sur la fabrication des machines à vapeur et des accessoires employés à la transmission des forces engendrées par la vapeur d’eau ?
- Et les innombrables travailleurs que ces ruines mettront en disponibilité,que deviendront-ils ? Car, il ne faut pas penser que touspourront trouver une place dans les nouvelles industries qui suivront cette invention. Il est déjà facile de prévoir que la substitution pratique des forces naturelles par le transport et par la distribution électriques réduiront peut-être des trois quarts les efforts humains pour une même production. Que ferait-on de tous ces travailleurs, surtout si la généralisation de ces nouveaux procédés coïncidait avec une période de pléthore économique ? <
- Les conservateurs de l’ordre actuel doivent redouter la venue des grands progrès. Même, s’ils comprenaient les conditions de conservation de ce système social, ils combattraient l’expansion indéfinie du progrès comme les catholiques ont résisté à l’expansion du libre examen.
- De même, en morale, si les conservateurs com-
- prenaient l’incompatibilité de l’ordre individualiste avec la moralisation des masses, ils pousseraient par tous les moyens en leur pouvoir, au développement du parasitisme et de la dépravation.
- Afin de ne pas nous départir de notre méthode d’argumenter d’après des faits au lieu de discuter des idées théoriques, nous citerons l'immoralité la plus flagrante de notre époque, celle qui offusque le plus, en apparence, la vertu bourgeoise, et nous montrerons qu’elle est, réellement, une des conditions de la conservation de l’ordre présent, que, si elle était remplacée par une sage observation des inspirations de la saine morale, elle fortifierait les faits qui concourent à la disparition de l’ordre social en vigueur.
- D’après les statistiques des grandes capitales, Paris et Londres, on s’écarte peu des probabilités en divisant comme suit une population féminine de 800,000 personnes : 500,000 ouvrières salariées, 150,000 femmes vivant sans travailler; 450,000 prostituées ; il est encore admissible que les femmes honnêtes et les prostituées dépensent, chacune, moyennement, quatre fois plus qu’une ouvrière.
- Cet état moral de la population féminime peut se traduire au point de vue économique par l’addition suivante, si on appelle R la consommation de l’ouvrière et 4 R celle de la femme rentière et de la prostituée.
- 500.000 ouvrières consomment............. 500 000 R
- 150.000 femmes rentières consomment 150.000 R X 4=600 000 R 150.000 prostituées consomment » » » 600 000 R
- Totaux 800.000 femmes consommant ensemble 1.700,000 R
- Supposons maintenant que les prostituées, touchées de la grâce, renoncent au vice et deviennent des ouvrières, elles sont aussitôt à la ration congrue de l’ouvrière.
- La situation économique qui suit cette évalu-tion se traduira désormais ainsi ;
- 500,000 ouvrières consomment . . 500,000 R
- 150,000 prostiuées devenues ouvrières 150,000 R 150,000 femmes rentières. . . . 600,000 R
- Totaux 800,000 femmes consomment. . . 1250,000 R
- En définitive la consommation générale de la population féminime, sous l’influence de la saine morale, aura baissé de 500,000 R, de plus d’un quart, et le nombre des ouvrières aura augmenté dans une même proportion ; deux circonstances aboutissant fatalement à l’abaissement des salaires, aux chômages, aux révoltes des travailleurs.
- p.76 - vue 80/838
-
-
-
- 77
- LE DEVOIR
- Inversement, si nous supposons qu’une parti e des ouvrières abandonne le travail pour se livrer à la prostitution, nous constaterons aussitôt une grande augmentation de la consommation et une diminution sensible de l’offre des bras, toutes choses très favorables au développement du commerce, de l’industrie, et de la tranquilité des travailleurs.
- La conservation de l’ordre présent a besoin de l’immoralité pour se perpétuer, comme certaines races venimeuses ne peuvent vivre ailleurs que dans les eaux pestilentielles.
- Le parasitisme militaire et l’abondance des fonctionnaires et des intermédiaires inutiles sont aussi l’une des conditions de l’ordre présent.
- Tous les gens attachés à ces catégories sont des êtres qui, sans produire, consomment plus que ceux qui travaillent à l’augmentation des richesses ; producteurs, ils consommeraient moins que permet leur enrôlement dans les légions du parasitisme ; ils jouent donc dans la société présente le rôle de compensateurs.
- Beaucoup de gens verraient avec satisfaction le gouvernement renoncer aux armements excessifs qui nous ruinent.
- Chez des socialistes, comme nous, cette opinion est rationnelle, parce que nous ne la séparons pas d’une meilleure répartition des richesses, parce que le régime de l’association que nous voulons substituer à l’individualisme permettrait aux travailleurs par le simple jeu naturel de ses institutions de conserver pour eux tout ce- que l’on est obligé de faire dévorer présentement par le parasitisme ; chez les conservateurs elle est l’indice d’une profonde ignorance des nécessités de l’ordre individualiste.
- Les cinq ou six cent mille hommes immobilisés par le service militaire appartiennent en grande partie à la classe ouvrière ; sous la livrée militaire, ils dépensent à peu près autant que s’ils étaient à l’atelier, mais ils n’ajoutent rien à la production déjà trop grande relativement à la consommation permise aux classes ouvrières. Il en est de même des fonctionnaires inutiles.
- On serait mal venu à prétendre que si tous ces citoyens étaient disponibles sur le marché du travail, l’industrie privée s’organiserait de manière à les occuper ; on ne peut risquer une semblable opinion, lorsqu’il existe déjà un grand nombre de bras sans travail que l’initiave privée des dirigeants de la production laisse mourir de misère.
- A première vue on serait tenté de croire, d’après ce qui précède, que l’exagération du parasitisme proportionnellement au développement des moyens de production serait un moyen pratique d’éviter les engorgements économiques.
- Cette solution serait elle aussi négative. Il ne faut pas perdre de vue que le parasitisme est entretenu par l’impôt et que l’impôt est payé par le travail. De cette façon, les impôts déjà si lourds dépasseraient bientôt la charge que les travailleurs consentiraient à supporter. Pour qu’une telle solution devint efficace, il serait nécessaire que les ressources destinées à payer ces inutilités fussent le produit d’impôts réellement prélevés sur la richesse. Ce serait faire au profit de la paresse ce que le socialisme demande au profit de l’enfance, de la vieillesse, et de la maladie. Au reste, toute perception d’impôt, faite de telle sorte que le riche soit empêche de la passer à un autre citoyen,serait un acte en contradiction avec le principe du régime individualiste, hors duquel il n’y a point de salut.
- Ce dernier exemple est particulièrement propre à faire ressortir l’empirisme de notre présente organisation sociale. Rien ne peut s’y implanter qui puisse modérer ses tendances désordonnées ; les mesures qui, à première vue, paraissent à la fois conformes au principe de l’individualisme et aptes à tempérer ses excès, lorsqu’on les examine à fond, sont toujours une aggravation du mal présent si elles sont véritablement logiques avec le principe admis ; et, si elles sont réellement susceptibles d’apporter quelques améliorations, elles se manifestent aussitôt en contradiction avec la conservation des institutions proclamées inviolables.
- On n’améliorera pas la société individualiste par des expédients logiques avec son principe ; plus on généralisera les applications de cet ordre plus on précipitera l’heure de l’effondrement.
- LA RAGE
- Au jour où i’écris ces lignes, 170 personnes ont été traitées par M. Pasteur et son collaborateur — qui nous représente, en réalité, nous autres médecins — le docteur Grancher. Sur ces 170 personnes, on compte deux tiers d’hommes, un tiers de femmes ou d’enfants au-dessous de quatorze ans. Les morsures observées siégeaient le plus souvent à la main et à l’avant bras, et un certain nombre de fois à la face, siège incomparablement plus dangereux. C’est le cas, par exemple, d’une petite fille qui fuyant affolée devant un chien enragé tomba, se mit à crier — il y avait de quoi — ouvrit forcément la bouche pour crier et eut la mâchoire
- p.77 - vue 81/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- supérieure prise entre les dents du chien qui avait plongé sa j gueule dans la bouche entrouverte.
- Dans ces 170 cas on s’est toujours assuré avec le plus grand soin que l’animal, cause des morsures, était véritablement enragé. Le diagnostic a été établi aussi rigoureu ement que possible, soit par des certificats de vétérinaires, soit par des procès-verbaux d’autopsie, soit enfin — ce qui ne peut tromper — par la constatation expérimentale de la présence du virus de la rage dans la moelle des animaux abattus ou morts. Pour plus de sûreté, on n’a jamais accepté en traitement les personnes chez lesquelles la morsure d’un chien enragé pouvait être devenue inoffensive en traversant des vêtements un peu épais avant d’arriver aux chairs. Enfin, dans ces 170 cas, ou bien il n’y avait pas eu de cautérisation, ou bien la cautérisation pouvait légitimement être considérée comme étant sans valeur.
- * *
- Il résulte évidemment de toutes ces précautions prises que les 170 mordus étaient dans les meilleures conditions pour f devenir enragés. D’après les moyennes acceptées par les médecins et les vétérinaires, ces 170 personnes auraient dû donner au moins 30 ou 40 cas de rage, c’est-à-dire 30 ou 40 cas de mort. Or, jusqu à ce jour, une seule mort a été constatée, celle de la jeune Peltier qui, mordue profondément au cuir chevelu, vint se faire vacciner seulement au 37e jour de la morsure et qui succomba quinze jours après son traitement — du virus du chien et nullement du virus inoculé, comme des expériences inédites et très significatives l’ont établi.
- Assurément, M. Pasteur aurait dû refuser cette malade et plusieurs autres dans le même cas s’il eût consulté seulement l’intérêt de ses statistiques ; mais il a fait preuve d'humanité et d’une grande probité scientifique en acceptant tous les malades, même les plus compromis, comme le lui ont conseillé les docteurs Vulpian et Grancher.
- Tous les inoculés vont parfaitement bien. On a de leurs nouvelles chaque semaine. Que manque-t-il donc pour pouvoir affirmer scientifiquement, cliniquement, médicalement, que M. Pasteur a réellement trouvé le moyen de préserver les hommes de la rage après morsures ?
- Ce qui manque ? Eh ! mon Dieu, c’est le grand contrôleur et le grand ouvrier de toutes choses en ce monde : le temps !
- Il faut que tous les mordus de la rue d’Ulm aient vu passer au moins trois mois sur leur traitement. Dix on quinze seulement sont dans ce cas. 11 faut aussi que la méthode ait fait ses preuves, non pas seulement sur 170 personnes, — bien que ce soit déjà un chiffre fort respectable — mais sur 300, sur 500 sur 1,000 ! On y sera vite. Alors, mais alors seulement, la méthode qui n’en est qu’aux essais, qui s’oriente, sera bien établie. On saura ce qu’elle peut donner et ce qui est au-dessus d’elle. Et si vraiment, comme on peut l’espérer,
- M. Pasteur réussit, eh bien ! dans ce pays où tant de grands hommes en faux sont coulés dans le bronze ou ciselés dans le marbre après leur mort, on pourrait, on devrait élever de son vivant une statue au savant qui, après tant de travaux pour la France et pour lui, aurait été plus fort que la rage, c’est-à-dire plus fort que la mort.
- Dr J. Janicot.
- — ------——---------------•------------------------------------
- J 78
- MAITRE PIERRE ;
- Par* Edmond ABOUT
- ( Suite ) *
- XII :
- PROPOS DE BUVEURS. £
- Il n’y avait pas bien longtemps qu’il nous avait quittés, et pourtant son retour m’arracha un cri de joie. Le mal qu’on m’avait dit de lui, les efforts du maire pour lui voler sa gloire, le danger qu’il courait dans son bonhpur et dans son amour, l’hésitation visible de Marinette^ la sécurité impertinente de M. Tomery,l’hostililé de presque toutes les personnes présentes, l’irrésolution honorable qui le faisait flotter, comme un héros de Corneille, eqtre son devoir et sa maltresse, me le rendaient encore plus cher.
- Il salua les assistants de la voix et du geste, tourna autour de la table,et vint se déchausser de ses échasses sous le manteau de la cheminée. L’eau ruisselait de toute" sa personne, et il souriait silencieusement comme s’il.'ne s’était pas senti mouillé. On lui conseilla de se sécher ou de changer d’habits, mais il n’en voulut rien faire.
- « Mangez et buvez, dit-il; quand j’aurai jeté ma peau de mouton et pris un petit air de feu, il n’y paraîtra plus. La pluie et moi, nous sommes de vieilles connaissances. — Nous ne t’espérions plus,» lui dit le maire.
- Le garde champêtre vint l’embrasser sur les deux joues en criant d’une voix de tonnerre :
- « Moi, je t’espérais toujours, Tu sens le chien mouillé, mais ça ne t’empêche pas d’être un grand homme. Nous t’avons laissé du poulet, et je viens de boire à ta santé.
- — Vous êtes tous bien bons, répondit-il avec une confiance charmante. Le dessert n’est pas encore servi?
- — Non, dit Marinette ; nous avons le temps. »
- En se rendant à sa place,, il me serra la main ^ et me dit :
- « Vous jouez de bonheur. Vous étiez venu voir (jes sauvages, et l’on vous offre des messieurs pardessus le marché. Serviteur très-humble, à monsieur Tomery fils et la compagnie !
- — Vous êtes parti bien brusquement,monsieur maître Pierre, répondit le fils Tomery. Je vois avec plaisir que ce n’est pas nous qui vous avons chassé.»
- Il gagna sa place sans mot dire, et murmura en dépliant sa serviette :
- « On ne me chasse pas, monsieur Tomery. Je suis chasseur depuis l’âge de douze ans.
- — Le fait est qu’il faut être chasseur pour sortir sous une ondée pareille. Mais je ne vois pas ce que vous ayez pu tuer, excepté le temps ?
- — Rien ; j’ai été prendre l’air à six lieues d’ici.»
- Il se livra pendant un petit quart d’heure à ce que
- p.78 - vue 82/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- Rabelais appelle la réfection de dessous le nez, mangea j trois ou quatre cuisses de poulet et vida une cruche d’eau j vinaigrée. M. Tomery le regardait en dessous et buvait j (‘•up sur coup, comme un pçltron avant d’aller sur le j terrain. !
- Maître Pierre s’essuya la bouche du revers de la main, j sans songer qu’il avait une serviette. Il leva le nez dans la direction de M. Tomery, le regarda entre les deux yeux, et lui dit à brûle-pourpoint : « Dites donc,monsieur Tomery, savez-vous ce qu’on raconte ? Que vous allez vous marier !
- — Parbleu! répondit le jeune homme, j’aime mieux oa. On ne dit rien que de vrai, monsieur maître Pierre.
- II faut faire une fin en ce monde, et le mariage est tout à fait dans mes idées.
- — Ah ! ah ! Et la fille est bien ?
- — Je n’entamerais pas ce chapitre-là sans y être provoqué, mais puisque vous me posez des questions, monsieur maître Pierre, j’ai le droit de vous dire que c’est la plus jolie, la plus mignonne, la plus spirituelle et la plus honnête fille du pays.
- — Et.... elle veut bien de vous ?
- — Dans tous les cas, je ne l’épouserai point malgré elle.
- — Allons ! bien du plaisir !
- — Ce n’est pour autre chose qu’on se marie.
- ! — Vous croyez ? Quel état comptez-vous donc faire, quand vous serez entré en ménage ?
- — Maisl’élat de bon mari et de bon père de famille, comme j’ai fait jusqu’ici l’état de bon garçon et de bon vivant.
- — Vous travaillerez bien pourtant à quelque chose ?
- — Dieu m’en préserve ! monsieur maître Pierre. Je Croirais manquer grièvement à mon honoré père qui m’a assuré les moyens de vivre les bras croisés.
- — Pourtant, Monsieur Tomery, l’homme est né pour le travail,
- — Où diable avez-vous lu cela ?
- — Je ne sais pas lire, mais tous les honnêtes gens que j’ai rencontrés,et monsieur votre honoré père,travaillaient du matin au soir.
- — Tant qu’ils n’ont pas pu faire autrement. Mon cher monsieur, si vous aviez eu l’occasion déliré les Ecritures, vous auriez vu que Dieu a créé l’homme pour le repos :il n’y avait pas de scieurs de long dans le paradis terrestre. Les choses ont un peu changé à la suite du péché originel, et Dieu nous a dit : vous travaillerez pour vivre ; mais il ne nous a pas dit : vous vivrez pour travailler. Lorsqu’un terrassier a pioché la terre depuis six heures du matin jusqu’à six heures du soir, vous lui accordez le droit de te reposer, pas vrai ?
- — Certainement.
- — Vous lui permettez de manger sa soupe, de se jeter sur sa paillasse, et ne dormir tout à plat jusqu’au lendemain ?
- — Il faudrait être bien injuste !
- — A la bonne heure I Vous ne trouvez pas mauvais non plus qu’un employé de bureau commence sa journée à dix heures et la termine à cinq ? Est-ce que vous l’estimez un sou de moins que le terrassier?
- — Pas du tout.
- — Et quand mon père faisait sa journée en deux heures de temps, avait-il moins de droits à votre considération que ses employés ?
- — Au contraire !
- — Vous êtes juste, allons ! Le monde est comme vous : il fait plus de cas de l’homme qui finit sa journée en deux heures que du pauvre diable qui sue depuis le lever du soleil jusqu’à la tombée de la nuit. Vous ne détestez pas non plus qu'on fasse des économies?
- — Pardienne !
- — Ainsi, M. le maire ici présent a amassé du pain pour ses vieux jours. Vous l’estimeriez peut-être davantage s’il n’avait rien mis de côté ?
- — Je serais donc bien idiot !
- A suivre.
- La Revue socialiste, sommaire du n° 13 (15 janvier 1886).
- Les Morales religieuses {suite), Benoît Malon— M. Laveleye et les'dalisme, Domela Nieuwenhuys.— Réponse à Spencer (L’Individu contre l’Etat), G. Platon. — Le Catholicisme social, M. Benedict. — Revue économique, G. Rouanet. — Revue du mois, E. Fourni re. — Société républicaine d’Economie sociale et Sociétés savantes. Presse et Livres.
- En vente aux bureaux de la Revue socialiste, 19, faubourg Saint-Denis et chez les principaux libraires. Le numéro, 1 fr. Abonnements : un an, 12 fr.; 6 mois, 6(fr. Etranger, port en sus.
- Etat civil du Familistère
- Semaine du 11 au 24 janvier 1886
- Naissances :
- Le 22 janvier, de Lenglet Georgette, fille de Lenglet Adolphe et de Poulain Marie.
- Le 21 janvier, de Dutailly Gaston, fils de Dutailly Arthur et de Oget Marie.
- Décès :
- Le 12 janvier, de Roha Ildevert Cyprien, âgé de 4 ans et 6 mois.
- Le Directeur Gérant : GODIN
- Guis s. — lmp. Baré.
- p.79 - vue 83/838
-
-
-
- 10” Année, Tome 10.— B" 387 Le numéro hebdomadaire 20 c. Dimanche 7 Février 1880
- LE DEVOIR
- REVUE DES QUESTIONS SOCIALES
- BUREAU
- a GUISE (Aisne)
- Toutes les communications
- ABONNEMENTS PAYABLES D’AVANCE par l’envoi, soit an bureau de Guise, soità celui de Paris, de timbres-poste ou de mandats de poste, dont le talon sert de quittance.
- et réclamations doivent être adressées à U. GCDIN, Directeur-Gérant Fondateur du Familistère
- France Un an ... Six mois. . . Trois mois. .
- 10 Ir. *»
- 6 ii
- 3 »»
- Union postale Un an. . . . 11 Ir.»» Autres pays
- Un an. ... 13 fr. 60
- ON S'ABONNE
- A PARIS
- , rue Neuve-des-Petits-Champs Passage des Deux-Pavillons
- S’adresser & M. LETMÀRIE administrateur delà Librairie des soienoéa psychologiques.
- PROGRAMME POLITIQUE D'ACTUALITE
- RÉFORMES POLITIQUES,
- Placer la protection et le respect de la vie humaine au-dessus de toutes choses dans la loi et dans les institutions.
- Eviter la guerre, la remplacer par l’arbitrage entre nations.
- Faire des garanties de la vie humaine la base de la constitution politique et sociale du gouvernement.
- Consolider la République en inaugurant la souveraineté nationale par l’organisation du suffrage universel.
- Fonder cette organisation du suffrage sur la base du scrutin de liste nationale pour l’élection des députés et du renouvellement partiel et annuel de la Chambre. v
- Election et dépouillement à la commune.
- Recensement départemental au chef-lieu du département.
- Recensement national à Paris.
- Proclamation du quart des députés à élire paroi les candidats qui auraient obtenu le plus de voix an premier tour de scrutin.
- . Affichage de cette proclamation dans toutes les communes de France, avqc la liste de tous les candidats qui auraient obtenu plus de U,0-000 voix.
- Second tour de scrutin, le troisième dimanche après l’affichage de la liste dos candidats sortis du vote.
- Proclamation des députés restant à élire dans les candidats ayant obtenu le plus de voix au second tour.
- Ce système aurait pour conséquences : '
- La moralité dans les élections ;
- La liberté de l’électeur dans le choix de ses candidats, avec la presque certitude de donner un vote utile ;
- L’égalité des citoyens devant l’urne ; chaque électeur votant, partout la France, pour autant de noms qu’il y a de Ministères, c’est-à-dire de départements des affaires publiques ;
- La possibilité de la représentation proportionnelle et, par conséquent, des, minorités ;
- 7 i
- p.81 - vue 84/838
-
-
-
- 82
- LE DEVOIR
- La représentation par les supériorités ;
- Le contrôle des électeurs sur leurs mandataires ;
- Cette organisation du suffrage universel rendrait la candidature vraiment démocratique et la rendrait possible aux hommes de talent et de mérite sans fortune.
- Elle moraliserait le régime représentatif, les députés qui failliraient à leur programme et à leurs engagements étant vite remplacés ;
- Avec ce système les député élus par le collège national seraient, les députés de la France ; ils ne seraient plus élus qu’en raison de leur conduite législative ; ils seraient responsables devant la nation de l’observation loyale de leurs engagements et du programme qui leur aurait mérité l’élection.
- RÉFORMES CIVILES.
- Abolition régulière et progressive des abus de l’impôt en prélevant les ressources nécessaires à l’Etat sur la richesse acquise ; mais en faisant ce prélèvement après la mort des personnes et non de leur vivant.
- A cet effet, établissement du droit d’hérédité de l’Etat dans les successions.
- Droit d’hérédité progressive sur les héritages en ligne directe ; l’Etat prélevant peu de chose sur les petites successions, mais élevant son droit progressivement jusqu’à 50 ()|0 sur les fortunes dépassant cinq millions.
- Droit de 50 OjO sur tous les testaments.
- Droit complet d’hérédité de l’Etat en ligne collatérale et sur tous les biens n’ayant ni héritiers directs ni légataires.
- Abolition de l’impôt sur tous les biens tombés en héritage à l’Etat, mais substitution à cet impôt d’un revenu sur tous les biens revendus par l’Etat et d’un fermage sur tous les biens loués par lui.
- Suppression régulière, par ce moyen, des fermages payés aux propriétaires intermédiaires ; la propriété immobilière devant être exploitée par ceux qui la détiennent soit comme fermiers, soit comme propriétaires.
- RÉFORMES SOCIALES.
- Institutions de garanties sociales en faveur des classes laborieuses et pauvres par l'hérédité de l’Etat.
- Protection à l’association entre le capital et le travail.
- SOMMAIRE
- Aphorismes et préceptes sociaux. — Enquête aux Etats-Unis sur les rapports du travail et du capital.— Bibliographie. — Le renouvellement partiel de la Chambre. — Numéros de propagande. — En Angleterre la première à la pro-- priété foncière.— La taxe locative a Paris.— La question sociale et les possibilités socialistes. — Banquet de 31 janvier à Guise— Maître Pierre,
- APHORISMES & PRÉCEPTES SOCIAUX
- LXXXXVIII
- Réforme de l’impôt
- Toute richesse acquise doit rentrer dans le domaine de l’Etat, au moins pour partie après la mort de ceux qui en ont joui. Le droit d’hérédité de l’Etat est la base rationnelle et principale la réforme des impôts
- ENQUÊTE AUX ETATS-UNIS SUR LES RAPPORTS DU TRAVAIL ET DU CAPITAL
- I
- The âge of Steel, {L’âge d’acier,) journal hebdomadaire fondé en 4857 à Saint Louis, Minesota, Etats-Unis, — feuille consacrée particulièrement aux intérêts manufacturiers de l’ouest et du sud, spécialité dans laquelle ce journal a pris une importance considérable,— contient dans son numéro du 2 janvier les dépositions à une Enquête provoquée par lui sur les rapports du travail et du capital.
- Le fait étant d’un intérêt universel, nous en extrayons ce qui suit pour nos lecteurs :
- Motifs de l’Enquête.
- La question du travail esta la fois la plus importante et la plus inextricable de notre époque.
- Tout observateur attentif est obligé de recon-
- p.82 - vue 85/838
-
-
-
- LF DEVOIR
- 83
- naître que les relations entre le travail et le capital deviennent, graduellement, chaque jour, de moins en moins satisfaisantes.
- L'is grèves et les fermetures d'atelier de l’an dernier avec leur suite inévitable de désordres, de ruines et d’outrages, ont jeté en avant de la façon la plus désagréable la question du travail.
- Les manufacturiers, les économistes et les hommes les plus sages parmi les travailleurs aspirent, non-seulement à quelque méthode plus rationnelle et moins ruineuse, de régler les dissentiments entre patrons et ouvriers, mais encore à la découverte de quelque base de répartition des bénéfices pouvant servir à chacune des parties,sans que l’une ni l’autre ait à faire le sacrifice de son indépendance, de sa dignité ou de ses droits reconnus.
- Considérant l’intérêt universel et croissant pour tout ce qui touche à la question du travail et en vue de donner à nos lecteurs, — continue The âge of Steel, — les dernières pensées des hommes les mieux qualifiés pour exprimer une opinion sur la matière, nous avons envoyé les questions dont la liste suit, non-seulement en Amérique mais aussi dans l’ancien continent à nombre d’économistes, manufacturiers, statisticiens des commissions du travail, ouvriers, etc,etc, en les priant de nous envoyer leur réponse de façon à ce qu’elle fût publiée dans le présent journal.
- Questions adressées à toutes les personnes consultées.
- 1° — Les grèves et les fermetures d’atelier sont-elles un trait nécessaire du régime du salariat ?
- 2° — L’arbitrage pourrait-il résoudre les conflits entre le capital et le travail ?
- 3° — Peut-on espérer découvrir quelque base satisfaisante et équitable de répartition des bénéfices provenant des entreprises industrielles ?
- 4° — Le remède est-il dans la voie des associations industrielles appelant à la participation des bénéfices toutes les personnes qui concourent à la production ?
- 5° — La coopération productive est-elle pratique aux Etats-Unis ?
- Dépositions
- The âge of Steel contient, dans son numéro du 2 janvier, 37 réponses aux questions ci-dessus. Ce n’est pas tout et l’enquête se poursuit.
- Ne pouvant à cause de leur étendue donner ces réponses in-exfenso, nous en détacherons les points les plus caractéristiques.
- Toutefois, la première que nous donnons ci-dessous est traduite en entier vu sa concision.
- Les numéros des réponses se rapportent aux numéros des questions.
- ¥ ¥*
- Déposition de Robert Bennet, Maître ouvrier, membre de l’Assemblée des chevaliers du Travail, Etat d’Illinois :
- 1° — Le présent système de salariat produit les grèves juste aussi naturellement que le Whisky produit l’ivresse, la misère et le crime.
- Les combinaisons capitalistes privent le travail de l’augmentation de ressources que son but divin est d’engendrer ; le capital dicte lui-même la rémunération du travail et rend impossible à l’ouvrier de vivre conformément aux aspirations et impulsions les plus élevées de son être.
- Le régime actuel du salariat est cruel, vicieux ; c’est l’œuvre d’hommes artificieux et intrigants. Un exemple suffit à le prouver.
- Notre président martyr, Abraham Lincoln, dans son premier message au congrès, disait :
- « Il est un point sur lequel je désire appeler « l’attention du Congrès etdu peuple, c’est la « ten-« tative actuelle » de mettre le capital sur un pied « égal si ce n’est supérieur à celui du travail dans « la constitution du gouvernement.
- « Le travail prime le capital et il en est indépen-« dant. Le capital n’est que le fruit du travail. « Jamais le capital n’eût existé si le travail n’eût « été tout d’abord. En conséquence, le travail « mérite la plus haute considération. »
- « La tentative actuelle ! » Cette expression est significative et pleine de sens ; elle indique qu’il existait alors un plan, un complot.Pour quoi faire? Pour placer le travail, comme cela est accompli aujourd’hui, à la merci du capital et ravir injustement aux millions d’ouvriers une part de la richesse qu’ils créent.
- Le but est atteint par notre système financier, nos capitaux illusoires pour les chemins de fer, nos magasins d’échanges, l’exploitation du travail des prisonniers, l’importation sous contiat du travail à vil prix d’Europe et d’Asie, l’emploi des femmes et des enfants, les résultats des machines perfectionnées, la rédaction de lois favorisant certaines classes et imposant au peuple des travailleurs les plus lourdes charges.
- Voilà quelques-unes des causes qui engendrent le mécontentement, la pauvreté, le crime et les grèves.
- Durant la grève récente de Galveston, Texas, le travail a été suspendu dans toutes les branches ;
- p.83 - vue 86/838
-
-
-
- U
- LE DEVOIR
- on a crié bien haut que les gens innocents avaient ainsi subi un préjudice. Gela n’est pas exact. Nul n’est innocent en pareille matière. Le tort fait au travail dans la personne d’un seul homme regarde tous les hommes. Le peuple doit apprendre à reconnaître ce fait, ou en souffrir les conséquences ; c’est là un principe immuable.
- Les hommes aveuglés par l’avidité et l’égoïsme cherchent leur avancement individuel sans tenir aucun compte des droits des autres,et violent même les droits de ceux qu'ils jugent hors d'état de se défendre.
- 2°—L’arbitrage est un bon moyen,à adopter pour le réglement des discussions entre patrons et ouvriers, mais à la condition que l’organisation du travail soit assez forte pour obliger le capital au respect des décisions de l’arbitre.
- Généralement, les patrons prétendent avoir le droit de fixer eux-mêmes le taux des salaires, d’embaucher tels hommes qu’il leur plaît, de fixer comme il leur convient les réglements d'atelier et les heures de travail. De leur côté, les ouvriers réclament le droit de fixer eux-mêmes le taux de leurs salaires, de ne pas se soumettre à un système qui les dégrade, les affame et ne leur laisse d’autre perspective que la mendicité, le jour où ils ne seront plus capables de travailler.
- 3°, 4°, 5° — Les bénéfices résultant des industries productives ou distributives appartiennent au capital et au travail utilisés dans ces opérations.
- Le travail a juste autant de droit aux bénéfices que le capital.
- Dieu a créé la terre et tout ce qu’elle comporte. Il donne le soleil et la pluie, le tout pour le bien de l’homme. Par le travail les fruits de la terre croissent en abondance pour notre subsistance et notre confort.
- Seul, le travail donne la vie et la valeur au capital. Les hommes qui descendent au fond des mines pour amener le charbon et le métal à la surface du sol, ceux qui travaillent avec les machines, enfin tous ceux qui suent et peinent et sont journellement exposés à des accidents, à la perte des membres, à la mort même, ont droit à une part des profits résultant de leurs labeurs. Là est le remède.
- Quand un homme sait qu’il participe aux fruits de son travail, il va de cœur à l'ouvrage et veille soigneusement aux intérêts de l’industrie.
- Le résultat de l’association sera le bénéfice
- ral et financier de tous les intéressés. Oui,
- je le répète, M. Lincoln avait raison : Le travail^ mérite la considération la plus haute.
- * *
- Déposition du professeur Edwin R. A. Selig-man Ph. D. Columbia Collège, New York City.
- 1°. — Les grèves et les fermetures d’atelier sont les efforts primitifs et à demi-barbares de résoudre de vive force les maux palpables du régime économique actuel.
- 2° — Il n’est pas douteux que l’arbitrage puisse jouer un rôle important dans le réglement des dissentiments entre patrons et ouvriers, mais il n’est pas le mot de la solution.
- Les Trades-Unions, qui ont fait beaucoup et voudraient accomplir davantage encore pour l’élévation graduelle des classes laborieuses, ont elles-mêmes une action trop circonscrite pour résoudre le problème. Les Trades-Unions sont composées exclusivement d’ouvriers, et ceux-ci ne peuvent pas,matériellement, beaucoup modifier leur lot.
- 3° — Un progrès effectif ne peut être accompli que par l’inauguration de quelque méthode assurant aux travailleurs une indépendance pratique, les élevant dans leur ensemble au-dessus de la position de surbordonnés, les faisant concourir à la fois aux pertes et aux gains qui résultent de leurs efforts producteurs. Il faut, enfin, que tout ouvrier soit son propre maître, ou puisse le devenir à un moment donné. Ayant part à la fois aux salaires et aux bénéfices, sa condition suivrait la marche du progrès industriel.
- 4° — Les tentatives modernes faites spécialement en France, (comme cela a été relaté dans l’Enquête ouverte au Ministère de l’Intérieur,) prouvent que le système de la participation de l’ouvrier aux bénéfices, quand il est bien compris, fonctionne pour l’avantage mutuel, du patron et de l’ouvrier augmentant à la fois les profits de l’un et de l’autre et développant,entre eux,les sentiments de bienveillance et de cordialité qui rendent impossibles les grèves et les fermetures d’atelier
- Le système de la participation nous semble donc commandé non-seulement par l’humanité et la justice, mais aussi par les simples considérations économiques.
- Mais ce système n’est qu’une étape vers l’association réelle, vers la coopération productive.
- 5° — Pour la bonne marche des associations productives, il faut des qualités de cœur et d’es-
- p.84 - vue 87/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 85
- prit rares peut-être,nous l’avouons,parmi les Américains.
- Il faut donc, par l’éducation intellectuelle et morale, faire tous les efforts possibles pour encourager les travailleurs à constituer des sociétés coopératives ; car, c’est seulement par les leçons de l’expérience et à travers même des échecs répétés qu’on atteint aux véritables conditions du succès.
- *
- Déposition deM. Chas. A Pillsburg et Cie,meuniers, à Minneapolis, Minesota.
- Ces messieurs ne prenant pas corps à corps les cinq questions posées, se contentent de dire en peu de mots :
- « Nous avons institué, parmi notre personnel ouvrier, un arrangement pour la répartition d’une certaine somme de bénéfices mise de côté, chaque année, dans ce but.
- « Cette somme est répartie entre les contremaîtres et chefs des diverses branches du travail, entre tous les hommes occupant un poste notable et de confiance, et entre tous ceux qui comptent au moins cinq ans de service dans notre maison, quelque soit le travail dont ils sont chargés.
- « La somme allouée à chacun est naturellement proportionnelle à sa fonction et à son taux de salaire.
- « Nous n’avons jamais eu à regretter cette manière de faire qui nous a assuré le concours d’ouvriers loyaux et consciencieux. Nous sommes certains que la part ainsi faite aux ouvriers ne nous a pas appauvris.
- « Jamais il n’y a eu le moindre trouble ni mécontentement parmi nos travailleurs.
- « Nous regrettons de n’avoir pas le temps d’entrer dans de plus long détails, sur l’efficacité du système de la participation des ouvriers aux bénéfices ; tont ce que nous pouvons affirmer c’est qu’en ce qui nous concerne nous nous en trouvons parfaitement bien. »
- A suivre.
- BIBLIOGRAPHIE
- Unto this last, Essai sur les premiers principes de 1 Economie politique, par John Ruskin.
- Ce volume, écrit en anglais et dont nous tenons en main la troisième édition, diffère essentiellement de la plupart des
- traités d’Economie politique. Ce que l’auteur met au-dessus de toute richesse, c’est la vie humaine ; que dis-je, non-seulement pour lui la vie humaine est la richesse même ; mais, il n’y a pas d’autre richesse que la vie : There is no Wealth but Life.
- On comprend qu’avec un tel point de départ ses conclusions seront bien différentes de celles de l’économie politique ordinaire. Aus si, le pays le plus riche est-il, à ses yeux, celui où le plus grand nombre d’êtres humains vivent dans le bien-être et ia dignité ; et l’homme le plus riche est-il celui qui accomplissant parfaitement les devoirs de son existence exerce, en même temps, sur les autres hommes, par ses qualités personnelles et par les biens dont il dispose, l’influence la plus large et la plus secourable.
- Partant des mêmes principes pour juger tous Jes faits de l’existence, il distingue le travail en deux modes absolument opposés : le travail positif et le travail négatif ; positif celu qui produit la vie ou sert à la vie ; (élevage de l’être humain) ; — négatif celui qui produit la mort ; (meurtre ou guerre).
- Pour John Ruskin, la production n’est pas organisée tant que la consommation ne l’est pas elle même. Le couronnement de la production c’est la consommation. La richesse d’une nation devrait être appréciée par la somme même de produits que consomme le peuple.
- Le livre abonde en réflexions de la plus haute et de la plus pure morale. Mais les moyens pratiques de réaliser les vues de l’auteur ne sont pas suffisamment indiqués.
- Nous n’en sommes pas moins heureux d’enregistrer ce nouvel appoint à la littérature du progrès, et nous ne pouvons nous empêcher de signaler combien la pensée fondamentale de M. John Ruskin est en accord avec cette devise de M. Godin, inscrite en tête de chacune de nos Etudes sociales :
- « Faire del’existence humainele premier objet de l’attention sociale ; aimer, vénérer, respecter, servir l’existence humaine, la protéger au-dessus de toutes choses dans l’individu, dans la famille et dans la société : telle est la mission de la politique. »
- Le renouvellement partiel
- ' de la Chambre
- La commission d’initiative s’est prononcée hier pour la prise en considération delà proposition de M. Dupuy (Aisne), tendant à décider que la Chambre serait désormais renouvelable par tiers, et tous les deux ans.
- M. Rivet, auteur d’une proposition analogue, a été chargé du rapport.
- t 1 11
- Le choix de M. Rivet comme rapporteur est d’uno
- p.85 - vue 88/838
-
-
-
- 86
- LE DEVOIR
- heureuse augure cet honorable député jouissant à la Chambre d’une influence acceptée par un grand nombre de ses collègues.
- D’ailleurs cette proposition sera certainement appuyée par la députation parisienne qui avait inscrit dans son mandat électoral le renouvellement partiel annuel ; nous espérons même qu’il se trouvera parmi eux plusieurs signataires d’un amendement visant cette importante réforme.
- NUMÉROS DEJPROPAGANDE
- L’administration du Devoir envoie franco des numéros de propagande de chaque tirage hebdomadaire au prix de 75 centimes les dix exemplaires.
- Adresser les demandes à la Librairie du Familistère.
- EN ANGLETERRE
- La Première à la Propriété foncière
- Une grave atteinte vient d’être faite au dogme conservateur.
- Un laboureur anglais nommé membre du Parlement vient d’obtenir de la Chambre des communes la condamnation du système de propriété foncière adopté en Angleterre.
- Le discours de la reine,àl’accasion de l’ouverture du nouveau Parlement, semblable à tous les messages officiels rééditait les clichés ordinaires et les promesses traditionnelles relatives à l’amélioration du sort des classes si intéressantes des travailleurs.
- Les lords et tous les conservateurs qui représentent l’aristocratie anglaise dans la Chambre des communes étaient enthousiasmés par le royal message ; les politiciens, toujours en quête d’incidents et de complications ministérielles, ne savaient quoi dire.
- La déclaration du gouvernement semblait devoir rallier tous les suffrages, lorsque l’honorable citoyen Arch, qui était na guère un pauvre laboureur, fait humblement remarquer que le discours de la reine est muet sur les possibilités de rendre la ,
- propriété accessible aux travailleurs des campagnes.
- Les adversaires politiques du cabinet, comprenant combien est populaire la question soulevée par leur nouveau collègue, ne doutant pas que la plupart des députés n’oseront s’inscrire publiquement contre elle, s’empressent de formuler un ordre du jour comforme.
- Le vote justifie ces prévisions ; le ministère que préside un noble lord est battu par le délégué des laboureurs, laboureur, lui-même, comme ses commettants.
- Si cet événement n’avait uue portée autre que celle de tous les changements ministériels que nous voyons se produire journellement dans l’un ou i’autre des pays d’Europe dotés du gouvernement constitutionnel, nous le relaterions à peine sans lui accorder plus d’attention que n’en méritent les scènes de la comédie politique.
- Ce n’est donc pas la chute du ministère Anglais qui nous occupe ; le fait important qui se dégage du vote de la Chambre des Communes est que : en blamant le gouvernement de ne pas s’être occupé de rendre la propriété accessible aux laboureurs, les 329 députés qui ont pris parr, à ce vote ont proclamé que le régime terrien de l’Angleterre est surbordonné à la volonté des gouvernements, qu’il n’est pas constitué d’après des lois immuables.
- En France, les conservateurs ne se croiront pas menacés par ce vote. Parcequ’ils défendent un mode d’appropriation du sol différend de celui en vigueur en Angleterre, ils s’imaginent que leur cause est plus juste que celle des lords.
- Mais la concurrence, le droit absolu de disposer librement des fortunes après la mort de ceux qui les possédaient, et tous les autres sophismes, que l’on invoque chez nous pour justifier la possession individuelle indéfinie du sol, ont servi aussi à légitimer les abus de la propriété en Angleterre. De l’autre côté du détroit, les arguments de cet ordre sont, comme en France, déclarés incontestables et inviolables, par la prétendu parti des honnêtes gens.
- Néanmoins, au moment où personne s’y attendait, sans une discussion préalable sur le fond de la question, 329 législateurs ont adopté une motion faisant litière de tous les principes économiques qui servent de base à l’appropriation du sol dans une grande nation européenne.
- Que vont faire les hommes qui ont soulevé cette
- p.86 - vue 89/838
-
-
-
- le devoir
- 87
- question et ceux qui ont voté avec eux, sans peut-être se rendre compte de l’acte qu’ils accomplissaient ?
- Vont-ils persévérer ? Ou bien, étonnés d’avoir eu tant d’audace se rendront-ils coupables d'une de ces reculades qui font marque dans l’histoire.
- Dès que la proposition Arch a été formulée, on supposait qu’elle réunirait une centaine de suffrages conscienls de sa véritable portée et de ses conséquences.
- Ce dernier nombre des partisans sincères d’une telle réforme est plus que suffisant pour que l’on puisse considérer la question de la propriété comme definitivement posée devant le peuple et le parlement anglais.
- C’est donc le moment de s’occuper des solutions.
- Les réformateurs anglais feront fausse route,s’ils cherchent l’amélioration des classes agricoles dans la substitution du mode de propriété sorti de la révolution française au système anglais. Et cette faute compréhensible, il y a un siècle, serait maintenant une grossière erreur, puisque une expérimentation séculaire a prouvé l’impuissance du régime français de la propriété, en laissant se créer un nombreux prolétariat agricole pas plus heureux que les laboureurs anglais.
- En Angleterre, la réforme agraire sera efficace si l’on sait faire passer progressivement dans les prérogatives de l’Etat et des Communes les droits des grands tenanciers.
- Le grand propriétaire anglais n’exploite pas ses domaines; il les loueemphytéotiquementà raison d’un fermage annuel, souvent, par un bail d’une durée de cent ans ; ou bien il les vend pour une même durée de temps à un prix que le preneur paie en un ou plusieurs versements. Pendant la durée de ces baux et de ces ventes, le fermier ou l’acheteur exploite à sa manière ; à l’expiration de ces longs délais , la famille propriétaire redevient maîtresse des domaines, et elle recommence l’une ou l’autre de ces opérations.
- Ce même mode d'appropriation du sol au profit de l’Etat aurait l’avantage de sauvegarder le droitde tous de bénéficier des richesses naturelles,et d’éviter les inconvénients et les abus de l’exploitation' par l’Etat.Dans ce casla propriété du sol serait nationale,et le travail agricole serait individuel ; les individus ayant toujours la faculté de s’associer pour le rendre collectif lorsqu’ils y trouveraient avantage.
- Si la mise progressive de l’État en possession du sol se fait par l’expropriation, au moyen d’emprunts
- en rentes perpétuelles, l’avenir sera probablement pire que le présent; parcequele sol sera perpétuellement grevé d’une rente au profit de quelques uns, lorsqu’il est nécessaire que cette rente contribue au bien commun de tous les citoyens sans exception.
- L’Expropriation par d es indemnités provenant d’emprunts amortissables créera certainement des charges que le travail ne pourra supporter.
- Nous ne voyons d’autre procédé pratique que la rentrée du sol à l’Etat par l’hérédité.
- Cette restitution serait complète après quelques générations. Chaque année elle donnerait une quantité de domaines entièrement libérés des servitudes de la propriété individuelle ; l’Etat laisserait exploiter, comme nous l’avons dit plus haut, au profit des communes ou de la nation.
- Telle qu’elle est posée en Angleterre, la question agraire intéresse l’ensemble des nations civilisées. Chez les peuples, dont les assemblées nationales ne sont pas encore saisies de'ceüe discussion, de nombreux penseurs et d’importants groupements socialistes s’efforcent d’en imposer l’étude.
- La solution qui sera adoptée en Angleterre peut avoir une influence décisive sur toute l’humanité. C’est donc vers Je parlement anglais que doivent converger maintenant tous les encouragements des partisans de la nationalisation du sol.
- Puisque le laboureur Arch estlapersonnilication la plus en vue de la question agraire, il ne peut rester plus longtemps sans expliquer au monde comment il croit possible la mise du sol à la portée du travailleur. Son silence autoriserait tous les socialistes, surtout ceux qui sont près de lui, à lui demander l’exposé précis de ses projets.
- Si le porte drapeau des payans Anglais a obéi à un sentiment plus généreux que raisonné, son initiative n’a pas moins été suivie de la reconnaissance parle Parlement Anglais du droit primordial de l’État à régler les conditions de la possession du sol. Arrivée à ce point, la discussion ne peut être close que par une solution. Pendant tout le temps que cette discussion restera ouverte, les socialistes de tous les pays doivent à leur cause d’assisterde leurs conseils et de leur savoir les hommes résolus groupés autour du laboureur Arch.
- LA TAXE LOCATIVE A PARIS
- Le Journal officiel publie un décret du président de la République approuvant la délibération en date du 24- décembre dernier, par laquelle le conseil municipal de la ville de
- p.87 - vue 90/838
-
-
-
- 88
- LE DEVOIR
- Paris a proposé de répartir le contingent personnel mobilier assigné à cette ville, pour 1886, d’après les bases suivantes :
- Les locaux d’une valeur locative imposable ne dépassant pas 599 fr. seront imposés au taux de 6 fr. 50 p. 100.
- Ceux d’une valeur locative de 600 à 699 fr., 50 p. 100. Ceux d’une valeur locative de 700 à 799 fr., 8 fr. 50 p. 100.
- Ceux d’une valeur locative de 800 à 899 fr., 9 fr. 50
- p. 100.
- Ceux d’une valeur locative de 900 à 999 francs, 10 fr. 50
- p. 100.
- Ceux d’une valeur locative de 1,000 fr. et au-dessus,
- 11 fr. 16 p. 100.
- Les individus habitant des locaux d’une valeur matérielle inférieure à 400 fr. (500 francs de loyer réel) seront considérés comme non imposables, par application des articles
- 12 et 18 combinés avec l’article 20 de la loi du 24 avril 1832.
- Toutefois cette exemption ne sera pas applicable :
- 1® Aux personnes ayant un simple pied à terre à Paris ;
- 2° Aux propriétaires logés ou non logés dans leur propre maison, imposés au rôle foncier de Paris et dont l’indigence n’aura pas été régulièrement constatée ;
- 3* Aux patentés dont lè loyer d’habitation réuni au loyer industriel atteint 400 fr.
- La division d’un appartement ou d’un local habité par plu- i sieurs personnes passibles de la contribution personnelle ne pourra avoir pour effet de modifier la contribution due pour l’ensemble des locaux.
- La somme nécessaire pour parfaire, avec le produit du rôle, le montant du contingent personnel-mobilier de la ville de Paris sera prélevé sur les produits de l’octroi.
- LA QUESTION SOCIALE
- ET
- les possibilités socialistes.
- IX
- LA LIBERTÉ INDIVIDUELLE
- Les justifications de l’organisation présente aboutissent toutes à cette conclusion, d’après les prétentions de ceux qui l’émettent : que notre état social est parfait, parce qu’il permet à chacun la manifestation de sa liberté individuelle.
- S’il en était ainsi, si ce but était atteint, on nous trouverait parmi les plus acharnés défenseurs des institutions présentes ; car nous ne les combattons que parce que, en fait, elles privent de toute liberté le plus grand nombre des créatures humaines.
- Si nous nous adressons à un milieu moins convaincu que le nôtre de la justice de ses institutions, nous ne donnerions d’autres preuves à l’appui de notre affirmation que l’état d’infériorité imposé à la femme par nos lois, dans la famille, dans l’État.
- Nos lois sur le mariage font la femme esclave du mari dans la famille ; en politique, la femme n’a pas voix dans les affaires nationales ; économiquement, si la femme apporte des biens dans la prétendue communauté que constitue le mariage, elle perd tout droit de gérer et d’administrer sans l’autorisation de son mari, tandis que le mari, dans les mômes circonstances, peut agir à sa guise.
- Ce fait qui met hors la liberté la moitié de la race humaine est un argument sur lequel nous n’insistons pas, tellement nous savons le public disposée considérer comme juste ce qui est d’un usage général.
- Ce qui nous oblige de noter en passant que plus un abus est écrasant, moins il provoque les protestations dansune société qui obéit à des impressions au lieu de se laisser guider par des considérations dérivées de la vérité et de la justice.
- Mais, à entendre les conservateurs, la liberté individuelle du citoyen n’est pas contestable.
- Objecte-t-on qu’il y a près de 600.000 hommes officiers et soldats qui sont privés de tout droit de vote, auxquels on interdit même la lecture des journaux. On nous répond, nécessité sociale.
- Il ne faut pas compter aussi les centaines de mille de fonctionnaires de tous ordres, prêtres, instituteurs, magistrats, cantonniers, administrateurs ou employés auxquels des circulaires ministérielles interdissent, régulièrement, à chaque période électorale, de manifester publiquement leurs opinions et de se mêler aux groupes d’agitation politique.
- L’armée et le fonctionnarisme enlèvent ou restreignent les droits politiques de plus d’un million d’hommes, en France.
- Le salariat n’interdit-il pas à un nombre plus considérable de travailleurs toute manifestation de leur liberté politique ?
- Combien d’ouvriers et d’employés perdraient subitement leur gagne-pain, s’ils s’avisaient d’émettre des opinions morales, politiques ou religieuses, opposées aux vues de leurs patrons qui, eux, dans la grande industrie, n’éprouvent aucune hésitation à afficher leurs opinions quelles qu’elles soient, gouvernementales ou autres.
- N’est-ce pas en vertu de la loi individualiste que les féodaux de la mine ou du comptoir privent de tout travail les salariés qui osent se réunir et s’as-
- p.88 - vue 91/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- socier en vertu de la liberté théorique de se syn- j diquer.
- La plus grande partie du petit patronat, elle-même, achète son bien-être relatif par une renonciation complète de sa liberté individuelle.
- Ceux qui en doutent n’ont qu’à tenter, soit au nord ou au midi de la France, ce que nous avons personnellement tenté ; qu’ils essaient de créer dans les petits centres des groupements poursuivant un but qui déplaît aux huit ou dix grands propriétaires ou aux trois ou quatre gros industriels que l’on trouve ordinairement dans chaque localité de cinq ou six mille habitants : partout ils auront grand peine à obtenir qu’un dixième de ceux qui les approuvent osent donner publiquement leur adhésion ; tous les autres répondront que des considérations de clientèle les contraignent à s’abstenir et à vivre dans une apparente indifférence qui blesse leur conscience et viole leurs aspirations libérales.
- Ces motifs ne sont presque jamais des prétextes échappatoires ; il est bien vrai que dans la plupart des cas on ne peut passer outre ces considérations sans s’exposer à la ruine, même à la misère ; parmi le petit nombre de ceux qui se croient assez maîtres de leur position, il arrive toujours que quelques-uns paient chèrement leur audace de s’être cru des citoyens libres.
- Ce despotisme est tellement puissant qu’il a souvent pour effet d’influencer la conduite d’hommes qui possèdent plus qu’une moyenne aisance.
- Généralement, de la part de ces soumis, il n’y a point excès de pusillanimité ; ils ne s’illusionnent point lorsqu’ils apprécient que la manifestation de leur indépendance serait le signal de leur ruine.
- Le nombre des soumis, des citoyens privés de leur liberté individuelle par les servitudes du salariat et du fonctionnarisme de l’ordre individua-aliste, est incalculable. On en trouve partout d^js traces, même dans les positions que l’on croit les plus indépendantes.
- Y a-t-il une autre profession où la liberté indivi-, duelle semble plus grande que dans le journalisme et la oolitique ? Pourtant, si l’on énumérait les platitudes, les capitulations de conscience, les humiliations que le capital et le patronat imposent aux publicistes salariés, on verrait que là comme ailleurs la liberté est chèrement payée par ceux qui ne veulent pas y renoncer.
- Dans la société individualiste, la liberté indivi-
- m
- duelle est l’apanage de ceux qui, par l’absence de lois protectrices des collectivités, peuvent s’élever par la force ou par la ruse,souvent parla fourberie, à la possession des grosses fortunes.
- Autant les humbles doivent être prudents dans l’expression de leurs sentiments, s’ils ne veulent être atteints dans leur prospérité, autant les riches peuvent impunément affecter d’indépendance. Même, plus ces derniers montrent d’intolérance, plus les autres sont condamnés à faire preuve de réserve.
- Dans notre société individualiste,la loi interdit la liberté individuelle à la totalité d’un sexe; les mœurs et les institutions politiques, patronales et commerciales empêchent les trois quarts de l’autre de jouir de la plénitude de cette liberté. L’armée, le fonctionnarisme, les bureaux de bienfaisance dépouillent effectivement de leur liberté individuelle plus de deux millions de citoyens ; parmi les huit autres millions on en trouvera à peine un quart qui puisse sans péril s’arroger la faculté d’agir suivant les inspirations de la conscience. Mais parmi le quart des privilégiés cette liberté est entière ; elle peut même prendre la licence de moralement violenter les autres citoyens.
- Tant que l’ordre individualiste subsistera le bien-être des déshérités sera toujours dépendant de ceux qui, par la possession de la matière première et du capital, sont les distributeurs du travail et de ses produis.
- Cette possession donne à ses détenteurs une autorité morale qui détruit les effets des lois les plus libérales.
- Cela provient de ce que la loi individualiste n’a tenu aucun compte des droits des collectivités î elle n’a pas su apprécier que la garantie effective du droit à la vie était la première condition de la liberté individuelle; qu’eu ne conservant pas, sous la puissance sociale, des gages naturels suffisamment abondants pour ex ercer cette garantie, il adviendrait que quelques hommes s’empareraient de ces gages avec le désir d’accaparer pour eux les avantages qui auraient dû rester la sauvegarde des droits du citoyen. La loi individualiste, n’ayant pas su faire cette différence entre les choses qui étaient du domaine public et celles qui sont du ressort de l’initiât ive des citoyens, a abouti à une oligarchie puissante qui étouffe au profit de ses privilèges l’indépendance des autres citoyens.
- Il est certain que la Révolution est sortie d’un besoin de liberté individuelle ; ses plus fervents
- p.89 - vue 92/838
-
-
-
- 90
- LE DEVOIR
- prometteurs n’eurent d’autre but; il n’est pas contestable que la plupart des auteurs de ces lois qui ont permis la constitution d’uneoligarchie oppressive avaient l’intention de fonder cette liberté individuelle.
- Les hommes de 89 ont entrevu le véritable principe de l’évolution humaine, 1a. liberté individuelle, ils ont aussi compris quelles garanties il convenait de lui donner, puisqu’ils avaient proclamé le droit à la vie et jeté les bases d’une assurance sociale affective comme le prouvent des lois faites parla convention.
- Maintenant,lesfaitsattestentqu’un grand nombre de citoyenssont privés de cette liberté individuelle, base d’un ordre social supportable par tous. N’hésitons pas à corriger les lois et les instit irions opposées aux tendances de la créature humaine.
- Pourquoi nous engager davantage dans les errements qui n’atteignent pas le but ?
- Ou essaierait vainement dep ersévérer dans cet te voie fatale; il viendrait un moment où la force tenterait brutalement ce que la raison peut seule conduire à bonne lin.
- Il nous semble superflu d’étendre nos critiques
- Avant de passer à la partie positive de ce travail, nous rappelons les sujets que nous avons voulu mettre en évidence dans les chapitres précédents. |4.Après avoir dit que la question sociale provenait do l’excluuon imméritée de lamajorité des travailleurs des bienfaits accumulés par le progrès, nous avons essayé de démontrer les propositions suivantes :
- L’abondance des produits est incompatible avec la conservation de l’ordre individualiste ;
- . Sous ce régime, en période de grande indusstrie il n’est pas possible d’équilibrer la production par la consommation.
- Les débouchés extérieurs sont d’utopiques conceptions ;
- gpL’épargne a un maximum qu’il ne faut pas dépasser, sous peine de désordre social ; Vobservation de cette donnée serait une violation des principes de l’organisation présente ;
- La concurrence n’est pas la loi de l’évolution humaine ; elle est une conséquence de l’ordre individualiste, ses rigueurs s’appliquent surtout aux travailleurs ; l’ordre présent ne dérive d’aucun principe défini, il est souverainement empirique.
- Le système fiscal et financier est un moyen de paupériser les classes laborieuses ;
- Le progrès social ne peut se généraliser dans l’organisationprésente ; les progrès scientifiques et industriels concourent eux-mêmes au bouleversement de la société individualiste;
- Enfin,l’ordre individualiste exclut la liberté indi-'viduelle des citoyens.
- Il nous revient maintenant de prouver que les possibilités socialistes que nous préconisons sont véritablement les correctifs de ces erreurs.
- BANQUET
- DU 31 JANVIER A GUISE
- Le banquet de la société de propagande républicaine et d’éducation civique a eu un plein succès.
- Deux cents convives, réunis au marché couvert décoré des couleurs républicaines, ont pris part au confortable festin que M. Miau a servi, à la satisfaction générale.
- La présidence était occupée par M. Gratien, président de la société de propagande ; à ses côtés étaient assis Messieurs Turquel, Lesguille r, Godin, Ganault, Béranger, Dupuy ; venaient ensuite plusieurs fonctionnaires et un grand nombre de conseillers municipaux de Guise et des communes du canton.
- M. Gratien a ouvert le Banquet par le discours suivant :
- Messieurs les Députés,
- Soyez les bienvenus parmi nous, prenez place au milieu de vos électeurs du canton de Guise ; ils ne sont pas tous ici assurément, et nous sommes moins nombreux qu’au 2 octobre dernier, quand plus de 1500 applaudissaient à vos déclarations et recevaient vos engagements.
- Le moment vient, sinon de les tenir, a u moins de les défendre ; nous savons bien, messieurs, que vous n’êtes que les députés de l’Aisne et qu’à ce titre vous n’ètes pas la majorité, il ne'vous appartient donc pas de les faire triompher seuls.
- Mais n’ayez crainte, vous resterez toujours en complète comm mion d’idées avec nous, si dans le champ si vaste des réformes à accomplir, au triple point de vue financier, économique et social ; au milieu des difficultés d’ordie général si complexes et si ardues, vous vous préoccupez toujours des nécessités de l’heure présente et de l’opinion qui les impose. Oui, si avec une orientation franchement et résolument républicaine, vous n’obéisssez dans les mesures à proposer, dans les réformes à étudier, dans les lois à élaborer, enfin, dans la lente et laborieuse gestation des affaires, vous n’obéissez, dis-je, qu’à un principe : la répartition des charges, en raison directe de la fortune ; si vous ne poursuivez qu’un but ; la grandeur du pays avec la stabilité des pouvoirs sans interruption dans leur fonctionnement ; si vous n’utilisez qu’un moyen, l’étude approfondie et la discussion parfaitement disciplinée, soyez persuadés qu’en toutes circonstances, vous nous sentirez derrière vous pour stimuler les défaillances parfois, pour vous soutenir dans la conquête des revendications poursuivies, toujours....
- p.90 - vue 93/838
-
-
-
- LE DEVOIR 91
- Les temps marchent trop vite pour s’attarder désormais aux disussions oiseuses et aux discours bizantins ; donc, au milieu de l’apaisement des esprits, des idées de concorde et d’union, hâtons-nous ! hâtons-nous! faites vite et bien, le Peuple et la France attendent...
- Avant que des voix plus autorisées que la mienne vous rappellent au cours de ce banquet la somme de nos désidérata d’application plus immédiate, permettez-moi un souvenir d’antan :
- Nunc est bibendum, nunc, libéra, mente acce-denda mens a.
- C’était peut-être aux banquets de Tibur, le bénédicité d’Horace..., ne pourrait-il être le nôtre ?...
- Maintenant messieurs/ mettons-nous à table sans aucune préoccupation d’esprit et trinquons.
- La plus franche cordialité s’est manifestée pendant toute la durée du repas
- Au dessert, M. Philip a pris la parole au nom du comité, il a présenté les excuses des rédacteurs du Glaneur, du Guetteur, de la Défense Nationale, du Libéral, du Journal de Vervins et de la Démocratie de VAisne, qui n’ont pu assister au banquet.
- Voici le résumé des discours suivant i’ordre dans lequel ils ont été prononcés :
- M. Philip
- Citoyens,
- La Commission administrative de la société de propagande républicaine du canton de Guise m'a fait l’honneur, en ma qualité de Secrétaire, de me désigner pour prendre la parole devant vous et vous faire connaître le but qu’elle poursuit et les raisons qui ont amené sa formation. C’est un honneur dont je goûte certainement tout le prix mais dont je sens également tout le poids.
- Notre société a pris pour titre : Société de propagande républicaine et d’instruction civique.
- Ce titre, en effet, est à lui seul tout un programme et ce n’est pas au hasard que nous l’avons choisi.
- Dans un état démocratique comme le nôtre, dans un pays de suffrage universel — ce qui comporte et sous-entend l’instruction universelle — il est nécessaire que chaque citoyen, que chaque électeur puisse apporter à la chose publique un concours utile et éclairé. Il faut que, abandonnant la tradition monarchique qui fait tout attendre de la tutelle administrative et gouvernementale, nous sachions au contraire, les réduire l’une et l’autre à leur minimum d’action à leur véritable rôle, pour qu’ils ne soient plus que les exécuteurs fidèles et attentifs de nos volontés bien définies et clairement formulées. Il faut que l’opinion publique s’exerçant d’une manière incessante soit le soutien, l'inspirateur et le guide de ceux appelés à l’honneur de la représenter,
- Pour cela, il faut que cette opinion publique entièrement libre dans ses manifestations, suive une méthode qui lui permette d’étudier et de résoudre l’une après l’autre, progressivement, toutes les questions que soulève le grand problème social.
- C’est par l’application de cette méthode, que, dans lutte électorale que rappelait tout à l’heure notre honorable président, nous avons pu obtenir un succès dont le canton de Guise a le droit d’être fier.
- Cette méthode, cette action, nous serions désireux de la voir se propager de canton en canton pour que, s’étendant au département tout entier, il exerce une influence heureuse sur la démocratie et l’entraîne par son exemple, dans la voie qui, selon nous, peut seule la conduire au succès.
- C’est là le premier point que devra essayer de réaliser
- notre société pour justifier son titre de société de propahande républicaine.
- Mais il est un autre rôle que la société s’est assigné
- Il est indiqué au paragraphe 1er de l’article 2 des statuts :
- « la société a pour but de veiller à l’exécution du mandat confié aux élus du suffrage universel.»
- A l’issue de la période électorale que je viens de rappeler, le comité, tenant compte de l’esprit de son programme et de l’engagement pris devant lui par les candidats aujourd’hui nos élus, fut amené à exami er la question de la permanence des comités.
- Comment, en effet, assurer l’exécution du contrat intervenu si l’une des deux parties contractantes disparaissant n’était plus là pour rappeler l’autre, le cas échéant, à l’observation de ses promesses ? Les républicains savent trop, par expérience, ce que deviennent, le plus souvent, les engagements électoraux ; pour ne pas prendre, une fois pour toutes, les dispositions nécessaires pour assurer le respect de leur volonté.
- Cette organisation est d’autant plus nécessaire qu’il importe d’opposer à la ligue réactionnaire la concentration des forces démocratiques, et que, de plus, la substitution du scrutin de liste au scrutin d’arrondissement l’exige impérieusement.
- Le scrutin d’arrondissement présente des inconvénients sérieux dont le moindre n’est pas de mettre l’indépendance des députés à de rudes épreuves, en raison des sollicitations constantes dont ils sont l’objet, sollicitations que peut excuser peut-être notre mauvaise organisation sociale, mais qui n’en sont pas moins indignes du parti républicain. Le scrutin de liste, au contraire,tend à élever le niveau des conceptions politiqu s. Il exige de la part des candidats des connaissances plus étendue;, des vues plus génécales ; il leur assure une plus grande indépendance; mais, en substituant, dans une plus large mesure l’action des comités à celle des électeurs qui s’exerce ainsi moins directement, il peut avoir pour effet de constituer une minorité dirigeante qui, par une tendance naturelle à toutes les aristocraties, pourrait finir par produire oligarchie dominante et oppressive qui auraitpour conséquence Tamoindrisspment de l’esprit démocratique.
- C’est pour parer à Jauger qu’il importa de pousser au développement de la vie publique par la création de sociétés semblables à la nôtre qui, tout en conservant leur indépendance et leur autonomie, pourront s’unir par un lien fédératif pour continuer, en l’élargissant, l’œuvre des comités créés seulement pour des besoins électoraux.
- Pour satisfaire à toutes les exigences de son programme, la société accordera une place suffisante à toutes les questions pouvant contribuer à élever le niveau moral et intellectuel des masses. Mais elle mettra au premier rang de ses préoccupations et de ses études : la question des garanties sociales à accorder à tous les déshérités de la fortune et du savoir. Garanties que la démocratie devra réaliser sous peine de prouver son impuissance et de disparaître.
- Le programme que je viens d’essayer de vous tracer n’est pas l’œuvre d’un jour ni d’un homme : c’est du concours de toutes les bonnes volontés, c’est de la réunion de tous les efforts, efforts longtemps soutenus, qu’il faut en attendre la réalisation.
- C’est pourquoi nous faisons appel à tous ceux qui ont comme nous Tardent désir d’y contribuer,
- Mais il est un concours puissant et précieux sur lequel nous espérons pouvoir compter, sur lequel nous comptons, car il n’a jamais fait défaut à la cause du progrès.
- C’est celui de la presse républicaine et,convaincu qu’elle est pénétrée de la nécessité d’accorder toute son attention à ces question, dont la solution s’impose plus que jamais : Je vous propose en terminant de porter un toast à la presse républicaine.
- p.91 - vue 94/838
-
-
-
- 92
- LE DEVOIR
- M. Ganault
- Pour de vieux républicains comme nous, la surveillance des comités n’a rien qui Duisse nous effrayer ou nous être désagréable. Nous tenons à être constamment d’accord avec l’opinion publique, avec le suffrage universel dont nous sommes les mandataires, avec ces républicains dévoués qui ont fait preuve d’activité dans la lutte électorale.
- Nous serons heureux chaque fois que vous nous fournirez l’occasion de rendre des comptes à nos électeurs, chaque fois que nous pourrons nous expliquer franchement, loyalement avec vous.
- Depuis deux mois que nous siégeons à la Chambre, ajoute M. Ganault, nous avons eu un objectif principal : Donner à la France un gouvernement stable et solide,
- Nous continuerons à travailler pour la démocratie dans le Parlement comme vous travaillez ici pour elle.
- Nos deux tâches se complètent, car nous ne pouvons accomplir aucune réforme si l’opinion publique n’y a été, par avance, préparée. Et si nous nous intéressons au sort des travailleurs, des travailleurs des villes et des travailleurs des campagnes, dont l’existence est, pour ceux-ci, peut-être encore plus précaire, nous ne pouvons vous apporter sur tous les points des solutions qui vous satisfassent.
- N’oubliez pas que si vous ét(,s dans la patrie de Camille Desmoulms, vous êtes aussi dans la patrie de Godin. Ici, l’on a pu associer le capital et le travail et leur faire produire des résultats merveilleux, alors que, partout ailleurs nous les voyons en lutte et produisar t des scènes aussi douloureuses que celles de Decazevilie.
- Rendez-vous donc bien compte de la difficulté qu’il y a à faire passer1 dans les lois ce qui n’a été que le résultat d’une libre association.
- M. Ganault passe en revue les projets de lois relatifs aux caisses de retraites pour la vieillesse, aux prud’hommes mineurs, etc., qui intéressent le travail et que la Chambre va devoir aborder.
- Le discours de l’honorable député a été, à plusieurs reprises, interrompu par de vifs applaudissements.
- M. Deynaud.
- La députation de l’Aisne a mis un empressement réel à l’exécution du mandat électoral ; elle a déjà déposé un projet de renouvellement partiel ; nous devons l’en remercier.
- Personnellement, je regrette que nos députés n’aient osé réclamer le renouvellement partiel annuel ; mais l’important est fait, puisque l’opinion publique est saisie de la question.
- Les considérants invoqués par M. Dupuy, le principal auteur du projet, méritent particulièrement notre attention ; ils ont été puisés aux sources saintes des principes de 89.
- Alors, nos vaillants aïeux résolus à doter la démocratie d’une souveraineté réelle avaient fait, de l’élection et du mandat à courte échéance, la condition des fonctions que distribue aujourd’hui la faveur gouvernementale.
- Mais nos pères s’étalent aussi préoccupés du bien-être du peuple souverain, en décrétant,en faveur des familles des travailleurs, par un message trop oublié de ceux qu’il intéresse le plus, des pensions proportionnées au nombre des enfants, des secours légaux pour les malades et le travaij pour les ouvriers en chômage, travail payé selon le cours 'moyen des salaires, et non d’après le taux réduit et humiliant de la charité. La commune devait faire les frais de cette assistance, et l’Etat était garant des droits du travailleur,
- Ces décrets n’ont rien perdu de leur raison d’être parce qu’ils n’ont pas été suivis d’exécution.
- En vous disant ces choses, j’ai voulu être l’interprète des absents, des pauvres, que les chômages et les insuffisances
- de salaires ont empêchés de prendre part à ce modeste banquet, malgré leur ardent républicanisme.
- Leur nombre est considérable. Les journaux de Saint-Quentin, de cette ville si patriote, si riche, l’un des centres industriels les plus importants de notre pays, nous ont appris que le Conseil municipal et le Bureau de Bienfaisance sont impuissants à faire droit aux demandes de secours les mieux justifiées; plus de 2000 familles, représentant 7000 personnes, y sollicitent presque vainement la charité publique et privée ; une souscription a produit 15000fr., juste 2fr. par malheureux à secourir.
- On ne peut laisser plus longtemps les malheureux abandonnés aux incertitudes d’une charité facultative.
- Le travail réclame impérieusement des institutions garantîtes. L’esprit de 89 commande d’en hâter la création.
- Je crois devoir profiter de cette occasion pour déclarer à nos députés et à nos concitoyens que quelques électeurs sont résolus à proposer aux républicains du canton de Guise, à l’occasion du remplacement du député décédé, de faire en faveur de l’idée de mutualité nationale une campagne électorale aussi énergique que l’a été récemment notre propagande relative au renouvellement partiel des corps élus.
- Au nom les absents, au nom des pauvres, je porte un toast au Progrès social qui garantira la souveraineté du peuple par le mandat électoral à courte échéance, qui sauvegardera le bien-être du souverain par l’assistance sociale, en associant la mutualité et l’assuiance individuelle dans la fondation d’une puissante mutualité nationale.
- M. Godin.
- Je salue les représentants du département de l’Aisne et je suis particulièrement heureux d’assister à ce banquet qui rapproche les mandataires et les électeurs républicains de notre contrée.
- L’Union des républicains est toujours nécessaire ; la réaction n’a renoncé à aucun de ses privilèges; et, malheureusement, par les dépenses considérables qu’impose l’imperfection de notre système électoral, l’état-major des partis monarchiques dispose d’un influence politique qu’il doit à sa puissance financière plutôt qu’au nombre des partisans de la royauté.
- Pour ramener l’influence des partis monarchiques aux proportions qui leur sont propres, il convient de généraliser les sociétés républicaines comme celle qui a pris l’initiative de cette convocation ; sans cela les partis avancés seront exposés à succomber sous les entreprises des monarchistes ; mais l’union des démocrates sera plus forte que les meneurs soudoyés de la réaction. 11 convient aussi de donner au parti républicain la facilité d’organiser démocratiquement sa représentation nationale.
- Les frais d’une élection dans le département de l’Aisne dépassent actuellement plus de 50.000 fi.; dans de telles conditions, la reorésentation ne peut-être véritablement démocratique, parcequ’elle implique la possession de la fortune par le candidat.
- L’exercice de la souveraineté populaire ne doit être onéreux pour aucun citoyen, électeur ou candidat.
- Ce n’est pas seulement ce défaut de la loi électorale qu’il convient de corriger. La justice veut que chaque citoyen jouisse d’un égal droit électoral. Eh bien, quelle égalité y a-t-îl entre un électeur parisien qui nomme 42 représentants et un électeur de certains départements où la liste départementale ne comporte que deux noms ?
- La liberté électorale n’est pas entière sous un mode de votation qui oblige à choisir les candidats parmi les gens riches, et l’égalité devant l’urne ne sera effective que d’autant que chaque électeur pourra voter pour le même nombre de can-I didats, avec la faculté d» choisir ces candidats dans n’importe
- p.92 - vue 95/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- quelle partie du pays ; l’électeur étant certain que, quel que soit son vote, il sera tenu <ompte de son bulletin, i
- Il existe des moyens pratiques de faire disparaître les erreurs dont je viens de vous parler; je vous bs ai signalées afin : que vous puissiez les étudier dans vos sociétés de propagande ’ républicaine. Ces sociétés, dont je suis heureux de saluer I 1 inauguration dans notre département, prouveront leur raison ! d’être par leur empressement à approfondir ces questions d’intérêt primordial dans une démocratie.
- En attendant que vous ayez trouvé ou accepté les véritables solutions, vous devez faire acte de vitalité avec la législation telle qu’elle est, malgré ses défectuosités. Dans ces circonstances, vous devez rester unis et O]poser sans cesse aux coalitions des monarchistes l’union compacte des républicains.
- Sachez être unis dans la défense de la république, sans négliger pour cela l'étude des problèmes sociaux et la préparation d’un avenir meilleur.
- M. Béranger.
- Je suis heureux de me trouver au milieu de vous. Les républicains de Guise, par leur constante ardeur à défendre et à servir la République, se sont toujours maintenus à la tête du parti républicain de notre département.
- Votre localité à le rare bonheur de posséder l’éminent fondateur du Familistère et de jouir des institutions de solidarité, nées de l’alliance du capital et du travail ; vos populations ouvrières sont ainsi à l’abri des chômage et de la misère, qui frappent si cruellement un grand nombre de travailleurs.
- Il est désirable que de si nobles exemples trouvent des imitateurs II Mppariient à la presse de répandre ces grandes et sainps idi'es, tout en continuant d’entretenir et de fortifier l’uninii républicaine qu'elle a su vivifier pendant la dernière période électorale et conduire à une victoire qui nous a mis à même de défendre le gouvernement républicain, seul capable d’assurer aux classes laborieuses la situation qui leur appartient.
- Je porte un toast aux républicains de l’Aisne et à la presse de notre département.
- M. Dupuy.
- Une voix auto ri ée vous parlait de l’union des républicains et de la nécessité d’améliorer les conditions de la représentation nationale.
- Nous avons beaucoup à faire pour établir la République sur ses véritables bases. Soyez persuadés que votre députation, fidèle au mandat que vous lui avez confié, fera tous les efforts dont elle est capable pour mener sa tâche à bonne fin.
- Nous avons déjà déposé la proposition de renouvellement partiel que vous aviez inscrite dans le programme électoral du 4 octobre.
- Nous sommes prêts à continuer à suivre la voie que vous nous avez tracée.
- Etudiez dans vos sociétés,— cela vous est rendu facile par le bel exemple que vous avez sous les yeux, — les améliorations que réclame le travail, votre députation attentive aux manifestations de l’opinion publique n’échappera aucune occasion de mériter la confiance que vous lui avez accordée.
- L’activité de votre représentation départementale assurera le maintien de l'union républicaine dont notre banquet est une éclatante affirmation.
- Je porte un toast à l’Union des Républicains de l’Aisne.
- M. Armand Grebel Messieurs les députés,
- Permettez-moi de vous entretenir de deux questions locales intéressant particuliérement le canton et la ville de Guise.
- Je veux parler 1° de la création à Guise (pour les cantons de Sains, Le Nouvion, Guise et Wassigny) d’un tribunal de
- commerce, 2° de la restitution, à notre ville, de la garnison qui lui a été enlevée.
- La demande d’un tribunal de commerce ayant son siège à Guise est surabondamment motivée par les considérations suivantes :
- 1° Importance de la population commerciale et industrielle des quatre cantons qui nous occupent.
- 2° Importance du chiffre des affaires traitées.
- 3° Difficulté de communication entre ces quatre cantons et le siège actuel du tribunal.
- 4° Nécessité démocratique de mettre la justice à la portée du justiciable, surtout en matière commerciale. t
- Les résultats de cette création se traduisent donc poUr notre contrée par une économie de temps et d’argent d’une valeur incontestable.
- Nous avons pensé, messieurs ’es députés, que vous ne refuseriez pas de nous appuyer énergiquement pour l’oblen-tion de ce tribunal, et j’aborde la deuxième question qui intéresse plus particuliérement la ville de Guise.
- Vous n’ignorez pas, messieurs, que de tout temps la ville de Guise a possédé une garnison qui lui était due et qui lqi était conservée en souvenir de faits historiques que nou^ rappellerons plus loin.
- Nous ne pouvons vous laisser quitter notre bonne ville sans vous faire part de l’impression pénible qu’a produite sur notre patriotique population le retrait d’une garnison qui perpétuajt chez elle des souvenirs glorieux et chers tout à la fois. ,
- Quand, dans le courant de l’année 1884, Guise se trouva inopinément privé de ce que la pooulation considérait à juste titre comme un droit aceuis, le Conseil municipal comprenant que la ville se trouvait lésée par cette mesure, prit une délibération à laquelle une pétition des habitants le conviait du reste.
- Cette délibération invitait M. Flamant, notre maire vigilant, à se mettre en rapport le plus tôt possible avec monsieur lé ministre delà guerre à l’effet d’obtenir la restitution de notre garnison,
- Le Conseil municipal déclarait en outre être prêt à faire le les dépenses nécessaires au casernement d’un bataillon, puisque l’administration militaire interdisait les petits détachements.
- Monsieur le maire se mit en compagne et demanda, pour appuyer nos revendications, l’appui de l’honorable M. Turqupt qui le lui promit sans restrictions. Je rendrai, en passant, un hommage mérité à notre sous-secrétaire d’Etat qui a toujours mis à notre service son activité bien connue et une légitime influence.
- Mais dans cette circonstance les démarches tentéesjusqu’ici n’ont pu aboutir à la solution désirée.
- Les efforts faits ont-ils été trop faibles, ou le but à atteindre est-il au dessus de ces efforts ?... L’avenir nous répondra, mais nous convions ici la députation toute entière de l’Aisne à joindre, à ceux de notre sous-secrétaire d’Etat, ses efforts réunis afin que satisfaction soit donnée à nos revendications légitimes.
- Oui, messieurs, les habitants de Guise espéraient qu’en raison de la conduite héroïque de leurs ancêtres au siège mémorable que la place a soutenu en 1650 contre les Espagnols... à ce siège où l’ennemi repoussé perdit 6,000 combattants... valut à la population guisarde de la part du roi, de la reine et du cardinal Mazarin, des lettres de félicitations qui honorent nos archives municipales... et fit combler notre ville de faveurs nombreuses accordées «au courage des bourgeois».
- C’est à ce courage qu’il est fait allusion dans l’histoire en ces termes : »
- « Le siège de la place Guise fait le plus grand. honneur « à la garnison, etaux bourgeois dont le patriotisme fut aji « dessus de tout éloge.» ;
- p.93 - vue 96/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- En effet, par cette résistance vigoureuse, Guise rendit à la France le plus signalé service, car en arrêt ant l’ennemi sous ses murs il avait donné à l’armée royale le temps d’arriver pour arrêter l’invasion.
- Parmi les nombreux privilèges que valut à Guise cette noble défense se trouvait précisément la possession dans la place d’une garnison que tous les gouvernements lui avaient jusqu’ici religieusement conservée et dont nous déplorons aujourd’hui la perte.
- A côté de ces considérations historiques dont vous appré-t ierez la valeur, Guise a d’autres titres à la bienveillance du gouvernement de la République.
- Quand des villes qui ont lutté ouvertement contre le régime actuel obtiennent toutes les faveurs de l’Etat il est regrettable.,., d’en voir d'autres qui, comme Guise, ont donné de tout temps des preuves d’un attachement sincère à la République (Témoin le 4 et le 18 octobre.), il est regrettable dis-je de les voir dépossédées d’un droit consacré par des siècles.
- Nous osons donc compter sur le concours de notre députation et plus spécialement sur celui de notre sous-secrétaire d’Etat, pour nous faire obtenir de M. le ministre de la guerre que justice nous soit rendue.
- Au surplus M, le ministre comprendra certainement l’intérêt supérieur qu’il peut y avoir pour la République de mettre les troupes en contact canstant plutôt avec des populations dont les sentiments patriotiques sont légendaires que de les laisser sous l’influencé pernicieuse des ennemis de la République. On pourrait dans l’Oise trouver des garnisons dans cette fâcheuse situation.
- Guise est une ville frontière et par conséquent point de défense... ceci n’est pas contesté par l’administration de la guerre.. Des troupes reviennent du Tonkin, qu’on les diriges sur notre ville elles seront les bien-venues.
- Permettez-moi, Messieurs, de prendre acte des déclarations de Messieurs les députés et inviter l’assemblée à boire avec moi au tribunal de commerce de Guise et à la rentrée prochaine dans nos murs d’une garnison française.
- M. Lesguiller.
- On fait presque un reproche aux radicaux d’être trop nombreux à la Chambre. Il ne dépend que du gouvernement de n’avoir plus à compter qu’avec des amis, et le moyen est facile.
- Le parti radical a approuvée la déclaration ministérielle ; il s’est interdit par conséquent toute o position systématique à l’avenir, pourvu que les ministres exécutent loyalement les promesses faites.
- Vous le voyez, citoyens, les radicaux ne peuvent être accusés de se montrer trop exigeants, puisqu’ils demandent simplement au gouvernement de tenir les engagements spontanément consentis.
- La stabilité gouvernementale est désirée par nous tous ; mais, je vous l’ai dit, elle est subordonnée à l’exécution du programme ministériel. Aussi, puisque nous avons le bonheur de posséder parmi nous un représentant du gouvernement, je lui demanderai de nous faire connaître comment le gouvernement que nous avons acclamé,compte assurer son existence, surtout, comment il concilie le rétablissement de l’équilibre financier avec la promesse de ne pas augmenter les impôts ?
- M. Turquet.
- C’est avec une véritable joie, avec un bonheur extrême,que je viens répondre à mon ami Lesguiller; et je le ferai avec la franchise et la netteté qui me sont habituelles.
- Je dois d’abord dire à mon ami Godin que ses craintes inspirées par les manœuvres de la réaction ne sont pas justifiées par l’état général de l'opinion publique. Dans ces contrées, les
- débris des partis monarchiques assistés des cléricaux de toutes nuances peuvent faire croire à un apparence de danger ; mais cette agitation est superficielle et locale.
- Nous surveillons activement les menées des ennemis de la Répeblique ; chaque jour nous sommes instruits de leurs moindres mouvements, et nous vous affirmons que leur impuissance est complète.
- Mon collègue Lesguiller s’est montré préoccupé de savoir comment nous donnerions suite à nos promesses.
- Les faits répondent pour nous.
- Mon ami le général Boulanger, dès son entrée au ministère, a fait une épuration nécessaire qui ne laisse rien à désirer.
- L’amiral Aube ne s’est pas montré moins énergique dans le nettoyage de ses bureaux.
- De mon côté, comme je l’avais promis- à mon ami Clovis Hugues, j’ai fait dans le ministère des Beaux-Arts toutes les suppressions et les ehangements compatibles avec les besoins du service.
- Les autres ministres ont un personnel plus nombreux ; il leur est plus difficile d’agir rapidement, mais les fonctionnaires ennemis de la République seront atteints partout.
- Je passe à la question financière, celle que mon ami Lesguiller désire m’entendre préciser.
- Nous ne nions pas avoir besoin de ressources nouvelles, mais nous affirmons pouvoir les procurer sans création d’impôts nouveaux. De simples remaniements de taxes produiront ce résultat.
- Beaucoup de gens échappent aux impôts établis ; en mettant ces personnes dans l’impossibilité de continuer à se soustraire par la fraude aux charges publiques, nous remédierons à la pénurie financière présente.
- Gomme exemple, je citerai certaines professions très lucratives qui sont néanmoins exemptes de tout impôt ; ainsi des artistes, gagnant beaucoup d’argent, ne paient aucune patente tandis que l’architecte, le boucher, le médecin qui habitent la même maison sont soumis à la patente.
- Les cas analogues sont nombreux, sans compter maintes fraudes que nous nous propos ms de supprimer.
- Je vous le déclare nettement,les promesses du gouvernement sont sincères ; elles ont été publiées avec la ferme intention de passer immédiatement à l’exécution.
- Déjà la question du Tonkin a été résolue au mieux des intérêts de la France et de l’honneur du drapeau. L’épuration administrative suit une marche normale. Nous vous prouverons bieuôt que nos projets financiers sont sérieux. Notre gouvernement est résolu à poursuivre l’œuvre républicaine et à donner pleine satisfaction à vos légitimes espérances.
- La réunion a été terminée par une chaleureuse allocution de M. Bernardot invitant les convives à se faire inscrire à la société de Propagande Républicaine et d*Éducation civique. Les pauvres n’ont pas été oubliés ; une quête faite sur la proposition de M. Bernardot a produit une abondante collecte.
- MAITRE PIERRE
- Par Edmond ABOUT
- ( Suite )
- XII
- PROPOS DE BUVEURS.
- Mais vous parlez comme un livre. Maintenant, réfléchissez, monsieur maître Pierre. Yeus verrez que, dans Téchelle des hommes, les derniers sont ceux qui travaillent le plus fort et le plus longtemps; les premiers, ceux qui travaillent peu d’heures dans le jour, peu de
- p.94 - vue 97/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 95
- jours dans l’année et peu d’années dans la vie. Vous verrez que, grâce à l’institution de ce qu’on appelle le capital, il se peut qu’un seul individu acquière en très peu de temps le droit au repos, non-seulement pour lui, mais pour sa postérité la plus reculée, et fasse rentrer sa famille dans le paradis terrestre, où Adam et Eve se croisaient les bras, avec la permission du bon Dieu ! Ah! vous croyez que le travail est naturel â l’homme ! Cela vous amuse donc, vous, de piocher la terre et d’avoir des ampoules aux mains ?
- — Ça m’amuse et ça ne m’amuse pas.
- — Mais, mon cher monsieur, le travail est tellement contre nature, que les bêtes n’y vont que contraintes et forcées. C’est le fouet qui pousse les chevaux au labour, c’est l’aiguillon qui pousse les bœuls, c’est la fain qui pousse les hommes. Je ne crains rien de tout cela, moi qui vous parle, et c’est une bonne condition pour entrer en ménage. N’est-il pas flatteur et glorieux de dire à la fille qu’on aime : Mademoiselle, ni vous, ni vos enfants ni votre postérité la plus reculée ne sera condamnée au travail ; nous sommes assez riches pour vivre dix mille ans sans redouter le fouet, l’aiguillon ou la faim ?
- — C’est drôle, dit maître Pierre : j’aurais bien aimé conduire mes petits dans la lande. Mais l’argent s’use, que diable ! et le vôtre ne durera pas toujours.
- — Pourquoi donc ! Quatre millions placés au taux légal ne produiront-ils pas deux cent mille francs par an, sans se détériorer, jusqu’à la fin des siècles? J’aurai deux enfants : chacun d’eux hérite de cent mille livres de rente et en épouse autant ; ils seront aussi riches que moi à perpétuité.
- — Et si vous aviez une douzaine de bambins à établir? C’est une chose qui se voit.
- — Jamais dans la bourgeoisie sage et éclairée. Douze enfants, monsieur maître Pierre ! Cette multiplication effrénée de l’espèce humaine ne se produit que dans; les classes inférieures, où l’homme abruti par le travail, découragé par la misère, a perdu le sentiment de ses intérêts et de ses devoirs. A mesure qu’on s’élève dans les hautes régions de la société, la prévoyance des parents prend soin de limiter l’accroissement des familles, et un bon père n’a jamais plus d’enfant qu’il ne peut en enrichir. ,
- — J’aimais mieux le droit d’aînesse interrompit Jean Pavard de Tancogne. C’était plus dur, mais c’était plus proprel
- — Alors, reprit maître Pierre, vous vous mariez pour faire souche de rentiers ?
- — J’y compte,
- — Vous aurez deux enfants qui en auront chacun deux, et ainsi de suite juspu’à l’infini, tous heureux»
- tous tranquilles, tous oisifs, qui traverseront le monde les mains dans leurs poches ?
- — Ce n’est pas un avenir à dédaigner.
- — Mais, comme ni vos enfants ni vos petits-enfants ne seront bons à manger, je voudrais bien savoir à quoi ils serviront aux autres hommes ?
- — A rien, parbleu ! Us ne sont pas leurs domestiques !
- — C’est juste, dit maître Pierre. Il ajouta en élevanf la voix par degrés : Eh bien, moi, je suis le domestique de tout le mo®de et ne plains pas ma peiim, quand même on ne devrait me payer ni dans cette vie ni dans l’autre. Je viens où l’on m’appelle, et je vais où l’on m’envoie. Mes bras appartiennent au premier venu qui en a besoin et j e ne me fais pas prier deux fois pour boucler mes échasses. S’il y a quelques bonnes idées dans ma tête, on y peut puiser largement, comme dans les deux puits de Bulos. Si jamais je trouve une femme à mon gré, elle sera domestique comme moi, domestique des pauvres, domestique des riches, car les riches eux-mêmes ont quelquefois besoin d’un coup de main. Tous les enfants qui me naîtront seront les bienvenus, et je ne me plaindrai jamais d’en avoir trop, car iJ y a de la besogne à faire dans la lande. D’ailleurs, est-ce qu’on a jamais trop d’enfants ? 11 en meurt quelquefois, c’est un déchet sur lequel vous n’avez pas l’air de compter. Si vous avez fille et garçon, partage de roi, et qu’à l’âge de soixante ans vous conduisiez fille et garçon au cimetière ! Les bonnes gens diront en vous voyant passer : ce pauvre M. Tomery, qui a perdu les soutiens de sa vieillesse! Moi je dirai : cet imbécile de M. Tomery, qui n’a pas des enfants de rechange !
- « Mes petits ne trouveront pas cent mille livres de rente dans les langes de leur berceau, et pourtant ils seront aussi riches que les vôtres, car ils ne manqueront jamais de rien. Us posséderont deux bons bras, du chef de leur mère, et un lopin de terre, de mon chef. Vous parliez de capital, tout à l’heure : le seul capital éternel, inusable et inépuisable, c’est la terre. Le papier a du bon ; je ne suis plus assez paysan pour le nier. Il y a des papiers qu’on achète cinq cents francs et qu’on revend deux mille : mais il y en a d’autres qu’on achète deux mille et qu’on ne revend rien du tout. Mon tuteur aime mieux l’argent, et il fait des cachettes en terre ; j’étais dans ces idées là quand j’avais douze ans. Mais l’argent et l’or sont traîtres. Us haussent aujourd’hui, ils baissent demain, suivant le caprice ou la peur des sots qui les possèdent ; mais, en résumé, ils baissent toujours. Mille écus de rente étaient une forune il y a cent ans ; c’est une bien petite aisance aujourd’hui ; c’a sera bientôt la misère. Vous êtes bien riches avec vos deux cent mille francs de revenu ; vos enfants le seront dix
- p.95 - vue 98/838
-
-
-
- 96
- LE DEVOIR
- fois moins si la pièce de cinq francs tombe à dix sous. Avis à mon tuteur qui enterre précieusement ses monnaies et à tous ceux qui fondent leur confiance sur des piles d’argent ! Moi, j’ai de la terre. Je produis du bois et de la résiné ; je produirai du ble et de la viande quand mes marais seront desséchés Que l’argent se montre ou se cache, que la pièce de cent sous coure dans les rues ou descende dans les caves, c’est le cadet de mes soucis-L’hectare cultivé fournira toujours la nourriture d’un homme, comme il fournissait autrefois celle d’un mouton. Plus votre argent tombera en discrédit, plus les produits de ma terre et de mon travail augmenteront de valeur. Et si, dans cent ans d’ici, quand les mineurs auront fini d’éventrer la terre, la monnaie se vend au tas dans les rues de Bordeaux, nous serons plus riches que vous ! Tu n’a pas un peu de dessert à nous donner, Marinette. »
- Marinette se leva sans répondre, et ouvrit une grande armoire qui remplissait tout un angle de la cuisine Elle en retira successivement douze plats couverts qu’elle déposa symétriquement au milieu de la table. A partir de cet instant jusqu’à la fin du repas,les conviés découvrirent un à un tous les plats qui se trouvaient à leur portée, et les firent passer à la ronde ; mais on eut soin de réserver pour la fin une énorme corbeille de faïence hermétiquement close, qui renfermait le secret de Marinette et le destin de M. Tomery. Tous les yeux sondaient avec curiosité ce vase mystérieux, mais personne ne fit une allusion même indirecte à son contenu. Le regard assuré de M. Tomery et le regard inquiet et sournois de maître Pierre se croisaient à chaque instant sur la corbeille. Marinette la lorgnait quelquefois du coin de la prunelle, tout en cassant des amendes avec ses dents.
- On me fit passer successivement des biscuits, des macarons, des quatre mendiants, des gâteaux secs émaillés de nonpareille,des bergers et des bergères de sucre peints des croquignoles, des os de grenouille, des pommes ridées, des bonbons en papillote, des rectangles de caramel enveloppés de rébus, et tout ce qui compose à la campagne les affreux desserts du mois d’avril. Les convives dévoraient sans y penser toutes ces friandisespulvé-rentes que la maîtresse de la maison avait défendues pendant un an ou deux contre les rats et les souris. Chaque gâteau s’émiettait dans la bouche, et il fallait boire un grand coup de vin pour le faire passer. On buvait donc, on chantait aussi, on lisait tout haut lis devises des bonbons, disposées par des demandes et par réponses ; on déchiffrait les rébus, on envoyait aux dames les madrigaux du confiseur, on se mettait à deux pour tirer de petites bandes de parchemin rouge ou bleu liées par quelques grains de poudre fulminante. On changeait d’assiette avec le voisin, et l’on faisait circuler les épisodes
- de la conquête d’Alger, peints en camaïeu sur terre de pipe.
- Cinq ou six conversations générales s’engaeaient à la fois, et, quand les interlocuteurs étaient trop loin, ils criaient pour mieux s’entendre. Toutes les chaises ne restaient pas en place, et tous les invités ne restaient pas sur leurs chaises. M. Bijou aîné, trop bien élevé four quitter la table, s’endormait sur ses coudes, et l’adjoint profitait de son abattement pour lui vendre une vache. Le deuxième conseiller municipal mangeait toujours il était de ceux qui boivent le pain, comme on dit à la campagne. Le maire, toujours poursuivi par les idées d’autorité, s’en alla mettre son écharpe. Ou l’applaudit à son entrée, et l’instant d’après on ne fit plus attention à lui. Son gendre François chantait quelque chose en allemand. M. Darde tirait le maire par son écharpe, et lui racontait ses bonnes fortunes. Les femmes cachaient les bouteilles, raisonnaient leurs maris, et se frottaient les yeux pour ne pas dormir. Maître Pierre et Martinette tranchaient sur toute l’assemblée par uu air de distinction, de calme et de sobriété. Ils enfermaient leurs sentiments en eux-mêmes, et j’aurais été fort empêché de traduire les idées qui s’échappaient par leurs yeux. M. Tomery n’était pas ivre comme les paysans, car le vin est un fardeau léger pour les beaux viveurs de la Gironde. Un peu de vermillon sur les deux joues, un peu d’humidité dans les yeux, une vivacitée inusitée dans les mouvements, voilà les seuls symptômes qui pouvaient le compromettre un peu. Ses discours n’étaient point déraisonnables, mais on y sentait percer une pétulance provoquante et hargneuse, un désir de dispute et de victoire et comme la soif de battre quelqu’une. Les idées suivaient dans un ordre logique, mais elles étaient trop pressées de sortir, et elles montaient les unes sur les autres comme des moutons à la porte de l’étable. La discussion qu’il avait soutenue contre son rival ne l’avait satisfait qu’à demi, et il ne se pardonnait pas d’avoir laissé le dernier mot à maître Pierre. Il voulait une revanche et enrageait de ne pouvoir la prendre complète devant un auditoire dispersé et inattentif. Les seules oreilles sur lesquelles il pût encore compter étaient celles de Mari-nette et les miennes ; nous composions à nous deux tout le public disponible dans cette assemblée de dix-huit personnes. Il est vrai que nous avions l’un et l’autre de quoi couronner un vainqueur. Marinette pouvait le payer en amour et moi en renommée. Le bonheur et la gloire ! Les paladins du bon temps ne demandaient rien de plus.
- A suivre.
- _________Le Directeur Gérant : GODIN__________________
- Guise. — lmp. Bari.
- p.96 - vue 99/838
-
-
-
- 10* Année, Tome 10.— N' 388 Le numéro hebdomadaire 20 c. Dimanche 13 Février 1886
- LE DEVOIR
- BEVUE DES QUESTIONS SOCIALES
- BUREAU
- a GUISE (Aisne)
- Toutes les communications
- ABONNEMENTS PAYABLES D’AVANCE par l’envoi, soit au bureau de Guise, soità celui de Paris, de timbres-poste ou de mandats de poste, dont le talon sert de quittance.
- et réclamations doivent être adressées à
- France
- Un an ... 10 fr. »
- Union postale Un an. . . . 11 fr.»
- M. GODIN, Directeur-Gérant Fondateur du Familistère
- Six mois. . . 6 s» Trois mois. . 3 »»
- Autres pays
- Un an. ... 13 fr. 60
- ON S’ABONNI
- A PARIS
- , rue Neuve-des-Petits-Champs Passage des Deux-Pavillons
- S’adresser & H. LEYMARIB administrateur delà Librairie ides sciences psychologiques.
- BULLETIN DE LA PAIX
- ---%--
- SOMMAIRE
- L’oppression des peuples. — Projet de neutralisation de la Bulgarie. — L'incident Schmitz. — Comment les gouvernants devraient pratiquer l’humanité. — Impartialité de l’histoire. — En Birmanie.— Un document.— Un sincère officier de recrutement.— Convention coloniale. — Les chiens à la guerre.— A nos lecteurs.— Religion bien comprise.— Scandinavie. — Aphorismes et préceptes sociaux. — Enquête aux Etats-Unis sur les rapports du travail et du capital.— Extinction de la dette.— Société d’éducation civique. Adhésions — Maître Pierre
- L’OPPRESSION DES PEUPLES
- Les colonisateurs ont imaginé la théorie des races inférieures pour justifier la conquête et la spoliation des peuplades barbares ou demi-barbares ; ils ont eu la pudeur d’essayer de dissimuler par de spécieux arguments les brutalités de leur politique uniquement basée sur les droits de la force.
- Les événements d’Orient viennent de mettre en relief une autre politique qui, appliquée en pleine civilisation, n’a pas daigné de recourir aux subterfuges pour atténuer son despotisme.
- Combien ce despotisme brutal des grandes puissances est probant en faveur des projets de désarmement international.
- Les gouvernements des grandes nations européennes ont jugé qu’ils avaient intérêt à empêcher un conflit entre la Grèce et la Turquie ; ils ont signifié sans explication au gouvernement grec qu’ils le contraindraient par la force à vivre en paix avec la Turquie. Si ces mêmes gouvernements avaient cru de leur intérêt de précipiter une rupture entre ces deux puissances orientales, celles-ci auraient depuis longtemps leurs armées en présence.
- Cette intervention des grandes puissances n'est motivée par aucun traité. Depuis l’acceptation tacite parles coursde Londres,de Berlin, de Vienne et de St-Pétersbourg des arrangements intervenus entre le sultan et le prince Alexandre, le traité qui réglait l’équilibre des nationalités orientales est virtuellement détruit, ses clauses n’ont plus aucune valeur pour l’un quelconque des contractants.
- Le roi de la Grèce et son gouvernement, d’après le droit international en vigueur, ont leur pleine autonomie ; en fait les grandes puissances, sans autre mandat que leur bon plaisir, sans autre moyen que la force, interdisent aux grecs de poursuivre par les armes des revendications qu’on leur refuse pacifiquement.
- La guerre sera évitée, les amis de la paix auront la satisfaction de voir le despotisme aboutir aux fins mfils désirent.
- p.97 - vue 100/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 9S
- Il est regrettable que cette intervention n’ait d’autre règle que les inspirations du despotisme, qu’elle ne soit une obligation formelle de tous les gouvernements européens ; laissée de la sorte aux appréciations des gouvernements des grandes puissances, elle a tous les caractères et tous les défauts des décisions dictées par la force ; aussi capricieusement appliquée, elle n’est que l’oppression des peuples faibles par les nations plus fortes.
- Combien les effets de l’intervention des grandes puissances seraient plus salutaires et plus durables, s’ils émanaient d’un tribunal international constitué par le concours de toutes les nationalités, et rigoureusement obligé de se prononcer dans tous les différends que soulèvent les relations internationales.
- On supprimerait de la sorte les pertes de temps et les démarches préliminaires inséparables de l’entente des puissances relativement à la décision préjudicielle de savoir s’il y a lieu ou non d’intervenir.
- L’intervention collective des grandes puissances, telle que nous venons de la voir se produire dans la question d’Orient, se présente sous des allures que le bon sens doit trouver très extraordinaires.
- Dés que les prétentions de la Grèce se sont manifestées, les diplomaties européennes ont examiné s’il y avait lieu d’intervenir ; chacune d’elle se prononçant, un jour, favorablement, un autre jour se déclarant disposée à laisser faire.
- Au milieu dè ces incertitudes, le peuple grec persuadé de son bon droit a poursuivi ses armements ; il s’est imposé des sacrifices énormes ; le travail a été en partie suspendu ; toute l’activité nationale s’est concentrée dans ces armements ruineux ; enfin lorsque tout a été prêt, sous prétexte d’ordre général, des gouvernements qu’aucun peuple n’a chargé de la fonction d’arbitres de l’ordre européen ont interdit à la Grèce l’action militaire ; ils l’ont contrainte à supporter sans compensation des dépenses énormes, presque aussi lourdes qu’une défaite.
- Tant qu’à défendre à la Grèce de combattre, il aurait été plus rationnel de lui interdire de se préparer à une guerre qu’on ne voulait pas lui laisser commencer.
- L’existence d’un tribunal arbitral constitué par le consentement des peuples représentés dans une conférence internationale supprimerait ces inconvénients, inhérents à notre politique internatio-c !e condamnée à se mouvoir d’après une tradi-
- tion qui plaçait les volontés des gouvernements au-dessus des considérations tirées de la connaissance des besoins des peuples.
- L’utilité publique tend à devenir l’élément régulateur de la conduite des gouvernements ; elle ne peut s’accomoder de ces lenteurs et de ces incertitudes.
- D’autre part, toutes les branches de l’activité humaine tempèrent les errements du passé par des allures plus scientifiques.
- La politique extérieure ne doit pas être exempte des perfectionnements de ce genre.
- Si les peuples et les gouvernements n’ont pas le droit de faire la guerre suivant leur bon plaisir, et c’est notre avis, il est urgent de définir les limites de ce droit et de prévoir les mesures destinées à faire observer les décisions prises.
- On ne peut dire pacifique la politique qui ne sait intervenir que par un veto brutal, systématiquement opposé à toutes les entreprises des peuples faibles, lorsqu’elles n’ont pour but la satisfaction des vues ou des vœux secrets des grandes puissances.
- L’interdiction de faire la guerre sans le consentement des autres peuples doit subsister également pour toutes les nations, quelle que soit leur force ou leur faiblesse. Arbitrairement appliquée comme cela vient d'avoir lieu en Grèce, elle n’est qu’une forme de l’oppression.
- Puisque nos républicains de gouvernement sont insensibles à la poussée de l’idée démocratique, puisqu’ils persistent à ne pas vouloir prendre l’initiative de consulter diplomatiquement les grandes puissances sur les moyens pratiques de constituer un tribunal international d’arbitrage, il appartient aux autres peuples faibles de demander à l’Europe puissante d’en finir avec les mesures arbitraires.
- Le peuple grec vient d’être dupe de la diplomatie européenne qui l’a laissé se ruiner en armements, lorsqu’elle était décidée à ne point l’autoriser à faire la guerre.
- Le gouvernement grec a cependant un moyen de prouver à l’Europe qu’il n’est pas une victime résignée ; ses sacrifices peuvent être profitables à la paix du monde, si, prenant prétexte de la situation qui lui est faite,il met les grandes puissances en demeure de se prononcer sur la nécessité de soumettre à des arbitres les différends internationaux, dès que l’un des mécontents se croit autorisé à augmenter ses armements.
- p.98 - vue 101/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 99
- Le gouvernement grec tirerait une noble vengeance de l’oppression qu’il subi t, s’il savait créer une situaiion diplomatique telle que les meneurs de la politique européenne fussent contraints de se prononcer nettement pour ou contre la substitution des juridictions internationales régulières aux capricieuses et brutales interventions des grandes puissances.
- Projet de neutralisation de la Bulgarie
- Le comité exécutif de l'International arbitration and peace association » a adressé, le 25 janvier dernier, le document suivant au ministère des affaires étrangères, à Londres.
- Milord, au nom du Comité de l’association de paix et d’arbitrage international, nous avons l’honneur de vous soumettre les considérations suivantes :
- 1° Nous espérons fermement que le Gouvernement de sa Majesté la Reine jugera bon de s’entendre avec les autres puissances européennes pour adopter la proposition du prince régnant de Bulgarie, proposition qui résoudrait d'une façon satisfaisante la grave question qui menace si sérieusement la paix de l’Europe orientale.
- 2° Si le comité est bien informé, le prince de Bulgarie se serait déclaré prêt à se rendre à une invitation des puissances lui demandant le désarmement des forces Bulgares, pourvu que les mêmes puissances garantissent la Bulgarie de toute invasion de la part de la Serbie.
- 3° Cette proposition, selon nous, ouvre les plus favorables horizons, non-seulement à l’Etat bulgare, mais au bien général de la Péninsule. En effet, une telle proposition pourrait conduire à la neutralité de la Bulgarie et préserver cet Etat de toute invasion étrangère quelconque, par suite de la garantie des Puissances et des précédents établis pour les autres petits Etats Européens ; cela au plus grand avantage des petits Etats eux-mêmes et de toute l’Europe.
- -4° Il nous suffira d’indiquer qu’avec un tel procédé le peuple Bulgare pourrait se décharger, en toute séeurité, de ses lourds armements, et travailler à sa prospérité civile et à son progrès. En outre, sous l’influence de telles garanties, les relations entre la Serbie et la Bulgarie cesseraient forcément d’être hostiles, et la Serbie de son côté ne jugerait plus utile le maintien d’une grande armée. Elle aurait, en conséquence, assez à bénéficier de la proposition qui nous occupe pour se prêter à la demande de désarmement faite par les Puissances.
- 5UI1 est possible, en outre, que le Gouvernement d’Athènes ne pouvant plus espérer la coopération militaire de la Serbie en arrive lui-même à licencier une forte partie de ses troupes.
- 6" Un autre résultat probable et très-important de l’adoption de la proposition du Prince de Bulgarie serait, qu’en face de l’avantage évident échu à la Bulgarie par le fait de la neutralisation, la Serbie elle-même fût amenée à demander aux Puissances d’en agir envers elle comme envers la Bulgarie.
- 7° 11 serait superflu de notre part d’insister sur les avan-
- tages que recueillerait l’Europe entière de l’adoption de cette politique envers les Etats petits et faibles qui sont actuellement une grande source de danger pour la paix européenne.
- 8° Copie de la proposition que nous avons l’honneur de vous adresser est envoyée aux Ministres de chacune des grandes Puissances.
- Nous sommes, Milord, pour le comité exécutif, vos dévoués serviteurs,
- Hodgson Pratt, Président,
- G. B Clark, Vice Président,
- Geo. Buckanan, Trésorier,
- Jolin R, Knighst, secrétaire honoraire,
- Wm Martin Wood, secrétaire.
- L’INCIDENT SCHMITZ
- Les réactionnaires font beaucoup de bruit autour de cette affaire que, selon eux, l’ordre du jour de la Chambre n’a pas close.
- La vérité est que le général Sehmitz est mal tombé. Juste au moment où le nouveau ministre de la guerre prenait possession de son poste et jugeait utile d’établir vigoureusement son autorité, à l’heure où les maladroits députés réactionnaires se mêlaient, dans un but de propagande, des choses intimes de l’armée, voilà que le général Sehmitz, pris d’une grosse humeur, expédie des télégrammes à double entente que l’on publie dans les journaux monarchistes. Il en devait nécessairement résulter un bris de vitres.
- C’est le commandant du 9e corps d’armée qui a payé fa casse. lia été mis à pied.
- Dans l’intérêt de la France, il ne faut pas s’en plaindre. Si la République n’a pas su se défendre contre les détraquements delà politique, c’est bien le moins quelle en garantisse l’armée.
- Mais cela ne fait pas l’affaire desfeuilles royalistes. Aussi, dans leur colère, deviennent-elles burlesques.
- Le 3e régiment de dragons et le 2e régiment de chasseurs sont envoyés à Nantes et à Pontivy, et voilà la ville de Tours ruinée !
- « On compte que le départ des deux régiments de cavalerie va priver Tours de plus d’un million qui s’y dépensait annuellement, » écrit le Gaulois.
- Le Figaro augmente le chiffre et nous montre les tourangeaux couverts de cendres.
- « A Tours, dit-il, la désolation est générale, et le commerce ne se cache nullement pour exhaler ses plaintes.
- « La 9e brigade laissait annuellement 1,200,000 francs à la ville. »
- C’est navrant, on le reconnaîtra. Douze cent mille francs ! La Touraine va être ruinée du coup.
- Il est vrai qu’il lui reste ses pruneaux, et aussi le 23e dragons, et le 7e hussards, qui vont remplacer les deux régiments qui partent ; mais cela ne saurait consoler nos bons apôtres de confrères.
- Et le Gaulois, qui devrait bien s’appeler le Nicolet, trouve plus fort que les 1.200.000 francs du Figaro.
- M. Marne, l’éditeur de l’épiscopat, a son gendre parmi les officiers déplacés. « Il compte venir à Paris, nous apprend le Gaulois, pour proposer au ministre de faire n’importe
- p.99 - vue 102/838
-
-
-
- 100
- LE DEVOIR
- quelle dotation à l’armée (il parlait de 200,000 francs) pourvu qu’on ne déplace pas son gendre. »
- Je m’étonnerais que le général Boulanger n’acceptât pas le marché. Il pourrait demander, par exemple, le don gratuit d’un livre de messe de la maison Marne pour chacun des soldats français...
- République Radicale.
- Gomment les gouvernants devraient pratiquer l'humanité
- Au cours du sermon prêché par le révérend Sydney Smith, à la cathédrale de St-Paul, à l’occasion de l’accès au trône par la reine Victoria, le prédicateur s’exprima comme suit :
- « Un grand objet qui, je l’espère, s’imprimera fortement dans l’esprit de Sa Majesté, sera l’horreur enracinée de la guerre, la volonté ferme et passionnée de maintenir son peuple dans une profonde paix.
- « La plus grande des malédictions qui puisse frapper le genre humain, c’est l’État de guerre.
- «Tous les crimes atroces commis en temps de paix,tous les frais de corruptions secrètestous les gaspillages extravagants accomplis au sein des nations, ne sont rien comparés aux maux gigantesques qui atteignent le monde en temps de guerre.
- « Dieu est oublié durant la guerre, tout principe de charité chrétienne est foulé aux pieds ; le travail humain est détruit, l’industrie humaine éteinte ; le fils, lie mari, le frère meurent misérablement au loin ; c’est le naufrage des affections humaines ; c’est le déchirement des cœurs ; ce sont les sanglots des veuves et des orphelins après la bataille, et sur les champs de bataille même ce sont des corps humains pantelants demandant la mort au sein de leurs tortures.
- « Je dis donc à qui arrive au trône : Honorez Dieu en aimant la paix. Votre œuvre à vous ne peut se borner à plaindre le mendiant et à lui donner l’aumône. Cela, c’est la charité des humbles et des inconnus; élargissez votre cœur à l’étendue des1 misères du genre humain ; songez aux mères à qui l’on ravit leurs fils ; à vos malheureux sujets entassés dans les infirmeries militaires et aspirant jusqu’au dernier souffle à la patrie lointaine.
- « Plaignez la folie furi euse et stupide des êtres humains prêts à s’entre-déchirer et à rougir la terre de leur sang.
- « Tel est votre grand champ de compassion, votre .Mnière de vous montrer humain, de pratiquer la charité.
- « Eteignez en vous le diabolique amour de la gloire militaire que les flatteurs cherchent àexqiter. Conduisez-
- us de façon à pouvoir'dire quand vous serez sur votre
- lit de mort : La paix a été le but de ma vie. J’ai usé de tout mon pouvoir et de toute la puissance de ma situation pour tenir en échec les violences humaines et tourner les énergies des peuples vers les œuvres honnêtes de l’industrie. Telle a été ma religion, tel a été mon évangile, tel a été le culte que j’ai rendu à Dieu,»
- (Herald of peace)
- Impartialité de l'histoire.
- A l’occasion de la mort de Monsieur de Saint-Vallier, le Temps a publié le rapport télégraphique que M. de Saint-Vallier adressa le 15 Juillet 1870— c’est-à-dire quatre jours avant la funeste déclaration de guerre — àM. de Grammont ministre des affaires étrangères.
- Cette pièce, d'une grande valeur historique, prouve clairement que la responsabilité de la déclaration de guerre incombe toute entière au gou-vernem nt Français, et à la France qui supportait ce gouvernement; on peut juger par la lecture de ces lignes que la déclaration de guerre n’a pas été moins insensée qu’a été excessive la correction infligée à la France.
- Il est évident qu’il y a lieu de revenir sur ces événements, mais d’une autre manière que le conseillent les poètes énergumènes qui prêchent la revanche. La déclaration de guerre à l’Allemagne, par la France, et la mutilation de la France, par l’Allemagne, sont deux excès dont on ne peut atténuer les conséquences autrement que par le rapprochement des deux peuples et par une entente librement consentie.
- Nous n’amènerons jamais l’Allemagne à réparer ses torts, si nous n’avons pas le courage de reconnaître combien furent coupables nos premières provocations.
- 11 nous arrive quelquefois d’être en contact avec des sectaires de la Revanche ; ils parlent toujours comme si l’Allemagne avait commis la double faute de nous déclarer la guerre et de nous reprendre l’Alsace-Lorraine ; nous leur recommandons de méditer le récit de M. de St-Valîier.
- M. de Saint-Vallïer, accrédité à Stuttgart, avait eu une entrevue avec M. le baron de Varnbühler, chef du ministère wurtembergeois. Au sortir de cette entrevue, il résuma les graves paroles qui lui furent dites dans un rapport qu’il expédia par le télégraphe à Paris.
- Voici le texe de la dépêche de M. de St-Vallier :
- Le désistement, du prince Léopold, dit M. de Varnbühler à M. de ^aint-Vallier, avait apaisé les alarmes, rendu la confiance aux affaires, l’espoir aux gouvernements; il constituait pour la France un beau et légitime succès.
- La Prusse, malgré l’énergie de vos déclarations, avait cédé ; elle s’était humiliée devant la France, car le prince Antoine n’a' pas envoyé de renonciation sans y être engagé
- p.100 - vue 103/838
-
-
-
- LE DI YOJE
- sous main par le roi Guillaume. C’était donc un triomphe pour la France, un abaissement pour sa rivale. Tout le monde applaudissait à ce double résultat, habitué que l’on était depuis quatre ans à voir l’arrogance du côté de la Prusse, la modération du côté de la France. Tout à coup, au milieu de cet abaissement, vous formulez de nouvelles exigences, l’Europe y répond par un cri d’étonnement, vos amis par un cri de douleur ; vous compromettez les résultats acquis et vous donnez raison à vos adversaires, qui vous accusent de vouloir la guerre à tout prix. Le mérite de la modération vous échappe, il est maintenant du côté de la Prusse. Vous étiez l’offensé, vous êtes le provocateur. Le vieux roi Guillaume, abreuvé d’injures par vos journaux, est resté patient pendant tout une semaine, mais il n'y a plus à compter que sa longanimité se prolonge ; c’est un refus que vous allez chercher, un refus qui vous obligera ou à reculer en perdant tous vos avantages, ou à tirer l’épée, à exposer l’Europe aux horreurs de la guerre, sans avoir un grief sérieux à invoquer à l’appui de votre imprudente détermination. Je reçois de tous côtés des télégrammes où le blâme a remplacé l’approbation que vous aviez rencontrée jusqu’ici. La presse européenne vous devient hostile, la presse allemande, calme au début, devient violente, belliqueuse. L’irritation va grandir de part et d’autre, le feu va s’étendre, il ne pourra plus être éteint que dans des torrents de sang. Je vous le déclare avec chagrin, votre gouvernement assume, par ses nouvelles résolutions, une terrible responsabilité. U’ailleurs, que signifie cette garantie que vous léclamez ? A-t-elle une importance réelle ? Je soutiens que non.
- La renonciation des Hohenzollern est signée par le chef de famille, commr l’acceptation de la candidature avait été signée par lui. Cette renonciation est faite avec l’agrément du roi de Prusse, elle est inspirée par ses conseils,elle est lancée à la face de l’Europe, qui en prend acte et qui ne tolérerait pas que ses auteurs viennent à manquer plus tard aux engagements qu’ils ont contractés solennellement. Le candidat lui-même s’est enlevé par ce refus tout prestige aux yeux du peuple espagnol. Vous ne pouvez done raisonnablement redouter pour l'avenir son élection par les Cortès,, ni son acceptation, parce qu’elle le déconsidérerait à tout jamais aux yeux du monde entier. Ces réflexions sont celles de toute l’Allemagne, qui ne voit plus dans vos nouvelles exigences que le désir d’humilier un souverain qui est, après tout, un prince allemand.
- Les actes du roi de Prusse avaient depuis quatre ans semé dans nos cœurs de graves rancunes, votre hautaine insistance nous force à vous rappeler qu’il est un des chefs de la nation germanique et que l’insulte qu’il subit ait de la part d’un gouvernement étranger retomberait sur tous les Etats allemands. Vous rendez notre cause solidaire de la sienne, vous nous jetez dans les bras de la Prusse, vous cimentez notre alliance. Hier j’ai décliné les ouvertures prussiennes ; tout à l’heure je vais être forcé de les accueillir. Je sais qu’il en est de même à Munich. La Prusse va donc pouvoir compter snr l’alliance du Sud.
- M. de Saint-Yallier ajoute, après avoir relaté les paroles de M. de Yarnbüliler :
- La journée d’hier n’a fait qu’augmenter les alarmes; tous mes collègues partis en congé sont revenus en hâte. Leur langage nous est devenu unanimement contraire. Le ministre du roi Louis, qui cependant est très sympathique à la France, dit que la Bavière sera forcée de faire cause commune avec la Prusse. Les agents de Russie et d’Italie ne cachent pas leur hostilité, le ministre d’Angleterre nous blâme énergiquement, le ministre d'Autriche lui-même n’apporte aucun ménagement dans ses critiques.
- 101
- Telle est la fâcheuse situation dans laquelle nous placent les derniers événements. J’ai tenu à vous en transmettre un exposé sincère et à vous faire voir comment, de favorable au début, elle est dévenue rapidement mauvaise.
- On sait que M. de Grammont ne tint aucun compte de cette grave communication.
- En Birmanie.
- La note suivante est extraite du journal Le Temps, journal ultra colonisateur lorsque la camarilla opportuniste conduisait le branle. Ce journal considérait alors comme choses insignifiantes ou quantités négligeables les difficultés que signalaient les journaux anglais et tous ceux qui n’avaient aucun intérêt dans l’aventure tonkinoise.
- Voici quelques lignes significatives empruntées au Temps, relatives à la Birmanie.
- « La conquête de la Birmanie est loin de s’accomplir aussi » rapidement et aussi facilement que le promettaient lescham-» pions de l’école annexionniste. On ne peut se souvenir sans » quelque amusement de la fameuse formule employée par M. # Colquhoun, le plus éminent des conseillers écoutés en cette » occasion par legouvernement de la reine, et qui disait qu’il se » ferait fort avec deux canonnières et une compagnie de débar-» quement de réduire en quelques jours à l’obéissancele royaume » d’Ava. »
- Si on se donnait la peine de chercher fans les journaux anglais on trouverait plus d’un extrait identique visant le Tonkin ; tant la vieille histoire de l’œil, du brin de paille et de la poutre, est conforme à l’esprit des humains de notre époque.
- UN DOCUMENT.
- A Messieurs les candidats aux prochaines élections législatives.
- Nous publions d’après le Petit Bastiais le document suivant relatif aux élections d i 4 octobre.
- Messieurs,
- Vous sollicitez les suffrages des électeurs, déclarant que vous aimez la Corse et que vous travaillerez à la rendre prospère.
- La politique vous divise et divise la Corse. C’est un mal pour elle. Est-ce un bien pour vous ?
- Vos drapeaux sont en présence : la lutte sera vive ; espérons qu’elle ne sera pas sanglante : l’arbitrage du suffrage universel décidera pacifiquement de la victoire. Le bulletin remplace la cartouche.
- La civilisation progressive a donné naissance à l’arbitrage du suffrage universel, pour décider du mérite des candidats comme elle a créé des tribunaux, pour juger les contestations des individus.
- C’est aussi à la civilisation progressive que l’on doit l’idée féconde de substituer l’arbitrage à la guerre qui désole des familles, appauvrit et décime les peuples, affaiblit les gouvernants et, tôt ou tard, les renverse.
- Des penseurs de l’Ancien et du Nouveau-Monde, dévouée au bien public, ont propagé cette idée sublime, sans eraiudi t
- p.101 - vue 104/838
-
-
-
- 102
- LE DEVOIR
- le ridicule des sceptiques qui osent nier la loi du progrès, le triomphe de la raison et de la morale.
- Ces penseurs ont formé des sociétés de la paix par l’arbitrage dans diverses contrées de l’Europe et de l’Amérique.
- Par l’influence bienfaisante de ces sociétés, trente-six arbitrages principaux ont été réalisés en moins d’un siècle. La paix par l’arbitrage n’est donc plus un rêve irréalisable. C’est un fait ; mais un fait intermittent ; il s’agit de le rendre permanent.
- Pour atteindre ce but suprême, la manifestation de l’opinion publique est nécessaire. Les gouvernants, désireux de conserver le pouvoir, obéiront à la voix de l’opinion publique, sachant par l’histoire que cette voix souveraine les élève et plus facilement encore les abaisse.
- Bientôt, dans les pays du suffrage universel, les aspirants à la députation seront obligés, pour être élus, d’arborer le drapeau de la paix par l’arbitrage.
- Ce drapeau flotte au-dessus de tous les drapeaux politiques : c’est le drapeau commun aux familles anti-républicaines, car les unes et les autres chérissent leurs enfants, tiennent à conserver leur vie et l’argent qui les fait vivre.
- Ce n’est que dans le cas où l’arbitrage est repoussé, qu’elles consentent de bon cœur à envoyer leurs enfants sur le champ de la mort pour défendre l’honneur et l’existence de la patrie.
- Défendre son pays est un droit et un devoir ; attaquer le pays des autres est un déshonneur et un eiime.
- L’arbitrage prévient le déshonneur, le crime et les effets désastreux de la guerre, toujours désastreux pour les peuples vaincus et même pour les peuples vainqueurs ; l’histoire en donne la preuve.
- Pourquoi les Corses éclairés n’aideraient-ils pas à former l’opinion publique par la manifestation de l’opinion individuelle, par la création, dans chaque chef-lieu d’arrondissement, de sociétés de la paix sur l’arbitrage, et enfin en votant pour les candidats qui promettraient de servir cette idée dans la mesure de leur pouvoir ?
- Pourquoi, candidats républicains et candidats anti-républicains, hésiteriez-vous à déclarer dans vos discours, vos circulaires et vos journaux, que vous préférez les décisions de l’arbitrage aux décisions ruineuses de la mitraille, et que, députés, vous ferez tous vos efforts pour prévenir la guerre offensive?
- Vous le pouvez et vous le devez dans votre intérêt et plus encore dans l’intérêt public.
- Vos déclarations retentiraient dans le conseil de la commune, de l’arrondissement, du département, dans l’école, dans l'église et au.foyer des familles.
- Les électeurs seraient heureux de voter pour les quatre candidats qui se distingueraient des autres par leurs déclarations, et par les hautes qualités qui caractérisent les citoyens dignes de représenter leur pays et de l’aider à marcher résolument dans la voie du progrès moral, intellectuel et matériel.
- Messieurs les candidats, je me suis fait un devoir de vous faire connaître ce que je pense, dans le but unique de répandre une idée familiale, patriotique, humanitaire, d’autant plus que cette idée ne répugne point, je crois, à votre haute raison.
- Veuillez agréer, etc. P.-A. Ambrogi
- Ile-Rousse, le 3 janvier 1886.
- DM SINCÈRE OFFICIER DE RECRUTEMENT.
- «On demande des soldats». Telle était l’affiche posée au-dessus d’un bureau où se trouvait un officier en brillant uniforme. Le dialogue suivant s’engagea entre lui et moi :
- — Comment va le recrutement ?
- — Lentement, nous avons environ cinq recrues par semaine.
- — Vos efforts en ce cas ne sont guère fructueux.
- — Fructueux ! mais je fais de mon mieux pour empêcher les gens de s’enrôler.
- — Comment cela, voilà qui jure singulièrement avec votre fonction ?
- — Mais pas avec ma conscience.C’est une vie de chien que la vie militaire et, à tout jeune homme qui se présente, je dis ; « Gardez-vous de vous faire soldat si vous ne désirez pas l’esclavage. Si je n’avais pas été la proie de l’ivresse quand je me suis enrôlé, je ne serais pas là moi-même. »
- {New York Star)
- Convention coloniale.
- On lit dans le Temps :
- Comme nous l’a télégraphié notre correspondant de Berlin, le Livre Blanc a été distribué aux membres du Reichstag. Notre correspondant nous envoie la traduction des clauses les plus impotrantes du protocole signé le 24 décembre par le comte Herbert de Bismarck et le baron de Courcel.
- En ce qui concerne le Golfe de Biafra :
- Le gouvernement de S. M. l’empereur d’Allemagne renonce en faveur de la France à tous les droits de souveraineté ou de protectorat sur les territoires acquis au sud de la rivière Campo par des sujets allemands, et qui ont été placés sous la protection de Sa Majesté. 11 s’engage à s’abstenir de toute action politique au sud d’une ligne suivant la susdite rivière depuis son embouchure jusqu’au point eù elle rencontre le 10e dégré de longitude est de Greenwich ; et, de ce dernier point, la limite des deux puissances suivra la parallèle jusqu’à sa jonction avec le 15e degré de longitude est de Greenwich.
- Aucun des deux gouvernements ne prendra de mesures pouvant gêner la liberté de navigation et le commerce des sujets de l’autre sur le cou rs de la rivière Campo dans la portion qui forme la frontière et qui peut être utilisée en commun par les sujets des deux nations.
- En ce qui concerne la côte des Esclaves :
- _ Le gouvernement de la République française, reconnaissant le protectorat allemand sur le territoire de Togo, renonce aux droits qu’il pouvait faire valoir sur le territoire de Porto-Seguro, en vertu de ses relations avec le roi Mensa.
- Le gouvernement de la République renonce également à ses droits sur le Pelit-Popo et reconnaît le protectorat allemand sur ce territoire. Les négociants français à Porto-Seguro et au Petit-Popo conserveront pour leurs personnes et leurs propriétés, aussi bien que pour leurs transactions commerciales, jusqu’à la conclusion des conventions douanières, le bénéfice des usages dont ils ont actuellement la iouissance ; tous les avantages et immunités qui seront accordés aux sujets allemands leur serent également acquis.
- p.102 - vue 105/838
-
-
-
- LE DEVO IR
- 103
- Ils conserveront en particulier le droit de transporter et d’échanger librement leurs marchandises entre leurs factoreries et magasins de Porto-Seguro et Petit-Popo et le territoire srançais avoisinant, sans payer de droits.
- Le môme privilège, sera, en retour, concédé aux négociants allemands.
- Les gouvernements allemand et français se réservent le droit défaire une enquête sur les lieux afin d’arriver à l’établissement des droits de douane commune dans les territoires compris entre les possessions anglaises de lacôte d’Or à l’ouest et le Dahomey à l’est.
- La limite entre les territoires allemands et les territoires français de la côte des Esclaves sera fixée sur place par une commission mixte. La ligne de démarcation partira d’un point à déterminer sur la côte entre le Petit-Popo et Angowe. En traçant cette ligne, on tiendra compte des limites des possessions des indigènes.
- Le gouvernement allemand s’engage à s’abstenir de toute action politique à l’est de la ligne ainsi tracée. Le gouvernement français s’engage à s’abstenir de toute action politique à l’ouest de cette même ligne.
- En ce qui concerne la Sénégambie :
- Le gouvernement de l’empereur d’Allemagne renonce à tous les droits ou prétentions qu’il peut formuler sur les territoires situés entre le Rio-Nunez et la Mellacorée, spécialement sur le Koba et le Kalibaï et reconnaît la souveraineté française sur ces territoires.
- La dernière clause est relative à Y Océanie :
- Le gouvernement allemand s’engage envers le gouvernement français à ne rien entreprendre qui puisse empêcher la prise de possession éventuelle par la France des «îles et îlots formant le groupe appelé File-sous-le-Vent en Océanie » appartenant à l’archipel de Taïti ou aux îles de la Société.
- Il prend le môme engagement pour l’archipel des Nouvelles-Hébrides, qui se trouve dans le voisinage de la Nouvelle-Calédonie.
- Au cas de prise de possession de l’un ou l’autre groupe susmentionné, le gouvernement de la République s’engage à respecter tous les droits acquis par des sujets allemands, spécialement en ce qui regarde l’engagement de travailleurs indigènes, et à s’entendre à ce sujet avec le gouvernement impérial allemand.
- En dehors de ce protocole, le Livre Blanc contient un échange de notes entre le comte Herbert de Bismarck et M. le baron de Coircel, relativement à l’établissement de M. Collin, sujet allemand, en Sénégambie, et à propos du roi Mensa, qui avait demandé la protection de la France et que le gouvernement français recommande spécialement à la bienveillance de l’Allemagne. Ajoutons que cette dernière puissance s’est engagée « avec plaisir » à bien traiter le roi Mensa.
- Les Chiens à la guerre. — On essaie dans l’armée allemande le dressage des chiens qui seraient adjoints aux sentinelles des postes isolés, pendant la guerre. Le expériences sont commencées dans plusieurs caser nés de Berlin Pauvres bêtes !
- - Cruels animaux, les hommes !
- ------------------------. ♦ • ------------------------------
- A NOS LECTEURS
- Nous prions instamment les lecteurs du Devoir de bien vouloir nous envoyer les adresses complètes des sociétés coopératives de consommation ou de production qu’ils connaissent.
- M. GODIN, Fondateur du Familistère demande un JARDINIER CAPABLE
- pourvu de bons renseignements.
- Religion bien comprise.
- On lit dans les journaux anglais que le représentant des laboureurs au Parlement M. Joseph Arch, a reçu de la part d’un des ministres du culte les plus populaires à Londres, la pressante et cordiale invitation d’occuper la chaire le premier dimanche où M.Arch le jugera convenable.
- * *
- Certains catholiques ardéchois viennent de donner urm preuve de leur indépendance de caractère : comme on leur refusait le curé qu’ils voulaient, ils ont décidé de sé passer de prêtre et célèbrent eux-mêmes leurs offices religieux, ainsi qu’on peut le voir par la note suivante adressée au Lyon républicain :
- « Les habitants des hameaux de Champagne, près de Montpezat fArdèche), qui avaient,il y a quelques années, construit et terminé à leurs frais une église, demandaient depuis longtemps à l’évêque de Viviers un curé que celui-ci rfa jamais voulu leur accorder.
- « Fatigués de parcourir quatre ou cinq kilomètres pour se rendre dans les églises voisines, ces habitants viennent de prendre une résolution énergique.
- a Ils se sont cotisés et ont réuni les fonds nécessaires pour acheter un drap de mort, l’emplacement d’un cimetière et faire entretenir leur église.
- « Hommes, femmes, enfants célébreront eux-mêmes leurs pratiques religieuses.
- « Ils ont déjà enterré un des leurs, et ils sont parfaitement déterminés à se passer dorénavant de toute intervention des prêtres.
- « Ils font eux-mêmes la besogne du curé. »
- SCANDINAVIE
- M. Frédéric Bajer, membre du Parlement Danois a fait, le mois dernier, un voyage en Suède dans le but de donner des conférences sur l’arbitrage international et sur la neûtralisa-t tion de la Scandinavie. Partout, il a rencontré de chauds partisans de ses idées.
- Le même M. Bajer a demandé au Parlement danois la nomination d’une commission législative chargée d’étudier un projet de traité entre les trois royaumes Scandinaves : Suède, Norwège et Danemarck, en vue d’établir le principe de l’arbitrage, comme base permanente de solution de tout différend qni pourrait s’élever entre les trois Etats susdits.
- (The arbitrator)
- p.103 - vue 106/838
-
-
-
- 104
- LE DEVOIR
- APHORISMES & PRÉCEPTES SOCIAUX
- LXXXXIX.
- La guerre et la misère
- Avec ce que les gouvernements dépensent en frais de guerre, on pourrait établir l’aisance le luxe, la prospérité sur toute la terre ; on pourrait faire disparaître la misère et toutes lesprivations ; on pourrait permettre au peuple, bon logement, bon vêtement, abondante nourriture et travail assuré.
- ENQUÊTE AUX ETATS-UNIS SUR LES
- RAPPORTS DU TRAVAIL ET DU CAPITALO)
- II
- Déposition du révérend R. Héber Newton,New
- York City.
- Vos questions sont des plus graves, il faudrait faire un volume pour y répondre,je vais néanmoins tâcher de les traiter sommairement.
- 1° — Théoriquement,je répondrais : Non les grèves et les fermetures d'atelier ne sont pas un trait nécessaire du système des salaires, on les trouvera certainement inutiles à un moment donné ; mais, pratiquement, je ne vois pas,comment,aujourd’hui, elles pourraient être évitées.
- Aussi longtemps que le capital et le travail maintiendront leur attitude antagoniste ; ils seront prêts à recourir l’un contre l’autre aux grèves ou aux fermetures d’atelier.
- 2° — De même que les nations, en raison des charges et des maux que la guerre leur inflige,sont de plus en plus disposées à recourir à l’arbitrage pour régler leurs différends, ainsi les patrons et ouvriers peuvent régler amiablement les difficultés qui les divisent, s'il se trouve entre eux assez de sentiment de justice et de cordialité.
- 3° — La répartition actuelle des richesses étant inique, cela seul est un argument en faveur de la possibilité de trouver une base équitable de répartition des profits.
- La découverte de cette base est nécessaire, si l’on veut élever la masse des hommes à un niveau social supérieur.Elle est indispensable,si qous voulons éviter la révolution sanglante et l’anarchie.
- 4* — Je crois que le remède est dans l’associa-
- Lire le « Devoir » du 7 Février.
- tion du travail et du capital, mais formuler les justes règles de répartition des bénéfices entre eux me semble très-difficile, si ce n’est impossible.
- Une fois établi le principe du droit du travail à une part des bénéfices qu’il crée conjointement avec le capital, ce principe donnera ses fr uits, suivra son développement logique, et le système actuel du salariat évoluera de lui-même vers un système plus perfectionné.
- 5° — L’étude que j’ai faite des diverses tentatives de production coopérative auxÊtats-Unis me porte à croire qu’il faut, pour le bon fonctionnement de telles entreprises,une instruction supérieure à celle du commun des ouvriers ; et que si l’on veut embrasser des opérations étendues il faut s’adjoindre, en les payant leur prix, les capacités voulues pour la direction du travail.
- ¥ *
- Déposition du professeur S. Waterhouse de l’Université de Washington, à St-Louis.
- Votre enquête touche à de formidables questions. Le réglement équitable des rapports entre le capital et le travail est un problème dont la solution exige la plus profonde méditation des hommes d’Etat et des Economistes politiques.
- 1° — La solution des différends entre patrons et ouvriers par le moyen des grèves est un rude et coûteux procédé.
- On a constaté que les pertes totales infligées à la Grande-Bretage depuis 1870, par les violentes interruptions de l’industrie productive, dépassent 200,000,000 de dollars 1 (un milliard de francs.)
- Toute grande nation industrielle perd annuellement des millions par suite des malentendus qui s’élèvent entre ouvriers et patrons.
- La perte de richesse entraînée par la guerre entre le capital et le travail est presque égale au ravage causé par une guerre avec l’étranger.
- Les besoins des classes ouvrières et le bien-être de la société requièrent d’une façon absolue des mesures préventives de celte énorme perte. La solution des conflits d’intérêts entre patrons et ouvriers est la tâche difficile sur laquelle portent aujourd’hui l’attention des penseurs pratiques.
- 2° à 5° — L’histoire des dissentiments internationaux porte à croire qu’il est possible de résoudre pacifiquement les dissentiments industriels.
- Dans les âges primitifs, le recours & la guerre était le seul mode de régler les disputes royales. A travers le lent développement des siècles, l’humanité plus éclairée a, graduellement, introduit dans
- p.104 - vue 107/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 105
- les rapports entre nations, des modes plus raisonnables de résoudre les discussions, et maintenant nos gouvernants, instruits par les douleurs et les misères de la guerre, ont appris à soumettre leurs réclamations au mode pacifique de l’arbitrage.
- Si les discordes de gouvernements antagonistes, envenimées par la jalousie et les torts mutuels, peuvent être résolues amiablement ; assurément, les simples contestations d’affaires entre membres d’une même société doivent être susceptibles d’un arrangement pacifique.
- Il est improbable que les grèves ni les guerres soient tout d’un coup et pour toujours prévenues p.ar quelque mesure humaine, mais leur fréquence peut être notablement réduite par le progrès de l’intelligence des races civilisées, et par une conception plus claire des droits de l’être humain.
- La coopération nous semble devoir être le plus effectif moyen d’assurer l’harmonie entre le capital et le travail.Mais de graves obstacles contrecarrent son adoption.
- La direction prospère d’une grande industrie exige une habileté d’ordre élevé. Mais un homme capable, peut être disposé à s’exercer pour son propre compte, et ne pas consentir à partager avec autrui les fruits de sa propre sagacité.
- D’un autre côté,confier à des hommes incapables la direction d’un vaste établissement, c’est courir à la ruine d’une façon certaine.
- Donc, si des sentiments élevés de philanthropie n’amènent pas les directeurs compétents à sacrifier au bien public une partie des profits que leur habileté leur permet d’acquérir, les associations coopératives auront à lutter sur le marché ayant à leur tête des directeurs de capacités secondaires. ’ Cette situation est une source de faiblesse et de danger.
- Mais il arrive souvent que des hommes incapables de conduire de grandes affaires peuvent suffire pour en diriger de petites d’une façon avantageuse ; l’histoire des organisations coopératives montre que les petites sociétés ont été uniformément prospères.
- L’agrégation de ces petites sociétés fournit un total imposant.
- L’année dernière les ventes des magasins coopératifs de l’Angleterre se sont élevées à 125.000.000 de dollars, (625.000.000 de francs.) Les sociétés coopératives anglaises comptent aujourd’hui plus de 650.000 membres.
- La France et l’Allemagse viennent ensuite, sou?
- le rapport du nombre et de la prospérité de ces sociétés.
- Dans les États-Unis de telles expériences ont été rarement tentées et plus rarement prospères. Elles ont généralement péché par le manque de direction compétente.
- Les hommes ont besoin tout d’abord d’être formés par l’instruction pour accomplir les réformes industrielles.
- La compréhension des plus simples vérités en économie politique dissiperait l’hostilité absurde qui existe présentement entre le capital et le travail, et enseignerait au patron comme à l’ouvrier l’important précepte que leurs intérêts supérieurs à l’un et à l’autre dépendent précisément du juste respect des droits de chacun.
- Quand les deux parties percevront distinctement qu’elles ne peuvent,d’une façon permanente, prospérer sur les ruines l’une de l’autre et que les ac Us d’injustice retombent inévitablement sur leur auteur, alors les patrons seront tout disposés à faire part de leurs bénéfices au personnel qui les aide à les acquérir, et les ouvriers consentiront à soumettre leurs réclamations au réglement pacifique et peu coûteux de l’arbitrage.
- Le mémorable exemple de Leclaire à Paris est pour nous une utile leçon. Après avoir payé à ses ouvriers leurs salaires journaliers il leur répartit à la fin de l’année un certain tant pour cent des bénéfices,proportionnellement à leur habileté technique et à la longueur de leurs services. Pas même le travail d’une seule journée dans le cours d’un an n’était négligé dans la récompense finale allouée au travail.
- L’effet de eette organisation sur les ouvriers fut immédiat et frappant. Une confiance implicite succéda au mécontentement latent.Quand les hommes virent qu’ils étaient appelés à participer à la prospérité du patron, ils devinrent attentifs, soigneux, vigilants dans leurs travaux et soucieux des intérêts de leur chef.
- Les mêmes qui, autrefois, privés de toute espérance de voir améliorer leur sort vivaient dansl’in-souciance et l’imprévoyance, apercevant une chance d’améliorer leur situation, devinrent respectueux d’eux-mêmes et économes de leurs gains.
- La valeur d’un tel système sur l’éducation, l’économie domestique et le bien-être des classes laborieuses est incalculable. C’est un bonheur pour une nation quand toutes les forces de sa vie industrielle tendent à l’amélioration de la société.
- p.105 - vue 108/838
-
-
-
- 106
- LE DEVOIR
- Il y a donc trois agents dont l’action commune pourrait beaucoup faire pour écarter les maux des conflits actuels entre le capital et le travail :
- A — L’arbitrage qui règle par la raison les discussions entre patrons et ouvriers, et prévient les ruines et les scènes de violence qui accompagnent les grèves et les fermetures d'atelier;
- B — La coopération de consommation qui diminue pour les ouvriers le coût de l’existence et leur facilite l’amélioration de leur condition sociale ;
- G — La coopération de production qui donne à l’ouvrier en sus du salaire une part définie sur les bénéfices, proportionnellement a sa capacité et à la durée de son travail, système qui, basé sur la juste reconnaissance du droit, inspire aux ouvriers une plus grande fidélité dans l’accomplissement de leurs devoirs, un intérêt plus direct dans la prospérité de l’industrie à laquelle ils concourent, en même temps qu’il leur donne un plus sérieux espoir d’élévation sociale.
- Assurément, le nombre des chefs d’industrie qui recourerontà ces moyens de solution des difficultés entre le capital et le travail ira croissant chaque jour. Mais les capitalistes se montreraient-ils sourds aux réclamations de lajustice et de l’humanité que le nouveau système s’introduirait quand même par la force croissante de l’opinion populaire.
- La volonté publique est une des plus puissantes forces sociales. D’une marche sûre et irrésistible, elle modifie les mœurs, les lois, les institutions politiques,-et dès que sa voix éclairée réclamera des réformes industrielles, les propositions faites par elle seront accomplies.
- * *
- Déposition de M. Howard Crosby D. D. chancelier de l’université de New York City.
- 1° — Oui, (es grèves et les fermetures d’atelier sont engendrées par le système actuel du salariat.
- 2° — Les conflits entre le capital et le travail peuvent être résolus par l’arbitrage, mais la coopération me paraît plus efficace.
- 3,4, 5°— La coopération répond victorieusement par l’affirmative sur ces trois points : Elle permet la répartition équitable des bénéfices ; elle respecte le droitde chacun des agents producteurs; elle peut être réalisée aux Etats-Unis comme partout.
- Actuellement, l’ouvrier n’est un peu maître de lui-même que dans les petits ateliers.
- Là, seulement, il fait payer son travail le prix qu’il juge convenable. C’est dans les grandes ma-
- nufactures, dans les entreprises de chemins de fer, etc, que l'ouvrier est tyrannisé.
- Dans ces vastes établissements la participation aux bénéfices devrait être imposée par la loi ; nul ouvrier ne devrait pouvoir être congédié sans motifs reconnus valables par un tribunal ; ou s’il était renvoyé ainsi, il devrait recevoir six mois de salaires à titre d’indemnité.
- Le renvoi sommaire de centaines de travailleurs dès que les dividendes baissent un peu est un outrage à l’humanité.
- A suivre.
- EXTINCTION DE LA DETTE
- Nous succombons sous le poids de plus de vingt milliards de dettes.
- Nous payons tous les ans — et sans voir le fardeau diminuer — plus d’un milliard de rente.
- Ce qui signifie que dans vingt ans nous auront payé vingt milliards, et que nous devrons eneore vingt milliards.
- Si nous ne liquidons pas cette situation, c’est la banqueroute fatale, après une période de gêne d’abord, de détresse ensuite.
- La gêne a commencé, attendrons-nous la détresse, attendrons-nous la banqueroute ?
- Ceux qui désirent cette solution n’ont qu’à laisser aller, cela ira vite.
- Les autres doivent chercher un moyen.
- J’indique le mien.
- Il y a dans les trois milliards de notre budget annuel, deux parties bien distinctes que les régimes passés et notre pseudo-république, ont eu intérêt à confondre ; mais que nous avons, nous, intérêt à séparer.
- D’une part, deux milliards, qui sont la rémunération des senices publics, et qui doivent être payés par l’impôt annuel, puisque celui-ci constitue le prix de ces services.
- D’autre part, un milliard à payer à titre de rente.
- A qui faut-il demander ce milliard ?
- A ceux qui le doivent. J’ai l’air de dire une Lapalissade ; mais qu’on veuille continuer, et l’on verra qu’elle n’est pas si naïve.
- Et quels sont ceux qui doivent ce milliard ?
- Je dis que ce ne sont pas les contribuables, que ce n’est pas l’impôt normal, demandé à tous les biens, meubles et immeubles, pour les garanties et avantages que leur offre l’institution de l’Etat.
- A quoi ont servi les vingt milliards dont s’est grevée la France ?
- A garantir et à avantager le passé.
- Ces vingt milliards, qu’on s’est procurés en engageant la
- p.106 - vue 109/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- signature des générations futures, ont été incorporés à l’ensemble des propriétés qui se constituaient alors, petites ou grandes.
- Ils ont été employés en dépenses de défense nationale de guerre, et alors ils ont prémuni les terres, les maisons, les usines, capitaux particuliers, en proportion du capital socia^ engagé.
- Ils ont été employés, à faire, soit des routes, soit des canaux, soit des chemins de fer ; — et alors toutes ces terres, ces maisons, ces usines, situées à proximité de ces routes, de ces canaux et de ces chemins de 1er, ont acquis une plus value considérable, en proportion du capital social engagé.
- Aujourd’hui, il s’agit de liquider les charges, d’établir les comptes.
- Qui doit dès lors payer les vingt milliards ? Est-ce le produit industriel qui va sortir demain des efforts du travailleur? Est-ce le blé qui poussera l’année qui va venir? Du tout. Ce produit, ce blé n’ont rien accaparé du capital en question. Us n’existent pas encore, comment pourraient-ils être débiteurs ?
- Ce qui doit ces vingt milliards, ce sont ces terres, ces maisons, ces usines qui en ont profité, qui ont été garanties? dans lesquelles ces milliards se sont, répétons-le, incorporés.
- Nous disons au passé : Ces capitaux privés se sont accrus, ils ont prétendu le faire à nos dépens, nous n’acceptons pas cette situation. Pourquoi n’ont-ils pas eux-mêmes servi de gage à la dette qu’ils contractaient ?
- Ce que — malhonnêtement — ils n’ont pas fait, le temps est tenu de le faire.
- Qu’ils gagent la liquidation, comme ils auraient dû gager l’emprunt.
- Veulent-ils mettre vingt, trente ans à s’acquitter de leur dette ?
- Qu’à la mort des détenteurs actuels de ces capitaux privés, on prélève sur ces capitaux la somme nécessaire à former l’unité, capable d’éteindre en vingt, vingt-cinq ou trente ans — affaire de convenance — la dette improprement appelée publique ; et qu’on n’oblige plus le travailleur à prélever sur son travail, qui ne doit rien, qui n’a rien reçu, de quoi servir soit l’intérêt, soit l’annuité de cette dette du passé.
- Que le mort paie pour le mort.
- Ernest Lesigne.
- République Radicale
- .------------------- » ♦ » ----------------------
- AVIS A NOS LECTEURS
- Les articles publiés dans le Devoir sur le droit d’hérédité nationale sont édités sous forme d’Etudes sociales portant les titres et numéros suivants :
- N° 4 — L’hérédité de l’Etat ou la réforme de l’Impôt.
- N° 6 — Ni impôts ni emprunts
- " 107
- l’hérédité de l’Etat dans les successions base des ressources publiques.
- N° 7 — Travail et consommation par l’hérédité nationale.
- Les études numéros 4 et 6 ont été envoyées à tous les députés et à tous les sénateurs.
- Nous tenons ces études et celle numéro 7 à la disposition de nos lecteurs, au prix de 25 centimes le numéro ; la série des trois Etudes à 50 ceniimes.
- LÀ VRAIE QUESTION
- Après Decazeville, Saint-Quentin; après Saint-Quentin, Londres. Du Nord au Midi, à l’étranger comme en France, peuvent se constater périodiquement les symptômes du mal terrible dont souffrent nos sociétés modernes.
- Partout se pose le problème de la faim.
- En France particulièrement, on s’étonne plus que partout ailleurs de ces révélations d’un état de misère, pareequenous sommes dans le pays de la grande Révolution, qui avait promis au monde un accroisement de justice sociale.
- C’est le non-achèvement de la Révolution française qui est en réalité la cause principale de tous nos maux.
- Tandis que la Révolution avait inscrit sur son drapeau: « Egalité, Protection des faibles. Progrès par la Liberté», l’organisation économique moderne repose sur ce principe : « Assurer le bien-être et l’accroisement du bien-être à ceux qui le possèdent déjà; maintenir les misérables dans la misère. »
- Parmi les mini ' r:1! actuels, plusieurs auraient été bien surpris, si on leur avait dit, il y a quelques années : Vous serez ministres un jour, vous assisterez à des grèves, à des révoltes de la faim, et vous ne trouverez pas d’autre remède que la répression par la force qui ne prouve rien; et vous serez, comme nos prédécesseurs, les alliés des riches contre les exploités, des monopoles contre les victimes des monopoles.
- Faut-il en faire personnellement un grief à tel ou tel de nos ministres ? Faut-il crier à la lâcheté ou à la trahison? Nous croyons que ce serait profondément injuste. Tous sont le jouet de la même illusion ; tous sont victimes de la même fatalité.
- Us veulent certainement la prolongation de la République ; mais ils veulent aussi que la République continue d’être le gouvernement impitoyable contre les petits, servile vis-à-vis des puissants.
- D’autre part, les hommes qui ont à cœur l’amélioration de l’état social actuel nous paraissent en général prendre pour y arriver les plus déplorables moyens. Transporter tout sur le terrain des luttes politiques ardentes, c’est la manière la plus immanquable de faire le jeu delà contre-révolution.
- Ni d’un côté, ni de l’autre, on ne se décide à aborder franchement la vraie question. Et cependant, c’est seulement lorsqu’on s’y décidera que le peuple de France pourra commencer à croire à l’avènement de la République.
- p.107 - vue 110/838
-
-
-
- 408
- LE DEVOIR
- Les journaux du département de l’Aisne viennent de publier le rapport suivant. Nous considérons ce fait comme une preuve des bonnes intentions des républicains de notre département ; notre plus grand désir est de les voir persévérer dans la ligne de conduite tracée par la société de Guise.
- SOCIÉTÉ D’ÉDUCATION CIVIOLE
- ET DE
- PROPAGANDE RÉPUBLICAINE
- DE GUISE
- RAPPORT DE LA COMMISSION D’ÉTUDES Citoyens,
- Dès la formation de notre société, vous avez demandé à vos commissions de vous communiquer comment elles comprenaient leur fonctionnement.
- Il était facile à la commission d’études de trouver son orientation, grâce à la clarté de nos statuts qui plaçent au premier rang de nos préoccupations l’amélioration du sort des classes laborieuses.
- La sécurité des travailleurs, en effet, est plus qu’une condition nécessaire de la conservation du gouvernement républicain ; on ne peut en différer l’organisation sous peine de hâter la décadence nationale qu’accusent déjà de nombreux symptômes.
- Les vagues déclamations sur l’amélioration du sort des classes laborieuses ontfait leur temps. Il ne s’agit plus de traiter la question dans ses grandes lignes ; il convient d’en déterminer les données pratiques et d’en définir les premières expérimentations.
- Votre commission pense que ses premiers travaux doivent être spécialement consacrés à l’étude des sujets se rattachant aux propositions contenues dans le 4e paragraphe de l’article 2 sur l’assurance sociale.
- La commission d’études s’est surtout préoccupée de la position de la question, car, en toutes choses, la méthode a une importance qu’il ne faut pas méconnaître.
- La nécessité de l’amélioration du sort des classes laborieuses n’étant contestée par aucun de nous, il nous incombe d’inventorier les besoins réels, de rechercher si cette amélioration dépend de l’initiative des travailleurs, de savoir si le salarié trouve dans les contrats possibles entre patrons et ouvriers toute la sécurité à laquelle il a droit.
- Toute réponse affirmative à ce dernier terme de la question suppose qu’on est capable d’établir comment doivent s’y prendre les travailleurs pour atteindre ce but.
- Si, au contraire, on est porté à croire que le salarié n’a pas dans le salaire tous les éléments de l’amélioration désirable, qu’il est indispensable de provoquer l’intervention sociale pour suppléer cette impuissance, il est non moins pressant de faire comprendre par tous cette situation.
- Votre commission, aujourd’hui, n’a pas vou lu recherche si l’une de ces tendances est plus vraie que l’autre, si elles sont exclusives l’une de l’autre, ou bien s’il est possible de les concilier et d’obtenir de cette alliance les résultats désirés. Notre but est d’appeler votre attention sur la question capitale de notre programme, afin de la poser avec précision et de nous efforcer de la résoudre selon les nécessités du progrès social.
- Si vos intentions sont conformes aux vues de la commission nos premiers travaux tendront à élucider les points suivants :
- Quels sont les besoins urgents des travailleurs; le travailleur peut-il les satisfaire avec le produit de son salaire ; la société peut-elle se passer de la généralisation du bien-être parmi les classes laborieuses ?
- D après le dernier terme de cette question, vous devez apprécier que votre commission ne s’inspire pas d’une vulgaire philantropie ou de ces sentiments étroits qui poussent certaines personnalités à examiner les choses d’après les avantages ou les inconvénients qui en proviennent au profit ou au détriment de groupes partiels plus ou moins nombreux ; c’est au point de vue de l’ordre général, de l’intérêt de tous, que nous vous proposons de considérer les questions soumises à notre examen.
- Lorsque nous aurons développé et précisé ces premières interrogations, l’ét; de des moyens pratiques s’imposera.
- Nous ne devons pas le taire, nous prévoyons déjà de nombreuses difficultés dans cette partie de notre tâche ; nous aurons probablement quelque peine à nous procurer des statistiques suffisamment complètes pour nous permettre d’évaluer convenablement quelles dépenses annuelles occasionnera la satisfaction des besoins que nous aurons reconnus légitimes.
- Néanmoins, il n’est pas douteux que nos bonnes volontés parviendront à réunir assez de renseignements pour qu’il soit possible de concevoir des projets féconds en améliorations positives, et susceptibles des perfectionnements que nos études futures et une plus complète connaissance de la question nous feront désirer plus tard.
- Indépendamment des difficultés inhérentes à l’évaluation des charges matérielles, les institutions que nous poursuivons ne seront réalisables que d’autant que nous tiendrons suffisamment compte des individus, des intérêts et des groupements déjà constitués, soit qu’ils émanent de l’initiative privée, soit qu’ils dépendent de l’ordre politique ou administratif.
- En effet, il serait puéril de vouloir intrôniser dans un milieu social des institutions nouvelles, sans avoir préalablement essayé de prévoir quels seront les effets du contact de ces innovations avec les diverses actualités de ce milieu.
- La liberté des citoyens, l’indépendance des sociétés privées, l’action communale, départementale, nationale et tous les intérêts divers seront autant de causes de réussite ou d’échec, suivant que nos projets tiendront plus ou moins justement Compte de ces éléments avec lesquels ils devront s’harmoniser.
- Par cet énoncé succint, nous avons voulu vous mettre à même d’apprécier comment votre commission d’études comprenait son rôle, et savoir si elle était d’accord avec vous sur j’urgence d’examiner méthodiquement les réalités républicaines, sur la manière de les concevoir, et sur la nécessité d’en préparer laborieusement l’édification.
- En conformité de ces idées nous vous propesons d’établir
- p.108 - vue 111/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- M09
- comme suit la division de nos travaux immédiats.
- 1® Position de la. question : généralité sur les besoins et les droits primordiaux de la créature humaine ; considérations historiques, morales et politiques.
- 2° Projets et statistiques : Projets visant les charges et les ressources de l’assurance sociale; évaluation de ces ressources.
- 3° Fonctionnement : Projets d’organisation ; toutes études se rattachant à Porganisme administratif et à ses corrélations avec le milieu.
- Ces questions sont vastes et complexes ; elles dépasseraient nos forces si nous avions la prétention de les résoudre toutes du premier coup ; mais, parmi les œuvres justes, aucune n’est trop grande pour qu’il ne soit du devoir de tous les honnêtes gens de la eommencer et de lui apporter le concours de leur bonne volonté.
- La commission d’études a cru devoir se permettre une petite excursion dans le champ de la propagande, elle prie la commission spéciale de lui pardonner cette liberté, en considération des bonnes intentions qui l’ont guidée.
- Ces études, ce travail assidu que nous vous proposons, n’atteindraient pas le but que nous assigne notre titre de société d’éducation civique et de propagande républicaine, si nous ne nous ne nous préoccupions sérieusement de répandre et de vulgariser les enseignements qui se dégageront de nos études.
- Nous sommes certainement, par nos statuts, une école mutuelle ouverte à tous les citoyens de bonne volonté, qui, en présence du désarroi général, pensent qu’il est préférable de chercher, d’étudier et d’agir, au lieu de s’épuiser en stériles protestations ou énénervants gémissements sur la crise et les surprises d’une situation qu’on n’a su ni prévoir ni prévenir.
- L'indifférence générale est un sûr avertissement qu’il ne viendra pas spontanément à nous assez d’hommes de bonne volonté pour donner à notre action une impulsion proportionnée à l’urgence des réformes.
- C’est un devoir de nous occuper de répandre nos études, de communiquer aux autres par une vaillante propagande nos ardents désirs de pousser la République dans des voies démocratiques,
- Le public ne comprend pas assez l’imminence des grands périls que suscite l’absence de certaines améliorations.
- Partout on se plaint du malaise, et le malheur est que presque personne n’est pénétré de cette idée simple ; qu’il existe des remèdes, qu’il faut les chercher et les appliquer vigoureusement. Allons au devant de ceux qui hésitent à venir à nous.
- L’impression et la distribution de nos procès-verbaux peuvent activer ce réveil d’opinion, sans lequel la République restera stérile,
- Nous pouvons et nous devons organiser dans les communes de notre canton et dans tous les cantons voisins des réunions publiques, dans lesquelles nous inviterons les citoyens à venir féconder la République au soleil de la liberté.
- Rappelons-nous, citoyens, que, il y a quelques mois, beau-couq d’entre nous, inconnus les uns des autres, nous nous trouvions réunis dans une action commune énergique, rien que par le prestige du mot République.
- Alors, nous nous étions interdit de discuter les divergences que nous savions exister entre nous ; la défense du drapeau, pendant une courte période dont la durée était limitée à celle de la lutte électorale, était le but de notre rapprochement.
- Nous avons tous fait ce qu’il était de notre devoir et possible défaire.
- Mais n’oublions pas que la tactique nous a contraints pendant les élections à confondre l’idée républicaine avec le triomphe de certaines candidatures.
- Parmi ceux qui ne vont pas au fond des choses, et le nombre en est grand, beaucoup ont pu supposer, sous l’influence des suggestions de la réaction, que nous étions simplement coalisés avec des hommes, dont nous attendions des faveurs.
- Evitons de rester dans l’inaction jusqu’à ce que les circonstances uous créent de nouveau l’obligation de faire campagne en même temps pour la République et pour des candidats.
- La République n’est pas moins contestée, la réaction n’est devenue ni plus faible, ni moins active ni plus honnête. Nos efforts incessants ont toutes raisons de se manifester.
- Maintenant débarrassés des candidatures, nous serons plus aptes et plus virils pour la défense de l’idée.
- La confusion dont nous venons de parler, regrettable pouf notre cause et pour nos personnes, ne sera plus possible.
- Nous aurons tout à gagner par cette simplification.
- Ne laissons pas prendre aux mandataires plus d’importance que comporte le principe démocratique.
- N’avons-nous pas déjà prouvé, par la fondation de notre société, combien l’idée prenait de force après la disparition des rersonnalités.
- Lorsque les candidats étaient en jeu, nous avons à peine cherché la communauté de vues, nous avons fait notie union par la renonciation, par l’abnégation, presque par la négation ; bous n’avions qu’un mot d’ordre : République et candidats sortants, une idée vague et la fragilité humaine.
- A ussitôt l’élection faite, le mot seul Répubique ne pouvait maintenir notre union. Celle-ci n’a pu se perpétuer que par un pas vers l’idée; nous avons pris, comme but de notre activité pour sauvegarder et consolider notre union, une partie l’as-suirance sociale de ce grand tout, la République ; à une atfirmation d’un mot vague, nous avons ajouté une idée potdtive.
- Il nous incombe maintenant de provoquer de la part des électeurs le même avancement.
- Cette tâche est facile ; elle est même prépaiée et rendue nécessaire par la tactique que nous avons observée pendant la période électorale.
- Pour rester fidèle au pacte d’abnégation qui avait fait notre union, chacun de nous, même les plus ardents, autant par respect de la parole donnée, autant par considération des besoins de la cause, s’est efforcé de ne pas sortir des affirmations générales,au point d’avoir mérité d’être accusé,auprès de ceux qui ne tiennent pas compte des circonstances exceptionnelles, d’avoir manqué de précision.
- Nous allons alors par les villes et les villages disant que la République était le gage de la sécurité des classes laborieuses, qu’elle était la sauvegarde de la liberté ; nous vantions sa fécondité, sans jamais énumérer positivement les bienfaits précis que devaient recueillir les travailleurs. Nous ne pour-
- p.109 - vue 112/838
-
-
-
- 110
- LE DEVOIR
- vions faire d’avantage pratiquement, si Ton prend en considération les courts délais d’une période électorale.
- Maintenant nous avons le devoir impérieux d’aller vers ceux qui nous ont aidé à sauver ce merveilleux instrument de progrès social, la République, et de leur indiquer quels services il faut en attendre de leur apprendre comment on peut le faire fonctionner.
- L’ordre républicain est le plus puissant générateur du bien être général dans une nation où chacun lui apporte son concours.
- Si nous ne donnons pas l’exemple, nous aurons la responsabilité des catastrophes qui se préparent sous l’indifférence publique, car nous avons prouvé qu’à certaines heures nous étions capables de fomenter la vie publique dans notre canton.
- La France a besoin d’un grand exemple de vitalité politique. Pourquoi, citoyens, ne tenterions-nous pas un viril effort dans le canton de Guise, qui, à tant de titres, est digne d’être le point de départ d’un tel élan.
- Il semble même que le passé et le présent de la ville de Guise désignent cette localité pour une entreprise aussi patriotique.
- Le réveil de l’opinion publique est l’acte le plus patriotique du moment.
- Donnons en le signal.
- Nous serons entendus des populations républicaines, si nous savons rester unis et militants, sous la rigoureuse observation des suggestions que fait naître notre titre de société d’éducation civique et de propagande républicaine.
- Le rapporteur,
- S. DEYNAUD.
- -------------------- . « ♦ » .-----------------------
- Adhésions anx principes d’arbitrage et de désarmement européen.
- Lozère. Commune de Marvéjols. — MM. Par-doux Jules, conducteur des Ponts-et-Chaussées.
- Bardon Paul;— Chauvet Claude;— Fournier Jean-Baptiste; — Masson Philippe; — Vicariot Antoine ;— Villaret Adrien,conseillers municipaux.
- Richard Jean-Jules, secrétaire de la mairie.
- Aile Auguste ;—Audeffrain ; —Barrellet Auguste ;
- — Caiserque Emile;— Cazeneuve Jean ; — Cheminât;— Delages Georges ;— Fournier Léon ; — Gi-raudel Prosper ; — Jourdon Paul ; — Kerbrat Stanislas ;— Lasserre Martin ;— Laverrière Antoine ;
- — Léris ;— Pauguinot Eugène ;— Pellier Paul ; — Pin Camille ; — Talon Paul, Conducteurs et Employés des Ponts-et-Chaussées.
- Auriant, adjudant des sapeurs-pompiers; — Barateau,charcutier; — Cabane Basile, serrurier,
- — Charbonnel, négociant ; — Monestier Henri, Instituteur adjoint ;— Polverel Victorien, tailleur ;
- — Saby Guillaume, — Villaret Antoine, entrepreneurs.
- Commune de la Canourgue. — Privât Félix, maire et notaire.
- Puy-de-Dôme. Commune de Domaize.— Mory Timoléon ;— Dessite Michel ;— Gourcy Benoît ;— Faure Jacques Régis, conseillers municipaux ; — Four Annet, maire ;— Gardel Antoine ; — Mercier Benoit; — FayetMichel ;— Chabrolhe Claude; — Guîmoya Etienne, conseillers municipaux ; — Roffet Jean;— Orliau Jean-Baptiste, instituteurs ;
- — Desite Jean ; — Gourcy Annet, aubergistes ; — Chigros André ; — Barland Antoine ; — Dessite Mathieu ;— Gourcy Michel ; — Terrolle Annet, cultivateurs ;—Gardel Joseph, sabotier; — Terrolle Jean-Baptiste ; — Gardel Claude, cultivateurs ;— Gourcy Jean ;— Cros Jean, forgerons ; — Gaudron Mathias ;— Laroche François ;— Dissard Antoine;
- — Caillet Jean ;— Mourlevat G. ;— Blanc Antoine;
- — Besse Benoit, cultivateurs ; — Artaud Jean ; — Tournebize Antoine, sabotiers;— Mianat Antoine;
- — Desite Jean-Baptiste ; — Dessite Guillaume, cultivateurs ; — Boissier Jean, galocher ; — Du-phaut Mary;— Dessite Etienne;— Pradel Joseph ;
- — Mye Joseph Giraud Joseph ; — Boy Jean ; — Boissier Antoine,cultivateurs;—Archimbaud Jean ;
- — Mye Anne*, journaliers ; — 1 averroux Michel, tailleur ;— Artaud Benoit ; — Sauzède Jean, sabotiers ;— Houtin Jules, tailleur de pierres; — Barland Claude, garde-champêtre; — Desséte Jean-Benoît, meunier; — Pradel Benoît, cultivateur; — Giraud J.-B. ; — Dissard Jean, cultivateurs à Oha-brolhes ;— Manat Jean-Marie, cultivateur au Rou-chat; — Pireyre Annet, cultivateur à Laroche ; — Bosmet J.-B., maçon;— Pradel Antoine, carrier à Puissochet ; - Gourcy Antoine, cultivateur à Vacher ;— Pilleyre Annet,cultivateur à la Bouchie ; — Pointu André, cultivateur à Langlade ; — Sauron Louis, journalier à Forest; — Gaudon Jean, cultivateur à Chez Poulon ;— Sauron François, cultivateur au Cheix; — Costelhes Annet, cultivateur à Peyraud ;— Besse Odilon ; — Dessite Annet,cultivateurs à Terrolle.
- Commune de St-Genès-VEnfant.— Debas Pierre, meunier ;— Retail-Levadoux, propriétaire.
- Commune de St-Ours. — Javion Félix, cantonnier.
- Commune de Volvic. — Marmoiton François, plâtrier-peintre ;— Rougiar-Laurent Priest, représentant de commerce ; — Legay Amable ; — Made-bène-Devoux ; — Domas François ; — Brunier-Favard;— Desfarge-Juquetannet ; — Lesme-Com-pain Michel, tailleurs de pierres; —Morge Claude, maître charron;— Leyris-Morget,maître maréchal-ferrant ; — Aubignat François, maitre maçon ; — Paleix Claude;— Pailloux Amable, tailleurs de pierres;— Dosmas Jean ;— Champelloux Amblard, maitres carriers ,— Garret-Pranal, cultivateur ; — Relier-Channeboux,sculpteur ;— Croslier Bonnet;
- — Champelboux François ; — Machebœuf Raymond, tailleurs de pierres ;— Crosmarie-Déat, tailleur de pierres à Crouzol.
- p.110 - vue 113/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 111
- MAITRE PIERRE
- Par* Edmond ABOUT ( Suite )
- XII
- PROPOS DE BUVEURS.
- « Monsieur maître Pierre ! cria-t-il à son rival, fai été bien flatté d’apprendre de votre bouche que vous étiez plus riche que moi, et que mes héritiers dans cinq ou six cents aus iraient mendier à la porte des vôtres. Mais pourquoi ne vous contentez-vous pas d’enrichir cette dynastie de petits Pierrots ? Est-il absolument nécessaire que vous vous fassiez le domestique de tout le monde ?
- — C’est mon idée, monsieur Tomery. Si mon tempérament me porte à faire le bien, j’espère qu’on n’y trouvera pas à redire.
- — C’est selon. On se plaint de vos bontés, et tout le pays vous accuse de servir les gens malgré eux.
- — Et quand je leur ferais un peu de violence pour les arracher à la misère et à la mort !
- — C’est un cas prévu par la langue française. Lorsque cette violence s’exerce dans les petites choses, on l’appelle importunité ; quand elle s’applique aux grands intérêts d’un peuple, elle prend le nom de tyrannie. Si, à l’heure où je cours à mes plaisirs, un philanthrope de votre école m’arrêtait par le pied pour me cirer mes bottes je lui allongerai un coup de poing en guise de remercî-ment. Quand Robespierre s’avisa de retourner s? patrie comme un vieil habit, sous prétexte qu’elle serait plus belle à l’envers, on s’empressa de lui couper la tête, et ce fut toute la récompense qu’il obtint. La France est gouvernée par des lois, et non par le premier amateur qui se sent pris par la fantaisie du bien public. Vous persécutez les conseils municipaux pour qu’ils vendent malgré eux les landes communales !
- — Oui-dà ! Et je ferais afficher la vente dès aujourd’hui si j’étais le maître.
- —- Le maître, c’est-à-dire la loi, a peut-être un moyen d’assainir les communes sans les dépouiller préalablement.
- — J’entends répondit-il en souriant ; vous parlez du décret de 1810. C’est une bonne loi, et je ne suis pas assez ingrat pour en dire du mal. Du temps que les dunes marchaient sur la France pour l’enterrer, Napoléon a décidé qu’on y planterait des arbres. Les dunes appartenaient à l’État ; il les a plantées, c’était son droit : charbonnier est maître en sa maison. Le décret ajoutait même, article 5, que, s’il ne rencontrait quelque dune appartenant à un particulier où à un village, et si ledit particulier ou le village refusait de mettre une bride à
- sa montagne, l’administration des ponts-et-chaussées ferait l’affaire d’office et se paierait en coupes de bois jusqu’à remboursement de ses dépenses. Rien de plus juste. L’opération s’est exécutée en quatre temps, suivant la méthode de l’Empire= Maintenant, vous voulez qu’on traite les landes comme des dunes, et qu’on applique l’article 5 de la loi de 1810 à tuus nos biens communaux?
- — Et pourquoi pas?
- — Je vais vous le dire, monsieur Tomery. Vous avez tout le bien que la vente des communaux a produit dans Bulos. Supposez qu’au lieu de vendre 400 hectares nous ayons livré tout notre communal au gouvernement pour être trairés à la mode de 1810. D’abord l’État nous aurait assainis tout doucement, à son aise, attendu qu’il n’est jamais pressé. Est-ce vrai ?
- — J’en conviens.
- — Ensuite, le drainage, le défrichement, les semis auraient coûté environ deux fois plus cher, attendu que l’Etat est grand seigneur et qu’il ne liarde pas comme les particuliers.
- — D’accord.
- Il est convenu que l’État nous rendra le communal lorsqu’il se sera remboursé de tous ses frais. Mais l’État qui paie deux fuis plus cher que vous ou moi, vend deux fois meilleur marché.
- — Passe encore.
- — Or, si un particulier qui est pressé de jouir de son argent, qui achète le travail à bon compte, qui vend les produits à bon prix, emploie dix ou douze ans à rat-trapper l’argent qu’il a perdu dans sa4 lande, on peut prédire que l’État mettra quatre fois plus de temps à rentrer dans ses frais.
- — Soit.
- — Donc, monsieur Tomery, si, au lieu de vendre un cinquième de nos communaux, ce qui nous a enrichis tout de suite, nous avions soumis le patrimoine de Bulos au décret de 1810, nous aurions été quarante ou cinquante ans sans le moindre communal, et nous aurions dépouillé deux générations, sous prétexte de ne dépouiller personne.
- — Mais cinquante ans !
- — Dans cinquante ans qu’est-ce que l’État nous aurait rendu ? du bois. L’État n’entreprend pas toutes sortes de cultures. Il ne sème pas de blé et il ne récolte pas de salades. Tous les terrains qu’il cultive, il les met en bois. C’est l’administration des ponts et chaussées qui les plante, c’est l’administration des eaux et forêts qui les coupe ; les ingénieurs sèment, les forestiers récoltent, mais de semé et de récolté il n’y a jamais que du bois. On trouve pourtant chez nous des terrains où l’on pourrait mettre autre chose. Je sais tel communal qui nro-
- p.111 - vue 114/838
-
-
-
- 112
- LE DEVOIR
- duirait du blé, et tel autre qui ne rechignerait pas à la à la luzerne. Faudra-t-il bon gré, malgré, y mettre du bois ? et après les belles espérances que nous avons eues, deviendrons-nous des hommes des bois.
- « Dans le courant de l'année 1854, j’ai décidé les conseils municipaux à vendre 4120 hectares de landes communales. La plus grande partie a été semée en pins, comme si l’Etat avait fait l’affaire ; cependant il y a sur le total 192 hectares qui produisent autre chose que du bois. Ils appartiennent à des paysans qui les ont achetés par petites parcelles pour y faire venir du fourrage et du grain. J’assiste à tous les défrichements pour dire à chaque propriétaire : Sème de l’orge ; ou : Essaye un peu de trèfle ; ou bien ta lande n’est pas fameuse, mon garçon ; plante du bois !
- — On vous le brûlera, votre bois ! interrompit M. Darde, qui avait accroché en passant les derniers mots de maître Pierre.
- — Faites excuse, monsieur Darde, répondit-il sans se retourner. On ne me brûlera jamais rien. Qui est-ce qui se permettrait de mettre le feu à mon ouvrage ?
- — Qui ? Les bergers, parbleu ! dont vous supprimez l’industrie ; les nomades sans feu ni lieu, qui ne se font pas scrupule d’allumer cinquante hectares pour se chauffer les mains.
- — D’abord, répliqua maître Pierre, dans toutes les plantations que j’ai faites, je vous défie de brûler plus d’un hectare d’un coup. Vous croyez peut-être que le pin, sous prétexte qu’il est résineux doit flamber comme une allumette ! Sachez que l’arbre vivant charborme et ne s’allume pas. L’incendie rase le sol, à travers les branches et les bruyères, lorsqu’il rencontre un fossé il s’arrête court. Or, en creusant un fossé autour de chaque hectare, je trace une limite à tous les incendies à venir. D’ailleurs nos bergers ne sont pas si méchants qu’on le dit : s’ils brûlent un bouquet de bois de temps à autre, c’est par maladresse. On a bientôt fait d’accuser les gens ; il faudrait voir à prouver ce qu’on avance. Je connais mon peuple et j’en réponds ; la race landaise est bonne et nullement malfaisante. »
- M. Tomery regarda sournoisement maître Pierre et lui dit : « Est-ce donc par maladresse qu’on a brûlé la forêt de Maleyre ? »
- Maître Pierre et Marinette rougirent en même temps comme si le sang qui lui colora leurs joues était venu du même cœur. Ce n’était pas la première fois que le roi des landes s’entendait accuser d’incendie ; sa jeunesse avait si bon dos qu’on lui prêtait aisément tous les crimes. Moi-même j’avais ouï dire deux jours auparavant qu’il avait brûlé une forêt dans le voisinage de Dax.
- Il tint quelquetemps la tète baissée, mais il se releva
- fièrement et répondit avec l’orgueil d’une confession sincère :
- « Non, monsieur, ce n’est pas la maladresse qui a brûlé la forêt de Maleyre, mais ce n’est pas non jlus la malveillance ou la jalousie. Je veux bien vous conter cette histoire-là et endosser la part de blâme qui me revient.
- — Pierre ! cria le garde champêtre d’une voix étouffée. »
- Le maire, qui commençait à dodeliner de la tète, se releva en sursaut et balbutia entre ses dents : « Au nom de la loi ! tu dis des bêtises !
- — En ce temps-là, poursuivit maître Pierre, la loi était bien malade et nous autres bien ignorants. C’était en 1848, j’avais neuf ans de moins qu’aujourd’hui. Pendant les journées de juin, à la faveur du tapage qui se faisait dans les villes, un particulier de Maleyre, dans les grandes Landes, s’appropria la forêt communale. Je ne sais pas comment l’enchère s’est faite, mais il se rendit acquéreur d’un bois magnifique au prix de cinquante francs l’hectare. Cinquante francs un bois tout venu, quand la lande rase en valait cent ! La nouvelle se répandit en trois jours dans les deux départements ; c’était juste â l’époque où nous prêchions partout la vente des communaux. On vint me conter la chose ici même ; je défrichais une lande avec le père Pavard. Mille pioches ! le sang me monta à la figure, si épais que j’en devins bleu. Je sentis que deux ventes à ce prix-là indisposeraient tous les gens de bien, roidiraient tous les conseils municipaux, ruineraient mon projét, et feraient retomber le pays dans la routine. Je voulais prendre la diligence de Paris et dénoncer les voleurs"au gouvernement ; mais le gouvernement avait bien autre chose à faire, et moi aussi ; j’avais plus de cinq cents hectares en voie d’assainissement. Je pleurais des larmes comme des noisettes, et je vous réponds que si une vente notariée pouvait se casser d’un coup de pioche, j’aurais eu bientôt fait de rendre la forêt de Maleyre à ses maîtres légitimes. Je me calmai comme je pus, et pourtant je n’avais pas de sagesse à revendre.
- A suivre.
- État civil du Familistère
- Semaine du 1 au 7 février 1886
- Naissance :
- Le 1er février de Braillon Louise, fille de Braillon Adolphe et de Gauthier Louise.
- Le Directeur Gérant : GODIN
- euise. — lmp. Barà.
- p.112 - vue 115/838
-
-
-
- 10e Année, Tome 10.— N° 389 Le numéro hebdomadaire 20 c. Dimanche 21 Février 1886
- DEVOIR
- REVUE DES QUESTIONS SOCIALES
- BUREAU
- a GUISE (Aisne)
- Toutes les communications et réclamations doivent être adressées à M. GODIN, Directeur-Gérant Fondateur du Familistère
- ABONNEMENTS PAYABLES D’AVANCE par l’envoi, soit au bureau de Guise, soità celui de Paris, de timbres-poste ou de mandats de poste, dont le talon sert de quittance.
- France
- Un an ... 10 fr. »»
- Six mois. . . 6 »»
- Trois mois.
- Union postale Un an. . . . llfr.it» Autres pays
- Un an. . . . J3fr. 60
- ON S’ABONNE
- A PARIS
- 5, rue Neuve-des-Petits-Champs Passage des Deux-Pavillons
- S’adresser à M. LETMARIE administrateur delà Librairie des sciences psychologiques.
- SOMMAIRE
- Le besoin de vivre le travail et la propriété. — Le milliard des enrichis. — Les franchises communales.— Le suffrage universel. — Enquête aux Etats-Unis sur les rapports du travail et du capital.— La question sociale à la Chambre. — La question sociale et les possibilités socialistes. — Une journée instructive. — Les troubles en Angleterre.— Inquisitions d’autrefois et d’aujourd’hui.— Maître Pierre.
- LE BESOIN DE VIVRE LE TRAVAIL ET LA PROPRIÉTÉ!])
- 12me Article
- Rien n’est plus nécessaire que de découvrir par quels moyens les sociétés humaines pourront s’organiser, de manière à ne plus laisser une partie de leurs membres dans la pauvreté et la misère ; comment elles assureront à chacun les moyens de vivre et de se livrer à un travail productif donnant toutes les ressources sociales nécessaires pour réparer l’iniquité de la misère et garantir les moyens d’existence à tous les citoyens.
- Evidemment, pour atteindre ce perfectionnement social, il faut introduire des modifications dans l’ordre de choses existant; il faut que le régime de la propriété soit transformé et que les produits du travail, les revenus de la richesse et les
- (I) Lire le « Devoir » des 8, 15, 22, 29 Novembre; 13, 20, 27 Décembre 1885: 10,17,24 et 31 Janvier 1886.
- ressources naturelles donnent à tous les membres du corps social les moyens de vivre.
- Gela est possible surtout aujourd’hui que la science et l'industrie ont décuplé les moyens de production. Ce qui est à faire maintenant, c’est de régulariser la création des richesses et d’en organiser avec équité et justice la répartition.
- Le problème social n’est difficile qu’à cause de l’indifférence des classes dirigeantes à l’égard des souffrances du peuple ; car les nations civilisées possèdent aujourd'hui tous les éléments et les ressources propres à inaugurer les réformes sociales capables de pacifier le monde.
- Si les gouvernements le voulaient sincèrement, rien ne s’opposerait à ce que tous les citoyens eussent leur place au soleil,au sein de l’abondance par le travail et la paix. Mais il faudrait vouloir pour pouvoir ; il faudrait introduire la justice et l'équité dans la répartition des richesses produites ; il faudrait cesser la concurrence dans le pillage et l’accaparement de la richesse,et, s’inspirant d’idées tout opposées, se mettre à l’œuvre pour que chacun trouvât dans la richesse produite l’équivalence de son droit naturel, c’est-à-dire sa part sociale, plus une participation aux bénéfices proportionnelle aux services qu’iJ aurait rendus.
- Or, le problème se pose de la façon suivante :
- Il y a dans la société actuelle des personnes qui n’ont rien de ce qui est nécessaire à la vie, qui souffrent de la faim et de la misère, et celles-là, chose étrange, sont surtout parmi les travailleurs qui produisent la richesse ou qui ont beaucoup travaillé à la nrodnire.
- p.113 - vue 116/838
-
-
-
- 114
- LE DEVOIR
- A côté de ces travailleurs dépouillés de toutes ressources, il y a dans la société actuelle d’autres personnes qui possèdent des richesses à n’en savoir que faire, et qui sont réellement embarassées de la conservation et du placement de ces richesses.
- Il est de principe que la société doit exister pour la protection et la conservation de ses membres ; autrement, elle n’aurait d’autre raison d’être que la force, mais le droit de la force n’est autre chose que la pratique de l’injustice et de l’iniquité.
- Or, la loi dont j’invoque, au contraire, la mise en pratique, c’est la loi de justice, c’e t la loi sociale de l’amour de nos semblables. Et c’est au nom de la loi du bien de la vie humaine que je dis :
- Il n’y a pas deux manières de résoudre le problème social, il n’y en a qu’une. Du moment où l’on veut sincèrement porter remède à la misère du peuple, on ne peut le faire qu’en lui donnant dans la richesse acquise une part suffisante pour lui permettre de vivre honnêtement; il faut donc, pour accorder le nécessaire à la pauvreté, qu’on le prélève sur le superflu de la richesse. La question ne laisse aucun doute ; la société ne pourra éteindre la pauvreté que par un emploi plus judicieux de la richesse. Ce n’est donc pas sur le fait en lui-même qu’il y a lieu de discuter. La question à résoudre consiste dans les moyens et les procédés à employer pour obtenir la quantité de richesse nécessaire à l’extinction’du paupérisme.
- Il est élémentaire que pour avoir la somme de richesse capable de donner au peuple les garanties dues au droit de vivre, il n’y a pas d’autre moyen que de la prélever sur la richesse elle-même.
- C’est en ceci que les procédés peuvent être forts différends et plus ou moins judicieux, rationnels et pratiques.
- Par exemple, certains socialistes admettant que le droit au sol où à la terre est un droit primordial proposent la dépossession des propriétaires, leur projet ayant surtout pour but la socialisation des propriététés immobilières.
- Cette idée fort complexe et fort confuse ne serait praticable, (si elle peut l’être,) que par des moyens révolutionnaires. Jamais, les classes dirigeantes ne consentiront à se déposséder. On ne peut même envisager sans effroi la période de malheurs qu’il faudrait traverser avant d’arriver par de tels procédés à l’inauguration d’un ordre nouveau. Mais il n’y a pas que cet inconvénient. Le fait tout aussi gr -ve de ce point de vue plus ou moins idéal de la
- socialisation du soi et des immeubles, c’est qu’il laisserait encore longtemps la misère sans remède et qu’il pourrait même causer son aggravation.
- Depuis plusieurs années, je fais des efforts pour attirer l’attention des socialistes et des classes dirigeantes sur deux propositions connexes : l’hérédité de l’Etat et l’organisation de la mutualité nationale.
- Cette double proposition,plus rationnelle et plus simple que toutes les idées émises jusqu’ici, serait immédiatement réalisable, si une somme de bonne J volonté suffisante se produisait dans les grands pouvoirs de l’Êtat. Cette mesure aurait le mérite d’éteindre,tout à la fois,les revendications violentes en germe dans le présent et celles que l’avenir nous réserve du côté des classes ouvrières, parce qu’elle procurerait la richesse nécessaire pour donner à ces classes les garanties dont elles ont besoin.
- L’hérédité nationale de l’Etat, dont j’ai justifié le principe et le droit, donnerait immédiatement les ressources voulues pour procurer aux classes ouvrières la sécurité de l’existence, en venant comme appoint fondamental à l’organisation d’un système de mutualité et d’assurance générale auquel contribueraient tous les citoyens en possibilité de le faire.
- Cette assurance mutuelle nationale, instituée sous les auspices de la loi, aurait donc pour premier objet de garantir tous les citoyens contre la misère ; mais ce ne serait là que le prélude des avantages qu’il y aurait lieu d’en attendre ; elle ouvrirait la voie pratique de solution des graves questions politiques et sociales de notre temps ; Elle mettrait le budget de l’Etat en équilibre ;
- Elle permettrait l’amortissement de la dette nationale ;
- Elle faciliterait le dégrèvement des impôts qui affectent la consommation des classes laborieuses ;
- Elle ouvrirait un nouveau champ de travail en rendant le sol, l’industrie et les instruments de la production accessibles à tous les citoyens;
- Elle favoriserait l’association des travailleurs ; Elle ouvrirait l’ère de la liberté à l’initiative individuelle.
- Car,la propriété et la richesse ne resteraient plus à 1 état de monopole entre les mains de quelques familles, puisque les richesses de toute nature feraient retour à la nation pour une forte partie au décès des citoyens, et que les grandes fortunes, surtout, qui ont accaparé la richesse nationale seraient celles qui auraient le plus à rendre à l’Etat,
- p.114 - vue 117/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 115
- au décès de leurs détenteurs. Ce droit d’hérédité s'exerçant toujours au profit de la nation, le §ort du peuple en serait vite amélioré et les grands monopoles de la propriété et de la richesse cesseraient d’être un danger, puisqu'ils rentreraient perpétuellement en la possession de la nation pour créer au profit du peuple des institutions nouvelles et des avantages nouveaux.
- Les esprits bornés, qui ne peuvent voir que les faits immédiats, regimbent et regimberont contre l’idée de cette réforme pacifique, mais à ceux-là il n’y a qu’une réponse à faire : Il faut choisir de deux choses l’une :
- Faire décider paries grands pouvoirs publics que, sans rien demander aux citoyens de leur vivant, l’Etat, à partir de maintenant, héritera au décès des individus d’une part de biens suffisante pour subvenir aux charges publiques, envuededon-ner satisfaction aux droits et aux intérêts légitimes du peuple ;
- Ou attendre qu’il soit trop tard en laissant aux privilégiés de la fortune la liberté d’exploiter le travail et d’accaparer tou'e la richesse, et en continuant à pressurer le peuple par les impôts, à le condamner à la misère jusqu’au jour des revendications violentes et de la révolution sociale.
- Alors, le peuple instruit de ses droits composera l’armée ; la force publique pourra, à un moment donné, être du côté des oubliés du travail,des déshérités de la fortune, et la révolution violente s’accomplira avec tout son cortège de douleurs, au lieu d’avoir été prévenue par des réformes pacifiques et bienfaisantes.
- Oui, les préjugés et disons le fanatisme de la richesse sont là pour faire obstacle à toute réforme nécessaire.
- Notre éducation nous a inspiré le désir insatiable de l’épargne individuelle, jusqu’à l’excès et jusqu’à tous les abus.
- Nous voulons acquérir, nous voulons nous enrichir, nousvoulons thésauriser par tousles moyens. Toutes les manœuvres de la convoitise entrent dans nos mœurs ; la concussion et la prévarication sont le couronnement de l’exploitation, de l’accaparement et de la spéculation; elles font partie de la pratique des gens dits honorables ; tout consiste à faire adroitement les choses, à élever l’art de la dissimulation au niveau des circonstances; avec cela, on est un homme habile si l’on a su s’enrichir et conquérir les honneurs.
- Mais, quant au sentiment du respect du droit des
- autres, on s’en moque ; on cabale, on jLinl,n£ue
- n’pqj- Irt
- vertement pour le sacrifier ; c'est la lutte, guerre des intérêts, et chacun se croit en d’écraser les autres à la condition que cela luirap-' porte profit.
- C’est ainsi que chacun en agit dans les différentes sphères des intérêts sociaux ; c’est ainsi que les hommes d’État cherchent à se circonvenir les uns les autres ; c’est ainsi que les financiers et les capitalistes sont en lutte pour les affaires ; c’est ainsi que les propriétaires se disputent Taccaparement de la propriété; c’est ainsi que les industriels et les commerçants se livrent à une concurrence effrénée et dépréciative des produits et des salaires, pour amasser au plus vite une fortune ; c’est ainsi que tous s’entendent pour exploiter le travail et les travailleurs, et qu’au milieu de tous ces conflits la société ne présente que trouble et confusion.
- Mais, il n’y a pas que ces difficultés ; la masse des travailleurs elle-même, aujourd’hui clairvoyante sur les abus dont elle est victime, n’est pourtant pas à la hauteur des réformes qui pourraient porter remède aux abus. Le plus souvent, au contraire, elle y est hostile; rendue défiante par l’exploitation dont elle a toujours été victime, elle est en garde contre tout ce qui peut provenir des rangs de ceux qui, jusqu’ici,ont opprimé le labeur. Nulle entente, nul accord ne semble possible au milieu de ces tiraillements, si une action providentielle ne vient jeter sur le monde un souffle de justice.
- Du côté de la richesse, on se construit des maisons splendides, on porte attention jusqu’aux niches des chiens; le luxe des écuries dépasse toute mesure; on va jusqu'à réserver des propriétés considérables aux bêtes fauves ; mais pour les hommes, les femmes et les enfants du peuple, rien ! rien ! rien l Le sens moral est tellement perverti dans les nations que tout sentiment d’humanité en est banni.
- Est-il étonnant, avec ces dispositions égoïstes, de trouver dans les classes dirigeantes des résistances considérables à l’endroit des réformes qui les feraient changer de plateforme morale, et de constater chez les classes ouvrières une haine latente contre ces iniquités sociales, qui les aveugle et les empêche de voir d’autre remède aux abus que la violence.
- Est-il étonnant qu’avec de telles manières de voir on ne puisse se rendre compte des avantages immenses qui ressortiraient de l’application de
- p.115 - vue 118/838
-
-
-
- 116
- LE DEVOIR
- l’hérédité nationale pour la pacification sociale, par l’apaisement des misères et des souffrances que celles-ci engendrent.
- Non, ceux-là qui n’aspirent qu’à la jouissance personnelle, qu’à la possession de la richesse pour eux seuls, ne peuvent concevoir rien de commun avec les autres. Leur bonheur à eux, voilà le but de toutes leurs pensées, de tout leur savoir. La moindre modification dans le régime de la propriété les effraie ; ils en estiment jusqu’aux abus les plus évidents. Quant à ceux qui souffrent et qui ont pu être appelés à ouvrir les yeux à la lumière de la vérité, ils sont dans l’impuissance d’appliquer les remèdes entrevus. Cette situation mérite d'être méditée.
- A suivre.
- LE MILLIARD DES ENRICHIS
- La politicaillerie chôme aujourd’hui dimanche ; c’est le moment de faire un peu de politique, c’est-à-dire d’étudier quelque moyen de nous tirer du formidable pétrin, dans lequel nos honorables, mais imprudents et égoïstes ancêtres, nous ont fourrés, en reportant sur nous les charges qu ils auraient dû garder pour eux, puisqu’ils s’en adjugeaient les bénéfices.
- J’ai déjà indiqué comment, à mon sens, on devrait s’y prendre pour éviter la banqueroute qui menace, et se débarrasser de cette dette de 20 milliards que nous ont léguée les disparus et sous le fardeau de laquelle nous succombons.
- On m’a insinué que je n’avais peut-être pas été très clair. C’est que dans d’aussi profonds gouffres les choses ne sont pas aussi claires que dans les petits ruisseaux, promenant de la limpide eau de la plus pure roche.
- Si la dette était de 500 francs, et tout à fait d’ordre privé, peut-être s’entendrait-on mieux.
- Un brave homme de propriétaire a senti le besoin d’enclore son champ pour éviter les déprédations et s’offrir des espaliers ; il a emprunté 500 francs, qu’il a transformés en mur. Ce champ a donc acquis une plus-value.
- L’homme meurt sans avoir remboursé les 500 francs. Pour une cause quelconque, ce remboursement devient nécessaire. A qui va-t-on s’adresser ?
- Vous répondez de vous-même, â l’héritier qui, en même temps que du champ, a profité de cette plus-value créée par les dits 500 francs.
- C’est parler selon le sens commun ; mais voici que l’héritier répond :
- Ah ! oui, les 500 francs ; mais c’est très juste, monsieur le prêteur, vous devez être remboursé. Allez vite trouver le fils du maçon qui a bâti le mur ; il demeure tous prés, et vous remboursera sur le champ ou tout au moins vous paiera la rente.
- Il semble que le vocable de fumiste s’esquisse au bout de vos lèvres.
- C’est pourtant d’une fumisterie de ce genre que nous sommes h Intéressantes victimes.
- Les propriétaires, aujourd’hui disparus, ont enclos leurs terres et leurs immeubles divers de routes de petite et grande communication, de canaux d’irrigation et de transport, de chemins de ter etc. ; pour ce faire, ils ont emprunté un peu plus de 500 francs, et emprunté aussi pour soustraire ces terres et ces immeubles aux déprédations des indigènes ou de l’étranger.
- Qui a profité de la construction des chemins, canaux, voies ferrées ? Les terres et les immeubles, dont les communications sont devenues plus faciles, dont les produits se sont mieux distribués, et mieux vendus.
- En conséquences ces terres et ces immeubles ont vu leur valeur s’accroître d’autant, doubler, tripler, parfois décupler.
- Cette valeur ainsi doublée, triplée, décuplée est ensuite passée entre les mains de successeurs, qui s’en sont fait de grands revenus.
- Aujourd’hui l’on présente la note à payer. Et les propriétaires successeurs, ceux qui bénéficient de toutes ces améliorations, ceux qui, en somme, ont empoché les 20 milliards empruntés, les détenteurs actuels du fonds ainsi accru répondent tranquillement :
- Ah ! oui, les vingt milliards, nous connaissons cette affaire ; il faut payer en effet. Qu’on s’adresse aux fils de tous ces braves gens qui ont fait les chemins d’eau, de pierre et de fer. Ils paieront sinon le capital, n’en ayant pas eux-mêmes, du moins la rente à perpétuité.
- Voilà où nous en sommes. C’est sur le maigre salaire des travailleurs de tous ordres, sur le nécessaire des déshérités, que tous les ans un milliard est prélevé, parce qu’il a plu aux pères des héritiers d’arrondir leur pelote de 20 milliards.
- Et nous, bonnes bêtes à perpétuité, nous payons perpétuellement.
- Je demande la fin de cette immense fumisterie, et je propose ce moyen simple autant qu’il est équitable.
- Terres et immeubles, dis-je, c’est vous qui avez absorbé les vingt milliards en question, c’est donc vous qui devez les rendre.
- Vous valez, pour l’heure, environ deux cents milliards, vous en vaudrez encore cent quatre-vingt mais nous autres, travailleurs, nous aurons cessé d’ôter tous les ans un petit milliard de notre bouche, pour le sacrifier sur vos autels.
- J’entends bien, vos détenteurs trouvent si commode le régime actuel qu’ils demandent à n’en pas changer.
- Accordé. Vous voyez comme nous sommes de bonne composition.
- Que voulons-nous? Que ce soit la propriété qui rembourse ce que la propriété a dépensé.
- Nous lui accordons du temps, et nous n’exigeons rien de ceux qui vivent. Nous liquidons en douceur. Laissant tranquilles les vivants, qui n’ont pas créé la situation actuelle, nous faisons rembourser la dette des morts par les morts.
- Tous les ans, ceux qui s’en vont passent, à d’autres, environ un trente sixième de toute la propriété française.
- Halte-là, disons-nous, il est l’heure de liquider la dette Nous prélevons en conséquence sur ce trente-sixième de ce qui sera nécessaire à cette liquidation. Ce prélèvement annuel formera l’annuité qui dans trente-six an* aura éteint cette dette de 20 milliards, capital et intérêts compris.
- Dans trente-six ans ces intérêts et ce capital auront bien été versés par les morts.
- p.116 - vue 119/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 147
- Ils auront été demandés excl usivement aux terres et immeu bles qui les avaient absorbés.
- Les héritiers auront hérité de ce qui devait leur revenir, ni plus ni moins, comme il est juste.
- Ils n’auront rien eu à verser sur leur travail personnel.
- La France aura échappé à leur banqueroute, et nous, les travailleurs, nous aurons cessé dés demain, d’être livrés à la plus éhontée des exploitations d’être obligés de payer tous les ans le milliard des enrichis.
- Ernest Lesigne.
- République radicale,
- Les Franchises Communales.
- Sous ce titre, vient de paraître un nouvel organe hebdomadaire auquel nous souhaitons succès et durée.
- Cette publication se recommande par le nom de son rédacteur en chef Monsieur Auguste Desmoulins, conseiller municipal de Paris,secrétaire général de la Ligue internationale de la Paix :
- Voici un extrait de l’article programme :
- C’est dans le but de provoquer l’Union féconde des conseils élus que nous fondons les Franchises Communales.
- Les députés des divers départements siégeant à Paris seront les délégués naturels de leurs communes. Le corps électoral de la France entière se constituera ainsi de proche en proche, et la souveraineté du peuple restée jusqu’ici une formule vaine et mensongère deviendra une réalité,
- Des esprits timides et routiniers s’effraient d’une pareille généralisation du mouvement, de la vie. Ils se demandent s’il n’y a pas là un danger pour l’unité nationale.
- Nous répondons, nous, que la centralisation c’est peut-être l’unité, mais l’unité monarchique, l'unité à la façon d’un Louis XIV ou d’un Napoléon. Or, cette unité-là est si peu une force réelle, qu’elle n’a amené sur notre pays qu’abaissement et que désastres. La vraie force d’une nation n’est pas dans cette centralisation qui faisait dire à Maiie-Joseph Chénier :
- Aujourd’hui dans un homme un peuple est tout entier.
- Non ; elle est dans l’union active et spontanée de tous. Une République véritablement forte sera celle qui réalisera le mieux la belle formule de Pascal : «Centre partout, circonférence nulle part.»
- Demander des numéros spécimens à l’administration,10,rue Barbette,ou à la rédaction,37,rue Brochant.
- Le Suffrage universel.
- Dans les départements de l’Ardèche, de la Corse, des Landes et de la Lozère, les élections législatives rendues nécessaires par les invalidations ont toutes abouti à la nomination des candidats républicains.
- Les électeurs républicains de ces départements pour obtenir ce résultat n’ont eu qu’à se départir de la coupable indifférence qui avait favorisé les manœuvres réactionnaires au scrutin du 4 Octobre.
- Il est désirable que ces commencements d’organisation ne s’arrêtent pas là ; la surprise que viennent d’éviter les électeurs sera possible de nouveau, s’ils ne savent mettre à profit la leçon du 4 octobre ; ils sauvegarderomt l'avenir en développant le groupement occasionné par ces récentes élections.
- A
- * *
- L’Echo du Luberon, journal publié à Cavaillon, est partisan des élections partielles annuelles, mais il en comprend la pratique d’une manière que nous repoussons formellement.
- Notre confrère, après s’ètre déclaré pour l’acceptation du principe, s’exprime ainsi :
- « Le suffrage universel serait ainsi consulté chaque année dans le tiers des départements de France, et l’expression de sa volonté aurait pour résultat d’assurer graduellement et progressivement les transformations sans lesquelles on est fatalement conduit aux solutions violentes.
- « Croit-on, par exemple, qu’il soit bien avantageux pour la France d’avoir vu arriver 200 monarchistes à la Chambre à l’élection dernière ? Si une élection partielle en avait amené seulement une quarantaine de plus. Il y aurait eu là un enseignement, une indication, et on se serait arrêté en temps utile sur la pente funeste. Au lieu de cela, les fautes ont été accumulées de iS8l à 1885 ; le suffrage universel s’est vu condamné au silence ; et l’expiation est arrivée rude, dure et quelque peu menaçante pour la Bépublique. »
- Nous ne pensons pas que l’on doive consulter annuellement les électeurs dans un tiers des départements de la France. Nous réclamons la convocation annuelle de la totalité des électeurs, en les appelant à nommer chaque fois la moitié ou le tiers de leurs mandataires.De la sorte, on a l’avantage d’avoir une réelle manifestation de l’opinion publique, sans interrompre le fonctionnement des corps constitués et sans être exposé à confier, tout d’un coup, à un trop grand nombre de citoyens inexpérimentés la gestion des affaires nationales. Mais l’élection par région telle que la comprend notre confrère, serait la disparition des élections générales ; ce serait la substitution des régions, des provinces, à la nation. Ce change-gement aurait à la longue une fatale influ ence sur l’unité française.
- ENQUÊTE AUX ETATS-UNIS SUR LES RAPPORTS DU TRAVAIL ET DU CAPITALE III
- Déposition de l’honorable W. H Cole membre du Congrès du troisième district de Maryland.
- 4° — Les grèves et les fermetures d’atelier seront nécessaires aussi longtemps que la résolution de réduire les salaires des travailleurs au plus bas prix possible existera dans ce pays.
- (1) Lire le Devoir des 7 et 14 février 4886.
- p.117 - vue 120/838
-
-
-
- 118
- LE DEVOIR
- Les salaires sont grandement dépréciés, et je le regrette vivement, vu la souffrance et la misère qui en résultent parmi les gens dignes et méritants, les infirmes et les abandonnés.
- 2° — L’arbitrage peut être un moyen d’accord entre le travail et le capital, certainement il serait préférable au régime des grèves et des fermetures d’atelier avec leur suite ordinaire de souffrance et de misère.
- Quand des ouvriers sont résolus à s’opposer par la grève à une diminution de salaire qui leur semble inacceptable, peut-être serait-il sage de leur part, avant de commencer la grève,de rédiger leurs réclamations et de les soumettre au jugement du plus prochain tribunal. Celui-ci notifierait aux patrons les demandes des ouvriers et provoquerait une prompte réponse.
- 3° — Je crois que la première condition pour établir un mode équitable de répartition des bénéfices de l’industrie, est d’écarter absolument le système actuel. Car,aujourd’hui, letmt et les efforts des puissantes corporations de notre pays est d’obtenir la plus grande somme possible de travail au meilleur marché possible.
- 4°, 5° — Quant à l’efficacité et à la praticabilité du régime de l’association, j’aurais besoin de me former une opinion par l’étude des faits. Je ne puis donc me prononcer aujourd’hui. Ce qui me paraît évident, c’est que, depuis un quart de siècle, toutes les lois votées aux Etats-Unis, aussi bien celles faites par les communes que celles faites par les Etats et par la Nation, onttoutes été favorables aux monopoles et contraires aux intérêts des classes laborieuses.
- Changez cet état de choses. Votez des lois protectrices des droits du travail, et les maux sur lesquels vous provoquez enquête seront amoindris.
- De tous côtés l’injustice est exercée à l’égard du travail; faites que justice lui soit rendue. Garantis-sez<lui une juste rémunération de son labeur et vous aurez la solution de toutes vos questions.
- *
- ♦ Ÿ
- Déposition de C. H. Spaulding, vice président et secrétaire de la compagnie des Forges Spaulding à Brilliant. O.
- \o — j^es grèves et les fermetures d’atelier dérivent d’un esprit d’avidité qui n’est pas le lot exclusif des patrons ; elles dérivent aussi de l’évaluation inexacte des bénéfices que valent au patron l’habileté et J’assiduité de l’ouvrier.
- 2° — Un arbitrage intelligent et désintéressé t
- pourrait beaucoup pour la solution de tels différends. Mais où prendre les arbitres ?
- Dans la grève des clouliers, il y a environ sept mois, où eut-on trouvé des personnes désintéressées, embrassant largement les choses, saisissant la question sous tous ses aspects, et rendant une juste décision ?
- 3° — Le plan de la participation aux bénéfices entraîne nécessairement la participation aux pertes lesquelles sont souvent considérables et dont l’ouvrier ne s’occupe jamais, à moins qu’il ne soit actionnaire dans l’entreprise.
- 4° — Les opérations industrielles et commerciales requièrent d’abord des capitaux et de la réputation. Si des travailleurs seuls, ou des travailleurs et des capitalistes combinés, ayant le capital et la réputation voulus, montent ensemble une affaire sur la base de la participation mutuelle, leur succès ou leur échec peut ensuite tenir à nombre de choses que votre questionnaire ne vise pas.
- 5° — La coopération productive n’est pas impossible aux Etats-Unis, mais son succès me parait problématique en raison de la déloyauté des hommes. Par étroitesse de jugement, par avidité, ils sont toujours prêts à nuire soit au capital soit au travail, pensant y trouver un avantage temporaire, au risqne de détruire tout lien utile.
- * *
- Déposition de M John Ehman, secrétaire de l’assemblée des industries die Ohio Valley.
- 1° — Assurément les grèves et les fermetures d’atelier sont le résultat du système des salaires tel qu’il est pratiqué aujourd’hui.
- Tant qu’on regardera le travail comme un simple instrument, suffisamment rémunéré avec les parcimonieux salaires résultat de l’offre et de la demande, les grèves et les fermetures d'atelier ne pourront être évitées.
- 2° — De faibles Unions de travailleurs ou des Capitalistes individuels redoutant les frais de grèves ou de fermetures d’atelier peuvent recourir à l’arbitrage pour résoudre leurs différends, mais là n’est pas la solution de la question.
- 3° — Le système actuel de l’industrie étant une honte pour le sens commun, il est évident qu’il est possible d’en découvrir un meilleur.
- Le premier pas dans cette voie est l’organisation desTrades-Unions. Partout où les Unions existent, les conditions du travail et les salaires s’améliorent ; elles ont, en outre, l’avantage d’habituer les classes
- p.118 - vue 121/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 149
- ouvrières à se gouverner pratiquement elles-mêmes, ce qui les rendra aptes plus tard à diriger aussi l’industrie.
- 4° — Le régime de la simple participation aux bénéfices serait un pas intermédiaire; il aurait son utilité, mais constituerait encore une sorte de monarchie industrielle limitée. Le capital aurait un certain droit de Veto qui ne tiendrait pas longtemps en face de travailleurs sérieux, énergiques et bien organisés. Ce système régulariserait la production et la consommation et atténuerait beaucoup les crises actuelles, s’il n’y mettait complètement fin.
- 5° — La coopération productive n’est pas possible aux Etats-Unis, telle qu’elle est aujourd’hui pratiquée par petits groupes d’hommes à peine reliés entre eux.
- De telles entreprises sont à la merci des fluctuations du marché commandées par les syndicats de capitalistes.
- La coopération productive ne sera possible chez nous que lorsque le marché des coopérateurs eux-mêmes lui sera ouvert. Quelques cordonniers, tailleurs, fermiers, etc... ne peuvent pas mutuellement faire échange de leurs produits ; mais des Unions de cordonniers, tailleurs, fermiers, etc, peuvent constituer une miniature de monde industriel dans lequel la consommation balancerait la production, indépendamment des circonstances extérieures.
- Les Unions doivent donc être fondées tout d’abord. Elles obligent au respect de l’humanité dans le travailleur. Viendra ensuite la participation du travailleur aux bénéfices de la production et, finalement, l’association de toutes les forces de production et de consommation avec des fonctionnaires exécutifs accomplissant les échanges simplifiés, essayés si aveuglement aujourd’hui par les capitalistes individuels.
- Messieurs Gaulbert Mc Fadden et Caskey, Fairhül Forge and Rolling Mill, à Philadelphie,se bornent à dire qu’ils répartissent chaque année une certaine somme entre leurs ouvriers, et que ceux-ci paraissent contents.
- Ces Messieurs ne doutent pas que tout irait bien si les autres manufacturiers en faisaient autant.
- ***
- M.B. C. Vose,Esq, trésorier de la compagnie des Forges de Bay State à Boston, déclare que si une commission d’arbitres pouvait être établie de
- façon à représenter loyalement les intérêts des deux parties en cause, travail et capital, et à pouvoir obliger les parties au respect de ses décisions, la plus forte part des maux du régime industriel contre lesquels on réclame serait évitée.
- * *
- Déposition de M. James K. Magie, ouvrier, à Chicago, III.
- Je suis convaincu qu’aucune de vos questions ne peut être bien résolue en dehors delà coopération du gouvernement.
- L’arbitrage et la participation aux bénéfices, tant que le système social et les intérêts resteront ce qu’ils sont, ne feront qu’engendrer aussi des conflits perpétuels.
- Ce n’est pas parce que les hommes sont pires qu’autrefois, que des difficultés s’élèvent. C’est parce que la civilisation a progressé et que les droits de l’être humain sont plus clairement perçus. Il fut un temps où la hideur de l’esclavage était à peine discernable, puis arriva le moment où ce mal ne pût être guéri que par l’égalité civile instituée par le gouvernement.
- Quand les dettes et rentes d’Etat, et les corporations financières seront abolies, et que le gouvernement remplacera les corporations, le travail recevra son dû ; non par consentement, privilège ni faveur dus à aucun homme, mais par une loi de production et de répartition aussi impartiale que la lumière solaire.
- La prudence conseille-d’éviter les brusques révolutions sociales, en conséquence les remèdes doivent être graduels. Je conseille, comme première mesure gouvernementale, l’extinction de toute dette, puis le rachat des chemins de fer et ainsi de suite.
- +**
- Déposition de M. Daniel M. C. Laughlin, Esq. Braidwood III Président de l’organisation protectrice des mineurs de l’Etat.
- Je réponds avec plaisir à vos questions, non comme théoricien, mais comme praticien ayant 50 ans d’expérience dans les mines de fer et de charbon d’Amérique et de Grande-Bretagne.
- i<> _ Oui, les grèves et les fermetures d’ateliers sont les fruits du système actuel et j’ai bien peur qu’elles continuent tant que l’homme sera considéré comme une marchandise soumise à l’achat et à la vente, comme toute denrée, sous la loi de l’offre et de la demande.
- p.119 - vue 122/838
-
-
-
- 120
- LE DEVOIR
- 2° — L’arbitrage ne serait pas une solution absolue des différends entre patrons et ouvriers. Mais un conseil d’arbitrage constitué d’hommes honnêtes et intelligents,ayant pouvoir d’examiner les livres de tout établissement où s’élèverait une difficulté, de se rendre compte si le capital réellement employé dans l’industrie (et en écartant rigoureusement les capitaux fictifs) reçoit létaux d’intérêt légal, et quel est le taux des bénéfices nets de l’établissement, et ayant pouvoir, en outre d’imposer ses décisions aux parties, préviendrait, selon moi, beaucoup de grandes grèves et fermetures d’atelier, assurerait au capital plus de sécurité et au travail une meilleure rémunération.
- 3° — Certainement,il est possible de réaliser un meilleur système que celui actuel de la répartition des bénéfices de la production.
- C’est là le grand espoir de tout ouvrier observateur et intelligent, le but et l’objet de nos Unions industrielles.
- 4a — La participation de l’ouvrier aux bénéfices, honnêtement appliquée, serait un des remèdes efficaces ; il améliorerait les rapports entre patrons et ouvriers, développerait entre eux l’esprit de concorde et assurerait au travailleur une plus forte part des fruits de la production.
- 5° — Oui la coopération productive est possible aux Etats-Unis,et elle est pratiquée déjà dans beaucoup de branches industrielles.
- Naturellement, ces premières tentatives sont faites sur une petite échelle, mais elles n’en prouvent pas moins la praticabilité du principe. Cependant, il faudra beaucoup d’années encore avant que la coopération véritable soit appliquée de façon à soulager réellement la grande armée des producteurs.
- Beaucoup d’obstacles se dressent dans la voie de la production coopérative. Premièrement, notre éducation et notre instruction ne sont pas, sous ce rapportée qu’elles devraient être ; d’où noire ignorance, nos préjugés et nos rivalités qui contrecarrent le mouvement. Secondement, les lois de nos pays, à très-peu d’exceptions près, ne sont pas favorables au fonctionnement de la véritable coopération. Troisièmement, les capitalistes qui placent des fonds dans les entreprises privées aussi bien, que ceux qui les mettent dans de grandes sociétés, voient de mauvais œil le développement de l’esprit coopératif parmi les masses, et s’y opposent par tous les moyens en leur pouvoir; c’est ce que l’expérience m’a prouvé en Grande-Bretagne et en Amérique.
- Néanmoins, je constate aujourd’hui un grand changement chez les citoyens bienveillants et intelligents de notre pays ; ils se rendent mieux compte de la vraie situation de l’ouvrier et de ses rapports avec l’état social.
- Gomme beaucoup d’autres, je me prends donc à espérer que le jour est proche où l’égoïsme ignorant et la convoitise humaine ne seront plus en mesure de s’opposer à tout progrès ayant pour but d’élever et d’améliorer la condition morale et sociale des classes laborieuses.Le travail est la pierre fondamentale de toute la grandeur de notre pays et le rempart de notre liberté nationale.
- {A suivre,)
- La question sociale à la Chambre.
- L’interpellation Basly, relative aux ouvriers mineurs de Decazeviile, est réellement l’introduction à la Chambre de la question sociale se présentant au Palais Bourbon avec une brutalité qu’expliquent le mauvais vouloir des classes diri -géantes et l’ignorance des exploités.
- Il convenait, dans cette interpellation, d’exposer la question sociale avec autant de prudence dans la forme que de fermeté dans le fond. M. Basly n’a su ou pu s’élever au niveau d’une pareille tâche, nous regrettons cette insuffisance.
- M. Basly a appelé un meurtre, un acte légitime. Aux protestations qu’a soulevée cette qualification, le député ouvrier a déclaré que, peu préparé à la vie parlementaire par dix-huit ans de pénibles labeurs dans le sous-sol, il n’avait jamais vu les compagnies hausser les salaires lorsque les bénéfices haussaient, et qu’il était révoltant de diminuer les moyens d’existence des travailleurs lorsqu’on respectait la ration des chevaux.
- Cette bruyante apparition de la question sociale à la Chambre est passée sans laisser aucune impression durable.
- Il ne pouvait en être autrement.
- La question sociale fera un pas vers son dénouement rationnel, lorsque les hommes instruits et les riches capitalistes apporteront au secours de l’ignorance ou de la misère ouvrière leur talent ou leur capital.
- Au Palais Bourbon, la question sociale a été mal posée, aucune des capacités n’est venue à l’appui de la rudesse ouvrière. La question sociale reste aussi entière, aussi intacte qu’elle l’était avant l’interpellation de M. Basly
- Peut-être, si l’on interprétait comme émanés de personnes conscientes les termes de l’ordre du jour proposé par un ingénieur des mines et accepté par le gouvernement, nous devrions dire que le mal social vient de s’aggraver encore ; car ii se trouve écrit dans cet ordre du jour que la Chambre confiante en l'énergie du gouvernement passe à l’ordre du jour.
- p.120 - vue 123/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 121
- Ce n’était pas la conclusion qui convenait à l’interpellation | de M. Basly. Autant que l’on trouvât exagéré son langage, on | devait voir au-dessus de ces paroles passagères la cause de la misère, et éviter tout ce qui pouvait être interprêté comme un abandon.
- Il y a l'énergie dans le bien, dans l’action positive, comme on la trouve dans l’application de la force. Mais peut-on interpréter l’ordre du jour selon le premier sens, lorsqu’on réfléchit que cette énergie était réclamée au moment où de nombreux déploiements de troupes surveillaient les grévistes de Saint-Quentin ?
- Nous souhaitons qu’à l’avenir nos députés se montrent moins soucieux de la forme et que, sans s’inquiéter outre mesure de la façon dont la question sociale sera présentée de nouveau à la Chambre, ils se pénétrent de sa justice et de sa gravité et s’empressent de préciser que le gouvernement doit entrer énergiquement dans l’application du ga^antisme social.
- LA QUESTION SOCIALE
- ET
- les possibilités socialistes.
- x
- LE BON SENS ET LE SOCIALISME
- Notre société considérée sous certains aspects présente l’antinomie suivante:
- D’un côté, une misère qui se traduit par 500000 inscriptions aux bureaux de bienfaisance et par un nombre supérieur de travailleurs trouvant à peine une existence misérable dans un travail incertain ;
- D’un autre côté, des tas énormes de matières premières sans destination, des usines immenses fermées, des machines puissantes inactives, de grands moyens de transport à peine utilisés ; en un mot tout ce qu'il faudrait pour multiplier la richesse au-delà des besoins des malheureux, si l’on consentait à mettre en contact las travailleurs sans ouvrage avec ces matières premières et ces outillages sans emploi.
- Voilà où nous a conduit l'organisation inaugurée après la révolution par les réactions qui ont successivement occupé le pouvoir ; résultats économiques qui ne diffèrent pas avec ceux obtenus par les nations qui ont continué leur évolution politique sous les lois de l’aristocratie et de la monarchie.
- Faisons un appel au bon sens.
- A moins que nous ayons perdu toute raison,
- il nous semble que le gros bon sens parlera comme suit :
- Il existe au sommet de la société un certain nombre de gens riches, très riches, doués de grands appétits, habitués à se passer toutes leurs fantaisies ; à côté de ces Gargantua sont de nombreux rentiers et des possesseurs de fortunes bien assisses, gens de goûts plus modestes, mais qui ne se refusent rien de ce qu’ils désirent ; au deuxième plan, se meuvent les travailleurs, patrons et ouvriers, dont les bénéfices et les salaires suivent des fluctuations surbordonnées aux besoins et aux fantaisies de l’aristocratie du capital ;
- Puisqu’il est constant que les prévilégiés de la fortune ont l’habitude de vivre à leur guise en tout temps, il faut admettre qu’aux époques de perturbations économiques ceux-ci trouvent tout ce qui convient à la satisfaction de leurs désirs, parmi les objets provenant des moyens de production en activité ; donc l'exploitation des matières premières sans destination, dans les usines fermées, par les ouvriers en chômages, au profit des malheureux, serait une chose théoriquement possible sans que l’on puisse prévoir quelque désagrément pour ceux qui vivent largement pendant la période d’inactivité de ces divers éléments de production ;
- Pourquoi ne trouve-t-on pas le moyen pratique de donner une solution à un problème qui se pose si simplement ?
- Ainsi raisonneidu ie vulgaire bon sens.
- Mais on le confond par une série de sophismes tirés du droit romain, du code Napoléon, de l’économie politique, et par toutes sortes de raisonnements émanés de gens qui, suivant les époques, ont accomodé Jupiter, Jéhova, la Libre-Pensée et le commun des mortels à toutes les sauces qu’ont commandé les possesseurs des privilèges politiques et économiques.
- | Le socialisme, préférant les inspirations du bon | sens aux suggestions des classiques, considère l’odre social présent comme un accident passager auquel la sociologie ne doit accorder plus d’importance qu’à toutes autres périodes de transition, durant lesquelles les pratiques nées de l’empirisme passé se choquent contre les éléments de l’avenir.
- Devant le socialisme, aucun des peuples civilisés n’a découvert et appliqué dans son organisme politique et économique le principe qui préside à l’évolution humaine ; même la France, fille de
- p.121 - vue 124/838
-
-
-
- 122
- LE DEVOIR
- 89, n’a pas fait un pas décisif vers la solution; si elle est plus avancée que les autres, c’est plutôt par la manière énergique dont elle a rompu avec le passé que par son avancement dans le progrès social.
- Ces doutes, dit-on sont audacieux etsubersifs.
- On préfère admettre que parmi les millards et demi de créatures humaines du globe terreste, il existe un groupe de 36,000,000 d’individus, un quarante cinquième des humains, en possession, depuis près d’un siècle, de la loi de l’évolution, sans que le rayonnement de cette vérité ait subjugué l’universalité des peuples cultivés.
- Cette opinion est en contra .iction avec l’attribut caractérisque de la vérité, de se répandre et de s’imposer dès qu’elle est suffisamment claire pour être accessible à la généralité d’un groupement d'hommes beaucoup moins nombreux que la population de notre pays.
- N’aurait-on d’autre critérium, il serait permis d’interpréter, comme une erreur, une donnée qui, acceptée par quelques millions d’hommes, serait repoussée par le reste des humains assez cultivés pour l’examiner.
- N’est ce pas ainsi que les choses se passent dans les connaissances qui ont un caractère de vérité assez prononcé pour être classées parmi les sciences?
- N’importe où se lève une vérité scientifique, on 1 a y oit bientôt se répandre souverainement dans tous les centres de civilisation.
- En sociologie, il existe aussi une loi vraie, rigoureuse, qui, suffisamment élaborée pour être comprise par un petit groupe d’hommes représentant la moyenne de l’intelligence humaine, aura la puissance d’extension et de domination qui est le propre de la science.
- A défaut decette précision dans la donnée sociale, rien n’autorise à penser que les sociétés se développent d’après des règles fixes dignes d’être indéfiniment observées.
- En présence de ce manque d’évidence, le socialisme, d’accord avec le bon sens, opine que le présent ressemble à tout le passé de l’humanité; en ce sens que les nations et les individus en sont encore à expérimenter empiriquement, révoiution-nairement, des formes diverses de groupements et d’institutions.
- Nos grands hommes et leurg devanciers ont toujours adopté la croyance opposée , malgré les enseignements de l’histoire et de l’obs.ervaliun.
- Histo. iquement, nous voyons se succéder des institutions aussi ipombrables que diverses; mais
- nous n’en trouvons aucune qui ne soit proclamée, à son tour, la meilleure et la plus parfaite des conceptions; toutes ont anathématisé leurs détracteurs et décrété des pénalités odieuses contre quiconque tenterait de les modifier.
- Actuellement, chacune des nationalités de l’univers, sans excepter la nôtre, affiche la. prétention d’avoir établi son mécanisme social d’après les lois de justice et de progrès.
- En France, une loi déclare traître à la nation et condamne aux dernières pénalités quiconque tentera de modifier le régime de la propriété qui a prévalu en 89. Cette loi, faite par des hommes de progrès en vue d’empêcher un retour offensif de la réaction, a été interprétée par les prétendus continuateurs de la révolution comme fixant la forme définitive de la propriété, hors laquelle il n’y a point de liberté, ou de salut. Les défenseurs de ces idées sont les mêmes qui rient des excommunications pontificales.
- En Angleterre, en Russie, en Allemagne, en Autriche, les majorats sont choses sacrées que protègent la potence et le peloton d’exécution. En Chine, le pal et l’écartèlement sont la sauvegarde d’institutions que nous appelons chinoiseries. Il n’est, jusqu’à la principauté de Monaco, aucune agglomération humaine qui se refuse la satisfaction de se considérer comme la plus sage et la plus digne d’être imitée.
- Le bon sens et le Socialisme condamnent ces outrecuidantes prétentions.
- La diversité des civilisations présentes et passées, leur impuissance à fonder une méthode de développement social susceptible de généralisation, —impuissance des uns attestée par leur disparition, impuissance des autres mise chaque jour en évidence par leur stationnement et leur incapacité d’assurer le fonctionnement de l’ordre—sont des indications certaines qu’aucune d’elles n’a observé les lois de l’évolution humaine.
- Certains législateurs, préoccupés de concilier la manière d’être des sociétés avec les attributs de divinités imaginaires, ne pouvaient aboutira des conceptions durables, puisque leurs spéculations reposaient sur des hypothèsesfantaisistes. D’autres, appelés à légiférer après de terribles secousses révolutionnaires, ont cru avoir fait œuvre définitive parce que leurs lois écartaient le retour du passé et donnaient toutes satisfactions désirées par les vainqueurs. Trop petit a été le nombre de ceux qui ont pensé qu’il était iationnel, avant de fonder une société, de prendre pour point de
- p.122 - vue 125/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 123
- départ la créature humaine et de se pénétrer de ses besoins pour proclamer juste, droit, tout ce qui facilite ia vie humaine, et pour déclarer mauvais et défendu tout ce qui la restreint.
- Cette impuissance relative des législateurs et des hommes ayant entrevu la nécessité d’organiser les sociétés, uniquement d’après les besoins de la vie humaine, s’explique parle fait qu’ils ont été appelés à l’exécution avant que ces principes aient acquis l’évidence qui convient à toute action scientifique.
- Les législateurs de la révolution de 89 ont inscrit en tête de 1a. constitution sociale le droit à la vie pour tous les citoyens ; ils avaient cerlainement conscience du principe de toute donnée de la saine sociologie. Pour faire œuvre solide et durable il fallait plus que ce vague sentiment, il aurait été nécessaire qu’on eut défini préalablement les conséquences les plus directes de ce principe; de manière à ne pas être exposé à préconiser et à appliquer des institutions en complète contradiction avec le droit à la vie, comme cela est arrivé dès que l’on a avancé dans l’organisation de l’ordre nouveau.
- Si l’on eût été guidé par une élaboration assez complète on n’eût jamaiscommis lesfautes qui nous ont conduit in ensiblement à une situation contraire aux inspirations du bon sens le plus élémentaire.
- Le Socialisme a pour unique raison d’être l’élaboration des principes affirmés dans la déclaration des droits de l’homme et la préparation d’institutions sociales, contenant la garantie effective du droit à la vie pour toutes les créatures humaines.
- Le Socialisme atteindra ce but en créant une politique dont la mission sera conforme à l’heureuse définition donnée parle fondateur du Familistère :
- Faire de Vexistence humaine le premier objet de l’attention sociale.
- Aimer vénérer, respecter, servir l’existence humaine ;
- La protéger au-dessus de toutes choses dans l’individu, dans la famille et dans la société.
- Une journée instructive.
- La misère ouvrière est générale ; partout elle fait surgir des désordres que l’on aurait tort de considérer comme de simples manifestations de desespérés. En Amérique, en Europe, chaque fois que la misère s’agite, elle trouve aussitôt des alliés dans les groupements révolutionnaires qui ne se cachent pas de vouloir tout renverser »
- jusqu'à ce que la société offre aux travailleurs une sécurité réelle. L’expansion générale du mouvement révolutionnaire, son développement régulier dans tous les pays où il a rencontré quelques adeptes militants sont des symptômes que ne devraient pas méconnaître les hommes soucieux du progrès. Ce n’est pas par la répression qu’il faut vouloir endiguer le mouvement révolutionnaire ; on ne le vaincra que par l’inauguration d’un garantisme progressif ; c’est la seule arme qui arrêtera le flot montant de la révolte. Mais il est à redouter que l’étroitesse des vues des modérés et des conservateurs, par une coupable persistance à repousser ces sages innovations, livre la civilisation aux entreprises violentes. Ce ne seront point les avertissements qui auront manqué. Il ne faut pas être doué d’une grande perspicacité pour pressentir le but vers lequel aboutira l’agitaLion de la misère, suscitée par le parti de la révolution et l’indifférence égoïste des dirigeants.
- En un seul jour, le 9 février, les journaux enregistraient les dépêches suivantes,qu’il est inutile de commenter tant elles sont significatives.
- Saint-Quentin 9 février
- A trois heures, nous apprenons que 100 ouvriers (sur 225) sont rentrés chez MM. Testant; tous les ouvriers grévistes des maisons Hamm, Siehel, Hamelle, Hugues Boca et Basquin ont repris le travail.
- Hier, à l’audience correctionnelle, deux des personnes arrêtées samedi ont été comdamnées : Dubois à un mois, Victor Fernand à huit jours.
- A l’heure où nous écrivons (3 h. 10) le bruit se répand en ville que plusieurs ouvriers de la fabrique Gabreau veulent empêcher les ouvriers Testart de travailler, parce qu’ils ont commencé la grève.
- Les dragons viennent de partir pour le faubourg d’Isle.
- Cher, 9 février.
- Le Patriote de la Nièvre annonce que les ouvriers pointiers de Vierzon-Fnrçres (Cher) viennent de se mettre en grève, et que la cause sciait une réduction de 90 0/0 qu’on voudrait mettre sur les salaires.
- Les grévistes se sont réunis et ont décidé d’adresser un appel à leurs camarades du pays tout entier pour obtenir leur concours et de prier les ouvriers pointiers qui auraient l’intention de venir travailler à Vierzon-Forges de renoncer à leui projf-t.
- Aucun désordre à signaler.
- Londres, 9 février.
- Aujourd’hui, à midi, l’aspect de Trafalgar-Square faisait craindre que la populace ne se livrât à de nouveaux excès.
- Plusieurs centaines d’hommes et de jeunes gens étaient groupés autour du piédestal de la statue de l’amiral Nelson, et leur nombre augmentait à chaque instant.
- Londres, 9 février, 4 h. 20 soir
- Les rassemblements augmentent toujours à Trafalgar-Square.
- Les magasins se ferment dans les rues voisines, dans la crainte de nouveaux troubles.
- Un grand nombre d’agents de police stationnent aux abords dn square.
- Londres, 9 février 5 h. soir.
- La police a obligé la populace à évacuer Trafalgar-Square. Elle fait circuler la foule aux abords du square. La police est maîtresse de la situation. Il n’y a plus rien à craindre dans ce quartier.
- New-Yok, 9 février.
- A Seattle, les désordres ont continué. Les émeutiers ayant
- p.123 - vue 126/838
-
-
-
- m
- LE DEVOIR
- refusé de se disperser,, les troupes ont chargé la foule. Un homme a été tué ; plusieurs ont été blessés.
- 195 Chinois ont quitté Seattle. Les habitations de ceux qui sont restés sont protégées par la troupe.
- On craint de nouveaux désordres.
- Bedford, 9 février.
- Les grévistes de la région houillère de la Pensylvanie ont attaqué, à Bedford, les mines de M. Henri Clay, où travaillaient quelques ouvriers.
- Ceux-ci ont été chassés des puits, plusieurs ouvriers ont été blessés et le contre-maître a été tué.
- Les grévistes ont ensuite mis le feu aux constructions, qui ont été en partie détruites.
- On redoute d’autres désordres dans la région.
- A côté de ces navrantes dépêches, rien qui nous apprenne qu’il existe quelque parti de l’ordre ayant proposé quelques moyens efficaces de calmer cette agitation autrement que par les gendarmes o i par la police. Dans les journaux les plus avancés, partout la même absence de préoccupations rationnelles. Noire presse républicaine n*a su tirer une conclusion plus audacieuse que d’inter-préL r cette constatation, dans tous les pays civilisés d’une égale misère, comme une pre uve que notre gouvernement n’est pas pire que les autres.
- Et cela suffit aux consciences de nos publicistes.
- Triste ! triste !
- LES TROUBLES EN ANGLETERRE
- A Londres, la journée d’hier a été calme ; il n’y a eu ni meetings, ni troubles. Un grand meeting à Hyde-Park est annoncé pour dimanche prochain.
- Par contre, en province, l’ordre a élé troublé à Birmingham, à Yarmouth et à Leicester.
- Birmingham, ainsi qu’il avait été annoncé, un grand meeting s’est réuni dans la matinée à Gosta-Green. L’assistance se composait, de huit mille personnes environ, moitié socialiste, moitié ouvriers sans travail. Les premiers orateurs qui prirent la parole furent écoutés avec calme ; mais, après un discours incendiaire d’un nommé Hopkins, la foule devint tumultueuse et se précipita en masse dans les principales rue de Birmingham.
- La police était sur ses gardes et un régiment de hussards était prêt à l’appuyer en cas de besoin. Une tentative de la foule de piller le marché central de Birmingham échoua grâce à l’énergie des autorités, et tous les dégâts se sont bornés à quelques vitres et à quelques provisions enlevées par les émeutiers et jetées dans les rues. La police a opéré quelques arrestations et, à trois heures de l’après-midi, l'ordre était complètement rétabli et la foule dispersée.
- A Yarmouth, des désordres ont été causés par quelques centaines d’ouvriers qui sont réunis près de la maison occupée par le surintendant des travaux municipaux. Ceux qui n’avaient pu obtenir de travail se formèrent en procession et marchèrent à travers les rues, insultant sur leur passage les agents de police et brisant les brouettes de la municipalité. Une intervention vigoureuse de la police dispera la foule.
- A Leicester, les cordonniers-grévistes, dont le nombre atteint déjà le chiffre de quatre mille, ont formé d-ms les rues de nombreux groupes qui manifestaient des intentions hostiles aux ouvriers des fabriques qui continuaient à travailler. Mais, devant l’attitude énergique de la police qui gardait en nombre
- ces fabriques, les grévistes ne se portèrent à aucun acte de violence.
- Les meneurs du parti socialiste à Londres, n’ayant pas reçu de réponse à la communication qu’ils avaient fait parvenir à M. Gladstone, après son refus de les recevoir personelle-ment, lui ont adressé la requête suivante :
- Westminster, 14 février.
- MM. Burns, Champion, Hyndman, Hunter, Watts et Williams, n’ayant pas reçu de réponse à la lettre qu’ils ont adressée vendredi au premier lord de la Trésorerie, joignent à la présente requête une série de propositions propres à combat tre la misère, propositions que depuis pius de deux ans la Fédération sociale démocrate a formulées.
- Aujourd’hui cette détresse, grande alors, est devenue plus près ante encore et ne peut plus être méconnue.
- MM. Burns, Champion, Hyndman, Hunter, Watts, et Williams insistent donc auprès du premier ministre, au nom des ouvriers sans travail, pour qu’il donne une réponse à leur lettre.
- La Fédération socialiste démocrate a convoqué une réunion publique à Hyde-Park pour dimanche prochain, 22 février, dans le but d’inviter le pouvoir exécutif à ne pas refuser plus longtemps de donner cki travail aux ouvriers qui meurent de faim sans qu’il y ait de leur faute.
- MM. Burns, Champion, Hyndman, Hunter, Wats et Willioms seraient heureux de pouvoir annoncer que le gouvernement est décidé à suivre l’exemple donné dans d’autres temps malheureux en faisant entreprendre immédiatement des travaux publics utiles et en appuyant à .ceux qui prendront part à ces travaux un salaire suffisant pour leur assurer leur subsistance.
- INQUISITEURS D’AUTREFOIS & D’AUJOURDH’UI
- On a beaucoup parlé — et passablement ri — de l’intervention récente de deux porteurs de mitre dans les questions d’art. A Vienne, l’archevêque Grangibauer excommuniait le peintre Vereschagnie pour avoir rappelé dans un tableau déjà célèbre que le Saint-Esprit avait eu beaucoup d’enfants. A Lyon, l’archevêque Caverot foudroyait le compositeur Massenet pour avoir tait chanter saint Jean-Baptiste dans son Hérodiade.
- La prétention cléricale de surveiller, critiquer et même corriger les oeuvres des artistes n’est, du reste pas nouvelle et les plus célèbres,et les plus illustres n’y échappèrent pas. Caverot et Grangibauer ont des exemples dans le passé, et ils ont le droit de dire qu’ils ont suivi les traditions de l’Eglise.
- C’est ainsi que, dans les papiers des inquisiteurs d’Etat, à Venise, M. Armand Baschet a retrouvé un document — peu connu, je crois — qu’il est intéressant de reproduire.
- C’est le procès-verbal d’une comparution de Paul Caliori, du Véronèse, — qui n’avait pas craint d’élargir le cadre de la Cène — devant les Grangibauer et les Caverot du Saint-Office d'alors.
- Voici cette pièce vraiment curieuse:
- Ce jour de samedi 18 du mois du juillet 1573, appelé au . Saint-office par devant le tribunal sacré, Paul Galiari, de L Vérone demeurant en la paroise de Saint-Samuel, et inter-
- p.124 - vue 127/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 125
- rogê sur ses nom et prénoms, a répondu comme ci-dessus :
- Interrogé sur la profession.
- R. — Je peins et je fais des figures.
- D. — Avez-vous connaissance des raisons pour lesquelles vous avez été appelé 9
- R. — Non.
- D. — Vous imaginez-vous quelles sont ces raisons ?
- R. — Je puis bien me les imaginer.
- D. — Dites ce que vous pensez à cet égard.
- R. — Je pense que c’est au sujet de ce qui m’a été dit par les Révérends Pères, ou plutôt par le prieur du couvent de, Saints-Jean-ejt-Paul, prieur de qui j’ignorais le nom, lequel m’a déclaré qu’il était venu ici, et que Vos Seigneuries Illustrissimes lui avaient commandé de devoir faire exécuter dans le tableau une Madeleine au lieu d’un chien, et je lui répondis que fort volontiers je ferais tout ce qu’il faudrait faire pour mon honneur et l’honneur du tableau ; mais que je ne comprenais pas que cette figure de la Madeleine pût bien faire ici, et cela pour beaucoup de raisons que je dirai aussitôt qu’il me sera donné occasion de le dire.
- D. — Quel est le tableau dont vous venez de parler ?
- R. — C’est le tableau représentant la dernière cène que fit Jésus-Christ avec ses apôtres dans le maison de Simon.
- D. — Où se trouve ce tableau ?
- R. — Dans le réfectoire des Pères des Saints-Jean-et-Paul.
- D, — Est-il à fresque, sur bois ou sur toile ?
- R. — Il est sur toile.
- D. — Combien de pieds mesure-t-il en hauteur ?
- R. — Il peut mesurer dix-sept pieds.
- D. — Et en largeur ?
- R. — Trente-neuf environ.
- D. — Dans cette cène de Notre-Seigneur, avez vous peint des gens ?
- R. — Oui.
- D. — Combien en avez-vous représenté, et quel est l'office de chacun ?
- R. — D’abord le maître de l’auberge, Simon ; puis, au-dessous de lui, un écuyer tranchant, que j’ai supposé être venu là pour son plaisir et voir comment vont les choses de la table. Il y a beaucoup d’autres figures, que je ne me rappelle point, vu qu’il a déjà longtemps que j’ai fait ce tableau.
- D. — Avez-vous peint d’autres cènes que celle-là ?
- R. — Oui.
- D. — Combien en avez-vous peint, et où sont-elles ?
- R. — J’en ai lait une à Vérone pour les révérends moines de Saint-Lazare ; elle est dans leur réfectoirq. Une autre se trouve dans le réfectoire des révérends pères de Saint-Georges, ici, à Venise.
- D. — Mais celle-là n’est pas une cène et ne s’appelle d’ailleurs pas la Cène de Notre-Seigneur.
- R. — J’en ai fait uneautredans le réfectoire deSaint-Sébas-tieri, à Venise, une autre à Padoue, pour les pères de la Madeleine. Je ne me souviens pas d’en avoir fait d’autres.
- D. — Dans cette cène que vous avez faite pour Saint-Jean-et-Paul, que signifie la figure de celui à qui le sang sort par le nez ?
- R. — C’est un serviteur qu’un accident quelconque a fait saigner du nez.
- D. Que signifient ces gens armés et habillés à la mode d’Allemagne, tenant une hallebarde à la main?
- R. — Il est ici nécessaire que je dise une vingtaine de paroles.
- D, — Dites-les.
- R. — Nous autres peintres, nous prenons de ces licences que prennent les poètes et les fous, et j’ai représenté ces hallebardiers, l’un buvant et l’autre mangeant au bas de l’escailler, tout prêts, d’ailleurs, à s’acquitter de leur service, car il me parut convenable et possible que le maître de la maison, riche et magnifique, selon ce qu’on ma dit, dût avoir de tels serviteurs.
- D. — Et celui habillé en bouffon, avec un perroquet au poing, à quel effet l’avez-vous représenté dans ce tableau ?
- R. — Il est là comme ornement, ainsi qu’il est d’usage que cela se passe.
- D. — A la table dè Notre Seigneur, quels sont ceux qui s’y trouvent ?
- R. — Les douze apôtres.
- D. — Que fait saint Pierre, qui est le premier ?
- R. — Il découpe l’agneau pour le faire passer à l’autre partie de la table.
- D. — Que fait celui qui vient après ?
- R. — il tient un plat pour recevoir ce que saint Pierre lui donnera.
- D. — Dites ce que fait le troisième ?
- R. — Il se cure les dents avec une fourchette.
- D. — Quelles sont vraiment les personnes que vous admettez avoir été à cette cène ?
- R. — Je crois qu’il n’y eut que le Christ et ses apôtres mais lorsque, dans un tableau, il me reste un peu d’espace je l’orne de figures d’invention.
- D. — Est-ce quelque personne qui vous a commandé de peindre des Allemands, des bouffons et autres pareilles figures dans ce tableau ?
- R, — Non, mais il me fut donné commission de l’orner selon que je penserais convenable ; or, il est grand et peut contenir beaucoup de figures.
- D. — Est-ce que les ornements que vous, peintre, avez coutume de faire dans les tableaux, ne doivent pas être en convenance et en rapport direct avec le sujet, ou bien sont-ils ainsi laissés à votre fantaisie, sans direction aucune et sans raisons ?
- R. — Je fais les peintures avec toutes les considérations qui sont propres à mon esprit et selon qu’il les entend.
- D. — Est-ce qu’il vous paraît convenable, dans la Cène de Notre Seigneur, de représenter des bouffons, des Allemands ivres, des nains et autres niaiseries ?
- R. — Mais non.
- D. — Pourquoi l’avez-vous donc fait ?
- R. — Je l’ai fait en supposant que ces gens sont en dehors du lieu où se passait la Cène.
- D. — Ne savez-vous pas qu’en Allemagne et autres lieux infestés d’hérésie, ils ont coutume, avec leurs peintures, pleines de niaiseries, d’avilir et de tourner en ridicule les choses de la Sainte Eglise catholique, pour enseigner ainsi la fausse doctrine aux gens ignorants ou dépourvus de bon sens ?
- R. — Je conçois que c’est mal, mais je reviens à dire ce que j’ai dit : que c’est un devoir pour moi de suivre les exemples que m’ont donnés mes maîtres.
- D. — Qu’ont donc fait vos maîtres ? Des choses pareilles, peut-être ?
- R. — Michel-Ange, à Rome, dans la chapelle du pape, a représenté Notre-Seigneur, sa mère, saint-Jean, saint Pierre et la cour céleste, et il a représenté nus tous les person-sonnages, voire la Vierge Marie, et dans des attitudes diverses que la grande religion n’a pas inspirées.
- D.____Ne savez-vous donc pas qu’en représentant le Juge-
- p.125 - vue 128/838
-
-
-
- 126
- LE DEVOIR
- ment dernier pour lequel il ne faut point supposer de vêtements, il n’y avait pas lieu d’en peindre ? Mais, dans ces figures, qu’y a-t-il qui ne soit pas inspiré de 1 Esprit saint ? 11 n’y a ni bouffons ni chiens, ni armes, ni autres plaisanteries. Vous parait-il donc, d’après ceci ou cela, avoir bien fait en ayant peint de la sorte votre tableau, et voulez-vous prouver qu’il soit bien décent ?
- R.— Non, très illustres seigneurs, je ne prétendspoint de prouver, mais j’avais pensé ne point mal faire ; je n’avais point pris tant de choses en considération. J’avais été loin d’imaginer un si grand désordre, d’autant que j’ai mis ces bouffons en dehors du lieu où se trouve Notre-Seigneur.
- Ces choses étant dites, les juges ont prononcé que le susdit Paul serait tenu de corriger et d’amender son tableau dans l’espace de trois mois à dater du jour de la réprimande, et eela selon l’arbitre et la décision du tribunal sacré, et le tout aux dépens, dudit Paul.
- Vereschagine, je le présume, ne se fâchera pas d’avoir éprouvé le sort du Véronêse, et Massenet non plus.
- Mais Caverot! Mais Gangibauer / De quel siècle sont-ils? Autrefois leurs pareils étaient la terreur du monde. Us n’en sont, eux, que la risée. Et ces personnages qui agitent leurs tonnerres au-dessus de la peinture et du drame lyrique semblent faits tout exprès pour Perette et la caricature.
- Ed. J.
- MAITRE PIERRE
- Par Edmond ABOUT
- ( Suite )
- XII
- PROPOS DE BUVEURS.
- « Je m’en fus à Bordeaux, et je courus donner de la tête comme un hanneton à la porte de la préfecture. Je n'avais vu la ville qu’une ou deux fois, et je savais rien des usages. Je dis au portier que je venais de Bulos pour m’expliquer d’une affaire avec le Préfet. On me répondit la première fois que le Préfet ne recevait pas ; la deuxième fois qu’il était sorti. Puisqu’il sort et ne reçoit pas, pensai-je en moi-même, il aura plus court à venir me voir. Je dis au portier de lui dire que j’atten-tendrais à l’auberge toute la journée du lendemain : vous jugez si j’étais jeune ! Le portier me conseilla d’écrire pour demander une audience ; je répondis qu’avant d’écrire il faudrait apprendre, et que je n’avais pas le temps. Je revins trois ou quatre fois, et le portier me chanta toujours le même air. Ce que voyant, Adieu je m’en retourne chez nous brûler là forêt de Maleyre, et c’est bien vous qui en serez la cause. Je repassai par ici, et je racontai à tout le moude ce que j’allais faire. Mon tuteur essaya de me retenir, en me disant que les incendies sont formellement défendus par la loi. « Tant pis ! dis-je à mon tuteur, il faut que justice se fasse. Et je suis sur que si les magistrats, s’ils savaient comment la vente s’est passée seraient les premiers à brûler la forêt. » Le père Pavard me fit observer qu’un jour ou
- l’autre la justice aurait son tour ; que le pays se rassoie-rait, que les tribunaux ne refuseraient pas d’arranger l’affaire, et que, dans aucun cas, nous ne devions nous faire justice nous-mêmes. Mais il aurait fallu me mettre les fers aux pieds ; c’était la seule raison que je fusse capable d’entendre.
- « Je partis sur mes échasses, et tous les gens que je rencontrais en chemin je leur criais : On a vendu le bois de Maleyre à cinquante francs l’hectare ; c’est une vole-rie ; par ainsi je vais y mettre le feu. Les uns me disaient: Tti fais bien ; les autres : Tu fais mal ; plus d’un m’a donné des allumettes,
- « A Maleyre, j’empruntai le tambour de l’appariteur, et je ramassai tout le village sur le champ de foire : vous voyez bien que je ne croyais pas mal faire. Beaucoup savaient déjà ce qui m’amenait. L’acquéreur s’était sauvé du côté de Dax, et le maire se cachait, dit-on dans un tonneau. Je fis assavoir aux hommes et aux bêtes que la forêt serait un mauvais gîte le lendemain ; et aux troupeaux qu’ils auraient avantage à chercher leur pâture ailleurs. Les pauvres diables de Maleyre n’osèren me dire ni oui, ni non ; ils savaient bien qu’on les avait volés, mais ils craignaient des vengeances. Lorsque je-vis que je n’avais à compter sur aucune aide, je leur dis fièrement que je ferais la besogne tout seul. Je passai trois jours à entasser du bois sec, de distance en distance, à tous les carrefours de la forêt, sans que la fatigue ou le dégoût me donna l’idée de renoncer à ma tâche. Enfin, le dimanche à l’heure du midi, je m’en allai, tout seul, mettre le feu à la lisière du bois, et je m’y enfonçai résolument, la torche à la main, allumant tout ce que je rencontrais, et terrible comme un dieu de vengeance, avec mes cheveux roussis. C’est un crime je le sais bien, mais je l’ai commis par ignorance et par violence, non par intérêt ou par malice. Les juges auraien pu me faire du chagrin, mais ils ont eu pitié de ma jeunesse. D’ailleurs on n’envoie pas aux galères la providence du pays.
- « Maintenant, Monsieur Tomery, vous savez Thistoire de la forêt de Maleyre. C’est le seul incendie volontaire qui se soit commis de mémoire d’homme dans mes deux départements. »
- XIII
- LE GALANT A LA NOIX
- Même décor que devant ; les chandelles de résine achèvent de se consumer ; la pâle lueur d’un matin d’avril se glisse entre les fentes des volets. Le récit de maître Pierre a réveillé tous les convives, à l’exception de M% Bijou aîné.
- le maire, se frottant les mains avec dignité. Mon
- pauvre préopinant, je n’abuserai pas de mes pouvoirs
- p.126 - vue 129/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- discrétionnaires pour t’adresser une remontrance. Cepen- | danttu vois où l’utopie conduit les hommes.
- l’adjoint. Elle les mène plus loin que Bordeaux. premier conseiller municipal (Finement) jusqu’à Ro-chefort !
- le gendre prançois, suisse de montagne. Chisgae la môrt.
- deuxième conseiller municipal. J’ai bien dîné. le maire. Ce qui est fait est fait, et je ne suis pas un homme assez superflu pour te reprocher le passé, mais il est bientôt temps que tu te ranges. l’adjoint. Il faut songer à faire une fin. premier comseiller municipal. On doit éprouver une certaine lassitude, après quelques années de vagabondage.
- marinette, au conseiller. Merci pour deux. deuxième conseiller municipal. Il n'y a pas d’offense. Marinette; nous sommes tous dans vos intérêts. (A part.) Quel dîner.
- le maire, à maître Pierre. Si jamais tu vas t’établir hors d’ici, tu sais que nous nous souviendrons de toi avec plaisir.
- maître pierre. Mais pourquoi diable m’en aller ? le maire. Pour voir du pays ! Pour élargir tes idées ? Les voyages forment.
- l’adjoint. Et consolent. 11 n’y a rien de tel que le baume de diligence contre les peines de cœur.
- m. darde, finement. Mardoche a voyagé. (Tout le monde rit aux éclats.)
- maître pierre. Ah ça, j’ai donc un chagrin, moi ? Dites-moi lequel, afin que je pleure ! le maire. Oh ! rien.... si tu es raisonnable. l’adjoint. On peut trouver une remplaçante. deuxième conseiller municipal. C’est moins cher qu’un remplaçant. (A part) J’ai trop dîné.
- le gendre François. Les fûmes, c’est tûtes la même chôsse! (Sa femme le pince cruellement.)
- , le maire. Qu’est-ce que tu dirais d’une belle Picarde de quarante-cinq ans, bien conservée ?
- maître pierre. Je penserai qu’elle peut me tenir lieu de mère.
- le maire Tu ne feras que ce que tu voudras. Personne de nous ne songe à t’éloigner d’ici.
- l’adjoint. Nous aimerions mieux sacrifier nos intérêts, tant généraux que personnels.
- maître pierre. Qui est-ce qui vous demande des sacrifices ? On dirait, ma parole, que je vous C“ûte bien cher!
- le maire. J’avoue que jusqu’à présent tu nous a fait peut-être plus de bien que de mal.
- maître pierre. Parbleu ! vous n’avez rien qui ne vienne de moi.
- m
- le maire Peuh! le chœur. Peuh !
- le maire. Mais le cas pourrait échoir où tu nous coûteras plus que tu nous as donné. Si tu ne te corriges pas de la manie de drainer les landes et de faire chez les étrangers ce que tu as fait chez nous, tu amèneras inévitablement toutes les eaux du pays dans l’Étang de la Ca-nau ; nous serons inondés, et alors adieu Bulos.
- l’adjoint. Je me ramifie à l’opiniou de M. le maire. Si tu ne te tiens pas tranquille, c’est fait de nous. Quand les autres marcheront à pied sec, nous aurons de l’eau par-dessus la tête.
- premier conseiller municipal. Il est bien malheureux que tu t’obstine à enrichir le monde à nos dépens.
- deuxième conseiller municipal. Tu fais comme les petits garçons qui volent leur père pour donner aux pauvres. (A part.) Le dinde est lourd.
- le ge’ndre serrurier. Vous auriez aussi bien fait de nous laisser comme nous étions.
- maître pierre. D’abord, vous n’y étiez pas, vous ! Vous étiez à Libourne, et vous gagniez trente sous par jour à poser des serrures.
- le maire, avec autorité. Trouves-tu donc mauvais qu’en épousant ma fille il ait épousé les intérêts du pays?
- maître pierre. Je trouve mauvais.... je trouve mauvais.... je trouve mauvais tous, tant que vous êtes, paysans race ingrate et jalouse, qui craignez comme un accident le bonheur d’autrui ! Vous vous portez bien, grâce à moi; vous mangez du pain que j’ai semé: vous êtes riches, parce que je l’ai voulu. Et, au lieu de jouir tranquillement du bien que je vous ai fait, vous regardez à droite et à gauche pour voir si je ne perds pas mon temps à faire la fortune des autres. On dirait que j’ai été créé et mis au monde pour vous seuls, et que je vous vole tous mes instants dont vous ne profitez pas ! Il aurait fallu, pour bien faire, que le jour où votre dernière maison a été bâtie, une tuile du toit fût tombée sur ma tête !
- le maire,héroïquement. J’aimerais mieux mourirper-pendiculairement d’une tuile sur ma tête que de lire sur ma tombe : « Ci-gît l’homme qui a noyé son pays ! » maître pierre. Et qui vous prouve que je noierai personne ? Vous prévoyez les malheurs de trop loin.
- le maire. La prévoyance est le plus bel orifice d’un magistrat.
- m. darde. Très joli ! très joli ! je le rapporterai à Cordeaux.
- m. tomery, à maître Pierre. Pardon, monsieur maître Pierre ; mais si ces messieurs ne se trompent pas et si la besogne philanthropique que vous avez entreprise doit les noyer tous jusqu’au dernier, je comprends que, malgré le souvenir de vos bienfaits, ils vous redoutent
- p.127 - vue 130/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 128
- comme le futur fléau de leur pays. Est-il vrai, comme je l’ai déjà entendu dire, que le drainage de nos landes amènera toutes les eaux du pays dans les étangs du littoral ?
- maître pierre. 11 faut bien que j’envoie l’eau quelque part ! Voulez-vous que je l’emporte dans des tonneaux? m.tomery. Mais c’est un aveu cela. le maire. J’en prends acte, monsieur Tomery ! J’en prends acte !
- m. tomery, à Maître Pierre. Mais n’exagère-t-on pas les choses en disant que le volume des étangs sera peut-être doublé ?
- maître pierre, Ma foi, monsieur, je ne sais pas ce qu’ils jaugent, nos étangs. Le fait est que les pluies du printemps et de l’automne les enfleront pour sûr.
- le maire. Et comme les environs sont tout pays plat, pour un mètre de hauteur en plus, nous aurons une lieue de terre en moins : voilà la chose. Il n’en faut pas tant pour nous ruiner tous, l’adjoint. Sans acception.
- maître pierre. Là ! Personne n’a plus rien adiré ? Eh bien, je vous avertis, moi, que vous ne serez ni noyés, ni inondés, ni ruinés ; qu’au lieu d’élever le niveau des étangs, je l’abaisserai d’un mètre ; qu’au lieu de perdre une lieue de mauvais terrain, vous gagnerez vingt mille hectares d’excellenls prés, et que tous les hommes de bonne volonté qui me donneront un coup de main dans cette affaire deviendront riches en dix-huit mois. Mais comme il est importun et tyrannique de faire le bonheur des gens malgré eux, j’attends les ordres de M. le maire et du conseil municipal. Ordonnez, parlez, faites un signe. Je monterai sur mes échasses et j’irai en Picardie épouser une femme de quarante cinq ans!
- le maire, à maître Pierre Qui est-ce qui parle de te renvoyer d’ici ! Tu es chez toi : ma maison est la tienne.
- l’adjoint. Grand nigaud ! Est-ce que tu n’es pas l’enfant de Bulos.
- A suivre.
- Sommaire du n° 14 de La Revue socialiste 15 février 1885. — Ce que coûtent les monopoles, J. Pinaud.— Les morales religieuses (fin), B. Malon. - Réponse à Herbert Spencer (fin), G. Platon. — Le droit à l’existence, B. Malon. — Les événements de Decazeville. Elle Pey-ron. — Revue du mois, E. Fournière. — Revue économique, G. Rouanet. — Correspondance. — Société républicaine d’Economie sociale. — Mélanges et documents. — Revue des Sociétés savantes, de la Presse et des Livres. (Le numéro, 1 fr. Abon. un an 12 fr. ; 6 mois, 6fr. Etranger, port en sus). Rédaction et administration, 19, faubourg Saint-Denis, Paris.
- L’Astronomie, Revue mensuelle d’astronomie mensuelle, de Météorologie et de Physique du globe par M, C. Flammarion.— N° de février 1886. Découverte d’une nébuleuse par la photographie, par M. Paul et Prosper Henry. — La photographie céleste à l’Observatoire de Paris, par M. C. Flammarion. — Les aurores boréales.— La grande pluie d’étoiles filantes, par M. W.-F Denning. — Nouvelles de la science. Variétés : La pluie d’étoiles filantes du 27 novembre. Passage de corpuscules devant le soleil, par J. Herschel. Étoile nouvelle, près Orion. Nouvelle étoile variable dans le Cygne, Le spectre de la grande nébuleuse d’Andromède. — Observations astronomiques par M. E. Vimont. Gauthier-villars, quai des Augustins, 55, Paris.)
- BIBLIOGRAPHIE
- La Tribune des Peuples
- (Revue internationale du mouvement social dans les cinq parties du monde)
- ADMINISTRATION :
- Librairie des Deux-Mondes Paris. — 17, rue de Loos., — Paris.
- ABONNEMENT D’UN AN :
- Union postale 6 fr. Départements 5 fr.
- Paris 4 fr. le numéro 25 cent.
- Le premier numéro de cette revue mensuelle qui vient de paraître est destiné à passionner tous ceux qui vivent dans le monde de la science et du mouvement social. — Nous y remarquons entre autres un article sur la propriété dû à la plume éloquente de l’illustre géographe Elisée Reclus, faisant ressortir tous les maux engendrés par la propriété individuelle, l’autre article intitulé : la révolution dans la médecine, par Cassius, enseigne les moyens de régénérer l’espère humaine au moyen de la transfusion ; il ne s’agirait rien fmoins, paraît-il, que de prolonger la durée de la vie chez les vieillards et de rétablir la santé des malades. — Nons y lisons au&si une revue du mouvement social dans les cinq parties du monde des pays suivants : Allemagne, Belgique, Hollande Brésil, Chili, Chine, Espagne, France, Grèce, Iles Britanniques, Italie, Luxembourg, Mexique, Perse, République Argentine, Serbie, Suisse, etc. etc., des plus intéressantes au point de vue socialiste, mais... nous ne voulons pas déflorer le plaisir de nos lecteurs qu’ils lisent eux-mêmes cette revue, intéressante au plus haut degré.
- P. S. — On peut s’abonner sans frais dans tous les bureaux de postes.
- Envoi franco et gratis d’un numéro,
- Le Directeur Gérant : GODIN
- Guise. — lmp. Baré.
- p.128 - vue 131/838
-
-
-
- 10e Année, Tome 10.— N’ 390 Le numéro hebdomadaire 20 c. Dimanche 28 Février 1888
- BEVUE DES QUESTIONS SOCIALES
- BUREAU
- a GUISE (Aisne)
- Toutes les communications
- ABONNEMENTS PAYABLES D’AVANCE par l’envoi, soit au bureau de Guise, soità celui de Paris, de timbres-poste ou de mandats de poste, dont le talon sert de quittance.
- et réclamations doivent être adressées
- France
- Un an ... 10 Ir. *»
- Union postale Un an. . . . 11 fr. »»
- M. GODIN, Directeur-Gérant Fondateur du Familistère
- Six mois. . . 6 si Trois mois. . 3 »»
- Autres pays
- Un an. . . . 13 fr. 60
- ON S’ABONNE
- A PARIS
- , rue Neuve-des-Petits-Champs Passage des Deux-Pavillons
- S’adresser à M. LEYMARIE administrateur delà Librairie des sciences psychologiques.
- SOMMAIRE
- La propriété et l’industrie sous le régime du droit d’hérédité nationale. — Paix et arbitrage internationale. — Danemarck. — Enquête aux Etats-Unis sur les rapports du travail et du capital. — L’admission temporaire. —Avis a nos lecteurs. — Aphorismes et préceptes sociaux. — La question sociale et les possibilités socialistes. — Les droits de la femme. — Zèle refroidi. — Les montures en bois— Les journalistes de la race noire. — Activité parlementaire. — Le suffrage des femmes. — La mission civilisatrice. —L’exposition de 1889. — Un Aveu. — La langue universel. — Bibliothèque du Familistère. — Maître Pierre.
- LA PROPRIÉTÉ ET L’INDUSTRIE SOUS LE RÉGIME
- DU DROIT D’HÉRÉDITÉ NATIONALES)
- 13œe Article
- Les pessimites elles ignorants toujours prompts à s’alarmer devant toute idée de progrès social demandent ce que deviendra le droit de propriété, ce que deviendra la liberté du travail, etc., etc., sous le régime de l’hérédité nationale ?
- Il leur semble que le monde devra s’effondrer dans un abîme, s’il intervient quelque changement dans le mode de transmission des héritages.
- Us ne voient rien ni des abus, ni des vices du régime actuel de la propriété et de la répartition delà richesse; mais, quand il est question d’y introduire plus de justice et d’équité, cela les bouleverse. Vivant dans le mal et les abus, ils veu-
- (1) Lire le «Devoir » des 8, 15, 22, 29 Novembre; 13, 20, 27 Décembre 1885 ; 10,17,24 31 Janvier et 21 lévrier 1886.
- J lent conserver le mal et les abus dont ils font leur profit, ou bien ils les défendent par habitude, même quand ces abus tournent contre eux.
- Cherchons donc à rassurer ces esprits ignorants et craintifs en leur montrant les bienfaits des choses qu’ils combattent au sujet de l’hérédité de l’Etat.
- D’abord, je l’ai démontré déjà mais je le répète, l’hérédité de l’Etat n’est pas un procédé révolutionnaire, c’est un moyen qui, légalement, peut permettre toutes les réformes dont les sociétés présentes éprouvent le besoin impérieux et auxquelles les socialistes aspirent. L’hérédité nationale peut donner toutes ces réformes sans troubles et sans événements politiques d’aucune sorte. Par l’institution de ce droit peuvent être apaisées immédiatement les revendications qui vont aller grossissant, si la prudence politique des hommes d’Etat ne leur fait ouvrir les yeux sur les dangers des sociétés civilisées et sur l’efficacité si simple de l’hérédité nationale pour les prévenir.
- Mais que deviendront les propriétaires ? demandent les gens plus préoccupés d’eux-mêmes que de ceux qui souffrent de la faim et de la misère?
- Je réponds :
- Les propriétaires resteront ce qu’ils sont ; ils resteront propriétaires, puisque ce n’est qu’à la mort des citoyens que l’Etat exercera son droit d’hérédité, soit pour une partie des biens si le défunt laisse des héritiers en ligne directe ou testamentaires, soit pour la totalité de l’héritage si le défunt ne laisse que des collatéraux en faveur de qui il n’aura pas jugé bon de tester.
- p.129 - vue 132/838
-
-
-
- 130
- LE DEVOIR,
- Quant aux héritiers directs ou testamentaires qui succéderont au défunt, ils seront propriétaires en toute liberté comme leur auteur eux-mêmes ; le droit de propriété ne sera changé en rien quant au droit de jouir et de disposer. Ce n’est pas sous le régime démocratique de l’avenir qu’il faut voir dbS restrictions à la liberté des citoyens ; au contraire, cette liberté doit être étendue jusqu’à ses plus grandes limites, en tout ce qui peut concour-rir au bien et au bonheur de la personne humaine.
- La liberté individuelle aura pour seule limite le respect de la liberté d’autrui.
- Celui qui est propriétaire sous le régime de l’hérédité nationale est donc absolument propriétaire comme il l’est aujourd’hui; l’Etat entrant dans le partage des successions intervient dans les mêmes conditions, et de la même manière que les autres héritiers ; il devient donc propriétaire à son tour et,s’il cède des biens, il les cède à ceux qui les ; acquièient pour en jouir en vertu d’un contrat librement consenti,comme cela se fait entre acheteurs et vendeurs. Le nouveau propriétaire dispose des biens acquis comme il l’enterid ; aucune restriction ne doit être apportée à son droit de propriétaire.
- Tout acte d’initiative et de liberté lui est laissé ; l’hérédité de l’Etat ne change pas les lois civiles; les citoyens jouissent de tous les droits que les progrès politiques leur ont accordés.
- Il est donc entendu que l’Etat devenu propriétaire par voie d’héritage n’enlève rien des droits du citoyen. Ce droit d’héritage n’est qu’un moyen de récupérer sur la richesse les charges publiques et~d’en libérer le travail et les travailleurs.
- L’exploitation du sol, de l’agriculture et de l’industrie reste toute entière à l’initiative des citoyens; aucune loi ne vient autoriser l’Etat à s’ingérer dans l’activité des citoyens. L’agriculture et l’industrie sont libres et plus libres que jamais; car, elles deviennent plus accessibles au peuple vu la cessation des monopoles perpétuels de la richesse.
- Il est donc bien singulier que les timorés se mettent l’esprit à la torture à l’idée de l’hérédité nationale pour trouver dans leur imagination que l’Etat sera le plus impitoyable des créanciers, le plus tracassier des propriétaires, le plus mauvais des administrateurs.
- A ceux d’entre eux qui sont créanciers et propriétaires, je demande s’il en est beaucoup qui vendent leurs biens et se contentent de ne pas
- être payés, ou qui les louent et acceptent de n’en pas toucher les fermages ?
- Est-ce qu’au contraire ils ne vendent pas leurs biens le plus cher possible,ou s’ils les louent n’est-ce pas en demandant au fermier ou au locataire des loyers qui vont toujours croissant, jusqu’à ce queles tenanciers soient dans l’impossibilité de payer, et alors les propriétaires actuels n’exécutent-ils pas leurs fermiers ?
- Il est pourtant bien simple de considérer que les citoyens traitant avec l’Etat le font sous la protection des contrats et de la loi, que les conventions sont libres avec l’Etat comme avec les particuliers et qu’une fois un contrat passé avec l’Etat il a la même conséquence que s’il était passé avec un autre propriétaire. Toutes les diatribes sur ce sujet ne sont donc que des fins de non recevoir imaginées par les antagonistes de toute réforme.
- Il y a un fait aujourd’hui évident pour les plus obstinés admirateurs du régime actuel de la propriété, c’est que la richesse augmente dans des proportions considérables au sein de nos sociétés modernes, et que les travailleurs sans qui aucune création de richesse ne serait possible restent assujettis à la vie au jour le jour, sans garantie aucune pour le lendemain, et n’ayant que la misère en partage, lorsque les possesseurs de la richesse leur ferment les ateliers de la culture et de l’industrie.
- Nos lois sur l’héritage font en général que la fortune à la mort des personnes va s’accumuler et se monopoliser dans les mains de gens déjà fortunés, et cela au mépris des labeurs qui créent toute richesse.
- L’hérédité de l’Etat changerait cet état de choses puisque les biens tombant à l’hérédité nationale produiraient chaque année, au profit du peuple,les ressources nécessaires pour lui donner des garanties qu’il n’a pas aujourd’hui.
- Ceux qui voient superficiellement la théorie que j’ai faite de l’hérédité nationale jugent d’après les idées préconçues qu’ils se sont faites à la hâte sur cette question, ne concevant pas que l’hérédité nationale n’est pas une idée superficielle, mais qu’elle renferme au contraire un moyen puissant de résoudre les questions sociales.
- Or, les questions sociales peuvent entraîner les sociétés à l’abîme ; à ce titre, le sujet mérite qu’on ne soit pas si pressé de conclure au rejet de ce mode le seul pacifique de résoudre toutes les difficultés pendantes au sein des nations civilisées.
- p.130 - vue 133/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 131
- Une simple lecture ne suffit pas pour nous dé- j barrasser des préjugés et des erreurs que nous professons au sujet de l’impôt ; par habitude, nous sommes portés à croire que l’impôt est le seul moyen pour l’Etat de puiser les ressources dont il a besoin et que l’impôt doit être payé par tous les citoyens. Ces rengaines nous ont été assez enseignées pour que la simple lecture d’une conception nouvelle ne suffise pas à nous débarrasser des erreurs que les enseignements, nos habitudes, nos mœurs et nos lois en fait de succession et d’héritage ont introduites dans nos esprits.
- Ces erreurs, pour-la plupart, nous apparaissent comme une arche sacro-sainte à laquelle il ne faut pas toucher. Ce sont ces idées fausses, enracinées en nous par l’éducation et l’usage, que je cherche à détruire, et qu’il faut réellement écarter, avec philosophie pour comprendre la justice de l’hérédité nationale de l’Etat.
- D’autres critiques, frappés des abus scandaleux qui se passent dans les gouvernements, sont préoccupés de la puissance que l’hérédité de l’Etat pourrait mettre aux mains des pouvoirs publics; ils veulent absolument qu’il y ait danger à ce
- que l’Etat ait de semblables ressources à sa disposition.
- Faisant abstraction de ce fait que l’Etat c’est l’ensemble de la chose publique, ils ne tiennent pas compte que la loi se fait par les élus du peuple, que ce sont eux,par conséquent, qui fixeraient les proportions du droit d’hérédité nationale et en détermineraient l’usage, dans la mesure des ressources publiques nécessaires, comme ils fixent chaque année l’impôt en arrêtant le budget. Or, sur plus de cinq milliards de successions qui s’opèrent chaque année en France, les Chambres auraient de la marge pour couvrir par le droit d’hérédité nationale toutes les ressources publiques indispensables, et elles régulariseraient ce droit sans laisser place aux abus.
- 11 est donc simplement absurde de croire que les ressources publiques puisées dans l’hérédité nationale pourraient donner lieu, de la part du gouvernement, à d’autres abus budgétaires que ceux qui existent actuellement. La vérité, au contraire, serait que les impôts disparaîtraient .avec leurs abus remplacés par une source légitime à peu près unique de revenus publics, et que ces ressources proviendraient de la richesse acquise au lieu d’être prélevées comme elles le sont maintenant sur le travail et sur le peuple des travailleurs.
- Quant aux conséquences de l’hérédité nationale sur le travail et sur la production agricole et industrielle du pays, il faudrait écrire encore des pages nombreuses pour les décrire ; c’est une étude que je renvoie à d’autres moments ; le plus pressé est pensé et dit, il faut maintenant le réaliser.
- Disons, seulement, que par l’exercice du droit d’hérédité nationale, l’Etat entrant chaque année en possession de plus d’un milliard de propriétés immobilières et de plus d’un milliard de richesses mobilières, cela rendra la propriété plus accessible individuellement aux travailleurs ; qu’en outre, en agriculture comme en industrie,les ouvriers pourront s’associer sous de savantes et capables directions, pour exploiter la grande culture et la grande industrie d’après les procédés de la science. L’Etat pourra encourager dans ses contrats la règle de la participation de l’ouvrier aux bénéfices de la production, proportionnellement au travail qu’il fera dans l’association. Ces choses, une fois libre-ment consenties, il pourra en surveiller le respect.
- Faisons d’abord l’hérédité nationale et inaugurons les garanties mutuelles nationales nécessaires à la sécurité des classes laborieuses, et par contrecoup à la sécurité des classes riches elles-mêmes ; les autres réformes dans la voie du bien et de la paix viendront vite ensuite. Une fois la société entrée dans le chemin de la justice, tous les biens se découvrent les uns après les autres ; au contraire, tant qu’on reste dans les sentiers de l’iniquité, tous les maux en sont la conséquence.
- (A suivre,)
- .Paix et arbitrage .international
- La presse anglaise : The daily News, The Globe, etc., signalent le progrès des idées de paix et d’arbitrage international qui s’accomplit en Allemagne, sous l’impulsion généreuse de M. Hogdson Pratt, le président de The international arbitration and peace association.
- Après avoir pendant deux mois parcouru les villes principales d’Allemagne, vu les notabilités politiques, expliquant partout le but et le fonctionnement des sociétés de la paix dont il cherche à provoquer la fondation dans toute l’Europe, M. Hogdson Pratt réussit à réaliser, à Berlin même, un mouvement apprécié comme suit par les correspondants allemands :
- « Une assemblée d’un caractère bien extraordinaire dans la grande capitale militaire de la Germanie vient d’avoir lieu samedi 13 février.
- « L’objet était la fondation d’une société prussienne de paix et d’arbitrage international, et les moyens proposés | pour l’obtention de ce but idéal sont d’un iaractèré tel-
- p.131 - vue 134/838
-
-
-
- 132
- LE DEVOIR
- lement modeste et pratique qu’ils ont rallié l’acquiescement de plusieurs hommes notables de Berlin.
- « Considérant le génie local, les puissantes influences qui prévalent en notre ville, le prestige des fondateurs de notre grand empire militaire et la confiance dans les succès matériels, o^ ne peut s’empêcher de proclamer le résultat obtenu parM. Hogdson Pratt,plus grand qu’il n’était possible de l’espérer.
- a L’assemblée eut lieu au Parlement même sous la présidence du professeur Virchow.
- « Environ trente personnages marquants, y compris plusieurs membres du Rechstag, étaient présents ; presque tous appartenaient au parti libéral ; néanmoins, une des notabilités du centre, le docteur Reichensperger était là aussi et se faisait remarquer par la vigueur avec laquelle il préconisait la fondation de la société en cause.
- « Le professeur Virchow dans son discours d’ouverture fit la remarque suivante :
- « Nous avons en ce moment à Berlin même un ins-« tructif exemple de l’utilité de l’arbitrage pour la solu-« lion des différends politiques. C’est par une mesure de « ce genre que la question des Carolines a été résolue « et que nous avons échappé à une guerre imminente. »
- « Plusieurs discours furent prononcés. M. Hodgson Pratt expliqua que ses efforts tendaient à ce but unique :
- « fonder dans tous les Etats des comités, ou des sociétés « de la paix se donnant mission de développer les senti-« ments d’entente et de cordialité entre les nations et de « prévenir les guerres en soumettant à l’arbitrage le rè-« glement de toute discussion internationale.
- « L’assemblée termina par le vote d’une résolution en faveur du mouvement de la paix et par l’élection d’un comité de six membres chargés de pourvoir à l’organisation définitive de la société. »
- M. Hodgson Pratt a déclaré que dans toutes les villes visitées par lui, il avait trouvé chez les hommes appartenant aux professions indépendantes des partisans convaincus de la nécessité de donner à la civilisation un but supérieur et d’assurer la paix future par le resserrement des liens de coopération et d’amitié entre les différentes nations.
- * *
- A la nouvelle des succès obtenus à Berlin par la cause de la paix, le comité exécutif de The international ar-bitration and peace association, réuni à Londres le 18 février, vota à l’unanimité la résolution suivante :
- « Le comité félicite son président, M. Pratt, du succès de « l’influente assemblée réunie par lui, le 13 février, dans « la salle du Parlement, à Berlin;
- « Se rendant compte des difficultés qu’il a fallu vain-« cre pour arriver à un tel résultat, le comité offre ses « cordials remercîments à M. Karl Schraeder, membre « du Reichstag, dont le zèle et le concours ont été par-« ticulièrement précieux à M. Pratt, en lui facilitant « l’accès près des autres membres du Parlement, en lui « donnant les plus utiles conseils et en procurant à l’as-« semblée la salle même du Parlement pour se réunir.
- « Le comité présente aussi ses vives félicitations au « professeur Virchow pour l’important concours donné « par lui à la cause de la paix, dans son discours d’ou-« verture de la séance.
- * *
- Dans la même réunion le comité vota également la résolution qui suit :
- Neutralisation delà Bulgarie.
- Par sa lettre du 25 janvier dernier adressée au ministère des affaires étrangères, le comité ayant mis en avant leprincipede la neutralisation du territoire Bulgare, et une note diplomatique à ce sujet, revêtue de la signature des membres affiliés de notre société, à Paris, ayant été adressée à toutes les grandes Puissances, le comité demande maintenant que le même principe de neutralité soit appliqué à la Turquie.
- Dans une réunion antérieure, le comité avait pris les résolutions suivantes concernant les
- Exécutions en Birmanie.
- Au nom de l’association de Paix et d’arbitrage international, le comité exprime son horreur des exécutions barbares et injustifiables commises contre les prisonniers de guerre, en haute Birmanie. La fusillade de captifs qui n’avaient commis d’autre acte que de résister à l’invasion de leur sol natal est une violation flagrante du droit des gens, propre à compromettre sérieusement la réputation et l’honneur de l’Angleterre parmi les autres nations.
- En conséquence, le comité demande qu’une enquête parlementaire ou autre soit faite à ce sujet et que les autorités civiles ou militaires responsables de ces exécutions soient traduites en justice pour rendre compte de leurs actes.
- Danemark.
- On écrit auxEtats-Unis d’Europe :
- Nous sommes ici dans une situation violente, en plein absolutisme. Le ministère gouverne à coups d’ordonnances royales et avec des budgets qui n’ont pas été votés. Les travaux du Parlement ont * été brusquement, on peut dire brutalement interrompus. Parmi les projets tombés en souffrance se trouvait la proposition d'une Commission parlementaire chargée d’étudier un traité permanent d’arbitrage entre les trois Etats Scandinaves. Le peuple fait une résistance passive jusqu’ici, mais très ferme et très décidée. J’ai eu le très grand plaisir d’entendre ces jours-ci, à Vording-borg, tout au sud de la Seelande, une admirable conférence faite par M. Frédéric Bajer, l’un des membres, je crois, de votre Comité central. Après avoir raconté l’origine delà Confédération helvétique, commencée il y a 600 ans par l’alliance d’Uri, Schwytz et Unterwalden, M. Bajer a dit que les trois Etats Scandinaves devaient imiter cet exemple et
- p.132 - vue 135/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 133
- former une alliance de paix, d’arbitrage et de neutralisation ; d’autres Etats viendraient s’unir à ce premier groupe, ainsi naîtraient les Etats -Unis d’Europe, dont la Confédération suisse est la figure et la préface. M. Bajer a été extrêmement applaudi. Sa brochure : Alliance neutre des Etats Scandinaves, tirée à 6000 exemplaires est à peu près épuisée.
- ENQUÊTE AUX ETATS-UNIS SUR LES RAPPORTS DU TRAVAIL ET DU CAPITAL(i) IV
- Déposition de MM. Blackmer et Post, manufacturiers à Saint-Louis.
- 1» _ Selon nous, les grèves et les fermetures d’atelier sont un trait inévitable du régime du salariat.
- 2° — L’arbitrage est uo remède temporaire, car les éléments de conflits entre patrons et ouvriers existeront toujours.
- 3® _ Dans les grandes industries occupant des masses d’ouvriers, nous ne croyons pas qu’il soit possible de réaliser quelque système de participation par lequel toutes les parties intéressées contribueraient aux pertes de même qu’elles participeraient aux bénéfices.
- i° et 5° — Il nous semble impossible de réconcilier des éléments aussi antagonistes que ceux concourant à la production. Nous ne voyons aucun remède en ce qui concerne la présente génération,
- * *
- Déposition de M. Chartes Ridgely Esq. Président de la Compagnie des forges de Spring-field et de la Compagnie des Charbons de Ells-worth.
- Il me semble que l’état de souffrance actuel est dû simplement à la période de crise industrielle,
- Notre pays subit uneévolution.Ilpassedel’étatde pays neuf à la population rare et aux ressources insuffisantes, à celui de contrée ancienne ayant une population débordante et toutes les ressources possibles en plantes, capitaux, moyens de transport, habileté de main d’oeuvre, etc., etc., pour satisfaire à tous ses besoins journaliers.
- Tant que notre pays était neuf et que nous faisions venir de l’étranger ce dont nous avions besoin, vu le manque de capacité chez nous, il y avait place ici pour de hauts salaires ; mais à mesure que chaque industrie s’est constituée, les
- (1) Lire le Devoir des 7, 14 et 21 février 1886.
- salaires ont baissé. Les articles étrangers ont d’abord été éc'artés du marché, puis la concurrence s’est développée entre les industries du pays même et les prix de vente ont diminué partout. Les salaires ayant baissé concurremment, la consommation s’est ralentie ; des quantités d’ouvriers se sont trouvés sans emploi et ont offert le travail à plus bas prix encore.
- Cette tendance à la baisse des prix de vente et des salaires me semble devoir durer, jusqu’à ce que le coût de notre production soit réduit au point qui permettrait à notre exportation d’aller faire concurrence aux produits étrangers.
- Ma conclusion est donc que la direction du travail va devenir de plus en plus difficile, et que nos ouvriers seront de plus en plus turbulents. Le mal est trop profond pour être guéri par quelque mode de direction du travail.
- Ni l’action du capital, ni les Trades-Unions ne peuvent rien changer à cela.
- * Je passe maintenant à vos questions :
- 1° — Il me parait à peu près impossible do prévenir les grèves ni les fermetures d’atelier, tant que les marchés subiront des fluctuations qui font varier l’offre et la demande du travail.
- 2° — Je ne crois pas que l’arbitrage puisse résoudre complètement les conflits entre le capital et le travail. Les prix du travail sont commandés parla loi de l’offre et de la demande ; l'arbitrage, s’il est sensé, ne pourra que tenir compte de ce fait ; et son action n’ira pas plus loin.
- 3° --Je ne vois pas comment les relations du capital et du travail pourraient être modifiées ; ni comment un chef d’industrie pourrait fixer le taux des salaires indépendamment de ce ou’im-posent les prix mêmes du marché.
- 4° — Je ne crois pas grandement à la possibilité des entreprises coopératives. — J’ai vu florir quelques sociétés, mais elles fonctionnaient dans de petites limites et n’ont prospéré que pour un temps. Outre les difficultés qui résultent de l’absence de capital, les chefs des sociétés coopératives manquent généralement de l’élément le plus essentiel au succès : l’esprit des affaires. En outre, les hommes sont si envieux et si peu confiants les uns envers les autres que tous ces motifs réunis, rendent selon moi le succès impossible en cette voie.
- Les hommes vraiment capables passent constamment des rangs des ouvriers dans ceux des capitalistes ; et le progrès de la coopéretion en est retardé d’autant.
- p.133 - vue 136/838
-
-
-
- 134
- LE DEVOIR
- 50 _ gj je n’ai pas répondu suffisamment déjà, je ne puis qu’ajouter que la coopération ne me parait possible aux Etats-Unis que dans de petites affaires et dans des circonstances spéciales.
- * *
- Déposition de M. John A. Gibney, Esq. Saint-Louis, MO.
- Les grèves et les fermetures d atelier continueront sans doute jusqu’à ce que l’on comprenne mieux les devoirs du capital aussi bien que ceux du travail,
- Nous entendons trop parler des droits du capital et des droits du travail. L’un et l’autre ont des droits importants, c’est vrai; mais, on appuie beaucoup trop sur la question pour qu’il n’en résulte pas une tension des rapports entre travailleurs et capitalistes. Un procédé contraire développerait les relations amicales, le sentiment d'un intérêt commun.
- Le premier pas à accomplir est donc de moins rechercher et exalter les droits de chacune des parties et de commencer à considérer du fonddu du cœur les devoirs de chacune d’elles envers l’autre.
- Cette discipline mentale devrait d’abord être exercée par les représentants du capital. Un noble exemple de leur part ne serait pas sans influence. Ils rechercheraient avant tout, s’ils sont des naîtresou simplement des intendants responsables ue l'usage qu’ils savent faire des biens dont ils disposent temporairement et du pouvoir qui en résulte. Ils utiliseraient leurs talents mais sans perdre de vue les principes de l’éternelle justice. Ils n’oublieraient pas que le travail est la source de toute richesse ; qu’il a droit à une part de cette richesse qu’il crée ; et ils lui laisseraient cette part librement en temps de prospérité, sans aucune restriction, et sans attendre des réclamations.
- Un des plus grands griefs du travail contre le capital est que celui-ci ne donne rien au travail dans les périodes prospères. Les ouvriers en concluent qu’ils ne reçoivent pas pleinement leur dû ; qu’ils sont frustrés de lerft? part légitime des bénéfices de la production. ..
- Partout où il est possible on devrait rémunérer le travail à tant par objet produit ; ainsi, l’ouvrier le plus habile reçoit le salaire le plus élevé.
- Quand le travail à la pièce n’est pas possible, on devrait instituer le travail à l’heure.
- Les patrons devraient s’efforcer de se mettre
- à la hauteur de leur rôle de directeurs de la production, en conduisant les choses de façon à éviter des enmagasinements exagérés, hors de mesure avec les besoins, suivis immanquablement d’arrêt dans la production et de chômages, au grand danger de la paix publique.
- Plutôt que de congédier les ouvriers en masse, que les chefs d’industries réduisent à temps les heures de travail.
- Ils ne doivent pas exagérer les droits des capitalistes au point d’en perdre de vue le bien-être des travailleurs. Leur propre sauvegarde leur commande de respecter les principes de la justice, seule voie pour désarmer les fauteurs de troubles. Cela ne peut être fait, je le répété qu’à la condition pour les crpitalistes de se préoccuper moins de leurs droits et davantage de leurs devoirs.
- Les ouvriers, de leur côté, doivent songer que par le seul accomplissement routinier et sans vigilance de leur tâche journalière ils n’accomplissent pas en entier leur devoir. Ils doivent travailler en conscience, éviter la paresse et le gaspillage et veiller aux intérêts de l’industrie, se rappelant sans cesse que de leur habileté et de leur vigilance dans la bonne exécution du produit dépend, en grande partie, pour le chef de maison, la possibilité de leur compter de bons salaires et et de leur fournir de l’occupation.
- Ils doivent consentir à accepter les réductions d’heure de travail et de gain dans les périodes de crise industrielle, et ne point s’affilier légèrement à des sociétés dont ils ne connaîtraient pas suffisamment les principes ni le but, et qui pourraient leur ordonner ensuite de se mettre en grève contre leur propre sentiment.
- Pour conclure, je demande le développement de part et d’autre du sentiment du devoir ; ce sera la voie de solution de vos cinq questions :
- L’adhésion aux principes d’éternelle justice
- 1° — Rendra les grèves et fermetures d’atelier inutiles à de rares exceptions près ;
- 2° — Conduira les hommes à régler toujours leurs différends par l’arbitrage ;
- 30 et 4° — Non-seulement le respect du principe de la justice fera découvrir un meilleur mode de répartition des bénéfices de l’industrie, mais il en assurera l’application dans la mesure où l’on aura compris ce principe ;
- 5° — Ce sera la réalisation de la coopération véritable, échappant à toutes les objections en-
- p.134 - vue 137/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 135
- courues jusqu’ici par les tentatives faites dans la voie de la coopération.
- *
- * *
- Déposition de M. N. O. NelsonEsq. Président de la société manufacturière N. O. Nelson Saint-houis.
- 1° — Qui, le régime actuel du salariat engendre les grèves et les fermetures d’atelier.
- 2° — L’arbitrage n’est pas un parfait moyen de solution des conflits entre patrons et ouvriers, mais il a sa valeur.
- 3° — Le meilleur remède doit être cherché dans la révision du régime de la propriété et de la répartition des biens.
- 4° et 5° — L’origine de nos difficultés sociales tient à deux causes fondamentales :
- A — Le monopole aux mains de quelques hommes d’immenses portions de terre, soustraites ainsi à l’usage d’un grand nombre de familles.
- B — La diminution d’un grand nombre de propriétaires indépendants à la ville comme à la campagne.
- Dans les pays neufs où la terre est libre ou à bon marché, il y a peu de travailleurs salariés et pas de grèves.
- Dans les grands Etats industriels, il faut posséder une fortune considérable pour être propriétaire indépendant sous tel mode que ce soit.
- Le capital s’accumule et se centralise en un très-petit nombre de mains, ce qui par contrecoup multiplie le nombre des salariés et les met de plus en plus sous la dépendance de la minorité capitaliste.
- Dans les périodes actives d’échanges, les salaires les prix de vente et les bénéfices sont élevés. Le propriétaire épargne des sommes considérables ; et il remplit si bien ses magasins que le trop plein se fait vite sentir, alors les fabriques commencent à fermer. Des ouvriers se trouvant sans travail, et par conséquent sans ressources, cessent d’acheter, une stagnation générale s’empare des affaires.
- Si dans la période de prospérité une plus large part des bénéfices avait été allouée aux ouvriers, cette part ne se fut pas accumulée à l’état de superflu.
- D’un autre côté, si l’on pouvait librement ou à bon marché se procurer le sol, l’ouvrier trouverait le moyen de vivre en dehors de l’usine, et les inégalités de la production se corrigeraient d’elles-mêmes.
- L’accès à la terre étant impossible, les misères s’aggravent, la concurrence établit la baisse des salaires et bientôt apparaissent les grèves et les chômages.
- Ignorant et insouciant des principes généraux, le manufacturier considère son industrie comme sa propriété exclusive, et croit avoir donné aux travailleurs leur dû en leur payant les salaires au taux des cours. Ses bénéfices accumulés lui permettent de fermer la fabrique et de vivre en attendant les événements. Les ouvriers sont dans une position contraire.
- Un antagonisme inéluctable est ainsi créé comme entre la liberté et l’esclav âge. Les ouvriers sont exaspérés et mourant de faim ; la lutte et ses excès sont imminents. Quelques patrons consentiront alors à se rendre aux décisions d’un arbitrage, mais combien d’autres n’écouteront rien !....
- En général, la coopération n’est pas pratique parce que les ouvriers n’ont pas les capitaux suffisants et parce qu’il leur faut choisir entre eux des directeurs. Chefs et ouvriers étant sortis des mêmes rangs, la jalousie, les dissensions jouent entre eux un rôle actif.
- Cependant, les grèves et les fermetures d’atelier sont une source de maux aussi graves que ceux de la guerre elle-même. Et nous ne pouvons considérer sans alarme le jour qui s’approche rapidement où il faudra trouver une solution.
- Des millions d’hommes, habiles et intelligents, citoyens a’un pays au sol fécond, ne pourront pas indéfiniment voir ieurs familles affamées, tandis que, eux, travailleront pour fournir la nourriture, le vêtement, le logement à la minorité déjà surabondamment pourvue; et il est à craindre, si l’oa ne trouve d’ici là aucun remède, que ces masses ne soient pas alors portées à un respect trop scrupuleux des titres de propriétés qui assurent à une poignée d’hommes de si grands avantages.
- Rien de meilleur n’étant entrevu, je pense que l’arbitrage en cas de conflits, et l’inauguration du régime de la participation de l’ouvrier aux bénéfices sont des remèdes à recommander.
- A suivre.
- L’admission temporaire
- Les chambres syndicales de deux corporations viennent d’adresser aux pouvoirs publics une pétition protestant : 1° contre les abus qui se pratiquent au moyen de l'admission
- p.135 - vue 138/838
-
-
-
- 136
- LE DEVOIR
- temporaire des fers étrangers ; 2° contre les droits exagérés qui grèvent leurs principales matières premières : le carton, e fer noir, le fer-blanc et les vernis.
- Le Petit Journal a, le premier, dans son numéro du 4 février, signalé cette pétition, à laquelle les gros fabricants ne semblent adhérer qu’à contre-cœur, tandis que, bien au contraire, les ouvriers et les petits patrons s’y sont ralliés avec enthousiasme. Il convient d’expliquer les raisons de cette presque dissidence.
- D’abord, qu’est-ce que l’admission temporaire ?
- L’admission temporaire est « l’importation, en franchise, de certains produits étrangers, sous la condition que ces produits soient réexportés après avoir subi en France un complément de fabrication ou de main d’œuvre ». La loi édictée à ce sujet, et qui a pour but surtout de favoriser l’industrie métallurgique, date de 1836.
- Lorsqu’un négociant introduit en France un produit étranger qu’il déclare destiné à la réexportation, on lui délivre en douane un acquit-à-caution c’est-à-dire l’autorisation de faire circuler librement et même de détenir pendant un certain laps de temps le produit en question,
- Quand plus tard il exporte une quantité équivalente de la même marchandise, il effectue ce que l’on appelle l’épurement de son acquit-à-caution, autrement dit, il se libère de la dette éventuelle contractée parlai envers le Trésor.
- En un mot, l’acquit-à-caution est, en matière de douane, l’analogue du passe-debout en matière d’octroi municipal.
- Voilà le principe.
- La loi exige : 1° que les marchandises soient réexportées dans un délai de six mois ; 2e qu’il ne puisse y être substitués, à leur sortie, d’autres objets dont la matière ne serait pas identiquement celle qui est entrée.
- Fort bien. Mais il arrive que certains manufacturiers puissants, par un système d’agiotage dont il serait trop long d’expliquer les ressorts, trafiquent sur les acquits-à-caution, et trouvent moyen d’expédier à l’étranger des produits tout autres que ceux reçus par eux en admission temporaire.
- Cette fraude est d’autant plus facile que la loi ne demande à ces exportateurs d’autres formalités que leur propre attestation. Quoi de plus facile que de signer dans ces conditions un faux certificat d’origine ?
- Il est évident, dès lors, que ce genre de trafic place des maisons qui l’exercent dans des conditions exceptionnellement favorables, vis-à-vis de leurs concurrents moins privilégiés ou plus scrupuleux.
- Un exemple pour être bien compris. Le fer-blanc, à son entrée en France, est frappé d’une taxe de 12 fr. par 100 kilos. Si, sous prétexte d’admission temporaire, un manufacturier introduit ce fer-blanc en franchise, et ne l’exporte pas, les objets de fer-blanc issus de sa fabrication lui reviendront à bien meilleur compte que les mêmes objets ne reviendront à son voisin qui, lui, moins bien [outillé, et ne pouvant invoquer l’exportation, aura acquitté les 12 fr. de droit.
- Cela surtout, si l’on considère que ces 12 fr. représentent environ 34 0/0 de la valeur du fer-blanc.
- Cependant, dira-t-on, la loi doit porter une pénalité aux j fraudes de ce genre ? J
- Sans doute, mais cette pénalité, d’ailleurs d’une application difficile, n’est point appliquée du tout, parait-il, et c’est précisément ce dont se plaignent les signataires de la pétition.
- Ils demandent, en outre, la réduction des droits excessifs infligés à leurs principales matières premières, ce qui les met hors d'état de soutenir la concurrence étrangère.
- Ainsi, tandis qu’en France le carton, fort employé dans la bimbloterie, acquitte en douane 8 fr. par 100 kilog., il ne paye, en Allemagne, quel fr. 25. Même disproportion, en ce qui concerne le fer-blanc : 12 Ir. en France, 6fr. 25 seulement en Allemagne.
- On se plaît à citer l’Allemagne de préférence ; car c’est d’elle, sans conteste, que nous avons le plus à craindre actuellement sur le terrain commercial.
- AVIS A NOS LECTEURS
- Les articles publiés dans le Devoir sur le droit d’hérédité nationale sont édités sous forme d’Etudes sociales portant les titres et numéros suivants :
- N° 4 — L’hérédité de l’Etat ou la réforme de l’Impôt.
- N° 6 — Ni impôts ni emprunts l’hérédité de l’Etat dans les successions base des resso\ir'ccs publiques.
- N° 7 — Travail et consommation par l’hérédité nationale.
- Les études numéros 4 et 6 ont été
- envoyées à tous les députés et à tous les sénateurs.
- Nous tenons ces études et celle numéro 7 à la disposition de nos lecteurs, au prix de 25 centimes le numéro : la série des trois Etudes à 60 cenlimes.
- APHORISMES & PRÉCEPTES SOCIAUX
- C
- Egalité des salaires.
- L'égalité des salaires est la chimère de ceux quiy victimes des abus, n’ont pu concevoir que l’ordre social véritable ne consiste pas à mettre tous les hommes au même niveau, mais, au contraire à faire que chaque citoyen trouve dans la société une position qui lui donne sécurité et satisfaction.
- p.136 - vue 139/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 137
- LA QUESTION SOCIALE
- et les Possibilités socialistes.
- XI
- SOLUTION THÉORIQUE
- Si l’on entend par ces mots l’énoncé des principes relatifs au plein épanouissement matériel et moral de la créature humaine, la solution de la question sociale ouvre un horizon de recherches et d’études dont il serait puéril de vouloir mesurer le rayon ; même l’hypothèse de pouvoir en déterminer l’étendue, à une date aussi lointaine qu’on la suppose, serait une négation de l’éternité du progrès.
- Lorsque nous parlons de la solution de la question sociale, nous prétendons formuler uu certain nombre de données conformes à la nature de l’homme et suffisamment précises pour guider le mouvement social dans les voies de l’évolution rationnelle.
- L’observation de ces données aboutirait, rapidement, à la constitution d’un ordre social supportable par les moins bien partagés ouvert à d’incessants progrès.
- Passons à l’énoncé de ces données fondamen-talés.
- La proposition suivante nous semble devoir être placée au point de départ de la sociologie:
- L’humanité est une.
- Cette formule signifie que la race humaine forme un tout composé d’individus solidaires répartis sous diverses latitudes, comme les cellules d’un même corps appartiennent à des membres divers. Cette unité de la nature humaine est le fait dominant qui condamne l’esclavage des peuples ou des individus; elle est l’explication de cette vérité théoriquement incontestée que :
- L’intérêt de chacun résulté de l’intérêt de tous, et l’intérêt de tous provient de l’intérêt de chacun.
- Le globe terrestre,le sol, appartient, par droit de naissance, également à tous les hommes.
- On ne peut soutenir une opinion contraire, à ' moins d’admettre l’existence d’une hiérarchie sociale créée par délégation d’un être suprême. Comme nous écrivons pour les gens qui raisonnent et non en vue de changer les croyances de ceux que conduit une foiaveugle, nous pensons inutile d’insister sur une donnée acceptée par tous les esprits libéraux.
- Néanmoins cette proposition a un corollaire qu’il faut mettre en évidence:
- La société, gardienne des droits de chacun, ne doit pas laisser approprier individuellement le sol, lorsque cette appropriation est une condition de progrès, sans sauvegarder les droits de chacun de ses membres.
- Les hommes naissent également libres.
- Cette affirmation a pour conséquence directe la nécessité d’une même loi pour tous les citoyens; la loi peut être plus ou moins libérale, mais son libéralisme ou son autorité doit être le même à l’égard de chaque individu. Nous déduisons que : La loi doit être la même pour tous les citoyens.
- Chaque être humain a un droit égal à la vie.
- La sanction de ce droit à la vie est la première i des obligations que les sociétés doivent inscrire ' dans la loi égale pour tous.
- La sanction du droit à la vie ne peut découler de vagues déclarations : elle résulte de circonstances matérielles faciles à déterminer. La physiologie et. l’hygiène indiquent les conditions mini-ma dans lesquelles doit se mouvoir la créature humaine,pour que sa conservation ne soit écourtéo ou atteinte par une insuffisance d’alimentation matérielle et intellectuelle. Ce sont ces minima que la société doit garantir effectivement à tous ses membres, sans distinction d’âge ou de sexe. Nous dirons plus loin ceque peuvent être cesmini-ma ; ici nous nous bornons à en noter le principe. Nous disons :
- Chaque créature humaine a droit à un minimum de subsistance.
- La mutualité nationale est l’institution fondamentale des sociétés rationnelles.
- Le minimum de subsistance représente une certaine quantité d’objets consommables. Ces objets sont nécessairement le produit du travail des autres pour tous les enfants et pour tous ceux qui n’ont jamais été en état de supporterles efforts de la produclion,suivant une proportion équivalente à leur minimum de subsistance ; pour les adultes, pendant les maladieseilavieillesse, lesfrais demu-tualité pourront être couverts par une assurance obligatoire, prélevée sur leur travail pendantlapé-riode d’activité, en prévision de ces éventualités.
- Chaque citoyen en état de travailler doit contribuer aux dépenses de la mutualité nationale.
- La contribution de mutualité doit être proportionnelle à la production de chacun.
- En parlant d’assurance obligatoire et de mutu»
- p.137 - vue 140/838
-
-
-
- 138
- LE DEVOIR
- alité, c’est-à-dire de prélever, sur le travail des forts, assez pour garantir leur minimum de subsistance et celui des faibles, nous avons semblé apporter des restrictions à la liberté individu elle, car l’idéal de la liberté serait pour chaque être humain de pouvoir consommer intégralementl’équivalentdesa production . Mais il y a lieu de remarquer que la production individuelle est proportionnée au plus ou moins grand usage que chacun fait de la matière et de la connaissance de ses lois ; toutes choses dépendant du domaine naturel que la société ne peut laisser accaparer par les individus sans sauvegarder les droits de chacun des propriétaires, soit de l’ensemble des êtres humains. Le droit de mutualité, perçu proportionnellement à la production de chaque travailleur,est la rémunération que chacun doit pour l’usage qu’il fait des choses appartenant à tous.
- Afin de restreindre le moins possible la liberté individuelle, il sera juste de prélever, autant qu’on le pourra, le droit de mutualité après la mort des individus :
- Le droit de mutualité doit provenir de la liohesse acquise, dans tous les cas possibles.
- Les générations sont solidaires.
- Les jeunes générations, qui se développent par la consommation d’objets épargnés sur le travail des antres, contractent parce fait une obligation de rendre à leurs successeurs les avances qui leur ont été généreusement faites.
- Le développement dé l’humanité nous apparaît suivaut une progression constante.
- Lorsque nous analysons le progrès nous trouvons qu’il représente une épargne faite au profit de tous ; nous concluons, par des considérations analogues à celles que nous avons énoncées à propos du droit de mu tuai i té, que:
- Chaque citoyen doit une épargne proportionnelle à sa production, afin de contribuer au futur progrès.
- Nous pouvons résumer ainsi les conditions économiques de l’ordre social.
- Chaque être humain valide doit à la mutualité et à l’épargne nationales une part de contribution calculée d'après sa production, parce que cetfe production est toujours proportionnée à l’usage que chacun fait des choses du domaine public ; matière et science.
- * +
- Dans l’ordre moral : la société est responsable de l’enfance; l’adulte obéità la loi qu’il fait librement.
- Tous les êtres humains ont droit à la vie intellectuelle.
- De là,nécessité de mettrel’instruction à la portée de tous par l’organisation d’un service public d’éducation Il est de l’intérêt de la société que chacun de ses membres puise,dans l’étude des sciences, les forces qui lui rendront plus Léger le poids des charges sociales, en même temps qu’elles le disposeront à mieux utiliser, à son prcfit, les ressources que la nature met à la disposition des hommes.
- Le développement intellectuel de la jeunesse impose des charges considérables ; il est utile de ne pas les aggraver par de vains efforts dans le but de procurer le savoir à des êtres incapables d’apprendre :
- Le concours et les examens donneront la mesure du développement intellectuel de chacun.
- La loi doit prévenir une limite d’âge, avant laquelle le travail musculaire doit interdit aux adolescents.
- Cette obligation résuite d’un fait que personne ne conteste : le travail prématuré atrophie le corps el l’intelligence.
- L’adolescent se prépare à laproduction d’après ses aptitudes révélées par les concours et selon les besoins sociaux.
- Beaucoup prétendent que cette donnée 11’est pas d’accord avec les sentiments de liberté innés dans toute créature humaine. Cependant, s’ils veulent réfléchir, ils comprendront que, lorsque sous l’influence de l’autorité de la famille ces considérations sont méconnues, l’être poussé dans une carrière encombrée ou contraire à ses aptitudes devient un malheureux ou un déclassé payant chèrement la faute de ses tuteurs égoïstes ou trop ambitieux.
- Au reste, la loi fixe le terme de la tutelle sociale et restitue à l’adolescent devenu adulte la plénitude de sa liberté individuelle.
- Sous le régime présent, l’adulte, dont la famille a faussé la directions bien rarementia possibilité de choisir une autre voie suivant les aspirations et la connaissance de lui-même qu’il possède à ce moment de la vie; tandis que, dans une société rationnelle, l’homme majeur aura toujours le droit, en se réduisant au minimum de subsistance, que la société garaniü à tous les êtres, de recommencer aussi souvent qu’il le voudra l’apprentissage d’une profession conforme a ses goûts.
- La loi fixe la majorité de l’individa; et celui-ci prend possession de sa libeité individuelle.
- Chaque citoyen majeur a un droit égal de participer à la confection des lois.
- p.138 - vue 141/838
-
-
-
- 139
- ______________________________________LE DEY
- L’exercice de ce droit suppose une organisation du suffrage universel assurant l’autorité de l’électeur et procurant à chacun la liberté et l’égalité devant l’urne.
- La liberté du citoyen est limitée par l’obligation de ne pas faire à autrui ce que chacun ne voudrait pas qu’il lui fût fait à lui-même.
- Contre ceux qui outrepassent cette limite, la société doit être armée assez fortement pour empêcher leur action néfaste. La faculté d’apprécier les circonstances dans lesquelles un citoyen a enfreint cette règle n’est le monopole ni d’une caste, ni de quelques hommes; elle est du domaine de l’opinion publique ; elle ne peut être justement pratiquée que par la constitution d’une magistrature élective :
- Le droit de juger et de punir une créature humaine appartient à l’opinion publique, il doit être exercé par une juridiction sortie de l’élection.
- Préoccupé de rechercher ce qui est possible dans les sociétés arrivées à la période de grande industrie, période qui est caractérisée par le phénomène que l’on est convenu d’appeler la surproduction et, qui, en réalité, provient de la faiblesse de la consommation permise aux masses par les rigueurs du salariat, nous ne nous attarderons pas à discuter longuement chacune des propositions que nous venons d’énoncer, certain que nous sommes d’a-boulir par leur observation rigoureuse à décrire un ensemble de mesures, d’application générale immédiate, qui concerdoront avec les besoins de la nature humaine.
- Néanmoins, nous devons étendre un peu plus nos considérations générales, donner un aperçu de l’action individualiste,collective et communiste, montrer comment peut fonctionner le minimum de subsistance, décrire le mécanisme de l’épargne sociale, expliquer l’intervention de l’Etat, justifier les vues émises dans ces chapitres par un rapprochement avec le mobile des actions humaines, enhn dégager l’œuvre urgente vers laquelle tendront les réformes que nous préconiserons.
- A suivre.
- M. Charles Secretan, professeur de droit naturel à l’Académie de Lausanne, vient de publier une brochure d’une soixantaine de pages eontenant un éloquent plaidoyer en faveur des droits de la femme.
- L’auteur démontre d’abord que la femme étant unepersonne, au sens juridique de ce mot, la loi devrait la traiter comme
- OIR
- telle et lui reconnaître des droits, aussi bien les droits politiques que les autres.
- M. Secretan rappelle deux vérités évidentes: c’est qu’en principe une classe destituée de tout moyen régulier d’exercer une influence sur sa propre condition juridique n’est pas libre ; c’est qu’en fait les législateurs masculins ont réglé le sort de l’autre sexe dans ce qu’ils croyaient être l’intérêt du leur.
- Le Droit de la femme est en vente chez M. Benda, libraire, rue Centrale, à Lausanne, Suisse, au prix de i fr. 20.
- La reine d’Italie vient de choisir pour premier médecin une Française, docteur de la Faculté de Paris.
- -----------------------— -----------—________________
- ZÈLE REFROIDI
- Le Comité général de souscription pour la défense de la liberté religieuse publie le compte rendu de l’emploi de ses ressources en 1885.
- Le zèle des fidèles se refroidit, puisque le produit net ne s’élève qu’à 58,308 francs. Lors de l’expulsion des congrégations, les recours alloués atteignirent 70,000 francs ; l’année suivante ils tombèrent à 24,000 francs ; En l’an 1885, c’est à peine si on a pu distribuer 10,000 francs, et encore les dépenses ont dépassé les recettes de 9,500 fr.
- 11 est vrai que l’année 1885 a été une année électorale. Il a fallu distribuer de « bons journaux » et de « bonnes brochures » et organiser des conférences.
- Les membres du comité de MM. le duc de la Rochefoucauld Bisaccia, le baron de Mackau, Ànisson Duper-ron, Relier et Riant supplient leurs amis de leur fournir de l’argent, beaucoup d’argent. Que de fois n’ont-ils pas dit : « Nous n’avons pas besoin des cinquante millions que la République, consacre au budget des cultes : les fidèles sauraient pourvoir aux besoins du clergé ». On en voit la preuve. C’est le denier de St-Pierre qui est le premier à donner des résultats désastreux; maintenant c’est le tour de la caisse de la défense de la liberté religieuse.
- Et, de ce résultat, nous tirons cette conclusion que les catholiques de France ne se laissent plus duper par leurs chefs de file. Que prétend défendre en effet ce comité de cléricaux : La liberté religieuse !
- les montres en bois. — L’habileté du paysan russe comme maçon et menuisier est proverbiale. Avec ses outils primitifs, il réussit à faire des merveilles. Aussi n’a-t-on été que médiocrement étonné en voyant apparaître sur le marché de Nijni-Novogorod des montres en bois. Boîte et mécanisme, tout est en bois. Ces montres sont fabriquées par les paysans du gouvernement de Wjatha. Elles marchent très bien et trouvent un débit rapide dans les classes pauvres de la population.
- p.139 - vue 142/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 14 0
- Croix fédérale Etats-Unis
- Les employés des postes de l’Etat de New-York, viennent de s’organiser en union mutuelle. La première demande qu’ils se proposent de faire au gouvernement est la réduction à 8 heures de service actif pour une journée de travail.
- LES JOURNALISTES DE LA RACE NOIRE
- Depuis leur émancipation qui remonte à plus de vingt ans, les gens de couleur américains ont fait du progrès.
- Ils ont aujourd’hui leurs journaux, leurs revues, tout comme la population blanche de l’Amérique.
- Une statistique assez récente porte même à 150 le nombre de journaux contrôlés par les descendants de Cham. - Tous ces journaux sont hebdomadaires.
- Les plus importants d’entre eux sont le « New-York Entreprise» et le «New-York Freeman.»
- Le «New-York Entreprise» est tenu par la race noire pour la plus grande autorité dans les questions sociales et politiques.
- Son rédacteur M. J. A. Arneaux, est un jeune homme de 30 ans qui a été gradé à l’Institut de Paris.
- Le «New-York Entreprise» a une circulation de 9,000 exemplaires par semaine.
- La circulation du «New-York Freeman» est de 4,000. M. Fortune qui le rédige est un ancien élève de l’Université de Harvard. Une cinquantaine de collaborateurs de différentes parties des États-Unis contribuent gratuitement à ces journaux.
- Les reporteurs eux-mêmes ne sont pas salariés. Ils se recrutent en grande partie parmi les étudiants ou les universitaires.
- -----------------------—----------------------------------
- A Lille, la Société des arts et des sciences a organisé une fête en l’honneur de Gustave Nataud. C’est le chansonnier * Desrausseaux qui a été chargé de chanter sa gloire en patois picard; il l’a fait avec une naïveté charmante.
- A ce propos, nous rencontrons une poésie inédite de Nadaud. Elle vaut un mot de la fin ; on nous saura gré de la donner : Dans l’océan de ma cuvette.
- Une mouche allait se noyer;
- Pour qu’elle s’y pût appuyer,
- Je lui tendis une baguette.
- La mouche, que ma main sauvait,
- Remercia bien la baguette ;
- La cause lui restait secrète,
- Elle ne connut que l’effet.
- Esprit borné, vue incomplète.
- Se trouvent chez plus d’un humain ;
- Nous apercevons la baguette,
- Mais nous ne voyons pas la main.
- Activité parlementaire.
- M. Emile Cère se plaint,dans la France, de la paresse du Sénat ; il cite un très grand nombre de projets qui, quoique remontant à six ans, n’ont pas encore été votés ou repoussés. Le sénat n’a trouvé ni le temps ni le moyen de les examiner. Il en résulte quelquefois une situation curieuse.
- Ainsi, dans ÏEta,t des travaux administratifs qui vient d’être remis à tous les sénateurs, on constate qu’une 1
- commission chargée d’examiner le projet relatif à la mise à la retraite des magistrats fonctionne encore. Or, voici la liste des membres de cette commission : Jules Favre (mort), Haget (mort), Ernest Picard (mort), Huât (mort), Michal-Ladichère (mort), Ribière (mort), comte Rampont (mort), et Edouard Charton (seul survivant).
- Donc, tous les membres de la commission, sauf un, ont eu le temps de mourir avant que le Sénat ait donné son avis... et la proposition reste encore à l’ordre du jour !.. -----------------------. « ♦ . ---------------------------
- LE SUFFRAGE DES FEMMES
- Question qui fait sourire nombre de Français, dont beaucoup moins capables que beaucoup de femmes de savoir pour qu’ils votent. Il ne s’en croient pas moins beaucoup plus avancés que tous les autres peuples ; car c’est une manie qui,malheureusement, n’est pas inoffensive pour nous de nous croire toujours en avant-garde, portant la lumière que doivent suivre les autres.
- Pendant ce temps, les Anglais cheminent. Us promettent moins, ils tiei nent plus. Ils n’ont pas de grands bonds, mais ils marchent, ne s’arrêtant jamais et prenant toutes les questions au sérieux.
- Us ne s’esclaffent point à celle du suffrage des femmes, quoiqu’ils n’aient point encore le suffrage universel complet pour les hommes. Us ont admis ce suffrage pour les conseils des écoles et autres conseils des municipalités. Quand la loi électorale, dont est sorti le nouveau Parlement, fut discutée, M. Woodfall, dans un amendement, posa la question sur laquelle la Chambre des communes se partagea.
- Elle vient de la retrouver, mais la loi ne propose de donner le suffrage qu’aux veuves et femmes non mariées. Les femmes mariées sont censées voter par l’intermédiaire de leur mari. C’est supposer, dans le ménage, une union politique qui m'est pas toujours vraie. Nous en savons quelque chose en France !
- A la suite de l’adresse, la Chambre des communes a décidé par 142 voix contre 139 de passer à une seconde lecture du bill.
- Il est donc fort probable que toute une catégorie de femmes va recevoir le droit de suffrage en Angleterre. Une fois que les femmes non mariées‘l’auront, nul doute que les femmes mariées ne l’acquièrent rapidement. Elles invoqueront tant et de si bons arguments pour justifier leur revendication !
- Cette profonde réforme sociale, s’accomplissant de l’autre côté du détroit, nous fera dire :
- — Les Anglais toujours originaux !
- Eh ! oui ; mais c’est un défaut que n’ont jamais eu les moutons de Panurge.
- La Lanterne.
- LA MISSION CIVILISATRICE
- La Réforme, de Bruxelles, publie une lettre d’un soldat français actuellement au Tonkin à ses parents.Cette lettre nous parait avoir une naïveté, une sincérité qui nous engage à la reproduire :
- Dap-Can, le 10 décembre 1885.
- Nous sommes rentrés hier, après quarante-sept jours de colonne, bien fatigués. Nous n’avons pas vu beaucoup de
- p.140 - vue 143/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 141
- pirates ; il n’y a que le premier jour que nous en avons vus— juste assez pour dire que nous les avons vus. Un lieutenant, l’officier d’ordonnance du colonel Daulnier, a eu la tête coupée ; il a été surpris ; il était parti seul à cheval en avant ; les pirates étaient cachés sous un pont, quand il est passé, ils ont tiré dessus et en suite lui ont coupé la tête, qu’ils ont emportée ; ils l’ont fouillé et lui ont enlevé ses armes et ses jumelles, mais ils n’ont pas eu le temps de le dévaliser complètement, car, lorsque nous avons entendu tirer sur lui, nous nous sommes vivement portés en avant et nous les avons mis en déroute.
- Nous avons eu beaucoup de mal ce jour-là, car il a fallu passer des rivières, en ayant de l’eau jusque sous les bras. Nous avons battu tous les villages aux environs ; mais sans rien trouver. Après avoir marché toute la journée dans l’eau, nous avons pris la grand’garde le soir, pour nous remettre. Aussi tu dois bien penser dans quel état nous étions. Nous sommes repartis le lendemain matin et nous avons été prendre une citadelle ; mais nous y sommes rentrés l’arme à la bretelle, car il n’y avait personne dedans. En passant dans les villages, nous avions le droit de tout tuer et piller lorsque les habitants ne venaient pas se soumettre. Aussi nous n’avons pas manqué de poulets et de cochons pendant la colonne.
- Nous n’avons pas eu de tués par les balles, mais nous avons été quand même bien éprouvés, car le choléra s’est mis dans le bataillon et nous avons eu 1 eaucoup de morts. Sur cent cinquante par compagnie que nous étions partis, nous sommes rentrés à peu près quatre-vingt-dix. Les hommes tombaient comme des mouches, principalement les plus gros et les plus forts ; les petits maigriots comme moi, ça tient toujours ; espérons qu’il en sera toujours de même.
- Nous avons pris aussi deux éléphants que les pirates avaient volés, mais nous n’avons pas vu de pirates du tout. Ils s’étaient sauvés.
- Nous chassons les pirates, mais je crois que c’est nous qui sommes les premiers pirates, car nous partons le soir, vers dix ou onze heures, nous allons dans les villages et nous surprenons les habitants au lit ; nous tuons tout, hommes, femmes, enfants, à coups de crosse de fusil et à la baïonnette ; c’est un vrai massacre.
- Les hommes de la classe de 1880 et ceux qui ont vingt-quatre mois de colonies vont rentrer en France très prochainement ; il est arrivé un renfort de 450 hommes par bataillon pour les remplacer. Quant à nous, les derniers arrivés, nous y sommes pour nos vingt-quatre mois.
- Je profite de notre retour ici pour te souhaiter une bonne et heureuse année et une parfaite santé, ainsi qu’à mon oncle et ma tante.
- X...
- L’Exposition de 1889.
- La Correspondance républicaine publie le relevé suivant des réponses à la circulaire Dautresrae :
- Il y a quelques temps, le ministre du commerce a adressé aux présidents des Chambres de commerce, des Chambres consultatives des Arts et Manufactures et des Chambres syn- i dicales une circulaire leur demandant de lui faire connaître I
- s’ils étaient partisans d’une Exposition universel en 1889.
- Voici comment se sont réparties les réponses adressées au ministre du commerce :
- Favorables au principe même de l’Exposition, 563,
- Hostiles au principe même de l’Exposition, 36.
- Demandant une Exposition internationale, 563.
- Demandant une Exposition nationale, 22.
- Ne se prononçant pas sur ces deux derniers points, 12.
- En résumé, on voit que 563 réponses sont favorables au principe même de l’Exposition et que 36 seulement sont défavorables. Ces deux chiffres prouvent bien que l’idée d’une Exposition internationale est dans tous les esprits. M. Lockrov fera donc bien de déposer son projet de loi le plustôt possible pour donner satisfaction à la grande majorité des Cbambres citées plus haut et par suite au commerce et à l’industrie dont elles sont la représentation la plus exacte et la plus directe.
- En toutes choses nous voudrions voir le gouvernement prendre de la sorte l’avis des intéressés. Ces consultations préparen t la bonne exécution des mesures qu’elles visent I elles ont, en outre, l’inappréciable avantage d’habituer les citoyens à s’occuper de la chose publique.
- UN AVEU
- Au cours de la discussion sur les événements dontDecaze-ville a été le théâtre, M. Baïhaut, ministre des Travaux publics, s’est ainsi exprimé :
- « La véritable cause de la situation de la Compagnie des mines vient de la crise économique qui sévit sur le bassin de l’Aveyron. Les houilles de Deeazeville sont surtout des houilles bonnes pour la fabrication du gaz. Mais elles ne peuvent être dirigées sur Bordeaux ou sur un grand centre de consommation par suite des tarifs des Compagnies de chemin s de fer. »
- Voilà un aveu bon à relever : Il porte avec lui la condamnation par le gouvernement même des conventions conclues entre l’Etat et les grandes Compagnies de chemins de fer.
- Les conventions ont laissé aux grandes Compagnies toute leur liberté.
- Elles en profitent pour élever leurs tarifs — ou tout au moins, pour ne pas les abaisser.
- « Les tarifs pour le transport de la houille — dit un de nos confrères — ont été élevés dans des conditions si abominables que le prix de celle qu’on extrait des mines de Deeazeville a dû être augmenté au point que les consommateurs ont tout intérêt à acheter de la houille anglaise. ».
- C’est au Ministère Ferry que nous devons lés conventions. Le Cabinet actuel n’en a pas la responsabilité. Mais M. Baïhaut était sous-secrétaire d’Etat au Ministère des Travaux publics quand les conventions furent conclues. Pourquoi donc n’a-t-il point protesté alors ?
- La Lanpe Universelle
- L’association française pour la propagation du volapük, langue commerciale universelle, dont nous avons parlé à plusieurs reprises, a inauguré hier matin, à dix heures, dans le grand amphithéâtre de l’école des hautes études commerciales
- p.141 - vue 144/838
-
-
-
- 142
- LE DEVOIR
- de la rue Tocqueville, les cours publics et gratuits qu’elle vient d’instituer, dans le but de propager ce moyen pratique de correspondance entre toutes les nations du monde.
- Le vaste amphithéâtre était plein d’auditeurs attentifs, qui ont été vivement intéressés par la démonstration faite par M. Kerckhoffs, le savant initiateur du volapük.
- Nous n’entreprendrons pas de décrire ici cette langue d’une extrême simplicité, qui, au moyen d’un nombre très restreint de mots faciles à retenir, constitue un trait-d’union pratique entre tous les peuples.
- Dans un but de divulgation très bien compris, des cours de volapük seront faits concurrement par 8 autres professeurs en divers quartiers de Paris. Les dames sont admises.
- Un concours général entre les élèves des diverses sections aura lieu,le dimanche 2 mai ; des prix,consistant en médailles, seront décernés aux lauréats.
- (Petit journal)
- Bibliothèque du Familistère
- Nous offrons à M. André Chanet les remercîments de la population du Familistère pour le don qu’il a fait à notre bibliothèque des deux ouvrages suivants :
- Les Haltes, par le donateur lui-même, ouvrage écrit en vers avec charme, élégance et facilité. (En vente chez Ghio, Palais-Royal — 1 vol. 5 fr.)
- Self Halp ou caractère, conduite et persévé-vérance illustrés à l’aide de biographies, par Samuel Smiles, traduit par Alfred Talandier.
- * *
- Nous offrons les mêmes remercîments à l’un de nos amis des Etats-Unis, M. Ch. Dadant, pour l’envoi de son ouvrage :
- Petit cours d’apiculture pratique, regrettant de ne pas avoir à notre disposition de larges plaines fleuries et embaumées qui nous permettent d’appliquer les utiles renseignements contenus dans cet ouvrage.
- La journée de huit heures par Paid Boilley brochure en vente à trente centimes à la clicherie de la Presse, 125 rue Montmartre, Paris.
- Cet opuscule contient une étude très-judicieusement faite sur la réduction des heures de travail et sur le taux des salaires. L’auteur, mesurant avec une impartialité remarquable les avantages el les désavantages de ces mesures en arrive aux conclusions suivantes :
- « Oui la réglementation du travail s'impose împérieuse-« ment aujourd’hui, et prime toute question politique.
- « Oui ! le temps de la journée doit être réduit, qu’il y ait « ou non perte matérielle, car le bénéfice moral l’emporte de « beaucoup. Oui ! il serait désirable que la mesure, fût prise « universellement par tous le pays de grande industrie et <l devînt pour ainsi dire internationale.
- a Est-ce donc là toute la solution, dira-t-on.
- « A cela je réponds : non ! ce n’est pas une solution « c’est un expédient' C’est l’expédient de l’heure présente
- <r qu’il est nécessaire d’employer, parce qu’il y a urgence :
- « mais qui est imparfait comme tous les expédients.
- « La vraie solution est ailleurs.
- « L’axiôme : Â chacun selon ses œuvres fournit à lui « seul le dénouement intégral de la difficulté, et cet axiôme « trouve son application réelle, non pas dans les détails acces-« soires, mais dans le cœur même de la question, c’est-à-dire « dans la participation aux bénéfices.
- c< La participation de l’ouvrier aux bénéfices le mettra sur « un pied complet d’égalité avec son patron, et le délivrant « de toute servitude lui donnera voix délibérative dans le « réglement de là durée du travail...................
- « Nous avons aujourd'hui, des exemples d’installations « industrielles basées sur la participation, en pleine prospère rité, et dont les résultats sont d’autant moins discutables « quils s’appuient ceux-là, sur des chiffres aussi rationnelle-o ment établis, que peuvent l’être ceux d’une comptabilité « commerciale.
- « Entre tous, et le premier en date, le premier en importe tance, celui où les détails semblent avoir été le plus « étudiés, et où, sur le principe fondamental de la participa-« tion, viennent se greffer toutes les institutions démocrati-« ques de coopération, d’assurance, d’instruction, de tout « enfin ce qui tend à relever l’homme et le travailleur, il « faut citer le Familistère de Guise.
- « Son fondateur, M. Godin, est un de ceux dont on pourra « dire : qu’il a bien mérité de l’humanité.
- « D’autres établissements marchent sur ses traces et avec « des variantes d’organisation viennent corroborer les faits « déjà acquis et accumuler les preuves.
- « L’idée est dans l’air, donc elle fera son chemin. »
- MAITRE PIERRE
- Par* Edmond ABOUT
- ( Suite )
- XIII
- LE GALANT A LA NOIX
- premier conseiller municipal. La commune t’a adopté.
- DEUXIÈME CONSEILLER MUNICIPAL. NOUS SOilimeS tOUS
- tes vieux amis. (Il se lève.) le chœur. Tous ! Tous !
- le maire., avec une solennité paternelle. Après ce que nous avons fait pour toi et ce que tu as fait pour nous, nos. intérêts sont comme qui dirait solidaires, et nous ne pouvons plus les séparer sans ingratitude réciproque.
- l’adjoint. Nous ne serions pas assez bêtes pour laisser partir la providence du pays.
- maître pierre, auec bonhomie. Ma foi ! vous me faites plaisir. J’ai cru un instant que j’étais de trop. l’adjoint. Ce n’est pas toi qui sera jamais de trop. premier conseiller municipal. Il y en a peut-être d’autres ; mais ce n’est pas .toi.
- p.142 - vue 145/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- deuxième conseiller municipal. Je ne nomme personne mais nous ne te sacrifierons jamais à un étranger. (Il mange un morceau de sucre).
- le gendre François, finement. Et ceusse qui ne sont pas goûtants tant pis pour eusse !
- maître pierre. Ah ça, qui est-ce qui me conseillait donc de voyager ?
- le maire, souriant. Ce serait donc la première fois que lu n’entendrais pas la plaisanterie ? Toi,un des derniers représentants de l’esprit gaulois !
- l’adjoint. Où plaisanterait-on, si ce n’est à table ? le maire. La gravité municipale elle-même se déride quelquefois.
- le gendre François. Moi, quand j’ai pu, jetis toujours des pêtises(il rit aux éclats, et allonge une tape dans le dos de sa femme).
- le maire. Enfant ! parce qu’il est temps que tu songes au mariage. Tu épouseras celle qui te plaira. Personne ne veut te contraindre. Et, d’ailleurs, la loi s’y oppose formellement. Elle sera bien heureuse celle que tu honoreras du nom de madame Pierre ! Et si ma cadette n’était pas mariée,...
- MAÎTRE PIERRE ET LE GENDRE FRANÇOIS, ensemble.
- Merci !
- le maire. Ma parole est allée au-delà de ma pensée. Parle-lui donc, Marinette, à ce grand étourdi-là marinette.Je n’ai rien à lui dire,monsieur le maire. le maire. Comment ! il t’a élevée, il t’a sauvé la vie, tu lui dois tout ; ses sentiments sont bien connus ; c’est le meilleur cœur du pays et le plus joli garçon ; il n’y a pas un jeune homme de la ville qui puisse lui tenir tête ; il raisonne comme un livre ; il s’exprime... comme moi, et tu n’as rien à lui dire 1
- maître pierre. Laissez ! Laissez ! Quand nous courons ensemble dans les landes et que le vent souffle de la mer, le vent emporte nos paroles. C’est pourquoi nous avons pris l’habitude de nous entendre sans parler. m. bijou aîné, ronflant sur la table. Rrrrr ! le gendre serrurier, à M. Darde fils. Voilà pourtant les messieurs de la ville ?
- deuxième conseiller municipal, à maître Pierre. Garçon ! verse moi un verre d’eau vinaigrée. Il boit en faisant la grimace.) C’est bon ! ça ne grise pas ! C’est la boisson des vrais Landais ! (il sort.)
- le maire. Ou, pour parler élégamment, le breuvage national ! (A maître Pierre.) Maïs comment vas-tu t’y prendre pour reconquérir les terrains que l’eau des étangs a envahis ?
- l’adjoint. Et pour faire la fortune de plusieurs perr sonnes ?
- 143
- | le maire. C’est une grande idée, à coup sûr et rehaussée d’un élément généreux, comme toutes celles du même auteur ; mais peut-être y a-t-il de l’indiscrétion à l’interroger.
- l’adjoint. Bah ! Il n’a jamais eu de secret pour nous.
- jean vxn, à maître Pierre. Attention ! Ils vont te tirer les vers du nez.
- le maire. Sachez, vieillard incongru, que le vrai génie est comme le soleil. Il n’attend pas qu’on lui demande la lumière.
- maître pierre. Aii fond, qu’est-ce que ça me fait? Dans cette idée-là, il y a à manger pour tout le monde. Tendez vos assiettes !
- premier comseiller municipal. Vive maître Pierre ! m. bijou Aîné. Rrrrr !
- m. tomery, bas à Marinette. Est-ce qu’il va recommencer sa classe ? marinette. Oui, monsieur. m.tomery. C’est un fier original. marinette. Oui, monsieur. m. tomery. Mais il a du bon. marinette. Oui, monsieur. m. tomery, riant. Vous êtes adorable. marinette. Oui, monsieur.
- le maire. Avec votre permission, monsieur Tomery, je vous rappellerai à l’ordre. m. tomery. Oui, monsieur.
- maître pierre. On m’a reproché tantôt que l’assainissement des landes doublerait le volume de nos étangs et les ferait déborder sur les communes du littoral. Qui-est-ce qui a dit ça.
- le maire. L’a-t-on dit ? A coup sûr ce n’est pas moi. l’adjoint. Ni moi ! ni moi !
- maître pierre. Allons ! ça n’est personne. Mais celui qui me l’a dit avait raison. Il est certain que le jour où ma besogne sera finie, tous les villages placés comme Bulos seront perdus. Mais.... l’adjoint. 11 a réponse à tout. le maire. Je ne dis rien mais vous allez voir ! maître pierre. Mais j’ai pensé à creuser un canal qui déverserait le trop plein des étangs dans le bassin d’Ar-cachon Nous avons assez de pente.
- le maire. Adopté. J’en fais mon affaire ! J’exécuterai le canal et il portera mon nom.... Mais pardon ! Qu’esl-ce que j’y gagne ?
- maître pierre. Si je me contentai de retirer des étangs l’eau que j’y ai mise, mon canal serait déjà un travail d’utilité publique, puisqu’il sauverait nos villages et me permettrait de dessécher les uns sans inonder les autres,
- p.143 - vue 146/838
-
-
-
- 144
- LE DEVOIR
- le maire. Certainement, mais nous aurions plus court à rester comme nous sommes et à laisser les autres comme ils sont.
- maître pierre. Mais si, au lieu de couserver le niveau des étangs, je l’abaisse d’un mètre ou deux ? L’eau se retire, pas vrai ? Nous gagnons autour de chaque étang une belle bande de terre. le maire. Diable ! ça vaut la peine. maître pierre. Ça n’est rien. La grosse affaire, c’est que tous les marais du voisinage se trouvent desséchés du coup.
- le maire. Mais c’est énorme ! j’ai trois cents hectares entre Hourtins et la Canau, qui ne m’ont jamais rapporté que du poisson.
- l’adjont. Moi, j’ai une pêcherie de six cents journaux du côté du Porge. On pourrait en faire quelque chose.
- maîtrepierre. On en ferait quelque chose comme six cents journaux de pâturages. Un joli mouchoir à bœufs !
- l’adjoint. Grand homme.
- maître pierre. Je sais bien. Notez qu’il y a des marais à l’infini autour de nos étangs. Entre les étangs d’Hourtins et de la Canau, j’ai mesuré dans l’eau une plaine de sept kilomètres qui reste inondée six mois par an. Desséchés, les sept kilomètres ! Les marais de Bulos. de Batéjin, de Batourtot, de Langouarde, desséchés ! Les marais de Lillet nous ont donné l’exemple en se vidant tout seuls par le chenal de Lège dans le bassin d’Ar-caehon.
- le maire. Mais c’est une Californie !... s’il ne faut pas trop d’argent pour creuser ce canal-là.
- maîtrepierre. Ça dépend. J’en aurai pour cent cinquante mille francs si je n’abaisse qu’un peu le niveau des étangs, La dépense pourra se monter au double si je fais l’ouvrage â fond.
- le maire. Ne te gêne pas, mon garçon : abaisse, abaisse Je te donne tous les pouvoirs nécessaires. tous. Nous aussi ! nous aussi!
- maître pierre. Voulez-vous faire l’opération de compte à demi avec moi ?
- le maire, refroidi. A quoi bon ? tu es le plus capable. Notre temps est pris, à nous autres. Nous sommes des paysans. D’ailleurs il faudrait avoir des capitaux disponibles. Je t’ai promis d’être le parrain de ton canal ; je ne m’en dédis pas. Mais c’est toi qui sera son père. maître pierre. Vous êtes tous du même avis ? le chœur. Oui ! Oui !
- maître pierre. Eh bien, c’est convenu, et je vous remercie de votre générosité. lemaire. Comment l’entends-tu ? maîtrepierre. C’est la première fois qu’on aura vu
- des paysans préférer la dépense à la recette, et abandonner leur argent au lieu de prendre celui des autres. La loi sur les dessèchements est formelle, j’améliore vos marais ; ils ne valent pas trente francs l’hectare au jour d’aujourd’hui : ils en vaudront trois cents dans 18 mois, et la loi m’accorde moitié de la plus value. le maire. Répète un peu cette loi-là.
- A suivre.
- État civil du Familistère
- Semaine du 15 au 21 février 1886
- Naissance :
- Le 18 février de Olivier Emilienne, fille de Olivier Onézime et de Lemoine Elise.
- Le 19 février, de Gosse Jenny,tille de Gosse Théophile et de Gilet Marthe.
- Décès :
- Le 17 février, de Cellet Jules, âgé de 47 ans.
- Le 21 février, de Louis Lucien âgé de 26 àns.
- Le n° 14 de la Revue socialiste (19, Faubourg Saint-Denis), vient de paraître. Il contient en premier lieu un très intéressant article de J. Piriaud, sur le Monopole des Chemins de fer et sur les moyens pratiques de le faire cesser, une très haute et très impartiale étude du rôle moral du Catholicisme dans le passé, termine la partie consacrée au l’histoire des dogmes, par B. Malon, dans son grand ouvrage sur la Morale sociale.
- Du même auteur, le Droit à Vexistence, concernant l’assistance publique et les travaux de réserve, contient des solutions immédiates. M. Platon termine d’une façon magistrale sa critique du dernier livre de Herbert Spencer, et M. Elle Peyron envoie de Decazeville, où il est allé prendre devant les tribunaux la défense des mineurs arrêtés, de très curieux renseignements sur l’oppression dont les mineurs sont victimes dans l’Aveyron et sur les bénéfices réels des Compagnies, le numéro de mars contiendra la première partie d’une étude très approfondie de la situation des ouvriers mineurs en France, faite d’après des documents pris aux sources, par M. Eugène Fournière, (Prix du n° d fr. Abon. un an, 12 fr., 6 mois, 6 fr. Etranger, port en sus).
- La Terre aux Paysans, 40, rue de Trévise, Paris. — Six mois, 2 fr.; un an, 4 fr. — Sommaire du numéro du Dimanche 21 Février 1886. — Le Prolétariat agricole. — Sourds Grondements, par le Père Le Gall. — La Culture en Chine : L’Eau et l’Engrais, par M. C.-Eug. Simon. — Nouvelles Théories agraires, par Mm® B. Gendre. — Les Forêts et la Pluie, par M. A. Toubeau. — Les Droits sur les Maïs — La Propriété rurale dans les Bouches-du-Rhône. — Feuilleton : Toinon (suite), par André Léo.
- Le Directeur Gérant : GODIN
- Guise. — lmp. Barè.
- p.144 - vue 147/838
-
-
-
- 10° Année. Tome 10.— H' 391 Le numéro hebdomadaire 20 c. Dimanche 7 Mars 1886
- ÆdMk à&êtm w viil
- REVUE DES QUESTIONS SOCIALES
- BUREAU
- a GUISE (Aisne)
- Toutes les communications et réclamations doivent être adressées à M. GODIN, Directeur-Gérant Fondateur du Familistère
- ABONNEMENTS PAYABLES D’AVANCE par l’envoi, soit au bureau de Guise, soit à celui de Paris, de timbres-poste ou de mandats de poste, dont le talon sert de quittance.
- France
- Un an . Six mois. , Trois mois.
- 10 fr. >» 6 »» 3 »»
- Union postale Un an. . . . llfr. n Autres pays
- Un an. ... 13 fr. 60
- ON S’ABONNE
- A PARIS
- 5 , rue Neuve-des-Petits-Champs Passage des Deux-Pavillons
- S’adresser à M. LEYMARIE administrateur delà Librairie des sciences psychologiques.
- SOMMAIRE
- Les sources et les dettes actuelles de la richesse. Objections, questions et réponses sur l’hérédité de l’Etat. — La propriété du sol et le traité de Malgache.— La grève de Decazeville.— Question des étrangers et du droit au travail. — Enquête aux Etats-Unis sur les rapports du travail et du capital. — Avis à nos lecteurs. -- Le Parlement.
- — La politique ouvrière.— L’Irlande et l’Angleterre.— Les étudiants de Lyon et l'armée du salut.
- — Falsification du Thé. — Bibliographie. — Maître Pierre.
- LES SOURCES ET LES DETTES ACTUELLES DE LA RICHESSE.
- 14me Article.
- S’il est maintenant un fait établi pour tous, surtout pour ceux qui en souffrent, c’est que la misère des ouvriers coudoyant la richesse de tous les côtés devient plus intolérable à mesure que la richesse se développe et grandit.
- La prudence autant que l’équité et la justice imposent aux classes dirigeantes de chercher les principes à l'aide desquels la répartition de la richesse accorderait au travail ce qui lui est dû et d’en faire l’application au plus vite, afin de préserver les nations d’un cataclysme qu*on ne peut envisager sans effroi.
- Qu’il me soit donc permis de rappeler brièvement ici les principes de ces règles de droit et de
- justice, fondement du devoir des individus et des sociétés, afin que nous sachions reconnaître jusqu’à quel point on s’en est écarté.
- La richesse émane de quatre sources principales :
- 1° — La nature,
- 2° — L’homme,
- 3° — L’Etat ou la société,
- 4° — Le capital.
- Chacun de ces facteurs de la richesse concourt à la production générale dans des proportions et dans un but de justice éternelle que nous avons à rechercher et à définir.
- Car la juste répartition delà richesse consisterait à donner au produit de chacun de ces facteurs la destination naturelle que les lois de la vi© lui assignent.
- Examinons donc à ce point de vue chacun de ces facteurs.
- 1° — La nature est la première des sources de la richesse par les immenses ressources qu’elle met incessamment au service de l’homme. La nature intervient dans la production par le sol, les minéraux, les végétaux, les animaux et par l’action incessante qu’elle exerce pour l’entretien de la vie sur la terre et de l’existence de l’homme, en particulier.
- Le contingent de ressources que la nature nous donne, elle le donne en vue de tous les hommes ; c’est la part de Dieu, c’est le droit naturel du pauvre à une part de la richesse acquise lui assurant ses moyens d’existence. L’Etat doit pourvoir à ces
- p.145 - vue 148/838
-
-
-
- 146
- LE DEVOIR
- garanties mutuelles en prélevant le nécessaire sur la richesse et non sur les individus.
- 2e — L’homme par son travail, par son activité, par son talent, ses actions et ses oeuvres devient une seconde source de richesse. C’est par le travail humain que les ressources de la nature s’amélio-ri nt et se transforment en choses bonnes à notre usage. La justice éternelle assigne au travail, à l’activité de l’homme le droit à ce que son auteur ajoute aux produits de la nature : à chacun le produit de son œuvre.
- 3° — L’Etat prend aussi une certaine part à la création de la richesse.
- Il y concourt par les services publics que la société organise et entretient dans son sein, afin de faciliter futilisation des ressources de la nature et d’aider aux rapports, aux relations, aux travaux aux échanges entre les citoyens. A ce titre l'Etat a, lui aussi, dans la richesse créée, particulièrement droit à une part suffisante pour entretenir et faire fonctionner les services publics.
- 4° — Enfin le capital représentant le travail déjà accompli et mis en réserve est utile aussi à la production, lorsque celui qui le possède le met au service d’un travail nouveau. Ce service mérite un témoignage de reconnaissance envers le capital ainsi employé, surfin t quand ce capital est le fruit de l’activité utile du citoyen.
- La répartition équitable de la richesse ou des bénéfices dus à l'action commune de ces quatre facteurs de la production constitue le problème qui est à la base de toutes les questions sociales.
- Mais comment jusqu’ici a-t-il été abordé ? Examinons cette question dans l’ordre des facteurs de la richesse.
- 1° — La part de Dieu, — que les Athées me passent cette expression — celle qui constitue le droit naturel de tout homme, et notamment des pauvres à une part sociale, cette part donnée directement par la nature, la première en titre et la plus sacrée est, aujourd’hui, confisquée par la richesse.
- C’est par la reconnaissance et la restauration du droit de tout être humain à cette part naturelle et sacrée que la première réforme sociale sérieuse doit commencer. Le droit naturel de toute créature humaine aux garanties sociales de l’existence a été jusqu’ici le plus méconnu; il cesserait de l’être par l’institution du droit d’hérédité de l’Etat qui restituerait à sa destination naturelle la part du travail de la nature.
- ke travail d® l’homme, sans lequel aucun
- bien-être n’existerait pour personne dans les sociétés humaines, n'a pour récompense que le salaire, et il est exclu des avantages de la richesse enfantée par son action. Souvent le travailleur souffre de privations, demeure sans secours ni appui de la part delà société qu’il a enrichie. L’hérédité de l'Etat restituerait au labeur la part des biens dont il doit jouir.
- 3° — L’action de l’Etat ne profite qu’aux puissants, l'hérédité nationale ferait place au peuple dans les avantages de la richesse publique.
- 4° — Le capital absorbe tous les avantages, et de la nature, et du travail, et de l’Etat ; c’est la répartition des richesses au rebours de tou te justice et de toute équité, .propre à engendrer perpétuellement la révolte de la conscience des peuples, jusqu’à ce que l’hérédité nationale ait rétabli le juste équilibre qui rendra au peuple des travailleurs ce que la richesse lui doit.
- Tel est le problème de justice et d’équité sociale dont j’ai cherché à mettre en lumière la solution dans tous mes écrits et par l’expérimentation pratique que j’en ai réalisée dans la fondation et l’organisation du Familistère, où j’ai établi, avant toute chose, les garanties mutuelles du droit à l’existence : minimum de subsistance, nourriture, vêtement, logement, hygiène, instruction et travail, sous la protection de la liberté pleine et entière de chacun; expérimentation qui a été couronnée ensuite par l’association du travail et du capital dans les bénéfices de l’industrie, association appelant chacun à participer aux bénéfices en proportion de la valeur de son concours ou des services qu’il a rendus.
- J’ai ainsi créé un plan réduit des réfo rmes sociales nécessaires en appelant les ouvr iers au partage des bénéfices sous les différentes formes afférentes à chacun des facteurs de la richesse. J’ai commencé par instituer la réserve nécessaire aux garanties de l'existence avant toute répartition des bénéfices, cette mesure correspondant au premier des droits naturels du travailleur, le droit de vivre. L'expérience m’a confirmé dans cette conviction, que la société elle-même devrait procéder d’une façon semblable et que la première réforme sociale à établir, pour opérer avec méthode*-consisterait à donner aux classes ouvrières des garanties mutuelles contre la privation du nécessaire.
- L’hérédité de l’Etat étant un des appoints prélevés sur la richesse pour concourir à l’établissement de cette institution, j'ai posé les règles à suivre et je les ai mises en pratique.
- p.146 - vue 149/838
-
-
-
- le devoir
- 147
- A quand les imitateurs ? Quand les hommes d’Etat inaugureront-ils le droit d’hérédité nationale en vue de réaliser la solidarité entre les hommes dans une fraternelle mutualité contre les malheurs de l’existence ?
- En facilitant au bénéfice de tous les travailleurs l’organisation sociale des garanties de la vie dont j’ai donné l'exemple au Familistère, et en mettant pour toujours les familles laborieuses à l’abri du besoin par l’organisation de la mutualité nationale, nos gouvernants vaincraient le paupérisme ; la misère, les grèves, les revendications, les révolutions disparaîtraient des sociétés, pour faire place au travail fructueux et prospère par lequel les hommes seront appelés à user et consommer ce qu’ils peuvent produire.
- Objections, questions et réponses sur l’hérédité de l’Etat.
- Extrait d'une lettre de M. Silberling de Craïova Valachie. —
- Objection :
- « Le dernier travail de M. Godin, « L'hérédité « de l’État, » est remarquable à tous égards ; il « n’y a guère qu’une seule objection à faire à « cette réforme, c’est qu’elle n’est applicable que « dans une société supérieure à la nôtre soit au « garantisme.
- « Si les civilisés adoptaient cette réforme, ils « trouveraient encore moyen d’employer ces « ressources pour faire des canons et des « baïonnettes et autres engins pour s’entredéchi-« rer plus facilement. Chez cette engeance-là, « toute réforme produit l’effet contraire à celui « qu’elle produirait dans une société normale. »
- Réponse :
- Il y a dans cette objection une manière de voir d’école qu’il est bon de réfuter; car, prise à la lettre, elle serait une fin de non-recevoir de toute réforme.
- Il est pourtant conforme à la saine raison qu’on ne ^pourra passer‘de la société présente à une société meilleure, que p'ar des réformes. Or, d’hérédité de l’État est la réforme la plus simple et la plus facile qu’on puisse imaginer pour remédier aux abus les plus criants de la société actuelle. Elle ouvrirait immédiatement1 la période de toutes les réformes sociales nécessaires, celles-ci devenant la conséquence obligée des ressources obtenues.
- Repousser l’hérédité de l’État sous prétexte que les gouvernants feraient de ces ressources des canons et des baïonnettes, n’est pas un motif suffisamment sérieux pour empêcher la démocratie de prendre en considération le projet.
- Serait-il donc préférable de laisser les gouvernants accabler le peuple d’impôts pour faire des canons et des baïonnettes, plutôt que de demander à la richesse les ressources nécessaires pour les construire ?
- Quand on prendra ce dernier parti les classes riches seront moins empressées à voter les crédits pour la guerre ; donc, l’hérédité nationale deviendra un gage de paix, tandis que maintenant la guerre étant un moyen de placer avantageusement les capitaux des classes riches, les gouvernements ne se font pas faute de voter les centaines de millions demandés pour la guerre alors qu’ils ne savent ou ne veulent rien voter ou presque rien pour soulager l’existence des légions de travailleurs affamés et pourvoir à l’instruction publique de leurs enfants.
- * *
- Extrait d’une lettre de M. Pardoux à Clermont-Ferrand.
- Objection :
- « Vous dites, page 93 de Mutualité nationale « contre la misère :
- « Sous un tel régime, (l’hérédité nationale) « les citoyens n’auront plus d’autre redevance .à « payer à l’Etat que celle du loyer des choses « qu’ils détiendront à titre de fermiers ou comme « propriétaires.
- « Sur dix personnes, même favorablement « disposées, sous les yeux desquelles tombe cette « phrase ou quelqu’autre du même genre, il y « en a neuf qui arrivées aux derniers mots : « ou comme propriétaires, s’écrient :
- « Ah ! bien ! non !.... Elle est forte celle-là ; ce « n’est pas la peine d’abandonner à l’Etat la moitiéj « le quart ou n’importe quelle autre quantité de « son héritage, sous prétexte de n’avoir plus à « payer d’impôt, si c’est pour payer un loyer....
- « Il me semble cependant qu’il serait facile de « faire tomber cette objection ou même de « l’empêcher de se produire. Il suffirait pour « cela d’ajouter à la phrase incriminée quelques « mots explicatifs faisant bien ressortir : que la.
- p.147 - vue 150/838
-
-
-
- 148
- LE DEVOIR
- « redevance dont il s'agit, véritable rente rem-« boursable à la convenance du débiteur, frappe-ci rait uniquement les biens prêtés loués, ou « vendus à crédit par l’État, tout le reste étant « absolument libre de toutes charges autres que « celles volontairement consenties avec affectation « spéciale. »
- Réponse :
- II me semblait avoir répondu suffisamment à cette objection par les développements déjà donnés sur ce sujet; mais je dois y revenir puisque l’objection m’est faite par un homme très-intelligent et dévoué au progrès, mais qui, je le pense, n’a pas étudié lui-même suffisamment ce que j’ai écrit sur cette question.
- D’abord, il faut bien admettre qu’il ne serait pas raisonnable de vouloir convaincre ceux qui ne veulent pas comprendre. Il n’est de pires sourds que ceux-là. C’est temps perdu que de vouloir atteler au progrès des hommes sans foi ni principe, qui n’ont pour mobile que l’égoïsme.
- On ne peut vouloir que l’État, devenu propriétaire, se dessaisisse des biens du domaine national sans une compensation au profit des citoyens qui s’abstiendront de cette jouissance.
- Le citoyen qui veut disposer du sol et des instruments de travail emprunte à la communauté ce qui appartient à tous, il est donc juste qu’il paie à l’Etat un revenu au profit de tous.
- Comment se peut-il faire qu’aujourd ’hui on se résigne si bénévolement à payer des fermages et des loyers écrasants à des propriétaires intermédiaires, inutiles au bon fonctionnement de la société et gardant pour eux tous les revenus qu’ils reçoivent ; et qu’en même temps on puisse venir dire qu’on ne devrait rien payer à l’État propriétaire qui, lui, ferait servir son revenu au plus grand avantage de tous les citoyens.
- L’hérédité nationale et le revenu national c’est l’abolition des impôts et des fermages, c’est le remboursement de la dette de l’État, c’est l’émancipation des travailleurs. A ceux-là qui répondent à l’idée de l’hérédité de l’État : J’aime mieux que mes descendants gardent à perpétuité le monopole de propriétaires rentiers par droit de naissance ; il n’y a qu’à dire : Ecoutez les murmures de l’anarchie de l’industrie et du travail ; écoutez les clameurs encore confuses des grèves, les plaintes de ceux qui ont faim ; prêtez attention aux grondements sourds et profonds des souffrances sur lesquelles vous voulez fermer les yeux, et de-
- mandez-vous, si, chez des peuples qui ont acquis le sentiment de leur droit, cela ne présage pas des bouleversements autrement graves qu’un petit changement qui aurait le mérite de tout concilier.
- Revenons à la rente et à la propriété sous le régime de l’hérédité nationale :
- Que l’individu soit propriétaire ou qu’il soit fermier, dans les deux cas il paie la rente à l’État. La rente ou le revenu dû à l’Etat, c’est le droit dû à la nation pour les biens qu’elle livre à l’activité des citoyens, c’est le droit d’usufruit de ce quelle abandonne aux citoyens d’une façon viagère ou temporaire, et dont l’État recouvre ainsi l’équivalence au profit de la collectivité.
- La propriété qui tombe aux mains de l’État par voie d’hérédité devient propriété nationale incom-mutable ; elle ne peut être aliénée que temporairement et moyennant dédommagement.
- Mais, va-t-on s’écrier de nouveau, quelle différence y aura-t-il entre le fermier et le propriétaire, si tous les deux paient le revenu au profit de l’État ?— La différence, je l’ai expliquée ; elle consiste en ce que le propriétaire, c’est-à-dire celui qui achète une propriété pour une période de temps déterminée, a le droit absolu d’en disposer comme il l’entend ; mais le fonds rentre au domaine national à l’expiration du délai fixé par la vente ; tandis que le fermier, celui qui loue la propriété, doit maintenir cette propriété dans l’état où il l’a reçue et la rendre, à fin de bail, dans les conditions convenues au contrat.
- Il ne faut pas croire que cette réforme sociale satisfera toutes les manières de voir.
- Quelque pacifique et anodin que puisse être un changement dans les intérêts établis, quelque mérite qu’il ait, il soulève toujours de l’opposition de la part des intérêts égoïstes, même lorsque la mesure leur serait avantageuse, à plus forte raison lorsqu’ils pourront avoir à en souffrir passagèrement.
- On peut encore se souvenir de la campagne des maîtres de postes, lors de la création des chemins de fer ; s’il n’avait tenu qu’à eux, nous serions encore aujourd’hui sans voies ferrées. Les propriétaires du jour envisagent, généralement, l’hérédité de l’Etat comme les maîtres de postes envisageaient alors les chemins de fer. Quoique l’hérédité nationale ne touche pas à la propriété, sinon après la mort des détenteurs actuels, les propriétaires veulent l’envisager comme une dépossession.
- p.148 - vue 151/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- U9
- En principe, il faut donc comprendre que l’État ne se dessaisit jamais d’une façon absolue des biens rentrés au domaine national. Les contrats emphytéotiques qu’il fait avec les citoyens ne sont que des conventions de possession temporaire. Les propriétés, à expiration de ces conventions, font toujours retour à l’État. Il faut également comprendre que les impôts payés aujourd’hui au gouvernement, et les fermages et loyers payés aux intermédiaires étant supprimés, une rente modique est due à l'État pour les biens ainsi acquis ; car, les prix de vente ne comprendront que le droit de disposer des biens, d’en user et abuser, condition indispensable à la liberté et à la libre initiative des citoyens ; mais les propriétaires établis dans ces conditions doivent payer, en outre, à l’État, un revenu annuel sur ces biens, revenu qui est la représentation du droit d’usufruit ; car, il n’y aurait pas de motif pour que la propriété fût accordée à un citoyen plutôt qu’à un autre, si l’acquéreur ou le fermier ne payait une redevance à la société. Que le payement de cette rente puisse se faire par voie de rachat, c’est affaire de législation et de convention, cela n’affecte en aucune façon le principe de l’hérédité nationale ni du revenu national.
- Lorsque la société sera assise sur ses bases normales, l’hérédité nationale représentera plus particulièrement le droit social du peuple et le revenu national le budget de l’Etat.
- Extrait d'une lettre de M. G. à Paris :
- « J’ai reçu les deux broch\ires(Etudes Sociales « numéros 4 et 6) que vous avez bien voulu « m’adresser et je vous remercie de cet envoi.
- « Je suis absolument convaincu qu’il y a lieu « de recourir à l’évocation héréditaire de l’État,
- « afin que celui-ci ait, à un jour donné, non la « jouissance, mais le domaine éminent et la « propriété de tout le sol de la patrie.
- « J’estime que la propriété n’a de source légi-« time que le travail intellectuel ou manuel et « que, par conséquent, elle est de son essence « transitoire et temporaire.
- « Dès que le propriétaire a retiré du fonds ce « que celui-ci lui a coûté, il doit faire abandon de « ce fonds dont il est désormais un usurpateur au « détriment de ses frères et concitoyens. »
- Je cite cette lettre parce qu’elle est d’un homme de loi. L’hérédité nationale lève la difficulté en ne demandant rien au citoyen de son
- vivant, mais en récupérant à sa mort la part due à la mutualité nationale, pour donner aux fai. blés et aux classes laborieuses les garanties du lendemain et pour assurer les services publics de la nation.
- Extrait d'une lettre de M. Van Duijl d’Amsterdam.
- lre Objection :
- « L’Etat devrait vendre ou louer les immeu-« blés dont il hérite. •— Bien, mais à qui ? Cer-« tainement, pas à ceux qui n’ont rien; car, « alors, chacun voudrait bien essayer une exploi-« tation, puisqu’il aurait tout à y gagner et rien « à y perdre. Si par sa faute ou sa négligence « l’affaire ne va pas ; eh ! bien tant pis, on l’aban-« donne; on a joué le propriétaire pendant un « certain temps et la perte est pour l’Etat !»
- Réponse :
- L’État vendra ses biens à qui voudra les acheter, comme cela se fait aujourd’hui. Le travail prospère et rémunérateur créera assez de richesse pour qu’il y ait toujours des acheteurs.
- La vente est annoncée, affichée, l’adjudication publique a lieu au plus offrant, celui qui a besoin achète.
- S’il n’y a pas d’acheteur, l’Etat donne à ferme à qui ne veut ou ne peut acheter.
- Pourquoi, dirai-je à mon tour, supposer que lorsque l’Etat vendra à prix réduit il n’aura pas d’acheteur ? Pourquoi supposer que lorsque l’Etat louera à un fermage modique, il ne trouvera pas de fermier, ou que les fermiers ne rempliront pas leurs engagements?
- Gela est vraiment trop fantaisiste. Est-ce que l’Etat serait privé des garanties que trouve aujourd’hui le propriétaire?
- 2me Objection :
- « L’hérédité de l’Etat, dites-vous, ne touche en « rien aux possessions des vivants, ce sont seu-« lement les morts qui restituent la part due à « l’action de la nature et de l’Etat — Mais est-ce « que vous croyez que votre fraternelle mesure « ne fera pas baisser considérablement les rentes, « les loyers, les fermages ?»
- Mais, c’est là le but de la mesure : donner toutes les ressources de la production à meilleur compte au travailleur; effacer sans violence les obstacles qui rendent la terre, l’habitation et les instruments de travail d’un difficile accès ; rendre l’accaparement du travail des autres sans préjudice pour les ouvriers ; diminuer les superflus., de:
- p.149 - vue 152/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- m
- riches pour faire une part plus juste au pauvre et à l’ouvrier.
- Tout cela ne se fera pas sans baisse de prix des revenus. Mais tout est relatif. Peu importe qu’on ait trois mille francs de revenus au lieu de cinq mille, si l’on vit mieux avec trois?
- Les loyers et les produits s’obtiendront à meilleur marché, car la société bien organisée ne prêtera plus à l’encombrem ent des produits ; les populations consommeront à mesure de leur production; l’activité humaine n’aura plus d’arrêt, les grèves disparaîtront et le travail créera sans cesse l’abondance pour tous.
- Le progrès ne s’accomplit pas dans l’humanité sans déplacer les intérêts.
- Tout mouvement dans la société en entraîne un autre. L’hérédité appellera les oisifs à l’activité ; mais le travail moins pénible et plus honoré sera une gloire dont chacun sera avide.
- 3me Objection :
- « Avec l’hérédité de l’Etat tous les impôts sont « abolis, c’est-à-dire les impôts de ceux qui de-« meurent à la campagne, mais les impôts de « ceux qui demeurent en ville ? Avec quoi les « conseils municipaux régleront-ils leurs budgets?
- « Et ces impôts, du moins en Hollande, sont les « plus considérables. Je paie à l’Etat 280 francs « d’impôts et j’en paie 520 à la ville, ainsi presque « le double. Il serait trop fort d’avoir à payer « après la mort une somme considérable à l’Etat « et, durant la vie, une forte somme pour l’impôt « municipal. »
- Réponse :
- J’ai dit que tous les impôts seraient abolis, en supposant l’hérédité nationale adoptée comme base unique des ressources de l’Etat, en sus de celles qu’il obtient des services publics; car, l’hérédité de l’Etat peut être appliquée dans di- J verses proportions, comme appoint au budget et j comme moyen de décharger d’abord les classes laborieuses des impôts exhorbitants qu’elles paient, aujourd’hui, sur leurs consommations.
- Mais dans le cas de l’adoption de l’hérédité nationale comme base des ressources publiques, j’entends qu’elle doit parfaire aux besoins de l’Etat et aux besoins des communes.
- Le partage se ferait entre les communes et l’Etat dans la proportion des besoins respectifs de chacun d’eux.
- Cette objection qui me vient de Hollande puise sa raison d’être dans ce que mon correspondant sépare la commune de l’Etat,
- J’ai, pourtant, toujours identifié la commune à l’Etat au cours de mes études ; j’ai surtout indiqué l’abolition des charges qui pèsent sur le peuple et, particulièrement, des octrois qui, en France, sont des taxes appliquées aux choses de consommation et, par conséquent, payées par les pauvres comme par les riches.
- Rien n’est plus simple que de concevoir la répartition des ressources de l’hérédité nationale entre les communes et l’Etat. Celui-ci prélève sur le produit de l’hérédité de quoi répondre aux besoins généraux de la nation ; les communes y ont leur part en proportion de leur population.
- 4me Question :
- « Sur les terrains qu’il loue ou les fabriques « qu’il cède, l’Etat fixera-t-il un minimum de sa-« laire pour l’ouvrier, afin d’empêcher le fermier « ou l’employeur de baisser le salaire de ses ou-« vriers ; et que fera l’Etat pour amortir les effets « de la concurrence ? »
- Réponse :
- L’hérédité de l’Etat est une mesure passive ; elle n’a pas le pouvoir d’empêcher l’action du législateur.
- Les représentants du peuple et le gouvernement conservent en tous pays leurs pouvoirs sur la chose publique; par conséquent, sous l’institution de l’hérédité nationale, ce seront les pouvoirs publics qui régleront ces questions ou les abandonneront, alors comme aujourd’hui.
- L’hérédité nationale n’aura d’influence sur les salaires qu’en ce sens qu’elle empêchera les monopoles perpétuels et la grande concentration de la richesse, et qu’elle ramènera toujours celle-ci vers l’activité et le travail du peuple.
- Il est concevable que l’Etat étant maître par héritage, à tous les instants, d’une partie de la richesse, il pourra prendre les mesures nécessaires pour assurer au travail des conditions meilleures, comme l’association et la participation des ouvriers aux bénéfices.
- Mais cela dépendra de la volonté de l’action publique et non du droit même d’hérédité nationale qui, lui, n’a, je le répète, qu’une action passive.
- 5me Question ou objection :
- « Vous dites : Il est contraire à la morale et à la « justice que quelques-uns accaparent les utilités « naturelles et sociales, pour ne laisser aux autres « que la charge de l’entretien de ces mêmes uti-« lités, et fassent payer ces frais aux travailleurs « qui n’en profitent guère.
- p.150 - vue 153/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 151
- « Malheureusement ils ne peuvent Jbeacuoup « en profiter. Mais est-il bien iéel que ces utilités « sont gratuites? Est-ce que, objectera-t-on, celui « qui possède ne doit pas payer pour expédier une « dépêche ou une lettre ; car, l’Etat n’expédie pas « lettre ou dépêche pour rien, et quand un « vaisseau entre dans un port ne doit-il pas « payer ? »
- Réponse :
- Les mots utilités gratuites arrêtent ici mon correspondant ; ces mots ne sont pas de mon invention, ils sont en usage dans le langage de l’économie politique ; il serait mieux de dire utilités naturelles et sociales, car il s’agit là d’utilités que les individus n’ont pas faites par eux-mêmes. Quant au paiement des ports de lettres, c’est l’acquit d’un service rendu. Il en est de même des droits d’entrée d’un vaisseau dans un port. La lettre est transportée à peu de frais parce qu’il y a un service de poste organisé par l’Etat; le vaisseau est mis en sécurité dans le port parce que l’Etat a construit un port ,• il est donc juste que ceux qui bénéficient de ces services en paye les frais d’entretien. Mais puisque les Postes sont organisées, puisque les ports sont construits avec les deniers prélevés par l’impôt sur le travail du peuple, pourquoi les richesses acquises avec les facilités que donnent le transport des lettres, la commodité de la navigation, et tous les services nationaux, ne feraient-elles pas dans un mesure équitable retour au travail après la mort des personnes qui ont pu les acquérir,précisément à l’aide de ces utilités sociales ?
- L’hérédité nationale, sous quelque aspect qu’on l’envisage, est la mise en pratique de la justice.
- A suivre.
- Là propriété du soi et ie traité Malgache
- Dans le traité de Madagascar, que la Chambre vient d’accepter, l’article 6 mérite particulièrement l’attention. Le Voici :
- Art. 6. Les citoyens français pourront résider, circuler et faire le commerce librement dans toute l’étendue des Etats de la reine.
- Ils auront la faculté de louer pour une durée indéterminée, par bail emphytéotique renouvelable au seul gré des parties, les terres, maisons, magasins et toute propriété immobilière. Ils pourront choisir librement et prendre à leur service, à quelque titre que ce soit, tout Malgache libre de tout engagement antérieur. Les baux et contrats d’engagement de travailleurs seront passés par acte authentique devant le résident français et les magistrats du pays, et leur stricte exécution garantie par le gouvernement.
- Dans le cas où un français, devenu locataire d’une propriété immobilière, viendrait à mourir, ses héritiers entreraient en jouissance du bail conclu par lui pour le temps qui resterait à eourir, avec faculté de renouvellement. Les Français ne seront soumis qu’aux taxes foncières acquittées par les Malgaches.
- Nul ne pourra pénétrer dans les propriétés, établissements et maisons occupés par les Français ou par les personnes au service des Français que sur leur consentement et avec l’agrément du résident.
- Beaucoup de nos législateurs ont déclaré que cette interdic tion de posséder le sol était une clause que le gouvernement n’aurait pas dû accepter, quelques-uns auraient préféré que l’on continuât la guerre.
- Ces critiques sont injustes ; aussi grande qu’eût été la victoire de la France, et ce n’était pas le cas, nous n’aurions jamais approuvé que l’on imposât dans ces pays neufs une organisation de la propriété du sol comparable à celle qui cause la misère des travailleurs dans les pays civilisés.
- Cet article 6 consacre le principe de la propriété nationale, il fixe un mode d’exploitation du sol, par bail emphytéotique, que nous avons souvent indiqué comme un excellent moyen de tirer bon parti des domaines qui reviendraient à la nation par l’hérédité de l’Etat.
- Les Malgaches n’ont pas voulu aliéner indéfiniment le sol, source de toute richesse ; ils ont agi sagement.
- Nous ne pouvons adresser les mêmes félicitations à notre gouvernement, puisque le ministère a expliqué sa modération par l’impossibilité d’obtenir davantage sans s’exposer à une guerre longue et pénible.
- Cette organisation de la propriété du sol est cependant préférable à toute autre ; elle réserve les droits des générations futures qui trouveront,dans des revenus certains,les abondantes ressources budgétaires que les peuples civilisés obtiennent par une fiscalité oppressive.
- Les adversaires du traité malgache et les autres colonisateurs, possédés de la passion de répandre par toute la terre nos institutions sociales, ne seront donc jamais capables de comprendre la signification de nos incessantes crises économiques ? Ces perturbations devraient cependant les mettre en garde contre la prétendue perfection d’un système si fréquemment troublé.
- Puisque les faits condamnent nos institutions ; pourquoi ne pas encourager dans les pays neufs, là où il n'y a pas encore d’intérêts créés, les innovations conseillées par les penseurs socialistes ?
- Craint-on de faire pire que chez nous ?
- Cette méfiance n’a pas de raison d’être.
- Il est difficile, même impossible, de fonder des sociétés inférieures à la civilisation, partout où l’on introduira un ordre administratif quelconque en même temps que les nouveaux moyens de production.
- Les civilisés, impuissants à généraliser le bien être lorsqu’ils disposent de moyens presqu’illimités de créer la richesse, sont véritablement ridicules dans leur prétention d’être une race supérieure.
- Le traité Malgache, dans sa partie relative à la propriété du sol, atteste une victoire du progrès contre la routine des civilisés et l’ignorance des barbares.
- p.151 - vue 154/838
-
-
-
- 152
- LE DEVOIR
- A ce titre, l’intervention française à Madagascar mérite d’être approuvée; elle aura été ni onéreuse ni meur'ière ; elle aura eu pour effet de donner des garanties à un mode rationnel d’appropriation du sol.
- Ces arrangements ne font pas l’affaire des financiers et de tous les gens habitués à vivre grassement des monopoles. Ils craignent que les effets de ces sages institutions ne réagissent tôt ou tard sur l’opinion publique en Europe ; 'ils se sentent menacés dans leurs privilèges par le seul motif que le traité de Madagascar soustrait à leurs exactions une toute petite partie du monde. Le peuple malgache y gagnera ce que perdront les financiers.
- Il serait désirable de voir s’établir des conventions analogues dans toutes les contrées où la politique coloniale entraîne l’intervention européenne.
- Plus tard, ce que l’on considère maintenant comme une regrettable concession sera apprécié comme un heureux événement digne d’être généralisé ; et l’on fera prévaloir par raison ces pratiques subies aujourd’hui par force.
- Les fanatiques de la gloire militaire et de l’expansion de la civilisation européenne disent le traité Malgache humiliant pour notre honneur national.
- Notre patriotisme est satisfait, lorsque le progrès s’étend. On ne peut contester que l’article VI du traité Malgache soit une heureuse innovation.
- LA GRÈVE DE DECAZEVILLE
- Les incidents de cette grève ressemblent à toutes les autres tentatives de résistance des travailleurs contre les financiers. Les ouvriers à peine cohésionnés, sans ressources, exaspérés par les rigueurs d’un patronat sans conscience, se lèvent espérant empêcher l’aggravation de leur situation. Mais, après quelques jours de vains effort? intimidés par la présence des troupes, affaiblis par la famine, les plus ardents sont contraints de capituler sans condition.
- A Deeazeville,des placards signés des grands financiers Sey et Schneider informent les mineurs que tous les travaux seront définitivement arrêtés, si le tràvail n’est repris avant un délai déterminé ; ces affiches désignent même des catégories de travailleurs qui sont définitivement exclus des ateliers de la Compagnie.
- Poui ces derniers, c’est la suppression rigoureuse du droit à l’existence ; les autres, la même peine les frappera bientôt, s’ils n’obéissent aux injonctions des seigneurs de Decazeville.
- Il est inoui que la loi républicaine laisse de si grands pouvoirs à quelques hommes.
- Le droit à l’existence est la base de toute société ; l’Etat doit intervenir énergiquement lorsqu’un attentat est commis contre l’existence de quelque citoyen.
- Si le gouvernement n’intervient pas à Decazeville en faveur des ouvriers, ce n’est pas la liberté du travail qu’il aura protégée, il sera devenu le défenseur du droit féodal et révoltant qui autorise quelques hommes à disposer des moyens d’existence et de la vie même des autres hommes.
- La municipalité de Paris a compris ainsi le devoir des pouvoirs publics ; elle a invité le gouvernement à faire respecter le droit à l’existence des mineurs de Decazeville ; et prêchant d’exemple, les conseillers municipaux vont voter des fonds destinés à secourir la détresse des grévistes. 11 serait désirable que cet exemple trouvât des imitateurs dans les autres communes.
- QUESTION
- des étrangers et du droit au travail
- La crise aiguë que subit le commerce et, par suite, les difficultés qu’éprouvent les ouvriers pour se procurer un travail rémunérateur, ont appelé l’attention des économistes sur les moyens à employer pour remédier à un état de choses dont nous déplorons tous les effets désastreux.
- Marseille, par sa situation exceptionnelle sur la Méditerranée et ses facilités de communication par mer, attire dans son sein un grand nombre d’étrangers qui viennent demander à la France des moyens de subsistance. — Les dernières statistiques portent à plus de 64,000 le nombre des Italiens ayant, pour ainsi dire, pris droit de cité parmi nous.
- De nombreux ouvriers français ont pensé que cette concurrence étrangère leur était nuisible, — quelle amenait l’abaissement des salaires en les privant des ressources locales auxquelles ils auraient un droit naturel de préférence. Pour soutenir leurs revendications, ils ont trouvé des interprètes éloquents dans les réunions publiques et dans les journaux de la localité ; tout récemment un député des Bouches-du-Rhône a déposé un projet de loi qui a pour objet d’exclure les étrangers de tous les travaux entrepris pour compte du gouvernement ou de la commune.
- Une solation dans ce sens est-elle à désirer ? sera-t-elle efficace ; apportera-t-elle un soulagement immédiat et certain aux souffrances des ouvriers nos concitoyens ? — Nul plus que nous ne porte un intérêt sincère aux classes laborieuses, mais nous croirions manquer à l’honnêteté si nous n’exposions avec une complète franchise notre manière de voir relativement à cette question délicate.
- Si les étrangers venaient à être exclus d*un grand nombre de travaux pouvant s’effectuer à Marseille et dans le département ; s’ils sont frappés, comme on le demande, de taxes personnelles plus ou moins lourdes, si, en un mot, on leur fait une situation insoutenable, qu’adviendra-t-il ? ils quitteront alors notre cité inhospitalière, pour donner, à la frontière, le travail de leur bras à vil prix et créer, à nos industries, sur les marchés étrangers une concurrence désastreuse, alors que déjà bien des débouchés sont complètement obstrués : grand nombre de nos industries, qui marchent avec peine, fermeraient leurs ateliers et des milliers d’ouvriers français jetés sur le pavé, ne sachant plus ou trouver un travail rémunérateur, accepteraient des salaires sensiblement abaissés. D’autre part, la dépopulation de la ville atteindrait l’ensemble de notre commerce pour en tarir la source. Ainsi une mesure en apparence patriotique et inspirée par d’excellents sentiments aurait de déplorables résultats pour les ouvriers, pour les patrons, pour les industriels, pour les commerçants.
- p.152 - vue 155/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 153
- Ces expédients draconiens amèneraient des mesures de rétorsion contre nos nationaux à l’étranger : ils soulèveraient les réclamations les plus vives contre le gouvernement qui aurait été assez imprudent pour s’engager dans cette voie rétrograde. Une fois dans cette impasse, il faudrait reculer de plusieurs siècles ; on fermerait l’ére de la liberté et de l’expansion, et, après avoir entouré la France d’une nouvelle « Muraille de la Chine», on la condamnerait à vivre chez elle de ses seuls produits ; le renchérissement de toutes choses en serait la conséquence inévitable et la misère générale le résultat certain.
- Par son admirable situation géographique, la France, dont les côtes baignent à la fois sur l’Océan et sur la Méditerranée, la France qui, par ses frontières de terre, est en contact direct avec l’Europe entière, la France, disons-nous, doit espérer à la plénitude de la liberté ; ses ouvriers sont le? plus habiles, les plus intelligents, il faut abattre devant eux toutes les barrières, et leur promettre de porter aux extrémités du monde le rayonnement de notre civilisation.
- La crise existe, nous le reconnaissons, mais le remède proposé est un remède d’empirique.
- Le vrai remède au mal, aux crises aiguës, aux crises permanentes, nous le voyons dans la participation des ouvriers aux bénéfices et dans la liberté absolue d’association. Dès que ces principes auront été nettement et simplement inscrits dans nos lois ; dès qu’ils se seront introduits dans nos mœurs, la réconciliation entre le capital et le travail, entre patrons et ouvriers, sera complète, sincère, indestructible; il n’y aura plus ni grèves, ni révolution ; tout le monde s’en trouvera bien et la démocratie française n’aura plus de concurrence à redouter.
- Au gouvernement, il appartient d’accomplir ces réformes ; à lui de les encourager par les puissants moyens dont il dispose.
- Participation et liberté d’association, voilà le seul remède’
- L. R.
- (Fédération des travailleurs, Marseille)
- ENQUÊTE AUX ETATS-UNIS SUR LES RAPPORTS DU TRAVAIL ET DU CAPITALO)
- Y
- Déposition de M. Fred. Schurr, Esq. Imprimeur a Milwaukee Wis.
- 1° — Les grèves et les fermetures d’atelier ne sont pas un trait indispensable du régime du salariat. Elles engendrent beaucoup de misères pour les ouvriers et de grandes pertes pour les patrons.
- 2° — A bas la guerre ! Quand les nations peuvent résoudre leurs différends par l’arbitrage, pourquoi le capital et le travail ne le pourraient-ils pas ?
- 3°, 4° — Après trente-sept ans de pratique dans
- l’imprimerie au cours desquels j’ai abandonné plus ou moins, chaque jour, de quoi constituer le capital des différentes maisons où j’ai passé, j’en suis arrivé à la conclusion que le travailleur salarié devrait avoir un tant pour cent des bénéfices annuels ; cela lui donnerait dans les affaires un intérêt qu’il n’a jamais ressenti, et je ne doute pas que cela écarterait les grèves et les fermetures d’atelier : le travail ne pouvant rien sans le capital et le capital ayant besoin du travail pour être rendu productif, tous les deux iraient la main dans la main.
- 5e — N’ayant concouru que très incomplètement à un essai de société coopérative, je ne puis me pronoocer sur la praticabilité du système avant de nouvelles informations.
- *
- -¥• ¥-
- M. W. H Powel, président de la Compagnie Werstern Nail à Belleville, Illinois, déclare que les intérêts réels du travail et du capital lui semblent identiques et inséparables ; qu’en conséquence les conflits entre eux, engendrés surtout par les mauvaises passions, devraient être résolus par l’arbitrage.
- Mais ne voyant pas comment l’arbitrage pourrait être imposé à des parties dont l’antagonisme est évident, il n’ëntrevoit aucun moyen pratique de vaincre les graves difficultés industrielles de l’heure présente.
- Le système de la coopération dont il n’a fait aucune étude pratique lui semble, théoriquement, ne devoir qu’engendrer de nouvelles difficultés ; surtout en ce qui concerne la répartition des bénéfices proportionnellement à la valeur des concours et de la capacité de chacun des éléments producteurs.
- ***
- Le Rev. Dr. Chas. R. Baker, pasteur de l’église du Messie, à Brooklyn, pense que les conflits entre patrons et ouvriers se traduiront en grèves et en fermetures d’atelier jusqu’au jour où les Unions ouvrières seront assez puissantes pour égaler le capital en esprit de discipline et habileté de direction. Alors, dit-il, l’arbitrage prévaudra dans le réglement des discussions entre travailleurs et capitalistes.
- Ues sociétés coopératives de production ne lui semblent pas appelées à fonctionner, en ce moment, avec autant de succès que les sociétés coopératives de consommation. Il pense qu’il faut, pour la
- (1) Lire le Devoir des 7, 14 21 et 28 février 1886.
- p.153 - vue 156/838
-
-
-
- 154
- LE DEVOIR
- gouverne des sociétés de production, plus de culture intellectuelle et morale que n’en a aujourd’hui la généralité des ouvriers.
- Mais il voit les travailleur s s’élever chaque jour vers l’acquisition des qualités voulues et ne doute pas que, lorsqu’ils y seront arrivés, l’avenir appartiendra à la coopération.
- En attendant, il conseille d’étendre dans toutes les branches d’industrie l’organisation des Unions de travailleurs, de les relier par un bureau central, et d’agir sur les législateurs pour leur faire limiter la puissance énorme du capital dans les grandes compagnies.
- *
- Déposition de M. Samuel Laughlin Esq. Président de la Compagnie des forges de Wheeling W. Va.
- Nos usines emploient un millier d’hommes pour lesquels j’ai la plus haute estime. Une grève extrêmement pénible s’est produite chez nous et a duré plus de sept mois.
- J’ai observé avec la plus scrupuleuse attention les faits de cette grève, dans laquelle j’étais acteur, bien malgré moi.
- Je ne dis pas que les grèves et les fermetures d’atelier soient un trait inhérent au régime des salaires ; mais je suis convaincu que l’arbitrage est la vraie solution des conflits qui peuvent s’élever entre ouvriers et patrons.
- Si dans notre malheureuse grève nous eussions pu recourir à un tribunal d’arbitres, si nous avions eu devant nous même un simple comité de délégués, ou si l’on avait pourvu à quelque mode de soumettre les éléments du conflit au jugement d’hommes sensés et modérés représentant les deux parties adverses, certainement un arrangement eût été pris, épargnant l'énorme perte de salaires subie par les ouvriers, tenant en activité les machines, prévenant les scènes de violence, les troubles, les infractions à la loi, laissant aux familles, la paix, la nourriture» le bien-être et empêchant les hommes de courir aux maisons de vice et d’intempérance, comme c’est la règle en temps d’oisiveté.
- Au moment où la grève a éclaté chez nous, nulle mesure n’avait été prise pour constituer des rapports usuels entre les directeurs et les ouvriers et, une fois la scission opérée, il était trop tard pour constituer la délégation manquante. La passion et les préjugés usurpaient d’heure en heure la place du jugement et de la raison et, de part et
- d’autre, on invoquait les arguments et les faits surtout au point de vue égoïste.
- Les ouvriers, chez nous comme partout, sont en général assez intelligents pour se rendre compte des exigences de la concurrence et des nécessités de i’imdustrie, dès qu’on leur expose les faits comme ils sont. Ils savent bien que si par leurs réclamations ils mettaient une industrie locale dans la voie de la ruine, c’est à leur plus grand préjudice personnel qu’en définitive ils s’emploieraient.
- D’où, je le répète, l’arbitrage m’apparaît non-seulement comme une sage méthode, mais en fait comme le seul moyen de solution des conflits entre le capital et le travail, en attendant qu’on arrive à la base équitable du taux des salaires, question dont, je l’avoue, je ne tiens pas le mot.
- »
- *
- Déposition du professeur J. B. Clark, Smith Collège, Northampton Mass.
- Je réponds volontiers à vos questions et suis à l’avance profondément intéressé aux résultats de votre enquête.
- 1°, 2° — La concentration des capitaux rendant possible la fermeture des ateliers à la volonté des patrons, il faut bien comme contre-poids une organisation des travailleurs qui rende aussi de leur part les grèves possibles.
- Mais cette situation, à son tour, devrait.obliger à la constitution d’un arbitrage.
- L’absence de tout élément de ce genre est un témoignage delà rudesse d’organisation de notre système industriel.
- Faute de tribunal d’arbitres les grèves se précipitent. Au contraire, par l’institution d’un tel tribunal, grèves et fermetures d’atelier ne seraient plus qu’un moyen extrême, auquel on n’aurait recours qu’à la dernière extrémité et dans des cas excessivement rares
- 3° — Certainement oui, on peut découvrir quelque base équitable de répartition des bénéfices de l’industrie.
- L’arbitrage est un premier pas dans cette voie, un constant appel à l’équité et une répudiation de principe de compétition.
- La compétition, cette base orthodoxe de l’économie politique est condamnée par ses fruits. Le salariat doit disparaître, pour faire place à un système basé sur le principe de la coopération.
- 4<> __ Ce système me semble devoir venir après
- p.154 - vue 157/838
-
-
-
- le devoir
- 155
- l'organisation de l’arbitrage et en être un perfectionnement. L’excellence des résultats du système de la coopération me paraît hors de doute.
- 5° — La coopération productive n’a pas encore été essayée aux Etats-Unis dans des conditions favorables. Je ne doute pas qu’un large champ d’action soit ouvert devant elle, comme devant l’arbitrage pour la solution des conflits entre patrons et ouvriers.
- Qu’il me soit permis de dire en terminant que je traite ces questions dans un ouvrage qui va paraître au 1er avril prochain.
- *
- * *
- Déposition de M. Henry C. Adams, professeur d’économie politique aux Universités de Michigan et de Cornell.
- 1° —-Les grèves et les fermetures d’atelier sont le résultat inévitable du progrès industriel et de la situation faite au travailleur. Nulle solution durable de la question du travail ne sera obtenue tant qu’on maintiendra le régime du salaire.
- 2° — L’arbitrage n’est pas le véritable moyen d’accord entre le capital et le travail, mais c’est le procédé le plus applicable au temps présent ; les ouvriers font donc bien de chercher à l’obtenir. Ce sera le premier coup porté au régime du salariat.
- Aussi, les patrons qui voient profondément les choses au point de vue de leurs intérêts personnels, sont-ils logiques en s’opposant à cette évolution.
- 3° — Je crois qu’il est possible de découvrir une base meilleure et plus équitable de répartir les produits de l’industrie, car une telle découverte est essentielle au progrès du monde civilisé.
- 4° — Oui, la solution me paraît être dans la voie des associations industrielles ; mais à peine les industries auront-elles rejeté le système du salaire et seront-elles entrées dans la voie de l'association quelles marcheront vers la fédération industrielle.
- La différence entre ces deux modes est que le premier admet un intense individualisme dans Ja conception des rapports avec la propriété, tandis que le second met en pièces le droit des classes propriétaires actuelles.
- L’association industrielle repose encore sur les intérêts personnels des employeurs et sur le système de la charité; au contraire, la fédération industrielle est basée sur les droits légauxjque les tribunaux font respecter.
- 5° — La coopération productive est bonne dans sa mesure ; mais, comme solution pratique de la question du travail, elle ne signifie pas grand chose.
- ¥ ¥
- M. Warren T. Kellogg directeur des Forges Empire Portable à Cohoes N. Y. jpense que les grèves et les fermetures d’atelier sont inévitables dans les vastes établissements où les chefs de de maison ne peuvent être, personnellement, en relation avec leurs ouvriers.
- Et il en sera ainsi, suivant lui, tant que les salaires ne seront pas proportionnels aux bénéfices de l’industrie.
- La vraie solution lui semble être dans la coopération du capital et du travail, réalisant un état de choses dans lequel les deux parties travailleraient à leur bien mutuel, et où l’on verrait ce fait inconnu aux Etats-Unis : un corps d’ouvriers s’exerçant au mieux pour le bien de ses chefs.
- *
- ¥ ¥
- Déposition du professeur Arthur T. Hadley, de Yale Collège, commissaire du bureau des statis-iques du travail, en Connecticut.
- 1° — Les grèves et les fermetures d’atelier seront enfantées par le régime industriel tant que le travailleur ne sera qu’ un simple salarié.
- 2° — L’arbitrage en cas de conflits peut rendre de bons offices pour amener à une entente les parties adverses, mais le remède n’est pas là; il vaut mieux prévenir le mal que de le laisser apparaître pour le guérir.
- 3° — Oui, l’on peut découvrir un mode équitable et satisfaisant de répartition des bénéfices de la production.
- 4° — Probablement, ce mode réside dans la participation de l’ouvrier aux bénéfices des industries auxquelles il concourt.
- 5° — La coopérition productive est possible, mais pas sous les formes où elle a été comprise jusqu’ich
- Dans les industries compliquées du jour, il est à peu près impossible de songer à organiser l’administration d’après les principes démocratiques.
- Une direction efficace, incontestée, un pouvoir unique est d’une nécessité absolue. Et les hommes compétents à*exercerun tel pouvoir sont, pour la plupart, à la tête des directions du jour. Cependant, si la coopération peut réussir, c’est sous la main d@ tels hommes.
- p.155 - vue 158/838
-
-
-
- 456
- LE DEVOIR
- Je pense que les événements d’ici à quelques années enseigneront à nos chefs industriels la nécessité de quelque système de coopération. Chaque année qui s’écoule ajoute, sous certain rapport, à leur puissance ; mais, en même temps, les place davantage sous la dépendance du bon vouloir de leurs ouvriers considérés comme formant un corps. A suivre.
- AVIS A NOS LECTEURS
- Les articles publiés dans le Devoir sur le droit d’hérédité nationale sont édités sous forme d’Etudes sociales portant les titres et numéros suivants :
- N° 4 — L’hérédité de l’Etat ou la réforme de l’Impôt.
- N° 6 — Ni impôts ni emprunts l’hérédité de l’Etat dans les successions base des ressources publiques.
- N° 7 — Travail et consommation par l’hérédité nationale.
- Les études numéros 4 et 6 ont été envoyées à tous les députés et à tous les sénateurs.
- Nous tenons ces études et celle numéro 7 à la disposition de nos lecteurs, au prix de 25 centimes le numéro ; la série des trois Etudes à 60 centimes.
- Le Parlement.
- Au Sénat, nos honorables travaillent peu et ne produisent rien ; on ne peut considérer comme un travail les pénibles efforts de tes impuissants, uniquement guidés par le désir de mutiler les rares projets de loi que l’incohérente activité des députés parvient à mener à bonne fin.
- A la Chambre, les élus du suffrage universel s’agitent fiévreusement, ils mettent au monde un nombre prodigieux de projets, parmi lesquels plusieurs sont bons sinon excellents ; ils sont aussi inépuisables en installation de commissions qu’en productions de projets ; mais là s’arrête presque toujours la fécondité parlementaire. Une fois les projets confiés aux bons soins des commissions, ils n’en peuvent plus sortir, si ce n’est de longs intervalles pour y revenir bien vite.
- A détaut de rencontrer des décisions législatives de quelque valeur, nous enregistrons les meilleurs projets sortis de l’initiative parlementaire.
- Nous notons,d’abord, la proposition de MM. Carret, Andri-eux, Barodet, Wilson, relative aux indemnités à accorder aux conseillers généraux ; elle est d’accord avec le principe de la rémunération des services ; en voici les termes :
- Article premier. — Les conseillers généraux recevront une indemnité calculée d’après la dépense moyenne occasionnée par l’accomplissement de leurs devoirs et qui sera réglée à l’aide dejetons de présence.
- Art. 2. — A cet effet, chacun des conseils généraux est invité à ouvrir un crédit spécial à son budget.
- Art. 3. — L’indemnité aux conseils généraux ne peut être cumulée ni avec les indemnités payés par l’Etat ou les départements.
- M. Michelin a pris l’initiative d’une proposition dont le besoin est depuis longtemps proclamé par tous ceux qui ont quelque souci de la bonne justice; le député de Paris «demande l’abolition du privilège des avocats.
- Article 1er. — Le monopole de l’ordre des avocats est aboli et re tableau est supprimé.
- Art. I. — Tout plaideur pourra plaider lui-même ou se-faire représenter en justice par une personne quelconque munie d’une procuration spéciale.
- Art. 3. — L’article 29 de la loi du 22 ventôse au XIII est abrogé, ainsi que les décrets et ordonnances qui en réglement l’exécution. Sont également abrogées toutes les dispositions contraire à la présente loi.
- Dans l’exposé des motifs dont il a fait précéder sa proposition, M Michelin justifie celle-ci, par les arguments suivants :
- La profession d’avocat constitue un monopole incompatible avec les idées modernes. L’ordre des avocats est fermé puisqu’il se recrute lui-même et que l’inscription au tableau, condition indispensable pour l’exercice de la profession, peut être refusés par le conseil de l’ordre. Dans certains cas, elle l’a été pour cause politique, et il y a eu violation flagrante de la liberté de conscience, un abus qu’il faut faire disparaître.
- En outre, le privilège de l’ordre des avocats a pour résultat d’augmenter considérablement les frais de justice, puisque les avoués n’ont pas le droit de plaider.
- M. Michelin rappelle que depuis longtemps l’opinion publi-réelame la simplification de la procédure et la diminution des frais de justice. Le conseil général de la Seine, notamment, a émis en 1884 un vœu én faveur de la suppression du du monopole des avocats. Ce vœu a été transmis parle ministre de la justice à la commission extra-parlementaire chargée de reviser le code de procédure civile.
- M. Michelin déclare qu’il s’y associe et que c’est pour cela qu’il a déposé sa proposition. Il s’est inspiré de l’idée de liberté et il estime qu’il ne doit pas y avoir, dans une démocratie, de monopole pour la représentation en justice.
- Un autre député a déposé une proposition ayant pour objet de faire publier au journal Officiel après chaque réunion de la Chambre, des bureaux ou des commissions, la liste des membres présents ou absents dans ces bureaux et commissions.
- Le dépôt de cette préposition a été motivé par la négligenc
- p.156 - vue 159/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 157
- que mettent un grand nombre de députés à se rendre aux i convocations qui leur sont adressées et qui a les plus fâcheuses conséquences au point de vue du travail parlementaire.
- C’est ainsi, que jeudi, des membres de droite ont été élus membres de commissions, dans des bureaux où la majorité républicaine est très considérable, mais où l’absence de la plupart des membres de cette majorité a permis à la minorité réactionnaire, très exacte et très assidue, d’emporter les élections.
- On voit quelles graves conséquences peut avoir pour la République le manque d’assiduité de nos représentants.
- La publication des noms absents à Y Officiel permettra aux électeurs de connaître les irréguliers et aura au moins pour résultat, quand les nouvelles élections auront lieu, l’exclusion des candidats qui veulent bien être élus et toucher leur indemnité, mais ne tiennent pas du tout à siéger.
- Moyen de faire pousser les fleurs en hiver. — Coupez, à l’aide d'une scie, une branche ; plongez-dans une eau courante et laissez-là tremper pendant une heure ou deux, à l’effet de ramolir les bourgeons.
- Transportez cette branche dans une pièce chauffée à la température ordinaire de nos appartements et fixez-la verticalement dans un baquet d’eau à laquelle vous mêlerez delà chaux vive, que vous retirez douze heures après.
- Cela fait, versez dans cette eau une petite quantité de vitriol pour prévenir la putréfaction.
- Au bout de quelques heures, les fleurs commencent à poindre ; les feuilles poussent à leur tour. En renforçant la dose de chaux, vous rendrez la germination plus hâtive ; vous la retardez au contraire si vous n’employez pas la chaux, et, dans ce dernier cas, les feuilles se montrent avec les fleurs.
- La Politique Ouvrière
- A l’accasion d’un banquet offert par le Labour représentation union aux députés ouvriers de la Chambre des communes, huit députés de notre Parlement ont envoyé à leurs collègues d’Angleterre la dépêche suivante :
- Paris, 24 février 1886.
- Les députés ouvriers socialistes du Parlement français envoient à leurs collègues ouvriers de la Chambre des communes anglaises leur salut fraternel et leur proposent d’adopter les résolutions suivantes :
- Considérant qu’en attendant la transformation de la société sur des bases plus justes et égalitaires certaines réformes s’imposent.
- 1° D’entreprendre simultanément un mouvement en faveur d’une législation internationale du travail, portant sur les points suivants :
- a) Interdiction du tràvail des enfants âgés de moins de quatorze ans.
- b) Limitation du travail des femmes et des mineurs.
- c) Mesures d’hygiène, de salubrité et de sécurité dans les ateliers, dans le but de protéger la santé, le développement physique et moral et la vie des travailleurs.
- d) Protection et assurance contre les accidents.
- e) Fixation pour les adultes d’une journée normale de travail, dont la limite maxima ne devra pas dépasser huit heures.
- f) Fixation d’un jour de repos par semaine.
- g) Institution d’un bureau international de contrôle général de statistique ouvrière et industrielle, chargé d’étudier et de proposer les moyens d’étendre et de codifier la législation internationale du travail.
- 2° De tenir un congrès international en septembre prochain, auquel seront invités tous les représentants ouvriers d’Amérique et d’Europe dans le but d’émanciper les travailleurs de tous pays :
- Signé :
- Bàsly, Caméli nat, Boyer, Clovis Hugues, Plante au, Brialou, Prudhon et Gilly.
- Voici un exemple que nous devrions bien suivre :
- Les Chambre suédoises ont voté cette année, pour la première fois,un crédit de 100.000 couronnes pour les indemnités à accorder aux victimes d’erreurs judiciaires.
- L’Irlande et l’Angleterre
- Au point de vue de la population, l’Irlande ne représente plus que le 1/7 de celle du Royaume-Uni, après en avoir représenté le i /3 ; au point de vue du revenu public, elle est tombée de 2/17 à 1/17 ; au point de vue du capital, elle n’entre plus que pour 1/24 dans la richesse nationale; au point de vue de la valeur imposable, de 1/10 elle est tombée à 1/50. Individuellement, les irlandais sont plus à l’aise qu'il y a cinquante ans, quoique leur richesse n’ait pas augmenté. Mais, dans leurs relations avec la Grande-Bretagne prises en général, la décadence est évidente. Un autre point non moins remarquable est la localisation de cette décadence dans les provinces désaffectionnées. Tandis qu’elles comptaient pour 1/10 dans les ressources générales du Royaume-Uni, elles n’y comptent plus que pourl/40 au moins encore. On peut tenir pour certain que, l’Irlande entière ne donnant plus que 1/50 du revenutotal de l’Union, les provinces désaf— fectionées n’y contribuent pas pour 1/100.
- Il est donc clair que l’Irlande n’a pas apporté à la Grande-Bretagne les éléments de force et de prospérité qu’attendaient les auteurs de l’acte de l’Union. 6.700,000 livres sterling (en chiffres ronds) représentent la contribution de l’Irlande au budget général, celle de l’Angleterre et de l’Ecosse étant dix fois plus forte. C’est-à-dire que l’île-sœur,quoique comptant pour 1 /20 à peine dans les ressources de la Grande-Bretagne, paye 1/10 ou 1/11 de ses taxes. Elle ne devrait payer normalement que 3,500,000 livres, et elle en paye prés de 7,000,000. A première vue, on pourrait supposer qu’un tel arrangement est avantageux à l’Angleterre et à l’Ecosse’; mais ce n’est là qu’une apparence : l’Angleterre et l’Ecosse ont à entretenir en Irlande de grosses garnisons, à subvenir aux frais énormes du « local gouvernement », à avancer des sommes qui ne rentrent jamais... Au total, elles perdent au marché plus de 2,500,000 livres par an, tout en recevant de l’Irlande 3,800,800 de plus qu’elles ne devraient. Les deux parties intéressées gagneraient donc à la rupture du contrat: l’Irlande de ne plus payer une portion de taxes exagérée, l’Angleterre et l’Ecosse de ne plus subvenir aux frais d’une véritable occupation militaire.
- p.157 - vue 160/838
-
-
-
- 158
- LE DEVOIR
- Les étudiants de Lyon et l’armée du Salut
- L’Armée du Salut est venue porter sa propagande à Lyon. Le Courrier de Lyon raconte que, mercredi soir, les étudiants des diverses Facultés sont entrés au temple et se sont mêlés aux auditeurs. L’éclairage de l’immense salle que l’Armée du Salut a fait aménager étant insuffisant, quelques étudiants ont allumé des bougies qu’ils ont placées sur les bancs, à côté d’eux, aux applaudissements d’une partie de l’assemblée. Après les sermons et les cantiques en usage dans l’Armée du Salut, les étudiants ont voulu prêcher à leur tour ; l’un d’eux a fait une véritable conférence « sur l’influence moderne de la femme qui remplace avantageusement le prêtre dans la nouvelle religion ».
- Les salutistes ont accepté cette situation sans se fâcher et se sont contentés de parcourir les rangs des étudiants, distribuant à profusion leurs petites brochures et vendant leurs petits livres.
- Falsification du Thé
- Plusieurs journaux américains déclarent que, dans le courant de l’année dernière, on a expédié de San-Francisco à Shanghaï plus d’un million de feuilles de saule. Ces feuilles de saule, après une préparation spéciale, sont réexpédiées de Shanghaï en Europe sous le titre pompeux de thé chinois. Cette divulgation, à coup sûr, va jeter une profonde perturbation parmi les innombrables buveurs de thé de l’Angleterre, et leur faire perdre un peu, sans nul doute, de leur trop naïve confiance.
- ------------------ . » » ------------------------
- BIBLIOGRAPHIE
- Nous recevons le premier numéro de la Revue illustrée des sciences physio-psychologiques LE MAGNÉTISME, publiée sous la direction du célèbre professeur DONATO dont la compétence exceptionnelle est universellement reconnue.
- Dans cette publication, M. Donato traitera, ex-professo, avec le concours de savants autorisés, toutes les questions scientifiques et philosophies qui se rattachent au magnétisme humain, à l’hypnotisme, à la suggestion, à la fascination dont il s’est fait, depuis douze ans, l’infatigable propagateur et l’apôtre dévoué.
- Par la lecture de la revue « Le Magnétisme » tout le monde pourra s’initier rapidement à la connaissance d’une science que M. Donato excelle à populariser dans un style clair, précis, accessible aux gens du monde.
- Sachant à fond les questions qu’il traite, le célèbre magné-tiseur'n’a jamais besoin de recourir à l’ambiguïté, à l’obscurité sous lesquelles tant de faux savants dissimulent leur réelle ignorance.
- Le premier numéro que nous avons sous les yeux fait bien augurer de cette utile publication ; il débute par une très remarquable introduction à l’étude du magnétisme, dans laquelle M. Donato expose, avec une grande hauteur de vues, les idées qui présideront à son œuvre. Vient ensuite un article de M, Vasseur, électricien, sur des expériences d’une haute portée. Ce numéro est orné d’intéressants dessins, entre autres d’un beau portrait authentique de Mesmer.
- « Le Magnétisme » paraîtra deux fois par mois, le 10 et le 25, en une élégante brochure de 16 à 32 pages, enri-
- chie de belles gravures. Son succès est assuré, puisque c’est M. Donato qui la dirige.
- L’abonnement est de 10 francs par an, pour 24 numéros formant un splendile volume de 450 à 500 pages, grand in-8°, imprimé sur papier de luxe et orné d’au moins cent beaux dessins. (5 fr. 50 pour six mois). On s’abonne à toutes les librairies, dans tous les bureaux de poste et chez M. Grujon, administrateur, 1, rue Barye, Paris.
- Un numéro spécimen sera envoyé franco â toute personne qui en fera la demande par lettre à M. Grujon.
- LA TRANSFUSION, Guérison des Vignes philloxérées, et Suppression de la Taille des Arbres fruitiers, SYSTÈME J. DES-BOIS, exposé par J Roy-Chevrier, viticulteur, membre de plusieurs Sociétés savantes, — Brochure in-8° de 92 pages, mprimée en caractères elzéviriens, sur papier de luxe. — Lyon, Vitte et Perrussel, éditeurs, 3, place Bellecour. — Prix : 3 fr. 50 ; par la poste, franco : 3 fr. 75. Chez l’auteur, J. Desbois, 50, rue de l’Hôtel-de-Ville (Lyon).
- Les procédés indiqués dans ce petit ouvrage nous paraissent dignes de la plus grande attention.
- --------------—. « ♦ > --------------------
- MAITRE PIERRE
- Par Edmond ABOUT
- ( Suite )
- XIII
- LE GALANT A LA NOIX
- maître pierre. Si j’obtiens la permission défaire creuser mon canal, je commencerai par faire estimer vos trois cents hectares : ci neuf mille francs. Nous recommencerons l’estimation après dessèchement : ci quatre-vingt-dix mille francs, au bas prix. C’est quarante mille cinq cents francs que vous me redevrez.
- le maire. Mais, malheureux ! tu vas gagner des millions !
- maître pierre. Pourquoi avez-vous refusé de les gagner avec moi ?
- le maire. Mais j’aime encore mieux partager avec toi l’argent des autres que te donner la moitié du mien. J’en suis, de ton canal !
- m. darde. Un instant, messieurs, Je suis trop juste pour nier l’utilité du projet de M. Pierre. Le canal en question enrichira non-seulement son inventeur, mais toute la population riveraine. Il assainira définitivement le pays que vous habitez, il chassera la pellagre, la fièvre et toutes les maladies du monde, excepté la vieillesse. Mais vous oubliez un point dans la ferveur de votre enthousiasme. Si l’on supprime les marais, que deviendront nos pêcheurs ? Il y en a quelques centaines aux environs de Bulos. Un trou creusé dans les marais est tout leur patrimoine : le poisson qui vient s’y prendre
- p.158 - vue 161/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 459
- est tout leur revenu. Monsieur Pierre n’est pas homme à dépouiller les pauvres pour enrichir les riches.
- maîre pierre. Jusqu’ici, monsieur Darde, jen’ai dépouillé personne, et je suis trop vieux pour changer mes manières. Les propriétaires de ces pêcheries sont presque tous dans le cas de monsieur l’adjoint ici présent. Il vous a dit qu’il avait une pêcherie de six cents journaux du côté de Porge. J’en ai une assez grande aussi dans le voisinage de la Canau. Nous y récoltons du poisson, faute de mieux ; mais quand nous y trouverons des chevaux, des moutons et des vaches, je ne vois qu’un jour de la semaine, à savoir le vendredi où nous pourrons regretter notre poisson.
- LE GENDRE FRANÇOIS. Très-choli. m. tomery. Monsieur Pierre, je crains bien que notre première conversation ne vous ait laissé quelques préjugés contre moi. Je vous aurai fait l’effet d’un oisif incurable et d’un incorrigible mondain.Je ne veux pas vous laisser sous une impression aussi fâcheuse, et, quel que puisse être le résultat de cette entrevue, il ne faut pas que vous me jugiez sur deux ou trois paradoxes en l’air.
- jean yii, entre ses dents. Toi, tu mords aux millions On ne dira pas que tu as la faim pour excuse !
- m.tomery. Si je me suis permis quelques plaisanteries contre les hommes de travail et de dévouement, croyez, monsieur Pierre, que l’esprit seul en a fait les frais et que le cœur n’y était pour rien. Mon père a travaillé honorablement, j’ai travaillé moi-même dans ses bureaux quand j’étais plus jeune. Si je méprisais le travail, je ne serais pas ici. Peut-être ai-je vécu un peu exclusivement pour moi depuis quelques années, mais je n’ai pas perdu le sens moral au point de rester indifférent à l’exemple d’un homme qui se dévoue au bonheur de ses semblables. jean vu. Ouf!
- ^.m.tomery. J’ai pu blâmer quelquefois la spéculation égoïste qui est étrangère et quelquefois hostile à l’intérêt de tous. Quant aux affaires honorables, utiles, populaires que l’équité conseille, que la loi approuve, que le public applaudit, je suis homme à les embrasser hardiment, qu’elles soient ou non lucratives. le maire. Permettez, Monsieur Tomery. l’adjoint. Il me semble que ce n’était pas pour ça que vous étiez venu ici, tous !
- PREMIER GOMSEILLER MUNICIPAL. Chacun SOn lot !
- deuxième conseiller municipal, (rentrant). Nous n’avons besoin de personne.
- m. tomery, à maître Pierre. Votre projet est grand, Je le voudrais gigantesque. Vous comptez la dépense par cent mille francs ; j’ai des millions à vos ordres. Vous me parlez d’une ritrole d’écoulement, d’un modeste
- égout destiné à assainir les landes; je rêve un grand canal de navigation qui transportera les produits de la terre depuis la Gironde jusqu’au bassin d’Arcachon ! le maire. Des bêtises.
- maître pierre. 11 ne transportera pas grand’chose, monsieur Tomery, attendu que nos récoltes sont encore un peu dans l’avenir. Il n’abrégera pas les chemins, s’il va de la Gironde au bassin d’Arcachon, car il ne servira qu’à promener les navires à une distance toujours égale de Bordeaux. Enfin, il ne desséchera rien du tout, car les canaux de navigation sont toujours élevés au-dessus du sol, et l’eau de notre drainage ne saurait pas monter si haut.
- le maire. Enfin, mousieur Tomery, permettez-moi de vous rappeler que nous sommes paysans, et que nos affaires sont nos affaires. Je ne dis pas, si nous manquions de capitaux.
- m. tomery. Tiens, vous avez des capitaux disponibles? l’adjoint. Vous croyez donc qu’il n’y a d’argent qu’à Bordeaux.
- premier conseiller municipal. On vous en prêtera, de l’argent !
- deuxième conseiller municipal (rentrant) On vous en donnera.
- le gendre François. On vous en.... marinette. Etle se lève et découvre le plat du milieu.
- Messieurs, il est peut être bien tard pour vous offrir des noix.
- le maire, bas à Marinette. Tu en as donc trouvé, sournoise ! (Haut) ! Il n’est jamais trop tard. l’adjoint. Mieux vaut tard que jamais. marinette, bas au maire. Regardez ! il ne me remercie même pas.
- le maire, de même. Il faut te faire une raison. L’amour ne se commande point.
- le chœur. Des noix ! Par ici ! Des noix ! (Les noix volent de tous côtés,sur la table ; le nez de M. Bijou est atteint grièvement.)
- m.bijou aîné s’éveillant. Cent louis pour Tomery ! m. darde. Toujours en veine, celui-là!
- XIV
- CHAGRINS D’AMOUR
- Je dormis le lendemain jusqu’à trois heures. Le maire de Bulos entra sur la pointe des pieds, comme une garde malade, dans la chambre qu’il m’avait donnée, «je ne vous réveille pas dit-il en s’asseyant au pied du lit. C’est qu’il est trois heures de relevée, nous sommes tous sur ,pied depuis midi ; on a mangé la soupe à l’oignon sans vous. et.,.. VavaTo nenr.
- p.159 - vue 162/838
-
-
-
- i60
- LE DEVOIR
- — De quoi ?
- — Vous n’avez encore rien écrit ?
- — Ma foi, non ; je ne suis pas somnambule, pour écrire les yeux fermés. Votre souper a duré trop longtemps ; je n’ai pas l’habitude de passer les nuits, et j’avais grand besoin de repos.
- — Gomment ! Vous êtes Parisien et vous craignez les nuits blanches ! Que faites-vous donc à Paris ?
- — Je fais comme vous : je me lève le matin et je me couche le soir.
- — Allons ! allons ! vous vous gaussez de moi, mais on ne m’en fait pas accroire. Je sais que les hommes de plume écrivent de minuit à six heures du matin sur une table de café ou sur les genoux d’une danseuse, en buvant des petits verres de liqueur. Mais vous me dites que vous avez reposé ; la politesse m’ordonne de vous croire. Quand vous raconterez l’histoire de ce souper, je vous fournirai des notes. Ne vous pressez pas ; il faut se garder delà première impression, comme disait un conseil-seiller général. Si vous preniez au sérieux tout ce que maître Pierre nous a conté, vous pourriez prêter à rire aux personnes compétentes. On a bientôt fait de se couvrir de ridicule, et le sage doit tourner sa plume sept fois dans sa bouche.
- « Car enfin, ce projet de canal que maître Pierre a fait sonner si haut n’est pas, à proprement parler, une merveille. L’idée première est bonne ; j’aurais mauvaise grâce à dire le contraire, attendu qu’elle est de moi. Je l’ai émise autrefois dans la conversation, sans y attacher beaucoup d’importance. Il l’a recueillie comme les enfants ramassent des clous sur la route, et il l’a accommodée à sa façon pour nous la servir au dessert. Vous avez vu que tout le monde a paru étonné, excepté moi. J’ai même porté la main à mon chapeau, comme pour saluer une vieille connaissance. Si j’ai offert de donner mon nom à ce nouveau canal, c’est que j’avais mes raisons. L’homme doit signer ses œuvres, comme dit un haut fonctionnaire de l’antiquité. Mais nous n’en sommes pas encore là. Il y a des difficultés à lever, des obstacles à aplanir, des complications administratives et autres à dénoncer. J’ai déjà causé ce matin avec maître Pierre, et je lui ai suggéré des idées nouvelles. Au moment où je vous parle, il trotte dans le marais et moi je suis assis, ne convient-il pas que les membres s’agitent et que la ête reste en place ? C’est une idée à développer, et si j’avais le temps d’être auteur j’en ferais quelque chose. Croyez-moi, monsieur le Parisien, vous aurez tout profit de travailler sous mon inspiration. Un autre vous dirait peut-être des choses vraies ; celles que je vous conterai seront en outre officielles. Et puis, soit dit entre nous, je connais les auteurs, au moins de réputation. On est
- un peu panier percé, pas vrai ? comme les artistes 1 On a quelques petites dettes à son café ! Ah ! la jeunesse ! Eh bien, je vous conterai mes affaires, vous me conterez les vôtres, et n’ayez pas peur : nous nous arrangerons toujours. Il y a bien de l’argent à gagner avec mon canal ; chacun de nous aura sa part.
- — Même maître Pierre ?
- — Oh ! maître Pierre ne tient pas à l’argent. Il en parle beaucoup, il le manie quelquefois, il ne le garde pas. C’est un original, je vous l’ai déjà dit.
- — Je l’ai bien vu. Comment va Marinette ce matin?
- (A suivre,)
- État civil du Familistère
- Semaine du 22 au 28 février 1886
- Naissance :
- Le 22 février, de Hauët Hélène, fille de Hauët Marcellin et de Hauët Elise.
- Décès :
- Le 23 février, de Léguiller Maurice-André, âgé de 4 mois.
- Le 26 février, de Cottenest Louise, épouse de Beau-rain Edmond, âgée de 32 ans 10 mois.
- L’astronomie.— Revue mensuelle d’Astronomie populaire, de Météorologie et de Physique du globe, par M. C. Flammarion. — N° de mars 1886. Le centenaire d’Arago, par M. C. Flammarion. — Les aurores boréales (suite). — Les problèmes actuels de l’Astronomie (suite) par M. C.-A. Your.g.— Aspect actuel de Jupiter et de Saturne, par E. W.-F. Denning. — Académie des Sciences. Expérience entreprise pour déterminer la direction des courants de l’Atlantique, par le prince Albert Monaco. — Nouvelle de la Science. Variétés : La prochaine comète, par M. Weiss. Vénus et la Lune en croissant, visibles en plein jour. La couleur bleue du ciel. Pâques et la fin du monde. — Observations astronomiques, par M. E. Vimont. Occultation d’Aldébaran, par M. Edouard Blot. (Gauthier-Villars, quai des Augustins, 55, Paris.)
- La Terre aux Paysans, 40, rue de Trévise, Paris. — Six mois, 2 fr.; un an, 4 fr. — Sommaire du numéro du Dimanche 28 Février 1886. — Projet de distribution de huit millions d’hectares de terres aux paysans. — Germial, par le Père Le Gall. —- Le Budget et l’Impôt. — Les Ecoles pratiques de Petite Culture (suite). — La Culture en Chine : L’Eau et l’Engrais (fin), parM. C.-Eug. Simon.— Petit Propriétaire et Sol pauvre. — La Propriété rurale dans les Bouches-du-Rhône. — Feuilleton : Toinon (fin), par André Léo.
- Le Directeur Gérant : GODIN
- Guita. — lmp. Baré.
- p.160 - vue 163/838
-
-
-
- 10e Année, Tome 10.— N* 392
- Le numéro hebdomadaire %0 c.
- Dimanche 14 Mars 1886
- LE BE¥Om
- BEVUE DES QUESTIONS SOCIALES
- • ! :
- BUREAU
- a GUISE (Aisne)
- Toutes les communications
- ABONNEMENTS PAYABLES D’AVANCE par l’envoi, soit au bureau de Guise, soità celui de Paris, de timbres-poste ou de mandats de poste, dont le talon sert de quittance.
- et réclamations doivent être adressées à M. GODIN, Directeur-Gérant Fondateur du Familistère
- France
- On an ... 10 ir. s» Six mois. . . 6 »» Trois mois. . 3 jj
- Union postale On an. . . . 11 fr. »» Autres pays
- On an. . . . 13 fr. 60
- ON S’ABONNE
- A PARIS
- , rue Neuve-des-Petits-Champs Passage des Deux-Pavillons
- S’adresser à M. LEYMARIE administrateur delà Librairie des scienoes psychologiques.
- BULLETIN DE LA PAIX
- ---K-—
- SOMMAIRE
- La paix et l'initiative individuelle.— M. Hodgston Pratt et les sociétés de la paix. — Les femmes anglaises et le progrès social. — L’arbitrage international au congrès des Etats-Unis. — Atrocité en Birmanie. — Objections, questions et réponses sur l’hérédité de l’Etat. — La paix Bulgare.— La question des Mines.— Convention entre la France et l’Annam sur le régime des mines de l’Annam et du Tonkin. — Avis.— Enquête aux Etats-Unis sur les rapports du travail eï du capital.— L’industrie des soieries en Allemagne.— La situation en Danemarck. — L’oppression du travail.—Les socialistes anglais. — Les nécessités sociales. — Les franchises communales.— M. Pasteur et la rage.— L'élevage des autruches.— Maître pierre.
- La Paix et l’Initiative individuelle.
- L’institution d’un tribunal international d’arbitrage et le désarmement européen sont deux réformes classées parmi les plus hardies.
- Si l’on examine à fond les arguments objectés, la plupart seront appréciés comme de superficielles justifications, uniquement basées sur l’habitude des hommes d’admettre pour vraies les pratiques consacrées par une longue tradition.
- Dans les sciences, dans les religions, l’influence de la tradition a disparu devant les enseignements tirés de l’analyse des choses et des faits. Dans le militarisme, la force de latradition serabientôtdis-
- sipée par une plus grande connaissance de la nature humaine.
- Le militarisme serait éternel, si l’on constatait chez la généralité des individus l’existence permanente de sentiments belliqueux ; mais la connaissance du coeur humain montre, au contraire, la perpétuité des aspirations pacifiques dans toutes les phases de l’évolution humaine.
- Si tu veux la paix, prépare la guerre, ont dit tour à tour les croyances populaires, et la paix n’est jamais venue.
- A toutes les époques, le militarisme a eu pour raison d’être la croyance des peuples de sauvegarder la paix par la puissance des armements.
- L’humanité, dans son ensemble, n’a pas encore conscience de l’impossibilité de trouver la satisfaction de ses aspirations dans l’emploi de moyens contradictoires avec son idéal.
- La paix ne peut naître de la guerre.
- Les armements et les aspirations pacifiques innées de la race humaine sont deux antipodes ; leur coexistence est un non-sens ; elle aboutit fatalement au désordre. Toute l’histoire des hommes en fait foi.
- L’idéal de la créature humaine est le vrai, le juste, le beau, la paix, le bonheur.
- L’harmonie du but et des moyens est la loi de l’évolution ; sans cette harmonie, les heurts, les
- p.161 - vue 164/838
-
-
-
- 162
- LE DEVOIR
- secousses, les révolutions continueront à bouleverser le monde.
- La paix proviendra des pratiques pacifiques ; la tolérance procréera la liberté, comme le bonheur doit naître du travail.
- Nous avançons vers une époque où l’on dira en toute raison ; désarme si tu veux la paix ; et la paix sera.
- Ce progrès de l’humanité n’est ni chimérique ni éloigné.
- Il suffira de l’initiative de quelques individualités heureusement dotées, pour rapprocher cette échéance.
- Trop de faits prouvent aux individus libres la puissance de leur volonté, pour que nous soyons condamnés à attendre encore longtemps nos libérateurs des servitudes militaires.
- La preuve est maintenant faite, l’homme libre, instruit et pourvu de larges moyens d’existence peut espérer conduire à bonne fin toute oeuvre rationnelle, s’il consent à la servir, sans relâche, de toutes ses forces.
- De Lesseps a dirigé toutes ses facultés sous l'inspiration de doter l’humanité de nouvelles routes ; sou initiative a eu raison de tous les obstacles.
- Naquet, pendant de longues années, a donné toutes ses forces à la cause du divorce ; nous sommes maintenant débarrassés des chaînes du mariage catholique.
- Parnell, par sa ténacité à servir l’Irlande, sera bientôt le libérateur de ce malheureux pays.
- Pasteur, uniquement occupé d’étudier la vie des infiniment petits, parvient à de merveilleuses applications.
- Ainsi, il en sera bientôt des Desprez, des Krebs.
- L’œuvre de la paix a aussi son apôtre ; déjà les effets de ses persévérants efforts atteignent des proportions remarquables à tous les titres.
- Pendant que les sceptiques et les ignorants prenaient en pitié les espérances des amis de la paix, Hodgson Pratt organisait sa vie de manière à pouvoir donner tout son temps à la propagation des idées d’arbitrage et de désarmement.
- Son initiative a d’abord cohésionné et vivifié les nombreux et dévoués amis delà paix que comptait l’Angleterre. Sonintervention en France a augmenté le zèle de nos groupes.
- Mais l’avenir était encore bien incertain ; la nation militaire par excellence, l’Allemagne, restait impassible. Les plus confiants n’osaient prévoir à b-'ève échéance l’entrée de groupes allemands dans
- le mouvement pacifique ; si quelques-uns osaien conseiller une tentative au pays des milliards, nul ne savait indiquer comment l’exécuter.
- L’homme capable de servir efficacement la cause de la paix devait être de taille à surmonter ces difficultés. Comment espérer quelque bien d’un apostolat impuissant à agir dans un centre assez fort pour neutraliser les effets de la propagande faite ailleurs.
- La confiance en l’initiateur et en la cause devait provenir de cette épreuve.
- Maintenant, le doute n’est plus permis : l’Allemagne est entamée par la propagande de la paix; la cause de la paix à un promoteur digne de l’œuvre.
- Deux premiers voyages presque infructueux, loin de décourager Hogdson Pratt, l’excitèrent au contraire à lutter plus énergiquement contre cette résistance assez puissante pour stériliser tous les efforts des amis de la paix.
- Un succès complet a récompensé la persévérance de notre ami.
- La troisième tentative a eu un dénouement dépassant les espérances des plus confiants; l’affirmation a été aussi éclatante qu’on pouvait l’espérer ; elle s’est faite dans les locaux du parlement prussien; elle a réuni les hommes les plus éminents de l’Allemagne.
- Nous nous associons aux félicitations si bien méritées que la ligue Parisienne vient de voter à l’adresse de l’apôtre de la paix.
- M. HODGSON PRATT ET LES SOCIÉTÉS DE LA PAIX.
- Le Comité de Paris de la Fédération Internationale de l’Arbitrage et de laPaix a tenu, le dimanche 28 Février, à son siège 37 Rue Brochant, une réunion d’un haut intérêt. On remarquait parmi les personnes présentes MMes Griess-Traut, Desmoulins-Sleyden, Morin, MM. Destrem, Laisant, Fallot, Gast. Morin. De la Ville le Roulx, Marillier, Abb. Moreau, G. Eugène Simon, etc. De retour de sa troisième mission en Allemagne, M. Hodgson Pratt venait raconter à ses collègues français ses voyages, ses efforts persévérants et les résultats encourageants obtenus par lui. Il a profondément ému les assistants en rappelant les résistances qu’il avait rencontrées au début dans toutes les elasses de la population Allemande. Tous les partis le décourageaient également. Aussi, ses deux premiers voyages avaient-ils été à peu près complètement infructueux. Sa persévérance, sa foi ardente dans le progrès humain l’ont soutenu et il a trouvé dans sa conviction une force qui a fini par triompher de l’indifférence et de l’hostilité. Stuttgard, Darmstadt,Francfort avaient déjà, grâce à l’initiative de M. Hodgson Pratt, des sociétés d’arbitrage et de Paix lors-
- p.162 - vue 165/838
-
-
-
- LE DEVq1R
- 163
- qu’il entreprit d’en faire constituer une à Berlin, au centre de l’empire militaire. Les journaux ont déjà raconté cette réunion qui s’est tenue dans le palais même du Reichstag sous la présidence de l’éminent professeur Virchow, et nui s’est terminée par le vote d’une résolution favorable au mouvement de la paix et par l'élection d’un comité de six membres chargés de pourvoir à l’organisation définitive d’une société de paix berlinoise. La mission de M. Hodgson Pratt en Allemagne a donc eu plein succès ; quatre sociétés allemandes d’arbitrage et de paix sont déjà e u formées ou en voie de formation. Les assistants ont compris le succès du Pierre l’Ermite de la Paix en l’entendant reproduire, avec autant d’esprit que de simplicité, les discours qu’il avait prononcés dans des milieux si divers. Cet apôtre n’a rien du sectaire intolérant ; il charme et entraîne son auditoire ; sa victoire est celle de la bonne humeur, du bon sens, de l’humanité. Après avoir chaleureusement remercié M. Hodgson Pratt, le comité de Pans approuve l’adresse communiquée aux puissances en vue de la Neutralisation de la Bulgarie, et s’ajourne au 15 Mars pour l’étude d’un projet de Fédération des diverses sociétés de Paix et d’Arbitrage de l’Europe et de l’Amérique. ------------------«».-— --------------------------
- LES FEMMES ANGLAISES
- ET LE PROGRÈS SOCIAL
- Une association féminine pour la propagande de» idées de paix et d’arbitrage international est en formation à Liver-pool, Angleterre.
- Le 23 février un comité, composé comme suit, a été désigné par l’élection :
- Présidente : Miss Frances Thompson ;
- Vice Présidente : Miss E. Robinson ;
- Trésorière : Miss Benjamin Bake ;
- Secrétaires : Miss James Clare et Miss Léonie Vorsdell.
- ¥ *
- Dans la région de Manchester une autre ligue féminine, non en formation mais en plein fonctionnement, existe pour la propagande de la coopération.
- The coopérative News nous informe que le comité central vient d’être renouvelé et que les dames suivantes ont
- té élues :
- Présidente : Mrs. Acland ;
- Vice Présidente : Miss Greenwood;
- Commissaires : Miss Allen, Mrs Hill et B. Jones, Miss
- Webb ;
- Secrétaire : Mrs. Lawrenson ;
- Trésorière : Miss Shuffebotham.
- Nous félicitons vivement nos sœurs d’Angleterre de l’excellent exemple quelles nous donnent.
- Elles prouvent par leurs actes combien elles sont dignes de cette émancipation politique qui, contre toute attente, vient encore d’être ajournée, au Parlement Anglais, par le rejet du Bill étendant aux femmes la franchise électorale politique.
- * *
- * *
- A propos du rejet de ce Bill, nous avons reçu une lettre de protestation de la part de Madrae Marv Hart de Londres.
- Cette dame, directrice d’une entreprise analogue à celle des peintres décorateurs, Leclaire et CiB, de Paris, est, en sa qualité de c ief d’industrie, astreinte, sous peine d’amendes, à des formalités ayant pour but d’établir quel est dans sa maison le chef dûment quaiifié pour exercer le droit de vote.
- Naturellement, elle-même toute directrice qu’elle soit, ne jouit pas de ce droit.
- L’Administration jugeant que cette importante entreprise devait avoir son électeur a conféré d’office le droit de vote à un prétendu directeur qui, loyalement, n’en a point fait usage,, le seul et vrai directeur responsable de toutes les opérations commerciales étant Madme Mary Hart.
- Aussi, cette dame demande-t-elle aujourd’hui, au nom du respect des principes, que le nom de son employé soit effacé du registre des électeurs, sauf pour la maison à demeurer sans représentation dans le corps électoral, tant que ce ne sera pas son véritable chef qui pourra y figurer, comme il figure journellement en toute transaction d’affaires.
- -------------. ——---—----- HlUliii-----------------------•
- L’ARBITRAGE INTERNATIONALE AU CONGRÈS DES ÉTATS-UNIS
- Le 10 Décembre dernier, l’honorable James F. Wilson, Sénateur pour l’Etat d’iowa, déposa le projet de loi dont le texte suit :
- « Projet de loi pour le développement de « la paix parmi les nations, et la création « d’un tribunal d’arbitrage international.
- « Article 1er — Le Sénat et la Chambre des Repré-« sentants des Etats-Unis d’Amérique, réunis en congrès, « décrètent:
- « Le Président est par la présente loi autorisé et invité à « ouvrir des négociations avec les autres gouvernements en « vue d’instituer un tribunal d’arbitrage international et de « prendre toutes les mesures propres à prévenir ou à résou-« dre amiablement toutes difficultés ou discussions qui peu-« vent s’élever entre les nations.
- « Article 2me — Le Président est autorisé à inviter les « divers Gouvernements du Nord, du centre et du Sud de « l’Amérique, et tels autres gouvernements à qui il jugera « utile d’adresser la même invitation, d’envoyer des délégués « à une convention internationale qui aura lieu à Washing-« ton à telle époque fixée par le Président, en vue d’examiner « et d’arrêter de concert les mesures propres au développe-« ment de la paix et de l’amitié parmi les nations.
- « Une somme de 150,000 dollars (750.000 Fr.), et « davantage s’il le faut, sera dès maintenant prélevée sur les « fonds disponibles du Trésor pour couvrir les frais d’exécu-« tion de la présente loi.»
- Après deux lectures et discussions, ce projet de loi fut renvoyé au Ministres des Affaires étrangères.
- (Herald of peace)
- Atrocités en Birmanie
- Les esclaves massacrés autrefois dans les fêtes romaines n’avaient, nas. dit. nn journal de Londres, une fin auss’ glo-
- p.163 - vue 166/838
-
-
-
- 164
- LE DEVOIR
- rieuse que celle des malheureux Birmans exécutés par nos forces éclairées. « Fusillés et, durant l’opération, photographiés par Provost Marshal : » telle devrait être l’épitaphe de ces derniers.
- Le correspondant du Times s’exprime comme suit à ce sujet :
- « Provost Marshal, ardent amateur photographe, désirait se procurer des vues de gens exécutés, au moment précis où ils sont frappés par les balles. Pour obtenir ce résultat, après que les ordres : « Ready » « Présent » eurent été donnés par l’officier aux soldats exécutants, Provost-Marshal fixa son appareil sur les condamnés qui, en conséquence, furent tenus quelques minutes de plus dans cette terrible position.
- « L’officier commandant fut alors averti par Provost-Mars-hall de donner le feu au moment précis où la plaque fut découverte.
- « Nulle épreuve satisfaisante ayant été obtenue, il est prebable que les expériences vont continuer. Ces opérations ont eu lieu devant une foule de gens de nationalités variées. »
- Avons-nous détrôné le roi Theebaw et saisi son royaume pour remplacer la franche et naturelle brutalité du sauvage par la fusillade raffinée, exécutée au loisir d’un Provost-Marshal civilisé, photographe ?
- (.Herald of Peace).
- OBJECTIONS, QUESTIONS ET RÉPONSES SUR L’HÉRÉDITÉ DE L’ÉTAT
- 15me Article.
- Suitedes objections deM. VsinDuijld’Amsterdam.
- 6me objection :
- <i Je trouve que 50 pour O/o entre époux c’est « trop ; car, supposons une veuve avec huit enfants « et la possession d’un capital de cent mille francs « elle a assurément besoin de cinq mille francs, a pour élever et instruire sa famille. »
- Réponse :
- En cas semblable le droit de l’État ne serait pas de 50 O/o sur les cent mille francs, puisque les enfants hériteraient directement de leur père et,que sur les petites fortunes le droit serait très faible.
- Il appartiendrait, du reste, aulégislateurd’entrer dans les détails et de compléter l’échelle progressive du droit d’hérédité nationale que je n’ai fait qu’indiquer, en faisant que la loi tînt compte non seulement du taux de l’héritage mais du nombre de têtes entre lesquels il devrait être réparti.
- Ce que j’ai proposé à ce sujet ne l’a été qu’à titre d’exemple ; ce sont de simples calculs donnés comme points de comparaison. Les Parlements et les
- (1) Lire le « Devoir » des 8, t5, 22, 29 Novembre; 13, 20, 27 Décembre 1885 ; 10, 17, 24 31 Janvier, 21,28 février et 7 mars 1886.
- gouvernementsne sont aucunement obligésd’adop-ter ces chiffres ; ils sauront suffisamment les amoindrir ; ils ne seront pas si pressés d’adopter mon projet, qu’il y ait urgence à s’occuper de ces détails.
- Ce qu’il faut, c’est bien se pénétrer de la valeur du principe ; c’est savoir s’il est plus conforme à la justice de maintenir le monopole de la richesse par droit d’héritage que de prélever sur ces mêmes héritages, à la mort des détenteurs, une part de biens au profit de ceux qui souffrent des privations et des douleurs de Ja misère.
- Dans l’affirmative, ce sera le législateur qui fixera dans quelle proportion le droit de l’État doit être établi, selon la mesure dans laquelle le législateur même voudra venir au secours du peuple et parer aux effets des revendications possibles.
- Quant à moi, cherchant comment l’hérédité de l’État pourrait remplacer l’impôt, afin de dégrever le peuple et de constituer le budget de l’État et des communes en ce qui concerne la France, j’ai posé en principe que les utilités naturelles et sociales étaient pour plus de moitié dans la création delà richesse; et j’ai fixéà 50 O/o le droit d’héritage de l’État sur les fortunes dépassant cinq millions et sur les testaments ; mais cel a en me plaçant au point de vue delà législation française qui réserve, au profit des enfants, une forte partie des biens des pères et mères.
- Il peut en être autrement dans les pays où la loi ne fait pas ces réserves.
- Ce sera à chaque pays à régler l’hérédité de l’État et à la mettre en accord avec les lois et coutumes. Tous ces chiffres sont facultatifs et secondaires par rapport au principe môme d’hérédité nationale.
- Mais rappelons-nous que l’hérédité de l’État a pourobjet,dansl’ensembledemon projet, d’instituer la mutualité nationale contre la misère; qu’en ce cas, lorsqu’il prend sur l’héritage une partie du superflu, c’est pour servir à garantir le nécessaire à tous les citoyens et, par conséquent, en cas de revers de fortune, à garantir ceux-là même qui ont dû faire à l’État abandon de cette part de ressources nationales.
- 7m0 objection ;
- «c Je ne m’explique pas comment on amortira « les effets désastreux de la concurrence et si,
- « sous votre projet, on n’irapasjusqu’aumonopole*
- Réponse :
- L’auteur aurait dû mieux expliquer sa pensée
- p.164 - vue 167/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 165
- dans cette objection ; car je ne comprends pas comment il voit que l’hérédité nationale puisse aller au monopole, puisqu’au contraire elle dissout tous les monopoles du sol et de la richesse ; l’État, entrant continuellement en héritage dans les grandes fortunes, empêche ainsi les monopoles de la fortune de se perpétuer dans les familles.
- 8me objection :
- « Que dire à un homme qui vous oppose à l’idée « de l’hérédité de l’État :
- « Mais je me suis marié sur le tard, j’ai épargné « je me suis abstenu des plaisirs, des voyages, en-« fin de toute dépense, et, grâce à ma bonne con-« duite, à mes épargnes, j’ai réussi à amasser un « petit capitü de deux cent mille francs que j’este père laisser à ma femme et à mes enfants.
- « Dans la création des fortunes des industriels « ou des commerçants, on trouve la collaboration « des forces naturelles et du domaine social ;
- « mais, moi, employé de banque, je dois cette « somme à mon travail assidu, à ma bonne con-« duite ; par quel droit l’État toucherait-il à cette a fortune?
- « Il va sans dire qu’il faut s’attendre à pareille « objection et qu’il ne suffit pas de parler géné-« rosité, il faut démontrer le droit positif de « l’État à intervenir. »
- Réponse :
- Vous êtes employé de banque, Monsieur, vous avez joui de gros appointements ; donc, vous avez des talents et de la capacité ; vous avez travaillé, vous avez été économe et vous avez fait fortune.
- Mais vous prétendez que votre travail et vos économies ne doivent rien à la société.
- Examinons :
- N’est-il pas vrai que les maisons de banque qui vous ont fait vos appointements existent parce que la société ayant développé les moyens de culture, d’industrie, de travail, de commerce, a, par cela même, permis l’établissement du crédit et, par conséquent, de ces maisons de banque qui vous ont fait vos moyens de fortune ? N’est-il pas également vrai que la culture, l’industrie et le commerce du pays, ces causes premières de l’existence des banques, n’existent eux-mêmes que par la société et le sol ; donc, la nature et la société y sont pour quelque chose ; donc, tout est solidaire dans le monde ; nul ne peut prétendre ne relever due de lui seul ; Robinson même, dans son île, avait encore en face de lui la nature.
- Vous, vous avez vécu et travaillé en pleine
- civilisation ; c’est de l’égoïsme de prétendre que vos économies sont dues à votre seule action et que vous n’avez pas été aidé par la société au milieu de laquelle vous avez vécu et vous êtes élevé. Représentez-vous ce que vous auriez gagné et amassé si vous aviez été seul au milieu d’une île déserte. Vous auriez vécu des fruits sauvages que vous aurait donné la nature, de la chair des animaux qu’elle vous aurait laissé le droit de vous appoprier; mais vous n’auriez pas gagné deux cent mille francs et avec cela la faculté de vivre à rien faire.
- Reconnaissez donc que toutes les situations dans la société sont liées par un enchaînement inévitable, qu’il n’est juste pour aucun de nous de nous croire les seuls artisans de notre fortune. Tous, au contraire, nous devons une forte part de la fortune que nous possédons aux concours directs ou indirects que la nature et l’État nous ont accordés.
- 9® question ;
- « Pensez-vous que dans une organisation ra-« tionnelle du travail national, il soit encore né-« cessaire plus tard d’organiser la participation « aux bénéfices comme dans la société du Fami-« listère.
- Réponse :
- La liberté la plus complète doit donner essor, dans la société future, à toutes les manifestations humaines ; lien ne doit poser de limites au progrès humain. La forme d’association que j’ai fondée aura sa raison d’êcre ; elle est une forme des règles de l’équité et de la justice, mais les sociétés humaines peuvent en revêtirbien d’autres. D’abord l’association du Familistère n’est qu’une société de 1800 personnes environ ; c’est une commune d’un nouveau modèle, si vous voulez, bien supérieure aux communes actuelles ; mais ce n’est qu’une commune ; tandis que l’organisation sociale doit étendre ses bienfaits sur tout le peuple. C’est pourquoi je réclame l’hérédité de l’Etat et l’organisation de l’assurance mutuelle nationale.
- Ce serait là la première chose à faire, la première réforme sociale à opérer, suivant moi, en vue d’une sage répartition du superflu de la richesse,et de la réalisation de la justice dans le monde.
- La participation des ouvriers aux bénéfices a bien lieu dans l’association que j’ai fondée, mais cette expression n’est pas la vraie pour exprime i ce que j’ai fait en faveur des ouvriers. Car, c’e; i plus que de la participation aux bénéhees, c’es
- p.165 - vue 168/838
-
-
-
- 466
- LE DEVOIR
- l’association en toutes fonctions d'industrie, de com" merce, d’habitation, d’instruction, enfin de production et de consommation.
- Ces mots : participation des ouvriers aux bénéfices sont, dans la pensée de la plupart des person nes qui s’en servent, une forme de gratification de la part des patrons à leurs ouvriers. C’est le plus souvent une libéralité facultative, puisqu’elle n’est ni dans la loi ni dans un contrat et qu’en conséquence elle n’est pas obligatoire.
- Mais on conçoit que les chefs d’industrie peuvent faire de cette libéralité une condition obligatoire de leur exploitation industrielle ; alors, la participation des ouvriers aux bénéfices devient un droit pour le travailleur, puisqu’elle fait l’objet d’un contrat.
- Sous l’empire du besoin de progrès que les sociétés humaines éprouvent, on décore du nom de participation aux bénéfices diverses manières d’in-téresserle travailleur à la production: mais ce n’est là qu’une des faces de la question ouvrière. Il faut plus que cela ; il ne suffit pas que les patrons partagent leurs bénéfices avec leurs ouvriers dans les moments de prospérité, il faut que le travail humain soit organisé de façon à extirper les chômages, les grèves, à donner aux ouvriers les garanties constantes du lendemain, à donner enfin atout travailleur habile, non-seulement les garanties désirables contre la misère et le dénûment, mais aussi la perspective de pouvoir s’élever dans le niveau social.
- Pour une telle solution l’action individuelle de quelques chefs d’industrie ou philanthropes est insuffisante ; car, elle ne peut produire que des effets locaux ou partiels laissant le reste de la nation dans la souffrance.
- C’est ce que j’ai fait pour ma parten fondant l’association du Familistère. J’ai réalisé au profit de deux mille personnes une situation sociale meilleure ; mais cela ne change rien à l’état de l’industrie en France. Le mérite d’une fondation semblable consiste surtout à démontrer les voies et moyens de ce qui est possible. Aussi est-ce fort de cette expérience que, maintenant, je déclare que pour attaquer sérieusement les difficultés qui étreignent la production et le travail, il faut procéder à l’organisation de la mutualité nationale. C’est une forme plus large de la participation de la classe laborieuse aux bénéfices ; car, ainsi organisée, la participation aux bénéfices n’est plus un fait local et individuel, elle devient un fait social et collectif. Le citoyen y^contribue, l’indus-
- trie y contribue, l’Etat y contribue et, sous la protection de la loi avec l’aide du droit de l’hérédité nationale, on s’apercevra bien vite qu’il est possible de débarrasser les nations des grèves, des chômages et de la misère.
- Il ne faut donc plus s’arrêter aujourd’hui à des faits locaux, sinon pour en tirer les enseignements qu’ils comportent ; il faut véritablement embrasser le problème social dans toute son em-pleur ; c’est des nations entières qu’il faut extirper le paupérisme et la misère ; le problème n’est pas si difficile qu’on pense ; il ne nous p raît difficile que parce que nous n’osons pas le regarder en face. Les préjugés et les préventions sociales sont les obstacles principaux que nous avons à surmonter,
- (.A suivre.)
- LA PAIX BULGARE
- Le traité de paix serbo-bulgare a été signé le 3 mars, à midi, à Bucharest.
- Aussitôt la signature de la paix connue à Sofia, un service solennel a été célébré à la cathédrale et le prince Alexandre a, dans une proclamation, remercié les Bulgares et les Rou-méliotes des sacrifices faits pour conquérir leur union.
- L’annonce de la conclusion de la paix n’a pas été têtée à Belgrade de la même façon. Les Serbes restent sons le coup de leur échec et toute rancune contre la principauté voisine n’a pas disparu. C’est à la Turquie, dit-on à Belgrade, que les Serbes ont cédé et non aux Bulgares. Les bonnes relations entre les deux petits pays seront longues à reprendre.
- Néanmoins, la Serbie, comme la Bulgarie, va désamer et toutes les réserves vont immédiatement être renvoyées dans leurs foyers.
- U QUESTION DES MINES
- Il est évident qu’un grand mouvement de sympathie s’étend d’un bout à l’autre de la France en faveur des mineurs de Decazeville.
- La situation des mineurs est une des mille faces de la question sociale, de cette grande question qui domine notre époque, qui la couvre de plus en plus d’un nuage recélant la tempête, et dont il serait plus urgent de s’occuper que d’un tas de propositions biscornues, dont l’adoption ou le rejet n’intéressent qu’une poignée de parlementaires.
- Le premier acte à accomplir est l’abrogation de la loi de 1810, cette loi qui n’a pu naître que sous un régime despotique, et qui aliène à jamais, au profit de capitalistes favorisés, des propriétés incontestablement nationales.
- Une mine est signalée. Elle peut, ou appartenir à l’Etat,ou appartenir aux propriétaires du sol sous lequel on l’a reconnue. Il a été jugé très sagement que ces derniers n’y avaient aucun
- p.166 - vue 169/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 167
- droit. Mais, s’ils n’ont aucun droit, des étrangers en ont encore bien moins. Cependant, que se passe-t-il? L’Etat,représenté par un roi, par un ministre, fait cadeau, cadeau, vous entendez bien, de cette propriété à qui il veut. Et en voilà pour Péternité.
- Et alors vous assistez à ce spectacle scandaleux qu’ont donné depuis le commencement du siècle les mines d’Anzin. Vous voyez des hommes risquer quelques centaines, quelques milliers de francs, et sans travail, sans préoccupations, sans gérance d’aucune sorte, devenir huit ou dix fois millionnaires, grâce au labeur, grâce à l’administration, grâce aux soucis d’autrui. Les richesses immenses des Thiers, des Perier, et de tant d’autres, n’ont pas d’autre nom.
- Si jamais la phrase de Proudhon : « La propriété c’est le vol,» a paru une vérité, c’est bien dans ces sortes d’affaires où l’iniquité trappe les yeux.
- Je ne suis pas, pour ma part, grand partisan des exploitations par l’Etat, et le système des concessions me parait préférable. Mais d’abord il sied que ces concessions soient pour un temps déterminé, et ensuite il convient de savoir à qui l’on concède.
- Pourquoi toujours concéder à un capital, et pourquoi ne jamais concéder au travail? Vous avez besoin de capitalistes, soit, qu’ils aient une part. Mais vous avez aussi besoin de travailleurs ; pourquoi ceux-ci ne participent-ils à rien ? Est-il juste, je vous le demande, qu’au bout de trois quarts de siècle le capitaliste ait centuplé son capital, et que le pauvre diable qui a gémi, travaillé, souffert soit aussi pauvre diable que devant, et n’ait pas une pierre où reposer sa tête ? Quelle différence voyez-vous entre ce servage et l’esclavage antique? Pour moi, je la cherche en vain ; elle m’échappe.
- Si les mines d’Anzin avaient été exploitées par une vaste association, où depuis les administrateurs jusqu’aux derniers ouvriers, chacun aurait été intéressé dans l’entreprise,quelques familles auraient aujourd’hui un peu moins d’opulence prin-cière (et encore qui sait si les bénéfices n’eussent pas été plus considérables?), en revanche, tout un peuple de mineurs aurait acquis le bien-être et l’aisance, digne récompense de la tâche quotidienne.
- C’est dans cette association des forces, c’est dans cette mutualité, que vous, travailleurs, vous pourrez trouver le repos, la prospérité ; que vous, capitalistes, vous pourrez trouver la sécurité, et le respect d’avantages sociaux que vous avez intérêt à ne pas trop voir approfondir. Craignez les réflexions trop amères ; elles pourraient bien un jour aboutir à des actes qui éparpilleraient aux quatre vents tous ces trésors dont vous êtes insatiables. Quels que soient alors les maux dont la société sera victime,elle n’en accusera que vous et votre rapacité sans bornes.
- Mais demander la suppression des abus à ceux à qui ces abus momentanément profitent, je le recconnais, c’est un
- rêve. C’est pourquoi l’intervention du légklateur et du gouvernement devient indispensable. On parlait dernièrement de mesures de salut public. Eh bien, si le salut public est en question, c’est dans ce combat de la misère et de la fortune, de celui qui n’a pas assez et de celui qui a trup. Je vous assure qu’il n’est que temps de peser sur un des plateaux de la balance, si vous ne voulez pas quelle se brise.
- HENRY MARET.
- Convention entre la France et i’Annam sur le régime des mines de I’Annam et du Tonkin.
- S. M. le roi d’Annam s’étant engagé, par l’article 18 du traité signé le 6 juin 1884 entre la France et I’Annam, à régler, d’accord avec le gouvernement de la République française, le régime des mines situées dans ses Etats, et s’étant ainsi interdit, d’une manière absolue, de disposer d’aucun gisement, soit en Annam, soit au Tonkin, avant que l’entente à intervenir fût établie; déclarant, d’ailleurs, que toutes les mines situées dans ses Eta's font encore partie du domaine royal et quelles sont libres de toutes charges, à l’exception d’une mine de houille située sur le territoire du village de Nong-Son (province de Quang-Nam), concédée le 12 mars 1881 pour une durée de vingt-neuf ans, et considérant qu’il importe de déterminer les conditions dans lesquelles les mines de I’Annam et du Tonkin pourront être exploitées ;
- Et le gouvernement de la République, désirant faciliter à Sa Majesté le roi d’Annam l’établissement d’un régime minier de nature à développer la prospérité de ses Etats ;
- Ont résolu de conclure une convention spéciale à cet effet;
- Article premier.S. M. le roi d’Annam accepte de soumettre le régime et l’exploitation des mines situées dans ses Etats aux réglements dont l’utilité aura été reconnue par le gouvernement de la République.
- Art. 2. Le montant des taxes et impôts établis sur les mines de I’Annam et sur leurs produits, ainsi que le prix de celles qui auront été adjugées ou auront fait l’objet d’une prise de possession, seront versés chaque année dans le Trésor royal après défalcation des dépenses qui auront été faites par l’administration des mines de I’Annam.
- Le gouvernement annamite pourra déléguer un ou plusieurs fonctionnaires pour assister aux adjudications des mines de I’Annam. 11 pourra également demander au résident général, toutes les fois qu’il le jugera utile, des éclaircissements sur le rendement des taxes et impôts établis sur lesdites mines.
- Art. 3. Le montant des taxes et impôts établis sur les mines du Tonkin et sur leurs produits, ainsi que le prix de celles qui auront été adjugées ou auront fait l’objet d’une prise de possession, seront affectés aux dépenses de l’administration du Tonkin.
- Art. 4. La présente convention sera soumise à la ratification des deux gouvernements, et elle entrera en vigueur aussitôt après l’accomplissement de cette formalité, qui aura lieu dans un délai aussi bref que possible.
- Numéro 388, du 13 février, page 102 ; lire : C’est le drapeau communaux familles républicaines et anti-républicaines,au lieu de drapeau commun auxfamilles anti-républicaines.
- p.167 - vue 170/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 168 ________________
- AVIS
- La Société du Familistère a besoin d’un garçon boulanger intelligent pour diriger une boulangerie coopérative.
- ENQUÊTE AUX ETATS-UNIS SUR LES RAPPORTS DU TRAVAIL ET DU CAPITAL(i)
- V
- Déposition de l’honorable E. R. Hutchins, Commissaire des statistiques du travail, dans l’Etat d'Iowa.
- Vous avez ouvert par votre enquête un champ d’études à peu près illimité. Vos questions deviennent des questions nationales, et je crois que de leur sage solution dépendent en grande partie la prospérité et la paix du pays.
- Il n’est plus possible de crier au communisme, au socialisme, ou autres mots en isme, ce qui ne fait que retarder l’amélioration du sort des honnêtes travailleurs. Il est indéniable qu’une somme considérable d’idées s’agitent aujourd’hui dans les classes laborieuses ; et c’est là un des meilleurs signes du temps.
- Ce dont les nations ont le plus besoin c’est de la culture et de l’exercice du jugement dans la masse. Les problèmes discutés et controversés arriveront ainsi à leur solution logique.
- Je passe à vos questions.
- 1° — Malheureusement, oui, les ouvriers n’ont pas d’autre moyen, actuellement, que de recourir aux grèves pour obtenir l’amélioration de leur sort, quelque coûteux et amer que soit le procédé-Cela est humiliant à avouer pour une nation mais c’est la vérité.
- 2° — Oui, l’arbitrage me semble le vrai moyen de résoudre les conflits entre patrons et ouvriers; mais, il faut qu’il soit pratiqué en toute équité et sincérité.
- 3° et 4° — L’arbitrage m’apparaît comme un des éléments constitutifs du système de la coopération par lequel on pourra arriver à une meilleure répartition des bénéfices de l’industrie.
- 5° — Je ne doute pas que la solution du problème sera dans l’association du capital et du travail.
- Les tentatives prospères faites en cette voie à Philadelphie et à New-Brunswick démontrent
- (1) Lire le Devoir depuis le N° du 7 fèvri er 1886.
- que le principe peut réussir aussi bien en Amérique qu’à Paris dans la maison Leclaire, ou à Rochdale chez les pionniers du mouvement.
- La pratique de l’association sera l’incarnation de la justice, et selon le mot de l’Evangile : Le Ciel et la terre passeront mais la justice est immortelle.
- *
- * *
- Déposition de M. E. Todd. Esq. Président de la Compagnie Standard Foundry, Saint-Louis.
- 1° — Oui, les grèves et les fermetures d’atelier sont inhérentes au régime du salariat.
- 2° — L’arbitrage ne peut éviter qu’elles se produisent ; car, lorsque deux parties se sentent blessées l’une par l’autre, elles repoussent tout arrangement.
- 3° — Il y a beaucoup d’essais divers pour arriver à une meilleure répartition des bénéfices de la production ; mais la grosse difficulté est que toutes ces tentatives exigent un noyau d’hommes assez capables pour bien diriger les affaires même en temps de crises industrielles.
- 4° et 5° — Tant que l’autorité ne sera pas exercée par les hommes véritablement les plus capables, les subordonnés seront mécontents de ne pas obtenir autant que ceux qui seront leurs égaux ou leurs inférieurs en capacités.
- *
- * *
- M. A. N. Drumond, Esq. président de la Compagnie minière à Black Heath, Colfax, la, re on-naît que les travailleurs n’ont souvent d’autre moyen que la grève pour se faire rendre justice,
- Il n’a aucun avis précis à émettre sur les autres questions.
- * *
- Déposition de M. Joël B. Mc. Camant, Esq, Chef du Bureau des statistiques industrielles de l’Etat de Pensylvanie.
- 1° — Les grèves et les fermetures d’atelier prévaudront tant que les relations actuelles entre capital et travail resteront ce qu’elles sont.
- 2° — L’arbitrage, selon moi, est le seul moyen raisonnable d’accord entre ces deux éléments de la production.
- 3° — La découverte d’une base équitable de répartition des bénéfices de la production est un sujet qui a occupé, de tout temps, les économistes et dont la solution ne sera proche que lorsque la pensée publique commencera à s’agitera son sujet.
- 4° — Vous demandez si le remède est dans la voie des associations industrielles appelant tous
- p.168 - vue 171/838
-
-
-
- lb devoir
- 169
- les travailleurs à participer aux bénéfices ? Cela ne me paraît guère pouvoir être résolu dans le cabinet; en tous cas, je ne suis pas préparé pour répondre à cette question.
- 5° — L’expérience seule pourra dire si la coopération productive est pratique aux Etats-Unis. En telles matières, les théories ne prouveat pas grand chose ; l’expérience seule peut véritablement indiquer ce qui est avantageux à une classe de la société.
- Ce qui me paraît démontré, c’est que les Unions de travailleurs, partout où elles existent et sont bien conduites, ont fonctionné au plus grand avantage et des travailleurs et de la société ambiante. Elles ont élevé le niveau intellectuel des ouvriers et les ont amenés à l’appréciation des conditions d’un bon et juste gouvernement, ce qui est excellent sous tous les rapports.
- *
- * ¥
- Déposition de E. J. James professeur de finance et d’économie à l’Université de Pensylvanie Philadelphie, Pa :
- Je crois la production coopérative pratique aux Etats-Unis. Elle a donné lieu déjà à des succès marquants. Cependant, je ne crois pas que ni en Europe, ni en Amérique l’expérience ait été poussée assez loin dans cette voie pour qu’on la considère comme la solution complète et satisfaisante de la question du travail.
- Il ne me prraît pas davantage certain que les associations industrielles procureraient des avantages permanents, sous le régime économique actuel.
- Cependant, croyant que la solution est dans cette voie, je suis heureux de toute tentative ayant pour but d’appeler le travail à participer équitablement aux bénéfices ; mais il devrait participer aussi aux pertes, si l’on veut que le système se généralise et se maintienne.
- Quant à l’arbitrage pour résoudre les conflits entre travailleurs et capitalistes, je suis partisan convaincu de la mesure. La loi, selon moi, devrait instituer l’arbitrage et constituer des conseils d’arbitres dont les décisions auraient force de loi.
- La tendance persistante à fermer les yeux sur les maux patents de la société ne peut qu’être préjudiciable à tous les citoyens.
- Nos lois actuelles et nos législateurs procèdent en supposant un état de liberté parfaite pour tout individu, travailleur ou patron, considérant comme fait acquis que tout citoyen est membre
- de telle ou Lelle corporation qui, pratiquement, lui dicte ce qu’il doit faire ou ne pas faire.
- Ces corporations existent, nous le reconnaissons elles se généralisent de plus en plus chaque jour puissantes pour le mal, elles deviendraient aussi puissantes pour le bien sous un système convenable de contrôle public.
- L’arbitrage aurait cet avantage de soumettre les agissements des parties dissidentes au contrôle efficace et puissant d’une énergique opinion publique.
- L’arbitrage tient compte de ce fait, si souvent perdu de vue, que les intérêts en conflits ne sont pas simplement ceux de travailleurs et de capitalistes, mais ceux de la société en générai.
- Cette dernière est si profondément en cause dans ces conflits qu’elle ne peut pas se tenir à l’écart et laisser les intérêts particuliers troubler et détruire les conditions et les bases du progrès économique.
- Néanmoins, la solution est au-delà.
- L’arbitrage, la participation aux bénéfices, la production coopérative, ne sont que de simples expédients, des pis-aller pourrais-je dire, qui peuvent apporter quelque soulagement en cas de crise dans l’industrie nationale, mais qui ne peuvent assurer d’une façon permanente l’ordre et la paix.
- Notre seul espoir d’atteindre un tel but réside dans l’établissement d’un système économique qui ne laisserait place à aucun privilège illégitime, à aucun monopole, contrairement à ce qui se passe aujourd’hui; et qui éviterait l’accumulation en quelques mains de capitaux énormes commandant le travail à bas prix, au détriment de l’intelligence et du petit capital.
- ¥ ¥
- La parole est maintenant à un anglais. Déposition de M. Edward Trow Esq. un des secrétaire du Bureau de conciliation et d’arbitrage pour l’industrie cotonnière dans le nord de l’Angleterre
- Messieurs, je vous envoie un exemplaire des statuts et règlements de notre Bureau. Vous verrez que nos principes comportent l’égalité de représentation pour les patrons et les ouvriers, et qu’en toute occurence les représentants des ouvriers sont traités avec courtoisie et pleinement autorisés à exercer, au nom des travailleurs, un parfait contrôle de toutes les questions concernant 1 les intérêts des ouvriers.
- p.169 - vue 172/838
-
-
-
- 170
- LE DEVOIR
- Les Trades-Unions ont été le résultat de l’oppression exercée par les patrons sur les classes laborieuses ; les agissements des patrons ont presque forcé les hommes à s’organiser en vue de leur défense personnelle ; et une fois les Trades-Unions réalisées de graves conflits se sont élevés entre travailleurs et capitalistes. Dans la plupart des cas, il en est résulté, d’un côté la misère et la souffrance pour des milliers de familles, hommes, femmes et enfants sans ressources, et d’un autre côté la ruine pour les patrons.
- Les résultats de ces guerres industrielles n’établissaient, en aucune façon, de quel côté était le droit; le plus fort emportait la victoire, laissant l’industrie démoralisée, paralysée et mettant la haine au cœur du parti vaincu, lequel n’acceptait la défaite que contraint et forcé et avec la ferme résolution de nrendre sa pie ne revanche à la première opportunité.
- Dans ces conditions, l’arbitrage fut constitué grâce aux efforts de feu M. J. Kane et autres chefs des Trades-Unions, pénétrés de la barbarie du système des grèves et fermetures d’atelier et des maux qui en résultaient pour toute la commu-neauté.
- En i869, sous l’influence de M. Kane des délégués représentant les travailleurs du nord de l’Angleterre, et des patrons du même district sous l’influence de M. Dale, se réunirent et convinrent d’établir un Bureau de conciliation et d’arbitrage auquel les deux parties s’adresseraient en cas de dissentiments, discutant pleinement et librement toute question, portant la lumière de la raison sur tout point en litige, et suscitant la confiance entre patrons et ouvriers.
- De 1869 à ce jour, le Bureau de conciliation ainsi institué a fonctionné et n’a cessé d’être reconnu comme un bienfait par les patrons et les orvriers de tout le district.
- En temps de prospérité industrielle, il a empêché les travai leurs de s’adjuger des avantages indus; et, dans les périodes de crises, il a assuré la continuation du travail.
- 11 a empêché les patrons injustes d’exploiter l’ouvrier en les obligeant à prouver par des faits, devant un Bureau d’arbitres indépendants, la justice de leurs demandes.
- Enfin l’utililé et l’efficacité d’un tel conseil d’arbitres est prouvé par ce fait qu’il n’est pas possible dans l’histoire industrielle d’Angleterre de trouver une phase d’entente et de cordialité, entre ouvriers et patrons, comme celle qui a exis-
- té depuis 1869 dans le district où a fonctionné le Bureau de conciliation et d’arbitrage.
- Mais, pour obtenir un tel succès, il faut entre les arbitres une mutuelle confiance, la résolution de se laisser guider par les faits, de n’avoir aucun parti pris ; et il faut aussi que les patrons et les ouvriers désignés arbitres, acceptent leur mission avec le sentiment de l’honneur et du devoir qui y sont attachés, et respectent les décisions prises, qu’ils y soient ou non favorables.
- Je suis convaincu que nous ne sommes pas encore arrivés au jour de la transformation du régime indust iel ; nous devo s continuer a progresser, et le résultat final des enseignements des Trades-Unions comme des Bureaux d'arbitrage portant sur les enfants d’ouvriers de mieux en mieux instruits, se manifestera par l’organisation d’associaiions industrielles, dans lesquelles tout ouvrier sera directement intéressé au labeur qu’il accomplit, où les bénéfices seront équitablement répartis entre le travail et le capital ; où les classes sociales seront en grande partie disparues, où le gouffre entre le capital et le travail étant comblé, nous aurons à la fois moins de Rothchilds et moins de pauvres.
- A suivre.
- L'Atias statistique des Etats-Unis constate l’accroissement prodigieux de la population dts Etats-Unis.
- Le recencement de 179o annonça un chiffre de 3,929,827 habitants. En 1820, la population dépassait 9 millions et demi : en 1840 elle dépassait 17 millions ; en 1860, elle atteignait 31 millions, et demi.
- Elle était, en 1880, de 50,155,783,
- Ajoutons que Washington, la capitale, comptait au dernier recensement 147,293 habitants, et New-York, 1,206,299.
- L’industrie des soieries en Allemagne.
- Selon les excellentes traditions de la diplomatie anglaise, le chargé d’affaires britannique à Dresde vient d’adresser au Foreign-Office un important rapport sur l’industrie des soieries en Allemagne, et ce rapport est publié sous forme de Livre Bleu. Nous croyons utile de le résumer.
- L’industrie des soieries en Allemagne semble au premier abord se trouver dans un état prospère, dit ce document officiel. Néanmoins, les rapports qui arrivent des centres principaux sont remplis de plaintes amères sur la stagnation des affaires, la décroissance continue de l’exploitation, le nombre effrayant des métiers inactifs et des ouvriers sans ouvrage. Depuis l’adoption de Y admission temporaire en France, les prédictions les plus pessimistes ont cours sur l’avenir réservé aux manufactures de Lrefeld. En somme, l’exercice qui j vient de finir (4885) a été mauvais pour les fabricants et le
- p.170 - vue 173/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 171
- chiffre de leurs affaires a sensiblement baissé. N’oublions pas toutefois que les lamentations des manufacturiers allemands ont souvent des dessous politiques. Il faut bien reconnaître qu’ils auraient tout à gagner à n’être pas gênés par mille lois et règlements restrictifs.
- Contrairement à une opinion très répandue, leurs frais de production sont à peu de chose près les mêmes qu’en France. Mais les Allemands sont pleins d’énergie et d’activité pour le placement de leurs marchandises ; ils savent aller au-devant des commandes jusque dans les pays les plus lointains et sur les terrains en apparence les plus défavorables. D’autre part, les impôts sont moins lourds et la vie est moins chère sur les bords du Rhin que sur les bords du Rhône.
- Un malheur commun aux manufacturiers de Lyon et à ceux de Crefeld est la perte d’un grand nombre de leurs anciens clients, perte amenée à la fois par des tarifs prohibitifs et par l’essor de l’industrie étrangère. C’est ainsi que l’Autriche excelle déjà dans la manufacture des soieries unies,que la Russie se suffit désormais à elle-même, qu’un développement soudain de l’industrie des soies s’est produit aux Etats-Unis. La concurrence de la Suisse n’est pas nouvelle, et les tisseurs de Gôme font des progrès si rapides que Crefeld devra à l’avenir compter avec eux.
- Un autre aspect de la question, d’une importance capitale pour les manufacturiers allemands, est l’insuffisance de leur outillage A Crefeld, la plupart des ouvriers en soie travaillent encore à domicile et sur des métiers à main, tandis qu’à Lyon les métiers mécaniques remplacent de plus en plus l’ancien outillage. Il est bien vrai que les soieries de qualité tout à fait supérieure ne peuvent être bien tissées qu’à la main ; mais les machines ont d’un grand secours dans la fabrication des soieries de qualité moyenne, car les métiers les plus récents battent jusqu’à deux cents coups à la minute, et l’importance d’une vitesse pareille n’a pas besoin d’être démontrée. Dans ce genre, en effet, les dessins et les nuances n ont qu’une vogue éphémère : il est donc souvent essentiel, si l’on veut profiter des variations de la mode, d’être outillé pour une pro ludion rapide, Comment une évolution si manifestement nécessaire s’accomplira-t-elle à Crefeld? Nul ne pourrait le dire.
- Une transformation trop lente de l’outillage motivera forcément de grandes pertes et par suite de vives souffrancts. Quant à une transformation soudaine, elle amènerait immanquablement une crise sociale des plus aiguës.
- On voit que les conclusions du chargé d’Affaires anglais sont à tout prendre plus rassurantes pour les fabricants de Lyon que pour ceux de Crefeld.
- La situation en Danemarck.
- Depuis plusieurs mois, une sorte de lutte intérieure se poursuit en Danemarck entre le pouvoir exécutif, dont le roi est le plus haut symbole, et le pouvoir législatif.
- Le ministère n’ayant pu obtenir de la majorité des représentants le vote dn budget qui est indispensable à l’exercice régulier des institutions, M. Estrup, le premier ministre, en face de ce refus formel, a cru pouvoir s’en tirer par un coup
- de force moral, et Christian IX a signé un décret en vertu duquel les impôts doivent être perçus comme par le passé et d’après les bases de. la loi de finances votée l’année précédente.
- Le Folksthing, après des négociations officieuses qui ont duré un certain temps et n’ont pas abouti, a riposté par une demande de mise en accusation du ministère.
- Immédiatement, M. Estrup a fait prononcer la clôture de la session, et de la sorte la poursuite s’est trouvée arrêtée. Au reste, la haute cour de justice (le Rigsret) étant composée de créatures du gouvernement, l’acquittement des accusés aurait été certain.
- Cependant l’altitude des députés de la nation n’était pas moins une grave menace adressée au pouvoir exécutif; M. Estrup n’a pas voulu en rester là.
- Il a fait poursuivre M. Berg, le président du Folksting, sous la prévention d’attaques envers le gouvernement ; il a obtenu d’une magistrature dévouée une condamnation à six mois d’emprisonnement, et, d’après les dernières informations M. Berg a été mis en état d’arrestation.
- Tout cela est grave, mais aucnn trouble ne s’est encore produit dans les rues.
- L’Oppression du Travail.
- En tous pays, il semble que les classes privilégiées sont affolées par un incroyable aveuglement. A mesure que les aspirations libérales des travailleurs s’affirment davantage, partout la cupidité financière affecte de redoubler de rigueur.
- En Angleterre, dans le comté de Durham, depuis près de trois mois les ouvriers d’une mine exploitée prés du village de Dipton sont en grève. Déjà, à la date du 13 Janvier, plus de 30 familles avaient été expulsées des petits cottages que la compagnie loue à ses ouvriers à certaines conditions. Récemment, le jour d’une tempête de neige pendant laquelle des troupeaux de moutons ont disparu sous une couche de neige épaisse de 20 pieds, alors que les gens ouvraient leurs maisons aux bêtes errantes, la cruelle compagnie faisait exécuter de nouvelles expulsions.
- L’un des expulsés, Thomas Gotis, raconte ainsi sa triste histoire ;
- « Je n’ai su qu’à onze heures que je devais être expulsé de force ce jour-là. Mon tour pouvait venir vers deux heures. La neige tombait épaisse et couvrait le sol d’une couche de deux pieds. Le vent soufflait en tempête et c’était un terrible jour pour être dehors. J’avais ma femme et six enfants avec moi, et je ne pouvais me faire à l’idée de les voir jetés sur la grand’route, d’autant que l’un des petits était malade et qu’un autre n’a que six semaines. Je me décidai donc à obliger ceux qui viendraient pour me mettre dehors à entrer de force dans ma maison. Je ne ferais de mal à personne, mais ils
- p.171 - vue 174/838
-
-
-
- 172
- LE DEVOIR
- n’entreraient qu’en brisant la porte. Je barricadai les deux entrées, et comme il y avait une épaisse couche de neige devant la fenêtre de devant, je mis seulement les volets. »
- Abrégeons la suite du récit. A une heure, l’assaut est inutilement donné aux deux portes; elles résistent à tous les coups. Comme sur la recommandation du mineur, sa petite famille ne répond rien aux sommations des assaillants et qu’on ne fait aucun bruit, ils commencent à croire que la maison est enfin inoccupée. Mais, au moment où les agents d’exécution vont peut-être partir, l’enfant malade ne peut plus dominer son effroi et se met à crier. On donne l’ordre alors d’attaquer la maison par lafenêtre qui en quelques minutes vole en éclats et donne passage aux assaillants qui ressemblent à des animaux polaires- Ces individus enlèvent les barricades intérieures des portes et la maison est envahie de tous côtés, sans la moindre résistance d’ailleurs. L’ordre de mettre dehors femme et enfants est alors donné par l’inspecteur de police, dont les hommes enlèvent également les pauvres meubles de la maison et les déposent dans la rue, c’est-à dire dans la neige.
- Des voisins, des amis, qui ne sont sans doute pas beaucoup plus riches que lui, ont recuilli la famille dispersée du pauvre diable et abrité ses nippes. Et la tempête était à son plus fort et, pour faire seulement quelques pas, il fallait s’ouvrir un chemin dans la masse blanche.
- I/histoire de Th. Gotis est celle de cinquante autres mineurs de Dipton avec des variantes plus ou moins lamentables.
- Les socialistes anglais. — A Manchester vient d’avoir lieu un meeting ouvrier que les sections locales de la Fédération démocratique socialiste avaient organisé.
- Environ 5 üOO personnes y ont pris part.
- Tout s’est passé dans un ordre parfait. Le tondes discours prononcé est resté calme et circonspect.
- Une résolution a été adoptée à l’unanimité, aux termes de laquelle le gouvernement est prié d’organiser le travail et de faire commencer les travaux publics utiles.
- L’assemblée s’est séparée tranquillement.
- La crise industrielle en Angleterre. —
- Le Times apprend que les négociations en vue d’un accord entre les métallurgistes, pour restreindre la production du fer en gueuses, ont dû être abandonnées par suite du refus d’une maison écossaise d’entrer dans la combinaison proposée.
- Les grèves en Amérique. — A peine a été finie la grève des conducteurs d’omnibus à New-York, que les ouvriers du Gould South Western Sailwoy suspendaient le travail, maintenant les mécaniciens, chauffeurs et conducteurs font cause commune avec les ouvriers de la ligne.
- Le service des trains de voyageurs et de marchandises est interrompu.
- Les grèves des ouvriers charpentiers de New-York et les ouvriers cordonniers de Chicago viennent de prendre fin, les grévistes ayant obtenu les concessions qu’ils réclamaient.
- Les Nécessités Sociales
- M. Sigismond Lacroix, rédacteur au Radical, à l’occasion de la grève de Decazeville, a posé nettement les problèmes que soulève l’exploitation des mines. Monsieur Lacroix a trop clairement précisé l’état de la question, pour que nous puissions admettre qu’il en ignore la solution. L’honorable pu-blisciste est aussi député ; il lui incombe doublement d’exposer devant le parlement les améliorations qu’il préconise. En attendant les indications positives que promettent logiquement les interrogations de M. Lacroix, nous publions celles-ci tant nous les trouvons nettement formulées.
- Nous laissons la parole àM. Sigismond Lacroix :
- Mais demain ? si la mine est abandonnée, si la Compagnie disparaît, il ne faudra plus songer à la conciliation ; il n’y aura plus de conseils à donner. 11 faudra agir, agir vite, agir résolument. Que fera-t-on ?
- D’abord, et sans aucun doute il faudra prendre les mesures conservatoires qu’exigera l’état des mines. S’il s’agissait d’une propriété particulière, la justice désignerait d’urgence un curateur pour ne pas laisser périclit *r une richesse qui exige un entretien constant. Il s’agit d’une propriété de l’Etat ; l’Etat en prendra soin.
- Mais après ? Il faudra administrer provisoirement, au compte de l’Etat. Quelle que soit la décision finale, elle ne pourra pas intervenir du jour au lendemain ; il y aura nécessairement une période de transition plus ou moins lougue, pendant laquelle ce sera l’Etat qui gérera. Dans quelles conditions ? Quels seront les rapports avec les ouvriers ? Sur quelle base organisera-t-il le travail et la rétribution du travail dans ces ateliers de mines, devenus ateliers nationaux? Comment éviter que le traitement des ouvriers devenant meilleur, l’exemple ne soit contagieux, et que, dans toutes les mines, les ouvriers ne soient portés à solliciter, à rendre nécessaire l’intervention directe de l’Etat?
- Et, une fois des conventions, même provisoires passées entre les ouvriers et l’Etat, comment l’Etat concèdera-t-il à nouveau l’exploitation des mines à des particuliers ou à des Compagnies sans stipuler, en faveur des ouvriers, les avantages qu’il aura trouvé juste de leur accorder lui-même quand il administrait directement ?
- On voit combien de grosses questions se posent, dont la solution urgente menace de devenir d’un moment à l’autre, la préoccupation première des pouvoirs publics. Peut-être regrettera-t-on, mais trop tard, de ne pas avoir écouté les avis sages et de ne pas s’être préparé à une éventualité qu'on peut redouter, mais qui n’en paraît pas moins iénvitable.
- p.172 - vue 175/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 173
- Les Franchises Communales
- Le comité d’initiative du Journal les Franchises Communales, organe de la Fédération des Communes de France, est composé de MM. H. Michlin, Abel Hovelacque, A. Desmoulins (Seine),Mademoiselle Maria Deraismes(Seine-et-Oise, Seine-et-Marne, Oise) MM.Planteau (Haute-Vienne, Vienne etc.) Giard (région du Nord), Brialou (Rhône, Loire, Isère etc), Gaillard(Vaucluse; Ardèche, Drôme), Clovis Hugues (Bouches-du-Rhône, Var).
- Le journal dont un numéro spécimen a été publié en Février, doit paraître dans la se onde quinzaine de Mars. Il importe que la constitution définitive des Comités et sous-comités établis dans chaque département (art. 3 des statuts) y soit annoncée.
- _ Ecrire dès à présent les renseignements relatifs à la formation des Comités et sous-comités, à l’organisation de conférences, aux adhésions, souscriptions, abonnements, demandes du numéro spécimen et de statuts etc., à M. Auguste Desmoulins, rue Brochant 37, à Paris.
- I. PASTEUR ET LA RAGE
- M. Pasteur a fait à l’Académie des sciences, une communication sur sa méthode de prophylaxie de la rage après morsure.
- Cette communication était attendue depuis longtemps avec impatience ; elle est appelée à avoir un énorme retentissement.
- Dès le début de la séance, le président, M. l’amiral Jurien delà Gravière, a donné la parole à M. Pasteur.
- » Le 26 octobre dernier, a dit l’illustre savant, j’ai fait connaître à l’Académie une méthode pour prévenir la rage après morsure, et les détails de son application à un jeune Alsacien, Joseph Meister, mordu gravement, le 4 juillet précédent. Le chien était manifestement eniagé, et une enquête récente faite par les autorités allemandes a, de nouveau, démontré que ce chien était en plein état de rage au moment où il a mordu Meister. La santé de cet enfant est toujours parfaite. La morsure remonte à huit mois environ.
- » Au moment même de la lecture de ma note du 26 octobre, j’avais en traitement le jeune berger Jupille, mordu autant et plus grièvement peut-être que Meister, le 14 octobre. La santé de Jupille ne laisse rien à désirer. La morsure remonte à quatre mois et demi. »
- Le Petit Journal a rendu compte de cette séance du 26 octobre, que M. Pasteur a rappelée dans les termes que nous venons de reproduire.
- Dès que ces deux tentatives de guérison furent connues dans le public, les malades affluèrent au laboratoire de M. Pasteur, rue d’Ulm, où le savant applique son traitement prophylactique avec l’aide du docteur Grancher.
- Jeudi dernier, le trois cent cinquantième malade était inoculé.
- Au point de vue scientifique, M. Pasteur a agi en toute sûreté, n’appliquant son traitement que lorsque les morsures étaient constatées, et qu’après l’autopiste de l’animal, démontrant qu’il était bel et bien enragé.
- 350 malades ont été ainsi traités en quatre mois seulement. C’est dire que la rage fait beaucoup plus de victimes qu’on ne le croit généralement,
- M. Pasteur a cité, dans sa communication d’hier, un assez grand nombre de cas. Nous en retiendrons deux tout particulièrement intéressants :
- Jean Lorda, âgé de 36 ans, natif de Lasse, dans les Basses-Pyrénées, a été mordu, le 25 octobre 1885. par un chien qui a mordu en même temps sept porcs et deux' vaches.
- Après une période variant de quinze jours à trois semaines, les sept porcs sont mons de la rage.
- Terrifié, Jean Lorda s’est rendu à Paris pour se faire appliquer le traitement de M. Pasteur. Il est arrivé au laboratoire du savant le 21 novembre, c’est-à-dire vingt-sept jours après avoir été mordu et le traitement prophylactique l’a certainement sauvé.
- Quant aux deux vaches, dont les morsures avaient été cependant profondément cautérisées au fer rouge, elles sont mortes de rage, l’une 34 jours, l’autre 54 jours après avoii été mordues.
- Un autre cas, qui s’est produit à Paris, celui-là, est encore plus convainquant.
- Un petit garçon de huit ans, Jullion, rue des Vignobles 6, à Charonne, vit venir à sa rencontre, le 30 novembre dernier, un gros chien furieux et se mit à crier.
- Le chien se jeta sur lui en ouvrant la gueule. La mâchoire inférieure du chien entra dans la bouche ouverte de l’enfant.
- Un croc coupa ta lèvre supérieure et pénétra profondément au fond du palais. Un autre croc resté hors de la bouche entra dans l’œil et le nez.
- Aucune cautérisation n’était possible; le chien, après autopsie, a été reconnu enragé ; l’enfant serait mort d’une mort terrible, si le traitement que lui a appliqué M. Pasteur ne l’a vait préservé.
- De tous les malades traités par M. Pasteur, un seul a succombé et voici dans quelles circonstances :
- C’est une petite fille de dix ans, Louise Pelletier, qui est arrivée au laboratoire de la rue d’Ulm trente-sept jours après avoir été mordue.
- Le virus avait déjà fait son incubation ; elle portait à la tête une plaie sanguinolente et purulente que tous les soins médicaux n’avaient pu cicatriser.
- M. Pasteur n’a pas eu le courage de lui refuser ses soins, bien qu’il les jugeât devenus inutiles, et, en effet, l’enfant est morte.
- Avec du virus pris sur le corps de l’enfant, M. Pasteur a fait des inoculations à des animaux, et il a reconnu expérimentalement que la rage avait été produite chez Louise Pel-tier par le virus du chien et non par la culture qui lui avait été inoculée.
- Les statistiques officielles démontrent que, sur six personnes mordues par un chien enragé et qui se sont fait cautériser, il y a un décès.
- Sauf celui de Louise Pelletier, aucun cas de rage ne s’est manifesté parmi les malades de M. Pasteur, venus de tous les coins de la France et de toutes les parties du monde.
- La rage se déclare dans les deux mois qui suivent la morsure.
- p.173 - vue 176/838
-
-
-
- 174
- LE DEVOIR
- Plus de cent malades traités par M. Pasteur ont dépassé -ce délai.
- L’illustre savant a d’ailleurs été catégorique. Voici sa péroraison :
- « La prophylaxie de la rage après morsure est fondée.
- « Il y a lieu de créer un établissement vaccinal contre la rage. »
- La communication de M. Pasteur a été saluée par une salve d’applaudissements.
- L'amiral Jurien de la Gravière l’a remercié en quelques paroles, au nom de l'Académie, et M. Vulpian a démontré la nécessité d’un établissement de rage.
- Dès le premier jour, le Petit Journal avait prévu la nécessité de cette création et avait demandé sa réalisation.
- M. de Freycinet, qui assistait à la séance d’hier, a assuré l’académie que le concours du gouvernement étai t tout acquis à cette œuvre, à laquelle M. Pasteur désirait conserver son caractère privé.
- Nous nous proposons d’ailleurs de revenir sur ce sujet.
- L’élevage des autruches
- L’élevage des autruches, si florissant au Cap pendant quelques années, subit actuellement le contre-coup de la crise générale des affaires au point d’être déjà passé au rang des industries surannées. Là aussi, c’est l’excès de la production qui a tué la poule aux œufs d’or. Un correspondant de Field donne à ce sujet des détails qui valent d’être notés.
- Personne ue s’était avisé avant 1864, paraît-il, de domestiquer l'autruche. Le premier qui eut cette idée fut un fermier du district d’Aberdeen (colonie du Cap). Encore sa tint-il à un spécimen unique de l'espèce. Mais l’expérience suffisait pour montrer le parti qu’on en pouvait tirer. Vers 1869, M. J. Booysen, de Graaf-Reioet, et M. Joël Meyers, d’Aberdeen, s’associèrent pour exploiter cette idée en grand. Us réussirent si bien qu’au bout de quatre ou cinq ans ils pouvaient déjà mettre en vente des quantités considérables de jeunes, et réaliser de beaux profits. L’introduction de l’incubateur artificiel par M. Douglas, de Grahamstown, en 1874, vint subitement donner un élan prodigieux à l’industrie naissante. Tout le monde se mit à élever des autruches : c’était un moyen de fortune si simple et si certain qu'il en venaità éclipser la spéculation sur les mines de diamants, et que la plupart des fermiers abandonnaient pour s’y consacrer la culture régulière. L’outillage était en effet des plus simples. II suffisait d’enclore avec du fil métallique les premiers terrains venus et d’y parquer les autruches, qu’on chassait au moment voulu dans des espaces plus resserrés, pour les dépouiller de leurs plumes. L’autruche ne volant pas (elle ne s’aide de ses ailes que pour accélérer sa course), et ne pliant pas sa forte jambe, reste prisonnière comme un bœuf ou un mouton dans la clôture-la plus élémentaire.
- « C’était, l’El-Dorado à la portée de tous, dit l’auteur de cette étude. Aussi ne parlait-on plus d’autre chose dans la colonie. L’apathique et obèse Boër, assis sur son stoep, la pipe à la bouche et la tasse de café près du coude, pouvait désormais s’abandonner en paix aux rêvespes plus brillants. Chaque poussin qui venait à ses pieds picorer les restes du dîner représentait une Bank-note, chaque plume une pièce
- d’or. Qui aurait encore voulu se condamner aux soins et aux soucis de l'agriculture ordinaire ! On se moquait bien, désormais, des sauterelles et de la clavelée ! J’ai vu offrir à un Boër de mes amis jusqu’à 700 livres sterling (15,500 francs) d’un couple d’autruches ; il ne l’aurait pas donné pour 1.000. C’étaient les plus beaux reproducteurs du pays. Quatre couvées par an, régulièrement, de quinze poussins chacune; et ces poussins à quatre mois, se vendaient aisément 375 francs par tête. Son couple d'autruche lui valait donc un revenu annuel de 17,500 francs.
- C’est en 1879 et 1880 que l’industrie nouvelle arriva à son apogée. A ce moment, tous les terrains disponibles à proximité des villes et des villages, et la plupart des jardins, s’étant transformés en parcs à autruches. Les plumes étaient aux plus hauts cours : une livre pesant de blanches premières se vendait couramment 1.000 francs, et parfois 15, 16, 1.700 francs ; la paire de reproducteurs des meilleures races valait de 5 à 8.000 francs ; un jeune, avant la première plume, 7 à 800 fr. ; un poussin de neuf mois, 3 à 400 fr ; un poussin sortant de la coquille, 126 francs. Naturellement, la spéculation s’en mêlait et les prix n’étaient même plus en rapport avec les bénéfices possibles. Vers 1881, la réaction se fit. Des maladies inconnues s’attaquèrent au foie et aux poumonsde l’autruche domestiquée. Le prix des plumes baissa presque subitement au tiers de la valeur qu’elles avaient atteinte. 11 y eut une panique ; Les plus beaux poussins trouvèrent peu d’acheteurs à 2 et 3 fr. Quant aux oiseaux tout venus, personne n'en voulait plus La crise devint générale ; les faillites succédèrent aux faillites ; l’œuvre commencée par l’excès de production fut achevée par la maladie. Aujourd’hui, tous les éleveurs d’autruche qui n’ont pas été vendus par autorité de justice et réduits à s’en aller travailler aux mines reviennent graduellement aux anciens modes de culture et d’élevage, au maïs, à la laine, à la viande de boueheiie.
- Le parc à autruches sera désormais au Cap ce qu’il devrait être depuis dix ans en Algérie, une simple annexe de la basse-cour.
- —-------------—iiiami m iinmiiiiii ------
- MAITRE PIERRE
- Par' Edmond ABOUT ( Suite )
- XIV
- CHAGRINS D’AMOUR
- —Petitement, elle a les yeux rouges. Est-ce d'avoir pleuré ou d’avoir veillé ? Personne ne peut le dire. Je ne sais pas ce qu'elle fait de ses chagrins, car elle ne les partage avec personne. Je crois qu’elle s’en nourrit. Ces messieurs sont partis au sortir de table, pendant qu’on vous menait coucher, Ils ont regagné Bordeaux sans traverser le village ; les gamins auraient couru après la voiture en criant : A la noix ! Vous croyez peut-être qu’après ça maître Pierre s’est jeté dans les bras de Ma-rinette ? Ah ! bien oui ! comme les chats se jette à l’eau!
- | Il l’a honorée d'un bonsoir tout sec, et il est allé s'éten-\ re, comme un lâche, sur la Bruyère. Monsieur, je ne
- p.174 - vue 177/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- suis pas meilleur qu'un autre ; mais si j’avais l’honneur d’être employé dans les bureaux du journalisme, j'écrirais un feuilleton pour flétrir cette conduite-là. Si Pierre est un honnête homme, il doit épouser Marinette. Voici dix ans qu’il la compromet et qu’il l’empêche de se marier avec d'autres. D’ailleurs, je vous le demande, ne vaut-il pas cent fois mieux qu'il s'établisse à demeure avec sa femme et ses enfanls, dans ma commune, où il est né, où il a travaillé, où il a tant à faire, au centre de l’administration de mon nouveau canal ? Je lui destine une position conforme à ses goûts et à son éducation première : quelque chose de subalterne et d'honorable, un emploi actif et même, jusqu’à un certain point lucratif. Et, si l’ambition lui vient en vieillissant, j’ai de quoi le satisfaire. Je lui garde le titre de premier ouvrier de Bulos, comme La Tour d’Auvergne était le premier grenadier de France.
- Au milieu de ces propos, je fis ma toilette comme je pus, avec une serviette grande comme un mouchoir et un demi-litre d'eau dans une aiguière de faïence. Habillé, j’entrai dans la cuisine où un déjeuner frugal m’attendait. Marinette m’y attendait aussi, je passai d’abord auprès d’elle sans la reconnaître. Accroupie sur un tabouret, à l’ombre de la haute cheminée, elle avait plongé sa tète dans ses petites mains brunes. Ses pieds saupoudrés de cendre écrasaient machinalement les braises éteintes, sous le talon de leurs sabots. Ses cheveux n’étaient point épars, et l’invariable foulard jaune retenait ses bandeaux à leur place ; son habit était en ordre comme l’uniforme d'un soldat bien noté; il n’y manquait pas une épingle. Ses yeux étaient sans regard, mais sans larmes. Aucun sanglot ne soulevait les petits rochers de sa poitrine. Pas un cri, pas un mot, pas un soupir. Ce n’était pas la douleur abandonnée d’une femme qui ne se possède plus et qui jette au dehors un flot tumultueux de sentiments et de pensées; c'était le désespoir contenu et précis d’un petit être intelligent, logique et décidé, qui veut une seule chose au monde et qui a résolu de l’avoir ou de mourir.
- Elle se leva sans affectation, me tendit la main comme une bonne petite fille, et me servit mon repas. Le maire se promenait de long en large dans la cuisine. Tantôt il insistait pour me faire mangerdeuxfois du même plat, tantôt U sanglait quelque consolation maladroite dans la figure de Marinette. Il me disait que l'armoire était pleine pour huit jours, et que je serais forcé de rester à Bulos jusqu’à la consommation des viandes : « Car enfin, ajoutait-il, vous n'avez pas la prétention de nous faire manger vos restes ! Il disait à la jeune fille : « Ne te mets pas en peine ; les femmes ne meurent pas de chagrin ; c'est ton pour les hommes. Vous pleurez, vous autres ; il n'y
- 475
- a qu’un robinet à tourner, et toutes vos tribulations s’écoulent en eau. »
- Marinette ne songeait pas plus àpleurer qu’à répondre. Elle profita d’un instant où le maire avait le dos tourné pour se pencher à mon oreille et me dire ; « Demandez à voir les chalets ; il faut que je vous parle. » Je ne saisis pas à première vue le rapport qui existait entre ses chagrins et les chalets de Bulos. Si elle voulait se ménager un tête-à-tête avec moi, l'échappatoire me semblait mal choisie, car le maire ne céderait à personne le plaisir de me vanter son ouvrage. Cependant je risquai l’aventure, et je demandai si l'on ne profiterait pas du beau temps pour me montrer le village neuf. Le maire se mit à mes ordres, comme je l'avais prévu, et Marinette se joignit à nous.
- Le nouveau Bulos commence à vingt pas de la maison du maire. L’église et la mairie, construites en pierres, s’élèvent au milieu de l'ancien village, qui est resté passablement laid; mais je n’ai jamais rien vu de plus propre et de plus élégant que la grande avenue où les charpentiers ont établi deux rangs de constructions économiques. On y compte une centaine de maisons, petites et grandes, dont la plus chère n'a pas coûté plus de dix mille francs Elles reposent sur des cubes de pierre, et le plus souvent sur des pilotis qui élèvent le plancher à quelques centimètres au-dessus du sol. Les murailles de bois qui les protègent contre le froid et le chaud n'ont pas plus d’un décimètre d’épaisseur, et cependant il est est facile d’y entretenir à peu de frais une température égale. Ces édifices ont l’avantage de se construire en toute saison et d’être habitables aussitôt que construits : il n'y a point de plâtres à sécher ni de rhumatismes à prendre. Le maire nous fit entrer dans deux ou trois maisons et dans une demi-douzaine d’étables. Bêtes et gens étaient satisfaits de leur habitation ; du moins, les gens me le dirent. Le seul défaut visible de tous ces logements est une sonorité excessive ; mais les paysans s'en inquiètent peu Ils se couchent tous à la même heure, ne se plaignent pas d'être éveillés au chant du coq et passent les journées dans les champs. Un autre inconvénient, moins sensible au premier coup d’œil, mais plus sérieux et plus terrible c’est'qu’une allumette mal placée peut effacer Bulos de la carte de France. Le maire accueillit en se regorgeant cette objection que je croyais sans réplique.
- « Je vous attendais là, me dit-il. Sachez que j’ai trouvé le secret de rendre le bois incombustible. »
- Marinette me dit à l’oreille : Il l’a trouvé... à Paris !
- « Oui, monsieur, poursuivit le maire d’un ton de charlatan, il existe une eau miraculeuse qui met le bois, l’étoffe et même le tulle à l’abri des flammes dévorantes. Grâce à cette préparation, dont j’ai donné le secret à mes
- p.175 - vue 178/838
-
-
-
- 476
- LE DEVOIR
- habitants de Bulos, une planche peut séjourner un quart d’heure au milieu du feu le plus ardent sans être seulement entamée. On peut brûler une montagne de copeaux dans la chambre où nous sommes, une meule de foiu sous le hangar d’à côté, une botte de paille dans l’écurie d’en face, sans endommager ni la chambre, ni le hangar, ni l’écurie. Bulos ne sera jamais incendié, grâce â la liqueur que je lui ai donnée et qui porte mon nom.
- — Vous savezdone la chimie ? » lui dis-je pour l’embarrasser. Il répondit avec un certain bon sens : « Je n’ai pas besoin de l’apprendre, si j’ai des gens qui la savent pour moi.»
- Je l’avoue à ma honte, les chalets incombustibles me souciaient moins pour le moment que le chagrin de Ma-rinette, et je dépitais de ne pouvoir écouter à loisir, dans une maison de pierre ou de bois, sa petite confidence. Elle avait compté que le maire nous abandonnerait un instant à nous-mêmes pour deviser avec ses administrés sur les évènements de la veille. Mais l’homme important croyait ajouter à son prestige en s’enfermant dans le silence. On le tiraillait de ça, delà, à droite et à gauche, qui par la manche, qui par le pan de son habit ; mais les plus persévérants n’obtenaient de lui qu’une demi-confidence, un mot en l’air, une indiscrétion mono-syllabique A la fin cependant, lorsqu’il se fut assez amplement fait valoir à mes yeux, la démangeaison de mentir le livra sans défense aux curieux du village. Il nous laissa sur le seuil d’une neuve maison dont il avait la clef dans sa poche; il ouvrit la porte, pria Marinelte de me faire les honneurs, et demeura emprisonné dans un cercle de notables. J’ai su depuis qu’il leur avait conté que j'étais un rédacteur du Siècle envoyé par le gouvernement pour lui demander quelques avis.
- Marinette ne fut pas plutôt seule avec moi qu’elle se jeta dans mes bras sans façon.
- « Ah ! Monsieur, dit-elle, il faut que vous me sauviez J’en mourrai, pour sûr, et de ma main. Ça n’étonnerait personne, allez ! on sait que nous ne craignons pas la mort dans la famille. Expliquez-moi cet homme-là ! Vous avez plus d’esprit que nous autres, puisque vous demeurez à Paris. Que veut-il ? A quoi songe-t-il ? Est-ce qu’il m’aime ! Pourquoi ne me le dit-il pas ? Si vous saviez combien il est bon ! Il m’a tenu lieu de tout quand j’étais petite. Croyez-vous qu’il m’aurait soignée si bien pour me donner à un autre ? Dans le temps, c’était lui qui me mangeait de caresses. Je le laissais faire, moi ; ça me semblait bien bon. Voilà trois ans qu’il ne me permet plus de dormir sur son bras. Un matin, que nous couchions sur le foin, dans une grange, il m’a réveillée en m’embrassant ; moi, je lui ai rendu ses caresses, comme c’était bien juste ; il est devenu tout rouge et il m’a bat-
- tue Maintenant, quand je vais pour l’embrasser sur la bouche il se détourne malhonnêtement, et j’attrappe sa joue qui me pique. Si je veux lui baiser la main, il me rudoie en disant que ça ne se fait pas. Dans les premiers temps, j’ai été si confuse de ses bourrades que j’ai craint d’avoir quelque défaut caché. Mais je sais que je suis aussi bien que pas une. Quand je m’habille avec d’autres filles et qu’elles me montrent comme elles sont, je n’ai pas besoin de lunettes pour voir que je suis plus belle. Mon haleine sent les fraises, jugez plutôt ! Monsieur To-mery n’est pas le seul qui ait voulu m’épouser ; il y en a bien d’autres. Je les ai renvoyé tous, parce que j’aurais été malheureuse et que je n’aurais pas pu vivre avec eux. Eh bien, il n’a pas l’aik de me savoir gré des sacrifices que je lui ai faits. Que craint-il ? Que je l’empêche de travailler ? mais il ne travaille que depuis que nous sommes ensemble. Il n’aurait été qu’un fainéant sans moi, et peut-être un mauvais sujet. Je suis encore bonne pour l’aider dans tout ce qu’il voudra entreprendre, et si nous avons des enfants, ils feront comme nous! Est-ce parce qu’il est un grand homme et moi une petite paysanne ? Oh ! ce n’est p?s par ambition, croyez-lebien ni par l’orgueil de m’entendre appeler Mme Pierre. Mon ambition, c’est qu’il m’aime, qu’il me le dise, qu’il me permette de l’aimer à mon aise et de l’embrasser tout mon soûl. Il n’a pas besoin de m’épouser pour ça, quoique le mariage soit toujours une chose plus hennète. Mais ça m’ennuie, à la fin, d’être montrée au doigt comme une fille qui court à la suite d’un homme ; de passer pour Dieu sait quoi, quand je souffre mort et martyre, de chercher toujours cette paire de grands méchants beaux yeux qui se sauvent de mon regard ; de donner la chasse à cette vilaine main noire qui ne veut pas se laisser embrasser ; enfin de n’ètre ni fille ni femme, ni mère, ni rien de ce qui a un nom en ce monde mais une pauvre petite curiosité comme on en montre à la foire!
- (A suivre.)
- --------- --———--------------------------“ 1
- État civil do Familistère
- Semaine du I au 7 mars 1886
- Naissances :
- Le 1 Mars, de Moreau Julien-Félicien fils de Moreau Jules et de Ducrot Félicie.
- Le 4 mars, de Alavoine Glotilde Julienne fille de Ala-voine Adolphe Ernest et de Lebègue Laure.
- Décès :
- Le 1 Mars, de Gordien Ildefonse Eugène âgé de 1 an et un mois.
- Le Directeur Gérant : GODIN -
- Guisa — lmp. Barè.
- p.176 - vue 179/838
-
-
-
- 10e Année, Tome 10.— N' 393 Le numéro hebdomadaire 20 c. Dimanche 21 Mars 1886
- REVUE DES QUESTIONS SOCIALES
- ABONNEMENTS PAYABLES D’AVANCE par l’envoi, soit au bureau de Guise, soità celui de Paris, de timbres-poste ou de mandats de poste, dont le talon sert de quittance.
- France
- On an ... 10 fr. »»
- Six mois. . . 6 s»
- Trois mois.
- Union postale Un an. . . . 11 fr. »» Autres pays
- Un an. . . . 13 fr. 60
- ON S'ABONNE
- A PARIS
- 5, rue Neuve-des-Petits* Champs Passage des Deux-Pavillons
- S'adresser à M. LEYMARIE administrateur delà Librairie des sciences psychologiques.
- BUREAU
- a GUISE (Aisne)
- Toutes les communications et réclamations doivent être adressées à M. GODIN, Directeur-Gérant Fondateur du Familistère
- SOMMAIRE
- Aux coopérateurs. — Objections sur la durée de l’Association du Familistère. — Déclaration-Manifeste. — Per omnia sœcula sœculorum. — Société philanthropique coopérative. — Les chevaliers du travail. —La société deDecazeville•
- — Un traité de commerce. — Aphorismes et préceptes sociaux. Enquête aux Etats-Unis sur les rapports du travail et du capital. — Monopole de l’alcool en Suisse contre l’alcolismet
- — La question sociale et les possibilités socialistes.
- — Maître Pierre.
- ------------------♦ --------------------------
- Aux Goopératears.
- La Coopération tend à se généraliser en France et à l’étranger.
- Partout se manifestent d’ardentes aspirations de solidarité.
- Les hommes d’initiative ont leur place marquée dans les groupements divers qui proviennent de ces sentiments d’union et de concorde.
- Le groupe coopératif, plus que tout autre, mérite le concours des bonnes volontés.
- Là, il ne s’agit pas seulement de donner libre cours à un vague sentimalisme : il faut faire preuve de sens pratique ; le problème consiste à harmoniser des intérêts réels et les aspirations humanitaires.
- Le coopérateur actif et conscient est dans toute la signification du mot un homme de progrès ; à
- i’amour de la justice il doit ajouter l’énergie de l’action ; action souverainement méritoire, si l’on considère qu’elle s’exerce ordinairement d’une manière obscure, sans qu’aucune vaine fumée de gloire ou de renommée vienne en exalter les élans.
- Le journal le Devoir, organe de l’association du Familistère, se propose d’accorder une plus grande place aux idées coopératives, à l’exposé des résultats acquis par les sociétés constituées, aux tentatives louables des promoteurs de ce progrès social.
- Les sociétés coopératives, presque toujours fondées avec des ressources limitées, ne peuventêtre trop bien renseignées sur les précautions à prendre pour assurer la bonne marché de leurs opérations. Souvent aussi les fondateurs de ces sociétés, au début de l’entreprise fatigués par les difficultés innombrables que rencontre leur initiative» ont besoin d’être soutenus par la connaissance des grands résultats obtenus par leurs devanciers.
- Nous donnons plus loin le compte rendu de la situation de la société coopérative d e Saint-Rémy-sur Avre.
- Il est certain que les premiers adhérents ont dû faire de grands efforts, éprouver des ennuis et subir de nombreuses déceptions, avant d’atteindre une telle prospérité dans une localité qui ne compte pas plus de 1800 habitants.
- Mais quels motifs, pour les nouveaux venus dans le champ de la coopération, d’avoir confiance;, s’il a été possible de faire autant dans des condi-
- p.177 - vue 180/838
-
-
-
- 178
- LE DEVOIR
- tions si difficiles, que ne pas espérer des entreprises bien conduites dans les centres plus importants.
- Notre ambition, à nous Familistériens qui jouissons des avantages de ta coopération sous tou tes ses formes, est de contribuer de notre mieux à en généraliser les bienfaits. Le fonctionnement déjà ancien de nos institutions nous a permis d’expérimenter les meilleures disoositions administratives; aujourd’hui nous serons heureux d’aider les autres de nos conseils autorisés par une longue pratique des œuvres coopératives.
- Notre manière de les comprendre est en parfaite communauté d’idée avec les vues des fondateurs de la coopération anglaise, les Equitables Pionniers deRochdale. Nos écrits en cette matière sont fréquemment l’objet des appréciations les plus encourageantes de la part des hommes éminents, auxquels les coopérateurs anglais ont confié la gestion supérieure des intérêts de leur fédération et la rédaction de leur puissant organe le Coopérative News.
- II y a peu de temps, nous avions la satisfaction de posséder parmi nous une délégation de coopérateurs anglais, spécialement mandatés par le Congrès général pour venir étudier sur place nos institutions qui, nous sommes heureux dele constater, ont été unanimement approuvées par eux.
- L’idée de faire delà coopération un instrument d’émancipation des classes laborieuses gagne partout du terrain. Nos correspondances d’Amérique nous font part de tentatives incessantes. Aux Etats-Unis, comme nos lecteurs peuvent s’en convaincre par la lecture de l’enquête ouvrière que nous reproduisions d’après le journal l’Age d’acier «de St-Louis, des hommes de toutes les classes, chefs de grandes industries et ouvriers, se préoccupent de rechercher quel mode d’organisation convient le mieux à l’émancipation du travail.
- Nous appelons l’attention des coopérateurs sur l’utilité pour eux de s’abonner à un organe comme le Devoir, qui se recommande à tant de titres à tous les progressistes. Dès ce numéro nous accorderons régulièrement une place dans tous nos tirages aux questions relatives à la coopération.
- Pour bien remplir notre tâche, nous avons besoin du concours des sociétés coopératives ; il est nécessaire que celles-ci nous communiquent ]es faits particuliers qui les intéressent et qu’elles ' eus aident à répandre notre journal en vue de J
- donner plus d’activité et d’efficacité à la propagande en faveur de la coopération.
- LeDeuoir, organe de l’association du Familistère, a surtout pour objet de propager les idées de progrès social, d’association et de coopération. Ces intentions confirmées par de puissantes fondations de l’ordre coopératif et par une lutte constante en faveur de ces idées, nous mériteront, nous l’espérons, la confiance des coopérateurs parmi lesquels nous souhaitons trouver de nombreux lecteurs.
- Objections sur la durée de l'Association du Familistère.
- i.
- Généralement, les personnes qui s’occupent de l’avenir de l’association du Familistère émettent des doutes sur sa continuation régulière après la mort de son fondateur. La plupart sont d’avis que cette œuvre devant son existence aux facultés prétendues exceptionnelles du fondateur, celui-ci disparaissant, la puissance de direction qui donnait la vie fera défaut et que l’association se dissoudra.
- 11 est possible que l’association du Familistère, précisément parce q t ’elle est un fait exceptionnel dans le monde, manque de l’appui que les choses ordinaires trouvent dans les institutions et les mœurs ; mais, d’autre part, le besoin de réformes sociales est à notre époque si profondément et si universellement ressenti que les esprits les plus réfractaires au progrès seront bien forcés de se rendre à l’évidence, et de reconnaître que de telles associations, partout où elles seraient instituées, seraient le plus sûr gage de la paix sociale et que c’est faire œuvre de sagesse que d’en protéger le fonctionnement et la prospérité.
- Mais les difficultés qu’on entrevoit pour l’asso-eiation sont de diverses natures ; une des principales est la crainte que mes successeurs à la direction de l’association ne soient pas à la hauteur de leur rôle, et que l’esprit d’union et de concorde fasse défaut.
- Voyons à ce propos quelles sont, dans le passé de l’humanité, les causes qui ont eu la puissance d’unir les hommes dans des œuvres communes, de les y attacher et de les maintenir unis.
- Ces causes sont de deux ordres :
- La première est le lien religieux ou moral, c’est-
- p.178 - vue 181/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- à-dire une croyance commune à un principe suffisamment fort pour engager les hommes à marcher dans une même voie et sous une même direction ;
- La seconde est celle de l’intérêt matériel qui attache des individus, lorsque des circonstances se réunissent pour leur faire trouver un avantage sensible dans une action commune déterminée.
- Lorsque l’une de ces deux causes est suffisamment puissante sur leur esprit les hommes agissent de concert.
- Mais l’accord est d’autant plus fort que le lien religieux ou moral existe en même temps que le lien d’intérêt matériel.
- Toutes les fondations humaines ont eu l’une ou l’autre de ces deux causes pour mobile ; et elles ont été d’autant plus puissantes que le but religieux ou moral était plus intimement uni à l’intérêt matériel.
- Telle est la loi naturelle des choses humaines. L’association du Familistère en subira l’influence et elle n’échappera pas à ses conséquences.
- Partant de là, cherchons quelle influence ces deux causes ont exercée jusqu’ici sur l’existence de l’association du Familistère.
- Sa fondation a eu pour première cause le profond sentiment religieux de l’unité humaine, l’amour, par-dessus toutes choses, du progrès de la vie dans l’humanité et la foi inébranlable que l’union, la mutualité et l’association entre les hommes sont le plus saint de leurs devoirs.
- J’ai compris que la voie morale la plus élevée que nous ayons à suivre consiste à agir en vue de l’union entre les hommes, et que les actes les plus méritoires que nous puissions accomplir sont ceux qui concourront à cette union.
- Voilà la cause morale et religieuse de la fondation du Familistère et de l’association entre les personnes qu’il renferme.
- Pour donner un corps à cette pensée, à ce sentiment religieux et moral, il fallait une base matérielle, un intérêt de travail commun, c’est ce qui a fait l’objet de l’industrie que j’ai installée pour subvenir aux besoins matériels des membres de cette association.
- Mais si, dans ma volonté et dans l’œuvre que j’ai accomplie, la pensée religieuse et celle de l’intérêt matériel se confondaient, il n’en était évidemment pas de même pour les travailleurs qui venaient auprès de moi.
- Eux n’avaient guère en vue que de gagner leur vie et de nourrir leur famille. Le mobile de l’intérêt dominait tout dans leur esprit, et c’est assuré-
- !L9
- ment le plus éphémère des motifs d’union. Car, il n’est un lien qu’aulant que les satisfactions physiques y trouvent leur avantage, et il se rompt aussitôt que ces satisfactions font défaut.
- Néanmoins, ce n’est pas sans résultat sur le jugement et la pensée que des hommes vivent pendant de longues années dans un milieu où, contrairement à ce qui se pratique en dehors» régnent l’esprit de protection et d’assurance mutuelle, la sollicitude pour les faibles, le respect des droits du travail et tous les bienfaits enfin que l’Association confère à ses membres.
- Ce n’est pas en vain que les enfants s’élèvent et deviennent hommes et femmes dans un tel milieu dont ils comprennent mieux, chaque jour, les avantages, en comparant leur situation à celle des ouvriers de l’extérieur.
- Si le principe religieux et moral qui a présidé à une telle fondation n’est pas compris dans toute son étendue par la masse de ceux qui bénéficient de son application, il n’en résulte pas moins chez les associés le développement de l'esprit de corps» l’habitude de la prévoyance et de la protection mutuel les, le sentiment pratique des garanlies que les hommes peuvent se donner les uns aux autres, et des avantages sociaux dont ils peuvent s’assurer le bénéfice par l’association de leurs ressources et l’union de leurs volontés.
- Mais, on a contre soi l’influence des forces dissolvantes extérieures auxquelles les esprits les moins bien doués se laissent plus ou moins aller.
- Nous vivons à une époque où toutes les aspirations morales sont brisées; un froid égoïsme règne depuis le bas de l’échelle sociale jusqu’aux degrés les plus élevés, et cet égoïsme augmente même en intensité à mesure qu’on gravit les échelons.
- La grandeur du principe de la solidarité humaine dépasse la portée des intelligences du jour; l’activité fiévreuse des populations est un obstacle aux élans de l’âme vers la perfection, de sorte qu’en général les hommes restent indifférents aux idées supérieures qui devraient les guider dans la recherche et l’étude des principes du bien et du vrai.
- L’œuvre du Familistère en est un e xemple. Elle parle aux yeux depuis 26 ans sans qu’un seul homme se soit offert pour prendre part à l’œuvre pour l’œuvre elle même. J’ai été seul à l’édifier contre tous les obstacles qu’on m’a suscités et, presque seul, je suis encore à envisager la grandeur morale de son principe.
- p.179 - vue 182/838
-
-
-
- 180
- LE DEVOIR
- Je vois & cet aveu les sceptiques et les égoïstes se frotter les mains ; je les vois se disant qu’il n’y a'de réel que les jouissances de ce monde.
- Eh bien, qu’ils me permettent de leur dire qu’ils se trompent et qu’ils verront par la suite où l’endurcissement et l’égoïsme les conduiront.
- Mais ce n’en est pas moins ce sentiment de Tétat général des esprits qui fait dire aux hommes ce que le Times exprimait dernièrement en ces termes :
- « Pour que le principe de la coopération pût « être sérieusement adopté et suivi dans l’indus-« trie moderne, il faudrait qu’un groupe d’ou-« vriers eût créé lui-même son capital et l’eût fait « prospérer.
- « On ne peut compter qu’il se trouvera toujours « des M. Godin consacrant leurs énergies à créer a des industries prospères et à édifier des Palais « sociaux dont les coopérateurs de l’avenir n'au-« ront plus qu’à suivre les traditions.
- « Quoi qu’uns classe de bienfaiteurs de l’espèce « de M. Godin puisse être trouvée, un capitaliste « consentant comme lui à diriger l’emploi de son « capital au profit d’hommes qu'il aura élevés au « rang d’Associés sera toujours une exception.
- « Assurer la perpétuité de successeurs valant « le fondateur est un problème insoluble.
- « Un exemple comme celui du Familistère de « Guise ne fait donc [pas face à la difficulté « générale.
- « Si M. Godin eût été enlévé prématurément à « son œuvre et si le Familistère eût survécu, il « serait aujourd’hui plus probant et moins unique.
- « La coopération industrielle ne pourra invoquer, « comme preuve de la valeur de son principe, le « succès visible de la société du Familistère de « Guise, que le jour où l’éminent fondateur aura « cédé le poste d’Administrateur-Gérant à un « homme qui soit naturellement habile et recom-« mandable, mais nullement un génie industriel « ni un capitaliste quatre fois millionnaire.»
- Il est toujours difficile d’ouvrir une voie nouvelle et peut-être,en effet,faut-il généralement des inventeurs pour sortir des sentiers battus. Mais il ne s’agit plus d’innover, de découvrir.
- La voie pratique d’Association complète entre le capital et le travail est ouverte, il n’y a plus qu’à la suivre. Et c’est là une tâche que le Times lui-même reconnait à la hauteur du monde ambiant, lorsqu’il dit :
- « On ne peut compter qu’il se trouvera, toujours i des M. Godin consacrant leurs énergies à créer
- « des industries prospères et à édifier des Palais « sociaux dont les coopérateurs de l’avenir n’au-« ront plus qu’à suivre les traditions.»
- Ces traditions que mes successeurs à la direction de l’Association du Familistère n’auront qu’à suivre, s’ofïrent également en exemple aux hommes de bonne volonté en dehors de l’Association .Aussi est-ce sous l’empire de l’idée que la tâche est aujourd’hui singulièrement facilitée que des efforts sont faits, en Angleterre même, pour fonder des associations donnant à leurs membres des garanties et des avantages analogues à ceux offerts par la société du Familistère.
- Aujourd’hui, ce ne sont point des facultés transcendantes qu’il faut pour maintenir l’ordre et la prospérité au sein de l’association du Familistère ; il faut simplement des hommes d’une habileté ordinaire comme le demande le Time s et d’un caractère recommandable. Il faut que leur amour du bien soit suffisamment élevé pour leur inspirer le désir et le respect du bien général de tous les membres de l’association.
- Ces dispositions suffiront pour permettre à mes successeurs,?! ce n’est d’embrasser dans toute son étendue le principe moral qui a présidé à la fondation de l’œuvre du Familistère, du moins d’en concevoir assez pour veiller religieusement à ne pas s’écarter de l’esprit du pacte social qui relie entre eux tous les membres de l’association et fait d’eux comme une grande famille.
- Le lien d’intérêt est fortement constitué au Familistère, si, d’un autre côté, les conditions morales que je viens d’indiquer se rencontrent chez mes successeurs, l’œuvre suivra sa voie.
- Mais si le sentiment d’amour du bien de la vie humaine qui a présidé à l’organisation de toutes choses ici, n'est pas suffisamment entré dans la volonté et l'intelligence de mes successeurs, ils pourront prêter attention aux passions de l’égoïsme et négliger les intérêts généraux de l’association.
- Comme toutes les entreprises humaines, l'association du Familistère sera surbordonnée au mérite et à la valeur des hommes qui la dirigeront, c’est là une loi générale, mais dont on ne peut tirer aucune objection contre la valeur sociale qu’aurait la généralisation du principe de l'association entre le capital et le travail.
- Le point qui domine tout, celui qui est d’un intérêt véritable, c’est de savoir si l’association est bonne en elle-même ? Si elle évite dans la société actuelle les conflits, les grèves, les revendications si justes et si fondées des ouvriers ? C’est de savoir
- p.180 - vue 183/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 181
- si l’association donne aux familles laborieuses la sécurité et le bien-être ? Si,en appelant ces familles à la possession sociétaire de leurs instruments de travail, des ateliers où elles sont occupées,des palais d'habitation où elles résident, on ne transforme pas ces populations faméliques et misérables ' en personnes aisées et heureuses ?
- Si tout cela se produit, si en vingt ans les ouvriers arrivent à un véritable état de régénéra- : tion ; si la grossièreté de ton, la brutalité d’allures, les inconvenances de langage, les rixes, les imprécations et l’ignorance générale font place à des mœurs ado icies, à la politesse, à l’urbanité, à la bienveillance mutuelle dans tous les rapports, à l’instruction générale donnant à chacun les habitudes de la classe bien élevée, ne doit-on pas reconnaître et proclamer que l’Association du travail et du capital est une chose excellente en soi, et qu’il faut diriger de ce côté toutes lesfor-ces sociales, afin que de telles tentatives, cessant d’être des faits isolés, se généralisent pour la( sécurité, le progrès et le bien-être de toutes les nations civilisées.
- Au lieu de se creuser l’esprit pour chercher les obstacles qui pourront se dresser sur la voie de l’association, ne serait-il pas plus sage, après avoir constaté les résultats obtenus, de dire:
- Puisque cela s’est fait au profit de deux mille personnes, cela peut se faire pour un plus grand nombre ; et il suffirait de le réaliser 18 mille fois en France pour que le pays fût transformé et régénéré ?
- Serait-il donc plus difficile pour la France entière de faire 48 mille communes équivalentes au Familistère de Guise, qu’il ne l’a été pour un seul homme de tirer une telle fondation des seules ressources qu’il a créées lui-même ?
- Franchement, cela est insou tenable ; et il est aussi évident que si une nation était ainsi couverte d’une population régénérée elle serait plus capable encore de s « gouverner elle-même.
- Mais je ne propose pas tant aujourd’hui, je ne demande pas que la France rebâtisse à neuf ses communes et ses villages, je demande qu’elle défère aux vœux des masses ouvrières en s’occupant d’améliorer leur sort, non pas en faisant ce que j’ai fait, mais une partie seulement de ce dont je fournis l’exemple : qu’elle se préoccupe d’assurer aux familles ouvrières les garanties du len < < main en réservant sur la richesse acquise la part nécessaire à ces garanties. Qu’on impose ce sacrifice à
- l’égoïsme, qu’on J’impose à l’accaparement et au monopole de la richesse, et ce sera justice !
- A suivre.
- Groupe des Députés ouvriers socialistes
- DECLÂMTION-lMIKSffi
- Le Peuple veut la République parce que ce régime doit, en établissant l'ordre, assurer plus de justice et de liberté. Si ces résultats n’ont pas encore été obtenus c’est que jamais le principe fondamental de la démocratie n’a été appliqué à la question sociale. Il ne suffit pas, en effet, de proclamer le droit de tous à la liberté et au bien-être, il faut aussi que chacun possède les moyens réels d’exercer son droit.
- Les progrès industriels ont pour effet de substituer constamment et de plus en plus la machine aux bras de l’ouvrier et à ses capacités techniques. De là résultent la destruction du petit patronat et la division de la société en deux classes : l’une possède l’outillage et la matière première, se constitue en une féodalité plus puissante que celle du moyen âge ; l’autre, dépossédée, asservie, n’ayant pas même la possibilité de vendre son travail d'une manière suffisante et régulière qui lui permette de suffire aux besoins de sa consommation, reste en proie aux privations et à la misère.
- Cet état de choses a pour conséquer.ses les crises inévitables qui bouleversent le monde industriel et poussent.la classe privillégiée à s’ouvrir, à coups de canons, des débouchés lointains, tandis qu’en France les travailleurs chôment attendant que d’autres aient absorbé ce qu’ils ont produit.
- L’Etat, imbu des idées économiques de l’école soi-disant libérale, gardien des privilèges de la classe dans laquelle se récrutent ses principaux agents, est naturellement porté, sous prétexte de maintient de l’ordre, de sûreté publique et de liberté du travail, à conserver avec soin l’organisation vicieuse delà société. Les compétitions des différents partis se disputant le pouvoir, l’indifférence ou l’hostiütés des dirigeants, l’incompétence du plus grand nombre pour tout ce qui a trait aux questions économiques, contribuent encore à éloigner l’application des réformes urgentes, à défaut desquelles le pays marche inévitablement à un effroyable cataclysme.
- Il est certain que les privilégiés ne se prêteront jamais à la la transformation d’un ordre de choses dont ils sont les seuls à bénéficier. Les travailleurs doivent donc lutter pour leur propre compte et faire entendre leurs réclamations au sein des corps élus. Investi de ce mandat par nos frères de travail, nous avons dû nous constituer en groupe distinct, afin de défendre par tous les moyens légitimes, les intérêts matériels et moraux des opprimés du salariat.
- Déjà, en Angleterre, en Italie, en Allemagne, en Hollande, au Danemark, aux États-Unis, les prolétaires élèvent la voix dans les corps élus. La France manquerait à sa mission historique, si elle se laissait distancer dans cette voie libératrice que, la première, elle a tracée aux autres peuples.
- Aussi voulons-nous rester fidèles à nos traditions bnmar: taires.
- p.181 - vue 184/838
-
-
-
- 482
- LE DEVOIR
- Notre intervention portera sur les questions déjà élucidées par des études consciencieuses et dont h solution est d’une urgence unanimement reconnue par les intéressés. Nous réclamerons ainsi :
- Une législation nationale et internationale du travail ;
- L'abrogation de la loi contre l’Association internationale des travailleurs ;
- La reconnaissance du droit de l’enfant au développement intégral de ses forces et de ses facultés, par la réglementation du travail ;
- La garantie sociale contre les chômages, la maladie, les accidents, la vieillesse ;
- La réorganisation, sur des bases plus équitables, de conseils de prud’homme ;
- L’indépendance assurée aux délégués mineurs et l’améliorations du sort des marins ;
- La suppression des monopoles, qui ont livré une large part du domaine national à des entreprises privées ;
- L’organisation du crédit au travail et toutes les modifications nécessaires à l’intérêt social dans les travaux publics, l’industrie, l’agriculture, etc.
- Il va sans dire que notre concours est acquis aux mesures d’ordre général et à toutes les améliorations politiques et économiques réclamées par la démocratie, telles que : la supres-sion du budget des cultes, l’abolition des sinécures et du cumul des fonctions ; la transformation de notre système d’impôt, la réforme constitutionnelle, la réforme judiciaire ; en un mot, tout ce qui sera de nature à remplacer le travail salarié par le travail social, but de notre action.
- Nos propositions, lors même quelles seront repoussées au Parlement, auront au moins le mérite de poser nettement la question devant l’opinion publique, de manière que chacun reconnaisse les siens.
- Nous comptons pour nous aider, sur l’appui des chambres syndicales, des sociétés et groupes constitués en vue d’émanciper les travailleurs. Nous faisons appel aux membres des conseils élus et à tous les citoyens de bonne volonté.
- Déjà nous sont venues des adhésions nombreuses ; des promesses de vaillante coopération nous arrivent de tous les points de la France. Il faut que le mouvement se généralise ; que tous les efforts, jusqu’à ce jour épars, s’unissent en un seul faisceau ; que chacun, ouvrier, cultivateur, savant, artiste, écrivain, travaille à l’œuvre commune et que renonçant à toute division d’école, le grand parti des revendications sociales de tous les opprimés se dresse uni contre la hideuse exploitation de l’homme par l’homme,
- Ainsi, nous arriverons à l’ère féconde où, toute oisiveté étant proscrite et tout labeur servant au bien être général de l'humanité, la République sera véritablement démocratique et sociale, c’est-à-dire pour tous et par tous.
- Paris, le 12 mars 1886.
- BASLY, député de la Seine ;
- BOYER, député des Bouches-du-Rhône ;
- BRIALOU, député de la Seine ;
- CAMÉLINAT, député de la Seine ;
- CLOVIS HUGUES, député des Bouches-du-Rhône ;
- PLANTEAU, député de la Vienne ;
- PRUDON, député de Saône-et-Loire.
- N.-B. — Adresier la correspondance et les nouvelles
- adhésions au citoyen Antide Boyer, secrétaire du groupe des députés ouvriers socialistes, 14, rue Richelieu, Paris.
- Nous regrettons que les députés du groupe ouvrier n’aient inscrit, au premier rang de leurs réclamations, la nécessité d’institutions garantîtes destinées à rendre effectif le droit de chaque citoyen à l’existence. La sanction du droit à l’existence doit être la base de toute société rationnelle. L’on tentera vainement de réformer la société, si on ne commence par y introduire la réforme sans laquelle l’ordre ne peut subsister,
- Per omuia sœcula sæculorum
- L’Etat va émettre un emprunt de 1,464,000,000.
- Le gouvernement prend soin de nous apprendre qu’il n’emprunte pas : il consolide la dette flottante et transforme en dettes perpétuelles des obligations à courtes échéances !
- Désormais, nos budgets seront grévés de 58.000,000 pour faire le service de cet accroissement de la dette perpétuelle ; car il est bien entendu qu’eliene doit pas avoir de fin.
- Dans le langage officiel et officieux, style du Temps, on appelle cela économiser ; car le journal en question termine ainsi son appréciation : « Le bénéfice naturel de l’opération est de 75.000.000. L’équilibre du budget est ainsi assuré. »
- Cherchons le bénéfice.
- L’Etat pour rembourser 1.500.000.000 en 6 ans, en supposant qu’il s’acquitte par six versements, paierait en intérêts à 4 0/0 ou en capital une somme de 1.700.000.000.
- Pour éviter de payer en six ans ces 1.700.000.000. fr. nous devrons verser, annuellement, à perpétuité, per omriia sœcila sæculorum, une somme de 58.000.000.
- Or, une annuité de 58,000,000 capitalisant à raison de 3 1/2 0/0 produit, en 50 ans, une somme dépassant cinq millards.
- En d’autres termes, le travail devra, à dater de ï’an de grâce 1886, augmenter de pareille somme le tribut qu’il paie au capital pendant chaque période de 50 ans ; cela équivaut à plus de deux invasions prussiennes par siècle.
- Ces milliards seront payés à perpétuité par l’impôt, c’est-à-dire par le travail.
- On dira : l’Etat conserve indéfiniment le capital, il est donc juste qu’il en serve perpétuellement l’intérêt.
- Cela pourrait se comprendre ainsi, si cet argent n’avait été dépensé pour des services publics qui profitent surtout aux possesseurs des grosses fortunes.
- On résume encore cette opération, dans le mande financier, par la périphrase * donner de l’élasticité à la Trésorerie nationale ?
- Soit.
- Cette élasticité nous semble être l’effet d’un tremplin capable de faire faire une belle culbute à la perpétuité de la rente et du crédit national.
- Se trouvera-t-il un législateur pour demander, en présence de ces audacieux agrandissements des privilèges du capital, que les dépenses publiques soient supportées par ceux qui en bénéficient ?
- p.182 - vue 185/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 183
- Société Philanthropique Coopérative
- DE
- SAINT-REMY-SUR-AYRE (Eure-et-Loir).
- -------,0.-------
- RAPPORT
- Sur les opérations de l’année 1885
- et situation au 31 décembre de ladite année.
- Messieurs les Sociétaires,
- En conformité des prescriptions de nos Statuts, nous venons vous rendre compte des opérations de notre Société pendant l’année 1885, et vous faire connaître sa situation au 31 décembre dernier.
- Après avoir rempli tous les numéros vacants, à la fin de Décembre, au n° 1442. — C’est une augmentation effective de 145 sociétaires pendant l’année 1885.
- La vente a été de 589,094 fr. 40 dont 315,489 fr. 70 pour Saint-Rémy et 273,604 fr. 40 pour Saint-Lubin. — Ces chiffres constituent une augmentation sur 1884 de 28, 224 fr. 55 Saint-Rémy et de 24,332 05 pour Saint-Lubin, soit au total : 52,556 fr. 60.
- Notre capital à augmenté de 21,168 fr. et atteignait, le 31 décembre, la somme de 168,515 fr.
- Notre actif total s’est également accru dans de grandes proportions : de 322,557 fr. 75 au 31 décembre 1884, il est arrivé, en effet, à 386,678 fr. 40 au 31 décembre 1885. — C'est donc de ce côté une augmentation de 64,120 fr. 35. — Il est vrai que le chiffre des sommes dues pour marchandises s’est lui-méme accru dans une proportion notable (15,083 fr. 85) ; mais c’est là une conséquence de l’accroissement de nos affaires.
- Les Frais généraux sont de 32,848 fr. 46 ce qui les fait ressortir à 5,58 pour cent du montant de la vente et constitue ainsi une augmentation de 0,26 pour cent sur les Frais généraux de 1884. — Toutefois, cette augmentations n’est qu’apparente, car nous avons eu, cette année, à comprendre dans nos Frais généraux, le salaire de notre charretier, la nourriture du cheval-et l’entretien du matériel de roulage, dépenses qui, précédemment, alors que nous faisions faire nos camionnages, étaient supportées par le compte de marchandises.
- Les travaux que nous avons faits à notre dépôt et le nouveau matériel dont nous l’avons meublé sont entièrement payés, et malgré cela, notre situation financière n'a jamais été plus satisfaisante.
- Enfin, tout en armortissant 13,885 fr. 05 de mobillier et d’immeubles, ce qui porte nos différentes réserves â 103,513 fr. 75, nous pouvons distribuer, à raison de 10 pour cent sur la vente, 58,909 fr. 40 de bénéfices nets.
- Maintenant, Messieurs, si faisant un retour vers nos débuts, nous vous rappelons que nos premiers achats furent faits en octobre 1872 avec un capital qui atteignait à peine 3000 fr. et que, depuis cette époque, tout en ayant servi l’intérêt à 5 p. o/o à ce capital successivement accru, nous avons réali-
- sé 337,370 fr. 45 de bénifices nets et constitué 103,513 fr. 75 de réserves,
- Si nous ajoutons que ces résultats ont été obtenus pendant une période qui est celle d'expérience et d’organisation et ce, indépendamment des bénifices immédiats réalisés sur les prix de vente, nous croyons que tout commentaire est absolument superflu et nous envisageons l’avenir avec une entière confiance !
- SITUATION AU 31 DÉCEMBRE 1885.
- ACTIF PASSIF
- Mobilier 33,755 90 ))
- Immeubles 88,699 90 »
- Marchandises en magasin. . 224,074 20 »
- Fonds en caisse .... Fonds en compte-courant chez 45,115 55 »
- M. Waddington. . . 24,471 55 »
- Capital en rentes sur l’Etat . 6,564 » ))
- Capital » 468,545 »
- ( Marchandises. . Dû P°,,r •( Frais généraux . » » 41,535 05 44,204 90
- ( Mobilière . . . » 34,945 60
- \ Immobilière . . » 46,546 80
- Réservés A e„ rei)jês sur pjqal . » 6,564 »
- f en Roulement . » 4,575 30
- , du Mobilier . . Am»,lmeme«i)desImmellbles _ » » 4,810 30 42,074 75
- Bénéfices nets à raison de 10 p. 0/0 sur la vente » 58,909 40
- Totaux et Balance . . . 386,678f10 386,678f10
- ,‘o‘
- POUR MÉMOIR.E : (Détail des Frais Généraux)
- Personnel.......................... 21,766 75
- Intérêt du capital......................... 8,071 90
- Gaz pour l’éclairage et la cuisine . . . 747 80
- Travaux et fournitures pour réparations. 550 40
- Divers (i).......................... 1,711 60
- Total................, . . 32,848 45
- Saint-Rémy-sur-Avre, le 21 Février 1886.
- Le Directeur-Gérant..
- A. LEGRAND.
- Vu par nous membre du conseil d'Àdministration de la Société et certifié conforme aux livres de comptabilité et aux ré-
- ultats de l’inventaire, s
- Les Menbres du Conseil d’Administration :
- BOULNOIS. Eugène. — BRUMANT, Alfred. — WALTER, Guillaume. — CîlARTIER-GOUMAS. — DAVID, Ernest. — QUÉRU, Raoul. — CHARTIER, Napoléon. — DELANGE, Joseph. — DESRUES, Amand. - DUCHEMIN, Victor,
- Le Secrétaire : NAEGELEN, Antoine. Le Président : LEPOUZÉ, Jean-Batiste.
- (1) Nous rappelons que le détail des Frais généraux divc,v géra, comme d’ordinaire, affiché dans les magasins.
- p.183 - vue 186/838
-
-
-
- m
- LE DEVOIR
- LES CHEVALIERS DU TRAVAIL
- (The Knights of Labor)
- Dans une assemblée des Chevaliers du travail qui eut lieu vers octobre dernier à Hamilton, Ontario, Etats-Unis, il a été constaté que l’organisation était fermement établie, non-seulement en Amérique, mais en Angleterre et en Belgique, que le nombre des membres avait augmenté de 75 p? 0/0 dans le cours de l’année précédente.
- Le rapport portait alors le nombre des Chevaliers du travail à 113.395 répartis entre 1.610 assemblées, fondées en diverses localités.
- Durant ce même mois, 170 assemblées nouvelles furent constituées.
- En réponse aux journaux affirmant que les Chevaliers du travail ordonnent à plaisir des grèves aux Etats-Unis et en Canada, de vives protestations se sont élevées de la part de membres notables de la corporation même des Chevaliers du travail.
- L’un de ces membres, M. A. P. Jordan, après un éloquent et navrant tableau de la misère des classes laborieuses, ajoute :
- « Si la société ne trouve pas un moyen pratique d’échapper à ces douleurs que chaque jour aggrave, les flots des malheureux se retourneront sur la société et l’enseveliront comme les flots de la mer Rouge ont englouti Pharaon et son armée.
- « Le but des Chevaliers du travail est d’ouvrir, par l’organisation et la coopération, la voie de salut par laquelle les hommes échapperont à l’esclavage et assureront pour toujours leur indépendance et celle de leurs enfants.
- « Leur premier devoir est en conséquence d’agiter l’opinion publique, de s’organiser et de s’instruire.
- « En fait d’agitation comme en fait d’organisation leurs preuves sont évidentes par leur succès même.
- « Comment ils s’instruisent? Le voici: J’ai sur ma table plus de 50 exemplaires du Coopérative News, de Manchester (l’organe officiel des coopérateurs Anglais), soigneusement lus et annotés ; le Manuel des coopérateurs, par M. Neale ; l’histoire de la coopération à Rochdale, et toute la liste des meilleurs traités coopératifs anglais.
- « Il n’y a pas une seule assemblée des Chevaliers du travail où l’on ne parie des coopérateurs d’Angleterre et d’Ecosse.
- « De nombreuses expériences coopératives sont déjà lancées par nous ; et je me réjouis de voir avec quelle sûreté l’esprit de la coopération abat les barrières des nationalités. Mon espoir suprême est que la coopération unira dans un même embrassement tous les travailleurs du monde entier,
- y compris le pauvre chinois (si persécuté aujourd’hui aux Etats-Unis). »
- The Coopérative News dont nous extrayons les détails j
- qui précèdent fournit,en outre, divers documents établissant que si les Chevaliers du travail commandent les grèves, ce n’est pas à plaisir mais contraints et forcés par les circonstances ; leur désir principal étant d’organiser le travail.
- Voici, à ce sujet, ce que dit à nouveau M. A. P. Jordan dans le Coopérative News du 22 janvier dernier :
- « Cory, Pa, 22 janvier 4886.
- « Que diraient les coopérateurs s’il trouvaient un jour sur la porte des usines, cette affiche :
- « Nul coopérateur n’est employé ici.
- « De telles mesures ont été prises contre les Chevaliers du travail.
- « Les Trades-Unions, comparées aux sociétés coopératives et aux corporations des Chevaliers du travail, sont comme les anciennes diligences comparées aux trains express.
- « Mais les hommes qui faisaient usage des diligences ont aussi été les premiers à se servir des trains express.
- » J’ai lu quelque part qne les principaux coopérateurs avaient été des Trades-Unionnistes. Il n’est donc pas étrange que les assemblées des Chevaliers du travail soient presque entièrement composées de Trades-Unionnistes apportant avec eux, dàns trop de cas, la vieille arme deguerre que je répudie autant que vous ; la grève.
- « Ce que nous vous demandons, c’est de ne pas juger des l’institution des Chevaliers du travail par les actes irréfléchi de telle ou telle assemblée, mais par les enseignements du fondateur de l’œuvre et de ses partisans.
- « Quelques-unes de nos visées ne sont pas aussi hautes, d’autres aussi clairement comprises que je le voudrais.
- « Le peuple américain a été habitué dés l’enfance à compter beaucoup sur la législation pour redresser les abus.
- II est donc naturel que nous espérions peut-être trop de ce côté-là.
- « L’Angleterre gère elle-même son service télégraphique au bénéfice de la nation, pourquoi n’en serait-il pas de même aux Etats-Unis ? L’Angleterre a un système de dépôts postaux pourquoi n’en aurions-nous pas un aussi ?
- « Les Chevaliers du travail font plus que toutes les autres corporations ensemble pour amener le travailleur à penser et agir par lui-même et pour propager la .pratique de la coopération .
- « 260 nouvelles assemblées ont été organisées le mois dernier et chacune d’elles, je l’espère, deviendra une société coopérative.
- « Le seul organe officiel de l’œuvre a pour titre : The journal of United Labour.»
- 260 assemblées nouvelles constituées en un mois ! On voit que le mouvement va croissant avec une impétuosité des plus frappantes.
- Le programme des Chevaliers du travail comporte 22 objets vers l’obtention desquels tous les efforts sont dirigés.
- Les principaux parmi ces objets sont les suivants :
- p.184 - vue 187/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 185
- La journée ne comprenant désormais que huit heures de travail ;
- La diminution des heures de travail pour les enfants ;
- L’incorporation des Trades-Unions ;
- L’arbitrage obligatoire comme moyen d^ solution des différends entre travail et capital ;
- L’abolition du système des contrats pour les travaux commandés par U s communes, les Etats ou la nation ;
- La prohibition de l’importation du travail étranger ;
- L’organisation par le Gouvernement d’un système de dépôts et d’échanges faisant des peuples des banquiers ;
- Le rachat obligatoire de tous les télégraphes, téléphones et chemins de fer, afin que la nation seule ait le monopole de ces
- services publics.
- etc... etc...
- Il est dit dans le préambule du programme que la plu art des objets visés ne pouvant être obtenus que par la voie législative, il est du devoir de tous les Membres de voter, sans préoccupation de partis politiques, pour les candidats qui s’engagent à soutenir les vues des Chevaliers du travail.
- La Société de Decazeville.
- Extrait d’une délibération du conseil municipal de Decazeville.
- M. Richard — Puisque le Conseil paraît le désirer, je vais lui donner quelques détails sur la nouvelle Compagnie qui porte la raison sociale de Compagnie anonyme des houillères et fonderies de l’Aveyron.
- Cette Compagnie a été fondée en 1868 sur les ruines de la Compagnie des forges de Decazeville, créée vers 1828 par le duc Decazes et qui plus tard, sous l’empire, était tombée entre les mains de M. de Morny.
- Cette Société lut mise en liquidation par jugement.
- L’actif de l’ancienne Société entièrement absorbé, qui montait 410,600,000 francs, fut mis en adjudication le 30 janvier 1868, et acquis par la Compagnie nouvelle pour une somme de 3,578,000 francs. Aussitôt on constitua un nouveau conseil d’administration dans lequel entra M. Cibiel, qui faisait partie de l’ancien, etM. Léon Say, cou me remplaçant, d’autres ont dit comme représentant de M. de Rothschild.
- Aussitôt maître des mines et des forges, le groupe financier qui venait de faire cette affaire constitua une Société au capital de 6,500,000 fr. Ce capiial-action, hors de proportion avec la valeur réelle qu’il représentait, a été la cause de tous les embarras de la Compagnie, embarras qui n’ont cessé de se perpétuer et que l’on voudrait aujourd’hui faire payer aux ouvriers.
- M. Longuet. — Très-bien 1
- M. E. Richard. — La Société émit des actions, des actions qui trouvèrent un placement facile, grâce à l’importance des dividendes distribués dans les premières années.
- Je ne chercherai pas, messieurs, d’où la Société pouvait tirer ces dividendes relativement considérables...
- M. Longuet. — Tout le monde sait bien qu’ils étaient prélevés sur le capital.
- M.E. Richard. — Je ne le rechercherai pas, dis-je, parce que cet examen ne se rattache pas directement à la question.
- J’ajoute seulement qu’aux termes de l’un des statuts de cette Société, l’assemblée générale des actionnaires était interdite à tout porteur de moins de vingt titres.
- C’est vous dire, messieurs, que l’action des administrateurs était sans contrôle et s’exerçait dans l’ombre.
- Enfin, j’achèverai, sans doute, d’édifier le Conseil, en rappelant que, de 1868 à cette année, la Société des mines de Decazeville n’a publié ni bilan, ni compte-rendu. (Très-bien !)
- M. Hervieux, — Elle a violé la loi.
- M. E. Richard. — J’en ai fini, messieurs avec l’histoire — vous le voyez, — assez édifiante de cette Société.
- Un traité de commerce
- Tous les efforts du gouvernement français pour rétablir nos relations commerciales avec la Roumanie n’ont pasaboi ti.
- Tout ce que notre représentant à Bucharest, M. de Coutouly, a obtenu du préteudu bon vouloir de M. Bratiano, c’est la promesse de renouer « d’une façon utile » les négociations relatives à l’établissement d’un nouveau traité, de commerce avec la France, dès qu’il aura fixé les bases de la convention à conclure avec l’Autriche-Hongrie, en remplacement de celle de 1876 actuellement en vigueur, qui prend fin dans quelques mois.
- En attendant, les importations françaises resteront frappées de la taxe prohibitive de 50 o/O, à laquelle elles ont été soumises en juillet dernier, et qui ruine, au bénéfice de l’Allemagne et de l’Autriche-Hongrie, la seul concurrence qui pouvait atténuer les effets de la déplorable convention commerciale arrachée en 1876 à la Roumélie par le gouvernement viennois.
- De 1871 à 1883, l’importation autrichienne a presque quadruplé en Roumanie. De 87 millions, elle s’est élevée à 135 millions, c’est-à-dire juste la moitié de l’importation totale. L’importation allemande a presque sextuplé : de 5,500,000fr. elle a atteint la somme de 32 millions.
- En regard de cette progression formidable du commerce allemand et austro-hongrois, l’importation française offrait, en 1883, un modeste accroissement d’une dizaine de millions.
- Elle était de treize millions avant 1870 ; elle était arrivée à celle de trente-deux millions. On estime quele droit de douane de 50 o/O dont elle est frappé depuis huit mois a déjà eu pour résultat de faire descendre ce chiffre de 32 millions au-dessous de celui de 1870.
- APHORISMES & PRÉCEPTES SOCIADX
- Répartition de la richesse CI.
- Chacun doit trouver sous la protection sociale larécompense du travail, de la capacité et des ialenls qu’il exerce. La société doit mettre un frein à la cupidité qui tend sans cesse à amasser des richesses sans produire.
- p.185 - vue 188/838
-
-
-
- 186
- LE DEVOIR
- ENQUÊTE AUX ÉTATS-UNIS SUR LES
- RAPPORTS DU TRAVAIL ET DU GAPITALO)
- VII
- Déposition de M. Sarsfield Esq. éditeur associé de aOur country », journal de New-York City.
- Considérant les questions posées par vous comme de la plus grande importance à notre époque et prévoyant que dans un avenir prochain elles commanderont la sérieuse attention du penseur, du philosophe, de l’homme d’Êtat et du patriote, je vous félicite de vos efforts pour répandre la lumière :
- 1° — Les grèves ne sont jamais à proposer si ce n’est en dernier ressort contre les exactions et l’absolutisme du capital. Sous ce dernier rapport seulement elles sont un trait nécessaire du régime du salariat.
- La grève est pour le travail la plus coûteuse de toutes les manières de se défendre. Le résultat qui suit la grève, favorable ou non au travail, n’établit aucune indication utile pour les nouvelles contestations que l’avenir peut amener.
- Les fermetures d’atelier sont complètement injustifiables, si l’on admet, ce qui est la vérité, que le problème du travail est non-seulement industriel mais moral.
- 2° —L’arbitrage est un lien nécessaire en're le capital et le travail. Mais les rapports sont brisés entre ces derniers sur tant de points que l’arbitrage ne pourra réparer toutes les fractures. Ce serait, néanmoins, un progrès sur le système des grèves et un moyen rationnel de régler les discussions entre patrons et ouvriers. Ce serait le premier pas dans l'évolution de la question du travail.
- 30,4» __ L’idée de la participation du travail aux bénéfices ouvre un large champ. Sa démonstration affirmative complète requerrerait trop d’espace et de temps pour être abordée ici. Qu’il me suffise de dire que par la découverte et l’application de ; ce système nous aurions accompli un progrès marqué dans l’évolution industrielle. Il me semble que cette question sera résolue forcément d’ici à dix années. Déjà, elle a donné lieu à des expériences prospères sur différents points de la France, spécialement au Palais social deGuise, où 1700uuvriers sont actionnaires participants aux bénéfices de ce vaste établissement.
- 5° — Pour répondre à cette question à la mode
- (1) Lire le Devoir depuis le N° du 7 février 1886.
- Yankee,je devrais reprendre vos expressions et vous demander si la coopération productive a été réalisée quelque part ? Si, oui, pourquoi, ne le serait-elle pas aussi chez nous ? Le succès industriel obtenu dans les entreprises communistes des Shakers, des Perfectionnistes à Onéïda, des Dunkers et autres, est dû à la présence du principe coopératif.
- Les membres de ces communautés ne sont pas, dans leur ensemble, supérieurs en habileté intellectuelle ni en talents d’exécution à la masse ordinaire de leurs compatriotes. Leur succès peut donc peser en faveur de la praticabilité du régime de la coopération productive en Amérique comme partout. Mais il ne faut pas perdre de vue qu’un puissant facteur du succès des communautés dont nous venons de parler fut la part faite par elles au côté moral comme base fondamentale de leurs entreprises industrielles.
- Nous n’aborderons pas ici les succès des sociétés coopératives de consommation en Angleterre; c’est un sujet absolument familier à quiconque s’intéresse au problème de l’émancipation du sort du travailleur. La coopération de production est la plus haute phase de l’évolution dans le problème social. Quand les conditions pratiques en seront parfaitement déterminées, le jour de la rédemption sera venu pour les hommes, les femmes et les enfants dont la peine et la misère ont été jusqu’ici Punique héritage.
- *
- * *
- Déposition de M. P. H. Donnelly Esq. secrétaire général de Vassociation protectrice des mineurs de l’Illinois.
- Je considère l’acceptation du principe de l’arbitrage pour régler les dissentiments entre patrons et ouvriers, comme un des meilleurs gages de la fin des conflits entre travailleurs et capitalistes.
- Une fois ce principe fermement établi, nous pourrons espérer en une répartition plus équitable et plus satisfaisante des bénéfices provenant des entreprises industrielles ; certainement,uneespèce d’association productive entre le travail et le capital résultera de l’adoption du principe d’arbitrage.
- Des biens nombreux ressortiront de ce principe, s’il est compris et accepté dans toute sa plénitude : d’un côté, les travailleurs éviteront avec le plus grand soin tout gaspillage de matière, toute perte de temps; de l’autre côté, les patrons veilleront avec un soin égal à ce que, proportionnellement
- p.186 - vue 189/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 187
- à l’augmentation des bénéfices, croissent les gains et le bien-être des travailleurs.
- L’arbitrage signifie l’instruction, et l’instruction signifie le strict respect des principes de la justice. Tous les deux tendent à la pratique de l’humanité. Ce sont là les conditions inéluctables de l’avenir. Les salles de lecture, les sociétés littéraires, les conférences contradictoires instituées partout sous l’influence des Unions du Travail en sont l’heureux pronostic.
- C’est le point lumineux dans la nuit. La lumière apparaît. Qu’elle vienne à nous!
- * *
- Déposition de M, Frôd. Woodrow Esq. connu sous ce nom : The Sarnaritan of labor.
- Io — Les grèves et les fermelures d’atelier sont les modes de protestation et de défense moderne; raisonnables ou non, elles sont le premier pas vers la conciliation ou le conflit. Elles indiquent la suspension d’affaires pour cause de grief.
- Le régime du salariat n’est pas, de toute nécessité, la cause première de ces faits, bien que la conception erronée des conditions de ce régime, l’oubli de ces fluctuations forcées et le manquement aveugle de moyens de conciliation soient le virus du poison ; tant qu’il en sera ainsi, tant que la science du gouvernement de l’industrie ne sera pas égale aux devoirs incombant à l’industrie même, les grèves et les fermetures d’atelier seront inévitables.
- Le taux du salaire passe par les mêmes fluctuations que le montant de la facture du boucher ou de l’épicier. La valeur de la nourriture comme la valeur d’une semaine de travail croît ou décroît suivant des impulsions extérieures, comme le baromètre monte ou descend suivant l’état de l’atmosphère.
- L’abus de ces fluctuations inévitables, accompagné d’un côté par l’ignorance et de l’autre côté par l’égoïsme, engendre l’injustice, les rancunes et l’anarchie industrielle. Les combinaisons et les contrats qui ont pour but de sacrifier un des éléments producteurs à l’autre sont au premier rang des causes criminelles d’où viennent les grèves et les fermetures d’atelier.
- Les misères du travail, Dieu le sait, sont nombreuses et les modes de protestation de l’ouvrier ne sont pas toujours sages. Mais, penses-y bien, ô homme, rends-toi compte de la tragédie du froid et de la faim, des femmes et des enfants dénués de tout, des cœurs et des esprits brisés et tu ver-
- ras si tu peux t’étonner ensuite des conspirations et des éclats soudains du travailleur.
- 2° — Le principe de l’arbitrage international me par ait contenir 1 unification des intérêts entre capital et travail. Il ne connaît ni esprit de classe, ni haine, ni ostracisme.
- Devant lui, le riche et le pauvre sont égaux. C’est la phase de l’évolution par l’éducation, l’instruction, la liberté ; phase qui enfante des penseurs aussi bien à la forge que dans les Académies, et qui conduira la civilisation dans une voie nouvelle où les mots de maîtres et d’esclaves ne seront plus que la représentation de choses mortes.
- L’arbitrage résoudra par la raison les difficultés que nos grands pères abordaient parla lutte;cette question est d’importance plus vitale aujourd’hui que les questions politiques elles-mêmes.
- L’adoption de l’arbitrage à un moment donné n’est pas douteuse, bien que les détails d’application soient une question de temps et d’expérience.
- L’idée a pour adversaires tous ceux qui vivent des abus auxquels elle mettrait un terme.
- 3e,4a Pour quiconque voit dans les faits présents les germes de l’avenir, il est évident que la participation du travail aux bénéfices de la production et l'équité de répartition des richesses seront résolues dans un avenir prochain.
- Le système de l’aumône et de la charité, tel qu’il a été pratiqué jusqu’ici, ne sert qu’à entretenir le mal. Le problème social ne se résoudra pas par des bons de soupe ni de charbons.
- Reconnaissons donc qu’il y a quelque vice fondamental dans l’organisation sociale, puisque ceux qui s’emploient le plus directement à la création de la richesse n’en retiennent aucune part, semblables qu’ils sont, en ceci, au tonneau toujours à la pompe et qui ne retient pas l’eau.
- Mon sentiment est que le vrai germe de vitalité dans ce qu’on appelle le socialisme est précisément que le socialisme reconnaît les droits du travail à participer à la richesse qu’il enfante, et à recevoir de la société les garanties voulues pourécarter à tout jamais le système de l’aumône.
- Les extravagances et les excès des conceptions socialistes n’en n’ont pas moins dégagé des vérités sociales de première importance. Mais, de même que les découvertes industrielles ne se font que pas à pas, je crois que les conditions pratiques d'une meilleure organisation sociale ne se réaliseront aussi que par degrés, et que le régime de la
- p.187 - vue 190/838
-
-
-
- 188
- LE DEVOIR
- participation aux bénéfices est un des degrés de l’évolution sociale.
- 5° — Le principe de la coopération productive honnêtement appliquée a pour lui l’équité et la vérité; car il a pour base l’intérêt mutuel et la confiance mutuelle. Il ne peut pas écarter d’un coup tous les maux du régime industriel actuel, mais il peut améliorer le sort de la masse. Ce qui est indispensable au succès c’est d’avoir à la tête de telles entreprises coopératives des chefs habiles ot honnêtes. En Angleterre, la coopération a fait ses preuves dans les magasins de vente de denrées usuelles.
- En Amérique, ce qui contrecarrera notre marche dans la même voie, c’est l’esprit d’accaparement et d’égoïsme et la soif de s’enrichir promptement.
- (1 faudrait que le capitaliste, cessant défaire du moi la base de tout, y substituât le nous.
- En attendant, la coopération diminue les causes de mécontement, augmente la prospérité générale, rehausse en digni'é le travail, grossit l’épargne de l’ouvrier et constitue enfin une solution partielle du problème de la civilisation.
- * *
- M. Oscar Kochtitzky Esq. commissaire du Bureau du travail en Missouri, se déclare également partisan de la solution des difficultés entre ouvriers ; et patrons par l’institution de l’arbitrage.
- lise prononce de même en faveur de la coopé ration comme un moyen d’harmoniserles intérêts entre les deux éléments de la production : Travail et capilal.
- Il signale que la plus grande attention doit être apportée dans le choix des directeurs de sociétés coopératives pour faire que ces sociétés soient prospères ; et que toutes les opérations doivent s’y accomplir de façon à donner le moins de prise possible à la suspicion de la part des subordonnés. Dans ces conditions, il conclut que la coopération d’une part et l’institution de l’arbitrage de l’autre contribueraient grandement àl’barmoni3ation des rapports entre travailleurs et capitalistes.
- + ¥
- M. W, E. Campe Esq. , de la maison Ehret et Cie déclare qu’ayant depuis de longues années concouru à la direction de cinq grandes usines et n’ayant jamais expérimenté aucune difficulté avec les ouvriers, qui ont toujoursreçu de bons salaires, il n’a jamais été amené à réfléchir profondément sur les questions posées à l’enquête.
- | Il sait que, généralement, on considère comme ! injustifiable la prétention des ouvriers de participer aux bénéfices sous le régime du salaire ; et il sait aussi que les ouvriers ne cesseront de réclamer une telle participation, tant qu’on ne leur en aura pas prouvé d’une façon irrécusable le mal fondé. Quant à lui, il déclare être convaincu que les établissements qui feraient à leur personnel ouvrier l’abandon d’une part donnée de bénéfices, trouveraient, en retour, dans le personnel un concours et une bonne volonté des plus précieux et qui auraient pour conséquence une sérieuse augmentation des bénéfices en un certain nombre d’années.
- Mais il reconnaît, d’autre part, que l’excès de concurrence et la multiplicité abusive des manufactures, combinés avec le développement du travail par les machines et l’abaissement des droits d’importation, ont eu pour résultat une surabondance des produits et la diminution des profits dans toutes les branches de l’industrie ; désastre dont les travailleurs ressentent le coup par l’abaissement quand ce n’est par la suppression de leurs salaires.
- Sa conclusion est que la répartition des bénéfices entre les deux éléments producteurs, capital et travail, serait un bienfait, en attendant que le commerce et l’industrie eussent trouvé une base encore meilleure.
- A suivre.
- Monopole de l’alcool en Suisse contre l’alcoolisme
- On s’occupe activement au palais fédéral des mesures d’exécution de la décision populaire qui a attribué à la Confédération le monopole de la fabrication et de la vente des alcools. Une commission d’experts, convoquée et présidée par le chef du département de l’intérieur, M. le conseiller fédéral Schenk, est nantie de deux projets de loi à ce sujet. Voici les principales dispositions du premier :
- Pour fonder une distillerie, il faut demander un mois au moins à l’avance l’autorisation du Conseil fédéral.
- La fabrication de l’alcool est soumise à un impôt de 100 francs par hectolitre. La quantité à imposer est déterminée par un appareil de contrôle.
- Les alcools imposés en Suisse sont soumis, outre les droits existants, aune taxe de 115 fr. par quintal métrique, poids brut ; pour le même poids, les liqueurs payent 90 fr.
- Les infractions à la loi sont pudes d’une amende de 50 à 500 fr. ; les tentatives de soustraction d’impôt, d’une amende de 500 à 3,000 fr. ; les soustractions d’impôts effectuées, à une amende de 5,000 fr. et du quintuple de l’impôt soustrait. En ce dernier cas, le Conseil fédéral peut en outre, retirer immédiatement l’autorisation de distiller.
- p.188 - vue 191/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 189
- En cas de récidive, le coupable peut être condamné à trois mois de prison.
- Le Conseil fédéral est autorisé à soumettre à un impôt de 125 fr. par hectolitre la vente des provisions d’alcool exis-antes lors de l’entrôe en vigueur de la loi.
- Le second projet relatif au monopole de la Confédération, pour la vente de l’alcool oblige les distillateurs à vendre à celle-ci le total de leur production à un prix normal variant de 60 à 70 fr. l’hectolitre. Ce prix est fixé pour deux ans par une commission composée d’agriculteurs, de distillateurs et de représentants du Conseil fédéral.
- Les fabricants de boissons alcooliques sont tenus d acheter de la Confédération l’alcool brut à un prix normal variant de •160 à 170 francs l’hectolitre. Une commission nommée par le Conseil fédéral fixe ce prix.
- L’importation d’alcool de tout degré et d eaux distillées appartient à la Confédération.
- Les dispositions pénales de la loi sont sévères. Elles comportent des amendes pouvant s’élever de cinq à trente fois la valeur des sommes soustraites.
- LA QUESTION SOCIALE
- et les possibilités socialistes.
- XII
- DES FORMES SOCIALES.
- Penseurs, révoltés et mécontents, progressistes et révolutionnaires, presque tous les collaborateurs actifs de l’élaboration sociologique sont cantonnés dans des écoles exclusivistes ou disciplinés en des groupes intrangigeants et souvent ennemis. La plupart agissent sans se douter que, malgré leurs divergences, ils sont les ouvriers d’une œuvre commune.
- Les uns s’appellent anarchistes, individualistes ; d’autres se disent mutualistes, collectivistes, communistes; chacune de ces catégories se subdivise en progressistes et en révolutionnaires. Tous s’excommunient réciproquement ; l’individualiste et l’anarchiste éprouvent l’un envers l’autre une haine incommensurable ; le mutualiste prend en pitié le communiste qui le lui rend avec usure ; le collectiviste se moque du mutualiste et n’est pas souvent d’accord avec les autres.
- Cette constation, à première vue, semble être l’indice d’un gâchis inextricable. A notre sens,elle est la manifestation incohérente d’éléments divers présentant passagèrement une apparente incomptabilité ; parce que chacun d’eux est présenté comme un tout, tandis qu’il n’est qu’une composante de l’action sociale.
- La sociologie, étrangère aux querelles des écoles et des partis, note les points communs ; elle
- emprunte à chacun de ces groupes les procédés conformes aux besoins de la vie humaine, quelle que soit l’étiquelte préférée par les promoteurs.
- La société future ne sera ni individualiste, ni anarchiste, ni collectiviste, ni communiste ; elle procédera de chacune de ces théories. Toute la science sociale consiste à savoir maintenir, à chaque époque, un juste équilibre entre les institutions dérivées de ces diverses conceptions, de manière à obtenir sans compression la permanence de l’ordre.
- Nous appelons individualiste notre organisation présente, parce qu’elle est dominée par les tendances de cet ordre ; mais l’analyse nous y fait constater l’existence simultanée d’arrangements» sociaux se rattachant directement au communisme’ à l’anarchie, au collectivisme, à la coopération à l’association, à la mutualité.
- Les cours des salaires et des marchandises soumis aux variations de la loi de l’offre et de la demande sont des phénomènes anarchiques, puisqu’ils n’obéissent à aucune loi fixe, puisqu’ils se manifestent à l’improviste à la suite d’actes spontanés des individus Mais dans une société dominée par l’individualisme, cette anarchie n’existe que dans la limite profitable aux intérêts des individualités dirigeantes.
- Nos routes, nos ponts exempts de péage s ont des services publics ayant dans leur fonctionnement toutes les réalités des pratiques préconisées par les communistes. Ces utilités entretenues avec l’argent de tous sont à la disposition de chacun selon ses besoins. Le grand consommateur qui paie beaucoup d’impôts, proportionnellement à sa consommation, et qui est retenu par des infirmités ou par ses goûts dans une propriété privée d’où il ne sort jamais, contribue pour une forte somme à l’entretien de ces services ; tandis que le vagabond, qui consomme peu, et qui est toujours par voies et par chemins, fait un usage presque gratuit de ces utilités ; cette façon d’user des routes concorde avec la donnée communiste: chacun suivant ses forces, à chacun suivant ses besoins.
- Dans la société dominée par l’individualisme, ce communisme dans la manière d’user de certains services ne se retrouve pas dans leur établissement. Si le développement des moyens de communication s’était fait uniquement par l’impôt, ces services publics seraient en parfaite conformité avec la donnée communiste, mais, édifiés généralement au moyen des emprunts, notre mé-
- p.189 - vue 192/838
-
-
-
- 490
- LE DEVOIR
- canisme financier fait que la jouissance communiste est grevée d’un lourd prélèvement en faveur des individus possédant les titres de rente créés par les emprunts contractés en vue de l’amélioration de l’outillage national.
- Les institutions collectivistes tiennent aussi une grande plaça dans notre société dite individualiste, toujours entachées le plus possible des vices que nous venons de faire ressortir.
- Les postes, les télégraphes, les tabacs fonctionnent sous la gestion et sous la responsabilité de la société entière,avec cette tendance de chercher, autant que possible, à faire payer, à chacun, ces services proportionnellement à l'usage qu’il en fait, de manière à couvrir les dépenses par les recettes et à retirer un certain prolit en faveur de la société gérante et responsable. Ces services publics, dont chacun se sert suivant ses forces et laisse les bénéfices à la société, sont des institutions se rattachant directement à la théorie collectiviste.
- La mutualité existe à l’état de germes développés dans le régime présent. Les secours aux enfants abandonnés, aux sourds et muets, aux aveugles, les établissements réservés aux fous, toutes ces institutions forment une des branches de la mutualité nationale : l’assurance obligatoire pour la vieillesse, imposée à tous les fonctionnaires, la caisse nationale des retraites ouverte à tous les citoyens suivant ieurs versements sont d’autres divisions de la mutualité nationale.
- La coopération, l’association, la participation sont des formes sociales relativement nouvelles; elles n’ont pas encore un développement assez grand pour que l’on constatedesfondations ayant le caractère d’institutions sociales basées d’après leurs données ; mais il est facile de prévoir que la sociologie trouvera en elles de puissants auxiliaires du progrès social. Avec les procédés tirés de ces formes sociales ou peut essayer, sans péril sérieux, des réformes que les sociétés n’oseraient jamais tenter dans leur ensemble.
- Nous ne pousserons pas plus loin ces aperçus ; ils sont suffisamment clairs pour prouver que les formes sociales les plus diverses existent ; que, conséquemment, il est absurde de condamner à priori une réforme parce qu’elle se rattache plus ou moins à l’une de ces formes sociales.
- Quiconque comprendra ces réflexions, concluera combien il est absurde de repousser une innovation, sous l’unique prétexte qu’elle est du communisme, du collectivisme ou de l’individualisme ;
- lé désaccord ne peut rationnellement se manifester que sur l’urgence d’argmenter ou de diminuer dans la société le nombre des institutions de l’une ou l’autre catégorie ; la forme sociale ne préjuge pas la valeur ou futilité d’une innovation, la mesure seule peut être le juste motif d’études et de discussions.
- « Un mouvement très énergique part de Chicago en faveur du iibre-échange. La société qui, sous le nom de « Free Trade Convention », existait dans cette ville, vient de former une Ligue libre-échangiste Américaine, dans le comité de laquelle seront appelés en qualité de vice-président, un représentant de chacun des Etats de l’Union. Le programme avec lequel cette ligue se présente au public est très remarquable, spécialement les passages suivants : « La continuation d’une guerre de tarifs avec des droits qui, pour plus de 1,400 articles de consommation, atteignent une moyenne de 42 0/0 de la valeur, équivaut à une guerre en temps de paix, et a été la principale cause de la dépression des affaires durant les- dernières aimées. En augmentant les frais de la production, les droits ont également restreint la capacité productrice du travail et du capital. La concurrence avec d'autres Etats industriels a été paralysée ; on a même dû renoncer à plusieurs branches d’affaires, tandis que le peuple était empêché de se vouer à de nouvelles branches qui eussent apporté un travail rémunérateur. En nous empêchant d’acheter à d’autres nations, on a contraint celles-ci à se détourner de nos produits agricoles. »
- * *
- Une Grande Découverte, appelée à révolutionner la métallurgie vient d’être faite à Philadelphie par M. E. H. Goles, de Cleveland. Ce chimiste a enfin trouvé la solution d’un problème regardé depuis longtemps comme insoluble : la production de l’aluminium à bon marché. Le procédé de M. Goles, repose, paraît-il, sur la réduction de l’alumine ou oxyde d’aluminium par l’électricité. Ce métal merveilleux, inoxydable, ressemblant à l’argent, d’une ténacité, d’une sonorité remarquable, et en outre d’un poids spécifique des plus faibles (densité : 2,52 à peu près/, n’était obtenu jusqu’ici qu’à un prix de revient très élevé. Ses dérivés : l’alunite, et tout spécialement l’alumine qui constitue, avec la silice, l’argile se trouvent dans tous les pays du monde. L’aluminium, ce métal type, va donc enfin prendre son véritable rang et rendre les immenses services qu’on est en droit d’attendre de lui.
- MAITRE PIERRE
- Par' Edmond ABOUT ( Suite )
- XIV
- CHAGRINS D’AMOUR
- — Belle jeunesse! cria le maire, l’heure de la retraite a sonné; et monsieur notre ami se dérobe depuis assez longtemps, à la sympathique admiration de ma foule.
- Marinette n’eut que le temps de s’essuyer les yeux, car elle pleurait cette fois. Ses secrets et ses pleurs long-
- p.190 - vue 193/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 191
- temps contenus s’échappaient en même temps, et ses paroles rapides coulaient avec un torrent de laimes; le revers gauche de ma redingote fut trempé de cette confidence Le maire ne s’aperçut de rien: le madré paysan n’avait d’yeux que pour ses intérêts d’argent ou de gloire; les peines et les plaisirs d’autui ne le souciaient nullement. Il revint à nous avec ce sourire olympien qui semblait avoir élu domicile sur sa figure de faune. L’auréole burlesque qui brille au front des parvenus ne s’éteignait jamais sur son chef branlant.
- Il nous jeta dans une foule de dix-huit ou vingt notables, car il n’y a que des notables dans la riche commune de Bulos. « Monsieur, me dit-il, je vous présente me administrés. Administrés, je vous présente monsieur.»
- J’éprouvai un véritable plaisir à considérer de près un groupe un peu nombreux de paysans des Landes. De tous les sujets d’étude que le voyageur rencontre sur son chemin, le plus curieux comme le plus varié, c’est l’homme. Non-seulement les peuples diffèreut entre eux, mais chaque fraction d’un grand peuple se distingue par une physionomie propre et quasi personnelle. Les traits de cette figure à mille tètes échappent aisément à l’observateur qui s’établit dans une localité pour y finir sa vie; il est placé trop près pour voir les gens dans leur ensemble; il connaît trop bien les individus pour saisir l’acpect de la foule: c’est un myope condamné à ne percevoir que des détails. Mais le voyageur qui passe vite, sacrifiant de parti pris tout le menu des choses, embrasse d’un coup d’œil les traits généraux d’une population comme les grandes lignes d’un paysage. M. Prosper Mérimée n’a fait que traverser la Corse, et nous l’a rapportée en bloc dans Colomba.. Henri Beyle, esprit puissant, observateur profond, nous a rapporté l’Italie en miettes, parce qu’il y avât demeuré trop longtemps.
- Ceux qui ont eu l’avantage de voir la France à vol d’oiseau ont dû remarquer comme moi une douzaine de variétés bien distinctes dans le peuple le plus spirituel du monde. 11 est impossible de traverser l’Àsace sans rendre grâce à la nature qui a pris soin d’aligner sur la frontière du Rhin toute une armée de cuirassiers solides, faite pour monter à cheval et courir à la guerre aveuglément sans demander pourquoi. Il est difficile de parcourir la basse Bretagne sans regarder avec curiosité ces grands Celtes blonds, derniers restes, du pur sang de la Gaule qui marchent au progrès quand on les y pousse, et retournent à chaque instant la tête en arrière, comme s’ils avaient oublié quelque chose. Les grands appétits des paysans de la Flandre, la finesse traînarde et pesante des villageois normands, l’entreprise et l’entregent des Comtois, le nonchaloir élégant des Tourangeaux, la violence sanguine des riverains du Rhône, sont des traits que la civilisation égale d’un pays centralisé n’a pas
- encore effacésdans les campagnes. Les habitants de la Creuse, lorsqu’on les voit chez eux, paraissent créés et mis au monde pour manger des châtaignes et bâtir des maisons; et il y a peu de villageois en Auvergne qui ne semblent prédestinés aux travaux de la chaudronnerie. Les Landais de la Gironde, autant que j’ai pu saisir leur physionomie générale, forment une des populations les plus françaises de la France. Bien faits et bien pris, quoique la nature ait un peu ménagé l’étoffe, spirituels même quand ils ne savent pas lire, courageux avec une pointe de forfanterie gasconne, vifs sans être violents, ardents au travail, infatigables au plaisir, ils portent légèremeut le poids de leurs misères passées, et la faim qu’ils ont soufferte pendant plusieurs siècles n’a pas imprimé sur leurs têtes fières un sceau d’abrutissement, Ils sont tous taillés plus ou moins exactement sur le patron de maître Pierre. Ils ne sont donc point parfaits, et comme aux Athéniens d’avant Périclès, il leur reste quelque chose à gagner.
- Le maire faisait la roue au milieu de son peuple, en homme hereux de s’étaler dans toute sa gloire. Il s’entretenait familièrement, tantôt avec l’un, tantôt avec l’autre; mais quel que fût son interlocuteur, il parlait assez haut pour être entendu de tout le monde, Je crus remarquer dans la contenance de ses sujets un singulier mélange du respect qu’on doit à l’autorité et de la malice qui se prend au x ridicules de l’homme. L’assistance ne se composait plus de gens acquis et enrégimentés comme les convives de la veille. C’était le public des secondes représentations, celui qui ne reçoit point de mot d’ordre et qui paye le droit de juger librement. Aussi le nom de maître Pierre revenait-il souvent sur le tapis, quoique le président ne l’eut pas inscrit à l’ordre du jour.
- »Oui, mon cher contemporain, disait le maire à un vieillard de son âge, on parlera de nous à Paris, et monsieur que voici racontera aux indigènes de la capitale les belles choses que nous avons faites à Bulos.
- —Nous! répondit le vieillard, ce n’est pas à nous que ’honneur en revient. Tout ce que nousavonsfaitdemieux, c’est de laisser faire. M’est avis, au moins.
- — Nous, moi, toi, lui ; le pronom pronominal est de peu de conséquence.
- — Lui, à la bonne heure, Ah! monsieur, poursuivit le bonhomme en se tournant vers moi, qui est-ce qui aurait prévu ça, le voyant si petit! Il était gros comme le poing, que j’avais déjàun fils à l’armée. Encore un peu, c’était moi qui le ramassais à la porte du docteur. J’ai passé quand la servante le tenait dans ses bras en criant: « A qui l’enfant? s Pauvre petit Pierre!
- — C’est bon! c’est bon! interrompit le maire. Tu nous as déjà conté cela, vieux répétiteur! » Il se tourna vers un jeune homme et lui dit : « Vous êtes heureux, vous
- p.191 - vue 194/838
-
-
-
- 192
- LE DEVOIR
- autres bambins ! Vous trouvez votre pain tout cuit, dans ma commune.
- — Oui, mousieur le maire, et le petit roi des landes nous a planté du bois pour chauffer le four.
- — Roi toi-même, galopin! « Le maire se rejeta sur moi et me dit: » Celui-ci sait lire, écrire et compter; c'est un érudit dans mon genre. La jeune génération cherche à s’instruire, et sauf un certain nombre d’illettrés qui font tache....
- — Mon Dieu! monsieur le maire, dit un petit homme à figure réjouie, c’est bien heureux pour nous tous que maître Pierre n’ait pas su compter!
- — Certainement, reprit un autre. 11 serait plus riche et nous le serions moins.
- —Tu ne sais pas ce qu’il a, d’abord. Est-ce que tu as compté avec lui? *
- — Pas plus qu’avec vous, monsieur le maire.
- — Qui est-ce qui te dit qu’il n’est par plus riche que moi?
- — Au fait, c’est bien possible. Faut qu’il soit plus riche que vous, puisqu’il est plus donnant.
- — 11 sont gais, me dit le maire à demi-voix; je les entretiens en belle humeur, et je ne sais pas si le maire de Paris trouve le temps de rire avec ses administrés. J’ai bien peur que le temps lui manque. Mais à Bulos c’est tout à fait campagne, comme vous voyez.
- — Monsieur le maire, lui demanda un des assistants, c’est donc vrai que le filsTomery de Bordeaux voulait nous enlever Marinette?
- — Oui, mes enfants, mais moi je vous l’ai conservée.
- — Oh! n’ayez pas peur, maître Pierre ne l’aurait pas laissée partir. Pauvre fille! C’est elle qui aurait été malheureuse à Bordeaux! Vous savez qu’ils ferment les femmes?
- — Vraiment? fit l’assistance.
- —• Oui. Ils commencent par leur ôter leurs échasses pour qu’elles ne puissent plus se sauver. Ils les font garder par des domestiques en uniforme; ils les promènent dans des voitures à couvercle, comme qui dirait des boites; ils les mettent au spectacle dans une armoire qui ferme à clef, et lorsqu’ils les laissent sortir seules dans la rue, ils leur attachent une cage autour de leur pauvre corps.
- — Si tu savais la loi, dit le maire, tu ne proférerais pas de semblables sornettes. La femme est libre de faire tout ce qu’elle veut, pourvu qu’elle obéisse en tout à son mari; et elle peut aller où bon lui semble, dans les limites du domicile conjugal. »
- Quelques notables s’étaient groupés autour de Mari-nette. Les uns la louaient d’avoir voulu rester paysanne; les autres la félicitaient de son prochain mariage avec maître Pierre. La pauvre fille tenait tète à tout le monde
- et essuyait en face les propos les plus saugrenus.
- « Vive la joie! nous verrons une belle noce.
- — Il faudra bâtir une grange tout exprès, pour loger deux déparlements.
- — Moi, je ne me suis pas grisé depuis le baptême de mon petit, mais le jour de ton mariage, je ne ferai ni une ni deux: haut le coude!
- — Moi, je remettrai des cordes neuves à mon violon.
- — Si le préfet était bon enfant, il enverrait les violons du grand théâtre.
- — Du tout! ils nous feraient trop d’arias. Quand il y a plus d’un violon qui joue à la fois, je ne sais plus comment poser le pied par terre.
- -• Ah! Marinette, mon enfant, c’est ce jour-là que tu verras du nouveau.
- — Tout beau, tout nouveau, dit le proverbe.
- — Moi, je t’attends au lendemain.
- — Après tout, on parle peut-être sans savoir. Ça sera-t-il si tant nouveau qu’on le dit, eh! Marinette?
- — Qu’est-ce que ça nous fait? Une goutte d’eau bénite ne gâte pas un verre de bon vin.
- — C’est égal, tu peux te vanter d’épouser un fier homme.
- — Elle le sait bien.»
- La pauvre fille laissait tourner sa petite tête co mme une girouette et payait d’un sourire hébété les propos bienveillants de ses amis.
- [A suivre.)
- La Revue socialiste, rédaction et administration, 19, rue du faubourg Saint-Denis, Paris. Sommaire du n° 15 (15 mars).
- Le travail des enfants et des femmes, Gustave Rouanet.
- — La politique du travail et le garantisme social, S. Deynaud. — Introduction à la sociologie. G. Degreef.
- — M. Léon Donnât et la méthode exprimentale en politique, Eugène Fournière —Les morales philosophiques, Benoît Malon. — Lettres de M. Godin et de Mrae G. Lemaître. — Société républicaine d’Économie sociale. — Les sociétés savantes. — Revue des livres. — Abonnement : 4 an. 42 fr., 6 mois, 6 fr. Étranger port en sus. Le numéro : 1 fr.
- --------------------. - » -----------------------
- État civil du Familistère.
- Semaine du 8 au 44 mars 1886. Naissance :
- Le 10 Mars, de Mariées Louise, fille deMariées Narcisse Israël Grimonie.
- Décès :
- Le 8 Mars, de Warin Polixène, épouse de Laporte Emile, âgée de 40 ans.
- Le Directeur Gérant : GODIN
- Guise — lmp. Barè.
- p.192 - vue 195/838
-
-
-
- 10* Année, Tome 10.— R‘ 394 Le numéro hebdomadaire 20 c. Dimanche 28 Mars 1886
- LE DEVOIR
- REVUE DES QUESTIONS SOCIALES
- BUREAU
- a GUISE (Aisne)
- Toutes les communications et réclamations doivent être adressées à
- ABONNEMENTS PAYABLES D’AVANCE
- par l’envoi, soit au bureau de Guise, soità celui de Paris, de timbres-poste ou de mandats de poste, dont le talon sert de quittance.
- France
- Un an ... 10 fr. »»
- Union postale Un an. . . 11 fr. »»
- M. GODIN, Directeur-Gérant Fondateur du Familistère
- Six mois. . . 6 »» Trois mois. . 3 »»
- Antres pays
- Un an. . . . 13 fr. 60
- ON S’ABONNE
- A PARIS
- , rue Neuve-des-Petits-Champ* Passage des Deuz-Pavillans
- S’adresser & M. LEYMARIE administrateur delà Librairie des sciences psychologiques.
- SOMMAIRE
- Le F amilistère et la presse anglaise. — Aphorismes et préceptes sociaux. — Solidarité des travailleurs. — La coopération et le progrès social.— Objections sur la durée de l’Association du Familistère — Troubles en Belgique. — Enquête aux Etats-Unis sur les rapports du travail et du capital. — Les grèves en Amérique.— Consolidation des emprunts déguisés. — Puissance de l’hérédité de l’Etat.— Le produit de l’impôt.
- — La question sociale et les possibilités socialistes .
- — Election législative— R'mnion électorale.— Maître Pierre.
- -----------------.«♦»..-------------------
- LE FAMILISTÈRE ET LA PRESSE ANGLAISE
- The coopérative News du 6 courant reproduit la lettre de M. Godin publiée dans le Courrier de Londres du 23 janvier dernier.
- Nous offrons ici au Coopérative News l’expression de notre gratitude pour sjon zèle infatigable à propager ce qu’il croit utile et bon.
- Voici la lettre dont il s’agit :
- Guise, Familistère, 19 janvier 1886.
- A M. le Directeur du Courrier de Londres.
- « Monsieur,
- « Votre journal du 16 courant reproduit ma lettre au Times en réponse à l’imputation de matérialisme faite à mon sujet dans les articles publiés par le Times sur l’Association du Familistère, fondée par moi à Guise, articles qui, du reste, étaient sérieusement étudiés et inspirés d’un excellent esprit.
- c The Spectator du 9 courant s’occupe, à son
- tour, de l’Association du Familistère, dans un article qui n’a pas le même mérite. Tout en reconnaissant les avantages dont jouissent les 1800 personnes habitant les palais de l’association et ceux assurés même aux ouvriers résidant au dehors, il en conclut que tout cela n’est rien et que je n'ai pas abordé la question sociale.
- « Permettez-moi de profiter des colonnes de votre journal pour examiner comment The Spectator pose la question sociale, au cours de rémunération qu’il fait des conséquences de l’Association du Familistère.
- « Mais, d'abord, un mot sur les considérations préliminaires auxquelles se livre l’auteur de l'article à propos de l’habitation en général et de ce qu'il prétend être l’état de l’opinion publique en Angleterre, au sujet des palais donnant tout le confort que l’habitation isolée ne peut offrir.
- « Jetant quelque peu d’encens à la routine et surtout à la parcimonie des spéculateurs, il dit que beaucoup de personnes « pensent toujours « que les maisons du peuple doivent être renou-« velées ; mais que ces personnes envisagent d© « meilleurs bâtiments, des dispositions plus scien-« tifiques, des loyers plus légers, plutôt qu’un « plan de vie en commun. »
- « Je le demande au Spectator : Où sont les dispositions les plus scientifiques ? Est-ce dans le palais édifié pour 400 familles et réunissant tous les bienfaits de l’Association ? ou bien dans l’habitation isolée où chacun ne peut compter sur l’aide de personne ? *
- « D’après The Spectator, « les philanthropes « disent que l’Anglais préfère une pauvre cham-c bre dans un cottage à lui, à la meilleure « chambre dans un palais dont il partagerait la « jouissance avec un millier d’autres.»
- p.193 - vue 196/838
-
-
-
- 194
- LE DEVOIR
- c Singulière contradiction ! On voit tous les Anglais riches, lorsqu’ils viennent à Paris, au lieu de rechercher de petits cottages, descendre au Grand-Hôtel, à l’Hôlel du Louvre, à l’Hôtel Continental ; tous les grands hôtels de Paris ne sont pas assez grands pour eux et ils vivent là au milieu de centaines d’autres habitant les mêmes édifices. Montrer ces inconséquences est la meilleure réponse à faire au prétendu amour de l’isolement.
- « Passant à l’association du Familistère, The Spectator constate :
- « Que les ouvriers y sont admis à participer « aux bénéfices, suivant leurs capacités, et qu’ils « accumulent ces profits pour rembourser le capi-« tal de fondation ;
- « Que j’ai construit, pour le personnel des tra-« vailleurs, des palais d’habitation offrant des « conditions d’existence comparativement confor-« tables ;
- « Q,ie 400 familles sont ainsi logées convenable-« ment dans des appartements aussi indépendants « que s’ils constituaient autant de maisons ;
- « Que l’établissement possède, en outre, des « nourriceries où, en l’absence de la mère, aucun « soin ne fait défaut aux enfants ;
- « Des écoles où les enfants reçoivent une ins-« traction exceptionnellement bonne ;
- « Des magasins coopératifs où toute lacommu-« nauté peut facilement s’approvisionner ;
- « Des salles de bains, lavoirs, buanderie, éten-« doirs, etc. ;
- « Une bibliothèque avec salle de lecture;
- « Un café, un théâtre, des jardins ; le tout ouvert « à la communauté
- «Dans ce palais » dit-il, «vivent les ouvriers et « leurs familles et ce sont eux qui, sous la gérance « de M. Godin, administrent les affaires de l’asso-« ciation.
- « Ils élisent les membres de leur comité gou-« vernant »
- « The Spectator rappelle que les enfants y sont dans de bonnes conditions ; il aurait pu affirmer qu’aucun bourgeois de Londres n’a les siens mieux soignés que ne le sont les enfants les plus pauvres de cette population de 1800 personnes.
- « Il termine son énumération en disant : « Les « ouvriers et leurs femmes sont évidemment con-« tents, puisqu’ils restent là jusqu’à la vieillesse ;
- « en toute apparence le paupérisme est vaincu. »
- « Il aurait pu dire, en outre, que des assurances de secours mutuels sont constituées de telle sorte qu’elles possèdent, aujourd’hui, un capital de sept cent mille francs, avec lequel elles garantissent les subsides nécessaires à la famille pendant la maladie, les soins du médecin et les remèdes, des pensions de retraite à tous les travailleurs en cas de vieillesse ou d’incapacité de travail ; que ces caisses d’assurances sont administrées oar les ou- »
- vriers eux-mêmes, et que les comités de direction en sont élus par moitié tous les six mois.
- « Voyons maintenant la conclusion du Spectator. Voici comment il s’exprime : « La question n est-« elle pas résolue ? Malheureusement non, elle « esta peine touchée. M. Godin n’a pas véritable-
- « ment abordé la grande difficulté sociale... Le
- « problème est de savoir si une société où la pa-« resse est tolérée, où l’ivrognerie est possible, « où l’impulsion humaine accumule graduellement « ses effets, et où il n’y a aucune discipline di-« recte supérieure, peut être aussi confortable ; « or, ce problème n’a pas encore été résolu. »
- « Cette .manière de poser le problème de l’amélioration du sort des classes ouvrières sera trouvé au moins étrange par tous les hommes de bon vouloir qui s’occupent des moyens de cette amélioration.
- « Quoi ! rien ne serait fait parce qu’il reste quelque chose à faire ! Le bien-être de 1800 personnes sous le régime absolu de la liberté des familles, les bienfaits de la mutualité s’étendant à 4000 personnes par le fait de l’association, tout cela ne serait rien, parce que cette association n’aurait pas commencé par se recruter de voleurs, d'assassins, d’ivrognes et de fainéants ! Certainement, c’est là une singulière manière de voir.
- « Donnons à chacun son rôle : les chefs d’industrie ne peuvent agir que sur les groupes d’ouvriers qui les entourent ; ils n’ont pas le pouvoir du gouvernement pour appliquer les lois ; la société a son rôle à remplir à l’égard des réfractaires ; les industriels et les détenteurs de la richesse n’ont de devoirs qu’à l’égard des classes laborieuses.
- « Je serais heureux si tous les capitalistes et chefs d’industrie d’Angleterre et d’ailleurs me tendaient la main pour associer les ouvriers aux bénéfices de l’industrie, afin de réaliser au profit des travailleurs toute la somme de bien-être que les progrès de la production moderne permettent de leur donner ! Alors l’industrie et la richesse feraient cause commune avec les gouvernants pour les mesures législatives à faire intervenir, afin de prendre la question sociale d’aussi haut que l’entrevoit le rédacteur du Spectator.
- « Mais en attendant que les gouvernants, que les hommes chargés des destinées des nations s’élèvent à la hauteur de leur rôle, ne serait-il pas heureux que ceux qui possèdent la richesse fcom-prissent qu’il y a des déshérités en ce monde et qu’il est de notre devoir de reconnaître leurs droits ? Que les industriels commencent par introduire dans leurs usines et manufactures le genre de despotisme que le Spectator m'attribue, en associant leurs ouvriers à leur industrie, alors sera grande la surprise du Spectator de voir que, sous cette communauté d’efforts, la classe ouvrière s’élevant à l’aisance, au bien-être, à l’amour de la
- p.194 - vue 197/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 495
- famille par un chez-soi confortable, à la moralité par l’instruction, les fainéants, les paresseux et les ivrognes se confondront dans la masse commune des ouvriers rangés. Ce qu’il en restera sera l'affaire de la société ; elle devra toujours avoir des hospices pour soigner les gens malades, voire même des maisons de réclusion pour les voleurs et les assassins. Ce n’est pas avec ceux-là que l’industrie doit commencer par aborder les améliorations sociales.
- « Le rédacteur du Spectator trouve que je n’ai pas même abordé la question sociale. Je voudrais bien que cet écrivain me fît toucher cette question. Je croyais la connaître, je croyais l’avoir très sérieusement développée dans mes écrits et dans mes actes. Si je me suis trompé, je voudrais revenir de cette erreur. J’ai toujours cru que la question sociale consistait dans l’amélioration du sort des classes ouvrières, et je crois encore que lorsqu’un chef d’industrie a, par l’association, doté une population ouvrière d’environ 2000 personnes de l'aisance, du bien-être et d’un confort relatif ; quand, par cette association, il a étendu les bienfaits de la mutualité, les soins et subsides pendant la maladie, la retraite pour la vieillesse, à tous les autres ouvriers auxiliaires de l’établissement ; quand il a supprimé la misère autour de lui, je crois qu’il a fait un grand pas vers la solution du problème social, puisqu’il a fourni un exemple qu’il suffit d’imiter et de généraliser.
- « Certainement il reste beaucoup à faire. D’abord il faut des imitateurs, et il faut surtout que les gouvernants aident à la solution du problème en faisant des lois favorables à une plus juste répartition de la richesse. Mais, quelle est donc l’œuvre qui arrive à sa perfection tout d’un coup ?
- Godin,
- « Fondateur du Familistère, ancien député. »
- APHORISMES & PRÉCEPTES SOCIAUX
- Cil
- Egalité
- L’égalité des citoyens ne peut et ne doit exister que devant l'indispensable à la vie, la culture de l’Esprit, la nourriture, le vêtement, le logement et l’instruction ; c’est ensuite à la personne qvC il appartient de se faire par son travail, sa position dans la société.
- SOLIDARITÉ DES TRAVAILLEURS
- L’Administrateur gérant du Familistère a envoyé à Decaze-ville la somme de 564 francs ; produit d’une collecte faite dans les ateliers et dans les bureaux de l’association du Familistère de Guise.
- LA COOPÉRATION
- ET
- LE PROGRÈS SOCIAL
- Nous avons donné dans notre dernier numéro le rapport sur les opérations pendant l’année 1885 de la société philanthropique coopérative de St-Remy-sur-Avre.
- 11 serait difficile de trouver un exemple plus probant de ce que l’on pourrait faire, au point de vue social, avec la coopération, si les coopérateurs voulaient momentanément renoncer à la distribution des dividendes.
- Cette société, en plus de ses amortissements et de l’augmentation de ses réserves, a distribué 58.000.000 Ir.
- Qu’est devenue cette somme?
- Le rapport nous dit que la société compte 1442 membres. On peut donc évaluer la part moyenne de chaque sociétaire à 40 fr.
- Il est admissible qu’une partie des bénéficiaires ont employé leur part en dépenses superflues, quelques uns l’ont mise de côté, un petit nombre l’aura dépensée d’une manière peu judicieuse.
- Nous ne condamnons ni les plaisirs ni les superfluités que des hommes laborieux se procurent à certaines heures. Mais nous ne pouvons nous empêcher de penser combien il serait préférable d’organiser le nécessaire, avant de se laisser aller aux dépenses qui ne sont pas rigoureuses, surtout lorsque cette organisation du nécessaire pourrait provenir de moyens nouveaux.
- La personne qui s’approvisionne aux magasins coopératifs est habituée à vivre sans les bénéfices que procurent ces associations.
- Pourquoi ne pas se servir de ces ressources nouvelles, sans lesquelles on vivait avant, pour augmenter les garanties sociales, au lieu de répartir individuellement ces onds.
- Quelles fondations nouvelles on introduirait chaque année, dans ce groupe de 1442 personnes, si l’on employait collectivement ces fonds au profit de tous par la création d’institu tions mutuelles.
- En immobilisant les revenus de deux années, on placerait une somme assez élevée pour que les intérêts puissent faire le traitement d’un bon médecin qui donnerait gratuite-m ent ses soins à tous les sociétaires et à leurs familles.
- Avec les capitaux provenant des revenus de trois ou quatre années, les coopérateurs d’Avre pourraient assurer à leurs enfants un personnel enseignant, dont ils doivent sentir le besoin.
- En peu d’années, la même société pourrait parvenir à donner une retraite à tous ses vieillards.
- Les services sociaux contenus dans la coopération sont immenses, pourvu que les coopérateurs préfèrent l’emploi collectif des revenus aux partages annuels, dont les effets sont à peine sensibles pendant quelques semaines.
- Ces réflexions indiquent quelle est notre manière de voir. Nous pensons qu’il y aurait utilité à faire pénétrer ces idées dans les groupements coopératifs ; si elles paraissent trop avancées pour être immédiatement acceptées ; elles pourraient néanmoins être l’objet d’intéressantes études. --------------------- . ♦ » ------------------------
- p.195 - vue 198/838
-
-
-
- 196
- LE DEVOIR
- Nous avons reçu les statuts et le rapport sur l’exercice 1885 de la société coopérative des ouvriers des Forges et Aciéries de Trith-Saint-Léger ; nous en donnerons l’analyse dans notre prochain numéro. Les statuts de cette société nous paraissent mériter une mention spéciale.
- Objections snr la durée de l’Association
- dn Familistère. (,)
- il
- Revenons sur cette idée que M. Godin est la cheville ouvrière de l’association fondée par lui et qu’on ne peut prévoir ce que deviendra cette association après sa mort.
- Tout ce que nous pouvons faire devant, par la force des choses, passer en d’autres mains, il est évident que le régime social le meilleur sera celui qui mettra le plus sûrement la suite des entreprises humaines aux mains des hommes les plus capables de les bien conduire.
- Mais voyons si, précisément, le régime de l’association ne présente pas, au point de vue spécial de la conservation et de la bonne tradition des œuvres humaines, des avantages supérieurs à ceux du régime individualiste actuellement en vigueur.
- Gomment se passent les choses dans la société actuelle avec nos procédés confus et irraisonnés de transmission de la propriété. Les entreprises sont généralement individuelles ; celui qui les conçoit cherche presque toujours à en dissimuler, le plus possible, la marche, les procédés et les conséquences, afin de n’avoir pas de concurrents et de recueillir tout le profit ; de sorte que les conceptions et procédés de direction industriels se renferment le plus possible dans la famille. Mais on sait aussi combien la nature est rebelle à donner aux enfants les aptitudes et les capacités des parents ; d’où la conséquence qu’une entreprise bien conçue et bien gérée à l’origine périclite, le plus souvent, à la mort de celui qui l’avait organisée.
- A cette insuffisance des continuateurs vient s’ajouter, en cas de décès, l’effet des liquidations de successions ; alors les héritiers s’occupent du partage des biens acquis, laissant à peu près à l’abandon les richesses et les avantages que la bonne continuation des œuvres du défunt pouvait produire.
- Ce sont là des pertes sociales considérables qui
- : ) Lire le Devoir du 21 Mars 1886.
- se renouvellent à chaque instant et qui tiennent au défaut de solidarité entre les hommes.
- Au contraire, en association, les conceptions et les procédés industriels sont connus de tous ceux qui participent à la direction ; ils sont portés à la connaissance de tous les intéressés. La mort de qui que ce soit n’apporte aucune perturbation dans le capital de l’entreprise. Le fonds social reste intact, le partage se faisant sur les titres et non sur les choses. La direction et la tradition restent confiées à tous ceux qui les possèdent et qui y coopéraient déjà avec le chef que la mort a pu, enlever.
- Les choses restent donc en état de travail et de production, au grand avantage des ouvriers comme à celui de la nation entière, qui, de cette façon, conserve ses éléments de richesse en pleine valeur et en plein rapport.
- A ceux qui demandent ce que deviendra la première association du capital et du travail au décès de celui qui la fait vivre, je réponds :
- Demandez-vous ce que serait devenue la fortune du fondateur si celui-ci, au lieu d’employer ses biens à créer cette œuvre de régénération sociale, n’eût eu d’autre but que de thésauriser égoïstement et de chercher à s’entourer des honneurs et des somptuosités de la richesse, pendant que ses ouvriers se seraient étiolés dans la misère et dans une ignorance profonde ?
- Nul doute que sa fortune utilisée dans l’association soit plus profitable au genre humain que si elle eût été employée à construire un palais au seul usage de son possesseur.
- Nul doute qu’il est préférable d’avoir fondé des palais pour les ouvriers que d’avoir fait des écuries splendides pour des chevaux et des chenils magnifiques pour des chiens.
- Personne ne contestera la supériorité de l’espèce humaine sur les espèces animales et, si nous nous représentons que le mérite des œuvres est en raison de leur utilité pour le bonheur et le progrès de la vie humaine, on en conclnera que la fondation du Familistère est une œuvre supérieure à toutes celles que les possesseurs de la richesse font pour leurs seules satisfactions personnelles et l’entretien de leurs animaux domestiques.
- Mais, en face des avantages qui résultent pour la population ouvrière de l’édification du Familistère et delà constitution de l’association, c’est alors qu’on se préoccupe du sort de cette association et qu’on se demande si elle trouvera dans ses
- p.196 - vue 199/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 197
- éléments les hommes capables de la bien conduire et de soutenir sa prospérité ?
- Les hommes de notre civilisation sont véritablement bien sévères pour les idées de progrès. Quoi ! Une œuvre est éminemment bonne en elle-même ; elle est digne de l’attention du monde, elle a prouvé sa valeur par ses résultats, et il faut encore, pour qu’elle ait dès maintenant votreplein assentiment, que vous soyez assurés qu’elle porte en elle, ce qui ne se trouve dans aucune des œuvres humaines, c’est-à-dire l’infaillible garantie d’un long avenir.
- On prétend généralement que rien ne vaut l’expérience; mais ici l’expérience est faite; elle parle 'aux yeux et cela ne suffit plus, pourquoi ? Est-ce parce que l’œuvre réalise le bien-être d’une population ouvrière importante, et qu’il n’est pas à la mode de s’occuper du bien-être ni du bonheur des hommes, les races chevalines et canines absorbant toute l’attention sous ce rapport?
- Au fond, ce n’est plus la valeur même du prin cipe de l’Association qui est en cause dans ces objections; c’est la crainte du manque d’éleva tion morale des hommes de notre époque pour appliquer ce principe.
- Ce sentiment est exprimé de la façon la plus complète dans une lettre de M. Silberling, de Craïova, Valaehie, lettre dont nous extrayons ce qui suit :
- « Sans doute les admirables travaux de M. Godin « et la brillante application qu’il a faite de ses thé-« pries, constituent une formidable brèche ouverte « dans les murs crevassés de notre civilisation « caduque, mais je ne vois nulle part l’élan qui « aurait dû suivre cette vigoureuse attaque. M. «Godin est toujours tout seul à l’œuvre. Le « bataillon qui aurait dû le suivre reste inactif et « l’on se demande, non sans anxiété, avec le ré-« dacteur du « Times », ce qui arrivera le jour où « M. Godin ne sera plus là?
- « Dans les innovations sociales, plus que dans « toutes les autres, il faut une direction exception « nellement capable; il faut des hommes doués « de hautes facultés pratiques. Or, ces hommes « font défaut à la génération actuelle;,la meil « leure preuve en est que M. Godin n’a pas eu « d’imitateurs jusqu’à ce jour. Les doutes du ré-« dacteur du « Times » ne sont donc pas sans « fondement. Le fonctionnement régulier d’une « œuvre aussi complexe que le Familistère sera * sujet à perturbation le jour où l’âme de cet « agencement fera défaut ; non pas, parce que
- « comme l’insinue l’écrivain du « Times », la praticabilité du principe dépend toute'entière de « l’homme exceptionnel qui a donné la vie à cette « œuvre, mais bien parce que cette œuvre est un « spécimen d’institution propre à une société suce périeure, et que ce spécimen, restant isolé, se « trouvera dans le milieu néfaste où il est placé, a sujet àtoutes les intempéries de ce milieu, le jour où le vigoureux tuteur qui le soutient ne pourra « être remplacé par un tuteur de même force. Les « ténèbres du monde social sont si profondes, quela » force rayonnante de cette brillante étincelle que « M. Godin y ajetée, perd sa puissance d’expansion a et d’irradiation.
- « Ce n’est pas sérieusement qnel’on peut mettre « en doute la praticabilité du principe après un «fonctionnement de près d’un quart de siècle,
- « quelle que soit la cause à laquelle on veuille « attribuer ce fonctionnement.
- « La seule chose que je puisse craindre, c’est « le manque d’imitation ; c’est la perversion in-« tellectuelle et morale d’une génération qui « semble avoir perdu le sens du juste, du grand,
- « du beau, du bien; ce qui est à craindre, c’est cette « masse de lâcheté morale dans laquelle s’efl'on-« drent les caractères de notre époque, c’est ce « manque complet de solidarité sociale. Cette dé-« pression générale n’est-elle qu’une crise momen-« tanée ? un vent plus généreux emportera-t-il ce£ « miasmes délétères ? Espérons-le et espérons « que le Créateur du Familistère saura enraciner « assez solidement son œuvre pour qu’elle puisse « résister sans danger au brouillard actuel. »
- L’insuffisance générale des hommes d’aujourd’hui en face des problèmes sociaux n’est pas à mettre en doute; chez les classes dirigeantes, spécialement, l’indifférence et le mauvais vouloir ne sont que trop évidents. Mais le problème social ne s'en impose pas moins aujourd’hui à l’attention du monde entier.
- Cette situation oblige les esprits à s’arrêter sur des œuvres comme celles du Familistère et les y obligera de plus en plus.
- L’association étant chose nouvelle les hommes ne sont pas dressés à sa gouverne ; mais la repousser pour ce motif, malgré ses avantages démontrés par les faits, serait agir comme si l’on eût prétendu à l’origine delà machine à vapeur que celle-ci ne valait rien, vu qu’il fallait des hommes doués de connaissances et de capacités spéciales pour la faire fonctionner.
- Au lieu d’en agir ainsi, on a instruit des méca
- p.197 - vue 200/838
-
-
-
- 498
- LE DEVOIR
- niciens, on a formé des chauffeurs et la machine à vapeur a marché; elle fonctionne et donne de bons résultats.
- Que nos gouvernants fassent de même à l’égard des réformes sociales, à l’égard de l’association et de la mutualité sous les différentes formes que celles-ci peuveut revêtir, et le peuple s’en trouvera bien.
- Ce n’est pas parce que quelque faute pourra être commise au début par des directeurs inexpérimentés ou incapables qu’il faudra s’écarter de la pratique des réformes. Non, ce qu’il faudra, c’est redresser l’ignorance et l’inexpérience des hommes.
- Les réformes sociales sont des machines d’un nouveau genre ; nul doute qu’il faille des hommes pour las faire fonctionner ; le malheur est qu’on se refuse à former ces hommes, comme on «e refuse à l’étude et à l’examen des réformes.
- L’association des familles du Familistère pourra certainement avoir à souffrir des préventions, des hostilités et de l’égoïsme dont elle est entourée, mais l’incapacité^ost moins à redouter pour elle que l’absence de l’amour du bien dans le cœur des hommes.
- Que signifient tous ces découragements prématurés sinon un manque de foi? Mais un tel état d’esprit réduit les hommes à l’impuissance. Suffit-il donc de trouver que notre état social est imparfait et d’en compter les souffrances et les misères sans cherchera y porter remède? Gela n’est-il pas contraire au devoir qui nous impose de travailler au progrès de la vie humaine, de rechercher et d’encourager toutes les institutions favorables au bien de la vie ?
- Ah ! combien l’avenir présenterait plus de difficultés sombres aux hommes qui manquent de foi dans le progrès, s’ils s’arrêtaient à étudier de la même manière, les dangers que notre état social actuel renferme dans son sein en suivant la pente sur laquelle des gouvernements nous ont engagés.
- Nul doute qu’alors, en face des abîmes vers lesquels nous avançons, ils ne voient plus d’espoir de salut que dans les perspectives heureuses de l’association en agriculture, en industrie, en commerce et en habitation, combinées avec de sages garanties de mutualité et de solidarité nationales. Alors le Familistère et son association leur apparaîtraient comme des exemples à étudier et à perfectionner, au nom même du salut social.
- A suivre.
- Troubles en Belgique.
- La crise économique vient de mettre aux prises des tra-ailleurs avec l’armée belge ; comme d’habitude les premiers ont été brutalement réprimés.
- A cette occasion nous avons constaté une fois de plus l’écœurante indifférence de la presse française. Tous nos j our-naux républicains ont répété avec satisfaction que la répu-publique française était exempte des t.oubles que subissaient les meilleures monarchies, et cela a été tout.
- Aucun n’a pensé que ces désordres étaient plus grands en Angleterre et en Belgique, parce que la misère ouvrière était plus étendue dans ces pays: aucun n’a pensé que la marche ascendante de la crise amènerait bientôt chez nous les mômes effets.
- La République n’a qu’un moyen d’éviter les complications : elle obtiendra ce résultat si elle veut mettre à profit le peu de temps qui nous sépare de l’extrême aggravation de la misère, pour organiser les institutions garantistes seules capables de réfréner les excès du salariat et d’éviter la guerre civile.
- ENQUÊTE AUX ÉTATS-UNIS SUR LES RAPPORTS DU TRAVAIL ET DU CAPITAL(')
- Nous attirons à nouveau l’attention de nos lecteurs sur les remarquables dépositions faites à cette enquête ouverte par l’organe bien connu des intérêts manufacturiers du sud et de l’ouest de l’Amérique ; The Age of Steel, (l’Age d'acier), de St-Louis. fondé en 1857.
- Quantité de journaux aux États-Unis reproduisent l’Enquête publiée par The Age of Steel.
- Nous verrions avec plaisir ceux de nos confr'e-de la presse française qui nous empruntent des parties de cette enquête, citer au moins le Devoir.
- VIII
- _Déposition de M. A. H. Danforth, Esq. vice-président de la Compagnie des fers et charbons de Colorado, South Pueblo. Col.
- 1° Les grèves et les fermetures d’atelier ne sont pas essentielles au régime du salariat, mais elles sont un trait forcé de la société humaine à un certain degré de développement. Elles sont le produit de forces morales diverses ; de l’esprit d’avarice, d’obstination, d’indépendance et du sens énergique du droit et de la justice. Ce sont les caractéristiques des races fortes ; aussi, les grèves ne se produisent-elles que chez les peuples qui ont fait preuve de caractère.
- 2° L’arbitrage n’est pas une panacée sociale, il est l’expression du progrès humain s’élevant au-dessus du régime des grèves. Il ne peut écarter les causes des différends entre le Travail et le Capital. Son action se bornera à rendre moins coûteux et plus humains les procédés d’accord momentané entre ces deux éléments producteurs.
- 3°, 4°, 5°. — Les conflits entre ouvriers et patrons tiennent à trois causes fondamentales :
- Lire le Devoir depuis le N° du 7 février 1886.
- p.198 - vue 201/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- A — La question de répartition équitable des bénéfices entre patrons et travailleurs ;
- B — La demande d’uniformité des salaires faite par les ouvriers les moins habiles. Les plus habiles étant en minorité et sachant toujours se faire bien payer n’ont pas besoin des Trades-Unions ; du reste, ils ne peuvent faire loi dans ces corps, où les moins habiles, vu leur nombre, ont toujours la majorité ; aussi, les Trades-Unions sont-elles embarrassées à chaque pas de l’inique réclamation qu'elles ont à faire valoir et qui consisterait à payer l’ouvrier lent et malhabile au môme prix que l’ouvrier actif et capable.
- G — L’influence des meneurs sans scrupule qui cherchent à se faire une position publique et qui profitent des grèves pour attirer sur eux l’attention des citoyens.
- Je suis d’avis que la première cause de difficultés pourrait être écartée par le plan suivant :
- Le patron conviendrait avec ses ouvriers de leur payer le taux des salaires au cours habituel ; puiss à la fin de l’année, les bénéfices restants,après déduction de toutes dépenses d’exploitation et intérêts du capital employé dans l’industrie, seraient répartis entre ouvriers et patrons ; la somme allouée aux travailleurs étant distribuée entre eux proportionnellement au nombre de journées de travail dé chacun.
- Je pense que si un tel système était adopté, il tendrait à empêcher la compétition ruineuse qui pousse les industriels à vendre à perte en bien des cas. Iî détournerait aussi les ouvriers de réclamer la diminution des heures de travail. Beaucoup de fermiers ont adopté ce système et s’en trouvent bien.
- Quant à la seconde cause de difficultés, je crois que le remède est dans l'alliance entre les patrons et les ouvriers habiles pour leur défense commune contre l’ouvrier inhabile ou paresseux.
- Le remède à la troisième cause de difficultés réside, selon moi, dans le développement de l’instruction et de l’intelligence parmi les ouvriers. L’homme instruit et intelligent ne se laisse pas aussi facilement conduire ni égarer par des meneurs de mauvais aloi.
- La coopération pure et simple me semble ne pouvoir s’exercer que dans de petites entreprises.
- Cependant, je suis d’avis que le principe de la coopération doit former la base sur laquelle les entreprises industrielles devront finalement reposer.
- L’accumulation des richesses en un petit nombre de mains, accouplée avec le mécontentement parmi les masses, constitue un état de choses incompatible avec les institutions républicaines. La sécurité sociale réside dans un moyen terme entre l’aristocratie de la richesse d'une part et le socialisme d’autre part.
- * *
- Déposition de M. Ethelbert Stewart Esq. ouvrier, un des commissaires du Travail pour l’Etat d’Illinois.
- 1° Sous le régime compétitif du salariat, les salaires sont régis par une loi de fer qui les porte constamment à descendre au taux strictement indispensable à la subsistance. L’opération de cette loi est combattue pied à pied.
- Tandis qu’il est exact que l’ouvrier ne gagne rien à la grève, qu’il n’en a pas besoin et que peut-être il ne la de-
- 199
- vrait pas faire, il est certain qu’il la fera. C’est un trait inhérent au régime de compétition du salariat qu’en temps de crise industrielle les ouvriers sans famille, offrant le travail à moindre prix que leurs camarades chargés d’enfants, seront occupés de préférence.
- Les célibataires remplacent les hommes mariés ; les enfants remplacent les hommes et les femmes ; les Italiens, les Polonais, les Chinois qui vivent de presque rien déplacent les enfants mêmes.
- Sous le régime du salariat les patrons ne cherchent qu’une chose : le travail à bon marché. Et la baisse des salaires amène immanquablement la grève.
- Les réclamations d’élévation de salaires causent la fermeture des ateliers. Puis, viennent les ouvriers étrangers et la force armée pour protéger ceux-ci dans le travail.
- Il ne sert à rien de proclamer ces choses immorales et injustes. Quand la pièce d’or et le sentiment entrent en lutte, vous pouvez être sûr qu’en Amérique au moins la pièce d’or sera victorieuse. Nous avons à marcher avec la nature humaine telle qu’elle est, non telle quelle devrait être. Tant que chacun ne songera qu’à ses intérêts personnels, les grèves et les fermetures d’atelier seront les traits inséparables du régime du salariat.
- 2° Je suis fermement partisan du principe de l’arbitrage pour résoudre les différends entre patrons et ouvriers ; mais ce principe ne me paraît pas mériter la qualification absol ue de moyen d’accord entre le capital et le travail. 11 n’agira que pour apporter un soulagement momentané dans les agonies humaines, en cas de grèves et de fermetures d’atelier.
- Tant qu’il y a des points à soumettre à l’arbitrage le problème social n’est pas résolu. L’institution de l’arbitrage obligatoire dont je suis partisan, en attendant mieux, ne ferait que substituer aux misères des grèves les luttes infinies de la parole et des arguments. Pour être efficaces les cours d’arbitrage devraient avoir puissance d’imposer le respect de leurs verdicts.
- Mais, bientôt, ces cours comme tous nos prétentieux tribunaux d’aujourd’hui se laisseraient corrompre. Les travailleurs accuseraient leurs propres représentants d’être des vendus, et comme le recours à là force est toujours le résultatfmal des dissentiments on ferait cette fois la grève contre les décisions mêmes des cours d’arbitrage.
- Je ne suis donc partisan de l’arbitrage que dans la mesure où je le considère comme un terrain de paix sur lequel travailleurs et capitalistes peuvent se rencontrer sur un pied d’égalité et chercher ensemble les moyens d’aborder la terre promise.La vraie solution du problème social ne laissera rien à soumettre à l’arbitrage. Ce dont nous avons besoin, ce n’est pas de l’arbitrage, c’est de l’Union de vues et de la paix parfaite entre ces deux facteurs de la production : Capital et Travail. Il nons faut la paix, mais non la paix de l’esclavage.
- 3° Dire qu’on ne découvrira pas un meilleur mode que le système actuel de répartition des richesses serait insulter à la raison humaine qui a déjà réalisé tant de progrès. Nous avons supprimé le temps et l’espace par la vapeur et l’électricité ; nous avons inventé des machines donnant à la production une telle puissance que tous les marchés du monde sont encombré de produits à consommer. Et c’est dans une telle situation tanin que les trois cinquièmes de la race humaine sont nu
- p.199 - vue 202/838
-
-
-
- 200
- LE DEVOIR
- et affamés, que nous nous affaissons dans le désespoir, criant que nous avons à consommer tant de nourriture et de produits que nous ne savons comment les répartir pour en entretenir l’usage !
- Si la moitié de l’intelligence qui a été dépensée à concentrer 97 p. 0/0 de la richesse nationale dans les mains de 3 p. 0/0 de la population et à réduire les salaires à la base européenne avait été employée à la recherche d’une base équi table de répartition des bénéfices de l’industrie, la découverte serait faite depuis longtemps.
- Si les cerveaux perspicaces, profonds, organisateurs qui ont mis en œuvre les lois par lesquelles les riches deviennent sans cesse plus riches, et les pauvres sans cesse plus pauvres, s’étaient appliqués à rechercher les lois assurant la juste répartition des produits du travail, ils auraient atteint leur but avec la même exactitude. Le sens commun suggère la base équitable de répartition.
- 4# — La participation aux bénéfices est une forme hybride de coopération, mais elle se meut certainement dans la droite voie. L’an dernier, MM, Lorillard et Compagnie de New-York ont distribué entre leurs ouvriers 16.500 dollars (82.500 frs.) dépassant la somme de bénéfices qu’ils se réservaient pour eux-mêmes.
- La répartition fut faite entre les ouvriers proportionnelle -ment aux gains moyens de chaque travailleur dans l’année.
- Evidemment, cette somme ne représentait qu’une très— faible partie des bénéfices de l’établissement, mais, comme elle fournissait environ 100 dollars (500 frs.) par homme, il eût été difficile de faire mettre ces ouvriers en grève.
- La participation aux bénéfices intéresse le travail à la prospérité industrielle, au prorata du salaire. Partout où ce système a été essayé, il a réussi. On citedes cas où deux ouvriers se sont serrés l’un contre l’autre de façon à travailler à la lumière d’un seul bec de gaz, par mesure d’économie. Le système de la participation aux bénéfices induit les hommes à économiser les matières premières, à mettre un terme au scandaleux gaspillage, si pénible à constater dans toutes les usines ; tuer le temps, tromper le contre-ma.ître cessent d’être le but de l’existence, et l’ouvrier devient aussi vigilant que le maître lui-même à ménager le temps et les matériaux.
- Il y a quelques mois les directeurs de la route ferrée L. D. S. inaugurèrent la mesure de payer des primes aux sections d’ouvriers qui tenaient en meilleur état les portions de voie dont ils avaient charge. Toute la route devint soudainement une des meilleures qu’on pût voir. L’exemple fut vite imité par d’autres entrepreneurs.
- Il y aplusieurt années, MM. Hazard et Hazard de Peace-dale informèrent par circulaire leur personnel que, dorénavant, les bénéfices annuels supérieurs à ceux réalisés pendant les cinq dernières années seraient répartis entre les ouvriers au prorata des salaires payés. Nulle augmentation de bénéfices ne s’etant produite la première année, aucune répartition ne fut faite. L’an d’après, une répartition d’environ 5 0/0 des salaires payés put avoir lieu. Même chiffre Tannée suivante. La répartitiou de l’an dernier ne fut que d’environ 3 p. 0/0.
- La participation du travail aux bénéfices est pratiquée avec succès, en Angleterre, et spécialement en France, où M. Godin, un des premiers disciples de Fourier, a montré dans
- le Familistère de Guise ce que les hommes pourraient accom plir en cétte voie, s’ils avaient la volonté nécessaire.
- Mais, il faut une base définie au système de la participation des ouvriers aux bénéfices. Jusqu’à présent, les patrons à qui il a plu de l’appliquer ont abandonné à leurs ouvriers telle part qu’il leur a plu sur le montant des bénéfices. La base équitable du taux de répartition ne peut être laissée au caprice des capitalistes. En gén éral, ceux-ci abandonnés a eux-mêmes garderaient tout ; tel serait le résultat du moins en Amérique où l’avidité du gain est devenue si grande que la religion américaine elle-même s’est détournée du «Dieu de nos pères » pour rendre hommage avant tout au « Dollar de nos pèresj>.
- La base scientifique de répartition des bénéfices peut être déterminée par une analyse attentive des éléments de la production. Le bureau des statistiques du travail de l’Ohio montre que, dans les industries florissantes de cet Etat, la somme des bénéfices revenant au capital est quatre fois aussi considérable que la somme des salaires payés. D’après le rapport du bureau des statistiques du travail en Illinois pour 1884, les bénéfices de l’industrie sont à peine plus élevés que le montant des salaires payés. La mesure vraie doit être entre ces deux extrêmes.
- D’après le rapport du Massachusetts la moyenne de production par ouvrier est de 1.792 dollars (8.960 frs.) ; elle est en Illinois de 3,168 dollars (15.840 frs.)
- Cependant,enMassachusetts la moyenne de bénéfice net du patron sur chaque ouvrier est de 98 dollars par an, (490 frs), tandis qu’en Illinois elle n’est que de 76 dollars (380 frs.) Cela provient de ce que la matière première s’élève à 72,24 O/o du produit en Illinois, tandis quelle est de 61,32 o/O en Massachusetts. Les salaires son t aussi plus élevés en Illinois ; le taux annuel moyent étant de 430 dollars (2150 frs,) et de 364 dollars (1.820 frs.) en Massachusetts. Je ne parle là que des industries manufacturières.
- Le bénéfice net sur chaque ouvrier représente la somme restant, déduction faite des intérêts du capital industriel et de 10 O/o des bénéfices pour fonds de réserve.
- La participation mutuelle aux bénéfices pour toutes les parties en cause, lorsqu’elle sera établie sur une base définie et parfaitement comprise, résoudra pour toujours la question du travail ; elle réglera également la prétendue question de «sur-production», car les millions ajoutés à la puissance d’acheter des masses seront utilisés par celles-ci à augmenter leur confort ; ce qui donnera aux affaires une telle activité que le système de la participation du travail aux bénéfices de l’industrie sera aussi avantageux pour les capitalistes que pour les travailleurs.
- 5° — Si l’on appliquait à la coopération la même somme d’intelligence qu’au régime industriel individualiste, la coopération aurait! un succès universel. Jusqu’ici, l’essai n’en a été généralement tenté que par des grévistes proscrits de tous les ateliers et habitués, sous le régime des salaires, à considérer tous les hommes comme des exploiteurs et à croire que nul homme honnête ne peut gagner comme il faut sa vie. Les essais de coopération qui n’ont pas réussi ont été l’œuvre de travailleurs unis sans avoir été dressé aux affaires et tout disposés, dès le début, à se suspecter les uns les autres.
- p.200 - vue 203/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 201
- Néanmoins, la coopération a édifié quelques-unes des plus importantes industries de l’Angleterre. Non-seulement Roch-dale, Manchester et d’innombrables établissements sont 'œuvre des coopérateurs, mais ceux-ci possèdent jusqu’à des navires pour les transports de leurs marchandises et ils ont étendu leurs relations d’aftaires avec le monde entier.
- Le Familistère à Guise, France, est une œuvre coopérative.
- Ce serait méconnaître l’intelligence américaine que de la croire incapable de rendre, elle aussi, la coopération prospère. Si la preuve n’en paraît pas encore faite chez nous, c’e^t que le pays n’a pas encore assez porté son attention de ce côté.
- La coopération sera un succès chez nous quand les ouvriers cesseront de considérer tout homme comme un aventurier et un voleur guettant une occasion favorable d’emplir ses coffres et de faire banqueroute ; et ils cesseront de croire cela quand les faits ne leur en fourniront pas tant d’exemples. La coopération sera un succès le jour où les hommes d’affaires s’y intéresseront et la prendront en mains.
- A Nashua, New Hampshire, des ouvriers mouleurs ont établi une_fonderie, voici 4 ans, avec un capital de 4,000 dollars (20.000 fr.). Ils possèdent aujourd’hui 16,000 dollars (80,000 fr.), se paient entre eux les salaires accoutumés et se répartissent annuellement un dividende de 10 o/O.
- À Peoria, les chevaliers du travail ont établi une compagnie coopérative pour l’exploitation d’une mine de charbons, afin d’occupper les ouvriers grévistes repoussés de tous les ateliers. Cette compagnie est florissante.
- A Decatur nous avons une association coopérative de charpentiers qui possède un capital de 5,000 dollars (25.000 fr.) Cette association s’occupe de construction de maisons ; elle a ici un bureau. Sa situation est florissante.
- Les opérations des sociétés coopératives doivent être dirigées par des hommes d’affaires. Le mois dernier, les clou-tiers de Pittsburg s’étant mis en grève, quelques-uns parmi eux, formèrent une association coopérative avec l’aide de commerçants en fer de Pittsburg ; si ces commerçants qui ont l’habitude des affaires ont charge de diriger les opérations de la nouvelle société, et s’ils le font honnêtement, l’entreprise pourra réussir.
- Les Unions de capitalistes n’ont eu jusqu’ici qu’un but unique : le seul bien des capitalistes. Et leur succès a été aussi complet que déplorable. Mais, par cela même, les capitalistes nous ont montré quelle est la puissance de la coopération.
- Appliquons la même intelligence à rendre prospère la coopération du capital et du travail, et nous atteindrons au même succès.
- Jusqu’ici tous les efforts intellectuels se sont employés à obtenir la plus grande somme posible de travail au meilleur marché possible, à accumuler la richesse au profit d’individus en ne se préoccupant que d’une chose : ne pas sortir de la voie légale. lien résulte que notre civilisation est comme la pyramide élevée au coût d’innombrables vies humaines.
- D’un autre côté, le travail a lutté contre le capital en tâchant de produire le moins possible dans un espace de temps donné. La haine poussée jusqu’au meurtre, si les rigueurs de la loi n’étaient là pour retenir les individus, s’est implantée dans les cœurs.
- Cette situation se produisant de tous côtés, je pense que les
- capitalistes consulteront leur réels intérêts et abondonneron le système du salariat et de la compétition, pour adopter celui de la coopération pure et simple, de la participation du travail aux bénéfices de l’industrie.
- (A suivre.)
- Les Grèves en Amérique prennent de jour en jour des proportions considérablés. En Perisylvanie, dans l’Ohio e dans le Maryland on compte aujourd’hui 21,500 mineurs en grève ; dans la Nouvelle-Angleterre, 10,000 ouvriers à peu près, appartenant à l’industrie texile, se trouvent dans 1a même situation. Les autres ouvriers de différents corps de métier qui se sont mis, eux aussi, en grève, contribuent à former un total de 50,000 hommes volontairement sans ouvrage. En décembre 1884, on ne comptait en Amérique que 18,000 grévistes. A cette époque, les grèves étaient dues àla réduction opérée sur les salaires ; elles sont motivées aujourd’hu au contraire, par une demande d’augmentation des salaires.
- Quant à la grève des employés des chemins de fer du Sud Ouest, elle dure encore à présent, bien que des négociations en vue d’un arrangement à l’amiable aient été tentées à St-Louis. Les grévistes sont calmes pour la plupart ; on signale toutefois çà et là quelques rixes à main armée.
- Consolidation des emprunts dépisés.
- C’est ce titre qui convient aux projets financiers du gouvernement ; car il ne s’agit pas d’obtenir du public des ressources nouvelles ; il est simplement question de transformer en dette perpétuelle des découverts et des obligations à court terme.
- Essayons de nous reconnaître au milieu des méandres financiers.
- Abstraclion faite de la dette nationale régularisée, l’Etat est débiteur :
- En obligations à court terme, pour une somme de........................... 466.149.500
- La dette flottante est en plus de . . 1.539.455.400
- Total . ! 2.005.604.900
- D’après le projet ministériel, les obligations à court terme seraient transformées en dette perpétuelle. Le milliard excédant cette somme serait employé comme suit :
- 1° Pour solder le compte de liquidation
- de la guerre.......................... 105.000.000
- 2° Pour remplacer l’émission des obligations à court terme autorisée par l'article 5 de la loi du 8 Août 1885 152.828.200
- 3° Sur les avances des trésoriers-
- payeurs généraux . . . . . . 100.000.000
- 4° Sur le compte courant des caisses
- d’épargne ........ 350.000.000
- 5® Sur le compte courant de la caisse na-nationale des retraites pour la vieillesse .................................... 50.000.000
- 6® Sur les bons du trésor pour environ 230.000.000
- p.201 - vue 204/838
-
-
-
- 202
- LE DEVOIR
- Cette opération faite, la dette flottante^ serait réduite à 650 millions comprenant les dépôts faits au Trésor avec ou sans intérêt par les départements, communes ou établissements publics, ainsique les fonds versés au compte courant spécial de la caisse des dépôts et consignations.
- D’autre part, le service des garanties d’intérêt aux compagnies de chemins de fer serait l’objet d’un compte spécial, sous prétexte que ces dépenses sont des avances remboursables plus tard par les compagnies.
- Les budgets seront désormais établis sans aucune distinction entre les dépenses ordinaires et extraordinaires. Cette décision a été motivée par la considération que le budget extraordinaire était une source de découver ts.
- Excellentes paroles. Au fond,on écarteles probabilités de déficits provenant du budget extraordinaire ; mais on ouvre un compte des découverts permanents causés par les conventions des grandes compagnies. Plus tard, au lieu d’emprunter pour couvriries dépenses extraordinaires, on empruntera pour faire fonctionner le compte d’avances aux grandes compagnies ; et, après comme avant, les financiers et les tripoLeurs spéculeront à l’aise aux dépens du travail national.
- Lorsqu’on examine le détail des opérations de l’emprunt projeté, on s’aperçoit que les trois quarts au moins de la somme totale ne sont que des remboursements ou des consolidations d’emprunts, qui en assurent la réussite ; il est peu probable que les porteurs d’obligations à court terme et de bons du Trésor ne s’empressent de prendre une part d’emprunt d’une valeur égale aux titres qu’ils possèdent déjà ; les caisses d’épargne et de retraites, sont prêtes à recevoir en titres de rente les fonds dont on aurait pas dû les déposséder montanément.
- De tout cela, il ressort que le gouvernement et nos législateurs, tant députés que sénateurs, ont souscrit des engagements s’élevant à plus d’un milliard , et le gouvernement nous présente un projet d’emprunt après qu’il a reçu et dépensé les fonds.
- On ne ferait pas autrement sous la pire des monarchies.
- Pour l’honneur du parti démocratique, nous souhaitons qu’il y ait, à la Chambre, des députés résolus à protester contre cesprocédés déplorables; nous espérons même qu’ils s’en trouvera quelques-uns assez républicains pour combattre cette consolidation et pour lui opposer un projet de liquidation rapide.
- Si aucun d’eux n’ose soutenir la nécessité d’amortir, en quelques années,cette dette contractée à l’insu de la volonté nationale, par une première application de l’hérédité de l’Etat, ils sont nombreux ceux qui, en raison de leurs engagements éhcloraux, devraient combattre ces pratiques détestables, par des moyens susceptibles à la fois de rétablir l’équilibre financier et de frapper un dernier coup à la réaction.
- S’ils n’osent imposer à la richesse acquise les charges publiques, les républicains n’ont-ils pas toutes les raisons pour proposer la liquidation de la dette flottante et des obligations à court terme, en affectant à cette destination les ressources budgétaires absorbées par le service des cultes.
- La question se pose ainsi :
- Convient-il de mettre à perpétuité, à la charge du travail, un tribut annuel de 58.000.000 ? üu-bien est-il préférable de débarrasser la République française du budget de la superstition ?
- Ces deux choses sont possibles.
- Le député, qui mettrait ses collègues en demeure de se prononcer catégoriquement pour l’une ou l’autre de ces solutions, accomplirait un acte souverainement méritoire. Les électeurs ont besoin d’apprendre à connaître leurs mandataires; on trouvera rarement une plus belle occasion de distinguer les véritables amis du progrès.
- Puissance de l’Hérédité de l’Etat.
- Les bénéfices énormes, que les grands propriétaires anglais réalisent à l’expiration des baux ou des ventes temporaires qu’ils consentent, peuvent nous donner une idée exacte des avantages et de la justice de l’Hérédité de l’Etat, telle que nous la préconisons.
- Une proposition déposée au Parlement anglais relativement à l’impôt foncier amis en lumière les colossales propriétés des grands seigneurs à Londres.
- C’est ainsi qu’actuellement les revenus fonciers du duc de Westminster s’élèvent, pour Londres seulement, à 3.750.0Q0 francs par an et, à l’expiration des baux, les maisons devenant sa propriété, ces revenus s’élèveront à 37,500,000 francs par an.
- Les propriétés du duc de Bedfort rapportent au moins 2 millions 500,000 francs par an et rapporteront 18 millions 750,000 francs à l’expiration des baux.
- Les revenus du duc de Portland sont estimés à 2 millions par an et s’élèveront à 17 millions 500,000 francs au bout des quatre-vingt-dix neuf ans.
- Enfin, on attribue à lord Portman 1 million 500,000 francs de rentes foncières par an, et 18 millions 750,000 francs après l’expiration de ses baux.
- Presque tous ces baux emphytéotiques expirent avant la fin du siècle.
- Ces propriétés ont été louées ou vendues suivant l’usage anglais, il y a un peu moins d’un siècle.
- Depuis la date de ces baux ou de ces ventes temporaires, les nobles possesseurs n’ont eu aucun souci de ces domaines ; leurs intendants ont été réduits au rôle passif d’encaisser de temps en temps les loyers ou les annuités des ventes. Toute l’augmentation de valeur provient des dépenses du gouvernement anglais, de la municipalité de Londres, et des locataires ; et les lords seront seuls à encaisser les plus values créées par ces trois facteurs.
- Est-ce de la justice, cela ?
- Comment les économistes, défenseurs de ces prodigieuses iniquités, s’y prennent-ils pour les justifier avec cet axiôme admis par eux tous que : la, propriété, le capital sont les fruits du travail, et qu’ils ne peuvent appartenir a un autre qu’a celui-là même qui a fait le travail. (Basfiai.)
- Cette statisque établit péremptoirement que trois familles ayant fait une opération, il y a moins d’un siècle, sur des propriétés donnant un revenu de 9,750, vont jouir mainte-
- p.202 - vue 205/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 203
- nant, sans avoir fait œuvre depuis de leurs mains, sans avoir mis la moindre mollécule cérébrale en mouvement pour obtenir ce résultat, ces quatre familles, disons nous, vont jouir maintenant d’un revenu de 92.500.000 francs; sans compter les revenus de leurs propriétés rurales qui sont très étendues.
- Le revenu nouveau va être dix fois égal aux loyers primitifs.
- Si le gouvernement avait opéré sur des domaines donnant alors un revenu de 300.000.000, il disposerait actuellement de ressources annuelles de 3.000.000.000, sans que le peuple anglais soit astreint au paiement d’aucun impôt.
- On nous dira, mais en France, ces choses là n’arrivent pas ; la propriété est trop divisée.
- Certainement, les cas analogues que nous pourrions trouver dans notre pays n’atteignent pas des proportions aussi flagrantes. Mais quiconque se donnera la peine de réfléchir et d’inventorier l’origine des fortunes, dans le rayon qu’il connaît, s’apercevra que la différence entre les possesseurs de fa richesse publique en France et en Angleterre, consiste simplement en ceci que chez nous il y a quinze ou vingt richards dans les cas où il n’y a en qu’un en Angleterre. Les causes et la justice sont les mêmes dans les deux pays.
- Si, après l’expropriation de la noblesse et du clergé, ta nation Française avait conservé et fait exploiter selon la méthode des lords anglais des domaines nationaux donnant alors 250.000.000 de revenus, les ressources annuelles qui en proviendraient auraient atteint depuis longtemps plus de 2 milliards et demi.
- Nous ne serions pas acculé à l’emprunt à jet continu, et à la banqueroute au bout de tous ces emprunts.
- L’Hérédité de f’Etat nous donne le moyen de réparer ces fautes et d’appliquer à la société, pour le bonheur de tous les citoyens, la méthode que les lords anglais pratiquent pour la satisfaction de leur égoïsme.
- LE PRODUIT DE L'IMPOT
- Les impôts et revenus indirects n’ont donné, en janvier et février, que 324 millions. Or, les rentrées correspondantes de l’année dernière avaient atteint 339 millions 1/2 et les évaluations budgétaires eussent exigé, pour être couvertes, une perception de 347 millions 1/2. De sort que la moins value constatée n’est pas moindre de 15 millions 1/2. par rapport aux résultats correspondants de 1885, et qu’elle monte à 23 millions 1/2 par rapport aux prévisions budgétaires.
- En dehors des postes, qui ont justifié les prévisions et présenté même un léger exécédent, il n’y a eu que des réductions, au moins relativement au chiffre des évaluatious.
- Le mouvement semble un peu moins mauvais, si l’on s’en tient à la comparaison des recouvrements 1886 et en 1885, les postes, les télégraphes, les douanes, accusent alors une certaine plus-value ; mais sur toutes les autres branches d’impôts, il y a perte. L’enregistrement, le timbre, les boissons, les tabacs, ont une moins-value totale de 7 millions 1/2 ; sur les sucres, la diminution atteint prés de 10 millions.
- Sur les contributions directes,les résultats obtenus n’ont pas été meilleurs. Le douzième échu au 28 février représentait
- 62 millions 1/2 ; les recouvements sont parvenus à 19 millions environ.
- Ce dernier chiffre n’a pas, il est vrai, une grande signification, la distribution des rôles n’étant même pas achevée.
- Il y a toutefois encore, un symptôme qui nè doit pas être négligé : au 28 février 1885, les recouvrements ne présentaient qu’un arriéré de 66 centièmes de douzièmes ; cette année, l’arriéré n’est que de 70 centièmes de douzième.
- De plus, les frais de poursuites ont augmenté de 3 fr. 17 par 1,000 fr. de recouvrements, à 3 fr. 79
- Il y a une amélioration en ce qui touche l’impôt de 3 q/O sur le revenu des valeurs mobillières. Il était évalué à 10.786,500 fr. pour les deux premiers mois de l’année courante ; il avait produit, en janvier et février 1885, 10,873,500 fr. : cette année, il a rapporté 11.035,000 fr. C’est un progrès de 161,500 fr. par rapport au recouvrements correspondants de 1885, et une plus-value de 248,500 fr. relative-aux prévisions budgetaires.
- et les possibilités socialistes.
- XIII
- DES FORMES SOCIALES.
- À l’origine des sociétés, l’individualisme se confond avec l’anarchie ; car on ne peut donner le nom de lois aux conventions qui régissent la tribu, la caravane, le groupe nomade.
- Si l’on part de l’origine des sociétés, on verra que le progrès social se généralise en tempérant sans cesse l’anarchie, l’individualisme absolu, par des institutions et des lois d’ordre collectiviste, communiste, mutualiste, associationiste.
- Au degré de l’évolution qui caractérise notre époque, les uns pensant qu’il faut restreindre l’élan communiste, collectiviste, mutualiste, condamnent le principe même de ces formes nécessaires; les autres, voulant généraliser ce que les premiers désirent restreindre, supprimeraient volontiers tout le reste, comme s’il était possible de maintenir l’humanité sous une forme sociale unique.
- Nous qui cherchons quelle dose des institutions de l’un ou l’autre genre convient à notre époque, nous nous garderons bien de prétendre que les proportions que nous préconiserons aujourd’hui seront celles qui conviendront demain.
- Nous n’affirmons qu’une chose, c’est qu’il y a nécessité sociale à ramener à cette manière de voir tous les éléments socialiste divergeants, non, par esprit d’une conciliation sentimentale, mais par raison scientifique.
- La vérité sociale n’est dans aucun système
- p.203 - vue 206/838
-
-
-
- 204
- LE DEVOIR
- socialiste ; elle naîtra de l’équilibre de toutes ces conceptions en une synthèse scientifique, qui empruntera à chacune d’elles,à chaque époque,tout ce qui sera démontré être, à la fois, profitable à l’individu et à l’humanité entière.
- Nous préoccupant de la satisfaction des besoins immédiats des individus et des sociétés, contrairement aux individualistes et aux anarchistes, nous pensons qu’il faut encore réduire les tendances individualistes de nos sociétés en augmentant le nombre des institutions et des lois d’ordre mutualiste, collectiviste et communiste.
- Mais nous n’allons pas jusqu’à prétendre qu’il soit indéfiniment nécessaire de persévérer dans cette voie ; persuadé qu’à la suite des progrès de la sélection physique et morale des individus, — sélection produite par les effets de ces nouvelles institutions—il viendra une époque oùles hommes» concevant mieux la destinée de la créature humaine et les moyens de l’accomplir, pourront se débarrasser d’une foule de lois qui étaient indispensables avant ces perfectionnements de la race.
- Et nous réclamons cette extension des lois sociales, par cette raison qu’elle est favorable à la liberté individuelle, à l’aggrandissement de l’individu si nous pouvons nous exprimer ainsi.
- Nous paraissons ici nous mettre en contradiction avec ce qui précède, car rien ne semble plus favorable à la liberté individuelle que la formule anarchiste: Plus de lois, l’individu fait ce qu’il veut.
- Cette contradiction serait réelle, si l’évolution matérielle et intellectuelle était parvenue à un haut degré; mais pratiquement il faut dire: l’homme fait ce qu’il veut parmi les choses possibles at justes. De telle sorte que si nos lois et nos institutions augmentent le nombre des choses possibles à la portée de tous les citoyens, nous aurons prouvé leurnécessité au nom de la liberlé individuelle même.
- Recherchons quelles relations théoriques existent entre la liberté individuelle et les diverses formes sociales.
- En plein individualisme, à l’origine des sociétés, la manière de voyager consiste à s’orienter au moyen des astres et à chercher sa route dans les terrains accessibles. Les difficultés sont innombrables, les déceptions incessantes ; en définitive, on fait très peu de chemin pendant une longue durée de temps; un long voyage absorbe une part considérable de l’existence. Plus tard, des individus, à leurs risques, tracent des chemins rudimentai-
- res, construisent des ponts grossiers ; ils exigent des péages onéreux, fantaisistes, variables suivant leur bon plaisir ; les voyages deviennent plus faciles ; mais ce commencement d’usage commun, qui n’existe que par la volonté d’un individu, est trop imparfait, il est soumis à trop d’inconvénients et à trop d’incertitudes pour que l’homme jouisse de la liberté de pouvoir fréquemment se déplacer.
- Ensuite les communes, les provinces, les nations ouvrent de grandes communications solidement établies, régulièrement entretenues et partout d un accès facile, les péages sont régularisés et perças d’après un tarif uniforme que ne peut changer au capri ce individuel. Ce service a pris la forme collective, et la liberté de voyager et de multiplier ses déplacements est considérablement augmentée pour tous les individus.
- Enfin, les péages disparaissent, l’impôt seul fait les frais de l’entretien des routes, la forme communiste a été substituée à la forme collectiviste, chaque citoyen voit croître sa liberté de voyager en raison du développement de la forme communiste.
- Quiconque a vécu dans une petite localité avant l’installation d’un éclairage public, se rappelle que, pendant les soirées obscures, pour jouir de la liberté de faire une course, il fallait préalablement posséder et entretenir une lanterne à main avec tous ses accessoires, mèche, huile, allumettes etc.; puis, la main privée de toute autre liberté que celle de tenir la lanterne, les regards attentivement fixés dans le cercle limité et mi-obscur qu’éclairait à peine cet ustensile, on s’avancait lentement, préoccupé surtout d’éviter les obstacles. Dès que l’on installe un éclairage public sous la forme communiste, la liberté de se promener pendant la nuit est débarassée de toutes les entraves, 1a. main n’est plus rivée à un détestable lumignon, les yeux ne sont plus tournés vers la terre, la pensée est redevenue libre pendant que le corps poursuit la route.
- La forme individuelle d’avoir de l’eau consiste à posséder une source et tous les accessoires utiles au puisage et au transport de ce liquide ; sous la forme collectiviste, une municipalité installe une distribution d’eau dans toutes les maisons de ceux qui consentent à payer ce service d’après un tarif délibéré par les représentants des citoyens. La liberté d’user de l’eau est beaucoup plus grande que sous la forme individuelle; mais elle
- p.204 - vue 207/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 205
- est encore restreinte par l’obligation de subir un contrôle et de n’user que dans la limite de la rétribution que l’on peut faire. Plus tard, la municipalité a amorti toutes ses dépenses d'installation, elle est devenue plus riche ; elle place des conduits d’eau dans toutes les habitations ; Y eau est assez abondante pour en donner à chacun suivant ses besoins, sans compter ; alors la liberté individuelle d’user de l’eau a atteint son maximum.
- De même des lavoirs publics, des postes, des petits colis et d’une infinité d’autres exemples.
- Il est indispensable de constater que, chaque fois qu’un service prend la forme communiste, ses frais d’entretien sont réduits au strict utile, tan-disque, sous toutes les autres formes, les frais sont chargés d’une foule de dépenses qui n’augmentent en rien le service rendu ; au contraire, souvent ces dépenses compliquent la jouissance-Ainsi un pont, sous la forme collectiviste, sera pourvu d’un garde chargé de percevoir le péage ; il faudra une maison à ce garde ; des tickets, des livres de eomplabilité seront indispensables ; un contrôle onéreux sera organisé. Sous le régime communiste, plus de garde, plus de maison plus de contrôle ; les frais sent réduits strictement aux besoins de l’entretien.
- Dans les exemples que nous venons de citer, nous constatons que la liberté individuelle est augmentée en raison directe de la généralisation de la forme communiste. Est-ce une raison pour soutenir, comme le font les communistes, que tout le mécanisme social doit se plier à cette forme ?
- Nous qui répondons négativement, à cette question, nous nous mettons en situation qu’on nous demande : Quelles institutions sociales auront la forme communiste ; quelles seront collectivistes, quelles seront mutualistes ?
- La réponse à cès questions ressortira de l’exposé même des possibilités que nous préconiserons.
- La forme communiste est réalisable dans les jouissances assez abondantes pour que, chacun en prenant suivant ses besoins, nul n’éprouve un dommage, une contrainte, par ce fait. Rien de plus opposé au communisme que le rationnement et toute mesure déterminée par d’autres que l’individu lui-même en ce qui le concere personnellement.
- Beaucoup considèrent, comme des expédients communistes, les pratiques communautaires adoptées par des couvents et d’autres associations qui aboutissent fatalement à déprimer les individus, à
- amoindrir la créature humaine. Ces entreprises fondées par des sectaires n’ont qu’une valeur négative; elles démontrent l’absurdité des systèmes exclusivistes.
- La forme collectiviste sera possible, lorsque son fonctionnement ne sera pas onéreux à ceux qui n’éprouvent pas le besoin des services qu’elle est destinée à organiser. De même la forme mutualiste aura sa raison d’être, lorsqu’elle augmentera la sécurité sociale sans troubler la vie des individus.
- ÉLECTION LÉGISLATIVE
- du 18 Avril 1886
- Congrès Républicain
- Le Congrès des Comités républicains de l’Aisne se réunira à Laon Dimanche 28 mars, à 1 heure de l’après-midi, au Palais de Justice, en vue du choix d’un candidat républicain pour l’élection du 18 avril 1886.
- MM. les délégués des Comités sont instamment priés d’être exacts au rendez-vous, afin de permettre la constitution rapide de l’assemblée.
- REUNION ELECTORALE
- Une réunion électorale organisée par la société d’Educa-tion Républicaine a eu lieu,dimanche 21 Mars, à J heures du soir au Marché Couvert à Guise. Un grand nombre d’électeurs de Guise et des communes voisines y assistaient. Le bureau est constitué; M. Gratien de Yillers—lez-Guise est acclamé président ; sont ensuite nommés assesseurs MM. Grebel de Guise et Langrenne d’Àudigny, Doyen secrétaire.
- M. le Président ouvre la séance et expose l’objet de la réunion, il invite les orateurs à monter à la tribune.
- Le citoyen Philip, a la parole ; il soutient l’inutilité du sénat et la nécessité soit de le supprimer soit de le subordonner au suffrage universel; il conclut en disant que le sénateur nommé dans l’Aisne devra s’engager à demander la suppression du sénat.
- Le citoyen Bernardot lui succède ; il affirme et défend les droits du suffrage universel, il montre la puissance de celui-ci surtout quand il poursuit une seule question.
- Le citoyen Deynaud fait ressortir sommairement l’insuffisance des connaissances économiques de M. Sebfine qui explique la crise agricole et industrielle par des considérations uniquement tirées de l’imperfection de nos tarifs douaniers.
- Il engage les électeurs à ne donner à leur mandataire qu’une seule question à résoudre :
- Notre futur député doit avoir pour mandat de travailler à k préparation d’une Mutualité nationale, ainsi que l’avaient comprise nos pères de 89, comme l’attestent des lois qui n’ont jamais été abrogées et qu'il s’agit de remettre en vigueur pour obtenir l’extinction du paupérisme.
- Le citoyen Grebel,conseiller municipal, répond en quelque* mots à une critique formulée par le citoyen Deynaud au sujet des travaux de charité entrepris par la ville de Guise; il
- p.205 - vue 208/838
-
-
-
- 206
- LE DEVOIR
- ajoute que, comme délégué suppléant sénatorial, il ne votera pas pour M. Sebline qui a trahi la république et est le candidat avoué de la réaction.
- M. le président met aux voix les 3 résolutions suivantes, la l*re est adoptée à l’unanimité moins une voix ; la sconde et la troisième sont ensuite votées à l’unanimité.
- Sur la demande de l’assemblée, le comité électoral nommé lors de la dernière élection législative est entièrement maintenu, il est procédé ensuite à la nomination de délégués suppléants.
- Election Sénatoriale. — Considérant que la loi électorale du sénat met les conseillers municipaux de Guise en situation d’accomplir un acte politique étranger à leur mandat purement administratif,
- Considérant que le suffrage restreint est une atteinte à la souveraineté nationale ;
- Les électeurs réunis en séance publique,le 21 mars 1886 sal le du marché couvert de Guise, invitent les délégués séna-tori aux :
- A expliquer publiquement leurs intentions concernant la nominations des sénateurs ;
- A faire acte de déférence envers le suffrage universel, en choisissant un candidat parmi les élus du scrutin du 4 octobre et en inscrivant dans le programme électoral la nomination du sénat par le suffrage universel, s’ils ne peuvent faire accepter la révision de la constitution dans le sens de la suppression du Sénat.
- Election législative. — Considérant l’état de la richesse publique et la permanence d’une misère imméritée parmi les classes laborieuses.
- Considérant le droit à l’existence de tous les citoyens, inscrit dans la loi française par la proclamation des Droits de l’homme du 24 juin 1793 par laquelle la Convention décrète:
- Art. i — Que tout être humain a droit à sa subsistance par le travail s’il est valide, par des secours gratuits s’il est hors d’état de travailler.
- Art. 2 — Les secours publics sont une dette sacrée. La société doit la subsistance aux citoyens malheureux, soit en leur procurant du travail, soit en assurant les moyens d’exister à ceux qui sont hors d’état de travailler.
- Considérant les décrets du 28 juin 1893 et du 24 vendémiaire, an II, relatifs à l’organisation des secours à accorder annuellement aux enfants, aux vieillards, aux veuves et aux indigents, et aux travaux de secours pour l’assistance des valides par le travail ;
- Les électeurs de Guise réunis en assemblée publique le 21 mars 1881, fidèles au principe adopté aux élections de 1885, de ne demander qu’une réforme à la fois, donnent mandat aux membres des comités de faire tous leurs efforts pour obtenir des délégués des commune du département la confirmation de l’ancien programme avec l’adjonction de l’article suivant :
- Fondation d’une Mutualité nationale destinée à garantir à chaque citoyen le droit à la subsistance.
- Dotation de cette assurance sociale par des prélèvements proportionnels aux revenus annuels de tous les citoyens, propriétaires, capitalistes, industriels, commerçants, fonctionnaires et salariés de toutes catégories recevant un salaire supérieur à un minimum fixé dans chaque commune par les assemblées départementales.
- Vœux adressés à la députation deT Aisne:
- Les électeurs de Guise. * t
- Considérant que la loi militaire votée par la Chambre consacre l’égalité devant l’impôt du sang, que son application a été
- impérativement réclamée par la généralité des circonscriptions électorales,
- Invitent les députés de l’Aisne à user de tous les moyens en leur pouvoir pour obtenir du Sénat la confirmation des décisions de la Chambre.
- Le Mica.
- — Il y a quelque temps le « Journal de Commerce » attirait l’attention sur les mines de mica blanc de Berthier,Canadaf On vient, parait-il de s’entendre pour les exploiter ce printemps. Au point de vue commercial le mica blanc est très mportant. Il se vend 1,25 à 11,15 la livre, selon la grandeur. Les grandeurs moyennes atteignent 3,15 la livre.
- A Ontario et au Château Richer, dans la province de Québec, il existe de nombreux dépôts de mica brun. Il n’est pas aussi recherché que le blanc. Jusqu’à présent ce dernier venait presque exclusivement de la Caroline du Nord. Les mines de Berthier promettent, paraît-il, de faire une concurrence sérieuse à celles des Etats-Unis.
- PLUS DE SOURDS
- — De notre confrère du « Jeurnal des Trois-Rivières :
- M. E. Edison, le fameux électricien, vient d’inventer quelque chose qui permet aux plus sourds d’entendre et de comprendre. L’appareil est un petit instrument qu’en se met dans l’oreille et qui n’est pas visible au dehors à moins que l’attention n’y soit directement portée. Ce petit instrument est basé sur le principe du téléphone. On sait que M. Edison était lui-même sourd comme un pot, et pour se faire comprendre, ses amis étaient obligés de lui erier dans les oreilles. Maintenant on converse avec lui sans difficulté.
- -------------------------------------
- MAITRE PIERRE
- Par Edmond ABOUT
- ( Suite )
- XIV
- Promenade en Bateau sur l’herbe
- 11 n’est si bonne compagnie qui ne se sépare à la fin. La nuit tombait; il fallut rentrer au logis. Le peuple nous y ramena; maître Pierre nous y attendait. Il était gai, frais et dispos comme un homme qui sort du lit, quoiqu’il eût pataugé dans l’eau depuis le matin.
- « Vous paraissez tout content, lui dit Marinette.
- —Oui répondit-il; la lande se porte bien.
- Marinette fronça le sourcil comme une maîtresse qui entend l’éloge de sa rivale.
- Le souper fut sommaire; nous étions tout à fait en famille. Les filles et les gendres mangeaient chez eux, et nous nous trouvions juste en nombre pour jouer aux quatre coins. Le maire, qui voulait garder son prestige à mes yeux, demanda des comptes à maître Pierre et le I questionna sur ses opérations de la journée. Malheureuse-
- p.206 - vue 209/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- **api
- ment, il le prit un peu trop haut. Son pupille lui fit sentir sans toutefois se mettre en colère, qu’il n’est pas séant de questionner les rois. « Mon cher tuteur, lui dit-il, assez Joué la comédie, puisque nous sommes entre nous. A qui voulez-vous en faire accroire? Ce n’est ni à votre femme, ni à Marinette. Ce n’est pas à moi qui vous connais comme si je vous avais élevé. Et de fait, votre éducation m’a donné assez de mal. C’est donc à monsieur? Je m’en doutais .Vous éprouvez le besoin d’être imprimé tout vif dans les gazettes de Paris. Mais de deux choses l’une : ou monsieur est une bête, et ce qu’il écrira n’aura point de portée; ou il a le sens commun, et il sait déjà, lequel de nous deux est l’homme,soyez donc raisonnable et contentez-vous de la part que je vous ai faite. Vous êtes riche, vous êtes maire, et l’on vous prend au sérieux à quatre lieues d’ici.
- « Je ne vous marchanderai jamais ni l’argent, ni les honneurs parce que j’ai une ambition plus haute; mais s’il y a un peu de gloire à récolter, ne me la coupez pas sous le pied, je vous prie. Vos m’avez déjà fait,. sans reproche, assez de tort. Avec les bâtons que vous avez mis dans mes roues, on ferait un joli fagot. Le plus gros crime que j’aie sur la conscience, c’est vous qui me l’avez imposé; pauvre petit cheval gris! Hier, vous m’avez fait souper avec des gens qui n’étaient pas de mon goût. Aujourd’hui, vous enjôlez un monsieur que j’ai commencé et qui, peut me servir à Paris. Tout cela n’est pas trop bien, et je méritais autre chose. Je ne veux pas me venger de vous, même par la peur, attendu que vous êtes vieux; je ne vous ferai pas de menaces. Mais souvenez-vous de ces marionnettes de la foire qui représentaient des rois et des reines: quand la main qui les faisait vivre se retirait de dessous leur robe, elles n’étaient plus que des chiffons.
- — Sur quoi donc as-tu marché! demanda le maire, je te trouve aujourd’hui bien impromptu.
- — J’ai marché sur les joncs du marais pour étudier je chemin que nous allons faire, car nous partirons demain matin pour le bassin d’Arcaehon.
- — Parles marais!
- — Par les marais et les étangs.
- —Ah ça, tu es donc jaloux comme les chattes,qui étranglent leurs petits quand un étranger les a touchés.
- Je vous assure, monsieur, qu’il y a péril de mort, et si vous êtes prudent vous attendrez ici le retour de maître Pierre.
- — Et moi, monsieur, me dit maître Pierre, je réponds de vous sur ma vie. Ayez seulement un peu de confiance et vous pourrez vous venter d’avoir fait un voyage que les Landais eux-mêmes n’ont bas encore essayé.
- Son assurance m’enhardit. Cependant je demandai à
- 207
- comprendre l’utilité d’une telle escapade. » Il faut, répondit-il, que vous connaissiez nos marais, et que je vous explique sur place le tracé du canal de M. le maire.
- — J’en suis donc toujours? demanda le vieillard.
- — Du voyage?
- — Nom, du canal?
- — A condition que vous n’irez plus sur mes brisées que vous ne cherchez plus à me dérober mes amis, et que vous ne me forcerez plus de souper avec les vôtres.»
- 11 me fit lever le lendemain au petit jour. Le maire avait le cœur bien gros en me disant adieu. Le pauvre homme m’embrassa sur les deux joues et me glissa ces mots dans l’oreille; « Je prierai pour vos jours; pensez à ma gloire! »
- Je ne m’embarquai pas sans quelque souci, car j’ai mes raisons pour tenir à la vie. La sérénité du ciel et la bonhomie apparente de l’étang de la Canau me rassurèrent pendant une demi-heure. Lorsque maître Pierre quitta les avirons pour nous introduire à coups de gaffe dans chenal qui conduit à l’étang de Batéjin, cette manœuvre, qui n’était pas nouvelle, ne m’inquiéta nullement. Mais U arrêta tout à coup la marche du bateau, se pencha sur l’avant, pencha ses bras dans l’eau fangeuse et arrachât un piquet dont la grosseur me donna à réfléchir.
- « Voilà le danger, me dit-il. Nos pêcheurs, qui n’ont jamais entendu parler des lois, plantent leurs filets où bon leur semble. Iis installent leur petit appareil au milieu du chemin, et le passant pourrait bien s’y laisser prendre. Si ce piquet avait fait son trou dans mon bateau nous allions droit au fond du filet, ni plus ni moins que des anguilles, car on ne peut ni nager ni courir dans cette boue plantée de roseaux. Considérez, en outre, que nous vons deux kilomètres de marais à droite, autant à gauche, et toujours comme ça jusqu’au bassin d’Arcaehon.
- — Diable! Et serons-nous bientôt arrivés?,
- — Dans cinq heures cinq heures et demie, si nous ne nous égarons pas en chemin.
- — On peu donc s’égarer?
- —Oui, lorsque le chenal est caché sous les herbes; la première fois que j’ai passé par ici, j’étais comme les Russes en hiver, lorsqu’ils cherchent leur chemins dans la neige. Mais attendez que nous ayons passé l’étang de Langrane. C’est là que vous verrez du curieux. »
- En attendant, la gaffe nous poussait rapidement dans un chenal assez large et assez propre qui unit l’étang de la Canau à l’étang de Batéjin. L’étang de Batéjin se laissa traverser sans encombre. Maître Pierre m’expliqua la distribution des eaux sur le littoral du département. Entre la Gironde au nord et le bassin d’Arcaehon au sud, s’étend une longue nappe tantôt liquide, tantôt marécageuse, La principale masse d’eau se compose des étangs d’Hostins, de la Canau et de Batjin; elle occupe
- p.207 - vue 210/838
-
-
-
- 208
- LE DEVOIR
- un plateau central situé à égale distance du bassin d’Arca-ehon et de la Gironde. Ces trois étangs ont un niveau commun. Leur trop-plein se déverse au nord dans le Pelou et les marais du Gâ qui communiquent tant bien que mal avec le fleuve; au sud, il coule successivement dans les étangs de Batourtot, de Langrane, d’Hourbiel et de Langoùardade.
- — Par où l'eau s'en va-t-elle? demandai-je à mon guide. N’est-ce pas par le même chemin que nous!
- — Précisément.
- — Mais alors, comment un canal peut-il être nécessaire. A quoi bon chasser un ennemi qui s’en va?
- — A le faire filer plus vite. Le chenal est étroit,tortueux, et encombré de hautes herbes. Le canal sera large, droit et net. Le courant circule difficilement dans un passage d'un mètre et demi, dont les herbes lui disputent *es trois quarts; il s’en ira grand train par un conduit de douze mètres de large. L'eau qui infecte les marais du voisinage est celle qui est restée en route, faute de place pour passer. Dès que les chemins seront ouverts, vous la verrez s'égoutter prestement dans le bassin d’Ar-cacho i, c’est-à-dire dans la mer. Est-ce compris?
- — À merveille. Et vous êtes sûr du résultat?
- — Aussi sûr que de vider une bouteille quand le goulot est en bas et que j'ôte le bouchon. »
- Nous entrions dans le conduit sinueux qui va de Batjin à Batourtot. Maître Pierre appela mon attention sur leg produits du marais .Aussi loin que la vue pouvait s'étendre, on n’apercevait qu’une éternelle et plate immensité, hérissée de carex, de joncs et de roseaux. « Voici, me dit-il, mes prés futurs. Je vous ai dit que j’en aurais vingt mille hectares, et je tiendrai parole. Sur ce total, il y en a dix mille qui sont entièrement couverts par les eaux et dix mille qui ne sont qu’ennuyés par les plantes quatiques.
- — Mais si vos chiffres d’hier soir sont exactés, vous allez faire une fortune scandaleuse.
- — Mes chiffres d’hier soir? Il faut bien en rabattre quelque chose. J’avais mes raisons pour enfariner la bouche à ces gaillards-là. Je ne leur ai pas dit que les dépenses seraient énormes, et la plus-value presque impossible à percevoir. Vous ne connaissez pas les paysans; si je leur fais cadeau d’une pièces de cinq francs en leur disant; Rends-moi cinquante sous, ils s’imaginent que je leur vole leur monnaie.
- Maître Pierre me conta ce qu’il avait l’intention de fai-tre pour améliorer le terrain qui lui appartenait enpropre. Ses projets ne manquaient pas de grandiose. Il comptait s’approvisionner d'engrais dans toutes les maisons de Bordeaux, traiter les substances animales par le sulfate de fer pour concilier les intérêts de la culture avec les susceptiblités de l’odorat ; préparer des coipposts de bau-
- ge et bruyère; arroser l’herbe avec du purin,que sais-je 11 ne craignait plus de prêter à la terre, du jour où la terre serait en mesure de rendre.
- Je lui demandai si 1 e canal sur lequel il fondait sa fortune ne s’étendrait pas un jour depuis l’Adour jusqu’à la Gironde. Son attention me paraissait un peu trop exclusivement concentrée entre Bulos et le bassin d’Arcachon. Je craignais de le voir oublier son royaume au profit de son village, comme Louis XIV préférait quelquefois Ver-saille à la France.
- 11 m’expliqua pourquoi un canal de dessèchement est hiutile dans le département des grandes Landes.
- Là, les étangs du littoral communiquent avec la mer, et tout homme qui a pris la peine d'assainir son champ sait où jeter les eaux du drainage, car la nature a fait le frais des grands conduits collecteurs.
- Ce travail n’est pas fait au nord, entre Hourtins et la Gironde; il est même assez difficile à faire. La disposition du pays est beacoup moins simple qu'entre Hourtins et Arcachon. Les marais du Gâ reçoivent les eaux qui descendent des dunes, celles qui viennent de la lande, celles qui débordent de l’étang d’Hourtins et celles qui tombent du ciel. Pour comble de disgrâce, le niveau du Gâ est au-dessous de l'étiage du fleuve à la marée haute. Maître Pierre me prouva qu’il avait songé à tout, et que son bon vouloir impartial ne sacrifiait pas un canton à l’autre. Il m’exposa en quelques mots un projet ingénieux qui devait assainir à leur tour les malheureux marais du Gâ. 11 les soulageait déjà en rejetant le trop-plein de l'étang d’Hourtins sur le versant d’Arcachon. 11 les protégeait contre les eaux de la dune et de la lande, en les entourant d’un canal de eeinture qui se vidait dans la Gironde. Enfin, pour évacuer les eaux pluviales^ il établissait à l’extrémité des marais, sur la rive méridionale du fleuve, un clapet ouvert à la marée basse et fermé à marée haute. Ce vaste plan, étudié dans ses moindres détails et venu â parfaite maturité dans l’esprit de mon sauvage, demandait plusieurs années de travail; c’est pourquoi il l’avait ajourné. Il espérait que le succès de sa première entrepris disposerait tous les esprits à accuillir favorablement la seconde. Dans le cas où les produits de l’une seraient absor-dés par les dépenses de l'autre, il en faisait son deuil à l'avance. Mais son désintéressement n’allait pas jusqu’à sacrifier la part de gloire qui pouvait lui revenir. Il avait permis au maire de Bulos de baptiser l’église et les puits du village, mais il désirait formellement que le grand canal de dessèchement s’appelât à tout jamais canal de maître Pierre. C'était le seul de ses profits qu’il ne voulût partager avec personne,
- Le Directeur Gérant : GODIN
- Gu/sa. — /mp. Saré.
- p.208 - vue 211/838
-
-
-
- 10e Année, Tome 10.— N’ 395 Le numéro hebdomadaire 20 c. Dimanche 4 Avril 1886
- LE DEVOIR
- REVUE DES QUESTIONS SOCIALES
- BUREAU
- a GUISE (Aisne)
- Toutes les communications
- ABONNEMENTS PAYABLES D’AVANCE par l’envoi, soit au bureau de Guise, soità celui de Paris de timbres-poste ou de mandats de poste, dont le talon sert de quittance.
- et réclamations doivent être adressées à M. GODIN, Directeur-Gérant Fondateur du Familistère
- France Un an ... Six mois. . . Trois mois. .
- 10 fr. »» 6 »» 3 »»
- Union postale Un an. . . 11 fr. ï» Autres pays
- Un an. . . . 13 fr. 60
- ON S’ABONNE
- A PARIS
- 5, rue Neuve-des-Petits-Champs Passage des Deux-Pavillons
- S’adresser à M. LEYMARIE administrateur delà Librairie des sciences psychologiques.
- SOMMAIRE
- Pourquoi le F a milistère n’a pas d’imitateurs et ce qui est le plus pressant à faire. — La séparation de l'Eglise et de l’Etat. — La coopération. — La mutualité nationale au congrès des délégués républicains de l’Aisne. — La presse étrangère et l’association du Familistère. — A nos lecteurs. — Aphorismes et préceptes sociaux. — Faits politiques et sociaux de la semaine. — Enquête aux Etats-Unis sur les rapports du travail et du capital. — La coopération parmi les pécheurs chinois. — Maître Pierre. — La revue socialiste.
- ----------------• » ♦ » ---------------
- AVIS
- Le journal « Le Devoir » est envoyé gratuitement à titre d’essai.
- Si le journal n’est pas renvoyé après le quatrième numéro, l’administration fait présenter une quittance d’abonnement.
- NUMÉROS DE PROPAGANDE
- L’administration du Devoir envoie franco des numéros de propagande de chaque tirage hebdomadaire au prix de 75 centimes les dix exemplaires.
- Adresser les demandes à la Librairie du Familistère.
- Pourquoi le Familistère n’a pas d’imitateurs et ce qui est le plus pressant à faire. A)
- III
- Si l’on a compris l’idée principale qui m’a porté à la fondation du palais social de Guise et de l’association qui y est établie en toutes les fonctions de la vie, on a vu que cette œuvre était le contre-pied des institutions ordinaires et l’exemple pratique de la réforme des abus sociaux de notre époque, mais il reste à voir comment le contraste de ces institutions se poursuit jusque dans les détails.
- D’abord, l’œuvre du Palais social a été accomplie avec la richesse créée sur place par le travail, sans qu’il en eût été rien détourné, sinon ce que ma famille m’a enlevé. Au lieu d’emporter la richesse des mains des ouvriers et de la faire servir au loin à des satisfactions de luxe et d’ambition, cette richesse a été employée, à mesure de sa production, à l’amélioratien du sort des travailleurs mêmes. L’atelier a été fondé d’abord comme instrument de production, puis a été établi le Palais social sur un plan réunissant les ressources, les avantages et les moyens de satisfactions nécessaires à la vie humaine.
- J’ai établi dans cette habitation les salles d’éducation et d’instruction propres à l’enfance, les magasins d’approvisionnements utiles aux familles, les salles de réunion et de récréation ;
- I (I) Lire le Devoir des 21 et 28 Mars 1886.
- p.209 - vue 212/838
-
-
-
- 210
- LE DEVOIR
- l’eau, l’air, l’espace et la lumière ont été répandus à profusion; le palais est entouré de jardins et de promenades pour la population associée, tel a été l’emploi de la fortune créée par le travail dans l’industrie que j’ai fondée à Guise.
- La fortune créée par le travailleur employée au bien-être et au bonheur des familles des travailleurs mêmes, telle fut l’œuvre couronnée ensuite par l’association du Familistère.
- N’est-il pas vrai que cela est l’opposé de ce qui se fait généralement ; que c’est le renversement de toutes les habitudes de la richesse ; que tous les enrichis songent à leurs seules jouissances et s’occupent peu des souffrances qu’ils laissent autour d’eux. Vivre pour soi et sacrifier les autres à soi, tel est l’horizon moral borné des hommes du jour, tandis que l’œuvre du Familistère n’existe que parce qu’elle a pour principe : Vivre pour tous et travailler au bonheur général de la vie humaine.
- Et voilà pourquoi l’on doute que le Familistère puisse survivre à son fondateur !
- Oui, c’est parce qu’on croit d’après les faits qu’il n’y a de place que pour l’égoïsme dans le monde. Mais c’est professer, en ce qui concerne les ouvriers, une erreur semblable à celle que professaient autrefois les Romains, les Grecs et les peuples anciens à l’égard de l’esclavage.
- La même erreur était professée naguère par l’aristocratie nobiliaire à l’égard de nos pères, les serfs et les vilains ; la Révolution française a fait justice de ces abus. Aujourd’hui, la grande erreur de la bourgeoisie consiste à croire que l’ouvrier salarié devra toujours se contenter de travailler pour les autres, sans espoir de voir améliorer son sort.
- Les crises industrielles, actuelles, les grèves et les chômages sont les prodromes d’une Révolution nouvelle, si les gouvernants ne savent la conjurer. Car ces crises et ces grèves proviennent de ce que l’ordre de choses établi en tous pays réduit les moyens d’existence des classes onvrières à des limites plus disproportionnées que jamais, eu égard aux moyens actuels de production. On ne remédiera à cet état de choses qu’en obligeant la richesse à ne pas se faire plus longtemps la part du lion et à restituer, par l’institution du droit d’hérédité nationale, la part de biens nécessaires aux classes pauvres, afin de leur assurer le logement, la nourriture, le vêtement, l’instruction et le travail. Voilà les garanties dues à chaque citoyen et les sociétés humaines »
- ne trouveront la paix et la concorde que dans l’inauguration de ces garanties.
- On dit qu'il ne sera pas possible de trouver partout des philanthropes faisant comme M. Godin usage de leur fortune, pour instituer au profit des ouvriers des associations dans lesquelles les bénéfices serviront à donner le bien-être aux masses ouvrières ; c’est précisément parce que je sais bien qu’il en est ainsi que je vous dis : Ce n’est pas en attendant que les détenteurs de la richesse imitent ce que j’ai fait qu’on arrivera à la solution des problèmes sociaux, c’est par l’intervention du législateur dans la répartition de la richesse. Ce que les classes riches et fortunées ne sauront pas faire par elles-mêmes, ce qu’elles ne voudront pas faire s’imposera à l’opinion et aux gouvernements par la force des choses, par la puissance des besoins, par les souffrances et les misères des populations.
- A défaut de trouver assez d’initiative et d’énergie dans la société actuelle pour aborder le problème social dans son ensemble, comme je l’ai fait par l’édification du Familistère et la fondation de l’association entre le capital et le travail, (association qui représente une commune d’environ deux mille personnes jouissant de toutes les garanties de la vie), il faudrait au moins chercher à généraliser dans la na tion les avantages de mutualité que cette association comporte, sauf à réaliser plus tard la réforme architecturale de l’habitation et l’association en toute fonction.
- Mais, qu’il me soit permis en passant sur eette question de signaler qu’il suffirait d’établir en France seulement dix-huit mille communes comprenant chacune la population du Familistère pour que la France soit rebâtie à neuf ; et que si nos gouvernants savaient faire tourner au profit d’une telle œuvre les millions qu’ils engloutissent dans les opérations ruineuses de la guerre, ils pourraient édifier chaque année des centaines de communes semblables, ce qui suffirait amplement à transformer en colonies prospères nos populations courbées sous la misère. ^
- Faute d’avoir su engrener la réforme sociale avec prudence, il faudra l’aborder d’une façon générale et aller au plus pressé.
- Aussi, je considère que, pour faire face aux difficultés que les monopoles de la propriété et la situation des classes ouvrières mettent en présence, il y a lieu, si l’on veut résoudre le problème social, d’inaugurer une série de mesures législa-
- p.210 - vue 213/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 211
- tives faute desquelles on laissera aller les sociétés européennes à un cataclysme.
- Ces mesures devraient être établies dans l’ordre suivant :
- 1° — Instituer d’abord le droit d’hérédité nationale qui serait aujourd’hui le moyen le plus juste et le seul pacifique de l’intervention de l’État, dans la richesse acquise. Cette mesure permettrait d’opérer toutes les réformes désirables par la puissance législative.
- 2° — Créer ensuite la mutualité nationale. L’État prélevant à la mort des personnes, par droit d’hérédité, une part de fortune pourrait instituer les garanties sociales de la subsistance en faveur des classes laborieuses, en appelant en outre tous les citoyens à contribuer à cette fondation. Cette mesure établirait la diffusion de la richesse et donnerait à la production des consommateurs en quantité suffisante pour ouvrir tous les débouchés désirables et assurer à toujours du travail à tous les ouvriers.
- 3° — Etablir la participation des ouvriers aux bénéfices dans toutes les entreprises d’agriculture, d’industrie et de commerce, proportionnellement à l’évaluation des concours et des services rendus par chacun des facteurs de la production. Cette évaluation étant représentée par les salaires accordés au travail, par les émoluments et appointements accordés à la capacité active, et par les récompenses ou intérêts accordés aux capitaux employés dans l’entreprise.
- Cette répartition se règle chaque année dans l’association du Familistère après l’inventaire, en divisant la somme des bénéfices par le total des appointements, des salaires et des intérêts, et en remettant à chacun des capitalistes, des employés et des ouvriers le dividende qui lui revient.
- 4° Donner à des syndicats électifs l’autorité nécessaire pour résoudre par l’arbitrage 1 toutes les questions litigieuses du travail et de l’industrie, et pour ordonner l’exécution provisoire de leur décision, sauf moyen de recours établi par la loi. Cette juridiction nouvelle payée par l’État et gratuite pour les parties qui y seront soumises.
- 5° — Organiser le travail de manière à empêcher le gaspillage industriel, à mettre un frein a la concurrence malhonnête et dépréciative de la production, en assurant à chaque fabrique, à
- chaque groupe ouvrier, à chaque individu le fruit de ses œuvres plus efficacement que ne le font les brevets d’invention et les marques de fabrique.
- 6° — Fixer la durée de la journée du travail salarié, en tous pays, afin de mieux garantir la liberté humaine, mais laisser aux travailleurs associés ou en participation régulière la libre réglementation de leurs travaux.
- 7° — Tarifer les salaires sous la sanction des syndicats du travail, de manière à établir un juste équilibre entre les mêmes industries et à éviter la spéculation sur les salaires.
- 8° — Instruire tous les enfants en raison de leurs aptitudes, mais ne laisser à aucun la possibilité de quitter l’école avant l’âge de 14 ans.
- 9° — Provoquer un accord international pour le réglement général de toutes ces questions.
- Voilà un minimum des moyens par lesquels la question du travail pourra s’éclairer progressivement et entrer dans une voie d’organisation rationnelle ; mais, on le conçoit de suite, ces mesures, quoique bien simples en elles-mêmes, sont au-dessus des forces de nos gouvernants, puisque nous voyons ceux-ci impuissants même à régler la question du travail et des grèves dans les mines où, cependant, l’État est en possession de droits particuliers sur le fonds, et où il s’agit de la conservation de richesses nationales, en même temps que de la protection du travail des ouvriers !
- Ce qui les paralyse, il faut bien le dire, c’est la crainte de toucher au monopole des capitalistes. Gomment cette impuissance ne se ferait-elle pas sentir devant les réformes sociales, quand il faudrait pour les aborder s’affranchir de ces traditions de mauvais alois ?
- On fera donc de nouveaux emprunts et, par conséquent, on créera de nouveaux impôts à la charge du peuple, jusqu’à épuisement de la patience populaire, ou jusqu’à la ruine du crédit national ! Voilà ce que nos législateurs et nos -gouvernants sauront faire. Ecraser le peuple et le travail, augmenter les exactions du capital leur semblera toujours facile; mais toucher à la richesse, même après la mort des personnes, afin de rembourser la dette publique et d’ouvrir la voie des réformes sociales sera considéré par eux comme un effort au-dessus de leurs moyens.
- p.211 - vue 214/838
-
-
-
- 212
- LE DEVOIR
- La séparation de l’Eglise et de l’État
- Voici le texte du rapport fait par M. Gustave Rivet, au nom de la troisième commission d’initiative, sur la proposition de MM. Planteau et Michelin, ayant pour objet la séparation de l’Église et de l’État par l’abrogation de la loi du 18 germinal an X :
- En thèse générale, l’Église vis-à-vis de l’État peut se trouver dans trois situations ; ou elle est absolument subordonnée, soumise au pouvoir civil, et c’est l’anglicanisme ; ou elle est maîtresse souveraine, et vous avez la théocratie, l’inquisition d’Espagne : ou elle est libre dans l’État libre, comme aux Etats-Unis.
- En Francë, les rapports de l’Eglise et de l’Etat ne rentrent, à vrai dire, dans aucune de.ces trois catégories. L’Eglise et l’État sont chez nous dans une situation incertaine, mal définie par les nombreux articles d’un traité dont l’esprit et la lettre jurent avec les principes delà démocratie.
- En effet, en proclamant la liberté de conscience dans l’article 7 de la Déclaration des droits de l’homme, la Convention posait le principe de l’Église libre dans l’Etat libre.
- Mais il faut bien reconnaître que ce principe est demeuré purement théorique, et que, sous ce rapport, l’œuvre de la Convention est restée stérile.
- Car pour mettre en pratique le principe de la liberté de conscience,il faut, en bonne logique, ou que l’État subventionne indifféremment tous les cultes quels qu’ils soient, ou qu’il n’en subventionne aucun.
- L’État est incompétent en théologie. Il n’a, pour autoriser ou proscrire un culte, d’autre raison et d’autre règle que la défense de la morale publique. En dehors de ce devoir, il ne peut ni ne doit se faire le juge d’aucune doctrine religieuse, d’aucun dogme, et dès que l’on salarie un culte, il n’y a plus de raison pour ne pas salarier tous les cultes qu’il prendra fantaisie au premier citoyen venu d’établir.
- Telle est la doctrine démocratique vraiment respectueuse de la liberté de conscience.
- Or, messieurs, nous n’avons pas à rappeler combien cette liberté de conscience a reçu d’atteintes en ce siècle.
- Le concordat n’est pas autre chose que la négation du principe de la Convention. C’est la consécration des privilèges de l’Eglise catholique par l’homme qui espérait faire servir l’organisation cléricale à l’affermissement de son pouvoir. C’était, en fait, la reconnaissance d’une religion d’État.Ce qui n’empêchait pas le premier consul devenu empereur de jurer à la fois respect à la liberté des cultes et respect au Concordat qui en est la négation.
- Le concordat est si bien la reconnaissance du catholicisme comme religion d’Élat, que la Restauration, prenant la succession de l’empire, n’eut rien à changer à l’organisation religieuse: elle déclara simplement dans l’article 6de la charte de 1815 que la religion catholique était religion d’État; elle écrivit dans la loi ce qui était dans la pratique.
- La Révolution de 1830 voulut bien effacer cet article 6, mais au lieu d’être « religion d’État », le catholicisme devint « religion de la majorité ».
- Ajoutons que c’est seulement en 1831 que le culte israélite fut assimilé aux deux autres cultes chrétiens reconnus et subventionnés.
- En fait, quelles que soient les atténuations ou les corrections de forme apportées à l’état de choses établi en 1801, nous subissons un régime qui est la violation de la neutralité de ’État, la violation de la liberté de conscience, puisqu’elle contraint à participer aux dépenses des cultes des citoyens qui n’en possèdent aucun. Avec le concordat, nous vivons en dehors de la logique démocratique.
- Nous n’avons pas à étudier ici dans ses origines et ses conséquences, dans sa constitution et dans son but, le traité conclu entre le pape et Bonaparte. Nous n’avons pas non plus à rappeler quelle est l’attitude de l’Eglise catholique vis-à-vis du gouvernement républicain. Pourtant, la République, disons-le en passant, offre un singulier spectacle, en subventionnant les adversaires acharnés de ses idées.
- Nous devons nous borner à constater que depuis la Révolution, en dépit des efforts monarchiques, la question desrap-portsde l’Eglise et de l’Etat a été sans cesse agitée. Chaque génération l’a discutée avec passion, et la doctrine du parti républicain a toujours été que le respect de la liberté de conscience, de l’équité, exigeait la séparation de l’église et de l’Etat.
- Votre commission d’initiative n’a pas à se demander si, à l’heure présente, la séparation serait bonne en politique, elle n’a qu’à constater l'état et l’intérêt delà question qui vous est soumise. Son rôle et son devoir se limitent à dire qu’une question si grave, agitée depuis la Révolution, soulevée chaque année à propos du vote du budget, et posée aujourd’hui devant la nouvelle chambre par nos honorables collègues MM. Planteau et Michelin, est de celles qui méritent une discussion approfondie.
- Votre commission vous commande donc de prendre la proposition de loi en considération.
- LA COOPÉRATION
- La société des ouvriers des forges et aciéries de Trith-Saint-Léger.
- Cette société, fondée avec des ressources peu importantes, puisque le fonds social était fixé à 10,000 francs, a néanmoins appliqué, dès son ’ébut, le principe de la rénumération des fonctions.
- Les membres du conseil d’administration, reçoivent des bons de présence ; les commissaires de surveillance sont indemnisés proportionnellement à leur travail. En plus de ces rétributions fixes, tous ces agents actifs de la société participent aux bénéfices d’après une proportion qui nous paraît convenablement établie : l’agent général reçoit en plus de son traitement 5 0/o des bénéfices ; les membres du conseil d’administration se partagent 5 O/q au prorata de leurs jetons de présence ; les gratifications des employés s’élèvent à 5 0/o<
- Ces dispositions consacrent la participation du travail aux bénéfices.
- Il est désirable que ces pratiques se généralisent dans les sociétés coopératives ; elles sont une excitation au travail et un encouragement à bien gérer.
- Les sociétés coopératives, généralement composées d’ouvriers et d’employés, ont le plus grand intérêt à organiser cette participation. C’est en
- p.212 - vue 215/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- multipliant les exemples de ce genre, que l’on créera dans l'opinion publique un courant d’idées favorables qui aboutiront à l’introduction de la participation dans les entreprises iudustrielles.
- La société de Trith-Saint-Léger est du petit nombre de celles qui vendent à d’autres qu’aux sociétaires.
- En ce cas encore nous trouvons l’exemple excellent.
- Nous n’avons jamais admis qu'une société ouvrière coopérative refuse d’encaisser les bénéfices que les consommateurs vont porter chez les commerçants, lorsque la société ouvrière refuse la clientèle extérieure. Les sociétés ouvrières ne devraient jamais laisser échapper les bénéfices qui viennent librement vers elles.
- Les coopérateurs de Trith font mieux, ils acceptent de livrer aux étrangers, et ils leur reconnaissent une part de bénéfices égale à celle qui revient aux associés considérés comme consommateurs. En effet 400/o des bénéfices sont attribués aux consommateurs, proportionnellement à l’importance de leurs achats, pourvu que le chiffre de ces achats soit de 25 fr. au moins pour un client.
- Les sociétaires actionnaires disposent de 20 0/o des bénéfices ; 15 0/o sont attribués aux fonds de réserve.
- Un fonds de secours est alimenté par le reste des bénéfices, soit 5 0/q. Cette part accordée à la mutualité nous paraît insuffisante.
- Les statuts indiquent que les 15 0/o destinés aux fonds de réserve seront partagés individuellement entre les associés et les coopérateurs, lorsque la réserve atteindra un chiffre suffisant.
- Pourquoi ne pas les destiner alors à donner plus de force aux institutions de mutualité ?
- Dans son fonctionnement commercial, cette société présente la particularité de tenir certaines marchandises en consignation. Sur un magasinage évalué à 47, 232 fr. les marchandises en dépôt figurent pour une somme de 24,269 fr. ; soit plus de la moitié.
- Certaines parties du rapport présenté à l’assemblée générale de cette société, le 28 février 1886, contiennent des faits exceptionnellement concluants en faveur de la coopération, surtout si on considère*que tous ces beaux résultats sont obtenus avec un capital social de 10,000 fr.
- Compte de Profits et Pertes
- CRÉDIT
- Bénéfice brut de l’exercice. . .fr. 22.549 53 Produit des .Intérêts et des escomptes. 1.000 31
- 23.549 84
- DÉBIT
- Amortissements de frais généraux . lr. 3.571 88 id. sur le Mobilier et le
- matériel............ 81 60
- id. sur les Frais de premier établissement. . 138 49
- id. de la taxe sur le revenu des actions .... 185 24
- Prélèvement destiné à augmenter le fonds de réserve pour créances dou-„ feuses.......................... 900 »
- Solde représentant le bénéfice net. . . 18.572 63
- 81.
- Les bénéfices bruts sont donc, intérêts et escomptes comp ris,
- de. .... ,........................ 15.65 % des ventes.
- Les bénéfices nets de...................12.33 id.
- Les frais généraux de.................... 2.40 id.
- Amortissements et prélèvements pour
- créan ces douteuses................... 0.92 id.
- Ces résultats sont d’autant plus appréciables qu’ils arrivent à soutenir la comparaison avec ceux obtenus dans d’autres sociétés beaucoup plus anciennes, dont le succès, affirmé depuis longtemps, est cité comme exemple par tous ceux qui ont écrit ou parlé sur la Coopération.
- Ainsi, à la Société coopérative de consommation des Forgerons de Commentry, au 31 décembre 1882, après quinze ans d’existence et sur un chiffre d’affaires de fr. 372.924 30, Les bénéfices bruts étaient de . . . . 17.10 % des ventes.
- Les bénéfices nets de................ 11.78 id.
- Les frais généraux de. ...... . 5.32 id.
- A la société coopérative des Mineurs d’Ânzin, au 28 février 1883, après 15 ans d’existence, sur un chiffre d’affaires
- de . . ..........................fr. 1.461.848 70
- Les bénéfices bruts étaient de . . . 17.10 % des ventes.
- Les bénéfices nets de................ 43.40 id.
- Les frais généraux de.................. 3.70 id.
- A la société coopérative des usines d’Audincourt (Doubs) en 1882, après dix ans d’existence, sur un chiffre d’affaires
- de................................... 333.110 33
- Les bénéfices bruts étaient de. . . 13.80 % des ventes.
- Les bénéfices nets de................ 10.60 id.
- Les frais généraux de.................. 3.20 id.
- Nous trouvons, d’un autre côté, dans le journal « Le Coopérateur français », revue du syndicat des sociétés coopératives, une statistique des bénéfices nets et dividendes distribués par 982 Sociétés coopératives de consommation anglaises, pour l’exercice 1884, qn’il est intéressant de citer : 43 de ces sociétés ont distribué de 2 à 4.60 0/o des ventes.
- 227
- 502
- 202
- 20
- id.
- id.
- id.
- id
- seule de ces sociétés a donné
- 5 à 9.60 10 à 14.60 15 à 19.60. . . ..20 » 23.70
- id.
- id.
- id.
- id.
- id.
- id.
- La moyenne générale est de...........10 »
- Examen de la répartition des Bénéfices.
- Pour bien apprécier cette combinaison, il faut tenir compte que le nombre des actionnaires n’est que de 107 et représente un chiffre de vente de...........fr. 24.370. 90
- Que celui des consommateurs est de 554 et représente un chiffre de vente de . . fr. 126.164 87 pour le semestre.
- D’où il résulte que si notre société ne vendait qu’à ses actionnaires, le chiffre de ventes du semestre au lieu d’être de . . . 150.535 77
- serait réduit à.......................... 24.370 90
- et en comptant un bénéfice proportionnel à celui relaté ci-dessus pour le dernier semestre, la part de 20 % revenant
- aux actions serait seulement de......... 601 80
- au lieu de.............................. 3.676 48
- que donne la coopération des consommateurs non actionnaires.
- Celle de 40 % revenant à la consommation serait de.................. 1 203 60
- au lieu de.............................. 7.353 14
- Celle de 20 °/* revenant à la réserve
- serait aussi de......................... 601 80
- au lieu de................... ..........._ 3.676 57
- En ne vendant qu’aux actionnaires, le capital ce 10,000 fine serait renouvelé que deux fois et demie en six mois, c’est-à-dire que l’on ne vendrait en six mois que pour une somme
- 23.549 84
- p.213 - vue 216/838
-
-
-
- 214
- LE DEVOIR
- égale à deux fois et demie le capital ou cinq fois le capital en un an.
- Par la coopération des consommateurs non actionnaires, la vente a renouvelé quinze fois le capital durant les derniers six mois, ou trente fois par an.
- En ne vendant qu’aux actionnaires, le bénéfice n’aurait été que de 30 O/o du capital, tandis que par la coopération des coopérateurs non actionnaires, il est porté à 185 O/o du capital de 10.000 fr. delà société.
- La part de 40 O/o revenant aux consommateurs pour
- l’exercice courant étant de.................. 7.353 14
- donne 5 °/0 des achats.
- La parc de 20 % revenant aux actionnaires étant de.............................. 3.676 57
- donne un dividende de 18 fr. 38 par action de 50 francs, ou 36 fr. 76 par 100 francs pour six mois, ou 73 fr. 52 % par an, et en y comprenant l’intérêt à 5 O/o, 78 fr. 52 O/o d’intérêts et dividendes par an.
- La part de 20 O/o revenant à la réserve et appartenant aussi aux actionnaires étant également de. ... 3.576 57 c’est comme si on mettait à ladite réserve 18fr. 39 par action de 50 fr., ou 36 fr. 76 par 100 francs pour 6 mois, ou 73 fr. 52 O/o par an.
- Cette part faite au capital est réellement trop élevée : la spéculation tient une trop grande place dans ta société de Trith.
- Nous engageons ces coopérateurs à corriger ces défauts en faisant la part plus grande à la mutualité. S’ils voulaient apporter dans cette voie la même somme de capacité et de bonne volonté, ils créeraient en peu.de temps des fondations assez puissantes pour qu’aucun d’eux n’ait plus désormais à redouter les atteintes du paupérisme.
- La' Mutualité Nationale au Congrès des délégués républicains de l’Àisne
- Les délégués républicains de l’Aisne, au nombre de 400, viennent de se réunir à Laon à l’occasion de l’élection partielle du 18 avril.
- Les représentants du canton de Guise avaient mandat de faire inscrire dans le programme électoral la proposition suivante :
- « Fondation d’une Mutualité nationale destinée à garantir à chaque citoyen le droit à la subsistance.
- « Dotation de cette assurance sociale par des prélèvements proportionnels aux revenus annuels de tous les citoyens, propriétaires, capitalistes, industriels, commerçants, fonctionnaires et salaiiés de toute catégorie recevant un salaire supérieur à un minimum fixé dans chaque commune dans les assemblées départementales ».
- Cette rédaction a été repoussée. Néanmoins, la réunion, s'inspirant des considérants développés par les promoteurs de cette proposition, a adopté une résolution plus vague donnant une apparence de satisfaction aux justes réclamations de Guise.
- Voici la résolution votée par le Congrès.
- Le congrès républicain s’inspirant des décrets du 28 juin et du 24 vendémiaire, An II, invite les députés à s’associer à toutes les mesures ayant pour objet de venir en aide aux travailleurs.
- La première proposition avait été loyalement acceptée par M. Turquet, en des termes remarquables par leur netteté.
- « En mon nom personne) et au nom du gouvernement, a dit l’honorable sous-secrétaire d’État, je ne verrais aucun inconvénient à ce que la motion du comité de Guise soit adoptée par la réunion.
- « Est-ce que le cabinet n’a pas inscrit dans son programme l’étude des réformes ayant pour but l’amélioration du sort des travailleurs ! La commission du budget n'est pas hostile au principe de l’impôt sur le revenu.
- « La question sociale se pose devant tous les gouvernements et malheur à celui qui ne trouvera pas la solution,
- De chaleureux applaudissements ont accueilli cette déclaration.
- La motion du comité de Guise allait être adoptée sans M. Ganault, député ; un de ces modérés que la modération conduit à ne rien faire et à opposer à toute réforme sociale une intervention négative, intervention que le rédacteur en chef, de la Tribune, un jeune aussi modéré que les plus vieux, a appuyée d’une façon fâcheuse.
- Les électeurs de Guise, nous l’espérons, ne renoncerons pas à un si sage projet.
- En attendant de pouvoir le représenter devant un Congrès départemental, ils sauront le propager par les réunions et par les moyens dont dispose la société de propagande républicaine et d’éducation civique de Guise.
- Si, pendant cette période de vulgarisation, il ne se trouvait, parmi la députation de l’Aisne ou parmi les rédacteurs de la presse républicaine, aucun député ou aucun journaliste pour attaquer par la parole et par la plume la réforme réclamée par les électeurs de Guise, il serait inconcevable que, plus tard, l’un quelconque de ces citoyens vînt s’opposer à l’adoption devant un Congrès départemental.
- Le Devoir commencera, dans son prochain numéro, la publication des lois du 28 juin et du 24 vendémiairer An IL
- Ces lois, les plus remirquables de la Révolution, n’ont pas été abrogées ; elles ont toujours été systématiquement cachées au peuple, par crainte, sans doute, qu’il en exigeât l’application.
- Pendant la durée de cette publication, les lecteurs du Devoir désireux de répandre cette œuvre, la plus humaine de la Révolution, trouveront à l’administration du journal des numéros de propagande au prix de 75 centimes les dix exemplaires.
- Adresser les demandes avant le tirage.
- LA PRESSE ÉTRANGÈRE
- et l’Association dn Familistère
- Un journal danois « Folketidenden », dans son numéro du 16 mars dernier, publie, sur l’Association du Familistère, une étude que nous regrettons vivement de ne pouvoir apprécier, vu notre ignorance de la langue danoise.
- p.214 - vue 217/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 215
- Un journal de Naples « Il buon Genio » ouvre son numéro du 13 mars 1886 par un article intitulé : « Le Familistère de Guise ». Cet article indique, à grands traits, les faits principaux de l’Association du Familistère. Il est conçu en vue surtout démontrer aux capitalistes avec quelle puissance ils réagiraient contre les misères sociales s’ils voulaient bien entrer dans la voie des associations industrielles qui, en donnant à l’ouvrier plus de ressources, lui permettraient de consommer davantage et de fournir ainsi à la production les débouchés indispensables à l’entretien de l’activité humaine.
- Nous offrons à M. Auguste Cavani, l’auteur de l’article, nos vifs remerciements.
- * +
- « The Age of Steell» de St-Louis, États-Unis, consacre aussi, à l’Association du Familistère, dans son numéro du 13 mars dernier, un article que nous mentionnons dans notre reproduction de l’énquête ouverte aux Etats-Unis, par The Age of Steel sur les rapports du Capital et du Travail.
- A NOS LECTEURS
- La jacquerie ouvrière désole la Belgique.
- Un cas fortuit, livrant aux révoltés un arsenal muni d’approvisionnements militaires, c’est la guerre civile entre les travailleurs et les défenseurs des privilèges capitalistes.
- Ces événements sont à la veille de se reproduire chez tous les peuples civilisés de tous les continents, parce que partout les classes dirigeantes n’ont pas la volonté de s’appliquer à la solution du problème social, né des conditions modernes de la production et de la distribution des richesses.
- Ces émeutes des ouvriers belges sont des faits déplorables.
- La persistance des classes dirigeantes des autres nations à ne pas comprendre la signification de ce mouvement populaire est l’indice certain de pires catastrophes.
- Les gens insensibles à ces avertissements expieront cruellement leur défaut de perspicacité ou bien leur indifférence.
- Le désordre social a éclaté en Belgique par la seule raison de l’abaissement du salaire au-dessous du taux indispensable au minimum de subsistance.
- Tous les commentaires de la peur, de la haine ou de l’égoïsme ne feront pas trouver une autre explication positive de cette convulsion sociale.
- La situation sera bientôt analogue dans tous les autres pays ; parce que déjà partout on constate une baisse générale des salaires. :
- En France, dans notre département de l’Aisne, quelques catégories de travailleurs n’ont plus le nécessaire à la subsistance.
- Dès que ces parias, ces persécutés, seront assez nombreux, dès qu’ils se croiront suffisamment forts pour réagir violemment contre leur injuste misère, ils feront certainement ce que les misérables ont toujours fait, chaque fois qu’ils ont eu pareille conviction. Ils se révolteront.
- Peut-être ces malheurs pourraient être évités, si les honnêtes gens initiés aux théories sciologiques voulaient se départir de leur ap athie ordinaire et provoquer dans l’opinion publique un mouvement en faveur de l’adoption immédiate des institutions garantistes.
- Les lecteurs du Devoir, plus que la généralité des autres citoyens, ont à la fois la conception des causes du mal et la connaissance des remèdes salutaires.
- Cette intelligence des besoins du moment devrait les exciter à hâter, par tous les efforts-dont ils sont capables, la vulgarisation des moyens pratiques d’arrêter l’augmentation de la misère.
- Que les hommes convaincus ne se laissent pas décourager par leur petit nombre. Si leurs efforts ne sont pas assez puissants pour sauver le maintien de l’ordre, leur tentative ne sera pas moins méritoire.
- Même, l’intérêt personnel ne commande-t-il pas à chacun de ceux qui entrevoient l’abîme, où va s’effondrer la civilisation, de se distinguer des indifférents et des aveugles ?
- Nos lecteurs ont leur place marquée parmi les clairvoyants ; pourquoi hésiteraient-ils, eux qui savent, à se ranger parmi les hommes qui veulent ?
- Certains, influencés par l’ignorance du milieu, se cachent presque d’être de nos abonnés. Beaucoup n’osent se donner activement à la propagande des doctrines défendues par le Devoir.
- Ces craintes, ces timidités ne sont plus de circonstance.
- Nous qui voyons grossir l’orage révolutionnaire; avant qu’il éclate, exprimons bien haut les pensées et les précautions que nous suggère notre amour de l’humanité.
- Communiquons aux autres notre clairvoyance ; réunissons en des groupes résolus les bonnes volontés que fait toujours surgir la perspective des malheurs publics.
- Pourquoi craindre de paraître aujourd’hui ardents à la propagande, nous qui serons les mo-
- p.215 - vue 218/838
-
-
-
- 216
- LE DEVOIR
- dérés de demain, si notre faiblesse et l’imprévoyance générale n’ont pu ou su éviter les boul-versement sociaux présagés par le soulèvement des ouvriers Belges ?
- Pourquoi nous laisser influencer par les jugements d’un public que nous savons ignorant, cupide, égoïste ?
- N’est-ce pas manquer du respect de soi-même que de persister à rester confondu au milieu de ce troupeau humain tourmenté d’appétits égoïstes insatiables ?
- Si nous ne devions à nous-mêmes de nous distinguer de tant de corruption, nos principes, notre doctrine, notre morale nous défendent de perpétuer cette confusion ; nous en retarderions l’avènement par déplus longues compromissions.
- Dans notre pays, l’évolution est encore possible’ mais la Révolution nous envahira bientôt, si nous n’avons le courage de servir énergiquement la première.
- Les lecteurs du Devoir sont parmi les clairvoyants, parmi les sages.
- A cette heure, la sagesse ordonne une propagande incessante en faveur des institutions garantistes.
- APHORISMES & PRÉCEPTES SOCIAUX
- GUI
- Prix du travail et syndicats.
- Les chambres syndicales doivent avoir la facilité et le droit de fixer un minimum de prix au travail a l’heure et à la façon, minimun au dessous duquel nul employeur ne pourrait payer ses ouvriers dans chaque industrie.
- Faits politiques et Sociaux de la semaine.
- Le Parlement travaille. — Il ne s’agit plus de projets ni de prises en considérations, ni de renvois à des commissions, la Chambre vient d’émettre un vote positif; elle a reconnu le droit à chaque citoyen de prescrire les cérémonies de son inhumation ; elle autorise même l’incinération !
- Ce vote n’avancera pas beaucoup la solution du problème social. Néanmoins, il ne nous déplairait pas de pouvoir désormais nous faire enterrer à notre guise.
- Malgré cet effort de la Chambre, il convient encore de parler au conditionnel ; car le droit que nous octroient les députés n’a pas eneore suivi toutes les filières de la machine parlementaire ; le Sénat ne manquera pas de revoir, de corriger et de supprimer la loi votée par la Chambre.
- Voilà ce que vaut le travail de nos parlementaires, lorsqu’ils font œuvre positive.
- *
- * *
- La politique Coloniale. — Un marabout qui prêche la guerre sainte au Boudou a attaqué avec plusieurs milliers d’hommes une compagnie de tirailleurs, détachée de la garnison de Bakel, dans les environs de Kounguel, entre Bakel et Matam.
- » Un offieier et huit hommes ont été tués ; trente-deux hommes ont été blessés.
- » La colonne du colonel Frey couvre Bakel.
- » Le gouverneur du Sénégal prend les dispositions nécessaires pour assurer la sécurité du Bas-Sénégal.
- » Le chef des Bossé-Abé, Abdoul-Bou-Bakar, marche contre le marabout du Bondou. »
- Pour pouvoir parer à des éventualités plus graves, un bataillon d’infanterie de marine est prêt à partir de Toulon sur le transport l’Orne.
- La politique coloniale manque une fois de plus aux séduisantes promesses de l’opportunisme ; le nouveau trou quelle fait au budget sera plus qu’une banale consolation pour les financiers et les prêteurs de l’Etat.
- ¥ *
- Un progrès administratif. — Le nouveau système de paiement des mandats de poste, que M. Granet à l’intention de mettre en vigueur, d’ici peu, est des plus avantageux pour le public ; c’est le meilleur éloge qu’on en puisse faire.
- Le mandat n’est plus remis à la personne qui expédie 1 argent ; cette dernière retire seulement un reçu, et c’est l’administration des postes qui se charge de faire parvenir la somme au destinataire.
- Le détournement devient donc impossible, puisque la poste prend la responsabilité absolue de l’expédition.
- Voilà donc un premier point établi.
- Arrivée à destination, la somme que réprésente le mandat est remise au facteur chargé de faire la distribution des lettres dans le quartier ou la localité habitée par le destinataire.
- Ici la formalité du paiement est des plus simples : se rendant au domicile du destinataire, il est facile au facteur de contrôler son identité. Il verse la somme, retire un reçu et c’est tout.
- Le destinataire n’a donc plus à se déranger, il n’a pas à attendre au lendemain, il ne perd pas de temps, il est toujours certain de toucher ; car, on le voit, avec ce procédé le détournement ne peut être commis que très-difficilement.
- Enfin, aussitôt que la somme a été versée au destinataire, avis en est donné à l’expéditeur, lequel dans le délai de cinq jours au plus se trouve avoir le reçu de la somme expédiée. Ce dernier détail a bien son importance, ne serait-ce qui pour les pères de famille, ear combien de parents envoient des mandats à leurs fils, et ne reçoivent l’accusé de réception qu’un mois ou deux après avec une nouvelle demande de fonds !...
- Les ouvriers mineurs. — La commission des mineurs a entendu les délégués ouvriers sur la question des caisses de retraite et de secours.
- p.216 - vue 219/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 217
- M. Rondet a porté la parole et a examiné tous les articles : du projet. 11 a demandé que les redevances payées par les Compagnies à l’Etat fussent l’objet d’une retenue de 10 O/o, s’ajoutant à la retenue de 5 O/o des ouvriers et à la contribution de b O/'o des patrons.
- Il serait ainsi versé annuellement 100 francs, en moyenne, par mineur, moitié à la Caisse de retraite de l’Etat, avec livret individuel, et moitié à la Caisse de secours.
- . En cas d’infirmité avant l’âge prévu, la retraite serait liquidée proportionnellemnnt,
- M. Rondet a demandé aussi quelques nouvelles dispositions pour assurer le secret du vote pour l’élection des administrateurs des caisses.
- On croira sans peine que les réclamations de M. Rondet ont provoqué l’étonnement des membres de la commission .
- 1 es plus avancés jusqu’à ce jour avaient toujours pensé aux caisses de retraites, mais jamais aux moyens de les pourvoir. Quelques-uns se sont apitoyés sur le malheureux sort des pauvres propriétaires des mines. Nous comprenons cette sensibilité ; nous demandons qu’on ne leur réclame pas un sou pendant leur vie ; sauf à exiger après leur mort toutes les retenues d’un seul coup.
- * *
- Les Conventions. — Voici la résolution qui a terminé l’interpellation relative aux chemins de fer.
- La Chambre, prenant acte de la résolution du gouvernement :
- 1° De poursuivre activement des négociations avec les compagnies de chemins de fer et notamment avec le P.-L.-M. en vue de l’amélioration des tarifs actuellement en vigueur ;
- 2° De constituer la commission prévue par les lettres des compagnies annexées aux conventions de 1883, relatives à la révision des tarifs intéressant le régime douanier du pays ;
- Décide que la commission parlementaire des chemins de fer, qui sera portée à 44 membres par la nomination de 11 membres dans les bureaux, sera chargée de proposer les mesures législatives propres à fortifier les droits et l’action de l’Etat en matière de chemins de fer.
- Un bon billet ; les 44 commissaires en feront autant que les 33 déjà nommés, à moins que l’on dénonce les conventions.
- * *
- L’emprunt. — Nous avons lu toutes les dépositions des membres de la commission du budget, à l’occasion de l’emprunt. Tous, excepté un, n’ont pas su sortir des banalités ordinaires.
- M. Allain-Targé estime à 150 millions le supplément de ressources nécessaires au budget. Il accepte la surtaxe de l’alcool, mais ne voudrait pas supprimer le droit de détail. Enfin, il compléterait la mesure en augmentant le droit sur les successions en ligne collatérale.
- Peut-être que les travailleurs, lorsqu’ils auront vu les gouvernants modifier les lois de l’hérédité pour, combler les gaspillages et les déficits d’une politique insensée, apprécieront qu’on peut agir de même pour leur donner quelques garanties.
- BELGIQUE
- Les exploits de la Jacquerie ouvrière, en Belg ique, vien-
- nent de donner une poignante actualité à la question du racha des mines.
- Le journal belge, la Réforme, indique une solution dont l’adoption assurerait la pacification sans léser les intérêts de possesseurs des mines. On ne voudra pas la prendre en considération, parce qu’en même temps elle mettrait fin pour toujours aux espérances des spéculateurs.
- Voici la proposition de notre confrère :
- En Belgique, en ce qui concerne les charbonnages, le salut public est d’accord avec la justice et même avec la loi,
- Les charbonnages sont une propriété de nature spéciale, concédée par l’Etat.
- La loi de 1810 les soumet à l’expropriation publique dans les mêmes conditions que les autres propriétés, pour cause d’utilité générale.
- L’opération est simple ; jamais elle ne sera moins onéreuse.
- Fin décembre 1885, la valeur de toutes les actions de charbonnages du pays ne dépassait pas cent trente millions de francs.
- Les bénéfices réalisés, même actuellement, par les charbonnages permettent, tout en augmentant d’un quart au moins les salaires, de servir à raison de 3 1/2 et même 4 O/o la rente nécessaire pour opérer le rachat.
- Les charbonnages seraient exploités aussi par les syndicats ouvriers dans des conditions bien plus économiques et avec plus de sécurité que dans l’état actuel.
- Cette solution simple, humaine et nécessaire, conjurerait la guerre sociale qui nous menace.
- Trêve à toutes dissensions politiques !
- Le ministre qui saura prendre la grande et généreuse résolution aura acquis des titres inoubliables à la reconnaissance publique
- La responsabilité d’une telle mesure est moins lourde que celle de ne pas l’adopter sur l’heure.
- ALLEMAGNE
- Bismarck n’est pas content, et i! le dit en ces termes :
- « Il est certain cependant que les idées apportées dans les pays étrangers à l’ombre du drapeau français de 1192 furent je levier intellectuel et puissant des victoires des Français.
- « Qui vous dit que, si nous devions avoir de nouveau la guerre avec ce pays, les drapeaux de l’armée ennemie ne seraient pas des drapeaux rouges portant haut l’idée socialiste.
- « Aujourd’hui, l’armée française est en face du mouvement àDecazeville ; mais nous ne savons pas si nous devons plutôt tenir compte de ce fait qu’elle lient ce mouvement en échec ou des indications parties du banc ministériel, où l’on nous a dit que le soldat d’aujourd’hui est l’ouvrier de demain et l’ouvrier d’hier est le soldat d’aujourd’hui. Nous ne savons pas qui, dans ce mouvement, remportera finalement la victoire en France.
- «Bref,si de nouvelles grandes secousses européennes devaient survenir, elles seraient beaucoup plus compliquées que celles qui sont derrière nous, et elles auraient certainement un caractère international.»
- * *
- Les socialistes. — Le Reichstag s’est occupé de la prolongation de la loi contre les socialistes.
- p.217 - vue 220/838
-
-
-
- 218
- LE DEVOIE
- Un député socialiste de Berlin, Finger, a raconté un fait qui a produit une vive sensation, et a soulevé l’indignation de ! l’assemblée contre M. de Puttmaker, ministre de police, cousin de Bismarck.
- Voici ce dont il s’agit :
- Un employé de la police de Berlin, un nommé Ihving, se fit, il y a douze ou treize semaines, recevoir membre d’un groupe socialiste, sous le faux nom de Malhow. Mal-how jouait à l’ultra révolutionnaire, ce qui éveilla les soupçons. Ce policier en vint à se confier à l’un des membres du groupe, lui offrit une forte somme d'argent pour organiser un attentat contre la vie de l’empereur, une explosion de dynamite, ce qui aurait servi de motifs pour la prolongation delà loi contre les socialistes.
- Ce Melhow fut expulsé du groupe, non sans avoir reçu une correction qui lui valut trois semaines de traitement à l’hôpital.
- M. de Puttmaker s’est mal défendu d’employer des agents provocateurs. Des bancs de la gauche et du centre, on lui a crié : « Vous êtes responsable de ce coquin.! »
- Mais, malgré tout, le Reichstag votera la prolongation du Socialistengezets.
- ANGLETERRE
- La misère ouvrière et l'agitation socialiste fomentent des manifestations toujours plus menaçantes. M. G1 adstone commence à être délaissé par une partie des politiciens qui avaient contribué à le ramener au pouvoir. Son intention formelle d’exécuter les promesses faites aux Irlandais éloignent de sa politique les timides et les intrigants qui ont fait semblant d’afficher des opinions libérales et qui, en réalité, ont toujours eu l’intention de servir les idées conservatrices.
- AMÉRIQUE
- Laissons parler le Patriote de St-Louis.
- « La situation aux Etats-Unis semble empirer chaque jour. A. moins d’être aveugle, on ne saurait nier que nous sommes à la veille d’une révolution sociale. La lutte, sourde jusqu’à présent entre le capital et le travail, est arrivée à un tel point que l’on peut s’attendre à voir commencer les hostilités d’un jour à l’autre. Et quand nous disons, hostilités, ce n’est pas simplement de grèves paisibles comme celles que nous avons à l’état permanent depuis quelque temps entre telle ou telle usine, et telle ou telle compagnie de chemin de fer et leurs employés, c’est d’une grève générale dans laquelle se décidera le sort de l’ouvrier.
- « L’ouvrier s’est organisé, il connaît sa force et celle de ceux qui cherchent à l’exploiter, aussi c’est à armes égales que la lutte aura lieu.
- « De concessions partielles, il n’en veut plus. Ce qu’il demande, c’est l’émancipation complète et définitive du travailleur : c’est qu’il ne soit plus soumis aux caprices des grands capitalistes qui, sous prétexte, par exemple, de concurrence, abaissent les prix de la main-d’œuvre, mais se gardent bien d’abaisser leurs traitements comme présidents ou directeurs, pas plus que les dividendes de leurs actionnaires.
- ENQUÊTE AUX ÉTATS-UNIS SUR LES RAPPORTS DU TRAVAIL ET DU CAPITAL 0)
- Commentaires sur l’Enquête.
- Les félicitations les plus vives sont adressées de tous les points des Etats-Unis à The Age of Steel, pour l’initiative qu’il a prise dans l’ouverture de cette enquête et les utiles conclusions qui. doivent en résulter.
- Nous donnons ci-dessous quelques unes de ces appréciations :
- M. G. M. Steele, Président de l’académie de Wesleyan et membre du conseil de l’association américaine économique écrit à « Y Age d’Acier» :
- € Vous rendez au pays un immense service. »
- Le professeur Richard T. Ely : « Je suis avec « le plus grand intérêt les vues concernant le ca,pi-« tal et le travail exposées dans votre journal. Vous « faites une œuvre de grande valeur en présentant « au public l’opinion des plus grands penseurs sur « ces sujets. Le grand besoin de l'heure actuelle « c'est la lumière et vous vous efforcez de la <l fournir. »
- L’honorable John 0 Neil, président du Comité du travail écrit : « Je ne doute pas que le Comité « tirera profit des dépositions lucides et bien com-« prises fournies à l’Enquête ouverte par votre « journal. »
- Le Républicain de Springfteld, Mass, s’exprime en ces termes :
- Tous les hommes éminents qui ont déposé à « l'Enquête, à l’exception d’un petit nombre de « manufacturiers qui ne voient aucun changement c< pratique à introduire dans l'état actuel des cho-« ses, sont d’accord au moins sur ce point que « l’arbitrage serait un mode pratique de solution « des différends entre patrons et ouvriers, jusqu'à « ce qu’on soit arrivé à la détermination d’une t juste base pour la répartition des bénéfices de la « production.
- « Beaucoup de manufacturiers exposent com-« ment la répartition actuelle leur semblant manie quer de justice, ils ont appelé leurs ouvriers à « participer à une certaine part des bénéfices. Mais « les avis ne sont pas d’accord sur le mode qui I « conviendra le mieux à l’organisation vraie du | « régime industriel ; les avis flottent entre le systè-i
- î ----------------------—
- I (1) Lire le Devoir depuis le numéro du 1 février 1886
- p.218 - vue 221/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 219
- a me de la coopération productive et celui des « sociétés industrielles faisant part au travail.
- « Le trait le plus satisfaisant de l’Enquête est « que parmi les manufacturiers eux-mêmes qui « sembleraient devoir être les plus disposés à ne « consentir aucun changement, tous les déposants € reconnaissent qu’il y a quelque chose h faire et « qu’on ne peut se croiser les bras. »
- The journal des Mines de Marquette (Michigan), après un sérieux examen des dépositions faites à TEnquête, dit :
- « Les communications fournies par The Age of « Steel sont de la plus grande valeur et le numéro « du journal qui les contient devrait être dans les « mains de quiconque s’intéresse au problème du « travail.
- Nombre de journaux américains nous l’avons déjà dit, reproduisent l’enquête.
- * *
- The Age of Steel et T Association du Familistère.
- The Age of Steel » du 13 mars nous arrive avec un article intitulé : M. Godin et le Familistère.
- L’auteur expose, comme appoint aux documents enregistrés à l’Enquête, les laits principaux de l’Association du Familistère sur lesquels nos lecteurs sont complètement renseignés.
- Il signale également que le journal le Devoir reproduit presque en entier les dépositions faites à l’Enquête.
- * *
- Suite des dépositions.
- Déposition du Rév. docteur Samuel J. Nicolls pasteur de la seconde église presbytérienne, à St-Louis.
- Les questions posées par vous sont du caractère le plus radical et visent à la solution de l’un des plus importants sujets du moment. Les relations entre capital et travail ont dans le passé une triste histoire. D’un côté, nous voyons une monstrueuse tyrannie et une énorme richesse de l’autre, la pauvreté et l’esclavage. Capital et travail ne cesseront d’être, il est donc du devoir des philanthropes chrétiens de chercher à organiser entre ces deux forces des relations équitables.
- Quelques progrès ont été accomplis et nous commençons à voir qu’il faut faire quelque chose de plus, nos plans d’amélioration seraient-ils même imparfaits. Je passe à vos questions :
- 1° — Les grèves et fermetures d’atelier me semblent être les fruits accidentels de la présente condition des affaires. Elles sont parfois justifiables comme peuvent l’être les révolutions dans les sociétés, mais dans la plupart des cas ce sont des tentatives aveugles et mal entendues de remédier aux torts sociaux.
- Les grèves engendrent entre le travail et le capital plus de mauvais vouloir et de pertes de temps qu’elles n’assurent de bien aux deux parties.
- 2° — L’arbitrage m’apparaît comme la meilleure des méthodes d’éviter les froissements entre le travail et le capital. Il cherche à résoudre les difficultés non par la force mais par le bon sens et l’équité
- Nous avons reconnu la valeur de l’arbitrage pour éviter les guerres entre nations, pourquoi ne produirait-il pas des résultats également bons dans la solution des 'conflits entre capital et travail ?
- 3° — Nous devons certainement espérer qu’on arrivera à découvrir quelque base satisfaisante et équitable de répartition des bénéfices de l’Industrie.
- Mieux nous arriverons à comprendre les relations d’homme à d’homme et la loi de vérité et : d’amour qui doit prévaloir en tout, plus nous I serons disposés à condamner tous les monopoles et toutes les oppressions. Quant à moi, je crois que la fidèle application des enseignements de l’Evangile à toutes les relations de la vie conduirait à une équitable répartition des produits du travail.
- 48, 5° — La coopération me semble destinée à faire beaucoup pour la solution des conflits entre Capital et travail, et sa praticabilité aux Etats-Unis comme ailleurs me paraît démontrée par son histoire même.
- Certainement, des chefs d’industrie au cœur magnanime imagineront quelque base de répartition faisant équitablement la part au capital et au travail et rendant à ce dernier l’honneur qui lui est dû.
- Si les travailleurs pouvaient être amenés à ressentir qu’ils sont personnellement intéressés à la prospérité des industries où ils trouvent emploi, Ms seraient naturellement plus soigneux, laborieux et prévoyants.
- Capital et travail gagneraient tous deux à l’institution du régime de la coopération. Cependant* le problème n’est pas de solution aisée. Il faudra
- p.219 - vue 222/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 2 20
- beaucoup de temps et d’expérience pour y arriver.
- * *
- Déposition de M. Matt. J. Simpelaar Esq. commissaire du Bureau des statistiques de Visconsin.
- d» — Les grèves et les fermetures d’atelier, traits caractéristiques du salariat, se produiront tant que le régime industriel actuel ne sera remplacé par un autre établissant entre le travail et le capital des relations véridiques, comme par exemple celles qui existent entre fabricants et commerçants.
- 2°— Je désire ardemment qu’on ait recours à l’arbitrage [tour résoudre les conflits actuels entre Capital et Travail, mais je ne considère pas l’arbitrage comme un moyen permanent d’accord, à moins que les décisions des arbitres ne soient légalisées et rendues exécutives comme celles des jurys.
- 3° — Je crois qu’une base équitable et satisfaisante pour la répartition des bénéfices de l’Industrie est découverte depuis longtemps, mais qu’elle a peu de chance d’ici à cent années de remplacer le système actuellement en vigueur.
- 4° — L’Association industrielle offrirait un remède aux maux qui troublent nos sociétés. Mon plan serait de déterminer par avance l’intérêt à payer au capital placé dans les affaires, puis, de répartir également les bénéfices entre le capital et le travail.
- 5° — C’est seulement dans la voie indiquée ci-dessus que la coopération industrielle me paraît praticable.
- *
- ♦ ♦
- Déposition de Vhonorable. Frank A. Flower, Commissaire des statistiques du travail pour l’Etat de Visconsin.
- 1° — Tant qu’il n’y aura pas de changement radical dans la civilisation, une attention générale et mutuelle à l’instruction et au bien-être de tous les membres de la société, les conflits entre travailleurs et capitalistes se produiront.
- Mais, je pense, malgré la fréquence croissante des grèves dans un pays aussi vieux que l’Angleterre, qu’ici en Amérique le capital et surtout le Gouvernement concéderont, graduellement, au travail plus d’avantages, et qu’avec le temps ces deux élémenis producteurs: travail et capital, inséparables dans le succès comme dans le revers,
- s’entendront et marcheront unis au grand profit de la prospérité générale.
- 2° — L'arbitrage résoudra beaucoup de dissentiments, mais il n’en préviendra que peu ou pas. Or, ce dont nous avons besoin, c’est de prévenir les grèves. Cela ne peut venir de l’extérieur ni de tierces parties ; un grand développement de la sollicitude mutuelle et des bons sentiments entre palrons et ouvriers peut seul atteindre ce résultat; le patron doit apprendre à considérer l’ouvrier comme un être humain semblable à lui, doué d’un même cœur, de mêmes espérances, ayant, lui aussi, de l’ambition, des désirs, des peines et des affections; et l’ouvrier, de son côté, doit cesser de haïr le patron, de lui porter envie, de le railler, parce qu’il est riche. La pauvreté honnête n’est pas une humiliation; la richesse honnête n’est pas un crime.
- 3°, 4°, 5" — Les questions 3° et 4° se confondent dans celleN°5 : La coopération productive est-elle pratique aux Etats-Unis ?
- Je la crois pratique si elle est bien administrée, mais pas entre ouvriers seuls. Il faut qu’il y ait quelque forme de coopération entre le travail et le capital. L’ambition, la jalousie, le mécontentement empêcheront la coopération de fonctionner parmi ceux qui n’ont d’autre capital que leur labeur et leur talent.
- Il y a plusieurs difficultés pratiques à la coopération entre le travail et le capital, telle qu’elle est généralement comprise ; la principale est la répugnance des ouvriers à participer aux grosses pertes avec le capital, en travaillant à de faibles salaires et sans profits durant les périodes de crises commerciales. D’autres difficultés résultent de la méfiance entre travailleurs, de leur manque d’instruction, de leur ignorance des procédés et méthodes absolument indispensables au succès des directions.
- Un système de participation aux bénéfices sur une base déterminée est le seul qui puisse, selon moi, obtenir un succès convenable dans ce pays, et cela ne sera pas toujours satisfaisant.
- 11 faudra déterminer par avance, d’une part les salaires à payer au travail, et d’autre part les intérêts à compter au capital; le surplus des profits, après paiement des salaires et intérêts et des dépenses courantes, sera réparti entre capitalistes et travailleurs selon mutuel accord.
- Mais, en supposant même la généralisation d’un tel état de choses, la question sociale ne serait pas encore résolue. Certain ouvriers travailleront
- p.220 - vue 223/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 224
- loyalement, d'autres rechigneront à la besogne Les uns seront économes, les autres dépensiers et destructeurs. Sous tous les systèmes, il existera des gens ardents à l’ouvrage, poussant de l’avance et d’un autre côté des sortes de parasites.
- La loi ne peut décréter que les hommes recevront de hauts salaires sans les avoir gagnés; aucune organisation ayant pour but d’agiter l’opinion publique, de provoquer des grèves, de relier les hommes en corps ne peut faire que les hommes soient tous et à toujours laborieux contents et prospères.
- Dans chaque famille des frères commencent leur carrière avec des ressources égales, et dans de mêmes conditions. L’un s’élève, l’autre s’abaisse, un troisième vit au jour le jour, allant d’une place aune autre, comme un être sans gîte ; la loi ou la coutume peuvent-elles rien changer à cela ?
- Aucun système ne peut modifier du jour au lendemain les dispositions humaines, mais je pense que la participation des ouvriers aux bénéfices développerait le contentement général et la prospérité publique et ferait beaucoup pour prévenir les grèves et les fermetures d’atelier.
- Si cela doit être, qu’on arrive à ce système, le plus tôt possible, ce sera le mieux !
- A suivre.
- -------------------. , ♦ » -------------------
- LA COOPÉRATION
- parmi les pêcheurs chinois.
- On lit dans la Coo-pérative News:
- On est encore très peu au courant des idées et des coutumes de l'empire chinois.qui possède la plus ancienne civilisation du monde et qui est peuplé à un degré de densité inconnu au monde occidental. M. Maurice Jametel vient de publier un agréable petit volume qui révèle quelque chose de la « Chine inconnue » (Paris, librairie de l’art). L’auteur est un homme du monde en même temps qu’un érudit ; il décrit avec un esprit égal les librairies et les pêcheries du Céleste Empire.
- Il arrive même à traiter ensemble les deux sujets et, dans son récit plein d’humeur raille les étranges méprises faites par les artistes chinois dans leurs reproductions de poissons et de monstres fabuleux, qui sont les produits de leur imagination fantastique. Ils affirment que les grenouilles n’ont que trois pattes et que les homards en ont une telle quantité que la patience de Job s’épuiserait à les compter.
- Les coopérateurs seront plus intéressés en entendant parler des pêcheurs que des poissons.
- La principale station de pêche est au sud deSivataw. Dans les cas fréquents où le mauvais temps, et diverses autres causes retiennent les pêcheurs à terre, ils se consacrent à de
- petites industries pour lesquelles ils utilisent les matières premières venant de la mer. Les difficultés de leur position ont conduit ces pêcheurs à s’associer pour se défendre de la rapacité des mandarins et se prêter un appui amical les uns aux autres.
- A Haïmeun, prés de Sivatow, ils sont constitués en une puissante confédération.
- Ils ont une grande salle dans laquelle ils se réunissent pour discuter leurs affaires et leurs intérêts, et possèdent un local où le poisson est pesé et vendu en présence d’un maître contrôleur des poids.Les pêcheurs ont, non loin de leur salle de réunion, un temple où ils offrent des sacrifices avant de partir pour leurs recherches dangereuses et incertaines. Ils ont organisé des divertissements et fourni leur concours à des représentations théâtrales, à l’instar des vieilles guildes anglaises. Ils ont créé une coopération industrielle sous une forme que M. Jametel décrit.
- Les plus importants compagnonnages emploient 2 jonques, chacune portant 15 hommes, et 45 bateaux avec trois hommes ; ainsi, chaque compagnie aura 47 bateaux et 175 hommes.
- On nomme un chef et intendant. Ce dernier tient les comptes et vend les produits. La méthode suivie pour la répartition des produits varie dans différentes localités et même dans les différentes compagnies de la même localité. Dans les plus grandes compagnies de Sivatow, sur 10,000 nets de profits, 1,800 servent à l’entretien des bateaux et des filets, 250 seront dépensés en sacrifices, 300 distribués aux domestiques non actionnaires, 400 sont le profit du iimonnier, le restant sera partagé en deux parts de 3,625 francs chaque, une de ces parts ira au capitaine,l’autre sera partagée en parts égales pour les marins. Dans les plus petites compagnies, les profits sont divisés en quinze parts égales. Une est consacrée aux frais des saciifices, quatre sont pour le capitaine et deux pour chacun des marins. Il semble regrettable que des hommes ayant développé un compagnonnage industriel aussi i ngénieux rfaient poussé la chose plus loin et ne soient pas devenus les propriétaires des équipages de pêche au lieu de se borner à en être les locataires.
- Les efforts faits dans divers pays par ceux qui créent la richesse pour arriver à jouir d’une juste part dans les profits de leur production sont intéressants à observer. Nous leur souhaitons un succès plus grand dans l’avenir.
- MAITRE PIERRE
- Par1 Edmond ABOUT
- ( Suite )
- X1Y
- Promenade en bateau sur l’herbe.
- Voyez-vous, monsieur, me disait-il en ramant sur l’étang deLaugrame, m’est avis que les rois des hommes sont ceux qui ont laissé quelque chose de bon derrière eux. Ce n’est pas la peine de venir au monde si nous devons le quitter comme il était avant nous. La terre d’ici — bas devait être une rude pétaudière au temps que leshonr mes n’avaient pas encore mis la main à la pâte; je suis
- p.221 - vue 224/838
-
-
-
- 222
- ' LE DEVOIR
- bien aise de n’avoir pas vécu dans ces jours-là; car enfin, les maisons ne se sont pas faites toutes seules,non plus que les fusils pour tuer les loups.On ne trouvait certainement pas des arbres à revendre, car il faut se donner du mal pour faire pousser un arbre. Je suppose qu’il s’est rencontré de temps en temps des gaillards dans mon genre et c’est heureux pour l’espèce. L’un aura tué les loups à coups de bâton; l’autre aura construit une baraque; un malin aura fabriqué la serrure. Un frileux a cousu les habits, tandis qu’un affamé faisait du filet pour les pois-sons. Gelui qui a inventé le pain et celui qui a planté la pomme de terre ont sauvé la vie à autant de familles qu’un évêque en bénirait. Pour ma part, j’aurai fourni du bois, de la viande et du pain à cinquante mille hommes, mais je veux qu’ils le sachent, mordioux ! Si je savais les noms de tous les vieux inventeurs, je les mettrais tous ensemble dans un bout de prière que je dirais soir et matin. Ils ont eu la sottise de se laisser oublier, mais moi, pas si bête! »
- Il se pencha sur l’eau, arracha un piquet phnté par les pêcheurs, et poursuivit:
- « Vous n’avez jamais réfléchi combien il y a de gens qui vivent et meurent inutiles ? J’excuse les pauvres ; quand on a tiré le diable par la queue durant une soixantaine d années, on a le droit de se croiser les bras entre quatre planches, et c’est un repos bien gagné. D’ailleurs les pauvres ne sont jamais entièrement inutiles, attendu qu ils sont forcés de travailler. Un tourneur en chaises ou un ouvrier en boutons de guêtres laisse après lui de quoi asseoir ou équiper la génération suivante. Mais les trois lieaux messieurs d’hier n’en feront jamais autant. Et cependant, s’ils voulaient m’entendre, je leur fournirais une bonne recette et je leur apprendrais un jolie secret pour ne pas mourir inutiles. Chaque fois qu’il vous arrive un enfant, vous pensez à son avenir, n’est-ii pas vrai? Si c’est ungarçon, il faudra une bonne somme pour l’établir; si c’est une fille, il n’est jamais trop tôt pour s’occuper de la dot. On économise donc. Autrefois, on plaçait quelque louis d’or dans une tirelire; on rechargeait la somme tous les ans, et le jour où l’enfant était grand, le magot voyait le soleil. C’était une bonne idée, mais un peu bête aussi, comme toutes les vieilles choses. Maintenant on fait mieux : on donne trois ou quatre mille francs à une compagnie d’assurances, et si l’enfant vient à bien jusqu'à vingt et un ans , la compagnie vous rend trois ou quatre fois ce que vous avez donné. Mais si l’enfant déménage pour l’autre monde, ce n’est ni son frère ni sa sœur qui hérite de lui; c’est la compagnie. Et d’ailleurs que sort-il de toutes ces affaires-là? De l’argent et pas autre chose.C’est des pièces de cent sous qu’on met ensemble pour leur faire faire des petits. Ah ! monsieur, si l’on m’en croyait! le père de famille, cha-
- que fois qu’il lui nait un enfant, achèterait un terrain stérile, marais, lande ou rocher, dans la proportion de ses moyens depuis un are jusqu’à mille hectares, et il y planterait des arbres. De cette façon, la dot des enfants pousserait avec eux, et les bambins deviendraient riches à mesure qu’ilsase feraient hommes. Ils n’en vivraient ni plus ni moins longtemps, mais au moins ils ne mourraient pas inutiles puisqu’ils laisseraient quelque chose après eux. Essayez de ma méthode, elle peut s’appliquer partout, car il y a partout, des terrains incultes. Vous verrez qu’avant cent ans la terre entière sera semée ou plantée; personne ne manquera de rien ; le bois, le pain et les fruits seront en telle abondance, que les hommes en auront de reste et qu’il faudra en exporter dans la lune.
- — C’est bien parlé,mon ami, dis-je au rêveur; mais permettez moi d’interrompre votre poésie par une question en prose. Je ne vois pas où nous allons!
- — Où nous allons? repliqua-t-il avec sa vivacité méridionale; où nous allons? mais au progrès, au bonheur des riches, à la satisfaction des pauvres, au mieux de toutes choses/
- — Vous ne m’entendez pas. Je vois bien où vos idées peuvent nous conduire; mais votre bateau va nous jeter à la côte. Passez-moi la gaffe, ou nous échouons! »
- Il sourit silencieusement: N’ayez pas peur, dit-il, et ramez toujours. Encore deux bons coups! Là! nous voici dans le chenal et nous allons naviguer sur l’herbe. Laissez aller les avirons; je me charge de tout. »
- Quoiqu’il parlât avec son assurance accoutumée, je ne pus m’empêcher de jeter autour de nous un regard inquiet. Entre l’étang de Langrane et celui d’Hourbieil, le chenal, plus tortueux que jamais, est entièrement caché sous les herbes. Il faut avoir l’œil de faucon, tant prôné chez les sauvages, pour lire les sinuosités du chemin à travers cette plaine uniformément verte. A peine un reflet d’argent échappé entre les larges feuilles des nénu-fars annonce-t-il de temps en temps la présence de l’eau. Cependant le bateau marchait; les joncs et les roseaux se couchaient sur le passage de la proue, et nous avancions lentement, sans autre moteur que l’instinct et la gaffe de maître Pierre. Marinette embarqua le gouvernail, qui n’aurait servi qu’à nous retarder en s’accrochant aux grandes gerbes. Cette promenade dura tout près d’une heure, et, quoiqu’elle fût assez originale pour me séduire, je respirai du fond des poumons en débouchant dans l’étang d’Hourbieil. Maître Pierre me fit admirer les avantages de son bateau, qu’il avait cons trait lui-même pour tous les usages. C’était la seule embarcation du pays qui pût naviguer indifféremment sur les étangs, les marais et le bassin d’Arcachon, à la gaffe, f à la rame, à la voile et par tous les temps imaginables.
- p.222 - vue 225/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 223
- Ce bateau propre à tout avait emprunté quelque chose de la physionomie de son maître; aussi les Landais savaient-ils le reconnaître de loin. Et cependant aucun constructeur du pays n’avait encore songé à le prendre pour modèle, quoique maître Pierre ne fût avare ni de ses bras ni de ses conseils. En cela, comme en toute chose, la routine tenait tète au progrès.
- L’Avenir déboucha triomphalement dans l’étang de Langouarde. Il était onze heures du matin. Durant une longue traversée, nous n’avions aperçu à l’horizon que le clocher du Porge. L’église de Lège commença à poindre devant nous. Marinette remit le gouvernail, et Maître Pierre hissa la voile.
- « En trois bordées, me dit-il, nous serons à terre et vous toucherez à la dernière limite de nos marais. Je vous ai dit que les eaux s’étaient creusé un lit naturel jusqu’au bassin d’Arcachon. L’étang et les marais de Lillet sont complètement desséchés grâce à cette circonstance, et les marais de Langouarde sont même un peu soulagés. Vous verrez par vos yeux comme la terre de nos bas-fonds devient belle et bonne, dès quelle est débarassées de la présence des eaux, »
- Je m’apprêtais à cette vérification, et nous n’étions plus qu’à un demi-quart de lieu du bord, lorsqu’un choc violent m’ébranla des pieds à la tète. Le bateau recula brusquement comme si une baleine l’avait frappé d’un coup de queue, et au même instant un jet d’eau gros comme le bras jaillit au milieu de nous. Marinette poussa un cri, je me sentis pâlir; nous allions sombrer sous voile. Maître Pierre aracha sa veste, s’accroupit au fond de la barque et se mit à aveugler la voie d’eau en lançant une bordée de jurons à l’adresse des pêcheurs d’anguilles qui laissent traîner leurs pieux dans les étangs.
- Il se planta debout au milieu de la barque, et appuya de tout son poids et de toute sa volonté sur le lambeau de laine qui nous séparait du nauffrage. L’eau soulevait sa veste et montait rapidement malgré tous ses efforts. Je voyais approcher le moment où nons serions tous à la nage, et, pour plus de prudence, j’ôtai ma cravate et mon paletot. Marinette tenait le gouvernail, moi l’écoute; nous étions tous dans l’eau à mi-jambe, et le bateau appesanti ne marchait pas vite, quoique la brise eût fraîchi. A deux cents métrés du rivage, au milieu même d’un danger assez pressant, je ne pouvais m’empêcher d’admirer maître Pierre, trépignant sur l’élément maudit qu’il avait combattu depuis l’âge d’homme. Cet accident ridicule m’apparaissait comme le duel du cinquième acte où les dramaturges du boulevard ménagent, avec leur habileté bien connue, un coup d’épée pour le vice et un feu de Bengale pour la vertu.
- Vous ne savez donc pas nager? » lui dis-je à cinquante brasses du bord. ’
- Il répondit d’un ton qui cachait mal son angoiss e: Moi! je nage comme un liège. Mais elle ne sait pas. »
- Elle lui lança un regard où la reconaissance et l’amour avaient plus de part que la crainte du danger. « Vous m’aimez donc? » dit-elle. Le singulier petit homme ne répondit que par le juron de son père le sergent: » Touche pas! ça brûle! »
- Marinette ne fit point d’objections. La petite sauvage mit la barre à tribord, sans prévenir personne. Le bateau tourna à moitié sur lui-même, la voile battit contre le mât, maître Pierre perdit l’équilibre, l’eau monta jusqu’au bord, et je me sentis couler tout doucement.
- Je vous avouerai entre nous que je sais nager pour un, mais non pour deux, et que je serais assez médiore dans le rôle des chiens de Terre-Neuve, Je gagnai la rive en ligne directe, fort empêché de mon paletot qui me suivait à la remorque, et je m’intéressai au sort de mes compagnons quand je fus rassuré sur le mien. Il n’y a pas de philanthropie qui tienne : le premier mouvement est toujours égoïste. On commence par gagner le bord, quitte à se remettre à l’eau pour pêcher les autres.
- Mais les autres h irent pied à terre aussitôt que moi. Marinette avait une belle occasion de s’évanouir : elle n’en profita point. Je la vis rajuster ses vêtements en silence, tandis que maître Pierre se secouait pour se sécher. Le bateau n’était pa^ loin du rivage; on voyait la pointe du mât à la surface de l’étang.
- « C’est peu de chose me dit maître Pierre. Sans une fausse manœuvre que j’ai faite, ça ne serait rien du tout.
- — Mais vous ne manœuvriez pas, lui dis-je.
- — Si, si; je me suis penché du mauvais côté.
- En route, s’il vous plaît! Il y a bon feu à la forge de Lège; nous y sécherons nos habits,
- — Maître Pierre, lui dis-je en prenant son bras, ce n’est pas moi qui ai cherché cette occasion de m’immiscer dans vos affaires; mais, puisque vous me traitez en vie le ami, j’nserai librement du privilège que vous m’avez donné.
- — Mon.ami, répondit-il avec une bonhomie serrée, les vieux forestiers des dunes ont un proverbe sur l’arbre et l’écorce, et je....
- Il suffit; cependant...,
- — Demain, tant que vous voudrez. Aujourd’hui nous avons encore à causer d’affaires sérieuses. Je ne soffri-rai pas que vous perdiez votre temps qui vaut cher. Le mien a également son prix. C’est pourquoi, promenons noas comme trois bons amis le long du chenal de Lège, »
- Il me fit voir un pays assaini comme par miracle depuis que les eaux l’avaient abandonné. La terre était bonne sur les deux rives et bien cultivée en bois ou en céré-les, partout où elle appartenait à des particuliers. Il
- p.223 - vue 226/838
-
-
-
- 224
- LE DEVOIR
- m’arrêtait tantôt devant une prairie, tantôt sur la lisière d’un champ de pommes de terre. Lorsque nous rencontrions une vaste étendue de terres incultes, il me disait :
- « Vous n’avez pasbe^in de me demander le nom du propriétaire, vous êtes sur le communal.» 11 attira mon attention sur une lande immense en largeur et en profondeur, et m’appritqu’elle s’étendait jusqu’aux portes de Bordeaux.« N’est-ce pas un meurtre? disait-il. Si demain tout cela était à vendre, je trouvrais cent acquéreurs
- pour un, et le défrichement serait commencé dans huit jours. »
- Les ouvriers de la forge nous aidèrent à sécher nos habits devant le haut fourneau. Maître Pierre me conta que le minerai des landes était pauvre, comme toutes ^es productions du pays, et qu’on le mélangeait pour le fondre avec du minerai d’Espagne. Il m’expliqua que ce bel établissement, si utile à cette distance de Bordeaux, n’aurait qu’une existence précaire tant que le cours d’eau qui l’alimente ne serait pas réglé; et revenant à son canal, comme Panurge à ses moutons, il me promit de fournir l’eau à autant d'usines qu’on voudrait faire.
- Le Bassin d’Arcachon
- La forge de Lége est assez loin du village; maître Pierre nous donna juste le temps de nous y reposer, il nous conduisit dans la direction du clocher, le long des bords du chenal, sans nous arrêter plus de deux fois en route. Ce fut d’abord pour m’offrir un échantillon de piballe, ensuite pour me faire admirer le moulin neuf de M. Lafont. La piballe, qui remontait alors de la cour aux étangs, n’est pas autre chose que dufraid’anguilles. Mon guide plongea son béret dans l’eau et le ramena à moitié pleine de petites ficelles animées qui se tordaien^ activement sur elles-mêmes. Ces anguilles microscopiques, lorsqu’il leur est permis de croître à loisir, deviennent quelquefois aussi grosses que le bras d’un enfant. Mais les Landais coupent leur blé en herbe, et toutes les fois qu’ils peuvent ramasser une panneréede piballe fraîche, ils la donnent en pâture à leurs poulets. Maître Pierre cherchait un moyen d’arrêter cet abus; il me demanda des enseignements sur la piscicul ture.
- Le titulaire du moulin accueillit mes deux conpagnons comme deux enfants bien-aimés. Le père Lafont, ancien soldat de l’Empire, porte un gros tortillon de ruban rouge à la boutonnière de sa veste enfarinée. Tl est à la
- f
- mis le meunier, l’épicier, le commissionnaire et le plus gros cultivateur de la commune. Gomme meunier, il prélève la dîme de tous les grains du pays : c’est maître Pierre qui lui a donné l’idée de construire un moulin et d’ailleurs, sans maître Pierre, il aurait bien peu de chose à moudre. En sa qualité d’épicier, il fait deux fois par semaine le voyage de Bordeaux, et, tout en allant aux marchandises, il transporte à la ville le poisson, le gibier
- et les autres produits du canton. C’était lui qui vendait autrefois des canards sauvages, des lièvres et des outardes pour le compte du petit Pierre. Le cumul de plusieurs industries lucratives l’a honnêtement enrichi, mais il n’en est pas plus fier. Il nous donna tous les détails désirables sur la prospérité de sa commune, sans se vanter d’en être le père. Il nous conta que Lège était le village le plus riche des environs, parce qu’il ne possédait pas de communal. 11 nous montra des parcelles de lande achetées psir les paysans au prix de trois cents francs l’hectare, et il nous fit admirer le parti que l’industrie privée en avait su tirer. Mais surtout il ne se lassa point de mes
- dire que maître Pierre était la providence du pays.
- (A suivre.)
- -----_— --------•—^ —4^—•----------------
- La Revue socialiste, 19, rue du Faubourg-Saint-Denis — Abonnement : 3 fr., 6 fr., 12 fr., étranger, le port en sus. — Vient de paraître le quinzième numéro de la Revue socialiste qui se distingue par le sérieux, l’impartialité et la variété des études. En premier lieu, article très documenté de G. Rouanet, qui fait l’historique de la réglementation du travail des femmes et des enfants avec une écras-sante abondance de preuves. Dans la politique du travail et le garantisme social, S. Deynaud appelle l’attention des députés ouvriers sur la nécessité de garantir le droit à l’existence, comme le portent les premières constitutions républicaines. Vient ensuite une savante étude de G. Degreef : Introduction à la sociologie que les studieux méditeront. Sous ce litre : M. Donnât et la méthode, E. Fournière esquisse à grands traits les conditions générales d'une réforme politique et sociale efficace.
- Avec sa compétence reconnue, B. Malon commence un instructif et attrayant historique des morales philosophiques.
- Le compte rendu de la Société républicaine d'économie sociale contient, entre autres documents, deux propositions de Chirac, l’une sur le fonctionnement des sociétés par actions, la seconde ayant pour but de modifier l’assiette de Uimpôt et de fixer un budget de liquidation. Enfin, sous la rubrique Mélanges et documents, sont reproduits tous les documents socialistes importants, les principaux passages des discours économiques ou socialistes, ainsi que les propositions ou ordres du jour de même caractère qui ont été prononcés ou présentés soit au Parlement, soit au Conseil municipal de Paris.
- État civil du Familistère.
- Semaine du 22 au 28 Mars 1886. Naissances :
- Le 25 Mars, de Noireau Marthe, fille deNoireau Joseph et de Berthe Mathilde.
- Le 26 Mars, de Drouin Eugène, fils de Drouin Francis et de Lesur Anne.
- .______Le Directeur Gérant : G-ODIN_________
- Guisè — lm,o. Baré.
- p.224 - vue 227/838
-
-
-
- 10e Année, Tome 10.— N‘ 396 Le numéro hebdomadaire 20 c. Dimanche 11 Avril 1S86
- LE DEVOIR
- REVUE DES QUESTIONS SOCIALES
- BUREAU
- a GUISE (Aisne)
- Toutes les communications
- ABONNEMENTS PAYABLES D’AVANCE par l’envoi, soit an bureau de Guise, soità celui de Paris, de timbres-poste ou de mandats de poste, dont le talon sert de quittance.
- et réclamations doivent être adressées à
- France
- Un an ... 10 Ir. »»
- Union postale Un an. . . 11 fr. »»
- H. GODIN, Directeur-Gérant Fondateur du Familistère
- Six mois. . Trois mois.
- 6 »* 3 »»
- Autres pays
- Un an. . . . 13 fr. 60
- OH S'ABONNE
- A PARIS
- 5, rue Nenve-des-Petits-Champs Passage des Peux-Pavillons
- S’adresser à M. LETHARIE administrateur de la Librairie des sciences psychologiques.
- BULLETIN DE LA PAIX
- ---^-—
- SOMMAIRE
- Révolution sociale ou réforme sociale. — Grèce et Turquie.— Nouveau cas d’arbitrage.— Alliance centrale américaine. — Les amis de la paix à Clermont-Ferrand. — Fédération internationale de Varbitrage et de la paix. — Un fait inoui.— Militarisme et Banqueroute. — Fédération des sociétés de paix et d’arbitrage en Europe et en Amérique.— Adhésion au principe d’arbitrage et de désarmement européen. — Enquête aux Etats-Unis sur les rapports du travail et du capital. — L’union postale universelle. — Décret de la convention nationale. — M. Stanley président du Congo.— Maître Pierre.
- RÉVOLUTION SOCIALE OU RÉFORME SOCIALE.
- Rôle des amis de la paix.
- Le sort en est à peu près jetéfj! Depuis trois ans j’ai dit et redit par quel moyen il serait possible d’entrer dans la voie de la réforme so- i ciale générale et pacifique. Les Chambres et les classes dirigeantes sont restées indifférentes, si ce n’est hostiles, à mes propositions ; elles n’en ont rien fait, ni rien voulu faire.
- Le Gouvernement prend même un parti tout opposé, celui de créer des impôts nouveaux et de faire un nouvel emprunt.
- Charger, toujours charger le peuple et favoriser des revenus nouveaux au capital, quand, au comraire, il faudrait prélever sur la richesse acquise, tout au moins au décès des personnes, les ressources nécessaires pour éteindre la misère.
- Nos gouvernants préfèrent marcher vers la révolution à court terme.
- Ils aiment mieux continuer les abus que de réaliser les réformes pacifiques.
- Rien n’arrêtera donc l’accroissement de la misère, et celle-ci débordera les classes dirigeantes.
- Que de malheurs pourtant nos législateurs pourraient éviter si leur aveuglement n’était pas si grand !
- Mais il semble que le voile de l’impuissance obscurcit chaque jour de plus en plus leur esprit. Car ceux mêmes qui semblaient voir et comprendre semblent ne plus voir ni comprendre aujourd’hui. L’Hérédité de l’Etat qui était entrée dans l’esprit d’un certain nombre de représentants n’aura même pas un seul interprète à la Chambre. Tous s’inclineront devant les malheureuses mesures d’impôts et d’emprunts nouveaux qui vont précipiter la France dans la voie de résistance aux réformes qui étaient indispensables pour échapper au cataclysme révolutionnaire.
- Nos cœurs saignent, à nous partisans de la paix entre les nations, en voyant l’aberration des
- p.225 - vue 228/838
-
-
-
- 226
- LE DEVOIR
- classes dirigeantes en France tout autant que dans le reste du monde.
- Ah ! combien désirant la paix entre les nations désirions-nous encore davantage éviter la guerre civile au sein des peuples et surtout de notre malheureuse France !
- L’égoïsme, la cupidité, les ambitions incapables en décident autrement. Nous n’aurons bientôt plus qu’à nous incliner et à attendre les événements.
- Les pronostics s’en montrent évidents déjà sur certains points du monde. Les Etats-Unis, l’Angleterre, la Belgique, Decazeville, sont les sinistres avant-coureurs des dangers qui nous menacent, et les byzantins intriguent ! Ils discutent impôts et emprunts, au lieu de prendre de sages mesures de salut social pour éteindre la misère ! Us reviendront de leur égarement quand il sera trop tard.
- L’organisation des garanties nationales par un système de mutualité sagement combiné aurait prévenu tous ces dangers.
- Le droit d’hérédité nationale aurait donné les ressources pour faire face aux besoins de cette organisation et la misère n’aurait plus eu de motif de s’insurger contre la dureté de la richesse.
- Que va-t-il advenir ? que va-t-il arriver ? Dieu sait où nous conduiront l’indifférence et l’incapacité de nos législateurs !
- Le Devoir s’est donné pour mission de mettre en évidence les maux de la guerre entre les nations, de faire voir combien il est monstrueux que des nations civilisées soient encore, en plein siècle de progrès industriel, assez arriérées au moral pour qu’à certains moments des décisions de leurs gouvernements les obligent à se ruer les unes sur les autres, à se livrer aux plus affreux carnages.
- Ah ! si l’on peut trouver que cela soit aussi stupide de la part des peuples qu’horrible de la part des gouvernements, si la guerre entre nations est une monstruosité à extirper de la terre, à plus forte raison est-il abominable que, dans ce siècle, les hommes en arrivent à la guerre de classes, à la guerre entre riches et pauvres, parce que.ceux-ci mourant de faim demandent du pain à ceux qui en ont !
- Telle est pourtant la situation présente. Une ploutocratie née d’une production considérable de richesse enfantée par le travail refuse maintenant aux travailleurs le salaire qui leur permettrait de vivre ; elle entend retenir pour elle seule
- toutes les richesses acquises, sans en lâcher un centime pour soulager les malheureux dont la faim dévore les entrailles. Elle fait plus, elle arme le peuple contre lui-même, et voilà que les amis de la paix vont avoir à combattre la guerre civile qui menace les nations les plus avancées, par suite de l’avidité, de l’ignorance des gouvernements et des classes dirigeantes.
- La guerre civile des meurts de faim contre les repus ! La guerre entre concitoyens ! Avez-vous songé, puissants de la terre, combien une telle guerre renferme d’épouvantables épisodes, et combien cette violation de la justice dans toutes les nations civilisées est plus horrible encore que la guerre entre les nations ! Dans celle-ci le peuple ignore pourquoi on le fait tuer ; mais, dans la guerre sociale qui nous menace, les uns diront : Nous n’avons plus de travail, nos Wmes, nos enfants et nous mourons de faim ; et vous leur répondrez par la mitraille de vos canons et les balles de vos fusils ! Gela est atroce, gouvernants, prenez garde au désespoir universel qui en serait la conséquence et à la révolte de toutes les haines contre l’atrocité et l’iniquité de cette manière de concevoir les solutions sociales.
- Le rôle des amis de la paix "revêt dès maintenant une phase nouvelle ; nous n’avons plus seulement à chercher à réaliser la paix entre les nations, nous avons à démontrer les conditions de la paix civile et sociale.
- Disons et répétons aux gouvernements, aux classes dirigeantes, que puisque celles-ci ne savent pas de leur vivant abandonner sur leurs richesses de quoi procéder à l’extinction de la misère, il faut au moins qu’à leur mort une part de ces richesses revienne à la nation pour servir à donner du pain à ceux qui ont faim, des vêtements à ceux qui sont nus ; que c’est en établissant le droit d’hérédité nationale sur la richesse acquise et en établissant avec ce droit les garanties d’une sage et juste mutualité nationale qu’on enrayera la guerre sociale.
- Gouvernants, prenez cette mesure et vous mettrez fin aux grèves, aux revendications et aux révolutions d’une façon bien plus sure et durable qu’en réprimant ces mouvements par l’emploi momentané de la force. La violence ne fait qu’engendrer la violence, et c’est à vous de donner l’exemple delà justice et de la paix.
- N’oubliez pas que tout être humain a droit à la vie ; n’oubliez pas que ceux qui créent la ri-
- p.226 - vue 229/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 227
- chesse ne doivent pas manquer du nécessaire.
- Ne vous récusez pas sous prétexte de difficultés ; ces difficultés ne sont qu’apparentes ; le inonde a beaucoup plus de richesse et de moyens de production qu’il n’en faut pour faire place au soleil à tout le monde.
- Sachez tenir compte des simples notions de justice que vous recommandez d’enseigner au peuple, et la paix sociale se fera; autrement, ce sera la révolution qui vous imposera le respect de la justice.
- GRÈCE ET TURQUIE
- La résolution suivante a été adoptée parle Comité exécutif de The international arbitration and pêace association.
- « Considérant qu’autant les grandes Puissances ont jugé nécessaire, dans l'intérêt de la paix européenne, d’employer la contrainte pour empêcher le peuple grec de recourir à la force pour le règlement de ses droits dans la rectification des frontières Gréco-turques, (telle que la question fut portée devant la conférence de Berlin en 1880), autant il semble au Comité que ces grandes Puissances sont tenues, au nom de l’Equité comme au nom des intérêts de la paix dans la Péninsule des Balkans, de prendre telles mesures jugées nécessaires pour rappeler l’attention de la Porte sur les réclamations non satisfaites du peuple grec, réclamations dont les Puissances mêmes ont reconnu le bieu fondé par une décision prononcée à la conférence ci-dessus relatée.
- En conséquence,
- Le Comité reconnaît,
- Que, conformément à l’invitation de la conférence de Berlin, juin 1880, et à la note collective du 13 juillet de la même année, il est hautement désirable que le Gouvernement anglais entre en communication avec les autres Puissances pour que la question pendante entre la Porte et le Gouvernement d’Athènes soit soumise à une médiation ou à un arbitrage. »
- NOUVEAU CAS D’ARBITRAGE.
- Des différends s’étantélevésentreleroyaumed’Italie etla République de Colombie, M. S. Moret, membre du ministère italien,a invité le Gouvernement d’Espagne à intervenir en qualité d’arbitre pour la solution de ces différends, en raison des rapports amicaux qui unissent l’Espagne à l’Italie et à la Colombie.
- (International arbitratàon monthly journal)
- Alliance centrale américaine.
- Un traité général de commerce et de paix internationale a été conclu entre les Etats de Honduras, Guatemala et Salvador avec l’espérance d’y voir adhérer les Etats de Costa-Rica et Nicaragua, ce qui constituerait une ligue d’union entre les cinq Républiques..
- Outre l’alliance offensive et défensive, le traité stipule Funification de la politique étrangère dans les trois Etats; il stipule, en outre, qu’en cas de différend entre l’un d’eux et un gouvernement étranger quelconque, l’uu des autres Etats signataires offrira sa médiation.
- L’art. 30 prescrit qu’aucun acte de représailles ne sera exercé de la part de l’un de ces Etats contre un des autres, s’il arrivait que l’un d’eux enfreignit le traité en un point quelconque. En cas de désaccord entre eux, les trois Etats s’engagent solennellement à recourir à l’arbitrage pour la solution de la question. Le traité est conclu pour dix ans.
- Les amis de la Paix à Clermont-Ferrand. — La société de Paix et d’arbitrage de cette ville fait preuve d’une grande vitalité. Elle vient de prendre rang parmi les promoteurs d’une souscription pour une statue en l’honneur de Vercingétorix. Ses membres colportent les listes de souscription, organisent des conférences ; ils ont adressé un app el aux instituteurs laïques du département du Puy-de-Dôme.
- C’est en imitant l’exemple de nos amis de Clermont-Ferrand, c’est en sachant, comme èux, participer aux événements d'actualité, que les amis de la paix acquerront dans l’opinion publique la confiance et la considération que mérite notre cause.
- Les souscriptions sont centralisées chez M. Pardoux, président de la société des amis de la Paix, 5 rue St-Eloi à Clermont.
- FÉDÉRATION INTERNATIONAL DE L’ARBITRAGE ET DE LA PAIX
- Réunion mensuelle du mois de Mars.
- La Société a discuté les projets de formation d'un conseil central des différentes sociétés de la paix. La question de la neutralisation des détroits a été agitée dans le sens de l’assimilation des détroits aux mers. La neutralisation du canal de Panama aété mise à l’ordre du jour de la prochaine réunion mensuelle, du Lundi, 12 Avril.
- UN FAIT INOUÏ
- On lit dans la Lanterne ;
- Il vient de s’accomplir à Toulouse un acte d injustice incroyable ! Voici les faits dans leur triste simplicité :
- Un soldat de la seconde portion, incorporé comme canonnier au 23* d’artillerie, venait d’être renvoyé dans ses foyers.
- p.227 - vue 230/838
-
-
-
- 228
- LE DEVOIR
- Il revint dernièrement à Toulouse pour affaires, et rencontra deux de ses anciens sous-officiers. Il serra la main de l’un d’eux qui avait été pour lui, durant son service, d’une bonté parfaite ; mais, en revanche, il refusa de serrer la main de l’autre dont il avait toujours eu à se plaindre et qui est un brutal ou, comme on dit au régiment, un cosaque.
- Le soldat libéré fut arrêté incontinent, enfermé dans une cellule, et traduit devant le conseil de guerre sous l’inculpation d'insultes envers un supérieur. Lui un homme libéré ! Voilà donc un homme, qui est civil, et qui est justiciable d’un tribunal militaire ! C’est là une de ces anomalies qui ne se peuvent rencontrer que dans les bureaux de la guerré !
- L’avocat de l’accusé, un jeune stagiaire qui faisait sans doute ses débuts, n’a pas eu seulement l’idée de plaider la question d’incompétence. Et l’accusé a été condamné par un tribunal militaire, lui civil, à cinq ans de travaux publics.
- Hier, il a défilé, vêtu de l’uniforme noir des condamnés, devant les troupes de la garnison de Toulouse massées sur les allées Saint-Michel. Quand le greffier militaire a eu terminé la lecture du jugement, la femme du malheureux canonnier a forcé la consigne et, traversant la double haie des soldats, elle s’est jetée au cou de son mari.
- Le public qui s’était rendu à cette parade militaire était indigné.
- Tous les spectateurs trouvaient la chose ignoble et le jugement odieux. Si on avait connu le sous-officier, cause première de cette condamnation, nul doute qu’on ne lui eût fait un mauvais parti. Et c’eût été justice !
- M. X..., par le seul fait qu’il a été votre supérieur au régiment, doit donc toujours être forcément votre maître omnipotent dans la vie civile?
- On a souvent réclamé l’abolition des conseils de guerre et leur remplacement par des tribunaux civils. Les accusés, qui sont hommes comme nous, auraient au moins plus de chances de
- trouver des juges intelligents et sains d’esprit.
- -------------------------------------------------------
- Militarisme et Banqueroute.
- Les emprunts ne sont pas près de finir.
- La commission du budget est d’avis de réduire à un milliard le chiffre de l’emprunt sollicité par le gouvernement.
- Après cette opération, le ministère des finances aura une dette flottante réduite à 500.000.000 que l’on consolidera avant quelques années; il en sera de même des 446.000.000 d’obligations à court terme, qu’on ne pourra amortir.
- Puis le militarisme promet aux financiers d’autres belles espérances.
- Nos forts à peine achevés sont déclarés impropres à résister aux obus à dynamite. On prétend qu’il suffira de 25 de ces obus pour les mettre hors de service.
- Nous pouvons néanmoins avoir confiance. A peine était expérimenté le nouvel obus, qu’on
- avait trouvé un moyen de neutraliser sa puissance destructive.il suffira de blinder nos forts avec de fortes plaques d’acier. On évalue les dépenses à 250.000.000 On peut, sans crainte d’être au-dessous de la réalité, porter cette somme à 400.000.000, la première évaluation provenant d’hommes compétents et fortement épris, par profession, de la gloire militaire.
- La transformation des fusils, d’après les mêmes hommes compétents, est urgente. Nos fusils Gras ne sont plus à la hauteur. Gela coûtera, dit-on, 400.000.000, nous pouvons écrire 600. 000.000.
- Récapitulons.
- Demain, emprunt d’un milliard pour donner de l’élasticité à la Trésorerie.
- Après-demain, nouvel emprunt d’un autre milliard pour consolidation des obligations à court terme et pour le bon fonctionnement de la susdite élasticité fortement compromise par les déficits et les conventions.
- Bientôt, un troisième emprunt d’un troisième milliard pour la mise en état du matériel militaire.
- Mais, soyons-en certain, on cherche déjà un autre obus, avec ou sans dynamite, qui percera du premier coup les blindages en acier; puis on découvrira bien vite un nouveau système de construction des forts, et ainsi de suite.
- De chacune ces inventions, il restera quelque chose: des milliards en plus inscrits au grand livre de la dette perpétuelle.
- Sans pessimisme, il est présumable que l’on empruntera sous peu'd’années, trois ou quatre milliards.
- Ces opérations élèveront de près de 200.000.000 les charges budgétaires annuelles.
- Cela n’empêchera pas les imposés de réclamer à cor et à cris la diminution des dépenses publiques, et les gouvernements et les candidats aux élections de promettre, comme dans le passé, toute satisfaction à cet égard.
- Les revenus créés au capital parasite par ces emprunts successifs auront pour effet de diminuer encore la consommation des classes laborieuses accablées par l’impôt. Les frais généraux de la nation suivront un accroissement constant, tandis que la puissance productive du travail subira une diminution marquée.
- Tout cela est inévitable si l’on ne veut donner un système social une autre impulsion.
- A côté des monarchieseuropéennes toujours disposées à développer leurs armements, la France
- p.228 - vue 231/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 229
- ne peut rester indifférente ; il faut qu’elle sauvegarde son indépendance.
- Gelte nécessité de proportionnernos armements à ceux de nos voisins n’est pas exclusive d’une politique pacifique. Au contraire, le gouvernement devrait accentuer ses aspirations pacifiques à mesure que les charges du militarisme deviennent plus lourdes.
- Il serait temps de penser aux puissantes réformes que l’on pourrait inaugurer en faveur des travailleurs, si l’on voulait consacrer à l’amélioration du sort des déshérités la moitié de ces sommes follement prodiguées en spéculations et en armements excessifs.
- Deux voies se présentent aux peuples : la banqueroute par les excès du militarisme, ou bien l’équilibre financier par le désarmement.
- Si l’on ne sait choisir à temps entre ces deux alternatives, si l’on ne veut promptement renoncer au système des emprunts continus, les financiers, eux-mêmes, s’apercevront que la rente perpétuelle n’est pas moins chimérique que le mouvement perpétuel.
- Eédération des sociétés de paix et d’arbitrage en Europe et en Amérique.
- Au congrès de Berne, 1884, une résolution votée à l’unanimité affirma la nécessité d’une fédération entre toutes les sociétés de paix et d’arbitrage et chargea Vinternational arbitration andpeace Association de faire le nécessaire pour donner suite à cette résolution.
- Fn conséquence, à la réunion des sociétés et amis de la paix qui eut lieuàBàle en 1885, furent dressés, sous l’impulsion du comité executif de « The International arbitration and peace association », les statuts suivants, en vue de constituer la Fédération projetée.
- STATUTS DE LA FÉDÉRATION
- Dénomination.
- I. La Fédération sera intitulée: Fêdèrationlnternationale des sociétés de paix et d’arbitrage.
- But.
- II. La Fédération a pour but : 1° La propagation les principes de paix et d’arbitrage entre toutes les nations; 2° L’organisation d’un tribunal permanent et international pour régler les différends entre nations ; 3° L’exercice de tous bons offices propres à écarter les malentendus quelconques qui peuvent s’élever entre citoyens de diverses nations.
- Membres.
- III. La Fédération est composée des membres suivants ;
- A— Les associations ou sociétés qui poursuivent en différents
- pays le but exposé ci-dessus et voudront bien s’unir à la Fédération.
- B — Toute branche de telles sociétés qui a ses règles propres et qui verse à la Fédération une souscription distincte.
- C — Les représentants fédéraux.
- Le comité central aura le pouvoir d’élire en qualité de membres de la Fédération des personnes qui seront en communication régulière avec le comité, en vue de développer les objets de la Fédération et de créer de nouvelles sociétés.
- Le comité central aura autorité pour rembourser à ces représentants les dépenses faites par eux dans l’accomplissement des devoirs de leur mission.
- Le comité central ne pourra élire au poste de représentant fédéral que des personnes qualifiées, sous tous les rapports, pour accomplir les devoirs d’une telle mission d’une manière satisfaisante et justifiant pleinement le but de la Fédération.
- Conditions d’admission.
- IV. A — Les demandes d’admission à la Fédération seront adressées au Comité central.
- B — Toute société entrera dans la Fédération sur un pied d’égalité complète ; elle gardera intacte ses statuts, régies et procédés personnels ; elle conservera son autonomie et sa liberté d’action.
- C — La contribution annuelle payée par les sociétés à la Fédération sera déterminée par le premier congrès annuel ; jusqu’à ce qu’une règle permanente soit adoptée, chaque société versera la contribution qui sera jugée convenable, après correspondance avec le comité central. (Il est reconnu préférable de consulter ces sociétés avant de décider le montant de la souscription annuelle.
- D — Les sociétés en se joignant à la Fédération n’encourent aucune responsabilité financière autre que celle de payer leur contribution annuelle, ce à quoi elles s’engagent en se fédérant.
- Gouvernement exécutif.
- V— Les affaires de la Fédération seront dirigées par un Comité central composé au plus de 25 membres, y compris le le Président, le vice-Président et le secrétaire qui seront d’office membre de la Fédération.
- Les membres du comité central seront élus en assemblée générale annuelle des membres de la Fédération ; ils seront choisis parmi les délégués, les représentants Fédéraux et les membres souscripteurs des sociétés Fédérées.
- Le comité central sera renouvelé par tiers annuellement ; les membres sortant sont rééligibles.
- ^ Dans le cas où deux années s’écouleraient sans qu’il y eut d’Assemblée générale, les deux tiers des membres du comité central seraient renouvelés à la fin de cette période ; les membres sortants seraient rééligibles.
- Un secrétaire sera désigné par le comité ; il aura charge de tenir les écritures, de recueillir les souscriptions pour le compte de la Fédération et d’accomplir tous les travaux dont le chargerait le comité.
- Un trésorier sera élu parmi les membres du comité.
- La présence d’au moins huit membres à une séance est indispensable pour la validité des décisions du comité central.
- Devoirs du comité central.
- VI— Le comité central accomplira les fonctions suivantes:
- A — Diriger les représentants généraux ou honoraires de
- la Fédération, partout où ils seront, et correspondre avec eux.
- B — Correspondre avec les diverses sociétés fédérées «n vue d’entretenir autant que possible une ar'im commune et harmonique, et de tenir toutes les sociétés au courant des travaux accomplis par chacune d’elles.
- p.229 - vue 232/838
-
-
-
- 230
- LE DEVOIR
- C — Publier un organe officiel mensuel qui contiendra : 1° — Toutes les résolutions adoptées par le comité et par les Assemblées générales ; 2° — Tels annonces et communications, rapports ou propositions que les sociétés enverront pour être publiés, en vue de réaliser les objets indiqués dans la clause B.
- D— Faire le nécessaire pour la convocation des Assemblées générales.
- E — Exécuter toutes les mesures votées à la majorité des sociétés fédérées.
- F — En cas de circonstances imprévues, agir au nom de la Fédération ; mais l’action ne sera faite en ce dtrnier nom que si, à l’unanimité, les représentants lédéraux et les sociétés donnent leur consentement.
- Au cas où il n’y aurait pas unanimité, le comité n’agirait qu’au nom des sociétés qui se seraient prononcées en faveur de la mesure proposée.
- G — Préparer le programme des assemblées générales et la liste des sujets qui devront y être discutés ; inviter les personnes bien connues à envoyer des communications à l’Assemblée ou à assister personnellement à la réunion.
- H — Prendre tous les arrangements nécessaires pour maintenir l’ordre dans les assemblées générales annuelles et pourvoir au confort des assistants.
- Le Comité central se réunira aussi souvent que le nécessiteront les intérêts de la Fédération.
- Il dressera son propre règlement lequel sera soumis à l’a-probation de l’assemblée généralejil tiendra ses propres comptes.
- Assemblée générale annuelle ou Congrès
- VH.À— La Fédération tiendra une Assemblée générale annuelle appelée Congrès, à laquelle prendront part les délégués des diverses sociétés comprises dans la Fédération ; provisoirement, chaque société enverra au congrès deux délégués, plus un délégué additionnel pour toute société ayant plus de 200 membres.
- B — Quant aux contrées n’ayant encore aucune société de paix ni d’arbitrage, le comité central choisira certains représentants fédéraux et leur donnera les pouvoirs de délégués dans les opérations du congrès annuel.
- L’Assemblée ou congrès déterminera le nombre maximum des représentants fédéraux pour chaque pays. En attendant, le comité central fixera le nombre. Ces représentants seront qualifiés pour voter à l’Assemblée générale comme s’ils étaient délégués.
- C — Le comité central aura le pouvoir de convoquer le congrès en réunion extraordinaire lorsqu’il y aura urgence.
- Le comité convoquera une assemblée spéciale toutes les fois que la majorité des sociétés lédérées lui enverra une demande à cet effet.
- Délégués au Congrès
- VIII. Les délégués au congrès seront nommés d’après les prescriptions des statuts de leurs sociétés respectives. Les délégués peuvent être de l’un ou de l’autre sexe.
- Attributions du. Congrès
- IX. Les devoirs du congrès sont les suivant :
- A — Elire le Président, le vice-Président et le comité exécutif de la Fédération.
- B — Examiner et approuver s’il y a lieu les comptes de la Fédération et dresser l’état des dépenses nécessaires pour l’année suivante. p
- C — Entendre les discours; discuter toutes les questions relatives aux objets de la Fédération et voter en conséquence.
- D — Fixer la date et le lieu de chaque prochain congrès.
- Le programme du congrès préparé par le secrétaire (quand
- celui-ci sera désigné) ou par le comité exécutif sera notifié aux membres de la Fédération huit semaines au moins avant la réunion du congrès.
- Ordre du jour des congrès annuels.
- A — Aucune question ne sera portée sur le programme des discussions du congrès sans avoir reçu par avance la sanction du comité central.
- B — Toute personne qui désirera soumettre une question à l’examen du congrès, devra présenter sa requête au comité central;dans le cas où celui-ci rejetterait la proposition, le demandeur aura le droit d’en appeler au congrès ou Assemblée annuelle- ; si le quart des membres présents se prononce en faveur de la proposition, celle-ci sera discutée. Le congrès cependant aura droitdeclore la discution à la simple majorité des votants.
- G — Toute résolution, ayant trait à la politique, et qui n’est pas adoptée à l’unanimité par le congrès ne peut être publiée par le comité central comme résolution de la Fédération ; elle sera publiée seulement comme résolution adoptée par les sociétés dont les représentants se seront prononcés en sa faveur et avec spécification des noms.
- D — Le programme des sujets à discuter et des questions soumises au congrès sera porté à la connaissance des membres de la Fédération quatre semaines au moins avant le jour del’As-semblée.
- Arrangements relatifs au Congrès.
- Sur l’admission du public aux opé rations du congrès il sera décidé en assemblée annuelle.
- Dans la préparation des congrès le comité central aura le pouvoir :
- A — D’inviter à présider le congrès des amis bien connus du principe de l’arbitrage international, et il devra pour faire ce choix consulter les sociétés fédérées.
- B — D’inviter à la réunion et appeler à la qualité de membres honoraires les amis de la cause habitant la contrée ou la ville dans laquelle aura lieu le congrès.
- C — Dans les cas où il serait utile de s’assurer le concours et la présence d’une personne connue pour son dévouement à la cause, mais qui ne serait pas en état de couvrir elle-même ses frais de voyage, ou qui ne recevrait pas de subsides de la part de l’une des sociétés fédérées, le comité centrai aura pouvoir de couvrir ces dépenses. Dans ce but un Fonds d’allocations pour frais de voyages sera institué et mis à la disposition du Comité. Gelui-ci provoquera les contributions volontaires à ce fonds.
- Tous les membres et délégués assistant au Congrès auront droit de vote, mais ce droit ne s’étendra pas aux membres honoraires.
- Bureau du Comité central.
- X—En conformité de la Résolution prise à la conférence de Bâle, provisoirement et jusqu’à nouvelle décision du congrès, le Bureau du comité central sera au siège de « The International arbitration and Peace Association, 38 Parliament Street London S. W. De même et jusqu’à ce que le congrès en ait décidé autrement, le comité exécutif de l’association ci-dessus nommée constituera le comité central de la Fédération.
- En nous adressant les statuts qui précèdent le comité exécutif de The International arbitration and peace Association y avait joint une lettre dont nous extrayons ce qui suit :
- p.230 - vue 233/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 231
- « Cher Monsieur,
- « Nous vous envoyons parce courrier l’esquisse de cons-« titution de la Fédération projetée pour les sociétés visant ce « même but général: Développement de la cause sacrée a de la paix parmi les nations.
- « Nous espérons vivement que le comité directeur de votre « société consentira à se joindre à la Fédération.
- « Dans le cas où votre comité ferait quelques objections a à l’adoption de ce projet de statuts, nous vous prierions de « nous les communiquer de façon à ce qu’un accord puisse « résulter de notre mutuelle explication.
- « Bien que nous n’ayons pas le pouvoir de changer la substance « des articles esquissés par la conférence de Bâle, nous nous « chargerons de porter devant ceux qui étaient délégués à « cette conférence toute objection qui rendrait difficile l’ad-« hésion d’une société à la Fédération ; et, si cela était néces-a saire, nous serions disposés à provoquer une seconde con-« férence.
- € Il ne nous semble pas douteux que les bienfaisants résul-« tats de l'union d’une multiplicité de sociétés ayant un but « similaire, entraîneront un grand nombre de personnes à « s’employer pour le soutien de la Fédération. Tandis qu’une « forme d’organisation ou un mode d’agir attire certaines « personnes, d’autres sont entraînées à se joindre au mouve-« ment par un programme différent ou de différents chefs.
- « C’est là un avantage distinct à mettre en balance avec les « inconvénients de l’initiative laissée à chaque société.
- « Un autre avantage dérive encore de cet état de choses « c’est que chaque société à une expérience propre,quelle obtient « la connaissance de certains faits importants et arrive à « certaines conclusions ayant toutes une valeur spéciale.
- « Par la création d’un lien d’union quelque léger qu’il soit,
- « il devient pratique de mettre l’expérience et l’influence de « chaque société au service de tous les amis du mouvement,
- « et d’augmenter grandement l’efficacité des efforts en faveur « de la cause.
- « On reconnaît de plus en plus aujourd’hui que l’organi-« sation des conférences internationales périodiques pour « l’examen des grandes questions qui intéressent les avocats « de la paix forme un des meilleurs modes de propagande de « nos idées. Il est également certain que la valeur de telles « conférences serait grandement rehaussée si les diverses « sociétés y étaient régulièrement représentées. Les questions « à l’ordre du jour sont d’une importance si vitale et souvent « d’une telle complexité que tous les principaux amis de la « fraternité humaine devraient autant que possible coopérer à « leur examen.
- « Dans une foule d’occasions, l’action unie de toutes les « sociétés obtiendrait très-probablement un résultat beaucoup « plus grand que celui que pourrait espérer et obtenir un « corps quelconque agissant seul.
- « Nous joignons à la présente lettre la liste de toutes les « sociétés de la paix connues de nous.
- Sincèrement à vous Hodgson Pratt, président,
- G. B. Clark, Vice président, 1
- G. Buchanan, Trésorier,
- John Knight, Secrétaire honoraire, Martin Wood, Secrétaire.
- Les sociétés de la paix s’élevaient, au moment où fut imprimée la liste qui nous est adressée, au nombre de 26. Elles 6e sont accrues depuis, puisqu’il s’est formé de nouvelles sociétés en Allemagne, notamment à Berlin. Ces 26 sociétés se répartissent comme suit :
- Aux Etats-Unis ...... 6
- En Angleterre................6
- En Suède.....................j
- « Danemarck..................j
- « Norwège....................1
- « Italie.......................2
- c Hollande...................1
- « Suisse ......................1
- (4)ct France ........ 4
- « Allemagne...................,3
- Total 26
- Simple observation sur le projet de Fédération.
- Nous approuvons le projet de Fédération des sociétés de la paix en Europe et en Amérique et nous y adhérons.
- Mais, au point de vue pratique, si les statuts donnent corps à la fédération des sociétés de paix et d’arbitrage, il est nécesssaire qa’à leur tour les sociétés s’organisent et répondent à l’appel du comité delà Fédération.
- Quelque chose est à faire en cet te voie et nous appelons l’attention des partisans de lapaixreliés par la propagande du
- Comité du Familistère de Guise
- sur le point suivant :
- Tout mouvement se soutient par les ressources mises à sa disposition. Jusqu’ici, la société des amis de la p aix de Guise a puisé dans son sein ses dépenses de propagande. Elle a relié ainsi un grand nombre d’adhérents, mais ils sont restés sans cette cohésion, que donne une organisation fondée sur un concours effectif. Une cotisation, si faible qu’elle soit, devient donc nécessaire à l'œuvre à poursuivre, d’abord pour donner à la Fédération ses moyens de propagande, ensuite pour lui permettre de compter ses adhérents sincères et dévoués.
- Nous prions donc les comités et sociétés de la paix qui se sont constitués en France, sur divers points, par suite de la propagande du Devoir, de bien vouloir nous faire connaître leur constitution et, pour les membres adhérents qui ne sont reliés à aucun groupe, de nous faire savoir s’il leur convient d’être représentés par la Société de la paix du Familistère de Guise.
- Cette société, pour se rendre accessible à toutes les bourses, a fixé son minimum de cotisation à dix centimes par mois, un franc vingt centimes par an, avec faculté bien entendu, de faire plus pour ceux qui veulent et peuvent le faire.
- (1) En France, depuis la date de la première publication de cette liste, le nombre des sociétés d’arbitrage s’est accru. Il serait désirable que les nouvelles sociétés fassent parvenir leurs adresses à la Fédération, quand même elles ne seraient
- pas adhérentes.
- p.231 - vue 234/838
-
-
-
- 233
- LE DEVOIR
- Adhésion an principe d’Ârbitrage et de désarmement Européen
- Italie— Gênes. Messieurs Féderigo Sandrian* professeur Via Rivoli 6. — Goffredo Parini, four-riériste, corte Lambruschini 15-17.
- ENQUÊTE AUX ÉTATS-UNIS SUR LES RAPPORTS DU TRAVAIL ET DU CAPITAL m
- x
- Déposition de M. E. G. Pecklam Esq. manufacturier Tolédo O.
- La situation sociale est certainement des plus déplorables lorsque les patrons, d’un côté, pensent que leurs ouvriers sont déraisonnables et indignes d’intérêt et que les ouvriers, de leur côté, croient que les patrons réduiraient si possible les salaires jusqu’à la dernière limite. Cet antagonisme dure depuis si longtemps qu’il devient urgent d’aviser, car plus on attendra plus il sera difficile de remettre les choses en bonne voie.
- La tentative ne serait cependant pas insurmontable pour les patrons qui consentiraient à allouer aux travailleurs une juste part des bénéfices de l’industrie.
- Apportons un peu de charité chrétienne dans les relations d’affaires. Que les chefs d’industrie entrent davantage en relations directes avec les ouvriers. Qu’ils causent avec eux et reçoivent leurs observations.
- Fournissons aux ouvriers bibliothèque et salles de lectures, organisons pour eux quelque fête à l’occasion. Veillons à ce qu’ils jouissent d’un confortable logis. Par ces moyens, ils verront que nous voulons leur bien-être et que nous sommes leurs amis. Bientôt, nous recueillerons en retour cordialité et confiance de leur part.
- Gomment opère un bon général à l’égard de ses soldats ? Il veille à ce que rien ne leur manque, à ce qu’ils aient un gite convenable, de l’air pur, de l’eau en abondance et tout ce qui leur est nécessaire. Il désire que ses hommes non-seulement obéissent à ses commandements, mais encore lui portent respect et affection ; car il sait qu’animés de tels sentiments les soldats n’en accompliront que mieux et plus courageusement leurs devoirs.
- Il en doit être précisément ainsi des chefs de l’industrie à l’égard des armées d’ouvriers.
- Il est de votre intérêt, patrons, de gagner la
- (1) Lire le Devoir depuis le numéro du 7 février 1886
- confiance de vos hommes. Ils ne sont pas plus que vous désireux des grèves, et ils supportent longtemps avant d’y recourir ce qui leur apparaît injuste.
- Mais ils veulent, aujourd’hui, obtenir la nourriture, le vêtement et une demeure confortable ; ils veulent avoir la liberté et jouir de satisfactions.
- Faites partout pour eux ce qui est fait seulement sur quelques points où l’on s’est préoccupé du sort de l’ouvrier.
- Je pense que là seulement est la véritable solution du problème du travail, et je ne vois pas pourquoi ce ne serait pas possible à tous les patrons. Les choses n’en seraient que plus agréables et plus profitables pour les chefs d’industrie aussi bien que pour les ouvriers mêmes.
- L’homme content travaille mieux que le mécontent.
- * ♦
- M. J. F. Darnall, président de la. Cie des forges de Greencastle, Indiana, reconnaît les maux du système actuel, mais ne voit aucun remède. Il pense que la crise sociale est due au développement du travail mécanique qui permet de plus en plus la production à prix réduit de tous les objets de consommation, ce qui entraîne forcément une diminution dans le taux des salaires et engendre, selon lui, les conflits dont nous sommes témoins.
- * *
- Déposition de M. O- F. Carpenler de Chicago III.
- Les grèves et les fermetures d’atelier ne sont pas un trait indispensable du régime du salariat, mais elles pressent puissamment sur les capitalistes et, bien qu’elles ne profitent guère à l’ouvrier, elles peuvent avoir leur utilité pour conduire à une plus juste répartition des bénéfices entre patrons et ouvriers. Car, il est évident que si les ouvriers en masse se tenaient pour satisfaits de leurs salaires, les patrons n’y ajouteraient rien, et, en cas de mauvaise année ou de concurrence industrielle, ils pourraient même réduire les salaires.
- Les salaires constituent une part de frais considérables dans toute entreprise, et bien des patrons trouvent plus simple de les baisser de 10 ou 15 0/o que de se creuser le cerveau pour réduire dans cette mesure les frais d’exploitation, par une meilleure organisation du travail et des procédés industriels perfectionnés.
- p.232 - vue 235/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 233
- Or, pour combattre ces réductions iniques et forcer les patrons à suivre une autre voie, il faut bien pour l’instant recourir aux grèves ; mais il serait à souhaiter qu’elles fussent paisibles et conduisissent au règlement des différends par l’arbitrage et à la constitution d’associations entre le capital et le travail.
- Quant à la constitution de ces associations, le déposant s’en remet a l’expérience pour indiquer les meilleures voies a suivre.
- *
- + *
- Déposition de M. John Rcemer Esq. Wheling West, Va.
- L’union entre les travailleurs est nécessaire pour commander le respect de leurs justes réclamations et faire consentir à leurs raisonnables demandes.
- Mon plan serait le suivant :
- Instituer la coopération quand cela est possible;
- Faire que les ouvriers soient eux-mêmes patrons et travailleurs;
- Régler par l’arbitrage tout dissentiment d’ateliers;
- Faire deux parts égales des bénéfices et les attribuer l’une au capital, l’autre au travail;
- Empêcher d’importer dans un pays étranger tout article qui peut être produit dans le pays même;
- Abolir les lois qui règlent les monopoles aux Etats-Unis;
- Prohiber toute vente faite sans délivrance immédiate de la marchandise vendue ;
- Mettre aux mains de l’État les Chemins de fer et les Télégraphes ;
- Faire que le gouvernement prélève chaque année, sur une somme ne dépassant pas 50.000.000 de dollars (250.000.000 fr.) le nécessaire pour permettre à tout citoyen des Etats-Unis, qui en ferait la demande, d’aller s’établir sur un domaine de 160 acres de terre appartenant à l’Etat; les moyens de subsistance lui seraient, en outre, assurés pendant douze mois. La somme avancée par l’État serait le lien qui retiendrait l’individu à la terre ;1 le titre de propriété ne serait délivré qu’après le remboursement des avances faites.
- * *
- M. S. J. Morris a Dewitt, la, pense que la première des conditions pour entrer dans la voie de l’organisation véridique des rapports entre le capital et le travail est que travailleurs et capitalis-
- tes s’efforcent d’être moins égoïstes, de songer moins à leurs droits et davantage à leurs devoirs.
- * *
- M. Geo. W. Scott. Esq Directeur d’une usine à Chicago ne voit pas la question sociale.
- Tout lui semble résider dans ce fait que les salaires alloués aux travailleurs seraient suffisants si les débits de boissons n’en absorbaient la plus forte part.
- Il semble ignorer que les salaires sont souvent réduits à un tel point que l’ouvrier ne peut plus subvenir à l’entretien de sa famille, et que même les salaires peuvent faire complètement défaut.
- ♦
- * *
- Déposition de M. Vincent Taylor éditeur de « United States Sewing Machine Times » New-York et l’un des plus profonds penseurs sur la question sociale.
- l°Les grèves ni les fermetures d’atelier ne sont pas les traits nécessaires du régime industriel, bien que l’on puisse être forcé d’y avoir recours. Voyons pourquoi.
- Les classes ouvrières américaines sont réputées les plus développées intellectuellement de toutes les classes semblables, depuis dix ans surtout, de sorte que le travailleur dans sa dignité bien fondée aspire à une situation plus en rapport avec cette dignité même.
- L’élévation intellectuelle est en soi une sorte de capital qu’on pourrait appeler capital physique. Or l’importance de ce capital va croissant et mérite de plus en plus l’attention des temps modernes.
- Quand les détenteurs de ce capital physique réclament des pouvoirs dirigeants une situation sociale meilleure, ils sont aujourd’hui sur un terrain plus ferme encore qu’on ne l’était il y a cinquante ans, lorsqu’on affirmait déjà que le capital physique et le capital fiscal (l’argent)-devaient être sur un pied d’égalité, et que si la conduite des affaires, au point de vue du capital fiscal, obligeait par fois à réduire les salaires ou à fermer les ateliers, il était également légitime pour le capital physique de réclamer, à l’occasion, une augmentation de salaires et de se mettre en grève si on ne lui donnait satisfaction.
- Mais aucune grève ne se produit sans que les ouvriers aient par avance formulé des plaintes et précisé ce qu’ils désirent ; cela permettrait un accord amiable si on voulait s’y prêter.
- Si, après avoir entendu ces plaintes, on ne se rend pas aux prières des travailleurs, la grève
- p.233 - vue 236/838
-
-
-
- 234
- LE DEVOIR
- qui se produit est un résultat dû à l’action du capital fiscal comme à celle du capital physique, bien plus qu’un trait inhérent au régime du salariat.
- 2° — L’arbitrage vaut selon l’intelligence de ceux qui y ont recours pour résoudre leurs différends.
- Il ne peut régler les questions d’une façon effective et durable que s’il tend au bénéfice des deux parties adverses, en faisant au capital intelligence ou capital physique la part qui lui est due. Gela nécessite une éducation générale de l’esprit public à laquelle l’Age d’Acier concourt en ce moment par la présente enquête.
- 30 — a mesure que les hommes progressent en intelligence, il devient plus probable que l’on arrivera à la découverte de quelque système plus équitable de répartition des bénéfices de la production.
- Mais, en ce moment, le problème est très compliqué par les fluctuations soudaines et inévitables de l’industrie.
- Ces fluctuations sont telles et commandées par des causes qui échappent si complètement au contrôle des individus, qu’il ne serait pas possible d’y faire face en instituant légalement, dans une nation seule, la participation du travail aux bénéfices, comme le vise votre question N° 4.
- Mais il n’en est pas moins vrai que cette méthode peut être utilement appliquée par des chefs d’industrie, et qu’il faut plus que jamais chercher la voie d’organisations industrielles réalisant le plus grand bien des travailleurs et des capitalistes.
- 50—La coopération productive est praticable dans tous les pays où trône la civilisation. Elle offre des exemples prospères en Chine, en Australie, à Cap-Town (Afrique) et nous savons tous quels bons fruits elle a produits en France.
- Mais son succès dépend par-dessus tout de l’honnêteté et de l’habileté des pouvoirs dirigeants.
- Un remède partiel aux maux sociaux serait trouvé, il me semble, si l’on pouvait, sans diminuer les salaires des travailleurs, les appeler chaque année à recevoir une certaine part des bénéfices.
- Conclusion. Je crois que nous avons beaucoup à apprendre pour atteindre à la vraie solution du problème social, et qu’il faudra pour y arriver les efforts de toute une génération nouvelle.
- (A Suivre.)
- ------------------- . ♦ - . ----------------------
- L’UNION POSTALE UNIVERSELLE
- Viennent d’entrer en vigueur les mo lifications à la législation postale internationale introduites par les actes du congrès de Lisbonne.
- Le territoire de l’Union postale comprend actuellement :
- L’Europe entière.
- En Asie : la Russie d’Asie, la Turquie d’Asie, Chypre, la Perse, Aden, l’Inde britannique, française et portugaise Ceylan, les établissements anglais du Détroit, Siam, laCochin-chine, le Cambodge, l’Annam et le Tonkin, Hong-Kong, les principaux ports de la Chine et de la Corée, le Japon.
- En Afrique: Tanger et les établissements espagnols de la côte du Maroc ; Madère, les Açores et les Canaries ; les colonies et établissements français, anglais, espagnols et portugais de la côte occidentale ; la répubfque de Libéria,le Congo, Mozambique et les établissements portugais de la côte orientale ; Zanzibar, Tamatave (dans file de Madagascar), Mayotte, Nossi-Bé, Sainte-Marie, la Réunion, Maurice, Ro-drigues, les îles Seychelles et Amiranles (dans l’océan Indien); Obock (sur le détrois de Bad-el-Mandeb) ; Assab, Massaouah et Souakim (sur la mer Rouge) ; l’Egypte, Tripoli, la Tunisie et l’Algérie.
- L Amérique tout entière (la Bolivie, qui seule faisait exception, est admise dans l’Union à partir du 1er avril).
- En Océanie : les» Indes néerlandaises ; l’ensemble des colonies françaises, espagnoles et portugaises ; fîtes Laboan ; les îles Hawaï ou Sandwich.
- Nous croyons devoir indiquer les principales innovations qui sont réalisées dans la législation internationale.
- A partir d'aujourd’hui 1er avril, l’expéditeur de tout colis postal pourra, s’il le désire, obtenir un avis de la réception de cet objet, en payant d’avance, au moment du dépôt, un droit fixe de 25 cen times en sus de l’affranchissement de chaque colis.
- Cette mesure s’appliquera aussi bien aux colis circulant à l’intérieur de la France continentale qu’à ceux échangés avec la Corse, l’Algérie, la Tunisie, les colonies françaises, les bureaux de poste français établis dans les ports ottomans ou les pays étrangers.
- A dater du Ier Avril également, la taxe des colis postaux à destination de la Suède, acheminés par la voies d’Allemagne, ou par la voie de Belgique et d’Allemagne, sera diminuée de 25 centimes.
- Enfin, à partir de la même date, le public pourra expédier des colis postaux à destination de Tripoli de Barbarie.
- L’expéditeur d’un objet de correspondance confié à la poste, et à destination de l’un des pays dénommés ci-après, peut demander que cette objet soit retiré du service ou que l’adresse en soit rectifiée, tant que la remise au destinataire n’a pas été effectuée.
- A cet effet, il doit :
- 1° Just'fier de son identité ;
- 2° Produire un fac-similé de la souscription ;
- 3° Acquiter la taxe d’une lettre recommandée ou d’un télégramme à l’adresse du bureau de destination, suivant qu’il désire que la demande de retrait eu de rectification s ut transmise par la poste ou par le télégraphe,
- p.234 - vue 237/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 235
- Les pays qui admettent le retrait ou la rectification de l’a ; dresse des correspondances en cours de transport sont le suivants :
- Dans l’union postal : l’Allemagne, les Antilles danoi-es, l’Autriche, la Belgique, Costa-Rica, le Danemark, l’Egypte, les Etats-Unis d’Amérique, la Grèce, la Hongrie l’Italie, le Luxembourg, la Norwège, le Pays-Bas, le Pérou, le Portugal, la République Argentine, la Roumanie, la Russie, San-Salva-dor, Siam, la Suède, la Suisse, la Turquie, les colonies Hollandaises de Curaçao et de Surinam.
- En dehors de l’Union : les colonies Anglaises de l’Australie méridionale et de la nouvelle Zélande.
- Aucune demande de retrait ou de rectification d’adresse ne peut être admise, si elle est relative à une correspondance d’un autre pays.
- Des valeurs de toute nature non protestables peuvent être recouvrées, par la voie de la poste, dans les rapports avec les pays ci-aprés.
- Allemagne, Autriche-Hongrie, Belgique, Egypte, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, Portugal, Roumanie, Suède, Suisse.
- Toutefois, le service des recouvrements ne sera inauguré que le 1er mai avec l’Autriche-Hongrie.
- Avec les Pays-Bas, il s’agit de recouvrement des quittances seulement,
- Les valeurs protestables ne sont admises que dans les rapports avec l'Allemagne, la Belgique, le Luxembourg et la Suisse.
- Des abonnements aux journaux et publications périodiques peuvent être souscrits, par l’intermédiaire de la poste, dans les rapports avee les pays ci-après.
- Belgique, Danemarck, Italie, Norwège, Pays-Bas, Portugal, Suède et Suisse.
- La liste des journaux des pays précités, avec indication des tarifs d’abonnement se trouvent d<ns tous les bureaux de poste, où elle doit être communiquée aux intéressés.
- Le droit postal est fixé à 3 o/O, avec minimum de 50 cent, pour la Suisse et de 25 centimes pour les autres pays. Le mandat d’abonnement est transmis sans frais par le bureau de poste qu’il a établi.
- DÉCRET
- de la Convention Nationale.
- Du 28 juin 1793, an second de la République, une et indivisible.
- Relatif à, Vorganisation des secours à accorder annuellement aux Enfants, aux vieillards et aux indigents. 1
- La Révolution française, commencée sous l’inspiration de corriger quelques abus de la royauté et de réduire les privilèges de la noblesse, aboutit à de profondes transformations sociales à la suite de résistances imprévues.
- Avant qu’eût germé l’idée delà destruction de la royauté et de la disparition de la noblesse et du clergé, l’opinion publique, douloureusement impressionnée parles misères imméritée s de la partie la plus laborieuse de la nation réclamait des réformes humanitaires.
- L’extinction du paupérisme fut à l’ordre du jour des assemblées révolutionnaires avant les conceptions qui devaient conduire la bourgeoisie à la prise de possession du pouvoir poliiique et économique.
- Les mesures d’assistance publique tinrent une grande place dans les préoccupations des représentants du peuple. De nombreux décrets réglementèrent successivement des distributions partielles de secours.
- La Convention inscrivit dans la déclaration des droits de l’homme le droit des citoyens à la subsistance. Le 28 juin 1793 fut votée une loi relative à l’organie ation générale des secours à distribuer aux malheureux, aux indigents et aux vieillards. Le 24 vendémiaire, un décret complémentaire réglementait l’assistance des valides par le travail.
- Ces lois faites en faveur du peuple consacraient le caractère social de la révolution.
- La non-application de ces décrets réduit la Révolution aux proportions d’une révolution de class •.
- La classe victorieuse a accepté les lois sur la propriété, sur le crédit public, sur l’organisation administrative ; elle a refusé de sanctionner les garanties données auxclasseslaborieuses.
- Il est inutile d’insister sur le caractère égoïste de cette mutilation.
- La bourgeoisie, en réduisant ainsi l’œuvre de 89, s’est mise en contradiction avec le principe qui domine sa législation.
- Mais ces lois ne sont pas abrogées. Il faut en | réclamer l’application, si nous voulons éviter que la révolution reprenne les allures violentes.
- Ces décrets de la Convention, harmonisés avec l’état de la fortune publique, contiennent les principes de la Mutualité Nationale, dont nous devons organiser le régulier fonctionnement.
- Nous reproduisons les textes d’après le Bulletin des communes.
- La convention nationale, après avoir entendu le rapport de son comité de secours publics, décrété ce qui suit :
- TITRE PREMIER
- I(Des secours à accorder aux enfants)
- §0
- (Secours aux enfants appartenant a de s familles indigentes.)
- ARTICLE PREMIER
- Les pères et mères, qui n’ont pour toute ressource que le produit de leurs travaux, ont droit aux secours de la nation, toutes les fois que le produit de ce travail n’est plus en proportion avec les besoins de leur famille.
- II
- Le rapprochement des contributions de chaque famille et du nombre d’enfants dont elle est composée servira, sauf la modification énoncée au paragraphe 1er du titre III, à con-tater le degré d’enfance ou de détresse où elle sa trouvera.
- III
- Celui qui, vivant du produit de son travail a déjà deux enfants à sa charge, pourra réclamer les secours de la nation pour le troisième enfant qui lui naîtra.
- IV
- Celui qui, déjà chargé de trois enfants en bas âge, n’a également pour toutes ressources que le produit de son travail
- p.235 - vue 238/838
-
-
-
- 236
- LKDEVOIR
- et qui n’est pas compris dans les rôles des contributions pour une somme excédant cinq journées de travail, pourra réclamer ces mêmes secours pour le quatrième enfant.
- V
- lien sera de même pour celui qui, ne vivant pas du produit de ce travail, et payant une contribution au-dessus de la valeur de cinq journées de travail, mais qui n’excède pas celle de dix, a déjà à sa charge quatre enfants ; il pourra réclamer aussi des secours pour le quatrième enfant qui naîtra.
- VI
- Les secours commenceront pour les uns et pour les autres aussitôt que leurs épouses auront atteint le sixième mois de leur grossesse.
- VII
- Les pères de famille, qui auront ainsi obtenu des secours de la nation, en recevront de semblables pour chaque enfant qui leur naîtra au delà du troisième, du quatrième et du cinquième.
- VIII
- Chacun des dits enfants en jouira tant qu’il n’aura pas atteint l’âge déterminé pour là cessation de ces secours, et que leur père aura à sa charge le nombre d’enfants qui ne doivent pas être secourus par la nation.
- IX
- Mai» aussitôt que l’un de ces enfants, qui était à la charge du père seul, aura atteint l’âge où il sera présumé trouver dans lui même des ressources suffisantes pour se nourrir, ou qu’il cessera d’être de toute autre manière à la charge du père, les secours que le premier des autres enfants avait obtenus cesseront d’avoir lieu.
- X
- Il en sera de même pour les autres enfants qui auront successivement obtenu les secours de la nation, au fur et mesure que le même cas arrivera pour les frères aînés, en telle sorte que le père doit toujours avoir à sa charge le nombre d’enfants désignés par les articles III. IV, et V, et que la nation ne doit ce charger que de ceux qui excèdent ce nombre.
- XI
- Les enfants qui ne vivaient que du produit du travail de leur père, seront tous à la charge de la nation, si leur père v;ent à mourir, ou devient infirme de manière à ne pouvoir plus travailler, jusqu’au moment où ils pourront eux-mêmes se livrer au travail ; mais dans ce dernier cas, l’agence déterminera les secours qui devront être gradués, en proportion des degrés d’infirmité du père.
- XII
- En cas de mort du mari, la mère de famille qui ne pourrait fournir par le travail à ses besoins, aura également droit aux secours de la nation.
- X1IÏ
- Ces secours seront fournis à domicile.
- XIV
- Si ceux qui les obtiendront n’ont pas de domicile, et que leurs parents, leurs amis, ou des étrangers ne veuillent pas les recueillir en profitant des secours qui seront accordés à chacun d’eux, ils seront reçus dans les hospices qui seront ouverts aux uns et aux autres.
- XV
- Les secours à domicile consisteront en une pension alimentaire, non sujette aux retenues, incessible et insaisissable, dont le taux sera réglé tous les deux ans par les administrations qui seront établies dans les sections de la République, sur le prix de la journée de travail.
- XVI
- Ils ne pourront néanmoins s’élever dans aucune de ces sections, savoir ; pour les enfants, au-dessus de 80 livres, et pour les mères de famille, au-dessus de 120 livres.
- XVII
- Cette pension commencera pour l’enfant, du jour même de sa naissance, et finira lorsqu’il aura atteint l’âge de 12 ans; elle commencera pour la mère de famille qui se trouvera comprise dans les rôles de secours en vertu des dispositions de l’article XII ci-dessus, du jour de la mort de son mari, et durera tant que les besoins subsisteront.
- XVIII
- La pension, accordée aux enfants aura, pendant sa durée, deux périodes;, elle sera entière jusqu’à l’âge de dix ans. A cette époque elle diminuera d’un tiers, et sera ainsi continuée jusqu’à' ce que l’enfant ait accompli sa douzième année.
- XIX.
- Néanmoins si quelques-uns de ces enfants se trouvaient à ces deux différentes éuoques, à raison de quelques infirmités, dans le cas de ne pouvoir subir ces retranchements ou suppressions, la municipalité du lieu de domicile de l’enfant continuera, après y avoir été autorisée par les administrations supérieures, sur la vu du certificat de l'officier de santé prés de l’agence de l’arrondissement, â le porter sur son rôle de secours pour les sommes qui auront été réglées par l’administration sans q ie dans aucun cas ces sommes puissent excéder le maximum déterminé.
- XX
- Celle accordée à la veuve sera toujours proportionnée à ses besoins, et déterminée par les corps administratifs, sur la vue du certificat de l’offi cier de santé ; elle ne pourra néanmoins jamais excéder le maximum qui sera réglé.
- XXI
- Les enfants secourus par la nation étant parvenus à l’âge de douze ans, et qui auront du goût ou de l’aptitude pour une profession mécanique, seront mis en apprentissage aux frais delà nation.
- XXII
- La nation fournira, pendant deux ans, aux frais de l’apprentissage, et à l’entretien des dits enfants si besoin est.
- XXIII
- Cette nouvelle pension sera également tons les deux ans fixée par les corps administratifs; elle ne pourra excéder dans aucun lieu la somme de cent livres pour chaque année.
- XXIV
- Ceux des dits enfants qui préféreront de se consacrer à l’agriculture, auront également droit à ces seconds secours qui, à leur égard, sont fixés, pour tous les sections de la République à deux cent livres une fois payées.
- XXV
- Cette somme leur sera délivrée sur leur simple quittance lors de leur établissement, par le receveur de la section de la République, où ils seront domiciliés.
- XXVI
- Ceux qui se présenteront pour réclamer àu nom de l’enfant qui va naître, les secours qui lui sont dus, seront tenus de se soumettre à faire allaiter l’enfant par sa mère.
- XXVII
- La mère ne pourra se dispenser de remplir ce devoir, qu’en rapportant un certificat de l’officier de santé établi près l’agence par lequel il sera constaté qu’il y a impossibilité ou danger dans cet allaitement, soit pour la mère, soit pour l’enfant.
- p.236 - vue 239/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 237
- XXVIII
- Il sera accordé à la mère pour frais de couches, une somme de dix huit livres; il.sera ajouté douze autres livres pour une layette en faveur des mères qui allaiteront elles-mêmes leurs enfants.
- XXIX
- Les mères qui ne pourront remplir ce devoir seront tenues de faire connaître aux membres, de l’agence de leur commune le lieu où est placé leur enfant, et d’indiquer le nom de la nourrice à qui elles l’ont confié.
- XXX
- Dans ce cas, et dans tous eeux où les enfants secourus par la nation ne seront pas nourris dans la maison paternelle, la pension sera payée directement à ceux qui en seront chargés.
- XXXÏ
- La nourrice qui sera chargée d’un enfant jouissant d’uné pension, sera tenue en cas de maladie, soir d’elle soit de l'enfant,d’en donner dans le jour avis à un membre de l’agence, dans l’arrondissement duquel elle se trouve, afin que celui-ci en donne de suite connaissance à l’officier de santé.
- XXXII
- En cas de mort de l’enfant qui lui a été confié, elle sera également tenue d’en donner avis dans les trois jours du décès au même membre de l’agence, et de lui apporter l’acte mortuaire qui lui sera délivré gratis sur papier libre.
- XXXIII
- Dans tous les cas où l’on reclamera la pension d’un enfant secouru par la nation, elle ne sera payée que sur un certificat de vie délivré gratis et sur papier libre par un officier municipal ou notable, ou tout autre officier publie.
- XXXIV
- Si la personne chargée de l’entretien de l’enfant était convaincue d’avoir continué, après la mort de l’enfant de percevoir la pension qui lui était accordée, elle sera dénoncée à la police correctionnelle, et poursuivie, à la requête de l’agence, en remboursement de ce quelle aura reçu illégitimement.
- (A Suivre.)
- ———------------------• ----------------------:---------
- M. STANLEY PRÉSIDENT DU CONGO
- Un rédacteur du Family Magazine, publié par MM. Cassel, a eu avec M. Stanley un entretien fort intéressant en ce qu’il donne l’opinion sincère du grand explorateur africain sur l’état présent du Congo.
- « Je demandais à M. Stanley qu’elles étaien t ses idées au sujet du Congo, considéré comme champ de colonisation et comme débouché pour le trop plein de population des pays civilisés :
- — Ne parlons pas de cela, il n’en est pas temps encore, me dit-il. Le Congo n’est pas encore mûr pour la colonisation, et j’ai systématiquement évité tout ce qui peut ressem-sembler à une propagande en faveur de l’émigration. On ne *e rend pas, en général, un compte suffisamment exact de l’immense difficulté qu’il y a à pénétrer dans l’intérieur des terres, difficulté qui disparaîtra dans une large mesure quand notre chemin de fer sera établi. D’autre part, le climat du bas Congo — de la région située entre Vivi et Léopoldville, Par exemple — est des plus pénibles pour les Européens. En revanche, le haut Congo, au delà de Stanley-Pool, est aussi
- sain que n’importe quel pays de l’Europe méridionale. De grandes précautions sont donc indispensables au début. Malheureusement, les gens qui arrivent au Congo ne veulent pas se décider à regarder les choses au point de vue du simple bon sens vulgaire, ni à prendre les soins liygién iques consacrés par l'expérience. Ils ne peuvent pas se mettre en tête ee que je ne cesse de répéter, qu’au Congo il faut savoir vivre en philosophe.
- — Mais naturellement, quand le chem in de fer ssera fait, le danger serabeaucoup moindre, puisqu’o n ira très rapidement à Léopoldville.
- — C’est, à mon sens, un des grands avantages immédiats qui en résulteront. L’influence de ce chemin de fer sur les conditions générales du Congo sera énorme — plus considérable, selon toute apparence, que celle de toute autre ligne ferrée, depuis que la première a été posée en Angleterre. De même que celle-là servit de modèle à toutes les autres dans le Royaume-Uni et en Europe, de même la nôtre servira de modèle à toutes les lignes africaines. Or, les chemins de fer seuls peuvent véritablement ouvrir l’Afrique à la civilisation. Voilà un merveilleux continent qui se développe sur 13 millions de milles carrés de superficie, avec 15,000 milles de côte — un continent cinq fois aussi vaste que l’Europe — et qui reste inutile, torride, inerte et sans vie. Pourquoi ? Simplement parce que les Européens ont horreur du climat tropical ou le croient dangereux. Or, il leur suffirait d’adopter les plus simples précautions indiquées par le bon sens pour supprimer tout danger.
- — Vous estimez donc que la mortalité qui sévit au Congo parmi les Européens est due à leur négligeance de toute précaution plus qu’aux vices du climat ?
- — Je l’affirme. Et j’en ai le droit, ayant assez chèrement payé cette expérience. Au cours de mes voyages en Afrique centrale, j’ai eu plus de deux cents fois la fièvre. Or, je puis dire maintenant que dans trois cas sur quatre j'avais en quelque sorte, par étourderie ou ignorance, offert une prime à la maladie. Je n’avais personne pour me signaler les particularités du climat et me mettre en garde contre ses dangers : je ne pouvais donc les apprendre que de la fièvre même. Mais il n’en est plus de même pour ceux qui arrivent maintenant au Congo. Ils sont pleinement avertis et n’ont qu’à vivre prudemment, en se nourrissant bien, pour ne courir aucun danger.. Avant tout, il faut être sobre, car l’ivresse, au Congo, c’est la mort à bref délai...
- — En somme, qu’elle sera, à votre avis, l’effet immédiat de l’ouverture du chemin de fer ?
- — Le chemin de fer changera entièrement l’aspect des choses. Il apportera au pays des éléments de vie nouveaux et implantera subitement la civilisation au cœur même de l'Afrique. Actuellement, il y a plusieurs milliers de trafiquants indigènes à Stanley-Pool, et un assez grand nombre de marchands européens à la Cie de navigation du bas Congo — si près des cataractes, qu’ils peuvent entendre le vacarme : eh bien, ces deux classes de négociants n’entrent pas en rapports directs l’une avec l’autre, simplement parce que cette barrière de 235 milles les sépare. Le seul trait d’union entre elles est fourni par les porteurs indigènes, et tout ce que peuvent ces porteurs est de faire passer d’un point à l’autre quelque 1,200 tonnes de marchandises par an. Tout
- p.237 - vue 240/838
-
-
-
- 238
- LE DEV OIR
- progrès est impossible dans ces conditions. Que le chemin de fer comble cet intervalle, franchisse cette barrière, et assitôt les 1,200 tonnes annuelles de marchandises ne seront plus qu’une goutte d’eau dans l’océan d’affaires qui se créera là, tant en importations qu’en exportations.
- — Cette difficulté des transports est-elle, à votre avis, la vraie raison de la cherté de l’ivoire, qui menace de valoir bientôt son poids en or?
- — La seule raison. L’ivoire a presque disparu des régions de l’Afrique actuellement accessibles. Mais, dans les régions encore inaccessibles, il se trouve en abondance, ainsi que le caoutchouc. Les indigènes ne demandent qu’à aller chercher pour nous ces précieuses denrées , mais, dans bs conditions présentes, ils auraient beau les entasser, il leur faudrait des années pour s’en défaire. Ouvrez leur une porte, et vous verrez le flot qui s’y précipitera !
- — Une des premières conséquences de l’ouverture du chemin de fer sera conséquemment la baisse sur les ivoires.
- — Oui, et sur le caoutchouc. Le monde en aura pour cinquante ans au mois.»
- MAITRE PIERRE
- Par Edmond ABOUT
- ( Suite )
- XIV
- Le Bassin d’Areachon.
- Le digne homme voulut absolument laisser le moulin à la garde de son garçon, et nous conduire jusque chez lui. Il demeure à deux pas de l’église sur une place très-propre et plantée de beaux acacias. C’est lui-même qui raconta aux habitants l’aventure qui nous était arrivée, et les jeunes gens de Lège ne se firent pas prier pour réparer tout le mal. Le sauvetage de VAvenir s’organisa immédiatement par voie de prestation volontaire, et les deux charpentiers de la commune se disputèrent à coups de poing l’honneur de raccommoder le bateau. Nous avions une centaine de paysans autour de nous; je parie que sur ce nombre il y en a vingt-cinq qui passeraient par le feu pour obliger maître Pierre. Les petits garçons offrirent de manquer la classe du soir pour repêcher la veste et les échasses que nous avions oubliées.
- Il nous fallait une barque pour visiter le bassin d’Ar-cachon; le syndic des marins d’Arès, qui se trouvait là par hasard, s'empressa d’offrir la sienne. Deux matelots de bonne volonté sollicitèrent la faveur de ramer avec lui. On nous apporta des filets et des tridents pour le cas où nous voudrions égayer la promenade en pêchant quelques éperlans et quelques anguilles. Les provisions de bouche affluèrent autour de nous, comme si nous allions entreprendre un voyage au long cours, et une escorte d’honneur nous conduisit jusqu’à la grève.
- La marée était assez basse et l’eau s’était retirée à plus de cinq cents mètres du bord. La plage, mise à nu, étin-
- celait aux rayons du soleil comme un miroir de sel. Quelques bateaux à voiles couraient au large du bassin; quelques autres circulaient péniblement à la rame dans les chenaux étroits, au milieu d’énormes bancs verdâtres, Ces mases épaisses, revêtues d’herbes marines, sont plantées de hautes perches dont maître Pierre m’indiqua l’emploi. C’est à ces poteaux que chaque indigène attache ses filets, depuis le commencement de décembre jusqu’à la fin de février, pour la pêche aux canards. On y recueille tous les matins la volaille imprudente qui a donné tête baissée dans les mailles.
- Le bateau du syndic était à flot si loin du rivage, que je ne compris pas à première vue comment nous pourrions nous embarquer. Notre équipage me tira d’embarras en nous offrant ses épaules. Chacun de nous grimpa sur le dos d’un matelot : je ne me souvenais pas d’avoir voyagé ainsi depuis le collège. Maître Pierre se défendit, mais il eut beau faire; on le porta comme un monsieur.
- Je m’étonnai d’abord de voir nos montures troter dans l’eau jusqu’à la cheville au lieu de passer sur les bancs couverts de verdure. Leur choix me paraissait d’autant plus singulier que je voyais bon nombre de pêcheurs d’anguilles se promener, le trident à la main, au milieu des mousses et des varechs. Maître Pierre m’expliqua du haut du syndic que ces masses vertes étaient des bancs de vaseabmirablement conslitués pour engloutir les gens. Les pêcheurs n’y marcheraient pas impunément s’ils n’étaient montés sur de larges patins carrés qui soutiennent l’homme en élargissant sa base.
- On m’en fit voir deux ou trois qui cheminaient sur 1 leurs planchettes, piquant la vase à grands coups de trident, et traînant à la remorque, au bout d’un fil, les anguilles qu’ils avaient prises. Je demandai à quels signes ils pouvaient deviner une anguille sous la vase. On me répondit que l’instinct, l’habitude et surtout le hasard conduisaient la main des pêcheurs. Mais les anguilles sont en telle abondance dans le bassin que, sur dix coups de trident, on est presque sûr d’en amener une. J’en fis moi-même l’expérience, et après quelque coups d’épée dans l’eau, je sentis frétiller au bout de mon trident une créature vivante. C’est un plaisir assez désagréable, et que je ne recommande point aux délicats.
- 11 y avait deux heures que maître Pierre était descendu du syndic, et nous ramions à petits coups, avec l’aide du courant. Mon guide me montra du doigt le goulet du bassin, encadré par les dunes.
- « Entendez-vous? me dit-il. C’est lui qui gronde la-bas.
- — Qui donc?
- — Parbleu! l’ennemi, ou l’Océan, car c’est tout un. Vous voyez ce qu’il a fait du pauvre bassin d’Areachon.
- p.238 - vue 241/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- Il l’a envasé aux trois quarts, en attendant qu’il le ferme tout à fait. Nous aurions ici de quoi loger toute la marine de France, si l’eau ne manquait pas. Il est question de faire de grands travaux, de creuser des chenaux invariables, mais j’ai peur qu’on n’arrive à rien. II faudrait un fleuve pour lutter contre la masse de sable qui arrive incessamment par là-bas. Un fleuve! je n’en ai pas sous la main. Cependant, faute de mieux, je crée toujours une rivière. Lorsque mon canal recevra toutes les eaux des Landes, vous pouvez croire qu’il saura se creuser un lit dans le bassin à travers tous ces tas d’ordures. Mes eaux arriveront jusqu’au goulet, et j’imagine qu’elles feront un peu de résistance au sable qui nous envoie l’eau sous forme de nuage, je la lui rends sous forme de rivière, et je le bats à l’entrée du bassin avec ses propres armes. Voyez-vous le tour? »
- Les hommes pratiques qui nous avaient portés sur les épaules n’osaient pas se promettre un résultat si miraculeux, mais ils ne doutaient pas que l’écoulement régulier des eaux de la lande, par un canal unique, ne creusât une route large et profonde dans la vase du bassin, au grand profit de la pêche et de la navigation.
- Ils pêchèrent une friture d’éperlans pour notre souper, en raisonnant sur l’avenir du pays et les bienfaits de maître Pierre. A la nuit tombante, la mer nous ramena sur le bord.
- Marinette se mit au lit sans rien prendre. Elle avait cheminé avec nous depuis midi comme une chose qu’on pro r ène, laissant dire, laissant faire, et regardant le bleu du ciel en fille qui ne s’intéresse à rien. Notre équipage lui avait dit à plusieurs reprises : « Qu’est-ce que tu as? » Car tout le monde la tutoyait, comme l’enfant du pays.
- Le lendemain matin, ses yeux rouges annonçaient qu’elle n’avait pas dormi. Elle descendit au moment où maître Pierre faisait atteler une charrette à mon intention. Son bourreau la baisa au front comme a l’ordinaire, et lui dit d’un ton paternel : « Notre bateau est repêché : on a rapporté ma veste et nos échasses. Ce matin, nous irons conduire monsieur à la station de Facture, où il prendra le chemin de fer. Le carrosse à trente six portières est pour lui, nous l’escorterons sur nos jambes de bois pour lui prouver que les Landais trottent, aussi bien que les chevaux. Il mettra ça dans son livre. » >
- Marinette jeta sur moi un regard qui voulait dire : Ainsi,vous m’abandonnez!
- En ce moment, je me sentis pris d’une telle pitié pour son pauvre amour, que si j’avais été seulement maire ou adjont, je la mariais séance tenante.
- Maître Pierre sifflait entre ses dents, tout en capitonnant à coups de poing la botte de paille qui m’allait
- 239
- servir de coussin. Le peuple de Lège et d’Arès vint lui dire au revoir et demander quand il reviendrait. Il parut flatté de l’accueil et de T hospitalité de ses sujets, et les paya comme un prince, en bonnes paroles et en poignées de main.
- Le chemin fut détestable pendant trois heures; nous ne faisions pas un kilomètre en vingt minutes. Les trois chevaux qui traînaient ma charrette dans des ornières de sable suaient abondamment sous le fouet. Maître Pierre, léger comme une plume qui vole, caracolait sur ses échasses à ma droite. Marinette s’était mise à gauche pour regarder son amant au travers de moi. Lorsque la route devint praticable et que les cahots de la voiture nous permirent de nous entendre, maître Pierre me dit : « Eh bien! mon nouvel ami, que pensez
- vous de moi? Suis-je un grand homme?
- — Trop grand, lui répondis-je, car vous avez le travers de vos pareils.
- — Et lequel, s’il vous plaît?
- — Ils courent à un but lointain en écrasant leurs proches.
- — Mon but n’est pas lointain; j’y touche. Vous avez vu le bien que j’ai déjà fait.
- — Sans doute.
- Pas vrai, qu’il y a de quoi remplir un livre?
- — Certainement, mais à une condition.
- — Dites.
- — Vous me permettrez de conter votre histoire .
- — Pourquoi donc pas ? Je n’ai rien à cacher. Vos Parisiens n’ont jamais entendu parler de moi, je suis bien aise qu’ils fassent ma connaissance. Marinette me lira ce que vous aurez écrit. Pardieu! j’ai semé assez de choses pour qu’il soit temps de récolter un peu de gloire.
- — Je vous en donnerai tout votre soûl.
- — Vous ferez voir la chose à tout le monde, pas vrai?
- — Je vous promets vingt-cinq mille lecteurs le premier jour.
- — Diantre! Et.... les personnes influentes?
- — C’est elles qui auront la primeur de vorte histoire.
- — Dites donc, pendant que vous y serez, demandez qu’on m’aide un peu. Qu’est ce que ça vous coûte?
- — Rien,
- — Tâchez qu’on me fasse mes routes agricoles avec fossés de droite et de gauehe.
- — Soyez tranquille.
- — Ah! Et qu’on me permette de vendre les communaux. C’est de l’argent tout trouvé, ça. Une médaille sans revers, chose rare! Il y aura peut-être des difficultés, à cause de la routine. Mais qui veut la fin veut les moyens.
- p.239 - vue 242/838
-
-
-
- 240
- LE DEVOIR
- — Comptez sur moi.
- — Je compte aussi sur vous pour mon canal. Vous avez vu s'il était nécessaire.
- — Oui. Tout cela peut entrer dans le cadre d’un roman, si l’on y met de la bonne volonté. Celui qui a dit: « Cultivons notre jardin, » y a fait entrer bien autre hose. Mais il me manque un dénoùment, et vous seul pouvez me le fournir. Sans cela, serviteur, rien de ait.
- — Dénoùment! Qu’est-ce que c’est que ça?
- — C’est la fin de l’histoire.
- La fin.... la fin..., c'est que le pays sera superbe et les hommes sauvés. Trouvez-moi beaucoup d’histoires qui finissent plus richement que ça!
- — C’est trop général. Je veux une fin plus personnelle comprenez-vous? quelque chose qui vous regarde.
- — Dites que je finirai par avoir vingt-cinq mille livres de rente; voilà ma fin.
- — Ce n’est pas encore ce qu’il me faut. Les romans, voyez-vous, cela finit toujours par un mariage ou par une mort : on n’a que le choix.
- — Bigre! c’est que mon testament n’est pas fait, ni mon contrat non plus. J’ai pris mes mesures pour rester garçon pendant quelques années, et vivant le plus longtemps possible.
- — Vous avez peut-être raison. Mais au fait, j’étais bien bon de vous tourmenter. Restez vivant, restez garçon! mon dénoùment se passera de vous. Je raconterai queMarinette est morte.
- — A.h mais! pas de bêtises! ça porte malheur !
- — Je dirai aux Parisiens que votre philanthropie s’est occupée de tout le inonde, excepté de la pauvre enfant qui vit pour vous; que vous avez passé comme un nigaud à côté du bonheur; que vous avez violé le plus saint des devoirs, qui est d’aimer ceux qui nous aiment; que vous avez enrichi votre tuteur et tué votre maîtresse Je leur raconterai que la belle petite abandonnée, après avoir voulu se noyer avec nous, par grand amour pour un ingrat, s’est laissée mourir de chagrin, de consomption et de faim à vos côtés, et qu’on l’enterrait à la Canau le Jour où l’on vous portait en triomphe.
- — Non, mon ami, répondit-il d’une voix étouffée. Dites-leur que je 11e voulais pas me marier avant la fin de mes travaux, pour être à elle sans partage et ne vivre que pour elle : mais que vous m’avez ouvert les yeux et que j’ai pris le bonheur quand il est venu.
- — Enfin! » cria-t-elle.
- J’arrachai le fouet des mains du cocher et je partis au galop des trois chevaux sans prendre congé de mes hôtes. Quand je retournai les yeux, un vaste compassé dessinait au milieu de la route : c’était Mc ri nette dans les bras de maître Pierre.
- Je revins à Bordeaux; je dévorai tous les livres et toutes les brochures qui traitent de l’assainissement des Landes. Je lus les ouvrages de M. de Saulniers, de M. Dosquet, de M. Lavertujon, de M. Clerc, de M. le baron Roguet, de M. Tessier et de quelques autres. Les écrivains les mieux informés et les plus compétents ne m’apprirent rien que maître Pierre ne m’eût dit.
- Dans l’intervalle de mes lectures, je me promenais par la ville, et mon imagination la voyait déjà transformée par la culture des Landes. Les produits de toute nature affluaient en telle abondance qu’il fallait créer des docks pour les recevoir. On empilait des bois monstrueux pour la charpente et la marine; on roulait des tonnes de résine et de goudron; les sacs de blé s’entassaient dans les greniers; les troupeaux de bœufs se pressaient à la porte des abattoirs. Une nouvelle race de chevaux, presque aussi fine que la race arabe, trottait devant les voitures particulières et publiques, et les grands coursiers de ballade avaient regagné le pays des ombres. Les rues de la ville étaient pleines : la population avait donc triplé. L’industrie, longtemps exilée de Bordeaux, y plantait ses hautes cheminées, au grand ébahissement des négociants tranquilles. Je voyais croître par miracle des fabriques vivantes sur les ruines des palais morts; et dans l’encombrement des construction s nouvelles, je réservais avec soin une place d’honneur pour y élever la statue demaître Pierre.
- Sans échasses, bien entendu,
- Fin.
- État civil du Familistère.
- Semaine du 29 Mars au 4 Avril 1886. Naissances :
- Néant
- Décès:
- Le 29 Mars de Cause Marie-Louise, âgée de 2 ans et 8 mois.
- L’Astronomie, Revue mensulle d’Astronomie populaire, de Météorologie et de Physique du globe, par M. C. Flammarion. — N° d’avril 1886. L’observatoire Lich et la plus grande lunette du monde, par M. David P. Todd. — Une statue à Arago, par M. C. Flammarion. — Les problèmes actuels de VAstrnomie (suite et fin), par M. C.-A. Young. — Distribution des petites planètes dans l’espace, par M. le général Parmentier. — Un théâtre astronomique à Vienne. — Nouvelles de la Science. Variétés : La comète Fabry. Observations sur Vénus, à l’aide d’une lunette de i08mra. Auréoles autour de Vénus et de Jupiter. Occultation de Jupiter par la Lune. L’étoile a du Cygne. — Observations astronomiques, par M. E. Viraont. (Cauthiër-Villàrs, quai des Augustins, 55, Paris.)
- Le Directeur Gérant : GODIN__________________
- — imo. Paré.
- Ourse
- p.240 - vue 243/838
-
-
-
- 10e Année, Tome 10.--- N" 397 Le numéro hebdomadaire 20 c. Dimanche 18 Avril 1886
- LE DEVOIR
- REVUE DES OUESTIONS SOCIALES
- BUREAU
- a GUISE (Aisne)
- Toutes les communications
- ABONNEMENTS PAYABLES D’AVANCE par l’envoi, soit au bureau de Guise, soità celui de Paris de timbres-poste ou de mandats de poste, dont le talon sert de quittance.
- et réclamations doivent être adressées à M. GODIN, Directeur-Gérant Fondateur du Familistère
- France Un an ... Six mois. . . Trois mois. .
- 10 fr. »v
- 6 t*
- 3 »»
- Union postale Un an. . . 11 fr. ïï Autres pays
- Un an. . . . 13 fr. 60
- ON S’ABONNE
- A PARIS
- 5, rue N euve-des-Petits- Champ s Passage des Deux-Pavillons
- S’adresser à M. LEYMARIE administrateur delà Librairie des sciences psychologiques.
- SOMMAIRE
- Conférence de M. Godin aux membres de la société de la paix du Familistère de Guise. — La mine à la société, — La coopération. — Objections, questions et réponses sur l’hérédité de l'Etat. — Faits politiques et sociaux de la semaine. — La question sociale et les possibilités socialistes. — Décret de la convention nationale. —' Le plus grand marchand de viande de l’univers. — Congrès des sociétés mutuelles.
- CONFÉRENCE DE M. GODIN aux membres de la Société de la paix du Familistère de Guise.
- 7 Avril 1886, 8 heures du soir.
- Après avoir précisé que l’objet de la réunion est l’examen du projet de fédération entre les Sociétés de paix et d’arbitrage en Europe et en Amérique, (publié dans le numéro du Devoir du H courant,) M. Godin fait l’historique du mouvement de la paix et dit comment il a pris liais-, sance dans les principales nations civilisées par sentiment de réprobation des malheurs que la guerre fait peser sur les nations, et pour délivrer les peuples de cette cause de ruine, de misères et d’entraves à la liberté des citoyens.
- Il fait ressortir comment la guerre engendre les dettes nationales et grossit sans cesse la somme des impôts. Il montre que les mêmes faits, les -
- mêmes causes de malheurs sociaux se sont produits dans toutes les nations, et il arrive enfin à l'éveil de l’idée d’éviter toutes ces douleurs en résolvant par l’arbitrage les dissentiments internationaux.
- Il dit comment des Sociétés pour le développement des idées de paix et d’arbitrage se sont constituées dans les différentes parties du monde ; ’ que c’est surtout parmi les ouvriers que ces idées ont le plus d’accès ; il fait voir comment a germé sur divers points la première idée d’institution d’un Tribunal d’arbitrage international.
- Il rappelle ce qu’il a écrit, en 1871, dans son volume Solutions sociales, sur la guerre et les maux qu’elle enfante.
- 11 dit comment, en 1882, juste au moment où il faisait imprimer son volume Le Gouvernement qui contient de nombreuses pages sur l’organisation de la paix et de l’arbitrage entre les nations et la constitution d’un tribunal arbitral, il reçut une invitation de se rendre au Congrès tenu à Bruxelles entre tous les amis de la paix des différentes nations d’Europe.
- M Godin expose comment il fit à cette réunion connaissance de partisans dévoués à la cause, et comment à partir de cette conférence, surtout, les correspondances et les relations se sont nouées entre les amis de la paix.
- Il dit la part remarquable prise dans cette voie par M. Hodgson Pratt, le Président du Comité exécutif de l’Association anglaise d’arbitrage et de paix, comité auquel on doit aujourd’hui le projet de statuts de la Fédération qu’il s’agit de
- p.241 - vue 244/838
-
-
-
- m
- LE DEVOIR
- réaliser entre tontes les sociétés de la paix du monde entier.
- Serrant de près le côté pratique, M. Godin s’attache alors à faire ressortir la nécessité pour toutes les personnes qui, sous l’empire de la propagande du Devoir, ont donné leur signature comme partisans de la paix entre les nations, de s'organiser aujourd’hui en société régulière ayant ses moyens d’action propre, par la fixation d’une cotisation si minime qu’elle soit.
- « Cette constitution est indispensable, » dit-il, « pour que la société du Familistère puisse ensuite se rallier, si elle le décide ainsi, à la fédératio n projetée et y apporter alors sa contribution particulière. » Il ajoute :
- « La propagande du Devoir a entrainé un nombre remarquable de personnes à se faire inscrire comme partisans de la paix sur différents points delà France. En Jura, par exemple, le mouvement a été si accentué que les cinq candidats députés qui avaient inscrit sur leur drapeau Paix et arbitrage international ont triomphé tous les cinq aux élections dernières.
- « A Clermont-Ferrand, de fervents amis de la cause ont constitué une société parfaitement organisée et qui a aujourd’hui son journal propre. Des faits analogues se sont passés sur divers points.
- Il faut aujourd’hui, dans l’intérêt de la cause, que les adhérents sincères se groupent en sociétés et que toutes les sociétés constituées en Europe veulent bien se rallier à la Fédération projetée et y apporter un concours pécuniaire. Cela aurait le précieux avantage de permettre aux amis de la paix de se compter, de mesurer leurs forces, et cela les rendra bien plus puissants pour l’action. »
- Sur l'invitation de M. Godin la discussion s’engage alors sur le taux à fixer pour la cotisation mensuelle de chacun des membres de la société de la paix du Familistère de Guise.
- Diverses personnes prennent la parole et s'associent chaudement à l’idée de combattre la guerre par la constitution de sodétés de paix et d’arbitrage.
- Afin que tous les travailleurs puissent prêter leur concours à ce mouvement, les orateurs proposent que la cotisation mensuelle soit fixée à dix centimes au minimum, laissant toute latitude à ceux qui peuvent verser davantage, de le faire.
- Cette proposition est acceptée.
- M. Godin entre alors dans l’examen du nouveau rôle que les difficultés sociales assignent aux amis de la paix dans toutes les nations civilisées.
- Il montre qu’en fait de questions de travail et d’industrie, les peuples et les sociétés, les patrons et les ouvriers en sont, aujourd’hui, partout le monde, dans un état de lutte et d’anarchie comparable à ce qui se passait autrefois entre nobles, serfs et vilains, avant que les peuples eussent constitué leur unité nationale.
- « Alors, » dit-il, « on se battait de seigneuries à seigneuries, aujourd’hui on lutte d’industries à industries ; et si les résultats sont moins cruels, ils comportent malheureusement encore la douleur et la misère pour Les combattant s.
- « Les faits de concurrence dépréciative des produits et des salaires engendrant les grèves ne sont pas autre chose que la lutte transportée dans le champ de l'industrie ; et il est aussi nécessaire pour les classes laborieuses de se rendre compte des motifs et des effets de cette lutte entre producteurs, entre ouvriers et patrons, que des effets et motifs de la guerre entre les nations.
- « Dans l'une comme dans l’autre les sociétés de paix et d’arbitrage auraient un rôle humanitaire à remplir: celui de se pénétrer des moyens de ^prévenir ces luttes et de s’efforcer d’amener toutes les nations à adopter ces moyens. »
- L’orateur expose, ensuite, comment les industriels, pour s’emparer des affaires, rivalisent entre eux d’abaissement des prix de ventes et atteignent rapidement la limite où ils ne peuvent plus réaliser de bénéfices qu’en baissant les salaires des ouvriers. Il montre que cette concurrence acharnée, ruineuse pour les patrons, désastreuse pour les ouvriers, ne s’exerce pas seulement entre producteurs d’un même pays, mais à notre époque entre producteurs du monde entier.
- Il en donne pour exemple ce qui se passe en Belgique :
- « Les houillères be Iges, « dit-il, « ont à lutter contre les charbons anglais, les charbons allemands et les charbons français.
- « Donc, la solution de la misère ne peut être cherchée pour un pays seulement ; elle doit être cherchée pour toutes les nations à la fois.
- « En quoi pourrait-elle consister ? »
- Ici, M. Godin développe, au cours d’interpellations qui prouvent avec quel intérêt l’auditoire suit la question, que la solution des misères industrielles se trouverait dans l'institution d’un Tri-
- p.242 - vue 245/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 24M
- bunal international d’arbitrage industriel réglant d’une façon véridique le taux équitable des salaires pour telle et telle industrie, taux qui d vrait être respecté sous peine d’infraction à la loi.
- Comme démonstration pratique de ce qui résulterait d’un tel arrangement, M. Godin dit que si, par exemple,en présence delà misère croissante des ouvriers mineurs, les Gouvernements de France, d’Allemagne, d'Angleterreetde Belgique tombaient d’accor 1 qu’il y a lieu de relever les salaires des mineurs dans une proportion équivalente à une élévation de vingt-cinq pour cent du prix de vente du charbon, rien 11e leur serait plus facile que d’imposer cette élévation. Les propriétaires des mines toucheraient les mêmes bénéfices, et les mineurs seraient dans l’aisance au lieu d’être dans le besoin.
- M. Godin pense donc que l’institution des Sociétés de paix et d’arbitrage pour la solution des différends internationaux amènera rapidement l’esprit public à reconnaître que l’institution de Sociétés analogues pour l’équilibre des salaires dans les industries similaires en toute nation serait également désirable.
- d Notre époque tend » dit-il « à la constitution de sy - icats entre patrons ; mais cela ne suffirait pas pour répondre aux nécessités industrielles, puisqu les nations influencent aujourd’hui de la façon la plus considérable les marchés les unes des autres ; il faut des sortes de syndicats inter -nationaux, c’est-à-dire des sortes de tribunaux industriels, réglant les salaires et la participation aux bénéfices comme jel’ai indiquétout àl’heure.»
- M. Godin examine,ensuite, les conditions spéciales de l’industrie des appareils de chauffage dans laquelle les membres de l’association du Familistère trouvent leurs moyens d’existence.
- Il signale les réductions de salaires déjà opérées dans certaines usines concurrentes, et engage le personnel à ne point perdre cela de vue et à faire tous ses efforts pour maintenir, ici, une production économique.
- « Ici », dit-il « nous sommes en association et le personnel travailleur a part directe aux bénéfL ces. Ailleurs, il n’en est pas de même. L’ouvrier n’a que son salaire.
- « Mais la concurrence dans l’industrie des appareils de chauffage entrant dans les pratiques funestes qui ravalent les prix des produits, nous pourrions bien nous-mêmes en ressentir le fâcheux contre-coup,
- « Vous pouvez donc mesurer combien il serait S important pour le mon le ouvrier que des mesures générales et Internationa es fussent prises, pour interdire, au nom de la loi, la baisse des salaires en-dessous du taux où il cesse d’y avoir justice et respect du droit d-' l'existence de l’être humain.
- « Quand on sera entré dans une telle voie », dit M Godin, « au lieu de fermer les yeux sur tout ce qui concerne l’ouvrier, de ne point se préoccuper du sort que lui fait l’industrie, de laisser cou ver au sein des nations des germes effroyables de douleurs et de dangers comme ceux qui se montrent aujourd’hui sur différents points, nos gouvernants se préoccuperont du sort du peuple et chercheront enfin à réaliser pour toutes les familles laborieuses les assurances mutuelles et les institutions de garanties nécessaires à la vie humaine dont vous jouissez ici, et à protéger le travail à l’égal de la propriété.
- « Car, remarquez-le, mes amis, ces institutions, ces assurances qui garantissent ici contre le dé-| nûment et l’abandon, le malade, le vieillard, l’infirme, l’orphelin, la veuve, ne devraient pas être le fait d’une institution privée, elles devraient relever de la prévoyance sociale s’exerçant au bénéfice du peuple entier des travailleurs.
- « Mais, pour arriver à l’organisation d’un tel état de choses dontl’intéxêt, vous devez le sent ir, est de première importance pour vous, il faudrait des ressources que nos gouvernants, non-seulement sont incapables de se procurer, mus se refusent à examiner quand on leur indique le moyen de les obtenir.
- « C’est pour arriver à l’institution d’un système de mutualité nationale qui, partout la France et dans toutes les industries, ferait jouir les ouvriers de la sécurité et des garanties dont vous jouissez ici, que je propose, depuis quelques années, l’inau-J guration du droit d’hérédité de l’État pour une certaine part dans toutes les successions, surtout dans les grosses fortunes.
- « Le journal de notre association Le Devoir ne cesse de lutter pour la propagande et la défense de toutes les idées propres à assurer l’amélioration du sort des classes laborieuses ; malheureusement, les idées font lentement leur chemin, la pensée utile et sérieuse est loin d’être recherchée comme celle des feuilles passionnées ou avides de scandales. C’est même le plus souvent au prix de leur popularité que les hommes dévoués à l’humanité démontrent les abus présents et tracentla voie
- p.243 - vue 246/838
-
-
-
- 'm
- LE DEVOIR
- de l’avenir.»
- M. Godin termine par l’exposé de ce que lesgou-vernants de France eussent pu faire pour le bien du peuple avec les sommes formidables englouties depuis le commencement de ce siècle dans les criminelles entreprises de la guerre.
- Si les sommes gaspillées depuis le premier empire en guerres insensées eussent été utiliséespour le bien du peuple, toutes les institutions protectrices de l’existence des citoyens, institutions qui devraient être le lot des nations civilisées, seraient aujourd’hui réalisées, et les misérables villages de France, toutes les masures servant d’habitation aux travailleurs, auraient pu être démolis et rem-placéspar des palais ou des habitations confortables à l’usage du peuple.
- LA MINE A LA SOCIÉTÉ
- Sous le titre La mine aux mineurs, le Coopérateur Français du 9 avril publie un article, dont le but évident est d’établir l’incapacité de la société, ou ‘de l’Etat, de diriger convenablement l’exploitation des mines.
- L’habile rédacteur donne comme exemple l’exploitation des mines du mont Rancié, dans l’Ariège, qui sont des propriétés communales exploitées sous le contrôle de l’Etat.
- Laissons la parole au rédacteur de l’article en question.
- Les points saillants du régime de Rancié sont les suivants.
- Tous les habitants des communes de la vallée ont droit à la mine et ce droit est à eux seuls.....................
- C’est bien là la base de la formule de la mine au mineur .
- Mais ce droit est à peine proclamé qu’aussitôt l’Etat intervient pour le violenter et le comprimer.
- Le Préfet fixe, en effet, la durée du travail, les heures d’entrée et de sortie, la quantité précise, à un Kilogramme près, de minerai que le mineur extraira chaque jour et, de plus, le prix qu’il le vendra.
- Aujourd’hui, la durée du travail est de 5 heures, l’extraction de 4 voltes ou 140 Kilog. par homme et le prix de 60 centimes la volte.
- 1 Ce qui limite rigoureusement le salaire à 2 fr 40 et, après déduction de frais et charges diverses à 2 fr 20 par jour.
- C'est, tout compte fait, 500 fr. par an que gagnent les mineurs de Rancié, car ils ont 125 jours de chômage régulier.
- C’était exactement ce qu’ils gagnaient en 1811 . . . .
- Si on examine, d’autre part, l’organisation thecnique de Rancié, on voit qu’elle est absolument dépourvue de tous les perfectionnements adoptés dans les autres mines ; comme de vraies bêtes de somme, les gourbattiers y charrient encore le minerai sur le dos, dans les galeries secondaires ; et les plans inclinés, qui font, partout ailleurs, une grande quantité de transports, sont inconnus, dans cette exploitation.
- Si enfin, on descend dans la vie intime des mineurs de Rancié, on voit qu’ils sont chargés de dettes et qu’ils ont été jusqu’à ces dernières années, scandaleusement exploités par un petit nombre d’entrepositaires auxquels iis vendent le mine-
- rai et qui leur vendent les denrées..................
- Depuis 600 ans qu’ils ont la mine en mains, les mineurs n’ont su ni s’associer pour la vente de leur produits, ni fonder une société de consommation ; c’est à peine si, depuis 43 ans, ils ont réussi à créer une société de secours mutuels.
- En résumé, ignorance, misère et servitude, tel est le régime actuel de Rancié.
- Voilà le résultat industriel et social de la formule « La
- mine aux mineurs, sous la direction de l’Etat.»
- Le rédacteur de cet article ne dit pas quel mode d’exploitation et d’organisation du travail devrait être substitué à celui pratiqué par les propriétaires des mines de Rancié.
- Que prouve cet exemple ?
- Peut-on en conclure que la possession des mines par l’Etat, et leur exploitation par des sociétés coopératives de travailleurs f sous l’observation d’un cahier des charges réservant les droits de la société, est une utopie irréalisable condamnée d’avance à l’insuccès ?
- N’est-il pas, au contraire, plus rationnel de considérer ce fait comme la confirmation de cette règle bien connue : que patrons, capitalistes, Etats et associations ouvrières ne sont pas plus les uns que les autres en situation de conduire à bonne fin des entreprises systématiquement réglementées et outillées à la façon du seizième siècle ?
- Si le rédacteur du Coopérateur Français voulait se donner la moindre peine de consulter la liste des faillites fréquentes des entreprises du même genre exploitées par des particuliers, il serait obligé de reconnaître que l’exploitation des mines du Rancié a eu l’avantage sur celles-là de se conserver pendant plusieurs siècles.
- Atout considérer, les mineurs du Rancié sous la tutelle négligeante de l’Etat ont une situation qui n’est ni meilleure ni pire que celle faite aux travailleurs belges par les capitalistes possesseurs des concessions.
- Dans notre département de l’Aisne, beaucoup de travailleurs des champs ont passé leur hiver en gagnant à peine chez les cultivateurs 1 fr. 50 par jour.
- L’Etat, le Préfet et tous les autres agents auxquels il convient d’attribuer la responsabilité de la mauvaise exploitation des mines du Rancié, n’ont point eu à intervenir entre les propriétaires et les ouvriers agriculteurs ; cependant ceux-ci étaient encore plus malheureux que les mineurs en question.
- Le tissage à la m ain n’est pas d’avantage une industrie d’Etat, l’initiative des capitalistes et des patrons peut s’y donner libre cours ; néanmoins les malheureux travailleurs de cette profession, depuis longtemps, ont grand peine à gagner un salaire quotidien de 1 fr.
- La mauvaise gestion des mines du Rancié ne peut être imputée aux deux caractéristiques qui la distinguent des autres entreprises minières.
- Un association ouvrière et l’Etat, lui même, sont aptes à utiliser, aussi bien qu’un particulier, les ressources de la science. Et on ne peut conclure d’un fait isolé, dans lequel association ouvrière et Etat ont négligé les données élémentaires de l’in-j dustrie, que cette coupable indifférence est inhé-| rente à ces institutions; pas plus qu’il serait rationnel de prendre texte des échecs individuels
- p.244 - vue 247/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 245
- pour condamner systématiquement toutes les tentatives de ce genre.
- Parcequ’un grand nombre de sociétés coopératives ont pitoyablement échoué, au début, pour avoir négligé les donnés administratives, aurait-on été autorisé à conclure que ces sociétés étaient incapables de convenablement s’organiser ?
- Ges interprétations n’ont pas manqué. Les faits aujoud’hui ont eu raison de ces détestables arguments.
- Quant à l’incapacité de l’Etat d’imprimer une bonne administration aux choses qu’il gère, il faut distinguer. Quelle administration particulière ferait mieux que l’Etat fonctionner les services de voirie, des Postes et des Télégraphes ?
- Certainement on peut comparer l’outillage et les procédés usités dans ces services publics à tout ce que permet d’appliquer la science actuelle. Fit il n’est pas douteux que beaucoup d’ouvi iers de l’agriculture, de l’industrie privée seraient heureux d’avoir, comme les travailleurs attachés à ces administrations, un salaire régulier, et une retraite assurée.
- Notre idéal n’est pas la concentration dans les mains de l’Etat de l’exploitation de la richesse publique, néanmoins il est juste de réduire à leur valeur les exagérations de critiques souvent inspirées par la haute finance.
- Ainsi, lorsqu’on a voté les conventions maudites qui causent la ruine de notre, commerce au profit des spéculateurs qui possédaient alors les titres de chemins de fer, M. Marcel Barthe défendant ce projet devant le sénat déclara, comme argument à l’appui de l’exploitation des chemins de fer par les compagnies, que l’Etat Belge perdait^ chaque année quelques millions par le fait qu’il était possesseur des lignes de chemins de fer.
- L’honorable partisan des patriotiques entreprises financières oubliait de- mentionner que l’Etat Belge (aisait les transports d’après des tarifs 5.0/q au-dessous de ceux de nos compagnies !
- Dans un prochain numéro nous dirons pourquoi les mines du Rancié ne sont pas mieux exploitées, et comment il serait possible, conformément à nos doctrines, de les organiser pour le plus grand bien des mineurs et de la société en général.
- Dès maintenant, nous déclarons que ce ne sera pas l’expioitation des capitalistes qui produira ces heureux résultats et notre affirmation, si nous voulions l’établir par des faits, serait confirmée par plus d’un exemple. Les récents événements de la Belgique, les émeutes ouvrières en Amérique, les désordres permanents en Angleterre, les grèves comme celles de Decazeville attestent trop clairement que l’exploitation capitaliste aboutit à l’anarchie sociale.
- Nous supposons que le Coopérateur Français, crée pour faire prévaloirles idées associationnistes, proposera une autre solution. S’il en était autrement, si le Coopérateur Français limitait la coopération aux entreprises de coopération de consommation, s’il considérait les grandes industries et les entreprises minières comme des monopoles réservés aux sociétés capitalistes, nous aurions heu de nous étonner de cette attitude et de la cri-Quer comme une dérogation aux principes mêmes de la Coopération.
- LA COOPERATION
- Toulon, Var, le 19 février 1886.
- Monsieur,
- Nous avons reçu les prospectus et les numéros du journal « le Devoir » que vous avez bien voulu nous envoyer et nous vous en remercions sincèrement.
- Je crois devoir porter à votre connaissance que ar suite de fusion entre la société coopérative de oulangerie «La Toulonnaise » et la société coopérative « La Populaire,» une seule société existe à Toulon qui a pour titre : « La Populaire;» le nombre d’adhérents est de 400, nous espérons que cet effectif deviendra plus considérable. La société, La Toulonnaise, avait adhéré au congrès des sociétés tenu à Paris l’année dernière ; elle était représentée aux chambres consultative et économique formées à Paris à la suite de ce congrès.
- La nouvelle société « Ra Populaire» dans sa réunion générale qui a eu lieu le 6 du courant, a décidé, à l’unanimité, de maintenir son adhésion à la Fédération des sociétés coopératives, de France, persuadée que c’est par le moyen de l’union et des rapports entre les sociétés' que nos affaires pourront se développer.
- Notre société naît à p eine ; elle a par conséquent besoin de puiser chez ses aînées tous les conseils propres à la faire grandir ; elle est composée presque exclusivement d’ouvriers qui n’ont par conséquent à consacrer à son administration que le temps qu’ils ne doivent pas à leur travail quotidien ; l’instruction et la compétence en la matière première nous font peut-être un peu défaut, mais nous avons pour y suppléer, beaucoup de bonne volonté et de persévérance pour faire triompher notre oeuvre. Nous serions heureux si vous pouviez nous procurer quelques documents de nature à nous instruire sur la tenue de la comptabilité et vos statuts.
- Notre société ne livre au comptant que les pâtes alimentaires, le riz et l’huile à" manger. Le pain qui est la consommation la plus considérable est livré à crédit pendant la quinzaine, attendu que tous les ouvriers composant la société sont employés à l’arsenal maritime qui paie à quinzaine ; c’est par conséquent une avance faite par la société. Il serait préférable dans l’intérêt de la société que tout fût payé comptant. Jusqu’à ce jour la société ne répartit pas les bénéfices aux sociétaires au prorata de leur consommation ; nos statuts stipulent que la société devra vendre le meilleur marché possible et se réserver un petit bénéfice.
- Nous croyons cependant qu’il serait meilleur de partager les bénéfices ; les sociétaires voyant se former un petit capital leur appartenant seraient encouragés, nous nous proposons d’arriver à ce procédé. C’est pourquoi nous serions heureux de posséder des documents pour nous guider et nous ne saurions mieux nous adresser qu’à votre importante société.
- Il existe une société coopérative de boulangerie à Six-Fours (Var) petite localité aux environs de Toulon. Vous pourriez leur adresser le journal « le Devoir » ; cette société est en bonne voie de prospérité.
- p.245 - vue 248/838
-
-
-
- 246
- LE DEVOIR
- Veuillez agréer, Monsieur avec no s civilités, nos salutations les plus empressées.
- Pour le conseil d’Administration,
- Le Secrétaire,
- Clamen.
- Réponse :
- Guise, Familistère, 26 mars 1886.
- Monsieur le Directecr de la société coopérative « La Populaire » de Toulon.
- Je suis en retard pour vous remercier de votre lettre du 19 février.
- Les besoins que vous m’exprimez en ce qui concerne votre société vont se manifester de plus en plus à mesure du développement des sociétés coopératives.
- Rien n’a été fait jusqu’à ce jour en France, pour répondre à ces besoins et faciliter aux sociétés naissantes les moyens d’une bonne administration.
- Les sociétés elles-mêmes jusqu’ici ont été peu disposées à accueillir les moyens rationnels indispensable en cet ordre de faits. Pour aujourd’hui, je ne puis que vous signaler une chose c’est que la vente au comptant est indispensable aux sociétés coopérativ s si elles veulent subsister.
- Pour vendre à la quinzaine, il faudrait que votre société se fut entendue avec l’établissement dans lequel les coopérateurs travaillent, et que cet établissement se rendît garant du paiement des consommations entre les mains delà société.
- Alors, chaque coopérateur devrait avoir un carnet sur lequel seraient inscrites les dépenses faites par lui ou sa famille ; le montant des dépenses de la quinzaine serait délivré, à chaque paie, à l’établissement industriel qui devrait faire la retenue. Si vous ne pouvez pas obtenir cela, je suis inquiet pour vous du sort de vos opérations; car, vous éprouverez des pertes inévitables.
- — L’idée de vendre au meilleurmarché possible est une erreur commune à beaucoup de sociétés à l’origine. Il faut vendre la marchandise au cours ; c’est ensuite dans le partage des bénéfices que les coopérateurs retrouvent les avantagés que la coopération doit leur procurer. Mais avec le sentiment de solidarité et de prévoyance que doit avoir toute société coopérative, il est bon avant de par-, tager les bénéfices, de constituer un fonds de mutualité pour venir en aide aux sociétaires en cas de maladie.
- — J’ai l’honneur de vous adresser parce courrier le-volume Mutualité sociale qui comprend les statuts dé notre Association et une brochure sur les pionniers de Rochdale.
- Veuillez agréer, Monsieur le Directeur, l’assurance de mon dévouement..
- Godin.
- AVIS
- Le journal « Le Devoir » est envoyé gratuitement à titre d’essai.
- Si le journal n’est pas renvoyé après le quatrième numéro, l’administration fait présenter une quittance d’abonnement.
- Objections, questions et réponses sur l’hérédité de l’Etat (t).
- 16me Article
- En présence du nouvel emprunt de neuf cents millions votés par les Chambres et de la création des impôts qui en seront la conséquence, la pro-p osition du droit d’hérédité nationale prend une nouvelle importance. Aussi me paraît-il utile de ne laisser échapper aucune occasion de chercher à dissiper les préjugés qu’éveille cette question.
- Je vais donc répondre aujourd’hui aux objections que me fait M. T. ancien notaire.
- « Partisan comme vous » me dit-il, « de la ré-« duction du degré héréditaire, j’estime que vous « allez trop loin dans l’extension du droit de l’Etat» « et que les inconvénients et difficultés d’applica-« tion seraient insurmontables dans le temps « présent.»
- Ce que j’ai écrit sur les avantages que le pays retirerait du droit d’hérédité nationale en remplacement des impôts abusifs, base de notre régime fiscal, n’est qu’une théorie, ce n’est pas un décret. En conséquence, le jour où les Chambres françaises seront assez bien avisées pour s’emparer de la question, elles se garderont malheureusement d’accepter ma proposition en son entier. Les adoucissements que désire mon correspondant trouveront alors ample champ ; mais je maintiens que le droit héréditaire, tel que nos codes l’instituent, est une iniquité sociale et que sa réforme complète ne présenterait aucune difficulté. Il s’agit d’un simple lait législatif qui ne touche en rien aux intérêts existants.
- Les intérêts isolés qu’atteindrait le droit"d’hérédité de l'Etat seraient trop justement touchés pour pouvoir constituer un élément de résistance.
- Quoi, depuis un siècle, la France a vu six fois son gouvernement renversé révolutionnairement. soit par le parjure, soit au nom de la revendication des droits du peuple, et les choses n’en ont pas moins ensuite suivi leur cours; et vous sem-blez craindre qu’une loi votée par les Chambres dans l’intérêt des classes laborieuses, après débats publics et exposition de tous les motifs justificatifs, puisse devenir une cause de troubles !
- Mais, cette loi serait tout à l’avantage du peuple; ce quelle atteindrait surtout, ce sont les grosses
- (t) Lire le Devoir des 8, 15, 22, 29 Novembre; 13,20, 27 Décembre 1885; 10,17,24,31 Janvier; 21, 28 Février; 7 et 14 Mars 1886.
- p.246 - vue 249/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 247
- successions, les grands héritages et pour en faire tourner les ressources au plus grand avantage de la masse des citoyens !
- Cependant vous ajoutez :
- « La résistance générale serait telle que les « institutions libérales n’y résisteraient pas.»
- Où seraient les motifs de cette résistance, lorsqu’il serait démontré que l’hérédité de l’Etat est le moyen pacifique de décharger le peuple des lourds impôts qu’il paye; quelle est le moyen, et le seul moyen entendez-vous bien, d’éviter la banqueroute de l’Etat ; que si l’on ne consent pas à prendre sur les biens des morts de quoi acquitter les dettes de la nation, un jour viendra, et plus vite qu’on ne pense, où le crédit public s’effondrera dans une effroyable banqueroute de l’Etat ; où il se trouvera que faute d’avoir prélevé au jour le jour sur les richesses délaissées à la mort, de quoi rembourser la dette nationale, nos classes dirigeantes se seront précipitée s elles-mêmes au devant d’une dépossession.
- Bien certainement cela ne se fera pas à l’amiable, et ce n’en sera sans doute que plus malheureux et plus terrible.
- Mon correspondant continue :
- « De plus il s’en faudrait que les produits fus-« sent aussi élevés que vous le supposez.La fraude, « l’émigration des capitaux, la dépréciation des « biens diminueraient les chiffres dans une pro-« portion considérable. »
- D’abord, je n’ai rien supposé, les chiffres que j’ai donnés sont les chiffres officiels sur lesquels les droits d’enregistrement sont aujourd’hui perçus. Sur plus de cinq milliards tombant chaque année en succession, je me suis contenté de proposer la perception de deux milliards environ. Rabattez-en ce que vous voudrez ; il en restera toujours une belle part à l’Etat.
- Il n’y aurait pas plus de facilité pour frauder que cela n’a lieu pour les droits d’enregistrement ; il y en aurait moins, au contraire ; car l’Etat intervenant comme héritier aurait un droit d’investigation qu’il n’a pas aujourd’hui; pas plus que tout autre héritier, il ne laisserait opérer de détournement à son préjudice. Ce sont donc là des craintes mal fondées.
- Quant à la dépréciation des biens, elle n’est pas plus justifiée ; dans tous les cas, si elle avait lieu comme elle se produit maintenant, bien que nous ne soyons pas sous le régime de l’hérédité de l’Etat, elle ferait que la terre et les maisons seraient plus accessibles au pauvre monde ; car,
- alors, la classe laborieuse travaillerait et gagnerait; elle pourrait donc acheter, tandis qu’aujour-d’hui écrasée d’impôts, de loyers et fermages exorbitants, elle est épuisée et ne peut rien acheter.
- « Il faut reconnaître, en outre, » poursuit mon contradicteur, « que l’attribution à l’Etat d’une « quote part dans les successions aurait, dans « bien des cas, des conséquences funestes. L’Etat « deviendrait forcément, ne fut-ce qu’à titre « momentané,industriel, commerçant, agriculteur « et vigneron. Ce qui entraînerait la création d’une « armée de fonctionnaires.
- « Pour faire cesser cette situation, l’Etat devrait « faire liciter ou vendre les biens indivis, usines, « marchandises, matériel, bétail, récoltes, soute vent dans des conditions ruineuses à la fois « pour lui et pour ses co-propriétaires. »
- J’ai, il y a longtemps déjà, répondu à ces dernières objections; donc, mon contradicteur n’a pas lu tout ce que j’ai écrit sur ce sujet ou en a oublié partie.
- Pourquoi voir d’un œil aussi pessimiste les propositions de réformes et ne pas considérer de la même manière la situation politique et sociale de notre époque ?
- D’abord, je l’ai dit et redit, l’Etat ne se fera ni industriel, ni commerçant, ni agriculteur, ni vigneron. Il n’y aura pas lieu à la création d’une armée de fonctionnaires ; au contraire, le nombre des fonctionnaires diminuera.
- L’Etat sera héritier comme tout autre héritier ; on procédera dans les successions en ligne directe comme on procède aujourd’hui. En ligne collatérale et à défaut de testament, l’Etat étant seul héritier, la succession sera moins divisée; les biens tombés en partage à l’Etat seront pour lui ce qu’ils sont lorsqu’ils tombent aux mains des richissimes propriétaires actuels. Est-ce que Rothschild est obligé de se faire agriculteur, industriel, etc, etc, s’il hérite d’une ferme, d’une usine ou d’une fabrique ?
- L’Etat sera propriétaire comme tous les autres grands propriétaires ; il licitera et partagera comme la loi oblige à le faire ; il vendra, affermera ou louera, suivant les besoins publics et les habitudes et coutumes établis par la loi. La différence entre l’Etat prop riétaire et le riche propriétaire consistera en ce que l’Etat héritera, possédera, vendra et louera au nom de l’intérêt public, tandis que le riche propriétaire hérite, possède, vend et loue dans son intérêt privé.
- p.247 - vue 250/838
-
-
-
- 248
- LE DEVOIR
- L’Etat propriétaire, quelle que soit sa manière de vendre ou de louer, rapporte à la chose publique les avantages qu’il retire de la propriété ; le riche propriétaire, au contraire, mieux il sait vendre, louer et affermer, plus il enlève au travailleur dans un intérêt égoïste. En louant cher, le riche propriétaire, affame le fermier ou le locataire. Au contraire, si l’Etat vend ou loue cher les biens dont il hérite, cela tourne au profit du trésor public qui emploie ces revenus en améliorations sociales. Et si l’Etat vend ou loue bon marché, cela tourne au profit des citoyens laborieux qui ont accès à la propriété. L’Etat représentant la nation n’a pas d’intérêt en dehors des intérêts de la nation ; il administre avec plus ou moins d’intelligence suivant les capacités des mandataires du peuple ; mais, quoiqu’il fasse, dans le cas d’hérédité nationale, dès qu’il remet immédiatement les biens dont il hérite à l’initiative et à la gestion des citoyens, il ne peut faire qu’une chose utile aux intérêts publics.
- Les terreurs de mon honorable correspondant sont donc sans fondement; l’Etat ne sera pas plus que tout autre héritier obligé de faire liciter ou vendre les biens indivis, usines, marchandises, matériel, bétail et récoltes, à des conditions ruineuses pour personne ! Ce sont là des appréhensions hasardées^et irréfléchies. L’Etat, agissant au nom de l’intérêt de la Société entière, ne peut avoir le sentiment égoïste des propriétaires ordinaires. Il intervient avec la pensée réfléchie que le législateur saura y apporter ; car, si nos députés sont impuissants aujourd’hui à faire de bonnes lois, il n’en sera plus de même lorsqu’ils auront à régler les ressources publiques sur la base du droit d’hérédité nationale.
- Les applications sociales de leurs décisions se présenteront clairement à leur esprit et l’intérêt social: les inspirera. Ce qui les paralyse et les annihile aujourd’hui, c’est surtout le manque de ressources pour faire face aux besoins des réformes sociales.
- Que faut-il pour s’élever au-dessus de toutes les appréhensions que fait naître la conception d’une réforme nouvelle? Se préoccuper avant tout de ce qui est bien et vrai, de ce qui est juste et droit, de ce qui est utile et bon, en prenant pour objectif le progrès, 1a. perfection et le bonheur de toutes les existences humaines.
- Ah ! bien entendu que si la classe aisée et riche n’en veut que pour elle, il n’y a rien à faire,sinon à attendre le cataclysme social qui mettra lin aux
- 1 abus. Mais, si l’on prend pour critérium de ses jugements, le plus grand bien de la vie humaine, on peut s’élever à la conception de ce qui est le mieux à faire pour l’ordre social. Si, au lieu de se préoccuper du sort des classes laborieuses et du bien de la vie humaine en général, on veut accommoder les réformes aux convenances de telle ou telle catégorie d’intérêts ou de résistances qu’on entrevoit ; si, enfin, l’on perd de vue la justice et le droit dans leur principe, le champ des objections est interminable.
- Ce n’est pas que je veuille me plaindre de celles qui me sont faites; au contraire, j’en remercie mes contradicteurs ; car, en me donnant l’occasion de revenir sur le terrain de la discussion des détails, ils font pénétrer l’idée dans les esprits.
- Combien il serait heureux pour la France que l’idée de l’hérédité nationale eût été suffisamment examinée pour faire son entrée dans l’opinion publique. Nos gouvernants eussent renoncé à rouvrir le gouffre de la dette, pour y engloutir par l’emprunt encore neuf cents millions ! On aurait évité ce nouvel appoint aux difficultés dont les hommes d’Etat ne savent mesurer ni l’étendue ni les dangers ! Et pourtant assez de symptômes s’en manifestent de tous cotés par suite de la misère des classes laborieuses !
- Les objections à l’hérédité nationale sont bonnes à faire en vue du progrès de l’idée ; mais l’application du principe serait beaucoup préférable; car elle préviendrait bien des malheurs qui s’a-moncèlent sur l’horizon politique et social des nations.
- Faits politiques et sociaux de la semaine
- FRANCE
- L’emprunt de prévoyance. — C’est par ce mot que M. Freycinet a caractérisé le nouvel emprunt que le gouvernement va contracter pour régulariser des dépenses faites depuis longtemps. Tout les députés n’ont pas admis cette nouvelle manière d’être prévoyant, le groupe socialiste notamment, a fait à la Tribune parlementaire la déclaration suivante.
- Messieurs,
- Au nom de mes honorables collègues, MM. Michelin, Boyer, Prudhon, Clovis Hugues, Caraélinat, et au mien, j’ai l’honneur de déclarer à la Giiambre que les procédés financiers du gouvernement ne nous paraissent nullement de nature à établir un budget républicain, puisqu’ils ne répondent en aucune façon à l’urgente nécessité de réduire les charges publiques.
- p.248 - vue 251/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 249
- Nous estimons que le seul moyen démocratique à employer consisterait dans U réalisation des séuères économies promises il y a peu de temps et qui déjà paraissent oubliées, dans l’élimina tion rigoureuse des dépenses superflues, dans la suppression des emplois inutiles, la réduction des gros traitements, la modification complète d’un système d’impôts contraire à l’équité.
- Nous repoussons, en conséquence, toute nouvelle émission de rentes, toute augmentation de la Dette nationale.
- Nous réclamons la suppression des taxes de consommation et l’établissement d impôts plus élevés sur la richesse acquise (capital ou revenus sur les opérations financières ou sur les successions.
- * *
- Congé refusé à M. Basly. Quelques députés passent en congés réguliers la plusgranle partie des sés-sions ; jamais leurs collègues n’avaient invoqué l’application du règlement. Mais, M. Basly employant ses vacances à diriger des 'uvriers dans leur résistance contre l’autoritarisme d’une puissante compagnie financière, est devenu un grand criminel, et beaucoup de ses collègues regrettent que le règlement ne soit plus sévère. Voilà comment les parlementaires comprennent la solution de la crise ouvrière, lorsqu’un député dépose un projet de rétorme, les commissions sont là pour l’enterrer ; si un député agit en dehors de la Chambre on a les réglements pour neutraliser son activité.
- Excellent exemple. — L’&cadémie des beaux-arts vient de recevoir un legs considérable. Mme Chenavard, belle-sœur du peintre de ce nom, est morte il y a trois jours, boulevard Beaumarchais. Dans le but d’honorer le nom de Chenavard, elle a institué l’Ecole des beaux-arts sa légataire universelle.
- L’héritage comprend une somme de trois millions et des collections artistiques importantes. Mme Chenavard a, dans son testament, spécifié très nettement les conditions qu’elle met à ce legs. La rente des trois millions sera affectée à des encouragements annuels aux élèves les plus travailleurs de l’E- ole, dans la forme que l’administration jugera la plus convenable et la plus utile. Rien de ses collections artistiques ne pourra être vendu, dispersé.
- L’Ecole des beaux-arts doit également conserver tout son mobilier, sans en distraire ni céder quoi que ce soit. Lorsqu’elle mourra, l’Etat lui fera un enterrement de première classe et aura le devoir de faire revenir son corps à Paris, en quelque endroit que le décès ait eu lieu.
- Vendredi on a enterré Mm# Chenavard ; la cérémonie a été faite conformément aux indications de son testament, dont l’administration des beaux-arts a reçu communication officielle.
- Le legs Chenavard est le plus important de ceux que l’Académie des beaux-arts a reçus jusqu’à ce jour.
- * *
- Au Sénégal. — Les postes de Bakel sont assaillis par de forts contingents d’indigènes. Le Fort de Bakel est cerné et les communications avec St-Louis, sont coupées.
- *
- * *
- Au Maroc. — Les tribus voisines des frontières de nos colonies algériennes ont incendié plusieurs villages situés sur notre territoire. Des troupes ont été dirigées contre les agresseurs.
- ANGLETERRE
- Acquittement des socialistes. — M. Hyndman présente lui-même sa défense.
- Il dit qu’on a affirmé qu’il était un homme riche. Ce n’est pas la vérité. Son père lui a, en effet, laissé une somme considérable, mais la plus grande partie de cet argent a été dépensé pour les besoins de la société dont il fait partie.
- II ne veut rétracter aucun de ses actes, mais il entend assumer l’entière responsabilité de tout ce qu’il dit.
- Il n’a rien à se reprocher. Au contraire, tout ce qu’il a fait a été dans l’intérêt du pays et des dasses ouvrières.
- Il n’est pas juste de condamner un homme sur des fragments de discours rapportés par les journaux.
- Il dit qu’il ne faut pas s’attacher à ce qu’ ont dit les reporters. Ceux-ci n’ont donné que des extraits des discours et il ne savaient pas que la justice ferait appel à leur témoignage.
- L’émeute n’a pas été la conséquence naturelle do meeting de Trafalgar square ; elle a été provoquée par l’attitude insolente des personnes qui se trouvaient devant le Carlton Club.
- M. Hyndman dit qu’il voudrait savoir quel est l’homme qui serait sans nourriture pendant vingt-quatre heures et qui rie se servirait pas d’expressions énergiques pour s’élever contre sa situation lamentable.
- L’accusé commence alors un récit de ses voyages dans diver ses parties du monde. Il dit que partout ceux qui travaillent le plus ont le sort le plus misérable. Il a été dans le pays d’esclavage, et il peut affirmer à la cour que i’ouvrier anglais est plus à plaindre que l’esclave même.
- Il cherche à démontrer ensuite que les réclamations des socialistes sont parfaitement légitimes, et que le langage tenu au meeting n’a pas dépassé la mesure de la libre parole.
- Après la réplique de l’attorney général, le juge, résumant l’affaire, dit que s’il était prouvé que les accusés avaient eu l’intention d’exciter la foule aux troubles, le jury devait les condamner.
- Il se peut cependant que les accusés n’aient cherché qu’à obtenir de la popularité ou qu’ils n’aient voulu que le bien des classes ouvrières sans intention d’exciter à une émeute.
- Le jury s’est retiré à trois heures vingt pour délibérer, et, après une heure de délibération, a rendu un verdict d’acquittement, tout en blâmant énergiquement la violence des paroles de MM. Champion et Burns et reconnaissant le bien-fondé des poursuites.
- ETATS-UNIS
- La Grève des Chemins de fer. — Bien que la Compagnie du South-Westren ait rétabli le parcours de ses trains, la grève n’est pas encore complètement terminée. La décision même de la compagnie de ne pas traiter avec les grévistes et de rompre toute communication avec les Chevaliers du Travail, a amené de nouveaux attentats, plus graves
- p.249 - vue 252/838
-
-
-
- 250
- LE DEVOIR
- ceux-là que la destruction du matériel.On annonce, en effet, du Texas, qu’une troupe de grévistes, armés de carabines, a attaqué dernièrement un poste de sheriffs préposé à la garde d’une gare. Les assiégés ont riposté ; il y a eu de nombreux coups de feu de tirés, des morts et des blessés de part et d’autre.
- Les habitants de la région se montrent indignés de ce s procédés et, les armes à la main, se préparent à soutenir la cause de l’ordre et de l’autorité. Il y a donc lieu de croire que, sur ce point là du moins, des faits de cette nature ne pourront aussi facilement se produire.
- On annonce, en même temps, que la Chambre basse du Congrès américain vient de voter une loi qui met les frais d’arbitrage en cas de contestation ouvrière à la charge du Gouvernement. Cette nouvelle disposition fixe à trois le nombre des arbitres : un choisi par les chefs industriels, un par les ouvriers et un troisième, enfin, par les ouvriers et patrons réunis. L’acceptation du rôle d’arbitre est volontaire ; les frais, supportés par le Gouvernement, ne doivent pas dépasser pour chaque arbitrage 1000 dollars.
- if *
- Corruption administrative. — Des faits d’une gravité exceptionnelle viennent de se passer dans l’administration municipale de la métropole. Pusieurs aldermens (membres du conseil), inculpés de concussion dans l’affaire des chemins de fer de Broadways, ont été incarcérés ; d’autres sont aujourd’hui placés sous la surveillance de la police.
- Ces arrestations ont pruduit une vive émotion dans New-York.
- LA QUESTION SOCIALE
- et les possibilités socialistes.
- DES FORMES SOCIALES.
- XIII
- Fidèle à notre'méthode de prévenir les objections par l’exposé de faits indéniables, nous pouvons confirmer ce que nous avons dit des formes sociales et de la nécessité d’augmenter les institutions sociales par une comparaison entre la société familistérienne et la société individualiste.
- On nous dira qu’il est prétentieux de vouloir comparer avec une société de 36.000.000 d’habitants un groupe de 1.800 travailleurs.
- Le Familistère est une unité sociale d’une société solidaire, au même titre que la commune est l’unité sociale dans le régime administratif ; à ce point de vue la comparaison peut se faire rigoureusement.
- Sur le terroir de l’association, il n’existe aucun propriétaire individuel du sol ou des immeubles qui y tiennent ; la propriété de ces choses est so-
- ciale; et la jouissance prend des formes communistes ou collectivistes suivant l’intérêt des individus et du groupe. Une partie des jardins, toute l’étendue nécessaire à l’agrément et à la distraction de tous, est entretenue aux frais de l’association, et livrée à la jouissance de tous; chacun en jouit suivant ses besoins en ne donnant que suivant ces forces ; le veiHard retraité, dégagé de toute charge sociale, y séjourne des journées entières, suivant son bon plaisir, tandis que le membre le plus actif qui contribue aux frais généraux suivant ses forces n’a pas la pensée de demander à être dégrevé de ces charges, sous prétexte qu’il n’éprouve aucun agrément à se promener dans un jardin. Les autres propriétés sont divisées en parcelles que l’association loue à divers et que chaque locataire cultive comme il lui plaît; le prix des locations, le bénéfice, revenant à la collectivité. Cette forme collectiviste sauvegarde le droit de tous à la propriété du sol, puisque les loyers sont perçus par la caisse sociale ; elle n’incommode aucun sociétaire, puisque chacun d’eux à la faculté d’être adjudicataire d’une parcelle.
- Passons dans une commune d’un même nombre d’habitants.
- Nous y trouvons cinq ou six familles possédant les 3 quarts du terroir, et une vingtaine de petits propriétaires qui se disputent la possession de l’autre quart. Cette situation à pour conséquence la perte par tous les autres habitants de leur droit à la possession du sol, sans aucune compensation ; les particuliers, qui possèdent plus de terrain qu’ils peuvent en cultiver,louent à d’autres et conservent pour eux les bénéfices. Là rien n’est fait pour l’agrément de tous, le paria, l’exproprié n’a que la route desséchée où il puisse porter ses pas.
- Au Familistère, la possession des habitations est sociale ; la jouissance a une forme collectiviste, puisque chacun loue suivant ses revenus pour un loyer payé à l’association ; la bibliothèque et les cours, dont tous les habitants profitent suivant leur inspiration, sont des faits de l’ordre communiste. La distribution d’eau, les services de propreté sont aussi des utilités à la portée de tous les habitants entretenues par les frais généraux de l’association. Dans la jouissance de ces utilités, il n’y a jamais appréciation du plus ou moins grand usage, que chacun en fait ; celui qui participe le moins aux frais généraux en
- p.250 - vue 253/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 251
- use sans autre limite que la satisfaction de ses besoins.
- Dans la commune individualiste, les propriétaires du sol exploitent à leur profit le besoin naturel des citoyens de se loger, et leur parcimonie et leur ignorance ont souvent pour résultat de livrer aux travailleurs dépossédés des taudis et des logements mal construits où ne sont observées aucune loi de l’hygiène.
- Dans la société familistérienne, les services communistes de renseignement y sont suffisamment organisés pour que chaque enfant puisse s’instruire selon ses capacités. Les services de l’enfance y fonctionnent de telle sorte que les charges de la famille sont réduites au minimum, sans jamais restreindre les liens de l’afïection.La mère la plus pauvre d’un jeune enfant peut librement disposer de son temps ; en confiant son enfant à la nourricerie, ou au pouponnât, son enfant sera gardé et soigné avec plus de sollicitude que n’en montrent ordinairement les serviteurs auxquels les familles riches confient la garde de leurs enfants.
- Dans le village, la mère de famille pauvre est esclave de la maternité ; elle ne pourra s’absenter un moment, avoir un instant de liberté sans être tourmentée de mille craintes, souvent sans compromettre la santé de son enfant.
- Dans les communes le défaut d’organisation de l’habitation fait que beaucoup de ménages sont éloignés de l’école ; les enfants abandonnés à eux-mêmes s’habituent à vagabonder ; la famille qui veut surveiller son' enfant devient esclave de cette surveillance.
- Au Familistère, groupe unitaire d’une société supérieure, les habitations et les écoles ont une disposition harmonisée ; le professorat est développé suivant les besoins du groupe ; la surveillance des maîtres et des parents s’y exerce pres-qu’à l’insu des uns et des autres ; la famille soucieuse de l’éducation de ses enfants se rend compte de leur conduite, sans perte de temps, sans presqu aucune peine. Un égale sollicitude, dans une commune, absorberait un temps considérable ; elle serait une corvée pénible exclusive de beaucoup de liberté.
- Mais ce qui caractérise surtout le groupe unitaire de la société de l’avenir est l’existence d’une mutualité qui garantit à chacun le droit à la vie par l’institution du minimum de subsistance, par la retraite pour les vieillards, par l’assistance sociale en cas de maladie ou d’accident. Les alloca-
- tions portées aux frais généraux et les cotisations individuelles qui contribuent à alimenter ce service lui donnent les caractères de la véritable mutualité nationale ; les individus cotisent en vue de leur avantage personnel, et l’association elle même subventionne à raison de la sécurité générale qui résulte de la sécurité de chacun.
- La coopération intervient aussi au Familistère la remise aux familles, à la fin de chaque année, d’une partie des bénéfices faits sur leurs approvisionnements est une excellente démonstration pratique des avantages devant provenir de la substitution de l’échange au commerce.
- Un des services de la société familistérienne qui fait le mieux ressortir l’alliance des formes sociales est celui de la buanderie. L’entrée est gratuite ; il n’y a pas de location de place ; chaque laveuse dispose gratuitement d’eau froide et d’eau chaude à une certaine température, et du séchoir à air libre : formes communistes. Le lessivage proprement dit se paie à raison du nombre de pièces à blanchir ; l’eau exceptionnellement chaude est achetée à tant le sceau; le service de l’étuve est tarifié ; toutes ces rémunérations sont payées à la caisse sociale : formes collectivistes. Puis chaque laveuse, si cela lui convient, se procure son savon, son eau de javel, extérieurement ou intérieurement ; de même chaque famille peut faire nettoyer son linge par les salariés avec lesquels elle débat ses prix, sans l’interven -tion d’aucune règle: formes individualistes.
- Certains prétendent qu’il serait possible de faire fonctionner dans les communes les mêmes services de l’enfance, de l’enseignement, de mutualité de propreté, etc., sans qu’il soit nécessaire pour cela d’adopter les formes sociales pratiquées dans le Familistère.
- Cette manière de penser est erronnée, car la presque totalité de ces services ne pourraient fonctionner convenablement s’ils n’étaient alimentés par les bénéfices sociaux qui ailleurs sont des bénéfices individuels, patronnaux.
- Si, dans une commune de 1800 habitants, on laissait aux propriétaires les bénéfices provenant de la location du sol et des immeubles, aux commerçants les gains tirés du commerce, il faudrait imposer des prélèvements supplémentaires sur le travail, assez importants pour doter les services d’ordre familistérien.
- Les travailleurs seraient accablés par ces charges multiples ; il ne leur resterait à peine pour vivre au jour le jour.
- p.251 - vue 254/838
-
-
-
- 252
- LE DEVOIR
- Notons que cette expérimentation sociologique d’un groupe vivant sous des formes sociales autrement équilibrées que dans le milieu est un résultat de l’association, conception relativement nouvelle comme agent du progrès social.
- Les formes sociales dont nous venons de constater l’existence dans le groupe familistérien sont en parfaite concordance avec les principes définis dans notre chapitre « solution théorique ». Elles sauvegardent le droit de tous à la propriété du sol ; elles garantissent à chacun le droit à la vie, matérielle et intellectuelle; elles ramènent les hommes à la pratique de la véritable liberté individuelle qui n’a d’autre limite que le respect de la liberté d’autrui ; leur développement tend à diminuer de plus en plus, au profit de la société, c’est-à-dire au profit de tous, les bénéfices des individus réalisés sur le travail de leurs semblables. Qui dit bénéfice individuel, dit accaparement par un individu, à son profit, d’une partie du travail des autres; or, le travail étant un facteur de l’émancipation individuelle,quiconque prélève, sous forme de bénéfice, une part du travail des autres, porte atteinte, amoindrit cette liberté de ces semblables. Ces prémisses nous permettent de conclure que les formes sociales qui favorisent la transformation des bénéfices individuels en bénéfices sociaux, destinés à établir et à faire prospérer les institutions égalitaires du garan-tisme et des services publics, tendent à ramener les humains dans la pratique du respect de la liberté des uns des autres.
- Les institutions familistériennes présentent un ensemble de possibilités socialistes suffisamment solidaires, suffisamment harmonisées,au point de constituer une unité sociale, différente de l’unité ordinaire, la commune.
- Quel que soit notre désir de voir la société arriver rapidement au niveau familistérien, nous ne croyons pas quelle puisse franchir cette étape d’un seul bon.
- Mais nous affirmons que le salut public commande de précipiter l’évolution sociale selon cette direction, et qu’il existe une infinité de moyens, de possibilités, de pousser progressivement l’action individuelle et sociale vers ce perfectionnement nécessaire ; sans que l’on puisse prétendre que ces moyens, ces possibilités, sont des innovations sans relation avec les formes sociales admises ou bien qu’elles sont en contradiction avec les principes de l’évolution humaine.
- A suivre.
- --------------------- » » - ---------—----------—
- Décret de la Convention Nationale.
- Du 28 juin 1793, an second de la République, une et indivisible.
- Relatif à l’organisation des sec ours à accorder annuellement aux Enfants, aux vieillards et aux indigents.
- O 2mr
- {Secours à accorder aux enfants abandonnés.)
- ARTICLE PREMIER
- La nation se charge de l’éducation physique et morale des enfants connus sous le nom d’enfants abandonnés.
- II
- Ces enfants seront désormais désignés sous la dénomination d’orphelins; toutes autres qualifications sont absolument prohibées.
- III
- Il sera établi dans chaque district une maison où la fille enceinte pourra se retirer pour y faire ses couches, elle pourra y entrer à telle époque de la grossesse quelle voudra.
- IV
- Toute fille qui déclarera vouloir allaiter elle même l’enfant dont elle sera enceinte, et qui aura besoins des secours de la nation, aura droit de les réclamer.
- V
- Pour les obtenir, elle ne sera tenue à d’autres formalités qu’à celles prescrites pour les mères de famille, c’est-à-dire à faire connaître à la municipalité de son domicile ses intentions et ses besoins.
- VI
- S’il y avait, à quelques unes des époques où ces enfants seront à la charge de la nation, des dangers soit pour leurs mœurs soit pour leur santé à les laisser auprès de leur mère, l’agence, après en avoir référé aux corps administratifs supérieurs, et d’après leur arrêté, les placera suivant leur âge, soit dans l’hospice, soit chez une autre nourrice.
- VII
- Il sera fourni par la nation aux frais de gésine et à tous ses besoins pendant le temps de son séjours qui durera jusqu’à ce quelle soit parfaitement rétablie de ses couches ; le secret le plus inviolable sera gardé sur tout ce qui la concernera.
- VIII
- Il sera donné avis de la naissance de l’enfant à l’agence de secours, qui le placera de suite chez une nourrice.
- IX
- Il sera néanmoins permis à tous les citoyens, autres que ceux secourus par la nation, de se présenter à l’agence pour y prendre un ou plusieurs enfants à la charge de la nation.
- X
- L’Agence, après avoir reconnu qu’il y a sûreté et avantage soit pour les mœurs, soit pour l’éducation physique de l’enfant et avoir consulé la municipalité sur laquelle l’enfant sera né ou aura été exposé, en fera la délivrance.
- XI
- Si ces personnes exigent une pension, on leur accordera pour chaque enfant, celle qui est attachée à chaque âge.
- p.252 - vue 255/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 253
- XII
- Si elles y renoncent, leur déclaration sera portée sur le registre où seront transcrites leur demande et la délivrance qui leur a été faite. Le tout sera signé d’elles si elles le savent, et dans le cas contraire par deux m embres de l’agence.
- XIII
- Les personnes qui se présenteront, seront tenues de se soumettre aux conditions suivantes : 1° de ne pouvoir renvoyer ces enfants sans en avoir prévenu le membre de l’agence de leur commune, au moins quinze jours d’avance; 2° de faire fréquenter assidûment par les enfants les écoles nationales ; 3° de les mettre en apprentissage aux époques indiquées, si ces enfants ne préfèrent s’adonner à l’agriculture.
- XIV
- Il sera toujours libre à l’agence de retirer ces enfants aussitôt qu’elle aura reconnu qu’il y a du danger de les laisser plus longtemps au pouvoir de ces personnes.
- XV
- Ces enfants retirés seront mis en nourrice, s’ils sont trop jeunes pour être portés à l’hospice, dans le cas contraire ils seront placés dans le dit hospice.
- XVI
- Chaque municipalité sera tenue d’indiquer un lieu destiné à recevoir les enfants qui naîtraient de mère non retirées dans l’hospice.
- XVII
- Quelque soit le lieu indiqué pour ces sortes de dépôts; chaque municipalité doit y faire trouver tout ce qui est nécessaire pour la santé de l’enfant, et la plus entière liberté pour ceux qui porteront lesdits enfants.
- XVIII
- Chaque municipalité pourvoira aux premiers besoins de l’enfant, et fera avertir le membre de l’agence pris dans sa commune lequel à son tour fera appeler une des nourrices reçues.
- XIX.
- Aucune femme ne pourra être reçue à exercer cet emploi qu’après avoir été admise par l’agence de secours, sur le certificat de l’officier de santé.
- XX
- Il sera tenu par l’agence registre de cette admission, le certificat de l’officier de santé sera également transcrit sur ledit registre.
- XXI
- Ces enfants resteront chez leur nourrice pendant tout le temps qu’ils seront à la charge de la nation, en se conformant pour les nourricesaux dispositions de l’article XIII ci-dessus; et pendant tout ce temps, elles recevront la pension attachée à chaque âge.
- XXU
- Si après le sevrage, ou à toute autre des époques où ces enfants seront à la charge de la nation, les nourrices ne veulent plus les garder, et que personne ne se présente pou r les prendre ils seront portés dans l’hospice.
- XXIII
- Cet hospice qui ne formera qu’un seul et même établissement avec celui consaeré au vieillards, sera divisé en deux corps de logis totalement séparés et subordonnés à un régime
- analogue à chaque espèce d’indigents que l’un et l’autre recevront.
- XXIV
- Les pensions accordées à tous les enfants auront la même durée et les mêmes périodes que celles accordées aux enfants appartenant aux familles indigentes; en conséquence, les dispositions des articles XV, XVI XVII, XVIII, XIV, XX, XXI XXII, XXIII et XXIV du titre premier, auront lieu à l’égard des uns et des autres.
- XXV
- Tous les enfants qui seront secourus par la nation, soit chez leurs parents, soit chez des étrangers, seront inoculés, par l’officier de santé à l’âge et aux époques qu’il croira les plus propres à cette opération.
- XXVI
- Dans chaque hospice, il sera formé dans un lieu absolument séparé des bâtiments où seront les autres enfants, un établissement propre à y placer ceux d’entre eux qui seront soumis à l’inoculation.
- Titre II
- (Secours à accorder aux vieillards indigents.)
- §° 1 r°
- Le vieillard indigent sera secouru aussitôt que l’âge ne lui permettera plus de trouver dans son travail des resources suffisantes contre le besoin.
- II
- Les secours que la nation doit au vieillard, devant être proportionnés à ses besoins augmenteront, en raison de la diminution proportionnée du produit du travail.
- III
- Ces secours seront de deux espèces; secours à domicile, secours dans les hospices ; mais ils ne pourront être obtenu s cumulativement par le même individu.
- IV
- Tous ceux qui ont un domicile y recevront les secours que la nation leur accordera.
- V
- S’ils n’ont pas de domicile, ils pourront recevoir ces mêmes secours chez leurs parents ou amis, ou partout ailleurs dans l’étendue de leur département, ou autre division qui représenterait celle-ci.
- VI
- Ces secours à domicile consisteront également dans une pension alimentaire, exempte de toutes retenue, incessible insaisissable, dont le taux sera fixé tous les deux ans sur le prix de la journée du travail par les administrations supérieures.
- VII
- Le maximun de ces secours ne pourra s’élever dans aucune division de la République, au-dessus de cent vingt livres.
- vm
- Cette pension aura trois périodes, le vieillard parvenu à sa soixantième année en recevra la moitié; les deux tiers, lorsqu’il aura atteint sa soixante-cinquième année, et la totalité lorsqu’il sera arrivé à sa soixante-dixième année.
- IX
- Le citoyen qui, sans avoir atteint l’une ou l’autre de ces périodes, sera néanmoins, par une déperdition prématurée de ses forces, dans le cas d’obtenir des secours de la nation,
- p.253 - vue 256/838
-
-
-
- 254
- LE DEVOIR
- pourra les réclamer en rapportant un certificat de deux officiers de santé et de l’agence de secours.
- X
- Il en sera de même pour celui qui étant déjà secouru par la nation, croira avoir droit, à raison de ses besoins, à une plus forte pension que celle attachée à son âge; mais dans aucun cas, elle ne pourra excéder le maximum déterminé.
- XI
- Tout vieillard qui reeevra la pension entière pourra, s’il le juge à propos, se retirer de l'hospice qui sera établi dans l’arrondissement où il se trouve, pour y recevoir en nature les secours de la nation.
- XII
- Il aura également la faculté d’en sortir, mais seulement après avoir exposé ses motifs aux administrations supérieures^ et en avoir obtenu la permission ; dans ce cas, il recevra de nouveau, à domicile ou partout ailleurs où il se retirera, la pension dont il jouissait auparavant.
- XIII
- Le vieillard qui se retirera dans l’hospice, ne pourra être appliqué à aucun genre de travail dont le produit tourne au profit de la maison.
- Néanmoins il sera mis auprès de lui des moyens de s’occuper s’il le juge à propos de la manière la plus convenable à ses goûts et à ses facultés; le produit de ce travail volontaire appartiendra dans son entier, au vieillard.
- XV
- Le vieillard aura dans tous les temps la faculté de disposer du produit de ce travail ainsi que de son mobilier.
- XVI
- Dans le cas où il n’en disposerait pas, tous ces objets appartiendront à ses héritiers légitimes ; ce ne sera que dans le cas seulement où il ne s’en pr ésenterait point, qu’ils reviendront à la nation.
- XVII
- Tous les secours accordés par forme de pension seront payés par trimestre, et toujours d’avance à ceux qui les auront obtenus.
- (.A suivre.)
- Le pins grand marchand de viande de l'univers
- On croyait, jusqu’à ces derniers temps, que le plus grand marchand de viande de l’univers était un certain M. Ingham, de Montreal, qui exporte chaque année en Europe, et spécialement en Angleterre, par bateaux à soutes réfrigérantes, une moyenne de 50,000 bœufs morts.
- Une correspondance adressée de Chicago à un journal anglais vient d’établir que M. Ingham peut bien prétendre au titre du plus grand exportateur de viande américaine en Europe, mais qu’il est loin d’arriver au chiffre d’affaires atteint dans l’industrie de la boucherie par M. Swift, de Chicago.
- Celui-ci n’a pas abattu, en 1885 moins de 429,483 bœufs, près d’un demi-million!...
- M.Swift est âgé d’environ quarante-sept ans. Il tenait vers 1879, dans le Massachusetts oriental, une petite boucherie de détail qu’il abandonna pour entreprendre le commerce des bestiaux sur pied. Arrivé à Chicago en 1878, il commença l’abatage pour l’approvisionnement des Etats voisins, développa rapidement ses affaires et en vint à se trouuver le plus grand acheteur de bœufs vivants et le plus grand vendeur de bœufs morts des deux mondes.
- Sa moyenne est, en effet, de 1,400 têtes par jour.
- Tous ces animaux sont achetés soit sur Jes marchés de Chicago, soit sur ceux du Kansas et des Etals de l’Ouest,et abattus dans l’établissement central de M. Swift.
- Les employés de cette usine à hécatombes sont au nombre de-1,500, sons la direction d’un gérant quia 9,000 dollars (45,000 fr.) d’appointements annuels. Chose plus curieuse : un seul boucher suffit à l’abatage quotidien de ces 1,400 bœufs, à l’aide d’un énorme marteau mécanique qui les frappe au sommet du crâne.
- Les animaux, aussitôt dépouillés et parés, sont immédiatement empilés en des wagons réfrigérants, puis expédiés vers les villes de l’Est, où ils sont reçus par les dépôts de l’usine et vendus aux détaillants.
- Ces wagons à glace patentés sont la propriété exclusive de l’entreprise, qui n’en possède pas moins de neuf cents, toujours roulant sur les principales lignes ferrées de l’Union américaine.
- On peut dire que M.Swift a crée de toutes pièces cette industrie spéciale; car, il y a huit ans, quand il a entrepris l’abatage, le commerce de la viande, aux Etats-Unis, se faisait exclusivement en animaux sur pied. La progression de son chiffres d’affaires a été la suivante : 194,986 bœufs en.1882; 329,482 en 1883; 400,163 en 1884; 429,483 en 1885. On peut prévoir que sous très peu de temps pas une seule tête de bétail vivant ne passera plus des Etats de l’Ouest à ceux de l’Est : l’industrie du boucher aura définitivement remplacé cefie du marchand de bestiaux.
- Tout le monde sait combien le commerce du porc salé est florissant à Chicago depuis un quart de siècle. Ce qu’on sait moins, c’est le chiffre exact des porcs ég orgés et soumis à la salaison dans la capitale de l’Illinois. Il paraît que ce chiffre n’est pas moindre de 20,000 par jour, en moyenne, et s’élève parfois à 60,000.
- Congrès des Sociétés mutuelles.
- Nous donnons le programme des questions qui seront examinées dans le prochain Congrès des sociétés de secours mutuels et de retraites et des institutions philanthropiques.
- Ce Congrès aura lieu à Marseille du lundi 24 eu dimanche 30 mai 1886.
- PREMIÈRE COMMISSION
- Législation mutuelle — Règlementation
- QUESTION PREMIÈRE. — Le Congrès doit-il examiner et discuter les divers Projets de Loi sur l’organisation des Sociétés de Secours Mutuels, présentés, soit à la Chambre des Députés, soit au Sénat?
- p.254 - vue 257/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 255
- A. — Quels sont les points sur lesquels il y. a lieu d'appeler plus spécialement l’attention du Parlement?
- B. — Qu lies modicettions pourraient être demandées sur le projet Maze ou lo projet Léon Say?
- QUESTION 2me. — Les Sociétés de Secours Mituels et de Prévoyance doivent-elles être régies par une loi spéciale ou bien doivent-elles être assimilées àdes Sociétés civiles et régies par des lois de droit commun?
- A. —Dans quelle mesure, de quelle façon le Gouvernement doit-il intervenir dans le fonctionnement de ces Institutions?
- B. — Dans le cas d’une loi spéciale régissant les Sociétés, ne conviendra it-il pas que la latitude la plus complète et la plus absolue fût laissée aux sociétés de secours Mutuels, de prévoyances ou d’Epargnes, embrassant une ou plusieurs régions?
- C. — Les Associstions créées sur ces bases ne devraient-elles pas jouir de la personnalité civile, s’administrer librement, avoir le droit d’acquérir et de posséder des immeubles, ou de placer leurs fonds ailleurs qu’à l’État, si elles y trouvaient toutes garanties et plus d’avantages?
- DEUXIÈME COMMISSION
- Législation sur la caisse nationale des retraites — Pensions viagères.
- QUESTION TROISIÈME. — Le projet de loi sur la Caisse nationale des Retraites pour la vieillesse, voté en 2me lecture par la Chambre des Députés et soumis actuellement aux délibérations du Sénat, répond-il aux besoins des associatio»s de prévoyance et tient-il snffisamment compte des sacrifices que s’imposent ces institutions, ainsi que des services qu’elles rendent aux populations ouvrières et agricoles.
- a. — Quels sont les points désavantageux de cette loi, et quelles modifications y a-t-il à poursuivre ?
- QUESTION 4me. — N’y aurait-il pas lieu de demander qu’il soit créé, à côté de la Caisse Nationale des Retraites pour la Vieillesse, une caisse spécialement affectée aux Sociétés de Prévoyance et de Secours Mutuels ?
- a. — Les versements effectués par ces sociétés ne doivent-ils pas jouir d’un intérêt fixe et supérieur à celui des versements individuels ?
- b. — Quelles seraient les raisons à faire valoir à l’appui des privilèges sollicités.
- c. — A combien devrait s’élever la dotation de l’Etat en faveur des fonds de retraites des Sociétés et comment les intérêts annuels de cette dotation devraient-ils être répartis ?
- d. — En cas de rejet d’une nouvelle dotation par le Sénat, et du maintien de l’article 12, n’accordant pas d’intérêt fixe aux fonds versés par les sociétés à leurs comptes de retraites, ces associations doivent-elles continuer à confier leurs capiteux à l’État ?
- QUESTION 5me. — Dans les associations spécialement formées pour la Retraite, peut-on, sans danger, affecter une partie du capital social à augmenter les pensions liquidées ? Dans quelles proportions ?
- TROISIÈME COMMISSION
- Questions de Secours.
- Administration Intérieure. — Service Médical et Pharmaceutique.
- QUESTION 6m*. — Quelle est la meilleure organisation des Sociétés de Secours Mutuels au point de vue de leur composition ?
- A. — Trois systèmes sont en présence : le premier, celui que presque toutes les sociétés méridionales ont adopté depuis longtemps, accorde le secours du médecin et les remèdes à la famille entière du Sociétaire ; le deuxième n’admet aux divers secours que les hommes exclusivement ; le troisième admet les hommes, les femmes et les enfants, moyennant le versement par chacun d’eux d’une cotisation particulière.— Quel est le système préférable?
- b. — Dans l’un et l’autre cas quelle cotisation demander au Sociétaire ?
- QUESTION 7m®.—- Pour le service médical des sociétés, quel est le meilleur mode à adopter, tant au sujet de l’organisation de ce service que pour la rétribution, (par visite, à forfait ou par abonnement) à allouer aux médecins ?
- QUESTION 8me. — Convient-il aux sociétés d’organiser, dans les centres importants, des pharmacies spéciales aux Sociétés, comme déjà il en existe à Lyon, Marseille et Grenoble, ou il est préférable pour elles de traiter avec les pharmaciens isolés ou réunis en association ?
- a. — Ce service doit-il être rétribué à l’abonnement ou sur le pied d’un tarif convenu ?
- b. — Dans quelles conditions peuvent être fournis les médicaments spéciaux, les bandages, appareils, etc...?
- QUESTION 9m*. — Dans les Sociétés qui accordent le secours médical et les romèdes à toute la famille, ne pourrait-on pas admettre les femmes, filles et sœurs majeures des Sociétaires, à participer à l’indemnité de la semaine ?
- a. — Quelle cotisation supplémentaire y aurait-il lieu d’exiger ?
- QUESTION 10me. — Quelle situation doit être faite aux invalides ou incurables, qui n’ont pas encore atteint l’âge de la retraite ?
- QUESTION Ume.— Par la raisonqu’au décès de chaque Sociétaire il est accordé un secours à sa famille,n’y aurait-il pas lieu d’en accorder un au Sociétaire qui perd son épouse ?
- a.— Quels droits aux avantages de la société la veuve ou les enfants peuvent-ils conserver après le décès du Sociétaire ?
- QUESTION 12“®.— Afin d’établir entre toutes les Sociétés de Mutuels des liens de fraternelle solidarité,n’y a-t-il pas lieu de régler les conditions d’admission, dans une société quelconque, d’un membre sorti d’une autre société ou ayant changé de résidence ?
- QUESTION 13ma.— Dans quelles conditions la question
- p.255 - vue 258/838
-
-
-
- 256
- LE DEVOIR
- 9
- des amendes doit-elle être réglée? Faut-il les appliquer* faut-il les supprimer.
- a. Dans quelles conditions l’exclusion doit-elle être prononcée ?
- QUESTION 14me,— N’y aurait-il pas utilité pour les Sociétés Mutuelles de la même ville ou du même canton de se syndiquer pour organiser des dispensaires spéciaux, où leurs membres pourraient trouver du linge, des objets de literie et tous autres objets indispensables aux malades ?
- a.— Par le même moyen, ne pourrait-on créer une Caisse spéciale de secours aux orphelins ?
- QUESTION 15me.— Lorsqu’un Sociétaire fait partie de plusieurs Sociétés, est-il juste, s’il vient à décéder, que les Irais de ses funérailles soient supportées par une seule des Sociétés ? Ne conviendrait-il pas que chaque société dont il est membre intervînt en part égale jusqu’à intégralité des dits frais ?
- QUESTION 16me.— Recherche d’un moyen pratique pour qu’un membre radié d’une Société, pour cause de non paiement de ses quotités, ne puisse être reçu dans une autre société s’il ne s’est, au préalable, mis en règle avec celle dont il sort.
- QUATRIÈME COMMISSION
- Questions d’Assurances Populaire et d’É-
- pargne. — Vœux et Communications.
- QUESTION DIX-SEPTIÈME.— Ne pourrait-on augmenter les avantages offerts aux membres des Sociétés de Secours mutuels et de Retraites au moyen de l’élévation de la cotisation sociale?
- Quels seraient ces nouveaux avantages ?
- a. — Assurances en cas de décès sur la tête de tous les membres de la famille du Sociétaire.
- b. — Assurances dotales, ou constitution de dots au profit des enfants du Sociétaire.
- c. — Elévation des pensions de retraites, généralement insuffisantes.
- d. — Assurances mixtes: C’est-à-dire constitution d’un capital sur h tête du Sociétaire pour l’instant où l’âge aura diminué ses forces ou privé l’ouvrier de son travail avec retour à la famille de tout ou partie de ce capital en cas du décès de l’assuré avant l’expiration de son contrat.
- QUESTION 18me.— Au moyen de quelle institution ferait-on fructifier ces capitaux ?
- a. — Par une entente avec une Compagnie d’Assurances sur la Vie, autorisée par l’Etat et fonctionnant sous son contrôle incessant ?
- b. Par l’intermédiaire des caisses du Gouvernement.
- c. — Par l’administration directe et libre des intéressés.
- QUESTION 19me.— Des Sociétés économiques ou en participation d’épargne dites ruches ou fourmis:— Sont-elles réellement utiles ?— Est-ce bien un principe moralisateur ?— Sont-elles capables d’apporter quelque bien-être à l’avenir du travailleur?— Comment devraient être employés leurs bénéfices ?
- QUESTION 20m*.—- Bureaux de placement communs entre toutes les Sociétés d’une même ville, pour procurer du travail aux Sociétaires sans emploi.— Moyens de création, d’extension et de propagande.
- QUESTION 21me et suivantes.— Vœux et communications.
- Le Président de la Commission d’Organisation.
- NICOLAS LOUIS
- Président de la Société La Florissante.
- Vice-Président de La Marseillaise.
- Le Secrétaire Général,
- G. BERNA.
- Président de la Société La Fraternelle.
- Secrétaire de la Marseillaise.
- Les adhésions, projets, amendements et études diverses devront être adressés à la Commission (Boulevard Dugommier, 1, siège de la Société de Retraite «La Marseillaise»j, avant le 15 Mai 1886 au plus tard.
- Nous recevons aujourd’hui la 8e série de 5 livraisons de l’Histoire de Quinze ans, 1770-1885 par
- M. Ed. Benoit-Lévy.
- Cette œuvre a pour but de retracer l’histoire politique de la République depuis le J septembre, ses efforts contre la réaction et les progrès qu’elle a pu réaliser. Cette période méritait d’être étudiée en détail, et tous les citoyens avaient besoin d’un livre populaire, sorte de répertoire de ces quinze années. C’est là, de la part de l’auteur, de la bonne propagande républicaine.
- Le succès a d’ailleurs répondu largement à l’attente des éditeurs; le tirage de cette Histoire est considérable et ne peut qu’augmenter encore.
- Édition populaire, illustrée par les meilleurs artistes, l’Histoire de Quinze ans est en vente chez tous les libraires: 10 centimes la livraison, 50 centimes la série.— Pour faciliter l’acquisition de l’ouvrage, M. Faurie, administrateur, 28, boulevard Voltaire, Paris, reçoit les abonnements au prix de 10 francs franco à domicile (l’ouvrage comprendra cent livraisons à 10 centimes, soit 10 francs).
- Pour faciliter à nos abonnés l’achat de cet ouvrage, nous pouvons, par suite d’une combinaison avec l’administrateur, le leur procurer au prix de 8 francs.
- État civil du Familistère.
- Semaine du 5 au 11 Avril 1886. Naissances :
- Le 5 avril, de Jumeaux Eugène, fils de Jumeaux Eugène et de Herny Marie.
- Le 9 Avril, de Abraham Charlotte, fille de Abraham Charles et de Leclaire Marie.
- Le Directeur Gérant : GODIN
- Guis ». — lmp. Baré.
- p.256 - vue 259/838
-
-
-
- 10e Année, Tome 10.— N° 398 Le numéro hebdomadaire 20 c. Dimanche 25 Avril 1886
- REVUE DES QUESTIONS SOCIALES
- BUREAU
- a GUISE (Aisne)
- Toutes les communications et réclamations doivent être adressées à M. GODIN, Directeur-Gérant Fondateur du Familistère
- ABONNEMENTS PAYABLES D’AVANCE par l’envoi, soit au bureau de Guise, soità celui de Paris, de timbres-poste ou de mandats de poste, dont le talon sert de quittance.
- France
- Un an . Six mois. , Trois mois.
- 10 fr. »» 6 »» 3 »»
- Union postale Un an. . . 11 fr.»» Autres pays
- Un an. . . . 13 fr. 60
- ON S’ABONNE
- A PARIS
- 5, rue Neuve-des-Petits-Champs Passage des Deux-Pavillons
- S’adresser à M. LEYMARIE administrateur delà Librairie des sciences psychologiques.
- SOMMAIRE
- Avis aux sociétés coopératives.— Les préjugés sur la richesse.— Une élection significative.— Avis.
- — Enquête aux Etats-Unis sur les rapports du travail et du capital.— La coopération productive.— Société civile de consommation. — Avis.
- — La mine à la société. — Faits politiques et sociaux de la semaine.— La nationalisation du soi en Angleterre. — Le «Foonut». — Le droit des pauvres.— La réclame. — La possession du sol et la Sociologie.— Ecoles du Familistère. — Comité de Paris.— Décret de la convention nationale. — Correspondance des Etats-Unis.
- —----------—-- » ^ • — — -----------
- Avis aux Sociétés coopératives.
- Nous adressons depuis un certain temps le journal Le Devoir aux sociétés coopératives, en vue de les tenir au courant du mouvement coopératif en France, en Angleterre et aux Etats-Unis. Les questions que nous porterons ainsi à la connaissance des coopérateurs sur les meilleurs bases à donner aux Sociétés coopératives sont d’un intérêt général pour la coopération.
- Déjà, un certain nombre d’entre ces sociétés nous ont adressé leur abonnement, nous espérons que d’autres voudront bien, en les imitant, nous encourager dans la voie que nous avons adoptée. Nousprions celles qui n’accorderaient pas d’intérêt à nos efforts de bien vouloir nous retourner le journal pourvu de sa bande.
- Les préjugés sur la richesse
- On a beaucoup parlé depuis plus d’un siècle de nos préjugés en matière religieuse, mais on est fort éloigné d’être aussi clairvoyant en matière économique.
- Après avoir brisé les idoles religieuses, on a fait les idoles de la richesse.
- Notre éducation économique nous a habitués dès l’enfance à considérer l’économie comme la première des vertus, l’art de s’enrichir comme le premier des talents, à croire que c’est par la richesse qu’on mérite les honneurs de ce monde ; de façon que les penchants de la jeunesse se sont moulés sur les idées d’économie, de cumul et d’enrichissement individuel.
- Chez les esprits étroits, ces idées sont devenues de la parcimonie, de la cupidité, de l’avarice, de l’usure ; chez les intelligences plus avancées, elles ont conduit l’individu à la spéculation, à l’accaparement, à la concussion, à l’agiotage, aux monopoles, en vue d’arriver plus vite à la fortune.
- Voilà les fruits de l’enseignement et de la morale du siècle. Ces pratiques sont si invétérées qu’elles constituent les règles principales et pour ainsi dire la morale fondamentale des classes riches et dirigeantes et de la partie du peuple qui possède ; mais les masses qui souffrent de la misère sont appelées à méditer sur ces abus et préjugés de l’égoïsme.
- La propriété et la richesse sont ainsi entachées des plus graves préjugés et des plus graves erreurs. L’homme, en se lançant à corps perdu
- p.257 - vue 260/838
-
-
-
- ï258
- LE DEVOIR
- dans le courant des convoitises que l’adoration du veau d’or a fait passer dans nos mœurs, a perdu de vue les saines limites de la raison et repoussé la pensée religieuse qui doit unir les hommes entre eux ?
- Les principes fondamentaux de la morale du jour, en inspirant l’amour des richesses, en enseignant l’économie et le cumul individuels, en exagérant l’amour de la propriété et de la richesse, ont fait de la parcimonie, de la cupidité, de l’avarice, de l’usure, de la spéculation, de l’accaparement, de l’agiotage et des monopoles, autant d’idoles qui deviennent des dieux pour tous ceux placés sous leur protection.
- Toutes ces idoles ont leurs grands prêtres et leurs sectaires qui, dans leurs ardeurs pour ces faux dieux, oublient toutes les lois naturelles les plus sacrées.
- Pour les idolâtres de la richesse, l’humanité, la société et les individus ne sont que des instruments à mettre au service de leurs convoitises ; ils sont prêts à tout sacrifier, citoyens, commune et patrie à leur fétichisme.
- Essayer, comme je le fais ici, de démontrer l’énormité de ces erreurs est, aux yeux des classes dirigeantes, une action qui doit soulever une réprobation unanime. La propriété est le seul Dieu adorable; quiconque lui manque de respect commet un blasphème.
- Les sectaires de ces croyances anti-sociales, de ces préjugés économiques invétérés, ne veulent pas comprendre qu’au-dessus de leurs idoles il y a la cause sacrée de l’humanité qui se traduit dans le travail.
- Le monde ne vit et n’existe que par le travail ; le plus riche des hommes, le plus entiché de la , propriété, serait vite sans moyens d’existence si le travail n’était là pour y pourvoir, si le cultivateur ne semait le blé, si le meunier ne faisait la farine, si le boulanger ne cuisait le pain, si le jardinier ne cultivait les légumes, sile boucher n’apprêtait la viande, et si, enfin, le cuisinier ne préparait les repas.
- L’humanité ne peut se passer du travail ; la propriété n’a qu’une existence passive ; elle n’est rien par elle-même ; elle n’est utile que si elle est fécondée par le travail. La terre elle-même donnée par la nature deviendrait stérile sans le travail ; c’est le travailleur qui tire du sol tous les produits nécessaires à l’existence humaine.
- Le travail remplit donc le premier rôle dans i’Mxistence de l’humanité ; il est la manifestation
- de tous les aspects de l’intelligence sur la terre. C’est par le travail que tous les progrès se réalisent. Par quel aveuglement nos préjugés nous conduisent- ils à manquer d’égards envers le travail ?
- Les idoles de la propriété doivent être reléguées au rang des faux dieux pour faire place à la sainteté du travail. Il faut pour cela que les idées de la bourgeoisie moderne se transforment ; que celle-ci abandonne ses préjugés concernant la propriété, le monopole de la richesse et, surtout, il faut qu’elle considère le travail comme la mission sainte et sacrée de l’humanité sur la terre et méritant à ce titre tous les égards.
- Comment nier que ce soit à de véritables préjugés, à un véritable fanatisme de la propriété, résultat de la fausse éducation que nous avons reçue, à l’état arriéré de nos idées morales sur tout ce qui touche à la possession de la richesse qu’il faille attribuer le dédain pour le travail et les travailleurs que beaucoup des possesseurs de la richesse professent encore de nos jours, quand il devient si évident que tous les biens qu’ils détiennent sont le résultat de l’activité humaine déployée dans le travail.
- Quelle preuve plus évidente pourrait-on donner de la supériorité du travail sur toutes les actions humaines ? Quelle preuve plus certaine pourrait-on offrir de son droit à être affranchi de toute entrave et de s’exercer en liberté, délivré de tout assujettissement à la propriété ?
- Au contraire, aujourd’hui, le travail est subordonné au bon vouloir et au caprice des détenteurs des richesses naturelles, richesses que la puissance créatrice a cependant faites pour tous les humains. Le travail est à la merci du capital et de la propriété ; ces derniers sont martres du sort des travailleurs parce qu’ils sont maîtres du travail, parce que le travailleur est leur esclave sous une nouvelle forme.
- La propriété et la richesse ne s’étendent plus à la possession de la personne, comme au temps de l’esclavage proprement dit : mais, elles ont la puissance d’interdire à la personne du travailleur l’exercice de son activité et de décider de ce qu’il convient de lui accorder, quand il (leur plaît de laisser au travailleur le droit de travailler.
- Je le demande à ceux que les préjugés et les passions de la propriété n’aveuglent pas absolument, n’y a-t-il pas en tout ceci une violation flagrante de tous les principes de la justice, et, dans l’état actuel du développement de l’esprit humain
- p.258 - vue 261/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 259
- et en particulier du développement de l’intelligence au sein des masses laborieuses, n’est-il pas urgent de se défaire au plus vite de ce fanatisme des richesses individuelles et de revenir à la reconnaissance des droits du travail, droits proclamés par nos pères, il y a déjà près d’un siècle, dans le grand mouvement d’idées sociales de la Révolution française.
- Il faut combattre les préjugés et les erreurs accumulés sur la propriété et la richesse,il faut reconnaître que les droits de la propriété et la richesse ne sont pas au-dessus des droits de la vie humaine, et que propriété et richesse ne doivent être que la confirmation des droits acquis par le travail.
- Contrairement à ce que prescrit ainsi le droit naturel, capital et propriété accaparent aujourd’hui tous les bénéfices de la production, et usurpent la part du travail, part qui devrait en première ligne revenir à son auteur.
- L’état actuel de la propriété et de la richesse repose donc sur une base inique; tous les raisonnements établis pour la défense de cet état de choses sont les fruits des erreurs que nous avons sucées avec le lait. Il nous faut secouer le joug de ces préjugés et de ces erreurs, afin d’arriver à reconnaître que la protection de la vie humaine doit précéder la protection de la propriété et de la richesse, les produits du travail humain devant servir avant tout à assurer toutes les existences humaines et non pas exclusivement à constituer des monopoles au bénéfice de quelques familles privilégiées.
- Maïs la faiblesse de notre conception morale est encore telle que notre sensualisme nous empêche de voir au-delà de nos besoins directs ; nous avons peine à comprendre le bien que nous avons mission d’accomplir dans la vie des sociétés et de l’humanité.
- Commandés par le besoin, nous sommes obligés avant tout de rechercher les choses propres à notre usage pour satisfaire aux exigences de notre nature physique et la mettre en état de travailler à son progrès moral ; et c’est ce dernier point, le progrès moral, que trop souvent l’homme oublie. Le désir d’acquérir et de posséder devient la passion dominante de notre existence;nous perdons de vue que la juste possession des biens matériels doit se limiter à ce qui nous est nécessaire pour exercer librement notre activité, nous perfectionner individuellement en même temps que travailler à la perfection des autres. Dès que les biens pn notre possession ne peuvent être employés
- par nous à un tel usage, nous sortons de la limite du juste dans l’exercice du droit de propriété.
- Nous trouvons insensé l’avare se donnant pour seul but d’amasser dans un coffret écus sur écus, sans autre idée que de garder ainsi jusqu’au dernier moment de sa vie un trésor qu’il rend inutile, parce qu’il n’en tire que la satisfaction de sa sotte cupidité.
- Mais la richesse en général, aujourd’hui, n’a pas d’autre usage. Les classes qui la détiennent accumulent de même les bénéfices de la production dont elles n’ont nul besoin et mettent ainsi le travailleur dans la gène et la misère, lorsqu’elles pourraient en laissant un emploi utile à ces revenus répandre l’abondance et le bien-être partout. Mais la richesse ne voit pas la poutre qui lui bouche les yeux, elle sait seulement distinguer la paille qui obscurcit la vue de l’avarice.
- Le riche comme l’avare arrivent à la fin de leur carrière avec des ressources inutilement retenues sur la production générale ; il appartient à l’Etat de réparer ces torts en rendant ces ressources à leur destination légitime ; mais les erreurs et les préjugés concernant la richesse existent pour le Gouvernement comme pour les particuliers ; voilà pourquoi les gouvernants repoussent l’idée si juste de l’hérédité nationale.
- La morale salutaire des sociétés et des individus consiste à honorer la vie humaine comme le principal objet de tous nos devoirs.
- Nos actions sont d’autant meilleures qu’elles ont d’avantage pour objet le progrès, la protection et la conservation des existences humaines en général.
- Il en est ainsi parce que l’être humain est sur la terre l’agent principal du créateur ou de la vie universelle ; c’est à lui qu’est dévolu le travail du progrès vivant, terrestre, et ce progrès ne peut avoir lieu que par le progrès et la perfection de l’individu et de la société.
- C’est en nous dépouillant de nos erreurs et de nos préjugés sur la richesse et la propriété que nous rendrons nos actions propres à ce but; elles ne seront véritablement méritoires que si nous les faisons concourir au bien général de la vie dans l’huma-té. Mais pour comprendre ainsi la morale, il faut sortir de l’ignorance du matérialisme, quitter les entraînements du sensualisme et savoir que les actions de la vie terrestre sont une préparation à l’élévation dans une vie supérieure.
- p.259 - vue 262/838
-
-
-
- 260
- LE DEVOIE
- Une Élection Significative.
- L’élection législative du 18 octobre, dans le département de l’Aisne, est caractérisée par le triomphe du programme franchement républicain adopté par le Congrès départemental des délégués des comités.
- Cette élection ne s’est pas faite sur le nom des candidats ; les personnalités ont disparu devant l’affirmation des idées.
- Les républicains modérés, sous la conduite deM. le sénateur Malézieux, avaient accepté publiquement l’alliance de toutes les fractions des partis monarchiques. Les modérés et les réactionnaires coalisés avaient choisi pour candidat un ancien Sous-Préfet de St-Qucntin, compromis par ses complaisances envers les monarchistes, pendant la période électorale du 4 octobre.
- Le candidat des modérés expliquait la raison d’être de sa candidature par la nécessité de résister au courant socialiste et aux aspirations égalitaires de la démocratie ; la protection de l’agriculture, la conservation du volontariat et du budget des cultes complétaient son bagage électoral.
- L’attitude du candidat et des diverses fractions de la coalition réactionnaire a eu le mérite d’une telle franchise, quelle a mis le candidat du Congrès démocratique en situation de ne pouvoir éviter de se prononcer énergiquement sur les mêmes questions.
- Le journal de l’Aisne, le Guetteur et le Journal de St-Quentin, les trois organes les plus importants de la coalition, pendant toute la période électorale, bourraient eurs colonnes de dénonciations et d’appels extravagants à la peur.
- Voici quelques échantillons du savoir-faire de nos adversaires :
- « Il faut à la Chambre comme au Sénat des hommes rompus aux affaires, véritablement soucieux du bien public, et bien résolus à opposer au flot montant deïadémagogie une digue infranchissable.»
- « Arrêtons le pouvoir sur la pente qui l’entraîne vers ces radicaux socialistes qui ne peuvent appliquer leurs théories qu’en bouleversantl’ordre social et en livrant la France aux hasards des plus violentes révolutions. »
- « Vous abandonnerez le candidat soi-disant démocrate aux perturbateurs scandaleux dont il s’est fait accompagner de ville en ville. »
- « Ce qui donne à la candidature de M. Hanotaux (le candidat du Congrès) son véritable caractère révolutionnaire, c’est cette clause additionnelle adoptée par le congrès départemental.
- « Ce serait un joli spectacle que ce candidat, venant appuyer, d© sa haute autorité, les théories socialistes et révolutionnaires les plus extravagantes et les plus fausses. »
- « M. Hanotaux n’a pas dissimulé, au contraire, son union avec les socialistes de Guise.» etc. etc.
- Le passé et le présent du candidat des démocrates ne présentaient cependant aucun antécédent pouvant légitimer ces ardentes politiques.
- M. Hanotaux, ancien secrétaire de M. Gambetta, homme de confiance de M. Ferry, exerçait les fonctions de conseiller d’Ambassade à Constantinople, lorsque la candidature lui fut offerte.
- On sait que ces fonctions n’ont jamais été confiées aux esprits turbulents ou épris de l’amour des réformes démocratiques. Lorsque les préparateurs de cette candidature et M. Hanotaux, lui-même, en avaient envisagé préalablement l’éventualité, ils étaient loin de penser qu’ils seraient contraints, par les événements, d’être les propagateurs et les défenseurs des théories relatives au garantisme social. Nous n’en voulons d’autre preuve que l’opposition faite, au Congrès de Laon, à la proposition du comité de Guise, par tous les amis de M. Hanotaux.
- Mais, une fois la lutte engagée,nous avons été heureux de le constater, nous n’avons eu à reprocher ni au candidat ni à ses amis d’avoir manqué de déférence envers les décisions du Congrès départemental.
- Les journaux sincèrement républicains et le candidat n’ont hésité en aucune circonstance d’avouer nettement qu’ils demandaient l’application des lois du 28 Juin, et du 24 vendémiaire, 1793.
- Leurs déclarations ont été aussi précises qu’étaient brutales les attaques de nos adversaires.
- Nous pouvons en résumer le sens par les deux extraits suivants de la Tribune du 16 Avril 1886, principal organe du parti républicain de l’Aisne.
- « La loi du 28 Juin 1793 est et sera encore longtemps le code parfaitement sage de l’assistance publique ; c’est-elle qui a opéré la transition de l’ancien régime au nouveau, en substituant autant que possible les bienfaits du système des secours à domicile à celui de l’hospitalisation.
- « Le but poursuivi par la loi de vendémiaire, c’est l’extinction de la mendicité par le travail offert aux indigents valides ; ce travail est celui qui consiste à fournir des travaux d’ensemble utiles aux communes et à l’agriculture ; voirie assainissement, irrigations.
- « L’article n de la loi de vendémiaire caractérise parfaitement son but en ces termes : faire subsister par le travail les individus valides dans les seules saisons mortes »
- Les autres journaux républicains, notamment le Glaneur de St-Quentin, le Libéral de Vervins, les journaux d’Hirson, le candidat et ses défenseurs n’ont cessé d’exprimer hautement leur entière adhésion aux principes de solidarité nationale contenus dans les lois de la Convention.
- Il ne peut subsister aucun doute.
- La majorité des électeurs d’un département agricole vient de se prononcer pour l’application des principes de Mutualité Nationale.
- Les hommes de gouvernement et les représentants républicains des autres régions de la France devront s’inspirer d’une manifestation dont le sens n’échappe à personne ; à moins que leur prétendu républicanisme soit une étiquette menteuse, destinée à dissimuler leur indifférence ou leur haine du progrès social par la généralisation du bien-être.
- p.260 - vue 263/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 261
- Nos lecteurs saisiront l’importance de cette manifestation électorale, lorsqu’ils connaîtront les conditions particulières delà situation politique de notre département.
- Le duc d’Aumale y possède d’importantes propriétés ; Messieurs de Saint-Vallier et de Waddington y ont constamment dirigé, contre les idées républicaines, l’influence qu’ils tiraient de leurs hautes positions officielles et de leur qualité de grands propriétaires.
- Aux derniers jours de l’empire et pendant les premières années de la troisième république, ces organisateurs de la réaction, surpris par les événements et les fautes énormes du pouvoir déchu, n’essayèrent pas de lutter contre le réveil des idées républicaines qui semblaient être définitivement acceptées par la majorité des électeurs.
- L'apparente résignation de ces grands personnages fut de courte durée; n’osant conduire eux-mêmes le mouvement rétrograde, ils eurent l’habileté de faire confier l’administration du département à des fonctionnaires complices de leurs secrètes manœuvres, tandis que le gouvernement et le public les croyaient acquis au parti républicain.
- M. Sébline, nommé Préfet de l’Aisne par l’intermédiaire de ces puissants protecteurs, s’appliqua à découvrir, dans chaque canton, les hommes souples et intéressés, disposés à masquer, sous un républicanisme d’occasion, leurs secrétes aspirations monarchiques. Rien ne lui coûta pour s’attacher ces personnalités qu’il se réservait d’entraîner, au moment voulu, dans une lutte ouverte contre le régime républicain.
- Les fréquentations personnelles, les faveurs administratives sous toutes les formes, tout ce qui était susceptible de consolider ces alliances était mis en usage. Les intérêts privés des républicains sincères, les droits des communes, des départements, de l'Etat, tout était sacrifié au désir d’être utile à ces prétendues recrues du parti républicain et à la nécessité de leur acquérir quelque popularité, en les faisant des intermédiaires tout-puissants entre les solliciteurs et le Préfet.
- La manœuvre la plus habile fut celle qui a eu pour résultat de détacher du parti républicain le sénateur Malézieux, dont le passé, pendant si longtemps, avait été pur de toute compromission. Fait d’autant plus regrettable, que ce républicain de la veille a été guidé dans son évolution rétrograde avec tant d’habileté, qu’il a pu conserver auprès de quelques électeurs les apparences d’être encore dévoué à la conservation du gouvernement démocratique.
- Toutes ces manœuvres lentes, méthodiquement dirigée,sont créé dans notre département une situation politique déplorable, qui vient de se révéler à tous par la constatation d un véritable embrigadement du suffrage restreint contre le suffrage universel.
- Le 18 Mars dernier, les trois quarts des électeurs sénatoriaux, conseillés par M. Malézieux, votaient pour M. Sébline, dont la candidature réunissait deux conditions d’inéligibilité tellement évidentes que, lors de son invalidation parle Sénat, il ne s’est pas trouvé une voix parmi les sénàteurs pour repousser cette invalidation. Monsieur Malézieux, lui-même, malgré son intervention dans les réunions électorales en faveur deM. Sébline, malgré son vote favorable comme électeur sénatorial, n’a pas osé émettre au Sénat un vote conforme à son attitude avouée pendant la période électorale.
- La coalition de la presque totalité des électeurs du deuxième degré du département de l’Aisne est donc un fait réel, qui pouvait faire admettre par l’opinion publique l’hypothèse de l’abandon des idées républicaines par nos populations, si l’élection législative du 18 avril n’était une formelle négation des espérances des partis déchus.
- Les réactionnaires coalisés avaient justement choisi, comme candidat, l’ancien Sous-Préfet de St-Quentin, qui avait démissionné pour protester contre la révocation de son chef. La candidature sénatoriale de l’ex-préfet et la candidature législative de son ancien subordonné étaient tellement identiques, que l’on avait vu fréquemment ce dernier se présenter dans les réunions électorales des délégués sénatoriaux en qualité de défenseur mandaté par M. Sébline.
- On peut dire, sans aucune exagération, que le suffrage restreint et le suffrage universel viennent de se prononcer, en même temps, sur une même candidature.
- Et le suffrage restreint a accordé les trois quarts de ses votes aux idées que le suffrage universel a repoussées par plus de la moitié de ses électeurs.
- Les dirigeants, les privilégiés vont-ils s’incliner, vont-ils se mettre à l’unisson avec le suffrage universel, en modifiant leur vote à l’occasion de la nouvelle élection que nécessite l’invalidation de M. Sébline ?
- Quoiqu’ils fassent. Ils sont avertis.
- Le suffrage universel vient de proclamer qu’il veut la garantie du droit à l’existence, la souveraineté nationale, l’égalité devant le service militaire, la séparation de l’église et de l’état.
- Ces résolutions on été précédées de retentissants débats contradictoires.
- Le spectre rouge, la peur de la révolution, les désordres de la démagogie, tout a été invoqué contre les défenseurs du projet de mutualité nationale. Les partisans de l’égalité du service militaire ont entendu toutes les sornettes débitées, depuis les temps les plus reculés contre l’abaissement national engendré par l’amour excessif de l'égalité.
- A la séparation de l’Eglise et de l’Etat on a opposé les balivernes et les clichés connus sur la disparition de la morale, de la vertu, de la famille. La pression brutale des riches salariants sur les humbles salariés a eu vainement recours à ses procédés les plus raffinés. Rien n’a pu ébranler les résolutions des électeurs républicains.
- Notre élection du 18 courant n’est pas le fruit de vagues aspirations; elle est l’expression devoiontés fermes et virilement affirmées.
- Aux gouvernants, aux députés républicains,anciens ou nouveaux, de comprendre.
- AVIS
- Le journal « Le Devoir » est envoyé gratuitement à titre d’essai.
- Si le journal n’est pas renvoyé après le quatrième numéro, l’administration fait présenter une quittance d’abonnement.
- ----—--------^------- ------
- p.261 - vue 264/838
-
-
-
- 262
- LE DEVOIR
- ENQUÊTE AUX ÉTATS-UNIS SUR LES RAPPORTS DU TRAVAIL ET DU CAPITAL (*
- xi
- M. J. M. Swank chef d’industrie, s’applique dans sa déposition à faire ressortir les difficultés pratiques de l’arbitrage, obligatoire ou non, pour la solution de difficultés qui dans le monde industriel sont engendrées par des causes échappant, le plus souvent, au contrôle des individus.
- Passant ensuite à la coopération, il ne la voit guère pratique aux Etats-Unis, en ce qui concerne la production. L’industrie ne peut se monter qu’avec des capitaux très considérables ; en supposant qu’un corps d’ouvriers arrivât à se procurer ces capitaux, ce qui serait bien rare et bien difficile, tout ne serait pas dit avec l’acquisition des ateliers ; il faudrait de nombreux capitaux encore pour soutenir les affaires, et que deviendraient ces coopérateurs en cas de crises industrielles entravant ou arrêtant les ventes pendant plusieurs années ? Gomment feraient-ils face aux avances de fonds exigées en cas pareil ?
- Le système de la participation du travail aux bénéfices, dans telle mesure jugée propre à combler un peu le gouffre entre riches et pauvres, semble le meilleur à M. Swank, mais il craint bien que l’avidité et l’égoïsme résistent longtemps encore à la réalisation d’un tel système.
- * *
- MM. Myers et Cie, manufacturiers à Beaver Faits, Pa, font de l’équité la base essentielle de la rénovation du régime industriel. Mais quels moyens pratiques recommandent-ils aux patrons comme aux ouvriers ? Le voici :
- Dans leur système, le patron conserve le droit (dont on l’invite à user loyalement) d’élever ou de baisser les salaires selon les nécessités industrielles. En cas de dissentiments entre un patron et ses ouvriers, M.M. Myers proposent que chacune des parties choisissent trois ou cinq notables citoyens, absolument désintéressés dans la question et s’en remettent à leur décision arbitrale rendue sous la foi du serment.
- La décision ainsi prononcée serait obligatoire pour les parties pendant une durée de six mois ou un an suivant le cas.
- Quanta la production coopérative,M.M. Myers la jugent praticable si les membres des sociétés
- (1) Lire le Devoir depuis le numéro du 7 février 1886, excepté celui du 18 avril dernier.
- coopératives savent confier la direction des affaf res aux hommes vraiment capables d’en être chargés, et savent ensuite garder leur confiance à ces hommes et ne se livrer contre eux à aucun esprit de division ni de dénigrement.
- Mais ils concluent que leurs diverses propositions ne sont que des palliatifs, et ne peuvent remédier au mal engendré par la concurrence sans frein. Ce qu’il faudrait, c’est qu’on ne pût vendre au-dessous des prix de revient de la production loyalement comprise, c’est-à-dire assurant à l’ouvrier des salaires convenables.
- Ces messieurs signalent éga5ement, comme source de misère, le gaspillage des ressources rendu évident par la dépense annuelle de 1.600.000 000 de dollars (soit huit milliards de fr. en liqueurs et tabacs aux États-Unis !
- *
- * *
- M. Ignatius Batory de Baltimore ne voit possible la solution du problème social que par le moyen suivant :
- Édicter des lois plaçant le capital dans une condition telle qu’il lui soit impossible de rapporter à ses détenteurs des revenus ou intérêts, si ce n’est lorsqu’il serait employé directement dans l’industrie, le commerce, l’agriculture, la marine, etc..
- Si le capital était ainsi contraint de chercher des revenus exclusivement par le concours du travail, les rôles actuels seraient renversés entre ces deux facteurs de la production : ce serait le travail qui ferait la loi au capital et qui en obtiens drait l’amélioration nécessaire du sort du peuple.
- *
- * -¥
- M. G. M. Steele D. D. de Wesleyan Académie Wilbraham, Mass, expose comme suit le plan d’organisation industrielle dont il serait partisan:
- Les salaires accoutumés seraient payés au travail, une certaine part à déterminer des bénéfices nets serait attribuée aux patrons ; le reste des bénéfices serait réparti aux travailleurs,au prorata du montant de leurs salaires.
- Le déposant voit dans un tel système les avantages suivants :
- 1° Les ouvriers savent pertinemment quelle part de bénéfices revient au patron et ne peuvent plus s’exagérer les choses sous ce rapport.
- 2° L’antagonisme des intérêts entre patrons et ouvriers est remplacé par l’accord,, la prospérité des travailleurs reposant sur la même base que celle des patrons.
- p.262 - vue 265/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 263
- Les pertes de temps et de matières seraient évitées, d’où diminution des frais généraux et augmentation des profits.
- 3° Les grèves et les fermetures d’atelier avec leur cortège de douleurs et de misère n’auraient plus de raison d’être.
- Quant à la coopération productive, la grande difficulté selon M. Steele est la constitution du pouvoir dirigeant, c’est-à-dire le moyen de faire arriver à la tête des sociétés coopératives les capacités réellement propres à la direction.
- Selon lui, l’élection ne peut guère remplir cet office ; les électeurs ne possédant souvent pas eux-mêmes la simple connaissance des qualités et mérites qu’il faut avoir pour bien diriger les hommes et les choses.
- Gomment, alors, seraient-ils en état de distinguer parmi eux les plus aptes à la fonction ?
- Dans les grandes compagnies le pouvoir dirigeant se constitue par élection, parce qu’un grand nombre des actionnaires sont ou ontété patrons eux-mêmes, et sont assez familiarisés avec les affaires pour savoir de quelles capacités et connaissances il faut être doué pour faire un bon administrateur.
- En conséquence, M. Steele conclut que le mieux serait sans doute l’institution d’un système mixte, une sorte d’association coopérative dans laquelle une part des bénéfices reviendrait aux ouvriers proportionnellement à leurs salaires, et dans laquelle on leur faciliterait l’acquisition d’actions ou parts d’intérêt sur le fonds social.
- A suivre.
- LA
- COOPÉRATION PRODUCTIVE à St-Louis, Etats-Unis.
- « The Age ef Steel» (L’Age d’Acier) à qui nous empruntons les éléments de l’Enquête remarquable ouverte par lui aux Etats-Unis sur les rapports du capital et du travail, nous fournit dans un de ses numéros du mois dernier les renseignements qui suivent sur le fonctionnement de diverses sociétés coopératives de production, à St-Louis, Minnesota:
- Les sociétés coopératives fonctionnent à St-Louis avec un succès qui mérite le plus sérieux examen.
- Les membres de ces sociétés se comptent par certaines et les fonds engagés dans ces industries par centaines de mille de dollars.
- Dès 1868, une première société coopérative s’était fondée pour la fabrication des poêles ; d’autres sociétés exploitants diverses industries suivirent rapidement.
- Examinons ce qui s’est passé pour l’une d’elles, la compagnie manufacturière de meubles et boiseries :
- Cette compagnie fut fondée en 1874 avec un capital nominal de 50.000 dollars (250.000 fr) mais avec 10.000 dollars (50.000 frs,) seulement d’espèces en caisse.
- Les actions sont de 500 dollars chacune (2.500 frs.) et transférables. Il y avait au début vingt-cinq ou trente actionnaires dont lès quatre cinquièmes étaient des ouvriers.
- Les directeurs et les employés sont élus annuellement. Les directeurs règlent le taux des salaires ; les employés font les achats des marchandises brutes et vendent les produits manufacturés.
- Durant la première année de son existence et même plus tard la compagnie subit de grands désavantages provenant du manque de capitaux, et fut plus d’une fois menacée de faillite.— Elle payait ses membres partie en espèces, partie en inscriptions de parts d’action, et quand ces inscriptions se montaient à 500 dollars elle délivrait l’action au travailleur. Malgré les difficultés qu’il y eût à traverser, jamais aucun ouvrier ne refusa ce morte de paiement, partie en espèces, partie en inscription de parts d’intérêts.
- Graduellement, la compagnie vit s’affermir son crédit dans l’opinion publique.
- Aujourd’hui, ses actions de 500 dollars se paient au moins mille dollars chacune.
- Les salaires payés aux travailleurs sont un peu plus élevés par pièce d’ouvrage que dans les établissements similaires de la ville.
- Les dividendes sont toujours au moins de 10 p. q/0.
- •¥ +
- Passons au fonctionnement de l’Association des ouvriers en meubles. Cette société fut organisée en 1878 par un groupe d’ouvriers en grève, à un moment où les salaire* étaient généralement réduits. Les actions de 25 dollars chacune (125 frs) sont aux mains de 280 personnes ; 96 d’entre elles sont des travailleurs. Les profits furent accumulés comme capital d’exploitation jusqu’en 1884; alors, un dividende fut compté aux actions.
- Nul ne peut posséder plus de vingt actions.
- La société vise à reprendre les actions qui sont aux mains d’étrangers et à les concentrer aux mains des travailleurs actifs.
- Dans ce but, les ouvriers, ne possédant pas déjà vingt actions, abandonnent, depuis le 1er février dernier, 10 pour cent de leurs salaires, sommes destinées à être utilisées au rachat des parts du dehors.
- Le comité exécutif, composé d’un président, d’un secrétaire ? et d’un trésorier, fait les achats et les ventes ; mais les directeurs du travail doivent être consultés quand il s’agit d’opérations touchant directement à l’extension des affaires ou à l’introduction de ressorts nouveaux. Les salaires sont réglés par des comités désignés à cet effet. (La compagnie est dans une condition prospère.
- * *
- Une autre association pour la fabrication des meubles, The Central fourniture Company est instituée sur des bases analogues à celles que nous venons d’examiner. Les
- p.263 - vue 266/838
-
-
-
- 264
- LE DEVOIR
- quatre cinquièmes de ses actionnaires sont aussi des ouvriers.
- * +
- Une des dernières associations fondée à St-Louis est celle des mécaniciens. Elle fut créée en Mars l’année dernière avec un capital de 25.000 dollars (125.000 frs.) dont la moitié est versée. Les actions de la valeur de 250 frs. chacune sont détenues par 150 personnes dont 60 ou 70 ouvriers.
- Un bureau de neuf directeurs établit les prix de travail à la pièce. Ce bureau a le contrôle général de tous les salaires.
- Trois administrateurs surveillent les affaires financières de l’entreprise, mais sans empiéter sur les privilèges du président qui dirige en chef les approvisionnements et fait la vente des objets manufacturés.
- Aucun dividende n’est servi et dix pour cent des salaires sont tenus en réserve jusqu’à ce que toutes les actions se trouvent acquises, soit comme parts de bénéfices soit comme part de salaires.
- * *
- En dehors de l’industrie de l’ameublement et de l’exploitation des bois, la coopération productive ne fournit pas à St-Louis d’exemples bien notables.
- La Compagnie fondée pour la fabrication des poêles et qui fut, comme nous l’avons dit, la première à ouvrir la voie de la coopération dirige bien ses affaires d’après les principes coopératifs, mais le nombre des travailleurs intéressés est relativement restreint.
- * *
- Une remarque importante est à faire sur ces sociétés dites de coopération productive, c’est qu’aux Etats-Unis aussi bien qu’en Europe le véritable principe de la coopération est méconnu; plus encore dans la société coopérative dite de production que dans les sociétés coopératives de consommation.
- En effet, dans la société de consommation, le consommateur, qu’il soit actionnaire ou non, participe aux bénéfices de la société, en raison des achats qu’il fait. Comment se fait-il qu‘on ne comprenne pas combien la situation du producteur ouvrier est plus intéressante que celle du consommateur ? Et pourquoi, dans les sociétés de St-Louis relevées-ci-dessus, n’a-t-on pas pensé à donner aux travailleurs une part dans les bénéfices en raison de l’importance de leurs salaires, c’est à dire des véritables services qu'ils ont rendus aux sociétés coopératives.
- C’est là un déni de justice qu’on ne peut expliquer que par l’influence de l’oubli, je pourrais dire du mépris, dans lequel le travail a toujours été tenu dans le passé.
- Il faut arriver à comprendre que les sociétés coopératives de production sont un véritable mensonge, si elles n’arrivent à associer dans les béné-
- fices le travail au capital. C’est à cette seule condi tion que les masses ouvrières feront des sociétés coopératives de production un élément d’émancipation. Autrement les sociétés dites coopératives ne sont que de véritables sociétés financières dans lesquelles le capital ouvrier exploite à son tour le travail.
- ------------------------. «. «» . -------------------
- SOCIÉTÉ CIVILE DE C0NS0IMTI0N du 18e arrondissement de Paris.
- Résultats généraux de l’année 1885
- Total
- 1er Semestre 2e Semestre pour l’année
- Marchandises distribuées aux Sociétaires 263248,70 270259,65 533 508,53 Marchandises cédées
- à diverses Stés coopves 637,05 » 637,05
- 263885,75 270249,65 534145,40
- Valeur d’achat des
- mêmes marchandises. . 232384,72 232 232,57 464617,29
- Bénéfice brut. . . 31 501,03 38027,03 69528,11
- (environ 13.09 %) ou 11.95%environ prle 1er semestre et 14.10 %pr le 2œ«
- Frais généraux. . 14 497,20 15093,40 29590,60
- (environ 5.54%)ou5.49 % pr le 1er semestre et 5.55 pr le 2me semestre
- Bénéfice net. .. . 17 003,83 21933,68 39 937,51
- Duquel il est à déduire pour amortissement le solde de la valeur du Matériel et établissement
- soit 6337,01 .............................. 6 336,01
- Reste donc à partager entre le fonds de réserve et les Sociétaires conformément à l’article 17
- des Statuts (après approbation des comptes par _______
- l’Assemblée Générale)...................... 33601,50
- Soit 20 % au fonds de réserve, ci. 6 720,30)
- » 80 % aux Sociétaires au pro- ( 33 601,50
- rata de leurs achats, ci........ 26 881.20)
- Les Sociétaires auiont donc à recevoir 5,03 par 100fd’achat
- En résumé, l’écart entre le prix d’achat des marchandises et les prix payés par les sociétaires est moindre de 14 0[0,
- Mous constatons avec regret que cette société, comme tant d’autres, ne fait aucune part à la mutualité qui devrait exister entre les membres de toute société progressiste.
- Au point de vue de l’organisation, la société du 18e arrondissement est en voie de progrès réels ; elle vient défaire édifier un siège social, dont le prix de revient, achat du terrain et construction est de 300.000 fr.; le matériel et l’installation commerciale sont évalués à 30.000 fr.
- AVI S
- La Société du Familistère a besoin d’un garçon boulanger intelligent pour diriger une boulangerie coopérative.
- p.264 - vue 267/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 265
- LA MINE A LA SOCIÉTÉ
- Dans notre précédent numéro, nous avons montré combien étaient erronées les interprétations du Coopérateur Français relatives aux mines du mont Rancié.
- Les conclusions du Coopéraleur Français étaient telles, qu’on aurait pu les considérer comme une condamnation du principe de la possession des mines par la société et de leur exploitation par des associations coopératives de travailleurs.
- Les arguments invoqués par le rédacteur de l’article « La Mine aux Mineurs » n’étaient que la réédition, contre la coopération de production, des critiques subtiles et superficielles dirigées, autrefois, contre les sociétés de consommation par des adversaires ennemis de tout prôgrès, qui se sont vainement acharnés à vouloir prouver l’impossibilité pratique de ces associations par l’exagération de certains échecs attribuables, seulement, à l’incapacité ou à l’insuffisance de connaissances administratives chez les sociétaires.
- L’exploitation des mines de Rancié est pitoyable, non parce que ces mines appartenant à la commune sont placées sous l’action directe de l’Etat, mais parce que l’Etat n’a jamais fait ce que commandait le bon sens élémentaire ; dans ce cas particulier, l’Etat s’est conduit, au contraire, comme un directeur résolu à faire échouer l’association des mineurs de Rancié.
- On sait quel rôle considérable ont joué et jouent encore dans le gouvernement de la nation les gros financiers possesseurs ordinaires des concessions minières; quiconque connaît leur égoïsme et leur cupididité ne peut mettre en doute qu’ils aient fait, en cette occasion, tous leurs efforts pour empêcher la réussite d’une entreprise qui, prospère, aurait été la réfutation des sophismes destinés à justifier les monopoles miniers concédés à des particuliers.
- La nrospérité des mines du Rancié eût été un exemple trop favorable à la vulgarisation des doctrines socialistes ; et nos conservateurs de tout acabit ont de tout temps fait le nécessaire pour maintenir cette exploitation dans un état d’infériorité réel.
- Le Coopérateur français, en se laissant entraîner par les apparences, en prenant acte de cette infériorité comme d’une preuve de l’incapacité des sociétés ouvrières de tirer bon parti des richesses minières, s’est fait, sans le savoir, le complice des spéculateurs intéressés à la conservation des abus et des monopoles.
- L’association empirique des mineurs de Rancié ne prouve rien contre les principes socialistes; elle ne peut être citée comme un exemple négatif; on ne peut faire plus qu’en prendre prétexte pour dénoncer les excès de la mauvaise volonté des
- gouvernements^ et pour signaler des erreurs administratives faciles à corriger.
- Les difficultés ne proviennent pas des conditions particulières de ces mines ; elles résultent uniquement des intentions des dirigeants de neutraliser le progrès social.
- Quelle force la prospérité d’une telle exploitation donnerait aux aspirations de tous les serfs de la mine!
- Si les ouvriers mineurs d’Anzin, de Decazeville et d’ailleurs pouvaient appuyer leurs réclamations par l’exemple d’une association d’ouvriers mineurs, comparable aux entreprises capitalistes les mieux gérées !
- Le rédacteur du Coopérateur Farnçais ne doit pas ignorer que les hommes de gouvernement ont toujours redouté cette éventualité; et il doit savoir que tous ont-été capables d’essayer, par tous les moyens, d’entraver une tentative dont le succès pouvait devenir contagieux.
- Notre confrère nous explique que les transports sont faits à dos d’ùommes, que les mines n’ont pas de plans inclinés ; il nous signale une foule d’autres imperfections des plus faciles à corriger. Il suffît pour cela de faire quelques dépenses presque insignifiantes.
- Les mineurs n’ont pas les avances voulues.
- La belle affaire. Pourquoi les communes, l’Etat n’interviendraient-ils pas pour avancer les fonds nécessaires à une bonne installation?
- Lorsqu'une commune n’a pas d’Eglise, ou bien si une chapelle a une statue d’un saint quelconque en mauvais état, l’emprunt au crédit foncier avec la garantie de l’Etat, à défaut de ressources disponibles, procure l’argent indispensable.
- Ne pourrait-on faire, en faveur des mineurs, ce qui se fait chaque jour pour les églises, pour les maisons des curés et pour un grand nombre d’autres utilités de même importance ?
- Les mines du Rancié sont cependant productives ; c’est le Coopérateur Français qui nous l’apprend, puisqu’il nous dit que les accapareurs des produits de l’extraction font des fortunes scandaleuses aux dépens des travailleurs.
- N’est-ce pas là l’indice de la nécessité d’augmenter l’essor de cette association, de l’organiser de telle sorte qu’elle vende directement ses minerais à ceux qui les transforment en fer,si on ne peut la mettre du premier coup en état de faire cette transformation ? Même il y aurait lieu, dans ce cas, de rechercher les bases d’une participation des mineurs aux bénéfices provenant de la fabrication du fer.
- La vérité sur les mineurs du Rancié est qu’ils ne constituent pas une association, selon le vrai sens du mot ; ils sont simplement un groupement empirique légué par le moyen-âge, dont les défauts on été soigneusement conservés par les dirigeants intéressés à la disparition de C' commencement d’association ouvrière.
- p.265 - vue 268/838
-
-
-
- 266
- LE DEVOIR
- Ce qu’il faut faire est chose simple!
- Mettre la mine en état d’exploitation, d’après les mêmes pratiques en usage dans les entreprises capitalistes bien conduites ; y réglementer le travail d’une façon analogue ; syndiquer les mineurs en société d’extraction et de vente des minerais; surtout, imposer dans le cahier des charges l’obli-gatien de prélever chaque année une part des bénéfices pour la dotation d’institutions garantîtes.
- Tout cela peut se faire en mettant les mineurs en situation de conserver pour eux les bénéfices scandaleux des intermédiaires signalés par le Coopérateur Français.
- Si les mineurs du Rancié n’jnt pas assez d’initiative pour entreprendre ces réformes ; il est du devoir de l’Etat d’intervenir et de les provoquer.
- Il y aura certainement des gens pour s’élever contre notre appela l’intervention de l’Etat.
- Les plus bruyants seront, à n’en pas douter, ceux qui n’ont jamais protesté contre l’application par l'Etat de règlements stupides et de procédés susceptibles d’empêcher la prospérité de cette entreprise.
- Cette tactique est particulièrement chère aux économistes; ils se taisent lorsque l’intervention de l’Etat s'exerce d’une manière désastreuse ; et, lorsqu’elle a anéanti les œuvres dirigées par elle avec la volonté de les faire échouer,les économistes relèvent la tête et s’emparent de ces faits comme d’autant d’exemples de l’incapacité de l’Etat à appliquer de sages mesures.
- Ce rôle n’est ni le nôtre, ni celui qui convient à l’organe de la coopération française.
- Faits politiques et sociaux de la semaine
- Le Parlement. — Le Sénat, sous l’inspiration de M. Bozérian, un des trois spéculateurs signataires du fameux projet d’exploitation du Tonkin par uue société financière, a fait preuve de beaucoup d’activité dans la préparation d’une loi de répression contre les délits de presse. Chaque fois qu’il s’agit d’une sage réforme, le Sénat ne peut aboutir ; lorsque la réaction a besoin d’une loi rétrograde, les mêmes sénateurs sont d’une fécondité incroyable.
- A la Chambre, les petites mesures et les idées étroites sont toujours la spécialité des grands orateurs.
- Notons une trop rare exception en faveur de M. Passy. L’honorable député de la Seine a demandé au ministre des affaires étrangères s’il n’y a pas lieu à appliquer, une fois de plus dans les affaires de la Grèce, le principe de l’arbitrage, qui tend à devenir de plus en plus la loi du monde civilisé et qui a récemment prévenu un conflit grave entre l’Allemagne et l’Espagne.
- M. de Freycinet, président du conseil, déclare qu’il est d’accord avec M. Frédéric Passy sur la question de principe. Il est certes bien désirable que la justice et la raison se substituent déplus en plus à la voix brutale du canon ; mais, dans le différend dont il s’agit, la France ne peut prendre aucune initiative de ce genre.
- Le véritable arbitre est ici le concert européen, formé par les six grandes puissances de l’Europe ; elles sont saisies du
- conflit et leur arbitrage s’exerce. Il n’est donc possible à aucune d’entre elles d’agir individuellement.
- Mais M. Passy et la Chambre peuvent être assurés que, dans le concert européen, la France exercera son influence dans le sens le plus pacifique et pour la conservation des droits de chacun. (Approbation générale.)
- M. Frédéric Passy prend acte de cette déclaration.
- ir
- -¥ *
- Les Grèves. — La situation est toujours la même à Decazeville.
- Une grève vient d’éclater aux houillères d’Epinac(Saône-et-Loire.) La grève a commencé hier matin par le refus de 140 ouvriers de prendre leur travail. Le soir elle était générale.
- Les grévistes réclament augmentation de salaires, réduction des heures de travail, chauffage gratuit, interdiction de laisser un ouvrier travailler seul.
- Au Havre et à Roubaix ont été affichés les placards suivants :
- Aux travailleurs
- Londres tressaille, Berlin attend, Decazeville se meurt des hâbleurs parlementaires, mais n'est pas moins en fièvre; Saint-Fargeau est en feu ; Liège, Charleroi, etc., se meuvent, tous nos frères sont aux prises avec les filous qui les ont exploités jusqu’à ce jour : seuls, resterons-nous en arrière ? Seuls, continuerons-nous cette vieille habitude qui consiste à laisser périr, faute de solidarité, ceux qui se révoltent ?
- Ne finirons-nous pas par comprendre qu’il faut, lorsqu’un de nous reçoit un soufflet, que nous rougissions tous et que nous devions nous lever pour le venger?Ne comprendrons-nous pas, enfin, que, la révolte étant le devoir le plus sacré, nous devons, par tous les moyens, participer à chacune d’elles.
- Par tous les moyens aussi, nous devons reprendre notre liberté et le fruit de nos travaux que l’on nous a volé, nous devons comprendre que ne pas imiter ceux qui vont de l’avant, c’est imiter ceux qui reculent.
- Peuple !
- Resterons-nous plus longtemps sous ce lourd servage qui fait que nous crevons de faim en produisant tout ? Habiterons-nous plus longtemps des bouges, quand nous construisons des palais ? Serons-nous plus longtemps encore l’esclave du parasite, de la crédulité et des préjugés qui nous ont fait respecter jusqu’à présent ce qui est méprisable, l’autorité, la propriété !
- Donc, la victoire ou le vide derrière nous.
- Et, au bas, écrit à la main :
- Nous vous invitons tous à une grande manifestation lundi 19 avril, sur la Grand’Place
- Vive l’anarchie !
- En guise d’illustration, on avait dessiné une potence à laquelle étaient pendus quatre industriels de Roubaix, et, en regard, une main tenant un poignard.
- Pris isolément, ces faits ne paraissent pas avoir une grande importance. Mais, considérés dans leur ensemble, ils sont des symptômes qui préoccupent la population.
- Le Temps auquel nous empruntons ces renseignements, les fait suivre de cette réflexion :
- Du reste, dès aujourd’hui, toutes les mesures sont prises pour assurer l’ordre là où les fauteurs de troubles tenteraient de porter atteinte à la liberté du travail.
- p.266 - vue 269/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 267
- Le Temps veut dire par là que les gendarmes, l’infanterie la cavalerie et l’artillerie sont sur pied. Pauvre manière d’assurer le triomphe de l’ordre. Quand donc les gens réputés sérieux comprendront-ils que le désordre présent n’a d’autre cause que l’incohérence de nos institutions, et que l’existence de l’ordre est subordonnée aux réformes sociales.
- * *
- Politique coloniale . — De plus en plus forts nos Tonkinois. Ils ont trouvé un admirable système de mettre en évidence les bienfaits de leur extravagante politique. Le rendement des douanes est en hausse à Tunis. Les auteurs de ces conquêtes exultent. Ils oublient de dire que cette augmentation des importations représente tout bonnement le matériel, vêtements, subsistances, etc., etc. de l’armée française. Voilà le Pourquoi de cette augmentation foudroyante.
- Car en Tunisie, un officier français qui reçoit un dolman de France, paie 28 francs de droit de douane, il paie 3 fr. pour un képi, et, jusqu’à ces derniers temps, la douane tunisienne a fait payer le dr oit d’entrée même au drapeau français
- La Nationalisation du Sol en Angleterre.
- Nous trouvons dans The Church Réformer, de Londres, les appréciations suivantes concernant divers projets de réformes foncières présentés au Parlement anglais :
- L’application d’impôts fonciers proposée par M. Saunders et soutenue par diverses ligues et associations serait certainement un pas dans la bonne voie. Fermement convaincus que les peuples ont droit à la pleine valeur du sol de leur pays, nous acceptons joyeusement toute restitution partielle.
- Imposer la terre selon sa valeur est la consécration d’un principe, le reste viendra ensuite.
- Le projet de la loi de Mr Bradlaugh concernant la culture du sol affirme* d'une autre manière, le droit du peuple sur iâ terre delà nation et protège la masse contre les caprices des propriétaires. D’après ce projet un homme qui, de propos délibéré, tient incultes de grandes quantités de terres cultivables, est coupable d’un crime et peut-être exproprié immédiatement, sauf à recevoir à titre de compensation, durant les 25 années « une somme annuelle égale, au rapport annuel moyen des dites terres calculé sur les quatorze années antérieures à la condamnation. »
- Un certain nombre d’autres propositions tendent à constituer, par des moyens divers, une foule de paysans propriétaires.
- Le fin mot de ces propositions est surtout de mettre en ligne une masse de petits propriétaires à côté des gros, pour protéger ceux-ci contre la nationalisation du sol.
- Il est évident que nous n’obtiendrons pas d’être débarrassés du régime de la domination foncière, si nous augmentons le nombre des propriétaires. Qu’il y ait un million ou trois millions de gens possédant toute la Grande Bretagne, le mal est le même pour le reste de la population qui demeure dépouillé de ses droits équitables à la terre.
- L'attitude des paysans propriétaires d’Allemagne envers la démocratie sociale nous enseigne ce
- que Ton pourrait attendre des petits propriétaires en Angleterre à l’égard de la nationalisation du Sol..............................................
- 11 y a en Allemagne, écrit Boring Gould « un « obstacle contre lequel la démocratie sociale « peut lutter mais qu’elle ne pourra jamais miner, « ni franchir—ce n’est pas l’empire de fer ni la « force militaire, ni l’Eglise catholique; c’est la « multitude des paysans propriétaires d’une parce celle de terre et tenant au sol avec une tenace cité inflexible.
- « Dans la future bataille entre les propriétaires ce et les détenteurs privilégiés du sol; des paysans « seront le rempart à l’abri duquel les capitalistes « privilégiés décimeront la masse des déshérités « de tout bien. »
- La véritable réforme serait celle qui transformerait les soi-disants propriétaires du jour en tenanciers de l’Etat, jouissant en paix de leurs biens aussi longtemps qu’ils en paieraient à l’Etat la rente équitable, et se soumettraient à certaines autres conditions, simples mais nécessaires, pour la protection des droits suprêmes du peuple souverain.
- Nous espérons donc que toutes les réformes foncières proposées aujourd’hui et qui n’ont pour but que d’agrandir le nombre des propriétaires rencontreront une résistance inflexible de la part de tous les partisans de la Nationalisation du sol.
- LE « VOORU1T ))
- On lit dans le Figaro :
- L’agitation en Belgique se développe maintenant du côté de Gand. On annonce un Congrès général ouvrier à Gand, pour les 25 et 26 avril, avec grande manifestation à l’appui.
- Voici, à ce propos, quelques détails sur le Vooruit, ce journal flamand dont M. Sarrien vient d’interdire l’entrée en France. Au lendemain des événements de Charleroi, à la veille peut-être d’événements plus graves, il n’est pas inutile d’avoir là-dessus quelques notions:
- Le Vooruit, journal socialiste de Gand, est l’organe d’une puissante association ouvrière qui compte plusieurs milliers de membres, et qui a pour but la « collective-propriété et le travail-coopératif ».
- Vooruit veut dire : En Avant.
- Cette publication, qui est rédigée en flamand, est absolument inconnue dans les régions wallonnes. Son propriétaire-rédacteur, M. Anseele, est poursuivi pour diverses attaques à la Constitution et au roi. Les journaux de Bruxelles ont traduit quelques extraits de ses articles.
- Quant à l’association ouvrière dont le Vooruit est l’écho, elle constitue une sorte de phalanstère, dans le genre du Familistère de Guise, dirigé par M. Godin, et dont nous avons longuement parlé, il y a deux ou trois ans, ici même.
- Le familistère de Guise a aussi son organe, qui s’appelle le Devoir ; mais ses tendances n’ont rien d’anarchique.
- L’association flamande a fondé une boulangerie, une brasserie ; elle a son café, son théâtre, son imprimerie et son journal, le dit Vooruit.
- On peut donner une idée de son organisation développée sous les auspices de M. Anseele, naguère ouvrier, aujourd’hui
- p.267 - vue 270/838
-
-
-
- 268
- LE DEVOIR
- président de la boulangerie : Un employé arrive chez chaque membre à la fin de la semaine et demande combien il faudra de pains pour la semaine suivante. On lui indique un chiffre, celui de huit pains, par exemple. Il reçoit alors huit bons qui représentent une somme de...
- On sait exactement ainsi ce que la boulangerie doit fabriquer de pains dans les huit jours.
- Comment se fait-il que cette association ouvrière se soit déclarée anarchique et révolutionnaire ? On assure que son chef, M. Anseele, déclare à qui veut l’entendre que les ouvriers ont tout à gagner à la révolution sociale.
- C’est sur les compagnons de cette importante corporation ouvrière des filatures et autres ateliers gantois que comptent les organisateurs du fameux mouvement sur Bruxelles, fixé au 13 juin, pour réclamer du Roi le suffrage universel et le reste.
- L’association qui a le Vooruit pour organe est, à coup sûr, la plus colossale des associations socialistes de la Belgique.
- P. G.
- Le droit des pauvres.
- L’article 126 du règlement du 18 décembre 1883 (voir J1 mre offf n° 112) défend d’une manière formelle aux médecins de l’armée d’envoyer en traitement à l’hôpital unitaire ou à l’hospice « tout homme atteint de maladie ou de blessure qui peut être soignée dans Pinfiimerie régimentaire ». Or il faut remarquer que les infirmeries régimentaires sont pourvues de tous les médicaments, de tout le matériel, de tous les appareils et de tous les instruments qui leur sont nécessaires pour traiter toutes les maladies. Le matériels des hôpitaux et des ambulances qui est confié à chaque Corps, vaut au moins 4.000 fr. avec l’assortiment des médicaments ; il y a tout ce qu’il faut pour prendre 4 sortes de bain. Enfin on peut faire acheter chez un pharmacien tout médicament et tout appareil qui ferait défaut à l’infirmerie pour des cas particuliers qui du reste sont fort rares. Ces prescriptions ministérielles si sages, si naturelles sont corroborées par l’art. 5 de la loi du 7 juillet sur les charges que les besoins de l’armée peuvent faire peser sur les hôspices :
- « Les obligations imposées aux hospices civils ne « peuvent,dans aucun cas, porter préjudice au ser-« vice des fondations et de l’assistance publique..» C’est ce qui n’a pas lieu et dans une mesure bien indiscrète. La loi est violée et les pauvres, les indigents et les ouvriers vivants, sans famille, qui deviennent malades sont privés de leurs droits aux bénéfices des secours que l’hospice leur réservait. On encombre les hospices de malades qui devraient être, à peu près tous, traités à l’infirmerie de leur corps ; on fait plus, on retient dans les hospices, exclusivement pour l’armée et en permanence, en prévision d’une épidémie un nombre de Ht égal à 5 p % de l’effectif de la garnison. Avec tous les abus qui ont pour but de débarrasser le plus possible l’infirmerie de ses malades pour en garnir les salles militaires des hospices,aussi on arrive qu’à mettre à l’hospice que 2 p0/° environ de l’effectif de la garnison, et 3% en cas d’épidémie, tandis que. même dans ce dernier cas, il ne devrait y en avoir j tout au pius que 1/5 d’unité p. %. Outre toutes les places qui '
- sont occupées abusivement par les militaires dans les hospices, au grand détriment du fonctionnement des fondations de charité et des classes pauvres, il y a encore en salles et en lits inoccupés en permanence à l’hospice, mais réservés sans emploi permis pour les besoins de l’armée, 3 p% de l’effectif de la garnison. Tel est le préjudice que, dans une bonne pensée pour l’armée mais sans que celle-ci ait jamais à en réclamer le bénéfice, on fait subir aux malheureux qui ont à réclamer les secours des fondations de la charité publique, secours qu ont été prévus et organisés pour eux et non pour des militaires qui ont au régiment, dans leur infirmerie, tout ce que leur état de santé peut réclamer.
- Il n’y a que les indigents qui puissent venir réclamer les secours gratuits de l’hospice. Comment oserait-on assimilera un indigent un soldat qui a à son infirmerie plus de ressources qu’on ne peut en trouver dans les familles riches ?
- A St-Quentin par exemple, on conçoit qu’on puisse venir réclamer le traitement à l’hospice pour 2 malades de la garnison. Or on a réservé pour l’armée les trois étages, soit 75 places, du corps de bâtiment qui est à droite en entrant dans la cour de l’hospice de St Quentin. Il y a 2o lits à chaque éiage, on trouve .6 à 8 malades au 1er et au 2e étage mais le 3e reste inoccupé en permanence, ce qui n’empêche pas que tout l’hiver il est chauffé par le Calorifère qui dessert cette ailede bâtiment et qui est installé dans la cave. Pendant ce temps, dans tous les hospices des grandes villes, àSt-Quentin comme dans une autre grande ville ouvrière du centre de la France on refuse des malades pendant les rigueurs de la mauvaise saison, sous prétexte qu’il n’y a plus déplacé disponible. Non-seulement il y a des places disponibles, mais il y a des salles entières (Salles St-Bernard, St-Georges, St-Alexis) qui restent sans emploi en permanence. Au lieu d’avoir par régiment trois médecins qui ne font presque rien, qu’il y en ait un qui s’occupe un peu dus malades du régiment et qu’on respecte à l’hospice les droits des pauvres....
- LA RÉCLAME
- La réclame au Japon pourrait rendre des points à la plus alléchante comme à la plus inattendue de celles qui se publient en Europe, voire aux États-Unis.
- Sur la devanture d’une librairie de Tokio, on lit :
- Avantages de notre maison ;
- 4. Prix aussi bon marché qu’un billet de loterie.
- 2. Livres élégants comme une jeune fille qui chante.
- 3. Impressions aussi nettes que le cristal.
- 4. Papier solide comme la peau d’un éléphant.
- 5. Les clients traités aussi poliment que par les employés de deux compagnies de navigation qui se font concurrence.
- 6. Volumes aussi nombreux que dans une bibliothèque.
- 7. Marchandises expédiées avec la rapidité d’un boulet de canon.
- 8. Paquets faits avec autant de soin qu’en prend une femme pour le mari qu’elle aime.
- 9. Guérison de tous les défauts, comme la distraction et la paresse, pour tous les jeunes gens qui nous feront de fréquentes visites et qui deviendront des hommes de valeur.
- 10. Les autres avantages que nous offrons sont si nombreux qu’aucune langue ne peut les exprimer.
- p.268 - vue 271/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 269
- La possession du sol et la Sociologie
- De notre temps, on s’étonne que les théoriciens puissent affirmer avec autant de netteté la transformation relativement prochaine des conditions de possession du sol.
- C’est qu’on oublie la venue d’un élément tout nouveau dans les discussions économiques, la naissance d’une science, la science sociale. Et les quelques-uns qui cultivent cette science comme quelques-uns cultivaient, il y a deux mille ans, l’astronomie, peuvent annoncer l’apparition d’un phénomène d’ordre social, comme, du temps de Thalès, on pouvait déjà prédire à coup sûr un phénomène céleste, une éclipse, par exemple.
- Les sociologistes font ce que font à chaque instant les physiciens, les chimistes ou les physiologistes. Ils disent : tel ordre des faits actuels aura telle conséquence.
- ÉCOLES DU FAMILISTÈRE
- DEVOIR D’ÉCOLIER
- Respect do bien d'autrui — Le Vol.
- Les devoirs de respect envers les personnes comprennent, non seulement le respectée la vie humaine et de la liberté individuelle, mais encore le respect des biens d’autrui.
- Ceux qui dérobent des objets font non seulement éprouver au possesseur un tort matériel, mais encore une souffrance morale, car on est toujours attaché aux objets familiers, aux choses qui nous sont utiles.
- La propriété est donc une chose sacrée que l’on doit respecter.
- Autrefois, la terre n’appartenait à personne, les hommes s’établissaient sur les terres les plus giboyeuses, et là se nourissaient de chasse et de pèche.
- L’homme n’avait alors pour propriété que sés armes et ses engins de chasse.
- Ensuite, il apprivoisa les animaux qui s’y prêtèrent le mieux, il les réunit en troupeaux de manière à pouvoir s’en nourrir, lorsque le gibier ou le poisson faisait défaut.
- La vie nomade devint alors pastorale, et la propriété s’étendit, puisque l’homme possédait en plus de ses armes des troupeaux.
- La vie devint alors plus errante, car lorsque les troupeaux avaient mangé tout ce qui se trouvait à leur portée on était obligé d’aller ailleurs chercher leur nourriture.
- Les hommes, les femm es, les enfants réunis formaient alors une famille dont le plus âgé était le chef.
- Lorsque deux familles se rencontraient pour avoir le même camp on se battait pour savoir qui y resterait, ensuite on se partageait le champ et chaque famille s’indiquait des limites.
- C’est alors que les tribus se formèrent et que le sol devint une propriété.
- Ensuite les besoins de l’homme le poussèrent à brûler les forêts et à pouvoir ainsi ensemencer le terrain.
- Ce morcean de terre devenait la propriété de celui qui l’avait cultivé.
- Ce fut le commencementde l’agriculture ; chaque année, le chef de la tribu partageait les terres entre les diverses familles auxquelles il commandait.
- Plus tard, ce partage ne se fit plus que tous les deux ans, puis tous les cinq ans, puis tous les dix ans et enfin plus du tout, et les terres ainsi distribuées devinrent de véritables propriétés.
- Puis vint une époque guerrière, où les plus forts s’emparèrent des terres.
- Les petits propriétaires furent obligés de se mettre à l’abri des attaques fréquentes des gens de guerre en se faisant défendre contre ces attaques par les glands propriétaires, à la condition de les laisser prendre une part aux produits de leurs terres.
- Cela dura jusqu’à l’époque où, les paysans,comprenant qu’eux aussi ils avaient le droit d’être propriétaires, firent naître la Révolution, qui réprima tousces abus.
- La propriété est toujours le fruit du travail et elle est respectable, qu’elle soit acquise par donation, par succession ou par héritage.
- L’Etat a un droit légitime à toutes les successions et même, dans certains cas, il y a un droit direct.
- Ainsi, si l’héritier est un parent très éloigné, l’héritage devrait revenir à l’Etat, car gans lui les fortunes ne pourraient guère se constituer et, si cet état de choses existait, il en résulterait pour tous de grands avantages, car beaucoup d'impôts seraient supprimés.
- Une foule d’hommes prétendent que les biens doivent être également répartis entre tous; et, malgré l’impossibilité de cette chose, ils persistent à la croire réalisable.
- Lorsqu’on dérobe un objet,oncommetun vol,et le vol est souvent irréparable. Il n’y a qu’un moyen de le réparer, c’est de restituer l’objet volé, et cette restitution doit toujours être prompte.
- Conclusion. La propriété étant toujours le fruit du travail, on honore le travail en respectant la propriété; on est dans la voie du bien, puisqu’on respecte la première loi de la vie, et que faire le bien, c’est se rendre utile à la vie humaine.
- Flobe Louis, âgée de 14 ans.
- COMITÉ DE PARIS
- DE L’ARBITRAGE ET DE LA PAIX
- Le Comité a traité, dans sa réunion d’hier soir, l’importante question de l’arbitrage appliqué à la solution des conflits industriels. Le secrétaire général, M. Auguste Desmoulins, communique à la réunion une série d’études publiées par lui dans la Revue Moderne à ce sujet. Il raconte les efforts tentés parM. Mondella, ouvrier bonnetier à Nottingham, dans le but- de mettre un terme aux grèves qui désolaient cette ville depuis le début du siécL ; il constate les succès obtenus par le système de l’arbitrage dans les villes industrielles du Royaume-Uni. Loin d’avoir
- p.269 - vue 272/838
-
-
-
- 270
- LE DEVOIR
- nui aux intérêts des ouvriers, l’arbitrage a mis partout, en face des capitalistes, les groupes organisés des travaille urs.
- Grâce à leur puissante organisation, les sociétés de métiers, Trades Unions, ont acquis une puissance telle qu’elles ont rendu toute grève inutile. Il n’y avait pas, en effet, de capitaliste assez riche pour pouvoir t enir tête à des sociétés comme celles des mécaniciens qui comptent soixante à soixante-dix-mille membres et disposent de millions de livressterling.
- L’association des mineurs est plus nombreuse encore ; elle n’a pas envoyé moins de trois de ses membres pour la représenter au Parlement aux élections dernières.
- Une lettre de M. Hodgson Prult appelle l’attention sur un système adopté d’un consentement commun par les propriétaires de mines et par les mineurs dans les houillères du midi du pays de Galles. Ce système établit une échelle qui permet d’élever ou d’abaisser les salaires suivant la hausse ou la baisse du prix du charbon.
- C’est en vue de la pacification du bassin houiller de l’Aveyron que M. Desmoulins a cru devoir saisir les différentes sociétés de la Paix de cette question de l’Arbitrage industriel.
- Sur son initiative, dans sa séance du mercredi 7, le Conseil municipal de Paris s’est prononcé en faveur de ce système.
- Il croit qu’il est du devoir de tous de recommander aux parties en présence dans ce conflit industriel cette pratique de l’arbitrage qui a déjà réussi dans un si grand nombre de cas.
- La réunion décide que le procès-verbal de la séance sera communiqué à toutes les sociétés de la Paix avec invitation de répondre.
- Décret de la Convention Nationale.
- Du 28 juin 1793, an second de la République, une et indivisible.
- Relatif à l’organisation des secours à accorder annuellement aux Enfants, aux vieillards et aux indigents.
- Titre III
- MOYENS D’EXÉCUTION
- §° lro
- Formation des rôles de secours.
- Article 1er
- Il sera formé annuellement, deux mois avant la session des corps administratifs, par le conseil général de la commune deux rôles dé secours : dans l’un, seront compris les enfants ; dans l’autre, les vieillards qu’il croira devoir être secourus par la nation.
- II
- Ceux qui se présenteront pour réclamer des secours, remettront au conseil savoir : les femmes, le certificat de grossesse qui sera délivré par l’officier de santé : l’extrait des contributions de leur mari et les extraits d ; leur acte de naissance. Ces différents actes leur seront délivrés gratis, et sur papier libre.
- III'
- Les rôles contiendront le nom de famille de la personne indigente, les causes et les motifs qui l’ont fait porter dans I
- telle ou telle autre classe de traitement. En cas de refus du secours, les motifs en seront portés également en marge du rôle, à côté du nom de la personne qui aura le secours et qui ne sera portée que pour mémoire.
- IV
- Ces rôles seront publiés et affichés pendant deux mois : chaque citoyen de l’arrondissement aura le droit de faire toutes les observations qu’il croira convenables.
- V
- Ces ob«ervations seront inscrites sur un registre qui sera, à cet effet, ouvert au greffe de chaque municipalité, et elles seront signées du citoyen, s’il le sait, ou à son défaut, par le secrétaire greffier.
- VI
- À l’échéance des deux mois, le conseil général de la commune examinera les observations qui auront été faites, et y fera droit en faisant mention, lors de la formation définitive de ses rôles, des motifs de sa décision.
- VII
- Le conseil général de chaque commune est autorisé à rejeter les demandes de secours qui seraient formées par ceux qui croiraient y avoir droit,à raison de leur contribution et du nombre de leurs enfants, s’il est reconnu, après la discussion qui aura lieu en présence du réclamant, ou après qu’il y aura été appelé, qu’ils jouissent, malgré la modicité de de leurs impositions, d’une aisance qui les met au-dessus des besoins.
- VIII
- Les rôles,ainsi clôturés, seront envoyés,avec le registre des observations, aux administrations supérieures qui les examineront dans la session du conseil et les arrêteront définitivement.
- IX
- Tous les citoyens, qui croiraient avoir à se plaindre des décisions du conseil général de la commune, pourront adresser leurs réclamations aux administrations supérieures qui y feront droit.
- X
- Ceux qui dans l’intervalle d’une année à l’autre croiront avoir droit aux secours de la nation se présenteront à la municipalité de leur domicile et lui adresseront leurs réclamations avec les titres sous lesquels ils les appuient.
- XI
- La municipalité donnera son avis et le fera parvenir aux corps administratifs qui prononceront s’il y a lieu ou non à les comprendre dans un rôle supplémentaire.
- xn
- S’ils sont admis et que les besoins continuent, ils seront portés sur le rôle général de la prochaine formation.
- XIII
- Tous les rôles seront renvoyés par les administrations, aussitôt qu’elles les auront arrêtés, à chaque agence du canton.
- XIV
- Chaque administration enverra, annuellement et toujours d’avance, à chaque agence, les secours qui lui auront été assurés par l’effet de la répartition secondaire qui aura été faite*
- p.270 - vue 273/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- go 2mr
- Des agences de secours
- ARTICLE PREMIER
- Les agences de secours qui seront formées dans l’arrondissement de chaque assemblée; seront composées d’un citoyen et d’une citoyenne pris dans chaque commune.
- 11
- S’il existait dans l’arrondissement une ville ayant six mille individus, il y aurait deux agences, l’une pour la ville, l’autre pour la campagne.
- m
- Cette première agence sera composée de 6 citoyens et de huit citoyennes pris dans la ville.
- VI
- Les membres de chaque agence seront nommés par les conseils généraux des communes de l’arrondissement; aux époques et avec les formalités qui seront indiquées pour l’é-lectio ndes municipalités.
- V
- T
- Ils demeureront deux ans en place et seront renouvelés par moitié tous les ans.
- VI
- La première fois la moitié sortira au bout d’un an par la voie du sort.
- VII
- Les fonctions des agences seront de différentes espèces. Elles consisteront :
- 1° A distribuer chaque trimestre, aux personnes portées dans les rôles de chaque municipalité, les secours qui leur auront é'é assignés ; à en surveiller l’emploi ; à examiner si les pensions ne sont point détournées de leur destination; à leur assurer les secours de l’officier de santé : toutes ces fonctions seront particuliérement confiées aux citoyennes;
- 2° A déterminer, d’après les demandes des municipalités de l’arrondissement, les travaux qui devront être faits chaque année ; à en indiquer la nature, l’étendue et le lieu où ils seront exécutés, et à surveiller ceux qui y seront employés.
- vm
- Si quelque municipalité de l’arrondissement croyait avoir à se plaindre de la nature et du placement des travaux arrêtés par l’agence, ou si elles les croyaient contraires aux intérêts de l’arrondissement, ou moins pressants que d’autres qu’elle indiquerait; elle adressera les plaintes aux corps administratifs qui, après avoir entendu l’agence et avoir consulté les autres municipalités de l’arrondissement, prononceront sur les réclamations.
- IX
- Si, dans le cours de leurs visites, les membres des agences apprenaient que les secours sont détournés de leur véritable destination, elles en avertiront la municipalité où est domicilié l’individu secouru, et le mettront en état de pren dre les précautions nécessaires pour remédier à l’abus.
- X
- Les municipalités de l’arrondissement auront la surveillance sur l’agence de secours : mais elles ne pourront qu’adresser leurs plaintes aux corps administratifs qui, après avoir vérifié les faits, et avoir entendu l’agence où les membres inculpés, pourront prononcer la suspension ou même la destitution, suivant la gravité des faits.
- 271 XI
- Les agences seront tenues d’adresser, tous les ans, les comptes de leur gestion aux corps administratifs qui, après avoir examiné et avoir pris auprès des municipalités les renseignements nécessaires sur les faits qui pourront présenter des difficultés les arrêteront et en feront connaître l’aperçu par la voie de l’impression.
- XII
- Il sera envoyé par les corps administratifs deux expéditions des dits comptes ; l’une à l’assemblée nationale et l’autre au conseil exécutif.
- XIII
- Il sera établi, près de chaque agence, un officier de santé chargé du soin de visiter à domicile et gratuitement tous les individns secourus par la nation, d’après la liste qui lui sera remise annuellement par l’agence.
- XIV
- L’officier de santé sera tenu de se transporter, sur le premier avis qui lui en sera donné par l’agence, chez le citoyen qui aura besoin de ses secours.
- XV
- Il sera en outre tenu de faire tous les mois une visite générale chez les citoyens portés aux rôles de secours, et de rendre compte par écrit à l’agence de l’état où ils se trouvent.
- XVI
- Il formera annuellement un journal de tout ce que dans le cours de ses traitements il aura remarqué d’extraordinaire, de ce qu’il croira utile à l’humanité et avantageux à la République ; il en remettra un double à l’agence et en enverra un autre à l’administration supérieure.
- XVII
- Il sera formé, dans le lieu le plus convenable de l’arrondissement, un dépôt de pharmacie, où l’on ira prendre les remèdes sur l’ordonnance de l’officier de santé, et à qui il est expressément défendu d’en fournir.
- XVIII
- Le traitement de chaque officier de santé est de 500 livres.
- XIX
- L’officier de santé sera nommé par l’agence à la pluralité des suffrages.
- XX
- Il pourra être destitué par l’administration supérieure, sur les plaintes des municipalités, après une vérification des faits et après avoir entendu l’officier de santé et l’agence de secours.
- XXI
- Il sera également nommé de la même manière que dessus, par chaque agence, une accoucheuse, qui acccrdera gratis ses secours aux femmes qui seront inscrites sur les rôles.
- XXII
- Elle sera payée pour chaque accouchement suivant la taxe fixée par l’agence.
- XXIII
- Chaque agence rédigera un projet de réglement pour son régime intérieur, la tenue de ses assemblées et autres objets y relatifs ; elle le soumettra à l’approbation des corps administratifs.
- p.271 - vue 274/838
-
-
-
- 27*
- LE DEVOIR
- XXIV
- L’officier de santé aura séance dans les assemblées de l’agence, mais seulement avec voix consultative.
- Correspondance des États-Unis
- Le mouvement de sympathie qui s’est produit, non-seulement de la part de la classe ouvrière, mais aussi parmi la la classe bourgeoise, en faveur des employés de chemins de fer pendant la présente grève semble indiquer que la question sociale a fait un pas immense aux États-Unis et que c’est aujourd’hui celle qui domine notre époque. Pourquoi alors nos législateurs ne mettent-ils pas de côté un tas de propositions biscornues.qui n’intéressent qu’une poignée de parlementaires, pour aborder franchement ce problème.
- Jusqu’à présent, chaque fois qu’une grève a eu lieu, à part les intéressés et tout au plus quelques-uns de leurs chauds partisans, tout le monde a protesté contre ce mode de redres-sementde torts qui, en atteignant les patrons, portait en même temps un coup à l’industrie en général. Une des principales raisons c’est que généralement les grévistes se mettaient dans leur tort en commettant des dépradations que les honnêtes gens réprouvaient.
- Cette fois il n’en a pas été de même. A part quelques incidents sans importance et malgré la somme énorme dont les grévistes disposaient, grâce à leur excellente organisation, et à la prudence de leurs chefs, leur conduite a été parfaitement digne, à St-Louis surtout. Les seuls actes illégaux qui ont été commis, c’est le déeouplement de quelques wagons de marchandises que la compagnie du chemin de fer voulait faire partir sous la conduite d’hommes ne faisant pas partie des « Knights of Labor. » En dehors de cela pas la moindre destruction de propriété, rien, en somme, qui put amener l’intervention de la force publique.
- Et cependant de quel côté étaient tous les torts ? Aux offres de transaction faites dès le début par les chefs de l’Association des ouvriers, Gould et ses subalternes ont répondu par un refus catégorique.
- Au mépris des contrats acceptés et signés par eux l’année dernière, ils ont refusé de reconnaître les droits de leurs employés. Ce sont donc eux qui ont poussé à la grève et nous n hésitons pas a le dire, c’est sur eux qu’en doit peser toute la responsabilité.
- Maintenant, M. Gould vient hypocritement nous dire qu’il est prêt à entendre toutes les réclamations qui lui seront adressées, mais à la condition que les employés de ses lignes cesseront toute hostilité et ne commettront plus aucun dégât contre les propriétaires de chemins de fer. Pourquoi alors n’a-t-il pas parlé ainsi dès le début. Aucun acte de violence n’avait été commis. Non-seulement les grévistes étaient restés dans les limites de la légalité, mais ils avaient même eu soin de placer des gardiens pour protéger ces propriétés qu’on les accuse aujourd’hui de vouloir détruire. Et, fait à noter, ce n’est que du jour où les agents de Gould ont signifié aux grévistes d’avoir à vider leslieux,en leur annonçant qu’ilsse chargeaient de veiller eux-mêmes à la conservation de leur matériel, que les désordres se son t produits.
- La conclusion de ce fait, qui se présente forcément à l’esprit. c’est que pour Gould les grèves sont une moisson, et
- qu’il craignait sans doute de voir celle-ci se terminer plus pais iblement qu’il ne l’avait espéré. Si l’ouvrier n’en faisait pas, il en susciterait, car il sait qu’elles lui procurent les moyens de racheter, quinze ou vingt pour cent au-dessus du cours les actions qu’il a émises au pair, et qu’il regagnera largement sur cette transaction les pertes éprouvées pendant la suspension des affaires. Donc pour lui tout est bénéfice, et en affamant les ouvriers et en ruinant ses actionnaires, il ne fait que semer pour récolter.
- L’un des principaux remèdes à cet état de choses, c’est l’abrogation du système des concessions qui aliène à jamais, au profit de capitalistes favorisés, des propriétés nationales.
- Une ligne est reconnue d’utilité publique. Elle pourrait appartenir ou à l’État, ou aux propriétaires du sol qu’elle traverse. Non, ces derniers n’y ont aucun droit, on les exproprie, et l’Etat fait cadeau à qui il veut, non-seulement des terrains nationaux sur lesquels elle doit passer, mais encore de plusieurs milles carrés tout le long de la voie et en voilà pour l’éternité.
- Si jamais la phrase de Proudhon ;« La propriété c’est le vol » a paru une vérité, c’est bien dans ces sortes d’affaires où l’iniquité frappe les yeux.
- Ne vaudrait-il pas mieux, par exemple; que ces concessions n’eussent lieu que pour un temps déterminé, et que, même pendant cette période, elles restassent sous le contrôle du gouvernement. Ensuite pourquoi toujours concéder au capital, et ne jamais rien donner au travail ? On a besoin de capitaux, soit, qu’ils aient une part. Mais on a besoin aussi de bras ; pourquoi tout à ceux-là, et rien à ceux-ci ? Est-il juste qu’en quelques années le capitaliste ait décuplé et que le pauvre diable qui a gémi, travaillé, souffert, soit aussi pauvre que devant et n’ait pas même une baraque où abriter sa famille.
- Nous ne le croyons pas. Les Etats-Unis ont aboli l’esclavage, il leur reste maintenant à abolir le servage.
- Mais demander la suppression des abus à ceux qui en profitent, c’est certainement un rêve. C’est pourquoi l’intervention du législateur devient de plus en plus indispensable, et si elle ne se fait sentir promptement on peut s’attendre à assister bientôt â une nouvelle lutte, celle de la misère contre la fortune, de celui qui n’a pas assez contre celui qui a trop, et cette lutte une fois commencée il est difficile de dire où elle s’arrêtera.
- État civil du Familistère.
- Semaine du 12 au 18 Avril 1886.
- Naissances :
- Le 15 avril de Léguiller Georgette Emilia et de Léguiller Georgina Louisa, filles de Léguiller Georges et de Lemaire Catherine.
- Le 16 avril, de Hamel Elise, fille de Hamel Eugène et de Chimot Eugénie.
- Le 16 avril, de Delavenne Julienne,fille deDelavenne Emile et de Hamel Julie.
- Le 16 avril de Macaigne Eugénie, fille de Macaigne Thérèse.
- Le Directeur Gérant : GODIN
- uuiss — Imo. Baré.
- p.272 - vue 275/838
-
-
-
- 10e Aimée, Tome 10.— N" 399__________ Le numenr hebdomadaire W c. Dimanche 1er Mai 1886
- LE DEVOIR
- BEVUE DES OUESTIOÏS SOCIALES
- BUREAU
- a GUISE (Aisne)
- Toutes les communications et réclamations doivent être adressées à SI. 6§DIN, Directeur-Gérant fondateur du Familistère
- ABONNEMENTS PAYABLES D’AVANCE par l’envoi, soit au bureau de Guise, soità celui de Paris, de timbres-poste ou de mandats de poste, dont le talon sert de quittance.
- France
- Un an . Six mois. . Trois mois.
- 10 lr. »» 6 ï» 3 ïj
- Union postale Un an. . . llfr. s» Autres pays
- Un an. . . . 13 fr. 60
- OIT S’ABONNE
- A PARIS
- 5, rue Neuve-des-Petits-Champs Passage des Peux-Pavillons
- S’adresser à M. LEYMARIE administrateur delà Librairie des sciences psychologiques.
- SOMMAIRE
- Avis aux sociétés coopératives. — Le désordre industriel et l’ordre à rétablir. — Les grèves. — Le désarmement de la Grèce. — Le crédit agricole. — Boulangerie coopérative de la Flotte. — Avis. — Enquête aux Etats-Unis sur les rapports du travail et du capital. — Faits politiques et sociaux de la semaine. —L’arbitrage et le salariat. — Le divorce. — Anniversaire de la naissance de Fourier. — Le mariage de l’empereur de Chine. — La part du feu. — Fête du Travail.
- --------------« ♦ » .--------------
- Avis aux Sociétés coopératives.
- Nous adressons depuis un certain temps le journal Le Devoir aux sociétés coopératives, en vue de les tenir au courant du mouvement coopératif en France, en Angleterre et aux Etats-Unis, Les questions que nous porterons ainsi à la connaissance des coopérateurs sur les meilleurs bases à donner aux Sociétés coopératives sont d’un intérêt général pour la coopération.
- Déjà, un certain nombre d’entre ces sociétés nous ont adressé leur abonnement, nous espérons que d’autres voudront bien, en les imitant, nous encourager dans la voie que nous avons adoptée. Nousprions celles qui n’accorderaient pas d’intérêt à nos efforts de bien vouloir nous retourner le journal pourvu de sa bande.
- Le désordre industriel
- ET L’ORDRE A RÉTABLIR
- L’avilissement des salaires est le phénomène économique le plus considérable de tous ceux qui ont lieu à notre époque ; il obligera inévitablement à trouver le dénouement de la question sociale.
- Gomme par reflet d’une puissance surhumaine la baisse des salaires est universelle. G’est au moment où les sociétés civilisées se trouvent en possession de l’outillage le plus important qui ait jamais existé et des moyens de production industrielle et agricole les plus puissants, que la détresse des masses ouvrières arrive dans toutes les nations à la fois. G’est au moment où le monde crée le plus de richesse que la misère des classes ouvrières devient plus grande. Ce phénomène, à lui seul, dénonce les défauts de notre organisation sociale et nous révèle le désordre de la production et de la répartition des richesses.
- Le mal est d’une telle gravité qu’il exige un remède, sous peine de faire sombrer l’ordre social dans un cataclysme.
- Il fautnne nouvelle organisation du travail et de l’industrie pour porter remède aux désordres et à l’iniquité de la mauvaise répartition des richesses et du mauvais emploi de l’activité humaine.
- Mais rien n’est si étrange à voir ni si difficile à comprendre que l’incurie, l’inaction et l’impuissance des pouvoirs publics en face de ces réduc-
- p.273 - vue 276/838
-
-
-
- 274*
- LE DEVOIR
- tions incessantes de salaires, de ces provocations à la grève engendrées en tous pays par l’exploitation égoïste et imprévoyante des capitalistes et des chefs d’industrie.
- La situation faite au travail et aux travailleurs est d’autant plus déplorable qu’il ne dépend que des gouvernants et des sociétés financières et industrielles d’y mettre un terme ; ils n’auraient qu’à vouloir pour pouvoir.
- Est-ce que, par esprit de concurrence, toutes les entreprises industrielles ne rivalisent pas entre elles par l’avilissement du prix des produits? Est-ce que ce n’est pas le moyen toujours employé par les exploiteurs de l’industrie pour chercher à vendre meilleur marché que leurs concurrents? Les salaires étant à leurs yeux le plus facile à réduire de tous les éléments d’exploitation, ils procèdent, sans égard pour l’ouvrier, à la réduction des salaires, afin de maintenir leurs bénéfices quand ce n’est pas afin de les augmenter, oubliant que le travail a pour premier objet de donner à l’homme les moyens de vivre et le bien-être. C’est par ces pratiques déplorables qu’on retire aux ouvriers leurs moyens d’existence !
- Pour indiquer un remède à ces errements insensés, supposons, pour un instant, l’intervention des pouvoirs publics dans la pensée de mettre un frein à cet état de choses. Que pourraient-ils faire ?
- Prenons pour exemple l’exploitation des houillères. Les gouvernements de France, de Belgique, d’Angleterre et d’Allemagne pourraient s’entendre avec les compagnies minières et exiger d’elles une élévation du prix des charbons de 25 p. 0/0 à la tonne. Cette augmentation de prix étant proportionnelle et faite à la fois dans tous les charbonnages, elle ne créerait aucun préjudice aux exploitants. Il n’en faudrait pas moins le lendemain autant de charbon qu’il en faut aujourd’hui.
- Les salaires de tous les charbonnages pourraient donc être relevés de tout le bénéfice de cette augmentation, à la condition que le capital ne puisse s’en emparer. Cette augmentation serait acceptée par l’industrie sans gêne et sans souffrance, puisqu’elle serait générale dans tous les pays et qu’il n’y aurait pas possibilité de se procurer du charbon à des prix plus réduits. Ne voit-on pas de suite quelle aisance remplacerait la misère de ouvriers, si une pareille mesure était prise et pratiquée par les gouvernements et les classes exploitantes.
- Je sais bien qu’on va prétendre à l’impossibilité d’une pareille entente; je n’ai qu’une chose à répondre : oui, elle est difficile, parce que cela suppose un acte de dévouement des classes riches en faveur des classes ouvrières ; mais cette entente n’apparaîtrait pas si difficile s’il s’agissait d’une coalition au seul profit des capitalistes ! Et c’est ainsi que la spéculation opère tous les jours dans le monde des capitalistes, les gouvernants y aidant.
- Mais, aussi, au lieu d’appeler les ouvriers à l’aisance, on les condamne à la misère.
- Quand reviendra-t-on de ces pratiques égoïstes?
- Les gouvernements n’ont pourtant pas de question plus pressante à résoudre, dans l’intérêt de la conservation sociale, que celle de réfréner par les lois cette concurrence dépréciative des produits et des salaires, et de provoquer la constitution de syndicats du travail et de l’industrie, ayant charge d’établir des rapports plus équitables entre le capital et le travail, une plus juste rétribution des travailleurs et, enfin, une plus juste répartition de la richesse créée par la production.
- Les ressources industrielles et agricoles dont la société moderne dispose rendent possible aujourd’hui une diffusion générale de la richesse, grâce à laquelle on ferait du peuple même la masse de consommateurs dont l’industrie a besoin.
- Qu’on organise le travail et l’industrie sur la base d’une prévoyante production et d’une juste et équitable répartition, l’industrie s’activera, le travail abondera. Toujours l’industrie et le travail auront leurs débouchés sur place, il n’y aura plus besoin d’aller chercher ces débouchés introuvables par les entreprises aventureuses de la guerre. Vingt millions de français aujourd’hui dans la gêne et la pauvreté seront appelés à l’aisance et à l’abondance ; alors, le travail abondera et l’industrie prospérera.
- Que tous ceux entre les riches et les industriels dont le cœur n’est pas endurci à ce point que toute idée de justice en soit écartée fassent un retour sur eux-mêmes et qu’il se demandent si, dans leurs entreprises, ils se préoccupent des moyens d’améliorer l’existence des travailleurs, s’ils ont souci d’autre chose que de faire sortir de leurs efforts et de leurs spéculations les plus grands profits possibles, sans jamais s’arrêter aux conséquences qui en peuvent résulter pour l’existence des ouvriers et de leurs familles.
- L’industrie est donc en défaut sous ce rapport,
- p.274 - vue 277/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 275
- et le législateur est coupable de ne pas intervenir pour établir l’équilibre de justice que les intérêts de la vie humaine réclament et auquel l’existence des ouvriers a droit. Car, le principal objet delà société c’est la protection de la vie humaine; lorsque la société faillit àcette mission, soit par indifférence, incapacité ou ignorance,elle donne lieu à de graves éléments de dissolution.
- Revenons donc de nos erreurs économiques ; étudions les bienfaits et les avantages qui résulteraient pour tous les citoyens d’une saine économie sociale aussi savamment appliquée que le sont aujourd’hui, les errements abusifs de la richesse, de la finance et de l’industrie.
- Que riches et pauvres considèrent le travail comme la première des vertus pour rendre gloire à Dieu et pour faire le bonheur des hommes. Sous l'empire de cette croyance le monde se transformera comme par enchantement.
- Les politiciens, les égoïstes, tous les hommes qui ne croient à rien en dehors de leurs convoitises, considéreront mes paroles comme uniquement sentimentales; l’avenir leur prouvera qu’elles sont pratiques et prévoyantes ; car ce ne sera que lorsque la vérité de ces sentiments se fera jour qu’on reconnaîtra l’iniquité qu’il y a à abaisser les salaires par cupidité, par esprit de spéculation et de concurrence.
- Alors,on ne voudra plus laisser aux capitalistes, ni aux chefs d’industrie la possibilité de se livrer à de tels abus; on reconnaîtra qu’il est de nécessité sociale d’avoir des lois protectrices du travail ; qu’à défaut de ces lois, c’est la lutte, la guerre des intérêts individuels ; c’est la force régnant au lieu de la justice ; c’est l’anarchie industrielle partout; c’est la perturbation et le désordre ; c’est l’insécurité pour tous, les plus forts d’aujourd’hui pouvant être les plus faibles demain ; chacun, dès que la force fait le droit,pouvant être victime à son tour.
- Je sais bien que la reconnaissance du rôle sacré du travail dans la vie de l’humanité ne se fera pas sous le seul effet du sentiment ; que les lois protectrices du travail, invoquées ici, exigeront un renversement des pratiques coupables de l’industrie, de la finance, et de la richesse ; qu’il faudra songer à augmenter la part des travailleurs et à leur donner les garanties qui leur font défaut par une juste participation dans les bénéfices ; qu’il faudra, en outre, sur les bénéfices dus à des circonstances indépendantes du travail et de l’activité des hommes, c’est-à-dire sur les
- bénéfices produits par des circonstances naturelles qui doivent profiter à la société entière, faire des réserves au profit d’une sage mutualité nationale pour assurer l’existence de tous les citoyens.
- Je sais bien que, sous l’empire des lois protectrices du travail, on ne devra plus majorer les dépenses réelles des entreprises, qu’on ne devra plus dédoubler les actions, qu’on ne devra plus tripler, décupler le capital de ceux qui n’ajoutent rien à la richesse, qu’on ne devra plus fonder de spéculations ni d’entreprises avec des capitaux fictifs, qu’on ne devra plus servir des dividendes ni des intérêts à des parasites. Je comprends que les syndicats du travail, de l’industrie et du capital auront à mettre fin à tous les tripotages de notre temps.
- C’est à ces conditions que l’ordre s’établira dans le travail, dans l’industrie et dans la répartition de la richesse.
- Et c’est à ces conditions que les grèves et les revendications sociales de toute nature disparaîtront, parce que le travail assurera aux travailleurs les droits de l’existence qui leur sont démés maintenant.
- LES GRÈVES
- Au moment où viennent de se produire les événements de Londres, la jacquerie Belge, et où se prolonge la grève de Decazeville.qui a débuté par un événement si tragique et si regrettable, il faut bien avouer qu’il y a, dans l’opinion publique, un certain remous, qui tiendrait à nous ramener en arrière. La proposition de M, Bozérian, au Sénat, le vote de l’urgence quelle a obtenu,malgré le gouvernement, sont un des symptômes les plus caractéristiques de ce recul. Ah! ceux-là qui disent : « Le péril est à gauche», c’est-à-dire: le péril est dans un mouvement progressif, trop caractéristique trop accéléré, se trompent. Le péril est dans les esprits timorés qu’affole tout changement et qui prennent le silence pour l'harmonie et le despotime pour l’ordre.
- Ces gens— et ils sont nombreux dans toutes classes de la société française—trouvent que vraiment la loi pêche par excès de libéralisme, du moment qu’elle permet à des ouvriers de quitter un jour leur travail. Ils voudraient en revenir à ce bon temps où, en Angleterre, on marquait, au fer rouge, d’un F (félon) les ouvriers qui abandonnaient leurs patrons. Ils en sont à la doctrine de Beaumanoir qui, en France, recommandait d’appréhender au corps les coupables de ce délit et « de les tenir emprisonnés pendant longtemps». Dans toute la société féodale, le travailleur, le compagnon, était une sorte de serf par rapport au maître ; celui-ci avait ces droits, celui-là n’avait que des devoirs.
- Ce sont les économistes, Adam Smith, en tête, qui ont protesté avec le plus d’énergie, au nom de la liberté du travail
- p.275 - vue 278/838
-
-
-
- 276
- LE DEVOTE
- et de la justice, contre les mesures prises contre les ouvriers. Mais plus d’un demi-siècle après la publication du livre d’Adam Smith, les travailleurs anglais n’avaient pas encore obtenu le dro t de retirer leur travail du marché, pour en faire augmenter la valeur. Cette tyrannie provoquait des sociétés secrètes, avec des serments terribles, comme celui des fileurs de Glascow. Chaque fois que vous faites intervenir la violence dans les rapports économiques, vous provoquez, à coup sûr, une riposte violente. La douane engendre le contrebandier, comme un pommier produit des pommes. L’interdiction de l’association, de la réunion, de la coalition provoque la société secrète, avec son esprit de haine, d’envie, de proscription, de fanatisme farouche. Patrons et ouvriers dressaient, chacun de leur côté, des listes noires, jusqu’à ce qu 3 les crimes de Sheffield, l’enquête qui en résulta, prouvèrent aux Anglais qu’il n’y avait qu’une seule solution: la substitutiondes Trade’s-unions reconnues aux Trade’s-unions mystérieuses.
- En France, nous avons été plus longtemps avant de nous décider. On nous calomnie, en vérité, quand on nous accuse d’être des révolutionnaires. Nous avons bien plus de titres à la réputation de conservateurs.
- En 4849, on modifia un peu l’article 414, mais on fut bien loin de reconnaître la liberté de la grève, malgré l’argumentation si vigoureuse de Bastiat :
- Y a-t-il une conscience, disait-il, qui puisse admettre que le chômage en lui-même est un délit ? On me dit : Cela est vrai quand il s’agit d’un homme isolé, mais cela n’est pas vrai quand il s’agit d’hommes qui se sont associés entre eux. Une action qui est innocente en soi ne peut pas devenir criminelle parce quelle se multiplie par un certain nombre d’hommes. Lorsqu’une action est mauvaise en elle-même, je conçois que si cette action est faite par un certain nombre d’individus, on puisse dire qu’il y a aggravation, mais quand elle est innocente en elle-même, elle ne peut pas devenir coupable parce qu’elle est le fait d’un grand nombre d’individus. Il est impossible de dire qu’en lui-même, le chômage est un délit. Si un homme a le droit de dire à un autre : je ne veux pas travailler à telle ou telle condition, deux ou trois mille hommes ont le même droit. On nous dit que le chômage est nuisible au patron, que cela nuit à sa propriété, de manière que l’ouvrier porte atteinte à la liberté du patron ; c’est là un renversement d’idées. Quoi 1 je suis en face d’un patron : nous débattons le prix ; celui qui offre ne me convient pas ; je me retire, et vous dites que c’est moi qui porte atteinte à la liberté du patron, parce que je nuis à son industrie ! Faites attention que ce que vous proclamez n’est autre chose que l’esclavage !
- En dépit de ces arguments sans réplique, il a fallu attendre jusqu’en 1864 pour que, par la modification de l’article 414, le droit de coalition, le droit de grève, c’est-à-dire, le droit pour le travailleur de retirer son travail du marché, le droit au chômage, fût reconnu.
- On suppose qu’avant cette époque, il n’y avait jamais de coalitions ni de grèves en France. On oublie les émeutes de la Croix-Rousse, les grèves fréquentes de charpentiers, les grèves des typographes. De 1837 à 1864, il y eut une moyenne annuelle de procès pour coalitions et grèves de 428, avec 774 prévenus et 634 condamnés.
- La loi de 1864 ne visa plus que les atteintes portées à la liberté du travail. La moyenne annuelle des affaiies de 1865 à 1883 tombe à 30, avec 149 prévenus et 134 condamnés.
- En diminuant le nombre des délits, des condamnations, en reconnaissant au travailleur sa propriété sur son travail, le droit de le louer ou de le garder pour lui, cette loi a rendu des services à la paix sociale, quoi qu’en puissent dire ceux qui ne jugent ces questions que sur des apparences et d’après leurs impressions du moment. C’est ce que constate M. L. Smith, dans son livre sur les Coalitions et les Grèves, couronnépar un corps que personne ne taxera d’esprit aventureux: l’Académie des sciences morales et politiques.
- Dans tous les pays, sauf l’Autriche-Hongrie et la Russie, le droit de coalition, le droit de grève est reconnu par la loi.
- Les restrictions sont même moins grandes qu’en France. La loi belge ne contient pas ce mot de «manœuvres frauduleuses», si élastique, dont on vient de se servir à Decazeville. Non ! ce n’est pas en revenant en arrière que nous pourrons arriver à la paix sociale : pour désarmer ceux qui veulent la troubler, il n’y a qu’un moyen : la liberté ; pour dissiper le mirage des solutions chimériques, il faut défendre d’autant plus énergiquement la vérité et la justice !
- -------------------. « ^ . --------------------------
- Le Désarmement de la Grèce
- Voici le texte de la Déclaration faite par la France à la Grèce et qui a été communiquée aux grandes puissances.
- « La France a donné à la Grèce des marques non équivoques de son amitié. Dans ces derniers temps, elle lui a adressé, à diverses reprises, des conseils dictés par la plus sincère sympathie. Aujourd’hui, sous l’influence du même sentiment, elle croit devoir lui faire entendre un solennel avertisse ment.
- » L’attitude actuelle de la nation grecque l’expose aux plus graves périls. En y persistant, elle court au devant d’une catastrophe et d’une humiliation. Sans vouloir préjuger les résolutions de l’Europe, nous sommes certains qu’elle opposera une barrière aux entreprises que la Grèce pourrait former contre la Turquie.
- « Bientôt sans doute les puissances notifieront cette volonté au gouvernement hellénique et le mettront en demeure de renoncer à ses armements. A ce moment, quelle sera sa situation ? Ne sera-t-il pas obligé, un peu plus tôt ou un peu plus tard, d’obtempérer à cette injonction ? Nous voudrions éviter cette pénible extrémité à la Grèce.
- » C’est pourquoi nous venons dire à son gouvernement : « Rendez-vous à l’évidence ; écoutez la voix d’une puissance » amie ; suivez des conseils qui n’ont rien de blessant » pour votre amour-propre ; prenez, pendant qu’il en est « temps encore, une initiative dont vous êtes les maîtres et « dont vous aurez tout le mérite. *
- » Nous ajouterons que, si des jours plus favorables doivent luire pour la Grèce, son gouvernement les préparera par cette attitude prévoyante dont l’Europe entière lui saura gré.
- » Nous-mêmes, nous n’oublierons pas qu’en déférant à nos vœux, la Grèce nous aura épargné le chagrin de nous associer à des démarches d’un tout autre caractère, auxquelles notre constant souci de la paix générale nous interdit de refuser notre concours. »
- i
- I Après le Conseil des ministres qui s’est tenu ex-* traordinairement à Athènes, à la suite de la Dé-
- p.276 - vue 279/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 277
- clarationdu gouvernement français, M. Delyannis, premier ministre grec, a fait savoir àM. de Moüy chargé d’affaires de France, que le gouvernement grec avait décidé de déférer à la demande de la France.
- A la suite de cette communication, tous les représentants ont été avisés par M. de Moüy, et ils ont dû réclamer des instructions de leurs gouvernements respectifs.
- Les navires des puissances qui étaient arrivés en rade du Pirée ont provisoirement regagné le large.
- Le Crédit Apicole.
- On sait quel beaux projets a conçu la haute fim nce, sous le titre de Crédit agricole.
- Un groupe de financiers consentirait à tenir à la disposition des propriétaires et fermiers des fonds remboursables à courtes échéances ; le Crédit agricole ferait les prêts contre simples billets comparables à ceux en usage dans le commerce, pourvu que l’Etat modifiât la loi sur les récoltes et les cheptels des fermiers.
- En réalité, le Crédit agricole, tel que le rêvent ses promoteurs, aboutirait à la prise de possession par la finance du sol et de toute la richesse agricole, matériel, cheptel et récolte.
- Un de nos abonnés, Monsieur Carret àVisker, nous envoie une petite brochure que nous recommandons à tous nos lecteurs préoccupés de l’or-g .nisation d’un véritable crédit agricole, destiné à faciliter les cultivateurs et non à faire le bonheur de la spécul ation.
- La conception de M. Carret tend à mettre les agriculteurs en situation d’opérer, directement, avec la Banqne de France,comme le font les banquiers admis à l’escompte par cette société.
- Au moyen de l’escompte, dit M. Carret, la Banque de France avance, sur un effet à trois mois d’échéance, la somme qu’il représente, moyennant un intérêt qui constitue son bénéfice dans l’opération.
- Cet effet doit porter trois signatures qui en garantissent le paiement.
- A l’échéance, il doit être renouvelé, s’il n’est payé.
- La Banque doit être nantie, c’est-à-dire quelle n’opère jamais à découvert.
- Le taux de l’intérêt ou escompte est variable. Il est établi par la Banque elle-même et par trimestre. Il a été longtemps calculé à raison de 2 0/0 par an et il est aujourd’hui de 3 0/0
- Mais seuls, les intéressés admis à l'escompte sont appelés à bénéficier de cet avantage.
- Pour être admis à l’escompte, il faut adresser une demande par lettre au directeur de la succursale. Cette demande indique les noms, prénoms, domicile et profession du demandeur, et, s’il y a lieu, les noms et les signatures des associés, gérant et signant pour la société.
- La demande doit être accompagnée d’un certificat de trois personnes connues, portant qu’elles connaissent parfaitement le demandeur et sa signature, et attestant qu’il fait honneur à ses engagements.
- M. Carret indique ensuite aux propriétaires comment ils peuvent se constituer en sociétés, qui,
- une fois en relation avec la Banque de France, pourront procurer à leurs sociétaires des prêts à courtes échéances à raison d’un intérêt annuel de 4 0/0.
- Mous ne pensons pas que jamais auteur d’un projet de crédit agricole ait fait entrevoir aux cultivateurs la perspective d’un crédit aussi peu onéreux.
- L’exécution des plans de M. Carret exige simplement, de la part des cultivateurs, un peu d’initiative et une confiance réciproque qui ne dépasse pas celle que s’accordent les industriels et les commerçants en relation d’affaires.
- Est-ce trop demander aux agriculteurs de notre pays ?
- Quoi qu’ils prétendent, désormais, ce projet met à néant toutes les prétendues difficultés des agriculteurs de se procurer à bon marché le capital roulant.
- Boulangerie Coopérative de la Flotte
- (Ile-de-Ré)
- Nous venoas de recevoir le compte-rendu de l’exercice 1885.
- Cette société a publié des tableaux contenant le détail de ses ventes mensuelles; les quantités de farine, de combustible, de sel, le nombre des fournées, les dépenses en toiles, les rendements, en un mot les moindres opérations de chaque mois y sont consignées, de manière à ce que les sociétaires puissent comparer facilement les résultats divers.
- La Boulangerie Coopérative de la Flotte a pour but la fourniture du pain à ses sociétaires au plus bas prix possible.
- Le tableau suivant indique qu’elle atteint pleinement son but :
- Pains de 2kos5
- MOIS Farine convertie livrés aux sociétaires
- Janvier. . . en Pains 7.122 » AT , Prix de la Nombre société 4.115 » 60 Taxe officielle 70
- Février. . . 6.744 5 3.744 » » 70
- Mars .... 7.762 5 4.411 )) » 70
- Avril.... 7.468 » 4.132 » » 75
- Mai 7.496 5 4.291 » » »
- Juin .... 7.303 » 3.987 » » »
- Juillet . . . 6.941 5 3.895 » » »
- Août .... 7.003 » 3.952 » » ))
- Seoterabre. 7.437 » 4.264 » » »
- Octobre . . 7.526 5 4.094 » » »
- Novembre . 7.154 5 3.934 » » * »
- Décembre . 7.346 » 4.087 » » y,
- Totaux. . 8.7305 » 48.906 » 6Ô~ i O
- L’écart moyen, entre le prix du pain de la boulangerie coopérative et celui indiqué par la taxe officielle, est de 13 centimes par pain.
- On voit par ce chiffre que la société coopérative aurait encaissé un bénéfice net de 6.357 fr. ; si elle avait fait payer à ses sociétaires le pain aux prix pratiqués par la boulangerie ordinaire.
- p.277 - vue 280/838
-
-
-
- 278
- LE DEVOIR
- L’actif de la société est de 15,725 fr.
- Elle compte 180 sociétaires.
- En persévérant dans cette voie de bon marché excessif, la Boulangerie coopérative arrivera certainement à accaparer la clientèle des patrons boulangers,mais elle ne créera rien en vue d’améliorer l’ordre social.
- La Mutualité et le développement des organisations coopératives devraient être le but de toutes les sociétés coopératives.
- Nous aur ons prochainement occasion de publier des renseignements précis sur le Vooruit de Gand. Nos lecteurs apprécieront, par ce concluant exemple, quelle puissance réformatrice présente la coopération, lorsqu’elle est organisée par des citoyens résolus à étendre ses œuvres.
- AVI S
- La Société du Familistère a besoin d’un garçon boulanger intelligent pour diriger une boulangerie coopérative.
- | r
- ENQUÊTE AUX ÉTATS-UNIS SUR LES RAPPORTS DU TRAVAIL ET DU CAPITAL d)
- XII
- Nota,. — Cette remarquable Enquête a donné lieu aux faits suivants :
- Un gentleman de New-York en opère la traduction en allemand,pensant que la circulation générale de ces documents en cette langue sera d’une grande utilité.
- Des demandes sont adressées à l’Age d’Acier pour qu’il fasse paraître l’Enquête en brochure de propagande.
- Dans la législature de l’Etat d'Iowa, où la question d1 arbitrage entre le capital et le travail est vivement discutée, les numéros du journal contenant l’Enquête sont constamment cités.
- Chaque courrier apporte à l’Age d’Acier des demandes de numéros exceptionnels ou des ordres d’abonnements de la part d’éminents légistes, ministres des cultes, manufacturiers, directeurs de chemins de fer, etc., etc., de toutes les villes importantes des Etats-Unis.
- Nous tirons de ces faits cette conclusion que les Américains, gens essentiellement pratiques, reconnaissent l’urgence qu’il y a aujourd’hui à s'occuper sérieusement des moyens d'améliorer le sort des ouvriers, afin de parer aux dangers sociaux qui se font jour dans tous les pays-, et nous sou-
- (1) Lire le Devoir depuis le numéro du 7 février 1886, excepté celui du 18 avril dernier.
- haitons vivement que les classes dirigeantes françaises, sortant de leur coupable et périlleuse indifférence, se mettent, elles aussi, à l’étude des moyens pratiques de réaliser pour tous les hommes des conditions d’existence véritablement dÀgnes de l’être humain.
- Ceci dit, nous poursuivons notre résumé des dépositions faites à l’Enquête.
- *
- M. David H. Mason Esq., écrivain bien connu en fait d’économie politique, est d’avis que le régime actuel du salariat, supérieur au régime de l’esclavage comme mode de combinaison du travail et du capital, est en soi une sorte de mécanisme dont les vices se témoignent' par l’apparition des grèves et des fermetures d’atelier. Ces conflits indiquent, selon lui, qu’il y a frottements dans la machine et, par conséquent, état anormal.
- La même chose, dit-il, serait indiquée par l’institution de l’arbitrage ; celui-ci n’ayant de raison d’être que là où des difficultés doivent être surmontées. L’arbitrage est donc comparable à l’huile dans la machine ; il est l’emblème d’un compromis entre deux forces opposées.
- M. Mason déclare que le système du salariat n’est qu’une halte sur la voie du progrès.
- Les travailleurs, dit-il, comprennent aujourd’hui que le capital prélève sur leur labeur dés bénéfices qu’ils garderaient pour eux-mêmes, s’ils pouvaient découvrir le moyen de commander leur propre travail.
- De cette pensée a jailli l’idée des sociétés coopératives qui, en tendant à faire de l’ouvrier un capitaliste, semblent destinées à effacer l’antagonisme entre ces deux agents de la production.
- Les sociétés coopératives de production et de consommation, et les sociétés industrielles appelant le travail à la participation des bénéfices sont en accord, dit M. Mason, avec la loi générale en raison de laquelle le premier et le plus grand des besoins de l’être humain est l’association avec ses semblables.
- M. Joseph Corns de Masillon O. Rolling Mill, qui depuis 55 ans est dans l’industrie, ayant été d’abord employé, puis patron, dit que la plus grande cause des difficultés actuelles tient à l’ignorance et à l’avidité générale, et que cet état de choses se maintiendra jusqu’à ce qu’on prenne pour règle, non pas de se faire chacun la plus grosse part dans les bénéfices de la production,
- p.278 - vue 281/838
-
-
-
- LE DEVOIE
- 279
- mais d’être le plus équitable possible envers chacun des agents de la production.
- Quant aux moyens pratiques, M. Joseph Gorns se borne à dire que le patron doit agir avec prudence, loyauté et générosité envers ses ouvriers, et qu’il ne doit garder aucun homme qu’il ne pourrait traiter avec les égards communs.
- Ce n’est pas là une conclusion.
- *
- * *
- M. John Jorret,président d'une vaste association industrielle, pose comme suit la première condition de l’amélioration de l’état social :
- « Nous devons acquérir un sens moral plus élevé du bien-être dû à nos semblables.
- « L’égoïsme, la cupidité, l’intempérance et la prodigalité doivent être remplacés par l’amour et la justice.
- « L’instruction est également de nécessité essentielle pour tous.
- « Des modifications correspondantes doivent être réalisées dans le régime industriel et économique.
- « La concurrence sans frein doit faire place à la concurrence loyale, les droits de l’individu doivent être considérés à la lumière du bien général de la société.
- «Plus nous avancerons en civilisation, plus nous comprendrons que nous sommes liés les uns aux autres et dépendants les uns des autres. En conséquence, les ligues et les associations, sous leurs multiples formes, doivent toujours être encouragées parmi les ouvriers comme parmi les patrons, non pour organiser entre eux l’antagonisme, mais pour les faire coopérer à leur bien commun et travailler en complète harmonie.
- « Les syndicats de patrons, par exemple, devraient préserver l’industrie des faits de concurrence déloyale qui avilissent les produits. Personne n’a le droit de vendre à perte, une telle action étant inique et préjudiciable à tous les autres producteurs et, par conséquent, au bien commun.
- « Ces syndicats devraient de même régulariser les prix de vente, de façon à ce qu’on pût payer aux ouvriers de raisonnables salaires.
- « De leur côté, les ouvriers peuvent s’organiser pour leur protection mutuelle, leur progrès commun et la commande de leur propre travail.
- « Personne ne devrait être contraint d’accepter des salaires qui n’assurent pas des conditions raisonnables d’existence.
- « La participation du travail aux bénéfices,basée snr l’association, me semble fournir un excellent
- moyen d’unifier les intérêts des patrons et des ouvriers.
- « Ce système qui a donné de bons résultats partout où il a été appliqué, croît certainement en faveur, et contient la solution du problème social.
- « Pendant des années, j’ai basé tous mes arguments concernant la réforme industrielle sur les enseignements du Christ. Je ne connais rien de plus beau que ces paroles : « Aime ton prochain comme toi-même. Fais à autrui ce que tu veua qu’on te fasse.» Mais il ne suffit pas de savoir ces préceptes, il faut les pratiquer. Or, ce sont les riches et les puissants qui doivent aux faibles et aux nécessiteux l’exemple de l’amour et de la justice.
- « Nous devons travailler à nous améliorer nous-mêmes en servant le genre humain et en faisan! ainsi le meilleur usage de la vie et des ressources dont nous disposons.»
- A suivre.
- Faits politiques et sociaux de la semaine
- FRANCE
- Le Centenaire de Parmentier. — Voici le programme des fêtes du centenaire de Parmentier, qui ont commencé le lundi de Pâques et dureront jusqu’au 9 mai.
- Lundi, 26 Avril : Grand festival de gymnastiques réception solennelle à la gare de M. le Préfet de la Somme, des présidents d’honneur : MM. Chevreul, de Lesseps et Pasteur, de la délégation officielle du Ministère de la guerre, etc.
- Ouverture officielle de l’exposition ; banquet, concert et bal publie.
- Mardi 27 Avril : Gonférence d’inauguration des cours de distillation des amylacés. Mise en marche des appareils.
- Mercredi 28 et 29 Avril : Féculerie et distillerie ouvertes au public. Cours théoriques et pratiques de distillation.
- Samedi 1er mai : exposition spéciale et concours de chevaux.
- Dimanche 2 mai : Grande Cavalcade organisée par les jeunes gens de la ville ; le soir, bal.
- Mardi, Mercredi et Jeudi 4, 5et6mai : reprise des cours de distillation ; congrès pour la fixation d’une dénomination vraie des diverses sortes de pommes de terre ; concours de chiens.
- Vendredi 7 mai : Réception et classement au champ du concours det> instruments aratoires.
- Samedi 8 mai : foire marchande -, ouverture du concours du comice, conférence sur la maladie de la pomme de terre.
- Dimanche 9 mai : réception officielle ; concours spécial de vaches et de tous les animaux de l’espèce ovine, porcine et des produits de la basse-cour ; ascension d’un ballon par M. Lhoste ; distribution des récompenses sur la place de l’Hôtel-de-Ville ; banquet d’honneur ; éloge de Parmentier
- p.279 - vue 282/838
-
-
-
- 280
- LE DEVOIR
- au pied de la statue, par M. Heuzé, inspecteur honoraire d’a- j griculture ; feu d’artifice et bals.
- if
- * *
- Le Recrutement. — Sur 271.469 hommes portés, en 1885, sur les listes de recrutement, 135,779 peuvent seuls être comptés comme aptes à servir immédiatement.
- Les autres, dispensés à divers titres, ne sont pas, de vingt à vingt-cinq ans, appelés sous les drapeaux ; de vingt-cinq à vingt-neuf ans, ils se rendent au régiment à deux reprises, pendant 28 jours chaque fois.
- Le Ministre de la Guerre a fixé à 113,121 le chiffre des hommes qui serviront pendant cinq ans et à 38,112 hommes la deuxième portion du contingent, qui est libérée après un an de service.
- L’armée de terre a reçu 143.933 soldats, dont 101,239 pour l’infanterie, 14.095 pour la cavalerie, 22.151 pour l’artillerie, 2,524 pour le train.
- On a constaté que, sur 100 conscrits, 11,93 sont dénués de toute espèce d’instruction ; 2,93 savent seulement lire ; 19,90 savent lire et écrire ; 60,58 ont une instruction primaire développée ; 2,22 sont pourvus de diplômes et de brevets.
- En 1878, la proportion des conscrits sans instruction s’élevait à 14,89 pour cent : il y a donc un notable progrès, qu’il convient de constater.
- En 1885, 46, 408 militaires ont été renvoyés dans leurs foyers avant la classe à laquelle ils appartiennent, et 38,774 soldats de la deuxième partie du contingent n’ont servi que neuf mois et quinze jours.
- + *
- L’association des artistes peintres, sculpteurs,architectes, graveurs & dessinateurs.
- — La quarantième Assemblée générale annuelle de l’Association vient d’avoir lieu à l’école des beaux-arts, salle de l’Hémicycle. Autour de M. Bouguereau, membre de l’institut, président de l’Association, avaient pris place MM, Boulanger, Jules Thomas, Cavalier, Ch. Garnier, membres de l’Institut, et le Comité de l’Association.
- La séance a été ouverte par une allocution de M. Bouguereau, qui a fait l’éloge du baron Taylor et consacré quelques paroles émues à la mémoire des artistes défunts depuis la dernières assemblée.
- M. Tony Robert-Fleury a lu ensuite son rapport sur les travaux du comité pour l’année 1885. L’Association a reçu dans le courant de cette année 247 sociétaires nouveaux, de sorte que, malgré les morts nombreuses, le nombre des sociétaires, à fin décembre 1885, sélève à 6,807.
- La répartition du budget de 1884 prévoyait une somme de 79,071 francs en faveur des pensions et des secours, mais la dureté des temps a emporté le comité au delà de ce total : on a distribué en pensions et surtout en secours 81,481 fr. 45.
- Fait à remarquer : ce chiffre n’était que de 32,727 francs en 1869.
- Au bout de seize a.is, on en est arrivé à pouvoir distribuer 48,754 francs de plus.
- En résumé, depuis sa fondation, quoique les cotisations ne se soient élevées qu’à 1,103,223 fr. 35, l’association a distribué aux sociétaires 1,241.145 fr. 35. C’est donc
- 137.920 francs 07 de plus que les versements. En outre elle a réalisé à leur profit 84 446 francs de rentes, représentant un tonds social de 2,464,019 francs.
- Le rapporteur termine en annonçant que Mlle Delagasse, peintre, sociétaire depuis 1867, décédée à Fontainebleau au mois de décembre dernier, à légué une somme de 12,000 francs à l’Association.
- Enfin, on a procédé à l’élection de vingt membres du comité, élus en 4881, sortants en 1886, et pouvantétre réélus Tous ont été maintenus; ce sont MM. G. Boulanger, Buon* Chaigneau, de Curzon, Louis David, Édouard Détaillé, Eugène’ Froment, LéonGérome, Grandsire, Adrien Huard, Knecht, Charles Mercier, Adrien Moreau, Redelsperger, Arthur Roberts, Édouard Sain, JulesThomas, deVuillefroy, Yon, Ziem.
- ALLEMAGNE
- L’Importation Allemande
- Importations Exportations Différence en faveur
- Années d’Allemagne de France de de
- en en l’impor. l’expor.
- France Allemagne allemande française
- 1875. . . 349.0 426.9 » 77.9
- 1876. . . 389.0 431.2 » 42.2
- 4877. . . 372.8 395.1 y> 22.3
- 1878. . . 418.5 343.7 74.8 »
- 1879. . . 413.0 343.5 69.5 »
- 1880. . . 438.2 361.9 76.3 »
- 1881. . . 454-7 383.0 71.7 »
- 1882. . . 476.5 338.8 137.7 »
- 1883. . . 461.7 326.0 135.7 »
- 1884. . . 416.9 327.9 89.0 »
- Ainsi en dix ans, nos exportations en Allemagne ont baissé de 47 millions de francs ; au contraire l’Allemagne a augmenté les siennes de 99 millions.
- *
- * •¥-
- La France n’est pas la seule nation qui subit l’invasion allemande.
- Voici un second tableau également très instructif (les chiffres représentent des milliers de marcs, le marc ayant une valeur de 1 fr. 25) :
- DIFFERENCE EN
- PAYS FAVEUR
- DE DESTINATION 1880 1884 DE 1880 de 1884
- Russie 213.438 169 361 44.077 ))
- Villes hanséatiqu8 656 249 789.559 J) 133.310
- Pays-Bas . . . 227.222 229.779 » 2.557
- Danemarck. . . 48.944 62.145 » 13.301
- Belgique.... 161 313 162.766 » 1.453
- Angleterre. . . 437.563 514.306 » 76.743
- Suisse 168.683 191.553 » 22.870
- Autriche-Hongie 291.339 337.133 » 45.794
- Italie 52.083 91.910 » 39.827
- Etats-Unis . . . 187.180 175.721 41.459 »
- Australie. . . . 1 790 6.315 » 4.525
- Seuls, les Etats-Unis et la Russie sont à l'abri, mais ces pays ont des droits prohibitifs ; et encore, pour les Etats-
- p.280 - vue 283/838
-
-
-
- I j devoir
- 281
- Unis, il convient de remarquer que les exportations allemandes se font par les villes hanséatiques, Brême et Hambourg, au lieu de se faire par le Havre et Anvers, comme autrefois.
- Les villes hanséatiques sont allemandes de fait, bien qu’elles ne soient pas comprises dans le Zollverein (traité douanier), le gouvernement et les commerçants les favorisent.
- AMÉRIQUE
- Récolte du blé dans le inonde entier. —
- Année L8S5. — Voici, d’après le département de l’agri-
- culture en Amérique, l’évaluation de la production du blé érl 1885, exprimée en hectolitres.
- Autriche 13.903.700
- Hongrie 40.123.600
- Belgique 6,830.000
- Danemark 1.750.000
- France 140.277.500
- Allemagne 37.440.800
- Grande-Bretagne et Irlande 28.751.000
- Grèce 1.737.900
- Italie 41.385.600
- Hollande 1.737.900
- Portugal 2.681 400
- Roumanie 7.920 200
- Russie 73.217.300
- Serbie 1.638.600
- Espagne 39.725.000
- Suède et Norwège 993.100
- Suisse 720.000
- Turquie d’Europe 15.890.000
- Pays divers 198 600
- Total en Europe 426.943.000
- 12.250.000 124.989.200 1.440.000 8.750.000 12.977.000 100.784.500 9.360.200
- 5.760.100 15.120 300
- 4.965.600 7 945.000
- 993.100
- 2.880.100
- Total 298.215.100
- En tout, 725.258.100 hectolitres.
- * *
- L’Arbitrage dans les grèves. — M. Cleveland, président de la République des Etats-Unis, vient d’adresser au congrès un message sur la question des rapports du travail et du capital.
- La situation, à ce point de vue, est grave aux Etats-Unis. A New-York, la circulation est entravée par la cessation de travail d’un grand nombre d’employés des tramways.
- A Brooklyn, qui est un faubourg de New-York, trois mill raffineurs de sucre ont quitté les usines et se sont liviés à des désordres matériels qui ont motivé l’intervention de la force armée.
- A Chicago, les agents du chemin fer du littoral d’un lac menacent de dégrader la ligne et les rails pour empêcher la marche des trains. La compagnie a recruté à prix d’argent, une troupe de volontaires pour protéger les convois. A chaque instant ou redoute l’effusion du sang.
- M. Cleveland, dans son message, proteste contre les violences des ouvriers ; mais il s’exprime aussi en termes sévères sur le capitaliste :
- « Les conditions présentes des rapports du capital et du tra-» vaiî, dit-il, sont fort ppu satisfaisantes, et cela dans une » grande me^ra, grâce aux exactions avides et inconsidérées » des employeur?. »
- Tenu par le président de la République, ce langage est destiné à retentir à travers le monde, car il conviendrait de le faire entendre chez presque tous les peuples.
- On ne résout pas les problèmes en dédaignant de s’en occuper ; on ne les supprime pas en se confiant à la force, qui finit toujours par devenir impuissante.
- M. Cleveland est partisan de l’arbitrage, et propose l’institution d’un Tribunal suprême chargé d’étudier les causes de dissentiments et de s’efforcer d’apaiser les querelles.
- L’idée n’est pas nouvelle ; elle est appliquée en Angleterre ; elle se retrouve en France dans les Conseils des prud’hommes.
- Mais il sera intéressant pour la paix sociale de toutes les nations de voir comme la libre république des Etats-Unis saura s’en servir.
- L'Arbitrage et le salariat.
- L’arbitrage est la juridiction la plus rationnelle des conflits entre les individus et les groupes.
- Il ne s'en suit pas que l’arbitrage soit applicable dans le milieu actuel, à tous les cas litigieux, surtout dans les querelles entre salariés et salariants.
- Il n’est pas inutile d’insister sur cette réserve ; au moment où l’opiniton publique, en Amérique et en Europe, semble disposée à chercher dans l’arbitrage un moyen d’apaisement entre travailleurs et capitalistes.
- Le président des Etats-Unis n’a pas craint de dénoncer, dans son message, les déplorables relations entre les ouvriers et les patrons américains ; il a exprimé l’espoir de rétablir Fharmonie par la pratique de l’arbitrage.
- A Paris, le conseil municipal a été saisi par M. Desmoulins d’une proposition d’arbitrage, à l’occasion de la grève de Decazeville.
- Ces propositions porteront leurs fruits. Quoiqu’elles ne puissent, momentanément, aboutir aux fins désirées par leurs auteurs, elles auront néanmoins l’avantage d’attirer l’examen sur cette
- Canada
- Etats-Unis
- Mexique
- Chili, République argentine
- Australie
- Indes
- Perse
- Syrie
- Asie-Mineure
- Egypte
- Algérie
- Tunisie
- Sud de l’Afrique orientale
- p.281 - vue 284/838
-
-
-
- 282
- LE DEVOIR
- importante question, et de faire surgir dans le domaine de l’étude et de la discussion les différentes manières de concevoir les problèmes posés par le salariat.
- L'arbitrage, en principe, est une pratique souverainement juste ; la loyauté et l’honnêteté des arbitres sont conditions faciljs à réunir ; mais l’opinion publique n’admet plus maintenant les décisions basées sur des considérations secrètes.
- La publication des débats des arbitres et des documents examinés par eux sont les conditions indispensables d’une décision arbitrale définitivement acceptable par les intéressés.
- Peut-on agir de la sorte dans une société livrée à une spéculation et à une concurrence effrénées ?
- N’est-il pas reconnu partons que la plupart des grandes sociétés industrielles et commerciales ne pourraient consentir à livrer au public les détails de leurs opérations pendant plusieurs années ?
- Cependant, sans ces précau ü i s, il devient très difficile pour un tribunal arbitral, de prononcer un jugement respectable.
- Un tribunal arbitral devra-t-il s’en rapporter uniquement à la constation de la réduction des bénéfices,au moment même d’une baisse des salaires, pour déclarer cette baisse légitime ; ou bien devra-t-il inventorier les bénéfices d’un certain nombre d’exercices, et formuler sa sentence d'après la moyenne tirée de cet inventaire ?
- Que fera le tribunal arbitral, dans le cas où il aura doublement constaté que la moyenne des bénéfices est insuffisante et que les salaires possibles ne procurent pas aux salariés l’équivalent du strict necessaire à la subsistance ?
- Déclara-t-il que les patrons doivent continuer à produire à perte, ou bien que les ouvriers se résigneront aux salaires de famine ?
- Ces deux hypothèses sont absurdes ; un tribunal arbitral ne peut sanctionner une situation qui conduit les patrons à la ruine, ou bien qui condamne les ouvriers à la mort de misère.
- Les arbitres devront-ils considérer simplement le rapport entre les bénéfices et les salaires des ouvriers ; ou bien feront-ils intervenir, en plus, les salaires des capitaux, se réservant d’obtenir le rétablissent nt de l’équilibre par un abaissement du prix des services capitalistes, au lieu de légitimer une diminution du prix de la main-d’œuvre ; même, auront-ils la faculté d’adopter une solution basée sur la réduction des bénéfices et des salaires du travail et du capital, contrairement à l’habitude générale des patrons de trouver la
- compensation dans l’abaissement des salaires ouviiers ?
- Tant que c s questions préjudicielles ne seront pas résolues, il sera utopique d’attendre, des arbitrages entre salariés et salariants, l’apaisement général que souhaitent les promoteurs de cette pratique.
- Nous ne soulevons pas ces objections pour décourager le zèle de personne ; mais nous désirons convaincre tous les hommes de bonne volonté des liens directs de tous les cas relatifs au travail avec le problème général de l’organisation du travail et de la réforme sociale.
- Dans les cas réellement difficiles, lorsque les arbitres se trouvent en présence d’un industriel travaillant à perte et d'ouvriers insuffisamment rétribués, c’est-à-dire dans les circonstances qui exigent le plus impérieusement une prompte solution, c’est justement alors qu’une sentence rationnelle sera impossible, si on ne fait intervenir l’Etat,au nom de l’intérêt général ; éventualité dont ne semble pas se douter le plus grand nombre des publicistes et des hommes politiques préoccupés des bons rapports entre le capital et le travail.
- Ces difficultés sont insolubles, si on n’accepte, comme base d’ordre social, les principes préconisés par le Devoir, relatifs à l’intervention de l’Etat, dispensateur des richesses naturelles gratuites, dans toutes les fortunes acquises,
- En effet, si l’Etat prélève, sur toutes les fortunes, une part pour la rémunération des services publics et une contribution pour l’usage des richesses naturelles, il est évident que les produits de cette contribution mettront à la dispo fition de l’Etat de grandes ressources qui lui permettront une interventi m efficace, sans laquelle les crises les plus douloureuses du salariat ne peuvent être atténuées.
- Dans la généralité des grèves, en période de crise économique, les arbitres se déclarant impuissants devant l’absurdité de condamner des patrons à la ruine ou bien des ouvriers à la misère, il en résultera, auprès des ignorants et des gens superficiels, une dépréciation fâcheuse d’une pratique salutaire pourvu qu’on l’applique rationnellement.
- Si nous supposons les arbitres exerçant leur juridiction dans un milieu préparé par l’existence d’institutions garantistes, on conçoit le tribunal arbitral en situation de recourir efficacement à l’intervention sociale, en imposant à la société l’obligation de subventionner les travailleurs
- p.282 - vue 285/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 283
- jusqu’à concurrence de laisser aux patrons, aux ouvriers, aux capitaux, les minima de salaires indispensables à la continuation des travaux, si des hommes compétents ont reconnu d’utilité publique la conservation de cette industrie.
- Dans le cas contraire, quel inconvénient y aurait-il à déclarer inutile, et comdamnée à disparaître, une installation ne pouvant rémunérer les concours indispensables à sa bonne marche?
- Le principe social ne peut admettre l’existence d’industries payant un salaire moindre que l’équivalent du minimum de subsistance.
- Lorsque ce cas se présente accidentellement, l’Etat doit intervenir pour rétablir l’équilibre, et si la chose n’est possible, la disparition de cette exploitation est une mesure d’ordre public.
- Les bras disponibles, à la suite de cette liquidation, seraient occupés, au tarif du minimum de subsistance, dans les travaux publics exécutés avec les recouvrements encaissés par l’Etat à titre de rémunération des richesses naturelles, jusqu’à ce qu’ils aient trouvé un salaire convenable dans les autres industries.
- Il ne faut pas séparer la pratique de l’arbitrage entre salariés et salariants de l’inauguration du garantisme social.
- Beaucoup exagèrent les conséquences de cette intervention sociale ; ils entrevoient immédiatement la société condamnée à des travaux improductifs par la nécessité de donner de l’ouvrage à un nombre considérable de travailleurs réduits au minimum de subsistance.
- Ces craintes sont vaines. Les désordres industriels naissent progressivement de l’insuffisance et de la diminution des salaires. Le garantisme social, en empêchant l’avilissement des salaires, maint iendra dans les couches profondes des classes laborieuses une puissance effective de consommation assez grande pour sauvegarder’, dans toutes les professions utiles, une prospérité assurée par la permanence des débouchés à l’intérieur.
- L’opinion publique se montre favorable aux idées d’arbitrage. Pourquoi ne pas les lui soumettre, nettement, avec les questions connexes, sans lesquelles les espérances les plus sincères peuvent être de d écevantes illusions.
- L’arbitrage entre salariés et salariants est applicable dans trop peu de cas du milieu présent, P°ur que nous le considérions comme une réforme importante, si on le dégage de l’intervention éventuelle de l'Etat armé d’institutions garantîtes.
- LE DIVORCE
- Procédure nouvelle.
- Le J ournâl officiel ment de publier le texte de la nouvelle loi adoptée par les Chambres sur la procédure du divorce.
- Il nous semble intéressant de résumer les modifications apportées à cette procédure, pour laquelle il a été largement tenu compte de la versatilité des caractères, des revirements de la passion.
- Le paragraphe capital est celui qui supprime pour les époux divorcés l’obligation de comparaître en personne à la mairie pour « voir dresser » l’acte de démariage par l’officier de l’état civil.
- Voici, du reste, avec les modifications apportées par les Chambres, la marche actuelle d’une procédure en divorce :
- L’époux demandeur remet en personne sa requête au président du tribunal.
- Le président l’autorise à résider à part jusqu’à l’issue du procès. Il fait comparaître les deux époux devant lui, essaye de les réconcilier, et, en cas d’échec, délivre les permis de citer et statue sur la garde provisoire des enfants.
- Tous les actes de procédure doivent être signifiés sous pli fermé ; excellente réforme qui devrait être appliquée à tous les papiers d’huissier.
- L’affaire est plaidée en audience publique, mais les tribunaux peuvent ordonner le huis-clos.
- Les journaux ne peuvent rendre compte des débats, &ous peine d’amende. Le jugement seul peut être publié.
- La réconciliation survenue, soit depuis le commencement du procès, soit postérieurement aux griefs articulés, éteint le droit au divorce. Mais de nouvelles offenses font revivre les anciens griefs.
- Si le tribunal juge une enquête indispensable, toutes personnes peuvent être entendues, sauf les enfants des époux. Le témoignage des domestiques est admis.
- Le tribunal peut ne pas juger immédiatement. S’il estime que tout espoir de réconciliation n’est pas perdu, il a le droit de surseoir six mois au divorce. Passé ce délai, le jugement doit être prononcé.
- En cas d'appel, les débats ’ ont lieu à huis-clos, dans la chambre du conseil ; l'arrêt de la cour seul est rendu publiquement.
- L’époux qui a obtenu le divorce signifie dans les deux mois, par huissier, le jugement à l’officier d'état civil de la commune dans laquelle le mariage a été célébré.
- L’officier d’état civil transcrit le jugement sur le registre des mariages.
- De plus, mention du divorce est inscrite en marge de l’acte de mariage.
- Si l’époux qui a obtenu de divorce n’use pas de son droit et s’abstient de signifier le jugement à l’officie^d’état civil,
- p.283 - vue 286/838
-
-
-
- 284
- LE DEVOIR
- d’époux contre lequel le divorce a été prononcé peut prendr également l’initiative de cette signification.
- Si, dans un délai de deux mois après que le jugement ou l’arrêt de divorce est devenu définitif, ni l’un ni l’autre des deux époux n’a prévenu l’officier d’état civil, le jugement de divorce est considéré comme nul et non avenu.
- Extrait du jugement de divorce doit être affiché au tribunal, dans les chambres des avoués et des notaires de l'arrondissement, et enfin publié dans un journal.
- Anniversaire de la naissance de Fourier.
- On no s communique la note suivante :
- Le I 5 avril, un groupe de phalaustériens se sont réunis à Paris, en un banquet fraternel, pour célébrer l’anniversaire de la naissance de Fourier Beaucoup de ses anciens disciples, demeurés fidèles à ses leçons, sont heureux de se retrouver, chaque année, à cette fête de famille, de s’entretenir de leurs espérances, de leurs projets pour l'avenir de l'humanité.
- M. Destrem a porté un toast â la méimoire de Fourier ; il a caractérisé le système de cetLommede génie, qui a apporté au monde les moyens de sor tir de l’état de misère, d’oppression, pour entrer dans la période d’harmonie.
- Il a fait ressortir la nécessité urgente de co nstituer l’état de g ar autisme qui sera une bienfaisante; transition à la réorganisation complète.
- M. A. S. Morin a fait l’éloge des. membres de l’école sociétaire, morts dans l’année; il a apprécié la vie et les travaux de Dupont, Dohertz, Cour b abaisse et Toussenel, le spirituel écrivain qui a su revêtir la science des charmes d’une imagination poétique.
- Il a terminé ainsi son allocution auprès avoir salué les noms de nos frères défunts : Contemplons, d’un œil ferme notre situation présente. Nous avons perdrj, en quelques années, bien des adhérents et des plus marquants, et nous ne faisons que fort peu de recrues pour répare r ces pertes. Ce résultat n’a pourtant rien qui doive nous décourager. Nous devons considérer que la pensée de Fourie r a des voies indirectes pour se répandre ; elle s’infiltre par1 tout et plusieurs de ses conceptions s exécutent souvent par des mains qui n’en connaissent pas la provenance. Plusieurs des locutions de Fourier ont passé dans la langue usuelle* ; ('organisation du travail, la féodalité financière, le travail attrayant, le g ar autisme sont devenu s de s termes familiers. Et ce ne sont pas seulement les mots qui font leur chemin, les choses aussi passent dans la pratique. Tous les socialistes et même tous les hommes politiques sont occupés des moyens de concilier les droits du travail ei ce1 ux du capital ; la coopération sous diverses formes, est ?Appli quée dans divers pays ; les associations ouvrières, ma.lgré les obstacles qui s'opposent à leur développement, forment déjà une institution imposante ; la participation des ouvriers aux bénéfices, dans d’équitables proportions, a été expérime ntée avec succès. Le Familistère de Guise, dù à l’initiative e t à la persévérance de l’honorable M. Godin, est une réalisa^ m partielle du phalanstère et servira de modèle à d’autre^ i établissements. On reconnaît géné- 1
- râlement la nécessité de passer de l’état social actuel au ga» rantisme dont on prépare l’avènement.
- Vous voyez donc que le fouriérisme marche à grands pas. Nous n’avons pu jusqu’ici, comme l’espérait le Maître, nous élancer d’un bond jusqu’en l’harmonie ; nous n’y arriverons que par de longs et pénibles circuits. Mais notre marche est assurée, et s’il ne nous est pas donné d’entrer dans la terre promise nous aurons la consolation de l’entrevoir et d’en avoir facilité l’accès à nos descendants.
- Une course d’éléphant. — Les habilants de Cleveland (Onio) ont eu la bonne fortune d’assister à un spectacle bien rare dans ce pays, sinon unique. Un gros éléphant apprivoisé, faisant partie d’un cirque actuellement dans cette ville et répondant au non? de Pickaninuy était depuis quelque temps l’objet de l’admiration universelle. L’autre jour son cornac, Charles McCarthy, a offert de parier cent livres sterling que Pickaninuy pourrait parcourir une distance de trois imites en trente minutes. Le «colonel » Boy a accepté le pari et la course a été fixée à un matin dans un des squares de la ville. Inutile de dire que toute la population de Chevelarid s’était rendue a» square longtemps avant l'heure. Après une course de vingt-deux minutes l’éléphant n’avait plus que quelques pas à faire et son cornac allait gagner le pari lorsqu'un agent de la société protectrice des animaux a subitement fait son apparition, arrêté le pauvre MeCarthyet mis fin à ce spectacle cependant bien inoffensif. La course a été déclarée nulle ; mais la foule était tellement indignée contre « l’ami des bêtes » qui venait de la priver du plaisir d’acclamer Pickaninuy, qu’elle accusait hautement l’agent d’être intéressé dans le oari et qu’elle a failli lui faire un mauvais parti.
- Le Mariage de l’Empereur de Chine
- Le jeune empereur de Chine va avoir seize ans, l’âge de sa majorité.
- C’est également pour lui l’âge du mariage.
- Sa première épouse doit être choisie parmi les filles de douze à dix-huit ans de la caste conquérante.
- Aussi, de tous les points de l’Empire, les jeunesfilLs niant- > choues de haute naissance se mettent en route actuellement pour se présenter à Pékin aux officiers du palais, chargés de désigner celle qui est la plus digne de devenir la compagne du souverain.
- Et quand on songe aux grands espaces à franchir, aux mi-séres des voyageurs sur les routes détestables du Céleste-Empire, aux séjours forcés dans d’horribles auberges, on ne peut que plaindre celles qui sont amenées, souvent de très loin, pour courir une telle aventure.
- Il est vrai qu’elles auront la consolation d’entrevoir b . grande cité impériale, d’admirer un instant les splendeurs du palais, et qu’elles sont soutenues sur les chemins poudreuî et dans les fondrières des routes impériales par le rêve caressé de devenir ia souveraine du plus grand empire de 1 u-nivers.
- On dit qu’on ne fera pas trop attendre celles qui, par droit de naissance, peuvent aspirer à cet honneur, l’impératri^
- p.284 - vue 287/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 285
- pé*ente ayant fait choix pour son pupille de la fille d’unprince iartare qui habite le palais.
- L’inspection passée, on rend les aspirantes à leurs familles et gi elles éprouvent un peu de dépit, elles s’en consolent certainement, car, de ce jour seulement il leur est permis de se marier, la loi défendant à toute jeune fille mantchoue de haute naissance de lier sa destinée dans l’année qui précédé le choix impérial.
- LA PART DU PEU
- LES TERREURS DU ROURGEOIS PRUDENCE
- ET DE SON AMI FURIBUS
- Par M.- L. GAGNEUR
- Il y a quelques mois, dans un opulent salon de la rue Royale, Furibus et son ami Prudence, riches rentiers, oisifs de naissance, jouaient au tric-trac, leur passe-temps favori.
- Leur étroite amitié était cimentée par la conformité de fortune, de goûts, d'opinion, Furibus occupait le premier étage d’un immeuble qui lui appartenait.
- Prudence demeurait au second.
- Chaque jour, ils se réunissaient pour se distraire de leurs rhumatismes, commenter les journaux et le cours de la rente, sonder l’obscur horizon de la politique et approfondir l’étude du tric-trac.
- Ainsi s’écoulaient ces deux belles et utiles existences.
- Belles! ils avaient chacun plus de cent mille francs de rente.
- Utiles! ils dépensaient leurs revenus, et comme le disait Fur bus, contribuaient ainsi à faire prospérer l'industrie
- D’après ce préambule, on le devine, Prudence et Furibus étaient deux bons et honnêtes bourgeois, capitonnés dans leur égoïsme, et par conséquent deux fanatiques partisans de l’ordre et de la royauté, deux conservateurs à outrance, selon la formule consacrée, de la religion, de la famille et delà propriété.
- La religion! Ce n’était pas qu’au fond ils fussent croyants le moins du monde. A huis clos, ils glosaient volontiers sur la prêtraille et se vantaient d'être parpaillots.
- — Qu’avons-nous besoin, nous, de religion? disait Furibus, N’avons-nous pas le nécessaire et même le superflu? Nous ne prendrons donc jamais rien à personne- Mais au peuple il faut une croyance qui lui enseigne la résignation, le mépris des richesses, l’amour de la pauvreté, en tout cas, le respect du bien d’autrui et la crainte salutaire de l’enfer, corollaire essentiel delà crainte du gendarme.
- La famille! Tous deux la respectaient fort, en paroles du moins, car ils avaient bien sur la conscience quelques mignons adultères que, dans l’intimité, ils traitaient tout au piusd’aimables fredaines, de galantes peccadilles.
- La propriété! Sur cette grave question seulement ils étaient de bonne foi, tout à fait conséquents et intraitables.
- Cependant Prudence et Furibus ne pensaient pas sur tous les points exactement de même. Cela tenaità la différence de leurs caractères.
- Prudence était doux, calme, voire même un peu philosophe et raisonneur.
- Furibus était, au contraire, vif, emporté, bouillant. Trop peu réfléchi pour se former une opinion à lui, il admettait les idées toutes faites du milieu bourgeois où s’était écoulée son existence.
- Mêmes contrastes au physique qu’au moral.
- Prudence était grand, maigre, pâle. Ses joues creuses, ses rides sévères, ses yeux enfoncés sous l’orbite lui donnaient l’air méditatif. En cet instant, un pli profond entre les deux sourcils attestait une préoccupation inquiète et pénible.
- Furibus, lui, était petit, replet. Son ventre s’étalait plantureusement de l’un à l’autre bras du fauteuil. Dans sa face rebondie et vermillonnée brillaient des yeux lumineux et durs.
- Donc, les deux amis jouaient au tric-trac.
- A côté d’eux, mademoiselle Virginie Furibus, frêle et pâle comme toutes les jeunes filles élevées dans l’oisiveté, travaillait distraitement à un ouvrage de broderie. De temps à autre, elle levait sur les joueurs un regard ennuyé.
- — Voyons, dit tout à coup Furibus à son ami, marque donc ton jeu. Je ne sais vraiment pas où tu as la tête aujourd’hui
- — Ah! oui, c’est vrai, repartit Prudence, qui parut sortir d’un lève.
- — C’est à toi de jouer, reprit Furibus.
- — C’est à moi?
- — Eh! sans doute!
- Et Furibus, impatient des distractions de Prudence, secouait avec violence les dés dans le cornet.
- Mais Prudence, toujours distrait, se mitsoudain à jouer dans le jeu de Furibus.
- — Ah! pour le coup, c’est trop fort! A quoi, saperlot-te! penses tu-donc?
- Prudence passa la main sur ses yeux comme pour en chasser une vision importune.
- ' — Peut-être êtes-vous souffrant, monsieur Prudence? demanda doucement Virginie.
- — Mais non, répondit-il en affectant un air dégagé.
- — Alors, si tu ne souffres pas, reprit vivement Furibus, tu as certainement quelque chagrin, quelque ennui, une préoccupation d’œil. Quand je te parle, c’est à peine si tu réponds. Je t’entends presque toutes les nuits te promener dans ta chambre à grands pas. Corbleu! si je savais que tu eusses des secrets
- p.285 - vue 288/838
-
-
-
- 286
- LE DEVOIR
- pour un vieil ami, qui, lui, pense touthaut devant toi! ...
- — Je n'ai rien, je t'assure. Voyons, à toi de jouer.
- Furibus jeta le cornet et les dés avec colère.
- — Non, je ne jouerai pas que tu ne m’aies dit ce qui te trotte par l’esprit. Si Virginie est de trop...
- — Eh bien! oui, mes amis, j’ai là quelque chose qui m’oppresse, qui m’étouffe, dit enfin Prudence.
- Il cacha son visage dans ses mains.
- Furibus et Virginie le supplièrent de leur confier son douloureux secret.
- — Ah! mes amis! soupira Prudence, comment vous dire cela? Depuis quelques mois, je suis obsédé par une idée fixe, plus que cela,un cauchemar, un fantôme horrible, qui me poursuit dans la veille comme dans le sommeille.
- — Grands dieux! pensa Furibus, ce pauvre Prudence deviendrait-il fou!
- — Mais, enfin, qu’est-ce que ce fantôme?Quelle forme affecte-t-il pour t’impressionner ainsi?
- — C’est une vision effroyable. Le supplice de Pascal, qui voyait sans cesse béant à ses pieds le trou incandescent de l’enfer, n’était rien à côté de celui que j’endure.
- — Aurais-tu peur de l’enfer, par hasard?
- — Tu sais bien que non. Malheureusement ma vision est une réalité.
- — Alors parleras-tu?
- — Virginie avait cessé de tirer son aiguille. Elle fixait sur l’ami de son père des yeux effrayés.
- — Eh bien! donc, écoutez, dit Prudence en exhalant un pesant soupir. Il y a quelque temps, j’eus un rêve. Dans la soirée, nous avions eu une discussion assez vive sur les causes de nos infortunes et sur les dangers qui menacent encore notre malheureux pays. Je venais de m’endormir, l’âme agitée, inquiète, lorsqu’une apparition étrange, fantastique, épouvantable, se dressa devant moi.
- C’était un monstrev mmense, une hydre, non pas l’hydre à cent têtes, mais une hydre avec des milionsde têtes, dont les yeux sanglants, menaçants, terribl-s, se fixaient sur moi, dont les gueules béantes dardaient des langues de flamme. Et, sous le ventre du monstre, des millions de bras, armés de griffes aigugs, tenaces, s’étendaient, rampaient, couvraient, embrassaient le monde pour l’étouffer dans leur hideuse étreinte. Mais bientôt, en face de cette hydre colossale, m’apparut, s’apprêtant à la combattre, une nuée de Lilliputiens. Des généraux, en ordre de bataille, agitaient des oriflammes où se lisaient: Wissembourg, Frœschwiller, Forbach, Sedan, Metz, Orléans, Pontarlier, Paris. Et derrière ces généraux, toute une armée de bons et gros bourgeois, pansus, goutteux cacochymes, ouvrant des yeux effarés ou furieux. Tu t’y trouvais, Furibus. J’y étais également; et ma foi! nous faisions là tous deux piteuse grimace. Tremblant de peur, tu t’accrochais à mou bras qui tremblait aussi. Mais, pour dissimuler leur terreur tous ces guerriers improvisés trépignaient, vociféraient, hurlaient.
- — Sus au monstre! criaient-ils, luttons, battons-nous!
- — Quel est donc ce monstre? demandai-je, et pourquoi nous battre? Est-ce un nouvel ennemi de la patrie?
- — Ah! il s’agit bien de la patrie! me fut-il répondu. 11 s’agit de ce que nous avons de plus cher, de plus précieux, il s’agit de nos biens, que l’infernale goule voudrait dévorer.
- En cet instant, ordre fut donné d’engager la bataille.
- Les vaillants généraux s’élancèrent sur ie monstre, dont plusieurs tètes tombèrent.
- L’héroique phalange chantait victoire, battait des mains mais bientôt, cette joie se changea en consternation. A la place de chaque tète il en renaissait, dix, vingt, cent, plus terribles, plus menaçantes. Alors j’entendis un groupe de légistes qui criaient : « Vite un projet de loi contre le monstre! »
- Cependant l’hydre avançait toujours, nous défiant de se? grands yeux rouges, sardoniques.
- Heureusement, je m’éveillai. J’étais tout en sueur, j’avais la tête en feu. Pour chasser ce cauchemar, je courus à la fenêtre, je l’ouvris. La nuit était sornfere. Cependant, à la lueur indécise des becs de gaz, se dessinaient les ruines de la rue Royale» Et, quoique éveillé, je vis encore surgir du milieu de ces ruines le monstre înferiicl.
- Je fermai la fenêtre. Je me replongeai dans mon lit, cachant ma tête sous mes couvertures pour échapper à l’effroyable vision. Mais le cauchemar me poursuivit. Je ne me rendormis que vaincu par la fatigue et par la fièvre. Le rêve reparut. Et depuis ce jour, j’ai beau faire le monstre est là, toujours là, m’obsédant sans cesse. Je sens sur mon visage son souffle de flamme; je vois le rire diabolique qui éclate dans ses yeux ardents; et j’ai be<iume dire : cela n’est pas, c’est un rêve; malheureusement cela est le monstre existe; il nous dévorera, Furibus/
- — Voyons! voyons! rassure-toi, mon pauvre Prudence. C’est une hallucination qui passera. Nous tâcherons de calmer ton esprit malade.
- — Hélas! mon esprit se porte trop bien : il voit troP clair.
- — Décidément,ce pauvre ami a perdu la raison, pensait Furibus, qui regarda sa fille d’un air consterné.
- — Je devine ta pensée, reprit Prudence, tu me crois fou. Ah! plût à Dieu que cette hydre ne fût que la création délirante d’un cerveau détraqué! exclama-t-il en essuyant la sueur qui ruisselait de s ni front. Mais ce monstre n’est qu’une image, hélas! trop exacte. Ne l’as-tu pas reconnue?
- — Une image de quoi? demanda Furibus, qui craignit de comprendre.
- — Du prolétariat coalisé, et organisé, autrement dit de l’Internationale, répondit Prudence d’une voix sourde.
- Furibus tressaillit, et Virginie laissa tomber sa broderie.
- — Oui, reprit Prudence, cette hydre, c’est l’image du prolétariat qui couvre le monde, qui commence à pren-
- p.286 - vue 289/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- dre conscience de sa force, qui se redresse et qui menace. L’Internationale, c’est la coordination de cette force, jusque-là éparse, incohérente; c’est l’association formidable du travail contre le capital.
- — Ah! peux-tu bien me bnuleverser ainsi! s’écria Fu-ribus. Si je reprends cette nuit mou accès de guutte, c’est ton rêve absurde qui en sera caïue. U me semble déjà ressentir des éclatements dans l’orteil,
- — Moi-même, j’en ai perdu.le sommeil.
- — Ah bah! tes terreurs sont, pour le moment du moins, tout à fait chimériques. Le monstre est vaincu.
- — Tu le crois vaincu, pour quelques têtes abattues! Tiens, lis donc!
- Et il passa à Furibus un journal en lui désignant un article intitulé:
- « Résolutions adoptées par les délégués de l’Association internationale des Travailleurs, réunis à la dernière conférence tenue à Londres.»
- — Lis surtout l’article 8, relatifs aux producteurs agricoles. Tu verras que, non contents d’englober, dans leur sinistre réseau, toutes les classes ouvrières et manufacturières, ils cherchent le moyen d’obtenir l’adhésion des producteurs agricoles au mouvement du prolétariat industriel; tu verras qu’ils se disposent à envoyer des émissaires dans les campagnes pour y organiser leur propagande et fonder des sections agricoles. Lis tout enfin, et tu sauras que l’hydre maintenant étend ses ramifications dans l’Europe entière, qu’elle mine toute la vieille civilisation, et que de son souffle puissant elle peut, d’un moment à l’autre, faire couler la société européenne.
- Furibus lisait attentivement le journal. A mesure qu’il avançait dans sa lecture, ses marines frémissaient, ses yeux s’injectaient, ses joues pâlissaient.
- Quand il eut terminé :
- — Virginie, dit-il d’une voix étouffée, donne moi un verre d’eau... Ah? cela va mieux! ..! C’est que, eu lisant cela, je pensais aux ouvriers de mon usine, à leur esprit de révolte, à leurs incessantes réclamations. S’ils étaient affiliés, eux aussi!
- — Ils le sont, n’en doute pas. Un de ces jours, ils te feront la loi.
- — Mais non, mais non, l’ordre est rétabli, te dis-je. En France, du moins, le monstre est saigné à blanc, et, avant qu’il ne reprenne vie, nous aurons un roi qui mettra l’hydre à la raison.
- — Un roi! et lequel?
- — N’importe lequel, une citrouille au bout d’un bâton pourvu que cela s’appelle un roi. La royauté seule, c’est à-dire un pouvoir stable et fort, peut nous sauver.
- — Allons donc, la royauté est morte, mon cher. Ce que tu viens de dire le prouve assez : « N'importe lequel, une citrouille au bout d’uu bâton. » La royauté n’avait qu’une base : son origine divine, c’est-à-dire le prestige. Or, le prestige n’existe plus, même chez les partisans de la royauté. Un roi? Il ne régnerait pas deux ans. Depuis mon fatal rêve, je me demande avec angoisse s’il n’y aurait pas un moyen de conjurer le fléau, d’apaiser le monstre. La compression! C’est vouloir une explosion plus terrible.
- 287
- — Je t’en prie, Prndence, laissons ce sujet, reprenons notre partie, car, vois-tu, j’aime mieux ne pas penser à tout cela. Du moins, profitons du répit que ton hydre nous laisse.
- — Je le veux bien, reprenons notre partie, dit Prudence, qui agita les dés dans le cornet.
- — Pair ou impair?
- Il jeta les dés.
- — Impair! cela ne sera pas pour 72, mais pour 73 !...
- — Comment, pour 73 ? demanda Furibus.
- — Eh oui! en 73 grand cataclysme!
- — Quel cataclysme?
- — L’engloutissement de notre vieille société. Allons, à toi! joue!
- — Corbleu! on dirait que tu prends à tâche de me faire monter le sang à la tète! J’en vois tout trouble. Et tu dis qu’il y aurait moyen d’apaiser la terrible goule.
- — Oui, peut-être!
- — Lequel?
- — La rassasier.
- — Merci! la rassasier!
- — Ou du moins satisfaire à ses exigences les plus pressantes.
- — Ah! oui, je te vois venir: l’impôt sur le revenu, n’est-ce pas? Moi, moucher, je suis de l’avis des hommes d’Etat qui nous gouvernent : « Il ne faut pas appauvrir les riches. L’impôt sur le revenu, ce serait ouvrir la porte au socialisme par l’impôt, est le plus dangereux de tous : c’est le loup qui revêt la peau du mouton. »
- — Alors, selon toi, il vaut mieux appauvrir les pauvres?
- — Ta, ta, ta! est-ce que je dis cela?
- — En effet, ces choses-là ne se disent pas; on se contente de les faire.
- — Ah çà! ah çà! s’écria Furibus, stupéfait, en se soulevant à demi sur ses mains qu’il appuyait sur la table de tric-trac, est-ce que, par hasard, mon ami Prudence serait devenu... démocrate, républicain, socialiste?...
- A Suivre.
- État civil du Familistère.
- Semaine du 19 au 25 Avril 1886. Naissances :
- Le 19 Avril, de Gardez Henri, André, fils de Gardez Honoré et de Duchemin Louise.
- Le 19 Avril, de Coutellier Lo.iü, Alfred, fils de Coutellier Alfred et de Goret Louise.
- Le 24 Avril, d’un enfant mort-né de Boinet Joseph et de Dureux Clotilde.
- Décès:
- Le 20 Avril, de Magnier Alice, Louise, âgée de 1 an 2 mois.
- Le Directeur Gérant : GODIN
- juise.— lmp. Baré
- p.287 - vue 290/838
-
-
-
- SOCIÉTÉ DU FAMILISTÈRE DE GUISE
- ZESTE ZDTLT TRAVAIL
- —--•—» -o- » »— -
- 2 Mai 1886
- PROGRAMME GÉNÉRAL
- SAMEDI 1 Mai
- A 8 h. 1/2 du soir, Retraite aux flambeaux par la société Philharmonique.
- DIMANCHE 2 Mai
- A 3 heures du soir, Cérémonie au Théâtre ; à 8 heures du soir. Bal public à grand orchestre.
- LUNDI 3 Mai
- A 9 heures du matin. Ouverture des Jeux :
- MATINÉE
- Tir à la Carabine (à 9 heures) Commissaire : M. Lefèvre-Nouvellon Prix 1 2 3 4 5 6 / Prix du centre 5
- Sommes 10 8 6 4 3 2 \ Plus beau carton 12
- Tir à l’Arc (à 9 heures)
- Les tireurs nommeront leurs commissaires
- Prix du Centre Prix du Cordon
- Prix 1 2 3 ) Prix 12 3
- Sommes 6 4 3 S Sommes 8 6 4
- Jeu de Boules (à 9 h. 1/2)
- Commissaires M. Léguiller Blondel et Léguiller Georges.
- Prix 1 2 3 4 5 6
- Sommes 10 8 6 5 4 1
- Jeu de Cartes (à 10 heures) Commissaire M. Moyat.
- Prix 1 2 3 4 5 6
- Sommes 8 6 5 4 3 ... 2
- Jeu de Casse-Pots (de 10 à 11 heures)
- Prix 1 2 3 4 5 6 Sommes 6 5 4 3 2 1
- Jeu de Soufflet (de 10 à 11 heures) Commissaires Mmes Liénard, Roger, Nicolas, Legrand P.
- 13 Prix 1 de2f ; 2 le 1 75; 2 de 1 25 ; 2 de lf
- 2 de 0 75 ; 2 de 0 50 ; 2 de 0 25.
- APRÈS-MIDI
- Carroussel ou Jeu d’anneaux (de 5 à 6 h.)
- Commissaire M. Roussel L. ,
- 4 Prix divisés en deux sections lr0 Section 2* Section
- Prix 1 2 / Prix 1 2
- Sommes 9 7 ) Sommes 9 3
- Jeu de Ciseaux (de 5 à 6 heures)
- Commissaires Mmes Liénard, Roger, Nicolas, Legrand P.
- 4 prix de 2 50 4 de 2f 4 de 1 50 4 de lf 4 de 0 50.
- de 3 à 5 h. Exercices par la société de Gymnastique
- à S heures du soir. Bal public à grand orchestre.
- Journée de Dimanche
- ORGANISATION DE LA CÉRÉMONIE
- Réunion générale à 2 h 1 /4,dans la cour de l’aile gauche pour les conseils d’Administration, de l’Usine et du Familistère, les Bureaux des comités des caisses et les associes.
- Les enfants des Ecoles au Pouponnât : la musique au casino, avec sa bannière ; les pompiers, les archers et les gymnastes.
- A 2 h 1/2, marche des groupes vers la cour centrale pour former le cortège ; les pompiers prennent place au fond de la cour, derrière les enfants ; les gymnastes, en face de l’Epicerie; les conseils au centre de la cour avec les comités ; les associés, les employés, la musique devant le passage du Pouponnât.
- A 2 h 3/4 — Défilé, les tambours et clairons, les pompiers, les enfants des écoles, la musique, Monsieur Godin, les conseils d’administration, les comités et les associés, les archers, les gymnastes, les pompiers, feront la haie à la porte du Théâtre pendant l'entrée du cortège et entreront au parterre, les pompiers par la porte de droite, les archers par la porte de gauche.
- Les conseils d’administration du Familistère et de l’Usine, Is bureaux des caisses de retraite et de prévoyance et de pharmacie et la musique prendront place sur l’estrade ; le parterre est entièrement réservé aux enfants des écoles.
- Les habitants du Familistère, les employés et ouvriers de l’Usine prendront place aux galeries, les loges resteront réservées aux invités de Monsieur Godin.
- Cérémonie au Théâtre à 3 h. du soir.
- Grande ouverture par la société philharmonique; — Discours de M. Godin;—chœur des enfants;— Petite distribution de récompenses aux enfants les plus méritants ; — Morceau d’Harmonie ; — Proclamation des noms des travailleurs de l’association à récompenser ; — Morceau d’Harmonie.
- Lorsque la cérémonie sera terminée, le cortège se reformera comme à l'arrivée, passera par le Pavillon central et viendra se séparer dans la cour de l'aile droite où la société musicale exécutera avec les enfants des écoles un chœur symphonique.
- Bal public a grand orchestre a 8 h. du soir
- FÊTE de GYMNASTIQUE à l’occasion de la Fête du Travail du Familistère de Guise Le Lundi 3 Mai 1886.
- PFLOG-RAlVENdE 1° Exercice d’ensemble par toute la Société 1® » de Boxe
- 3° » de Barres à Sphères
- 4° » de Bâtons
- 5° Pose hongroise par les pupilles 6° Course Serpentante par toute la Société Ces Exercice se feront dans la Cour du pavillon Cental à 3 heures de Vaprès midi.
- 7° Travail aux appareils par Section.
- 8° » libre aux appareils.
- Ces derniers Exercices auront lieu sur la pelouse.
- p.288 - vue 291/838
-
-
-
- 10e Année, Tome 10 — N" 400 Le numéro hebdomadaire 20 c. Dimanche 9 Mai 18S6
- BUREAU
- a GUISE (Aisne)
- Toutes les communications et réclamations doivent être adressées à M. GODIN, Directeur-Gérant Fondateur du Familistère
- ABONNEMENTS PAYABLES D’AVANCE
- par l’envoi, soit au bureau de Guise, soit à celui de Paris de timbres-poste ou de mandats de poste, dont le talon sert de quittance.
- France
- Un an ... 10 fr. »» Six mois. . . 6 »» Trois mois. . 3 u
- Union postale Un an. . . 11 fr.»» Autres pays
- Un an. ... 13 fr. 60
- ON S’ABONNE
- A PARIS
- 5, rue Neuve-des-Petits-Champs Passage des Deux-Pavillons
- S’adresser à M. LEYMARIE administrateur delà Librairie des sciences psychologiques.
- FÊTE DU TRAVAIL
- Discours de M. Godin
- Amis et Collaborateurs,
- La fête du travail est un fait nouveau que le Familistère aura l'honneur d’avoir introduit dans le monde.
- Le premier dimanche du mois de Mai, lorsque l’activité vitale s’est remise au travail pour féconder à nouveau nos moissons, nos prairies et nos jardins; nous pensons, nous, ici, à rendre gloire au travail en le fêtant dans la personne des travailleurs.
- Gela, mes amis, est un fait bien simple en lui-même, et pourtant il prendra sa place dans les traditions de rhumanité. Oui, vous perpétuerez cette fête et l’humanité entière vous imitera un jour.
- Déjà, sur quelques points, à notre imitation, des sociétés coopératives ont fêlé le travail. Je ne doute pas que dans un temps assez prochain, le premier dimanche du mois de Mai devienne un jour où les travailleurs s’uniront dans un même sentiment de glorification du travail.
- Pour faire diversion au labeur quotidien, le peuple à besoin de fête. Quoi de plus noble, de plus saint, de plus grandiose que le travail? Que pour-rait-on personnifier et glorifier avec plus de justice dans l’humanité ?
- C'est le travail qui crée la richesse ; c’est lui qui crée toutes les satisfactions et les jouissances sur la terre ; c’est lui qui enfante toutes les merveilles et les splendeurs de notre civilisation ; d’est lui qui à travers les mille obstacles qu’il a à vaincre créera le bonheur pour tous sur la terre.
- N’avons-nous pas sujet de rendre hommage au travail, ici. quand c’est par lui que la prospérité et le bien-être naissent parmi nous; quand par l’association de tous nos efforts nous sommes par' Venus à faire disparaître de nos raDgs les douleurs de la misère.
- Oui, mes amis, c’est le travail qui nous donne le bien-être à tous, et c’est le travail qui doit le donner à tous les ouvriers, à tous les travailleurs; mais il faut que l’on comprenne qu’une condition est nécessaire pour qu'il en soit ainsi; c’est que la répartition des produits du travail doit se faire avec justice. Aussi nous qui fêtons le travail pouvons-nous le fêter avec raison,puisque l’association rend le travail profitable à tous parmi nous. En le fêtant nous fêtons en même temps l’association et ses bienfaits.
- Mais combien peu d'ouvriers peuvent en faire autant! Vous êtes le premier, vous êtes encore le seul exemple dans le monde d’une Association concentrant toutes les sources de bénéfices au profil de tous ceux qui les produisent.A vous donc, il appartient de fêter avec raison le travail, de
- p.289 - vue 292/838
-
-
-
- 290
- LE DEVOIR
- fêter l’association dans toutes les fonctions de votre activité et de votre existence. En agissant ainsi, vous faites une bonne chose ; car vous pouvez attirer l’attention de vos frères, les ouvriers malheureux, sur ce qui est à faire pour que le travail donne le bonheur pour eux, comme pour vous.
- Malheureusement,le travail est loin de donner à tout le monde ces satisfactions. Nous vivons à une des époques industrielles les plus incertaines qui peut-être aient jamais existé ; époque de concurrence industrielle effrénée, de dépréciation de la valeur des produits, de baisse désordonnée des salaires. C’est le temps denuuvelles luttes féodales dont l’action est transportée dans l’industrie et dont les victimes sont les ouvriers.
- Dans l’ancien temps, les seigneurs se faisaient la guerre entre eux ; mais c’était par les armes que se vidaient leurs jalousies et leurs haines, et c’étaient les serfs et les paysans qui avaient à en pâtir, à en supporter les désastres et les dévastations, en même temps qu’à satisfaire aux nouvelles convoitises des oppresseurs.
- Aujourd’hui,ce sont de nouvelles luttes féodales mais d’un autre genre, c’est la guerre féodale des rivalités industrielles et financières; c’est la concurrence dépréciative sans limite et sans frein ; c’est la lutte des tarifs entre industries; c’est par ces rivalités et ces luttes industrielles insensées qu’on arrive à l’avilissement des prix et des salaires ; et ce sont les classes ouvrières qui sont victimes des rivalités. Pour combler ces désordres, les ouvriers sont condamnés à toutes les douleurs des grèves, des chômages et de la misère; ce sont eux qui en supportent les douloureux désastres comme les paysans et les serfs d’autrefois.
- Voilà, mes amis, les malheurs que notre époque comporte, malheurs auxquels notre association à pu jusqu’ici se soustraire dans une certaine mesure, quoi qu’elle ait certainement à souffrir des désordres que la lutte industrielle dont je viens de parler produit dans les affaires.
- C’est en face de ces dangers que nous devons serrer nos rangs, nous armer de courage pour bien éviter les pertes et le coulage ; nous devons considérer parmi nous ceux qui ne soutiendraient pas les intérêts de l’Association comme aussi dangereux que des voleurs. Car, en effet, ils détourneraient les ressources de leurs camarades. 11 faut que parmi nous chacun emploie bien son temps et utilise les matières qui lui sont confiées ; que l’économie et l’ordre régnent partout dans les opérations et les travaux de notre association.
- Chacun de vous a son intérêt engagé dans celui de l’Association entière; il faut que chacun de vous soit un agent, un élément d’activité, d’ordre et d’économie industrielle ; c’est à cette condition que les salaires et le travail se maintiendront parmi nous ; c’est vous qui avez en mains les éléments de votre fortune, sachez les faire prospérer.
- C’est ainsi qu’au milieu de l’anarchie industrielle et du désarroi du travail qui, de plus en plus,vont s’accentuer, sous l’exploitation désordonnée du féodalisme actuel, que notre association servira de fanal pour revenir aux principes de justice et d’équité sur lesquels l’industrie devra s’établir dans l’avenir.
- Quel beau rôle pour l’association du Familistère si elle sait servir d’exemple, comme je l’espère, pour aplanir un jour les difficultés que l’état présent de l’industrie amoncelle, en les remplaçant par le travail fécond, le bien-être, la paix et la liberté sociale.
- En attendant, je vous convie, mes amis, à solliciter l’attention des pouvoirs publics dans toute la mesure possible, pour que le gouvernement cherche à faire cesser cette déplorable concurrence dépréciative et déloyale des produits du travail, à empêcher l’abaissement des salaires au-dessous des besoins des travailleurs, à faire que des syndicats soient constitués à cet effet en même temps qu’ils auraient à réglementer le nombre d’heures de travail maximum de la journée de travail.
- Ce premier pas fait, on ne verra plus la marchandise tomber à des prix qui ne peuvent plus donner à l’ouvrier que la misère en partage. G’esf là, mes amis, un but que nous devons poursuivre sans relâche dans l’intérêt des ouvriers de tous les pays.
- En même temps, le gouvernement devrait agir pour établir la mutualité ouvrière, de manière à garantir tous les citoyens contre les douleurs de la misère et de l’abandon. Tout cela, mes amis, vous n’avez pas à le demander pour vous-mêmes puisque tout cela existe-ici et que vous avez bien plus, puisque vous êtes en possession de vos moyens de travail et de production et, par conséquent, participant aux bénéfices en proportion du travail que vous avez fait et des services que vous avez rendus ; mais, ce dont vous jouissez vous-mêmes, la fraternité vous prescrit de le faire obtenir à vos frères dans la nation française toute entière, et je dirai plus, dans le monde entier ; car, la justice et le bien n’ont pas de frontières.
- Si, partout, le travail était considéré comme le
- p.290 - vue 293/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 291
- Litre le plus glorieux dont l’homme puisse orner sa carrière, il serait en même temps plus protégé qu’il ne i’estpar les mœurs et les lois, et l’on ne verrait plus le travailleur invalide et sans ressources abandonné au dénûment et obligé de mendier son pain. C’est donc une noble pensée de fêter et de glorifier le travail ; car, nous contribuons ainsi à attirer l’attention sur lui.
- L’absence de garanties pour la niasse des classes laborieuses est aujourd’hui la cause des revendications sociales qui se produisent partout. Ce sont donc ces garanties que nous devons de toutes nos forces aider à conquérir.
- Malgré qu’on ne se rende pas encore bien compte des droits du travail et qu’on ne comprenne pas la grandeur des bienfaits qu’il peut répandre sur la terre, le sentiment de sa puissance s’impose inconsciemment à tous les esprits.
- On sent qu’il y a un déni de justice révoltant dans la condition misérable et sans garanties faite au travail et, partout, germent des revendications plus ou moins confuses ou violentes que la sagesse des gouvernements devrait faire disparaître.
- Premièrement, en établissant la mutualité nationale contre la misère, de manière à assurer le lendemain des classes laborieuses et pauvres, en prélevant sur la production et sur la richesse acquise les ressources nécessaires à l’institution de cette mutualité ;
- Deuxièmement, en refrénant la concurrence dépréciative des produits du travail par de sages moyens de réglementation sociale du prix des salaires et des heures de travail ;
- Troisièmement, en décidant l’organisation de syndicats de l’industrie et du travail chargés de régler toutes ces questions ;
- Quatrièmement, en favorisant dans toute la mesure du possible la participation des ouvriers aux bénéfices de la production, par l’association du travail au capital et de l’ouvrier à l’industrie.
- Voilà les questions dominantes de notre époque, celles à la solution desquelles tous les hommes de bonne volonté doivent concourir.
- Tous les pays, à l’instar de la France, ont depuis quelques années provoqué des Enquêtes sur la situation faite aux classes ouvrières.
- Tantôt ce sont les gouvernements mêmes qui instituent ees Enquêtes, tantôt ce sont les citoyens Qui en prennent l’initiative.Les journaux des Etats-Unis donnent, en ce moment, sous l’inspiration du journal l’Age d’Acier, les plus remarquables temples sous ce rao-nort.
- Quelle solution se dégage ds ces recherches, de ces enquêtes et de cette expression des opinions?
- Les remèdes proposés tendent généralement à ceux que je viens de vous indiquer.
- Mais, outre ces remèdes, il est admis aujourd’hui que les causes des souffrances du travail et de l'industrie sont maintenant universelles ; aussi, ceux qui voient plus profondément dans les difficultés présentes sentent-ils la nécessité d’une entente entre les nations, comme complément indispensable des mesures d’ordre intérieur, de façon à ce que l’équilibre s’établisse entre les nations elles-mêmes.
- Il est pourtant un fait à signaler et qui domine tous les autres, fait qui serait bien propre à rassurer tous ceux qui, faute de comprendre, ont crainte des réformes nécessaires ; ce fait, le voici :
- C’est que du jour où l’on prélèvera sur la production et sur la richesse acquise de quoi donner aux classes laborieuses l’assurance du lendemain, la consommation s’élèvera dans de telles proportions au sein des nations que la production trouvera tons les débouchés qui lui sont nécessaires ; alors, le travail ne fera plus jamais défaut, parce que chacun consommera en raison de ce qu’il aura produit.
- Alors, mes amis, tout le monde fera comme nous, tout le monde fêtera et célébrera le travail.
- Il sera glorieux pour nous si nous y avons contribué en quelque chose. Appliquons tous nos efforts pour atteindre ces résultats !
- LA FÊTE
- Favorisée par un temps exceptionnellement beau, notre fête du travail a vivement impressionné les visiteurs étrangers à la localité, plus nombreux qu’à aucune autre précédente fête ; l’entrain des familistériens et leur joyeuse humeur n’a pas faibli un seul instant, pendant les deux jours consacrés à la glorification du travail et à la jouissance des plaisirs qu'il procure.
- Nos fêtes, nous le disons avec satisfaction, ont un caractère que ne peut faire supposer le spectacle des réjouissances publiques d’une autre population, pas plus nombreuse que celle du Familistère.
- Dans quelle commune de 1.800 habitants trouverait-on 150 citoyens groupés en sociétés de musique, de gymnastique, de tir à l’arc, de pompiers ; tous faisant preuve de qualités et d’aptitudes réelles ? Dans quel village de même importance, une municipalité pourrait-elle réunir des sommes comparables à celles distribuées en récompenses ou dépensées en préparatifs de fête.
- p.291 - vue 294/838
-
-
-
- 292
- LE DEVOIR
- Y eût-il un groupe de l’ordre individualiste assez riche pour rivaliser avec le Familistère dans ses manifestations joyeuses, il ne s’en dégagerait jamais les sympathiques et franches démonstrations seulement possibles dans un centre où les intérêts sont solidarisés, harmonisés.
- Dans la moindre localité, une douzaine de marchands, de revendeurs, de débitants partagent la population en une douzaine de fractions rivales, ennemies. Le patron du cheval blanc et toute sa parenté ne peuvent se regarder an face avec le limonadier et ses cousins de l’estaminet de la jeune France. La concurrence entretient entre tous les habitants des hostilités permanentes fomentées parla divergence des intérêts.
- Au milieu de ces inimiiés, le travailleur, par raison de gagne-pain, est souvent obligé d’affecter une apparente soumission envers les uns ou les autres, qui le rend méfiant et l’empêche de se livrer sans réserve aux attractions d’une fête convenablement orgamsée.
- Au reste, quel autre groupement humain que le Familistère a moralement et rationnellement le droit de célébrer la %e du travail.
- Ailleurs, on fêtera le commerce, l’industrie, mais on n’osera s’élever à la glorification du travail.
- II serait vraiment ironique et souverainement démoralisateur de voir déclarer Dieu le Travail, dans une société dépourvue d’institutions en faveur des travailleurs malheureux.
- S’imagine-t-on la ville de Paris voulant exalter le Travail» avec ses 150.000 déshérités inscrits aux bureaux de l’assistance publique, avec ses légions d’ouvriers en chômage, avec tous ses loqueteux repoussés dans des logis infects.
- La fête du travail est et restera le monopole des hommes délivrés de l’esclavage de h misère et du salariat ; à moins qu’il ne se trouve quelque part des citoyens désireux de puiser dans la glorification du Travail les forces morales et les généreux sentiments qui soutiennent le courage des initiateurs du progrès social.
- Les fêtesfamilistériennes ont un caractère unique, parce qu elles sont les manifestations de travailleurs associés, solidarisés ; fait, lui-même, exceptionnel dans nos sociétés violentées par la concurrence, rongées par la spéculation.
- *
- * *
- Suivant la coutume, les différents corps de l’association se sont réunis dans la cour centrale. Puis sociétés et groupes scolaires avec drapeaux et bannières déployés, les draperies agitééspar labrise printanière,les médailles étincelantes sous les rayons du soleil de mai, se sont dirigés vers le théâtre conduits par la société musicale.
- Plus d’un n’a pu prendre place et assister à la distribution des récompenses, tant était grande l’affluence des visiteurs.
- Le discours de M. Godin a été écouté avec le plus grand recueillement; d’après la physionomie des auditeurs, nous pouvons dire que tous en ont compris la portée et la profonde nidification.
- Pendant les intermèdes entre le discours de M. Godin et les distributions des récompenses aux travailleurs de l’association et aux élèves des écoles, la société musicale a obtenu et bien mérité d’enthousiastes applaudissements.
- Une mention toute spéciale revient au chœur des écoliers. Us ont remarquablement chanté le chœur « Le Chat et leRat» Notre sympathique chef de musique, M. Poulain, a toute raison d’être fier de ses jeunes élèves; ceux-ci doivent être reconnaissants envers l’association qui sait leur procurer d’aussi bons maîtres.
- La tenue des écoliers était très satisfaisante ; nous pouvons dire quelle carrespondait au soin et au zèle que les maîtres apportent à l’éducation et à l’instruction des élèves au Familistère.
- * *
- Avant de proclamer les récompenses exceptionnelles accordées aux travailleurs, M. Godin a prononcé l’allocution suivante :
- Mes amis,
- J’appelle tout particulièrement l’attention de tous les membres de l’association sur les observations que je vais vou-faire :
- La société du Familistère, en vertu de ses règles status taires concernant la répartition des bénéfices, tient chaque année, en réserve, deux pour cent de ses bénéfices, afin de pouvoir les répartir en récompenses particulières à ceux qui ont, dans le cours de l’année, fait à l’Association quelques propositions en vue de l’amélioration d’un service quelconque, ou donné quelque idée utile au perfectionnement des travaux ou de la fabrication.
- Dans le but de pouvoir proclamer solennellement à la fête du travail les noms des personnes qui se sont ainsi distinguées par des services exceptionnels, et de leur attribuer la récompense à laquelle elles ont droit, il a toujours été dit qu’un livre était déposé dans chacun des bureaux de l'usine pour recevoir l’inscription des déclarations de quiconque avait une proposition à faire. Mais il est à remarquer que presque personne n’a fait usage du livre en question et que, pour avoir l’état des propositions faites au cours de l’année, nous avons été obligés, il y a quelques jours, d’inviter par voie d’affiche ceux qui avaient produit des idées nouvelles à en faire la déclaration. Cette manière de procéder n’est pas satisfaisante Elle ne permet pas d’examiner assez sérieusement les propositions faites.
- Puisque l’inscription au livre des ateliers ne nous réussit pas, j’invite, pour l’avenir, les membres de l’association ayant des idées qu’ils jugeront utiles, à bien vouloir les consigner en quelques lignes sur une feuille de papier, format écolier, avec dessin ou description s’ils le jugent à propos, et à faire le dépôt de ce mémoire entre les mains de l’Administrateur-Gérant ou de l’un des membres du Conseil de Gérance. De cette façon, les propositions seront mieux connues de tout le
- p.292 - vue 295/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 293
- conseil et recevront l’attention qui doit leur être accordée.
- Ne perdez pas de vue, mes amis, que notre société n'a entre les mains aucune ressource naturelle, que nous ne possédons ni mine d’or, ni mine d’argent, que nous n’avons, enfin, d’autre ressource que celle de l’intelligence. C’est là où nous devons puiser ; par conséquent, les idées nouvelles, lorsqu’elles sont bonnes, peuvent avoir pour nous une très grande importance. C’est d’elles que dépend l’avenir de vos travaux, la prospérité de notre associaton.
- Que tous ceux qui se sentent l’esprit observateur cultivent donc leurs facultés et apoortent à la société des idées bonnes et utiles : ils mériteront ainsi d’être inscrits au livre d’or de l’association.
- Les récompenses que je vais citer seront ajoutées, en fin d’exerciee, à la part de bénéfices de chacun des titulaires.
- Dans ses séances des 15, 17 et 22 avril 1886, le Conseil de gérance a arrêté, comme suit, les récompenses accordées aux huréats.
- BUREAUX
- MM. MOT AT Louis : Proposition d’amélioration dans la tenue des comptes d’avances, ayant reçu son application, lOOfr.
- GAUCHET Ernest : Proposition relative à la bonification (non appliquée). 25 fr.
- CONTE Adrien : Pour économies réalisées dans l'affranchissement des factures. 25 fr.
- MODÈLES
- MM.DUVAL Alfred: Suppression du tournage des boutons en cuivre et remplacement de ce tournage par le polissage à la meule, lOOfr. j
- DUVAL & LEFRANC : Création d’un outillage complet, pour façonner les garnitures de suspensions, ainsi que les boutons et articles de quincaillerie,
- Chacun 100 fr ; ensemble 200 fr.
- QUENT Léon : Pour six propositions diverses, d’innovations et modifications dans les modèles. 200 fr.
- ROPPÉE César : Modifications dans le montage des foyers réfractaires des calorifères 77 à 80 50 fr.
- DUTAILLY Arthur : Pour modifications aux cuvettes inodores à effet d’eau. 50 fr.
- FONDERIES
- MARECHAL Florent : Perfectionnements apportés dans les organes du moulage mécanique. 200 fr.
- AJUSTAGE
- PETITHOMMÉ Eugène : Suppression d’un daubeur dans’ la confection des triangles de pompes. 50 fr.
- LECLÀIRE Eugène : Nouvel outil pour le pliage des crochets de cuisinières jouets. 40 fr.
- JUMEAU Eugène : Outil pour le polissage des cercles et tampons de la cuisinière jouet. 25 fr.
- RICHAKDIN Ernest : Proposition de remplacer les arbres en fer des torréfacteurs par des arbres en fonte malléable
- (non appliquée). 20 fr.
- TERRE RÉFRACTAIRE
- GRAS-LEMAIRE : Améliorations dans l’outillage servant à fabriquer les produits en terre réfractaire. 100 fr.
- CUIVRERIE
- COCHET Aimé : Améliorations dans le polissage des robinets et boutons de tiroir. 75 fr
- OUTILLAGE
- BAILLOT & LAMBERT : Améliorations et modifications dans la machine à polir les dessus de cuisinières, dans les arbres des meules à ébarber, dans les robinets de fontaine du Familistère et dans les pompes aspirantes et foulantes.
- Chacun 200 fr. soit ensemble 400 fr
- TELLIER Elisée rAméliorations dans les broyeurs Hanc-tin 50 fr.
- LAEKEN
- BERGMANS Egide : Exhaussement des grilles de four à émailler, ayant produit une notable économie de combustible 50 fr.
- LIÉVENS Jean-Baptiste : Améliorations dans le moulage des colonnes des calorifères 23 à 25. * 25 fr.
- FAMILISTÈRE
- HANQUET : Système de grille pour empêcher l’obstruction des conduites des cabinets aux eaux sales. 50 fr.
- ROUSSE LL,E Léopold ; Changement dans la disposition des magasins de l’Epicerie. (Proposition non exécutée). 40 Ir.
- Total : 18751F.
- ir
- * *
- Les marchands forains et industriels attirés par la fé te, commodément installés sur la grande place du Familistère, 1 doivent être satisfaits de ces deux journées ; leurs étalages | n’ont cessé d’être encombrés d’acheteurs.
- Les jeux de la journée du lundi ont été très suivis. Le carrousel d’enfants n’avait jamais eu tant de succès; une centaine d’enfants y ont pris part; il fallait voir avec quel enthousiasme !
- La société de gymnastique a été très applaudie pendant l’après-midi du lundi. Dans les exercices de boxes, de barres à sphères, de bâtons, delà poste hongroise par les pupilles, de la course serpentante par toute la société, tous exécutés dans la grande cour, nos gymnastes ont fait preuve de discipline, d’adresse et d’une rare précision. Chacun de ces exercices a été commandé par un moniteur spécial ; c’est certainement à cette division du commandement qu’il faut attribuer tant de progrès.Le travail des appareils a été moins remarquable ; cela tenait peut-être à la fatigue des premiers exercices.
- En somme deux bonnes journées pour les lamilistériens et pour tous ceux qui ont pris part à la fête à un titre quelconque.
- p.293 - vue 296/838
-
-
-
- 294
- LE DEVOIE
- Nousterminerons ce compte-rendu par une constatation d’ordre social, très-opportune en ce moment de crise commerciale. La société du Familistère a fait 4.000 fr. de frais environ, les dépenses individuelles pendant ces deux jours peuvent être évaluées sans exagération à 6,000 fr. Cela représente un mouvement commercial, en deux jours, de ! 0.000 fr., dans un groupe de 2.000 habitants. Une manifestation
- du même genre dans toute la France, dont la population es 18.000 fois plus nombreuse que celle du Familistère, aurai* donc mis en circulation, dans Je même temps, une somme totale de 180.000 000 fr.
- Au Familistère on sait créer la richesse, mais on sait aussi la distiibuer de telle sorte qu’elle circule sans cesse sans jamais créer des engorgements et des perturbations
- BULLETIN DE LA PAIX
- ---X--
- SOMMAIRE
- Lapolitique française en Grèce. — Grèce etTurquie.
- — Ce que coûte l’Egypte aux Anglais. — Le mouvement de la paix en Allemagne. — Le Militarisme en action. — Faits politiques et sociaux de la semaine. — L'élection de Paris. — La misère en Italie et le rnoi'cellement de la propriété. — La presse socialiste en langue allemande. — Comité de Paris. — Ce que c’est qu’un prince français.
- — La fièvre j aune. — La part du feu.
- LA POLITIQUE FRANÇAISE
- en Grèce.
- Le peuple grec et son gouvernement ont grand peire à se résigner à obéir aux injonctions des puissances.
- Cette résistance ne provient pas de la volonté de ne point désarmer ; elle est suscitée par l'intervention brutale des grandes puissances, résolues à dicter sommairement leurs volontés au gouvernement grec.
- Cette situation fâcheuse, contraire aux aspirations des amis de la paix, aurait pu être évitée par une plus prudente entente des diplomates français et grecs.
- Notre diplomatie a manqué de tact en conseillant le gouvernement grec comme elle l’a fait ; celui-ci a manqué de clairvoyance en obéissant aux suggestions de la politique française.
- La Grèce n’avait pas à faire acte de déférence envers une puissance ; c’était le concert européen qui lui demandait de désarmer, cé’tait à tous les représentants des puissances que le gouvernement grec devait faire part de ses intentions.
- Pourquoi nos diplomates ont-ils poussé la Grèce dans une autre voie ?
- Sans doute, guidés par les traditions de la politique monarchique ils ont pensé faire preuve de grande capacité en se substituant aux représentants des autres puissances ; ils ont cru qu’il était glorieux d’obtenir, eux seuls, c que l’ensemble des puissances ne pouvait se faire accorder.
- Cette façon de procéder, déplorable par ses conséquences, aurait été compréhensible de la part d’un gouvernement monarchique belliqueux, résolu à faire cause commune avec le peuple grec, à la suite du refus par le concert européen des propositions de désarmement transmises à notre ministère des affaires étrangères.
- Nos ministres républicains auraient dû se placer à un point de vue plus élevé.
- Notre intervention à été maladroite, presque
- nuisible à la cause de la paix qu’elle voulait servir.
- Dans la vie ordinaire on qualifierait plus sévèrement un homme qui se conduirait de la sorte.
- Cinq ou six personne se réunissent pour pcur-suivre une oeuvre commune; elles ne sont fortes que par cette union ; chacune d’elles, isolément, serait impuissante ; et l’une d’elles, sournoisement, à l'insu de ses collègues, usant de la force du groupement, atteindrait le but et s’en attribuerait toute la gloire !
- L’opinion publique excuserait difficilement cet homme ; chacun approuverait les protestations et les méfiances de.ses co-associés.
- L’attitude de notre diplomatie n’a pas été moins incorrecte.
- Quand donc nos gouvernants, nos diplomates et tous nos dirigeants comprendront-ils que ce qui est blâmable chez un individu l’est également chez les nations ?
- La diplomatie d’une république doit s’inspirer des principes de la morale universelle dans ses rapports avec les puissances étrangères comme dans ses affaires intérieures.
- p.294 - vue 297/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 295
- Nous ne voulons pas dire que les représentants de la France à Athènes sont blâmables, en principe, d’avoir usé de leurs bonnes relations avec les membres du gouvernement grec pour leur faire entendre des conseils pacifiques. La faute des uns et des autres a été d’adresser au ministre français une communication diplomatique qui aurait dû être envoyée à toutes les puissances.
- Si le gouvernement grec avait agi ainsi, il n’est pas douteux que l’ultimatum aurait été évité, et le désarmement serait déjà en bonne voie d’exécution.
- Les agents de la France pouvaient agir selon ces vues, sans crainte de perdre les bénéfices moraux de leur intervention. Dans quelques mois,un Livre-jaune aurait appris à nos députés et aux gouvernements étrangers les démarches bienveillantes et les salutaires influences de nos représentants, tenues secrètes jusqu’alors.
- A l’intérieur et à l’étranger, nul n’aurait été porté à critiquer notre politique extérieure. Nos pires adversaires auraient eu grand peine à dissimuler auprès de leurs sujets la sincérité de nos intentions pacifiques.
- Malgré cette faute, le désarmement de la Grèce n’est pas chose douteuse, si les grandes puissances sont sérieusement décidées à empêcher la guerre.
- Mais en vue de l’avenir, dans le but de donner à la paix européenne des gages de durée, il serait désirable de voir un gouvernement mettre à profit les rapprochements des représentants des puissances pour leur soumettre des projets relatifs aux différends éventuels entre les Etats européens.
- Les agents de notre république seraient dans leur rôle en prenant l’initiative de ces démarches ; ce serait aussi pour eux une occasion de dissiper les mauvaises impressions nées de leur apparente substitution à l’action du concert européen.
- Puisque les puissances ont déclaré ne pas pouvoir accepter les propositions faites isolément à un gouvernement, ne serait-ce pas le cas pour les diplomates français de prendre acte de ces précédents, et de demander aux puissances d'adopter une résolution, par laquelle elles s’engageraient à ue pas laisser commencer la guerre entre deux peuples sans intervenir; intervention qui se poursuivrait jusqu’à ce que le concert européen se soit arrêté à une décision prise en commun.
- Ce serait un acheminement vers la constitution d un tribunal arbitral.
- Cette proposition, faite dès maintenant, serait
- justifiée par les événements de la question turco-grecque.
- Quelle nation pourrait refuser, en bonne justice, de se soumettre aux principes qu’elle vient d’imposer au peuple grec.
- Une telle proposition a la raison pour elle ; mais la routine et la haine des innovations empêcheront probablement sa prise en considération.
- Cela ne nous corrigera pas de faire entendre nos conseils et nos avis pacifiques, chaque fois que les circonstances nous sembleront plus particulièrement propices.
- 11 n’existe aucune branche d’activité humaine, dans laquelle le progrès n’ait eu raison de l’empirisme. Il en sera de même de la diplomatie, pourvu que des hommes persévérants, animés d’intentions pures et conscients des véritables solutions s’acharnent à les faire prévaloir.
- G6ÈGE ET TURQUIE
- Les résolutions suivantes ont été adoptées par le comité exécutif de The International arbitration and peace Association :
- lre Résolution.
- Considérant que le Ministre des affaires étrangères en Grèce a publiquement déclaré que dans le présent conflit entre la Grèce et la Porte, la Grèce accepterait l’offre de médiation faite par le gouvernement français,
- Le Comité renouvelle ses vœux pour le règlement pacifique de la question Gréco-Turque et sollicite le gouvernement britannique de se concerter dans ce but avec la France.
- 2me Résolution.
- Considérant qu’un mémoire signé de cinquante membres de la Chambre française a été présenté à M. de Freycinet, Ministre des affaires étrangères, par M. Frédéric Passy, Président de la Société française des Amis de la Paix, en vue de résoudre par l’Arbitrage le conflit Gréco-Turque ,
- Le Comité exprime ici toute sa satisfaction de voir une telle manifestation de sentiment de la part d’un tel nombre de députés français et, ce, en faveur d'une cause sur laquelle l’Association s’est déjà prononcée dans le même sens.
- Le comité décide, en outre, qu’un exemplaire de la présente résolution sera adressé à M. Frédéric Passy, avec l’expression des félicitations du comité pourle remarquable progrès accompli dans l’opinion publique française, en faveur du règlement pacifique des dissentiments internationaux, cause dont M. Frédéric Passy s’est fait depuis longtemps le champion distingué.
- CE CUE COUTE L’EGVPTE AUX ANGLAIS
- Un document distribué au Parlement anglais indique quelles ont été depuis le 1er janvier 1882 jusqu’au 31 mars 1885, les dépenses laites par l’Angleterre en Egypte et quelles pertes en hommes elle y a subies jusqu’en juin 1885.
- p.295 - vue 298/838
-
-
-
- 296
- LE DEVOIR
- Les dépenses montent à un total de 9,4-15,968 livres sterling, soit un peu plus de 235 millions de francs.
- Les pertes ont été, pour l’armée britannique de terre : 79 officiers morts ; 303 invalides, c’est-à-dire réformés pour cause de blessures ou maladies; 1,495 hommes morts et 5,084 invalides.
- L’armée de mer a perdu 238 officiers et hommes morts et 1,176 invalides.
- Le contingent hindou et le contingent australien ont eu 109 morts et au-delà de 300 invalides.
- Total : 1,671 morts et au-delà de 6,863 invalides.
- Le mouvement de la paix en Allemagne.
- Le comité de Stuttgard (Wurtemberg) a publié le document suivant :
- L’idée d’établir en Allemagne des sociétés reliées à une vaste association internationale en faveur de la paix a, depuis quelques mois, accompli des progrès si ce n’est rapides du moins certains. La preuve en est dans l’établissement de nouveaux centres d'action.
- Aux sociétés de la paix de Stuttgard et de Frankfort se sont ajoutées celles de Darmstadt et de Berlin.
- Une preuve plus importante encore, quoique de nature à moins impressionner le public, est le progrès de l’idée parmi les avocats et amis de la paix de se concerter dans une action commune. Ils ont trouvé un terrain d’union dans leurs efforts pour éclairer l’opinion publique et enrôler de nouveaux collaborateurs à la poursuite de leur grand idéal. 11 y a donc ici progrès réalisé dans deux directions distinctes :
- 1° Faire abstraction de toutes questions n’appartenant pas directement à l’objet en vue ;
- 2° Définir de la façon la plus précise le champ d’action.
- Parmi les objets qui s’imposent ainsi à nos labeurs se trouvent les suivants :
- Exposition de la théorie internationale qui relie les amis de la Paix et des moyens pratiques d’atteindre le but proposé, y compris l’application aux questions coloniales;
- Examen des droits et des devoirs des nations civilisées envers les peuples sauvages ou non civilisés ;
- Enfin, propager des vues plus larges en faveur de la civilisation et de la paix, par un enseignement mieux compris de l’histoire dans toutes les écoles.
- Le comité de la société de Würtemberg, dans sa première réunion, s’est occupé de l’état des choses dans les Balkans, et autres pays où peuvent s’élever des dangers concernant le maintien de la paix. L’exposé magistral de l’orateur qui a présenté le sujet à l’examen a rencontré une approbation unanime.
- Dans ses labeurs le comité, bien que composé de personnes appartenant à différents partis, a reconuu par expérience que l’action commune était des plus faciles, dès qu’il s’agissait d’efforts tendant à maintenir la paix parmi les nations. Alors les véritables amis de l’humanité, si divisés qu’ils puissent être sous d’autres rapports par leurs occupations ou leurs intérêts, sont tous ralliés par la pure et profonde joie de coopérer au service du genre humain.
- Le comité adresse à tous le plus cordial et le plus urgent appel po^.r amener chacun à se joindre à l’association. Il se-
- ! rait reconnaissant envers tous les amis de la paix qui entre-j raient avec lui en communication dans le but soit, de donner j des conférences, soit de concourir à la formation de sociétés locales.
- De cette manière seulement, nous pouvons espérer atteindre avec le temps ce noble but : réaliser l’idéal de la paix sur la terre par la puissance de l’opinion publique.
- (International arbitration monthly journal)
- Le Militarisme en action.
- L'Intransigeant vient de publier la lettre suivante :
- Billancourt,
- Mon cher Rochefort,
- Je reçois de mon fils, Adolphe Pichio, caporal au 4e régiment d’infanterie de marine, 32e compagnie, à Takeo (Cambodge), une lettre qui me navre. Les hommes qui gouvernent la République me semblent s’appliquer à la détruire. Les faits odieux relatés sous ce pli et qu’ils doivent ou devraient connaître en sont une preuve éclatante. La lettre m’apportant ces plaintes — après bien des hésitations, dans la crainte de représailles de la part du chef coupable et signalé — a été ouverte au mépris des lois.
- Cette correspondance intime du fils au père a été violée ! L’enveloppe en porte les traces maladroites et irréfutables... Après le cabinet noir, le cabinet rouge? Après les avoir enrégimentés au service du pays, on paralyse par la terreur le cri d’angoisse de nos fils que l’on torture ! Au profit de qui ? et pour quels intérêts ?
- Sans la preuve en mains de cette action coupable, j’aurais, comme par le passé, exhorté l’enfant au courage, au travail, au devoir. Mais comme je ne doute pas qu’à cette heure il paie déjà son audace d’avoir confié à son père une partie de ses souffrances, et qu’il est bien livré à merci, je frémis à l’idée de ce qu’on va lui faire subir maintenant..
- On n’étouffera pas mon cri : je le jette à tous les échos.
- Vous entendrez ma plainte : mon fils est couvert de dartres annamites, il est laissé sans soins, et n’est pas le seul rongé par cette lèpre. Us manquent de nourriture là-bas; on leur donne à boire non de l’eau, mais de la boue infecte... S’ils se plaignent au chef, le capitaine Jarnowski, sous-résident de France au Cambodge, il leur répond : Taisez-vous,bande de communards... S’ils réclament ; « Qu’on f...ces hommes en prison...! » S’ils insistent, sachant qu’on peut leur donner de l’eau potable, ce capitaine répond : « Qu’on les amarre et qu’on les bâillonne comme des cochons... » Alors ceux qui ont réclamé sont, comme l’a commandé le chef, mis au carcan un bâillon sur la bouche.
- Est-ce assez épouvantable !
- Est-ce assez cruel pour nous, qui les avons entourés jusqu’à vingt et un ans de toute notre sollicitude, au prix des plus grands efforts d’en avoir fait des hommes, de les connaître bons, courageux, honnêtes, remplissant leur devoir, et de les savoir traités de la sorte par le premier venu !
- Quand nos fils tombent mortellement frappés sous le plomb ennemi, nous n’avons qu’à les pleurer... Mais quand ils sont martyrisés sans pitié par des chefs barbares et teurmenteurs,
- p.296 - vue 299/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 297
- nous avons le devoir de les défendre... Ce devoir,je le remplirai.
- C’est ici une question d’humanité.
- J’en appelle à la Chambre des députés : un pareil état de choses, de tels forfaits ne peuvent durer plus longtemps, si la justice est encore debout dans notre pays.
- J’en appelle à la presse, je lui demande secours. Que sa voix puissante empêche de pareilles horreurs, et aille au loin dire à nos fils malheureux qu’ils ont encore quelque part des êtres qui les protègent, les aiment et les attendent.
- Je vous serre la main.
- Ernest PICHIO.
- Faits politiques et sociaux de la semaine
- FRANCE
- Les Conseils généraux et le cumul. —
- Le parlement, à peine a-t-il eu voté les mesures financières et administratives, juste au moment où il aurait eu le temps de s’occuper des réformes, a été prorogé pour permettre à une partie des députés et des sénateurs d’assister aux assemblées départementales. Ne dirait-on pas que le cumul des deux fonctions électives par un seul mandataire a été inventé pour empêcher le parlement d’accomplir tout travail sérieux? Il nous semble que la mission de législateur est suffisamment absorbante pour dispenser celui qui en est revêtu de solliciter un mandai de conseiller général.
- Augmentation du prix des denrées. — On constate, d’après les documents des entrées en Douane, l’élévation suivante du prix de certaines marchandises pendant la période de 1826 à 1884'
- VALEURS
- 1826 1884
- Un bœuf . . 200 fr. »» 445 fr. ))»
- Une vache . . 110 » » 300 - »»
- Un mouton. . . . . . . . 17 »» 45 » »
- Un porc . . 30 »» 105 »D
- Un kilo d’œufs. . . . . . 0 80 4 45
- Un kilo de beurre. . . . . 1 50 3 20
- Un hect. de vin ord. . . 64 y) » 103 »))
- Un kil. de fruits . . , . . . 0 22 0 65
- Les agriculteurs et les propriétaires, si enclins à solliciter la protection du gouvernement dès les premiers symptômes d’une baisse, seraient bien embarrassés s’ils devaient établir pour quelle part ils ont contribué à cette hausse du prix des denrées, dont ils ont bénéficié plus que tous les autres citoyens. Les économistes seraient aussi très avisés, s’ils tiraient de ces chiffres un argument pour prouver que ces plus-values, crées parle concours général des hommes, doivent être perpétuellement transmissibles dans les mêmes familles.
- ¥ *
- Les amis delà paix à Clermont-Ferrand.
- — La société des amis de la paix à Clermont-Ferrand, n’est pas une réunion d’utopistes ou de sectaires. Les malins de la politique, dans le département du Puy-de-Dôme, le
- constatent avec déplaisir. Chaque fois que le groupe de la paix manifeste son action, soit dans les élections municipales législatives, départementales, ou dans une autre question d’intérêt public, les partisans de l’équivoque se sentent gênés par trop de clarté et de précision. Les politiciens habitués aux intrigues et aux petitesses de la politique de coterie, si nous en jugeons d’après un journal départemental que le hasard nous met sous les yeux, ont annoncé une campagne hypocrite contre le président de la société, M. Pardoux, et contre ies tendances de la société elle-même. Ces attaques sont le meilleur argument à invoquer à l’appui de la bonne direction de la société des amis de la paix et de l’intelligente initiative de ses membres. Les brouillons de la politique ont peur de la société des amis de la paix, c’est un excellent symptôme ; ceux qui ont mis de la sorte aux abois les adversaires de la politique de principe seront assez forts, nous rfen doutons pas, pour avoir raison des résistances intéressées des intrigants.
- ¥ *
- Le Transport Électrique des Forces. —
- La découverte de M. Marcel Desprez permettant de transporter électriquement les forces motrices à de grandes distances va entrer dans la phase industrielle.
- Une Commission de trente-huit membres, choisie pami les personnalités les plus éminentes de la science, du haut enseignement, de la finance a été convoquée pour formuler un avis définitif sur l’expérience industrielle entreprise entre Paris et Creil.
- Samedi dernier, la Commission s’est rendue à la gare de la Chapelle (chemin de ter du Nord) où se trouvent les machines réceptrices.
- La Commission comprend entre autres MM. Bertrand, Pasteur, de Lesœps, Cornu, de Freycinet, Frémy, Maurice Lévy, Becquerel et divers autres membres de l’Academie des sciences ; Collignon, inspecteur des études à l’Ecole des Ponts et Chaussées; Fribourg, chef du service central au Ministère des Postes et Télégraphes : Laussedat, directeur du Conservatoire des arts et métiers.
- Les machines de ia station de la Chapelle sont en marche journalière depuis trois mois environ.
- Des centaines de mesures de précision ont été relevées et ont constaté des travaux rendus allant de 30 à 50 chevaux-vapeur, avec un rendement compris entre 40 et 50 OJq. On n’a pas oublié que la longueur de la ligne Creil-Paris est de 56 kilomètres.
- Dans la séance de samedi, la machine a fourni avec une marche absolument régulière un travail de cinquante chevaux-vapeur environ. Ce travail était employé à mettre en action les accumulateurs hydrauliques de force qui font le service intérieur de la gare, et en même temps à actionner divers appareils électriques, treuil roulant, moteur conduisant un tour, marteau pilon, dont l’ensemble formait un exemple réduit d’une distribution électrique industrielle.
- Après un examen de deux heures, la Commission a témoigné à M. Marcel Desprez sa satistaction d’avoir à constater le succès complet de l’expérience. Une sous-commission a été nommée qui doit relever les nombres et préparer le rapport.
- p.297 - vue 300/838
-
-
-
- 298 LE DEVOIR
- ANGLETERRE
- La question irlandaise. — Userait puéril de le méconnaître, le programme séparatiste deM. Gladstone finira par triompher, et il est aussi certain que l’autonomie irlandaise sera votée par un parlementfutur, qu’il est incontestable qu’elle sera repoussée par la législature actuelle.
- Le premier ministre seul est responsable de cette situation. Ce n’est pas impunément qu’un homme de sa valeur met une pareille idée en circulation et lui donne une forme concrète. Une fois tancée et sous le patronage de son autorité, l’idée fait son chemin et rien ne peut l’arrêter, s’il est possible parfois d’entraver momentanément sa marche.
- Retarder le moment fatal, c’est tout ce que peuvent espérer les adversaires des projets de M. Gladstone, et, quelle que soit l’énergie de leurs convictions, nous doutons qu’ils se fassent illusion sur l'issue finale delà controverse actuelle.
- Sur le terrain où elle a été posée par M. Gladstone, la question irlandaise ne comporte plus que deux solutions : l’autonomie de l’Irlande, ou la mise en vigueur de mesures coercitives, le gouvernement par l’état de siège, l’adoption des procédés administratifs appliqués en Pologne par la Russie, et dans le grand-duché de Posen par M. de Bismarck.
- A l’honneur de l’Angleterre, elle ne produit pas des Mou-rawieff pour appliquer ce mode de gouvernement, son peuple ne consentirait pas une heure à laisser commettre en son nom les actes de férocité nécessaires pour maintenir l’Irlande par la terreur.
- Nous sommes donc en présence de l’autre alternative seulement. Or, l’autonomie concédée à l’Irlande, c’est la fin de l’Angleterre impériale, le commencement de l’Angleterre agricole.
- ALLEMAGNE
- Un nouveau fusil. — La dernière livraison de la Revue militaire de l'Etranger nous apprend ce qui suit :
- D’après le Waffenschmied, on poursuit activement la fabrication de fusils à répétition dans les trois manufactures d’Er-furt, de Spandau et de Dantzig. La manufacture d’Erfurt en livre à elle seule plus de 200 par jour ; mais il faudra plusieurs années pour fabriquer le nombre d’armes nécessaires qui s’élève, paraît-il, à un million.
- Le nouveau fusil est entièrement neuf et du même calibre que la fusil Mauser, modèle 1871 (U millimètres) ; il peut contenir une cartouche dans la chambre et huit dans le magasin.
- Le chiffre d’armes nécessaires à l’armée allemande s’élève certainement à plus d’un million. On peut donc être assuré que la fabrication des armes à magasin marche avec plus de rapidité que l’annonce le Waffenschmied. Mais là n’est pas la question.
- Ce qu’il importe de signaler dans cette nouvelle, c’est que l’on fabrique de l’autre côté du Rhin des fusils à magasin.
- Est-ce par indiscrétion ou par calcul que le fait est révélé ?
- que le nouveau fusil n’est peut-être pas du calibre indiqué par le Woffemschmied. En tous cas, voilà une nouvelle qui ne manquera pas de produire une profonde émotion dans les diverses armées européennes et dans la nôtre.
- AMÉRIQUE
- Les grèves. —On signale dans la plus grande partie de l'Amérique un mouvement gréviste très énergique. On l’interprète comme une première tentative pour obtenir la réduction de la journée à huit heures. Ce mouvement serait organisé et conduit par les chevaliers du travail.
- A Chicago, à Milwaukée, et dans d’autres localités des collisions sanglantes se sont produites entre les grévistes et la police ; de part et d’autre, on compte plusieurs morts et de nombreux blessés.
- * *
- Les faillites. — Voici, le chiffre des faillites pour les Etats-Unis pendant le premier trimestre de 1886. Elles sont au nombre de 3,203 pour les Etats-Unis et pour les trois premiers mois de 1886, avec un passif d’un peu plus de 29 millions de dollars.
- Nous renvoyons cette note aux méditations des économistes. Les résultats qu’elle proclame sont peu d’accord, il nous semble, avec la prétendue supériorité de l’initiative individuelle dans les affaires industrielles et commerciales. L’Etat que nous reconnaissons, avec eux, être un mauvais agent d’exploitation industrielle, commerciale et agricole, ne ferait pas pire.
- L’élection de Paris.
- Les 100.000 voix obtenues par la candidature de protestation de M. Roche ont fait une profonde impression sur l’esprit des partis modérés ; on ne pensait pas que le mécontentement fût aussi général. Tou^-les journaux considèrent ce vote comme un avertissement, dont le gouvernement ne doit pas méconnaître la signification. La France et l’Echo de Paris donnent l’appréciation la plus juste.
- Voici des extraits empruntés à ces journaux.
- La France : Nous avouerons que le chiffre des voix obtenues par le concurrent de M. Gaulier a dépassé de beaucoup les prévisions les mieux établies. Une minorité de protestation de plus de cent mille voix est une minorité sérieuse. Cela vaut un meeting de deux cent mille personnes au moins. C’est donc une manifestation qu’il faut prendre en considération et de laquelle il importe de tenir compte...
- La morale de l’élection est facile à tirer. Faire quelque chose pour les ouvriers, et tout de suite.
- L’Echo de Paris : Cent mille individus (à supposer les électeurs de M. Ernest Roche tous des hommes résolus — ce qui n’est pas) qui acceptent et hâtent les éventualités de la guerre civile, c'est trop. Le sage en tirera cette conclusion qu’il importe d’aviser. L’ordre, sous la République, s’établit, au contraire, par des réformes incessantes, el la réalisation des conceptions démocratiques. Il faut désarmer ces cent ! nulle insurgés. Non pas en les écrasant. Mais bien en les dé-! tachant par des institutions généreuses et raisonnables.
- En Allemagne, les journaux ne publient que ce qu’on veut
- bien leur laisser publier. i Faire, quelque chose! Cela est bientôt dit et
- Par ces considérations, nous sommes amenés à supposer 1 n’engage pas beaucoup. Les auteurs de ces écrits
- p.298 - vue 301/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 299
- ignorent-iis que le gouvernement ne fera rien et ne peut rien faire, tant qu’il n’entendra pas chaque jour les journaux influents lui expliquer et lui répéter de mille manières ce quelque chose qu’il convient de faire. Les écrivains de ces journaux font-ils cette œuvre quotidienne ?
- La misère en Italie et le morcellement de la propriété-
- Les divers projets conçus en Grande-Bretagne pour y multiplier le nombre des petits propriétaires et donner, autant que possible, à chaque paysan un petit lopin de terre et une tête de bétail, soulèvent de justes observations de la part des penseurs qui savent bien que ce n’est pas ainsi quon résoudra la question sociale.
- Nous lisons à ce sujet dans le Herald of peace : Il n’y a pas de pays en Europe où le système du lopin de terre et de la tète de bétail ait eu plus complet développement qu’en Italie. Il vaut donc la peine, en face des avantages qu’on nous promet de son établissement forcé en Grande-Bretagne, d’examiner un peu quels en sont les résultats.
- Dans une division des provinces, Romaines, il y a 122,633 petites propriétés dont l’étendue moyenne est inférieure à de ix acres et demie. G’est-à-dire que les condition» idéales des réformateurs agraires tels que M, J esse Collings sont là pleinement réalisées.
- Si nos modernes professeurs sont dans le vrai, l’Italie rurale doit donc être une véritable Arcadie, surtout si l’on songe que le climat italien est un des plus beaux du monde. C’est là, s’il existe quelque part, que nous devons trouver le paysan prospère, sain et moral.
- Voyons les faits : Le paysan italien est le plus pauvre et le plusjnaladif de tous les paysans d’Europe, et il est à craindre qu’il manque au moins autant de sens moral et religieux que ceux de n’importe quel pays chrétien.
- Les Italiens forcés par ta misère d’abandonner leur pays sont au nombre de 150,000 par an ! Ceux qui restent en arriére sont de plus en plus mécontents.
- Depuis quelques années les circonstances ont aggravé la situation des paysans cultivateurs italiens.
- Ils ressentent la compétition des contrées éloignées presque aussi vivement qu’on la ressent en Angleterre.
- Il est évident qu’il y a quelque chose de radicalement faux dans la condition des- fermiers Italiens, quand on lit que la production de , grain n’est que de II hectolitres par hectare contre 32 en Angleterre, pays froid et humide où les étés souvent ne diffèrent guère des hivers !
- Le petit cultivateur italien est trop pauvre pour acheter des engrais ou pour se procurer les machines diminuant le travail; du reste, l’emploi de ces machines est absolument impossible avec des propriétés extrêmement morcelées.
- Le petit cultivateur italien comme tous les autres petits cultivateurs du monde, de la Normandie à l’Inde, est l’esclave de l’usurier. Les plaintes de ce chef sont unanimes. Dans les provinces Romaines l’intérêt des petits emprunts est communément de 60 pour cent ; en Apulie, le taux pour de courtes avances est exactement du double de l’emprunt.
- La condition sanitaire, sociale et morale d’uae classe
- écrasée à ce point par une insurmontable pauvreté est ce qu’on peut a ttendre. Dans la Campanie, c’est à peine si l’on peut dire que le paysan propriétaire aune maison. En Sardaigne, d’après un rapport digne de foi « l’insalubrité et l’exiguité des demeures sont telles que des personnes de tout âge et des deux sexes couchent étendues sur le même plancher, sur de la paille à défaut de lits, en compagnie des porcs !»
- Dans certains districts, la moitié des enfants meurent avant l’âge de sept ans. En Sardaigne, les gens sont trop heureux de dévorer les cadavres des animaux morts par suite de maladie. On leur persuade que l’action du feu purifie la chair ; en tous cas, les bêtes saines sont réservées pour le marché.
- C’est un Italien et un Catholique Romain qui décrit fcdans les termes suivants la moralité et la religion de l’Italie rurale :
- « Quand les paysans reçoiveut de l’argent, ils boivent avec tant d’excès qu’on les voit rouler sur le sol ; ils n’ont pas de moralité et vivent d’une façon abominable. L’éducation est presque nulle. En place de religion ils ont la plus grossière superstition. On apprend aux enfants à aller à l’église comme on exerce des chevaux et des chiens. Los hommes marmottent des prières latines et n’ont aucune notion du devoir. Au moyen de quelques simagrées, de mauvaises femmes et des brigands se croient très religieux.»
- En quelques parties de l’Italie rurale, la position de la femme est inexprimablement dégradée. Les femmes sont achetées comme du bétail et travaillent comme des bêtes de somme-
- La Presse Socialiste en langue Allemande
- Nous trouvons dans The Commonweal, de Londres, les renseignements suivants, concernant les journaux socialistes publiés en langue allemande :
- « II n’existe pas, à proprement dire en Allemagne même de journaux socialistes, ni surtout révolutionnaires ; car, en raison des lois de répression édictées en 1878, toute propagande de ce genre est prohibée. Tous les journaux prêchant le socialisme international sont supprimés et les éditeurs, imprimeurs et vendeurs de telles publications punis d’un long et sévère emprisonnement.
- Il existe, néanmoins, en Allemagne une quantité "de journrtux quotidiens et périodiques défendant la cause de l’ouvrier, mais ne plaident qu’uiie forme très-adoucie de rénovation sociale.
- Il n’en est pas de même des feuilles publiées à l’étranger en langue allemande. Citons d’abord, comme organe de l’opinion de la majorité de la classe laborieuse allemande, Der Sozial démocrat, feuille hebdomadaire de quatre pages, petit format, publiée à Zurich. Cette feuille est l’organe officiel du Parti social démocrate au Parlement Allemand. Elle expose les vues des chefs du mouvement et défend la politique sociale pratique. Son but définitif est le « Wolkstaat » — le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple.
- Viennent ensuite deux organes publiés à New-York : Der Sozialist et Die N eu Yorker Volhszeitung.
- p.299 - vue 302/838
-
-
-
- 300
- LE DEVOIR
- Der So2ialist, publication hebdomadaire de 4 pages grand format, est l’organe officiel du Parti socialiste travailleur allemand, en Amérique. Il suit la même ligne politique que le Sozial-démocrat de Zurich,
- En parlant de l’ordreéeonomique futur, il dit: « Chaque nation doit organiser chez elle l’écoulement de ses ressources pour satisfaire à ses réels besoins. Elle ne doit se livrer à l’exportât on qu’autant qu’elle a un surplus de produits que les autres nations se procureraient difficilement. Tel est le seul mode d’échange ou de commerce qui soit avantageux aux deux parties. «
- A l’égard delà question des femmes, il dit : « Le socialisme demande que l’homme et la femme soient traités sur le pied de l’égalité dans l’Etat. Mais ce n’est pas seulement dans la société que la femme doit être l’égale de l’homme, c’est aussi dans le monde économique. Les femmes doivent participer, en termes égaux avec les hommes, aux fruits du travail. »
- Die Neu Yorker Volkszeitung paraît en édition quotidienne pour l’Amérique et hebdomadaire pour les autres Etats. 11 est fondé depuis 8 ans. 11 comprend liait pages grand format et a la plus large circulation au loin.
- C’est l'organe des démocrates socialistes parlant l’Allemand.
- Il propage les mêmes pensées que les jour! aux mentionnés ci-dessus. Actuellement, il consacre une bonne partie de ses colonnes à préconiser la fixation de la journée de. travail à une durée de huit heures.
- 11 dit : « Pour nous, socialistes, comme pour tous ceux qui pensent au labeur de l’ouvrier, la diminution des heures de travail a une immense valeur ; par conséquent, nous devons porter nos efforts sur ce point afin de convertir les opposants à nos vues. »
- Passons maintenant au journal le plus révolutionnaire : Die Freiheit. C’est l’organe des anarchistes-Communis-tes internationaux par'and Allemand.
- il fut fondé à Londres dans un petit format de quatre pages et paraissait hebdomadairement.
- Actuellement, il se publie à New-York en huit pages grand folio. Une édition spéciale de quatre pages est publiée pour les autres Etats.
- Die Freiheit, s’oppose à la représentation parlemente et à la réforme industrielle.
- Il préconise l’emploi de la dynamite comme moyen plus convaincant que les discours pour montrer aux capitalistes qu’il faut modifier l’état de choses actuelles.
- Une autre petite feuille : Der Rebell suit le même programme. Elle parait à Londres, à intervalles irréguliers.
- On y lit :
- « Nous visons à la plus haute liberté individuelle possible, à la plus parfaite autonomie de l’individu, à l’exercice de sou droit complet au savoir. »
- Parmi les autres journaux en langue, allemande, défenseurs des droits du travail, on cite encore le Die Morgenrothe des XX Jahrhunderls publié à Berne ; Die Arbeiter Wochen Chronik publié à Pest, Hongrie, et enfin Die N eue Zeit, revue mensuelle publiée, à Stuttgard et dédiée au socialisme scientifique.
- COMITÉ DE PARIS de la Fédération internationale de l’Arbitrage et de la Paix
- Elirait du Procès-yerbal de la Séance du 12 Ami 1886
- Ordre du Jour :
- DE L’ARBITRAGE INDUSTRIEL
- Après la lecture du procès-verbal de la séance du 29 Mars? M. Auguste Desmoulins, secrétaire général, communique à la réunion une série d’études publiées par lui dans la Revue Moderne sur l’importante question de l’Arbitrage, appliqué à la solution des conflits industriels. L’orateur raconte les efforts tentés par M. Mundella, actuellement ministre et alors ouvrier bonnetier à Vottingliam, dans le but de mettre un terme aux grèves qui désolaient cette ville depuis le début du siècle ; il constate les succès obtenus par le système de l’Arbitrage dans les villes industrielles du Royaume-Uni. Loin d’avoir nui aux intérêts des ouvriers, l’Arbitrage a placé partout, en face des capitalistes, les groupes organisées des travailleurs. Grâce à leur forte organisation, les sociétés de métiers, Trades Unions, ont acquis une puissance considérable et ont rendu toute grève inutile. Il n’y avait plus, en effet, de capitaliste assez riche pour pouvoir tenir tête à des sociétés comme celle des mécaniciens qui compte soixante à soixaute-dix mille membres et disposent de millions de livres sterling.L’association des mineurs est plus nombreuse encore ; aux dernières élections elle n’a pas envoyé moins de trois de ses membres pour la représenter au Parlement. Une lettre de M. Hodgson Pratt appelle l’attention sur un système adopté d’un consentement commun, par les propriétaires de mines et par les mineurs dans les houillères du midi du Pays de Galies. Ce système établit une échelle qui permet d’élever ou d’abaisser ies salaires suivant la hausse ou la baisse du prix du charbon. « C’est en vue de la pacification du bassin houiller de l’Aveyron que je compte, dit M. Desmoulins, saisir les différentes sociétés de la Paix de cette question de l’Arbitrage industrie 1. Sur mon initiative, dans sa séance du mercredi 7 Avril, le Conseil municipal de Paris s’est déjà prononcé en faveur de ce système. Je crois, ajoute M. Desmoulins, qu’il est du devoir de tous de recommander aux parties en présence de ce conflit industriel cette pratique de l’Arbitrage qui a déjà réussi dans un si grand nombre de cas.
- La Réunion décide à 1 unanimité qu’un extrait du procès-verbal de la séance du 12 Avril sera communiqué à toutes les sociétés de la Paix, avec invitation à celles-ci de bien vouloir se concerter pour une action commune dans le sens de l’Arbitrage industriel.
- Dans la séance suivante, le Comité de Paris de la Fédération Internationale de l’Arbitrage et de la Paix a continué son étude sur les moyens de conciliation à employer pour mettre un terme à la grève de Decazevdle. Revenant sur le projet qui avait occupé le comité dans sa dernière séance, le secrétaire général, M. Auguste Desmoulins a. esquissé à grands | traits l’histoire de î Arbitrage ; il a rappelé la création du jury, i l’établissement des conseils de prud'hommes, les expériences j faites en Angleterre dans les corps d’arbitrage de M. Rupert
- p.300 - vue 303/838
-
-
-
- 301
- LE DEVOIR
- Kettle et les comités mixtes de conciliation de M. Mundella, actuellement ministre. Il montre qu’à Paris les chambres syndicales de patrons ont déjà institué, à leur siège rue de Lancry, de véri'ables cours d’arbitres et que les chambres syndicales ouvrières auraient le plus grand intérêt à se réunir entre elles pour le même objet. A la suite de cet exposé, le président, M. Destrem, ouvre la discussion sur le projet d’arbitrage, Mme Griess-Traut, vice-présidente, M. Gaston Morin, secrétaire, le docteur Monneau, MM. Simond, Brebner, Boyer, Duoin y prennent part. La Réunion arrive à cette conclusion que la grève pourrait cesser après un arbitrage qui aurait lieu dans les conditions suivantes : « les ouvriers mineurs de Deeazeville nommeront librement quatre délégués;— la compagnie en désignera de son côté quatre ces huit délégués choisiront eux-mêmes pour se départager à titre de tiers arbitre un homme qui sera désigné à leur choix par son caractère, ses lumières et sa loyauté.» Le moment paraît favorable. D’une part, si les ouvriers souffrent d'un chômage prolongé ; de l’autre, la Compagnie sait fort bien qui si elle n’arrive pas à une entente, elle pourrait se voir déchue. Les intérêts en lutte se balancent; il est donc à espérer que des arbitres bien choisis pourront mettre un terme au conflit.
- G. M.
- Ce pe c’est qu’un prince français.
- Combien faut-il de sang étranger et de sang adultérin pour faire un prince français ?
- Le savez-vous ?— Non ? Eh bien ? cherchons ensemble, et, si vous le voulez-bien, prenons pour sujet d’étude son Altesse Royale Monseigneur le Comte de Paris.
- La famille d’Orléans, branche cadette (et aujourd’hui unique, — c’est toujours cela de gagné) de Bourbons de France, remonte à Henri IV.
- Ce dernier épouse 1’Italienne Marie de Médieis, dont il eut deux fils, — Louis, qui lui succéda sous le nom de Louis XIII, et Gaston, mort sans postérité mâle.
- Louis XIII eût pour femme 1’Espagnole Anne d’Autriche, qui lui donna deux fils (avec ou sans collaborateurs ? l’Histoire se le demande encore) ;
- Louis XIV, et Philippe duc d’Orléans.
- Philippe d’Orléans, Ier du nom, épousa en 1671 1’Allemande, Charlotte Elisabeth de Bavière.
- De ce mariage naquit :
- ’ Philippe d’Orléans, 2e du nom, qui, par horreur sans doute des alliances étrangères rechercha et obtint l’honneur d’épouser, en 1692, mademoiselle de Blois, fille doublement adultère de Louis XIV et de Madame de Montespan.
- Entre autres enfants légtimes, et sans parler de ses enfants naturels, dont l’un fut archevêque de Cambrai, Philippe II d’Orléans (le Regpnt), eût un fils :
- Louis, duc d’Orléans, qui prit pour femme, le 16 juin 1721, une Allemande, Auguste-Marie-Jeanne, Princesse de Bade.
- Ce dernier eut pour héritier :
- Louis-Philippe, duc d’Orléans, lequel épousa le 16 décembre 1743 Louise-Henriette de Bourbon-Conti, une française celle-là. qui de notoriété publique le... sganarellisa à bouche-que-veux-tu.
- De ce mariage (je n’ose dire de ce mari) naquit Louis-Philippe-Joseph d’Orléans, surnommé Egalité, mort sur Péchafaud où il avait lui-même envoyé Louis XVI (touchante Egalité !)
- Il prit pour femme Louis-Marie-Adélaïde de Bourbon- Pent-hièvre, (encore une française !), petite (file du Comte de Toulouse, lequel était lui-même enfant adultérin de Louis XIV et de Madame de Montespan. (Et de deux!).
- B y eût de cette princesse :
- Louis-Philippe d’Orléans, Roi des Français, dit la Meilleure desRépubtiques, parce qu’il mitrailla les républi cains.
- Le 25 novembre 1809, Louis-Philippe épousa la princesse Napolitaine Marie-Amélie, fille de Ferdinand, roi de Naples,
- de Marie-Caroline d’Autriche, la Messaline moderne (c est un cliché, mais il est mérité).
- Le fils aîné de Louis-Philippe fut Ferdinand-Philippe-Louis-Charles-Henri (ouf !) duc d’Orléans, qui, le 30 mai 1837, épousa la princesse Allemande Héléne-Loui&e-Ëlisabeth de Mecklembourg-Schwerin.
- De ce mariage est né :
- Monseigneur le Comte de Paris !
- Saluez !
- Ainsi, en huit générations, six alliances étrangères, dont quatre Allemandes, et deux alliances avec des descendantes doublement adultérines de Louis XIV !
- Sans compter les... gaietés de certaines de ces dames d’Orléans f
- Ne trouvez-vous que le plus humble, le plus obscur de nos laboureurs a dans les veines plus de sang français et plus de sang honnête que ce soi-disant prince français ?
- Voilà pourtant ce que MM. les Orléanistes, monarchistes, solutionnistes et autres banquistes appellent une famille patriarcale.
- Patriarcaux,ces produits de l’adultère !
- Patriarcaux, — ces trois quarts d’Allemands !
- lis sont cousins du Roi de Prusse !
- Et ils se disent Princes Français !
- LA FIÈVRE JAUNE
- Le Congrès des Etats -Unis est en ce moment saisi d’une question qui intéresse au plus haut degré les populations des territoires exposés au fléau de la fièvre jaune.
- Un comité spécial de chacune des deux Chambres ayant été appelé à statuer sur une pétition, signée de plusieur sommités médicales, demandant la nomination d’une cemrais-sion chargée de faire des études sur le système d’inoculation du docteur Carmona, professeur de clinique à l’Ecole de médecine de Mexico, pour la prévention de cette maladie, ces deux comités ont conclu à l’adoption du projet, qui a été présenté sous îorme de joint résolution par le docteur Blanchard, membre de la Chambre des représentants . II y a tout lieu de croire - dit le Courrier des Etats-Unis — que la résolution sera adoptée, et la commission instituée en conséquence.
- Le système du docteur Carmona, d’après les documents soumis au Congrès, est fondé sur les principes ressortant des découvertes de M. Pasteur. La fièvre jaune, suivant les expé-ériences du docteur mexicain, serait causée par l’introduction dans l’organisme d’un ferment qui serait détruit par l’inoculation au moyen d’un virus atténué. Ces assertions sont appuyées par des observations pratiques qui, si elles étaient vérifiées, seraient concluantes. Cette vérification sera la tâche imposée aux membres de la commission américaine. Il est inutile d’insister sur l’importance de ces études et sur celle des
- p.301 - vue 304/838
-
-
-
- 302
- LE DEVOIR
- résultats qu’elles visent; c’est un des intérêts vitaux d’une partie considérable des Etats de l’Union, et même du continent américain.
- LA PART DU FEU
- LES TERREURS DU ROURGEOIS PRUDENCE
- ET DE SON AMI FURIBÜS
- Par M.- L. GAGNEUR
- {Suite)
- — Je ne suis rien de tout cela; je suis un bourgeois comme toi. Je cherche simplement les moyens de conserver nos fortunes, d’assurer notre sécurité. Or, je crois qu’il est plus que temps de nous occuper de ceux qui souffrent et que c’est à la bourgeoisie de prendre l’initiative des justes réformes.
- — Nous payons des députés, des hommes d’Etat, pour faire nos affaires. Cela ne me regarde pas.
- — Cela ne te regarde pas! Hélas! c’est cette indifférence, cet aveuglement volontaire, qui perdront la bourgeoisie! Cela ne te regarde pas! Que celui dont le travail te nourrit et fournit à ton luxe, mange ou ne mange pas cela ne te regarde pas? Et la solidarité, mon cher?
- — La solidarité ! s’écria Furibus, dont l’œil étincela, dont les joues empourprées semblèrent prêtes à éclater, vas-tu à présent me parler de solidarisé ! Pourquoi pas aussi de fraternité? C’est avec ces grands mots vides de sens, qu’on exalte le peuple, qu’on perd les sociétés!
- — C’est avec ces mots-là qu’on les sauve!
- — Tu m’exaspères à la fin avec tes billevesées de philanthrope. Chacun pour soi, chacun chez soi! La fraternité ou la mort! J’aime mieux la mort!.., Ah! je suffoque!... Virginie, un verre d’eau!...
- — Malheureusement, mon pauvre Furibus, continua Prudence, beaucoup des nôtres pensent comme tu penses et c’est pourquoi le monstre nous dévorera. Les forts absorbent les faibles : d’après Darwin, c’est une loi de nature. Nos conventions économiques, qui favorisent la bourgeoise au détriment du prolétariat, en ont fait jusqu’à ce jour une loi sociale; mais voilà que les termes changent. Les forts maintenant, ce sont eux; les faibles, c’est nous. Ils sont vingt contre un, et quand ils voudront s’unir, — ils commencent à le comprendre, — force nous sera de plier. Ah! devant cette formidable menace, qu’est—ce que nos luttes politiques, nos embarras financiers? qu’est-ce que la menace même de la Prusse? La Prusse croulera comme nous, car le dragon est plus terrible et plus fort que Guillaume et Bismark. Tu as peur, n’est-ce pas? Moi aussi, j’ai peur. Or, la peur pousse aux concessions.
- — Enfin, explique-toi. De quelles concessions parles-tu?
- — Le capital a des privilèges...
- — Des privilèges? Déclamations que tout cela! L’égalité est la base de nos constitutions.
- — Sans doute, repartit Prudence, l’égalité est écrite
- dans nos constitutions; mais, en fait, elle n’existe pas. Bien plus, la plupart des conquêtes de 92 sont remises en question. La classe qui possède le capital, et qui s’appelle elle-même classe dirigeante, a su créera son profit certains avantages qui lui assurent la suprématie sur le prolétariat, et qui constituent de véritables privilèges.
- Ainsi, toutes les constitutions, dequis 89, ont reconnu le droit pour tous d’arriver aux emplois publics. Mais l’instruction secondaire, qui seule donne accès aux fonctions publiques et aux professions libérales, n’est abordable que pour les riches
- Ainsi ces mêm^s constitutions décrètent la proportionnalité de l’impôt; cependant les impôts de consommation, qui continuent à prévaloir, grèvent le pauvre proportionnellement beaucoup plus que le riche.
- Ainsi, la justice doit être la même pour tous. Mais le coût élevé des frais judiciaires la rend inaccessible, pour ainsi dire, aux pauvres gens.
- Ainsi, le suffrage universel lui-mème, cette première base de l’égalité, et que deuîx révolutions nous avaient conquis, la bourgeosie, effrayée du pouvoir qu’il donne au peuple, s’apprête, comme en 1849, à le restreindre.
- Ainsi, après nos désastres tout le monde reconnaissait la justice et la nécessité du service obligatoire pour tous. Mais, grâce au système de la substitution perfidement introduit dans la nouvelle loi militaire, l’impôt du sang continuera à être payé surtout par le peuple.
- Il est d’autres privilèges qui tiennent plus spécialement aux rapports du capital et du travail.
- Le capital ne continue-t-il pas à faire la loi au travail, à le retenir dans une sorte de servage, à lui imposer de dures conditions, que la misère l’empêche de discuter? Pendant quèles patrons se réunissent et se coalisent librement, n’entrave-t-on pas les réunions d’ouvriers ayant pour but la discussion de leurs intérêts généraux?
- Notre système de crédit ne favorise-t-il pas également le capital ? Tandis que le capitaliste emprunte à la Banque de France au taux de 3 à 7 pour cent, le travailleur, lui, en offrant pour gage ses effets les plus nécessaires, emprunte au Mont-de-Piété au moins à 12 pour cent.
- Nierâs-tu que ce ne soient là de véritables privilèges, de révoltantes injustices ?Or, ce sont ces privilèges, ces injustices, que la bourgeoisie devrait, dans son intérêt bien entendu, définitivement abandonner.
- — Non, rien, jamais ! riposta Furibus. Je ne reconnais que le droit tel qu’il est établi. Je tiens à mes vieilles idées tout aussi fortement que les hommes d’Etat qui nous gouvernent ; et, s’il faut mourir pour les défendre, je suis prêt.
- — Le droit établi ! Tu me fais pitié. Un grand politique l’a dit : « La force prime le droit. » Cela est vrai en fait, sinon en principe. Or, le monstre, je le répète, a la force pour lui.
- — Assez, assez, tes prédictions m’agitent la bile.
- — Père, dit Virginie, je suis de l’avis de M. Prudence. Je crois aussi qu’il vaudrait mieux faire des concessions.
- — Pourvu seulement, reprit Prudence, qu’il en soit
- p.302 - vue 305/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 303
- temps encore. La bourgeoisie de 72 remplace la noblesse de 89. Elle est aussi personnelle ; elle a la grandeur de moins. Quand la noblesse de 89 déposa ses vieux parchemins sur l’autel de la patrie, il était trop tard. Notre bourgeoisie ne cédera non plusses privilèges que le couteau sur la gorge. Pourvu, te dis je, que ce ne soit pas trop lard !
- — Mais, encore un coup repartit Furibus, ce n’est pas moi qui fais les lois.
- — Non, mais ce sont les députés que nous avons nommés, et qui représentent l’esprit étroit et personnel de la bourgeoisie actuelle.
- — Allons, allons, décidément, mon pauvre vieux, tu as l'imagination malade ; il taut soigner cela. En attendant, au diable ton hydre, tes monstres, tes cauchemars, et continuons notre partie, afin d’oublier un peu les sinistres balivernes que tu viens de me raconter ! Saperlotte ! n’avons-nous pas une armée qui saura contraindre ta goule à rentrer dans son terrain !
- — Soit, jouons, je le veux bien.
- Au moment où Furibus reprenait le cornet, un domestique entra et lui remit une dépêche télégraphique.
- — Bon ! dit-il, une dépêche du directeur de mon usine, une nouvelle tuile qui me tombe sur la tête : un rouage brisé sans doute, une machine éclatée.
- Il déploya fiévreusement le papier.
- La dépêche était ainsi conçue :
- « Les ouvriers se sont mis en grève ; ils demandent un franc de plus par jour et une heure de travail de moins. »
- A cette lecture, et malgré sa goutte, Furibus se leva. La colère avait vaincu la douleur. Il était blême, avec de larges plaques rouges. Les yeux semblaient lui sortir de la tête. Il suffoquait, et il ne put d’abord articuler que ces mots :
- — Virginie, ma cravate... de l’air... de l’eau... j’étouffe 1... Ma goutte !... Au secours !...
- Virginie et Prudence s’empressèrent à le secourir.
- — Ah ! je vais mieux ! Ce n’est rien, dit-il enfin. Vite, une plume ! une plume !
- 11 écrivit :
- « Ne cédez pas un centime î pas une minute ! »
- — Porte cela, ordonna-t-il à Virginie.
- — Voyons ! as-tu bien réfléchi ? demanda Prudence, qui arrêta le papier.
- — Est-il besoin de réflexion? Je ne veux pas céder, voilà tout. Je briserais plutôt mes machines de mes propres mains.
- — Alors tu laisserais chômer ton usine ?
- — Elle chômera.
- — Tes ouvriers crèveront de faim
- — Cela les regarde. Je n’élèverai pas leur salaire. Plus ils gagnent, plus ils gaspillent. Je leur donne six francs par jour, et ils les dépensent: s’ils en gagnaient que trois, cela n’arriverait pas (1).
- Prudence, ne trouvant rien à répondre à pareil raisonnement, se contenta de hausser les épaules.
- — Père, dit à son tour Virginie, songe donc que ces
- (1) Entendu de la bouche d'un député de la droite.
- pauvres gens ont des femmes, des enfants à nourrir...
- — Q’est-ce que cela me fait?
- — Ne t’entète pas, je t’en prie. Nous diminuerons un peu notre luxe. Je te promets de restreindre mes frais de toilette.
- — Non, non, laissez-moi, c’est mon dernier mot.
- Il sonna.
- Un domestique parut.
- — Portez sur-le-champ cette dépêche.
- Cependant Furibus continuait à exhaler sa fureur.
- — Eh bien, dit Prudence en souriant, reprenons-nous la partie ?
- — Non, non ! Dans T’état où je suis, c’est impossible. Ce qui ms révolte le plus, c’est l’ingratitude de ces gens-là, Je suis un patron modèle, j’aime mes ouvriers, je m’intéresse à leur sort.
- — En tout cas, c’est un fmour fort platonique, car tu ne vas jamais visiter ton usine.
- — Certes, c’est une affection de raison. Je me dis : voilà de pauvres diables qui contribuent à mon opulence ; je leur dois en retour de bons procédés. Je leur ai fait bâtir des habitations saines et commodes.
- — Que, par parenthèses tu leur loues assez cher.
- — N’ai-je pas fondé une cantine, une société de secours mutuels et de prévoyance?...
- — Oui, dans laquelle tu leur dénies toute direction.
- — Leur ai-je jamais refusé des avances, quand ce sont de bons ouvriers ?
- — C’est-à-dire quand tu n’as rien à perdre.
- — Et voudrais-tu que j’y perdisse?
- — Non sans doute mon ami ; seulement je cherche à expliquer l’ingratitude de tes ouvriers.
- — Oui, oui, ingratitude , je maintiens le mot.
- — Et ce sera toujours ainsi fatalement tant qu’on
- n’aura pas trouvé le moyen de faire cesser entre les capitalistes et les travailleurs la divergence ou, pour mieux dire, l’antagonisme des intérêts. Là est le problème que devraient chercher à résoudre, toute affaire cessante, nos hommes d’Etat et tous les esprits éclairés ; car il n’est si grand danger que celui de l’hydre aux millions de gueules, aux millions de bras. Pour mon compte, depuis mon fatal rêve, je lis, j’étudie, je cherche.
- — Toi !... toi !...
- — Positivement. Moi, Prudence, l’ancien viveur, léger, insouciant, je suis devenu sage. Je pense qu’au lieu de toujours écarter ce terrible problème du paupérisme, qui se dresse aujourd’hui si menaçant, il faut l’aborder résolument, pousser droit au monstre, lui arracher ses voiles. Nous, bourgeois, nous avons cru jusqu’à ce jour que la République, c’était là le vrai, le redoutable ennemi qu’il fallait combattre ; que ce gouvernement, par cela même qu’il favorisait le développement des libertés, était nécessairement fatal à l’ordre, et que la monarchie pouvait seule garantir cet ordre. Cependant, il en est des forces morales comme des forces matérielles : plus on les refoule, plus l’explosion est terrible. Vois ce qu’ont produit ces vingt années de despotisme impérial, ajouta-t-il en lui désignant les ruines. Une sage République, au
- p.303 - vue 306/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 304
- contraire, eût peut-être déjà résolu, par la liberté de discussion et d’association, eès grandes questions sociales ] qu’on a beau nier, qui existent, et qui menaceront l’ordre et la propriété tant qu’on n’en aura pas trouvé et appliqué la solution.
- — Ta, ta, ta ! sornettes débitées par les mécontents, les agitateurs !
- — Suis-je rien de tout cela? Non, je ne suis qu’un peureux comme toi. Seulement* il y a entre nous cette différence : c’est que la peur t’aveugle, tandis qu’elle m’a ouvert les yeux. Écoute : depuis quelques mois, tout ce qui a été écrit sur ce sujet ardu, je l’ai lu et médité.
- — Voilà donc pourquoije t’entends si souvent, la nuit marcher dans ta chambre ?
- — Sans doute. Je pense que nous n’avons même plus le temps de dormir si nous voulons prévenir la terrible crise.
- — Eh bien ! le résultat de ces profondes études?... Prudence se leva et arpenta le parquet à grand pas.
- —- C’est inutile, dit-il, tu ne saurais me comprendre. — Tu me regardes donc comme un imbécile ?
- — Non, mais comme un vrai bourgeois tout emmail-lotté dans les préjugés de ton temps.
- — Je me regarde, moi, tout bonnement comme un homme sensé, peu accessible en effet aux billevesées des socialistes, de ces prétendus philosophes qui veulent bouleverser, sous prétexte de régénérer.
- — Alors, a quoi bon te dire le résultat de mes réflexions ?
- — Tu serais donc devenu, toi aussi, un songe-creux ? — Au contraire, j’ai observé, étudié, en me plaçant en face de la réalité, et j’ai sondé la plaie, le scalpel à la main. Les songe-creux, c’est vous, qui ne voulez pas voir la situation telle qu’elle est, qui vous entretenez dans vos illusions et qui croyez que réprimer les aspirations des masses, étouffer les questions sociales, c’est assurer votre tranquillité.
- — Ah ! la situation, la question, je les connais aussi bien que toi ! Les aspirations des masses, c’est l’éternel :
- « Ote-toi de là que je m’y mette. »
- — Non, mon cher, les aspirations des masses, c’est : répartition plus équitable des charges sociales, des avantages sociaux et des produits du travail. Capital et travail, tel est actuellement le plus brûlant, le plus irritant des dualismes. A qui la faute si ce dualisme prend aujourd’hui le caractère d’une guerre sociale, comme l’antagonisme de la liberté et du pouvoir, de l’égalité et du privilège, a causé et cause encore nos révolutions politiques ? La faute, encore une fois, en est à la bourgeoisie, qui oublie l’histoire de sa propre émancipation, et qui imite, à l’égard des prolétaires^ des salariés, l’aveugle et fatale conduite que la noblesse et le clergé tenait autrefois envers elle.
- — Et moi, repartit Furibus avec véhémence, je prétends qu’il n’y a aucun rapport,aucun, aucun.
- — C’est-à-dire que la situation est pire. 89 a affranchi le paysan de la féodalité territoriale. Mais tandis que la situation des paysans s’améliorait, celle des ouvriers empirait par le développement des grandes manufactures ; car,
- en perdant leurs instruments de travail, ils perdaient l’indépendance. En effet, le nouveau système industriel, qui tue les petites industries et concentre en quelques mains les instruments de travail, fonde nécessairement une nouvelle féodalité aussi oppressive que la féodalité de la terre. Qu’importe qu’il crée quelques grandes fortunes, si, malgré L’élévation apparente des salaires, il accroît la misère et la servitude du grand nombre !
- — Misère, servitude ! Pourquoi pas esclavage ? Je les sais par cœur, les grands mots de cof philanthropes, qui n’ont jamais observé les oiu riers que dans leurs livres. Vois donc ce qui se passe dans mon usine. N’ont-ils pas trop de liberté, puisqu’ils peuvent se coaliser, se mettre en grève, ruiner leur patron, entraver l’industrie ?
- — Qu’est-ce que ce droit de coalition, sans le droit de réunion et d’association ? Et que peuvent-ils, je le répète contre la coalition des patrons, bien plus facile et plus puissante que la leur ?
- — Et tu voudrais changer cela ? s’écria Furibus, dont les yeux étincelèrent, tu les voudkais plus puissants que les patrons !
- — Écoute, mon pauvre Furibus, je ne veux rien, je constate. Je crois que nous sommes à un moment de suprême crise ; je crois qu’on pourrait la diriger, mais non l’empêcher, car telle est la marche nécessaire des choses. Prête-moi toute ton attention ; c’est de la haute politique.
- (A suivre.)
- — ---------------— «—-4i——» -• --:--------------
- État civil du Familistère.
- Semaine du 26 Avril au 2 Mai 1886. Naissances :
- Le 26 Avril de Maillet Désirée, fille de Maillet Clovis et de Pesant Hortense.
- Le 30 Avril de Henry Hélène Blanche, fille de Henry Alcide et de Ducrot Marie.
- Décès:
- Le 1er Mai de Desgagny Eugénie, fille de Desgagny Eugénie et de Holot Louise.
- -------------------. . ♦ « .----------------------
- L’Astronomie, Revue mensuelle d’Astronomie populaire, de Motéorologie et de Physique du globe, parM. C. Flammarion. — N° de mai 1886. Les planètes et les métaux dans l'alchimie ancienne, par M. Berthelot.
- — Les aurores boréales (suite). — Passage de la planète Mars et de ses satellites devant le Soleil, pour Jupiter. Académie des Sciences. Comparaison des résultats de l’observation astronomique avec ceux de la photographie, par M. C. Flammarion. — Nouvelles de la Science. Variétés : Concours pour la Réforme du Calendrier. Lés comètes Fabry et Barnard. Tache solaire photographiée au bord du disque. Bolide lent. Curieux effets de la foudre. — Observations astronomiques. (Gau-thier-Yillars, quai des Augustins, 55, Paris.)
- Le Directeur Gérant : GODIN
- juise.— Imp Baré
- p.304 - vue 307/838
-
-
-
- 10e Année, Tome 10.— N" 40 i_________ Le numéro hebdomadaire 20 c. Dimanche 16 Mai l 886
- Lw^am ss«i W i^ü®.
- S &ÿÊ& f
- REVUE DES QUESTIONS SOCIALES
- BUREAU
- a GUISE (Aisne
- Toutes les commuaications et réclamations doivent être adressées à M. GODIN, Directeur-Gérant Fondateur du Familistère
- ABONNEMENTS PAYABLES D’AVANCE
- par l’envoi, soit au bureau de Guise, soità celui de Paris de timbres-poste ou de mandats de poste, dont le talon sert de quittance.
- France
- Union postale
- ON S’ABONNE
- A PARIS
- , rue Neuve-des-Petits-Champs Passage des Deux-Pavillons
- On an ... 10 fr. s>» Six mois. . . 6 »»
- Trois mois , 3 »»
- On an.
- On an.
- . . 11ir. v» Autres pays . . . 13 fr. 60
- S’adresser à M. LEYMARIE administrateur delà Librairie des sciences psychologiques.
- ' SOMMAIRE
- Les Réformes parlementaires.— La Presse étrangère et l’Association du Familistère.— En Belgique .— Les Projets de Réformes.— Le budget d’un ouvrier.— Enquête aux États-Unissur les rapports du Travail et du Capital.— Faits politiques et sociaux de la semaine.— La Question sociale et les Possibilités socialistes.— Offre d’emplois.— La Grève.— Séparation de l’Église et de l'État.— La viltede Bourganeuf éclairée h la lumière électrique .— La Part du Feu.
- LES
- RÉFORMES PARLEMENTAIRES
- Quiconque juge superficiellement trouve naïf d’entendre parler de réformes parlementaires, lorsque les corps délibérants font preuve d’une impuissance comparable à celle constatée en France.
- Cependant, quoiqu’on puisse penser de la stérilité parlementaire, il n’est pas moins acquis que les réformes proviendront de l’étude, de la discussion, et que cette discussion aura lieu dans dos assemblées représentatives délibérantes; adopterait-on le système de la souveraineté directe, il faudrait toujours un centre dans lequel seraient préparés et élaborés les projets à soumettre au suffrage de la nation,
- Le perfectionnement même de ces assemblées est donc chose de première importance
- En France, un groupe de députés, réunis par Henry Maret, vient dp déposer un projet de loi
- \ apportant de grandes modifications au règlement actuel de la Chambre, en vue de la mettre en situation d’accompür sa mission.
- L’idée est excellente.
- Attiendra-t-on le but? c’est un autre affaire.
- L’impuissance de la Chambre n’est pas seulement attribuable à l’imperfection de ses règlements; elle s’explique aussi parlesvices originels de sa constitution et par les défauts de ses mem bres, presque tous gens sans vigueur, sans" principes, ayant perdu dans la lutte des intérêts tout amour du bien et le sentiment des réformes dues au peuple.
- Malheureusement, les projets relatifs à Famélio-ration morale des membres de la Chambre seraient vaines utopies ; les quelques hommes de bonne volonté, perdus dans le troupeau parlementaire, ne peuvent que s’attaquer aux choses susceptibles d’être modifiées par leur initiative.
- Le règlement des travaux de la Chambre sont articles perfectibles parles députés eux-mêmes nous devons approuver ceux qui entreprennent cette révision salutaire, mais pas sans leur dire la vérité.
- La principale modification visée par les promoteurs de cette révision est d’introduire, clans ia pratique parlementaire, ia formation de grandes commissions permanentes, ayant chacune mission de réunir et d’examiner les projets de loi se rattachant à une question générale d’administration publique.
- Ce changement, s’il est adopté par la majorité, facilitera le travail parlementaire; les députés in-
- p.305 - vue 308/838
-
-
-
- 306
- LE DEVOIR
- dolents auront moins d’embarras pour suivre les questions qui les intéressent ; cette facilité aura même le résultat d’en initier un grand nombre aux idées de réforme et de leur donner peu à peu le désir de s’en occuper activement ; mais, pour produire tous leur effet salutaire, les commissions parlementaires permanentes devraient fonctionner dans une Chambre, elle-même permanente, réforme facile à obtenir par le renouvellement annuel par moitié des corps élus.
- La plupart des signataires du projet Henry Maret sont au reste acquis à l’idée du renouvellement partiel annuel.
- Voici les principales innovations proposées par les auteurs de ce projet.
- Au début de chaque session ordinaire, la Chambre des députés se partage en six commissions.
- Les dix commissions prennent les dénominations suivantes :
- 4° Commission de l’intérieur et des cultes;
- 2° Commission des affaires étrangères et des colonies ;
- 3a Commission de la guerre et de la marine ;
- 4° Commission du travail et de l’Assistance publique ;
- 5° Commission des travaux publics ;
- 6° Commission du commerce ;
- 7° Commission de l’agriculture;
- 8° Commission de l’instruction publique et des beaux-arts;
- 9° Commission de la justice et de la législation civile et criminelle ;
- 10° Commission des finances.
- Dans chaque bureau les députés désigneront, sur un registre spécial, celles des Commissions dont ils désirent faire partie en indiquant l’ordre de leurs préférences.
- Chaque commission se compose de cinquante membres au minimum et de soixante au maximum. Le bureau de la Chambre fixe à l’avance le nombre de commissaires à élire d’après la répartition des 584 députés.
- Les commissions restent en exercice pendant une année.
- Le gouvernement ou l’auteur d’une proposition désigne la commission à laquelle il désire que son projet ou sa proposition soit renvoyée.
- Le procès-verbal de chaque séance mentionne le nom des membres présents.
- Voilà un dernier article, dont la nécessité malheureusement urgente en dit bien long en peu de mots sur l’affaissement moral de nos représentants.
- Les auteurs de ce projets font valoir que son adoption permettrait de sérier les réformes, en réunissant dans les mêmes commissions tous les projets se rattachant à la même idée générale. 11 est certain que cette division du travail ne peut manquer d’avoir d’excellents effets.
- Un autre résultat, non moins pratique, serait de pouvoir réunir dans la même commission des hommes ayant quelques préférences et quelques aptitudes pour les questions assignées à cette commission.
- Pourapprécier les avantages de ces modifications, il suffit de savoir de quelle façon fonctionnent les commissionsactuelles sous le règlement en vigueur.
- Tous les mois, la Chambre se divise en bureaux par le tirage au sort; lorsqu’un projet déposé à la Chambre est renvoyé à l’examen d’un bureau, ce bureau nomme la commission qui devra l’étudier.
- Or, le tirage au sort distribue dans le même bureau diplomates, administrateurs, financiers, militaires, légistes, industriels,commerçants,etc.,etc.
- Dès que le bureau est constitué, les éléments disparates qui le composent s’empressent de ne point assister aux réunions, sachant qu’ils n’auront aucune occasion de collaborer à des œuvres suivant leurs goûts et leurs aptitudes, avec des hommes ayant quelque compétence.
- De la sorte, le petit nombre de députés réguliers aux réunions des bureaux deviennent les commissaires forcés des projets le plus divers ; et, soit par excès de travail, soit par défaut de connaissances thecniques.ils laissent sans les rapporter un grand nombre de propositions, et beaucoup sont rapportées trop tardivement.
- Ce sont ces pratiques qui nous ont habitués à considérer comme enterrée toute proposition qui n’est pas déclarée d’urgence dans la prise en considération de la Chambre.
- Hélas, le projet que nous venons d’analyser et celui de renouvellement partiel déposé par les députés de l’Aisne n’ont pas ce caractère d’urgence qui peut seul en garantir l’étude par nos honorables.
- Tous ceux qui savent combien il serait nécessaire que le parlement s’appliquât à la solution des réformes sociales constateront, douloureusement, cette imperfection des règlements et l’indifférence de nos législateurs pour une proposition destinée à les mettre à même de travailler fructueusement.
- Comment espérer quelque chose d’une Chambre incapable de se donner un réglement rationnel.
- p.306 - vue 309/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 307
- LA PRESSE ÉTRANGÈRE
- et l’Association du Familistère
- Demorest’s monthly Magazine, New-York, dans son numéro de Mai courant, contient une remarquable étude intitulée :
- Le Familistère de Guise, France.
- Cette étude est complétée de gravures faites avec une grande délicatesse et représentant :
- 1° La vue générale des palais d’habitation du Familistère,
- 2° La cour intérieure du pavillon central un iour de fête ;
- 3° L’intérieur de la nourricerie ;
- 4° Les jardins entourant la nourricerie ;
- 5° Les bâtiments scolaires.
- L’article commence par exposer les faits principaux de la vie de M. Godin ; puis, il décrit les mesures architecturales des palais d’habitation et l’organisation des services sociaux au Familistère,
- La nourricerie, les écoles, les magasins coopératifs, les différents corps constitués : sociétés musicales et autres, tout est passé en revue.
- L’article expose ensuite les bases fondamentales de l’Association, la constitution du pouvoir administratif, les règles qui président à la répartition des bénéfices, etc., etc.
- Il mentionne que le Familistère possède un organe spécial : Le Devoir et en indique la ligne de conduite.
- •¥• *
- Houston daily Post, dans son numéro du 16 mars dernier, reproduit une grande partie de l’étude publiée en janvier dernier, par le Times de Londres, sur le Familistère.
- * *
- Dallas daily Times, du 23 février dernier, contient également un assez long exposé des faits principaux ^réalisés au Familistère de Guise, pour la rénovation du sort des travailleurs.
- The Iron Monger de New-York, vient de publier, de son côté,un article des plus sympathiques décrivant l’œuvre du Familistère.
- Cet article nous a été envoyé par M. Barns, l’Editeur de The Age of Steel (l’Age d’acier), de St-Louis, le journal renommé instigateur de l’Enquête dont nous donnons un résumé dans nos colonnes.
- The Age of Steel lui-même, en citant de temps en temps le Devoir, contribue à tenir en éveil l’opinion publique sur les faits dans l’association du Familistère, pour l’amélioration du sort des classes laborieuses.
- * *
- Dans un journal de Londres : The City Press, en date du 7 avril defnier, nous lisons :
- L’assemblée mensuelle ordinaire des membres de Carlyle Society eut lieu le 2 courant, à l’hôteî d’Anderson, sous la Présidence du docteur Oswald.
- L ordre du jour comportait un discours de M. Pagliardini. *
- i L’orateur, qui, depuis plus de 40 ans, défend la cause de la coopération a fait un exposé du Familistère de Guise, cette œuvre due à M. Godin, l’un de ces chefs d’industrie au grand cœur qui ont pratiqué sur une large échelle le système de la participation des bénéfices entre le travail et le capital.
- Le plan innové par M. Godin conduit à ce résultat remarquable qu’à un moment donné le cap tai de la colossale association du Familistère de Guise sera passé aux mains des travailleurs actifs, le fondateur ayant été remboursé successivement de son capital de fondation, à mesure que s’opéraient, chaque année, les inscriptions d’épargnes revenant comme part de bénéfices à chacun des membres de l’association.
- Pendant une heure et demie, M. Pagliardini a tenu ses auditeurs sous le charme, en leur racontant les incidents de la vie de M. Godin et les faits principaux des conditions de l’existence dans les palais sociaux où résident les membres de l’association du Familistère.
- Plusieurs personnes dans l’auditoire, au courant elles-mêmes des faits réalisés au Familistère, ont appuyé cordialement M. Pagliardini dans ses informations ; et le président a rappelé que Carlyle, le fondateur de leur société, avait prévu que des sociétés analogues à celle du Familistère étaient dans les probabilités de l’avenir,
- "*
- * *
- Fermons la liste des journaux étrangers qui, à notre connaissance, se sont récemment occupés de notre association en citant :Helsingfors Dagblad, Finlande, Russie, qui, dans son numéro du 29 mars indique brièvement ce qu’est l’association du Familistère.
- En Belgique.
- RÉSOLUTIONS
- DU CONGRÈS OUVRIER DE GAND
- Voici les résolutions adoptées par le Congrès des ouvriers socialistes belges sur les principales questions à l’ordre du jour :
- Législation internationale, du travail
- Le Congrès, après avoir discuté la question de la nécessité d’une législation internationale en faveur du travail, estime ;
- 1° Que cette question est de la plus haute importance au point de vue du bien-être physique et moral des travailleurs et que sa solution aurait un heureux résultat, non-seulement pour améliorer la condition hygiénique de la population ouvrière mais encore pour atténuer les effets de la crise économique qui, elle aussi, est internationale ;
- 2° Que cette législation internationale devrait porter sur tous les points qui intéressent le travail et les travailleurs, et notamment supprimer le travail des enfants ; réglementer le travail des adolescents et des jeunes gens, en combinant l’apprentissage du métier manuel avec la continuation de l’instruction ; interdire le travail de la femme dans les industries où il est incompatible avec la nature de la femme ; fixer une journée normale de travail pour les adultes ; contrôler sérieusement l’hygiène des ateliers, usines et mines, ainsi que l’emploi des substances toxiques dans l’industrie; réglementer, dans U mesure que comporte Futilité sociale, l’introduction
- p.307 - vue 310/838
-
-
-
- 308
- LE DEVOIR
- de nouveaux procédés industriels capables de bouleverser l’industrie en jetant des masses d'ouvriers sur le pavé, etc., etc.;
- 3° Qu’ii y a lieu de mettre le gouvernement belge en mesure de seconder le gouvernement suisse dans l’initiative prise par ce dernier, pour la mise en vigueur d’une législation internationale du travail ;
- 4° Que le Parti ouvrier belge ém3t le vœu de voir un Congrès international de travailleurs se réunir surtout en vue d’examiner cette question, et confie à son conseil général le soin de s’entendre avec les partis ouvriers et socialistes des autres pays pour la tenue de ce Congrès international ;
- 5° Qu’il est urgent de pousser à la Fédération internationale des unions ouvrières de chaque métier, pour bien se renseigner sur les conditions du travail dans chaque pays, sur les remèdes à y apporter et sur les divers points que devrait embrasser un Code international du travail.
- Adopté à l’unanimité.
- La crise économique
- Au sujet de la crise économique qui sévit sur le monde entier, le Congrès estime :
- 1° Que la crise a pour cause primordiale un manque d’équil bre entre la production et la consommation, la première ayant été poussée à outrance grâce au machinisme et aux progrès techniques de tous genres, et la seconde,au contraire, se restreignant à mesure que les travailleurs voient diminuer leurs ressources et, par suite, leur puissance d’achat;
- 2° Que ce manque d’équilibre provient de ce que la production se fait aujourd’hui plus ou moins au hasard, sans aucun plan d’ensemble, vu que les appareils de la production et Lur emploi dépendent du caprice, de l’arbitraire ou des intérêts immédiats, bien compris ou mal compris, des détenteurs de la terre et des instruments du travail ;
- 3° Que, par conséquent, un équilibre stable ne pourra s’établir qu’en réalisant une organisation sociale où la terre et les instruments de travail seront aux mains de la Société, de façon que celle-ci puisse régler elle-même méthodiquement sa production sur les besoins de la consommation, indiqués par la statistique;
- 4° Que ce mode d’appropriation (collective) du sol et des instruments de travail exige l’intervention des groupes de travailleurs, de façon que la production sociale amène en même temps la juste répartition des richesses sociales.
- Au sujet de la question spéciale de la crise des charbonnages et des carrières, en Belgique, le Congrès estime qu’il y a lieu d’appliquer le plus tôt possible les idées émises dans les résolutions générales ci-dessus, en mettant en pratique la double mesure suivante :
- » Reprise des mines par l’Etat ;
- » Organisation de chambres syndicales d’ouvriers mineurs, qui traiteraient avec l’Etat pour l’exécution du travail des mines.
- Admis à l’unanimité.
- Chambres sydicales ouvrières
- Sur la proposition du délégué des tailleurs de Bruxelles, le Congrès vote une résolution qui confie la constitution des chambres syndicales de femmes aux associations d’ouvriers
- ’-Trienant aux ;n du stries similaires, Ainsi, sera confié â
- l’Association des ouvriers tailleurs le soin de fonder une chambre syndicale de giletières, de couturières et tailleuses, etc. Cela, bien entendu, tout en secondant l’initiative des femme s qui, à l’instar des repasseuses de Bruxelles, se constitueraient spontanément en association.
- Propositions et vœux divers
- Un délégué d’Alost a proposé des résolutions en faveur de l’impôt progressif sur le revenu et de l’impôt sur l’héritage; il voudrait également voir l’Etat faire des avances de capitaux aux sociétés coopératives ouvrières. La discussion de ces questions a été renvoyée à un Congrès ultérieur.
- Sur la proposition du mineur Fauviau, arrêté arbitrairement lors des récents événements, le Congrès à voté qu’il y a lieu de réclamer la mise en accusation du général Vander Smissen, lequel a violé les lois et la Constitution par des fusillades sans sommation et autres mesures.
- Adopté à l’unanimité,
- Des -adresses de sympathie seront envoyées aux citoyens Oscar Falleux, secrétaire de l'Union verrière, de Charle-roi, qui se trouve détenu arbitrairement dans la prison de Charleroi, et Ad. Tabaraut expulsé récemment du pays pour sa collaboration au Peuple, journal quotidien du Parti ouvrier.
- Puis le Congrès émet un vote de protestation contre toutes les expulsions d’étrangers faites à propos des récents événements du pays wallon.
- Un membre propose d’émettre le vœu de voir bientôt l’union s’établir entre toutes les fractions du Parti ouvrier et socialiste de France, comme elle existe en Belgique. Divers délégués proposent d’élargir ce vœu en le généralisant, c’est-à-dire en l’étendant à tous les pays.
- Adopté à l’unanimité.
- Enfin, pour terminer ses travaux, le Congrès a voté à l’unanimité l’ordre du jour suivant, présenté par Louis Bertrand :
- « Le Congrès ouvrier belge, réuni à Gand, les 25 et 26 avril 1886 :
- » Vu les événements qui viennent d’ensanglanter le pays ;
- » Considérant la situation misérable des classes ouvrières en Belgique et l’indifférence des gouvernants libéraux et catholiques pour tout ce qui regarde cette situation ;
- » Considérant le défaut d instruction de la masse des travailleurs, lequel également est le fait du gouvernement;
- » Considérant le défaut d’organisation des ouvriers, dû en grande partie aux industriels qui défendent à leurs salariés^ sous peine de renvoi, de faire partie de groupes constitués dans le but de discuter leurs intérêts;
- » Le Congrès, tout en regrettant les événements de Liège et de Charleroi, déelare le gouvernemeat responsable de ces troubles, envoie ses sympathies à ses malheureux frères de misère de ces contrées, proteste contre la répression sauvage ordonnée par le gouvernement et contre les illégalités commises par le sieur général Vander Smissen ;
- » Déclare égalementque la commission d’enquête, nommée par le gouvernement, est inutile ; mais qu’il y a lieu de prendre des mesures immédiates pour améliorer la situation des ouvriers et accorder à ceux-ci le droit de suffrage, afin de ne plus voir se renouveler les désordres récents, et passe à l’ordre du jour.'»
- p.308 - vue 311/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 309
- * •¥•
- Ce Congrès, qui fait deouis huit jours l’objet de nombreux articles dans toute la presse belge, marque une nouvelle étape dans la vie du Parti ouvrier en Belgique. Par le nombre imposant de ses adhérents, le Parti ouvrier belge est une force avec laquelle le pouvoir et les classes dirigeantes se voient obligés de compter ; ils le reconnaissent eux-mêmes.
- G. de Paepe.
- Les Projets de Réformes.
- À la suite des émeutes ouvrières, le gouvernement belge semble résolu à s’occuper activement des mesures propres à prévenir le retour de semblables événements.
- Le programme de la commission du travail industriel et la proposition des ministres relative à la formation de 1 industrie et du travail dénotent chez les gouvernants belges des préoccupations nouvelles ; il serait désirable de voir les autres gouvernements entrer dans la même voie.
- La commission du travail industriel, instituée par le gouvernement pour étudier la situation des classes laborieuses et de l’industrie en Belgique, s’est réunie en séance non publique, sous la présidence de M. Eudore Permez, ministre d’Etat, et, après s’être divisée en 4 sections, a arrêté le programme suivant :
- La première section, dite «de la statistique générale» s’occupera d’un objet unique : recherche sur la situation actuelle des classes laborieuses et de l’industrie comparée à la situation d’autrefois et à celle des pays étrangers.
- La deuxième section, dite « des rapports entre le capital et le travail » aura dans ses attributions les objets suivants : moyens propre à améliorer les rapports entre le travail et le capital, conseils de prud’hommes, chambres de conciliation, bourses et marchés du travail, système de participation aux bénéfices, responsabilité des patrons en matière d’accidents, système d’assurance des ouvriers.
- La troisième section, dite « de la condition matérielle des travailleurs », aura le programme suivant : amélioration de la situation matérielle des classes laborieuses, sociétés de secours mutuels, caisses de prévoyance, sociétés coopératives constructions de maisons ouvrières, caisses d’épargne, déplacement à l’intérieur, émigration, immigration, introduction d’industries nouvelles.
- La quatrième section, enfin, dite « de la condition morale des travailleurs », s'occupera des objets qui suivent : amélioration de la situation morale des classes laborieuses, alcoolisme, travail des femmes et des enfants, enseignement professionnel, écoles ménagères-
- Comme ce vaste programme, qui renferme presque toutes les réformes sooiales de notre époque, réclame une étude approfondie, la commission n’aura pas terminé sa tâche avant la fin de l’année.
- ^ Voici le texte de la proposition de loi que M. Frère-Orban a soumise à la Chambre des représentants et qui a été renvoyée aux bureaux.
- Art. l«r.— h est institué, dans chaque commune oû la
- nécessité en est reconnue par un arrêté royal, un conseil de l’industrie et du travail.
- Art. 2.— Il se compose d’autant de sections qu’il y a d’industries distinctes dans la commune.
- Art. 3 .— Le conseil est foimé en nombre égal de chefs d’industrie et d’ouvriers. Ce nombre est fixé par l’arrêté royal qui institue le conseil. 11 ne peut être inférieur à 4 ni supérieur à 12.
- Art. 4.— Les ouvriers*choisissent, par les voies indiquées pour la nomination des conseils de prud’homme, les délégués au conseil et leurs suppléants.
- Art. 5.— Si les chefs d’industrie sont en nombre plus considérable que le nombre fixé par l’arrêté royal, ils procéderont à un scrutin.
- Art. 6.— Le mandat des ouvriers sera de cinq années.
- En cas de décès ou de démission, les suppléants siégeront. Si les suppléants manquent, il sera procédé à un nouveau scrutin.
- Art. 7.— Le conseil se réunira au moins une fois par an. La durée de la session sera fixée par la députation perma nente.
- 11 pourra y avoir aussi des sessions extraordinaires.
- Art. 8.— Le conseil sera présidé par le bourgmestre, qui pourra se faire remplacer par un échevin ou un conseiller communal. Le conseil choisira dans son sein un secrétaire
- Art. 9.— Lorsque le caractère d’une grève paraît l’exiger, le conseil se réunit et examine les moyens de conciliation. Si l’accord n’est pas établi, un procès- verbal le constate.
- Art 10.— Le roi peut réunir les conseils de l’industrie et du travail en assemblée plénière et les charger de discuter des questions d’intérêt général.
- Art. 41. — L’arrêté royal qui convoque l’assemblée plénière indique l’ordre du jour dont on peut s’écarter.
- Art. 42.— Le gouvernement peut nommer un commissaire pour le représenter au sein d’un conseil.
- Art. 13.— Les locaux seront fournis par les commune
- Art. 14.— Une indemnité par jour de session sera pay< aux membres du conseil. Là députation permanente en fixera le montant, qui ne pourra être inférieur à la plus forte journée de travail de l’ouvrier.
- Le Budget d’un ouvrier.
- Un de nos confrères, dans un centre minier, publie les réflexions suivantes à l’occasion d’une excursion dans les dépendances d’un haut fourneau.
- Des hommes changés en bêtes de somme traînent péniblement pendant douze heures consécutives de lourdes brouettes remplies de minerai ou de charbon. La brouette de minerai pèse 600 kilos, la brouette de charbon pèse 300. Pour compenser cette différence, les compagnies ont l’intelligence de placer le charbon à une distance au moins double de celle du minerai, de sorte que les efforts qui ne sont pas accomplis en poids le sont en distance.
- Voici une courte conversation avec un de ces parias :
- Vous faites un métier bien pénible?—Que voulez-vous, il faut bien gagner sa vie. — Combien gagnez-vous ?— Trente centimes par heure. — Et vous travaillez combien d’heures par jour ?— Douze heures.— Cela vous fait 3 fr. 60 par
- p.309 - vue 312/838
-
-
-
- 310
- LE DEVOIR
- jour.—Oui.— Vous n’êtes pas marié?— Pardon.— Votre femme gagne-t-elle aussi ?— Oh ! elle n’a guère le temps; elle est brodeuse,et quand elle a soigné les deux mioches, lavé le linge, fait le ménage elle parvient encore à rapporter dix sous par jour.
- Il nous faisait ces réponses sur un ton triste et tranquille comme un homme qui n’espère plus guère améliorer son sort.
- Il nous renseigna sur toutes ses dépenses et finit par nous avouer qu’au lieu de pouvoir mettre quelques sous de côté, il avait à la fin de chaque année des dettes de plus en plus criardes. Voici d’ailleurs le budget de cet ouvrier, tel qu’il résulte des renseignements fournis par lui :
- RECETTES
- 300 journées de l’homme à 3 fr. 60. . . 1.080 fr.
- 300 — de latemme à 0 fr, 50. . . 150 »
- Total. . . . 1.231 »
- Dépenses (pour 4 personnes)
- Pain, par jour............... O 80
- Viande, 1/2 kilo des bas morceaux,
- m lard . ,.......................... O 75
- Vin (remplacé par l’eau, excepté le
- dimanche).................... » »
- Beurre, lait, fromage .... O 40
- Légumes......................... O 30
- Total des dépenses journalières . 2 25
- 365 jours à 2 fr. 25.....................
- Loyer. . . ,.........................
- Vêtements et linge ,..................
- Chaussures .........
- Vin (une fois par semaine) ..............
- Savon, éclairage.........................
- Chauffage................................
- Total. . . 1.291 25
- '-------------------- • -----------------------------
- ENQUÊTE AUX ÉTATS-UNIS SUR LES RAPPORTS DU TRAVAIL ET DU CAPITAL 0)
- XIII
- M. C S. Byrkït Esq. ouvrier à Des Moines la, commence ainsi sa déposition :
- « La solution équitable des rapports entre le travail n’est plus aujourd’hui une question locale, elle est d’importance nationale et discutée dans le monde entier.
- « Le temps où le capital était roi sans conteste et le travail regardé comme son inséparable vassal s’efface rapidement. La liberté de pensée, la liberté de parole, l’instruction pour tous, garanties populaires inhérentes à une République libérale, intelligente et progressive, ont donné leurs
- (1) Lire le Devoir depuis le 7 février 1886, excepté les numéros des 18 avril et 9 mai.
- fruits. Le travail est aujourd’hui reconnu l’égal du capital et il réclame son droit à l’attention sociale.»
- Le déposant conclut en recommandant l’arbitrage comme moyen de résoudre les conflits entre travailleurs et chefs d’industrie.
- * *
- Déposition de VHonorable Lorin Blodget de Philadelphie. (Résumé)
- « l9 — Les grèves et les fermetures d’atelier sont des moyens de défense extrêmes auxquels il faut bien avoir recours quand on ne peut obtenir justice autrement.
- « Lés grèves auront ce bon résul tat d’obliger les patrons à recourir à un meilleur principe d’administration industrielle que celui de réduire les salaires pour se mettre en mesure de vendre leurs produits à meilleur marché, système qui n’assure pas plus la prospérité des patrons que celle des ouvriers.
- « 2° — L’arbitrage est un admirable moyen de résoudre les difficultés en temps ordinaire ; mais il est absolument inefficace en temps de crises industrielles, où le marché fait totalement défaut, où les fabricants ne sont plus du tout en état de payer les ouvriers. »
- Le déposant continue en faisant ressortir les difficultés du régime industriel actuel, sans indiquer d’autre moyen pour en sortir que l’institution d’une sorte de tribunal pouvant, dans certains cas,régler les conditions du travail et le taux des salaires, afin d’éviter de criants abus.
- * *
- Le professeur Georges B. Newcomb, du collège de New-York, donne aux chefs d’industrie les conseils suivants :
- « Mettez les ouvriers que vous jugez dignes de coopérer utilement à vos travaux dans les meilleures conditions possibles d’être heureux et bien portants. Donnez-leur, non pas le moins possible de salaires, mais le plus possible, et ne vous croyez pas quittes envers eux par le paiement des salaires seuls.
- « Après le relevé des comptes d’un exercice et l’estimation des bénéfices réalisés, prélevez sur ces bénéfices les intérêts dus au capital, les réserves de sage prévoyance, la part légitimement due aux travaux de Gérance et d’administration, puis, cela fait, appelez les ouvriers à se répartir une belle somme des bénéfices restants, au prorata des gains annuels de chacun. »
- Le déposant s’applique à faire ressortir que de
- 821 25 100 » 100 » 50 » 50 » 50 » 40 »
- p.310 - vue 313/838
-
-
-
- LE DEVOIB
- 311
- telles pratiques, conformes à l’équité et respectant l’être humain dans la personne du travailleur, établiraient dans lemonde industriel la confiance et la cordialité qui font défaut, aujourd’hui, sous l’empire des rudes procédés conseillés par la rapacité et la convoitise.
- * *
- M. J. H. Burtt, de Wheeling W. Va, chef d’une des nombreuses ligues de travailleurs qui existent aux Etats-Unis, s’exprime comme suit :
- « 1° — Les grèves se produiront tant que le régime du salariat se maintiendra ce qu’il est. Le capital se place dans l’industrie pour toucher des dividendes, le travail pour se procurer le salaire ; tant que la production ne sera pas commandée par autre chose, il y aura conflit entre les salaires et les dividendes.
- «2° — L’arbitrage ne peut être qu’un expédient temporaire. Il ne signifie pas autre chose qu’un accord momentané entre patrons et ouvriers suivant les conditions du marché ; il ne peut rien fixer pour l’avenir.
- « La véritable solution du problème social sera, au contraire, celle qui écartera d’une façon définitive toute cause de conflits entre travail et capital.
- « 3°, 4e, 5° — La participation des travailleurs dans quelques iudustries spéciales, pas plus que la coopération productive, ne recèle la solution du problème, si les capitaux seuls placés dans l’entreprise se répartissent J es bénéfices à titre de dividendes.
- « La solution viendra par les Trades-Unions et par la discipline des ouvriers agissant en vue de la défense de leurs intérêts mutuels.
- « Les Trades-Unions savent aujourd’hui qu’elles ne peuvent commander les cours des marchés. Ce sont les capitalistes qui les commandent à travers leurs luttes intestines et leur concurrence à la poursuite des bénéfices ; ils opèrent, chaque fois qu’ils le peuvent, la réduction des salaires pour combler les pertes auxquelles ils consentent ' afin de garder la suprématie sur les marchés.
- « Les Unions ouvrières s’efforcent maintenant d’installer un système de résistance par lequel elles assureraient un taux fixe et permanent des salaires, et obligeraient le capital à subir les fluctuations que le travail seul a subies jusqu’ici.
- « Les ressources des Trades-Unions dépassent aujourd’hui le nécessaire pour soutenir les ouvriers en grève. D’un autre côté, le progrès intel-
- lectuel et moral des classescouvrières leur permet de comprendre qu’elles pourraient s’organiser pour réaliser à leur profit de meilleures conditions d’existence. Avec les ressources supplémentaires dont les Trades-Unions disposent, il serait possible d’instituer des sortes d’industries nationales relevant des Trades-Unions elles-mêmes, et qui seraient administrées par des fonctionnaires élus comme le sont les chefs des Trades-Unions. Ces industries seraient les soupapes de sûreté du monde industriel.
- « Les salaires y seraient payés au taux typique arrêté par les Trades-Unions, et les produits seraient vendus au plus bas prix des marchés.
- «Les bénéfices, s’il y en avait, iraient grossir le Trésor des Trades-Unions, avec cette destination spéciale d’être employés à fonder les industries jugées utiles pour contrecarrer d’injustes réductions de salaires sur tel ou tel point. Je ne-doute pas qu’un tel régime par sa généralisation ne mette fin, en un temps relativement court, aux conflits entre travailleurs et capitalistes. »
- * *
- M. Julius Bleyer de Milwaukee, Wis, attribue les désordres et les conflits entre travailleurs et patrons à des causes si profondes que seule la régénération de l’être humain peut y remédier.
- Mais loin de nous indiquer les moyens pratiques d’aider à cette régénération morale et intellectuelle en plaçant l’homme dans de meilleures conditions d’existence, il ne voit qu’utopie dans les modes proposés pour atteindre ce but.
- Cependant, il termine en souhaitant que l’arbitrage prenne la place des grèves pour régler les contestations entre patrons et ouvriers.
- *
- * ¥•
- M. E. A. Wheeler, chef d'industrie à Sharon, Pa, voudrait voir limiter le droit d’aliénation du sol; personne, selon lui, ne devrait détenir plus de terrain qu’il n'en peut utiliser, soit 100 à 500 actes. Le gouvernement devrait ensuite prendre des mesures pour faciliter à tout citoyen l’acquisition d’une maison.
- Embrassant la question sociale exclusivement au point de vue des Etats-Unis, il voudrait que le Gouvernement prélevât, sur les immigrants, un impôt assez élevé pour empêcher le séjour aux Etats-Unis, des mendiants, des voleurs, des musiciens ambulants, et, singulier accouplement, de tous les communistes et socialistes !
- 11 ne dit pas si le même impôt serait prélevé
- p.311 - vue 314/838
-
-
-
- 312
- LE DEVOIR
- «
- sur les mêmes catégories d’individus nés sur le sol ; même des Etats Unis.
- Enfin, il propose, en vue de fournir en tout temps du travail aux ouvriers, l’institution d’une armée pour le service civil.
- « Cette armée, « dit-il » aurait ses cadres comme celle du service militaire ; les hommes y seraient équipés et nourris aux frais de l’Etat.
- « Elle s’emploierait uniquement, sous la direction de ses chefs,officiers et ingénieurs, à défricher les terres, à dessécher les marais, à creuser des puits artésiens, à bâtir des ports, à endiguer les rivières, à établir des voies ferrées. Les hommes, après un temps de service déterminé dans cette armée, auraient droit au transport gratuit sur une ferme qui deviendrait leur propriété; ils recevraient, en outre, un petit pécule pour le début de leurs opérations. »
- M. Wheeler conclut en disant :
- « Ma proposition peut sembler n’être qu’un projet rudimentaire ; soit, mais il faut faire quelque chose : ou le gouvernement fournira, comme je le propose, du travail à ceux qui en manquent ou il entretiendra une armée de soldats pour tenir en respect la multitude des émeutiers de la faim. »
- (.A suivre.)
- Faits politiques et sociaux de la semaine
- FRANCE
- L’emprunt.— L’emprunt est l’événement du jour ; l’État demandait 500.000.000, on lui a offert pius de 10 milliards; les premiers versements dépassent 2 milliards. Ces chiffres prouvent éloquemment qu’il existe des gens ne sachant quoi faire de leur argent; tandis que les grèves de Decaze-ville, de la Mulatiére et les chômages ouvriers établissent l’ex-istenced’une affreuse misère parmi les classes laborieuses.
- •¥ -f
- Les associations ouvrières et 1 b ville de Paris.— On sait que, depuis 1882, les associations ouvrières régulièrement constituées sont admises aux adjudications des travaux de la ville de Paris.
- Dans le but de faciliter leur admission, le Conseil municipal les a môme dispensées du versement préalable du cautionnement précédemment exigé de tout soumissionnaire ; mais il arrive que des associations ouvrières ne possédant pas des capitaux de premier établissement, ni ceux nécessaires aux exigences journalières de l’entreprise, n’osent se présenter aux adjudications ou bien sont forcées d’emprunter aux établissements de crédit.
- Dans ce dernier cas, la charge dont est grevé leur capital les place dans un état d’infériorité vis-à-vis des autres concurrents.
- Pour remédier à cette situation,plusieurs membres du conseil municipal de Paris avaient présenté une proposition tendant à délivrer aux associations ouvrières qui se seront rendues adjudicataires des travaux de la ville, des acomptes sur les prix de journées, les travaux et les matériaux dans une proportion déterminée et sous le contrôle d’un agent de la Ville.
- Appelée à examiner cette proposilion, la Commission municipale du travaiia pensé que les associations ouvrières verraient avec regret et considéreraient comme peu conforme à leur dignité l’ingérance d’une sorte de régisseur dans leur exploitation .
- Mais elle a proposé de leur accorder sur leur demande l’outillage nécessaire à l’exécution des travaux après avis de l’ingénieur ou de l’architecte.
- Les matériaux leur seraient également fournis par l’administration ; de plus, pour les travaux en cours et lorsque les associations en feraient la demande, des avances pourraient leur être accordées.
- Ci s propositions, qui ont été adoptées par la Commission du travail, seront examinées par le Conseil municipal des sa rentrée.
- * *
- La Fidélité des mandataires du suffrage universel — Une réunion de cinq cents électeurs républicains a eu beu jeudi à Aurillac, les quatre députés avaient été invités à venir rendre compte de leur mandat.
- L’assemblée a voté l’ordre du jour suivant :
- L’assemblée, après avoir entendu les explications de MM. Lascombes et Chanson, approuve leur conduit® pendant la dernière session ;
- Excuse M. Bastid qui a été obligé de s’absenter pour affaire urgente.
- Blâme M. Amagat qui a fait défaut;
- Et considérant qu’Amagat, après ses déclarations républicaines du 5 et du 18 octobre, a complètement trahi ses électeurs ;
- Qu’il a fui la discussion qu’il avait provoquée et qui le pouvait confondre,
- L’assemblée vote un ordre du jour de flétrissure, et déclare Amagat traître à la République.
- * *
- Justice civile et commerciale. — Le Journal officiel publie le rapport annuel sur l'administration de la justice civile et commerciale en France et en Algérie, pendant l’année 1884.
- Le nombre des pourvois déférés à la Cour de cassation, en 1884, a été de 1,184 contre 926 en 1883.
- La cour a rendu 258 arrêts de cassation, dont 441 pour affaires purement civiles et commerciales.
- Les cours d’appel ont reçu 20.668 affaires et en ont laissé pendantes 8,507.
- Les sentences des tribunaux inférieurs ont été infirmées à raison de 31 0/o pour les affaires civiles et de 33 0/o pour les affaires commerciales.
- Les tribunaux civils ont entendu dans 194, 501 affaires, dont 43, 953 provenant de l’exercice antérieur ; ils en ont laissé 45,953 à terminer.
- 1.773 demandes de divorce ont été introduites et 1,657 ont été prononcées.
- p.312 - vue 315/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 343
- Les séparations de corps demandées ont été de 3,175don 2,821 ont été jugées et accordées.
- *
- * *
- Orthographe géographique. - M. Bouquet de la Grye, au nom de la commission chargée d’étudier les réformes propres à 1 adoption d'une orthographe internationale commune pour les cartes, fait connaître les propositions adoptées. Pour les pays d’Europe, tout changement a été reconnu impossible. En ce qui concerne l’Asie, l’Afrique, l’Afrique et l’Amériqne, la commission, s’inspirant des travaux des sociétés anglaises, propose l’établissement de quelques règles : Yu français devient la diphtongue ou, la valeur de nos voyelles a, e, o, est conservée. Pour les pays de l’extrême orient, le son de l’u français avec un tréma est représenté par o, e, le g et l’s seront toujours durs, le ch est représenté par sh, parmi les gutturales la douce se représente par gh, la forte par hh, etc. On reproduira le plus possible, à l’aide de cet alphabet commun, la prononciation telle quelle aura été entendue, des noms de lieu, de villes, de cours dVau, de montagne.
- it
- * *
- La paix au Tonkin — Voici quelques extraits du journal le Cambodge relatif à ce que les officieux de la politique coloniale appellent l’état de paix au Tonkin.
- Dans la nuit du 16 au 17 mars, dit notre confrère, le capitaine Gross, des zouaves, s’est emparé de deux chefs rebelles, les Krolopeas Ghin et Mok, très influents dans l’arrondissement de Krang.
- Les 14, 15, 16, 17 et 18 mars, le poste de Bang Lovéa, occupé par 40 zouaves, aux ordres de l’adjudant Lambert, a été attaqué par une bande de 400 rebelles armés de 200 fusils environ. Les rebelles ont été repoussés constamment dans toutes leurs attaques; 4 zouaves ont été blessés.
- Le sous-lieutenant Brouet, commandant le poste de Com-pong Tralach, a surpris le 19 au matin le chef Ruthi Kray au campement de Ghusen Paop. Nous avons pris 12 voitures, 1 fusil, 2 barils de poudre. Le Ruthi Kray a pu s’échapper avec ses éléphants.
- La colonne du commandant Mercier a quitté Bang-Lovéa, le 24 mars, et elle est arrivée à Romtick le 28 ; sur sa route, elle a été attaquée le 23, le 26 et le 29 par les bandes du Mékong Keo, lieutenant de Si Volho. Le 26, nous avons eu 2 blessés.
- Le 29 mars, vers neuf heures du soir, le lieutenant Rivet, commandant le poste de Compong-Toul, a fait une sortie pour surprendre rn poste établi sur la rive droite du Prec-Thnot. Après quelques coups de fusil, les rebelles ont pris la fuite, à l’exception de deux sentinelles sur lesquelles se sont jetés le lieutena it Rivet et un soldat de l’infanterie de marine.
- Les deux Cambodgiens sont parvenus à se dégager, et l’un d’eux, en s’enfuyant, a déchargé son fusil dans le ventre du lieutenant Rivet, qui est mort de cette plessure à dix heures et demie.
- * ¥
- L’artillarie fait d.33 progrès.— Nous empruntons au Temps la note suivante relative aux expériences d’ar-tillerie faites récemment à Fontainebleau :
- « Le canon de 155, qui s’est bien comporté à Fontaine-j bleau, envoie jusqu’à neuf kilomètres un obus qui pèse 40 | kilogrammes. A 5,000 mètres un pointeur exercé loge dix i obus, l’un après l’autre, dans un même gabion : c’est atteindre une {révision plus merveilleuse que celle de nos plus brillants tireurs au p’stoiet.
- » L’autre jour, deux pièces de la batterie du Mail tiraient sur un petit mur qu’on avait, autant que possible, protégé par des ouvrages en terre.
- » Comment réussit-on à atteindre un but que l’on n’aperçoit pas ? La chose parait compliquée au premier abord et les contemporains de Napoléon 1er eussent crié au miracle, tout comme ceux de Berthold Schwartz, s’ils avaient assisté aux essais de Fontainebleau. Au fond, le tir indirect repose uniquement sur un emploi judicieux des cartes et des plans. On sait où l’on se trouve et où l’on veut frapper : rien de plus facile que de tracer, sur la carte d’abord, sur le terrain ensuite, ce que l’on appelle la ligne de tir ; cela fait, il ne reste plus qu’à pointer ta pièce dans cette direction, et à mettre le feu à la charge de poudre. Rien n’est plus simple, n’est-ce pas ! Comme l’imprimerie, la vapeur, les riie-mins de fer, l’électricité et les téléphones, le tir indirect est une de ces découvertes qui nous paraissent maintes ant très naturelles. Le tout est d’y avoir songé pour la première fois : Watt, quand ilimagina d’utiliser la vapeur, Arago, quand il eut l’idée d’aimanter le fer à l’aide d’un courant électrique, ont eu des idées de ce genre ; il n’en faut pas plus pour avoir du génie, d
- Si Watt, Arago ont été des hommes de génie par les grandes découvertes dont ils ont doté l’humanité, avouons que leurs admirateurs, assez inconscients pour mettre ces découvertes en parallèle avec la puissance destructive des engins de guerre, ont tout ce qu’il faut pour être considérés comme des êtres doués du génie du mal.
- -------------------- HIH i -------- ----------------------
- LA QUESTION SOCIALE
- et les possibilités socialistes.
- XIII
- L’INTERVENTION DE L’ETAT.
- Nous réclamons fréquemment une plus grande intervention de l’Etat, trop enclin à délaisser les pauvres, les faibles, sans aucune protection contre les riches et les forts.
- Les tendances de plusieurs réformes que nous proposons conduisent à la re >trée au domaine social de richesses naturelles et sociales, jusqu’à présent abandonnées sans réserve aux individus.
- Les économistes et tous nos publicistes, convaincus ou non de la supériorité de l’ordre social actuel, s’emparent de nos aveux et les exagèrent au point de nous reprocher de vouloir l’Etat producteur, l'Etat agriculteur, et l’Etat industriel ; chose que nous n’avons pas demandée et que no is croyons, maintenant, complètement irréalisabl
- p.313 - vue 316/838
-
-
-
- 314
- LE DEVOIR
- Ces gens ne s’inquiètent pas de savoir exate-ment ce que nous entendons par une plus grande intervention de l’Etat ; il leur plaît de nous la faire réclamer telle qu’ils la comprennent, puis, armés des arguments tirés des fautes administratives imaginaires ou réelles attribuées à l’Etat, ils partent en guerre contre le socialisme accusé de faire litière de la liberté individuelle, de vouloir créer un fonctionnarisme parasite, autoritaire, ayant mandat d’autoriser, de vérifier, de sanctionner nos actes les plus insignifiants. Ces puérils sophismes sont poussés à des extrêmes inimaginables; l'an dernier, M. Leroy Beaulieu, professeur au collège de France et membre de l’académie des sciences morales et politique, consacrait plus de vingt pages d’un gros volume à une stupéfiante dissertation, destinée à convaincre le public que les socialistes n’admettaient pas la possession ins dividuelle d’une aiguille à coudre. Ce livre a été approuvé de tout le monde savant en sciences morales et politiques?
- L’action sociale, l’intervention de l’Etat, peut se manifester de deux manières très distinctes.
- L’Etat limitant son intervention à la confection des lois et à la surveillance de leur exécution diffère complètement de l’Etat faisant les lois et se chargeant, lui même, de leur application et de l’exécution des mesures qu’elles prescrivent.
- Dans le premier cas, l’Etat, agissant comme législateur, possédât-il la totalité de la richesse nationah , pourrait se passer de presque tout fonctionnarisme. L’idée de possession n’implique pas forcément celle de gestion, d’expioitation.
- Nous avons parlé plusieurs fois de la poignée de lords possesseurs du tiers de la richesse publique anglaise et de leur manière de concéder ces propriétés à des exploitants, par des baux emphytéotiques de cent ans. Le rôle des propriétaires est réduit à l'encaissement des loyers. On conçoit quel immenses revenus peuvent être administrés par cette méthode, avec une douzaine de fonctionnaires travaillant quelques heures par jour. Il en serait autrement, silespr priétaires faisaient directement cultiver par des salariés leurs immenses territoires ; ils devraient créer de véritables légions de fonctionnaires à tous les degrés, fortement hiérarchisé -, el, malgré les précautions les mieux conçue^. iD miraient souvent à -upporter les perles et les gy^piiU.g. .» lUevi.abie.-» dmi toute grande exploitation livrée à des travailleurs, dont les appointements ne sont pas subordonnés à la bonne marche#des affaires. Si les lords étaient
- j convaincus de pouvoir retirer de plus grands revenus par l’application de cette dernière méthode il n’est pas douteux qu’ils l’auraient adoptée depuis longtemps.
- L’exploitation directe ne vaudrait pas mieux dans les mains de l’Etat, au contraire.
- Nous insistons sur cette distinction entre l’intervention de l’Etat législateur et l’immixtion de l’Etat producteur.
- Il est facile de comprendre l’Etat promulguant des lois générales et en confiant l’exécution aux départements, aux arrondissements, aux communes.
- Cette décentralisation administrative n’atteint en rien l’unité nationale, car la loi reste une dans tout le pays; la méthode d’application conserve quand même son uniformité; mais la commune reste maîtresse de l’organisme communal, le département de l’organisme départemental; l’Etat, ainsi compris, réduit son action à un contrôle général peu compliqué, exigeant un personnel peu nom-: breux.
- A titre d’exemple de la grande simplification que l’on obtiendrait dans l’organisme de l’Etat, nous comparerons l’administration actuelle des finances avec ce qu’elle serait devenue, après organisation conforme aux tendances de la décentralisation.
- Actuellement, en matière de finances, recettes et dépenses, rien ne se fait en dehors de la sanction ministérielle : l’Etat nomme les percepteurs, les receveurs, les contrôleurs et inspecteurs de toutes les catégories ; les fonds perçus dans les communes sont intégralement versés dans les caisses centrales, et l’on fait revenir de ces mêmes caisses, avec accompagnement d’écritures et de formalités multiples, les sommes destinées au paiement des dépenses des communes. Ces complications causent beaucoup de travail et de grandes pertes de ! temps.
- J Supposons, au contraire, l’Etat réduisant son interventio _ au strict utile, et chacun des organismes administratifs, superposés entre le contribuable et l’Etat, opérant les mêmes simplifications: L’Etat, après évaluation de ses dépenses fixera le total de son budget ; il fera la répartition entre les départements d’après leur richesse et au prorata d * li’.bi1 rit- ; I -s départements répartiront i entra .e- an\>n ii-s men,s; les arrondissements en-1 tre les cantons; les cantons, entra les communes;
- un fonctionnaire communal percevra les contribu-* fions individuelles d’après les cotes établies par la
- p.314 - vue 317/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 3 18
- municipalité ; après perception des versements mensuels des contribuables, les receveurs communaux enverront au chef-lieu de canton les fonds disponibles diminués des dépenses communales ; de cette manière les communes auront un nombre de comptes ouverts égal à celui des contribuables ; les services cantonaux seront réduits à l'enregistrement des opérations mensuelles des communes; de môme dans les autres divisions administratives, arrondissements et départements. Dans la plupart des communes — plus de 17.000 ont moins de 500 habitants — le service de perception pourrait être fait parle secrétaire de mairie, moyennant un tant pour cent ; dans les autres bureaux, les enregistrements mensuels prendraient à peine quelques heures et augmenteraient les frais de perception de sommes insignifiantes.
- La richesse financière de l’Etat resterait la même que dans le premier cas ; la suppression des agents devenus inutiles et des complications de la centralisation diminuerait beaucoup les frais de perception et restituerait aux entreprises individuelles des forces très appréciables.
- Par cet exemple il est compréhensible que des modifications analogues soient introduites dans tous les rouages administratifs de l’Etat.
- Ces cas de l’intervention de l’Etat, maintenu autant que possible dans les limites de son rôle de législateur, n’a rien qui doive épouvanter et la îaire considérer comme une usurpation de la liberté individuelle.
- Dans le fonctionnement des institutions nouvelles réclamées par les novateurs, non-seulement l’Etat devra laisser aux départements, aux arrondissements, aux communes lapins grande part des applications pratiques ; mais il aura à tenir compte de nouveaux agents d’exécution, la plupart de ces réformes étant inséparables de la formation de puissants et nombreux groupements de travailleurs.
- L’Intervention de l’Etat, telle que nous la comprenons, se restreint à toutes les mesures d'intérêt purem°nt national, à faire des lois favorables à la formation des groupements indiqués ci-dessus, à inscrire dans ces lois des conditions pratiques de fonctionnement en laissant aux citoyens le soin d'en provoquer et d’en organiser l’application ; dans tous les cas, l’Etat doit pouvoir imposer aux groupes administratifs l'exécution régulière des mesures ayant ce caractère d’utilité général, à défaut d’une spontanée acceptation par tous les citoyens ; il est quand même possible, en cette occurrence, d’obtenir ces mesures immédiates sans substituer
- l’action exécutive de l’Etat à celle des groupements unitaires.
- Plus tard, lorsque nous invoquerons l’intervention de l'Etat dans les institutions de mutualité, dans les questions d’associations des travailleurs, dans la confection des granis ti avaux d’utilité publique, nous n’en tendrons point faire appel à l’Etat producteur ; l’intervention que nous réclamons est celle de l’Etat législateur s’appliquant a faire des lois d’utilité sociale, destinées à remplacer les institutions du privilège et de l’égoïsme.
- Offre d’emplois.
- L’Association du Familistère demande des voyageurs à la commission pour le placement des produits de sa fabrique de bonneterie.
- Correspondance d’Amérique.
- La grève des employés du chemin de fer «Missouri Pacific» vient d’entrer dans une phase nouvelle, et ce n’est malheureusement pas la phase d’apaisement. Le conflit entre l’association des Knights of Labor ayant à sa tête M. Powderly et la compagnie du chemin de fer représentée par M. Jay Gould, est arrivée à un point tel, que l’on peut s’attendre de jour en jour à voir éclater de nouveaux désordres.
- Cette recrudescence d’animosité entre les deux parties en cause, a été amenée par une correspondance échangée la semaine dernière entre le grand-maître des Knights of Labor et M. Gould.
- Mr Powderly, après avoir fait ressortir la situation désolante des affaires,rappelé les viol-nces commises, l’effusion de sang, faisait appel aux sentiments d’humanité de M. Gould et lui demandait une solution, invoquant de nouveau, comme le seul moyen d’arriver à cette fin, l’aibitrage et la reprise immédiate des ouvriers non compromis par des attentats contre la propriété des chemins de fer. Si M. Powderly s’en était tenu là, tout était pour le mieux, malheureusement, laissant de côté ensuite les idées de conciliation, il a cru pouvoir employer l’intimidation, menaçant M. Gould, pour le cas où il poursuivrait l’association devant les tribunaux en indemnité des dommages causés, de répondre à ces poursuites en révélant tout le passé de M. Gould, les sources illicites de sa fortune, les deuils et les misères sur lesquels il l’avait édifiée. En ce cas, disait M. Powderly, « ni ses complices, ni son or ne pourront le protéger contre l’indignation publique».
- La réponse ne s’est pas fait attendre.
- M. Gould, après avoir rejeté tous les torts surM. Powderly qu’il accuse de mauvaise foi, dit qu’il s’en tient à ses conditions premières ; c’est-à-dire, que les grévistes rentrent d’abord au travail, et alors il acceptera un arbitrage sur les
- p.315 - vue 318/838
-
-
-
- 316
- LE DEVOIR
- griefs exprimés. Hors de là, pas de compromis et il compte sur l’opinion publique indignée pour onliger les Knighis of Labor à laisseï les ouvners paisibles remplir les places qu'ils ont abandonnées.
- Ensuite il rappelle qu’il est âgé de 49 ans, qu’il est né aux Etats-Unis et, qu’en raison de sa qualité de ciioyen américain, il a droit à la piotection du gouvernement.
- C’est, on le voit, de part et d'autre un ultimatum en règle, et qu'il y a tout'lieu de considérer, ainsi que nous le disions plus haut, comme le prélude de nouveaux désordres.
- En attendant la solution de la crise, tout le commerce est paralysé. En dépit des assurances de M Gould et de M. Hoxie, le service du transport des marchandises est tellement mal fait que beaucoup de nos grandes maisons refusent de faire des expéditions, par cette raison d’abord qu’elles ne peuvent garantir la date de la délivrance, et qu’ensuite, en cas d’incendie par suite d’émeute, elles sont exposées à les perdre, les compagnies d’assurances n’étant pas responsables en pareils cas.
- Le commerce de St-Louis indigné de cette prolongation a tenu la semaine dernière un grand meeting à la Court-House, plusieurs orateurs s’y sont fait entendre et un comité composé de nos notabilités commerciales a été désigné à l’effet de s’offrir comme arbitres entre les Knights of Labor et la compagnie du chemin de fer. C’était un moyen de solution honorable pour les deux parties en cause. Mais nous devons constater que M. Hoxie à positivement refusé de s’entendre avec ces messieurs, disant qu’il n’y avait pas lieu à arbitrage du moment où la ligne avait repris ses travaux et qu’il ne reconnaissait pas l’association des Knights of Labor.
- Attendons maintenant les événements, sauf à flétrir plus tard, comme ils le méritent, ceux sur qui retombera la responsabilité.
- + *
- Un meeting de commerçants s’est réuni la semaine dernière à Youngstown, Ohio, et a voté un ordre du jour de flétrissure pour Jay Gould et ses accolytes qui ont lâchement assassiné le peuple à East St-Louis. L’assemblée a exprimé l’espoir de voir un prompt châtiment atteindre les coupables, a promis son appui financier aux grévistes, et a émis le vœu « que le congrès prit des mesures pour empêcher désormais, sur les valeurs des chemins de fer, des spéculations dont les employés et le peuple en général paient les frais.» Enfin elle demande que «toute compagnie de transports qui, dans un différend avec ses employés, aura refusé de soumettre le cas à un arbitrage, soit par là-même déchue de sa concession.
- LE SINGE ET LA BAGUE
- Nous voudrions bien savoir dit le Courrier de Londres si l’acteur infortuné qui, la semaine dernière, a perdu d’une façon si singulière magnifique bague, ornée d un diamant de la plus belle eau, a pu, ainsi que son ami, retrouver son joyau et le sommeil.
- Cet artiste, que plaignent si justement le Time s et YEcho s’égayait follement, l’antre jour, de l’air grave avec lequel un singe, appartenant à son ami, contemplait l’éclat des leux de la bague, magnifique chevalière, dont son doigt était orné.
- Or, comme l’animal, intrigué au dernier degré, touchait timidement de son doigt la bague merveilleuse, notre acteur ne put résisur à la curiosité de voir ce que la bête ferait bien de cet ornement et, pour s tisfaire son caprice, il retira son diamant qu’ii fit miroiter, et le présenta au singe devenu de plus en plus perplexe.
- Celui-ci s'empara de l’objet présenté et, sachant probablement ce que vaut la constance humaine, l’avala au grand étonnement des deux amis qui se regardèrent d’abord, et s’inquiétèrent ensuite terriblement, l’un pour son singe, l’autre pour sa bague.
- Enfin une discussion s’engagea, dans laquelle on ne parla de rien moins que de disséquer l’animal, ce à quoi s’opposa formellement le propriétaire. Alors l’acteur jura de ne pas s’éloigner sans sa bague, et, en désespoir de cause, on prit la résolution de ne pas perdre de vue, une minute, le maudit animal, et de surveiller, avec un soin tout particulier, les effets de sa digestion.
- Le singe, que ces attentions amusent à un point que l’on ne saurait dire, fait, en échange, les plus habiles culbutes et les plus joyeuses grimaces ; mais il ne rend pas la bague S !
- Et les deux malheureux amis n’en dorment pas : iis s’arrachent les cheveux, se frappent la tête contre les murs, et se demandent comment la chose finira.
- Séparation de l’Église et de l’État.—
- Proposition de Loi
- DE
- MM. YVES GUYOT, JOUFFRAULT, BLATIN, ETC.
- Art. premier.— La direction des cultes, au ministère de l’instruction publique, est supprimée. En conséquence, il ne sera plus inscrit au budget de crédit pour le personnel, le matériel et les impressions des bureaux des cultes.
- Art. 2.— Les crédits affectés aux traitements des curés, aux allocations aux desservants et vicaires, au personnel des cultes protestants, Israélite et musulman, aux dépenses des séminaires protestants et israélite, aux frais d’administration de l’église de la confession d’Augsbourg, sont répartis entre les communes au prorata de la part attribuée à chacune d’elles pour l’exercice 1886.
- Les crédits affectés aux traitements des archevêques et évêques, aux allocations aux vicaires généraux et aux chanoines, aux mobiliers des archevêchés et évêchés, aux loyers pour évêchés, séminaires, seront répartis entre les communes de chaque circonscription diocésaine.
- Art 3.— Ces crédits constitueront une dotation perpétuelle pour les communes.
- Art 4.— Les crédits affectés aux églises classés comme monuments historiques seront reportées au service des beaux arts.
- Les crédits affectés aux édifices religieux, non classés comme monuments historiques (secours pour les églises et presbytères, secours pour les édifices des cultes protestants israélite, dépenses du matériel du culte musulman) seront remis aux communes sur le territoire desquels ces édifices sont situés.
- p.316 - vue 319/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 317
- Art. 5.— La somme représentant le total des crédits remis aux communes en vertu de l’article 2, sera prélevée sur le produit des contributions directes. La répartition entre les contribuables devra être faite au prorata des contributions directes payées par chacun d’eux. Sur l’avertissement pour l’acquit des contributions directes, aux indications actuelles, ainsi conçues : « Dans le montant des côtes ci-contre, il revient, savoir à l’État, au département, à la commune », il sera ajouté : « aux cultes ».
- Art. 6.— Dans les trois mois de la publication des rôles, chaque contribuable pourra déclarer qu’il entend être dégrevé de la part des centimes communaux équivalant à sa part contributive pour le sevice des cultes.
- Cette déclaration faite par écrit, sera remise au maire, qui la transmettra au sous-préfet. Le préfet communiquera les déclarations au directeur des contributions directes. La déclaration sera exempte du droit de timbre.
- Art. 7.— Le conseil municipal pourra réduire ou supprimer en totalité les subventions accordées aux cultes et les traitements alloués aux ministres ou représentants des cultes.
- Il pourra employer la subvention de l’État correspondante à tel usage qu’il lui conviendra,
- Art. 8.— Lorsque la moitié plus un des contribuables de la commune aura refusé de contribuer aux frais des cultes, la totalité de la subvention de l’état servira, de plein droit, au dégrèvement des centimes additionnels communaux.
- Art. 9.—' La réduction ou la suppression des subventions et des traitements même au cours de l’année, ne pourra donner lieu à aucune réclamation de la part des ministres ou représentants des cultes, nonobstant toute clause contraire insérée dans les traités ou conventions passés par eux avec les communes.
- Art. 10.— Les associations religieuses sont assimilées aux syndicats professionnels et soumises aux dispositions de la loi du 21 mars 1884.
- Art. 11.— Les ministres qui renonceront à l’exercice du culte, dans un délai de trois ans, à partir de la promulgation de la présente loi, recevront de l’État un secours temporaire, s’ils sont âgés de moins de soixante ans, viager, s’ils ont dépassé cet âge.
- Art. 12. — Les conseils municipaux peuvent changer l’affectation des édifices, consacrés au culte, qni appartiennent aux communes.
- Art. 13.—- La convention du 26 messidor an IX, dite le concordat de 1801, est dénoncée. Toutes les lois antérieures contraires aux dispositions de la présente loi, et spécialement la loi du 18 germinal an X, dite articles organiques, sont abrogées.
- LA VILLE DE BOURGANEUF
- éclairée à la lumière électrique
- La jolie petite ville de Bourganeuf, simple chef-lieu d’arrondissement du département de la Creuse, vient d’inaugurer l’éclairage électrique municipal et particulier.
- Bourganeuf est une ville très-agréable, dans un site charmant, entourée de riches campagnes, jouissant de cours d’eau industriels ; il y a à Bourganeuf des fabriques de porcelaines I
- et des manufactures de chapeaux très-importantes.
- Comme monuments publics, la célèbre tour dite de Zizim dans laquelle fut enfermé, à la fin du quinzième siècle, le frère du sultan Bajazet II.
- Bourganeuf est desservi par un chemin de fer particulier qui se soude à la station de Vieilleville, réseau de la compagnie d’Orléans.
- Comment est venue l’idée de remplacer l’éclairage à l’huile si long à mettre en train, si incommode et si sale, par l’éclairage électrique, si brillant, si rapide et si propre? Nous l’ignorons ; ce qui est certain, c’est que l’entrepreneur. M. Ernest Lamy, et le maire de Bourganeuf se sont parfaitement entendus, et que ce soir, à neuf heures, au moment où la fanfare municipale entonnait la Marseillaise sur la place de la mairie, un flot de lumière a remis la ville comme en plein jour.
- La place de la mairie surtout présentait un coup d’œil féerique.
- L’hôtel-de-ville tout entier était entouré de cordons lumineux ; le cadran de l’église resplendissait ; les écussons tricolores aux chiffres R. F. étaient éclatants comme en plein jour.
- L’effet produit a étonné et ébloui les assistants qui ont applaudi et acclamé avec enthousiasme. Un grand progrès venait d’être réalisé par une petite ville.
- Il y a cinquante lanternes municipales ; les établissements publics et industriels sont éclairés électriquement; la canalisation est aérienne et à peine visible.
- En ce moment, c’est un moteur vulgaire qui agit ; il est rue Augets ; il sera bientôt remplacé par une turbine qui utilisera beaucoup mieux la hauteur delà chute d’eau de onze mètres.
- L'électricien, M. Ernest Lamy, emploie une machine dyna-mo-Yhury spéciale, de 450 tours seulement, à faible vitesse, de telle sorte que la sécurité est complète.
- Les lanternes municipales sont d’un modèle spécial de la cristallerie de Saint-Louis ; l’ensemble est très gracieux ; l’incandescence est de dix bougies partout, il n’y a aucune lampe à arc,
- LA PART DU PEU
- LES TERREURS RU ROURGEOIS PRUDENCE
- ET DE SON AMI FURIBUS
- Par M.- L. GAGNEUR (Suite)
- Quand une société a atteint un certain degré de civilisation, si elle ne contient pas des éléments de vitalité assez puissants pour soutenir ce mouvement ascensionnel ; si elle ne fait pas de nouvelles découvertes en proportion des besoins que eePe civilisation développe dans les classes inférieures ; si elle ne trouve pas de combinaisons économiques qui répartissent cette richesse en équilibrant les deux pôles sociaux : opulence et misère ; si elle n’adopte pas aussi une forme de gouvernement qui développe, par la liberté, les énergies et l’initiative individuelle ; si, enfin, elle ne se crée pas une
- p.317 - vue 320/838
-
-
-
- 318
- LE DEVOIR
- morale humanitaire assez élevée et assez forte pour remplacer la morale religieuse, sapée par les progrès de la raison, il se produit nécessairement dans cette société : d’un côté, l’affaissement, l’énervement des classes riches par l’abus de la richesse, l’excès du luxe.et de la sensualité ; de l’autre, des aspirations, chez les classes pauvres, des excitations, qui conduisent fatalement cette société au bonlversement, à la ruine.
- — Peut-être ! dit Furibus, à moins qu’une main de fer ne sauve cette société en péril !
- — Cette main de fer, l’empire ne l’a-t-il pas étendue sur nous ? N’est-ce pas lui, au contraire, qui a développé tous ces symptômes et précipité la crise ? Comme les civilisations anciennes, la société française va périr peut-être par l’excès même tle son raffinement. Sont-ce bien les barbares du Nord qui ont anéanti la civilisation romaine? Non. A mon sens, les trois grands éléments de dissolution de la société romaine et qui ont paralysé le mouvement ascensionnel dont je parlais tout à l’heure, sont : l’épicurisme, le christianisme, le césarisme, qui tous trois, par des causes diverses, ont produit l’éner-vement. Ces trois grands éléments de dissolution, nous les retrouvons dans nos sociétés modernes. Sont-ce bien les Prussiens qui nous ont vaincus? Non. La première cause de nos désastres, c’est l’affaissement de la nation française par l’excès du despotisme, du sensualisme et du bigotisme.
- Nous ne pouvons nier notre décadence, puisque cette bourgeoisie, d’où sortirent les géants de 89, n’a pu, dans ces derniers temps, donner àla France ni un homme de guerre ni un véritable homme d’Etat, Quant au peuple, aussi sceptique maintenant que la bourgeoisie, excité par le spectacle de son luxe, il se rit des mots creux dont elle voudrait encore le bercer ; il lui faut sa place au banquet et les satisfactions matérielles que réclament ces natures énergiques. Donc le problème actuel palpitant est celui-ci : trouver le moyen de satisfaire à ces nouvelles exigences,découvrir une combinaison économique qui augmente la richesse en faisant dispa-raître, sans léser personne, l’antagonisme du capital et du travail, du patron et de l’ouvrier.
- — Parfait ! parfait ! s’écria ironiquement Furibus. Trouve le moyen d’augmenter la richesse, de manière à satisfaire tout le mopde, et je serai le premier à accueillir la découverte.
- — Le moyen est trouvé.
- — Allons, pensa Furibus, le malheureux est encore plus malade que je ne le supposais. Bah ! exclama-t-il, aurait-on découvert quelque nouvelle Californie ?
- — Mieux que cela.
- Furibus regarda son ami avec une réelle pitié.
- — Voyons cette mine de Golconde.
- Prudence hocha la tête.
- — C’est toute une révolution économique à t’expliquer .
- — Et tu crains que je ne puisse m’élever à ces hauteurs !
- — Je vais tâcher d’être clair.
- Ac'ueUement, malgré les progrès de l’agriculture et de l’industrie, les éléments de la production ne rendent
- pas ce qu’ils pourraient rendre parce que le travailleur, n’ayant pas d’i itérêt direct dans la création des produits, n’y apporte ni toute sou intelligence ni toute sa force musculaire, et parce que le patron n’a pas toujours l’activité nécessaire ni une entente suffisante des affaires.
- — Ah ! j’ai peur de trop bien te comprendre. Arrête! arrête ! interrompit Furibus, en levant les bras au ciel. Tu trouves, n’est-ce pas, que je ne dirige pas convenablement mon usine?
- — Je vais même jusqu’à trouver que tu cultives fort mal, ou même que tu ne tais pas cultiver du tout, ta grande propriété de 17.Hier.
- — Et alors tu conclus ?...
- — Que ce sont là des éléments de richesse perdus pour la soctété.
- — La société ! la société 1 Je m’en moque pas mal de li société ! Je suis bien et dûm ait propriétaire, et par conséquent maître ab-olude cultiver et de diriger comme je l’entends mes propriétés et mon usine. Que ne donnes-tu tout de suite raison à mes ouvriers qui se révoltent contre moi et se mettent en grève.
- — Ah ! mon pauvre Furibus, tu ne t’aperçois donc pas que l’idée démocratique nous envahit, nous submerge ? Au lieu de vouloir arrêter le torrent dans sa course, il vaudrait mieux le diriger, le régler, nous mettre bravement à la tête de ce grand mouvement démocratique.
- — Merci ! Je la hais ta démocratie !
- — Tu la hais ? Soit ! Moi aussi, il y a quelque temps, je la haïssais. Mais, aujourd’hui, je reconnais que le mouvement est nécessaire, fatal.
- — Jamais ! jamais ! entends-tu, je ne serai républicain !
- Et Furibus, dans sa fureur, se dressa debout, en dépit des rhumatismes qui le clouaient sur son fauteuil.
- — 11 ne s’agit pas seulement de République ou de monarchie. Aujourd’hui l’idée démocratique n’est plus uniquement la liberté et l’égalité des droits politiques ; c’est, pour le peuple tout entier, la liberté individuelle et l’égalité des droits sociaux ; c’est, pour les masses ouvrières, leur part d’intervention dans la direction industrielle ; c’est la revendication de ieurs droits légitimes à la participation aux bénéfices créés par leur travail, la revendication des mêmes druits pour les mêmes mérites, les mêmes capacités, de leur droit aussi à décerner le pouvoir ou la direction des affaires et du travail aux plus dignes et aux plus capables. Aujourd’hui, le peuple a compris qu’il n’est pas seulement gouverné en haut de l’échelle sociale, qu’il est plus encore gouverné et opprimé en bas. Aujourd’hui donc, l’idée démocratique s’universalise, embrasse toutes les sphères de l’activité humaine. Elle ne tend pas seulement à supprimer l’incompétence héréditaire dans le gouvernement et l’administration de la chose publique ; elle tend aussi à constituer démocratiquement l’industrie, la fabrique et la grande culture, c’est-à-dire à confier le direction et l’administration à la capacité et au savoir.
- — En vérité, cela est superbe ! Ainsi, ce n’est plus moi qui choisirai mes ouvriers, ce n’est plus moi qui
- p.318 - vue 321/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 319
- choisirai mes fermiers ! Mais, malheureux, c’est le le droit de propriété que tu attaques, le plus sacré des droits !
- — Sans douie, la propriété est un droit sacré, et je suis loin de l’attaquer ; mais il y a un droit qui prime celui-là, c’est celui qu’apporte chaque individu, en naissant, de vivre du produit brut de la nature. Car, primitivement, avanttoute loi et toute convention sociale, un globe doit nourrir l’humanité qui l’habite. L’appro-prialion indrviduelleest légitime lorsqu’elle est le résultat du travail qui crée de nouveaux produits en fécondant la terre, cette matière première universelle, en perfectionnant le capital primitif et collectif; mais la société doit un équivalent aux dépossédés de leur droit primordial, indiscutable, sur le fonds commun.
- — Allons, s’écria Furibus, tu bats complètement la berloque. Qu’est-ce que tu me chantes là ? C’est du communisme !
- — Pardon, mon cher Furibus, personne n’est plus éloigné que moi du communisme, et si je cherche une solution au mal qui nous menace, c’est précisément par horreur du communisme. Je regarde le communisme le système social le plus faux, le plus opposé à la nature humaine et au progiès. Le communisme pour moi, c’est la barbarie, car c’est la négation de tous les droits, la suppression de tous les mobiles d’activité : intérêt privé, ambition, esprit inventif, initiative individuelle, responsabilité personnelle. Le communisme conduit nécessairement à l’insouciance, au fatalisme du sauvage et du barbare. L’activité humaine n’étant pas entretenue, stimulée par l’émulation des intérêts, des aptitudes et des efforts, se ralentit forcément, s’énerve et fait place au sommeil funeste de l’indifférence. Au lieu de développer la liberté et les lumières, le communisme engendrerait plutôt l’oppression et l’obscurantisme. En effet, l'obéissance passive, une foi religieuse, impossible aujourd’hui, pourraient seules garantir le travail et maintenir le niveau de la production. Enfin, comme l’égalité n’est pas dans la nature, la différence des aptitudes, des intelligences et des caractères entraînerait fatalement l’inégalité des conditions et des fortunes. Le principe de la communauté est donc essentiellement subversif, en ce qu’il viole la proportionnalité, qui est la justice, et mène à h confusion de tous les rapports sociaux.
- — Ouf ! exclama Furibus, je respire ! Tu n’es pas communiste ! Merci, mon Dieu! Mais, alors, qu’es-tu donc ?
- — Je suis pour la raison, la prudence et la justice. Qu’est-ce qui a fait naître les théories communistes qui prédominent aujourd’hui dans les congrès ouvriers ? C’est l’excès de l’appropriation individuelle et la méconnaissance du droit au f mds commun. Mais le triomphe du communisme, qui opprimerait à son tour le droit individuel, amènerait nécessairement des réactions violentes, de nouvelles convulsions. Si donc nous voulons j éviter la guerre sociale qui nous menace, je pense qu’il taut trouver le moyen de satisfaire, de combiner, de synthétiser ces deux principes légitimes, en appa'enre contradictoires, inconciliables : la propriété individuelle, ou le
- droit de l’individu aux fruits de son travail, et la communauté, ou le droit de tous aux produits bruts de la nature.
- — Et ce moyen ? ce fameux moyen ?...
- — 11 n’est pas simple, il est complexe. Il y a deux sortes de réformes à accomplir : les unes, par la législation, c’est-à-dire par l’impôt, la liberté d’association, le service obligatoire, par la justice, l’instruction et le crédit, mis à la portée de tous ; les autres, par l’initiative privée, c’est-à-dire par la démocratisation de l’industrie, ainsi que je te l’ai expliqué tout à l’heure, par la participation de l’ouvrier aux bénéfices du patron par la mobilisation libre de la grande propriété. Aujourd'hui au lieu d’accorder aux dépossédés du droit au fonds commun des compensations, des équivalents, la législation, je le répète, les écrase, par les innombrables impôts de consommation, qui sont des impôts anti-proportionnels. Donc la première mesure à prendre, c’est le vote, non-seulement de l’impôt proportionnel sur le revenu, qui est de la plus stricte justice, mais encore d’un impôt progressif sur l’héritage, lequel rétablirait un peu l’équilibre des fortunes.
- — Tu voudrais grever l’héritage ! s’écria Furibus avec une explosion d’indignation.
- — Oui, afin de l’assurer en le limitant.
- — Et c’est toi qui parle ainsi, toi, Prudence, un homme juste, un homme sage ! Je n’aurai donc plus Je droit de transmettre intégralement à mes enfants l’héritage que j’ai reçu de mon père ? Prudence, tu voudrais voir dépouiller mes enfants, mes qauvres enfants ! Tu l’entends, Virginie, il voudrait te dépouiller !
- — Je veux si peu dépouiller tes enfants, que j’ai fait, tu le sais bien, mon testament en leur faveur, répondit Prudence, qui ne put s’empêcher de sourire de l’indignation comique de son ami. Je pense seulement qu’il vaut mieux céder une partie que de tout perdre ; en un mot, faire la part du feu.
- — Non, non, c’est du socialisme, cela, et du plus dangereux, car il serait légal. Quant à ta dé-mo-cra-ti-sa -tion de l’industrie, à la mobilisation de la propriété, ce serait le désordre, l’anarchie la plus complète.
- — Cependant la mobilisation de la propriété se pratique aujourd’hui déjà avec l’ordre le plus parfait. Aujourd’hui, il n’est pas de grandes fortunes mobilières, de grands comptoirs, de grands bazars, de grandes usines, de grandes entreprises quelconques qui ne soient le produit d’une association de capitaux, d’une mobilisation de la propriété, mais 'cette mobilisation est défectueuse, par ce qu’elle ne reconnaît pas les droits de l’ouvrier.
- Or, désormais, si la bourgeoisie veut conserver les fortunes que celte mobilisation lui a procurées, il faut qu’elle concède au travail une portion des privilèges exclusifs du capital, en lui accordant dans ces entreprises industrielles le droit de représentation et de participation aux bénéfices. Alors, plus de grèves, car l’ouvrier aura intérêt à travailler le plus possible ; car ce sera le comité do direction, où il aura ses délégués, qui réglera les heures de travail et le prix du salaire ; car
- p.319 - vue 322/838
-
-
-
- 320
- LE DEVOIR
- au lieu d’être divisés, l’intérêt du travailleur et celui du patron seront confondus. Ainsi cesserait l’antagonisme entre les classes ; ainsi s'augmenterait notablement la riches^ générale.
- — Je comprends ! je comprends ! Joli, ton remède ! Au lieud’être maître absolu dans mon usine et dans mes terres, je ne serais plus qu'un simple actionnaire.
- — C’est cela même, mon cher, à moins que tu ne sois reconnu comme le plus capable, et qu’à l’élection, ce qui n’est guère probable, tu ne sois nommé directeur.
- — Et tu prétends respecter la propriété ?
- — Certes, je la respecte puisque je cherche le moyen de la conserver, et je crois que ce moyen est d accorder au prolétaire, comme une des compensations du droit au fonds commun, un droit sur la matière première et sur l’instrument de travail. Écoute ce qu’écrivait le grand économiste Turgot, il y a près d’un siècle :
- « Le droit de subsistance et de travail est un droit inaliénable, imprescriptible. Nul homme ne doit être privé du moyen de travailler et de vivre, c’est-à-dire que les instruments de travail et les moyens de subsistance doivent être garantis à chaque individu ; et, par conséquent, tout ce qui est instrument ou matière de travail ne doit pas être le domaine exclusif de quelques individus. Voilà le droit absolu, le droit naturel. »
- Or, aujourd’hui, bien que le peuple n’ait pas lu Turgot, il connaît son droit, il le réclame, et tous les esprits éclairés le lui concèdent ; tous reconnaissent que la société comme une famille du sein de laquelle doit disparaître toutetrace de division, toute délimitation de caste ; que le bîen-être de chaque citoyen peut seul assurer l’ordre général ; que le travail doit devenir, dans l’intérêt commun bien entendu, plus que la naissance et la fortune, la base de toute hiérarchie, puisqu’il constitue la richesse, la vie même de la société ; que tout homme en naissant a reçu de la nature un droit égal de vivre, de travailler, d’occuper dans l’échelle sociale la place qui correspond à ses facultés naturelles ou acquises ; que le premier devoir de la société envers l'individu, c'est le développement de ces facultés, développement qui seul garantit l'égalité des droits.
- Autrement, que signifie ce mot égalité, inscrits dans nos codes et sur nos monuments ? Ce u’e-4 qu’une leurre, u:i mot vide de sens. L’éducation seule peut établir la véritable égalité entre les hommes.
- Sans doute une telle évolution politique et sociale, une telle transformation économique et cette fusion des classes par l’éducation ne peuvent s’opérer du jour au lendemain ; mais les prolétaires s’apaiseraient, sauraient attendre, s’ils voyaient, chez les gouvernants, une sympathie active pour leur sort et un désir sincère de l’améliorer.
- Pour toute réponse, Furibus étendit le bras dans la direction de la fenêtre, et lui désignant les ruines :
- — Et tu prétends civiliser ces sauvages ?
- — Le peuple, mon cher, est ce qu’il peut être, et ce qu’il est aujourd’hui est notre œuvre à nous, l’œuvre d’une société imprévoyante. Qu’est-ce que ces incendies en comparaison du feu souterrain qui gronde sous nos
- pas, qui mine l’Europe entière ? Une simple escarmouche, uu petit combat d’avant-garde. Ah ! il est grand temps, je le répète, d'ouvrir les yeux et de changer de tactique, si nous ne voulons pas prochainement être envahis par ces prolétaire> que tu appelles des sauvages et qu’entretient, au milieu de cette civilisation raffinée notre égoïste indifférence.
- — Instruire les ouvriers, développer encore leur intelligence ! Moi, je trouve qu’ils en savent déjà trop long, et qu’ils ne nous respectent plus assez. Enfin tu veux mettre entre leursrneins les instruments de travail? Mais alors nous ne serons plus que leurs humbles esclaves!
- — Non leurs esclaves, mais leurs égaux.
- — Et voilà, reprit Furibus, en s’animant, ce que tu as trouvé dans tes livres et dans ta cervelle. Ces livres sont subversifs, ton cerveau est malade.
- — Eh bien ! alors, trouve un moyen de fusionner ces deux pôles sociux : la propriété individuelle, à laquelle se cramponnent tous ceux qui possèdent, et la communauté aveugle que réclament tous ceux qui n'ont rien.
- — Bah ! je m’entiens à l’ancien système : nous avons une armée, des généraux ; et le grand homme qui nous gouverne, qui a su rétablir l’ordre, saura bien le maintenir, en attendant que nous ayons un roi.
- — Ah ! c’est que tu ne la vois pas comme moi, cette hydre menaçante, terrible ! Mais regarde la donc, dit Prudence en ouvrant des yeux effrayés, comme elle ricane, et quelles flammes lancent ses innombrables prunelles !
- Au même instant, un domestique entra ; il apportait une nouvelle dépêche.
- — Encore le directeur de l’usine. ! s’écria Furibus en fronçant le sourcil.
- La dépêche ne contenait que ces mots :
- « Grave collision entre les troupes et les ouvriers. Il faut céder. »
- — Tu le vois bien, supplia Virginie, toute pâle. Père, il faut céder. Tiens, vite, écris là ! dit-elle, en lui présentant une plume et une feuille de papier.
- Mais, en regardant son père, elle fut épouvantée.
- Les yeux de Furibus, démesurément ouverts, étaient injectés. La bouche, horriblement contractée, ne pouvait articuler une parole. Cependant il se raidit, fit un effort.
- — Jam.;. jam... balbutia-t-il.
- Il ne put achever le mot commencé. L’apoplexie l’avait foudroyé.
- FIN
- État civil do Familistère.
- Semaine du 3 au 10 Mai 1886. Naissances :
- Le 9 Mai, de Üolignon Louise, fille de Dolignon Adonis et de Marchand Adèle.
- Décès :
- Le 7 Mai, de Masse Louse âgée de 1 an et 11 mois Le Directeur Gerant : GODIN
- jviise.— Imp Baré
- p.320 - vue 323/838
-
-
-
- 10e Année, Tome 10.— N" 402 Le numéro hebdomadaire W c. Dimanche 23 Mai 1886
- LE DEVOIR
- REVUE DES QUESTIONS SOCIALES
- BUREAU
- a GUISE (Aisne)
- Toutes les communications et réclamations doivent être adressées à M. GODIN, Directeur-Gérant Fondateur du Familistère
- ABONNEMENTS PAYABLES D’AVANCE par l’envoi, soit au bureau de Guise, soità celui de Paris, de timbres-poste ou de mandats de poste, dont le talon sert de quittance.
- France
- Un an . Six mois. , Trois mois.
- 10 fr. »» 6 »» 3 »»
- Union postale Un an. . . 11 fr.»» Autres pays
- Un an. . . . 13 fr. 60
- ON S’ABONNE
- A PARIS
- S, rue Neuve-des-Petits-Champs Passage des Deux-Pavillons
- S’adresser à M. LEYMARIB administrateur delà Librairie des scienoes psychologiques.
- SOMMAIRE
- Ni emprunts ni nouveaux impôts. — Discutons loyalement. — Offre d'emplois. — Lettres des Etats-Unis.— Toujours les mêmes.— La question sociale et les possibilités socialistesLa France et l’Allemagne. — Aphorismes et préceptes sociaux. — Faits politiques et sociaux de la semaine.— Enquête aux Etats-Unis sur les rapports du travail et du capital. — Les grèves aux Etats-Unis et les chevaliers du travail. — Les grandes commissions parlementaires, — Le militarisme et un explorateur.— La grève à Decaze-ville.— Les Cannibales du Haut Congo. — Une idée inspirée par le génie du bien.
- Ni Emprunt ni nouveaux Impôts.
- Nous venons devoir ce que vaut cette promesse, dans la bouche d’un ministre.
- D’après l’empressement du public riche, les préparateurs de cet emprunt doivent être tentés de se réjouir d’avoir procuré à l’épargne une si belle occasion de se montrer.
- Le public a offert 10 milliards, lorsqu’on lui en demandait la moitié d’un.
- Fait digne d’être noté, les souscripteurs d’un seul titre ont été à peine cent mille ; étant donné que le titre a une valeur de 80 francs environ, le total des offres des souscripteurs de cette catégorie ne dépasse pas 8 millions. C’est peu 8 millions sur 10 milliards ; les petites bourses représentent seulementune infime partie de l’épargne offerte aux guichets de l’Etat.
- On cite des maisons de banque ayant souscrit, chacune, presque la totalité de l’emprunt.
- Tous les prêteurs vont-ils rapporter leur argent dans leurs coffres, ou bien, désireux de ne point le laisser chômer, finiront-ils par l’offrir à un taux raisonnable, en vue d’encourager les entreprises d’utilité publique.
- Il est malheureusement probable qu’ils ne sauront s’arrêter à un parti aussi sage ; ils préféreront attendre ou bien employer ces ressources à faire hausser les valeurs de bourse et à spéculer sur les différences causées par cette abondance de capitaux en quête de gros bénéfices ; en attendant un nouvel et prochain appel de l’Etat aux bourses des particuliers.
- Ces prévisions d’un nouvel emprunt ne sont point prématurées. Avant l’émission du 8 mai, le gouvernement avait eu la bonhomie de nous informer que l’ensemble de ses engagements divers s’élevaient a 2 milliards environ ; après cette déclaration, l’Etat empruntant un milliard seulement, c’est nous dire qu’il prévoyait alors la nécessité d’un deuxième emprunt.
- Depuis, la situation ne s’est pas améliorée, au contraire.
- Les déficits des recettes provenant de l’impôt dépassent actuellement 30 millions, sans compter l’abaissement des recettes des chemins de fer donnant une différence en moins de 15 millions sur le chiffre du dernier exercice.
- La Chambre a déjà voté plusieurs lois entraînant des dépenses qu’on n’avait pas prévues ; nos
- p.321 - vue 324/838
-
-
-
- 322
- LE DEVOIR
- honorables manqueraient à toutes leurs mauvaises habitudes, s’ils ne trouvaient, dans le courant de l’année, à dépasser de la sorte, d’une cinquantaine de millions, les prévisions budgétaires. Il faut aussi faire entrer en ligne de compte les déplacements des troupes occasionnés par les grèves. L’occupation de Decazeville et d’autres cas semblables, qui ne peuvent manquer de surgir en période de crise ouvrière, tous les événements de ce genre apporteront leur part de déficit, pour la plus grande joie des capitalistes en quête de titres d’Etat.
- Au point où nous en sommes, nous pouvons noter la certitude d’un emprunt d’un milliard, et saluer les premières centaines de millions d’un autre milliard ; soit, à une date plus ou moins prochaine, mais pas très éloignée, l’inscription dans le budget de charges annuelles nouvelles dépassant 800 millions.
- Qui paiera ?
- Toujours le travail. Tels sont lesenchainements des faits économiques dans l’ordre social présent.
- A cela, il n’y a qu’une objection à faire.
- Est-on certain que le travail puisse supporter un nouveau fardeau aussi lourd ?
- La plupart de nos gouvernants et de nos dirigeants ne semblent pas se douter que les saignées financières, faites au travail, ont une limite.
- Comment peuvent-ils s’imaginer, ou agir comme s’ils croyaient que le travail consentira à laisser grossir indéfiniment la trop grosse dime payée aux capitalistes par le budget de la dette nationale.
- Le service des dettes nationales, consolidées ou à consolider, à l’état de rentes perpétuelles ou en titres remboursables à courte ou à longue échéance, exigera bientôt un milliard et demi.
- Il serait temps de considérer que les salaires du travail ne dépassent pas dix milliards. Leur demander une si forte contribution,pour faire des rentes aux capitaux paresseux, est une aberration grosse de surprises et de déceptions.
- La diminution des salaires est un fait constaté, et l’on ne craint pas d’augmenter les charges du travail, au moment où les chômages deviennent plus intenses.
- L’engorgement économique est une preuve certaine de l'insuffisance de la consommation ouvrière, et l’on réduit encore cette puissance de consommation lorsque l’ordre commanderait de l’augmenter.
- Toutes les considérations condamnent les emprunts; jamais elle n’ont été plus évidentes.
- Le désordre économique signifie : les classes riches épargnent trop, puisqu’elles sont encombrées par des capitaux disponibles alors que les entrepôts regorgent de produits ; les classes laborieuses ne consomment pas assez, elles n’ont pas de ressources suffisantes puisqu’elles sont misérables pendant que les magasins ne peuvent écouler les produits.
- Et c’est au moment où ce désordre s’accentue en vertu de sa force acquise, c’est alors que l’on s’empresse de consolider l’excès d’épargne des riches.
- Pour le rétablissemenl de l’ordre il serait mille fois préférable de mettre les possesseurs de ces capitaux en situation de les dépenser et d’écouler ainsi le trop plein des produits. On obtiendrait la reprise immédiate du travail et l’apaisement des souffrances et des colères.
- Malgré l’évidence du mal, les législateurs persistent à ne pas vouloir appliquer les méthodes financières démontrées exemptes de ces contradictions.
- Ils semblent résolus à épuiser la puissance des travailleurs à payer des rentes au capital.
- Lorsque les faits les auront conduits à consta-tater qu’ils ont dépassé la mesure, ils seront contraints de se rappeler que nous leur avons toujours proposé d’équilibrer la situation financière par l’Hérédité de l’État. Cette réforme peut procurer des ressources au gouvernement sans grever le travail, tout en contribuant à alimenter, en grande partie, des institutions de Mutualité, destinées à augmenter la puissance de consommation des travailleurs, proportionnellement aux accroissements de la production; de manière à éviter, à l’avenir les pléthores économiques et les désordres sociaux inhérents à leur existence.
- Mais si l’on attend pour entrer dans la voie des sages réformes d’avoir usé à fond le système des emprunts, il est présumable qu’on n’atteindra pas cette fin sans complications et sans heurts.
- Néanmoins, nous nous réjouissons, avec les emprunteurs, de l’existence de l’épargne considérable révélée par la dernière émission. Eux, ont l’illusion de croire pouvoir persévérer indéfiniment dans ces errements. Nous, nous sommes heureux d’avoir constaté une fois de plus que la richesse accumulée est plus que suffisante pour nous délivrer du paupérisme.
- p.322 - vue 325/838
-
-
-
- LE DEVO IR
- 323
- DISCUTONS LOYALEMENT
- Quand donc les questions familistériennes seront-elles loyalement discutées ?
- C’est toujours cette même réflexion qui nous vient à la pensée, chaque fois que nous avons occasion de lire une critique faite par les adversaires des réformes préconisées par Le Devoir.
- Lorsque nous faisons appel à la loyauté de nos détracteurs, nous ne voulons pas mettre en doute leur bonne foi. Beaucoup acceptent, comme fondée*, les idées absurdes que nous ont capricieusement attribuées des ennemis incapables de comprendre ou bien inspirés par le désir de fausser ce qu’ils ne pouvaient réfuter.
- Lejournal L’Ami du Peuple de Charleroi, sous la signa ure du Docteur Hubert-Boens, publiciste dont nous ne pouvons mettre en doute le dévouement à la cause du progrès social, publie des réflexions relatives au Familistère, qui ne lui seraient pas venues à l’idée, s'il avait lu attentivement les documents publiés dans nos colonnes ou contenus dans nos études sociales.
- Dans un article « La Vie à bon marchél » tipublié par L’Ami du Peuple, nous lisons les interprétations suivantes:
- A. C’est (le Familistère) la vie en commun réalisée par la participation de chacun aux travaux exécutés dans un éta-blbsement industriel immense, et aux bénéfices qui en résultent, en d’autres termes, c’est le Phalanstère appliqué à une grande famille industrielle ».
- B. Le Familistère a les inconvénients des corporations exclusives.
- C. A Guise les affiliés appartiennent au même établissement usinier. 1
- D. Cette association a la prétention de façonner la société àson usage.
- E. Malheureusement la réforme des impôts rêvée par M. Godin est loin de répondre aux principes sur lesquels la société moderne est fondée, et qui ont été si largement proclamés au siècle dernier, dans la fameuse déclaration des droits de l’homme.
- F. L’État (avec le système de M., Godin), finirait par* devenir l’unique propriétaire des biens meubles et . immeubles des capitaux et des instruments de travail du pays.
- G H. Quelle panacée ces nouveaux venus de la, politique nous apporteront-ils pour rendre l’homme en général, ouvrier et patron tour à tour, plus heureux, plus sage, plus moral, moin égoïste, moins passionné, moins paresseux que le crée la nature ».
- . Quelle que soit notre surprise de voir je Familistère trouver place dans un article intitulé « La vie àfbon marché », erreur des écenomistes, dont vous avez fait bonne justice en plus d’une occasion, nous passons à la réfutation succinte des griefs pas mieux justifiés que le sujet de l’article qui nous a occupe.
- A.-- Le Familistère ne peut être cité comme un exemple de la vie en commun, car la liberté des individus et de la famille y est pleinement respectée ; chaque individu ou chaque famille y vit suivant ses goûts et ses préférences. .Cette fondation ^’est pas non plus comparable à un Phalanstère «J savoir ce que doit être un Phalanstère et compa- '
- rer le Familistère à cette conception de Fourier, c’est prouver que l’on ignore complètement les données réelles du Familistère ; inversement, connaître les institutions du Familistère et les comparer aux règles d'un Phalanstère, c’est encore démontrer qu’on ignore les conditions de ce dernier plan d’organisation sociale.
- B.— Le Familistère n’a pas les inconvénients des corporations fermées. Groupe unitaire d’une société solidarisée, fonctionnant dans une société livrée à la concurrence, le Familistère ne peut se soustraire aux influences du milieu plus que ne permettent sa prospérité et son développement industriels. Mais le Familistère, indépendamment de sa constitution actuelle, est le produit de théories générales, applicables à l’ensemble de la Société. Ceux qui se donnent la peine de lire et de comprendre les documents authentiques doivent savoir que le Familistère, groupe unitaire de la société future, n’est pas moins ouvert que la Commune, groupe empirique de la société actuelle.
- Ç.— Parler d’affiliés, à propos du Familistère* est un non-sens, â moins que l’on applique ce qualificatif aux habitants mêmes des communes. L'habitant des communes de Guise, de Charleroi n’est pas plus affilié aux autres citoyens de ces communes que l’habitant du Familistère est affilié avec les autres individus logés dans les propriétés de l’association.
- D. — Nous n’avons pas la prétention de façonner la société à notre image. Nous prétendons, au contraire, que notre association est façonnée de telle sorte qu’elle se rapproche plus que tous les autres groupes humains de certaine données scientifiques de solidarité humaine et de liberté individuelle; et que cet avancement dans la bonne voie, voie que nous n’avonspas la prétention d’avoir tracée, doit être imité par nos concitoyens de toutes les latitudes. Nous avons simplement fait un pas vers le mieux, pas que lès autres n’ont pas encore suivi; mais nous .sommes persuadés d’avoir encore, beaucoup à perfectionner, à .acquérir ;,nous pensons même qu’il nous est très difficile d’aller plus avant vers l’avenir, tant que nos semblables persisteront à ne pas sortir des ornières de l’individualisme. N’étant pas nous-mêmes, de notre propre aveu, une société définitivement façonnée, il serait ridicule de nous croire capables de vouloir façonner toute l’humanité à notre image. Nous sommes qu’une é auche des groupes unitaires, des sociétés de l’avenir, c’est déjà beaucoup d'avoir cette forme rudimentaire, lorsque lé reste des humains s’agite en plein gâehis.
- E, — Dire que nos revendications relatives aux impôtsnesont pas conformes aux principes de 1789 est une erreur commune à beaucoup de gens qui confondent les principes de 89, avec les applications législatives tentées depuis cette mémorable date. Nous invitons, je réfiàfiteur ;de l’Ami du Peuple à relire l’histoire de là Révolution, non dans les historiens, mais dans le livre def faits, notamment dans le Bulletin des communès ou sont enregistrées les lois conçues par nos émancipateurs. La Révolution de 89 nia pas été enfantée par le besoin raisonné de modifier les institutions politiques et les lois sur la propriété ; élié a été conçue et exécutée sous l’énergique volonté du peuple de se procurer le bien-être ; les véritables générateurs
- p.323 - vue 326/838
-
-
-
- 324
- LE DEVOIR
- de la Révolution furent des aspirations vers le bien-être et l’amour de l’humanité. Les législateurs d’alors pensèrent satisfaire à ces aspirations en soumettant la propriété au régime actuel. Les faits établissent que cette organisation n’a pas produit les résultats désirés ; cela prouve simplement que l’application a été mauvaise, et cette imperlection iT atteint pas le principe.
- Nous familistériens, citoyens soustraits aux rigueurs du paupérisme, nous sommes évidemment plus près des principes humanitairés de 89, que ne le sont les autres groupes livrés à la misère et aux ravages meurtriers d’un salariat que rien ne pondère.
- G.— Quelle est notre panacée ?
- Etrange question pour quiconque connaît nos institutions.
- Voici notre réponse :
- L’association fait du familistérien un citoyen à la fois ouvrier et patron.
- Nous sommes plus heureux, parce que notre mutualité nous protège contre le dénûment, contre la misère ; nos enfants les moins bien partagés vont à l’école jusqu’à l’âge de 14 ans ; les chômages la maladie et la vieillesse ne sont pas, pour nous, cas contre lesquels nous ne soyons efficacement armés.
- Si le bien-être ne rend plus heureux, plus sage, lus moral, ce n’est pas nous qu’il faut com-attre d’abord avec tant d’ardeur. Si nous sommes coupables de vouloir généraliser le bien-être, il faut d’abord blâmer et condamner ses effets chez ceux qui le possèdent déjà.
- L’homme créé paresseux par la nature est une fantaisie qui mérite à peine d’être relevée ; mais la nature est le travail constant et rien de ce qui émane d’elle ne peut être dépourvu de * ce caractère originel.
- Quand donc serons-nous débarrassés de ces critiques mesquines basées sur des racontars souvent malveillants.
- Des documents authentiques relatifs au Familistère témoignent que cette fondation n’est pas un fait étroit,limité; elle atoujoursétéprésentéepar son fondateur comme une application partielle et progressive d’une théorie inspirée parles principes de 89, dont la signification véritable est solidarité humaine et non possession par quelques-unes des sources naturelles de la richesse.
- Les principes de 89 ne préjugent pas la forme des institutions sociales ; ils placent au premier rang la souveraineté du peuple et son bien-être, les institutions les plus aptes à consacrer cette souveraineté et ce bien être sont les plus conformes à ces principes. A ce titre, la comparaison ne peut nous être défavorable, nous demandons qu’on la fasse loyalement.
- Offre d'emplois.
- L’Association du Familistère demande des voyageurs à la commission pour le placement des produits de sa fabrique de bonneterie.
- LETTRES DES ETATS-UNIS
- Nous nous proposons de donner, sous ce titre, les lettres ou extraits de lettres de nature à intéresser nos lecteurs, et qui nous viennent des États-Unis à l’occasion de la reproduction dans le Devoir de l’Enquête ouverte sur les rapports du Capital et du Travail par The Age Of Stel, de St-Louis.
- Mais nous nous bornerons naturellement, nos amis le comprendront, à reproduire les passages qui touchant à la question sociale sont d’un intérêt général pour tous les lecteurs, et nous réserverons les précieux témoignages de sympathie ou les questions personnelles qu’on a bien voulu nous adresser.
- Extrait d’une lettre de M. N. O. Nelson, manufacturier, à St Louis, (Missouri).
- 27 avril 1886.
- M, Godin, directeur-gérant du journal Le Devoir.
- Cher Monsieur,
- Les Etats-Unis ont été si riches en ressources et t’étendue des terres inorcupées a offert au travail un tel champ d’action que jusqu’à ces dernières armées nous avons à peine ressenti le besoin d’une plus juste répartition des bénéfices de la production.
- Ma‘s depuis ces vingt dernières années un changement radical s’est opéré chez nous, par suite de l’augmentation de la population, des énormes concessions de terre faites par le Gouvernement aux Compagnies de chemins de fer, de l’emploi des machines agricoles, perfectionnées, supprimant une somme considérable de travail humain, enfin des masses de capitaux placés dans l’industrie.
- Nous avons maintenant une classe distincte de salariés à l’exclusion presque t taie des petits propriétaires.
- Par un procédé dont vous vous rendez bien compte, nous avons édifié beaucoup de fortunes s’élevant à cent millions de dollars, et nous avons en regard une armée d’hommes sans emploi qu’on peut évaluer à 800.000.
- En de telles circonstances, les Unions ouvrières sont inévitables ; aussi sommes-nous au sein du conflit le plus rigoureux et le plus caractérisé entre les Grandes compagnies industrielles d’une part, et les Unions ouvrières de l’autre.
- Ici même, à St-Louis, notre principal réseau ferré connu sous le nom de Gould System, réseau qui comprend plus de 40.000 usines et est possédé à peu près par un seul homme, vient de donner lieu à une grève qui a presque interrompu toute l’industrie et le commerce de la ville, et nous a tenus pendant quarante jours sous le coup de la révolte menaçante.
- Tout cela parce que les administrateurs fdes chemins de fer refusent toute proposition d’arbitrage.
- Trois citoyens, moi compris, ont été désignés pour conférer sur les causes du conflit et rtndre une décision arbitrale, mais toute tentative amicale de cette nature a été formellement écartée
- p.324 - vue 327/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 325
- Résultat : d’autres grèves très étendues ont été inaugurées et nul ne sait comment finira cet état de choses.
- Réalisant une idée générale longtemps entretenue par nous, mais que vos précieux envois ont vivifiée, nous avons, en Mars dernier, conclu avec nos travailleurs un traité comportant la répartition des bénéfices d’après votre plan général.
- Nous occupons seulement 300 hommes environ, mais c’est un personnel très intelligent ; chaque ouvrier gagne de 2 à 3 dollars par jour (10 à 15 francs).
- L’arrangement conclu entre eux et nous fut annoncé par tout le pays comme un fait des plus importants et hautement louangé comme solution de l’irrésistible conflit entre capital et travail.
- Nous avons reçu un grand nombre de demandes de renseignements complémentaires, et beaucoup de manufacturiers ont déjà adopté le même plan que nous. A tous, nous vous avons cité, Monsieur, comme offrant la preuve pratique des avantages du système et de ses heureux résultats pour les deux parties intéressées................................
- Veuillez agréer, etc'
- N. 0. Nelson
- Nous sommes heureux de voir les Etats-Unis entrer dans la voie de la participation aux bénéfices, c’est un premier pas vers la reconnaissance complète des droits du travail.
- Mais, d’après ce que nous avons pu lire à ce sujet dans les communications adressées à VAge d'A-cier de St-Louis par les manufacturiers mêmes initiateurs de ce mouvement, il y a loin de la base adoptée par eux à celle pratiquée dans l’association du Familistère.
- Ici, le principe de la répartition consiste à accorder à tous les concours, aussi bien au capital qu’au travail, une part proportionnelle à l'estimation des services rendus,seule base que nous puissions concevoir équitable et juste ; aux États-Unis comme en France, la généralité des établissements qui pratiquent la participation dans les bénéfices allouent au travail un tant pourcent ; mode par lequel c’est toujours le capital qui fait la loi elrègle
- les choses d’une façon arbitraire.
- * *
- M. Ethelbert Stewart, à Decatur Illinois.
- 29 avril 1886.
- Cher Monsieur Godin,
- La condition des travailleurs aux États-Unis est pire que celle de la moyenne des ouvriers en Europe ; à peine l’ouvrier gagne-t-il ici de quoi se nourrir quand il a du travail.
- Peut-être aucune nation sur la terre n’enfante la richesse aussi rapidement que la nôtre. Notre produit net est estimé à 4 millions de dollars par jour, (vingt millions de francs) ; il excède en réalité cette somme. Mais en raison du système du salariat, le travailleur ne garde rien de ce produit net.
- Notre ignorance du système de la participation de l’ouvrier aux bénéfices de l’industrie, système si habilement développé
- dans le Familistère, fait que notre richesse nationale n’es que le monument de la ruine et du paupérisme de la grande masse des citoyens, pris individuellement. Nous devenons ra pidement une nation composée de quelques millionnai res e d’une multitude de misérables.
- Nous sommes fiers de notre liberté ; mais, cher Monsieur Godin, que penser d’une liberté qui permet à des Jay Gould d'accumuler en vingt ans, une somme de 200.000.000 de dollars ( un milliard de francs !!>) et détenir par contre-poids dans la misère les hommes les meilleurs par centaines de mille.
- Hélas ! notre liberté n’est que celle du banditisme : la la liberté pour les forts d’affamer les faibles.
- Combien nous gagnerions à échanger quelque peu de cette liberté américaine pour quelques-unes de vos lois françaises !.............................................
- Veuillez agréer, etc.
- Ethelbert Stewart
- Combien nous serions heureux que la France offrît, réellement, au inonde un modèle à suivre par ses lois protectrices de la vie humaine !
- M. Ethelbert Stewart, dans son ardente aspiration vers le bien de tous, croit-il la Mutualité nationale réalisée en France d’après les bases proposées par nous? Malheureusement,la grève de Deca-zeville est là pour prouver qu’il n’en est pas ainsi.
- La question sociale se pose dans le monde entier avec une telle intensité que sa solution est inéluctable. Heureuse la nation qui saura prévenir tout cataclysme en prenant à temps les me-, sures commandées aujourd’hui parle développement intellectuel et moral et le respect de l’être humain.
- Les châtiés de la justice ont, dans nos prisons, le pain de chaque jour ; il faut l’assurer aussi à l’honnête homme, quand le travail lui fait défaut et, surtout, organiser la consommation de façon à ce qu’elle équilibre la production et que, jamais, le travail ne fasse défaut à l’ouvrier.
- -- - —---------------------------------- ... . . —wiwmw
- Toujours les Mêmes !
- « Les idées se sèment en France et se récoltent à l’étranger, » disait un notable commerçant, en sortant d’une importante réunion qui s’était tenue à l’Hôtel des chambres syndicales, pour étudier l’organisation d’une exposition flottante destinée à montrer dans les principaux ports étrangers les spécimens de l’industrie française.
- « Je sors navré de cette réunion, ajoutait notre interlocuteur, en songeant que l’argument décisif, invoqué en faveur de la mise à exécution de ce projet, a été que les allemands nous avaient déjà devancés dans celte voie.
- » Oui, les Allemands ont pris les devants. Mais, à qui la faute, si ce n’est à l’indifférence de notre gouvernement, à celle même de nos chambres de commerce, pour toute idée qui ne se présente pas sous le patronage officiel d’un « homme politique », ou qui n’a pas encore reçu la consécration de l’étranger auquel nous l’envions plus tard.
- Pendant des mois entiers, un Français s’est épuisé en inutiles dépenses et en vaines démarches auprès de députés tels
- p.325 - vue 328/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 326 :---------------------------------------------------
- -------*—-—**«*- Jn commerce, tels que M. Tique M. Spuller, de ministres u«. ' " membres de la cham-
- rard, de hauts négociants, tels que le* . ’ ‘"rir qu’ils dai-
- bre du commerce de Paris, sans pouvoir ODiw . flottante gnasscrit même examiner le projet d’une exposition .. dont les Allemands se sont ensuite emparé et qu’ils ont réalisé aussitôt.
- Les arguments qui n’avaient convaincu personne en France ni dans les bureaux, ni au Parlement, ni dans le monde com-meieiàl, sont précisément ceux qui ont été reproduits par toute la presse d’outre-Rhin et ont décidé 1 adoption du projet d’exposition flottante,
- Et maintenant que ces arguments nous reviennent par cette voie détournée, on les trouve excellents !
- LA QUESTION SOCIALE
- et les possibilités socialistes.
- XIV
- LA MUTUALITÉ NATIONALE.
- La Mutualité Nationale est l’institution vers laquelle tendront les possibilités socialistes que nous exposerons plus tard.
- La Mutualité nationale mettra bon ordre aux crises économiques et aux agitations irréparables des chômages causés par la surproduction. Elle procurera des débouchés intérieurs en rapport avec les facilités de production. Cette salutaire institution équilibrera constamment la production par la consommation, quels que soient les nouveaux progrès de la première ; elle est le moyen pratique de généraliser le progrès et de faire participer tous les citoyens aux bienfaits de la science et de l’industrie.
- La Mutualité nationale est la consécration des principes sciologiques exposés dans notre chapitre XI, solution théorique ; elle a pour 'but de donner à l’être humain, en toutes circonstances normales, le minimum nécessaire à la subsistance; elle est la confirmation pratique de cette donnée théorique : L’homme est né pour vivre.
- A l’origine de la race, les individus errants sur des surfaces illimitées cherchaient leur subsistance partout où il leur plaisait de porter leurs pas.
- Par l’organisation des sociétés, quelques individus ayant accaparé toutes les sources naturelles des richesses, les autres hommes ont été privés de cette liberté de chercher leur nourriture selon leurs inspirations.
- La civilisation, en vue de l’utilité générale, devait réglementer ce droit naturel ; elle a commis une violence en supprimant, sans compensation, la liberté primordiale donnée à l’homme par la nature de cueillir partout les fruits de la terre.
- Il est urgent de réparer cette erreur, cette injustice, en donnant au nécessaire à la subsistance le caractère d’une institution sociale par la fondation de la Mutualité Nationale.
- Il ©j? touJours facile d’évaluer en numéraire l’équivalent au n®cessaire à la subsistance.
- Nous désignons, par le nécessaire â la .subsistance, ce quantum de nourriture, de vêtement d’hygiène et de soins dont un être humain, normalement constitué, ne peut être privé sans exposer son organisme à une usure prématurée..
- Au Familistère, la garantie du droit à l’existence fonctionne d’après une échelle indiquant le prix de revient du minimum de subsistance suivant l’âge.
- Voici les cotes de cette échelle :
- Minimum de subsistance pour un chef de famille, pour un « « « « veuf ou une veuve chef
- « « « « de famille . 1.50
- « # « une veuve sans famille 1.»»
- » « « un homme invalide
- « « a dans une famille . 1.»»
- « « € une femme . . . 1.»»
- « « «jeunes gens au-dessus
- « « « de 16 ans . . . 1.»»
- « « « jeunes gens entre 14
- et 16 ans ... 0.75
- « « « enfants entre 14 et 2
- ans (chacun) . . 0.50
- c f « enfants au-dessous de
- 2 ans ...... 0.25
- Ces derniers ont droit en plus aux soins gratuits donnés à la nourricerie ; tous les enfants sont
- gratuitements reçu dans les écoles jusqu’à l’àge de 14 ans.
- Une famille familistèrienne a droit en toutes circonstances à ce minimum ; elle reçoit en plus, gratuitement, dans le cas de maladie, les visites des médecins et sages-femmes et les médicaments.
- Lorsqu’une famille, par raison de chômages ou de maladie ou d’insuffisance de salaire, reçoit un total de salaires inférieur au total des côtés de l’échelle de subsistante pour chacun de ses membres,l’association paie la différence.
- Supposons, comme exemple une famille, composée du père et de la mère, d’un vieillard, de deux enfants au-dessous de dix ans et d’un poupon d’un an, le minimum de subsistance sera
- calculé comme suit ;
- Le chef de famille 1 fr. 50
- Le vieillard..................................... 1 »»
- La mère........................................... 1 »»
- Les deux enfants au-dessous de 14 ans . * . 1 »»
- Le poupon...................., . . , . 0 25
- Total . . . 4 fr. 75
- p.326 - vue 329/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 327
- Si les salaires des membres occupés de cette famille est de 3 fr 50, l’association paie, chaque jour, la différence, soit 1 fr. 25.
- D’après les dépenses faites au Familistère pour le fonctionnement de cette institution, on ne peut évaluera moins de 100.000 francs, les frais annuels de chaque groupe de 2.000 personnes, soit un milliard huit cent mille francs pour une population de 36 millions d’habitants.
- L’importance de cette somme ne dépasse pas les ressources de la richesse publique.
- Il n’est pasdans notre plan de décrire maintenant les divers moyens d’alimenter le budget de la mutualité ; ils peuvent provenir de l’initiative individuelle, de l’État et d’une infinité de combinaisons dont nous décrirons le mécanisme plus loin. Nous devons dire dès maintenant que l’hérédité de l’Etat est le procédé qui a nos préférences et qui nous paraît le plus juste.
- Quant à l’administration de cette institution) elle sera différente suivant qu’elle prendra son origine dans l’initiative individuelle ou dans une entente entre l’Etat et les particuliers.
- Les procédés administratifs possibles dans les sociétés privées sont appliqués par un grand nombre de sociétés mutuelles de secours. Mais notre organisation familistèrienne, quoique association privée, par son importance donne une juste idée des mesures administratives pouvant convenir aux communes, lorsque nos gouvernants auront eu la sagesse d’appliquer la mutualité nationale. Au Familistère, la Mutualité se divise en quatre branches principales.
- !• Assurance du nécessaire à la subsistance et de pension de retraite.
- 2® Assurance contre la maladie, section des hommes.
- 3° « « « section des dames.
- 4° Fonds de pharmacie.
- Un employé spécial, sous la dépendance des comités de secours et des conseils administratifs de l’association, suffit aux diverses charges de ce service ; dans une organisation nationale, il serait facile de fédérer les petites communes en vue de réunir les meilleures conditions d’économie dans l’organisation des services.
- Des comités élus, annuellement renouvelables par moitié, ont charge de contrôler l’ensemble des œuvres de la Mutualité. Les membres élus de ces comités sont rétribués par des jetons de présence d’après le taux des salaires.
- Il serait facile d’organiser les services de mutualité sans augmenter, outre mesure, le nombre des fonctionnaires de l’Etat, pourvu qu’on laissât aux communes, aux conseils d’arrondissements et aux conseils des départements l’indépendance et les responsabilités que prévoyait le décret de la Convention, publié dans nos précédents numéros. Les communes auraient une organisation comparable à celle du Familistère, et l’Etat et les départements pourraient contrôler les services de Mutualité avec un personnel d’inspecteurs spéciaux peu nombreux, ayant mission de vérifier les actes des comités communaux et de leurs fonctionnaires.
- Devant publier prochainement une étude sociale sur la Mutualité nationale, nous ne nous étendrons pas plus longuement sur ce sujet dans le cours de ce travail.
- -------------------. « . ----------------------
- La France et l'Allemagne-
- A propos de notre intervention dans les affaires d’Orient, la presse d’outre-Rhin de toute nuance continue à diriger contre la France un feu roulant de récriminations et de suspicions malveillantes. La Gazette de Cologne, la Gazette de la Croix, le Tageblatt, la Gazette nationale^t jusqu’à VAllgemeine Zeitung, d’ordinaire plus impartiale, rivalisent dans le soins de relever,tant dans nos journaux que dans nos livres et dans les harangues de nos politiciens, tout ce qui peut être interprété comme dénotant des sentiments de chauvinisme ou le désir de la revanche.
- Voilà bientôt un an que cette campagne se poursuit sans relâche, et on ne doit pas se dissimuler qu’elle a eu pour objet de persuader à l’opinion, ainsi systématiquement travaillée, en Allemagne, que, malgré les dispositions en ce moment toutes pacifiques de la grande majorité de la nation française, aucune paix durable n’est possible entre l'Allemagne et la France. Il y a là un danger sur lequel on ne saurait appeler trop sérieusement l’attention de l’opinion de ce côté des Vosges.
- Il est visible que l’on cherche à amener le peuple allemand à cet état d’esprit où il considérerait comme naturel de déclarer la guerre à la France, sous le premier prétexte venu, dans la persuasion qu’il ne ferait ainsi que nous prévenir.
- Il est bon qu'en France on soit averti de l’état des esprits en Allemagne, et qu’on évite tout ce qui pourrait servir d’ali, mentaux excitations que l’on propage contre nous.
- Eviter de donner tout prétexte à ces suspicions est chose facile.Cela ne suffit pas, il faut faire en même temps, tout ce qui convient pour déjouer les plans des auteurs intéressés de ces suggestions malhonnêtes. Le gouvernement français est doté de ressources susceptibles d’être utilisées dans ce but ; nous engageons le gouvernement à ne rien négliger pour empêcher les mauvaises in (entions du gouvernement de Berlin de dégénérer en un malentendu entre les deux peuples.
- p.327 - vue 330/838
-
-
-
- 328
- LE DEVOIR
- APHORISMES & PRÉCEPTES SOCIAUX
- GVIII
- Les chômages et les crises industrielles
- Les ressources faisant défaut au peuple, il ne peut ni acheter ni consommer suivant ses besoins. Les produits de son travails’accumulent faute d’acheteurs, et les masses ouvrières qui créent les choses utiles à l’existence sont privées de ces choses mêmes parce que le capital retient à la fois les profits et les produits.
- Faits politiques et sociaux de la semaine
- FRANCE
- Renouvellement des conseils généraux.
- — Le renouvellement par moitié des Conseils généraux doit avoir lieu avant la session que ces Assemblées départementales tiendront au mois d’août prochain.
- Ces élections, qui doivent porter sur 1,500 cantons et mettre en mouvement la moitié du corps électoral du pays, auront un caractère politique marqué ; elles donnent lieu à la consultation ta plus considérable qu’il soit possible de faire en France, en dehors de celle provoquée par le renouvellement intégral de la Chambre des députés.
- Dès aujourd’hui, ont sait que ces élections ne pourront se faire plus tard que le dimanche 1er août : en effet, la session des Conseils généraux s’ouvrant de plein droit le lundi 16 août et les Conseils devant être constitués entièrement le premier jour de la session, il importe que les élections se fassent le 1er août, afin que les pilotages qui se produiront inévitablement puissent avoir lieu le dimanche 8 août.
- De teutes manières, à supposer qu’on s’arrête à la date du 1er août, les Chambres devront clore leurs travaux le 14 juillet prochain, sauf à les reprendre plus tôt à h session d’hiver.
- Encore un des beaux résultats du cumul. Pour laisser aux conseils généraux le temps de faire un travail secondaire, les Chambres suspendront leurs séances et l’étude des réformes capitales et urgentes. Le cumul est une des belles inventions de la réaction.
- *
- * *
- Reprise des travaux parlementaires. —
- La session va s’ouvrir dans les deux Chambres par des interpellations.
- A la Chambre, on annonce trois interpellations : Ie Une de M. Delattre sur le fonctionnement de la justice; 2° une de MM. Michelin et Planteau sur les causes qu; ont amené la continuation de la grève de Deeazeville; 3° enfin une de M. Delafosse sur l'affaire grecque.
- Le ministre des travaux publics n’a pas encore répondu à la demande que lui a adressée M. Michelin, à propos de la grève de Deeazeville.
- L’honorable député de la Seine a l’intention de ne parler à la tribune que des faits qui se sont passés à Deeazeville depuis un mois, c’est-à-dire depuis son retour à Paris. j
- M. Michelin compte demander au gouvernement de reven- I
- ' diquer les droits de l’Etat et d’intervenir énergiquement entre les ouvriers et la Compagnie afin de mettre fin à une grève préjudiciable à tous les intérêts.
- Au Sénat, c’est une interpellation de M. de Gavardie qui, ayant été avant les vacances de Pâques l’objet d’un ajournement, viendra à l’ordre du jour de la séance de rentrée.
- * *
- Toujours le favoritisme.— Dans son projet concernant le recrutement de l’armée, M. le général Boulanger établit le principe du service de trois ans obligatoire et personnel. Les jeunes gens qui se destinent aux carrières libérales, les instituteurs et les séminaristes, seraient astreints à un ser-| vice de douze mois. A l’expiration de ce délai, et si leur instruction militaire est suifisante, ils pourraient obtenir un congé indéfiniment renouvelable.
- Le ministre de la guerre a longuement entretenu M. de Freycinet, président du conseil, au sujet de ces projets. Il est probable que M. de Freycinet joindra ses efforts à ceux du général Boulanger pour que la discussion en ait lieu avant la fin de la session.
- Pourquoi des exceptions en faveur des instituteurs, des séminarismes et des jeunes gens qui se destinent aux carrières libérales, ? Nous demandons une loi pour tous les citoyens sans exception.
- 4 4
- Respect dû aux corps élus. — Habituellement, les préfets de la Seine, dans le cas de convocation extraordinaire du conseil général, consultent le bureau de cette assemblée.
- Le préfet actuel ayant directement convoqué en assemblée extraordinaire les conseillers généraux, ceux-ci ont refusé de siéger.
- Ce rappel aux bonnes traditions et au respect des corps élus n’est pas une vaine démonstration. C’est ainsi que l’on arrivera à réduire le fonctionnarisme à ses justes proportions.
- it
- 4 4
- Véritable religion et abus d’autorité. —
- Par décret rendu en conseil d’Eiat, le Consistoire israélite de Paris est autorisé à accepter le legs à lui fait par la dame Ernestine-Hanna Ratisbonne, épouse du sieur Adolphe Beyfus et consistant en une somme de 40,000 francs à placer en rentes sur l’Etat, dont les arrérages seront destinés à établir, chaque année, deux ouvriers et deux ouvrières israélites.
- Le Censistoire israélite de Paris n’est pas autorisé à accepter les legs faits au comité de bienfaisance israélite de Paris par la même M™e Beyfus, et consistant ; 1° dans la une propriété d’une rente 3 0/0 sur l’Etat de 8,000 francs, à condition de fonder un « secours de loyer » ; 2° dans une somme de 20,000 francs pour augmenter la fondation de loyer.
- Le directeur de l’administration générale de l’Assistance publique de Paris est autorisé à accepter, aux clauses et conditions énoncées, les legs fait aux vingt arrondissements de cette ville par ladite dame Beyfus, suivant son testament précité, et consistant en une somme de 10,000 francs pour les pauvres catholiques et protestants.
- Pourquoi refuser les sommes destinées aux secours de loyer»?
- p.328 - vue 331/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 329
- -¥• *
- Le Typo-Télégraphe.— Le ministre des postes e des télégraphes e^t actuellement saisi d’une proposition de M. Etienne de Fodor tendant à l’établissement des typo-télégraphes.
- Le typo-télégraphe seraient utilisé principalement pour le service de la presse, qui en tirerait de grands avantages.
- L’article d’un journal qui doit être transmis comme télégramme à un autre journal est tout d’abord composé en caractères d’imprimerie, comme à l’ordinaire. Après avoir été revu et corrigé, il forme une colonne de longueur variable dont la stéréotypiefait un cliché. Celui-ci est envoyé au bureau télégraphique et sert comme original de la dépêche à transmettre.
- M. de Fodor prétend que la vitesse de transmission pourra atteindre 1,200 lettres par minute ou environ 14,000 mots par heure.
- La grande supériorité du typo-télégraphe sur tous les autres systèmes connus et employés jusqu’ici pour la transmission d’articles de journaux ne consiste pas seulement dans la rapidité avec laquelle on peut opérer, mais encore dans son travail automatique qui, surtout en certaines occasions exceptionnelles, dispense les employés des fatigues d’autrefois.
- L’emploi du typo-télégraphe évite également les erreurs de lecture que commet si souvent l’expéditeur dans les moments d’encombrement, ainsi que les erreurs de transmission d’une dépêche reçue en caractères ordinaires.
- BELGIQUE
- Les manifestations socialistes — Les démonstrations continuent ; pour être devenues pacifiques, elles n’ont rien perdu de leur importance.
- ESPAGNE
- Le Clergé Espagnol. — Quelques faits qui viennent de se produire en Espagne et que nous résumons ci après donnent une édifiante idée du clergé espagnol :
- L’évéque de Burgos est mort subitement après avoir reçu trois lettres anonymes l’avertissant qu’ « on lui ferait son affaire : un curé de son diocèse est soupçonné d’être l’auteur de ces lettres.
- Le curé de Bruch, emporté par son zèle chrétien et son amour du prochain, annonce publiquement qu’il offre une récompense à qui viendra lui apprendre la mort de M. Ruiz-Zorilla, le chef du parti républicain : charitable pasteur !
- Le curé de Fraga a tué, dans son église même, une vieille femme.
- Le curé de Barcena-de-Pie-de-Concha a tiré plusieurs coups de revolver sur des jeunes gens inoffensifs, l’un d’eux a été gravement atteint.
- Le curé de Manresa vient de commettre un attentat odieux sur une petite fille de huit ans, dans des circonstances qui font frémir.
- Le curé de Paule, lui, s’est attaqué pour le même motif à une jeune blanchisseuse : il est 6ous les verrous.
- Voilà, n’est-ce pas ? une bien jolie litanie de méfaits !
- ALLEMAGNE
- Les i éunions publiques. — Le gouvernement,en
- vertu de la loi sur le petit état de siège, vient de décider qu’il ne pourrait être tenu aucune réunion publique, si la demande d’autorisation n’a été déposée 48 heures avant le moment de la réunion. Cettij rigoureuse intervention de l’autorité, dirigée contre les socialistes, produit un grand mécontentement dans tous les partis. Les grèves et la misère s’étendent, en Allemagne, comme dans tous les autres pays civilisés. Le gouvernement vient d’empêcher, à Berlin, une importante réunion des ouvriers maçons convoqués à l’effet de s’entendre sur un projet de grève générale.
- BAVIÈRE
- Les socialistes de Munich. — On écrit de Munich.
- Un grand procès va être jugé dans notre ville.
- Il ne s’agit pas moins que de quarante trois socialistes, accusés de faire partie d’une société secrète, fondée dans le but d’employer des moyens illégaux pour s’opposer à l’exécution de la loi rendue contre les socialistes et leurs aspirations, ainsi qu’aux mesures prises contre eux par la police.
- L’acte d’accusation prétend que la société est dirigée par un comité se composant de cinq personnes, et formant un trait d’union entre cette Société et la direction centrale du parti sociali té en Allemagne. Les clubs, qui sont parfaitement organisés et embrassent toute la ville de Munich, seraient conduit par des chefs qui obéiraient aveuglement aux instructions du comité. C’est ce comité qui serait chargé de recueillir les dons destinés à indemniser 1 es députés socialistes siégeant au Reichstag.
- L’organisation, dit l’accusation, est inconnue des membres eux-mêmes, et pour que ni les uns ni les autres ne puissent être trahis, leurs noms de famille sont un secret pour leurs camarades, de sorte qu’en causant ensemble ils ne se donnent pas d’autre nom que « bourgeois Jean, bourgeois Pierre ou bourgeois Joseph », etc.
- Quiconque ne peut prouver qu’il est socialiste ne saurait entrer dans les clubs, aux portes desquels sont placés des socialistes chargés de faire le guet et d'avertir ceux qui sont à l’intérieur de ce qui se passe.
- Le procès se déroulera sous peu devant les assises de Munich.
- PORTUGAL
- Conflits ouvriers. — Des conflits ont éclaté entre les ouvriers employés au chemin de fer des Algarves (Portugal). Il y a eu deux tués et plusieurs blessés.
- L’ordre avait été troublé par la police.
- ANGLETERRE
- L’agitation en Irlande. — Les nouvelles d’Irlande constatent un redoublement d’effervescence parmi les organistes. Cette agitation n’est pas limitée à l’Ulster ; elle se propage dans l’île entière. Toutefois, elle est particuliérement active dans la région Nord, où l’on se prépare résolument à la guerre civile.
- Un avis publié dans un journal de Belfast fait appel aux anciens sous-officiers qui voudraient servir d’instructeurs à des volontaires ; d’autre part, les exercices de tir sont très i suivis par les membres des diverses associations loyalistes.
- p.329 - vue 332/838
-
-
-
- 330
- LE DEVOIR
- AMERIQUE
- Agitation ouvrière. — On télégraphie de Chicago.
- Les membres les plus importants des Lumbermcn ont adressé un appel pressant à une foule composée d’Allemands et de Bohèmes pour constituer la grève.
- Une résolution a été votée pour commencer une nouvelle grève.
- On craint une émeute.
- Les forces de la police ont été renforcées afin de prévenir les désordres.
- ENQUÊTE AUX ÉTATS-UNIS SUR LES RAPPORTS DU TRAVAIL ET DU CAPITAL d)
- XIV
- M. C. W. Crawford, manufacturier, à Brazil, Ind.
- M. C. 0. Boring, à Chicago III.
- Et M. Goodwin D. D. à Jacksonville III. ne nous apportent, dans leurs dépositions, guère d’éléments nouveaux à signaler.
- Le premier, tout en jugeant recommandable et pratique le système delà coopération productive, ne verrait rien de mieux que le maintien du régime du salariat, si travailleurs et patrons pouvaient toujours agir équitablement les uns envers les autres et, en conséquence, renoncer à se constituer chacun de son côté en corps antagonistes.
- Le second juge que tous les plans d’amélioration des conditions sociales, — aussi bien l’institution de J’arbitrage pour régler les conflits industriels que l'institution d’associations entre le travail et le capital, — s’ils sont piaiiques dans quelques vieux centres manufacturiers, ne le sont pas actuellement aux eltais-Unis, et ne le deviendront que par le développement de l’intelligence publique.
- Il faut d’abord, selon iui, que travailleurs et capitalistes se rendent plus exactement compte de leurs conditions soc aies réciproques ; et qu’en-suite les travailleurs eatre eux se connaissent mieux.
- Le troisième déclare que la cause principale des grèves est bien plus la bière et l’eau-de-vie que les exactions du capital. Sa conclusion est qu’il faut fermer les débits de boissons.
- Néanmoins, il admet aussi que Capital et Travail sont fécondés l’un par l’autre et ne peuvent vivre
- (1) Lire le Devoir depuis le 7 février dernier, excepté les numéros des 18 avril et 9 mai. 1
- l’un sans l’autre. Aussi, dit-il qu’appeler le travail à participer aux bénéfices quand l’industrie est prospère est une mesure que la simple honnêteté commande ; mais il voudrait voir aussi le travail participer aux perLes en cas de revers dans l’industrie.
- * *
- Déposition d’un ouvrier qui a voulu garder l’anonyme.
- Ie — Les grèves ne sont pas nécessaires, car elles ne peuvent régler le taux permanent des salaires.
- 2° — L’arbitrage pourrait utilement intervenir dans la solution des conflits entre ouvriers et patrons, à condition que les arbitres aient la connaissance des affaires et se prononcent en tenant compte :
- A — de la loi de l’offre et de la demande ;
- B — des circonstances locales et du coût de la vie ;
- C — Du prix des matières premières.
- Sans cela, les manufacturiers pourraient être mis dans l’impossibilité de tenir tête à la concurrence.
- 3° — Nous ne pouvons guère espérer en la réalisation d’un mode plus équitable de répartition des produits de i’iniustrie, tant que la grande majorité de la population n’apportera pas plus d’hunnêteté dans les affaires et que toutes les transactions quelconques ne se feront pas sur la base du payement argent comptant.
- Les mauvaises dettes sont la source de grandes perturbations dans le travail, car elles doivent toujours être supportées par quelqu’un.
- 4® — Le système de la participation du Travail aux bénéfices peut avoir une heureuse influence dans certaines localités; mais il n’agirait guère sur la classe des ouvriers qui acquièrent leur savoir et leur habileté en allant travailler dans nombre de villes et d'ateliers.
- 5° — La coopération productive a pour premières conditions pratiques l’honnêteté et la confiance absolue en la loi suprême de l’amour de l’humanité. Partout où des ouvriers seront disposés à agir d’après ces principes, sous des directeurs compétents, le succès sera certain ; mais à condition toutefois de conduire les affaires sur la base du paiement argent comptant, et de ne point faire intervenir trop de directeurs.
- « Un nombre excessif de cuisiniers fait gâter la
- sauce. »
- p.330 - vue 333/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 331
- * *
- Déposition de M. A. Robinson, Ingénieur, aux ateliers agricoles de Bénicia, Cal.
- J’ai lu avec le plus grand intérêt les dépositions faites jusqu’ici à l’Enquête et trouve étrange d’y avoir lu si peu de chose concernant ce qui m’apparaît comme la cause de la plupart des grèves,
- savoir le manque d’économie de la part des manufacturiers.
- Le salariat est une étape obligée dans le mouvement des sociétés ; et les grèves comme les fermetures d’atelier sont les résultats des causes qui affectent le prix des produits du travail. La
- plus grande de cijs causes est la concurrence désordonnée.
- La compétition est la vie du commerce dit un vieux proverbe; on peut avec autant de vérité dire que ta compétition est souvent la mort de beaucoup d'établissements d’industrie.
- Nous avons dans les Etats-Unis une masse croissante de gens qui veulent vivre des gains d’autrui et qui n’ont pas de capitaux à placer dans les entreprises légitimes. Ces hommes deviennent ce qu’on appelle des intermédiaires, commissionnaires, agents voyageurs, etc.
- Souvent, les méthodes adoptées par eux pour opérer des ventes conduisent à la ruine un grand nombre d’établissements en les faisant passer par des phases qui amènent la réduction des salaires, la suspension des affaires et, trop souvent, la banqueroute.
- Or, chaque pas vers la catastrophe jette de plus en plus sur le marché d’ouvriers sans travail.
- Une autre grande cause des difficultés sociales est la somme énorme, dans toutes les grandes manufactures, de frais improductifs comparée à celle du travail producteur. . ,................
- Les agents du travail producteur gagnent en intelligence chaque année et se rendent parfaitement compte de la différence de conditions qui résulteraient pour eux du régime de la coopération. Ils savent qu’alors tout membre de l’entreprise serait tenu de concourir à la production, et qu’au lieu de viser à la réduction des salaires, l’administration s’occuperait de réduire les dépenses improductives.
- ........................................
- En attendant, l’ouvrier n’a d’autre moyen que la grève pour obtenir du capital ce qu’il désire, dp même que le capital opère quand il y a lieu la fermeture des ateliers pour contraindre l’ouvrier à accepter ce que celui-ci n’accepterait pas sans cela.
- L’arbitrage ne peut fournir qu’un arrangement temporaire entre ouvriers et patrons. Il est trop prompt à accueillir les raisonnements du capital et trop impuissant à écarter les motifs iuvoqués pour diminuer les salaires.
- Quand le capital consentira à s’associer avec le travail et appellera celui-ci à concourir à l’administration de l’industrie en même temps qu’il lui donnera part aux bénéfices comme aux pertes, alors seulement le travail n’aura plus aucun motif de plainte.
- Les industries coopératives ne peuvent être universellement prospères par ce fait lamentable qu’elles n’ont pas de capital et que le capital lutte contre elles.
- Il faut, pour le succès de la coopération, non-seulement que le capital s’unisse au travail, mais que le système coopératif se généralise.
- Le travail sans le capital est comme un homme sans la vue. Cet homme a le pouvoir d’agir mais il ne voit pas comment agir. Le capital sans le travail est la vue sans l’homme, il voit ce qui est à faire mais ne peut l’accomplir. La coopération du travail et du capital constitue l’homme parfait voyant ce qui est à faire et ayant le moyen de le réaliser.
- Que le capital placé dans l’industrie aux Etats-Unis forme donc avec le travail une vaste coopération ; chacun des deux éléments producteurs faisant à l’autre les concessions nécessaires et s’utilisant tous deux pour leur plus grand bien.
- À propos de l’Enquête
- Le rédacteur du journal des Chevaliers du ira-vail, à Saint-Louis, ayant analysé les dépositions faites à la présente enquête, a tiré les conclusions suivantes :
- Ie — 66 déposants sur 100 pensent que les grèves et les fermetures d’atelier sont les traits nécessaires du salariat.
- 2° — 75 sur 100 se déclarent partisans de l’arbitrage pour la solution des conflits entre ouvriers et patrons.
- 3° — 88 sur 100 croient qu’il est possible de découvrir un mode équitable et satisfaisant de répartition des bénéfices de l’Industrie.
- 40 --83 sur 100 se prononcent en faveur du
- [régime de la participation de l’ouvrier aux bénéfices de l’industrie à laquelle il concourt.
- 5°— 75 sur 100 déclarent la coopération produe-1 tive pratique aux Etats-Unis.
- p.331 - vue 334/838
-
-
-
- 332
- LE DEVOIR
- L’auteur de cette analyse signale, entre toutes les dépositions, celle de M. N. O. Nelson, manufacturier à Saint-Louis, d éposition que nous avons reproduite dans le Devoir du 28 février.
- La participation du travail aux bénéfices est aujourd’hui pratiquée dans l’établissement de M. N. O. Nelson comme on peut le voir dans notre article : Lettre des Etats-Unis, où se trouve une lettre de M. Nelson lui-même sur ce sujet.
- Citons parmi les chefs d’industrie pratiquant aujourd’hui, aux Etats-Unis, le système de la participation des ouvriers aux bénéfices et dont l’exemple peut entraîner dans cette voie progressive beaucoup d’autres manufacturiers : Messieurs Chas. A. Pillsbury et Cie de Minneapolis, Minn. dont nous avons reproduit la déposition à l’Enquête dans notre numéro du 7 février dernier ; et les établissements suivants :
- — The Century Company, Ncw-Yok;
- — E. P. Allis et Co. Miiwaukee;
- — Bucyrus Foundry and manufacturing Company, Bucyrus, O. ;
- — Asa Cushman etCo. , Auburn Me ;
- — Cotterill Fenuer etCo., Dayton, O.;
- — Walter A. Wood Mowing and Reaping Machine Company;
- — The Staatzeitung Company, of New-York City ;
- — Hoffman et Billings Mfg Co, Miiwaukee ;
- — Welhans et Mc. Ewan à Omaha, Neb.
- Les grèves aux Etats-Unis et les Chevaliers du travail
- Monsieur Ch. Dadant, un de nos amis de Hamilton, Illinois, nous écrit une lettre dont nous extrayons ce qui suit :
- « La grève du Missouri Pacific contiue. Les négociants de Saint-Louis qui soufflent de l’interruption des transports se sont réunis, ont avisé à nommer une commission. Cette commission a désigné trois personnes honorables pour servir d’arbitres, conviant les grévistes et les administrateurs des chemins de fera en nommer chacun trois autres pour terminer la grève. Les Knights of Labour, (Chevaliers du travail) ont accepté. Hoxie premier vice-président du chemin de fer a refusé, disant que les chemins de fer peuvent se passer des grévistes, puisqu’ils marchent comme avant la grève ; ce qui est absolument faux. Le commerce de Saint-Louis est exaspéré contre Gould. Ce refus poussera la population à nommer des représentants anti-monopolistes et va faire marcher la question plus vite.
- « Vous souvenez-vous d’il y a quarante ans, quand nous parlions de la question sociale, on ne savait pas ce que cela voulait dire, nous ne trouvions personne presque ,
- pour l’étudier, c’était une utopie. Mais, comme la bpule de neige, l’idée a grandi, elle grossit de jour en jour davantage. Et j’espère bien que nous vivrons tous deux assez longtemps pour voir un grand pas fait vers la réalisation de notre rêve : l’Harmonie sociale.
- « Nous avons des loges de Chevaliers du travail tout autour de nous. Nous espérons voir bientôt les ouvriers de la terre s’y joindre ; alors, il n’y aura plus que deux partis en présence, car les questions vont vite ici. Je constate avec plaisir que les journaux qui étaient le mieux disposés pour les chemins de fer tournent casaque, craignant de perdre leurs abonnés.
- Recevez, etc.
- Ch, Dadant
- * *
- A propos des Chevaliers du travail, nous lisons, eh outre, dans The coopérative News, de Manchester, Angleterre les informations suivantes :
- Les Chevaliers du travail et la propriété foncière.
- « Les chevaliers du travail de Minnesota viennent d’acquérir 800 acres de terre dans Crow Wing County, en vue d’établir une colonie où les membres de l’Association privés d’ouvrage dans les villes pourront subvenir à leur entretien sansfrais pour l’association même.
- « L’administration du Chemin de fer du North Pacific à laquelle la terre a été rachetée est convenue de tenir en réserve, à la disposition de l’ordre des Chevaliers du travail, l’espace nécessaire pour l’installation d’une commune entière, si la tentative essayée pour quelques familles d’abord réussit,
- « Le plan comporte l’organisation de l’agricu lture et du travail. La terre doit être cultivée en commun ; elle demeurera toujours propriété commune ; chaque colon n’en occupera partie qu’à titre de concession temporaire.
- « Les bénéfices de l’exploitation commune seront répartis entre tous à la fin de chaque exercice. »
- Il serait nécessaire d’avoir plus de détails sur le projet pour porter sur lui un jugement.
- Nous ne le mentionnons ici que comme indice de ce fait que l’ordre des Chevaliers du Travail ne se préoccupe pas seulement de soutenir les ouvriers en grève, mais qu’il vise à réaliser, dès maintenant, par ses propres forces, de nouvelles conditions d’existence pour le travailleur.
- ------------------. -------------------------------
- Les grandes Commissions Parlementaires
- •
- Nous avons donné, dans notre précédent numéro l’analyse du projet de M. Henry Moret, relatif a la division du Parlement en grandes commissions. Cette proposition esl vivement combatuie par les débris du groupe opportuniste. Voici une réponse de M. Maret à une critique publiée par la France.
- M. Liévin objecte à notre projet des grandes , commissions :
- p.332 - vue 335/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 333
- 1° Qu’elles ne donneront pas la moindre valeur à l’initiative parlementaire, parce que toutes les initiatives s’y rencontreront pour se contrarier, et que pas une loi n’aboutira parce que, si deux avis valent mieux qu’un, cinquante avis valent moins que deux.
- Je me suis fait venir une demi-douzaine de cheveux blancs, en essayant de comprendre cet e objection, et je n’ai pas réussi. Tout député jouit en ce moment du droit d’initiative ; il s’en sert ou ne s'en seri pas ; M. Liévin suppose que, dès qu’il fera partie d’une grande commission, il se servira de ce droit dans l’unique but de contrarier ses collègues. Pourquoi ne le fait-il pas maintenant? Mystère. Gomment, s’il se sert davantage de son initiative, cette initiative cessera-t-elle d’exister Enigme. En quoi cette initiative a-t- elle plus de valeur, qua d le député est tout seul et qu’elle n-î peut pas aboutir, que lorsqu’il fait partie d’une commission et que l’initiative peut aboutir ? Profondeurs insondables. Si deux avis valent mieux qu’un et que cinquante avis valent moins que deux, où s’arrête la progression, où se change-t-elle en diminution ? Est-ce à dix? Est-ce à vingt-quatre? Est-ce à quarante-trois ? Sombres incertitudes.
- 2° M. Liévin nous objecte que deux cents droitiers pourraient s’emparer entièrement des quatre plus importantes commissions, l’intérieur, les affaires étrangères, les finances, la justice, et par conséquent gouverner la France. Ceci fait, le.s ferfystes prendraient le commerce, l’agriculture et les travaux publics, Il ne nous resterait, à nous, que les yeux pour nleurer, et une commission ou deux dans lesquelles il n’y aurait rien à faire.
- Je répondrai à M. Liévin, d’abord que les commissions, quelles qu’elles soient, ne gouverneront pas la France, puis que la répartition lamentable dont il nous menace n’est pas précisément obligatoire. Il est mémo tout aussi lacile de l’éviter que dans la nomination des commissions ordinaires par des bureaux. Il serait assez étrange, M. Liévin en conviendra, que les républicains s’entendissent pour ne faire partie d’aucune des commissions importantes. Il est à espérer, au contraire, que plusieurs s’y feront inscrire. Or, si la Droite y affluait, le nombre des candidats exigerait un vote, et par conséquent les républicains, étant en majorité dans les bureaux, seraient maîtres du résultat tout comme ils le sont aujourd’hui.
- Ce que M. Liévin nous prédit serait peut-être épouvantab e ; mais une considération nous assure c’est que cela ne peut pas arriver. Il serait également épouvantable que tous les maris de la rue de de la Chaussée-d’Anlin fussent cocus à la même heure ; mais, si cela n’est pas matériellement impossible, c’est au moins fort invraisemblable.
- 3° La dernière objection est encore plus forte que les deux autres. Selon M. Liévin, les grandes commissions dureront forcement quatre ans, parce que le principe de la compétence acquerre plus de force d’année en année, et que, si l’on a été compé tent en 86, on le sera encore davantage en 87. Ce serait, selon M. Liévin, contraire au voeu démocratique.
- J’ignorais que le vœu démocratique fût do préférer l’incompétence à la compétence, et que le comble de la démocratique fût par exemple de dire à Gounod : « Il y a assez longtemps que tu fais des opéras ; cède ton tour à Potin. » Mais, en admettant cette façon de comprendre la démocratie, je dois encore rassurer mon contradicteur.
- Non, les commissions ne seront pas toujours composées des mêmes membres, attendu qu’il se passera à la Chambre ce qui se passe au conséil municipal Beaucoup de députés voudront changer de commission pour étudier des quéstions différentes ; et, si l’on suppose que quelques autres s’obstineront à rester dans la même, il n’en formeront que la minorité, par la même raison que je donnais tout à l’heure, l’intervention du vote des bureaux.
- Croyez-moi mon cher confrère, la seule objection sérieuse vous l’avez faite le premier jour, et vous ne trouverez pas mieux. Cette organisation de contrôle gêne l’arbitraire ministériel. Aussi je comprends que les amis de l’arbitraire la combattent; mais vous ? je ne comprends pas.
- HENRY MARET.
- Le Militarisme et on explorateur
- On sait que le ministre de la guerre a ordonné une enquête sur les faits qui ont précédé et suivi la mort du jeune et courageux lieutenant Palat. En attendant le résultat de l’ins.ruction officielle qui devra être complète et sévère, nous avons le droit de l’espérer, il est bon que le public soit mis au courant des événements caractéristiques des débuts de l’entreprise tentée par l’infortuné explorateur. Railleurs les documents les meilleurs à ce point de vue viennent d’être publiés par la Nouvelle Revue : c’est la première partie du journal de voyage de Palat, envoyé du fond du Touat et qui s’arrête * la fin de son deuxième mois.
- Le recueil de Mme Adam fait précéder ce journal de voyage d’une préface qui se termine ainsi :
- « Jusqu’à plus ample informé, nous avons le droit de demander si le li.attenant Palat, officier français, a été traité, à El-Goléa, par le commandant supérieur, comme il l’aurait dû l’être. Et si sa manière d’agir à l’égard de l’explorateur avec lequel il n’a partagé ni le pain ni le sel n’a pas été, parla suite, d’un mauvais exemple pour les indigènes disposés à considérer notre malheureux compatriote comme une proie facile, et dont la mort ne serait point vengée. »
- Pour nous, après lecture du journal de voyage du brave et malheureux Palat, nous n’hésitons point à affirmer que la cause première de l’assassinat du jeune lieutenant doit être attribuée à l’accueil aussi odieux qu’anti -patriotique fait à l’explorateur par le commandant supérieur en question.
- Voici le texte même de ce journal.
- « Dès mon arrivée à El-Goléa, je vais me présenter au commandant supérieur. Depuis trois semaines je vis avec
- p.333 - vue 336/838
-
-
-
- 334
- LE DEVOIR
- les arabes et rna joie est grande de rencontrer un Français, de serrer la main d’un camarade. Une trentaine d’indigènes sont venus nous saluer à quelques kilomètres de l’oasis et nous font escorte jusqu'à l’arrivée. C’est ainsi que nous arrivons au camp ».
- « Le commandant supérieur est là, au milieu des spahis. Je reconnais, parmi ceux-ci, mon ami le maréchal des logis.
- Je lui serre la main. Il me nomme au commandant. Je m’avance alors et lui dis en français :
- « Mon commandant, j’ai l’honneur de vous saluer. »
- « Il me regarde surpris et me demande sèchement qui je suis.
- « Je décline mes noms et mes qualités.
- « Il m’enméne dans sa tenle et met à le porte mon domestique. Là, je subis un interrogatoire en règle. »
- — Que voulez-vous ?
- — Rien.
- — Où allez-vous ?
- — Au Soudan.
- — Avec qui ?
- — Avec deux hommes.
- — Vous allez vous faire tuer.
- — Cela me regarde.
- — Comment se fait-il que je n’aie pas été avisé hié-ra,r-chi-que-ment de votre arrivée ici.
- Ensuite il me congédie U!
- J’ai le cœur bien gros. Pourtant cet accueil ne me surprend qu’à demi.
- Le bureau arabe de Géryville a reçu l’ordre de ne pas entraver, mais aussi de « n’encourager en rien mon entreprise.»
- Je sors après avoir promis au commandant, qui semble douter de mon identité, de lui envoyer mes papiers.
- Mes domestiques sont très mécontents de l’accueil qu’on leur a fait. Que dirai-je, moi qui suis renié par un compatriote, par un officier français.
- ***
- Ce n’est pas tout. Le pauvre Palat est traité comme un pestiféré, comme un simple voleur de grand chemin.
- « Le jour même, écrit-il, quelques heures avant notre entrevue, j’envoie au commant mon passe-port diplomatique et le laisser-passer du gouverneur de l’Algérie. Il me les renvoie sans mot dirs. »
- « Il ne m’a pas offert un verre d’eau pendant mon séjour, ce qui n’est pas indifférent en pays arabe. Il a montré de la sorte aux indigènes qu’il ne voulait pas de moi pour son
- hôte.
- « D’un autre côté, le commandant a défendu au Caïd de nous offrir la dhifa. (des vivres). Pourquoi ?
- « Le bruit se répand dans l’oasis que je suis un officier déserteur ; que je vais être arrêté... Un indigène qui nous apporte la nourriture, est menacé d’une amende par le Caïd. Celui-ci me regarde de travers chaque fois qu’il me rencontre et affecte de ne pas me saluer. Enfin, je suis vis-à-vis des indigènes, dans une situation pénible et humiliante qui m’affecte malgré ma philosophie, et serait même de nature à me préoccuper sur les suites de mon voyage, si j’avais moins de confiance et d’espoir. Je suis surtout profondément triste »
- « Car il n’y a plus pour moi aucune illusion à se faire. Je suis bien seul, bien complètement réduit à mes uniques ressources, et sans aucun espoir de trouver non pas même du secours, mais un peu de sympathie
- « J’ai rencontré, peut-être, la dernière main française que je pouvais serrer. Elle ne s’est pas ouverte pour moi ! »
- * #
- Et à partir de ce jour, le lieutenant vraiment héroïque, pour détourner de son chemin tous les obstacles et les innombrables difficultés qu’il y rencontre, se fait fin diplomate, médecin habile, chef audacieux et plein de sangfroid, voyageur infatigable et fécond en ressources de tout genre, parfait Arabe ou officier accompli, selon l’occasion.
- Un soir, un de ses domestiques s’enfuit en lui enlevant trente francs et un révolver. Son guide, qui le trahira, ne cache pas sa joie de cet accident.
- « Je suis très chagrin de cette trahison, mais me garde d’en rien faire paraître. Et comme Ei-Arby s’étonne de mon indifféronce :
- — Mon Dieu, lui dis-je, pourquoi me chagrinerais-je de ; cette aflaire ? Mahomet a perdu un bon maître et moi un mauvais domestique ; quel est le plus volé de nous deux? Cette réponse est approuvée de tous les assistants.
- Alors, devant les indigènes asssemblés et le Caïd, Palat fait venir ses deux nouveaux domestiques Farradgi et Bel-Gacem, deux pauvres éclopés, et les montrant aux assistants il parle ainsi :
- « Si quelqu’un s’informe des causes de mon arrestation, il vous demandera si je faisais du mal dans le pays ? Vous répondrez : Non, il soignait les malades sans les faire payer. Si je me livrais à des intrigues politiques ou religieuses ?
- Non, il ne voyait personne. Si je déployais un grand luxe. Non, il habitait une pauvre tente. Si j’avais amené un grand nombre de soldats? Vous direz alors : il avait avec lui Fanad-jui et Bel-Gacem, et nous avons tremblé. »
- « Quelques assistants se mirent à rire et le Caïd perdit de son assurance. »
- Moyennant une somme de 250 fr. on le laissa partir.
- * *
- Pour donuer une idée de la façon dont les Arabes comprennent les travaux d’exploration, l’anecdote suivante suffira je pense. C’est un vieil Arabe qui cause avec Palat,
- — Est-il vrai que vous vous exposiez à ces périls pour autre chose que de l’argent ?
- — C’esi vrai, lui dis-je. Nous le faisons pour l’honneur. Et j’entreprends de lui faire comprendre ce que c’est que le patriotisme.
- — Comment, me demande-t-il, tu teferais tuer pour ton pays s’il le fallait ?
- — Certainement, et volontiers.
- — Et vous êtes tous comme cela dans votre pays ?
- — Tous, fais-je sans hésiter.
- — Ah ! les Oulad-Français, vous êtes une grande nation. Nous autres, nous nous nous faisons tuer pour de l’argent, mais pas pour l’honneur.
- J’espère que la grande nation n’oubliera pas qu’un de ses j fils les meilleurs s’est fait tuer volontiers pour elle, ei que
- p.334 - vue 337/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 335
- le dévouement du lieutenent Palat sera récompensé comme , il le mérite.
- La Grève de Decazeville.
- La compagnie a refusé l’arbitrage accepté par les mineurs avec la plus parfaite bonne foi et un désir sincère de conciliation. L’arbitre choisi par les mineurs, M. Laur, appar-partient aux groupes les plus modérés de la Chambre. Les antécédents mêmes de M. Laur semblaient le désigner plutôt au choix de la compagnie qu’à celui des ouvriers.
- Ce refus de la Compagnie donne crédit aux bruits mis en circulation au début de la grève, sur le fait des directeurs de cette société d’avoir été les provocateurs volontaires de la suspension du travail.
- Quoiqu’il en soit de cette hypothèse, il est aujourd’hu bien acquis que la compagnie est résolue à prolonger la grève, puisqu’elle repousse un moyen de conciliation approuvé par l'opinion publique et reconnu par tous comme le plus favorable aux intérêts des propriétaires de la mine.
- Cette décision a soulevé toutes les colères contre les directeurs de la société; h République française et d’autres journaux également modérés, jusqu’à présent défenseurs systématiques de la Compagnie, viennent de se prononcer catégoriquement, après ce refus, contre les auteurs responsables de la continuation de la grève.
- Nous trouvons dans YIntrangeant une façon spéciale d’interpréter les mobiles des directeurs de la société houillère qui, si elle est la vraie, donnera une triste opinion de la moralité de ces spéculateurs.
- Voici l’appréciation de l'Intransigeant :
- La Compagnie minière est tombée une première fois en déconfiture, il y a quelques armées. Ce sont les actionnaires qui ont bu le bouillon, et les directeurs n’ont pas été inquiétés : rien de plus conforme, d'ailleurs, aux traditions financières de notre inénarrable époque. Une seconde société s’est alors fondée sur les débris de la première, sous le titre de Société nouvelle des Houillères et des Fonderies de l’Aveyron. On appela de nouveaux actionnaires. 11 s’en présenta. On leur fit comprendre que ce n’était pas pour leurs beaux yeux qu’on les avait invités et qu’il ne leur restait plus qu’à verser le plus possible de millions. Us s’exécutèrent et, avec les sommes encaissées, on commença des travaux considérables : construction de chemins de fer, de routes, de ponts achat de matériel, importante extention de l’exploitation minière.
- Supposez maintenant qu’à force de vexations, de persécutions et de rognages de salaires, on oblige les ouvriers à déserter la mine. Supposez qu'après un chômage de trois mois la nouvelle Compagnie, hors d’état de répondre aux commandes, tombe en faillite comme l’ancienne. Les seconds actionnaires seront, il est vrai, ruinés ainsi que l’ont été les premiers ; mais tous ces rails, tous ces wagons, tous ces outils payés si cher, comme il serait facile à deux ou trois malins de profiter d’une vente par autorité de justice pour les racheter à vil prix ! 11 y a ainsi nombre d’entreprises qui ne deviennent bonnes qu’après deux ou trois liquidations successives, Or, provoquer à la grève, comme l’ont fait les Léon Say et les Petitjean. c’est, fatalement, pousser à la liquidation.
- C’est le rêve de beaucoup de roublards d’acquérir un jour pour un morceau de pain des établissements dont la construc-lion a coûté des prix fous. Tout Paris a connu cet ancien directeur de l’Hippodrome qui passait son temps à raconter que la maison n’allait pas et qu’il était décidé à se mettre en faillite le mois suivant. Sur ces confidences, les actions de l’Hippodronn dégringolèrent dans des proportions inouies. Il les racheta toutes et mourut trois fois millionnaire.
- La grève de Decazeville est, pour la Bande noire qui guette dans l’ombre, un admirable prétexte au dépôt d’un bilan qu ne demande peut-être qu’à se laisser déposer. Voilà pourquoi l’intervention de M. La r a mis hors d’eux les banquistes qui, non contents d’exploiter leurs ouvriers, se font un malin plaisir de rançonner leurs actionnaires. La Comp gnie veut élever des grèves comme d’autres élèvent des lapins, afin de s’en faire des rentes plus ou moins considérables. Ce n’est pas de clocher en clocher, c’est de faillite en faillite que ces extor-queurs espèrent voler jusqu’aux tours de Notre- Dame.
- Si l’Intransigeant explique de la sorte le refus de la compagnie, c’est qu’il a ses raisons et des renseignements probablement puisés à bonne source. Est-il bien certain qu’en cette affaire et en beaucoup d'autres semblables les menées politiques ne soient le principal mobile de cette excitation ? Les financiers ne laissent passer aucune occasion de rapiner les travailleurs et les actionnaires, mais, avant tout, ils ont la volonté de créer un gouvernement autoritaire décidé à les servir de ses magistrats, de sa force, pour réduire au silence les journalistes et tous ceux qui dénoncent si justement leurs coupables combinaisons. A l’heure actuelle, la finance a encore plus le besoin d’un gouvernement qui la protège que celui d’augmenter ses bénéfices.
- Les Cannibales du Haut Congo.
- Jeudi soir a eu lieu, à la Société de géographie commerciale de Paris, rue de Savoie, sous la présidence de M. Napoléon Ney, une très-intéressante communication de M-Westmark,
- M. Théodore Westmark, jeune suédois au service de l’Association internationale du Congo, a exploré pendant trois ans les bords du Congo. Très grand, mince, élancé, les cheveux blonds coupés presque ras, la moustache blonde à peine naissante, le jeune voyageur est loin de paraître son âge • trente ans.
- Avec un accent qui n’était pas sans charme, du reste, M. Westmark a fait un rérit très succinct de ses explorations. De la station de Latété, il avait été obligé de remonter le fleuve dans une baleinière en fer galvanisé, perdant en route la plupart de ses camarades, jusqu’à M’Suata, située sur la rive gauche, en face de la station française de N’Gantschou, située sur la rive droite. M. Westmark fait un grand éloge delafaçondont cettestation avait étéétablieparleDrBallay.C’est le 27 mars 1884, que le jeune explorateur rencontra M. de Brazza, « l’homme, dit-il, qui fait l’admiration de tous ceux qui connaissent le Congo et dont la France doit à juste titre s’enorgueillir ». Enfin, malgré les crocodiles et les hippopotames qui pullulent dan-le Congo et mettent souvent en danger sa chaloupe à vapeur, M. Westmark arrive à la station des Bangalas, tribu de? cannibales.
- p.335 - vue 338/838
-
-
-
- 336
- LE DEVOIR
- Le Congo, qui vient de l’est-nord-est, change prés de Ban-gala et se dirige vers le sud-sud-ouest. À cet endroit, le fleuve, tout parsemé d’îles, ne mesure que 7.000 à 7.500 mètres de largeur, tandis qu’il a, un peu plus haut, jusqu’à 40.000 mètres de largeur. Suivant les saisons, la profondeur de l’eau varie entre 15 mètres et 28 mètres. Il éprouve deux crues régulières, l’une en avril, l’autre en octobre.
- Les Bangalas sont robustes, forts, très bien faits et très guerriers. Ils sont divisés en quatre classes : Les Monangas ou souverains de districts, les Moukonzis ou les notables et hommes riches, les N’Sommisou hommes libres, et les Mom-bos ou esclaves. Les fils ne peuvent prendre la parole en public qu’aprés la mort du père. Ils sont polygames, mais, chose curieuse, c’est le fiancé qui doit donner une dot aux beaux-parents : pour une très belle femme, cette dot consiste généralement en deux ou trois esclaves, deux ou trois colliers en verroterie et deux ou trois bouteilles vides. Us
- ont un goût très prononcé, paraît-il, pour les bouteilles vides.
- La jeune fille, ainsi mariée, n’en reste pas moins femme libre et a toujours le droit de retourner chez ses parents. Ceux-ci, par exemple, doivent rendre la dot, ce qui arrive rarement et ce qui cause des guerres interminables entre les villages.
- Les Bangalas mettent la plus grande coquetterie dans 1 arrangement de leur chevelure. Ils tressent leurs cheveux en nattes nombreuses et en font des des dessins artistement composés.
- Les Monangas se coiffent d’une sorte de tiare en peau de singe. Les deux premières clases portent seules la barbe au menton.Pour costume, le pagne traditionnel, et moins encore. Comme bijoux, les hommes portent des anneaux de fer ornés des dents de leurs ennemis ; les femmes, des bracelets et des colliers de métal, assez bien travaillés, et qui pèsent quelquefois jusqu’à 25 livres. Tous se teignent le corps et le visage de couleurs multicolores — souvent entièrement en rouge. Leur commerce, peu important, consiste dans le trafic de manioc, de maïs, de vin de palme, de peaux de singe et d’hippopotames, d’ivoire et de vases d’argile.
- Lorsqu’un Bangala meurt, on l’expose plusieurs jours, recouvert d’une peinture spéciale, devant la porte de sa cabane. Durant ce temps, le village boit et .danse devant le mort. On le place ensuite dans un trou, creusé toujours auprès de sa cabane, et la plupart des objets qu’il possédait afin qu’il puisse entreprendre dans de bonnes conditions le grand voyage.
- Mais, sous l’empire de cette idée, de cette croyance, les Bangalas ne se contentent pas de munir le défunt de choses matérielles, ils le font accompagner de ses femmes et de ses esclaves, c’est-à-dire qu’ils les sacrifient sur sa tombe. Ils leur attachent la tête à un bananier et les décapitent vecun long couteau terminé en forme de serpe. Chaque victime est ensuite partagée en deux : une moitié est enterrée avec le défunt et l’autre moitié est mangée par les parents et le village. Us font cuire cette chair humaine dans des marmites pleines d’eau, et ce n'est que lorsque l’eau est à demi évaporée qu’ils trouvent cuit à point leur horrible festin. Ces repas monstrueux donnent lieu à des fêtes qui durent deux jours ; passé ce délai, s’il reste encore de la chair humaine, on se la partage et chacun en emporte un morceau chez soi. M. Westmark a rencontré une fois une pirogue chargée entièrement de ces
- funèbres débris. Cependant, dit-il, les efforts des blancs ne sont pas restés vains : le cannibalisme diminue beaucoup et
- ne tardera même pas à disparaître.
- --------------— --------- ---------------------- —-
- Une idée inspirée par le génie du bien —
- On sait que le Métropolitain a tourmenté bien des ingénieurs. Le nombre des projets est déjà incalculable et la plupart n’onl pas même été discutés. Mais une des idées les plus singulières que cette vaste entreprise a pu faire naître est le « chemin de fer sans rails, ni wagons, ni ponts, ni tunnels », de M. Ed. Mazel.
- Nous ne pouvons songer à décrire en détail le projet de l’inventeur. Il nous suffira de dire que ce métropolitain se compose d’une série de colonnes en fonte espacées de dix mètres en dix mètres et sur lesquelles vient glisser un bateau ou wagon aérien assez long pour s’appuyer toujours sur deux colonnes à la fois.
- Evidemment, toutes les précautions nécessaires sont prises pour assurer la sécurité du public. Mais quel que soit le talent de l’ingénieur, il est bien rare que dans des entreprises de cette nature, il rfy ait pas quelques boulons mal fixés, quelques crampons mai établis, quelques pièces métalliques cassantes. De telle sorte que rien n’est moins certain que l’équilibre du véhicule à un mètre cinquante centimètres d’élévation.
- S’il était réalisable, ce projet serait relativement peu coûteux et ne détruirait pas l’aspect de 1% capitale. Son auteur en est enthousiasmé. 11 ne doute nullement de sa prochaine mise à exécution.
- Ouvrages reçus.
- Rapports annuels
- des bureaux de statistiques du travail et de l’industrie aux États-Unis.
- Nous avons reçu six volumes de ces remarquables rapports. M. James Bishop nous a envoyé ceux pour les années 1882 4883, 1884 et 18 s5 dans l’Etat de New-Jersey ;
- M. G. V. R. Pend, celui pour l’année 1886, dans l’État de Michigan ;
- Et M. 4rthur T. Hadley celui pour l’année 1885, dans l’Éiat de Connecticut.
- Nous offrons ici nos vifs remerciements aux donateurs.
- État civil du Familistère.
- Semaine du 10 au 16 Mai 1886. Naissances :
- Le 12 Mai, de Holot Louise Georgette, fille deHolot Louis eide Lamant Blanche.
- Le 15 mai, de Berlemont Étienne, fils de Berîe-mont Victor et de Minette Aline.
- Décès
- Le 13 mai de Froment Henri âgé de 37 ans.
- Le 15 mai, de Duquesne Émile, âgé de un an et dix mois._______________________________
- Le Directeur Gérant : GODIN
- aiiise.— lmp. Baré
- p.336 - vue 339/838
-
-
-
- 10e Année, Tome 10.— N“ 403 Le numéro hebdomadaire 20 c. Dimanche 30 Mai 1886
- i iLlirÜüil mmMSÊ JiJE®
- REVUE DES QUESTIONS SOCIALES
- BUREAU
- a GUISE (Aisne)
- Toutes les communications
- ABONNEMENTS PAYABLES D’AVANCE par l’envoi, soit au bureau de Guise, soità celui de Paris, de timbres-poste ou de mandats de poste, dont le talon sert de quittance.
- et réclamations doivent être adressées à M. GOBIN, Directeur-Gérant Fondateur du Familistère
- France Un an ... Six mois. . . Trois mois. .
- 10 fr. ïï
- 6 i»
- 3 »»
- Union postale Un an. . . 11 fr. »» Autres pays
- Un an. . . . 13 fr. 60
- ON S’ABONNE
- A PARIS
- , rue Neuve-des-Petits- Champ s Passage des Deux-Pavillons
- S’adresser à M. LEYMARIE administrateur delà Librairie des sciences psychologiques.
- SOMMAIRE
- Folles résistances. — Les livrets d’ouvriers. — Le commerce extérieur de la France. — La journée de huit heures.— Offre d’emplois.— Faits politiques et sociaux de la semaine. — Lettre des Etats-Unis. — L'arbitrage. — La liberté des cultes. — Son altesse l’or. — Aphorismes et préceptes sociaux. — La nouvelte loi sur les sucres. — Charles Saville. — Revue socialiste. — Etat-Civil du Familistère.
- FOLLES RÉSISTANCES
- Nous qualifions ainsi un fait insignifiant pour la plupart des hommes, mais ayant, selon notre-appréciation, l’importance d’un déplorable symptôme.
- A l’occasion de la grève des ouvriers verriers de la Mulatière, près Lyon, les patrons verriers ont refusé de discuter avec les représentants du syndicat ouvrier. Les patrons admettaient le principe d’entrer en pourpalers avec les grévistes ; ils ont refusé de donner suite à ce projet, parceque la délégation ouvrière comptait deux membres étrangers aux établissements atteints par la grève; les patrons voulaient débattre leur différend avec les délégations des ateliers et non avec une représentation de la corporation.
- Les ouvriers, au contraire, résolus à confondre leur cause avec celle de leurs pairs ont repoussé
- j les prétentions des patrons, l’entrevue n’a pas eu lieu.
- Si les chefs d’industrie étaient sincèrement animés du désir de mettre fin à la grève, s’ils avaient l’intention formelle de respecter les conventions acceptées comme conditions de l’apaisement, il est incompréhensible qu’ils aient mis tant de persistance à ne pas vouloir reconnaître l’intervention de la chambre syndicale.
- De leur côté, les ouvriers ont-ils mieux fait en ne transigeant pas sur ce point ?
- Cette volonté des ouvriers d’un atelier de vouloir se couvrir de l’intervention de leur chambre syndicale est motivée par plus d’une considération.
- Les engagements de patrons à ouvriers ne lient que le personnel attaché aux ateliers en grève ; une fois un traité accepté par les deux parties, les ; patrons peuvent renouveler insensiblement le personnel, et, après ce renouvellement, se croire libérés des obligations contractées ; tandisque, par un traité entre le syndicat et les représentants de la corporation, les deux parties restent toujours en présence, quel que soit les personnels des salariés.
- Fréquemment, dans une même localité, une diminution des salaires provoque une grève dans une partie des fabriques de cette localité : si la grève se termine par un compromis entre les patrons et les ouvriers directement en cause, il arrive souvent que les autres patrons essaient, à quelques semaines d’intervalle, de reprendre la tentative échouée de diminuer les salaires. Ces i-faits malheureux ne pourraient se produire, si, dès
- p.337 - vue 340/838
-
-
-
- 338
- LE DEVOIR
- le début, le différend avait été tranché par la représentation corporative,tant du côté des patrons que du côté des ouvriers.
- Ouvriers et patrons ont le plus grand intérêt à éviter ces querelles incessantes qui finissent par faire perdre aux plus crédules toute confiance dans l’emploi des procédés pacifiques»
- Les véritables provocateurs des mouvements ouvriers sont ceux qui, ouvriers ou patrons, refusent d’accepter ce rôle naturel des syndicats.
- Dans le cas que nous avons cité comme exemple, la grève de la Mulatière, l’obstination des patrons repoussant tout pourpalers avec les représentants du syndicat des ouvriers constitue une véritable provocation, plus dangereuse que maintes manœuvres des anarchistes.
- Il est concevable que les ouvriers aient plus à gagner que les patrons à l’adoption de ce système. De cette manière, la sécurité des ouvriers se trouve moins menacée; il est assez général de voir les ouvriers, envoyés en délégation auprès des patrons à l’occasion des grèves, devenir l’objet de vexations et d’injustices qui les mettent dans la la situation de ne pouvoir se procurer du travail. Les patrons, en temps de crises, sont moins sujets aux désagréments de ce genre ; ils peuvent mécontenter leurs ouvriers, sans être exposés à ne pouvoir recruter des remplaçants, lorsque la faim pousse à leurs portes des légions d’affamés.
- Il est admis en bonne justice que l’on ne peut être à la fois partie et bon juge.
- L’intérêt individuel est le principe de justice concordent également avec la résolution des ouvriers de la Mulatière de se soumettre à la juridiction des représentants de la corporation.
- Le refus des patrons est une preuve de mauvaise volonté et d’ignorance des besoins les plus urgents de nos sociétés.
- Les haines personnelles entre employés et employeurs ont déjà atteint une limite qui rendra la conciliation bien difficile.Pourquoi persister dans ces mauvaises dispositions, surtout en présence d’ouvriers faisant acte de bonne volonté?
- Qu’on le veuille ou qu’on le repousse, l’état d’esprit de la population ouvrière est tel, que les patrons ne doivent plus compter sur la soumission aveugle des travailleurs aux volontés des chefs d’industrie.
- Il faut savoir tenir compte des faits acquis et ne pas s’entêter à lutter contre des nécessités inéluctables.
- L’ouvrier ne peut plus, par suite de son dévelop-
- pement intellectuel, obéir à des ordres capricieux et trop variables suivant les inspirations des chefs d’industrie ; il veut, et cela en vertu de circonstan-tances qu’il ne dépend pasde lui de modifier, que le caprice du maître soit remplacé par l’autorité des règlements.
- Cette tendance des ouvriers a déjà mis la plupart des grands patrons dans la nécessité de rédiger des règlements et de les afficher dans les ateliers. Ces règlements ont été rédigés empiriquement, patrons et ouvriers ne se doutant pas de la force sociale qui les contraignait, presque à leur insu, à substituer à la volonté patronale spontanément modifiable la précision et la clarté des règlements méthodiquement, révisables.
- Aujourd’hui, ces mêmes règlements, faits isolément par les patrons ou par les ouvriers et par les patrons de chaque fabrique, sont devenus aussi insuffisants que l’étaient les volontés individuelles, avant l’apparition des premiers règlements d’atelier.
- Le progrès moral des classes laborieuses rend indispensable le remplacement des règlements d’atelier par des règles débattues avec la corporation.
- Il faut savoir apprécier ces nouvelles nécessités et ne pas craindre d’aller au-devant des difficultés qu’elles soulèvent.
- Mais, nous dirait-on, où et commentavez vous acquis la certitude de ne pas vous tromper, pour parler avec tant d’assurance ?
- Ces convictions nous sont dictées par la constante observation et par l’incessante analyse des phénomènes sociaux, poursuivie sous l’influence decetleidée, née, elle-même, d’une étude raison-née de l’histoire de l’évolution humaine, que les conceptions susceptible^ de produire des mouvements populaires comparables par leur expansion, par leur généralisation et par leur fréquence à ceux de notre époque, n’ont jamais été de vains indices de modifications sociales qu’il faut savoir adopter progressivement,sous peine de les subir ,plus tard, par force, avec toutes les complications suscitées par la résistance et par les colères de la lutte.
- Ce besoin se dégage-t- il suffisamment des manifestations actuelles ?
- Nous entendons, en tout pays, les appels incessants des ouvriers en faveur de la constitution des sysdicats ; à peine constituées, ces sociétés s’efforcent, partout comme à la Mulatière, de substituer leur intervention collective à l’action des délégations d’atelier ; partout devant les refus
- p.338 - vue 341/838
-
-
-
- 339
- LE DE VOIR,
- des patrons de tenir compte de ces éléments nouveaux de pondérationsociale, les ouvriers sont unanimes à réclamer l’intervention de l’Etat, à faire appel à l’arbitrage. Au lendemain des troubles de Charleroi, lè congrès ouvriers do Gand prenait en main la cause de grévistes belges; et cette représentation des corporations sommait le gouvernement de mettre un frein aux exigences personnelles des patrons. Aux Etats-Unis, les Chevaliers du travail s’efforcent d’interposer leur juridiction dans tous les conflits soulevés par l’antagonisme du travail et du capital. A Decazeville, la grève a fait surgir spontanément la création d'un puissant syndicat qui s’est empressé, comme pour donner à tous la preuve des véritables espirations du mouvement ouvrier, de concentrer sous sa direction tous les intérêts ouvriers en jeu, de se faire l’intermédiaire de tous auprès de la compagnie, auprès du gouvernement,enfin d’abdiquer passagèrement son rôle devant une juridiction plus grande ot plus forte, l’arbitrage sanctionné par l’opinion publique.
- Ce même état d’esprit se manifeste non-seulement dans toutes les nations, mais, dans chaque pays, il apparaît avec des caractères identiques, dans toutes les régions. AuNord, au Centre, au Sud de la France, l’état moral des masses ouvrières se révèle imbu des mêmes tendances et des mêmes résolutions ; toutes, semblables à celles proclamés au Nord, au Centre et au Sud de la Belgique, de-Etats-Unis et des autr s contrées.
- Ces cor stations faites, à moins de vouloir systématiquement créer une situation révolutionnaire, il ne convient plus d’en nier le principe ou d’en contester la justice, la sagesse politique et la science sociale commandent d’étudier ce courant, afin de pouvoir le canaliser et d’éviter qu’il se transforme en un torrent dévastateur.
- U y a folie à vouloir résister au mouvement ouvrier, chaque fois qu’il se montre résolu à substituer l’intervention corporative à l’action des groupes d’atelier. Nous ne voulons pas dire qu’il est possible d’accorder, en toutes circonstances, toutes les réclamations produites sous cette forme; mais il y a erreur grossière et grande responsabilité à écarter systématiquement, comme cela a eu lieu à la Mulatiêre, le principe même de cette intervention.
- La constitution des groupements corporatifs, de patrons et d’ouvriers, correspond à des nécessités sociales accusées par des symptômes suffisamment nombreux et clairement significatifs.
- On ne résiste pas impunément aux nécessités sociales.
- Les livrets d’ouvriers.
- Distinguer les hommes, les citoyens d’un pays eu deux classes, donner aux uns la liberté complète de leurs mouvements dans le droit commun ,ret ne point permettre aux autres de faire un pas sans laisser une trace publique, une trace écrite de l’emploi de leur temps sur un livre de police, attaché à la personne comme la marque était imprimée à la peau du forçat, obligatoire et exigible à toute réquisition sous peine de délit, c’est dire qu’il y a dans ce pays deux grandes catégories d’habitants dont les uns sont honnêtes et les autres sont coupables, à priori.
- Ce n’est pas l’ancien régime, c’est le premier Empire qui a eu cette idée-là. Il a mis dans la première catégorie les capitalistes ou rentiers, les fonctionnaires, les employés et dans l’autre les ouvriers, tous les ouvriers sans distinction.
- Par le fait d’être ouvrier, c’est-à-dire pauvre, on est suspect de tous les crimes. Le plus honnête homme du monde, obligé de travailler de ses mains pour vivre, doit être surveillé comme un forçat libéré. Toute la classe ouvrière n’est qu’un gibier de police.
- Telle est la pensée dont est sorti cet anachronisme odieux, dans une société démocratique, ayant pour base le suffrage universel, qui a nom : le «Livret des ouvriers.»
- Les décrets impériaux qui ont bouclé, ligotté l’ouvrier à l’obligation de porter sur lui un livret indiquant la durée exacte de tous ses séjours et la direction de ses déplacements ne sont pas encore rapportés.
- L’ouvrier souverain aujourd’hui comme tous les citoyens de la nation, faisant acte de souveraineté électorale, chaque fois que l’occasion s’en présente, est encore sous le coup de la loi d’exception monstrueuse que nous venons de rappeler.
- Le premier gendarme venu peut aborder cet honnête homme qui passe sur la grande route, dont la voix vient peut-être de décider du sort des manifestations de la lune... et lui demander, sur le ton que l’on prend pour parler à un chien..., son livret, c’est-à-dire le sommer de montrer sa marque d’esclavage originel et professionnel.
- Mais, direz-vous, la Chambre a dû voter, en 82, la suppression des livrets ouvriers.
- Oui, en 1882, douze ans après la proclamation de la République et trente-quatre ans après l’installation du suffrage universel, la Chambre a voté la suppression du livret.
- Mais il n’y a pas que la Chambre, dans le régime politique dont nous a doté la,Constitution de 4875: il y a aussi le Sénat.
- Le Sénat a fait languir la loi d’abrogation des livrets pendant trois ans... pour commencer...
- Le Sénat ne s’est occupé de la question qu’au mois de mai dernier, et s’est refusé à voter la loi adoptée par la Chambre.
- Le Sénat veut bien accepter la suppression du livret obli • gatoire, mais il a maintenu le livret à titre facultatif, ce qui constitue tout simplement un titre et une loi de perfidie insigne, le «livret facultatif» ne devant servir qu’à faire remarquer les ouvriers qui n’en auront pas.
- p.339 - vue 342/838
-
-
-
- 340
- LE DEVOIR
- C’est dans ces conditions que la loi revient au Palais-Bourbon.
- Nous n’avons pas besoin de dire quelle est absolument inacceptable pour la Chambre.
- France libre.
- Le Commerce extérieur de la France. —
- Il ressort des documents statistiques sur le commerce de la France, pendant les quatre premiers mois de l’année 1886, que les importations se sont élevées, du 1er janvier au 30 avril 1886, à 1,432,643,0006, les exportations à 1,036, 997,000 francs.
- Ces chiffres se décomposent comme suit :
- Importations 4886 1885
- Objets d’alimentations. . Matières nécessaires à l’in- 475.676.000 476.433.000
- dustrie 718.502.000 821 871.000
- Objets fabriqués 193.744.000 205.159.000
- Autres marchandises. . . 44.621.000 44.587.000
- Totaux. . . Exportations 1.432.543.000 1.548.050.000
- Objets d’alimentation . . Matières nécessaires à l’in- 210.982.000 241.800.000
- dustrie 220 792.000 219.233.000
- Objets fabriqués. • . • . 556 280. J00 548.621.000
- Autres marchandises. . . 48.943.000 46.765.000
- Totaux. . . 1 036.997.000 1.056.419.000
- Voici comment se décomposent les chiffres du mois d’avri
- 1886 comparés à ceux du même mois de l’année 1885 :
- Importations 1886 1885
- Objets d’alimentation . . Prod. naturels et matières 117.047.000 123.889.000
- nécessaires à l’industrie. 186,797.000 196.734.000
- Objets fabriqués . . . 52.818 000 53.577.000
- Autres marchandises . . 12.677.000 13.660.000
- Total Exportations 369.329.000 387.860.000
- Objets d’alimentation . . Prod. naturels et matières 67.205.000 72.778.000
- nécessaires à l’industrie. 57 988.000 55.753.000
- Objets fabriqués. . , . . 159.338.000 173.629.000
- Antres marchandises . . 14.939.000 12.544.000
- Total . . . 299 470.000 314,704.000
- Ces résultats sont peu satisfaisants. L’ensemble des transactions a diminué de 33 millions 1/2, soit 18 millions 1/2 pour les importations et 15 millions pour les exportations.
- Le ralentissement des affaires est à peu prés général.
- En ce qui concerne les objets d’alimentation, nous voyons les importations fléchir de 124 millions à 117 millions, et les exportations rétrograder de 72 millions 1/2 à 67 millions.
- Les achats de matières premières à l’industrie sont tombés de 197 millions à 187 millions, tandis que les sorties se sont accrues de 2 millions. C’est un indice dont on ne saurait méconnaître l’importance. Ces variations indiquent que l’industrie française utilise moins de matières premières, et, par conséquent, produit moins.
- Depuis quelques mois, cette diminution est constante, et elle a pour conséquence une réduction de nos exportations de produits fabriqués.
- LA
- JOURNEE DE HUIT HEURES
- Le mouvement d’opinion en faveur de la journée de huit heures s’est rapidement étendu par tout le monde civilisé. Aux États-Unis surtout, les groupements ouvriers ont pris particulièrement à cœur d’obtenir cette réduction ; déjà un grand nombre d’établissements industriels l’ont acceptée.
- L'Américan manufacturer du 7 mai 1886, apprécie comme suit le mouvement ouvrier américain.
- « Le plus important événement du monde industriel pendant la semaine a été l’inauguration du mouvement de huit heures, plus spécialement dans les grandes villes du nord.
- « En quelques cas la demande des ouvriers a été promptement mise à exécution ; mais le plus souvent il n’en a pas été ainsi. Le résultat est une grève très étendue qui paralyse présentement des dizaines de mille d’ouvriers et des millions de capitaux. Se produisant après la longue et désastreuse grève des employés de chemins de fer du Sud-Ouest, les fâcheuses conséquences de la grève engendrée par le mouvement de huit heures en seront aggravées.
- Il est grandement à regretter que cette contestation n’ait pu être prévenue, car, outre la misère, les douleurs et la prostration d’affaires qui va s’en suivre forcément, les pertes subies des deux côtés ne pourront engendrer rien de bon.
- On a beaucoup agité le pour et le contre à propos du mouvement de huit heures, surtout depuis qu’il est accouplé avec la réclamation d’un même salaire pour huit heures qu’autre-fois pour dix heures.
- L’usage croissant de la machine et son efficacité également croissante, ont tellement élargi la puissance de la production qu’it n’est plus nécessaire aujourd’hui, pour répondre aux besoins du monde, de travailler autant d’heures par jour qu’au-paravant.
- Considérée de ce point de vue, la réclamation de diminuer les heures de travail est donc justifiée, au moins pour beaucoup d’industries. C’est le seul moyen d’éviter l’oisiveté pour un nombre considérable de travailleurs. Mais le moment et la manière d’inauger toute proposition, juste ou non, a besoin d’être examiné.
- Donc, on peut d’abord se demander si le moment actuel est bien fropice pour réclamer, dans toutes les industries, la mise de la journée de travail à huit heures.
- M. Powderly, le chef des Chevaliers du travail, et qui probablement a donné k ce sujet plus d’attention intelligente que tout autre homme aux États-Unis, ne le pense pas. En faveur de son opinion on peut, parmi d’autres arguments, invoquer celui-ci ; les affaires du pays sont déjà troublées, le travail est diminué déjà par le fait de conflits entre patrons et ouvriers sur différents points des États. Une autre raison
- p.340 - vue 343/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 341
- est celle-ci : Donner pour huit heures île travail le même salaire que pour 10 équivaut à une augmentation des salaires de 25 O/o- Les manufacturiers sont-ils en état de payer cette augmentation par ce temps d’abaissement des prix de vente ? Quelques-uns d’entre eux peuvent le faire, mais nul doute que la grande majorité ne le peut pas; car il est de notoriété qu’en ce moment, règle générale, les profits industriels sont nuis ou ils sont très petits.
- N’eût-il pas été bon, en conséquence, de différer le mouvement de huit heures jusqu’à un temps plus propice, c’est-à-dire jusqu’à ce que la demande ait relevé les prix de vente et mis les manufacturiers à même de payer davantage les ouvriers. M Powderly pense que le mouvement de huit heures eût du être inauguré au printemps prochain.
- Avant le commencement des conflits industriels pendants, il y avait eu de très sérieux indices d’une bonne reprise des affaires, naturellement la plus grande incertitude règne aujourd’hui à ce sujet.
- Nous avouons ici ne voir dans ces arguments que la fin de non-recevoir qu’opposent toujours ceux qui font obstacle à toute réforme. Avec eux il y a toujours des motifs à différer. Mais la misère et la faim ne peuvent raisonner de la même manière.
- Passons à la manière de lancer le mouvement de 8 heures. Est-il sage de la part des ouvriers de toutes les industries — car presque tous l’ont fait— de réclamer la même chose en même temps ?
- N’eût-il pas mieux valu, cela n’eût-il pas moins troublé l’industrie et offert plus de chances de succès, limiter cette demande à quelques industries d’abord et à celles qui, vu les circonstances, sont les plus propres à supporter ce changement ?
- Si les ouvriers avaient conduit le mouvement dans cette voie, ils ne se seraient pas coupé l’herbe sous les pieds. Quand tout travail est arrêté, il n’y a presque aucune demande d’achat et les manufacturiers, en conséquence, sont à peu près indifférents à ce que leurs ateliers marehent ou non.
- Quand les mécaniciens et autres ouvriers du fer sont en grève, c’est un mauvais moment pour les mineurs de réclamer une augmentation de salaires.
- Enfin, si l’on eût suivi la voie que nous venons d’indiquer, on eût évité l’excitation, les rixes, les luttes, les massacres qui déjà ont accompagné le mouvement de huit heures, ou du moins on eût réduit ces maux à de beaucoup plus petites pro portions. »
- Notre confrère américain, vivement impressionné par les désordres occasionnés par les grèves en faveur de la journée de huit heures, sachant qu’on ne résiste pas aux grands courants populaires, s’est demandé consciencieusement ce qu’on aurait dù faire pour mener cette campagne à bonne fin et pour éviter les perturbations qu’elle a fait surgir.
- Des appréciations précédentes sont générale- 1
- ment justes. Nous aussi nous désirerions voir les phénomènes sociaux s’accomplir méthodiquement. Mais cela ne sera que lorsque, ouvriers et patrons auront la prévoyance de méditer les projets de réformes dès qu’ils se produisent, de chercher et de vulgariser alors les moyens pratiques de les faire passer sans secousse dans la règle générale, et de ne pas trouver inopportunes les réformes dans les moments de crise pour les trouver encore plus inopportunes lorsque les crises sont passées.
- Pour quiconque suit attentivement les manifestations de la conscience publique, il est évident que l’éducation politique des citoyens n’atteint encore nulle part ce degré de maturité. Il y a lieu d’espérer que de rapides progrès seront constatés bientôt, si, partout, la presse, suivant l’exemple de Y Américain manufacturer, rachète son défaut de provoyance, par un sage examen des fautes passées.
- Par cet examenrétrospectif des faits, dirigeants et dirigés s’habitueront à comprendre la nécessité del’étude préalable des problèmes sociaux ; et, par la connaissance exacte des conséquences fâcheuses des mouvements désordonnés, ils apprécieront exactement, comme le fait notre confrère, quelle aurait dû être la marche rationnelle. Une fois ces connaissances acquises par de pénibles expériences, il est vrai, dès que commenceront à se manifester les premiers symptômes des perturbations, tous les intéressés s’appliqueront à en prévenir les effets, avant qu’il soit trop tard.
- Mais, pour être praticable, cette sage conception a besoin d’être précédée d’un commencement d’organisation, sinon du travail, au moins des deux éléments, ouvriers et patrons
- Les patrons auraient besoin d’avoir parmi eux un Powderly, qui s’appliquât à les grouper, à les cohésionner, comme le maître des Chevaliers du Travail a su solidariser les forces ouvrières ; il ne faudrait pas que ce groupement soit fait sous l’inspiration d’une aveugle résistance, ou avec la croyance que l’organisation générale du travail est en possession de lois immuables ; le but dominant de ce groupement devrait être la volonté de chercher en toutes choses le possible, en tenant compte uniquement des faits constatés, tant des faits matériels que de l’état moral des masses. En évitant de se laisser influencer par l’esprit de vieilles lois ou de préjugés d’une autre époque ; une fois ce possible théoriquement aperçu, il serait toujours facile de trouver un
- p.341 - vue 344/838
-
-
-
- 342
- LE DEVOIR
- acheminement rationnel et progressif vers sa réalisation.
- Tant que l’on n’aura pas admis ces pratiques, il sera utopique de croire pouvoir choisir le moment des réformes ; on ne pressent pas les explosions.
- La réduction de la journée de travail est, on peut le dire, universellement réclamée ; les groupes ouvriers de tous les pays s’en préocupent plus que d’aucune autre question.
- Il est grand temps de rechercher la valeur exacte de cette réclamation.
- Les partisans de cette réforme invoquent des considérations morales et économiques à son appui.
- Les considérations morales sont évidentes : il est incontestable que le travailleur aura plus d’occasions de s’instruire, d’exercer son intelligence, de s’occuper de sa famille, et de prendre part à la vie publique. C’est surtout ce dernier avantage qu’ont entrevu les promoteurs de cette réforme, les chefs du parti socialiste allemand. En Allemagne, le recrutement du parti socialiste se poursuit méthodiquement par une propagande pénible, ininterrompue ; la longueur de la journée de travail laisse peu de temps aux ouvriers pour se voir, pour se concerter sur leurs intérêts communs ; il est naturel que, dans un milieu où le groupement ouvrier puise toute sa force dans un travail constant de propagande, les meneurs de cette agitation aient attaché une grande importance à l’obtention d’une courte durée de la journée de travail. C’était pour eux la perspective de gagner, en quelques mois, plus de prosélytes qu’ils en affilient pendant plusieurs années, à cause des difficultés provenant du défaut de temps.
- Les effets hygiéniques et sanitaires de la réduction de la journée de travail ne sont pas moins indiscutables que les conséquences morales,
- On ne peut en dire autant des arguments économiques.
- On a dit, les ouvriers travaillant moins chacun, aux moments de chômages un plus grand nombre aura place à l’atelier.
- Cela serait vrai, s’il était prouvé que l'ouvrier produit moins en huit heures qu’en dix, que l’outillage mécanique est arrivé à son maximum de puissance, et que la production correspond aux besoins de l’humanité.
- Un fait constaté au Familistère fait naître bien des doutes à l’égard de la diminution probable
- de la productivité ouvrière, par une réduction de la journée à huit heures.
- En 1870, pendant l’invasion, le commerce étant complètement paralysé, Monsieur Godin avait résolu de continuer la fabrication. Mais, après quelques mois, on s’aperçut qu’il y avait nécessité d’enrayer la production pour ne pas encombrer les magasins, au point d’être contraint à un arrêt subit de l’industrie. Ces prévisions furent communiquées aux travailleurs ; il fut convenu que la journée serait réduite à huit heures. Mais, à la’Xm du premier mois, bien que l’on n’eût pas remarqué dans la tenue des ouvriers des indices certains d’efforts extraordinaires, si ce n’est plus d’exactitude dans l’observation des heures de rentrée et plus de soin à éviter toute distraction, on constata que la production était rigoureusement égale à celle des mois précédents. Finalement, il fallut, pour obtenir la diminution désirée, réduire davantage la durée du travail et limiter le nombre de pièces que devait faire chaque ouvrier; sans cela beaucoup auraient compromis leur santé par un travail trop accéléré.
- D’autre part, la rentrée de tous les ouvriers à l’atelier relèverait immédiatement la production générale au-dessus duniveau d’écoulement possible en époque de salariat. De même,si l’équilibre venait à s’établir momentanément à la suite de l’adoption de la journée de huit heures, les perfectionnements des machines et des procédés industriels auraient bientôt créé une surproduction relative, grosse des complications passagèrement apaisées.
- Gomment s’arrêter sérieusement à la pensée de restreindre la production, lorsqu’il existe une grande misère dans les classes laborieuses.
- Mais il faut compter, surtout, avec la concurrence étrangère, lorsque le problème se pose nationalement, comme cela arrive en Amérique. Un peuple qui réduirait sa journée de travail à huit heures, en payant ses travailleurs employés à l’heure et à la journée à un prix tel que le salaire ne soit pas diminué, s’excluerait lui-même du marché universel ; à moins qu’il ne compensât par des machines cette différence due à la hausse du salaire. Dans ce cas, l’amélioration serait nulle pour les travailleurs.
- Dans tous les cas, sera stérile toute réforme qui n’augmentera pas la puissance de consommation ouvrière. C’est cette considération qui nous fait attribuer une grande importance à l’adoption
- p.342 - vue 345/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 843
- du système de la participation aux bénéfices ; la participation aux bénéfices n’est pas une question moins négligeable que la réduction de la journée du travail; elle est le complément obligé.
- Nous avons indiqué ces difficultés et soulevé les questions connexes de la réduction à huit heures de la journée de travail, non pour donner des arguments aux adversaires de cette réforme, mais pour indiquer la véritable voie à suivre aux citoyens désireux d’en poursuivre pratiquement l’obtention.
- Nous résumons ainsi notre opinion:
- La réduction à huit heures de la durée de la journée de travail peut donner d’excellents résultats moraux, désirables en tous pays, nécessaires dans les démocraties; mais, à la condition que cette mesure soit suivie d’autres mesures propres à arrêter la concurrence dépréciative des produits de Y industrie et à donner aux travailleurs des garanties contre les abus.
- Economiquement, elle sera sans effets appréciables, si elle n’est accompagnée du maintien des salaires actuels.
- A l’heure présente, en considération de l’état d’esprit et des conditions économiques des masses ouvrières dans tous les pays civilisés, il y a nécessité d’établir internationalement une entente dans la législation industrielle afin d’y généraliser les mesures reconnues indispensables pour intéresser les classes ouvrières à l’ordre et à la conservation sociale, mesures qui n existeront pas sans une réforme susceptible d augmenter la consommation ouvrière, en vue d équilibrer la production par la consommation.
- Le moyen pratique est le groupement général, dans chaque nation, des patrons et des ouvriers cherchant dans l’union la force d’expansion et non de résistance ; sous l'influence de ces groupements, la vérité entrevue par quelques-uns deviendra bientôt évidente pour tous ; alors, la volonté de tous mettra les gouvernants dans l’obligation de faire passer, dans les lois internationales, les garanties indispensables à la conservation de l’ordre social.
- Offre d’emplois.
- L’Association du Familistère demande des voyageurs à la commission pour le placement des produits de sa fabrique de bonneterie.
- Faits politipes et sociaux de la semaine
- FRANCE
- La Chambre.— Les Chambres viennent de reprendre leurs travaux. Une avalanche de projets de loi, déposés par les ministres et par les députés, a donné un caractère spécial à la première séance. Nos députés seraient-ils résolus à mieux faire que précédemment; ou bien ont-ils obéi à une sorte d’irritation nerveuse, après laquelle nous les retrouverons tels que nous sommes habitués à les voir ordinairement. On nous annonce comme devant prochainement aboutir : Les projets de la loi militaire, de la loi sur les mines, de la loi sur les sucres. Tous ces projets sont importants; la Chambre qui les conduirait à bonne fin, en peu de temps, aurait bien mérité du pays. Néanmoins, nous devons constater avec regret qu’il n’existe encore aucun projet, dont l’adoption entraînerait une augmentation de lapuissance de consommation des classes ouvrières. Les lois de ce genre sont cependant les plus urgentes par raison d’ordre social, quoiqu’elles ne soient pas assez désirées par l’upinion publique.il serait grand temps que l’attention de nos députés se portât sur ces questions vitales.
- * *
- Les opportunistes intransigeants. — Dans le département d’Ille-et-Vilaine une récente élection législative nous montre, sous un triste, jour, l’intransigeance opportuniste. Ces gens-là veulent à tout prix la République en leur pouvoir, pour en faire ce que nous ont appris cinq ans de leur domination, et, plutôt que de renoncer à leurs faméliques ambitions, ils préfèrent livrer la France aux partis monarchistes. 11 s’agissait de remplacer M. Lelièvre, candidat radical, décédé. M. Lelièvre, entré pour la première fois à la Chambre aux élections d’octobre 1885, était le seul candidat radical admis sur la liste républicaine du département. Il avait été élu, au deuxième tour de scrutin, le 18 octobre, l’avant-dernier, par 63,947 voix. Le premier candidat de la liste réactionnaire avait obtenu 59,544 voix.
- Au scrutin de dimanche, le candidat conservateur a été élu avec 57,000 voix. Plus de 14.000 des électeurs républicains qui avaient voté pour M. Lelièvre ont fait défection. Ce beau résultat est dû à l'influence des meneurs opportunistes, effarouchés par le radicalisme de M. Martin, maire de St-Malo, candidat choisi par la majorité des délégués républicains.
- ¥ ¥
- Formalités relatives aux Pétitions. — Le
- Ministre de l’Intérieur a adressé aux préfets une circulaire,au sujet de la forme dans laquelle doivent être faites les pétitions adressées auxautorités constituées.
- Il rappelle que la loi du 13 brumiare an Vil assujettit au droit de timbre, suivant la dimension des papiers employés, les pétitions et mémoires, même en forme de lettres, présentés aux Ministres, aux autorités constituées et aux administrations et établissements publics, et quelle interdit aux administrations publiques de rendre aucun arrêté ou décision sur des actes non revêtus du timbre prescrit.
- Des instructions ont été, à plusieurs reprises depuis 1871, nÀrmèm aux préfets pour les inviter à renvoyer inflexible-
- p.343 - vue 346/838
-
-
-
- 344
- LE DEVOIR
- ment à son auteur toute demande ou pétition qui leur parviendrait, de quelque nature que ce soit, sur papier no.i timbré.
- Ces instructions paraissent avoir été perdues de vue et, par suite de certaines tolérances,des pétitions sur papier libre sont encore actuellement reçues dans les administrations publiques et donnent lieu à des décisions sans que le payement du droit de timbre ait été effectué.
- Le Ministre de l’Intérieur ajoute que son collègue le Ministre des Finances vient d’appeler son attention sur cette négligence qui, si l’on n’y prenait garde, serait de nature à diminuer sensiblement les produit de l’impôt à raison de la multiplicité croissante des pétitions : il invite, en conséquence, les préfets à veiller personnellement à l’exécution de la loi, en s’abstenant de statuer sur les demandes qui leur parviendraient sur papier non timbré.
- * *
- Solidarité ouvrière.— Les journaux qui ont ouvert des souscriptions en faveur des grévistes de Decazeville viennent de publier la lettre suivante :
- En réponse au refus d'arbitrage exposé par la compagnie des houillères de l'Aveyron aux propositions des grévistes de Decazeville, nous vous adressons un troisième versement de 300 francs pour les grévistes de Decazeville, c’est-à-dire pour les victimes de ^coalition orléaniste, car il n’est pas douteux que l’orléanisme qui a provoqué la grève entend prolonger la misère des travailleurs, oubliant que de pareils procédés sont bien faits pour précipiter la révolution sociale.
- Les chambres syndicales des Forgerons, Ajusteurs et uhaudronniers de Nantes.
- * *
- Les colis postaux.— Le projet de loi dont M. Gra-net, ministre des postes et télégraphes, a entretenu ses collègues, hier matin,et qu’il compte soumettre incessamment à la Chambre, porte approbation d’une convention conclue avec les compagnies de chemins de fer au sujet du transport des colis postaux.
- Cette convention stipule que le poids maximum des colis postaux est porté de trois à cinq kilogrammes. Elle établit un tarif unique de un franc par colis postal.
- Les colis postaux pourront être expédiés d’après ce tarif uniforme de toutes les gares et de toutes les localités qui correspondent avec les gares. Ils devront en outre être livrés à domicile.
- * +
- Grève des Bûcherons de la Nièvre. — On
- lit dans le journal la Lanterne.
- On nous écrit de la Fermeté, canton de Saint-Benin-d’Azy : Une grève de quelques centaines de bûcherons de la Fermeté et des communes voisines vient de se produire. Les motifs de cette grève son d’abord la mesure draconienne prise contre quelques républicains d’entre eux par l’ex-écuyer de l’empereur, le marquis de Bourg, maire de la commune de la Fermeté, qui excluait de tout travail tout individu présumé n’avoir pas voté pour lui ; ensuite, l’insuffisance des tarifs concertés entre eux par les marchands de bois.
- Une réunion des délégués grévistes vient d’avoir lieu à la
- Fermeté. Les marchands de bois y avaient été poliment convoqués ; un seul a répondu à cette appel. M. le préfet de la Nièvre, au premier avis, avait abandonné son conseil de révision pour se rendre à la Fermeté. 11 y a trouvé des hommes paisibles, demandant des choses justes : un travail rémunérateur, après un hiver pendant lequel le meilleur d’entre eux n’avait pas gagné 25 sous par jour.
- En l’absence des patrons, la visite de M. le préfet n’a pu aboutir qu’à constater le calme parfait des ouvriers, la justice de leur cause, le bien fondé de leurs réclamations et le mauvais esprit des marchands de bois qui avaient fui les explications. Néanmoins, rendons cette justice à M. le marquis du Bourg, maire de la Fermeté, qu’il est resté là toute la durée de la réunion et que, pressé tantôt par M. Granet, notre honorable et sympathique préfet,tantôt par notre conseiller général, M. Frébault, qui, appelé par les ouvriers à cette réunion s’est empressé de s’y rendre, il s’est décidé à lever l’interdit arbitraire que depuis plus de six mois il faisait peser sur les ouvriers républicains.
- G’est à peu près le seul résultat de la journée. Nous attendons la suite.
- * *
- Mécanisme du vol.—Un français, M. Emile Muller qui est attaché dans un lycée russe dans l’Asie centrale, a communiqué à M. Marcey le résultat d’observations qui ont para remarquables et qui sont de nature à mieux faire connaître les conditions mécaniques au sein desquelles s’accomplit le vol de l’oiseau. M. Muller s’est appliqué à déterminer comment agit la résistance de l’air. Qu’arrive-t-il lorsque l’air est frappé par le plan que représente la face interne de l’aile ? L’observateur a eu l’idée de rendre cet air déplacé visible au moyen de fumées et de vapeurs phosphorées. lia vu une couche d’air diaphane couper horizontalement la colonne de fumée. L’air se comprime contre le plan de l’aile et s’échappe en arrière, parallèlement à ce plan. Ainsi chassé, il engendre deux ordres de tourbillons cylindriques ( phénomène analogue à celui qui se produit quand on pratique une insufflation dans un tube) dont le mouvement de propulsion pousse le corps de l’oiseau en avant.
- + *
- Conservation des viandes crues — M. le
- comte d’Adhémar est l’auteur d’un procédé pour la conservation des viandes crues à l’air libre, qu’il soumet à l’examen de l’Académie. Ce pro é lé consiste dans la destruction, au moyen d’un gaz. de tous les germes de putréfaction dans la profondeur des tissus. Il laisse à la viande ses qualités nutritives, son aspect, sa saveur ; la conservation persiste un à deux mois, avec une légère dessiccation toutefois qui est due à l’évaporation de l’eau.
- BELGIQUE
- Élections provinciales.— Il résulte de l’ensemble des élections provinciales que la situation des partis,— libéraux et catholiques,— n’est pas sensiblement modifiée.
- Les pertes et les gains se compensent dans les provinces de Namur, Liège, Limbourg, Anvers et des deux Flandres.
- Les catholiques ont été remplacés par des libéraux à Re-naix.
- p.344 - vue 347/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 345
- ITALIE
- Les élections générales nécessitées par la dissolution de la Chambre des députés ont eu lieu Dimanche.
- Voici les résultats définitifs moins 6 collèges.
- Ministériels, 255 ; opposition pentarchique, 169 ; radicaux, 28 ; incertains, 22 ; dissidents, 4.
- M. Amilcar Gipriani, ancien membre de la commune de Paris, et condamné à la détention perpétuelle, a été élu dans deux collèges.
- GRÈGE
- Le Désarmement et l’emprunt — Le conflit turco-grec vient de prendre fin par la résolution du gouvernement grec de désarmer. Les réserves sont licenciées ; un décret autorise les volontaires à résilier leur engagement.
- On parle d’un prochain emprunt de 20 000,000. La finance et la spéculation profiteront largement de ce malheur public. C’est toujours cette même morale qui se dégage de tous les faits d’une humanité dominée par l’individualisme.
- ANGLETERRE
- Modération des conservateurs.—La discussion des projets de loi relatifs à l’Ii lande fait ressortir les véritables sentiments des prétendus modérés conservateurs qui demandent le maintien du statu-quo ; ils remplacent les arguments par des accusations personnelles et par des appels à la révolte, dans lesquels ils déclarent ne pas vouloir se soumettre à la loi, si elle est votée par le Parlement. Ce sont les mêmes gens qui réclament, au nom du respect de la légalité, l’incarcération et la déportation des ouvriers, lorsque ces derniers, irrités par les chômages, exaspérés par la faim, se laissent entraîner à des mànifestations condamnées par les lois.
- ----------------- -------------------------
- LETTRE DES ÉTATS-UNIS
- M. Sylvester Waterhouse,professeur à Washington üniversity, St-Louis, Missouri, nous adresse une lettre dont nous donnons ci-dessous la traduction.
- Cette lettre, remarquable par la précision avec laquelle elle envisage un des côtés du problème social, celui de la fixation des salaires, est muette sur un point des plus importants, celui des garanties dues à l’ouvrier et à sa famille, quand le travail fait absolument défaut.
- Il n’est pas possible à notre époque de laisser dans le dénûment, u’abandonner à la misère, à la faim, en cas de crise industrielle, l’ouvrier dont le labeur en temps normal entretient et développe la richesse sociale.
- Il est du devoir des nations d’organiser dans leur sein des institutions donnant aux travailleurs les garan'ies de la vie, si l’un veut arriver à la véritable solution du problème social et mettre fin
- aux revendications violentes des déshérités de tout bien.
- Il est d’autant plus inattendu de voir M. Waterhouse oublier ce côté du problème social, qu’il évalue au début de sa lettre à un million le nombre des ouvriers qui, en 1885, ont cherché et n’ont pu trouver de l’ouvrage aux États-Unis.
- Ne faut-il pas que ces hommes vivent ?
- Comment l’ordre et la paix pourraient-ils être assurés dans les sociélés, comment les revendications violentes pourraient-elles être conjurées, tant qu’un million d’hommes et leurs familles pourront errer en quête d’ouvrage, abandonnés aux farouches inspirations de Ja misère et de la faim, dans des sociétés regorgeant de richesses ?
- Nous appelons donc l’attentionde M. Waterhouse sur nos propositions concernant lamulualité nationale et l’hérédité de l’Etat, persuadés que s’il en mesure la portée, il se ralliera à nos vues, et qu’il n’en sera que mieux armé pour servir la cause de l’émancipation des classes laborieuses et de la véritable pacification sociale.
- Voici la lettre de M. Waterhouse.
- Washington Üniversity, 1er Mai 1886.
- Monsieur le Directeur du Devoir à Guise (France.)
- Cher Monsieur,
- Permettez-moi de vous adresser mes sincères remerciements pour l’honneur que vous m’avez fait en reproduisant en français ma déposition à l’Enquête ouverte par Th§ Age Of Steel sur les rapports du capital et du travail.
- La condition des travailleurs est maintenant un objet d’attention universelle. Aucun ami du genre humain ne peut ignorer ce qui y a trait.
- Harmoniser les rapports entre le travail et le capital est un piobléme qui nécessite les plus hautes capacités pratiques des véritables hommes d’Etat.
- Les récentes émeutes qui se sont produites en Angleterre, en Belgique et aux Etats-Unis témoignent d’un mécontentement général parmi les classe» laborieuses, et indiquent quels graves désordres peuvent accompagner le renversement du système industriel du monde civilisé.
- Les commissaires d’État dos bureaux de statistiques du Travail aux États-Unis estiment qu’en 1885 un million d’ouvriers, dans ce pays, ont cherché vainement du travail.
- Le salaire moyen par jour n’a pas été moins d’un dollar (5 francs) pour l’ouvrier occupé.
- D’où il suit que la perte en salaires dans les Etats-Unis n’a pas été inférieure, pour l’année dernière, à 300.000.000 de dollars (un milliard cinq cents millions de francs.)
- Les perles qui résultent d’une prostration générale des affaires sont peut-être sans remède. Les crises arrivent avec une périodicité en apparence certaine et inévitable. Jusqu’ici, la sagesse humaine a été en défaut pour les prévenir.
- Mais il y a dans le monde industriel d’autres pertes s’élevant à des centaines de millions de dollars qui sont dues à 1 l’action volontaire des capitalistes et des travailleurs.
- p.345 - vue 348/838
-
-
-
- S*6
- LE DEVOIR
- La fermeture des fabriques et usines, qu’elle soit due à la décision arbitraire des patrons ou à la mise en grève concertée des ouvriers, entraîne des pertes immenses en salaires et valeurs productives, pertes qui portent la plus grave atteinte au bien-être des nations.
- L’arrêt du travail est souvent accompagné d’actes de violences. Les récentes émeutes ouvrières en Belgique ont détruit des biens pour plusieurs millions de dollars.
- L’arrêt des manufactures et du commerce clôt les plus grandes sources de la richesse publique. Il a été constaté que la dernière grève des employés, dans le sud-ouest de lr vallée du Missisipi, a causé, dans la seule ville de St-Louis, une baisse des transactions de banque d’environ trois quarts d’un million de dollars chaque jour. Si la, grève s’était étendue à tous les chemins de fer et établissements industriels du pays, le mal eût été incalculable.
- De telles atteintes à la richesse des nations semblent évitables.
- Les Économistes devraient être en mesure de présenter des plans pour éviter de tels dommages à la prospérité industrielle du genre humain. Des appels au sens commun et à l’intérêt individuel éclairé devraient porter patrons et ouvriers à régler, par l’arbitrage, tous les différends qui peuvent s’élever entre eux.
- Si les dissentiments internationaux peuvent être résolus par une diplomatie pacifique, à plus forte raison les dissentiments entre citoyens doivent-ils pouvoir être réglés en conférences amicales.
- Le fait de soumettre les contestations à un tribunal d’arbitres intelligents et impartiaux fournit les moyens d’arriver à une entente amiable sur toute discussion. Si une méthode aussi simple et effective n’est pas généralement adoptée d’ici à qu lquesannées, ce sera l’indice d’un manque de bon sens de la part de notre époque.
- Il est à présumer que patrons et ouvriers, instruits par les dures leçons de l'expérience, accueilleront avec joie tout moyen raisonnable d’éviter les pertes désastreuses entamées par Ses grèves.
- Le système de l’arbitrage a déjà subi l’épreuve de nombreuses expériences et ses résultats pratiques le recomman dent à l’adoption universelle pour la solution de tout malentendu entre travail et capital.
- Mais, prévenir vaut mieux que guérir. À une époque de progrès industiiel l’absence de causes de mécontentement vaut mieux que l’institution d’un mode de redressement de quelques torts laissés en exercice. Le régime du salariat requiert d’une façon évidente des modifications.
- Les ouvriers sont convaincus que les manufacturiers, grâce au pouvoir qui résulte de la concentrât! n des capitaux et de l’emploi des machines, les privent de leur part légitime dans les ressources de la production.
- C’est cette conviction de la part des ouvriers qui engendre le profond mécontentement auquel sont en proie aujourd’hui les ouvriers de toutes les nations civilisées.
- Évidemment, le plus efficace moyen d’effacer ce mécontentement est de donner au traviilieur une part de bénéfices proportionnelle à son habileté et à son temps de service.
- Par la fondation de l’association du Familistère, vous avez offert, Monsieur, à tous les chels d’industrie, un noble exemple à imiter.
- Les travailleurs, ne se soulèveront pas contre une direction qui a pour leur bien-être une attention si vigilante et si humaine; admis d’une façon équitable à la participation aux bénéfices de I industrie qui les emploie, ils n’auront pas de motifs pour se mettre en grève. En outre,le système de droits gradués dans l’association,selon le mérite industriel,développe chez l’artisan un plus grand intérêt pour l’industrie, un dé-vouementplus stable au travail, une plus stricte vigilance contre le gaspillage, en même temps qu’un perfectionnement de l’habileté individuelle. Tous ces avantages réunis doivent faire plus que compenser les parts allouées aux travailleurs. Les économies résultant d’un équitable traitement des membres sont profitables au corps tout entier. Partout où des tentatives analogues ont été faites le contentement des personnes et la prospérité de l’industrie en ont été les heureux ré-! suitats.
- L’agitation ouvrière actuelle a fait surgir nombre d’idées utiles. Dans quelques-unes des plus importantes maisons des États-Unis, le taux des salaires demeure constamment proportionnel au taux de vente des produits.
- Les salaires ainsi basés sur les prix des marchés, varient chaque mois dans la proportion déterminée à l’avance, compara ivemeut au prix de vente des produits. Toutes les questions relatives à l’observation des termes du contrat passé à ce sujet sont soumises à l’arbitrage.
- Ce mode de paiement est flexible et juste. Il s’adapte équitablement aux conditions variables du marché La part faite a i travail s’élève ou diminue, selon que les prix de vente des pr oduits fabriqués montent ou baissent. Le système se recommande donc de lui-même à l’attention des hommes d’affaires.
- Dans certains etablissements la production est activement menée toute l’année, tandis que la vente des produits s’opère en quelques mois seulement. Là, il serait diffuile d’appliquer le système que nous venons d’exposer. Mais tous les autres manufacturiers en mesure d appliquer le système des salaires gradués ont ainsi à leur disposition un mode effectif d’apaiser les mécontentements parmi leurs ouvriers.
- Dans les ateliers améri ains les résultats du système de salaires gradués ont. été éminemment satisfaisants. Quand les travailleurs sont assurés de recevoir des salaires aussi élevés qu’il est possible au chef d’industrie de les payer vu les prix de vente, ils ne se livrent à aucune des récriminations auxquelles ils s’abandonnent en cas contraire, sentant qu’il y a injustice commise à leur égard.
- Quelques manufacturiers rétribuent sagement leurs ouvriers pour toute amélioration quelconque réalisée dans l’industrie. Os primes stimulent la vigilance, la vivacité de pensée, et ont souvent conduit à l’invention de procédés économisant le travail. Une telle générosité de traitement fortifie, en outre, chez les travailleurs une cordialité qui contribue beaucoup à l’entretien de la tranquilité et à la pacification des esprits.
- Les questions industrielles sont les plus formidables problèmes de notre époque. Elles affectent profondément la prospérité et le bonheur du genre humain.
- Le sage règlement de ces graves sujets demande de l’intelligence et du sens pratique. La politique éclairée des nations civilisées a adopté un système d’instruction qui dresse j les hommes à l’accomplissement des devoirs individuels. Les enfants sont instruits de leurs obligations morales, sociales et
- p.346 - vue 349/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 347
- civiles La société, sous peine de sérieux dangers, doit se sauvegarder aujourd'hui par un système'd’instruction plus large n’embrassant pas seulement les devoirs de l’individu.
- Une plus grande part doit être faite à l’étude de l’économie politique et sociale, Les rudiments de cette science doivent être enseignés dans les écoles de tout p <ys. Il est d’importance vitale pour les intérêts de la civilisation que nul enfant ne soit désormais laissé dans l’ignorance de ces principes élémentaires. Il doit les acquérir avant d’arriver à sa maturité. La connaissance des plus simples notions sous ce rapport lui montrera le néant des théories communistes qui mettent en péril la sécurité de la propriété.
- La pensée engendre l’action et celle-ci porte toujours les traits de celle-là, d’où il e>tde première nécessi é d’enseignei les maximes fondamentales de l’Economie politique et sociale. Alors la vérité des principes préservera l’homme de se jeter dans les sentiers dévoyés du socialisme.
- An lieu d’une hostilité implacable, il y aura une amitié indissoluble entre capital et travail. Chacun d’eux est ie complément de l’autre ; capital ni travail ne peuvent se passer du concours l’un de l’autre,niarriver au succès l’un sans l’autre. La chute de l'un est la ruine des deux. Sauf de légères modifications, l’inexorable loi de l’offre et de la demande, loi à laquelle il serait aussi vain de s’opposer que de résister aux forces de la nature, détérmme le taux des salaires.
- Le capital a de grandes responsabilités, il encourt des dangers et doit veiller à mille soins.
- Un ordre de talent supérieur est requis pour la bonne direction des grandes entreprises et peu de vastes établissements se maintiennent longtemps prospères.
- Si ces simples faits d’économie industrielle étaient convenablement enseignés dans toutes les écoles, les ouvriers de la prochaine génération seraient moins disposés à voir l’antagonisme entre le capital et le travail et à se soulever contre l’irrésistible loi de la concurrence industrielle.
- Laissant sagement au capital et à l’habileté exécutive la plus large part des profits qui leur est due en raison de leurs capacités supérieures et des plus grands risques qu’ils encourent, les ouvriers ne chercheraient plus à s’assurer les plus hauts salaires en détruisant la prospérité qui seule peut permettre de leur payer ces hauts salaires.
- De leur côté, les futurs capitalistes apprendraient sc;entifi-quement que l’< ppression, en créant le mécontentement, le gaspillage, l’inattention à l’ouvrage, va elle même à l’encontre de son but égoïste ; qu’il y a profitable économie à reconnaître d’une façon juste et humaine les intérêts et les droits du travailleur ; et que chaque progrès dans la condition morale intellectuelle et sociale de l’ouvrier fait de lui un agent plus effectif dans la production de la richesse. Les leçons de l’économie politique et sociale développeraient la prospérité individuelle et nationale. Un bon économiste est rarement un mauvais citoyen. En conséquence, une science si essentielle à la sécurité de la propriété, au maintien de l’ordre civil et au progrès de la civilisation industrielle, devrait être enseignée non-seulement dans les grandes écoles, mais aussi dans les écoles primaires de tout pays.
- Respectueusement à vous.
- S. Waterhouse.
- L’ARBITRAGE
- Nous avons annoncé que M. Lockroy, ministre du Commerce et de i’Industrie, préparait uu projet pe loi organisant, sur le modèle de la loi anglaise, l’arbitrage en vue de prévenir les conflits entre ouvriers et patrons.
- Le Ministre a achevé l’élaboration de ce projet, qu’il est en mesure de déposer sur le bureau de la Ghamdrfi.
- Le projet se borne à organiser une procédure très simple, de manière à faciliter l’usage de l’arbitrage.
- Celle des deux parties — ouvriers ou patrons — qni veu recourir à l’arbitrage pour le réglement d’un conflit fait une déclaration en ce sens devant le maire de la commune.
- Le magistrat municipal est tenu alors de notifier à l’autre partie la demande à fin d’arbitrage, de sorte que les arbitres puissent être choisis par le?, parties.
- Si l’une des parties refuse de se prêter à l’arbitrage, le maire le constate dans un récépissé qui enregistre le refus et en indique les motifs; ce récépissé est remis à la partie qui a formé la demande d’arbitraare.
- Au cas où les deux parties ont consenti à l’arbitrage, la sentence des arbitres est rédigée en double exemplaire: l’un de ces exemplaires est remis aux intéressés; l’autre est envoyé au Ministère du Commerce et de l’Industrie.
- Ce Ministère, en effet, sera appelé à grouper toutes les sentences arbitrales ainsi rendues de manière à en constituer la coliecton complète en vue de mettre en lumière la propagande qui s’eu dégagera et qui pourra être consultée dans la suite pour le règlement des autres conflits qui pourraient se produire
- Comme on le voit, le projet de loi ne comporte aucune sanction. Il codifie seulement les règles de l’arbitrage, dont le principe est le droit commun. Le but du projet est d’introduire dan nos mœurs ce mode de règlement des conflits en le rendant accessiole à tous.
- -------------—------ --------------------------—----
- La liberté des Cultes.
- La commission du budget a refusé, hier, par 12 voix contre 9 et 1 abstention, d’examiner le budget des cultes.
- Au début de la séance, M. Andrieux, qui avait été chargé du rapport, a exposé les raisons qui avaient déterminé la sous-commission à maintenir les crédits affectés au budget des cultes.
- M. Yves Guyot a répondu qu’il y avait des engagements pris avec les électeurs, aux-quelsun grand nombre de candidats républicains avaient promis la séparation de l’Eglise et de l’Etat, que depuis trop longtemps cette question revenait sur le tapis et que la seule manière d’en finir était de mettre la Chambre en demeure de. lui donner une solution légale en refusant de lui présenter le budget des cuites.
- MM. Dreyfus, Clémenceau, Simian, Ménard-Dorian, Ballue, Laisant, Yves Guyot, Bizarellie,
- p.347 - vue 350/838
-
-
-
- 348
- LE DEVOIR
- de Heredia, G-ervilIe-Réache et Thomson ont voté dans ce sens.
- MM. Andrieux, Prevet,Gomot, Blanzin,Burdeau, Sans-Leroy, Constans, Saint-Prix et Le Guay se sont prononcés pour le maintien du budget des cultes.
- M. Thiers s’est abstenu, M. Bouvier, comme président de la commission, n’a pas pris part au vote.
- Gomme corollaire à la décision de la commission du budget, M. Yves Guyot a annoncé qu’il déposerait aujourd’hui sur le bureau de la Chambre le projet de loi dont il est l’auteur et qui met à la disposition des communes les quarante millions du budget des cultes.
- Le premier pas vers la liberté des cultes promet une vigoureuse campagne contre le cléricalisme.
- Mais les républicains ne doivent pas se faire illusion sur la portée du vote de la commission et de sa vigoureuse initiative.
- Le vote de la commission 11e sera pas sanctionné par la Chambre si les électeurs ne manifestent pas activement en faveur de la décision de la commission du budget.
- Tous les amis sincères de la liberté des cultes ont pour devoir de taire une pression sur les députés de leur département pour le pousser à ne pas se montrer moins libéraux que les membres de la commission du budget.
- Les comités électoraux, les sociétés de Libre Pensée agiront sagement en prenant l’initiative d’une agitation anti-cléricale plus décisive.
- Peut-être après ce premier pas en avant dans les voies du Républicanisme, nos représentants seront-ils moins craintifs et plus disposés à commencer les réformes sociales.
- Sou altesse l'or-
- 11 y a deuxou trois ans. un richissime membre de la colonie américaine de Paris, M. Mackay, se permettait d’a-dreser au gouvernement la proposition suivante :
- « Moi, Jonatham Mac.kay, citoyen de la libre Amérique, possesseur de mines d’argent et autres minéraux, d’actions de chemins de fer et autres chemins, de palais et autres demeures situés un peu partout, le tout oroduisant un revenu j brut de 60 millions par an, demande au gouvernument de la j République française de m» louer pour une nuit seulement, j au prix qu'il voudra bien fixer lui-même, l'Arc-de Triomphe j de i’Étoiie, monument situé à quelques centaines de mètres I de mon hôtel de Paris. j
- « Les voitures des invités de M. et Mme Markay passeraient ] à l’albr et au retour, sous le monument glorieux que je ! ferai couvrir de fleurs et de feuilles, de bannièr es françaises et américaines de haut en bas.
- « Et au milieu de la fête, où tout Paris sera accouru, on tirera un feu d’artifice, le plus cher possible, de la plate-forme de l’Arc-de-Triomphe. »
- Je ne garantis pas les termes mêmes de la demande, mais il éta.t bien question de la location de l’Arc-de-Triomphe et d’un feu d’artifice tiré au sommet du monument.
- Le gouvernement considéra la demande du Jonathan en question comme émanant d’un fou, et pria le consul américain de faire la leçon au richissime Yankee.
- Quelque temps après, la femme du richissime, M. Mackay, se permettait de détruire l'œuvre d’un de nos plus grands peintres, sous prétexte que M. Meissonnier ne lui avait pas donné pour 70.000 francs de ressemblance. Ici, je suis heureux de l’avouer, toute la presse parisienne se fachaet se plaignit vivement d'une si haute inconvenance. Les journaux les plus mondains allèrent jusqu’à rire du veau d’or et à médire des bank-notes.
- Or, ces mêmes journaux publient actuellement une nouvelle fantaisie du même richisme Jonathan, sans autres commentaires qu’une sorte d’admiration pour les Bank-notes et beaucoup de respect pour le veau d’or,
- M. Mackay, paraît-il, s’est fait tapisser un fumoir avec des billets de banque de tous les pays. Sur le plafond, sur les murs, partout, des billets de banque. Cette fantaisie coûte plus d’un million.
- Certes, je ne crois pas qu’il se trouve personne parmi les gens d’esprit et de bon sens pour accorder un scmblantd’éloge à une aussi pauvre invention.
- Bien pius, nous dirons avec un de nos confrères républicains qu’il y a là une sorte d’effronterie, et quand la fantaisie des millionnaires va si Lin, elle confine à la provocation.
- N’y a-t-il pas, en effet, de quoi exciter ceux qui n’ont ni pain ni abri, que de leur apprendre avec complaisance qu’un richissime individu possède tant d’or qu’il peut tapisser son appartement avec un million en billets de banque ?
- France Libre.
- APHORISMES & PRÉCEPTES SOCIAUX
- CV
- Vérités religieuses.
- Le progrès moral se fait dans l’homme a mesure que sa volonté et son intelligence s'épure ; il devient meilleur à mesure qu’il comprend mieux qu’il n'est pas fait pour vivre seul et qu’il doit aider ses semblables en toute chose et lorsqu après avoir compris cette vérité, il en veut voir la réalisation et y concourt de toutes ses forces, il s'élève en perfection morale et intellectuelle.
- La nouvelle loi sur les sucres.
- La commission des sucres a terminé ses travaux. La Chambre doit être saisie aujourd’hui des conclusions aux-. quelles on a abouti A l’appui du projet de loi qu a élaboré la commission, M. Sans-Leroy a rédigé un important rap-
- p.348 - vue 351/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 349
- port où sont passés en revue et soumis à une comparaison minutieuse la législation actuelle, telle qu’elle résulte de la loi du 29 juillet 1884, le projet de réforme que le gouvernement avait proposé, enfin le projet définitif de la commission. Essayons de donner une idée précise de ce dernier, en nous aidant de ces divers documents.
- Le projet de la commission est divisé en deux titres ; le premier est consacré au régime des sucres, et le second au régime des mélasses.
- En ce qui concerne les sucres, le projet commence — c’est son art 1er — à proroger jusqu'au 31 août 1888 la surtaxe de 7 francs sur les sucres bruts, non assimilés aux sucres raffinés, importés des pays d’Europe ou des entrepôts d’Euiope. Aux termes de l’art. 10 de la loi du 29 juillet 1884, cette surtaxe devait expirer le 31 août 1886. Le législateur voulant alors secourir l’industrie sucrière, et solicité tout d’abord de la favoriser soit par une modification dans le mode de l’impôt, soit par une mesure de protection douanière contre les sucres étrangers, avait fini par céder les deux avantages à la fois, mais à la condition cependant que la surtaxe serait essentiellement provisoire, attendu qu’elle pouvait sembler en contradiction absolue avec le but direct du législateur, à savoir la transformation générale de l’outillage des suceries françaises. Mais il ne fallait pas une grande dose de prévoyance pour s’attendre à voir cette réserve battue en brèche et la surtaxe de 7 francs se changer en un provisoire durable. Le gouvernement s’est rallié à cette prorogation.
- L’article 2 va plus loin. Il déclare la snrtaxe de 7 francs applicable aux sucres étrangers des pays hors d’Europe. La loi de 1884 les avait laissés à la disposition des raffineries françaises, et le gouvernement, dans son projet spécial, tout en proposant de les frapper désormais, entendait les assujettir seulemeut à un droit,de 3 francs. La commission établit, en somme, l’assimilation entre tous les sucres étrangers* quels qu’ils soient : tous auront à subir la surtaxe de 7 francs, Toutefois, la commission n’a pas cru pouvoir aller jusqu’au bout de ce système, et, abandonnant sur ce point les revendications des comités sucriers, elle a consenti à ce que, pour les sucres étrangers importés des pays hors d’Europe, l’admission temporaire fût pratiquée. « Le remboursement s’effectuera sur la base de l’évaluation en raffinés, et à la condition que la réexportation en soit faite dans les trois mois. » Les certificats d’admission temporaire seront; d’ailleurs «nominatifs et non négociables (art. 3) ».
- L’article 4 est relatif aux sucres de nos colonies. Il leur accorde un boni de fabrication égal « à la moyenne des excédents de rendement obtenus par la sucrerie indigène, pendant la même campagne de fabrication ». La loi du 29 juillet 1884 avait, elle, admi.;, pour ces sucres coloniaux, une sorte de forfait. Elle leur avait alloué un boni ou déchet de fabrication de 12 0/0. Les colonies ont trouvé que les sucreries de la métropole jouissaient d’un traitement beaucoup plus favorable, par le jeu des rendements indemnes d’impôt, et elles ont réclamé l’égalité. En principe, aucune objection ne semblait pouvoir leur être opposée. Aussi le gouvernement, dans son projet, a-t-il accepté l’égalité de traitement pour nos sucres coloniaux et pour nos
- sucres indigènes ; seulement, il demandait que le calcul du boni à accorder aux sucres de nos colonies eût pour base le boni constaté au profit des sucres indigènes pendant la campagne» précédente ». Le projet de la commission veut que l’on procède par mêmes campagnes.
- Les articles 5 à 12 ont pour objet de régler la façon dont les sucres coloniaux sont appelés à bénéficier du nouveau régime.
- On aperçoit aisément que, par suite des innovations accueillies par la commission, le Trésor se voit exposé à de nouvelles charges, l’extension delà surtaxe de 7 fr. arrêtera les importations, et, avec elles, d’importantes recettes ; de plus, l’Etat se voit soumis à des abandons plus élevés sur nos sucres coloniaux. Aussi, en prévision de ces résultats, et pour les pallier, le gouvernement avait-il proposé de soumettre le calcul des détaxes de la loi de 1884 à certaines atténuations.
- Actuellement, d’après les articles 3 et 4 de la loi du 29 juillet 1884, il y a un rendement légal pour les fabriques de sucres, rendement au-delà duquel tout sucre fabriqué est indemne d’impôt. Comme l’impôt est de 50 francs par quintal, et comme les rendements réels sont sensiblement supérieurs au rendement légal, le sacrifice du Trésor ne laisse pas que d’être considérable. Sans doute, à partir du 1er septembre 4887 les rendements légaux doivent progresser ils doivent monter à 6 kil. 250 par 100 kil, de bettevaves pour 1887-88 ; à 6 kil. 500 pour 1888-89 ; à 6 kil, 750 pour 1889-90 ; enfin à 7 kil pour 1890-91. Mais, déjà, le rendement effectif est supérieur à ce dernier taux, et il ne peut que grandir. Très préoccupé de cette situation, le gouvernement demandait donc, dans son projet, de limiter à 10 0/0 du montant de la prise en charge les excédents admis à l’exemption d’impôt, et il soumettait tout le surplus des excédents à une échelle de droits.
- En réalité, avec ce système, l’Etat serait devenu un associé aux gains des fabriques de sucres, en tant que ces gains, bien entendu, eussent été fournis exclusivement par lui. Mais il eût donc, en réalité, repris d’une main une partie plus ou moins forte de ce qu’il eût donné de l’autre,
- La commission a repoussé ce système, comme contraire au principe même de la loi de 1884. Comprenant, toutefois, qu’il y avait à compter avec les raisons financières invoquées par le gouvernement elle s’est arrêtée à une combinaison qui fait l’objet de l’article 13 de son projet. Aux termes de cet article, « les excédents ne pourront jamais dépasser les produits e la taxe complémentaire de 10 fr. par 100 Kilos établie parla loi du 29 juillet 1884, de façon que le Teésor soit toujours assuré de percevoir au moins 40 fr. par 100 kilos de sucre livré à la consommation, indemme ou non Dans le cas où les excédents seraient supérieurs à cette limite, les fabricants seraient tenus à la restitution au prorata des excédents obtenus pas chacun d’eux ». Celte disposition, ajoute l’article 14, ne sera applicable qu’à partir de la campagne 1887-88.
- La combinaison est ingénieuse. Elle consiste, on le voit, à faire du produit des 10 francs ajoutés en 18^4 à l’impôt sur les sucres un fonds commun qui constituera le maximum des bénéfices perçus par les fabricants de sucre, conformément à la loi du 29 juillet 4884. Si les bonis effectifs dépassent ce
- p.349 - vue 352/838
-
-
-
- 350
- LE DEVOIR
- maximum, il sera tenu compte de l’excédent au Trésor : les fabricants le lui restitueront.
- Le titre 1er se termine par deux articles ayant pour objet: le premier, de mettre sur un pied d’égalité l’exportation de poudres blanches, qu’elle soit faite par un fabricant de sucre ou par un raffineur ; le second, d’élever de 80 degrés à 83 le rendement minimum des sucres étrangers de toute origine, ce qui, au point de vue du Trésor, peut être bon, mais ce qui, en revanche, modifie encore d’une façon désavantageuse la situation de la raffinerie.
- Le titre II du projet de la commission ne compte que quatre articles (17 à 20). Les innovations qu’il apporte au régime des mélasses sont importantes.
- L’article 17, conforme au projet du gouvernement, décide que les mélasses dont la richesse saccharine absolue n’est pas supérieure à '50 O/o peuvent être expédiées des fabriques abonnées à destination : 1° des fabriques placées sous le même régime ; 2° des établissements spéciaux déjà soumis à l’exercice ; et il ajoute : « Pour la décharge au compte de fabrication de l’expéditeur, et pour la prise en charge au compte du destinataire, les mélasses sont évaluées à raison de 30 kilogramme de sucre raffiné pour 100 kilogrammes de mélasse ». Dans la pratique, on peut extraire des mélasses jusqu’à 45 kilogrammes de sucre. Néanmoins, on pense arriver, par cette disposition, à établir un certain équilibre entre la sucraterie et la distillerie.
- D’après l’article 18, les établissements permettant d’extraire le sucre des mélasses « sont tout exercés et placés sous le même régime ». En conséquence, à l’avenir, les raffineurs ne pourraient plus sucrater qu’en dehors de leur raffinerie.
- Quant aux mélasses des raffineries travaillées en sucraterie, l’article 49 leur refusela décharge de 30 kilogrammes prévue pour les mélasses provenant du travail direct delà betterave; le seul bénéfice possible sera désormais l’excédent de rendement au delà de 30 kilogrammes.
- Enfin, un droit de 3 francs par 100 kilogrammes sera perçu sur toutes mélasses importées de l’étranger à destination des distilleries ; on compte voir réserver ce débouché aux mélasses nationales et, par suite, atténuer dans une certaine mesure leur emploi à la production du sucre.
- Telle est, dans ses lignes essentielles, cette nouvelle loi sur les sucres qui vient réclamer l’attention du Parlement moins de deux ans après l’inauguration du régime que les intéressés s’étaient accordés à déclarer excellent et définitif.
- CHARLES SAVILLE
- par ROBERTSON
- Roman philosophique
- Chapitre 1er UN HOMME BLASÉ.
- Charles Saville était un beau jeune homme de vingt huit ans, blond avec des yeux noirs. Sa mère éiait morte en le mettant au monde. Son père, riche négociant, avait concentré toutes ses affections sur cet uiiiqueenfaut.il lui avait fait donner une bonne éducation ; mais, au sortir du collège, il l’avait laissé jouir d’une liberté à peu
- près complète, ne voulant pas disait-il gâter les plus belles années de son fils parla contrainte, ou par des exhortations prématurées sur le choix d’un état.
- Heureusement Charles était d’un natuiel doux et bon, peut-êlre même un peu enclin à I’apûhie. Du moins il ne semnlait point accessible aux passions violentes ; de sorte qu’il n’usa de son indépendance que pour se livrer sans excès à tous les plaisiis de son âge.
- Il atteignait à sa majorité quand il perdit son père. Cette perte, qui ne le rendait pas plus libre qu’il ne l’avait été jusqu’alors, lui fit connaître pour la première fois de sa vie. ce que c’est qu’une douleur poignante. Elle jeta dans sonâine le germe d’une mélancolie profonde.
- U essaya d’éteindre ses regrets dans le luxe et la dissipation. Il ne parvint qu’a la satiété. A vingt-cinq ans, il avait épuisé la coupe des jouissances jusqu’à la lie.
- L’amour facile, l’amour qui s’achèto, l’avait rendu sceptique sur le véritable amour. Il éprouvait une satisfaction amère à mettre à l’épreuve les femmes qu’il voyait disposées à accueillir ses hommages. A l’une, il faisait accroire qu’il était miné ; à l’autre, qu’il était poursuivi par le remords de quelque crime mystérieux ; à une troisième, qu’il était sujet à des attaques d’épilepsie ; chez une quatrième, il faisait naître les doutes qui tourmentaient la veuve Wadman à l’endroit de l’oncle Toby. (t). Et il faut bien le dire, ces é preuves refroidissaient -ubitement l’intérêt qu’il avait d’abord inspiré à des femmes charmantes du reste, honnêtes et bien élevées.
- 11 en concluait qu’il n’y a pas d’amour pur, capable de tous les sacrifices et de tous les dévouements.
- Et pourtant, une belle et noble jeune fille l’aimait de toutes les forces de son âme.
- Léonie de Senneterre avait plus d’un point de ressemblance avec Charles. Elle était orpheline, et ses parents lui avaient laissé une grande fortune Elle n’avait pas la mélancolie de Charles ; son caractère, à la fois romanesque et sérieux, l’avait amenée par une autre route à voir le monde à peu près du même œil que lui. Elle écoutait avec ennui l’adulation banale de ses adorateurs. Son idéal était Lord Byron, alors à l’apogée de sa gloire; et Charles Saville lui semblait une seconde empreinte sortie du même moule. Elle se trompait sans doute ; mais si la passion ne grandissait pas son idole, ce ne serait pas de la passion.
- Charles aimait Léonie. A vrai dire, c’était la seule femme qu’il eût jamais aimée sérieusement. Mais nous avons dit qu’il était devenu sceptique.
- Un jour, poussé par sa fatale manie, il osa demander à Mademoiselle de Senneterre le sacrifice de son honneur, comme la seule preuve d’amour qui pût le convaincre. Mademoiselle de Senneterre lui lança un regard de fierté suprême, et lui ordonna de ne jamais reparaître devant elle.
- Au lieu de tomber à ses genoux et d’implorer son pardon, Charles s’éloigne plein de dépit, et se jura à lui-
- (1) Voir Tristram Shandry.
- p.350 - vue 353/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 35l
- même qu’il la bannirait de ses pensées, comme elle l'avait banni, lui, de sa présence.
- A partir de ce moment, l’ennui de Saville et son dégoût du monde ne firent que s’accroître. A l’époque où ce récit commence, il était sombre et morne. Rien ne pouvait plus le distraire.
- Il reçut la visite d’un ami de collège, Georges Morton qui revenait d’un long voyage, et qu’il n’avait pas vu depuis deux ans.
- Georges fut effrayé du changement qui s’était opéré chez son ami. 11 le pressa de questions, usa de toutes les ressources de son esprit pour l’égayer, et lorsqu’il fut parvenu à le faire sourire, il lui dit :
- — Ecoute, Charles, tu n’es pas malade, je le vois bien, car je suis un peu médecin; tu n’as pas le spleen Eh bien, quand un homme , jeune, beau garçon, et riche comme toi tombe dans l’abattement sans aucun motif compréhensible, il y a là-dessous quelque chose d’extraordinaire dont il faut triompher par des moyens également extraordinaires.
- Lesquels ? demanda Saville.
- Il faut consulter un devin. J’en connais un qui a fait en ce genre des découverte- et des cures miraculeuses.
- Saville se récria d’abord contre la légéretéde son ami, qui tournait tout en plaisanterie. Mais celui-ci insista si énergiquement et d’un air si convaincu ; il protesta de sa sincérité avec tant de sérieux, que de guerre lasse, et malgré sa complète incrédulité, Saville lui promit d’aller consulter le lendemain le Sage qu’il lui recommandait avec tant d’inslauces, ne fût-ce que pour voir comment était fait un magicien au dix-neuvième siècle.
- Georges Morton le quitta, après avoir promis de lui envoyer, le soir, une lettre d’introduction pour le vénérable devin.
- Chapitre II
- EXPÉDITION NOCTURNE
- Quelques heures après l’entrevue mentionnée dans le chapitre précédent, Charles Saville se trouvait seul à table, devant un dîner délicat, auquel il touchait à peine, au grand chagrin de son vieux maître d’hôtel.
- Cependant il était un peu moins morose que de coutume. Tout en goûtant du bout des dents à une aile de perdrix, il roulait dans son esprit les discours de Georges et se demandait comment un homme de tant d’esprit pouvait mettre quelque confiance dans les avis d’un diseur de bonne aventure.
- Un valet de pied entra, portant une lettre sur un plateau d’argent.
- Après un long bâillement, Charles ouvrit la lettre. Ses yeux s’animèrent, et sa physionomie reprit de la sérénité, en reconnaissant l’écriture de Georges, qui, fidèle à sa parole, lui envoyait un mot d introduction, sans lequel, disait-il, on ne pouvait être admis chez le Sage.
- — Diable ! se dit Charles, il parait que la chose est montéesurun grand pied. Voilà un Sage qui fait bien de l’embarras. J’ai presque envie de lui jouer un tout, en tombant chez lui ce soir même, et en le prenant à l’im-proviste. Oui, je veux y aller seul et à pied. Comme le
- mot d’introduction de Georges pourrait le mettre sur la voie, je m’arrangerai pour m’en passer. Avec une clef d’or on pénétre partout. S’il devine qui je suis, je le proclame un vrai magicien. Voyons l’adresse. Ah ! c’est dans un faubourg, et des plus éloignés. Le temps n’est pas séduisant. C’est auj'iurd’hui nouvelle lune, je crois; il fera noir comme dans un four dans ce diable de quartier. C’est peut-être une folie, que d’y aller à cette heure. N’importe. L’idée est originale et me plaît.
- Il mit une chaussure à semelles épaisses, s’enveloppa d’un ample manteau, se couvrit la tète d’un feutre à larges bords, s’arma d'un rotin et partit.
- C’était par une soirée brumeuse de décembre. Il venait d’y avoir un dégel. Une petite pluie line et glaciale avait tombé toute la journée ; et comme il avançait péniblement sur les pavés inégaux et glissants, il lui vint à la pensée qu’une bonne voiture, attelée de chevaux agiles était une jouissance qu’il n’avait pas assez appréciée jusqu’alors.
- Pendant qu’il luttait avec les difficultés du chemin, il cherchait à se désennuyer par des conjectures sur la réception que lui ferait le devin.
- — Je sais d’avance comment les choses se passeront, se disait-il. On m’introduira dans un laboratoire, plein de creusets de cornues, d’alambics, et de tout l’attirail des anciens alchimistes, combiné avec celui des astrologues. Peut-être y aura-t-il une chaudière, comme dans la caverne des sorcières de Macbeth, avec accompagnement de lutins et de diablotins. Alors se fera entendre un coup de tam-tam, ou un cliquetis de chaînes, et l’astrologue fera son entrée, en grand costume cramoisi, tout pailleté de constellations et de signes cabalistiques. Il sera coiffé du chapeau en pain de sucre de rigueur, et tiendra une longue baguette à la main. Tout cela ne vaut guère la peine que je me donne ; mais ce qui me dédommagera, ce sera de voir le pauvre imposteur tout embarrassé, faisant de vains efforts pour conserver son assurance, et ne parvenant pas à deviner qui diantre est son visiteur inattendu. Cf r je suis bien résolu à ne pas dire un mot qui soit de nature à lui fournir un indice, ou à lui laisser une échappatoire. Je le dépisterai complètement quelque subtil qu’il soit.
- Tout en se parlant ainsi à lui-même, Saville parvint à l’endroit indiqué. C’était une misérable masure, située dans une ruelle fort au-delà de la barrière. Le toit de chaume en était envahi par la mousse et la façade ne présentait d’autre ouverture qu’une petite porte bâtarde. Du côté opposé de la ruelle, la forge d’un maréchal ferrant jetait une lueur rougeâtre sur cette bicoque, et permettait de voir un gros numéro 13 au-dëssus de la porte. 11 n’y avait donc pas à s’y tromper ; c’était bien le numéro que portait l’adresse. Et cependant Saville hésitait, la main posée sur le cordon de la sonnette, car cette demeure était loin de répondre à l’idée qu’il s’en était faite.
- Tout à coup la porte s’ouvrit. Un domestique en livrée élégante se présenta et dit :
- — Mon maître attend monsieur.
- — Vous me prenez sans doute pour un autre, mon
- p.351 - vue 354/838
-
-
-
- 352
- LE DEVOIR
- ami, dit Saville en entrant et en jetant un coup d’œil sur une chambre entièrement nue, et faiblement éclairée par une lanterne accrochée à la muraille, — Je n’ai pas donné avis de ma visite à votre maître, et il ne me connaît pas.
- — M'-ri maître connaît tout le monde, monsieur, répliqua le dôme-tique, d’un ton ferme, quoique plein de déférence. Et comme preuve que vous êtes bien la personne qu’il attend, peut-être suffira-t-il de dire que vous avez quitté votre hôtel de ia Chaussée d’Antin ce soir à sept heures un quart.
- — Mais, reprit Charles, un peu déconcerté, d’autres que moi peuvent demeurer à la Chaussée d’Antin.
- — Mon maîlre, dit le valet, n’attend pas d’autre personne que monsieur Saville.
- Charles resta stupéfait de cet espèce de prélude, qui lui faisait entrevoir ce quedevait être le savoir du devin, à supposer qu’il y ait quelque vérité dans le proverbe qui dit « Tel maître, tel valet ». Il s’efforça de cacher sa surprise, et suivit en silence le domestique, qui, après avoir refermé la porte et décroché la lanterne, le conduisit, par une autre issue, dans une cour longue et sombre, au bout de laquelle ils montèrent une douzaine de marches et se trouvèrent dans un jar in.
- Après avoir suivi les sinuosités d’un sentier qui serpentait au travers d’un taillis épais, ils arrivèrent à une large avenue sablée, bordée de grands arbres, et aboutissant, à ce que supposa Saville, à la demeure du propriétaire. Mais quand ils l’eurent suivie jusqu’à la distance d’environ cinq cents pas, le guide s’en écarta brusquement et entra dans un chemin de traverse, creusé dans un coteau rocailleux, et rempli de flaques d’eau à demi congelée.
- Une ou deux fois, Charles essaya de tirer quelques explications de son guide, mais sans y réussir. Ils parvinrent enfui à l’entrée d’une grotte, fermée d’une forte grille de fer.
- — Il ne m’est pas permis de vous accompagner plus loin que cette entrée, dit le serviteur en faisant grincer sur ses gonds la grille massive, et en introduisant Charles. Un autre guide est là, tout prêt à vous conduire
- En parlant ainsi il referma tranquillement la grille derrière Charles, et s’éloigna emportant la lanterne.
- — L’intrigu se complique, se dit Charles, comme le bruit des pas du valet s’éteignait dans le lointain. Où dont-, est mon nouveau guide ?
- Et, comme il se retournait et s’efforcait de peicer des yeux les ténèbres de la caverne, une flamme légère parut sortir du sein de la terre, et se mit à voltiger comme un feu follet.
- — A la bonne heure ! dit Charles. Voilà une réception vraiment originale. Décidément ce devin entend bien la mise en scène. Il a plus d’imaginative que je ne croyais. Allons feu follet, allons lutin mon ami, cesse tes gambades désordonnées et ouvre la marche.
- Il n’eut pas plus tôt prononcé ces paroles que la flamme changea son allure capricieuse et déréglée pour un mouvement en ligne droite, se tenait à environ trente mètres de lui ; accélérant ou ralentissant sa marche selon le pas de Charles, et s’arrêtant quand il s’arrêtait; ce qui
- lui arrivait de temps à autre, pour jeter un regard scrutateur autour de lui.
- Autant qu’il en pouvait juger à la faveur de la faible lueur ,ui vacillait devant lui, le souterrain, dans lequel il se trouvait, avait la forme d’un tunnel, dont les parois semblaient recouvertes de maçonnerie noircie par le temps. L’air était humide, épais, imprégné d’une odeur terreuse; il rendait la respiration de plus en plus pénible. On entendait au fond de la galerie un bruit inexplicable, sourd d’abord, puis devenant par degrés de plus en plus menaçant.
- Pour être plus libre de ses mouvements, Charles avait détaché son manteau, l’avait roulé autour de son bras gauche, et serrait vigoureusement s»n rotin autour de la main droite.
- Au bout d’un quart d’heure de marche — qui semble un siècle à l’impatience de Charles — une raie de lumière pâle, provenant sms doute d’une crevasse à l’extrémité inférieure de la galerie souterraine devint perceptible. La flamme qui lui servait de guide, et qui jusqu’alors avait rasé le sol, se mit à faire des détours ; puis elle bondit tout à coup jusqu’à la voûte de la galerie, puis le long de la traverse supérieure d’une porte, ensuite elle s’euroula autour d’un loquet, comme pour y attirer l’attention de l’aventureux visiteur ; après quoi elle disparut, laissant après elle une odeur sulfureuse et une bouffée de fumée.
- Charles pressa le pas, leva le loquet, ouvrit la porte et un spectacle inattendu frappa ses yeux.
- (A suivre)
- Vient de paraître le numéro 17 de la Revue socialiste.
- — Sommaire du numéro du 15 mai 1886 :
- L’union douanière méditerranéenne, M. A. Cromier. — L’agiotage de 1870 à 1884, A. Chirac. — Les morales matérialistes, B. Malon. — Les souffrances des paysans roumains, Cont. Milté. — Une évolution de M. de Mun, A. Rouanet. — L’ouvrier mineur, E. Fournière. — Les événements de Belgique, L. Bertrand.— A propos d’un livre nouveau, N. Colajani.
- Correspondance : Mélanges et documents, Société républicaine d’économie sociale, Revue de la presse, Revue des livres, Divers.
- Abonnements : France, Suisse, Belgique, 3 mois, 3 francs; 6 mois, 6 francs ; 1 an, 12 francs.
- Etranger, 3 mois, 3 fr. 50 ; 6 mois, 7 fr.; 1 an, 12 francs.
- — Le numéro, 1 franc.
- État civil du Familistère.
- Semaine du 17 au 23 Mai 1886. Naissances ;
- Le 17 Mai, de Jamart Georgette, fille de Jamar Georges et de Furet Léonie.
- Le 22 Mai, de Merda Alfred, Camille, fils de Merda Alfred et de Potart C'érrientine.
- Le Directeur Derynt: txÜDlN
- tu tse.— lmp Baré
- p.352 - vue 355/838
-
-
-
- 10e Année, Tome 10.— N" 405 Le numéro hebdomadaire 20 c. Dimanche 6 Juin 1886
- LE DEVOIR
- BEVUE DES QUESTIONS SOCIALES
- BUREAU
- a GUISE (Aisne)
- Toutes les communications
- ABONNEMENTS PAYABLES D’AVANCE par l’envoi, soit au bureau de Guise, soità celui de Paris, de timbres-poste ou de mandats de poste, dont le talon sert de quittance.
- et réclamations doivent être adressées à M. GODIN, Directeur-Gérant Fondateur du Familistère
- France Un an ... Six mois. . . Trois mois. .
- 10 fr. »» 6 »» 3 u
- Union postale Un an. . . 11 fr. »» Autres pays
- Un an. . . . 13 fr. 60
- ON S’ABONNE
- A PARIS
- , rue Neuve-des-Petits-Champs Passage des Deux-Pavillons
- S’adresser à M. LEYMARIE administrateur delà Librairie des sciences psychologiques.
- SOMMAIRE
- Le prêt et les crises. — Aux loges de l’ordre des chevaliers du travail, partout où elles existent, salut. — Offre d’emplois. — Enquête aux États-Unis sur les rapports du travail et du capital. — Les Princes peints par un Marquis. — Le budget des Cultes. — Faits politiques et sociaux de la semaine. — La Chambre. — La toilette de l’Avenir. — Bibliothèque du Familistère. — Charles Saville.
- LE PRET ET LES CRISES
- Un capitaliste prête à d’autres ses épargnes dans le but de se créer des rentes, ou bien il les utilise en se livrant au commerce où à l’industrie.
- Dans le premier cas, le rentier est beaucoup moins intéressant que l’homme laborieux et entreprenant.
- Ce dernier, qu’il réussise ou qu’il échoue,laisse-presque toujours une création après lui, que d’autres reprennent et continuent, s’il n’a été assez fort pour la bien conduire jusqu’au bout ; ’ néanmoins, son initiative profite aux autres hommes, et il a contribué au bien-être général à la fois comme capitaliste et comme travailleur.
- Parmi les industriels, les commerçants et les propriétaires, il se trouve une autre catégorie d’hommes réduits à emprunter pour donner à leurs entreprises une impulsion en ranport avec ?
- leur activité. Ceux-ci, en général, possèdent "au. moins la moitié des capitaux nécessaires à leurs entreprises; l’autre partie provient de prêts consentis par les capitalistes oisifs désireux de vivre en rentiers. Ces emprunts sont d’ordinaire entourés de formalités exceptionnelles ; ils sont hypothéqués et, rarement, aux époques les plus prospères, l’emprunteur à longue échéance peut se procurer par ce moyen une somme dépassant la moitié de ce qu’il possède déjà.
- De cet exposé, il ressort que le citoyen le plus méritant est celui qui, en plus de ses capitaux, fait valoir ceux des incapables et des oisifs. Il collabore aux progrès général d’une façon plus active que celui qui mesure ses efforts aux capitaux qu’il possède.
- Une crise survient, — causée par le mouvement général du monde économique.
- Dans une société rationnelle, chacun devrait supporter une part proportionnelle des événements malheureux dont la responsabilité ne peut être attribuée à un groupe déterminé.
- Dans une civilisation basée sur la reconnaissance des services rendus et des capacités individuelles, les plus méritants devraient être atteints les derniers, et dans tous les cas, moins frappés que les oisifs et les impuissants.
- Est-ce ainsi que les choses se passent dans nos sociétés, si parfaites,qu’on ne peut présenter les moindres réformes sans être mis au rang des rêveurs ou des fous; tant les classes dirigeantes of l’psprif rmhp’r* orvnt. ronvainr*nq d’avoir armli-
- p.353 - vue 356/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 354
- que les principes les plus justes d’organisation sociale ?
- Hélas! C’est l’inverse que nous constatons en règle générale ; parceque nos sociétés ne sont ni rationnelles, ni dominées par le désir de rendre justice aux mérites individuels.
- Quoique l’on ait écrit sur la matière, nous vivons dans un milieu dans lequel monnaie fait tout. Nos sociétés sont des ploutocraties sacrifiant, en tous cas, le travail au capital
- La preuve ressort évidente de ce qui survient en époque de crise, de malheur public, dans chacune des catégories que nous avons définies, au début de cet article.
- Si la crise produit une baisse de 50 0/0 dans la valeur des gages de l’emprunt, l’industriel, le négociant ou le propriétaire ayant emprunté une somme équivalente à la moitié de sa fortune, d’après l’évaluation faite en période de prospérité, se trouvera complètement ruiné ; il lui restera juste assez pour rembourser son créancier.
- Le capitaliste qui fait valoir ses capitaux ne sera qu’à moitié ruiné ; c'est ce qu’on appelle justice dans un milieu où la distribution des richesses se fait contre toute raison !
- Quant au capitaliste prêteur, il aura vécu grassement, sans le moindre souci, et sa fortune sera intacte !
- Pour qui est habitué à juger les événements par le petit côté, nous devans paraître raisonner d’après des exceptions.
- Ce n’est pourtant pas le cas.
- Les chiffres, à cet égard, ont une éloquence clairement significative.
- La dette hypothécaire, en France, n’est pas moindre de 20 milliards.
- En quoi ont-ils été atteints par la crise ces 20 milliards ?
- Que reste-t-il aux emprunteurs, malgré leur activité, leur travail et leurs capacités. La plupart doivent s’épuiser en efforts stériles pour payer les intérêts, afin d’éviter une liquidation. Ceux qui ne peuvent maintenir leur situation par le paiement des intérêts, ceux-là sont inévitablement repoussés dans les légions des déshérités.
- Il arrive cependant, quelquefois, que le prêteur à mal fait ses évaluations, et que la somme prêtée dépasse la valeur du gage en temps de crise ; alors, le créancier se trouve, lui-même, éprouver une perte partielle, en cas de liquidation.
- Il n’est pas moins vrai, que l’emprunteur est
- totalement dépouillé, avant que le prêteur hypothécaire subisse la perte d’un centime.
- Dans nos départements vinicoles, ravagés par le phyloxéra, il arrive tous les jours que la propriété passe aux mains du créancier hypothécaire, sans qu’il en reste la moindre parcelle au propriétaire coupable d’avoir fait ce que commandait, il y a quelques années, l’intérêt privé, l’intérêt national et le bon-sens, en empruntant pour étendre la culture de la vigne.
- Le capital hypothécaire n’est pas seul à échapper aux crises ; les sommes immenses couvertes par les garanties de l’Etat et des communes assurent, en France, un bel avenir à la paresse.
- Voici quelques chiffres faits pour réjouir les ventres des oisifs et des incapables nés de pa-
- rents riches.
- Dette hypothécaire............. 20.000.000.000
- Dette nationale et des communes . . 32.000.000.000
- Capital garanti par les conventions
- des chemins de fer......... 15.000.000.000
- Mémoire : garantie de l’Etat et des communes pour un grand nombre d’entreprises,éclairage,conduite d’eau, transports maritimes etc.
- Total.................... 67.000.000.000
- Nous pouvons dire, sans crainte de nous tromper, que le capital protégé contre les risques majeurs des crises n’est pas moindre de 80 milliards.
- Si des calamités publiques venaient à réduire la fortune publique, en France, à 80 milliards, elle serait alors juste équivalente aux droits acquis par les prêteurs. Gomment croire durable, en période d’examen, un ordre social pouvant conduire à une telle absurdité.
- Que faire, nous dira.-t-on ?
- Reconnaître d’abord que nous avons énoncé les faits tels qu’ils sont; que cette constation découvre dans notre organisation sociale des vices profonds aboutissant au privilège; et, en considération de la nécessité de faire la guerre au mal et de poursuivre le mieux, s’occuper activement de rechercher un remède à une situation aussi déplorable.
- Si les classes dirigeantes voulaient entrer dans cette voie, elles arriveraient bientôt à comprendre l’orgonisation d’une assurance générale donnant au travail et au capital une égale sécurité.
- ----------------------- ♦ » .------------------------
- p.354 - vue 357/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 355
- Nous avons fréquemment parlé des Chevaliers du Travail. Nous devons à un de nos abonnés, M. Dadant, la communication suivante d’une pièce authentique, émanée du Grand-Maître de l’ordre. Ce document, plein d’intérêt, fait connaître. sous leur véritable aspect, les tendances des Chevaliers du Travail et les belles aspirations de leur éminent Grand-Maître.
- Aux Loges de l’ordre des chevaliers du travail, partout où elles existent, salut
- La réponse à la circulaire secrète du 13 mars a été si bienveillante et les sentiments qu'elle exprime ont été si unanimes que je me sens encouragé et confiant dans mes efforts. Presque 4,000 assemblées se sont engagées à suivre les conseils contenus dans cette circulaire du 13 mai ; je sens qu’il faut seulement que des hommes convenables soient mis à la tête de notre ordre pour que le monde nous reconnaisse pour ce que nous sommes. Nous avons perdu du terrain dans l’opinion publique depuis quelque-temps. Une des causes, c’est que nous avons laissé faire, au nom des Chevaliers du travail, des choses dont notre organisation n’est en aucune façon responsable. Je prie les membres de notre société de tenir un œil jaloux sur les actes de ces ouvriers qui jamais ne travaillent, et, quand ils accusent notre ordre dans leur ocalité, de les démasquer immédiatement par une dénégation.
- Si un journal critique les Lhevaliers du travail ou ses officiers, ne le boycottez pas. (Boycotter signifie mettre quelqu’un à l’index, refuser de commercer avec lui et recommander à d’autres de faire de même). Si vous avez des Boycotts, cessez-les. Il y a quelque temps un journal a fait quelques allusions peu flatteuses pour le grand maître de votre ordre. Lors de la réunion des membres de la loge voisine, il fut résolu que ce journal serait mis à l’idex. Bien plus on mit à l’index aussi toutes les maisons qui annonçaient leurs marchandises dans ce journal.
- J écrivis à la loge pour demander la suppression de cet index et on me l’accorda. Nous devons nous figurer que notre grand maître n’est qu’un homme comme un autre, et sujet à la critique. Nous demandons pour nous le droit de parler librement et ne pouvons conséquemment le refuser aux autres. Nous devons tolérer les critiques honnêtes et ouvertes ; si une réponse est reconnue nécessaire faites-la poliment et dignement. Si nous sommes critiqués et injuriés par une feuille grossière, traitez-la comme on doit traiter les gens grossiers : par le silence.
- De ce que notre but est juste, ce n’est pas une raison pour que les membres de notre ordre se considèrent comme faits de meilleure matière ou mieux bâtis. Nous ne sommes pas plus Je sel de la terre (ou la erême) que les millions d’ouvriers inconnus qui travaillent en ce monde. Dans nos rapports avec les ouvriers et avec les capitalistes, nous devons toujours agir honnêtement et gracieusement; si nous voulons qu’on nous traite avec justice, nous devons être justes nous-mêmes vis-à-vis des autres. Tel est le but des Chevaliers du travail et ce but ne doit jamais être perdu de vue dans la suite.
- Permettez-moi d’appeler votre attention surquelquespetits abus.
- Je vois que, dès qu’une grève se produit, des demandes de secours sont répandues de tous cotés dans nos loges; ne payez pas un sou pour un tel objet dorénavant, à moins que la î
- demande ne vienne de votre loge de district ou de l’assemblée générale.
- Si l’on vous envoie des avis d’index, brùiez-les. J'ai reçu au moins 400 de ces avis qui avaient été envoyés aux h.ges avec demande de prise en considération. Je vais vous en citer quelques-uns:
- Un membre publie un journal, il craint de voir monter une entreprise rivale ; il cherche une altercation avec la personne qu’il redoute et demande qu’on la mette à l’index.
- Un autre journal est influent dans un parti politique, des membres du parti opposé conçoivent l’idée de se débarrasser de lui, et ils invoquent l’aide des chevaliers du travail, après avoir pris la précaution de faire dire au rédacteur quelques mots peu flatteurs pour l’ordre.
- En fait notre ordre a été employé comme une queue pour cent différents cerfs-volants. Dans l’avenir il doit prendre son essor débarrassé de tout.
- Je hais le mot Boycott. J’ai été mis à l’index moi-même, il y a dix ans, et pendant des mois il m’a été impossible de trouver du travail dans ma partie. C’est une mauvaise pratique que nous avons empruntée aux capitalistes. Je n’y aurai recours que quand tout autre moyen aura échoué.
- Des demandes de secours, des.circulaires, des pétitions, des avertissements de toutes sortes sont envoyés de partout aux loges de l’ordre. Voici la copie d’une lettre qui m’a été adressée sur ce sujet : «Une grande partie de notre temps a été passé à lire des avis d’index, des demandes de secours ; lecture qui nous occupait jusqu’à minuit. Nous nous étions figuré que l’ordre des Chevaliers du travail était une institution d’éducation, mais, une tellesorte d’éducation neproduit aucun bien. Il ne nous reste pas un instant pour nous instruire, que devons nous faire?»
- Je leur ai conseillé de brûler, ou de laisser de côté, ces écrits et je prie tous les secrétaires des loges de faire de même. Si notre journal n’était pas mis à l'index par certains de nos membres, il pourrait servir de moyen de communication entre les officiers généraux et l’ordre, mais le journal n'est pas lu par le quart des loges.
- Certaines loges envoientdes documents dans des enveloppes adressées à un tel «Secrétaire de la loge N° — ». Dans plusieurs endroits des secrétaires ont perdu leur travail à cause de cette pratique. Aucun membre n’a le droit de s'adresser à un autre par ce moyen, et,s’il l’emploie,il doit être puni.
- A l’avenir personne ne devra se mêler des actes du pouvoir exécutif de l’ordre. Si vous avez confiance en vos chefs, soutenez-les et obéissez; si vous n’avez pas confiance, demandez leur démission.
- Pendant que le bureau essayait de régler les grèves du Sud-ouest, des loges, en quelques endroits, prirent av- c les meilleures intentions sans doute, des résolutions qui condamnaient Jay Goufd; ces résolutions, loin de faire du bien, faisaient du mal. Dans l’arrangement des troubles, c’est le devoir du bureau exécutif de s’entendre avec tous et d’aller partout; pendant ce temps les membres de ce bureau ne doivent pas être empêchés par les actes de ceux qui ne connaissent pas quelle tâche les chefs ont sur les bras.
- Restez tranquilles ; laissez vos officiers faire de leur mieux, et si vous ne trouvez pas le moyen de les aider ne retardez I pas leurs progrès.
- p.355 - vue 358/838
-
-
-
- 356
- LE DEVOIR
- Le vote de résolutions n’empêche ni le vol des terres libres» ni la création d’actions fictives, ni les spéculations pour faire hausser les choses nécessaires à la vie. Si j’avais fait le projet de voler une banque à minuit, une série de résolutions, aussi longue que la loi morale, protestant contre mon projet, n'influerait en rien sur lui ; mais, si une partie intéressée prenait la peine d’étudier la question et de monter la garde devant la porte du caveau où la banque renferme ses valeurs, je ne pourrais accomplir le vol. Ce que nous demandons de chacun de nos membres, ce ne sont pas des résolutions ampoulées sur nos droits. Nous connaissons ces droits, sans qu’il soit besoin de les affirmer par de semblables décisions. Ce qu’il nous faut, ce sont des hommes capables de penser, d’étudier et d’agir.
- L’assemblée générale se réunira en session spéciale le 25 mai, à Cleveland. Après avoir reçu celte lettre ne m’adressez aucune communication, et si vous en envoyez, n’attendez de moi aucune réponse. J’ai en tas autour de moi des milliers de lettres, qui ne seront jamais lues, et qui n’auront, par conséquent, pas de réponses. Il serait impossible à un homme seul, de faire face à ce travail. Durant ma maladie, et depuis, la poste a remis à ma porte plus de 400 lettres par jour. Ces lettres viennent de partout et de tout le monde. Je ne puis faire de moi un esclave de bureau quand ma fonction est d’être chef d’un grand mouvement; nos membres sont responsables d’un tel état de choses. J’ai demandé dans le Journal qu’on cessât de m’écrire. On me dit de me faire aider ; 50 aides ne suffiraient pas, car je dépenserais tout mon temps à lire la moitié seulement des lettres que je reçois, et, aumilieu de ce travail, j’aurais à recevoir quelque délégation, dont les membres, d’ordinaire, me critiquent, chacun d’eux ayant des idées différentes. A partir d’aujourd’hui jusqu’à la réunion de l’assemblée générale, je ne recevrai aucune délégation, je ne répondrai à aucune lettre; je dois formuler un plan pour l’avenir et ne puis être dérangé dans ce travail. Je le répète, je ne recevrai aucune délégation, je ne répondrai à aucune lettre, ni ne me rendrai nulle part à la requête des membres des loges, c’est décidé. Il me faut le temps de travailler dans l’intérêt de l’ordre et cela me serait impossible si j’avais à me tenir assis, pendant 18 heures chaque jour, à lire des lettres auxquelles on pourrait trouver des réponses réitérées dans le journal et dans notre constitution. Ce que je dirai à l’assemblée] générale sera entendu par l’ordre tout entier et l’on doit me laisser le temps de le préparer.
- Nous avons eu du trouble causé par des membres qui sont ivrognes et par ceux qui songent à acheter des fusils et de la dynamite. Si ceux-là qui ont assez d’argent pour acheter des fusils et de la dynamite l’employaient à se ^procurer quelques bons livres sur le travail, cet argent serait mieux placé. On n'aura jamais besoin de fusils ni de dynamite dans ce pays-ci. Monopinion est que celui qui n’étudie pas la politique de la nation et les besoins de ses habitants n’a guère l’emploi d’un fusil. L’homme qui ne peut voter avec intelligence, qui ne peut surveiller les hommes auxquels il a donné son vote n’est digne d’aucune confiance pour l’emploi du fusil ou de la dynamite. Si la tête, le cerveau d’un homme ne peut résoudre le problème qui est en face de nous, ses mains seules ne le trancheront jamais. Si je tue mon ennemi je le réduis au silence, c’est vrai ; mais, je ne l'ai pas convaincu. J’aimerais mieux avoir fait de mon ennemi un converti qu’un cadavre.
- Les hommes qui possèdent le capital ne sont pas nos ennemis. Si cette théorie était vraie, l’ouvrier d’aujourd’hui serait l’ennemi de l’ouvrier de demain ; car, après tout, ce que nous désirons apprendre c’est comment on acquiert le capital et comment on peut l'employer convenablement. Non 1 Le capitaliste n’est pas nécessairement l’ennemi de l’ouvrier • au contraire,et notre devoir est de les rapprocher l'un del’autre.
- Je sais bien que quelques hommes à idées extrêmes diront que je suis le soutien d’un plan faible et que le sang et la destruction peuvent seuls résoudre le problème. Je soutiens le contraire..
- Quant aux ivrognes qui peuvent se trouver dans nos rangs il est de notre devoir de les aider à se relever. Si une telle victime de l’alcool se trouve à portée'du secrétaire quand on lira cet écrit, je prie cette victime de se lever, de lever la main au ciel et de répéter avec moi ces paroles : « Je suis un Chevalier du travail, je crois que tout homme doit être libre de la malédiction de l’esclavage, que cet esclavage soit le fait des monopoles, de l’usure ou de l’intempérance. Le plus solide anneau de la chaîne de l’oppression est celui que je forge quand je noie mon humanité et ma raison dans la buisson. Aucun homme ne peut me dérober l’intelligence que Dieu m’a donnée, à moins que je ne l’aide dans ce vol. Si un moment d'oubli ou d’inattention à mon devoir, durant mon ébriété, a quelque peu nui à mon travail, une vie d’attention et de vigilance peut seule réparer cette perte, je promets de ne jamais me retrouver en semblable position.»
- Par un malheureux malentendu nous avons encouru l’inimitié de différentes sociétés ouvrières. Quoique je ne puisse trouver d'excuse pour les indignes attaques faites contre nous par quelques-uns des membres de ces sociétés pendant que nous étions aux prises avec une situation embarrassante, et quoique je ne puisse découvrir la cause de cette querelle, il ne doit y avoir aucun choc entre les hommes de l’armée du travail. Si je suis la cause de la dissension,je suis prêt à l’instant à céder la place â tel rival que ce soit que l’assemblée pourra nommer.
- Brisez le pouvoir des Chevaliers du travail et vous livrez le travail pieds et poings liés â ses ennemis. Depuis des années j'invite les ouvriers de toutes les professions à faire partie des Chevaliers du travail. Aujourd’hui je suis prêt à toutes les concessions honorables, à tous les efforts pour amener la meilleure entente entre les Trades-Unions et les Chevaliers du travail. A la session de l’Assemblée générale, ces dissensions peuvent et doivent être arrangées. Si l’on a commis des erreurs, on doit les rectifier-, si l’on a des torts, on doit les réparer; mais il y a une chose qui ne sera jamais faite tant que je serai à la tête de l’Ordre : il ne servira [jamais à aider les projets individuels, les coteries ni les partis et il ne sera jamais subordonné à aucune autre organisation sur la terre. P. V. Powderly
- Grand-Maître de l’Ordre des ouvriers.
- L’Association du Familistère demande des voyageurs à la commission pour le placement des produits de sa fabrique de bonneterie.
- p.356 - vue 359/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 357
- ENQUÊTE AUX ÉTATS-UNIS SUR LES RAPPORTS DU TRAVAIL ET DU CAPITAL!1)
- XV
- Un des plus grands fabricants de fourneaux des Etats-Unis répond à l’Enquête sur la question du travail de la façon suivante :
- M. le Directeur de l’Age d’Âcier,(The Age of Steel) Nous vous envoyons ci-joint une coupure qui nous parait très expressive. Noue ne voyons aucun remède aux difficultés sociales actuelles, à moins que la nature humaine ne soit transformée. Le seul moyen pratique, selon nous, d’éviter les grèves est d’avoir par devers soi une force suffisante pour imposer ses prétentions.
- Sincèrement à vous. X.
- Voici la coupure en question :
- Un fermier ayant besoin d’aide pour aire son ouvrage embaucha un manœuvre. Un jour d’été, le travail étant pressant et les ouvriers rares,tes deux hommes s’exerçaient aux champs. Plusieurs allouettes s’envolèrent :
- « Voyez ces grues énormes, » dit le manœuvre.
- — Ce ne sont pas des grues, mais seulementdes allouettes, répliqua le fermier surpris.
- — Si vous ne dites pas, tout de suite, que ce sont des grues je laisse là l’ouvrage.
- Comme le fermier était dans l’impossibilité de remplacer de suite son salarié par un autre, il fut obligé de condescendre au caprice du mauœuvre.
- Vous avez raison, dit-il, je vois maintenant que ce sont des grues, mais elles ne sont pas énormes, elles ne sont qu’à demi croissance.
- Le salarié se tint pour satisfait de cette concession.
- Quelques mois plus tard, le manœuvre étant toujours au service du fermier et tout le personnel de la terme étant réuni à l’heure du repas, le maître dit, en versant un verre d’eau :
- — « Voici de l’excellente bière.»
- — Ce n’estpas de labièrè, répondit le manœuvre, c’est simplement de l’eau.
- — Si vous ne dites pas de suite que c’est de la bière, vous pouvez vous tenir pour congédié, répliqua le maitre, car je ne veux pas de contradicteurs ici.
- Le manœuvre sachant très-bien qu’il ne pouvait trouver aucun autre emploi à cette époque de l’année, goûta l’eau et dit, avec empressement :
- Certes, oui, c’est de la bière, mais elle n’a pas beaucoup de corps.
- Ayant ainsi prouvé qu’il savait se plier aux circonstances, l’homme fut autorisé à rester.
- Ce petit apolgue rapporté par le fabricant américain est une ironie à l’adresse des réformes sociales.
- Si une telle ironie est malheureusement encore dans l’opinion d’un trop grand nombre de patrons,
- (1) Lire le Devoir depuis le 7 février dernier excepté les numéros des 18 avril, 9 et 30 mai.
- elle n’est pas, nous en sommes certains, dans la densée de tous.
- Notre américain semble dire, en effet, que les réformes réclamées par les «lasses ouvrières ou proposées en leur faveur, ne sont que des ehi-mières et, en face de l’invraisemblance et de l’impossibilité qu’il met dans la prétention de l’ouvrier, il trouve que le patron est en droit de répondre en opposant des invraisemblances et des impossibilités plus vexatoires encore.
- Mais, quelle morale notre poëlier américain tirerait-il des différents apologues qui suivent et qui sont supposés se passer dans un pays où l’arbitraire est la règle, où la volonté du plus fort fait loi.
- Dans ce pays, à une époque où l’on ne pouvait se procurer d’ouvriers, les travaux étant exceptionnellement urgents, un ouvrier déclara à son maitre qu’on ne pouvait plus compter sur lui, si on ne lui servait à chaque repas un plantureux festin assaisonné de vieux et bon Bordeaux.
- Entre deux maux, notre patron choisit le moindre, se réservant d’avoir sontour.Onservitdoncà l’ouvrier ce qu’il demandait.
- Mais quand vint la morte saison, alorsqu’ il était impossible de trouver du travail, le propriétaire intima à son salarié départir, à moins qu’il donnât quittance de plusieurs mois de gages arriérés.
- L’ouvrier était brutal, le maître entêté.
- Le différend dégénéra en querelle, la querelle en rixe; finalement, le patron fut assommé et le serviteur s’installa aux lieu et place de sa victime.
- Bientôt, amolli par un bien-être inaccoutumé, ignorant les bonnes méthodes de culture, notre vainqueur devint incapable de récolter suffisamment pour son entretien ; il mourut misérablement au milieu de ses champs couverts de ronces et de plantes sauvages.
- Ces événements furent appris par un autre chef d’exploitation sommé, lui aussi, de proclamer que des vessies étaient des lanternes.
- Ce patron, se croyant plus malin, s’arma, avec l’intention bien arrêtée de résister et, dans le cas d’aggression, de racheter sa faiblesse musculaire par le secours de ses armes.
- La précaution ne fut pas inutile ; sans elle, il n’eût pas échappé aux mauvais coups de son serviteur révolté. Il le tua donc au lieu de se laisser tuer par lui
- La mort du salarié fut néanmoins pour le propriétaire lui-même une perte irréparable. Redouté et dédaigné, il ne put trouver de serviteur; contraint de faire les travaux pénibles et de renoncer à ses habitudes de paresse et de luxe, ls matin-mourut bientôt usé par un genre de vie contraire à ses habi tudes et au-dessus de ses forces.
- Les deux domaines abandonnés restèrent incultes jusqu’à ce que de nouveaux colons les aient défrichés et remis en culture.
- Passons maintenant à un dernier exemple s’accomplissants dans un milieu où la justice et la raison se font entendre.
- Un patron, fermier, ayant besoin d’aide, accepta les propo-
- p.357 - vue 360/838
-
-
-
- 358
- LE DEVOIR
- suions d’un journalier qui était venu s’offrir pour travailler aux champs.
- Le journalier était un homme intelligent et fort, travaillant dur et ferme quand il avait de l’ouvrage. Le fermier, moin fort du reste, en prenait plus à son aise, et il se trouvait que le soir venu l’ouvrier avait fait quatre fois plus de besogne que le patron. Mais les deux parts étant faites en commun étaient confondues en un tout dont le patron était glorieux.
- Les semailles terminées, l’ouvrier fut chargé d’achever seul le dernier aménagement du champ. Par un étrange prodige, pendant la nuit, la récolte leva et grandit, de telle sorte que, le lendemain, l’ouvrier en arrivant aux champs trouva, à son grand étonnement, la récolte belle et mure ; Il courut avec empressement prévenir son patron, lui disant son bonheur de voir ce que leur travail avait produit. Après explication, le patron ne pouvant croire à ce prodige de la nature se rendit au champ pour voir ce que signifiait l’étrangeté des rapports de l’ouvrier. Le fait était exact. Alors le fermier fit les réflexions suivantes : j
- Cette richesse s’est produite sur mon champ, mais elle est l’œuvre de la nature. Nul doute aussi que si j’eusse été seul, le travail n’eùt pu être fait à temps pour profiter de cette nuit bénie qui a lait croître cette fortune sur mon terrain. C’est donc aussi le travail de mon ouvrier, en même temps que la volonté et la puissance particulières de la nature, qui ont fait fructifier mon champ. En conséquence, je ne dois pas garder cette récolte pour moi seul; ce serait une usurpation coupable des dons du Créateur.
- Et il proposa à son ouvrier de partager entre eux deux la récolte.
- L’ouvrier jeta les bras au cou du patron et l’embrassa, lui demandant de consacrer à toujours entre eux un lien intime de travail et d’affection ; ce que le patron accepta avec bonheur.
- Ils conclurent donc un contrat d’association qui solidarisa leurs intérêts dans une certaine mesure, étant bien réservé que cette première entente n’était pas exclusive d’arrangements futurs relatifs à la consolidation de cette union.
- Sous l’influence de cette convention et de certaines modifications introduites à piopos, les querelles devinrent choses inconnues dans toute la région, l’exploitation acquit une telle prospérité que les travailleurs s’offraient de partout, disposés à prouver leur bonne volonté et leur capacité par un stage de quelques années, sous réserve d’entrer plus tard dans l’association.
- Avec ce concours, i’entreprise grandit, l’abondance des choses nécessaires à la vie y fut bientôt assez générale pour que chacun des membres pût en jouir sans compter.
- Les bâtiments furent transformés en véritables palais ; la machine remplaça partout le travail pénible ; des chemins faciles, des canaux sillonnaient le domaine ; les récoltes étaient abondantes ; la richesse de la colonie finit par dépasser toutes les espérances. Au moral, l’envie disparut, les intelligences se développèrent ; des jeux et des plaisirs grandement organisés y faisaient oublier les fatigues à peine sensibles de la production.
- L’harmonie des intérêts avait engendré le bonheur.
- Après ces histoires, nous demandons à notre
- américain, qui ne voit d’autre solution que la force à opposer aux revendications ouvrières, d’apprécier ces deux aspects de la situation : D’un côté, les ouvriers demandant l’amélioration de leur condition ; de l’autre, les patrons actuels au plutôt les classes possédantes et dirigeantes, disant aux ouvriers, au peuple : Vois, regardes; partout des richesses accumulées ; examine combien elles sont considérables ; contemple ces amoncellements de produits; as-tu bien vu, as-tu bien compris ? — Eh bien, proclame que toutes ces richesses sont des sources de misères, que tu es résigné aux privations, aux souffrances, ou bien je te mitraille !»
- Ne faudrait-il pas être aveugle pour ne pas voir à quels dangers cette situation expose toutes les nations aujourd’hui ? ,
- Le monde de l’industrie et du travail est encore soumis à la loi brutale de la force qui s’impose par le besoin, par la faim et par la violence.
- La loi irréfléchie et ignorante de l’offre et de la demande est le fatal moyen servant de règle à l’intérêt et à l’égoïsme du chacun pour soi. C’est la lutte et la guerre entre classes riches et pauvres.
- Le problème social ne se résoudra que par l’application du juste et du droit dans les relations entre ceux qui possèdent et ceux qui travaillent. Il faut, au nom de l’équité et de la justice, prélever sur la richesse ou sur les bénéfices acquis les réserves nécessaires pour instituer les garanties que la morale vraiment sociale réclame en faveur des classes laborieuses et pauvres.
- Ce sera ainsi, et seulement ainsi, que sera assurée la paix publique dans les nations. Car le seul moyen de transformer la nature humaine c’est de l’habituer à la pratique de la justice et de l’équité. Or, c’est aux classes qui possèdent la richesse et qui retiennent les profits à commencer cette œuvre de régénération ; leur intérêt est d’en prendre l’initiative, si elles ne veulent se la voir imposer.
- Instituons donc l’assurance mutuelle en faveur des faibles et des malheureux, l’association entre le capital et le travail, organisons la participation de tous aux bénéfices de la production, sur les bases de la justice ; et l’antagonisme cessera de régner entre les hommes, la consommation fera équilibre à la production et la paix régnera sur la terre.
- -----------------------------------------------------
- p.358 - vue 361/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 359
- Les Princes peints par nn Marquis
- A l’occasion de la prise en considération du projet de loi relatif à l’expulsion des princes, le marquis des Roys, républicain du centre gauche, s’est chargé, en homme compétent, de l’exécution de la branche cadette. Voici les paroles de M. des Roys :
- Je m’étonne que les contradictions viennent de ce côté de la Chambre (la Droite).
- Si, en effet, il y a un parti qui a acclamé la Révolution de 1848, c’est le parti royaliste. Très bien ! Très bien! (à gauche). Et il avait raison, car l’homme qui avait été chassé en 1848, c’est l’homme qui avait oublié tous les services qu’il avait reçus de la branche aînée des Bourbons. (Vifs applaudissements à gauche.)
- C'est l’homme qui, après avoir promis au vieux Charles X d’être le gardien du trône d’un enfant, avait volé ce trône ; c’est l’homme qui, après la mort singulière du prince de Condé (Très bien ! très bien ! à gauche), avait fait ratifier un testament qui, s’il eût été refait aurait transporté à un autre la fortune attribuée à son fils ; c’est l’homme qui a déshonoré, par un procédé dont ne se serait jamais servi un prince, Ja mère de celui que vous appelez Henri V. (Nouveaux ap-olaudissements à gauche); c’est l’homme qui avait demandé dans cette enceinte, à une Chambre française, de flétrir la conduite de ceux qui étaient allés à Belgrave-Square porter le tribut de leurs hommages à des proscrits; c’est l’homme enfin qui n’avait d’autre droit au trône que d’avoir escamoté une révolution qui n’avait pas été faite pour lui, et dont ses amis ne peuvent pas se plaindre qu’il ait été renversé par les barricades après qu’il avait été porté au pouvoir par les barricades. (Applaudissements à gauche).
- On a dit que la Révolution de Février avait été la Révolution du mépris. Pour ceux qui croient à une justice du ciel, c’était la Révolution de Injustice. Elle a débarrassé la France d’un gouvernement qui la déshonorait, et vous devez vous rappeler, messieurs les légitimistes, que vous avez applaudi les premiers à la chute de ce prince qui est parti de son palais comme un voleur s’évade de sa prison.
- Le budget des Cultes.
- Le budget des cultes, vivement discuté par la commission du budget, ne sera sauvé que grâce à l’intervention énergique de M. Goblet, qui a reproduit les arguments de ses prédécesseurs. M. le ministre des cultes est d’avis qu’il faut opérer par extinctions successives, lentes et non brusques.
- Il faut au moins examiner si, en suivant les errements usités jusqu’ici, on arrivera à réduire ou à augmenter les sommes mises à la disposition du clergé.
- En 1802, le budget n’était que de 4 millions, c’est-à-dire 46 centimes par habitant; en 1880 il atteignait 53 millions et demi,ou 1 fr. 42 par tête; en 4886 il est descendu à 46,358,700 fr. Mais au
- moment où M. Goblet parle d’extinction, le gouvernement demande une augmentation de225,000fr. pour 1887, dont 80,000 fr. s’appliquent aux traitements des curés ; 48,000 fr aux réparations des édifices diocésains ; le reste se rapporte à des secours à accorder aux églises et presbytères.
- Il faut avouer que c’est une singulière manière d’alléger le budget. Et si l’on ajoute que la direction des cultes coûte en frais de personnel des sommes fort importantes, telles que : un directeur à 15,000 fr., sept chefs de bureau touchant de 6 à 40,000 fr.,sept sous-chefs de 4,000 à 5,500 fr., il y a lieu d’être surpris. Quinze chefs commandent à trente et un subalternes, ce qui fait deux employés 4/5 sous les ordres de chaque chef, tous servis par douze huissiers, garçons de bureau, etc., eux-mêmes aidés par des agents subalternes. Messieurs les cléricaux n’ont pas, on le voit, à se plaindre du gaspillage : ils en profitent largement.
- On comprend qu’une telle situation, qui semble devoir se perpétuer, irrite les plus patients. La lutte la plus ardente contre la République est fomentée dans les sacrifices. Concordat en mains, l’Eglise exige argent et soumission, met la paroisse avant la commune, le curé au-dessus du maire, l’évêque dominant de cent coudées le président j de la République. C’est une singulière façon de | reconnaître les bienfaits, de récompenser la j patience dont fait preuve la nation.
- | Le budget des cultes est-il donc une dette perpétuelle ? Le clergé la considère comme le résultat d’un engagement contracté en 1789 par la nation. Quelle était donc alors la situation légale et juridique ?
- L’abbé Maury, qui, on le sait, était l’adversaire de la mise des biens du clergé à la disposition de la nation, disait que cette propriété était le rapport des personnes et des choses. Mais si cetle définition est juste, elle établit aussi, que, pour que ce droit existe, il faut qu’il y ait une personne, un individu, une collectivité jouissant de la personnalité civile.
- Depuis 1302 jusqu’en 1789, le clergé a nu cUo considéré comme une personnalité civile ; alors ii faisait partie des trois grands corps de l’Etat. Mais, le 29 octobre 1789, le pouvoir existant défit ce qu’avait fait Philippe-le-Bel, et le décret de l’Assemblée nationale vaut bien l’ordonnance qui datait de près de cinq siècles. Le clergé fut donc difsous comme ordre et comme corporation, et
- p.359 - vue 362/838
-
-
-
- 360
- LE DEVOIR
- ses membres devinrent des fonctionnaires publics, des citoyens.
- En raison du décret de 1789, la chose possédée, c’est-à-dire les biens du clergé, est restée, mais la personne possédante a disparu. Il faut remarquer qu’alors les biens du clergé étaient de deux natures : d’une part les immeubles et biens provenant de dotations ; de l’autre, certaines redevances ou droits casuels des curés de campagne, et dîmes ecclésiastiques.
- Les droits casuels des curés furent abolis le 4 août 1789 ; quant aux dîmes, l’archevêque de Paris déclara au nom du clergé que celui-ci les remettait entre les mains delà nation ; elles représentaient une rente annuelle de plus de cent millions.
- La vente des biens du clergé donna lieu à une discussion de laquelle il résulte bien que la dissolution, en tant que corporation, avait pour conséquence son incapacité à posséder, et que, selon l’expression de Mirabeau, « le service de l’autel est une fonction publique; comme le magistrat et le soldat, le prélat est à la solde de la nation».
- Les biens restitués rentraient ainsi dans les mains de l’Etat ; la suppression de la corporation entraînait celle de la propriété. Mais l’attribution d’une rémunération par l’Etat peut-elle être considérée comme une indemnité résultant de l'accomplissement des faits qui précèdent ? Les adversaires de la suppression du budget des cultes voient là matière à discussion subtile.
- Cependant il est clair que le clergé étant un service public, rétribué, subventionné, à la solde de la nation, les raisons qui ont motivé la reconnaissance d’un intérêt général peuvent cesser d’exister, et l’Etat a le droit absolu de supprimer l’indemnité, le jour même où il reconnaît que le service de l’autel est inutile; ainsi d’ailleurs qu’il pourrait le faire, le jour où un ordre de chose amènerait la suppression des armées permanentes, entraînant la suppression même de la prise en charge du budget de la guerre. Le salaire cesse alors que la fonction n’est plus utile.
- Il nous semble donc que si le gouvernement a le droit de défendre le budget des cultes, il est du devoir des citoyens de le discuter, de l’attaquer, afin d’arriver à obtenir une suppression que tant de bons esprits réclament. Le concordat, œuvre de Napoléon Ier, ne saurait, en effet, être éternellement invoqué comme un droit rigoureux.
- A. Debarle
- Faits politiques et sociaux de la semaine
- FRANCE
- Les syndicats d’exportation. — On sait que depuis quelques mon un grand mouvement d’opinion s’est produit dans le monde des affaires, en faveur de la création de syndicats ayant pour obj et soit l’envoi de représentants, soit l’établissement à l’ét ranger de comptoirs de vente ou d’échantillonnage à frais communs.
- Nous apprenons avec plaisir que l’une de ces sociétés, le « Syndicat de Protection et de Propagation des produits de l’Industrie française », vient enfin dépasser delà théorie à faction : elle met en route, à l’heure où nous écrivons, ses deux premiers représentants ou inspecteurs
- Ces inspecteurs, aux termes d’une circulaire rédigée récemment par les soins du syndicat, ont pour mission :
- 4° De prendre sur place tous les renseignements commerciaux de nature à garantir la sécurité des transactions opérées par l’intermédiaire du syndicat ;
- 2° D’installer des représentants partout où besoin sera, et de contrôler les représentants ou entrepositaires déjà installés ;
- 3° De traiter directement avec les commerçants en marchandises françaises établis dans des centres ou il n’y aurait pas utilité ou avantage à laisser un agent sédentaire. Pour bénéficier de tous les avantages de cette représentation permanente, les adhérents du syndicat n’ont à payer qu’une cotisation annuelle, qui est de 200 ou 300 francs, suivant qu’ils participent (par l’intermédiaire des inspecteurs du syndicat) aux quatre expéditions de l’année ou à deux seulement.
- Ces quatres voyages sont entrepris conformément aux iti-nésaires suivants :
- 1° Canada, Etats-Unis d’Amérique, Antilles, Mexique, Guatemala, Nicaragua ;
- 2° Colombie, Bolivie, Equateur, Venezuela, Pérou, Chili, République Argentine, Brésil ;
- 3° Australie, Nouvelle-Zélande, Nouvelle-Calédonie, Nouvelles-Hébrides, Japon, et toute la région orientale de l’Asie.
- 4° L’Asie occidentale, le Levant et l’Afrique.
- Nouvelles cartes postales. — Voici le décret récemment publié par le ministre des postes.
- Article premier.—A partir du 15 juin 1886, il sera mis en vente, au prix de 15 centimes pour le service intérieur et de 25 centimes pour les relations internationales, des cartes lettres portant l’empreinte d’un timbre poste de 15 centimes ou de 25 centimes.
- Article 2. — Il est permis d’insérer, dans les cartes lettres tout objet dont l’insertion est autorisées dans les lettres ordinaires.
- Mais les envois dépassant 15 grammes seront taxés comme les lettres insuffisamment aflranchies.
- Article 3. — Les cartes-lettres pourront être recommandées et, dans ce cas, faire l’objet d’une demande d’avis de réception.
- p.360 - vue 363/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 361
- Article 4. — Les timbres postes découpés dans les cartes- j lettres ne pourront être ni utilisés ni échangés. Mais les j cartes-lettres mises hors d’usage avant d’avoir été jetées à la boîte seront admises à l’échange contre des timbres-poste, si elles sont présentées en entier.
- Article 5. — Les principaux bureaux de Paris seront seuls approvisionnés dés le début; la vente sera successivement étendue aux autres bureaux de poste, au fur et à mesure du développement de la fabrication
- MADAGASCAR
- Le ministre de la marine vient de déposer à la Chambre un projet de loi ayant pour objet d’ouvrir un crédit supplémentaire de 4,879,969 francs s’appliquant pour une part à l’entretien, pendant le second semestre de cette année, des bâtiments et des troupes à rappeler de Madagascar et, d’autre part, à l’entretien pendant les trois trimestres de 1886, des navires qui seront retenus à Madagascar.
- /On sait qu’avant la conclusion du traité de paix avec les Howas, les Chambres avaient alloué un crédit de 3,832,000 fr. : ce crédit a été absorbé.
- Indépendamment des forces navales qu’elle aura à entretenir dans l’Océan indien, la marine devra fournir une escorte à notre résident-général à Tananarive, ainsi que les troupes nécessaires pour l'occupation provisoire de Tama-tave, jusqu’au complet payement de l’indemnité de 10 millions, et pour notre installation définitive dans la baie de Diégo-Suarez.
- Sur les 3,900 hommes qui forment l’effectif actuel des troupes à Madagascar, il en sera conservé 1,100; le surplus. soit 1,800 sera rapatrié,
- Les réductions dans l’effectif de la division navale s’opéreront d’une manière progressive : dix bâtiments, — dont trois transports — rentreront successivement en France ou suivront une autre destination active.
- Le contre-amiral Miot a reçu l’ordre, après avoir présidé à la nouvellle organisation, de remettre le commandement à un capitaine de vaisseau et de rentrer en France,
- La division navale, qui continuera à exercer une surveillance active dans les eaux de Madagascar, comprendra neuf bâtiments, dont quatre de rivière et un ponton stationnaire à Diégo Suarez.
- CAMBODGE
- On lit dans le Temps :
- Nous venons de recevoir par le courrier de l’Indo-Chine des nouvelles du Cambodge datées du 1er mai. Dans la deuxième quinzaine d’avril, il n’y a eu que trois engagements d’une cer-, taine importance. Le 20, une colonne commandée par le capitaine Montgazont, des tirailleurs annamites, a enlevé un fortin qui barrait le ipassage de la rivière à Péam-Kenoog. Les rebelles, qui ont résisté avec vigueur, ont laissé deux tués dans l’ouvrage; de notre côté, 5 hommes blessés légèrement.
- Le 21, à cinq heures du matin, 150 rebelles ont attaqué le poste de Kampong-Trabac et ont été repoussés avec des pertes sérieuses. D’après les rapports des espions, ils auraient eu 20 tués et 5 bissés. La petite garnison n’a eu que 2 miliciens cambodgiens blessés.
- Enfin, on signale L 28 avril une alerte de nuit à Compong Tiam. Les partisans ont incendié quelques cases, mais le Jaguar et la garnison du fort les ont forcés à prendre la fuite.
- Notre correspondant nous dit que la situation va s’améliorer comme l’an passé avec la montée des eaux et les grandes pluies qui rendent les mouvements difficiles. A son avis, pour arriver à la pacification immédiate, il faudrait faire un vigoureux effort, établir une cinquantaine de postes dans l’intérieur du pays et constituer deux ou trois fortes colonnes mobiles; mais, pour cela, il faudrait disposer de forces imposantes, et de quelques milliers d’hommes de plus.
- ANNAM
- En Annam, malheureusement la situation ne s’est pas améliorée.
- Le général Warnet, soucieux de rétablir l’ordre, a envoyé à Hué, comme commandant supérieur des forces de terre et de mer, le général Munier.
- La tâche est ingrate, le poste peu enviable ; la pacification de ce pays, si troublée par les tentatives de Thuyet, constitue une entreprise bien difficile.
- Récemment encore, des bandes de rebelles venant de fla-Tinh ont attaqué la citadelle et la résidence de Than-H ia; conduites par les lettrés, elles avaient à leur téteTu-Tai-Phong frère de l’ex-ministre Thuyet, qui les a concentrées dans le village de Nong-Cong, à dix-huit kilomètres sud-ouest de Than-Hou, où l’on a discuté le plan de l’attaque. Celle-ci eut lieu de nuit. Les rebelles furent repoussés, ‘grâce au manque de cohésion ; mais M. Pivert, commis-rédacteur de la résidence, fut grièvement blessé.
- Il est évident que les mandarins des provinces de Ha-Tinh et de Than-Hoa ont été en quelque sorte complices de Thuyet; malgré leurs protestations, il n’est pas admissible que les rebelles aient pu arriver jusqu’au siège de la résidence sans qué les autorités indigènes se soient aperçues de leur mouvement.
- ALLEMAGNE
- La guerre aux Socialistes.— La récente circulaire du ministre de l’intérieur de Prusse au sujet des réunions et de l’autorisation préalable à demander à l’autorité a porté ses fruits. Dans cette dernière semaine nous comptons, pour Berlin, sept réunions ouvrières interdites, même celles qui avaient à leur ordre du jour une conférence d’un caractère le plus anodin Une ré inion des compagnons maçons et menuisiers pour délibérer sur la continuation et l’extension de la grève, a été naturellement interdite a priori. Des milliers de compagnons de ces corps de métiers ont trouvé, close et gardée par de nombreux agents, la porte du local où ils voulaient se réunir.
- Ces interdictions s’étendent avec la même rigueur aux réunions ouvrières, dont notre correspondant de Berlin nous a exposé récemment les premiers essais de groupement. II y a plus : mercredi dernier plusieurs membres féminins dn comité de VAssociation pour la défense des intérêts des ouvrières ont eu à subir une visite domiciliaire et une saisie de leur correspondance. Toujours la même crainte et le même soupçon d’affiliation au socialisme.
- Il y a un vieux proverbe allemand qui dit : « Ne dessinaz
- p.361 - vue 364/838
-
-
-
- 362
- LE DEVOIR
- pas le diable sur le mur, si vous ne voulez pas l’évoquer ! »
- La police prussi enne dessine tout le temps le diable sur le mur.
- ¥ ¥
- Le droit d’association. — Non contente des interdictions de réunion et des perquisitions domiciliaires, la police, en vertu des pouvoirs discrétionnaires dont elle est investie, vient de prononcer la dissolution de l’Associa tion pour la défense des intérêts des ouvriers, de l’Association des ouvriers de Berlin, et de l’Association professionnelle des ouvrières en manteaux.
- *
- * ¥
- Emancipation de la Femme.— Les ouvrières confectionneuses de Berlin, dont le nombre dépasse 18,000, se sont organisées et préparent une grève pour fin juin. Les grévistes ont l’intention de procéder par atelier, afin de ne pas surcharger les dépenses de la grève. Dans son appel aux ouvrières de Berlin, le comité dit que les ouvrières en confection, dans le soi-disant « bonne saison » qui dure 6 ou 7 mois, ne gagnent que 1 mark (1 fr.2 5) en moyenne pour une journée de travail de 14 a 16 heures.
- Les ouvrières demandent : 1° augmentation de salaire d’un tiers par pièce; 2° une journée de dix heures ; 3° suppression du travail de nuit et des jours fériés.
- Les ouvrières organisées possèdent aussi un journal à elles Die Frauenzeitung (journal des femmes) à Berlin, et un second, Die Staatsbürgerin ( la Citoyenne ) à Offen-bach, rédigé par la comtesse Guillaume SchacK.
- AMERIQUE
- Femmes fonctionnaires —Une loi récemment votée au Texas décide que la moitié des places, dans les administrations publiques, sera donnée aux femmes.
- Dans l’Iowa, un des Etats les plus avancés de l’Amérique du Nord, on compte 125 femmes médecins et 5 femmes notaires ou avoués.
- A l’exemple du Kansas et de New-Jersey, l’Etat de Nebraska a établi une loi stipulant que les droits de la mère sur l’enfant seront égaux à ceux du père.
- Sous ce titre : Les Droits égaux, un nouveau journal pour la revendication des droits de la femme vient d’être créé aux Etats-Unis.
- ANGLETERRE
- Troubles à Dublin.— Des troubles graves ont eu lieu dimanche à Dublin, à la suite d’une rixe entre des soldats anglais et des irlandais.
- Vers huit heures et demie, quelques soldats ivres, appartenant, dit-on, aux gardes écossais, ont attaqué une musique et ont envoyé un tambour dans les environs du Talbot Street.
- Une foule considérable s’est portée alors contre les militaires, qui, après une courte résistance, ont été obligés de s’enfuir vers Jack ville Street, où, comme tous les dimanches, un grand nombre de soldats faisaient leurs promenades habituelles.
- La foule a attaqué également ces intrépides guerriers, qui, croyant à une insurrection feniane, furent pris d’une véritable panique et s’enfuirent dans toutes les directions.
- Des rumeurs alarmantes se répandirent bientôt en ville, et des soldats anglais rencontrés dans les rues, même à une grande distance de l’endroit où les troubles avaient eu lieu, furent poursuivis par la foule. Quelques-uns ont été fort maltraités.
- L’agitation a continué jusqu’à onze heures et de lortes patrouilles ont dûparcourir les rues pour rétablir l’ordre.
- * +
- Préparatifs de guerre civile.— La PallMall Gazette publie les détails de l’organisation militaire qui aurait été effectuée dansl’Ulster en vue d’oppot>er une résistance armée à l’autorité du Parlement irlandais projeté. D’après ce journal, 78,561 hommes seraient enrôlés:
- BELGIQUE
- Élection progressiste.— Dimanche a eu lieu le second tour de scrutin pour les élections provinciales.
- A Bruxelles, il y avait dixballotages; huit candidats de l’association progressiste ont été élus ainsi que deux libéraux présentés par la Ligue. C’est une manifestation de poids en faveur du suffrage universel et de la révision delà Constitution.
- A Fosses et Gembloux, dans la province de Namur, les candidats catholiques ont triomphé.
- M. Frère-Orban a prononcé, à Liège, un grand discours politique.
- Le chef des libéraux a prétendu que le programme radical divisait le parti libéral et assurait le maintien des catholiques au pouvoir.
- En terminant, M. Frère-Orban a déclaré que la révision de l’art. 47 de la constitution était impossible actuellement et s’est prononcé contre le suffrage universel.
- ¥ ¥
- Le Scandale de Gand.— Le scandale de Gand (Belgique) prend de grandes proportions.
- On sait qu’il s’agit de la découverte d'un cercle où avaient peu dts orgies monstrueuses.
- Le nombre des personnes compromises qui se sont tuées pour échapper aux poursuites est de cinq.
- Ce sont de jeunes vauriens couverts de riches bijoux, extorqués sans doute à leurs complices de débauche, qui ont dénoncé le scandale à la police.
- Soixante personnes, appartenant au parti clérical sontpour-suivies.
- La Chambre
- LA GRÈVE DE DECAZEV1LLE
- L’inertie du gouvernement vient de provoquer un quatrième débat sur cette irritante et inquiétante question de la grève dans l’Aveyron.
- Tour à tour, M. Michelin, M. Plantean et Bâs-yl ont établi, preuves en main, que si le travail n’avait pas repris, si le chômage et la misère régnaient toujours à Decazevilie, la cause en était dans la volonté bien arrêtée des administrateurs de repousser toute transaction, toute proposition de conciliation, et dans la faiblesse coupable du ministère qui se refuse à employer contre toute la
- p.362 - vue 365/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 363
- puissance de la Compagnie orléaniste les armes que la loi lui donne.
- M. Laur, qui, lui aussi, on s'en souvient, avait essayé d’intervenir dans le conflit et dont les efforts ont été annihilés par le mauvais vouloir du conseil d’administration, a fourni à l’assemblé des explications aussi détaillées que lumineuses^ sur les négociations auxquelles il s’est trouvé mêlé, sur l’enquête dirigée par lui relativement à la situation de la Société des Houillères de l’Aveyron, et enfin sur les causes qui ont fait naîtra le différend entre la Société et Jes ouvriers mineurs.
- Il est extrêmement difficile d’analyser le discours —on pourrait dire la conférence— de M. Laur, laquelle se compose d’une quantité considérable de détails techniques et dont les conclusions, résultant de calculs d’ingénieur, ne peuvent être comprises si l’on ne connaît pas les chiffres qui ont servi à établir ces calculs.
- Faute de pouvoir reproduire en entier ce remarquable exposé de la question, nous allons en donner les principales parties, qui permettront aux lecteurs de se faire une idée exacte de la situation telle qu’elle était hier, telle qu’elle est encore aujourd’hui :
- Deux préoccupation» s’étaient emparées de moi, dit M. Laur, en arrivant à Decazeville ; je me suis d’abord demandé si réellement les revendications des ouvriers étaient tellement excessives que la Compagnie dût les repousser par une sorte de non possumus absolu , ensuite il s’agissait pour moi de savoir, étant donnés l’état industriel et la crise que nous traversons, s’il était impossible de procurer une satisfaction aux ouvriers.
- La Compagnie ayant accepté, en principe, l’arbitrage de M. Laur, relativement aux tarifs, mais l’ayant repoussé sur les points qui touchaient à la réintégration du personnel, et au renvoi de M. Blazy, l’arbitre avait à préciser d’abord les questions sur lesquelles sa sentence devait porter.
- Ces points, dit l’orateur, étaient au nombre de sept ; je vais les énumérer brièvement.
- Le premier concernait la liberté du marchandage entre ouvriers et maître mineur. C’était revenir à vingt ans en arrière. Je me suis assuré que les ouvriers n’y tenaient pas. Sur ce point donc, aucune difficulté.
- Je passe au tarif à la benne. On demandait que le prix de boisage fut en dehors du prix de la benne qui était de 2 fr. ; la Compagnie y consentait en faisant subir au prix de la benne une toute petite réduction qui, en somme, constituait une augmentation de 1.43 p 0/o en faveur de l’ouvrier.
- Sur ce point, j’avais demandé pour l’ouvrier un certain privilège en ce qui concerne la benne de gros, sur lequel la Compagnie gagne plus ; je demandais un sou d’augmentation par benne de gros, ce qui aurait coûté à la Compagnie 14 fr par jour.
- Je dois dire que la grève aurait cessé si la Compagnie avait accordé ce sou d’augmentation, car les exigences les plus grandes des ouvriers n’allaient que jusqu’à réclamer une augmentation de deux sous. (Très bien ! très bien l à gauche.)
- La troisième question était relative à des tarifs très-compliqués réunis sous le nom de tarifs divers. Il y avait, par
- suite des tarifs de 1886, une diminution de 5 p. 0/o dansles salaires des ouvriers. Les mineurs de Palarez et de Firmy, que j’ai comptés, étaient disposés à accepter cette diminution.
- Ainsi, avec 2 û/o d’augmerition à Bourran et 5 O/q de diminution à Firmy et à Palarez, il restait encore une balance de 3 O/o défavorable à l ouvrier.
- Tous les autres points étaient acceptés par la Compagnie et les ouvriers : paiements par acomptes, rapprochement des dépôts de bois dans la mine, etc.
- Sur le sixième point, relatif au droit pour le piqueur de choisir son manœuvre, il y avait accord. Ici, j’adresserai une légère critique aux ouvriers, car ils ne réclament ce droit que pour payer moins leur manœuvre ; c’est, en quelque sorte, l’exploitation d e l’ouvrier par l’ouvrier. Quoi qu’il en soit, la Compagnie acceptait cette demande.
- Ainsi, sur six points, c’est à peine s’il pouvait y a avoir de discussion sur deux.
- Les septième point est relatif à la réintégration du personnel de la grève et le renvoi de l’ingénieur Blazy.
- J’avais fait pressentir aux ouvriers que mon sentiment était contraire, dans les conditions industrielles actuelles, à 11 réintégration totale des grévistes.
- 11 était impossible à un ingénieur de demander à la Compagnie de remettre son extraction sur le même pied qu’avan t la grève, alors que depuis la grève elle a perdu des clients et que la crise métallurgique s’est encore accentuée.
- Quant à la question du renvoi de M. Blazy, je ne m’y suis pas arrêté, car je croyais savoir que la Compagnie n’avait pas l'intention de le maintenir à Decazeville. Il aurait disparu de la scène
- En ce qui concerne la réintégration des grévistes, je vous dirai en toute sincérité que les mineurs consultés individuellement passaient condamnation sur la réintégration totale ; ils étaient prévenus par la Compagnie que 116 des leurs ne devaient plus songer à rentrer dans la mine. Je m’étais proposé pour chercher du travail à ceux qui ne seraient pas repris par la compagnie.
- J’ai dit à la compagnie : Il est facile d’arbitrer les six premiers points; quant au septième, vous avez satisfaction.
- Dans ces conditions, l’arbitrage ne rencontrait plus aucun obstacle. Les ouvriers l’avaient accepté, et je dois dire qu^i avait été aussi accepté à Decazeville par les représentants del la Compagnie ; malheureusement il a été refusé à Paris.
- La mauvaise volonté des administrateurs de Decazeville n’est donc pas niable. Elle n’est, du reste, plus niée.
- Mais, dira-t-on : la Compagnie n’était peut-être pas en situation de satisfaire aux exigences des mineurs, exigences qui consistaient uniquement —il est bon de le rappeler— à réclamer l’ancien tarif. On sait, en effet, que la grève est purement défensive, qu’elle n’a pas pour objet une augmentation de salaire, mais simplement le maintien du prix de la journée tel qu’il était précédemment fixé. C’est en voulant diminuer le taux des salaires que le conseil d’administration a provoqué les incidents que l’on connaît.
- Laissons M. Laur répondre à cette question, savoir : si la Compagnie pouvait ou non accorder une paye plus élevée que celle q’uelle prétendait imposer aux ouvriers :
- p.363 - vue 366/838
-
-
-
- 364
- LE DEVOIR
- J’ai dû rechercher, d’autre part, une situation industrielle telle qu’il lui soit impossible d’accepter les propositions que je comptais formuler.
- Mon enquête a été entravée par l’absence de tout document émanant de la Compagnie. J’ai pu cependant me procurer des renseignements précis qui vous donneront, je crois, une idée exacte de la situation de cette compagnie.
- La société des forges et houillères de l’Aveyron a tout récemment fait des travaux neufs. Elle a installéun procédé nouveau de criblage, qui lui a coûté 200 à 250.000 fr., mais qui lui permet de fournir du charbon dans de bien meilleures conditions qu’autrefois, 8 ou 9 O/o de cendre au lieu de 28.
- Elle a installé en outre dans ces dernières aimées une fabrique d’agglomérés, qui lui permet d'écouler sur le chemin de fer d’Orléans une grande quantité de tonnes de charbon.
- Enfin, elle a installé pour sa métallurgie des fours nouveaux ; elle a mis en pratique un système houiller complet dû à M. Petitjean, qui donne des houilles infiniment supérieures au système de Bourran.
- La Compagnie a devant elle l’énorme quantité de 22 millions de tonnes de charbon, sur lesquelles elle réalise actuellement un bénéfice de \ à 5fr par tonne. Elle a donc devant elle un bénéfice de 20 à 40 millions de francs.
- La Compagnie a enfin acheté la surface de six mines, ce qu’aucune autre concession minière n’a pu taire, et ce qui dégrève son prix de revient d’environ 1 fr. par tonne, somme à laquelle on évalue les indemnités à payer pour dégâts de surface.
- La compagnie n’a, dans ces derniers temps, mis à son actif, du fait de ces travaux neufs, que la somme de 200.000 francs. Elle n’a perdu d’argent qu’en 1884 où elle a perdu 174.000 fr.; mais, dans les trois dernières années, elle a employé par année 800.000 francs en travaux neufs.
- Voyons maintenant l’influence que peuvent avoir sur le prix de revient, surtout sur le prix de revient de la main-d’œuvre, ces travaux neufs.
- Les frais généraux de la société des houillères de l’Aveyron se montent par tonne à 78 centimes ; ils ne s’éloignent pas sensiblement sur ce point du prix de revient des autres houillères. Mais dans ta Compagnie de l’Aveyron le matériel est porté dans le prix de revient à 4 fr. 05 par tonne, alors que dans toutes les autres exploitations 11 n’est porté que pour 2 fr.
- Par conséquent, ces installations nouvelles ont grevé le prix de revient de 2 fr. par tonne.
- J’ai maintenant à rechercher si le prix de la main-d’œuvre dans les mines de üeeazeville est supérieur ou égal au prix payé dans le voisinage ou dans les autres régions.
- Je prends une houillère voisine, celle de Garmaux. La main-d’œuvre y figure dans les comptes pour 5 fr.415 par tonne. Dans le Gard; elle est de 4 fr. à 4 fr., 50 c.
- Dans la Loire, de 4 fr ; dans le nord, de 4 fr. à 4 fr. 25 ; d’où suit que le prix de revient moyen est de 4 à 5 fr.
- Si donc la Compagnie des houillères de l’Aveyron paie une main d’œuvre qui se rapproche de ces prix normaux, nous n’avons rien à lui demander. Eh bien ! le chiffre officiel de la compagnie des houillères de l’Aveyroa est de 2 fr. 56 pour la mine delà Vaisse, qui n’existe plus, et 2 fr 46 pour
- Bourran. (Exclamations à gauche. C’est donc une diminution de 50 O/o sur la main-d’œuvre par rapport aux autres Compagnies.
- Ce n’est pas tout. La Compagnie de Decazeville a découvert récemment sur son domaine un gîte de fer presque inépuisable, dit M. Laur, le gîte de Mondalazac, où elle peut extraire, au bas mot, 20 à 40 millions de tonnes de fer.
- Et c’est une Société dont l’avenir est si enviable, c’est une société dont la richesse est représentée par 60 à 30 millions de tonnes de houille ou de fer, qui risque cette formidable grève de cent jours, pour refuser les dix centimes que les ouvriers réclament comme prix de la benne de charbon.
- En présence d’une telle situation, je me suis demandé, dit l’orateur, si le gouvernement n’avait pas à intervenir. Non pas que je croie que l’État puisse devenir la Providence de chaque citoyen dans le pays ; mais on peut se demander si la propriété d’une mine est une propriété comme une autre, comme l’est, par exemple, celle d’un champ.
- Je reconnais que si des ouvriers agricoles venaient demander à un propriétaire de faire sur son champ tels ou tels travaux, il serait en droit de s’y refuser, en répondant par la vieille définition classique de la propriété : user et abuser.
- Eh bien ! il n’en est pas de même pour la propriété d’une mine. En cette matière, le propriétaire n’a pas le droit d’abuser, et je prétends qu’ici il a abusé.
- Mon enquête, en effet, ne s’est pas seulement portée sur üeeazeville. Je l’ai étendue aux usines environnantes. Eh bien ! les intérêts des consommateurs me semblent lésés.
- La Compagnie des zincs de Viviers, par exemple, n’a qu’un four en feu, et cela parce qu’elle ne peut pas avoir de charbon des Compagnies de l’Aveyron.
- Ces intérêts des consommât3urs étant lésés, le gouvernement, je le répète, a le droit d’intervenir.
- Cette intervention doit s’exercer sous la forme de l’arbitrage— que les ouvriers acceptent. Si la Compagnie persiste à le refuser, le gouvernement possède une arme pour faire céder les administrateurs.
- Cette arme, c’est la sessation de l’occupation militaire, qui conte actuellement un millier de francs par jour. Or, dit très justement l’orateur, nous ne sommes pas assez riches pourprolonger indéfiniment cette situation et donner, sous cette forme, 360.000 francs par an aux administrateurs de Decazeville.
- D’autre part, il y a le gîte «à préserver, car c’est une propriété nationale. Et, si un arrangementn’in-tervient pas à bref délai, si la troupe ne se retire pas, M. Laur déclare que des coups de dynamite sont inévitables.
- La droite se récrie et interpelle ce trop clairvoyant et trop sincère collègue.
- Mais lui, d’un ton froid et mesuré qui donne à son averlissement une importante portée, répète : « Nous aurons des coups de dynamite ; pour moi la chose ne fait pas l’ombre d’un doute et, sachez-le bien, messieurs, la mine de Bourran est à la merci de huit hommes déterminés».
- Le discours de M. Laur a été suivi d’une intervention de M. Basly, demandant au gouvernement une subvention de 500.000 fr. en faveur des
- p.364 - vue 367/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 365
- grévistes. Voici le principal argument du député ouvrier.
- Le devoir des républicains n’est-il pas d’intervenir à l’aide de subsides en faveur des victimes de ces machinations patronales?
- Lorsque un incendie, comme à la Guadeloupe il y a quelques années, atteint dans leur propriété un certain nombre de citoyens et de contribuables français, vous a’hésitez pas, Messieurs, à ouvrir un crédit, à voter une indemnité pour les victimes d’un malheur considéré comme public.
- Lorsque, l’année dernière, l’inondation s'est abattue sur les Indes fiançaises, vous avez également voté à deux reprises un demi-million à titre de réparation de dommages causés à un certain nombre de propriétaires.
- Ce que vous avez fait est bien fait, et bien fait pour des membres de la classe possédante, pouvez-vous refuser de faire pour des prolétaires qui ne sont pas, eux, frappés dans leur fortune, qui sont menacés dans leur personne, dans leur existence même?
- Vondrez-vous laisser eroire que le Trésor public, que remplit le produit du travail national, ne s’ouvre à titre de secours qu’au profit des riches, et est fermé au contraire comme une porte de prison à toutes les réclamations et à tous les besoins des pauvres qui sont les principaux, sinon les uniques producteurs?
- Pour mon compte, et jusqu’à preuve du contraire, je me refuse à le croire. Je veux espérer que mettant sur le même pied que l’incendie ou l’inondation la privation de travail imposée à ceux qui n’ont que leur travail pour vivre,vous inviterez le gouvernement à inscrire un crédit de cinq cent mille francs à titre de secours aux familles ouvrières victimes...
- Fréquemment interrompu par les membres de la droite, dont l’un, Monsieur Joseph Morel (du Nord), lui a dit «ce discours n’est pas de vous», M. Basly a fait prompte justice de ces provocations, en des termes énergiques.
- Je ne suis pas embarrassé pour répondre à l’interrupteur, a dit M.Basly. Ce discours ne serait pas de moi; cela se peut.
- Mais à qui la faute si je n’ai pas, comme vous, passé par les écoles et les lycées? Pendant que vous faisiez vos classes sous des maîtres payés par nous, travailleurs et contribuables, j’étais, moi, condamné à gagner péniblement mon pain. Et je suis heureux et fier des amis qui veulent bien donner la forme nécessaire aux revendications du Parti que je représente.
- Vous n’avez pas, je le répété, vous qui êtes responsable de l’ignorance populaire, à faire le procès à un simple travailleur qui est, de par son dévouement à ses frères de travail, au sein du Parlement, comme vous y êtes, vous, de par vos écus.
- (.Réclamations à droite.)
- La subvention réclamée par M. Basly et l’intervention gouvernementale sollicitée par M.Laur on été repoussées par un ordre du jour pur et simple.
- C’est par cette coupable indifférence que. tôt ou tard, les dernières paroles de M. Basly deviendront l’expression de la vérité réalité.
- Voici la tin du discours de M. Basly :
- D’ailleurs, Messieurs, en descendant de cette tribune, com-tte la première fois que j’y suis monté, je vous mettrai en
- présence de la lourde responsabilité qui vous ircombe: la paix ou la guerre sociale est dans vos mains, selon le vote que vous allez émettre : Choisissez! (Oh ! oh !)
- (En descendant de la tribune, l’orateur est félicité par quatre ou cinq membres du groupe ouvrier.)
- La Chambre a été loin d’ètre unanime dans le vote de l’ordre du jour accepté par le ministère. Nous donnons le nom des députés qui ont refusé de s’associer à ce vote d’indifférence à l’égard des travailleurs :
- Ont voté contre l’ordre du jour pur et simple.
- MM. Abeille. Achard. Allain-Targé. Aujame.
- Ballue. Baltet. Barodet. Basly. Beauquier. Berger (Nièvre). Bizarelli Blatin. Borie. Borriglione. Boullay. Bourgeois (Jura). Bourneville. Bousquet. Bovier-Lapierre. Boyer. Boysset Brelay. Brialou. Brousse (Emile). Brugeilles.
- Calés. Camélinat. Cantagrel (Seine). Carret (Jules). Casser (Germain). Cavalié. Ceccaldi. Chamberland. Chantagrel (Puy-de-Dôme), Chavanne. Chevandier. Chevillon. Colfavru. Crémieux.
- Daumas. Delattre. Dellestable. Desmons. Detbou. Douville Maillefeu (comte de). Dreyfus (Camille). Duchasseint. Duché (Claude) (Ain). Ducoudray. Duguyot. Duportal. Dupuy (Aisne) Durand-Savoyat. Datailly.
- Ernest Lefèvre (Seine).
- Farcy. Forest. Franconie. Frébault.
- Gadaud. Gagneur, Gaillard (Jules) Vaucluse). Gaulier. Gaussorgues. Giguet. Gilly (Numa). Guillaumou. Guillemaut. Guyot-Cessaigne.
- Héral. Hérédia(de). Hérisson. Hubbard (Gustave-Adolphe). Hude. Hugues (Clovis). Humbert (Frédéric).
- Jacquier. Jamais (Emile). Jaurès. Jourdan (Louis). Jouvencel (Paul de). Jullien.
- Labordére. Labrousse. Lacôte. Lacretelle (Henri de). Lacroix (Sigismond). Lafont. La Forge (Anatole de). Lagrange. Laguerre. Laissant. Lamaziére (Daniel). Lanessan (de). Laporte (Nièvre). Lasbaysses Lefébvre (Seine-et-Marne). Leporché. Lessage. Lesguiller. Leydet. Lombart (Isère). Loranchet. Lyonnais.
- Madier de Montjau. Magnien. Millard. Maret (Henry). Mathé (Félix) (Allier). Mathé (Henri) (Seine). Maurel (Var). Mauriee-Faure (Drôme). Mellot. Ménard-Dorian. Michel. Michelin. Millerand. Monis. Montaut (Seine-et Marne). Mortillet (de).
- Nadaud (Martin).
- Pajot. Pally. Pelletan (Camille). Périllier. Périn (Georges). Philippon. Pichon (Seine). Planteau. Pochon. Poupin. Pradon Pressât. Prévet. Prudon.
- Hanson. Raspail (Benjamin) (Seine). Raspail (Camille) (Var). Rathier. Razimbaud. Remoiville. Révillon (Tony). Rey (Aristide). Reybert. Richard (Drôme. Rivet (Gustave). Rivière. Rochet.
- Sabatier. Saint-Ferréol. Saint-Martin (Vaucluse). Saint-Romme. Salis. Simonnet. Simyan. Spuller. Steenackers. Suisini (de).
- Théron. Theuler. Tondu. Turigny. Turel (Adolphe).
- Vacher, Vergoin. Vernière. Villeneuve.
- Wickersheimer.
- Yves Goyot.
- p.365 - vue 368/838
-
-
-
- 366
- LE DEVOIR
- La Toilette de l'Avenir
- On a beaucoup parlé dernièrement de quelques dames ou demoiselles qui se sont habillées en homme. Il parait qu’il n’y a que certains jours de l’année qu’un tel costume est permis Cette manière de se vêtir, nullement repréhensible le mardi-gras devient nu délit le mercredi des Cendres. J’avoue que cette distinction me laisse un peu perplexe. Heureusement, je n’ai pas à comprendre, mais à obéir. Le préfet de police se charge de nous diriger dans le choix de notre toilette, et nous n’avons désormais qu’à lui demander de nous indiquer la longueur réglementaire de nos jupes et la mode de notre coiffeur, car, sans doute, les cheveux courts sont contraires aussi à la loi, puisqu’ils sont indiscutablement l’apanage de nos seigneurs et maîtres. Fénelon, dans le tableau qu’il nous a fait de son Etat modèle, avait rêvé quelque chose de pareil, mais avec plus de logique, car il réglementait le costume de chacun et il était défendu de porter une tunique bleue à celui dont la position sociale ne comportait que du rouge. Je croyais que quelques siècles s’étaient écoulés depuis lors et que nous avions renoncé à ces belles utopies un peu trop paternelles. Je vois qae je m’étais trompée.
- Ce n’est pas que je voudrais voir le costume masculin d’aujourd’hui devenir universel pour les deux sexes. II a, sans doute, l’avantage d’être commode, et celui-là doit l’emporter sur tout autre; mais il est peu gracieux, et je ne crois pas impossible de concilier l’utile avec l’agréable. Nous voyons plusieurs exemples de vêtements également simples, commodes et gracieux; celui de la paysanne suisse en particulier.
- Il est des pays où les costumes des deux sexes diffèrent peu, la Chine par exemple; d’autres, comme le Kamtschatka où la rigueur du climat exige un habillement très rationnel et peu coquet, de sorte que la toilette de la ùmme n’offre ancun contraste frappant avec celle de l’homme. Ne pourrions-nous pas les imiter un peu, tout en faisant la part de nos exigences occidentales. J’avoue que, par le mauvais temps surtout, j’ai toujours regardé avec un œil d’envie le costume des hommes marchant à travers la pluie et la boue, tandis que moi je traîne une malheureuse jupe, toute mouillée et crottée qui m’embarrasse les mains et qui me donnera pour une heure de peine à la nettoyer le lendemain.
- Il est certain qu’une réforme dans l’habillement des femmes s’impose absolument si nous voulons prendre la place sociale que nous réclamons aujourd’hui. Nos vêtements sont en même temps trop coûteux, trop gênants et trop compliqués.
- Cette malheureuse toilette devient une préoccupatiou incessante pour la plupart d’entre nous. Or le cerveau est comme la bourse, on ne peut le dépenser à deux choses à la fois. La force cérébrale que vous employez pour harmoniser votre robe avec la mode est autant de perdu pour des considérations plus sérieuses, et l’intelligence s’atrophie dans la contemplation des plis d’une jupe.
- Comment faire? — Cette question m’a déjà été posée plusieurs fois par des femmes vraiment désireuses de s’affranchir de l’èsclavage de la toilette, car il y en a peu qui ont le courage ou le désir de s’approprier les vêtements du sexe qualifié fort. A celles-là je conseillerai de choisir parmi les modes régnantes ou tolérées celle qui leur semble la plus simple et la plus commode, les étoffes et les genres qui craignent le meins la pluie et la poussière. Cette toilette attire-
- j ra moins de regards et peut ne pas plaire à ces jolies poupées qui ne recherchent qu’une admiration éphémère, mais elle aidera à gagner l’estime et le respect de tous les hommes sensés.
- Pourquoi ne pas former entre nous une société contre l'abus du luxe et de la toilette? Peut-être peu à peu arriverions nous à modifier notre costume de manière à pouvoir marcher, courir, monter dans un omnibus, et supporter une averse avee autant de facilité que nos frères et nos maris.
- Mais il ne faudrait pas avoir maille à partir avec le préfet de police.
- Maria Artin.
- BIBLIOTHÈQUE DU FAMILISTÈRE
- OUVRAGES REÇUS
- M. Lucien Guéneau, ancien sous-préfet, nous envoie pour la Bibliothèque du Familistère, un exemplaire de son ouvrage intitulé :
- Un chapitre de l’histoire de Luzy, Nièvre.
- Cet ouvrage doit comprendre trois volumes : Le premier que nous tenons en main prend Luzy à ses origines et en raconte l’évolution jusqu’en 1442, époque de son affranchissement.
- Au nom de la population du Familistère, nous remercions le donateur de cet ouvrage instructif, plein de vie et d’intérêt.
- * *
- M. Jos. D. Weeks, éditeur de F Américain Manufac turer, Pittsburg, Etats-Unis, nous a envoyé un exemplaire de sa brochure intitulée :
- Labor différences and their settlement.
- Le but de l’auteur est de concourir à hâter la venue du jour où la voie de la raison, de l’arbitrage et de la conciliation, sera universellement adoptée pour la* solution des dissentiments entre ouvriers et patrons.
- Cette brochure porte le N° 20 des traités économiques publiés aux Etsts-Unis par la Société d’éducation politique pour l’émancipation populcire. -----------------. » ♦ -«—--------- -------
- CHARLES S A. VILLE
- par ROBERTSON
- Roman philosophique
- Chapitre III LE MAGICIEN.
- Au sortir de la caverne, Charles se trouva sur le bord d’un précipice. La porte qu’il venait d’ouvrir donnait sur la saillie étroite d’un rocher, surplombant un ravin profond, dans lequel se précipitait avec fracas un torrent écumenx.
- A cette vue, Saville se rendit compte du bruit étrange qui ne l’avait pas effrayé, mais qui avait vivement excité sa curiosité, pendant qu’il parcourait la galerie souterraine.
- A sa droite, à sa gauche, et au-dessus de sa tête, des roches énormes arrêtaient sa vue, et la forçaient à se
- p.366 - vue 369/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 367
- reporter sur le gouffre ouvert devant lui, mais sans pouvoir en sonder la profondeur. Le ciel était sombre, et la pluie recommençait à tomber.
- Du bord de cette roche saillante, un frêle pont de bois s’élancait au-dessus de l’abîme. Au premier moment, Charles n’avait pu distinguer où il aboutissait. Il n’avait vu qu’une masse noire et informe devant lui. Peu à peu, ses yeux-se familiarisant avec les objets, il découvrit que cette masse était un tertre, que des pins, des mélèzes et des cèdres couvraient de leur sombre verdure.
- 11 franchit le pont d’un pas ferme, mais prudent, afin de n’être pas saisi de vertige par la profondeur du gouffre et le bruit étourdi ssant du torrent.
- En posant le pied sur la terre, à l’autre extrémité du pont, il trouva devant lui un sentier'battu, bordé de haies épaisses, formées de buissons de houx. Ce sentier montait en ligne droite le long du flanc de la colline. Dans les endroits trop escarpés, il se transformait en escaliers, dont les arêtes étaient formées par des bûches placées en travers.
- A la dernière marche, Saville se trouva devant la porte d’un chalet suisse. Il entra. Personne ne se présentant pour le recevoir, il se dirigea vers une fenêtre ouverte.
- Un cri de surprise et de saisissement lui échappa malgré lui.
- Une délicieuse vallée, bornée par de hautes montagnes, s’étendait au loin devant lui. La pleine lune, dans toute sa splendeur, au milieu d’un ciel sans nuages, répandait sa lumière argentée sur tous les objets environnants. Les étoiles étincelaient. C’était une magnifique nuit d’été. Au milieu de la vallée était un lac, dont la surface unie et limpide réfléchissait les rayons de la lune. Le sol vigoureux était parsemé de bouquets de grands arbres parés d’une riche verdure. L’atmosphère était tiède et embaumée. Des arbrisseaux odoriférants s’élevaient le long de la colline, jusqu’au pied du chalet ; et ceux dont le feuillage venait encadrer la fenêtre y répandaient leurs fleurs et leurs parfums.
- Charles était stupéfait. Par moment il se frottait les yeux, pour s’assurer s’il n’était pas le jouet d’un rêve. Plus il regardait, plus il se sentait couvaincu de la réalité de ce qu’il voyait. Il était naturellement intrépide, et serait resté froid et dédaigneux devant toute autre scène que celle qu’il avait devant les yeux. Il était venu avec l’intention bien arrêtée de se moquer des apparitions, des spectres, et de tous les prestiges qu’il s’attendait à voir mettre en jeu par un imposteur. Mais la grandeur simple et naturelle du spectacle qui s’ofïrait à lui d’une manière si saisissante et si inattendue, déjouait toutes ses prévisions, et le frappait d’admiration mêlée d’une certaine inquiétude.
- Comment, en effet, conserver notre pleine confiance en nous-mêmes, quand nous doutons du témoignage de nos sens ?
- Quand il eut contemplé ce merveilleux paysage peudant Quelque temps, Charles entendit un frôlement et se retourna. Un léger frisson parcourut tout son corps, à la
- vue d’un vieillard gigantesque qui se tenait debout sur le seuil les yeux fixés sur lui avec une attention profonde. De rares cheveux blancs se jouaient autour de ses tempes. Ses yeux profondément enfoncés, brillaient sous des sourcils épais et noirs comme du jais, qui formaient un contraste frappant avec sa chevelure et sa longue barbe, blanche comme la neige. Son costume était noir et d’une grande simplicité, mais taillé de manière à faire ressortir ses formes athlétiques ; car sa corpulence était en harmonie avec sa haute stature. Ses traits, fortement prononcés, n’avaient cependant rien de dur. Son air était grave et i mposant.
- Il s’assit dans un enfoncement du chalet et d’un geste plein de courtoisie, il indiqua à son hôte un siège placé à quelque distance de là.
- — Charles Saville, dit le vieillard, d’une voix grave et vibrante, vous n’avez besoin de me dire quel est l’objet de votre visite. Comment pourrais-je me vanter de lire dans l’avenir, si j’ignorais le passé et le présent ? Vous êtes venu dans l’intention de railler, de mettre au défi
- ma puissance....Ne m’interrompez pas, car je le sais,
- comme je sais aussi que vos sentiments ne sont plus les mêmes en ce moment. Ne vous attendez pas à des paroles de reproche. Je ne censure pas, je constate. Votre dédain pour la nature de mes occupations a maintenant fait place à l’étonnement. Cependant il vous reste au fond du cœur certains doutes dont vous ne pouvez vous défaire, et que je veux dissiper en résumant quelques faits, avant de vous donner des avis.
- Ici le vieillard entra dans des détails tellement précis sur la vie intime de Saville, sur sa fortune, sur ses connaissances, etc., que l’incrédulité devenait impossible. Puis il ajouta :
- — Rien ne vous ayant forcé jusqu’à ce jour à faire de la vie une lutte, votre première jeunesse s’est passée dans la légèreté, la frivolité, la recherche capricieuse du plaisir, et la satisfaction de vos fantaisies. Cependant la fougue des passions ne vous a pas poussé à la débauche ou à la dépravation. Vous vous êtes dégoûté de bonne heure des choses insipides et superficielles qui absorbent la pensée des oisifs. Votre jugement sain vous a fait découvrir que la plupart de vos prétendus amis n’étaient que des parasites et des flatteurs; et que la plupart des femmes, qui cherchaient à vous charmer, étaient vaniteuses, coquettes, légères et incapables de dévouement. Ces découvertes ont aigri votre caractère ; elles vous ont inspiré de la défiance et du mépris pour le genre humain. Vousen êtes venu à conclure que tout peut s’acheter avec de l’or, et ne vaut guère la peine d’être acheté. Le cœur ainsi engourdi, les sens blasés, l’esprit ne connaissant pas l’aiguillon de la privation et du désir, vous vous êtes abandonné depuis quelque temps à l’indolence. L’indolence est toujours funeste, mais elle l’est surtout à un homme organisé comme vous l’êtes. De l’état d’indifférence produit par les causes que j’ai dites, vous êtes tombé dans l’abattement et le découragement. Votre santé n’est pas encore altérée, mais elle ne tarderait pas à l’être, si cette disposition se prolongeait. Parlez maintenant. Suis-je clairvoyant ?
- p.367 - vue 370/838
-
-
-
- 368
- LE DEVOIR
- — Vous l’êtes, en vérité, répondit Charles, d’une voix émue ; et vous m’avez expliqué ce que je sentais vaguement, sans pouvoir m’en rendre compte. Je regrette les préventions avec lesquelles je suis arrivé chez vous. Mais, puisque vous connaissez si bien le mal qui me consume....
- — Je dois en connaître aussi le remède, n’est-ce pas ? interrompit le vieillard, avec un sourire amical ; et vous désirez que je vous l’indique ? Je le veux bien. Ecoutez donc ce que mes recherches m’ont appris. Le principe vital est un fluide qui circule dans nos nerfs avec plus de vitesse que le fluide électrique ne s’élance le long d’un fil métallique. Selon qu’il est plus ou moins abondant chez une créature humaine, les organes et la vigueur physique ou morale croissent ou décroissent dans la même proportion. L’activité de l’esprit et du corps l’augmentent; l’inaction le diminue ; de sorte que, dans une certaine mesure, il est en notre pouvoir de développer la puissance vitale qui nous a été départie, et de nous élever au-dessus du niveau général. Quelquefois, cependant, lorsque ce fluide est affaibli par des circonstances fatales, ou par notre propre faute, la transfusion seule peut e:i renouveler le courant appauvri, précisément comme la transfusion du sang, dont vous avez entendu parler. Vous êtes dans ce cas là. Les jouissance et la satiété ont anéanti le fluide vital en vous, et il ne peut être revivifié que par une personne chez qui le fluide soit en excès. Cherchez donc cette personne, que vous reconnaîtrez à l’éclat de ses yeux, et surtout à son parfait contentement ; car on ne saurait atteindre à cette exubérance de vie sans être complètement heureux. Ayez donc soin de vous assurer si le contentement, que vous verrez sur plus d’un visage, est de bon aloi. Une tentative faite dans de mauvaises conditions ne ferait qu’aggraver votre mal. Quand vous aurez misa l’épreuve et reconnu capable celui qui devra être votre sauveur, gardez-vous bien d’acheter sa bienveillance,soit par des présents, soit par des services rendus. Demandez-lui s’il veut vous octroyer une grâce sans condition, une grâce dont vous ne pourrez jamais le récompenser. S’il vous l’accorde sans hésitation, fendez-lui la main, et au contact de la sienne vous vous sentirez rétabli. La joie et le bien-être vous seront rendus, et le monde vous apparaîtra sous un nouvel aspect.
- — Oh ! dites-moi, s’écria Charles, où je trouverai ce sauveur. Il me tarde de voler vers lui.
- — Toute science a ses bornes, réqliqua le vieillard. La mienne ne va pas jusque là. Cherchez et vous trou-verez. Cherchez dans toutes les classes de la société ; car aucune d’elles n’a le monopole du bonheur, pas plus que celui du génie ou de la vertu.
- — O vénérable sage ! s’écria Charles, je n’essayerai pas de vous témoigner ma gratitude ; car je sens bien que vous lisez dans mon cœur, et que vous voyez combien il est reconnaissant. Mais permettez-moi de solliciter encore une faveur. Daignez m’expliquer par quel prodige je me trouve dans ce séjour enchanté, quand j’ai en même temps la certitude d’être aux portes de Paris. Je
- ne crois pas à la magie ; mais quand je songe qu’il y a trois ou quatre heures à peine, je suis sorti de chez moi par un temps détestable, et que je me vois transporté dans un climat délicieux, mon esprit reste confondu. Il semble que le temps et la distance aient disparu, par quelque moyen surnaturel.
- — Mon jeune ami, dit le vieillard, éludant une réponse directe, il n’y a rien de surnaturel.
- La nature tient à notre disposition une multitude d’agents peu connus juspu’à ce jour, qui sont destinés à devenir les instruments de l’homme. Longtemps avant la fin de ce siècle, plusieurs de ces agents seront devenus pour nous de dociles serviteurs, et vous vivrez assez pour franchir sans étonnement des distances prodigieuses en peu d’heures. Aujourd’hui je ne dois pas satisfaire votre curiosité, mais je .puis lui donner un aliment nouveau. Examinez le changement qui va s’opérer.
- Comme il parlait, la douce clarté de la lune diminuait et se voilait graduellement. Un roulement lointain, sourd et prolongé se fit entendre.
- Sur un signe du vieillard, Charles se leva et s’appro-cha de la fenêtre. Un brouillard épais couvrait toute la vallée. Quand ce brouillard se fut lentement dissipé, une scène lugubre consterna le spectateur. 11 semblait qu’un tremblement de terre eût bouleversé le paysage et eût tout dévasté. Le lac était tari; à la plaee de son eau calme et limpide étaient d’énormes fragments de rochers roulés des montagnes environnantes. Les arbres étaient déracinés et renversés. Leurs troncs ravagés et leurs branches carbonisées jonchaient le sol. Unelumière blafarde et sinistre se répandait sur le désert.
- Charles regagna son siège en chancelant. Une petite table, qui n’y était pas à son arrivée, se trouvait près de lui. 11 y avait sur cette table un flambeau allumé et une fiole.
- Le vieillard n’avait pas quitté sa place. Il s’aperçut du malaise de son hôte et lui dit de verser quelques gouttes de la liqueur du flacon sur son mouchoir, et d’en respirer les vapeurs.
- Charles obéit, et tomba aussitôt inanimé sur le plancher.
- (A suivre)
- État civil do Familistère.
- Semaine du 24 au 30 Mai 1886.
- Le 24, de Sarrazin Marie Berthe, fille de Sarrazin Ernest et de Duhème Anna.
- Le 26, de Jouron Claire, fille de Jouron Liénard et de Lenoble Marie.
- Le 30, de Drocourt Eugénie, fille de Drocourt Louis et de Vaudois Julia.
- Décès :
- Le 27, de Thiéphaine Émile, âgé de 2 ans et 10 mois. ________Le Directeur Gérant : GODIN________________
- Smse.— Imp Baré
- p.368 - vue 371/838
-
-
-
- 10e Année, Tome 10.— R” 405 Le numéro hebdomadaire 20 c. Dimanche 13 Juin 1888
- ls
- REVUE DES QUESTIONS SOCIALES
- BÜREAÜ
- a GUISE (Aisne)
- Toutes les communications
- ABONNEMENTS PAYABLES D’AVANCE par l’envoi, soit au bureau de Guise, soità celui de Paris de timbres-poste ou de mandats de poste, dont le talon sert de quittance.
- et réclamations doivent être adressées à
- France
- Un an ... 10 fr. »»
- Union postale Un an. . . 11 fr. »»
- M. GODIN, Directeur-Gérant Fondateur du Familistère
- Six mois. . . 6 i» Trois mois. . 3 »»
- Autres pays
- Un an. . . . 13 fr. 60
- ON S’ABONNE
- A PARIS
- 5, rue Neuve-des-Petits-Champs Passage des Deux-Pavillons
- S’adresser à M. LEYMARIE administrateur delà Librairie des sciences psychologiques.
- BULLETIN DE LA PAIX
- ----iO;- m»
- SOMMAIRE
- Société de la paix du Familistère de Guise.— International arbitration and peace association. — Fédération des sociétés de paix et d’arbitrage.— Le comte Hompesch et la plaie des armements,— Danemarck.— Les pêcheries du Canada.— Profits et pertes de la guerre. — Les Etats-Unis et l’arbitrage international. — Aphorismes et préceptes sociaux.— Faits politiques et sociaux de la semaine. — La concurrence de Saint Gothard.
- — La téléphonie.— Les français h Madagascar.
- — Charles Saville.
- SOCIÉTÉ DE LA PAIX
- DU FAMILISTÈRE DE GUISE
- La Société de la paix du Familistère réunie dans la salle du théâtre, le 15 mai dernier, a constitué comme suit son bureau :
- Président : M. GODIN. Fondateur de l’association du Familistère ;
- Vice Présiden t : M. BERNARDOT, Ingénieur;
- Secrétaire : M. SARAZIN, Employé comptable;
- Assesseurs : Mnic DEYNAUD, Directrice de l’atelier de bonneterie et M. LOGQUENEUX, Instituteur.
- L’assemblée a confié au bureau nouvellement élu le soin de préparer le règlement de la société, règlement qui sera soumis à l’examen et au vote des membres dans une prochaine réunion.
- M. le Président a invité tous les membres qui se sentiraient aptes à concourir utilement à la pré' parationde ce règlement, à lui faire prochainement part de leur intention, afin que le règlement soit préparé de concert.
- M. Deynaud se fait inscrire séance tenante, comme consentant à donner son concours à la préparation du règlement.
- M. Godin prend ensuite laparole ;
- Mes amis,
- « Le bureau de notre société de la paix étant constitué, je crois bon de préciser en quelques mots Comment il me semble que celle-ci pourra s’administrer.
- « Nous avons assez de précédents pour ne pas éprouver d’embarras ; les différends comités de notre association nous serviront de modèle.
- « Dans notre dernière réunion, le 7 avril, vous avez fixé à dix centimes par mois, au minimum, la cotisation de chacun des membres laissant la latitude de verser davantage àceux qui le peuvent. Le bureau aura à contrôler l’encaissement de ces cotisations et l’emploi qui en sera fait, selon ce que vous en déciderez soit dans vos réunions, soit par votre règlement.
- « Votre Comité devra vous rendre compte de toutes les opérations faites par lui au nom de la société.
- « Il aura à régler, de concert avec vous, la
- p.369 - vue 372/838
-
-
-
- 370
- LE DEVOIR
- part qu’il conviendra de faire à la propagande, sur les ressources de la société, conformément aux indications que je vous ai déjà données dans la dernière conférence.
- « Tels doivent être, mes amis, les premiers soins du Bureau de la Société.
- « Le nombre des membres inscrits au groupe du Familistère est aujourd’hui d’environ 300.
- « C’est avec satisfaction que j’ai vu un tel nombre parmi vous se faire inscrire comme membres d’une société dont le but rallie évidemment les esprits véritablement amoureux du progrès social.
- « Gela permet d’espérer que les habitants du Familistère concevant l’avantage et l’étendue des ressources qu’ils possèdent pour la facilité des réunions sauront les mettre à profit, en se réunissant plus souvent pour s’éclairer mutuellement sur toutes les questions intéressantes qui se posent à notre époque.
- <: Aujourd’hui, c’est encore l’occasion pour moi de causer devant vous des préjugés concernant la guerre.
- «L’idée dé la nécessité des guerres etcelle de l’impossibilité d’y mettre fin commencent à s’effacer dans l’opinion publique ; néanmoins, beaucoup d’erreurs ont encore malheureusement cours à ce sujet.
- «Que de fois dans ma jeunesse j’ai entendu les paysans s’écrier, dans les moments de dépression commerciale :
- «Le travail ne va pas parce qu'il y a trop de monde ; il faudrait une guerre pour rendre l'activité au commerce.
- « Ceux qui parlaient ainsi non-seulement croyaient que les peuples ne pouvaient avoir de rapports entre eux sans se battre, mais encore ils justifiaient la guerre comme ayant une utilité dans la vie des nations.
- « De tels préjugés sont encore partagés par assez de personnes pour que nous nous arrêtions à les réfuter.
- « La guerre est un reste de barbarie; plias les hommes ont été primitifs, ignorants, plus ils ont été grossiers, brutaux, violents et se sont battus entre eux.
- «Il y eut un temps où lorsque les hommes allaient porter devant le juge leurs différends, si le juge ne pouvait mettre les parties d’accord, il leur permettait de sortir du tribunal et de régler au dehors leur contestation au couteau; c’était la loi du sang et de la force dans toute sa laideur.
- « Alors, sous les monarchies, la guerre était per-
- manente ; non-seulement entre les nations, mais aussi entre les provinces, les seigneurs et les villages. On se battait sans repos ni trêves.
- « Les choses ont bien changé, mais lentement, progressivement. Les discussions se règlent pacifiquement devant les magistrats. L’évolution de la paix intérieure s’est accomplie et l’unité de la nation s’est faite.
- « De même le moment viendra où les contestations internationales se régleront parla voie pacifique de tribunaux d’arbitrage et d’après des règles de droit international ; c’est à l’obtention d’un tel résultat que concourent les sociétés de paix fondées aujourd’hui dans le monde entier.
- « Mais il est à remarquer que ce sont surtout les classes laborieuses qui saisissent le mieux la vérité de cette évolution pacifique, éclairées qu’elles sont par le sentiment des douleurs et des ruines que la guerre fait peser sur le monde des travailleurs.
- « Car, c’est le peuple qui paie de son sang d’abord et de son travail ensuite les conséquences terribles des guerres entre les nations.
- « Aussi, les guerres sont-elles d’autant plus fréquentes et plus à redouter, lorsque c’est l’ambition des princes et des rois qui décide du sort des nations et que l’intérêt des peuples est le moins consulté.
- c Supposez que dans leurs correspondances, deux monarques, ayant des manières de voir différentes, en viennent à s’injurier l’un l’autre, il n’en faut pas davantage pour provoquer une guerre épouvantable. Je vous demande quel intérêt les peuples ont à se faire tuer et ruiner pour les grossièretés de leur roi.
- « C’est pourtant ainsi que des peuples qui n’ont eu entre eux aucun motif de contestations, qui ne se sont porté mutuellement aucun préjudice, et qui n’ont aucun motif de haine personnelle,peuvent être lancés par leurs chefs l’un contre l’autre, afin de se massacrer mutuellement et de détruire l’un chez l’autre tous les biens enfantés avec tant de peine par les travailleurs.
- «Mais nous avons aujourd’hui la République en France, République qui n’est pas encore ce qu’elle devrait être, mais qui le deviendra. Il n’y a plus qu’à savoir pour pouvoir : il faut bien espérer que nos gouvernants apprendront et agiront. Alors, la République s’imposera au monde pour le bonheur des peuples. Peut-on croire que les nations républicaines seront encore assez insensées pour se faire mutuellement la guerre, lorsqu’elles auront
- p.370 - vue 373/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 371
- reconnu que le travail, la prospérité, le bien-être et le bonheur des nationssont inhérents à lapaix ? Mon, elles ne seront plus divisées ; ar des intérêts dynastiques, par la volonté de faire prédominer tel roi sur tel autre; leur constitution gouvernementale leur fera considéreravant tout iesin’érêts du peuple et, par conséquent, les guerres seront abolies par le règlement amiable et pacifique des dissentiments qui pourraient s’élever entre elles».
- Comme exemple des sentiments de bienveillance dont les travailleurs de tous pays sont animés les uns envers les autres, M. Godin rappelle les incidents qui ont marqué le séjour des Prussiens à Guise, dans la guerre de 1870-71 ; comment il fut détenu une nuit par l’armée prussienne; et la sympathie secrète que lui témoignèrent des soldats allemands lorsqu’ils surent que M. Godin était un véritable ami de l’ouvrier.
- « Les masses populaires, intelligentes et bien conseillées, » continue-t-il, «sont déjà disposés à la paix , elles savent que la guerre est un fruit du despotisme et de la tyrannie, qu’il n’y a que les ennemis des peuples qui la fomentemt ; c’est donc faire œuvre nécessaire aujourd’hui que de démontrer les monstruosités de la guerre et de faire voir comment on peut régler tonte question internationale par la voie de l’arbitrage, au lieu de la régler par des hécatombes humaines et des dévastations épouvantables.»
- Il s’attache ensuite à démontrer que ceux qui sont dominés par l’idée de la nécessité de la guerre perdent de vue que la guetre, loin d’être une cause fondamentale d’activité pour le commerce, l’industrie et le travail, n’engendre que la ruine et la misère des peuples; d’abord, par les dévastations et les frais1 qu’elle entraîne ; ensuite, par les impôts que le peuple est obligé de payer.
- « La cause véritable et permanente de la richesse des nations c’est le travail, » dit-il. «La guerre contrecarre le développement de la richesse nationale, elle paralyse les forces vives et fécondes de la société. Elle commence par asservir les hommes, leur faire perdre au service militaire les années les plus fructueuses de1 leur vie, celles pendant lesquelles ils sont les plus aptes à étudier et à apprendre les choses utiles à l’ouverture de leur carrière, celles où ils pourraient acquérir habileté et talents industriels; au lieu de cela, les nécessités de la guerre font d’eüx les esclaves de la discipline.
- * La subordination militaire est en contradiction avec les principes de la'dignité et de la liberté du I
- citoyen,principes que nous prétendonsavoir acquis; cela seul suffit pour démontrer combien la guerre est en opposition avec l’institution des peuples libres.
- « Tant que la sécurité nationale le réclame, il est du devoir des citoyens de se soumettre aux exigences du service militaire, puisqu’il y va en certains cas de la défense de la patrie contre les envahissements des despotes. Si j’étais soldat, je remplirais de mon mieux mes devoirs, tout en m’efforçant d’élever les esprits à la conception du régime social qui mettra lin aux guerres entre les peuples.
- « La guerre ou la paix dépend en Europe de quelques hommes. Il suffirait que quelques gouvernants assez intelligents et assez délivrés de l’égoïsme national se ralliassent aux principes de paix et d’arbitrage, pour que les choses gouvernementales suivissent promptement la voie la plus propre à assurer le bien des peuples. Le moyen d’agir sur les chefs de nations est de commencer par agir sur l’ôpioion publique, sur les députés et représentants de tous ordres.
- « C’est’ce qu’un certain nombre d’électeurs français ont déjà fait aux dernières élections générales, en introduissant les questions de paix et d’arbitrage dans leur programme.
- « Ce qui se passe actuellement en Grèce fait voir l’influence de cette opinion s’exerçant déjà dans les décisions internationales ; le principe de l’arbitrage pénètre peu à peu au sein des conseils des nations. Mais le symptôme le plu-évident a été celui des decisions du congrès de Berlin dans le règlement de la question du Congo.
- ». Il ne faut donc jamais désespérer du triomphe des idées de justice et de progrès.
- «Je neveux pas affirmer que le journal de la société du Familistère ait été pour quelque chose dans les décisions du congrès de Berlin ; mais toutes les études qu’il a produites sur ce sujet, pendant là durée du congrès, ont été régulièrement envoyées à tousies plénipotentiaires^!. de Bismarck compris.
- « L’étude sociale intitulée : L'Arbitrage international et le désarmement européen leur a été particulièrement distribuée, à un assez grand nombre d’exemplaires.
- « Sans vouloir attribuer, plus d’influence qu’il ne convient à ces modestes envois, il est à remarquer que les décisions du Congrès de Berlin ont de singulières concordances avec les idées préconisées par Le Devoir et les principes exposés dans
- p.371 - vue 374/838
-
-
-
- 372
- LE DEVOIR
- les différends documents envoyés par nous, d’où l’on est en droit de conclure que si nos modestes efforts n’ont pas eu par eux-mêmes d’influence sur les mesures prises par le Congrès, les idées de concert international avaient déjà fait de sérieux progrès dans l’esprit des représentants des diverses nations.
- « Mais il ne faut pas mettre en doute l’efficacité de la persévérance d’action dans la sphère même la plus limitée, en apparence, lorsque cette action a pour but la défense du droit et de la justice.
- « C’est pourquoi j'insiste aujourd’hui pour vous faire comprendre que si les sociétés de la paix ont pour objet de chercher les moyens d'assurer la paix entre les nations, il ne serait pas indigne d’elles de chercher aussi les moyens de la paix sociale dans les nations mêmes.
- « C’est à vous autres, ouvriers, qui vous enrôlez sous la bannière de la paix que ce rôle peut légitimement et honorablement revenir.
- « Par quel moyen? me direz-vous. Par un moyen tout contraire à celui qu’emploie la plupart de ceux qui se mêlent de parler au nom des classes ouvrières.
- « Tous les citoyens français sont aujourd’hui électeurs, je n’ajouterai pas : et éligibles ; car, malheureusement, le suffrage universel n’est pas encore organisé d’une manière démocratique. Ceux qui ont fait les lois à son sujet ont eu soin d’arranger les choses de telle façon que, pour sa faire nommer député ou sénateur, il faut avoir vingt à cinquante mille francs à dépenser dans l'élection. C’est là le côté aristocratique de la loi. La classe ouvrière aura donc, à un moment donné, à demander le scrutin de liste nationale.
- « Avec ce scrutin les ouvriers pourront élire aux Chambres des députés de leur choix dans toute la France ; et quand les ouvriers auront des représentants comprenant leursintérêts et leurs droits, et que ces représentants se sentiront responsables vis-à-vis de la masse de leurs électeurs, les questions avanceront plus vite dans le Parlement.
- « En attendant, votre droit de citoyen vous autorise à poser les questions, même devant les députés nommés sous l’empire des lois aristocratiques qui règlent le suffrage universel.
- « Que les masses ouvrières usent donc des avantages que la loi leur offre. Au lieu de prêcher la révolution sociale comme le font les apôtres de l’anarchie, que les classes ouvrières fassent usage de leurs droits de citoyen pour pétionner aux f’hambres et leur indiquer ce qui est à faire pour
- rendre aux masses laborieuses la justice qui leur est due.
- « Avec assez d’insistance les masses ouvrières en arriveraient ainsi à obliger les députés à s’occuper des questions trop négligées par eux et auxquelles, il faut le dire, la grande majorité d’entre eux ne comprend rien.
- « De telles pétitions signées par des milliers de travailleurs auraient une influence incontestable sur les esprits et concourraient efficacement à faire la lumière sur tous les sujets qui intéressent les classes ouvrières.
- « Il faut faire plus de place aux ouvriers dans l’élaboration des lois, il faut donc accorder au suffrage universel une organisation qui permette de leur donner cette place. Que les ouvriers pétitionnent en conséquence; qu’ils demandent le scrutin de liste nationale avec lequel ils seront en possibilité d'unir leurs voix, d’un bout à l’autre de la France, pour nommer leurs députés. Ce sera un puissant moyen pour arriver à la paix sociale qui va de plus en plus se compromettre, faute à nos gouvernants de donner au peuple la part de souveraineté à laquelle il a droit.
- « Les efforts dans cette voie de pétitionnement devraient avoir des objets bien précis, bien étudiés et exposés de manière à ce que la besogne des députés fût toute tracée. Je suis loin de dire qu’ils la feraient de suite, mais le mouvement du moins s’organiserait.
- « Dès qu'on aurait exposé avec force et méthode les causes des grèves, les vices de l’organisation actuelle de l’industrie, les abus de l'âpreté au gain, les erreurs de la concurrence industrielle, (erreurs aussi nuisible aux patrons qu’aux ouvriers, l’iniquité de l’abaissement des salaires qui de réduction en réduction condamne desfamilles ouvrières à la privation du nécessaire et, ensuite, à la plus affreuse misère; dès que ces démonstrations seraient faites sous toutes sortes de formes par voie de pétionnement à la Chambre, l’opinion publique se trouverait saisie des projets de solution et nos représentants, si indifférents qu'ils puissent être, seraient bien obligés de serendre à l’évidence et de mettre un terme aux exactions exercées sur les classes ouvrières, en inscrivant par exemple dans la loi la défense de réduire les salaires sans intervention des syndinats. »
- M. Godin fait ensuite le tableau des pertes d’hommes ut d’argent entraînées par la guerre, pertes que nous publions plus loin d’après des documents allemands et français.
- p.372 - vue 375/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 373
- Il expose, ensuite, ce que les luttes intérieures entre le travail et le capital coûtent de souffrances et de misère au peuple ; et il conclut que tout le monde devrait se liguer autant pour organiser la paix intérieure que pour organiser la paix extérieure.
- « prise isolément, » ajoute-t-il, « et réduite à ses seules forces chacune des sociétés de la paix aujourd’hui existantes serait assez limitée dans son pouvoir d’action. Mais ridée de les relier toutes en une Fédération internationale embrassant jusqu’aux sociétés de la paix fondées aux Etats-Unis est aujourd’hui posée, comme en témoigne le plan de constitution de la Fédération publié dans le Devoir en date du 11 avril dernier. Nul doute qu’il y ait là un élémen t de nature à féconder puissamment l'action des sociétés de la paix et à concourir à l’évolution grandiose par laquelle l’humanité répudiera définitivement la guerre et son cortège de crimes et de douleurs, en instituant la paix parmi les nations au moyen de l’arbitrage pour la solution des différends qui peuvent s’élever eDtre les divers gouvernements des peuples, et en étendant s’il est possible les effets de cette ligue à la préparation des éléments de la paix intérieure entre les différents intérêts que renferme la société. »
- International arbitration and peace association.
- Vu les résolutions prises à funanimité au cours des conférences internationales tenues à Bruxelles en 1882 et à Berne en 1884, résolutions par lesquelles le comité exécutif de The International arbitration and peace association était invité à prendre les mesures requises pour la constitution d’un tribunal international, le comité s’arrête aux mesures suivantes:
- Entrer en relation avec la société de la Paix (Peace Society) et l’Association pour la réforme et la codification de lois internationales, en vue d’obtenir d’un ou deux des membres de ces sociétés, juristes ou publicistes, l’esquisse de constitution d’un tribunal permanent d’arbitrage international, avec l’assurance que les auteurs de cette esquisse, se trouveront suffisamment rémunérés de leurs travaux honoraires, par le sentiment de concourir à la réalisation d’un but si grand et si désirable.
- Le comité décide, en outre, qu’une lettre explicative sera envoyée à chacun des corps désignés ci-dessus, avec la copie de la présente solution.
- Fédération des Sociétés de paix et d’arbitrage.
- Un de nos amis, M. Francesco Vigano, de Milan, vient de publier une petite brochure intitulée: Confédéra-
- zione delle Societa délia pace e dell’Arbitrato proposta dal congresso di Berno, del IHHk
- Cette brochure contient le texte des statuts de la Fédération projetée des Sociétés de paix et d’arbitrage en Europe et en Amérique, texte publié en français dans les Devoir du 11 avril dernier. — Comme nous, également, M. Francesco Vigano a traduit l’appel fait aux Sociétés de la paix, par le comité exécutif de The International arbitration and peace Association, en envoyant le projet de statuts.
- La brochure de M. Vigano donne la liste des 26 sociétés de la paix existantes dans le monde entier.
- Elle signale, en terminant, le projet de loi actuelle-à l’étude aux Etats-Unis pour la création d’un Tribunal d’arbitrage international, projetdont nousavons parlé dans notre numéro du 14 mars dernier.
- Enfin, M. Vigano termine en montrant comment l’idée d’instituer des sociétés de paix et d’arbitrage, considérée comme utopique au mo r ent où la formula Bernardin de Saint-Pierre, devient aujourd’hui une réalité, les peuples mêmes étant poussés par les conséquences terribles et ruineuses du régime de la guerre, à se tourner vers la sainte cause de la Justice et de la Fraternité humaine.
- Le Comte Hompesch et la plaie des armements.
- Un noble allemand, le comte Adolphe de Hompesch, vient d’écrire un ouvrage digne de l’attention des lecteurs de tous pays.
- Cet ouvrage est intitulé : « Paupérisme et militarisme ».
- L’auteur examine d’abord la dépression à peu près universelle du commerce et de l’agriculture et le malaise général provenant de l’accroissement excessif et continuel du poids des impôts. Dans quelque pays le mal est devenu presque intolérable. Ainsi en Allemagne, du moins dans la partie Prussienne, l’Etat s’approprie aujourd’hui du huitième au quart des revenus individuels et particuliers.
- Le comte Hompesch dit : « Le militarisme excessif épuise les dernières ressources de l’Europe. Il absorbe la moitié et plus encore des revenus des nations. C’est lui qui enlève au travail des millions d’hommes dans la fleur de l’âge et qui tient suspendu sur nos têtes, comme une épée de Damoclès, la crainte toujours renaissante de quelque déclaration de guerre.»
- L’Europe est devenue de tait un gigantesque camp ; et le Général français Ambert, investigateur sérieux, estime que les troupes armées et les forces de réserves de toute l’Europe atteignent aujourd’hui le chiffre de 10 millions d'hommes
- Les. statistiques des nations Européennes montrent une aggravation alarmante des charges des armements.
- La mieux informée parmi ces statistiques: «IAAlmanach de Gotha » donne les chiffres suivants :
- La dépense générale de toutes les nations européennes, pour l’armée et la marine exclusivement, était eu 1856 de 2 milliards 375 millions de francs ; en 1884, elle était de 4 milliards 575 millions, juste le double en 20 aimées.
- p.373 - vue 376/838
-
-
-
- 374
- A L
- LE DEVOIR
- Les dettes nationales de l’Europe s’élevaient, en 1856, à frs. 62 milliards 900 millions ; en 1884, elles s’élevaient à 118 milliards 725 millions, encore près du double.
- 11 est manifeste que cet état de choses tend à une fin, la banqueroute nationale, terme déjà atteint par plut, d’une puissance Européenne.
- Le comte Hompesch parle des immenses sacrifices d’existences et d’argent causés par les guerres dans la dernière moitié du 19me siècle. 11 estime que les six guerres Européennes de cette période : la guerre de Crimé en 1855, la guerre Franco-Italienne en 1859, la guerre Germano-Schleswig de 1864, la guerre Prusso-Autrichienne de 1866, la guerre Franco Allemande de 1870 et la guerre des Balkans (Russo-Turque) en 1876 ont entrainé, ensemble, le sacrifice de 889.000 hommes et 33 milliards de francs! Quelle immense somme de bien on eût pu accomplir en Europe et dans le monde avec les hommes et les richesses aussi terriblement anéantis dans ces vingt—huit années.! Que de vastes et utiles constructions, de chemins de fer, de routes, de maisons, de machines, d’hôpitaux, de musées, d’écoles, d’asiles et de bibliothèques, eussent pu être réalisés. Un dixième seulement de cette somme eut révolutionné le monde dans la voie du bien.
- Ainsi que Montesquieu l’observait, il y a déjà longtemps, les trésors et le commerce du monde s’épuisent à faire face aux exigences de la guerre. Les peuples s’appauvrissent en dépit de toute leur industrie; car l’économie privée est neutralisée par l’immense gaspillage des fonds publics.
- Le Comte Hompesch dit que c’est dans les nations telles que la Russie, l’Allemagne et la France, où la conscripüon est le plus vigoureusement en vigueur, que les plus grandes difficultés sociales se produisent.
- Le service militaire obligatoire rend les jeunes gens impropres à la vie civile, les prive de l’occasion d’acquérir le complément d’instruction nécessaire, leur prend les plus belles années et fait d’eux, quand ils sont définitivement rendus à leurs familles et à leurs amis, des mécontents, des démoralisés qui augmentent désormais la population dangereuse de leur pays.
- Le comte Hompesch termine son ouvrage en jetant un regard d’espérance vers les possibilités futures de l’arbitrage et des lois internationales, comme moyens pratiques d’éviter les guerres. Il expose plus de quarante différends internationaux résolus par l’arbitrage ou la médiation, depuis le commencement du siècle.
- Puisse le livre du comte Hompesch être médité par beaucoup de personnes de la classe à laquelle appartient l’auteur et aussi par beaucoup d’autres !
- (Herald of pea.ce)
- DANEMARK
- Une Société progressiste des femmes vient d’être fondée à Copenhague. Eile est présidée par Madame F. Bajer, femme du député de ce nom qui est lui-même à la tête du mouvement de paix et d’arbitrage dans les pays Scandinaves.
- Les réunions ordinaires de la Société progressiste des femmes ont lieu le premier lundi de 'Chaque mois. A la réunion de Mai, la Présidente prononça un discours sur la
- paix ; après quoi l’assemblée élit un comité composé de Madame Bajer et de Mesdemoiselles Klüner et Larsen, et charge ce comité d’adresser un appel à toutes les femmes du Dane-marck.
- Une réunion spéciale aura lieu le 17du mois courant pour la suite de cette question.
- Nous félicitons nos sœurs du Danemark de leurs efforts en faveur de la cause du progrès social.
- Les pêcheries du Canada.
- Les résolutions suivantes ont été adoptées par le Comité de The International arbitration and Peace Association et le texte en a été envoyée au Ministre américain et aux Sociétés de la paix des Etats-Unis.
- 1
- Le comité, considérant que de sérieuses difficultés se sont élévéesâ nouveau à propos des droits respectifs des pécheurs américains et de ceux de la côte britannique du nord de l’Amérique, émet le vœu que les sociétés de paix d’Amérique et d’Angleterre entrent en relations les unes avec les autres en vue d’examiner s’il est possible aux deux nations de résoudre définitivement les difficultés pendantes, au moyen d’une commission instituée conformément aux indications du Président Gleveland à l’ouverture du congrès.
- II
- Considérant, en outre, le besoin urgent de pourvoir au maintien permanent de la bienveillance et de la paix entre l’Angleterre et l’Amérique, le comité déclare qu’il est de première nécessité d’instituer un Tribunal spécial et permanent pour le règlement de toute discussion, quant à l’interprétation des traités et conventions qui gouvernent les rapports mutuels des deux pays.
- III
- Le comité décide que le texte du vœu et de la déclaration qui précèdent sera adressé aux Sociétés américaines de paix, en même temps qu’une lettre explicative sur les sujets agités.
- Profits et pertes de la guerre.
- Les gouvernements ont l’habitude de repousser les projets de réformes humanitaires sous prétexte de pénurie financière
- Ils admettent les principes de garantisme social, mais ils ne savent jamais où trouver l’argent pour les mettre en pratique.
- Tous les politiciens ne contestent pas qu’il serait raisonnable de pensionner les vieillards, de secourir les familles nombreuses et d’assister les malheureux. Mais toujours leur apparente bonne volonté échoue contre les difficultés financières.
- S’il s’agit d’augmenter le parasitisme mili-
- p.374 - vue 377/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 375
- taire, de faire construire un engin absurde imaginé par quelque ingénieur extravagant voué à la spécialité de perfectionner les moyens de destruction, rien ne coûte trop cher, l’argent ne cesse d’être abondant, même, aussi mal qu’on l’emploie, les auteurs de ces dilapidations sont indemnes de toute responsabilité.
- Les préparateurs du budget de 1887 ont inscrit dans leur projet, sans marchander, tout ce que réclamaient les divers services de la guerre. En voici le détail:
- Budget de la guerre................... 560.000.000
- Reconstitution du matériel militaire. 105.000.000
- Marine et Colonies.................... 240.000.000
- Pensions de la Guerre et de la Marine. 116.000.000
- Total 1.021.000.000
- Plus d’un milliard consacré à l’art de la destruction des hommes et des choses, et l’on ne peut trouver 50.000 francs chaque fois qu’il est question de faire quelque chose pour la protection de la vie humaine.
- Et comme l’on dépense intelligemment tant d’argent !
- Qu’on en juge d’après quelques exemples pris au hasard dans les fouillies des abus du militarisme.
- L’armée française compte 4 régiments de génie.
- Détaillons les cadres de ces quatre régiments ; ils possèdent :
- Colonels........................> 37
- Lieutenant-colonels.................. 37
- Chefs de bataillon...................147
- Capitaines ......... 450
- Lieutenants. . ,...................137
- Sous-Lieutenants.....................132
- Adjudants (ayant rang d’officier) 750
- Total 1690
- 1690 officiers pour 4 régiments. Nous n’avons pas le nombre des soldats. Évidemment, on serait mal venu de prétendre que cette organisation manque de génie.
- Passons à la marine. La préparation des plans d’un cuirassé demande 2ans; ilne faut pas moins^ de 5 ans pour le construire ; le prix de revient atteint la somme respectable de 20.000.000. Lorsque le cuirassé est construit, bien souvent il ne peut tenir la mer, mais toujours il ne répond plus au progrès de l’art nautique au moment de son achèvement.
- Dans le service des pensions, on paie des retraites à un grand nombre de gens ayant cessé de vivre depuis longtemps. Lorsqu’on découvre
- ce s malversations, les fonctionnaires prévaricateurs ou négligents ne sont nullement inquiétés, Le désordre, le gâchis, le coulage, le gaspillage et le pillage, dans l’administration militaire, ont pris des proportions inouies, si nous en croyons M. Rivière, député, qui vient d’avoir le courage de s’élever publiquement contre les dilapidations de l’argent des contribuables.
- En 1875, le ministre de la guerre, à l’occasion de marchés avec des fabricants de chaussures, néglige de se conformer aux règles administratives ; il fait encourir au Trésor une perte de î million et demi qu’il faut payer plus tard aux fournisseurs à titre d’indemnité,
- Qui est responsable ? Personne. C’est une erreur ; on la constate et on la passe.
- Une loi de 1873 interdit au ministre de la guerre d’une façon absolue d’opérer dans l’équipement des troupes le moindre changement, sans une autorisation du Parlement.
- Depuis juillet 1873, date de la promulgation de la loi, jusqu’en janvier 4876, soit dans l’espace de trois années et demie, soixante-deux violations de la loi ont été constatées, dont l’une suivait de quinze jours à peine la promulgation de la loi.
- En 1875, par simple décision ministérielle, une dépense de plus de 50.000.000 a été illégalement engagée.
- La cour des Comptes constate,regrette, déplore; et, c’est tout. Sous prétexte que le ministre n’a pas mis Pargent dans sa poche, on l’excuse et on continue.
- Dans le service de l’habillement, un déficit de 36 millions est constaté depuis 1878. Une commission a été nommée pour taire des recherches, elle n’a pu encore donner la moindre explication.
- N’est-ce pas écœurant ce pillage ?
- N’y a-t-il pas dans cet énorme budget de la guerre, dans cette incapacité administrative, dans cette impunité, toute raison de croire que des classes dirigeantes complices de ces abus ont perdu tout sens moral, tout droit à conserver plus longtemps leur prépondérance dans le gouvernement du pays.
- •k
- ¥ ¥
- Ce n’est là qu’une partie des excès du militarisme. Il faut rapprocher de ces faits les menées et les agissements de la spéculation.
- A cet égard, nous trouvons dans la Revue socialiste un excellent travail de M. Chirac d’où nous tirons des arguments édifiants.
- p.375 - vue 378/838
-
-
-
- 376
- LE DEVOIR
- En 1870, avant la déclaration de la guerre, la rente française était cotée 75 fr. 10 centimes; le 7 0/o égyptien était à 445f : le 6 0/o turc à 370f les emprunts tunisiens se cotaient 230 fr,
- A la suite de la guerre le 3 0/o tomba à 50 f 80 l’Egyptien à 332 ; le Turc à 250; les Tunisiens à 110 En 1871, après la pacification et la repression de la commune, le 3 0/o restait à 58 fr. tandis que l’Egyptien remontait à 452f ; le tunisien à 192, le turc à 355. Tout le reste marchait à l’avenant.
- Monsieur Chirac explique aussi le bas cours de la rente française :
- « Pourquoi la rente française était-elle retenue si bas par les spéculateurs de tous genres ?
- « La raison en est simple.
- « Déjà un grand emprunt libérateur dansait dans les cervelles financières et plus le capital de la rente française restait bas, plus usuraire serait l’intérêt auquel la haute banque concen-tirait à prêter ses fonds.
- « L’année 1872 s’ouvre; la rente française reste toujours écrasée ; moyennant une somme qui varie de 52 à 56 fr ; on a 3f. de rente, c’est-à-dire un revenu d’environ 5 fr. 50 0/o*
- « C’est, ainsi qu’il faudra fixer le prix du futur 5 0/o ; et, en effet, le public le prendra à 86, 87, 90f, car l’année 1872 a vu les cours extrêmes de 89f50 à 85 et les banquiers l’auront obtenu à 84 50, ce qui pour eux produit un revenu de 5 97 0/0-« Donc le contribuable français qui, au commencement de 1878, grâce à la haute banque, n’arrivait pas à obtenir 4 0/o des fonds qu’il plaçait en rente 3 0/o va payer, sous forme d’impôts et pendant de longues années, une dîme de 5f. 90 0/o à la haute finance coalisée.
- «-Il était parfaitement certain qu’avant 1870, comme après 1870, la nation française paierait ses impôts ; seule l’avidité financière était capables d’affecter un doute à cet égard. »
- Les meneurs de cette spéculation étaient tous des banquiers cosmopolites d’origine allemande, autrichienne ou française, aussi avides les uns que les autres de s’enrichir aux dépens des travailleurs français,
- C’est a ces résultats que nous conduisent les politiciens faisant parade de patriotisme bravache et mensonger. Il y a plus de 15 ans qu’ils n’ont pas été à pareille curée ; tous doivent être impatients de recommencer cette orgie de spéculation.
- Le belliqueux patriotisme et l’honneur national sont, pour les spéculateurs, des prétextes de
- brouiller les peuples, parce que aux heures des désastres la finance est toujours prête à profiter des ruines nationales.
- Les Etats-Unis et l'Arbitrage international
- Le Comité des affaires étrangères, à la Chambre des Etats-Unis, a déposé un rapport favorable au projet de loi autorisant le Président de la République à inviter PElat de Mexico et les nations du Centre et du sud de l’Amérique à se joindre aux Etats-Unis, dans une conférence inter— honale qui aurait lieu à Washington, pour y discuter et recommander un plan de solution des différends internationaux par l’arbitrage, et d’amélioration des rapports commerciaux entre les divers pays.
- (Herald of peace)
- APHORISMES & PRÉCEPTES SOCIAUX
- CX
- Impôts et emprunts.
- Par les impôts indirects, les octrois et les douanes, l Etat prend aux classes laborieuses leur salaire pour acquitter les charges publiques et il ne leur rend rien en échange ; au contraire lorsqu’il fait appel aux classes riches pour recevoir d’elles un concours, contracter par exemple un emprunt, il se reconnait leur debiteur et leur paie un intérêt et des primes.
- Mais les primes et les intérêt des emprunts sont encore payés par les impôts indirects les octrois et les douanes, de sorte que c’est le peuple des travailleurs qui paie la plus grande partie des impôts.
- Faits politiques et sociaux de la semaine
- FRANCE
- L expulsion des Princes.— Si les princes conspirent conti e la République, il est juste de les expulser ; s’ils ne >ont pas coupables de trahison, il est non moins juste de ne pas les inquiéter. Mais quelque soit leur cas, la presse, Je gouvernemen t et la Chambre ont un grand tort de prolonger de la sorte la question d® l’expulsion des princes. Depuis trois semaines, 1 expulsion des princes est 1 objet de débats parlementaires incessants, souvent ridicules. On dirait qu’on a soulevé uniquement cette question pour empêcher qu’on s’occupe des autres. Il est regrettable que le parlement emploie plusieurs semaines à de tels incidents, lorsque nos honorables ne savent jamais disposer de quelques heures pour étudier les réformes sociales les plus urgente*.
- * *
- Le Cumul des Fonctions. — Un sujet qui est au moins aussi intéressant que les princes.Nos honorables feraient sagement en expulsant de leurs mœurs politiques le cumul
- p.376 - vue 379/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 377
- des fonctions de conseiller général et de dépoté. Mais ils ; semblent peu enclins à entrer dans cette voie. C’est pourtant le moment de s’occuper du cumul, puisque nous sommes à peine séparés par quelques semaines de l’époque des élections départementales. Tout le bruit fait à propos des princes que l’on a l’air de vouloir expulser, et qup l’on s’expulse pas, ne vaut pas une étude approfondie des moyens de débarrasser le suffrage universel des vices du cumul. Entretiendrait-on la première question, avec autant de soin, pour empêcher qu’on pense à la seconde? Il est certain que ce n’est pas sans motif que les habiles de la politique s’occupent si activement des princes et parlent si peu du cumul.
- ¥ ¥
- Exposition française au Brésil — L’inauguration solennelle d’une exposition française par le président de la province et les autorités locales, vient d’avoir lieu au Brésil. Des discours ont été prononcés, saluant ce réveil de notre commerce d’exportation. Toute la presse de Pernambuco, qui y était représentée, en parle très longuement; elle applaudit à l’intelligente initiative de ces fabricants unis en Société coopérative et fait l’éloge du directeur de cette Société, M. Regnier, organisateur de ces expositions.
- C’est après un long voyage d’étude dans toute l’Amérique du Sud que notre compatriote avait posé les bases de cette association et recueilli les adhésions d’importantes maisons' Parti de France en mars dernier, avec les éléments de cette première exposition, M. Piegnier, laissant aux représentants associés de Pernambuco le soin de continuer l’œuvre si brillamment inaugurée, doit être aujourd’hui à Bahia, où aura lieu la seconde De nouvelles adhésions se sont produites, dès que les résultats effectifs de la première ont été connus; d’autres se produiront, et tout permet d’affirmer que la troisième exposition française, qui doit être faite à Rio, produira un effet encore plus considérable,
- ¥ v
- Un nouveau fusil.— La France militaire annonce qu’après expériences, une de nos manufactures d’armes vient de recevoir l’ordre de fabriquer plusieurs modèles d’un fusil à trajectoire rectiligne, proposé par le capitaine d’artillerie de Beauchamp, professeur à l’Ecole de Fontainebleau.
- Tous les fusils en usage actuellement ont été fondés, on le sait, sur le principe de la vitesse initiale. Mais pour des vitesses initiales de 1.000 mètres par seconde, qu’on ne saurait atteindre du reste, les résultats obtenus seraient encore insuffisants ; la hausse serait toujours nécessaire.
- Dans les dernières guerres modernes, un point a spécialement attiré l’attention-, c’est la faiblesse de rendement de nos armes actuelles, A Plewna, à Tuyen-Quan, le résultat pratique, d’après les relevés officiels, n’a pas été de plus d’un millième, chiffre dérisoire.
- U fallait donc modifier le tir. C’est le but recherché par le fusil à trajectoire rectiligne, avec lequel il devient possible de se passer de la hausse et de l’évaluation des distances. L’instruction théorique est, par suite, supprimée ; le tir se réduit au véritable tir de chasse.
- La courbure de la trajectoire, personne ne l’ignore, est due uniquement à l’influence de la pesanteur; il s’agissait de çOmbattre cette force en prenant appui sur l’air, et c’est ce j
- qui est réalisé dans l’arme nouvelle. La balle développe à chaque instant unefforce égale et de sens contraire à la pesanteur; elle chemine donc d’une façon sensiblement rectiligne. L’application peut-être faite dès à présent sur des armes de petit calibre ; elle peut naturellement s’appliquer aux fusils à répétition.
- Si les expériences qui vont être reprises incessamment donnent les résultats indubitables qu’admet la théorie, une adoption forcée de ce nouveau système s’imposera.
- Le rendement des engins de guerre est trou faible !
- ¥ ¥
- Les Amis de la Paix à Clermont Ferrand.
- — Nous recevons la communication suivante :
- Les Amis de la paix du Puy-de-Dôme seront prochainement convoqués en réunion générale à l’effet d’organiser leur participation aux fêtes qui auront lieu à l'occasion du concours régional.
- En attendant, les membres des divers groupes sont priés de se concerter entre eux afin de n’être pas prisau dépourvu et d’avoir des propositions à faire.
- Ceux qui savent ne pas pouvoir venir sont priés de ne pas s’en désintéresser pour cela et de nous envoyer par écrit leurs propositions.
- Quelle que soit la nuance politique à laquelle ils puissent personnellement se rattacher, tous comprendront que, s’il est une manifestation dans laquelle les Amis de la Paix ont leur place naturellement marquée d’avance, c’est celle qui a pour objet de glorifier à la fois le Travail et \evrai patriotisme.
- A. Pardoux,
- Président du groupe Clermontois, Rue Saint-Eloy, 5.
- ANGLETERRE
- Malheur à l’Irlande.— Le Parlement anglais vient de décider que l’Irlande resterait soumise au régime de compression et de persécution qui accable ce malheureux pays depuis plusieurs sciècles. Voici d’après l'Intransigeant, le compte rendu succinct de la séance parlementaire dans laquelle a été repoussé le bill sur l’Irlande :
- Dans sa lutte contre la sottise, le chauvinisme étroit et la cupidité de la nation anglaise, M. Gladstone a été vaincu. Par 341 Yoix contre 31 T, la Chambre des Commuues a refusé en deuxième lecture le projet de loi sur l’autonomie législative de l’Irlande. Ainsi s’est terminé, la nuit dernière, l’un des plus importants débats politiques qui se soient produits dans le Royaume-Uni. Ce vote mémorable, auquel dix-huit membres seulement de la Chambre n’ont pas pris part (et la majorité n’est que de trente voix!), a été précédé d’un dernier tournoi oratoire entre M. Goschen, M. Parnell, sir M. Hicks-Beach et M. Gladstone, qui aclos la discussion.
- Dans un admirable discours, qui a produit une impression très grande sur les adversaires du Home rule eux-mèmes, Parnell a protesté de l’esprit d’équité et de reconnaissance dans lequel la nouvelle loi aurait été acceptée par l’Irlande; il a déclaré que, si les conservateurs avaient obtenu la majorité, ils auraient octroyé à l’Irlande une Constitution plus libé-i raie encore que celle offerte par M. Gladstone.
- p.377 - vue 380/838
-
-
-
- 378
- LE DEVOIR
- Cette assertion a provoqué les dénégations — peu concluantes — de sir Michael Hicks Beach, qui a prétendu que le parti tory, tout en admettant la nécessité d’accorder des droits politiques égaux aux trois pays de l'Union, ne consentira jamais à affranchir les Parlements nationaux de l’autorité du Parlement impérial. Or, tout le monde sait avec quel empressement, quelle platitude, les tories, lorsqu’ils étaient au pouvoir, ont mendié 1 appui des parn llistes.
- M. Gladstone s’est borné, en concluant les débats, à réfuter les objections de ses adversaires, à répéter que le principe seul du bill et non ses dispositions étaient en cause, à affirmer de nouveau que son projet d’indépendance legislative de l’Irlande, loin d’ébranler l’unité de l’empire, servirait à l’affermir. Le vote a eu lieu à une heure dix minutes ; nous avons dit plus haut quel en a été le résultat ; il eût suffi d’un déplacement de quinze voix pour assurer l’adoption du bill. Toute la responsabilité de ce vote funeste, qui va très probablement faire couler des torrents de sang, retombe donc tout entière sur M. Chamberlain et ses amis, les pseudo-radicaux qui, en haine de l’Irlande et pour plaire aux stupides bourgeois de la Cité, ont déserté la cause de la liberté et voté avec les tories.
- La proclamation du résultat du vote a été accueillie par de bruyantes exclamations.
- Un des partisans du Home rule s’est levé et a réclamé des applaudissements pour le «grand old man» (pour le grand vieillard) : C’est, on ne l’ignore pas, le surnom donné à M. Gladstone.Tous les partisans du cabinet se levèrent aussitôt— ainsi qu’un des membres du cabinet — sir William Harcourt, chancelier de l’Echiquier.
- Après qu’on eut acclamé M. Gladstone, un des partisans du Home rule proposa «three groans for Chamberlain » (trois grognements pour Chamberlain) ; il s’ensuivit un tumulte indescriptible.
- Lorsque la tranquilité s’est rétablie, M. Gladstone s’est levé et a prononcé ces paroles :
- « Après le vote qui vient d’avoir lieu, je crois que la seule proposition qu’il me reste à faire, c’est de demander l’ajournement de la Chambre à jeudi prochain. »
- Après une nouvelle scène tumultueuse provoquée par les interruptions de députés irlandais, l’ajournement à jeudi a été prononcé, et la Chambre s’est séparée au cri de : « Gladstone for ever»! poussé par les Irlandais.
- Ainsi s’est terminée l’une des plus mémorables séances dont puisse faire mention l’histoire du Parlement anglais.
- *
- * *
- Troubles en Irlande.— Le rejet des propositions de M. Gladstone a produit une grande émotion en Irlande. Les dernières nouvelles signalent de nombreux cas de révolte.
- Des troubles sérieux se sont produits hier dans plusieurs localités du nord de l’Irlande entre les catholiques et les protestants.
- A Lurgan, plusieurs maisons ont été attaquées et mises au pillage ; un homme a été tué d’un coup de révolver.
- La situation à Belfast est devenue plus grave. Dans cette localité, la toule ayant tiré sur la police, celle-ci a dû, à son tour, faire usage de ses armes.
- Un grand nombre de personnes ont été blessées ; plus de 500 agents de la police spéciale sont dans rette ville.
- A Monaghar», les loyalistes ayant voulu célébrer le rejet du projet de Home rule, les nationalistes les ont attaqués; plusieurs loyalistes ont été blessés. Des rixes du même genre se sont produites à Armagh où il y a eu plusieurs personnes blessées.
- * *
- L’Arbitraga des mineurs.— Dernièrement, a eu lieu une réuni m des directeurs et des délégués ouvriers des mines de charbon du Yorkshire, en vue d’établir une échelle mobile de salaires, commune aux équipes ouvrières de ce district.
- L’entente n’a pu encore se faire en raison des divergences qui existent entre ouvriers et patrons, mais on croit arriver à une entente amiable et absolument nécessaire à l’avenir du travail houiller, agité partout par les grèves.
- L’institution de l’échelle mobile a été provoquée par l’as-ociation ouvrière des mineurs du Yorkshire, et un comité composé de délégués patronaux et ouvriers qui, après avoir sérieusement étudié la question, ont admis en principe :
- 1° Que les tarifs actuels ne pourraient être abaissés ;
- 2° Que les ouvriers seraient en tous temps informés du prix de vente des charbons ;
- 3° Qu’une délégation mixte fonctionnerait en permanence pour juger les différends.
- Ce projet a été ratifié par l’association ouvrière des mineurs, et sera bientôt soumis à l’approbation des propriétaires miniers du comté ; on espère que, malgré quelques modifications ne détruisant en rien les principes du projet, un nouveau règlement basé sur ces principes, sera mis en vigueur à bref délai.
- Cet arbitrage mixte fonctionnant sans interruption de travail, constitue à notre époque, le meilleur mode de conciliation; il a déjà été adopté par les populations minières delà principauté de Galles et du comité de Durham. Il a l’inappréciable avantage de n’amener, durant les désaccords, aucun de ces chômages si néfastes aux deux parties. La fixation d’un minimum de salaires et le contrôle constant des bénéfices réalisés par les possesseurs des mines sont, en effet, les deux conditions majeures qui garantissent l’ouvrier contre toute réduction arbitraire, et qui, de plus, lui permettent de débattre ses propres intérêts en toute connaissance de cause.
- TURQUIE
- Le Blocus. — La Grèce ayant réussi à conclure avec la Turquie un arrangement qui met fin aux difficultés diplomatiques soulevées depuis quelques mois et règle les conditions du désarmement, la Porte a adressé à ses représentants près des grandes puissances une circulaire constatant ces dispositions conciliantes.
- Le gouvernement turc exprime la satisfaction qu’il éprouve « de voir le cabinet d’Athènes dans la voie sage et pratique que lui traçaient les circonstances ».
- Il déclare rendre avec plaisir « hommage au concours bienveillant et impartial que les puissances n’ont cessé de lui prêter en face de l’état de choses anormal qui s’était produit en Grèce».
- La porte se demande en cette occurrence « si les puissances
- p.378 - vue 381/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 379
- ne croiraient pas opportun, dans leur haute sagesse, desé'dé- j cider à lever le blocus établi par elles sur les côtes de Grèce».
- Elle espère que cette proposition rencontrera auprès Telles un accueil favorable. I
- Cette démarche aurait été conseillée, assure-t-on, par la Russie. Quoi qu’il en soit, la Porte n’en a pas moins pris une initiative qui l’honore et contraste avec la conduite peu généreuse des puissances. Celles-ci se montreront-elles plus intraitables que le sultan ? Jusqu’à présent, l’Angleterre seule a manifeste l’intention de tenir compte des dispositions pacifiques de la Grèce. Le gouvernement de Londres a donné l’ordre à la flotte de se tenir prête à quitter les eaux helléniques et à sir Humbold de rentrer à Athènes.
- La Concurrence du Saint-Gothard.
- La concurrence du St-Gothard vient d’être l’objet des commentaires de la presse française. Tous les journaux ont plus ou moins longuement discuté le rapport de M. TJiéry délégué par M. Lockroy, ministre du commerce, pour aller étudier la question sur place.
- Voici les constatations du rapport :
- Le Gothard crée entre le Nord et la Méditerranée un immense courant commercial dont Gênes a tout le profit ; le port de cette ville qui n’avait qu’un mouvement de 1-264.000 tonnes en 1881 — année qui a précédé l’ouverture du Gothard — a eu un tonnage de 1.315.000 tonnes en 1882; 1.460 000 tonnes en 1883 ; 1.588.000 tonnes en 1884 et enfin 1.890 000 tonnes en 1885; soit une augmentation de plus de 50 0/o depuis l’ouverture de la ligne.
- La cause est attribuée à la différence des distances ; parle Gothard la distance entre Anvers et Gênes n’est que de 1.142 kilomètres kilomètres, tandis que Marseille en est distant par les communications ferrées, de 1.218 kilomètres. Des tarifs spéciaux à prix réduits, de beaucoup inférieurs aux tarifs français sont d’autres raisons de la prospérité du trafic du chemin de fer du Gothard.
- Dans le but de concurrencer le Gothard, les spéculateurs en quête de nouveaux projets proposent de créer en France une ligne spéciale qui diminuerait le parcours de 111 kilomètres.
- La Démocratie de l’Aisne, journal d’Hirson, fait remarquer avec beaucoup de raison que ces propositions n’ont aucune raison d’être, puisqu’il existe déjà une voie franco-belge ayant 38 kilomètres de moins que les voies allemandes et 27 de moins que celles dont on propose la construction.
- Voici une voie existante avec les longueurs d’a-
- près les indicateurs.
- Marseille à Dijon P.-L.-M. 548 k
- Dijon à Cul mon » 77
- Gulmont à St-Dizier Est 118
- St-Dizier à Revigny » 28
- Revigny à Ste-Menehould 11
- Ste-Meneb. à Gharirang» 25
- Charlrang à Amagne » 41
- Amagne à Hirson » 62
- Hirson à Fourmies Nord 13
- Fourmies à Maubeuge » 41
- Maubeuge par Nivelles
- à Bruxelles N.-B. 88
- Bruxelles à Anvers » 52
- Total : 1104
- La voie est touie créée, elle a coûté au moins un tiers meilleur marché que la voie allemande-suisse-italienne. Pour utiliser cet outillage tout créé, il suffirait de l’entente de trois ou quatre compagnies.
- Nous venons de reproduire les opinions en cours ; assurément la dernière que nous avons trouvée dans le journal d’Hirson est la plus sage.
- Supposons qu’elle soit adoptée et quelle produise le résultat désiré, qu’elle déplace, au profit de Marseille le trafic actuellement dirigé vers Gênes. Qu’arrivera-t-il ?
- La ville de Gênes verra insensiblement diminuer sa prospérité ; les agrandissements et les fondations récentes nécessitées par le développement commercial produit par la ligne du Gothard deviendront une charge pour la ville et pour les particuliers; en un mot, les éléments de prospérité de Gênes seront transformés en autant de causes de ruine.
- Il en sera de même delà ligne du Gothard construite à grands frais. Les centaines de millions employés à la construction de cette ligne deviendront improductifs d’intérêts ; les actionnaires perdront les bénéfices de cette entreprise.
- On ne peut concevoir que le progrès poursuive ainsi, indéfiniment, sa marche aux prix de ruines inouies. Il ne faut pas que la prospérité d’une ville se paie de la ruine d’une autre ; il est nécessaire d’organiser les transports dans des conditions telles que les échanges internationaux se fassent de la façon la plus profitable à l’humanité, sans nuire à aucun groupement, ville on nation. Il viendra un temps où les nations auront I la prévoyance, avant d’entreprendre les grands
- p.379 - vue 382/838
-
-
-
- 380
- LE DEVOIR
- travaux d’intérêt continental, de se consulter et de prendre des précautions telles que des entreprises colossales ne soient pas stérilisées dès leur confection par une aveugle concurrence, à moins qu’il doive résulter de cet abandon une somme de bienfaits en rapport avec les sacrifices.
- Ce ne sera pas le cas dans la concurrence que l’on propose contre la ligne du Gothard. Au point de vue général, il importe peu que les marchandises d’Europe emploient deux ou trois heures en plus ou en moins pour passer en Asie, en Afrique, et inversement.
- Les temps de cet accord international que nous demandons ne sont pas encore venus ; mais n’est-ce pas en préparer l’avènement que d’apprendre aux hommes à en sentir la nécessité par l’explication des bouleversements onéreux imputables à la concurrence anarchique qui caractérise notre époque. C’est ce que nous avons voulu faire en écrivant ces réflexions au sujet de la ligne du Gothard.
- LA TÉLÉPHONIE
- Un grand progrès dans les relations de la vie parisienne a été réalisé par le téléphone, cette merveilleuse invention qui permet de converser d’une extrémité de Paris à l’autre.
- 11 y a encore dans la pratique bien des améliorations à obtenir ; des appareils sont mal installés et nécessitent des réparations qui n aboutissent que très difficilement, le service n’est pas toujours régulier ; mais nous savons que M. Gra-net, l’intelligent et actif ministre des postes et télégraphes, se préoccupe de cette situation ; la concession de la compagnie arrive à échéance ; pour le renouvellement, des obligations nouvelles seront imposées en vue de la parfaite régularité du service, et aussi, chose très importante, de l'abaissement des tarifs.
- Les expériences qui viennent d’être faites sur la ligne télégraphique de New-York à Chicago ont été couronnées d’un plein succès.
- La distance entre ces deux villes est de 1,625 kilomètres.
- Le fil qui les reliait avait une âme en acier de 3 millimètres recouverte de cuivre à 1 1/2 millimètre d’épaisseur. On réunit deux de ces fils et on entra en conversation de New-York à Chinage.
- « La voix dit l’ingénieur Steward, installé à Chicago, me parvint avec une telle intensité de son, une telle clarté, que, malgré moi, je me retournai pour voir si on ne parlait pas à mes côtés. »
- Cet ingénieur américain est peut-être un peu gascon dans son enthousiasme; mais le fait certain, c’est que, des expériences faites à 1,625 kilomètres, on conclut qu'il serait possible de téléphoner clairement à une distance triple.
- M. Van Rysselberghe, l’inventeur de la téléphonie à grande distance, et qui dirigeait ees expériences, garantit le succès à la distance double de 3,250 Kilomètres. Ce n’est :
- qu’une affaire de conductibilité du fil, et l’électricien belge ajoute : « Avec un fil de diamètre convenable, je garantirais le succès à toute distance, fût-ce de Paris à Pékin.»
- * *
- Les résultats acquis par les diverses expériences exécutées sur différentes lignes américaines sont les suivants : avec un fil de cuivre de 2 l/10millimètres, on a correspondu pratiquement à 500 kilomètres ; avec un fil de cuivre de 2 7/10 millimètres, à 941 kilomètres; avec un fil équivalant à 5 millimètres, à 1,625 kilomètres, et il paraît certain qu’avec le même fil on correspondrait encore à 3,250 kilomètres.
- Les résultats pratiques de ces expériences sont aisés à concevoir. C’est la transformation à bref délai des lignes télégraphiques internationales en lignes téléphoniques.
- C’est la suppression des intermédiaires entre les maisons de commerce, les négociants s’entretenant de leurs bureaux avec leurs correspondants, traitant directement les af« f aires.
- Des albums de dessin reproduisant par la photographie les dimensions réduites des modèles,des carn ets d’échantillons tels seront à l’avenir les seuls éléments de relations commerciales.
- Les prix seront débattus de vive voix et l’affaire sera terminée par une conversation de quelques minutes entre les chefs des deux maisons.
- Economie de temps, économie de frais, par conséquent réduction du prix, et accroissement de la consommation, tels seront les résultats généraux de l’application de la téléphonie à grande distance aux transactions commerciales.
- Des commis polyglottes seront chargés de la conversation avec les correspondants étrangers.
- •Jr
- * *
- Les expériences de téléphonie à grande distance par câble sous-marin n’ont pas encore donné de résultats satisfaisants.
- Celles faites entre Douvres et Ostende, par M.Van Rysselberghe n’ont pas réussi.
- Cet insuccès assure à Paris une prépondérance sur Londres.
- La distance de Paris, par câble télégraphique, aux principales places commerçantes de l’Europe les plus éloignées est de : Naples à 2,032 kilomètres; Lisbonne à 2,124 kilomètres Bucharest à 2,560 kilomètres ; Saint-Pétersbourg à 2,719 kilomètres ; Odessa à 2,760 kilomètres ; Constantinople à 3^230 kilomètres.
- Toutts ces distances sont inférieures à 3,250 kilomètres limite admise provisoirement pour la conversation par un fil de 5 millimètres.
- Les Français à Madagascar
- Plusieursjournaux ont publié la correspondance suivante ; les nouvelles qu’elle contient n’augmenteront pas le prestige de nos entrepreneurs de politique coloniale.
- Les nouvelles que nous recevons de Madagascar nous montrent sous un jour tout à fait inattendu les relations pacifiques que nous entretenons avec les Hovas, à la : suite du traité du 17 décembre.
- p.380 - vue 383/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 381
- On ne se bat plus ouvertement, mais la vie et les biens de nos nationaux et de nos alliés sont à chaque instant compromis.
- Du reste, l’annonce du traité de paix et surtout la connaissance du texte des clauses ont causé chez tous les résidents français le plus vif désappointement. Pour tous les colons qui habitent depuis longtemps le pays, et qui sont au courant du caractère malgache, c’est une paix « boiteuse et mal assise.»
- Il serait trop long d’énumérer toutes les clauses du traité qui paraissent défectueuses à l’immense majorité des résidants.
- Les Mauriciens, quoique sujets britanniques, partagent l’indignation commune. On pourrait même citer quelques Anglo-Saxons de souche pure, qui, dans l’intérêt du commerce, auraient préféré l’établissement d’une solide protection à cette trêve de courte durée.
- Nous ne saurions partager ce regret. Voilà assez de poli-que coloniale, et, telle qu’on l’à comprise, nous n’en voulons plus. Notre nouvelle conquête nous coûte bien assez cher, et ce serait pure folie que de vouloir continuer dans cette voie ; si les colons français dans l’île malgache ont eu à souffrir, nous le déplorons ; mais qu’ils s’en prennent à M. J. Ferry et qu’ils ne demandent pas à la France de nouveaux et stériles sacrifices.
- La situation actuelle est mauvaise ; il est probable qu’elle s’aggravera encore ; il est, en effet, impossible de croire à la bonne foi des Howas. Les missionnaires protestants eux-mêmes savent ce que vaut la pseudocivilisation malaise et ce qu elle coûte à la Société des missions de Londres. Mais, fidèles à leur haine contre la France, ils persistent à nous couvrir d’injures. L’arrivée de M. Patrimonio a été raillée avec tout le bon goût britannique.
- En tête du Madagascar Times, feuille semi-officielle, l’entrée de notre ministre plénipotentaire a été qualifiée en termes qui ne sauraient figurer dans un journal français. Acc 1er le nom d’nn messager de paix aux arrivages de boissons si nécessaires à la sobriété saxonne, tourner en dérision notre chant national, voilà un bel échantillon de l’humour britanique.
- Ce qui est plus grave que ces triviales plaisanteries, c’est l’insolence des Hovas à l’égard de nos nationaux.
- Un colon français de Mahavaro écrivait dernièrement qu’îl avait trouvé ses magasins saccagés et que lui et sa famille avaient été, de la part des bandes hovas, en butte aux plus grossières injures.
- De pareils faits se produisent constamment.
- Les Hovas ne croient nullement au nouveau traité et les colons dépossédés par la guerre auront de la peine à recouvrer leurs anciennes propriétés, car les Hovas considèrent le traité comme stipulant un simple armistice.
- Enfin, il s’est passé à Vohémar des faits abominables. Le 5 avril, les Hovas se sont rués en masse sur un village sakalave, au sud de Yohémar. Ils ont massacré nos alliés « qu’ils devaient traiter avec une bienveillance particulière », et, comme la plupart des hommes valides étaient absents, ils se sont emparés de huit cents bœufs, de cent cinquante femmes et fenfants.
- Les malheureux sont voués à l’esclavage, car cette terrible institution est réellement pratiquée par les Hovas, malgré le prétendu zèle abolitionniste de leurs éducateurs anglais.
- C’est une violation flagrante du traité. Mais elle nous cause plus d’indignation que de surprise. Nous avons livré les Sakalaves à la merci de leurs ennemis. La présence des résidents français, arrivés par le courrier, n’aurait pas sauvé les malheureux. C’est la force seule qui peut imposer aux Hovas la foi jurée. Aussi nous espérons que l’escorte militaire du résident général sera assez forte pour intimider les Hovas. Sinon, pour dire toute notre pensée, la vie de notre représentant sera exposée à tous les dangers.
- A la suite des événements de Vohémar, toute la population sakalave s’est réfugiée en masse à Diégo-Suarez. Le chef du village envahi, dont la femme et les enfants ont été emmenés par les Hovas, s’est mis en campagne avec 300 hommes. Il veut à tout prix arracher sa famille aux Hovas ou venger les siens. C’est, d’ailleurs, l’un des chefs qui ont prêté leur concours le plus dévoué au capitaine Pennequin, commandant des auxiliaires sakalaves pendant la période active du conflit franco-malgache.
- CHARLES SAYILLE
- par ROBERTSON
- Roman philosophique
- Chapitre IV GEORGE MORTON
- Quand Charles Savüle rouvrit les yeux, il était dans son lit. Il s’écoula quelque temps avant qu’il pût rassembler ses idées. Il crut d’abord avoir fait un rêve, et ce n’est qu’après de grands efforts que ses souvenirs lui retracèrent nettement les événements de la soirée précédente.
- La clarté qui pénétrait dans la chambre, malgré les rideaux épais et moelleux, annonçait qu’il faisait jour. Il sonna son vallet de chambre, qui parut aussitôt.
- — Paul, dit Saville, quelle heure est-il ?
- — Il est neuf heures, monsieur, dit Paul.
- — Comment suis-je ici, et que s’est-il passé depuis hier ?
- — Après le départ de monsieur, j’ai veillé jusque pas-
- sé minuit. Alors une dormeuse est arrivée devant la porte cochère et s’y est arrêtée. Comme monsieur m’avait ordonné de ne parler à personne de son absence, le portier était couché. Ça fait que je suis descendu et que j’ai ouvert la porte moi-même. Deux messieurs très comme il faut sont descendus de la voiture, et l’un d’eux m’a dit que monsieur était là profondément endormi, ou dans un accès de cata... catalepsie, je crois. Il m’a dit qu’il était médecin, et m’a assuré qu’il n’y avait pas la moindre crainte à avoir. Alors, avec leur aide et la mienne, et celle du portier, qui s’était levé pendant ce temps là; monsieur a été mis au lit, et les étrangers sont partis en promettant bien de revenir.
- — Quand ils reviendront, qu’on les fasse monter tout de suite, interrompit Charles. Je veux les voir.
- p.381 - vue 384/838
-
-
-
- 382
- LE DEVOIR
- — Ils sont revenus, monsieur, il y a près d’une heure; | et Lun d’eux étant docteur, j’ai cru bien Lire en les i faisant entrer. Ils m’ont fait remarquer que monsieur reposait avec calme, et que sa respiration était facile et régulière ; et puis ils sont repartis, en disant que monsieur s’éveillerait au bout d’une heure.
- — Pouvez-veus me les dépeindre ? L’un d’eux n’était-il pas un homme âgé, très grand et très fort ? demanda Saville.
- — Mais, non, monsieur, répondit le valet. Ils étaient tous deux de taille moyenne ; ils avaient très bonne mine, mais rien d’extraordinaire. Je croyais que c’était des amis de monsieur, ajouta-t-il avec un coup d’œil interrogateur.
- Saville ne répondit pas. II s’habilla avec précipitation et commanda qu’on attelât ses chevaux, car il était impatient de voir son ami Georges, et de lui raconter les étranges événements de la nuit.
- Geoiges Morton avait trois ans de plus que Saville. Il était d’origine anglaise, quoique né en France et élevé dans le même collège que Charles. Son père, M. John Morton, était un savant distingué, réunissant des qualités qui n’ont pas coutume de se trouver ensemble: l’amour de l’étude et l’esprit de spéculation. Aussi avait-il eu le rare bonheur de trouver dans la science la source d’une belle fortune. Il n’avait rien épargné pour donner à son fils une éducation libérale ; et ses soins n’avaient pas été perdus pour le jeune homme, dont la soif de savoir était ardente.
- Mais, bien que M. Morton eût pour son fils une vive tendresse, il n’agit pas comme l’avait fait le père de Charles. Le jour où George fut majeur, il lui parla ainsi :
- — A ton âge, mon garçon, il ne me restait ni parents ni amis ; et je n’avais, pour faire mon chemin dans le monde que la modique somme de cent francs. J’étais loin d’avoir tes moyens et tes talents, car je n’avais pas été élevé comme toi. Cependant, à force de travail, je me suis fait une belle position. Or, je ne vois pas pourquoi tu n’en ferais pas autant ; pourquoi tu ne déploirais pas ton énergie, comme j’ai déployé la mienne. Dans le cours de ma vie, j’ai observé deux choses : la première, c’est que presque tous les hommes utiles à la société ont commencé par être pauvres. Le besoin est l’aiguillon du génie. La seconde, c’est que les fils de parvenus sont généralement des crétins, parce qu’ils n’ont eu que la peine de naître et de se laisser vivre. Tu ne seras jamais un crétin toi, je le sais bien. Mais cela ne me suffit pas. Je veux que tu te distingues ; et je lis dans tes yeux que tu le veux aussi. Voici mille francs, dix fois ce que j’avais à mon point de départ. N’attends rien de plus de moi ; car j’ai la conviction qu’avec cela, et les ressources que tu possèdes en toi-mème, tu sauras te procurer l’indépendance d’abord, et plus tard les jouissances qui n’ont de prix que lorsqu’elles sont le fruit du travail.
- Georges accéda joyeusement à la décision de son père. Son noble esprit s’enorgueillissait de la pensée que c’était à lui-même, à lai seul, qu’il allait devoir ses moyens d’existence, son bien-être, et ses succès futurs.
- U partit pour les Etats-Unis, où il se soutint pendant quelque temps en enseignant les langues, les mathématiques et le dessin. Là, il fit connaissance avec le célèbre Sultoh, et comprit bientôt quelles brillantes découvertes il restait encore à faire par l’application pratique des sciences à l’industrie. Il mit au jour un perfectionnement apporté par lui à une machine à vapeur ; ce qui lui fournit les moyens de revenir en Europe avec une somme d’argent assez ronde. Poursuivant avec vigueur ses travaux et ses expériences, il augmenta graduellement son capital. Un de ses amis avait fondé en Angleterre une association agricole ; il y prit part, et au moyen de machines fort ingénieuses, de son invention, il rendit les travaux plus faciles et les produits plus considérables. A l’époque dont il estquesiion dans notre récit, il avait déjà réalisé une partie des espérances de son père.
- Quand Charles lui fit part des incroyables incidents de la nuit, il dit qu’il ne s’en étonnait pas, connaissant par sa propre expérience le profond savoir de celui qu’il appelait le devin. Et à ce sujet il raconta une scène de prodiges à laquelle il avait assisté, et dans laquelle le vieillard avait retiré un morceau de glace d’un creuset chauffé à blanc sous ses yeux.
- Comme Georges finissait de parler, une pensée vint subitement à l’esprit de Charles.
- — Mon cher, dit-il, toi si gai, si heureux et si bon, tu dois sans aucun doute être content de lout ....
- — Je sais ce que tu vas me dire interrompit Georges en riant ; et je me serais offert pour te guérir sans que tu me le demandasses, si je m’étais trouvé dans les conditions voulues. Mais, hélas ! il faut que tu saches que je suis amoureux fou. J’aime, donc je souffle. Cet enthy-mèmeest aussi irréfutable que celui de Descartes : « Je pense, donc je souffre. » J’ai donc les mains liées mon pauvre ami. Si j’épouse celle que j’aime avant que tu aies trouvé un homme heureux, tu me verras accourir, et te tendre les deux mains. Je saturerai de puissance vitale tes nerfs affaiblis, et cela sans crainte de m’appauvrir moi-même, car j’aurai trouvé une source intarissable de bonheur. Mais je pense que tu n’auras pas à attendrejusque là. Tes amis sont, pour la plupart, de bons vivants qui ne connaissent pas les soucis ; tu n’auras que l’embarras du choix.
- — Je ne partage pas ta confiance ; mais je saurai bientôt à quoi m’en tenir. Dans quelques jours, je les réunis à ma table, à l’occasion de ma fête de naissance. Je compte sur toi, bien entendu ?
- — Parbleu ! comptes-y bien. Je t’aiderai à les sonder, e t ce sera bien le diable si dans le nombre nous ne trouvons pas un homme content.
- Charles regagna son hôtel, un peu moins soucieux que de coutume, et s’occupa des préparatifs de la fête qu’il devait donner à quelques-uns des heureux du siècle.
- Chapitre V LES VIVEURS
- La salle de banquet, dans l’hôtel de Saville, était décorée dans le style moresque. La coupole, couverte de
- p.382 - vue 385/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 383
- moulures, était soutenue par des colonnes légères, dont les fûts étaient cannelés, et dont les chapiteaux étaient ornés d’arabesques. La décoration était blanche et or ; ]es rideaux et les draperies étaient de brocart vert à fleurs d’or. Sur la table était un surtout, chef-d’œuvre de ciselure, garni des fleurs les plus rares et des fruits les plus exquis.
- De la coupole descendait un énorme lustre, dont les innombrables bougies versaient des torrents de lumière sur la table somptueuse, et rehaussait l’éclat de la vaisselle, du linge blanc comme la neige, et des groupes de verres aux formes élégantes et originales.
- Les convives étaient en belle humeur, et firent largement honneur aux mets délicats, offert avec prodigalité par leur opulent amphitryon.
- Au commencement du repas on n’entendit guère que le bruit des cuillers et des fourchettes, ou le choc des verres, et de temps en temps quelques mots d’éloge pour le cuisinier. Peu à peu, la conversation devint générale, animée et bruyante. Saville jugea que le moment était favorable pour sonder ses amis, et profiter de leur disposition à s’épancher. Gomme on apportait le dessert, il demanda la permission de mettre sur le tapis un sujet bien vieux, bien rabattu, et pourtant inépuisable. Après ce court préambule, il dit qu’il désirait vivement savoir laquelle de toutes les choses de ce monde conduit le plus sûrement au bonheur.
- — L’or I L’amour ! Le jeu ! La gloire ! Le vin ! La table ! crièrent à la fois une demi-douzaine de voix, en réponse à la question posée ; et aussitôt chacun entreprit de justifier son affirmation.
- Nous n’essaierons pas de redire les lieux communs qui furent débités à ce sujet. Nous dirons seulement que le gros duc de Grazalar fervent admirateur de Grimod de la Reynière, s’interrompit brusquement au milieu d’un pompeux éloge des plaisirs de la table. Il poussa un cri effroyable, causé par un violent élancement dans l’orteil. Une attaque de goutte venait réfuter brutalement ses arguments en faveur de la bonne chère, et l’angoisse était si cruelle qu’il en avait le visage pourpre et boni— versé.
- Ses domestiques furent appelés. Tandis que les uns allaient chercher une chaise à porteurs, et que d’autres donnaient des soins à leur maître, la compagnie passa au salon pour prendre le café, et la discussion recommença de plus belle, bien qu’elle eût perdu deux champions : le gros duc, et le panégyriste du vin, qui avait roulé sous la table, pendant le tumulte.
- Saville et Morton prenaient parti pour ou contre les orateurs les plus diserts, non par conviction, ni pour le plaisir de parler, mais afin d’élargir le champ de leurs observations, en stimulant les interlocuteurs.
- Un vieux général, à l’œil plein de feu, au visage mâle et résolu, venait de démontrer, avec autant de vivacité que d’éloquence, que la gloire seule peut donner le bonheur. Georges lui dit d’un air persuadé :
- — Eh bien, général, je suis d’autant plus porté à me ranger à votre opinion, que vous êtes une preuve vivante d« ce que vous soutenez.
- — Il n’y a pas de règle sans exception, répondit le général. Sans doute je devrais être heureux ; car j’ai loyalement fait mon devoir, et versé mon sang sur trente champs de hataille. Si l’autre était là, j’aurais certainement ma récompense. Au lieu de cela, nous autres vieux de la vieille, nous voilà supplantés par un tas de courtisans ; des mazettes à ailes de pigeon, qui n’ont jamaisvu le feu. Le produit le plus clair de trente années de service consiste en cicatrices et en rhumatismes.
- Pendant que le général parlait ainsi, un viveur, qui avait déjà mangé trois héritages, venait de terminer un discours très persuasif sur les émotions que procure le jeu.
- — Est-tu véritablement heureux ? lui demanda Saville, en le tirant à l’écart.
- — Très heureux, répondit l’autre. Seulement, il faut que tu me prêtes cinq cent louis, que j’ai perdu ce matin sur parole. Je compte sur toi, car si je ne pouvais dégager ma parole dans les vingt quatre heures, tu comprends que je serais obligé de me brûler la cervelle. Ce qui ne m’empêche pas d’être parfaitement heureux.
- Charles et sou ami George poussèrent leurs investigations aussi loin que possible. Les convive? les plus joyeux et les plus insouciants furent interrogés tour à tour. Le résultat fut invariablement le même : la sérénité à la surface, le mécontentement au fond .
- Enfin la conversation vint à languir, et la séance fut levée sans que la question eut été résolue.
- — Je m’y attendais, dit Saville à son ami, quand tout le monde fut parti. Tu as entendu ces hommes que tout le monde envie. Dignités, luxe, richesses, plaisirs, ils ont tout à profusion, et pas un d’eux n’est content de son sort ! Ton devin a raison : cette classe privilégiée n’a pas le monopole du bonheur. Demain je pars pour le Havre. Jé veux , avant d’entreprendre de nouvelles recherches, consulter un ancien ami de monpè.e,le comte de S, H m’a toujours témoigné beaucoup d’amitié Il a de l’expérience, et pourra me donner de bons conseils. Qui sait même s’il ne pourra faire plus encore? Je me rappelle que, dans ses entretiens avec mon père, j’ai souvent vu ses yeux briller d’un éclat extraordinaire. Tu sais que c’est le premier indice qui doit me mettre sur la la voie.
- — Tu as raison, répondit Georges. Mais si le comte de S. ne réalise pas ton espérance, ne te décourage pas pour cela. N’oublie pas ces autres paroles de mon vieux sage : Cherche, et tu trouveras.
- (A suivre)
- État civil du Familistère.
- Semaine du 31 Mai au 6 Juin 1886.
- Décès :
- Le 5 Juin, de Donnet Emile-Alphonse Nicolas, âgé de 1 an et 6 mois.
- Le Directeur Gérant : GODIN
- 3uise.— Imp. Bare
- p.383 - vue 386/838
-
-
-
- LIBRAIRIE DU FAMILISTÈRE
- GUISE (Aisne)
- OUVRAGES de M. GOD1N, Fondateur du Familistère
- Le Gouvernement, ce qu'il a été, ce qu’il doit être et le vrai socialisme en action.
- De volume met en lumière le rôle des pouvoirs et des gouvernements, le princiqe des droits de l’homme les garanties dues à la vie humaine, le perfectionnement du suffrage universel de façon à en faire l’expression de la souveraineté du peuple, l’organisation de la paix européenne, une nouvelle constitution du droit de propriété, la réforme des impôts, l’instruction publique première école de la souveraineté, l’association des ouvriers aux bénéfices de l’industrie, les habitations ouvrières, etc., etc.
- L’ouvrage est terminé par une proposition de loi à la Chambre des députés sur l’organisation de l’assurance nationale de tous les citoyens contre la misère.
- In-8° broché, avec portrait de l’auteur...................................8 fiq
- Solutions sociales. — Exposition philosophique et sociale de l’œuvre du Familistère avec la vue générale de l’établissement, les vues intérieures du palais, plans et nombreuses gravures :
- Édition in-8° ...................^........................................10 fr.
- Édition in-8°.............................................................5 fr.
- Mutualité sociale et Association du Capital et du Travail ou extinction du paupérisme
- par la consécration du droit naturel de s faibles au nécessaire et du droit des travailleurs à participer aux bénéfices de la production.
- Ce volume contient les statuts et règlements de la Société du Familistère de Guise.
- In-8° broché, avec la vue générale des établissement de l’association.....5 fr.
- Sans la vue. . ,..............................,...........................4 fr.
- Mutualité Nationale contre la Misère.— Pétition et proposition de loi à la Chambre des députés
- brochure in-8°, extraite du volume « Le Gouvernement »....................1 fr. 50
- Les quatre ouvrages ci-dessus se trouvent également : Librairie Guillaumin etCie, ik, rue Richelieu, Paris
- BROCHURES A 40 CENTIMES
- Les Socialistes et les droits du travail . . 0,40 cent. La Richesse au service du peuple . . . . 0,40 cent.
- La politique du travail et la Politique des privilèges. 0,40 La Souveraineté et les Droits du peuple...........0,40
- OUVRAGES RECOMMANDÉS AUX COOPÉRATEURS Histoire de l'association apicole de Ralahine (Irlande). Résumé des documents de
- M. E. T. Craig, secrétaire et administrateur de l’association. Ouvrage d’un intérêt dramatique, traduit par Marie Moret............................................................0.75 cent.
- Histoire des équitables pionniers de Rochdale, de g. j. holyoke. Résumé traduit de
- l’anglais, par Marie Moret.................................................0,75 cent.
- ROMAN SOCIALISTE
- La FÜlfi d6 SOÎl Pèf6. Roman socialiste américain, de Mme Marie Howland, traduction de
- M. M., vol. broché................................................... 3 fr. 50
- La première édition de ce roman publiée parM. John Jewett, l’éditeur de « la Case de l’oncle Tom», eut un grand succès en Amérique. Ce Roman est aux questions sociales qui agitent le monde civilisé, ce que « la Case de l’Oncle Tonu fut pour la question de l’esclavage.___________________
- Le DEVOIR, Revue des Questions sociales
- ORGANE DE L’ASSOCIATION DU FAMILISTÈRE
- Frange
- Un an . Six mois Trois mois.
- PARAIT
- TOUS LES
- 10 fr. »»
- 6 fr. »>.
- 3 fr
- DIMANCHES
- Un an .
- Union-postale Autres Pays
- 11 fr. »» 13 fr. 50
- La Librairie de Sciences psychologiques, 5, rueNeuve-des-Petits-Champs, Paris, reçoit également des abonnements au journal Le Devoir.
- 1er volume broché.
- 2me » »
- 3me » »
- COLLECTION
- ......... 3 fr.
- ......... 3 »
- ........ 6 »
- DU « DEVOIR
- 4me volume broché. . 5me » . .
- 8 fr.
- 9 fr.
- Les 6m°, 7me. 8me et 9me volumes ne se vendent qu’avec la collection entière, les 9 volumes brochés ensemble 90 fr., franco.
- p.384 - vue 387/838
-
-
-
- 10e Année, Tome 10.— N" 406 Le numéro hebdomadaire %0 c. Dimanche 20 Juin 1886
- T W TlWATll
- JuJEfl w&wëè w
- REVUE DES QUESTIONS SOCIALES
- BUREAU
- a GUISE (Aisne)
- Toutes les communications et réol&mations doivent être adressées à M. GODIN, Directeur-Gérant Fondateur du Familistère
- ABONNEMENTS PAYABLES D’AVANCE
- par l’envoi, soit au bureau de Guise, soità celui de Paris, de timbres-poste ou de mandats de poste, dont le talon sert de quittance.
- France
- Union postale
- ON S’ABONNE
- A PARIS
- 5, rue Neuve-des-Petits-Champs Passage des Deux-Pavillons
- Un an ... 10 fr. ï» Six mois. . . 6 s» Trois mois. . 3 ïj>
- Un an. . . 11 fr. »» Autres pays
- Un an. . . 13 fr. 60
- S’adresser à M. LEYMARIE administrateur delà Librairie des sciences psychologiques.
- SOMMAIRE
- Les anarchistes et le Familistère.— Le liquidateur judiciaire.— La peur des capitalistes américains. — Le massacre des innocents.— Une révolution industrielle.— Une entrevue avec le comte de Paris. — Réforme du système industriel. — Aphorismes et préceptes sociaux. — Faits politiques et sociaux de la semaine. — Fin de la grève de Decazeville. — La presse étrangère et l’association du Familistère. — Instruction publique.— Concours d’apprentis.— Les justices de Paix.— Nécrologie.— A Madagascar.— Charles Saville.
- LES ANARCHISTES
- ET LE FAMILISTÈRE
- Croire que la nature humaine est suffisamment perfectible pour devenir capable de faire spontanément le bien, sans qu'il soit utile d’aucune loi pour ln, maintenir dans la pratique constante et générale de ses devoirs, tel esta peu près le fond de la théorie anarchiste.
- Cet idéal,compris et prôné par quelque penseurs, aura peu d’effet immédiat sur le perfectionnement de la créature humaine, si les personnalités conscientes du parti anarchistes persistent à ne pas sortir des vagues aspirations de cet idéal.
- Il nous semble préférable de ne point faire abstraction des défauts actuels des individus, et de chercher à améliorer et atténuer progressive-meût la tutelle sociale par la suppression des mau- 1
- vaises lois et par l’application d’une meilleure législation.
- S’il n’existait entre nous et les anarchistes, en général, d’autres différences que celle que nous venons de signaler, nous les laisserions poursuivre librement leurs fantaisies, sans nous occuper d’eux.
- Nous comprenons qu’on collabore au progrès social par d’autres moyens que ceux que nous avons choisis. Nous respectons et nous approuvons toutes les bonnes volontés, sans exception.
- Mais, à la suite, plutôt, à côté des personnalités sincères auxquelles nous avons fait allusion, que nous mettons, dès le début, hors de cause, et auxquelles nous accordons nos sympathies, il existe des groupes d’individus se disant anarchistes, tous plus incapables les uns que les autres d’exphquer et de comprendre la moindre idée philosophique ou sociale, n’ayant d’autre but que celui de renverser et détruire. On conçoit que ceux-là ne comprennent pas les organisateurs.
- Le tempérament de ces anarchistes est tellement connu de toutes les administrations policières que, en chaque circonstance où la police éprouve le besoin d’organiser une démonstration bruyante ou une émeute, il lui suffit de lancer dans les groupes anarchistes quelques agents provocateurs ; leurs appels sont toujours entendus.
- Les anarchistes de cet acabit sont simplement des malades que nous laisserions aux névroses de l’émeute, s’ils n’avaient risqué, nous ne savons sous quelle inspiration, des attaques malveillantes et injustes contre le Familistère.
- p.385 - vue 388/838
-
-
-
- 386
- LE DEVOIR
- Le Cri du Peuple, le Socialiste et le Révolté sont jusqu’à présent les tribunes ouvertes aux anarchistes faisant campagne contre le Familistère.
- Relevons d’abord une coïncidence significative ! la rédaction des articles récemment publiés présente de singulières analogies avec une note parue, il y a six mois, dans le Petit-Nouvelliste, journal ultramontain de la faction orléaniste. On dirait que ces articles sortent tous de la même officine.
- Nos lecteurs liront à la fin d’un article, extrait du Révolté, que nous publions plus loin, la phrase suivante :
- « Il y a par le monde des industriels qui se font des rentes en élevant des lapins, il y en a d’autres qui édifient des fortunes en élevant des petits fondeurs.»
- C’est exactement ainsi que finissait la note du Pe lit-N ouvelliste.
- Si les anarchistes et les cléricaux n’ont pas les mêmes rédacteurs, il faut avouer qu’ils marchent en parfait accord les uns avec les autres.
- L’organe des anarchistes nous promet de parler plus longuement du Familistère. Nous ferons, dans la suite,ce que nous allons commencer aujourd’hui. Nous reproduirons les mensonges et les infami es que le Révolté, le Cri du Peuple et le Socialiste consentiront à publier.
- Ces journaux n’imiteront certainement pas notre exemple en insérant nos réponses. Peu nous importe. Le Familistère a résisté aux foudres des cléricaux ; ce n’est ni les divagations ni les sottes accusations des anarchistes mal intentionnés qui parviendront à fausser l'opinion publique sur le Familistère et à atténuer ce grand exemple de progrès social.
- L’association du Familistère ne s’occupe pas des opinions politiques ni religieuses des personnes ; elle laisse vendre les journaux anarchistes dans l’établissement même, certaine que le bon sens général et le bien-être exceptionnel de nos travailleurs associés sont des préservatifs infaillibles contre les doctrines anarchistes. Les chefs de services et le haut personnel du Familistère assistent impassibles à cette propagande; il ne déplait à aucun de constater l’impuissance des agents du désordre, au milieu d’une population laborieuse et assez intelligente pour apprécier exactement sa situation.
- Nous ferons bientôt la lumière sur ces agissements et nous répondrons à toutes les accusations que le Cri du Peuple, le Socialiste et le Révolté ont enregistrées ou enregistrent à l’avenir.
- En ce qui nous concerne, ne voulant pas nous départir d’une rigoureuse loyauté, nous insérerons intégralement les écrits de nos adversaires, afin que nos lecteurs puissent se taire une opinion raisonnée par l’examen de toutes les pièces du débat.
- Nous répondrons dans nos prochains numéros aux trois articles publiés jusqu’à présent, et nous dévoilerons les déloyales machinations anarchistes cherchant à porter le trouble dans la société du Familistère. Nous nous contentons aujourd’hui de donner un démenti formel aux accusations d’avoir baissé les salaires : « Il n’y a eu aucune baisse de salaires dans l’établissement jusqu’à ce jour.» ÎNous démontrerons, au contraire, qu’indépendamment du partage des bénéfices entre les travailleurs, les salaires ont toujours augmenté.
- Voici les articles publiés par les organes de l’anarchie :
- Le Révolté du 29 au 4 juin 1886.
- Mercredi 49 courant toute l’usine Godin & Gie était en émoi. Que se passait-il donc dans cet Eden du travailleur, dans cette ruche où les frelons sont inconnus, soi-disant ?
- Ah ! c’est que là, comme ailleurs, le pauvre est exploité d’une atroce façon. Les réclamations bien minimes des ouvriers sont renvoyées aux calendes grecques, soit par le patron qui laisse faire et surtout par un certain directeur qui n’en fait qu’à sa guise.
- De guerre lasse, après avoir attendu vainement le résultat de leurs doléances, et voyant leur salaire diminuer de 5, 40, et même 45 0/0, les ouvriers se mirent à refuser le travail dans une certaine branche de la Fonderie.
- Comment, direz-vous, une grève dans une usine dirigée par le Fondateur du Familistère ? Mais c’est l’abomination de la désolation.... Cette panacée universelle qu’on prétend offrir aux générations futures ne donne donc pas les admirables résultats que jette à tous les vents de la renommée, l’organe officiel de cette philanthropique institution.
- Il paraît bien que non, puisque pour conserver les billets de mille aux gros bonnets on a rogné la modeste mitraille des malheureux esclaves.
- Cette tentative a été presque aussitôt réprimée que conçue grâce à la grrrande énergie du susdit directeur ; décidément c’est un homme à poigne et précieux, car du train dont|vont les choses son tempérament autoritaire deviendra très utile pour mâter les prochaines revendications.
- Reste à savoir si les ouvriers ne l’enverront pas faire une visite à son ami Watrin dont il est le digne émule !..,
- A vous la première, à nous la seconde Nom té Diè !
- Le Cri du Peuple du 10 juin 1886.
- Le Fondateur de l’Association du Familistère de Guise a, il y a peu de temps, fondé une société d’arbitrage international et de paix universelle, chargée de régler les différends entre peuples et despotes, et entre patrons et ouvriers, t Cela montre de bons sentiments ; mais pourquoi dans la
- p.386 - vue 389/838
-
-
-
- 387
- LE DEVOIR
- pratique l’un des directeurs de l’usine de ce pacifique patron diminue-t-il de 20 0/q le salaire déjà trop maigre des | ouvriers du moulage mécanique ? XXX j
- Le Révolté du 12 juin au 18 juin 1886 j
- Les jobards, ceux qui veulent être exploités, pourvu j que l’exploiteur se dise républicain socialiste, se sont scandalisés de notre article paru dans l’avant dernier numéro du Révolté et traitant d’un fait qui se serait produit à l’usine du Familistère ; ils développaient le viel argument suivant: Comment vous, s >cialiste, avez-vous attaqué une institution, qui est un essai socialiste de la plus haute importance ? Pourquoi ne vous attaquez-vous pas.........................
- Nous ne croyons pas devoir ici reproduire les attaques dirigées contre d’autres établissements que le nôtre. Après ces attaques, l’article poursuit ainsi :
- Quant au Familistère, dans une étude ultérieure consciencieuse et impartiale, nous examinerons les divers rouages composant l’ensemble de cette association.
- Pour aujourd’hui nous nous contenterons de dire que le personnel de cette société est tout aussi malheureux que celui d’une autre usine, les appointements n’y sont pas plus forts et la sécurité du travail tant vantée par divers organes, se paie en vexations, froisr ements de toutes sortes; on n’arrive aux divers échelons de cette égalitaire institution qu’à force d’intrigues, de bassesses, j’allais dire de trahison.
- Nous passerons en revue les statuts et les réglements que le Shah de Perse ne désavouerait pas, nous scruterons ce monument d’autoritarisme,nous y verrons cet article significatif:
- L’intérêt du capital sera payée en numéraire et h part revenant au travail sera payée en papier.
- Enfin, nous montrerons aux populations ébahies par quel chef-d’œuvre de machiavélisme on arrive à se faire 350.000 fr. de, rente, en demeurant aux yeux des naïfs un éminent réformateur, un grand homme, un bienfaiteur de l’humanité etc.
- Nous étalerons au grand jour les dessous des cartes fami-listériennes etfnous verrons que s’il y a par le monde des industriels qui se font des rentes en élevant des lapins, il y en a d'autres qui édifient des fortunes en élevant des petits fondeurs.
- A bientôt braves gens !
- Le Socialiste Au. 12 juin
- Guise.— Nous recevons de Guise une lettre nous annonçant la formation d’un groupe d’études sociales.
- Ce groupe compte plus de soixante membres, ce qui est beau dans une ville de 5,300 habitants. En trois semaines,
- y a déjà eu 4 réunions, de trois heures chacune. Les orateurs ont passé en revue les différentes révolutions depuis 1789 jusqu à 1871 et ont exposé les différents points du programme socialiste.
- Bon courage à nos amis de Guise !
- — Soupçonné d’être Fauteur d’un article paru dans le Révolté, l’un des sous-directeurs de l’usine Godin et Cie, membre du groupe « les Egaux, de Guise» a été mis à l’in-^exî par le Fondateur du Familistère et privé de travail.
- Serait-ce, parce que ce directeur — socialiste convaincu f
- — avait carrément, et à plusieurs reprises, affirmé les idées révolutionnaires? Où serait-ce alors parce qu’il avait toujours défendu la cause des travailleurs sous ses ordres, auxquels if n’a jamais infligé aucune amende, aucune retenue, aucun rabais ? C’est ce que l’on a peine à expliquer. Dans tous les cas on peut affirmer,sans crainte d’être démenti, que ce digne citoyen jouit de l’estime, du respect et de ia considération de tous les ouvriers de cet établissement. Son départ,fin courant, donnera lieu à des regrets bien sincères. On croit à une manifestation.
- Les ouvriers ne se gênent pas pour dire r
- « Ah / celui-là était un bon, un loyal employé ! Mais hélas! de ceux-là, il n’en faut plus pour nous ! les gros bonnets n’en veulent pas !! —; Ceux qui nous défendent, ceux qui, quoique supérieurs n’oublient pas qu’iis sont des salariés comme nous, ceux-là, on les jette dehors comme des misérables !
- « Tandis que ceux qui nous rognent nos salaires, nous accablent d’amendes, oh * alors, ceux-ci on les conserve précieusement, on leur vote des félicitations; on leur accorde des gratifications, des primes, etc., etc..., pour la part active prise au renvoi d’un supérieur qui s’est toujours considéré notre égal... un vrai camarade du travailleur— sincère et dévoué ! »
- Telles sont les paroles, les plaintes de tous les socialistes déjà nombreux dans cette fonderie de Guise. Mais s’ils estiment ce digne défenseur de leurs intérêts, ils haïssent, méprisent et détestent d’autant plus celui qui, visé dans l’article est l’auteur de cette indigne expulsion.
- Reste à savoir comment Fon récompensera cet émule des Blazy et des Watrin.
- - --------------_— im» » nrr—i------------------------—
- Le Liquidateur judiciaire.
- Le liquidateur judiciaire paraît avoir été créé et mis au monde à seule fin de dépouiller tous ceux qui n’ont pas assez de disponibilités pécuniaires pour s&utenir jusqu’au bout la lutte contre lui devant les tribunaux. Le liquidateur peut faire de la fantasia procédurière sans regarder au prix. Si les frais sont exposés mal à propos, ce sont les créanciers de la Société en liquidation qui, en fin de compte, supportent les conséquences des instances mal à propos engagées par le liquidateur. Si un créancier de la Société, par trop mécontent de ce résultat, cherche noise au liquidateur qui le dépouille ou lui cause préjudice,ce dernier trouve dans le Gode de procédure d’abord et dans la force d’inertie ensuite, tous les moyens nécessaires pour venir à bout de la patience la plus robuste et surtout des bourses médiocrement garnies.
- En veut-on un exemple ?
- Un ouvrier entrepreneur exécuta, il y a quatre ans, des travaux pour le compte d’une Société. Cette dernière ne peut le payer quand il présente son mémoire, mais pour sûreté de sa créance elle lui donne un nantissement. Peu après, la Société fait de mauvaises affaires et, pour éviter la faillite, se met en liquidation. Le tribunal nomme un liquidateur.
- Ce liquidateur s’aperçoit que, en dehors de quelques créances immédiatement recouvrables, le seul actif réalisable consiste justement dans le gage donné au pauvre ouvrier. Or, cet ouvrier Droeéde en ce moment à la réalisation dudit gage,
- p.387 - vue 390/838
-
-
-
- 388
- LE DEVOIR
- après en avoir obtenu l’autorisation par ordonnance du président du tribunal de commerce.
- L’ouvrier est, en effet, traqué par ses propres fournisseurs, et il a hâte d’avoir quelque argent pour sortir de cette difficile position.
- Immédiatement et grâce aux créances dont il a poursuivi le recouvrement, le liquidateur entame une instance en nullité du nantissement consenti à l’ouvrier et se fait autoriser en référé à vendre le gage à sa requête, tous droits des par ties réservés.
- 11 encaisse le produit de la vente au nez et à la barbe de notre créancier gagiste.
- Et cette prouesse accomplie il attend la solution du procès au tribunal. Deux années se passent. Le tiibunal valide le nantissement conseilti à l’ouvrier. Le liquidateur interjette appel.
- L’ouvrier qui déjà mis dans une position difficile pour faire patienter ses créanciers, pour soutenir ses droits en première instance, se saigne encore aux quatre membres pour suivre sur l’appel.
- L’instance â la cour dure encore une année et finalement intervient un arrêt confirmatif.
- Croyez-vous que le liquidateur va rendre gorge ?
- Sur quoi donc imputerait-il ses frais, sur quoi prélèverait-il ses honoraires?
- Pendant toute la durée de l’instance, il a payé des sommes importantes à l’avoué, â l’avocat, au notaire, à l’huissier. Et il demande à l’ouvrier de supporter tous les frais, et, — c’est le comble, — de lui octroyer des honoraires.
- La victime regimbe et parle d’intenter une action personnelle contre le liquidateur.
- Ce dernier lui répond : «Acceptez, ou je dépose à la Caisse des dépôts et consignations. Et après, vous ouvrirez une contribution judiciaire. Je contesterai de nouveau vos droits en soulevant une question de privilège. Nous irons encore au tribunal et à labour. Si vous triomphez, vous triompherez dans deux ans.»
- L’ouvrier consulte avec désespoir ses ressources. Il comprend qu’il ne pourra avancer les frais de cette nouvelle lutte procédurière dont l’issue serait cependant en sa faveur. Les créanciers attendent, sa famille est dans le besoin, il a des commandes à exécuter. Bref, il met les pouces.
- Et le liquidateur triomphant paie avocat, huissier et avoué, palpe ses honoraires, le tout aux dépens d’un malheureux dont le seul tort consiste à n’avoir pas eu à sa disposition assez de pièces de cent sous.
- Conclusion :
- Le liquidateur est un fonctionnaire non prévu par la loi, qui vit et s’engraisse au détriment des petites gens. Ilest né, comme les administrateurs judiciaires, les séquestres, les curateurs aux successions vacantes, les agréés et tutti quanti, de l’arbitraire des magistrats de l’ancien régime.
- Ces derniers ont inventé ces fonctions pour caser leurs fils, parents ou amis et leur permettre de sucer le justiciable jusqu’aux moelles.
- L’ancien régime est tombé, mais les abus, les privilèges sont restés debout, et ceux qui en profitent ne sont pas moins âpres qu’autrefois.
- Me Pel.
- La Peur des Capitalistes américains-
- Il paraît que les trois familles les plus riches de New-York, celles des Vanderbilt, des Astor et des Gould, ont institué depuis trois ou quatre ans, en commandite, une police spéciale et privée chargée de veiller sur leurs personnes et leurs propriétés. Celte police effectue nuit et jour des patrouilles, détache des gardiens qui passent huit heures sur vingt-quatre en observation, et occupe une vingtaine de détectives choisis parmi les délurés. La surveillance est singulièrement facilitée d’ailleurs par le fait que les immeubles appartenant aux trois familles se trouvent, pour la plupart, sur la 5e avenue, entre la 33e et la 52e rue.
- C’est William Vanderbilt qui avait imaginé ce système, à raison des innombrables lettres de menaces que lui apportaient tous les courriers et qui arrivent maintenant à ses fils
- Jay Gould, le roi de la Bourse de New-York, est obligé de pousser les précautions plus loin ; il est constamment escorté d’un gigantesque gaillard, pugiliste de profession, qui se charge d’abattre d’un coup ou d’étrangler tout individu suspect. Jay Gould a soin de ne se rendre de son domicile privé à ses bureaux ni dans sa voiture personnelle ni par le chemin de fer aérien. Il prend toujours un cab. Enfin, un corps de garde spécial est posté en face de sa porte, dans un appariement de Windsor-Hôtel, et il lui suffit de toucher un timbre pour que cette force armée accoure à son appei. Sa maison, du reste, est si bien surveillée, qu’on n’en tire pas la sonnette sans que le surveillant de service vienne immédiatement donner un coup d’œil. Pendant les dernières grèves de l’Ouest, Jay Gould a été quelque temps la victime d’une persécution bizarre. Il ne pouvait pas mettre le pied dans la rue sans y trouver un gamain entrain d’écrire au crayon rouge,
- sur les trottoirs, des opinions peu flatteuses pour sa probité.
- -----------------. « ------------------------------------
- Le Massacre des Innocents.
- Nous empruntons à The Age of Steel, (l’Age d’acier), l’article suivant :
- Le travail des enfants dans les manufactures est un des fruits de la concurrence et de l’abaissement des salaires. Les conséquences de ce travail sur l’hygiène et la moralité ont été perdues de vue dans la poursuite effrénée de la suprématie industrielle et de l’enrichissement familial. L’oubli du devoir dans cette question vitale a été poussé si loin que des appels répétés ont été faits à la loi pour y mettre un frein.
- La prohibition du travail des enfants au-dessous d’un certain âge et l’obligation de donner aux apprentis une certaine instruction, ont été des mesures bienfaisantes, quoique le fait de voir de telles choses imposées par la loi indique le peu de bonté de nos méthodes industrielles etle peu de sentiment de nos devoirs domestiques.
- En Angleterre, cette île qui n’est aujourd’hui qu’un vaste atelier, la fidèle application de la loi, le rigoureux contrôle des inspecteurs de districts, le respect forcé des jours de fête et le sytèrae des heures d’instruction alternant avec les heures de travail, ont fait beaucoup pour l’amélioration du sort des enfants.
- Néanmoins, le fait de voir l’Enfance obtenir à grand peine d’insuffisantes occasions de s’instruire, écrasée qu’elle est
- p.388 - vue 391/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 389
- sous le fardeau du travail, indique l’existence d’un vice évident dans notre condition sociale.
- Si les droits de l’intelligence et les besoins du corps doivent être sacrifiés aux conditions de la vie moderne, il est indéniable que nous sommes dans une voie économique erronnée et criminelle, et qu'il faut nous attendre au bouleversement d’un tel ordre de choses.
- Un vieux chartiste anglais qui semblait porter dans sa chevelure grise tout le sel de la Mer du Nord, me disait, après hi1 avoir commandé deremplir mes poumons d’enfant de tout l’ozone de l’Océan : «Quand tu seras un homme souviens-toi que les enfants ont droit à l’air pur, à un bon système d’éducation et d’instruction, et quetoutce qui contrecarre l’exercice de ce droit s'attaque à l’Enfance même.»
- Avec le lemps, cette idée du radical Britannique r'est fortifiée en moi, surtout en voyant les enfants pauvres retenus au travail dans les fabriques et les ateliers.
- Ces pauvres petits êtres, filles et garçons, à la face pâle et gravr, au corps débile et rachitique, s'exerçant dans l’air vicié,condamnés à la besogne rude et à la nourriture misérable, livrés aux enseignements précoces de la profanation et du vice et à demi-conscients de leur lien avec une famille et un foyer, m’apparaissent comme les ombres de notre système social pernicieux et démoralisant.
- Les résultats physiques seuls condamnent une prospérité commerciale qui engendre une race de pygmées et d’infirmes. Au point de vue national, ces effets sont manifestes aujourd'hui. La vieille race Britannique, aux os solides, aux muscles vigoureux, celle dont la robuste santé et la puissance athlétique défiait le monde est tristement déchue de sa gloire traditionnelle.
- L’abaissement de la taille exigée pour l’enrôlement militaire en est une preuve. Les recrues qui soitent des districts manufacturiers manquent de muscles et de nerfs d’une façon alarmante. Les vétérans d’autrefois au visage bronzé, aux larges épaules, semblent être les types d’une race différente, au milieu des hommes blêmes et décharnés d’aujourd’hui. La force et la santé Britanniques s’effacent rapidement.
- Au point de vue moral, les résu tats de l’emploi des enfants dans les ateliers sont en parallèle avec la dégénérescence physique. Le développement du vice parmi ces enfants suit une démarche désolante, cela est constaté par les médecins, les magistrats et les instituteurs. Et si, comme l’observation semble l’établir, l’impulsion donnée à la première partie de ^existence détermine le courant suivi plus tard par l’individu, il s’en suit donc qu’avec la logique d’une loi inexorable une enfance profanée est la base d’une maturité corrompue et désespérée.
- Si telles sont les prémices de la génération prochaine, qu’en sera-t-il du caractère des individus et du progrès de la nation?
- Le devoir primordial de tous les amis du bien de l'huma-
- est donc d’écarter ces maux et d’instituer la protection jalouse des droits de l’enfant.
- Le monde entier ne constitue pas encore un atelier hémisphérique, bien que l’ambition ait déjà inscrit un tel but sur SOn programme, et le péril couru par l’Enfance peut encore étre étudié de sang froid. Mais il n’en demeure pas moins ac- I luis que si nous persistons à enfreindre sur ce peint nos de- J
- voirs sociaux, nous donnerons prise à la répétition de la vieille histoire des décadences nationales.
- Fred. Woodrow.
- Une Révolution industrielle
- Nous détachons ce qui suit d’un article d’Elisée Reclus publié par la Tribune des Peuples :
- Il vient de se passer à Budapest, capitale de la Hongrie, un événement qui va donner le signal d’une véritable révolution économique et industrielle, dont bien peu de gens, à à l’heure actuelle, soupçonnent encore la portée véritable. Une Société a foré un puits artésien qui, à la fin du mois de janvier dernier, atteignait la profondeur de 951 mètres et donnait déjà un débit d’eau considérable, marquant 70 degrés de chaleur au thermomètre centigrade. Cette eau sert à alimenter les lavoirs, bains publics et autres établissements industriels de la ville.
- La municipalité a alloué une subvention de 800.000 francs à la compagnie qui exécute les travaux, et le forage se continue pour obtenir une eau plus chaude. Ce projet réalisé en Hongrie avait été proposé à Paris en 1880 et traité d'utopie par les mêmes personnes qui s’empresseront, nous n’en doutons pas, d’en reconnaître la valeur, maintenant que le succès en a consacré l’utilité.
- Une entrevue avec le comte de Paris.
- Le correspondant parisien du Times, M.Blewitz, rend compte en ces termes à son journal d’une conversation qu’il a eue hier, au château d’Eu, avec le comte de Paris :
- Je le remerciai de me recevoir et me hâtai de lui dire que je n’étais pas venu pour l’interviewer, mais simplement pour lui exprimer de vive voix la part que je prenais aux amertumes de l’exil dont il est menacé.
- — Oh! me répondit-il pas plus en cette circonstance qu'en tant d’autres, je n’ai pas besoin de demander le secret. Je n’ai pas à cacher que je me suis entretenu avec vous, de même que je ne vous demande pas de le cacher. Quand j’ai appris à Talavera que le projet d'une loi d’expulsion avait été déposé à la Chambre, ce n'est pas à moi que j’ai pensé, ce n’est même pas à ma famille; j’ai pensé à mon pays, je me suis senti envahi par une tristesse immense, en songeant qu’après cent ans de luttes et de discordes Père des proscriptions n’était pas fermée, et que l’on verrait encore des enfants de la France errer sans asile sur la terre étrangère !
- — Et où comptez-vous aller, monseigneur, si, comme je le crois,«la loi est votée, en ce qui vous concerne personnellement, ainsi que le duc d’Orléans ?
- — Je ne suis pas absolument fixé encore. Cependant, je penche sérieusement pour l’Angleterre. Je reçois de ce pay< des témoignages si nombreux et si pressants d’une sympathie presque générale ; il m’arrive des lettres si touchantes, même des personnes que je ne connais pas, qu’il me sera bien difficile de choisir, pour le moment, un autre refuge. Je ne puis pas aller en Allemagne; l’Autriche nous éloignerait trop de notre chère France, et je sais trop bien, par une expérience que je n’ai pas eu le temps d’oublier, que le centre d’intelligence se trouve à Londres, pour ne pas y être impérieusement entraîné.
- p.389 - vue 392/838
-
-
-
- 390
- LE DEVOIR
- J’ai bien pensé à la Suisse, mais je pourrai y aller plus tard, car je ne compte pas me fixer définitivement en un endroit déterminé. Je ne compte ni acheter une maison, ni créer un établissement définitif. Autrefois, pendant mon exil, j’avais choisi une résidence fixe, parce que je n’étais pas dans les conditions actuelles. Je n’étais pas le chef incontesté de la maison de France et je pouvais attendre, sans manquer à un devoir, que les événements se décidassent. Aujourd’hui, cela n’est pas la même chose, je ne renonce pas du tout à l’espoir de revoir mon pays, car, même sous sa forme actuelle, je ne puis admettre que cette persécution se perpétue et que la France ne rouvre pas ses portes à tous ses enfants.
- Voilà pourquoi je ne veux pas me fixer d’une manière définitive. Je me déplacerai, nous nous figurerons que nous voyageons, et nous changerons de place sans changer d’espérance.
- — Est-il vrai, monseigneur, qu’un général vous ait dit, lors de la réception du 15 mai : «Monseigneur, ce ne sont pas des soldats que vous avez mais une armée ? »
- — Jamais un tel propos n’a été tenu. D’ailleurs, il n’y a-vait là que deux généraux en retraite, et aucun d’eux ne s’est entretenu avec moi dans le courant de la soirée ; aucun des d’eux n’a prononcé cette phrase. On a fait courir beaucoup de bruits à cette occasion, on y a cherché beaucoup de prétextes. On m’a dit que le chef du cabinet avait été formalisé parce que j’avais invité des erabassadeurs. Je ne pouvais pourtant pas l’en aviser cela eût donné à ces invitations un caractère d’intention politique quelles n’avaient pas. Je n’ai pas invité le corps diplomatique. J’ai invité à une soirée de fa-m lie des diplomates avec lesquels j’avais des relations personnelles.
- Ainsi par exemple, je connais depuis vingt-cinq ans lord Lyons avec lequel j’ai toujours eu les meilleurs rapports. J’aurais manqué à toutes les convenances et j’aurais affecté de donner à mes invitations un caractère politique si j’en a-vais exclu lord Lyons pavcequ’il était embassadeurd’Angleterre. On m’a reproché aussi certains articles de journaux.
- C’était trop montrer combien on était à court d’arguments.
- Je n’ai connu ni inspiré aucun de ces articles, car si cela avait été j’aurais dit à leurs auteurs ce que j’ai dit à tous mes amis : « Ne souffrez pas que l’on dénature le caractère de cette fête. C'est un père de famille qui invite ses amis, cette réunion n’est pas dictée par une autre pensée » .
- — Monseigneur, comme il est probable que l’on acceptera le projet d’après lequel vous seul et le duc d’Orléans serez exilés et qu’on permettra aux autres princes de rester d’une façon plus ou moins tolérable, ces princes vous suivront-ils?
- — Quant à mon frère, je lui ai d’ores et déjà communiqué mon formel désir de le voir rester, puisqu’il aura le droit de le faire. Je tiens à ce qu’il demeure ici, où je ne puis plus demeurer, et à ce qu’il habite ce pays d’où on m’exile. Je vous ai déjà dit que je ne compte me fixer difmitivement nulle part.
- Je ne puis pas lui imposer de se déplacer à ma suite et de tenir pour siens les lieux où je résiderai suivant les circonstances ou suivant mes préférences. Ce sera pour moi une consolation de le savoir ici, et je connais trop son affection pour moi pour ne pas user de mon autorité pour lui imposer le séjour en France. On a beaucoup parlé du duc d’Aumale, et lorsqu’il a su de quelle façon il avait été défendu contre l’exil,
- il en a éprouvé une véritable amertume. Aussi s’est-il hâté de venir me voir et de le faire annoncer partout.
- C’est la seule et la meilleure façon de répondre à cette iUs tification de son séjour en France. Je dirai de lui ce que j’a~i die du duc de Chartres. Je ne puis fui imposer des pérégrina tions. Il n’a pas, comme moi, les devoirs de la situation ex' ceptionnelle que me fait cette loi; car elle me traite d’un' façon tellement exceptionnelle et tellement distincte, que je l’avais adopté moi-même, on me l’aurait imputée à crime*
- En me séparant du reste de ma famille, on me qualifie ni ostensiblement que je n’ai jamais fait, et, si mon orgueil rtf passait mon amour du pays, je ne pourrais qu’en être ravi Quant aux autres princes, ils n’ont jamais fait œuvre oo* htique et se sont bornés à vouloir servir leur pays. 11 F î donc juste qu’on les laisse en dehors de toute atteinte eUl serait étrange que je me montrasse envers eux plus exiean que nos adversaires. ë 1
- — On a dit, monseigneur, que vous vouliez attendre qu’on vous expulse de force et ne pas céder à un simple ordre.
- — C’était me connaître mal que de dire cela. Je ne connais que deux façons de procéder. Il y a trois siècles, un prince, dans ma situation, aurait tué celui qui lui aurait apporté un tel ordre et se serait jeté dans la campagne avec ses compagnons pour engager la guerre civile. Mais cela n’est ni de mon temps ni de mon caractère. J’obéirai à la loi.
- Je dois cet exemple à mes amis et je le dois à mes adversaires. Je le dois à mon pays, à qui on s'efforce trop d’inculquer le mépris de la loi. Je partirai en obéissant à la loi qui me sera signifiée.
- Cacherez-vous le jour de votre départ monseigneur?
- — Non, certes! à moins qu’on ne m’empêche d’agir autrement. Je partirai au grand jour, et je connais assez mes amis pour être certain qu’ils garderont à mon départ l’attitude recueillie qui convient devant une famille amie qui part pour l’exil. Je serai heureux de serrer les mains qui se tendront vers moi, mais je ne chercherai, à l’heure de ce départ, que des consolations du cœur et non des satisfactions bruyantes.
- RÉFORME
- OU SYSTÈME INDUSTRIEL
- Sous ce titre, une des principales publications des États-Unis : The Century Ma.ga.zine publie l'article suivant à propos de l’Enquête ouverte aux États-Unis par The Age of Steel (L’Age d’Acier), enquête dont nous avons publié les résultats dans le Devoir depuis le 7 février dernier.
- L’état de l’esprit public par rapport à la question du travail est indiqué par une remarquable série de lettres publiées, depuis une période de trois ou quatre mois par The Age Of Steel, journal de St-Louis consacré aux intérêts des constructeurs et fondeurs de fer.
- Ces lettres sont des réponses à une circulaire envoyée en nombre considérabie par The Age Of Steel posant les cinq questions suivantes :
- N° t.— Les grèves et fermetures d’atelier sont-
- p.390 - vue 393/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 391
- elles un trait nécessaire du régime du salariat ?
- N° 2.— L’arbitrage pourrait-il résoudre les conflits entre le capital et le travail ?
- N° 3.— Peut-on espérer découvrir quelque base satisfaisante et équitable de répartition des bénéfices provenant des entreprises industrielles ?
- N° 4.— Le remède est-il dans la voie des associations industrielles appelantà la participation des bénéfices toutes les personnes qui concourent à la production ?
- N°5.— La coopération productive est-elle pratique aux États-Unis ?
- Ces questions avaient été adressées aux manufacturiers, négociants, ministres, professeurs d’économie politique, aux chefs des bureaux de statistique du travail dans les divers Etats, aux chefs des diverses ligues ouvrières, à d’intelligents ouvriers dont les noms étaient connus, à toutes les personnes enfin qu’on supposait être intéressées au problème social.
- Les réponses en grande majorité sont complètes franches et précises ; et ce serait faire œuvreutile que de les publier sous forme de brochure à bon marché, et de les répandre à profusion parmi les travailleurs et les chefs d’industrie.
- Le sentiment général parmi les ouvriers que les patrons forment une classe qui n’a ni conscience ni souci des intérêts du personnel travailleur, serait modifié par la lecture de ces lettres.
- Quelques-unes des dépositions à cette enquête sont, il faut l’avouer, sottes et sans cœur, mais la grande masse des patrons ainsi consultés témoigne une sincère appréhension de la gravité de l’état social et la meilleure disposition à examiner ce que réclament les intérêts de leurs ouvriers,
- Quelques-uns d’entre eux avouent franchement que la condition faite aux classes laborieuses n’est pas du tout ce qu’elle devrait être, que la civilisation doit faire au travailleur un sort plus heureux et lui ouvrir de plus larges horizons.
- Les experts en la matière, c’est-à-dire les Économistes et les Statisticiens sont généralement d’accord pour proclamer que la question du travail est de la plus grande urgence. Pas un d’entre eux ne laisse pressentir qu’il puisse juger déraisonnable le mécontentement actuel des classses ouvrières ; l’idée qu’il faut agir et que quelque chose peut être fait pour améliorer la condition du peuple est ouvertement exprimée.
- A la question de savoir si quelque mode plus satisfaisant et plus équitable de répartir les produits de l’industrie peut être inauguré, le professeur
- j Henry Carter Adams répond « qu’une telle découverte est essentielle au progrès de notre civilisation chrétienne ; »et le professeur J. B. Clark dit «La compétition qui est la base de l’économie politique orthodoxe est déjà une chose du passé en fait de règlements des salaires. Cette base a été viciée par les ligues organisées de part et d’autre. La compétition sincèrement pratiquée rie fournit qu’une approximation grossière de l’application de la justice dans la répartition des bénéfices de l’industrie. Mais, aujourd’hui, cette compétition sincère n’existe plus et les vices du système actuel rapprochent déplus en plus les sociétés de l’état ignoble dont la civilisation les avait sorties .... Le système du salariat ne recélant plus aujourd’hui aucun élément utile doit faire place dans la plupart des industries à un système basé sur le principe de la coopération.»
- Presque tous les déposants préconisent l’arbitrage comme moyen de solution des conflits dans les questions du Travail.
- Ouvriers et patrons sont tous unanimes à déclarer que la raison vaut mieux que la violence pour arranger lis dissentiments qui peuvent s’élever entre eux.
- Quant à la praticabilité de la coopération pure et simple, il y a beaucoup de doute; mais le système de la participation de l’ouvrier aux bénéfices est fortement préconisé. Sur 42 déposants, 5 jugent le système impraticable ; 7 déclarent n’avoir pas d’opinion ; les 30 autres affirment nettement la sagesse de cette méthode. Gela indique un remarquable progrès dans l’opinion publique. Depuis quelques mois, la pensée humaine a mûri vite.
- Les hommes qui ont longtemps préconisé le principe de la participation et qui étaient accoutumés à ne soulever qu’un chœur à peu près unanime de contradictions sceptiques et méprisantes, liront ces lettres avec une satisfaction considérable.
- L’organe des Chevaliers du travail, à St-Louis, en parlant de cette Enquête donne à peu près la note vraie, en s’exprimant comme suit ;
- « Prises en masses, les dépositions à l'Enquête sont une très-satisfaisante explosion du sentiment public en faveur de l’examen des droits du travailleur. Nombre de ceux qui parlent aujourd’hui si fermement pour soutenir l’arbitrage et la coopération industrielle auraient, il y a quelques aimées, tourné ces idées en dérision. »
- Un certain nombre de patrons parmi les dépo-
- p.391 - vue 394/838
-
-
-
- 392
- LE DEVOIR
- sants prouvent par leurs actes leur confiance dans le principe de la participation aux bénéfices ; ils déclarent avoir pratiqué le système depuis plusieurs années et en avoir obtenu d’excellents résultats.
- Quelques maîtres de forges mentionnent le fait que, chez eux, le taux des salaires est déterminé par le taux des prix du fer.
- M. J. G. Batterson, président de New England Granité Compagnie, expose le plan par lequel dans sa compagnie les ouvriers reçoivent, chaque année, une part fixe dans les bénéfices nets de l’entreprise en sus de leurs salaires réguliers. La déposition de M. Batterson est pleine de bienveillance et d’humanité.
- « Je sympathise, » dit-il, « avec la louable ambition du travailleur habile, désireux de s’émanciper du joug d’un service dans lequel il n’a nul autre intérêt que celui du salaire journalier, et qui aspire à cette identité d’intérêts dans les résultats qui engendre le respect de soi-même et un légitime orgueil du succès de l’industrie à laquelle on est relié.
- « C’est une erreur», insiste-t-il, «de la part de l’ouvrier de supposer qu’il peut par certaines combinaisons assujettir le capital à son service, et c’est une erreur de la p‘art du capitaliste d’affirmer qu’il peut tenir le travail en sujétion et garder pour lui seul tous les bénéfices. La satisfaction et le consentement n’existeront que par la fixation de la valeur des concours de chaque élément producteur et par la répartition des profits en conséquence. »
- De telles déclarations sont pleines de promesses. Si l’esprit qui souffle en elles se répand d’une façon constante et sérieuse dans les paroles et les actes de tous nos chefs d’industrie, la question du travail aura bientôt une solution complète et définitive.
- APHORISMES & PRÉCEPTES SOCIAUX
- CXI
- La guerre
- Ce qui est juste et bon c’est ce qui protège Iti vie humsLine et concourt à son développement, à son progrès et à ses satisfactions.
- Au contraire, tout ce qui tend à détruire la vie humaine, à la faire souffrir, à priver l’individu du droit d’employer librement ses facultés pour son bien propre, est de l'iniquité et de l'injustice.
- Faits politiques et sociaux de la semaine
- FRANCE'
- Les impôts en mai 1886.— L’état du recouvrement des impôts pendant le mois de mai vient d’être publié. Il résulte de ce document que les produits des impôts et revenus indirects n’ont atteint, le mois dernier, que 474 millions 385,000 fr., tandis que les évaluations budgétaires s’élevaient à 186,784,000 fr. La moins-value a été ainsi de 4 2,399,000 Ir.
- Si on compare les rendements du mois dernier avec les recettes réalisées en mai 4885, on trouve un écart moindre, mais qui ne laisse pas d’être encore important. Les produits obtenus en mai 4 885 avaient été de 180,950,800 fr. La diminution ressort ainsi à 6,595,000 fr. Seules les douanes ont donné une augmentation. Elle a été de 6,595,000 fr.
- Toutes les autres branches de revenus indirects sont en diminution. L’enregistrement perd 643,080 fr ; le timbre accuse une réduction de 192,000 francs. Les contributions indirectes ont fléchi de 1,534,000 francs.; les postes et télégraphes perdent 421,000 fr.; mais c’est principalement sur les sucres que la diminution est sensible. Elle n’a pas été moindre de 4,408,000 francs. Ce sont d’ailleurs les taxes sur les sucres qui ont déterminé les plus grandes variations dans nos rentrées d’impôts. Les produits qui ont été réalisés de ce chef, depuis le commencement de l’année, sont inférieurs de 25 millions à ceux qui avaient été encaissés dans la période correspondante de 1885. Or, la diminution totale des impôts indirects se chiffrant le 31 mai dernier par 32,885,000 fr., la moins-value provoquée par les sucres entre à elle seule dans ce chiffre pour 75 0/0.
- En ce qui concerne les produits de l’impôt sur le revenu des valeurs mobilières, on constate que les recettes du mois de mai dernier, qui ont atteint 1,176,000 fr., ont dépassé de 106,500 fr. les prévisions budgétaires, tout en restant inférieures de 124,000 fr., aux recettes correspondantes de 1885.
- * *
- Le Concile de Toulouse. — II paraît que l’archevêque de Toulouse avait pris l’initiative de convoquer ses collègues en un concile.
- Dans quel but ?
- N’étant point dans les secrets de messieurs les prélats, nous l’ignorons.
- Toujours est-il qu évêques et archevêques, aussi bien de France que de l’étranger, devaient se réunir à Toulouse.
- Plus on est de prélats, plus on rit !
- Le ministre des cultes n’a pas voulu autoriser cette manifestation ; voici un extrait de la lettre du Ministre.
- « Informé qu’un certain nombre de prélats français et « étrangers ont été convoqués au concile de Toulouse et y « ont, annoncé leur présence, je crois de mon devoir, monsieur < l’évêque de vous faire connaître que la participation des « membres du clergé à une assemblée de cette nature serait « considérée par le gouvernement comme une infraction aux « lois concordataires et engagerait de la manière la plus « grave la responsabilité des prélats qui s’y rendraient ou
- p.392 - vue 395/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 393
- « permettraient aux prêtres de leur diocèse de s’y rendre. » ;
- La petite fête que les prélats se proposaient d’organiser à Toulouse n’aura donc pas lieu.
- Nous ne voyons pas ce que gagnera la République à cette interdiction. Pourquoi ne pas laisser les mitrés pérorer à leur aise. La loi est assez précise pour permettre au gouvernement de réprimer les excès de langage, ou les provocations dangereuses.
- * ¥
- La grève des ouvriers delà Mulatière. —
- La situation de la grève des verriers est toujours la même, et rien ne fait prévoir une solution prochaine du conflit.
- Les patrons refusent de traiter avec la chambre syndicale des verriers réunis et ne veulent consentir que des tarifs particuliers à chaque usine. De leur côté, les ouvriers maintiennent énergiquement leur demande d’un tarif général établi d’un commun accord entre les patrons et leur syndicat. Des deux côtés on s’est envoyé des ultimatum. Les maîtres verriers ont fait connaître que si les ouvriers ne reprenaient pas le travail dans un délai donné, ils chercheraient à former des équipes d’ouvriers étrangers, et les grévistes ont répondu en votant la continuation de la grève e t en affirmant que, si les patrons n’accédaient pas à leurs propositions, ils aviseraient à employer « les moyens dont ils disposaient ».
- Il ne faudrait pas conclure de ces mots que les ouvriers pensent recourir à des moyens violents ; ils ont, assure-t-on, l’intention de profiter des forces de l’association pour monter quelques fours et travailler à leur compte.
- Quant aux patrons, je puis vous assurer qu’ils ont déjà commencé à chercher à embaucher des ouvriers étrangers; ils prétendent que les deux tiers au moins de leurs ouvriers ne demanderaient pas mieux que de reprendre du travail, mais que ceux-ci sont retenus par la crainte d’être victimes des mauvais traitements des autres ; ils se plaignent de ce que l’autorité n’intervienne pas assez activement pour protéger la liberté du travail. Je dois ajouter qu’aucun fait nouveau de pression ou d’intimidation n’est venu encore légitimer ces plaintes. Mais il est malheureusement à craindre que l’arrivée d’ouvriers étrangers ne donne lieu à quelques manifestations,
- ANGLETERRE
- Les fénians. — Le journal de New-York United-Irisman publie un manifeste des fénians, qui conclut ainsi :
- Nous devons considérer le Home rule comme mort. La guerre doit donc recommencer, accompagnée de vengeance.
- Pendant une trêve de douze mois, nous avons attendu les résultats des élections de l’automne dernier et du bill sur le Home rule annoncé par M. Gladstone bientôt après la réunion du Parlemeut. Aujourd’hui cette trêve a pris fin, ainsi que cela avait été annoncé au meeting de ce jour tenu par le conseil de la confrérie féniane. Pendant l’année écoulée, les partisans de l’action parlementaire nous ont promis que l’effort qu’ils faisaient était le dernier. Aujourd’hui nous venons leur dire : «Tenez votre parole et entrez en ligne avec nous!»
- Notre action rendra possible l’adoption du bill sur le Ho- j me rule, et avec l’assistance de l’action parlementaire l’au- j tonomie de l’Irlande deviendra un fait accompli. j
- BAVIÈRE
- Le fou qui gouvernait la Bavière vient de mourir dans les circonstances dramatiques que l’on sait. A ce propos, un journal publie la curieuse stathtique suivante :
- Jusqu’en l’année 1886, il y a eu 2,550 empereurs et rois qui ont gouverné 74 peuples.
- I! n’est question, bien entendu, que des monarques très sérieux, ayant pignon sur royaume. Rien de ces roitelets dont la cassette est moins lourde que celle d’un agent de change et dont le domaine tiendrait dans le Carrousel.
- Voyons quelle a été la destinée de ces monarques : 300 ont été honteusement chassés du trône ; 64 ont été obligés d’abdiquer et 28 se sont suicidés comme un malheureux ouvrier sans travail ; 23 sont devenus fous ou gâteux ; 100 ont été tués à la guerre; 123 ont étécaptuiés ; 25 ont été torturés; 151 ont été assassinés; 108 ont été condamnés à mort et exécutés régulièrement.
- Aux 23 devenus fous ou gâteux, en peut ajouter le roi Louis de Bavière, qu’on peut également faire entrer dans la catégorie des suicidés, ce qui porte leur nombre à 29.
- SUISSE
- Les troubles de Zurich. — Une grève des ouvriers serruriers a éclaté il y a quelques jours à Zurich, en Suisse.
- Des troubles assez graves viennent d’avoir lieu dans cette ville à la suite de l’arrestation d’un des grévistes.
- Un gendarme ayant tiré sur cet ouvrier, qui avait réussi à s’échapper, et l’ayant blessé à la poitrine, la foule s’est portés devant le poste de la police et s’est livrée à des manifestations tumultueuses.
- Le gouvernement a dû requérir des troupes pour rétablir l’ordre.
- Deux jeunes gens ont été blessés; un ouvrier menuisier a été tué
- Le poste de la police a été asségé par la population irritée ; les agents ont fait évacuer les manifestants en les chargeant à la baïonnette.
- Hier, l’ordre était rétabli.
- BELGIQUE
- Mouvement ouvrier. — La journée tant redoutée du 13 juin s’est passée sans incident notable à Bruxelles.
- Les délégués de province au congrès ouvrier ont débarqué peu nombreux dans les gares du Nord, du Midi et du Luxembourg, où ils ont été reçus par des compagnons de la capitale qui les ont conduits rue d’Or. A leur entrée dans la salle Saint-Michel, leurs pouvoirs étaient vérifiés par les secrétaires du conseil général. A dix heures du matin a eu lieu une séance privée.
- Dans cette séance privée, le congrès a discuté longuement la question suivante :
- Le parti ouvrier continuera-t-il par les voies légales la propagande en faveur du suffrage universel, ou bien organisera-t-il un mouvement révolutionnaire ?
- Les voies pacifiques l’ont emporté à la presque unanimité.
- Pendant la séance, MM. Volders et Van Gaubergh ont été appelés un instant à la permanence pour fournir au juge
- p.393 - vue 396/838
-
-
-
- 394
- LE DEVOIR
- d’instruction des renseignements complémentaires relatifs à l’affaire Oscar Falleur (incendie de la verrerie Beaudoux).
- La séance publique du congrès ouvrier a été ouverte à cinq heures. La vaste salle Saint-Michel était envahie par une foule énorme.
- M. Anseele, le sociali té gantois récemment condamné qui présidait, a annoncé, en ouvrant la séance, que le congrès avait décidé le matin, par 102 voix contre une et quelques abstentions, de poursuivre la propagande socialiste par les voies légal es.
- Cette déclaration a été accueillie par de longues acclamations.
- Trois questions étaient à l’ordre du jour :
- 1° Organisation de la propagande ;
- 2° Faut-il faire grève générale dans tout le pays ?
- 3° Y a-t-il lieu d’organiser un nouveau 13 juin ?
- Les premiers orateurs admis à prendre la parole sur la première question ont tous exposé des vues pacifiques.
- Le citoyen Van Beveren, de Gand, a recommandé aux ouvriers la création de Sociétés coopératives comme un moyen légal excellent de grouper les forces socialistes pour parvenir à émanciper le travailleur
- Plusieurs autres délégués ont parlé dans le même sens.
- Le rédacteur en chef du Peuple, M. Jean Volders, a prononcé un discours dans lequel il a exhorté les ouvriers à rester dans la légalité: Il a prédit que d’ici à quelques mois les socialistes bruxellois seront fortement organisés et auront leur Vooruit sur la grand’place de Bruxelles,
- Sur la deuxième question, on a été d’avis qu’une grève générale ne devait se produire qu’au moment opportun et alors que le conseil général du parti ouvrier en donnera le signal.
- Quant à une nouvelle manifestation, le congrès a décidé qu’elle aura lieu le 15 août prechain à l’époque des fêtes nationales.
- Quelques orateurs ont fait ressortir que tous les ans une grande partie des habitants de province se rendent àBruxelles et que le gouvernement ne pourra pas distinguer ceux qui viendront pour les fêtes et ceux qui viendront pour manifester. Les ministres se trouveront alors devant ce dilemne, ou d’interdire les fêtes nationales et d’interdire la manifestation, ou de les accorder toutes les deux.
- Le congrès a ensuite émis un vote de sympathie, en faveur des condamnés de Gand et de Decazeville.
- ESPAGNE
- Agitation politique. — Il y a de grandes inquiétudes dans les régions officielles au sujet des révolutionnaires qui. depuis quelques jours, redoublent d’activité dans plusieurs villes du Nord et de l’Est. M. Sagasta a reçu des autorités civiles et militaires de la province des dépêches qui ont jeté l’alarme à la cour.
- Un télégramme de Bruxelles annonce qu’à Anvers on a cherché à affrète.!’ un navire chargé d’armes à destination de de la côté espagnole.
- Ces armes seraient destinées aux carlistes. Depuis huit jours un de leurs agents se trouve à Anvers.
- Une vaste insurrection républicaine et un mouvement car- I liste semblent à la veille d’éclater. 1
- Quatorze cartouches de dynamite ont été trouvées par les autorités au fond du Guadalquivir, prés de Séville.
- Elles ont été remises aux autorités militaires,
- FIN DE LA GRÈVE
- DE DECAZEYILLE
- La longue résistance des mineurs de Decazeville, suivie de la victoire des grévistes, est un exemple encourageant de la solidarité ouvrière.
- Les mineurs auraient succombé dès les premiers jours, si les travailleurs de toute la France n’avaient alimenté les grévistes par leurs souscriptions.
- Les rabais de salaires que la Compagnie voulait imposer équivalaient à une réduction de 20 centimes par jour et par ouvrier.
- Les grévistes oublieront-ils qu’ils doivent aux alliés qui les ont si puissamment aidé d’avoir obtenu la conservation d’une partie de leur salaire, qu’on peut évaluer à 60 francs environ par an ? Chaque fois que des difficultés analogues surviendront entre patrons et ouvriers d’autres corporations sauront-ils faire une part en faveur de leurs frères de travail ?
- Les grèves sont quelques fois nécessaires ; la fin de celle de Decazeville eD est une preuve. Si les financiers n’avaient pu faire la concession accordée aux ouvriers sans s’exposer à la ruine, comme ils l’ont dit si souvent, jamais ils n’auraient consenti cet arrangement. Si la compagnie avait supposé cette force de résistance, elle se serait bien gardée de soulever le moindre conflit.
- Lorsque les possesseurs des mines et les autres industriels sauront, à n’en pas douter, que les travailleurs sont résolus àfaire, en toutes circonstances, acte de solidarité comme cela a eu lieu en faveur des ouvriers de Decazeville, les conflits ne surgiront que dans les cas inévitables. Alors le gouvernement, agissant comme il convient dans le cas de force majeure, sera dans l’impossibilité de ne pas intervenir et de refuser la juste protection aux travailleurs condamnés à un salaire dérisoire.
- Une forte organisation des corporations ouvrières ne sera point une cause de grève; elle sera, au contraire, féconde en mesures préventives. Dans la société individualiste on ne traite pas avec les faibles ; il faut que les travailleurs se montrent fermes et forts, s’ils désirent obtenir des traités justes et le respectée ces traités, et surtout des garanties noùvelles en faveur du travail.
- p.394 - vue 397/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 395
- N’est-ce pas cette force, qu’on ne supposait pas j encore aussi puissante, qui a contraint le gouver- j nement à se préoccuper des questions d’arbitrage, de la révision des lois sur les mines, de la préparation d’une loi de protection des ouvriers mineurs. Sans l’assistance générale des travailleurs envers les mineurs de Decazeville, ces projets seraient restés lettres mortes; le silence, au lieu de la discussion et de l’étude, aurait été leur partage.
- Mais it faut le dire bien haut, les mineurs de Decazeville se tromperaient grandement s’ils se croyaient les causes réelles de cette sollicitude. La victoire des ouvriers de Decazeville et le mouvement d’idée qui a coincidé avec cette grève reviennent entièrement à la solidarité des travailleurs, qui s’est affirmée par plus de cent jours de souscriptions ininterrompues de la part de la France ouvrière.
- Les travailleurs du Familistère ont toutes raisons d'être fiers de ces succès, car ils peuvent revendiquer d’y avoir concouru d’une façon exceptionnellement active ; aucune autre groupement, pas plus nombreux que la population familisté-rienne, n’a aussi largement secouru les grévistes.
- Nous ne savons si les capitalistes et orléanistes provocateurs de la grève comprennent suffisamment les fautes de leur entêtement et la débâcle que cela leur prépare.
- Financièrement, ils n’ont rien obtenu, puisqu’ils ont été contraints de renoncer à leurs prétentions.
- Politiquement, les résultats sont encore pires au point de vue de la conservation de leurs privilèges économiques. Avant la grève, les mineurs craignaient d’afficher un radicalisme mitigé allant à peine jusqu’à la séparation de l'Eglise et de l’Etat et jusqu’à l’égalité devant la loi militaire. Maintenant, ces populations sont acquise? aux idées socialistes ; elles n'ont aucune hésitation à réclamer l’appropriation sociale des mines et leur exploitation par des sociétés de travailleurs commanditées par l’E’at ou par les communes.
- Etait-ce là le résultat que désiraient Messieurs les orléanistes delà société houillière ?
- Quelquefois le ministre a vigoureusement mis en campagne sa police et sa magistrature pour traquer des socialistes convaincus d’avoir prêché la séparation des classes et d’avoir manœuvré pour en opérer la réalisation. Il est présumable que jamais un accusé de pareil crime n’a collaboré aussi effectivement à cette division que Messieurs les Orléanistes.
- Sans la grève de Decazeville, la population ouvrière n’aurait pas eu l’occasion de voir à l’œuvre K s dépu lés qui se vantent à la tribune parlementaire d’être les représentants de la classe des déshérités. Et, il faut, le reconnaître, Basly surtout et ses collègues du groupe ouvriers se sont com-porléi en parfaits représentants d’une classe ennemie des castes dirigeantes. Quoique l’on puisse prétendre, Basly a fait preuve de beaucoup de tact etde dévouement envers la cause des salariés. Ce n’est pas vainement que les travailleurs auront vu un député pauvre renoncer à son traitement pour se consacrer à la défense des intérêts du travail, au prix de fatigues énormes, au milieu de dangers sans cesse menaçants.
- Rien n’est plus propre que cet exemple à pousser les travailleurs à accepter l’idée de la séparation des classes et à se faire représenter uniquement
- par des hommes sortis de l’atelier ou de là mine.
- La grève de Decazeville, plus que les prédications des pires sectaires, hâtera la constitution en France d’un quatrième Etat, peut-être plus intolérant, lorsqu’il aura le pouvoir, qu’aucun de ceux qui l’auront précédé dans le gouvernement du pays; mais à qui en sera la faute puisque les conservateurs n’auront rien su conserver.
- En parlant ainsi, nous n’avons pas la pensée de réclamer la compression; il n’existe, à nos yeux; qu’un moyen d’arrêter le mal, c’est que les classes dirigeantes se hâtent d’entrer dans la voie des réformés.
- Si l’on veut éviter la séparation des classes et ses dangers, il est urgent de donner des garanties au travail, à la vieillesse, à l’enfance, aux malheureux et de préparer les ouvriers à l’association par la participation aux bénéfices. Les événements de Decazeville et la victoire des grévistes n’ont pas une autre signification.
- La presse étrangère et l’Association du Familistère
- The Altruist, de Saint-Louis, Mo. Etats-Unis, dans son numéro de mai dernier consacre un de ses articles écrits en anglais phonétique à une description très sympathique de l’Association du Familistère.
- **+
- OUVRAGE REÇU
- Socialismens A. B. G. ouvrage écrit en danois, par le docteur Axel Proschow^ky. jg Partisan de l’émancipation des classes laborieuses
- p.395 - vue 398/838
-
-
-
- 396
- LE DEVOIR
- l’auteur préconise, en divers endroits de son ouvrage, j l’Association du Familistère et les écrits de M. Godin. j Il attire, en outre, l’attention du public danois sur la réforme électorale proposée par le Fondateur du Familistèie, c’est-à-dire le scrutin de liste nationale pour l’élection des députés et le renouvellement partiel et annuel de la Chambre.
- INSTRUCTION PUBLIQUE
- The Instituts of sociale science_ de New-York, Etats-Unis nous envoie l’article suivant :
- On demande : Un traité élémentaire de science sociale à l'usage des Ecoles publiques:
- Toutes les industries, toutes les professions requièrent un apprentissage spécial pour être suivies avec succès. Les médecins, les avocats, les ingénieurs, les vétérinaires mêmes, font des études spéciales pour être admis à exercer leurs professions.
- Seule la carrière du ctioyen, celle qui comprend des droits, des intérêts et des devoirs exigeant la plus soi-geuse étude est ouverte à tout homme adulte, sans que celui-là ait reçu le moindre enseignement à son égard.
- On affirme hautement que la sécurité de la République dépend de la vertu et de l’intelligence du peuple, mais cette intelligence requise comprend la connaissance des droits et des devoirs sociaux. Or quels soins prend-t-on pour donner cette connaissance aux citoyens ?
- On apprend aux enfants mille choses fort savantes, mais pas un mot d’économie sociale. Aussi s’élèvent-ils ignorants du sujet qu’il leur serait le plus important de bien connaître, et deviennent-ils ou législateurs brouillons ou dupes des hâbleurs politiques. Aveuglés par l’esprit de parti ou les préjugés, ou les intérêts, ils ne suivent aucune vraie lumière. Aussi voit-on des Etats rapprochés les uns des autres et ayant des intérêts identiques se gouverner par principes tout différents.
- Cette confusion, fruit de l’ignorance publique ne profite qu'aux exploiteurs des peuples. Le remède à ce honteux état de choses consiste à donner aux enfants de la République la connaissance des principes de la sociologie.
- Mais, dira-t-on, il n’y a pas encore de science parfaite en économie sociale. D’accord. Les sciences exactes seules sont parfaites. Et, je le répète, nous avons les sciences de la médecine, de l’agriculture, de l’élevage des bestiaux, même une science de l’histoire, chacune étant la classification d’un ensemble de connaissances.
- Une grande partie des lois qui gouvernent l’humanité sont aujourd’hui comprises. Notre système politique est tout artificiel (fait pur l’homme) bien que basé sur des lois naturelles ; il peut donc être démontré.
- M. Darwin et autres ont élucidé la loi de survivance des espèces les mieux douées et de destruction des moins complètes au moyen de la concurrence pour la vie, loi qui fait de l’homme le chef des êtres animés. Ils ont fixé la ligne de transition entre la sauvagerie brutale et la civilisation présente qui réclame la survivance de l’humanité toute entière. Chacun des membres de l’espèce humaine a un droit égal et inaliénable à la vie, à la
- liberté et à la poursuite du bonheur : le bien-être de tous est la loi suprême.
- Le problème est de conserver les forces naturelles développées par la loi de survivance des êtres les mieux doués d’unir, moralement ces forces et d’en composer un harmonieux mutualisme.
- Les dangers actuels qui menacent la société nous rappellent instamment le devoir d’enseigner à la jeunesse de véridiques principes d’économie par un bon traité élémentaire de science sociale à l’usage des écoles publiques. Qui le préparera ?
- Concours d’apprentis.
- Nous avons reçu de Nîmes un opuscule de 48 pages in ti-tulé :
- Les prophéties de Fourier.
- Cet opuscule contient le texte d’une conférence faite à Nîmes, le 8 avril dernier, par M. Charles Gide, professeur d’économie politique.
- Dans cette conférence l’orateur a indiqué, avec talent,aux coopérateurs nîmois vers quel but de pacification, de travail et de bien-être social tendent les sociétés coopératives, la coopération n’étant qu’une étape pour arriver à l’association entre le capital et le travail et à l’organisation de tous les services domestiques et sociaux, pour le plus grand bien de tous les membres du corps social. À ce propos, l’orateur a mentionné l’Association du Familistère.
- Avant M Gide, M. de Boyve avait pris la parole pour présenter le conférencier à l’assemblée, et c’est dans son allocution que nous trouvons le rappel d’un fait qu’il nous paraît intéressant de signaler à nos lecteurs :
- Les difficultés budgétaires empêchant la ville de Nîmes de créer des écoles professionneles, la société d'Eronomie populaire avait émis le vœu, il y a déjà un certain temps, d’établir des concours entre les apprentis, de manière à stimuler le zèle de ces derniers en même temps que relui des patrons et des contre-maîtres. Le vœu a été réalisé par le conseil des Prud’hommes et déjà, l’an dernier, des diplômes ont été distribués aux apprentis les plus habiles. 51 apprentis sont inscrits cette année pour le concours.
- C’est certainement là une très-heureuse idée. Les jeunes ouvriers qui sortent d’apprentissage avec un tel diplôme ont un titre à faire valoir de suite auprès des patrons à qui ils offrent leurs services. Ce n’est pas l’Ecole professionnelle et, celle-ci, les Nimois se réservent de la fonder dès qu’ils le pourront, mais c’est quelque chose. Ces concours d’apprentis ont le mérite de tenir l’esprit public en éveil sur des questions qui intéressent l’avenir de la jeunesse, et c’est un moyen de préparer les gens à faire, quand le moment en est venu, les sacrifices nécessaires pour l’édification des Ecoles professionnelles et autres indispensables aujourd’hui à la vie de la nation .
- Les Justices de Paix.
- Un des documents les plus importants qui ont été soumis au Congrès de la réforme judiciaire qui s’est tenu à Angers est le rapport de M. Jeanvrot sur « Vorganisation des justices de paix. ».
- M. Jeanvrot propose deux réformes de premier plan : l’élection des juges de paix par les citoyens du canton âgés d’au | moins trente ans, pourvus de leur certificat d’instruction pri—
- I maire, et l’application de l’institution du jury à la justice can-] tonale.
- ! « Si le jugement de l’opinion, dit-il, est la condition né
- p.396 - vue 399/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 397
- cessalre du traité et du prestige du magistrat, le meilleur 1 sera celui que désignera l’opinion, c’est-à-dire le suffrage des justiciables, d’ailleurs, sont plus directement intéressés que le pouvoir exécutif à avoir de bons juges et leur intérêt est la meilleure garantie de la bonté de leur choix, surtout si ceux-ci ne peuvent porter que sur des candidats munis d’un diplôme de licencié ès-droit ou ayant exercé pendant dix ans des fonctions judiciaires.
- Quant au Jury, on réunirait en moyenne, pour le former, plus d’un millier de noms par canton.
- « Dans ces conditions, dit M. Jeanvrot, le Jury ne se composant que de 3 membres, les déplacements longs et coûteux étant évités, l’institution ne sera ni lourde, ni gênante. Un même juré ne sera guère appelé plus d’une fois en plusieurs années. Néanmoins, il ne faut pas espérer voir accepter sans résistance une semblable innovation dans un pays, où les mœurs de la liberté n’ont pas encore assez pénétré, où toute nouveauté choque les populations énervées par une excessive centralisation. Aussi a-t-il paru prudent d’amener peu à peu l’opinion à apprécier l’excellence du Jury, en laissant aux justiciables la faculté d'y recourir ou de s’y soustraire. Le Jury facultatif a le double avantage de ne pas heurter de front, la routine et de laisser à chacun sa liberté.
- NECROLOGIE
- Monsieur Louis Simonin de la France vient de mourir d’une maladie de cœur.
- Il était âgé de cinquante-six ans.
- La France donne sur ses derniers jours les détails suivants :
- Il vit venir sa dernière heure avec un courage simple et stoïque. Il répondait à ceux qui essayaient de lui faire illusion qu’il savait à quoi s’en tenir, et que la vérité ne lui faisait pas peur. Comme on l’engageait à prendre quelque repos, il affirma it la résolution de mourir debout et sur la brèche. Quelques heures avant sa mort, la France paraissait avec un article de lui, et il avait la plume à la main pour en écrire un autre.
- Après avoir pourvu avec une entière sérénité à l’expression de sa volonté dernière, il s’était remis à relire ses classiques favoris, conservant ainsi jusqu’à la fin la pleine poss ession de toutes ses facultés y compris la faculté de goûter les plaisirs les plus délicats de l’intelligence.
- On trouverait, croyons-nous, peu d'exemples d’une bravoure aussi tranquille en face d’un dénouement aussi proche et aussi certain.
- Dans son testament, M. Louis Simonin exprime la volonté d’être enterré civilement.
- Il laisse 80,000 francs, économisés dans toute une vie de travail. Il donne l’us’ifriiit à ses trois neveux, après lesquels le capital reviendra à la So-siété des gens de Lettres pour la fondation d’un prix annuel.
- —----------------- « +- .--------------------
- A Madagascar
- Le Temps adonné la traduction du compte rendu de l'important « kabary » tenu par la reine et le premier ministre de Madagascar après la réception du télégramme officiel annonçant la ratification du traité du 17 décembre avec la France.
- Cette traduction a été faite par un Hova qui en envoie le texte :
- Le canon a annoncé dés la veille le kabary du lendemain. On a tiré encore du canon au moment où le premier ministre
- sortait du palais. Le prince Ralsimisampy a demandé des nouvelles de la reiiie. Cela fait, le premier ministre a pris la parole en ces termes :
- « Ranavalomanjaka, par la grâce de Dieu et la volonté du peuple reine de Madagascar et protectrice des lois de son pays, etc., etc. Ainsi parle Ranavalomanjaka. Messieurs,dites à ceux qui sont fous les deux, lorsque je vous ai convoqués jeudi en disant : réunissez-vous, vous qui êtes sous les cieux, vous êtes venus au jour et à l’heure indiqués, je m’en réjouis, ô hommes, qui obéissez, et consacrez ma souveraineté; remerciements, satisfaction vous sont exprimés par la reine.
- » Voici ce qu’on vous dit, c’est la reine qui parle : Je vous ai dit, peuple, dans l’est de Masoandro (nom d’une maison dans l’enceinte du palais), avant la paix conclue avec les Français, qu’il y avait eu entente, mais je vous ai dit aussi : Lorsque les ratifications seront arrivées, on vous le dira. Et maintenant, voici ce que je vous dis, peuple : « Le traité » entre Madagascar et la France est signé, et la signature » elle-même viendra après.» Ainsi le traité est signé et je vous le dis.
- » Voici aussi ce que je vous dis au sujet des armements : Les soldats français et leur matériel de guerre seront retirés deMajunga, d’Aronontsangana et de Jharana (Vohémarj. Ta-matave, suivant le traité, sera évacué aussi lorsque l’argent sera payé.
- » Voici aussi ce qu’on vous dit : la paix est faite entre les deux gouvernemenis de France et de Madagascar. Voilà pourquoi il y a des Français qui montent.»
- Ce qui suit a trait à la réduction du service militaire, qui sera fixé à quatre années au lieu de cinq.
- Voici maintenant quelques extraits du discours du premier ministre, qui est de beaucoup le plus intéressant, car il indique bien les préoccupations dont il est assailli :
- On vous a dit les paroles de Ranavalomanjaka ; inutile d’y revenir ; celles du peuple et surtout celles des jeunes gens qui se sont déjà enrôlés seront l’objet d’un rapport à la reine — vivez heureux ! — qui vous protège.
- Je vous répète que vous ne serez soldats que quatre ans. Ce n’est pas un mensonge. Demain, la porte Nord du palais sera ouverte pour inscrire les volontaires. Et vous autres, enrôlés ici aujourd’hui, vous serez reçus en musique en entrant dans le palais ; on vous inscrira après la marche. Si quelqu’un veut encore s’enrôler, qu’il s’approche.
- Voici ce qu’on vous dit : Ranavalomanjaka fil est la reine que nous servons pour la sanctifier.
- Voilà qui est fini pour la reine.
- Elle est le père et la mère du peuple.
- Et l’homme qui parle et que la reine a fait responsable de vous dit qu’il vous conduira bien ayez confiance.
- Je vous conduirai avec justice et droiture, ayez confiance; vous avez un père et une mère tant qu’il vivra cet homme qui est ici. Voilà que Ranavalomanjaka est en bonne amitié avec ceux d’outre-mer, et plusieurs races viendront ici. Qui que ce soit peut étudier la sagesse et la science ; qui que ce soit peut-être ami avec les étrangers, c’est bien cela. Mais je vous le dis aussi ; ce sont vos chatteries et pas autre chose qui ont amené cette affaire. C’est vous qui excitPz la jalousie contre ceux que vous enviez. Si quelqu’un fait cela, c’est le royaume qui est frappé de malheur. Ce n’est pas la sagesse
- p.397 - vue 400/838
-
-
-
- 398
- LE DEVOIR
- que vous cherchez à apprendre pour être heureux avec vos femmes, vos enfants, et vos biens.Vous vous faites un royaume un moyen de capter l’amitié, et vous dites en causant : Voilà ce que fait le gouvernement. Où Pont-ils vu le gouvernement? Et par ce fait le royaume est bouleversé. Et par ce que deux ou trois font cela, le sang du peuple coulera.
- Ce royaume de Ranavolomanjaka serait l’enjeu de leur appui sur les étrangers. Laissez donc faire les gouvernants. Mais ne craignez rien, qui que ce soit et quelle que soit son école (la reine a accordé largement la liberté d’enseignement; pourquoi n’aimerions-nous pas l’enseignement? c’est une chose utile). Ce n’est pas de cela que je parle, mais de ceux qui excitent la discorde, qui flattent les étrangers. Ils font mal en disant : Je le vois, je le sais, voilà ce que fait le gouvernement, et cela fait couler notre sang. Si quelqu’un fait cela, venez, courez, les portes de l'Ouest et du Nord sont larges. Vous savez écrire, écrivez secrètement une lettre, ap-portez-la-moi. Sachez veiller à cela. N’est-ce pas vrai, peuple?
- Ne craignez pas, ne tremblez pas devant quelque grand qu’il soit et puissant, fût-il parent de la reine, l’homme qui vous parle ne fera que ce qui est utile au royaume et au peuple. Donc, si petit que vous soyez, si vous avez raison, je terrasserai le puissant. Que chacun se conduise bien ; faites le bien, commencez honnêtement, vous serez heureux.
- Voici aussi ce que je vous dis : La vie des individus. Vous avez pouvoir de juger ; conduisez devant la reine, s’ils n’ont pas été tués dans la mêlée, ceux qui sont surpris à faire mal. Ranavalomanjaka seule à le droit de tuer.
- La Gazety Malagasy ajoute les réflexions suivantes :
- Ce kabary a été très agréable au peuple. Le traité d’amitié avec les Français est conclu, l’enrôlement des soldats se fera désormais sans que les mauvais qui ont de l’argent s’en tirent moyennant finance (des cadeaux).
- La limite du service est fixée à quatre ans.
- Bien sot serait celui qui chercherait à ruser, puisqu’il faut que tous soient soldats. Allons! que chacun aime la patrieet fasse ses efforts pour fortifier le royaume, qui deviendra un royaume célèbre et parfaitement indépendant et dont l’univers admirera la gloire croissante.
- CHARLES SAVILLE
- par ROBERTSON
- Roman philosophique
- Chapitre V LE NÈGRE
- Le lendemain, de grand matin, Saville donna l’ordre à son vallet de chambre de faire ses malles. 11 donna des instructions à son intendant et à sa femme de charge pour l’administration de sa maison pendant son absence, dont il ne précisa pas la durée. Puis il se rendit seul au bureau des diligences. 11 prit une place d’intérieur pour le Hâvre, où il arriva le lendemain, à la nuit tombante.
- Comme il n’avait pas voulu que personne l’accompagnât, ce ne fut pas sans surprise, et sans un mouvement
- de colère, qu’au moment où il mit pied à terre, il vit descendre, d’un autre compartiment de la voiture, son petit nègre Zamore.
- Depuis deux ans, Zamore faiscit partie de la maison de Saville. 11 y avait été admis par la femme de charge sur la pressante recommandation d’une grande dame chez laquelle Saville était reçu. Son emploi se bornait à faire quelques messages, dont il s’acquittait avec grâce et intelligence, quoique le pauvre enfant fût muet.
- Il fallait que Zamore appartint à quelque tribu aristocratique ; car il n’avait ni le nez épaté, ni les pommettes saillantes, ni les lèvres épaisses, qui caractérisent nos frères déshérités de la race noire. Ses traits fins et réguliers formaient un contraste étrange avec son épaisse chevelure laineuse et crépue.
- Touché de sa gentillesse et de son infirmité, la bonne femme déchargé avait pris Zamore en grande affection Elle lui avait donné une chambre à côté de la sienne, lui trouvait une foule de petites occupations agréables, et lui procurait des livres, car Zamore aimait beaucoup la lecture. Enfin elle lui avait fait dans l’hôtel une vie à part, ne voulant pas qu’il fût exposé aux plaisanteries ou aux propos grossiers des autres domestiques. Ceux-ci du reste, ne témoignaient ni envie, ni mauvais vouloir envers leur camarade. Son air fier en même temps qu’affable, sa politesse calme et réservée, excluaient la familiarité, sans faire naître la jalousie. Ils ne trouvaient donc pas â redire à son isolement, et l’appelaient monsieur Zamore.
- Saville l’avait à peine remarqué. L’abattement profond dans lequel il était plongé, quand ce nouveau serviteur entra chez lui, l’avait rendu aussi indifférent pour son intérieur que pour le reste du monde. Cependant, quand il le vit descendre de la diligence il le reconnut parfaitement, et lui demanda, d’un ton sévère, pourquoi il s’était permis de le suivre.
- Le pauvre nègre implora son pardon par des gestes suppliants, mais emprients de tant de noblesse, en même temps que de soumission, que Saville fut surpris de l’immense différence qu’il peut y avoir entre l’humilité et la servilité, et que son courroux n’y put tenir.
- — Pauvre enfant, dit-il, je me souviens maintenant: tu es muet. Je ne puis te laisser là sans protection ; tu es trop faible, trop jeune. Allons, suis-moi. Assurons-nous un gîte d’abord ; nous nous expliquerons plus tard.
- Saville le fit conduire à l’hôtel où se trouvait alors le comte de S. Il retint deux chambres, recommanda Zamore à l’hôtelier, s’informa du comte, qui était sorti et se fit servir à dîner.
- Après le dîner, il fit venir Zamore, et lui demanda pourquoi il l’avait suivi. Le nègre lui fit comprendre par ses gestes qu’après l’avoir vil rapporté, une nuit, dans un état de léthargie, il n’avait pu supporté l’idée de le voir voyager seul, et qu’il avait obéi à l’inspiration de son dévouement.
- — Mais, mon pauvre ami, tu méconnais à peine, dit Saville. Je ne t’ai pas vu quatre lois depuis que tu es chez moi. Comment peux-tu avoir de l’attachement pour moi ?
- p.398 - vue 401/838
-
-
-
- 39a
- LE DEVOIR
- Ici, la pantomime expressive de Zamore lui dit plus éloquemment que ne l'eussent fait des paroles : Je mange votre pain. Je n’ai ni père ni mère. Je suis seul au monde. Vous êtes man unique appui. Si vous me repoussez, je n’ai plus qu’à mourir.
- Charles se sentit fort ému.
- — Mais, dit-il encore, je vais peut-être faire un bien long voyage. Pourras-tu en supporter les fatigues ?
- — Oui, fit le nègre.
- — Qui sait s’il n’y aura pas des dangers à courir ?
- — Tant mieux ! fit le nègre.
- — Ainsi, tu n’hésiterais pas à tout risquer pour venir avec moi ? Fatigues, maladies, périls, privations, misère, rien de tout cela ne t’arrêterait ?
- — Rien ! fit le nègre, dans les yeux duquel s’allumait le feu de l’enthousiasme.
- Saville éprouvait un sentiment indéfinissable, à chacune de ces réponses. Une pensée lui vint à l’esprit, comme un éclair.
- — Mon Dieu ! se dit-il, j’allais chercher bien loin ce que l’avais peut-être à côté de moi. Voyons si c’est une inspiration que le ciel m’envoie.
- Puis reprenant son interrogatoire :
- — Dis-moi, Zamore, tu seras donc bien heureux, si je te permets de m’accompagner ?
- Zamore leva les yeux au ciel avec transport, et pressa ses mains contre son cœur.
- — Et dis-moi encore, — mais ici réfléchis bien, avant de me répondre. Sache qu’il est pour moi de la plus grande importance que ta réponse soit sincère. — Dis-moi, si ’u m’accompagnes, n’auras-tu plus rien, absolument rien, à désirer ?
- S’il eût fait jour en ce moment, Saville aurait pu voir le sang affluer aux joues de Zamore, malgré le noir d’ébène de sa peau. L’enfant baissa la tête, fondit en larmes et sortit précipitamment.
- Ah! je comprends, dit Charles en soupirant, j’aurai réveillé en lui les souvenirs [de son enfance et de son pays.
- Chapitre VII LE RÉFORMATEUR
- Charles, n’ayant pu voir le comte de S. le soir de son arrivée, s’empressa le lendemain de monter à la modeste chambre qu’il occupait sous les combles de l’hôtel.
- Son cœur se serra à la vue des traits altérés de ce vieil ami de son père, de cet homme qu’il avait connu dans la force de lage, lorsque lui-même était encore enfant. Ils ne s’étaient pourtant perdus de vue que depuis quelques années ; mais pendant ces quelques années, l’un était devenu homme, et l’autre avait commencé à descendre la pente rapide, au bout de laquelle est la limite qui nous sépare des régions inconnues.
- Le comte reçut Charles à bras ouverts, et le retint à déjeuner.
- Après avoir causé de choses peu importantes, Saville auiena la conversation sur le bonheur. Il demanda au comte s’il croyait que le bonheur dépend des circons-
- tances extérieures, ou bien si nous pouvons en trouver la source en nous-mêmes, et s’il tient à l’énergie du principe vital.
- — Mon ami, dit le comte, j’ai peu étudié la physiologie; parce que j’ai eu d’autres sujets de méditation, qui m’ont absorbé. Je n’ai donc pas de notions précises sur le principe vital, et je ne puis répondre sur cette partie de votre question. Quant au bonheur, après lequel nous courons tous, sans jamais l’atteindre, je le regarde comme une chimère, tant que la société restera ce qu’elle est.
- Quand j’étais jeune, je croyais que la liberté seule pouvait donner le bonheur. Les Américains du nord combattaient alors pour conquérir la liberté. Je volai en Amérique, et à dix-neuf ans je prenai part à la glorieuse guerre de l’Indépendance. Revenu dans ma parie , je brisai mon épée. Après la sainte cause qu’elle avait défendue, je ne voulais pas la porter au service d’un roi. Quelques années après, éclata la révolution française, que je saluai avec transport. Puis vinrent nos victoires, puis nos désastres.
- « Pendant ces grands événements, mon jugement avait mûri, mes idées s’étaient modifiées, et j’avais compris que les réformes purement politiques sont impuissantes à assurer le bonheur des nations. Ce n’est pas la forme gouvernementale qu’il importe de changer d’abord, c’est la forme sociale, qui est au rebours du bon sens. Que sont les savants, les artistes, les producteurs, tous les travailleurs enfin, dans cette société ? Rien. Que sont les parasites, les improductifs, les oisifs ? Tout. C’est le contraire qui devrait avoir lieu , ou plutôt, il ne devrait point y avoir d’oisifs, et il n’y en aurait point si l’on rétribuait chacun selon sa capacité, et chaque capacité selon ses œuvres.
- « Eh bien, j’ai conçu un plan qui doit régénérer l’Europe. J’ai envoyé copie de mes travaux à toutes les puissances. Je me suis ruiné en voyages, en essais, en publications, et je ne puis obtenir pour mes travaux le retentissement qu’ils méritent, et qui ferait sortir les nations de l’oruiêre où elles sont embourbées. Le journalisme, qui devrait mettre au grand jour de la discussion publique toutes les idées nenves, fussent-elles erronées, le journalisme se tait. J’étoutfe sous la conspiration du silence. J’étouffe sous le poids de mon idée, qui contient en germe le bonheur du genre humain, et qui ne peut éclore dans l’atmosphère glaciale de l’indifférence publique.
- « Je sais bien que mon sort est celui de tous ceux qui voient plus loin que leurs contemporains. Je sais qu’on finira par me rendre justice ; mais quand ? Dans cinquante ans, dans cent ans peut-être ? Je m’occupe d’une nouvelle tentative ; si dans deux ans elle n’a pas réussi, je mettrai fin à une existence qui me devient insuppor-portable.
- Chapitre VIII L’ARTISTE
- Douloureusement affecté des paroles du comte, Sa-1 lie s’était retiré, les larmes aux yeux. Comme il errait,
- p.399 - vue 402/838
-
-
-
- 400
- LE DEVOIR
- triste et rêveur, dans les rues du Hàvre, ses yeux s’arrêtèrent sur une affiche, annonçant une représentation extraordinaire donnée par Talma.
- Dans la torpeur où l’âme de Saville se trouvait engourdie, T dma était le seul acteur qui eût conservé la puissance de l’émouvoir. Aussi avait-il cherché et trouvé l’occasion de faire connaissance avec le grand tragédien, qui l’honorait de son amitié.
- Ce lut avec un empressement, qui ne lui était pas ordinaire, qu’il se rendit le soir au théâtre : il allait se distraire des sombres pensées qu’avait fait naître la conversation du matin, et il allait revoir l’homme illustre qu’il chérissait autant qu’il admirait.
- La représentation fut naturellement un triomphe. En entendant les bravos frénétiques, les trépignements, les cris de transport ; envoyant une pluie de couronnes tomber aux pieds de son ami, Saville se dit : s’il y a un homme heureux au monde, ce doit être celui-là. Quel ravissement il doit éprouver ! il n’y a pas ici un homme qui ne l’admire, pas une femme dont le cœur ne batte pour lui. Quelle gloire ! et quel immense bonheur ! Et combien il doit être riche en puissance vitale, celui qui électrise ainsi tout un auditoire ! D’un regard, d’un geste, il nous enthousiasme, il nous fait frémir, il nous arrache des larmes. Oui, le vieillard du chalet doit avoir raison ; car il me semble qu’un fluide subtil, palpable, invisible, mais réel, me pénètre, m’attire vers cette âme d’élite, m’identifie avec elle, me force à sentir comme elle, à partager ses émotions, ses passions, ses douleurs. O ! Talma, c’est toi qui seras mon sauveur !
- La pièce finie, Saville courut féliciter l’illustre tragédien. Il le trouva rompu de fatigue, mais souriant et satisfait.
- — Vous devez être content de votre soirée, dit Saville. Jamais succès ne fut plus complet.
- — Vous croyez ? dit "t'aima. C’est que vous n’avez pas l’œil exercé de l’acteur. Il y avait à l’orchestre un homme dont le visage impassible n’a laissé voir aucune émotion, depuis le premier acte jusqu’au dernier. Cet homme a gâté ma soirée.
- — C’était quelque idiot, dit Saville. Mais, en fût-il autrement, veus ne pouvez mettre en balance la froideur d’un seul individu avec les transports de tout le salle.
- — Non, certainement, répondit Talma. Ce serait de l’ingratitude. Mais vous ne vous figurez pas quelle impression fâcheuse produit sur nous l’antipathie, ou seulement l’apathie, d’un seul spectateur. Dans certains cas, c’en est assez pour nous glacer et paralyser nos moyens. Aujourd’hui cependant, je ne m’en suis pas trop ému.
- — Vous n’êtes donc pas le plus heureux des hommes ? Je me disais tout à l’heure que l’art dramatique, quand on y excelle comme vous, devait être un enchantement perpétuel ; qu’il faisait de la vie une série d’enivrements et de triomphes, et que nulle autre profession ne pouvait procurer des émotions aussi délicieuses,
- — C’est que vous n’avez pas vu les choses d’assez près, répondit l’artiste. Quand vous apercevez à une
- grande distance une belle montagne, bleue, dont la cime revêt les plus belles nuances de l’arc-en-ciel, cette montagne vous paraît aussi un séjour enchanté, digne des esprits célestes. A mesure que vous approchez, les teintes brillantes s’effacent ; et si vous gravissez la pente, vous la trouvez raboteuse et semée d’obstacles. La vie de l’acteur a des charmes, il serait injuste à moi de le nier; mais elle a aussi de nombreux ennuis. Je ne vous dirai rien des cabales, des intrigues, des petites luttes d’amour-propre ; qui n’en a entendu parler ? Je passe également sur une multitude de petites contrariétés inhérentes à l’exercice de notre art : ce ne sont, si vous voulez, que des coups d’épingle, mais un millier de coups d’épingle peut produire une plaie. J’arrive à ces enivrements qui vous séduisent. Savez-vous à quel prix ils sont achetés ? Quelle que soit notre disposition du moment, il nous faut, à heure fixe, dépeindre des passions qui ne sont pas les nôtres, et, qui plusest, il faillies ressentir, car on ne saurait émouvoir les autres sans être ému soi -même. Comprenez-vous quelle irritation nerveuse doivent produire en nous les émotions factices, fréquemment renouvelées ? Comprenez-vous aussi quel violent effort nous avons quelquefois à faire sur nous-mêmes, pour étouffer nos sentiments véritables afin d’exprimer des sentiments diamétralement opposés ? Mon fils vient de remporter un premier prix ; mon cœur est inondé d’orgueil paternel et de joie;... il faut que j’entre en scène et que je dépeigne la haine et la fureur. Et que dirais-je donc du comédien, qui peut avoir la mort dans l’âme, au moment où il est condamné à faire rire le public ! Je n’ai pas éprouvé ce genre de torture, mais je me le représente avec terreur.
- « Vous voyez, mon cher Saville, que nous avons tous nos peines en ce monde. J’avoue cependant que, pour ma part, j’oublie toutes les miennes au bruit des applaudissements, et que tant qu’ils durent je suis vraiment heureux. La gloire console de tout. Mais, hélas! que la gloire est éphémère, surtout celle de l’acteur ! Le peintre, le compositeur, le poète, le savant, l'historien, le romancier, laissent après eux les preuves de leur talent. Ils peuvent encore être admirés des siècles après leur mort. Et nous, qui ne respirons que pour la renommée, nous ne laissons que de vagues souvenirs, qui s’éteignent avec la génération qui nous a connus.
- (A suivre).
- ---------— --- ——------------------------------
- État civil du Familistère.
- Semaine du 7 au 13 Juin 1886. Naissances r
- Le 12 juin, de Gartigny Ëmilia Marie, fille de Cartigny Emile et de Journaux Louise.
- Décès :
- Le 10 Juin, de Drouin Eugène, âgé de 2 mois.
- Le Directeur Géraist : GOL)IN
- .mise.— Imp. Baré
- p.400 - vue 403/838
-
-
-
- 10e Année, Tome 10.— N“ 407 Le numéro hebdomadaire 20 c. Dimanche 27 Juin 1888
- LE DEVOIR
- REVUE DES QUESTIONS SOCIALES
- 5S=
- BUREAU
- a GUISE (Aisne)
- Toutes les communications et réclamations doivent être adressées à M. GODIN, Directeur-Gérant Fondateur du Familistère
- ABONNEMENTS PAYABLES D’AVANCE
- par l’envoi, soit au bureau de Guise, soità celui de Paris de timbres-poste ou de mandats de poste, dont le talon sert de quittance.
- France
- Un an ... 10 fr. »» Six mois. . . 6 »» Trois mois. . 3 »»
- Union postale Un an. . . 11 fr. ï» Autres pays
- Un an. . . . 13 fr. 60
- ON S’ABONNE
- A PARIS
- 5, rue Neuve-des-Petits-Champs Passage des Deux-Pavillons
- S’adresser à M. LEYMARIE administrateur delà Librairie des sciences psychologiques.
- SOMMAIRE
- L’anarchie.-— Les anarchistes et le Familistère. — Le roi fou,— Une grève en Russie.— La magistrature et l’ordre social. — La loi sur les coalitions. — Association du capital et du travail.— Aphorismes et préceptes sociaux. — Faits politiques et sociaux de la semaine. — Le renouvellement des conseils généraux. — Le droit d’association.— La loyauté politique. — Le tour du monde en vélocipède. — Les scandales de Paris.— Charles Saville.
- L'Anarchie.
- U y a des hommes qui, ayant en horreur tout le mal qu’ils ont vu, éprouvé et senti par eux-mêmes dans le monde, pensent que la société ne peut être pire pour ceux qui ont à en souffrir, et que le renversement de toutes choses ne pourrait jamais laisser subsister autant de maux que ceux dont ils
- souffrent.
- N’ayant goûté que souffrances et injustices, ils Pensent qu’il y a lieu de briser la société existante, oroyant qu’il sortira inévitablement de la debâcle Une société meilleure que celle exisant actuellement. Us préconisent donc la révolution, remettant aux hasards des événements le soin d édifier la société nouvelle, plutôt que de se Vrer à l’étude de ce qui est à faire pour que le mal social riisnaraisse.
- D’autres hommes ne croient pas à la possibilité du juste sur la terre, et ils ne croient pas davantage à l’existence de bonnes intentions chez qui que ce soit, parce qu’ils sont incapables eux-mêmes du bien et de bonnes intentions. Le monde n’est à leurs yeux qu’un champ de luttes pour l’existence, oîrle droit est au plus habile ou au plus fort. Sous l’empire de cette morale, leur ambition ne rêve que convoitises et ils ne voient que dans un boulversement social le moyen de prendre la place des autres.
- Ces deux tendances à la révolution, quoique différentes dans leurs causes, ont entre elles une affi nité de but qui les porte à s’unir et, certainement, au moment de l’action, la dernière entraînera la première dans le mouvement.
- On conçoit que des partis politiques, prenant naissance sous de telles auspices, soient peudispo-sés à élaborer les solutions du problème social. Les causes de souffrances sont trop présentes aux yeux des masses pour que celles-ci puissent concevoir autre chose que de renverser les obstacles. Voilà les dangers de la révolution que les classes dirigeantes imprévoyantes, insouciantes, et ignorantes de ce qui est à faire pour conjurer le mal nous préparent.
- Dans les circonstances politiques et sociales difficiles comme celles où se trouvent toutes les nations industrielles, le peuple est disposé à agir, les inspirations de la misère le pressent. Aussi faire appel à la souffrance, exciter la misère, porter L trouble dans l’atelier, pousser à la grève «ont, les Tonvens emnlovés nar ceux uni veulent
- p.401 - vue 404/838
-
-
-
- 402
- LE DEVOIR
- le renversement d’une société si peu disposée à reconnaître les droits des travailleurs et à leur donner des garanties contre la faim et le dénu-ment.
- Grâce à Dieu, la Société du Familistère n’en est pas là. Quoi-qu’en puissent dire certains anarchis-chistes de mauvaise foi, les garanties nécessaires à la famille de l’ouvrier sont données à tous les membres de l’Association. Un niveau de salaires qui va toujours en augmentant, la liberté de la famille, le logement confortable, l’instruction la p us large qui soit donnée en France à tous les enfants, le minimum de subsistance garanti à la famille, la retraite assurée aux travailleurs invalides, le partage des bénéfices entre tous les membres de l’association, sont, nous en avons la conviction, des sécurités pour les ouvriers membres de l’association qui rendront impossibles les grèves, et impuissantes les tentatives anarchiques parmi nous, même quand des agents provocateurs s’introduiraient dans nos rangs, pour y tenter malhonnêtement un travail de dissolution insensée. Le bon sens de la population déjouera ces manœuvres.
- LES ANARCHISTES
- ET LE FAMILISTÈRE II
- Les attaques des anarchistes contre le Familistère sont une étrange manière de procéder de la part de gens qui se donnent comme les protecteurs des classes ouvrières.
- Nous concevons toutes les critiques qu’on peut élever contre les abus, mais apporter le même esprit, contre la première fondation qui ait fait disparaître de son sein les maux dont les classes ouvrières ont le plus à se plaindre dans l’état actuel de l’industrie et de la répartition de la richesse, est certainement une action coupable ou bien tristement irréfléchie.
- Nous n’avons jamais présenté l’association du Familistère comme le dernier mot du progrès social, ni des réformes à réaliser. Bien au contraire. Depuis, bientôt dix ans, nous ne cessons de présenter, dans le Devoir, organe de l’Association, et dans toutes nos publications, les réformes générales applicables à la société présente. Nous ne concevons donc pas quel sentiment de basse rivalité peut être le mobile des journaux préten-
- dus socialistes qui s’attaquent à l’institution la plus largement entrée dans la voie des réformes sociales, non pas seulement en théorie mais en pratique ; et en pratique non pas facultative et arbitraire, mais consacrée par des contrats obligatoires pour le capital à l’égard du travail, pour l’administration à l’égard des ouvriers, tout en laissant à ceux-ci leur complète liberté.
- Les anarchistes ne veulent pas voir que les choses qu’ils critiquent dans le Familistère offrent aux ouvriers des avantages infiniment supérieurs à tout ce qui existe, partout ailleurs, à un état pire, et que, nulle autre part, on ne contaste le mieux réel, très appréciable, que l’on trouve partout au sein de cette association.
- Dans la plupart des usines, il n’existe d’autre règlement que le caprice des chefs. Au Familistère, un règlement détaillé détermine les conditions du travail et chaque fois que les travailleurs croient devoir l’invoquer ou le faire modifier, ils ont la faculté d’en référer à un conseil élu par eux, conseil qui a toujours exercé son intervention auprès de l’administration supérieure, sans que jamais aucun des délégués n’ait éprouvé le moindre désagrément à la suite de l’accomplissement de son mandat.
- Au Familistère, n’est-il pas constant qu’aucun chef ne peut appliquer à un ouvrier une mesure disciplinaire sans en délibérer en conseil de gérance. Dans quel autre atelier trouve-t-on pareille garantie contre les excès des caprices ou des entraînements des directeurs ?
- Quel est l’anarchiste qui, mis en demeure de prouver ses dires, n’avouera que la journée de travail est rigoureusement de dix heures, lorsque, dans toutes les usines de la région, les travailleurs sont tenus 12 heures à l’atelier, pour un salaire 25 °/° plus faible que celui des ouvriers du Familistère.
- Ces faits ne sont pas discutables.
- Cette différence des salaires et de la durée de la journée subsiste même à l’encontre des usines concurrentes du Familistère.
- Ce seul fait de conserver aux travailleurs de l’association un salaire de 25 o/0 supérieur à celui des ouvriers des concurrents, lorsqu’on est contraint de livrer les produits au même prix, est un acte qui devrait frapper l’attention de tous ceux que n’aveuglent pas la plus complète ignorance des conditions du bien-être de l’ouvrier ou les plus mauvaises intentions à l’égard du travailleur.
- Y a-t-il d’autres usines, ou le salaire est main-
- p.402 - vue 405/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 403
- p nu à un taux de 25 0/q au-dessus de celui pratiqué chez le- concurrents?
- A-t-on vu autre partqu’auFamilistère fonctionner régulièrement le minimum de subsistance, soit lorsque le salaire n’est pas proportionné aux charges de la famille, soit lorsqu’il est suspendu ou diminué par le chômage ou par la maladie ? Quel est donc l’autre groupe de 1800 habitants, dans lequel on dépense, chaque année, plus de 100 000 francs en mutualité ?
- Et le budget des écoles, qui m'est pas moindre de trente cinq mille francs, n’est-il pas un bienfait digne de quelque considération, dans un milieu où beaucoup de villes de 40 000 habitants ne consacrent pas annuellement une pareille somme à l’enseignement?
- Faut-il parler de la participation aux bénéfices, organisée de telle sorte que les travailleurs deviendront propriétaires, en moins de quinze ans, des moyens de production ? C'est encore là un procédé de transition, qui nous semble digne de quelque attention et qui place celui qui l’a volontairement mis en pratique en dehors de la catégorie des gens riches, que les travailleurs peuvent maudire et combattre.
- Nous allons faire la part belle aux anarchistes et aux autres détracteurs du Familistère. Malgré la supériorité des salaires des familistériens, malgré l’énormité des sommes absorbées par l’enseignement, par la mutualité, par la participation, nous allons admettre que les salaires, que les bénéfices de la participation sonlau-dessous des taux nécessaires au bien-être qui convient aux-travailleurs de notre époque. N’est-il pas prouvé, chaque année, par l’inventaire des bénéfices qu’on ne peut aller plus loin dans ces voies, sans péril pour la fondation, à cause des obstacles qui naissent de l’antagonisme du milieu ?
- Nous comprendrions, de la part des travailleurs, l’hostilité manifestée par les anarchistes, si nous présentions le Familistère comme une œuvre parfaite, ayant la prétention d’avoir réalisé l’idéal du progrès social,
- Mais le fondateur du Familistère a toujours expliqué son œuvre comme un acheminement vers un idéal qui a pour but la souveraineté effective du travail et le bien-être général des travailleurs sans exception.
- Le Familistère est l’œuvre personnelle de M. Godin, il est vrai; mais son créateur soutient la nécessité de l’intervention de l’Etat et des communes, en vue de généraliser les institutions
- familistériennes et de faire que les règlements des associations ouvrières deviennent de véritables lois émanées de la souveraineté populaire, placées sous la sauvegarde des juridictions de droit commun.
- Le Familistère n’est pas seulement une réalisation, un fait, il est une première application d’une théorie féconde, ne condamnant aucune aspirations des partisans les plus sincères de l’émancipation intégrale des travailleurs.
- Un homme imbu des doctrines les plus larges, s’est demandé si, sans renoncer aux grands horizons de la théorie, il n’y avait pas lieu de consacrer une partie de sa fortune à fonder une œuvre progressiste la plus parfaite possible, mais point tellement dissemblable avec les actualités du milieu qu’elle soit écrassée par ces dissemblances et ne puisse se perpétuer à cause de qualités condamnées par les tendances >,u milieu, et c’est après cette œuvre que s’acharnent les anarchistes et d’autres prétendus défenseurs des droits du travail !
- Veut-ou la possession, par les travailleurs, des moyens de production ? Si-le Familistère ne l’a réalise du premier coup, il en proclame le principe et offre des moyens pratiques d’y parvenir progressivement en peu de temps.
- Est-on d’avis que toutes les capacités doivent concourir à la direction de la production?C’est ce qu’affirme la théorie familistèrienne et ce que commence la fondation de Guise, selon des proportions qu’on ne trouve nulle autre part.
- Si l’on est pour l’extinction du paupérisme, on est mal venu à combattre le Familistère qui a tant fait dans cette voie?
- Ceux qui veulent que le travailleur conserve l’équivalent de sa production font preuve de mauvaise volonté,en s’acharnant contre une association dans laquelle le salariat est tempéré par le maximum possible de salaire, par la mutualité et par la participation ; toutes ces améliorations étant appliquées et expliquées comme des moyens de transition vers un avenir ouvert à tous les progrès, et ayant pour critérium de la répartition des richesses la nécessité d’équilibrer la production par l’augmentation de la consommation ouvrière.
- L’exploitation commerciale est remplacée par l’organisation des services publics d’approvisionnement, dont les bénéfices sont répartis entre les consommateurs.
- Voilà encore une institution qui nous semble
- p.403 - vue 406/838
-
-
-
- 404
- LE DEVOIR
- mériter d'autres appréciations que les injures des anarchistes, à moins que ceux-ci cachent, sous leur bruyant dévouement envers les classes laborieuses, la volonté de décourager parleurs calomnies et par leurs insultes les auteurs de toutes tentatives dans la voie des améliorations pratiques.
- Si telles sont leurs visées, ils ont tort de se croire assez forts pour enrayer les efforts du fondateur du Familislère ; ils seront impuissants à paralyser sa bonne volonté et sa persévérance.
- Nous ne nous exagérons pas la portée des attaques des anarchistes ; elles sont, au contraire, d’excellentes occasions pour nous de donner opportunément des explications qui seront comprise par les intéressés.
- Les Anarchistes, eux-mêmes, ont pris soin de nous fixer sur la valeur réelle de leurs récriminations ; le Familistère n’est pas un Eden pour les travailleurs, et ils ne lui pardonnent pas d’être moins qu’un tel lieu de prédilection.
- Nous reconnaissons le bien fondé de cette accusation.
- Il est bien vrai que le Familistère n’est pas un lieu de délices et de repos incessant. Les plus heureux, parmi les valides, ne peuvent s’y soustraire à dix heures de travail par jour.
- Le mortel qui s’égare dans les dépendances du Familistère n’y rencontre nulle part le moindre affluent du Pactole; les sources d’hydromel, de nectar et d’ambroisie y sont inconnues; nulle part les amours, les nymphes et les bacchantes ne s’y pressent autour des familistériens qui rêverait les ennivrements de l’amour et des plaisirs au bruit des symphonies invisibles.
- Le Familistère n’est pas un Eden ; son fondateur n’a jamais eu pareille prétention. C’est assez pour lui et pour sa future renommée d’avoir crée un oasis au milieu de l’enfer individualiste, et d’avoir consacré sa fortune et son temps à fouiller les lois de la vie, en vue de collaborer au bonheur des humains.
- ( A Suivre.)
- LE ROI FOU
- Le roi Louis de Bavière vient de mourir, suicidé disent les uns, assassiné, disent les autres. Assassiné est probable. Le roi de Bavière était fou. Il régnait depuis vingt-deux ans.
- Depuis vingt-deux ans, tout un peuple était gouverné par un fou. Ce fou signait des décrets, ce fou donnait des ordres, ce fou décidait de la guerre et de la paix. Les sages obéissent.
- Telle est la monarchie dans toute sa beauté.
- Certes, nous n’avons pas la République de nos rêves ; mais, tel qu’il est, quand on compare notre gouvernement aux gouvernements monarchiques de l’Europe, on se sent non seulement fier, mais heureux d’être Français. La pire des républiques (et nous n’avons pas la pire) vaut encore mieux que la meilleure des monarchies. Pourquoi ? Parce qu’elle est perpétuellement modifiable ; parce qu’étant le régime naturel des sociétés humaines, celles-ci peuvent la régler comme elles l’entendent, sans jamais être condamnées à un arrangement définitif, comme si le mot définitif ne représentait pas une idée absurde dans cette humanité pour qui n’est point fait l’absolu du bonheur.
- Le gros reproche que nos adversaires font au gouvernement des républiques, c’est d’avoir toujours le caractère provisoire. Eh ! nous en convenons ; et selon nous, c’est un éloge. Oui, il faut que tout soit provisoire, pour que rien n’arrête le progrès ; et l’une des plus grandes erreurs des constitutions sociales, c’est de prétendre, l’une après l’autre, mettre le mot : Fin, au livre ouvert des destinées. Une société n’est jamais assise, elle est debout ; elle marche. Mettre un pavé sous des roues de voitures ce n’est pas transformer la voiture en domicile; ce n'est que gêner et arrêter le voyage.
- La monarchie, c’est ce pavé. Il y a des voyageurs qui ne sont pas pressés, et qui le supportent longtemps. Mais ceux, qui, comme nous, en ont lancé quelques-uns dans les fossés de la route, savent trop comment s’y prendre pour qu’il soit possible de renouveler à leur égard cette mauvaise plaisanterie. Et il doit bien nous être permis de prendre en pitié ces peuples, qui, vaincus par la force de l’habitude et des traditions, se résignent à un statu quo passif, sans faire un effort pour reconquérir la liberté de leurs mouvements.
- O principe superbe et fécond ! Toute une nation composée d’êtres raisonnables s’inclinant devant une famille d’aliénés ! Et ce qui arrive là peut arriver ailleurs. Et si ces princes sont aliénés, d’autres sont méchants, d’autres sont imbéciles, d’autres sont prodigues de sang et d’or. Tous ont un défaut, un vice, non parce qu’ils sont princes, mais parce qu’ils sont hommes. Or, tandis que chez nous, ce défaut, ce vice, n’intéresse que nous-mêmes, et ne nuit qu’à nous, chez eux, il devient le défaut, le vice de la nation toute entière ; il se fait multitude, il domine, il règne ; le mal d’un homme devient le mal universel. On me dira : « Il en est de même de la vertu. » Je répondrai : « La vertu, où est-elle ? » Et je demanderai qu’on me cite un roi vertueux ; et je demanderai qu’on me cite un roi sans défaut, quand il n’y a pas d’homme sans défaut. Et cependant la perfection serait l’unique justification de la royauté.
- Pour qu’un roi fût légitime, il faudrait que ce roi fût un Dieu.
- Un jour viendra, où l’humanité tout entière transformée, jetant les yeux sur son passé, s’étonnera d’avoir subi si long-
- p.404 - vue 407/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 405
- emps le joug de préjugés ridicules. Comme aujourd’hui nous rions des adorations d’idoles, de carottes ou d'oignons, elle se demandera comment tant de siècles ont pu traiter de majestés des hommes quelconques, moins majestueux à coup sûr que le premier cabotin venu. Et, sortie enfin de l’enfance, ne croyant plus aux croquemitaines, elle comprendra ce qu’on n’a pas l’air de comprendre encore, que d’un roi toqué et d’un peuple soumis, le plus fou n’est pas celui qu’on pense.
- Henry MARET.
- Une grève en Russie.
- La grande grève des tisseurs (au nombre de 18,000) de Morozoff fils et Cie vient d’avoir, comme celle des mineurs de Decazeville, son épilogue en cour d’assises.
- Mais, bien qu’il y ait eu mort d’hommes là-bas comme dans l’Aveyron, le jury de Wladimir n’a voulu retenir aucun des crimes relevés par l’accusation.
- Ils étaient trente-trois inculpés :
- 1<> D’attaque contre les soldats préposés à la garde des grévistes prisonniers;
- 2° De destruction du bureau de l’administrateur et de pillage de la caisse et des magasins de la fabrique, ainsi que des appartaments du directeur et des autres employés.
- Et ils ont été acquittés tous les trente trois, malgré le violent réquisitoire de l’accusateur public.
- La grève avait été provoquée par une réduction générale de 25 0/0 sur les salaires, par des amendes répétées et par une coopérative patronale à laquelle les ouvriers étaient contraints de s’ approvisionner. Tout cela à l’effet de soutenir la concurrence des fabriques rivales.
- Des petites réunions préparatoires avaient eu lieu dans lesquelles les tisseurs avaient pu se convaincre qu’ils rapportaient l’un dans l’autre quatre ou cinq mille francs par an à leur employeur, alors que leur salaire n’arrivait pas à 20 fr. par mois. Et le 7 janvier, après s’être imposé de trois roubles par tête pour constituer une caisse de résistance, le travail était brusquement arrêté et le gaz éteint. On commençait par détruire le bureau de la fabrique, dont la caisse était vidée dans celle de la grève; puis les magasins étaient pillés. On se portait en masse chez le directeur Dianoff et chez le contre-maître Chorine pour ne se retirer qu’après avoir tout brisé.
- En vain le directeur quia fui excite et arme contre les grévistes une bande de manouvriers. Ces derniers sont écrasés et laissent sur le terrain un mort et de nombreux blessés.
- Le lendemain c’est le gouverneur de la province qui intervient avec quatre bataillons de ligne et un régiment entier de cosaques. Mais les tisseurs se montrent si résolus que la direction affolée fait offrir par voix d’affiche le remboursement de toutes les amendes imposées depuis quatorze mois.
- Refus des grévistes qui exigent, en outre, pour rentrer, une augmentation de salaire, et qui sont alors chargés, laissant de nombreux prisonniers entre les mains de la troupe.
- Ces prisonniers ne tardent pas à être délivrés par leurs camarades qui, la nuit, armés de bâtons et de barres de fer attaquent les soldats et les dispersent.
- C’est alors que c pour en finir », après avoir reçu des renforts, le gouverneur fait enlever à domicile 600 des ouvriers les plus énergiques, à lui désignés par la fabrique.
- Mais même cette razzia n’a pu avoir raison de la masse qui, plutôt que de céder, a quitté le pays.
- Telle fut cette grève que des paysans transformés en jurés ont refusé de déclarer délictueuse.
- La Magistrature et l’ordre Social.
- Les magistrats, eux-mêmes, ne peuvent s’abstenir de dire solennellement ce qu’ils pense de notre déplorable organisation sociale.
- Dans le réquisitoire qu’il a prononcé à la Cour d’assises de l’Aveyron, le Procureur-général chargé de réquérir contre les accusés du meurtre de M. Watrain, s’est écrié:
- « Je suis de ceux qui croient que le travail n'a pas une part rémunératrice assez large dans les grandes industries de notre temps. »
- C’est là un aveu arraché à la conscience du magistrat. Il n’a pu s’empêcher de constater que les ouvriers de Decazeville — comme tant d’autres ouvriers — ne trouvent pas dans leur travail incessant un salaire suffisant, alors que, pourtant, les Compagnies s’enrichissent ! Eh bien ! ce sont des injustices sociales de cette sorte qui, à la fin, exaspèrent de malheureux travailleurs et qui les poussent, un jour de colère, à des excès que nous regrettons, mais qui sont une conséquence fatale d’une exploitation indigne condamnée par la Justice elle-même !
- LA LOI SUR LES COALITIONS.
- Nous lisons dans le Ralliement :
- Voici une nouvelle occasion de mesurer quels progrès rapides fait le parti républicain gouvernemental dans la voie de la réaction sociale.
- Ou se rappelle qu’à l’occasion des incidents juridiques soulevés, pendant la grève de Decazeville, par l’affaire Roche-Quercy et des condamnations multiples prononcées contre les grévistes en application des articles 414 et 415 du Code pénal, les députés du groupe socialiste ont déposé une proposition tendant A abroger ces fameux articles.
- La commission à laquelle avait été renvoyée la proposition Camélinat vient de répondre par une fin de non-recevoir absolue : la non-prise en considération, c’est-à-dire la question préalable.
- Comme si ce rejet sans phrases ne lui eût pas paru suffisamment explicitp, la commission a cru devoir accentuer encore son refus dédaigneux, en chargeant M. Emmauel Arène, le député de la Corse que fou sait, de représenter à la Chambre ses conclusions négatives.
- Nous ne voulons pas entrer aujourd’hui dans l’examen théorique du droit ouvrier à la grève, supprimé de fait par les articles dont nos amis demandent l’abrogation. Nous nous réservons d’y revenir, quand M. Arène déposera son rapport.
- Ce que nous voulons simplement constater pour l’instai.t, c’est le caractère provocateur du rejet de la proposition socialiste.
- p.405 - vue 408/838
-
-
-
- 406
- LE DEVOIR
- Nous disons « proposition socialiste » ; — en réalité, c’est le nom seul de ses auteurs qui donne cette signification au projet d’abrogation des articles 414 et 415 du Code pénal, puisque le parti républicain tout entier n a jamais cessé de pou; suivre leur suppression sous l’empire, et que, depuis 1880, une fraction considérable de ce parti l’a demandée à la Chambre à deux ou trois reprises différentes.
- Les disqositions actuelles des articles 414 et 415 de Code pénal sont d’origine impériale. Leur discussion au Corps législatif pendant cinq grandes séances — les 27, 28, 29, 30 avril et 2 mai 1864 — fournit à l’opposition républicaine l’occasion de constater publiquement la conversion définitive d’Emile Ollivier et la scission officielle de celui-ci avec la gauche.
- Emile Ollivier fut, en effet, le rapporteur de la loi de 1864 dite « foi sur les coalitions ». Cette loi, sous couleur d’introduire des dispositions plus douces que celles édictées par la loi de 1849 qui avait modifié déjà une première fois les articles 414, 415 et 416, rétablit, en fait, l’application de ces articles tombés en désuétude.
- Tous les orateurs de l'opposition s’accordèrent à taxer le projet impérial de réactionnaire au premier chef. Mais ils ne se bornèrent pas à combattre la rédaction ministérielle. Un contre-projet fut déposé par MM. Oscar Planat, Garnier-Pagès, Carnot, Eugène Pelletan, Glais Bizoin et Jules Simon
- 11 était ainsi conçu : « Article unique. — A dater de la » promulgation de la présente loi, les articles 414, 415 et » 416 du Code pénal sont et demeurent abrogés. »
- 11 va sans dire que le contre-projet de l’opposition fut repoussé à l’unanimité par la commission, qui choisit Emile Ollivier pour son rapporteur.
- Les députés républicains ne s’attachèrent pas moins à combattre avec acharnement la loi présentée, sans se départi'1 un seul instant du principe de liberté absolue en matière de grève ouvrière.
- « Le droit de réunion et le droit de coalition, dit Garnier-» Pagès, sont identiques et inséparables. Il faut les donner » tous les deux ou n’en accorder aucun... Dans votre législa-» tion, c’est bien clair.., il n’y a aucune liberté... »
- Jules Favre fit ressortir l’équivoque de la rédaction.
- Cette phrase : « Quiconque, à l’aide de violences, voies de » fait, menaces ou manœuvres frauduleuses, aura amené,
- » maintenu, ou tenté d’amener ou de maintenir une cessation » concertée de travail dans le but de forcer la hausse ou la » baisse des salaires, ou de porter atteinte au libre exercice » de l’industiieou du travail », lui paraissait pleine de pièges et de sous-entendus.
- Avec cette loi, disait-il, « on pourrait me donner une coa-» lition quelconque, je me chargerais d’y trouver quelqu’un » des délits dénoncés. » — Ces mots : manœuvres frau-» duleuses, se prêtent à toutes les interprétations », ajoutait-il. — L’affaire Roche-Quercy a montré que ses prévisions étaient justes, puisqu’on a pu les appliquer à des articles de journaux"
- Finalement, le projet impérial fut adopté par 232 voix con-36. Au nombre de ceux qui le repoussèrent, je relève le nom de M. de Lanjuinais. Tous les autres opposants appartenaient à la gauche républicaine.
- Sous la République, la commission qui élabora en 1881 la loi sur les syndicats, avait introquit dans l’article 1er l’abrogation des articles 414, 415 et 416. M. Allain-Targé était le rapporteur de cette commission. Le parti opportuniste n’avait donc pas encore, à cette date, abandonné ce point du programme républicain.
- Un amendement de M. Ribot fit repousser l’abrogation, en réservant la question de principe, M. Ribot dit, en effet, qu’on ne pouvait supprimer partiellement les articles pour les syndicats professionnels, et qu’il convenait d’en faire l’objet d’un projet spécial contenant l’abrogation générale pure et simple.
- Seul, l’article 416 fût définitivement abrogé.
- M. Lefèvre de l’extrême gauche, reprit plus tard le projet de suppression des art. 414 et 415. La commission nommée pour l’examiner, non-seulement prit le projet en considération, mais encore chargea son auteur du rapport. Les lenteurs par ementaires et la séparation de la Chambre en 1885, empêchèrent la discussion du rapport favorable de la commission.
- On voit donc que Boyer et Camélinat, en déposant à nouveau un projet d’abrogation de ces articles, n’ont pas proposé au Parlement une réforme exorbitante tellement révolutionnaire, qu’une commission parlementaire pût se croire obligée de répondre par la question préalable, par le rejet pur et simple, sans discussion.
- Il y a là évidemment parti pris systématique, affectation de repousser avec mépris toute revendication ouvrière.
- Dans les circonstances que nous traversons, à la suite des incidents que tout le monde a présents à la mémoire, cette manifestation inconvenante de la commission prend un caractère paiticulièrement grave. Jusqu’à ces dernières années on avait peu invoqué lea articles 414 et 415. «Le gouvernement et les magistrats, disait M. Allain-Targé en 1881, ne voudraient pas abuser des termes équivoq tes de ces articles, qui constituent des délits de classé, des délits ouvriers. » Mais depuis trois ou quatre ans des condamnations multiples, dont le nombre va grandissant, ont été prononcées. On a appliqué aux grévistes de Decazeville les articles 414 et 415 avec une rigueur draconnienne. Après la cessation de la grève on pouvait donc croire la Chambre déposée à faire l’apaisement.
- ... Doit-on considérer le refus par la commission, même de discuter l’abrogation de la loi de 1864, comme un démenti brutal infligé à ceux que berçait cette espérance de conciliation ? Nous avons peu d’illusions sur les tendances sociales de la majorité républicaine. Cependant, avant de nous prononcer, nous voulons attendre l’effet que le rapporteur aura produit sur elle, quand il aura refait à la tribune les discours prononcés en 1864 par M. Emile Olivier.
- Gustave Rouanet.
- L’Association du Familistère demande des voyageurs à la commission pour le placement des produits de sa fabrique de bonneterie.
- p.406 - vue 409/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 40<j
- Association du capital et du travail
- L’article suivant a été publié dans plusieurs journaux américains ; son auteur exprime une manière de voir que nous savons avoir été émise, en France, par des personnalités habituées à attribuer à d’autres les sentiments de méfiance qui ne sont, en réalité, que l’expression des inquiétudes éprouvées par ces timorés. Ce que le publiciste américain reproduit comme l’opinion des ouvriers n’est qu’une hypothèse répandue par certains économistes à court d’arguments meilleurs contre une fondation destinée à prouver le néaDt de l’économie politique. Si les ouvriers français n’accordent pas au Familistère une attention plus marquée, c’est surtout parce qu’ils constatent le peu d’empressement des capitalistes à imiter M. Godin. Cet état d’esprit n’a rien de surprenant, lorsqu’on voit les capitalistes offrir au gouvernement plus de f 0 milliards, comme cela vient d’avoir lieu à l’occasion du dernier emprunt, tandis que ces mêmes capitalistes n’ont jamais eu l’idée de disposer d’un centime pour la fondation d’associations familistériennes. Il est inutile de s’illusionner ; les ouvriers seuls, adandonnés à leur propre ressource, ne peuvent pratiquement fonder des associations prospères. Au Familistère, le capital social représente 50.000 francs environ par travailleur employé dans l’association. Comment peut on penser que des ouvriers seuls disposeront jamais de pareille somme ? Si l’ouvrier français ne montre pas d’enthousiasme pour le Familistère, c’est qu’il sait très bien qu’il ne dépend pas de lui d’en augmenter le nombre. Nous mettons en garde les étrangers q.ii s’occupent de notre fondation contre les critiques des économistes et contre les attaques des anarchistes. Les premières expriment les intentions malveillantes d’une petite coterie ; qui parfois ne dédaigne pas d’hypocrites insinuations, l’influence des économistes, il y a peu de temps omnipotente, perd chaque jour un terrain considérable. Les anarchistes sont peu nombreux, leurs accusations se réduisent à de bruyantes divagations dont il est facile de faire justice.
- Voici l’article en question :
- Parmi les nombreux plans de conciliation et d’harmonie du travail et du capital, l’association entre ces deux éléments producteurs est le point dominant. Elle consisterait à les unir dans les entreprises industrielles en payant aux ouvriers leurs salaires ordinaires, aux capitalistes l’intérêt fixé à l’avance, puisa répartir tout surplus de bénéfices entre le capital et le travail, proportionnellement à ce que chacun d’eux aurait déjà reçu. L’attention publique a été attirée sur ce mode d’association par le succès avec lequel M. Godin l’a réalisé à Guise, France.
- Ouvrier d’abord, M. Godin devint un manufacturier prospère et commença, il y a trente ans environ, à récompenser ses ouvriers en quelque sorte d’après le plan décrit ci-dessus.
- P édifia un immense palais d’habitation, le Familistère, où les travailleurs résident. Ce palais comporte une nourricerie, des écoles, une bibliothèque, un théâtre, des magasins coopératifs ; il a ses jardins, ses promenades, etc., et constitue enfin un village modèle complet, offrant un ex- ,
- emple de ce qui peut être réalisé par un sage et noble chef d’industrie.
- Le surplus des gains de l’association, réparti comme nous l’avons indiqué ci-dessus, donne, environ par an, au capital 56.000 dollars (280.00Ô frs.) et au travail 377,000.
- M. Godin a arrangé les choses en sorte que les parts revenant au travail sont engagées dans le capital social et qu’amsi, en un temps donné, les ouvriers seront devenus possesseurs de l’établissement, lequel est évalué aujourd’hui à 1.000.000 de dollars (5 000.000 de frs.)
- Vu son succès, cette entreprise a été hautement préconisée depuis nombre d’années, comme solution du travail.
- Malgré cela, le Familistère a encore très peu d’imitateurs et l’on explique ce fait par les raisons suivantes :
- Les ouvriers se méfient du plan, le considérant comme une nouvelle méthode de les lier et de les exploiter. Ils disent que si le capital veut leur laisser l’intégralité de leurs salaires, cela peut se faire sans contrat formel.
- Les chefs d’industrie n’ont qu’à clore leurs écritures tous les trois mois ou tous les ans, déduire des bénéfices nets un tant pour cent équitable pour les intérêts du capital, les frais d’administration, etc., et distribuer le reste aux ouvriers proportionnellement aux salaires reçus par chacun d’eux.
- Rien ne leur semble plus simple, et comme cela n’est pas fait, ils en concluent que le capital ne désire pas de bonne foi uns telle équité de répartition.
- Les ouvriers n’ont pas confiance parce qu’ils se méfient des capitalistes. Le capital, disent-ils, a toujours méprisé, assujetti, exploité, opprimé le travail, ne lui accordant rien que contraint et forcé ; en conséquence, nous ne pouvons volontiers nous mettre à la merci du capital par le conti at proposé. L’invitation sonne à nos oreilles comme celle de l’araignée invitant la mouche à venir luire dre visite dans sa toile.
- Le capital jouera au plus fin, réglera les salaires et les frais de façon à donner d'amples portions aux parents ou aux favoris, tandis que les travailleurs seront détournés des grèves. Ainsi les agneaux liés seraient plus aisément la proie des loups capitalistes.
- Eû outre, les ouvriers n’ont aucune confiance dans la capacité des faiseurs capitalistes pour régler la production ni la consommation des richesses. Ils sont témoins des faillites croissantes et des crises commerciales que chaque année amène, catastrophes dont ils souffriraient plus encore qu’ils ne le font déjà, s’ils étaient actionnaires dans ces entreprises au lieu d’être de simples salariés,
- Ils savent, enfin, que le système actuel de concurrence comporte d’immenses pertes pour les industriels les plus faibles ; que le champ des affaires est bien plus celui de la spéculation que celui de l’équité ; que la ruse, la fraude y sont de pratique usuelle et peuvent conduire "aux plus désastreux résultats.
- Ah ! si tous les capitalistes étaient aussi sages, aussi justes, aussi sympathiques, que M. Godin, et se dévouaient à l’équité comme ils se dévouent à
- p.407 - vue 410/838
-
-
-
- 408
- LE DEVOIR
- l'argent, alors, oui, les travailleurs s’associeraient à eux avec plaisir ! Que les faiseurs, abandonnant leurs pratiques usuelles, agissent comme a fait M. Godin, ce noble chef d’industrie, qu’ils commencent par prouver à la fois par leurs actes et leurs paroles qu’ils sont les champions des masses laborieuses, qu’ils veulent faire disparaître les inégalités sociales et donner au travail sajuste récompense, et il n’y aura plus ni grèves ni luttes entre le capital et le travail.
- Dans l’état présent, les ouvriers préfèrent être libres, ou se lier uniquement avec ceux dont les intérêts sont identiques aux leurs. Les capitalistes s’organiseraient-ils pour faire échec aux justes demandes du travail, que les ouvriers unis^ trouveront le moyen de défendre leurs intérêts, devraient-ils recourir au socialisme d’Etat.
- J. O. Woods
- APHORISMES & PRÉCEPTES SOCIAUX
- CXII
- Les vertus de l’humanité.
- La mise en pratique des vertus d’Humanité, Charité, Fraternité, altruisme philanthropie, et de tous les sentiments qui tendent au bonheur des hommes n'aura d’efficacité générale que lorsqu’elle comprendra une plus h umaine répartition de la richesse, sous la protection des lois et des institutions fondées dans ce but ; tel est l'objet du socialisme.
- Faits politiques et sociaux de la semaine
- FRANCE
- L’expulsion des princes.—"La loi d’expulsion a été votée par le sénat. Quel sera l’effet de cette demi mesure, par laquelle on met dehors le comte de Paris et l’on conserve le duc d’Aumale ? Le gouvernement pourra prétendre qu’il a fait le nécessaire pour protéger la République ; les journaux de la politique de diversion pourront, quand ils voudront, reprendre la question des princes en réclamant l’expulsion des princes tolérés en France. Cette solution à l’inconvénient de toutes les demi-mesures, elle laisse la question des princes toujours pendante.
- * *
- Les conseils généraux, — Avant la nouvelle lo1 qui augmente le nombre des conseillers généraux, dans 78 départements la minorité de la population avait la majorité dans les assemblées départementales.
- Nous le disions dernièrement, que des cantous qui ont une population dix, vingt fois plus grande que d’autres, n’avaient qu’une voix comme eux au Conseil général. Bien plus, il est des arrondissements dans le même département qui, avec une population égale et quelquefois inférieure à celle d’un autre
- arrondissement, possèdent un nombr e de cantons supérieur e même double. C’est ainsi que dans 78 départements la minorité de la population a la majorité dans les Conseils généraux.
- Pour remédier à une loi aussi défectueuse, on a prb ie nombre de 15.000 habitants comme moyenne cantonale donnant droit à un conseiller général, moyenne établie d’après la population de la France et le nombre de cantons.
- L’augmentation porterait ainsi sur :
- 554 cantons de .15,000 à 30,000 habitants, élisant
- en plus 1 conseiller général, ci............... 554
- 57 cantons de 30,000 à 45,000 habitants, élisant
- en plus 2 conseillers généraux, ci............. m
- 10 cantons de 45,000 à 60,000 habitants, élisant
- en plus 3 conseillers généraux, ci............. 39
- 3 cantons de 60,000 à 75,000 habitants, élisant
- en plus 4 conseillers généraux, ci............. 12
- 3 cantons de 75,000 à 90,000 habitants, élisant
- en plus 5 conseillers généraux, ci............. 15
- 627 L’augmentation serait au total de..................725
- Le nombre des conseillers généraux pour la France entière serait donc élevé de 2,843 à 3,568, — en laissant de côté, bien entendu, les vingt arrondissements de Paris, le Conseil général de la Seine étant soumis à une législation spéciale. Tel est le principe de la loi votée par la Chambre.
- Ce projet est soumis au Sénat : il faut espérer que la discussion aura lieu assez tôt pour que la loi puisse être appliquée lors des élections d’août pour le renouvellement des Conseils généraux.
- * *
- Les curés de campagne. — Un habitant d’une petite commune a publié les réflexions suivantes en réponse aux préoccupations relatives à la situation des curés de campagne, dans le cas de suppression du budget des cultes : voici quels seraient les revenus moyens de curés de cette
- catégorie.
- 270 messes à 1 fr, 50.................. 405 fr.
- 5 inhumations à 50 fr............... 250 »
- 5 mariages à 15 fr..................75 »
- 20 services et assistance à d’autres
- inhumations à 40 Ir. . . 200 »
- 930 fr.
- Sans compter le revenu des baptêmes, des évangiles, des premières communions, des fondations, des diverses quêtes qui rentrent plus ou moins dans leur budget. Fnfin, pour gagner ces 930 francs, le prêtre est occupé une demi-heure à une messe ordinaire et trois heures au plus pour chaque autre solennité, soit un total de 255 heures ou un peu moins d’un mois du travail d’un ouvrier. S’il trouve ce casuel insuffisant, ne pourrait-il pas élever son tarif ? et n'est-ce pas au consommateur de messe à les payer ?
- Le seul traitement qui devrait être accordé au prêtre devrait consister en une indemnité de 180 fr. pour 60 dimanches et jours fériés à 3 fr. l’un et 100 fr. pour deux heures de catéchisme chaque semaine, ce qui joint au budget ci-dessus établi, donne un total de 1.220 fr. par an. Cette situation serait encore préférable à celle des instituteurs, qui sont pourtant d’une bien autre utilité.
- p.408 - vue 411/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 409
- ESPAGNE |
- SeptmilLons pour l’enfant. —Dans le pro- j jet de budget présenté aux Chambres espagnoles par le Ministre des Finances, nous voyons figurer une somme de 7 millions de pesetas (la peseta équivaut à un franc de notre monnaie) pour le traitement du jeune roi, qui, on le sait, est âgé de quelques semaines seulement.
- Sept millions !
- Les bavettes et la bouillie valent un joli prix dans les pays qui sont en monarchie !
- Ajoutons un détail : la tante du petit roi vient de lui faire cadeau de trois énormes gerles qui ont coûté environ 30,000 francs.
- ITALIE
- La réaction en Italie. — On nous télégraphie de Rome, 23 juin, onze heures, soir.
- Huit membres estimés du Parti ouvrier ont été arrêtés aujourd’hui à Milan : les citoyens Casati, Lazzari, Fantuzi, Croce Kerbs, Casiraghi, Botterie et Parenti.
- Les quatre premiers s’étaient présentés comme candidats socialistes aux récentes élections.
- Un arrêté préfectoral dissout les sociétés qui ont adhéré au programme du Parti ouvrier.
- La police a fait des per quisitions aux sièges de ces sociétés et au domicile de plusieurs socialistes.
- L’instruction du procès vise le chef de conspiration.
- D’après le geuvernement, il existerait dans la Haute-Italie 140 sociétés qui auraient adhéré à ce programme du Parti ouvrier.
- M. Depretis, interpellé ce soir à la Chambre par M. Costa, député socialiste, au sujet des arrestations opérées à Milan a dit qu’il annoncera vendredi si et quand répondra.
- ALLEMAGNE
- Les fils de Bismarck.— M. de Bismarck s’occupe, avec une sollicitude toute paternelle, de l’avancement de ses fils. L’un d’eux a été tout récemment promu major, et des journaux ont prétendu que, sans faire jamais de service, les comtes de Bismarck obtenaient un avancement bien plus rapide que les militaires de profession.
- On annonce, en outre, que le comte Guillaume va être nommé président du gouvernement de Lorraine, à Metz. Et on ajoute, à ce propos, que le ministre de Puükammer a passé autrefois par cette étape, ce qui lui a permis de devenir rapidement ministre des cultes.
- On considère le poste de Metz comme une station de laquelle, avec une bonne conduite et quelque protection, on peut rapidement s’élever jusqu’aux plus hautes sphères officielles.
- La misère à Berlin. — Le journal Das Echo de Berlin, nous fait des bas-fondu de cette capitale un tableau saisissant et qui vaut la peine d’être reproduit.
- Berlin, nous dit-il, compte environ 40.000 maisons. Dans ce chiffre sont comprises un certain nombre d’habitations qui n’abritent qu’une ou deux familles, mais la majorité des maisons comprend plusieurs logements distincts : 2.500 en
- g
- ont de 16 à 20; 20.000 de 20 à 30; un millier au moin plus de 30. Parmi ces Icgpments, il y en a 75.000 qui sont formés d’une seule et unique pièce. C’est ainsi que sont logés 270.000 habitants de Berlin, ce qui donne une moyenne de 4 habitants par chambre; 75.000 autres logements se composent de deux pièces et sont occupées par 360,000 habitants, enfin 30,000 logements de trois pièces abritent 140.000 êtres humains.
- Ces chiffres suffisent à montrer dans quelle promiscuité vit une énorme proportion de la copulation berlinoise : encore ne donnent-ils que fies moyennes, c’est-à-dire, dans bien des cas, une image fort éloignée de la réalité.
- Les maisons des quartiers pauvres, souvent élevées de cinq et six étages, sont si pressées les unes contre les autres qu’elles manquent d’air aussi bien que de lumière.
- Pénétre-t-on dans ces misérables demeures, on est pris à la gorge par une odeur empestée, humide et chargée de miasmes ; tout est d’une saleté repoussante.
- Même atmopshère étouffante, même malpropreté dans les logements. Le peu de meubles qui s’v trouvent sont misérables et boiteux. Le désordre et l’incurie ont mis partout leur marque. Dans bien des cas l’appartement se compose en tout et pour tout d’une cuisine avec un lit unique pour l’homme, la femme et les enfants, aussi bien que pour le « pensionnaire de nuit », qui paye à la famille un misérable écot!...
- On peut s’imaginer quelle peut être dans un tel milieu l’éducation des enfants. INon-seulement les parents dédaignent de s’occuper d’eux, mais quels spectacles et quels discours empoisonnent le cœur de ces pauvres êtres ! C’est là que naît en eux le goût du crime et du vol, de la paresse, du vagabondage et des vices les plus repoussants, goût dont les racines sont si profondes qu’il devient impossible de les extirper!
- A dix ou douze ans, las de leurs jeux et de leurs batailles dans le ruisseau, ces enfants vont eherr.her des aventures : on est douloureusement surpris, quand on examine les statistiques judiciaires de Berlin, du nombre prodigieux de jeunes criminels qui y figurent.
- On voit que les cinq milliards arrachés à la France n’ont pas enrichi les sujets de l’Empereur d’Allemagne !
- LE RENOUVELLEMENT
- DES CONSEILS GÉNÉRAUX
- La loi votée par la Chambre, visant l’augmentation du nombre des Conseils généraux, est un pas fait vers la proportionnalité dans les délégations du suffrage universel. Il n’était pas juste, en effet, de faire représenter par un seul mandataire des cantons ayant 40,000 habitants, lorsque d’autres cantons, avec une population de 7 ou 8,000 habitants, avaient aussi un délégué an conseil départemental.
- La loi électorale de la représentation départementale contient aussi une application du principe de la permanence des corps élus et du renouvellement partiel. Les conseillers généraux, élus pour
- p.409 - vue 412/838
-
-
-
- 410
- LE DEVOIR
- six ans sont renouvelables par moitié tous les 3 ans. Ces périodes entre chaque renouvellement ont une durée trop longue ; il serait préférable de nommer les conseillers généraux, et tous les autres délégués du suffrage universel pour deux ans, et d’en renouveler chaque année une moitié. C’est ainsi que la République deviendra le gouvernement du pays par Je pays.
- Le prochain renouvellement partiel des conseils généraux pourrait avoir néanmoins une influence salutaire sur l’avancement politique de nos mœui s publiques. Mais nos dirigeants conservent à cet égard un silence prudent. On dirait, vraiment, que nos députés et nos journalistes ont peur d’un réveil de l’opinion.
- En haut lieu on n’entend le moindre mot au sujet des questions relatives au renouvellement des conseils généraux ; dans la presse départementale on notera la plus idiote extravagance du fou qui gouvernait la Bavière avant d’accorder la moindre attention aux problèmes de premier ordre que peuvent poser des événements imminents.
- Indépendamment des affaires départementales, le renouvellement des conseils généraux soulève les questions du cumul et des vœux politiques.
- La première est des plus importantes.
- 11 y a à peine un mois, les Chambres se séparaient, ajournant tout projet de réforme, pour permettre à nos honorables de siéger dans les conseils départementaux ; prochainement, nous allons les voir s’ajourner de nouveau pour prendre part à ces élections: dans quelques mois7elles se sépareront encore pour assister aux sessions d’automne des assemblées départementales, et ainsi de suite.
- Entre ces interruptions causées par le cumul des fonctions électives, députés et sénateurs ont à peine assez de temps pour voter le budget et expédier les lois les plus urgentes d’administration courante.
- De la sorte, il ne reste pas le moindre temps pour approfondir les problèmes sociaux.
- 11 est évident que le mandat de conseiller général ne peut s’exercerpar un député sans que le travail législatif soit grandement compris.
- Le bon sens ne peut admettre le cumul, lorsque l’une des fonctions empêche partiellement l’exercice de l’autre.
- De même le principe démocratique commande la pleine représentation du mandant par le mandataire ; il est donc incompatible avec une situa-
- tion qui interrompt et annule périodiquement un des deux mandats.
- Le cumul a, en outre, l’inconvénient d’entraver le développement normal de la démocratie. Dans une République, il est salutaire qu’un grand nombre de citoyens prennert part directement à l’administration das affaires publiques ; le peuple a besoin d’avoir sous la main un grand nombre de citoyens ayant prouvé ce qu’ils savent faire,chaque fois que se produit une vacance dans les représentants du degré le plus élevé.
- Les fonctions de maire, de conseiller municipal d’arrondissement, de département sont d’excellentes occasions d’habituer descitoyens au maniement des affaires publiques.
- Gomment se fera cette éducation,sid’insatiables ambitieux cumulent les fonctions de maire, de conseiller municipal, de conseiller général de député, de résident au Tonkin ou d’ambassadeur en Chine ou ailleurs ?
- La représentation nationale n’esi pas ga antie contre certaines éventualités qui peuvent l’immobiliser à Paris, tandis que la sauvegarde de l’intérêt national exigerait une intervention générale des assemblées départementales,
- Les faiseurs de coups d’État peuvent emprisonner l’assemblée ; elle peut être retenue à Paris par une émeute victorieuse ou par une invasion.
- En pareil cas, nos assemblées départementales privéesd’une partie de leurs membres,ne sauraient avoir l’influence et la promptitude d’action si nécessaires dans les événements graves.
- La mort d’un cumulard a toujours pour effet de produire, dans une certaine région, un désarroi général ; quelquefois elle donne lieu à trois ou quatre élections, lorsqu’il serait raisonnable qu’elle en occasionne une seule.
- On ne trouvera pas un seul motir valable pour défendre le cumul.Il est en contradiction flagrante avec les données les plus élémentaires du bon sens et de la démocratie. Cependant, il tient une grande place dans notre pays.
- Lorsque nous disons qu’il n’existe pas d’arguments en faveur du cumul, nous n’oublions pas que les timides et les réactionnaires ont de véritables litanies de lieux communs pour prouver que tout tournerait aspire, si M. Jacques ou Paul cessait d’être à la fois maire,conseiller général,député et ambassadeur.Mais tous les raisonnements de ce genre perdent toute valeur a la pensée de ce fait inéluctable. Messieurs Jacques et Paul sont mor-
- p.410 - vue 413/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 411
- tels. La mort qui ne connaît pas d’hommés nécessaires fait son œuvre malgré le cumul et malgré les puissants motifs des électeurs modérés et routiniers. Gela n’empêche ni la terre de tourner, ni la machine politique de continuer sa marche. Mais la secousse aurait été moindre si on avait eu la précaution de ne pas créer les complications nuisibles.
- Le cumul n’est pas le seul défaut de nos assemblées départementales.
- [1 leur est interdit de s'occuper des affaires générales du pays. Nous comprenons qu’elles n’aient pas le pouvoir de faire des lois, mais il nous paraît absurde que la loi leur défende d’émettre un vœu politique*
- Il y a d’abord une contradiction ridicule entre cette interdiction et le cumul qui ouvre la porte de ces assemblées aux sénateurs et aux députés, hommes jouant un rôle essentiellement politique; de même, le fait des conseillers généraux d’être de droit électeurs sénatoriaux constitue une autre contradiction pas moins blamâble que la précédente. ^
- Dans notre département, nos conseillers généraux, qui n’ont pas le droit légal d’émettre un vœu politique, se trouvent par la loi en situation de voter trois fois, davantage si cela leur plaisait, pour un candidat inéligible
- Nos conseillers généraux de l’Aisne, malgré la loi qui limite leur mandata l’examen et à la solution des affaires départementales, depuis plusieurs années, emploient la plus grande partie de leur temps à exploiter la prétendue crise sucrière.
- Et s’il arrivait qu’un honnête homme présentât un vœu en faveur d’une réforme sociale urgente ou à l’appui d’un projet de loi libérale, on les entendrait presque tous protester et invoquer la lettre de la loi.
- La République doit être un gouvernement d’opinion publique; à ce titre, elle ne peut condamner aucun moyen propre à éclairer la conscience des législateurs ; les vœux émis par les conseillers généraux ont, peut-être, plus que tous les autres, ce pouvoir de contenir de sages indications utiles aux Chambres législatives.
- Nous repoussons le cumul, et nous réclamons pour les conseilsgénéraux la faculté d’émettre des vœux politiques. Pour ou contre ces questions, la presse républicainea le devoir deparler, lorsque quelques semaines noue séparent à peine des élections départementales.
- LE DROIT D’ASSOCIATION
- On vient de distribuer aux députés le texte de la proposition Duchâtel concernant la liberté d’association et tendant à l’abrogation des articles 294 et 292 du code pénal et de la loi du 10 avril 1834.
- Après la crise de pol.tigue aiguë que la Chambre vient de traverser, nous espérons qu’elle va s’occuper des lois d’affaires et celie-la est intéressante entre toutes.
- Dans un exposé des motifs très succinct mais très complet, M. le comte Duchâtel rappelle les diverses vicissitudes subies par les propositions analogues déposées à l’Assemblée nationale, en 1871, par MM. Tolain, Brisson, Lockroy, etc.; au Sénat, en 1880, par M. Dufaure ; en 4883, par M. Waldeck-Roussesu, et il termine ainsi :
- La solution de cette importante question doit-elle être indéfiniment ajournée ? nous ne le pensons pas.
- Nous estimons, bien au contraire, qu’il est du devoir d’une Chambre démocratique et libérale d’en reprendre l’étude et de la mener à bonne fin. Nous croyons qu’il convient d’en finir avec la réforme d’une législation si souvent condamnée.
- Au régime de l’arbitraire, pour toute une catégorie d’associations, nous voulons essayer de substituer les bienfaits d’une législation aussi libérale que peuvent la comporter les droits ou la liber!é d’autrui et la sécurité publique.
- C’est là le but de la présente proposition de loi.
- Suppression de toute mesure préventive, de toute autorisation préalable, mais maintien du droit commun en ce qui concerne la répression des délits ou infractions aux règlements ; publicité absolue, comprenant déclaration des fondateurs, dépôt des statuts, des documents relatifs à la situation financière, des listes de membres, etc; indication des conditions d’existence et des ressources de l’association simplement déclarée; obligation d’une loi spéciale pour que l’association puisse être reconnue comme établissement d’utilité publique et acquérir la personnalité civile; prohibition sévèrement maintenue des sociétés secrètes ; tels sont les points fondamentaux les traits caractéristiques du projet de loi dont nous soumettons, au moins le principe, avec confiance à l’examen de la Chambre.
- Nous ne doutons pas qu’elle veuille bien le prendre en sérieuse considération.
- Au cours des délibérations, tous nos efforts tendront à op-tenir la solution la plus libérale, et nous sommes persuadé que la Chambre tiendra à honneur d’adopter celle qui pourra réaliser ces deux grands résultats : la liberté dans l’exercice du droit d’association, et l’admission de tous les citoyens à la jouissance de cette liberté.
- La loyauté politique
- La reine Biano, notre fidèle alliée sakalave pendant la compagne de Madagascar, écrit au Temps une longue lettre pour se plaindre de la France.
- Nous en détaehons la seconde partie :
- Vous avez su les malheurs qui sont venus chez nous et les promesses que l’on nous a faites il n y a pas longtemps §t
- p.411 - vue 414/838
-
-
-
- m
- LE DEVOIR
- |
- qu’on n’a pas tenues ; et celles faites il y a quarante ans, j quand mes ancêtres ont donné à la France des îles près de \ Madagascar et que la France leur a donné sa protection dans leur ancien royaume contre les Hovas.
- La guerre est finie maintenant, et, jusqu’à la fin, mes enfants ont marché avec les soldats français ; il y en a qu ont été tués ; il y en a aussi qui ont été blessés, et on a vendu aux Howas mon pays et mes sujets comme on vend des boeufs, excepté que ce n’est pas en échange des piastres mais en échange de la paix.
- Je ne crois pas que ce soit la règle en France que tout le monde abandonne ses enfants quand ils abandonnent leur père et leur mère, ce qu’était la France pour nous
- Avec l’aide des papiers que je vous envoie, venez k notre secours, car si vous voulez les faire connaître, la France, et tout le monde en France, apprendra que ses enfants sakalaves ont été trompés parce que, dans ces papiers, il est écrit tout ce qu’on nous a promis et tout ce qu’on nous a commandé de faire.
- Moi et tous mes sujets nous vous prions de les faire connaître.
- Je vous salue ; que Dieu vous protège.
- Biano,
- Reine des Sakalaves ;
- Àmponimena.
- On croyait avoir facilement raison des Hovas ; on avait pas marchandé les promesses que l’on pensait pouvoir tenir sans peine. Les événements n’ont pas justifié ces espérances ; l’on n’a pas hésité â abandonner nos auxiliaires les Sahalaves sans aucun souci des engagements antérieurs. On ne pouvait agir différemment ; cette fâcheuse conséquence d’une première faute était inévitable. Néanmoins il est déplorable de voir une nationpuissante, ayant eu beaucoup à souffrir de la déloyauté de ses ennemis, contracter des engagements avec autant de légéreté.
- Le Tour du monde en vélocipède.
- Le correspondant spécial d’un journal de sport américain, M.Thomas Stevens est en train d’exécuter un tour de force original.
- Parti de New-York, H y a plus d’un an, il fait en vélocipède le voyage de l’ancien continent, avec le projet d’arriver à la Chine, de passer au Japon, puis à San-Francisco, enfin «l’ach«ver le tour du monde en franchissant sur son bicycle toute l’Amérique du Nord.
- Actuellement, i! se trouve en Asie centrale, après avoir hiverné à Téhéran.
- Il compte se rendre à Mery, Boukhara, Samarcande, Tae-hkend, puis en Sibérie méridionale.
- D'Irkoutsk, il essaiera de passer en Mongolie, et de là à Pékin.
- Au cas où cet itinéraire lui serait fermé, il chercherait à atteindre la côte du Pacifique par le bassin du fleuve Amour.
- D’un côté comme de l’autre, l’entreprise présente des difficultés inouïes et dont la dernière lettre de M. Stevens dont voici le texte pourra donner une idée :
- « Meched ( Perse ) , 31 mars.
- « Je suis arrivé hier soir ici, après une lutte de vingt jours contre les éléments.
- J’ai commis la faute de quitter trop tôt Téhéran, et cette 4ute je l’ai expiée en me trouvant aux prisas avec d*s cours d’eau débordés, des pluies torrentielles, des boues et des neiges dont il m’est impossible de donner une idée.
- « L’été avait déjà fait son apparition à Ténéran lors de mon départ; mais le climat de cette capitale et celui du Ko-ragan n’ont aucune analogie.
- « Parti le dix mars en casque de liège, souliers découverts et bas de laine douce, j’arrive à Mesched sur deux pieds de neige
- « Il n’y a peut-être pas au monde de pire pays que le Ko-ragan pour voyager en vélocipède. A la moindre averse on voit descendre des montagnes de vérit .blés nappes de boue liquide qui transforment les plaines en marais. Il m’est arrivé de passer à gué, en un seul jour, jusqu’à cinquante cours d’eau, sous un vent du Nord plus mordant que celui de Woy-rning et de Nebraska.
- « D’autre part, les variations de température sont soudaine et violentes.
- « Pas pius tard que le 28, à quarante-cinq milles de Meched Je me suis trouvé pris dans une tempête de neige et par un froid tel que les glaçons se formaient sur mes cils; la neige était aveuglante et je ne sortais des ruisseaux guéables que pour tomber en des fondrières sans fin
- « Vous me voyez, trempé jusqu’aux os, avec mes vètemeuts gelés sur moi, les mains engourdies, les pieds mordus par le froid, me traîner par les plaines et les monts sans trouver le moindre abri !
- « Et quand enfin je suis parvenu à atteindre un toit d’auberge, quel toit et quelle auberge Un horrible caravansérail encombré de mulets, d’ânes et de chameaux sans parler de leurs maîtres, tous empilés les uns sur les autres....
- « C’étaient des pèlerins en route pour Meched.
- Ma foi ! après une nuit dans cet asile, je préférai poursuivre mon voyage sur deux pieds de neige que risquer de me voir emprisonné pour une semaine dans ce lazaret...
- En dépit de tout, les difficultés matérielles ne sont rien dans un voyage comme le mien.
- « Ce qui est irritant, c’est de se trouver en même temps aux prises avec des difficultés politiques. Et, à cet égard, j’ai à me plaindre des Russes.
- « Le ministre de Russie à Téhéran m’avait assuré que je pourrais librement entrer en Sibérie méridionale; je m’étais, dans ce but, et à grands frais, muni d’argent russe ; mais voilà qu’à moitié chemin de Meched, je suis informé qu’on ne me laissera pas suivre cette route.
- « Et d’autre part on m’assure que le gouvernement afghan ne voulant pas prendre la responsabilité de ce qui pourrait m’arriver sur son territoire, me l’interdira purement et simplement.
- « Pour le présent, j’attends des nouvelles des démarches que je fais faire auprès de la Commission de la ligne frontière pour tâcher d’obtenir l’entrée en Afghanistan.
- « Une foule énorme stationne devant le bureau télégraphique où j’ai reçu l’hospitalité et crie: « Tomzcha, ! . . .
- p.412 - vue 415/838
-
-
-
- LE! DEVOIR
- 413
- Tomacha !... Aspi-douen!...» ce qui signifie : « Nous voulons voir le cheval de fer ! »
- « Les autorités loeales ont dû placer des sentinelles pour me protéger contre cette curiosité d’ailleurs bienveillante.
- « Thomas Stevens. »
- On voit que M. Stevens est un hardi voyageur : puisse son cheval de fer le ramaner sain et sauf.
- Les Scandales de Paris.
- Les faits que nous reproduisons plus bas nous rappellent quelques réflexions émises dans le Devoir, à l’occasion des récents scandales de Londres. Nous disions alors à nos confrères entraînés à de sentimentales déclamations contre l’immoralité de nos voisins : ce n’est pas la peine d’anathé-matiser de la sorte un peuple ni meilleur ni plus mauvais que le nôtre ; un souffle, de corruption, favorisé par la misère générale indique la décadence des peuples civilisés sous toutes les latitudes ; partout l’individualisme a conduit les sociétés à la dégrada'ion physique et morale ; au lieu de gémir sur tant de turpitudes, vous feriez mieux d’envisager les projets de régénération sociale.
- Nous trouvons aujourd'hui,dans l’Intransigeant, une trop éclatante confirmation de notre manière de voir; voici ce que raconte ce journal au sujet de la traite de blanches :
- La séquestration de Mm® K... dans une maison de prostitution de Versailles nous a mis sur la trace d’une véritable association formée par des individus qui vivent et s’enrichissent en exploitant et en favorisant la prostitution.
- Cette honnête association, très bien organisée, est relativement nombreuse.Elle possède parmi ses membres... un ancien sous-brigadier de la police de sûreté !
- Plusieurs de ceux qui la composent ont laborieusement amassé une petite fortune. Il en est un, entre autres, qui a récemment acheté un château, où il compte sans doute finir paisiblement ses jours, comme un bon bourgeois, entre sa femme et ses enfants.
- Les racoleurs sont en rapport avec trente-huit maisons publiques de province.
- En outre, ils fournissent des femmes à l’étranger, surtout à la Belgique et à l'Angleterre. Les mineures et les femmes mariées sont placées par eux de préférence dans les villes de h grande banlieue : Saint-Germain et Versailles surtout.Dans css localités, la surveillance est, paraît-il, plus relâchée qu’ailleurs ; les supercheries sur l’âge ou sur l’état civil y sont des plus faciles.
- Bes industriels d’un genre spécial s’adressent, surtout aux malheureuses dont les traits et -la mise semblent dénoncer des étrangères. Ordinairement, ils «r travaillent » par groupes de °mq à six. Rarement ils sont seuls.
- Leur lieu rte rendez-vous est un établissement de la rue
- mnt Honoré, que nous connaissons parfaitement et que nous Pourrions désigner. En outre, tous les soirs, ils se rassemblent
- ans une brasserie située urés des boulevards. Là. ils se
- communiquent fraternellement leurs « commandes » et prennent leurs dispositions pour la besogne du lendemain. Ils y ont leurs tables à eux et passent le temps â jouer aux caries
- La puissance de ces chenapans est incroyable. Ils parviennent, notamment, à se procurer, sans grande peire, la liste des décès qui se produisent chaque jour. Ils guettent les or phelines que la mort de leurs parents plonge dans la misère et ils les entraînent au lupanar, sous prétexte de leur procurer un emploi lucratif. Nous serons bientôt en mesure de raconter un fait de ce genre.
- Mais ils réussissent plus facilement à la porte des bureaux de placement. Les jeunes bonnes leur procurent une proie facile.
- Quand MmeK...aétè accostée boulevard de Sébastopol, c’est par deux individus et non par un seul, ainsi que nous l’avions dit par erreur dans notre précédent article. L’un, nommé Pierre Q..., est âgé de trente-deux ans. Il habite depuis le 16 avril dernier l’hôtel de Normandie, 4, rue de la Corderie. Sur le livre de police, il s’est donné comme étant né en Savoie, et exerçant la profession d’employé de commerce ! Il ne reçoit pas toutes ses correspondances à cette adresse. La plupart de ses lettres arrivent à son ancien domicile, rue de Traoy. C’est un individu à mine patibulaire, aux pommettes rouges. Le côté gauche de son visage est rayé d’une balafre.
- L’autre racoleur demeure 11, rue Saint-Jacques. Tous deux appartiennent à f « association » et ils n’en sont pas à leur coup d’essai.
- Après avoir fait miroiter aux yeux de M"10 K., les offres les plus brillantes, Pierre Q.... l’a emmenée d’abord déjeuner dans le débit de vin qui occupe le rez-de- chau «sée de l’hôtel de la rue de la Corderie : c’est son procédé habituel. Puis, cet homme obligeant l’a accompagnée — par pure amitié — à Versailles, où, disait-il, les patrons l’attendaient. Il s’agissait, d’après lui, d’un emploi de fille de salle chez un liquo-riste.
- Voici comment a été opérée la livraison :
- Pour ne pas éveiller les défiances deMra* K..., le misérable l’a d’abord conduite dans le débit d’un sieur C..., rue Madame.
- — Votre patronne, lui a-t-il dit, va venir à l’instant vous chercher. Attendons-la.
- Mme K..., naïve campagnarde, a apporté avec elle de Saint-Quentin un chat qu’elle affectionne beaucoup. L’entremetteur se fit remettre, dans un panier, l’animal dont il promit d’avoir le plus grand soin.
- Peu après, un femme à l’air respectable arriva à son tour dans le débit. C’était la patronne attendue. Mme K... la suivit. On sait le reste.
- À diverses reprises, pendant son séjour dans la maison de Versailles, l’infortuné a tenté de faire connaître à son mari sa terrible situation. Jamais elle n’y est parvenue. On la surveillait sans cesse. Elle ne pouvait même pas s’approcher de la porte de sortie. La maison dont il s’agit est fréquentée uniquement par des soldats. M®6® K.., essaya souvent de les
- p.413 - vue 416/838
-
-
-
- AU
- LE DEVOIR
- intéresser à son sort ; mais ceux-ci prirent pour une table l’histoire qu’elle leur raconta ou bien n'y prêtèrent aucune attention. Elle a subi trois fois la visite sanitaire, sans oser se plaindre au médecin. Ses maîtres l’avaient terrorisée. La pauvre femme, dont l’esprit est faible, craignait qu’ils ne missent leurs menaces à exécution.
- Son admission dans ce lieu avait été opérée très facilement. Le tenancier avait demandé lui-même son acte de naissance en Belgique. C’est la seule pièce exigée par les règlements de police.
- Une seule fois, un inspecteur de police passa rapidement par l’établissement. C était, de sa part, une simple formalité. Il but avec les femmes et s’en alla. Mme K... ignorait qui i était. Elle put d’autant moi is lui parler qu’au préalable on l’avait enivrée. Tout cela n’est-il pas effroyable ?
- + *
- Depuis que son mari l’avait retirée de cet enfer, il s’étai juré de retrouver les deux racoleurs. Dans ce but, il parcourait avec elle, du matin au soir, les principaux quartiers de Paris.
- Avant-hier, Mme K..., reconnut Pierre Q..., place du Châtelet, au moment où il accostait une jeune fille et lui remettait sa carte. M. K... se précipita vers lui, mais l’autre disparut sans qu’on pût le rejoindre.
- M. K... revint alors sur ses pas. Il rattrapa la jeune fille, lui exposa en quelques mots la situation. Par la carte qu’elle avait gardée, le pauvre homme apprit l’adresse qu’il cherchait.
- Il s’y rendit aussitôt. Au rez-de-chaussée de l’hôtel de Normandie, dans le débit, M“e K... reconnut le chat que Pierre Q... avait emporté en la quittant. Grâce à cet animal, l’identité de l’entremetteur a pu être établie.
- La veille, celui-ci était parti pour Evreux avec deux femmes dont il allait faire la livraison. Il a, dans cette ville, la clientèle d’une maison tenue par une femme E... Il fallait donc, bon gré mal gré, attendre son retour.
- * *
- Sur ces entrefaites, parut notre premier article. Le personnage en eut connaissance. Devinant ce qui l’attendait à son domicile, il évita d’y reparaître, à la grande colère de l’hôtelier, M. G..., à qui il doit une somme de 90 francs.
- M. C... se mit à sa poursuite. Se rappelant que l’individu allait chaque jour chercher sa correspondance à sot ancienne adresse, rue de Tracy, 10, il alla l’y guetter. L’idée était heureuse. Vers cinq heures, M. C... aperçut Pierre Q..., qui arrivait en voiture. Le misérable s’était lait couper la barbe ainsi que les cheveux et teindre la moustache. Malgré cela, sa balafre le rendait parfaitement reconnaissable.
- M. C... courut à lui :
- — Mon argent ! rédama-t-il.
- — Excusez-moi ! répondit l’autre en balbutiant. Je ne puis vous payer aujourd'hui.
- — Eh bien! alors, au poste! s’écria M. G .. Vous vous expliquerez là-bes.
- Il tenta de le saisir au collet, mais Pierre Q... prit la fuite, suivi de près par l’hôtelier. En courant, Q... jeta dans un terrain vague un paquet de lettres qui doivent en dire long sur ses opérations.;, commerciales.
- Auprès du square des Arts-et-Métiers, des maçons lui coupèrent la route.
- Des agents le saisirent et le conduisirent au poste. Il sera interrogé ce matin.
- Son complice a été arrêté, dimanche soir, dans de curieuses circonstantes. Toute la journée, M. et Mme K... s’étaient tenus aux aguets, à l’endroit du boulevard Sébastopol où la femme a été racolée. Ils avaient espéré qu’à un moment quelconque l’un des chenapans viendrait « y travailler » encore. Mais ils n’avaient rien aperçu.
- Vers neuf heures, M. K... entra dans un urinoir. Sa femme marchait à quelques pas. Tout à coup, elle poussa un cri d’effroi. Un individu qu’elle ne reconnaissait que trop s’avançait vers elle avec un air de menace.
- — Ah! s..., lui dit-il en la saisissant par le bras; tuas quitté Versailles, et tu nous as dénoncés à la police ! Tu vas retourner là-bas ou, sans cela, gare à toi ! Et surtout ne crie pas, je te le conseille !
- Il chercha à l’entraîner. A ce moment, M. K... aperçut sa femme qui se débattait. S’élancer et sauter à la gorge du misérable fut pour lui l’affaire d’un instant. Des gardiens de la paix intervinrent et les deux hommes furent menés au poste, où tout s’expliqua.
- Le racoleur fut fouillé. Outre quelques menus objets, on trouva dans ses poches un numéro de Y Intransigeant relatant la séquestration de Mrae K...
- Hier matin, une perquisit on a été opérée à son domicile, 11, rue Saint Jacques. Dans son logement se trouvait une femme, Joséphine Collin, quia été emmenée au commissariat du Temple. Cette femme est, pour le moment, sa maîtresse.
- Elle a déclaré qu’à de nombreuses reprises, son amant l’avait placée dans des maisons de tolérance de province, notamment à Orléans. C’est une ancienne bonne, qu’il a débauchée, après l’avoir sans doute racolée comme Pierre Q... et lui ont racolé Mme K ..
- Ces deux individus semblent, sinon les chefs, du moins les principaux membres de l’association des pourvoyeurs de femmes. Hier soir encore, une lettre de Belgique est arrivée à l’adresse de Pierre Q .., rue de la Corderie. Elle émanait d’une maison de prostitution bien connue à Bruxelles. Dans cette lettre, « Mme Denise », maîtresse de ce lieu hospitalier, faisait probablement une « commande » à son fournisseur ordinaire.
- M.Trobert, commissaire de police semble vouloir poursuivre d’une façon sérieuse l’enquête sur les faits et gestes de ses deux prisonniers. Malheureusement, la loi ne prévoit pas de tels délits, à moins que les femmes ne soient mineures.
- Pierre Q... et son complice en seront donc quittes pour les quelques mois de prison qui peuvent-être octroyés aux individus «n’ayant d’autres moyens d’existence que la prostitution», à moins qu’on ne les retienne pour délit de complicité dans la séquestration.
- Après avoir purgé leur condamnation, ils reprendront sans aucun doute leur petit métier en essayant de rattraper le temps perdu. Seuls, les tenanciers de la maison de Versailles tombent directement, pour séquestration, sous le coup des rigueurs du Code. C’est probablement pour cette raison que, jusqu’ici, on ne semble pas vouloir les poursuivre.
- Ph. Dubois.
- p.414 - vue 417/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 415
- CHARLES SAYILLE
- par* ROBERTSON
- Roman philosophique
- Chapitre IX
- ENCORE UN AMI DE COLLEGE — EMBARQUEMENT.
- Saville se promenait à pas lents sur le quai, ne sachant quel parti prendre. Il se demandait si la recherche quMl avait entreprise n'était pas folle ; si le prétendu devin ne s’était pas joué de lui ; si Georges Morton lui-même ne s’était pas entendu avec le vieillard pour le mystifier. Mais à quel propos ? Dans quelle intention ? Georges était la franchise même ; c’était son camarade d’enfance, son ami le plus intime. Il lui avait, à la vérité, donné l’étrange ronseil d'aller consulter un devin, ce qui semblait faire peu d’honneur à son intelligence; mais les plus grands personnages de l’époque n’allaient-ils pas chez mademoiselle Lenormand ? Quant au devin lui-même, à supposer que Georges eût eu l’intention de le prévenir, ce qui était bien invraisemblable, cette intention n'aurait-elle pas été déjouée par la résolution subite que prit Saville d’aller le surprendre à l'improviste ? Il faut du temps pour préparer une scène de prétendue magie. Il en faut plus encore pour se procurer des renseignements aussi précis, aussi minutieux que ceux que possédait le vieillard sur les détails les plus intimes de sa vie. Et cependant, Charles arrivant secrètement, inopinément, à une heure presque indue, avait été introduit par un domestique qui l’attendait, et qui savait l’heure précise àlaquelle il était sorti de chez lui.
- Puis, en se retraçant le lieu de la scène, le chalet, la vallée délicieuse transformée sous ses yeux en un affreux amas de ruines, Saville se disait bien que ce ne pouvait être qu’une illusion ; illusion si complète, si saisissante qu’elle tenait du prodige, et ne pouvait se comparer aux effetsdu panorama ou de la fantasmagorie. De quelque manière* que cette illusion fût produite, elle dénotait du moins une connaissance profonde de certaines lois de la physique.. Pourquoi le savant, qui avait pénétré ce secret de la nature, n’aurait-il pas aussi découvert le ressort de la vie ? Ce qu’il avait dit du fluide vital était, sinon vrai, du moins lort plausible.
- Comme Charles faisait ces réflexions, il fut accosté par un grand jeune homme bien découplé, à l’air ouvert et jovial, et portant le costume de marin.
- —- Eh, je ne me trompe pas 1 Non, parbleu, c’est bien lui. Comment, Saville, tu ne te souviens plus de ton petit copain, Edouard Carbonnel, le petit vaurien le plus paresseux du collège ;qui recevait plus de semonces et de mauvais points que de prix ? /.u fait, ça ne m’étonne pas ; tu étais dans les grands, toi, et je n'étais tfu’un gamin.
- — Quoi ! c’est toi, mon cher Edouard ? Que je suis montent de te revoir ! Le petit vaurien est maintenant ’^n homme fait. Je ne t'aurais pas reconnu.
- — Te *ouvien»-tu que tu prenais toujours mon parti,
- quand un grand voulait me donner une raclée ?M’en as-tu sauvé des taloches !
- — Oui, mais je vois qu’aujourd’hui j'aurais plus besoin de ta protection que toi de la mienne.
- — Dame ! les années sont venues. Te souviens-tu de ces bons pots de confitures que ton papa t’envoyait, et dont tu me donnais toujours la moitié ? Croirais-tu que je les aimes toujours autant, les confitures ?
- — Vraiment ? Eh bien, j’espère que nous en mangerons encore ensemble. Ah ça, tu es donc maria ?
- — Oui, je suis contre-maître d’un navire de commerce anglais, qui est mouillé dans la rade, et en destination pour la Jamaïque. C'est un beau trois- r âts, bien gréé, bien équipé, et fin voilier, je t’assure. Viens donc le voir.
- — Prenez-vous des passagers ?
- — Oui, nous en prenons, il y a de quoi en recevoir une douzaine ; mais nous n’en avons que quatre en ce moment. Pourquoi me demandes-tu cela ?
- — Parce que j’ai presque envie de partir avec toi.
- — Vraiment? Oh fameux ! délicieux î Voilà un bonheur auquel j’étais loin de m'attendre.
- — Mais j’ai peur que mon mauvais anglais ne soit pas de mise parmi vous.
- — B ih 1 ne t’inquiète donc pas. Je serai ton interprète, s’il t’en faut un. D’ailleurs, notre patron a une teinture de français, aussi bien que cinq ou six hommes de notre équipage, quoiqu’ils fassent un triste gâchis des genres des substantifs et des temps des verbes. Ainsi, ils ont de quoi prendre leur revanche : si tu écorches l’anglais, ils te rendront la pareille en massacrant le français. Est-ce convenu ? Oui, qui ne dit mot consent Ton équipement est-il prêt ? Quels bagages as-tu ?
- — Trois malles et deux sacs de nuit.
- — Est-tu seul ?
- — J'ai ce jeune nègre avec moi, dit Saville, en montrant Zamore, qui l’avait suivi, et se tenait à une distance respectueuse, prêt à accourir au premier signe de son maître.
- — Oh, qu’il est gentil, ton négrillon ! J’en ai bien vu depuis que je cours le monde, mais jamais d’aussi jolis que celui-là. C’est un amour de nègre. Sois tranquille, mon pétit ami, je te ferai donner une cabine soignée. Tu y seras un peu mieux que tu n’as dû l'être en venant d’Afrique.
- — Tais-toi, dit Saville, à voix basse ; il pleure quand on lui parle de son pays.
- — Allons, reprit Edouard, j’ai mon canot amarré là-bas. Je vais y faire transporter tes effets par deux ou trois de mes gaillards, et nous nous rendrons à bord quand tu voudra s.
- Saville retourna d’abord à son hôtel, pour payer sa dépense, et faire ses adieux au comte de S. Après quoi le jeune Edouard le conduisit au canot qui les attendait. Zamore n’y était pas encore. Edouard s’impatientait et Saville commençait à s’inquiéter, quand on vit arriver le pauvre nègre, tout essoufflé, et pliant sous le poids d'un gros paquet, qu’il portait sur son dos, à l’aide d'une courroie.
- p.415 - vue 418/838
-
-
-
- 416
- LE DEVOIR
- — Qu’est-ce que tu nous apportes là, mon petit ? dit Edouard, quand ils furent tous installés dans le canot. Ce n’est pas ton bagage, car il est la, avec celui de ton maître.
- Zamore défit le paquet, c’était deux coussins ciiculaires en cuir épais gonflés d’air, ayant quelque ressemblance avec des bourrelets d’enfant d’énormes dimensions.
- — Tiens ! dit Edouard, ce sont des bouées de sauvetage d’un nouveau genre. C’est encore très peu connu; mais j’en ai déjà vu. Onse fourre la tête là-dedans; on passe les bras par dessus, ça fait une ceinture avec laquelle il est impossible d’enfoncer. C’est très ingénieux, et bien simple. Je t’en fais mon compliment, mon bonhomme ; il paraît que tu es un garçon de précaution.
- Sur l’ordre d’Edouard, quatre vigoureux matelots se mirent à ramer. Le canot sortit rapidement du port, et moins d’une demi-heure il accosta le navire en rade.
- Edouard présenta les nouveaux passagers au capitaine. Le prix de la traversée fut bientôt convenu et payé, et le jeune Carbonnel amena son ami dans la cabine de t’arriére, pour lui montrer son logement.
- Chapitre X
- INSTALLATION A BORD — COMPAGNONS DE VOYAGE
- Les logements à bord de la Sirène n'étaient ni vastes ni somptueux. C’étaient des compartiments de six pieds carrés, pris sur la largeur de la cabine principale, sur laquelle ils ouvraient Le lit était une planche de deux pieds de large fixée à la paroi et couverte d’un mince matelas de bourre, avec une courtepointe piquée. En face était un sabord, par où pénétrait un p-u d’air et de lumière. Au dessus du sabord était une espèce de coffre ou de caisson, dont le couvercle, garni de crin, servait de siège. Un lavabo complétait l’ameublement.
- — J’espère que voilà de quoi se nicher confortablement, dit Carbonnel.
- .Saville se reporta en souvenir à son élégante chambre à coucher de Paris, et répondit avec un soupir étouffé :
- — Eh bien, je ne me faisais nuile idée de la manière dont on est logé dans un vaisseau.
- — Quoi ! tu n’as jamais été sur mer ?
- — Jamais.
- — Tiens, tiens, tiens ! tu es novice en fait de navigation ! Ma foi j’en suis bien aise. Tu m’aidais autrefois à faire mes thèmes et mes versions, maintenant c’est moi qui vais devenir ton piécepteur. Je veux faire de toi un marin fini. Viens sur le pont ; nous allons faire l’inspection de la Sirène, de l’avant à l’arrière. Prends garde ici, baisse toi davantage, de peur de te cogner la tête contre le capot.
- Charles suivit son cicerone, qui se mit à lui expliquer avec sa vivacité naturelle, mais avec beaucoup de clarté, le nom et l’usage des principales parties du gréement. L’entrain du jeune contre-maître finit par se commui-quer un peu à son compagnon, qui sentit se réveiller en lui l’activité de jeune homme, assoupie depuis si longtemps. Il voulut monter dans les huniers,descendre dans la cale, enfin se rendre compte de tout, Edouard était
- fier de l’intérêt que son élève prenait à ses explications.
- Quand cette première exploration fut terminée, les deux jeunes gens rentrèrent dans la cabine.
- Gomme ils se chauffaient lu poêle, M. Mortiner, le patron, entra en se frottant les mains, et leur annonça que si le vent du nord-est continuait à souffler régulièie-ment,on mettrait à la voile le lendemain au point du jour.
- C’était un homme de cinquante ans, robuste, trapu et respirant la santé et la bonne humeur. Son visage basané s’épanouissait fréquemment en un large rire,qui mettait en évidence une denture blanche comme de l’ivoire.
- Il demanda à Saville s’il avait toutes ses aises à bord; ce à quoi celui-ci ne put répondre affirmativement qu’en faisant un gros mensonge. Il l’invita à faire comme chez lui, et à ne se laisser manquer de rien. Il était si gai, si cordial, si disposé à rire, il y avait quelque chose de si engageant dans ses manières, qu’au bout de quelques instants, la connaissance si vite faite était déjà presque de l’amitié.
- On mit le couvert, et bientôt arrivèrent les autres passagers.
- 11 y avait un négociant de Liverpool, auquel appartenait la plus grande partie de la cargaison du navire ; un médecin italien, et un savant allemand qui allait étudier la fiore et la faune des Antilles, accompagné d’un jeune dessinateur.
- M. Murray, le négociant, pouvait avoir trente cinq ans. Il était un peu replet, assez joufflu ; il avait l’oreille rouge et le teint coloré, on devinait qu’il n’était pas ennemi de la bonne chère. Son air | lacide et satisfait annonçait un homme en paix avec le monde et avec lui-même.
- Il signor Campiglio, le médecin, était à peu près du âge. Il était grand, sec, et d’un tempérament nerveux. Sa physionomie expressive, ses yeux noirs et brillants, dénotait une intelligence développée.
- Le savant, M. Muller, avait passé la quarantaine. Il était généralement grave, souvent distrait, mais aussitôt qu’on lui adressait la parole, sa physionomie prenait line expression d’affabilité si douce et si sympathique, qu’on se sentait attiré vers lui, avant même de le connaître.
- Son jeune campagnon. M. Schwartz, le dessinateur, avait l’œil vif, le nez retroussé et l’air espiègle.
- Le dîner fut très gai. La plupart des convives parlaient français, et se risquaient de temps en temps à lâcher quelques mots anglais, tant bien que mal. Si l’un d’eux faisait quelque bévue par trop forte, le capitaine Mortimer poussait des ho ! ho ! ho ! si joyeux et si retentissants,qu’il était impossible de ne pas faire chorus avec lui.
- Après le dîner, le steward apporta un bol de punch fumant auquel on fit largement honneur. Et lorsque Charles alla se coucher, bien fatigué du mouvement qu’il s’était donné dans la journée, son grabat ne lui parut pas aussi dur qu’il s’y attendait. Le balancement tranquille du navire à l’ancre, et le son du clapotage de l’eau le bercèrent et le firent tomber dans un profond sommeil.
- (A suivre).
- Le Directeur Gerant : GQD1N___________________
- !rr>r> Raré
- p.416 - vue 419/838
-
-
-
- 10e Année, Tome 10.— S* 408 Le numéro hebdomadaire 20 c. Dimanche 4 Juillet 1886
- REVUE DES QUESTIONS SOCIALES
- BUREAU
- a GUISE (Aisne)
- Toutes les communications
- ABONNEMENTS PAYABLES D’AVANCE par l’envoi, soit au bureau de Guise, soità celui de Paris, de timbres-poste ou de mandats de poste, dont le talon sert de quittance.
- et réclamations doivent être adressées à
- France
- Dn an ... 10 fr.
- Union postale Un an. . . 11 fr. s»
- M. GODIN, Directeur-Gérant Fondateur du Familistère
- Six mois. Trois mois
- . 6
- . 3
- Autres pays
- Un an. , . . 13 fr. 60
- ON S’ABONNE
- A PARIS
- , rue Neuve-des-Petits-Champs Passage des Deux-Pavillons
- S’adresser à M. LEYMARIE administrateur delà Librairie des sciences psychologiques.
- SOMMAIRE
- Les anarchistes et le Familistère. — Avant et après. — Tableau parisien. — Le parlement anglais. — Le conflit austro-hongrois. — Des affaires. — Aphorismes et préceptes sociaux. — Faits politiques et sociaux de la semaine. — Le travail marchandises.— Une curieuse expérience. — Voyage impérial en Chine. — Traité avec la Chine. — Les armements de la Russie. — La mort sans douleur. — Charles Saville. — État civil du Familistère.
- LES ANARCHISTES
- ET LE FAMILISTÈRE
- III
- Les anarchistes continuent leurs attaques violentes contre le Familistère. Comme nous l’avions prévu, ils se gardent de publier nos réponses.
- Dans no re premier article, nous avons promis ée prouver que les salaires n’avaient pas été diminués, néanmoins le Cri du Peuple et le Révolté n ont tenu aucun compte de cet avertissement
- Fidèle à notre engagement de ne pas séparer nos aPpréciations relatives aux anarchistes, des provocations de ces derniers, nous reproduisons es deux articles suivants extraits des organes
- anarchistes :
- | Du Cri du Peuple du 26 Juin.
- Le journal du Familistère prétend réfuter les renseignements que nous avons donnés sur la maison Godin.
- Nous maintenons tout ce que nous avons dit. La baisse des salaires varie de 22 à 27 O/O d’après les chiffres officiels que nous possédons. Aussi nous proposons-nous, un de ces jours, de revenir sur les agissements de cette maison. — L.
- Du Révolté du 26 Juin au 2 Juillet.
- Guise. — A propos des petites notes, que nous avons publiées, dans nos derniers numéros, sur le Familistère de Guise, le Devoir, organe de M. Godin, pour nous répondre, ne trouve autre chose à dire que « les anarchistes sont des fous, des désorganisateurs et qu’ils font le travail delà police». Répondre à un fait par une accusation, ce n’est pas répondre. Essayer de salir les autres, ce n’est pas se laver soi-même.
- Et puis, vraiment, nous admirons l’outrecuidance de ces messieurs. A les entendre, ces gaillards-là, ils sont le peuple, ils sont la solution de la question sociale, ils sont tout. Toucher à leurs personnes, c’est faire œuvre de réactionnaire ; dévoiler leurs petits tripotages, c’est compromettre le socialisme, parce qu’ils se sont parés de l’étiquette de socialistes et qu’ils ont étiqueté leur machine à exploiter du nom de « socialisme expérimental », ils deviennent tabous.
- Nous en sommes fâchés pour vous, messieurs les bonzes ; mais nous avons perdu le respect des fétiches et des étiquettes. C’est justement parce que vous prétendez nous apporter la soluiion de la question sociale que nous voulons savoir ce que cachent vos promesses et vos belles paroles. Nous serons d’autant plus impitoyables que vous prétendez vous approcher de nous.
- Les bourgeois cléricaux, bonapartistes, royalistes, ou républicains nous exploitent, ils sont dans leur rôle. Avec eux il n’y a pas d’équivoques, ce sont nos ennemis ; tout le monde le sait. Mais, voulant abolir leur exploitation, nous serions bien bêtes de laisser subsister celle des bourgeois qui
- p.417 - vue 420/838
-
-
-
- 418
- LE DEVOIR
- veulent, la couvrir du masque du socialisme. Vous pouvez vous couvrir de n’importe quelle étiquette, cela ne nous empêchera pas de vous donner des étrivières.
- Ces deux insertions n’ajoutent rien aux prétendus griefs énumérés dans les articles du Cri du Peuple et du Révolté, reproduits dans notre numéro du 30 Juin.
- Dans la note du Révolté nos appréciations sont en partie dénaturées ; nous n’avons pas dit que « les anarchistes sont des fous, des désorganisa-teurs et qu’ils font le travail de la police ». Nous avons dit au contraire que certains d’entre eux avaient notre estime et même nos sympathies; mais, prenant à partie une seule fraction des anarchistes ; nous avons fait allusion à ces turbulents incapables de rien comprendre et de rien prouver qui, sans faire continuellement le travail de la police, sont pour elle, à certaines heures, d’excellents auxiliaires inconscients, qu’elle sait mettre en œuvre au moyen d’agents provocateurs.
- Ce ne sont pas les attaques en général des anarchistes qui nous ont porté à faire remarquer leur étroite union avec les réactionnaires de notre département; nous avons simplement relevé la conformité de textes également csers aux réactionnaires et aux anarchistes.
- * ♦
- Passons des généralités aux accusations précisées par les anarchistes. Elles se résument ainsi:
- A. — Les travailleurs du Familistère sont exploités comme ailleurs.
- B. — Les salaires ont été baissés.
- C. — A l’atelier du moulage mécanique, les salaires trop maigres ont été diminués de 20 0/0.
- D. — L’intérêt du capitaliste est payé en numéraire, et la part revenant au travail est payée en papier.
- E. — Monsieur Godin se fait 350,000 francs de rente en élevant de petits fondeurs comme d’autres élèvent des lapins.
- F. — Un sous-directeur modèle, soupçonné d’avoir dénoncé cette exploitation a été renvoyé.
- Nous ne pensons pas avoir omis un seul grief de ceux articulés par les organes de l’anarchie ; nous allons les examiner un à un.
- ♦ *
- A. — Les travailleurs du Familistère sont exploités comme ailleurs.
- Nous nous trouvons avoir répondu en partie à ce reproche, par l’exposé dans notre précédent nu-
- méro des avantages faits aux travailleurs par la participation, par l’enseignement, parla mutualité, par la coopération ; ensemble d’institutions garantîtes et progressistes qu’on ne trouve nulle autre part qu’au Familistère.
- Cette réfutation serait incomplète, si nous ne faisions l’énumération des moyennes des salaires des familistériens ; moyenne que nous affirmons dépasser déplus de 20 0/0 la moyenne des salaires des ouvriers des autres usines de la région.
- Si nos affirmations à cet égard ne sont pas exactes, les anarchistes auront la partie belle ; ils pourront victorieusement citer les moyennes des salaires des autres travailleurs. Mais nous ajouterons que depuis la fondation de l’Association, les ouvriers associés sont entrés en possession de plus d’un tiers de la propriété sociale ; ce qui vaut mieux que toutes les déclamations anarchistes.
- * *
- B. — Les salaires ont été baissés.
- Laissons parler les chiffres.
- Voici les salaires payés par l’association aux ouvriers du Familistère travaillant à la journée et aux pièces. Les appointements des employés payés au mois ne sont pas compris dans ces relevés.
- Les moyennes générales des salaires quotidiens ont été les suivantes :
- Kn 1880 date delà fondation de la société. . . 4fr.38
- 1883 à 1884 .......................... 4 62
- 4884 4 1885 .......................... 4 76
- 1885 à 1886 époque des fantaisies anarchistes 4 85
- Détaillons les résultats de l’exercice 1885-1886 Fonderie
- Année 1880 Année 1886
- Mouleurs . . . 4fr. 58 j Mouleurs . . . 5fr. 03
- Montage-Ajustage
- Monteurs . . . 3fr. 77 | Monteurs . . . 4fr. 77
- Ateliers divers
- Salaire quotidien eni880 4fr.37 | Salaire quotidien en 1886 4fr.71
- Moyennes des salairss des 20 meilleurs ouvriers Mouleurs et Monteurs.
- Année 4884 Année 1885
- Mouleurs . . . 6fr. 64 | Mouleurs . . . 7fr. 18
- Monteurs . . . 5fr. 57 I Monteurs . . . 5fr. 69
- Après cet exposé,tout commentaire devient inutile.
- Mais une réflexion s’impose.
- Si les anarchistes ont librement choisi leur moment d’entrer en campagne contre l’association
- p.418 - vue 421/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 413
- jlt Familistère, cela ne fait pas l'éloge de la perspicacité de leurs agents ni de leur bonne foi.
- Car ces chiffres sont constamment connus de touS ceux qui veulent se donner la peine de s’en gnquérir. Chaque mois, le mouvement des salaires est l’objet d’un rapport spécial communiqué au conseil de gérance. Ce rapport est dressé par un des membres du conseil de gérance nommés par j8s ouvriers, lesquels nomment en outre troisxom-missaires de surveillance qui peuvent exercer tous jeS contrôles et leur donner tous les renseigne-jj\0iits possibles.
- * *
- C. —• A l’atelier du moulage mécanique, les salaires ont été diminués de 20 OJO
- Avant de répondre à ce mensonge des anarchistes, il ne sera pas inutile de donner quelques explications se rapportant à l’introduction du moulage mécanique.
- Cette substitution du travail de la machine à l’effort individuel constitue un progrès industriel considérable qui enlève la fatigue corporelle de l'ouvrier et lui conserve du travail, en raison de la perfection obtenue. Cette invention inaugurée au Familistère, n’a pas été appliquée sans les tâtonnements et les apprentissages qu'exige toute réalisation d’idée nouvelle.
- L’inventeur de cette machine avait évalué à 300 le nombre de châssis qu’il devait mouler quotidiennement.
- Dès la mise en marche, avec des ouvriers inexpérimentés, on atteignait difficilement une production de 80 châssis.
- On était loin des prévisions de l’inventeur.
- Après quelque temps de ce travail insuffisant, sur b simple promesse d’une récompense insignifiante si les ouvriers du moulage mécanique parvenaient à faire 20 châssis en plus, le rendement atteignit du premier coup le nombre de cent châssis.
- Après cette expérience, M. Godin convoqua les ouvriers en conférence; il fit appel à leur bonne volonté et leur expliqua qu’ils devaient insensiblement parvenir à faire 150 châssis, 200 et même 300
- Cette déclaration souleva des protestations d’étonnement et d’incrédulité. Mais, dans l’association tous les bénéfices, une fois les intérêts du capital Puyés, revenant aux travailleurs, chacun est disposé à tenter ce qu’il croit même impossible ; puisse, si la réussite a lieu, c’est aux ouvriers, et aux
- ouvriers à peu près seuls, que les avantages en reviennent.
- La première condition dans l’association étant d’assurer l’existence dans la famille, — puisque l’association fait le minimum social, dans le cas où le salaire serait insuffisant, vu le nombre de têtes à nourrir, — le plus grand intérêt des membres e.>t d'avoir un sage équilibre des salaires, afin que nul ne jouisse d’avantages particuliers au détriment des autres.
- Après diverses expérimentations, on convint qu’en toute circonstance le salaire des ouvriers du moulage mécanique serait acquis quelle que fût la production ; mais que, dès que celle-ci dépasserait les conditions fixées comme bases et serait exécutée dans les conditions d’économie et de bonne exécution déterminées, le surplus donnerait lieu à une prime déterminée, elle aussi, régulièrement et inscrite minute par minute, par un compteur, sous les yeux des ouvriers eux-mêmes. Le travail en plus leur est payé au prix convenu.
- Dans ces conditions le travail admis comme base de la journée a doublé.
- Voici quelles ont été les variations des prix de l’heure de travail des ouvriers du moulage méca-
- nique, la prime comprise, pour chaque puis le mois de juillet 1885: mois de*
- Juillet 1885 . Of.435 Janvier 1886 . . 0f.488
- Août. . . . . 0 456 Février . , . . 0 487
- Septembre . . . 0 432 Mars. . . . . 0 449
- Octobre. . . . 0 456 Avril.... . 0 496
- Novembre . . . 0 444 Mai .... . 0 42
- Décembre . . 0 485 Juin . . . . . 0 458
- C’est vraiment le cas de se demander quelle mauvaise intention a pu hanter les cerveaux qui ont inventé cette prétendue baisse des salaires, et qui ont ourdi, dans les ateliers, une odieuse machination pour y faire croire.
- Au moulage mécanique, les salaires ont oscillé entre 60 centimes l’heure, 6 francs par jour pour les bons ouvriers et 32 centimes pour les manœuvres ou 3 fr. 20.
- L’équipe de cet atelier se compose de 51 personnes,dont 43 gagnent de 42 à 60centimes, tandis que les autres, faisant un travail que peut faire n’importe quel manœuvre, ont un salaire de 32 à37 centimes de l’heure. Et en aucune circonstance, depuis longtemps, il n’y a eu aucune modification dans les conditions.
- On aura remarqué dans le tableau des moyennes mensuelles que le salaire est descendu à un
- p.419 - vue 422/838
-
-
-
- m
- LE DEVOIR
- taux moyen, 42 centimes, exceptionnellement bas en mai. Nous dirons dans notre prochain numéro à quelles manœuvres d’un agent anarchiste est due cette différence qui, du reste, était insignifiante.
- Les conclusions de cet article sont que les salaires des Familislériens, envisagés dans leur ensemble, sont en hausse sensible ; que le moulage mécanique n’a éprouvé aucune variation dans ses salaires fixes ; que les légères fluctuations, toutes sans influence sur les conditions générales des salaires , sont dues à de nombreux jours de fêtes et à certains mouvements des primes produits en baisse par le fait d’un anarchiste, fait que nous expliquerons prochainement.
- *
- * *
- Les matières du présent numéro ne nous permettent pas d’insérer la conférence que M. Godin vient de faire sur ce même sujet. Elle paraîtra dans le prochain numéro.
- AVANT ET APRÈS
- Voici comment, en 1871, le comte de Paris, désireux de rentrer en France, se déclarait républicain, — et prêt, en tout cas, à considérer comme le seul et vrai gouvernement de la France celui que le pays aurait choisi :
- « York-House Twichenham, Middlesex le 18 janvier 1871.
- » Monsieur Elsingre,
- »... Quant à l’espèce d’abdication qu’on nous conseille, je répondrais, si je pouvais, qu’il y a que les souverains ou les prétendants qui peuvent abdiquer. Ne m’étant jamais posé en prétendant, je n'ai rien à abdiquer. En toute occasion,j’ai bien nettement établi que je ne prétendais qu’à une chose : la jouissance de mes droits de citoyen, que j’étais prêt à servir mon pays de ia manière que celui-ci voudrait, mais que je regardais toujours comme le seul et vrai gouvernement de la France celui que mon pays aurait choisi.
- » Les offres de service adressées au gouvernement de la Défense nationale ont été, ce me semble, la meilleure reconnaissance de la République, car, une fois à son service,on doit bien croire que nous l’aurions servie loyalement.
- » Simples citoyens, nous n’avons qu’à nous soumettre et qu’à servir le gouvernement.
- » Quant à moi, je sais déjà que je suis infiniment plus républicain que mes amis, c’est-à-dire que je n’ai aucune de leurs répugnances pour cette forme de gouvernement.»
- » Agréez, monsieur, etc...
- » L.-P. d’Orléans.»
- Tout cela, c’était pour rentrer en France. Une fois entré, bien entendu, le prince a conspiré. Et aujourd’hui que, lasse de ses défis, la République l’expulse, le Comte de Paris s’exprime ainsi :
- « Le principe monarchique est en moi... La France recon-
- naîtra que la monarchie traditionnelle par son principe, moderne par ses institutions, peut seule y porter remède... Seule, cette monarchie nationale dont je suis le représentant peut réduire à l’impuissance les hommes de désordre qui menacent le pays, assurer la liberté politique et religieuse, relever l’auto-rité, refaire la fortune publique; seule, elle peut donner à notre société un gouvernement fort... Mon devoir est de travailler sans relâche à cette œuvre de salut... Avec l’aide de Dieu et le concours de tous ceux qui partagent ma foi dans l’avenir, je l’accomplirai.»
- Et voilà comment il servait loyalement la République, ce prince aux paroles duquel on avait eu la naïveté de croire et dont on avait toléré pendant quinze ans la présence sur le territoire !
- TABLEAU PARISIEN
- Quartiers de luxe et de misère
- Si nous considérons la situation de certaines parties de la capitale sous le triple rapport social, municipal et hygiénique, nous devons reconnaître que l’égalité est un vain mot,
- Prenons, par exemple, comme points de comparaison, le huitième et le vingtième arrondissement, ces deux extrêmes de luxe et de misère, qui se trouvent depuis longtemps en parfait antagonisme devant les libéralités et les dépenses de l’édilité parisienne.
- La surface non bâtie du huitième est de 121 hectares, sur laquelle figurent 21 hectares, de squares et jardins, ainsi que 17,190 mètres de boulevards et d’avenues, ornés d’arbres et de plantations.
- La surface du vingtième n’est que de 71 hectares, comprenant seulement 2 hectares de jardins et de squares, avec 11,174 mètres d’avenues et de boulevards. On y compte en compensation 44 hectares de cimetières, celui du Pére-La-chaise et de Saint-Fargeau.
- Les fontaines monumentales et bassins du huitième sont au nombre de 18 ; les appareils de distribution publique d'eau s’élèvent à 1,332.—Tandis que dans le vingtième, il n’y a que 560 appareils et une fontaine pseudo-monumentale, sur la place de la Réunion ; et encore ne marche-t-elle que les dimanches et jeudi, de onze heures du matin à six heures du soir!
- L’éclairage du huitième se compose d’environ 100 candélabres à grandes flammes, et de 4,211 becs de gaz ordinaires. — Celui du vingtième comprend 2,030 becs ordinaires et 133.réverbères à l’huile minérale!... Il y a R un souvenir du bon vieux temps, absolument comme à Pon-toison !
- C’est surtout dans les locaux d’habitation que la distinction est grande : Dans le huitième arrondissement, sur un total de 23,845 locaux, il n’y en a que 7,281 d’un loyer au-dessous de 300 fr. — Dans le vingtième, sur un total de 38,251, il y en a plus de 34,000 !
- Dans le huitième, les loyers de 3,000 fr. et au-dessu* sont au nombre de plus de 5,000, avec une valeur de
- p.420 - vue 423/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 421
- millions de francs. — Dans le vingtième, on n’en compte pas jO d’une valeur totale de moins de 40,000 fr.
- Les locataires en garni présentent an total de 21,665 dans la huitième, comprenant près de 13,000 riches Anglais 0u Américains, qui apportent leur or dans les quartiers de l’Elysée, de l’Europe et de la Madeleine ; — ceux du vingtième s’élèvent à plus de 40,000, dont 7,000 ouvriers belges ou allemands, qui prennent souvent dans nos ateliers la place de nos travailleurs !
- La population du huitième arrondissement est de 89,004 habitants, d’après le dernier dénombrement connu, qui est eelui de 1881 ; celle du vingtième est de 126,917. La différence de la population entre ces deux sections parisiennes n’est donc que de 37,913 habitants, soit 30 0/0 de plus pour le vingtième. Eh bien ! dans la répartition des indigents, des malades traités à domicile et des décès, cette proportion est considérablement dépassée.
- Dans le huitième, on compte environ 1,800 indigents, moins de 1,000 malades et 1,200 décès annuels; tandis que dans le vingtième le nombre des indigents, des malades et des décès s’élève à 17,000. 7,500 et plus de 4,000 ! — L’écart, comme on le voit, est des plus considérables.
- Les établissements insalubres classés présentent un chiffre de 18 dans le huitième et 220 dans le vingtième. — Dans ce dernier arrondissement, enfin, on ne compte que deux maisons de bains, 402 bancs et 3,852 arbres ; tandis que dans l’autre il y en a 10 — 849 — et 8,341.
- Quant aux égouts — le travail municipal d’assainissement par excellence — leur longuer, par rapport à la longueur des rues, était, d’après le dernier rapport statistique de la Ville, de 41 0/0 seulement dans le vingtième et de 94 0/0 dans le huitième !
- huitième et des autres arrondissements viennent fraterniser avec les résidents du vingtième.
- — C’est la vallée de Josaphat du monde vlan et pschutt ! C’est le turf funèbre où le Tout-Paris des premières se retrouve à la suite de l’enterrement d’une célébrité ayant cours dans les salons et dans les cercles ! C’est le Longchamps des tombeaux dorés et fleuris, que des héritiers reconnaissants et consolés entretiennent en pensant à la fortune des descendants qui restent !
- ♦ *
- Nous pouvons signaler toutefois, dans le vingtième, un hôtel monumental dont les vivants ont leur profit : c’est celui de la mairie, admirablement située entre le grand cimetière du Père-Lachaise et l’hôpital Tenon, et qui offre ainsi, aux assujettis de l’arrondissement qui vont y faire consacrer « le plus beau jour de la vie », l’occasion de se rappeler que tout n’est pas « rose » en ce bas mode! Il y a, en effet, devant cet unique hôtel du vingtième, un croisement de corbillards, de civières et de voitures de gala et de deuil, qui manque absolument de gaieté !
- Tandis que dans le quartier des Champs-Elysées, les cafés-concerts, les jardins-restaurants, les expositions, les grands équipages!... Ahî l’égalité dans Paris, sous le rapport social, municipal et hygiénique, est une drôle de chose !
- Cela vaut la liberté des mineurs de Decazaville et la fraternité de leurs exploiteurs.
- Saint-Chels.
- -------------------------- , ---------------------------
- Le Parlement anglais-
- Nous lisons dans le Temps :
- On ne dira pas, après avoir lu un tel relevé de la situation respective des deux arrondissements, que les quartiers du Mont-Aventin parisien sont les préférés des autonomistes du Conseil de la ville. Mystère municipal et omnipotence bureaucratique ! Les conseillers passent, mais les ronds de fuir restent. — On ne saura jamais quelle peut être la lourdeur d’influence et le poids de ces ronds dans les destinées d’une ville ou d’un peuple. — Ceux-là même qui comptent le matériel d’une armée jusqu’au détail « d’un bouton de guêtre » l’ignorent absolument.
- C’est généralement dans les quartiers privilégiés du huitième que se logent ou que se logeaient les princes. Quant aux îlots des maisons qui s’étalent sur les pentes ou qui couinent les hauteurs de Belleville et de Ménilmontant, ils donnent d’habitude l’hospitalité de jour et de nuit aux raves gens que, dans le langage parlementaire et opportun], on appelle les « brebis galeuses de la politique. »
- On peut donc penser que les habitations de luxe ne sont communes dans le vingtième. Cela est vrai pour celles ?U1 S0nt à l’usage des vivants ; mais c’est bien différent ^ qu il s’agit des fastueux locaux que certains person-§es se plaisent à faire bâtir en vue d’y déposer leur ter-p^tre Croque.—Il y a, en effet, dans la 395® sect'on lsienne. la grande nécropole où les riches décédés du
- Le onzième Parlement anglais du présent règne a été dissous par un message de la reine. Ce document ne contient aucune déclaration digne de remarque. Il indique les motifs pour lesquels le gouvernement a décidé de faire appel au pays ; il énumère la courte série des bills que la Chambre est parvenue à voter dans son unique session et exprime l’espoir que le nouveau Parlement contribuera, comme l’ancien, à assurer la puissance et la prospérité de l’empire.
- La Chambre des communes qui vient ainsi d’être licenciée a eu une existence fort brève. Elue l’année passée entre le 19 novembre et le 18 décembre, elle fut convoquée seulement le 12 janvier et ouverte le 21, de sorte qu’elle n’aura vécu en tout que cinq mois et quatorze jours. Cependant, le souvenir de cette assemblée durera dans Thistoire. Elle a été nommée la première par le nouveau corps électoral tel que Ta constitué le dernier bill de M. Gladstone ; c’est en sa présence que, pour la première fois, un ministre responsable de la couronne anglaise a présenté une proposition tendant à doter l’Irlande d’une autonomie presque complète.
- Cette question, la question irlandaise, a absorbé tout le temps de la Chambre. Lors de la convocation, le ministère Salisbury était au pouvoir, et le passage le plus remarquable du discours de la reine fut celui où Sa Majesté déclarait que, malgré l’hostilité de la population irlandaise contre l’autorité britannique, aucune modification ne serait admise à la loi fondamentale de l’Etat qui stipule l’union des parties du
- p.421 - vue 424/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- m
- Royaume-Uni. Le discours poursuivait en émettant la crainte que le gouvernement ne fût bientôt obligé de demander à la Chambre des pouvoirs exceptionnels pour combattre l'accroissement des crimes en Irlande et assurer dans ce pays le
- respect des lois.
- La Chambre était composée de 249 conservateurs, de 86 j parnellistes et de 335 libéraux. Aussi, quand sir M. Hicks- ; Beach vint lui annoncer que le gouvernement était sur le point de déposer sur le bureau un bill pour la suppression de a Ligue nationale irlandaise, les libéraux décidèrent de reprendre le pouvoir et le ministère conservateur, abandonné des parnellistes, ayant été mis en minorité sur une question secondaire de l’adresse à la reine, M. Gladstone constitua un cabinet libéral. Ce changement de gouvernement interrompit les travaux de la Chambre pendant un mois. Ce fut à la fin de mars seulement que le premier ministre annonça son intention de présenter un bill sur le gouvernement de l’Irlande et un bill sur le rachat des terres dans ce pays. Le 8 et le 15 avril, M. Gladstone exposa et défendit ces deux projets de loi, avec une chaleureuse éloquence, devant une assemblée nombreuse, brillante, respectueuse, mais en somme plutôt hostile. Le parti gouvernemental se scinda, et, parmi ceux qui refusèrent ainsi d’accéder aux concessions de leur chef au parti nationaliste irlandais, se trouvaient la plupart des hommes éminents qui avaient jusque-là porté la bannière du libéralisme ; lord Hartington, M. Goschen, sir H. James firent défection ; M. Trevelyan, M. Chamberlain sortirent du cabinet. Enfin, après un débat de douze séances, qui ne fut qu’une longue guerre intestine entre les partisans présents et passés du ministère, les sécessionistes alliés aux conservateurs eurent raison des gladstoniens purs ; le premier projet du gouvernement, le bill sur l’autonomie de l’Irlande, fut repoussé par 341 voix contre 311.
- L’Angleterre va être appelée, dans les premiers jours de juillet, à ratifier ou à casser cette décision. Elle a à élire 670 députés, soit 465 pour l’Angleterre proprement dite, 103 pour l'Irlande, 72 pour l’Ecosse 30 pour le pays de Galles. D’après les dernières nouvelles, un grand nombre de ces élections sont dés maintenant assurées. Dans 75 circonscriptions, en Irlande, les députés parnellistes se présentent seuls ; dans 165 circonscriptions, en Angleterre, en Ecosse et dans le pays de Galles, les candidats unionistes, libéraux ou conservateurs, n’ont pas d’adver&aires ; dans 70 autres circonscriptions de la Grande-Bretagne, les gladstoniens on le champ libre.
- La lutte électorale est donc concentrée dans trois cen1 cinquante circonscriptions environ du Royaume-Uni. C’est à ces électeurs de décider si le douzième Parlement de la reine Victoria votera, sous une forme ou sous une autre, l’indépendance législative de l’Irlande, au risque de voir cette île se séparer entièrement de la mére-patrie ; s’il se prononcera en faveur de demi-mesures qui, repoussées par le parti par-neltiste, seront inefficaces pour amener la pacification de l’île sœur, ou si enfin il confiera de nouveau au chef énergique des conservateurs la tâche d’y rétablir l’ordre et d’y protéger l’exécution des lois, au besoin par les baïonnettes. C’est entre ces trois termes: autonomie étendue, concessions insuffisantes, eoerrflcn, que la question irlandaise est actuellement posée.
- LE CONFLIT AUSTRO-HONGROIS
- Malgré toutes les apparences, il s’en faut bien que l’intimité de la Hongrie et de l’Autriche soit aussi complète qu’0n l’assure. Des hommes comme M M. Tizza, Andrassy ont devenir ministres de François-Joseph ; les vieux souvenirs de 1848 n’en vivent pas moins profondément au cœur de la p0 pulation magyare et il suffirait de la première occasion p0Ur ramener le dualisme, institué à la suite de Sadowa, à l’antagonisme d’autrefois.
- Le premier grief de la Hongrie contre l’Autriche est la politique du comte Taaffe. Bien que pour les questions intérieures les deux fractions de la monarchie soient autonomes et indépendantes l’une de l’autre, et que le comte Taaffe n’ait pas plus à intervenir dans les affaires de la Hongrie que M. Tisza n’a à s’occuper des affaires de l’Autriche ; on n’en voit pas moins d’un très mauvais œil à Pesth les succès dit salvisme dans la Cisleithanie. Si le Magyare n’aime pas beaucoup l’Allemand, en revanche il déteste le Slave et il applaudirait des deux mains à la chute d’un ministère qui, tout en ayant son siège à Vienne, prend son point d’appui à Prague et à Cracovie.
- Un autre brandon de discorde, c’est la question de l'armée. L’organisation militaire actuelle est le résultat d’un compromis. En 1867, lors de la création du dualisme, M de Beust voulut maintenir l’unité de l’armée qui lui parais sait une condition essentielle de la puissance et de la sécurité de l’empire. Pour l’obtenir, il consentait au dédoublement des tinances ; seulement, quand il s’agit de déterminer la part de la dette qui reviendrait à chaque poition delà monarchie, les Hongrois déclarèrent qu’ils ne se croyaient nullement tenus à reconnaître des créances qu’ils n’avaient point consenties par l’organe de leurs représentants.
- M. de Beust prit peur, et, pour avoir l’argent, accepta une transaction sur le chapitre de l’armée. Il fut convenu qu’il n’y aurait qu’une seule armée active et qu’un seul ministre pour cette armée, mais que l’armée territoriale consei-verait son autonomie dans chaque pays et aurait son ministre spécial. 11 en résulte qu’il y a, depuis 1867, trois arméese: Autriche-Hongrie et trois ministres de la guerre, multiplicité qui doit être une source de perpétuels conflits.
- Il y a deux moyens de venir à bout de cette difficulté; premier consisterait à n’avoir qu’une armée unique; cetai-l’idée de M. de Beust, mais il n’est guère admissible quety Hongrois acceptent en 1886 ce qu’ils ont refusé énergique ment en 1861. L’autre consisterait à avoir deux arniee c’est le désir avoué des Hongrois, et 11 est probable que ou tard ils arriveront à leurs fins. L’Autriche et la Hong se trouveraient, l’une par rapport à l’autre, dans la ^ situation que la Bavière par rapport à la Prusse; et Ion5! voit pas pourquoi l’empire des Hapsbourg s en trouver*| plus mal. FRÉDÉRIC M0NTARG1S.
- L’Association du Familistère à* mande des voyageurs à la coff, mission pour le placement 1 produits de sa fabrique de bon^ terie.
- p.422 - vue 425/838
-
-
-
- LE DEVOIE
- 423
- Des Affaires !
- Dix journaux, au moins, depuis huit jours, ont répété qu’il fallait en finir avec les discussions politiques et s'occuper des affaires. Ceux qui tiennent ce langage sont sûrs d’avoir l’approbation de leur public.— Voilà, pensent leurs lecteurs, des gens sérieux. Les affaires ! c’est le mot magique de la fin de ce siècle, qui a commencé par le fracas des batailles. Que signifie ce mot-là? On ne pourrait le dire exactement.
- Dans l’une de ses comédies, Alexandre Dumas fils fait dire par l’un de ses personnages : « Les affaires, c’est l’argent des autres. » Cette défini-nition laconique et bizarre est encore la meilleure, la plus nette et la plus vraie. L’ouvrier et le paysan ne font pas d’affaires, le boutiquier, le débitant n’en font pas davantage en général, quoiqu’ils emploient cette expression, qui correspond, du reste, à leur rôle d’intermédiaires. Celui qui fait des affaires, c’est celui qui spécule, depuis le regrattier de la Halle jusqu’au roi de la banque, bénéficiant de l’abondance ou de la rareté des produits, de la prospérité ou de la ruine des entreprises, des engouements ou des calamités publiques, de la crédulité de ses concitoyens ou de la concurrence étrangère, des tax s et des primes comme des faveurs ou des obstacles établis par la loi.
- C’est pourquoi on ne peut définir les affaires autrement que ne l’a fait Alexandre Dumas fils, parce que les affaires ne sont pas un genre d’opérations déterminées, mais toute espèce d’opérations qui tiennent à la fois du jeu, de la loterie et de la concussion. Les affaires n’étaient autrefois que la spéculation sur ce que les économistes appellent l’offre et la demande, c’est-à-dire sur l’abondance ou la rareté des produits et l’accroissement ou la diminution de la consommation. Transporter un produit de l’endroit où il était abondant et bon marché, en un endroit où il était rare et cher, c’était l’enfance de l’art. Il a fallu perfectionner le système. On l’a perfectionné en faisant une abondance ou une rareté factice par l’accaparement ou l’accumulation et l’agiotage, et aussi par les primes établies comme des écluses, sous le prétexte de favoriser l’industrie et le commerce, et, en réalisé, pour servir la spéculation. Aussi les spéculateurs voudraient-ils que la Chambre consacrât tout son temps à supprimer et rétablir des primes et des taxes, c’est-à-dire à relever et abaisser les écluses pour bénéficier des brusques écarts qui en résulteraient. C’est là ce qu’on appelle faire des lois d’affaires.
- Une autre manière de faire des affaires, pour ne citer qu’un exemple, consiste à former un syndicat , ou association de capitalistes, qui achète conditionnellement une vaste étendue de terrain, telle je supposequ’une portion do la bordure des forti- .
- fications de Paris, puis à demander, en invoquant l’intérêtpublic, la démolition desdites fortifications et l’ouverture de voies nouvelles, traversant ces terrains, avec création de lignes d’omnibus ou de tramways pour les desservir. La majorité parlementaire qui croit ne devoir rien refuser à l’intérêt public décrète la suppression des fortifications ; le Conseil municipal défère au vœu des pétitionnaires et le terrain qui valait vingt sous le mètre arrive à valoir plus de trente francs. L’État et la ville ont dépensé quelques centaines de mille francs ; le syndicat a réalisé quelques millions. On a fait des affaires. Est-ce que cela ne vaut pas mieux que de s’occuper de politique, delà question des grèves ou de celle des princps, de la'séparation de l’Église et de l’État ou de la révision des lois constitutionnelles.
- Les affaires ce sont les conventions avec les grandes Compagnies ; ce sont les inutiles grands travaux du plan Freycinet conçus pour fournir des bénéfices à de grands entrepreneurs bien plus que pour amener l’économie dans les transports ; c’est l’emprunt qui a fait la joie des banquiers, c’est la loi sur les sucres qui a donné une cinquantaine de millions aux fabricants ou plutôt à une douzaine de raffineurs qui les exploitent et agiotent ; ce sera la surtaxe sur les alcools pour l’établissement de laquelle se préparent quelques négociants en gros, commandités par des banquiers qui achèteront des alcools français ou allemands non taxés pour les revendre surtaxé-, si bien que c’est à eux et non au Trésor que le public paiera l’impôt..........
- Ce qui est remarquable, c’est que plus le gouvernement et le Parlement s’occupent d’affaires,tet plus la prospérité nationale décroît, plus le commerce intérieur souffre, plus le travail langu t, plus le pays éprouva de malaise. On prend prétexte de cette situation pour demander au Parlement ou au gouvernement d’aviser; de prendre des mesures et de faire des lois, d’opérer des emprunts, d’établir des primes, pour activer le travail et les échanges et relever la prospérité. Le résultat est diamétralement, opposé à celui qu’on prétend obtenir. C’est que les affaires qu’on favorise n’aboutissent qu’à enrichir quelques individus, spéculateurs, intermédiaires et commissionnaires, au détriment de la classe laborieuse, en dissipant, au jeu de l’agiotage, l’épargne nationale.
- Jacques Revenait
- APHORISMES & PRÉCEPTES SOCIAUX
- CXIII
- Gouvernement Institutions
- Les Institutions sont les instruments régula• leurs des actions des hommes. Avec de mauvaises institutions les produits du travail sont injuste-
- p.423 - vue 426/838
-
-
-
- 424
- LE DEVOIR
- ment répartis ; ils sont la proie de la cupidité, de la spéculation, de Vaccaparement, de l’agiotage, de l’impôt ; enfin, sous toutes les formes, ils sont l’objet de spoliations qui font la misère du peuple.
- Avec de bonnes institutions, au contraire, chacun est sous la protection sociale ; la vertu de l’humanité en est la règle.
- L’assurance mutuelle nationale garantit à tous l'indispensable à l’existence, et chacun reçoit dans la production en raison de la valeur de son travail et de ses œuvres.
- L’amour de l’humanité sert de base à la justice; il est la règle du devoir et le principe du droit ; tout alors concourt à l’affranchissement et au bonheur des sociétés humaines.
- Faits politiques et sociaux de la semaine
- FRANGE
- La Chambre. — La loi sur les sucres est votée, pour le plus grand bonheur des seigneurs de la betterave. Les cultivateurs de céréales auront bientôt leur tour ; on vient de commencer la discussion de la loi sur les céréales. Le travail continue à ne voir rien venir, si ce n’est les bonnes paroles et les promesses qu’on ne tient jamais. Le ministère et les officieux intriguent pour faire voter une loi contre l'affichage et la publication par les journaux des manifestes séditieux. Si le projet ministériel est voté, la liberté de la presse aura cessé d’exister légalement ; armé de cette loi, le magistrat pourra, selon son bon plaisir, trouver à un article quelconque de journal les caractères d’un manifeste et d’un écrit séditieux et en poursuivre l’auteur.
- * *
- Le Sénat. — Le projet d’augmentation du nombre des travailleurs généraux, dont nous avons parlé dans notre précédent numéro, n'a pas l’agrément des sénateurs ; sur 9 membres la commission chargée d’étudier la loi votée par la Chambre en compte 7 opposés au projet. Selon toute probabilité cette réforme si anodine sera encore ajournée.
- ♦ *
- Le congrès ouvrier. — L’Union Fédérative du Centre, la fraction possibilité du parti ouvrier, vient de tenir son septième Congrès annuel.
- Le Congrès avait à son ordre du jour les questions suivantes :
- Conseils de prud’hommes, projet Lockroy ;
- Grèves et coalitions ;
- Bourse du Travail ;
- Limitation légale de la journée de travail ;
- Cent quinze groupes étaient représentés par trois cent cinquante délégués; un public très nombreux a suivi régulièrement les séances.
- Nous ferons connaître prochainement les résolutions adoptées.
- * *
- Émancipation de la femme. — A l’Académie des sciences, séance du 28 juin, Mlle Sophie Kowaleski, professeur de géométrie à l’Université de Stokolm, auteurd’un remarquable travail publié dans les Acta mathematica, a eu les honneurs de la séance. Le Président, M. l’amiral Jurien de la Graviére, lui a souhaité la bienvenue en termes fort délicats, ajoutons que la présence d’une personne aussi distinguée était une fête non seulement pour la section de géométrie, mais encore pour l’Académie toute entière. Mlle Kowaleski, qui était entrée dans la salle au bras de M. Helphen, s’est assise entre M. le général Favé et M. Chevreul. Elle a paru s’intéresser vivement aux différentes communications qui ont été faites, et dont la plupart présentaient d’ailleurs une importance exceptionnelle.
- * * '
- Pour le bon motif.— Victor Jeannel, jeune ouvrier chocolatier, demanda en mariage, il y a prés de deux ans, Mell« Elie Jean, d’Ognon (Oise). Les beaux parents, d’accord avec la loi, exigèrent naturellement le consentement des pères et mères de Jeannel. Le père ne fit aucune difficulté ; mais la mère refusa, demandant au moins que le projet fut ajourné. « Puisqu’il en est ainsi, dit Jeannel, je me marierai quand même.»
- Il s'adresse aussitôt à une femme dont on n’a pu savoir le nom et qu’il avait rencontrée, dit-il, sur le bord du canal. Il lui donna cinq francs et l’emmena chez M. Wattin-Auzouard, notaire, où il la fit passer pour sa mère.
- Il fut entendu que l’acte serait passé le lendemain et, à l’heure dite, cette femme se présenta de nouveau chez le notaire, accompagnée de deux témoins, le traiteur chez qui Jeannel prenait ses repas et un de ses parents, qu’il avait prié d’accompagner samère. Elle prit le nom de Virginie Poudron, épouse de Nicolas Jeannel et déclara consentir au mariage de son fils Victor Jeanne! avec Mathilde-Éiie Jean.
- Le Mariage fut célébré à Ognon, le 5 décembre. Bien entendu, la pseudo-mère ne fut pas de la noce.
- La fraude se découvrit, et voici Victor Jeannel en cour d’assises, sous l’accusation de faux en écriture publique.
- Le jury ne pouvait donnait une triste épilogue à une affaire commencée aussi gaiement ; aussi Jeannel a-t il été acquitté.
- ALLEMAGNE
- Expulsion d’un député socialiste. — Les
- journaux berlinois de ce matin annoncent que M. Singer, député socialiste au Reichstag, a reçu l’ordre de quitter Berlin avant samedi.
- Suivant les informations de la Gazette de la Croix et de la Gazette du Peuple, le ministère de l’intérieur a expulsé M. Singer parce qu’il était le dépositaire des capitaux dont dispose le parti socialiste, et dont le fonds principal est une somme de cent mille thalers léguée au parti par un nommé Hoech-berg, négociant de Francfort. C’est—dit-on—M. Singer qui entretenait l’agitation socialiste à Berlin et subventionnait les feuilles socialistes.
- p.424 - vue 427/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 425
- ANGLETERRE j
- Agitation électorale. — La lu»*' électorale se j poursuit avec un égal acharnement dans les deux camps, partisans et ennemis de l’Irlande se disputent les sièges de représentant à la chambre des communes avec un tel acharnement que toute modération, après la clôture de la période électorale, sera bien difficile au parti victorieux. On doit donc attendre à brève échéance l’écrasement ou la libération de l’Irlande
- Si l’on en juge d’après la nouvelle suivante, les fénians seraient résolus à faire pression sur les électeurs et sur les candidats par un acte d’audace.
- Le correspondant de Londres du Dublin Express dit qu’eu égard aux menaces proférées par les fénians et autres Irlandais d’origine américaine, il a été jugé nécessaire de prendre des précautions pour protéger la résidence de M. Chamberlain, près de Birmingham.
- Deux détectives sont spécialement attachés à la personne de M. Chamberlain et le suivent partout où il va.
- ¥ ¥
- En Birmanie. — Les Anglais éprouvent pn Birmanie les mêmes difficultés rencontrées par les Français au Ton-kin.
- Les dacoits birmans sont de vrais Pavillons-Noirs, et, chaque fois qu’ils en trouvent l’occasion, ils font éprouver des pertes aux Anglais.
- C’est ainsi que, dans l’engagement qui a lieu le 19, entre les dacoits et un détachement britannique, ce dernier a eu 9 tués et 25 blessés. Les Anglais ne purent réussir à repousser l’ennemi, fort de 500 hommes, qui était retranché à six milles du lieu du combat et qui avait pris l’offensive contre les Anglais qui attendent des troupes fraîches pour prendre à leur tour l’offensive
- BELGIQUE
- Mouvement ouvrier. — Dans la réunion des bourgmestres de l’agglomération bruxelloise, il a été contenu que le bourgmestre de Bruxelles demanderait au parti ouvrier la remise de la manifestation du 15 aoûts une autre date «à cause de la coïncidence avec les fêtes nationales». Le conseil général du parti ouvrier maintiendra évidemment la date arrêtée par le dernier congrès ouvrier de Bruxelles. La raison donnée par M. Buis ne peut être prise au sérieux par les socialistes belges.
- L’instruction relative à la destruction des établissements Baudoux, à Jumet, est complètement terminée. Vingt prévenu*, entre autres Oscar Falleur, secrétaire de l’union ouvrière de Charleroi sont renvoyés devant la chambre des mises en accusation de la cour de Bruxelles.
- A Gand, les grévistes femmes se sont promenées dimanche dans la ville. Dans une entrevue qu’elles ont eue avec le Patron, elles ont réclamé le renvoi d’un contre-maître. Le patron s’est refusé à leur donner satisfaction.
- SUÈDE ET NORWÈGE
- Différend entre la Suède et la Norwège.
- j-Une question d’une certaine gravité divise en ce moment
- kuéde et la Norwège.En vertu du pacte d’union entre ces
- deux pays, les questions de politique internationale étaient résolues par le roi, sur le préavis du ministre des affaires étrangères suédois. En 1835, le roi ordonna que celui-ci devait en référer dans toutes les occasions importantes à un conseil composé de deux conseillers suédois, d’un conseiller norvégien et du ministre même, qui restait suédois. Le Rigs-dag de Stockholm aurait le droit de se faire soumettre les protocoles de ce conseil, tandis que ce privilège était refusé au Storthing norvégien.
- Ces dispositions suscitèrent en Norwège de nombreuses manifestations, et, pour les faire cesser, le Parlement suédois décida de porter à deux le nombre des Norvégiens admis dans le conseil des affaires étrangères. Mais le Parlement de Christiania ne se montra pas satisfait de cette nouvelle concession . Il demanda que ce conseil fût composé de trois Suédois et de trois norvégiens ; il voulait de plus que le ministre des affaires étrangères appartînt tour à tour à ces deux nationalités. Le cabinet de Stockholm rompit alors les négociations. Mais les deux Chambres norvégiennes viennent d'adopter une résolution assurant au chef de leur gouvernement, M. Sverdrup, l’appui de la représentation nationale dans ses tm-tatives pour obtenir dans la direction des affaires étrangéies la part qui revient légitimement à la Norwège.
- Il ne faudrait pas croire, d’après cet exposé, que la Suède a tous les torts. Son attitude n’est pas absolument négative.
- Elle veut bien consentir à ce que le ministère des affaires étrangères soit confié alternativement à un Norvégien; mais, comme ce département dépendrait alors non plus du Rigsdag mai» du Storling, elle demande que l’on crée un Parlement commun pour les deux pays en deçà et au delà du Kjœlen, qui serait appelé à résoudre les affaires de toute la monarchie et qui serait composé des représentants de ses deux moitiés.
- Mais la Norwège, où domine actuellement un parti hostile à l’union avec la Suède, ne veut pas d’une proposition qui tendrait à consolider ce pacte. Le conflit menace ainsi de s’éterniser, sans qu’il soit possible de lui assigner une solution. Si la Norwège ne modifie pas son attituie, ses prétentions ne peuvent aboutir qu’à une scission profonde de la monarchie Scandinave, avec ce résultat bizarre que le royaume d’Oscar 11, dont l’importance internationale n’est pas énorme, jouira de deux ministres des affaires étrangères et d’une double représentation diplomatique.
- ETATS-UNIS
- Agitation ouvrière. — Les grèves recommencent à New-York et à Chicago. Voici deux dépêches datées du 28 juin.
- A New-York, lesgrévistes, soutenus par laloule empêchent toujours le trafic.
- A Lake, il y a eu plusieurs démonstrations et quelques collisions avec la police.
- Celle-ci a fait feu sur le peuple.
- Il y a eu deux personnes blessées.
- Les chemins de fer ont suspendu tout trafic.
- Aujourd’hui, les grévistes se sont emparés de deux locomotives et ont fait de vains efforts pour en saisir une troisième.
- La poli* e, qui gardait une de ces machines, a tiré sur les assistants et en a tué deux.
- Les grévistes sont à l’heure qu’il est en possession du magasin des marchanoises de la Compagnie.
- p.425 - vue 428/838
-
-
-
- 426
- LE DEVOIR
- La justice poursuit 70 grévistes.
- Une seconde dépêche de Chicago dit que les grévistes on empêché le trafic des marchanjises pendant toute la journée d’hier et qu’un seul train a pu arriver à vingt milles au sud de Chicago.
- Les grévistes renversent des wagons sur la lignes et poursuivent les trains avec les locomotives dont ils se sont emparés.
- Deux policemens et cinq grévistes ont été blessés hier, et une trentaine d’arrestaiions ont été opérées.
- Le Travail Marchandise.
- Les économistes doivent être contents. Leurs théories sur la loi de l’offre et de la demande et sur le travail deviennent, depuis quelque temps, d’une application plus rigoureuse que d’habitude.
- Dire que les partisans de l’ordre et les amis de l’humanité ont les mêmes motifs d’être satisfaits serait aller trop loin ; ce qui réjouit ceux-là, ne peut qu’affliger ceux-ci.
- Les économistes ont dit le travail est une marchandise comme une autre.
- Avant, ils avaient établi que les marchandises étaient soumises aux lois de l’offre et de la demande, s’appliquant à démontrer combien étaient admirables ces opérations de commerce et de spéculation qui ont pour but d'exagérer l'offre ou la demande et de relever ou d’abaisser le prix des choses, suivant les intérêts des grands financiers maîtres du marché universel.
- Ces suggestions commencent à porter leurs fruits ; c’est à elles que nous devons tous les désordres présents, que Ton aurait pu éviter en inculquant aux ouvriers des idées d’association, de participation d» garantisme, au lieu de les pousser aux conséquences inévitables des compétitions commerciales.
- Incontestablement, l’ouvrier a besoin d’élever sa condition et de se soustraire à l'abaissement social qu’on lui impose injustement. Mais l’économie politique, en vulgarisant ses théories sur le travail marchandise, a contraint de plus en plus le travailleur à chercher son salut dans les compétitions et l’antagonisme avec les patrons.
- Qu’on interprète pas ce que nous allons dire plus bas comme un blâme de la conduite des travailleurs; nous ne pensons pas qu’on puisse leur reprocher de suivre la seule voie qu’on leur a indiquée. Notre intention est simplement de noter
- l’évolution ouvrière telle que l’ont rendue possible les so phistes, laissant à ces derniers la responsabilité de tout le mal qui pourra en provenir
- Insensiblement, les travailleurs, assourdis et étourdis par les prédications des économistes, ont fini par les adopter sans peut-être s’en rendre exactement compte. Il n’est pas moins curieux de noter les phénomène s sociaux constatés à la suite de cette prise de possession des cerveaux ouvriers par les sophismes des éminents économistes.
- Dès que l'ouvrier a eu cette conviction qu’il était le marchand de son travail, il a été porté à s’enquérir des habitudes commerciales et à pratiquer sur le marché du travail celles qui lui ont paru le mieux servir son petit commerce, car le travailleur a pris ses premières inspirations dans l’observation de ce qui était le plus à sa portée, le petit patronat.
- Il a vu l’épicier mêler de la farine au sucre, le marchand de vin rougir de l’eau, le boucher vendre de la vache pour du bœuf ; en un mot, il a vu la généralité de ces petits commerçants tromper sur la qualité de la marchandise vendue et en donner le moins possible pour une somme d’argent la plus élevée possible.
- Excités par ces exemples, les travailleurs en sont venus à imiter les détaillants ; ils ont cherché à rogner quelques minutes sur la durée de la journée, eu arrivant un peu après l’heure et en quittant le travail quelques instants trop tôt ; employés à l’heure ou à la journée, ils ont calculé leurs mouvements de manière à faire le moins de travail possible en sauvant les apparences ; engagés aux pièces, ils sont parvenus à tromper l’œil et à produire des objets imparfaits que la patron ne peut rebuter comme mal façonnés.
- Tout cela était l’enfance du travail marchandise, comme le commerce de détail est l’enfance du commerce et de la spéculation.
- Les grands faiseurs ont organisé des syndicats des bureaux de correspondance, ils savent à toute heure quelles sont les fluctuations diverses du marché, et suivant ces nouvelles ils font acheter ou vendre, apporter au marché ou consigner de grandes quantités de marchandises, selon qu’ils spéculent à la hausse ou à la baisse.
- Les ouvriers, de plus en plus excités par les éffli* nents économistes à se considérercomme des marchands de travail humain, ne pouvaient manquer d être frappés par les faits et gestes des spéculateurs et d’être tentés de les copier dans l’espoir de mieux défendre leurs intérêts.
- p.426 - vue 429/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 427
- Un grand pa^ a été fait récemment dans cette voie dans les departements du nord de la France: Une légère augmentation de la demande des produits laineux fabriqués, dès qu’elle a été connue des ouvriers, et ceux-ci l’ont sue aussitôt qu'elle s’est manifestée, a provoqué immédiatement des demandes générales d’augmentation de salaires et des grèves partout où on a repoussé ces prétentions des marchands du travail humain, ceux-ci ayant retiré du marché leur travail aux prix de la veille.
- En cette occasion, les demandes ouvrières n’ont pas été excessives et elles ont partout été accordées en partie sinon en totalité ; d’autre part, un grand besoin de relèvement de salaire se faisait sentir.
- Mais les ouvriers se maintiendront-ils dans ces limites modérées 1 Sauront-ils apprécier exactement les circonstances ? Cette modération dans leur récente entente avec les patrons de Roubaix, de Tourcoing, de Fourmies, de Saint-Quentin, etc. n’est-elle pas le fait de leur manque absolu d’avances, à la suite des dépenses occasionnées par les grèves défensives soutenues pendant toute la durée de l’hiver dernier ?
- Les ouvriers aurcnt-ils des motifs pour cesser j d’augmenter leurs prétentions ? Évidemment, non I s’ils continuent à prendre exemple sur les dé- j tenteurs du capital. |
- Il n’est pas douteux qu’ils deviendront in ^ - j tiables suivant les conseils des inventeurs du ira- | vail marchandise. Ces inventeurs sont les m mes j
- j Lorsque les affaires seront prospères, les tra-! vailleurs organiseront la grève pour disputer aux I patrons les bénéfices de la production ; lorsqu’elles péricliteront, les marchands de travail feront encore la grève pour maintenir les cours de leur marchandise.
- Qu’on ne nous accuse pas d’exagérer. Certaine-men t nous n’en sommes pas encore à un point aussi grave. Si le présent ne justifie pas complètement nos dires, on ne saurait les contester comme énoncé de probabilités à prochaines échéances.
- Arrivés à ce haut degré d’antagonisme les luttes entre marchands de denrées, d’objets divers, et les marchands de travail exigeront l’intervention du gouvernement pour les pondérer ou pour les maîtriser tour à tour.
- Pourquoi attendre cette période aiguë pour | agir ?
- | Comme il serait plus sage d’être prévoyant et f de préparer, dès maintenant, avant la venue ! des moments critiques, l’avénement de la solidarité I des intérêts par l’application hardie de la partici-| pation aux bénéfices et de l’association.
- Ces choses ne se feraient pas sans provoquer la dissertation des éminents économistes. Mais qu’est-ce que cela peut faire aux gens sensés.
- économistes qui provoquent sans cesse la spécul- j tion à exagérer ses tentatives.
- Nous verrons bientôt les ouvriers se faire renseigner surla marchedescommandes, savoir aujusteles les échéances des livraisons, et, à ces heures, retirer leurmarchandise travail des ateliers pressés de fabriquer, à moins qneles patrons ne consentent à leur abandonner les bénéfices de leurs entreprises.
- On ne parle en Italie — et quelque peu en France par contre-coup — que d’un certainSucci, qui demeure àForli, dans les Romagnes, et qui prétend avoir découvert dans ses voyages à travers une grande partie de l’Afrique une espèce de liqueur extraite de différentes herbes. Cette lirueur aurait la puissance de momifier pour ainsi dire le corps et de le rendre insensible à quelque besoin que ce soit. Pour prouver sa découverte, il s’est mis sous la surveillance d’un comité d’habitants de Forli.
- L’industrie spécule, pourquoi les ouvriers ne spéculeraient-ils pas ?
- Pourquoi les marchands de travail h umain seraient-ils plus sages que les marchands de café, de spiritueux, de chandelles, puisqu’ils sont tous des marchands vendant des marchandises, que les économistes éminents ont décrétées inviolable-ment égales devant la loi de l’offre et de la demande.
- On voit la belle société que nous ont préparé les sophistes.
- M. Succi assure, en outre, qu’il peut boire, dans l’état où il se trouve, toutes sortes de poisons sans en éprouver ancun fâcheux effet.
- C’est depuis le 10 Juin courant qu’il n’a plus mangé ; puis il a passé six jours au lit, gardé à vue. Il s’est levé le 18 dans la plénitude de ses forces, il a parcouru à pied 7 kilomètres sans éprouver la moindre lassitude.
- Plusieurs médecins l’on visité ; il se trouve disent-ils en présence d’un fait extraordinaire. L’estomac de M. Succi sa-trophie ; il ne sent aucun besoin de manger, il prend seulement quatre verres d’eau très pure dans le cours de la journée.
- p.427 - vue 430/838
-
-
-
- le devoir
- Un professeur de Boulogne, M. Peruzzi est allé le visiter le 21 Juin et est resté, lui aussi très surpris de cet étrange phénomène; il l'a prié de se rendre à Boulogne pour s’y faire examiner par l’académie de médecine. Après avoir réparé ses forces il recommencera à Bologne une seconde expérience, dans laquelle il se propose aussi de boire du poison.
- Voyage impérial en Chine.
- Si vous êtes curieux de savoir comment voyagent un fils du ciel, voici quelques détails sur la visite que l’empereur de Chine a faite, ce mois d’avril, aux tombeaux de la famille impériale, accompagné par une escorte qui comptait au moins 20,000 personnes
- Le fils du ciel a fait le voyage dans un palanquin porté par seize porteurs, tous de la même taille ; les faces du palanquin garnies de larges glaces, qui permettaient de voir le jeune souverain. Parmi les nombreux personnages de la suite, on remarquait les présidents des treize ministères, qui seuls étaient autorisés à se servir de chaisses à porteurs.
- L’escorte particulière de l’empereur se composait de cinquante cavaliers, qui précédaient et suivaient le palanquin impérial. En sortant du palais, le cortège s’engagea sur une route nivelée pour la circonstance avec un soin admirable.
- Selon le cérémonial en usage en Chine, défense avait été faite à la population de paraître dans les rues au moment du passage de l’empereur ; mais, pour satisfaire leur légitime curiosité, les habitants de la capitale avaient percé des petits trous dans les murs de leurs maisons, afin de pouvoir com-templer les traits du fils du ciel et, de l'impératrice régente.
- Lorsque l’immense possession arriva dans la eampagne, la consigne devint moins sévère : on permit aux paysans d’assister ou passage du cortège, mais tous devaient s’agenouiller à une vingtaine de mètre de l’empereur.
- TRAITÉ AVEC LA CHINE
- Voici le texte du Irai té cle commerce signé entre la France et la Chine, et qui a été déposé aujourd’hui sur le bureau de la Chambre :
- Article 1er, Aux termes de l’article 5 du traité du 9 juin 1885, les hautes parties contractantes conviennent qu’il y a lieu, quanta présent, d’ouvrir au commerce deux localités, l’une au nord de Lang-Son et l’autre au-dessus de Lao-Kaï. La Chine y établira des bureaux de douane et la France aura la faculté d’y nommer des consuls, qui jouiront de tous les droits et privilèges concédés en Chine aux consuls de la nation la plus tavorisée.
- Les travaux de la commission chargée de la délimitation des deux pays ne se trouvant pas terminés au moment de la signature de la présente convention, la localité à ouvrir au commerce au nord de Lang-Son devra être choisie et déterminée dans le courant de la présente année, après entente entre le gouvernement impérial et le représentant de la Franee à Pékin. Quant à la localité qui devra être ouverte au commerce au-dessus de Lao-Kaï, elle sera également déterminée d un commun accord à la suite des travaux de reconnaissance de la frontière entre les deux pays.
- Art. 2. Le gouvernement impérial pourra nommer des consuls à Hanoï et à Haï-Phorg. Des consuls chinois pourront aussi être envoyés plus tard dans d’autres grandes villes du Tonkin, après entente avec le gouvernement français.
- Ces agents seront traités de la même manière, et auront les mêmes droits et privilèges que les consuls de la nation la plus favorisée établis en France. C’est avec les autorités françaises chargées du protectorat qu’ils entretiendront tons leurs rapports officiels.
- Art. 3. Il est convenu, de part et d’autre, que, dans les localités où des consuls seront envoyés, les autorités respectives s’emploieront à faciliter l’installation de ces agents dans des résidences honorables.
- Les français pourront s’établir dans les localités ouvertes au commerce à la frontière de la Chine dans les conditions prévues par les articles 7, 10, 11, 12 et autres du traité du 27 juin 1858.
- Les Annamites jouiront dans ces localités du même traitement privilégié.
- Art. 4 Les Chinois auront le droit de posséder des terrains, d’élever des constructions, d’ouvrir des maisons de commerce et d’avoir des magasins dans tout l’Annam.
- Ils obtiendront pour leurs personnes, leurs familles et leurs biens, protection et sécurité à l’égal des sujets de la nation européenne la plus favorisée, et, comme ces derniers, ils ne pourront être l’objet d’aucun mauvais traitement. Les correspondances officielles et privées, les télégrammes des fonctionnaires et commerçants chinois seront transmis sans difficultés par les administrai ns postale et télégraphique françaises.
- Les Français recevront de la Chine le même traitement privilégié.
- Art. 5. Les Français, protégés français ou étrangers établis au Tonkin, pourront franchir la frontière et pénétrer en Chine, à la condition d’être munis de passeports. Ces passeports seront délivrés par les autorités chinoises de la frontière, à la requête des autorités françaises, qui les demanderont seulement en faveur de personnes honorables ; ils seront rendus au retour et annulés. Lorsqu’un voyageur devra traverser une localité occupée par des aborigènes ou des sauvages, il sera mentionné sur le passeport qu’il n’y a pas dans cette localité de fonctionnaires chinois qui puissent le protéger.
- Les Chinois qui voudront se rendre de la Chine au Tonkin par la voie de terre devront, de la même manière, être munis de passeports délivrés par les autorités françaises à la requête des autorités chinoises, qui les demanderont seulement en faveur do personnes honorables.
- Les passeports ainsi délivrés de part et d’autre serviront simplement de titres de voyage et ne pourront pas être considérés comme des certificats d’exemption de taxes pour le transports des marchandises.
- Les autorités chinoises sur le sol chinois et les autorités françaises au Tonkin auront le droit d'arrêter les personnes qui auraient franchi la frontière sans passeports et de les remettre aux mains des autorités respectives pour être jugées et punies s’il y a lieu.
- Les Chinois habitant l’Annam pourront rentrer du Tonkin en Chine en obtenant simplement des autorités impériales un laisser-passer leur permettant de franchir la frontière.
- p.428 - vue 431/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 429
- Les Français et autres personnes établies dans les localités ouvertes à la frontière pourront circuler sans passeports dans un rayon de cinquante lies (578 mètres la liej autour de ces localités.
- Art. 6. Les marchandises importées dans les localités ouvertes au commerce, à la frontière de Chine, par ies négociants français et les protégés français, peuvent après acquittement des droits d’importation, être transportées sur les marchés intérieurs de la Chine dans les conditions fixées par le septième règlement annexe du traité du 27 juin 1858 et par les règlements généraux de la douane maritime sur les passes de transit à l’importation.
- Dès que des marchandises étrangères seront importées dans ces localités, déclaration devra être faite en douane de la nature et de la quantité de ces marchandises, ainsi que du nom de la personne qui les accompagne. La douane fera procéder à la vérification et percevra le droit du tarif général de la douane maritime chinoise, diminué d’un cinquième. Les articles non dénommés au tarif resteront passibles du droit de 5 O/o ad valorem Ce n’est qu’après que le droit aura été payé que les marchandises pourront sortir de magasin, être expédiés 3t vendues.
- Le négociant qui voudrait envoyer dans l’intérieur des marchandises étrangères devra faire une nouvelle déclaration en douane et payer, sans réduction, le droit de transit inscrit dans les règlements généraux de la douane maritime chinoise.
- Après ce payement, la douane délivrera une passe de transit qui permettra aux porteurs de se rendre dans la localité désignée sur la passe pour y disposer des dites marchandises.
- A ces conditions, aucune perception nouvelle ne sera faite au passage des barrières intérieures et des bureaux de likin.
- Les marchandises pour lesquelles des passes de transit n’auraient pas été demandées seront passibles de tous les droits de barrière et de likin imposés aux produits indigènes dans l’extérieur du pays.
- Art. 7. Les marchandises achetées par les Français et les protégés français sur les marchés intérieurs de la Chine peuvent être amenées dans les localités ouvertes à la frontière, pour être de là exportées au Tonkin, dans les conditions fixées par le 7° règlement annexé du traité du 27 juin 1858 sur le transit des marchandises d’exportation.
- Lorsque les marchandises chinoises arriveront dans ces localités pour être exportées, déclaration devra être faite en douane de la nature et de la quantité de ces marchandises, ainsi que du nom de la personne qui les accompagne.
- La douane fera procéder à la vérification.
- Celles de ces marchandises qui auraient été achetées à l’intérieur par le négociant muni d’une passe de transit et qui n’auraient alors acquitté ni taxe de likin, ni taxe de barrière, auront d’abord à payer le droit de transit inscrit au tarif général de la douane maritime chinoise.
- Elles payeront ensuite le droit d’exportation du tarif général diminué d’un tiers. Les articles non dénommés au tarif resteront passibles du droit de 5 O/o ad valorem.
- Après l’acquittement de ces taxes, les marchandises pourront sortir librement et être expédiées au delà de la frontière.
- Le négociant qui, ayant acheté des marchandises dans l’intérieur, ne sera pas muni d’une passe de transit, devra acquitter, au pasfage des bureaux de perception, les taxes de barrière et de likin ; les récipissés devront lui être délivrés. A son arrivée à la douane, il sera exempté du payement du droit de transit sur le vu de ces récépissés.
- Les commerçants français et protégés français important ou exportant des marchandises par les bureaux de douane de la frontière du Tunnam et du Quang-Si, et les commerçants chinois important ou exportant des marchandises au Tonkin n’auront à acquérir aucune taxe de péage pour leurs voitures ou leurs bêtes de somme Sur les cours d’eaux navigables franchissant la frontière, les barques pourront être de part et d'autre soumises à un droit de tonnage, conformément aux règlements de la douane maritime des deux pays.
- En ce qui concerne les dispositions du présent article et du précédent, il est convenu entre les hautes parties contractantes que, si un nouveau tarif douanier vient à être établi d’un commun accord entre la Chine et une tierce puissance pour le commerce par terre sur les frontières sud-ouest de l’Empire chinois, la France pourra en obienir l’application.
- Art. 8. Les marchandises étrangères qui, n’ayant pu être vendues, seraient, dans un détail de trente-six mois, après avoir acquitté le droit d’importation à l’une des douanes frontières chinoises, réexpédiées vers l’autre douane frontière, seront examinés à la première de ces douanes, et, si les enveloppes en sont restées intactes, si rien n’en a été distrait ou changé, elles recevront un certificat d’exemption du montant de la taxe primitivement perçue. Le porteur de ce certificat pourra le remettre à l’autre douane frontière à l’acquit du nouveau droit qu’il aura à payer. La douane pourra également délivrer des bons valables pendant trois ans, pour tout payement ultérieur à faire au même bureau. Il ne sera jamais rendu d’argent.
- Si ces mêmes marchandises sont réexpédiées vers un des ports ouverts de la Chine, elles y seront, conformément à la règle générale de la douane maritime chinoise, soumises aux droits d’importation, sans qu’on puisse y faire usage de ces certificats ou bons de douanes frontières. Il ne sera pas non plus possible d’y présenter, à l’acquit des droits, les quittances délivrées par les douanes frontières lors du premier versement. Quant aux droits de transit, une fois acquittés, ils ne pourront jamais, conformément aux règlements appliqués dans les ports ouverts, donner lieu à la délivrance de bons ou certificats d’exemption.
- Art. 9. Les marchandises chinoises, qui, après avoir acquitté à l’un des bureaux de la frontière, les droits de transit et d’exportation, seraient réexpédiées vers l’autre douane frontière pour être vendues ne seront soumises, à leur arrivée à cette seconde douane, qu’au payement, à titre de droit de réimpoitation, de la moitié du droit d’exportation déjà perçu. Ces marchandises pourront alors, couformément aux règlements établis dans les ports ouverts, être transportées dans l’intérieur par les commerçants étrangers.
- Si ces marchandises chinoises sont transportées dans un des ports ouverts de la Chine, elles seront assimilées à des marchandises étrangères et devront acquitter un nouveau droit entier d’importation, conformément au tarif général de I la douane maritime.
- p.429 - vue 432/838
-
-
-
- 430
- LE DEVOIR
- Ces marchandises seront admises à payer le droit de transit pour pénétrer dans l’intérieur. Les marchandises chinoises importées d’un port de mer de Chine vers un port annamite, pour être de là transportées à la frontière do terre et rentrer ensuite en territoire chinois, seront traitées comme marchandises étrangères et devront payer le droit local d’importation. Ces marchandises seront admises à payer le droit de transit pour pénétrer dans l’intérieur.
- Art. 10. Les déclarations en douane chinoise devront être faites dans les trente-six heures qui suivront l’arrivée des marchandises, sous peine d’une amende de 50 taëls par chaque jour de retard, sans que cette amende puisse excéder 200 taëls. Une déclaration inexacte de la quantité des marchandises, s’il est prouvé qu’elle a été laite dans l’intention d’échapper au payement des droits, entraîne pour le marchand la confiscation de ces marchandises. Les marchandises qui, non munies du permis du chef de la douane, seraient clandestinement introduites par des chemins détournés, déballées ou vendues, ou qui seraient l’objet d’un acte intentionnel de contrebande, seront intégralement confisquées. Toute fausse déclaration ou manœuvre tendant à tromper la douane sur la qualité, la quantité, la réelle provenance ou la réelle destination des marchandises appelées à bénéficier des passes de transit, donnera lieu à la confiscation des marchandises. Ces pénalités devront être prononcées dans les conditions et selon la procédure fixée par le règlement du 31 mai 1868. Pans tous les cas où la confiscation aura été prononcée, le négociant pourra libérer ces marchandises moyennant le versement d’une somme équivalant à leur valeur, dûment déterminée par une entente avec les autorités chinoises. Les autorités chinoises auront toute liberté d’aviser aux mesures à prendre en Chine, le long de la frontière, afin d’éviter la contrebande.
- Les marchandises descendant ou remontant les voies navigables à bord de bateaux français, annamites ou chinois, ne devront pas être nécessairement débarquées à la frontière, à moins qu’il y ait apparence de fraude ou divergence entre l’état de la cargaison et la déclaration du manifeste. La douane ne pourra qu’envoyer à bord desdits bateaux des agents pour en faire la visite.
- Art. 11. Les produits d’origine chinoise importés au Ton-kin par la frontière de terre auront à acquitter le droit d’imj ortation du tarif franco-annamite. Us ne payeront aucun droit d’exportation à la sortie du Tonkin. Il sera donné communication au gouvernement imoérial du nouveau tarif que la France établira au Tonkin. S’il est établi au Tonkin des taxes d’accise, de consommation ou de garantie sur certains articles pe production indigène, les produits similaires chinois auront à subir, à l’importation, des taxes équivalentes.
- A suivre.
- Les armements de la Rassie
- Le correspondant du Daily News à Saint-Pétersbourg télégraphie que, dans les cercles politiques russes, on ne doute pas que l’Angleterre ne vise une occupation plus ou moins prochaine de la province afghane de Badakshan. Cette mesure serait considérée en Russie comme une violation flagrante des conventions de Londres de 1872 et 1873.
- Le correspondant du même journal à Odessa annonce que Kischnefî et plusieurs autres points stratégiques de la Bessarabie sont occupés par des troupes russes très-nombreuses, et qu’il en arrive constamment de nouvelles. Les alentours du chef-lieu de la province rassemblent à un vaste camp.
- Cette concentration de forces cause dans le pays une certaine inquiétude, dit le correspondant du journal anglais, car on n’en voit pas l’objet. Ce ne sont pas de simples manœuvres militaires. L’autre jour, le gouverneur général d’Odessa a passé en revue 10,000 hommes d’infanterie, lesquels constituent une partie seulement de la garnison, augmentée depuis peu dans des proportions énormes.
- Dix-neuf généraux accompagnaient le gouverneur.
- La mort sans douleur. — En attendant l’application du courant électrique à l’execution du condamné à mort, ce qu’on attendra toujours si nos vœux se réalisent, car pour un comtem porain de Victor Hugo la seul solution que comporte la question de la gillotine, c’es t l’abolition de la peine de mort; en attendant, voici que de l’autre côté du détroit ce courant est employé à extirper sans douleur la vie des chiens qui faute de maître pour payer écot n’ont plus place au banqnet de la vie.
- L’électricité est fournie par une machine Brush,d’une force de 1,100 à 1,200 volts. Ses pôles aboutissent à deux plaques en cuivre établie au fond d’une cage de 7 à 8 centimètres l’un de l’autre et humectées d’eau salée. Le condamné
- — ces détails intéresseront les personne pour qui la question de la guillotine est affaire de technie et non de principe où leurs sensations sont plus intéressées que leur concience,
- — le condamné introduit dans la cage, a forcément, vu la distance réciproque des plaques les pattes de devant sur l’une et celles de derrière sur l’autre. C’est pour rendre aussi parfait que possible le contact de ces extrémités avec les plaques qu’on a soin d’humecter celle-ci.
- L’animal étant en place, on fait jouer l’extra courant qui, instantanément, la tension étant énorme, le foudroie. Instantanément n’est pas une exagération. En une demi-heure 25 pauvres toutous ont été, l’un après l’autre, supprimés de la sorte.
- La suppression de ces bons animaux étant indiscutablement nécessaire, leurs amis applaudiront à cette nouvelle manière d’en finir avec eux. Combien n’est elle pas préférable à ce qui se pratique à New-York où on les noie, à Paris où ou les asphyxie, et partout où l’on s’en débarasse en les pendant ou en les empoisonnant. Par l’eau, les gaz, la corde et les boulettes, c’est aussi bien que par le courant, la mort sans phrases, mais par le courant seul, — sa vitesse étant si démesurément plus grande que celle de la sensation — c’est la mort sans douleur.
- CHARLES SAVILLE
- par ROBERTSON
- Roman philosophique
- Chapitre XI
- LE DÉPART - DISSERTATION SUR LE MAL DE MER.
- Au point du jour, ainsi qu’il l’avait annoncé, le patron donna l’ordre d’appareiller, et le sifflet du contremaître réveilla Saville en sursaut.
- Celui-ci, curieux de voir ce qui se passait, se leva précipitamment et monta sur le pont.
- Une forte gelée était survenue ; le tillac craquait sous une couche de givre et de neige durcie.
- p.430 - vue 433/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 431
- Les hommes de l’équipage étaient au cabestan. Aussitôt qu’on eût levé l’ancre, on largua quelques voiles, on gissa les embarcations, et l’on roua les cables.
- Les passagers, réveillés par le bruit qui se faisait au-dessus de leurs têtes, arrivèrent successivement.
- Une fois hors de la rade, on déploya d’autres voiles, et les côtes commencèrent à fuir rapidement devant les yeux des passagers, placés à l’arrière du bâtiment.
- Charles resta longtemps accoudé sur la lisse d’appui, s’abandonnant avec un plaisir mélancolique à des impressions nouvelles pour lui. Quand il sortit de sa rêverie, et qu’il jeta les yeux autour de lui, il aperçut à quelques pas Zamore, enveloppé d’une large houpelande fourrée.
- — Pauvre enfant, dit-il, en s’approchant de lui, tu as froid. Ta vie était si douce dans mon hôtel ; pourquoi y as-tu renoncé? Je suis sûr que tu le regrettes maintenant.
- Comme Zamore protestait contre cette supposition par des gestes expressifs, Edouard survint en s’écriant :
- — Oh, le petit frileux ! Comme le voilà emmitouflé ! On ne lui voit que le bout du nez. Faut-il une chauf-frette à monsieur ?
- — Edouard, je t’en prie, dit Charles, ne raille pas ce pauvre garçon. D’abord il ne peut te répondre ; tu connais son infirmité. Et puis, il m’a donné une preuve de dévouement qui m’a vivement attendri. Tu ne pourrais l’affliger sans m’affliger moi-même.
- — Tu sais bien, répondit Edouard, que j’aime à rire, mais que je ne suis pas méchant. Et toi, mon petit ami, tu comprends que je n’ai pas voulu te faire de peine n’est-ce pas? c’est bon, la paix est faite. Maintenant, allons écouter ce que disent ces messieurs ; ils parlent du mal de mer : c’est une question intéressante pour de nouveaux navigateurs.
- Ils s’approchèrent du groupe des causeurs.
- — Qu’est-ce que le mal de mer ? — y êtes-vous sujet ? — y a-t-il quelque moyen d’y échapper ? — Pourquoi les uns n’en sont-ils pas atteints, pendant que les autres en souffrent si cruellement ?
- Toutes ces questions s’entrecroisaient et amenaient les réponses les plus contradictoires.
- — Messieurs, dit tranquillement M. Murray, si nous commencions par prier monsieur le docteur de nous donner son opinion ? Il me semble que c’est à lui de nous éclairer.
- Il se fit un murmure d’assentiment, puis uu silence, et le docteur Gampiglio prit la parole.
- — Messieurs, dit-il on a donné beaucoup de théories
- du mal de mer. Selon les uns, ce mal ne serait autre chose qu’un résultat de la diminution de la force ascendante du sang dans l’aorléi et dans les artères qui naissent de la crosse, par suite..
- — Pardon, docteur, si je vous interromps, dit le jeune dessinateur ; mais vous oubliez que nous ne sommes pas médecins. Pour moi, je déclare que je ne connais
- ! ni l’aorte ni la crosse. Est-ce que vous ne pourriez pas j vous mettre à notre portée ?
- Le docteur fronça légèrement les sourcils ; mais il se remit, aussitôt et dit :
- — Vous avez raison. Je vais tâcher de me faire comprendre de tout le monde. Je disais donc, que le sang, envoyé du cœur dans toutes les parties du corps, étant ralenti dans sa marche par les mouvements que nous imprime le vaisseau, il doit en résulter un alanguissement, une disposition à la défaillance, et enfin tous les troubles que nous observons dans le mal de mer. Telle est la première supposition, que je n’admets pas. En voici une seconde(2) : L’estomac est un sac à deux ouvertures, l'une supérieure, et l’autre inférieure : si vous êtes couché dans le sens de la longueur du navire, le tangage ballote les aliments contenus dans ce sac, de manière à les faire frapper alternativement contre les deux ouvertures, qui sont fort sensibles. L’action régulière de l’estomac se trouve paralysée, et il rejette le poids qui l’incommode. Dans cette hypothèse, le mal de mer n’est autre qu’une indigestion. Si vous êtes couché dans le sens de la largeur du navire, le tangage cesse de vous incommoder, parce que les aliments, au lieu de frapper contre les ouvertures de l’estomac, sont ballotés contre ses parois ; mais alors c’est le roulis qui produit l’effet malfaisant. Or, comme le roulis est beaucoup plus fréquent que le tangage, il vaut mieux se coucher parallèlement à l’axe du vaisseau.
- -• Je trouve cette explicatiou très ingénieuse, dit le négociant, et j’ai eu l’occasion d’en appliquer la justesse dans les traversées que j’ai faites. Je me souviens que celles où j’ai le plus souffert étaient à bord des navires où les lits étaient placés comme les bancs et les tables dans les boxes de nos tavernes.
- — Oui, reprit le docteur, elle est spécieuse. Cependant, je ne l’admets pas. J’ai vu des personnes affectées du mal de mer, dès qu’elles mettaient le pied sur un bâtiment, même à l’ancre, même au repos le plus complet. D’où je conclus que les mouvements du roulis et du tangage ne font que développer un mal dont la cause est ailleurs. Selon moi, le mal de mer est une intoxication produite par des miasmes maritimes (3). Si ce mal devient plus intense quand les mouvements sont plus violents, quand la mer est plus mauvaise, cela vient uniquement de ce que l’agitation des eaux favorise davantage l’émanation des miasmes.
- — Alors, vous croyez donc que l’air de la mer est malsain ? dit le gros capitaine. Mais regardez-moi donc. Regardez donc l’ami Carbonnel, examinez tous les hommes de l’équipage. Nous sommes tous vigoureux et bien portants ; et nous sommes plus souvent sur mer que sur le plancher des vaches. Mais vous, monsieur Muller, continua-t-il, sans laisser au docteur le temps de répondre, vous ne nous dites rien. Vous devez avoir aussi une opinion là-d^ssus
- Muller, qui était entrain de peser intérieurement les raisons données par le docteur, sortit de sa méditation,
- (1) Dr Pellarin.
- (2) Dr Savardan.—(3) Dr Semanas.
- p.431 - vue 434/838
-
-
-
- 432
- LE DEVOIR
- en s’entendant interpeller, et en voyant tous les yeux 1 tournés vers lui.
- — Si je n’avais, dit-il,que mon opinion personnelle à vous donner, je ne la mettrais pas en balance avec celle de monsieur. Mais voici l’explication d’un savant que je révère (4). Remarquons d’abord lLnalogie frappante qui existe entre le mal de mer, et le malaise qu’éprouvent, beaucoup de personnes, lorsqu’elles se mettent sur une escarpolette, ou même lorsqu’elles occupent les places de devant d’une voiture. Si les effets sont les mêmes, à l’intensité près, il y a lieu de supposer qu’ils viennent d’une même cause. Quand le mouvement de l’escarpolette vous précipite en avant, l’air est poussé dans vos poumons et dans votre estomac, comme par une pompe foulante. Il est évident que le mouvement contraire doit produire l’effet contraire, c’est-à-dire celui d’une pompe aspirante ; donc il doit vous priver d’une partie de l’air nécessaire à la respiration, ce qui en d’autres termes est un petit commencement d’asphyxie. Si ce mouvement durait longtemps, l’asphyxie deviendrait complète ; mais une nouvelle oscillation vient contrebalancer le fâcheux effet de la précédente; elle le neutralise pour les personnes qui ont la poitrine vaste et la respiration longue, mais non pour les constitutions délicates. Celles-ci ne recevant pas à temps la quantité d’air nécessaire à la espiration, subissant dans leurs fonctions un dérangement, dont monsieur le docteur pourra vous expliquer a marche, et dont les premiers symptômes sont la prostration, les nausées, etc. Maintenant, le roulis et le tangage, ayant chacun le mouvement de la balançoire, il est naturel qu’ils aient les mêmes résultats.
- — Mais, monsieur, dit Edouard, vous nous avez parlé aussi des gens qui ne peuvent aller à reculons en voiture. Pour ceux-là c’est toujours la pompe aspirante qui joue, et jamais la pompe foulante. Comment se fait-il qu’ils ne soient pas asphyxiés ?
- — Il y a pour cela plusieurs raisons, dit M. Muller, D’abord, les parois de la voiture empêchent l’air de s’échapper, etle répercutent vers la bouche du voyageur. Ensuite, le mouvement d’une voiture n’est pas ordinairement assez rapide pour produire d’une manière sensible l’effet de vide dont j’ai parlé. Ce mouvement est assez uniforme pour permettre à bien des poitrines de s’y accomoder. Aussi le nombre des personnes qui ne peuvent voyager à reculons n’est-il pas considérable.
- — Messieurs, dit Schwartz, qui tenait à la main un verre d’eau, qu’il ne quittait pas des yeux, tout cela est sans doute fort intéressant. Mais je trouve qu’il serait plus intéressant de savoir ce qu’il faut faire pour prévenir le mal de mer. Chacun doit avoir sa petite recette. Moi, j’ai la mienne, que je suis entrain d’essayer, tel que vous me voyez. Mais je ne J’expliquerai qu’après que tout le monde aura parlé. Atout seigneur, tout honneur. Voyons capitaine, vous qui êtes un vieux loup de mer, donnez-nous vos conseils.
- — Oh, moi, dit Mortimer, avec un gros rire, la mer et moi, nous sommes trop bien ensemble pour nous faire
- du mal. Elle me berce comme son enfant. Il faut un bien gros temps pour que je me sente le cœur un peu barbouillé. Si cela m’arrive, je prends un verre de grog bien chaud et tout est dit
- — Moi, dit Murray, je fais comme le capitaine, mais je commence par un bon beef-steak et je me couche ensuite.
- — Moi, ditEdouard, je vaie, je viens, je me remue beaucoup, et cela se passe de soi-même.
- — Moi, dit Muller, je me comprime l’abdomen avec une ceinture, et je me tiens debout autant que possible, faisant de temps en temps un quart de conversion, de manière à présenter le flanc au roulis et au tangage.
- — Moi, dit le docteur, je suis conséquent avec ma doctrine, et je traite le mal de mer comme les fièvres produites par les miasmes paludéens. J’emploie la quinine substance extraite du quinquina, et découverte l’année dernière. Et vous, monsieur ? ajouta-t-il en se retournant vers Saville.
- — Oh, pour moi, dit celui-ci, j’en suis à mon premier voyage sur mer et je n’ai encore aucun parti pris.
- — Ah ! tant mieux ! dit le jeune dessinateur. Alors je ne suis pas le seul novice à bord. Mais tout novice que je suis, j’ai ma petite théorie. Je crois que le mal de iner vient de ce que nous nous contractons, nous nous raidissons, au lieu de nous prêter aux balancements du navire. Or, pour arriver à fléchir les jarrets à propos, et à suivre du corps tous ces balancements, j’ai imaginé de tenir un verre d’eau, et de le tenir toujours d’aplomb comme la boussole dans l’habitacle.
- Au moment où il parlait, un coup de tangage inattendu lança le contenu du verre jusqu’à la dernière goutte dans la cravate du patron.
- — Hallo ! s’écria Mortimer, en riant plus fort que tout le reste des assistants, pendant que le jeune Schwartz se confondait en excuses. Votre théorie peut être fort bonne, mais je n’en aime pas l’application.
- Cet incident mit fin à la conversation. Le patron alla changer de cravate ; Edouard alla donner ses instructions aux hommes de l’équipage ; Muller et Murray se promenèrent quelque temps sur le pont. Campiglio prit de ses pilules, qui le rendirent fort malade. Charles, Zamore et Schwartz, rentrés dans la cabine, éprouvèrent un peu de malaise, qui ne fut pas de longue durée, car la brise était douce et constante.
- (A suivre.)
- État civil du Familistère.
- Semaine du 21 au 27 Juin 1886. Naissances •
- Le 21 Juin, de Lesage Léontine Gabrielle, fille de Lesage Narcisse et de Soissons Félicie.
- Décès :
- Le 24 Juin, de Rousseau Joseph, âgé de 51 ans.
- Le Directeur Gérant : GODIN
- (4) Raspail.
- juise.— Imp. Baré
- p.432 - vue 435/838
-
-
-
- 10e Année, Tome 10,— W“ 409 Le numéro hebdomadaire 20 c. Dimanche 11 Juillet 1886
- LE DEVOIR
- REVUE DES QUESTIONS SOCIALES
- BUREAU
- a GUISE (Aisne)
- Toutes les communications et réclamations doivent être adressées à M. GODIN, Directeur-Gérant fondateur du Familistère
- ABONNEMENTS PAYABLES D’AVANCE par l’envoi, soit au bureau de Guise, soità celui de Paris, de timbres-poste ou de mandats de poste, dont le talon sert de quittance.
- France Union postale
- ON S’ABONNE
- A PARIS
- 5, rue Nenve-des-Petits* Champs Passage des Deux-Pavillons
- Un an ... 10 fr. »» Six mois. . . 6 »» Trois mois. . 3 »»
- Un an. . . 11 fr. »» Autres pays
- Un an. ... 13 fr. 60
- S’adresser & M. LBYMARIE administrateur delà Librairie des sciences psychologiques.
- SOMMAIRE
- Aux anarchistes et aux royalistes.— Les anarchistes et l’association du Familistère. — Les asiatiques.—Haute-Cour d’agriculture international. — Italie. — Suède. — Travailleur ou voleur. — Les nouvelles Hébrides. — Fédération internationale de l’agriculture et de la Paix. — Traité avec la Chine. — VIIe Congrès annuel. — Adhésions aux principes d’arbitrage et de désarmement européen. — Charles Saville. — L’astronomie.— État-civil du Familistère.
- AVIS
- Le Devoir a besoin d’un rédacteur pour faire le journal et une partie de la rédaction.
- Aux anarchistes et aux royalistes
- Les journaux révolutionnaires se disant socialistes mais n’exposant aucun programme,tels que Le Cri du peuple, le Socialiste et le Révolté, se livrent, à l’envi,avec les journaux orléanistes et cléricaux de notre région, à des appréciations Malveillantes sur l’association du Familistère, Puisant les uns et les autres aux mêmes sources eurs renseignements. La rédaction du Devoir lient à honneur de leur déclarer qu’elle s’est °nnée pour mission l’élaboration des idées so-Clales et des réformes pouvant servir, d’une façon
- pratique, à l’amélioration immédiate du sort des classes ouvrières et à l’émancipation prochaine des travailleurs.
- Nous déclarons, en conséquence, répudier toute polémique concernant les personnes et nous maintenir exclusivement dans la discussion des principes, considérant que les polémiques personnelles sont le déshonneur de la presse actuelle et des journalistes qui s’y livrent.
- On nous a promis de faire l’étude consciencieuse et impartiale de nos statuts ; nous attendrons cette étude. Sur ce terrain comme sur celui des principes politiques et sociaux, publiés depuis longtemps en tête des colonnes du Devoir, et particulièrement du programme que nous publions ci-dessous, nous discuterons à fond toutes les questions; mais quant aux attaques personnelles nous les vouons, répétons-le, au plus profond mépris.
- Nous invitons nos adversaires à faire comme nous, à publier leur programme politique et social; nous verrons ce qu’ils veulent et nous saurons à qui nous avons affaire.
- PROGRAMME POLITIQUE D'ACTUALITÉ.
- RÉFORMES POLITIQUES
- - Placer la protection et le respect de la vie humaine au-dessus de toutes choses dans la loi et dans les institutions.
- Éviter la guerre, la remplacer par l’arbitrage entre nations.
- Faire des garanties de la vie humaine la base
- p.433 - vue 436/838
-
-
-
- 434
- LE DEVOIR
- de la constitution politique et sociale du gouvernement.
- Consolider la République en ignaurant la souveraineté nationale par l’organisation du suffrage universel.
- Fonder cette organisation du suffrage sur la base du scrutin de liste nationale pour l’élection des députés et du renouvellement partiel et annuel de la Chambre.
- Election et dépouillement à la commune.
- Recensement départemental au chef-lieu du département.
- Récensement national à Paris.
- Proclamation du quart des députés à élire parmi les candidats qui auraient obtenu le plus de voix au premier tour de scrutin.
- Affichage de cette proclamation dans toutes les communes de France, avec la liste de tous les candidats qui auraient obtenu plus de 10,000 voix.
- Second tour de scrutin, le troisième dimanche après l’affichage de la liste des candidats sortis du vote.
- Proclamation des députés restant à élire dans les candidats ayant obtenu le plus de voix au second tour.
- Ce système aurait pour conséquence :
- La moralité dans les élections ;
- La liberté de l’électeur dans le choix de ses candidats, avec la presque certitude de donner un vote utile ;
- L’égalité des citoyens devant l’urne, chaque électeur votant, partout la France, pour autant de noms qu’il y a de Ministères, c’est-à-dire de départements des affaires publiques ;
- La possibilité de la représentation proportionnelle et, par conséquent, des minorités ;
- La représentation par les supériorités ;
- Le Contrôle des électeurs sur leurs mandataires ;
- Cette organisation du suffrage universel rendrait la candidature vraiment démocratique et la rendrait possible aux hommes de talent et de mérite, sans fortune.
- Elle moraliserait le régime représentatif ; les députés qui failliraient à leur programme et à leurs engagements étant vite remplacés.
- Avec ce système, les députés élus par le collège national seraient les députés de la France ; ils ne seraient plus élus qu’en raison de leur conduite législative ; ils seraient responsables devant la nation de l’observation loyale de leurs
- engagements et du programme qui leur aurait mérité l’élection.
- RÉFORMES CIVILES.
- Abolition régulière et progressive des abus de l’impôt en prélevant les ressources nécessaires à l’Etat sur la richesse acquise ; mais en faisant ce prélèvement après la mort des personnes et non de leur vivant.
- A cet effet, établissement du droit d’hérédité de l’Etat dans les successions.
- Droit d’hérédité progressive sur les héritages en ligne directe ; l’État prélevant peu de chose sur les petites successions, mais élevant son droit progressivement jusqu’à 50 o/0 sur les fortunes dépassant cinq millions.
- Droit de 50 o/0 sur tous les testaments.
- Droit complet d’hérédité de l’Etat en ligne collatérale et sur tous les biens n’ayant ni héritiers directs ni légataires.
- Abolition de l’impôt sur tous les biens tombés en héritage à l’Etat, mais substitution à cet impôt d’un revenu sur tous les biens revendus par l’Etat et d’un fermage sur tous les biens loués par lui.
- Suppression régulière, par ce moyen, des fermages payés aux propriétaires intermédiaires ; la propriété immobilière devant être exploitée par ceux qui la détiennent soit comme fermiers, soit comme propriétaires.
- RÉFORMES SOCIALES
- Institutions de garanties sociales en faveur des classes laborieuses et pauvres, par l’hérédité de l’Etat.
- Protection à l’association entre le capital et le travail.
- LES ANARCHISTES
- et l’Association do Familistère
- Conférence faite par M. Godin au Familistère.
- Amis et coopérateurs,
- Les circonstances m’ont paru favorables à une conférence entre nous.
- Les articles des journaux anarchistes auxquels Le Devoir a répondu dans son dernier numéro ont éveillé l’attention parmi vous; il m’a donc semblé opportun de saisir cette occasion d’examiner avec vous quels rapports il peut y avoir entre les idées vraiment sociales et les idées
- p.434 - vue 437/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 435
- anarchiques telles qu’elles se manifestent à nous.
- Mais il me semble utile de définir, par quelques indications générales, les idées sociales conçues depuis le commencement du siècle. Elles se distinguent surtout à ce caractère principal de vouloir l’avènement des classes laborieuses à tous les avantages sociaux.
- Notre époque, plus que toutes les autres, est en travail pour arrivera ce résultat.
- Dès le commencement de ce siècle, des penseurs et des philosophes se sont préoccupés du sort des classes laborieuses ; ils ont vivement mis en lumière les vices de notre état social ; ils ont affirmé que la science sociale devait avoir pour objet le bonheur du peuple, et, par conséquent, l’organisation du gouvernement et des nations dans ce seul but.
- L’amélioration du sort du plus grand nombre, du sort des classes ouvrières, a donc été surtout le fond de leurs préoccupations et de leurs écrits.
- Mais en toutes ces choses les nouveautés ont peine à se faire jour.
- Travailleurs de la main, vous savez mieux que personne quelle distance énorme sépare l’idée en germe de l’idée devenue pratiquement utile, lien a étéde même des idées sociales; les premières conceptions des penseurs socialistes furent des jalons posés pour servir à l’élude du bonheur du genre humain tout entier. Ces premiers travaux commués par d’autres penseurs ont subi des modifications dans des snns divers tendant à leur réalisation pratique ; mais, il faut le reconnaître, nous touchons presque à la fin du siècle et ces conceptions premières n’ortété réalisées nulle part, ni en France, ni en Europe. Néanmoins, elles ont considérablement influencé le mouvement des idées.
- Saint-Simon, Fourier, Gabet, Pierre Leroux, Auguste Comte, Colins, Proud’hon ont fait, en leur temps, un grand et utile travail. Leurs idées ont été une première ébauche des réformes que la marche du temps rendrait nécessaires pour l’amélioration et l’émancipation des masses ouvrières; leurs écrits ont mis en relief les divers aspects des abus sociaux ; les réformes sociales qu’ils ont proposées ont engendré des idées nouvelles et surtout fait comprendre qu’il ne suffit pas d’écrire, qu’il faut agir et réaliser. Les insuccès des tentatives faites particulièrement aux Etat-Unis ont surtout démontré la nécessité d’expérimenter les systèmes.
- C’est, dans cet esprit que j’aiabordé les études
- sociales. J’ai suivi les travaux des penseurs de ce siècle et employé nïS- vio à tirer de ces travaux les ; idées propres à donner aux familles ouvrièies, le bien-être, la sécurité du lendemain, dans la mesure pratiquement possible aù' mffiou de la société présente. D’un autre côté, j’ai, p‘HI> 11168 6Crits’ en" gagé le pouvoir public à faire des /°*s en ^aveur des réformes sociales.
- En étudiant les penseurs socialistes j <3 œe Suis préoccupé des idées tpratiques et applicables, j y ai ajouté ce qui m’a paru nécessaire pour les compléter.
- De là a surgi la construction du Familistère d’abord, puis les institutions qu’il m’a permis d'inaugurer et, enfui, l’association du capital et du travail, sur des bases conçues de façon à ce que l’ouvrier devienne possesseur de ses ateliers, outils et instruments de travail, de son palais d’habitation et de toutes les institutions nécessaires au bien-être de sa famille.
- Maintenant, remarquez-le mes amis, au milieu du mouvement d’idées engendré par les écrits des socialistes depuis 80 ans, bien des théories se sont fait jour, bien des doctrines se sont accumulées, non-seulement en France mais aussi en Allemagne, @n Angleterre ; des expériences mêm<$s ont été faites aux Etats-Unis.
- Un seul fait pratique réunissant toutes les données socialistes existé anjeufiThui dans le monde, c’est le Familistère èt sôn association.
- Je n’ai pas la prétention de montrer l’association du Familistère comme le dernier mot du progrès social ; mais je puis affirmer quelle à inauguré et pratiqué dans son sein, depuis 25 ans, utte multitude de réformes qui ne sont encore dans le monde politique et social qu’à l’état d’aspiration.
- Que ceux qui critiquent l’œuvre du Familistère sachent donc se rendre compte des difficultés inouïes au milieu desquelles elle a été édifiée ; qu’ils se représentent que c’est sous le gouvernement despotique de Napoléon îtl, lorsque ce gouvernement cherchait à étouffer toute pensée sociale, que j’ai agi ayant contre moi toutes les préventions de ma famille et de l’opinion publique. Ce n’est qu’en observant la plus grande prudence et en m’armant d’une patience soutenue que j’ai pu surmonter les obstacles placés devant moi, et me consacrera assurer à la population ouvrière que j’avais autour de moi, les palais sociaux pourvus de tous les avantages domestiques dont vousjouissez aujourd’hui, en même temps que je
- p.435 - vue 438/838
-
-
-
- 436
- LE DEVOIR
- lui donnais la sécurité dans le travail qui vous est assurée à vous-mêmes.
- Si j’y avais mis moins de prudence, si j’avais moins tenu compte des ménagements exigés par les circonstances extérieures, j’eus été immédiatement arrêté et n’aurais rien pu faire pour améliorer votre sort. Le gouvernement despotique de l’empire eût immédiatement arrêté et détruit l'œuvre du Familistère.
- Il ne suffit donc pas d’avoir des idées absolues ni des théories frondeuses qui ne tiennent compte d'aucune des conditions sociales. Si l’on veut faire œuvre réellement utile aux familles laborieuses, il faut au contraire comprendre les exigences du milieu où l’on vit, et savoir distinguer dans quelles limites on peut agir afin de faire réaliser à la société les progrès réclamés par l’avancement des esprits et des mœurs.
- Ce fut donc en tenant compte des nécessités sociales et en usant de la plus grande patience que j’ai pu fonder l'œuvre du Familistère, et faire de vous mes associés comme vous l’êtes aujourd'hui. Tel est le fruit de mes études en science sociale.
- Est-il raisonnable que ceux-là dont tout l’effort se borne à concevoir dans le silence du cabinet ou dans l’emportement des passions, des théories infructueuses ou propres à boulverser le monde, s’en viennent attaquer une œuvre qui assure aujourd’hui les conditions du bien-être à une communeauté de 1800 personnes, et du travail à de nombreux ouvriers du dehors ?
- Gela suffit-il pour réaliser le bonheur des classes laborieuses ? Cependant, ils s’en tiennent là, se bornant à préconiser la révolution sociale, sans indiquer à quoi elle conduira. Il se peut que l’incurie des classes dirigeantes rende cette révolution prochaine, mais après? Que mettra-t-on à la place de ce qui est ? Les antagonistes de la société du Familistère devraient au moins indiquer aux ouvriers en quoi doit consister l’ordre nouveau qu'ils attendent.
- Et, s’ils entraient dans cette voie, je leur prédis que nous aurions la satisfaction devoir qu'ils ne feraient qu’emprunter les réformes que nous préconisons depuis longtemps en les mettant en pratique.
- Quel sentiment les guide dans leurs attaques contre la seule expérience vraiment socialiste existante aujourd’hui ?
- On connaît d’eux une phrase fameuse, base probable de tous leurs arguments : Ni Dieu, ni maître. C’est bientôt dit, mais
- leur science et tout leur programme ; ils ne pourront aller bien loin avec cela.
- C’est de cette formule qu’ils s’inspirent d’abord dans leurs réunions où ils prétendent que nulle présidence ne soit établie, chacun parle quand il lui plait, situation commode pour les orateurs qui n’aiment pas à céder la parole aux autres ; mais si plusieurs parlent en même temps on ne s’entend plus; alors on se bat jusqu’à ce qu’on ait expulsé ses adversaires. Tel est le régime de la fraternité anarchiste.
- N’est-il pas évident qu'au contraire pour faire de la discussion utile il faut mettre de l’ordre dans les débats, aborder chaque question à son tour, faire respecter le droit de chaque orateur; or, tout cela ne s’obtient pas sans la constitution d’une présidenceet d’un bureau,c’est-à-dire d’un pouvoir élu ou acclamé par l’assemblée.
- Les anarchistes ne veulent pas même de pouvoirs élus. Certains parmi eux veulent même détruire le suffrage universel ; aussi, dans toute réunion où ils se présentent, faut-il le plus souvent commencer par des luttes avant de pouvoir organiser la séance.
- La société humaine est-elle réellement faite pour de telles mœurs ? N’est-elle pas au contraire destinée à réaliser en toutes choses l’accord et l’harmonie des relations ?
- Si la constitution d’un pouvoir dirigeant est indispensable dans une assemblée pour la fertilité des débats, à plus forte raison faut-it en constituer un pour la direction et le gouvernement de toutes les choses humaines dont les opérations sont autrement compliquées que celles d’une simple réunion publique.
- Certains anarchistes ne l'entendent pas ainsi. L’industrie sans chef, sans direction, l’ouvrier ne relevant que de lui-même: voilà leur idéal.
- Ceux qui parlent ainsi ne son t pas sincères, car leur premier mouvement consiste à s’imposer partout, à prendre immédiatement la première place et à concentrer les pouvoirs sur eux-mêmes, sauf ensuite à se dévorer entre eux, le jour où ils * seraient plusieurs compétiteurs pour une même fonction. Mais comment l'industrie marcherait-elle avec de tels usages ? Qui achèterait les matières premières ? Qui déciderait de la mise en œuvre? Qui recevrait les commandes des clients ? Qui en or donnerait l’exécution ? Comment s’établiraient
- les prix de vente ? Qui ferait l'expédition des produits? Comment s’en feraient l’inscription comp-si c’est là toute | table? Comment s’en régleraient les comptes? Tout
- p.436 - vue 439/838
-
-
-
- * LE DEVOIR
- 437
- cela ne constitue-t-il pas des fonctions subordonnées les unes aux autres ayant besoin d’une hiérarchie bien ordonnée ?
- Si dans tous les services chacun n’en faisait qu’à sa tête, sans entente avec les autres, sans plan et sans règle, vous pouvez juger du désordre et de la ruine que cela produirait.
- Même dans 1-s établissements gérés avec soin comme le nôtre, les frais généraux atteignent encore un chiffre que, certainement, on diminuerait en introduisant plus d’ordre encore dans tous les détails des services.
- L’ordre est la condition essentielle à la prospérité des choses humaines. Une usine conduite d’après les doctrines anarchiques ne donnerait que la misère aux ouvriers. Nous en avons l’exemple par les méfaits récents d’un anarchiste parmi nous.Ces méfaits nous auront coûté plus de deux mille francs pendant un seul mois. Une direction habile soigneuse et vigilante peut seule donner au travail une impulsion féconde et assurer la prospérité de l’atelier. Une telle direction est la première des choses à réaliser pour garantir à l'ouvrier du travail et des salaires pouvant assurer le bien-être dans la famille.
- Jamais la théorie anarchiste n’atteindrait un tel but !
- Je vous ai parlé des socialistes qui ont marqué en ce siècle. Pour ces hommes, comme pour moi, le socialisme a été conçu comme étant la science de l’organisation sociale, la science des lois naturelles d’après lesquelles les sociétés devraient s’organiser pour réaliser le bien de tous les membres du corps social, sans exception.
- 11 n’y a donc pas de socialistes anarchistes.
- Le véritable socialisme, le socialisme pur, cherche à réaliser l’union et le bonheur des hommes eljamais leur division ni leur perte.
- Mais déblatérer dans les journaux, calomnier les œuvres de progrès, semer le mensonge et la haine parmi les citoyens n’a jamais été du socialisme. C’est faire de la Révolution violente et non de l’organisation.
- Cette Révolution les socialistes aussi en indiquent la possibilité, seuhmmt ils y ajoutent, ce qui est bien plus important pour le bien des familles, les moyens de la prévenir et d’en empêcher l’explosion.
- Depuis sa fondation notre journal Le Devoir ne cesse d’indiquer à la fois le péril et les remèdes possibles. Ma heureusement les classes dirigeantes font trop la sourde ^oreille, tandis que le peuple ,
- ! poursuit sa marche en avant, talonné par la misère qui peut le pousser demain à l’insurrection.
- Que puis-je faire de plus que d’exposer et mettre en pratique les mesures sociales par lesquelles on parerait à la misère des masses, en donnant à tous le bien-être et en assurant l’activité du travail.
- Combien les anarchistes feraient œuvre plus utile au peuple en m’aidant à propager les idées de mutualité nationale, d’hérédité de l’Etat, et dans le domaine de l’initiative privée en poussant partout à l’association du capital et du travail, qu’en attaquant à tort et à travers une fondation qui assure aux ouvriers qui y sont attachés les garanties de l’existence dont sont maintenant privés tant d’ouvriers!
- Au lieu d’égarer les classes laborieuses par des déclamations violentes, combien il serait plus utile et plus fécond de les éclairer sur ce qui est à faire pour organiser le travail et les conditions du bien-être, de les pousser à adresser aux Chambres des pétitions qui éclaireraient le pouvoir sur ce qui est à faire à l’intention des travailleurs.
- Cela obligerait nos gouvernants, nos députés, vos élus et vos mandataires, à entrer réellement dans une voie pratique de réformes sociales.
- Vous feriez en cette voie une besogne autrement féconde et rapide que par la Révolution.
- Car, si personne ne sait ce qui est à faire pour réaliser le bien de tous, ce n’est pas la révolution qui en elle-même le fera connaître.
- Après avoir fait table rase de tout ce qui est, il faudra édifier.
- Comment le faire sans plans étudiés à l’avance?
- Les ambitieux, les hâbleurs reprendront les positions qu’on avait cru détruire et rétabliront les anciens abus; les mêmes douleurs se renouvelleront pour le monde du travail, pour les ouvriers
- Ce n’est ni par le désordre ni par la violence que les institutions sociales seront édifiées sur de nouvelles bases; c’est par la science de l’économie sociale et par la connaissance des réformes utiles à tous.
- 11 ne suffit donc pas de se dire anarchiste pour être en état d’instituer rationnellement Tordre nouveau; l’examen, l’étude, l’expérience des réformes sont les premiers pas indispensables en pareille matière pour découvrir ce qui est à faire.
- 11 m’a donc paru profondément étrange de voir des gens se prétendant socialistes s’attaquer à une œuvre d’avant-garde comme celle du Familistère.
- p.437 - vue 440/838
-
-
-
- LE DBYQ1R
- 438
- Ces Messieurs ne sont pas satisfaits de la réponse que leur a faite le Devoir, nous ne nous en tiendrons pas là. La présente conférence elle-même sera publiée dans le double but de faire voir, d’un côté les procédés des anarchistes se prétendant socialistes, l’iniquité de leurs procédés à l’égard du Familistère et, de l’autre, les périls sociaux auxquels la misère des ouvriers doit conduire, si nos gouvernants restent incapables d’y porter remède.
- Depuis dix ans, je réclame et j’expose dans le Devoir les réformes urgentes à réaliser en faveur des classes laborieuses. J’indique les moyens d’inaugurer, au profit de tous, la mutualité nationale, les garanties du nécessaire à la subsistance, des secours en cas de maladie, des pensions de retraites à l’invalide et au veillard, l'instruction pour tous .. Vous, membres de l’association, au nombre de 1800 personnes logées dans les Palais sociaux, vous jouissez de l’intégralité de ces avantages. Vos 542 enfants reçoivent aux frais de l’association, depuis le berceau jusqu'à l’apprentissage, des soins et une instruction dont nulle ville en France ne donne un second exemple.
- Habitués à jouir de ces choses, vous ne vous en occupez guère plus que de l’action du soleil qui fait mûrir les moissons. Vous en profitez sans y réfléchir.
- Mais, songez au moins que vous êtes les seuls qui possédiez ainsi le travail organisé de manière à vous en laisser le bénéfice, que vous avez la sécurité de l’existence pour vous et vos enfants, et demandez que l’on commence par doter des mêmes avantages tous les autres ouvriers.
- Cependant, c’est cette fondation même que les anarchistes veulent d’abord détruire. En vue de quel résultat ? Moi, je dis que si dix anarchistes se trouvaient dans nos rangs pour cette œuvre de destruction, 500 parmi vous se lèveraient pour les écarter.
- (Longs applaudissements.)
- Je n’aurais pas relevé les attaques de ces journaux si je n’avais cru devoir à la vérité de redresser cette affirmation absolument mensongère de la diminution des salaires. Malgré le démenti formel que j’ai donné à cette allégation le Cri du Peuple n’en persiste pas moins dans son dire.
- J’en suis fâché pour lui et ne puis que continuer, moi aussi, à faire ta lumière sur les calomnies qu’il affirme de nouveau à ses .lecteurs.
- Les membres dti conseil de gérance et les mem-
- bres du conseil de surveillance que vous élisez chaque année librement, savent et vous disent au besoin, puisque c’est l’un d’eux qui remet chaque mois au conseil de Gérance un rapport à ce sujet, que la moyenne générale des salaires a suivi la marche ascendante suivante dans ces dernières années :
- En 1880 elle était de......................4 fr. 38
- En 1884 » 4 fr. 62
- En 1885 » . ................ 4 fr. 76
- En 1886 » 4 fr. 85
- Donc, il y a eu augmentation constante. N’est-il pas déplorable, quand une association du travail, de la capacité et du capital tient une pareille ligne de conduite au milieu des difficultés si graves dont toutes les entreprises ressentent aujourd’hui les atteintes, de voir de prétendus socialistes, au lieu de s’appuyer sur l’élévation même des salaires qui existe ici pour réclamer pareille chose ailleurs, venir nous combattre en inventant de prétendues grèves et de prétendues diminutions de salaires, quand rien de pareil ne s’est produit.
- Et ce n’est pas tout. Car, à votre taux de salaires croissant,il faut ajouter les parts de bénéfices dont chacun de vous est titulaire et qui constituent, même pour les ouvriers ayant le moins de droits dans l’association,une épargne précieuse en cas de chômage. En ce moment, par exemple, où l’état des affaires nous a condamnés à congédier quelques-uns de ces travailleurs, la plupart n’en ont pas moins, déjà, une épargne de mille francs, douze cents francs, et, en outre, la possibilité de se voir allouer par le conseil de Gérance, sur la proposiüen de vos comités, des secours extra-statutaires. Vous savez tous combien de familles ont déjà joui de ces secours exceptionnels.
- Voilà donc ce qu’est cet établissement ou le Cri du Peuple affirme qu’on a opéré une diminution de 25 p. 0/o des salaires, soutenant et répétant son dire après mon démenti. Nous verrons qui, du mensonge ou de la vérité aura le dernier mot.
- Au fond, ces attaques ont peut-être un côté utile ; elles ont le mérite de vous entraîner vous-mêmes à examiner plus attentivement les bienfaits de notre association et les avantages dont vous jouissez sous sa protection. Si c’est en raison de ces avantages que Le Révolté me menace des étrivières ; je lui prédis que les évènements pour-
- p.438 - vue 441/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 439
- ront bien se charger de les donner à qui veut me les appliquer.
- (Applaudissements).
- je vous ai dit, mes amis, que vous étiez la seule population ouvrière dans le monde jouissant des garanties que vous confère notre association ; je ne dis pas que ces avantages sont tout ce que l’idéal peut concevoir, et j’espère bien que l’humanité future en assurera de supérieurs à tous ses membres ; mais, pour vous en donner ici même aujourd’hui plus que vous en avez, il faudrait au moins que le monde extérieur me vînt en aide au lieu de me contre-carrer et de m’attaquer. Quoi ! c’est contre l’association du Familistère qu’on crie, quand le régime industriel extérieur est tel que les simples caisses de secours elles-mêmes, neuf fois sur dix, ne sont pas encore gérées par les ouvriers, mêmes lorsque ceux-ci en font les frais ! L’administration de ces caisses est encore le plus souvent laissée à l’arbitraire des chefs d’industrie ; elles n’ont aucune protection légale.
- Où sont les établissements qui ont reconnu, comme ici, au travailleur la qualité d’associé ? Où sont ceux qui ont fait place dans les conseils le Gérance à des travailleurs élus par leurs pairs ? Où sont les associations industrielles dont les ouvriers nomment chaque année le conseil de Surveillance comme vous le faites ici ? Conseil de Surveillance qui peut tout entier être composé de membres pris dans vos rangs et auquel les statuts donnent, mission et droit de tout voir et de tout vérifier.
- Que vous n’ayez pas jusqu’ici tiré tout le parti possible des droits que vous confèrent les statuts, cela se peut ; les ouvriers, sauf exception, ne sont malheureusement guère en état de s’occuper d’affaires administratives ; mais ce n’est pas ma faute. Vos délégués ont tout pouvoir de vérification pour accomplir à fond leur mission ; si les connaissances nécessaires leur font défaut, cette situation n’est que temporaire, car vos propres enfants avec l’instruction qu’ils reçoivent dans nos écoles auront toutes les connaissances et capacités voulues pour remplir ces postes; ils sauront, en outre, comprendre l’association et en tirer tous les avantages qu’elle comporte.
- (Applaudissements.)
- En attendant, vous n’en nommez pas moins trois membres du conseil de Gérance et le conseil de Surveillance tout entier à votre gré. Ces con-
- seillers surveillent et contrôlent toutes choses ; chaque mois ils déposent conformément aux statuts un rapport sur leurs opérations respectives et sont au courant de tout ce qui se fait dans l’association.
- Où sont les anarchistes qui aient constitué pareille chose pour les ouvriers ?
- Un centime serait-il détourné de son légitime emplois que vos élus en auraient connaissance et vous le diraient. Mais, les comptables ne sont ils pas associés comme vous ? Vos intérêts à tous ne sont-ils pas identiques ?
- N’est-ce pas vous qui réglez toutes choses, moi ne m’occupant en rien de ces détails ?
- Où donc les anarchistes ont-ils jamais réalisé fondation semblable ?
- Voyez-vous maintenant quelle est la différence entre ceux qui prêchent uniquement la révolution et ceux qui veulent réellement inaugurer les réformes sociales ?
- Je dis donc aux anarchistes qui critiquent notre association, commencez par mieux faire que nous, donnez le bien-être aux familles, assurez-leur le nécessaire à l’existence, établissez la mutualité de manière à ce que personne ne soit jamais abandonné, donnez au plus pauvre une instruction égale à celle du plus riche, donnez aux travailleurs un palais avec ses dépendances pour 1 habitation. Voilà ce que logiquement vous devez faire avant de venir attaquer l’association du Familistère.
- Si les anarchistes demandaient pour les ouvriers qui en sont privés tous les avantages dont vous jouissez, je les reconnaîtrais pour socia-cialistes; mais, nous combattre et chercher à nous créer des embarras,c’est le fait de gens qui n’ont aucune idée, aucun sentiment vrai de ce qui est à faire pour l’émancipation et le bonheur des ouvriers.
- Devant leurs persistances à soutenir des allégations mensongères, je dois croire qu’ayant commencé à attaquer le Familistère ils n’arrêteront pas; qu’ils continuent donc et l’on verra de quel côté est la véritable préoccupation du bien des classes laborieuses.
- (Applaudissements ).
- Je ne dois pas m’appesantir davantage aujourd’hui sur ces questions, il vous est facile de vous familiariser avec elles en lisant Le Devoir.
- On a parlé de conférences contradictoires, je serais tout disposé à en faire avec vous, soit
- p.439 - vue 442/838
-
-
-
- 440
- LE DEVOIR
- pour vous donner des éclaircissements sur certaines questions ou pour m’éclairer moi-même sur vos besoins.
- Quels que soient les efforts des agents révolutionnaires qui font la guerre aux véritables socialistes, en se parant eux-mêmes de ce nom, jamais ils ne pourront assez égarer l’ouvrier, membre de l’association du Familistère, pour porter celui-ci à travailler contre son bien propre, à se jeter lui-même dans la mêlée du malheur.
- Inventer l’existence d’une grève dans notre association est quelque chose, mais la produire est plus difficile.
- Chercher à empêcher de faire le bien est une triste besogne, et propre à détourner de ceux qui s’y emploient tous les hommes de tête et de cœur.
- D’où sont venues les tentatives de désordre que je relève aujourd’hui? D’un homme que j’ai accueilli, alors qu’il était dans des conditions où toute porte se fût fermée devant lui, je suis intervenu en sa faveur ; et qu’est-il venu en retour faire ici ? Chercher à semer le découragement parmi les ouvriers, à compromettre le travail qui lui était confié, puis à calomnier l’association dans la presse. Il n’y a qu’un seul parti à prendre à l’égard de tels hommes : les repousser de nos rangs.
- Je ne dis pas que la nation française plus que les autres nations pourra échapper à la Révolution sociale, car le Gouvernement n’a pas la prévoyance ni la sagesse d'inaugurer les mesures propres à prévenir les dangers; mais le jour où la Révolution se lèverait, savez-vous où je chercherais la sécurité? J’ai une telle confiance en votre bon sens et en votre union pour la défense de l’intérêt commun que ce n’est pas ailleurs que dans vos bras que je me jetterais pour trouver un refuge contre les anarchistes.
- (Vifs et longs applaudissements.)
- L’association du Familistère resterait calme au milieu du désarroi public, et elle serait le point de mire de tous les esprits restés capables de direction et de sagesse, lesquels verraient chez nous un exemple pratique des garanties à insti-tuter au bénéfice de tous pour inaugurer la pacification sociale.
- (Applaudissements.)
- C’est à votre sagesse à tous que l’association devrait d’apparaître au monde comme un phare de salut, et c’est vous qui donneriez l’exemple pratique d’une institution assurant le bien-être de tous dans l’ordre et la fraternité, même au milieu du bouleversement social.
- (La voix de l'orateur est couverte par des applaudissements enthousiastes et répétés.)
- BULLETIN DE LA PAIX
- ~Or
- LES ASIATIQUES
- Le ministre de la marine est informé qu’une escadre chinoise visitera prochainement, et pour la première fois, les ports de l’Europe.
- Cette escadre se compose dî deux cuirassés: Wez-Youen et Chen~Zuen et d’un aviso à vapeur; elle sera commandée par l’amiral Ting.
- Quel est le véritable but de ce voyage?
- On ne peut l’expliquer par le désir du gouvernement Chinois de faire exécuter à ses officiers un voyage sentimental.
- Les dirigeants Chinois sont gens avisés, sachant mieux que les civilisés cacher leurs inimitiés sous les apparences des bonnes relations.
- Ce voyage n’est-il pas une adroite démonstration destinée à prouver à l’Europe que la Chine n’a rien perdu de sa vitalité par la guerre que
- lui a faite la France? N’est-il pas une affirmation de la part de la Chine qu’elle n’a pas renoncé à développer sa puissance militaire?
- Les officiers chinois faisant partie de cette escadre iront visiter tous nos ports : ils se rendront compte de visu de la valeur de nos engins d’attaque et de défense ; après ce voyage, eux et leurs marins sauront exactement sur quel pied ils doivent mettre leur marine pour pouvoir résister aux attaques des puissances européennes.
- Le gouvernement chinois a probablement besoin de faire publier dans tout son empire les renseignements que contiendront les rapports des officiers, afin de préparer les esprits aux grandes dépenses que causera l’organisation militaire de ce vaste pays.
- Puis, lorsque toutes ces choses seront faites, la Chine nous signifiera, a nous et à d’autres gêneurs
- p.440 - vue 443/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 441
- qui avons la prétention d’occuper une partie de ses côtes, que les rivages asiatiques appartiennent aux peuples de l’Asie.
- Les uns et les autres, si nous ne savons obéir à ces justes injonctions nous serons entraînés à des guerres ruineuses d’où sortiront finalement notre défaite et notre renonciation à nos conquêtes coloniales si onéreusement acquises.
- Nos colonies en Asie, comme ailleurs, ont été fondées par le droit du plus fort, elles nous seront enlevées par la force.
- Voilà ce que nous promet le voyage de l’escadre chinoise, que les chauvins vont présenter comme un exemple du bon sens chinois, de notre prestige, et des sentiments que provoque dans les' pays lointains la renommée française.
- Ces interprétations seront habilement propagées par une foule d’industriels en quête de placements de fournitures militaires. Nous les verrons tous aller au devant de l’escadre chinoise, vanter la solidité de leurs torpilleurs, de leurs tourelles en fer, l’irrésistible puissance de leurs canons, et se disputer l’honneur, diront-ils, de procurer au travail français les grands débouchés que promet l’organisation militaire de la Chine
- Partout les visiteurs trouveront des gens empressés de leur révéler les secrets de notre outillage naval ; chaque fabricant, qui aura l’espoir d’obtenir une commande, se fera pour eux un guide sûr, disposé à donner tous les renseignements et à imiter ou à contrefaire tout objet qui, sorti de nos ateliers nationaux de constructions navales au prix de sacrifices énormes, devraient rester la propriété exclusive de notre pays.
- Aux commandes chinoises et aux bénéfices qu’elles procureront aux industriels les plus fari-sés s’ajouteront les décorations des deux gouvernements.
- Il serait difficile de mieux s’y prendre, si nos gouvernants avaient pour but avoué d’étendre à tout le globe l’esprit de division et de haine qui domine les peuples de notre continent.
- Comme les résultats auraient été différents, si l’on avait laissé aux explorateurs la mission d’ouvrir les relations avec la Chine.
- On aurait épargné à trente mille familles les peines causées par la mort de leurs enfants, on aurait conservé à notre richesse nationale les centaines de millions prodigués dans nos brutales entreprises en Asie ; on aurait surtout évité les complications et les désastres que nous an- '
- nonce à n’en pas douter la prochaine visite de l’escadre chinoise.
- Au point de vue colonial, la visite prétendue amicale de l’escadre chinoise n’est pas moins significative que ne l’était, en 1867, au point de vue national, la présence de la maison Krupp parmi les étrangers ayant pris part à l’Exposition internationale.
- Un jour, nous paierons les fautes commises au Tonkin non moins chèrement que nous ont coûté celles accumulées, il y a bientôt un siècle, de l’autre côté du Rhin.
- L’évolution humaine n’a plus besoin de la guerre; les gouvernements qui perpétuent ce fléau préparent de terribles catastrophes.
- Haute Cour d’Arbitrap International
- Nous traduisons de Herald Of peace le projet suivant, soumis par l’auteur à l’examen du comité de « Peace society » et à « l’Association pour l’Arbitrage international.»
- Considérant le vif désir exprimé et ressenti dans toutes les nations, d’éviter, autant que possible, les malheurs de la guerre, en raison des pertes d’existences et de richesses que la guerre entraîne, des charges militaires qu’elle fait peser sur les peuples, des entraves quelle apporte au développement de la morale et de la civilisation, de la désorganisation industrielle et commerciale et du désordre des finances publiques qui en sont les conséquences naturelles ;
- Considérant les nombreux cas où des Etats ont soumis leurs différends à la décision soit d’un autre souverain pris pour arbitre, soit d’une cour de justice ou d’un congrès, et dans presque tous les cas avec succès et satisfaction pour toutes les parties ;
- Considérant que des clauses d’arbitrages sont insérées dans des traités de commerce et qu’il est indispensable de pourvoir à une organisation permanente à laquelle puissent recourir les nations qui n’ont point inséré de telles clauses dans leurs traités, et éviter ainsi le danger et les difficultés de longues négociations et la création de nouveaux procédés pour chaque cas qui se soulève ;
- Les comités de la société de la Paix et de l’Association, de l’Association de l’Arbitrage et de la Paix internationale,invitent les Amis de la Paix de toutes nations à s ’unir à eux pour engager les Gouvernements des différents États du monde civilisé à entrer en communication les uns avec les autres, en vue de s’entendre pour l’institution d’un conseil permanent d’arbitrage international, d’après les articles suivants :
- Chaque Etat nommera un nombre donné de délégués, publicistes ou juristes, ou hautes personnes de haute représentation et position qui constitueront un Conseil d’Arbitrage international.
- Ce conseil sera constitué dès que deux Etats auront concouru à son organisation et nommé les Membres délégués.
- Dés que le Conseil sera dûment organisé par un nombre quelconque d’Etats, il pourra inviter les autres Etats à norn-' mer leurs membres à ce Conseil.
- p.441 - vue 444/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 442
- A sa première réunion, le Conseil nommera ses secrétaires.
- Dans le cas de différends entre quelques Etats représentés au Conseil, ou non représentés, les secrétaires sur motion de deux membres quelconques du Conseil, donneront avis à une réunion du Congrès, afin d’examiner la marche à suivre pour arrêter immédiatement les me. ures quelconques déjà prises en vue d’une guerre, par un Etat quelconque, et pour offrir l’intervention du Congrès dans l’espoir d’arriver à une médiation ou un arbitrage.
- Quand les Etats dissidents auront consenti à soumettre leurs discussions à l’Arbitrage, le conseil nommera quelques-uns de ses membres qui, de concert avec d’autres personnes spécialement nommées par les Etats dissidents, formeront une haute cour d’arbitrage international, dont la décision, dans ce cas, sera et devra être reconnue et acceptée par les Etats contestants.
- La mission des membres de la haute cour se limitera strictement à la discussion du cas en vue duquel les membres auront été nommés, et elle prendra fin aussitôt l’arrangement accepté ou l’arbitrage refusé.
- L’autorité du conseil et de la haute cour étant purement morale, aucune disposition matérielle n’est prise pour imposer violemment le respect des décisions du conseil ou de la Haute-Cour.
- Dans le cas de décision de la part du conseil, à propos d’un dissentiment international quelconque, c’est au conseil qu’il appartient de faire connaître la décision aux Etats intéressés que ces Etats aient ou non recours aux décisions arbitrales du conseil.
- Le conseil fera des réglements pour son propre fonctionnement et pour la procédure de la Haute-Cour d’Arbitrage international.
- Les règlements adoptés dans l’Alabama et ceux proposés par l’Institut des Lois Internationales pourront être utilement consultées.
- Le siège du congrès sera fixé dans une ville neutre comme Berne ou Bruxelles.
- La nomination des membres du Congrès sera faite pour un nombre défini d’années. Il sera pourvu à la nomination de nouveaux membres en remplacement de ceux dont le mandat sera expiré.
- Les membres du congrès, bien que nommés par les gouvernements ne revêtiront pas un caractère représentatif,
- Les frais pour le maintien du congrès seront supportés à parts égales par tous les Etats qui auront concouru à la nomination du conseil. Le coût de tout recours à l’arbitrage sera supporté à parties égales par les Etats contestants.
- La préparation d'un Code de lois internationales sera de grande valeur et. servira de guide au Conseil et à la Haute-Cour d’arbitrage international.
- 4 Des tentatives dans ce but ont été faites par Bluntsehli et Field Ce sera le devoir du conseil de préparer ce code le plus vite possible.
- Ce code sera valide quand il aura été autorisé et adopté par le conseil au nom des Etats représentés, de la même manière que le fut la déclaration relativée aux lois maritimes en 1856.
- Léon Lévi.
- ITALIE
- Nous lisons dans II Secolo, de Milan, qu’un congrès réunissant les amis de la paix des différentes nations doit avoir lieu cette année à Milan, en automne.
- Notre ami, le professeur Francesco Vigano est chargé des soins de préparer le Congrès.
- SUÈDE
- La Société de la Paix
- L’assemblée de la société de la paix a eu lieu récemment à Stockholm. Il a été établi que le nombre des membres de cette société qui était de 447 en 1883, est aujourd’hui de 8 OÜO. C’est certainement un progrès rapide. L’organe de la Société, le « Fredsvannen » est rédigé d’une très intéressante manière par M. Arnoldson, membre du Parlement.
- (Hérald of peace)
- TRAVAILLEUR OU VOLEUR
- D’après M. Moncelon, délégué de la Nouvelle-Calédonie au Conseil supérieur des colonies, voici les avantages accordés aux condamnés agricoles (forçats) :
- 1. Une concession de terre arable, qui deviendra définitive à la libération.
- 2. La ration de vivres pendant trente mois :
- 3. Un lot d’outils aratoire.! ;
- 4. Le droit de choisir une épouse au couvent de Bourail ;
- 5. La ration de vivres pour la femme, un trousseau de ménage, un secours pécuniaire de 150 francs.
- 6. Le droit au traitement gratuit à l’hôpital pour l’homme et pour sa famille pendant trente mois ;
- 7. Une indemnité de 100 à 130 francs pour la construction de sa case d’habitation ;
- 8. Enfin, le concessionnaire (en cours de peine, peut se faire aider dans son exploitation par des personnes étrangères à sa famille, sans que le nombre de ses ouvriers soit déterminé.)
- Serions-nous trop exigeants si nous demandions l’équivalent de cela en France pour les ouvriers honnêtes? Ou bien ne peut-on conquérir ce degré de sécurité pour la vie que par le vol, le viol et l’assassinat?
- LES NOUVELLES-HÉBRIDES
- Depuis une dizaine d’années, la France s’est engagée dans une série d'aventures lointaines.
- Entraînée par le parti opportuniste, malgré l’opposition patriotique des radicaux, elle a dépensé, sans compter, son or et la vie de ses enfants sur tous les points du globe.
- Les interpellations parlementaires et les protestations de la presse radicale sont demeurées sans résultat contre cette politique coloniale, insensée, qui compromet nos finances et j désorganise notre armée ; la majorité docile aux ordres de I son maître a légalisé toutes ses fantaisies et sans le scandale j qui a mis fin à la guerre franco-chinoise, en arrachant M. s Jules Ferry du pouvoir, que serait-il advenu ?
- p.442 - vue 445/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 443
- On ne se rend pas un compte exact, en France, de la valeur réelle de nos colonies ou des pays soumis à notre protectorat, et nombre de gens les croient, de bonne foi, riches et prospères :
- C’est une grave erreur.
- La Tunisie, le Tonkin, le Cambodge, Madagascar, qui ne nous appartiennent pas, nous coûtent déjà plus de 500 millions de francs et 30,000 hommes ; notre commerce, en Asie, est nul et l’industrie nationale n’y trouvera pas de longtemps le moindre écoulement pour ses produits : les mœurs et coutumes des habitants s’y opposent.
- L’exportation commerciale de nos vieilles colonies est quasi sans importance , depuis la( substitution du sucre de betterave au sucre de canne dans la consommation européenne — l’industrie sucrière de colonies est bien morte et tous les tarifs protestionnistes du monde ne la ressuciteront pas — la presque totalité des importations est de provenance américaine, anglaise ou allemande.
- La Guyanne, la Martinique et la Guadeloupe consomment les produits américains. i-;
- La Réunion est encombrée de marchandâtes anglaises.
- La Nouvelle-Calédonie est tributaire de l’Australie pour les cinq sixièmes de sa consommation.
- A Madagascar, les indigènes donnent la préférence aux articles anglais du Cap ou de Maurice, qui ne valent peut être pas les nôtres, mais qui coûtent 50 pour cent meillieur marché.
- Les exportations de la France pour ces diverses Colonies consistent uniquement en vivres et matériel à l’usage des troupes et des fonctionnaires, encore, faut-il observer que la Nouvelle-Calédonie achète la farine dont elle a besoin, soit en Nouvelle-Zélande, à la grande joie de MM. les Anglais qui empochent de ce chef 1,800,000 francs par an au détriment du commerce Français.
- La Cochinchine et le Sénégal sont des tombeaux pour nos troupes.
- En résumé, nos Colonies nous coûtent annuellement 50 millions (chiffre officiel), soit :
- Un milliard tous les 20 a ns! et chaque jour des centaines de malheureux succombent sur leur sol, tués par le choléra, la fièvrejaune, la dyssente-rie, etc, etc.
- Henri Hillairet
- Fédération Internationale de l’Arbitrage et de la Paix.
- COMITÉ DE PARIS.
- Avant de se séparer pour les vacances, le Comité de Paris a décidé dans sa réunion de lundi dernier, de soumettre au public un résumé des travaux qui l’ont occupé durant la session qui vient de se clore.
- Dans cette session qui ne comprend pas moins de treize séances, le Comité de Paris a abordé les questions suivantes : — Guerres du Torrkin et de la Birmanie ;— Protestation contre les conquêtes coloniales ; — Neutralisation
- du Tonkin; — Neutralisation de la Bulgarie; — Mission de M. Hodgson Pratt en Allemagne; — Formation d’un Conseil Central des différentes sociétés de la Paix; — Neutralisation du Canal de Suez; — De l’Arbitrage Industriel; — Conflit Turco-Gree ; — Protestation contre le blocus des côtes grecques par les grandes puissances.
- Dès le 26 Octobre 1885, le Comité de Paris renouvelait sa protestation contre la politique de conquête; il signalait l’iniquité de la guerre faite par les Français au Tonkin et contre les préparatifs d’expédition des Anglais en Birmanie.
- Dans deux séances tenues rue de Lancry — 8 Novembre et 1er Décembre — le Comité a soumis aux diverses sociétés de la Paix un projet de Neutralisation du Tonkin. La première de ces séances a été présidée par M. Frédéric Passy et la seconde par M. S. Gaillard.
- Dans sa séance du 29 Janvier, le Comité formule une adr esse aux grandes puissances demendant la Neutralisation de la Bulgarie. Il enregistre la protestation du Comité de Londres et de tous les amis de ta paix d’Angleterre contre les cruautés commises en Birmanie par l'armée anglaise et il proteste au nom de tous les amis de la paix de France contre les traitements barbares infligés aux Chinois par le général de Courcy an Tonkin et dans FArrnam. Le 12 Février, le comité étudie les idées de paix non seulement en France mais surtout à l’étranger. En Danemarck, M. Bajer obtient de très grands résultats ainsi qu’en Suède et en Nor-wège. En Angleterre, douze ouvriers amis de la paix entrent au parlement parmi lesquels nos amis Grenier et Joseph Arch. Le comité remercie les sociétés de la Paix qui ont signé l’adresse envoyé aux grandes puissances pour la Neutralisation de la Bulgarie.
- Le 28 Février, sous la présidence de M. Faisant, le comité reçoit la visite de M. Hodgson Pratt qui fait un exposé du plus haut intérêt de son troisième voyage en Allemagne. C’est un véritable triomphe pour les idées de Paix et d’Ar-bitrage M.Laisant, au nom du comité félicite M. Hodgson Pratt des services qu’il rend à l’humanité.
- Dans sa réunion du 15 Mars, le Comité sous la présidence de M Banquier, étudie la formation o’im Conseil Central des différentes sociétés de la Paix. L’Assemblée charge le bureau de jeter les bases d’un projet.
- Le 29 Mars, M.Aug. Desmoulins fait un exposé du principe de i’Arbitrage; il montre qu’un arbitrage loyal met réellement fin aux différends au mieux des intérêts communs. La guerre, au contraire, n’apporte jamais de solution définitive; car le peup;e vaincu vo dra toujours avoir sa revanche.
- Le 18 Avril, le Comité traite l’importante question de ^Arbitrage appliqué à la solution des contins industriels. M. Aug Desmoulins prouve que l’arbitrage loin d’avoir nui aux intérêts des ouvriers a placé partout, en face des capitalistes, les groupes organriés des Travailleurs. Il n’y a plus maintenant eri Angleterre de capitaliste assez riche pour pouvoir tenir tête à des sociétés comme celle des mécaniciens qui dispose de fonds considérables; comme celle des mineurs qui n’a pas envoyé moins de trois de ses membres pour la représenter au Parlement.
- Le 17 Mai, le Comité, après avoir étudié longuement les causes de la grève de Deeazeville, les négociations engagées
- p.443 - vue 446/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- iU
- par M. Laur et constatant le mauvais vouloir et l’obstination criminelle de la Compagnie déclare que la cause de la paix peut néanmoins enregistrer un nouveau triomphe, puisque la seule proposition d’un Arbitrage a suffi pour attirer aux mineurs de l’Aveyron la sympathie universelle. L’événement a justifié cette déclaration, puisque la Compagnie s’est vue obligée de céder devant l’opinion soulevée contre elle dans le monde entier.
- Le 31 Mai, le Comité au nom de tous ses adhérents proteste contre la conduite de la majorité des grandes puissances qui ont commis un acte de tyrannie injustifiable en présentant l’ultimatum à la cour d’Athènes après que la Grèce sur les conseils de la France avait commencé la démobilisation de ses forces.
- Enfin, dans sa réunion de lundi, la dernière de la session, présidée par M. H. Destrem, le Comité a abordé la question suivante :
- Neutralisation du futur canal de Panama. Après une conférence de M. Aug. Desmoulins qui a rappelé les télégrammes échangés le 16 Août 1858 entre la reine d’Angleterre et le Président des Et.ts-Unis, Buchanan qui demandait la Neutralisation du Cable transatlantique; — les origines des jravaux de percement de l’isthme de Suez, les préoccupations de M. de Lesseps en 1858 qui voulait faire de son canal une voie libre et franchement internationale, le Comité vote l’ordre du jour suivant : « Le bureau du Comité devra rédiger et soumettre aux sociétés de la Paix et aux puissances dans le courant des vacances un projet d’établissement d’une Commission internationale chargée d’assurer la parfaite Neutralité du canal de Suez et du futur canal de Panama.
- On décide en outre que le Comité sera représenté à la Conférence Internationale qui se tiendra à Londres le 16 Juillet. Gaston Morin.
- ------------------ « ♦ » ------------------------------
- TRAITÉ AVEC LA CHINE
- Art. 12. Les marchan lises chinoises qui seraient transportées à travers le Tonkin d’une des deux douanes frontières vers l’autre douane frontière ou vers un port annamite, pour être de la exportées en Chine, seront soumises à un droit spécifique de transit qui ne dépassera pas 2 O/o de la valeur. Au point de sortie du territoire chinois, ces marchandises devront être reconnues par l’autorité douanière française de la frontière, qui en spécifiera >a nature, la qualité et la destination, dans des certificats d’origine destinés à être produits à toute réquisition des autorités françaises durant le parcours à travers le Tonkin, ainsi qu’au port de transbordement,
- Afin de garantir la douane franco-annamite contre toute fraude possible, ces produits chinois acquitteront à l’entrée du Tonkin le droit d’importation.
- Un passe debout les accompagnera jusqu’à la sortie, soit par le port de transbordement, soit à la frontière terrestre, et les sommes versées par le propriétaire des marchandises lui seront, déduction faite des droi's de transit, restituées à ce moment, s’il y a lieu, en échange du récépissé délivré par les douanes du Tonkin.
- Toute fausse déclaration ou manœuvre tendant, d’une manière évidente, à tiomper l’administration française sur la qualité, la quantité, la réelle provenance ou la réelle destination des marchandises appelées à jouir du traitement spécial applicable aux produits chinois qui traverseront le Tonkin en rnsiat, donnera lieu à confiscation des marchandises. Dans
- tous les cas où la confiscation aura été prononcée, le négociant pourra libérer ses marchandises moyennant le payement d’une somme équivalant à leur valeur, dûment déterminée par une entente avec les autorités françaises.
- Les mêmes règles et la même taxe <ie transit seront applicables en Annam aux marchandises chinoises qui seront expédiées d’un port de Chine vers un port annamite pour gagner de là les douanes-frontières chinoises à travers le Tonkin.
- Les articles suivants :
- L’or et l’argent en barre, la monnaie étrangère, la farine la farine de maïs, le sagou, le biscuit, les conserves de viande et de légumes, le fromage, le beurre, les sucreries, les vêtements étrangers, la bijouterie, l'argenterie, la parfumerie, les savons de toute espèce, le charbon de bois, le bois à brûler, les bougies et ia chandelle étrangères, le tabac, le vin, la bière, les spiritueux, les articies de ménage, les provisions pour les navires, les bagages personnels, la papeterie, les articles de tapisserie, la coutellerie, les articles de droguerie, les médicaments éirangers, la verrerie seront vérifiés par la douane chinoise, à l’entrée et à la sortie, s’ils sont réellement de provenance étrangère et destinés à l’usage personnel des étrangers, et s’ils arrivent en quantité modérée un certificat d’exemption des droits sera délivré, qui en permettra le libre passage à la frontière. Si ces articles sont soustraits à la déclaration, à la formaûté du certifie,at d’exemption,leur introduction clandestine les rendra passibles d’amende au mè ne ti reque les marchandise passées en contrebande.
- A l’exception de l’or, de l’argent, de la monnaie, des bagages, qui resteront exempts de droits, les articles ci-dessus mentionnés destinés à l’usage personnel des étrangers et importés en quantité modérée, payeront lorsqu’ils seront transportés à l’intérieur de la Chine un droit de 2 1/2 0/0 à la valeur.
- Le?, douanes franco-annamites de la frontière ne percevront à l’entrée t omme à la sortie du Tonkin, aucun droit, soit sur les objets suivants d’usage personnel que les Chinois transporteraient avec eux : monnaie, bagages, vêtements, ornements de coiffure de femmes, papics, pinceaux, encre de Chine, mobiliers et alime> ts, soit sur les produits que les consuls de Chine au Tonkin feraient venir pour leur consommation personnelle.
- Art. 14. Les hautes parties contractantes conviennent d’interdire le commerce et le transport de l’opium de toute provenance par la frontière de terre entre le Tonkin d’une part, et le Yunnam, le Quang-Si, et le Quang-Tong, d’autre part.
- Art 15 L’exportation du riz et des céréales sera interdite en Chine. L’importation de ces articles s’y fera en franchise de droit. Il sera interdit d’importer en Chine :
- La poudre à canon, les projectiles, les fusils et canons, le salpêtre, le soufre, le plomb, le spelter, les armes, le sel, les publications immorales.
- En cas de contravention, ces articies seront intégralement confisqués.
- Si les autorités chinoises faisaient acheter des armes ou des munitions, ou si des négociants recevaœnt l’autorisation expresse d’en acheter, l’importation en serait permise sous la surveillance spéciale de la douane chinoise. Les autorités chinoises pourront, en outre, après entente avec les consuls de France, obtenir, pour les armes et munitions qu’elles voudraient faire transporter en Chine, à travers le Tonkin, l’exemption de tout droit à la douane franco-annamite.
- L’introduction au Tonkin d’armes, munitions de guerre, publications immorales est aussi interdite.
- Art. 16. Les Chinois résidant en Annam seront,,sous le rapport de la juridiction criminelle, fiscale, ou autre placé
- p.444 - vue 447/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 44 O
- dans les mêmes conditions que les sujets de la nation la plus favorisée. Les procès qui s’élèveront en Chine, dans les marchés ouverts de la frontière, entre les sujet Chinois et les Français ou Annamites seront réglés en cour mixte par des fonctionnaires chinois et français.
- Pour les crimes ou délits que les Français ou protégés français commettraient en Chine dans les localités ouvertes au commerce, il sera procédé, conformément aux stipulations des articles 88 et 39 au traité du 27 Juin 1858.
- Art. 17. Si dans les localités ouvertes au commerce à la frontière de Chine, les Chinois déserteurs ou prévenus de uelques erimes qualifiés tel par la loi chinoise, se réfugient ans des maisons ou à bord des barques appartenant à des Français ou protégés français, l’autorité locale s’adressera au consul, qui, sur la preuve de la culpabilité des prévenus, prendra immédiatement les mesures nécessaires pour qu’ils soient remis et livrés à l’action régulière des lois.
- Les Chinois ou coupables inculpés de crimes ou délits, qui chercheraient un refuge en Annam, seront, à la requête des autorités chinoises, et sur la preuve de la culpabilité, recherchés, arrêters et extradés dans tous les cas où pourraient être extradés de France le sujets des pays jouissant du traitement le plus large en matière d’extradition.
- Les Français ou protégés français coupables ou inculpés de crimes ou de délits, qui chercheraient un refuge en Chine, seront, à la requête des autorités françaises et sur ja preuve de leur culpabilité, arrêtés et remis auxdites autorités pour être livrés à l’action régulière des lois.
- De part et d’autre, on évitera avec soin tout recel et toute connivence.
- Art. 18. Pour toute difficulté non prévue par les dispositions précédentes, on recourra aux règlements de la douane maritine qui, conformément aux traités existants, sont actuellement appliqués dans les villes ou les ports ouverts.
- Dans le cas où ces règlement seraient insuffisants, les agents des deux pays en référeraient à leurs gouvernements respectifs.
- Les présentes stipulations pourront être, aux termes de l’article 8 du traité du 9 juin 1885, revisées dix ans après l’échange des ratifications.
- Art. 19. La présente convention de commerce, après avoir été ratifiée par les deux gouvernements, sera promulguée en France, en Chine et en Annam.
- L’échange des ratifications aura lieu à Pékin dans le délai d’un an, à compter du jour de la signature de la convention ou plus tôt, si faire se peut.
- Fait àTien-Tsin en quatre exemplaires, le 25 avril 1885 (correspondant au vin^t-deuxiéme jour de la troisième lune de la douzième année Kouang-Sin).
- Signé : G. Cogordan. E. Bruwaert.
- (Signature et cachet chinois : Li-Hung-Tchang.)
- VIIe C0NGKÈ8 ANNUEL
- de 1’Union Fédérative du Centre.
- RÉSOLUTIONS
- ire QUESTION
- Projet Lockroy sur l’organisations de prud’hommes.
- Considérant,
- Que le projet Lockroy n’est que la condification des lois distantes et qu’il laisse les employés, les ouvriers agricoles ri les ouvriers d’exploitation à la juridiction exclusivement bourgeoise ; qu’il réserve l’installation des conseillers à l’administration ; qu’il continue à conserver jîrivées les séances
- du petit bureau ; qu’il maintient l’institution des huissiers près les conseils, la vénalité de la justice par le maintien des frais à avancer ;
- Attendu que le projet laisse l’élément ouvrier des conseils à la merci du patronat, en remettant l’élection du bureau à l’assemblée générale des patrons et des ouvriers ; qu’il est muet sur l’arbitrage collectif ; qu’il maintien les ouvriers au rang des créanciers ordinaires sur la plupart des faillites.
- Repousse le projet Lockroy et adopte le contre-projet Chausse sur les principes établis par le Congrès régional de Paris 1884 et le Congrès national de Rennes même année.
- 2» QUESTION
- Coalitions et Grèves. (Art. 414 et 415 du code pénal).
- Considérant,
- Que si les grèves ne sont pas une solution à la question sociale, elles ont le mérite de la poser au premier plan des préoccupations populaires donnant ainsi le pas aux questions économiques sur celles d’ordre purement politique ;
- Qu’en outre les grèves,en amenant tous les ouvriers à prendre concience de leurs intérêts de classe, sont un impuissant moyen d’agitation et de groupement ;
- Que d’ailleurs il ne servirait de rien de se prononcer en principe pour ou contre les grèves puisqu’elles sont 1° résultat inévitable des antogonismes économiques qui constituent le fond des sociétés capitalistes. Le Congrès pense qu’il y a lieu, pour le Parti ouvrier, de se préoccuper de l’organisation de cette instrument d’action.
- Mais considérant.
- Que si le droit de coalition est reconnu en France en principe, il est limité en fait par les articles 414 et 415 ; que l’abolition des articles 414 et 415 ferait retomber les conflits personnels en matière de travail sous le coup des articles de droit commun qui punissent le meurtre et le chantage, ce qui est inadmissible.
- Que le droit d’association nécessaire aussi pour l’organisation des grèves est limité en France par la loi dites des syndicats ouvriers ;
- Que le droit de coalition et celui d’association sont absolument interdits par la loi Dufaure au point de vue international.
- Le congrès se prononce, comme mesure préparatoire :
- 4° Pour l’abrogation des lois du 14 mars 1872 et du 21 mars 1884 ;
- 2° Pour la reconnaissance pure et simple de la personnalité civile aux syndicats, conformément au droit commun ;
- 3° Pour l’abolition des art. 414 et 415 du Code pénal ;
- 4° Pour le maintien de l’abolition de l’art. 416 du même code ;
- 5° Pour le transfert aux tribuuaux de conseillers prud’hommes, de toutes contestations d’intérêts et de tous conflits de personnes survenus dans les questions de travail ;
- 6° Pour la liberté complète du droit de coalition et d’association pour les travailleurs et la suppression de tous décrets ou lois attendant au groupement libre des forces ouvrières.
- 3e QUESTION
- Bourse du travail
- Considérant ,
- Que la Bourse du Travail ne pouvant être créée qu’au moyen de l’impôt et que les frais retomberont nécessairement sur les travailleurs ;
- Qu’elle doit être, par suite, exclusivement favorable aux intérêts de ceux-ci ;
- Considérant,
- Que les travailleurs n’ont aucun moyen véritablement pratique de rechercher du travail ;
- p.445 - vue 448/838
-
-
-
- 446
- LE DEVOIR
- Que les bureaux de placement actuellement existants prélèvent sur les travailleurs une dîme énorme réduisant d ns une forte mesure leurs salaires ;
- Qu’il est inhumain de laisser exposer aux intempéries des saisons des milliers d’homme en quête de travail ;
- Qu’il est nécessaire pour les travailleurs qu’ils connaissent Pélat exacte du Marché du travail, afin de pouvoir se défen-et résister à l’avilessement des salaires ;
- Que la Bourse du Travail ne doit pas servir à organiser le commerce dé détail de la main-d’œuvre et à livrer aux patrons les travailleurs isolés ;
- Qu’au contraire, elle doit être un instrument destiné à régler et à déterminer les conditions de salaires et de travail ;
- Considérant, d’autre part,
- Que le droit de réunion, actuellement concédé par la loi, demeurreait lettre morte en fait, si la Commune et l’état ne fournissaient pas gratuitement aux travailleurs le moyen de se réunir ;
- Le Congrès décide :
- 1° Il sera créé à Paris une Bourse Centrale de Travail avec des annexes dans tous les arrondissements ;
- 2° Ces annexes devront être en communication permanente avec le Bureau central ;
- 3° Chaque annexe devra comprendre des bureaux administratifs et une grande salle de réunion ;
- 4° L’administration, le matériel, l’entretien et tous les frais nécessaire au fonctionnement de la Bourse du Travail et ses annexes seront prélevés sur le budget de la ville de Paris ;
- 5° L’administration de la Bourse du travail sera cofiée exclusivement aux Chambres syndicalss ouvrières et Groupe.* corporatifs librement fédérés.
- Le vœu suivant est adopté en annexe aux résolutions :
- Vœux. — Le Groupe de Clignancourt et le Cercle Typographique d’étude sociales font le vœu que l’organisation de la Bourse du travail constituée, on fasse une active propagande pour faire que les ouvriers isolés rallient leurs syndicats respectifs. Une amnistie générale devra être arrêtée par l’assemblé des syndicats et groupes corporatifs, et un délai d’un an devra être accordé aux isolés. Ce délai expiré, on avi era au mieux des intérêts de la classe ouvrière. Vu le manque d’or-gan'sation de l’élément féminin ouvrier, les ouvrières devront Bénificier de ’la Bourse du Travail ; le Comité administratif de ladite Bourse devra, en outre, aviser au moyen de constituer des syndicats féminins.
- 4e QUESTION
- Limitation légale de la journée de travail.
- Considérant:
- Qu’avec les moyens de production et les forces productives modernes ce sont les nations où la journée de travail est la plus courte qui atteignent le maximum de production annuelle, ces nations produisant dans les meillieures conditions de bon marché et d’exécution, les salaires y sont les plus élevés ;
- Que si la fin du dix-huitième siècle à vu naître la grande industrie moderne, dont la puissance de production sans cesse accrue nous garantit l’émancipation économique des travailleurs, de même elle a vue se développer cette passion criminelle de surtravail dont les abus, à l’égard des salariés, nous paraissent avoir dépassé en étendue et en atrocité tout ce qui s’est commis dans l’antiquité et le moyen-âge contre les esclaves et les serfs
- Qu’avec le développement du mécanisme moderne, l’expansion du marché universel et la concurrence, c’est une nécessité de réduire la durée du travail à huit heures par jour :
- 1° Pour améliorer la condition matérielle, intellectuelle et morale des travailleurs ;
- 2° Pour réduire la durée du chômage par l’enploi d’un plus grand nombre de bras ;
- 3' Pour réduire au minimum le prix de revient des produits et relever notre industrie nationale.
- Pour ces raisons,
- Le Congrès fait appel à l’intervention du Gouvernement, du Parlement, des Conseils généraux et des Conseils municipaux.
- 1° Pour limiter légalement la durée de la journée de travail à huit heures par jour ou quarante huit heures par semaine avec un jour de repos hebdomadaire dans tous les ateliers, chantiers, manufactures et arsenaux de l’Etat, dans les mines, les chemins de fer et pour tous les travaux publics exécutés pour le compte de l’Etat, du Département et des Communes ainsi que dans tous les ateliers, chantiers, établissements de commerce, administrations et manufactures de l’industrie privée. Cette limitation s’appliquera à tous les travailleurs adultes des deux sexes et aux jeunes gens, filles et garçons au-dessus de l’âge de 16 ans, les enfants (levant passer jusqu’à cet âge pur tous les degrés de l’enseignement scolaire et professionnel.
- La réduction des heures de travail ne pourra entraîner aucune diminution pour le prix du salaire quotidien. Les Chambres syndicales et Groupes corporatifs arrêteront les règlements et conditions de salaire, d’hygiène. Dans le cas exceptionnels exigeant une prolonga'ion de la durée de la journée de travail, les heures supplémentaires seront payées double.
- Nomination des inspecteurs et inspectrices des ateliers par les syndicats ouvriers, les quels constitueront une commission centrale qui centralisera l’action de tous les services d’inspection. Des inspectrices seront nommées dans toutes les industries où les femmes sont en plus grand nombre que les hommes.
- Des inspecteurs, inspectrices, et les membres de la Commissions centrale seront rétribués par l’Etat.
- La Commission centrale devra classer, coordonner et résumer en un seul volume tous les rapports annuels qui seront mis en vente au prix de O fr. 50 chaque exemplaire.
- Abrogation de la loi du 9 septembre 1848 qui limitait à douze heures la journée de travail.
- Révision dans le sens sus-indiqué de la loi du 19 mai 1874 sur le travail des enfants et des filles mineures et «te la loi du 28 mars 1882 sur renseignements primaire obligatoire.
- Mise en vigueur du decret du 2 mars 1848 interdisant le marchandage.
- Abrogation de la loi sur l’Internationale des travailleurs.
- Gomme sanction aux dispositions qui précèdent, loi édictant des pénalités contre les employeurs convaincus d’avoir fait ou tenté de faire travailler plus de 8 heures au-dessous des tarifs en vigueur, application de cette loi confiée aux Conseils de Prud’hommes.
- — - ----------------• < i>—«-----------------------—
- Adhésions aux principes d’arbitrage et de désarmement européen.
- Jura.— Commune <1e Commenailles.— Gaudin Aristide, cultivateur ;— Chaffin François, rentier ;— Gaudin Pierre, cultivateur;— Magnez Claude;— Bourgeois Claude;— Chaffin Valentin ;— Chaffin Nicolas ;— Chaffin Etienne ;— Berthelon Elisée;— Berthelon François;— Millet Aristide,— Millet Jacques;— Millet Eugène ;— Chaffin Hyacinthe;— Jalley Claude Marie; — Grand Léon;— Jalley Louis. - Charpin Marcellin ; Chamois Victor;— Maublan Franpois;— Berthelon Léon;— Berthelon Adrien;—Chateau Jean-Baptiste;—
- | Chateau Adolphe,— Chateau François; Genot Marie;— Château Arthème; — Rivière Auguste Rebert Alphonse;—
- » Rivière Antoine;— Bourgeois Eugène;— Rivière Honoré;—
- p.446 - vue 449/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 447
- Martin Constant:— Martin Zéphirin; — Robelin Eugène ; — Robelin Denis;— Robelin Céleste;— Durand Jean Claude ;— Granier Antoine;- Granier Charles;—BruleboisAlexandre— Chateau Jean Baptiste; — Millet Eiie; — Chateau Firmin;— Tartelin Eugène;— Tartelin François père; — Tartelin François fils;— Tartelin Albert;— Curé Xavier;— Vilheras Céleste;— Tartelin Etienne;— Brulebois Claude;— Gillet Pierre;— Brulebois Aristide; — Proit Léonard;—Blanc Aristide;— Brulebois Jean Eugène;— Picard Aristide, Chevriaux Jean;— Robillart Gustave; — Kaufmann Adolphe;— Vuillem Brulebois Auguste;—Grançais Auguste;— Yilharme Pierre;— Loriot Amédée;— Chaffm cultivateur; Bon Louis;— Robelin Pierre,— Robelin-Bon;— Robelin Jules; üesgouilles;— Gain ussot; - Boudard Charles;— Rouget Auguste ;— Robelin Pierre;— Cornier Séraphin;— Roy Adolphe;— Carrez Claude;— Boucard Julien;— Demongeol Eugène;— Cré-tiaux Elisée;— Lamard Armand;— Simeray;— Martin; — Bonnot; — Piotelat;— Grappin Aristide.
- CHARLES SAYILLE
- par* ROBERTSON
- Roman philosophique
- Chapitre XII
- CAUSERIES — L’ATHÉE ET LE CROYANT.
- Aussitôt que Saville fut remis de sa légère disposition, il reprit ses études nautiques, dans lesquelles le jeune Carbonn-1 vint le seconder,
- L’heure du dîner réunit encore les passager à l’exception du docteur Campiglio, qui était fort souffrant. Après le dîner les convives restèrent longtemps à causer. Ou servit du thé, du café, du punch, du grog, selon le goût de chacun. Lea uns jouèrent aux cartes; les autres racontèrent leurs voyages. Tout le monde était de bonne humeur, et la soirée se passa très agréablement.
- Charles éprouvait un bien-être qu’il n’avait pas ressenti depuis longtemps. Il lui semblait que son sang recommençait à circuler avec plus d’activité, que sa tête était plus légère, et que son cœur s’ouvrait à l’espoir.
- « Parmi ces aimables compagnons de voyage se disait-il, je trouverai peut-être un homme heureux.
- « Mortimer est si cordial et si joyeux, que sa seule présence m’inspire la gaîté. Edouard est vif, pétulant, tout annonce en lui cette surabondance d’esprits vitaux, qui, m’a-t-on dit, doit me signaler l’homme parfaitement satisfait de son sort. Le docteur Campiglio a quelque chose d’un peu austère ; mais son œil noir a par moments des éclairs, qui sont un autre indice que je ne dois pas négliger. M. Murray me paraît être le type du bonheur anglais, du bonheur paisible et bien nourri ; sans passions, ou maître de ses passions. Et qui sait si ce n’est là le véritable bonheur? M. Muller a le même calme, avec beaucoup plus de profondeur, autant que j’en puis juge»'. Chez lui, la source de la bienveillance est moins dans le tempérament que dans la raison et la vo lonté. Schwartz, enfin est pétri d’insouciance et de malice ; il ne voit des choses que le côté plaisant ; avec hn pareil caractère, on doit être content de tout.
- « Il n’est, donc pas impossible que, parmi ces hommes, je trouve celui qui pourra me guérir. Dans tons les cas, je ne m’ennuie pas a\ec eux. Leur conversation me distrait. Je veux commuer à les écouter et à les observer.
- Le lendemain soir, la chambrée était complète. Campiglio, rétabli, avait pu prendre part au dîner. Il attribuait à ses pilules le rétablissement qu’il ne devait peut-être qu’à la bonne nature, et préconisait avec vivacité les vertus de la quinine; pendant que Schwartz croquait le patron qui fumait sa pipe.
- En ce moment, le chat de Mortimer se précipita entre les jambes des causeurs, à la poursuite d’une souris, qu’il attrappa très adroitement, et qu’il emporta dans un coin de la ci bine,
- — A quoi servent les souris ? dit Schwartz.
- — A nourrir les chats, pardieu ! répondit Edouard ; comme les chats servent à manger les souris.
- — La Providence est admirable ! dit Murray.
- — Si la pauvre souris que Puss tient sous sa patte pouvait parler, dit Campiglio, je doute quelle fit chorus avec vous M. Murray.
- — Est-ce que vous douteriez de la sagesse de la Providence ? dit. Murray avec de grands yeux étonnés.
- — Parfaitement, répondit le docteur. Voyons, dépouillez-vous pour un seul instant de vos vieux préjugés, et répundez, la main sur la conscience, à la question que je vais vous faire. Si vous étiez chargé de créer un monde y mettriez-vous des poisons, des crapauds, des vipères, des tigres ?....
- — Et des requins ? ajouta Mortimer, en ôtant la pipe de sa bouche, et en éclatant de rire.
- — Puisque vous m’adjurez si solennellement dit Murray, je suis obligé de vous répondre la main sur la conscience, non, si j’étais chargé de créer un monde, je n’y mettrais rien de malfaisant. Mais qu’est-ce que cela prouve ? Est-ce qu’une créature chétive comme moi peut se permettre de critiquer les vues impénétrables du Créateur ? Notre grand poète Pope n’a-t-il pas dit (1) ; « Tout mal partiel est pour le bien universel » ? Je vois dans le monde du bien et du mal. J’accepte le bien avec reconnaissance, et j’attribue le mal à des causes qui dépassent la portée de mon intelligence. J’humilie ma raison devant la sagesse divine.
- — Moi, dit Campiglio, je n’humilie pas la mienne. S’il y a une sagesse divine, ma raison est un présent qu’elle m’a fait : c’est apparemment pour que je m’en serve.
- — Il faut en user, et non en abuser, dit Murray. Mais si nous voulons discuter avec fruit, il faut partir d’un principe. En voici un que personue ici ne contestera je pense, c'est, que Dieu est bon.
- — Adopté, dit Schwartz :
- « Aux petits des oiseaux il donne leur pâture,
- « Et sa bonté s’étend sur toute la nature. »
- — Oui, dit Campiglio, avec amertume. Mais quelle est la pâture qu’il donne aux petits oi-eaux, aux aiglons, par exemple ? CVst la chair pantela"te d’un animal qui
- (1) Esiay ou Man.
- p.447 - vue 450/838
-
-
-
- 448
- LE DEVOIR
- vient d’être égorgé. Le petit oiseau, après avoir fait sa i pâture d’ui.e multitude d’insectes et de vermisseaux, que lui a donné la tendre Providence, devient à son tour la pâture du milan....
- — C’est vrai, interrompit Mortimer, les petits poissons mangent les gros.... Non, c’est le contraire que je voulais dire, ho ! ho ! ho !
- — Et, poursuivit le docteur, il en est de même à tous les degrés de l’échelfa, depuis l’être microscopique jusqu’à l’homme, qui dévore tout. La condition de la vie, c’est la guerre et le carnage.
- — Mais, dit Murray, vous nous parlez des animaux, qui ne sont que des machines, qui n’ont pas d’âme, qui ne sont destinés qu’à l’usage de l’homme, et que la Providence a privés de prévision. Le mouton, qu’on va conduire à l’abattoir, broute l’herbe avec insouciance jusqu’au dernier moment; et la minute de souffrance qui lui ôte la vie ne saurait être mise en balance avec le nombre de jours heureux et paisibles dont il a joui.
- — Pourcequi est de lame, que vous refusez si lestement aux animaux, dit Campiglio, c’est une grande question que nous pourrons traiter un autre jour. Je vous dirai, seulement en pissant, que j’ai souvent trouvé plus d’âme, c’est-à-dire plus d’intelligence, dans un chien ou dans un cheval, que dans certains hommes. Vous prétendez que les animaux sont destinés à l’usage de l’homme. Je voudrais savoir à quel usage peuvent nous servir le lion, l’hyène et ie crocodile, et s’ils n’auraient pas ie droit de croire que c’est bien plutôt l’homme qui est à leur usage. Mais passons J’arrive à la souffrance, dont vous faites si bon marché. Vous en parlez, ma foi, bien à votre aise. Mais regardez donc cette malheureuse souris, dont nous voyons l’agonie avec tant d’indifférence. Croyez-vous qu’elle ne souffre pas depuis une heure qu’elle est entre les griffes ou sous la dent du chat? Figurez-vous donc que vous êtes sous la patte d’un tigre, qui joue avec vous? qui ne vous meurtrit que tout juste assez pour que vous ne puissiez vous échapper, qui vous permet de faire quelques pas avec l’espoir de fuir, et puis bondit sur vous, et se remet à faire craquer vas os et à vous mutiler en détail. Ah ! vous commencez à frissonner ! Maintenant, voyez cette mouche se débattre convulsivement sous les crochets de cette hideuse araignée. Croyez-vous que ses tortures soient moindres, parce qu’elle est plus petite que la souris ? Eh bien, ces deux scènes, qui se passent là sous nos yeux, se répètent à tout instant, sous mille formes diverses, sur des millions de créatures. Je le répète, la guerre, le carnage, les tortures, voilà les conditions auxquelles la vie se perpétue sur la terre. Et vous voulez me faire admettre en principe que votre Dieu est bon ? Votre Dieu, que vous appelez tout-puissant, donc qui aurait pu établir d’autres lois, et qui ne i’a pas fait ? Non, vous ne me ferez jamais commettre une pareille inconséquence.
- — Votre véhémence vous aveugle, repartit Murray. Vous ne voyez qu’un seul côté de la question ; côté inexplicable, je l’avoue; mais que de choses sont inexplicables pour notre faible raison ! Vous persistez à ne par-
- ler que des brutes, qui ne sont que des accessoires L’objet principal de la création, sa gloire éternelle, c’e>t l’homme, l'homme fait a l image de Dieu.
- — Eh bien, parions de l’homme, reprit Campiglio, je le veux bien. Qu’est-ce que l’histoire de l’homme depuis le temps où il a commencé à avoir des annales ? Un tissu de forfaits abominables, de massacres, d’empoisonne-menls, de carnage, carnage bien autrement odieux que celui dont je parlais tout à l’heure; car les I ups, dit-on, ne se mangent pas, tandis que les hommes s’égorgent entre eux, réduisent leurs semblables à l’esclavage, les torturant de mille manières. Partout le fort écrase le faible ; le plus fin trompe le plus crédule. Partout le crime triomphe et la vertu succombe, excepté au théâtre ‘ou dans les romans. Ah ! vous êtes bien inspiré en m’invitant à parler de l’homme ?
- — Vous voyez tout en noir, dit Murray; vous n’êtes pas impartial. Le crime ne tiromphe pas toujours ; la vertu n’est pas toujours persécutée. Quoi qu’il en soit, nous avons quelque chose en nous qui nous fait haïr le vice et admirer la vertu. Ce quelque chose, c’est la conscience, que Dieu a donnée à l’homme comme une lumière pour le guider.
- — CVst dommage que l’homme souffle si souvent sa chandelle, dil Schwartz.
- Eu ce moment, Muller qui avait écouté fort attentivement, prit la parole,
- — Messieurs, dit-il, je doute que vous parveniez à vous convaincre mutuellement Si vous vouliez me permettre de vous développer un système que je me suis fait, peut-être parviendrais-je à concilier vos opinions, si opposées qu’elles soient. Seulement, comme il est trop tard aujourd’hui, nous remettrons cet exposé à demain.
- (A suivre.)
- L'Atronomie, Revue mensuelle d’Astronomie populaire, de Météorologie et de Physique du globe, par M. C. Flammarion. — N“ de juillet 1886. Le point fixe clans l’univers, par C Flammarion.—Causes de la détonation des bolides et des aérolithes, par G. A. Hirn. — Les aurores boréales (suite et fin). — Nouvelles de la Science. Variétés : Perturbations magnétiques et aurores boréales. Même sujet. Transformation d’une tache solaire, par Ginieis. Tache solaire visible à l’œil nu et sans verre noir. La Lune à l’envers. La statue d’Arago. — Observations astronomiques, par E. Vimout (Gauthier-Villars, quai des Augustins, 55. Paris.)
- État civil du Familistère.
- Semaine du 28 Juin au 4 Juillet 1886.
- Naissance *
- Le 4 Juillet, de Duquesne Juliette, fille de Duquesne Firmin et de Drocourt Victorine.
- Le Directeur Gerant : GODIN
- Guise — lmp Bsre
- p.448 - vue 451/838
-
-
-
- 10e Année, Tome 10.— N° 410 Le 'numéro hebdomadaire W c. Dimanche 18 Juillet 1886
- LE DEVOIR
- REVUE DES 0UESTI0NS SOCIALES
- =—1 "'!i\ ' '.......
- BUREAU
- a GUISE (Aisne)
- Toutes les communications
- ABONNEMENTS PAYABLES D’AVANCE par l’envoi, soit au bureau de Guise, soità celui de Paris, de timbres-poste ou de mandats de poste, dont le talon sert de quittance.
- et réclamations doivent être adressées à M. GODIN, Directeur-Gérant Fondateur du Familistère
- France Un an ... Six mois. . . Trois mois. .
- 10 Ir. »» 6 »• 3 »
- Union postale Un an. . . 11 fr. s» Antres pays
- Un an. . . . 13 fr. 60
- ON S’ABONNE
- A PARIS
- 5, rue Neuve-des-Petits-Champ s Passage des Deux-Pavillons
- S’adresser à M. LEYMARIE administrateur delà Librairie des sciences psychologiques.
- MARIAGE MÉMORABLE
- AU FAMILISTÈRE
- Mercredi, 14 juillet, jour de la fête nationale, a eu lieu le mariage entre M. Godin, fondateur de l’association du Familistère, et Mademoiselle Marie Moret, sa collaboratrice depuis 25 ans dans cette œuvre et dans ses écrits.
- A neuf heures du matin,
- MM. Allizart Jules,
- André Eugène,
- Bernardot François,
- Dequenne François,
- Donneaud Henri,
- Pernin Antoine,
- Piponnier Antoine,
- Quent Aimé,
- Sekutowicz Jules,
- Seret Henri,
- Membres du conseil de Gérance de l’Association du Familistère,
- M. Mathieu Eugène, délégué des ouvriers et Président des assurances mutuelles,
- M. Moret Amédée Nicolas et Madame veuve ballet, née Emilie Moret; frère et sœur de la future épouse ;
- Madame Amédée Moret,
- Et M. Charles-Augustin-Alexandre Tisserant, aucien avoué à la cour de Nancy, et ami commun des futurs époux, étaient réunis, pour signer, avec enV au contrat suivant :
- Ont comparu :
- Monsieur Jean-Baptiste-André GODIN, fondateur de la société du Familistère, chevalier de la légion d’honneur, of-, ficier d’académie, ancien député, ancien conseiller général, ancien maire de la ville de Guise où il demeure,
- Né le*26 janvier 1817 du mariage d’entre feus M, Jean Baptiste-André GODIN et Dame Marie-Joseph-Florentine DEGON, tous deux décédés à Esquéhéries où ils demeuraient d’une part,
- Et Mademoiselle Marie-Adèle MORET, écrivain, secrétaire et collaboratrice du futur époux dans la publication de ses ouvrages et l’œuvre du Familistère, demeurant à Guise,
- Née le 27 avril 1840 du mariage de feus M. Jacques Nicolas MORËT et Dame Marie-Jeanne PHILIPPE, tous deux décédés au Familistère où ils demeuraient.d’autre part,
- Lesquels stipulant chacun en son nom personnel et en vue du mariage qu’ils se proposent de contracter,
- Déclarent qu’en s’unissant par mariage, ils veulent affirmer leur incessante union et leurs efforts communs pour le succès du Familistère et des publications sociales entreprises parM. Godin ; que leur désir est de rendre leur collaboration plus efficace en donnant cette consécration au lien affectueux qui les a constamment associés dans leurs travaux inspirés par le bien et l’amour de l’humanité sans qu’aucune pensée d’intérêt personnel se mêlât à ce pur sentiment ; qu’ils ont fait choix pour établir les conditions civiles de leur mariage, du régime le plus approprié à leur intention d’être indépendants l’un de l’autre dans tout ce qui intéresse la propriété, l’administration etda jouissance de leurs biens ; qu’en conséquence ces conditions civiles sont les suivantes :
- Art. 1.
- Les futurs époux se marient sous le régime de la séparation de biens tel que l’organisent les art. 1536 et suivants du code civil. Par suite chaque époux aura l’entière administration de ses biens et la libre jouissance de ses revenus
- p.449 - vue 452/838
-
-
-
- 450
- LE DEVOIR
- Art. 2.
- Les dépenses de la vie commune, tant celles d’entretien du ménage et de la maison que celles de la personne des futurs époux se régleront entre eux au jour le jour sans que Fuit ni l’autre soit tenu d’en rendre aucun compte.
- Art. 3.
- Les futurs époux font réciproquement donation, ce qui est accepté par chacun pour le cas de survie, au survivant d’eux de tous les meubles meublants, ustensils de ménage, effets personnels, linge, hardes, bijoux, argenterie, décorations, médailles, diplômes, bustes, objets d’art, bibliothèque cave, vins et liqueurs, chevaux, voitures, et enfin de tout ce qui se trouvera au décés du prémourant dans les appartements et locaux à eux loués et qui leur seront communs, sous la seule exception prévue par l’art. 536 du code civil, c’est-à-dire celle de l’argent et des dettes actives et passives.
- Après le décès du prémourant, le survivant aura la faculté de conserver pour son compte le bail des appartements et locaux loués par chacun des futurs époux suivant acte sous-seings prises du 9 avril dernier enregistré à Guise le 13 du même mois, f° 15 R° c. 7 par M. le Receveur qui a perçu les droits, ainsi que d’ailleurs cela résulte des stipulations dudit bail.
- Pour mieux assurer au survivant la paisible jouissance desdits appartements et locaux, le prémourant stipulant pour ses héritiers majeurs, interdit qu’il soit, lors de son décés, procédé à aucune apposition de scellés.
- Art. 4.
- Gomme témoiguage de sa confiance et voulant qu’elle ne soit pas privée du fruit de sa collaboration, le futur époux fait à la future épouse, ce qu’elle accepte, pourie casoù il décéderait avant elle, donation de sa correspondance privée, de ses registres de copie de lettres, de ses ouvrages édités et des manuscrits et papiers de toute sorte qui seront trouvés en sa possession l’autorisant, comme elle le jugera convenable, à faire imprimer les uns et rééditer les autres.
- A dix heures du matin, les futurs époux en présence de Madame Emilie Moret, veuve Dallet, de sa fiile, toutes deux sœur et nièce de la fiancée ; de M. Moret, frère delà future épouse; de Messieurs Dequenne et Pernin. conseillers de Gérance de l'Association, et de M. Tisserant, ami des futurs époux, tous quatre témoins, se célébrait, à la mairie de Guise, le mariage civil entre les fiancés.
- Rentrés ensuite au Familistère les mariés furent reçus par les divers groupes du palais social ; le corps de musique ouvrit la réception par un morceau entraînant.
- Les enfants du premier âge leur présentèrent des bouquets; puis ce fut le tour des Ecoles primaires et du Cours supérieur, en témoignage de ce qui est fait au palais social pour l’éducation et l’ins-i ruction de l’Enfance.
- Mademoiselle Liénard et Madame Gris, présidente et secrétaire du comité d’assurance mutuelle,
- section des dames, présentèrent ensuite deux bouquets au nom des services du Familistère.
- Puis, au nom des ouvriers de l’usine de Laeken-lez-Bruxelles, M. André, conseiller de Gérance, revenu de Bedgiqi.epuur la cérémonie du mariage, offrit à la mariée un exemplaire en bronze de l’œuvre de Le Bourg, acquise par la ville de Paris et personnifiant Le travail. Ce beau morceau d’art représente un forgeron assis, pensif, sur son enclume, la main gauche appuyée sur le manche de son marteau, les yeux lixés sur un livre ouvert sur son genou et ia main droite appuyée dessus. Les outils, tenailles, équerres et compas gisent à terre.
- Aucune attention ne pouvait aller plus profondément, à la fois, au cœur de l’ancien forgeron, fondateur de l’association du travail et du capital et au cœur de Madame Godin dont le père aussi était forgeron.
- M. André prononça, en offrant Fœ uvre de Le Bourg, l’allocution suivante ;
- « Madame,
- « Les travailleurs de l’usine de Laeken, apprenant l’acte im-« portant que vous alliez accomplir ont voulu vous en té-« moigner toute leur joie et leur satisfaction.
- « Beaucoup vous ont connue et ils ont conservé le meilleur « souvenir de votre séjour parmi eux,
- « Depuis, iis ont vu avec quel dévouement et quelle cons-« tance vous vous consacriez à ia revendication de leurs droits « et à l’amélioration de leur sort; ils ont appris quelle part « vous avez prise dans la constitution de la société dont un « grand nombre déjà font partie; ils considèrent donc le nou-« veau lien qui vous attache au fondateur de cette association, « eommri une nouvelle garantie pour l’avenir et en vous adres-« sam toutes leurs félicitations, ils vous prient de voulni< bien « accepter à titre de souvenir l’objet que j’ai l’honneur de vous c< présenter. »
- Enfin, M. Mathieu, délégué des ouvriers de l'association et Président des assurances mutuelles offrit à son tour à Madame Godin, au nom de l’association du Familistère, un second objet d’art : La fileuse, de Carrier Belleuse, charmant bronze représentant aussi le travail utile à l’humanité. Puis, il prononça le discours suivant :
- « Monsieur Godin,
- « Nous tous, travailleurs, membres de l’association, nous « n’avons pas voulu laisser passer l’acte que vous venez d’ac-« complir, sans vous dire combien nous en sommes heureux.
- « consécration d’une union que le temps et l’estime
- « générale avaient d-jà scellée, aura pour résultat d e renforcer « encore la foi que nous avons dans l’avenir de votre œuvre.
- « Et à vous, Madame, laissez-nous vous offrir, en mémoire « de cette grande journée qui est à la fois la Fête de la « France, et de la patrie familistérienne, cette statuette,image « de la constance dans le travail et de la fidélité au devoir.
- p.450 - vue 453/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 45t
- « Et si l’avenir nous ménageait des luttes pour la défense de « nos droits sa vue vous rappellerait qu’autour de l'œuvre les « sympathies et les dévouements sont nombreux et so ides. »
- M. Godin, en son nom et au nom de Madame Godin, remercia, en termes émus, les assistants de la sympathie qu’ils leur témoignaient à l’occasion de leur mariage.. Puis il ajouta:
- « Les membres de l’association ont raison d’in-« terprêter nos sentiments comme vous venez de « le faire. Toutes les mesures que nous avons pri— « ses dans le passé ont eu pour objet de donner « à l’association du Familistère toutes les sécurités « possibb-s d’avenir et de durée, de faire que les « familles des travailleurs trouvent, dans l’avenir « comme dans le présent, le travail, le bien-être « et la sécurité du lendemain, sous la protection de « l’association.
- « Notre mariage, aujourd’hui, n’est que la con-« sécration de tout ce passé ; il a pour but de « l’affermir davantage s’il est possible.
- « Mais, en ceci, vous devez tous être notre aide;
- « cYst sur vous que reposeront surtout,dans l’ave-« nir, la prospérité de l’association et le bonheur « de vos familles. C’est par la fraternité et la « cordiale entente entre vous qu’il sera donné de « vous voir démontrer au monde que le capital « et le travail, en unissant leurs efforts, peuvent « résoudre toutes ces grandes difficultés qui, bien-« tôt, seront de réels embarras pour tous les gou”
- « vernements.
- « Continuez cette démonstration avec nous;
- « continuez-la quand nous n’y serons plus;
- « vous aurez concouru efficacement à l’émancipa-« tion des travailleurs et vous aurez bien mérité « de la patrie et du monde entier. »
- Un banquet a terminé cette fête de famille qui laissera un doux souvenir dans le cœur des amis de l’association.
- ♦ *
- A. l’occasion du mariage accompli,M. et Madame Godin adressent à leurs amis et connaissances la lettre suivante '•
- «M. Godin, manufacturier, fondateur du Fami-« listère, et Madame Godin, née Marie Moret, son ® secrétaire et sa collaboratrice dans l’œuvre « du Familistère et dans la propagande sociale,
- * ont l'honneur de vous faire part du mariage pu-
- * r&rnent civil qu’ils ont contracté ensemble, à ® Guise, le Ik juillet 1886, afin d’affirmer aux
- * yeux de tous leur union et le but commun des
- * efforts de leur existence. »
- AVIS
- Le Devoir a besoin d’un r^^^teui* pour faire le journal et une partie de la rédaction.
- EXTINCTION DE LA MISÈRE PAR LA MUTUALITÉ NATIONALE
- La société doit à tous les êtres humains le minimum de subsistance.
- Le faible, le malade, l'infirme, le paresseux, le vaillant, le fort, l’innocent, le coupable, tous les citoyens, sans exception, ont un droit égal à ce minimum.
- Il faut, au sommet de l’organisation sociale, une sanction effective du droit à la vie par l’organisation d’une puissante Mutualité Nationale, destinée à procurer aux travailleurs et aux membres de leurs familles, en toutes circonstances, le nécessaire à la subsistance.
- Ces institutions ont un intérêt social : les classes aisées en retireront des bénéfices appréciables ; les déshérités ne peuvent s’en passer plus longtemps; il y a péril social à en différer l’application.
- Les difficultés de ces fondations ne sont pas insurmontables ; toutes sont d’ordre moral ; aucune d’elles ne provient de faits matériels soustraits à l’influence de la volonté.
- Ces projets seraient utopiques, si l’accumulation des richesses et le perfectionnement de la production n’étaient en rapport avec les charges considérables d’une féconde Mutualité Nationale.
- Sans la Mutualité Nationale, les inquiétudes et les souffrances individuelles paralyseront la fécondité des facultés humaines par des mécontentements et par des colères aboutissant à des heurts, à des chocs destructeurs des choses, des individus et des sociétés.
- L’être humain délivré de l’incessante crainte de la misère, les jalousies seront moindres, les haines s’apaiseront, les compétitions individuelles ne dépasseront pas les suggestions d’une sage émulation.
- La Mutualité Nationale donnera à la femme le droit effectif à l’indépendance ; elle maintiendra l’enfant au-dessus des fragilités de la famille ; elle rétablira la famille écroulée sous des charges dépassant ses forces.
- La Mutualité Nationale sera le gage indissoluble de la réconciliation des citoyens, des classes et des peuples ; ell esera la garantie de la permanence de l’ordre dans chaque unité nationale de la patrie universelle.
- Le Nécessaire à la subsistance.
- L’homme naît avec le droit de vivre ; il doit être assuré du minimum nécessaire à la subsistance
- p.451 - vue 454/838
-
-
-
- 452
- LE DEVOIR
- Cette proposition simpliste, en apparence, tient, en sociologie, une place analogue à celle des axiômes dans les sciences exactes.
- Les perturbations sociales violentes, à notre époque, proviennent de l’inobservation de cette donnée.
- Il n’existe pas, dans la pratique sociale, une seule institution conforme à ces deux termes :
- L’homme est né pour vivre — La vie n’est pas possible sans le strict nécessaire à la subsistance.
- La loi interdit à l’homme de tuer son semblable. Mais, dans les sociétés dépourvues de garanties contre les conséquences extrêmes du salariat, l’individu est condamné à d’injustes misères lorsque son salaire descend au-dessous du nécessaire à la subsistance.
- L’assimilation des travailleurs aux viles marchandises, soumises aux fluctuations de l’offre et de la demande, est une négation de cette vérité élémentaire : l’homme étant né pour vivre à besoin du nécessaire à la subsistance.
- La société édifiée sur cette négation ne peut être stable ; sa solidité et sa durée sont comparables à celles d’un édifice construit en dehors de l’observation des lois de la pesanteur.
- Le minimum nécessaire à la subsistance est-il d’ordre individuel, familial, communal, national ou universel ? En d’autres termes, l’individu doit-il se procurer ce minimum,ou bien le trouver dans la famille, dans la commune, dans la nation, ou dans le monde entier ?
- A l’origine de la race, les êtres humains errants sur des surfaces illimitées cherchaient le nécessaire à la subsistance partout où il leur plaisait de porter leurs pas.
- Par l’organisation des sociétés, les individus enfermés dans des communes, des régions, des nations, où une minorité a accaparé la possession des sources de la richesse, ont été privés de cette liberté de pourvoir à leur existence d’après leurs inspirations personnelles.
- La civilisation, en vue de futilité générale, devait réglementer ce droit naturel ; elle a commis une violence en supprimant, sans compensation, la liberté donnée à l’homme par la nature de cueillir partout les fruits de la terre.
- Il est urgent de réparer cette erreur, cette injustice, en donnant au nécessaire à la subsistance le caractère d’une institution sociale.
- L’aumône est une sanction insuffisante du droit à la vie. En face de l’être humain dénué, chacun de nous éprouve le besoin de lui venir en aide. Mais l’aumône suppose la mendicité, pratique incompatible avec l'ordre et la dignité humaine. Le mendiant osé parvient souvent à se proeurer un bien-être supérieur à son minimum de subsistance, tandisque des malheureux, par dignité, par respect d'eux* mêmes, préfèrent souvent les privations et les souffrances.
- Il faut coordonner l’assistance envers nos semblables par des institutions exemptes des incertitudes, des erreurs et des ! •filiations de l’aumône et la mendicité.
- D’après M. Moncelon, délégué de la Nouvelle-Calédonie au Conseil supérieur des colonies, voici les avantages accordés aux condamnés agricoles (forçats) :
- 1. Une concession de terre arable, qui deviendra définitive à la libération.
- 2. La ration de vivres pendant trente mois ;
- 3. Un lot d’outils aratoires ;
- 4. Le droit de choisir une épouse au couvent de Bourail ;
- 5. La ration de vivres pour la femme, un trousseau de ménage, un secours pécuniaire de 150 francs.
- 6. Le droit au traitement gratuit à l’hôpital pour l’homme et pour sa famille pendant trente mois ;
- 7. Une indemnité de 100 à 130 francs pour la construction de sa case d’habitation ;
- 8. Enfin, le concessionnaire (en cours de peine), peut se faire aider dans son exploitation par des personnes étrangères à sa famille, sans que le nombre de ses ouvriers soit déterminé.
- La société nourrit le coupable ; les pensionnaires des prisons et des bagnes ont le minimum de subsistance.
- Peut-on le refuser au travailleur malheureux ?
- Comment définir le minimum nécessaire à la subsistance ?
- Nous voulons parler de ce quantum de nourriture, de vêtement, d’hygiène et de soins dont un être humain, normalement constitué, ne peut-être privé, sans exposer son organisme à une usure prématurée.
- Il est toujours facile, d’évaluer en numéraire l’équivalent du nécessaire à la subsistance d’après le cours des denrées dans chaque localité.
- Au Familistère, la garantie du droit à l’existence fonctionne d’après une échelle indiquant le prix de revient du minimum de subsistance suivant l’âge.
- Voici les évaluations en vigueur au Familistère :
- Minimum de subsistance pour un chef de famille, pour un veuf ou une veuve chef
- de famille..................i .50
- » » pour une veuve sans famille. 1.»»
- » » pour un homme invalide dans
- une famille.................4.»»
- » » pour une femme . . . . 1.»»
- » » pour des jeunes gens de plus
- de 16 ans...................L»»
- % » pour des jeunes gens de 14
- à 16 ans........................0.75
- » » pour des enfants de 2 à 16 ans 0.50
- » » » demoinsde2ans 0.25
- Ces derniers ont droit en outre à la nourricerie. Entre 14 et 2 ans l’enseignement est obligatoire et gratuit, les fournitures scolaires comprises.
- Lorsqu’une famille reçoit un total de salaires inférieur au total des cotes de l’échelle de subsistance pour chacun de ses membres, l’association paie la différence.
- Prenons, comme exemple, une famille composée du père, de la mère, d’un vieillard, de deux enfants au-dessous de dix
- p.452 - vue 455/838
-
-
-
- LE DEVOIK
- 453
- ans, et d’un poupon d’un an, le minimum de subsistance sera calculé comme suit :
- Le chef de famille.....................................1.50
- Le vieillard...........................................1.00
- La mère. . 1.00
- Les deux enfants au-dessous de 14 ans. ... 1.00
- L’enfant au-dessous de 2 ans......................0.25
- Total du minimum de subsistance. . . . 4.75
- Si les salaires des membres occupés de cette famille sont de 3 fr. 50, l’association paie, chaque jour, la différence, soit lfr-25.
- Une famille réduite à ce minimum, à défaut de l’aisance, échappe à la misère.
- Dotation de la lutnalité Nationale
- D’après les dépenses faites au Familistère pour le fonctionnement de cette institution, on ne peut évaluer à moins de 100.000 francs les frais annuels de chaque groupe de 2000 personnes, soit un milliard huit cent mille francs pour une population de 36.000.000 d’habitants.
- L’importance de cette somme ne dépasse pas les ressources de la richesse publique.
- Actuellement, les dépenses des bureaux de bienfaisance, des administrations d’assistance publique dans les grands centres, des services hospitaliers, des pensions payées aux vieux fonctionnaires, des enfants abandonnés, nesorn pas moindres de 350 millions.
- Un prélèvement moyen de 2 0/q sur les dix milliards de salaires payés annuellement en France donnerait 200 millions. On pourrait percevoir ces ressources d’après un tarif progressif et proportionnel aux taux des salaires supérieurs aux mini-ma de subsistance.
- Chaque année, le total des héritages des millionnaires et des personnes possédant plus d’un million est évalué à trois milliards. En supprimant l’hérédité en ligne collatérale, en frappant les héritages en ligne directe et par testament d’un droit d hérédité progressif et proportionnel, l’Etat obtiendrait facilement un rendement moyen de 50 0/o, soit 1.500 millions ; cette part des grosses fortunes revenant à Etat ne serait pas immédiatement disponible en totalité , il ne faudrait pas attendre de ce chapitre plus de 750.000.000 de ressources annuelles.
- Récapitulons.
- Dépenses diverses actuelles d’intervention sociale dans certains cas du domaine de la .
- Mutualité Nationale............... . 350.000.000
- ( Ressources libérées par la suppression des
- dépenses des cultes...................... 75.000 000
- Prélèvement moyen de2 0/q sur les ?alaires 200.000.000 Moitié du produit de l’hérédité de l’Etat. 750.000.000
- Total du premier budget de la Mutualité. 1.375.000.000 L Etat, par la loea'ion ou par la concession temporaire à
- des sociétés de travailleurs, retirerait oc* de 2 0/0 ce la moitié des produits de l’héréditenu restée en sa possession ; de ce fait, le budget de la Mutualité Nationale augmenterait, chaque année, d’une somme de 15 millions.
- Il est également facile de trouver d’autres ressources susceptibles de doter la Mutualité Nationale. La participation des travailleurs aux bénéfices et la coopération peuvent contribuer pour une grande part à la dotation de la Mutualité.
- Si toutes les entreprises industrielles étaient frappées d’une participation de 10 O/o des bénéfices en faveur des institutions garantîtes on obtiendrait ,annuellement de ce chapitre plusieurs centaines de millions.
- La coopération de consommation, généralisée, avec l’obligation de verser une partie des bénéfices aux caisses de Mutualité, apporterait des ressources immenses.
- Dans le groupe familistérien, l’épicerie seule donne chaque année près de 30.000 fr. de bénéfices nets. L’organisation coopérative de l’épicerie, dans tout le pays ayant une population 1800 fois plus nombreuse que la nôtre, produirait, d’après ces chiffres, 540,000,000. De même l’approvisionnement du pain organisé d’après le même système, en évaluant à 5 fr. les bénéfices prélevés par le meunier et le boulanger sur chaque hectolitre de blé, laisserait à la population une somme supérieure à 500.000.000.
- Déjà des sociétés coopératives ont entrepris de fonder, avec une partie de leurs bénéfices, des institutions garantîtes. Nous devons citer spécialement, comme exemple digne d’être imité, la marche hardie, dans cette voie, des coopérateurs de Vienne, Isère. Ils paient déjà à un grand nombre de vieillards des pensions de retraite devant s’élever rapidement à un chiffre convenable.
- Aux partisans du principe de Mutualité Nationale, étonnés de la hardiesse de nos projets, nous répondons par le dilemme suivant.
- Oui ou non, est-il barbare d’arrêter la production, lorsqu’une partie de la population succombe de misère ?
- Oui ou non, le paupérisme doit-il disparaître des sociétés?
- Si oui, il est puéril d’espérer y parvenir sans disposer de ressources proportionnées à fénormité du mal.
- Nous demandons à tous les citoyens sensés s’il faut cher cher la richesse là où elle est, ou bien là où se manifeste le dénûment ?
- Les millionnaires sont gens intéressants, nous l’avouons ; aussi voulons-nous les laisser jouir de leurs millions, en toute sécurité, pendant toute leur existence.
- Mais la féodalité héréditaire du million est-elle préférable à la féodalité de l’épée et de la crosse ?
- La féodalité de l’épée et de la crosse, avant 1879, devenue propriétaire de prés de la moitié de la richesse nationale, était un danger. Tous les historiens de la Révolution française, sans excepté Thiers, ont considéré cette accumulation de ri-
- p.453 - vue 456/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- AEU
- chesse aux mains d’une classe comme un motif légitime de l’expropriation de cette classe, au nom du salut public.
- Est-elle moins dangereuse la féodalité du million, propriétaire des trois cinquièmes de la fortune publique ; 4it indiscutablement établi par la statistique des héritages attestant une existence de 3 milliards provenant des millionnaires sur une somme totale de 5 milliards de successions annuelles ?
- La féodalité du million est-elle plus accessible au commun des mortels?
- Les fabriques, les usines, les terres des millionnaires passent aux mains d’autres millionnaires, comme, autrelois, les propriétés seigneuriales se transmettaient, par héritage, par vente ou par échange, de nobles à nobles. Les grands seigneurs n’ont jamais été à l’abri df s ruines analogues a celles subies de temps en temps parles féodaux du million.
- Est-ce qu’il ne faut pas être millionnaire soi-même, pour acheter les propriétés d’un millionnaire, comme autrefois il fallait être noble pour acheter les domaines d’un autre noble?
- Sous Louis XIII, il y eût 40,000 annoblissements obtenus à prix d’argent. En 89, il existait 60,000 fiefs et 365,000 familles nobles, dont 4,420 seulement d’ancienne noblesse.
- Le nombre des roturiers annoblis pendant le dernier siècle de la royauté est supérieur au nombre d’ouvriers emmillionnés pendant le 49me siècle.
- Une poignée de millionnaires doit-elle se transmettre intégralement de parents à parents, de collatéraux à collatéraux, les trois cinquièmes de la richesse nationale ?
- N’est-il pas préférable de délivrer les classes la borieuses, l’humanité, de la lèpre du paupérisme, en prélevant sur ces grosses fortunes, après la mort de leurs créateurs, une part équivalente aux concours des richesses naturelles et des services publics ?
- L’équivoque n’ est plus possible.
- II faut proclamer l’éternité de la misère, ou bien en poursuivre la disparition en prenant les ressources là où elles sont.
- Fonctionnement des services de Mutualité Nationale-
- L’Etat fait la loi de Mutualité : chaque année il repartit les ressources de la Mutualité Nationale entre les départements, au prorata de leurs habitants ; les départements divisent ces ressources entre les arrondissements d’après les mêmes données ; les arrondissements les distribuent aux cantons ; les cantons aux communes ; les communes aux assistés. ,
- Le mode de fonctionnement adopté au Familistère nous paraît le mieux convenir aux communes.
- Dans l’association du Familistère, la Mutualité se divise en quatre branches principales ;
- 1° Assurance du nécessaire à la subsistance et des pensions de retraite.
- 2e Assurance contre la maladie, section des hommes.
- 3° » » » section des dames.
- 4° Fonds de pharmacie.
- Au Familistère, un employé, sous le contrôle des crmités spéciaux et des conseils administratifs, suffit aux diverses charges de ce service ; dans l’organisation générale, il serait facile de fédérer des communes en assez grand nombre pour réunir les meilleures conditions d’économie dans les services.
- Des comités élus, annuellement renouvelables par moitié,, ont charge de contrôler l’ensemble des œuvres de la Mutualité.
- Les membres élus des comités spéciaux sont rétribués par des jetons de présence calculés d’après le taux moyen des salaires.
- Nous considérons la gratuité des services comme un abus condamnable.
- Les pratiques administratives de Mutualité sont déjà assez largement appliquées par certaines sociétés importantes de secours mutuel.
- il est facile d’organiser les services de Mutualité sans augmenter, outre mesure,le nombre des fonctionnaires d’Etat, en laissant aux communes et aux départements le soin de toutes les mesures administratives ; le rôle de l’Etat doit être limité au contrôle général nécessaire à la constatation de la bonne exécution de la loi dans tout le pays.
- Au reste, l’immixtion des conseils d’arrondissements, des conseils généraux, des municipalités, la liberté de la presse, et les votes annuels à l’occasion du renouvellement partiel des corps élus seraient autant de circonstances favorables à la bonne marche et au contrôle des opérations des divers services de la mu.ualité nationale.
- Réponses à quelques objections-
- Voici comment discutent ordinairement les adversaires de la Mutualité Nationale.
- Tous admettent en principe, la justice d’une institution destinée à empêcher les malheureux de mourir de misère ; ils s’informent ensuite de l’évaluation des dépenses.
- Le total du budget de la mutualité les effraie ; ils le déclarent excessif ; devant l’éloquence des chiffres tirés de h situation des millionnaires, ils abandonnent, sans trop crier, cet argument successivement ils passent des difficultés attribuées au développement du fonctionnarisme à la mauvaise nature des individus et aux penchants de l’homme à la paresse ; la concurrence internationale est leur dernier retranchement.
- Les chapitres précédents nous paraissent répondre suffisamment à une partie de ces objections. Nous essaierons de
- p.454 - vue 457/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 455
- réfuter sommairement celles tirées de la paresse et de la concurrence internationale.
- La faim n’est pas une excitation nécessaire au travail. Cette opinion est corroborée par les faits ; le grand nombre des ouvriers aisés, des patrons riches, même opulents, travaillant tous avec une fiévreuse activité sans y être contraints par la nécessité, sont des exemples des plus concluants.
- On exagère le nombre des fainéants et des paresseux par volonté. Il est, au contraire, surprenant de ne pas les voir plus nombreux dans une société où tout semble être mis en œuvre pour les créer.
- Si l’enfant de l’ouvrier résiste aux déplorables effets de l’abandon par ses parents pendant les 12 heures de leur présence à l’atelier ; si sa nature exceptionnellement bonne le dispose à l’étude, il acquerra une foule de connaissances propres à développer sa sensibilité efc à lui rendre plus douloureuses les privations de la vie ouvrière.
- A peine sorti de l’école, l’enfant studieux de l’ouvrier fera son apprentissage dans des conditions d’hygiène, de durée de travail et de fatigue absolument condamnées par les théories apprises à l’école ; après l’apprentissage, son salaire l’empêchera bien des fois de se procurer le minimum de nourriture, d’hygiène prévu par la science ; chef d’une nombreuse famille, il ne pourra, à cause de la cherté des loyers, se loger dans un appartement assez vaste et suffisamment salubre suivant les indications des auteurs compétents.
- L’ouvrier intelligent et observateur est poussé à la démoralisation par l’exemple incessant des fraudes du commerce et de l’industrie, par l’absence générale de relations consciencieuses entre vendeurs et acheteurs ; il voit presque partout la ruse et l’abus de confiance se disputer la possession des richesses.
- Connaître les conditions rationnelles du travail et des besoins de la vie et se Irouver dans l’impossibilité presque continuelle de les réaliser ne serait-ce pas le cas général de tous les ouvriers, si tous, dans notre milieu, étaient doués des capacités acquises par un grand développement intellec-lectuel et moral ?
- N’y a-t-il pas dans cette perpétuelle contradiction entre le fait et la raison un motif d’atténuer les premières impressions suggérées par le spectacle des faiblesses des classes laborieuses.
- On nous dit aussi : la Mutualité Nationale prenant à sa charge les enfants abandonnés par leur parents, ceux-ci se-r°nt excités à dépenser exclusivement pour eux leurs salaires ; les institutions garantistes auront charge de l’entre-tJen de nombreuses familles, quand même les salaires des parents seraient équivalents ou supérieurs aux taux de substance.
- Mais la ioi relative aux enfants abandonnés n’a pas donné heu à de semblables constatations; la disparition des liens fa-
- miliaux, à la suite de l’amélioration du sort des classes laborieuses, est une hypothèse rélutée par l’expérimentation.
- I) autres objectent : les ouvriers simuleront la maladie.
- L’expérience du Familistère n'a pas donné lieu à des constatations de ce genre assez évidentes et assez fréquentes pour légitimer ces méfiances.
- Il est possible et facile d’appliquer desmesures préventives; les sociétés mutuelles et les associations pratiquant la mutualité savent se prémunir contre ces inconvénients. Pourquoi les communes n’auraient-elles la même capacité?
- Mettre le jeune homme, dès sa sortie de l’école, à même de travailler raisonnablement suivant ses forces ; garantir à l’adulte la permanence d’un travail rémunérateur, ni trop long ni trop pénible ; en un mot, donner au travailleur la certitude d’avoir en tout temps une occupation normale et un salaire convenable, et, à défaut de vouloir accepter cette situation, le soumettre au régime du malade sont deux cas entre lesquels l’être humain, à moins d’appartenir à la catégorie des infirmes, des atrophiés, choisira toujours le premier. Au reste, nous ne contestons pas à la société le droit de considérer comme irresponsables et de traiter comme tels, les individus valides convaincus de préférer la paresse à un travail rationnel; mais nous ne lui reconnaissons pas le droit de différer plus longtemps les solutions aboutissant à cesconstata-tions, sans lesquelles l’ouvrier malheureux mérite d’être considéré comme une victime de l’organisation sociale.
- L’argument tiré de la concurrence étrangère serait valable dans une certaine limite, si l’on pouvait admettre l’hypothèse de l’inauguration du garantisme dans une nation et le fait des autres peuples de persévérer, malgré cet exemple, dans les pratiques routinières et empiriques de l’ordre individualiste. Par ce temps de communications instantanées dans tout le globe,de presse internationale,d’agita.ion universelle des classes laborieuses, on ne peut douter de la généralisation rapide de la Mutualité Nationale, une fois fondée par une nation.
- Les riches ne peuvent se passer de la Mutualité Nationale
- Le droit de l’homme de cueillir partout les fruits de la terre est d’ordre primordial ; le malheureux sera toujours porté à penser à ce droit naturel et à s’insurger contre sa suppression. Il est nécessaire de trouver une transaction acceptable par tous, afin d’en finir avec les excitations de la misère. Le garantisme produira cet apaisement.
- Il laut être affligé d’un aveuglement incroyable pour ne pas comorendre la portée des soulèvements populaires, sans cesse menaçants, sur tous les points de la terre où la civilisation a étendu ses institutions.
- Peut-on nier un commencement d’organisation, dans tous les pays civilisés, d’une véritable jacquerie ouvrière ?
- Au nom de leur sécurité, même pas égoïsme, les riches
- p.455 - vue 458/838
-
-
-
- 456
- LE DEVOIR
- ont intérêt à calmer ces ferments de révolte, à une époque où la science peut mettre aux mains des exaspérés une puissance incalculable de destruction.
- O11 attribue faussement à l’influence des meneurs l’origine des émeutes et des attentats. Jamais les prédications des agitateurs n’ont poussé aux résolutions extrêmes des masses d’hommes jouissant de l’aisance. Le meneur Misère est le véritable agent provocateur des insurrections.
- Les manifestations désordonnées des déshérités, nées de leurs propres suggestions comme leurs révoltes coordonnées par des meneurs convaincus ou ambitieux, sont toutes des produits de la misère.
- Les complots, les sauvages excès sont des propriétés de la misèrecomme la pesanteur, laforme5lacoultur sont des particularités de la matière ; la misère bouleverse l’ordre, comme le feu détruit les matières inflammables.
- Les favorisés de la fortune ont d’autres motifs de s’attacher à la fondation de la Mutualité Nationale.
- Les familles les plus riches ne sont pas à l’abri des atteintes des épidémies, des pestes, des cataclysmes ; souvent, lorsqu’elles sont frappées dans leurs membres les plus forts, la ruine des autres se précipite avec une incroyable rapidité et les entraîne souvent dans de malheureuses situations qu’atténueraient les institutions de Mutualité.
- Sous l’influente d’une concurrence sans frein, les moyennes situations commerciales et financières sont sans cesse troublées; les statistiques de la faillite en font foi.
- Parmi nos légions de fonctionnaires de l’État, d’employés, de magistrats, de professeurs, d’administrateurs, la famille a-t-elle la moindre sécurité si une mort prématurée la prive de son chef ?
- Au moral, la Mutualité Nationale libérera les citoyens de noires inquiétudes, de ees perpétuelles craintes auxquelles nos sociétés doivent d’être des réunions d’hommes sans forces morales, prêts à toutes les corruptions et aux plus humiliantes trahisons, souvent par le seul motif de mieux s’armer contre les éventuatités de la misère.
- Considérations humanitaires
- La Mutualité Nationale n’est pas comparable aux réformes plus ou moins discutables choisies comme plates-formes po-itiques par les divers partis ; elle mérite l’approbation et le concours de tous les honnêtes gens.
- Il faut en finir avec un présent détestable.
- On donne le nécessaire à l’existence aux prisonniers, aux forçats, à des criminels, à des misérables dépourvus de tous les sentiments humains, et l’on continue à refuser le minimum de subsistance à l’honnête homme malheureux.
- La mère privée des moyens d’alimenter ses enfants éprouve d’atroces angoisses; les expiations des voleurs, des scélérats condamnés à la prison ou au bagne ne sont pas comparables à ees tourments.
- L’ouvrier laborieux, contraint de chômer, supporte des privations aggravées par les tortures morales de sentir les siens malheureux.
- Le vieillard privé de ressources, sous le coup des humiliations et des incertitudes de la mendicité, subit certainement des tourments physiques et moraux dépassant les châtiments infligés aux grands coupables.
- Soit, ces exemples ne sont pas la règle générale.
- L’injustice ne se mesure pas au nombre des victimes ; ce nombre fût-il dix fois moindre, la misère des travailleurs honnêtes et laborieux est une flagrante iniquité. Les hommes individuellement ou socialement n’ont pas le droit d’opprimer un seul d’entre eux.
- La justice n’admet pas d’exception.
- Une expérience sociologique faite par Monsieur Dolfus de Mulhouse donne un exact aperçu des tueries attribuables au salariat.
- Cet industriel ayant constaté, parmi les nouveaux-nés de ses ouvrières, une mortalité de 28 O/o pendant les premiers mois de l’allaitement, imposa aux mères, sans pour cela interrompre le salaire, 1 obligation de chômer pendant le dernier mois de la grossesse et pendant le premier de l’allaitement • dès lors la mortalité fut réduite à 7 Q/q.
- Les tables de mortalité donnent un écart considérable entre la durée de la vie moyenne des gens aisés et celle des classes laborieuses.
- Notre droit public interdit le meurtre à moins de cas de légitime défense.
- Ont-ils provoqué quelqu’un, ces enfants et ces vieillards fréquemment décimés pas la misère ?
- Le salariat ne permet pas de payer, à un taux différent, les services du célibataire et du chef de famille, suivant les charges familiales» ; cependant chacun des enfants d’une nombreuse famille a besoin d un minimum de subsistance égal à celui du fils unique.
- Y a-t-il nécessité à établir des institutions destinées à corriger ces erreurs de la civilisation ?
- Considérations sociologiques.
- Avant la création de la grande industrie, l’humanité n’était pas maîtresse de sa production. A certains moments, l’insuffisance des récoltes et des denrées causée par des faits supérieurs à la volonté des hommes condamnait une partie des individus à la mort de faim.
- Ces, hécatombes étaient alors des conditions nécessaires de l’évolution humaine : la production possible à ces époques, dans les conditions d’oppression et d’exploitation où se trouvait le travailleur, répartie entre tous les hommes, eût été insuffisante pour que l’humanité échappât à la misère et à la famine.
- La cause dominante des privations supportées pendant les siècles précédents s’explique par la fréquence des disettes,
- p.456 - vue 459/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 457
- et par l’absence de moyens de transport pour approvisionner les pays dépourvus avec les excédents des récoltes des pays plus favorisés.
- Dans certaines parties de notre pays, il y a moins d’un siècle, les disettes locales pouvaient difficilement être compensées par les approvisionnements de provinces à provinces.
- Le mauvais état des chemins, en hiver, fréquemment, ne permettait pas de faire porter plus d’un quintal de blé à dos de mulet ou de cheval ; il fallait en outre un conducteur par chaque bête.
- Le fait de sociétés devenues assez puissantes pour multiplier les produits, au point d’en être embarrassées, est un phénomène social récent. Depuis une cinquantaine d’années, les engorgements industriels amènent périodiquement des désordres sociaux attribués par les esprits superficiels à des causes politiques. Ces perturbations deviennent de plus en plus réquentes en raison des perfectionnements des procédés et des engins de production ; ils s’universalisent partout où la grande industrie s’implante.
- Pour empêcher cet encombrement perturbateur, trois moyens sont théoriquement concevables — il n’y en a pas un quatrième :
- A. — Arrêter l’essor de la production ;
- B. — Trouver des débouchés extérieurs en rapport avec le développement de la production ;
- C. — Avoir ces débouchés à l’intérieur.
- A. — Non seulement on ne peut ralentir davantage la production, mais, tout le mal provenant du commencement de nos ralentissement, on aggraverait la situation en augmentant vo- ' lontairement le s cas de chômages.
- Le bon sens, au reste, ne peut accepter cet arrêt de la production, alors que la majorité des individus des classes laborieuses manque souvent du strict nécessaire.
- La société doit, au contraire, s’apprêter à tenir compte du fait opposé : l’augmentation rapide» et constante de la production est une certitude indiscutable.
- De nombreux ouvriers disponibles demandent du travail ; le progrès nous livre chaque jour de nouveaux procédés et de nouveaux engins. Certains peuples sont arrivés à produire beaucoup plus que d’autres plusieurs fois plus nombreux ; bientôt ces derniers, adoptant les outillages et les méthodes appliqués chez les premiers, doubleront ou tripleront leur production suivant l’importance de leur population.
- Dans toute profession industrielle, il n’est pas de praticien aidé d’un ingénieur capable pour déclarer ne pas Douvoir doubler la production, si l’on mettait partout aux mains des travailleurs les moyens les plus petfectionnés.
- En agriculture, la récolte intelligente des engrais des villes et l’agencement des cultures, selon les conditions les plus favorables au fonctionnement du grand outillage, porteraient bientôt les rendements à un total énorme. Pour atteindre ce but, il faut simplement beaucoup de bonne volonté et l’équi-
- valent des sommes dépensées en moins de dix ans dans les services de la guerre.
- B. Les débouchés extérieurs, comme moyens pratiques de maintenir l’écoulement des produits en rapport avec l’augmentation de la production, sont démontrés impuissants pratiquement et théoriquement.
- L’Angleterre possède un empire colonial exceptionnellement étendu ; aucune autre puissance ne peutespérer en constituer un semblable ; son mouvement d’exportation et d’importation est égal aux 2/3 de la production française totale. Néanmoins, l’Angleterre est en proie à tous les désordres causés par l’engorgement des produits.
- Le propre des Etats civilisés est l’existence du salariat ; ce mode d’organisation du travail conduit tous les peuples outillés pour la grande industrie à créer une surproduction relative destinée à l’exportation. Autant se développe l’expansion de la civilisation, autant augmente le nombre des peuples en état de surproduction, et, le globe étant limité, autant diminue la quantité des nations dépourvues de la grande industrie.
- II est très nécessaire de comprendre exactement les phénomènes économiques liés au salariat et au développement de la grande industrie sous ce régime. Enregistrons ces phénomènes chez un peuple, et nous aurons le moyen d’apprécier exactement le mouvement économique général, en appliquant la même méthode à tous les autres cas.
- Prenons un peuple dont la production est évaluée à 12.000.000.000, au point de départ de la grande industrie. On ne nous accusera pas d’exagération, si nous représentons par 8 milliards la part des salariés; celle des salariants et j des collecteurs des bénéfices propriétaires, fabricants, com-i merçants, capitalistes, sera équivalente à 4 milliards, soit 50 0/o de la première. Si ce peuple double sa production sans augmentation des salaires des travailleurs, — le fait est la règle générale du salariat —les salariés continueront à recevoir 8 milliards et les dirigeants auront la différence, soit 16 miliards.
- A la suite d’augmentations successives, la part des dirigeants finit par dépasser leur puissance d’écoulemeni ; alors ils suspendent le travail, les chômages s’en suivent et les diminutions des salaires aggravent la situation en raison directe de l'abaissement de la puissance de consommation ouvrière.
- Naturellement, plus on augmentera la surface du globe livrée à l’application de ce système, plus on diminuera l’autre servant de partie débouchée. En d’autres termes les débouchés extérieurs ont une tendance à diminuer par la générali-tion de la grande industrie ; on ne peut donc les considérer comme des moyens pratiques de maintenir l’équilibre entre la consommation et la production.
- C— Revenons à notre exemple. Lorsque la production s’est élevée de 12 milliards à 24, si les salariés avaient eu pour eux 12 ou 16 milliards au lieu de 8, les chances d’engorge»
- p.457 - vue 460/838
-
-
-
- 458
- LE DEVOIR
- ment auraient été nulles, cela n’aurait pas empêché la part j des dirigeants de monter de 4 milliards à 8 milliards.
- La solution des crises est dans l’augmentation de la puissance de consommation des classes laborieuses ; nous ne disons pas, intentionnellement, dans l’augmenlation des salaires, parce que nous tenons compte des circonstances créées par la concurrence internationale. Cette puissance de consommation, peut être nationalement augmentée, sans apporter dans la vie sociale aucune modification brusque, susceptible de mettre le peuple initiateur hors du marché universel.
- Cette augmentation peut provenir d’institutions garantistes alimentées par des prélèvements sur la richesse acquise.
- Que sont les grosses fortunes ?
- Une accumulation considérable de valeurs de produits divers.
- Que sont les engorgements économiques, les crises?
- Une accumulation excessive de produits.
- Par ce rapprochement, il est concevable que tous les secours distribués par la Mutualité, au moyen des ressources tirées des grosses fortunes, donneront aux bénéficiaires une puissance d’achat, proportionnée à la cote de ces secours; les débouchés intérieurs seront augmentés d’autant. |
- Nous l’avons dit, au Familistère, groupe de 2.000 habitants, on distribue annuellement 100,000 fr. en mutualité. En langage économique, cela signifie que ce groupe a une puissance de consommation de cent mille francs, spécialement attribuée à ses nombres les plus malheureux, puissance de consommation qu’ils n’auraient pas sans cette institution
- Or, nous l’avons dit plus haut, la même application généralisée en France, augmenterait de près de deux milliards la puissance de consommation des familles les plus malheureuses des classes laborieuses Un semblable débouché aurait bientôt dénoué la crise, il créerait un mouvement de production et une circulation de richesse préférables, pour les riches eux-mèmes, aux excès de leurs épargnes actuelles ; ils seraient du même coup délivrés de la peur des émeutes et des pillages.
- La Mutualité Nationale, comprise comme nous la préconisons, n’est pas une pratique empirique ; elle a réellement une portée sociologique, Elle présente cette particularité, une j fois fondée sur les bases de l’hérédité de l’Etat, de rendre j les crises impossibles et de concorder avec les lois de l’évolu-lution caractérisée par la génération spontanée et continue du progrès social.
- En effet, lorsqu’une société aura résolu de prélever un tant pour cent déterminé sur les fortunes acquises, si la fortune publique se maintient stationnaire, ce tantième restera le même ; si la fortune publique progresse, ce même tantième, appliqué à un plus grand nombre d’unités, donnera des ressources destinées à élever proportionnellement la consommation intérieure des membres les moins fortunés de cette so-société.
- ! Tous les valides délaissés par l'industrie privée pourront être employés à l’édification de travaux publics ; ces services ainsi construits et entretenus a ec les produits delà Mutualité, ne seront pas grevés des charges inhérentes aux entreprises laites avec de l’argent emprunté ; l’Etat pourra multiplier les services publics et les livrer à l’usage des citoyens au plus bas prix possible.
- Par cette bienfaisante institution, la consommation de la classe ouvrière étant constamment maintenue au plus haut degré, la production sera stimulée par une demande constante ; la science industrielle perfectionnera sans cesse ses œuvres et ses moyens.
- 'Sous cet élan, le progrès industriel conduira insensiblement les hommes à un état social permettant aux travailleurs de limiter leurs efforts productifs à une courte durée de temps et de se procurer, sans peine, un large confort et toutes les choses nécessaires à la culture de l’esprit et aux jouissances d’un ordre élevé.
- Historique de la question
- ; L’idée de Mutualité Nationale n’est pas une nouveauté;
- | elle a de tout temps préoccupé les gouvernements; plus d’un, même en période de despotisme, l’a considérée comme une obligation sociale.
- Dans les ordonnances de 1545, rendues sous le règne de François 1er, on avait reconnu la nécessité d’établir l’assistance obligatoire, la distribution des secourra domicile, même l’ouverture d’ateliers de travail pour les pauvres des deux sexes.
- La résistan» e rte l’Eglise parvint à neutraliser les effets des décisions gouvernementales. Etrange coïncidence entre le rôle des prêtres, sous la monarchie absolue, et celui des économistes dans la démocratie.
- La Révolution a inscrit dans le code tout un système d’organisation de la Mutualité nationale.
- i.a Convention, dans sa révision de la déclaration des droits de l’homme, proclamait comme principes dans son décret du 19 Mars 1793 :
- 1° Tout être humain a droit à la subsistance par le travail s’il est valide, par des secours gratuits s’il est hors d’état de travailler.
- 2° Le soin de pourvoir à la nourriture des pauvres est une dette nationale.
- Plus tard ces principes étaient inscrits dans la déclaration préliminaire de la nouvelle constitution du 24 Juin 1793.
- Voici les deux articles les plus précis
- ART< 1er. _ Les droits de l’homme en société sont: 1 égalité, la sûreté, la propriété, la garantie sociale, la résistance à l’oppression.
- I Art. 21. — Les secours publics sont une dette sa-
- p.458 - vue 461/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- -459
- crèe La société doit la subsistance aux citoyens malheureux, soit en leur procurant du travail, soit en assurant les moyens de subsistance à ceux qui sont hors d état de traoailler.
- Le 28 Juin 1793, paraissait un décret relatif à l’organisation des secours à accorder annuellement aux enfants, aux vieillards, aux veuves et aux indigents.
- Voici ce document où l’on trouve une véritable application de l’esprit de la Révolution.
- Décret de la Convention Nationale.
- Du 28 juin 1793, an second de la République, une et indivisible.
- Relatif à l’organisation des secours à accorder annuellement aux Enfants, aux vieillards et aux indigents.
- TITRE PREMIER
- (Des secours à accorder aux enfants)
- § 1er
- (Secours aux enfants appartenant à des familles indigentes.)
- Art. 1er.— Les pères et mères, qui n’ont pour toute ressource que le produit de leurs travaux, ont droit aux secours de la nation, toutes les fois que le produit de ce travail n’est plus en proportion avec les besoins de leur famille.
- Art. 2.— Le rapprochement des contributions de chaque famille et du nombre d’enfants dont elle est composée servira, sauf la modification énoncée au paragraphe 1er du titre 111, à constater le degré d’enfance ou de detresse où elle se trouvera.
- Art. 3.— Celui qui, vivant du produit de son travail, a déjà deux enfants à sa charge, pourra réclamer les secours de la nation pour le troisième enfant qui lui naîtra.
- Art. 4.— Celui qui, déjà chargé de trois enfants en bas âge, n’a également pour toutes ressources que le produit de son travail et qui n’est pas compris dans les rôles des contributions pour une somme excédant cinq journées de travail, pourra réclamer ces mêmes secours pour le quatrième enfant.
- Art. 5.— Il en sera de même pour celui qui, ne vivant pas du produit de ce travail, et payant une contribution au-dessus de la valeur de cinq journées de travail, mais qui n’excède pas celle de dix, a déjà à sa charge quatre enfants ; il pourra réclamer aussi des secours pour le quatrième enfant qui naîtra.
- Art. 6.— Les secours commenceront pour les uns et pour les autres aussitôt que leurs épouses auront atteint le sixième mois de leur grossesse.
- Art. 7.— Les pères de familles qui auront ainsi obtenu des secours de la nation, en recevront de semblables pour chaque enfant qui leur naîtra au delà du troisième, du quatrième et du cinquième
- Art. 8.— Chacun des dits enfants en jouira tant qu’il n’aura pas atteint l’âge déterminé pour la cessation de ces secours, et que leur père aura à sa charge le nombre d'enfants qui ne doivent pas être secourus par la nation.
- Art. 9.— Mais aussitôt que l’un de ces enfants, qui était à la charge du père seul, aura atteint l’âge où il sera présumé trouver dans lui même des ressources suffisantes pour se nourrir, ou qu’il cessera d’être de toute autre manière à la
- charge du père, les secours que le premier des autres enfants avait obtenus cesseront d’avoir lieu.
- Art 10.— Il en sera de même pour les autres enfants qui auront successivement obtenu les secours de la nation,au fur et à mesure que le même cas arrivera pour les fréi es aînés, en telle sorte que le père doit toujours avoir à sa charge le nombre d'enfants désignés par les articles III, IV, et V, et que la nation ne doit se charger que de ceux qui excédent ce nombre.
- Art. 11.— Les enfants qui ne vivaient que du produit du travail de leur père, seront tous à la charge de la nation, si leur père vient à mourir, ou devient infirme de manière à ne pouvoir plus travailler, jusqu’au moment où ils pourront eux-mêmes, se livrer au travail ; mais dans ce dernier cas, l’agence déterminera les secours qui devront être gradués, en proportion des degrés d’infirmité du père.
- Art. 12.— En cas de mort du mari, la mère de famille qui ne pourrait fournir par le travail à ses besoins, aura également droit aux secours de la nation.
- Art. 13 — Ces secours seront fournis à domicile.
- Art. 14.— Si ceux qui les obtiendront n’ont pas de domicile, et que leurs parents, leurs amis, ou des étrangers ne veuillent pas les recueillir en profitant des secours qui seront accordés à chacun d’eux, ils seront reçus dans les hospices qui seront ouverts aux uns et aux autres.
- Art. 15.— Les secours à domicile consisteront en une pension alimentaire, non sujette aux retenues, incessible et insaisissable, dont le taux sera réglé tous les deux ans par les administrations qui seront établies dans les sections de la République, sur le prix de la journée de travail.
- Art 16.— Ils ne pourront néanmoins s’élever dans aucune de ces sections, savoir ; pour les enfants, au-dessus de 80 iivres, et pour les mères de famille, au-dessus de 120 livres.
- Art. 17.— bette pension commencera pour l’enfant, du jour même de sa naissance, et finira lorsqu’il aura atteint l’âge de 12ans; elle commencera pour la mère de famille qui s,e trouvera comprise dans les rôles de secours en vertu des dispositions de l'article XII ci-dessus, du jour de latnort de son mari, et durera tant que les besoins subsisteront.
- Art. 18.—• La pension, accordée aux enfants aura, pendant sa durée, deux périodes ; elle sera entière jusqu’à l’âge de dix ans A cette époque elle diminuera d’un tiers, et sera ainsi continuée jusqu’à ce qu’à ce que l’enfant ait accompli1 sa douzième année.
- Art. 19.— Néanmoins, si quelques-uns de ces enfants se trouvaient à ces deux différentes époques, à raison de quelques infirmités, dans le cas de ne pouvoir subir ces retranchements ou suppressions, la municipalité du lieu de domicile de l’enfant continuera, après y avoir été autorisée par les administrations supérieures, sur la vu du certificat de 1 officier de santé près de l’agence de l'arrondissement, à le porter sur son rôle de secours pour les sommes qui auront été réglées par l’administration sans que dans aucun cas ces sommes puissent excéder le maximum déterminé.
- Art. 20.— Celle accordée à la veuve sera toujours proportionnée à ses besoins, et déterminée parles corps administratifs, sur le vu du certificat de l’officier de santé ; elle ne pourra néanmoins jamais excéder le maximum qui sera réglé.
- Art. 21.— Les enfants secourus par la nation étant parvenus à l’âge de douze ans, et qui auront du goût ou de l’aptitude pour une profession mécanique, seront mis en apprentissage aux frais de la nation.
- Art, 22.— La nation fournira, pendant deux ans, aux
- p.459 - vue 462/838
-
-
-
- 460
- LE DEVOIR
- frais de l’apprentissage, et à l’entretien des dits enfants, si besoin est.
- Art 23.- Cette nouvelle pension sera également, tous les deux ans, fixée par ies corps administratifs ; elle ne pourra excéder dans aucun lieu la somme de cent livres pour chaque année.
- Art. 24.— Ceux des dits enfants, qui préféreront de se consacrer à l’agriculture, auront également droit à ces seconds secours qui, à leur égard, sont fixés, pour tous les sections de la République à deux cent livres un fois payées.
- Art. 25.— Cette somme leur sera délivrée sur leur simple quittance lors de leur établissement, par le receveur de la section de la République, où ils seront domiciliés.
- Art. 26.— Ceux qui se présenteront pour réclamer au nom de l’enfant qui va naître, les secours qui lui sont dus, seront tenus de se soumettre à faire allaiter l’enfant par sa mère.
- Art. 27.— La mère ne pourra se dispenser de remplir ce devoir, qu’en rapportant un certificat de l’officier de santé établi près l’agence, par lequel il sera constaté qu’il y a impossibilité ou danger dans cet allaitement, soit pour la mère, soit pour l’enfant.
- Art. 28. — Il sera accordé à la mère, pour frais de couches, une somme de dix huit livres ; il sera ajouté douze autres livres pour une layette en faveur des mères qui allaiteront elles-mêmes leurs enfants.
- Art. 29.— Les mères qui ne pourront remplir ce devoir seront tenues de faire connaître aux membres de l’agence de leur commune le lieu où est placé leur enfant, et d’indiquer le nom de la nourrice à qui elles l’ont confié.
- Art. 40.— Dans ce cas, et dans tous ceux où les enfants secourus par la nation ne seront pas nourris dans la maison paternelle, la pension sera payée directement à ceux qui en seront chargés
- Art. 31.— La nourrice qui sera chargée d’un enfant jouissant d’une pension, sera tenue en cas de maladie, soit d’elle soit de l’enfanl, d’en donner dans le jour avis à un membre de l’agence, dans l’arrondissement duquel elle se trouve, afin que celui-ci en donne de suite connaissance à l’officier de santé.
- Art. 32.— En cas de mort de l’enfant qui lui a été confié, elle sera également tenue d’en donner avis dans les trois jours du décès au même membre de l’agence, et de lui apporter Pacte mortuaire qui lui sera délivré gratis sur un papier libre.
- Art. 33.— Dans tous les cas où l’on réclamera la pension d’un enfant secouru par la nation, elle ne sera payée que sur un certificat de vie délivré gratis et sur papier libre par un officier municipal ou notable, ou tout autre officier public
- Art. 34.— Si la personne chargée de l’entretien de l’enfant était convaincue d’avoir continué, après la mort de l’enfant,de percevoir la pension qui lui était accordée, elle sera dénoncée à la police correctionnelle, et poursuivie, à la requête de l’agence, en remboursement de ce qu’elle aura reçu illégitimement.
- go 2me
- (Secours à accorder aux enfants abandonnés.)
- Art. 1er.— La nation se charge de l’éducation physique et morale des enfants connus sous le nom d’enfants abandonnés.
- Art. 2.— Ces enfants seront désormais désignés sous la dénomination d’orphelins; toutes autres qualifications sont absolument prohibées.
- Art. 3. — Il sera établi dans chaque district une maison où la fille enceinte pourra se retirer pour y faire ses cou-
- ches. elle pourra y entrer à telle époque de la grossesse qu’elle voudra.
- Art. 4. - Toute fille qui déclarera vouloir allaiter elle même l’enfant dont elle sera enceinte, et qui aura besoin des secours de la nation, aura droit de les réclamer.
- Art. 5.— Pour les obtenir, elle ne sera tenue à d’autres formalités qu’à celles prescrites pour les mères de famille c’est-à-dire à faire connaître à la municipalité de son domicile sps intentions et ses besoins.
- Art. 6.— S’il y avait, à quelques unes des époques où ces enfants seront à la charge de la nation, des dangers soit pour leurs mœurs soit pour leur santé à les laisser auprès de leur mère, l’agence, après en avoir référé aux corps ad-jniriistj^atifs supérieurs, et d’après leur arrêté, les placera suivant leur âge, soit dans l'hospice, -soit chez une autre nourrice.
- Art. 7.— Il sera fourni par la nation aux frais de gésine et à tous ses besoins pendant le temps de son séjour qui durera jusqu’à ce qu’elle soit parfaitement rétablie de ses couches-le secret le plus inviolable sera gardé sur tout ce qui la concernera.
- Art. 8.— Il sera donné avis de la naissance de l’enfant à l’agence de secours, qui le placera de suite chez une nourrice.
- Art. 9 — Il sera néanmoins permis à tous les citoyens, autres que ceux secourus par la nation, de se présenter à l’agence pour y prendre un ou plusieurs enfants a la charge de la nation.
- Art. 10.— L’Agence, après avoir reconnu qu’il y a sûreté et avantage soit pour les mœurs, soit pour l’éducation physique de l’enfant et avoir consulté la municipalité sur laquelle l’enfant sera né ou aura été exposé, en fera la délivrance.
- Art 11.— Si ces personnes exigent une pension, on leur accordera pour chaque enfant, celle qui est attachée à chaque âge.
- Art. 12. — Si elles y renoncent, leur déclaration sera portée sur le registre où seront transcrites leur demande et la délivrance qui leur a été faite. Le tout sera signé d’elles si elles le savent, et dans le cas contraire par deux membres de l'agence.
- Art. 13.—Les personnes qui se présenteront seront tenues de se soumettre aux conditions suivantes ; 1° de no pouvoir renvoyer ces enfants sans en avoir prévenu le membre de l’agence de leur commune, au moins quinze jours d’avance ; 2° de faire fréquenter assidûment par les enfants les écoles nationales; 3° de les mettre en apprentissage aux époques indiquées, si ces enfants ne préfèrent s’adonner à l’agriculture.
- Art. 14. — Il sera toujours libre à l’agence de retirer ces enfants aussitôt qu’elle aura reconnu qu’il y a du danger de les laisser plus longtemps au pouvoir de ces personnes.
- Art. 15. — Ces enfants retirés seront mis en nourrice, s’ils sont trop jeunes pour être portés à l’hospice, dans le cas contraire ils seront placés dans le dit hospice.
- Art. 16. — Chaque municipalité sera tenue d’indiquer un lieu destiné à recevoir les enfants qui naîtraient de mères non retirées dans l’hospice.
- Art. 17. — Quel que soit le lieu indiqué pour ces sortes de dépôts ; chaque municipalité doit y faire trouver tout ce qui est nécessaire pour la santé de l’enfant, et la plus entière liberté pour ceux qui porteront les dits enfants.
- Art. 18. — Chaque municipalité pourvoira aux premiers besoins de l’enfant, et fera avertir le membre de l’agence pn» dans sa commune lequel à son tour fera appeler une e nourrices reçues.
- p.460 - vue 463/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 461
- Art. 19. — Aucune femme ne pourra être reçue à exercer cet emploi qu’aprés avoir été admise par l’agence de secours, sur le certificat de l’officier de santé.
- Art. 20. — Il sera tenu par l’agence registre de cette admission, le certificat de l’officier de santé sera également transcrit sur ledit registre.
- Art. 21. — Ces enfants resteront chez leur nourrice pendant tout le temps qu’ils seront à la charge de la nation, en se conformant pour les nourrices aux dispositions de l’article XIII ci-dessus; et, pendant tout ce temps, elles recevront la pension attachée à chaque âge.
- Art. 22. — Si, après le sevrage, ou à toute autre des époques où ces enfants seront à la charge de la nation, les nourrices ne veulent plus les garder, et que personne ne se présente pour les prendre ils seront portés dans l’hospice.
- Art 23. — Cet hospice qui ne formera qu’un seul et même établissement avec celui consacré aux vieillards, sera divisé en deux corps de logis totalement séparés et subordonnés à un régime analogue à chaque espèce d’indigents que l’un et l’autre recevront.
- Art. 34. — Les pensions accordées â tous les enfants auront la même durée et les mêmes périodes que celles accordées aux enfants appartenant aux familles indigentes; en conséquence, les dispositions des articles XV, XVI XVII, XVIII, XIV, XX, XXI XXII, XXIII et XXIV du titre premier, auront lieu à l’égard des uns et des autres.
- Art. 25. — Tous les enfants qui seront secourus par la nation, soit chez leurs parents, soit, chez des étrangers, seront inoculés, par l’officier de santé, à l’âge et aux époques qu’il croira les plus propres à cette opération.
- Art. 26. — Dans chaque hospice, il sera formé, dans un lieu absolument séparé des bâtiments où seront les autres enfants, un établissement propre â y placer ceux d’entre eux qui seront soumis à l’inoculation.
- Titre II
- (Secours à accorder aux vieillards indigents.)
- §lre
- Art. 1. — Le vieillard indigent sera secouru aussitôt que l’âge ne lui permettra plus de trouver dans son travail des ressources suffisantes contre le besoin.
- Art 2. — Les secours que la nation doit au vieillard, (levant être proportionnés à ses besoins augmenteront, en raison de la diminution proportionnée du produit du travail.
- Art. 3. — Ces secours seront de deux espèces ; secours à domicile, secours dans les hospices ; mais ils ne pourront être obtenus cumulativement par le même individu.
- Art. 4. — Tous eeux qui ont un domicile y recevront les secours que la nation leur accordera.
- Art. 5. — S’ils n’ont pas de domicile, ils pourront recevoir ces mêmes secours chez leurs parents ou amis, ou partout ailleurs dans l’étendue de leur département, ou autre division qui représenterait celle-ci.
- Art. 6. — Ces secours à domicile consisteront également dans une pension alimentaire, exempte de toute retenue, incessible, insaissable, dont le taux sera fixé, tous les deux ans sur le prix de la journée du travail par les administrations
- supérieures.
- , Art* 7. — Le maximun de ces recours ne pourra s’élever ‘ a^is aucune division de la République, au-dessus de cent ! Vl«gt livres. I
- Art. 8. — Cette pension aura trois périodes, le vieillard parvenu à sa soixantième année en recevra la moitié ; les deux tiers, lorsqu’il aura atteint sa soixante-cinquième année, et la totalité lorsqu’il sera arrivé à sa soixante-dixième année.
- Art. 9. — Le citoyen qui, sans avoir atteint l’une ou l’autre de ces périodes, sera néanmoins, par une déperdition prématurée de ses forces, dans le cas d’obtenir des secours de la nation, pourra les réclamer en présentant un certificat de deux officiers de santé et de l’agence de secours.
- Art. 10.— Il en sera de même pour celui qui étant déjà secouru par la nation, croira avoir droit, à raison de ses besoins, à une plus forte pension que celle attachée à son âge; mais, dans aucun cas, elle ne pourra excéder le maximum déterminé.
- Art. H.— Tout vieillard qui recevra la pension entière pourra, s’il le juge à propos, se retirer de l’hospice qui sera établi dans l’arrondissement où il se trouve, pour y recevoir en nature les secours de la nation.
- Art. 12.— Il aura également la faculté d’en sortir, mais seulement après avoir exposé ses motifs aux administrations supérieures, et en avoir obtenu la permission; dans ce cas, il recevra de nouveau, à domicile ou partout ailleurs où il se retirera, la pension dont il jouissait auparavant.
- Art. 13.— Le vieillard qui se retirera dans l’hospice, ne pourra être appliqué à aucun genre de travail dont le produit tourne au profit de la maison.
- Art 14. — Néanmoins, il sera mis auprès de lui des moyens de s’occuper s’il le juge à propos de la manière la plus convenable à ses goûts et à ses facultés; le produit de ce travail volontaire appartiendra, dans son entier, au vieillard.
- Art. 15. — Le vieillard aura dans tous les temps la faculté de disposer du produit de ce travail ainsi que de son mobilier.
- Art. 16.— Dans le cas où il n’en disposerait pas, tous ces objets appartiendraient à ses héritiers légitimes; ce ne sera que dans le cas seulement où il ne s’en présenterait point, qu’ils reviendront à la nation.
- Art. 17.— Tous les secours accordés sous forme de pension seront pavés par trimestre, et toujours d’avance à ceux qui les auront obtenus.
- Titre III
- TVCOYBKTS D’EXÉCUTION
- §° lr<>
- Formation des rôles de secours.
- Art. 1. —II sera formé annuellement, deux mois avant la session des corps administratifs, par le conseil général de la commune deux rôles de secours : dans l’un, seront compris les enfants ; dans l’autre, les vieillards qu’il croira devoir être secourus par la nation.
- Art. 2. — Ceux qui se pré senteront pour réclamer des secours remettront au conseil savoir : les femmes, le certificat de grossesse qui sera délivré par l’officier de santé : l’extrait des contributions de leur mari et les extraits de leur acte de naissance. Ces différents actes leur seront délivrés gratis, et sur papier libre.
- Art. 3, — Les rôles contiendront le nom de famille de la personne indigente, les causes et les motifs qui l’ont fait porter dans telle ou telle autre classe de traitement. En cas de refus du secours, les motifs en seront portés également en marge du rôle, à côté du nom de la personne qui aura demandé le secours et qui ne sera portée que pour mémoire.
- p.461 - vue 464/838
-
-
-
- Art. 4. — Ces rôles seront publiés et affichés pendant deux j mois : chaque citoyen de l’arrondissement aura le droit de faire toutes les observations qu’il croira conven blés.
- Art. 5. — Ces observations seront inscrites sur un registre qui sera, à cet effet, ouvert au greffe de chaque municipalité et elles seront signées du citoyen, s’il le sait, ou à son défaut, par le secrétaire greffier.
- Art. 6. — A l’échéance des deux mois, le conseil général de la commune examinera les observations qui auront été faites, et y fera droit en faisant mention, lors de la formation définitive de ses rôles, des motifs de sa décision.
- Art. 7. —• Le conseil général de chaque commune est autorisé à rejeter les demandes de secours qui seraient formées par ceux qui croiraient y avoir droit, à raison de leur contribution et du nombre de leurs enfants, s’il est reconnu, après la discussion qui aura lieu en présence du réclamant, ou après qu'il y aura été appelé, qu’ils jouissent, malgré la modicité de leurs impositions, d’une aisance qui les met au-dessus des besoins.
- Art. 8. —Les rôles, ainsi clôturés, seront envoyés,avec le registre des observations, aux administrations supérieures qui les examineront dans la session du conseil et les arrêteront définitivement.
- Art. 9.— Tous les citoyens, qui croiraient avoir à se plaindre des décisions du conseil général de la commune, pourront adresser leurs réclamations aux administrations supérieures qui y feront droit.
- Art. 40.— Ceux qui dans l’inteivalle d’une année à l’autre croiront avoir droit aux secours de la nation se présente ront à la municipalité de leur domicile et lui adresseront leurs réclamations avec les titres sous lesquels ils lesappuient.
- Art. 11.— La municipalité donnera son avis et le fera parvenir aux corps administratifs qui prononceront, s’il y a lieu ou non à les comprendre dans un rôle supplémentaire.
- Art. 12.— S’ils sont admis et que les besoins continuent, il seront portés sur le rôle général de la prochaine formation.
- Art. 13.— Tous les rôles seront renvoyés par les administrations, aussitôt qu’elles les auront arrêtés, à chaque agence du canton.
- Art. 14.— Chaque administration enverra, annuellement et toujours d’avance, à chaque agence, les secours qui lui auront été assurés ï/m l’effet de la répartition secondaire qui aura été faite.
- § 2me
- Des agences de secours
- Art. Ier.— Les agences de secours, qui seront formées dans l’arrondissement de chaque assemblée, seront composées d’un citoyen et d’une citoyenne pris dans chaque commune.
- Art. 2.— S’il existait dans l’arrondissement une ville ayant six mille individus, il y aurait deux agences, l’une pour la ville, l'autre pour la campagne.
- Art. 3.— Cette première agence sera composée de six citoyens et de huit citoyennes pris dans la ville.
- Art. 4.— Les membres de chaque agence seront nommés par les conseils généraux des commune> de l’arrondissement ; aux époques et avec les formalités qui seront indiquées pour l’élection des municipalités.
- Art. 5.— lis demeureront deux ans en place et seront renouvelés par moitié tous les ans.
- Art. 6.— La première fois, la moitié sortira an bout d’un an par la voie du sort.
- Art. 7.— Les fanctions des agents seront de différentes espèces. Elles consisteront :
- 1° A distribuer chaque trimestre, aux perron.les portées dans les rôles de chaque municipalité, les secours qui ]Pur auront été assignés; à en surveiller l’emploi; à examiner si les pensions ne sont point détournées de leur destination ; à assurer les secours de l’officier de santé : toutes ces fonctions seront particulièiement confiées aux citoyennes ;
- 2“ A déterminer, d’après les demandes des municipalités de l’arron iissement, les travaux qui devront être faits chaque année ; à en in tiquer la nature, l’étendue et le lieu où ils seront exécutés, et à surveiller ceux qui y seront employés.
- Art. 8.— Si quelque municipalité de l’arrondissement croyait avoir à se plaindre de la nature et du placement des travaux arrêtés par l’agence, ou si elles les croyaient contraires aux intérêts de l’arrondissement, ou moins pressants que d’autres qu’elle indiquerait: elle adressera les plaintes aux corps administratifs qui, après avoir entendu l’agence et avoir consulté les auties municipalités de i’arrondissement, prononceront sur les réclamations.
- Art. 9.— Si, dans le cours de leurs visites, les membres des agences apprenaient que les secours sont détournés de leur véri.abie destination, ils en avertiront la municipalité ou est domicilié l’individu secouru, et le mettront en état de prendre les précautions nécessaires pour remédier à l’abus.
- Art. 10.— Les municipalités de l’arrondissement auront la surveillance sur l’agence de secours : mais elles ne pourront qu’adresser leurs plaintes aux corps administratifs qui, après avoir vérifié les taits, et avoir entendu l’agence où les membres inculpés, pourront prononcer la suspension ou même la destitution, suivant la gravité des faits.
- Art. 11.— Les agences seront tenues d’adresser, tous les ans, les comptes de leurs gestions aux corps administratifs qui, après avoir examiné et avoir pris auprès des municipalités les renseignements nécessaires sur les faits qui pourront présenter des difficultés, les arrêteront et en feront connaître l’aperçu par la voie de l’impression.
- Art. 12.— Il sera envoyé par les corps administratifs deux expéditions des dits comptes ; l’une à l’assemblée nationale et l’autre au conseil exécutif.
- Art. 13.— Il sera établi, près de chaque agence, un officier de santé chargé du soin de visiter à domicile et gratuitement tous les individus secourus par la nation, d’après la liste qui lui sera remise annuellement par l’agence.
- Art. 14.— L’officier de santé sen tenu de se transporter sur le premier avis qui lui en sera donné par l’agence, chez le citoyen qui aura besoin de ses secours,
- Art. 15.— II sera en outre tenu défaire, tous les mois, une visite chez les citoyens portés aux rôles de secours, et de rendre eompte par écrit à l’agence de l’état où ils se trouvent.
- Art. 16.— Il formera annuellement un journal de tout ce que dans le cours de ses traitements il aura remarqué d’extraordinaire, de ce qu’il croira utile à l’humanité et avantageux à la Republique ; il en remettra un double à l’agence et en enverra un autre à l’administration supérieure.
- Art. 17. Il sera formé, dans le lieu le plus convenable de l’arrondissement, un dépôt de pharmacie, où l’on ira prendre les remèdes sur l’ordonnance de l’offiei r de santé, et à qui il est expressément défendu d’en fournir.
- Art. 18.— Le traitement de chaque officier de santé est de 500 livres. *
- Art. 19.— L’officier de santé sera nommé par l’agence à la pluralité des suffrages.
- Art. 20.— Il pourra être destitué par l’administration supérieure, sur les plaintes des municipalités, après une véri-
- p.462 - vue 465/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- fication des faits et après avoir entendu l’otficier de santé et l'agence de secours.
- Art. 21.— Il sera également nommé de la même manière que dessus, par chaque agence, une accoucheuse, qui accordera gratis ses secours aux femmes qui seront inscrites sur les rôles.
- Art. 22.— Elle sera payée pour chaque accouchement suivant la taxe fixée par l’agence.
- Art. 23.— Chaque agence rédigera un règlement pour son régime intérieur, la tenue de ses assemblées et autres objets y relatifs ; elle le soumettra à l’approbation des corps administratifs.
- Art. 24.— L’officier de santé aura séance dans les assemblées de l’agence, n ais seulement avec voix eonsulative.
- Quelques mois plus tard, le 2i vendémiaire, un nouveau décret déterminait les conditions de l’assistance des valides par le travail.
- Voici la partie relative aux taux des salaires.
- Art. 13. — Le prix des salaires des indigents, employés aux travaux de secours, sera fixé aux trois quarts du prix moyen de la journée de travail déterminée par le canton.
- Ces décrets ne sont pas abrogés; les citoyens pauvres ont le droit d’en exiger l’application.
- Les refus de tous les gouvernements, depuis 1793, d’appliquer cette législation réduisent la révolution aux proportions d’une révolte victorieuse d’une classe égoïste, reniant les aspirations généreuses des mouvements populaires d ’où est sortie sa victoire.
- La Révolution de 89 est née d’un besoin de bien-être éprouvé par les classes laborieuses.
- Les vainqueurs de la Bastille étaient des gens presque nus. des déguenillés, de& loqueteux.
- Les premiers mouvements populaires ne sont dirigés ni contre le roi, ni contre le clergé, ni contre les aristocrates, ni contre les institutions politiques. On s’attaque directement aux auteurs vrais ou présumés de la misère.
- Le papetier Révillon a exprimé le souhait de voir la jour -née de travail réduite au-dessous de vingt-cinq sous; on pille sa maison et ses magasins.
- Foulon, Berthier ne sont pas massacrés parcequ’ils sont royalistes, mais parcequ’on les considère comme des affameurs. Des révoltes analogues caractérisînt le début de la Révolution à Bordeaux, à Marseille, à Rouen.
- On ne lit pas mort au roi! à bas la noblesse! à bas les prêtres! sur les écritaux portés par les meneurs de l’émeute contre les accapareurs On y lit :
- « H a volé le roy de France! Il a dévoré 1 a substance du peuple! Il a été l’esclave du riche et le tyran des pauvres!
- D a bu le sang de la veuve et de l’orphelin! Il a trompé le roy! »
- frappant Foulon, la foule inaugurait la Révolution ^ une façon clairement significative; ses premiers coups at- \
- 463
- teignaient les nouveaux seigneurs de la spéculation et du million
- Ces aspirations de la misère n’étaient pas en contradiction avec les opinions affichées par les meneurs de la bourgeoisie.
- Le 15 Août, l’assemblée vote l’inviolabilité royale et l’hérédité des royaumes dans la famille de Louis XVI.
- Le 5 Octobre, les affamés soulevés par dix mille femmes affolées par la misère vont chercher le roy à Versailles; cette foule ne menace ni le roy, ni la royauté; elle veut le roi au mi ieu d’elle parce qu’elle le croit capable de la sauver, de lui donner du pain.
- Voici l’appréciation de Michelet :
- «Il ne faut pas cherclienci l’action des partis. Ils agirent mais firent peu.
- « La cause réelle, certaine pour les femmes, pour la foule ia plus misérable ne fut autre que la faim. Leur idée fut celle-ci: le pain manque, allons chercher le roy:.,. allons chercher le boulanger. »
- Avec ce retour du roy coïncide l’arrivage d’approvisionnements, la misère est moins aiguë, la royauté semble avoir regagné le teriain perdu.
- À l’approche de l’hiver 1789-1790, la misère s’accentue, l’émeute prend aussitôt des proportions nouvelles.
- Le 22 Octobre, les débats de i’assemblée relatifs à Inapplication du décret du 4 août, concernant les biens du clergé, sont interrompus par l’apparition à la tribune de Jean Jacob, paysan du Jura âgé de 120 ans. Le doyen de l’humanité vient remercier la Révolution de ses premiers actes; cette apparition est une sublime expression de la pensée populaire. Qu’en reste-t-il dans le Code Napoléon revu et corrigé par les réactions blanches, tricolores, orléanistes ou opportunistes?
- Lorsque les Fédérations se constituent, lorsque se fait cette coordination du mouvemont populaire, sans laquelle la Révolution aurait probablement reculé, quelle est la pensée commune?
- Michelet la dégage avec une parfaite lucidité:
- « Ce -grand rapprochement des hommes qui crée la fédération des communes n’a qu’un point de départ : l’idée de tous de vouloir nourrir les autres. »
- Suivons les manifestations des fédérations, partout, nous trouvons sur les autels de la patrie les incarnations de la pensée divine de la Révolution: le vieillard, l’enfant, la jeune fille, la femme occupent toujours le premier rang.
- Aujourd’hui, si l’on voulait caractériser le sens de nos institutions prétendues correctes avec l’esprit de 89, on remplacerait les autels des Fédérations par des comptoirs avec du 3 0/0, de l’emprunt à jet continu, et des pots-de-vin inépuisables.
- Nos augures infaillibles interprètes de l’esprit de 89, n’ont-ils pas imaginé de se pré: arer à la célébration du cen-\ tenaire par la fondation d’une société composée de censitaires
- p.463 - vue 466/838
-
-
-
- m
- LE DEVOIR
- payant une cotisation de 1000 francs, moyennant laquelle ils auront le droit de décider, sans appel, de l’emploi à faire des versements du fretin populaire, admis à l’honneur de payer une cotisation de un franc et de se taire!
- En 1848, l’esprit de la Révolution affirme de nouveau sa pensée et son éternité! On lit, dans le projet définitif de la Constitution de 1848, l’article suivant :
- Art. 13. — La Constitution garantit aux citoyens la liberté du travail et de l’industrie.
- La société favorise et encourage le développement du travail par l’enseignement primaire gratuit, l’éducation professionnelle, l’égalité des rapports entre le patron et l’ouvrier, les institutions de prévoyance et de crédit, les institutions agricoles, les associations volontaires et l’établissement, par l’Etat, les Départements et les Communes, de travaux publics propres à employer les bras inoccupés. Elle fournit Cassistance aux enfants abandonnés, aux infirmes, aux vieillards sans ressources et que leurs familles ne peuvent secourir.
- Les adversaires de ces idées, les Coquerel, les Dufaure, les Thiers n’ont jamais osé protester contre leur principe. S’ils ne s’en étaient déclarés partisans, leurs tentatives n’eussent jamais abouti à en faire échouer l’application; ces aspirations étaient tellementpuissantes qu’on ne pouvait les vaincre sans la trahison.
- M. Coquerel disait : « Une société fraternelle ne mérite pas ce nom, si un seul de ses membres manque au strict nécessaire ».
- M. Dufaure, au non du principe, ne voulait pas qu’on invoquât les difficultés du budget.
- M. Thiers demandait la création d’une division des travaux réservés; en temps ordinaires, des membres prépareraient des projets, des devis; ils ouvriraieut leurs cartons et prépareraient l’exécution au moment des chômages.
- Ces déclarations n’empêchaient pas ces parfaits orléanistes de se rallier au projet contraire à ces principes.
- En 1884, l’idée de rendre effective la solidarité humaine se manifeste devant le parlement avec une précision sans précédent.
- M. M. Maret, Giard, Laguerre, Tony Révillon présentent une proposition de loi sous le titre de :
- Etablissement de la Mutualité Nationale par l’hérédité de l’Etat et l’impôt progressif sur les successions.
- Voici les principaux articles de ce remarquable projet.
- Art. 1er. Les parents au delà du 4eme degré ne succèdent pas.
- Art. IL Les successions recueillies par les descendants en ligne directe qui n’ont pas réclamé le bénéfice d’inventaire sont affranchies de tous droits de mutation, lorsqu’elles ne dépassent pas un capital de 20 000 francs.
- Art. III. Les successions recueillies par un enfant unique, par les ascendants en dehors de leurs reprises, par les descendants bénéficiaires, par les collatéraux, par l’époux survivant, les libéralités testamentaires, les legs particuliers uni- ! versels ou à titre universel, sont, à l’exclusion de tous au- »
- très droits, frappés d’une retenue progressive réglée ai ns
- qu'il suit :
- Au-dessous de 2 000 fr de capital .... 1 0/0
- De deux mille à cinq mdle........................3 —
- De cinq mille à dix mille.......................5 —
- D« dix mille à vingt mille ......................... 1 —
- De vingt mille à cinquante mille..................10 —
- De cinquante mille à cent mille.................15 —
- De cent mille à cinq cent mille.................20 —
- De cinq cent mille à un million..................30 —
- D’un million à cinq millions......................4o —
- Au-dessus de cinq millions......................50 —
- Art. V. Lorsque la retenue à opérer sur une succession sera inférieure au cinquième de cette succession, les héritiers seront libres de la solder en espèces ou par abandon de
- telle portion qu’il leur conviendra, meuble ou immeuble, d’après l’estimation de l’inventaire.
- Faute par eux de s’entendre et dans le cas où la retenue est d’un cinquième, ou plus, de la succession il y aura lieu de procéder au partage d’après les règles du code civil.
- Art. 15. —Les ressources provenant de l’application de la présente loi seront employés :
- 1* A subventionner les Caisses de la Mutualité Nationale.
- 2° A des dépenses générales et dans ce cas elles correspondront à des dégrèvements d’impôts.
- Voici quelques extraits du titre II du même projet.
- Art. 16. L’assurance mutuelle est obligatoire pour tous les citoyens majeurs, l’indigent seul peut en être dispensé temporairement.
- 'Art. 17 Chaque année, au mois de novembre, les électeurs éliront au suffrage universel un comité chargé de l’administration de la caisse mutuelle communale.
- Le comité ainsi élu, rédigera le règlement local.
- Art. 18. Il fixera :
- 1° Le nombre des personnes dispensées de la contribution ;
- 2° Le chiffre moyen des salaires locaux;
- 3e Le minimum de la contribution à payer par les personnes vivant de ressources autres que le salaire.
- Peuvent être assimilés aux salaires pour le taux de la contribution, les appointements des employés de l’administration municipale et des industriels, lorsqu’ils ne dépassent pas la valeur des salaires locaux et lorsqu’ils ne donnent pas droit à une retraite.
- Art. 19. Il fixera également :
- 1“ Le taux de l’indispensable à la subsistance en tenant compte des âges, des sexes et des circonstances locales ;
- 2° Le taux de la subvention à accorder aux malades, celui de la retraite des vieillards, lequel ne saurait être inférieur au taux de l’indispensable.
- Ce même projet propose la dotation de la mutualité par un prélèvement de 2 0/0 sur les salaires, par la moitié des revenus de l’hérédité de l’Etat et par des subventions communales
- Conforme à l’esprit de 89, ce projet de loi conserve tous les avantages stipulés par les décrets de la Convention; il les complète même en indiquant des ressouces budgétaires fixes.
- à Suivre.
- ______________________________S. DEYNAUD.______________ .
- j-iE Directeur Gerant : GODIN.
- Gm se
- p.464 - vue 467/838
-
-
-
- 1Q« Année, Tome 10.— N‘ 411 Le numéro hebdomadaire 20 c. Dimanche 25 Juillet 1886
- BUREAU
- a GUISE (Aisne)
- Toutes les communications et réclamations doivent être adressées à M. GODIN, Directenr-Gérant Fondateur du Familistère
- i rniwi in[ i
- ABONNEMENTS PAYABLES D’AVANCE par l’envoi, soit au bureau de Guise, soità celui de Paris de timbres-poste ou d@ mandats de poste, dont le talon sert de quittance.
- France
- Un an ... 10 fr. n>»
- Union postale Un an. . . 11 fr.
- Six mois. . Trois mois.
- 6 s» 3 ïï
- Un an.
- Autres pays . . . 13 fr. 60
- ON S’ABONNE
- A PARIS
- 5, rue Neuve-des-Petits-Champs Passage des Deux-Pavillons
- S’adresser à M. LEYMARIE administrateur delà Librairie des sciences psychologiques.
- SOMMAIRE
- Les conseils généraux et l’Opinion publique.— Envoi d’ouvriers français aux expositions anglaises. — Le minimum de subsistance. — Le Ik juillet à Decazeville. — Le commerce de la France.— Une utopie économiste sur l’organisation du travail.— Librairie du Familistère.— Aphorismes et préceptes sociaux.— Faits politiques et sociaux de la semaine. — Arbitrage probable relatif au Congo. — Effets remarquables. L’hypnotisme. — Rapacité fiscale.— Extinction cle la misère par
- la mutualité nationale.— Charles Saville.
- -------------------------------------------
- LES CONSEILS GENERAUX
- et l'Opinion Poblipe.
- La période électorale pour le renouvellement partiel des conseils généraux est légalement ouverte depuis plusieurs jours.
- L’électeur soucieux de prévoir quelles indications vont sortir de cette manifestation du suffrage universel aura grand peine de deviner quelque chose.
- Les électeurs font preuve d’une apathie incroyable; les journaux semblent n’avoir aucune opi-nion; on dirait qu’ils attendent vainement un réveil de l’opinion publique.
- Partout l’indilférence. Partout un affaissement générai de la vie publique.
- Ce ne sont pourtant pas les sujets de réformes qui manquent.
- Nous avons indiqué, il y a déjà quelques jours, les questions du cumul et des vœux poli-
- tirpipc; i
- Les abus du cumul et les inconvénients de la loi qui interdit aux conseils généraux d’exprimer des vœux politiques sont des sujets dont on ne peut nier l’opportunité. Aucune autre circonstance n’est plus convenable pour cette étude. Si l’on néglige d’élucider ces questions, à la veille du renouvellement des assemblées dans lesquelles ces abus se perpétuent avec le plus de gravité, il ne faut pas attendre qu’on les discute pendant la durée du mandat qui sortira de l’élection du premier Août.
- Dans les circonscriptions électorales de notre région, les faibles symptômes de mouvement électoral que l’on constate difficilement se réduisent à ceci :
- Les monarchistes et les prétendus républicains modérés s’arrêtent à des compromis, dont le but est de faire croire qu’ils désirent la conservation des institutions présentes, pourvu que le gouvernement n’accentue pas sa politique dans le sens libéral; au point de vue économique, la protection agricole est leur unique préoccupation ;
- Les républicains libéraux font des appels aux électeurs, dans lesquels ils approuvent la politique du gouvernement, et, comme leurs concurrents monarchistes, ils ne savent que spéculer sur les futurs bienfaits de la protection agricole.
- En somme, on ne voit se créer aocun courant qui indique la volonté, soit de la part des masses électorales,soit de la part de leurs meneurs,de sortir des pratiques monarchiques qui neutralisent la fécondité de notre régime républicain.
- B’rni ofap cord rpnx qui, n’ocfmt. affirmer leur
- p.465 - vue 468/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 4(>G
- volonté de revenir en arrière, se déclarent conser- ' vateurs. De l’autre côté se trouvent les libéraux qui, satisfaits du présent, sont sincèrement attachés à la continuation du régime parlementaire auquel nous devons un semblant de république.
- Cette apathie générale semble donner raison à ceux qui désespèrent de voir nos classes dirigeantes s’engager dans les voies d’une évolution urgente, sans laquelle nous ne pouvons espérer que secousses et convulsions.
- Quelque mois à peine nous séparent des événements de Decazeville, des démonstrations de Londres, des émeutes de Charleroi, de Chicago, et l’on se prépare à une consultation du suffrage universel comme si tous ces faits étaient des accidents sans portée, sans causes profondes.
- On ne voit pas ou on oublie que ces commencements de révolte s’expliquent par les vices d’un mécanisme social en contradiction avec les exigences du progrès.
- Les conventions augmentent chaque année de plus de 50,000,000 les déficits budgétaires, et les électeurs vont laisser passer les élections au conseils généraux sans dire ce qu’ils pensent de la politique financière que nous a léguée l’opportunisme.
- L’abaissement des rendements des impôts sont également choses dont semblent ne pas se douter les candidats et les électeurs.
- L’encaisse métallique de la Banque de France par son élévation, depuis 1844, de 455 millions prouve qu’une pareille somme a été retirée de la circulation et enlevée aux affaires ; de même l’abaissement de 102 millions dans la circulation des billets vient augmenter d’autant cette effrayante constation de la décadence de notre marché national ; le portefeuille commercial lui même h diminué de 182 millions.
- Néanmoins les élections aux conseils généraux vont se faire sur les questions étroites des personnalités.
- Quel vent de malheur inspire à nos classes dirigeantes les mesquineries de la politique ambiguë et insignifiante dans laquelle elles se complaisent depuis trop longtemps.
- Pourtant, les inquiétudes provoquées par cette situation n’ont pas été sans trouver des interprètes convaincus et conscients.
- Nous-mêmes, nous avons fait des efforts considérables, qui, nous en sommes certain, n’ont pas passé sans attirer l’attention des gouvernants et de nombreuses personnalités assez haut placées prur agir sur l’opinion publique, si elles avaient
- voulu joindre leurs protestations à nos appels Ceux qui apprécient exactement la situation et qui ont pu comprendre quelle serait l’efficacité des réformes que nous préconisons, ceux-là acceptent une lourde responsabilité, dont, peut,-être, ils re sentent pas tout le poids.
- Le travail diminue, les incertitudes du salariat se compliquent et nulle part on ne rencontre des dirigeants capables d’examiner et de prôner des réformes telles que, la participation, la mutualité L'hérédité de l’Etat.
- Alors que toutes ces questions sont posées, indirectement, par les soulèvements de la misère, alors que la sociologie éclaire ces indices désordonnés des clartés positives de la science, il ne se trouve pas une presse pour déclarer qu’une consultation du suffrage universel, en telle occurence, est une comédie politique, si les électeurs et candidats la laissent passer en agissant comme s’ils ignoraient ces actualités.
- Notre isolement dans cette manière de voir nous suggère les plus tristes réflexions.
- C’est à se demander s’il ne reste plus rien, après un siècle de parlementarisme, de ces élans de générosité et de bonne volonté dont nos pères de 89 donnèrent de si nombreux exemples pendant le première république.
- Les souvenirs de la nuit du 4 Août, le serment du jeu de Paume, les sublimes inspirations de la Constituante et de la Convention seraient donc tout-à-fait relégués dans les pages de l’histoire. Les hommes d’un seul parti n’auraient conservé une impression de ces événements suffisamment forte, au point de ne pas sentir la nécessité d’évoquer ces conceptions à un moment où tout le mal provient de l’abandon des principes proclamés sur les ruines de la royauté légitime.
- Quoiqu’il arrive, nous ne pourrons être confondus avec une majorité sans principe, ignorant les devoirs qui lui dictent ses origines. Nous avons protesté et nous protestons encore, pendant qu’il en est temps, contre l’indifférence de l’opinion publique à un moment où un réveil des consciences pourrait nous délivrer d’une politique néfaste par ses fautes et par son ignorance des principes.
- L'indifférence populaire est un fait malheureusement trop évident ; il était du devoir des candidats de réagir ; et la presse avait pour mission de suggérer aux électeurs et aux candidats les virilités de la politique républicaine.
- p.466 - vue 469/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 467
- ENVOI D’OUVRIERS FRANÇAIS
- AUX EXPOSITIONS ANGLAISES.
- Le Courrier de Londres, dans son numéro du 27 Juin dernier, a pris l’initiative d’une mesure consistant à organiser pour le mois d’août prochain, c’est-à-dire pour l’époque des vacances :
- Un Voyage Gratuit eu Angleterre
- AU PROFIT DES
- OUVRIERS FRANÇAIS SPÉCIALEMENT DÉLÉGUÉS. Pour visiter les quatre Expositions actuellement ouvertes dans le royaume :
- 1° L’Exposition coloniale à South Kensington ;
- 2° L’Exposition internationale de Liverpool ;
- 3° L'Exposition industrielle, scientifique et artistique d’Edimbourg ;
- 4° L’Exposition artistique de Folkestone ;
- 5° Pour visiter également les Ecoles professionnelles et quelques-unes des grandes manufactures si complètement organisées en Angleterre, et qui leur seront volontiers ouvertes, afin qu’ils puissent apprécier les bienfaits de leur admirable fonctionnement et les avantages considérables qui résulteraient pour eux d’un développement similaire en France ;
- 6° Enfin, pour se rendre compte par eux-mêmes du système des arbitrages entre patrons et ouvriers, système dont l’application a été si remarquée par notre ministre du commerce lors de sa récente visite en Angleterre, et pour saisir du même coup, dans son ensemble, l’organisation puissante et féconde des associations ouvrières de ce pays, des Trades’ Unions, ces grandes et laborieuses fractions du corps social, animées du seul esprit du progrès, de paix et de liberté.
- * +
- A. Ce voyage, dont le but vient d’être expliqué, aura une durée de quinze jours, afin de permettre aux ouvriers dé- j légués de consacrer trois jours au minimum à chacune des Expositions ci-dessus.
- B. Il sera entièrement gratuit pour les ouvriers délégués, qui seront transportés, logés, nourris, guidés et ramenés en France sans aucune dépense de leur part, autre que celles accessoires qu’il leur conviendrait personnellement de faire.
- C. Tous les frais d’organisation, de transport, d’entretien et de visites aux Expositions seront supportés et fournis à 1 aide de fonds provenant de la souscription dont il sera ci-après parlé.
- D. Une commission à Paris et une commission à Londres seront chargées de l’organisation, de la surveillance et de l’exécution du programme définitif qui sera arrêté par leurs soins avant le 15 juillet prochain.
- E. Les ouvriers pour lesquels le voyage gratuit en Angleterre est spécialement organisé, seront désignés et choisis par les membres des Chambres syndicales, par les Conseils des Prudbommes, ou par leurs camarades dans les usines et établissements industriels des divers départements français. Leur nombre sera ultérieurement déterminé d’après e montant de la souscription présentement ouverte.
- E. Les départs des ouvriers délégués auront lieu, à
- 1 partir du 15 août prochain, en une ou plusieurs fois, sui— j vant le nombre qui sera désigné et que permettra l’importance | du capital souscrit.
- !
- ! *
- | * *
- j Le Courrier de Londres, en ouvrant la souscription | s’est inscrit en tête pour une somme de 1.250 fr.
- D’un autre côté, le conseil municipal de Paris dans sa séance du 30 juin a décidé qu’une somme de mille francs serait versée au comité qui s’est formé à Paris pour l’envoi d’ouvriers français aux expositions anglaises.
- Les souscriptions sont reçues par M. A. Muzet, Président du comité d’initiative pour le voyage d'ouvriers français aux Expositions anglaises, au Comptoir cl’Escompte, Paris.
- Le Minimum de subsistance
- Les propositions relatives au nécessaire à la subsistance ont fini par trouver un écho au Conseil municipal de Paris. Messieurs Joffrin et Vaillant ont rallié 18 suffrages en faveur d’une proposition réclamant l’insertion, dans le cahier des charges du Métropolitain, de garanties au profit des travailleurs.
- A un premier amendement signé Vaillant, Joffrin, Chabert et ainsi concu :
- « Les ouvriers et employés de chemin de fer auront un travail ne pouvant dépasser huit heures sur vingt-quatre et un salaire basé sur les frais d’existence nécessaires pour Paris déterminés par les syndicats ouvriers ; »
- Une autre clause a été ajoutée, à laquelle se sont ralliés MM. Humbert, Cattiaux, Hovelacque, etc., portant ce qui suit :
- « Les ouvriers et employés commissionnés ne pourront être révoqués qu’en raison de motifs légitimes et jugés tels par un jury formé de leurs pairs. Us auront la gérance de leur caisse de retraite, de secours et d’assurances sur la vie. »
- A l’appui de ces conditions à imposer à l’Etat, en échange de la subvention municipale, M. Vrillant s’est exprimé comme suit :
- « Je viens surtout rappeler ici la parole qui nous a été donnée hier de nous répondre, de nons dire si, oui ou non, on acceptait les réclamations que nous présentions au nom des travailleurs.
- « II importe, en effet, que non plus dans une phrase d’un rapport ou dans le discours d’un rapporteur, nous trouvions, avec l’expression de ses désirs, les promesses d’un ministre ; il faut que dans la délibération le Conseil fasse, des garanties demandées pour les travailleurs, une des conditions expresses de sa participation:
- « Si la Ville se voit obligée de passer sous les fourches caudines de l’Etat et d’une Compagnie qu’on ne nous définit pas, et ne peut même faire un tracé qui réponde aux besoins de la population, il faut au moins qu’elle pose des conditions.
- « Vous l’avez dit, ce qui vous oblige à accepter le plan de l’Etat c’est la nécessité de combattre la crise, le besoin urgent des travaux. Vous devez donc prendre les mesures utiles pour que ces travaux soient, autant que possible as-
- p.467 - vue 470/838
-
-
-
- 468
- LE DEVOIR
- surés aux Parisiens. Au moment où le patronat transporte au loin ses ateliers, allant jusqu’au delà de la frontière chercher la main-d’œuvre à bon marché, il y a lieu de penser à la production parisienne liée si intimement au développement de Paris, à sa vie ouvrière, et de déterminer cette production suivant l’avantage de la Ville et des ouvriers. Il s’agit de même de prévenir l’avilissement des salaires par l’invasion de cette main -d’œuvre étrangère, appelée ici par la cupidité patronale pour l’exploitation commune et de l’ouvrier étranger et de l’ouvrier parisien, réduits ainsi à un salaire de famine pour le bénéfice des patrons.
- « Mais c’est surtout sur ces trois conditions de l’application des prix de série de la Ville, de l’abolition du marchandage et de la réduction de la journée de travail à huit heures, tant des ouvriers de la construction que des ouvriers et des employés de l’exploitation, qu’il faut que la Commission donne son avis et que le conseil se prononce.
- «Il me semble impossible que la Commission elle Conseil nous répondent négativement. Aux arguments si certains du citoyen Joffrin, je n’ai qu’un argument à ajouter; il me semble à lui seul probant, si vos déclarations en faveur des ouvriers, si votre désir de combattre la crise sont sincères. Pouvez-vous, par une délibération où les garanties du travail et des travailleurs sont ignorées, déclarer que vous n’avez souci que des intérêts capitalistes ? Une société engage un capital et, comme l’Etat, vous venez assurer à ce capital un intérêt; vous votez pour cela des sommes importantes ; les capitalistes, le capital, seuls, seraient donc garantis par vous, et les ouvriers qui apportent leur travail, leur personne, seraient sacrifiés sans aucune des garanties que vous pouvez leur donner. Il s’agit pour vous de décider si les ouvriers seront livrés pieds et poings liés au patronat, au travail, à la misère, ou si vous prendrez assez leur cause en main pour les défendre. Il me paraît, je le répète, impossible que vous déclariez n’avoir souci que du capital et des capitalistes, et vous déclarerez, en insérant les conditions que nous vous demandons, que les ouvriers pourront trouver dans les travaux du Métropolitain les moyens de vivre, que l’hygiène, l’humanité, suffisent à rendre nécessaires».
- Ge rappel à leurs devoirs envers leurs électeurs ouvriers n’a malheureusement pas été entendu par les radicaux du conseil.
- LE I4JUILLETflDECAZEVILLE
- Les républicains de Decazeville avec le concours, du maire, ont voulu célébrer la fête du 14 juillet par une manifestation qui justifie la conduite des députés ouvriers pendant la dernière grève.
- Plus de 600 convives assistaient au banquet offert aux députés ouvriers et aux avocats ayant assisté, devant les tribunaux les citoyens poursuivis à la suite d’incidents se rattachant à la grève. L’nccueil des invités a été des plus enthousiastes.
- Ils ont été reçus à la gare par des délégations ouvrières précédées de la musique de Decazeville.
- Nous reproduisons les toasts du maire de Decazeville et celui de Basly ; ils expriment exactement quel a été le rôle des députés ouvriers pendant la grève et le sens de la propagande plus spécialement faite par Basly.
- Voici les paroles de M. Gayrade, maire de Decazeville.
- Nos félicitations et nos remerciements, dit l’orateur, doivent surtout aller au député Basly qui, pendant quatre mois a connu les amertumes de l’insulte et les angoisses du péril sans cesse affronté pour éviter à notre ville les amertumes et les angoisses d’un conflit sanglant entre la population ouvrière et l'armée
- Aussi, en souvenir d’un tel service, et pour fêter dignement aussi la fin des hostilités, avons-nous résolu de retarder la célébration du 14 juillet, afin que cette fête locale à laquelle nous vous avons invités aujourd’hui se confonde avec la Fête nationale, de manière à bien affirmer les sentiments de solidarité républicaine qui nous unissent tous.
- M. Basly ému des témoignages de sympathie et d’affection qui lui ont été prodigués a répondu :
- Nous avons pris part à votre long et pénible combat parce que nous, députés ouvriers, connaissons vos misères et que nous sommes fidèles à la parole donnée aux travailleurs (bravos !)
- Ainsi que l’a reconnu votre président, nous avons été des pacificateurs. Notre mode de propagande publique n’est pas celui de M. de Cassagnac, qui, se méfiant des sentiments du vrai peuple, convoque ses amis longtemps à l’avance. Nous allons droit à ceux qui souffrent. Nous faisons notre devoir pour eux dans la mesure de nos forces, et c’est encore la meilleure et la plus sûre propagande (Applaudissements répétés).
- Afin que les luttes futures vous trouvent prêts, camarades, syndiquez-vous ; pratiquez la solidarité pendant la paix et vous aurez la force pendant la guerre. Fédérez vos syndicats et forcez les députés à s’occuper des projets de loi qui sauvegardent vos intérêts. Organisez l’armée des revendications sociales, joignez à la force ouvrière organisée, vos forces et vos intelligences. Faites aujourd’hui labeur commun, demain, vous ferez moisson commune. » Applaudissements enthousiastes. Cris de ; Vive la République sociale ! »
- ÉCOLE NORMALE
- MeUe Héloïse Point, élève des Ecoles du Familistère, admise l’an dernier à l’Ecole normale de Laon, vient d’obtenir son brevet élémentaire.
- Mesdemoiselles Lucie Casseleux et Marguerite Philip, également élèves des Ecoles du Familistère et qui en sont à leur deuxième année d’Ecole normale, viennent d’obtenir leur brevet de Directrice d’Ecole maternelle.
- p.468 - vue 471/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 469
- LE COMMERCE DE LA FRANCE
- en Juin 1886.
- Le tableau suivant montre quels ont été les résultats des mouvements de notre commerce extérieur pendant le mois de juin des années 1885 et 1886 :
- JUIN
- Importations 1886 4885
- Objets d’alimentation .... Matières nécessaires à l’in- 115.527.000 114.064.000
- dustrie 170.208.000 165.903.000
- Objets fabriqués 45.465.000 40.966.000
- Autres marchandises .... 10.941.000 11.132.000
- Totaux. .... Exportations 342.141.000 339.065.000 •jtœpsppatSMmBi BUMima
- Objets d’alimentation .... Matières nécessaires à l’in- 62.427.000 58.077.000
- dustrie 46.759.000 50.258.000
- Objets fabriqués 118.770.000 114.249.000
- Autres marchandises .... 14.476.000 12.112.000
- Totaux. . . . 242.432.000 234.696.000
- L’ensemble de nos échanges extérieurs pendant le mois de juin 1885 s’était élevé à 573,761.000 fr.; Le mois dernier, le mouvement total de notre commerce a atteint 584,573,000 francs. L’augmentation ressort à 10,812,000 francs, dont 3.076.000 francs pour les importations et 7.736.000 francs pour les exportations.
- Il y a un mois nous avions constaté une augmentation de 147 millions 1/2 dans le montant des échanges du mois de mai 1886, comparativement aux mouvements du mois correspondant de 1885. On aurait pu craindre que ce développement considérable et quelque peu extraordinaire n’amenât un ralentissement dans le mois de juin. Il n'en a rien été, on le voit ; la progression a persisté bien que dans une moindre proportion, et ce fait semblerait indiquer une certaine reprise des affaires de la France avec l’étranger.
- Nos exportations de produits fabriqués, notamment, ont passé de 114 millions à 118 millions 1/2, tandis que les sorties des objets dénommés « autres marchandises » se sont avancées de 12 millions à 14 millions 1/7. D’autre part, les importations de produits fabriqués étrangers ont létrogradé de 48 millions environ à 45 millions 1/2 et les entrées des marchandises diverses ont perdu 200,000 fr. Ce double Mouvement : augmentation des exportations et diminution des Mportations, est significatif. Il montre que nos industriels, continuant l’amélioration de leur outillage, font des progrès Mcessants et savent maintenir leurs positions sur les mar-chés extérieurs. En outre, ils sont à même de lutter plus efficacement que par le passé, sur notre propre marché, c°ntre la concurrence étrangère : l’envahissement du marché français n’avait donc pas le caractère de permanence qu’on s était plu à lui attribuer.
- commerce des matières nécessaires à l’industrie, qui,
- dans les mois précédents, avait laissé à désirer, se présente dans de bonnes conditions : les importations ont augmenté de 4 millions 1/2 et les exportations ont diminué de 3 millions 1/2.
- En ce qui concerne les échanges des objets d’alimentation, on constate une augmentation de 1 million 1/2 dans le chifire des entrées et une augmentation de 4 millions 1(2 dans les sorties. Ces variations sont peu importantes.
- Voici maintenant les chiffres qui résument les mouvements de notre commerce extérieur pour le premier semestre de l’année courante :
- Importations
- Objets d’alimentation.... Matières nécessaires à l’industrie . . ,...........
- Objets fabriqués........
- Autres marchandises ....
- Totaux.......
- Exportations
- Objets d’alimentation . . . . Matières nécessaires à l’industrie , . ............
- Objets fabriqués........
- Autres marchandises. . . .
- Totaux. . . .
- 1886 1885
- 742.601.000 676.966.000
- 996.768.000 1.077.907.000 274.227.000 284.290.000
- 65.995.000 63.370.000
- .079.591.000 2.102.533.000
- 345.444.000 360.027.000
- 297.302.000 292.823.000
- 815.314.000 767.351.000
- 81-324.000 72.973.000
- .539.384,000 1.493 174.000
- Ce que l’on remarque tout d’abord quand on parcourt ce tableau, c’est l’augmentation des importations d’objets d’alimentation. Les achats n’avaient été que de 677 millions dans les six premiers mois de 1885 ; ils ont atteint 742 millions 1/2 dans le semestre qui vient de s’écouler. Si on se reporte aux statistiques mensuelles publiées par l’administration, on constate que cette organisation provient surtout de l’introduction, en France, des vins étrangers. Pour les cinq premiers mois de l’année 1886, l’augmentation n’a pas été moindre de 90 millions. Au moment où ces opérations ont eu lieu, on n’avait encore aucune idée sur les résultats de la récolte prochaine. On doit donc attribuer ce mouvement aux projets du gouvernement sur les modificatious qu’il conviendrait d’apporter au régime des boissons.
- Les importations des matières nécessaires à l’industrie on’ faibli de plus de 80 millions. C’est peut-être ce qu’il ÿ a de moins satisfaisant, car nos achats de laines, de coton et d> lin ont baissé. Les importations de graines oléagineuses ont également diminué. Par contre, les importations de soies ci de bourre de soie ont augmenté de 7 millions. Il est vraisemblable que les stocks existant en France étaient assez considérables, car nos exportations de produits fabriqués se sont avancées de 767 millions à 815 millions. Les augmentations les plus importantes ont porté précisément sur les tissus, dont les ventes ont passé de 295 millions à 314 millions 1/2. Les exportations d’ouvrages en peau, de tabletterie, sont également en progression.
- En somme, il paraît ressortir de ces faits que le commerce extérieur de la France est depuis six mois en légère reprise.
- p.469 - vue 472/838
-
-
-
- 470
- LE DEVOIR
- Une utopie d’économiste sur l’organisation du travail.
- Si nous avions besoin d’une nouvelle preuve des difficultés inextricables au milieu desquelles se débat vainement l’organisation sociale actuelle et de la nécessité urgente qu’il y a à faire cesser un état de choses si douloureux, nous la trouverions dans le dernier numéro du Journal des Economistes.
- L’organe officiel des Pangioss de la concurrence, le panégyriste attitré du libre jeu des torces économiques est sorti, en effet, dans son dernier numéro, du terrain de l’économisme pur, des abstractions sereines sur les beautés de l’évolution naturelle des êtres et des choses,pour aborder le champ si peu exploré encore, des tentatives d’organisation.
- L’initiative prise en cette circonstance est d’autant plus caractéristique,que c’est à M. de Molinari en personne, que nous devons la conception d’un projet d’association qui,s’il était adopté et généralisé, aboutirait infailliblement, selon son auteur, à supprimer l’antagonisme existant entre l’ouvrier et le patron, abolirait la guerre civile latente entre le travail et le capital.
- Car M. de Molinari, en veine de sincérité, ou plus franc cette fois que la plupart de ses collègues, reconnaît l’antagonisme qui sépare ces deux facteurs essentiels, parties intégrantes — nous allions dire indissolubles — de la production : le travail et le capital. Il reconnaît ce que nous ne cessons de dire tous les jours, que ce n’est pas aux excitations des théories socialistes qu’il faut attribuer la conflagration générale actuelle, présage alarmant de cataclysmes prochains si on ne se hâte d’y porter remède, mais bien « à l’état arriéré de la constitution et de la mise en œuvre des entreprises » ; en d’autres termes, à l’état des rapports qui lient aujourd’hui le travail et le capital.
- Cet aveu est précieux à relever, sous la plume d’un écrivain qui a consacré tant de volumes à prouver que l’organisation sociale contemporaine était «naturelle», c’est-à-dire basée sur des lois rationnelles dont le renversement ou la modification seraient générateurs de maux et de misères encore plus effroyables que celles dont on se plaint dans l’ordre actuel.
- Mais quelle solution présente-t-il ? Nos lecteurs doivent avoir hâte de la connaître, sans doute ?
- Ce n’est pas la socialisation des instruments de travail, c’est-à-dire du capital remis en possession des ouvriers ; ce n’est pas non plus ja participation équitable des ouvriers aux bénéfices de la production, en dehors du salaire qui leur est strictement nécessaire pour vivre ; il ne fait pas davantage appel à la philanthropie des patrons généreux,disposés à venir en aide à leurs ouvriers au moyen de caisses de retraite, de sociétés de secours mutuels, subventionnées par eux. Non • M. de Molinari ne veut avoir recours à aucun des procédés connus, indiqués jusqu’à ce jour. Et voici le nouveau système imaginé par le représentant le plus éminent des économistes français de notre temps, système nouveau, conception merveilleuse, comme on va voir, à laquelle un grand esprit comme lesien pouvait seul atteindre.—Je cite textuellement :
- « La cause des conflits du capital et du travail a « un caractère purement économique; elle réside « dans les vices et les abus d’un système routi-« nier et arriéré de coopération du capital et du « travail ; c’est à un progrès économique,qu’il faut « en demander le remède. Ce progrès consiste dans « le marchandage.»
- Je ne sais plus quel écrivain humoriste a dit que les économistes étaient des plaisants funèbres. En tout cas, c’est sans rire, avec un sérieux imperturbable, à la suite d’une très longue et très doctorale digression sur l’acuité de l’antagonisme social et des effets désastreux qu’il amène, que le rédacteur en chef du Journal des Economistes présente le marchandage, à la fois comme une innovation et un progrès.
- Et c’est non moins sérieusement qu’il a exposé dans la Revue du mouvement social un Projet d’une société à bénéfices limités pour le placement des ouvriers.
- « Le travail, dit-il, est une marchandise comme une autre;» et « elle doit être mise au marché dans le moment où elle peut être vendu avec le plus de profit — ce qui est affaire de commerce.» De là à créer une société commerciale ayant pour objet la vente — ou l’exploitation — du travail, il n>Y avait qu’un pas. M. de Molinari l’a franchi,et peut-
- être dans quelques jours, verrons-nous, côtées en
- Bourse, les actions de la société dont M, de Mob-nari est l’inventeur.
- N’est-il pas, profondément douloureux de constater à quelles aberrations l’esprit de système peut conduire des hommes d’étude et de savoir ?
- p.470 - vue 473/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 471
- Ainsi, M. de Molinari reconnaît que c’est dans j le mode actuel de coopération du travail et du capital, que réside la cause des conflits qui menacent de bouleverser le monde Et il propo-ge Je marchandage, la création d’un nouvel intermédiaire entre le capital et le travail, pour supprimer ce conflit ! Le marchandage, cette institution néfaste, dont la coutume remonte aux origines de la période industrielle, dont les souvenirs rappellent le mode le plus grossier d’exploitation de l’homme par l’homme, et le plus attristant aussi, car exercée en partie parla classe ouvrière sur elle même, cette profession déprimante corrompt et vicie ceux qui s’y livrent!
- Sous la pression de ia clameur populaire qui exigeait sa suppression, le marchandage fut supprimé par une loi ;.e 1848, qui n’a jamais été appliqué. Voilà pour l’innovation et le progrès.
- Voyons, maintenant le point spécial du projet de M. de Molinari.
- Sa société aurait pour objet d’éviter les encombrements du marché du Travail, par une connaissance plus exacte qu’elle aurait, au moyen de ses correspondants, de l’état de ce marché. Elle traiterait directement avec les entrepreneurs, prendrait des travaux à forfaits, pour l’exécution desquels elle fournirait elle-même la quantité de travailleurs nécessaire, ou bien embaucherait, à des prix débattus par elle, au compte des entrepreneurs.
- Ici, M. de Molinari n’innove pas davantage. Les Bourses du travail réclamées par toutes les nuances du parti socialiste, permettraient, en effet, d'acquérir la même connaissance exacte de l’état du marché, et cela, sans avoir recours à une société dont les intérêts peuvent parfois ne pas être en parfaite conformité avec ceux qui s’adresseraient à elle pour se renseigner.
- Quant aux conditions meilleures que sa société pourrait obtenir des entrepreneurs, sous le rapport des salaires, on peut renverser la proposition et se demander au profit de qui elle obtiendrait des avantages, puisque, d’une part, nous dit dans son exposé M. de Molinari, il y aurait possibilité d’éviter les encombrements du travail qui avilissent le salaire, et de l’antre, les déficits qui l’exhaussent soudainement.
- fl ne supprime pas en effet, l’antagonisme, ia latte constante entre le patron l’ouvrier, ce vice radical du mode de coopération actuel, ii se contente de substituera l’ouvrier ou au patron une
- compagnie, c’est-à-dire à établir un nouveau rouage improductif, venant compliquer la méca nique sociale déjà obstruée. Ii prépare la formation de puissantes compagnies destinés à livrer des batailles sociales formidables, dont la hausse ou la baisse des salaires seraient l’enjeu. Et comme la concurrence entre grandes sociétés est encore plus terrible que la concurrence individuelle existante, qu’elle fait un plus grand nombre de victimes, à cause de l’étendue et de la profondeur de l’ébranlement que ses péripéties amènent, sa prétendue réforme serait pire que le mal qu’elle veut prévenir.
- N’en déplaise donc à M. de Molinari qui croit que c’est là un «progrès naturel» à réaliser,la solution des difficultés qui engendrent aujourd’hui « la guerre civile du capital et du travail» est ailleurs; la pacification ne peut résulter que d’un mode de coopération plus rationnel,reposant sur de? pri nci-pes sociaux autres que la concurrence anarchique, la lutte économique pour la vie.
- Ces principes, dont le Devoir ne cesse de faire l’exposition, en s’appuyant sur les résultats que leur pratique a déjà obtenus, sont : l’association, ayant pour objet une équitable répartition des produits. Mais les économistes ne veulent en entendre parler. C’est pourquoi, frappés, malgré leur aveuglement obstiné, des symptômes de plus en plus menaçants que revêt la question sociale, ils ?e tourmentent vainement, à leurs heures de sincérité, trop courtes, hélas ! pour en trouver la solution.
- I Alors ils aboutissent aux projets fantaisistes que | M. de Molinari a commis dans le dernier numéro du Journal des Economistes.
- Librairie du Familistère
- Vient de paraître :
- U Etude Sociale n° 9 sur l'extinction du paupérisme par la Mutualité Nationale.
- Prix 25 centimes
- Les articles aux objections et aux questions sur l'Hérédité de l'Etat viennent d’être réunis en une brochure d’études sociales portant le n° 8 de cette série.
- p.471 - vue 474/838
-
-
-
- 472
- LE DEVOIR
- APHORISMES & PRÉCEPTES SOCIAUX
- CXIV
- La paix.
- Les nations tranquilles par la paix prospéreront par le travail et seront heureuses avec les biens qu’elles en retireront.
- Les gouvernants doivent donc abolir la guerre, organiser la production et le travail et assurer une juste et équitable répartition de la richesse.
- Faits politiques et sociaux de la semaine.
- FRANCE
- La Commission du budget et la Censure.
- — La Commission a repoussé le budget de la Censure. Si la Chambre ratifie cette décision nous verrons disparaître cette institution dont les gouvernements réactionnaires ont si souvent abusé.
- * *
- Le Travail des Femmes. — M. Camélinat a déposé, dans une des dernières séances de la Chambre, un projet de loi sur le travail des femmes et des enfants dans l’industrie, et portant modification à la loi du 19 mai 1874.
- Sur la proposition de M. Camélinat. le projet a été renvoyé par la Chambre à la commission chargée d’examiner la proposition Martin Nadaud, de sorte qu’on ne pourra plus lui opposer la question préalable, et il viendra forcément en discussion.
- Le projet a été signé par Messieurs Boyer, Basly, Gilly, Prudon, Michelin, Planteau, Laguerre et Camélinat.
- Le Traité Franco-Italien. — Le rejet par la Chambre des députés de la convention franco-italienne pouvait faire craindre une certaine tension dans nos rapports politiques et commerciaux avec l’Italie.
- Ces craintes ont été heureusement dissipées par une démarche toute spontanée que viennent de faire les membres les plus influents de la colonie italienne à Paris, auprès du ministre du commerce.
- On sait qu’une chambre de commerce italienne s’est constituée récemment à Paris. Les membres'formant le conseil de cette chambre, ont été présentés, hier matin, à M. Lockroy par le général Menabrea, ambassadeur d’Italie à Paris, accompagné de M. le commandant Negri, consul général d’Italie.
- A la suite de cette présentation, un long entretien s’est engagé, avec une parfaite cordialité, afin d’examiner de part et d’autre la situation fâcheuse, Mnais temporaire, dans laquelle se trouve le commerce franco-italien, par suite du vote de la Chambre.
- En résumé, ce qu’il ressort de cet entretien, c’est qu’à bref délai interviendra un modus vivendi qui cimentera à nouveau l’union commerciale des deux nations.
- Les factieux. — Le journal le Libéral de la Vendée rend compte d’une manifestation factieuse qui a eu lieu près de Montaigu, chez M. de Cornulier, propriétaire du château de la Lande.
- On a chanté le cantique clérical bien connu : Dieu, sauvez Rome et la France, au nom du Sacré-Cœur '»
- Des commissaires parcouraient les groupes en distribuant le manifeste du Comte de Paris et en prononçant les paroles suivantes qui sont un appel de guerre civile :
- « Chers Vendéens, luttons jusqu’au bout contre les lois » criminelles de la République Unissez-vous en grand nombre » pour soutenir nos droits contre tous ces juifs et francs-» maçons qui veulent nous détruire. Tenez-vous prêts au » premier signal ; votre roi vous attend et compte sur vous » pour le sortir d’exil ! »
- Cinq cents prêtres ayant leur évêque à leur tête, figuraient dans cette cérémonie de prc vocation.
- Mieux traités que le reste de la foule, ils ont été invités à déjeuner par M. de Cornulier, qui connaît sans doute le goût des ecclésiastiques pour les bons repas.
- Evidemment tout ce bruit ne saurait aboutir à rien de sérieux, et ces chants de curés fanatiques ne sont qu’une parodie ridicule des sanglants souvenirs de la Vendée.
- Mais il y a des limites à l’indulgence dédaigneuse, et le gouvernement de la République a le devoir de se faire respecter des châtelains, et surtout des curés qu’il paie.
- Les ministres candidats. — La candidature avait été offerte au Conseil générai du Var, pour l’un des cantons de Toulon, à l’amiral Aube par le Cercle républicain du Mourillon.
- Le Ministre de la marine a répondu à l'offre que lui avaient faite les républicains de Toulon par un refus, comme il i’avait fait déjà aux républicains de Rochefort.
- Voici la lettre de l’amiral Aube :
- » Monsieur le président et cher compatriote,
- « Je m’empresse de répondre à votre lettre du 10 juillet, par laquelle vous m’annoncez qu’à I’iinanimité les membres du Cercle républicain du Mourillon m’offrent la candidature au Conseil général pour le canton est de Toulon.
- » Vous devinez combien je vous suis à tous reconnaissant de cette offre spontanée, combien j’en suis fier. Ici, les mots sont inutiles, et, avec vous j’ajoute ; les scrupules seraient une faiblesse. Pourtant, je me refuse et à cet honneur et à ce devoir.
- » Ministre, de la marine, je sens chaque jour davantage que la tâche que j’ai acceptée exige impérieusement toutes mes forces, toute mon intelligence, tout mon dévouement, toutes mes heures.
- » A ce prix même suis-je sûr de la mener à bonne fin.
- » Dès lors vous approuverez que je n’accepte pas un mandat nouveau que je ne saurais remplir entièrement et qui me détournerait de mon devoir supérieur. Votre patriotisme approuvera mon refus ; votre sympathie méritée, j ose le dire, acceptera l’expression sincère de mes regrets, et de cette offre qui est venue me surprendre il restera un lien de
- p.472 - vue 475/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 473
- plus entre ma chère ville natale et votre bien dévoué concitoyen.
- » Soyez, monsieur le président, mon interprète auprès de tous les membres du Cercle républicain et agréez l’assurance de mes sentiments les meilleurs. » Aube. »
- Le général Boulanger comprend-il la leçon ? Il serait dit -ficile d’en chercher une plus correcte, plus républicaine.
- INDO-CHINE
- A lire les journaux opportunistes, on croirait vraiment que tout se passe le mieux du monde dans ce qu’ils appellent avec une emphase lyrique « notre grand empire indo-chinois. »
- Quand on regarde les choses de près, il en faut rabattre et ce n’est pas encore demain que nous retirerons un béné-néfice quelconque de ce » grand empire a, ou même que nous cesserons d’y dépenser des millions et des hommes.
- Le Temps , qui pourtant n’est pas suspect, constatait il y a quelques jours que la situation au Cambonge était dé plorable et ne s’améliorerait pas de longtemps. Dans le royaume d’Annam, malgré les efforts de M. P. Bert, nous ne sommes toujours que tolérés par force. Les provinces du nord sont en pleine insurrection et nous ne pouvons même pas y pénétrer. Les provinces du sud donnent fort à faire aux forces de la Cochinchine, qui se sont chargées de les pacifier. On y échange beaucoup plus de coups de fusil que de marchandises, et le commerce de l’Anna m tout entier avec la France tiendrait dans une coquille de noix.
- Au Tonkin où pourtant, grâce à la reconnaissance des Tonkinois — que nous aurions dû affranchir tout à fait~du joug des mandarins annamites — la situation est relativement excellente, nous sommes perpétuellement occupés à faire la chasse aux pirates quand ce ne sont pas les pirates qui nous la font. À la fin de mai dernier, un de nos postes occupé par une garnison de 150 hommes environ, a été assailli par une bande de 800 Chinois, presque tous armés de fusil à tir rapide,
- On conviendra que ces «. bandes » ressemblent é'onnam-ment à de petites armées et que cette piraterie prend des allures de « guérilla » tout à fait inquiétantes.
- Et l’on ne nous laisse pas ignorer que cet état de choses peut durer des années et des années. Voilà qui n’est pas encourageant pour l’avenir de « notre grand empire de l’Indo-Chine ».
- ANGLETERRE
- Résultat des élections. — Les électeurs ont condamné la politique de M. Gladston. Le ministère donnera bientôt sa démission. Nous allons voir à i’œnvre la politique de répression à outrance contre les nationalistes irlandais.
- Les Fénians. — Le New-York World rapporte que dernièrement, à New-York, M. 0’ Donovan Rossa, le chef du parti révolutionnaire irlandais assistait à une réunion téniane. Invité à dire son opinion sur la question irlandaise, d s’exprima en ces termes :
- Il paraît que la tromperie a de nouveau triomphé du droit. Les braves gens qui prêchaient la liberté de l’Irlande sont battus, mais il n’en sera pas toujours ainsi. L’Irlande sera
- ibre et prochainement, mais elle devra cette liberté, non pas à un Anglais ou à une loi anglaise. Elle a d’autres amis qui lui viendront en aide. Gladstone avait l’intention de libérer l’Irlande sans coup férir. Mais il n’est pas si difficile de libérer des esclaves, et Dieu nous garde de ces libérateurs à bon marché.
- Je crois, je le sais même, que l’on pourrait trouver une centaine d’individus dans chaque baronnie irlandaise, et plus encore dans chaque groupe de l’Association féniane en Amérique, qui iraient à Londres mettre le feu aux monuments et bâtiments de cette vieille cité de l’esclavage, qui iraient d’un palais à l’autre, des maisons particulières aux prisons et aux bâtiments publics, et poursuivraient leur tâche jusqu’à ce que Londres soit devenu un vaste bûcher commémoratif de l’esclavage irlandais. Je suis sûr que les Américains répondraient à un appel de cette sorte, et je répète encore une fois que la liberté de l’Irlande ne peut être obtenue que par les efforts les plus héroïques
- Telle est mon opinion sur les affaires de T Irlande.
- *
- Le Suffrage des Femmes. — Un des côtés curieux des élections anglaises a été la mise en lumière, dans une réunion de la « Société nationale du suffrage féminin », présidée par Mme Fawcett, veuve de l’ancien ministre des postes.
- Mme Fawcetl a constaté que des députés élus aujourd’hui, 320 conservateurs, libéraux, dissidents, gladstoniens ou par-nellistes, sont en faveur du droit de vote aux femmes.
- Dans la dernière Chambre, les partisans de l’affranchissement politique des femmes étaient déjà très nombreux; mais l’Assemblée a été si promptement dissoute qu’elle n’a pu s’occuper de la question. Il est possible que la nouvelle Chambre n’ait pas davantage l'occasion de voter l’émancipation des femmes, la question irlandaise devant absorber tous ses moments ; mais il n’en paraît pas moins certain, étant donné le sésultat des élections, que l’octroi du droit de suffrage aux femmes n’est plus qu’une question de temps — et de très peu de temps en Angleterre.
- Mme Fawcett a dit que l’année prochaine — année du jubilé de la reine Victoria — serait une date très bien trouvée pour la réalisation d’une pareille réforme.
- •Ér
- * *
- Les missionnaires et l’alcool. — Les renseignements qui ont été donnés au dernier Congrès anglais des Sociétés de tempérance ne sont, en général, guère satisfaisants pour les amis de ces Sociétés.
- Le président, M. Farrar, insistant sur les fâcheux effets de la consommation des boissons alcooliques, également funestes aux Anglais répandus sur le globe et sur les races inférieures avec lesquelles ils se trouvaient en contact, a cité comme exemple l’Inde où des centaines et des milliers de vies sont perdues par cette consommation.
- Il en est de même en Australie et en Nouvelle Zélande.
- En ce qui concerne les indigènes, M. Farrar a donné un détail important : il a montré que les missionnaires, aussi bien protestants que catholiques romains, prodiguent l’alcool à ceux qu’ils veulent convertir à leur religion ; ces malhe.u-
- p.473 - vue 476/838
-
-
-
- m
- LE DEVOIR
- reux prennent l’habitude de s’enivrer et, afin de pouvoir satisfaire leur amour de la boisson, ils se soumettent aux missionnaires.
- C’est la domination par l’abrutissement.
- L‘extension des rapports des Anglais avec les Birmans a eu des résultats lamentables, et la belle race des Maoris est maintenant en proie à la dégradation, aux vices et aux maladies qu’entraîne après lui l’alcoolisme invétéré.
- Sur les pas des Anglais, les aborigènes ont été décimés par l’ivrognerie et le vice.
- Voilà ce qu’on appelle civiliser !
- ESPAGNE
- Le roi grogne. — Voici une petite anecdote diplomatique qui nous vient d’Espagne et qui n’est point dénuée d’agrément :
- Dernièrement, la femme de l’ambassadeur de France à Madrid, Mme de Laboulaye, demanda à être admise auprès dujeuneroi Alphonse XIII.
- D’après l’étiquette de la cour, le roi d’Espagne ne peut « accorder des audiences » que de une heure à trois de l’après-midi.
- Mais, à tout âge, les princes ont des faiblesses, et quand, à deux heures, l’ambassadrice se présenta, accompagnée de la grande-maîtresse de la cour, îe jeune souverain — qui n’a pas deux mois — dormait à poings fermés.
- On le réveilla, et le royal marmot se mit à pousser des cris retentissants et à grogner comme un bébé maussade.
- Lorsque l’ambassadrice se retira, la grande maîtresse de la cour lui dit :
- « J’espère, madame, que vous ne prendrez pas en mauvaise part l’accueil peu sympathique qui vous a été lait par le roi, et que cette entrevue ne portera pas atteinte aux relations cordiales qui existent entre la France et l’Espagne. »
- ALLEMAGNE
- Exposition de Paris. —- On sait que le Conseil fédéral a rejeté la proposition qui lui a été faite d’organiser, pour 1888, une exposition nationale allemande. D'autre part, de grands industriels allemands avaient espéré que leur participation à l’Exposition universelle de Paris serait subventionnée par l’empire. Les Nouvelles politiques berlinoises les déçoivent dans cette espérance. Inspirées directement par le gouvernement, elles déclarent que les négociants allemands ne peuvent songer à exposer leurs produits à Paris.
- « Quiconque le ferait, dit ce journal ofncieux, ne mériterait pas le nom d’allemand. »
- Et voilà comme quoi des deux râteliers il ne reste qu’une déception.
- ETATS-UNIS
- Lois d’extradition. — Les Etats-Unis ont signé avec l'Angleterre, le 25 juin, un traité d’extradition qui complète la convention en vigueur depuis 1840.
- Cette révision a pour objet principal d’étendre l’extradition aux auteurs d’attentats par la dynamite.
- Le traité vise expressément, comme donnant lieu à extradition, la destruction de la propriété, quand elle est faite
- j dans une intention criminelle, et quand l’attentat est considéré 1 comme un crime par la loi des deux pays. La ratification du Sénat des Etats Unis est assurée et la convention du 25 juin ne tardera pas à entrer en vigueur.
- Sous prétexte de poursuivre les « dynamiteurs », ce sont les socialistes qu’on veut pourchasser en réalité.
- Arbitrage probable relatif au Congo.
- L’Allemagne et l’Association internationale africaine signaient, le 8 novembre 1884, un traité qui consacrait l’existence de l’Etat libre du Congo.
- Dans une carte annexée à ce traité, le nouvel Etat s’asi-gnait ses propres limites, sous réserve d’entente ultérieure avec le gouvernement Irançais.
- Ce dernier ayant refusé d’accepter ces frontières, une nouvelle délimitation fut établie, d’un commun accord, par le traité du 5 février 1885 entre la France et l’Etat libre.
- Deux délégués français et deux délégués de l’Etat libre du Congo, munis de pleins pouvoirs, se sont rendus sur les lieux se sont communiqués leurs pouvoirs respectifs et, après un examen minutieux et très précis, ont signé un acte établissant que la rivière désignée par le nom de Nkoundia dans le texte et sur la carte annexée au traité du 5 février était la rivière des Qubanguis, population qui habite cette contrée.
- En conséquence, et d’un commun accord, les plénipotentiaires ont fixé sur place le point de départ de la délimitatioon qu’ils avaient mandat de déterminer.
- Le gouvernement français s’en rapporte à la délimitation dont les bases ont été ainsi fixées.
- Aujourd’hui l’Etat libre désavoue ses mandataires, et, voulant remettre en discussion le traité du 5 février 1885, il invoque le manque de données géographiques certaines à l’époque de la signature de cet acte.
- La France conteste à l’Etat libre le droit de revenir sur un traité grâce auquel, par une entente tacite, elle a renoncé au protectorat des territoires de Makoko de la rive gauche du Congo, face à Brazzaville et a laissé ainsi au nouvel Etat l’accès libre du Congo intérieur.
- Telle est la question qui se poserait à l’arbitrage du président delà Confédéiation suisse.
- Si le bien-fondi des droits delà France n’était pas reconnu ce qui est douteux, il y aurait lieu de choisir un terme moyen, entre la limite que l’Etat libre s’assignait lui-même par 1 acte du 8 novembre 1884, sous reserve d’entente ultérieure avec la France, et celle qui résulte du traité du 5 février, telle quelle a été établie sur place par les plénipotentiaires des deux pays.
- C’est-à-dire que la frontière, qui, dans le premier cas, était la ligne de partage d’eau de l'Oubangui-Nkoundja, deviendrait, par l’effet de concessions réciproques, le cours même de l’Oubangui, frontière naturelle dont la rive droite appartiendrait à la France et la rive gauche à l’Etat libre du Congo.
- La France aurait alors à évacuer le poste de la Nkoundja établi sur la rive gain lie de l’Oubangui.
- p.474 - vue 477/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 475
- Effets remarquables. -- L’hypnotisme
- L’uréthronomie interme avait été, sans succès aucun, pratiquée sur un homme atteint de rétrécissement spasmodique.
- Cet homme est historique, et c’est un hystérique hypnotisable. M. Ramey, médecin aide-major à l’hôpital militaire de Saint-Martin, l’a traité par suggestion hypnotique. — Et guéri !
- Cette belle cure est communiquée à la Société de biologie.
- Non moins remarquables, plus remarquables peut-être, sont les résultats obtenus par un des grands médecins de la Salpêtrière, M. Voisin,dans le traitement de l’aliénation mentale, contre laquelle les maîtres de l’hypnotisme avaient eux-mêmes espéré si peu de cette étonnante médication. Or, suivant les très justes expressions de M. le docteur L. Ménard, dans le Cosmos, M. Voisin a, au moyen de l’hypnotisme « extirpé », du cerveau de ses pensionnaires les idées qui les hantaient.
- Une jeune fille de dix-sept a la douleur de perdre un père tendrement aimé. Son désespoir est immense, de tous les instants, incurable. Un désordre mental s’ensuit, évoque devant ses yeux ce père inoubliable, le lui montre toujours présent ; elle lui parle, il répond, leurs entretiens sont sans fin. Bientôt la constitution de cette enfant, assez bonne, s’alléra ; refus absolu démanger. Elle entra à la Salpêtrière, où au bout de quelques jours ou l’hypnotisa.
- Et dans son sommeil on lui suggère de ne plus avoir au réveil son père devant les yeux et de ne plus entendre sa voix...
- Elle se réveille, on l’interroge. « C’est drôle, répond-elle, je ne le vois plus et ne l’entend plus. »
- Le lendemain, nouvelle séance suivie du même succès. Bref, dix jours après, l’intéressante malade sort complètement guérie, si complètement, que, trois mois et demi après, au moment où M. Voisin publiait le mémoire où est rapportée cette cure si touchante, l’orpheline n’avait pas revu ses hallucinations.
- On peut se souvenir que déjà, à l’époque du dernier congrès de l’Association pour l’avancement des sciences, le médecin de la Salpêtrière était en possession de résultats satisfaisants obtenus par suggestion hypnotique chez des aliénés atteints de délire partiel ou d’excitation maniaque. Il a réussi depuis à produire l’hypnotisme chez des hallucinés, des maniaques, des lypémaniaques, des dipsomanes, des hystériques et des épileptiques frappés d’aliénation. Quiconque apprécie la valeur de ces résultats voudra savoir comment ils ont été obtenus. Telle est la manière dont M. Voisin procède :
- « Quand on a réussi à provoquer le sommeil chez un aliéné, il est utile de le laisser durer les premières fois pendant douze ou quinze heures et de ne commencer la suggestion que plus tard. Après deux ou trois séances d’hypnotisme, on commence à user de la suggestion; il faut procéder lentement, agir d’abord sur une conception délirante, sur une hallucination, puis sur d’autres. Les suggestions doivent être faites à haute voix, formulées d’une manière précise et articulées avec autorité. Il faut signifier au malade de ne plus entendre telle voix, de ne plus avoir telle idée délirante, leur affirmer que toutes ces idées sont fausses et résultant de leur maladie, qu’ils ne doivent pas y croire, qu’ils guériront, qu’ils seront guéris, etc... »
- Dans divers cas, deux ou trois séances ''ômTlïuffi pour amener une guérison qui ne s’est pas démentie. La plupart remontent à plusieurs mois ; il en est une qui date de trois ans.
- Au cours de l’article ci-dessus cité, M. le docteur Ménard caractérisant l’état de l’hypnotisé en puissance de suggesti n : — Vous savez qu’il continue son rêve tout éveillé, incapable de le distinguer de la réalité, persuadé d’avoir vu, fait et subi tout ce dont l'idée qui le possède lui a été inculquée ; qu’il accomplit sans savoir pourquoi, pareil à un mécanisme monté, à échéance fixe plus ou moins lointaine, les actes quelconques, indifférents, excentriques, grotesques, indélicats ou criminels, dont la commande a été mise en lui. — M. Ménard dit de ce prodigieux état : « C’est comme un sort jeté sur le
- sujet. » C'est bien le sort même. Car le fait était vrai,______
- en principe, bien entendu ; — l’explication seule qui en plaçait la cause dans une puissance surnaturelle, démoniaque, était lausse.
- La thérapeutique suggestive n'est pas toute la thérapeutique hypnotique, et l’action du sommeil nerveux seul sur les malades atteints de névrose a fait naître et, dans une certaine mesure, a justifié l’espoir des autorités les plus sérieuses en cette neuve et délicate matière. Partout où le trouble morbide est purement fonctionnel, résultant d’un état, dynamique et non d’une lésion organique, M. Bottey, homme spécial, auteur d'un Traité de Ihynotisme admet que de l’administration du sommeil nerveux, si les lecteurs autorisent l’expression, peut résulter une amélioration ou une guérison. « Dans l’hystérie, peut-être également dans l’épilepsie, — écrit-il, — nous sommes arrivés à cette conviction, à la suite de nombreuses observations personnelles, que les attaques sont notablement diminuées, tant dans leur nombre que dans leur intensité, comme si l’état hypnotique servait de décharge et, pour ainsi dire, de soupape à la force nerveuse. »
- Cependant M. le docteur Fournier, médecin à l’hôpital d’Ângoulême, vient de publier deux cas : l’un d’épilepsie, l’autre d'hystérie dans lesquels l’état hypnotique a accru l’irritabilité des centres nerveux et provoqué de nouvelles crises.
- C’est la preuve qu’il reste ici à apprendre. Et c’est de plus une invitation cà la prudence.
- Rapacité fiscale-
- Un brave employé, après trente années de travail, a amassé un petit capital de 20.000 fr.
- Au moment de prendre sa retraite, son patron, placé à la tête d’une maison importante, lui dit : « Confiez-moi votre argent, je vous servirai 6 O/o d’intérêts et vous rembourserai dans cinq ans.»
- Le patron, bien que jouissant d’une bonne réputation sur la place, s’est lancé dans de grandes opérations et draine, sans s’en vanter, des petites disponibilités partout où il en rencontre.
- L’employé, confiant dans le crédit de son emprunteur, heureux de toucher un intérêt aussi élevé, apporte ses espèces.
- On rédige, sans autres formalités, une reconnaissance sous-seings privés. Le patron introduit dans l’acte des termes tendant à déguiser son emprunt indirect sous la forme d’une association en participation.
- L'employe signe sans bien se rendre compte.
- p.475 - vue 478/838
-
-
-
- 476
- LE DEVOIR
- Les parties échangent les doubles ; et l’affaire est conclue.
- A l’expiration des cinq années, le patron n’est pas en mesure de rembourser. Mais comme il a toujours servi les intérêts, il obtient sans peine que son ancien employé continue dans les mêmes conditions le contrat passé antérieurement.
- Quelques années se passent encore, Un beau jour, l’employé, en venant toucher ses intérêts, apprend que le patron a été déclaré en faillite.
- Affolé, il se précipite chez lui : ce dernier le renvoie au syndic. Le syndic ergote sur la validité de l’acte en se basant sur les termes ambigus de la rédaction adoptée par le patron.
- Bref, il refuse l’admission au passif de la faillite.
- L’employé qui, sur ses vieux jours, se voit menacé de la misère, car il n’a plus en perspective pour seules ressources qu’un dividende à recueillir, assigne le syndic en admission de sa créance.
- L’agréé commence par se faire verser une provision. Le malheureux, qui joue son va-tout, n’hésite pas à emprunter la somme demandée pour satisfaire l’agréé.
- Sa demande est renvoyée au délibéré d’un juge. Bien défendu, il gagne sa cause et obtient un jugement d’admission.
- Le receveur de l’enregistrement voyant dans ce jugement une condamnation élève la prétention de percevoir le droit proportionnel et réclame quatre cents francs.
- Le syndic proteste et dit à l’employé que s’il paie cette somme, elle ne lui sera pas remboursée, les jugements d’admission devant supporter seulement un droit fixe!
- L’agréé réclame. Le receveur finit par reconnaître son erreur et se contente de la perception réglementaire de9fr. 38
- Mais il se ravise et exige la production de l’acte, cause de toutes ces contestations.
- Et voyez ce qu’il en coûte de tracasser l’humeur vétilleuse d’un receveur !
- Ce dernier, après avoir reçu la pièce, répond par une petite demande polie de 1,600 francs à titre d’amende parce que l’acte de reconnaissance n’est pas sur feuille de timbre proportionnel !
- 11 est dans son droit, nous le reconnaissons, aux termes des lois sur l’enregistrement et le timbre.
- Cependant voyez un peu quel sort est réservé aux petites gens par des lois qui frappent tous les contribuables dans des proportions identiques.
- Notre employé n’a qu’une ressource, payer et adresser une pétition au directeur de l’enregistiement pour obtenir une remise.
- Il emprunte encore; paie, et adresse sa supplique.
- On lui accordera peut-être la réduction de moitié.
- Et pour avoir été trop confiant et trop inexpérimenté dans les affaires, il aura payé une provision à l’agréé — huit cents francs à l’enregistrement pour avoir agacé un receveur — et finalement il touchera peut-être cinq pour cent de son capital.
- C’est dire qu’il aura retiré de la faillite une somme suffisante pour rembourser les personnes qui lui avaient avancé de quoi satisfaire l’agréé et surtout désintéresser le fisc.
- Et voilà ce que l’on ose appeler un système d’impôts conforme à la justice.
- EXTINCTION DE LA MISÈRE PAR LA MUTUALITÉ NATIONALE
- Historique de la question (Suite)
- Kécemment, les électeurs de l’Aisne, departement agricole, ont donné la majorité à un programme législatif réclamant ' l’application des décrets delà Convention relatifs à l’assistance sociale.
- Après ces constatations, les pattisans sincères de la consé-
- cration du droit à la vie n’ont plus à produire de nouveaux projets ; s’ils ne partagent toutes les vues contenues dans la proposition Maret, ils peuvent intervenir par la voie d’amendement.
- Les opportunistes de derrière les fagots ne sont pas de cet avis. Us viennent de présenter un projet d’assistance sociale. Les explications préliminaires sont largement conçues ; en les lisant, on croirait leurs auteurs résolus à ne pas amoindrir la question. Les premiers articles de la proposition de loi sont nettement affirmatifs sur les droits de tous à la subsistance. Mais, hélas ! les signataires de ces pompeuses déclarations s’arrêtent aux centimes additionnels comme moyen de dotation du budget de l’assistance sociale !
- Nous nous prononçons en faveur du projet Maret, parcé-qu’il n’amoindrit pas l’œuvre de la Convention ; parce qu’il la dote de ressources rationnelles, en ce sens qu’elles sont prélevées, en grande partie, sur la richesse accumulée, sur les grosses fortunes, au lieu d’être prises indirectement sur le travail par l’impôt, comme le proposent les derniers des opportunistes.
- Responsabilité Sociale.
- Les anciennes disettes, dont les hommes ne pouvaient conjurer les effets désastreux, étaient attribuées à la volonté divine. Les prêtres, intéressés à la conservation des privilèges confondaient avec ces calamités les misères causées par les mauvais gouvernements ; ils promettaient une éternité bienheureuse en récompense de la résignation des malheureux.
- Les temps sont changés. La nouvelle religion et ses prêtres, le capital et les économistes dévoilent à tous que les chômages et les suspensions de salaires proviennent uniquement de la surproduction, de l’excès des richesses.... Pour justifier cette aberration, les économistes prêchent le respect de la loi sans aucune compensation présente ou future.
- Espèrent-ils empêcher le peuple de comprendre les véritables causes de l’accumulation des produits?
- Les travailleurs, au lieu d’accepter cette explication comine une preuve rationnelle de leurs souffrances, l’interpréteront sagement comme un témoignage irrécusable de l’injustice des lois réglant la répartition des richesses ?
- Cette surproduction ne provient pas d’une erreur partielle ; elle est, au contraire, une résultante forcée du salariat en époque de grande industrie.
- De la surproduction constante, de la certitude de son augmentation si on ne veuttempérer le salariat par le garantisme, de l’évidence de pouvoir accélérer encore la production si on voulait suivre tous les élans du progrès; de tons ces laits, doit naître dans les consciences populaires un état d’esprit conforme ( aux idées suivantes :
- | « Puisqu’il y a encombrement dans les magasinages,
- ; puisqu’il y a beaucoup d’ateliers fermés et un grand nombre I d’ouvriers sans travail, puisqu’il serait facile d augmente!,
- p.476 - vue 479/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 477
- encore la production, il est donc possible de laisser aux classes dirigeantes toutes les jouissances, toutes les occasions de consommation dont elles disposent maintenant, d’entretenir les approvisionnements suivant les besoins de ces mêmes classes, et de continuera produire en vue d'améliorer la situation des clasees laborieuses, par la mise en activité des travailleurs en chômages et des usines fermées ».
- Ce raisonnement si logique, si sensé ne peut manquer de frapper les cerveaux ouvriers. Sous cette conception ,les travailleurs seront portés à s’emparer des moyens de production, si le capital continue à se montrer incapable de préparer un avenir si nettement entrevu.
- Lorsque cette lumière sera faite dans les cerveaux des prolétaires, comment les croire assez naïfs pour accepter, comme définitif, un ordre social créé à peine depuis quelques dizaines d’années et défendu par les augures de l’économie politique, osant ériger en article de foi cette absurde prétention : Les travailleurs doivent se résigner à la misère, parce qu’il y a engorgement de richesses !
- La constatation simultanée du perfectionnement des moyens de production et l’arrêt de la circulation det> produits par engorgement est un phénomène nouveau dans la vie des nations-, cette nouvelle phase de l’humanité exige une constitution nouvelle des sociétés.
- Des classes dirigeantes conscientes surveilleraient cet accroissement ; elles s’appliqueraient à trouver une répartition des richesses en rapport avec les facilité des les produire ; elles éviteraient ainsi le retour des désordres populaires; chacun pourrait envisager l’avenir avec sérénité, au lieu de s’épouvanter des sourds grondements des classes laborieuses.
- L’extinction du paupérisme n’est plus une utopie ; des ressources suffisantes sont accumulées entre les mains des millionnaires ; la Mutualité Nationale alimentée par l’hérédité de l’Etat est le moyen pratique de canaliser la distribution des richesses, en vue du bonheur commun.
- L’utopie, utopie grosse de dangers, c’est la volonté d’ajourner plus longtemps l’équilibre de la production par la consommation intérieure !
- L’utopie c’est de ne pas chercher l’ordre social dans ce équilibre !
- L’utopie, c’est de ne pas sentir cette conception devenir la pensée commune du prolétariat, sous la propagande des penseurs et des militants résolus !
- L’utopie c’est de prétexter, pour expliquer l’inaction, le défaut d’unanimité des classes laborieuses; devenues conscientes dans leur ensemble, elles repousseront, comme insignifiantes, des mesures transitoires et progressistes susceptibles d’être accueillies, maintenant, par elles, comme des aetes de générosité et d’humanité !
- L’utopie, c’est d’être capable de multiplier la production ét de prêcher l’éternité du paupérisme !
- La Mutualité Nationale est le pondérateur rationnel de nos sociétés.
- Si on en retarde la fondation, les déshérités prononceront la déchéance des classes dirigeantes.
- Alors, la précipitation du peuple désireux de regagner le emps perdu et l’inexpérience des travailleurs aboutiront inévitablement à des erreurs et à des excès désastreux.
- La masse a besoin d’être dirigée.
- Aux hommes instruits, expérimentés de ne pas perdre tout droit à cette direction.
- La situation des société civilisées est comparable à celles d’un moissonneur entouré de magnifiques moissons, ennivré par la contemplation des récoltes couchées à ses pieds, au point de ne pas s’apercevoir des signes précurseurs d’un ouragan ; il ne voit pas les épais nuages percés de temps en temps par la lueur des éclairs, il n’entend pas les premiers grondements du tonnerre ; il resterait inconscient des précautions à prendre, si la destruction de ses biens et son désespoir ne le forçaient à comprendre trop tard la folie de ses illusions.
- En Belgique, en Angleterre, en Allemagne, en Russie, en France, en Amérique, l’atmosphère social est chargé de gros et noirs nuages politiques, profondément soudés les uns aux autres, les sourds grondements des émeutes ont déjà retenti et les sinistres rayons des incendies ont sillonnés ces ténèbres, comme les signes avant-coureurs de profonds déchirements prêts à entraîner l’humanité.
- Les classes dirigeantes, les gouvernants persisteront-ils à ne point voir, à ne point entendre?
- Notre troisième République peut donner à notre pays l’éternelle gloire d’entraîner tous les autres peuples, vers l’adoption du garantisme social, par une hardie et généreuse Jnaüguration de la Mutualité Nationale.
- Osera-t-on célébrer le centenaire, avant d’avoir appliqué la plus grande conception des indomptables lutteurs de 89, Misère et Philosophie.
- S. DEYNAUD.
- CHARLES SA VILLE
- par ROBERTSON Roman philosophique Chapitre XIII
- 'CAUSERIES ET RÊVERIES - LE PANTHÉISME.
- — La loi sur laquelle repose mon système, dit Muller, est le dualisme dans l’unité.
- — Aïe, aïe ! quel début ! s’écria Schwartz. Vous êtes trop savant, Monsieur Muller. Je ne pourrai jamais vous suivre.
- — J’espère que si, répondit Muller, avec un bon sourire. Je ferai tous mes efforts pour être clair. Quand j’emploierai un mot peu usité, je l’expliquerai par des ex*
- p.477 - vue 480/838
-
-
-
- 4T8
- LE DEVOIR
- empîes. Du reste, ne craignez pas de m’interrompre et de me faire des objections ; j’y répondrai démon mieux. Ce que j’entends par le dualisme dans l’uniLé, c’est que les choses ou les êtres qui nous paraissent les plus uniques ou les plus simples sont doubles en réalité. Celte loi universelle nous est démontrée par une multitude d’emblèmes, dont l’un des plus frappants est l’ho r me et la femme. Ces deux individualités forment letre complet, le typede l’espèce humaine. L’un sans l’autre n’est pas une unité, ce n’est qu’une moitié, incapable de transmettre la vie. Semez un germe ; il ne tarde pas à se dédoubler ; une moitié plonge dans la terre et devient ra cine, l’autre s’élève et devient tige. L’air, qui était un élément pour nos pères, est double ; il est formé d’oxygène et d’azote. L’eau, cet autre élément, est double aussi ; elle se compose d’hydrogène et d’oxygène. Dans un autre ordre d’idées, nous remarquons une double électricité, ou du moins deux manifestations différentes d’un fluide unique. L’aimant a deux pôles, dont l’un attire et dont l’autre repousse. Je n’en finirai pas si je voulais multiplier les exemples : mais je pense que ceux-là suffisent.
- — Oui, oui, dit Edouard, c’est clair, tout est double,
- et nous en avons des preuves en nous-mêmes. N’avons-nous pas deux bras, deux mains, deux pieds, deux yeux, deux oreilles...?
- — Deux nez et deux bouches, ajouta ironiquement Srhwartz.
- — Non, dit Muller, mais deux narines et deux fosses nasales, deux rangées de dents.
- — Ah, c’est vrai, dit Schwartz. Mais au moins, ajouta t-il, d’un ton comiquement sentimental, nous n’avons qu’un cœur !
- — Je vous demande bien pardon, dit Campiglio, nous avons deux cœurs, ou du moins notre cœur est double, et je vous le prouverai, le scapel à la main, à la première volaille que le cuisinier tuera. Notre système sanguin est double. Notre cerveau est double. Nos nerfs sont doubles ou distribués par paires, et ils ont chacun deux racines. Je ne sais quelle conséquence M. Muller en veut tirer, mais son principe me paraît incontestablement vrai.
- — Alors, dit Edouard, adoptons le principe de M. Muller. Je n’y vois, pour ma part aucun inconvénient.
- — La grande unité qui s’appelle l’Univers, continua, M. Muller est donc double aussi. Ses deux éléments sont l’esprit et la matière. Tous deux éternels, tous deux inséparables, aussi indispensables l’im à l’autre que l’homme l’est à la femme ; que la femme l’est à l’homme. Sans l’esprit, la matière serait le chaos; sans la matière l’esprit n’aurait aucun moyen de se sentir et de se manifester. 11 serait comme nul et non avenu.
- — Doucement, doucement, dit Murray. Je vois plusieurs hérésies dans ce que vous dites là. Que l’esprit est éternel, je l’admets; mais quant à la matière, c’est autre chose. C’est Dieu ou l’esprit comme vous l’appelez qui a créé la matière. Voilà ce qu’on nous enseigne, et ce que nous ne pouvons refuser de croire sans impiété.
- Campiglio haussa les épaules, mais Muller reprit avec douceur.
- | — Je serais désolé de vous blesser dans vos croyances.
- 1 Prenez ce que je dis comme une rêverie que je raconte pour passer le temps, et non comme un dogme que je cherche à propager. Du reste, je n’ai rien avancé jusqu a présent qui soit en contradiction avec la genèse. Ne dit-elle pas en effet : « La terre était informe et toute nue , les ténèbres couvraient la face de l’abîme ; et l’esprit de Dieu était porté sur les eaux » ? La matière existait donc en même temps que l’esprit, et la création consista, non pas à tirer la matière du néant, mais à la débrouiller et à lui donner une forme.
- — Ah ça dit Mortimer, en faisant tomber la cendre de sa pipe, si je vous ai bien compris, la matière est éternelle ; or, le tabac est delà matière, et cependant il n’est pas éternel. Tirez-vous de là, monsieur le savant, et dites-moi ce qu’est devenu le tabac qui était dans ma pipe.
- — Mon cher capitaine, dit Campiglio, en riant, une partie de votre tabac s’est transformée en cendre, que vous venez de jeter, etitne autre partie en gaz qui se sont dispersés dans la cabine, dans vos vêtements et dans dans votre haleine. Si l’on pouvait rassembler tout cela jusqu’à la dernière parcelle, et le peser, on retrouverait le poids de la matière que vous aviez fourrée dans votre pipe sous forme de tabac. Le tabac est une forme de la matière. On vous a dit que la matière est éternelle ; mais on ne vous a pas dit que la forme fût impérissable.
- — J’ai une autre objection à faire, dit Murray» Vous nous dites que Dieu n’a pas fait sortir la matière du néant, et j’admets votre proposition, sous toutes réserves, quoiqu’elle ne me semble pas tout à fait orthodoxe. Mais j’entrevois, dans ce que vous avez dit, que vous niez en outre que Dieu ait créé notre âme.
- — Croyez-vous que notre âme soit immortelle ? demanda Muller.
- — Oui, certainement, je le crois, et très-fermement.
- — Et moi aussi. Si elle est immortelle, cela veut dire qu’elle n’aura pas de fin n’est-ce pas ?
- Sans doute.
- — Eh bien, si elle ne doit pas avoir de fin, comment voulez-vous qu’elle ait eu un commencement ? Conce-cevez-vous un bâton qui n’aurait pas deux bouts ?
- — Je ne le conçois pas, parce que mon intelligence a des bornes, mais je sais que cela est.
- — Pourquoi vous retrancher derrière ce rempart des bornes de l’intelligence ? Sans doute l’idée de l’infini est éblouissante comme le soleil, que nous ne pouvons regarder qu’à travers un verre enfumé. Cependant, nous avons un emblème qui vient au secours de notre faible esprit : le cercle, qui n’a ni commencement ni fin. Si vous m’accordez que la matière est éternelle, vous m’accorderez bien que l’esprit est également éternel.
- — L’esprit divin, oui ; mais non l’esprit humain.
- — Pourquoi pas ?
- — Parce que l’homme est la créature de Dieu.
- -~ Je pense comme vous que la forme humaine est l’ouvrage de Dieu. Mais je pense que l’âme qui meut cette matière est une parcelle de Dieu lui:mème, c’est-à-dire de l’esprit, complément indispensable de la matière.
- p.478 - vue 481/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 479
- — Mais alors, l’homme serait dore l’égal de Dieu?
- — Il n’est pas plus son égal que le rayon, émané du soleil n’est l’égal du soleil lui-même. Pas plus que le grain de poussière n’est l’égal des mondes qui roulent dans l’espace. Le fluide que vous développez d’un morceau d’ambre, en le frottant sur votre manche, est de même nature que la foudre qui gronde sur nos tètes ; mais combien différente est leur puissance ! L’un soulève à peine un brin de paille, l’autre fait éclater les rochers.
- — En d’autres termes, dit Edouard, l’homme est à Dieu comme le grain de cendrée est au boulet de quarante-huit.
- — Il faudrait diviser le grain de cendrée et multiplier le boulet, de canon des milliards de fois, reprit Muller, pour se faire quelque idée de l’inégalité de puissance entre ces deux êtres ; ce qui ne les empêche pas d’être de même nature. Et remarquons ici toute la partie de cette idée, qui nous met en communauté, non-seulement avec notre petit globe, mais avec tout l’univers, et avec Dieu lui-même. Quel est l’homme, qui, imbu de cette idée, voudrait nuire à son semblable ? Quel est l’homme qui voudrait souiller son essence divine par des actions basses et honteuses ?
- — Votre idée est grande et belle, dit Campiglio. Mais hélas ! vous la réfutez vous-même, sans vous en apercevoir. De fait, l’homme nuit à son semblable de toutes ses forces ; il se dégrade de toutes les manières imaginables. Donc, son essence n’est pas divine, puisqu’elle ne l’empêche pas de se livrer à ses passions effrénées. Tant que vous ne m’aurez pas expliqué pourquoi l’homme est si malfaisant, pourquoi, sur la terre, le mal l’emporte toujours sur le bien, je soutiendrai que votre système pèche par la base.
- — Je tâcherai de vous satisfaire, dit Muller. Si mon auditoire prend quelque intérêt à mes explications, nous traiterons dans notre prochaine causerie des rapports entre l’esprit et la matière, et de la manière dont ils réagissent l’un sur l’autre.
- Chapitre XIV
- CAUSERIES ET RÊVERIES. - SUITE.
- — Nous avons établi, dit Muller, que l’esprit et la matière sont co-éternels ; que l’esprit gouverne la matière, qu’il lui donne le mouvement et la vie. Mais la matière a des formes infinies, qui se prêtent plus ou moins facilement à l’imprégnation de l’esprit. Nous connaissons la généralité des corps sous trois formes principales ; la forme solide, la forme liquide et la forme gazeuse. A l’aide de la chaleur, on peut ramener tous ies corps à ce dernier état ; et c’est ainsi, selon toute probabilité, que les comètes sortent du laboratoire éternel pour être lancées dans l’espace, et y parcourir des distances prodigieuses, pendant des siècles, jusqu’à ce qu’un refroidissement graduel permette la formation d’un n°yau solide. Après d’autres siècles, encore, l’embryon devient un globe, soleil ou planète. Pour ne pas nous laisser entraîner à des écarts d’imagination, admettons mie ce soit une planète.
- — Oui, dit Mortimer, dont les yeux commençaient à s’appesantir ; prenons que ce soit une planète et n’en parlons plus.
- — Au contraire, dit le docteur, parlons en ; car c’est à présent que nous allons sortir des abstractions.
- — Admettons-le donc, dit Muller, avec son inaltérable douceur, parce que nous habitons une planète dont la constitution commence à nous être connue, depuis les travaux de Hutlon, de William Smith, de Werner, de de Cuvier, de Humbolt, et de tant d’autres célèbres géologues. Jusqu’ici, le monde futur, dont je vous raconte la naissance, n’a obéi qu’aux lois éternelles imposées par l’esprit à la matière brute ou inorganique. Ces lois ont pour agents exécutifs plusieurs forces, telles que la gravitation et le calorique, ou, si vous l’aimez mieux, la chaleur.
- — Oui, je, l’aime mieux, interrompit Edouard. Pourquoi faire des mots nouveaux, pour dire la même chose qu’avec des mots anciens que tout le monde comprend ?
- — C’est que, répondit Muller, à mesure que nous étudions la nature, de nouveaux faits se révèlent, qui rendent insuffisantes ou équivoques les dénominations déjà connues. Si, par exemple, je vous disais qu’il y a de la chaleur dans un morceau de glace, vous croiriez que je vous trompe ou que je suis fou.
- — Comment! comment ! s’écria Mortimer, est-ce qu’il y en a de la chaleur dans un morceau de glace ?
- — Oui, mon brave capitaine, dit Campiglio. Ce matin, sur le pont, vous vous p~épariez à allumer votre pipe. Vous teniez entre vos mains un morceau d’acier et un caillou....
- — Mon briquet, quoi !
- — Eh bien, l’acier et le caillou étaient bien froids, n’est-ce pas ?
- — Je crois bien. J’en avais l’onglée.
- — Très bien. Alors vous avez battu le briquet. Qu’en est-il sorti ?
- — Du feu, parbleu.
- — Ah ! du feu, c’est de belle et bonne chaleur, j’espère. Dans vos voyages, vous n’êtes pas sans avoir énten-du dire que les sauvages prennent deux morceaux de bois, et en tirent aussi du feu. en les frottant l’nn contre l’autre.
- — Oui, certainement. Je l’ai même vu, de mes propres yeux vu.
- — Vous voyez donc bien qu’il y a de la chaleur cachée dans le caillou, dans l’acier, dans le bois, et qu’il peut y en avoir dans la glace. O11 la développe par le choc, par le frottement, par le mouvement enfin. Or, si nous nous servions du mot chaleur pour ce qui nous glace aussi bien que pour ce qui nous brûle, nous finirions par ne plus nous entendre. Voilà pourquoi l’on a inventé le nom de calorique.
- — Monsieur le docteur a parfaitement expliqué la chose, dit Muller. Et permettez-moi de tirer de son explication deux conséquences : la première c’est que nous y trouvons un nouvel exemple du dualisme dans l’unité ; puisque le même agent nous fait éprouver deux sensations aussi différentes que le chaud et le froid, la seconde
- p.479 - vue 482/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 480
- c’est qu’on a peut-être tort d’accuser les savants de se complaire dans un jargon inintelligible. Revenons au calorique. En se dilatant, il écarte les molécules de la matière, qu’il fait passer de l’état solide à l’état liquide, et de celui-ci à l’état gazeux. Nécessairement, c’est l’inverse qui a lieu, quand le calorique se contracte, et nous avons laissé notre globe à ce point de condensation où la masse centrale, encore en fusion, s’est trouvée enveloppée d’une croûte durcie par le refroidissement. Mais avant que cetfe croûte fût complètement figée, la matière bouillante de l’intérieur a dû par moment se faire jour par les fissures, et produire à la surface des sillons et des rugosités, qui s’appelleront plus tard des bassins des vallées, des continents et des chaînes de montagnes-Les volcans sont encore là pour prouver que ce n’est pas un roman que je vous fais. Le refroidissement continuant, la vapeur d’eau s’est condensée, a pris la forme liquide, et s’est répandue dans les sillons ou cavités, que nous appelons le lit des mers. Les autres vapeurs plus lourdes sont retombées et se sont solidifiées. L’air s’est épuré, et forme autour du globe l’enveloppe que nous appelons atmosphère. Cependant, notre globe n’est pas encore en état d’entrer dans la phase de la vie organique. Il faut qu’un limon fertilisant recouvre les roches granitiques et nues, et les rende propres à la végétation. Pour arriver à ce résultat, il se fait un petit changement dans les conditions d’équilibre, et les eaux, qui avaient pris le niveau sur tout ou partie d’un émisphère, sont déversées sur l’hémisphère opposé, laissant à découvert les terres qu’elles ont engraissées de leur limon.
- — Diable ! s'écria Edouard, mais c’est le déluge que vous nous décrivez là.
- — C’est un déluge, reprit Muller. Cela arrive à notre globe tous les dix mille ans, et l’on en compte quatorze, si je ne me trompe.
- — Fichtre ! ditEdouard. Cela donne à la terre un âge bien respectable : Cent quarante mille ans, sans compter les mois de nourrice ! Qu’est-ce que vous dites de ça, monsieur Murray ? Nous autres qui ne donnions à la terre que cinq à six mille ans !
- M. Murray haussa les épaules, sans rien répondre.
- Charles, qui, jusqu’alors n’était pas sorti de son rôle de simple auditeur, profita de ce moment d’interruption pour faire une observation.
- — Monsieur, dit-il à Muller, je conçois l’utilité de ce mouvement de bascule, qui inonde et met à sec alternativement telle ou telle partie du globe, afin d'y répandre la fertilité ; et les inondations du Nil, rendant si féconde la terre d’Egypte, sont un exemple à l’appui de votre théorie. Je conçois donc cela, dis-je, tant qu’il n’y a pas d’autre vie sur la terre que la vie végétative. Mais une fois la terre peuplée d’êtres vivants, il est évident que ces êtres doivent périr à chacune de ces catastrophes. L’esprit tout-puissant se complairait-il donc à anéantir à de de certaines époques tout ce qu’il a fait, pour recommencer sur de nouveaux frais ? Cela ne justifierait-il pas Je reproche de cruauté que lui adressait l’autre jour le docteur CampîcTinV
- — Vous oubliez, répondit Muller, que vous m’avez accordé que rien ne peut être anéanti, puisque l’esprit et la matière sont immortels. Il ne peut y avoir que des transformations. La mort n’est qu’une métamorphose. Or, qu’importe à l’esprit de vivre sous une forme ou sous une autre ? Quoi qu’il en soit, j’espère vous prouver, dans notre prochain entretien, que l’esprit est conséquent avec lui-même, et qu’il ne défait pas ce qu’il a fait, pour le simple plaisir de détruire,
- (A suivre.)
- Etat civil du Familistère.
- Semaine du 12 au 18 Juillet 1886
- Naissances :
- Le 13 juillet, de Delzard. Hélène, fille deDelzard Alfred et Gaplot Marie.
- Le 17 juillet, d’un enfant mort-né, de Dagnicourt Alfred et de Ribeau Marie.
- Le droit des travailleurs à la retraite par E La-viron. Paris, Décembre imprimeur, 326, rue de Vaugirard, Revue socialiste, 43, rue des Petits-Carreaux, Paris. Prix : 2 fr. 50.
- M. Laviron a voué sa vie à cette question si importante et si urgente des caisses de retraite pour les travailleurs. Homme d’étude et d’observation, il sait que la coopération n’est pas suffisante à donner la solution et il réclame avec infiniment de raison l’intervention de l’Etat. Nous ne saurions trop recommander cet instructif petit livre, d’une dialectique serrée, d’une générosité de sentiment qui ne se dément pas, et d’une abondance de faits et d’arguments qui en font un bon livre au service d’une bonne cause.
- Vient de paraître le n° 19 de la Revue socialiste dont voici le sommaire :
- Morales panthéistes, B. Malon. La répartition du travail dans l’Etat socialiste, K. Kanstky. L’Agiotage de 1870 à 1884, A. Chirac. Le Familistère de Guise, F. Mijoul. La question sociale, Yves Marcas.
- Une conférence socialiste, A. C. La propriété communale, E. de Laveleye. Les croisades au XIXe siècle, Tubiana. Ls15 juillet 1886, G. Rouanet. Un Projet de loi, Toret. Panthéisme scientifique, J. Baissac. Société républicaine d’économie sociale. Mélanges et documents. Revue de la Presse. Revue des Livres. Divers.
- Le Revue socialiste paraît le 15 de chaque mois en livraison de 112 pages.
- Bureaux: 43, rue des Petits-carreaux.
- Abonnements : France, Belgique, Suisse: 3 m. 3 fr.; 6 m. 6 fr.; un an 12 fr.
- Autres pays : 3 m. 3 fr.50; 6 m. 7 fr. ; un an 14 fr. Le numéro 1 fr.
- Le Directeur Gérant : GODIN
- p.480 - vue 483/838
-
-
-
- 10e Année, Tome 10.— N’ 412 Le numéro hebdomadaire 20 c. Dimanche Ier Août 1886
- mmom
- mil DES QUESTIONS SOCIALES
- BUREAU
- a GUISE (Aisne)
- Toutes les communications et réclamations doivent être adressées à M. GODIN, Directeur-Gérant Fondateur du Familistère
- ABONNEMENTS PAYABLES D’AVANCE par l’envoi, soit au bureau de Guise, soità celui de Paris, de timbres-poste ou de mandats de poste, dont le talon sert de quittance.
- France
- Un an . . Six mois. . Trois mois.
- 10 fr. »» 6 s» 3 »»
- Union postale Un an. . . 11 fr. »» Autres pays
- Un an. . . . 13 fr. 60
- ON S'ABONNE
- A PARIS
- 5, rue Neuve-des-Petits-Champs Passage des Deux-Pavillons
- S’adresser â M. LEYMARIE administrateur delà Librairie des sciences psychologiques.
- SOMMAIRE
- Réponse au « Révolté, » et au « Socialiste ». — La misère en Irlande.— Le scrutin du Fr août. — Les orphelins de Porquerolles.— Faits politiques et sociaux de la semaine. — A Decazeville. — Aphorismes et préceptes sociaux.— Les troubles d’Amsterdam. — La réglementation du travaildes femmes et des enfants.— La transmission de la force par l’électricité. — Charles Saville. — Examen du certificat d'études primaires. — Etat-civil du Familistère.
- RÉPONSE AU « RÉVOLTÉ »
- ET AU ‘ SOCIALISTE »
- Le Révolté et le Socialiste continuent la fraternelle campagne que ces deux frères, jadis ennemis, ont entreprise, d’un commun accord, contre le Familistère et le programme des réformes sociales élaboré par le Devoir.
- Cette fois, les deux organes révolutionnaires ont paru vouloir se rendre en partie à l’invitation que nous leur avions faite, de laisser les questions de personne, qui n’ont rien à voir dans une discussion de principes, pour nous faire l’exposé de leur programme. Le Révolté nous a donc fait l’exposé de l’anarchie,et le Socialiste une critique des réformes Que nous proposons,suivie de celles qu’il défend et qu’il prétend nous opposer.— Bien entendu, l’un l’autre, maissurtout le Socialiste,ont assaisonné leurs critiques et leur exposition de ces insinua-l’°ns aieres-douces et de ces épithètes semi-inju-
- rieuses, sans le secours desquelles ils ne semblent pouvoir conduire une discussion.
- Dédaignant les fioritures et les traits de style habituels à ces rédacteurs beaux esprits,nous irons droit aux faits, — c’est-à-dire à la théorie et aux programmes.
- Après avoir traduit à sa façon et en quelques lignes le programme politique ht social du Devoir, le Révolté nous expose ainsi le sien : « L’incendie « du grand livre, des titres de propriété, de toutes « les paperasses légales, la démolition des prisons « et des bagnes, la destruction de tous les quartiers « infects où les prolétaires sont condamnés à la « mort lente, la suppression de tous les corps of-« ficiels, clergé, magistrature, police, armée...»
- — Tel est le but qu’il poursuit.
- Puis, il nous demande si « la prise de possession « des palais, des mines, des grands domaines, celle « des manufactures et des fabriques, la révolte « définitive du travail contre le capitaliste,la main « mise sur les fortunes privées, seront des événe-« ments d’importance minime » à nos yeux ?
- Non, certes ! Cette transformation, procédant par la destruction universelle, par la démolition en masse, serait, en elle même, le bouleversement le plus grand, pour ne pas dire le plus épouvantable, que les annales de l’humanité aient jamais enregistré.
- Mais quelle sanction présiderait à cette révolte ? Sur quelles bases de justice s’opérerait la reprise générale, par les prolétaires, de tout ce qui existe ? Dans le cadre de quelle organisation serait ordonnée la société au sortir du cyclone ré-
- p.481 - vue 484/838
-
-
-
- m
- LE DEVOIR
- volutionnaire qui aurait renversé toutes les lois — nous admettons pour un instant que ce serait possible — brisé toutes les barrières, supprimé tous les privilèges et lavé la lace du monde de toutes les iniquités qui la souillent ? — En un mot, quel « ordre » s’établirait.
- Le Révolté nous répond : « Nous voulons l’orure « par le libre jeu des volontés, dans la liberté « absolue, sans gouvernements... L’ordre qu’i « nous faut, est celui qui provient de l’observation « des lois naturelles.»
- Voilà qui est clair et net.— Plus de lois plus de sanctions ! Le libre jeu des volontés « et l’observa-« tion des lois naturelles » suffiraient pour transformer l’enfer social actuel en Eden anarchiste.— Il ne nous dit pas comment s’exercerait ce libre jeu des volontés, ni quelles sont les lois naturelles, qu’à défaut de lois écrites et acceptées, il conviendrait d’observer. Peu importe !
- On comprend sans peine que des hommes professant semblables théories, des nihilistes dans toute l’acception du mot, poursuivant je ne sais quelle œuvre sombre de destruction univ rsHip totale et résolus à substituer à la sanction collective la sanction individuelle de chacun, c’est-à-dire le droit du plus fort, institué sur les ruines amoncelées par la révolte, considèrent comme mauvaise l’œuvre du Familistère, qui n’est pas une œuvre négative mais positive, une œuvre de dissolution» mais d’organisation.
- Notre programme dont l’objectif est de faire disparaître graduellement la société actuelle au profit d’une société meilleure, dans laquelle tous auraient des droits et des devoirs égaux ou équivalents, sinon identiques, ne peut leur convenir. Nous perdrions inutilement notre peine et notre temps, à vouloir les persuader du contraire.
- Le Socialiste, pour ne pas appartenir à la même école, ne s’acharne pas avec moins de virulence que les anarchistes après le Familistère et notre programme. Seulement, tandis que le Révolté met une certaine franchise dans l’exposé de ses théories, le journal collectiviste, lui, commence d’abord par faire une coupure — la plus importante — dans son programme, afin de pouvoir se trouver en contradiction avec nous et nous accuser de duplicité.
- Depuis sa fondation, en effet, le Devoir n’a cessé !e réclamer l’Hérédité de l’Etat. L’adoption du projet sous lequel nous avons présenté cette mesure, aurait pour effet de libérer la classe ouvrière des
- prélibations budgétaires qui l’écrasent à celte heure, et de constituer à bref délai un domaine social considérable, qui irait toujours en s’augmentant, et finirait par faire passer la propriété dans les mains de la classe ouvrière, ainsi délivrée du salariat, la forme du servage actuel.
- Les divers partis socialistes, sans en excepter celui dont le Socialiste est l’organe, avaient, eu 18 79-1880, inscrit également cette réforme dans leur programme. Or, voici ce que nous dit le Socialiste de cette revendication : « Nous n’avons « jamais tenu grandement à cet article sur l’hérite tage, parce que nous savons qu’il était irréalisa-« ble; en effet jamais aucun gouvernement bour-« geois ne touchera à l’héritage... Nous n’avions « inséré cet article que pour en faire plaisir aux « petits bourgeois et aux philanthropes... »
- Après avoir ainsi biffé cette partie de leur programme, nos contradicteurs assurent qu’il n’y a rien « de plus anodin et de plus grotesque que ces « demandes d’abolition de l’héritage ! »
- Ainsi, MM- les rédacteurs du Socialiste, nous apprennent qu’ils ont rédigé ie orogramme adopté p;r o<. ng.è» uuvuer u». Havre, et qu ns y inséraient des reformes qu’ils savaient « grotesques » et « irréalisables »! — Peut on avouer, avec plus de sans-gêne, le rôle de dupes que ces gens là font jouer aux délégués ouvriers dans leurs congrès ?
- Car si MM. du Socialiste ne se dissimulent pas le caractère c anodin et grotesque » de certaines de leurs propositions, les délégués ouvriers qui les votent, eux, sont de bonne foi, convaincus de leur efficacité, et ne songent pas un seul instant que ceux qui les leur présentent les bernent et les jouent, comme on nous en fait ingénument l’aveu dans le Socialiste !
- Que de contradictions, dans l’argumentation même sous laquelle notre adversaire essaie de couvrir de ridicule notre projet d’hérédité !
- D’une part, il affirme que la demande d’abolition de l’héritage est « anodine et grotesque, » parce « qu’aujourd’hui que les fortunes sont en papier,— « actions de chemin de fer, rente sur l’Etat (Il y a bien aussi quelques titres de propriété ? ) — un « mourant peut les mettre sous son oreiller pour « que son fils les y trouve sans que personne en « sache rien » — à moins toutefois, qu’on convertisse les titres au porteur en titres nominatifs ?-^
- Et d’autre part, il considère ce projet « anodin » comme « irréalisable, parce que jamais aucun gouvernement bourgeois ne touchera à l’héritage ! »
- p.482 - vue 485/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 483
- Un peu plus de logique MM» du Socialiste ! — Si notre projet de modification et de suppression ^8 l’héritage est « anodin », inefficace, pourquoi aucun gouvernement bourgeois ne toucherait-il au mode d’héritage actuel ? ~~ Et s’il est efficace, comme nous en sommes convaincu; si, comme font goutenu jadis les rédacteurs du journal parisien, son adoption doit améliorer la condition de la classe ouvrière, pourquoi ne pas en faire la plateforme des revendications populaires ?
- MM. du Socialiste considèrent-ils,peut-être, que toute revendication adressée aux pouvoirs publics, tout projet de réforme, est condamné d’avance à une fin de non-recevoir absolue ? — Mais alors les anarchistes ont raison contre eux, quand ils leur reprochent de duper les ouvriers, en se présentant comme candidats avec un programme de réformes qu’ils savent parfaitement inutile; en préconisant des mesures de détail transitoires «pratiques », qu’ils savent parfaitement impraticables?
- Car si notre projet d’hérédité par l’Etat, ayant pour but la constitution d’un domaine national propre à fournir des garanties sociales aux classes laborieuses est traité de « grotesque » par le Socialiste, celui-ci n’en a pas moins un programme, qu’il a la prétention d’opposer au notre, en le déclarant « autrement pratique et surtout autrement utile aux ouvriers » que celui du Devoir.
- Qu’on en juge; ce programme le voici :
- « Nous demandons la journée de 8 heures, l’in-< terdiciion légale aux patrons d’employer les « ouvriers étrangers à un salaire inférieur à celui « des-ouvriers français ; l’égalité de salaire, à tra-« vail égal pour les hommes et les femmes ; l’é-« ducation des enfants à la charge de l’Etat et de
- * la commune ; l’intervention des ouvriers dans « les règlements d’atelier ; la suppression du droit
- * usurpé par les patrons de frapper d’une pénalité 4 quelconque leurs ouvriers sous forme d’amendes ' et de retenues sur les salaires, etc.»
- Et c’est tout ?— Pas plus.
- Voilà tout l’ensemble de réformes que ces foute^ de guerre du socialisme opposent triompha-te^nt au programme du Devoir !
- Nous ne voulons pas imiter les procédés de po-létnique en honneur au Socialiste. Et devant une telle énumération, nous préférons l’accuser d’igno-rance que de mauvaise foi. Evidemment, l’auteur ^ l’article n’a jamais lu le Devoir, sans quoi, Qous le mettrions au défi de citer un numéro de a°tre journal, de la lecture duquel il puisse inférer
- j que nous sommes opposé aux réformes de détail | si pompeusement étalées plus haut, j Ne sommes-nous pas, en effet, partisan-; de la j réduction de la Journée de travail ? Malgré les j conditions sociales actuelles de milieu, qui ne | permettent pas à une association, malheureusement isolée comme le Familistère, de pratiquer toutes les améliorations acceptées en principe, ici, la journée,qui est partout ailleurs de 12 heures, a été réduite à 10; et les ouvriers du Familistère travaillant 10 heures, ont un salaire de 33 0/0 supérieur au salaire des ouvriers de la môme profession, travaillant 12 heures. En plus, ils participent aux bénéfices de l’association, jouissent d’un minimum de subsistance pendant les maladies, de soins médicaux et de médicaments gratuits, de tous les avantages enfla de la vie unitaire.
- Pour la réduction de la journée de travail à 8 heures, naguère, encore, dans notre n° du 30 mai, poursuivant la campagne entreprise par le Devoir en faveur d’une législation internation a ledu travail,nous avons fourni des arguments décisifs à l’appui, tirés d’une expérience fortuite, faite au Familistère i même.
- Nous souscrivons à l’interdiction faite aux patrons d’employer des ouvriers étrangers à un salaire inférieur à celui des ouvriers français.
- Partisans de l’égalité civile, politique et économique de l’homme et de la femme, défendue par le Devoir depuis sa fondation, nous n’avions pas besoin de MM. du Socialiste pour nous apprendre qu’à travail égal, la femme a droit au même salaire que l’homme.
- De même pour l’éducation des enfant?, que le Socialiste veut mettre à la charge de l’Etat et de la Commune. Si son rédacteur avait visité au Familistère la Nourricerie et le Bambinat, où les enfants sont entretenus gratuitement aux frais de l'association, nos écoles où nos enfants reçoivent l’instruction jusqu’à l’âge de 14 ans révolus, il n’aurait pas pris la peine — un peu ridicule — de* nous donner des leçons de socialisme dont nous n'avons que faire.
- Toutes les réformes préconisées par le Socialiste « comme autrement pratiques et surtout autrement utiles aux ouvriers » que celles du Devoir, ne sont pour nous, en effe^qu’une infime et insuffisante partie du programme que notre journal s’efforce de développer et de pro pager, depuis son premier numéro.
- A quel mobile obéit donc le Socialiste en dénaturant nos idées et en calomniant le Familistère ?
- p.483 - vue 486/838
-
-
-
- m
- LE DEVOIR
- Sur le fonctionnement, de ce dernier, nous avions fourni des chiffres, exposé les avantages de sécurité, d’hygiène, de salaires supérieurs, d’entretien des enfants, de minimum de subsistance et de paricipation dont jouissent les coopérateurs de cette association. En réponse à ces chiffres, à cet exposé, le rédacteur nous oppose les moines de la chartreuse, qui n’ont rien à envier, nous dit-il, aux ouvriers du Familistère.
- Par ce dernier trait, nos lecteurs peuvent se faire aisément une idée des procédés de discussion employés par nos adversaires et de la sincérité de leur polémique.
- Nous ne pousserons donc pas plus loin et terminerons là dessus ; non sans exprimerle regret douloureux que nous éprouvons, à voir des gens se disant socialistes, jongler dé la sorte avec les projets de réforme qu’on adopte aujourd’hui, qu’on repousse le lendemain — tout cela, pour se donner un cachet d’originaliLé, d’invention, auprès des ouvriers, dont l’amélioration est ainsi reculée sinon compromise, par ces jalousies mesquines et ces préoccupations personnelles, d’une honnêteté au moins douteuse.
- La Misère en Irlande.
- La terre légendaire de misère et d’esclavage, l’Irlande, qui avait pu espérer un instant une fin à ses maux, vient de retomber lourdement de ses rêves dans la réalité sombre.
- M. Gladstone a quitté Je pouvoir, l’égoïsme anglais l’a. contraint à la retraite. La démission est donnée après une lutte acharnée qui a duré plus de quatre mois, lutte dans le Parlement, lutte devant le corps électoral, qui a étonné l’Europe, qui a passionné les amis de la liberté.
- C’en est fait, l’Irlande continuera sa vie misérable, la famine et la terreur y régneront comme par le passé, la tyrannie anglaise pressurera ce peuple qu’elle n’a pu s’assimiler, le brisera, l’é-'tranglera dans l’espoir vain d’étouffer en lui les sentiments légitimes de révolte — et cela jusqu’au jour où les ressorts trop tendus éclateront, où ces hommes affolés se lèveront en masse, renverseront tout obstacle; où la Révolution, d’autant plus sanglante qu’elle aura été plus longtemps attendue, fera regretter au peuple anglais les conseils désintéressés qu’il méprise aujourd’hui.
- Alors on songera à M. Gladstone. Mais le grand homme d’Etat ne sera probablement plus là — il sera d’ailleurs trop tard.
- Il faut vraiment que ces gens ne veuillent point ouvrir les yeux, car leurs passions ne sauraient les
- aveugler à ce point; il ne faut rien avoir vu, rien avoir entendu, pour ne pas comprendre que la révolte gronde et qu’elle va éclater — La campagne plus désolée, plus abandonnée que ne le fut ja. mais un désert, les rares paysans traqués se défendant des huissiers à coups de fusil — dans les villes la misère noire, la famine en permanence; voilà l’Irlande, telle que les anglais l’ont faite.
- Un de nos confrères, M. Philippe Daryl, publie en ce moment, dans le Temps, une série d’études sur la misère à Dublin qui donnent vraiment la chair de poule; et notez que Dublin est la ville principale, la ville riche...
- « La misère est grande à Dublin, dit M. Daryl, 6,036 de ses habitants sont au Work-house, ou maison des indigents • 4,281 reçoivent des seeours à domicile; 19,382 sont sans profession connue et sans moyens d’existence. Cela fait bien près de 30,000 pauvres dans une ville de 250.000 âmes. Et à côté de ces pauvres officiels, combien d’autres dont la détresse, pour n’être pas classée, n’est pas moins navrante! »
- Le tribunal de police en permanence condamne des misérables si noirs, si sales, si déguenillés, qu’ils font penser aux peuplades les plus arriérées et les plus déshéritées du globe — presque tous ont dérobé parce qu’ils avaient faim!
- Dans quels taudis vivent ces malheureux, dans quelle boue pullulent ces nuées d’enfants? II faut suivre M. Philippe Daryl, et le tableau de ces quartiers pauvres n’est pas moins saisissant :
- Une odeur fade, écœurante comme celle des hôpitaux mal ventilés, sort de ces bouges, vous prend à la gorge et vous rejette involontairement en arrière. Mais déjà vous avez été vu, et de tous côtés surgissent des spectres, se dressent des larves, se démasquent des sorcières comme n’en a pas rêvé Shakespeare — pour tendre la main et demander un copper, une pièce de cuivre... Les plus jeunes vous regardent tristement, sans oser mendier ; non que l’envie leur manque : mais elles savent que les coppers ne sont pas inépuisables et que les vieilles ont droit de préséance. Et alors, quand vous avez vidé vos poches, c’est un concert de bénédictions qui font mal, parce qu’elles sont effroyablement sincères et parce qu’on a honte de penser qu’on a mille fois jeté au vent ce qui pourrait étancher un instant la soif de ces damnés. Et l’on fuit ces épouvantes, en se demandant si les déserts ne seraient pas plus cléments aux misérables Fque les libertés de la ville de Dublin.
- Voulez-vous savoir de quoi se nourrissent ces infortunés?
- Ecoutez cette description de la voie qui mène a la cathédrale. « La grande artère commerciale de Nicholas-Street : »
- D’un bout à l’autre, elle est bordée d’échoppes infâmes ou semblent s’être donné rendez-vous les denrées de rebut de» deux mondes. Imaginez ce qu’il y a de hideux, d’avarié et a® répugnant dans les boîtes à ordures de deux capitales, el vous aurez une idée de ces étalages ; vieux os de boucherie<
- p.484 - vue 487/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 485
- laril rance,poisson gâté, pommes de terre en pleine germination fruits tournés, croûtes poussiéreuses, cœur de mouton, saucisses qui font songer au siège de Paris et qui en viennent oeut-étre: tout cela courant en guirlandes et festons, amoncelé en tas ou détaillée en rations lilliputiennes à un demi-penny.
- Qu’importent toutes ces misères, toutes ces douleurs, si les lords d’Angleterre calculent leurs fortunes par millions de livres, accumulent chaque année des revenus que leur luxe est impuissant à c0nsommer; — que l’Irlande meure de faim, mais qu’elle reste sous la dépendance et l’esclavage : telle est la doctrine anglaise dans toute sa rigueur et son égoïsme.
- LE SCRUTIN DU Ier AOUT
- Quand ces lignes paraîtront, les urnes seront ouvertes par toute la France, et le verdict attendu du suffrage universel aura été, sinonprononcé, au moins formulé, dans la pensée de chaque électeur.
- Quel sera ce verdict?
- Dans le dernier numéro du Devoir, nous avons manifesté le regret que nous causaient l’apathie de cette période électorale et 1a. direction indécise des divers courants politiques, qui ne se dessinaient que très faiblement, au milieu des compétitions personnelles des candidatset des partis locaux.
- Eu effet, tandis que les journaux réactionnaires annoncent à grand fracas que la consultation solennelle à laquelle le suffrage universel est appelé sera cette fois décisive et de nature à faire définitivement échec à la République, les professions de foi des candidats monarchistes ne sortent pas de l’ambiguité et de l’équivoque qui ont, jusqu’à ce jour, marqué la tactique suivie par les ennemis de nos institutions républicaines.
- A cet égard la profession de foi de M. le duc d’Harcourt, qui se présente dans le canton de Thury, arrondissement de Falaise, peut passer pour le modèle du genre :
- « Messieurs, dit-il, en me présentant à vos suffrages, je ne Cl'ûis pas avoir besoin de vous adresser une longue profes-s,on de foi ; connu delà plupart d’entre vous, envoyé par v°us pendant dix ans dans les assemblées, habitant au milieu
- vous, que pourrais-je ici, par un discours, vous apprenne sur mon compte.
- " Mes opinions quand j’étais votre député, sont restées mes Unions ; vous les connaissez. Si ces opinions sont les vôtres, Vûus me donnerez vos voix.
- * Si vous croyez faire mieux autrement, je souhaiterai 1Ue vous ayez eu raison ; mes sentiments pour vous n’en
- seront point changés ; j’espère pouvoir dire que vous les connaissez aussi bien que mes opinions.
- Signé : Duc d’HARCOuRT.
- On ne saurait être à la fois plus prudent, plus circonspect ni plus laconique que l’ancien secrétaire du Maréchal 1
- Il en est d’autres, qui, pour être moins laconiques, ne sont pas plus explicites. Le déficit, les difficultés économiques que nous traversons, y sont passés en revue, et tous engagent les électeurs à faire cesser un tel état de choses, en... votant, naturellement, pour le candidat conservateur.
- Les professions de foi de ces derniers ont malheureusement plus de prise sur l'électeur, car n’en déplaise aux politiciens optimistes, contents de leur sort et satisfaits, la période que nous traversons est douloureuse. Les fatalités économiques auxquelles la république avait pour mission de remédier, en les prévenant, par des réformes sociales profondes, étreignent notre pays, se repercutant sur les masses du salariat industriel et agricole, la petite propriété et le petit commerce.
- Dans ces conditions, il est évident que les monarchistes ont beau jeu contre la République, qui ne peut mais des fautes commises par ceux qui Font exploitée au lieu de la servir.
- Malheureusement, il ne paraît, ni aux professions de foi, ni aux déclarations gouvernementales, que les auteurs de ces fautes songent à les racheter dans l’avenir!
- Les nuances du parti républicain se succèdent au pouvoir, mais sans que cessent les abus et les errements de la fraction à laquelle la dernière succède.
- Obéissant à je ne sais quel misérable esprit de tradition, de solidarité avec les ministres renversés sous le fardeau écrasant de leurs propres fautes, les ministres nouveaux, loin de rejeter, par urk déclaration nette et précise, par un exposé sincère de la situation, l’héritage de leurs successeurs, le recueillent au contraire, de sorte qu’à chaque renouvellement du personnel gouvernant, on compte des ministres de plus, des min'sires tu moins, mais la machine sociale va toujours son même train.
- M. Sadi Carnot, par exemple, a fait publier cette semaine dans les journaux républicains un résumé de la situation financière, duquel il résulterait que le Trésor n’est pas dans l’embarras, qu’il
- p.485 - vue 488/838
-
-
-
- 486
- LE DEVOIR
- a des avances devant]ui et peutmême rembourser avant leur terme pour 79 millions d'obligations.
- Les chiffres se prêtent à toutes les combinaisons, et pour qui sait les manier, surtout en comptabilité financière, ils peuvent, à volonté, accuser un déficit ou présenter des excédants. Je crois cependant que si on scrutait ceux que M. le Ministre des finances a complaisamment étalés à la première page des journaux républicains, il ne serait pas difficile de démontrer le contre-sens des conclusions que M. Sadi Carnot en a tirées. A quoi bon?
- Les plus belles démonstrations du monde ne prouveront rien au paysan que son petit champ ne peut nourrir; à l’ouvrier agricole dont le salaire diminue; à l’ouvrier des villes sans travail, sans pain et sans espérance; au petit commerçant incapable de supporter la diminution progressive de la vente, ralentie par le resserrement de la consommation. Les affirmations optimistes de M. Sadi Carnot, des|journaux républicains, et à leur suite, des candidats qu'ils patronnent, ne pourront donc rien sur leur conviction. Ou plutôt, si ! elles contribueront à déconsidérer dans l’esprit des électeurs le gouvernement de la République qu’on accusera de duplicité. De sorte que, lorsque le candidat monarchiste viendra parler d’améliorations à effectuer, de dépenses à restreindre, d’erreurs à réparer,de mesures urgentes à prendre pour remédier à la crise, ses paroles seront écoutées.
- Combien et mieux seraient sympathiquement accueillis les candidats républicains qui auraient la franchise de reconnaître les errements suivis et affirmeraient qu’il est temps de mettre fin aux abus qu’ils ont engendrés.
- Malheureusement, encore une fois, il n’en aura pas été ainsi, pendant cette campagne électorale, dont les résultats eussent pu fournir au gouvernement de sérieuses indications sur la direction à imprimer à sa politique sociale, et avoir une influence considérable sur la marche ultérieure des affaires!
- Cette semaine a été, en effet, aussi stérile que la précédente. L'agitation n’est pas sortie de son cercle étroit et mesquin. Ce sont toujours 'mêmes ambiguïtés, mêmes équivoques, de part et d’autre.
- Dans ces conditions, nous le répétons, les candidats monarchistes qui s’affublent de l’épithète de « Conservateurs «ont un avantage incontestable sur les candidats républicains, dont l’optimisme
- affecté ne peut que mettre en garde les électeurs contre eux.
- Certes! si la question était aussi nettement posée que le prétendent les journaux réactionnaires; s’il s’agissait de plébisciter la république, nous ne doutons pas que la forme républicaine ne sortît triomphante de cette épreuve. Les souvenirs de la monarchie de Juillet et de l’Empire ont laissé, au cœur de nos populations, de trop tristes souvenirs-les divisions monarchistes sont mêmes trop aiguës dans le camp des adversaires de la République pour que les réactionnaires pussent espérer recueillir même une minorité honorable. Mais grâce à l’adroite équivoque que le parti conservateur, secondé parles candidats républicains, est parvenu à créer dans cette élection, les monarchistes obtiendront sans doute des victoires partielles, dont ils feront grand tapage, qu’ils présenteront comme le présage certain d’un triomphe ultérieur définitif.
- Puissent, nos gouvernants, mettre à profit la leçon qui leur sera donnée au scrutin du 2 août.
- A notre sens, voici quelle sera sa signification:
- Si la réaction perd des sièges, c’est que le pays, surmontant ies déceptions subies, et faisant abstraction de ses justes griefs contre nos gouvernants, aura voulu affirmer quand même sa souveraineté. Mais, s’il n’est pas dupe des récriminations monarchistes, c’est qu’il n’en attend pas moins de la République les transformations que celle-ci a promises, qu’elle n’a cessé d’ajourner etpour la réalisation desquelles il l'investira de nouveau.
- Si, au contraire, ia réaction gagne quelques sièges, qu’on n’accuse pas le pays d’inconstance ni l’opinion d’égarement. Mais que les évincés comprennent qu’il ne s’agit plus de continuer le travail de Pénélope accompli jusqu’à présent ; qu’il s’agit,au contraire, d’en finiravec la politique d’expédients et de mesures au jour le jour, dont nos divers pouvoirs ont vécu. Qu’en un mot, à la politique de variation et de petits calculs, il convient de substituer la politique de stabilité, de progrès et de réformes, sans lesquelles tous les gouvernements qui se succéderont, de quelque nature qu’ils soient, sont appelés à se voir désavoués par le suffrage universel.
- Réformer ou périr ! — Tel sera donc pour nous le verdict qui se dégagera certainement du scrutin du 1er août. __
- ----------------—
- p.486 - vue 489/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 487
- Les Orphelins de Porquerolles.
- L'opinion publique s’est fort émue, cette semaine, d’un récit, du Petit Var Républicain, relatif au régime barbare et aux traitements inhumains qui seraient infligés dans la colonie agricole de Por-querolles aux orphelins de l’assistance publique.
- Voici les faits :
- « Ils se lèvent à 5 heures du matin, en hiver, et â 4 heures du matin en été.
- « Après une toilette sommaire, iis se rendent sur les chantiers.
- Comme ils sont logés dans le local de l’ancienne fabrique de produits chimiques, située à l’extrémité ouest de l’île, ceux qui vont aux chantiers le* plus rapprochés ont quatre kilomètres à faire et ceux qui vont sur les chantiers établis à l’est de l’île ont HUIT kilomètres à faire pour aller au travail le matin, et HUIT kilomètres à faire pour en revenir le soir.
- Ils travaillent iusqu’à huit heures sans rien manger.
- A huit heures, ils déjeunent.
- Le travail est repris à neuf heures et ne cesse qu’ à \ i h. 1/2 pour déjeuner,
- A 1 heure, instruction et lecture.
- A 2 heures, retour aux champs.
- A 4 h. 1/2, repos sans manger.
- A 5 heures, reprise du travail, qui n’est interrompu qu’à SEPT heures.
- Le personnel préposé à la cuisine de ces enfants se compose d’une femme aidée de deux marmitons en bas âge.
- Toute Vannée, ces trois Vatel ont pour mission et surtout pour consigne de faire bouillir des légumes, haricots, lentilles et pois dans de l’eau. Un peu de lard ou de graisse, corsent de temps à autre cette rudimentaire nourriture. Des atomes de viande, trois fois par semaine, j’allais oublier de le dire, car ils sont microscopiques, complètent ce régime égalitaire, mais par trop économique.
- Notez que, dans l’île, il y a des terres arrosables où ces petits patiras pourraient cultiver des légumes frais pour leur usage, si on les y autorisait. Au lieu de cela, on ne leur donne même pas de pommes de terre.!
- Faut-il parler des vêtements ?
- Hiver comme été un seul habillement en velours marron. Us marchaient pieds nus tout récemment. Il a fallu que la pitié d’un nouveau directeur leur vaille l’aubaine de méchantes ohaus’ures, pour qu’ils se fassent une vague idée d’une paire de souliers.
- Pour la moindre faute, on les met au pain sec et à l’eau.
- La peine de la cellule est appliquée pour des fautes, mêmes légères, comme une réponse grossière aux surveillants.
- Cette peine est subie dans l'ancienne batterie du grand Ungousier.
- Il y a quatre celluLes, Les deux cellules du rez-de-chaussée sont obscures et humides et ne reçoivent de l’air que par un soupirail. L’une d’elles n’a ni parquet ni carrelage. Les enfants enfermés là, couchent sur LA TERRE, enveloppés d’une simple couverture.
- . Ces fosses sont situées à plus d’un kilomètre de toute habitation. Il n’y a ni gardien ni surveillant ; si un enfant y tombe malade subitement, il peut y crever comme un chien sans secours de personne.
- Les enfants sont quelquefois soumis pendant trente ou quarante jours à cette peine barbare et monstrueuse, sans autre nourriture que du pain et de l’eau.
- . Les enfants sont, du reste, exposés à chaque j Estant à la brutalité des surveillants:
- Pour de simples fautes dans leur travail, des enfants sont attachés, les mains derrière le dos, renversés à terre, pieds et poings liés et tenus ainsi pendant plusieurs heures exposés au soleil sans chapeau.
- En argot de tortionnaires, cela s’appelle, vulgairement, la Crapaudine.
- Mais les supplices infligés à ces petits«Parisiens» ne se borneraient point à ceux que nous venons de décrire. Le Va r républicain citait encore ces faits d’ignoble barbarie.
- D’autres enfants ont été attachés à des arbres et frappés à coups de pieds, à coups de poing et même avec un ner j de boeuf.
- Un enfant a été pendu dans le magasin aux outils au moyen d’une corde passée autour1 des reins, et n’a été détaché que par un de ses camarades.
- Un enfant nommé Pascal, assez docile et bon travailleur, se plaint un jour de la mauvaise nourriture et refuse de travailler, puisqu’on ne lui donne pas de quoi manger. Cet enfant est en plein chantier battu par les surveillants et traîné par trois d’entr’eux devant l’habitation de M. de Roussen où il est roué de coups. L’enfant pousse des cris stridents, toute la population de l’île accourt. L’indignation est à son comble
- On nous affirme, et nous le tenons de personnes dignes de foi, qu’on a entendu la co-propriétaire crier aux surveillants : « Baülonnez-le ! » et on aurait entendu un des surveillants répondre : « Faut-il l’achever ? » Sans l’intervention d’un soldat qui passait ëî. qui apostropha les surveillants en leur reprochant leur lâcheté; et sans les protestations de la population indignée, on se demande ce qu’il serait advenu de ce malheureux martyr.
- D’après la Lanterne, voici comment l’atléntion publique aurait été appelée sur ces cruels incidents :
- Plusieurs orphelins delà colonie de Porquerolles, pour se soustraire aux mauvais traitements qu’on leur y fait subir, ont essayé de s’évader. Us sont parvenus à quitter l’île, à traverser la mer et à gagner le continent.
- Mais ils ont été traqués repris et ramenés ; leur tentative leur a valu un mois de cellule.
- Sitôt incarcérés, cinq d’entre eux : Fortin, Ballet, Gilles, Riemer et Carrère ont déscellé les gonds de la porte de leur prison et se sont enfuis de nouveau.
- Nouvelle chasse aux fugitifs, nouvelle capture sur le continent. Mais cette fois, le procureur de la République, après avoir interrogé les enfants, n’a pas cru devoir les re mettre au directeur de la colonie qui les réclamait et les a fait interner dans la maison d’arrêt de Tou Ion.
- L’opinion publique s’est passionnée, naturellement, à la lecture de ces abominations, et le conseil municipal de Paris s’en est occupé dans une de ses dernières séances.
- M. le Directeur de l’Assistance publique a prétendu que les faits signalés par le Petit Va r étaient inexacts de tous points, en même temps que M. de Roussen, propriétaire à Porquerolles, au service duquel sont placés les orphelins, protestait dans une lettre contre les assertions du journal républicain de Toulon.
- A la suite de ces révélations, on a appris que la colonie de Porquerolles était entrée en pleine
- p.487 - vue 490/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 488
- révolte et c’est à l’émotion causée par la lecture de ces détails dans le Petit Var,qu’un conseiller,M. Rousselle et M. Peyron, le directeur, ont attribué la rébellion. M. Rousselle ne s’est pas contenté de blâmer l’empressement que les journaux de Paris ont mis à accueillir les récits du Petit Var, il a comparé les plaintes des enfants de . Porque-rolles sur la nourriture, à celles des collégiens ou internes de nos lycées, qui trouvent également la nourriture détestable. La comparaison n’est pas heureuse, car si des fils de bourgeois, habitués à une table somptueuse, répugnent à la table du lycée, les enfants moralement abandonnés, eux, n’ont pas ëiê gâtés comme les jeunes lycéens et habitués à une nourriture choisie.
- D’ailleurs ce qui prouve que le fond du récit du Petit Va r contient une grande part de vérité, si même il est exagéré, et que les enfants de Por-querolles ne sont pas les sacripants que nous a représentés M. Peyron, c’est qu’il a suffi de la présence du sous-préfet de Toulon, pour les ramener au travail, quand, il leur a appris qu’une enquête sévère serait faite et qu’on améliorerait leur sort.
- De son côté, M. de Roussen, l’exploiteur propriétaire de l’île de Porqueroiles a donné la mesure de sa rapacité. On lui a offert d’acheter un quart de l’île où la colonie actuelle seiait maintenue et travaillerait au compte de l’État. M.de Roussen a ' acheté l’île 800.000 francs. Il demande aujourd’hui quinze cents mille francs du quart de la superficie !
- C’est à un homme pareil que l’assistance publique confie ceux qu’elle appelle ses« enfants!»
- Pauvres enfants ! le régime auquel ils sont soumis est aujourd’hui ce qu’il était avant la Révolution, sous François Ier, quand, en 1525, les ouvriers de Paris se mettaient en greve, réclamant la cessation des travaux exécutés par les orphelins à l’Hôtel Dieu, où on les louait, tout comme maintenant,à des exploiteurs rapaces.qui les accablaient de travail et de mauvais traitements.
- Il importe donc qu’une enquête sérieuse soit faite et que justice rigoureuse soit rendue contre le, ou les auteurs de Podieuse exploitation que le Petit Va r a bien fait de signaler.
- P. g, _ Qet article était écrit quand nous apprenons la source des renseignements sur lesquels M. Rousselle du Conseil municipal de Paris et M. Peyron, directeur de l’assistance publique, se sont appuyés, pour démentir les atrocités commises à Porqueroiles.
- L’inspection, ont-ils dit, ne nous révèle rien de semblable. Or, sait-on qui remplit les fonctions d’inspectrice ?...
- Mme de Roussen, la propre femme du propriétaire de Porqueroiles !
- Tout commentaire serait superflu !
- Faits politiques et sociaux de la semaine.
- FRANCE
- L’association républicaine du Centenaire de 1789, vient d’adresser à ses adhérents la circulaire suivante :
- Monsieur et cher compatriote,
- Devant le nouvel assaut que livrent à la République les forces coalisées de la réaction, V Associatiation républicaine du centenaire de 1189 croit devoir faire appel à l’esprit de dévouement et de discipline de tous ses adhérents.
- 11 serait difficile d’exagérer l'importance des élections qui se préparent pour le renouvellement partiel des conseils généraux et des conseils d’arrondissement. Les adversaires de nos institutions, en n’épargnant aucun effort pour obtenir la majorité dans ces conseils, ne comptent pas seulement y conquérir une influence locale, utile à leurs obscurs desseins, ils se flattent, en outre, d’entraver la marche régulière du gouvernement et de bénéficier du trouble qu’ils auront amené.
- C’est,, aux électeurs républicains, et en particulier aux membres de l’Association républicaine du Centenaire de 1189, qu’il appartient de déjouer ces calculs.
- L’Association républicaine, sortie du grand mouvement d’opinion qui a suivi les élections du 4 octobre 1885, a voulu donnerai! suffrage universel l’organisation dont l’absence venait de se faire si cruellement sentir. Elle crée un lien permanent entre une foule de bonnes volontés qui, si elles demeuraient éparses et isolées, seraient vouées à l’impuissance.Elle représente la politique vraiment nationale qui, tout imprégnée des principes et des traditions de 1189, doit vaincre définitivement le passé et fonder l’avenir.
- Puisque, une fois encore, les partisans des régimes déchus tentent de ressaisir le pouvoir, que tous les membres de VAssociation républicaine s'appliquent à leur infliger un nouvel et décisif échec. Qu’ils leur opposent, partout où ils le pourront, des candidatures républicaines, répondant nettement au programme de Y Association. Qu’ils redoublent d’énergie, afin que leur propagande soit à la hauteur de ce qu’exigent les circonstances.
- Surtout, point d’abstention ! L’une des espérances de. la coalition qui s’est formée contre la République, c’est la division des républicains. Les membres àeYAssociation républicaine du Centenaire de 1189 ont leurs propres principes à défendre, mais le premier de tous, c’est le maintien des institutions existantes, en dehors desquelles il ne peut y avoir qu’anarchie et guerre civile.
- En s’inspirant, dans la campagne qui commence, de cette règle primordiale, ils serviront dignement Y Association à laquelle ils ont apporté leur concours ; ils montreront qu i s ont compris son rôle véritable et sa haute mission. Elle n est ni une coterie ni une chapelle : l’Association républicai ne entend représenter la France moderne et la guider dans cette voie de progrès réparateur, de liberté et de justice, qui a été ouverte en 1789.
- Les Conseils généraux. — On sait que les élec^ tions qui auront lieu aujourd’hui constitueront le sixième ie nouvellement partiel auquel les conseils généraux ont été so
- p.488 - vue 491/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 489
- mis, depuis la mise en vgiueur de la loi départementale de 1871.
- Au début, l’élément réactionnaire dominait dans ces assemblées ; mais les élections qui eurent lieu en 1874, en 1878, en 1881 et enfin en 1883, donnèrent définitivement la majorité au parti républicain.
- Aujourd’hui, les républicains ont la majorité dans 81 départements et les réactionnaires dans 9 seulement. Ces 9 conseils sont ceux des départements suivants : Charente, Côtes-du-Nord, Eure, Gers, Indre, Loire-Inférieure, Maine-et-Loire, Vendée et Belfort.
- Il nous paraît intéressant de faire connaître, à la veille du renouvellement partiel des conseils généraux, le nombre des membres sortants de ces assemblées.
- Le nombre des conseillers soumis au renouvellement légal est de 1.414, et sur ce nombre, il y a 981 républicains et 433 réactionnaires de toute catégorie.
- Au Cambodge.—Voilà longtemps qu’on annonce que la tranquilité la plus parfaite règne au Cambodge. Or, voici la nouvelle que nous apporte le dernier paquebot :
- Le capitaine Amorie, allant se ravitailler sur Pencai, a attaqué le 9 juin, à onze heures, le fortin de Souong, où était O-Choumma, venant de Can-hung. Après une fusillade qui a duré trois quart d’heure et une brèche faite par la pièce de canon, la colonne s’est lancée à l’assaut.
- On a pris dans le fort sept canons, des munitions, des fusils à pierre, à rouet et à piston, des drapeaux, du riz et des outils de terrassiers.
- Le fort a été détruit par les partisans cambodgiens. La bande a été refoulée du côté de Krochmar.
- Nous avons eu un artilleur tué, un caporal d’infanterie blessé à l’épaule et deux tirailleurs blessés à la main.
- Ainsi les troupes doivent se ravitailler au Cambodge, comme en pays ennemi, et en route, à l’heure où on s’y attend le moins, une redoute vous envoie des coups de canon. Car les Cambodgiens, d’après le compte-rendu de l’affaire ont des canons, des munitions, en un mot, sont armés à l’Européenne.
- La tranquilité jest donc loin d’être établi en Orient, comme tiennent à nous le faire croire les déclarations ministérielles.
- ANGLETERRE
- Le sort de l’Irlande. — Lord Folkestone et M James Lourther viennent de prononcer des discours à l’inauguration des clubs conservateurs. Le premier a insisté sur la*nécessité d’employer la force pour réduiie l’Irlande à l’obéissance, si elle tentait de se soustraire aux lois de l’empire..Le second a déclaré qu’il fallait encourager les Irlandais à émigrer, que c’était le seul moyen de porter remède à la situation dont souffre l’Irlande.
- Telle est donc la seule solution à laquelle le landlordisme anglais se soit arrêté, pour résoudre la question irlandaise. Fusiller les récalcitrants et engager les autres, ceux qui se contentent de se plaindre et de gémir, à émigrer, c’est-à-dire à aller sans moyens d’existence, mourir de faim en Amérique.
- Le seul énoncé de cette solution indique que la crise irlan-
- landaise n’est pas près de prendre fin et que de graves complications se préparent de l’autre côté du détroit.
- ITALIE
- Election de Cypriani.— On se rappelle que la chambre italienne invalidait il y a quelque temps, l’élection de l’ancien aide de camp de Flourens, Cypriani, condamné à 20 ans de travaux forcés.
- Les circonscriptions de Forli et de Ravenne viennent de le réélire à une majorité qui, sans doute, ne se démentirait pas si la chambre invalidait cette nouvelle élection, puisque la majorité est, cette fois, encore plus considérable que la première.
- ALLEMAGNE
- Le progrès des Socialistes.— Le député Bebe 1 et ses collègues socialistes de Reischstag comparaissent, à cette heure devant le tribunal de Freyberg, en Saxe, pour avoir organisé une société secrète. Ils sont accusés d’avoir, dans le Congrès tenu en Suisse en 1880 et dans celui de Copenhague en 1883 élaboré un plan complet d’organisation. Ce plan avait été dévoilé par un journal socialiste allemand, le Social démocrat. Un article déclarait, notamment, qu’on n’accepterait comme candidat aux élections futures que ceux qui s’engageraient à prendre’part à toutes les mesures adoptées ea réunion plénière. C’était, dit l’accusation, imposer en quelque sorte, le mandat impératif.
- M. Bebel déclare que tous les renseignements publiés par cette feuille sont erronés. Il n’a besoin, dit-il d’aucune société secrète pour réunir plusieurs milliers de personnes autour de lui. La seule annonce d’un de ses discours se répand comme un éclair, et dans ses réunions improvisées, il ne compte pas moins de 3.000 personnes.
- Ce procès excite une grande émotion en Allemagne.
- Déjà les socialistes ont été acquittés par le tribunal de Chemmitz, mais la cour de Leipzig a cassé ce jugement.
- ESPAGNE
- La prorogation du traité commercial anglo-espagnol qui vient d’être votée aux cortès par 148 voix contre 16, provoque en Catalogne une vive agitation qui pourrait donner lieu à de graves complications politiques.
- On sait que la Catalogne réclamait depuis longtemps une révision de ce traité. A la suite du vote de la Chambre, une réunion a eu lieu à Barcelone'sous la présidence de M. Pujol.
- Trois cents manufacturiers, se disant représenter leurs ouvriers, y assistaient.
- On a donné lecture de nombreux télégrammes d’adhésion aux décisions que prendrait la réunion.
- M Pi-Solanas a demandé qu’il fût nommé une délégation qui irait supplier la régente d’opposer son veto à la loi du modus vivendi.
- M. Canadell a dit que la situation était très grave, mais qu’un appel à la régente était inutile, parce que Je régime constitutionnel obligeait le roi à signer les propositions des ministres.
- Il a ajouté que les catalans devaient faire quelque chose de plus sérieux et que l’unique moyen était la force.
- L’orateur a proposé de fermer les manufactures et de renvoyer les ouvriers.
- p.489 - vue 492/838
-
-
-
- 490
- LE DEVOIR
- Un ouvrier tisserand a dit que les ouvriers demandaient du pain et non la liberté. Il est opposé à l’idée d’en appeler à la régente.
- La réunion a résolu non d’envoyer une pétition à la régente mais de télégraphier au gouvernement une protestation contre le modus vivendi, en déclinant toute responsabilité pour l’avenir, d’organiser avec le centre catalan une manifestation pour dimanche, enfin de télégraphier aux députés et aux sénateurs de renoncer à leur mandat pour venir à Barcelone participer à la manifestation.
- La réunion n’a été troublée par aucun incident.
- Les Nègres de Cuba.— Les Cortès espagnoles viennent d’être saisies d’un projet de loi dont l’adoption mettrait fin à un état de choses bien odieux,
- Il s’agit des nègres de Cuba. On sait que l’esclavage a été légalement aboli dans cette possession espagnole. Mais en fait, il n’en a pas moins subsisté sous la forme du patronage qui impose au nègre l’obligation de justifier qu’il est au service d’un patron quelconque, de sorte que, privé de ses droits civils et politiques, contraint de servir, ilest, en réalité, esclave après, comme devant.
- Le projet de loi présenté aux Cortès abolit le patronage, Il porte que les nègres devront seulement prouver qu’ils ont contracté un engagement de travailler pendant 4 ans et qu’a-près ce laps de temps, ils obtiendront les droits civils et politiques comme les hommes libres.
- Le'projet accorderait donc la liberté aux nègres dans un délai de 4 années. Malgré cette restriction, nous ne souhaitons pas moins son adoption. Malheureusement, il ne pourra pas venir en discussion avant cet hiver.
- AMÉRIQUE
- Le Congrès des Chevaliers du Travail
- de l’Illinois, vient de publier la déclaration de principes suivante :
- Le développement de l’outillage industriel moderne (machines, vapeur, électricité, etc.) a, sous le système économique actuel, partagé la société en deux classes hostiles — les très riches et les très pauvres. La classe moyenne qui était autrefois la stabilité et la sécurité de la société, est en train de disparaître, et sur ses ruines le grand industriel moderne s’élève et s’écrie : « Je suis roi de tout ce que je contemple ! »
- L’égalité des droits et des chances de parvenir, dont jouissait le peuple américain dans les temps passés, se perd. Le paupérisme, la prostitution et le crime — fruits de la pauvreté — augmentent à mesure que le millionnaire moderne grandit en puissance et en influence. Les salariés du monde entier entrent en une concurrence meurtrière les uns avec les autres ; les liens les plus sacrés de la vie sont détruits. Le Dieu du capital moderne c’est le travail a bon marché La fillette de douze ans entre en concurrence avec la femme de trente, le petit garçon de dix ans avec l’homme de quarante. Les enfants sont chassés de la maison paternelle et de l’école pour aller lutter sur le champ de bataille du travail où leurs jeunes et fragiles vies sont transformées en or, tandis que leurs pères vivent, dans une paresse forcée, avec les
- misérables salaires de ces pauvres petits. Nous déclarons donc :
- Ie Que le système du salariat est un despotisme et que la liberté politique est incompatible à la longue avec l’asservissement économique.
- 2° Que civilisation veut dire propagation des connaissances et des richesses. Que le premier pas vers ce but est la réduction du temps de travail à huit heures, laquelle, par l’augmention des loisirs, agira sur les habitudes et les mœurs du peuple, en multipliant ses besoins, stimulant ses ambitions, diminuant la paresse et haussant les salaires.
- 3° Que l’abolition de la domination par « droit divin » des rois, doit être accompagnée de l’abolition des droits acquis de ces vautours modernes, les usuriers et les autocrates indus-dustriels, car il ne peut y avoir un gouvernement du peuple, pour le peuple et par le peuple, là où le petit nombre dispose de toutes les ressources de la vie — de la terre et des moyens de production — pendant que des masses deviennent des vagabonds sur leur propre territoire, mendiant le privilège de travailler.
- Camarades ! dans cette sombre heure de détresse du travailleur, nous faisons un appel à tous ceux qui gagnent leur pain à la sueur de leur front, sans distinction de nationalité, de croyance ou de couleur ; aux ouvriers de toute catégorie, à ceux qui appartiennent aux Chambres syndicales aussi bien qu’à ceux qui sont restés en dehors de toute organisation ouvrière, et nous vous invitons à vous joindre à nous pour abolir à tout jamais la pauvreté et tous les maux qui en découlent.
- A DECAZEVILLE
- Le journal le Temps publie une lettre de son correspondant habituel de Decazeville, qui éclaire d’un jour nouveau la conduite tenu par la compagnie, durant les récents 'événements qui ont si douloureusement éprouvé ce pays. Elle confirme ce que nous n’avons cessé de dire dans le Devoir, que la compagnie houillère de Decazeville avait assume une lourde responsabilité en prolongeant la grève, préférant consommer la ruine d’un pays, plutôt que d’abaisser son orgueil patronal et de céder devant les légitimes revendications de ses ouvriers.
- Les arrangements qui ont mis fin, il y a un mois environ, au désaccord survenu entre la Compagnie des houillères de l’Aveyron et les mineurs, paraissent avoir assuré Ja paix définitive, nous dit en effet, la correspondance du Temps ; les ouvriers travaillent avec assiduité, et la hâte qu’ils avaient mise à quitter les chantiers, ils l’ont apportée à y reparaître. Tel est leur état d’esprit, que l’on peut présager que le calme présent sera durable s’ils ferment l’oreille aux excitations. Les mineurs, du reste, ont lieu d’être satisfaits ; ils ont obtenu en effet les concessions qu’ils demandaient, et, à l'heure actuelle, la Compagnie, loin de restreindre l’étendue de ses engagements, l’accroît au contraire, dans te dessin très louable, assurément, de prévenir une renaissance de la grève.
- p.490 - vue 493/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 491
- Si la compagnie peut aujourd’hui, non seulement tenir les engagements qu’elle a pris lors de la cessation de la grève, mais encore améliorer les conditions auxquelles les ouvriers ont consenti à reprendre le travail, n’est-ce pas là une preuve de la mauvaise foi déployée par son conseil d’administration, lorsqu’il décréta la baisse des salaires à la suite de laquelle les mineurs de Decazeville se mirent en grève? Car on ne doitjamais oublier que cette grève fut décidée à la suite d’une réduction de salaires que rien ne pouvait faire prévoir, puisque c’était au lendemain de la concession d’avantages considérables, que le gouvernement avait obtenus pour la société de Decazeville delà compagnie d’Orléans.
- Quel prétexte invoquaient alors la compagnie houillière et tous les journaux à sa solde? Que la situation de ses affaires lui avait imposé une réduction de salaires.
- Lorsque M. Laur démontra, avec des chiffres concluants à l’appui, que non seulement les affaires de la compagnie étaient très prospères, mais même qu’elle était une des compagnies les plus florissantes des bassins français; que les salaires payés à ses ouvriers étaient, proportionnellement au rendement, de beaucoup inférieurs à la moyenne de ceux des autres compagnies, le Temps sortit de sa modération habituelle, et de concert avec le Journal des Débats, se livra à de violentes philip-piques contre le députélopportuniste, qu’il accusa d’ambition malsaine, de démagogie, etc.
- Aujourd’hui, les assertions de M. Laur sont confirmées ; les événements donnent donc raison à tous ceux qui ont, avec nous, déploré la guerre sociale de trois mois, pendant ^ laquelle la haine s’aiguisait dans les cœurs ulcérés, tandis que la production s’arrêtait et que la misère accomplissait son œuvre sinistre, dans la masse des ouvriers condamnés au chômage et à la faim.
- A quel mobile obéissaient donc les maîtres, en provoquant ces haines, en prolongeant ces chômages, en suspendant pendant trois mois la vie économique d’un pays ?
- Il faut bien le dire, et la constatation de ce fait n’est pas un des symptômes les moins alarmants de l’antagonisme social actuel-, en cette occurence, la société houillère de l’Aveyron a fait montre de cet intolérable orgueil patronal — nous allions dire féodal — qui fait que nos grands financiers ou grands industriels modernes se considèrent comme tenus d’affirmer leur toute-puissance sociale absolue, à la moindre velléité de révolte ou de revendication ouvrière.
- Ne pas céder, tenir ferme jusqu’au bout, ruiner un pays, plutôt que de paraître admettre la légitimité d”une revendication, tel est l’esprit de classe qui souffle à cette heure dans nos classes di-ligeantes.
- Gomme la noblesse de cour de 1789, invoquant
- Dieu, son droit et son épée et proclamant l’imprescriptibilité de ses privilèges attaqués de toutes parts, notre classe possédante ccntemporaine, à cheval sur sa force économique, prétend opposer à toutes les sollicitations comme à toutes les sommations, la rigueur de son droit patronal absolu. Elle ne veut pas céder !
- Maintenir ou périrl telle est sa devise.
- A Decazeville, cependant, après l’admirable résistance ouvrière qui a signalé cette grève de l’Aveyron, la compagnie dut céder. Mais le Temps nous apprend qu’elle prend cruellellement sa revanche.
- Le chiffre des ouvriers présentement employés nous dit-il; est inférieur à celui des ouvriers occupés avant la grève. Il y a cinq mois, on comptait environ 1,500 à 1,530 ouvriers dans les chantiers ; maintenant, le nombre n’en est plus que de 1,300 environ ; il y a donc à peu près 230 ouvriers mineurs que la grève a forcés au chômage, qui est définitif pour les uns et temporaire pour les autres. Dans ce nombre, 110 mineurs sont exclus définitivement des chantiers à cause de l’hostilité qu’ils ont montrée envers la Compagnie ; 120, dits ajournés, sont momentanément privés de travail ; ils seront repris au fur et à mesure des besoins.
- On pense que ces 110 ouvriers a qui les galeries sont fermées n’acceptent point avec rérig ation le sort qui leur est fait. Ils sont tous restés à Decazeville, inoccupés. Il est vrai que des subsides les soutiennent ; mais enfin ces secours finiront par manquer un jour, et qui peut dire ce qui se passera? 11 est à noter qu’ils exercent sur leurs camarades occupés une très grande influence ; ils composent comme un comité qui dicte des décisions toujours obéies.
- Notre génération s’indigne parfois au récit des évictions du moyen-âge, quand un seigneur, pour satisfaire une fantaisie, un caprice, sesgoûis pour la chasse, parfois aussi en châtiaient, renvoyait le serf de son domaine, bouleversait les cultures, etc. Quelle différence y a-t-il entre ce serf de la glèbe du douzième siècle, réduit à courir les grands chemins, à se faire mendiant ou bandit, et le serf moderne de la mine, chassé du puits, dans l’impossibilité de trouver ailleurs un patron qui l’accueille? Car si autrefois les seigneurs ouvraient des villes libres dans lesquelles trouvaient asile les serfs errants ou fugitifs, aujourd’hui, et c’est pour lui une cause d’infériorité, le serf de la mine ne peut espérer trouver à la mine voisine le pain qu’on vient de lui refuser à celle qui le chasse. Tous les seigneurs miniers sont, en effet, étroitement unis, forment une société mutuelle puissante; et chacun à pour principe de ne pas ouvrir asile à celui qu’un de ses collègues a expulsé de son domaine.
- Le Temps s’étonne ensuite que les 110 ouvriers chassés par la compagnie de Decazeville, pour la part qu’ils ont prise à la grève, exercent une très grande influence sur leurs camarades ! Mais à moins que la population ouvrière de ce pays, qui
- p.491 - vue 494/838
-
-
-
- m
- LE DEVOIR
- nous a donné pendant trois mois le spectacle fortifiant d’un esprit desolidarité inaltérable, fût tombée subitement au dernier niveau de la dégradation morale, comment ne respecterait-elle pas ces MO sacrifiés, victimes de leur devoir, boucs émissaires des vengeances patronales. Ces MO ouvriers, en effet, représentent le prolétariat minier châtié par la compagnie, ils sont la protestation et le témoignage vivants du droit opprimé, vaincu par la force,et c’est pourquoi ils exercent sur leurs anciens camarades l’influence légitime que donnent aux défenseurs des droits du travail les souffrances vaillamment supportées.
- Ah ! cette influence qu’ils exercent, cette autorité morale de victimés, devant laquelle ont s’incline, devrait être pour les classes dirigeantes en général et pour la compagnie de Decazeville en particulier, une salutaire leçon.
- Jadis, on fuyait le serf que son seigneur avait marqué au front ou à l’oreille ; sa présence était pour ceux de sa classe un objet de mépris ou d’effroi, tant on redoutait le maître, ou même l’on respectait ses arrêts. Aujourd’hui, quand le serf revient du puits, le dos voûté, la tête bas^e, les membres las, s’il renconte sur son chemin, à Ja nuit tombante, le camarade de grève qu’on n’a pas marqué à l’oreille mais au livret, ce n’est pas de l’effroi qu’il témoigne, mais une respectueuse déférence pour celui qui porte fièrement le poids des iniquités patronales, et qui s’est dévoué au salut commun!
- Quand une classe opprimée a atteint ce degré de dignité et de moralité sociales, l’heure de l’affranchissement a sonné pour elle, au cadran de J’histoire qui marque les étapes successives de l’humanité, dans la voie de la justice et du progrès.
- APHORISMES & PRÉCEPTES SOCIAUX
- CXV
- La dette publique
- Faire payer au peuple par les impôts les intérêts de la dette publique est une iniquité sociale. Lui demander, en outre, des contributions pour rembourser le capital est une spoliation. C est à la richesse nationale de se payer à elle-même intérêt et principal.
- LES TROUBLES D’AMSTERDAM
- Dimanche dernier a la suite de l’interdiction par la police du jeu populaire dit « de l’anguille, » les agents ayant été maltraités par la foule, les troupes régulières intervinrent.
- Mais les charges de cavalerie ne dissipèrent pas les rassemblements.
- Bientôt, de vraies barricades furent construites, et malgré les rigueurs de la répression, on put croire à un commencement de révolution dans Amsterdam.
- La pluie qui se mit à tomber vers dix heures du soir, mit fin à ce commencement d’insurrection. Mais le lendemain, vers midi, des socialistes,— disent les dépêches officielles — formèrent des attroupements, le drapeau rouge fut déployé, et vers quatre heures, on construisit des barricades. Le premier qui arbora le drapeau rouge sur la barricade fut tué par une décharge ; le second eut le même sort. Le drapeau n’en fut pas moins arboré et bientôt un véritable combat s’engagea.Les émeutiers, rapporte le Temps, ne reculèrent point, ils se défendirent énergiquement, et les morts et les ilessés jonchèrent de nouveau le sol.
- Après de sanglants épisodes, des renforts de troupes arrivèrent vers sept heures. Il y avait alors une dizaine de tués.
- De nombreuses arrestations furent faites et le champ de combat s’élargit bientôt jusqu’au Noordermarkt et au Prin-sengracht. A neuf heures du soir, on tirait encore sur lafoule. Un canonnier, qui s’était joint aux émeutiers, fut arrêté.
- Sur d’autres points, les hussards eurent fort à faire ; des salves consécutives ne parvinrent pas à avoir raison de l’émeute dans l’Anjelierstraat, où plusieurs personnes furent tuées et blessées. Au Brouwersgracht, les insurgés tiraient des fenêtres sur les soldats. Plusieurs agents de police ont reçu des coups de couteau. Pendant les engagements, on distribuait le Recht voor allen, journal socialiste.
- Le local de la Banque était gardé par des troupes.
- Vers minuit, l’ordre fut rétabli.
- La journée du mardi,malgré les attroupements qui s’étaient formés dés le matin, se passa tranquillement.
- Le soir, quelques rixes sans grande importance eurent lieu entre la populace et la police.
- Les patrouilles dispersèrent la foule.
- Vers dix heures, tout était rentré dans le calme.
- Le nombre des morts de la collision de lundi s’élève à 25, celui des blessés est de 90 environ, dont 40 agents de police.
- Le point de départ de eette insurrection avortée a été futile. Mais l’importance même que le mouvement a pris en quelques heures démontre qu’on doit s’attendre prochainement en Hollande à de graves complications.
- D’une part, la crise économique se fait vivement sentir dans ce pays, de l’autre, les craintes qu’inspirent les possessions asiatiques, les symptômes de révolte qui se sont manifestés à Java ; surtout l’entretien coûteux d’une armée coloniale très considérable, eu égard à la population de la métropole, aggrav ent encore la situation intérieure de la Hollande.
- p.492 - vue 495/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 493
- L’entretien de l’armée coloniale surtout, est une des causes principales du mécontentement nourri par le peuple contre son gouvernement. C’est le peuple en effet, qui fournit le contingent de cette armée. Or elle est décimée parles maladie et mal nourrie. A cette heure, sur 18,000 hommes qui occupent Java, 8.000 sont atteints d’une sorte de dyssenterie particulière au pays, le bèri-béri. Cernai est si épuisant que ceux qui y survivent sont à jamais impropres à tout travail de longue haleine,
- L’année dernière, on a encore diminué l’alimentation des troupes, et cette mesure a. comme bien on pense, vivement indisposé les parents de ces soldats, qu’on envoie à 3000 lieues de leur pays, garder les plantations èt les usines qui font concurrence aux travailleurs néerlandais.
- i.'active propagande des socialistes pour l’obtention du suffrage universel a également créé une grande agitation. Un vote récent de la chambre, déclarant que la révision du mode d’électorat en vigueur ne pourrait faire l’objet d’une simple loi, mais devrait être accompli en vertu d’une révision de la Constitution, ce qui équivaut à un ajournement indéfini de la question, a accru l'excitation.
- En présence de toutes ces causes réunies, il ne faut pas s’étonner s’il a suffi, cette semaine, d’une intervention maladroite de la police, pour faire dégénérer une rixe en émeute, presque en tentative de révolution.
- Enfin, ajoutons qu’en Hollande, contrairement à ce qui se passe en France, où jamais une fête ne saurait se terminer par la construct'on de barricades, plus d’une fois un jour de fête a été le prélude d’une insurrection.
- La réglementation du travail des femmes et des enfants
- Nous avons annoncé,dans notre dernier numéro que M. Camélinat avait déposé à la Chambre, la veille des vacances, un important projet de réglementation du travail des femmes et des enfants, modifiant considérablement la loi du 19 mai 1874, en vigueur sur la matière,
- Voici ce projet, sur lequel nous aurons à revenir :
- SECTION PREMIÈRE.
- Age d’admission et durée des travaux.
- Art. 1er. — Les enfants, les filles mineures et les femmes ne peuvent être employés dans les manufactures, fabriques, usines, mines, chantiers et ateliers de quelque nature que ce soit, public ou privé, laïque ou religieux, tels que : couvents, ouvroirs, orphelinats, maisons de charité, etc., en un mot, dans tout lieu, chambre ou place quelconque, soit couverte soit en plein air, où un métier est exercé par un enfant, un adolescent ou une femme, et dans laquelle chambre ou place, un patron a droit d’accès ou de contrôle, que sous les conditions déterminées par la présente loi.
- Art. 2.— Les enfants ne pourront être employés par des patrons ni être admis dans les manufactures, usines, ateliers, chantiers, etc., avant lage de quatorze ans révolus.
- Art. 3. — Les enfants, jusqu’à l’âge de seize ans révolus, ne pourront être assujettis à une journée de travail de plus de six heures par jour, divisées par un repos d’au moins une heures.
- De seize à dix-huit ans, la durée de la journée sera de huit heures, coupée par un repos de deux heures.
- SECTION II
- Travail de nuit et jours de repos ou fériés.
- Art. 4. — Les enfants et les adolescents, jusqu’à l’âge de dix-huit ans révolus, ne pourront être employés à aucun travail de nuit.
- La même interdiction est appliquée à l’emploi des femmes et jeunes filles mineures.
- Tout travail, entre neuf heures du soir et cinq heures du matin, est considéré comme travail de nuit.
- Art. 5. — Le travail des femmes et des enfants sera coupé par un jour de repos par semaine.
- Tout travail est également interdit pour les femmes et les enfants, les jours fériés et les fêtes reconnues par la loi, même pour rangement de l’atelier,
- SECTION III
- Travaux souterrains.
- Art. 6. — Aucun enfant ne peut être admis dans les travaux souterrains des mines, minièrss et carrières.
- Tout travail souterrain dans les mines, minières et carrières, est également interdit aux adolescents jusqu’à l’âge de dix-huit ans révolus.
- La même interdiction formelle s’applique également aux femmes et filles mineures.
- SECTION IV
- Travaux dans les magasins, administrations, maisons de commerce, chez les officiers ministériels fonctionnaires publics, etc., et en général de toute femme ou enfant dits « employés. »
- Art. 7. — Les enfants ne pourront être admis dans aucun magasin, maison de commerce, ou administration, chez des officiers ministériels, fonctionnaires publics etc., avant l’àge de quatorze ans révolus.
- La durée de travaux pour cette catégorie d’enfants employés ne saurait dépasser 8 heures coupées par un rep os d’un e heure.
- Les prescriptions de l’article 3 et 4 sont applicables à cette catégorie d’enfants et femmes dits employés.
- SECTION V
- Surveillance des enfants. — Police des ateliers.
- Art. 8. — Les maires seront tenus, dans chaque mairie, de délivrer gratuitement aux père, mère ou tuteur, les nom ou prénoms des enfants ou jeunes filles mineures, la date et le lieu de leur naissance et leur domicile.
- Les chefs d’industrie, patrons et tous employeurs devront tenir un registre sur lequel ils inscriront la date de l’entrée
- p.493 - vue 496/838
-
-
-
- m
- LE DEVOIR
- dans l’atelier ou l’établissement, ainsi que la date de la sortie des jeunes filles, enfants ou adolescents employés, avec les indications mentionnées au certificat.
- Les industriels, manu facturiers, chefs de chantiers, et tous employeurs quelconque, seront tenus de faire parvenir tous les trois mois, au siège de l’inspection générale de leur département, une déclaration contenant un état exact avec l’âge et les noms, des femmes ou enfants employés par eux.
- Art. 9. — Les patrons, chefs d’industrie et tous employeurs seront tenus de faire afficher dans chaque atelier, magasin ou bureau, les dispositions de la présente loi et les réglements d’administration publiques relatifs à s n exécution.
- Art. 10. — Des règlements d’administration publique, rendus sur avis de la Commission supérieure instituée ci-dessous, détermineront les différents genres de travaux présentant des dangers ou excédant leurs forces, qui seront for-mellemeut interdits aux femmes ou aux enlants dans des ateliers où ils seront admis.
- Art. 11. — Les enfants, les adolescents et les femmes ne pourront être admis dans les fabriques et ateliers indiqués au tableau officiel des établissements insalubres ou dangereux, que sous les conditions spéciales déterminées par un règlement d’administration publique.
- Cette interdiction sera généralement appliquée à toutes les opérations où l’ouvrier est exposé à des manipulations et émanations préjudiciables à sa santé.
- En attendant la publication de ce réglement, il est interdit d’employer les femmes, les enfants et les adolescents âgés de moins de dix-huit ans révolus ;
- 1° Dans les ateliers où l’on manipule des matières explosibles et dans ceux où l’on fabrique des mélanges détonants, tels que : poudre, fulminate, etc., ou tous autres éclatant par le choc ou par le contact d’un corps enflammé.
- 2° Dans les ateliers destinés à la préparation, à la distillation ou à la manipulation de substancss corrosives, vénéneuses, et de celles qui dégagent des gaz délétères ou explosibles.
- La même interdiction s’applique aux travaux dangereux ou malsains tels que : ¥
- L’aiguisage et le polissage à sec des objets de métal et des verres ou cristaux ;
- Le battage ou grattage à sec des plombs carbonatés dans les fabriques de céruse ;
- Le grattage à sec d’émaux à base d’oxyde de plomb dans les fabriques de verre dits de mousseline.
- L’étamage au mercure des glaces.
- La dorure au mercure.
- Art. 12. — Les ateliers devront être tenus dans un état constant de propreté et convenablement ventilés.
- Ils doivent présenter toutes les conditions de sécurité et de salubrité nécessaires à la santé des femmes et des enfants
- Dans les usines à moteur mécanique, les roues les courroies, les engrenages ou tout autre appareil présentant une cause de danger, seront séparés des ouvriers, de telle manière que l’approche n’en soit possible que pour les besoins du service. Les puits, trappes et ouvertures doivent être clôturés.
- Ces dispositions diverses seront déterminées par un réglement d’administration publique rendu sur avis conforme de la a commission ci-dessous instituée.
- Art. 13. — Les patrons doivent en outre veiller au maintien des bonnes mœurs et à l’observation de la décence publique dans leurs ateliers. (A Suivre.)
- La transmission de la force par l’électricité
- Il y a environ dix ans que M. Marcel Deprez recherche, avec une application et une opiniâtreté très louables, la solution de nombreux problèmes relatifs au transport de la force à grande distance par le moyen de l’électricité. Une commission, composée de notabilités savantes, a été nommé sur l’initiative deM. de Rothschild, pour examiner les travaux de M. Deprez ; M. Lévy, un de ses membres, a rédigé un rapport qui, dans 'ses conclusions, proclame les admirables résultats obtenus par M. Deprez, dans les expériences qui ont eu lieu à Creil.
- Le problème à résoudre était celui-ci : prendre cent chevaux de force motrice à la station de Creil, les transporter électriquement à la gare de la Chapelle, soit à 56 kilomètres de distance, avec un rendement de 50 0/0. M. de Rothschild fit les frais d’installation des machines à Creil et à la Chapelle ; ces machines commencèrent à fonctionner au mois d’octobre 1885, et le 24 mai dernier, la commissiou nommée pour contrôler les expériences acquit la certitude que le problème était résolu.
- Voici les conditions dans lesquelles les appareils sont établis : la force motrice est fournie, à Creil, par deux locomotives et transmise à une seule machine dynamo-électrique, dite génératrice, par l’intermédiaire d’une poulie dynamométrique enregistrant à chaque moment la force dépensée. La machine dynamo de la Chapelle, dite réceptrice, est de dimensions plus restreintes que la génératrice, puisqu’elle ne reçoit que la moitié environ de la force consommée à Creil.
- La distance du transport est de 46 kilomètres, le fil transmetteur, aller et retour, a une longueur de 112 kilomètres. Il est en bronze silicieux de 5 millimètres de diamètre.
- La totalité de la force motrice / dépensée à Creil est de 88 chevaux ; la force motrice reçue à la Chapelle est de 40 chevaux, soit un rendement de 45 pour cent.
- Il convient de remarquer avec le rapporteur, M. Maurice Lévy, que les machines ont fonctionné pendant six mois avec la plus grande régularité, et, bien que M. Deprez emploie des tensions très hautes, tensions qui ont atteint parfois 6,290 volts, on n’a eu aucun accident à déplorer. L’expérience est donc des plus concluantes.
- Dans l’après-midi de mercredi, ont eu lieu de nouvelles expériences. La force produite à Creil par la machine génératrice, arrive à Paris à la gare du Nord, où elle est divisée et utilisée pour la marche de plusieurs appareils (tours pour métaux, treuils, aiguilles de chemins de fer, etc.) qui fonctionnent simultanément ou séparément, à volonté. M. Marcel Deprez dirigeait lui-même la visite faite par un certain nombre de ses invités aux machines de Creil et de Paris-la Chapelle.
- p.494 - vue 497/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 495
- De nouvelles et complètes expériences doivent avoir lieu à Creil jeudi prochain.
- Il y a lieu de se réjouir de cette nouvelle conquête dans le domaine des applications de l’éle ctricité.
- CHARLES SA VILLE
- par ROBERTSON
- Roman philosophique
- Chapitre XV
- CAUSERIES ET RÊVERIES. — SUITE.
- — Nous étions au déluge, dit Edouard.
- — Oui, au premier déluge, dit Muller; car vous savez qu’on en a compté au moins quatorze.
- — Est-ce que nous les passerons en revue tous les quatorze ? demanda Schwartz, d'un air effrayé.
- — Non, non, soyez tranquille, répon dit Muller, je n’abuserai pas de votre patience à ce point. Au moment où notre globe est préparé à recevoir la vie organique, un essaim d’âmes vient en prendre possession.
- — Ah ! dit Campiglio, nous allons passer du domaine de la science dans celui de l’imagination ,
- — pr-pfMep te it (|ît Mnü ' R celait plus juste dp dire, dans eeiui de l’hypothèse. Mais après tout, l’hypothèse est un des moyens d’arriver à la vérité. Pensez-vous que Platon, Aristote, Pythagore et Epicure n’aient été que des romanciers ? Pensez-vous ;que les travaux de Descartes, de Leibnitz, de Locke, de Schelling, et de tant d’autres n’aient servi à rien ? Certaines branches de la physique ne s’appuient-elles pas sur des hypothèses ? N’y a-t-il pas pour la lumière, par exemple, la théorie de l’émission et la théorie des ondulations ?
- — Vous avez raison, dit le docteur ; mais puisque nous en sommes aux hypothèses, pourquoi 11e pas admettre le panthéisme pur et simple, qui met Dieu partout, sans le diviser et le subdiviser en légions, en cohortes et en simples soldats ? ou pour reprendre la comparaison de M. Carbonnel, en grains de cendrée ou en boulets de canon ?
- — Parce que alors, répondit Muller il n’y aurait plus ni variété, ni liberté, ni individualité. Votre esprit n’est pas le mien, vous devez le sentir sans avoir besoin de démonstration. Si nous étions animés tous deux du même esprit, nous ne discuterions pas en ce moment, Puisque nous penserons de même. Si Dieu, dans sa toute-puissance individuelle, agissait sur chaque individu, quelle serait la volonté capable de se soustraire à sa loi? y aurait-il une volonté autre que la sienne ? où serait ta responsabilité ? Quel compte pourrait-on nous demander du mal que nous aurions fait ? La matière est subdivisée et répartie dans l'univers en milliards de globes. Pourquoi n’en serait-il pas de même de l’esprit? Il ne répugne nullement à ma raison de considérer la sagesse éternelle comme l’ensemble d’une infinité d’atomes spirituels, de même que la puissance d’un boulet de canon consiste dans une masse d’atomes matériels.
- — Savez-vous bien, monsieur Muller, dit Edouard, que vous démocratisez l’univers ? Je trouve dans votre système, 1° que les esprits sont libres; 2e qu’ils sont égaux, sinon par leur valeur, du moins par leur nature; 3e que leur union fait leur force ; d’où je déduis cette formule : Liberté, égalité, fraternité.
- — Ou la mort, ajouta Schwartz, d’une voix caverneuse.
- — Une dernière question, dit le docteur. Attribuez-vous une forme quelconque à ces âmes, qui arrivent en légions pour peupler la terre ? Sout-ce les monades de Leibnitz ? sont-ce les atomes crochus d’Epicure ?
- — Je ne cherche à me faire aucune idée de leur forme, répondit Muller. Mais il est hors de doute pour moi qu’elles ont un corps, puisque je ne conçois pas l’esprit absolument isolé de la matière. Seulement, tant que l’âme n’est pas emprisonnée dans une grossière enveloppe terrestre, j’imagine qu’elle se revêt de quelque corps impondérable, analogue à la lumière, à l’éther ou au fluide électrique. Pour apporter la vie sur un globe, il faut qu’elle renonce par instants à cette forme si subtile, sous laquelle elle doit éprouver tant de jouissances, entre autres celle de parcourir l’espace avec la rapidité de la pensée. Elle ne peut animer la matière, et la faire servir à ses desseins qu’en s’incorporant avec elle, en s’emprisonnant, en se chargeant des plus lourdes entraves. Pour arriver à l’organisation la plus parfaite qui nous soit connue jusqu’à ce jour, celle de l’homme, il faut que la matière subisse graduellement une multitude de métamorphoses, dans lesquelles l’âme doit la suivre. L’âme commence donc par faire végéter la plante; puis elle passe à un échelon plus élevé, et donne à l’animal la sensation et l’instinct.
- — Gomment ! vous donnez une âme aux animaux, et même aux plantes ? dit Edouard.
- — Je donne une âme à tout être organisé, à tout ce qui sent, à tout ce qui vit enfin. Or, les plantes sentent, nous en avons un exemple frappant la mimosa, pudica, ou sensitive, qui manifeste sa sensation d’une manière visible. Les plantes ont leur sommeil, leur réveil, leurs amours, leurs joies et leurs tristesses. Je ne vois donc pis pourquoi nous leur refuserions une âme, c’est-à-dire la condition indispensable de la vie. Je ne vois pas, à plus forte raison, pourquoi nous en refuserions une aux animaux, dont l’organisation est plus complexe que celle des plantes.
- — Mais, au moins, dit Murray, j’aime à croire que vous faites une différence entre ces âmes là et l’àme humaine, qui est immortelle. Vous ne croyez pas que l’âme d’un chien ou d’un lapin soit de même nature que celle d’un homme ?
- — Vous avez perdu de vue, répondit Muller, que nous avons pris pour point de départ que l’esprit et la matière sont immortels : donc l’âme d’un chou ou d’un lapin est aussi immortelle que celle d’un homme. Elle est aussi de même nature ; mais cela ne veut pas dire qu’elle soit pareille en tout point. Le charbon et le diamant sont de même nature. Je vous ai parlé d’une loi
- p.495 - vue 498/838
-
-
-
- 496
- LE DEVOIR
- universelle, le dualisme dans l’unité. En voici une autre : j la variété dans l’unité, et voici un exemple de cette loi : nous avons tous un visage composé des mêmes traits, et nous n’avons jamais vu deux visages exactement pareils. D’où je conclus qu’il peut n’y avoir pas non plus deux âmes exactement pareilles ; ce qui ne les empêche pas d’être de même nature. Sans cette admirable loi de la variété dans l’unité, combien l’existence serait monotone ! chacun sentant, pensant et agissant de la même manière, nous serions des espèces d’automates, dont les mouvements seraient réglés et calculés d’avance.
- — Je vous arrête ici, dit Murray. Vous venez de dire ce que sont les animaux, même les plus intelligents : ce sont des automates, dont tous les actes sont réglés d’avance, donc ils ne sont pas de même nature que nous. L’abeille, depuis le commencement du monde, n’a jamais fait que du miel et de la cire.
- — Je vous arrête à mon tour, dit Campiglio. Le sauvage qui n’est pas un automate, selon vous, n’a jamais fait autre chose que chasser, pêcher, dormir, boire, manger, (son semblable quelquefois), et faire de sa femme une bête de somme. Il n’a donc pas même eu le mérite de l’abeille, puisqu’il n’a fait que consommer et n’a rien produit. Cependant, vous accordez une âme au sauvage. Vous n’êtes pas conséquent; tandis que nous le sommes, M. Muller et moi : lui, en distribuant libéralement des âmes à tout le monde, et moi, en déniant à tout le monde une chose dont l’existence ne m’est pas mathématiquement démontrée.
- Murray haussa les épaules, but une tasse de thé, et reprit :
- — Le plus clair de tout cela, c’est que M. Muller ose assimiler l’homme à Dieu. Il le fait tour à tour créateur et créature, ce que je trouve absurde. L’homme n’a jamais rien créé, et ne créera jamais rien. Je défie M. Muller, ou tout autre chimiste, avec toute sa science, de faire un brin d’herbe.
- — L’argument n’est pas neuf, répondit Muller, et dans cette occasion il n’est pas juste ; car je n'ai pas dit, jusqu’à présent du moins, que l’esprit conserve sa puissance créatrice, en revêtaru la forme humaine. Cependant, je ne réculerai pas devant votre défi. L’homme n’a jamais rien créé, dites-vous ? Mais songez donc que nous n’en sommes encore qu’à 1’ A B C de la science, et que nous savons déjà faire de l’air et de l’eau, sans parler d’un grand nombre de corps qu’on ne trouve pas dans la nature à l’état composé. Si nous n’avons pas encore fait de brins d’herbe, nous avons fait des diamants. N’est-ce pas créer cela ?
- — Ce ne sont là que des combinaisons, repartit Murray, et non des créations.
- — Vous voyez bien, dit Campiglio, que monsieur Murray n’en démordra pas. Il s’est mis dans la tête que créer c’est tirer quelque chose de rien. Il ne sortira pas de là.
- — Je crois, monsieur Muller, dit Saville, que vous aurez beaucoup de peine à concilier ces deux messieurs Mais j’ai besoin de vous dire que vous avez au moins un auditeur sympathique.
- — Comment un ! s’écria Edouard. Et moi donc ?
- — Et moi donc ? ajouta Schwartz, en montrant une pochade représentant un homme à tête de lapin, dévorant un homme à tête de chou.
- — Mais nous sommes tous fort sympathiques, dit le docteur. Monsieur Muller ne nous impose pas ses idées il nous les expose ; et si nous faisons des objections, c’est pour répondre à l’invitation qu’il nous en a faite.
- — Sans doute, sans doute, ajouta Murray. D’ailleurs monsieur nous a invités lui-même à prendre ce qu'il nous dit pour des rêveries.
- — Parbleu ! dit Mortimer, c’est bien joli ce que monsieur Muller nous raconte ; et pour ma part je n’y trouve rien à redire, si ce n’est que c’est un peu sérieux.
- (A suivre)
- Examen du certificat d'études primaires
- Les examens • pour le certificat d’études primaires, (canton de Guise) ont eu lieu à Guise le 26 courant pour les jeunes filles, et le 27, pour les garçons.
- Vingt élèves des écoles du Familistère de Guise : dont neuf filles et onze garçons, ont obtenu le certificat d’études.
- Voici, par ordre de mérite, pour nos écoles, la liste des candidats admi^.:
- FILLES
- DEYNAUD Antoinette; MONTIGNY Cio tilde; FA-MELLE Maria ; LH OTE Julia ; LOUIS Hélène ; BAQUET Marie; HENNEQUIN Marguerite; DEVILLE Blanche; SARRAZIN Marie.
- GARÇONS
- BEAURÀ1N Fidéli ; BOURBIER Alfred ; GRANDIN Jules ; HElNRY Gustave ; HARAUX Gaston ; PETEAUX Marcel ; SARRAZIN Louis ; LEGRAND Jules ; LÉGU1L-LER Georges; CARTIGNY Arthur; BRANCOURT Maximin.
- Il est à remarquer que deux filles ont été reçues, l’une avec le numéro deux, et l’autre avec le numéro trois, pour le canton.
- Huit élèves des écoles du Familistère ont obtenu la mention du dessin.
- FILLES
- WALTON Hélène; PETITHOMME Mathilde; DEYNAUD Antoinette.
- GARÇONS
- PROIX Auguste; GRANDIN Jules; DÉFONTAINE Alfred; FOURNIER Jules; FROISSARD Fernand.
- Nous reviendrons prochainement sur ces examens.
- État civil du Familistère.
- Semaine du 19 au 25 Juillet 1886 Naissance :
- Le 26 Juillet, de Hennequin Fernand Amédée, fils de Hennequin Amédée et de Vandois Adèle.
- Le Directeur Gérant : GODIN
- Gtn'SP. — Imn tfr-r
- p.496 - vue 499/838
-
-
-
- 10e Année, Tome 10.— N" 413 Le numéro hebdomadaire W c. Dimanche S Août 1886
- [ f I H [
- CI
- REVUE DES QUESTIONS SOCIALES
- bureau' 1
- a GUISE (Aisne)
- Toutes les communications et réclamations doivent être adressées à M. GODIN, Directeur-Gérant fondateur du Familistère
- ABONNEMENTS PAYABLES D’AVANCE par l’envoi, soit au bureau de Guise, soità celui de Paris, xle timbres-poste ou de mandats de poste, dont le talon sert de quittance.
- France
- Un an . . .10 ir. *» Six mois. . . 6 »» Trois mois. . 3 »»
- Union postale Un an. . . 11 fr. »» Autres pairs
- Un an. ... 13 fr. 60
- ON S’ABONNE
- A PARIS
- 5, rue Neuve-des-Petits-Ghampa Passage des Deux-Pavillons
- S’adresser à M. LEYMAR1E administrateur delà Librairie des sciences psychologiques.
- :> )
- J
- I
- PROGRAMME POLITIQUE D'ACTUALITE
- H ' RÉFORMES POLITIQUES. »
- Placer la protection et le respect de la vie humaine au-dessus de toutes choses dans la loi et dans les institutions. • . J
- Eviter la guerre/ la remplacer par l’arbitrage entre nations.
- Faire des garanties delà vie humaine la hase de la constitution politique et sociale du gouvernement. .
- Consolider la République en inaugurant la souveraineté nationale par l’organisation du suffrage universel. ’
- Fonder cette organisation du suffrage sur la hase du scrutin de liste nationale pour l’élection des députés et du renouvellement partiel et annuel de la Chambre.
- Election et dépouillement à la commune.
- Recensement départemental au chef-lieu du département.
- Recensement national à Paris.
- Proclamation du quart des députés à élire parmi les candidats qui auraient obtenu le plus de voix au premieratour de scrutin.
- Affichage de cette proclamation dans toutes les communes de France, avec la liste de tous les candidats qui auraient obtenu plus de 10.000 voix.
- Second tour de scrutin, le troisième dimanche après l'affichage de la liste des candidats sortis du vote.
- Proclamation des députés restant à élire dans les candidats ayant obtenu le plus de voix au second tour.
- Ce système aurait pour conséquences : ,
- La moralité dans les élections ;
- , liberté de l’électeur dans le choix de ses candidats, avec la presque certitude ûe donner un vote utile ;
- Légalité des citoyens devant l’urne ; chaque électeur votant, par toute la France, pour autant* de noms qu’il y a de Ministères, c’est-à-dire de départements des affres publiques ;
- dtés de représentation proportionnelle et, par conséquent, des mino-
- p.497 - vue 500/838
-
-
-
- 498
- LE DEVOIR
- La représentation par les supériorités ;
- Le contrôle des électeurs sur leurs mandataires ;
- Cette organisation du suffrage universel rendrait la candidature vraiment démocratique et la rendrait possible aux hommes de talent et de mérite sans fortune.
- Elle moraliserait le régime représentatif, les députés qui failliraient à leur programme et à leurs engagements étant vite remplacés ;
- Avec ce système, les députés élus par le collège national seraient les députés de la France ; ils ne seraient plus élus qu’en raison de leur conduite législative ; ils seraient responsables devant la nation de l’observation loyale de leurs engagements et du programme qui leur aurait mérité l’élection.
- RÉFORMES CIVILES.
- Abolition régulière et progressive des abus de l’impôt en prélevant les ressources nécessaires à l’Etat sur la richesse acquise ; mais en faisant ce prélèvement après la mort des personnes et non de leur vivant.
- A cet effet, établissement du droit d’hérédité de l’Etat dans les successions.
- Droit d’hérédité progressive sur les héritages en ligne directe ; l’Etat prélevant peu de chose sur les petites successions, mais élevant son droit progressivement jusqu’à 50 0/0 sur les fortunes dépassant cinq millions.
- Droit de 50 0/0 sur tous les testaments.
- Droit complet d’hérédité de l’Etat en ligne collatérale et sur tous les biens n’ayant ni héritiers directs ni légataires.
- Abolition de l’impôt sur tous les biens tombés en héritage à l’Etat, mais substitution à cet impôt d’un revenu sur tous les biens revendus par l’Etat et d’un fermage sur tous les biens loués par lui.
- Suppression régulière, par ce moyen, des fermages payés aux propriétaires intermédiaires ; la propriété immobilière devant être exploitée par ceux qui la détiennent soit comme fermiers, soit comme propriétaires.
- RÉFORMES SOCIALES.
- Institutions de garanties sociales en faveur des classes laborieuses et pauvres, par l’hérédité de l’Etat.
- Protection à l’association entre le capital et le travail.
- SOMMAIRE
- Aphorismes et préceptes sociaux. — Les révolutionnaires et les rénovateurs, —r Les résultats des élections. — La colonie de Porque-rolles. — Le Cléricalisme dans Venseignement primaire.— Faits politiques et sociaux de la semaine. — Le sort des pauvres. — Un déni de Justice.— Une sottise judiciaire.— La réglementation du travail des femmes et des enfants.— Charles Saville.
- APHORISMES & PRÉCEPTES SOCIAUX
- CXVI
- Impôts et emprunts
- Les gouvernements trouvent les emprunts commodes, cela met k leur disposition immédiatement des capitaux importants ; mais, ensuite, il faut q ie le peuple en paie les intérêts.
- LES RÉVOLUTIONNAIRES ET LES RÉNOVATEURS
- Les journaux de la révolution violente et leurs éditions de province, partisans de la révolution pour la révolution, concurremment avec les journaux monarchiques, attaquent avec acharnement Fassociation du Familistère et M. Godin. Ils dénigrent à tort et à travers les doctrines politiques et sociales de ce dernier, calomnient ses intentions, dénaturent les faits de l’association qu’il a fondée en vue de l’amélioration du sort de ses ouvriers ; et tout cela, sans avoir fait la moindre étude de ses écrits et sans connaître le premier mot de sa fondation ! A leurs yeux, M. Godin est un bourgeois et un patron, cela suffit, h5 avouent eux-mêmes leur ignorance à l’égard de l'association du Familistère, en disant qu’ils étu-
- p.498 - vue 501/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 499
- fieront plus tard les statuts et règlements de cette fondation. Ils n’en feront rien ; mais, cela n’empêche pas qu’ils déblatèrent contre l’œuvre et son
- auteur.
- Ne sachant rien de ce qu’a fait et écrit le fon-dateur du Familistère, ils nous demandent quelles garanties nous voulons et réclamons en faveur des classes ouvrières, lorsque le Devoir, depuis bien-tôt dix ans, traite sans relâche ces questions ; lorsque M. Godin dans ses ouvrages les a exposées aVec tous les développements nécessaires pour en démontrer les côtés pratiques ; lorsque, plus encore, étendant, par une expérience pratique, les bienfaits de l’association sur une population importante de travailleurs, il démontre par les faits l’efficacité de ses théories.
- Quand ses adversaires,monarchistes et anarchistes, veulentque touteela soit compté pour rien, que ce soit même à détruire de fond en comble, le Devoir était t n droit de demanderàces Messieurs d’exposer, Vil leur était possible, leur programme au grand jour comme M. Godin expose le sien; puisqu’on ne pouvait leur demander ni les expériences ni les réalisations sorties de leurs travaux, à eux qui n’ont rien fait et ne feront rien pour le bonheur de l’ouvrier ; car, ceux-là qui ne savent qu’enseigner la violence et la destruction sont incapables de rien faire pour réaliser le bien public.
- Quant aux cléricaux et aux monarchistes avec lesquels nos adversaires font merveilleusement cause commune dans leurs attaques contre nous, nous n’avons rien à leur demander, nous savons ce qu’ils sont et ce qu’ils veulent.
- A la demande du Devoir, nos adversaires répondent : « Notre programme est tout autre ‘(que celui du Devoir); il découle en entier
- * de ces deux mots : Ni Dieu, ni Maître
- * qui lui semblent si courts et si peu substantiels. ‘Nous en tirerons pourtant des résultats assez ' considérables... L’incendie du Grand-livre, des 1 litres de propriété, de toutes les paperasses lé-1 gales, la démolition des prisons et des bagnes, la ‘ destruction de tous les quartiers infects où les
- * Prolétaires sont condamnés à la mort lente, la " Oppression de tout les corps officiels ; clergé, 1 Magistrature, police, armée,seront-ils là des faits
- Qùgligeables pour le rédacteur du Devoir ? Et ‘ la prise en possession des palais, des mines, ' ûes grands domaines, celle des manufactures et 1 des fabriques, la révolte définitive du travail
- c°ntre le capitaliste, la main-mise sur les for-
- luues privées,seront-ce des événements d’impor-
- « tance minime aux yeux de notre contradicteur ? « G’est pourtant là notre programme. Nous vivons « et nous luttons pour le réaliser.»
- Certainement non, cela ne serait pas sans importance. Tout détruire sans rien avoir à mettre à la place que les convoitises, les ambitions et le despotisme de ceux qui auraient fait la révolution, aidés des voleurs et des assassins sortis des galères et des prisons ouvertes pour la circonstance ! G’est là une visée qui ne peut être négligeable. Aussi nous y arrêtons-nous, lorsque nous les voyons combattre à l’unisson l’association du Familistère et les réformes sociales que défend le Devoir,commettre des agents chargés de chercher à créer des embarras dans les ateliers de cette même association, et accepter d’eux des rapports mensongers, dénaturant tous les faits et jetant l’injure aux intentions les plus sincères. Gela nous montre quels seraient,si des hommes arrivaient au pouvoir avec de telles intentions,la liberté et le respect dont seraient entourés les citoyens désireux d’organiser la paix et la justice dans tous les rapports sociaux.
- Non, Messieurs les anarchistes, votre programme n’est pas le nôtre. Nous ne demanderons jamais le concours des voleurs ni des assassins que lesgalères et les prisons renferment, pour édifier la société nouvelle : c’est par le progrès des idées, c’est par l’élévation de la conscience publique, c’est par la science sociale mise au service du génie humain, que la rénovation sociale se fera. Les excès et les violences anarchistes pourraient propager le meutre, l’incendie et la dévastation, nous conduire à une nouvelle phase de barbarie épouvantable qui ne prendrait fin que par la fatigue du carnage et la lassitude de faire des victimes ; mais après toutes ces horreurs, qui réédifierait ? seraient-ce les mains souillées du sang des victimes ? Non ! jamais celles-là ne sauront organiser la société fraternelle [de l’avenir; jamais celles-là ne sauront organiser la justice dans les relations humaines.
- Notre programme à nous a’pour règle suprême le respect de la vie humaine. Nous plaçons au premier rang des devoirs politiques la protection de l’existence de tous les citoyens. Nul n’a le droit d’attenter à la vie d’autrui, pas plus les anarchistes que les bourgeois ; aussi nions-nous à l’homme le droit d’inscrire la peine de mort dans la loi ; à plus forte raison ne voulons-nous ni le meurtre, ni l’assassinat dans les mœurs. Nous voulons l’abolition des guerres nationales comme attentatoires à la vie et à la liberté humaines, à plus forte rai-
- p.499 - vue 502/838
-
-
-
- 500
- LE DEVOIR
- son considérons-nous la révolution violente ou la guerre civile comme le plus grand des malheurs. C’est à nos yeux le plus grand des forfaits de lèse-humanité que l’ignorance et la méchanceté des hommes puissent fomenter contre la société même.
- Peu nous importe les crimes de lèse-humanîté, diront nos contradicteurs, puisque nous n’admettons ni Dieu, ni Maître ; il y a eu assez de despotisme d’en-haut, nous voulons être, à notre tour, les despotes d’en-bas. A votre aise, Messieurs, mais nous vous disons : Nous savons, nous, avec certitude,.qu’il y a dans l’ordre universel, pour l’humanité, une justice éternelle et suprême et que cette justice se chargera de montrer aux fauteurs de guerre civile leurs fautes et leurs erreurs et la nécessité de leur expiation.
- Une autre méchante insinuation de nos adversaires est de dire que le conférencier du Devoir "a toujours demandé l’appui du gouvernement. Il ne l’a pas plus fait sous la République que sous l’empire; mais il s’est toujours efforcé de démontrer aux gouvernants la nécessité de donner aux classes ouvrières, dans la nation et sous l’appui de la loi, les garanties dues à la vie humaine, œuvre dans laquelle il a préché d’exemple en inaugurant ces garanties autour de lui dans la mesure de ce que peut atteindre l’action individuelle,étant donné l’état social existant.
- Trêve donc de calomnies et de méchancetés, 'Messieurs les anarchistes, vos efforts seraient bien plus fructueux si au lieu de vous en tenir à votre ritournelle : sus au bourgeois, vous acquerriez un peu plus de connaissances, en fait de réformes sociales utiles aux classes ouvrières, et joigniez vos efforts aux nôtres, afin d’obtenir des corps législatifs une réforme électorale qui mettrait fin à l’impuissance actuelle, amènerait les ouvriers en grand nombre dans les assemblées législatives et permettrait aux chambres d’opérer, sous une forme progressive, les réformes que vous promettez aux ouvriers par la violation des droits les plus sacrés de l’humanité et au mépris de tous les sentiments de devoir qui subsistent plus vivaces que vous ne le pensez, dans le cœur de la classe labo-rièuse.
- Vos théories auraient pour conséquence, si jamais elles venaient à capter les masses, de diviser la classe ouvrière elle-même et de neutraliser sa puissance, puissance qui serait formidable fpour o ’vrir l’ère des réformes utiles, si ceux qui se
- chargent de la guider la conduisaient dans la cou. naissance réelle de ce qui est à faire pour orga. niser le travail, de manière à ouvrir pour les classes laborieuses l’ère du bien-être et de l’émancipation
- Les résultats des élections.
- Peut-on tirer des résultats électoraux, issus du scrutin du 1er août, des conclusions conformes aux secrets désidérata populaires?
- Ces désidérata ne s’affirment que bien confusément, dans les élections départementales, à travers les questions de clocher, les intérêts de canton, les compétitions de personnes, les influences de candidats, qui tiennent une si grande place dans ces élections.
- C’est,d’ailleurs,le vicepropre au mode de suffrage universel en vigueur, de ne pas permettre une consultation générale sur des points précis, bien déterminés : telle est la confusion qui règne dans l’expression de la volonté nationale, qu’au lendemain d’élections nombreuses, comme celles qui viennent d’avoir lieu, chacun peut intérpréter à sa guise et au profit de ses idées, les résultats acquis. Tôt capita, toi sensusl II y a là, évidemment, un vice radical dans le fonctionnement du suffrage universel, pusique les sentences qu’il prononce peuvent être interprétées de tant de façons différentes, contradictoires, même absolument opposées.
- Comme nous le faisions observer dans le dernier numéro du Devoir, les équivoques et les ambiguïtés de langage et de programme ont été la caractéristique de cette dernière période électorale. Ces ambiguïtés voulues des candidats ni chair ni poisson, aux promesses vagues, informes, ajoutent encore à l’obscurité naturelle qui se dégage de tous les scrutins, parce que lé mode d’expression de la souveraineté nationale est défectueux, et que ceux qui prétendent à l’honneur d’incarner son verbe font tout leur possible, pour accroître encore cette obscurité. Nous allons cependant examiner rapide* ment les résultats du scrutin de dimanche, et voir s’ils revêtent la signification que nous leur avions par'avance attribuée.
- Nous nous étions placés dimanche en présence de deux éventualités possibles : La réaction pou* vait gagner quelques sièges ou en perdre. Nous ne croyions pas, en effet, que les résultats pussent modifier sensiblement la situation respective des deux partis monarchiste et républicain. D’abor . parce que,pour bruyantes que soient les espérances
- p.500 - vue 503/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 5.0!
- faveur desr convié leurs électeurs à voter,
- pistes du parti de la monarchie ou de l’em-°?,0 ces deux gouvernements n’ont pas de profonds racines dans l’opinion publique, foncièrement ttachée à la République,— sinon à la république actuelle, du moins à cette forme de gouvernement erfectible, susceptible de devenir un excellent instrument de progrès. Ensuite, parce que les équivoques entretenues à dessein par les candidats réactionnaires tendaient à écarter toute idée de plébiscite. Les institutions républicaines devaient donc sortir intactes du scrutin du 1er août, à moins d’un écart, d’une poussée anti-républicaine de l’opinion, comme il ne pourrait s’en produire que si la République était à la veille de sa chûte. ;f>.;
- Nos prévisions se sont réalisées. En premier lieu, ia France s’est affirmée républicaine. La situation numérique des conseils généraux sous ce rapport reste la môme; et comme les candidats républicains, s’ils n’ont pas été explicites sur la nature des réformes sociales en quelles ils ont se sont montrés plus précis sur la question purement politique de la forme gouvernementale républicaine, nous avions raison de dire dimanche que *a république serait à nouveau investie par le suffrage universel de la rnission réformatrice qui lui incombe.
- Il est plus difficile de dégager la signification sociale et les tendances manifestées dans le choix des candidats républicains. Cette signification apparaît cependant, quand on examine certains résultats.Par exemple,là où plusieurs républicains se trouvaient en présence, les candidats les plus précis, dont le programme s’affirmait comme nettement réformiste ont triomphé, et souvent dans des conditions particulières qui ne laissent aucun doute sur ia nature des vœux du suffrage universel.
- dans le Pas-de-Calais, département dont la députation est réactionnaire, M. Ribot adté battu par un candidat radical. — On sait que '-s préférences politiques du Devoir ne sont pas dictées par des considérations de parti, auxquelles obéissent généralement les organes ordinaires de ^presse républicaine. Nous sommes étrangers à ^ considérations. Pour nous, peu importe l’épi-^ete dont s’affuble un comité ou un candidat, •uns ne noîis arrêtons pas à la couverture du pro-^Qune ; ce qui nous intéresse c’est seulement
- iéfûnrl
- uu cnejiie, le texte de ce programme. Nous p, Qs toute liberté, pour apprécier dans un absolu d’impartialité les résultats d’une -bon particulière. Eh bien! le programme de
- M. Cazin était plus net, plus affirmatif que celui de M. Ribot. M. Cazin ne niait pas que des fautes nombreuses et graves eussent été commise par la République. Il n’affirmait pas que l’on dût désormais considérer comme parachevée l’œuvre de réformes et de modifications sociales nécessitée par l’ordre de choses que nous a légué l’infinie succession nde gouvernements monarchiques et féodaux qui ont précédé le gouvernement républicain. C’est à lui que les électeurs sont allés. Etant donné la moyenne de l’opinion politique du pays, cette élection non seulement éclaire singulièrement, sur l’état actuel des esprits, mais encore elle jette une vive lumière sur les causes qui ont déterminé au 4 octobre le triomphe des conservateurs.
- Au 4 octobre, la liste républicaine du Pas-de-Calais se contentait d’affirmer la République, sans donner aux électeurs d’autres indications sur la grande question sociale pendante, que le maintien d’un régime qui n’avait rien fait pour sa solution. Les masses populaires s’abstinrent ou votèrent pour la liste conservatrice, dont- Je programme parlait de réformes, d’améliorations à effectuer dans le mode de recouvrement et de répartition de l’impôt, etc.
- Au 1er Août, la personnalité des candidats-et la couleur politique du programme pouvaient différer; la question des réformes se posait sur le même terrain. M. Ribot représentait la République actuelle, M. Cazin, la République procédant aux transformations sociales urgentes. M. Ribot a été battu.
- Persistera-t-on encore, après cela, à dire que le gouvernement est entravé, dans l’œuvre des réformes,par l’état d’esprit des populations rurales, qu’une accélération de la marche du gouvernement dansja voie du progrès, troublerait,et même, éloignerait de la République ?
- 11 est à remarquer, en effet, que dans ces dernières élections, les grandes villes n’ont pas été consultées. On nous objecte souvent, qutand nous exposons les avantages qui résulteraient immédiatement pour la classe ouvrière de l’ado; lion des projets tant de fois développés par le Devoir, que si l’adoption de ces mesures socialistes ne rencontrerait pas d’epposition sérieuse dans Es grandes villes, où les électeurs ont atteint un certain déve-loppementintellectuel, il n’en saurait èli e de même dans les campagnes. Jamais, nous dit-on, vous ne ferez admettre, par les paysans, l’hérédité de l’Etat dans les successions privées. Comme si le
- p.501 - vue 504/838
-
-
-
- 502
- LE DEVOIR
- paysan, dont notre système ne grèverait aucunement la parcelle de champ qu’il transmettrait alors à son fils, exempte des charges qui l'obèrent aujourd’hui, pouvait être l’adversaire d’une mesure qui atteindrait les grosses fortunes, fruits du privilège, et protégerait les petites, la sienne, fruits du travail.
- En cette circonstance, les populations rurales seules ont été consultées. Or, l'opinion qu’elles ont exprimées, pour nous, n’est pas douteuse. Elles se sont prononcées, avec autant de netteté que le leur permet le mode de consultation électoral, pour une république sociale, en votant pour des candidats socialistes, là où naguère elles votaient pour des candidats conservateurs.
- Là réponse a été la même dans les cantons où l’élection a mis plusieurs candidats en ballottage. Là encore, les républicains qui sentent la nécessité de sortir de la routine politique suivie jusqu’à ce jour, et de prendre délibéremmentle chemin qui nous conduirait sans troubles et sans secousses à une meilleure organisation sociales, si on adoptait nos projets de réforme, là, encore, disons-nous, le chiffre de voix obtenu par ces candidats républicains a été considérable.
- Qu’on ne vienne donc plus nous opposer la différence de tendances existant entre la population des grands centres industriels et la population rurale. Il n’y a pas et il ne peut pas y avoir antagonisme entre le paysan et l’ouvrier, parce que si tous deux se trouvent placés dans des conditions de milieu différentes, leur situation précaire n’en est pas moins la même, produite par les mêmes causes, les mêmes perturbations, et le remède social — qu’on nous passe le mot —qui guérira les maux de l’un, guérira aussi les maux de l’autre.
- C'est pourquoi il y a identité d’aspirations chez tous les deux ; c’est pourquoi les élections du l*r août, malgré les obscurités inévitables résultant d’une campagne électorale comme celle que nous avons signalée, ont, au fond, une signification indéniable, autrement importante que celle que veulent leur attribuer les partis politiques.
- Ce n’est pas, en effet, telle ou telle nuance du parti républicain qui a triomphé, mais bien l’idée de réformation,qui grandit de plus en plus, géante, inéluctable, et qui finira par s’imposer avec tant de force que, comme nous le disions dimanche, tout parti quel qu’il soit, qui voudra se soustraire à son action, est condamné à se voir désavoué par le suffrage universel.
- LA COLONIE DE PORQUEROLLES
- La campagne menée par la presse au sujet des faits qUj Se sont produits à la colonie de l'île de Porquerolles, a eu je résultat qu’on devait espérer. La lumière est faite. On a re co anu l’exactitude des renseignements qui ont été recueillit exploitation indigne des enfants, mauvaise nourriture bru talités barbares.
- Trois surveillants ont été arrêtés. Ce sont les nommés Roch, Bianconi et Saunier, tous trois accusés de mauvais traitements sur la personne des enfants placés sous leur garde.
- On est en droit de s’étonner, après cela, que le Directeur de l’Assistance publique, questionné au Conseil muni-cipal de Paris au sujet des incidents qui ont eu lieu à la colonie de Porquerolles, ait cru devoir nier ces incidents et couvrir de sa protection M. de Roussen, le propriétaire de la colonie. Ou le Directeur de l’Assistance ignorait ce qui se passait à Porquerolles, — et alors on se demande comment se fait l’inspection des Enfants-Assistés, — ou il ne l’ignorait pas, et alors il s’est fait le complice volontaire de ~M. de Roussen. Dans les deux cas, ce fonctionnaire est coupable.
- Le Temps, qui tout d’abord avait cru pouvoir prendre la défense de M. de Roussen, est obligé de reconnaître que « tout n’était pas pour le mieux » à Porquerolles, comme le prétendait le Directeur de l'Assistance publique, et il publie une lettre de Toulon dont nous croyons devoir reproduire les passages qui suivent :
- « Après un examen impartial, je crois pouvoir vous ré-« sumer la situation à Porquerolles de la façon suivante :
- « Il semble que M. de Roussen, propriétaire de l’île, n’a « pas surveillé d'assez près ni l’exécution des instructions de « l’Assistance publique, qui lui confiait des enfants qu’on de-« vait traiter avec humanité, ni l’emploi des sommes consa-« crées à l’entretien et à la nourriture des enfants.
- « Le directeur actuel de la colonie, nommé il y a peu de « temps, est M. Ferry, homme peu préparé à conduire des « enfants avec douceur : c’est un ancien officier de marine « qui a commandé une compagnie de discipline, où il a dû « s’habituer aux mesures de rigueur.
- « II est établi qu'il existait des cellules éloignées Ou 1,500 « mètres de toute habitation, où des enfants ont été « enfermés pendant trente jours, au pain et à l’eau.
- « On dit aussi que les enfants n'ont pas toujours eu leur « jour de repos hebdomadaire. Les vêtements des enfants « laissaient à désirer ; depuis l'arrivée des magistrats instruc-« teurs, ils en ont reçu d’autres. Leur nourriture paraît avoir « été aussi insuffisante, et toutes les sommes que l’on desti'
- « nait à leur alimentation n’ont certainement pas été employée « à cet usage. »
- Nous le répétons : le Temps n’a pas toujours été hosti « à M. de Rousser. ; si donc il avoue aujourd’hui les faits quon vient de lire, c’est qu’il y est obligé par la force même es choses. _ ,
- M. de Roussen a traité les enfants comme de petits f°r(^ et n’a jamais songé à les assister : il n’a vu en «ux qu moyen de revenu ; il s'en est servi potar l’exploitation e cultures ; il les a fait travailler à son profit exclusif. . ® ® complice, à notre sens, c’est l’administration de l’Assista
- p.502 - vue 505/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 503
- publique qui avait confié à cet homme les enfants quelle recueille, qui n'a pas su voir de quelle façon indigne ces pauvres Délits étaient traités et qui, lorsqu’on le lui a révélé, a commencé par déclarer que 1’ « on exagérait ».
- Le service de la protection des enfants est un de ceux qui doivent être fait avec plus de soin. L’Assistance publique a à sa charge plus de 40.000 petits. Ces enfants, ce seront des hommes demain, et de l'éducation qu’ils reçoivent dépend leur avenir. Eh bien ! comment veut-on que ces enfants, qu’on a souvent trouvés dans les milieux maavais et qui auraient été voués au vice sans la main secourable qui les recueille, comment veut-on qu’il^ s’amendent, qu’ils se moralisent, qu’ils deviennent des travailleurs, si on les livre à des exploiteurs qui ne les instruisent pas, qui ne leur apprennent point un métier qui les fera vivre plus tard, qui les soumettent à un régime barbare, dont la conséquence est que les infortunés sentent sourdre continuellement en eux des besoins de révolte et de colère légitimes !
- le cléricalisme
- DANS L’ENSEIGNEMENT PRIMAIRE
- On nous a souvent dit et répété que la guerre faite par la République à la religion, dans les écoles primaires, était un des principaux facteurs des succès relatifs obtenus par les monarchistes aux élections d’octobre dernier.
- Nous penchons à croire, en effet, que la façon dont le gouvernement républicain a combattu, depuis son origine, les empiètements du cléricalisme, n’est pas étrangère à la tentative de mouvement offensif qui a paru se produire aux dernières élections. Mais c’est parce que le gouvernement s’est montré d’une complaisance coupable pour ses intraitables adversaires, que ceux-ci ont pu, sur certains points du territoire, encouragés dans leur audace par la faiblesse même du pouvoir,tenter d’enrôler les paysans ignorants à l’assaut des institutions républicaines.
- Nous avons un exemple de cette faiblesse coupable et de cette complaisance funeste, qui vont jusqu’à la complicité, dans l’esprit général dont est animé notre haut personnel de l’enseignement primaire.
- S’il est un corps de fonctionnaires dont l’Etat devrait surveiller avec soin les tendances et les aspirations, pour les réprimer quand elles se manifestent en désaccord avec l’esprit philosophique, tolérant, impartial, qui doit régner dans notre enseignement, c’est certainement le corps de l’ins-d'uction. Remarquez qu’il ne s’agit pas ici d’imposer des croyances religieuses ou même philoso- j piques à des fonctionnaires; de les contraindre à {
- des actes de confession blessants pour leurs consciences. Non. Il s’agit simplement d’assurer un enseignement uniforme, conforme aux principes généraux d’impartialité religieuse qui doivent être la base de notre instruction.
- Or voici un petit livre qui fait partie de la librairie classique; d’une Encyclopédie de l’Enseignement primaire, publié dans le rayon de Paris,sous la direction de M. Subercaze, inspecteur primaire, officier d’instruction publique. Ce livre porte pour titre : Cours élémentaire.
- Voici ce que M Subercaze, ou ses collaborateurs enseignent aux enfants:— Dans une école, le premier article du mobilier, le plus précieux, c’est... le Christ.
- Parmi les jours fériés, de solennité reconnus par la loi, le 14 Juillet, fête nationale de la République, ne figure pas, mais toutes les fêtes de l’église, légales ou non, y sont énumérées avec soin.
- Dans ce livre, il n’est pas, à une seule page, question de la patrie, delà République, de devoirs sociaux, patriotiques, mais de Dieu — le Dieu des catholiques, naturellement.
- « Le premier devoir de i’enfant, y lit-on, c’est la recon-« naissance envers Dieu. — «Que ferai-je pour lui témoi-« gner ma reconnaissance de tant de bienfaits? se demande « l’enfant. Je me conformerai à sa sainte'volontê. »
- Voici ce que le maître enseigne à l’enfant pour qu’il agisse toujours conformément à la sainte volonté de Dieu.
- « D’abord, en s’éveillant, le matin, il donne à Dieu sa « première pensée; il le prie intérieurement avec foi et hu-« milité...
- « ... Soit que nous mangions, soit que nous buvions, « nous devons toujours tendre à la gloire de Dieu.
- « Il assiste à l’église à tous les exercices religieux,... il « chante les psaumes et les hymnes à la gloire de Dieu... « Il écoute attentivement, pieusement, la parole du « prêtre... il fait humblement le signe de la croix et la « génuflexion devant l’autel; il prend l’eau bénite, lait un « dernier salut au Saint-Sacrement, etc. »
- Au point de vue philosophique, renseignement de M. Subercaze — inspecteur primaire et officier d’instruction publique — est détestable ; littérairement il ne l’est pas moins. — Ecoutez ce galimathias:
- « Le prêtre est à l’autel... il parle de Dieu, le souverain « pasteur des âmes; du pape, vicaire de Jésus-Christ, qui a « reçu l’ordre de paître les agneaux et les brebis; de l’E-« g lise qui est le bercail où les-uns et les autres doivent « se réunir... etc.
- « ... Dieu ne permettra pas qu’on viole impunément ses « commandements. Aussi, j’ai remarqué que ceux .qui ne « craignent pas Dieu, sont presque toujours malheureux; que
- p.503 - vue 506/838
-
-
-
- 504
- LE DEVOIR
- « le travail du dimanche n’a jamais enrichi, etc., «etc. »
- Les cléricaux réclament bruyamment, parce qu’on a supprimé l’enseignement du catéchisme dans les écoles. Mais il me semble, que si le livre dont nous citons ces extraits n’a pas été approuvé par NN. SS. du diocèse de Paris, c’est sans doute que M. Subercaze aura oublié de le leur soumettre. Car rien n’y manque. Pas même les ménagements dont l’instituteur doit user, pour faire accepter des enfants ces vérités un peu difficiles à admettre. Il nous dit, en effet : (page 135,).
- « Qu’il faut tourner doucement le premier usage « de la raison des petits enfanfs à connaître Dieu. Per sua-c dez-les des vérités chrétiennes. » ajoute-t-il.
- Gomment laguerre au cléricalisme,ainsi conduite, n’aboutirait-elle pas à la défaite de la République et au triomphe de la réaction religieuse?
- Faits politiques et sociaux de la semaine.
- FRANCE
- Résultat des élections.— Il y avait à élire dimanche 1,417 conseillers généraux pour les cantons soumis au renouvellement, et 18 conseillers généraux pour les cantons qui, ne faisant pas partie de la série sortante, avaient des sièges vacants par décès ou démission.
- Soit, au total, 1,435 conseillers à élire.
- Voici les résultats complets du scrutin :
- Républicains élus. ...................... 847
- Conservateurs élus........................ 411
- Ballotages.............,.................. 177
- Total. . . . . 1.435
- Les républicains conservent la majorité dans tous les départements où ils la possédaient,sauf dans celui de la Sarthe. Les républicains avaient, au Conseil général de la Sarthe, une majorité d’une voix : aujourd’hui, ils s’y trouvent en minorité d’une voix.
- La majorité appartient aux républicains dans 79 départements ^ur 90.
- Les onze départements où ils sont en minorité sont la Charente, les Côtes-du-Nord, l'Eure, le Gers, l’Indre, la Loire-Inférieure, le Maine-et-Loire, le Morbihan, le Haut-Rhin, la Sarthe et la Vendée. — Les deux départements où se sont produites les modifications les plus sensibles sont les suivants : le Pas-de-Calais, où les républicains ont gagné sept sièges, et le Xot-et-Garonne, où les républicains ont gagné quatre sièges et en ont perdu deux.
- Il n’y a que seize départements où les partis en présence n’ont ni^perdu ni gagné de siège.
- Il y a 477 ballotages. 19 départements seulement n’ont pas de ballotages. Leur presque totalité sont en faveur des républicains. Dans la plupart des cas, en effet, le ballotage est entre deux républicains. Il y a aussi quelques cantons où le ballotage existe entre deux républicains et un réactionnaire, nais les voix obtenues par les deux candidats républi- I
- cains sont plus nombreuses qu e celles recueillies par leur cou-current monarchiste : si donc, au second tour de scrutin la discipline eet observée, le réactionnaire sera battu. ’
- En définitive, on compte que, les élections complètement terminées, les républicains non seulement rentreront en aussi grand nombre qu’ils s’y trouvaient dans les Conseils généraux c’est-à-dire deux fois plus nombreux que les réactionnaires* mais encore auront gagné des sièges. ’
- La réglementation du travail au Conseil municipal de Paris.—A la suite d’une laborieuse discussion qui n’a pas moins duré de trois séances, le Conseil municipal de Paris a adopté, à une faible majorité, la réduction de la journée de travail à 9 heures, sur les chantiers municipaux.
- La commission dont M. Longuet était rapporteur avait conclu par l’organe de ce de rnier à la réglementation de la journée à 8 heures.
- Les discours prononcés en cette circonstance par MM. Longuet et Vaillant ont été des plus remarquables. M. Longuet a surtout insisté sur le caractère urgent de la question et sur les efforts tentés par les nations industrielles les plus développées, en vue de la résoudre, en réduisant à huit heures la journée de travail. L’historique qu’il a fait de la réglementation du travail était déplus complets. M. Vaillant, en répondant aux objections de M. Armengaud, a non moins bien défendu cette thèse, à l’appui de laquelle, comme nous le rappelions dans notre dernier numéro, le Devoir a apporté des arguments décisifs, tirés d’une expérience faite au Familistère même en 1870-1871.
- Bien que le Conseil municipal de Paris n’ait pas entièrement adopté les conclusions socialistes de son rapporteur, puisqu’il s’est arrêté à la fixation intermédiaire de 9 heures, il n’en a pas moins fait un pas significatif dans la voie des réformes sociales, et nous le félicitons de cette initiative, qui, nous n’en doutons pas, sera suivie ; car l’exemple du Conseil municipal parisien ne peut manquer d’exercer une influence sur les autres municipalités de France. Or si les Conseils municipaux adoptaient cette réforme dans l’exécution de leurs travaux, il ne nous parait pas possible que le parlement pût résister plus longtemps à l’adoption d’une mesure destinée, tont-à-la fois à améliorer la condition matérielle des ouvriers et la situation de notre industrie.
- Le monument de la Révolution. — Le
- Conseil municipal de Paris a émis récemment le vœu qu’un monument commémoratif de la Révolution française soit érigé et que ce monument se dresse sur l’emplacement du Palais des Tuileries, ü avait délégué plusieurs de ses membres auprès de M. Goblet, ministre de l’Instruction publique, pour lui faire part de ce projet. L’entrevue fut des plus cordiales et le Ministre promit aux représentants du Conseil municipal son concours le plus actif,
- Voici l’étrange lettre que le ministre vient d’adresser à M. Hattat, l’un des membres de la délégation du Conseil municipal :
- c< Paris, le 27 juillet 1886.
- « Monsieur le conseiller municipal,
- « J’ai soumis ce matin, comme vous me l’aviez demandé,
- « au Conseil des Ministres le projet dont vous avez bien voulu
- p.504 - vue 507/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 505
- a m’entretenir, concernant l'érection à Paris d’un monu-« ment commémoratif de la Révolution française.
- {( Il a paru au Conseil qu’il n’était pas possible de se ( prononcer sur la participation de l’Etat à un semblable pro-« jet avant qu’il fût plus mûrement étudié, soit au point de
- vue de la dépense et des plans, soit surtout au point
- de vue du caractère que devrait avoir le monument et des souvenirs qu’il aurait pour objet de
- « consacrer.
- « En ce qui concerne l’emplacement que vous m’aviez in-a diquê, celui de l’ancien Palais des Tuileries, on a fait « remarquer qu’il paraissait bien considérable « pour l’objet que vous poursuivez, et qu’il avait a souvent été proposé de le réserver pour une « autre destination.
- « L’Etat ne serait donc pas disposé à l’aliéner aujourd’hui « en vue du projet qui vous occupe.
- « Je m’empresse, suivant votre désir, de vous transmettre « cette réponse et vous prie d’agréer, etc.
- « Le Ministre de l’Instruction publique et des Cultes, « Signé : Goblet. »
- Nous voudrions, pour l’honneur de M. Goblet, qu’il n’eût pas signé la lettre ridicule qu’on vient de lire.
- La'questiori de dépense ne devrait être qu’une chose secondaire, lorsqu’il s’agit d’élever un monument dans le'but de glorifier l’œuvre de la grande Révolution, et quant à ce qui est de savoir quels sont les souvenirs qu’un tel monument aurait pour objet de consacrer, il nous semble qu’ici le Ministre de l’Instruction publique veut se montrer plus ignorant qu’il ne l’est. L’Histoire est là : qu’il la consulte ! Il y verra quels sont les souvenirs que consacrera un monument élevé à la Révolution : la Bastille détruite, les Droits de l’Homme proclamés, la patrie délivrée, l’invasion repoussée, la royauté abolie, Vunité française cimentée, et enfin toute cette longue série de lois qui ont fait 1 admiration du monde et qui° ne sont point, pour notre malheur, encore appliquées.
- ANGLETERRE
- Le nouveau ministère anglais. — Le ministère anglais vient de se constituer. Lord Sahsbury a repris le pouvoir et lord Randolph Churchill est devenu chancelier de l’Echiquier.
- Maintenant, ce sont les conservateurs qui ont la responsabilité du pouvoir. C’est à eux de résoudre la question irlan-landaise. Il faut qu’ils puissent gouverner avec une majorité qui est en minorité contre toute coalition, entre les libéraux gladstoniens, les libéraux unionistes et les parnellistes.
- On voit bien que l’Angleterre est habituée au gouvernement parlementaire depuis la révolution de 1688. Les libéraux en effet ne se montre pas très émus de ce retour des réactionnaires au pouvoir. .Au contraire. Ils sont curieux de les voir à l’œuvre et ne sont pas fâchés de les mettre à l’épreuve.
- — Faites mieux que nous ! nous attendons !
- Les conservateurs ne manquent pas d être embarrassés de leur victoire. Ils ne parlent plus maintenant des vingt ans de répression qu’ils entendaient si lestement appliquer à l’Irlande IL reprochaient à M. Gladstone d’avoir des incertitudes, des équivoques, dans s m programme d e Home raie. A leur
- tour, ils demandent un crédit de six mois pour proposer leur plan de conduite à l’égard de l’Irlande.
- Certains libéraux vont même jusqu’à dire que les conservateurs sont capables de reprendre le projet de M. Gladstone Ce n’est pas la première fois, en Angleterre, que les réformes réclamées par les libéraux, combattues par les réaction -naires, ont fini par être appliquées par ceux-ci. C’est ainsi que Robert Peel établit lTneome taxe et prit la grande mesure du rappel des lois sur les céréales.
- Au dire de certains, M. Gladstone n’a eu qu’un tort dans son attitude à l’égard de l’Irlande. lia trop compté sur son influence personnelle, sur son pouvoir d’entraînement. Il a voulu faire de la dictature d’opinion. Il ne s’est pas assez inquiété de persuader, il a voulu imposer sa volonté. Dans la résistance qu’il a trouvée, il y a un mouvement libéral, quelque paradoxale que puisse paraître la constatation de ce fait. Du reste, il n’est pas particulier à l’Angleterre, et il doit don -ner à réfléchir aux libéraux de tous les pays.
- Mais la question irlandaise, posée comme elle l’a été, ne pourra pas être résolue dans un sens différent de celui indiqué par M. Gladstone. C’est là sa gloire. Il l’a engagée de telle manière que ses adversaires seront obligés, après l’avoir combattu, d’adopter ses vues. No repression, est maintenant aussi bien le mot d’ordre des réactionnaires que des libéraux gladstoniens. On s’est aperçu trop tard que des mesures de police, des emprisonnements pouvaient ruiner un pays, le dépeupler, mais ne le faisaient pas vivre, et n’étaient pas des moyens de conciliation. A l’exception de quelques têtes de bois, tout le monde sentla nécessité de faire la conquête de l’Irlande par la liberté, puisque la force a échoué.
- BELGIQUE
- Les catholique 3 et Renseignement — Ah! le ministère issu des dernières élections va bien en Belgique ! Il ne fait pas de bruit, mais il fait de la besogne, et il est en train d’embéguiner le pays d’une jolie façon ! 11 a commencé, sachant bien que c’était là l’important, par mettre la main sur les écoles, supprimant par-ci, transformant par là, et mettant paitoiiU’enseignement aux mains du clergé. Et l'on sait si celui-ci s’entend à faire son office !
- Ces jours derniers, encore, le gouvernement a prévenu le Conseil communal de Bruxelles que la plus grande partie des subsides accord^ jusqu’ici aux écoles de la ville serait allouée dorénavant à des écoles ecclésiastiques.
- Voici d’ailleurs des renseignements orécis sur la situation scolaire en Belgique, depuis l’avènement du ministère clérical.
- Les dernières suppressions d’écoles décidées par le gouvernement portent à 228 le nombre des communes qui sont privées de tout enseignement public. La population de ces communes est de 319,787 habitants.
- Le nombre des instituteurs et des institutrices, (laïques, bien entendu) dont le traitement a été réduit, est de 3,316, celui des membres du personnel enseignant mis en disponibilité est de 1,200.
- Il y a des institutriees dont le traitement a été réduit à 31 centimes par jour. Plusieurs locaux d ecoles communales supprimées ont été transformés en cabarets. On voit comment sont les choses chez nos voisins, et comment dix an-
- p.505 - vue 508/838
-
-
-
- 506
- LE DEVOIR
- nées d’efforts peuvent être perdues en une année de régime catholique.
- La cour de cassation a rendu un arrêt qui casse les trois verdicts prononcés récemment par la cour d’assises du Brahant, parmi lesquels nous devons signaler celui rendu contre M. Defuisseaux, pour la publication du Catéchisme du Peuple.
- Ces trois affaires viendront prochainement devant une nouvelle cour d’assises.
- Les trois verdicts sont cassés, et c’est le même moyen de cassation qui a été admis pour les trois causes.
- Parmi les differents moyens invoqués, un seul avait une vraie force juridique : c’est que le jury comptait parmi ses membres une personne n’ayant pas qualité de Belge et inapte, par conséquent, à remplir la fonction du juré. Cette personne est M. Alvin, fonctionnaire au ministère des chemins de fer. Le grand-père Alvin était Français, avait émigré pendant la Révolution, obtenu le droit de bourgeoisie à Rotterdam, et puis s’était fait rayer de la liste des émigrés sous l’empire. Son fils, revenu en Belgique, crut que d’être ! le fils d’un bourgeois reconnu de Rotterdam suffisait à son indigénat belge. Et ni lui ni son fils, le juré du procès Defuisseaux, ne firent la déclaration exigée par la Constitution belge.
- La eour de cassation a jugé que le fait d’avoir été rayé de la liste des émigrés avait restitué au père Alvin sa qualité de Français, et que ses fils par conséquent étaient Français. Donc, le jury, dans les affaires Vandersmissen, Delannoy-Degand et Defuisseaux, était vicié dans sa composition.
- ALLEMAGNE
- Les fêtes d’Heidelberg.— M. Jules Zelier, de l’Institut de France, a été élu par l’assemblée des délégués des académies et des universités étrangères réunis pour les fêtes d’Heidelberg, orateur général, pour prendre la parole au nom des universités et corps savants, en présence du grand-duc de Bade et du prince impérial d’Allemagne.
- ÉTATS-UNIS
- On demande de Philadelphie au Times que le Sénat a ajourné la prise en considération du traité relatif au canal du Nicaragua.
- On croit, d’autre part, que le bill tendant à priver les étrangers du droit de posséder aux Etats-Unis de propriétés foncières ne sera mène pas examiné par la haute assemblée.
- Dans les cercles politiques, on pense que le vote émis par la Chambre des représentants à ce sujet suffira pour empêcher dorénavant la formation de grandes compagnies européennes, comme celles qui ont déjà acheté d’immenses étendues de terrain aux Etats-Unis.
- TERRE-NEUVE
- Le gouvernement anglais ayant demandé à l’amiral com- j mandant de Cliarlotletown des renseignements sur ce qu’il y a de vrai dans les nouvelles concernant les effets de la famine à Terre-Neuve et au Labrador, a reçu de lui la réponse télégraphique suivante : 1
- « On dément ici les nouvelles de la détresse. Je n’ai reçu à ce sujet aucune communication du gouverneur ou de l’officier supérieur, ni de Terre-Neuve, ni d’autre part. Je viens de demander de nouveaux renseignements par télégraphe. Clanwilliam. »
- L’office des colonies à Londres a reçu, en outre, la dépêche suivante du gouverneur de Terre-Neuve :
- « Il y a des raisons pour croire que les nouvelles concernant la mortalité au Labrador sont absolument dénuées de fondement. »
- Le Sort des Pauvres.
- Nous avons entendu, un jour, un procureur de la République requérir contre un jeune vagabond intéressant, que son défenseur, pris de pitié pour lui, s’efforcait de soustraire à une première condamnation, en faisant appel à la pitié des juges.
- « Messieurs, disait le procureur, le législateur a sagement agi, en faisant un délit punissable, du manque de moyens d’existence. La misère, comme excitant dangereux, doit être sévèrement réprimée. Le vagabond sans gite et sans ressources est fatalement voué au crime. Il est un péril pour la société, qui doit le frapper, afin de prévenir ses égarements.... » (Authentique).
- La misère est en effet un délit. Notre législation sociale l’a inscrit tout au long dans ses codes, et la pratique administrative, dans les rapports des représentants de la société avec les pauvres, même en dehors des cas répressifs prévus parla loi, est d’une dureté inflexible. Le pauvre est un criminel. Et on use envers lui des procédés encore barbares usités contre les criminels.
- Car, depuis que Beccaria a posé les règles philosophiques et humaines de la repression pénale, en fondant le droit de la repression, non sur l'idée chrétienne-catholique du droit de punition et de vengeance, mais bien sur celui de la préservation sociale, la question de pénalité n’a pas fait un pas de plus. Aucun progrès n’a été réalisé dans les traitements auxquels sont soumis les criminels. On a bien réduit les peines, mais dans leur durée, non dans le mode d’application, resté le même. Aujourd’hui comme avant la Révolution, le criminel, victime lui-même,le plus souvent,de conditions de circonstances et de milieu qui ont fait de lui, à sa naissance, un être « fatalement voué au crime» suivant l’expression du procureur cité plus haut — le criminel, disons-nous, n’est pas traité en vue d’être amélioré mais seulement pour être châtié.
- De là les pratiques cruelles en usage dans les prisons : les instruments de torture auxquels un
- p.506 - vue 509/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 507
- donne quelquefois des appellations bizarres, comme la barre, tringle de fer pourvue d'anneaux, à laquelle on est attaché par les pieds, et dont a fait justement le symbole de la justice : on l’appelle, en effet, la barre de justice !
- Eh bien ! les pauvres, même lorsque la société ne réprime pas les délits de misère, bien mieux, quand elle les protège, sont presque partout soumis aux mêmes traitements. Je n’en veux pour preuve que les faits qui ont pu se produire à Por-querolles et l’incident qui a amené l'enquête à laquelle le parquet s’est livré.
- Cet incident est, en effet, par lui-même, très-significatif.
- Des enfants de l’assistance publique se sont évadés de l’établissement agricole où ils étaient occupés. Ils sont, par hasard, interrogés par un procureur de la République exceptionnellement doué de sentiments généreux et compatissants ; car un procureur ordinaire se serait borné à remettre ces enfants entre les mains de la gendarmerie, qui les eût reconduit à Porquerolles, et tout était dit. Celui-ci les interroge. Les malheureux racontent le supplices épouvantables qui leur sont infligés ; ils supplient le magistral de ne pas les livrer à leurs bourreaux. Le procureur, attendri, place, en effet,ces enfants sous sa protection. Il les réconforte, les console, leur promet l’appui de la justice qui mettra fin aux pratiques usitées dans la colonie.
- Mais en attendant que l'enquête soit faite, où iront ces enfants ?
- En prison !
- Ainsi, à l’aurore de leur existence, ces fils de pauvres vont en prison, c’est là qu’ils sont toutd’a-bord recueillis. C’est là qu’ils trouveront le dernier asile, quand affaiblis par le travail, cassés par l’âge, ils entreront au dépôt de mendicité, — une autre prison.
- Quel lamentable odyssée que la vie des pauvres !
- Au récit des faits de Porquerolles, on s’est universellement indigné contre le régime infligé à des enfants de l’assistance publique; contre les auteurs des abominables tortures subies. Mais partout, c'est la même chose ! A Porquerolles, on a peut-être traité ces enfants plus durement qu’ail-leurs, mais on n’est pas sortidesrègles ordinaires. On n’a pas infligé des supplices non prévus ou dé. fendus par l'usage ou le règlement ! La barre de justice, la cellule, le régime au pain et à l’eau pour les moindres fautes, toutcela est toléré, usité réglementé même, dans les maisons de correction
- dans les établissements pénitentiaires ou autres de l’enfance, dans les dépôts de mendicité !
- Tenez, la semaine dernière, à Paris, un rédacteur du Temps assistait à l’interrogatoire d’une quinzaine de mendiants arrêtés la nuit précédente.
- Ils défilaient devant le magistrat, loqueteux, hâves, la têtebasse. Ils répondaient d’une voix dolente ou brusque, selonque la fatalité avait {dus ou moins dompté ces maudits. Mais tous, sans exception, frissonnaient, au nom du dépôt de mendicité.
- Voici par exemple, un père de famille.
- N° 3.— F..., originaire de la Côte-d’Or, cinquante-trois ans, serrurier, plusieurs fois arrêté. Depuis dix neuf ans à Paris. Veuf avec trois enfants qui logent avec lui dans le même garni. Avait 1 fr. 15 dans sa poche. Il répond avec un mélange de honte et de colère, comme si ces perpétuelles arrestations l’irritaient.
- — J’ai demandé un morceau de pain parce que j'avais faim dit-il d’une voix brève.
- Il n’a plus personne dans la Côte d’Or, il se refuse à y retourner. On lui demande s’il veut retourner au dépôt de St-Denis, où il est déjà allé et où il pourrait, en travaillant, ramasser une petite somme avec laquelle il vivrait en attendant qu'il ait trouvé du travail. Il refusa encore. On est trop mal nourri et trop mal couché. Ce dépôt de St-Denis est un lieu d’horreur qui effraye tous les mendiants ; jadis il y mourait un prisonnier sur trois. Aujourd’hui c’est encore un séjour infect. Mille détenus y seraient déjà gênés, et on y en entasse douze ou treize cents régulièrement.
- L’horreur que le journaliste attribue à la mauvaise nourriture est due à la discipline de fer en usage; aux sévérités d’un règlement fait en vue de châtier la misère. Le mendiant n’est pas difficile, sur Je chapitre de la nourriture, et pour peu confortables que soient les dortoirs d’un dépôt de mendicité, le lit de sangle vaut bien les pavés de la halle. Non ! ce n’est pas la mauvaise nourriture, qui fait du dépôt de mendicité un lieu d’horreur; c’est la cellule, avec ses nuits sans lune, ses jours sans soleil ; la barre, les fers. . On aime mieux le pavé que la prison !
- Voici un autre mendiant que le journaliste nous présente :
- N° 13.— M... soixante-deux ans. Un vieillard usé, voûté, tremblant, avec des regards qui n’osent se poser nulle part et celte résignation si navrante des malheureux qui ont dit adieu à tout espoir de relèvement. Des favoris de callitriche jaillissant autour de dessous ses joues font à sa mince et terreuse figure un cadre grotesque. 11 était charretier jadis. Maintenant il est nettoyeur de carreaux. Plusieurs fois arrêté déjà. Il n’avait pas un centime sur lui.
- — Voulez-vous retourner à Saint-Denis ? lui demande-ton.
- — Ah ! non, monsieur, dit-il avec effroi, pas encore.
- Que faire de lui, cependant ? On l’y enverra.
- Pas encore ! Pauvre vieux 1 C’est l’été, la saison chère aux vieillards, qui réchauffent au soleil vivifiant leurs membres refroidis par l’âge, glacés
- p.507 - vue 510/838
-
-
-
- 508
- LE DEVOIR
- par l’approche de Ja délivrance prochaine. Ils implorent comme une grâce, qu’on les laisse souffrir au soleil, coucher sur les berges de la Seine, sous les rayons laiteux de la lune !
- Mais l’hypocrisie sociale ne l’entend pas ainsi.
- La misère est un crime, Les pauvres sont des criminels, et le sort réservé à ces parias de la société moderne, sont lestortures suppliciantes de l’enfance dans les asiles de Porquerolles, lesjournées épuisantes dans les bagnesindustriels.pendantleur jeunesse et leur âge mûr. Après quoi, ils descendent les pentes de la vie, non moins torturés dans les dépôts de mendicité où on les enferme, et où les poursuivent, comme un sombre cauchemar, avec les mêmes souffrances, le souvenir âcre et désespérant des misères d’autrefois !
- Un état de choses pareil ne saurait durer plus longtemps ainsi : Il n’est pas possible qu’à la longue, ces monstruosités n’enfantent pas un épouvantable cataclysme.
- C’est pourquoi le Devoir ne se rebute pas dans la tâche qu’il a entreprise de propager les doctrines les institutions et les réformes qui mettront fin à ce tissus d’horreurs.
- ------------------------------------------------------
- Un Déni de Justice.— On se rappelle que MM. Savary, ancien sous-secrétaire d’État, Zeliensky Dupiey et autres direeteursou administrateurs de la fameuse Banque de Lyon et de la Loire, furent condamnés, l’an dernier, à de l’amende et à la prison, pour avoir contrevenu aux prescriptions de la loi de 1867 sur les sociétés anonymes.
- Celte condamnation n’avait malheureusement pas réparé les préjudices que la déconfiture de la susdite société avait lait subir aux milliers de petits actionnaires qui s’étaient laissés séduire par les alléchantes promesses des prospectus de M. Savary. Mais enfin, l’opinion publique avait accueilli avec satisfaction le jugement rendu contre les auteurs de cette catastrophe.
- A la suite de ce jugement, M. Savary avait pris la fuite et transporté les ressources de son esprit ingénieux à Montréal, au Canada, d’où, àcette heure,il ne dépend que de lui de revenir.
- La cour d’appel de Grenoble d’abord, la cour de cassation ensuite, ont, en effet, réformé l’arrêt du tribunal de Lyon du 6 août 1885. La cour de cassation a cassé le jugement de Lyon pour « excessive interprétation de la loi. »
- Il y a là un déni de justice contre lequel proteste la conscience publique. On ne saurait considérer aucune interprétation de loi de 1867 comme excessive, même quand un tribunal applique sévèrement ses dispositions, parce que pour rigoureusement qu’on les interprète, elles sont encore nefficaces et assurément trop douces pour les coupables.
- UNE SOTTISE JUDICIAIRE
- En qualifiant de « sottise » l’arrêt que vient de rendre la cour d’appel de Lyon dans l’affaire des héritiers de Sauzéa, poursuivant l’annulation du testament de ce dernier, nous ne croyons pas dépasser les bornes de la modération.
- En deux mots, voici ce dont-il s’agit :
- M. de Sauzéa vivait à St-Etienne. Possesseur d’une fortune considérable et sans enfants, il voulut que cette fort me, au lieu d’aller grossir inutilement celle de ses parents, fût consacrée, après sa mort, à l’entretien d’œuvres de bienfaisance et d’utilité publiques. Si le nombre est minime de ceux qui, jouissant du privilège social de la richesse, s’émeuvent au spectacle de la misère et souffrent des douleurs d’autrui, il n’existe pas moins des cœurs généieux et compatissants. M. de Sauzéa était de ceux-là.
- Par testament, il répartit donc sa fortune entre diverses œuvres d’assistance publique, hôpitaux, asiles, etc. Mais il fit plus, ou tenta de faire plus encore. Une clause spéciale de ce testament attribuait une somme importante à la fondation d’un tribunal arbitral, qui aurait pour mission de résoudre à l’amiable toutes les différends survenus entre particuliers, dans le département de la Loire.
- Sans doute, M. de Sauzéa avait vu de près le fonctionnement de notre lourde machine judiciaire. Il avait été témoin, peut-être victime de ces épuisantes formalités juridiques, dont la lenteur et le prix élevé font du palais de justice une maison fermée au pauvre, à celui là même qui a le plus souvent et le plus instamment besoin d’y trouver asile, aide et protection : Huissiers aux tarifs aussi compliqués que les tarifs de chemins de fer; avocats avoués, remises, défaut, exceptions, conclusions et la kyrelle d’actes de procédure qui s’allonge indéfiniment, le généreux donataire voulait supprimer tout cela, au moyen d’une institution dont il faisait les frais.
- Le vœu de M. de Sauzéa était de créer une sorte de justice de paix dont les attributions étendues à laconnaissance de toutes les affaires civiles en litige, se fussent, en somme, bornées à ceci : si les parties acceptaient la juridiction arbitrale, le juge les invitait à nommer des arbitres. Ces arbitres étudiaient l’affaire et formulaient leur avis. En cas de désaccord entre les deux arbitres, on en nommait un troisième qui formulait la sentence définitive, que le juge prononçait ensuite.
- p.508 - vue 511/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 509
- Les héritiers ou prétendus tels de M. de Sauzéa attaquèrent la validité de ce testament, sous prétexte que la clause principale des dernières volontés exprimées par leur parent était inexécutable. Nous n’avons pas besoin de dire à quel triste mobile les héritiers nous ont paru obéir en cette circonstance.
- Cependant, le tribunal de St-Etienne déclara valable le testament de M. de Sauzéa, et débouta ses héritiers de leurs prétentions.
- L’affaire était revenu depuis quelque temps à Lyon, devant la cour, sur appel des déboutés de St-Etienne. Après maintes remises, exceptions et renvois pour prononcé de jugement, la Cour a enfin délibéré et... annulé le testament de M. de Sauzéa.
- Les héritiers sont en liesse l’annulation du testament, c’est pour eux l’entrée en possession de la fortune de M. de Sauzéa.
- Eh bien ! La cour d’appel de Lyon vient de commettre une sottise. Une fois de plus, elle adonné raison au spirituel pamphlétaire du 18e Siècle: « Les représentants d’une institution condamnée par l’opinion publique ne manquent jamais une occasion de faire une sottise, » disait Chamfort. Nos institutions judiciaires sont à cette heure le point de mire de tous ceux qui ont à cœur de modifier notre régime social. La suppression, non seulement de l’arsenal de lois léguées au monde contemporain par le dur monde romain|que les légistes ont ressucité, mais encore de tous les accessoires et de tous les parasistes dont les législateurs de 1802 nous a encombrés, est à l’ordre du jour. La réalisation de cette suppression n’est plus qu’affaire de temps. L’opinion publique a condamné sans appel les institutions judiciaires existantes : juges, avoués, avocats, huissiers, sont l’objet de l’excécrationj générale... La cour d’appel de Lyon, a bien choisi son heure,pour rendre l’arrêt qu’elle vient de prononcer dans l’affaire de Sauzéa !
- Il est évident, que MM. les juges ont été froissés dans cette circonstance,du nom dont M. de Sauzéa en mourant avait appelé l’utile institution à la fondation de laquelle, il réservait une partie de sa fortune. M. de Sauzéa, en effet, appelait cette institution un « Tribunal arbitral ». MM. les juges ont vu là un acte irrévérencieux à l’adresse des autres tribunaux ; un manque de respect de la part du mourant à leur propre égard, à eux, juges de cour d’appel, et ils ont puni cette irrévérence, châtié ce manque de respect, en frappant de nullité son testament.
- Mais l’arrêt de la cour de Lyon ne préservera pas nos institutions judiciaires du sort final qui les attend. La pensée même à laquelle M. de Sauzéa a obéi en faisant son testament, indique assez combien, notre mode de justice est reconnu, défectueux. Elle montre que sa réformation est l’objet de toutes les préoccupations, c’est pourquoi, si, pour l’instant, le vœu du mourant de St-Etienne n’est pas exaucé, satisfaction ne tard( ra pas à lui être donnée sous peu.
- La cour de Lyon a donc prononcé un arrêt inutile, parce qu’il n’arrêtera rien du tout. En plus elle a commis une sottise, parce qu’elle a, par là même, attiré l’attention distraite ailleurs, sur des faits et des institutions que ceux qui en vivent devraient s’efforcer de ne pas exposer aux commentaires de l’opinion, par des arrêts inconsidérés. Dujour,où, en effet, l’opinion sera appelée à se prononcer, elle condamnera irrévocablement nos tribunaux actuels et instituera les tribunaux arbitraux tant souhaités par M. de Sauzéa.
- La réglementation
- du travail des femmes et des enfants-
- (Suite)
- SECTION VI
- Inspection
- Art. 14.— Pour assurer l’exécution de la présente loi, il sera nommé 86 inspecteurs divisionnaires. La nomination sera faite par le gouvernement sur présentation de la commission supérieure.
- Ces inspecteurs seront rétribués par l’Etat.
- Chaque inspecteur divisionnaire résidera ou exercera sa surveillance dans l’une des 86 circonscriptions territoriales déterminées par un réglement d’instruction publique, rendu comme il est dit plus haut.
- Art. 15. — Seront admissibles aux fonctions d’inspeeteur: les médecins, les candidats qui justifieront le titre d’ingénieur de l’Etat ou d’un diplôme d’ingénieur civil, ainsi que les élèves de l’Ecole centrale des arts et manufactures, et de l’Ecole des Mines.
- Art. 16. — Les inspecteurs ont entrée dans tous les établissements manufacturiers, ateliers et chantiers, dans tout lieu, chambre, ou place quelconque, soit couverte, soit en plein air, où un métier est exercé par un enfant, un adolescent ou une femme, et dans laquelle chambre ou place, un patron a droit d’accès ou de contrôle.
- Ils peuvent, seuls ou, s’ils le jugent convenable, en présence de tiers, interroger toute personne qu’ils trouvent dans une fabrique ou un atelier, ou qu’ils ont raisonnablement lieu de considérer comme étant actuellement employée, ou ayant été employée dans les deux mois précédents. Ils peuvent requérir ces personnes de se laisser interroger ou de certifier, par leur signature, la vérité des constatations faites.
- p.509 - vue 512/838
-
-
-
- 510
- LE DEVOIR
- Toute personne rencontrée dans une manufacture, atelier, etc., sera réputée, pour l’application de la présente loi, employée dans cette manufacture, atelier, etc., à moins qu’elle n’y soit rencontrée à l’heure des repas.
- Ils peuvent se faire présenter le registre prescrit par l’art. 8.
- Les contraventions sont constatées par des procès-verbaux qui font foi jusqu’à inscription de faux.
- Art. 17. — Les inspecteurs devront, chaque année, adresser des rapports à la Commission supérieure ci-dessous instituée.
- SECTION VII
- Commissions locales
- Art. 18. — Il sera institué, dans chaque département, des commissions locales chargées :
- 1° de veiller à l’exécution de la présente loi ; 2° de contrôler le service de l’inspection ; 3* d’adresser à la Commission supérieure des rapports sur l’Etat du service.
- A cet effet, les Commissions locales, dans la personne d’un ou plusieurs de ses membres, visiteront les établissements, ateliers, chantiers, etc.
- Art. 19. — Ces commissions se composent de neuf membres dont trois seront choisis dans le sein des syndicats et groupes ouvriers constitués de la circonscription, convoqués à cet effet, par ies soins de la Commission permanente du Conseil général ; trois seront pris parmi les membres du Conseil d’hygiène du département ou présentés par ces derniers, et les trois restant choisis par le Conseil général.
- Les patrons, chefs d’industrie et en général les employeurs de femmes ou d’enfants, ne pourront jamais en aucun cas, faire partie des Commissions locales.
- Art. 20. — Les fonctions des membres des Commissions locales seront rétribuées au moyen de jetons d’inspection.
- SECTION VIII
- Commission supérieure
- Art. 21. — Une commission supérieure composée de quinze membres et rétribués par l’Etat est établie auprès du Ministre du commerce.
- Cette commission est chargée :
- 1° De préparer les réglements d’administration publique relatifs à l’exécution de la présente loi.
- 2° De veiller à son application vigilante.
- 3° Enfin d’arrêter les listes de présentation de candidats pour la nomination des inspecteurs divisionnaires.
- Les membres de cette commission seront pris dans les corps ou parmi les praticiens compétents en ce qui touche les questions de travail, d’hygiène et de sécurité dans les ateliers.
- Art. 22. — Chaque année, la Commission supérieure adressera au président de la République un rapport d’ensemble sur les résultats de l’Inspection, les faits relatifs à l’exécution de la présente loi, les améliorations à introduire dans les réglements ou dans la législation, en un mot, sur toutes les mesures à atteindre le but poursuivi parla présente loi, qui est : la protection efficace des enfants et des femmes travailleurs.
- Ce rapport devra être dans le mois de son dépôt, publié au Journal officiel et en librairie.
- Le ministre rendra compte chaque année de T exécution de
- la loi et delà publication des réglements d’administration publique destinés à la compléter.
- SECTION IX
- Pénalités
- Art. 23. — Les manufacturiers, directeurs, gérants d’éta-d’établissement et autres patrons ou employeurs qui auront contrevenu aux prescriptions de la présente loi et des réglements d’admnistration publique relatifs à son exécution, seront poursuivis devant le tribunal correctionnel et passibles d’une amende de 25 à 200 fr. et d’un emprisonnement de 8 jours à un mois.
- L’amende sera appliquée autant de fois qu’il y a eu des personnes employées dans des conditions contraires à la loi.
- Toutefois, la peine ne sera pas applicable, si les manufacturiers, directeurs ou gérants d’établissements industriels ou les patrons ou employeurs établissent que l’infraction à la loi a été le résultat d’une erreur provenant de la production d’actes de naissance ou certificats contenant de fausses énonciations, ou délivrés pour une autre personne.
- Les dispositions des articles 12 et 13 de la loi du 22 juin 1854 sur les livrets d’ouvrier, seront dans ce cas applicables aux auteurs de ces falsifications.
- Les chefs d’industrie et d’établissements sont civilement responsables des condamnations prononcées contre leurs directeurs ou gérants.
- Art. 24. S’il y a récidive, les manufacturiers, directeurs ou gérants d’établissements industriels ou autres, seront condamnés à une amende de 50 à 500 francs et d’un emprisonnement de un mois à six mois.
- Il y a récidive, lorsque le contrevenant a été frappé dans les douze mois qui ont précédé la poursuite d’un premier jugement pour infraction à la présente loi ou aux règlements d’administration publique relatifs à son exécution.
- Art. 25. — L’affichage du jugement, en cas de récidive, sera ordonné par le tribunal de police correctionnelle.
- Art. 26. — En cas de seconde récidive, le tribunal ordonnera, en outre, l’insertion de la sentence, aux Irais du contrevenant, dans un ou plusieurs journaux du département.
- Art. 27. — Seront punis d’une amende de 200 à 500 francs et d’une peine de trois mois à un an de prison, les propriétaires d’établissements industriels, patrons ou employés, lorsqu’il aura été constaté qu’ils ont mis obstacle à l’accomplissement des devoirs d’un inspecteur, des membres des Commissions, ou des médecins, ingénieurs ou experts délégués pour une visite ou une constatation.
- Art. 28. — L’article 463 du code pénal n’est pas applicable aux condamnations prononcées en vertu de la présente loi.
- SECTION X
- Dispositions transitoires
- Art. 29. — Par mesure transitoire, les dispositions édictées par la présente loi ne seront applicables que trois mois après la promulgation des règlements d’adminisiration publique, qui devront être rendus dans les trois mois de la promulgation de la loi.
- Art. 30. — A l’expiration du délai sus-indiqué, toutes les dispositions contraires à la présente loi sont et demeurent abrogées.
- p.510 - vue 513/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 511
- CHARLES SAYILLE
- par ROBERTSON
- Roman philosophique
- Chapitre XV
- CAUSERIES ET RÊVERIES. - SUITE.
- .— Je remarque une chose, reprit Savilie, M. Muller nous a dit que son système nous met en communauté avec tout le genre humain. Il pourrait ajouter qu’il nous met aussi en communauté avec tous les autres êtres vivants ; qu’il nous invite à les traiter comme les plus jennes enfants d’une même fa t ille, enfin qu’il nous fait aimer toute la création.
- — Même les crapauds, dit Campiglio.
- — Patience, reprit Muller, toujours imperturbable. Nous avons reconnu l’immense variété des œuvres de la création, et nous en avons inféré que la même variété se présente dans les âmes, ou les atomes de l’esprit universel. Chaque essaim chargé de la direction d’un globe a donc ses particularités, ses originalités et sa manière de gérer. 11 a son libre arbitre, car l’esprit sans libre arbitre me paraît un non-sens. Mais sa puissance est toute petite et ne pourrait pas plus influer sur les lois universelles, que les habitants d’un pauvre hameau ne pourraient changer les lois d’un vaste empire.
- —• Alors, dit le docteur, tous les mondes doivent être différents les uns des autres ?
- — Sans doute, répondit Muller.
- — Il doit y en avoir de plus ou moins bien gérés ?
- — Cela me paraît vraisemblable ; et je serais porté à croire que les étoiles doubles, faisant leurs révolutions, l’une autour de l’autre, sont les mondes où les lais éternelles sont le mieux comprises, et où l’on jouit de la plus grande somme de bonheur.
- — Il ne doit pas y avoir de crapauds dans ces mondes-là, dit Schwartz, ni de vermine, ni de bêtes féroces.
- — Allons, dit Campiglio, je commence à croire que vous réaliserez la promesse de conciliation que vous nous avez faite.
- Chapitre XVI
- CAUSERIES ET RÊVERIES. — SUITE.
- — La sagesse infinie, dit Muller, gouverne l’ensenble, et laisse à ses légions la responsabilité des détails. De là une diversité qui ravirait d’admiration le spectateur admis à contempler les mondes, ou à les visiter tour à tour. Chaque légion, arrivée sur un globe, résout comme elle l’entend ce grand problème : Commander à la matière, multiplier ses formes, et lui donner la vie. Je ne vous dirai pas comment on s’y est pris dans les autres mondes. Ils sont restés jusqu’ici inaccessibles à nos moyens d’oe-servation. Même les globes de notre système planétaire ne nous permettent encore que quelques vagues conjectures. Nous ne connaissons que leurs distances, leur masse et leur volume. Seulement, comme il est à peu près certain qu’ils ont des mers, des continents, et une atmosphère, il est probable que les premières conditions
- de la vie organique y sont les mêmes que chez nous, et que lorsque les sciences et les instruments auront plus de perfection, nous pourrons communiquer avec leurs habitants, nous faire part réciproquement de nos découvertes, et, par là, faire des pas de géant dans la connaissance de l’univers. Car il me semble logique d’admettre un lien de fraternité entre tous les globes qui gravitent autour d’un même soleil.
- — Voilà une grande idée, dit Savilie avec enthousiasme. Nos pères étaient Bretons, Bourguignons, Normands, Gascons, Lorrains, et leur patriotisme n’allait pas au-delà des limites de leur province. Aujourd’hui, ils sont tous Français. Un jour l’Europe ne fera qu’une confédération de frères ; et je croyais aller bien loin, en embrassant par la pensée l’union du globe entier.
- — Agrandissez toujours le cercle, dit Muller, et vous comprendrez l’accord infini et l’amour sans bornes.
- — De sorte, dit Schwartz, qu’en rendant visite à un citoyen de Sirius, par exemple, on mettra sur sa carte: Citoyen du système solaire.
- — C’est bien joli, cette idée là , dit Mortimer.
- — On pourra commencer, dit Edouard, par correspondre avec la lune, qui est la plus rapprochée de nous.
- — Hélas, non, dit Muller. La lune fait exception. Elle n’a ni eau ni atmosphère. Il est donc peu présumable qu’elle ait des habitants ; ou, si elle en a, ils ne peuvent avoir aucun rapport avec nous. Cela donnerait à. penser que l’essaim, chargé d’y organiser la vie, a complètement échoué.
- — Diable ! dit Edouard, l’esprit peut donc faire des bêtises ?
- — Quelques atomes peuvent faire fausse route, sans porter atteinte à l’esprit intégral, dit Muller. Au reste, ce n’est là qu’une conjecture. Parlons de ce que nous connaissons mieux, de noire terre, et voyons comment l’essaim dont nous faisons partie a résolu le problème. Au moyen de plusieurs cataclysmes dont nous avons déjà parlé, et dont il y a des témoignages authentiques, il a préparé la terre à recevoir l’imprégnation de l’esprit, c’est-à-dire la vie organique. Puis, il s’est successivement végétalisé, animalisé, incarné.
- — Mais c’est du bouddhisme, du bramahnisme, s'écria Murray.
- — Et quand cela serait ? dit Campiglio. Le bouddhisme n’est-il pas la croyance la plus antique que la tradition ait conservée ? N’a-t-il pas encore aujourd’hui plus de deux cent millions de sectateurs ? Notez bien que je ne me fais pas l’avocat de cetle croyance plus que de tout autre. Je dis seulement que cette ancienneté donne lieu de penser qu’elle pouvait compter quelque parcelle de vérité, au milieu d’un tas d’erreurs,
- — « Souvent un peu de vérité se mêle au plus grossier mensonge, » dit Edouard.
- Muller, qui s’arrêtait, patient et souriant, à chaque interruption, reprit :
- — Je ne vous parlerai ni des fougères gigantesques, ni des animaux monstrueux, tels que plésiosaures, ichthyo-saures, mastodontes, aüoplothériums, etc, etc, dontl’ex-
- p.511 - vue 514/838
-
-
-
- 512
- LE DEVOIR
- istence antérieure à celle de l’homme, est parfaitement constatée...
- — Et donne de cruels démentis aux dévots, ajouta Gampiglio, par manière de parenthèse.
- — Il faudrait des volumes, continna Muller, pour vous décrire toutes les formes qu’à prises le limon terrestre, toutes les métamorphoses qu’il a subies, avant que l'organisation humaine ait été trouvée. Ces volumes existent, et ceux d’entre vous qu’ils intéresseront pourront les consulter. J’abrège donc. Ces séries d’êtres imparfaits et monstrueux, successivement façonnées et détruites, de dix en dix mille ans, étaient-elles des échelons nécessaires pour arriver à l’homme, à l’ètre pensant, à l’enveloppe matérielle propre à loger l’esprit commodément et à lui permettre toutes ses manifestations ? Ou bien, étaient-elles les tâtonnements de l’ouvrier, qui ne proproduit un chef-d’œuvre qu'après avoir brisé de nombreuses ébauches ? Je ff’ose décider. Quant à l’homme, qui n’est peut-être pas le dernier mot de la création sur ce globe, s’il a été souvent et pendant tant de siècles aussi malfaisant que le prétend notre docteur, il faut en chercher la cause dans l’antagonisme, qui est une variété du dualisme dans l’unité, dans l’antagonisme, dis-je du bien et du mal.
- — Ah ! dit Campiglio, je vois poindre Oromaze et Arimane.
- — Je le veux bien, reprit Muller. Seulement je ne les personnifie pas, je les définis : le mal, c’est la matière insoumise, aveugle et brutale ; c’est le cheval indompté qui emporte son cavalier vers un précipice, c’est le feu qui dévore, c’est l’air méphitique qui empoisonne. Le bien, c’est la matière complètement subjuguée par l’esprit, assouplie, docile, obéissante ; c’est le cheval bien dressé se pliant aux moindres volontés de son cavalier, c’est le feu servant à l’industrie et aux usages domestiques, c’est le gaz qui éclaire au lieu d’empoisonner. Or, chez l’homme, qui est en lui-même un petit monde, Ja matière n’est pas entièrement soumise à l'esprit ; l’antagonisme dure toujours, soit que l’homme n’ait pas su trouver l’art de vaincre ses penchants et ses appétits brutaux, soit, ce qui est bien plus vraisemblable, qu’il n’ait pas encore trouvé le milieu social qui doit utiliser ses passions et les rendre aussi bienfaisantes qu’elles sont funestes. Voyez cependant quels soins a pris l’esprit créateur pour l’avertir des conditions auxquelles est attachée sa souveraineté sur le globe. Il ne lui a donné ni les ailes de l’oiseau, pour fendre l’air, ni les nageoires du poisson pour traverser les mers, ni le pelage de Tours pour résister au froid, ni la cuirasse du rhinocéros pour se défendre, ni les griffes du lion pour attaquer. Il Ta créé nu, faible, presque sans défense, mettant vingt années à sa croissance. N’était-ce pas lui dire clairement : Isolé, tu ne peux rien, même avec ton intelligence. L’inclémence des climats, les bêtes venimeuses, les animaux féroces, les éléments, tout est ligué contre toi. Tu n’as de refuge que dans l’association, dont la forme la plus élémentaire est la famille, puis la tribu. Cherche, car il faut que tu doives tout à ton génie. C’es* pour te forcer à chercher que je t’ai fait si faible et si ex-
- • posé aux souffrances de tout genre. Je ne t’ai pas donné de vêtement, cherche. Tu n’aspas d’armure pour résister aux attaques, cherche. Quand tu auras pourvu aux besoins les plus pressants, je t’en donnerai d’autres. Tu voudras traverser les mers, il faudra que tu cherches, et tu inventeras ou tu découvriras, ce qui est la même chose. Tu voudras t’élever dans les airs, et tu découvriras. Tu n’auras pas une ambition que tes recherches ne puissent satisfaire, à l’aide de ces deux leviers : l’intelligence et l’association. Cherche, donc avant tout, la loi de l’association, puisque tu as déjà l’intelligence. Cependant, cinquante ou soixante siècles, ou davantage, se sont écoulés, et l’homme n’a pas encore découvert la loi de l’association. Bien loin de là, il s’est tourné contre son semblable et s’est mis en lutte avec lui. A qui ja faute ? Faut-il en accuser l’esprit créateur qui a averti l’homme d’une manière si formelle ? Ce serait aussi absurde qu’injuste. L’homme tient sa destinée entre ses mains. Il use de son libre arbitre, pour éloigner la lumière et fermer les yeux. Mais cette longue cécité durera-t-elle longtemps encore ? durera-t-elle toujours ? Gardons-nous de le penser. L’enfance du genre humain a pu être plus longue chez nous que sur d’autres planètes; mais, après tout, qu’est-ce qu’une centaine de siècles auprès de la durée d’un globe ? et qu’est-ce que la durée d’un globe auprès de l’éternité ? Des signes certains annoncent que nous sortons de la phase d’ignorance et de ténèbres. Ces signes sont nombreux, et je me contenterai de vous en mentionner deux : l’invention de l’imprimerie et la découverte des lois de l’attraction universelle. (A suivre)
- État civil du Familistère.
- Semaine du 26 Juillet au 1er Août 18S6 Naissances :
- Le 29 Juillet, de Coze, Hortense Julienne, fille de Coze Edouard et de Damiens Caroline.
- Le 30 Juillet, de Dorge, Charles Edmond, fils de Dorge Joseph et de Delettre Célinie.
- Décès :
- Le 29 Juillet, de Coze, Hortense Julienne, âgée de 2 jours.
- L’Astronomie. Revue mensuelle d’Astronomie populaire, de Météorologie et de Physique du globe, par M. C. Flammarion — N° d’août 1886. Étoiles doubles et amas d’étoiles mesurés par la photdÿraphie par Paul et Prosper Henry. — Les occultations d'étoiles et la diffraction, par Ch. Trépied. — Accroissement de la masse et du volume de la Terre par la chute incessante des étoiles filantes, par C. Flammarion.— L’éruption de l’Etna, par Federico Cafiero. — Nouvelles de la Science. Variétés : L’éclipse totale de Sole$ du 29 août prochain. Bolide lent ou bradyte. Bolides ou foudre en boule ? La foudre globulaire. Photographie d’un éclair. La foudre en spirale; etc. — Observations astronomique^, par E. Vimont (Gauthier-Villars, quai des Augustins, 55, Paris.) _
- Le Directeur Gérant : GODIN
- Guise — lmp fisrç
- p.512 - vue 515/838
-
-
-
- 10e Année, Tome 10,— N" 414 Le numéro hebdomadaire 20 c. Dimanche 15 ?Août 1886
- BUREAU
- a GUISE (Aisne)
- Toutes les communications et réclamations doivent être adressées à M. GODIN, Directeur-Gérant Fondateur du Familistère
- ABONNEMENTS PAYABLES D’AVANCE
- par l’envoi, soit au bureau de Guise, soità celui de Paris, de timbres-poste ou de mandats de poste, dont le talon sert de quittance.
- France
- Union postale
- ON S’ABONNE
- A PARIS
- 5, rue Neuve-des-Petits-Champs, Passage des Deux-Pavillons
- Un an ... 10 fr. »» Six mois. . . 6 »» Trois mois. . 3 m
- Un an. . . 11 fr.»» Autres pays
- Un an. . . . 13 fr. 60
- S’adresser à M. LEYMARTE administrateur delà Librairie des sciences psychologiques.
- BULLETIN DE LA PAIX
- SOMMAIRE
- Pour la paix.— Mouvement de la paix.— Ligue internationale de la paix et de la liberté.— L’esprit militaire.— L’entrevue de Gastein. — Une conquête de la paix. — Le duel du général Boulanger. — Une réforme militaire.— Criminelle incurie.— Les armées du monde.— Aphorismes et préceptes sociaux — Bulletin de la paix armée.— Gaspillages militaires.— Les allemands dans les mers du sud.— L’arbitrage suisse dans le différend du Congo. — Aux nou-vtlles-hébrides.— Le budget des guerres.— L’affaire Cutting.
- POUR LA PAIX!
- De quels épouvantables cataclysmes les cabinets européens sont-ils en gestation ? 11 court des rumeurs sinistres sur les préparatifs qui se feraient dans certaines chancelleries : la Russie échange des notes d'une vivacité extrême avec l’Angle-
- terre. Celle-ci reproche à la première d’avoir violé te traité de Berlin en supprimant la franchise du Portée Batoum; à son tour, la Russie, recrimi-nant dans une note d’une violence que tous les Journaux ont signalée,fait à l’Angleterre un repro-che pareil; elle l’accuse d’avoir été de connivence avec le prince Alexandre de Bulgarie, dans le C0UP d’Etat du 18 septembre dernier contre le gouvernement ottoman, coup d’Etat qui a déchiré ce fameux traité de Berlin. \
- Pondant que la Russie et l’Angleterre se livrent cet échange de récriminations diplomatiques si rassurant pour la paix générale de l’Europe, ‘ de Bismark et le comte Kalnocky ont des en-vue mystérieuses qui donnent lieu à mille ra-1*8 de journaux, tous aussi fantaisistés les
- uns que les autres, car il est peu probable que les deux chanceliers aient fait aux journalistes les confidences indiscrètes que ceux-ci jettent aux quatre vents de la publicité.
- Le langage de la presse russe confirme, d’autre part, les appréhensions que fait naître cet ensemble de pourparlers,d’intrigues et de récriminations diplomatiques. La Novoïe Vremia publie, depuis quelque temps,des articles d’une hostilité marquée envers l’Allemagne. On sait qu’il existe en Russie un parti anti-allemand très considérable. La haine de ce parti russe contre l’Allemagne est justifiée par l'importance que les Allemands ont pris en Russie depuis près d’un siècle. Les czars Nicolas et Alexandre II, grands admirateurs du fonctionnarisme militaire qui règne en Allemagne, et particulièrement en Prusse, voulurent policer la Russie sur le modèle du fonctionnarisme prussien. A cet effet, des allemands furent appelés en grand nombre pour remplir en Russie des fonctions gouvernementales importantes. La morgue de ces fonctionnaires, leur arrogance sans pareille, les firent détester du pays. Tout le monde à encore présentes à la mémoire les éloquentes imprécations de Herzen, dans le Kolokol, contre les fonctionnaires allemands. Le grand proscrit russe a stigmatisé en traits de feu leurs méfaits et leurs crimes.— Le
- parti des vieux russes lui-même, est antiallemand.
- Jusqu’à ce jour, cependant, la pressé russe,
- p.513 - vue 516/838
-
-
-
- 514
- LE DEVOIR
- entre les mains de la quatrième section et directement inspirée par le gouvernement, n’avait pas soulevé cette question brûlante. Pour qu’un journal considérable, paraissant en Russie, publie sous l’œil bienveillant de la censure, de tels articles contre l’Allemagne, il faut, non seulement qu’il y soit autorisé, mais encore encouragé directement parle gouvernement russe.
- La Gazette de Cologne riposte avec non moins d’assurance en puissant ses éléments de polémique à une source identique à celle de la Novoïe Vremïa, c’est-à-dire au bureau de la presse, que M. de Bismark entretient à Berlin.
- Tout semble donc faire prévoir qu’un grand drame international se prépare.
- Nous voulons croire,néanmoins, que les fauteurs de catastrophes reculeront devant l’énorme responsabilité qu’ils encourraient si, par leur faute, un conflit européen mettait deux ou trois grands peuples au prises.
- Nous voulons espérer qu’ils seraient arrêtés dans leur desseins par l’horrible perspective de carnages et de ruines que ne peut manquer de présenter à leur pensée la possibilité d’une guerre européenne provoquée par leurs menées.
- Cependant, il ne faut passe dissimuler le danger que Fintérêt des potentats fait courir à la paix universelle. Comme nous avons eu si souvent occasion de le dire et de le démontrer dans le Devoir, la guerre, ce fléau de l’humanité contemporaine,que le degré de développement atteint par notre civilisation aurait dû reléguer dans les souvenirs du passé, est le grand dérivateur à l’aide duquel rois et tzars cherchent à détourner leurs peuples de leurs misères intérieures. Or, à cette heure, il n’est pas d’état en Europe, dont la situation intérieure ne soit profondément troublée.
- En Angleterre, les récents événements de Londres ont montré quels germes de haine sociale sourdent dans les masses, près de faire explosion et d’ensevelir Albion.
- En Allemagne, en vain M. de Bismarck s’acharne-t-il à réduire par la force le mouvement d’expansion socialiste. Il a beau supprimer les journaux, mettre les idées socialistes en interdit,emprisonner les représentants de ces idées au Reichtag le courant socialiste monte, monte toujours, menaçant d’engloutir la maison des Hohenzollern et de submerger l’Empire.
- En Russie, la Sibérie regorgeant de proscrits paraissait, il y a quelques mois, un moyen de gou-
- vernement efficace. Une accalmie s’étant produite le tzar se flattait d’avoir enfin éteint, par la déportation et la pendaison, le souffle imcompressf ble de liberté qui animait les généreux confesseurs, morts ou déportés, de la Russie socialiste. Des symptômes précuseurs d’une nouvelle période de combat à outrance se sont manifestés qui ne laissent aucun doute sur la vitalité immortelle de ce souffle, inextinguible, une fois qu’il a embrasé les âmes, enthousiasmé les consciences et élevé les cœurs jusqu’au sublime sacrifice d»i martyre.
- Dans ces conditions, les monarques européens voient dans la guerre un moyen de consolider leurs pouvoir croulant de toutes parts. En 1870-71, les progrès du socialisme, en Allemagne, furent arrêtés par la guerre franco-prussienne. Dans nombre de centres industriels, les protestations deLiebnecht, Bebel et Jacoby contre la continuation de la guerre, après Sedan, et l’annexion de l’Alsace-Lorraine, parurent aux ouvriers un crime da lèse-patrie. De sorte qu’aux élections suivantes, Liebnecht resta sur le carreau. Evidemment, M. de Bismarck, en supputant quelles conséquences peuvent surgir d’un conflit européen, doit, sans nul doute, compter détourner l’attention du peuple allemand delà propagande socialiste.
- En Russie, qui saura jamais ce que la guerre turco-russe a valu au tzarisme, en surrexcitant au plus haut degré l’enthousiasme patriotique et religieux du peuple russe, appelé à la prétendue délivrance des frères slaves orthodoxes, gémissant sous le joug de la Turquie musulmane!
- L’exploitation de ces sentiments patriotiques, soigneusement entretenus au cœur de leurs peuples par les monarques, a été pratiquée de tout temps avec succès. Mais nous ne pouvons croire qu’au point où nous en sommes arrivés, après les progrès accomplis par nos connaissances, nos mœurs et le respect de la vie humaine, les rois ou les tout-puissants ministres de leurs intérêts puissent continuer longtemps encore à asseoir leur domination sur la guerre, qui doit faire place à la paix, et sur l’antagonisme des peuples,qui doit faire place à leur unité.
- Déjà, en effet, des signes non équivoques de tendances et d’aspirations plus humaines se sont produits. Malgré l’armement formidable qUI écrase les Etats du continent, et dont l’augmentation progressive, est la source d’alarmes récipro* ques et de défiances toujours en éveil, on a vu, a diverses reprises, des nations près d’en venir aux
- p.514 - vue 517/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 515
- jpains, reculer devant cette dernière et terrible extrémité, et avoir recours à l’arbitrage. L’Allemagne et l’Espagne n’ont-elles pas, en ces der-Diers temps, mis fin au conflit sur le point d’éclater?
- C’est que les idées de paix et de fraternité humaines entre tous les hommes et tous les peuples, ces coopérateurs à l’œuvre de civilisation qui rapproche, cimente et unit, se répandent de plus en plus dans le monde. A tel point que ceux là-même qui les combattent, parce que leur avènement définitif sera le signal de leur chute, ne peuvent pas toujours se soustraire à son action.
- C’est pourquoi, malgré les symptômes alarmants que présente l’état actuel de l’Europe, la tension des rapports diplomatiques entre les diverses puissances, le ton des notes échangées entre les diplomates, nous croyons pouvoir espérer que les provocateurs, reculeront au dernier moment, devant l’œuvre de sang et de ruines préméditée.
- Quoiqu’il en soit, loin de décourager les propagateurs des idées de justice, de paix, d’unité et d’arbitrage entre les peuples, le danger qui menace le repos du monde, doit, au contraire, stimuler leur zèle et leur dévouement pour la grande et noble tache dont le Devoir s’est fait l’organe. Aussi, engageons-nous nos amis à redoubler d’efforts et de persévérance. Notre cause est juste, elle triomphera!
- Mouvement de la Paix
- Le comité de Paris de la Fédération internationale de l’Arbitrage de la Paix a tenu une importante réunion. On remarquait dans l’assistance : Mmes Griess-Traut, Des-moulins-Sleyden ; MM. Aug. Desmoulins, Ëug. Simon, Gaston Morin, * Dieudonné, Moreau, Acatebled, Boyer, Alan, Brébner etc. M. Aug. Desmoulins rendait compte de sa mission à Londres comme représentant du Comité de Paris à ia cinquième réunion de la Fédération annuelle,
- A cet important congrès tenu dans Westminster Palace-Hôtel sous laprésidence de l’évêque de Londres, assistaient les représentants des diverses sociétés de la Paix de l’Angleterre, des Etats-Unis, de la France, de l’Espagne de la Scandinavie. Le marquis de Bristol, MM. Henri Richard, Wilis, membres du Parlement, le jurisconsulte éminent Le-ûe-Levi, Hodgson-Pratt, Tardent propagandiste, le capitaine Salisbury, le docteur suédois Cari von Sergen, MM. Sabio del Telle, Félix Moscheler, le docteur Draper de New-York, ^g. Desmoulins étaient présents au meeting.
- M. Desraoulins résume ainsi les travaux de ce congrès. Il énonce tout d’abord à l’Assemblée qu’il n’a que de bonnes nouvelles à lui apprendre, que M. Hodgson-Pratt a constaté L'-même à Londres le progrès du mouvement de la Paix en Lurope et aux Etats-Unis. Pendant l’hiver prochain des associations nouvelles seront fondées à Munich, à Vienne et à -Milan; celles que M. Hodgson Pratt a crées en Allemagne sont florissantes. MM. Hodgson-Pratt et Leone-Levi ont in-s'sté sur le projet d’établissement d’un Conseil et d’un tri-
- bunal d’Arbitrage, projet adopté déjà par la Peace Society (fondée en 1883) et par VInternational Arbitration and Peace Association, et qui en ce moment même est soumis à l’étude de toutes les sociétés de la Paix du monde.
- M. Draper, de New-Yok, a annoncé que les Etats-Unis déjà liés a la Suisse parun traité d’Arbitrage poursuivent vis-à-vis de la Grande-Bretagne des négociations tendant à relier, parun même traité, le gouvernement anglais et l’union américaine.
- M. Desmoulins s’est attaché à faire ressortir l’importance d’une mesure adoptée récemment par le sénat de Washington à l’effet de convoquer tous les gouvernements américains à une grande réunion qui se tiendra dans la capitale des Etats-Unis.
- La pensée de Monroe se trouverait alors réalisée; l’Amérique serait aux Américains groupés dans une Fédération, s’étendant d’un pôle à l’autre. En présence de cette vaste organisation pacifique du continent américain, l’Europe n’est-elle pas insensée de continuer à imposer à ses populations ce régime de la Paix armée qui pèse autant sur elles que les guerres les plus acharnées? La réunion de Londres en a jugé ainsi; c’est pourquoi elle invite dans ses résolutions toutes les sociétés de la Paix du continent à redoubler d’ardeur.
- Le comité de Paris accueille avec une vivo satisfaction la communication de M. A Desmoulins, donne son approbation aux termes de la lettre si éloquente que M. Lemonnier vient d’adresser à M. Gladstone, et décide de reprendre à la rentrée avec toute son activité, ses travaux de propagande pacifique.
- Gaston Morin.
- Ligue internationale de la Paix
- ET DE LA LIBERTÉ
- Le vendredi, 3 juillet, le Comité de Paris s’est rénni chez M. Lemonnier, Président de la Ligue, rue de Chaillot, numéro 1 bis.
- Le Président a fait connaître que le Comité Central a mis à l’ordre du jour de F Assemblée générale, que la Ligue doit tenir à Genève, le 10 septembre prochain, la question de l’établissement d’un Tribunal international permanent.
- Le Comité de Paris a cru l’occasion propice de s’entretenir de cette importante question, et, après une discussion intéressante dont il sera rondu compte, les résolutions suivantes ont été prises.
- Le Comité de Paris félicite le Comité Central d’avoir mis à Tordre du jour de l’Assemblée générale, la question de l’établissement d’un Tribunal international permanent.
- Il appelle l’attention du Comité Central sur les propositions qui suivent :
- L’existence d’un Tribunal international permanent suppose, nécessairement la rédaction, ou l’adoption préalable d’une loi générale internationale que ce tribunal puisse et doive appliquer.
- Cette loi n’existe pas, elle est à faire.
- Pour que cette loi soit légitime et moralement obligatoire, elle doit être faite ou tout au moins librement consentie par tous les peuples qu’elle doit régir.
- Pour être juridiquement compétent, le Tribunal international à instituer doit être librement élu par ses justiciables. C’est-à-dire par les peuples qui devront obéir à ses arrêts.
- L’exécution de ces arrêts doit être sanctionnée par une force internationale.
- La formation d’un Tribunal international créé de toutes pièces, par quelques puissances seulement, sans le libre concours de peuples, et surtout le fonctionnement d’un tel Tribunal, avant la rédaction d’une loi internationale libre-
- p.515 - vue 518/838
-
-
-
- 516
- LE DEVOIR
- ment consentie par tous ceux quelle doit régir, seraient un péril extrême pour la Liberté, pour la Justice, pour la Paix et iraient par conséquent directement contre le but que se proposent toutes les Sociétés de la paix.
- Les résolutions qui précèdent seront adressées au Comité Central de la Ligue, pour être par lui communiquées à FAssemblée générale devant laquelle le Comité de Paris se propose de les développer.
- Ces résolutions sont mises aux voix et votées à l’unanimité.
- L’ESPRIT MILITAIRE
- Quand on objecte, entre antres raisons, aux défenseurs du ruineux système militaire actuel, le danger que présente pour les institutions libres d’un pays une organisation qui enlève à la nation ses forces civiles, l’élite de ses jeunes gens,pourJles claustrer, sous une discipline de fer, loin de toute activité intellectuelle, absolument en dehors de la vie nationale, on nous répond qu’aujourd’hui, on ne saurait nourrir à l’égard de notre armée des défiances de cette nature. Notre armée est véritablement nationale, nous dit-on ; l'esprit qui l’anime n’est plus en hostilité avec nos institutions, ni avec les^conditions d’ordre politique et administratif inhérentes à notre époque. Elle sait que sa mission est de sauvegarder le pays d’un danger possible, et tout ce qui est étranger à cette pensée sacrée lui est également étranger,
- Eh bien ! n’en déplaise à ces admirateurs des « armées nationales » modernes, elles sont loin d’être animées du désintéressement qu’on leur prête. Pour le soldat — je parle de ceux qui commandent, de l’aristocratie militaire — une armée est organisée pour guerroyer. Faire la guerre est pour le soldat sa seule raison d’être, le meilleur moyen d’obtenir de l’avancement, de faire montre de ses capacités. Aussi, le « temps de paix v est-il pour lui un contre-temps fâcheux, et il ne saurait rester attaché à un gouvernement qui, comme là République, doit être, de par son essence, un gouvernement de paix et de liberté.
- Ce sont nos généraux qui poussent avec le plus d’ardeur aux expéditions coloniales. Adéfaut d'une guerre européenne, ils donnent libre carrière à leurs besoins de destruction, dans les jungles du Tonkin ou dans les plaines arides de la Tunisie.
- Encore si le gouvernement était sûr d’être obéi par ses hommes de guerre. Mais fatalement, il est dans l’esprit militaire de ne pouvoir supporter aucune injonction de l’autorité civile.
- Pour le général, il n’y a pas, il ne peut pas y avoir d’autorité supérieure à la sienne, si ce n’est
- celle d’un général supérieur en grade. Mais pe lui parlez pas d’un civil, d’un représentant du pou-voir public, député, gouverneur..., pour lui, ces gens là sont des pékins ; il considère comme une humiliation, d’être contraint de leur obéir. Et qu’on ne dise pas que ce peut être là le défaut de quelques particuliers. C’est bien l’esprit arrogant qui anime le corp militaire tout entier, à tous les degrés de la hiérarchie !
- Un journal, dans une correspondance récente de Hanoï, nous donne un exemple saisissant de l’hostilité et du mépris qu’on professe dans l’armée pour les fonctions civiles.
- « Le courrier de l’Indo-Chine nous apporte, dit-il certains renseignements qui méritent d’être connus, car ils indiquent les difficultés avec lesquelles le gouvernement civil se trouve aux prises, par le fait de l’esprit de corps de la marine, qui voit avec regret cette belle proie du Tonkin lui échapper définitivement,
- « Tous les officiers qui font partie delasuitemi-« litaire du résident général civil sont en butte à « des tracasseries sans nombre et à des procédés « calculés pour leur faire abandonner leur emploi.
- « Ainsi, par exemple, M. Deleschamp, lieutenant « de vaisseau, ancien aide-de camp deM. Thomson « gouverneur de la Cochinchine, a été attaché au « résident général dans la position hors cadre. Cet « attaché naval estabsolument nécessaire au rési-« dent général, car il s’agit de veiller sur les plus « graves intérêts,de contrôler d’énormes dépenses,
- « En effet, sur les 79 millions votés en décembre « 1885, la marine en absorbe à elle seule environ40. « Il était donc de toute justice, puisque cet attaché « était indispensable, de lui réserver sa place dans « les cadres de son arme, ainsi que cela a lieu « d’ailleurs, lorsqu’il s’agit d’emplois du même « genre auprès de gouverneurs militaires.
- « On ne fa pas fait, parce qu’il était attaché à
- « un résident général civil. L’amiral Aube,ministre « de la marine, sait sans doute cela. A-t-il réfléchi
- « aux conséquences que cette particularité pour-« rait avoir ?
- Remarquez qu’il s’agit du corps de la marine, dont le|corps d’officiers est réputé pour être de beaucoup supérieur à celui de nos troupes de terre.
- « Autres exemples, continue ce même journal, « de la haine que la marine porte au gouvernement | « civil du Tonkin et de I’Annam.
- I « On sait que le résident général a trois officierS
- p.516 - vue 519/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 517
- , d’ordonnance: deux capitainesd’infanteriedema-« rine et un capitaine d’artillerie.
- a A leur passage à Saïgon, l’un des deux capi-( taines d’infanterie alla rendre visite à un colo-(( nel de son arme. Celui-ci l’accueillit par cette « phrase caractéristique.
- a — Qu’est-ce que vousf... d’aller travailler avec « des civils comme ça... Vous déshonorez l’arme!»
- « À Hanoï, le'capitaine d’artillerie allant faire (( une visite à un officier supérieur de marine, « fut, sermonné de la manière suivante :
- « — Mon ami, je ne puis pas vous féliciter de « briser ainsi une carrière si bien commencée. »
- Une telle attitude n’indique-t-elle pas qu’il règne dans l’armée, après quinze ans et plus de régime républicain, le même méprisa l’égard de l’autorité civile, que celui que professaient les généraux de l’empire dans la même matière ? Gomment compter sur une armée dont les officiers supérieurs nourrissent de pareils sentiments à
- l’égard des représentants du pays?
- .— -------------—•——♦ »— ----------------------
- L’entrevue de Gastein.
- C’est àGastein qu’a eu lieu l’entrevue des empereurs d’Allemagne et d’Autriche, avec le cérémonial d’usage : accolades répétées, échange d’uniformes et de décorations etc., réunions intimes et presque familiales, rien n’a manqué à cette rencontre des deux souverains de l’Europe centrale, pour attester,dit-on la, cordialité de leurs relations et la ;solidité de leur alliance. M. de Bismarck était venu assister à cette entrevue, après avoir traité ailleurs avec le comte Kalnoeky les problèmes politiques dont elle.est la solution ostensible.
- Le Temps s’exprime ainsi, sur les conséquences que peut avoir l’entrevue des deux empereurs.
- « Il n’y a pas à revenir sur ces questions ; l’Allemagne et l’Autriche restent alliées, et font converger leurs efforts sur k but de maintenir la paix dans toute l’Europe. Elles s’étaient associées à cette intention, il y a quelques années, la Russie ; Nais il ne semble pas que ç’ait été là une expérience heureuse. La grande puissance du Nord n’a pas encore accompli sa mission historique, soit en Asie, soit en Orient ; elle est en peine expansion, et le rôle éminemment conservateur de b paix et de maintenir m Europe l’ordre établi,convient assez Nal à l’empire qui tôt ou tard devra faire sa trouée vers le Rosphore et l’Océan indien.
- < Aussi l’opinion punlique en Russie se plaint-elle autant de 1 alliance avec les deux empires germaniques que l’un de Çeux-ci, l’Autriche, se montre inquiet des velléités turbu-,entes qui menacent constamment de l’emporter à St-Péters-?.t!r§- Les journaux russes déclarent à l’envi que la triple uiance, loin de servir la cause slave, ne fait qu’en retarder « triomphe et ne profite au contraire qu’à l’élément germa-que en Europe. Les journaux de Vienne, par contre, estiment
- que l'accession de la Russie entrave l’Autriche et l’Allemagne dans l’accomplissement de leur tâche pacifique, et le Lloyd de Pesth, va même jusqu’à dire que la véritable mission de l’alliance de ces deux puissances est de déjouer les tentatives belliqueuses de leur voisin du nord.
- « On peut contester l'importance de ces expressions de l'opinion publique dans des pays où la politique étrangère tout au moins n’est pas soumise au contrôle d’institutions parlementaires. Mais on ne peut s’empêcher de reconnaître la valeur des raisons qui sont alléguées des deux parts. Les intérêts de la Russie, la ligne de conduite qu’ils lui prescrivent sont diamétralement opposés aux etîorts des puissances qui veulent maintenir tel qu’il est l’équilibre européen actuel, parce qu’elles perdraient à le déplacer. Rien ne peut aller à l’encontre de cet antagonisme fondamental, et, malgré la ferme volonté de M. de Rismarck et du czar, la Russie se verra contrainte tôt ou tard, par la force même des choses, à sortir d’une alliance qui serait pour elle à la longue une abdication. »
- Ainsi qu’on le voit, malgré la forme optimiste des commentaires auxquels se livre le Temps, sur la nature toute pacifique de l’œuvre que poursuivraient les deux empereurs, la paix est rien moins qu’assurée par leur entente.
- Une Conquête de la Paix
- Nous publions souvent les recherches de toutes sortes faites dans le champ de ce qu’on appelle si improprement : la science militaire. Il ne peut pas y avoir, en effet,de science militaire, celle-ci ayant pour objet l’anéantissement de la vie. La science qui a pour but et fin dernière de permettre à l’homme de perfectionner la vie sous toutes ses formes, est indigne de ce nom, quand elle ne vise dans ses recherches qu’à trouver les moyens de destruction les plus rapides et d’anéantissement le plus complet. Aussi, n’enregistrons-nous les découvertes faites dans le champ de la mort, que pour mieux faire ressortir la supériorité des découvertes vraiment scientifiques, qui, elles, ont un but sacré, sont les nobles conquêtes delà paix.
- Dans notre avant dernier numéro, nous avons signaléles expériences si intéressantes de M. Marcel Desprez, sur la transmission de l’électricité. Nous trouvons aujourd’hui dans un journal de Paris le compte-rendu suivant des expériences encore plus concluantes d’un autre savant français, relatives au même sujet de recherches.
- Le Ministre de l’instruction publique vient de décider que le prix Yolta sera définitivement décerné au mois de décembre 1887.
- Retenez bien cette date. Ce sera, suivant toute probabilité, eelle qui s’attachera au plus grand événement scientifique de ce siècle.
- On sait que le prix Volta, d’une valeur de 50 000 francs, déjà une fois décerné à Rumkorf, a été institué en faveur de l’auteur de la plus grande découverte ayant pour effet l’ap-
- p.517 - vue 520/838
-
-
-
- 518
- LE DEVOIR
- plication industrielle et économique de l’électricité et que les savants de tous les pays sont admis à concourir.
- D’après l’arrêté ministériel, les derniers mémoires devront être remis au 30 juin prochain. Les concurrents ont donc encore onze mois devant eux, avant d’entrer dans la lice. Que d’efforts, que de veilles, que de luttes acharnées contre l’inconnu mystérieux pendant ces onze mois 1
- La victoire du moins sera-t-elle emportée ? L’éclair sauveur aura-t-il éclaté dans la nuit ? La nature vaincue aura-t-elle livré le plus impénétrable, le plus fécond peut-être, le plus ardemment cherché, en tous cas, des secrets qu’elle détient? Tout le fait espérer.
- Chaque jour, en effet, marque une étape nouvelle vers cette terre promise de la Science et de l’Industrie modernes; chaque jour fait surgir un progrès et voici que déjà se lève sur nous l’aurore des temps nouveaux qui s’appelleront, dans les annales du génie humain, l’ère de l’Electricité.
- ü n’y a plus à insister longuement sur les résultats immenses qu’attend de ces tentatives le monde industriel. Le jour où le moteur électrique à domicile sera une réalité, le jour où on pourra prendre sur un point quelconque une force naturelle ou mécanique, vent, chute d’eau, vapeur, et l’envoyer sur un autre point, fût-il considérablement éloigné du premier, pour en faire de la lumière ou de l’énergie motrice, le jour où on pourra faire cela au moyen d’un simple fil, comme aujourd’hui on expédie une dépêche, c’est-à-dire avec la rapidité, l’économie, la sûreté, la puissance qui s’attachent à ce merveilleux agent qu’on appelle l’électricité, ce jour-là, la vapeur sera détrônée, une ^économie incalculable sera réalisée sur la production générale, le prix de tous les objets fabriqués baissera et un pas immense sera fait dans le champ de l’universel bien-être.
- Toutefois, quelque importants que soient déjà les résultats obtenus dans cette voie par M. Deprez, on ne peut encore les envisager que comme unepromesse. Les expériences n’ont jusqu’ici permis de transporter que la moitié de la force initiale et il va de soi que cette déperdition d’énergie constitue, ?u point de vue industriel, un empêchement primordial. En outre, l’énorme tension de l’électricité dont est chargé le fil conducteur fait de ce dernier une source grave de danger.
- Dans ces conditions, évidemment, le problème ne pouvait pas être considéré comme définitivement résolu. Mais la science française n’avait pas dit son dernier mot. Un de nos compatriotes qui, depuis quatre ans expérimente à l’étranger un procédé de son invention totalement différent de ceux dont il vient d’être parlé, nous revient avec des résultats qui cetfe fois, semblent réaliser la grande révolution scientifique et industrielle recherchée par les rêveurs de progrès.
- Mais ceci est toute une histoire.
- Vers la fin de 1881 végétait, dans un petit laboratoire de la rue Nollet, àBatignolles, un jeune chimiste qui prétendait avoir trouvé le grand secret du transport électrique de la force avec un rendement supérieur, et qui n’avait encore rencontré d’autre encouragement que le sourire dédaigneux des savants officiels.
- M. Gaulard parvint, pourtant, à intéresser à ses expériences quelques hommes intelligents qui lui fournirent les moyens de continuer en Angleterre ses travaux. Deux ans après, les appareils du jeune savant parisien faisaient leur première apparition à l’Aquarium de Londres, et le succès en était tel qu’on les appliquait à l’éclairage des stations du chemin de fer métropolitain. M. Gaulard offrait alors d’éclairer tout le canal de Suez avec une seule station centrale établie à Ismaïlia, et M. de Lesseps s’enthousiasmait de l’idée. Mais d’autres préoccupations entraînaient le grand perceur d’isthmes, l’affaire de Panama naissait, le projet étaitajourné.
- En ce moment s’ouvrait à Turin un grand concours inter- i national d’électricité. M. Gaulard y courait et y remportait de i
- haute lutte, dans des circonstances qui méritent d’être rap, portées, le prix disputé par les plus habiles électriciens des deux mondes.
- La grande expérience qui devait servir à fixer le choix di jury pour le grand prix consistait à éclairer une salle de 1 station de Lanzo, située à quarante kilomètres de Turin 0f étaient établies les machines productrices de la force motrice'
- Les jurés s’étaient réunis en un banquet solennel dans ladite salle. Quelques bougies seulement éclairaient la vaste table M. Gaulard avait promis de faire apparaître la lumière à sent heures et demie, et il avait, en conséquence, donné ^ ordres à son ingénieur demeuré à Turin.
- Sept heures et demie sonnant, tous les yeux se tournent vers les appareils. Pas de lumière.
- Les minutes passent et on commence à sourire. Sent heures trente-cinq, sept heures quarante : toujours rien Huit heures allaient sonner. L'inventeur, les cheveux collés au front par la sueur, les jambes flageolantes, les yeux hagards, se sentait devenir fou, quand tout à coup l’électro-dynamomètre, qu’il ne quitte pas du regard, se met à battre' c’est le courant qui vient, c’est la victoire. M. Gaulard se précipite sur son commutateur, l’ouvre d’une main fébrile et tout aussitôt de frénétiques applaudissements retentissent ; la lumière envoyée de Turin étincelait dans toutes les lampes inondant de ses éblouissantes blancheurs, l’espace tout à l’heure empli d’ombre.
- Voici ce qui s’était passé : à Turin, l’ordre avait été donné de ne laisser pénétrer dans certaines parties réservées de la gare que les personnes employées à l’expérience. Par une erreur inexplicable, le nom de l’ingénieur chargé d’envoyer le courant avait été omis et celui-ci s’était vu dans l’impossibilité de se rendre à son service. Mais ceux que pousse le démon de la science sont des fanatiques à leur façon. Conscient de la responsabilité qui pesait sur lui, l’ingénieur s’était colleté avec le factionnaire ; blessé, les vêtements en lambeaux, les mains en sang, il avait de force sauté par dessus la balustrade et il était enfin arrivé jusqu’à ses appareils. Ne fallait-il pas que la science française vainquit ?
- Ce qui me reste à conter a le caractère d’un sec compterendu, et c’est pourtant ce qu’il y a de plus stupéfiant dans cette odyssée scientifico-romanesque.
- A l’époque de ses premiers essais, M. Gaulard avait fait constater par un célèbre électricien anglais le rendement de ses appareils qui avait été de 89 0/0, et malgré l’autorité attachée au nom de l’expérimentateur, ce rendement, hors de toute proportion avec tout ce qu’on avait fait jusque-là, avait rencontré dans le monde de la science beaucoup d’incrédules.
- Mais après les expériences de Turin, après le compte rendu qu’en avait fait à l’Académie des sciences de Paris M. Tresca, directeur du Conservatoire, après la grande médaille d’or obtenue au Congrès des inventeurs à Londres en 1885, M. Gaulard a fait encore vérifier par divers savants le rendement de sa méthode, et le professeur Ferraris, notamment, a dans un savant mémoire à l’Académie de Turin, établi que ci rendement n’était pas inférieur à 90 O/O.
- Si, comme tout le fait présumer, ce résultat magnifique se confirme, c’est la solution définitive du grand problème mise au jour, c’est l’industrie rajeunie, c’est la force de production centuplée, c’est le génie humain maître dun outil nouveau ineomparablemeut supérieur à tous ceux< qu “ jj maniés jusqu’ici. Désormais, on ne fera plus voyager à grçiw frais la houille extraite des mines. A quoi bon? On la brûler sur place, et on enverra par le fil la force qui gît en ses noire entrailles.
- Décidément l’humanité est en travail de grandes chose • Qui pourrait prévoir aujourd’hui le monde merveilleux 1 connaîtront nos enfants ? Jean Frollo
- p.518 - vue 521/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 159
- Le Duel du Général Boulanger
- MINISTRE DE LA GUERRE
- Sous ce titre, Madame Griess-Traut, vice-présidente de la Fédération internationale de la paix et de l’arbitrage, nous adresse la protestation suivante relative au récent duel Boulanger-Lareinty.
- Est-ce qu’il ne s’élèvera pas une voix parmi les gens de bon sens, pour protester contre cette aberration sauvage et absurde du duel ? — Personne pour rappeler à M. Boulanger, à défaut des autres arguments qui abondent, qu’un membre du Gouvernement, fût-il même Ministre de la Guerre, n’a pas, moralement parlant, le droit de laisser son poste et la part de responsabilité qui lui incombe dans la haute fonction qu’il occupe ? En tout cas, et au pis aller, il convenait peut-être qu’il donnât sa démission, soit pour la marche régulière des affaires soit pour prévenir toute perturbation en cas d’événement.
- D’ailleurs, qui soutiendra sérieusement que le le duel n’est pas la plus colossale absurdité, la plus vaniteuse gloir e, un étalage bruyant du moi ?
- Est-ce bien du courage ? ou n’est-ce pas plutôt la peur — d’avoir l’air d’avoir peur — qui conduit, sur le terrain, deux hommes, pour un geste ou un regard de travers. Et là, après avoir fait tous les efforts pour coucher par terre l’adversaire, ils finissent par se serrer la main et se faire des protestations d’estime et d’amitié.
- Envisagée avec calme, c’est une vraie comédie tragi-comique.
- La police livre à la jus Lice les manants qui se battent à coup de couteau ou à coups de poing. Les tribunaux jugentet condamnent ceux qui tuent, plus sévèrement quand existe la circonstance, aggravante, de préméditation. Et voilà deux hommes qui ont froidement prémédité de faire sauter la cervelle l’un de l’autre ou de se transpercer.... aux applaudissements de la galerie, sans que la justice bouge ?
- Le temps où on se faisait justice soi-même n’est donc point passé : c’est un retour vers le moyenne; alors, les duels étaient en vogue parmi une chevalerie turbulente. Mais continuer dans notre milieu prosaïque, industriel, financier et commercial, les mœurs d’une époque trépassée qui n’a plus rien de commun avec la nôtre, est un véritable anachronisme.
- Nos codes savants, interprétés par une magis-Jcature solennelle, sont-ils donc impuissants à luger ce qu’on appelle-— des affaires d’honneur ?
- Implicitement c’est les reconnaître incompétents. Que faut-il penser alors de cette justice ? Que conclure? Qu’il faut aux affaires d’honneur une juridiction spéciale ? Un tribunal d’honneur composé des hommes éminents par leurs capacités intellectuelles etmoraIes?La Francen’en est pas dépourvue. Ce tribunal rendrait à la société moderne, par l’exercice de cette magistrature suprême et bénévole le plus immense service ; celui de faire disparaître de nos mœurs, un vestige des temps barbares ; le Duel.
- Mme Griess-Traut,
- Vice-présidente de la Fédération Internationale de la Paix et de l’Arbitrage.
- UNE RÉFORME MILITAIRE
- A propos du duel : on va opérer nous dit-on une réforme militaire — c’est ainsi du moins qu’on qualifie la mesure qui doit être prochainement prise par M. le Ministre de la guerre et appliquée à tous les régiments. Elle donnera à nos lecteurs une idée de ce qu’on peut attendre d’un réformateur militaire, quand ce réformateur est un général, même radical, et à prétentions démagogiques comme M. Boulanger.
- On sait que cette stupide coutume barbare, bien digne du milieu dans lequel elle est en honneur, existe dans l’armée. Le duel, condamné par nos lois, proscriL dans nos codes, est passé à l’état règlementaire dans l’armée. C’est le jugement de Dieu du Moyen Age dans toute sa rigueur. Deux soldats ont une dispute ; les voix s’échauffent. L’un des adversaires a la main prompte; il frappe! Le lendemain, au rapport, le chef de corps prescrit que les deux soldats iront sur le terrain. Jamais il ne fût venu à l’idée de nos robustes paysans, une fois la querelle terminée, quelques solides coups de poing échangés, d’aller se couper Ja gorge. Mais le règlement est formel; il faut en découdre.
- Généralement, les deux combattants se récon-cilent la nuit qui précède le combat.
- Enfermés ensemble dans Ja même prison, il est rare que les pauvres garçons ainsi transformés, à leur corps défendant, en chevaliers moyen-âge, ne fassent pas un bout d’exercice pour se faire la main, et tâcher de régler les passes par avance, de façon à se faire le moins de mal possible.
- Sur le terrain, les deux soldats s’alignent et ferraillent, mollement et gauchement, car il est rare qu’ils soient de première force à l’escrime
- p.519 - vue 522/838
-
-
-
- 520
- LK DEVOIR
- On essaye de se toucher, sans se faire de mal. Le combat peut, cependant, avoir des suites funestes, à cause de l’inexpérience des combattants, si le maître d’armes prenant son rôle au sérieux, ne prévient pas les coups dangereux. Enfin, l’un des deux est touché. Les adversaires se serrent la main, l’honneur est satisfait 1
- Mais l’affaire ne s’arrête pas là ! Il y a eu dispute, rixe, désordre, en un mot. 11 y a tout au moins un coupable — sinon deux ; un provocateur qui doit être puni de prison. Croyez-vous qu’on s’enquiert des incidents de la querelle, de savoir lequel des deux adversaires a provoqué l’autre ? Nullement ! A quoi bon d’ailleurs ! le jugement de Dieu a prononcé. Le vaincu est le coupable. Celui qui a été blessé dans la rencontre est présumé avoir tous les torts de la rixe, et il est, de ce chef, puni de 15 jours de prison au minimum.
- C’est atroce, indigne de nos mœurs actuelles, de nos idées de justice en vigueur; cela n’en est pas moins ainsi.
- Eh bien! M. Boulanger, le ministre radical delà guerre que l’on sait, va aggraver encore ces pratiques, en rendant plus strictement obligatoire l’enseignement de l’escrime dans l’armée.
- Aujourd’hui, cet enseignement est déjà règlementaire. Aux termes du règlement, les soldats doivent prendre une ou deux leçons d’escrime par semaine. En fait, très peu vont à la salle d'armes. Ce délaissement de la salle d’escrime a pour effet de rendre le duel volontaire excessivement rare à la caserne. Jamais deux soldats ne demandent à aller sur le terrain. Si le colonel ne le prescrivait pas, le duel serait inconnu dans l’armée. Que voulez-vous ? nos soldats ne sont pas gentilshommes. Ils ne savent tenir une épée, et se soucient encore moins de l’apprendre!
- Désormais, nous disent les journaux, par ordre du ministre de la guerre, les chefs de corps devront veiller à ce que chaque soldat prenne régulièrement sa leçon. Les « prévôts d’armes», qui sont de simples simples soldats, devront être revêtus d’une autorité sur leurs élèves. On honorera donc le « marchand de mort subite », comme on appelle dans les chambrées ces professeurs experts dans l’art de tuer.
- Peu à peu, l’indifférence du soldat pour l’escrime fera place à la considération et au respect de celuf qui sait manier adroitement un fleuret. Et le duel, que nos fils d’ouvriers et de paysans ont instinctivement en horreur, sera honoré. Sa pratiques© répandra dans l’armée! — Tel sera le ré-
- sultat de la mesure que le général Boulanger est sur le point de prendre.
- Que voilà bien, vraiment, une réforme militaire, digne d’un ministre de la République!
- CRIMINELLE INCURIE
- L’administration de la marine continue à traiter avec le plus déplorable sans façon, nos malheureux troupiers. Voici la dépêche que le Temps reçoit de Marseille :
- Quarante-et-un militaires venant de Madagascar, embarqués à la Réunion sur le Sydney des Messageries maritimes ont fait la traversée sur le pont. Ils sont très fatigués ; un d’eux, très anémié, est dans un état déplorable.
- Le capitaine qui commande le détachement vient d’adresser à l’autorité maritime un rapport dans lequel il se plaint de ces faits, qui font grande émotion ici.
- On n’a pas idée d’une pareille incurie. Et c’est la vingtième fois que des faits de ce genre se renouvellent.
- On se rappelle les souffrances que la criminelle insouciance de l’administration a infligées à nos soldats du Tonkin, lors de leur rapatriement, et les protestations dont, à cette époque, la presse entière s’est fait l’écho.
- On avait lieu d’espérer que le ministre de la marine aurait rappelé ses subordonnés au respect des braves qui viennent d’exposer leur vie pour la patrie.
- Il n’en a rien été. On traite des soldats, épuisés par une campagne longue et pénible, comme on n’oserait pas traiter des bestiaux.
- Une fois encore, nous supplions l’amiral Aube de prendre les mesures pour éviter le retour de pareils scandales.
- Les armées du monde.
- L’Alemagne a en temps de paix une armée de 427,274 hommes et de 18,118 officiers. Sur le pied de guerre les forces de la confédération germanique s’élèvent à 1,456,677 hommes et à 35,427 officiers, avec 312,731 chevaux et 2,808 canons. Les forces de la landsturm ne sont pas comprises dans ces derniers chiffres.
- L’Angleterre avait, en 1884, une armée de 183,004 répandus en Angleterre et dans les colonies ; sa marine comprend 300 navires, dont 40 cuirassés.
- L’Autriche a sur le pied de paix une armée de 267,005 hommes, avec 17,063 officiers ; sur le pied de guerre elle peut mettre en avant 1,064,025 hom.nes et 31,808 officiers.
- La marine comprend 40 vaisseaux, dont 11 cuirassés.
- La Belgique a en temps de paix 46,272 hommes, avec une réserve de 57,411 hommes, formant un total de 103,683 et une garde civique de 30,254 hommes, avec une réserve de 90,000 hommes.
- La Bolivie, dans la guerre contre le Chili en 1879, a mis sur pied une armée d’environ 6,000 hommes.
- Le Brésil avait, en 1884, une aimée de 13,500 hommes sur le pied de paix, et une marine de 36 vaisseaux, dont 10 cuirassés.
- La Bulgarie peut mettre sur pied en temps de guerre un armée de 80,000 hommes, mais qui est réduite en temps ae paix à 24 bataillons et 80 canons. .
- Le Chili avait en 1885, 7,100 hommes et 1,037 ™icie,g sous les armes d’armée active avec une garde nationale 51,826 hommes. . , , o
- La flotte se composait, en 1883, de 11 vaisseaux, don cuirassés, montés par 2,225 hommes.
- p.520 - vue 523/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 521
- La Chine peut mettre en avant, en cas de besoin, 1,200, 000 hommes, mais elle entretient une très petite armée en temps de paix.
- Le Danemark possède une armée de 50,522 hommes sur le pied de guerre et une marine de 44 vaisseaux avec 252 canons, montés par 1,122 hommes.
- L’Espagne entretient, en temps de paix, une armée de 100,000 hommes, la marine comprend 134 vaisseaux dont 12 cuirassés avec 20.000 hommes.
- Les Etats-Unis ont une armée de 25,000 hommes et 2,177 officiers en temps de paix et une marine de 93 vaisseaux, montés par 8,250 hommes et 1,962 officiers.
- La France entretient, en temps de paix, une armée de 502,866 hommes ; mais en temps de guerre, elle peut mettre sous ies armes 3,750,000 hommes.
- La flotte comprenait, en 1883, 366 vaisseaux dont 72 cuirassés.
- La Grèce a mis dernièrement 50,000 hommes sous les armes, sa marine consiste en 16 vaisseaux, dont 4 petits cuirassés, avec 2,637 hommes.
- La Hollande peut mettre, sur le pied de guerre, 62,684 hommes et 2,326 officiers ; elle a, de plus, une milice de 100,000 hommes ; sa marine comprend 120vaisseaux, dont 23 cuirassés.
- L’Italie peut mettre, en temps de guerre, 2,400,000 hommes sous les armes ; en temps de paix, l’armée active comprend 170,000 hommes. La marine comprenait, en 1885, 72 vaisseaux avec 455 canons et 8,000 hommes ; 20 de ces navires sont cuirassés.
- Le Japon a une armée de 61,881 hommes en temps de paix,; la marine comprend 31 vaisseaux, dont 5 cuirassés.
- Le Monténégro peut mettre sous les armes 28,000 hommes en temps de guerre.
- Le Maroc a une armée permanente de 15 à 20,000 hommes, dont la moitié se compose de nègres, et une sorte de milice de différentes armes de 80,000 hommes.
- La Norwège a une armée régulière de 18,000 hommes.
- Le Pérou possédait avant la guerre avec le Chili une armée de 6,000 hommes, quia été presque anéantie pendan la guerre avec ce dernier pays.
- Le Portügal avait, en 1885, une armée de 32,750 hommes et 1,583 officiers, et une marine de 39 vaissaux, dont 28 steamers et 11 vaisseaux à voile, monté par 3,200 hommes.
- La Roumanie possède une armée permanente de 18,532 hommes, mais ce chiffre peut monter à 150,000 hommes en temps de guerre.
- La Russie peut mettre en temps de guerre 2,300,000 hommes sous ies armes, mais en temps de paix elle n’entretient que 780,081 hommes. La marine comprend 389 vaisseaux, dont 29 cuirassés.
- La Serbie aune armée régulière de 15,000 hommes et. une réserve de 60,000 hommes.
- La Suède a une armée permanente de 38,814 hommes, 1,734 officiers et 234 canons ; la réserve comprend 118,400 hommes et la milice 18,000. La marine comprend 43 vaisseaux 156 canons et 14 cuirassés.
- La Suisse peut mettre, en temps de guerre, 215,000 hommes sous les armes.
- --------------------------------------------------------
- APHORISMES & PRÉCEPTES SOCIAUX
- CXVII
- La Paix
- La sagesse des peuples et des gouvernants doit Procéder à l'abolition de la guerre; elle doit établir la paix perpétuelle entre les nations et s&voir résoudre amiablement et par voie d’arbi-^Qe, les différends qui surgissent entre elles.
- Bulletin de là paix armée.
- Etats-Unis
- Suivant une dépêche reçue de New-York, un certain nombre d’insurgés ont passé la frontière du Mexique ; des cavaliers américains ont été envoyés à leur poursuite.
- Cutting doit être conduit à Chihuahua. Craignant d’être ma«sacré en route, il a demandé la protection du gouvernement du Texas.
- Si les hostilités éclatent, les volontaires du Texas attaqueront Ei-Passo, qui est sans défense.
- Dans une entrevue qu’il a eue avec un reporter du Sun, le secrétaire d’État M. Bayard aurait déclaré que, sans se préoccuper de la personne même de M. Cutting, le gouvernement des États-Unis persisterait, au nom des principes, dans l’attitude prise vis-à-vis du Mexique, c’est-à-dire qu’il exigerait la mise en liberté du journaliste incarcéré.
- M. Bayard pense toujours que la question sera réglée à l’amiable avec le gouvernement mexicain, qui, dit-il, est très désireux d’arriver à un accord.
- Grèce
- M. Mavrocordato, ancien ministre de Grèce à Paris, vient d’être nommé au poste de ministre plénipotentaire à Saint-Pétersbourg.
- Bulgarie
- On télégraphie de Sofia que les députés ottomans et bulgares se sont réunis au ministère des affaires étrangères.
- M. Tsanof, en souhaitant la bienvenue aux délégués, a dit qu’il devait se borner, du moment où les intentions du gouvernement de la Turquie et celles de la Bulgarie sont connus, à prier les délégués d’accomplir la mission qui leur est confiée de manière à donner satisfaction au sultan et au prince Alexandre, si soucieux l’un et l’autre du bonheur de leurs sujets.
- Le patriotisme des délégués— a ajouté le ministre— est une garantie de leur dévouement aux intérêts qui leur sont confiés,
- Egypte
- Une dépêche d’Alexandrie annonce l’arrivée, en vue de ce port, de l’escadre anglaise de la Méditerranée, composée de huit navires de guerre placés sous le commandement en chex du duc d’Edimbourg.
- Canada
- Ou mande de Philadelphie au Times que le marquis de Lansdowne, gouverneur du Canada, est parti pour l’Angleterre dans le but, très probablement, de s’entendre avec le gouvernement de la métropole au sujet de la question des pêcheries.
- Les Canadiens désireraient vivement le réglement de cette question, depuis que les Etats-Unis ont, par mesure de représailles, frappé leur poisson de droits d’entrée extrêmement élevés.
- Turquie
- On mande de Constantinople à l’agence Havas que la Porte continue avec activité ses armements et hâte la concentration de ses troupes d’Europe.
- Celles-ci formeront trois corps d’armée de 60,000 hommes environ.
- Le gouvernement attoman négocie différents emprunts pour faire face aux charges qui seront occasionnées par ces mouvements de troupes ; mais ses négociations n’ont pas encore abouti.
- On évalue ces charges à 30 millions.
- La Porte semble redouter, de la part du prince de Bulgarie, une action en Macédoine semblable à celle de l’an
- p.521 - vue 524/838
-
-
-
- 522
- LE DEVOIR
- dernier en Roumélie. Aussi, surveille-t-elle très attentivement les agissements de nombreuses bandes soi-disant de brigands qui parcourent la Macédoine.
- On demande de Constantinople au Times :
- L’anxiété publique à l’égard des événements qui se préparent ne diminue pas ; elle est au contraire augmentée par les mesures militaires qu’on a décidé de prendre pour assurer la défense des frontières asiatiques.
- Ces mesures sont motivées par les rapports annonçant des mouvements de troupes russes et signalant, parmi la population arménienne, une agitation que l’on a lieu de croire fomentée par des émissaires moscovites.
- Russie
- M. de Giers, ministre des affaires étrangères, est parti hier de Saint-Pétesbourg pour Franzensbad, où, comme le dit le Journal de Saint-Pétersbourg, il est appelé par des affaires de famille et où il compte faire usage des eaux.
- Les ambassadeurs d’Autriche, d’Italie et d’Angleterre, ainsi que le chargé d’affaires d’Allemagne, était venus à la gare pour prendre congé de M. de Giers.
- Réflexions du Times sur la politique Anglo-Germanique.
- « L’idée s’est natureJlement présentée à Vienne que, grâce à l’arrivée au pouvoir de lord Salisbury, la place qu’occupait la Russie dans l’amitié de l’Allemagne et de l’Autriche et que l’empire du Nord semble abandonner peu à peu, pour-* rait être prise par l’Angleterre.
- « L’Angleterre éprouve certainement une cordiale sympathie pour le principal objet de l’alliance austro-allemande ; elle approuve l’esprit de cette alliance.
- « L’idée dont il est question n’a donc rien d’étrange ni de déraisonnable, mais l’expérience a montré que la nature même de la puissance de la Grande-Bretagne et les conditions de la diplomatie britannique ne sont pas. compatibles avec une entrée de l’Angleterre dans les alliances continentales.
- « Nous pouvons parfois regretter, ajoute le Times, qu’il nous soit impossible d’accepter des combinaisons de ce genre ; mais, étant ce que nous sommes, il serait absurde de nous dissimuler cette impossibilité. En face d’une agression russe contre les Anglais, l’Angleterre doit compter principal 1-ment sur elle-même ; sa seule et vraie devise est : vigilance incessante.
- Maroc
- On écrit de Tanger,
- « Le sultan vient d’adresser aux représentants des puissances, par l’intermédiaire de son ministre des affaires étrangères, une lettre circulaire tendant à obtenir la suppression des journaux qui se publient actuellement à Tanger.
- » La demande du souverain est motivée par l’attitude hostile de ces organes et les attaques auxquelles iis se livrent vis-à-vis du makhzen.
- « Les ministres en majorité favorables à la mesure proposée, ont transmis à leurs gouvernements respectifs la lettre de S. M. Mouley-Hassein.
- Algérie
- La nouvelle qu’un accord avait été conclu entre les gouvernements français et italien, relativement à la pêche pratiquée par les Italiens sur les côtes d’Algérie, a été accueillie à Alger avee la plus vive satisfaction. Ce Gompromis met fin à une situation difficile provenant de ce que la pêche du poisson est presque en entier entre les mains des pêcheurs étrangers, qui depuis quelques jours étaient obligés de se croiser les bras, de telle sorte que la halle était presque sans approvisionnement. Il faut espérer que les pêcheurs italiens qui avaient formulé des demandes de naturalisation afin d’échapper aux rigueurs dont on les menaçait ne renonceront pas à leur projet et tiendront à régulariser leur position en Algérie d’une façon définitive.
- GASPILLAGES MILITAIRES
- Est-ce bien le mot qui convient aux dissipations de centaines de millions qui, tous les ans, sont employés à l’entretien de notre formidable, autant qu’improductif, matériel de guerre et des centaines de mille jeunes gens dont les bras font défaut à l’agriculture et à l’industrie?
- Il y a, en effet, deux sortes de dépenses de guerre: celles qui remplissent leur but et celles qui ne le remplissent pas; ou, sil’onpréfère, celles qui ont été réellement effectuées et celles qui l’ont été d’une façon... négative.
- Par exemple, si on se place au point de vue absolu de notre organisation militaire actuelle, ayant environ, 400.000 hommes sous les armes, il est bien évident que des centaines de millions sont indispensables à leur alimentation, habillement, abri, etc. Ce sont ces dépenses que nous appelons « réellement effectuées », qui, à nos yeux, remplissent leur but, étant données les conditions d’existence de notre armée.
- Mais qui saura à combien se montent les autres? ce que, journellement, on soustrait aux chapitres des premières, pour le reporter aux chapitres des secondes ? Celles qui sont dissipées en achat de matériel impropre à rendre aucun service, en fusils faussés, conserves rancies, cartouches métalliques qui ratent, quand on tire, qui font explosion quand on ne tire pas?
- Nous entendons déjà s’élever les protestations patriotiques des chauvins, qui volontiers diraient de l’armée avec une légère variante, ce que César disait de sa femme, qu’elle ne saurait être soupçonnée. Il est en effet de mode, dans la grande, comme la petite presse,de faire de l’armée la chose sacrée à laquelle nul n’a le droit de toucher. C’est le palladium terrible dont nul ne doit soulever le voile, ce voile couvrirait-il des choses désagréables à voir, peu faites pour nous donner une haute idée de l’esprit de désintéressement dont sont animés certaine administrateurs militaires.
- En Allemagne, où le militarisme n’est pas moins en honneur qu’en France, on ne pousse pas jusque là, il faut en convenir et rendre justice sur ce point àM. de Bismarck, le culte de l’armée. Quand des choses malpropres se conjurent dans l’ombre des bureaux, il n’est pas rare que l’autorité civile supérieure fouille dans les recoins de la bureaucratie. C’est ainsi que l’an dernier, une trentaine d’officiers payeurs furent bel et bien arrêtés d’un seul coup de filet, à la suite de révélations faites
- p.522 - vue 525/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 52 3
- sur certaines pratiques de comptabilité usitées par ces messieurs.
- En France, l’armée doit être tenue à l’écart de tout scandale, de tout soupçon. Il peut donc se produire des gaspillages de toute sorte, la presse a un mot d’ordre dont elle ne se départ pas. Ce mot d’ordre c’est : silence ou indifférence.
- Où conduisent cette indifférence et ce silence, nous le savons par la catastrophe de 1870. Alors aussi, comme aujourd’hui, les chefs de corps avaient ordre d’être prodigues en permissions. Comme aujourd’hui, les caisses destinées à l’alimentation des troupes étaient vides, et ne pouvant rogner la ration à peine suffisante des soldats, on les renvoyait. On économisait des journées de nourriture, ainsi qu’on dit aujourd’hui. Où passait cet argent ?
- La presse ne provoquait aucune explication, parce qu’il ne fallait pas toucher à l’armée. En république, après la leçon de 1870, nous en sommes exactement au même point qu’auparavant.
- En veut-on un exemple? Voici ce que nous lisons dans un journal :
- Il vieut de se passer au tir d’Aix-les-Bains un fait d’une gravité telle que nous espérons bien que l’autorité militaire ouvrira une enquête et en publiera les résultats.
- Un grand nombre de tireurs français et étrangers ont signé la déclaration suivante, qui a été adressée au général commandant la division, à Chambéry :
- « Nous soussignés, venus pour prendre part au concours de tir national d’Aix-les-Bains, déclarons que les cartouches fournies par l’Etat pour le tir au fusil Gras sont défectueuses à cause du mauvais état des étuis réfectionnés, qui ont par ce fait produit de nombreux accidents (16 étuis éclatés dan^ la matinée du 17 juillet;.
- » Nous déclarons, en outre, qu’il est impossible, dans ce cas, de prendre part audit concours.
- » Aix-les-Bains, le 17 juillet 1886.»
- Il est regrettable, ajoute le journal auquel nous empruntons ce document, que l’Etat donne prise à de telles réclamations ; si les concours reçoivent des cartouches défectueuses, que doit-on donner à l’armée, et que font les inspecteurs de nos arsenaux chargés de la vérincation de ces munitions de guerre ?
- Les inspecteurs d’arsenaux ? Ils font comme la presse, grande et petite, obstinément fermée aux révélations qu’on lui apporte parfois, touchant les gaspillages commis par l’administration militaire. Quand un patriote dans la bonne acception du mot, soucieux des intérêts de son pays, de sa fortune, leur dénonce les abus dont il s’offre à leur fournir les preuves, les inspecteurs, comme les directeurs de journaux, ferment l’oreille.
- Il a fallu l’incident d’Aix-les-Bains, 16 étuis éclatant dans une matinée, pour forcer la presse à
- s’occuper de la question des cartouches métalliques. Or, voilà tantôt trois ans qu’un citoyen honorable s’efforce d’attirer l’attention du public sur les défectuosités de nos cartouches métalliques. Communications aux journaux, aux députés, aux sénateurs, aux divers ministres de la guerre, M. Hübner, c’est le nom de ce citoyen,n’a rien négligé pour faire la lumière sur les pilleries,— je ne trouve pas d’expression plus atténuante — commises dans la fabrication des étuis en cuivre. Il alla même jusqu’à se présenter comme candidat aux élections sénatoriales de Paris — sans aucune chance de succès d’ailleurs — pour pouvoir dénoncer les graves abus commis en cette matière, devant l’assemblée des délégués sénatoriaux. Plus tard, il a réuni en brochure le récit des révélations faites à MM. Jules Ferry, Spuller, Casimir Perier, au général Campenon, etc.
- Toutld’abord,c’était une explosition d’indignation sincère, a Oh ! monsieur, c’est vrai, lui disait M. Casimir Perier, sous secrétaire d’Etat au ministère de la guerre, ces gens là mériteraient d’être fusillés. C’est abominable ! » On lui promettait d’ouvrir une enquête, de faire bonne et prompte justice, puis, au bout de quelque temps, l’enquête tombait à l’eau. En vain invoquait-il les horribles accidents survenus à Saint-Adresse etau Mont Valérien, où tant de malheureux soldats furent victimes d’épouvantables explosions de cartouches! Rien n’y a fait.
- Dans cette brochure pleine de documents révélateurs écrasants, il cite entre autres faits celui-ci,'.* Un de nos fournisseurs était sur le point de faire faillite, quand fut adopté le système de cartouches métalliques actuellement employées. Trois ou quatre ans après, ce fournisseur était renommé parmi les riches notabilités du High-life parisien. Le Figaro célébrait sa galerie de tableaux, que M. Wolff, un connaisseur, irrécusé en objets d’art, évaluait à dix millions. Cette galerie avait été rassemblée dans un hôtel coûtant cinq millions !
- L’entente préalable entre deux ou trois faiseurs associés pour faire prévaloir, auprès des bureaux de la guerre, la fabrication des cartouches métalliques, a été prouvée par les intéressés eux-mêmes, dans un procès où l’un deux réclamait la part de bénéfices lui revenant en vertu d’un traité secret conclu lors de l’adjudication, pour que celle-ci fût faite à un prix exorbitant. L’article 412 du code pénal est formel a cet égard. Il punit de la prison quiconque par dons ou promesses,
- p.523 - vue 526/838
-
-
-
- 524
- DEVOIE
- aura écarté les enchérisseurs dans une adjudication. On s’est bien gardé de l’appliquer.
- Gomment se fait-il que les protestations de M. Hübner n’aient trouvé aucun écho dans la presse ? qu’aucun journal n’ait consenti à flétrir de tels gaspillages? Parce qu’il ne faut pas toucher à l’armée; qu’on s’interdit volontairement tout droit de critique à son sujet. Sans doute,les intérêts considérables que les réclamations de M. Hubner mettaient en jeu ont dû être d’un grand poids — sonnant et trébuchant — dans le silence systématique qui le? a étouffées.Mais quel que soit le motif auquel en doive attribuer le silence de la presse, des faits déplorables n’en existent pas moins, patents, qui se révèlent plus tard, quand un accident de la nature de celui d’Aix-les-Bains s’est produit.
- Combien qui restent dans l’ombre, non moins graves, non moins accusateurs du désordre de nos finances et des gaspillages incessants commis dans le maniement des deniers publics !
- Nos dépenses militaires s’élèvent a plus d’un milliard par an. Encore si ce milliard annuel était honnêtement dépensé ! Mais on a vu, par les faits cités plus haut, qu'une partie de ce milliard est le gain de spéculateurs véreux, de tripoteurs éhontés qui se jouent, et de nos deniers, et de la vie de nos soldats !
- Quand donc comprendra-t-on la nécessité urgente, qui s’impose, de faire cesser un tel état de choses scandaleux, qu’on ne pourra faire cesser qu'en supprimant la cause dont tous ces gaspillages ne sont que l’effet naturel? Car qui veut supprimer l’effet, doit supprimer la cause. Tant que nous aurons une armée permanente s’élevant au chiffre monstrueux de 400.000 hommes, le pays est condamné à suer annuellement un milliard, dont une bonne partie servira à entretenir les traditions de gaspillages, du genre de celui que nous venons de signaler.
- Les Allemands dans les mers du Sud
- La nouvelle du départ d’une escadre allemande dans les mers du Sud a provoqué dans divers journaux anglais et américains la crainte que le gouvernement de Berlin n’eût Pintenlion de procéder à de nouvelles annexions dans cette région et ne voulût notamment envoyer ces navires à Samoa. Des troubles ont éclaté, en effet, au commencement de cet été, dans ces îles, à la suite d’un conflit entre les consuls anglais et américain, d’une part, et le consul allemand de l’autre.
- La souveraineté des îles Samoa, et notamment de file Upolu, où se trouve le centre commercial de l’archipel,
- de la baie d’Apia, est disputée par deux chefs, le roi Malietoa, dont les adhérents sont peu nombreux, mais bien armés, et le roi Tamasésé, qui, tout au contraire, commande une armée nombreuse, mais mal équipée. Le roi Malietoa avait été autrefois sous la dépendance des Allemands, qui comptent un certain nombre de négociants dans l’île ; il avait été même institué roi unique par leur consul, M. Weber, qui lui avait adjoint Tamasésé comme vice-roi, à la condition que l’ordre fut maintenu dans l’île et que le commerce pût s’exercer librement. Malietoa institua un Parlement, nomma des juges, se fit allouer une liste civile et s’en tint là.
- Le consul allemand voulut alors imposer au roi un nouveau traité, d’après lequel l’exécution dés réformes convenues serait confiée à des fonctionnaires allemands nommés ad hoc. Malietoa encouragé secrètement par les consuls américain et anglais, non seulement refusa d’accepter cette nouvelle convention, qui mettait son royaume entièrement sous la dépendance de l’Allemagne mais dénonça même l’ancien traité et. hissa son drapeau sur la ville” d’Apia, où le pavillon allemand avait flotté depuis quelque temps.
- Là-dessus, le gouvernement de Berlin envoya aux îles de Samoa la canonnière VA Ibatros ; le drapeau du roi Malietoa fut enlevé et lui-même ainsi que son Parlement furent expulsés d’Apia, où d’ailleurs le roi occupait un local dont il devait le loyer — 50 dollars par mois — à une maison allemande depuis deux ans et demi. En même temps, Tamasésé était proclamé par les Allemands souverain unique des Samoans.
- L’Albatros reprit la mer peu après, mais fut remplacé au commencement de mai par l’escadre de l’amiral Knorr. Celui-ci se borna à rendre visite, à la tête de ses officiers, au roi Tamasésé ; il y eut échange de compliments, revue de quelque deux cents soldats-à moitié vêtus, grand festin à la mode du pays ; puis les officiers allemands reprirent la route de leurs navires et se remirent en mer.
- Peu après leur départ, un vaisseau de guerre anglais arrivait à Apia. Ce fut alors au tour du roi Malietoa de donner des fêtes, accompagné d’un missionnaire anglais, M. Philippe, il se rendit tà bord du navire britannique, où on le reçût avec des honneurs royaux ; pendant ce temps-là, ses partisans hissaient dans la ville son drapeau surmonté du pavillon des Etats-Unis, et, dans la soirée, Malietoa fit annoncer dans les rues qu’il s’était mis sous le protectorat des Etats-Unis, avec l’asseniiment du consul de cette puissance, M. Greenbaum.
- Le consul allemand protesta contre cet acte et répandit le bruit que le consul américain ne tarderait pas à être désavoué par son gouvernement. Cependant, La guerre éclatait entre Malietoa et Tamassésé, et, aux dernières nouvelles, le conflit durait encore avec des chances diverses.
- Le départ d’une escadre allemande pour le Pacifique à été mis en rapport avec cet état de choses. Cependant une feuille officieuse de Berlin dément aujourd’hui que l’Allemcgne ait l’intention d’annexer les îles Samoa. La situation s’y est de nouveau éclaircie ; le gouvernement des Etats-Unis n’a pas voulu en assumer le protectorat, et un traité de paix serait survenu entre le roi Malietoa et son rival. S’il en est ainsi, l’Allemagne n’aura, en effet, aucun prétexte pour tenter de poursuivre dans cet archipel son programme de politique coloniale, qui, à en juger par de récents rapports sur la situation de ses établissements en Afrique, est bien loin de remportei de brillants succès.
- p.524 - vue 527/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 525
- L’ARBITRAGE SUISSE DANS LE DIFFÉRENT DU CONGO.
- Des torrents de sang, disait Voltaire, ont été répandus pour la possession d’un carré de roche grand comme la main, éternellement couvert de neiges, et que personne n’a jamais vu. Nous étions parait-il, sur le point, sinon de répandre des flots de sang, au moins d’engager d’interminables pourparlers diplomatiques dont en ne peut guère prévoir l’issue, une fois qu’ils sont commencés, pour un espace de terre plus grand que le carré de roche dont parlait Voltaire, mais tout aussi peu connu.
- Il s’agit de la délimitation du Congo.
- Le Congo, qui ne nous a rien rapporté jusqu’à présent, est en ce moment en effet, l’occasion d’une difficulté entre la France et « l’État libre du Congo.»
- Il s’agit de savoir si, aux termes des conventions arrêtées à la conférence de Berlin, le Congo français doit s’étendre jusqu’à la rivière d’Oubandgi ou simplement jusqu’à celle du Licoua. Il pagît qu’a l’époque où fut fait le traité, les plénipotentiaires et même les géographes confondaient les deux rivières.
- En d’autres temps, cette difficulté à propos d’un territoire qu’on n’a même pas encore exploré et sur lequel il pousse plus de serpents à sonnettes que de comestibles, eût pu nous engager dans une expédition loitaine, voire dans une guerre conti- J nentale. 1
- Tel est le chemin fait par les idées d’arbitrage, I malgré l’opposition systématique de tous les gou- jj vernements envers les propositions faites dans le I sens de leur application, qu’une fois de plus, on J va avoir recours au moyen sans cesse préconisé i par nous pour résoudre cette difficulté pendante, jj On s’est entendu, en effet, de part et d’autre,pour | convenir que si l’accord ne peut se faire entre I les représentants des deux parties en litige, on j soumettrait le différend à l’arbitrage du président | de la République Helvétique.
- Hier, l’Espagne et l’Allemagne, sur le point d’en venir aux mains, avaient recours à la média- i tion du pape. Aujourd’hui, c’est la France qui a recours à la médiation de la Suisse. Nous avons le droit de nous réjouir de ces heureux résultats, obtenus, grâce à l’infatigable propagande des hommes de paix dont le Devoir est l’organe.
- On nous objectera peut-être que le différend du Congo est de peu d’importance et que l’arbitrage de la Suisse porte sur ch petits intérêt. Nous en convenons. Mais combien de guerres,d’expéditions lointaines, de conflagrations générales ont bouleversé l’Europe,donné lieu à des massacres fameux, à de carnages épouvantables, ruiné des pays pour des longues années, qui n’ont pas eu de point de départ plus important : un lopin de terre resserré entre deux fleuves, une bicoque quelquefois,
- U n’en faut pas davantage, pour allumer la guerre, mettre un pays à feu et à sang.
- , Ah ! que de maux l’humanité se fût épargnée, si au lieu d’en appeler toujours à la force, ce stupide jugement de Dieu des âges barbares, ses peuples eussent fait appela l’esprit d’équité, au moyen de l’arbitrage >
- Ce moyen, il se répand à cette heure, son application générale, basée sur un ensemble de règles et de lois reconnus par les Etats, n’est plus qu’une question de temps, et nous sommes heureux de constater chaque progrès qu’il fait, tout pas en avant dans cette voie pacifique étant pour nous un encouragement à l’œuvre de concorde et de fraternité universelles que nous poursuivons.
- AUX NOUVELLES-HÉBRIDES
- La prise de possession d’un poste militaire aux nouvelles-Hébrides a été faite par M. Legrand, lieutenant de vaisseau, commandant la Dives.
- Voici le procès-verbal qui a été lu, dès que, les troupes ayant été mises à terre, le pavillon français a été bissé et salué à coups de canon.
- « Aujourd’hui, 1er juin 1886.
- « Nous, L. Legrand, lieutenant de vaisseau, commandant l’aviso-transport la Dives, de la marine nationale française ;
- » Par ordre de M. le gouverneur de la Nouvelle-Calédonie et suivant les instructions qui nous ont été données,
- » Avons débarqué à Port-Habannah (île Sandwich, dans l’archipel des Nouvelles-Hébrides,) un détachement de troupes appartenant au corps de l’infanterie de marine, pour constituer dans cette île un poste militaire français.
- » Ce détachement a été débarqué le 1er juin 1886 à six heures et demie du matin.
- » Le pavillon national a été arboré à six heures et demie du matin sur l’établissement destiné à servir de cantonnement provisoire au détachement susmentionné.
- » Après avoir procédé à l’établissement du poste militaire français dans l’île Sandwich, nous avons dressé le présent procès verbal, qui a été signé avec nous par tous les officiers présents et par les résidents.
- » Fait à Port-Habannah, le 1er juin 1886, à six heures et demie du matin.
- Le même jour, l’occupation était notifiée aux colons de l’île Sandwich par un avis du commandant delà Dives dont voici copie :
- aviso-transport la Dives
- « Nous, Legrand, lieutenant de vaisseau, commandant l’aviso-transport la Dives,
- « Faisons savoir aux résidents de toutes les nationalités établis aux Nouvelles-Hébrides, que :
- » Par ordre du gouverneur de la Nouvelle-Calédonie,
- » Un poste militaire français a été établi à Port-Habannah (île Sandwich), le 1er juin 1886, à six heures et demie du matin.
- » Le commandant de la Dives, L. Legrand. »
- Les colons de toutes nationalités ont signé le procès-verbal avec enthousiasme. Seul le révérend iVlackensie, établi au lagon d’Aracore, près de Port-Vila, a déclaré qu’il ne pouvait prendre sur lui de signer ce document, mais qu’en cas de prise de possession parla France, il ferait tous ses efforts pour faire respecter [sic] par les indigènes les propriétaires et le pavillon français. Quant aux Canaques, ils ont accueilli cette nouvelle avec de véritables démonstrations de joie.
- Le même jour, 1er juin, laDives appareillait peur Port-Saudwich, île de Malicolo, y mouillait et procédait au débarquement avec le même cérémonial qu’à Port-Habannaeh. Un procès-verbal a été dressé en ce point.
- Les troupes sont installées dans les bâtiments de la. Compagnie des Nouvelles-Hébrides : le détachemant delà Dives dans la maison du directeur, sur laquelle flotte le pavillon. Toutes les précautions ont été prises parle capitaine d’infanterie de marine Polliard, de concert avec les médecins attachés au détachement, afin de sauvegarder la santé des troupes,
- p.525 - vue 528/838
-
-
-
- 526
- LE DEVOIR
- A Malicolo, l'installation a été plus difficile ; il a fallu débroussailler le terrain sur leqeel on va établir les baraquements, mais les Canaques sont venus de très bonne grâce offrir leurs services. Tout d’abord, ils avaient craint des représailles comme celles que la canonnière allemande l’Al-batross venait d’exercer à Ab-Boa, au sud des Malicolo, et à l'ile Pentecôte, pour venger le meurtre de deux de leurs nationaux. Mais quand ils ont vu que notre intervention était toute pacifique, ils ont manifesté leur joie et sont venus
- se mettre à la disposition de nos soldats.
- -------------------——-----------------------------— ----
- Le budget des guerres-
- Tel est le titre sous lequel M. Debarle publie dans l’Estafette les réflexions suivantes, que lui inspire l’état si précaire fait aux nations continentales, par leur organisation militaire. Si nous avions besoin d’une nouvelle preuve des progrès de plus en plus rapides que font nos idées, nous la trouverions dans cette adhésion d’un grandjour-nal quotidien de Paris.
- Quand le Devoir commença dès sa fondation à propager les idées de paix et de justice entre les peuples et les individus, celles-ci ne réveillaient pas grand écho, si ce n’est dans cette petite phalange d’hommes généreux, minorité qui n’a cessé de représenter aux époques d’affolement et de détresse morale la conscience du droit et de la fraternité humaine.
- La suppression du budget de la guerre était considérée comme une folle utopie, et même un rêve criminel. Nous en avons vu, en effet, pousser leur fanatisme chauvin jusqu’à formuler l’accusation de trahison envers les défenseurs de cette suppression. Aujourd’hui, non seulemeut nos idées ne sont plus accueillies avec la dérision et l’hostilité de jadis, mais encore un journal quotidien de Paris, comptant dans sa rédaction des sénateurs et des députés gouvernementaux,peut publier l’article suivant :
- Depuis quelques années, toutes les puissances accusent un déficit budgétaire qui ne fait que s’accentuer. Les emprunts s’accumulent au point que les Etats européens ont élevé leurs dettes, depuis 1870, de 65 à 115 milliards.
- Aussi les impôts sont-ils devenus trop lourds, et faut-il prévoir que d’ici peu un certain nombre de nations ne seront plus en état de payer leurs dettes, comme l’ont fait d’ailleurs la Turquie et l’Espagne.
- A quoi tient cette situation si inquiétente? Point n’est besoin de chercher longtemps : à la nécessité de développer outre mesure les armements de guerre.
- Toutes les nations veulent être prêtes pour le grand combat ; en temps de paix elles ont un budget militaire aussi gros qu’en temps de guerre. L’armée est actuellement un cancer qui ronge les peuples. Pour la nourrir, l’entretenir et l’équiper, les travailleurs sont astreints à un labeur excessif, car tout individu ne produisant rien et étant à la charge de la société doit être nourri par un autre qui travaille double, épuise ses forces et se prive du nécessaire.
- La jeunesse est vouée au militarisme. Ses meilleures années s’écoulent dans la vie des casernes, improductives, coûteuses alors que ce temps serait si précieux à la famille, au travail; n’est-ce pas aussi une des causes de la décroissance de la population, de la diminution des mariages et de l’accroissement de la prostitution ?
- Et cela existe au moment même où partout la civilisation est à l'ordre du jour. Alors que la paix est dans tous les cœurs, on s’arme pour la destruction : la barbarie antique semble être {eu d’enfant en comparaison de ces apprêts meur-
- riers auxquels la science préside, elle que personne n’oserait représenter autrement que pacifique, fée des champs et de l’atelier.
- C’est qu’en effet, il est impossible de regarder de sang-froid ce qui se passe. Depuis 1867, c’es-à-dire un peu après Sadowa, les nations n’ont cessé de voir leurs dépenses de guerre augmenter. |A partir de 1870, la moitié des ressources s’est trouvée absorbée par les armements, l’entretien des troupes, la réfection des arsenaux, la création de forts et forteresses ; à peine un engin est-il construit que déjà il est suranné. Un inventeur humanitaire crée un modèle plus destruc teur, plus incendiaire ; un blindage n’est pas plus tôt achevé, qu’on apporte un canon projetant des boulets qui le percent comme une feuille de papier.
- La mitrailleuse, si terrible en 1870, a lait son temps ; le fusil prend tous les jours un nouveau nom ; il faut qu’il foudroie, qu’il fauche les hommes comme des épis. L’Allemagne esc satisfaite : ne vient-elle pas de fêter l’achèvement d’un cent millième fusil à répétition qui, paraît-il, fait merveille? Dans six mois, la France aura mis en usage un fusil-éclair. Où cela s’arrêtera-t-il 9 Les Etats-Unis inaugurent un canon pneumatique long de 19 mètres, lançant à 3 kilomètres une charge de 100 livres de dynamite explosible. Les ingénieurs sont-ils devenus des monstres, ne songeant qu’à la destruction, ne s’appliquant qu’à inventer des outils d'afsasinat?
- L’Europe est devenue un vaste camp. Le général Ambert affirme que les troupes armées et les forces de réserve de t ute l’Europe atteignent aujourd’hui dix millions d’hommes. U Almanach de Gotha estime que la dépense totale de toutes les nations européennes pour l’armée et la marine exclusivement, qui était de 2 milliards 375 millions de francs en 1856, atteignait en 1884 quatre milliards 575 millions, soit le double en moins de 30 années !
- La France à elle seule, pour 1887, absorbe plus d’un milliard; voici le détail de cette dépense :
- Budget de la guerre........................... 560 millions
- Reconstitution du matériel.................* 105 »
- Marines et colonies.......................... 240 »
- Pensions de la guerre et de la marine. . . 416 »
- Total. . . 1.021 millions
- Après cela comment veut-on qu’il soit possible de trouver la plus modeste somme pour soulager l’inlbrtune ou réaliser quelque projet philanthropique et humanitaire ?
- 11 y a des abus parmi ces dépenses ; ainsi l'armée française compte quatre régiments du génie, dont les cadres comprennent 37 colonels, 37 lieutenants-colonels, 147 chefs de bataillon, 450 capitaines, 137 lieutenants, 132 sous lieutenants et 750 adjudants ayant rang d’officier, ce qui fait 1690 officiers pour quatre régiments.
- A la marine, (a préparation des plans d’un cuirassé demande deux ans ; il faut ensuite cinq ans pour le construire, et la dépense monte à vingt millions. Heureux encore si lors de son achèvement il peut tenir à la mer, et si pendant les sept années qu’a duré sa construction, il n’est pas survenu un nouveau plan qui fait du bâtiment un outil à mettre au rebut.
- Si nous en croyons le rapport dressé par M. R^iére, député, le désordre, le gâchis auraient été la loi de 1’ administration militaire. En 1875, le ministre de la guerre, à l’occasion de marchés avec des fabricants de chaussures, aurait négligé de se conformer aux règles administratives et fait encourir au Trésor une perte d’un million et demi qui a été payé plus tard aux fournisseurs à titre d’indemnité : néanmoins il n’a aucune responsabilité, et les bons contribuables ont acquitté la note sans même le savoir.
- Dans la même année, par simple décision ministérielle, une dépense de plus de 50 millions a été engagée contrairement à la loi de juillet 4873 cjui interdit au ministre d’ope-
- p.526 - vue 529/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 527
- rer dans l’équipement des troupes le moindre changement sans une autorisation du Parlement ; de juillet 1873 à janvier 1876, soixante-deux violations de la loi ont été constatées. Dans le service de l’habillement, on a reconnu un déficit de 36 millions depuis 1878. Une commission nommée à la suite de la dénonciation de ce fait, na pu fournir la moindre explication.
- Dans le service des pensions, on paie des retraites à un grand nombre de gens morts depuis longtemps, et les coupables ne sont pas inquiétés.
- La cour des comptes est obligée de reconnaître toutes ces irrégularités, de regretter ce gaspillage ; mais, comme le ministre ne s’est pas emparé personnnellement des sommes, on l’excuse, et tout est dit. Estimons-nous fortunés que cela s’arrête là.
- On voit que, chez nous, la tâche du ministre de la guerre soucieux de concilier les intérêts de la nation avec ceux de l’armée serait belle. L’armée est encore dans les mains de ceux qui la commandaient en 4870 : ceux-là ne sont pas républicains, ils exècrent ce régime qu’ils sont obligés de servir, et ce n’est pas en eux qu’il faut espérer pour opérer des réformes profondes. Ce sont des hommes nouveaux qu’il faut, un chef énergique capable d’imposer la justice où il faut qu’elle soit.
- Voilà pour la France; mais n’est-il pas possible d’entrevoir une autre situation, que celle qui ruine les peuples en les obligeant à consacrer leurs ressources à des armements qui ont atteint des proportions telles qu’une grande guerre est impossible, car elle aboutirait à l’extermination presque entière du vainqueur, totale du vaincu ? Les gouvernements ne comprendront-ils pas qu’ils courent à la faillite s’ils continuent à tant dépenser pour la destruction ?
- Qui oserait soutenir que les hommes sont faits pour s’entr’égorger, parce qu’il plaît ainsi à un roi ou à un empereur? Et qui n’aspire avidemment après le moment ou les nations désarmerons ? Jusque-là, ce n’est pas nous qui conseillerons à ceux qui nous dirigent de reculer devant aucun sacrifice pour mettre la France au niveau des autres pays, afin qu’elle soit prête si elle était attaquée. Mais nous demanderons plus d’économie, plus d'ordre, plus de souci des intérêts de notre pays; un contrôle sévère des dépenses de guerre, trop abandonnées jusqu’ici au bon plaisir, nous venons de le démontrer.
- L’AFFAIRE CUTTING
- La guerre a failli éclater ces derniers jours entre les Etats-Unis et le Mexique pour des raisons encore moins sérieuses que l’affaire de bons Jecker.
- Après une carrière assez accidentée, un Américain du nom de Cutting était venu s’échouer à El Paso, petite ville du Texas située sur les bords du Rio-Grande del Norte. Tour à tour mineur en Californie, passeur sur l’Ohio, tueur de porcs à Cincinnati, membre de la législature du Dacotah, pasteur aux îles de la Société, père noble au théâtre de Salt-Lake City, l’idée lui vint de taquiner la muse du journalisme. Il créa donc un organe, la Centinella, feuille dont le besoin se faisait insuffisamment sentir, car devant le manque d’abonnés et les réclamations de l’imprimeur et du marchand de papier, notre estimable confrère se vit dans la douloureuse nécessité de lever le pied.
- Nous autres français quand nous avons des difficultés avec nos créanciers ou la justice, nous filons sur Jersey ou la Belgique. Les choses se passent d’une façon infiniment plus commode à El Paso. Il suffit de traverser le Rio-Grande. Quelques coups d’aviron et vous êtes au Mexique, à l’abri de toute revendication et sauvé. En face d’El Paso (Texas), se trouve une petite ville mexicaine qui porte à peu prés le même nom et qui est vis-à-vis de la cité américaine dans la
- même situation que Courbevoie par rapport à Neuilly ou Chatou par rapport à Rueil. Démonétisé sur la rive gauche, le sieur Cutting transporta ses presses sur la rive droite et tenta à El Paso del Norte la fortune qui ne lui avait pas souri à El Paso tout court.
- Mais une mauvaise chance poursuivait M. Cutting. A peine avait-il lancé ses premiers numéros qu’un rival, un Mexicain du nom d’Emilio Médina, annonça l’intention de publier un second journal et fit distribuer dans la ville ses prospectus.
- M. Cutting n’est pas apparemment de ces négociants qui appellent la concurrence, car il consacra à son futur antagoniste tout un premier El Paso où il le traitait d’escroc, de flibustier, de voleur et de coquin. M. Médina trouva ses injures prématurées ; il traîna l’insulteur devant les tribunaux et le contraignit à signerune rétractation.
- Là-dessus, que fit M. Cutting ? II retraversa le Rio-Grande, au risque de tomber dans la gueule de ses créanciers, réinstalla la Centinella à El Paso (Etats-Unis), y inséra un article plus diffamatoire encore que le premier contre la personne de M. Emilio Médina, et, passant pour la troisième fois le fleuve, alla le vendre de sa blanche main dans les calles d’El Paso (Mexique).
- La police a l’air d’être assez bien faite au Mexique, car le sieur Cutting n’avait pas vendu trois exemplaires de son factum qu’il était appréhendé et mis en prison préventive.
- Heureusement pour M. Cutting il y a à Washington un secrétaire d’Etat, honorable M. Bayard, qui n’entend pas qu’on plaisante avec ses nationaux. Dès qu’il eut vent de cette arrestation, il envoya à Mexico une note fulminante et requit le président Porfirio Diaz, d’avoir à mettre en liberté M. Cutting, attendu que l’écrit diffamatoire sous l’inculpation duquel il était poursuivi avait été imprimé sur le territoire américain.
- Le gouvernement mexicain ne s’émut pas ce cette mise en demeure. II répondit que si l’écrit avait été imprimé sur le territoire américain, il avait été colporté et vendu sur le territoire mexicain, et que le procès devait en conséquence suivre son cours.
- A cette nouvelle, l’effervescence fut grande de la Nonvelle-Orléans à Chicago et de Philadelphie à Saeramento. On ne parlait de rien moins que d’aller délivrer Cutting par la force. Cutting. qui ne s’était jamais vu à pareille fête, devint pour quarante-huit heures un Washington, un Wilberforce, un Brown, un Rebert Lee. Les garnisons de la frontière furent doublées ; deux régiments reçurent l’ordre de se préparer à partir, quand quelques hommes sensés firent remarquer à leurs concitoyens que cette agitation n’était pas exempte d’un certain ridicule. Un revirement s’opéra dans l’opinion, et le Congrès se sépara sans envoyer d’ultimatum.
- Cependant l’affaire est venue à l’audience et M. Cutting s’est entendu condamner à deux mois de prison. Mais, comme douze jours lui sont accordés avant qu’il ait à réintéger ses cachots, on pense que le président Diaz utilisera ce temps de répit pour le gracier. Ainsi se terminera une affaire qu’on jurerait tirée d’une nouvelle de Bret Harte ou de Mark Twain et qu’on pourrait intituler, comme certaine pièce de Shakespeare : Beaucoup de bruit pour rien.
- État civil du Familistère.
- Semaine du 2 au 8 Août 1886 Naissance r
- Le 9 août, de Hédin Marguerite, fille de Hédin Adolphe et deTeinière Julia.
- Décès :
- Le 7 août, de Hamel Victorine-Sophie, épouse de Bridou Edouard.__________________________________
- Le Directeur Gérant ; GODIN
- p.527 - vue 530/838
-
-
-
- LIBRAIRIE DU FAMILISTÈRE
- G-TJISE (Aisne)
- OUVRAGES de M. GOD1N, Fondateur du Familistère
- Le Gouvernement, ce qu'il a été, ce qu’il doit être et le vrai socialisme en action.
- Ce volume met en lumière le rôle des pouvoirs et des gouvernements, le principe des droits de riiomme,les garanties dues à la vie humaine, le perfectionnement du suffrage universel de façon à en faire l’expression de la souveraineté du peuple, l’organisation de la paix européenne, une nouvelle constitution du droit de propriété, la réforme des impôts, l’instruction publique,première école de la souveraineté, l’association des ouvriers aux bénéfices de l’industrie, les habitations ouvrières, etc., etc.
- L’ouvrage est terminé par une proposition de loi à la Chambre des députés sur l’organisation de l’assurance nationale de tous les citoyens contre la misère.
- In-8° broché, avec portrait de l’auteur...........................................8 fr.
- Solutions sociales. --- Exposition philosophique et sociale de l’œuvre du Familistère avec la vue générale de l’établissement, les vues intérieures du palais, plans et nombreuses gravures :
- Édition in-8°.....................................................................10 fr.
- Édition in-18°................................................................... . 5 fr’
- Mutualité sociale et Association du Capital et du Travail ou extinction du paupérisme
- pur la consécration du droit naturel des faibles au nécessaire et du droit des travailleurs à participer aux bénéfices de la production.
- Ce volume contient les statuts et règlements de la Société du Familistère de Guise.
- In-8° broché, avec la vue générale des établissement de l’association.............5 fr.
- Sans la vue. . ,..................................,...............................4 fr.
- Mutualité Nationale contre la Misère . Pétition et proposition de loi à la Chambre des députés
- brochure in-8°, extraite du volume « Le Gouvernement »............................1 fr. 50
- Les quatre ouvrages ci-clessusse trouvent également : Librairie Guillaumin etCie, lk>rue Richelieu, Paris
- BROCHURES A 40 CENTIMES
- Les Socialistes et les Droits du travail . . 0,40 cent. La Richesse au service du peuple .... 0,40 cent.
- La politique du travail et la Politique des privilèges. 0,40 La Souveraineté et les Droits du peuple .... 0,40
- .OUVRAGES. RECOMMANDÉS AUX COOPÉRATEURS Histoire de l’association apicole de Ralahine (Irlande). Résumé des documents de
- M. E. T. Craig, secrétaire et administrateur de l’association. Ouvrage d’un intérêt dramatique, traduit par Marie Moret..........................................................0.75 cent.
- Histoire des équitables pionniers de Hochdale, de g. j. holyoke. Résumé traduit de
- l’anglais, par MariefMoRET...............................................0,75 cent.
- ROMAN SOCIALISTE
- La Fille de son Père. Roman socialiste américain, de Mme Marie Howland, traduction de
- M. M., vol. broché...........................................^...........3 fr. 50
- La nremière édition de ce roman publiée parM. John Jewett, l’éditeur de « la Case de l’oncle Tom», eut un grand succès en Amérique. Ce Roman est aux questions sociales qui agitent le monde civilisé, ce que « la Case de l’Oncle Tonu fut pour la question de l’esclavagm_______________
- Le DEVOIR, Revue des Questions sociales
- ORGANE DE L’ASSOCIATION DU FAMILISTÈRE
- France
- Un an . Six mois Trois mois.
- PARAIT
- TOUS LES
- 10 fr. »»
- 6 fr. »*.
- 3 fr. »»
- DIMANCHES
- Union-postale : Un an.....11 fr. »»
- Autres Pays...............13 fr. 50
- La Librairie de Sciences psychologiques, 5, rue Neuve-des-Petits-Champs, Paris, reçoit également des abonnements au journal Le Devoir.
- 1er volume broché. 2me » » .
- COLLECTION
- ......... 3 fr.
- ......... 3 »
- ........ 6 »
- DU « DEVOIR »
- 4me volume broché. . .
- 5me » ...
- 8 fr.
- 9 fr.
- Les 6mo, 7me. 8me et 9me volumes ne se vendent qu’avec la collection entière, les 9 volumes brochés ensemble 90 fr., franco.
- Guise, — mp. Baré.
- p.528 - vue 531/838
-
-
-
- 10’ Année, Tome 10.— N' 415 Le numéro hebdomadaire 20 c. Dimanche 22 Août 1886
- UB DBVOIR
- BEVUE DES OUEST» SOCIALES
- BUREAD
- A GUISE (Aisne)
- Toutes les communications et réclamations doivent être adressées à M. GODIN, Directeur-Gérant Fondateur du Familistère
- ABONNEMENTS PAYABLES D’AVANCE par l’envoi, soit au bureau de Guise, soit à celui de Paris de timbres-poste ou de mandats de poste, dont le talon sert de quittance.
- France
- Un an ... 10 fr. »» Six mois. . . 6 ï» Trois mois. . 3 »s
- Union postale Un an. . . 11 ir. s» Autres pays
- Un an. . . . 13 fr. 60
- ON S’ABONNE
- A PARIS
- 5, rue Neuve-des-Petits-Champs Passage des Deux-Pavillons
- S’adresser à M. LEYMAR1E administrateur delà Librairie des sciences psychologiques.
- SOMMAIRE
- La grève de Vierzon. — L'Etat et la moralité publique. — Le « Vooruit» de Gand, Société ouvrière coopérative de production et de consommation.— La manifestation du 15 Août à Bruxelles.— Âphor ismes et préceptes sociaux. — Nouveau manifeste des Chevaliers du travail.— Faits politiques et sociaux de la semaine.— Un incendie au Familistère.— La politique sociale répressive Anglo-Américaine. — Commerce de la France.— L'alcoolisme et l'économie politique officielle.— Charles Saville.
- LA GREVE DE VIERZON
- Une grève vient d’éclater à Vierzon qui menace de prendre une extension considérable. Puisse-t-elle ne pas provoquer d’incidents tragiques, car Vierzon est à cette heure occupé par 600 hommes de troupe, et l’on sait quels graves inconvénients peuvent résulter de la présence des soldats sur le champ de grève ! *
- Nous avons trop souvent fait appel dans ces colonnes à la concorde et à la pacification, pour que nos lecteurs puissent se méprendre sur nos sentiments en matière de grève. Seuls,les apologistes du laissez-faire et du flaissez-passer, les partisans de la concurrence illimitée, qui voient dans la société actuelle un vaste champ de bataille, peuvent considérer les faits de grève comme des incidents naturels, dont on n’a pas plus à s’affliger qu’à se réjouir. Pour ceux là, ia grève est un fait formai, nécessaire — puisqu’il existe. Pour nous, Cest le fait accusateur le plus éclatant des vices
- de notre organisation sociale. Aussi, croyons-nous que, loin de rester indifférent à ces tristes manifestations de l’antagonisme social, on doit les étudier pour en dégager les enseignements qu’elles contiennent,et sévèrement établir les responsabi-lités.pour condamner ceux qui les ont provoquées.
- Car une grève n’est pas toujours, forcément, la cessation pure et simple du travail, décrétée par les ouvriers. En Angleterre, il existe une expression différenciant la grève de patrons de celles des ouvriers : c’est le terrible look out.
- La grève de Vierzon présente tout à la fois le caractère du look out et de la cessation de travail par les ouvriers. Mais elle présente surtout une particularité que nous n’aurions garde de passer sous silence, parce qu’elle est toute à l’honneur des travailleurs, qui, en cette circonstance, ont fait montre d’un esprit de solidarité et de désintéressement remarquable. Voici, en effet, brièvement racontées,les origines de la grève de Vierzon:
- Il y a, à Vierzon une « Société française de Construction de matériel agricole », qui a succédé à la maison Gérard. Le président de cette société est M. Arbel, sénateur.
- Depuis quelque temps, la Compagnie s’est livrée à une série de réductions de salaires qui n’ont pas tardé à faire tomber celui-ci à 50 0/0 au dessous de ce qu’il était primitivement, du temps que M. Gérard se trouvait à la tête de ses ateliers.
- Alarmés de cette baisse progressive des salaires, les ouvriers essayèrent de se constituer en syndicat. Malgré les manœuvres de la Compagnie, ce syndicat se constitua rapidement. Quand la Compagnie se vit impuissante à empêcher la formation d’une société ouvrière dont elle redoutait la force de cohésion que donne l’association, elle résolut, coûte que coûte, de la supprimer, et
- p.529 - vue 532/838
-
-
-
- 530
- LE DE VOIR
- voici le stratagème qu’elle imagina : sous prétexte de ralentissement dans les commandes de matériel,elle renvoyait par petites fournées les ouvriers qu’elle savait membres du syndicat.
- Tout d’abord, la manœuvre passa inaperçue. Mais lorsque les ouvriers comprirent où tendait le but de la Compagnie, mûs par un esprit de solidarité généreuse, ils réclamèrent la reprise de leurs camarades renvoyés; et comme la Compagnie alléguait le manque de travail, ils lui proposèrent de diminuer la durée de la journée, de telle façon que le chômage se répartît sur tous les ouvriers, non sur quelques-uns seulement.
- Les ouvriers de la société de Vierzon sont payés à l’heure; la réduction de la journée, n’imposait donc aucun sacrifice à la Compagnie, si ce n’est aux généreux travailleurs, qui s’offraient à rogner une portion de leur salaire déjà si minime, pour permettre à leurs camarades de vivre, eux et leur famille.
- La Société refusa d’acquiescer à cette demande si légitime !
- Tous les ouvriers, à l’exception d’une trentaine, quittèrent alors l’usine et déclarèrent qu’ils ne reprendraient le travail que si la société rétablissait les conditions de salaire antérieures et réoccupait tous les ouvriers renvoyés. Informé par dépêche de ces incidents, M. Arbel, sénateur, accourut à Vierzon et fit placarder l’avis suivant sur les murs extérieurs de l’usine :
- « Nous avons l’honneur d’informer les ouvriers de la « Société française du matériel agricole, qui ont abandonné t nos ateliers et qui n’auront pas repris leur travail demain « samedi, qu’ils seront considérés comme démisionnaires.
- « A partir de lundi, ils pourront se présenter à la caisse « pour le réglement de leur compte.
- « Le directeur : Monteil.
- « L’administrateur président : Arbel. »
- Les ouvriers déclarèrent qu’ils ne rentreraient à l’usine qu’aux conditions indiquées plus haut.
- Aussitôt, la société de demander des soldats! Des brigades de gendarmes accoururent, mais le maire, le préfet et le conseiller général affirmèrent que la situation ne nécessitait nullement la présence des troupes.—Car,il est à remarquer que là,comme à Deeazeville, les autorités civiles qui sont sur les lieux, se montrent manifestement sympathiques aux grévistes. Ainsi, la Compagnie ayant télégraphié au lieutenant de gendarmerie, celui-ci s’était empressé d’accourir à cheval, à la tête des gendarmes. Mais le juge de paix les ayant rencontrés leur fit rebrousser chemin, en leur disant : «Votre présence est mutile. M. le Maire et le Conseiller d’arrondissement se chargentde maintenir l’ordre.»
- Le lieutenant de gendarmerie réclamait l’envoi de renforts, on ne sait pas trop pourquoi. Le préfet du Cher n’a cessé de déclarer que cet envoi était intempestif. C’est alors, nous dit le Temps, que M. le sénateur Arbel, revenu à Pàris, « a été prié de
- « faire toutes les démarches nécessaires pour que « quelques compagnies d’infanterie fussent établies « à Vierzon. » Nous ne savons si réellement M. Arbel a été prié de faire ces démarches ; il n’a pas dû sans doute se faire trop prier ? en tout cas i a abouti puisque 600 hommes sont établis maintenant à Vierzon ! Il nous semble que M. le Ministre de l’Intérieur aurait dû, ne fût-ce que par respect des convenances, ne pas paraître céder à M. Arbel, dont le témoignage, sur la situation de Vierzon est tout au moins suspect.
- Depuis, les grévistes auxquels la population est très sympathique, n’ont cessé de montrer le calme le plus complet. Un seul incident s’est produit qui montre combien la population, en cette circonstance, fait cause commune avec eux. Lundi matin, les troupes formaient la haie devant la Société française : quatre mille personnes se trouvaient réunies à cet endroit. Les troupes et les gendarmes voulurent faire évacuer la place. MM. Baudin, conseiller général, et Samson, conseiller d’arrondissement, se portèrent garants de la tranquillité de la foule et réussirent à obtenir le départ des troupes et des gendarmes, réclamé par les ouvriers.
- Aucun ouvrier n’est rentré à l’usine, à l’heure où nous écrivons, et un calme profond règne à Vierzon.
- Cependant, on ne saurait prévoir les complications qui peuvent surgir. MM. Basly et Caméiinat doivent,dit-on,se rendre sur les lieux, accompagnés de M. Vaillant, conseiller municipal socialiste de Paris, propriétaire d’une usine dans le pays, oû il jouit d’une estime et d’une considération générales. Nous espérons que la présence des deux députés ouvriers, qui a déjà été si utile à Deca-zeville, jointe l’influence de M. Vaillant sur la population ouvrière, préviendront tout conflit.
- Maintenant, que conclure des faits brièvement rapportés plus haut ?
- Il s’en dégage un enseignement tout à la fois bien triste et consolant.
- On est pris d’un sentiment de tristesse profond autant que de sévérité, quand on voit les sociétés industrielles se livrer à ces actes de tyrannie patronale intolérables, qui ont déjà suscité tant de grèves ces dernières années. La grande grève d’Anzin fut provoquée, on se le rappelle, dans des circonstances analogues à celles de la grève de Vierzon. Là, encore, la Compagnie voulut s’opposer à la formation d’un syndicat ouvrier et dans ce but, elle frappa d’ostracisme ses adhérents Or, l’ostracisme patronal n’est pas, comme lorsque l’ouvrier frappe le patron d’interdit, simplement la cessation du travail ; non, l’ostracisme patronal équivaut pour l’ouvrier à une condamnation à la faim, à la misère, au dénument. Aussi, si l’ouvrier en provoquant une grève sans motifs commet une faute grave, le patron qui, sans raisons, pour s’op-
- p.530 - vue 533/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 531
- r j la formation d’associations ouvrières auto-^ .et encouragées par la loi,expulse les ouvriers ^-esateliers, non seulement se met en état de leilion contre la loi, mais encore il commet un ^ table crime ! La loi sur les syndicats n’a pas "Jule cas 016 Patrons plaçant les ouvriers dans 'temative de mourir de faim ou de renoncer à formation des sociétés syndicales. Et elle ne * vait Pas *e Prévoir; car comment supposer que patrons, abusant de l’autorité que leur confère ^privilèges, songeraientà affirmer d’une façon brutale leur despotisme social ? Il y a donc *jn0 lacune qu’il conviendra de remplir, en ^ionnant la loi sur les syndicats par une péna-rigoureuse à l’égard des patrons récalcitrants. Hais quels effets déplorables une telle conduite de j part des privilégiés de la fortune ne doit-elle ^produire sur les ouvriers ? A quelles excitations schistes ne conduit pas ce système de oüsser à bout la classe ouvrière ? Est-ce là qu’on tôt en venir? Il semblerait en vérité que c’est :en le but visé, quand on voit le gouvernement empresser de mettre à la disposition des vérita-lespromoteurs de la grève, hommes et fusils, :omme pour ôter à l’ouvrier affamé tout espoir ie justice !
- Heureusement, malgré ces provocations systéma-jpies, la classe ouvrière devient de plus en plus Mente de sa force et de ses droits. Cette cons-ieacede sa force, nous la trouvons dans l’admira-emobile auquel ont obéi les grévistes deVierzon. test-cepasun beau spectacle de désintéressement tdefraternité sociale, que donnent ces ouvriers, bâties salaires ont été déjà diminués, et qui se mettent en grève,parce qu’on leur refuse de laisser •’ofiter d’une partie de ce salaire réduit à son üct minimum,leurs frères de misère sans travail! -aut, dans celte circonstance, la conduite des abons de la Société de Vierzon est odieuse, ctant celle des ouvriers est digne, pleine d’ensei-^ments sur les progrès intellectuels et moraux s’accomplissent au sein de la masse laborieuse. ^ grévistes de Vierzon luttent à cette heure •ir l’exercice d’un droit social que la loi leur a et que l’omnipotence patronale, jalouse %merson autorité absolue, leur conteste; _ ^uffrent enfin les dures privations de la grève, ^sprit desolidarité. La majeure partie des ou-•e[^e Vierzon sont grévistes pour les autres, ^ 'a le trait le plus caractéristique de cette grève, tau nous console de l’égoïsme cruel
- U e P^ronat a fait montre en cette circons-
- ^Us le disions dans un précédent numéro du itan * ^roP°s des mineurs de Decazeville : les es de solidarité que la classe ouvrière ^Puis quelque temps, sont l’indice évident ^au moralit® a atteint un degré ênt élevé que le niveau moral des classes
- possédantes. Et quand une classe opprimée est arrivée à ce point de son développement moral, elle sait résister à toutes les excitations et à toutes les provocations. Sa délivrance est proche !
- L’Etat et la moralité publiqne
- La question de la réglementation de la débauche est véritablement posée en France d'une manière telle, qu’il faudra tôt ou tard la résoudre. Ce n’est pas qu’elle passionne l’opinion comme telle question d’ordre politique qu’un incident met à l’ordre du jour, mais qui tombe bien vite dans l’oubli. Elle s’impose d’une manière constante depuis plusieurs années, et il est certain qu’elle ne se laissera pas enterrer et qu’il lui faut une solution.
- Quelle sera cette solution ? L’Etat entrera-t-il. dans la voie de la répression, ou n’interviendra-t-il en rien, laissant pleine et entière liberté à toutes les manifestations de la débauche ? En un mot, quelle est, en matière de mœurs, la juste limite de l’intervention de l’Etat, qui doit respecter à la fois le droit de chacun et le droit de tous ?
- A cet égard, il est intéressant d’étudier les tentatives faites à l’étranger, où l’on se préoccupe de la question d’une manière encore plus active qu’en France.
- L’Italie et la Belgique sont en train de réviser leur législation sur la matière. L’Angleterre après vingt ans d’expérience, vient de supprimer complètement le régime de la police des mœurs dans les villes où il avait été établi et a voté en même temps une loi destinée à assurer une protection plus efficaces aux jeunes filles âgées de moins de seize ans. Plusieurs villes du Danemark et de la Hollande ont également aboli le système de la prostitution patentée ; Colmar a constaté une certaine amélioration sanitaire, depuis qu’elle est entrée dans la même voie.
- Tout dernièrement, se réunissait à Londres, sous la présidence de M. Emile de Laveleye, un grand congrès international, convoqué par la Fédération pour l’abolition de la police des mœurs. Cette association, dont le siège est à Genève, compte déjà dix années d’existence et s’est peu à peu étendue dans tous les pays du monde. Elle a étudié la question sous toutes ses faces dans ses Congrès ou dans ses Conférences qui se réunissent chaque année.
- Cette fois, à l’occasion de la révision de ses Statuts, la Fédération avait à formuler d’une manière précise son avis sur les limites naturelles de l’intervention de l’Etat. Elle l’a fait d’une manière très remarquable sous la forme suivante :
- La Fédération revendique, dans le domaine spécial de la législation en matière de mœurs, l’automine de la personne humaine, qui a son corollaire dans la responsabilité individuelle.
- p.531 - vue 534/838
-
-
-
- 532
- LE DEVOIR
- D’une part, elle condamne toute mesure d’exception appliquée sous prétexte de mœurs ;
- D’autre part, elle affirme quen instituant une réglementation qui veut procurer à l’homme sécurité et irresponsabilité dans le vice, l’Etat bouleverse la notion même de responsabilité, base de toute morale.
- En faisant peser sur la femme seule les conséquences légales d’un acte commun, l’Etat propage cette idée funeste qu’il y aurait une morale différente pour chaque sexe.
- Considérant que le simple fait de prostitution personnelle et privée ne relève que de la conscience et ne constitue pas un délit, la Fédération déclare que l'intervention de l’Etat en matière de mœurs doit se limiter aux points suivants :
- Punition de tout attentat à la pudeur, commis ou tenté contre des mineurs ou des personnes de l’un ou de l’autre sexe assimilées aux mineurs. Chaque législation particulière doit déterminer exactement la limite et les conditions de celte minorité spéciale.
- Punition de tout attentat à la pudeur accompli ou tenté par des moyens violents ou frauduleux contre des’ personues de tout âge et de tout sexe.
- Punition de l’outrage public à la pudeur.
- Punition de la provocation publique à la débauche et du proxénétisme, dans celles de leurs manifestations délictueuses qui peuvent être constatées sans prêter à l’arbitraire et sans ramener, sous une autre forme, le régime spécial de la police des mœurs.
- Les mesures prises à cet égard doivent s’appliquer aux hommes comme aux femmes.
- Toutes les fois que le proxénétisme tombe sous le coup de la loi, ceux qui paient les proxénètes et profitent de leur industrie, doivent être considérés comme complices.
- La Fédération déclare donc que l’Etat ne doit ni imposer à une femme quelconque la visite obligatoire sous prétexte de mœurs, ni soumettre la personne des prostituées à un régime d’exception quelconque.
- LE « VOORÜIT » DE GAND Société ouvrière coopérative de production et de consommation.
- Les incidents dont la Belgique est ie théâtre ont appelé l’attention de l’Europe sur le parti ouvrier belge, dont la remarquable organisation a quelque peu surpris les personnes étrangères au grand courant socialiste qui se manifeste chez nos voisins.
- Les tragiques événements du bassin de Char-leroy avaient passé comme une trombe dans un ciel d’orage. Cette formidable explosion de haines et de colères longtemps contenues,accumulées par une longue vie de misères et de souffrances inouïes, pouvait faire croire un instant que la condition lamentable faite aux ouvriers par la dure et terrible exploitation capitaliste qui sévit dans ce pays, était un obstacle infranchissable à toute organisation des travailleurs. L’enquête à laquelle ces événements ont donné lieu a montré, en effet, que la classe ouvrière belge est réduite à
- une misère effroyable. Les enquêteurs, membre du parlement, peu suspect de pessimisme conséquent, ont dû constater que les salaires ^ Belgique, n’atteignent même pas le taux qui Se’ri strictement nécessaire aux ouvriers, pour subve-à leurs besoins les plus élémentaires — j*a].' dire les plus inférieurs. Le salaire de l’ouv> belge et de sa famille, car la femme et l’eafac doivent ajouter leur travail à celui du père, est» bas, qu’à peine parvient-il à se procurer ^ nourriture grossière et un abri. Vienne une p£ riode de chômage et ces malheureux, qui,» temps de prospérité industrielle gagnent à pei-de quoi se nourrir et s’abriter, sont réduits a. dénument le plus absolu — ils sont littéralemec; sans gîte et sans pain.
- Etant données ces conditions économique: lamentables, une misère aussi intense, tout faisa:: supposer que, là comme partout ailleurs, l’abjectioi morale accompagnait l’abjection matérielle. L» trême misère, en effet, n’est pas, comme le croie:, les anarchistes, qui repoussent toute amélioratic-: obtenue autrement que par la violence connus susceptible de détourner les travailleurs des reveni dications sociales, génératrice des grands couranq rénovateurs. La misère séculaire engourdit Ie4 consciences, atrophie les cerveaux, dégradé l’homme, le fait régresser à un état social végej tatif dans lequel tout ressort est brisé, tout stimulant éteint et tout désir de 'progresser vers ua vie meilleure étouffé. Dans cet état, le malheure:' est encore susceptible d’accès de colère aveugle?; mais ces accès sont inféconds. C’est un éclair figurant, terrible, qui brise et tue, comme la foudre, ne laissant pour toutes traces derrière lui, que dr débris. L’accès de sensibilité passé, il retond dans sa morne apathie d’inconscience et d’héL tement.
- En Belgique, où l’enquête sociale actuellen^-en cours, signale une misère excessive, les six -listes ont pu cependant galvaniser le prolétar.-meurtri par une vie de privations et imprime^ corps inerte une force de revendications qui * affirmée solennellement dimanche dernier, 8 manifestation dontnous donnons ail!eurs les déM
- Ces résultats remarquables ont été oW*' grâce à une association ouvrière qui est coffl*-l’âme même du parti ouvrier belge ; nous vou-. parler du Vooruit (En avant !) C’est cette SÛL^ coopérative qui a donné aux ouvriers belge- ^ exemple de ce que peut l’esprit de solidan vrière, s’exerçant au moyen de l’association1
- p.532 - vue 535/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 533
- .parti dans «khi !jf cette société :
- , journal de Paris qui a envoyé un de ses rédac a nand Dour le renseigner sur l’organisation
- tfiirs
- à Gand pour le renseigner sur l’organisation dans cette ville, fournit les détails suivants
- un grand bâtiment repeint à neuf et couvert d’ins— . . us flamandes en lettrés dorées, au milieu desquelles je t mot « socialisme ». Une large porte cochère y donne fcce. A gauche, un vaste estaminet. Je demande M. Anseele. Meune homme, à la physionomie énergique et intelligente, î! salue et me dit : _
- _ C’est moi, monsieur.
- fn deux mots, je lui explique le but de ma visite, et très p ieusement il se met à ma disposition pour me faire voir •Ce l’organisation du Vooruit.
- Je dois dire que je suis sorti de cette visite, qui a duré / d’une heure, profondément étonné. Avec un esprit prati-t curieux, une méthode excellente, ne perdant pas un mee de terrain, les socialistes gantois ont fait là quelque iose de réellement intéressant.
- Voici d’abord la boulangerie — une boulangerie mécanise d’après la méthode allemande — qui cuit environ 30,000 Lspar semaine. A côté, les deux machines où s’imprime ifooridt; au-dessus l’atelier de composition. Puis, M. ioseele nous fait traverser un couloir, et nous nous trouvons une vaste salle au bout de laquelle se dresse un théâtre, celte salle peut contenir 6,000 personnes ; c’est là qu’ont jeu les meetings socialistes et aussi des concerts, représentations théâtrales gratuites où les ouvriers viennent eux-mêmes WDer des pièces en flamand.
- ' La décoration est très simple : pour tout ornement, des adoucîtes avec les noms des socialistes célèbres.
- A côté se trouve la bibliothèque, qui ne contient pas soins de 6,000 volumes, français et flamands. Aux murs, les photographies et des portraits représentant les hommes pe les socialistes gantois tiennent particuliérement à honorer. 11 y a là les portraits de Domela, le chef des socialistes hollandais ; de Blanqui, de Flourens, de Desfuisseaux, d’un poète flamand, Mayson, de Karl Marx, de Lassalle, de Deles-duzes, du membre de la Commune Varlin, deMalon,etc. i Nous descendons à l’estaminet, et avant d’y arriver, nous traversons un magasin de vêtements, où b'Ut se vend, les costumes d’hommes, de femmes et d’enfants.
- Nous nous asseyons autour d’une table dans l’estaminet, trac quelques adhérents au Vooruit, et M. Anseele me fait remarquer que les socialistes ont orné leur café de peintures allégoriques curieuses — dont il me traduit les légendes : la Science, l'Art, le Travail, la Lutte des classes,
- 1 [Avenir, En avant ! (Vooruit!) le titre même de l’asso* dation ; enfin la Paix. Des inscriptions sont aussi peintes s“r les murailles. Nous remarquons surtout cette affirmation te socialistes ainsi formulée : « Nous voulons la propriété commune. »
- Questionné par moi, M. Anseele me raconte les origines "° Vooruit. Quoiqu’il soit fort modeste, et qu’il ne parle Mu tout de lui, ce jeune homme est l’âme du Vooruit.
- . C’est un ancien clerc de notaire, qui, ennuyé des papiers Ambrés, se mit à vendre un journal socialiste De Werber Ie Travailleur) d’Anvers. En même temps, il apprenait
- * ^graphie et bientôt, il put se mettre à écrire et à com-P°^r ub journal socialiste.
- ;.?rai le récit très simple des origines du Vooruit, tel
- M me l’a fait:'
- . "• Après la chute de la Commune, le mouvement socialiste îmand auquel l’Internationale avait donné une grande impul-10"’ ftù subitement arrêté.
- Cependant, vers 1874, quelques dévoués essayèrent de lui ndre un peu d’activité, des journaux socialistes furent créés
- • °i tenta d’organiser une boulangerie coopérative.
- Elle fut créée dans une cave, avec un capital de soixante francs ! mais sans crédit, avec peu d’adhérents, les premiers semestres se soldèrent par des pertes et l’on dût aller acheter des pains chez d’autres boulangers.
- Enfin, en 1878, la chambre syndicale des tisserands voulut bien nous prêter 2.000 francs.
- Nous louâmes cet immense local, qui avait été occupé par une teinturerie et nous en avons fait, peu à peu, ce que vous voyez, en consacrant une part des bénéfices à l’amélioration du matériel.
- C’est ainsi que, depuis 1878, nous avons pu dépenser en améliorations plus de 80,000 francs.
- Nous avons d’abord fondé la boulangerie mécanique, qui esf la base du Vooruit ; puis l'estaminet, le magasin et l’atelier de confection, enfin la pharmacie, dont vous voyez la. boutique en face. Et bientôt nous aurons six pharmacies en ville et une brasserie où nous ferons notre bière.
- Pour adhérer au Vooruit, il suffit de prendre un livret qui coûte 25 centimes. C’est l’ouverture d’un compte. Chaque samedi les adhérents viennent acheter leurs bons de pains (les pains sont vendus au prix moyen des boulangers), et, à la fin de l’exercice, on fait le partage des bénéfices, qui sont considérables, étant donné que la boulangerie coopérative vend aujourd’hui 24,000 pains par semaine et fait plus de 460,000 francs d'affaires par année.
- Les bénéfices sont partagés par pains. Pour le dernier exercice, chaque pain a été vendu 35 cent., et les bénéfices ont été de 13 centimes et demi, dont 41 centimes pour l’acheteur, et le reste pour l’amélioration.
- Les bénéfices ne sont pas payés aux adhérents en argent. Ils sont payés en bons, avec lesquels ils achètent soit à la pharmacie, soit au magasin de confection.
- Ainsi qu’on le voit, les ouvriers gantois, mus par une noble pensée de solidarité sociale, non seulement entre eux, mais encore avec la classe ouvrière souffrante tout entière, ont crée une société à la fois matérielle et morale. Unis, non seulement par l’indentité d’intérêts matériels qui les pousse à concourir de toutes leurs forces à la réussite de leur entreprise, mais encore par une communauté spirituelle de but à atteindre, d’affranchissement général à conquérir, les associés du Vooruit font deux parts dans la société : l’une consacrée à leur amélioration matérielle propre, l’autre à la propagation des idées de solidarité et de fraternité associationnistes, que défend le journal le Vooruit, organe de l’association.
- C’est, on peut dire, grâce à elle, que les généreux efforts et la propagande dévouée des socialistes belges ont trouvé un écho dans le cœur du prolétariat, sorti de la torpeur et de l’indifférence que provoque l’extrême misère, à la vue des résultats obtenus par les ouvriers gantois.
- Puisse, cet èxempie, montrer aux ouvriers des autres pays la voie féconde qui leur est ouverte, s’ils savent s’y engager, comme leurs frères de travail de Gand, animés comme eux de l’esprit de persévérance et de solidarité qui n’a cessé de soutenir les membres du Vooruit 1
- p.533 - vue 536/838
-
-
-
- 534
- LE DEVOIR
- La manifestation du 15 Août à Bruxelles
- La manifestation du peuple ouvrier belge en faveur du suffrage universel, qui avait été interdite le 13 juin dernier, a eu lieu le 15 août dans un calme et un ordre parfaits. L’attitude des instigateurs de la manifestation, l’énergie prudente et avisée dont ils ont fait preuve, le succès qu’ils ont obtenu, sont autant de faits de nature à faire réfléchir profondément les classes dirigeantes belges.
- Malgré le terrain politique choisi par le parti ouvrier pour provoquer une démonstration socialiste imposante, on ne saurait, en effet, se faire illusion sur son caractère exclusivement populaire et social.
- On sent bien qu’il ne s’agit pas ici de partis politiques en présence: libéraux, catholiques ou radicaux dont les luttes se bornent à des triomphes de personnalité plus ou moins en évidence, et à des antagonismes d’intérêts entre privilèges et monopoles. Non. Dimanche les 40,000 manifestants réunis à Bruxelles, mineurs du Borinage, tisseurs deGand, verriers de Charleroy etc, en arborant je drapeau rouge prolétarien, signifiaient nettement à la classe dirigeante (jusqu’à ce jour seule gouvernementale), que l’heure était venue pour la classe ouvrière de faire, elle aussi, son entrée sur la scène de l’histoire. Cette entrée ils l’ont effectuée comme il convenait, dans une attitude à la fois calme et énergique, prouvant que la classe ouvrière devient de plus en plus apte à prendre en mains propres la direction de ses destinées.
- Les journaux républicains français semi-ofïicieux, tels que le Temps ,se sont efforcés de donner à la manifestation belge un caractère politique, et à lui dénier sa signification sociale, sous prétexte que les manifestants réclamaient avec une insistance particulière le suffrage universel.
- Or voici le programme minimum pour la réalisation duquel on revendique le suffrage universel:
- Réduction de la journée de travail ;
- Fixation d’un minimum de salaire;
- Création de caisses de secours administrées par les ouvriers ;
- Suppression du travail des enfants au-dessous de quatorze ans;
- Suppression du travail des femmes dans les mines ;
- Instruction gratuite, laïque et obligatoire ;
- Laïcisation des hôpitaux ;
- Subsides par l’Etat pour la création de sociétés coopératives ;
- Service militaire personnel et obligatoire.
- Ce programme très modéré, — réserves faites
- pour le dernier article quin’est pas suffi samment plicite, car les socialistes belges ne sont pas f1 que nous partisans des armées permanentes J* éminemment social et n’a rien à voir avec les l noiseries de toutes sortes dont les partis po]jtj ' proprement dits panachent leurs profession^ foi. (
- Voici, maintenant, le récit que l’agence Hav a fait de la manifestation, dans ses dépêchés ^ journaux : 1
- Dès neuf heures, les manifestants de province débarmi aux gares du Nord, du Midi et de Namur, portant k drapeaux et les cartels. Toutes les gares sont occupées nbr' tairement, mais les troupes sont dissimulées dans les hangan
- La manifestation se met en marche seulement à on» heures.
- On remarque que les Gantois sont plus nombreux etraiem organisés que les délégués des autres villes.
- M. Anseele, chef des socialistes, qui marche à leur tty est chaleureusment applaudi.
- Les manifestants marchent au pas, par rangs de huii hommes.
- La foule augmente de minute en minute, mais la formation du cortège se poursuit avec calme. Tous les manifestants ont revêtu leurs habits du dimanche.
- A onze heures trente, une procession de catholiques, qui, passe au coin de la rue de Malines, est accueillie par um formidable bordée de sifflets, l’ordre n’est pas troublé. La procession défile sans autre incident. La foule devient d« plus en plus compacte. Le cortège avance péniblement i cause du grand encombrement de la population qui fait aux manifestants un accueil sympathique et leur jette des fleurs.
- Les musiques du cortège jouent la Brabançonne et la Marseillaise.
- Une escouade de police ouvre la marche. Le temps esl splendide.
- Le cortège continue à avancer dans l’ordre le plus parfait, suivant l’itinéraire arrêté ; l’attitude des manifestants est tm calme; leurs commissaires font eux-mêmes la police.
- On remarque, dans le cortège, un grand nombre d’ouvriers belges venus de Roubaix.
- Les manifestants ont reçu de leurs chefs la recommandation expresse, non-seulement de ne se livrer à aucun désordre, mais encore de s’abstenir des boissons alcooliques.
- Mêlés aux drapeaux belges et aux drapeaux bleus du parti libéral, on voit plus de deux cents drapeaux rouges et quelques drapeaux noirs surmontés du bonnet phrygien. En tête de la manifestation, devant les membres du conseil général du Parti ouvrier, on porte un immense drapeau aux couleurs de la Belgique, recouvert d’un grand crêpe noir. .
- Chaque groupe porte, fixés à de longues perches, de> cartels sur lesquels on lit : .
- « Amnistie. — Suffrage universel. — Pas de devoirs s > droits. — Nos pères se sont battus pour l’égalité. — A l’article 47 de la constitution. — Nons voulons exercer droits ' :,v.
- On évalue à quarante mille environ le nombre ?es "{[ tants qui ont défilé de onze heures et demie à trois heu demie.
- A la suite de cette impostante démonstration le Conseil général du parti ouvrier a envoyé dresse suivante au Conseil des Ministres.
- p.534 - vue 537/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 535
- « Monsieur le Président du Conseil des ministres, a Depuis cinquante-six années, une seule classe de citoyens est investie en Belgique du droit électoral. Seuls, ceux qui payent 43 fr. 32 centimes d’impositions directes sont
- électeurs.
- « L’égalité des Belges devant la loi n’est qu’un vain mot et un mensonge. Les uns ont tous les pouvoirs, les autres, qui forment la grande masse, n'ont pas de droits politiques à exercer : les lois se font sans que jamais ils aient un mot à dire, sans que jamais ils soient consultés.
- « Une minorité régne en maîtresse souveraine ; le pays est son bien et sa chose : elle l’administre à sa guise.
- a Les classes sacrifiées ont supporté pendant un long demi-siècle les iniquités nombreuses engendrées par ce régime. Aujourd’hui, les souffrances populaires sont intolérables; l’enquête industrielle a montré l’horrible misère dans laquelle croupit la population ouvrière de certaines régions du pays.
- « fit non seulement on ne fait rien pour les malheureux, mais de plus on leur interditde s’occuper eux-mêmes de l’amélioration de leur sort, car on leur refuse ce droit sacré : le droit de vote.
- « Fatigués de souffrir et d’être traités en inférieurs dans leur pays, ils réclament la révision de l’article 47 de la Constitution et le suffrage universel.
- « L’article 47 de la Constitution s’oppose à toute réforme électorale : il doit être révisé.
- « Refuser de donner satisfaction à l’immense majorité des citoyens, à tous ceux qui demandent à être mis en possession du droit de suffrage, c’est provoquer une crise qui peut avoir de désastreuses conséquences pour le pays.
- « Supprimer le privilège censitaire et donner le droit de vote à tous les citoyens, c’est ramener le calme dans les esprits, c’est permettre aux travailleurs de désigner des mandataires chargés de protéger les pauvres gens et de s’occuper de tout ce qui a trait à l’amélioration des classes laborieuses.
- « Nous vous prions de transmettre nos réclamations aux membres des Chambres législatives, dès l’ouverture de la session parlementaire et nous vous demandons de les appuyer si vous les trouvez justes et légitimes.
- « Agréez, etc.
- « Jos. Maheu, Laurent, Verryckèn. »
- Les possédants belges n’auraient qu’une réponse à faire à des réclamations de cette nature: prendre eux-mêmes la tête des revendications ouvrières, et, après s’être mis en communication directe avec le peuple belge au moyen du suffrage universel, élaborer, de concert avec les socialistes que les suffrages ouvriers auraient investis de ce mandat, les projets de réformes qui composent l’ensemble des desiderata populaires.
- Agiront-ils ainsi ? En procédant de la sorte, ils s'économiseraient les frais d’une révolution. Mais l’esprit de classe est si tenace !
- APHORISMES & PRÉCEPTES SOCIAUX
- GXVIII
- Réforme de l’impôt
- Les impôts accentuent les vices de la répartition la richesse, en prélevant, sur ce que le peuple consomme, la plus forte partie des charges publiques.
- Nouveau manifeste des Chevaliers du Travail
- Dans un dernier numéro, nous avons publié la déclaration-manifeste des Chevaliers du travail de rillinois. Comme on va le voir ci-dessous, cette association qui s’étend sur toute la surface de l’Amérique ouvrière n’a pas une unité de programme absolue. Les sections ou fédérations locales, d’fitat, etc, dont l’ensemble constitue la grande association ouvrière des Etats-Unis, peuvent différer, au moins de vues, de moyens, et même de tendances, tout en poursuivant un but commun, l’émancipation des travailleurs et l’amélioration du sort des classes laborieuses. Voici le programme-manifeste des chevaliers du travail de Chicago.
- Si le développement alarmant et agressif des grands capitalistes et des corporations n’est pas enrayé, il conduira fatalement les masses laborieuses vers le paupérisme et les plongera dans une dégradation dont elles ne pourront sortir.
- Si nous voulons jouir des bienfaits de la vie, il est impérieux de mettre une limite aux accumulations injuste et de mettre un frein au pouvoir malfaisant de ces concentrations de la richesse.
- Ce but si désirable ne peut être atteint que par les efforts unis de ceux qui obéissent à l’ordre divin : « Tu mangeras ton pain à la sueur de ton visage. »
- En conséquence, nous avons formé l’Ordre des Chevaliers du Travail, dans le but d’organiser et de diriger la puissance des masses industrielles, non comme parti politique, notre but est plus élevé — mais pour proclamer des idées et faire passer des mesures qui bénéficieront au peuple tout entier. Il faut que ceux qui exercent leur droit de suffrage se rappellent toujours que les mesures que nous réclamons ne peuvent être obtenues que par la législation, et qu’il est du devoir de tous d’aider à leur réalisation en ne nommant et en ne soutenant de leurs votes que les candidats qui s’engagent, quel que soit leur parti, à soutenir ces mesures. Mais personne ne sera obligé avec la majorité ; et faisant appel à ceux qui croient qu’il faut accorder « le plus grand bien au plus grand nombre » et en leur demandant de se joindre à nous et de nous aider, nous déclarons à tous que nos vues sont :
- 1° De considérer la valeur morale et industrielle, et non pas la richesse, comme étant la base réelle de la grandeur industrielle et nationale.
- 2° D’assurer aux travailleurs la pleine jouissance des richesses qu’ils créent ; un repos suffisant pour qu’ils soient à même de développer leurs facultés intellectuelles, morales et sociales, et tous les bénéfices, plaisirs et récréations que peuvent donner l’association. En un mot, de les mettre à même d’avoir leur part dans les profits et les honneurs découlant d’une civilisation toujours en progrès.
- Pour obtenir ces résultats, nous demandons à l’Etat :
- 3° L’établissement de bureaux de statistiques du Travail, afin que nous puissions arriver à une connaissance exacte des conditions financières et morales, et de l’éduction des masses laborieuses.
- 4° Que les terres publiques, l’héritage du peuple, soient réservées aux colons actuels ; que pas un acre de plus ne soit accordé aux chemins de fer ou aux spéculateurs, et que toutes les terres actuellement dans les mains des spéculateurs soient taxées à leur pleine valeur.
- 5° L’abrogation de toutes les lois qui ne traitent pas également le capital et le travail, et la suppression de toutes les formalités, délais et distinctions injustes de la justice.
- p.535 - vue 538/838
-
-
-
- 536
- LE DEVOIR
- 6° L’adoption de mesures protégeant la santé et la vie des personnes qui travaillent dans les mines, les fabriques et la construction des édifice» et le paiement d’une indemnité à toutes celles qui sont blessées par suite d’une protection insuffisante.
- 7* La reconnaissance, par acte d’incorporation, destinions de métiers, ordres, ou de toute autre association que les masses laborieuses pourront organiser en vue d’améliorer leur condition et protéger leurs droits.
- 8° La passation de lois obligeant les sociétés incorporées à payer leurs ouvriers chaque semaine en monnaie légale, pour le travail fait pendant la semaine précédente, et accordant aux salariés une première hypothèque jusqu’au montant de leur salaire, sur le produit de leur travail.
- 9° L’abolition du système du contrat pour tous les travaux fédéraux, provinciaux ou municipaux.
- 10° La passation de lois établissant l’arbitrage entre les patrons et les employés, et imposant la décision des arbitres.
- Il" La prohibition légale du travail des enfants au-dessous de quinze ans, dans les ateliers, les fabriques et les mines.
- 12° La prohibition de l’adjudication du travail des prisonniers.
- 13° L’imposition d’une taxe proportionnelle sur le revenu.
- Et nous demandons au Parlement :
- 14° L’établissement d’un système monétaire national, dont la circulation sera émise directement au public, en quantité nécessaire, sans l’intervention des banques ; que toute émission nationale soit considérée comme monnaie légale pour le paiement de toute dette publique ou privée, et que le gouvernement ne puisse garantir ou reconnaître aucune banque privée, ou créer aucune banque incorporée.
- 15° Que le gouvernement ne puisse jamais émettre aucun bon portant intérêt ni aucune lettre de crédit ou de change ; mais que, en cas de besoin, il puisse laire face aux obligations du moment en émettant une circulation ne portant pas intérêt, et ayant cours légal.
- 16° Que l’importation de la main d’œuvre étrangère, par contrat, soit prohibée.
- 17° Que le gouvernement organise en rapport avec l’administration des postes, un système financier de change, et qu’il donne au public des facilités nécessaires pour qu’il puisse déposer ses économies en toute sûreté dans les bureaux de poste.
- 18® Que le gouvernement prenne possession par achat, en vertu du droit d’expropriation, de tous les télégraphes, téléphones et chemins de fer, et qu’à l’avenir aucune charte d’incorporation ou autorisation quelconque ne soit accordée à aucune corporation, pour la construction ou l’exploitation d’aucun moyen de transport soit pour la poste, les passagers ou le fret.
- Et pendant que nous présenterons les demandes ci-dessus aux gouvernements, nous essaierons de réunir nos propres efforts,
- 19° Pour établir des institutions coopératives, qui, grâce à l’introduction du système de coopération industrielle, puissent nous conduire à la suppression du salariat.
- 20° Pour obtenir un salaire identique pour les deux sexes.
- 21° Pour réduire les heures du travail en refusant unanimement de travailler plus de huit heures par jour.
- 22° Pour persuader aux patrons de consentir à régler, par l’arbitrage, toutes les difficultés qui peuvent s’élever entre celui qui emploie et ceux qui sont employés et de rendre les grèves inutiles.
- En somme, si le programme-manifeste qu’on vient de lire ne pose pas l’urgence de la solution sociale dans les termes menaçants des Chevaliers
- de l’Illinois, il ne parle pas moins un langage très ferme, et son programme de réformes transitoires contient nombre de mesures très radicales, telles que celles mentionnées aux articles i4 et 15. En investissant le gouvernement du droit d’émettre une circulationfiduciaire avec laquelle il rembourserait la dette publique ; en prévenant désormais tout emprunt, par une émission fiduciaire ne pouvant jamais comporter intérêt, c’est bel et bien la suppression de la dette publique, que revendiquent les Chevaliers de Chicago Ce n’est pas explicitement dit, mais telle serait, certainement, la conséquence de l’application du système d’émissions exposé dans ces deux articles.
- Certaines revendications sont moins clairement formulées; telle est celle demandant (la 5*) « l’abrogation de toutes les lois qui ne traitent pas également le capital et le travail. »
- C’est vague. Quelles sont les distinctions établies par la loi entre le capital et le travail ? Il faudrait l’indiquer.
- Quoiqu’il en soit et malgré l’obscurité qui règne encore dans ces divers programmes, le manque d’unité de revendications et la différence de langage que nous avons constatés entre les différentes associations ouvrières militantes des Etats-Unis, il n’en est pas moins évident que là, comme partout ailleurs, un sourd travail de rénovation s’élabore ; les antagonismes sociaux résultant d’une organisation économique qui a pris pour mot d’ordre la concurrence, s’accentuent. Les mêmes causes amenant partout les mêmes effets, en Amérique comme dans notre vieille Europe, la lutte anarchique pour l’existence sans garantie sociale pour les faibles, devait infailliblement aboutir à la crise aiguë que nous voyons sévir de l’autre côté de i’Océan avec une intensité progressive dont le dernier terme ne semble pas proche.
- Puissent, les dirigeants du Nouveau Monde, ne pas imiter leurs congénères du monde occidental. Puissent-ils, ne pas fermer l’oreille auxjus-tes sollicitations de la classe ouvrière, entrer d’un pas ferme et décisif dans la voie des concessions, des réalisations, en un mot de l’association, de l’organisation sociale, qui doit inéluctablement succéder à l’organisation anarchique actuelle.
- Pour eux, comme pour nous, il y va de la paix de la stabilité et du bonheur de l'humanité!
- p.536 - vue 539/838
-
-
-
- 537
- LE DEVOIR
- Faits politiques et sociaux de la semaine
- FRANCE
- Les Conseils généraux. — La session ordinaire des conseils généraux s’est ouverte hier dans toute la France, ^ l’exception de la Seine, qui ne tient qu’une session ordinaire dont la date est fixée par décret. Ajoutons qu’en Corse, la session ne commence que le second lundi de septembre, et en Algérie le premier lundi d’octobre.
- Les conseils renouvelés le 1er août vont siéger dans leur composition nouvelle durant trois années et voter trois fois de suite le budget de leurs départements respectifs. C’est en effet l’œuvre principale de la session d’août chaque année, et les Chambres, avant la clôture de leur session ordinaire^ votent les quatres contributions directes, précisément pour permettre aux conseils généraux d'en opérer la répartition entre les communes.
- 11 importe de rappeler que les conseils généraux n’auront pas à s’occuper de la vérification des pouvoirs des 1,436 membres qui ont été élus aux 1er et 8 août derniers. C’est le conseil d’Etat seul qui aura à examiner les élections contestées et à prononcer sur leur validité. Comme il a un délai de trois mois pour statuer et qu’il est actuellement en vacances, les conseillers généraux dont les élections font l’objet d’une protestation auront le droit de siéger et de prendre part à toutes les délibérations, jusqu’au jour où le conseil d’Etat aura rendu sa décision. Or, il est plus que probable qu’aucune décision ne pourra être rendue avant la fin de la session des conseils généraux.
- Ouverte hier, la session peut légalement durer quinze jours; mais elle ne se prolonge guère en général au-delà de huit jours.
- Une erreur judiciaire. — Nous avons raconté la triste histoire de Saussier, condamné à quinze ans de travaux forcés sur la dénonciation d’une fille Marie Pichon..
- Trois ans auparavant, Marie Pichon avait comparu, mais comme plaignante, devant le jury du même département. Elle avait porté contre Saussier une grave accusation. Elle disait que ce dernier s’était rendu coupable sur elle du crime de viol.
- Malgré ses protestations désespérées d’innocence, Saussier fut condamné à quinze ans de travaux forcés.
- Trois nouvelles années s’étaient écoulées, quand Marie Pichon se trouva encore en présence de la justice criminelle.
- C’est alors que le ministère publique se demanda si cette fille n’avait pas accusé un innocent, si elle n’avait pas fait condamner Saussier alors qu’eile savait qu’il n’était pas coupable.
- Le procureur de la République interrogea la fille Pichon, et bientôt poussée à bout, elle finit par avouer qu’elle avait Menti, qu’eile s’était livrée volontairement et qu’elle n’avait accusé Saussier que pour éviter la colère de ses parents.
- Le ministre de la justice informé, ordonnait aussitôt de mettre en liberté le malheureux Saussier, mais l’infortuné avait déjà accompli trois ans de bagne !
- La fille Pichon vient d’être traduite en cour d’assises pour le témoignage qui a causé une si pénible erreur.
- Elle a été condamnée à dix ans de réclusion, le jury lui ayant accordé le bénéfice des circonstances atténuantes. Cette peine ne sera d’ailleurs pas appliquée, la Cour, dans son arrêt, ayant décidé qu’elle se confondrait avec celle que la coupable accomplit actuellement, celle de quinze ans de travaux forcés.
- Le ministère public a, dans son réquisitoire, regretté vivement que la loi française ne permît pas d’accorder aux victimes d’erreurs judiciaires des dommages intérêts plus ou moins importants.
- Voilà, en effet de longues années qui est posée la question des erreurs judiciaires. Quand se décidera-t-on à la résoudre?
- A Vierzon.— Nous avous parlé plus haut de la grève de Vierzon et de la possibilité que des complications surgissent, par suite de la présence de 600 hommes de troupes. Nous annoncions en même temps que M. Vaillant, conseiller municipal socialiste de Paris, propriétaire d’une usine dans ce pays, où il est très populaire, devait se rendre sur les lieux et seconder les efforts de MM. Baudin et Samson, l’un conseiller général, l’autre conseiller d’arrondissement, tous deux socialistes, de Vierzon. Les dépêches nous apprennent queM. Vaillant s’est en effet rendu dans cette dernière ville où il était attendu à la gare, parplus de 2000 personnes, qui l’ont accueilli aux cris de : vive la République ! vive la grève ! vivent les grévistes !
- Le soir une importante réunion a été tenu présidée par lui. Voici les résolutions votées à l’unanimité.
- 1° Mandat est donné à M. Baudin, conseiller général du Cher, d’interpeller le préfet de ce département, de réclamer le retrait des troupes et de la gendarmerie, de réclamer la mise en liberté immédiate des citoyens arrêtés, et enfin de protester contre les violences de la force armée ;
- 2° Le but immédiat étant la réussite de la grève et le maintien de la chambre syndicale, il faut tout faire pour atteindre ce but. L’avis de l’assemblée est donc : que l’ordre doit être maintenu, que toute provocation devra être dédaignée, que des souscriptions hebdomadaires devront être organisées, que tout ouvrier vierzonnais devra s’engager à souscrire selon ses moyens,enfin qu’un appel sera fait aux ouvriers socialistes de Paris et de France au nom de la solidarité. Appui sera demandé à la presse socialiste ;
- 3° La direction de la grève sera confiée à la fois au comité de la grève et au comité républicain socialiste. Ces deux comités seront chargés d’organiser les souscriptions et d’assurer les mesures d’ordre nécessaires pour obtenir le succès.
- ANGLETERRE
- Procès de presse en Angleterre. — Une
- affaire très intéressante vient d’être plaidée devant la cour du banc de la reine, à Londres. Depuis quelque temps, la presse anglaise s’occupe de la marine britannique et prétend qu’elle est en complète décadence. Un journal spécial, la Admiralty and Hors3 Gnards Gazette, a publié une série d’articles insinuant que la célèbre maison Armstrong, qui fournit à l’amirauté les canons de la flotte, livrait depuis longtemps des pièces défectueuses qu’elle réussissait à faire accepter en corrompant les fonctionnaires chargés de la
- p.537 - vue 540/838
-
-
-
- 538
- DEVOIR
- réception et de l’examen du matériel de guerre. En même temps, YAdmiralty and Horse Guards Gazette réclamait une enquête officielle sur les faits qu’elle révélait.
- La maison Armstrong a aussitôt introduit un procès en diffamation contre ce journal ; et comme ce procès est actuellement pendant, elle vient d’adresser à la cour du banc de la reine une requête tendant à faire interdire à YAdmiralty and Horse Guards Gazette, en attendant que la justice ait statué, la continuation de cette série d’articles révélateurs dont le journal en question poursuit la publication avec acharnement.
- C’est sur cette requête que vient de se prononcer la cour du banc de la reine. Sir William Armstrong et ses associés n’ont pas obtenu gain de cause. Au contraire, le lord-chief justice Coleridge a repoussé leur requête, en définissant comme suit le rôle de la presse dans les questions d’un si grand intérêt public :
- « Si les abus signalés par YAdmiralty and Horse iGuards Gazette existent réellement, il est de la plus haute mportance que les journaux les dévoilent, et même qu’ils les dénoncent sans ménager leurs expressions, sans mesurer leur indignation.
- » Le journaliste qui prend la plume pour flétrir lesdits abus, et cela au risque de se faire poursuivre comme diffamateur, rend, à mon sens, un grand service à la chose publique. »
- BELGIQUE
- Enquête ouvrière. — Pendant que les socialistes organisent ces grandes manifestations et que les tribunaux condamnent par douzaines les ouvriers des derniers troubles à des mois et des années de prison, l’enquête révéle la situation épouvantable des mineurs, que nous donnons d’après le Temps :
- L’enquête de Dour, un des principaux centres des houilleurs borains, vient de nous révéler des faits qui sortent absolument du cadre des choses ordinaires et qui réclament des mesures promptes et énergiques dit le coirespondant du journal parisien. Les renseignements que. cette importante enquête, présidée par M. Sabatier, député de Charleroi, nous apporte, dressent en même temps un tableau saisissant de la triste vie des houilleurs et de la corruption morale qui règne au fond des galeries souterraines où toute une population, la sueur au front et le danger suspendu sur la tête, va gagner quotidiennement le plus maigre des salaires.
- Le fait que la plupart de nos ouvriers houilleurs ne gagnent pas assez pour satisfaire aux plus nécessaires besoins d’une vie accablée d’innombrables privations, est désormais établi, et nous espérons qu’aucun ministre ne viendra plus prétendre que la situation de nos mineurs est meilleure que son apparence. Si la question des salaires a pris une grande place dans les dépositions des ouvriers, il y en a une autre qui mérite l’examen le plus sérieux de la part de la commission et du gouvernement : celle du travail des femmes dans les mines.
- L’enquête nous a fourni des renseignements édifiants à ce sujet. Il ressort des dépositions fort intéressantes d’un grand nombre de témoins que la jeune fille, et même la femme
- mariée, qa’on astreint au plus rude et au plus long travail pour un salaire dérisoire, est exposée, en outre, aux brutalités des maîtres porions.
- L’usage de ces tyrans de la fosse de choisir leurs maîtresses parmi les plus jolies houilleuses, fussent-elles mariées ou non, est devenu général, paraît-il, dans les derniers temps de sorte que ni femmes ni filles n’osent plus descendre dans les fosses, de peur de se trouver dans une voie isolée en face d’un porion.
- Une jeune fille de dix-sept ans a déposé qu’elle descend à cinq heures du matin et remonte tantôt à neuf heures, tantôt à onze heures du soir. Elle ne charge pas moins de 60 à 70 chariots par jour et va, en outre, chercher ses chariots vides jusqu’à 100 mètres de la taille. Une autre jeune fille du même âge a déclaré qu’elle descend à quatre heure du matin pour remonter à onze heures du soir, et cela pour un salaire de 1 fr. 50 c. Elle demande, ainsi que toutes les femmes entendues par la commission, l’abolition du travail des femmes dans les mines, parce que « les porions sont trop audacieux, et les vieux ne valent pas plus que les jeunes». Une femme mariée, dont le mari gagne treize francs par semaine, a même dû emprunter des vêtements pour venir déposer.
- Tous les témoignages, sans exception, ont été faits dans le même sens. Et voilà comment en plein dix-neuvième siècle, à une époque où l’éducation de la femme fait l’objet des plus sérieuses préoccupations, on prépare la fille de l’ouvrier aux devoirs et à la dignité d’épouse 1 Voilà le milieu où l’on élève la femme de ménage qui doit, à force de moralité, former la base d’une famille dont les ressources minimes exigent un grand e«prit d’ordre et d’économie ! Tout le monde commence à comprendre qu’une situation pareille devient intolérable et un danger énorme pour la tranquillité de notre société.
- HOLLANDE
- La situation en Hollande. — Dans un précédent numéro du Devoir nous avons parlé, à propos des récents événements de Hollande, de la situation très étendue qui menace de voir dans ce pays une agitation révolutionnaire.
- Le chef des socialistes hollandais, M. Domela Nieuwenhuis, vient d’avoir une entrevue avec le correspondant du New-York Herald à Amsterdam. M. Nieuwenhuis explique de la façon suivante les troubles qui se sont produits récemment dans cette ville :
- Ces troubles ont été provoqués par la suppression d’un jeu national. Une éducation graduelle aurait démontré au peuple la brutalité et la cruauté dé ce jeu ; mais le gouvernement ne veut pas procéder par voie d’éducation et il préfère avoir recours à des mesures de police arbitraires.
- Aujourd’hui, tout est redevenu calme; mais en hiver, ce calme ne pourra subsister, car la misère poussera le peuple à l’actiôn. Le gouvernement, par le peu de sympathie qu’il témoigne au peuple et parles mesures vexatoires qu’il décrète, s’est placé aux yeux de la nation dans la même position que celle du gouvernement du duc d’Albeau seizième siècle.
- IRLANDE
- Les projets irlandais.— Il y a trois jours a eu lieu, à Chicago, la première séance de la Convention irlandaise, qui réunit dans cette ville quinze cents adhérents envi-
- p.538 - vue 541/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 539
- ron de la Ligue américaine et une délégation venue d’Irlande, dont le chef est M. Michel Davitt. Une réunion préparatoire de la Convention a eu lieu dimanche, et des discours marquants pour la politique future du parti irlandais ont été échangés entre M. Finerty, un des chefs des intransigeants, et M. Davitt.
- M. Finerty ayant parlé, dans l’allocution par laquelle il a présenté ce dernier à l’assistance, du devoir de poursuivre à l’égard de l’Angleterre une politique de revanche, et du droit des Irlandais de recourir à d’autres moyens que l'agitation parlementaire pour obtenir leur liberté, M. Davitt a répondu en termes aussi fermes que modérés. « Nous autres qui sommes restés en Irlande, a dit M. Davitt, nous avons le choix entre perdre nos forces à poursuivre une politique de revanche, ou les conserver à assurer l’indépendance de notre pays. Quant à moi, je ne crois pas à la revanche, et la plupart des chefs des Irlandais pensent comme moi. J’ai préféré travailler toute ma vie à obtenir l’indépendance législative de l’Irlande, que d’essayer de tirer vengeance des torts qu’elle a soufferts dans le passé. 11 est facile, à 3,00(1 lieues de l’Angleterre, de proclamer ea paroles la République irlandaise. Mais ce n’est pas aussi facile dans notre vieille et chère Irlande. Nous luttons et nous souffrons pour obtenir la liberté politique que notre peuple désire. Si nous nous tenons pour satisfaits de concessions moindres que celles qu’il vous faut, nous sommes prêts à affronter votre blâme.»
- M. Finerty répliqua par un nouveau discours plus violent que le premier et dans lequel il blâma M. Parnell d’avoir accepté comme une solution finale les projets de loi d’autonomie de M. Gladstone ; puis l’assemblée se sépara, divisée à peu prés également en une fraction d’intransigeants et une fraction de modérés, qui vont se mesurer à l’élection du président. Cependant, la victoire appartiendra probablement aux modérés, dont le chef, en Amérique, est M. Devoy.
- UN INCENDIE AU FAMILISTÈRE
- Un violent incendie a éclaté dans la nuit du dimanche au lundi dans les magasins aux fourrages attenants aux bâtiments de l’usine du Familistère.
- C’est vers une heure et demie, que l’alarme fut donnée par les veilleurs de nuit.
- Grâce à la promptitude des secours rapidement organisés, on put circonscrire le sinistre au magasin en feu, et préserver les bâtiments de l’usine de tout dommage.
- La population de Guise et des villages avoisinants a rivalisé, en cette circonstance, de zèle et de dévouemeut avec la population du Familistère à laquelle elle a apporté un concours aussi empressé que précieux. Au premier signal, M. le Maire, M. le juge de paix, M. le commissaire de police, la gendarmerie et la troupe se sont rendus sur les lieux. Les compagnies de sapeurs-pompiers de la ville, de Saint-Germain et de Beaurain, de l’usine Chenest, des communes de Tupigny et de Wiége-Faty, accourues en toute hâte ont secondé avec un zèle infatigable la Compagnie du Familistère.
- Nous sommes heureux de constater ces concours empressés, et nous prions la population de Guise et des villages précités de recevoir ici, par l’organe du Devoir, les remerciments aussi chaleureux que sincères du Familistère.
- La Politique Sociale répressive
- I AN GLO-AMÉRICAINE
- A la rubrique « Faits politiques et sociaux, » nous avons signalé, dans un des derniers numéros du Devoir le projet de traité d’extradition passé entre les États-Unis et l’Angleterre. Tous les journaux américains, qui nous en ont donné la substance sinon les termes mêmes, ajoutent qu’on peut considérer comme certaine sa ratification par le Sénat de Washington.
- C’est là un fait plus considérable que ce qu’on pourrait croire-tout d’abord, c’est pourquoi nous y revenons aujourd’hui.
- Le traité qui va lier l’Angleterre et les États-Unis contient, en effet, de nouvelles clauses spéciales sur des points que n’avait pas prévu la convention de 1840, encore en vigueur. L’un de ces points, le principal, celui qui a donné lieu à la révision projetée, est l’article visant l’extradition des auteurs d’attentats contre la propriété par la dynamite.— « Le traité, nous dit-on, «vise expres-« sèment comme donnant lieu à extradition lades-« truetion de la propriété, quand elle est faite « dans une intention criminelle, et quand l’attentat « est considéré comme un crime par la loi des <l deux pays. »
- Il faudrait ne pas connaître un mot de l’histoire politique de ces cinquante dernières années, pour ne pas lire clairement dans ces ambiguïtés de texte calculées une menace d’extradition suspendue sur la tête des révolutionnaires politiques des deux pays. On a beau spécifier la nature de l’instrument de délit, le délit lui-même, insister sur son caractère de droit commun invoqué pour justifier l’extradition de son auteur, l’insistance déployée par le rédacteur du projet indique suffisamment qu’il s’agit d’appliquer l’extradition à des actes considérés jusqu’à ce jour comme d’ordre exclusivement politique ou social.
- Jusqu’à ce jour, en effet, la convention en vigueur de 1840 suffisait très bien à garantir aux nations civilisées et spécialement à l’Angleterre et à l’Amérique, l’extradition réciproque des criminels de droit commun. Point donc n’eut été nécessaire de conclure un nouveau traité contenant des clauses spéciales, si la pratique de l’extradition devait se borner à être dans l’avenir ce qu’elle a été dans le passé.
- Dans le passé, quand une guerre politique ou sociale éclatait au sein d’un pays, les vaincus
- p.539 - vue 542/838
-
-
-
- 540
- LE DEVOIR
- étaient assurés de trouver en Angleterre et aux Etats-Unis un asile inviolable.
- Le vainqueur chargeant toujours le vaincu de tous les crimes imaginables, si, après la victoire, un gouvernement victorieux adressait une demande d'extradition à ces deux pays, l’extradition n’était jamais obtenue. Sous l’Empire, la police française avait beau accuser les proscrits républicains, conspirateurs avérés résidant à Londres, d’être des criminels de droit commun, l’Angleterre n’a jamais rendu un républicain, même quand ce républicain était convaincu d'attentat à la vie de l’Empereur.
- En 1871, après la commune, M. Jules Favre qualifia les communalistes de criminels de droit commun et réclama leur extradition dans une circulaire restée tristement fameuse. Pas un proscrit de la Commune ne fut rendu !
- Les Irlandais membres des terribles ligues agraires qui ont par représailles, à diverses reprises, rougi de sang anglais la terre de leur patrie opprimée, non seulement trouvaient jusqu’ici un asile inviolable en Amérique,mais encore ils ne cessaient pas, même sur le sol américain, de continuer à combattre de loin, par la propagande, la cotisation, les envois répétés d’armes et de munitions, l’ennemi héréditaire de leur pays, l’Angleterre. Cependant, les incidents qui ont marqué dans ces dernières années la guerre à outrance engagée par le parti irlandais, affectent particulièrement un caractère de droit commun. Propriétés incendiées, maisons détruites par la poudre et par la dyna-myte, arrêts de morts exécutés sur les personnes de fonctionnaires ou de landiords anglais, tels sont les attentats qui se sont multipliés dans ces derniers temps, et pour lesquels les indomptables compagnons d’O’Donovan Rossa ont dû demander asile aux États-Unis. Non seulement cet asile leur a été accordé, mais encore on les a accueillis sur le même pied que les autres émigrants européens.
- C’est certainement en vue de restreindre dans l’avenir cette large interprétation du droit d’asile pratiquée jusqu'à ce jour, ue les deux nations les plus libérales du monde révisent leur législation sur ce point. Cette révision constitue un fait nouveau dans la politique qu’elles ont suivie jusqu’ici envers lesvaincus des guerres politiques et sociales. Elle indique qu’un changement considérable s’est opéré dans l’esprit gouvernemental des classes dirigeantes de ces deux pays, et, nous le répétons, ce changement doit être considéré comme un fait très important.
- Maintenant, à quelles causes faut-il l’attribuer? A quels mobiles ont obéi les instigateurs de l’espèce de ligue sociale conservatrice que semblent vouloir former l'Angleterre et l’Amérique ?
- Ces mobiles sont évidemment multiples. Nous croyons, cependant, que les causes qui ont déterminé la grave résolution politique prise par les deux gouvernements, peuvent se ramener à deux principales.
- La première est un fait inéluctable, d’ordre naturel, si nous pouvons ainsi nous exprimer : — l’état aigu de guerre sociale acharnée auquel est livré le monde moderne de la production et de l’échange creuse, de plus en plus profond, l’abîme qui sépare les classes ouvrières des classes possédantes. A mesure que cet antagonisme s’accroît, par la libre évolution économique qui s’accomplit sans frein et sans limites dans ces deux pays du laissez-faire et du laissez-passer économiste, grandissent les causes de conflit et les germes de perturbations qui menacent de convulser la civilisation contemporaine, si on ne se hâte pas de rétablir l’équilibre faussé par une organisation sociale génératrice de crises et de révolutions infinies.
- Nous ne saurions trop répéter cette vérité qui revient souvent sous notre plume : partout, les mêmes causes sociales produisent les mêmes effets. Partout, l’ouvrier abandonné à lui-même, livré, sans instrument de travail, aux hasards de la concurrence, de la guerre économique, est fatalement voué au sort qui attend les faibles manquant d’aide et de protection. Mais là, aussi, où cet abandon est le plus implacable, les haines sociales sont les plus violentes. Nous n’en voulons pour preuve que les événements de Londres etles véritables combats engagés en Amérique au cours de certaines grèves entre les milices patronales et les ouvriers grévistes,
- Au lieu de songer à remédier aux conséquences d’un tel état de choses, en modifiant les causes mêmes de l’antagonisme social, les classes dirigeantes anglo-américaines songent à se liguer poar réprimer plus facilement les colères qui ne peuvent que s’accroître, par suite du maintien de cet état de choses qui leur donne lieu. C’est là une politique sociale déplorable.
- Telle est la première cause générale de la politique répressive dans laquelle entrent l’Angleterre et surtout l’Amérique.
- Il eu est une seconde sur laquelle on s’appuie pour la justifier : c’est Je caractère de destruction
- p.540 - vue 543/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 541
- universelle qu’affectent certaines revendications. En Amérique, la poignée d’agités que s’intitulent anarchistes s’est livrée à des actes qui, ne pouvant profiter à la classe ouvrière, auront eu du moins pour résultat de donner un semblant de raison aux mesures de repression qu’on pourra prendre plus tard contre elle.
- Ces complices — volontaires ou inconscients — des classes dirigeantes américaines, par leurs excitations sanguinaires, l’annonce de projets de bouleversement insensés, les attentats horribles auxquels ils ont entraîné de pauvres malheureux dans les troubles récents de Chicago, ont été certainement en partie la cause du mouvement de réaction qui.se produit en Amérique. En Amérique, les anarchistes ont joué le rôle d’épouvantail que l’ancien préfet de police Andrieux leur aisait jouer en France, quand l’agent provocateur Spileux — alias Serreaux, directeur du journal subventionné la Révolution sociale — déposait une boîte de dynamite sur le socle de la statue de Thiers.
- Il est profondément triste de voir: d’une part les excitations anarchistes aboutir partout au rejet des améliorations que la classe ouvrière pourrait obtenir en coordonant ses forces sur un terrain de revendications sociales sérieux ; de l’autre, les classes possédantes, à la faveur de la confusion que ces excitations font naître dans les esprits, se livrer à une politique de repression qui aggravera encore les conflits existants, aiguisera les haines et rendra plus difficile l’œuvre de réorga-
- ganisation sociale dont nous avons tant besoin.
- -----------------•— ♦—°—•--------------------
- COMMERCE DE LA FRANCE
- EN JUILLET 1886
- Le tableau suivant montre quels ont été les résultats des mouvements de notre commerce extérieur pendant le mois de uillet des années 1885 et 1886 :
- JUILLET
- Importations 1886 4885
- Objets d’alimentation. Matières nécessaires à l’in- 111.306.000 425.854.000
- dustrie .... # , 170.332.000 142.711.000
- Objets fabriqués . . • 42.035.000 47-205.000
- Autres marchandises. • 40.094.000 8.831.000
- Totaux. . Exportations • • 333.767.000 324.601.000
- Objets d’alimentation. Matières nécessaires à l’in- 53.051.000 47.701.000
- dustrie .... 50.684.000 51.008.000
- Objets fabriqués . . • . 131.320.000 123.913.000
- Autres marchandises. . • U. 326.000 10.624.000
- Totaux. . i • 246.381.000 233.346.000
- L’amélioration que nous signalions il y a un mois s’est continuée en juillet, comme l’indiquent les chiffres que l’on vient de voir. Le montant total de nos échangés extérieurs a progressé de 557 millions 847,000 fr., somme qu’il avait atteinte en juillet 1885, à 580, 148,000 fr.
- Le progrès réalisé a porté pour 9,166,000 fr. sur les importations, et pour 13,135,000 fr. sur les exportations. Si donc il y a eu aussi accroissement dans nos achats à l’étranger, il y a eu aussi extension de nos ventes àu dehors ; c’est double signe d’une meilleure activité commerciale.
- On peut s’étonner, il est vrai, en présence de ces résultats, de la diminution constante des recettes de nos chemins de fer. Il est bien rare que l’élasticité commerciale d’un pays se réduise à l’intérieur quand elle augmente à l’extérieur, et, si nos transports se développent par suite du progrès de nos relations avec l’étranger, on a peine à s’expliquer la diminution qu’ils accusent quant au reste de nos échanges. Plusieurs raisons peuvent en être données toutefois.
- Il en est une, tout d’abord, qui tient à la concurrence croissante que les canaux font aux chemins de fer. De ce qu’une augmentation se dessine dans l’ensemble de notre commerce extérieur, il ne s’ensuit nullement que nos voies ferrées doivent en ressentir l’effet, au moins immédiatement-L’Etat, depuis une dizaine d’années, a fait des dépenses considérables pour compléter et perfectionner le réseau de nos voies navigables. Ces dépenses constituent des subventions absolument gratuites, pour lesquelles l’Etat ne touche ni intérêt ni amortissement. Dès lors, les canaux peuvent lutter avec avantage contre les chemins de fer, qui, eux, ont leur capital d’établissement à rémunérer. Pour la grande vitesse, certes la supériorité reste à ces derniers ; mais, dés qu’il s’agit de matières pour lesquelles le délai du transport devient un élément secondaire, l’expédition tend naturellement à préférer la voie d’eau à la voie de fer.
- Un fait économique dont nous nous sommes maintes fois occupés a accentué dans ces derniers temps cette préférence. Le prix de la plupart des marchandises s’est sensiblement abaissé. Or, plus ce prix est bas, moins il peut facilement supporter un coût de transport élevé ; c’est l’évidence même. Les tarifs de chemins de fer se sont trouvés ainsi, par la baisse à peu près générale des matières premières et des produits fabriqués, subir une sorte de rehaussement indirect qui est devenu un obstacle à la circulation des produits. Les voies navigables en ont tiré un nouvel avantage, la gratuité de leur capital leur créant une situation exceptionnelle au point de vue de la tarification.
- 11 est une troisième explication du contraste que présentent le mouvement de notre commerce extérieur et celui des recettes de nos chemins de fer : c’est la transformation industrielle en voie d’accomplissement. Les industries cherchent actuellement à s’établir le plus prés possible des centres d’approvisionnement, de façon â s’épargner la peine et les frais de transports de matières premières onéreux? Filatures et tissages, raffineries, usines s’installent de plus en plus à proximité des ports de mer. La navigation les alimente. Au chemin de fer, pour les besoins de la consommation intérieure, on fournira de plus en plus des produits finis. Il ne peut qu’en résulter une diminution de tonnage et de recettes pour les compagnies.
- p.541 - vue 544/838
-
-
-
- 542
- LE DEVOIR
- Telles sont les causes principales de la contradiction apparente dont tout le monde est frappé. Il y aurait assurément, d’autres motifs à en donner, par exemple les modifications qui sont survenues dans la tarification de nos chemins de fer. Elle a cessé, en grande partie, d’être commerciale pour devenir mathématique, de sorte qu’au lieu de pouvoir se plier aux circonstances et s’adapter aux besoins nouveaux, elle ne peut obéir aux nécessités qui se révélent, attirer et retenir le trafic comme il conviendrait. Mais c’est un sujet que nous avons amplement traité, et nous devons nous borner à le rappeler ici.
- Faut-il maintenant commenter les diverses variations qui se sont produites, le mois dernier, dans l’état de nos principaux chapitres d’importation ou d’exportation ? De courtes observations suffiront.
- A l’importation, un double changement satisfaisant a eu lieu. D’une part, les objets d’alimentation ont vu leurs entrées fléchir de 125,854,000 fr. à 111,306,000 fr. Ce n’est pas tout à fait, on le voit, l’invasion dont on nous prétendait menacés. D’autre part, les matières nécessaires à l’industrie ont augmenté, de 142,711,000 fr. à 170,332,000 fr., ce qui dénote une reprise des plus remarquables. La plupart des stocks sont d’ailleurs réduits au strict minimum, et, si des velléités de hausse venaient à se produire d’une façon un peu continue, c’est à qui, vraisemblablement, voudrait devancer les plus hauts prix et reconstituer ses approvisionnements. C’est là un phénomène bien connu et que nous avons eu, tout récemment encore, l’occasion d’apprécier, à propos du dernier rapport de la chambre de commerce de Lyon.
- Quant à l’exportation, nous avons à signaler trois variations excellentes : nos ventes d’objets d’alimentation se sont accrues de 47,701,000 fr. à 53,051,000 fr.; en deuxième ieu, nos sorties de matières premières ont diminué de 51,008,000 fr. à 50,684,000 fr., ce qui concorde bien avec l’augmentation de nos approvisionnements; enfin, nos ventes d’objets fabriqués se sont avancées de 123,913,000 fr. à 131,320,000 fr., par où l’on voit que les efforts de notre 'industrie et de notre commerce pour défendre leurs débouchés sont couronnés de succès.
- Veut-on se rendre compte, au surplus, des mouvements de notre commerce extérieur depuis le début de l’année courante jusqu’au 31 juillet dernier ? Le tableau suivant les résume, et présente, en outre, les résultats semblables pour
- la période correspondante de 1885 ; ^ é
- Importations 1886 1885
- Objets d’alimentation . . 853.907.000 802.820.000
- Matières nécessaires à l’industrie 1.167.100.000 1.220.618.000
- Objets fabriqués . . . 316.262.000 331.495.000
- Autres marchandises . . 76.089.000 72.201.000
- Totaux . . . 2.413.358.000 2.427.134.000
- Exportations Objets d’alimentation . . 398.493.000 407.728.000
- Matières nécessaires à l’industrie . . , . . 347.986.008 343.831.000
- Objets fabriqués . . . 946.634.000 891.264.000
- Autres marchandises . . 92.650.000 83.597.000
- Totaux. . . 1.785.765.000 1.726.420.000
- L’année 1886, ces chiffres le montrent, est en reprise sur l’année précédente, malgré un commencement assez médiocre. Mai, juin et juillet ont été, en somme, satisfaisants. Actuellement, les exportations totales de 1886 dépassent de 59,345,000 fr. les exportations correspondantes de 1885, et les importations sont, au contraire, inférieures de 13 millions 781,000 fr aux entrées correspondantes de la même année.
- L'ALCOOLISME ET L'ÉCONOMIE POLITIQUE OFFICIELLE
- L’Economie politique orthodoxe — alia.s officielle — est la science qui décrit les rapports économiques des hommes entre eux et leur enseigne que ces rapports sont ce qu’il y a de mieux dans le meilleur des mondes possibles. S’agit-il, par exemple, d’une crise économique comme celle que nous traversons, dont les chômages meurtriers fauchent par milliers les ouvriers exténués par la faim, après l’avoir été par' le travail, l’économie politique explique très doctement comment la crise a éclaté, et non moins doctement pourquoi elle ne pouvait pas ne pas éclater. Elle nous apprend, comme le médecin de Molière pourquoi notre fille est muette !
- Pour habitués que nous soyons à leur optimisme, jamais à court de raisons spécieuses, nous ne nous attendions cependant pas à voir les économistes pousser le cuite de l’harmonie sociale jusqu’à réhabiliter l’alcoolisme.Ce fléau des temps modernes, produit hideux de la misère et de l’épuisement ligués pour précipiter la dégradation morale et matérielle des travailleurs, avait été tant de fois anathématisé par les moralistes ! Nous avions peine à croire que les continuateurs de Smith et de Mallhus oseraient, sur ce point comme sur tant d’autres, prêcher la satisfaction d’un ordre de choses qui favorise le développement du plus redoutable agent de démoralisation que nous connaissions : l’alcoolisme.
- Nous nous étions trompés, et c’est M. Fournier de Flaix, économiste distingué — on n’est pas énonomiste sans ça — collaborateur au Journal des Economistes et à l’Economiste français, qui, dans la Revue scientifique, s’est chargé de nous démontrer les bienfaits résultant de la consommation croissante de l’alcool.
- A vrai dire, si, au premier moment, les propositions de M. Fournier de Flaix nous ont stupéfié, en y réfléchissant, nous avons trouvé son intervention enfaveurde l’alcool toute naturelle : d’abord, l’alcool est une branche très considérable de la pro-
- p.542 - vue 545/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 543
- ludion moderne ; or on sait, selon l’expression mélancolique de Gustave Droz, que dans notre civilisation, les produits ne sont pas faits pour les hommes, mais bien les hommes pour les produits. On produit énormément de l’alcool : a priori, l’alcool est utile.
- Les moralistes ont beau dire qu’un gouvernement est indigne de sa mission, quand il spécule sur les vices d’un peuple, le produit de la vente de l’alcool fait entrer dans les caisses du Trésor nombre de centaines de millions qui n’y entreraient peut-être pas autrement ; ergo, l’alcool est un produit bienfaisant. Si on ajoute à cet argument que l’impôt sur l’alcool est une taxe indirecte, un impôt de consommation, étant donnée la prédilection de tous temps manifestée par les économistes pour les impôts indirects qui écrasent spécialement les travailleurs, on comprendra sans peine l’apologie de l’alcoolisme que vient de faire M. Fournier de Flaix.
- Néanmoins, ce ne sont pas ces raisons que l’apologiste de l’acool a développées. Il s’est surtout attaché à démontrer que Falcoolisme, loin d’être une cause de dégénérescence, était au contraire un facteur de vitalité. Gomme preuve à l’appui, il invoque les tables de natalité qui indiquent une proportion de naissances plus considérable dans le pays à forte consommation d’alcool que dans les pays à consommation moindre. A escompte, la misère, elle aussi, pourrait être considérée comme un facteur important de la prospérité vitale d'un pays, puisque les mêmes tables de natalité nous enseignent que la proportion des naissances est de beaucoup plus grande dans certains pays misérables que dans certains pays prospères. Le mot de prolétaire, appliqué à ceux qui sont dénués de toute ressources, indique d’ailleurs suffisamment le degré de fécondité des malheureux. Proies, à l’origine, signifiait : qui a beaucoup d’enfants. Il s’est ensuite, par extension, appliqué aux classes ouvrières, de telle sorte qu’aujourd’hui, prolifique signifie à la fois : qui a beaucoup \d’en-fants et qui fait beaucoup de malheureux. Est-ce & dire que la misère soit un élément de prospérité pour un pays ?
- Nous ne suivrons pas M. Fournier de Flaix dans N série d’étonnants paradoxes qu’il a développés ^ns la Revue scientifique. Aussi bien, le sujet de 1 alcoolisme est trop triste, pour que nous ayons le cœur d’en plaisanter. Nous avons voulu seulement si§ualer à quelles conclusions les doctrines éco-û°hiistes peuvent aboutir.
- Quiconque a senti avec nous le devoir d’arracher l’humanité à la misère et aux tristes conséquences qu’elle enfante, parmi lesquelles l’alcoolisme, cet état dégradant, qui est la négation même des nobles fonctions de la vie humaine ; quiconque a déploré qu’aux misères matérielles qui affaissent le travailleur, s’ajoute la misère morale de l’alcoolisme qui l’avilit, sera révolté des abominables théories de ces sycophantes de l’ordre social actuel. Et s’il en était qui doutassent encore des intentions de l’économie politique, il leur suffirait de savoir qu’elle glorifie la propagation de l’alcool, pour être désabusés sur le compte d’une pareille science.
- -------------—.« > . ----------------—
- CHAULES SAVILLE
- par ROBERTSON
- Roman philosophique
- — Savez-vous bien, mon bon monsieur Muller, ditCam-piglio, que vous êtes presque en train de me convertir ? J’aime la manière dont vous disculpez le créateur du mal que fait l’homme et de celui qu’il endure. Mais l’homme n’est pas le seul être qui souffre sur la terre. Les animaux souffrent aussi et n’ont rien fait pour cela. Est-ce la faute de la souris, si léchât la déchire ?
- — Il est peut-être un peu tard pour aborder aujourd’hui cette question, dit Muller, mais demain, si vous voulez, nous essayerons de la résoudre.
- Chapitre XVII
- CAUSERIES ET RÊVERIES. — SUITE,
- — Nous sommes partis d’un principe, dit Muller, avec lequel votre pensée a dû se familiariser : le dualisme de ns l’unité. Et, entre autres exemples, je vous ai cité l’air, regardé comme un élément jusqu’à Lavoisier, et formé d’azote et d’oxygène. J’ai maintenant à vous reparler d’une autre loi, dont nous avons déjà dit quelques mots : la variété dans l’unité. Changez les proportions d’azote et d’oxygène, et au lieu de cet air pur, indispensable à notre existence, vous aurez un liquide corrosif, d’une énergie effrayante, l’acide nitrique ou l’eau forte, qui brûle et désorganise. Le dualisme peut donc avoir les formes les plus variées. Les combinaisons de l’esprit avec la matière en offrent de nouvelles preuves innombrables. Portons notre attention sur deux de ces formes : l’accord et l’antagonisme. L’accord, c’est l’union intime des deux principes, c’est leur équilibre parfait. Son double type sur la terre, c’est la femme dans toute sa grâce et sa beauté, réunissant les dons de l’esprit à ceux du corps c’est l’homme accompli, l’homme devenu par l’intelligence et l’association le souverain de son globe. L’antagonisme, c est la résistance que la matière oppose à l’esprit; c’est le besoin de satisfaire à tout prix les appétits brutaux ; c est la lutte, c’est la guerre. La race humaine, au moment de son
- p.543 - vue 546/838
-
-
-
- 544
- LE DEVOIR
- apparition sur la terre, a dû subir cette loi de l’antagonisme, pour les raisons que je vous ai dites dans notre dernier entretien. Elle a pour mission de continuer l’œuvre de l’esprit créateur, en achevant de subjuguer la matière. Mais son enveloppe matérielle lui a tellement obscurci l’intelligence, qu’elle n’a pas encore su trouver la loi de l’association, condition sine qua, non de son triomphe. Or, tant que durera l’antagonisme de l’homme avec la nature, et surtout de l’homme avec l'homme, les imperfections de celui-ci, ses vices et ses crimes, sé refléteront de mille manières sur tout ce qui l’entoure. Ils s’y refléteront par l’effet d’une loi d’analogie, dont la démonstration serait trop longue, mais dont j’esquisserai les principaux traits fort brièvement. L’homme physique et moral est un petit monde, je l’ai déjà dit, je crois, et dois le répéter ici. C’est le. résumé de la création (sur le globe qu’il habite, bien entendu); et la nature est un vaste miroir, dont les innombrables facettes le représentent sous tous ses aspects. Ainsi, toutes les bêtes de rapine, de pillage et de violence sont autant d’images du fort opprimant le faible. Nous pouvons en prendre pour type, l’aigle, image du grand seigneur féodal, qui bâtit son aire sur un rocher, d’où il fond sur sa proie ; ou le lion, le roi des animaux, qui vit de ses sujets. Je n’irai pas plus loin. Vous savez tout aussi bien que moi combien les fabulistes et les poètes sont ingénieux à déchiffrer ces emblèmes, que la nature nous offre de toutes parts.
- — La rose est l’emblème de la jolie femme, dit Edouard.
- — Le chien est l’emblème de la fidélité, dit Mortimer.
- — Le perroquet est l’emblème du bavard, dit Murray.
- — Et le hibou, dit Schwartz, de quoi est-ce l’emblème ?
- — De l’ennemi des lumières, parbleu ! dit Campiglio. Mais, mon cher monsieur, continua-t-il, d’après votre loi d’analogie, si jamais l’homme devient aussi bon qu’il est méchant, toutes les races laides et malfaisantes disparaîtront donc ?
- — Non-seulement elles disparaîtront, répondit Muller, mais elles seront remplacées par des races dout la bonté et la beauté ajouteront aux jouissances de l’homme.
- — Mais, monsieur, dit Murray, votre imagination vous entraîne. Songez donc que la création n’a duré que six jours, et qu’elle est finie.
- — Elle est si peu finie, dit Campiglio, que tous les jours il se fait des générations spontanées. Mais ne sortons pas de notre sujet. M. Muller a levé mon objection contre la cruauté du créateur envers l’homme, en rejetant sur celui-ci la cause de tous les maux qu’il endure. Je ne dis pas qu’il m’ait convaincu ; mais je trouve ses raisons ingénieuses, et je m’en contente. Maintenant, il croit lever aussi mon objection sur le carnage de tous les instants, qui met en coupe réglée les autres êtres vivants et les fait dévorer les uns par les autres. 11 répond à cette objection en mettant toujours la faute sur le dos de l’homme. Mais cette fois, son explication me semble faible.. Qui nous prouve qu’une fois l’homme devenu parfait, il n’y aura plus ni vermine, ni reptiles, ni bêtes féroces ? Et à supposer encore qu’un si beau jour arrive,
- où sera le dédommagement pour les agneaux égorgés par les loups, pour les poules égorgés par les renards, et pour les souris égorgées par les chats, pendant les siècles qui auront précédé ? Que la race humaine recueille le fruit de ses sottises, qu’elle boive la coupe qu’elle s’est préparée riende mieux, c’est justice. Mais pourquoi la brute, qui n'en peut mais, est-elle condamnée à porter le poids des iniquités de l’homme ? La gazelle, que le tigre déchire, avait-elle une loi d’association à trouver? Le cheval, qui expire sous les coups du charretier, plus brute que lui, avait-il par hasard mangé du foin défendu ?
- — Votre argumentation est pressante, dit Muller. Cependant, j’y répondrais, je crois, victorieusement, si je pouvais vous mener par la filière des raisonnements qui, d’inductions en inductions, m’ont conduit à ce que je crois être la vérité. Mais ces détails m’entraîneraient trop loin, et auraient peu d’intérêt pour nos amis. Sautons donc à pieds joints par-dessus toute la série des déductions, et supposons que l’homme, ayant j-enfin compris que la guerre est absurde, en est arrivé à gouverner unitaire-ment son globe. Les improductifs ont été rendus au travail utile; la terre est cultivée ; la végétation a remplacé le sable des déserts, les marais sont desséchés, les grandes sources de maladies contagieuses ont disparu.
- — Pardon si je vous interromps, dit Saville ; mais je tiens beaucoup à ne pas perdre une de vos paroles. Qu’entendez-vous par les improductifs ?
- — En général, tous les oasifs, dit Muller, ceux qu consomment et ne produisent pas.
- Saville rougit, et Muller continua.
- — En particulier, je ne vous citerai qu’un exemple :
- les armées, cette conséquence fatale de l’antagonisme. Avez-vous jamais réfléchi à ce que c’est qu’une armée? C’est la fleur d’une nation ; c’est l’élite de ce qu’il y a de jeune, de vigoureux, de brave, de sain et de bien constitué dans un pays. Eh bien, cet élite, qui serait une des parties les plus essentiellement productrices des forces de l’humanité, cet élite qui contribuerait si puissamment à centupler les splendeurs du globe, elle est employée à ravager en temps de guerre, et condamnée à l’inaction en temps de paix. Il y a bien d’autres improductifs, moins beaux et moins vaillants. Je disais donc que la terre, ne formant plus qu’une famille harmonieusement constituée les espèces malfaisantes disparaîtraient, par la raison qu’un miroir ne peu refléter que ce qui existe. Mais le docteur Campiglio ne se contente pas de cette raison : il faut donc lui en donner une autre. (.A suivre.)
- État civil du Familistère.
- Semaine du 9 au 15 Août 1886 Naissances :
- Le 9 Août, de Florentin Alfred Charles, fils de Florentin Paul et de Duchemin Marthe.
- Le 14 Août, de Brancourt Marie, fille de Brancourt Arthur et de Lenglet Esther.
- Le Directeur Gérant : GODIN
- Guise. — lmp. Baré.
- p.544 - vue 547/838
-
-
-
- 10’ Année. Tome 10.— N" 416 Le numéro hebdomadaire 20 c. Dimanche 29 Août 1886
- REVUE DES QUESTIONS SOCIALES
- BUREAU
- a GUISE (Aisne)
- Toutes les communications
- ABONNEMENTS PAYABLES D’AVANCE par l’envoi, soit au bureau de Guise, soità celui de Paris de timbres-poste ou de mandats de poste, dont le talon sert de quittance.
- et réclamations doivent être adressées à M. GODIN, Directeur-Gérant Fondateur du Familistère
- France Un an ... Six mois. . . Trois mois. .
- 10 fr. >» 6 »» 3 »
- Union postale Un an. . . 11 Ir. »» Autres pays
- Un an. . . . 13 fr. 60
- ON S’ABONNE
- A PARIS
- 5, rue Neuve-des-Petits*Champs Passage des Deux-Pavillons
- S’adresser à M. LETMARflE administrateur delà Librairie des sciences psychologiques.
- SOMMAIRE
- Les améliorations sociales et l'initiative patronale Réponse au « Moniteur des Syndicats ». —-Le nouveau Parti conservateur. — La responsabilité des fonctionnaires. — La grève de Vier-zon. — La situation économique en Allemagne. — Aphorismes et préceptes sociaux. — Faits politiques et sociaux de la semaine.— Les certificats d’études et l’instruction primaire au Fami-lislère.— Statistique criminelle. — Le cléricalisme dans l’Enseignement. — Une machine à voter. — La Scarlatine. — Charles Saville. —
- État civil du Familistère.
- ----—---------. • -+» * - ——-—---•
- LES AMÉLIORATIONS SOCIALES
- ET L'INITIATIVE PATRONALE
- Réponse au moniteur des syndicats
- Nous avons signalé, dans un de nos derniers numéros, l’importante discussion qui a eu lieu au sein du conseil municipal de Paris sur la réduction de la durée de la journée de travail. On se rappelle que le conseil municipal, entrant en partie dans les vues des conseillers socialistes, qui demandaient la réduction de la journée à 8 heures, s arrêta à une fixation intermédiaire de 9 heures. Naturellement, nous avons applaudi à cette déci-Sl°n et exprimé le vœu que la résolution prise par ia municipalité parisienne ne soit qu’un premier Pas dans la voie ouverte de la réglementation Sociale, un exemple salutaire donné par le conseil la capitale aux autres municipalités françaises, ^0nt l’intervention, en matière de travail, si elle
- se généralisait, aurait pour conséquence de forcer le Parlement à l’adoption de mesures générales efficaces, protectrices des travailleurs.
- Cette approbation nous vaut d’être pris à partie par le Moniteur des syndicats qui, après avoir reproduit le passage du Devoir relatant la discussion du conseil municipal de Paris, écrit à l’adresse du Fondateur du Familistère les lignes suivantes :
- Tout cela est fort bien, mais il nous semble que si l’honorable M. Godin, dont la maison occupe de douze à quinze cents ouvriers, prêchait d’exemple, c’est-à-dire commençait par réduire à neuf heures par jour la durée du travail dans ses ateliers, ce serait encore mieux. (1) Au lieu d’attendre le bon vouloir des municipalités, il les précéderait dans la voie réformatrice qu’il approuve. Et outre les municipalités, nous estimons que d’autres maisons lui emboîteraient le pas sur ce terrain économique. 11 y a là un point de départ où les hommes de progrès doivent être jaloux de s’engager les premiers ; et, en raison du passé de M. Godin, nous avons tout lieu de croire qu’il sera le premier inscrit dans l’application de cette mesure. »
- Notre confrère ne se trompe pas, quand il pense qu’en raison de son passé, M. GodinU) sera le premier inscrit dans l’application d’une mesure tendant à réduire la journée de travail, et dont l’initiative serait prise par le patronat lui-même, au lieu de l’être par le Parlement. Mais le patronat
- (1 ) Ce n’est pas à M. Godin que devrait s’adresser le Moniteur des Syndicats. Il ne doit pas ignorer, en effet, puisqu’il a consacré plusieurs articles à notre Association, que le Familistère ne saurait être considéré comme « la maison de M Godin». Le Familistère est une association d’ouvriers dont M. Godin est le gérant et premier p associé, parce qu’il l’a fondée,— voilà tout.
- p.545 - vue 548/838
-
-
-
- 546
- LE DEVOIR
- français prendra-t-il cette initiative ou même suivrait-il ceux qui la prendraient ? Les industriels français occupant un nombre considérable d’ouvriers et s’inspirant des principes de philosophie sociale dont M. Godin a tenté la réalisation, c’est-à-dire considérant leurs ouvriers autrement que comme des machines à produire, voyant en eux des êtres complets, appelés à se développer en se perfectionnant au triple point de vue matériel, intellectuel et moral, et constatant que ce développement ne peut s’opérer dans l’ordre de choses actuel, avec les longues et déprimantes journées de travail qui atrophient les facultés intellectuelles et morales sacrifiées au fonctionnement intensif de leurs seules facultés matérielles spécialisées — ces industriels, disons-nous, consentiront-ils à prendre l’initiative de réduire la journée de travail, d’améliorer, en un mot, la situation de leurs ouvriers ?
- Si un patron isolé comme l’association du Familistère, « prêchant d’exemple » ainsi que le demande le Moniteur des Syndicats, opère cette réduction, tente d’appliquer ces améliorations, les autres patrons,ses concurrents, l’imiteront-ils ?
- Toute la question est là. Car si le patron n’est pas suivi, et qu’il veuille appliquer toutes les réformes qu’il croit la classe ouvrière endroit d’obtenir, ses améliorations se tourneront contre lui, partant contre le but même qu’il poursuivait, puisque sa défaite industrielle sera le triomphe de ses concurrents,que la victoire remportée raffermira dans leurs pratiques abusives.
- On ne saurait, en effet, échapper aux conditions de temps et de milieu économiques dans lesquels on évolue. Et puisque notre confrère parisien a cru devoir adresser les exhortations plus haut au Fondateur du Familistère, nous allons illustrer d’un exemple ce que nous disons de la tyrannie du milieu à laquelle on ne peut se sous traire isolément que dans une mesure tout à fait bornée.
- Au Familistère de Guise, la durée de la journée, qui dans la région est de douze heures, a été réduite à dix. Indépendamment des avantages dont jouissent les ouvriers de notre Association, leur minimum de subsistance déterminé par le nombre des enfants, la mutualité, la participation, etc., les salaires sont en moyenne plus élevés de 30 p. 0/o que partout ailleurs. Dans ces conditions, pourrait-on tenter de réduire encore la journée de travail sans danger pour l’association? Non, et voici pourquoi: l’année dernière des industriels concurrents alarmés par la crise,réunirent leurs ouvriers et leur
- donnèrent à choisir entre : une réduction de sa. laires de 25 0/o ou la fermeture des usines. Les ouvriers acceptèrent la réduction. La moyenne annuelle des salaires distribuées aux ouvriers du Familistère s’élève à 1.800.000francs. Uneréduction de 25 p. 0/o équivaudrait donc à une économie de main d’œuvre de 450.000 francs par an, économie que les autres patrons ont réalisée au détriment des ouvriers, qui n’ont pas été appelés à prendre part aux augmentations de bénéfices survenues les jours de prospérité, mais sont appelés aujourd’hui àparticiper, dans la proportion du quart de leurs salaires, à la diminution de profits causée parla crise. Je le répète,ce sont des concurrents directs; et qui ne voit qu’ils se sont assurés par là un avantage considérable sur nous ?
- L’initiative patronale individuelle subordonnée aux conditions d’un tel état de choses dont la lutte concurrentielle pour la vie est la loi générale, se trouve donc, de ce fait, comme on le voit par cet exemple, excessivement bornée.
- En ce qui concerne celle du Familistère, le Moniteur des Syndicats a constaté lui-même à maintes reprises que M. Godin y avait réalisé d’importantes améliorations — onpeutmême ajouter, sans crainte de dépasser la réserve qui nous est imposée dans ces colonnes— qu’il y a réalisé les améliorations les plus considérables connues. Or, les industriels français ont-ils suivi la voie qui leur était ouverte? Non, car nullepart, les patrons n’ont spontanémentabaissé la durée de la journée de ravail— les grèves multiples qui désolent la surface de notre territoire en sont un témoignage éclatant, et s’il nous fallait invoquer des documents officiels pour démontrer que les journées de travail de quinze heures sont dans plusieurs régions des journées normales, nous n’aurions que l’embarras du choix.
- Le minimum de subsistance n’a été assuré nulle part et ne semble pas près de l’être, puisque nous voyons les journaux et les revues économiques combattre cette revendication socialiste avec le dernier acharnement — et la plus insigne mauvaise foi, pouvons nous dire, car cet article est traité d’utopie insensée, et voilà des années qu’il fonctionne au Familistère.
- Il en est de même pour toutes les autres pratiques en usage à l’Association familistérienue Ce n’est donc qu’après avoir prêché d’exemple que M. Godin et le Familistère dont le Devoir est l°r‘ gane, appuient les revendications des socialistes, quand ceux-ci frappent à la porte des pouvoirs pu' blics,municipaux ou législatifs; parce qu’ils savent)
- p.546 - vue 549/838
-
-
-
- 547
- LE DEVOIR
- par expérience, qu’auprès des patrons, les ouvriers seheurteraient à une fin de non recevoir; que même, quelques patrons accueilleraient-ils favorablement- leurs revendications, ce serait dans une mesure insuffisante.
- Quant à l’invité que le Moniteur des syndicats adresse au Familistère sur le point particulier de ja réduction de la journée à 9 heures, si nous avions été assurés de ne pas être les seuls à innover cette réforme, il y a longtemps que la journée eût été réduite à neuf et même à 8 heures. Nous eussions donc épargné à notre confrère parisien de nous inviter « à précéder lesmunicipalités dans les voies réformatrices que nous approuvons. »
- La réduction de;la journée de travail est, en effet, d’une importance considérable à nos yeux, moins à cause de l’amélioration matérielle qu’elle procurera aux travailleurs que des conséquences générales de tout ordre qu’elle entraînera pour lui. — Ainsi que nous le disons au début de cet article, l’ouvrier n’est pas, dans la société contemporaine, à la place que lui assigne son rang dans l’échelle des êtres. Au même titre que ses employeurs, l’ouvrier est homme, c’est-à-dire un être organisé ayant à remplir des fonctions matérielles, intellectuelles et morales. Ses fonctions ne doivent pas se borner à produire, mais il doit encore penser et aimer, pour satisfaire aux conditions essentielles de tout être social, dont le concours est dû, à ce triple point de vue, à l’œuvre du progrès et de l’évolution humains. Or, dans la société actuelle,avec les longues journées de travail, l’ouvrier ne peut pas penser, encore moins aimer, au sens social du mot. Gomment, après une journée de labeur écrasante, les membres las, le cerveau engourdi par la fatigue, penserait-il ? Et comment aimerait-il, quand son intelligence, endolorie par lesprivations et l’affaissement du travail, évoque à sa pensée les iniquités dont il souffre, le système de monopoles et de privilèges économiques,du hautduquel, le théoricien conservateur lui prêche la concurrence, c’est-à-dire la guerre acharnée, sans trêve ni pitié, sans recours ni merci! C’est donc autant dans un but de moralité sociale que de justice économique Proprement dite, que nous préconisons la réduction de la journée de travail, non pas même à Qeuf heures, mais à huit heures.
- Et c’est parce que nous savons l’initiative patro-û&le isolée impuissante à l’amener, que le Devoir réclamé l’intervention de la loi réglementant la durée de la journée. En attendant que le parleront vote cette règlementation, nous appuyons
- l’intervention des grandes municipalités en ce qui touche les travaux exécutés dans les chantiers de leurs entrepreneurs, parce que ce n’est que dans ces conditions, que la réforme pourra être obtenue et la main du parlement forcée.
- Nous ne partageons pas les illusions du Moniteur des syndicats sur l’empressement que mettraient « d’autres maisons à emboîter le pas » au Familistère, si celui-ci réduisait la journée à neuf heures. C’est pourquoi on n'a pu, pour les raisons invoquées plus haut, la réduire seulement que de 12 à 10. Mais comme nous l’avons déjà maintes fois proposé, que les industriels consentent, en dehors de l’action gouvèrnementale, à s’entendre pour tenter la réduction à 9 ou mieux à 8 heures, et cette fois, le Moniteur ne sera pas déçu, le fondateur du Familistère de Guise et ses associés seront les premiers inscrits.
- En attendant, comme, si la classe ouvrière se berçait de l’espoir de voir les patrons prendre l’initiative de la réduction de la journée de travail, elle risquerait d’attendre sous l’orme la réforme bien longtemps, nous approuvons ses appels réitérés aux pouvoirs publics et nous applaudissons
- toutes les fois que ceux-ci leur donnent satisfaction.
- Le nouveau Parti conservateur.
- Il n’est bruit,dans les coulisses du monde politique,que du nouveau programme conservateur que vient de lancer M. Raoul Duval, en compagnie d’un certain Lepoutre, député du Nord qui se dit député de Roubaix.
- Sans attacher à cette évolution naturelle du parti conservateur l’importance que lui attribuent opportunistes et radicaux — les uns approuvant, les autres critiquant le programme-manifeste, — cette pièce ne mérite pas moins d’être conservée à titre de document.
- Après la politique de conservation à outrance qui a été la marque distinctive de la politique républicaine suivie jusqu’à ce jour, les gages non équivoques que tous les partis républicains, jusque et y compris la fraction qui compte MM.Lockroy et Granet dans le cabinet actuel, ont donné aux intérêts des possédants, à la classe des privilégiés et des monopoleurs, il est tout naturel que ceux de ces derniers restés, par respect humain, attachés à une forme gouvernementale quelconque, fassent leur entrée dans un gouvernement républicain jusqu’à ce jour si doux aux intérêts qui leur sont chers.
- M. Jules Ferry ne s’était d’ailleurs pas fait faute de leur faire signe, et le programme-brûlot lancé par M. Raoul Duval ne doit être certainement que la suite, le deuxième acte de la triste comédie politique dont l’ex-président du conseil s’était chargé de jouer le prologue.
- p.547 - vue 550/838
-
-
-
- 548
- LE DEVOIR
- Voici, en effet quelle invitation, M. J. Ferry adressait aux conservateurs dont M. Raoul Duval peut être considéré comme le prototype, dans son discours présidentiel au conseil général des Vosges :
- Le parti conservateur renoncera-t-il à ses chimères ? Comprendra-t-il enfin qu’en dehors de la République franchement et résolument acceptée il n’y a plus pour les conservateurs dignes de ce nom ni rôle politique sérieux à prétendre ni action efficace à exercer sur les grands intérêts nationaux ?
- Nul ne le souhaite plus vivement que nous. Il n’est pas bon pour le pays qu’une partie de ses forces vives se consume dans une protestation impuissante. Il faut à une République bien constituée un parti conservateur. Tempérer la démocratie, la modérer, la contenir, est un noble rôle, mais pour le remplir il ne faut pas se séparer d’elle.
- Puissent les conservateurs qui s’attardent le comprendre un jour 1
- C’était dire, en d’autres termes : la République actuelle n’est-elle pas la meilleure des monarchies ? Les intérêts des grands propriétaires ou grands industriels, sucriers ou céréaliers, n’ont-ils pas été suffisamment garantis et même protégés au détriment des intérêts ouvriers ? Pourquoi les conservateurs, dont on a suivi fidèlement la politique, resteraient-ils en dehors de la République et ne lui apporteraient-ils pas leur concours ?
- M. Raoul Duval, qui doit être quelque chose dans le conseil d’administration de la compagnie de Decazeville, a pris la parole au nom des réactionnaires ainsi publiquement provoqués, et a livré au Temps le projet de programme — nous allions dire de marché — suivant :
- Les soussignés, en vue d’assurer, pendant la législation actuelle (i 885-89), aux diverses questions qui seront soumises au Parlement, des solutions démocratiques, conservatrices et libérales, croient devoir préciser comme suit les conditions de leur entente :
- Article premier. — Ils s’engagent à se maintenir sur le terrain constitutionnel et s’interdisent, tant qu’ils feront partie du groupe, toute action personnelle ou collective en vue de changer la forme du gouvernement.
- Art. 2. — Ils s'opposent à toutes les entreprises socialistes contre la constitution de la famille et delà propriété, contre les droits individuels des citoyens.
- Art. 3. — En vue d’amener l’apaisement dans les esprits, il ne sera admis aucune diminution nouvelle dans le budget des cultes. Toute mesure ou proposition ayant le caractère d’une vexation antireligieuse sera combattue. Autant que possible, toute discussion sur ces matières sera écartée.
- Art. 4. — Dans toutes les questions relatives à l’enseignement, les membres du groupe se prononceront pour les solutions de nature à maintenir et à étendre la liberté sincère de l’enseignement et la sauvegarde des écoles libres. Ils s’opposeront à la constitution du monopole de l’enseignement entre les mains de l’Etat.
- Art. 5. — En matière de taxes publiques, les innovations telles que les propositions d’impôt sur le capital ou le revenu seront repoussées. La politique d’économie sera soutenue et les augmentations de taxes seront combattues. Le groupe appuiera toutes les propositions qui tendront à rétablir dans la répartition des charges publiques l’égalité au profit de la propriété foncière surchargée. Il proposera et appuiera les
- mesures propres à favoriser lesintérêts des classes ouvrières tant agricoles qu’industrielles, à faciliter la constitution et là conservation de l’épargne ouvrière.
- Art. 6.—Si le Parlement est saisi de questions provoquées par des grèves ou autres conflits d’ordre industriel' elles seront résolues dans les transactions et au mieux des intérêts respectivement engagés.
- Art. 7. — Dans les projets relatifs à notre organisation militaire, le recrutement des carrières libérales, de l’enseignement et du clergé sera sauvegardé ; les facilités indispensables au développement de notre commerce, de notre agriculture et de notre industrie seront accordées.
- Art. 8. — Toutes les lois d’exception et de spoliation seront repoussées sans acception de personnes.
- Art. 9. — Chacun des adhérents conservera sa liberté d’action en matière économique.
- Art. 10. — Dans les vérifications de pouvoirs, il sera statué sans préoccupations politiques, que les députés contestés appartiennent à la Droite ou à la Gauche.
- Art. H. — Dans toutes les élections préparatoires des travaux législatifs (bureaux, commission, etc.), les adhérents s’efforceront d’assurer, à toutes les fractions de la Chambre une part de représentation proportionnelle.
- Art. 12. — Le groupe prend le titre de...
- Le Temps a approuvé ce programme ; c’est lui d’ailleurs qui était chargé de la présentation du nouveau-né au public. A la suite du Temps, M. Spuller lui donne un vif témoignage de sympathie dans la République Française. Il estime que le moment est aussi opportun-que jamais, pour bien accueillir « l’entrée des conservateurs de bonne foi dans la République ». Il ajoute que « l’appel qui leur a été adressé par M. Ferry devait rencontrer une adhésion unanime parmi tous les républicains plus soucieux de fonder et d’affermir leur gouvernement que d’occuper le pouvoir pour l’exercer et pour jouir de ses avantages ». Il montre enfin combien nous aurions besoin d’avoir, dans les Chambres, « deux partis qui puissent occuper tour à tour le pouvoir pour le plus grand bien de la nation : les progressistes, quand il y aura de grandes et sérieuses réformes à faire passer dans les lois ; les conservateurs, quand le pays aura besoin de répit et de repos, les réformes ayant été votées et établies ».
- Les autres journaux opportunistes ne sont pas moins explicites dans leur approbation, ce qui prouve que la pièce était machinée de longue main et qu’on n’attendait qu’une occasion propice pour le lever du rideau.
- Certains journaux dits avancés,mus par des sentiments politiques non équivoques à l’égard du cabinet actuel que menace la nouvelle coalition, se sont élevés avec violence, sinon contre le fond même de ce programme, au moins contre l’alliance dont il est le terrain. Mais ils ne sauraient, à moins de contradictions formelles, en contester les lignes générales. A part certains articles spéciaux, tels que le maintien du budget des cultes, la direction politique indiquée par le nouveau programme n’a-t-el!e pas été la direction générale suivie jusqu’à ce jour ? Naguère encore, M. Bahïaut ministre des travaux publics, répondant à M. Camèlinat, qui lui demandait de forcer la Compagnie de Decazeville à mettre fin â la grève
- p.548 - vue 551/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 549
- par l’application les lois de 1810 et de 1838, M. Bahïaat, disons-nous, ne prenait-il pas la défense de la propriété et jflême de la famille, qui n’avait cependant rien à voir dans l’affaire ? Nous ne trouvons donc pas ce programme aussi excentrique qu’on veut bien le dire. A part quelques articles vagues, qui dénotent que les rédacteurs eux-mêmes n’ont p3S pu se soustraire aux craintes sociales qu’inspire la situation actuelle, et montrent qu’ils se sont appliqués à observer une certaine réserve de langage prudente en matière de législation économique, d’où les promesses indécises contenues dans l’article 5 à l’adresse des ouvriers,à part ces légères réticences, cette pièce est le document humain par excellence de la troisième république.
- Hélas ! il est la preuve patente de l’aveuglement qui obscurcit l'entendement des classes dirigeantes. Aujourd’hui comme hier, comme toujours, alors que sonne, avec son caractère de fatalité historique, l’heure inéluctable d une transformation sociale hâtée par l’accroissement des iniquités qui ont signalé ces vingt dernières années, au lieu de se mettre résolument à l’œuvre que cette transformation réclame, on songe à recommencer 48, à défendre la propriété et la famille contre les socialistes ! comme s’il suffisait d’étouffer le socialisme, c’est-à-dire l’expression des douleurs sociales, pour supprimer aussi les souffrances auxquelles est en proie l’humanité présente, en genèse d’une civilisation et d'une organisation sociales nouvelles !
- La Responsabilité des Fonctionnaires.
- Nous lisons dans nn journal anglais le fait-divers suivant :
- Le tribunal du Banc de la Reine de Londres vient de cou-damner le gouverneur de la prison Holloway, M. Millmann, à payer une indemnité de 50 livres sterling (1,250 fr.) à un prisonnier nommé Osbonne. Ce prisonnier n’avait été condamné qu’à la peine de réclusion sans labeur obligatoire, et le gouverneur lui avait imposé arbitrairement des travaux forcés.
- En France également, des directeurs de prison abusent de l’autorité qui leur est conférée par le règlement, commettent envers leurs prisonniers toutes sortes d’irrégularités, d’où les révoltes quotidiennes qu’on signale dans les maisons de détention. Mais pour provoquer contre les directeurs français une eomdamnation du genre de celle qui vient d'atteindre le directeur de la prison d’Hol-Way, combien de malheureux auraient dû Courir en cellule, subir, de longues années du-rant, les travaux les plus exténuants et les traitements les plus odieux ?
- c’est, en France, un des préjugés gouvernemen-taux les plus répandus dans la région du pouvoir, "Ou plutôt dans le monde judiciaire,— qu’il nefaut
- pas affaiblir l’autorité publique en appliquant rigoureusement la loi à ceux des dépositaires de cette autorité qui en mésusenl. Aussi, toute revendication contre un fonctionnaire est-elle frappée d’avance d’une fin de non-recevoir certaine. Nous ne parlons pas de l’action de la justice contre les fonctionnaires coupables d’actes arbitraires, elle est toujours nulle.
- Voilà, par exemple, les incidents dePorquerolles. Les faits révélés par la presse étaient abominables. Les traitements infligés aux malheureux enfants de l’assistance publique constituaient assurément des crimes odieux. Devant l’indignation générale que leur divulgation avait soulevée, la magistrature n’a pas pu moins faire que de procéder à une enquête. A quoi a-t-elle abouti ? à la constatation flagrante des faits et à l’arrestation de deux ou trois employés infimes, domestiques subalternes qui peuvent être des brutes fort cruelles et très méchantes — mais irresponsables, à raison de la passivité de leurs fonctions. Mais les vrais coupables ?M. deRoussen, l’Inspecteur de l’assistance publique ? Ils ne seront même pas poursuivis !
- En Angleterre, ces actes eussent donné lieu à des poursuites et à des condamnations sévères.
- La semaine dernière encore, à Belfast, neuf agents de police ont été arrêtés et emprisonnés par ordre du Coroner, sous l’inculpation de meurtre commis pendant les* charges de police qui ont signalé les troubles de ces derniers temps.
- En France quand une manifestation donne lieu à des désordres dans la rue, les agents de police peuvent donner libre cours à leur caractère brutal, parfois sanguinaire, l’impunité leur est assurée.
- Quand donc pratiquera-t-on comme en Angleterre le principe de la responsabilité des fonctionnaires ?
- LA GRÈVE DE VIERZON
- Nous avons parlé de cette grève dans notre dernier numéro; nous en avons brièvement raconté les origines et dit à quel noble mobile de générosité et de solidarité ouvrières avaient cédé les travailleurs dans ce conflit.
- La grève continue encore à l’heure qu’il est, calme en apparence, car le gouvernement a fait rentrer une partie des troupes à Bourges, qu’elles n’auraient jamais dû quitter; tout danger de complications tragiques nous paraît donc ércaté. Mais si l’ordre matériel régne à Vierzon, — la Société de construction attendant paisiblement que ses ouvriers capitulent, les ouvriers, de leur côté, s’organisant pour forcer la Compagnie à capituler — cet
- p.549 - vue 552/838
-
-
-
- 550
- LE DEVOIR
- ordre n’est qu'apparent, tout extérieur, et la situation est singulièrement tendue.
- Si le gouvernement a opéré le retrait d’une partie des troupes, les pouvoirs publics ne cessent pas pour cela de faire sentir rudement aux grévistes que l’autorité est contre eux, et qu’on mettra à profit toutes les imprudences, pour frapper ceux qui se laisseraient entraîner par l’exhubéiance de leur tempérament à des manifestations intempestives.
- C’est là malheureusement la caractéristique de toutes nos grèves, que les plus légitimes, celles où le droit des travailleurs ne sam ait faire l’objet d’aucune contestation sérieuse, ne puissent se produire, sans que des grévistes soient emprisonnés.
- Il y aura tantôt une dizaine d’années que les juges font fonctioner à tour de bras les articles 414 et 415 du code pénal, cette fameuse loi sur les coalitions, qui date de l’Empire et qu’on croyait tombée en désuétude. Depuis, c’est par milliers que les ouvriers ont été condamnés à des peines très-sévères,variant de 15 jours à 8 mois de prison. Et plus nous allons, plus les condamnations se multiplient, frappant sans pitié d’obscurs travailleurs qu’elles jettent en prison, pêle-mêle avec les voleurs et les assassins. Car, si, lorsqu’un M. des Isnards quelconque est condamné pour brutalités sur des agents, son titre de vicomte, ou plutôt sa qualité de privilégié de la fortune lui donne droit à tous les égards, le pauvre ouvrier condamné pour faits de grève est traité avec une dureté odieuse.
- Les journaux satisfaits, dont les journalistes bien payés et bien pensants n’ont aucune raison pour se plaindre des iniquités sociales, invoquent, pour justifier ces condamnations,l’existence de la loi, qui doit être appliquée, tant quelle est en vigueur. Mais la loi ne vise pas spécialement les ouvriers. Les délits de coalition ne s’appliquent pas qu’à eux. Comment se fait-il que ce soit toujours les ouvriers qu’on condamne, jamais les patrons? On aura beau arguer de tout le respect possible de la loi, il y a là une anomalie, des faits qui parlent plus haut que toutes les arguties et toutes les distinctions.
- Ainsi, à Vierzon, l’ordre matériel n’a pas encore été troublé. Lundi dernier, comme nous l’avons dit, un rassemblement s’était formé, composé surtout des habitants de Vierzon et non exclusivement des ouvriers grévistes.Aussitôt, d’opérer des arrestations ! Les ouvriers arrêtés ont été conduits à Bourges les menottes aux mains, comme des malfaiteurs. Là ils ont été condamnés à l’emprisonnement.N’est-ce pas ici une manœuvre directe, dénaturé à peser sur la grève?Et que peuvent penser les ouvriers de ces condamnations, dans les circonstances spéciales qui ont provoqué le conflit? Car il ne faut pas oublier que le point de départ
- de la grève de Vierzon est l’obstacle opposé pap la Société à la formation d’un syndicat; — c’est-à-dire, en somme,— une violation de laloicommise par les patrons. Les patrons violent la loi et l’on condamne les ouvriers !
- Ensuite on accusera les socialistes d’organiser la guerre de classes! Mais cette guerre, c’est vous qui la pratiquez, gouvernement de privilègiés qui écrasez les travailleurs de toute la force de votre pouvoir judiciaireet administratif,toujours,enD’im. porte quelle eirconstrnce ! vous qui laissez impunies les violations les plus flagrantes de la loi ! Ce sont les patrons qui l’organisent à Vierzon....
- Les dernières dépêches nous apprennent, en effet, que les ouvriers porcelainiers ayant voulu venir en aide à leurs frères de travailles ouvriers de la Société de construction, aussitôt les patrons porcelainiers de la région se sont réunis et ont jeté les bases d’un syndicat patronal destiné à empêcher toute tentative de hausse des salaires. Us annoncent même publiquement, qu’à la fin du mois, un tarif uniforme inférieur à celui existant dans certaines usines sera payé dans tous les ateliers. Nous en appelons aux esprits impartiaux. Cette ligue patronale dans les conditions et les circonstances particulières que traverse ce pays, ne constitue-t-elle pas une incitation détestable aux colères les plus folles 1
- N’est-ce pas la guerre de classes nettement caractérisée, qu’on organise,en rejettant d’un côté la classe ouvrière dans ses misères sans espoir de lendemain ni d’amélioration, et en formant,de l’autre, des'ligues auxquelles magistrature et armée apportent un concours exclusif, même quand la loi a été violée, comme c’est bien le cas à Vierzon.
- A Vierzon, la classe ouvrière le comprend ainsi, et elle s’organise de son côté. Non pas pour la guerre sans but et sans idée; mais avec le calme et l’énergie prudente que donne un vif sentiment du droit outragé, en vue de résister à outrance à la réalisation des exhorbitants projets patronaux. Nous sommes convaincus que, grâce aux recommandations des chefs du mouvement ouvrier qui ne cessent de prêcher la prudence et la modération, la lutte pourra se prolonger sans danger pour la tranquillité matérielle. D’après ce que nous pouvons juger de la population ouvrière de Vierzon, celle-ci nous paraît être douée de qualités exceptionnelles d’intelligence et de développement social qu’on ne trouverait peut-être pas partout ailleurs. L’esprit de solidarité dont font preuve les diverses corporations du pays nous en est un sur garant.Mais qu’adviendrait-il,s’il en était autrement? A quelles catastrophes aboutiraient les agissements patronaux, si leurs provocations tombaien sur une population qui n’aurait pas l’expérience des luttes politiques et sociales dont fait montre celle de Vierzon ? A des mouvements révolutionnaires aveugles,—- peut-être à la guerre civile .
- p.550 - vue 553/838
-
-
-
- LE DEVO IR
- 551
- Bien coupables sont donc les excitateurs,inconscients ou volontaires, de si déplorables conflits !
- Cet article était écrit quand a été publié le pro-cès verbal d’une entrevue du Comité de la grève cleVierzon avec le Préfet du Cher.
- Malgré la longueur de ce document,nous croyons devoir le reproduire in-extenso. Les ouvriers parlent dans cette pièce un langage très digne, exposent leurs revendications en termes précis. Il y a d’ailleurs, dans la communication du préfet au Comité un passage qui mérite d’être signalé : c’est celui où il annonce que la Compagnie se dispose à faire appel à des travailleurs étrangers. Nous voulons croire que cette menace ne se réalisera pas, ce serait peut-être le point de départ d’un conflit inévitable. La question des ouvriers étrangers déplacés par les patrons en temps de grève est une question trop importante pour que nous la traitions dans ce numéro; nous l’étudierons prochainement. Maisnous devions la signaler pour marquer la résistance à outrance de la société patronale.
- Voici le procès-verbal :
- Ce matin, à huit heures, le maire de Vierzon-Ville fit prévenir le Comité de la grève et le bureau de la chambre syndicale qu’ils étaient priés de se rendre à la mairie.
- Les deux comités se rendirent aussitôt à celte invitation. Ils trouvèrent avec le maire, le préfet et le procureur de la République.
- « Messieurs dit le préfet, je'vous ai fait appeler pour vous entendre une seconde fois. Je ne représente pas la Société française, mais je dois chercher s’il y a moyen d’établir entre vous et elle une entente qui fasse cesser la grève. La Société française déclare ne pouvoir reprendre tous ses ouvriers, mais, comme elle vous l’a déjà proposé, elle vous offre encore de reprendre cent quarante d’entre vous sans distinguer entre ceux qui se sont mis en grève et ceux qui d’abord étaient restés. Sans cependant être en mesure de l’affirmer, je crois pouvoir dire que la Société française accepterait peut-être de réduire d’une heure la durée du travail, afin de pouvoir faire rentrer une vingtaine d’ouvriers en plus.
- « Vous ferez bien de réfléchir avant de refuser ces propositions ; il serait tout naturel que la Société fasse appel aux ouvriers étrangers, ce qui amènera un état de choses bien plus à redouter pour vous, et mon devoir sera de le maintenir en faisant respecter la liberté du travail, malgré le dommage qui en peut résulter.
- « Il y a,d’ailleurs, maintenant, unnouvel administrateur,M. Rigaudin, venu à Vierzon, avec lequel vous pourrez d’autant mieux vous aboucher qu’il ne peut être l’objet de rancunes que vous avez contre les employés de la Société à qui vous avez eu affaire jusqu’ici. » A une question qui lui fut faite : s’il pouvait nier que la Société française eût choisi pour les persécuter et les renvoyer les adhérents de la chambre syndicale, le préfet déclara qu’il n’avait rien à dire, car il n’avait pas mission de parler au nom de la Société; qu’il était là comme préfet exclusivment.
- Le citoyen Thuillier prit alors la parole au nom des comités de la grève et de la chambre syndicale et, appuyé par tous
- les membres présents qui intervinrent au cours du débat,
- déclara : « Que les propositions de la Compagnie étaient inacceptables et que l’intervention du préfet et du procureur de la République, pas plus que tout autre, n’y pouvait rien changer ;
- Que la grève avait eu lieu pour que le droit de chacun de faire partie de la Chambre syndicale fût affirmé et reconnu par la Société française, qui l’avait nié et avait tracassé, persécuté, renvoyé, tous ceux qui ne voulaient pas renoncer au syndicat ;
- Que la grève avait eu lieu pour faire cesser les indignes tracasseries qui faisaient que pour la moindre cause, pour la fantaisie d’un surveillant, pour le fait d’avoir quitté sa place pour se laver les mains, même un ouvrier travaillant aux pièces se voyait enlever dix pour cent de son salaire ou davantage sans aucun motif relatif au travail ;
- Qu’enfin la grève avait eu lieu plus encore si c’est possible pour affirmer la solidarité entre les ouvriers, en empêchant qu’une partie soit renvoyée, les ouvriers préférant ne travailler qu’un nombre d’heures moindre, donc être moins payés, mais arriver à ce but quetous puissent être gardés et travailler, ne voulant pas voir, en ce temps de chômage, leurs camarades livrés à la misère et à la faim ;
- Què les causes de la grève étaient aussi celles de son maintien; que tous les ouvriers étaient unanimes; que l’assemblée générale des grévistes avait donné mandat à leur comité de les soutenir et de faire prévaloir ces revendications qui n’étaient nullement en contradiction avec l’organisation possible du travail et de la production de la Société française, ainsi que le comité s’engageait à le prouver ; que d’ailleurs ces conditions d’organisation étaient réservées pour une entente après débat contradictoire dans les résolutions suivantes prises parles grévistes, et qui formaient le mandat du comité.
- Ces conditions, signées au nom de tous les grévistes par le comité de la grève, nous vous les remettons afin que vous sachiez aussi bien que la Société française ce qu’elles sont et quelles sont les seules conditions auxquelles il nous soit possible de traiter.
- En voici le texte :
- « Conformément au mandat qui nous a été donné par l’assemblée générale des grévistes, et suivant lequel nous ne pouvons et ne devons traiter que pour la totalité des ouvriers en grève,
- « Nous demandons :
- « 1° Que la rentrée de tous ait lieu sans exceptions ni exclusion aucune, les conditions et l’organisation du travail devant être réglées ultérieurement après entente d’une manière équitable ;
- « 2° Qu’il n’y ait plus ni amendes, ni retenues, ni diminutions arbitraires, ni tracasseries injurieuses ;
- « 3° Que le droit absolu de faire partie de la chambre syndicale soit reconnu à chaque ouvrier.
- Et ce document signé fut remis aux mains du préfet.
- Le citoyen Thuillier a ensuite déclaré qu’au cas où méconnaissant toute vérité ou toute justice la Société française ferait, comme l’avait indiqué le préfet, appel au travail étranger, elle échouerait misérablement. Qu’en effet, au cas où il se trouverait des ouvriers assez dénués de tout esprit de solidarité pour venir ici chercher à manger le pain des autres, ils seraient bientôt obligés de partir en reconnaissant qu'on voulait les faire travailler à un prix rendant la vie impossible pour tout homme qui n’est pas du pays.
- Le comité de la grève a enfin ajouté avant de se retirer, qu’il n’avait pas à aller trouver le nouvel administrateur pas plus que les autres employés; que les conditions posées par les grévistes et qui venaient d’être remises au préfet étaient connues, publiques, qu’ils ne pouvaient en accepter d’autres, et que c’était à la Société française de voir si elle voulait, en les acceptant, mettre fin à la grève. Que les ouvriers faisaient,
- p.551 - vue 554/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 552
- par ces propositions, toutes les concessions possibles, mais qu’on ne pouvait exiger d’eux de renoncer à leur liberté d’association syndicale, pas plus qu’à leur devoir desolidarité. Qu’ils attendaient donc fort de leur bon droit, que la Société française le reconnût et acceptât ces conditions si légitimes. Le comité de la grève :
- E. Thuillier, E. Chamfrault, Roy, E. Charpentier, E. Taillebois, Délas, Tardie.
- .—---------------- — ——-------------------
- La situation
- en Allemagne
- On a l'habitude, en France, de considérer notre pays comme subissant seul la crise commerciale. Les esprits les plus prévenus sont maintenant obligés de reconnaître que toutes les puissances traversent une phase critique pour leur commerce et leur industrie.
- L’Angleterre, souvent citée pour sa richesse commerciale et son grand trafic, n’a pas été épargnée: les émeutes recentes de Londres, les meetings ouvriers de ces derniers temps, nous ont montré que l’état économique de ce pays n’était pas plus florissant que le nôtre.
- L’Allemagne même, dont on suit depuis plusieurs années le développement industriel et commercial, n’en est pas exempte ; il suffit, pour s’en rendre compte, de lire les rapports des chambres de commerce allemandes.
- Et pourtant, on sait que l’Allemagne est protectionniste, qu’elle applique de la manière la plus absolue le système de la protection, cette panacée réclamée par quelques-uns en France, comme étant le seul remède capable de nous ramener à l’âge d’or.
- Aujourd’hui, l’expérience est faite en Allemagne, et les partisans de la protection sont obligés de reconnaître quelle n’a pas donné d’activité nouvelle au commerce, ni protégé l’industrie, qu’elle défend en faisant le vide autour d’elle.
- Voici, en effet, ce que disent, au sujet de la situation économique diverses chambres de commerce allemandes.
- Chambre de commerce de Liegnitz : « La fin de la crise n’est pas à prévoir; le système protectionniste inauguré par l’Allemagne a eu ses imitateurs, et notre industrie, qui vit d’exportation, voit ses débouchés fermés. »
- Chambre de Chemnitz : « Le recul des affaires est dû au système protectionniste, qui a provoqué des représailles ; l’industrie allemande est actuellement dans une situation de plus en plus fâcheuse, le mouvement des affaires est lentement paralysé et l’amélioration espérée ne viendra
- pas. »
- Chambre de Darmstadt : « La production est excessive et la consommation est réduite, les hauts droits à l’étranger repoussent les produits allemands, et la consommation est réduite, par la dépréciation du capital et la baisse de l’intérêt. » Puis viennent la Chambre de Hanau, qui déclare que l’année est plus mauvaise que les précédentes, à cause des « hauts droits » protecteurs ; la Chambre de Carlsruhe attribue le malaise à « l’insécurité provoquée par cette course menaçante des hauts droits ; » la Chambre de Crefeld constate que la protection n’a fait « qu’augmenter la consommation des produits nationaux et l’a diminuée au dehors. » Les chambres de Coblentz, Heidenheim, Kenttingen, Cologne, se prononcent catégoriquement contre la politique douanière de l’empire.
- Enfin, la chambre de Munster vote un ordre du jour de défiance au prince de Bismarck, dont l’incompétence en matière économique est cause de la situation fâcheuse causée au pays.
- L’unanimité des protestations des chambres commerciales allemandes contre le système protectionniste qu’elles viennent de mettre à l’essai est assez concluant, croyons-nous.
- Cet exemple convaincra-t-il en France les partisans de lt protection ?
- Nous n’osons l’espérer.
- ---------------------------------------------—__
- APHORISMES & PRÉCEPTES SOCIAUX
- CXIX
- Réforme de l’impôt
- Le domaine social étant reconstitué par le droit d’hérédité nationale, les citoyens ne payeraient plus à l'Etat que des impôts volontaires ; car ils n’auraient plus d’autres redevances à acquitter que celles du fermage des biens qu’ils loueraient ou achèteraient à l’Etat lui-même.
- Faits politiques et sociaux de la semaine
- FRANCE
- A Vierzon. — Le tribunal correctionnel de Bourges a jugé lundi les nommés Lasseur, Demessent, Bablet et Chaussé qui avaient été arrêtés à Vierzon, à la suite de la charge que firent les gendarmes dans les rue de cette ville.
- L’affaire de Carteaux et Claude, arrêtés pour les mêmes faits, a été remise à samedi, ces derniers faisaient défaut.
- Une influence nombreuse et sympathique aux accusés se pressait au Palais de Justice.
- Me Millerand, député de la Seine, est assis au banc de la défense.
- Les seuls témoins à charge étaient les gendarmes, qui ne sont pas parvenus à échafauder une accusation sérieuse. Le maréchal des logis s’est surtout fait remarquer par sa violence.
- Il a été facile aux témoins à décharge et aux prévenus de détruire l’accusation portée contre eux. Le procureur de la République, Plaisant, fort gêné et ne pouvant abandonner l’accusation, a prononcé un réquisitoire tout à fait banal et dans lequel l’embarras se montrait à chaque phrase.
- Me Millerand a fait au contraire, une admirable plaidoirie qui a réduit à néant, l’accusation. L’éloquent défenseur a fait surtout ressortir que la loi sur les syndicats avait été violée par la Compagnie et ses directeurs, le sénateur Arbel et MM. Montiel et Bernardon.
- Après quelques minutes de délibération, le tribunal a condamné Lasseur et Demessent à huit jours de prison, Bablet, à quatre jours et Chausset, à deux jours.
- Le soir, a eu lieu une importante réunion publique au bénéfice des grévistes.
- MM. Vaillant, conseiller municipal de Paris ; Baudin et Darmet, conseiller généraux du Cher, et Samson, conseiller
- p.552 - vue 555/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 553
- d’arrondissement, ont pris la parole. L’Affluence était considérable.
- Voici les renseignements que fournit au Temps son correspondant de Vierzon, sur la ligue des porcelainiers dont nous parlons dans l’article consacré à la grève de Vierzon.
- « Les ouvriers porcelainiers et verriers de Vierzon chômeront lundi, afin de se livrer à une grande manifestation en faveur des grévistes. Ils participent à l’hostilité que ceux-ci manifestent contre la Société française. Les ouvriers mécaniciens des usines concurrentes de cette dernière se mêlent aussi au mouvement. Bref, tous les ouvriers montrent un surprenant esprit de solidarité.
- « De leur côté, les patrons porcelainiers ont résolu d’opposer à l’organisation ouvrière une organisation analogue. Ils se syndiquent au nombre de dix, en vue d’établir un tarif des salaires uniforme pour tous les ateliers. Jusqu’ici, chaque usine payait un salaire particulier.
- « Cette mesure, que les patrons porcelainiers comptent appliquer à la fin du mois, peut être le signal d’une grève générale. Elle préoccupe vivement l’autorité.»
- La présidence des conseils généraux est la suivante :
- Si l’on excepte la Seine, la Corse et les trois départements algériens, dont les résultats n’entrent pas en ligne de compte mais dont les présidents d’ailleurs tous républicains, les présidents des 85 autres départements se partagent ainsi :
- 32 sénateurs républicains ;
- 15 députés républicains ;
- 24 républicains, non membres du Parlement.
- Et d’autre part :
- 5 sénateurs réactionnaires ;
- 3 députés réactionnaires ;
- 5 réactionnaires ne faisant pas partie du Parlement.
- BELGIQUE
- Le suffrage universel. — L’imposante manifestation belge en faveur du suffrage universel a-t-elle éclairé le gouvernement sur l’impossibilité de résister au courant populaire qui menace d’emporter toute résistance ?
- Voilà que les organes qui s’étaient déchaînés avec le plus de violence contre les manifestants et l’objet de la manifestation, viennent à résipiscence, et reconnaissent la nécessité de réviser la loi électorale belge dans un sens plus large. C’est l’impartial de Gand et le Journal de Bruxelles, feuilles cléricales officieuses qui avaient tenu dans ces derniers temps le plus violent langage réactionnaire, qui demandent aujourd’hui la révision de la constitution et déclarent que le suffrage universel devient inévitable, engageant leurs amis à prendre leur parti de cette réforme imminente.
- L’évolution de ces deux journaux est caractéristique. Tout le monde en a été surpris, mais il faudra s’attendre encore ^ plus d’une surprise de ce genre. L’avenir ménage des etonnements à ceux qui croient que tout étant pour le mieux, t()ute modification profonde dans le système politique et social actuel pourra être évitée.
- En attendant, les résultat matériels, constatons les résultats moraux obtenus par les manifestants du 15 août sur la
- question du suffrage universel, dont l’adoption n’est plus qu’une affaire de quelques jours.
- ANGLETERRE
- Un bureau de travail en Angleterre. —
- Pendant son passage au ministère libéral, M. Mundella a créé un bureau nouveau dont on paraît attendre, en Angleterre, do bons effets. Ce bureau est chargé de recueillir les renseignements sur la condition actuelle et l’avenir probable de la population industrielle du Royaume-Uni, où il existe en ce moment 13 millions d’ouvriers employés dans 3,000 industries différentes, et de les publier sous une forme populaire. L’ouvrage devra renfermer l’indication des divers emplois, du nombre d’ouvriers, des gages qu’ils reçoivent, du capital engagé, de l’état présent et de l’avenir du commerce, de l’influence du métier sur la santé et le confort de l’ouvrier, du manque ou du surcroît de travail, de l’ouverture ou de la fermeture des marchés.
- ÉTATS-UNIS
- La convention irlandaise de Chicago a
- tenu une nouvelle réunion.
- M. Fitz-Gerald, président, a déclaré que l’Irlande n’aurait pas la paix tant que durerait l’inimitié mortelle de l’Angleterre.
- Des résolutions ont été unanimement adoptées pour réclamer l’établissement du Self-gouvernement en Irlande, pour approuver l’action politique des parneiiistes, pour remercier M. Gladstone de ses efforts en faveur de l’Irlande et la démocratie d’Angleterre, d’Ecosse et du pays de Galles de l’appui qu’elle a prêté aux projets de M. Gladstone.
- Des remerciements ont été votés également au peuple américain pour avoir appuyé la cause irlandaise.
- M. Redmond, député irlandais, a prononcé ensuite un violent discours.
- La politique conciliante de M. Gladstone, a-t-il dit, a été abandonnée. L’odieux Castlereagh, lord Londonderry, a été envoyé à Dublin.
- Le peuple irlandais a montré qu’il pouvait être un ami fidèle, il faut qu’il montre maintenant qu’il peut être un ennemi formidable. Le gouvernement de l’Irlande par l’Angleterre est une impossibilité. Nous soumettre humblement au joug encore une fois serait nous montrer indignes de nos pères.
- La politique de l’Irlande va être, dans un avenir prochain, une politique de combat. Lord Salisbury prescrivait récemment, comme remède au mécontentement de l’Irlande, vingt années de coercition ; il oubliait que depuis la conclusion de l’acte d’union quatre-vingt-six ans ont passé et que le peuple irlandais se sent plus sombre que jamais.
- Le gouvernement a beau vouloir paraître éviter les mesures de rigueur, il sera obligé d’y recourir, car il n’a pas d’autre alternative s’il ne nous rend pas justice, s’il ne nous accorde notre liberté. S’imaginer que l’Irlande restera six mois tranquille sous un Castlereagh, c’est croire que son peuple est imbécile ou fou.
- Le règlement définitif de la question agraire doit maintenant être réservé au Parlement de l’Irlande. Le payement des fermages est une impossibilité ; partout ces fermages
- p.553 - vue 556/838
-
-
-
- 554
- LE DEVOIR
- sont exorbitants. La vieille lutte recommencera avant que trois mois se soient écoulés, et le gouvernement sera contraint de nous forger de nouveaux fers.
- La péroraison du discours de M. Redmond a été couverte d’applaudissements frénétiques.
- ESPAGNE
- L’Agitation Républicaine s’accentue en Espagne, — On annonce de Barcelone que quatre - vingts personnes ont été arrêtées près du parc de cette ville, sous la prévention de conspiration républicaine.
- D’après la Correspondencia de Espana, le bruit court à Malaga que les républicains de cette ville préparent un nouveau manifeste, dans lequel ils feront des déclarations de la plus haute importance.
- Les nouvelles de Séville sont unanimes à constater les craintes du gouvernement ayant trait à un prochain soulèvement militaire provoqué par les républicains.
- Aussi, les autorités redoublent-elles de surveillance et de précautions.
- Le commandant de la place de Madrid a réuni hier les chefs des divers corps d’armée et les a exhortés à une surveillance des plus actives, ce qui prouve bien que, dans les sphères gouvernementales, on redoute les agissements de conspirateurs.
- Les propriétés saisies. — Deux mille propriétés particulières ont été saisies par le fisc, dans huit villages de la province de Valence, faute de paiement des contributions.
- BULGARIE
- La révolution Bulgare. — La Russie triomphe.
- Jouée l’année dernière par le prince de Battenberg qui, au moment même où il jurait à M. de Giers de ne rien entreprendre sans l’agrément de Saint-Pétersbourg, tramait et exécutait le coup l’Etat du 10 septembre, elle a pris sa revanche samedi dernier en faisant détrôner son ennemi.
- Les premiers télégrammes donnaient cette révolution comme s’étant opérée à Widlin, un milieu d’une revue. L’exprince aurait été enlevé au milieu de l’armée qu’il conduisait, il y a quelques mois, à la victoire contre les Serbes.
- C’était au moins improbable.
- En effet, des informations les plus récentes et les plus sûres il résulte que le coup a été fait à Sofia.
- Les manifestants, composés de troupes révoltées et d’élèves de l’École-Militaire, ont entouré le palais dans la nuit, y ont pénétré et ont forcé le Battenberg à abdiquer. Après quoi on l’aurait dirigé sur un monastère, où il ne serait resté que quelques instants. De là on lui aurait fait franchir la frontière.
- A la suite de ces incidents, un gouvernement provisoire a été constitué dans lequel figure M. Zankof, le chef du parti russe en Bulgarie.
- Ce gouvernement, qui comprendrait les principaux représentants des diverses nuances de l’opinion, a lancé une proclamation dans laquelle il est dit que le prince Alexandre a rendu à la Bulgarie de grands services sur les champs de bataille, mais que dans les questions politiques, il a trop peu tenu compte de la situation de la Bulgarie en tant qu’Etat slave, ainsi que des bonnes relations du pays avec la Russie : c’est ce qui a rendu sa déposition nécessaire.
- C’est samedi, à deux heures du matin, que le palais a été cerné par le second régiment de cavalerie de Kustendil colonel Stoyanow. ’
- Aussitôt après, une députation composée de M. Zankoff du métropolitain Clément et de quelques autres russophiles/ se rendit auprès du prince Alexandre et lui demanda d’abdiquer Ce qui fut fait, de gré on de force. Les renseignements manquent.
- Loin de faire partie du gouvernement provisoire le ministre Karaveloff a été arrêté, ainsi que le major Nikolaïeff.
- Néanmoins, tout ne semble pas devoir être fini, car à l’heure où nous mettons sous presse, on annonce que des garnisons éloignées de Sofia refusent de reconnaître le nouveau gouvernement.
- On mande de Giurgevo à la Correspondance politique que l’armée bulgare qui est dans la Roumélie orientale a fait un pronunciamiento en faveur du prince Alexandre.
- Le colonel Moutkaroff a été proclamé chef du gouvernement. La garnison et la population de Schoumla et de Tirnovo se sont également prononcées en faveur du prince.
- L’article 9 du traité de Berlin qui prévoit le cas d’une vacance du trône de Bulgarie et ainsi conçu :
- Le prince de Bulgarie sera librement élu par la population et confirmé par la Sublime-Porte avec l’assentiment des puissances. Aucun membre des dynasties régnantes des gran-puissances européennes ne pourra être élu prince de' Bulgarie. En cas de vacance de la dignité princière, l’élection du nouveau prince se fera aux mêmes conditions et dans les mêmes formes.
- LES CERTIFICATS D'ÉTUDES
- ET
- L’INSTRUCTION PRIMAIRE AU FAMILISTÈRE
- Nous avons publié il y a quelque temps, les résultats obtenus par le Familistère au récent examen cantonal du Certificat d’études.
- Comme on le verra plus bas, ces résultats bruts, s’ils devaient être pris pour base moyenne de l’enseignement primaire donné au Familistère, nous permettraient d’établir la supériorité de cet enseignement sur celui donné dans les établissements scolaires proprement dits. 11 n’en est rien, cependant, les pratiques que l’institation du certificat a amenées dans l’enseignement nous paraissant présenter plus de dangers que d’avantages sérieux,pour l’instruction générale des jeunes générations ouvrières, à l’intention desquelles il a été créé.
- Quand on examine, en effet, si le but du législateur a été atteint par lanouvelle loi et les nouveaux règlements scolaires, on ne peut s’empêcher de remarquer que les progrès accomplis dans l’enseï-
- p.554 - vue 557/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 555
- gnement primairel’ont été au rebours de ceux accomplis dans l’enseignement secondaire et supérieur.
- 11 est patent que depuis cinq ou six ans, de louables efforts ont été tentés par le gouvernement de la République pour répandre l’instruction primaire dans les masses. Ce minimum d’instruction primaire accordé aux fils de la classe travailleuse est certainement de trop peu d'importance, puisqu’il n’ouvre pas à tout enfant ou adolescent qui s’en rendrait digne, les écoles supérieures ni même secondaires. Tant que le vaste répertoire des connaissances humaines ne sera pas rendu accessible à tous par voie de concours, c’est-à-dire de mérite, et que cette accessibilité ne se?a pas garantie par l’entretien matériel des enfants et des adolescents, la prétendue égalité des citoyens dans l’instruction ne sera qu’un vain mot.
- Néanmoins, étant données les résistances de tout ordre qu’une réforme semblable rencontrerait auprès des privilégiés de la fortune et partant de l’instruction, on doit reconnaître les louables efforts tentés. De nouvelles écoles ont été ouvertes là où il n’y en avait point, le budget de l’instruction publique a été augmenté. Tout cela doit être porté à l’actif du gouvernement de la République.
- Malheureusement on n’a pas pris assez garde à ceci : que l’examen du certificat d’études, préparé avec les moyens insuffisants dont dispose le budget de l’instruction primairç, finirait par devenir pour les enfants des écoles communales ce qu’est le baccalauréat pour l’enseignement universitaire.
- Depuis une dizaine d’années, cette question du baccalauréat et le mode de préparation auquel il donnait lieu ont fait le fond des polémiques universitaires. On reprochait très justement au mode de préparation du baccalauréat de bourrer la mémoire des jeunes gens de faits chronologiques sans ordre ni rapports entre eux ; de développer exclusivement la mémoire aux dépens de l’intelligence et du jugement,— de faire, en un mot, des bacheliers, au lieu d’hommes instruits, possédant les connaissances variées et considérables què sup-" pose le programme de l’examen.
- L’accusation était fondée, puisqu’il existait des établissements secondaires fabriquant à la lettre des bacheliers,— des manuels qui, à l’aide d’exercices mnémotechniques savamment disposés, permettaient au plus médiocre d’affronter l’examen avec chance de succès.
- On a essayé d’y remédier en modifiant les programmes, en restreignant la partie mnémotechni-
- que, et en développant celle qui stimule l’esprit de recherche et de déduction.
- Eh bien 1 les mômes reproches adressés à l’examen du baccalauréat peuvent être formules-aujourd’hui contre le certificat d’études.
- Son institution est excellente et son programme constitue un progrès sérieux : mais l’insuffisance de moyens l’empêche de donner tous les fruits qu’elle pourrait produire. L’organisa tion de nos écoles communales est telle, que pour préparer cet examen, il faut que la mémoire de l’enfant soit également soumise à un entraînement — qu’on me passe l’expression — au cours duquel l’enfant est mécaniquement préparé à répondre aux questions du programme. Ces abus sont infiniment graves. D’abord, à cause de l’âge si tendre auquel ces pauvres cerveaux sont déformés, ensuite parce qu’il n’existe pas entre les écoles d’un même ressort scolaire les rapports de concours existant entre les collèges et les lycées d’un même ressort universitaire. De sorte qu’on peut impunément négliger l’instruction des premiers. Il suffit, la dernière année, d’un instituteur patient et courageux, pour former dans un an des candidats passables, et même excellents. Les notes données par l’autorité primaire aux écoles, dépendant du nombre d’élèves reçus, c’est sur le certificat que se porte tout l’effort du chef de l’école, c’est sur les enfants en âge de concourir à l’obtemption de ce certificat et qui, jusqu’à ce jour, avaientété complètement négligés, que se concentre toute l’attention. Après l’examen,l’école qui a obtenu une plus grande quantité de certificats et de bons numéros de classement est félicitée ; les parents se réjouissent, les enfants sont contents : ils vont être délivrés à tout jamais du fardeau ennuyeux de longues journées passées en classe pour piocher le questionnaire ! Mais que reste-il. je vous le demande, des exercices de mémoire auxquels ils ont été entraînés ?
- C’est là le danger que présente le mode actuel de préparation à l’examen du certificat d’études, et il est à déplorer que la question d’une surveillance plus rigoureuse à établir dans les écoles pour empêcher ces éclosions hâtives d’élèves admissibles au certificat ne soit pas agitée. Elle vaut qu’on s’en occupe pour le moins tout autant que du baccalauréat.
- Le certificat d’études n’aura de valeur, en effet, qu’autant qu’il représentera un ensemble de connaissances réellement acquises par une instruc-
- p.555 - vue 558/838
-
-
-
- 556
- LE DEVOIR
- tion lente et graduée. Alors, véritablement, on pourra se réjouir de l’accroissement constant du nombre de certificats obtenus par les élèves de nos écoles communales.
- Au Familistère, où l’association consacre annuellement 25.000 francs au budget des écoles, on a pu procédera l’organisation d’un enseignement qui n’est pas à la portée des écoles communales réduites à un budget et à un personnel tout-à-fait dérisoires. Dans ces conditions, le certificat d’études n’est l’objet d’aucune préparation spéciale au Familistère. La graduation est constante. L’enseignement donné dans une classe est la préparation naturelle, qu’on s’attache à obtenir sans effort, pour aborder l’enseignement de la classe suivante. Les élèves qu’on présente au certificat d’études, par exemple, n’ont pas été préparés particulièrement à cet examen, mais bien à acquérir les connaissances requises pour passer dans les cours complémentaires qui suivent la classe qui fournit généralement les candidats au certificat.
- On comprendra que si les résultats ainsi lentement obtenus à l’examen cantonal, ont été considérables, bien que ces résultats ne puissent être pris comme étalon de la moyenne d’instruction de nos enfants, de beaucoup plus élevée, ils n’en sont pas moins un indice de l’excellence de l’enseignement. C’est seulement à ce point de vue, que nous voulons faire ressortir les résultats dernièrement obtenus.
- Aussi bien, puisque nous sommes amenés, par l’actualité, à traiter ce sujet, la rapide étude comparative que nous allons faire des résultats du dernier examen, répondra suffisamment aux attaques auxquelles se sont livrées quelques feuilles cléricales de la région,qui ont cru pouvoir affirmer que l’enseignement du Familistère se tenait à grand peine au niveau de l’enseignement primaire du canton. On va en juger :
- Le nombre total des élèves présentés au certificat d’études s’élevait, pour le canton de Guise, a 131, sur lesquels: 42 filles et 89 garçons.
- Le Familistère, à lui seul, présentait 21 élèves, dont 9 filles et 12 garçons.
- Les examens ont donné l’obtention de 105 certificats pour tout le canton, sur lesquels : 20 ont été attribués au Familistère.
- Mais la population du Familistère n’est que de 1748 habitants, tandis que celle du canton de Guise dépasse 20.000 ! Nous avons donc le tableau suivant,quidonne la proportion,pour chaque population, des résultats obtenus.
- Proportion de certificats Population Certificats obtenns obtenus par 1000 habit.
- Canton de Guise: 20000 105 5 23 0/oo
- Familistère : 1 748 20 11 45 0/qo
- Le nombre proportionnel des certificats obtenus par la population du Familistère est donc plus du double de celui obtenu par la population du canton !
- Que si, maintenant, on examine la proportion des élèves refusés, l’avantage n’est pas moins grand pour le Familistère : Voici, en efiet, le tableau comparatif des élèves proposés et refusés, avec la proportion p. 0/o des refusés.
- Moyenne
- Elèves Elèves Proportion générale
- présentés reçus pourO/o pour 0/q
- Canton • ) Filles . 42 37 88 »»
- ' Garçons 89 68 76 40
- Familistère ! | Filles. 9 9 100 ï>»
- ! J Garçons 12 11 91 66
- La proportion des élèves du Familistère reçus est donc, par rapport aux élèves présentés, de 95 83 0/o, tandis que celle du canton est de 82 20 p. 0/o — soit une différence de 13 63 0/o encore en laveur du Familistère ! Et ce, malgré que nous ayons, proportionnellement, présenté un nombre d’élèves double de celui présenté par le canton !
- Nous ne saurions trop le répéter, nous ne nous targuons pas de ces chiffres,qui ne représentent pas exactement la moyenne de l’instruction primaire donnée aux enfants du Familistère, puisque des cours complémentaires viennent encore étendre,raffermir et compléter l’ensemble de connaissances graduellement enseignées dans les classes préparatoires,jusque et y compris celles qui présentent les élèves au certificat. Mais nous avons tenu à ajouter ces quelques commentaires explicatifs aux résultats du dernier examen, parce qu’il y a là une question de haute importance qu’il conviendrait de résoudre dans le sens du mode d’enseignement pratiqué au Familistère.
- STATISTIQUE CRIMINELLE
- La direction générale de la statistique italienne vient de publier un travail de statistique criminelle que résume ainsi le journal Vltalie dans un de ses derniers numéros :
- La proportion des individus condamnés . pour homicides de toutes espèces par 100.000 habitants est pour l’Italie de 8,12; pour la France de 1.56,
- p.556 - vue 559/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 557
- pour la Belgique de 1,78 ; pour l’Allemagne de 1,11 pour le Royaume-Uni, de 0,60 ; pour l’Autriche de 2,24 ; pour la Hongrie de 6,09, pour l’Espagne de 7,83.
- C’est donc FItalie qui fournit le plus d’homicides en Europe, avec l’Espagne et la Hongrie.
- La série des « coups et blessures » donne la première place à l’Autriche : 248 condamnés sur 100.000 habitants, puis vient la pacifique Belgique, 177; puis l’Italie 162; puis l’Allemagne, 129. Nous avons ensuite la France, 65; la Hongrie, 46 ; le Royaume-Uni, 7,19 seulement.
- Dans la catégorie des « attentats aux mœurs », l’Italie occupe une meilleure place.
- Le pays qui fournit le plus fort contingent de condamnés est la Belgique,15,11; puis l’Allemagne, 14,03 ; puis la France, 4,77 ; l’Autriche 9,18 ; la Hongrie, 6,52 ; l’Italie, 3,77. Le Royaume-Uni ne donne que 1,70. Après les révélations de la Pall Mail Gazette, qui l’eût dit ? La dernière place est occupée par l’Espagne, 0,95.
- Nous arrivons à la catégorie des vols de toutes espèces.
- C’est encore l’Allemagne qui occupe la première place : 222 condamnés pour 100.000 habitants , l’Italie vient immédiatement après, avec le chiffre de 154; puis nous trouvons le Royaume-Uni, avec cette remarque que, dans la moyenne de 147, l’Eoosse figure pour un coefficient de 222. Après sont : la Belgique, 128, la France, 112; la Hongrie, 77 ; l’Autriche, 60 ; l’Espagne, 56.
- Maintenant, s’il était permis de réunir toutes ces catégories et d’additionner les chiffres que nous venons de constater pour chacune, on constaterait que c’est l’Allemagne qui occupe le plus haut échelon de l’échelle du crime, et l’Angleterre le plus bas.
- Le Cléricalisme dans l'Enseignement.
- Les professeurs de l’université ne sont-ils donc pas maîtres de leurs pensées et de leurs actes ?
- Lors des dernières élections, quelques-uns d’entre eux, attachés au collège de Compiègne, avaient manifesté leurs sympathies pour les candidats républicains. Dénoncés par un journal réactionnaire de la ville, ils reçurent aussitôt la lettre suivante :
- Monsieur,
- J’ai le regret de vous annoncer que M. l’Inspecteur d’académie m’a chargé de vous infliger un blâme très sévère pour la part active que vous avez prise aux dernières élections.
- M. l’inspecteur rappelle que les manifestations politiques 0u antireligieuses (évidemment ledit inspecteur vise la société de la Libre-Pensée) sont formellement interdites à tout fonctionnaire de l’Université.
- Il est regrettable que vous n’ayez pas compris que le collège serait victime de votre imprudence.
- Je vous prie, etc.
- Signé, X..., principal.
- Les manifestations politiques ou anti-religieuses sont formellement interdites aux fonctionnaires de l’enseignement — dans l’exercice de leurs fonctions. Us ont la mission de rester neutres, dans leurs classes, et c’est déjà une singulière faiblesse, quand les hommes du clergé ont toute liberté, dans l’église, dans la chaire on dans le confessionnal. Mais, en tout cas, nous ne nous expliquons pas qu’un de leurs chefs ose leur contester l’indépendance, lorsqu’ils ont franchi la porte de l’établissement où ils font leurs cours.
- X.,., le principal, et son inspecteur prétendent que \q collège sera victime de leur imprudence. Cette insinuation est passablement impertinente pour M. Goblet, et nous aimons à croire que le ministre de l’instruction publique renverra à ses auteurs le blâme très sévère qu’ils adressent, sans motif, à des citoyens qui n’ont fait qu’exercer un droit incontestable.
- UNE MACHINE A VOTER
- On peut voir en ce moment à Paris, à l’Exposition ouvrière, une curieuse machine à voter qu’on doit prochainement installer au Sénat et à la Chambre des députés.
- Cette machine a pour but de faire cesser les erreurs, d’empêcher les pertes de temps et d’éviter aux votants de se déranger de leurs pupitres, pour aller déposer leurs bulletins à la tribune, ce qui, quelquefois, comme on l’a vu récemment pour le général Faiderbe, était fort pénible.
- Cette machine, basée sur l’électricité, est de l’invention de M. Debayeux. En voici la description exacte :
- Chaque membre de l’assemblée a devant lui, sur son pupitre, un transmetteur portant trois boutons, un pour oui, un pour non et un pour l’abstention.
- Ces trois boutons ne peuvent fonctionner qu’autant que le vote est ouvert ; un taquet, mû par un électro-aimant, les condamne et le Président seul, au moyen d’un contact placé devant lui, peut les rendre libres.
- Une disposition spéciale empêche de baisser à la fois les trois bouffons du transmetteur, afin d’éviter toute confusion. Le commutateur est un immense plateau sur lequel se trouvent autant de contacts qu’il y a de boutons dans l’assemblée, c’est-à-dire trois fois plus que de membres. Ces contacts sont placés sur trois cercles concentriques : un pour les oui, un un pour les non et un pour les abstentions.
- L’enregistreur se compose de sept cylindres évidés et juxtaposés, comme eeux d’une roue de loterie. De ces sept cylindres, les deux premiers à gauche, le 4e et le sixième, portent des numéros de 1 à 500 par exemple, si l’assemblée a 500 membres ; les 3e, 5e et 7e portent les noms par ordre alpha-
- p.557 - vue 560/838
-
-
-
- 558
- LE DEVOIR
- bétique de chaque membre de l’assemblée. Ces noms et ces numéros sont mobiles dans le sens du rayon et peuvent se soulever sous la pression d’une fourchette mue par un mécanisme spécial.
- Une feuille de papier, déroulée par uu mouvement d’entrainement, presse à la partie supérieure du cylindre entre une barre-tampon garnie de cartouche placée extérieurement et parallèlement à l’axe de rotation du cylindre.
- Malgré la complication de ce système, le fonctionnement en est, paraît-il, très simple.
- Le vote clos, le Président condamne les transmetteurs. Le préposé au vote met en mouvement le commutateur et les cylindres fixes, Sous l’action du courant, les cylindres mobiles : oui, non ou abstention, suivant le cas, avancent d’un cran, et les noms et les numéros plaeés àlaparlie supérieure, soulevés par les fourchettes, serrent la feuille de papier contre la barre-tampon et s’y impriment.
- L’opération finie, on trouve sur la feuille, à l’endroit du premier cylindre, le nombre des votants, au second cylindre e nombre des ouis, au troisième leurs noms, au quatrième lies nons et au cinquième encore leurs noms.
- En moins de cinq minutes, si nombreuse que soit une assemblée, le résultat du vote peut être connu. Voilà qui ferait réaliser une jolie économie de temps à nos Chambres.
- —---------------------» - » •--------------------------
- La Scarlatine
- La scarlatine ou fièvre pourprée est, chronologiquement, la plus récente des fièvres éruptives. Elle n’apparaît dans notre Occident qu’à la fin du seizième siècle, alors que la rougeoie et la variole remontent au sixième siècle de notre ère. Elle apparut d’abord à Breslau en Silésie, puis s’étendit graduellement sur tout le globe habité, avec des phases de sommeil, parfois si longues, que l’on pouvait croire cette fièvre disparue, jusqu’au brusque moment de son réveil épidémique. La scarlatine aime le Nord, elle a une incontestable prédilection pour la Hollande, la Suède, et surtout la Grande-Bretagne, où elle cause annuellement plus de décès que la fièvre typhoïde chez nous. Avec le temps, sa gravité s’est accrue, à l’inverse de ce qui se produit ordinairement pour les grands fléaux morbides : en 1640, Sydenham hésitait à lui donner le nom de maladie ; deux cents ans plus tard, notre Bretonneau dit qu’il faut la craindre à l’égal de la peste et du choléra !
- Une grande et curieuse découverte vient d’éclore à Londres dans ces derniers temps, au sujet de l’origine de la scarlatine Un de nos confrères, aussi savant qu’il est modeste, le Docteur Wyn er-Blyth. « officier of healt’s » de Saint-Mary-lebone, remarqua la connextion directe d’une épidémie scarlatineuse avec la distribution du lait provenant de certaine métaierie. Les vaches de cette métairie furent reconnues atteintes d’ulcérations spéciales des pis, dont le liquide, inoculé à des veaux, reproduisit une fièvre exactement semblable à la scarlatine. Des expériences se poursuivent en ce moment pour éclairer cette belle découverte, et en vérifier toute la valeur.
- Après une incubation de un à sept jours, l’invasion du mal est très rapide. En quarante-huit heures au plus, le sujet est
- en proie à une fièvre ardente ; il a des troubles gastriques très prononcés ; ses jointures sont douloureuses : il souffre d’une violente angine, avec engorgement des glandes du cou. Puis apparaît l’éruption, sous forme de plaques rouges, qu’efface la pression du doigt, et que l’ongle raie d’une trace blanchâtre et persistante. Les plaques rouges s’accompagnent d’une erruption de vésicules grosses comme de petits grains de millet. Les tâches sont d’abord limitées aux articulations et à la peau du ventre ; puis, elles se réunissent et se généralisent. Elles n’apparaissent au visage que tardivement : nos lecteurs savent que dans la rougeole, au contraire, c’est le visage qui est le premier atteint.
- Cependant, la fièvre augmente encore; la bouche et lagor. ge sont d’un rouge violacé, l’angine s’aggrave et s’étend. Mais, du sixième au huitième jour, l’éruption pâlit, les muqueuses s’exfolient ; la peau se desquame en larges plaques ; les doigts se dépouillent de leur peau comme d’un gant et les ongles sont souvent entraînés dans cette chute épidermique.
- La gravité du mal réside d’abord dans l’intensité de la fièvre qui peut revêtir les formes malignes, hémorragique, typhique, etc. Durant la maladie, on peut mourir des complications de l’angine, (gangrène, œdème de la glotte); succomber aux convulsions de l’éclampsie, à des épanchements purulents dans les articulations, la pièvre, le péricarde, à des inflammations du cœur et des reins, à des paralysies, caillots, etc.... Enfin on a à traverser les dangereuses étapes d’une convalescence longue et pénible, pendant laquelle l’aibuminerie, les inflammations des organes respiratoires, le rhumatisme scarlatineux, la danse de St-Guy, les abcès et les suppurations multiples, les paralysies infantiles, les accidents du côté du cerveau et de la mœlle, etc. peuvent se donner carrière. Ces graves accidents sont sonvent indépendants) des soins et des précautions : ce qui nous explique pourquoi la scarlatine, bien différente en cela de la rougeole, est aussi meurtrière pour les enfants des riches que pour ceux des pauvres.
- Le traitement de la scarlatine est purement hygiénique. Pendant la maladie, on prescrit des aliments liquides et des toniques, bouillon, vin, alcool, quinquina ; une ou deux purgations, quelques antispasmodiqueset sudorifiques anodins. On modère par des affusions fraîches, l’excès de la température fébrile. On lutte contre les complications qui se présentent. Pendant la convalescence, on abrite avec soin le sujet contre les variations météoriques : le tenir longtemps à la chambre, c’est lui éviter, presque à coup sûr, l’hydropisie, le rhumatisme et l’albuminurie suspendus sur lui. Une alimentation raisonnée complétera la cure et réparera l’épuisement organique produit par la fièvre et les déchets de l’épiderme.
- La scarlatine est très contagieuse, surtout pendant la desquamation. C’est à cette période qu’il faut principalement surveiller le malade et l’empêcher de toucher aux personnes et aux objets. Il faut même lui interdire d’écrire des lettres; puisqu’il existe dans la littérature médicale des observations authentiques de scarlatines transmises par ce procédé. Le scarlatineux sera isolé, on éloignera de lui surtout les enfants de trois à dix ans et les femmes en état puerpéral, qui sont très prédisposées à contracter la maladie. Il ne faut jamais porter un vêtement ayant appartenu à un scarlatineux, avant qu’il n’ait été désinfecté avec soin par l’étuve à 100 degrés. Les matelas, linges, draps et couvertures
- p.558 - vue 561/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 559
- seront soumis également à des fumigations sulfureuses. Les enfants des écoles ne seront réadmis qu’aprés un délai minimum de 40 jours. 9n concevra l’utilité de ces mesures sanitaires, lorsqu’on saura quelles ont diminué la mortalité par scarlatine de 50 0/q en Angleterre, de 75 O/o à New-York !
- DT E. Monin.
- CHARLES SAVILLE
- par ROBERTSON
- Roman philosophique
- Pourquoi n’y-a-il plus de loups ni de sangliers en Angleterre ? Parce que l’Angleterre est une île, et que ] la masse des habitants ayant agi unitairement, ou unanimement si vous voulez, pour extirper la race des loups et des sangliers, ces races y sont éteintes. Pourquoi n’est-on pas parvenu à les extirper, non plus que les autres races malfaisantes sur les continents ? Parce que la volonté des habitants n’y a pas été unanime, comme elle l’a été dans une île ; parce que les bêtes malfaisantes, repoussées d’une région, se réfugieut dans une autre ; ce qui ne pourrait avoir lieu si toute la terre était assainie et eultivée, et si tous ses habitants avaient une même pensée et une même volonté. Vous avez parlé de la vermine ; est-ce qu’il y en a chez les gens aisés, à qui l’on a appris que la propreté est une vertu ? Cependant elle n’est pas extirpée il s’en faut, chez les gueux, que les classes prétendues éclairées ne savent pas faire sortir de la crasse et de la misère. Mais ne dites pas pour cela que la vermine est indestructible. Ne dites pas avec le poète Pope, que le mal est nécessaire. La race humaine purifiera son domaine aussitôt qu’elle le voudra à l’unanimité. 11 me reste à justifier l’esprit créateur de l’accusation de cruauté. Ce sera, si vous le voulez bien, le sujet de notre prochainecauserie.
- Chapitre XVIII
- CAUSERIES ET REVERIES. — SUITE.
- — Quand je pense, dit Muller, que pendant cinq soirées consécutives, je me suis, pour ainsi dire, emparé de votre attention, messieurs, j’en suis un peu ?confus. Mais je concluerai aujourd’hui, et j’espère que vous ne m’en voudrez pas trop de vous avoir entretenu si lontemps de matières aussi sérieuses.
- Tous les assistants s’empressèrent, en gens bien élevés qu’ils étaient, d’assurer qu’ils prenaient beaucoup d’intérêts à ses explications ; sur quoi il continua ainsi :
- — L’esprit et la matière étant immortels, il est de toute évidence que la mort n’est qu’une transition, qu’un passage d’une manière de vivre à une autre manière de vivre. La mort pure et simple, survenant quand les organes sont usés, n’a donc rien de redoutable, et j’oserai ttême dire qu’elle n’a rien de pénible ; car les organes émoussés de l’être décrépit, homme, animal ou plante, sont obtus pour la douleur aussi bien que pour le plaisir. Qu’importe donc à l’esprit de se métamorphoser et de Passer successivemeut par toutes les formes qu’il a «
- créées, depuis la plante jusqu’à l’homme ? Loin de redouter la mort, il doit l’envisager comme le moment où ïl lui sera permis d’avancer d’un échelon sur l’échelle des êtres, de recevoir de nouvelles sensations et de goûter de nouvelles puissances. La seule chose qu’il ait à craindre, c’est la douleur qui accompagne la mort accidentelle ou violente, la mort qui ne peut entrer dans les prévisions de la nature. Mais qu’est-ce que la douleur? Une sensation transmise aux centres nerveux par les nerfs, pour avertir l’âme que l’organisation est en péril. L’homme a plus besoin de cet avertissement que la bête, qui évite par instinct ce qui lui est nuisible. Aussi a-t-il des appareils nerveux d’une extrême sensibilité ; aussi la souffrance chez lui peut-elle prendre des proportions intolérables. Et pourtant telle est la puissance de l’esprit sur la matière, qu’il peut faire taire la douleur, quand il est suffisamment exalté. Voyez Mucius Scœvola, voyez les martyrs, voyez les fanatiques, voyez même le sauvage, lié au poteau, narguant ses ennemis, et chantant au milieu des tortures. Chez les animaux, l’âme ne peut s’élever à cette hauteur. C’est la matière qui domine l’esprit, et te domine de plus en plus, à mesure qu’on descend les degrés de l’échelle. Or, la matière est insensible. En voulez-vous une preuve ? Coupez, ou paralysez le nerf dont les ramifications transmettent la sensation d’un membre au cerveau ; et puis, piquez, pincez, tenaillez, ou brûlez ce membre ; aucune douleur ne se fera sentir. Ce n’est donc pas la matière qui souffre, c’est l’âme. Maintenant, moins l’organisation est parfaite, moins les rapports établis parle système nerveux entre le corps et l’âme sont intimes, moins la douleur est vive. Et il me paraît démontré que les espèces les plus spécialement destinées à servir de pâture aux autres, sont en grande partie dépourvues de sensibilité. Quant à celles qui ne sont qu’accidentellement la proie de races malfaisantes, destinées à disparaître, je ne pourrais, sans mauvaise foi, nier complètement leurs souffrances. Mais le docteur me demande quel dédommagement elles auront et je réponds que, puisque leurs âmes sont immortelles, et qu’elles doivent passer par des formes de plus en plus parfaites, elles auront les mêmes dédommagements que l’humanité, avec laquelle elles sont solidaires.
- — Qui sait, dit Edouard, si les souffrfuces des animaux ne sont pas une expiation ? Qui sait si le cheval brutalisé par le charretier, n’a pas été charretier lui-même ?
- — J’avais pensé à cette explication, dit Muller, mais je ne l’ai pas donnée, parce que je crois qu’il est conforme à la nature de l’esprit de monter de grade en grade, et que, parvenu à la forme humaine, il ne doit pas rétrograder.
- — Mais cependant, dit Edouard, le fou et l’idiot sont moins bien partagés que la brute. Pour eux, ce ne serait pas rétrogrder que de redevenir des animaux.
- — Ce sont des épreuves mal tirées d’un beau livre, répondit Muller. Quand cela arrive à l’imprimeur, il ne change pas pour cela la composition ; il tire une feuille nouvelle.
- p.559 - vue 562/838
-
-
-
- 560
- LE DEVOIR
- — Votre imprimeur fait bien des maculatures, dit Campiglio.
- — Mais, dit Saville, pourquoi l’homme ne conserve-t-il pas le souvenir de ses existences antérieures ? S’il a fait des fautes dans une existence, ces fautes sont oubliées dans l'existence suivante. Il n’y a donc pas de raison pour qu’il n’y retombe pas, et pour que cet état de choses ne dure pas éternellement.
- — Le souvenir des existences antérieures, dit Muller serait une entrave et non un soutien. Il écraserait la mémoire et la rendrait impropre à recevoir des impressions nouvelles. 11 est d’ailleurs incompatible_ avec notre organisation. Il renverserait la loi de croissance, de maturité et de décadence, qui régit non seulement les êtres organiques, mais les mondes. Vous figurez-vous l’enfant à la mamelle, doué de l’expérience du vieillard, et discutant avec sa nourrice sur les qualités de son lait ? L’enfant, sans son ignorance et sa candeur, serait une monstruosité. Sa mère elle-même la repousserait avec effroi. Tous les liens seraient détruits. Le jeune homme et la jeune fille ne croiraient plus aux serments d’amour éternel. Nous n’aurions plus ces douces illusions qui font le charme de la jeunesse. L’homme arrivé au complet développement de sa force, ne pourrait supporter les années de décadence et d’infirmités que son souvenir lui retracerait. II déserterait son poste par le suicide. Reconnaissons donc en ceci la sagesse et la bonté de l'esprit créateur. Mais, au moment où l’âme quitte son enveloppe charnelle pour reprendre sa forme éthérée, les ténèbres se dissipent ; elle voit ce qu’elle a fait, et ici commence la récompense et le châtiment. La récompense c’est le juste orgueil de l’esprit qui reconnaît qu’il a marché droit vers le but, malgré les entraves de la matière. Ce sont les applaudissements et l’admiration de ses pairs ; c’est l’estime de l’univers entier. Le châtiment, c’est la honte de l’esprit, qui s’est laissé obscurcir et dégrader parla matière, qu’il, avait mission de subjuguer. C’est le sentiment de son inutilité ; c’est le désespoir de reconnaître qu’il a retardé la marche de l’humanité vers le progrès infini ; c’est enfin le mépris, c’est-à-dire la torture la plus cruelle que l’esprit puisse endurer. Quand l’âme vient animer un nouveau corps, ces impressions ne sont pas si absolument effacées qu’il n’en reste une lueur, que nous appelons la conscience, et cette lueur suffit pour faire progresser l’humanité, lentement mais infailliblement. Chacune de nos existences est la vague qui monte, vient se briser sur le rivage, et se retire, pour faire place à une autre vague qui s’avance davantage.
- — Voilà, messieurs, l’exposé de mon système, dit Muller en terminant. J’ai dû en retrancher bien des développements, bien des preuves à l’appui; mais tel qu’il est, je le crois de nature à réaliser ce que je vous avais avancé : la conciliation des opinions si opposées de M. Murray et de M. Campiglio. Vous, M. Murray, vous ne pouvez disconvenir que, loin de nier la toute-puissance, je l’ai placée à une fhauteur à laquelle votre votre croyance n’atteignait peut-être pas. Vous, docteur Campiglio, vous avez déjà reconnu que cette puissance
- créatrice n’est pas cruelle, comme vous le souteniez d’abord, et ce qui doit vous satisfaire dans mon système c’est qu’il ne se fonde pas sur une foi aveugle, mais sur des raisonnements puisés dans l’étude des lois de la nature.
- — Oui, dit Campiglio, je reconnais que votre système est spécieux, qu’il n’a rien qui choque la raison et qu’il vaut la peine qu’on le médite. Mais je suis trop franc pour vous dire que je suis entièrement convaincu. Je réfléchirai.
- — Pour moi, dit Murray, je vous rends également justice. Vos suppositions sont ingénieuses et habilement disposées ; je les ai entendues avec plaisir , mais je les regarde comme des fictions qui ne changent en rien ma manière de voir.
- Les autres auditeurs gardaient le silence. Ils réfléchissaient. Schwartz, lui-même, avait cessé de faire des pochades. Il rêvait, la tête appuyée dans ses deux mains.
- — C’est égal, dit Mortimer. C’est bien joli ce que monsieur Muller nous a conté là. Seulement, c’est un peu sérieux.
- Chapitre XIX
- UN HOMME HEUREUX. - QUELQUES MOTS SUR LE FLUIDE VITAL.
- A la suite des causeries rapportées dans les chapitres précédents, Saville désira plus que jamais savoir si les trois principaux interlocuteurs étaient heureux. Il les interrogea adroitement tour à tour.
- — Est-ce que nous sommes faits pour être heureux ? dit Campiglio. Le bonheur est un leurre, un mirage après lequel courent les imbéciles. Ce que nous avons de mieux à faire, c’est d’être stoïque, d’accepter le plaisir sans transport, de le regarder comme autant de pris sur l’ennemi, et de mépriser la douleur.
- — Je suis heureux, dit Murray, autant qu’on peut l’être dans ce monde d’épreuves. Mes affaires vont bien". J’ai une femme et des enfants que j’aime et qui m’aiment Je suis en paix avec ma conscience. Mais.... dans le commerce, on n’est jamais parfaitement heureux. Une faillite peut renverser les plus savantes combinaisons. On a constamment des défiances, des soucis. On se trompe quelquefois dans ses spéculations. Voyez-vous, monsieur Saville, le bonheur sans mélange ne se trouve que là-haut ; et cela doit être, car si nous le goûtions ici-bas, nous ne songerions plus à gagner le ciel.
- (A Suivre.)
- État civil du Familistère.
- Semaine du 16 au 22 Août 1886 ** Naissances :
- Le 17 août de Dahy Etiennette Eléonore, fille de Dahy Régis et de Guerbé Maria.
- Le 20 août de Caure Angèle, fille de Caure Jules et de Fillion Ernestine.
- Le 20 août de Pennelier Aime, fils de Pennelier Paul et de Jacob Juliette.
- Décès :
- Le 19 août de Drouin Florentin, âgé de 2 ans et 3 mois. ________Le Directeur Gérant : GODIN ,
- Guise,
- /mp. P.arê
- p.560 - vue 563/838
-
-
-
- 10’ Année, Tome 10.—W 417 Le numéro hebdomadaire 20 c. Dimanche 5 Septembre 1886
- LE DEVOIR
- REVUE DES QUESTIONS SOCIALES
- BUREAU
- a GUISE (Aisne)
- Toutes les communications
- ABONNEMENTS PAYABLES D’AVANCE par l’envoi, soit au bureau de Guise, soit à celui de Paris, de timbres-poste ou de mandats de poste, dont le talon sert de quittance.
- et réclamations doivent être adressées & M. GODIN, Directeur-Gérant Fondateur du Familistère
- France Un an ...
- Six mois. . . Trois mois. .
- 10 fr. »»
- 6 >t
- 3 »»
- Union postale Un an. . . 11 fr. ï» Autres pays
- Un an. . . . 13 fr. 60
- ON S’ABONNE
- A PARIS
- , rue Neuve-des-Petits-Champs Passage des Deux-Pavillons
- S’adresser à M. LEYMABTE administrateur delà Librairie des sciences psychologiques.
- SOMMAIRE
- Les menaces de la compagnie de Vierzon. — La conférence ouvrière internationale. — La conquête du Tonkin. — Le mouvement de la population en France. — Aphorismes et préceptes sociaux. — Faits politiques et sociaux de la semaine. — L’égalité devant la loi.— La situation à Vierzon.-- Fête de l’enfance au Familistère. Programme et organisation de la cérémonie. — La transmission de la force par l’électricité.— Charles Saville.
- LES MENAGES
- DE LA COMPAGNIE DE VIERZON
- Nous revenons aujourd’hui sur les menaces que, par l’organe du Préfet du Cher, la société française de Vierzon a faites à ses ouvriers grévistes, d’appeler des ouvriers étrangers, belges ou allemands, dont le travail lui permettra de se passer du concours des ouvriers précédemment occupés par elle, si ceux-ci n’acceptent pas les conditions formulées par l’autorité patronale.
- Avec une lamentable inconscience des iniquités sociales que révèle la possbilité d’un tel acte, dans notre organisation économique, le Pré-^ a dit aux délégués des ouvriers : « Vous i ferez bien de réfléchir, avant de refuser ces * Propositions ; il serait tout naturel que la so-1 ofeté fasse appel aux ouvriers étrangers, ce qui 1 Mènera un état de choses bien plus à redouter
- « pour vous, et mon devoir sera de le maintenir « en faisant respecter la liberté du travail, malgré « le dommage qui en peut résulter. »
- Ainsi, le Préfet, —un préfet de la République, un fonctionnaire ! — trouve tout naturel qu’une société patronale ait recours au travail étranger, pour maîtriser les travailleurs nationaux! Il reconnaît qu’il peut résulter de ce fait un dommage considérable pour le pays, mais quel que soit ce dommage, il devra faire respecter la liberté du travail et protéger ceux qui en seront les fauteurs! Nous comprenons que des journaux comme le Temps aient applaudi aux paroles du Préfet ; qu’ils aient qualifié son langage de « langage plein de prudence, de modération et de bon sens. »
- Il s’est déclaré prêt à défendre la liberté du travail... Mais, le travail de qui ? Est-ce le travail des ouvriers de Vierzon, qui ont créé l’industrie que les patrons exploitent ? Car les patrons exploitent; iis ne travaillent pas. Point donc n’est besoin de leur garantir la liberté du travail. Us n’en ont que faire. Pour les ouvriers, il n’en est pas de même. Et le jour où l'an entend, par garantir au patron la liberté du travail, la liberté de faire appel à des étrangers, ou de réduire les salaires de telle sorte que les ouvriers protestent contre cette réduction, la liberté patronale est une atteinte directe à cette liberté du travail invoquée par le préfet du Cher.
- Sans s’en douter, ce fonctionnaire a porté une accusation terrible contre la législation sociale existante. Car si cette législation est la complice des méfaits industriels en voie de perpétration, il n’est pas possible que le prolétariat des Deux-Mon*
- p.561 - vue 564/838
-
-
-
- 562
- LE DEVOIR
- des qui, après tout, est le nombre et la force, laisse longtemps subsister un si abominable état de
- choses.
- Quelle est, en effet, la situation économique qu’un tel exercice de la liberté du travail crée, dans notre organisation actuelle, au prolétariat occidental ?
- En premier lieu, le pouvoir absolu de la féodalité industrielle d’activer ou de suspendre à son gré la vie économique d’un pays, d’une contrée, non suivant les besoins normaux de la consommation, mais pour satisfaire lesintérêts individuels, quelquefois les caprices d’un grand baron de l’usine, a pour conséquence une production hâtive, opérée par à coups incessants, et pour corollaire inévitable, de déterminer une intermittence de production fiévreuse et de chômage meurtrier.
- La périodicité du chômage entraîne à son tour la formation d’une véritable armée de réserve du travail, que le capitalisme tient sous sa main, pour opposer, les jours de production intensive, aux prétentions des ouvriers qui seraient tentés de profiter de l'augmentation delà demande pour hausser le prix des salaires.
- Jusqu’ici, cependant, ces grandes réserves de travailleurs n'avaient pas été maniées par la classe capitaliste. Elles étaient plutôt restées stationnaire, que volantes.
- Attachées comme une ulcère au pays industriel qui leur avait donné naissance, la source des maux dontelles étaient lacause se trouvait par la même circonscrite à une région déterminée.
- Voilà que la classe capitaliste, grâce à l'incomparable puissance sociale dont elle dispose, songe à créer de grands courants pour écouler sur les points où sa puissance sera menacée, ces réserves de travailleurs, qu’elle jettera dans la balance de sa justice économique avec la brutalité de Brennus ajoutant le poids de sa lourde épée à la rançon de Rome vaincue.
- Grâce à la facilité des moyens de transport qui vont se développant de plus en plus, effaçant les distances, cette entreprise capitaliste jadis impossible est aujourd’hui faisable.... Pour cela, la classe capitalis.e peut avoir recours àfdeux moyens : déplacer les industries ou déplacer les travailleurs.
- Nous allons indiquer rapidement le fléau que ces nouveaux agissements patronaux peuvent provoquer, en appuyant nos prévisions sur.des faits qui se sont déjà produits.
- 77n 1883, un premier usinier’de Rive-de-Giers,
- congédia les 1200 ouvriers qu’il occupait et transporta ses usines en Belgique, dans les environs de Liège, afin de profiter de l’énorme différence de salaires existant entre Liège et Rive-de-Giers. Ses concurrents en production mécanique l’inR tèrent et transportèrent leurs ateliers, qui à Liège, qui à Gharleroi, etc. Depuis, la région de Rive-de-Giers agonise. La misère s’est abattue sur cette contrée jadis prospère, et dans dix ans, la ville ne sera plus qu’un gros village aux maisons vides et crevassées, témoignant par leur délabrement sinistre que le fléau capitaliste a passé là.
- Tel est le premier mode d’affamement ouvrier : il consiste à déplacer le travail du point où il est cher, pour le transporter sur le point où il l’est moins. On s’apprête à Vierzon à expérimenter le second : déplacer les travailleurs, en les jetant en masse sur le point où la solidarité ouvrière menace de briser le joug patronal.
- Là encore, les résultats de la manœuvre économique, si elle s'accomplit librement, peuvent être terribles. Yoyez-vous, 1000 ouvriers étrangers transplantés à Vierzon, dans un pays où les nouveaux venus n’ont aucune attache, aucun lien avec la population, remplaçant brutalement 1000 pères de familles condamnés à la faim, eux et leurs enfants ?
- Il y a là une perspective grosse de périls et de dangers prochains.
- La puissance patronale peut être par là centuplée et l’initiative ouvrière irrémédiablementcondamnée à l’impuissance.
- En effet, ce qui, aujourd’hui, nous permet d’espérer un avenir meilleur, c’est la force consciente progressive des travailleurs, dont la cohésion et la solidarité s’acroissent à mesure que les pénibles nécessité de la lutte économique leur imposent l’obligation de coordonner leurs efforts. Mais il est une limite, au-delà de laquelle, cette cohésion est impossible à la classe ouvrière.
- Quels efforts attendre, si les pratiques plus haut se généralisent,d’hommessansfamille, sans foyers, sans aucun lien d’attache avec unpays,— que capitalisme déplacera au gré des courants de R production, ici aujourd’hui, là demain, marchandise-travail soumise aux fluctuations de toutes les marchandises ?
- Jusqu’à .ce jour, le capitalisme, tout en considérant le travail comme une marchandise, une matière première, ni plus ni moins que les autres produits facteurs de production — dans la théorie économiste, le salaire est une avance faite à la
- p.562 - vue 565/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 563
- production — n’avait pas, au moins en Europe, pratiquement fait entrer la théorie dans les faits, fièrement soumis la marchandise-travail au traitement des autres marchandises. Si un fait social aussi considérable pouvait s’accomplir sous [égide de la loi protégeant la liberté patronale, sous couleur de liberté du travail, l’avènement de cefait serait celui d’une ère sociale monstrueuse, cent fois pire que celle dont nous souffrons tous si douloureusement.
- Un tel avènement pourra-t-il se produire ? Nous ne]e pensons pas.
- Le bien peut naître, en effet, de l’excès du mal. Cette pensée fortifiante, qu’une accumulation d'iniquités sociales peut contribuer à ouvrir une ère nouvelle de justice et de progrès, n’est pas seulement une illusion consolante, pour ceux que lespectacle de ces iniquités trouble douloureusement, mais elle est encore la constatation d’un fait que l’étude des parallélismes historiques a souvent mis en lumière, savoir : que tous les cycles nouveaux de l’humanité sont précédés de ces périodes de douleurs et de souffrances aiguës.
- L’humanité, en tant qif organisme collectif un et multiple, un dans son but, multiple dans ses parties, est soumise à la loi générale de la douleur universelle qui régit tous les êtres,et pour lesquels elle est le prix de chaque conquête durement acquise, de toute nouvelle somme de paix et cLe bien être amèrement réalisé.
- Nul doute que la civilisation contemporaine ne traverse à cette heure une de ces périodes pénibles, comme il s’en produit à toutes les fins de cycles, quand l’humanité, grosse des œuvres du passé, procède à l’enfantement laborieux des œuvres de l’avenir. S’il n’en était pas ainsi, si les misères du temps présent devaient se perpétuer, si toute espérance de temps meilleurs était vaine et que nous dussions renoncer à voir s’ouvrir des horizons Cuveaux, aurores de jours plus doux, à quoi bon lutter, aimer et souffrir ? Autant vaudrait s’abimer dans l’insondable nirvana, en proclamant, avec Shopenhauer, l’irrésistible nuit la noire déesse des choses.
- C’est pourquoi, malgré les faits que nous voyons se produire, les angoisses de la situation présente, Qous Opérons quand même.
- La nécessité est l’aiguillon du progrès.
- ^es abus sociaux du capitalisme, dont nous '^ons de citer quelques exemples topiques précisât sa chute.
- La conférence ouvrière internationale-
- Une conférence internationale très importante par le nombre et la qualité des délégués mandatés pour représenter à Paris les associations ouvrières respectives de chaque nation adhérente, a été tenue la semaine dernière.
- Etaient représentés : la Belgique, par MM. Anseele de Gand ; Bertrand et dr’de Paepe, de Bruxelles.
- L’Angleterre par MM. James Mandsley, président « of the English national Fédération of Trade’s Unions » (Fédération générale des Trade’s Unions), comptant 625,554 membres.— Charles Drummond «Trade’s Council » (Fédération de Londres), comptant 25,600 membres. —|Ed. Harfold, « Amalgamated » Society ofRailway Servants «(Société des employés de chemins de fer), représente 9,000 membres. — M. Jones,« London Trade’s Council» (Fédération de Londres), représente 25,600 membres. — M. Galbraitte, « London Society of compositors » (typographes), représente 6,500 membres. — Ed. Irow, « Amalgamated Societyjof Ironworkers» (métallurgistes), représente 2,000 membres. —John Burnett, «AmalgamatedSociety ofEngineers» (mécaniciens), représente 52,000 membres.—
- La Hongrie par MM. Muller etPach ; l’Autriche par M. Brod.
- L’Allemagne parM. Grimpe ; laNorwêge par M. Pederseun. — La Suisse avait envoyé des résolutions. — L’Australie avait envoyé un délégué M. Northon.
- Soixante chambres syndicales parisiennes et quinze groupes corporatifs de la province formaient l’élément ouvrier français représenté à cette conférence.
- L’ordre du jour était le suivant :
- 1. Législation internationale du travail, y compris la réglementation internationale des heures du travail ;
- 2. Instruction intégrale et professionnelle ;
- 3. Coalitions ouvrières. Sociétés eorporatives nationales et internationales ; de leurs modes d’organisation et de leurs résultats ;
- 4. Situation politique et économique des travailleurs dans les différents pays ;
- 5. Exposition ouvrière internationale de 1889 et congrès international de 1889.
- La conférence a tenu six séances, dont nous allons rapidement résumer les rapports, nous réservant de revenir plus tard sur l'ensemble des travaux de cette remarquable assemblée :
- § I.— Première séance.— Après la constitution du bureau et la présentation des délégués, M. Anseele, de Gand, prend la parole. Il expose la situation politique et économique des travailleurs belges et cette situation est douloureusement navrante : « Si je n’étais socialiste, dit-il, je serais honteux de me dire ouvrier belge, tant la condition de ce dernier est misérable.
- « Les mineurs gagnent 0 fr. 90, 1 fr. 75 et 1 fr. 80, jamais 2 fr., à part de rares exceptions... D’après une enquête gouvernementale, qui est devenue malgré elle un réquisitoire
- p.563 - vue 566/838
-
-
-
- 564
- LE DEVOIR
- écrasant, il est avéré qu’une jeune fille, entrant à la mine à quatre heures du matin et en sortant à onze heures du soir, ne gagne que 4 fr. 80, et elle doit encore servir d’instrument de plaisir aux portons pendant les heures de repas. Les carriers gagnent 1 fr. 80 et 2 fr. par jour, rarement 3 fr. ; encore ce dernier prix ne se rencontre-t-il que dans le pays wallon... C’est dans les Flandres que la situation est la plus atroce ; les Flandres sont notre Irlande, à nous. Les ouvriers qui travaillent la terre ne gagnent jamais plus de 1 fr. à lfr. 10 par jour. Les tisseurs — les plus heureux— gagnent 6 à 7 fr. par semaine. (Cris : Oh! oh!) Je ne mens pas, je vous le jure; nous n’avons pas besoin de nous chagriner, nous autres, en exagérant la misère du peuple. (Vifs applaudissements) A Gand, pourtant, grâce à une lutte perpétuelle, à des efforts inouïs, la moyenne des salaires, pour les hommes, est de 16 â 18 francs. En trois années, les grèves que nous avons dû faire pour obtenir ce résultat nous ont coûté 70.000 fr... Et quelles grèves! La dernière, qui a eu lieu parmi les fileuses de lin— généralement des fillettes de onze à douze ans a éclaté,parce que le patron n’a pas voulu recevoir une femme qui n’était venue travaillerque six jours après ses couches! Et le Vooruit, journal socialiste, a été condamné pour avoir traité ce patron de scélérat !... Il existe aussi un usage, cause d’abus monstrueux : certains fabricants payent les ouvriers en nature, avee de la farine, du café ou plutôt de la chicorée... Et ils rachètent ces marchandises à vil prix aux ouvriers, qui n’ont pas la moindre pièce de deux centimes! Et l’on a même vu des malheureux allant porter ces marchandises au Mont-de-Piélé! »
- Le délégué de l’Angleterre, M. Mandsley, se contente de constater que le chômage augmente sans cesse. Cet état de choses déplorables doit cesser, mais comment? Il ne croit pas qu’il puisse y avoir d’amélioration avant que les ouvriers aient appris et étudié les questions économiques. Quel remède en attendant? L’ouvrier anglais n’a pas étudié le socialisme... « Les Anglais, dit-il, ne sont pas aussi avancés que vous en théorie; ils comprennent seulement qu’ils n’ont pas leur part du gâteau. Il n’y a donc que ceci à faire, dès maintenant : former une vaste association internationale pour se mettre d’accord sur ce point : le producteur ne touche pas la part de produit à laquelle il a droit. »
- § II—2e séance.— La deuxième séance a été marquée par un différend assez vif entre les délégués anglais et le délégué allemand, M. Grimpe. Ce dernier a reproché aux Trade-Unions anglaises de ne pas être suffisamment socialistes» de ne se préoccuper que des intérêts matériels exclusifs à chaque|corporation, de sorte, dit-il, que les Trade's Unions forment une espèce d’aristocratie ouvrière sans aucun lien de solidarité avec la masse du peuple proprement dite, dont ils ne poursuivent pas l’émancipation. C’est ainsi, qu’on voit les membres les plus influents de ces sociétés ouvrières anglaises, devenus députés et même membres d’un cabinet, voter des lois
- aussi manifestement injustes que les lois de coercition contre l’Irlande, queM.Broadhurst, député ouvrier et membre du ca binet Gladstone, a votées.
- On pense si ces critiques ont soulevé une vive opposition de la part des délégués anglais, pour la plupart amis person-nelde M.Broadhurst.
- La réponse de ces derniers ayant été ajournée à une séance ultérieure, on a pu entendre l’exposé de la situation poli, ique et économique de la classe ouvrière en Allemagne et en Autriche.
- En Allemagne elle est très douloureuse, d’après les faits qu’expose M. Grimpe. Mais aussi l’organisation ouvrière y est puissante;ce qui le prouve, c’est que, malgré les persécutions et obstacles de tous genres inventés par M. de Bismark pour entraver le socialisme, celui-ci fait des progrès quotidiens constants, qui se traduisent à chaque législature par l’élection de nouveaux députés socialistes.
- En Autriche, d’après M. Brod, la situation des classes ou-rières n’est pas plus brillante, et là également, l’organisation des travailleurs a à souffrir des persécutions gouvernementales. Dernièrement, la durée de la journée a été fixée à onze heures par le gouvernement.
- Depuis 1873, le salaire est resté stationnaire. Les tyrogra-phes, les tapissiers, les facteurs de pianos et les doreurs gagnent de 9 à 10 florins (18 à 20 francs) par semaine; les maçons, les tourneurs, les selliers, les cordonniers et les tailleurs, de 7 à 8 florins (14 à 16 francs). Il n’existe qu’un seul journal socialiste à Vienne ; tous les autres ont été supprimés. La situation des ouvriers est surtout lamentable dans le Tyrol : pour treize heures de travail, les ouvriers gagnent de 30 â 38 kreutzers (O fr. 60 à O fr. 16). Sur dix ouvriers, cinq ou six seulement savent écrire, car presque tous commencent à travailler dès l’âge de six ans.
- Enfin M.Brébant donne lecture d’un rapport sur la situation économique à Paris. Il existe dans la capitale 244 chambres syndicales et groupes corporatifs. Le chiffre d’ouvriers des diverses corporations qu’elles représentent s’élève à 114,000: sur ce nombre, un dixième seulement est syndiqué et un tiers est étranger. Sur 244 syndicats, 85 sont représentés à la conférence. La corporation qui emploie le plus de femmes est la cordonnerie: elles y sont au nombre de 18,000. Les seules corporations qui travaillent neuf heures par jour sont celles des desinateurs, des parqueteurs et des céramistes ; les autres travaillent dix et douze heures.
- § III—3* séance. — Séance peu intéressante, Par suite du différend provoqué par les critiques de M. Gnfflp4 à l’adresse des Trade’s Unions anglaises. M. Burnett a tenu, en effet à répondre aux observations de M. Grimpe. H * envenimé le débat en reprochant aux ouvriers allemands * faire partout concurrence aux ouvriers nationaux, dont 5 font baisser les salaires.
- p.564 - vue 567/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 565
- jj. Raekow, délégué des ouvriers allemands résidant à j^nJres, inscrit pour prendre la parole après lui, a tenu, naturellement, à répondre à cette accusation, et les Anglais ^protester de nouveau!
- M. Anseele est venu alors rappeler les deux partis à l’union IJ la concorde : « Nous assistons depuis deux jours, dit-il, jUne discussion inutile entre deux mondes ouvriers... Elle n’a eu lieu qu’à la suite d’un malentendu. Grimpe a voulu seulement lancer les Trade’s Unions déplus en plus dans la voie ^ socialisme... Les Anglais ont eu tort de dire que les Allemands font baisser les salaires, et j’ai été attristé de voir les possibilités applaudir tout à l’heure cette assertion. Il faut se rappeler que les socialistes allemands sont entrés en prison pour faire hausser ces mêmes salaires. (Applaudissements.) Les Allemands désirent tout bonnement voir les Trade’s Unions plus socialistes, et, si celles-ci ne le veulent pas, je les plains.» (Applaudissements).
- g IV. — Quatrième séance. — M.Norton, délégué de 200,000 ouvriers australiens a fait, au cours de cette séance, une très intéressante communication sur la situation économique du prolétariat en Australie. D’après sa déposition, la classe dirigeante australienne constitue une sorte de landlordisme plus écrasant que celui qui pèse sur l’Irlande. Elle aussi, possède d’immenses terrains, mais qui restent incultes, et où l’on ne rencontre que des troupeaux de bœufs et de moutons... Et les capitalistes vont dépenser leur argent à Londres ou à Paris au lieu d’en faire profiter les villes de l’Australie. Pour celle-ci, ils ne font que cette chose: Toter chaque année des millions de livres sterling pour favoriser les immigrations et attirer les travailleurs.
- « L’agriculture, ajoute-t-il un peu plus loin, n’existe pas en Australie ; on n’y fait que le commerce, et ce dernier encore n’est-il fait que par des importateurs qui achètent leurs marchandises à bas prix en Europe, dans des faillites etc., et qui les revendent chez nous à des prix très élevés.
- « Seule Victoria, la colonie la plus jeune, la plus démocrate possède des manufactures et se trouve dans une situation prospère.»
- H parle ensuite de la situation lamentable des ouvriers australiens. Il a vu à Sydney, 2,000 hommes couchés sans P1111) sans abri, devant les palais des importateurs.
- ^ Nortlion expose ensuite la concurrence meurtrière que t les ouvriers chinois aux ouvriers auglais et s’élève avec Tl°lence contre les premiers.
- M- Muller, délégué hongrois expose la situation économe de son pays, etditqu’ « en Hongrie comme en Allemagne, pune en Belgique, comme en Angleterre, comme partout, ; ®al sévit avec la même rigueur, et les ouvriers de tous ,es Païs doivent se préparer à porter le même remède sur elle plaie commune, la misère. »
- terminant, M. Millier expose brièvement la façon dont Parti ouvrier a commencé à s’organiser en Hongrie.
- « Les ouvriers typographes, ont été, dit-il les initiateurs du socialisme et sont restés depuis à l’avant-garde de l’armée prolétarienne. »
- César de Paepe, délégué belge, étudie au point de vue de l’hygiène, les conclusions du rapport de M. Dalle, et démontre la nécessité de ce rapport, auquel il s’est rallié avec son collègue Anseele, en demandant toutefois l’adjonction d’un article sur le travail des prisons. Il réclame la répression de l’emploi des matières toxiques pour n’importe quel usage et même leur suppression dans la mesure du possible. Enfin, il termine en relevant la violente attaque de M. No'rthon contre les Chinois :
- « Auguste Comte, dit-il, rêvait la création d une République occidentale. Ce rêve, quoique non encore réalisé, est devenu, pour nous autres socialistes, insuffisant et beaucoup trop étroit. . . .
- « — Notre idéal à nous n’est pas un État républicain resserré entre deux longitudes, c’est une immense fédération qui comprendrait l’univers entier et qui constituerait les Etats-Unis de la terre... Et, le jour où les peuples s’uniraient pour amener la réslisation de ce rêve encore lointain et pas assez mûri peut-être, ne devriez-vous point accueillir parmi vous ces Chinois dont on vous parlait tout à l’heure avec tant de haine mêlée à tant de mépris ? »
- Ces belles paroles ont été accueillies par les applaudissements unanimes de l’assistance, ce qui prouve que, si le prolétariat, aigri par la concurrence, par la misère, se livre parfois à des déclarations égoistes inconsidérées, il ne reste jamais sourd avec appels qu’on lui adresse au nom des grands principes de fraternité et d’amour universels.
- § V. — Cinquième séance. — Au début le président annonce que M. Anseele a été averti d’avoir à se constituer prisonnier lundi pour purger la condamnation encourue dans les derniers troubles de Belgique.
- Or, avant d’entrer en prison, il tient à passer une journée au milieu de ses amis de Gand, qui le réclament avec insistance. Vous comprendrez tous ce sentiment. (Oui ! oui ’) Si le congrès y consent, je vais donc donner la parole au citoyen Anseeie, afin de lui permettre de partir ce soir même. (Oui ! oui 1)
- M. Anseele est alors monté à la tribune et a prononcé un excellent discours sur la nécessité d’une législation internationale qui établisse l’équilibre entre la production et la consommation.
- « Là crise universelle dont on souffre actuellement, dit-il, trouve une de ses principales causes dans le manque d’une législation internationale... Celle-ci serait le véritable remède et dispenserait d’aller faire tuer des hommes au Tonkin pour chercher des débouchés commerciaux, car grâce à elle nous pourrions consommer nous-mêmes ce que nous produisons... Oui, la législation internationale du travail est une nécessité qui s’impose non-seulement aux misérables, mais aux indus-
- p.565 - vue 568/838
-
-
-
- 566
- LE DEVOIR
- triels eux-mêmes. Ici, on se plaint de la concurrence allemande. Eh bien, seùle une législation internationale pourra nous préserver de cette concurrence. »
- La péroraison de son discours, un éloquent appel à la concorde et â la soldarité internationale ouvrières, a été accueillie par une triple salve d’applaudissements.
- Sur cette question, M. Grimpe, délégué allemand, a déposé sur le bureau un projet de loi relatif à la législation internationale, projet de loi présenté au Reichstag par les députés socialistes une première fois en 1884, une seeonde fois en 1885,'et repoussé chaque fois.
- M. Dutertre, délégué de Brest, décrit la situation misérable des travailleurs de cette ville : en travaillant treize heures par jour, les hommes ne gagnent que 2 fr. 50 et les femmes 2 fr. 25.
- La fm de cette séance a été consacrée à l’examen de la troisième question : « Instruction intégrale et professionnelle.»
- La chambre syndicale des instituteurs avait délégué une dame qui a expliqué le but et les rétultats attendus de cette partie des revendications ouvrières. « Par l’intégralité, a -t-elle dit, nous entendons le développement simultané de toutes les facultés... L’enfant ne naît ni bon ni mauvais, c’est un jeune singe dont il faut faire un être complet, homme ou femme. » Elle termine par ces mots : « L’éducation intégrale c’est donc, à bref délai, l’émancipation de l’être humain.»
- M. Dumay, mécanicien et rédacteur au Cri du Peuple fait le rapport résumé des opinions diverses présentées sur ce sujet et conclu : en ce qui concerne l’enseignement proprement dit, à la laïcisation. Quant à l’enseignement professionnel, il considère que celui-ci ne pourra rendre réellement de service que lorsqu’il sera dirigé par les syndicats ouvriers.
- § VI. — Sixième séance. — La sixième et dernière réunion a été surtout consacrée aux résolutions qui sont les suivantes adoptées :
- I. — Législation internationale du Travail. — 1° Interdiction du travail des enfants âgés de moins de quatorze ans. Adopté.)
- 2° Protection spéciale des enfants au-dessus de quatorze ans et des femmes. (Adopté.)
- 3° Fixation à huit heures de la journée de travail, avec un jour de repos par semaine. (Adopté.)
- Un amendement tendant à ce que la journée de travail pour les femmes ne soit que de six heures est adopté. Un autre amendement, demandant le repos bihebdomadaire pour la femme est rejetée,
- 4* Interdiction du travail de nuit, sauf dans certains cas déterminés. (Adopté.)
- 5* Obligation d’édicter des mesures concernant l’hygiène et la salubrité des lieux de travail. (Adopté.)
- 6° Interdiction de certaines branches d’industrie et de certains modes de fabrication nuisibles à la santé du travailleur. (Adopté)
- 7* Responsabilité civile et pénale des employeurs en cas d’accident. (Adopté.)
- 8® Inspection des ateliers, manufactures, usines, etc., par des inspecteurs élus par les ouvriers.
- Cet article 8 est adopté avec cet adjonction : « ... élusta les ouvriers et rétribués par l’Etat ou par les communes^ On aborde ensuite les articles suivants : 'û
- 9° Réglementation du travail dans les prisons, de faco qu’il ne puisse faire une concurrence ruineuse à l’industr,n privée. (Adopté.) le
- 40° Etablissement d’un minimum de salaire dans tous 1p pays, permettant à l’ouvrier de vivre honorablement et d’élpvoî sa famille. (Adopté.)
- II. —Instruction intégrale professionnelle. _ Considérant que tous les enfants ont droit à l’éducation intégrale ;
- Que cette éducation doit avoir un programme unique, à base encyclopédique, se développant graduellement selon les âges et se spécialisant à la dernière période, de façon à former des sujets développés intellectuellement, moralement et physiquement -,
- Que les travailleurs possédant en plus d’une profession les éléments fondamentaux d’autres travaux auront ainsi plus de garanties contre les risques de la transformation de l’industrie et de l’outillage industriel, de l’intervention des agents mécaniques et des forces physiques, qui tendent de jour en jour à remplacer les forces humaines ;
- Considérant que cette éducation comporte logiquement et inévitablement l’entretien des enfants par la collectivité;
- Demande :
- Qu’en attendant que les programmes soient modifiés suivant les exigences de la pédagogie moderne, les écoles professionnelles gratuites soient créées en nombre suffisant pour que tous les enfants puissent les fréquenter en sortant des écoles primaires, au moins jusqu’à l’âge de seize ans ;
- Qu’en attendant que le droit de tous enfants à leur entretien, jusqu’au moment où ils pourront se suffire, soit reconnu par la loi, des bourses d’entretien de200 à 500 francs, selon leur âge, soient accordées à tous les enfants dont les parents auront un revenu inférieur à 3,000 francs ;
- Que ces écoles soient placées sous la surveillance des chambres syndicales ouvrières et des comités pédagogiques ;
- Que les pouvoirs publics prennent les mesures nécessaires parmi celles préconisées dans le précédent rapport pour assurer le fonctionnement du budget.
- III. — Grèves, coalitions, etc. —1° Le congrès international se déclare contre toutes les lois existant dans tous les pays pour empêcher les travailleurs de s’unir internationalement et en demande l’abrogation ;
- 2° Il y a lieu à la reconstitution de l’Internationale entre lei travailleurs de tout pays ;
- 3° 11 y a lieu de créer des groupes corporatifs nationaux et internationaux ;
- 4° L’exécution de ces mesures est réservée au prochain congrès international.
- IV. — Exposition et Congrès international de iS8y
- — La conférence décide qu’une exposition collective ouvrier* internationale aura lieu en 1889, avec subvention de l Elat’ en laissant l’administration aux chambres syndicales ouvrières, qui convoqueront à cet effet une assemblée générale corporations ;
- Elle décide qu’un congrès ouvrier international aura lieu *® 1889, et que le parti ouvrier socialiste français sera cba g de son organisation. D.
- Telles sont les résolutions votées dans cette importante
- férence et dont la portée n’échappera pas à nos lec*el1^ Nous avons voulu résumer ses travaux, nous réservant j jeter plus tard un coup d’œil sur l’ensemble de ces divers propositions.
- p.566 - vue 569/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 587
- La Conquête du Tonkin
- Nous n’avons pas à revenir sur les sacrifices de toute sorte que nous a coûtés cette folle expédition du Tonkin, ni sur les arguments invoqués par ses fauteurs pour justifier cette entreprise. Nos lecteurs sont fixés déjà à ce sujet.
- Il restait à savoir quel parti en tirerait de la conquête nouvellement opérée.
- L’envoi de M. Paul Bert dans l’Extrême-Orient avait pu faire croire un instant que, rompant avec les traditions coloniales de tous les temps et de tous les pays, le gouvernement de la République Française tiendrait à honneur d’effacer, par les bienfaits de son administration, les traces violentes d’une injustifiable occupation. On espérait que l’élimination de l’autorité militaire, subordonnée au commandement d’un résident civil, serait le point de départ d’une pacification graduelle, entraînant avec elle une œuvre civilisatrice considérable.
- Or, voici ce qu’un journal de Paris rapporte des projets d’exploitation du Tonkin :
- « L’administration du protectorat à Hanoï a besoin d’argent et ne veut pas en demander à la métropole. Elle s’est donc adressée à un établissement de crédit et lui a demandé des avances.
- » Cet établissement de crédit, la Banque de l’Indo-Chine, a accepté de mettre à la disposition du protectorat les sommes dont il a besoin, mais il a demandé en retour certaines garanties.
- » En compensation de ses avances, et pour lui en assurer le remboursement, l’administration du protectorat lui livrerait la perception des droits de douanes et des autres impôts,et lui concéderait la ferme de l’opium, en même temps que presque toutes les grandes entreprises d’intérêt général.
- » La Banque de l’Indo-Chine deviendrait, dans ces conditions, la véritable fermière du Tonkin, et Von reconstituerait à son profit une grande compagnie analogue à celles qui exploitaient au siècle dernier les Indes orientales et occidentales et à la Compagnie anglaise des Indes qui a vécu pendant toute la moitié de ce siècle.
- » Le privilège accordé à la banque de l’Indo-Chine aurait toutefois cette particularité et cet avantage, que les anciennes compagnies coloniales avaient les charges en même temps que les bénéfices de leur monopole — elles étaient chargées de l’administration et de la défense du territoire colonial — tandis que, dans le cas actuel, la France renoncerait à tous les bénéfices pour ne conserver que les charges. Elle continuerait à administrer le Tonkin, la défense du pays lui incomberait toujours, et tout cela pour le compte et au profit des seuls actionnaires des compagnies.
- C’est bel et bien, en effet, comme lefaitremar-
- quer notre confrère parisien ; la résurrection des grandes compagnies des Indes, la mise en fermage d’une immense contrée que la France tiendrait sous sa domination pour permettre à la compagnie, investie du monopole, de mieux exploiter à son gré les populations conquises.
- Est-ce donc pour aboutir à un tel régime, à la mise en coupe réglée d’un pays, que tant des nôtres sont tombés là-bas qui ne reverront plus le ciel de la patrie et dont les mères pleureront à jamais l’exil éternel ?
- En vérité, quand on songe aux misérables intérêts pour lesquels tant de meurtres et de misères sont perpétrés, on se demande quelle rage aveugle de massacres et de paupérisation anime nos gouvernants.
- Avec les centaines de* millions dépensés en pure perte au Tonkin, on eut pu obtenir de tant et si beaux résultats sociaux, soulager tant de misères pressantes qui crient justice et anathème !
- Le mouvement de
- en France
- Le bureau de la stastistique générale au ministère du commerce et de l’industrie a publié dans le Journal officiel de dimanche les chiffres relatifs au mouvement de la population de la France pendant l’année 1885. Ils sont, disons-le immédiatement, des moins satisfaisants.
- En ce qui concerne tout d’abord les naissances, ils indiquent une diminution sensible de la natalité. On n’a enregistré l’année dernière, que 922,361 naissances. Une année seulement, depuis 1872, on avait constaté un résultat aussi faible : l’année 1880, n’a compté, en effet, que 920,177 naissances. Généralement, leur nombre variait de 935,000 à 937,000; c’était le chiffre courant, de 1878 à 1884, abstraction faite de 1880. Et déjà ces résultats eux-mêmes étaient en réduction notable sur ceux des années précédentes. Ainsi, 1877 avait eu 944,576 naissances; 1876 en avait compté 996,682, chiffre d’ailleurs exceptionnel, en 1875, le nombre des naissances avait été de 950,975; en 1874, il s’était élevé à 954,652; il [était parvenu à 946,364 en 1873; enfin, en 1872, on l’avait vu atteindre le chiffre de 966,000. Nos'J)22,361 naissances de l’année 1885 font piètre figure auprès de ces résultats.
- U est difficile de ne pas rapprocher de la décroissance de natalité qu’accusent ces chiffres l’augmentation relative des enfants naturels. En 1884 et en 1885, la proportion de 8 0/0 a été dépassée. Il y a eu 74,118 enfants naturels en 1885. soil 8.03 0/0 du nombre total des naissances; en 1884, on avait atteint déjà le nombre de 75,754 enfants naturels, ce qui élevait la proportion à 8.07 0/0. En 1883, on n’était encore qu’à 7.90 0/0. En 1882, la proportion correspon-
- p.567 - vue 570/838
-
-
-
- 568
- LE DEVOIR
- dante était de 7.62 O/O. En 1881 elle n’avait pas excédé 7.47 O/O. Enfin, elle n’était que de 7.41 O/O en 1880, et de 7.15 0/0 en 1879. Nous laissons aux moralistes le soin de commenter ces variations. Il est peu vraisemblable qu’ils les trouvent rassurantes.
- Une impression un peu meilleure est produite par la statistique des décès. Ainsi, en 1885, le nombre des décès n’a été, en France, que de 836,897. Cinq fois seulement depuis l’année 1872 un résultat plus satisfaisant avait été noté : en 1881, avec 828,828 décès; en 1877, avec 801,956; en 1876, avec 834,074; en 1874, avec 781,709; enfin en 1872, avec 793,064. L’accroissement graduel de la vie moyenne en France nous sauve encore, en ce sens que l’excédent des naissances sur les décès se maintient à un niveau qui n’est pas trop décourageant. Toutefois, l’influence de cet élément favorable ^devient de plus en plus insuffisante, et l’on aurait bien tort de s'y fier pour contrebalancer l’effet de la réduction des naissances. Au surplus, voici des chiffres qui sont, à cet égard tout â fait décisifs ; ce sont ceux de l’excédent des naissances, par rapport aux décès, de 1872 à 1885 ;
- Pour 1872 et 1873, cet excédent avait été, en moyenne, par an, de 137,406 âmes. Il avait atteint pour les deux années suivantes une moyenne annuelle de 139,428 âmes, et, en 1876-77, la moyenne correspondante avait monté à 152,614 Ainsi, de 1872 à 1877, l’excédent moyen annuel des naissances sur les décès s’était élevé à 143,149 âmes. Or, pendant les deux années 1878 et 1879, l’excédent moyen annuel est tombé à 97,394 âmes ; en 1880-81, il n’a plus été que de 85,084; et si en 1882-83 il s'est légèrement amélioré à 96,935, par contre il a de nouveau fléchi pendant les deux dernières années : en 1884-85, il est descendu à 82,219 âmes. Pour 1885, une certaine reprise s’observe, il est vrai: l’excédent des naissances a été, l’année dernière, de 85,464 par rapport au nombre des décès. Mais on sent combien cette plus-value est médiocre et quel chemin nous avons à |faire pour revenir seulement aux résultats d’il y a une dizaine d’années.
- Rappelons incidemment que, pour la seule année de 1871 la statistique avait enregistré un excédent de 444,889 décès; la guerre de 1870-1871 a fait une effroyable consommation d’hommes. Il se peut que notre natalité se ressente en ce moment des trouées subies alors par la partie jeune et vigoureuse de notre population. Nous serions dans une période de crise, pour la natalité comme pour le reste, bien que par des causes toutes différentes. Cette explication a sa valeur, et il se peut qu’il n’y ait pas à tirer de conclusions trop pessimistes des constatious que nous avons faites, c’est à la condition, toutefois, que dans un délai assez court la statistique de la population trahisse un relèvement important. Les mœurs y peuvent beaucoup.
- APHORISMES & PRÉCEPTES SOCIAUX
- CXX
- La dette publique
- Il n’y a qu'un moyen de rembourser la. dette publique sans causer de trouble dans la société, c’est d’instituer le droit d’hérédité nationale, afin que l’Etat prélève au décès des citoyens qui possèdent la richesse, une part suffisante pour effectuer l'amortissement de la dette publique en un délai déterminé.
- — --------------- -------------------------------—___
- Faits politiques et sociaux de la semaine
- FRANCE
- La politique coloniale.— Le Duchaffault, rentré le 29 juin à Nouméa, a apporté la nouvelle que, parm le petit corps expéditionnaire des Nouvelle s-Hébrides, une vingtaine de nos malheureux soldats sont atteints de la fièvre.
- Cette nouvelle ne nous surprend pas. L’archipel dont nous venons de prendre possion, est réputé dans toute l’Océanie comme très malsain. Les fièvres paludéennes y régnent continuellement, et il est malheureusement certain que nos troupes auront à y souffrir horriblement.
- Si encore cette prise de possession devait nous rapporter quelque chose?
- Madagascar. — Le Times a publié la lettre suivante :
- Monsieur l’éditeur du Times :
- Dans votre numéro d’aujourd’hui, vous publiez une dépêche de l’agence Reuter à laquelle je désire faire une rectification.
- Il n’est pas vrai que j’aie obtenu la concession des mines de Madagascar ; le gouvernement de la reine se réserve tous droits sur les mines.
- Il est complètement vrai, cependant, que j’ai passé un contrat, au nom d’un syndicat anglais, pour la création d’une Banque royale à Madagascar, qui devra avancer au gouvernement une somme de 800 000 livres sterling, à 70 0/0, sur la garantie des droits de douane, dont le recouvrement doit être effectué conjointement par des représentants du gouvernement de Madagascar et de la Banque.
- Les fonctionnaires anglais, allemands ou américains de Madagascar considèrentl’opération comme absolument sure Signé : abraham kingdon.
- 16 Finsbury-Street, Moorfields, E. C.
- M. Abraham Kingdon a été reçu avant hier, à titre privé, par M. Herbette, chef du cabinet du ministre des affaires étrangères, qui lui a tenu un langage analogue à celui que le ministre lui même avait tenu à M. Willougby, concernant le projet d’enprunt du gouvernement hova.
- Le gouvernement français maintient fermement le principe que des emprunts du genre de celui dont il a été question, c’est-à-dire entraînant l’aliénation de certains droits régaliens de Madagascar, tels que les droits de douane, concessions de mines, etc., ne peuvent être négociés en dehors du contrôle d e notre résident général.
- p.568 - vue 571/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 569
- Agitation en Algérie.— Le correspondant particulier de YAkhbar àSoukharas signale à ce journal un commencement d’insubordination dans certaines communes mixtes de la frontière :
- Il paraît, ajoute-t-il, que les cheiks ne jouissent pas d’une autorité suffisante sur leurs administrés pour les maintenir dans le devoir. Les administrateurs eux-mêmes, avee leurs cinq jours de prison et leurs 15 francs d’amende, sont bien souvent impuissants à réprimer les délits qui leur sont signalés.
- Le prestige de l’administration s’en affaiblit considérablement.
- ANGLETERRE
- A la Chambre des Communes, le ministère conservateur vient de remporter un succès important dans les débats de l’adresse en réponse au discours du trône,
- Après une discussion très longue et très animée, à laquelle ont pris part de nombreux orateurs, un amendement de M. Parnell, relatif aux fermages en Irlande, a été rejeté par 304 voix contre 181.
- Les whigs unionistes ont voté en cette circonstance avec les députés ministériels, tandis que les gladstoniens s’étaient unis aux Irlandais.
- Lord Salisbury, par le fait de ce vote, se trouve donc investi de la confiance de la Chambre en ce qui concerne sa politique irlandaise, et cela, avant même qu’il l’ait définitivement exposée devant le Parlement.
- Il faut retenir du débat qui a précédé ce vote que les unionistes, sans distinction de nuances et malgré certaines divergences de programme, sont fermement décidés à soutenir le cabinet, principalement par la raison que la chute de lord Salisbury serait nécessairement suivie de I’avénement de M. Gladstone et ce dernier est engagé d’honneur à présenter de nouveau son projet d’autonomie de l’Irlande.
- Si cette éventualité était écartée, ou si M. Gladstone se décidait à quelques modifications de principe, les unionistes rentreraient dans le parti libéral, et il y aura telle faute des conservateurs qui pourraient les rendre moins difficiles sur la nature des concessions. Leur fidélité à la cause de l’union dépend donc de la sagesse des conservateurs et de l’inflexibilité de M. Gladstone, deux conditions qu’il sera prudent de ne pas considérer comme permanentes.
- M. Gladstone vient de faire publier à Londres une brochure portant le titre : La Question irlandaise. Elle se divise en deux parties : 1B l’histoire d'une idée, et 2“ la leçon des élections.
- Dans sa préface, M. Gladstone déclare qu’en publiant sa brochure il avait surtout en vue de démontrer que toute sa politique irlandaise avait pour base un seul et même principe, qu’il a suivi, étape par étape, la voie qu’a parcourue la grande question de l’autonomie l’Irlande avant de provoquer, par sa maturité, une mesure législative pratique.
- Meeting Socialiste. — Dimanche a eu lieu à Londres, ù Trafalgar square, la démonstration socialiste annoncée, ^yant pour but d’obtenir le mise en liberté de M. John Wil-Dams, le chef socialiste récemment conduit en prison pour
- n’avoir pas pu payer l’amende à laquelle il avait été condamné pour discours excitant à la révolte.
- Les manifestants sont arrivés des divers quartiers de la ville par groupes, précédés de musiques qui jouaient la Marseillaise.
- Trois plates-formes avaient était installées pour les orateurs. Plusieurs discours ont été prononcés, et sur chacune des plates-formes a parlé un des délégués français appartenant à la délégation qui étudie actuellement en Angleterre la question ouvrière. Ces trois orateurs français étaient MM. Courtoux, Blondin et Charles Lourde.
- Les résolutions adoptées par la réunion demandent la mise en liberté de M. Williams et affirment la nécessité de l’émancipation du travail et le droit pour les travailleurs de posséder l’outillage de production.
- Des agents de police à pied et à cheval avaient étaient placés en grand nombre dans le voisinage du square. L’ordre n’a pas été troublé.
- ALLEMAGNE
- Un complot catholique.— C’est le dernier numéro du Courrier des Etats-Unis qui nous fournit les renseignements suivants sur cette affaire.
- Le grand chancelier de l’empire allemand n’a qu’à bien se tenir, nous dit-il. Depuis quelque temps le bruit courait à Milwaukee que les résidents polonais et catholiques allemands de cette ville avaient formé une société secrète dans le but de « supprimer » Bismarck à cause de sa politique envers les Polonais et les catholiques.
- Or, d’après des documents trouvés chez un pharmacien allemand, il est à peu près prouvé aujourd’hui que cette société existe réellement.
- En effet, l’un des documents n’est autre que la formule du serment que doivent prêter les nouveaux membres avant d’être ami dans cette société qui s’intitule « Américan anti Bismarck Bund ».
- On ignore combien de membres compte la nouvelle société, mais on sait qu’elle a été fondée par deux Allemands très instruits, nommés Reinhold Koch et Théodore Gunderoth. »
- IRLANDE
- Des troubles ont eu lieu à Woodford, en Irlande, où des agents de police, au nombre de 550, aidés de plusieurs magistrats, ont été obligés d’assiéger littéralement la maison d’un nommé Saunders pour procéder à son expulsion.
- Le siège a duré plusieurs jours, car la maison était défendue par un grand nombre d’Irlandais munis d’armes de toutes sortes.
- L’assaut a été des plus difficiles. On a dû employer des échelles, et les assiégeants, imitant la tactique des guerriers romains, étaient abrités sous une espèce de hangar mouvant, à l’aide duquel ils ont pu s’approcher de la maison.
- Après un combat désespéré, la maison a été emportée d’assaut et la police y est entrée par le toit.
- Une vingtaine de personnes ont été arrêtées.
- Plusieurs des assiégeants ont été blessés, et quelques-uns grièvement brûlés par de l’eau chaude que les assiégés ont versée sur eux.
- p.569 - vue 572/838
-
-
-
- 570
- LE DEVOIR
- Les assiégés ont également mis en liberté un essaim d’abeilles.
- Avant le commencement du siège, un des magistrats qui accompagnait la police a publiquement donné sa démission.
- Lorsque la police a pénétré dans la maison, elle a trouvé dans la cuisine trois immenses vases dans lesquels on faisait chauffer de l’eau et un sac de chaux vive.
- Une des chambres était remplie de pierres énormes.
- C’est précisément du côté de cette pièce que le plus grand efford a été tenté.
- On avait essayé de démolir le mur, mais les efforts avaient été inutiles.
- A Fortumna, la police est mise complètement à l’index ; les agents sont obligés de ferrer eux-mêmes leurs chevaux et ils n’ont presque plus de vivres.
- BULGARIE
- Le coup d’Etat de Sofia.— Comme nous l’avions prévu en partie dans notre dernier numéro, [e Coup d’Etat russo-militaire accompli à Sofia par quelques officiers stipendiés.
- à la solde de la Russie n’a pas eu la réussite que ses auteurs espéraient. La population et l’armée faisant, en effet, cause commune, ont répudié la platitude servile dont ont fait montre trop vite les fauteurs du Coup d’Etat à l’égard de la Russie et le gouvernement provisoire qui s’était installé à Sofia — au compte du Tsar — a du demander son salut dans la fuite.
- Un gouvernement provisoire s’était donc installé, reconnaissant l’autorité du prince Alexandre sous la présidence de M. Karavellofï.
- D’autre part, à Iirnova, le colonel Montkourof et M. Stam-bôuïloff avaient, en apprenant les événements de Sofia, fait un pronunciamento en faveur .du prince victime du guet-apens russe.
- Instruit de ces faits, le prince qui avait déjà pris la route de Darmstad a quitté dimanche la rive roumaine du Danube, a abordé Roustchouk, en Bulgarie, cinq jours exactement après son départ forcé de Rahova. 11 a été reçu par plusieurs députations, et le chef du gouvernement provisoire de Tirnova M. Stamboulof lui a immédiatement remis le pouvoir.
- Le prince^est parti le jour même pour Sistovo, Tirnova et Phîlippopoli.
- S’il passe ainsi par la Roumélie, avant de se rendre à Sofia, dans la capitale, c’est que, d’après les renseignements donnés par M. Stambouiof lui-même, il existe actuellement en Bulgarie deux gouvernements bulgares : un à Sofia, dirigé par M. Karavelof, et l’autre, comprenant le reste®de laBul-garieet de la Roumélie, sous la présidence de M. Stamboulof.
- C’est parceque M. Karavelof avait consenti cà la venue d’un commissaire russe chargé de faire une enquête que M. Stamboulof s’est séparé de lui. Ce dernier veut, en eflet, rétablir la situation sans la participation de la Russie.
- On peut donc considérer le gouvernement désigné par la proclamation de M. Stamboulof comme celui qui sera accepté par le prince, au moins jusqu’à son retour à Sofia.
- > Le prince, avant d’aller à Sofia, veut passer par Tirnova Phîlippopoli, afin de se faire reconnaître par les Rouméliotes avant sa rentrée dans la capitale.
- Le yacht qui est venu chercher le prince est le même que celui sur lequel il fut conduit à Reni.
- Le retour du prince Alexandre en Bulgarie n’a fait qu’accentuer les commentaires pessimistes des journaux russes sur la situation en Bulgarie.
- Tout porte à croire que le prince Alexandre s’étant décidé à rentrer dans ses états, la question des Balkans ne saurait être considérée comme close.
- Pour l’instant, la Russie est évidemment battue, mais if nous paraît peu probable que le tzar consente à se tenir pour satisfait de son échec et renonce à poursuivre l’exécution de ses dessins une première fois manifestés par le coup d’État de Sofia.
- GRÈGE
- Tremblement de terre! — Un cataclysme vient de se produire dans l’île de Zante, l’une des Ionniennes, où il a fait de nombreuses victimes.
- Toutes les maisons de Pyrgos viennent d’être détruites par un tremblement de terre.
- La ville de Philiatra est également en ruines.
- Le nombre des victimes est évalué à 300.
- Les secousses ont été ressenties aussi à Zante, où toutes les maisons ont été endommagées, mais où il n’y a eu aucune victime.
- Des tremblements de terre ont eu lieu sur divers autres points de la Grèce.
- D’autres dépêches nous apprennent que des secousses de tremblement de terre se sont produites aussi sur divers points de l’Italie : à Naples, Brindisi, Foggia, Caserte, Tarente, Catane, Reggio de Calabre, Syracuse, ainsi que dans l’îie d’ischia, à Bari, Aveliino, Lecce et Potenza. Sur divers points, les habitants affolés ont passé la nuit en plein air. On ne signale pourtant ni grands dégâts ni accidents sérieux.
- ITALIE
- Expérience de force motrice.— Lundi soir, devait avoir lieu l’inauguration de l’éclairage par la lumière électrique de toute la ville de Tivoli, qui se trouve à dix-huit kilomètres de Rome
- La municipalité a lancé de nombreuses invitations à cet effet, et des trains spéciaux ont été organisés pour transporter le public de Rome à Tivoli.
- Cette inauguration a un intérêt tout spécial, parce que,la force motrice pour l’éclairage électrique a été empruntée aux cascades de Tivoli, dont la force est évaluée à trente mille chevaux.
- La distribution de cette force, tant pour l’éclairage électrique que pour les besoins industriels etagricolsde la ville, est l’œuvre d’une Compagnie spéciale qui s’est constituée a cet effet, et qui possède déjàdeux établissements, où vient se concentrer une partie de la force motrice des cascades._
- L'Égalité devant la Lai.
- Deux ouvriers viennent encore d’être condamnes pour délits de coalition à un mois de prison ; & est le bilan de la semaine, en ce qui touche 1 application des l’artieles 414 et 415 du code pénal.
- p.570 - vue 573/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- Quand on exprime les regrets douloureux que font naître de si dures condamnations, frappant des ouvriers coupables d’un délit imaginaire, inventé parl’Empire pour tenir la classe ouvrière pieds et ( poings liés à la discrétion de l’omnipotence patronale ; quand on proteste contre ces perpétuelles et scandaleuses sévérités, on nous dit :« Dura, lex sed lex. La loi définit le délit de coalition ; quand il est commis, elle le frappe ; les juges, interprètes de la loi, sont ses instruments aveugles. Modifiez ou supprimez la loi, mais faites-la respecter tant qu’elle existe. Malheur au pays dont les lois sont indifférentes à la conscience du juge! »
- Tout cela est fort beau, mais nous ne pouvons nous empêcher de rapprocher la sévérité dont MM. du Gouvernement et de la Magistrature font montre, quand il s’agit d’appliquer les articles 414 et 415 du code pénal, de l’indulgence inépuisable qu’ils manifestent en d’autres circonstances, quand par exemple, il s’agit de lois spéciales refrénant l’exploitation patronale et garantissant la liberté du travail autrement et mieux que la loi sur les coalitions.
- Voici, en effet, le fait divers que nous trouvons dans un journal.
- Un fait grave vient de se passer dans une congrégation établie dans la banlieue sud de Paris.
- Cet établissement, comme ses congénères, prend en pension des jeunes filles que l’on fait travaillerrigoureusement, et auxquelles, par contre, on donne peu d’instruction.
- Le 26 août dernier, à six heures du matin, l’attention des voisins fut attirée par les cris que poussait une des petites pensionnaires âgée de cinq ans. Cette enfant avait été amenée en chemise et pieds nus, à titre de punition, au bord de la rivière qui passe dans la propriété de ces sœurs ; et là, la sœur chargée du service, jeta successivement trois seaux d'eau sur la tête et le corps de la pauvre petite, qui, terrorisée, s’écriait : « O ma sœur, je ne le ferai plus 1 » — C’est alors que, sur les interpellations des voisins, cette scène de barbarie cessa.
- L’enfànt, tombée gravement malade, est actuellement chez sa grand’mère.
- Plaiute a été portée à l'autorité, qui ne peut manquer de réprimer un pareil acte.
- Le vœu du journaliste ne sera pas exaucé, l’acte odieux qu’il signale ne sera pas réprimé, voici pourquoi:
- À la suite des innombrables abus commis paa* l’exploitation patronale sur la personne sacrée des enfants, condamnés dès l’âge le plus tendre à des travaux exténuants au-dessus de leurs forces qui fauchaient les jeunes générations ouvrières dans
- £71
- leur fleur, une première loi vint, en 1841, réglementer cette exploitation.
- Mais si on applique sévèrement à des ouvriers grévistes les pénali tés contenues dans des lois de de réaction comme celle de 1810 remaniée en 1848 et en 1864, on ne saurait obtenir des juges et des pouvoirs publics la diligence à appliquer aux patrons les 'ois particulières que l’extension des abus commis par eux a nécessitées. La loi de 1841, première tentative mort-née faite pour protéger le travail de l’enfant et par là celui de l’ouvrier adulte, dont l’enfant est l’innocent concurrent, tomba en désuétude au lendemain même de • son édiction, et sous l’égide tutélaire des juges et des pouvoirs publics, le patronat put continuer à exténuer à son aise de pauvres petits de dix ans.
- En 1874, une nouvelle loi est intervenue réglementant à nouveau, cette fois avec plus de précision qu’en 1841, l’exploitation de l’enfance; édictant des pénalités, des amendes contre les patrons'coupables d’avoir employé des enfants en dehors des conditions prévues par la loi.Pour assurer son exécution, le législateur prescrivit l’organisation d’un service administratif chargé de surveiller l’emploi des enfants, de constater les infractions et de les déférer, par procès-verbal, aux tribunaux compétents.
- Qu’est-il résulté de cette sévérité légale — au moins théorique — dont le législateur a voulu frapper l’exploitation abusive, criminelle, s’il en fût, de pauvres enfants sans défense qu’elle plaçait désormais sous la protection delà société?
- D’une part l’administration supérieure avait recommandé à ses inspecteurs d’agir avec la plus grande modération, de ne jamais réprimer sans avertissements préalables et répétés.
- Tant et si bien, qu’en 1883, les rapports des inspecteurs étaient unanimes à constater que les patrons se refusaient formellement à exécuter la loi.
- De l’autre, quand poussé à bout par les refus formels et réitérés des patrons à exécuter la loi, l’inspecteur dressait procès-verbal, sur 100 procès-verbaux, une dizaine"seulement aboutissaient à une condamnation. Encore celte condamnation pouvait-elle passer pour une prime d’encouragement à la violation de la loi, car les magistrats, faisant largement application de l’article 463 qui permet d’abaisser la peine au-dessous du minimum, prononçaient des amendes de cinq francsl
- Mais on fit plus : la loi de 1874 plaçait sous la protection sociale les enfants employés dans les usines, chantiers, ateliers, etc., ne spécifiant pas
- p.571 - vue 574/838
-
-
-
- m
- le devoir
- autrement. Or les pouvoirs publics et judiciaires, interprétant casuistiquement cette définition des lieux où le travail de l’enfant serait protégé par la loi, profitèrent de cette lacune, pour soustraire à sa protection le travail des catégorie d’enfants, les plus intéressantes à coup sûr : celle que l’État occupe lui-même dans ses ateliers et celle que les établissements religieux recrutent dans les classes misérables de la population.
- On sait l’odieuse exploitation à laquelle on se livre dans les couvents, ouvroirs, orphelinats, etc., sous le pieux manteau de la charité. Les enfants recueillis par l’assistance religieuse sont soumis à un travail intensif exténuant, sans distinction d’âge ni de sexe.
- Dans les commencements de la mise en vigueur de la loi de 1874, qui limite l’âge d’admission des enfants’au travail ainsi quela duree de leur journée, les Inspecteurs et les Commissions locales institués par la dite loi se présentèrent aux orphelinats, couvents, etc., où ils étaient certains qu’aucune des prescriptions légales n’était observée. Les bonnes sœurs jetèrent des hauts cris, crièrent à l’abomination de la désolation et, finalement, se refusèrent à recevoir les représentants de la loi.
- A Paris, où l’exploitation religieuse de l’enfance est poussé à son plus haut degré, les Inspecteurs, conscients de leurs fonctions, dressèrent procès-verbal, en même temps qu’ils déférèrent Ja vive résistance que ces établissements leur avaient opposée au ministère compétent, duquel relève le fonctionnement de la loi du 19 mai 1874.
- Les magistrats d’une part, le gouvernement de l’autre, déclarèrent que la loi de 1874 n’avait pas spécifié la surveillance des enfants travaillant dans une maison religieuse, que dès lors les fonctionnaires n’avaient aucun droit d’inspection sur elles!
- Et voilà comment on applique les lois protectrices du travail !
- Aux patrons proprement dits, une indulgence qui va jusqu’à la licence, puisque M. Talion, dans son livre sur la loi de 1874, avoue que sur 12,000 contraventions constatées, 64 procès-verbaux seulement sont dressés, sur lesquels la moitié au moins n’aboutit pas.
- Aux établissements religieux, licence d’exploitation absolue protégée par le gouvernement et les magistrats.
- Que vient-on nous parler, après, de l’obligation étroite dans laquelle se trouvent les juges, de faire respecter les lois de l’Etat et defcondamner à la prisonpour violation de la liberté du^ravail des
- ouvriers porcelainiers coupables de s’être trouvés, un jour de grève, devant l’usine d’une société de construction de matériel agricole ?
- La vérité, et cette constation est la condamnai tion des rigueurs déployées depuis cinq ou six ans par l’autorité judiciaire, c’est que les lois contre les ouvriers sont seules observées, même quand les lois remontent à une période néfaste comme celle sur la coalition, tandis que les prescriptions légales protectrices du travail sont impunément violées avec l’approbation déclarée des pouvoirs publics etjudiciaires.
- Telle est la façon dont on comprend, sous la troisième République le respect de la loi et l’égalité des citoyens devant elle !
- LA SITUATION A VIERZON
- L’attention de la France ouvrière et de tous ceux que préoccupent à juste titre, les conflits sociaux pendants à cette heure devant le tribunal de l’opinion publique, est fixée sur Vierzon.
- Dans un précédent numéro, nous avons dit que les patrons fabricants de porcelaines, une des plus importantes industries de la région, avaient décidé d’appliquer un tarif uniforme dans tous les ateliers, et que si cette menace de constitution des patrons en un syndicat ayant pour but de faire baisser les salaires, se réalisait, il pourrait en résulter de graves événements — tout au moins une grève générale.— Le correspondant du Temps reconnaisait lui-même combien une telle menace dans les conditions particulières que traverse le pays était inopportune et de nature à compliquer encore la situation déjà très tendue.
- Le nombre d’ouvriers occupés à Vierzon dans l’industrie porcelainière n’est pas moins de 2.000. Voici quelques détails sur cet industrie.
- Les ouvriers porcelainiers sont divisés en deux catégories, et forment deux groupes distincts.
- Le premier comprend les mouleurs et les tourneurs; tous sont payés à la pièce. Ils sont syndiqués depuis seize ans environ et fort bien organisés.
- Le second réunit les manœuvres, c’est-à-dire les garçons de fours, les trempeurs émailleurs, les retoucheurs, les marcheurs et batteurs de pâte, etc. On paie ces derniers à la journée.
- Les manœuvres sont syndiqués depuis six mois environ à fort peu d’exceptions.
- Les deux Chambres syndicales, est-il besoin de le dire, marchent de conserve et sont absolument d’accord,
- p.572 - vue 575/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 573
- Les prix de façon varient entre chaque usine, la différence est souvent de peu d’importance; mais cela se comprend, en raison de la diversité des modèles.
- 11 y a des tarifs qui sont appliqués depuis plus de ving ans. Les dernières grèves qui ont eu lieu à Vierzon n’ont porté que sur des prix spéciaux, mais non sur la totalité. Ainsi en 1881, les ouvriers ont fait grève pour relever les prix des bois et assiettes. Il y a six mois, plusieurs patrons ont tenté d'opérer une diminution de 10 0^0 environ sur la totalité des façons. La Chambre syndicale ouvrière a opposé son veto et les patrons ont renoncé à leur projet avant qu’il y eût grève dé clarée.
- A la même époque, les patrons voulurent également diminuer les manœuvres de 25 centimes par jour; il y eût grève d’une semaine, et les usiniers durent céder et continuer à payer l’ancien tarif.
- A la faveur des difficultés que la grève des ouvriers mécaniciens de la société française crée à la population ouvrière de Vierzon, les patrons porcelainiers ont-ils espéré être plus heureux cette fois, et faire prévaloir leurs prétentions, sous prétexte d’unification de tarifs?
- Quoiqu’il en soit,une réunion générale d’ouvriers porcelainiers a eu lieu. Au cours de cette assemblée, les résolutions patronales ont été l’objet d'un examen approfondi et d’une sérieuse discussion, et voici les conclusions votées à l’unanimité par l’assemblée générale :
- « Que le tarif qu’on voulait leur appliquer lésait leurs intérêts car, quoique ce tarif ne leur eût pas encore été communiqué officiellement, ils le connaissent suffisamment pour le juger et voir qu'il n’avait d’autre but que de diminuer leur salaire sous une apparence trompeuse d’unification des prix de façon ;
- « Que dès lors ils n’avaient pas à discuter ces nouveaux prix ;
- « Qu’ils ne demandaientpas d’augmentation,mais simplement le maintien du statu quo ;
- « Que, dès que le dit tarif serait proposémême dans une seule fabrique, tous les ouvriers porcelainiers de Vierzon quitteraient les ateliers immédiatement, car ils n’avaient pas à tenir compte du délai d’un mois qu’on leur accordait avant d’appliquer le nouveau tarif. Ce délai devant seul profiter aux patrons qui, pendant un mois, feraient travailler à force, de façon à emmagasiner des marchandises pour tenir tête à la grève. »
- Cette résolution est des plus graves, et peut-être donnera-t-elle à réfléchir aux fabricants porcelainiers.
- On a remarqué sans doute que tout a été prévu Le délai d’un mois qu’on voulait donner pour prendre le temps d’emmagasiner des marchandises, et aussi le cas où. le tarif serait présenté successivement dans chaque maison.
- Pendant que ces événements se produisent au sein de la corporation des ouvriers porcelainiers, la grève des mécaniciens de la Société française suit son cours normal. L’ordre matériel n’a pas été troublé un seul instant et la prudente énergie des grévistes soutenus par les sympathies de la population toute entière, ne s’est pas démentie. À toutes les tentatives faites par l’autorité pour engager les ouvriers à reprendre le travail, ceux-ci opposent les conditions communiquées au préfet par le bureau de la Grève, déclarant qu’ils s’en tiennent à leurs précédentes déclarations.
- Après ce que nous avons déjà dit des mobiles auxquels les ouvriers avaient obéi en réclamant la réintégration de leurs camarades chassés de l’usine, nous n’avons pas à revenir sur la question de droit qui, est évidemmentde leur côté. Mais nous ne pouvons nous empêcher de constater les pertes multiples que cette cessation de travail prolongée ontre mesure occasionne des deux côtés.
- D’une part, en effet, il est certain que les pertes occasionnées par la grève à la société sont plus considérables que celle qu’elle aurait pu éprouver du tait de céder aux revendications ouvrières, si toutefois elle en eût éprouvé. Car on se rappelle que les ouvriers, dont les salaires ont été cependant réduits en moyenne de 50 0/o, se contentaient de demander la division du travail par équipes de 6 heures, de façon que tous les travailleurs fussent occupés. La société refusa, sous prétexte qu’une telle division nécessitait des frais de mise en train supplémentaires. Or les pertes subies du fait de la grève ne sont elles pas de beaucoup plus importantes que celles qui eussent pu résulter de frais supplémentaires de mise en train? „
- D’autre part, que de misères ne doit pas causer le chômage meurtrier que se sont imposé les grévistes.
- A tous les points de vue donc, il serait à désirer que la grève prit fin.
- Le gouvernement se déclare impuissant contre les patrous et tourne toutes ses foudres contre les ouvriers sous prétexte de liberté du travail. Or, en
- p.573 - vue 576/838
-
-
-
- 57-4
- LE DEVOIR
- toute conscience, quand il n’y a plus un ouvrier j dans une usine, peut-on dire que le gouvernement fait respecter la liberté du travail, en laissant au patron la latitude de maintenir son atelier fermé ?
- Il y a là une ironie amère des représentants du pouvoir contre laquelle on ne saurait trop s’élever; car il serait ridicule, s’il n’était odieux, de prétendre défendre la liberté du travail,quand c’est contre les travailleurs et au profit du patron que cette défense est dirigée.
- Nous recevons la lettre suivante, à laquelle était joint un mandat de 20 fr. pour les grévistes de Vierzon.
- Monsieur le Directeur du journal le Devoir,
- J’ai été vivement empressionnée par l’exposé que vous faites, dans votre numéro du 15 Août,des motifs généreux et élevés qui ont provoqué, à la grève, les ouvriers de Vierzon «Société Française de matériel agricole» présidée par M. Arbel, sénateur.
- Je vous envoie donc 20 fr. en faveur des victimes de notre ordre économique — abusif et suranné, — comme marque de solidarité, et de ma sympathie pour les braves cœurs qui, ainsi que vous le dites « s’imposent les dures privations de la grève, par esprit de solidarité !
- Oui, c’est en effet, « un beau spectacle que ce désintéressement et cette fraternité sociales, que montrent des ouvriers réduits déjà à la faim par la diminution de leurs salaires ».
- Oli ! le règne de ces abus sera à jamais passé, lorsque les masses auront compris — que la solidarité, appelée fraternité par les religions, sera leur meilleur auxiliaire—leur aide le plus puissant, pour secouer le joug écrasant, que fait peser sur elles, une féodalité financière effrenéeet toute puissante. Agréez, etc.
- Mme Griess-Tjraut,
- Vice présidente de la Fédération Internationale de la Paix et de l’Arbitrage.
- FÊTE DE L’ENFANCE
- AU FAMILISTÈRE
- Programme et organisation de la cérémonie
- Réunion à 2 heures I /4 dans la cour de l’aile gauche, pour les Conseils d’administration de l’Usine du Familistère, les Bureaux des comités et des Caisses et des associés.
- Les enfants des écoles au pouponnât, la musique au casino avec sa bannière, les pompiers, les archers et la société de gymnastique.
- A 2 heures d/2 marche des groupes vers la cour centrale pour former le cortège, les gymnastes le long des magasins >
- d’Epicerie, les Conseils au centre de la cour avec les comités, les Associés et les employés, la musique et les archers devant le passage du pouponnât.
- A 2 heures 3/4 — Défilé. — Les sapeurs, les tambours, les pompiers, les gymnastes, les enfants, la musique, M. Godin et Mme Godin, le Conseil de Gérance, et les divers Conseils, les Présidents et secrétaires des Caisses de l’Association, les services, les employés et les archers.
- Le Conseil de Gérance, les Conseils du Familistère et de l’Usine, le Conseil de surveillance, les présidents et secrétaires des caisses sde l’Association, ainsi que la Musique prendront place sur la scène. Les pompiers, les gymnastes et les archers prendront place au parterre sous les galeries, les habitants du Familistère, les employés et ouvriers de l’Usine ainsi que leurs invités, prendront place aux galeries Les loges restent réservées aux personnes invitées.
- Les parents qui auraient quelque chose à distribuer à leurs petits enfants pendant la Cérémonie sont priés de ne le faire qu’au moment où ceux du Bambinat et du Pouponnât sortiront dans la cour afin de ne pas troubler l'ordre et le calme nécessaires à la Cérémonie.
- Lorsque la Cérémonie sera terminée, les personnes qui auront pris place sur ta scène, les enfants et les pompiers, gymnastes et archers sortiront par les portes donnant sur les cours latérales, les personnes placées aux galeries sortiront par la grande porte.
- Le Cortège se reformera dans le même ordre qu’à l’arrivée et retournera vers la cour du Pavillon Central pour venir se séparer dans la cour de l’aile Droite, après l’exécution d’un morceau d’harmonie.
- Programme de la Cérémonie
- Grande ouverture par la société philharmonique — Chœur par les enfants — Morceau d’harmonie — Discours de M. Godin — Morceau d’harmonie — Chœur par les enfants — Distribution de prix — Morceau d’harmonie.
- La transmission de la force par l’électricité.
- Nous avons annoncé, dans un dernier numéro, les résultats satisfaisants et définis obtenus par M. Marcel Deprezdansla vaste expérience qu’il poursuit avec tant de persévérance entre Creil et la Chapelle, sur une distance de 56 kilomètres. M. Maurice Lévy, rapporteur de la sous-commission chargée de suivre et d’étudier d’une manière approfondie les essais de M. Deprez, vient de communiquer son rapport à l’Académie. Ce rapport, dont nous avons déjà parlé, sobre et lumineux, a été écouté avec une attention et un intérêt que justifie l’importance du succès remporté. M. Emile Blanchard, qui présidait la séance, en a fait la remarque, tout en félicitant le rapporteur et l’expérimentateur.
- L’espace nous manque pour analyser à fond ce remarquable travail; il faut le lire tout entier dans les comptes rendus de l’Académie des sciences où 1 est inséré.
- p.574 - vue 577/838
-
-
-
- E DEVOIR
- 575
- Pendant six mois, les commissaires se sont livrés à une observation constante et ardue ; ils ont tenu à se rendre compte des moindres détails de l’expérience, a en calculer les effets, à en noter les incidents, à en expliquer tout le mécanisme. La constitution des fils conducteurs, la construction et l’agencement des anneaux, l'étendue du champ magnétique autour de la machine génératrice, les causes de la déperdition de la force, la quantité du rendement, le prix de revient du transport, tels sont les points principaux qui sont magistralement traités par M. Maurice Lévy.
- En somme, on a reconnu que les fils n’avaient pas besoin d’ètre protégés par la chape de plomb qui les recouvre et qu’on pouvait les employer nus, à la condition de les tenir éloignés d’au moins Om75 des fils télégraphiques ou téléphoniques. Sans doute on ne saurait produire d’aussi grandes tensions sans danger pour ceux qui manient une telle force; cependant, aucun accident n’a eu lieu, et le danger, en ce cas comme dans beaucoup d’autres analogues, est une raison, non de renoncer à se servir de la force, mais de s’en servir avec prudence.
- Le rendement, nous l’avons déjà dit, est d’environ 45 0/0. On s’est aperçu qu’il croissait à mesure que la force transportée augmentait. Ainsi, plus on opérera sur une vaste échelle, moins on aura de perte à subir,
- Le principal mérite des appareils imaginés par M. De-prez consiste dans ce fait, qu’il est parvenu à diminuer la vitesse des organes sans diminuer l’effet qu’il voulait obtenir; cette lenteur relative est de la plus haute importance, si l’on considère quelle est une garantie de durée pour les machines et qu’elle évite les effets de réchauffement.
- Voici enfin les chiffres qui indiquent les prix de premier établissement pour le transport à 56 kilomètres d’une force de 50 chevaux :
- Machine génératrice . . . 50.000 fr.
- Machine réceptrice .... 30.000 Fils transmetteurs .... 44.000
- Total. . * . 124.000 fr
- • ----—.-----------—^— ---------------- —
- CHARLES SAYILLE
- par* ROBERTSON
- Roman philosophique
- Chapitre XIX
- UN HOMME HEUREUX. - QUELQUES MOTS SUR LE FLUIDE VITAL.
- Muller, interrogé à son tour, répondit ;
- — Oui, je suis parfaitement heureux, parce que j’aime la nature et que je crois la comprendre. Il me semble que la fleur que j’arrose me sourit avec reconnaissance. Le doux langage de l’oiseau me cause autant de plaisir que la musique la plus savante. J’apprivoise des animaux presque sans efforts. Il semble qu’ils me sachent gré de ne pas les regarder comme des machines qu'on brise sans remords. J’ai eu rarement à me plaindre des hommes, dans les rapports que j’ai eus avec eux. J’ai trouvé généralement neuf sympathies pour une ant-
- pathie ; car la bienveillance est contagieuse comme la malveillance. Aimez, soyez bons, et vous rendrez aimants et bons ceux qui vous entourent; sauf l’exception, dont il faut toujours tenir compte en toutes choses. Si j’éprouve une douleur morale, comme la perte d’un ami, par exemple, je cherche dans l’étude et dans la méditation des forces contre mon angoisse. Ne sais-je pas d’ailleurs qu’il n’y a pas de longues séparations pour les âmes ? Si j’endure une souffrance physique, elle devient pour moi un sujet d’analyses et de recherches, qui captivent mon attention au point de me faire oublier que je souffre. Tant que mes organes me permettront de ^continuer l’étude de la nature, je serai heureux dans toutes les situations où le sort pourra me placer; et j’attendrai sans crainte le moment de recomparaître devant mes pairs.
- — Enfin ! se dit Saville, j’ai donc trouvé un homme heureux ! L’oracle de George ne m’avait pas trompé. 11 ne me reste plus qu’à obtenir l’amitié de cet homme rare, et j’y parviendrai sans peine, car je sens que je l’aiine déjà de tout mon cœur. Puisque le hasard fait que cet homme heureux soit en même temps un savant, je lui demanderai à la première occasion ce qu’il pense du fluide vital. S’il confirme en tous points la théorie du vieillard du chalet, tous mes doutes seront dissipés.
- L’occasion que cherchait Saville ne tarda pas à se présenter, et Muller lui répondit sans hésitation :
- — L’existence d’un fluide nerveux analogue au fluide galvanique, est pour moi hors de doute. C’est l’intermédiaire entre l’âme et le corps. C’est par lui que la volonté fait mouvoir ses membres. C’est lui qui nous met en rapport avec les objets extérieurs ; c’est enfin l’agent qui porte les ordres du centre à la circonférence, et qui rapporte les sensations de la circonférence au centre. Quant à la transmission de ce fluide d’individu à individu c’est une question jusqu’ici fort obscure ; question soutenue avec opiniâtreté par les magnétiseurs, repoussée avec dédain par la plupart des savants. Malheureusement beaucoup de magnétiseurs, sont des charlatans qui, depuis Mesmer, exploitent la crédulité publique ; et beaucoup de savants ont le tort de condamner sans appel tout ce qui n’est pas en conformité avec leurs théories. Peut-être y a-t-il là toute une science nouvelle à étudier; ou bien, les perturbations nerveuses produites par les magnétiseurs amèneront-elles un jour quelques vérités phylosophiques inattendues ; de même que les efforts des alchimistes, pour trouver la pierre philosophale, ont amené la découverte de substances qu’ils ne cherchaient pas, mais qui n’en sont pas moins précieuses, comme le phosphore par exemple. Quoi qu’il en soit, un fait incontestable est acquis à la science: c’est la propriété qu’a la torpille de secréter et de dépenser son fluide nerveux avec tant d’énergie qu’elle frappe d’un engourdissement douloureux ceux qui la touchent. Or, si l’émission du fluide nerveux peut faire du mal, il est permis de croire que, dans certaines circonstances, elle pourrait faire du bien.
- — Oui, mais nous ne sommes pas des torpilles, dit Schwartz, qui se trouvait là.
- p.575 - vue 578/838
-
-
-
- 576
- LE DEVOIR
- Chapitre XX
- CHARGES ET POCHADES,
- Près d’un mois s’écoula sans que le moindre incident vint rompre la monotonie de la traversée.
- Saville employait une partie de la journée à se familiariser avec Part nautique. Son ami Garbonnel, et le bon capitaine prenaient un plaisir extrême à le seconder, et à lui faire part de leur savoir.
- Le docteur et Murray se promenaient sur le pont, et se disputaient, sans que jamais l’un pût parvenir à changer d’un iota les convictions de l’autre. Et cependant, ils se cherchaient continuellement, comme le fluide positif et le fluide négatif, en se tirant mutuellement de poignantes étincelles.
- Muller étudiait toujours. Il analysait l’eau de la mer, et y constatait la présence de l’iode, récemment découvert par Courtois. Il y enfrevoyait en^outre un autre [corps, jusqu’alors inconnu, mais qu’il ne pouvait parvenir à isoler, faute d’appareils convenables et de quelques réactifs qui lui manquaient. Ce ne fut que cinq ans plus tard que Balard enrichit la science de la découverte du brome.
- Schwartz s’était fait un hamac sur le pont, et y passait à fumer les moments où il ne dessinait pas.
- Zamore restait souvent à lire dans la cabine, parfois il montait sur le pont, s’y plaçait dans quelque recoin isolé, et suivait des yeux les allées ot J es [venues de son maitre.
- Après le dîner, la causerie recommençait.
- Schwartz dit un soir, en ouvrant un portefeuille rempli de croquis :
- — Messieurs, vous savez que je me suis attaché à M. Muller, en qualité d’illustrateur. Pendant qu’il tient ses instruments ou sa plume, moi, je tiens le crayon. J’ai donc entrepris d'illustrer le système qu’il nous a exposé dernièrement, et je me propose à mon retour en Europe, de publier un grand ouvrage, dont je vais avoir l’honneur de vous soumettre quelques échantillons.
- Planche première. Le dualisme dans l’unité. Groupe d’exemples naïfs : un angle, une équerre, une fourche, une culotte....
- — Oh ! Shocking ! dit Mortimer, en éclatant de rire.
- — Un compas, une paire de ciseaux, une pairejde lunettes, une médaille, face et revers, etc., etc.,.etc. Ce sont les bagatelles de la porte. Une larme de femme....
- — Pourquoi ? demanda Edouard.
- — Parce que Byron a dit que c’est à la fois sa lance et son bouclier. Une ellipse....
- — Je ne comprends pas dit Saville.
- — Parce qne l’ellipse a deux foyers. C’est l’emblème géométrique de l’amour : l’égoïsme à deux. Franconi, en centaure. Une lanterne magique, munie de sa chandelle. Un ballon muni de son aéronaute.
- Planche 2. Même sujet. L’hydrogène et l’oxygène, sous la forme d’un beau couple amoureux, s’éteignant, s’en-Lçant et s’élevant vers le ciel, d'où ils redescendent en cascade éblouissaute.
- — Je n’aurais pas cru qu’on pût trouver de la poésie dans la chimie, dit Gampiglio.
- — On en trouve partout, dit Muller, seulement les poètes sont rarement chimistes.
- Planche 3. L’esprit et la matière. Ceci vous représente un poète efflanqué lisant ses vers avec une grosse maman qui sonde de l’œil et du couteau les profondeurs d'un pâté. Comme pendant, voici une sylphide arrêtée au vol par un capitaliste, aussi chargé d’embonpoint que d’écus.
- — Mauvais, dit Edouard. Votre sylphide est une danseuse, et jamais on a choisi une danseuse comme type de l’esprit.
- — Elle en a toujours plus que le financier, répondit Schwartz. Le contraste y est, cela me suffit. Deuxième exemple : Samson et Dalila. Troisième exemple : Galilée devant ses juges.
- Planche 4. Fabrique de monde. Autour d’une fournaise ardente sont des creusets sur lesquels on lit : Matière cosmique, matière à nébuleuses, matière à soleil, matière à planètes. Le grand ouvrier, une cuiller à pot à la main, se prépare à tirer de la marmite, l’embryon d’un monde.
- Planche 5. Même sujet. La page est blanche. Le projectile, lancé par la fenêtre du laboratoire, a filé si vite qu’il n’a pas laissé de trace derrière lui.
- Planche 6. Même sujet. La comète échevelée court comme une folle au milieu des planètes sages et bien dressées, qui la regardent avec étonnement, tout en valsant, avec le poignet sur la hanche.
- Planche 7. La nouvelle venue, toute rouge encore, s’est rapprochée de ses compagnes. L’esprit, sous la forme d’un maître à danser, lui donne une leçon de valse et de gravitation.
- Planche 8. [L’attraction universelle. Un groupe de jeunes hommes tourne autour d’un groupe de jeunes femmes. Un groupe de gourmands s’approche d’une d’une table somptueusement servie. Un groupe de dilettante se dirige vers une orchestre. Au centre, et comme foyer général d’attraction est un monceau d’or.
- Planche 9. Nos premiers pères. Collection choisie d’animaux antédiluviens, de chauve-souris monstres, de lézards volants, de tortues immenses, de crocodiles incroyables -, et au-dessus de tout cela, l’esprit créateur stupéfait de la laideur de ses produits...
- — Je proteste, dit Muller. Je n’ai pas dit cela.
- — L’esprit créateur, continua Séhwartz, malgré l’interruption, se prépare à flanquer un énorme seau d’eau sur la tête de ses créatures.
- Planche 10. La variété dans l’unité. Premier exemple : le spectre solaire, et pour pendant un arc-en-ciel.
- — A la bonne heure, dit Muller, ceci est sérieux et vrai.
- Deuxième exemple. Un orchestre, composé de cent instruments divers, exécutant une symphonie.
- Planche 11. Rapports entre [les planètes. Venus fait l’œil à Mars. Mercure, en costume de facteur, distribue les correspondances aux autres globes. Saturne montre l’heure à un cadran fixé sur son anneau. Jupiter jette un jette un regard de convoitise sur la belle Europe, qui réveille ses vieux souvenirs.
- (A suivre).
- Le Directeur Gérant : GODIN
- Guise — lmp. Baré.
- p.576 - vue 579/838
-
-
-
- 1Q-Année,Tome 10.— N'418 Le numéro hebdomadaire 20 c. Dimanche 12 Septembre 1886
- JÊLmÆÊæ
- WÊÈË)IS&ÊSa& éiSÈæimÊÈÊm sMÊÊSÊÊÊÈÊÊ gF'fff* 11111111 11111111 *Ü|pl
- REVU DES OIJESTIONS SOCIALES
- BUREAU
- A GUISE (Aisne)
- Toutes les communications et réclamations doivent être adressées à M. GODIN, Directeur-Gérant Fondateur du Familistère
- ABONNEMENTS PAYABLES D’AVANCE
- par l’envoi, soit au bureau de Guise, soità celui de Paris de timbres-poste ou de mandats de poste, dont le talon sert de quittance.
- France
- Un an ... 10 tr. »>
- Union postale Un an. . . 11 fr. s»
- Six mois. . . 6 »* Trois mois. . 3 »»
- Autres pays
- Un an. . . . 13 fr. 60
- ON S’ABONNE
- A PARIS
- 5, rue Neuve-des-Petits-Champs Passage des Deux-Pavillons
- S’adresser à M. LEYMARTE administrateur delà Librairie des sciences psychologiques.
- SOMMAIRE
- Fête de l’enfance et de l’instruction. Discours de M. Godin.— La Fête de l’Enfance. — L’œuvre républicaine législative— Aphorismes et préceptes sociaux. — Faits politiques et sociaux de la semaine. — La situation politique et sociale en Belgique. — Charles Saville. — L'astronomie.— La revue socialiste.— Etat-civil du Familistère.
- FETE DE L'ENFANCE
- ET DE L’INSTRUCTION
- DISCOURS DE M. GODIN
- Pères, mères et chers élèves, L’instruction et l’éducation de l’enfance sont choses les plus dignes de l’attention publique. C’est pourquoi elles sont aujourd’hui l’objet de la fête qui nous rassemble. Il s’agit pour nous ' de glorifier le savoir acquis par les enfants de l’Association du Familistère dans le courant de cette année scolaire.
- Je trouve que c’est une occasion, au moment où des ennemis des côtés les plus opposés; anarchistes et cléricaux obscurantistes nous attaquent à l’envi et médisent de notre association, de montrer à nos détracteurs de tous ordres ce que le travail aidé de l’amour du bien et de la vie humaine a su réaliser ici au profit de la population ouvrière. ?
- Ne vous inquiétez pas, je ne veux pas vous faire la monographie générale de l’association du Familistère. Je ne veux vous parler ni des palais d’habitation, ni des logements confortables dont les familles des ouvriers sont en possession ; ni de la proprété, ni de la salubrité générales qui y régnent sans que ce soit un souci pour personne. Je ne veux vous parler ni des communs en général, ni des lavoirs, ni des buanderies, ni des bains, ni de la piscine où un groupe de 30 à 40 enfants peut aller s’exercer à la natation. Je ne vous parlerai pas davantage de l’association légale des travailleurs, du droit qu’a l’ouvrier de jouir de tous les fruits de son travail, ni des assurances garantissant les ressources pendant la maladie et donnant la sécurité à la vieillesse, ni des causes de bien-être, de progrès, de satisfaction, de bonheur qui en résultent dans les familles.:Jene veux rien dire ni des jardins, ni des promenades , ni du théâtre, ni des salles de réunion, ni de la bibliothèque; je veux parler seulement de l’Éducation et de l’Instruction de l’Enfance au Familistère.
- Nous verrons ainsi, en examinant un des résultats de l’association, si réellement nous ne sommes bons à rien, ou si nous servons à quelque chose dans le mouvement progressif de l’humanité.
- Qu’onse rappelle,d’abord,que le commencement du Familistère date de 1860; il y a,par conséquent, 26 ans que la mutualité a pris corps parmi nous. Avant cela, il avait fallu faire sortir l’industrie et la fortune de rien. Car, je n’avais ni fortune, ni industrie en venant à Guise, et la ville ni le ' pays ne possédaient le moindre élément de ©•
- p.577 - vue 580/838
-
-
-
- 578
- LE DEVOIR
- dont notre association devait un jour se composer.
- J’étais venu, à Guise, m’établir sur des terrains nus. Pas une pierre, pas une brique, pas un des éléments de travail qui n’ait été constitué sur place. Pas un homme d’industrie qui n’ait été formé ici même.
- Il m’a fallu tout faire sortir du travail ; car jamais de ma vie je n’ai cherché de ressources ailleurs. C’est donc par des efïorts personnels incessants et avec l’aide des travailleurs que je suis parvenu à réunir les éléments de l’association que je voulais fonder ici, afin d’y pouvoir expérimenter les réformes sociales, ou si l’on veut les améliorations sociales dont, hélas ! mes contemporains font trop peu de cas.
- Ce n’est pas, mes amis, un sentiment de vanité froissée qui me fait vous parler ainsi, je ne suis pas accessible à ces faiblesses.
- Vous en avez pour preuve que j’ai renoncé à briguer les positions officielles, et que je les refuse même quand on vient me les proposer ; mais en toute chose il est bon de mettre la vérité en lumière ; eh bien, la vérité c’est que mes travaux m’ont valu jusqu’ici, en France, plus de détracteurs et d’ennemis qu’ils ne m’ont valu d’approbateurs et d’amis.
- Examinons donc les développements successifs de l’éducation et de l’instruction au Familistère.
- En 1861, une salle pour les enfants au berceau fut provisoirement ouverte dans le premier bloc construit du Familistère ;.en même temps, j’installai, dans des conditions analogues, le début de l’école maternelle et, dès 1862, je lui donnai son complément naturel par l’installation de l’école primaire.
- En 1863, nous célébrâmes pour la première fois la fête de l’Enfance.
- Notre école primaire fonctionnait depuis un an à peine. La population, alors de 300 personnes, donnait à l’école primaire environ 35 enfants de 7 à 12 ans, ('filles et garçons) ; à la salle maternelle 50 enfants, et à la salle aux berceaux 7 à 8. Tels furent les commencements des soins donnés à l’enfance au Familistère.
- Nos moyens et nos ressources de toutes sortes étaientfort limités ; nous étions à nos débuts, en face d’une partie des difficultés que l’école du village ordinaire oppose à l’instruction fructueuse des enfants. Nous n’avions d’autre avantage que la facilité de réunion et de contrôle des élèves; par conséquent, pas d’absence à l’école, et avec
- cela l’amour et le désir de bien faire ; tels étaient nos moyens au début.
- La population s’augmenta avec les constructions que l’accroissement de mes ressources me permettait d’édifier pour la réalisation des plans du Familistère.
- Chacun de vous sait au milieu de combien de difficultés et de procès tout cela fut fait, et les retards même que j’ai éprouvés par le partage de la fortune qu’on me disputait.
- Jamais, malgré cela, l’instruction au Familistère n’a été abandonnée un seul instant. Mais c’était dans les locaux devant plus tard être affectés à divers autres services de l’association que nos classes étaient provisoirement aménagées.
- C’est en 1866 que nous avons pu faire construire l’édifice spécial affecté aux soins de la première enfance : nourricerie, pour les enfants de la naissance à 2 ans, et salle maternelle du premier âge, pour les enfants de 2 à 4 ans ; et en 1869 l’édifice affecté au complément des classes maternelles et aux classes d’écoles primaires. Ces édifices furent, plus tard, agrandis par suite des nouveaux développements des palais de l’association et de l’accroissement delà population.
- Ainsi, en 1882, nous avons presque doublé nos classes d’enseignement primaire et, en 1885, nous avons fait la même chose pour les classes d’enfants de la naissance à quatre ans.
- Dans l’état actuel, la population enfantine du Familistère, depuis le berceau jusqu’à l’âge de quatorze ans, est divisé en dix classes, toutes pourvues des locaux et dépendances parfaitement appropriés aux soins et à l’instruction que quatre maîtres, huit maîtresses, cinq bonnes gardiennes et trois personnes de service sont appelées à leur donner.
- C’est donc 20 personnes affectées tout particulièrement au service et aux soins des 542 enfants que nous avons actuellement au Familistère. Ce nombre de professeurs s’élèverait à 30 environ, si nous comptions les professeurs spéciaux de dessin industriel, de couture et coupe, de musique vocale et instrumentale, de morale universelle, etc..* qui prennent part ici à l’enseignement.
- Dans ces conditions l’instruction est devenue facile au Familistère, et nous pouvons certainement présenter notre organisation scolaire comme un modèle, en raison des bons résultats qu’elle produit.
- Le certificat d’études que la totalité de nos e&' fants est en voie d’obtenir avant la sortie des
- p.578 - vue 581/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 579
- classes de l’association en est la preuve. Les enduis retardataires qui nous arrivent du dehors aVec une instruction négligée sont la cause accidentelle d’exceptions. Malgré cela, aucun élève ne sort des écoles du Familistère sans posséder une instruction primaire de nature à lui servir utilement dans toutes les circonstances de la vie.
- Bientôt, il n’y aura plus un seul ille tiré dans toute la population des palais sociaux.
- Examinons à quoi sont dus ces avantages. La population enfantine et scolaire du Familistère est divisée en dix classes : Nourricerie ; Trois classes d’école maternelle ; Six classes d’école primaire,
- Nourricerie
- Les enfants du plusjeune âge sontconfiés pendant leurs premières années aux soins des dames portées par le cœur et le dévouement à donner, à ces enfants, les soins maternels qui leur sont dus.
- Pendant cette période, la bonté et la tendresse des gardiennes savent habituer l’enfant à attendre son tour avec patience et sans pleurer à i’heure du lever, du coucher, du repas et de la distribution des jouets ; à avoir des égards et de la bienveillance envers ses camarades ; à ne point pleurer quand il ne souffre pas, à être de bonne humeur.
- C’est ainsi que nos cinquante enfants au berceau sont gais, contents, gentils ; il semble qu’une Providence veille sur leurs caractères et répand le calme dans la nourricerie. Presque jamais, il ne se présente parmi eux de ces scènes rageuses qui, souvent, se renouvellent chez l’enfant élevé seul, au logis paternel. A la nourricerie, l’enfant tenu proprement, toujours renouvelé de linge à propos, ne manquant jamais de rien, ni pour le boire, ni pour le manger, jouissant, en outre, de la société de ses petits camarades, est heureux et satisfait.
- Aussi, les dames qui, tous les jours, voient les bienfaits de leurs soins ont-elles ce contentement secret du cœur que donne lé bien accompli sans bruit et sans vanité.
- Trois classes d’école maternelle
- Dès que l’enfant est en état de quitter les salles de la nourricerie, dès qu’il est propre, qu’il peut se promener avec les camarades, — ce qui arrive vers l’âge de deux ans, — il passe à la classe maternelle du premier âge. Les salles de cette classe °Qt partie du bâtiment de la nourricerie et ne sont séparés de celle-ci que par un vitrage.
- Cette seconde classe de l’Enfance possède un Mobilier propre à faciliter aux élèves la variété des occupations et des exercices. De petites tables
- avec bancs disposées pour deux élèves sont en rang dans une partie de la salle d’exercices, et séparées les unes des autres par des couloirs pour la circulation facile des enfants et des maîtresses.
- Dans les écoles maternelles et surtout à ce bas-âge la variété des occupation?, l’alternance des exercices au repos sont choses essentiellement nécessaires; c’est pourquoi nos enfants ont, dès le premier âge, des tables avec bancs et dossiers où ils viennent s’asseoir et se reposer après s’être livrés à des exercices actifs. Commodément installés à ces petites tables, iis ont devant eux une surface propre à tous les exercices destinés à faciliter le repos du corps et le développement de l’intelligence, tels que : la numération au moyen de petites briquettes, le pliage, le découpage du papier, etc., etc... sous la direction des maîtresses.
- Les autres exercices sont au contraire des marches en chantant, des jeux gymnastiques, des rondes, des réunions en groupes, exercices durant lesquels, tout en jouant avec méthode, l’enfant acquiert un certain nombre de connaissances ; il apprend, par exemple, à connaître les lettres en les chantant avec une mimique qui fixe son attention sur chaque signe.
- On amuse les plus âgés par des leçons de choses concernant l’enfant lui-même, son corps, sa tête. On lui explique l’usage des yeux, de la bouche, du nez, des oreilles, des mains, des bras, des jambes, des organes et des sens. En l’amusant, enfin,les maîtresses lui expliquent tout ce qui peut lui apprendre à se connaître lui-même.
- Faisant, en outre, appel à ses impressions, on lui explique avec accompagnement de tableaux et d’images les animaux de basse-cour, les arbres fruitiers et les plantes potagères.
- On lui fait l’histoire du blé, de la farine, du pain des gâteaux, des confitures, du lait, du beurre, du fromage, du sucre ; on cherche à ouvrir son intelligence en parlant à ses appétits, et à former son cœur en pariant à ses affections. On lui expose la bonté des parents, le plaisir d’être avec de petits camarades, ce qu’on doit faire à leur égard ; comment on doit se comporter envers tous les êtres.
- Par le beau temps on ouvre à deux battants les portes de la classe, et 60 à 80 élèves se précipitent sur les pelouses à l’ombre des grands arbres, où ils se livrent à leurs ébats en toute liberté, L’intérieur de la classe est donc, en été, entièrement consacré aux séances de calme et de repos. Deux
- p.579 - vue 582/838
-
-
-
- 580
- LE DEVOIR
- dames veillent en permanence sur cette troupe enfantine, au dehors comme à l’intérieur.
- De 3 ans et demi à 4 ans, suivant son développement et son degré de savoir, l’enfant quitte les locaux de la première enfance et passe à la classe suivante dans l’une des salles maternelles établies dans l’édifices des écoles, en avant des palais d’habitation. C’est dans cet édifice que se trou-ventréunies toutes les autres salles d'instruction.
- Cette seconde classe maternelle ainsi que la troisième précédent les classes primaires. C’est à partir de ces deux classes, que l’enseignement commence à être appliqué régulièrement d’après les méthodes et principes que nous venons d’examiner pour les enfants sortis de la nourricerie, mais en élargissant progressivement le cadre des leçons et des matières.
- Dans ces classes, comme dans toutes les autres, chaque enfant a son banc et son pupitre attenant à celui d’un camarade. Les tables sont donc à deux places. Partout, ces tables sont séparées les unes des autres par des couloirs permettant à la maîtresse d’aller aisément auprès de chaque élève pour vérifier son travail, et lui donner les indications dont il peut avoir besoin.
- Chacune de ces classes renferme environ 80 élèves, formant deux divisions composées : l’une des derniers arrivés, l’autre des plus avancés. Chacune de ces divisions est placée sous la direction d’une maîtresse.
- Le programme de ces classes comprend :
- La lecture phonomimique et chantée.
- L’écriture élémentaire sur ardoise.
- Les exercices de langage et de prononciation première initiation à l’étude de la langue.
- Le calcul d’après l’Arithmétique des Enfants, mé thode créée au Familistère par Madame Marie Godin, pour les deux dernières classes maternel-nelles et les deux premières années primaires. Celte méthode, comprend : la numération, l’addition, la soustraction, la multiplication, la division et des notions préparatoires sur les fractions,
- Constructions récréatives avec le matériel servant à l’étude du calcul.
- Reproduction sur ardoise de dessins quadrillés et de dessins d’objets usuels exposés aux tableaux ; plus tard copie sur cahiers spéciaux.
- Notions sur le système métrique.
- Explication des lignes et figures géométriques représentées aux tableaux.
- Notions élémentaires de géographie sur la lo-
- calité. Désignation des accidents du sol, côteaux vallées, cours d’eau, etc.
- Premiers éléments sur l’histoire naturelle — Le. çons sur nos sens, nos organes et notre activité
- Leçons sur les animaux domestiques et sur tous les produits qu’on tire de ces animaux : la viande le lait, le beurré, le fromage, les œufs, et les différentes choses propres à notre nourriture.
- Leçons sur les légumes, le blé, la farine, ie pain, les pâtisseries, sur toutes les choses tirées des végétaux et nécessaires à la vie.
- Chants, jeux et exercices gymnastiques.
- Travaux de pliage, de découpage et de tissage propres à exercer l’adresse des doigts et à développer chez les enfants le sentiment artistique.
- Leçons de morale sur ce qu’on doit à,ses parents, à ses petits camarades et à tous les êtres ; ne jamais chercher à faire de mal à qui que ce soit ; chercher toujours au contraire à faire du bien à tout le monde par ses pensées, par ses paroles et par ses actions.
- Ce cadre de leçons s’agrandit à mesure qu’on passe d’une classe inférieure dans une classe plus élevée. Les maîtres préposés à l’enseignement de chaque classe développent, d’année en année, et d’une classe à une autre, — selon l’avancement des élèves, — le programme d’instruction dont les bases sont posées dès la classe du plus jeune âge. Et c’est ainsi que nos élèves suivant la série des trois classes maternelles et des
- Six classes d’école primaire
- arrivent graduellement au certificat d’études et au programme supérieur de l’Instruction publique, lequel est approprié aux besoins de notre association.
- Voici ce programme :
- Lecture.— Classiques français, prose, poësiés exercices; lecture expressive ; rectitude du langage.
- Écriture.— Cursive, gros, moyen, fin, expédiée, ronde et bâtarde.
- Langue française.— Règles grammaticales, devoirs d’application, dictées, exercices sur les familles de mots ; homonymes, synonymes, et contraires; notions d’étymologie, exercices d’application et d’invention. Étude de la proposition, ponctuation ; syntaxe des dix parties du discours.
- Style.— Lettres — Narrations et rédactions, ces dernières ayant trait le plus souvent à la morale, touchant le bonheur de l’homme et les principe8 qui doivent y conduire.
- p.580 - vue 583/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- Récitation.— Déclamation, mesure de la voix, ÿonne prononciation.
- arithmétique.— Numération, addition, soustraction, multiplication et division appliquées.— multiplications des nombres entiers et décimaux, fractions ordinaires.— Réduction et division.— Théorique et pratique.— Rapports et proportions Théorie de la racine carrée — Système métrique flègle de trois, d’intérêt et d’escompte.
- Comptabilité.— Notions et exercices sur la teQue des livres.
- Géométrie. — Notions élémentaires ; les quatre premiers livres ; mesure des surfaces et des volumes.
- Dessin.— Linéaire et d’ornement appliqué à l’industrie pour les garçons, à la coupe des vêtements et à la couture pour les filles.
- Travaux manuels des jeunes filles.— Travaux de tricot et de crochet appliqués à la confection d’objets usuels.
- Marque sur canevas et sur linge— divers points.
- Tous les travaux de couture à la main et à Ja mécanique, appliqués à la confection du linge, des vêtements et au raccommodage,
- Prise de mesures — Tracé des patrons — Coupe et confection de tous les vêtements de femme et d’enfants.
- Leçons de lavage et de repassage ; théorique et pratique.
- Algèbre.—- Équation du lfr degré à une et plusieurs inconnues; équation de 2me degré.
- Mécanique.— Du mouvement et de ses causes - Forces — Machines simples — Le viers, treuils, poulies, moufles — Ecoulement des liquides — Notions sur les roues hydrauliques et les machines à vapeur.
- Physique.— Propriétés générales des corps — hydrostatique — Pression des liquides.— Pression atmosphérique — Chaleur — Lumière — Photographie — Électricité — Poudre — Paratonnerre — Bobines — Piles — Télégraphie.
- Chimie.— Notions sur ies principaux corps Amples et composés— Nomenclature et notation Mimiques — Oxygène — Hydrogène — Eau — Azote — Air — Carbone — Phosphore, Soufre et ieurs composés — les Métaux et les métalloïdes.
- Histoire naturelle.— L’homme, ses organes et leurs fonctions — ms Animaux, les Végétaux, les minéraux — Géologie.
- Morale universelle ayant pour principe et Pour règle le bien de la vie humaine, c’est à-dire
- 581
- le progrès, le bien-être et le bonheur de tous les êtres humains.
- Économie sociale.— Moyens d’application de la morale universelle. — Exercice des droits et des devoirs humains. — Ce qu’est et ce que doit être le travail dans la société.
- Hygiène, Salubrité, propreté dans leurs applications générales à l’habitation, à l’industrie et- à tous les faits de la vie.
- Économie domestique,— Cuisine, ménage, vêtements, provisions, soins de conservation — Recettes utiles. Principes d’ordre, de propreté et d’hygiène dans la famille.
- Instruction civique.— Les principales administrations de l’État — Les devoirs du citoyen envers la patrie.
- Géographie. — Notions de cosmographie élémentaire.— Les cinq parties du monde — l’Europe Formes des gouvernements— La France et les colonies françaises.
- Géographie physique politique, industrielle et commerciale — Voies de communication — Des relations avec les autres pays.
- Exercices cartographiques sur le papier et au tableau noir.
- Histoire. —Histoire de France moderne — Principaux faits d Histoire générale se rapportant à l’histoire de France — Révolution de 1789. Ses effets dans toute l’Europe. — L’empire —La Restauration — Révolution de 1830 — Son influence en Europe — Révolution de 1848 —La deuxième République — Coup d’Etat du 2 décembre — Le deuxième Empire et ses conséquences — La troisième République et ses principaux événements,
- Les progrès de l’industrie, du travail, des sciences et des arts dans l’histoire. — Les hommes utiles.
- Musique. — Eléments de musique devant amener les enfants à la lecture musicale — Chants et Chœurs.
- Gymnastique. — Mouvements de la tête, du tronc et des membres, accompagnés de chants. Exercices avec les haltères et les hâtons. Harmonie et mesure des mouvements du corps.
- Ce programme résume au complet l’enseignement donné dans les écoles du Familistère pour arriver, d’abord, au certificat d’études et pour élever, ensuite, les élèves au degré d’instruction qui permet aux plus intelligents d’entrer aux Ecoles du Gouvernement soit normales, soit industrielles ou d’arts et métiers.
- p.581 - vue 584/838
-
-
-
- 582
- LE DEVOIR
- Un mot sur la direction générale de renseignement : Toutes les mesures d’ordre et de pédagogie de quelque importance sont expliquées et convenues en comité des professeurs réunis sur convocation du directeur. Des conférences ont aussi lieu, dans ces réunions, pour établir l’unité de vue dans le corps enseignant.
- Chaque année, avis pris du Conseil de l’Association, ce comité arrête les programmes gradués de l’enseignement pour chaque classe d’école du Familistère.
- Il arrête également l’emploi du temps pour l’ensemble de toutes les classes.
- Chaque maître procède au classement de ses élèves et propose,en fin d’année, la liste des élèves de sa classe à faire passer dans une classe supérieure.
- Une commission spéciale prise dans le sein de l’association procède, deux fois par an, à une cons ta'ation de l’état de toutes les classes, par des compositions écrites et des examens oraux. L’administration du Familistère est ainsi tenue au courant des côtés forts ou faibles de l’enseignement et de l’instruction dans les écoles de l’association. Ces examens servent, en outre, à contrôler les promotions annuelles des élèves dans toutes les classes. Outre ces mesures d'ordre général, il convient pour se rendre bien compte des causes de l’efficacité de l’enseignement de ne pas perdre de vue l’influence de la division graduée des classes, depuis le berceau jusqu’à quatorze ans au moins, âge avant lequel aucun élève n’est admis à quitter l’école.
- Les classes du Familistère étant mixtes, cela permet de diviser l’enfance par rangs d’âge et de savoir, en trois classes maternelles et six classes primaires, moitié filles moitié garçons
- Dans les classes primaires, chaque professeur a ainsi une classe composée de 35 à 40 élèves, tous à peu près du mêmeâge.Ges classes primaires sont composées: la première d’enfants de 7 à 8 ans; la seconde, d’enfants de8 à 9 ans; la troisième, d’enfants de 9 à 10 ans ; la quatrième, d’élèves de 10 à 11 ans; la cinquième, d’élèves de 11 ans jusqu’à l’obtention du certificat d’études; la classe supérieure comprend les élèves qui ont obtenu le certificat d’études, jeunes gens de 12 à 14 ans et au-dessus.
- Dans ces conditions, les leçons des professeurs profitent à tous les éléves ; et d’année en année les classes s'élèvent vers le certificat d’études et le cours supérieur.
- Les conséquences naturelles de cette organisa tion sont qu’il n’y a plus d’enfants négligés ^ oubliés. C’est au contraire sur les élèves les piUs bornés que l’attention du professeur se porte p. plus, afin de ne pas avoir de retardataires ; (je sorte que tous les enfants progressent et s’instruisent.
- Avec une telle organisation, avec un champ d’instruction aussi facile, le dévouement, la capacité des maîtres peuvent faire des merveilles aussi devons-nous, déjà, les féliciter hautement des résultats obtenus. Mais, je le dis avec certitude, ces résultats ne sont encore que le fruit laborieux de nos débuts. Nous comptons maintenant que le zèle de nos maîtres et maîtresses entraînera bientôt l’opinion publique à accorder aux écoles du Familistère le tribut d’attention auquel elles ont droit. Une chose qui nous toucherait davantage encore serait que notre exemple fût un encouragement à nous imiter partout en France ?
- Assurément, cela est possible ; car, on ne voudra gratifier ni le fondateur ni l’association du Familistère du pouvoir de faire des choses impossibles ailleurs ; surtout si l’on remarque que l’association du Familistère a organisé, sur un tel pied, l’instruction dans son sein sans aucun secours ni de la commune ni de l’Etat ; que non seulement elle paye tous les frais de l’Instruction de ses enfants, mais qu’elle paye en surcroît, par ses impôts) près du quart des frais de l’Instruction publique de la ville.
- Il devrait donc être facile, avec un peu de bonne volonté de la part des classes dirigeantes, d’établir partout l’instruction publique sur un pied analogue à celui que les efforts privés ont réalisé au Familistère, dans une population essentiellement ouvrière.
- Espérons que le moment viendra où il en sera ainsi, et que si le gouvernement ne croit pas devoir venir en aide à notre association pour l’instruction quelle donne à ses enfants, il jugera au moins équitable et juste de nous indemniser de l’équivalent de ce que notre association paye pour l’instruction publique donnée en dehors d’elle.
- Chers élèves,
- 11 me reste quelques mots à vous dire en vue de vous faire aimer l’école et, surtout, d’engager vos parents à vous encourager à poursuivre vos études et à bien faire vos devoirs.
- Le conseil de Gérance avait, dans les anne®5
- p.582 - vue 585/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 583
- dernières, décidé d’accorder une récompense spé- j ciale, en titre de l’association, à chacun des élè- | ves ayant obtenu le certificat d’études. Le but désiré par le Conseil étant atteint et l’association tout entière comprenant aujourd’hui l’importance du certificat d’études et de l’instruction poussée jusqu’à la fin du cours supérieur, le Conseil de Gérance a jugé à propos de modifier ses encouragements et de reporter ses efforts sur le choix des livres de prix. Il a donc décidé que 600 francs seraient employés cette année en distribution de livres aux élèves. C’est cette distribution que nous allons vous faire dans un instant.
- Mais, avant de terminer, un mot encore :
- Vous ne comprenez pas tous, chers élèves, vous ne comprenez pas tous, Pères et Mères, combien l’instruction est difficile à faire par les maîtres et maîtresses si la bonne volonté de l’enfant ne leur vient en aide, si l’enfant ne fait avec vigilance ses devoirs en classe.
- Que peut le maître contre l’enfant qui ne veut pas travailler, si ce n’est de le signaler aux parents, afin que ceux-ci usent de leur influence pour amener l’enfant à faire ce que le maître réclame de lui?
- Eh bien, il faut que je le dise ici, il est encore malheureusement parmi nous quelques pères et mères illettrés, quelques personnes n’attachant à l’instruction qu’un intérêt secondaire. Ces pa-rents-là, au lieu de venir en aide aux maîtres, laissent dans l’esprit de leurs enfants le sentiment de la résistance et de la paresse, ils ne font rien pour les engager à remplir leurs devoirs.
- Ces familles ne sont guère dignes de rester au Familistère. Je les prie donc instamment de changer de conduite et de faire en sorte que leurs enfants, abandonnant tonte velléité de résistance ou de paresse, soient désormais ramenés à l’amour du travail et au sentiment de déférence enversles maîtres dont ils ne doivent cesser d’être animés.
- Nous faisons tout ce que nous pouvons pour taire aimer l’école aux enfants du Familistère, et la distribution des prix à laquelle nous allons procéder en est une nouvelle preuve.
- Il appartient aux parents de nous venir en aide dans cette tâche, de tout leur cœur et avec bonne volonté.
- L’instruction adonner aux enfants est le plus saint des devoirs.
- LA FETE DE L’ENFANCE
- Dimanche dernier a eu lieu, dans son éclat accoutumé, la 23e fête annuelle de l’Enfance.
- Il nous est bien difficile de traduire les délicieuses impressions que nous avons rapportées de cette cérémonie touchante, qui a délassé si agréablement le cœur et les yeux. Car une réunion d’enfant de tout âge, depuis le blond bébé qui peut à peine tenir sur son banc, jusqu’à la fillette dont le regard contemple, avec un sourire émerveillé, le gros volume à reliure rouge qui lui sera donné tout à l’heure en récompense du certificat d’études obtenu — l'assemblage de tons et de couleurs variés, robes en gaze rouge ou blanche des bébés, écharpes chatoyantes aux reflets moirés, azur des yeux étonnés et ravis des têtes blondes ou dorées, qu’illumine la naïve joie de la fête, — tout offre à l’œil et au cœur un sujet d’émotions ravissantes indescriptible...
- Ah ! l’on peut se faire une idée de l’enseignement pri-maire donné au Familistère, par la connaissance du programme des études, la distribution des matières, leur coordination ; on peut se rendre compte des soins prodigués aux enfants dans nos asiles, dans notre nourricerie, mais comme tout cela donne une idée imparfaite, matérielle, grossière, si je puis ainsi dire, de leur éducation générale !
- Cette éducation générale, c’est la Fête de l’Enfance seulement qui peut la faire connaître, admirer ses résultats bienfaisants, quand le séjour du Familistère n’a pas permis d’observer les allures ordinaires de nos enfants.
- L’instruction, en effet, c’est la nourriture intellectuelle, indispensable au petit être dont le cerveau, ouvert aux précieuses et fécondes semences de l’enseignement, devra croître et se développer, par la culture dont il sera l’objet. Mais il est une autre nourriture que, dès l’âge le plus tendre, à l’aube, naissante de la vie, les programmes les mieux ordonnés ne sauraient donner à l’enfant et qui lui est, cependant, aussi indispensable que l’aliment matériel. Cette nourriture, c’est la bonté, dont il doit être entouré, bonté prudente, intelligente, savante même, que si peu de mères connaissent hélas ! pour que cette matière malléable et réfléchissante, qui garde toutes les empreintes, bonnes ou mauvaises, ne respire que la bonté, la douceur, la joie, et se développe dans une atmosphère de bonheur et de sérénité qui fera de lui l’homme par excellence — un homme bon !
- Ces soins intelligents dont l’enfant doit être entouré, lui font le plus souvent défaut, même dans les familles dont les parents prodiguent à leurs enfants une tendresse incessante — parce que cette tendresse n’est pas toujours éclairée, exempte de caprices, — surtout de faiblesses. L’éducation générale est le plus souvent mal faite, d'où les enfants grognons, capricieux, incapables d’une attention suivie. Ce3 mauvaises habitudes de l’enfance, pleurs, caprices, etc., suites d’une mauvaise éducation, ont une influence plus considérable qu’on ne le croit généralement, sur le développement moral, intellectuel et matériel de l’être humain.
- Le public étranger considérable qui a assisté à la Fête de l’Enfance du Familistère aura pu juger, par l’attitude de nos enfants, par l’expression de bonheur et de contentement peints sur leur visage, combien l’éducation inaugurée à h nourricerie et à l’asile et continuée dans l’école,’est A la foh
- p.583 - vue 586/838
-
-
-
- 594
- LE DEVOIR
- une préparation et un complément salutaires des soins matériels qui leur sont prodigués et de l’enseignement intellectuel qui leur est donné.
- A trois heures, en effet, la salle de Théâtre du Familistère est déjà bondée. Le Gonseil de gérance est sur la scène, entourant M. et Mm0 Godin qui jouissaient de leur œuvre et contemplaient, d’un œil attendri, le magnifique tableau de cette rangée d’enfants, placés par ordre de classes et dont l’ensemble, les grands derrières, les petits devant, forme un amphithéâtre de têtes bouclées souriantes. On achève de placer les plus jeunes sur des bancs très bas, disposés pour eux, et pendant cette opération, pas un cri de mauvaise humeur, pas un geste de contrainte, parmi ces bébés. On leur a dit d’être sage, cela suffit. Ils regardent les beaux bouquets de fleurs dont on a orné les marches disposées au pied de la scène, pour permettre aux lauréats d’aller chercher les récompenses décernées.
- A trois heures, la musique du Familistère, dontnous n’avons plus à faire l’éloge dans ces colonnes, ouvre la cérémonie par l’exécution d’un morceau de musique enlevé avec la maestria et la sûreté musicales ordinaires.
- Après quoi, un chœur d’élèves, fillettes et garçons, chante Le Jour des récompenses, vivement applaudi, ce qui n’était que justice, car les voix chantaient juste et avec un accord et un ensemble qui font le plus grand honneur aux jeunes exécutants et à leur intelligent professeur.
- M. Godin prononce ensuite le discours que nos lecteurs ont lu en tête du journal, et qui est accueilli par une longue salve d’applaudissements aussi uourris que sincères.
- Après l'exécution d’un morceau d’harmonie par la musique et d’un cœur chanté par les enfants,tous deux fort goûtés et chaleureusement applaudis par le public, on procède enfin à la distribution des prix — puis à la distribution des jouets pour les bébés, dont les corbeilles étaient curieusement guettées depuis quelque temps déjà. Et c’était plaisir de voir les beaux bras nus blancs et roses des petits, se tendre, les menottes grandes ouvertes, frissonnantes des curiosités enfantines de l’attente, vers les distributeurs et les distributrices. Mais au milieu de tout cela, dans le gazouillement des cœurs épanouis , pas une ombre au tableau charmant, pas un visage rembruni par la déception, pas une voix discordante, mécontente du jouet remis et envieuse de celui du voisin.
- Le soir grand bal dans la cour centrale pavoisée et décorée, brillamment illuminée pour la circonstance. Là, encore, les enfants ont eu leur pàrt de joie, de rires et de dauses, car au milieu des jeunes filles et des jeunes gens, des quadrilles animés, nombre d’enfants se trémoussaient avec non moins de brio et d’entrain que les danseurs proprement dits.
- Le lundi matin, de nombreux visiteurs ont pu s’assurer que l’enseignement théorique n’ètait pas la seule préoccupation de l’enseignement familistérien et qu’une large place était accordée aux travaux pratiques. Une exposition des travaux exécutés par nos élèves, travaux de dessins, de couture et de crochet avait été en effet, ménagée dans une des salles du Théâtre. Ces travaux n’étaient pas des ouvrages spéciaux, préparés pour les circonstances, c’étaient, simplement, ceux exécutés à l’école par les écoliers, entièrement du? ac. travail personnel de chaque élève exposant et faisan* partie intégrante de notre enseignement.
- Les cahiers de dessins de coupe appartenant aux jeune s
- filles du cours complémentaire et renfermant des modèles divers : chemises, camisoles, corsages, robes, matinées, etc. ont été surtout fort remarqués.
- L’application du savoir acquis dans cette partie était démontrée par les objets exposés, taillés et cousus par les élèves elles-mêmes.
- Les travaux de lingerie ont été également l’objet d’éloges bien mérités. 8
- Le soir, la fête a continué par les jeux du Carrousel du Pot cassé, de l’Anneau et du Sou fflet, et cette journée n’a pas été moins animée que la précédente.
- En somme,deux journées bonnes et fortifiantes,consacrées à réjouir nos enfants, à graver dans leur jeune cœur,par l’éclat et la solennité d’une cérémonie,les principes d’amour, de fraternité et de bonté sur lesquels repose l’institution familistè-rienne.
- L'ŒUVRE
- RÉPUBLICAINE LÉGISLATIVE
- Le projet de programme bonaparto-orléano-républicain-bourgeois lancé par MM. Raoul Du-val et Lepoutre, a eu pour résultat de soulever dans le parti républicain proprement dit une discussion des plus intéressantes ; il a même déterminé des divergences d’opinion importantes qu’il est utile de signaler.
- On se rappelle, en effet, que bon nombre d’opportunistes, dont les opinions sociales ne différent guère de celles de |M. Raoul Duval, approuvant les données économiques générales de ce dernier, se déclarèrent satisfaits du terrain choisi par lui et tout prêts à se rallier à la ligne politique que son programme traçait àla législature de 1885-1889.
- Nous n’étions pas surpris outre mesure de la nature de cette coalition qui se préparait. En fait comme en théorie, quand on veut maintenir le statu quo social actuel, peu importent les différences de point de vue auxquelles on se place, pour appliquer les principes d’une politique sociale conservatrice des abus qui pèsent sur le peuple ouvrier. Quand les opinions économiques se touchent, les hommes sont d’accord ou bien près de l’être. Nous ne pouvions donc pas nous montrer surpris de voir se produire une alliance parfaitement explicable entre les hommes du pouvoir d’hier et du pouvoir d’aujourd’hui. Le fait était naturel — nous le déplorions, voilà tout.
- Comment ne pas déplorer, en effet, l’aveuglement de ces prétendus hommes d’État qui, dans les circonstances que nous traversons, au lieu de songer à remédier aux difficultés croissantes, a la misère envahissante, qui monte parallèlement à l’accroissement de la richesse publique, se content de combiner de mesquins agencements mi-
- p.584 - vue 587/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 585
- nistériels, des misérables coalitions ayant pour put la formation de majorités parlementaires condamnées à piétiner sur place, à ne pas faire un seul pas en avant, dans la voie du progrès indispensable ?
- Le parti opportuniste tout entier n’a pas confirmé l'acte d’adhésion qui avait accueilli le programme Raoul Duval, et, chose singulière, dans un même journal, considéré comme l’organe officiel de ce parti tout puissant, il s’est formé deux camps : l’un approuvant, l’autre blamant ces projets de stratégie républicaine.
- Quel que soit notre éloignement pour les divisions de personnes, les noms des rédacteurs de la République Française ont une signification trop précise, pour que nous ne signalions par ces divisions, qui semblent indiquer qu’une tendance marquée tout à fait nouvelle est à la veille de se faire jour dans les rangs du groupe important placé naguère encore à la tête du pouvoir.
- D’une part, MM. Spuller et Reinach ont fortloué M. Raoul Duval de son projet de fusion, de l’autre MM. Ranc et Tompson l’ont déclaré impraticable et dangereux pour l’avenir de la République.
- M. Ranc, dans un article du Matin que toute la presse a commenté, s’est attaché, non-seulement à montrer le caractère dangereux de ces tentatives rétrogrades, mais encore à indiquer la seule voie ouverte à la République pour lui permettre de rallier à elle les masses profondes de la nation quelle n’a pas su gagner à son principe ; cette voie, c’est celle des réformes sociales. M. Ranc a avoué, et cet aveu tombant de sa bouche est précieux à consigner, que la République, en proie aux divisions de personnes et suivant la politique des gouvernements antérieurs funeste aux intérêts populaires, n’avait rien fait ou très peu de chose pour le peupleront la situation ne saurait s’améliorer sans l’intervention de l’État, sans la protection d’un gouver* nement tutélaire étendant son action et sa sauvegarde sur les faibles, sur ceux qui sont impuissants dans la lutte sociale pour l’existence à laquelle les individus de notre génération sont en proie. Il a fait toucher du doigt l’inanité des prétendus remèdes proposés dans les parlements par ceux qui se sont intitulés, bien à tort, des hommes d’affaires, et déclaré que la solution des problèmes économiques pendants était dans une initiative législative audacieuse, arborant hardiment le drapeau de l’intervention sociale en faveur des déshérités.
- Alors, a conclu le leader du parti gambettiste, 1 es populations qui ne sont pas encore venues à la République se rallieront à son gouvernement; les haines sociales qui. sourdent dans les masses, les colères près de faire explosion dans certains milieux ouvriers exaspérés par le chômage s’apaiseront, alors, on aura fait véritablement œuvre républicaine.
- Nous n’avons pas besoin de dire si ce s conclusions ont été l’objet de commentaires passionnés. Les organes les plus importants se sont divisés. Les uns comme le Temps, ont paru approuver un tel programme d’initiative sociale proposé à l’activité parlementaire, mais en l’entourant de réserves, de si et de mais, de distinctions et de subtilités prouvant évidemment que le parti républicain gouvernemental, n’est pas encore préparé à l’évolution dans laquelle M. Ranc voudrait l’entraîner.
- Le Siècle aégalement ergoté à côté, établissant je ne sais quelle distinction casuistique entre les réformes « économiques » et les réformes « sociales »; prétendant que celles-ci ne visaient que les ouvriers de la grande industrie qui ne sont pas plus d’un cinquième en France. Gomme si le paysan avait des intérêts distincts des intérêts ouvriers !
- En revanche, des personnages politiques importants se sont déclarés acquis aux idées de M. Ranc.
- Que sortira-t-il de ce remous d’idées, de ces projets de réforme ?
- Nous l’ignorons et nul, pensons nous, ne saurait dire, si on pourra trouver dans le parti républicain actuel un élément initiateur capable d’ouvrir l’ère des réformes qu’on s’est attaché à repousser de toutes les forces de l’autorité gouvernementale.
- Ces discussions et ces tentatives ne sont pas moins intéressantes, car elles montrent qu’il s’opère un mouvement dans les milieux les plus réfractaires jusqu’à ce jour à toute idée de "réforme sociale, atout projet de modification essentielle apporté à notre organisation défectueuse.
- L’urgence des réformes est si pressante qu’elle finit par s’imposer aux plus obstinés — quelle que soit d’ailleurs la nature du mobile qui les pousse.
- M. Ranc croit que la République n’aura fait œuvre républicaine que le jour où elle aura fait œuvre de transformation sociale. C’est là, en effet sa seule raison d’être. Si donc les conseils qu’il donne aux députés, de ne pas perdre le temps de
- p.585 - vue 588/838
-
-
-
- 586
- LE DEVOIR
- la législature courante, étaient suivis, sans nul doute les compétitions politiques s’effaceraient et avec elles les haines sociales profondes apaisées par les résultats d’une politique sociale nettement réformiste.
- Déjà, malgré le petit nombre de députés s’occupant des questions sociales, des projets importants ont été déposés à la chambre, dont l’adoption fer ait faire un grand pas aux solutions impatiemment attendues. Dans l’ordre des solutions provisoires de nature à atténuer les maux de notre situation économique, nous citerons le Projet de réglementation internationale du travail, qui permettrait de fédérer, si je puis ainsi dire, les intérêts internationaux, et de les équilibrer en proportionnant la production à la consommation — cette dernière devant être considérablement accru par une augmentation de la part que touchent aujourd’hui les ouvriers sur la production.
- Dans l’ordre des solutions d’un champ plus vaste, nous citerons le projet de loi Maret, Giard, etc. sur l’Hérédité, auquel nous nous sommes ralliés au Devoir. Bien que ce projet ne nous donne pas pleine et entière satisfaction, son adoption n’en aurait pas moins des conséquences fort importantes ; directement inspiré des idées déjà tant de fois émises par nous sur la matière, ce projet serait un acheminement vers l’Hérédité nationale, telle que nous l’avons exposée ; un premier jalon planté.
- Dans l’ordre politique, un projet de renouvellement partiel^ dès chambres a été déposé par la députation de l’Aisne, .projet auquel l’incessante propagande du Devoir n’a pas été étrangère. Bien qu’il soit encore loin de satisfaire nos dé-siderata sur la question, nous n’en accueillerions pas moins favorablement son adoption, il constituerait, lui aussi, un autre jalon planté dans la voie du suffrage universel honorablement pratiqué.
- Si donc les députés veulent suivre une ligne de conduite parlementaire différente de celle suivie jusqu’à ce jour, s’ils veulent travailler, en un mot — ils n’ont qu’à se mettre à l’œuvre, des projets suffisants sont déposés à la Chambre pour cela.
- Mais se mettront-ils à l’œuvre ?
- Les considérations que la tentative Raoul Duval a provoquées dans la presse républicaine gouvernementale sembleraient indiquer qu’on en pressent la nécessité. C’est à ce titre que nous les avons enregistrées.
- APHORISMES & PRÉCEPTES SOCIAUX
- CXXI
- La dette publique
- L’accroissement indéfini de la dette publique est une calamité nationale qui conduirait inévitablement à la banqueroute. Il faut que la dette publique soit progressivement remboursée par la richesse nationale en opérant des prélèvements sur les biens délaissés à la mort des citoyens, si les rentiers ne veulent pas arriver à tout perdre de leur vivant.
- ------------------— ------------------------—
- Faits politiques et sociaux de la semaine
- FRANCE
- Remaniements ministériels.— On assure que, malgré les dénégations des journaux officieux, M. de Freycinet prépare avec M. Grévy un remaniement ministériel qui se produirait vers les premiers jours d’octobre. Il serait question de faire entrer le nouveau sénateur du Cantal, M. Devès, dans cette combinaison. Il remplacerait M. Demôle à la justice.
- Le premier départ des récidivistes.—
- Le premier départ des récidivistes vient encore d’être retardé. Ce n’est plus en octobre qu’ils partiront, mais seulement le 1er décembre, sur le vaisseau-transport le Fontenoy qui les conduira à l’île des Pins : à moins que le ministère de la marine ne change encore d’avis, ce qui est plus que probable.
- Encore une loi si bien conçue quelle reste inapplicable.
- Recrutement ecclésiastique.— Un archevêque cardinal a dit en plein Sénat, sous l’empire, que le clergé ne se recrutait plus que dans les fruits secs de la charrue.
- Pour être fixé sur l’exactitude de cette appréciation, il faut lire dans le Courrier de Brest la nomenclature des oints, prêtres, diacres, sous-diacres de l’évêque de Quimper. Le lecteur pourra facilement constater dans la composition du petit séminaire de Pont-Croix, l’absence des noms des villes de Brest, Morlaix, Châteaulin, Quimper et Quimperlé, dans la nomenclature des localités fournissant des sujets à l’établissement.
- ' Tonkin.— « Nos troupes continuent d’opérer sur les pirates, et d’infliger de rudes leçons aux rebelles qui infestent encore certaines parties de la contrée. Telles sont les dernières nouvelles que nous apporte l'Avenir du Tonkin, qui nous donne les détails des divers engagements que nos troupes ont eus avec les uns et les autres.
- « Nos soldats, toujours infatigables, et merveillement guidés par leurs braves officiers ne cessent d’agir avec vigueur contre les bandes qui désolent certaines provinces, et ils leur font subir des pertes sérieuses.
- « Une partie du fleuve Rouge est devenue très sûre, et les habitants s’empressent de remettre en culture dester-| rains laissés forcément improductifs depuis plusieurs années ; f dans une autre partie, les pirates gênent encore la circula-
- p.586 - vue 589/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 587
- tion. Dans la province de Than-Hoa la situation est encore très troublée. Mais, en somme, les choses prennent généralement bonne tournure, et la pacification est en bon chemin.
- On aurait pu croire qu’avant le départ de M. Paul Bert le Tonkin était pacifié, puisque les organes officieux annonçaient qu’une paix légitime avait été signée. Ces nouvelles nous indiquent suffisamment qu’il n’en était rien, puisque, une année après la paix, nos soldats s’épuisent toujours vainement après des bandes de pirates!
- BELGIQUE
- Mouvement socialiste.— M. |Édouard Anseele s’est constitué prisonnier lundi à deux heures de l’après-midi.
- Il s’est rendu en prison, escorté d’une foule assez considérable de socialistes, ouvriers et ouvrières. L’affluence de celles-ci, surtout, était grande.
- Les cris de « vive Anseele ! » et la Marseillaise ont retenti lorsque Anseele a pénétré en prison.
- Avant de s’y rendre, Anseele a publié dans le Vooruit un article d’adieux ; il engage fortement les ouvriers à serrer les rangs, leur montrant la victoire au bout de la lutte :
- « En dépit des arrestations, des gendarmes, des arrêts, « des persécutions des capitalistes et des tendances réaction-« tionnaires des gouvernants, le parti doit, dit-il, aller de « l’avant. Un parti sans martyrs est un arbre sans sève.
- « Une cellule, ajoute le rédacteur du Vooruit, n’est pas a un cercueil. Fils de pauvres ouvriers, nous ne pouvions « offrir à notre parti que notre temps et notre liberté. Avec « un désintéressement complet, nous avons fait ces sacrifices.
- « Hourrah ! nous voilà baptisés socialistes. »
- L’article se termine par un nouvel appel à l’union. Anseele engage les ouvriers à faire de la propagande, à renforcer les rangs des sociétés et des caisses de résistance, et à activer la campagne en faveur du suffrage universel. « Un salut, une poignée de mains à tous les amis de Gand, à tous les socialistes de Belgique, à toutes les connaissances rouges de l’étranger. Travaillez aveccourage, amis ! à l’année prochaine!»
- ANGLETERRE
- L’attitude de l’Angleterre.—- On mande de Londres que le coup porté a la diplomatie anglaise est vivement ressenti dans les cercles officiels.
- Tout l’échafaudage laborieusement élevé par lord Salis-bury s’écroule ; tous les sacrifices faits dans le domaine colonial pour parvenir à la conclusion d’une entente anglo-allemande, destinée à arrêter les Russes dans leur marche en avant, demeurent en pure perte devant la volte-face de M. de Bismarck, dont sir Ed. Malet avait certifié les bons sentiments au Foreign-Office. Aussi celui-ci, voyant tous ses plans déjoués, se replie-t-il sur lui-même et attend-il des événements l’occasion de reparaître, diplomatiquement parlant.
- C’est sur Constantinople que convergent actuellement tous ses efforts. Le nouvel ambassadeur d’Angleterre va mettre tout enjeu pour provoquer de la part du sultan une ingérence où, plus exactement, la revendication de ses droits sur la Roumélie orientale. j
- Il ne faut pas oublier que la conférence de Constantinople j
- a consenti à l’union personnelle des deux bulgares sur la tête du prince Alexandre ; que, celui-ci venant à abdiquer, les effets de la conférence sont, de fait, abrogés, et que la Porte est en droit de réoccuper la Roumélie orientale.
- Il y a là toute une ère de difficultés, de conflits au milieu desquels sir William White cherchera à reconquérir une place à l’influence anglaise, totalement annihilée par l’attitude résolue de la Russie, devant laquelle s’incline le sultan depuis l’entrevue de Franzensbad.
- On craint ici que cette situation nouvelle dans laquelle l’Angleterre joue un rôle très effacé, n’ait un grave contrecoup dans les affaires égyptiennes. Le maintien de Mouktar-1 pacha au Caire est un indice que le &ultan est poussé par quelques puissances pour laisser quand même substituer son autorité en Égypte. On prête, en outre, l’intention à l’une d’entre elles de provoquer, de la part de l’Angleterre, des explications au sujet du séjour prolongé de ses troupes en Égypte, dont l’évacuation serait, sous peu, exigée par le concert européen.
- Mouvement socialiste.— Une démonstration de mineurs et d’ouvriers des torges, au nombre de plus de 40.000 a eu lieu à Mothewel. Les forges et les puits, dans un rayon de 20 milles avaient été abandonnés.
- MM. Bradlaugb, Mason, Donald Crawford, membres du Parlement et plusieurs autres orateurs, ont pris la parole.
- Diverses résolutions ont été votées, parmi lesquelles celle de former une union fédérative, et celle de réduire le travail à huit heures par jour et cinq journées par semaine.
- RUSSIE
- Les projets de la Russie.— Le Times apprécie de la façon suivante la nouvelle situation créée par l’abdication du prince :
- Le triomphe du tzar est complet, grâce à la stricte abstention de tous ceux qui pouvaient efficacement s’opposer à la réalisation de tous ses dessins ; et le seul ellet de l’union des deux provinces bulgares sous le prince de Battenberg aura été de rendre plus gros le morceau de l’empire turc dont la Russie s’assure la possession par la présente opération.
- On craint fort à Constantinople que d’autres changements encore ne soient imminents. 11 court des bruits de mauvais augure. On parle de préparatifs de la Russie d’une importance telle qu’ils ne sauraient être expliqués seulement par un projet d’occupation de la Bulgarie, à brève ou à longue échéance On croit, non sans quelque apparence de raison, que la suppression brutale du prince Alexandre indique des desseins ultérieurs.
- BULGARIE
- Jusqu’ici, la Russie ne semble pas prés de désarmer sa rancune contre le prince Alexandre, rentré en triomphateur dans ses États. La mauvaise humeur du Czar qui s’est traduite par la dépêche qu’on va lire, suffirait à elle seule, pour pour prouver, si tant d’autres indices ne nous avaient déjà prévenus, que c’est bien de St-Pétersbourg qu’est parti le coup d’Etat de Sofia.— Le prince Alexandre a envoyé, en effet, aussitôt rentré à Philippopoli, la dépêche suivante au tzar de toutes les Russies.
- p.587 - vue 590/838
-
-
-
- 588
- LE DEVOIR
- « Sire, ayant repris en mains le gouvernement de mon « pays, j’ose soumettre à Votre Majesté mes plus respectueux « remerciements de ce que le représentant de Votre Majesté à « Roustchouk, par sa présence officielle à ma réception, a « montré au peuple bulgare que le gouvernement impérial « ne saurait approuver l’acte révolutionnaire dirigé contre « ma personne.
- « En même temps, je sollicite la permission de pouvoir « soumettre à Votre Majesté toute ma gratitude pour l’envoi « du général-prince Dolgoroukoff, envoyé extraordinaire de « Votre Majesté; car, en reprenant le pouvoir légal en mains « mon premier acte est de soumettre à Votre Majesté ma ferme « intention de faire tous mes efforts afin de pouvoir aider à la « magnanime intention de VotreMajesté défaire sortir la Bul-<s garie de la grave crise qu'elle traverse.
- « Je prie Votre Majesté d’autoriser le prince Dolgoroukoff « à s’entendre directement et le plus vite possible avec moi, « et je serai heureux de pouvoir à cette très humble « supplique. »
- Le tzar a répondu par la brutale dépêche que voici :
- « J’ai reçu le télégramme de Votre Altesse ; je ne puis approuver votre retour en Bulgarie, en prévoyant les conséquences sinistres pour un pays déjà si éprouvé.
- « La mission du prince Dolgoroukoff devient inopportune. Je m’abstiendrai de toute immixtion dans le triste état de choses auquel la Bulgarie a été réduite tant que vous y resterez.
- « Votre Altesse appréciera ce qu’elle a à faire. Je me réserve de juger ce que me commandent la mémoire vénérée de mon père, l’intérêt de la Russie et la paix de l’Orient.
- Il est aujourd’hui certain que devant une hostilité aussi gros-sièrement accusée et afin d’éviter à la Bulgarie de plus grands malheurs le prince abdiquera. Il a déjà formellement annoncé sa résolution dans ce sens aux officiers restés fidèles à sa cause. Car il est à remarquer que si le peuple et l’armée des soldats paraissent dévoués au prince Alexandre, il n’en est pas de même de ses officiers. Ceux-ci, sont en partie dévoués à la Russie, qui leur a fait espérer de les admettre à titre régulier dans les rangs de son armée. Une fois de plus, on peut voir combien le militarisme est un écueil redoutable pour les pays qui aspirent à la liberté. Puisse l’exemple de la Bulgarie servir de leçon et d’enseignement!
- La Situation politique et sociale
- EN BELGIQUE
- L’importance du mouvement socialiste belge qui va grandissant, a appelé sur la situation politique et sociale de nos voisins, non seulement l’attention du monde européen, mais encore de l’Amérique. Le New-York Ilérald a voulu, en effet connaître l’opinion des hommes en état de fournir des renseignements sur les causes qui ont provoqué ce mouvement. Son correspondant, s’est rendu, à cette occasion, h Bruxelles, où il a vu MM. Berlrand, rédacteur-administrateur du Peuple, de Volders, rédacteur également au Peuple,
- le docteur de Paepe, le bourgmestre de Bruxelles, M. Bulls, des rédacteurs de journaux importants tels que l’Indépendance belge.
- Nous allons reproduire la déposition de ceux que le rédacteur américain a interrogés dans cette enquête, nous proposant de revenir ensuite sur l’ensemble des opinions émises et des faits sociaux qui les ont produites.
- Opinion de M. Buis.— La cause des troubles est la grande misère qui, ici comme partout, existe parmi les classes laborieuses. Les meneurs socialistes, en Belgique comme en France, en ont pris avantage.
- Les chefs du mouvement sont Jean Volders, Bertrand, Anseele (de Gand).
- Comme remède à la détresse industrielle, j’ai essayé de perfectionner l’ouvrier par l’instruction.
- Je me suis efforcé de créer une sorte de Bureau du travail où l’ouvrier puisse trouver emploi et entrer en relations avec les patrons. Les ouvriers ont assez chaudement répondu à mes efforts ; les patrons, moins chaudement.
- M. Harry Gérard, un des principaux rédacteurs de l’Indépendonce belge assura au rédacteur du New-York Hérald que labourgeoisie bruxelloise est divisée en deux camps ; l’un redoutant jusqu’à la panique une agitation hostile, l’autre indifférent.
- « Le peuple, dit-il, est trop écrasé et trop ignorant des questions en cause, pour résoudre le problème du travail. 11 sera prêt à combattre pour ou contre le cléricalisme, mais il ne comprend rien au-delà.»
- Toute autre, comme on va voir, est l’opinion, à cet égard, des socialistes mêlés à l’agitation belge.
- M. de Paepe s’exprime en effet ainsi :
- « Pour vous procurer une explication impartiale des troubles actuels, je pourrais vous renvoyer aux documents de l’enquête faite actuellement en Belgique par le Gouvernement, mais si vous le désirez je vous donnerai mon opinion personnelle. Ces désordres ne sont pas particuliers à la Belgique. Il y a eu des émeutes dernièrement, je crois, en France, en Allemagne, en Hollande et même en Amérique. Les troubles de Chicago n’ont pas été dus simplement aux incitations de Herr Most et de quelques anarchistes II faut voir là, comme ici, des symptômes locaux d’un malheureux état de choses présentement universel.
- « Les causes sont multiples. La première réside dans la détresse agricole résultant de la compétition ruineuse des exportateurs de grains de l’Amérique et de l’Inde, exportateurs qui, grâce à leur organisation supérieure, à 1 emploi de machines, etc., sont en état d’obtenir le grain à moins de frais et d’accaparer le marché d’Europe. Ici, comme en France,
- p.588 - vue 591/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 589
- les paysans constituent la masse des consommateurs. Or, les paysans souffrant de la crise sont obligés de diminuer leur consommation. Ainsi la détresse atteint tout le commerce en général.
- « La deuxième cause tient à ce que le monde économique et industriel, dans sa présente organisation, est monopolisée par des capitalistes individuels comme les Rothchilds et Jay Gould, ou par des sociétés de capitalistes agissant sur une large échelle, employant un matériel mécanique coûteux et combinant toutes choses au seul point de vue de leur intérêt individuel.
- « Aucune place n’est laissée aux petits patrons. Les grands fabricants ayant à tirer de leur coûteux matériel des produits proportionnels à la dépense font de la surproduction et encombrent les marchés.
- « Ensuite, ils sont obligés de congédier leurs ouvriers et ces derniers sont réduits à la misère....
- « Quel remède je propose? » continua de Paepe avec un sourire à cette question que lui posait son interlocuteur.
- « Je suis médecin ; si vous veniez à moi souffrant d’une maladie dangereuse, je pourrais adopter divers traitements et si le cas était désespéré et votre constitution en état d’y faire face,je pourrais prendre des mesures radicales. D’un autre côté, si votre foree n’était pas assez grande, je serais contraint de recourir à des palliatifs.
- REMÈDES
- « Les socialistes belges sont de l’école de Karl Marx, la véritable école allemande, je crois, et non de l’école française. Nous acceptons comme les socialistes du Reichstag tous les moyens que nous jugeons de nature à remédier partiellement aux maux de l'ouvrier, tandis qu’en même temps, nous ne cessons de nous diriger vers notre but final, vers la solution radicale qui substituera l’Etat et la commune aux capitalistes individuels. Nous,— et par ce nous, j’entends le parti ouvrier — considérons les Trade’s-Unions, la coopération l’association graduelle des ouvriers et autres mesures similaires, comme des moyens pour atteindre à nos fins. Nos remèdes supposent un état social démocratique. »
- INTERVENTION DE L’ÉTAT
- « Je ne dis pas que la société belge de 1886 soit prête pour cette intervention.
- « Le but commun de toute industrie est le bien général. Si les Rothschild et les Jay Gould font de leur pouvoir un usage abusif et deviennent les oppresseurs de la nation, en se ruinant parfois eux-mêmes, pourquoi l’Etat, au nom de l’intérêt public, n’interviendrait-il pas et ne s’emparerait-il pas de leur matériel afin de diriger les industries nationales en vue du bien national, réglant soigneusement les approvisionnements et les prix de vente selon les demandes universelles ? L’État dirige les télégraphes, les postes et les chemins de fer dans quelques pays; et il s’en acquitte assez bien.
- Nous n’avons donc qu'à étendre le principe de la confiscation.
- « Confiscation, direz-vous,pourquoi? Quantité de fabricants seraient prêts à abandonner leurs usines à de loyales cond i-tions. Nous admettons l’idée d’une compensation de la part de l’Etat en échange de l’expropriation.
- « Tous les ouvriers belges ont compris plus ou moins que les idées de coopération et de collectivisme tendent, graduellement et logiquement, à la constitution d’une grande association des patrons. Avec ce système, les Rothschids et les Jay Goulds qui, après tout, ne peuvent qu’être ce qu’ils sont, deviendraient des rentiers de l’Etat.
- « La monarchie est une considération secondaire.
- « Nous espérons atteindre notre but pacifiquement.Nous n’avons pas l'amour de la violence. Ce ne sont pas les peuples mais les gouvernants qui font les révolutions. Si l’Angleterre avait gouverné sagement les colonies américaines, celles-ci ne se seraient pas séparées de l’Empire Britannique.
- « Incidemment,nous demandons le suffrage universel. Nous ne sommes pas surs que la bourgoisie consente jamais aux réformes dont nous nous faisons les avocats. Si elle résiste, la confiscation peut devenir nécesssaire. Certainement, les bourgeois n’accorderont pas la plus légère réforme, tant que nous n’aurons pas eu un grand nombre de bonnes manifestations comme celle projetée pour dimanche et tant que nous n’aurons pas obtenu le suffrage universel.
- « Incidemment,nous désirons la suppression de la monarchie, mais c’est là une question secondaire. Sauf Bruxelles, à peine la Belgique connaît-elle le roi Léopold. Il n’est rien pour la masse du peuple.
- Opinion de M. Volders.— Notre objet immé diat, dit le rédacteur du Peuple, est d’obtenir le suffrage universel. Tant que le pouvoir restera dans les mains de ceux qui, actuellement, le détiennent, aucune réforme n’est à espérer.
- «Nous nous confions aux moyens d’action pacifiques. Pour-» quoi les abandonnerions-nous pour recourir à la violenee? La pensée d’une émeute ne s’est pas même présentée à nous dans nos plans pour la manifestation du 15 août. Si nous la rencontrons sur notre voie, eh bien nous continuerons paisiblement notre propagande. Ce mouvement est la renaissance l’une importante agitation en faveur du travail, agitation qu a été empêchée il y a 20 ans environ.
- Nous évaluons à plus de 150,000 les ouvriers ralliés à notre parti. Une fois que nous aurons ob tenu le suffrage universel, nous dirigerons les efforts pour l’obtenfion des réformes dans le règlement du travail. Nous voulons que la journée soit limitée à 8 ou 10 heures de travail. Nous voulons que le taux des salaires sait fixé par l’Etat. Spécialement, nous visons à la création de syndicats du travail. Affiliation avec les chevaliers du travail.
- «Oui,plusieurs Associations ouvrières belges importantes sont reliées aux chevaliers américains du travail. Il y en aura plus
- p.589 - vue 592/838
-
-
-
- 590
- LE DEVOIR
- encore, bientôt. Tous les ouvriers intelligents de Bruxelles sympathisent avec nous. Je ne veux pas dire que je croie à une crise prochaine économique et politique qui puisse renverser le gouvernement.
- M. Bertrand.— rédacteur administrateur du Peuple.
- Notre principal objet est l’amélioration du sort des classes laborieuses. Le mouvement organisé par le peuple est à la fois économique et politique. La cause en est dans la misère que nous voyons autour de nous. Cette misère est terrible en Belgique. Les ouvriers n’ont que des salaires de meurt-de-faim. Je ne parle pas des verriers, ceux-là sont assez bien payés. Mais que croyez-vous que gagnent d’autres ouvriers ? Les ei-gariers par exemple, touchent de 12 à 15 francs par semaine tandis qu’à Chicago les mêmes hommes auraient 80 francs.Vous direz que la vie est plus chère là-bas. Mais il n’y a pas autant de différence. Des belges résidant à Chicago m’ont dit qu’ils yvivent fort bien pour 25 ou 30 francs par semaine*
- En outre, nous voulons le suffrage universel. Il y a en ce moment 120,000 électeurs politiques, environ, en Belgique. Pour avoir le droit de vote, il faut payer une contribution d’au moins 42 fr, 32 centimes, ce qui ne laisse place qu’aux bourgeois. Si nous avions le suffrage universel, comme l’ont les Américains,nos électeurs seraient au nombre de 1,600,000.
- « Nous aurions chance aiors d’obtenir la réforme de nos lois et la protection de l’ouvrier.
- « Atteindrons-nous notre but ? Nous sommes arrivés à réunir, dans ce que nousappelons le parti ouvrier, les socialistes, les démocrates et les travailleurs ; et nos opérations n’ont commencé qu’il y a six mois. Le mouvement s’est déjà étendu d’une façon extraordinaire. Malheureusement, nous avons peu d’argent. Tout ce que nous pouvons obtenir de nos membres est la minime somme de dix centimes par an. On ne peut rien faire sans argent. C’est lui l’essentiel.
- M. Alfred de Fuisseaux.— L’auteur du Catéchisme du Peuple étant absent quand le reporter américain s’est présenté chez lui, il a écrit au Hérald la lettre suivante :
- « En quelques mots voici la situation de notre parti en Belgique. Le gouvernement est, pour l’instant, entièrement aux mains des Conservateurs, lesquels se divisent en libéraux et catholiques. Ces derniers occupent les fonctions.
- « Le peuple demande le suffrage universel. Les lois actuellement sont faites par et pour les conservateurs. Donnez au peuple le droit de suffrage et vous aurez des lois radicales et une majorité de radicaux dans le Parlement.
- « Le mouvement actuel a été aggravé de la misère dupeuple, lequel est, en outre, surchargé d’impôts. Nos moyens d’action consistent d’abord dans de telles manifestations.
- « Si, dans huit mois, nous n’avons obtenu aucun résultat, nous essayerons d’une grève générale, comptant pour la soutenir sur les ressources des sociétés coopératives qui se fondent dans toutes les directions et spécialement les boulangeries.
- « La bourgeoisie est épouvantée parce qu’elle sent qu’elle ne peut compter sur l’armée.
- Notre succès est absolument certain. Nous pouvons continuer le combat trois mois, temps suffisant pour ruiner les grandes maisons industrielles en les empêchant d’exécuter les ordres reçus de l’étranger. Quand les bourgeois se verront en face de la ruine, ils céderont.
- En revenant de Belgique, le rédacteur du Hérald a voulu connaître l’opinion, de M. Godin sur la question et voici le compte-rendu qu’il donne de l’entrevue qu’il a eue avec le fondateur du Familistère :
- Opinion de M. Godin.— La petite ville de Guise étant près de Lille, je saisis cette occasion d’aller voir M. Godin, le philanthrope fondateur et directeur de la grande institution coopérative de Guise : le Familistère. Deux mille personnes vivent de cette grande fonderie. M. Godin qui, autrefois, possédait les ateliers, a volontairement fait de ses ouvriers des associés depuis plusieurs années déjà.
- « Les causes de l’agitation actuelle en Belgique », dit M. Godin, « sont en partie économiques, en partie politiques. Les premières résident dans l’abaissement des salaires et la stagnation industrielle ; les secondes dans les manœuvres catholiques,pour entraver l’instruction et les libertés du peuple; et dans l’impuissance des libéraux pour améliorer la condition intolérable des classes laborieuses.
- « Un troisième parti, le parti républicain, s’élève et demande le suffrage universel. Il tient le milieu entre les masses et les libéraux. Mais le seul problème dangereux pour la Belgique et qui, bientôt, le sera de même pour toutes les nations civilisées, c’est la question du travail.
- « Les ouvriers intelligents voient combien injustement est répartie la richesse, ce fruit de leurs labeurs. Ils peuvent à peine vivre et s’accrochent à tout mouvement révolutionnaire qui semble leur ouvrir une espérance de voir améliorer leur sort.
- « Les remèdes à cet état de choses ne peuvent être effectifs s’ils sont locaux. Toutes les nations aujourd’hui doivent être solidaires; néanmoins, quelque bien résulterait pour la Belgique d’une entente entre ses industries variées, si celles-ci, agissant par l’organe de syndicats, s’entendaient avec le gouvernement pour opérer une élévation de 20 0/0 du prix de tous les produits et, consécutivement, établir au profit des ouvriers une organisation d’assurances mutuelles sous le contrôle de l’État.
- « Je sais toutes les objections qui peuvent être faites à un tel plan, mais je dis que toutes pourraient être résolues, si les gouvernants voulaient bien se concerter entre eux et reconnaître que les nations sont solidaires les unes des autres. »
- À l’exception de M. Godin, tous les grands manufacturiers se sont montrés hostiles au parti ouvrier.
- p.590 - vue 593/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 591
- CHARLES SAYILLE
- par ROBERTSON
- Roman philosophique
- Chapitre XX CHARGES ET POCHADES,
- Planche 12. Ce globe que "vous voyez, orné d’une tête, de bras et de jambes, vous représente le microscome, ou Thomme petit monde. Leschaîues de montagnes sont des côtes, les forêts sont des poumons ; les fleuves, teintés de bleu, sont les veines ; les routes et les canaux, teintés de rouge, sont les artères. Le réseau, teinté de jaune, représente le système nerveux, aboutissant à une pile galvanique, placé dans la tète. Ce dernier détail, qui est de fantaisie, suppose un système de télégraphie différent de celui que nous possédons ; mais il faut bien passer quelque chose à l’imagination de l’artiste.
- — Mon cher ami, s’écria Muller, ce n’est pas de la fantaisie ; c’est une véritable prophétie que vous venez de faire là.
- Comme il parlait, une secousse violente et inattendue renversa tous les causeurs.
- Chapitre XXI.
- CATASTROPHE.
- Le capitaine et le contre-maître furent bientôt remis sur leurs jambes, et montèrent précipitamment sur le pont.
- Le vent, qui jusqu’alors auait été doux et uniforme, venait de fraîchir et de sauter brusquement du nord à l’ouest. Par la négligence du timonier, le vaisseau avait fait chapelle et avait été frappé par un coup de mer qui l’avait presque couché sur ses baux.
- Le désordre, occasionné par cet accident, fut bientôt réparé. Mais les voyageurs dormirent peu cette nuit-là, à cause du craquement des mâts et des cloisons, du hurlement du vent dans les agrès et du choc des flots contre la coque du navire.
- Au point du jour, quand ils montèrent tout chancelants sur le pont, ils virent que la violence du vent s’était apaisée ; mais une brume épaisse s’étendait au-dessus de l’eau. Cette brume se fondit cependant devant le soleil levant, et ce fut heureux, car au moment où elle se dissipait, un des hommes de quart s’écria : Des brisants droit sur l’avant !
- — La barre à tribord ! cria le patron. Mais à peine avait-il donné cet ordre, que la vigie à la tête du mât s’écria : Des hauts fonds par le bossoir de tribord !
- — Bâbord la barre ! cria le patron.
- — Bâbord, répondit le timonier.
- Le sondeur trouva huit brasses d’eau, avec un fond de sable et de coquilles.
- En ce moment, le soleil brilla de tout son réclat, et l’on aperçut un banc de sable à un demi-mille par le travers de tribord, recevant le choc de la longue houle, ?U1 bondissait en nuages d’écume blanche comme la neige.
- En louvoyant, nos amis parvinrent à doubler le banc de sable, et ils se croyaient enfin hors de danger, lorsqu’un matelot, placé sur la civadière, s’écria encore:
- —- Des récifs à fleur d’eau par .le bossoir de bâbord !
- La quille crissa et le vaisseau toucha. 11 sortit cependant de cette passe difficile, sans avarie apparente, et pendant quelques heures poursuivit sa route vers le sud-ouest; quand le charpentier, fqu’on avait envoyé sonder à la pompe, informa Mortimer qu’il y avait une voie d’eau. On Fit jouer les pompes, et l’eau, jaillissant par les dalots, prouva qu’il ne s’était, pas trompé. Cependant on parvint à aveugler la voie d’eau ; mais le vent tomba, les voiles pendantes battirent contre les mâts, et le bâtiment fut pris de calme pendant vingt-quatre heures.
- Vers midi, un grain fut aperçu du côté de l’est, et tout à fait à l’horizon. Le reste du ciel était sans nuages. Cependant l’œil expérimenté de Mortimer reconnut que c’était l’avant-coureur d’une rafale ou d’un tourbillon. Il donna donc des ordres pour que tout le monde fût prêt à parer le choc qui allait avoir lieu.
- Le grain de mauvais augure grossit, et devint un nuage qui accourut, s’éleva, s’étendit en tous sens avec une rapidité prodigieuse, finit par environner les navigateurs et par former au-dessus de leurs têtes une voûte noire de vapeurs épaisses et roulantes. Mais pas un souffle ne se faisait encore sentir à bord. Bientôt on vit comme une raie blanche s’étendre et luire à l’est, à la surface de l’océan. Elle avança d’abord avec un grondement sourd, puis avec une voix tonnante et un fracas semblable à des salves d’artillerie, à mesure que les vagues successivement réveillées et animées, pour ainsi dire, se dressaient, enroulaient leurs cimes écumeuseset les lançaient au loin, sifflantes et étincelantes.
- Au moment où l’impitoyable ouragan saisit la Sirène le vaisseau fut enlevé jusqu’au sommet d’une lame immense, puis il en fut précipité avec une impétuosité effroyable. Pendant plusieurs heures, il fut ainsi balloté par la tourmente. Enfin il embarqua un coup de mer ; son grand mât tomba par-dessus le bord ; les embarcations furent défoncées et emportées.
- Quand le temps se calma, les embardées du vaisseau alourdi montrèrent à quel point la voie d’eau avait repris le dessus. Tous les hommes allèrent à tour de rôle faire jouer les pompes. On jeta à la mer des gueuses de fer, les ballots, des coffres, et tout ce dont on pouvait se passer, pour alléger le bâtiment. Mais il n’en resta pas moins dans l’entre-deux des lames ; il devint évident .-que tôt ou tard il finirait par couler bas. Un signal de détresse fut hissé à la corne d’artimon, et, fautejjde canon l’on tira des coups de fusils de cinq en cinq minutes.
- Pendant que Mortimer, Carbonnel, et quelques hommes des plus experts de l’équipage, tenaient conseil et prenaient des mesures pour construire rapidement un radeau, le charpentier vint subitement les interrompre, en leur annonçant d’un air lugubre que l’eau entrait en ruisselant comme une cascade, et que le vaisseau coulait par l’avant.
- Ils s’élancèrent sur le pont, qui offrait le spectacle le
- p.591 - vue 594/838
-
-
-
- 592
- LE DEVOIR
- plus douloureux et en même temps le plus imposant : celui d’hommes pleins de force et de santé, se trouvant impunément en face de la mort.
- Zamore se tenait à côté de Saville. 11 avait passé sa bouée de sauvetage autour de son corps, et par des gestes suppliants, il exhortait son maître à en faire autant. Mais celui-ci, contenant de la main les mouvements passionnés de son fidèle serviteur, étudiait avec une vive curiosité, les physionomies de ses compagnons. Cet homme blasé, qui naguère s’était cru mort à toutes les émotions, sentait la force et la vie rentrer en lui en présence du péril. 11 sentait lafière exaltation de l’homme courageux qui, au moment suprême, se sent maître de lui. Oubliant toute préoccupation personnelle, il ne songeait qu’à examiner comment ses nouveaux amis se préparaient à mourir.
- Murray, à genoux, était en prières. Son humble attitude annonçait une douloureuse résignation.
- Gampiglio se enait debout, les bras croisés. Ses sourcils étaient fortement contractés. Sa bouche était dédaigneuse. Son visage était empreint d’amertume, et le défi éclatait dans les éclairs de ses yeux noirs.
- Muller, assis sur la dunette, était aussi calme, aussi impassible qu’aux moments de causerie amicale, où il développait son système ; mais il y avait quelque chose de plus noble encore que de coutume dans l’expression de sa physionomie. Un léger sourire effleurait sa lèvre, et ses grands yeux bleus et doux regardaient le ciel.
- Le navire fit un dernier soubresaut, semblable à la convulsion finale d’un moribond, et s’enfonça lentement dans l'abîme.
- Chapitre XXII DÉLIVRANCE - PIRATE.
- La place où le vaisseau avait disparu se couvrit d’épaves flottants, de tronçons de bois, de perches, de cages à poules et d’autres débris, auxquels se cramponnèrent ceux qui savaient nager et qui purent se dégager, quand le tourbillon qui les attirait au fond eut perdu sa force.
- - Zamore et Saville furent les premiers qui reparurent, grâce à leurs bouées de sauvetage.
- On a vu que Saville, dans son ardente contemplation de ses compagnons d’infortune, avait résisté aux instances du petit nègre, pour qu’il passât ila bouée autour de son corps. Il la tenait de la main droite et restait immobile, oubliant le danger, ne songeant qu’à étudier jusqu’au dernier moment l’attitude de ses amis, et surtout celle de Muller, qui le remplissait d’admiration. Il semblait que toute son âme eût passé dans ses yeux. Pourtant l’imprudent ne savait pas nager. Il aurait infailliblement péri, sans la présence d’esprit du nègre, qui, lui aussi, était pénétré d’admiration, non pour les autres, mais pour son maître, dont la belle figure respirait l’enthousiasme, dans un moment où tant d’autres se seraient livrés au désespoir.
- A l’instant où le navire s’engloutit, Zamore saisit avec force le bras gauche de Saville. Les ténèbres les enveloppèrent ; ils se sentirent suffoqués et l’eau bourdonna dans leurs oreilles. Cela ne dura que quelques secondes ; mais de pareilles secondes sont des journées [
- dans les souvenirs. Saville, soutenu d’un côté par sa bouée, qu’il serrait convulsivement, et de l’autre par l’étreinte de Zamore, put enfin reprendre sa respiration. Puis, avec l’aide de’ûe dévoué serviteur, il parvint à placer convenablement sa bouée, et porta ses regards autour de lui. (A Suivre.)
- L’Astronomie, Revue mensuelle d’Astronomie populaire, de Météorologie et de Physique du globe, par M, C. Flammarion. — N° de septembre 1886. Aspect physique de Mars en 1886, par W. — F. Denning. — Observation des canaux de Mars, par M. Per-rotin. L'origine des étoiles filantes. — Phénomènes atmosphériques observés pendant la dernière er-ruption de l’Etna. — Pourquoi le Soleil et la Lune• paraissent plus grands à l’horizon qu’au méridien. — Immobilité de l’éther et transmission de la lumière, pai M. A. Cornu. — Jupiter photographié près de la Lune. Satellite de Jupiter paraissant obscur sur la planète. Mars dans les petits instruments Le noyau des comètes. Théorie des taches solaires. Aurore boréale. L’attraction de la Lune. La foudre en boule. Curieux effets de la foudre. Eclairs photographiés. Moyen facile d’extraire les racines cubiques. Le chauffage des villes par le feu central. La chaleur de la Lune. Les observatoires météorologiques les plus élevés. Preuve sensible delà rondeur de la Terre, etc. — Observations astronomiques, par M. E. Yimont (Gauthier-Villars,
- quai des Augustins, 55, Paris.
- ----------------- - » ♦ » • --------------------------
- La Revue socialiste — 43, rue des Petits-Carreaux Paris. — Sommaire du dernier numéro : L’Empirisme l’utopie et le socialisme scientifique, Degreef. — L’ouvrier mineur, E. Fournière. — Les mensonges conventionnels de notre civilisation, A. Regnard. — L’agiotage de 1870 à 1884, A. Chirac: — Le travail des femmes et des enfants, Gustave Rouanet.— La morale panthéiste, B. Malon. — Les caisses nationales de retraite, R. Vaillant. — Correspondance. — Documents et faits sociaux. — Société républicaine d’économie sociale. — Revue de la Presse, Revue des livres.
- La Revue socialiste parait tous les mois en un fascicule de 96 à 112 pages.Abonnements : France : un an, 12 fr. ; 6 mois, 6 fr. ; 3 mois, 3 fr. Etranger : un an, 14 fr., 6 mois, 7 fr., 3 mois, 3 fr. 50.
- État civil do Familistère.
- Semaine du 29 au 5 Septembre 1886
- Naissances :
- Le 29 août, de Donnet Léonce Julien fils de Donnet Arthur et Mainot Joséphine.
- Le 31 août, d’un enfant mor-né de Gardez Jules et de RibotFlore.
- Décès :
- Le 1èr Septenbre, de Ribeau Flore Ursule épouse de Gardez Jules, âgée de 24 ans.
- Le Directeur Gérant : GODIN.
- Suite — lmp Bare
- p.592 - vue 595/838
-
-
-
- 10'Année,Tome 10,— N‘419 Le numéro hebdomadaire 20 c. Dimanche I9 Septembre 1886
- DES OUESTIONS SOCIALES
- BUREAU
- a GUISE (Aisne)
- Toutes les communications et réclamations doivent être adressées à M. GODIN, Directeur-Gérant Fondateur du Familistère
- ABONNEMENTS PAYABLES D’AVANCE par l’envoi, soit an bureau de Guise, soit à celui de Paris de timbres-poste ou de mandats de poste, dont le talon sert de quittance.
- France
- Un an ... 10 ir. »»
- Union postale Un an. . . 11 fr. »»
- Six mois. Trois mois
- 6 »»
- 3 »
- Un an.
- Autres pays . . . 13 fr. 60
- ON S’ABONNE
- A PARIS
- 5, rue Neuve-des-Petits-Champs Passage des Deux-Pavillons
- S’adresser à M. LEYMARÏE administrateur delà Librairie des sciences psychologiques.
- BULLETIN DE LA PAIX
- ' - -;Oj . «il
- SOMMAIRE
- La solution de la question d’Orient.— Pax huma-nitate.— Réduction de la journée de travail.— Faits Divers.— Points noirs.— Projet de Neutralisation de la Bulgarie. — L'Autriche et la Russie.— L’Annam Pacifié !...— La leçon de la révolution Bulgare.— La Grèce et les puissances. — Arbitrage entre la France et les Etats du Congo.— L’Angleterre et la Russie.— Les vingt-huit jours.— Convention pacifique. — L’armée par un des siens.— Charles Saville.— Nouvelles du Familistère.— Ouvrages reçus. — Etat-civil du Familistère.
- —---——.—— - ♦ . -------------
- carnages et les résultats désastreux,s’allumait dans la presqu’île des Balkans 1 La brusque soudaineté de l’action russe en Bulgarie, la rapidité avec laquelle les agents du Tzar ont détrôné le prince élu par le traité de Berlin et l’ont forcé à quitter ses Etats,après y être rentré en triomphateur appuyé sur les soldats et le peuple, indiquent suffisamment que le coup d’Etat de Sofia avait été préparé de longue main, et justifient les craintes déjà exprimées par nous sur l’œuvre de sang et de ruines que les autocrates du nord ont arrêtée dans leurs desseins secrets.
- LA
- DE LA QUESTION
- D’ORIENT
- Les craintes que nous exprimions dans notre dernier numéro-bulletin de la paix, sur l’œuvre sinistre mystérieusement préparée au fond des cabinets européens,ont failli se réaliser. La révo-iution bulgare était de nature à mettre le feu aux quatre coins de l’Europe ! Si le prince Alexandre û eut volontairement abdiqué,quitté Sofia,la Russie occupait la Bulgarie sous prétexte de la pacifier, après avoir, au préalable, organisé une guerre Clvile dans ce pays, pour justifier son interven-tion- L’Autriche ne serait certainement pas restée ^ans l’inaction, et une guerre continentale, dont ne pouvait prévoir l’issue, les péripéties, les
- Peut-on,au moins,considérer le départ du prince Alexandre comme mettant fin à cette éternelle question pendante de l’Orient ? Hélas ! La franchise brutale avec laquelle la Russie a agi en cette circonstance, prenant publiquement la responsabilité de l’attentat de Sofia, proclamant sans détour l’annexion définitive prochaine de la Bulgarie à la Russie, ne permet pas d’espérer que le conflit se terminera par la nomination d’un nouveau prince titulaire au trône de Bulgarie.
- Le coup d’Etat russe n’est que le prélude de l’action décisive que le Tzar compte engager contre Constantinople; une des mille péripéties de ce drame gigantesque dont la Russie et la Turquie sont les deux principaux acteurs et qui doit se terminer par la suppression de l’un des deux — la
- p.593 - vue 596/838
-
-
-
- m
- LE DEVOIR
- défaite de la Turquie, rayée en tant que puissance de la carte d’Europe.
- Combien de milliers d’hommes cette défaite coûtera-t-elle? Au prix de quelles ruines le dénouement sera-t-il obtenu — par quelles traînées de sang et de poudre, la Russie parviendra-t-elle à planter le drapeau du tzarisme sur tout les pays d’origine ou d'affinité slaves, et à pénétrer jusqu’à Constantinople ?
- La nation continentale le plus directement atteinte par les progrès de la Russie dans la presqu’île des Balkans, est l’Autriche. L’Autriche ne s’abstiendra certainement pas dans cette curée des petites nationalités dévorées par l’ours blanc moscovite, et, comme les deux empereurs se trouveront fatalement, tôt ou tard, convoiter le même morceau, la guerre sera inévitable.
- L’abstention du prince de Bismarck dans les affaires Bulgares est le symptôme non équivoque de la poussée énergique préparée par la Russie contre les Balkans et Constantinople. Une entente préalable avait dû assurer la Russie de la neutralité de l’Allemagne ; et cette entente dénote précisément l’inflexibilité du but poursuivi, la froide préméditation avec laquelle on a arrêté, à St-Pétersbourg, les sanglantes complications qui menacent de désoler l’Europe.
- Ne pourrait-on, cependant, arrêter encore ces abominables menées ? Trouver un moyen terme, un terrain neutre,sur lequel, par l’intervention de l’opinion publique, protestant contre ces projets de ruines, on pourrait déterminer un courant d’idées de nature à arrêter le fléau, près de se déchaîner?
- Plusieurs solutions ont été présentées par les hommes généreux qu’épouvante la perspective de tant de sang, versé en pure perte.
- La Ligue de la paix et de la liberté a proposé la neutralisation de la Bulgarie.
- Si cette neutralisation était décidée, elle préviendrait le conflit qui ne manquera pas de s’élever, quand les représentants des diverses puissances se réuniront pour procéder à l’élection du nouveau prince de Bulgarie et discuter les limites de ses prérogatives. Car on pense bien que la Russie n’a pas fait le coup d’État de Sofia pour laisser remonter sur le trône Bulgare un prince qui ne serait pas une créature entièrement dévouée à ses intérêts. Mais les autres puissances accorderont-elles cette satisfaction aux prétentions russes ? C’est peu probable. En tout cas, elles ré-• feront contre l’autocratie tzariste. De là un
- tissu d’intrigues, de conflits diplomatiques propres à amener un véritable conflit militaire.
- Si, au contraire, une république bulgare était constituée en pays neutre, tous les intérêts s’accorderaient, tout conflit serait écarté.
- Mais la question bulgare n’est qu’un des mille côtés de la question d’Orient proprement dite. La Russie ne vise pas seulement à assurer sa suprématie à Sofia et à Philippopoli : son point de mire est surtout Constantinople. Occuper les Dardanelles, tel est le but final auquel elle tend depuis plus d’un siècle. — De ce côté, encore, ne pourrait-on trouver le moyen de désarmer St-Pétersbourg, de préserver Constantinople, tout en donnant en partie satisfaction aux intérêts sur lesquels s’appuient les convoitises moscovites ?
- M. Türr, le général hongrois de l’indépendance en a proposé un qui nous paraîtrait de nature à aplanir toutes les difficultés, à résoudre toutes les objections, s’il était adopté. Le général Türr a proposé : la fédération des Etats Balkaniques et la neutralité du Bosphore et des Dardanelles.
- On dit en Russie que ce pays a besoin de débouchés au sud, où il étouffe. Que, pour acquérir ces débouchés, il doit s’emparer du Bosphore — Que le Bosphore soit libre, comme l’est le canal dè Suez, cet autre Bosphore artificiel, et la Russie pourra s’étendre librement au sud!
- Mais, à notre sens, la fédération des Etats balkaniques devrait constituer une zone neutre entre le pays de race slave pure et les pays germains. Car si la famille de nations en voie de formation dans les Balkans était livrée à elle-même en butte aux intrigues de la diplomatie des agents russes, d’une part, des agents austro-allemands de l’autre, tôt ou lard le conflit germano-slave renaîtrait. Il faudrait donc que la Fédération des Balkans fût déclarée neutre et placée sous la protection des grandes puissances.
- Une remarque doit être faite à propos de ce projet: c’est que sa réalisation serait favorable, même à la Russie. Celle-cine peut en effet espérer provoquerla chute de Constantinople, sans s’exposer à une redoutable coalition du continent européen tout entier, menacé par la puissance formidable qu’acquerrait la Russie, victorieuse de la Turquie. Et qui sait ce que lui réserveraient les péripéties d’une telle lutte ? Le général Ignatielî l’a bien compris ; c’est pourquoi, tout en poursuivant l’établissement matériel de l’influence russe dans les Balkans, nécessaires à la Russie pouf marcher plus sûrement sur Constantinople, il â
- p.594 - vue 597/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 595
- implanté l’influence moscovite religieuse dans ces pays, et organisé tout à la fois un mouvement national et religieux moscoviste.
- On le voit : en attendant que le progrès des idées de paix et de fraternité entre les peuples aient fait disparaître, par le désarmement général et l’établissement d’institutions arbitrales internationales les causes multiples fde conflit existantes, la plus redoutable de toutes, celle [de la question d’Orient pourrait être résolue au mieux des intérêts de tous et pour le plus grand bien des peuples que menace la perspective d'une guerre sanglante prés de ravager l’Europe.
- Cette solution de la question d’Orient a-t-elle chance d'être adoptée ? Les rois, les généraux, tous ceux qui vivent des misères et des ruines auxquelles les nations sont périodiquement condamnées s’y opposeront. Mais il appartient à l’opinion publique de déterminer un courant pacifique qui mette fin aux barbaries indignes de notre époque de civilisation. C’est pourquoi nous engageons vivement les hommes de paix et d'humanité à poursuivre l'étude et la propagande des moyens propres à résoudre le conflit en litige.
- Si celui que nous venons d’exposer en le complétant, était réalisé, que de larmes et de sang il épargnerait aux mères et aux hommes jeunes et forts, que la faux de la guerre moissonnera !
- - Sous ce titre nous recevons la communication suivante :
- A aucune époque la coopération du travail n’a été reconnue aussi indispensable que dans la nôtre.
- Des représentants de toutes les nations ont des congrès pour activer les progrès du commerce, de l’industrie, des sciences et des arts. N’est-il pas à déplorer qu’il n’existe point des conférences internationales, ayant pour objet l’étude de la question sociale la plus importante pour les générations futures : celle de l’éducation ! Chaque nation enseigne dans ses écoles un patriotisme exclusif et jaloux. Est-il étonnant ensuite, quand l’éducation a ainsi développé dans les hom-mes les préjugés de peuple à peuple, les haines vivaces de Pays à pays, que ces préjugés et ces haines persistent, même en temps de paix ; de sorte qu’un étranger est soumis dans en pays voisin à toutes les avanies ? Et l’on appelle patriotisme ce mépris professé par les citoyens d’un pays à l’égard dun peuple étranger !
- j Certe, le patriotisme est un noble sentiment. Mais de nos 0urs, il doit se transformer et s’épurer par un respect mu-^1 réciproque, résultant d’une étude sincère et d’une
- juste appréciation du mérite de chaque nation. Loin de s’affaiblir par cette étude comparative des progrès et des vertus de chaque peuple, l’amour de la patrie ne peut que se fortifier, en même temps que se développera graduellement la fraternité humaine, l’entente cordiale rêvée par les prophètes et les poètes.
- > Hatons-nous de dire qu’un premier pas a déjà été fait dans cette voie.
- Les hésitations naturelles au début d’une telle entreprise sont donc d’ores et déjà écartées.
- C’est de la Hollande que l’initiative est partie. Au commencement de 1881, M. H. Ilolkenboer, d’Amsterdam, publiait une brochure dans laquelle il développait son idée de la possibilité d’un apaisement parmi les nations, qu’une sourde irritation anime les unes contre les autrés, et par cela même la cessation de la guerre, cause de si grands maux.
- Il distribua son travail. Quelques-uns le lurent, d’autres le jetèrent au panier, en souriant. Même dans sa patrie on regardait : « de denkbeelden van den Her Molkenboer » comme une ; « beminnelyke Utopie. »
- Neuf personnes seulement s’y intéressèrent et parvinrent à introduire ce projet pédagogique en mai 1884, où il fut l’objet, d’une vive discussion. En septembre, une société fut constituée. Voici les moyens qu’elle se propose d’employer pour la réalisation de ses projets :
- 1° La Société a pour but d’exercer sur l'enseignement une influence telle qu’elle produise une fraternité et une estime générales entre tous les hommes, par une juste interprétation de l’idée de patriotisme et par l’unité internationale des principes de l’enseignement.
- 2° Dans ce but, la Société coopère à l’organisâtion d'un Conseil permanent et international d’éducation, lequel aura pour tâche de distribuer conformément à l’Article 1er des conseils sur tout le domaine de l’instruction et de la législation scolaires.
- 3° La Société envoie des orateurs chargés de propager ses idées et de fonder de nouvelles sections.
- Elle s’applique à examiner consciencieusement la littérature scolaire- :
- Soit dans les assemblées d'instituteurs et d’institutrices, soit par la voie des journaux ou revue d’éducation ; elle provoque la discussion de questions en rapport avec son principe fondamental. Elle publie des ouvrages et, s’il est possible, une revue périodique (existant déjà).
- Elle attire l’attention^publique sur tout ce qui est fait d’important dans le sens de ses efforts dans les autres pays. Elle crée une bibliothèque qui renfermera les ouvrages littéraires français et étrangers nécessaires à son progrès. Chaque fois que l’occasion s’en présentera, elle demandera aux gouvernements de la seconder.
- 4° Pour entrer en rapport avec les autres nations, la Société
- p.595 - vue 598/838
-
-
-
- 596
- LE DEVOIR
- envoie des articles aux journaux et aux revues d’éducation, elle noue également à l’étranger des relations avec les personnes qui s’occupent de l’enseignement.
- 5° La Société compte des membres fondateurs, honoraires et titulaires.
- Tous les instituteurs et institutrices peuvent être admis comme membres, ainsi que toutes les autorités pédagogiques.
- La Société hollandaise se nomme : Pax humanitate, indiquant par ce nom latin le caractère international qui n’établit pas de différence entre la religion, la politique, la forme du gouvernement et les classes sociales ; elle reconnaît la pleine liberté des différentes sections qui s’établiront dans les autres nations, en harmonie avec leurs lois et leurs institutions.
- Grâce aux efforts de M. Molkenboer, une Société est en voie de formation à Paris :
- Société Française de la Paix par l’Education.
- Elle s’organisera au mois d’Octobre prochain. M. Buisson, directeur de l’enseignement primaire, s’est exprimé ainsi à son égard :
- « L’administration n’est nullement opposée à la propa-« gande de ces idées, les instituteurs et les institutrices sont « libres d’aider à la réalisation du projet. »
- Quoique ce mouvement ne soit rendu public que depuis deux ans, il compte déjà plus de quatre cents membres dans toutes les contrées de l’Europe. Les journaux suivants ont déjà donné des avis favorables :
- 1. L’Amérique : The peacemaker (Philadelphia).
- 2. La France : Les Congrès d’instituteurs (Paris).
- 3. » L’Institution sténographique (Guérin,
- Paris).
- 4. Angleterre : The Journal of the Arbitration
- Association (London).
- - 5. » The Herald of peace (London).
- 6* » The Olive Leaf (Wisbeck).
- 7. Allemagne: Allgemeine Thûringische Schulzei-
- tung (Géra).
- 8. » Elsass-Lotkringische Volksschule
- (Strassburg).
- 9. » Deutsche Schulzeitung (Berlin).
- 10. Pays-Bas : Het Nieuwe Schoolblad (Amsterdam).
- 11. Suède : Svensk Lararetidning (Stockholm), et plusieurs autres.
- Tous les renseignements désirables sont fournis par M. H. Molkenboer (actuellement^ Bonn a/Rhein) auteur de plusieurs ouvrages pédagogiques ; et M. Gerhard, Marnixtraat 103. .(Amsterdam).
- Nous ne pouvons que donner notre approbation au but que se propose la société Pax humanitate, but auquel nous concourons au Devoir de notre mieux.
- Dégager l’enseignement des préjugés chauvins quotidien-V’ nent enseignés à nos enfants serait, en effet, aboutir à
- un résultat considérable et qui ferait beaucoup pour le rapprochement des peuples. Aussi souhaitons-nous que l’œuvre dont on a vu les grandes lignes réussisse en France et nous sommes heureux de constater que l’autorité pédagogique supérieure ne s’oppose point à sa propagande. Nous faisons bien des vœux pour son extension.
- Réduction de la journée de travail
- Le Moniteur des Syndicats, nous signale dans un nouvel article, ses divergences avec Le Devoir au sujet de la réglementation des heures de travail.
- Nous concevons ces divergences ; elles naissent de ce que Le Devoir poursuit l’amélioration du sort des ouvriers par la pratique de la justice à leur égard, et le respect de leurs droits de travailleurs et de citoyens,au lieu de les considérer comme une chose exploitable à merci.
- Cette amélioration est possible ; l’Association du Familistère en est la preuve vivante.
- Le Moniteur des Syndicats cherche, lui, cette amélioration sans méthode et sans système, considérant comme infranchissables certains obstacles et certains abus que le mode de concurrence et d’exploitation industrielles oppose aux réformes ; les considérant souvent même comme des données qu’il faut respecter, avant de songer à rien changer dans l’ordre de choses établi.
- C’est ainsi que pour le Moniteur des Syndicats le monstre de la concurrance étrangère est un obstacle à la diminution des heures de travail. C’est ainsi que la liberté de concurrence est un obstacle à ce que les patrons puissent aussi à l’intérieur améliorer, en quoi que ce soit, le sort de leurs ouvriers ; parce qu’au nom de la concurrence le plus simple est de réduire les salaires, et d’augmenter les heures de travail ; on obtient ainsi plus facilement le produit à prix réduit, tandis qu’il peut être onéreux d’être juste, équitable et bon envers le travailleur.
- La concurrence n’a pas d’entrailles, voilà pourquoi on ne fera rien en faveur des ouvriers, sans l’intervention de l’E'at et des communes. C’est pourquoi nous applaudissons à deux mains lorsque les communes ou l’Etat veulent faire ^quelque chose en faveur des classes laborieuses. C’est pourquoi nous pensons, nous, que la décision du conseil municipal de Paris, ne sera pas sans effet, comme le prétend le Moniteur des Syndicats ; elle sera tout au moins une cause de plus de s’occuper des questions sociales.
- C’est pourquoi nous approuvons la demande de
- p.596 - vue 599/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- diminution des heures de travail dans les usines et chantiers, à la condition qu’elle soit égale pour tous. Mais nous demandons aussi impérieusement que l’Etat intervienne pour réprimer les abus de la concurrence dépréciative et déloyale que les chefs d’industrie se font en France et se font entre les nations.
- Les ouvriers de tous les pays y voient plus clair que les économistes ; ils sentent maintenant que le remède pour eux est dans l’entente internationale du travail ; aussi poursuivent-ils avec ardeur cette entente. La réduction des heures de travail est un moyen de ralliement pour demander bientôt, aux législateurs de tous les pays, une règlementation universelle des abus de la concurrence et de l’industrie.
- Nous ne partageons donc pas le sentiment platonique de résignation du Moniteur des Syndicats, lorsqu’il dit :
- « Nous demandons purement et simplement « que les travailleurs soient aussi heureux qu’ils
- le désirent, et que le souci n’entre jamais dans « leur foyer. Mais entre la coupe et les lèvres, il « faut bien avouer qu’il y a une certaine distance.»
- Quant à nous, à quelque distance que soit la coupe, nous disons qu’il faut la saisir et s’administrer le remède qu’elle contient.
- Nous n’ergotons pas sur la part à faire au célibataire, comparé à l’homme chargé de famille, sur le faible et le fort, etc ; nous affirmons que la richesse créée par le travail doit nourrir et entretenir les classes laborieuses et pauvres. Nous affirmons que devant le droit à la vie, que devant le droit de vivre, il n’y a ni célibataires, ni gens robustes, ni forts, ni faibles, ni pères de nombreuses familles; il y a tout simplement des hommes et des citoyens qui ont droit à la vie dans lanation. Nous affirmons, en outre, que les profits du travail et la richesse sortant de l’activité humaine doivent servir à élever ces citoyens, à les nourrir, à les vêtir, à les instruire, à les traiter en hommes ; et ce que nous affirmons nous le mettons en pratique, en donnant l’exemple de la solidarité entre le capital et le travail, solidarité que nous demandons aux gouvernants d’organiser dans la nation par la mutualité nationale avec l’appui de l’Etat, en établissant le droit d’hérédité sur une partie des fortunes au décès des personnes.
- La concurrence dépréciative des produits, la réduction des salaires, la concurrence étrangère, le drainage par le capital des profits créés par le travail sont des abus et des excès qui doivent
- Ê597
- disparaître ; ils sont le fait des hommes, les hommes eux-mêmes doivent trouver le remède au mal dont leurs actions sont causes. Il ne faudrait qu’un peu d’intelligence et de bonne volonté pour arriver à le faire promptement.
- Mais en continuant à encenser ces abus et ces excès, nos législateurs nous conduiront à des catastrophes, au lieu de réaliser l’accord des classes et des intérêts.
- Partisans de la paix entre les nations, nous ne le sommes pas moins de la paix entre citoyens, et les abus que nous venons de signaler sont des brandons de guerre civile que nous voudrions faire disparaître en réalisant la concorde et la paix intérieure, en mettant les classes déshéritées à l’abri des abus et du besoia et en leur assurant le bien-être et l’indépendance par le travail.
- Faits Divers
- Quelques faits entre mille. Le premier date de 1870, du soir de la funeste journée de Wœrth. Je l’extrais de la chronique militaire du Temps. L’ambulance de Strasbourg, dirigée par le docteur Bœckel, avise dans la gare de Reichshoffen un convoi de biscuits. L’un de ses membres aborde un intendant qui se promène les mains dans ses poches :
- — Faites excuse, dit-il, si je trouble vos méditations ; mais nous avons relevé quatre ou cinq cents blessés qui meurent littéralement de faim. Ne pourriez-vous pas nous délivrer quelques caisses de conserves et de biscuits ?
- — Hé ! monsieur, répond l’intendant, je ne suis pas lé maître ici. Adressez-vous à l’autorité allemande.
- — A l’autorité allemande ? Soit ; où faut-il courir ?
- — Je l’ignore: l’intendance prussienne n’est pas encore arrivée.
- — Alors.., ces caisses sont encore à vous ?
- — Sans doute ; mais je ne donne rien sans réclamer un reçu bien en régie, et vous n’avez pas qualité pour signer une pièce comptable.
- Le chroniqueur ajoute avec raison :
- H s’agissait bien, en vérité de pièces comptables à cette heure critique où, dans les champs de blé, les zouaves et les turcos agonisaient à la belle étoile.
- De 1870, sautons en 1882. Le même chroniqueur nous apprend que cette année-là, aux environs d’Evreux, quatre batteries ont vécu durant trois jours aux frais des capitaines et des lieutenants. L’intendance refusait de payer argent comptant et les marchands refusaient les bons à longue échéance. Sans les officiers qui, à douze, découvrirent deux mille francs dans le fond de leurs poches, les hommes seraient morts de ffaim.
- p.597 - vue 600/838
-
-
-
- 598
- LE DEVOIR
- Arrivons à 1886. Tout le monde a lu le télégramme suivant ;
- D'après les renseignements officiels, six soldats sont morts des suites d’insolation ; vingt-deux malades ont été transportés à l’hôpital militaire de Lille. Les morts appartiennent à l’armée active. Le général Billot a ouvert l’enquête qui avait été prescrite, par dépêche, par M. le ministre de la guerre, il a reçu ce matin, à ce sujet, le colonel de Ricouard d'Hérouville et le médecin aide-major Laffite, qui font partie du 43e régiment, auquel appartenaient les soldats qui ont succombé.
- Voici maintenant ce que nous lisons dans le Moniteur du Calvados :
- Dans une marche faite par les réservistes, un des hommes, exténué par la chaleur et la vitesse de la marche, se laisse choir sur l’herbe. Une vipère s’introduit par la jambe du pantalon et ressort par la manche après avoir piqué deux fois le malheureux militaire.
- Le service sanitaire de l’armée est si bien fait qu’on ne se trouve pas en mesure de prêter immédiatement secours à cet unique blessé. Il n’y a ni voiture d’ambulance,ni médicaments. On place l’homme dans la voiture du cantinier, on le ramène tant bien que mal à Argentan, et, lorsqu’enfin on se décide à le soigner, il est trop tard, le venin a opéré, le pauvre réserviste meurt. La victime est de Fiers et laisse une veuve et trois enfants. Remarquez que la chose était arrivée à une très-petite distance d’Ecouché, où il y a deux pharmaciens, rien n’était plus facile que de prendre là les remèdes nécessaires. Mais le cas n’est pas prévu dans les règlements.
- De tels faits se passent de commentaires. Us sont navrants en eux-mêmes parce qu’ils nous prouvent que la leçon des événements a été perdue pour l’administration de la guerre et que, dans le renouvellement qui a suivi la défaite, certains hommes n’ont rien appris ni rien oublié.
- POINTS NOIRS
- Sous cette forme vive et légère, qui n’exclut pas la profondeur de l’idée, M. Henry Maret a publié l’article suivant, à propos des événements de Bulgarie. Nous croyons être agréable à nos lecteurs en le reproduisant.
- Je n’ai pas besoin de vous dire qu’à l’étranger on se préoccupe beaucoup plus des événements de Bulgarie que des menées ferrystes. Mais, pas plus qu’en France, on ne sait trop ce qu’ils signifient. Cette révolution de palais est-elle le début de grands événenunts, ou se bornera-t-elle à prendre rang parmi ces nombreuses péripéties qui parsèment l’histoire des nations orientales ? Il en sera ce que voudra l’Allemagne et ce que voudra la Russie. Veulent elles ou non la même chose ? Veulent-elles même quelque chose? Toute la question est là.
- Un czar et un empereur mènent toute la politique européenne en 1886, tout comme un empereur et un pape la menaient au moyen âge. Après tant de siècles, on se croirait revenu au point de départ Les hommes regardent à Berlin, regardent à Pétersbourg ; et, selon ce qu’ils y voient, se disent : « Nous serons ou non massacrés cette année.»
- Cette situation paraît acceptable aujourd’hui à la plupart des humains, qui n’en rêvent même pas une autre, et trouvent tout simple que leurs destinées soient remises aux mains d’une demi-douzaine de leurs semblables. Se faire tuer sans savoir pourquoi est un lot que chacun accepte avec une grande résignation, et faire tuer les autres en se couronnant soi-même de laurier, semble l’attribution incontestée de certaines personnes nées pour cela.
- Lesdits humains espèrent pourtant qu’on les laissera vivre encore quelques mois. Ils croient que leurs maîtres s’entendront, qu’ils s’entendent peut-être déjà, et, dès lors que Jacques s’entend avec Pierre, il est bien juste, n’est-ce pas, que Barnabé ne soit pas battu. Ah ! si Jacques et Pierre se brouillaient, ce serait différent, Barnabé comprendrait qu’il doit recevoir les coups.
- Pour moi, je ne puis que répéter ce que je disait dernièrement; je crois que personne ne veut la guerre. Non pour épargner le sang, à quoi pensez-vous là ? mais parce que nul ne sait ce qui peut arriver. Et, s’il y a une différence en faveur du dix-neuvième siècle,elle est tout entière dans cette hésitation générale. Armer des millions d’hommes devient dangereux ; on cher che à établir des empires, et il peut se trouver, en lin de compte, qu’on a fondé des Républiques.
- Si la Russie prétend rétablir l’ordre en Bulgarie j’ai donc idée qu’on le laissera faire. Nul pourtant n’ignore ce que signifient, dans la langue politique, les mots : rétablir l'ordre. C’est tout simplement s’emparer du pays. C’est ainsi que l’escroc qui me vole mon porte-monnaie rétablit, l’ordre dans ma poche.
- De son côté, la Russie fera des concessions. Elle ne rétablira, s’il est nécessaire, qu’un tout petit bout d’ordre, partageant le reste avec les autres. Car il ne faut pas oublier le but pour lequel s’est formée la Sainte-Alliance, but qui l’empêchera probablement pour longtemps de se dissoudre. Ce but et l’écrasement de la Révolution. Ce qui unit les rois, c’est leur commune haine contre l’esprit 1 nouveau, c’est leur terreur de l’émancipation so-
- p.598 - vue 601/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 599
- ciale. Pourquoi les peuples ne s’unissent-ils pas pour la cause contraire à celle qui unit les rois?
- Le jour où les peuples auront la même intelligence de leurs intérêts que celle qui unit leurs despotes, ces derniers disparaîtront et avec eux les armées et les guerres. Chose étrange, il ne faut pourtant pas être doué d’un cerveau bien extraordinaire pour comprendre cela, c’est du vulgaire bon sens. Et tout individu le comprend ; et tout individu raisonne comme je raisonne, seulement il conclut : « Cela ne peut pas être autrement » ; et quand il est devenu foule, il crie : « Vive l’empereur ! »
- Le combat de la vérité et de l’erreur est pareil au combat d’Hercule et d’Antée, l’erreur est toujours battue ; mais, dès qu’elle a touché la terre, elle se relève aussi forte qu’avant. C’est qu’elle est notre ülle, comme Antée était fils de la terre, et nous aimons tant nos enfants !
- Henry Maret.
- Projet de Neutralisation
- DE LA BULGARIE
- La Ligue internationale de la Paix et de la Liberté de Genève, a adressé à toutes les sociétés de paix le projet de lettre qui suit, en les conviant à lui adresser leur adhésion.
- « A Messieurs les Ministres des Affaires étrangères d’Al-« lemagne, d’Angleterre, d’Autriche-Hongrie, de France, « d’Italie et de Russie.
- Messieurs,
- « En présence des graves événements qui se passent en « Bulgarie, les Sociétés de la paix soussignées croient devoir « renouveler auprès de vos gouvernements les instances « que plusieurs d’entre elles ont déjà faites près de vous, « il y a six mois, pour demander que la Bulgarie, admise « comme peupla indépendant dans le concert européen, soit « en même temps déclarée neutre sous la garantie des Puis-« sauces, par un traité qui établisse un Tribunal d’arbitrage « électif et permanent chargé de prononcer en dernier res-« sort sur toutes les difficultés qui pourront survenir entre 1 les Puissances garantes et la Puissance neutre garantie.
- « Nous espérons, Messieurs, que les vues que nous avons 4 l’honneur de vous soumettre obtiendront l’approbation des 4 Puissances, en sorte que des événements qui pouvaient si ‘ facilement compromettre la paix de l’Europe, aient pour 4 résultat de la consolider.
- 8 Veuillez agréer, Messieurs, etc.
- La Société de paix et d’arbitrage international duFamilistère de Guise, réunie en assemblée gé-
- nérale le 11 courant, après lecture et examen du document qui précédé, s’est prononcée à l’unanimité pour son acceptation.
- En conséquence, M. Godin président de cette société a envoyé à M. Lemonnier, président de la Ligue de la paix et de la Liberté à Genève, l’adhésion formelle de la Société de paix et d'arbitrage international du Familistère de Guise au projet de lettre concernant la neutralisation de la Bulgarie.
- L'Autriche et la Russie.
- Comme il fallait s’y attendre, le premier mouvement de surprise passé, la révolution bulgare a déterminé un vif mouvement d’opinion en Autriche contre la Russie.
- L’action énergique du czar en Bulgarie, l’approbation dont cette politique est l’objet de la part de l’Allemagne continuent à rencontrer dans la presse officieuse autrichienne une réserve et un mécontentement tacite que trahissent parfois certaines énonciations détournées. C’est ainsi que récemment le Fremdenblatt en est venu à publier un article significatif qui, répondant aux insinuations de la presse étrangère à propos de la Bosnie et de l’Herzégovine, tend à montrer que l’Autriche n’a encore conclu aucune entente satisfaisante avec ses deux puissants alliés au sujet de la compensation à laquelle cet empire prétend en raison de la prépondérance de la Russie en Bulgarie.
- Le journal officieux de Vienne affirme en effet qu’il n’est nullement question pour l’Autriche d’annexer définitivement la Bosnie et l’Herzégovine, pays qu’elle gouverne, comme on sait, au nom du sultan. Le Fremdenblatt ajoute que cette prise de possession officielle ne serait en tout cas qu’une satisfaction purement platonique pour la monarchie, car son pouvoir dans ces contrées est si solidement établie que la cessation de la suzeraineté de la Turquie ne saurait le raffermir encore. D’ailleurs, cette affaire ne concerne que l’Autriche et la Porte, et elle aurait été tranchée depuis longtemps si l’on y avait tenu le moins du monde à Vienne.
- Comme on le voit, le principal organe de la presse viennoise refuse ouvertement la compensation qui paraissait la plus naturelle pour l’accroissement de puissance que la Russie va obtenir dans la péninsule des Balkans. La Nouvelle presse libre va plus loin dans le même sens et, dans un article qui ne dissimule pas l’irritation de l’Autriche au sujet de la tournure des événements en Bulgarie, s’attache à démontrer que tout partage de l’Orient entre l’Autriche et la Russie est impossible. L’accord entre ces deux puissances ne peut subsister que si toutes deux s’abstiennent de nouveaux agrandissements -dans cette région. En effet, la première expansion de l’Autriche devrait englober le Monténégro et la Russie ne pourrait jamais abandonner la principauté dont elle a fait son poste avancé contre l’Albanie. « Il n’y a « pas, dit ce journal, de politique plus honorable et plus « avantageuse pour l’Autriche que de favoriser le dévelop-« pement libre des petites nations orientales, de les assister « et de ne pas permettre qu’une autre puissance les domine, « viole les traités, nomme et destitue des princes, transforme
- p.599 - vue 602/838
-
-
-
- 600
- LE DEVOIR
- « la question d’Orient, qui est une question européenne, en « une question nationale. C’est sur ce terrain que nous « attendons l’appui de l’Allemagne, »
- Le journal viennois conclut en exprimant la crainte que le prince de Bismarck ne s’emploie moins activement à appuyer la politique désintéressée de l’Autriche- que les entreprises de la Russie, et que l’empire des Habsbourg n’ait des intérêts vitaux qui sont indifférents à l’Allemagne et qu’il sera seul à défendre.
- Comme on le voit par ce simple résumé, l’état d’opinion dans les cercles politiques de Vienne n’est guère tourné vers la paix.
- Puisse la Révolution bulgare ne pas avoir ouvert l’ére des compensations sanglantes que les rois ont la coutume de revendiquer, quand un de leurs voisins s’est livré à une de ces spoliations de la nature de celle de la Russie en Bulgarie. Ces compensations n’ajoutent rien à la puissance du peuple victorieux saigné à blanc par ses propres victoires et pour le peuple vaincu, c’est la ruine et la désolation!
- L'Ânnam Pacifié !...
- Les dernières nouvelles de l’Annam annoncent encore des révoltes sur différents points de ce territoire.
- C’est d’abord dans la province de Binh-Dinh, où une attaque a été dirigée contre la citadelle même de Binh-Dinh, que nous occupons depuis août 1885, et où, malgré la présence de nos troupes les Annamites ne cessent de nous harceler.
- Une autre attaque a été dirigée sur Quin-Hone, le principal ou pour mieux dire le seul port de cette province, ou nous sommes établis depuis 1875. On voit les progrès accomplis par notre colonisation depuis onze ans!
- Trois attaques successives ont été dirigées contre nos lignes. Le combat a été des plus meurtriers. Les assaillants ne se sont retirés que devant une sortie dirigée par ie commandant du fort. Cette attaque avait pour but de couper nos communications avec la citadelle de Binh-Dinh.
- Les insurgés ont perdu, dit-on, près de 300 hommes ; de notre côté, nos pertes sont assez grandes, et ce n’est que très difficilement que nous avons pu rétablir nos communications.
- D’autre part, une correspondance adressée au Journal des Débats nous apprend que les insurgés sont assez puissants pour empêcher les mandarins que le résident général fait nommer par le roi de se rendre à leurs postes. Le pays, ajoute l’auteur de cette correspondance, est en pleine anarchie :
- Il résulterait, enfin, que nous aurions à craindre un retour offensif de l’ennemi au Tonkin, Le ^North China
- Daily Fews publie à ce sujet une lettre de Canton qu1 donne les fâcheux renseignements suivants : ”
- L’expédition de flibustiers dirigée par Liang-Shang-Ta qui a si longtemps tenu tête aux Français et les a obligés à de si vigoureux efforts pour le contraire à évacuer le Tonkin, gagn, chaque jour du terrain.
- Il parait que ce chef s’est fortement établis Yung-Le-Xu ou Yung-Lo-Sheng, dju est installé son quartier général. 11 a sous ses ordres 120,000 hommes, qui sont actuellement employés à la culture de la plaine de Yung-Lo.
- Le Temps, qui reproduit cette correspondance croit que le chef chinois dont il est question pourrait bien être un des anciens et principaux lieutenant de Liu-Vin-Phuoc. Il ajoute que l’établissement d’une aussi puissante colonie chinoise sur le territoire tonkinois «ne peut nous laisser indifférents ».
- Voilà comment l’Annam est pacifié !
- LA LEÇON DE LA RÉVOLUTION,
- BULGARE
- Nous avons fait connaître, sommairement, à nos lecteurs les événements politiques dont la Bulgarie vient d’être le théâtre. Ailleurs, nous examinons la situation nouvelle, faite d’alarmes et de craintes incessantes, que crée à l’Europe le coup d’Etat de Sofia. Ici, nous voulons retenir seulement les conditions dans lesquelles s’est effectué l’attentat qui a eu pour dernier résultat de chasser de Bulgarie un prince exceptionnellement populaire et non moins exceptionnellement doué de sentiments désintéressés et généreux ; sentiments dont il a fait preuve, en quittant volontairement un pays où le peuple et l’armée l'acclamaient,et cela, parce que sa présence dans ce pays aurait déterminé une guerre épouvantable dont nul ne pouvait prévoir l’issue.
- Il se dégage, croyons-nous, une leçon salutaire de ces événements, au moins en ce qui concerne la France et son organisation militaire.
- Qui a fait le coup d’Etat de Sofia ?— La Russie dit-on. Nous le voulons bien, mais la Russie a fait exécuter le coup par des mains bulgares, par des traîtres qu’elle a soudoyés, organisés depuis longtemps, puisqu’il est avéré aujourd’hui que voila plus de six mois que l’attentat avait été résolu-Et ces bulgares stipendiés par l’étranger, ces traîtres, dont l’or moscovite a armé le bras, c’étaient : des prêtres et des officiers.
- Nous l’avons fait remarquer, en effet,dans notre
- revue des faits politiques des numéros précédents,
- p.600 - vue 603/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 601
- les conspirateurs de Sofia avaient à leur tête l’archimandrite Clément et les officiers supérieurs de l’école des cadets, c’est-à-dire de l’école des officiers. Le peuple et l’armée étaient sincèrement dévoués au prince Alexandre, mais le clergé et les officiers étaient tous de cœur avec la Russie. On dit que le jeune roi en a versé des larmes de douleur : « Les meilleurs officiers de l’armée bulgare sont passés à l’ennemi » a-t-il dit.
- C’était exact. — De sorte qu’une fois de plus, l’aristocratie militaire aura livré son pays à l’étranger.
- Nous n’avons pas lieu d’être surpris de ce dénouement ; mais nous voudrions au moins qu’il servit de leçon à la France.
- Une armée permanente comme la nôtre, comme celle que les événements avaient imposé à la Bulgarie, comporte toujours la création d’une aristocratie militaire marchant de pair avec une monarchie fortement organisée. L’armée et la monarchie sont, en effet, indissolublement liées l’une à l’autre.
- L’armée est l’oreiller sur lequel repose la monarchie, et celle-ci est l’appui sur lequel l’aristocratie militaire étaye sa puissance illimitée et son autorité sans contrepoids, qui font d’elle un véritable état dans l’état, en dehors de la loi civile commune, soumise à une législation élaborée et appliquée par elle même, seule maîtresse souveraine de sa direction de ses destinées.
- Supprimez donc la monarchie : l’armée se sentira menacée. L’appui sur lequel elle étayait la pérennité de ses privilèges et de sa puissance venant à lui manquer, on peut être assuré qu’elle fera tout pour le rétablir. Une république ou un gouvernement populaire quelconque,comme cel.ii du princeAlexandre en Bulgarie,où le roi était,par exception, le représentant de la patrie contre le despotisme russe du tzar, ne saurait donc compter sur la fidélité d’un corps d’officiers entretenu sur le pied de l’organisation actuelle,c’est-à dire jouissant d’un commandement absolu et sans contrôle sur toutes les forces vives d’un pays. Quelle que soit l’étendue des prérogatives accordées à la caste militaire, celle-ci pressent instinctivement que la consolidation ou l’extension d’un pouvoir patriote est contraire à ses intérêts. De là les difficultés que ces pouvoirs rencontrent pour se faire accepter par elle.
- Depuis plus de quinze ans, la République française lutte en vain contre le royalisme dont est infecté son armée. Après quinze ans, l’opposition
- n’est pas moins vive ni moins audacieuse qu’au premier jour. Il ne se passe pas de semaine, que les journaux n’enregistrent la démonstration d’un général, affichant son mépris pour la République et son attachement à la monarchie.
- La puissance de cette aristocratie militaire réfractaire à tout gouverementrépublicain est telle, que le pouvoir ne saurait, avec la meilleure volonté du monde, empêcher cette toute-puissance de s’exercer contre ceux de ses rares officiers qui pourraient manifester leur attachement aux institutions républicaines.
- Encore une fois, cet antagonisme latent entre l’armée et le gouvernement de la République est parfaitement logique, on ne saurait se montrer surpris d’un tel état de choses inéluctable. L’armée et la liberté sont deux termes inconciliables et c’est folie de vouloir les accorder.
- L’armée vit de la guerre, et la République de la paix. L’essence contradictoire de ces deux principes tend fatalement à les séparer par un abîme infranchissable. On peut, il est vrai, conserver sous une république comme la présente en France, une armée dont on trompe les instincts guerriers en alimentant son activité avec des expéditions lointaines, des guerres coloniales, mais il en résulte un malaise général, un trouble incessant,et finalement, un danger permanent suspendu sur l’une ou l’autre des deux institutions ennemies en présence. D’une part, en effet, le perfectionnement de la République tend à supprimer l’armée, de l’autre, le prestige, la gloire et les progrès acquis par celle-ci dans une guerre continentale ou coloniale, en font un péril pour le pays.
- La conspiration militaire de Sofia est un exemple frappant du péril que l’armée fait courir à une nation, aussi bien dans sa vie propre que dans sa vie politique.
- A la suite de la guerre turco=russe, le prince Alexandre, placé par les événements à la tête d’une nationalité en voie de formation, s’était appliqué à développer dans cette nationalité naissante les forces existant à l’état latent sur la surface du territoire. Contraint, l’année dernière, à conduire ses régiments contre la Serbie, il l’avait fait simplement et courageusement, se hâtant de conclure la paix aussitôt que la défaite de l’ennemi lui permit de le faire, et ce,sans poursuivre son écrasement complet.
- La caste militaire qui s’était formée ces der-
- p.601 - vue 604/838
-
-
-
- 602
- LE DEVOIR
- nières années en Bulgarie ne pouvait voir évidemment dans ee pouvoir la monarchie de ses rêves, surtout lorsqu’elle avait à ses portes l’exemple de la monarchie par excellence,le tzarisme, abritant à l’ombre de son pouvoir une forte et nombreuse aristocratie régulièrement constituée. Il a suffi au tzar de faire briller aux yeux des officiers bulgares l’espoir d’entrer dans cette armée, pour que ceux-ci aient songé aussitôt à détrôner leur prince, à livrer leur pays à la Russie. Les officiers conspirateurs avaient, en effet, reçu l’assurance de faire partie de l’armée russe à titre régulier, dès que la Bulgarie serait réunie à l’empire moscovite. Il n’en a pas fallu davantage pour déterminer le coup d’Etat de Sofia.
- Je le répète, il se dégage des événements bulgares, en ce qui concerne la France militaire, une leçon sévère que nous avions le devoir de signaler: c’est qu’une armée permanente, régulière, commandée par un corps d’officiers constitué en dehors de la nation, non-seulement ne sauve jamais un pays de l’invasion — on l’a bien vu en 1792, en 1814, en 1815 et en 1870 — mais encore le plus souvent elle livre ce pays, quand ses conditions politiques sont en antagonisme avec l’élément militaire.
- La France républicaine possède une armée dont l’aristocratie est notoirement hostile à ses institution. Puisse-t-elle ne pas se repentir un jour de l’avoir conservée !
- La Grèce et les puissances
- Le Comité de«The international arbitration and peace association,»vu ia résolution adoptée par le Comité de Paris, sur la question grecque, résolution communiquée à toutes les sociétés de la paix, rappelle sa précédente protestation contre la politique suivie par les Grandes Puissances, lesquelles en présentant à la Grèce un ultimatum et en bloquant ses ports après que celle-ci, sur l’avis de la France, avait commencé à licencier ses troupes, ont commis un acte de tyrannie inqualifiable.
- En ce qui concerne la résolution adoptée par le Comité de Paris le 31 mai touchant la politique suivie par les Puis sances à l’égard de la Grèce, le Comité exprime à ses collègues français sa sympathie avec sa manière de voir et attire leur attention sur ce fait que lui-même, au cours de la présente crise, a soumis à l’attention publique le devoir qui incombe aux puissances d’examiner soigneusement les réclamations non encore résolues et de la Grèce par rapport à la frontière Gréco-Turque.
- Arbitrage entre la France et les Etats du Congo
- Le Comité de :The International arbitration and peace Association considérant que la République Fran- »
- çaise et 1 Etat du Congo sont tombés d’accord de délimiter leurs frontières respectives, en s’en remeitant à l’arbitrage du Président de la Confédération suisse, proclame quecette décision est une des plus hautement satisfaisantes, qu’elle offre un nouvel exemple de la valeur de l’arbitrage dans les questions internationales et constitue un nouveau précédent à signaler. Le comité décide, en conséquence, de présenter ses félicitations respectueuses au gouvernement français et dit qu’un exemplaire de la présente déclaration sera envoyé à toutes les sociétés françaises de paix.
- —-----------------:-- « ♦ » -------------------—-------_
- L’Angleterre et la Russie
- De ee côté, encore, l’avenir est bien incertain, car l’Angleterre et la Russie continuent à s’avancer à la rencontre l’une de l’autre, à travers les steppes de l’Asie: la Russie marchant vers le Sud, l’Angleterre vers le Nord.
- Ces deux puissances européennes qui se partagent la moitié occidentale de l’Asie poussent leurs préparatifs en vue d’une rencontre suprême. Sir E. Gorst, sous-secrétaire pour l’Inde, annonçait avant-hier à la Chambre des communes que, conformément au plan de délense élaboré l’année dernière pour la frontière Nord-Ouest de l’Inde, le chemin de fer stratégique du col de Rolan a atteint Quettah, dans le Béloutchistan, et sera continué jusqu’à Candahar, presque au centre de l’Afghanistan. De cette façon, l’armée anglo-indienne pourra couvrir promptement Hérat ou prendre en flanc une expédition qui tenterait d’atteindre le col de Kaibar en partant de cette ville.
- De leur côté, les Russes, après avoir construit leur chemin de fer transcaspien jusqu’à Merv, ont jeté un pont sur le Mourghab et s’apprêtent à conduire la voie pour le mois d’octobre à Tchantjni sur l’Amou-Daria, pour franchir encore ee fleuve et aboutir à Boukara et Samarcande.
- Le point extrême vers le Sud et du côté de l’Afghanistan reste donc Merv, car la ligne de Tcliardjni-Boukhara remonte vers le Nord pour aboutir dans le Turkestan russe et rejoindre ensuite le lac d’Aral. Cependant il ne faut pas oublier qu’à Tchardjni le chemin de fer rencontre une flottille de bateaux à vapeur qui pourront descendre l’Amou-Daria jusqu’à Kodjae Saleh, c’est-à-dire à un point éloigné d’un demi-degré seul*-ment de Balfeh.
- LES VINGT-HUIT JOURS
- Aux élections d’octobre dernier, quelques candidats réactionnaires, entre autres M. l’amiral de Gueydon, avaient inscrit sur leur programme ia suppression des treize et des vingt-huit jours.
- Cette promesse de supprimer les appels complémentaires qui, annuellement, arrachent à leurs foyers, aux soucis de leurs affaires, des milliers de citoyens enrégimentés dans les rangs de l’armée active où ils sont soumis aux mille tracasseries de la vie militaire agravées encore pour eux par la sévérité inusitée d’officiers qui s’efforcent de leur rendre la vie difficile au possible, ne fut
- p.602 - vue 605/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 603
- pas, dans certains départements, étrangère aux succès partiels remportés par les monarchistes.
- A ce propos, les journaux républicains s’élevèrent avec une vertueuse indignation contre ces mauvais patriotes. Ils les accusèrent de spéculer sur l’égoïsme des populations rurales, naturellement enchantées de la perspective qu’on leur ouvrait, de supprimer ces appels annuels. Les journaux républicains auraient bien mieux fait, à notre seur, de revenir aux traditions républicaines qui comportaient jadis la suppression des armées permanentes.
- En tout cas, si les paysans sont réfractaires aux vingt-huit et treize jours d’exercices complémentaires auxquels on les astreint, on avouera après ce qui s’est passé durant les grandes manœuvres récentes, que cette antipathie de l’incorporation est bien justifiée par les procédés de l’autorité militaire à leur égard. S’il est même une chose surprenante, c’est que notre pays souffre sans protestations ni révoltes la continuation de ces appels, et du régime auquel on les soumet.
- L’autorité militaire porte, en effet, une haine mortelle à tout ce qui échappe à sa domination. Pour elle, quiconque n’est pas soldat ou est sur le point de ne plus l’être, voilà l’ennemi. On l’a bien fait voir aux réservistes.
- Sous prétexte de les aguerrir, en réalité, par esprit de cruauté inutile s’exerçant à froid, on s’est livré sur eux aune série de traitements abominables qui ont eu pour résultat d’en faire mourir un grand nombre d’insolation.
- Par ces chaleurs tropicales, on leur faisait faire l’exercice au pas gymnastique, en plein soleil. Un homme tombait ? Feignant ! Pékin !, Serrez vos rangs n. de D. ! criait l’officier commandant. Et les jours de salle de police, môme de prison, tombaient drûs sur ceux que la fatigue et la chaleur n’assommaient pas.
- A Lille, il n’y a pas eu moins d’une vingtaine de cas d’insolation, dont de nombreux suivis de mort. Les abus commis à cet égard ont même dépassé la mesure, au point que le général Boulanger a dû prescrire aux chefs de corps de ne pas faire faire l’exercice dans 1 après-midi.
- On a beau avoir toute puissance et toute autorité sur les oékins occasionnellement soldats pendant 28 jours, les autres pékins, les pères, les mères, ceux qui sont restés au village auraient protesté trop haut contre les sevices auxquels se livraient ces chefs de corps zélés.
- Les journaux républicains, au récit de ces faits,
- ont attribué aux opinions réactionnaires des chefs les actes répréhensibles commis. C’est pour faire détester la République, ont-ils dit, que les chefs de corps éreintent leurs hommes. C’est bien possible, les chefs de corps n’étant pas,naturellement, républicains. Mais comment se fait-il que sous la République,ces chefs royalistes aient conservé un grade et un commandement ? Ah ! voilà ! c’est que si les autres fonctionnaires sont soumis à la loi commune qui prescrit à chacun l’attachement à la forme républicaine sous peine de révocation, il n’en est pas de même pour les officiers. Ils.appartiennent à l’armée, et on ne touche pas à l’armée. Aussi, s’en donne-t-on à cœur joie pendant la période de vingt-huit jours.
- Eh bien ! encore une fois, nous ne comprenons pas que le pays puisse supporter sans regimber de telles pratiques et se soumettre à ces appels !
- Comme nous le disions dans un précédent numéro, le bien peut naître d’un excès du mal. Les abus commis par l’autorité militaire durant les grandes manœuvres ont été si nombreux,ils ont si bien dépassé tout ce qu’on avait vu jusqu’à présent, qu’une réaction s’est produite dans l’opinion publique dont les journaux républicains ont dû, à contre-cœur, se faire l’écho.
- S’il n’y avait eu mort d’homme, si la routine et la dureté des officiers n’avaient causé la mort de pauvres malheureux, il y aurait donc presque lieu de se réjouir des sévérités déployées, car elles auront servi à faire prendre leurs auteurs en horreur, ce qui n’était pas encore arrivé jusqu’à ce jour.
- Convention pacifique
- Pendant qu’on ergote sur le traité du Berlin ou de Saint Stafano, chaque diplomate prêt à recourir aux centaines de millions d’hommes en réserve derrière lui, une convention internationale toute pacifique était signée à Berne, loin du décor et de l’apparat solennel habituels aux traités, mais dont l’exécution n’en sera pas moins observée.
- Jeudi dernier, en effet, nous dit le Bund, a été signé, à Berne, la convention internationale pour la protection de la propriété littéraire et artistique.
- La convention contient des stipulations précises concernant le droit de traduetiou. Ce droit appartiendra à 1 auteur et à ses héritiers pendant dix ans, à partir du jour de la publication de l’original, et pour les ouvrages publiés par livraisons, à partir du jour de la publication de la dernière
- livraison.
- p.603 - vue 606/838
-
-
-
- 604
- LE DEVOIR
- Les articles de journaux publiés dans un des Etats qui participent à la convention pourront être reproduits, en originaux ou en traductions, dans les journaux des autres Etats, à moins d’une défense spéciale de l’auteur de l’article ou de l’éditeur du journal.
- Toutefois, ni l’auteur ni l’éditeur ne peuvent interdire la traduction ou la reproductton d’un article de discussion politique, d’un article d’actualité et de faits divers.
- Chaque Etat aura le droit de saisir sur son territoire les ouvrages importés d’un autre Etat, si leur publication est contraire aux stipulations de la convention.
- Il sera créé à Berne un bureau international qui aura les attributions suivantes :
- Il fera un relevé de toutes les dates qui concernent la protection des droits d’auteur et les portera à la connaissance du public. Il étudiera toutes les questions qui se rapportent à la protection de la propriété littéraire et artistique, et publiera le résultat de ses études dans une feuille spéciale qui paraîtra à Berne en langue française. Il devra enfin, à la demande des gouvernements respectifs, leur communiquer toutes les informations nécessaires pour assurer la protection des droits d’auteur.
- Les gouvernements des Etats qui participent à la convention conserveront leur liberté d’action en ce qui concerne la surveillance des œuvres littéraires et artistiques publiées sur leurs territoires respectifs, et pourront, comme par le passé, interdire chez eux la circulation et la vente de ces œuvres, conformément aux lois du pays.
- Les Etats qui ont signé la convention sont : la France, la Belgique, l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie, la Suisse, Haïti et la République de Liberia. Le ministre des Etats-Unis a promis, au nom de son gouvernement, une prochaine adhésion à la convention.
- L’armée par un des siens.
- Nous croyons devoir reproduire ici quelques extraits d’une note publiée par M. le docteur Rochard inspecteur général du service de la marine en retraite, relativement à certaines pratiques abusives de l’autorité militaire, dont l’incurie et l’esprit de routine coûtent tous les ans la vie à des milliers de malheureux. M. le Dr Rochard, quelle que soit d’ailleurs, la nature des fonctions qu’il a remplies dans la marine, par le seul fait qu’il a appartenu à uu corps d'officiers, est un militaire dont l’opinion en la matière ne saurait être considérée comme absolument impartiale. Bien loin, en effet, de signaler les abus qui se commettent avec une impartialité sévère, il les atténué; il nous serait facile de relever dans cette note maintes assentions inexactes touchant les dispositions prises par le corps médical à l’égard
- des hommmes qui peuvent être subitement frappés en route, soit par ia fatigue, soit par la chaleur. Il n’importe.Les critiques de M. Rochard contre là routine militaire n’en ont que plus d’autorité :
- Voici ces extraits :
- Nous avons, en France, la manie de l’uniformité. Il faut sous prétexte d’endurcissement, que le soldat soit logé’ nourri et vêtu partout de la même manière, quelles que soient les différences de latitude et de climat. Ainsi, nos troupes ont fait la compagne du Tonkin avec les vêtements de drap quelles portaient en France et l’inévitable ceinture de flanelle en plus. Il parait qu’à la fin on leur a fait prendre une tenue plus en rapport avec le climat, mais au début elles étaient habillées comme je viens de le dire, et nos officiers ont vu les soldats de ligne descendre à terre, à Singapour, avec le pantalon de drap, la capote et le képi. A Singapour ! Il faut pourtant, si l’armée veut partager avec nos troupes de marine le périlleux honneur de service et de combattre dans nos colonies qu’elle prenne le parti de les imiter.
- Les troupes de marine ont une tenue particulière pour les pays chauds et elles en changent suivant l’heure de la journée Dans le jour, elles ont la vareuse de molleton, le pantalon de toile et le casque confortable et léger qui leur a été donné il y a quelques années. Le soir elles prennent le pantalon de flanelle et le képi. On s’occupe en ce moment de leur donner un dolman en toile de coton, pour la tenue de jour.
- Leur alimentation est bien plus substantielle qu’en Europe. Les soldats reçoivent d’abord la ration de pain, de viande,de vin, de café et de sucre, et l’ordinaire n’a plus qu’à leur fournir le reste : les œufs, les volailles, les légumes et les fruits, et, comme l’ordinaire est amélioré par la haute paye coloniale, ils sont très bien nourris.
- Quant aux exercices, dans toutes les colonies sans exception les hommes sont consignés dans les casernes pendant les heures chaudes de la journée : de dix à deux heures dans celles où la température est modérée, de neuf à trois dans les régions plus rapprochées de l’équateur. Ainsi, en Cochin-chine, les exercices finissent entre sept heures et demie et huit heures du matin. A neuf heures, on sonne la retraite, et tout le monde rentre à la caserne et y reste jusqu’à trois heures. Dans cette intervalle, les hommes se reposent ou bien on leur fait la théorie dans les chambres. A trois heures, on sonne le réveil, et le service extérieur recommence ; mais les exercices ne reprennent qu’à quatre ou cinq heures.
- Dans les expéditions de guerre, on ne marche que la nuit. Ainsi, tous les ans, une colonne d’infanterie de marine se rend du Sénégal au Niger, à travers un pays aussi brûlant que le désert, pour aller relever les garnisons laissées l’année précédente dans les forts construits sur la route. Dans ce voyags de 450 kilomètres, au sein de l’Afrique centrale, les hommes ne portent que leur fusil et leurs cartouches; tout le reste est mis sur le dos des noirs auxiliaires, des mulets et des ânes, quand on peut s’en procurer. Pendant la dernière expédition, la colonne n’a pas fait une marche de jour et l’olficier supérieur qui la commandait a préféré, à trois reprises, risquer les chances d’un combat de nuit, plutôt que de faire marcher ses hommes sous le soleil. A sept heurs du
- p.604 - vue 607/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 605
- matin ils dressaient les tentes portées par les mulets et restaient dessous jusqu’au coucher du soleil. Puis on repartait, quelquefois le soir, le plus souvent entre minuit et deux heures du matin. Je ne vois pas de raison pour qu’on ne fasse pas de même en France, quand il y règne une température sénégalienne, comme celle que nous subissons en ce moment où le thermomètre oscile, depuis huit jours, entre 16° et 31°, avec une moyenne de 23°.
- Il en est de même de la tenue, qui me paraît demander impérieusement une réforme. Pendant les grandes manœuvres les hommes de l’armée active ainsi que les réservices portent la tenue de campagne (capote de drap, pantalon rouge et képi). Sur le sac, qui renferme tout ce qu’on sait, ils portent la veste de drap roulée et la couverture de laine. En marche, oa leur fait relever les pans de la capote, et déboutonner les premiers boutons par en haut, pour dégager le coup en donnant de l’air à la poitrine. Dans le même but, on leur près-crit de desserrer leur cravate bleue. Le couvre nuque ne se porte qu’en Algérie. En France, il n’est pas réglementaire, et, dans les marches au soleil, on le remplace par le mouchoir de poche, qui se met entre la tête et le képi, en ayant soin de dégager le front et les yeux. Dans cette tenue, on fait franchir des distances de 28 à 30 kilomètres, sous le soleil, à des jeunes gens qui n’ont pas l’habitude de la marche, car personne ne l’a plus en France depuis que notre territoire et sillonné de chemins de fer et que les moyens de locomotion s’y sont multipliés. Aussi, après les longues étapes, les soldats arrivent-ils au cantonnement baignés de sueur, harassés de fatigue et les pieds dans un état déplorable.
- Une tenue d’été est indispensable à des soldats destinés à vivre sur tous les points de la France, à séjourner en Algérie et en Tunisie, et qui peuvent accidentellement prendre part à des expéditions coloniales. On pourrait adopter pour eux la tenue de l’infanterie de marine dans les pays chauds et, si l’on trouvait trop dispendieux de leur donner le casque, il serait facile d’imaginer une coiffure légère en toile ou en coton, abritant le front et découvrant la nuque, et pour moi, dût cette idée exciter l’hilarité de tous les généraux de l’armée française, j’aimerais mieux voir leurs hommes coiffés d’un chapeau de paille que de les laisser faire des marches au sole il avec un képi.
- Ces lacunes dans l’hygiène du soldat sont connues de tout le monde ; mais, lorsqu’on insiste sur la nécessité d’y porter remède, on vous oppose les charges déjà si lourdes du budget de la guerre, on vous répond qu’il faut endurcir et aguerrir les jeunes soldats.
- Rien n’est plus juste, mais il faudrait bien comprendre pourtant que les conditions des armées européennes sont aujourd’hui radicalement changées, que la nôtre, en particulier, se compose d’hommes tout jeunes dont le développement n’est pas encore achevé et qui sont sans résistance contre la fatigue. On avait dit d’abord que les cas de mort par insolation avaient eu lieu parmi les réservistes ; mais, informations prises, on a reconnu qu’il s’agissait de soldats de l’armée active, et cela devait être, car ils sont bien moins solides que leurs aînés.
- CHARLES SAVILLE
- par ROBERTSON
- Roman philosophique
- Chapitre XXII DÉLIVRANCE — PIRATE.
- La mer était redevenue à peu près caltne. Chaque fois que les ondulations des vagues soulevaient les naufragés, ils cherchaient d’un œuii inquiet à reconnaître ceux de leurs compagnons qui avaient survécu.
- Mortimer et Carbonnel s’appuyaient sur un bout de vergue. Schwartz, et la plupart des hommes de l’équipage se soutenaient également sur des débris flottants. Quelques-uns avaient péri ; car, chose incroyable, il y a beaucoup de marins qui ne savent pas nager.
- Campiglio, Muller et Murray avaient disparu.
- Il n’y avait point longtemps que nos malheureux voyageurs, flottaient au gré des ondes, presque sans espoir de délivrance, quand le bruit d’un coup de canon vint frapper leur oreille. Tous les yeux se tournèrent vers le point d’où partait ce son tutélaire, et dans la traînée lumineuse projetée sur les flots par le soleil couchant, ils virent un beau vaisseau de guerre, qui arrivait sur eux à toutes voiles, et qui mit en panne quand il fut suffisamment rapproché. La chaloupe fut mise à la mer, et immédiatement occupée par douze robustes rameurs et un patron. Avant le coucher du soleil, les vingt personnes qui avaient survécu à la Sirène, étaient saines et sauves à bord de l’intrépide, frégate de S. M. Britannique, revenant d’une croisière, et retournant en Angleterre.
- Le capitaine, sir William Hotspur, honnête et rare marin, ordonna qu’on prit soin de ces pauvres hommes épuisés d’émotions et de fatigues, et il fit suspendre un hamac dans sa propre chambre, pour le pairon du vaisseau submergé.
- Charles Saville, qui avait sauvé son portefeuille plein de billets de banque, outre une bourse bien garnie et quelques bijoux, offrit de payer son passage et celui de ses compagnons d’infortune, mais son offre fut brusquement repoussée.
- Saville, Carbonnel et Schwartz furent ensuite invités par les officiers à prendre leur repas avec eux, dans leur carré. Ils acceptèrent cette offre avec empressement, et furent bientôt sur un pied très amical avec leurs généreux commensaux, Charles ayant raconté avec chaleur comment le dévouement de Zamore lui avait sauvé la vie, les officiers insistèrent pour faire asseoir le jeune nègre à leur table, mais il se refusa obstinément à cet honneur et ne voulut accepter d’autre marque de distinction qu’une petite cabane auprès de celle de son maître.
- Le matin du second jour qui suivit la perte de la Sirène, on aperçut une voile suspecte dans la direction du nord-est, et la frégate se mit à sa poursuite. Mais le chassé, c’était une grande goélette, était si bon voilier qu’il se tint hors de portée jusqu’à une heure avancée
- p.605 - vue 608/838
-
-
-
- 606
- LE DEVOIR
- de l’après-midi. Alors, le ciel se couvrit, et l’ennemi s’échappa à la faveur de l’obscurité.
- — C’est un pirate, dit le premier lieutenant. Je l’ai reconnu à l’inclinaison de ses mâts, au râtelier garni d’espingoles placé sur le pont, près du vindas, et à la dimension de ses sabords. Je l’ai déjà vu. C’était un corsaire pendant la dernière guerre.
- La nuit vint. Après une violente averse, le temps s’éclaircit, la lune se leva, et l’on vit reparaître le bâtiment suspect à environ un mille de la frégate, par la hanche du vent, et s’avançant sur elle. Le capitaine et les officiers montèrent aussitôt sur le pont, avec leurs vues.
- — Ces drôles ont-ils perdu la tète ? s’écria le capitaine. Est-ce qu’ils sont fous de venir ainsi se jeter dans la gueule du loup ? Qu’on diminue de voiles, qu’on batte le rappelle, et qu’on fasse le branle-bas de combat.
- Avec le plus vif empressement, et de la meilleure humeur du monde, on lit tous les préparatifs pour faire une chaude réception à l’imprudent agresseur. Les soldats de marine furent rangés sur le pont, la bayonnette au bout de leurs fusils. Les canonniers se tenaient prêts, la mèche allumée. Les chirurgiens et les infirmiers étaient à leur poste, avec des bandages et de la charpie.
- Cependant, la goélette avançait toujours, sans carguer une voile. On voyait distinctement son ti 1 lac couvert d’hommes prêts à l’abordage, la pique et. le coutelas à la main. Le projet de ces forbans avait été probablement d’éloigner la frégate et de l’aborder par surprise au milieu des ténèbres. Mais ils avaient compté sans le clair de lune inattendu, qui déjouait leur tentative téméraire; et s’étant avancés comme ils l’avaient fait, ils ne pouvaient plus, ou ne voulaient pas prendre la fuite.
- Une décharge de mousqueterie partie du bord de la goélette, blessa plusieurs hommes de la frég .te et en tua deux.
- Saville reçut bravement le baptême du feu. Il entendit sans sourciller les balles siffler autour de sa tète. Il se retourna pour voir les effets de la décharge, et vit Zamore à côté de lui.
- — Lof ! cria le capitaine, d’une voix de tonnerre. Maintenant, feu !
- ~ L'Intrépide donna une embardée, et vomit toute sa bordée de boulets et de mitraille par l’avant du pirate, l’enfilant de bout en bout, et faisant tout voler en éclats. Alors s’élevèrent d’effroyables cris, et des gémissements à glacer le sang dans les veines. Et quand la fumée fut emportée par la brise, on vit la plupart des brigands se roulant, se débattant sur le pont et nageant dans leur sang.
- L’Intrépide, après’avoir viré de bord, se trouvait alors à portée de pistolet de la goélette aux abois, et la menaçait de son autre bordée, quand plusieurs voix crièrent :
- — Arrêtez !... Nous avons amené !... Ne tirez pas !... Nous nous rendons !
- — Point de miséricorde pour les pirates dit l’in flexible capitaine. Feu !
- Les vergues fracassées volèrent en éclats ; les mâts et les agrès écrasèrent et mutilèrent ceux que la mitraille
- avait épargnés ; et le bâtiment naguère si bien tenu, sj coquet et si bon voilier, fut réduit à une carcasse dépouillée, dont le tillac était inondé de sang et jonché de morts et de mourants.
- Au milieu de ce carnage, une colonne de fumée noire sortit de l’écoutille de l’arrière; soit que le feu eût éclaté par accident, ou que quelques uns de ces désespérés eussent résolu de ne pas survivre à leur défaite. L’Intrépide se hâta de manœuvrer de manière à se tenir à distance, et en moins d’un quart d’heure, la goélette sauta avec une épouvantable explosion.
- — O Muller ! se dit Charles en soupirant, pendant combien de siècles encore se continuera cette affreuse révolte de la matière contre l’esprit ?
- La frégate reprit sa route à toutes voiles, avec un vent favorable, et vint enfin mouiller en vue de Portsmouth.
- Chapitre XX11I
- LES MARINS. — PREMIÈRE COMMOTION ÉLECTRIQUE.
- Après avoir fait de sincères remerciments au capitaine de la frégate, et dit adieu à leurs compagnons de voyage Saville et Schwartz, suivis de Zamore, se logèrent dans une des meilleures auberges de Portsmouth, où ils furent conduits par Edouard, qui promit de venir les retrouver le soir.
- Saville se mit au bain. Schwartz s’étendit sur un sofa et s’endormit. Zamore sortit, accompagné d’un garçon de l’hôtel, et rentra avec un paquet de linge et d'effets pour son maître et pour lui.
- Quand ^Saville sortit du bain, et que Schwartz fut réveillé, on leur servit un excellent dîner, auprès d'un bon feu.
- Schwartz dévorait. Saville savourait plus lentement et plus savamment les délices de ce repas fait sur la terre ferme, dans un appartement confortable, après les privations de toutes sortes endurées sur mer, pendant plus de deux mois. II se rappelait le dégoût qu’il éprouvait autrefois à sa table somptueuse, et s’étonnait de trouver maintenant tant de plaisir à une occupation aussi vulgaire que celle de boire et de manger. 11 s’étonnait aussi des caprices du sort, le jetant sur la terre du spleen, pendant qu’il était à la recherche de sa gaieté perdue. Cependant, se disait-il, les habitants de ce pays l’appellent la joyeuse vieille Angleterre ; je puis donc y rencontrer un homme satisfait. Il en existe au monde, puisque j’avais trouvé ce bon Muller. Sans ce maudit naufiahe, je touchais au but. Pauvre homme ! ou plutôt grand homme ! Quelle mort admirable !
- Les pensées des deux jeunes gens étaient à l’unisson ; car Schwartz rompit le silence en disant :
- — Il faut que la matière ait une fameuse part dans notre composition, pour que je me sois gorgé comme je viens de le faire, pendant que l’excellent Muller est en train d’être dévoré par les poissons ! Quel brave homme cela faisait, monsieur Saville ! Vous n’avez pas eu le temps de l’apprécier, vous ; mais moi, je le connaissais depuis deux ans. Jamais je ne l’ai vu varier un seul instant. Toujours la même douceur, la même égalité d’humeur.
- p.606 - vue 609/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- Des larmes brillaient dans les yeux du jeune homme. Il y eut un silence.
- — Que comptez-vous faire ? dit enfin Saville.
- — Je vais pousser jusqu’à Londres, répondit Schwartz. J’y trouverai à gagner ma vie, soit en faisant des portraits, soit en donnant des leçons.
- — Mais, si vous n’y connaissez personne, il vous fau-
- dra du temps pour vous faire une clientèle. Les Anglais, dit*on, sont froids et défiants envers les étrangers. Ainsi, mon cher camarade, permettez-moi de mettre ma bourse à votre disposition, jusqu’à ce que vous ayez des ressources assurées. « •
- — Merci, dit Schwartz. J’ai cinq cents francs en or ; avec cela un artiste peut aller au bout du monde.
- Edouard Garbonnel entra.
- — Quelles nouvelles ? demanda Charles, après avoir trinqué avec lui.
- — Mauvaises, répondit Edouard. Le pauvre Mortimer
- est ruiné. Nous avions mis tout notre avoir, lui et moi, dans l’achat de son bâtiment, et nous avions été assez fous pour ne pas le faire assurer. (A suivre.)
- Nouvelles du Familistère
- Une assemblée générale des associés de la Société du Familistère, a eu lieu dimanche 12 courant.
- Ont été proclamés :
- ASSOCIÉS
- Messieurs Berlémont Étienne — Blanquin Jules — Bourgeois Benjamin — Gardez Honoré — Jumeaux Eugène — Lamy Jules — Larmoyeux Florus — Louis Albert — Louis Léon-Jules — Proix Martial — Quent Victor.
- Le 2 du même mois, le Conseil de Gérance avait procédé à la réception en qualité de sociétaires ou de participants des personnes dont la liste suit :
- SOCIÉTAIRES :
- Messieurs Abraham Charles — Allard Alfred — Anstelle Victor Charles — Baquet Stanislas — Boinet Gustove — Bruge Alfred — Blondel Edmond — Caudron Charles — Dahy Régis — Degagny François-Edouard — Dieux Albert-Dieux Jules-Auguste — Dutailly Arthur — Froissart Firmin — Gillion Édouard — Guerbé Gustave — Julliard Jules — Maillet Léonard — Maire Adolphe — Maréchal Émile — Olivier Arsène — Patte Élphège — Poulet Wilfrid — Pour-rier Ernest — Prudhomme Pierre-Édouard — Raymond Jules dit Joachim — Roger Ernest — Roppé Adolphe — Roset Louis — Rousseaux Narcisse — Soissons Julien — Morlet Ulysse —Ketels Jean-Baptiste — Lagneau Joseph— Lecail Alphonse Albert — Liévens Jean-Baptiste — Piette Louis.
- PARTICIPANTS :
- Mesdames Blancanneaux, née Routier Preuve — Veuve Braillon-Méresse — Laporte Léon, néeZéphirine Boudoux— Sibillat Augustine — Mlle Eugénie Alliot.
- Messieurs Balavoine Paul — Bailleux Émile — Carpentier Georges — Dassonville Eugène — Drocourt Désiré— Fauconnier Edourad— Gaspard Camille — Hutin Théophile— Hocquet Henri — Herbin-Possier Émile — Hauet Marcellin—
- 6 07
- Lefèvre Ernest — Lafosse Louis — Lebas Émile — Monaque Albert — Moret Edmond — Maillard Arthur — Moine Charles — Maire Désiré — Magnier Louis — Pennelier Eugène — Sarazin Jules-Ernest — Thiéfaine Joseph — Thoret Alfred — Venet Jules-Louis — Mazuret Julien dit Verneuil — Lefèvre Camille - Lorriette Paul-Émile — Vercammen Joseph — Lanoy François — Alavoine Auguste— DuvalOsée — Gaudériaux Léon — Mathieu Émile — Del-vigne Edmond — Demolon Léon.
- OUVRAGES REÇUS
- Life of Voltaire, par James Parton, deux beaux volumes écrits en Anglais, en vente à Boston, États-Unis, chez Houghton Mifflin and Company.
- Étude sur le remboursement de la dette nationale française sans rien faire payer aux contribuables, par J. Giraud.
- Cet opuscule est en vente à l’imprimerie Jaunin frères, Lausanne (Suisse).
- Les trois intempérances et le régime végétarien avec LO lithographies sur les ressemblances animales, en vente à Lausanne, Suisse ; librairie F. Payot* 1, rue de Bourg ; et à Paris, librairie Berthier.
- Le droit des travailleurs à la retraite par
- Paul Émile Laviron ; un vol. 2 fi\, aux Bureaux de la Revue socialiste, 19, faubourg St-Denis, Paris.
- L’organisation du travail nouvelle architecture sociale par H. Chabanne ; 1 volume 3 fr,, en vente librairie Baillere et Messager, 12, rue de T Ancienne Comédie, Paris.
- Amour, Travail et liberté, Poésies, par H. Chabanne, en vente chez Fauteur, L28 East, 11e rue à New-York, États-Unis d’Amérique.
- La question sociale par Ch. Secrétan, brochure faisant partie de la bibliothèque du chercheur, en vente à Lausanne, Suisse, librairie F. Payot 1, rue de Bourg.
- État civil dn Familistère.
- Semaine du 6 au 12 Septembre 1886 Naissances :
- Le 7 Septembre, de Bidoux Marguerite, fille de Bidoux Alfred et de Compain Virginie.
- Le 7, de Julliard Eugène, fils de Julliard Jules et de Leduc Stéphanie.
- Le 7, de Abraham Irma-Aline, fdle de Abraham Louis et de Chameau Marie.
- Le 11, de Devillers Geurgette Anna fille de Devillers Eugène et de Poulain Zoé.
- ' ' ‘ Décès :
- Le 6 Septembre de Delavenne Marie, âgée de 1 an et 1 mois.
- Le Directeur Gérant : GODIN
- p.607 - vue 610/838
-
-
-
- LIBRAIRIE Dü FAMILISTÈRE .
- GUISE (Aisne)
- OUVRAGES de M. GOD1N, Fondateur du Familistère
- Le Gouvernement, ce qu'il a été, ce qu’il doit être et le vrai socialisme en action.
- Ce volume met en lumière le rôle des pouvoirs et des gouvernements, le principe des droits de l’homme,les garanties dues à la vie humaine, le perfectionnement du suffrage universel de façon à en faire l’expression de la souveraineté du peuple, l’organisation de la paix européenne, une nouvelle cons-titulion du droit depropriété, la réforme des impôts, l’instruction publique,première école de la souveraineté, l’association des ouvriers aux bénéfices de l’industrie, les habitations ouvrières, etc., etc.
- L’ouvrage est terminé par une proposition de loi à la Chambre des députés sur l’organisation de l’assurance nationale de tous les citoyens contre la misère.
- In-8° broché, avec portrait de l’auteur......................................8 fr.
- Solutions sociales. --- Exposition philosophique et sociale de l’œuvre du Familistère avec la vue générale de l’établissement, les vues intérieures du palais, plans et nombreuses gravures :
- Édition in-8°............................................................... 10 fr.
- Édition in-18°.................................................................5 fr.
- Mutualité sociale et Association du Capital et du Travail ou extinction du paupérisme
- par la consécration du droit naturel des faibles au nécessaire et du droit des travailleurs à participer aux bénéfices de la production.
- Ce volume contient les statuts et règlements de la Société du Familistère de Guise.
- In-8° broché, avec la vue générale des établissements de l’association.........5 fr.
- Sans la vue. . ,..............................,...............................4 fr.
- Mutualité Nationale contre la Misère Pétition et proposition de loi à la Chambre des députés
- brochure in-8°, extraite du volume « Le Gouvernement »......................1 fr. 50
- Les quatre ouvrages ei-dessusse trouvent également : Librairie Guillaumin etCle, f4,rue Richelieu, Paris
- BROCHURES A
- Les Socialistes et les Droits du travail . . 0,40 cent. I
- La Richesse au service du peuple .... 0,40 cent. |
- 40 CENTIMES
- La politique du travail et la Politique des privilèges. 0,40 La Souveraineté et les Droits du peuple . , . . 0,40
- .OUVRAGES, RECOMMANDES .AUX COOPÉRATEURS Histoire de l’association apicole de Ralahine (Irlande). Résumé des documents de
- M. E. T. Craig, secrétaire et administrateur de l’association. Ouvrage d’un intérêt dramatique, traduit par Marie Moret...........................................................0.75 cent.
- Histoire des équitables pionniers de Rochdale, de G. J. Holyoke. Résumé traduit de
- l’anglais, par MariefMoRET................................................0,75 cent.
- ROMAN SOCIALISTE
- La Fille de son Père. Roman socialiste américain, de Mms Marie Howland, traduction de
- M. M., vol. broché........................................................3 fr. 50
- La première édition de ce roman publiée parM. John Jewett, l’éditeur de « la Case de l’oncle Tomt>, eut un grand succès en Amérique. Ce Roman est aux questions sociales qui agitent le monde civilisé, ce que « la Case de l’Oncle Tonu fut pour la question de l’esclavage._____________
- Le DEVOIR, Revue des Questions sociales
- France
- Un an . Six mois Trois mois.
- ORGANE DE L’ASSOCIATION DU FAMILISTÈRE
- PARAIT TOTJS LES DIMANCHES
- 10 fr. 6 fr. 3 fr.
- Union-postale : Un an..............11 fr. »»
- Autres Pays.........................13 fr. 50
- La Librairie de Sciences psychologiques, 5, me Neuve-des-Petits-Champs, Paris, reçoit également des abonnements au journal Le Devoir.
- 1er volume broché.
- 2me » »
- 3me » »
- COLLECTION
- ......... 3 fr.
- ......... 3 »
- ........ 6 »
- Les 6me, 7me. 8
- DU « DEVOIR »
- 4me volume broché..........
- 5me » .............
- me et 9me volumes ne se vendent qu’avec la collection entière, les 9 volumes brochés ensemble 90 fr., franco.
- 8 fr.
- 9 fr.
- Guise. — lmp, Baré,
- p.608 - vue 611/838
-
-
-
- 10* Année,Tome 10,—N'420 Le numéro hebdomadaire 20 c. Dimanche 26 Septembre 1886
- BUREAU
- a GUISE (Aisne)
- Toutes les communications
- ABONNEMENTS PAYABLES D’AVANCE par l’envoi, soit au bureau de Guise, soità celui de Paris de timbres-poste ou de mandats de poste, dont le talon sert de quittance.
- et réclamations doivent être adressées à M, GODIN, Directeur-Gérant fondateur du Familistère
- France Un an ... Six mois. . . Trois mois. .
- 10 tr. i* 6 ï>
- Union postale Un an. . . 11 fr. »» Autres pays
- 3 »
- Un an.
- 13 fr. 60
- ON S'ABONNE
- A PARIS
- 5, rue tleave-des-Petits-Champs Passage des Deux-Pavillons
- S’adresser à M. LEYMAR1E administrateur delà Librairie des sciences psychologiques.
- SOMMAIRE
- Les réformes socialistes ; le suffrage universel première réforme. — Le congrès de Hull, le congrès de Paris et la presse française.— Les Grèves, et la solidarité ouvrière au Familistère.
- — A Vierzon. — Le congrès international des sociétés coopératives. — Aphorismes et préceptes sociaux. —- Faits politiques et sociaux de la semaine.— Une prétendue expérience socialiste.
- — Les tendances ouvrières anglaises et les aspirations françaises.— Société du Familistère de Guise. Association coopérative du capital et du travail.— Charles Saville. — Ouvrages reçus. — Revue socialiste.
- LES
- RÉFORMES SOCIALISTES LE SUFFRAGE UNIVERSEL ' première réforme.
- I
- Dans nos numéros des 5 et 12 septembre coudât, nous avons :
- ' P Relevé les diverses opinions émises en Bel-§1(iue, d’après le New York Hêrald, au sujet de k situation politique et sociale de ce pays.
- Analysé les discours prononcés au congrès ouvrier de Paris.
- Ces documents ont d’autant plus d’intérêt qu’ils Exposent pas seulement la situation politique sociale de la Belgique, mais celle de toutes nations européennes, sauf les variantes résul- t
- tant de l’agriculture et de l’industrie de chacune d’elles.
- Partout les masses s’agitent et partout on constate :
- 1° Un travail excessif à peine rémunéré.
- 2° La misère profonde des classes ouvrières.
- 3° La résistance des classes riches à faire droit aux doléances des classes pauvres.
- 4° Et (ajoutons ce qui s’avoue moins) le sentiment de la révolte chez les déshérités.
- Ces causes profondes de désorganisation sociale s’aggravent rapidement par les effets d’une concurrence anarchique avilissant de plus en plus le prix des produits, en même temps que celui des salaires.
- Les gouvernements sont impuissants à concevoir aucun remède à cet état de choses. Par ce fait ils font comprendre au peuple la nécessité, pour lui, de trouver un moyen d’acquérir une influence réelle sur la direction des affaires de l’État. Les modes de suffrage employés jusqu’ici pour l’exercice de la souveraineté de peuple n’ont été qu’illusions. Les travailleurs commencent à comprendre qu’il leur faut un moyen plus sûr de représentation de leurs droits sur la direction des affaires publiques.
- D’où il résulte que la question du travail devient en quelques pays une question politique, une question de gouvernement, et que ce sera bientôt la même chose dans toutes les nations.
- Ce que les gouvernements ne font pas, les ouvriers qui pensent le font à leur place : ils étu-
- p.609 - vue 612/838
-
-
-
- 610
- LE DEVOIR
- dient les problèmes sociaux et préparent les convictions chez leurs frères souffrants.
- Rapidement, il devient clair pour tout le monde des déshérités qu’une injustice profonde pèse sur lui, qu’un remède est indispensable aux maux dont il souffre, et ce remède il le demande aux gouvernements et aux chambres, qui ne le lui donnent pas.. Obligé de le chercher lui-même, il voudra le trouver dans tous les moyens dont il pourra disposer si les gouvernements ne lui rendent justice.
- On lui montrera qu’il est exploité par le capital, il voudra détruire le capital.
- Il verra que la^ richesse s’accroit des profits de son travail, il voudra s’emparer de la richesse.
- A mesure qu’il verra et connaîtra l’exploitation dont il est victime, il voudra supprimer les exploiteurs ou les rendre impuissants.
- Les opinions rapportées par le New York Hé-raid sont radicales; les mesures proposées au vote du congrès ne touchent, au contraire, en rien à la cause principale de la misère. La discussion a seulement fait voir que les causes de la détresse générale étaient comprises de tout les esprits perspicaces dans la classe ouvrière.
- En Belgique, comme ailleurs, le mouvement est à la fois économique et politique. C’est la misère des ouvriers en même temps que l’incapacité des gouvernants, qui crée cette situation.
- Je vais donc chercher à dégager ce qui est à mettrer en relief dans ces deux documents, sauf à examiner chaque question en particulier.
- 1° Suffrage universel comme moyen d’accès pour les ouvriers à la part d’influence, qui leur est due dans la législation et dans la direction des affaires publiques.
- 2° Législation internationale du travail comme moyen de porter remède aux abus de la mauvaise organisation industrielle des nations.
- Voilà deux questions principales qui désormais sont acquises au programme réformateur des ouvriers.
- Les autres idées relevées en Belgique par le New York Herald n’onf qu’une valeur de discussion et celles votées par le congrès de Paris et portées devant le congrès des Trades-Unions à Hull, Angleterre, sont ou des moyens d’agitation en faveur du travail ou de simples indications législatives ayant pour objet d’atténuer les abus industriels, mais non d’en réformer les causes.
- Qu’on me permette de relever au nombre de "'S idées d’abord celles dont l’importance philoso-
- phique et sociale demande la discussion, soit
- 3° Expropriation foncière.
- 4° Confiscation du capital.
- 5° Exploitation par l’État,
- ( Théorie sortie de l’école allemande et présentée sous une autre forme par Henry Georges aux Etats-Unis et en Angleterre.)
- Comme indications législatives et comme moyen d’agitation en faveur du travail :
- 6° Reconstitution de la société internationale des travailleurs.
- 7° Fixation de la journée de travail à 8 heures pour les hommes, à 6 heures pour les femmes
- 8° Etablissement d’un taux minimum de salaires.
- 9° Abolition du travail de nuit.
- 10° Inspection des ateliers et manufactures par des délégués ouvriers.
- 11° Responsabilité civile et pénale des patrons en cas d’accident.
- 12° Enfin protection des enfants et des apprentis ; protection des femmes et des filles ; mesures de salubrité et d’hygiène des ateliers ; instruction professionnelle.
- Telles sont les différentes questions que soulèvent les documents dont nous venons de parler, et que nous entendons discuter l’une après l’autre ; mais, pour aujourd’hui, tenons-nous en au suffrage universel.
- Les discussions politiques sont passées de mode pour les masses.populaires. C’est aulsystè-me économique qu’elles s’attachent ; ce sont des garanties pour le travail et le travailleur qu’il leur faut.
- Mais l’idée est encore confuse ; c’est ce qui en fait les dangers. N’ayant pas de but précis elle peut se jeter dans tous les égarements.
- Si les masses s’occupent peu des discussions politiques, elles ne considèrent pourtant pas les pouvoirs comme sans importance. Elles sentent que, tant que le Gouvernement sera exclusivement aux mains des possesseurs de la richesse, elles ne pourront obtenir aucune réforme favorable ni aux droits ni aux besoins des travailleurs.
- Aussi, les guides des masses, les penseurs parmi les ouvriers, voyant tous les dangers de la-révolution cherchent-ils dans les congrès à fahe la lumière sur les réformes nécessaires, et a montrer comment les questions sociales pour* raient faire leur entrée au pouvoir.
- En même temps, le suffrage universel dans le» différentes nations d’Europe qui ne le possèden
- p.610 - vue 613/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 611
- pas, devient le point de mire des masses, comme moyen d’action. Cela est fait d’une façon incon-ciente encore et sans aucune conception nouvelle de la pratique du droit de suffrage. C’est pourquoi il convient de faire en sorte qu’une nouvelle inauguration du suffrage universel ne se fasse pas en Europe, sans être débarrassée des vices et des lacunes que l’exercice de ce droit revêt en France. C’est dans ce but que je me suis occupé et vais m’occuper de la question.
- Dans notre pays l’organisation du suffrage universel n’est qu’à l’état d’ébauche ; détourné de son but sous le gouvernement corrupteur de Napoléon III pour constituer un instrument oligarchique au profit du despotisme et des exploiteurs de tous ordres, il a besoin d’être démocratiquement organisé.
- Jusqu’ici le suffrage universel s’exerçant par le scrutin uninominal de canton ou par scrutin de liste de circonscription départementale, il en est résulté que la représentation n’a été accessible qu’à la richesse, sauf rares exceptions : car, il faut dépenser au moins 15 mille francs pour se faire élire député et, souvent, 30 à 50 mille francs dans les élections partielles. La députation est donc à peu près inaccessible aux candidats ouvriers. Il faut changer cet état de choses ; il faut que dans le mouvement européen qui va se produire en faveur du suffrage universel, les guides du mouvement sachent concevoir une organisation du suffrage vraiement démocratique et de nature à inaugurer le véritable exercice de la souveraineté du peuple.
- Ce n’est ni le scrutin uninominal de canton ni le scrutin de liste de circonscription départementale ou provinciale qui donneront ces résultats. Leur expérience a été faite en France et l’on a pu voir qu’elle a tourné au seul avantage de l’exploitation bourgeoise, tout comme le scrutin censitaire. Il faut un autre système pour réaliser le gouvernement vraiment démocratique et socialiste dans lequel les ouvriers auront la large place à laquelle ils ont droit.
- Quel sera ce mode d’organisation du suffrage universel ?
- Ce sera le suffrage universel par scrutin de liste nationale, avec renouvellement de la moitié Chambres chaque année.
- Ce mode de scrutin sonnera l’heure de l’éman-Clpation des classes ouvrières ; il permettra à tous ^es électeurs de se concerter d’un bout à l’autre la nation, et de se rénartir la représentation
- suivant la -proportion numérique des différentes classes de la société.
- Les masses laborieuses ne seraient plus obligées d’accepter les candidats que les comités électoraux bourgeois leur imposent aujourd’hui.
- L’électeur serait libre dans le choix de ses candidats.
- Il y aurait. égalité des citoyens devant l’urne, tous les électeurs votant pour un même nombre de candidats, soit par exemple une liste de 10 ou 12 voix.
- Les candidats n’auraient plus à faire de frais d’élection ; la corruption électorale aurait fini son temps ; l’argent ne serait plus rien dans les élections, le mérite serait tout.
- La Chambre étant renouvelable par moitié, chaque année, le représentant ou le député se sentirait sous le jugement annuel du suffrage universel, non pas sous celui d’une circonscription dont il auraitflattéles appétits ou les passions, mais sous le jugement de la France entière qui ne serait pas accessible aux faiblesses locales et ne donnerait son suffrage qu’aux députés qui auraient agi dans l’intérêt du peuple en votant des lois utiles et favorables au travail.
- Envisagée au point de vue des intérêts ouvriers une bonne organisation du suffrage universel serait la première des réformes sociales à opérer.
- Car, en tout pays, tant que les Assemblées législatives seront nommées sous les influences de la richesse, jamais on n’aura de représentation favorable au travail. On fera au peuple des promesses qu’-on éludera toujours comme on l’a toujours fait.
- Avec le scrutin de liste nationale, avec un bulletin de vote portant partout le pays un même nombre de noms fixé par la loi et permettant à chaque électeur de voter pour un nombre de représentants égal à celui des divisions administratives du pays, telles que les ministères des Finances, de l’Intérieur, de l’Instruction publique, du Travail, de l’Agriculture, du Commerce, des Travaux publics, des Affaires étrangères, de la Marine et de la Guerre, chaque électeur aura la satisfaction de voter pour les hommes qu’il croit capables d’exercer une salutaire influence sur chacune de ces grandes divisions administratives et gouvernementales, c’est-à-dire sur les intérêts nationaux.
- Le scrutin de liste nationale avec renouvellement annuel, serait l’expression réelle du désir éu bien uublic: il serait inaccessible à toutes les
- p.611 - vue 614/838
-
-
-
- 612
- LE DEVOIR
- influences oligarchiques. La moitié des Chambres étant réélue chaque année, la tradition des projets de loi serait maintenue; la législature ne serait jamais interrompue et les réformes nécessaires aboutiraient.
- La représentation ouvrière entrant pour une forte partie dans la confection des lois, les questions des droits du travail ne seraient plus mises de côté ; la tribune ne serait plus un théâtre de discussions oligarchiques, elle deviendrait le théâtre des réformes pacifiques faisant place à tous les citoyens dans la commune patrie.
- Alors, le peuple cesserait de prêter attention aux formules irraisonnées qu’on lui jette en pâture, faute de pouvoir lui donner d’autres espérances telles que :
- Révolution sociale ;
- Confiscation ou expropriation du capital et des biens-fonds ;
- Extermination des bourgeois ;
- Incendie des fabriques ;
- Liquidation sociale.
- Toutes ces formules désespérantes livrées à l’ignorance des masses disparaîtraient comme par enchantement, dès que le suffrage universel aurait pris dans l’organisation socialiste et démocratique du pays la place qui lui appartient. C’est ce que les groupes socialistes de Paris ont déjà en partie compris en inscrivant en tête de leur programme électoral de 1885 :
- Article 2 : « Assemblée unique et permanente « nommée pour trois ans, et renouvelable annuel-« lement par tiers sur l’ensemble des départe-« ments ».
- Mais le renouvellement partiel n’est qu’une partie du projet de réforme que nous livrons depuis longtemps à la méditation des hommes de progrès. Il faut en même temps, par le scrutin de liste nationale, amener, à la Chambre, des députés s’occupant sérieusement des intérêts du peuple et des réformes, et donnant au travail les garanties dont il a besoin.
- Avec le scrutin de liste nationale, il ne serait plus nécessaire d’évoquer les moyens extra-légaux.
- Car, avec une Chambre ainsi élue, les députés du peuple mettraient vite arrêt à tous les monopoles, en faisant rentrer la propriété et la richesse au domaine national dans la proportion que la sagesse du législateur jugerait nécessaire ; non pas par l’expropriation ni la confiscation, mais " ^r une loi bien simple sur l’hérédité, loi qui
- restituerait à la nation, aussitôt la mort des personnes, une partie de toutes les grandes fortunes et tous les biens tombant en ligne collatérale. On constituerait ainsi de puissantes ressources et une puissante organisation de mutualité nationale garantissant aux travailleurs un premier exercice de leur droit aux bienfaits de la richesse, ce fruit du travail humain et des forces de la nature, (i)
- A suivre.
- Le Congrès de Hall, le Congrès de Paris et la presse française.
- Une accalmie semble s’être produite, depuis le congrès de Hull, dans l’enthousiasme dont s’étaient pris les journaux bourgeois républicains pour les trade’s-unionnistes anglais. Il est de mode, en effet, dans la littérature française bien pensante, d’opposer la sagesse et l’honnéle modération du Trad’s union britannique à l’esprit de quintessence et d’abstraction de nos ouvriers, grands chercheurs de justice et théoriciens de fraternité.On traduit la différence d’aspirations entre les deux prolétariats, en disant que le premier a un esprit positif, pratique, — le second n’est qu’un utopiste. — Encore cette dernière épithète n’est-elle pas toujours appliquée et se sert-on souvent de qualificatifs autrement injurieux.
- On l’a bien vu au congrès international tenu à Paris, congrès dont nous avons publié le compte-rendu dans ces colonnes. Outre le différend qui s’est élevé entre le délégué allemand et les délégués anglais, celui-là reprochant à ceux-ci leur esprit étroit particularise, réfractaire, disait-il, à toute conception réformatrice d’ordre général, une divergence plus profonde encore,et justifiant en partie les attaques de M.Grimpe, se manifesta, quand on passa au vote des résolutions. — La résolution à coup sûr la plus importante — et on peut dire la plus positive, puisqu’elle précisait nettement les revendication de détail qu’elle contenait — était celle relative à une législation internationale du travail, réglementant la durée de la journée, les conditions d’hygiène et de sécurité des ateliers, et décrétant l’établissement d’un minimunm de salaires ou de subsistance, qui « permette à l’ouvrier, dit-elle, de vivre et d’élever convenablement sa famille. »
- Sur tous ces divers points, à l’exception des délégués anglais, la conférence internationale était unanime. La discussion et les modifications apportées au projet primitif révélèrent une parfaite communion d’idées entre les allemands les Français, les Austro-Hongrois etc. Seuls, les délégués anglais s’abstinrent de voter. Encore leur abstention n’était pas négative. Ils déclarèrent,en effet, que n’ayant pas reçu de
- (1) Voir pour plus de renseignements mes quatre Etudes sociales sur Y Hérédité de VÈtat et Mutualité nationale contre la misère.
- p.612 - vue 615/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 613
- mandat explicite de leurs commettants, ils ne pouvaient les engager par leur vote. Certaines de leurs déclarations parurent bien un peu embarrassées, enveloppées de réserves habiles, mais en somme on leur demanda de soutenir les diverses propositions de la conférence touchant la législation internationale au congrès trade-unionniste de Hull,et ils s’engagèrent à le faire.
- Cette adhésion platonique — sinon équivoque —- aux principales résolutions de la Conférence, fut l’objet de maints commentaires divers. En général, les socialistes s’en montrèrent mécontents et quelques-uns attaquèrent assez vivement, sinon les ouvriers anglais en général, au moins les délégués, qu’ils accusaient d’être des meneurs politiques. En revanche, la presse bourgoise toute entière, sans distinction de nuance, les accabla de ses félicitations. Le Temps, le Siècle et la République française leur prodiguèrent les éloges les plus outrés et, comme toujours, donnèrent la conduite des ouvriers anglais en exemple aux rares ouvriers français qui peuvent les lire;—j’imagine qu’ils ne doivent pas être fort nombreux. Pour donner à nos lecteurs une idée des parallèles auxquels fournit prétexte l’abstention des délégués d’Outre-Manche, je transcris textuellement un passage, extrait du compte rendu de la Conférence, fait par M. Mangin, dans 1 ’ Economiste français :
- « Le fait est que les insulaires ne veulent point s’associer « aux revendications ineptes des continentaux, dit-il ; qu’ils « n’ont que faire d’une législation internationale et d’autres « balivernes de même sorte. Us sont venus à Paris pour voir € de quoi il retournait chez nous dans le monde ouvrier ou « soi-disant tel. Après avoir écouté toutes les sottises qu’on « a débité à la conférence et avoir pris la mesure des parti-« culiers qui siégeaient dans ce bouï-bouï (sic), ils s’en « sont allés en haussant les épaules. »
- Des attaques formulées dans ces termes par une Revue comme Y Economiste français, partant d’hommes aussi notoirement les ennemis implacables de toute réforme ou amélioration sociale, disentassez ce qu’il faut penser des résolutions de la Conférence et ne sont pas faits pour nous convertir à l’admiration générale dont les Trade’s Unions sont l’objet en France — au moins auprès des républicains de la nuance du Temps ou des réactionnaires de la nuance de M. Leroy-Beaulieu.
- Cependant le Congrès de Hull s’est tenu. Des résolutions adoptées par la Conférence internationale de Paris il n’en a guère été question, l’ordre du jour de la réunion ayant été sans doute arrêté depuis longtemps, antérieurement à l’adoption de ces résolutions. — Eh bien! c'est à propos de ce c°ngrés que l’enthousiasme de nos bourgeois français s’est subitement refroidi — Que dis-je ? a fait place à des récriminations amères. Ainsi, M. de Molinari, d’ordinaire académique, et dont l’atticisme littéraire répugne aux violences
- injurieuses de M. Mangin, s’est laissé aller en parlant de ce congrès à des expressions excessives dans le Journal des Débats. Les doctrines malsaines du socialisme français, dit-il en substance, ont fait leur trouée en Angleterre où elles ont réveillé les appétits inavouables d’une classe ouvrière qu’on pouvait croire jusqu’à ce jour à l’abri du virus intellectuel qui ronge notre prolétariat. La propriété, le capital, les bases de notre ordre social y ont été discutés dans des termes qui ne le cèdent en rien aux détestables déclamations de nos révolutionnaires français.
- Quant aux autres journaux républicains qui nous avaient naguère longuement entretenu des surprenants résultats obtenus par ia tactique sage, prudente, modérée, etc., des ouvriers britanniques, ils s’abstiennent de parler de leur dernier Congrès.
- Qu’est-ce qui a bien pu provoquer ainsi les récriminations des uns et le silence embarrassé des autres dans le congrès trade’s unionniste ? — La tournure prise, au cours des débats par la discussion qui, de corporative, est devenue sociale et a abouti à la présentation d’un projet de résolution de nationalisation du sol. Ce projet il est vrai, a été repoussé par la majorité, mais cette majorité n’a été que de 6 voix — 47 contre 41 !
- Une minorité aussi considérable indique suffisamment les progrès accomplis par le socialisme dans la classe ouvrière anglaise.
- En outre, le congrès a décidé que les Trade’s Unions devraient se constituer en parti politique et assurer la représentation directe du prolétariat au Parlement.
- Qu’on ne s’y trompe pas, ce sont là des résolutions graves d’une importance capitale ; elles seront certainement le point de départ d’une action politique nouvelle, différente de celle suivie jusqu’à ce jour par les sociétés ouvrières anglaises.
- Jusqu’à ce jour en effet, les Trade’s Unions,renfermées dans les questions corporatives, circonscrites sur le terrain de la lutte économique professionnelle d’ouvriers à patron, avaient, sinon repoussé, du moins dédaigné de faire appel à l’intervention gouvernementale. Naguère encore, dans un article sur la conférence internationale de Paris que le Pall malt gazette a publié, M. Burnett, l’un des délégués au congrès parisien et secrétaire général des Trade’s Unions, expliquait qu’on ne pouvait approuver le projet de législation interna • tionale du travail voté, non à cause des lignes générales de ce projet, mais parce que, pour appliquer les désiderata qu’il contenait, on faisait appel à la protection de l’État. Or, le congrès de Hull préconise de faire représenter directement par des députés ouvriers les intérêts des travailleurs au Parlement. N’est-ce pas là une reconnaissance explicite de la nécessité de recourir à cette intervention gouvernementale repoussée au Congrès de Paris par M. Burnett et ses co-délégués ?
- p.613 - vue 616/838
-
-
-
- 614
- LE DEVOIR
- Le congrès de Hull a donc révélé deux faits importants : d’une part, qu’il y a au sein des Trade’s Unions anglaises une forte minorité socialiste qui s’est affirmée en votant par 41 voix contre 47 le projet très radical de la nationalisation du sol ; de l’autre, que si la majorité des Trad’es Unions ne va pas aussi loin que la minorité, elle n’en est pas moins déjà gagnée aux doctrines socialistes, puisqu'elle se prépare à transporter au sein du Parlement la lutte sociale restée jusqu’à ce jour individuelle et corporative, sur le terrain des conflits professionnels des salaires ou de la réduction de la ournée de travail.
- Les revendications prolétariennes tendent donc à s’unifier parce que,comme il est très bien dit dans notre premier article, partout une situation économique et sociale identique détermine, avec les mêmes besoins, les mêmes tendances et la formulation des mêmes moyens d’y remédier. L’Angleterre a fait l’expérience de ce que peut la liberté économique pour le soulagement des misères ouvrières, l’État s’abstenant d’intervenir entre patrons et ouvriers. Eh bien ! l’expérience a été concluante. Malgré la puissance incontestable de leur association, les Trade’s Unions conviennent que leurs luttes n’ont pas amené les résultats espérés. C’est pourquoi, quittant le sentier battu de l’action ouvrière s’exerçant exclusivement sur quelques points de détail, elles s’apprêtent à aborder le champ de bataille social, en combattant, non plus pour quelque réforme partielle arrachée à un patron, mais pour les réformes d’ordre général dont l’obtention, par le moyen de l’intervention gouvernementale, en supprimant les causes de la misère actuelle due à une organisation sociale vicieuse et irrationnelle, fera disparaître ses effets meurtriers, assurera la paix et le bien-être de tous.
- Ainsi s’explique le silence,fait par les journaux qui vantaient naguère si chaleureusement les délégués anglais à la conférence de Paris, autour du Congrès de Hull, et même les attaques dont il a été l’objet dans quelques-uns de ces journaux, entre autre le Journal des Débats.
- Les Grèves et la solidarité ouvrière
- AU FAMILISTÈRE
- Nous sommes heureux de constater, toutes les fois que l’occasion s’en présente, les pratiques de solidarité ouvrière en honneur au Familistère.
- Les travailleurs de notre association comprennent fort bien que l’affranchissement de la classe ouvrière ne pourra s’accomplir que par la fédération des intérêts identiques de tous le zèle et le dévouement avec lequel les travailleurs isolés réuniront en un faisceau compacte de résistance leurs forces dispersées, réunies pour porter aide et secours à ceux de leurs frères de travail en détresse. Aussi, toutes les fois qu’une grève se déclare, que des ouvriers sont contraints, pour résister aux abus de la concurrence et de la baisse des
- salaires d’engager la triste bataille de la grève, ce n’est jamais en vain qu’on fait appel à leur esprit de solidarité.
- Ils viennent de le prouver une fois de plus encore, à propos des grèves de Charleville et de Vierzon. Nos lecteurs connaissent déjà les motifs et les incidents de celle de Vierzon. Voici l’origine et l’exposé des griefs de celle de Charleville, moins connue que celle de Vierzon, tels que la chambre syndicales des ouvriers grévistes les a racontés dans la lettre où. elle faisait appel à la solidarité des ouvriers de l’association du Familistère.
- « L’hiver dernier après avoir déjà subi antérieurement plusieurs diminutions s’élevant de 20 à 25 0/q et pour certains de 30, messieurs les patrons nous dirent que la crise qui sévissait en ce moment, ne leur permettait pas de continuer à faire travailler dans ces conditions, et pour nous garder plus longtemps il fallait que nous les aidions dans le plus possible à supporter cette crise.
- « Ne voulant voir renvoyer aucun de nos camarades en plein hiver, nous avons accepté d’un commun accord une retenue équivalente à la première diminution c’est-à-dire de 15, 20 et 30 O/o, mais avec la promesse formelle de ces messieurs que l’hiver passé, et même si un débouché quelconque se produisait, ils seraient les premiers à nous remettre nos prix.
- « Ce que nous avions prévu est arrivé, c’est-à-dire qu’il y a une reprise très accentuée et même une forte presse dans les affaires ; l’hiver s’est passé depuis pas mal de temps, mais quant aux promesses l’on n’y pensait plus, au contraire ils vont presque jusqu’à les nier. Voilà le résultat de notre confiance.
- « Nous sommes donc sortis de l’atelier le mardi 31 août, et depuis cette époque, nous sommes fermement et résolus à ne recommencer qu’avec gain de cause, c’est-à-dire avec une augmentation de 15 p. 0/0 car nous ne sommes pas exigeants, nous ne demandons que la moitié de la dernière retenue.
- « Les motifs de notre grève sont donc justes et nous comptons que vous voudrez bien nous aider dans la mesure de vos moyens. »
- A la réception de cette lettre, une souscription fut décidée, et il fut résolu, en même temps, qu’on ferait deux parts dans cette souscription : la plus importante devant être réservée pour Charleville, parce que très peu de journaux ont ouvert nne souscription pour les grévistes de cette localité, tandis que les journaux de Paris ont déjà réuni des sommes assez importantes pour Vierzon, où la grève paraît disposer de moyens de résistance énergiques.
- La souscription des travailleurs du Familistère a produit 428 fr. 40, sur lesquels 321 fr. 30 ont été envoyé à Char-leville et 107 fr. 10 à Vierzon.
- A la dernière heure, nous apprenons que de nombreuses souscriptions ouvertes dans les Ardennes, des conférences
- p.614 - vue 617/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 615
- faites au profit des grévistes, par M. Alleraane, de Pans, piembre du parti ouvrier, augmentent incessamment les fonds ^ subsistance qui permettront aux ouvriers de Gharleville de sortir victorieux de la lutte dans laquelle, ainsi qu’on l’a vu par l’exposé de grief cité plus haut, tous les torts sont du côté du patronat.
- ___—--------- —*• * • 11 * ——'.
- À VIERZON
- La grève continue à Vierzon, avec le même caractère d’opiniâtre résistance déployé de part et d’autre,depuis le commencement, par les deux partis : grévistes et patrons s’en tenant à leurs déclarations premières.
- Le calme et la prudence dont ont fait preuve les grévistes -calme qui n’exclue pas l’énergie, la continuation de la grève le démontre assez — ne justifiant pas la présence des troupes à Vierzon, on avait essayé d’engager le petit commerce à demander l’envoi d’une garnison dans le pays. On faisait briller aux yeux des commerçants le surcroît de dépenses que la présence d’une garnison entraînerait. Mais cette manœuvre a complètement échoué. On n’a pu recruter un nombre de signatures considérable ; par contre, un grand nombre de commerçants, faisant cause commune avec les ouvriers de la Société Française,ont réclamé le renvoi des troupes actuelles.
- Cette manœuvre déjouée, les intéressés ont eu recours à une seconde. La France militaire a annoncé,il y a quelques jours, qu’un gréviste, réduit à la plus affreuse misère, était allé trouver le lieutenant de gendarmerie et lui avait révélé que les grévistes étaient armés de chassepots,possédaient une quantité de cartouches suffisante pour mettre en danger la sécurité des troupes.
- Tous les journaux bourgeois ont fait chorus à cette nouvelle et réclamé une action énergique du gouvernement. Cette action ne pouvait se traduire que par des perquisitions au domicile des grévistes; perquisitions faite par les soldats et qu1 eussent pû avoir les conséquences les plus déplorables. C’est bien sans doute un peu sur quoi comptaient les promoteurs de la fausse nouvelle. Aussitôt, le Comité de la grève a protesté avec indignation contre la France militaire et les commentaires auquel la nouvelle de ce journal avait donné lieu.
- Voici une des protestations adressée à un journal de Paris, et qui nous paraît de nature à démontrer la fausseté des assertions de la France militaire :
- « En présence des affirmations renouvelées delà France militaire et du Temps, au sujet des chassepots emmagasinés chez les grévistes, il serait bon de savoir qui ment effrontément, des journaux ou du lieutenant de gendarmerie.
- « Ce dernier, que nous sommes allés voir avec le citoyen Baudin, a catégoriquement démenti les assertions de la France militaire, et nous a formellement déclaré d’aucune dénonciation ne lui a été faite. Cela n’empêche pas le Temps de déclarer que le gréviste qui a fait cette
- déclaration aurait supplié le lieutenant de gendarmerie de taire son nom, dans la crainte d’être watriné. Nous n’avons aucune raison pour mettre en doute l’affirmation du lieutenant de gendarmerie.
- « Il est donc prouvé que cette manœuvre dirigée contre les grévistes, dans le but d’amener des perquisitions domiciliaires, est une manœuvre de haute police, dont personne ne veut prendre la responsabilité. Aujourd’hui, la manœuvre est déjouée : les perquisitions que nous pouvions craindre n’auront pas lieu, car ce serait faire bondir d’indignation toute la population de Vierzon.
- «Le Comité de la grève a fait des démarches pour connaître le nom du prétendu dénonciateur, afin de le poursuivre, mais ses démarches ont été sans résultat.
- « Les ouvriers tailleurs sur verres de l’usine de Vierzon-Forges ont repris leur travail ce matin. Et, grâce encore à l’intervention des socialistes, une grève dont il eut été impossible de prévoir les conséquences a été évitée.
- « J’apprends au dernier moment qu’un ancien gendarme employé à la Compagnie prétend avoir trouvé sous la porte de l’usine un paquet de soixante-treize cartouches,dont les balles avaient, parait-il, été retirées. Il n'y a pas l’ombre d’un doute que cette trouvaille est aussi suspecte que la dénonciation des fameux chassepots».
- Cette communication signée : Feline,prouve hélas! à quels tristes moyens peuvent recourir les ennemis du bien-être populaire, quand des ouvriers, provoqués à la grève par l’intolérable tyrannie patronale,revendiquent leur droit sacré à la vie -- à la vie matérielle et sociale — car on ne doit pas oublier que la grève de Vierzon est mue par deux sortes de revendications : revendication de travailleurs affamés par la diminution de salaires et les renvois prononcés, revendication de citoyens qui entendent user des droits d’association syndicale que leur garantit la loi, et que les patrons ne veulent pas leur laisser exercer !
- --------------------- imw » naiiw ---------------------------
- Le congrès international des Sociétés coopératives.
- Un congrès international des sociétés coopératives de consommation, convoqué par la Fédération des sociétés coopératives de France, s’est ouvert cette semaine à Lyon, au palais St Pierre.
- De nombreux délégués étrangers assistaient à cette nouvelle conférence; nous citerons entre autres : MM. Acland, membre du parlement anglais et professeur à l’Université d’Ox-ford ; Vansittard-Neale, bien connu des lecteurs du Devoir, un des promoteurs de la coopération en Angleterre; le professeur milanais Francesco Vigano; M. Rabbeno professeur d’Eeonomie politique à Pérouse, M. Pictet délégué de la société coopérative de consommation de Genève dont il es' le fondateur et le président.
- p.615 - vue 618/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- M. Charles Gide, professeur d’économie politique à Montpellier avait été chargé de prononcer le discours d’ouverture.
- Le conférencier s’est surtout efforcé d’opposer le système de la coopération aux doctrines des socialistes, dont il a d’ailleurs discuté les idées avec uue modération et une courtoisie à laquelle ceux-ci sont très peu habitués. Pour M. Gide, le congrès de cette année, est la suite des congrès tenus par le parti ouvrier àParisen 1879, à Lyon en 1878,avant que les idées collectivistes qui l’emportèrent au congrès de Marseille sur les idées coopératistes, amenassent ce qu’il appelle «sa désorganisation.» 11 a fait ensuite une critique des opinions de Marx et de Lassalle touchant la loi d’airain du salaire, prétendant qu’en admettant même l’existence de cette loi d’airain, on ne saurait dire que l’établissement de sociétés de consommation amènerait une réduction de salaires correspondante à la diminution du prix des objets nécessaires à la vie. Il a conclu en invitant les ouvriers à se rallier à la coopération.
- A la séance suivante M. Aeland, dans un discours de remerciements à la bienvenue que lui avait souhaité M. de Boyve, a donné des renseignements abondants sur le fonctionnement des sociétés coopératives en Angleterre où elles comptent 800.000 membres et font pour 750 millions d’affaires.
- M. Rabbeno a également fourni quelques données statistiques intéressantes sur le mouvement coopératiste italien quia déterminé la création, dans ce pays, de nombreuse* banques de Crédit populaire fondées sur les principes de Schulze-Delistch quelque peu modifiés par M. Luzzati.
- M. Fougerousse secrétaire général de la Fédération française a lu un rapport exposant la situation de la coopération en France. Il résulte des renseignements de M. Fougerousse que la Fédération française se composait au 31 août 1886 de cinquante-trois sociétés.
- La troisième séance du congrès a été consacrée à la discussion de diverses propositions d’ordre intérieur de M. Fougerousse et à l’audition d’un rapport de M. de Boyves sur la situation du mouvement coopératiste en Angleterre. D’après ce rapport, il y a en Angleterre, en Ecosse et en Irlande 1253 sociétés coopératives de consommation et de production, y compris deux magasins en gros, avec 847,975 membres, généralement chefs de famille, soit un groupe d’environ trois millions de personnes. Les ventes s’élèvent à 750 millions ; les bénéfices à 66 millions ; le capital à 204 millions ; le capital de réserve à 42 millions et les produits en magasin à 80 millions. M. de Boyve conclut par les deux propositions suivantes :
- 1® Former un comité composé de troismembres, dont tout le rôle consistera pour le moment, à affirmer l’union de tous les coopérateurs des trois pays présents au Congrès, c’est-à-dire de l’Angleterre, de la Suisse et de l’Italie ;
- 2° Nommer des délégués français chargés de représenter la Fédération au congrès de Milan.
- Ces deux propositions ont été adoptées à l’unanimité.
- APHORISMES & PRÉCEPTES SOCIAUX
- CXXII
- La dette publique
- Les emprunts donnent lieu à la dette publiqUe et la dette publique à une des causes principales de la misère pour les populations ; car les impôts indirects en sont la conséquence. Les gouvernants ne trouvent pas d'autre moyen pour payer /es intérêts de la dette que d'en faire peser les charges sur le peuple et sur le travail.
- Faits politiques et sociaux de la semaine
- FRANCE
- Les Ecoles d’apprentissage. — M. René Goblet, ministre de l’instruction publique, doit se rendre à Voiron (Isère), le 3 octobre prochain, pour présider l’inauguration de l’Ecole nationale professionnelle édifiée dans cette ville.
- Jusqu'à présent, et conformément aux indications d’une commission spéciale dont M. Tolain, sénateur, était le président, trois écoles nationales préparatoires à l’apprentissage ont été crées en France : à Vierzon, à Armentières et à Voi-ron. Ces écoles ont pour but d’aider au relèvement de notre industrie nationale en formant des ouvriers et des employés joignant à une bonne instruction primaire des connaissances techniques que ne peut leur donner l’apprentissage ordinaire. A cet effet, de vastes ateliers y sont annexés, où les enfants de douze à quinze ans, sous la direction de maîtres spéciaux habiles, viendront se familiariser avec le maniement des outils et la pratique des travaux manuels.
- 11 y a là une innovation des plus heureuses, qui donnera certainement d’excellents résultats et qui est tout à l’honneur du gouvernement de la République.
- L’école nationale de Voiron est la première de ce genre qui fonctionne. Elle a été construite d’après les plans et sous la direction de M. Bouvard, l’un des architectes les plus distingués du gouvernement et de la Ville de Paris. Son projet a d’ailleurs obtenu une médaille d’argent à l’exposition de Londres, en 1884.
- L’installation, très bien comprise, a été faite pour recevoir des élèves externes et 180 internes, boursiers ou autres.
- La ville de Voiron, fait en ce moment les préparatifs nécessaires pour recevoir M. le ministre de l’instruction publique et pour célébrer avec éclat l’inauguration d’un établissement qui présente des avantages exceptionnels pour elle et pour la région industrielle dont elle est le centre.
- La commission du budget. — M. Sadi-Carnot ministre des finances, a été entendu par la Commission du Budget.
- Il a commencé par déclarer que les adversaires de 12 République remplissaient leurs juurnaux te pié\isiflI,s fâcheuses, en affirmant que le Budget ne serait pas voté en temps utile et il a exprimé l’espoir que la Commission, d ne cord avec le gouvernement, démentirait ces prévisions anti-patriotiques.
- p.616 - vue 619/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 617
- Le Ministre a rappelé que lors du dépôt du Budget il avait demandé la suppression du Budget extraordinaire.
- Il a, en outre, recherché les moyens d’équilibrer le Budget ordinaire et d’alléger la Dette flottante en remplaçant la Dette exigible par de la rente trois pour cent.
- M. Sadi-Carnot a déclaré qu’il avait pris les dispositions nécessaires pour arrêter l’accroissement de la Dette flottante.
- Il a réduit les comptes-courant du Trésor et déposé un projet de réorganisation des Caisses d’épargne.
- Le Ministre a ajouté qu’il renvoyait à plus tard l’étude de la proposition de loi sur les trésoriers-payeurs-généraux, qui ne pourrait être votée cette année.
- M. Sadi-Carnot a terminé son exposé de la situation financière en déclarant qu’on se trouvait en présence d’un déficit de 74 millions, mais que l’on pouvait espérer, que ce serait largement compensé par l’accroissement d’entrée des céréales et par le remaniement des droits sur l’alcool.
- Le Ministre, interrogé par M. Dreyfus au sujet de l’impôt sur le revenu, a déclaré que, sans vouloir se prononcer sur le principe de cet impôt, qu’il ne le considérait pas comme applicable en 1887; selon M. Sardi-Carnot, le seul impôt possible actuellement pour rétablir l’équilibre budgétaire est l’impôt sur les boissons.
- Reprise commerciale. — Les rapports des préfets signalent depuis quelques semaines une reprise sensible du mouvement industriel et commercial.
- C’est ainsi que dans les Ardennes, les industries se rapportant à la ferronnerie ne peuvent plus suffire aux commandes ; il y a également une très grande activité à Reims et à Roubaix dans toutes les branches du travail. A Blanzy, la reprise du travail vient de se manifester par de nouveaux embauchages d’ouvriers et par une augmentation des salaires. Au Creuzot, on reprend peu à peu les ouvriers qu’on avait été forcé de congédier. Enfin, la crise qui sévissait sur les industries de la houille et du 1er s’est considérablement atténuée et tout fait prévoir qu’elle ne tardera pas à disparaître.
- Enfin, le tableau des recettes des chemins de fer publié par le Journal Officiel constate pour la dernière semaine écoulée une augmentation de recette de 4 à 500,000 francs par rapport aux recettes correspondantes dç 1885.
- ANGLETERRE
- La seconde lecture du bill de M. Parnell a été fixé à lundi prochain; les députés irlandais ont été invités à être exacts àcette séance. Si le débat a lieu lundi, la Chambre sera probablement prorogée vendredi. S’il est retardé, le gouvernement modifiera peut-être les arrangements actuels et demandera pour mardi la continuation du débat sur le bill.
- On prétend aussi que les chefs libéraux unionistes n’engageront pas les membres de leur parti à prendre part au vote. Mais il paraît que lord Hartington a l’intention d’assister à la séance et de voter contre le bill.
- M. Gladstone est attendu à Londres.
- La guerre sociale en Irlande.— Dix-huit prisonniers arrêtés récemment pour avoir résisté aux huissiers qui opéraient les évictions à Woodford, sont arrivés hier soir à Gallway avec une escorte de police.
- La foule a attaqué la police à coups de pierres. Celle-ci a chargé à la baïonnette. Dans la mêlée, plusieurs individus, parmi lesquels une femme, ont été blessés.
- La foule a ensuite attaqué la prison, cassé les vitres et les lanternes. Ce n’est qu’avec peine quelle a pu être dispersée.
- L’émotion est grande. On craint le renouvellement des désordres.
- ALLEMAGNE
- Les travaux du Reischstag allemand suivent cette fois un cours moins uni que d’habitude, rapporte le Temps. Le parti socialiste a pris en effet, depuis la rentrée,une attitude militante qui menace de faire traîner en longueur les travaux de l’assemblée et d’y susciter des questions importantes. Tandis que le gouvernement voulait faire voter immédiatement le projet de prorogation du traité hispano-allemand, les socialistes, qui comptent 24 membres, — plus que le nombre nécessaire, — ont demandé le dépôt et la distribution de cette proposition, de sorte que les séances ont dû être suspendues pendant trois jours. Antérieurement déjà, M. Bebel s’était opposé à l’élection du président par acclamai ion. Enfin, on annonce aujourd’hui que les socialistes, réunis en assemblée de parti, ont décidé de présenter une interpellation au sujet des affaires bulgares, dans laquelle ils feront ressortir la contradiction qui existe entre la non-punition des auteurs du coup d’Etat de Sofia et le principe monarchique.
- Ces manœuvres d’obstruction et ces tentatives de charger l’ordre du jour du Reichstag s’expliquent en partie par le désir des socialistes de prolonger leur séjour à Berlin, où il ne leur est permis de résider qu’en vertu d’un sauf-conduit pendant la session, et où ils ont d’importants intérêts à sauvegarder. Mais le sujet de l’interpellation qu’on leur prête le dessein de déposer montre également leur intention de forcer le gouvernement à des explications embarrassantes sur son attitude dans la question d’Orient. Si le débat s’engage sur la récente campagne diplomatique de l’Allemagne, on peut s’attendre à une discussion intéressante, et les ministres, privés du puissant appui du prince de Bismarck, auront à soutenir un rude assaut.
- L’état de siège à Berlin. —Le conseil fédéral a adopté la proposition de la Prusse tendant à prolonger le petit état de siège à Berlin et dans les environs de cette ville
- SUÈDE
- Les dispositions et l’attitude de la population ouvrière en Suède commencent à donner de sérieuses inquiétudes au au gouvernement. A Solîeftea, nous dit le Temps, dans le Norrland-Ouest, les ouvriers du chemin de fer, s’étant livrés récemment àdes désordres et deux des leurs ayant été arrêtés, attaquèrentleposte qui gardait la prison et mirent leur camarades en liberté. Il fallut demander le lendemain des renforts à Hernœvand ; quarante ouvriers ont été incarcérés sous la prévention dè participation à ces troubles, tandis que cent trente de leurs camarades étaient renvoyés du chantier. Ceux-ci partirent pour Stockholm et montrèrent une telle attitude, qu’il fallut prendre des mesures spéciales d’ordre à la gare et les expédier au plus tôt dans leurs pays avec des billets gratuits.
- Une grève s’étant produite à Gothembourg et les fabricants ayant répondu aux exigences de leurs ouvriers par une cessa-
- p.617 - vue 620/838
-
-
-
- 618
- LE DEVOIR
- tion de travail générale, l’Association des travailleurs de Stoc-kolm a organisé plusieurs meeting en plein air dans lesquels on prononça les discours les plus violents ; la nécessité d’une guerre sociale fut proclamée, aimi que l’obligation de réformer la manière actuelle dont la richesse est répartie entre employeurs et producteurs.
- Les doctrines socialistes, qui n’ont été introduites en Suède qu'en 1884, par des Danois et des Allemands, ont fait en peu de temps de grands progrès. On a pu s’en convaincre encore cet été au congrès d’associations ouvrières qui a eu lieu à (Erebro. Des 100 sociétés de ce genre qui existent, 76 s’étaient fait représenter ; les plus avancées s'étaient tenues à l'écart, notamment celles de Stockholm et de Nœrrkœping. Cependant, cette assemblée, relativement modérée, a adopté une série de résolutions que l’on considère en Suède comme extrêmement radicales. Le congrès d’Œrebro demande le suffrage universel, la séparation de l’église et de l’école, l’abolition des contributions indirectes et l'introduction de l’impôt progressif, enfin la fixation d’une journée normale de travail de dix heures et la création d'institutions d'assurance contre les accidents et la vieillesse, au bénéfice des ouvriers. Comme on le voit, il existe désormais un parti ouvrier en Suède, et ce royaume aura tôtou tard à compter avec ce fait, comme la Norwège et le Danemarck.
- HOLLANDE
- Les socialistes en Hollande.— Jeudi est venu, devant la cour de La Haye, l’appel du socialiste D mêla Nieuwenhuys, contre le jugement de première instance qui l’a condamné à un an de prison cellulaire et à 50 florins d’amende pour offense au roi dans un article du Regt voor allen.
- Après lecture, du rapport du conseiller Dejonge sur l’instance en appel, un incident inattendu s’est produit.
- UnM. Boelens, d’Amsterdam, s’est présenté, et s’est déclaré être l’auteur de l’article du Regt voor allen.
- Domela Nieuwenhuys a confirmé cette déclaration. « Je n’ai assumé la responsabilité de l’article dans le procès en première instance,a-t-il dit, que pour ne pas exposer l’imprimeur du journal. Je reconnais aujourd'hui que M. Boelens est bien l’auteur de l’article incriminé. ».
- Le procureur général a repoussé la validité de cette déclaration et a demandé la confirmation de jugement de première nstance.
- Mu Witthamer, de Middelbourg, défenseur de Domela Nieuwenhuys, a plaidé l’acquittement de son client, d’abord parce qu’il n’est pas l’auteur de l’article incriminé, ensuite, parce que ledit article ne peut être considéré, dans tous les cas, comme offensant pour le roi.
- BULGARIE
- L’organisation politique de ce pays est loin d’être définitivement assurée.
- La Sobranié s’est réunie et après avoir confirmé la nomination faite par le prince Alexandre de M. Stambouloff et Montkouroff en qualité de régents aux appointements de 24.000 francs par an, elle s’est prorogée, fixant au 11 octobre les élections pour la grande assemblée qui aura à choisir le nouveau prince.
- Mais les deux régents actuels sont fort impopulaires à la Cour
- de Russie. Il faut lire ce que dit des régents Stambouloff et Montkouroff un journal de Moscou, dans un article très curieux. Stambouloff, surtout, est fort malmené; si l’on en croit le journal russe, le futur régent de Bulgarie fut expulsé du séminaire d’Odessa où il faisait ses études, parce qu’il était nihiliste ; c est (nous citons toujours le même journal) un ennemi irréconciliable de la Russie.
- Le journal moscovite donne d’ailleurs les plus intéressants renseignements sur la façon dont MM Stambouloff et Moul-kouroffsurent s’y prendre pour organiser la résistance au coup d’Etat de Sofia. Ils s’emparèrent du télégraphe et lancèrent de fausses dépêches.
- Précisément au moment où les journaux russes parlent de lui avec si peu de sympathie, voilà le régent Stambouloff qui, dans un discours prononcé hier à un banquet, lance des paroles singulièrement significatives : t< Il a reconnu, dit une dépêche de Sofia, que la Russie a affranchi le pays du joug de la Turquie, mais la Russie, a-t-il ajouté, nedoitpas porter atteinte à l’indépendance de la Bulgarie, parce que cette nation pourrait se montrer aussi dangereuse pour elle qu’elle l’a été pour la poite ».
- Le langage de M. Stambocloff n’est que trop justifié par l’attitude actuelle de la Russie; mais il ne suffit pas que le langage d’un homme d’Etat soit facile à justifier; il faut aussi qu’il soit politique ajoute le Rappel qui nous paraît être devenu diantrement politique, depuis qu’un de ses rédacteurs occupe le ministère;et,dans les circonstances que traverse la Bulgarie, les paroles attribuées au régent sont telles, que doutons nous de l’exactitude de la traduction envoyée par l’agence Havas. Il est fort possible que des télégrammes ultérieurs démentent cette version.
- Quoi qu’il en soit, l’ensemble des incidents qui se sont produits pendant les dernières séances de la Sobranié montre la Bulgarie disposée à montrer, comme le dit un télégramme de Sofia «une grande indépendance d’action vis-à-vis de la Russie» Le même correspondant prévoit, en conséquence, des difficultés sérieuses pour l’époque où la grande Assemblée aura à élire le prince.
- Une prétendue expérience socialiste
- Il n’est bruit, depuis quelques jours, que la prétendue expérience socialiste à laquelle, nous dit-on, va se livrer le gouvernement de la République, en réalisant partiellement le vœu de quelques socialistes formulé sous la forme de : «la terre aux paysans, lamine au mineur.» — On ne rendra pas la terre aux paysans, et pour cause; mais une exploitation minière est, dit-on, sur le point d’être concédée à la corporation des ouvriers mineurs de la région, dans laquelle est située un gisement houiller, qu’ils exploitaient avant pour le compte d’une société anonyme et qu’ils exploiteraient désormais pour leur propre compte.
- Les journaux comme le Temps, la République , française le Siècle et autres feuilles du conserva-
- p.618 - vue 621/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 619
- tisme républicain, qui ont combattu avec acharnement les propositions de déchéance Basly-Camélinat à l’égard de la société houillère de l’Avey-r0D, lors de la grève de Decazeville, approuvent la concession que va faire le gouvernement, et présentent l’expériénee qui va être tentée comme une expérience socialiste.
- U y là une véritable supercherie qu’il importe de dénoncer à l’opinion publique, car les journaux précités n’approuvent l’essai d’exploitation ouvrière qu’on se propose de tenter à Rive-de-Gier, que parce qu’ils savent, à l’avance, l’échec certain qui l’attend, dans les conditions où cet essai projeté va se faire. Ils savent fort bien que le projet de M. Laur est enfantin, n’a aucune chance de réussite; et demain, quand les ouvriers mineurs de Rive-de-Gier se plaindront de l’insuffisance des résultats obtenus, ces journaux s’empresseront de constater leur insuccès, chantant en chœur un hymne au capitalisme, proclamant que l’ordre capitaliste actuel est le seul durable, parce qu’il est le fruit naturel de l’évolution, assis sur des bases rationnelles et parfaites.
- Voici, en effet, dans quelles conditions se ferait l’essai d’exploitation ouvrière proposé par M. Laur à Rive-de-Gier, si son projet était adopté par le gouvernement — et jusqu’à la dernière heure, nous persistons à croire que celui-ci ne voudra pas se faire le complice de la triste manœuvre à laquelle on l’invite à coopérer :
- Le bassin minier de la Loire appartient à un groupe de quatre compagnies capitalistes,connues sous le nom de Mines Montrambert, Mines de Saint-Etienne, Mines de la Loire et Mines de Rive-de-Gier. Chaque compagnie du groupe a des intérêts distincts, bien qu’une entente financière parfaite règne entre les quatres sociétés; mais la comptabilité — plutôt que les intérêts —est séparée.
- La comptabilité des trois premières compagnies révèle une situation prospère, même florissante - surtout pour lesMines de Montrambert.— Il n’en est pas de même pour la compagnie de Rive-de-Gier, qui n’a pas distribué un sou de dividende depuis 1883, et dont le cours des actions, à la Bourse de Lyon, varie de 18 à 20 francs; il est même quelquefois tombé au-dessous de ce chiffre.
- Les concessions de cette compagnie se divisent en quatre groupes d’exploitation : celui de Sainte-Croix, celui d’Assailly et les deux groupes de Rive- 1 de-Gier.
- Or, c’est précisément l’appauvrissement des 1
- deux groupes de Rive-de-Gier, qui constitue l’infériorité de cette compagnie. Ces groupes renferment à peine quelques centaines de mille tonnes de houille, représentant le rendement moyen annuel d’une compagnie d’importance ordinaire, qu’il faut aller chercher à des centaines de métrés de profondeur,en employant un outillage coûteux et perfectionné.
- Depuis longtemps, la Société de Rive-de-Gier manifestait l’intention d’abandonner ces deux gîtes, dont le coût de production, disproportionné avec son rendement,abaisse d’autant les bénéfices réalisés dans l’exploitation de Sainte-Croix et d’Assailly;—cet abandon devant lui permettre de concentrer tous ses efforts sur l’exploitation de ceux qui donnent des profits.
- Il y a quelques jours, mettant son projet d’abandon en exécution, sur quatre pompes destinées à l’éouisement des eaux de Rive-de-Gier, elle en a a rêté trois. L’administration informée de ce fait, lui a enjoint de remettre en jeu les pompes d’épuisement, de reprendre l’exploitation des groupes qu’elle veut abandonner, et, à cet effet, de présenter, dans un délai maximum de trois mois, les plans d’un nouveau puits,nécessaire pour atteindre à plusieurs centaines de mètres les quelques centaines de mille tonnes de houille que peuvent contenir encore les gîtes dont il s’agit.
- Si, dans le délai assigné par l’administration, la compagnie n’a pas procédé à l’opération des travaux prescrits, le gouvernement pourra les faire exécuter aux frais de la compagnie,déclarer celle-ci déchue de sa concession et remettre le groupe en adjudication. Le gouvernement peut-il proclamer la déchéance de la compagnie pour toutes ses concessions, ou seulement pour le seul gîte abandonné ? La question est controversée. Les uns disent oui, les autres non. En tout cas, la compagnie a manifesté la résolution de ne pas obtempérer aux prescriptions administratives et d’abandonner le groupe de Rive-de-Gier.
- C’est alors que M. Laur a demandé la concession de ce dernier aux ouvriers mineurs du pays, constitués au syndicat.— Aussitôt, d’annonce^ triomphalement qu’on allait procéder à une expérience socialiste !
- Mais qui ne voit que les conditions dans lesquelles se fera cette expérience sont absolument désastreuses ! On donne aux ouvriers des mines taries, volontairement abandonnées par leurs concessionnaires. Beau cadeau, en vérité, qu’on leur fait là ! Croit-on que si MM. les capitalistes de
- p.619 - vue 622/838
-
-
-
- 620
- LE DEVOIR
- Rive-de-Gier ont abandonné l’exploitation, les travailleurs, eux, pourront remédier, par la seule énergie de leurs muscles, rompus aux travaux les plus fatigants, à la pauvreté du gisement qu’on leur offre ?
- Nous allons plus loin : nous affirmons que le groupe des mines de Rive-de-Gier, n’aurait-il pas été appauvri par une exploitation presque séculaire; la Compagnie qui l’abandonne pour se débarrasser d’une lourde charge qui obère son budget général, le céderait-elle en parfait état d'exploitation et de rendement, les ouvriers mineurs ne sauraient encore l’exploiter avec quelques chances de succès— Pour exploiter une mine, il faut un outillage considérable, des fonds de réserve pour l’entretien des travaiheurs — il faut des capitaux, en un mot, et ces capitaux font défaut à la classe ouvrière !
- C’est ce que quelques socialistes ont fait observer, quand M. Laur et à sa suite le Temps, le Siècle, la République française et autres, ont annoncé pompeusement qu’on allait permettre à l’énergie de la classe ouvrière de s’exercer, non plus sur des utopies, mais sur un but pratique déterminé. L’Êtat lournira-t-il aux ouvriers les avances dont ils ont besoin, les instruments de travail qui leur sont indispensables ? Le Temps a répondu : si les ouvriers se montrent actifs, intelligents et laborieux, le crédit des capitalistes viendra à eux, comme il va aux autres entreprises Mais l’intervention de l’État n'est pas nécessaire dans la circonstance. L’État n’a pas à faire d’avances aux ouvriers.
- Des gens qui trouvent tout naturel que le gouvernement ait avancé des milliards aux Compagnies de chemins de fer ; qu’il ait subventionné la société qui a précédé la compagnie houillère actuelle de Decazeville, se voilent la face, à l’idée d’un État protecteur et tutélaire venant en aide à une société ouvrière. Aussi, le but caché des encouragements qu’ils prodiguent à la prétendue expérience de Rive-de-Gier n’est-il pas difieile à démêler : certains que les ouvriers mineurs ne sauraient, dénués de tout, exploiter un gîte minier d’ailleurs inexploitable, ils poussent de toutes leurs forces à un essai irréalisable, dont ils sont prêts à prendre texte, pour proclamer demain, après l’échec,la folie de toute conception socialiste.
- Eh bien, non ! La concession des mines de Rive-de-Giersaux ouvriers mineurs du pays, sans
- garantie ni protection,n’est pas une solution socia-
- cialiste. Garantirait-on même à ces travailleurs les moyens d’exécution qui leur font défaut, qüe la nature partielle de cette subvention empêche rait déconsidérer la mesure comme socialiste Le socialisme n’a pas pour but, eneffet, de détermi-ner une a.néliorationpartielle pour tel ou tel groupe de travailleurs, mais d’améliorer l’état de la famille humaine toute entière. Le socialisme s’inspire de la justice, non d’un esprit de protection limitée à quelques-unes. C’est pourquoi nous ne cessons de réclamer des mesures d’ordre général non local, pour reméuier aux misères croissantes de la situation actuelle.
- Quel que soit donc le résultat qui puisse attendre l’essai de Rive-de-Gier, s’il est tenté, il convenait de le présenter sous son véritable jour, pour prévenir et réduire d’avance à néant les conclusions qu’un échec presque assuré, inspirera aux feuilles bourgeoises qui la préconisent aujourd’hui avec tant d’entrain.
- ------------—- - .... —
- Les tendances ouvrières anglaises et les aspirations françaises.
- Sous ce titre,nous lisons dans Pall Mail Gazette, en date du 4 courant, un article deM. JohnBur-nett l’un des délégués des Trades Unions au congrès de Paris, et chef correspondant du bureau du travail au Ministère du commerce en Angleterre.
- Cette lettre qui a fait un certain bruit dans la presse nous paraît de nature à intéresser nos lecteurs.
- Il existe un grand malentendu quant aux dernières opérations du Congrès international des Trades Unions tenu la semaine dernière à Paris, spécialement en ce qui touche l’attitude des délégués anglais sur la question de diminution des heures de travail. Ce malentendu doit avoir pris naissance dans les rapports imparfaits et contradictoires publiées par les journaux anglais.
- Un bref rappel de l’œuvre de la semaine et des conclusions à en déduire peut, en conséquence, être intéressant.
- Aucun congrès de cette espèce n’avait encore réuni autant de véritables délégués de réelles Trades Unions.
- Le congrès de 1883 n’avait été en comparaison qu une petite affaire ; son point notable avait été la charge faite par les délégués anglais: 1° contre le socialisme d’Etat préconisé par les travailleurs modérés de France et de l’étranger ; 2° contre les théories du recours à la violence des sections extrêmes.
- Depuis ce temps l’œuvre d’organisation intérieure a fait de sérieux progrès en Franee. Le Gouvernement ,a concédé une
- p.620 - vue 623/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 621
- plus grande liberté de réunion et de parole, et il a même été jusqu’à encourager la formation de Trades Unions d’après le mode anglais. En conséquence, presque toute industrie un peu importante de Paris a maintenant sa Chambre syndicale ou Trade Union.
- Les membres de ces institutions sont presque tous aussi en rapport avec le parti possibilité composé des ouvriers dont le sens politique est le plus développé. Ce parti possibilité a pour but fd’opérer la Révolution sociale par des moyens pacifiqueset de tirer parti de tout fait pouvant concourir à l’obtention de ce but.
- En même temps, la plupart des membres de ce parti sentent que les moyens pacifiques pourraient être impuissants et, devant cette perspective, ils se tiennent prêts à recourir, s’il le fallait, à la force.
- Quelques ouvriers soutiennent que la méthode anglaise des Trades Unions est la plus digne déconsidération.
- L’éducation française d’après les méthodes anglaises
- M. Delahaye, qui a résidé à Londres pendant onze ans après la Commune, et qui alors devint membre de la société anglaise des mécaniciens, s’est eflorcé, depuis son retour à Paris en 1883, d’organiser une société sur le même plan que celle anglaise; ses progrès ont été peu marquées; depuis trois ans, il n’a rallié que 300 membres.
- La principale objection des travailleurs français à la méthode anglaise est la lenteur du procédé et le taux trop élevé de la cotisation.
- Dans la société fondée par M. Delahaye les cotisations sont fixées à 1 franc par semaine, tandis que dans la plupart des Trades Unions françaises la cotisation est d’un franc par mois. Cette dernière somme est trop minime pour permettre d’atteindre aucun grand résultat. Mais il faut tenir compte que depuis ces dernières années de crise industrielle, les salaires en France ont été considérablement réduits.
- Aussi, bien qu’en général l’organisation ouvrière ait marché rapidement depuis 1883. les ouvriers français sont quelque peu déçus du peu de succès obtenu au moyen de leurs Trades Unions ou Chambres syndicales,
- Le gouvernement français a tellement encouragé la formation des sociétés ouvrières d’après le mode anglais, qu’il est allé jusqu’à prélever sur les fonds publics de quoi couvrir depuis quelques années les dépenses des délégués des Chambres syndicales aux expositions étrangères.
- M. Delahaye a été envoyé ainsi, l’an dernier, à l’exposition d’Amsterdam ; et il visite actuellement,dans les mêmes conditions, les expositions de Londres, Liverpooi et Edimbourg.
- En outre, les conseils municipaux des principales villes de France sont maintenant d’une constitution plus démocratique qu’ils ne l’ont jamais été ; de réels ouvriers sont ici et là Membres de ces assemblées représentatives.
- Au conseil municipal de Paris le travail est largement
- ( représenté et, tout récemment, ce conseil a décidé que la Journée de travail de toutes les personnes attachées aux services de la municipalité serait de neuf heures, ce qui est la limite anglaise.
- Les Chambres syndicales ou Trades-Unions françaises ayant, elles aussi, organisé, il y a quelques mois, une exposition ouvrière, le conseil municipal a voté en faveur de cette exposition une subvention très forte, suffisante pour assurer le succès de l’entreprise et garantir contre toute perte le comité des ouvriers.
- Les municipalités d’autres villes se sont conduites aussi libéralement que celle de la capitale et les dépenses de la plupart des délégués départementaux envoyés à l’Exposition ou au congrès ont été supportées par les conseils municipaux.
- La pensée dominante est que les ouvriers qui vont visiter les expositions étrangères bénéficient de ce qu’ils voient, e^ recueillent des idées nouvelles qui ajoutent à leur valeur comme travailleurs. S’il en est ainsi, la société tout entière bénéficie autant si ce n’est plus que l’individu même de ces déplacements ; et il n’est que juste que le coût d’une telle instruction soit supporté par les fonds publics.
- De tous ces faits on concluera que les leçons du congrès de 1883 n’ont pas été perdues, bien que des résultats définis n’en soient pas apparents.
- Le désavantage anglais au congrès de Paris
- Le congrès de cette année-ci était regardé par les plus optimistes des membres des Unions anglaises comme devant produire de bons résultats. En ce qui les concerne, ils ne voient aucune raison de modifier les opinions qu’ils ont émises, il y a trois ans, bien qu’ils soient peut-être un peu plus disposés à la. tolérance envers la tendance socialiste de leurs amis du continent. Us ont reconnu qu’en présence du fort courant socialiste qui se manifeste jusqu’en Angleterre, il n’était pas possible de faire abstraction de ce courant et de se tenir exclusivement sur le terrain d’il y a trois ans. Ils on t reconnu, surtout, que tout nouveau progrès du travail est pratiquement impossible en Angleterre en face des conditions faites à l’ouvrier sur le continent.
- Sept délégués ont été, en conséquence, envoyés d’Angleterre au congrès de Paris; ces sept délégués représentent une aggrégation d’environ 700,000 Trades-Unionnistes. Il y avait à côté d’eux au congrès des délégués de 72 sociétés françaises et 8 autres sociétés de diverses nationalités.
- Les délégués anglais étaient les seuls qui ne parlassent pas français ; c’était un désavantage manifeste ; ils ne pouvaient parler et entendre que par l’entremise d’un interprète.
- Les questions à l’ordre du jour étaient nombreuses et aucune ne fut en réalité discutée à fond, tant on perdit de temps à l’examen de sujets non à l’ordre du jour. On fit montre de beaucoup de patriotisme quand le délégué allemand, au cours d’un exposé de la condition économique et sociale du peuple
- p.621 - vue 624/838
-
-
-
- 622
- LE DEVOIR
- allemand, lut une attaque préparée contre le conservatisme des Trades-Unions anglaises — digression à laquelle le président ne s’opposa pas et qui fut bien reçue de la majorité des auditeursfrançais tout heureux en apparence des critiques aiguisées de l’allemand. Mais il faut dire qu’ils se montrèrent tout aussi délectées, le soir suivant, quand le délégué allemand fut vivement relevé de la méprise qu’il avait faite.
- Généralité de la crise industrielle
- Les rapports les plus intéressants furent sans doute ceux concernant l’état du travailleur dans toutes les nations représentées. Ces rapports occupèrent trois soirées. Le cri général signale la misère et la crise industrielle partout. Les salaires sont tombés et les patrons ont fait tous leurs efforts pour empêcher les ouvriers de se rallier aux Trades Unions. Le rapporteur de Paris montre qu a peine un dixième des ouvriers appartiennent aux Unions !
- Le travail est rémunéré tantôt à la journée, tantôt à la pièce. Les ouvriers du bronze reçoivent moins qu’il y à 20 ans. Les ébénistes ne touchenl que 80 francs pour un travail payé cent francs il y a quelques années; et les fabricants de lits ont été réduits de 33 0/(). Dans ce dernier corps de métier, ils ont eu 20 grèves en 20 ans, mais alors même qu’une grève se terminait en leur faveur, ils perdaient peu après les avantages obtenus.
- Dans la plupart des industries il y a une morte saison ; et beaucoup d’ouvriers sont inoccupés 5 mois par an.
- Dans les professions où il faut de l’habileté, la moyennne des salaires est de 65 centimes l’heure. Là on perd peu de temps.
- Sauf que la rétribution est un peu moins élévée en province qu’à Paris, c’est à peu près partout le même état de choses.
- Il a été établi par enquête et comparaisons que le coût de la vie est plus élevé de20 à 25 0/o à Paris qu’à Londres.
- Les «Chinois d’Europe» et leur avis
- Le congrès débattit longuement la question de législation internationale en tout ce qui touche le travail. Les délégués belges M. Anseele et le Docteur de Pæpe déployèrent le plus grand talent à ce sujet.
- ¥ Anseele particulièrement se montre puissant et pratique. Il préconisa la législation internationale pour la protection des ouvriers trop faibles pour se protéger eux-mêmes. Toutes les récriminations et discussions internationales entre les ouvriers des différents pays devaient être évitées, afin de ne point donner lieu à une guerre de compétition plus cruelle encore que celle existante. Les belges, malheureusement, sont, dit-il, les chinois de l’Europe ; leur action est bornée, mais ils feront tout ce qu’ils peuvent. Le congrès n’est pas réuni pour que les délégués échangent des compliments, mais pour faire un travail sérieux. Il conseille à tout homme d’apprendre deux ou trois langues ; et il demande l’établis-
- sement d’un journal ouvrier européen qui, bientôt, conduirait à une mutuelle entente et à la solution du problème du travail, si nécessaire aujourd’hui.
- M. Anseele est l’éditeur d’un journal belge socialiste ; aussi dut-il, à la fin de son discours, quitter la réunion pour aller se constituer prisonnier, afin de subir les six mois de prison auxquels il vient d’être condamné pour un article publié par lui dans son journal.
- L’aide de soi-même et le socialisme d’État
- Le congrès termina ses opérations le samedi, vers minuit. Aussitôt fut soumise au vote la file de résolutions qui a été publiée exactement dans les journaux anglais. Ces résolutions, après quelque discussion, furent votées par tous les délégués présents, sauf les anglais qui se retranchèrent dans une déclaration de neutralité.
- Ces résolutions n’étaient pas d’abstraites expressions de sentiment, mais bien l’engagement précis, et en première clause, de la part de tous les ouvriers des différents pays représentés, de presser leurs gouvernements respectifs d’ouvrir des négociations en vue de conclure des conventions internationales et des traités concernant les conditions de l’ouvrier.
- Dissidents sur ce point unique, les délégués anglais n’eussent pu se refuser à voter toutes les autres conditions dont ils se sont déjà presque en totalité assuré la jouissance par l’association de leurs efforts. Mais ils ont jusqu’ici refusé d’en appeler à la législation pour être assistés en de telles matières, si ce n’est en ce qui concerne les femmes et les enfants.
- La partie active des résolutions est donc un renversement de toute la politique des Unions anglaises, qui, jusqu’ici, n’ont compté que sur elles-mêmes p our opérer l’amélioration du sort du travailleur. C’est, en fait, un développement réel et complet du socialisme d’État, et les délégués anglais ont compris que, tout en agréant la plupart des détails des résolutions du congrès, ils ne pouvaient pas voter ces résolutions telles qu’elles étaient présentées, sans engager les Unions dont ils étaient les représentants dans une pure et véritable politique de socialisme d’État.
- En conséquence, ils ont jugé que c’était là un point à soumettre aux Unions qui les avaient délégués, et ils ont convenu d’en faire rapport au Congrès des Trades Unions qui devait avoir lieu la semaine suivante à Hull.
- Échange d’enseignements
- Quelque confus, bruyant, agité et irrégulier qu’ait été le congrès de Paris, il n’est pas dénué de résultats. Les travailleurs des divers pays se sont suggéré les un® aux autres des idées différentes, de nouveaux modes de pensée et d’action. Les ouvriers continentaux se rendent compte et sont impressionnés de la foi des ouvriers anglais dans leur mode de progrès social ; ils feront donc de nouveaux efforts pour
- p.622 - vue 625/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 623
- développer et multiplier les Unions qu’ils possèdent déjà, afin que leur situation comme travailleur devienne de plus en plus tolérable jusqu’au jour où le parfait bonheur social sera devenu une réalité.
- Les anglais, de leur côté, ont à étudier l’idéal continental de /émancipation des travailleurs et à voir dans quelle mesure cet idéal peut être relié à leurs propres modes de penser et d’agir.
- Société du Familistère de Guise.
- ASSOCIATION COOPÉRATIVE
- DU CAPITAL ET DU TRAVAIL
- MM. les Associés sont convoqués en Assemblée générale ordinaire pour le dimanche 3 octobre prochain,à 3 heures du soir, au parterre du théâtre.
- OR DUE DU JOUR :
- 1° Rapport de M. l’Administrateur-Gérant sur la situation morale, industrielle et financière.
- 26 Rapport du Conseil de surveillance sur 1 e même sujet.
- 3° Adoption du rapport de la Gérance et de celui du Conseil de surveillance, s’il y a lieu.
- 4° Construction d’un Familistère et d’Écoles à l’usine de Laeken-lez-Bruxelles, Belgique, et de j magasins commerciaux au Familistère de Guise.
- 5° Ratification du choix de deux enfants à présenter aux écoles de l’État.
- 6® Élection au scrutin secret ®t à la majorité absolue des votants de trois commissaires-rapporteurs devant former le conseil de surveillance pour l’exercice 1886-87.
- 7° Élection au scrutin secret et à la majorité absolue des votants d’un conseiller de Gérance en remplacement de M. Quent Aimé dont le mandat est expiré.
- L’élection du conseiller de Gérance doit se faire parmi les auditeurs dont la liste suit, admis par le conseil de Gérance, à la suite d’un vote au scrutin secret, dans sa séance extraordinaire du 16 courant, savoir :
- Madame ALLART, à l’unanimité des voix MM. BOURDANCHON Félix, »
- HENNEQUIN Joseph »
- LEFÈVRE Irène »
- MOYAT Louis »
- ROUSSEL-CRONIER »
- Les conseillers sortants sont rééligibles, statuts, art. Il, 3mc partie.
- Conformément à l’art. 11 des statuts, 3me partie, les rapports des auditeurs ci-dessus seront à la disposition de MM. les associés le lundi20 octobre de 8 heures à 9 heures du soir, salle du conseil au Familistère, où ils pourront en prendre connaissance.
- Ces rapports seront également communiqués en dehors du jour fixé ci-dessus à tous les associés qui en feront la demande à l’usine, à M. Ber-nardot, secrétaire du conseil de l’industrie.
- La séance sera publique pour tous les membres de l’association.
- Les sociétaires et les participants sont invités particulièrement à y assister, en se plaçant dans les galeries du théâtre.
- Familistère, le 17 septembre 1886.
- L’Administrateur-Gérant,
- GODIN.
- CHAULES SA VILLE
- par ROBERTSON Roman philosophique
- Chapitre XXlil
- LES MARINS. - PREMIÈRE COMMOTION ÉLECTRIQUE.
- — Mais alors, tu es donc ruiné aussi ?
- — Oh, moi, cela m’est, bien égal. Je suis jeune; je recommencerai ma carrière sans inquiétude ni souci. Mais à l’âge de Mortimer, ce n’est pas si facile. Le pauvre homme a du guignon. Nous avons causé aujour-i d’hui avec l’agent d’une maison de Southarnpton, qui va charger un bâtiment pour Cuba Cet agent, vieille connaissance de Mortimer, est autoriséà confier le commandement du navire à toute personne qu’il jugera propre à remplir cet emploi. Si les marchandises, qui sont de nouveaux produits, arrivent à un jour donné sur le marché, les bénéfices seront énormes, et une large part proportionnelle sera allouée au capitaine. De plus,, et pour rendre la situation encore plus fantalisante, Mortimer possède à la Havane un richard de vieux cousin, qui se prépare à se rendre dans le royaume des taupes, et qui veut le faire son unique héritier, à la condition qu’il aille lui fermer les yeux. Il y allait le malheureux, quand nous avons sombré. Le cousin aura-t-il la complaisance d’attendre ? Et puis voici le revers de la médaille : cet agent, dont je viens de te parler, et qui ne demande pas mieux que de confier la cargaison de marchandises à Mortimer, a reçu de s? maison, l’ordre formel d’exiger un dépôt de cinq cents livres sterling, comme cautionnement. C’est là la pierre d’achoppement.
- — N’est-ce que cela ? dit Charles, d’un air radieux, en tirant de son portefeuille des billets pour deux fois la somme qu’Edouard avait dite. Crois-tu que je laisserai mes amis dans l’embarras, quand je puis leur donner un coup de main ? Va dire au brave Mortimer que, non-seulement je lui avance de grand coeur ces chiffons, mais que je me porterai caution pour trois fois la somme, si c’est nécessaire.
- Edouard, étourdi de la générosité de son ami, ne put proférer une syllabe. U saisit la main de Saville, la
- p.623 - vue 626/838
-
-
-
- 624
- LE DEVOIR
- secoua avec véhémence, en faisant de vains pfforis pour parler, et sortit précipitamment.
- — Décidément, pensa Charles, le sage du chalet doit avoir raison. Il y a certainement du galvanisme dans la poignée de main d'un homme plein de feu; car je sens un agréable frémissement dans mes veines. C’est de bon augure. Mais cela n’empêche pas que j’en aie les doigts tout meurtris.
- Au bout d’une demi-heure, Edouard rentra avec Mortimer,
- —- Dieu bénisse votre âme généreuse ! dit celui-ci, avec une figure rayonnante et des yeux humides. L’affaire est arrangée. Je suis nommé patron du superbe brick l’Hirondelle', et mon cher ami Edouard, que voilà, sera mon second, et de moitié dans les bénéfices. Nous allons encore une fois tenter fortune ensemble. Si notre voyage est heureux, nous pourrons vous rembourser cet argent à notre retour. Et si jamais vous aviez besoin de ma pauvre assistance, je me jetterai dans le feu pour vous.
- Le rude marin n’avait pas coutume de s’attendrir, et cependant il avait les larmes aux yeux, et sa voix tremblait, comme il prononçait ces mots avec une sensibilité profonde.
- Le lendemain, Charles acheta une chaise de | poste, e partit pour Londres avec Schwartz et Zamore.
- Chapitre 24
- SÉJOUR A LONDRES. — LE BIENFAIT.
- Arrivés à Londres, nos voyageurs descendirent dans un élégant hôtel de Piccadilly. Là, Schwartz prit congé de Saville en lui disant :
- — Mes moyens ne me permettent pas de vivre comme vous en sardanapale. Je vais me mettre en quête d’un gîte en rapport avec ma bourse. Qanud je serai installé, je viendrai vous dire où je perche.
- Saville, qui ne pouvait se résoudre à traiter Zamore comme un domestique, le présenta dans l’hôtel comme son secrétaire, et recommanda qu’on eût pour lui toutes sortes d’égards. Puis il pria l’hôte de lui trouver un valet anglais, qui sût assez de français pour lui servir d’interprête au besoin, et pour l’accompagner dans les excursions qu’il se proposait de faire.
- Un jeune homme, à la mine réjouie, intelligente et franche, ne tarda pas à se présé-iter. Il se nommait James Weller, ou plus familièrement Jem. 11 avait vingt-cinq ans. Il comprenait bien le français, mais il le prononçait aussi comiquement que Saville prononçait l’anglais. En se donnant mutuellement un échantillon de leur savoir, ils éclatèrent de rire au nez l’un de l’autre. Puis le valet fut tout penaud. Mais Saville, qui n’avait pas ri depuis plusieurs années, mit sa dignité sous ses pieds, et pardonna une hilarité qu’il avait partagée. Il arrêta le jeune garçon, et lui donna une guinée comme denier à Dieu.
- Les premières journées de son séjour à Londres furent employées à examiner la ville et ses curiosités. On était alors en mars.
- — Cette ville serait peut-être splendide, se disait-il, si l’on y voyait un peu plus clair. Depuis que je suis ici,
- je n’ai pas encore vu de soleil sous un autre aspect que celui d’un pain à cacheter rouge collé sur une ardoise. Sans parler de cette fumée nauséabonde, qui jette une teinte sale sur les plus beaux édifices.
- Une chose, cependant, rachetait à ses yeux l’obscurité de Londres pendant le jour : C’était l’illumination au gaz de quelques-unes de ses grandes artères le soir. Cette amélioration inaperçue aujourd’hui qu’elle est générale, était à peine connue en France alors, et le remplissait d’admiration.
- Quand il eut vu de que tout étranger se regarde comme obligé de savoir, il continua quelque temps encore à se promener de côté et d’autre, afin de se familiariser avec les objets extérieurs, avant de chercher à faire des connaissances, ou de se faire présenter devant le monde.
- (A suivre).
- OUVRAGES REÇUS
- Traité expérimental et thérapeutique de Magnétisme, avec figures dans le texte. Cours professé à la Clinique du Magnétisme, par H. Durville, 1886, in-16, relié, prix : 2 francs, à la Librairie du Magnétisme, 5, boulevard du Temple, Paris.
- Etat-social démocratique des doctrines et paraboles du Christ, par J. P. Mazaroz, 1886, en vente chez l’auteur 94, boulevard Richard-Lenoir, Paris.
- Reyue Socialiste
- Vient de paraître le n° 21 (septembre) de la Revue socialiste dont voici le sommaire :
- Le rachat des chemins de fer, J. Pinaud. — La Morale sociale {fin), B. Malon. —L’Agiotage de 1870 à 1884, A. Chirac. — Le travail des femmes et des enfants(fm), G. RouanetLes lettres devant la Plèbe, J. Bernard. — Commission belge du travail, L. Pagèse.Commentles légendes s'établissent,Cathelinat. — Deux livres de Guillaume Degreef, R.Vaillant. — Les conférences ouvrières, B. Maton. — La grève de Vierzon, R. Vaillant. — Correspondance. — Documents et faits sociaux. — Société républicaine d’économie sociale. — Revue de la presse, Revue des livres. — Divers.
- La Revue socialiste paraît le 15 de chaque mois en livraison de 112 pages.
- Bureaux : 43, rue des Petits Carreaux.
- Abonnements : France, 3 m. 3 fr.; 6 m. 6 fr.; un an 12 fr. Etranger : 3 m.3 fr.50 ; 6 m.7 fr.; un an 14 fr. Le numéro i fr.
- État civil du Familistère.
- Semaine du 13 au 19 Septembre 1886. Décès :
- Le 15 Septembre, de Masse Louis-Paul, âgé de un an. _______Le Directeur Gérant : GODIN
- uuise. — lmp. Bar6.
- p.624 - vue 627/838
-
-
-
- 10‘Année, Tome 10 — N' 421 Le numéro hebdomadaire 20 c. Dimanche 3 Octobre 1886
- LE DEVOIE
- BEVUE DES QUESTIONS SOCIALES
- BUREAU
- a GUISE (Aisne)
- Toutes les communications et réclamations doivent être adressées à M. GODIN, Directeur-Gérant Fondateur du Familistère
- ABONNEMENTS PAYABLES D’AVANCE
- par l’envoi, soit au bureau de Guise, soità celui de Paris, de timbres-poste ou de mandats de poste, dont le talon sert de quittance.
- France
- Un an . . . 10 fr. »» Six mois. . . 6 »» Trois mois. . 3 »»
- Union postale Un an. . . 11 fr. ï» Autres pays
- Un an. . . . 13 fr. 60
- ON S’ABONNE
- A PARIS
- 5, rue Neuve-des-Petlts- Champ t Passage des Deux-Pavillons
- S’adresser à M. LEYMARTE administrateur delà Librairie des scienoes psychologiques.
- APPEL AUX JOURNALISTES
- L’attention des peuples en Europe se tourne vers le suffrage universel. La Belgique, l’Angleterre, la Hollande, le Danemark, la Suède et laNorwège se préoccupent du droit de suffrage. La France devra bientôt reconnaître l’imperfection de son organisation électorale, en face de l’insuffisance des mandataires que nous donne le mode actuel d’application du droit de suffrage.
- En cette occurrence, nous appelons l’attention des hommes dévoués aux intérêts des peuples sur les articles que publie le Devoir, articles dans lesquels sont discutés les perfectionnements à introduire dans l’exercice du suffrage universel, en vue de corriger ses défauts en France, de réformer le régime parlementaire et de foire que le suffrage universel puisse être inauguré dans les différentes nations d’Eu-r°pe, comme un véritable instrument d émancipation populaire, et sans prêter, désormais, à aucun des abus auxquels il a donné lieu dans le passé.
- SOMMAIRE
- Appel aux Journalistes. — Les réformes socialistes ; le suffrage universel première réforme.— Le socialisme en cour d’assises. Procès Susini, Lafargue et Jules Guesde.— L’équilibre budgétaire et les réformes sociales.— Quelques chiffres sur la vie humaine.— Aphorismes et préceptes sociaux. — Communication.— Faits politiques et sociaux de la semaine. — Le minimum des salaires au Familistère et la presse anglaise. — Congrès national des syndicats ouvriers. — Charles Saville. — Ouvrages reçus.
- LES
- RÉFORMES SOCIALISTES LE SUFFRAGE UNIVERSEL première réforme.(1)
- II
- Les nations, comme les individus, ont besoin d’organes directeurs sains et bien organisés. Un homme dont la tête est mal équilibrée est un être incapable ; une nation dont le pouvoir législatif et le gouvernement sont mal établis est impuissante à bien faire.
- Les pouvoirs publics sont le cerveau de l’Etat, la société en est le corps. Que peut le corps si le cerveau est malade ou atrophié ?
- Dans l’État comme dans l’individu tout est lié,
- Lire le Devoir du 26 septembre 1886.
- p.625 - vue 628/838
-
-
-
- 626
- LE DEVOIR
- tout est solidaire ; il faut que les organes qui légifèrent et dirigent, s’élèvent à la hauteur des facultés et des besoins du corps social.
- Les nations civilisées sont dans l’enfantement des pouvoirs publics, mis en harmonie avec les besoins du peuple.
- Que les peuples y pensent ; le suffrage universel doit être la volonté sociale créant et inspirant les gouvernements. Si les gouvernements sont mal inspirés, si les pouvoirs publics ont des manières de voir en divergence avec les intérêts des masses laborieuses, ils sont évidemment incapables de bien administrer la chose publique. Les intérêts qui les dominent sont ceux auxquels ils accordent la préférence. S’ils sont élus sous l’influence d’une oligarchie quelconque, ils agiront et légiféreront au profit de cette oligarchie et, par conséquent, au détriment du peuple. Mais que le suffrage universel soit rationnellement organisé, les mandataires du peuple feront les lois au profit du peuple.
- Néanmoins, il ne suffit pas d’avoir le suffrage universel comme expression de la souveraineté populaire, il faut que le suffrage universel soit débarrassé de toute influence qui puisse, comme cela s’est produit jusqu’ici, le faire dévier du rôle social qu’il devrait remplir.
- Ce rôle social, il l’accomplira, du moment où, au lieu d’être sous la pression ou l’influence des pouvoirs publics ou des comités oligarchiques de circonscription, il sera sous l’empire du scrutin de liste nationale, c’est-à-dire influencé uniquement par les grands courants de l’opinion du pays tout entier.
- Pour qu’il en soit ainsi, pour que le suffrage universel ne sombre pas dans les suggestions de de la richesse, pour qu’il ne se fourvoie pas dans les corruptions intéressées des comités, il faut que le suffrage universel soit réellement universel ; il faut que le droit de l’électeur s’étende à toute la nation; il faut que l’électeur soit libre dans le choix de ses candidats ; il faut qu’il puisse voter pour des hommes qu’il choisira où bon lui semblera : à Paris, à Lille, à Marseille, à Bayonne, à Bordeaux, à Nantes, à Bourges, à Lyon, à Nancy, à Brest ; que ses voix soient récensées et comptées à ses candidats dans le relevé général des votes fait à Paris.
- Quand il en sera ainsi, les ouvriers ne seront plus embarrassés de savoir pour qui voter. Vite, ils comprendront qu’étant le nombre, ils sont la puissance, et que s’ils veulent avoir des dépu-
- tés en majorité à la Chambre, ils en ont le pouvoir.
- Par la simple modification de la loi électorale en France et dans les autres pays, en ordonnant le scrutin de liste nationale et le renouvellement partiel, annuel, on accomplirait pacifiquement la révolution, et l’on atteindrait,sans trouble, l’heureux avènement des réformes sociales.
- Dans toutes les nations civilisées, on réclame des réformes en faveur des classes ouvrières; partout, on sent qu’une profonde modification du sort des travailleurs est à opérer, qu’il est non moins urgent de modifier le régime actuel de répartition des richesses incessamment enfantées par l’agriculture et l’industrie ; mais la confusion s’établit dans les esprits lorsqu’il s’agit de préciser les moyens d’opérer ces réformes et de fixer l’ordre de celles à établir les premières.
- Il semble pourtant facile de distinguer entre celles d’un intérêt de premier ordre et celles d’un intérêt secondaire. Les premières embrassent les intérêts universels du peuple ; les secondes n’envisagent que des abus particuliers à une des sphères de l’activité sociale.
- Il est de la plus grande importance d’opérer le classement de ces réformes, et de placer au premier plan celles qui peuvent exercer l’influence la plus générale sur le bonheur du peuple.
- Aujourd’hui, les peuples sont une puissance dans les nations, et c’est de cette puissance qu’il faut attendre l’influence nécessaire sur la législation et les affaires publiques pour ouvrir aux classes travailleuses la place qui leur est due.
- C’est donc dans l’exercice réel et régulier de la souveraineté du peuple que se trouve la première réforme à faire surgir dans toutes les nations civilisées.
- Organiser la puissance populaire, organiser la démocratie, organiser, en un mot, le suffrage universel, voilà la première des réformes à introduire dans toutes les nations.
- Cette réforme bien étudiée, bien comprise et bien appliquée aurait la puissance d’entraîner toutes les autres réformes avec ordre et mesure.
- J’appelle donc, avec instance, l’attention des chefs et des guides des partis populaires sur cette importante réforme.
- Il ne faut pas qu’ils s’occupent de suffrage universel en Europe sans demander le scrutin de liste nationale et le renouvellement annuel de la moitié des assemblées législatives.
- Je n’appellerai pas aujourd’hui l’attention des
- p.626 - vue 629/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 627
- Chambres françaises sur ce sujet ; je l’ai fait en 1884 avant leur réélection sans pouvoir ébranler les convoitises. L’oligarchie du capital est maîtresse des Chambres ; elle n’a qu’un désir : éterniser le pouvoir entre ses mains ; par conséquent, elle ne peut ni consentir, ni vouloir le suffrage universel s’exerçant par bulletin de liste nationale; elle ne peut vouloir davantage le renouvellement partiel de la moitié des Chambres. Car, chaque année, toutes, les nullités, toutes les incapacités, tous les violateurs des engagements pris, tous les fraudeurs de programmes, seraient mal à l’aise pour venir se représenter devant le suffrage universel de la nation, afin d’être jugés et appréciés par la France entière selon le mérite de leurs actes.
- Ils sentent trop bien que les masses populaires ne se laisseraient pas séduire comme les comités faiseurs d’élection, que les intérêts de clocher auraient disparu, que les captations de consciences individuelles seraient devenues impraticables.
- Devant le suffrage universel de la nation tous les moyens de corruption s’anéantissent comme par enchantement; l’intérêt du pays et de la société peuvent seuls être en jeu ; et le député indigne est immanquablement éliminé.
- C’est dans les masses populaires que se régénéreront le dévouement et l’honnêteté nationale ; et c’est en appelant les masses à constituer les Chambres par le scrutin de liste nationale qu’on extirpera de toutes les nations toutes les pourritures politiques.
- Que les guides des peuples y regardent !
- Envisagé ainsi, le suffrage universel n’est plus une question politique, il devient la première des questions sociales qu’il importe de faire triompher.
- Que peuvent, en effet; espérer les peuples tant qu’ils seront à la merci de gouvernants plus ou moins inamovibles, nommés sous l’influence de la richesse, et que tout sollicite à s’occuper des intérêts de leurs ambitions propres, au lieu de s’occuper des intérêts du peuple ? Absolument rien !
- Que peuvent, au contraire, espérer les peuples de mandataires choisis par l’opinion nationale et sur la gestion desquels les électeurs pourront, ohaque année, faire peser le jugement de l’opinion du pays tout entier? Absolument tout!
- Les pouvoirs élus dans de telles conditions seront aussi puissants pour réaliser le bien dans ^ nation que les pouvoirs actuels en sont inca-
- pables. Les réformes sociales auront lieu parce que les mandataires élus du suffrage universel se sentiront sous la volonté de la nation entière, unie etsolidaire dans ses intérêts matériels, intellectuels et moraux. Le scrutin de liste nationale peut seul opérer cette unification.
- Il est donc d’un intérêt social de premier ordre que l’exercice du suffrage universel soit modifié en France, et qu’il soit inauguré en pays étranger de manière à donner aux classes pauvres comme aux classes riches, aux ouvriers comme aux patrons, l’exercice libre de leurs droits politiques et sociaux, sans déguisement, sans ces combinaisons machiavéliques ayant pour but de restreindre ce que la loi semble accorder.
- Les méthodes monarchiques, despotiques et oligarchiques sous lesquelles a fonctionné jusqu’ici le suffrage universel ne peuvent, en aucune façon, permettre de juger ce que cet instrument de liberté et d’émancipation sociales sera capable de donner, lorsqu’il sera rendu à ia liberté et à l’égalité électorales, et lorsqu’il sera organisé de façon à ce que cette liberté et cette égalité des citoyens devant l’urne s’exercent dans leur plénitude et leur vérité.
- Cela sera difficile à obtenir en France, sans une commotion politique; mais, en pays étranger, tels que la Belgique où l’inauguration du suffrage universel est imminente, en Angleterre, en Suède, où le peuple commence à revendiquer l’exercice de ce droit, il ne faut pas que la pensée nationale s’égare. Dans tous les pays, enfin, où le suffrage n’est encore qu’une illusion pour les peuples, il est de la plus grande importance que le mode véridique et rationnel de fonctionnement du suffrage universel soit étudié, soit compris, afin qu’on en fasse l’inauguration sans passer par les épreuves que nous avons traversées en France.
- La dure expérience des abus qu’a subis notre pays sous le suffrage universel dévoyé et corrompu par le despotisme,doit servir de leçon et d’exemple aux peuples des autres nations et, surtout, aux masses ouvrières.
- Les nations chez lesquelles fermente l’idée du suffrage uuiversel seraient bien mal avisées, si elles détruisaient le suffrage censitaire, pour mettre, sous une autre forme, l’élection de leurs représentants et la constitution de leur gouvernement à la merci de la richesse.
- En 1848, lorsque le suffrage universel a été proclamé en France, les politiciens qui étaient à la tête de la réforme n’avaient en vue que l’égalité
- p.627 - vue 630/838
-
-
-
- 628
- LE DEVOIR
- politique des citoyens. Aujourd’hui, ceux qui cherchent à guider les peuples dans la voie de leur émancipation, ont mieux à faire : ils doivent placer le suffrage universel libre, véridique et rationnel, au premier rang des réformes sociales, parce que c’est par lui que les masses peuvent marcher sûrement à la conquête de leurs droits sociaux. Gela peut se faire pacifiquement et sans trouble,mais à la condition de ne pas laisser, par un mode vicieux d’application, l’exercice de ce droit à la discrétion des possesseurs de la richesse, comme cela s’est passé en France depuis la proclamation du suffrage unive rsel.
- Le scrutin de liste nationale avec renouvellement partiel annuel de la moitié des Parlements est le moyen d’échapper à ce danger ; il est plus que cela, il est le moyen de conjurer les périls qui menacent les sociétés civilisées de catastrophes plus ou moins rapprochées, mais inévitables, si le suffrage universel ne donne au peuple les moyens d’obtenir justice par le bulletin de vote.
- Classes dirigeantes, c’est de vous que cela dépend ; c’est vous qui pourriez, comme par enchantement, dénouer le nœud gordien des questions sociales ; c’est vous qui pourriez éteindre les grèves et les revendications des masses ouvrières; c’est vous qui pourriez donner à la société la prospérité et la paix. Le ferez-vous ?
- J’ai peur que non !
- Je crains beaucoup que les besoins de réforme exaspérés par la résistance des classes dirigeantes, n’aient pour issue fatale que la violence et la terreur; mais,ce que je tiens à démontrer,c’est que les classes dirigeantes pourraient éviter de tels cataclysmes. Si on ne le fait pas, on aura du moins eu le choix des moyens. Mais, hélas ! l’histoire nous apprend que jusqu’ici le progrès ne s’est accompli que dans la douleur, et il se peut bien que nos sociétés civilisées ne soient pas encore assez intelligentes de leurs véritables intérêts pour agir autrement.
- Il serait pourtant bien plus sage de remettre les destinées des peuples au sort des luttes du suffrage et de la discussion que de les remettre au sort de la violence et des armes.
- Quoi qu’il arrive, c’est par l’organisation du suffrage universel qu’il faut commencer ou qu’il faudra finir; car, si nous supposons la révolution violente accompli, on ne sera pas plus avancé, si les vices de l’organisation du suffrage universel demeurent ensuite ce qu’ils sont. Alors, comme aujourd'hui, la corruption gangrènera les corps
- législatifs et le gouvernement. Il est donc beaucou plus sage de commencer par la réforme du suffra P universel, que d’être obligé, après bien des mai heurs, de finir par là.
- En commençant par organiser l’exercice de la souveraineté du peuple, en organisant rationnellement le suffrage universel même, on aura plus fait pour le progrès social et le bonheur du peuple que par toutes les révolutions possibles.
- A suivre.
- Le Socialisme en Gonr d'assises.
- Procès SISM, LAFARGUE et Jules GUESDE
- Comme l’ont (lit avec une fermeté et un courage notoires MM. Susini, Laforgue et Jules Guesde devant la cour d’assises de la Seine, u‘est bien le socialisme en personne qui a comparu, vendredi devant le jury,jetqui est sorti, triomphant acquité, de l’audience, après les trois défenseurs remarquables des accusés.
- Ce procès est à coup sûr un événement considérable, et nous croyons être agréable à nos lecteurs en leur donnant un compte-rendu de l’audience, avec quelques extraits des plaidoiries des accusés.
- Jules Guesde, Lafargue, Susini et Louise Michel avaient été assignés à comparaître devant le jury de la Seine sous la prévention d’avoir provoqué, dans une réunion publique, aux crimes de meurtre et de pillage, notamment le premier, en disant que la République n’existera que le jour où M. de Rotschild sera à Mazas.
- A la session dernière, Louise Michel (présente), Jules Guesde, Lafargue et Susini (faisant défaut),furent condamnés â quatre mois de prison. Vendredi dernier, les trois coutumaces se présentaient à nouveau devant la cour, sur appel.
- L’attitude des accusés au cours de l’interrogatoire laissait suffisamment entrevoir quelle serait leur attitude pendant la défense. Ils ont protesté, en effet, avec une grande énergie contre les paroles que l’accusation leur attribuait ou plutôt contre le sens qu’elle voulait donner à des phrases tronquées.
- Après le réquisitoire du ministère public, le docteur Susini a pris le premier la parole.
- Il commence par déclarer que si ses amis et lui se sont laissés condamner par défaut, c’est- qu’ils espéraient que le gouvernement abondonneraient des «poursuites aussi ridicules qu’odieuses.»
- « Je suis venu, s’écrie-t-il, plein de confiance en vous seuls « et je suis sûr que ma confiance ne sera pas déçue.
- « Savez-vous pourquoi je suis si rassuré, messieurs ?
- « Pour trois raisons puissantes que je vais dresser inéluc-« tables devant vos consciences honnêtes et libres.
- « La première est que mon allocution et tous les discours « prononcés au meeting du Château -d’Eau ne contiennent « absolument rien qui dépasse les limites du droit de tout « citoyen.
- « La seconde est que cette allocution et tous ces discours, « même tels qu’ils sont présentés par l’accusation, c’est-a-
- p.628 - vue 631/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 629
- s dira écourtés, travestis et dénaturés, ne tombent pas sous , ia loi du 29 juillet 1881.
- « La troisième, enfin,est que cette allocution et ces discours, i fussent-ils, ce qu’ils ne sont i as,une provocation directe au « meurtre et au pillage, non suivie d’effet — votre bon sens « et les droits de l’homme proclamés par nos pères vous com-i manderaient encore un verdict d’acquittement. »
- Les discours, poursuivis par le parquet avaient été prononcés à l’occasion de la grève de Decazeville. M. Susini dit à ce propos :
- « Si vous vous rappelez surtout les tristes aveux de la « femme Philip devant la cour de Rodez : « La Compagnie, « a-t-elle dit, nous avait réduits à la misère, et j’ai été forcée «deme prostituer pour la nourriture de mes enfants ».
- « Voilà messieurs, voilà, dans toute sa teneur, le discours « qui a troublé le sommeil de nos ministres.
- « Vous avez, sans doute, remarqué que non seulement ce « discours ne provoque à rien ; mais que tout au contraire il « il proteste contre les provocations et s’indigne contre les i provocateurs.
- « Et vous ne me ferez pas l’affront de croire que j’en ai « retranché un seul mot, car je n’ai qu’un regret, c’est qu’il «n'est pas aussi révolutionnaire que le commandaient les
- * circonstances.
- « En effet, si vous considérez que dans cette grève de « Decazeville, la raison était du côté des mineurs, ainsi que la «Compagnie elle-même l’a enfin reconnu, si vous vous « rappelez les déclarations de M. l’ingénieur Laur, à la « Chambre des députés ; si vous vous rappelez aussi que tous « ceux qui portaient secours, consolation, calme à ces mal-« heureux exaspérés étaient brutalement arrêtés comme « Roche et Quercy ou menacés de l’être comme Goullé, vous « serez étonnés comme moi, messieurs, qu’à défaut du gou-« vernement il ne se soit pas trouvé assez d’hommes coura-« geux pour imposer tout de suite à la Compagnie minière les « conditions qu’elle a acceptées 108 jours plus tard.
- « Nous nous sommes contentés de dire à nos amis : « Or-« ganisez-vous, unissez-vous » ; et la grève a triomphé par « le calme et rien que par le calme.
- S’adressant à ceux qui reprochent aux socialistes révolutionnaires d’aggraver par leurs menées l’état de gène de notre pays, « non, dit M. Susini, la gêne de notre riche pays ne « vientpas de ceux qui demandent la République réelle : elle « vient de ceux qui se sont précipités à la curée, qui ont « doublé le nombre des fonctionnaires, qui ont porté le bud-« get à près de quatre milliards et qui, au lieu de cicatriser les « plaies de la patrie, n’ont eu d’autre préoccupation que de « s’enrichir à ses dépens.
- « Mais ne parlons pas de ces choses écoeurantes, messieurs, t songez seulement que les circonstances vous érigent aujour-< d’hui en véritable cour suprême, car le gouvernement ne « vous demande pas seulement d’arracher Guesde, Lafargue, " et Susini à leurs occupations, à leurs familles, il vous « demande aussi d’approuver sa conduite perplexe, indécise
- * et coupable dans la grève de Decazeville.
- « Il vous demande de confirmer tous les jugements prononcés à l’occasion de cette grève, depuis celui de Ville— " franche jusqu’à celui du 12 août ; il vous demande de nous
- * livrer et de livrer tous les condamnés politiques à sa grâce,
- « qu’il n’accorde que par calcul; il vous demande de l’aider « à étouffer l’amnistie qui efface l’infamie des condamnations « iniques pendant que la grâce la laisse subsister : voilà « ce que le gouvernement vous demande. Vous ferez la « réponse, messieurs, et soyez persuadés que M. de Frcy-« cinet vous entendra
- M. Paul Lafargue, gendre de Karl Marx, accusé d’excitation au pillage pour avoir dit « qu’il faut mettre la main « sur la propriété, dépouiller Rotschild et le mettre à Mazas » (texte de l’accusation) s’est surtout attaché à démontrer que les méfaits de l’aristocratie financière nécessitaient son expropriation. Sa défense n’a été ni moins courageuse, ni moins ferme que celle du docteur Susini :
- « Messieurs, a-t-il dit, ce que l’on veut vous faire con-« damner, c’est le socialisme, et le ministère publie nous a « choisis pour boucs émissaires. Eh bien ! il a commis une « énorme bévue en nous accusant d’exciter au pillage. Savez-c vous où se trouvent les hommes qui excitent au pillage ? « C’est parmi les mouchards, parmi les Druelle que soudoie « la préfecture de police ; et les pillards, ils se trouvent « parmi les financiers que nous attaquons.
- « On m’accuse d’avoir demandé qu’on dépouille Rotschild « des biens qu’il a volés! Si nous parlons de Rothschild, c'est « parce qu’il personnifie pour nous la finance moderne ; nous « ne le connaissons pas, ni ne tenons à le connaître. Si nous et n’avions voulu que prendre au hasard un financier illustre « par ses vols, nous en eussions trouvé des centaines, »
- L’accusé énumère alors avec une abondance de chiffres qui a dû donner à penser au jury, les entreprises multiples delà finance cosmopolite, les prélibations usuraires faites par cette finance cosmopolite sur le commerce et l’industrie :
- « Les seigneurs féodaux s’embusquaient dans les carrefours « pour prélever des impôts sur les marchands qui passaient; « les financiers se sont embusqués dans la banque pour « pressurer le commerce et l’industrie.
- « Étudiez les fluctuations du taux de l’escompte, et vous « verrez que tous les ans l’escompte de la banque de France « est régulièrement surélevé au mois d’octobre, juste quand « les affaires sont le plus actives.
- « Comparez la statistique des faillites et les dividendes de « la Banque, et vous verrez que plus les faillites sont nom-« breuses, plus le taux de l’escompte est élevé et plus par « couséquent les dividendes sont considérables. M. Rothschild « est régent de la Banque...»
- Après avoir dit que les socialistes accomplissaient un devoir public en dénonçant les abus financiers, il a terminé ainsi :
- « Quelque soit votre verdict, il ne changera en rien notre « conduite ; condamnés ou acquittés, nous continuerons à « dénoncer les Rothschild et les voleurs de la finance, à « ameuter les colères populaires contre leurs crimes, jusqu’au « jour où, arrivés au pouvoir par les événements, nous « pourrons les enfermer à Mazas et leur reprendre tous les « biens volés à la nation. — J’ai dit.
- La défense de M. Jules Guesde n’a été tout aussi ferme et tout aussi énergique ;
- « Nos idées, dit-il, ne laissent place ni au pillage, ni au « meurtre, qu’elles font plus qu’exclure, qu’elles tendent à « éliminer des rapports des hommes entre eux.
- p.629 - vue 632/838
-
-
-
- 630
- LE DEVOIR
- « Le socialisme, en effet, se base sur la concentration « industrielle, commerciale et agricole que la machine et la « vapeur ont déterminée, qui s’opère fatalement et qu’il « s’agit de faire aboutir entre les mains de la société, unique k propriétaire des moyens de production et de circulation.
- « Cette concentration, sous la forme privée ou capitaliste, « engendre toute espèce de maux. Elle fait des travailleurs « salariés de simples compléments de l’outillage de fer ou de « bois, brisant la famille ouvrière, transformant la femme et « l’enfant en chair à travail, multipliant les chômages et les « crises avec leur corollaire de salaire de plus en plus réduit.
- « Sous la forme sociale, au contraire, elle sera le bien-être « et la liberté pour tous, en permettant — ce qui est impos-« sible aujourd'hui, en période anarchique — la réglementa-« tion de la production et en laissant à la disposition des « producteurs, composant toute la société, des produits de « plus en plus abondants.
- « Rien de plus contraire au pillage — même des pilliards « de la Finance — qu’une pareille reconstitution du patri-« moine de l’humanité. Quant à la mise au mur d’un patron « ou d’un banquier, en quoi une exécution de ce genre ser-« virait-elle nos projets ? Elle n’aurait d’autre résultat que « d’ouvrir quelques années plutôt la succession d’un Roths-« child au profit de son fils ou de son neveu. Ce qui ne « rentre ni dans nos vues ni dans nos moyens.
- Il explique ensuite que par « fusil libérateur »,il avoulu dire qu’une révolution populaire serait nécessaire pour permettre de réaliser l’affranchissement du prolétariat, et que cette révolution sera aussi légitime dans son principe que celle de 1789.
- « A moins que vous n’ayez la prétention de monopoliser la « révolution comme vous avez déjà monopolisé la propriété, « dit-il, je ne vois pas sur quoi vous pourriez vous fonder « pour interdire à l’affranchissement prolétarien l’emploi de « cette force qui vous a affranchi à votre heure.
- « Que cette entrée de haute lutte de la classe ouvrière « dans le gouvernement ne soit pas plus du goût des gouver « nants de l’heure présente que l’expropriation capitaliste dont « elle ne sera que la préface, c’est possible. Mais elle ne tombe « pas sous le coup de votre code. Contre elle vous êtes (( désarmés.
- « Pour atteindre le socialisme révolutionnaire, ainsi défini « et propagé, il vous faudrait des lois nouvelles, que vous « pouvez fabriquer d’ailleurs. Imitez M. de Bismarck : ins-« tituez dans la France républicaine le petit état de siège de « l’empire allemand !
- « Ce sera alors, dégagée de l’hypocrisie des libertés de parole « et de presse, la lutte d’une classe qui se défend contre une « classe qui attaque. Vous pourrez nous frapper, et nous ne « nous plaindrons pas. Mais......à charge de revanche ! »
- C’est sur ces paroles hautaines que le jury s’est retiré pour délibérer.
- II est rentré au bout de quelques instants, rapportant un verdict d’acquittement, accueilli par les applaudissements d’un public nombreux et enthousiaste qui se pressait dans la salle.
- Ce verdict aura-t-il du moins pour résultat d’éclairer nos ministres, comme l’annonçait un des accusés, M. le docteur Susini ? Nous faisons des vœux dans ce sens, mais sans oser l’espérer.
- L’ÉQUILIBRE BUDGÉTAIRE
- et les réformes sociales.
- Depuis une quinzaine de jours, la presse est remplie des communications adressées par le secrétaire de la commission du budget, qui a repris ses travaux le 15 septembre dernier.
- Il serait fastidieux d’émunérer ici toutes les tentatives et les tâtonnements par lesquels la grande commission est passée depuis sa réunion, dans l’examen des voies et moyens propres à rétablir l’équilibre du budget. Il n’y a pas de jour, en effet, qu’on n’apprenne qu’une communication très importante a été faite par un membre quelconque, exposant le moyen infaillible, selon lui, pour rétablir ce malheureux équilibre faussé, qui ressemble furieusement aux pivots de conversion, pour le rachat duquel les jeunes conscrits écrivent des lettres désespérées à leurs parents.
- Un jour c’est M. Yves Guyot, qui, à l’encontre des assertions pessimistes et des revendications des grands propriétaires, annonce qn’il a trouvé le moyen de faire entrer dans la caisse vide du Trésor la quantité de millions nécessaire à son alimentation ; pour cela, il suffit de surélever les impôts de quotité pesant sur la propriété foncière, dont la part contributive n’atteint pas, à son sens la proportion qu’elle devrait avoir.—On comprend ce qu’une telle déclaration soulève de récriminations violentes parmi les représentants, d’ailleurs assez rares, il faut en convenir, des propriétaires fonciers siégeant dans la commission. — Naturellement, ses conclusions, passées au crible d’une critique intéressée, sont contestées et rejetées.
- On se rabat alors sur une proposition Camille Dreyfus relative à l’établissement d’une sorte d’impôt sur le revenu ; impôt semi-proportionnel, semi-progressif — présentant toute une série de distinctions et de catégories.— Vient alors le ministre des finances qui,sans repousser en principe le système fiscal du plan Dreyfus, déclare qu’il est impossible de l’accepter pour 1887, sa réalisation, en admettant qu’elle soit juste et possible, ne pouvant guère venir que lorsqu’on l’aura étudié suffisamment, c’est-à-dire, dans une dizaine d’années au plus. En attendant, comme les fonctionnaires du gouvernement ne vivent ni de théories ni de projets fiscaux, il faut de l’argent; — il faut de l’argent pour entretenir les 400,000 hommes présents sous les armes, pour leur logement et leur armement; il fautdel’argent pour solder les titres
- p.630 - vue 633/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 631
- de rente que régulièrement, à chaque échéance 1 mensuelle ou trimestrielle, les porteurs d’obligations, de bons d’emprunts ou de valeurs sur l’Etat présentent au guichet des payeurs-généraux et des percepteurs. Donc, conclut le ministre,courons au plus pressé ; laissons là les plans de réformes fiscales fort louables et très méritoires qu’on nous o0re, mais dont l’examen nous coûterait des mois de supputations et de calculs. Et avec notre mode de perception et de recouvrement en vigueur, avisons à nous procurer les sommes nécessaires. Gomme, cependant, il a été convenu lorsque les électeurs ont envoyé siéger la chambre actuelle, qu’on changerait quelque chose dans le mécanisme rinancier en usage jusqu’à ce jour, nous allons supprimer le titre de budget extraordinaire, dont on a qualifié le chapitre des dépenses supplémentaires nécessitées dans ces derniers temps par l’insuffisance de certains recouvrements, et le fondre dans le budget ordinaire. Après cela, qu’on supprime ou qu’on maintienne le budget extraordinaire la somme totale à payer n’étant pas moindre dans un cas que dans l’autre, nous augmenterons les taxes qui pèsent sur certains objets de consommation, dont quelques uns sont réputésnuisibles,comme l’alcool.
- Nous ne savons si le projet du ministre sera adopté et si la commission du budget relèvera encore les taxes si lourdes qui pèsent sur les objets de consommation. En tout cas, l’occasion est bien tentante. La surélévation du chiffre des contributions indirectes a paru de tout temps le moyen le plus simple, sinon le moins coûteux, pour augmenter d'autant les ressources du trésor. Les impôts indirects, disait M. Thiers, qui se connaissait en roueries fiscales, permettent de plumer la poule sans la faire crier; ils tondent ras, mais n’écorchent pas.
- Ce système fut largement pratiqué en 1871; sur 650 millions d’impôts nouveaux établis alors et qui, loin de diminuer après la rançon payée à l’ennemi, n’ont fait que s’accroître depuis, 50 à peine furent demandés aux contributions directes,le reste aux impôts indirects. Nous ne serions donc pas surpris que la commission actuelle, désireuse de mettre fin aux embarras de l’inextricable imbroglio financier dans lequel elle se débat, adoptât le projet ministériel, la solution de ce projet ne nécessitant aucun frais de recherches ni aucun effort de pensée en vue d’améliorer notre situation budgétaire.
- Mais après ? Une fois le budget 1887 voté, l’approbation des chambres ayant paraphé les centaines de colonnes chiffrées qui passent tous les ans devant elles ; que fera-t-on ? Car il ne suffit pas de voter le budget 1887 ; en 1887, le budget 1888 reviendra à l’examen de la commission, avec le même défaut d’équilibre aggravé, puisque le déficit ouvert depuis cinq ans sous les pieds de nos gouvernants ne sera pas comblé pour cela. A quel saint se vouera-t-on, alors, pour remédier aux exigences impitoyables d’une situation financière aux abois?
- Un ne sait, et l’on n’a cure de s’eu préoccuper. Comme le roi Louis XV d'insouciante mémoire, les députés de 1886 diraient volontiers : Après nous le déluge ! — Après eux, en effet, comme après Louis XV, et tous les régimes de décadence qui caractérisent la fm d’une époque, ee serait le déluge, le chaos, le bouleversement des êtres et des choses dans un cataclysme final sans issue, si,pendant leur inaction coupable,sous leur règne aveugle fait d’imprévoyance et de gaspillage, les idées de transformation et de réforme n’avaient accumulé les matériaux sur lesquels se réédifiera l’édifice vermoulu dont ils ont laissé se consommer la ruine de leur vivant.
- Aujourd’hui, pour quiconque examine de haut et sans parti pris notre situation financière, il est clair que cette situation pourra se maintenir encore peut être quelques années, au terme des quelles on sera acculé à une liquidation inévitable.
- L’impuissance des efforts tentés pour améliorer notre état budgétaire, l’inanité des projets présentés qui les font rejeter sans discussion et sans que personne offre un plan assuré, capable de remédier au déficit en le comblant, d’arrêter la progression constante du poids des charges qui écrasent les travailleurs contribuables, tout cela est le symtôme non équivoque de la fm redoutable à laquelle on s’accule volontairement.
- Alors, ceux qui sans relâche ont travaillé à combiner dans leurs plans de réformes sociales les projets propres à résoudre le problème dans tous ses détails et toutes ses parties, auront la parole —alors l’heure des réformes aura sonné, — et nous sommes assurés de voir réaliser celles dont l’application immédiate eut épargné tant de souffrances et de misères.
- Tous les projets présentés devant la Commission du budget ont été reconnus insuffisants à parer au déficit. Un seul aurait fourni toutes les
- p.631 - vue 634/838
-
-
-
- 632
- LE DEVOIR
- garanties de recouvrement désirables, en même temps que son mode de répartition eut été de tous points conforme aux règles de la stricte justice. Ce projet consiste à faire intervenir l’Etat pour une part dans les successions en ligne direfcte et en totalité en ligne collatérale ; c’est celui que nous avons exposé si souvent dans les colonnes du Devoir et dont l’application permettrait seule de réaliser enfin cet équilibre budgétaire rêvé par tous nos ministres des finances.
- Quand l’expérience aura démontré l’impossibilité d’atteindre la formation régulière d’un budget par tous les moyens mis en avant jusqu’à ce jour, il faudra bien qu’on se résolve à prélever l’impôt, non plus sur les travailleurs, dont les facultés contributives vont en diminuant, mais sur la richesse elle-même. Alors,l’Hérédité de l’Etat sera réalisée, parcequ’avec elle, on touchera,non seulement à la fin des difficultés que nous traversons pour l’établissement du budget, la dotation des services publics et de la mutualité que la société doit à ses membres ; mais encore on supprimera toutes les injustices criantes de l’heure actuelle, dans le recouvrement et dans la répartition de l’impôt.
- Quelques chiffres sur la vie humaine.
- Depuis quelques années, il se fait un grand mouvement en vue de forcer les gouvernements à prendre les mesures les plus complètes pour protéger la santé générale : s’il parait tout simple que l’Etat s’inquiète de garder en vie et en bonne santé les citoyens qui sont sa raison d’être ?
- La plupart des grandes puissances'possèdent maintenant une administration de la santé publique. La France a son Conseil central d’hygiène, l’Allemagne son Bureau impérial, l’Angleterre son «Local Governement Board », dont la compétence s’étend à 15,000 districts sanitaires; les Etats-Unis ont leur « National Board » au-dessus de vingt bureaux d’Etat distincts et des Conseils d’hygiène dans toutes les grandes villes.
- En somme, tous les peuples civilisés ont maintenant admis a nécessité de faire de la santé publique une des branches de l’administration centrale.
- A ce développement d’organes nouveaux de surveillance et de contrôle s’est ajouté l’effet de la propagande générale et de la diffusion des lumières en matière d’hygiène et de salubrité.
- Le résultat de tous ces efforts est déjà considérable, car la statistique montre qu’il y a eu, dans la première moitié de ce siècle, un abaissement énorme de la mortalité, et l’on ne peut attribuer cet effet qu’aux changements introduits dans l’hygiène générale. De détestable qu’elle était, elle est
- 1 devenue passable. Plus tard, de passable elle est devenue presque bonne.
- La modalité annuelle était à Londres, en 1680, de 80 pour mille; en 1750, de 31 pour mille; en 1880de 23 p0Ur mille.
- A Paris, elle était, au quatorzième siècle, de 50 pour mille ; elle est maintenant au-dessous de 26 pour mille.
- Au seizième siècle, la moyenne générale de la vie humaine était seulement de dix-huit ans; eile est aujourd’hui de quarante-et-un ans.
- En 1729, trois enfants sur quatre mouraient avant l’âge de cinq ans. En 1800, il y en avait déjà deux sur quatre qui passaient cet âge. Et maintenant, si l’on ne tient pas compte des quatre ou cinq grosses capitales où la mortalité infantile est encore énorme, on trouva que 30 0/0 des morts seulement se produisent avant l’âge de cinq ans.
- Dans les dernières années, l’abaissement de la mortalité a été en quelque sorte régulier et constant. C’est ainsi qu’en Grande-Bretagne elle est graduellement tombée de 22,5 0|0 en 1861 à 19,3 0(0 en 1880-82. Ce qui veut dire que, sur 1,000 nouveau-nés, 29,4 0[0 déplus (714 au lieu de 684,6) qu'il y a vingt ans arrivent à la quinzième année.
- En appliquant ces chiffres aux Etats-Unis, on y compte que 20,000 enfants de plus y arrivent maintenant à cette limite.
- Depuis un siècle, la durée moyenne de la vie humaine a doublé, quoique les centenaires ne soient pas plus nombreux.
- On s’est livré à une évaluation en argent des économies d’existences humaines ainsi réalisées.
- On estime en Angleterre que la vie d’un nouveau-né vaut exactement quarante livres sterling ou mille francs. L’éducation normale d'un enfant coûte en moyenne deux mille cinq cents francs. Tout cela est perdu s’il meurt avant l’âge de la production. La valeur d’une vie d’adulte pour l’Etat est de 3,750 francs et son produit annuel de 475.
- Ces chiffres varient, naturellemeut, selon les pays. Mais on peut dire d’une manière générale qu’environ la moitié de la population meurt pendant l’âge de production. Aux Etats-Unis, par exemple, le chiffre des morts de cet âge et annuellement de 400,000. Il s’ensuit que le plus faible abaissement de la mortalité représente une économie considérable.
- En Angleterre, on estime que chaque individu actif doit compter par an sur une semaine et demie de chômage pour cause de maladie. La perte de travail productif est donc énorme de ce seul chef. Heureusement, tout ce qui abaisse la mortalité générale diminue aussi le total des heures de maladie, de telle sorte que tout gain pour la moyenne générale de la vie se chiffre en réalité par des millions.
- Or, nous sommes encore loin d’avoir atteint sous ce rapport les résultats considérés désormais comme possibles : les hygiénistes estiment que la mortalité pourrait aisément être ré-
- p.632 - vue 635/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 633
- duite de 20 à 10 ou même à 4 pour mille, et que le chiffre des heures de maladie devrait déjà tomber de 200 à 60 pour mille.
- APHORISMES & PRÉCEPTES SOCIAUX
- CXXIII
- La Vie humaine.
- Lavie humaine ne serait qu’une dérision si elle n’était faite pour servir au perfectionnement de l'être, pour l’élever aux degrés supérieurs dans la vie, lorsqu’il sait mettre à profit sa propre existence afin d’acquérir les qualités et perfections morales et intellectuelles nécessaires.
- —.———— ------—------------------------------
- Communication.— On nous adresse la communication suivante au nom de la société de propagande et d’instruction civique du canton de Guise:
- « La Société de propagande républicaine et d’instruction civique du canton de Guise s’est réunie extraordinairement le 26 courant dans le local habituel de ses séances et a décidé :
- « Qu’en face l’élection législative qui doit avoir lieu prochainement pour le remplacement de M. Bérenger, elle se maintiendra dans la voie quelle a suivie aux élections précédentes ;
- « Que de plus, elle fera respecter le programme progressif accepté au dernier congrès et quelle s’en rapportera au suffrage. des réunions publiques pour les adjonctions qui pourraient être proposées à ce programme. »
- Pour la Société :
- BERNARDOT.
- Faits politiques et sociaux de la semaine
- FRANCE
- A Madagascar.— Les relations entre la France et Madagascar sont arrivées à l’état aigu.
- Le résident français a remis un ultimadum demandant :
- 1° Le retrait de l’annexe du traité du 17 décembre.
- 2e L’annulation de la concession de la banque ;
- 3° La concession d’un territoire illimité dans la baie de Diégo-Suarez.
- Les Hovas sont destinés à maintenir l’annexe de ce traité.
- On annonce que le résident français est sur le point de quitter Tananarive Un malaise général résulte de cette situation. Le commerce est très éprouvé.
- Voici les principaux paragraphes de l’annexe du traité dont il est question ci-dessus ; nous les reproduisons d’après le texte de la lettre adressée le 9 janvier 1886 par MM. Patri-monio et Miot au général Digby-Willoughby, plénipotentiaire de S. M. la reine de Madagascar.
- Conformément au désir que vous avez bien voulu nous exprimer, et afin de lever les doutes manifestés par le gouvernement malgache relativement à l’interprétation de cer-
- taines expressions du texte du traité du 17 décembre 1885, nous consentons volontiers à vous fournir les explications suivantes :
- Son Exc. le premier ministre vous a chargé de préciser le sens du paragraphe 1er de l’article 2 du traité à savoir :
- « Un résident représentant le gouvernement de la République présidera aux relations extérieures. »
- Cela veut dire que le résident aura le droit de s’opposer, par exemple à toute cession de territoire à une nation étrangère quelconque, à tout établissement militaire et naval ; à ce qu’un secours quelconque en homme ou en bâtiments sollicite du gouvernement de la reine de Madagascar par une nation étrangère ne puisse être accordé sans le consentement du gouvernement français. Aucun traité, accord ou convention, ne pourra être fait sans l’approbation du gouvernement français.
- Et plus loin, pour ce qui est relatif à la délimitation de Diéga-Suarez, on lit ce qui suit :
- En ce qui concerne le territoire nécessaire aux installations que le gouvernement de la République fera, à sa convenance, dans la baie de Diégo-Suarez, nous croyons pouvoir vous assurer qu'il ne dépassera pas un mille et demi dans tout le sud de la baie, ainsi que dans les contours de l’est à l’ouest: et quatre milles autour du contour nord de la baie, à partir du point de ladite baie le plus au nord.
- Faisons remarquer, en terminant, que le Parlement français n'a pas eu connaissance du commentaire des plénipotentiaires, et qu’il n'est pas probable que notre gouvernement demande actuellement la concession d’un territoire illimité comme il est dit dans le télégramme du Standard.
- L’agence Havas transmet à ce sujet la note suivante :
- Les instructions qui ont été transmises à M. Le Myre de Villers sont très catégoriques ; mais elles n’ont pas, ainsi que 'assure un journal anglais paru ce matin à Londres la forme d’un ultimatum.
- Le terrain sur lequel s’est placé le gouvernement françai n’est pas celui qu’indique ce journal. s
- La Commission du Budget.— Dans sa dernière séance, la commission du budget a continué l’examen du projet relatif à la réforme de l’impôt sur les boissons.
- L’auteur de la proposition M. Salis, a d’abord fait observer qu'il s’était prononcé avec tous ses collègues contre les privilèges des bouilleurs de cru, — que la commission a supprimé vendredi — : après quoi il a ajouté qu’il repoussait également tout projet de surtaxe sur les alcools.
- Le député de l’Hérault estime, en effet, que l’élévation à 215 francs du chiffre de droit frappant actuellement les alcools réclamée par M. Sadi-Carnot, aurait pour conséquence de favoriser la fraude, de restreindre l’importance de transaction et d’amener les débitants à livrer aux amateurs des alcools sophistiqués.
- M. Salis reproche également au ministre des finances, à l’égard de l’exercice, de maintenir ce dernier et de l’amplifier pour le commerce de gros.
- Certes, la suppression des droits de détail sur les vins § dégrèvera les contribuables d’une charge assez lourde, mais si les alcools étaient surtaxés, les débitants paieraient finalement 17 millions de plus qu’ils ne paient présentement.
- « J’ai consulté soixante-dix chambres syndicales du com-
- p.633 - vue 636/838
-
-
-
- 634
- LE DEVOIR
- merce des vins et spiritueux sur les dispositions du projet , gouvernemental, qui abaisse à 12 degrés ia force alcoolique des vins et qui surtaxe les alcools, a dit M. Salis. Sur ces soixante-dix chambres syndicales, soixante se sont prononcées contre le système du ministre des finances; cinquante-quatre se sont déclarées hostiles à la disposition qui abaisse à 12 degrés la lorce alcoolique des vins, et soixante-sept ont condamné tout projet de surtaxe sur les alcools. »
- Le député de l’Hérault a ensuite fait remarquer qu’aucune exception n’était indiquée dans le projet gouvernemental en aveur des vins du Roussillon, de Bordeaux, de Bourgogne et du Languedoc qui pèsent souvent 13, 14'et 15 degrés même. Ces vins seraient donc frappés comme des produits artificiellement renforcés. N’est-ce pas là le mouillage obligatoire ? Il est permis aux vins d’Espagne. d’Italie et de Portugal d’entrer en France à 15 degrés 9 d’alcool, moyennant un simple droit de 2 francs par hectolitre. Les produits français seront ils seuls frappés d’un droit, au-dessus de 12 degrés,
- « Il y aurait 30 départements ainsi atteints par l’abaissement de l’échelle alcoolique » a ajouté M. Salis.
- L’orateur a terminé en déclarant que son système consistait à supprimer totalement l’exercice et à établir l’abonnement obligatoire — lequel varierait entre 200et 4.000Irancs selon les classes.
- Après l’exposé de M. Salis- la commission a passé en revue les différentes propositions d’impôts qui pourraient être opposées au système du gouvernement. Mais aucune des ^combinaisons mises en avant n’a paru susceptible de réunir la majorité des voix.
- BULGARIE
- La situation de ce pays nous paraît suffisamment indiquée par les nouvelles suivantes que nous empruntons aux journaux anglais et français d’ordinaire bien imformés :
- Le gouvernement de Sofia possède les preuves que les agents russes organisent une démonstration hostile contre le général Kaulbars pour fournir à la Russie un prétexte d’intervention.
- A son arrivée à Sofia, le général Kaulbars a demandé au gouvernement bulgare la levée immédiate de l’état de siège, la mise en liberté des prisonniers politiques et l’ajournement indéfini des élections de ia grande Sobranié.
- Ces exigences du générai Kauibars ont vivement froissé les Bulgares et augmentent leur antipathie pour les Russes.
- On mande de Philippopoli au Temps :
- Les élections pour la grande Assemblée nationale sont fixées au 28 septembre (10 octobre). Tout le pays est tranquille.
- La Correspondance politique reçoit de Sofia des dépêches qui lui annoncent que la régence est encore très indécise sur le choix du futur prince. On a complètement renoncé à la réélection du prince Alexandre, mais on ne sait de quel côté se tourner, la Russie n’ayant encore désigné aucun candidat et les autres puissances, y compris la Turquie rfayant pas fait connaître leurs intentions. Il est certain cependant que l’Assemblée nationale acceptera sans opposition le candidat sur lequel les grandes puissances seront tombées d’accord.
- Au sujet de la crise bulgare, le gouvernement anglais veut,
- paraît-il, s’en tenir au traité de Berlin. — En présence de l’attitude des autres puissancés qui se montrent entièrement opposées à une action anglaise en Bulgarie, le ministre a décidé de garder une attitude expectante jusqu’à ce que le vent souffle mieux en sa faveur.
- Le Daily Télégraph dit que le gouvernement autrichien se fait des illusions s’il croît que l’Angleterre est disposée à prendre sa place pour s’opposer aux empiètements de la Russie.
- ITALIE
- Manifestations anticléricales. — Il y a eu
- dimanche à Rome et à Naples deux démonstrations, et à Florence et à Sienne deux meetings anticléricaux ou, pour mieux dire, antijésuitiques.
- A Rome, les manifestants ont transporté au cimetière, en traversant toute la ville, les restes d’un homme d’équipe du chemin de fer, guillotiné en 1861 pour avoir tué un gendarme pontifical dans une démonstration organisée par les libéraux romains.
- L’ordre n’a pas été troublé, et sauf quelques cris de circonstance, tout s’est passé tranquillement.
- A Naples, de nombreuses associations libérales ont parcouru la rue de Tolède, bannières déployées, pourfêter l’anniversaire de l’entrée des troupes italiennes à Rome en 1870, lorsque plusieurs associations catholiques, débouchant d’une rue transversale, ont coupé le cortège en deux, en criant : « Vive le pape roi !» Il y a eu un échange de horions. De nombreuses arrestations ont été opérées.
- A quelques pas plus loin une nouvelle irruption de catholiques a eu lieu et une nouvelle mêlée s’en est suiuie, donnant lieu à de nouvelles arrestations.
- ESPAGNE
- L’insurrection de Madrid doit elle être considérée comme un de ces symptômes avant-coureurs qui marquent périodiquement dans nos pays de l’Europe méridionale la fin des régimes établis ? ou bien au contraire, l’avortement de ce mouvement insurrectionnel va-t-il consolider pour quelque temps encore la chancelante monarchie espagnole ? Il serait difficile de se prononcer avec quelque certitude aussi bien dans un sens que dans l’autre.
- Quoiqu’il en soit, la révolte militaire de Madrid que nous n’avons pu annoncer dans notre dernier numéro et dont les résultats sont à cette heure entièrement connus, a eu pour eftet de plonger la Nouvelle Castille dans un régime de terreur et de compression dont il nous est assez difficile de nous faire une idée exacte.
- Le mouvement insurrectionnel avait pour chef principal le général Villacampa, un brigadier Zoriliiste ; cependant, les fédéralistes paraissent avoir pris part à l’action. Après l’échec complet de la tentative de soulèvement, essayée par Villacampa sur les casernes de Madrid, les insurgés ne tardèrent pas à être dispersés en désordre par les troupes de la régente et bientôt le général Villacampa lui-même fut fait prisonnier.
- Aussitôt, le général Pavia, de sinistre mémoire, l’auteur du Coup d’État de 1873, déclara Madrid en état de siège et
- p.634 - vue 637/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 635
- une circulaire émanant de son bureau de capitaine général enjoignit aux journaux de s’abstenir de parler des événements récents. De sorte qu’à cette heure, on ignore totalement ce qui se trame dans l’enceinte des cours martiales constituées dés le premier jour ; mais tout fait prévoir une répression sanglante. Quand des ennemisjugent des vaincus et que ces vaincus sont des hommes politiques, les garanties de la justice ordinaire ne sauraient être invoquées. Le parti victorieux nomme des cours martiales non pour juger, mais pour frapper. Alors, les tribunaux sont des instruments de mort, un simple corps d’enregistrement qui constatent l’identité de celui qui doit tomber, voilà tout.
- Voici, à la dernière heure, quelques nouvelles d’intérêt minime sur l’arrestation du général Viilacampa et la tournure de son procès :
- Quand le général vit la plupart de ses hommes prisonniers et qu’il comprit que lui-même allait tomber sous les balles, dit un correspondant de Madrid, il déclara qu’il préférait mourir au milieu d’un carré de soldats ^espagnols plutôt que d’être assassiné dans les champs.
- Il était ensanglanté par la longue étape qu’il avait faite à cheval.
- Peu de temps après, il fut pris d’une syncope et tomba, évanoui.
- Dès qu’il fut remis, il se réfugia dans un moulin, où il demanda à déjeuner.
- 11 donna cinq pièces d’argent à une petite fille en lui disant : « Prends, ce sera probablement mon dernier déjeuner et les dernières piastres que je donnerai.
- Le général se cacha ensuite dans l’endroit où il fut découvert.
- Le Conseil de guerre, qui a été constitué hier et se compose de sept généraux, siégera à la caserne de San-Francisco; jusqu’à présent, l’heure et le jour ne sont pas encore fixés, mais il est probable que l’affaire du général Viilacampa viendra mercredi ou jeudi. On ne connaîtra donc pas le résultat avant vendredi ou samedi, peut-être plus tard.
- Le général Viilacampa n’a reçu la visite, dans la prison militaire de San-Francisco, que de sa fille et des autorités.
- Sa translation à l’hôpital n’ayant pas été demandée, il continuera à rester dans sa prison.
- Le général Alaminos, qui a été nommé président du Conseil de guerre chargé de juger le général Viilacampa, a décliné ces fonctions pour des raisons de santé ; il sera remplacé par le général de brigade Lasso, qui représentera le ministère public.
- Les débats et les plaidoiries ne pourront pas être publiés dans les journaux sans une autorisation spéciale.
- Le plus grand silence est gardé sur le résultat de l’instruction et des déclarations faites par le général Viilacampa.
- On est sans nouvelles du sort réservé aux nombreux soldats et civils qui ont pris part à l’insurrection, et qui sont, presque tous, tombés entre les mains des troupes du général Pavia. Mais étant donné les dispositions que semble manifester le gouvernement de la régente, il est à craindre que la peine uniforme infligée aux insurgés soit la peine de mort, devant être jugés par les cours martiales.
- ANGLETERRE
- Troubles à Belfast.— De sérieux désordres ont eu lieu de nouveau à Belfast.
- Un jeune homme nommé David Moor a eu le corps traversé d’une balle, et plusieurs agents de police ont été grièvement blessés par des pierres lancées sur eux par la populace.
- Dans l’aprés midi, après avoir assailli à coups de pierre la police qui arrivait du côté de Shankhillroad, la foule devint tellement menaçante que les agents furent obligés de rebrousser chemin pour aller chercher des renforts.
- Ceux-ci arrivèrent bientôt sur les lieux et firent une charge dans la rue.
- Les émeutiers furent dispersés dans toutes les directions et la rue ne tarda pas à être déblayée.
- Cependant la populace revint à la charge et se rua de nouveau sur une demi douzaine d’agents qui avaient été laissés aux coins de Hopewell Street.
- Quelques-uns furent renversés sous la grêle dépavés qui tombait sur eux.
- Un agent reçut à la tête une grave blessure.
- Se rendant compte de la situation dangereuse dans laquelle ils se trouvaient, les constables se décidèrent à faire feu sur la populace.
- Le nommé Moor a été transporté à l’hôpital.
- Une douzaine de constables ont reçu des blessures graves et plusieurs d’entr’eux ont dû être portés à la caserne.
- Le minimum des salaires au Familistère
- ET LA PRESSE ANGLAISE
- Depuis environ deux mois, des lettres parues dans le Coopérative News, Manchester, ont traité la question si importante pour l’ouvrier du nécessaire à la subsistance, du minimum des salaires, et cité l’Association du Familistère comme étant la seule institution industrielle qui ait jusqu’ici mis' la chose en pratique.
- Malgré tout l’intérêt qu’il y a pour le monde des travailleurs de connaître à fond les rouages d’une institution qui lui garantit le premier des droits : — celui de vivre— le sujet est tellement neuf qu'il est difficile de ne point faire d’erreurs surtout en ce qui touche les moyens pratiques.
- Nous allons donc donner les lettres qui ont posé la question et nous compléterons ensuite ce que nous avons à dire à ce sujet.
- Lettre de M. James Johnston, publiée dans le Coopérative News du 17juillet:
- « Monsieur le Rédacteur,
- « Après le discours de M. Neale au Congrès do « Plymouth, un délégué exprima le désir de dire « quelques mots concernant le Familistère et les c fonderies de Guise, ruais il en fut empêche vu
- p.635 - vue 638/838
-
-
-
- 636
- LE DEVOIR
- « le défaut de temps. Depuis, on m’a dit que ses « paroles de ce délégué eussent tendu à discrédita ter l'œuvre de M. Godin, et qu’il eut basé les « assertions sur un article récemment publié en « France, dans un journal anarchiste, journal « qui aurait, dit-on, attaqué le bienfaisant système « réalisé par M. Godin, en raison de l'expulsion » d’un des membres de l’Association du Fami-« listère.
- « L’accusation eut prétendu que les ouvriers « employés dans la tonderie de Guise, le sont en « réalité dans le seul but d’ajouter à la richesse et à « la puissance du patron,que ces ouvriers sont payés « à un taux plus bas que ceux engagés en France « dans les travaux similaires, et qu’en particulier a les travailleurs du moulage ont eu leurs salaires « réduits à un tel point qu’ils ne gagnent] plus « assez pour vivre.
- « Ces assertions sont exactement le contraire de te la vérité, et il me suffira de rappeler ici que les « membres de l’Associatian du Familistère pos-« sèdent un tiers du capital social sans avoir versé « un centime en espèces,pour montrer jusqu’à quel « point l'accusation principale est mal fondée. Les « autres assertions ne sont pas plus exactes, car « non seulement les travailleurs des fonderies de « Guise ont des salaires plus élevés et une plus « courte journée de travail que dans les établisse* «c ments similaires de la région, mais encore qu’un « chef de famille gagne ou non le minimum de tt des salaires fixés par les statuts, ce minimum « lui est assuré, de sorte qu’il a toujours au moins « ce qu’il lui faut pour vivre.
- « Il vaudrait beaucoup mieux pour nos coopé-« rateurs anglais, être moins prêts à accueillir et « répéter desinformations erronées ou malicieuses « sur l’œuvre du Familistère, et être plus ardents « à s’attacher à cette question vitale de l’ouvrier « devenant son propre patron ; l’indifférence sur « ce point étant déjà un trop grand obstacle à la « propagande du principe d’association.
- « Nous prêchons beaucoup sur ce sujet, mais, si « au lieu de tant parler, nous essayions de passer « à la pratique, comme l’a fait M. Godin, nous ré-« soudrions bientôt la question du capital et du c travail, et donnerions une immense impulsion à « l’activffé industrielle et commerciale en plaçant « tous les travailleurs dans une situation qui fasse a d'eux des consommateurs.
- « Je puis certifier, d’après mes observations per-« sonnelles,que les ouvriers du Familistère de Guise « sont plus heureux et vivent plus confortable-
- « ment que la généralité des ouvriers de quelque « condition que ce soit, sur le continent. En outre « les conditions d’existence de l’ouvrier associé de « Guise tendent à faire du travailleur un homme « intelligent, un penseur, au lieu du simple journa-« lier homme de peines, qui n'a devant lui aucune « lueur d’espérance, aucune perspective de bon-« heur.»
- La concision avec laquelle M. Johnston avait parlé de la garantie du nécessaire à la subsistance dans l’association du Familistère, donna à croire que ce nécessaire était garanti par le taux même des salaires gagnés ou non, et les esprits pénétrés des nécessités industrielles entrevirent là, avec raison,des difficultés et des impossibilités pratiques.
- Aussi, M. Vansittart Neale intervint-il dans la discussion,le 21 Août,par une lettre dont nous extrayons ce qui suit :
- « Le minimum des salaires dont a parlé M. « Johnston n’est pas en réalité un taux fixe de ré-« munéralion du travail ; c’est une garantie du né-« cessai re à la subsistance que les statuts du « Familistère assurent à tout -abitant des palais « sociaux, si, par cause accidentelle, maladie ou « autre, une famille ne gagne pas autant qu’il lui « est nécessaire pour répondre aux besoins de tous « ses membres.
- « Ce nécessaire à la subsistance est, en réalité,
- «c une allocation de secours mutuels faite dans « les conditions les plus propres à éviter tout « abus :
- « 1° Les allocations ne sont consenties que dans « les cas parfaitement connus et contrôlés ;
- « 2° Le fonds de ces allocations est prélevé 4 comme charge sur les bénéfices. Or, les bénéfices « revenant à tous les membres, le prélèvement « opéré ainsi assume donc un caractère de véri-« table mutualité.
- « Tels ouvriers qui sont aujourd’hui soutenus « par le fonds d’assurance concoureront,le jour où « ils seront en meilleure situation, à soutenir de « même, au besoin, ceux par qui iis ont été aidés, « puisque c’est, je le répète, sur la masse des « bénéfices gagnés par tous que les allocations sont « prélevées.
- « C’est donc une admirable forme d’assistance « mutuelle qui, sauf le cas d’orphelinage ou d’in-« capacité permanente de travail, ne devrait pas « être nécessaire du tout, si notre système social « était bien organisé.
- « Mais la longue expérience de notre imparfaite « manière de secourir les pauvres nous permet
- p.636 - vue 639/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 637
- < d’apprécier combien le système de M. Godin, '
- < est en accord avec la prospérité de la Société,
- « Au contraire, toute fixation d’un minimum « de salaires,que ces salaires soient ou non gagnés,
- « compromettrait le succès économique de tout ôta-« blissement qui adopterait une pareille mesure.»
- A ces explications du chef illustre et vénéré des coopérateurs anglais, un autre coopérateur, M. Abbott répondit dans le Coopérative News du 28 Août par une lettre où,après avoir chaudement remercié M. Neale de ses explications, il ajoutait:
- « Ilest pour nous de laplus hante importance d’ob-« tenir des informations correctes relativement au «fonctionnement de cetté grande institution (le « Familistère). Elle est devant le monde comme le « pionnier du mouvement social. Elle a déployé sa « bannière à l’encontre des colères individuelles et c des clameurs des préjugés, tandis que d’un « autre côté elle tend une main fraternelle à tout « réformateur social, en indiquant la voie de so-« lution pratique du problème qui a embarrassé « l’esprit des économistes, des poètes et des phi-« losophes dans le passé.
- « Cependant, chose étrange à dire, nous avons « dans nos rangs des hommes qui aspirent à di-« rigerle mouvement coopératif et qui, s’ils parlent « du palais de l’industrie de M. Godin, semblent « le faire à contre cœur.
- « Volontiers, ils nous feraient accroire que les « habitants du Familistère sont isolés du monde « et vivent confinés comme s’ils étaient en prison.
- « Heureusement, nous savons à quoi nous en tenir « grâce à M.M. E. Vansittart Neale, Greening « et autres qui ont exposé à notre connaissance « les faits de M. Godin, ce grand réformateur, et « l’ont montré comme un héros digne de tout éloge « et de to; te admiration.
- « En contradiction avec ceux qui considèrent « d’une façon aussi pessimiste le « Palais social »
- « permettez-moi de citer quelques phrases d’un « discours qui a été publié dans le Coopérative « News du 15 août 1885 et qui était dû à G. J.
- « Holyoake.
- « Il disait : « Les vastes bâtiments sont réelle-« ment des palais. Les abords en sont monumen-« taux.Si l’on compare le Familistère aux maisons « Peabody ou même Waterloo, on reconnaît que « le personnel de cette association demeure dans « un paradis de confort, de convenance et d’élé-« gance. Les ouvriers vivent là dans des logis « salubres, commodes, propres et clairs. La meil-« leure éducation et la meilleure instruction sont
- « assurées à leurs enfants, dès l’âge le plus tendre. « Eux-mêmes sont assurés de leur travail jour-« nalier, d’allocations en cas de maladie, de ré -« serves pour l'avenir, du nécessaire à la subsis-« tance et de fortune possible.
- «f Les fenêtres de leurs appartements donnent « sur un parc qui est le leur, où ils peuvent se « promener et s’asseoir ; un peu plus loin est le « jardin public de l’association, avec allées sinu-« euses, ombrages, kiosques, statues, etc.
- « Celte citation pourrait être beaucoup plus « allongée si l’espace me le permettait, afin de « montrer la part faite à l’éducation de l’enfance par « la construction d’écoles modèles, l’organisation « d’exercices en plein air, etc...
- « Avec de tels brillants récits fréquemment don* « nés par nos amis les plus respectés, par ceux « qui ont tant combattu pour la bonne cause, nous a ne pouvons désespérer du succès dans un ave-« nir prochain.
- « Nous sommes certain du bien fondé denos es-« pérances bientôt, et, il ne nous restera qu’à « dire à nos amis qui refusent de voir les signes « de l’évolution certaine, de cesser de se mettre « en travers des roues du char social : il faut le « pousser en avant ou se tenir à côté. Le progrès « est à l’ordre du jour.
- « Le peuple, oui, le peuple! doit être sauvé de la « domination des tyrr ns cupides qui, pour accu-« muler richesses sur richesses, comptent pour « rien la misère des travaileurs.
- « Selon Ebenezer Elliott, le peuple dit ou bientôt dira :
- Quand sauveras-tu le peuple,
- O Dieu d’amour !
- Non les rois, ni les princes, mais les nations ; Nonles trônes, ni les couronnes, mais les hommes; Ne sont ils pas, O Dieu! les fleurs de la terre ? Que leur héritage cesse d’être un jour sans soleil.
- Dieu sauve le peuple!
- « M. Godin enseigne au peuple comment se « sauver soi-même. »
- Congrès national des syndicats ouvriers.
- Tel est le titre que prend la réunion qui doit avoir lieu prochainement à Lyon, provoquée par le groupement de quelques syndicats dont le Moniteurs des syndicats de Paris est l’organe.
- Nous publions à titre de document, le manifeste de la commission d’initiative vient de lancer, en faisant observer que les détails contenus dans la
- p.637 - vue 640/838
-
-
-
- 638
- LE DEVOIR
- dernière partie du manifeste, et relatifs aux subventions officielles, sont fournis par la commission elle-même.
- Aux travailleurs syndiqués de l’Agriculture, de l’Industrie et du Commerce
- Notre appel a pour but de vous engager à prendre part au Congrès des syndicats ouvriers, pénétrés que c’est par la concentration de nos forces que nous sortirons victorieux de la lutte engagée par le travail contre le capital, ce qui revient à dire que le travail, étant la source de toutes les richesses, doit être fier et rétribué; car, en privant du nécessaire un grand nombre de producteurs, on amoindrit une nation jusque dans ses fondements, une misère en crée une autre, la privation arrête la production, et, comme conclusion, la famine!
- Pour remédier à cet état de choses, il faut que les travailleurs se concertent, il faut qu après avoir approfondi ces questions d’intérêt vital, ils arrivent à les mettre en pratique.
- Pour atteindre ce résultat, la loi sur les syndicats prévoit l’utilité de la fédération; celte loi disant aux syndicats;
- « Vous pouvez vous fédérer » doit être mise en pratique.
- C’est donc un des points importants que nous ne devons pas négliger, car un bien-être durable ne peut être réalisé qu’à la condition qu’il soit général : sans cette première condition essentielle, tous les résultats obtenus ne sont que des résultats factices, qui disparaissent selon le gré du capital.
- Notre union est importante pour lutter avec succès contre la cupidité d’hommes sans pudeur, qui sacrifient tout à leur ambition personnelle.
- Travailleurs de l’agriculture
- Nos besoins sont lês vôtres. Vous qui êtes courbés au rude labeur du travail de la terre, unissez-vous à nous, et alors les travaux des champs, organisés avec justice et raison donneront l’abondance et montreront enfin que l’égoïsme bourgeois est nuisible à l’intérêt général.
- Travailleurs de l’industrie
- Vous qui passez la plupart de votre vie dans une situation périlleuse, sans pouvoir, ainsi que vos collègues, assurer un jour de repos à votre vieillesse, venez à nous !
- Travailleurs de l’usine
- Vous qui, traités en prisonniers, dépensez en forces plus que vous ne pouvez, la plupart du temps occupés dans des sous-sols malsains, prirés d’air et de nourriture, que vos efforts s’unissent aux nôtres !
- Travailleurs du commerce
- Il semble en vous voyant que vous êtes dans le bien-être ; profonde erreur ! vous êtes entre les mains des avares détenteurs de l’or ; votre avenir en général est triste ; vos services ne sont payés que d’ingratitude, votre vieillesse est semblable à celle des autres travailleurs.
- Il est donc évident qu’un Congrès national de tous ces intéressés est indispensable à tous les points de vue.
- Nous comptons donc que les travailleurs des champs, de l’industrie, du commerce ne formeront qu’un seul faisceau, et alors, la main dans la main, unis par la raison des faibles, nous marcherons amicalement à la réalisation du droit des travailleurs... Toute cause juste doit un jour triompher !
- A l’œuvre donc ! Unissons nos efforts, marchons liés d’une amitié étroite, et dans ce Congrès nous jetterons-les bases de l’organisation du travail.
- Ordre du jour : 1° Projet de fédération de tous les syndicats ouvriers. — 2° Discussion de la loi sur les syndicats. — 30 Etude du projet Lockroy. — 4° De l’utilité d’un conseil supérieur du travail près le ministre du commerce et de l’industrie. — 5° Des heures de travail. — 6° Rapports du travail et du capital.
- Cet ordre du jour pourra être amplifié sur la demande des syndicats adhérents.
- (Suivent des signatures collectives de syndicats).
- A la suite d’une démarche faite par la commission, le gouvernement a mis une somme de cinq mille francs à la disposition du Congrès national des syndicats ouvriers, ce qui permettra d’indemniser dans une proportion de 50 0/0 le prix du voyage pour les délégués qui en feront la demande.
- De plus, le Conseil général a mis également deux mille francs à la disposition du congrès, pour adoucir d’une manière sensible le séjour des délégués à Lyon,
- Les séances du Congrès ouvriront le lundi 4 octobre et finiront le dimanche suivant. Les syndicats peuvent envoyer au Congrès un ou plusieurs délégués, mais chaque syndicat n’a droit, qu’à une voix déiibératice.
- Les chambres syndicales sont priées de faire parvenir au plus tôt les noms de leurs délégués, vu l’urgence pour la commission d’organisation de dresser une liste à l'avance, afin de pourvoir les délégués de logement et d’autres choses non moins utiles.
- —.-----------------—•—<0 —»— --------------------
- CHAULES SAYILLE
- par ROBERTSON
- Roman philosophique
- Chapitre 24
- SÉJOUR A LONDRES. — LE BIENFAIT.
- Dans ces courses, il était suivi de Jem, dont la vivacité de caractère et la loquacité l’égayaient, en même temps qu’il mettait à profit sa connaissance des rues, des ruelles, des passages, des squares et de tous les endroits fréquentés.
- Un jour, il reçut la visite du jeune Schwartz. Le pauvre garçon avait perdu un peu de son air d’insouciance. Il n’avait plus ses belles couleurs, et ses traits annonçait le découragement.
- p.638 - vue 641/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 639
- — J’erre comme une âme en peine, dit-il à Charles, au milieu de cette foule impassible et glaciale; devant ces longues files de maisons, qui se ressemblent toutes, et qui ont l’air d’autast de châteaux forts, avec leurs griles et leurs fossés. Nulle part , je ne reconntre une figure sympathique. Je suis allé chez quelques marchands pour leur offrir des croquis, des vues de leurs maudits environs, des aquarelles, des gouaches. Ils m’ont éconduit comme un mendiant. Un compatriote, un allemand, qui dîne dans la même taverne que moi, m’a donné un mot de recommandation pour un marchand de tableaux qui demeure dans le Strand. Voilà deux fois que j’y vais, sans pouvoir lui parler. Ses commis me disent qu’il est engagé ; je suppose que cela veut dire qu’il est occupé. J’ai dit que j’y retournerais demain pour la dernière fois. S’il est encore engagé, je l’enverrai au diable.
- Charles avait pris, sans affectation, l’adresse du marchand du Strand, et se rendit chez lui en voiture, aussitôt que Schwartz l’eut quitté.
- Comme il arrivait en voiture, et qu’il était suivi d’un valet, le marchand n'était pas engagé.
- — Monsieur, lui dit Charles, en étalant devant lui des banknots, un jeune peintre qui est venu deux fois déjà pour vous remettre une lettre, reviendra demain. Soyez assez bon pour lui acheter, au prix qu’il en demandera, les dessins qu’il vous fera voir. Voici de quoi couvrir vos déboursés. Si les travaux de ce jeune homme ont une valeur, et que vous trouviez à en tirer parti, vous me renerez mes avances. S’il en est autremenl, achetez toujours, et quand les garanties que je vous donne seront épuisées, je vous en donnerai de nouvelles.
- Le marchand fut d’une politesse extrême, et reconduisit Sa ville jusqu’à la porte, avec de grandes salutations.
- — Il paraît, se dit Charles, que c’est la même chose entou« pays. Voilà ce hr 've earçon de Srhwarfz, qui vaut peut-être mieux que moi ; qui, dans tous les cas, a un talent que je n’ai pas. Mais il se présente seul, à pied, modestement vêtu, et il ne trouve accès nulle part. Tandis que moi, qui pourrait être un sot, un ignorant ou un misérable, avec mon habit à la mode et mes gants blancs, il suffît que j’aie l’air d’avoir de l’or, pour qu’on m’accueille avec empressement et déférènce. Quelle chose funeste que cet or, qui nous rend si injustes ! Doucement, cependant ; je crois que je deviens injuste moi-même; car cet or, que je calomnie, vient de me procurer la douce jouissance de servir un digne et honnête garçon, sans blesser sa susceptibilité. Et mes deux braves marins de la Sirène, quel plaisir j’ai eu à les obliger ! sans le bien-être que j’en ai ressenti, je n’aurais pu vivre dans ce pays de brouillard sans tomber en consomption. Décidément l’or est bon à quelque chose.
- Gomme il faisait beau ce jour-là, par hasard, Saville avait renvoyé sa voiture, et cheminait, suivi de Jem, tout en devisant ainsi, vers le pont de Londres. Là, son attention fut excitée par un spectacle intéressant.
- Un bateau, sans voiles ni rames, remontait contre la marée, tandis que des nuages de fumée s’élevaient en tourbillonnant d’un grand tuyau, comme du cratère d’un volcan.
- — C’est le paquebot à vapeur de Margate, dit Jem, après avoir jeté un coup d’œil indifférent sur le bateau.
- — Au peu d’intérêt que vous paraissez y prendre, je suppose que vous l’avez déjà vu ?
- — Si je l’ai vu ! mais monsieur, c’est vieux comme les rues. Nous l’avons depuis 1815.
- — O ma chère patrie ! dit Charles en soupirant ; ear il se rappelait ce que George Morton lui avait raconté de Salomon de Caus, de Papin et de Jouffroy, te voilà encore une fois devancée ! Tu es toujours à la tête des nations pour l’nitiative et l’invention ; toujours à leur remorque pour la pratique. Tu dédaignes tes hommes de génie ; tu les laisse périr dans la misère et dans l’oubli, et tu n’acceptes leurs découvertes que lorsqu’elles te reviennent de l’étranger. Après tout, qu’importe à la Terre la contrée d’où lui vient le progrès, pourvu qu’il vienne ? A la longue, chacun de ses habitants aura sa part des résultats. D’ailleurs, la France n’est pas le seul pays qui rebute ses laborieux enfants. L’Amérique elle-même, cette terre qui a pris pour devise Go ahead, n'encouragea pas tout d’abord les effotrs de Sulton ; avant quo son premier bateau partît de New-York, ce grand homme fut raillé, hué et injurié par la populace.
- Chapitre XXV
- CORRESPONDANCE. - JULIETTE DUBREU1 A LÉON1E DE SENNETERRE.
- Enfin, ma chère Léonie, après un siècle d’inquiétude, me voilà rassurée parta leltre, si je puis donner ce nom à tes quelques lignes si désolantes de brièveté ! Maintenant que je suis tranquille sur ton compte, je veux te gronder tout à mon aise.
- Moi, je trouve qu’a près le plaisir de parler, il n’y en a pas de plus grand que celui d’écrire à une amie tout ce qu’on pense et tout ce qu’<>n fait. Aussi, tu le sais, je n’ai jamais eu de secrets ponr toi. Pourquoi donc n’es-tu pas de même avec moi ? Tu me dis bien des choses, c’est vrai, mais je suis sûre que tu ne me dis pas tout. Je devine toujours quelques réticences. Me prends-tu pour une enfant, parce que j’ai deux on trois ans de moins que toi ? Me crois-tu incapable de garder un secret? Tiens, c’est surtout depuis ta rupture avec cet ennuyé et cet ennuyeux monsieur Saville, que j’ai commencé a m’apercevoir de tes cachotteries. A partir de ce moment, tu as fermé ta porte à tout le monde ; tu n’as plus reçu que moi, et encore ! combien de fois que je suis allée pour te voir sans te trouver!
- Veux-tu que je te dise toute ma pensée ? Je parie que tu auras rencontré quelque héros de roman, bien sentimental et bien ténébreux, victime, comme toujours de je ne sais quelle fatalité. Au lieu de te faire la cour tout bourgeoisement, en plein jour, il se sera enveloppé de mystère, et t’aura persuadée d’aller partager avec lui l’exil et la proscription. Voilà ce que je m’imagine; et eomme il faut que tout roman ait son dénouement, il arrivera un jour que le couple infortuné s’ennuiera de manger pu pain arrosé de ses larmes, et reviendra vers ses pénates, pour y vivre de ses rentes tout prosaïquement.
- p.639 - vue 642/838
-
-
-
- 640
- LE DEVOIR
- Si ce sont des folies, pardonne-les moi, chère amie, et mets fin à toutes mes conjectures par une bonne et longue lettre. Je veux te donner l'exemple, en te contant sans aucune réticence, mes plaisirs et mes peines.
- Tu sais bien ce jeune ingénieur, dont je t'ai souvent pralé, M. George Morton ? Eh bien, il m’aime, Léonie, il m'aime comme un fou ! Son absence de deux ans, au lieu d’éteindre ses sentiments, les a exaltés au dernier point.
- Il venait souvent chez ma tante, comme je te l'ai déjà dit, et il paraissait diriger son attention plus particulièrement sur une de mes cousines; du moins c’était elle qu’il regardait avec le plus de plaisir ; c'était à elle qu’il adressait le plus fréquemment la parole. Ce n’était pas assez marquée pour que d’autres que moi s’en aperçussent, et je crois que la pauvre Anastasie elle-même ne s’en doutait pas. Mais, tu sais, quand un homme nous plaît, rien de lui ne nous échappe. Ce n’est pas seulement avec les yeux que nous voyons, avec l’oreille que nous entendons ; il semble que nous ayons un sixième sens, qui nous avertit de tout ce qu’il va faire ou dire.
- Un jour, il nous raconta l'histoire de Sulton, qu’il a connu. Il le fit avec tant de grâce, tant de feu et de sensibilité que je l'écoutais avec ravissement. Il a un timbre de voix qui va au cœur. Je sentais les battements du mien s'accélérer à mesure qu’il parlait. A un certain endroit de son histoire, il se tourna de mon ccdé, sans que je m’y attendisse, et vit mon regard humide et passionné fixé sur lui. Je baissai promptement les yeux, bien entendu ; ce qui ne m'empècba pas de démêler tous les effets que ce regard produisit sur lui. D’abord, ce fut l’expression d’un étonnement presque douloureux par sa violence. Il pâlit comme s’il allait se trouver mal. Et puis il devint cramoisi, et la joie brilla dans ses yeux mais comme je voyais dans cette joie une nuance prononcée de fatuité, et que d’ailleurs j’étais furieuse de m’être laissé deviner, je le regardai en face d’un air froid et presque dédaigneux. Alors ses traits se contractèrent et exprimèrent tant de douleur que j’en eus pitié, et que je pris un air plus doux, quoique très réservé.
- Tout ce que je te raconte là si longuement se passa en une seconde, et ne fut pas remarqué : ma tante a la vue basse, et mes bonnes cousines ne sont pas fort pénétrantes. Anastasie eut, à la vérité, l'air un peu intrigué pour un moment ; mais l’émotion de M. Morton fut mise sur le compte de Sulton, dont l’histoire était très touchante. Le pauvre jeune homme continua et termina sa narration aussi laconiquement qu'il le put. Sa voix tremblait, il cherchait péniblement ses expressions, se tournait à chaque instant de mon côté, d'un air inquiet. Moi, je riais sous cape ; il était évident qu'il pensait à tout autre chose qu'à ce qu'il disait. G’estdrôle commeles hommes les plus spirituels sont gauches dans ces occasions-là.
- Tu as déjà pressenti que, dès lors, M. Morton ne regarda plus tant ma cousine.
- Mon premier essai m’avait si bien réussi, que je le continuai. J’éprouvais un plaisir indicible à exercer ma puissance, à moi, faible jeune fille, sur cette grande et noble intelligence, à qui les hommes les plus capables
- reconnaissent tant de mérite et tant de fermeté. Je le bal-lotais entre la crainte et l’espérance, et je lisais ses impressions sur sa physionomie expressive, aussi aisément que j’aurfis lu dans un livre.
- Nous en étions là, quand un matin, il vint nous annoncer qu’une affaire imprévue le forçait à repartir le lendemain pour l’Amérique. Je reçus un choc si brusque et si fort qu'il me fut impossible de le dissimuler entièrement. Il s’en aperçut, et cette fois, ce ne fut plus de la fatuité, mais de la douleur que je vis mêlée à sa joie. Quand il nous quitta, nous lui tendîmes tous les main, il pressa la mienne d’une manière si éloquente qu’en te l’écrivant aujourd’hui, j'en ressens encore le doux frémissement.
- Deux années s’écoulèrent. Comprends-tu cela ? deux années à rayer de ma vie, car je ne sais comment elles se sont passées. Je me rappelle seulement que trois partis se sont présentés pour moi. Va, je n’ai pas eu de mérite à les repousser, car les hommes, qui osent aller sur les brisées de George, me semblent aussi odieux que ridicules.
- (A. suivre.)
- OUVRAGES REÇUS
- Dix-huitième congrès annuel des coopérateurs Anglais, tenu à Plymouth en 1886; en vente au bureau cential des sociétés coopératives 17 Balloon Street, Corporation Street, Manchester, Angleterre.
- Histoire et organisation de la coopération en Angleterre, par de Boyve; rapport présenté le 20 septembre, 1886, au 2me congrès des sociétés coopératives de France, tenu à Lyon. En vente chez Guillaumin et Cie, 14 rue Richelieu, Paris.
- Le jardin botanique de l’école primaire rurale,
- par Lucien Gazais; opuscule en vente chez Crépin-Leblond à Nancy, Meurthe-et-Moselle.
- A propos de la chasse au marais dans le département de l’Aisne, par un chasseur aux bécasses; opuscule en vente chez tous les libraires du département.
- Lettres sur le positivisme et sur la mission religieuse de la France, par George Lagarrigue, distribution gratuite à l’Église universelle, Vincennes, 46 rue de la paix.
- État civil du Familistère.
- Semaine du 13 au 19 Septembre 1886. Décès :
- Le 22 Septembre, de Merda Camille, âgée de 4 mois.
- Le 26 Septembre, de Lemaire Auguste-Paul, âgée de 1 an et 7 mois.
- Le Directeur Gérant : GODIN
- uuisa. — lmp. Baré.
- p.640 - vue 643/838
-
-
-
- 10’Année, Tome 10— N° 422 Le numéro hebdomadaire 20 c. Dimanche 10 Octobre 1886
- BEVUE DES QUESTIONS SOCIALES
- BUREAU
- a GUISE (Aisne)
- Toutes les communications et réclamations doivent être adressées A M. GODIN, Directeur-Gérant Fondateur du Familistère
- ABONNEMENTS PAYABLES D’AVANCE
- par l’envoi, soit au bureau de Guise, soità celui de Paris de timbres-poste ou de mandats de poste, dont le talon sert de quittance.
- France Un an ... Six mois. . . Trois mois. .
- 10 fr. » 6 »» 3 »
- Union postale Un an. . . 11 fr. »t Antres pays
- Un an, . . . 13 fr. 60
- ON S'ABONNE
- A PARIS
- 5, rue Neuve-des-Petits-Champ» Passage des Deux-Pavillons
- S’adresser à M. LEYMAKTE administrateur delà Librairie des sciences psychologiques.
- SOCIÉTÉ DU ÉAMILISTÈRE Dé GUISÉ COMPTES RENDUS ET RAPPORTS ANNUELS
- ASSEMBLÉE GÉNÉRALE ORDINAIRE
- Séance du 3 octobre 1886, à 3 heures du soir. — Présidence de M. 600IN, fondateur.
- ORDRE DU JOUR
- 1° Rapport de M. l’Administrateur-Gérant sur la situation morale, industrielle et financière.
- 2° Rapport du Conseil de surveillance sur le même sujet.
- 3° Adoption du rapport de la Gérance et de celui du Conseil de surveillance, s'il y a lieu.
- 4° Construction d’un Familistère etd’Ecoles à l’usine de Laeken, Belgique, et de magasins commerciaux au Familistère de Guise.
- 5° Ratification du choix de deux enfants à présenter aux Ecoles de l’Etat.
- 6° Election, au scrutin secret et à la majorité absolue des votants, d’un conseiller de gérance en remplacement de M. Quent Aimé dont le mandat est expiré.
- 7* Election, au scrutin secret et à la majorité absolue des votants, de trois Commissaires-rapporteurs devant former le Conseil de. surveillance pour l’exercice 1886-87.
- Présents: M. Godin et 83 associés comme en témoigne la liste de présence annexée au procès-verbal.
- Représentés : MM. Jamart. Marcellin, Grosch
- Guillaume, Hennequin Joseph, Mathieu Eugène, Blancaneaux Adonis, usant de la faculté ^prescrite art. 70 des statuts, se font représenter à la présente assemblée : le 1er par M. Gras Prosper, le 2me par M. Baquet Florus, le 3m# par M. Edmond Louis, le 4m® par M. Proix Emile et le 5m# par M. Blancaneaux Constant.
- M. le Président signale qu’en vertu de ces délégations, chacun des membres sus énoncés aura deux voix à émettre. Les lettres de délégation sont annexées au procès-verbal.
- Absents : MM. Barbary, Cartigny Jules malade, Jumeau Victor malade.
- M. Godin, Administrateur-Gérant, président du Conseil de gérance, préside l’assemblée aux termes des articles 65 et 82 des statuts.
- Le Bureau est composé des conseillers de Gérance ayant qualité d’associés, savoir : MM. Alli-zard, Bernardot, ^Dequenne, Donneaud, Pernin, Piponnier, Quent, Sékutowicz et Seret.
- Madame Godin, secrétaire du conseil de Gérance, fait fonction de secrétaire de l’assemblée.
- Après l’appel nominal, M. le Président déclare la séance ouverte. Il constate que toutes les forma-
- p.641 - vue 644/838
-
-
-
- 642
- LE DEVOIR
- lités d’affichage pour la convocation de rassemblée ont été remplies conformément aux statuts et que le journal du Familistère, le Devoir, a publié la convocation et l’ordre du jour dans son numéro du 26 septembre dernier.
- Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté.
- L’ordre du jour est abordé.
- l°Rapport de M. l’Administrateur-Gérant sur la situation morale, industrielle et financière.
- M. le Président donne lecture de son rapport annuel dont le texte suit :
- Chers coopérateurs et amis,
- La situation morale de l’association du Familistère est constamment en voie de progrès et, cette année comme les précédentes, l’administration n’a qu’à constater La cordialité des rapports et le bon esprit qui, de plus en plus, régnent dans l’ensemble de l’association.
- Si quelque fausse note se fait parfois entendre, c’est une chose inhérente aux concerts les mieux établis et qui ne compromet pas l’harmonie de l’ensemble.
- La gène momentanée que Je dernier essaim de 600 personnes entrées au Familistère avait apporté dans les services de l’association a disparu. Les habitudes d’ordre et de propreté de la population nouvelle se mettent en accord avec la bonne tenue des autres membres de l’association.
- Le nombre des enfants de tous âges que ce nouvel essaim de population nous a amené, a trouvé convenablement sa place dans les édifices agrandis de la nourricerie, des écoles maternelles et des écoles primaires.
- L’éducation et l’instruction sont en bonne voie. Nos classes de l’enfance sont bien graduées et dans chacune d’elles l’enseignement est proportionné à l’âge et à l’intelligence des élèves. 21 certificats d’études obtenus cette année par nos écoliers après 15 obtenus l’an dernier témoignent de la bonne marche de l’enseignement.
- Les décisions prises en Conseil de Gérance, pour que le cours supérieur serve à présenter des élèves aux écoles de l’État, sont en pleine voie de réalisation. Trois de nos garçons : Roppé, Montigny et Bienfait, sont préparés pour l’école des Arts et Métiers; trois de nos jeunes filles : Mlles Casse-leux, Philip et Point, sont admises déjà à l’école normale de Laon. Ainsi, espérons-le, se développeront parmi nous les intelligences capables de
- succéder à toutes les fonctions dans l’association et d’en élever le niveau.
- Nous avons, à ce sujet, à faire pour la première fois application des modifications apportées aux statuts le 15 novembre dernier.
- Par suite de l’abandon fait par votre Administrateur-gérant de la plus forte partie des bénéfices qui lui étaient attribués, un nouveau chapitre de ressources a été ouvert au budget de l’instruction defl’enfance, avec cette affectation spéciale de servir « à la préparation pour être admis dans les « écoles de l’État et à l’entretien dans ces écoles « d’un ou plusieurs élèves sortant des écoles de « la société du Familistère. »
- Conformément aux prescriptions de l’article 100 du règlement, deux élèves ont été désignés cette année, parle conseil de Gérance et la commission scolaire, comme étant dans les conditions voulues pour recevoir de l’association le concours nécessaire à leur entretien dans l’une des écoles d’Arts et Métiers de l’État, s’ils arrivent à y être admis. Ces deux enfants sont : Montigny Alfred et Roppé Albert.
- Mais ce choix doit être ratifié par l’assemblée générale pour devenir définitif, aussi serez-vous appelés tout à l’heure à voter sur cette question.
- Notre association a besoin de comprendre que sa prospérité se soutient par l’intelligence, par le travail et par l’amour du bien commun. Ce n’est qu’en développant parmi nous ces qualités et ces vertus que nous parviendrons à surmonter les difficultés que nous oppose le milieu réfractaire de la société dans laquelle nous sommes.
- Malheureusement, tous nos coopérateurs ne comprennent pas encore l’intérêt qu’il y a pour eux à mettre à profit les ressources que notre association leur offre.
- Par l’association vous êtes les éducateurs de vos enfants ; par elle aussi, vous faites vos propres approvisionnements. L’association achète pour vous tout ce qui est nécessaire à vos besoins, les magasins sont à votre porte et vous vous partagez les bénéfices qui en proviennent. Eh bien, ces bénéfices vous auriez pu les doubler, les tripler, si un plus grand nombre d’entre vous comprenait seulement un peu le parti à tirer des avantages de notre association.
- Mais, au lieu d’acheter dans vos propres maga* sins dont les bénéfices sont pour vous, un certain nombre porte son argent ailleurs et laisse aller les bénéfices en d’autres mains.
- p.642 - vue 645/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 643
- pour vous en donner un exemple, je n’ai qu’à prendre ce qui se passe concernant le pain. Le paic de la boulangerie du Familistère est infiniment supérieur à celui qu’on fournit du dehors. j6 nôtre est mieux fait, il est bien cuit, les farines 50nt de meilleure qualité, le pain a meilleur goût.
- Eh bien, malgré cela, voyons comment certains membres de l’association comprennent leurs intérêts et montrons, en même temps, au public comment chacun est libre dans l’association et comment chacun use et abuse de la liberté.
- Tout le monde consomme du pain parmi nous à peu près également. Nous avons une boulangerie ijui peut fournir du pain à tout le personnel de l’association. Eh bien, voici dans quelles proportions les 1800 personnes du Familistère s’approvisionnent à notre boulangerie :
- 102 familles y prennent leur pain régulièrement; 115 en prennent accidentellement ;
- Et 291 n’en prennent pas du tout.
- Aussi, dans ces conditions, les frais généraux le notre boulangerie lui font perdre 10 francs par jour, tandis qu’elle gagnerait 20 francs et davan-ûge — que vous vous partageriez en fin d’année— si la population comprenait mieux ses intérêts. Gela tient, je le sais, à des causes que je n’ai pas à expliquer ici ; mais, ce n’en est pas moins lansle fait une grave imprévoyance de la part d’une grande partie des membres de l’association. Vous pouvez donc juger, mes amis, de la mesure dans laquelle vous pourriez augmenter vos propres Économies, si vous saviez ménager vos ressources, 'te il en est un peu ainsi dans tous les magasins le l’association. Le Familistère vous rapporte en bénéfices locatifs et commerciaux 113 mille francs, certainement, vous pourriez doubler vite cette ^aune, si vous achetiez dans vos propres maga-!;asce que vous vous procurez ailleurs. C’est donc te de cent mille francs que vous vous condamnez d perdre chaque année.
- Vous auriez, en agissant autrement, un double butage; car vous augmenteriez vos bénéfices teistriels et vous créeriez du travail dans nos teiers. En effet, le four installé dans notre bouderie est un four breveté que nous allons cons-,r,llre dans l’usine pour le vendre à toutes les boudées de France. Nous avons besoin del’expé-tenter dans de grandes proportions ; il nous iut établir un deuxième four pour faire nos expé-*„ 'Qces- Nous aurions donc besoin du concours de 'otrô consommation, et c’est dans vos rang?
- mêmes qu’il se trouve des personnes assez indifférentes pour ne pas comprendre cela et ne pas s’employer sur ce point, comme sur tout autre, è la prospérité de notre association. Ceux qui agissent ainsi sont comme ces fils de famille qui s’abandonnent à gaspiller la fortune qu’ils ont entre les mains. §f
- Voici le montant des affaires que nous avons faites.
- Le chiffre net des ventes à Guise et à Laeken ne s’est élevé qu’à............. 3.525.005 fr. 41
- Les recettes du Familistère ont été de.......................... 548.911 44
- Au total . . . .............. 4.073.916 85
- Cela est fort au-dessous de ce que notre société devrait faire. Quant aux affaires industrielles, nous sommes obligés de subir la loi commune de la crise ; mais en ce qui touche aux ventes du Familistère les membres de l’association ont une action directe sur le chiffre d’affaires; aussi est-il profondément regrettable, au point de vue de votre intérêt et de votre prospérité sociale, de voir qu’alors que l’association paie à ses membres un million six cent mille francs de salaires, le tiers seulement de cette somme revient dans vos magasins d’approvisionnements et que vous perdez ainsi une part importante de bénéfices par suite de l’ignorance d’un assez grand nombre concernant leurs propres intérêts.
- “~Âh ! que le travail et les ressources viennent à vous manquer un jour, vous ne vous direz pas que c’est de votre faute, et des esprits atrabilaires ne manqueront pas d’en trouver les motifs là où ils ne seront pas.
- Mais ces faits n’empéchent pas votre administration de travailler en vue de la prospérité commune. Indépendamment du four dont je viens de vous parler, nous avons ajouté cette année une nouvelle branche à notre industrie, celle des sus* pensions.Déjà, environ cent modèles sont dessinés dans un album et offerts au commerce. Nous espérons un succès avec ces modèles, surtout avec ceux en fer et en fonte qui, comparés au mode précédent de construction, ont l’avantage d’offrir une légèreté, une élégance et une solidité avec lesquelles la fabrication allemande n’offre rien de comparable. Ces suspensions étant brevetées sont un article d’avenir pour l’association.
- D® nouveaux appareils de cuisinières et foyers divers ont été aussi crées.
- p.643 - vue 646/838
-
-
-
- 644
- LE DEVOIR
- Nous avons augmenté également la série de nos appareils de chauffage et de cuisson par le gaz; de nouveaux brevets ont été pris pour ces diverses inventions. C’est par ces créations nouvelles bien comprises qu© notre société soutiendra sa réputation industrielle.
- Parmi les prévisions d’avenir dont votre Conseil de Gérance s’est préoccupé, les besoins de notre usine de Belgique prennent le premier rang. Vous avez gardé le souvenir qu’en Octobre 1883 j’ai saisi l’Assemblée générale du projet de construction d’un Familistère à Laeken. Des difficultés survenues avec la ville de Bruxelles ayant donné lieu à un assez long procès avaient empêché de donner suite à ce projet.
- Aujourd’hui, la situation semble ne plus comporter les mêmes inconvénients, et nous pensons qu’un allignement nous sera consenti par la ville de Bruxelles. Cela nous devient indispensable; car les habitations ouvrières qui existaient lors de l’acquisition de la propriété de Laeken sont à démolir aujourd’hui ; elles sont dans un état de vétusté que notre association ne doit pas tolérer plus longtemps. Il faut élever des habitations pour les ouvriers de l’usine, afin de ne pas risquer de voir l’association manquer de travailleurs dans un moment de reprise industrielle; ce qui serait un préjudice considérable pour nous.
- Notre usine de Belgique marche bien; elle est prospère ; les ouvriers membres de l’association sont très attachés et très dévoués à la société. Toutes ces considérations nous ont donc conduit à soumettre définitivement à votre vote, dans la présente assemblée, la construction d’un Familistère et d’Ecoles à Laeken, l’an prochain.
- Cette décision, si elle est favorable, causera une vive satisfaction aux membres de notre association en Belgique ; elle sera un motif pour attirer et retenir les ouvriers à l’usine de Laeken et empêcher qu’ils y fassent défaut, au cas où il s’y produirait une sérieuse reprise des travaux.
- Nous avons, également,à soumettre à l’approbation de la présente assemblée la construction de nouveaux magasins de vente au Familistère. Ceux .actuels sont mal agencés ; ils sont un obstacle au bon fonctionnement du service et peut-être ce défaut est-il une des causes qui font négliger,à un certain nombre, leurs devoirs envers l’association.
- Passons à l’examen des mutations intervenues dans les diverses catégories des membres de notre association,pendant l’année qui vient de s’écouler.
- L’exercice 1884-85 comprenait 83 membres associés Il nouveaux membres ont été élus dans le courant de l’exercice, mais 2 sont décédés, soit en plus . . . . ,.................... 9 j
- Ce qui porte le nombre des associés à........................ g2
- Les sociétaires étaient, pour l’exercice
- 1884- 85, au nombre de....................188
- Nouveaux élus pendant l’exercice
- 1885- 86.............................. 37
- ( devenus associés 10 )
- Sociétaires j par^g ou décédés 8 j 18 ^
- Ce qui porte le nombre des sociétaires
- pour l’exercice 1885-86 à.................. 207
- Pour l’exercice 1884-85 le nombre des
- participants était de......................549
- Nouveaux élus pendant l’exercice 85-86 41
- Moins
- Participants devenus sociétaires 36 » partis ou décédés 40
- 590
- 76
- Le nombre des participants se trouve
- réduit à............................ . 514
- Total des membres actifs.......... 813
- Porteurs de parts d’intérêts ne prenant plus part aux travaux de l’Association . . 206
- Auxiliaires ayant pris part aux travaux de l’association............................... 727
- Total général. . . l-7^
- MOUVEMENT ET SITUATION GÉNÉRALE DES ASSURANCES MUTUELLES
- Assurance mutuelle des pensions et du nécessaire.
- L’assurance des pensions et du nécessaire possède en titres d’épargnes 55D-884f »
- En compte courant.................198.419 6
- L’attribution des auxiliaires pour
- cet exercice sera de................ 14.560 »
- Les intérêts et le dividende revenant au titre de 550.884f. à raison de 5-18 % 28.535*
- Cetle assurance possède donc aujourd’hui un capital de............
- p.644 - vue 647/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 645
- kes recettes de l’assurance des pendus et du nécessaire ont été :
- 3 »/0 sur les salaires de l’année . . . 35.593 08
- * intérêts et dividende du titre de ^assurance pour l’exercice 84-85 . . 27.399 90
- Intérêts d'anciens titres annulés, versés à l’assurance........................ 513 45
- Rentrées diverses. ...... 626 70
- Total dès recettes..................... 64.133 13
- Le montant des dépenses est de : 55.501 07
- • -------------------------------
- Excédant des recettes sur les dépenses . . 8.632 06
- Assurance mutuelle contre la maladie
- Section des hommes
- Recettes de l’exercice 1885-86 . . 6.309 75
- Total des ressources................. 9.301 42
- Dépenses..................... . 8.122 61
- Reste en caisse au 30 juin 1886 . . 1.178 81
- Excédant des dépenses sur les
- recettes............................. 1.812 86
- Le montant des recettes de nos
- assurances mutuelles réuniês s’élève à 112.845 18 Celui des dépenses à............. 105.977 03
- Excédant des recettes sur les
- dépenses......................... 6.868 15
- Les 105.977 03 de dépenses des assurances mutuelles se décomposent ainsi :
- Il restait encaisse au 30 juin 1885 4.169* »
- Recettes de l’exercice 1885-86 . . 35.086 10
- Total des ressourses de l’exercice. 39.255 10
- Dépenses..............................37.013 »
- Reste en caisse au 30 ljuin 1886. . 2.242 10
- Excédant des dépenses sur les recettes . . ,........................ 1.926 90
- La situation de l’assurance contre la maladie, section des hommes, mérite la plus grande attention. Déjà, par un vote récent, les mutualistes se sont prononcés dans le sens de la diminution des allocations, afin de mieux assurer l’équilibre entre les recettes et les dépenses de cette assurance.
- C’est là une question qui, statutairement, doit passer en assemblée générale pour recevoir une solution définitive. Mais la modification de statuts étant toujours chose délicate,je crois sage de laisser quelque temps l’expérience prononcer sur la valeur pratique des décisions que vous avez prises, avant de les soumettre au vote définitif à la suite duquel différents articles de la section 3 des assurances mutuelles se trouveraient modifiés.
- Assurance mutuelle contre la maladie
- Section des dames
- Il restait en caisse au 30 juin 1885 . 5.746* 64
- Recettes de l’exercice 1885-86 . . 7.316 20
- Total des ressources...... 13.062 84
- Dépenses de l’exercice 1885-86 . . 5.340 35
- Reste en caisse au 30 juin 1886 . . 7.722 49
- Excédant des recettes sur les ^penses.......................... 1.975 85
- Assurance spéciale à la pharmacie
- R restait en caisse au 30 juin 1885 . 2.991* 67
- Assurance contre la maladie
- Les assurances ont payé aux malades pendant l’exercice 1885-86 :
- Section des hommes
- Pour 12.904 journées de maladie à 602 malades........................ 34.232* 50
- Section des dames
- Pour 5.398 journées de maladie à 211 malades....................... 4.041 35
- Pour les deux sections
- Frais de pharmacie.................. 8.122 61
- Payé aux médecins................... 3.830 »
- Divers................................ 249 50
- 50.475 96
- Assurance des pensions et du nécessaire
- A 43 pensionnaires dont 21 au Familistère et 22 au dehors
- 26.272* 40
- A 2 pensionnaires à Lae-
- ken (Belgique).......... 1.649 80
- A 45 familles pour le nécessaire à la subsistance ................ . .12.378 05
- A 38 familles à titre
- d’allocations temporaires 6.823 80
- Aux réservistes. . . . 1.819 50
- Aux médecins et sage-
- femmes .................... 2.664 50
- A l’hospice de Guise . . 532 75
- Appointements du secrétaire ......................2.019 82
- Frais divers . . . • • 1.340 45
- 55.501 07
- Total.
- 105.977
- p.645 - vue 648/838
-
-
-
- 646
- LE DEVOIR
- Dépenses pour frais d’éducation
- et d’instruction.
- Nourricerie (enfants au berceau). . 8.506f 04
- Ecole maternelle dre année (Pouponnât) ............................. 1.555 87
- Ecole maternelle 2e et 3e année (Bambinat). 2.810 09
- Ecoles primaires (6 classes) , . . 18.549 25
- Dépenses totales...........31.421 25
- Ces dépenses se divisent ainsi : Les appointements et salaires s’élè-
- vent à..............................
- Les frais de nourriture et les fournitures scolaires à . ..............
- Total......................
- 20.774 64
- 10.646 6i *3UÜ~25
- En résumé,notre société à consacré,cettêTànDée à la mutualité : ’
- Subventions aux malades . j. . Pensions aux veillards .... Secours temporaires et divers . Frais d’éducation et d’instruction
- 50.475 96 27.922 20 27.578 87 31.421 25
- Total des dépenses mutuelles. . . 137.398 28
- BILAN au 30 juin 1886
- ACTIF
- Familistère
- PASSIF
- Familistère
- Immeubles statutaires Matériel »
- Marchandises. . . Valeurs diverses. . Comptes débiteurs .
- 959.445* 71 \
- 36.662 79 J
- 148.223 63 [ 1.149.660* 14 2.737 80 \
- 2.590 21 j
- Usine de Guise
- Immeubles statutaires. 431.754* 89 \
- Matériel • » . 687.396 36
- Matières premières. . 1.203.936 20 j Marchandises. . . . 1.058.048 24 i w/En caisse. . 31.165 28\ >7.370.369 61
- p i Chez les ban- / I
- 'ijquiers. . .2.239.650 3312-353*399 02 \
- ^ ^ En porte feuillo. 82.583 41j Comptes débiteurs. . 1.635.834 90
- Comptes créditeurs................ 298.209* 14
- Usine de Guise
- Comptes créditeurs . 1.186.326f89 Assurance contre la maladie
- Hommes. . 2.242 10 Dames . . 7.722 49 Caisse de pharmacie 1.178 81
- >1.197.470 29
- 11.143 40
- Usine de Laeken
- Comptes Créditeurs . 34.896* 33
- Assurance contre la maladie Hommes. . 3.078 58 )
- Caisse de pharmacie 1.285 50 j 4.364 08
- Comptabilité sociale
- 39.260 41
- Usine de Laeken
- Immeubles statutaires Matériel »
- Matières premières. Marchandise®. . . Valeurs diverses. . Comptes débiteurs .
- 120.000* » \
- 53.123 69 j 177.464 07 f 163.553 53 ( 668.634 06
- 34 12 \
- 154.458 65 J
- Comptabilité sociale
- Constructions et maté- \
- riel créés depuis la fon- f
- dation de l’association. 2.493.410*99 (2.540.854 57
- Comptes débiteurs. . 47.443 58 )
- Comptes créditeurs . 3.244.681*59
- Assurance des pensions et du nécessaire. . . 198.419 50
- Amortissement des immeubles............ 609.962 30
- Amortissement du matériel............. 713.234 72
- Fonds de réserve . . 460.000 »
- Capital social
- Apports. . 2.161.865 \ Epargnes . 1.887.251 i Epargnes de l’as- (
- surancedes pensions 550.8^4 j Plus-value de l’exercHce
- 4.600.000
- »
- fr.
- >9.826.298 H
- 368.280 43
- îTmôîTS
- fr. 11.729.518 38
- p.646 - vue 649/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 647
- Répartition des bénéfices
- Les bénéfices bruts de l’exercice se décomposent ainsi :
- Familistère (Services commerciaux
- et loyers).............................. 113.153 03
- Usine de Guise........................ 422.203 29
- » de Laeken..........................112.901 84
- Total des bénéfices bruts fr. 648.258 16 Moins :
- Amortissements sta- \
- tutaires à Guise et à /
- Laeken................ 248.556 48 (
- Frais d’éducation. . 31.421 25 / 279.977 73
- Plus-value au bilan. . fr. 368.280 43 Il y a à prélever sur cette somme :
- Intérêts 5 Op) au capital. 230.000 » \
- Direction de Laeken . 2.824 » J
- Rép artition co op érative (
- des magasins duFamilis- l
- tère....................... 20.548 20 ] 253.372 20
- Reste à partager. . fr. 114.908 23
- Aux termes des statuts la répartition est ainsi faite :
- Au capital et travail . . 75 0p) 86.181 »
- A l’Administrateur-Gérant 4 0p) 4.596 »
- Au Conseil de Gérance'. . 16 0p) 18.385 »
- Chaque conseiller reçoit 1 0p) ; les parts n’ayant pas de titulaires sont affectées au budget de l’instruction de l’enfance et à la rémunération des auditeurs.
- Pour préparation ou entretien d'élèves aux écoles de
- l’Etat 1 Oxo 1.150 23
- A la disposition du conseil
- pour récompenser les inven-
- fions utiles 2 Opo 2.298 7)
- Au conseil de surveillance 2 0x0 2.298 »
- Total. . . . fr. 114.908 23
- La somme de 86.181 f. revenant au capital et au travail est répartie dans les proportions des concours suivants :
- Salaires payés par le Familistère . 99.267 83
- » » l’Usine de Guise 1.499.977 15
- » » » de Laeken 182.601 07
- Total des salaires, fr. 1.781.846 05
- Concours supplémentaire des associés ................................. 214.166 95
- Concours supplémentaire des sociétaires ............................ 173.348 65
- 2.169.361 65
- Concours du capital........... 230.000 »
- Total des services rendus, fr. 2.399.361 65
- La répartition des 86.181 fr. au capital et au
- travail divisés par 2.399.361L65 égale 3 f. 60 0/o ; cette répartition est faite dans la proportion des services rendus établis de la manière suivante : Salaires des associés 214.166 95
- Supplément 214.166 95
- Valeur des services rendus 428.333 90 à 3f60 0p) =» 15.423f » Salaires des
- sociétaires. . 346.697 25
- Supplément. 173.348 65
- Valeur des services rendus 520.045 90 à 3 60 0[0 as 18.721 » Salaires des
- participants . 725.844 70 à 3 60’0p) *=26. 130 » Epargnes réservées aux jeunes apprentis. . . . . 85.201 20 à 3 60 Oxo =* 3.067 »
- A l’assurance
- des pensions . 409.935 95 à 3 60 Oio = 14.560 » ,Àu capital . 230.000 » à 3 60 Oxo « 8.280 »
- Totaux. . .2.399.361 65 fr. 86.181 »
- L’intérêt à payer au capital sera de 5 0/0 sur 4.600.000fr. a 230.000 »
- Dividende au capital sur 230.000 fr. à 3 60 0/0= 8.280 »
- Total............fr. 238.280 *
- =5 fr. 18 % intérêts et dividende
- Epargnés des travailleurs
- De l’exposé que je viens de vous faire, il résulte la situation suivante pour les membres de notre association, à la fin de l’exercice clos le 30 juin 1886.
- Les épargnes aux comptes respectifs des travailleurs s’élevaient au 30 juin
- dernier à.......................fr. 1.887.251 »
- Ce chiffre est augmenté des parts revenant aux diverses catégories des membres de l’association dans la répartition de cet exercice, soit :
- p.647 - vue 650/838
-
-
-
- 648
- LE DEVOIR
- Report. . . . Aux associés .... Aux sociétaires . . . Aux participants . . . A l’administrateur-gérant . Au conseil de gérance . Au conseil de surveillance .
- . fr. 1.187.251 » 15.423 \
- 18.721 J 26.130 /
- 4.596 }
- 18.385 \
- 2.298 j 85.553 »
- 1.972.804 »
- A ce chiffre s’ajoutent les capitaux communs que voici :
- L’assurance des pensions et du nécessaire possède en titres d’épargnes .....................
- L’attribution aux auxiliaires pour l’exercice 1885-86 est de............
- 550.884
- 14.560
- Total du capital de l’assurance, fr. 565.444 » L’association est donc entrée en
- possession|de................... 2.538.248 fr.
- du capital primitif de la société, indépendamment de la plus-value qu’elle a apportée par des constructions nouvelles amorties en partie.
- Quoiqu’il en soit de la situation que je viens de vous exposer, le Bilan de notre société confirme en tous points le rapport que je vous ai fait l’an dernier. Les effets de la crise que je vous avais annoncésse sont produits pour nous. Nos bénéfices se sont considérablement réduits et la somme à partager entre les travailleurs est descendue de 497,926 francs qu’elle était l’an dernier à 66,181 francs cette année-ci.
- Cette situation est grave et mérite l’attention de tous les membres de l’association; car elle ne semble pas près de finir. Il est à craindre, au contraire, qu’elle s’accentue davantage.
- Que pouvons-nous contre les effets qui nous viennent du dehors. Nous prodiguons nos faibles conseils aux classes dirigeantes qui n’en tiennent aucun compte. Mais si nous ne pouvons, quant à présent,empêcher les effets de la crise,les membres de notre association sont maîtres de leur conduite et nous pouvons agir sur nos concurrents et chercher les moyens d’une entente pour empêcher l’abaissement des salaires et l’avilissement des prix des produits, en nous adressant aux ouvriers et aux patrons.
- Serons-nous plus heurenx en faisant une semblable démarche? Je l’ignore, mais avant de déclarer la guerre, il est raisonnable de tenter la paix.
- I Je serais donc d’avis de proposer la formation qe syndicats de patrons et de syndicats d’ouvriers pour arrêter, de concert, des tarifs donnant à tous les ouvriers les mêmes ressources dans les industries des fonderies et du chauffage. Si fcela est
- refusé, alors ce sera la guerre industrielle déclarée
- sur le terrain de la vente, et il restera à prouver qui sera le plus fort. Ce serait là une triste résolution à prendre, mais je vous la conseillerais si une entente prochaine ne peut s’établir entre nous et toutes les industries concurrentes de la nôtre.
- Le travail n’a fait défaut jusqu’ici pour aucun des membres de l’association. Mais nous avons été forcés de congédier un assez grand nombre de nos auxiliaires. Cela doit donc vous donner des craintes pour l’avenir. Nous avons tout à redouter de la folle concurrence que se font les chefs d’industrie par la baisse des salaires de leurs ouvriers.
- Il est de nos propres concurrents qui ont réduit les salaires de plus d’un franc et même de deux francs dans leurs ateliers, sur chaque journée de travail.
- Si notre association avait fait la même chose, ce serait une réduction sur nos prix de revient de 1,200 francs par jour dans le premier cas, et de 2,400 francs par jour dans le second; c'est-à-dire 360 mille francs d’économie par an avec la réduction de 1 franc par jour, et 720 mille francs avec la réduction de salaires de deux francs par jour.
- Vous devez comprendre que,lorsque nous sommes en face d’établissements concurrents qui usent de tels moyens, la concurrece devient une véritable guerre industrielle où il fant être le plus fort, si l’on ne peut faire entendre la voix de la raison.
- Dans de telles circonstances, votre conseil de Gérance avait cru devoir chercher à réaliser des économies de gaz, de charbon,et chercher à simplifier l’administration des ateliers en ne faisant que deux séances de travail de cinq heures chacune coupées par un repas. Cela paraissait d’autant plus admissible que dans les établissements concurrents on ne fait, déjà depuis plusieurs années, qu’un seul repas pour onze heures de travail.
- Aujourd’hui, votre comité de délégués demande à ce qu’on revienne à trois séances de travail par jour. Nous perdrons ainsi l’économie que nous avions réalisée. Mais cette question prenant une réelle importance pour les motifs de concurrence que je viens de vous expliquer, ce sera par un vote à bulletin secret de tous les membres de l’association qu’elle sera tranchée.
- p.648 - vue 651/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 649
- Cette situation est d’autant plus grave que notre association assume des charges que les industries cooeurrentes se gardent bien de prendre à l’égard de leurs ouvriers. Ainsi, l’industrie, ailleurs, ne se charge pas de l’éducation ni de l’instruction des enfants des ouvriers.Elle laisse ces frais à la charge de l’Etat et des communes qui donnent ou ne donnent pas l’instruction nécessaire.
- Les industries concurrentes n’allouent pas davantage de subsides aux ouvriers malades, ni aux familles dans Je besoin; elles ne servent pas de retraites à la vieillesse ni aux invalides du travail. Tous ces avantages que nous donnons ici aux familles de nos travailleurs constituent,pour notre société, des charges qui s’ajoutent aux salaires plus élevés que nous payons pour les travaux exécutés dans l’association.
- Cela démontre combien nous avons raison de demander sans cesse à nos assemblées législatives d’égaliser ces charges dans toute l’industrie, par la création d’une sage ^mutualité nationale aux ressources de laquelle chaque industrie apporterait sa part proportionnellement au nombre des ouvriers qu’elle occupe, en même temps que l’Etat apporterait de son côté une autre part prélevée sur la richesse tombée en héritage. Ainsi la situa-tuation serait égale pour toutes les industries et toutes les familles ouvrières de France pourraient jouir des garanties assurées ici à tous les membres de l’association.
- Dans nos écrits, dans le journal le Devoir, f nous luttons sans arrêt pour faire comprendre que ce sont là des charges sociales que nos législateurs et nos gouvernants devraient égaliser,en les généralisant dans l’industrie et l’agriculure, et en les faisant peser tout à la fois sur les administrations industrielles et sur la richesse délaissée à la mort des citoyens riches.
- Si le législateur n’intervient pas pour instituer ces garanties en faveur des classes laborieuses, bientôt le désordre industriel dans lequel nous vivons deviendra tel qu’il n’y aura plus que ceux qui écraseront l’ouvrier qui pourront continuer à fabriquer avec profit. C’est pourquoi nous ne devons pas attendre plus longtemps pour intervenir afin de provoquer une entente loyale dans cette question, ou sinon nous devrons user de la puissance de tous nos moyens pour réduire une concurrence qui spécule sur la misère des ouvriers.
- Notre association ne peut chercher à vivre en réduisant ses membres à la misère; c’est par l’intelligence avec laquelle nous dirigeons nos affaires,
- c’est par l’économie des moyens de production c’est par des inventions utiles que nous devons lutter contre la concurrence et maintenir notre situation industrielle au dehors.
- Oui, c’est surtout à l’esprit d’invention et d’initiative que notre association provoque dans nos rangs,et ce doit être aussi à l’esprit d’ordre et d’économie qu’elle introduira dans toutes les fonctions, que nous devrons de surmonter les difficultés qui s’amoncellent dans l’industrie.
- L'Assemblée applaudit aux conclusions de M. VAdministrateur-Gérant.
- La parole est ensuite donnée à M. le Rapporteur du conseil de surveillance pour la lecture de son propre rapport.
- 2° Rapport du Conseil de surveillance.
- Mesdames et Messieurs,
- Dans votre assemblée ordinaire du 4 octobre 1885, vous nous avez fait l’honneur de nous appeler au poste délicat de Conseillers de surveillance, nous vous en remercions sincèrement.
- Nous conformant à ce mandat, nous venons aujourd’hui vous rendre rompte de nos travaux et soumettre à votre approbation, les résultats de notre examen des comptes de la société pour l’exercice 1885-1886.
- L’organisation de la comptabilité de notre association est, nous pouvons le dire, très compliquée en raison des détails qu’embrasse notre association. Cela n’empêche pas que toutes les branches auxiliaires y sont tenues avec ordre et régularité par tous les employés qui en sont chargés, et que tous les livres de détail sont en parfaite concordance avec; le résumé général tenu à Guise.
- Nous avons rencontré, dans nos rapports avec le personnel, une bienveillance exceptionnelle et pouvons affirmer que les statuts sont fidèlement observés, par tous ses membres.
- Conformément à fart. 109 des statuts, nous nous sommes particulièrement occupés de la vérification des Balances de fin de mois, du Portefeuille, des caisses de l’usine et du Familistère ainsi que du Bilan qui vient de vous être soumis par notre Administrateur-Gérant.
- Nos rapports mensuels ont donné le résultat de nos vérifications; aujourd’hui, nous exposons le rapport de notre société au 30 Juin de l’exercice 4885-1886.
- Cette situation nous donne comme produits nets à répartir, 114.908 fr. 23 c.
- p.649 - vue 652/838
-
-
-
- 650
- LE DEVOIR
- La part affectée au travail sur cette somme étant de 75 O/o ou 86.181 fr. le rapport entre les 2.399.362 fr. représentant le total des services rendus est de 3, 60 p. O/o*
- Soit : 3 60 O/o pour les participants,
- 5 40 » » Sociétaires,
- 7 20 » » Asssociés, conformément
- aux statuts.
- L’intérêt sur les épargnes acquises sera donc de 5 p. 0/o plus les dividendes à la proportion de 3 60 p. 0/o des salaires ou de 0 fr. 18 cent, p, 0/o du capital. C’est un intérêt total de 5, 18 0/o qui vous sera servi.
- Après le rapport que vient de nous lire notre Administrateur-Gérant nous ne pouvons que vous affirmer sa conformité avec les chiffres que nous avons vérifiés.
- Le chiffre peu élevé des bénéfices de cet exercice est dû en partie aux f remises considérables que nous avons été obligés de faire pour soutenir la concurrence des maisons similaires à notre genre d’industrie.
- Nous sommes donc en présence d’embarras industriels malgré lesquels, grâce à notre outillage perfectionné, à notre fabrication soignée et incontestablement supérieure, nous espérons continuer à garder la priorité dans les affaires.
- Nous devons aussi chercher, par des relations amicales avec nos clients, par notre attitude correcte envers eux, à posséder leur confiance; c’est, nous le croyons, par ces bons procédés, ajoutés à la valeur de notre marchandise que nous soutiendrons nos droits incontestés sur le marché.
- Notre situation n’est donc pas mauvaise en raison de la crise que nous traversons, si nous considérons que notre société est la première qui existe en son genre ; c’est pourquoi, Mesdames et Messieurs, nous vous prions d’approuver les comptes que vient de vous présenter notre Administrateur-Gérant, enmême temps que nous appelons votre attention sur les diverses propositions, pour lesquelles vous allez être appelés à vous prononcer.
- L’usine de Belgique est, comme vous venez de l’entendre, en voie de prospérité; il est donc de toute justice que, là-bas comme ici, les ouvriers trouvent le bien-être et le logement confortables dont ils ont besoin. C’est ce qui nous fait vous dire de ne pas hésiter à leur voter la création d’un Familistère et d’écoles dont ]e besoin se fait sentir pour le plus grand intérêt de notre association.
- Au Familistère, nous commencerons à mettre
- à exécution la décision du conseil de Gérance d’envoyer dans les institutions de l’État, les élèves les plus méritants de nos écoles, en adoptant le choix des deux enfants qui vous sont présentés cette année. Votre assentiment unanime sera, à notre avis, le remerciement que nous devons à celui qui n’a pas hésité à faire la proposition de sacrifices vraiment utiles et généreux pour nos enfants.
- Le besoin de créer de nouveaux magasins de vente au Familistère se fait sentir de plus en plus ; ceux actuels sont trop petits et mal conditionnés pour l’extension des affaires; de plus, ces magasins existant dans le corps même de l’habitation sont un danger pour la sécurité de l’édifice, par le dépôt de matières inflammables telles que alcools, pétrole, etc.
- Leur remplacement mettra à votre disposition de quoi faire quelques logements de plus pour les nouvelles et jeunes familles que vous avez à admettre parmi vous.
- Ces propositions ont été l’objet de discussions très sérieuses de la part de votre conseil de gérance et c’est persuadés de leur utilité que nous vous prions, Mesdames et Messieurs, de les accepter.
- Fait au Familistère, le 3 octobre 1886.
- Les Membres du Conseil de Surveillance, signé: Poulain, Cochet, Sarazin.
- (Vifs applaudissements.)
- 3e Adoption du rapport de la Gérance et de celui du Conseil de Surveillance, s’il y a lieu.
- M. le Président invite l’assemblée à discuter les rapports dont elle vient d’entendre lecture et lui rappelle les divers points sur lesquels elle aura à voter.
- Aucune observation n’étant faite, M. le Président met aux voix l’adoption des rapports et des des comptes présentés à l’assemblée.
- A funanimité, l’assemblée approuve le rapport de la Gérance et celui du Conseil de surveillance.
- 4° Construction d’un Familistère et d’écoles à l’usine de Laeken-Iez-Bruxelles.
- En raison des motifs exposés dans son rapport, M. le Président soumet au vote de l’assemblée, conformément aux prescriptions de l’art. 61 des
- statuts, le projet de construction d’un Familistère
- et d’écoles à Fusine de Laeken.
- A Funanimité, l’assemblée se prononce pour l’adoption du projet.
- p.650 - vue 653/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 651
- 5° Construction de magasins commerciaux au Familistère de Guise.
- M. le Président, procédant comme ci-dessus, soumet au vote de l’assemblée le projet de construction de magasins commerciaux au Familistère de Guise, tout en réservant le question de réalisation.
- 6° Ratification du choix de deux enfants à présenter aux écoles de l’État.
- M. le Président, rappelant ce qu’il a dit dans son rapport,soumet à la ratification de l’assemblée le choix fait des élèves Roppé Albert et Montigny Alfred pour être entretenus, au besoin, dans les écoles de l’État, s’ils y obtiennent leur admission.
- L’assemblée, à l’unanimité se prononce pour l’adoption.
- 7° Élection d’un conseiller de Gérance,
- en remplacement de M. Quent Aimé dont le mandat est expiré.
- M. le Président signale à l’assemblée qu’en séance du conseil de Gérance, le 14 septembre dernier,il a conféré à M. Quent Aimé la fonction de conseiller de Gérance à titre définitif, ayant reconnu, dit-il, que M. Quent Aimé avait rendu, dans sa fonction de conseiller élu, des services tels que l’association avait intérêt à le conserver comme membre du conseil.
- En conséquence, dit M. l’Administrateur-Gé-rant, j’ai confié à M. Quent la direction des ateliers de montage, fonction qui, d’après l’article 82 des statuts,entraîne pour son titulaite la qualité de conseiller de Gérance.
- Je ne doute pas que M. Quent, continuant la voie de progrès dans laquelle il est entré,rende encore plus de services à l’association dans l’avenir qu’il ne l’a fait dans le passé.
- Vifs applaudissements.
- M. le Président invite donc l’assemblée à élire, conformément aux prescriptions des articles 82 et 84 des statuts, un conseiller de Gérance, en le choisissant parmi 5 auditeurs régulièrement désignés par le Conseil et dont l’affiche de convocation a donné les noms, savoir :
- Madame ALLART,
- MM. BOURDANCHON Félix,
- HENNEQUIN Joseph.
- LEFÈVRE Irène,
- MOYAT Louis,
- ROUSSEL-GRONIER
- Il rappelle que selon les prescriptions de l’art. 69 des statuts, l’élection doit se faire au scrutin
- secret. Elle a lieu à la majorité absolue des membres présents ou régulièrement représentés, au premier tour de scrutin, et à la majorité relative si un second tour est nécessaire.
- 89 associés étant présents ou représentés, la majorité absolue est de 45 voix.
- L’assemblée passe au vote.
- Le dépouillement du scrutin donne les résultats suivants :
- MM. Bourdanchon Félix 61 voix
- Roussel-Cronier 14 »
- Hennequin Joseph 5 »
- Moyat Louis 5 »
- Mme Allart 1 »
- Bulletins blancs 3
- M. Bourdanchon Félix, ayant obtenu la majorité absolue des suffrages, est proclamé conseiller de Gérance pouf 3 ans.
- 8° Élection du Conseil de surveillance.
- L’assemblée procède ensuite, par les mêmes formalités, à l’élection de trois commissaires-rapporteurs devant former le conseil de surveillance pour l’exercice 1886-87.
- M. le Président rappelle que ces trois commissaires, conformément à l’art. 59 des statuts, doivent être pris dans le corps des associés et en dehors du conseil de Gérance.
- Le dépouillement du scrutin donne les résultats suivants :
- Membres présentés ou représentés 89.
- Majorité absolue 45.
- MM. Dominique Lefèvre 80 voix
- Gras Prosper 77 »
- Méresse Constantin 72 »
- Mme Nicolas 7 »
- MM. Champenois Aimé 6 »
- Tasserit 2 »
- Proix Martial 1 »
- Moyat Louis 4 »
- Laporte Louis 1 »
- Laporte Emile 1 »
- Proix Émile 4 »
- Bocheux Alfred 1 »
- Roussel-Cronier 1 »
- Buire Erasme • 1 »
- Lecail Alphonse 1 »
- Walton Louis 1 »
- Bulletins blancs 4
- MM. Dominique Lefèvre, Gras Prosper et Méresse Constantin, ayant obtenu la majorité absolue des suffrages, sont déclarés membres du conseil de surveillance pour un an.
- p.651 - vue 654/838
-
-
-
- 652
- LE DEVOIR
- M. le Président informe l’assemblée que les inscriptions d’épargnes seront régularisées et les intérêts comptés aux ayants-droits dans le courant du présent mois.
- Les intéressés seront, dès demain, avisés par voie d’afficbedes lieu, jour et heure du dépôt des certificats d’épargnes et d’apports pour l’inscription des parts du présent exercice et, ensuite, pour le paiement des intérêts.
- M. le Président signale que les articles des statuts imprimés sur les certificats d’inscription d’apports et d’épargnes ayant été modifiés en partie,dans l’assemblée générale du 15 novembre dernier, les titres seront annotés en conséquence.
- L’ordre du jour étant épuisé, M. le Président invite le secrétaire à lire le projet de procès-verbal, afin de permettre les rectifications s'il y a lieu.
- Le projet est adopté.
- La séance est levée.
- APPEL AUX JOURNALISTES
- L’attention des peuples en Europe se tourne vers le suffrage universel. La Belgique, l’Angleterre, la Hollande, le Danemark, la Suède et la Norwège se préoccupent du droit de suffrage. La France devra bientôt reconnaître l'imperfection de son organisation électorale, en face de l’insuffisance des mandataires que nous donne le mode actuel d’application du droit de suffrage.
- En cette occurrence, nous appelons l’as tention des hommes dévoués aux intérêt! des peuples sur les articles que publie le Devoir, articles dans lesquels sont discutés les perfectionnements à introduire dans l’exercice du suffrage universel, en vue de corriger ses ‘défauts en France, de réformer le régime parlementaire et de faire que le suffrage universel puisse être inauguré dans les différentes nations d’Europe, comme un véritable instrument d’émancipation populaire, et sans prêter,
- désormais, à aucun des abus auxquels il a donné lieu dans le passé.
- Le compte-rendu annuel du Familistère nous force à remettre au prochain numéro la continuation de l’étude que nous avons commencée sur ce grave sujet dans nos numéros des 26 septembre et 3 octobre, mais la suite en sera dorénavant publiée sans interruption.
- La déclaration ministérielle et l’urgence des réformes
- Tous les ans à la même époque, pendant les chaleurs de l’été, comme si les événements politiques et sociaux se succédaient dans l’ordre régulier et tranquille des saisons, sans troubles ni perturbations d’aucune sorte, la chambre, prend ses vacances; les députés s’essaiment dans les départements. Puis, à l’automne, comme si la chute des feuilles était le signal de la résurrection politique et sociale du pays, la chambre reprend ses assises,le cours suspendu de ses travaux— si toute fois on peut donner le non de travail à la toile de Penelope qui est le fond même de toute oeuvre législative contemporaine.
- Non moins régulièrement, quelque jours avant la réunion du parlement, un ministre politique — car dans un cabinet ministériel il y a ceux qui sont politiques et ceux qui ne le sont pas ; M. de Freycinet, par exemple, est un ministre politique, M. Demôle, point — prononce un discours programme dans lequel il s’efforce de tracer les grandes lignes de la session, les faits principaux sur lesquels porteront les travaux parlementaires.
- Cette année donc, à la rentrée des chambres,nous avons eu un grand discours ministériel, prononcé à Toulouse par M. de Freycinet.
- Les discours de cette nature étaient jadis attendus avec la plus grande impatience par les populations anxieuses de savoir ce que comptait faire le gouvernement. C’est parcequ’on avait foi dans le gouvernement de la République, pour l’obtention des amélioraiions sociales qui seules constituaient sa raison d’être.
- A l'origine, les gouvernants invoquaient toutes sortes de raisons plus ou moins plausibles pour lesquelles on se voyait dans la nécessité de reçu-
- p.652 - vue 655/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 653
- 1er l’ère des réformes promises,ces réformes sociales qui furent jadis la base du programme républicain et devaient inaugurer unepériode depaix,deprogrès et de prospérité. On ajoutait foi à ces prétextes, attendant, sans désespérer jamais de leur bonne foi, que les prétendus obstacles semés sur la voie du développement républicain fussent écartés.
- Tant va la cruehe à l’eau, qu’à la fin, elle se casse. De remises en remises, d’attermoiements en ajournements, le pays fatigué, lassé par les redites éternelles, a fini par mesurer à sa juste valeur les déclarations ministérielles, et peu à peu celles-ci sont devenues la menue monnaie de la politique courante — cette triste politique, sans boussole, ni direction, ni principes, faite au jour le jour,qui caractérise les discussions de ces cinq ou six dernières années.
- Cependant, tandis que les ministres se succédaient, que l’ordre du jour des sessions s’épuisait, sans amener aucun changement dans notre situation sociale, les événements économiques qui ne sont pas à l’ordre d’une législature, encore moins d’un cabinet, se précipitaient avec une rapidité telle, que l’attention des plus indifférents a été forcée de se porter sur les embarras inextricables du présent et à considérer avec inquiétude quels embarras encore plus considérables menacent l’avenir.
- Depuis le 4 octobre dernier et la formation de coalition parlementaire qui a porté au pouvoir les hommes du cabinet actuel, de graves incidents sont survenus, qui ont mis à l’ordre du jour les questions sérieuses et relégué à l’arrière plan des préoccupations mesquines intrigues dont ont vécu nos pouvoirs politiques jusqu’à ce jour. C’est pourquoi on attendait avec un certain intérêt le discours programme que M. de Freycinet devait prononcer avant l’ouverture de la session.
- Que pense faire le gouvernement pour conjurer les orages gros de périls et de catastrophes amoncelés à l’horizon social ; par quelles réformes compte-il commencer la refonte de notre organisa” tion vicieuse,dont les parties menacent ruines de toutes parts ?— Si nous jouissions d’un gouvernement populaire, si le parlementarisme n’était pas la fiction mensongère de ce gouvernement, ce ne serait pas d’an ministre, qu’on attendrait l’impulsion à donner aux travaux parlementaires ; les représentants du peuple, investis d’un mandat déterminé et précis ne souffriraient pas que quiconque leur délimite la besogne et la part de réformes à accomplir. Mais sous notre régime parlementaire,
- le gouvernement invesii d’une autorité presque sans limite garde toute initiative ; il en résulte qu’une loi, qu’une réforme, n’a chance d’aboutir qu’à la condition première d’avoir été aceeptée par lui. De là l’intérêt qui, dans la période grosse de complications de toute sorte que nous traversons, s’attache aux déclarations ministérielles et particulièrement à celles qui, comme le discours de M. de Freycinet, précédent la rentrée des chambres.
- Nous l’avons donc lu attentivement, y cherchant un prodrome, un indice des ‘intentions ministérielles, des projets à l’étude. Hélas ! une fois déplié nous avons lu des déclarations vagues et confuses, exprimant une certaine crainte mêlée à une suffisance gouvernementale, des problèmes sociaux qui agitent le monde entier, mais sans indication précise, déterminée.
- Le discours de M. de Freycinet se résume dans l’alinéa suivant, que nous extrayons textuellement de sa harangue :
- « Il faut que la République étudie les moyens « de rendre moins précaire le sort des ouvriers et « de faire cesser cet antagonisme qui éclate sur « beaucoup de points, antagonisme qui n’est autre « que le sentiment inconscient mais profond 'd’un « problème non encore résolu. »
- Quel triste symptôme - de l’état intellectuel de nos gouvernants ne révèle Ppas la lecture d’un tel programme !
- Lorsque de toutes parts monte la clameur sourde des misères ouvrières inexorables, résultant d’un état de choses arrivé au dernier terme du désordre et de l’anarchie ; quand journellement éclate la nécessité urgente de mettre fin à ce désordre, sources de cataclysmes, en supprimant les causes qui les produisent, tout ce que trouve un ministre pour cette œuvre de reconstruction sociale impérieuse, c’est seulement la mise à l’étude « des moyens » propres à l’accomplir ! — Mais quels sont ces moyens ? Où est l’énumération des possibilités grâce auxquelles on « rendra moins précaire le sort des ouvriers » ; par lesquelles on fera « cesser l’antagonisme » qui n’éclate pas sur quelques points, maisfpartout ? M, de Freycinet est muet là-dessus. — il ignore le premier de ces moyens. Tout ce qu’il peut proposer c’est d’étudier.
- En présence de l’ignorance et de l’aveuglement dont nous fournissent une preuve si patente les hommes auprès desquels nos représentants ont l’habitude de puiser leurs inspirations, pouvons-nous espérer qu’il se trouvera parmi ces derniers
- p.653 - vue 656/838
-
-
-
- 654
- LE DEVOIR
- des députés indépendants pour s’affranchir assez de l’initiative ministérielle, et apprendre à à ces ministres que des études ont été faites pour eux; que des projets ont été élaborés; que des plans de réformes sociales ont été combinés et que l’heure de les appliquer a sonné ? Qu’on ne saurait retarder plus longtemps cette application tous les jours de plus en plus indispensable?
- Le Devoir depuis des années, expose l’économie de ces réformes dont l’adoption, même partielle, préparerait sans troubles et sans secousses la suppression de toutes les causes de désordre et d’anarchie sociales dont nos ministres sont forcés, à la fin, de se préoccuper, mais sans pouvoir préciser comment ils comptent les faire cesser.
- Que les députés, sincèrement amis du peuple, du Drogrôs, de la paix et de la civilisation menacés par les perturbations économiques croissant en intensité, queues députés, disons-nous, — nous voulons croire qu’il s’en trouve au moins quelques-uns dans la législature actuelle — se hâtent de les adopter, de les formuler en projets de loi, et ils auront bien mérité de la France et de la République !
- ---------------- . . » .--------------------
- APHORISMES & PRÉCEPTES SOCIAUX
- CXXIV
- Candidatures officielles.
- Les candidatures officielles sont les produits morbides des oligarchies qui, sous le suffrage universel, cherchent le moyen de s’imposer au peuple et d’imposer leurs créatures avec mandat de la plus longue durée possible, afin d’annihiler les aspirations démocratiques de la nation.
- Faits politiques et sociaux de la sema ine
- FRANCE
- La commission du budget a tenu lundi une importante séance qui n’a pas durémoins;de quatre heures,et dans laquelle elle a définitivement arrêté le système qu’elle propose de substituer a celui du ministre des finances pour établir le budget de 1887 en équilibre.
- Une discussion assez longue a précédé les votes : nous la négligeons pour faire connaître immédiatement la longue série de graves décisions prises par la commission .
- Celle-ci a eu d’abord à se prononcer sur un système nouveau présenté par M. Casimir-Périer fAube). Ce système excluait toute réforme sur l’impôt des boissons. Il a provo-
- qué les critiques de MM. Wilson et Ernest Lefèvre. Ce dernier, en particulier, a fait observer qu’il ne serait possible d’obtenir la suppression du privilège dçs bouilleurs de cru qu’en faisant voter la suppression de ^exercice et du droit de détail sur les débitants proposée par le gouvernement et qui constitue une réforme réellement démocratique. M. Casimir Perier a admis que cette question pourrait être jointe à son système, sauf à surélever l’estimation des bouilleurs de cru.
- Finalement on a passé au vote. M. Camille Dreyfus demandait la priorité pour sa proposition d’impôt sur le revenu, mais elle lui a été refusée par 16 voix contre 5.
- Le système Casimir-Perier, mis aux voix, a été rejeté par 13 voix contre 7.
- La commission a alors voté, par 12 voix contre 5, le principe de l’impôt sur le revenu; et par la même majorité^elle a voté une résolution ainsi conçue :
- « Le gouvernement est invité à présenter un projet d’impôt sur le revenu applicable en tout ou en partie en 1887. »
- M. Simyan a proposé de demander à l’impôt sur le revenu la totalité de 104 millions nécessaires pour équilibrer le budget. Il remettait ainsi en cause la décision prise antérieurement par la commission de supprimer le privilège des bouilleurs de cru.
- Après un échange d’observations, on a remis cette question aux voix, et la décision primitive de la commission a été maintenue par 14 voix contre 4.
- Non seulement la commission a maintenu la suppression du privilège des bouilleurs de cru, mais par 11 voix contre 5, elle a décidé de supprimer la franchise de 25 litres accordée par le projet du gouvernement aux bouilleurs de cru.
- Après un assez long débat, la commission a évalué à 40 millions le chiffre des ressources que le Trésor retirera de la suppression du privilège des bouilleurs de cru et que le ministre des finances n’avait estimé qu’à 20 millions.
- Finalement les ressources nouvelles dont dispose la commission sont de 51,576,200 francs. Mais on se souvient qu’il yaà faire face à une insuffisance de 104,316,000 résultant du maintient du budget extraordinaire et de l’amortissement et du rejet de la surtaxe sur l’alcool.
- L’insuffisance finale se trouve ramenée par suite à 52,730 800 francs. C’est celte dernière somme que la commission a résolu de demander à l’impôt sur le revenu.
- Ajoutons que la commission n’a nullement fixé le mode d’établissement et de perception de ce revenu.
- Elle laisse au gouvernement le soin de présenter un projet réglant la mode d’application.
- Toutefois nous devons dire que, des observations échangées, iljrésulte qu’on a été d’accord pour reconnaître fqu’il serait impossible, en raison des formalités préliminaires d’établissement, de percevoir l’impôt dès le début de l’année 1887.On a suggéré l’idée de ne publier les rôles que vers le milieu de l’année, en payant en une fois alors les douzièmes échus au moment de la publication des rôles.
- L’ensemble du système de la commission a été adopté par 15 voix contre 1.
- Il restait à choisir le rapporteur général. M. Wilson a été nommé par 16 voix contre. 3 à M. Casimir Perier et 5 abstentions.
- p.654 - vue 657/838
-
-
-
- LE DEVOIR
- 655
- La commission a décidé de ne pas siéger lundi; elle reprendra ses travaux mardi. D’ici-là le rapporteur général va soumettre ses décisions au ministre des finances pour que le gouvernement puisse en délibérer officiellement.
- Les travaux parlementaires.—En mêmetemps que la Chambre, la plupart des grandes commissions parlementaires, autres que la commission du budget qui a déjà repris ses travaux, vont recommencer leurs délibérations.
- La commission de l’armée est convoquée pour le mercredi 13 octobre à l’effet de continuer l’examen du projet d’organisation de l’armée présente par le général Boulanger.
- La commission des chemins de fer va être convoquée pour traiter la question du Métropolitain. Le ministre des travaux publics va, en effet, par suite des nouvelles résolutions prises par le Conseil municipal de Paris, pouvoir présenter à la Chambre un nouveau projet de loi pour régler cette question et obtenir une solution le plus promptement possible afin que les sections principales du Métropolitain puissent être inaugurées lors de l’exposition de 1889.
- Enfin la commission des douanes va être convoquée pour arrêter ses résolutions relativement aux droits sur les blés étrangers. On se souvient qu’à la veille des vacances la Chambre n’a pas voulu accepter les conclusions de cette commission tendant à établir un droit variable sur les blés. Elle avait renvoyé la question à un nouvel examen de la commission.
- Celle-ci se propose, paraît-il, en abandonnant ses résolutions premières, de proposer d’élever d’une manière fixe à 5 fr. le droit de 4 fr, voté le 25 mars sur les blés étrangers.
- On assure même que la plupart des membres de cette commission insisteront pour que la Chambre statue dès l’ouverture de la session et avant qu’on n'aborde la discussion du budget de 1887.
- Un Couvent pris d’assaut.-— On annonce d’Auxerre que la famille Gallet est venue hier, à midi, réclamer sa fille retenue au couvent des Augustines.
- Les religieuses ont refusé de la laisser voir.
- La foule a alors envahi le couvent et déclaré qu’elle ne sortirait de la pieuse maison qu’après la remise de la jeune fille à ses parents.
- ïl y a eu force cris, force tapage, et la supérieure a été finalement obligée, aux applaudissements de la foule, de rendre sa prisonnière.
- ESPAGNE
- L’œuvre de répression que nous avions prévue dans notre dernier numéro a commencé. Le général Villa-campa a été condamné à mort et en même temps que lui 13 sous-officiers ayant pris part à la tentative républicaine de Madrid ont été condamnés à la même peine.
- On s’agite pour obtenir la grâce : mardi, une délégation représentant la coalition de la minorité républicaine s’est Présentée chez M. Sagasta pour Jlui demander la grâce des Condamnés à mort. La conférence a duré une heure. M. Sal-toeron, qui était à la tête de la délégation, a plaidé près du Ministre la cause de la clémence.
- M. Sagasta s’est montré très réservé, déclarant que le gouvernement avait le devoir de veiller aux grands intérêts q ui lui sont confiés
- Après la conférence, les délégués de la coalition républicaine ont rédigé la note suivante que publient tous les journaux du soir.
- « La coalition républicaine, douloureusement émue des événements du 19 septembre, a sollicité la grâce des condamnés à mort qu’une erreur de jugement et l’exaltation de leurs idées ont entraînés à commettre un acte que la loi punit avec rigueur, La coalition républicaine a été amenée à agir comme elle le fait par la conviction profonde qu’en répandant du sang, sacrifice toujours stérile, ainsi que le montre l’histoire, on ne fait que compliquer les problèmes, aggraver la situation, envenimer les relations des partis, et, en définitive, nous éloigner davantage de l’état de paix et de progrès normal vers lequel nous aspirons tous.
- « La minorité républicaine, loin de se laisser aller à un pessimisme sombre, désire que le parti libéral mette promptement à exécution son programme, de façon à permettre à tous de travailler à la réalisation de leur idée, sous la sauvegarde de la loi et au sein de la paix.»
- Cette déclaration pacifique des républicains les plus avancés de la Chambre a produit un excellent effet.
- Mercredi soir, pendant une course de taureaux, on a placé devant les loges une immense pancarte portant ces mots : Vive Alphonse XIII ! Vive la. régente ! Grâce pour les condamnés à mort ! Cette dernière phrase était écrite en caractères beaucoup plus gros.
- L’ordre n’a pas été troublé.
- Après trois jours d’hésitations, la reine a commué la peine de mort des condamnés.
- ALLEMAGNE
- Une manifestation socialiste importante a eu lieu à Leipzig dans les circonstances suivantes :
- La police ayant reçu l’ordre d’expulser le socialiste Schuman, ouvrier menuisier, un grand nombre d’amis del’expulséj portant des insignes rouges, se rassemblèrent dans la rue de Fransfort. Ils déployèrent un drapeau rouge et se mirent à chanter la Marseillaise des ouvriers. Un agent de la police ayant tenté de leur arracher le drapeau, les socialistes se jetèrent sur lui et le ruèrent de coups. L’exécution faite, le cortège se mit en marche, parcourut la rue deSaffendorff et se dirigea vers la rue de Gohais, en passant près de la place d’Armes. Deux agents de la police, postés sur la place, s’approchèrent du cortège et tentèrent d’arrêter le porteur du drapeau. Les amis du porteur prirent sa défense, et il s’en suivit une mêlée qui aurait eu probablement une issue fatale pour les agents s’ils n’avaient fait mine de tirer sur les assaillants avec leurs révolvers. Les agents furent soutenus par un détachement du 134e régiment d’infanterie, que des bourgeois étaient allés avertir de ce qui se passait, et, grâce à ce renfort, ils restèrent les maîtres du terrain. Les socialistes, au nombre de quatre à cinq cents, se dispersèrent, une douzaine d’entre eux, y compris Schumann furent arrêtés.
- p.655 - vue 658/838
-
-
-
- 656
- LE DEVOIR
- CHARLES SA VILLE
- par» ROBERTSON
- Roman philosophique
- Chapitre XXV
- CORRESPONDANCE. - JULIETTE DUBREUI A LÉON1E DE SENNETERRE.
- Il m’est revenu plus amoureux que jamais. Nous ne nous sommes pas encore dit un seul mot d’amour. A quoi bon?Nous nous comprenons si bien ! C’est-à-dire non. Je le comprends si bien ; car lui ne me comprends pas toujours, et ses incertitudes ajoutent encore à mon bonheur. Je l’amène quelquefois au bord d’une déclaration, et puis, quand je lui vois un air bien sentimental, je pars d’un éclat de rire, qui lui fait prendre un air