Le Devoir
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- LE DEVOIR
- REVUE DES QUESTIONS SOCIALES
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- LE
- DEVOIR
- REVUE DES QUESTIONS SOCIALES
- CRÉÉE EN 18 7©
- par J. Bte André GODIN, Fondateur du Familistère de Guise
- TOME VINGTIÈME
- Rédacteur en Chef : M. J. PASCALY, Paris.
- Directrice : Madame veuve G-ODIN, (Officier d’Académie) au Familistère, Guise (Aisne).
- 1896
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- DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES
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- DOCUMENTS POUR DIE BIOGRAPHIE COMPLÈTE
- de .T.-B.-André G-ODIN (l)
- Résumé de l’essai de Représentation du Travail par
- les Groupes, Unions de Groupes et Conseils d’Unions
- 1877-1879
- I
- Nos lecteurs auront certainement été frappés de l’émouvante apostrophe de Godin au personnel de son établissement, dans la conférence du 5 avril 1878, conférence dont notre dernier numéro a donné le compterendu.
- On sait que deux orateurs : M. L. et J.-Bte André Godin, avaient tour à tour pris la parole à cette réunion.
- M. L... avait, au moment de la clôture de la soirée, proposé aux auditeurs de se réunir à nouveau pour traiter de la question d’association. Cette réunion n’eut pas lieu; l’auditoire ne s’y prêtant décidément pas.
- Les conférences furent donc suspendues pendant quelques mois; celles qui eurent lieu ensuite furent plus espacées et parurent dans le Devoir, qui, fondé le 3 mars 1878, paraissait alors hebdomadairement. On peut suivre dans ce journal la trace des efforts de Godin pour mettre, à cette époque, son personnel dans les conditions intellectuelles et morales qu’il jugeait indispensables à la réalisation de l’association. Il pouvait espérer que les raisons développées par lui dans de nombreux articles, pouvant être lues et méditées par chacun à
- (l) Lire le Devoir depuis le mois de mars 1891.
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- LE DEVOIR
- tête reposée, pénétreraient mieux dans les esprits que n’avait pu le faire sa parole directe dans les conférences.
- Nous avons à dire maintenant ce qui advint de la tentative de Représentation du travail par les Groupes, Unions de groupes et Conseils d’Unions, sujet traité avec tant de sollicitude par Godin, depuis 1877.
- Les conférences du fondateur ont expliqué à nos lecteurs le but de cette originale tentative. Rappelons-le par ces quelques mots déjà publiés dans notre numéro de septembre 1893, page 513 : « Le fondateur du Fami-» listère », dans une conférence en date du 15 juillet 1877, « fait un exposé général des bienfaits de l’Asso-» ciation, comparés aux inconvénients de l’individua-» lisme.
- » L’individualisme », dit-il, « laisse chacun se tirer » d’affaire comme il peut. Tant pis pour les nécessiteux » et les faibles atteints par l’abandon ou le malheur.
- » L’association, au contraire, organise la solidarité » entre ses membres et leur donne des garanties, Elle » organise la mutualité et la coopération.
- » La coopération n’a donné lieu jusqu’ici qu’à des » sociétés restreintes, étroites, s’attachant à un seul » métier ou, plus simplement encore, ne s’occupant que » de la consommation de quelques denrées. C’est sur-» tout sous cette dernière forme, qu’après beaucoup » d’échecs, les sociétés coopératives ont fini par réussir.
- » Les succès sont beaucoup plus rares dans les so-» ciétés coopératives de production; c’est que là, pour » diriger, pour administrer, il faut des capacités multi-» pies : industrielles, commerciales, financières, et que » ces capacités n’ont pas été cultivées jusqu’ici dans » les rangs des travailleurs vivant au jour le jour.
- » Comment alors surmonter les difficultés inhérentes » à la direction des choses humaines? La grande indus-» trie s’impose maintenant, les petits ateliers d’autrefois » ne peuvent songer à renaître pour lutter contre elle,
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- DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES
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- » C’est la production en grand et au plus bas prix pos-» sible qui sera maîtresse du marché dorénavant.
- » Tous les objets d’usage journalier, de consommation » usuelle, qui constituent le bien-être, doivent devenir » le lot de tous les membres du corps social. Déjà, le » plus petit artisan porte du linge plus beau que celui » de nos rois d’autrefois. C’est dans cette voie seulement » que nous pouvons avancer aujourd’hui. Il faut mettre » le bien-être matériel, comme le progrès intellectuel et » moral, à la portée de tous. Il faut donner, à tous, les » sécurités de l’existence.
- » Le mal causé par le rapide développement de la » grande industrie sera donc passager; il s’effacera, il » fera place à un progrès sérieux sur les conditions » anciennes du travailleur, aussitôt que sera organisée » l’association entre tous les éléments de la production. » Comment atteindre à ce but? »
- » Ici, l’orateur montre comment la liberté et l’initia-» tive individuelles s’exercent péniblement et au prix » de quelles déceptions, au milieu de quels obstacles, » sous le régime actuel de l’insolidarité des intérêts.
- » Par contre, il expose ce que seraient la liberté et » l’initiative individuelles dans l’association. Comment » les groupes qu’on cherche à former seront le véritable » champ d’action de ces forces. « Le groupe », dit-il, « est » l’élément de l’association. Mais que d’études et d’efforts » sont nécessaires pour atteindre à la véritable organi-» sation des groupes! C’est tout un mécanisme à réaliser » dans les moindres détails et dont l’action peut porter » aussi bien sur les plus petits faits de la comptabilité » que sur l’ensemble de la direction. Le dernier mot » enfin de cette organisation nouvelle serait de rempla-» cer l’arbitraire actuel du patron, tantôt bienveillant, » tantôt exploiteur, par la direction de la masse'elle-même » pour le plus grand bien tous. »
- N’est-ce pas là l’idéal qu’on agite sous toutes les
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- LE DEVOIR
- formes aujourd’hui devant le monde du travail : La direction par la masse elle-même pour le plus grand bien de tous !
- Un essai pratique de solution du problème, sur une base assez large pour embrasser plusieurs centaines de travailleurs et des branches très variées de l’activité humaine : depuis la mise en œuvre du bois, du fer, les travaux industriels et artistiques, jusqu’à l’économie domestique, les magasins d’approvisionnement et de vente, le soin des bébés, les écoles, etc., cet essai pratique, unique pour ainsi dire en son genre, est d’un tel intérêt au point de vue de l’enseignement social que des penseurs en quête de ce genre de travaux — et déjà au courant des tentatives de même genre, mais beaucoup plus restreintes, faites aux Etats-Unis dans la première partie de ce siècle — nous ont demandé : d’abord, de compléter le cadre des Groupes et Unions dont nous n’avons donné qu’un spécimen (page 515, Devoir de septembre 1893); ensuite, d’entrer dans autant de détails qu’il nous sera possible touchant les travaux de ces différents corps ; Groupes, Unions de groupes, et Conseil d’unions.
- Nous eussions voulu pouvoir satisfaire pleinement à ce désir ; malheureusement, les éléments vont nous faire défaut dans une grande mesure, parce que il n’a été possible jusqu’ici que de retrouver très peu des Registres de procès-verbaux des séances des Groupes, Unions et Conseils. Nous donnerons les divers éléments que nous possédons à ce jour, sauf à revenir plus tard sur la même question, s’il y avait lieu.
- Avant de passer à la structure générale de cette Représentation du travail, rappelons que le lecteur peut trouver dans le Devoir d’août 1893, page 452, le Règlement pour la constitution et le fonctionnement de ces différents corps.
- Le groupe étant la base de l’organisation, nous don-
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- DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES 9
- nerons, à la suite des attributions de chaque groupe, le nombre de membres classés dans le groupe.
- Les groupes, au nombre total de 116 pour l’Usine et de 46 pour le Familistère se rattachaient — par nombre variant de 2 à 10 — à 27 Unions pour l’Usine et à 11 Unions pour le Familistère. Deux groupes seulement ne se sont pas constitués, nous reviendrons plus loin sur la question.
- Les présidents et secrétaires des groupes d’une Union, réunis en corps spécial, constituaient l’Union elle-même. De même, les 27 présidents et secrétaires des Unions de l’Usine constitueraient, par leur réunion, le Conseil supérieur ou Conseil des Unions de l’Usine; et les 11 présidents et secrétaires des Unions du Familistère, constituaient de même en se réunissant, le Conseil supérieur ou Conseil des Unions du Familistère.
- Ces deux Conseils supérieurs eussent donc été composés : l’un de 54 membres (27 présidents et 27 secrétaires des Unions de l’Usine), l’autre de 22 membres (11 pré sidents et 11 secrétaires des Unions du Familistère), s’il n’était arrivé fréquemment que tels ou tels membres étaient nommés présidents ou secrétaires dans plusieurs groupes et Unions en même temps — ce qui, en réalité, réduisit par exemple à 32, au lieu de 54, les membres du Conseil des Unions de l’Usine.
- Mais, passons au Cadre général de l’organisation où nous allons voir, dès le point de départ, comment le cumul des fonctions de président et secrétaire dans plusieurs groupes à la fois tenait pour ainsi dire à la force des choses, les mêmes membres, se répartissant en toute liberté dans les groupes d’une ou plusieurs Unions suivant leurs vocations ou leurs connaissances.
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- LE DEVOIR
- REPRÉSENTATION DU TRAVAIL
- USINE
- 116 GROUPES —27 UNIONS DE GROUPES — 1 CONSEIL DES UNIONS. DÉTAIL DES UNIONS AVEC LEURS SÉRIES DE GROUPES :
- Comptabilité
- Groupes: N° 1 — Facture. Régularité de rédaction. Contrôle. Envois en
- temps utile............ 8 memtres inscrits.
- N° 2 — Comptes des acheteurs. Ba-
- lances mensuelles des comptes. Soldes réguliers.
- Tenue à jour du journal et
- du grand-livre............. 9 —
- N° 3 — Règlements des salaires des ouvriers. Livrets d’ouvriers ............................ 11 —
- N° 4 — Contentieux. Archives...... 8 —
- Total des incriptions.. 36
- En fait, ces 36 inscriptions représentaient 27 membres : 1 étant classé dans trois groupes, 7 dans deux groupes; les 19 autres chacun dans un groupe.
- Quelques uns de ces membres se classèrent en outre dans les groupes d’autres Unions. Ceci dit pour tous les classements qui vont suivre.
- K
- Finances
- Groupes : N° 1 — Traites et recouvrements... 9 membres inscrits.
- N° 2 — Approvisionnement de la
- caisse. Encaissements.... 4 —
- N° 3 — Conditions et tarifs de banque. Distribution du portefeuille. Utilisation des capitaux........................... 6 —
- Total des inscriptions.. 19
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- DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES
- 11
- En fait, 9 membres : 3 faisant partie de trois groupes ; 4, de deux groupes; 2, d’un seul groupe.
- Approvisionnements
- Groupe : N° 1 — Achats des matières premières, qualités. Quantités. Transports. Achat des outils.........................................
- N° 2 — Stocks et dépôts. Contrôle permanent des existences. Mouvement des matières. Arrivages. Emplois constatés ............................
- N° 3 — Comptes des fournisseurs.
- Réglements en temps utile. Situation et obligation envers eux ou de leur part. N° 4 — Achats des fournitures de bureaux............................
- 3 membres inscrits.
- 4
- 6 —
- 9 —
- Total des inscriptions.. 22
- En fait, 14 membres : 2, faisant partie de quatre groupes ; 1, de trois groupes; 11, d’un seul groupe.
- Commerce
- Groupes : N° 1 — Transports économiques des
- produits.......-........
- N° 2 — Circulaires, prospectus. Tarifs. Recommandation des
- produits nouveaux.......
- N° 3 — Correspondance. Exactitude.
- Convenance. — Précision
- dans les lettres.......
- N° 4 — Commandes. — Inscription.
- Régularité. Exactitude. Expéditions. Ordre et méthode dans les chargements. Restes des commandes. Mesures pour prompt *-' envoi...................
- 3 membres inscrits.
- 6 —
- 8 —
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- LE DEVOIR
- N° 5 — Voyages. Etude des résultats.
- Ce qui est à faire près des voyageurs et de la clientèle................ 8 —
- Total des inscriptions.. 34
- En fait, 18 membres : 3,' faisant partie de cinq groupes ;
- 4, de deux groupes; 11, d’un groupe.
- Prix de revient
- Groupes : N° 1 —- Dépenses. Spécialisation à chaque objet : matière, main-d’œuvre, frais généraux ........................................ 8 membres inscrits.
- N° 2 — Comptes, leurs divisions, leurs rapports avec les branches de l’industrie, équilibre de la production avec la dépense qu’elle
- occasionne................ 14 —
- N° 3 — Organisation des comptes et des tableaux pour les produits nouveaux. Amélioration des écritures établies ............................ 10 —
- Total des inscriptions.. 32
- En fait, 17 membres : 6, faisant partie de trois groupes;
- 3, de deux groupes ; 8, d’un groupe.
- Comptabilité de fabrication
- Groupes : N° 1 — Quantités à fabriquer. Calculs. Approximations.
- Comparaison avec les be-
- soins des magasins.................. 8 membres inscrits.
- N° 2 — Fondus. Nombre et quantité d’appareils. Poids comparés avec les types............................... 3 —
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- DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES
- 13
- N° 3 — Fabriqués. Nombre et quantité d’appareils produits.
- Mise en magasin comparée avec les quantités livrées en râperie...... 6 —
- Total des inscriptions.. 17
- En fait, 11 membres : 3 faisant partie de trois groupes ;
- 8, d’un groupe.
- Machines et outils
- Groupes : N° 1 — Constructions nouvelles.
- Idées utiles, économie de
- main d’œuvre............ 7 Mire* mwriU.
- N° 2 — Machines à vapeur, bon état des machines, marche régulière , nettoyage
- des chaudières............... 3 —
- N° 3 — Transmissions, soin et entretien, graissage, bonne
- marche....................... 4 —
- N° 4 — Forces utilisées , pas de machines marchant sans
- produire..................... 3 —
- N* 5 — Wagonnets et chemins de
- fer. Entretien. • ^ •••••••*• 7
- Total des inscriptions.. 24
- En fait, 11 membres : 2 faisant partie de cinq groupes;
- 1, de quatre groupes; 1, de trois groupes; 7 d’un groupe.
- Modèles
- Groupes : N° 1 — Art, beauté des meubles, décoration extérieure, bonne proportion, élégance des formes.............................. 7 membres inscrits..
- N° 2 — Fumisterie et chauffage, étude et connaissance de la bonne marche des appareils ........................... 6 —
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- LE DEVOlk
- N° 3 — Exécution des modèles»
- Moyens à employer. Règles à observer......... 9 —
- N° 4 — Surveillance et entretien des modèles en bon état pour le moulage et le montage.. 6 —
- Total des inscriptions.. 28
- En fait, 13 membres : 1 faisant partie de quatre groupes; 3, de trois groupes; 6, de deux groupes; 3, d’un groupe.
- Fusion
- Groupes : N° 1 — Fonte, classement, qualité, résistance et douceur, pour éviter toute erreur dans le mélange des fontes 5 membes inscrits. N° 2 — Coke, quantité, qualité, soins à donner pour ne pas faire
- de débris............... 11 —
- N° 3 — Composition des charges en fonte. Coke et fondant ; qualités et quantités, évi-
- ter les pertes............ 9 —
- N° 4 — Soin et entretien du fourneau,
- matières à employer....... 11 —
- N° 5 — Coulée de la fonte et scories, soin des fontes gaspillées
- en sortant du cubilot..... 6 —
- N° 6 — Réussite des pièces, cafuts,
- jets et coulées, précautions à prendre contre les pertes de fonte et le gaspillage ............... 9
- N° 7 — Fondant, extraction, qualité, séchage et emmagasinage de la craie..................... ~ zéro.
- Total des inscriptions.. 51
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- DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES 15
- En fait, 26 membres : 1 faisant partie de six groupes; 3, de quatre groupes; 2, de trois groupes; 7, de deux groupes ; 13, d’un groupe.
- Sablerie
- Groupes : N° 1 — Recherche, extraction, qualité et finesse, séchage et emmagasinage des sables. 5 memlns inscrit». N° 2 — Machines à broyer les sables, soins, entretien, perfectionnements ............................. 4 —
- N° 3 — Préparation des noirs, qualité des charbons, finesse du noir, soin des moulins. 6 —
- N° 4 — Préparation des sables, proportions, mélanges, arro-* sage et malaxage, finesse. 10 —
- Total des inscriptions.. 25 —
- En fait, 17 membres : 1 faisant partie de quatre grou pes; 5, de deux groupes; 11, d’un groupe.
- Moulerte
- Groupes : N° 1 — Modèles, qualités, défauts,
- entretien, conservation.. * 10 membres inscrits N° 2 — Châssis et couches, Construction, entretien, conservation ........................... 10 —
- N° 3 — Moulage des pièces plates, réussite des pièces, beauté, propreté, poids, perfection ................................. 9 —
- N° 4 — Moulage de l’ornement, réussite des pièces, beauté, propreté, poids, perfection 6 —
- N° 5 — Moulage en séparation, pièces lisses, légères, faciles à nettoyer............................ 7 —
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- LE DEVOIR
- N° 6 — Moulage de la poterie, buanderie, etc............................ 3 —
- N° 7 — Moulage mécanique............ 12 —
- N° 8 — Noyauterie................... 10 —
- N° 9 — Entretien des sables.......... 7 —
- N° 10 — Outillage du moulage. Confection, réparations, entretien et conservation............... 4 —
- Total des inscriptions.. 78 —
- En fait, 42 membres : 1 faisant partie de cinq groupes;
- 1, de 4 groupes; 9, de trois groupes; 11, de deux groupes, et 20, d'un seul groupe.
- Raperie
- Groupes : N° 1 — Ordre dans le transport des
- pièces................... 12 membres inscrits.
- N° 2 — Râpage, réception des pièces et complétage des fourneaux................................. 12 —
- N° 3 — Classement et transport..... 9 —
- N° 4 — Sables et scories, extraction
- des fontes................... 6 —
- N° 5 — Enlèvement et classement
- des sables................... 6 —
- Total des inscriptions.. 45 —
- En fait, 17 membres : 1 faisant partie de cinq groupes;
- 8, de trois groupes; 8, de deux groupes.
- Travaux divers
- Groupes : N° 1 — Rangement du matériel.. 7 membres inscrite.
- N° 2 — Propreté des cours...... 7 —
- N° 3 — Classement et transport des
- choses inutiles....... .. 6 —
- ^ Total des inscriptions.. 20 —
- En fait, 9 membres : 5 faisant partie de trois groupes; 1, de deux groupes; 3, d’un groupe.
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- DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES 17
- Mouvement et Distribution
- Groupes : N° 1 - Ordre et classement des pièces en râperie, transport
- des pièces.............. 26 membres inscrits.
- N° 2 — Distribution des appareils et
- des accessoires........ 10 —*
- N° 3 — Ebarbage, moyens économiques, outillage, perfection du travail......................... 13 —
- Total des inscriptions.. 49 —
- En fait, 43 membres : 6 faisant partie de deux groupes; 37, d’un seul groupe.
- Montage
- Groupes : N° 1 — Cuisinières............... 47 membres inscrits.
- N° 2 — Poêles.............. ..... 22 —
- N° 3 — Cheminées................. 14 — *
- N° 4 — Calorifères............... 16 —
- N° 5 — Foyers.................... 6 —
- N° 6 — Buanderies................ 11 —
- N° 7 — Torréfacteurs............. 12 —
- Total des inscriptions.. 128 —
- En fait, 82 membres : 4 faisant partie de quatre, groupes; 2, de trois groupes; 30, de deux groupes; 46, d’un seul groupe,
- Emballerie
- Groupes : N° 1 — Vernissage................ 20 membres inscrits.
- N° 2 — Emballage................. 18 —
- N° 3 — Magasinage................ 21 —
- Total des inscriptions.. 59 —
- En fait,26 membres : 16 faisant partie de trois groupes; 1, de deux groupes; 9, d’un groupe.
- Garnitures
- Groupes : N° 1 — Accessoires en réserve, surveillance des quantités fabriquées et des existences en magasin............................. 20 membres inscrits.
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- LE DEVOIR
- N° 2 — Objets de tôlerie, de cuivrerie, de fer, en fonte malléable, émaillés, chaudières, etc. zéro.
- Total des inscriptions.. 20
- Emaillerie
- Groupes : N° 1 — Fours, Marche, bon état, entretien, construction, qualité des combustibles,
- réussite des émaux........ 21 membres inscrits.
- N° 2 — Produits à émailler, recherche des nouveaux objets qui peuvent être mis en
- fabrication............... 4 —
- N° 3 — Assemblage, moyens à employer pour rendre le montage des produits facile après l’émaillure. — Etude des inconvénients : pièces fondant à l’acide, au four,
- — qualité des fontes à
- employer.................... 4 —
- N» 4 — Objets émaillés par voie sèche, perfection des moyens 4 —
- N° 5 — Objets émaillés par voie humide, perfection des
- moyens..................... 6 —
- N° 6 — RéserŸedes objets à émailler, emballage et emmagasinage des produits....................... 4 —
- Total des inscriptions,. 43
- En fait 23 membres : 1 faisant partie de six groupes ; 3 de quatre groupes ; 1 de trois groupes ; 4 de deux groupes ; 14 d’un seul groupe.
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- DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES 19
- Fonte malléable
- Groupes : N° 1 — Objets à fabriquer, étude et
- recherche de ces objets... 10 membres inscrits;
- N° 2 — Qualité des objets fabriqués, défauts à éviter, fontes à
- employer................ 9 —
- N° 3 — Sable, sa préparation, sa
- qualité, ses inconvénients 8 —=
- N° 4 — Economies à réaliser dans la production, cuisson et matières ............................ 11 —
- Total des inscriptions.. 38
- En fait 12 membres : 8 faisant partie de quatre groupes ; 2 de deux groupes ; 2 d’un groupe.
- Cuivrerle
- Groupes : N° 1 — Cuivre, existence en magasin, son emploi, son économie...................................... 7 membres inscrits,
- N° 2 — Fusion du cuivre, qualité des sables, moulage et coulée de cuivre, économie des
- jets....................... 11
- N° 3 — Quantité d’objets en cuivre à fabriquer, surveillance de
- ces quantités............... 7
- N° 4 — Achevage, bonne exécution, perfection des moyens, économie et conservation de la matière........................ 9
- Total des inscriptions.. 34
- En fait 14 membres : 4 faisant partie de quatre groupes ; 1 de trois groupes ; 6 de deux groupes ; 3 d’un . groupe.
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- LE DEVOIR
- Magasins» des produits
- Groupes : N° 1 — Classement et arrangement des appareils en magasin, recherche des moyens.... N° 2 — Surveillance des produits contre l’humidité et la rouille, expédition par ordre d’ancienneté des produits, écoulement des produits démodés..............................
- N° 3 — Quantité des produits en magasin proportionnelle avec
- les besoins.............
- N° 4 — Chargement, moyens des manutentions économiques de mise en pile et de mise en voiture à l’aide d’engins
- et de machines..........
- N° 5 — Chemin de 1er, expéditions à la gare ; précautions à prendre dans le chargement en wagons, étude des casses et accidents, moyens de les prévenir... N° 6— Magasin des petits appareils' et des pièces pour les expéditions ; soin des quantités dans les casiers, pas de pièces inutiles, vérification en temps utile............
- Total des inscriptions..
- 8 membres inscrits.
- 7
- 3 —
- 5
- 7
- 4
- 34
- En fait, 12 membres : 2 faisant partie de six groupes ; 2 de quatre groupes ; 2 de trois groupes ; 2 de deux groupes ; 4 d’un groupe.
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- DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES 21
- Bois
- Groupes : N° 1 — Bois en grume et bois secs, débit, magasinage, soins
- à donner au bois.......... 15 membres inscrits.
- N° 2 — Emplois des bois en menuiserie et en charpente.............. 14 —
- N° 3 — Châssis, soin de construction
- réparation ................. 8 —
- N° 4 — Bois de chauffage, soin du rangement et du magasin des débris, leur appropriation aux besoins domestiques ............................... 14 —
- Total des inscriptions.. 51
- En fait, 16 membres : 7 faisant partie de quatre groupes ; 7 de trois groupes ; 2 d’un groupe.
- Quincaillerie
- Groupes : N° 1 — Recherche des objets à pouvoir fabriquer...........................'... 9 membres inscrits.
- N° 2 — Qualités et défauts des objets en fabrication.................. 7 —
- N° 3 — Magasin d’approvisionne -ments, quantités, assortiments................................ 5 —
- N° 4 — Prix de revient des objets en fabrication, émaillés, nickelés, etc........................... 7 —
- Total des inscriptions.. 28 —
- En fait, 12 membres : 3 faisant partie de quatre groupes ; 3 de de trois groupes ; 1 de deux groupes ; 5 d’un groupe.
- Eclairage
- Groupes : N® 1 — Gazomètre, cornues, distillation, bon état de fonctionnement.............................. 4 membres inscrits.
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- 22
- LE DEVOIR
- N° 2 — Charbons, qualités, consommation, dépense, qualité
- du gaz, production....... 4
- N° 3 — Canalisation, becs et robinets, éclairage des ateliers et du Familistère, salubrité, bon état de tous les tuyaux............................ 8
- Total des inscriptions.. 16
- En fait, 10 membres : 2 faisant partie de trois groupes ; 2 de deux groupes ; 6 d’un groupe.
- Terre réfractaire
- Groupes : N° 1 — Matières, quantité, qualité, proportion des mélanges. N° 2 — Etude de l’emploi de la terre dans les foyers de toutes
- sortes..................
- N° 3 — Moules et modèles. — Précision, exactitude dans l’assemblage .........................
- N° 4 — Cuisson , perfectionnement des moyens de fabrication..............................
- 7 membres inscrits.
- 6 —
- 6 —
- 7 —
- Total des inscriptions.. 26
- En fait, 11 membres : 4 faisant partie de quatre groupes ; 3 de deux groupes ; 4 d’un groupe.
- Entretien et réparation des bâtiments de l’Usine
- Groupes : N° 1 — Maçonnerie............ 10 membres inscrits.
- N° 2 —Toiture................. 8 —
- Total .des inscriptions.. 18
- En fait, 14 membres : 4 faisant partie de deux groupes ; 10 d’un seul groupe.
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- DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES
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- Chevaux et Voitures
- Groupes : N° 1 — Ecuries ; organisation et disposition ...................................... 8 membres inscrits.
- N° 2 — Chevaux ; nourriture ; soins. 9 —
- N° 3 — Chariots et voitures ; entretien et réparation.................. 10 —
- N° 4 — Bourellerie ; entretien des
- harnais..................... 8 —
- Total des inscriptions.. 35
- En fait, 17 membres : 4 faisant partie de quatre groupes ; 6 de deux groupes ; 7 d’un groüpe.
- Nous avons signalé au début de ce relevé du classement dans les Groupes de chaque Union, que des membres se firent inscrire simultanément, selon leurs désirs, dans les Groupes de plusieurs Unions. Ce qui fit que les 1010 inscriptions dont nous venons de donner l’état représentèrent, en fait, 309 travailleurs, comme nous le verrons plus loin.
- *
- * *
- Un mot, avant de passer au Cadre des Groupes et Unions constitués au Familistère même, c’est à dire dans l’habitation unitaire.
- Sauf en ce qui concerne le service des Ecoles, deux ou trois groupes divers et une Union (Nourricerie et Pouponnât) il ne nous est, plus possible d’indiquer le nombre de membres inscrits dans chaque groupe, les renseignements nous faisant défaut.
- Un document de caisse nous fournit simplement une liste de 82 personnes : 13 femmes et 69 hommes, comme représentant tout le personnel classé dans les 46 Groupes du Familistère.
- Aucune femme ne s’était fait inscrire dans les Groupes de l’Usine; les treize femmes mentionnées ci-dessus ne firent donc partie que des Groupes de l’habitation unitaire; quant aux hommes, 17 d’entre eux ne firent
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- LE DEVOIR
- partie également que des Groupes constitués au Familistère, les 52 autres étaient classés simultanément à l’Usine et au Familistère. Nous reviendrons plus loin sur ces classements.
- Dans le Cadre qui va suivre, nous avons porté en regard des groupes ou séries de groupes, c’est à dire des Unions, le peu de renseignements actuellement en notre possession sur le classement du personnel; les colonnes laissées en blanc montrent les lacunes forcées de notre travail.
- FAMILISTÈRE
- 46 GROUPES —11 UNIONS DE GROUPES — 1 CONSEIL DES UNIONS. DÉTAIL DES UNIONS AVEC LEURS SÉRIES DE GROUPES :
- Logement
- Groupes : N° 1 — Bâtiments, location, entretien , salubrité, surveillance, dégradations, réparations, propreté et hygiène générales..............................
- N° 2 — Mansardes et dortoirs, loca-location, bonne tenue....
- N° 3 — Alimentation d’eau........
- N° 4 — Lingerie..................
- N° 5 — Fêtes et Institution d’agré-) ment, théâtre....................(
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- 17 ? ?
- Alimentation
- Groupes : N° 1 — Boucherie et débit des viandes, qualités, prix, surveillance et bonne conservation................................... » » »
- N° 2 — Boissons et débit, qualité, approvisionnements, mobilier des caves et de la buvette, prix, quantité, contrôle du rendement.. » » »
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- DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES
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- Groupes
- Groupes
- Groupes
- N° 3 — Epicerie et caves de réserve, qualité des produits, tenue des magasins, visite et soin des produits , propreté et ordre dans leur arrangement, objets
- nécessaires............
- N° 4 — Boulangerie, poids, qualités,
- rendement du pain......
- N° 5 —Fruits et légumes à la
- vente..................
- N° 6 — Cuisines..................
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- Vêtement
- : N° 1 — Etoffes, surveillance , ordre, soin, rangement, attention, marchandises démodées, choses nécessaires, prix et qualité.........................
- N° 2 — Mercerie, surveillance, rangement des marchandises, soin qui y est apporté, provision, qualité, beauté.
- N° 3 Confection. J Provisions,soins,
- N° 4 — Coiffure .... Prix> b.°°ne
- [ nue, visite des
- N° 5 — Chaussure. ) marchandises.
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- » » »
- Ustensiles de Ménage
- ; N° 1 — Vaisselle, Brosserie........ » » »
- N° 2 — Papeterie, provision de bureaux et d’écoles.................... » » »
- Combustibles
- : N° 1 — Bois , approvisionnement, soins, conservation, magasinage, prix.................. » >> »
- Hommes
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- LE DEVOIR
- N° 2 — Charbons de terre , provisions, qualité, prix..............
- N° 3 — Distribution des combusti blés et vente, soins de l’exactitude et des convenances de la distribution.
- 05
- CD
- t-4 +2
- A S
- S « 9 &
- a”
- »
- » » »
- Ba^e-cour
- Groupes : N° 1 — Vacherie, laiterie...... »
- N° 2 — Porcherie,............... »
- N° 3 — Nourriture des bestiaux.. »
- Jardin
- Groupes : N° 1 — Bonne tenue, main-d’œuvre
- utilisée................
- N° 2 — Fruits.... / Conservation et soin N° 3 — Légumes.' de la récolte...
- Bains et Savoirs
- Groupes : N° 1 — Organisation, matériel né-
- cessaire ............... »
- N° 2 — Dépenses et Recettes....... »
- Comptabilté
- Groupes : N° 1 — Tenue des livres..........)
- No 2 — Vérification, contrôle.....j
- Nourricerie et Pouponnât
- Groupes : N° 1 — Entretien des salles, ser- « vice d’eau, calorifères, I
- lieux d’aisance........
- N° 2 — Approvisionnements des
- comestibles.............
- N° 3 — Confection et entretien de
- la lingerie.............. I 11
- N° 4 — Lavage du linge...........
- N° 5 — Soins des enfants de la
- 9
- naissance à 2 ans......
- N° 6 — Education et petits exercices des enfants de 2 à 4 ans...................*...........
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- ? 7
- 6 5
- Hommes
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- DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES
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- Groupes
- Ecoles et Itamliiiiat tn . <D GO GQ GO
- N° 1 - Entretien des salles de clas- £'u a ° S a a a
- se, service d’eau, calorifè- s-2 o fa w
- ' res, fosses d’aisance, etc. 12 3 9
- N° 2 — Promenades, jeux et gymnas-
- tique. 12 5 7
- N° 3 — Lecture et déclamation 14 6 8
- N° 4 — Ecriture, français 10 4 6
- N° 5 — Calcul, système métrique,
- comptabilité 15 5 10
- N° 6 — Leçons de choses, physique,
- chimie, histoire naturelle, minéralogie, etc 12 4 8
- N° 7 — Dessin et géométrie 10 1 9
- N° 8 — Musique et chant 13 3 10
- N° 9 — Géographie et cosmographie. 11 3 8
- Total des inscriptions.. 109 34 75
- En fait, 6 femmes et 20 hommes, soit 26 membres se répartissant comme suit : Femmes : 1 faisant partie de neuf groupes; 1 de huit; 1 de sept; 1 de cinq; 1 de quatre ; 1 d’un seul. Hommes : 2 faisant partie de neuf groupes; 2 de huit; 1 de sept; 1 de six; 3 de quatre; 1 de trois; 3 de deux; 7 d’un groupe.
- (A suivre).
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- LE DEVOIR
- LA LUTTE CONTRE L'ALCOOLISME1’
- IV
- Pour une vigoureuse entrée en campagne, le moment semble bien choisi.
- Les retentissants débats qui ont eu lieu naguère à la Chambre, à l’Académie de médecine, et dans divers congrès, ont tenu l’opinion publique en éveil au sujet des ravages que cause l’alcoolisme et de ses progrès inquiétants.
- Des travaux statistiques nombreux et précis ont montré l’augmentation effrayante de la consommation alcoo lique dans les pays où l’on ne s’est pas encore sérieusement mis à l’œuvre pour combattre le mal, comme la France et la Belgique, l’état stationnaire de pays comme la Suisse ou la Hollande, où le travail n’est encore que commencé, et la diminution là où la lutte se poursuit depuis plus longtemps, comme en Norwège, en Suède en particulier.
- Dans ces deux derniers pays la consommation de l’alcool a diminué de plus de moitié en vingt ans.
- C’est précisément l’inverse qui se produit en France. « Il y a vingt ans la France était un des pays de l’Europe où l’on buvait le moins d’alcool : moins qu’en Angleterre, moins qu’en Suisse, moins qu’en Suède et qu’en Norwège.
- » Aujourd’hui la France est un des pays où l’on en consomme le plus. Seule la Belgique nous dépasse notablement, et aussi certains pays de l’empire allemand.
- » L’Anglais d’aujourd’hui ne boit pas plus en moyenne que le Français d’il y a vingt ans ; le Français d’au-
- (1) Voir le Vernir de septembre, d’octobre et de décembre 1895.
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- LA LUTTE CONTRE L’ALCOOLISME
- 29
- jourd’hui boit peut-être plus que l’Anglais n’a jamais bu ! » (J. Bianquis).
- Et cependant nulle part le mal n’a été dénoncé avec plus d’autorité qu’en France; nulle part, il est vrai, pas même en Belgique, moins d’efforts n’avaient été tentés pour enrayer la propagation du fléau.
- Jusqu’à ces derniers temps pour toute défense notre pays n’a pu opposer à l’alcoolisme, qu’une loi presque tombée en caducité, et une Société de tempérance dont le président d’honneur pouvait dire au Congrès antialcoolique de la Haye, il y a deux ans : a Elle traîne péniblement sa modeste existence et n’est parvenue jusqu’à présent qu’à ce résultat bien médiocre de récompenser quelques braves gens restés sobres, sans diminuer d’une seule unité le nombre des ivrognes. »
- Le cri de détresse de nos hygiénistes, de nos économistes, de nos aliénistes, de nos criminalistes a été entendu.
- Des ligues se sont constituées, les pouvoirs publics se sont émus.
- ***
- Et tout d’abord on s’est demandé s’il n’y avait pas lieu de recourir à cette grande force morale : l’instituteur, et de faire donner, à l’école, des notions scientifiques, hygiéniques et morales sur la nature et les effets de l’alcool.
- Sans perdre de temps, le ministre de l’instruction publique, M. Poincaré, constituait une commission chargée de préparer les moyens d’introduire dans l’enseignement général, des leçons contre l’alcoolisme.
- Cette commission, il faut l’en louer, car le fait n’est pas ordinaire, se mit immédiatement à l’œuvre, et chose plus étonnante encore, elle fut après quelques séances en mesure de soumettre au ministre un certain nombre de dispositions susceptibles d’une application immédiate.
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- 30 LË DEVOIR
- Elle avait écarté à dessein toute idée de créer uri enseignement nouveau, indépendant, autonome; il aurait fallu recourir pour cela au conseil supérieur de l'instruction publique qui seul a qualité pour modifier les programmes. C’était peu compatible avec le désir d’aboutir promptement. Il a paru à la commission qu’il était plus court, plus pratique, d’inviter l’instituteur à mettre à profit les occasions qui s’offrent à lui de parler de l’alcool au cours de son enseignement.
- En chimie, on donnera l’histoire de l’alcool, sa composition, sa fabrication, l’indication de ses falsifications ou des éléments nocifs qui s’y trouvent contenus. En physiologie, on expliquera les blessures que l’alcool fait à l’organisme, les lésions profondes qu’il produit dans le système nerveux.
- L’enseignement antialcoolique pourra se donner encore aisément dans une leçon de morale, d’hygiène ou d’économie politique.
- Il fut donc décidé ; 1° Que des circulaires ministérielles seraient adressées par l’intermédiaire des inspecteurs aux instituteurs pour éveiller leur attention et les engager à porter leur effort pédagogigüe et moral de ce côté. Des récompenses pourront être accordées à ceux qui feront le mieux dans cette lutte contre l’alcoolisme; 2° Qu’un guide ou manuel rédigé par des savants spécialistes d’une autorité indiscutable leur serait fourni pour les aider à préparer leurs leçons sur cette matière; 3° Que dans les écoles normales et les écoles primaires supérieures, maîtres et directeurs seraient exhortés à faire des leçons sur ce sujet ou à tirer des applications pratiques à propos d’autres enseignements, chacun en restant dans la science particulière qui lui est confiée ; 4° Que dans les écoles supérieures et normales, trois ou quatre conférences sur l’alcoolisme seraient faites chaque année par des médecins pour concentrer et graver plus profondément les
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- LA LUTTE CONTRE L’ALCOOLISME 31
- notions et les impressions reçues précédemment dans les leçons diverses et nécessairement un peu éparses; 5<> Que le même enseignement s’appliquerait, avec les modifications convenables, aux écoles de filles.
- On voit que la commission a provisoirement limité son travail à l’enseignement primaire. Les instructions pour l’enseignement secondaire et supérieur viendront ensuite.
- Après avoir approuvé les conclusions du rapport dû à la plume de M. Steeg, le ministre, par une double circulaire en date du 2 août dernier, l’a adressé aux préfets et aux recteurs, en leur recommandant d’en assurer l’application dès la rentrée des classes.
- M. Poincaré exprime, dans ce document, la confiance « que le personnel dévoué des instituteurs ne manquera pas de collaborer à une œuvre humanitaire qui a pour but de préserver tout au moins les jeunes générations des maux causés par l’alcoolisme. »
- Nous applaudissons de tout cœur à l’initiative du ministre, et souhaitons vivement que ceux qui ont la charge de l’instruction et de l’éducation dans notre pays, se conforment à ses instructions. Nous sommes certains que le directeur de l’enseignement primaire, l’honorable M. Buisson, entièrement sympathique à l’œuvre, y tiendra la main. N’avait-il pas, sous un précédent cabinet, préparé et fait approuver par le ministre une circulaire qui allait être envoyée aux recteurs des régions les plus contaminées par le fléau, lorsque le cabinet sombra ?
- L'idée de combattre l’alcoolisme par l’école, est des plus heureuses. Elle a été, du reste, depuis longtemps préconisée, notamment par l’Union des instituteurs et institutrices de la Seine. Elle est un des rares, trop rares moyens employés par la Belgique pour combattre l’alcoolisme.
- Il ne s’agit, en somme, que d’en faire l’objet d’une
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- 32 LE DEVOIR
- vigoureuse campagne, d’une véritable croisade, si l’on peut attacher à ce mot une signification de foi dans l’œuvre de sauvetage moral et social à entreprendre. Car l’idée avait déjà reçu un commencement d’exécution dans notre propre enseignement public dès le début même de son organisation actuelle.
- Dans le petit volume intitulé : Année préparatoire d’enseignement scientifique, de Paul Bert, un des ministres qui ont présidé à cette organisation, on peut lire la page suivante :
- « Il n’est pas nécessaire d’être bien savant pour comprendre que d’abord il ne faut pas s’empoisonner. Vous me direz que personne n’a envie de le faire. Je vous répondrai que vous vous trompez, le tabac et l’alcool sont deux poisons.
- » Pourtant combien de gens en usent et en abusent | L’alcool surtout est terrible. Mettez-vous bien dans la tête ceci : C’est que l’ivrognerie avec ses suites tue peut-être plus d’hommes qu’aucune maladie; et avant de les tuer, elle les rend hideux et répugnants. C’est le plus abominable dés vices. »
- Une gravure, accompagnant ce texte, représente des hommes attablés dans un cabaret buvant et fumant, les uns dans l’exaltation, les autres dans l’hébêtement de l’ivresse. Au-dessous, cette légende :
- « Que font tous ces gens-là? Ils vident leur bourse et ruinent leur santé. »
- On ne peut pas résumer plus brièvement, ni de plus saisissante façon, pour de tout petits enfants, les conséquences du « plus abominable des vices. »
- Il n’est pas de principe plus nécessaire à faire accepter par les jeunes intelligences que celui de la défense de l’être physique, intellectuel et moral.
- L’alccolisme qui atteint la personnalité dans son existence, dans son développement et son épanouissement, est un mal dont nos enfants doivent apprendre à re-
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- LA LUTTE CONTRE L’ALCOOLISME 33
- douter l'approche, car il est insinuant, et qu’ils doivent connaître de bonne heure pour s’en défendre.
- C’est de la prophyllaxie de premier ordre que l’introduction du ferment antialcoolique dans notre enseignement primaire obligatoire*
- Au Congrès de l’Association protestante pour l’étude pratique des questions sociales, où fut discuté le très remarquable rapport de M. J, Bianquis, M. Benoît Germain, président du Conseil des prud’hommes et président honoraire de la Société coopérative Y Abeille Nimoise, souleva la question de savoir s’il n’y aurait pas nécessité, en présence de l’abaissement du niveau intellectuel et moral du sexe masculin par le fait des progrès de l’alcoolisme, d’augmenter le rôle social et civil de la femme.
- On n’a trouvé à opposer à cette motion que des objections tirées de cette observation que dans certains pays la femme ne proteste pas toujours contre l’ivrognerie de son mari, ce qui veut dire qu’elle partage souvent son déplorable goût.
- Cette funeste pratique n’est fort heureusement encore qu’une exception. Nous ne faisons pas difficulté de reconnaître qu’elle peut prendre des proportions plus considérables. Raison de plus pour agir vite.
- Si l’on voulait aller au fond de la question, on trouverait peut-être que le plus souvent le partage par la femme des goûts alcooliques du mari, n’est pas le fait d’une adhésion de prime abord, mais l’acceptation de guerre lasse, d’un état de choses contre lequel elle est impuissante à réagir dans les conditions d’infériorité où elle est placée.
- Il faut bien se pénétrer de cette vérité proclamée par les plus grands esprits que c’est la femme qui donne sa marque à la société.
- Et puisque nous avons la prétention de faire reposer
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- LE DEVOIR
- nos sociétés sur la base de la liberté, rappelons-nous cette parole de Tocqueville : « Il n’y a jamais eu de de sociétés libres sans mœurs, et c’est la femme qui fait les mœurs. Tout ce qui influe sur la condition des femmes, ou sur leurs habitudes et leurs opinions, a donc un grand intérêt politique à nos yeux. »
- Brisons le servage de la femme et les conséquences de son infériorité disparaîtront pour elle et pour la société.
- M. Benoît Germain exprime sous une forme originale une idée fort juste lorsqu’il dit : « En somme, si dans la plupart des sociétés elle occupe un rang inférieur à l’homme, cela tient, à certains égards, à la nature de son rôle et de ses devoirs et aussi, pour beaucoup, à sa faiblesse physique. La force a primé le droit. Elle le prime encore de nos jours, bien que nous vivions dans un monde assez civilisé pour que l’opinion publique se range à la doctrine opposée.
- « Déjà grâce à cette modification de l’opinion, la femme tend à s’élever au niveau de l’homme. Si par l’alcoo lisme l’homme s’affaiblit au physique et au moral, il ne lui restera plus même à invoquer sa force physique pour justifier la toute puissance qu’il s’est arrogée sur la femme. »
- Il faut mettre la femme à la hauteur des responsabilités qui vont à elle. C’est pour cela que nous demandons des réformes en sa faveur, car nous plaçons précisément nos espérances dans cet accroissement de son rôle civil et social.
- Si même le mal de l’alcoolisme devait un jour s’étendre d’un sexe à l’autre, nous aurions une raison de circonstance irréfutable pour désirer un pareil changement : la nécessité d’employer la partie encore saine de la population au sauvetage de la partie contaminée.
- Mais ce n’est pas courir à l’aventure que de demander que l’on donne à la femme des armes pour le bon
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- LA LUTTE .CONTRE L’ALCOOLISME 35
- combat. C’est en toute confiance que nous en appelons de la femme déprimée à la femme affranchie. Elle saura demander compte au cabaret de l’argent dont il prive le ménage.
- Auxiliaires précieuses des sociétés de tempérance, les femmes américaines organisèrent, en 1873, un mouvement considérable autour des boutiques de débitants*
- On vit alors des femmes assiéger les cabarets, en barrant la porte, et, finissant par leur importunité volontaire par ruiner les marchands d’alcool.
- Dans les pays où la femme jouit de son droit de vote, elle n’a pas besoin de recourir à des procédés qui rappellent un peu ceux de la force ; les moyens légaux lui suffisent.
- Un Européen, établi depuis longtemps au Kansas, nous apporte à cet égard un témoignage précieux, que nous reproduisons d’après la Bibliothèque universelle de Lausanne : « La crainte de voir la femme négliger ses devoirs au sein de la famille pour se jeter dans les mêlées électorales ne s’est pas réalisée, car lorsque la citoyenne a joué un rôle dans les campagnes précédant le scrutin, c’était presque sans exception comme avocat de la tempérance, plus préoccupée des intérêts du foyer domestique que de questions purement politiques. »
- Le premier usage que les femmes de la Nouvelle Zélande firent, en 1893, de leur droit de suffrage, fut d’accorder leurs votes aux candidats partisans de la tempérance.
- On peut être certain que l’œuvre de refoulement de l’alcoolisme en Norwège recevra une vigoureuse impulsion du fait de la récente disposition légale qui permet à la majorité des habitants ayant atteint l’âge de vingt cinq ans, les femmes comprises, de décider la continuation ou le non renouvellement des concessions de licence dans la commune.
- Du moment où elle prend conscience de l’utilité de
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- LE DEVOIR •
- son rôle social, c’est vers les grandes causes se rattachant directement à la conservation de la vie humaine, loi suprême, que la femme, facteur nouveau qui déconcerte les vieux partis politiques, fait converger tousses efforts, et par un juste retour, le commerce de ces grandes causes, dont le progrès ou le triomphe rehausse le niveau de la moralité et de la mentalité d’une race, contribue au développement de l’éducation de la femme. Et à mesure que la femme développe ses aptitudes, elle apporte dans la société un ferment civilisateur.
- Il n’est pas, en Amérique, un groupe organisé parmi les femmes qui n’ait inscrit dans son programme l’abolition de la guerre et la suppression de l’ivrognerie.
- La plupart des femmes anglaises qui ont pris l’initiative de l’appel aux femmes françaises en faveur d’une alliance internationale pour la paix, appartiennent à des sociétés de tempérance.
- C’est qu’en effet, ainsi que le remarque la très distinguée secrétaire du groupe la Solidarité des femmes, Mme e. potonié-Pierre, les deux causes sont connexes : l’alcoolisme perpétue les instincts de sauvagerie.
- Jusqu’à présent aucun effort collectif n’a été tenté par la femme française contre l’alcoolisme. Nous n’avons à enregistrer de ce chef que la résolution prise par le groupe militant que nous venons de citer, la Solidarité des femmes, de prendre part à la lutte contre l’alcoolisme.
- La Société contre l’usage des boissons spiritueuses, fondée par le Dr Ledrain , compte beaucoup sur la femme pour son œuvre de relèvement et est décidée à lui confier une grande part d’activité.
- Mme Legrain publie à ce sujet, dans le Journal des Femmes, les lignes suivantes qui complètent les considérations que nous venons d’exposer sur le rôle de la femme dans la lutte contre l’alcoolisme :
- « N’est-il pas vraiment temps que la femme fasse en-
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- LA LUTTE CONTRE L’ALCOOLISME
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- tendre sa voix, plus autorisée que tout autre, contre un mal qui détruit l’harmonie des ménages, en ruinant la santé physique et intellectuelle du mari, qui entretient la misère au foyer, démoralise l’enfant par l’exemple de la débauche, et prépare au pays, par cet enfant dévoyé, un triste avenir.
- » Peut-être, si sa voix s’était fait entendre plus tôt, le mal n’eût-il pas progressé autant. Aussi peut-on reprocher aux Sociétés de tempérance française de n’avoir pas su appeler les femmes dans leur sein et de ne pas leur avoir assigné un rôle actif à jouer dans la lutte.
- » L’homme croit tout pouvoir par lui-même. Il a un tel dédain systématique de la femme, et cela par habitude, qu’il néglige ce précieux auxiliaire dans les œuvres de sauvetage social qu’il a tant d’intérêt à mener à bien.
- » La femme s’emploie aux œuvres de relèvement des condamnés libérés, de sauvetage de l’enfance. La conquête de l’homme à la tempérance n’a-t-elle pas un attrait aussi puissant? L’alcoolisme n’est-il pas la première cause, bien souvent, de ces misères morales que la femme s’efforce de soulager? S’attaquer à la cause ne vaut-il pas mieux que de combattre les effets ? »
- Nous ne saurions mieux dire et mieux légitimer l’intervention de la femme dans .la lutte contre l’alcoolisme. Et si, aux considérations précédentes, nous ajoutons les profondes dégradations physiologiques que le père alcoolique lègue à ses enfants, nous comprendrons qu’il n’est que temps d’appeler les femmes au bon combat, et comme épouse et comme mère ; car, de leur intervention efficace dépend, peut-être, le salut de l’espèce.
- (A suivre).
- J. P.
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- LE DEVOIR
- La Conciliation et l’arbitrage - Les Syndicats ouvriers.
- « C’est avec la plus entière bonne foi, avec le sentiment profond de la solidarité républicaine, avec le respect absolu de la liberté de tous, que les Chambres ont donné au pays cette loi des syndicats destinée à protéger les faibles en leur permettant d’unir 'leurs efforts. Dans une pensée bienveillante, elles ont placé en tête de l’institution la juridiction familiale et conciliatrice de l’arbitrage, qui, je le constate avec peine, n’a pas répondu à l’attente des législateurs.
- » N’y avait-il pas lieu de penser que, dans ce pays de loyauté et de franchise, tous, ouvriers et patrons, auraient obéi à l’esprit de la loi, sans essayer de se dérober à la faveur d’un défaut de sanction. »
- Ainsi parlait, à l’occasion d’une inauguration quelconque, un membre du cabinet Ribot, qui vient de céder la place au cabinet Bourgeois, M. Dupuy-Dutemps, ministre des travaux publics.
- Un autre membre du même cabinet, M. André Lebon, ministre du commerce, avait, dès le mois de juillet dernier, déposé à la Chambre, un projet de loi sur « les conseils permanents de conciliation. »
- Il est peu de questions, dit M. André Lebon dans son exposé des motifs, qui paraissent, à l’époque actuelle, plus urgentes et plus graves que celles des rapports entre les patrons et leurs ouvriers.
- La prospérité industrielle du pays, l’ordre et la justice exigent que ces rapports s’améliorent et qu’il se forme, entre les divers collaborateurs d’une entreprise, des liens plus étroits d’estime et de sympathie.
- Des deux systèmes employés jusqu’ici pour mettre un terme aux conflits, ou pour les prévenir, la conciliation et l’arbitrage, celui-ci a d’abord paru plus efficace ; mais la pratique l’a montré très délicat.
- On a obtenu de meilleurs résultats en s’efforçant de concilier les partis en lutte.
- Tous les grands Etats pratiquent aujourd’hui l’arbi-
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- CHRONIQUE PARLEMENTAIRE
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- trage et la conciliation industriels. Depuis 1892, la France a également sur la matière une législation qui a porté ses fruits. Mais cette législation est insuffisante. Le projet déposé en 1891 sur la conciliation et l’arbitrage facultatif en matière de différends collectifs entre patrons et ouvriers n’a été voté qu’en partie par la Chambre et le Sénat. On en a distrait le titre second, relatif aux conseils permanents de conciliation ; il était, à notre avis, d’une grande importance.
- La conciliation, en effet, peut avoir deux buts : régler un conflit né ou prévenir un conflit à naître. La seconde tâche est plus aisée que la première; elle ne peut être accomplie que par les conseils permanents de conciliation.
- L’organisation de ces conseils ne serait pas obligatoire. Elle ne serait pas davantage restrictive. Liberté absolue serait laissée au patron et aux ouvriers de se constituer à leur guise, de nommer leurs délégués au suffrage universel ou au suffrage restreint, pour telle durée qu’ils jugent préférable ; la liberté de former des conseils d’usines ou des conseils d’industrie, d’étendre ou de restreindre leurs attributions, etc.
- M. André Lebon indique ainsi les principes positifs que son projet a pour but de consacrer :
- La loi donne tout d’abord le droit aux patrons et aux ouvriers de s’associer, même en nombre supérieur à vingt, pour constituer des conseils de conciliation. Ce droit est nouveau ; on tolère peut-être déjà la réunion des conseils permanents de plus de vingt membres, mais c’est là une tolérance, ce n’est pas un droit.
- Comme l’organisation à créer doit être avant tout un organe préventif, il a paru à l’auteur du projet que la principale attribution à lui donner était non-seulement celle d’examiner les conflits nés, mais surtout les conflits à naître, d’étudier autant que possible les clauses des contrats passés entre patrons et ouvriers, pour éviter qu’il s’y glisse des injustices et des abus, de purifier pour ainsi dire tous les éléments de discussion entre patrons et ouvriers, de façon à en écarter autant que possible, pour l’avenir, tout germe de discorde.
- C’est pour faciliter cet accord préventif sur les conditions du travail, que M. A. Lebon a inscrit aussi dans le projet actuel une disposition tendant à faire
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- LE DEVOIR
- examiner par le conseil de conciliation tous les règlements d’atelier que le patron voudra appliquer dans son usine, car le règlement d’atelier est en quelque sorte le fond même du contrat entre le patron et l’ouvrier, puisqu’il contient presque toutes les prescriptions auxquelles celui-ci s’engage tacitement à se soumettre par le fait seul de son entrée dans l’usine.
- Telles sont, en un résumé trop succinct, les grandes lignes du projet de l’ancien ministre du commerce.
- Le titulaire actuel de ce portefeuille, M. Mesureur, ancien président de la commission du travail, est lui-même Fauteur de l’une des plus importantes propositions concernant l’organisation de la conciliation, de l’arbitrage et la création de conseils de travail.
- Du reste, le cabinet dont fait partie M. Mesureur, a déposé lui-même un projet de loi sur le même objet.
- Il en avait annoncé le dépôt dans une séance au cours de laquelle M. Jaurès, au nom du groupe socialiste, avait déposé la proposition de loi suivante :
- « Article premier. — La loi sur la conciliation et l’arbitrage devra être affichée dans toutes les mines et exploitations industrielles, ainsi qu’au siège des syndicats ouvriers.
- » Art. 2. — Il est ajouté à l’article 10 de ladite loi le paragraphe suivant : « Avant même que le différend ait » abouti, le juge de paix pourra, s’il le croit utile, invi-» ter les parties à recourir à la procédure amiable de » l’arbitrage.
- » Art. 3. — Tout employeur individuel ou collectif devra remettre aux syndicats une copie authentique du règlement de travail.
- » Art. 4. — Toutes les fois qu’un employeur aura congédié ou disgracié un ou plusieurs salariés à raison de leur participation à l’action politique et syndicale, il sera puni d’une amende de 100 à 1,000 fr. »
- Au cours de la même séance, M. Bovier-Lapierre défendit la proposition de loi dont il est l’auteur, proposition votée à deux reprises par la Chambre et deux fois repoussée par le Sénat.
- En voici le texte :
- « Article premier. — Ceux qui seront convaincus d’avoir par voies de fait, menaces de perte d’emploi,
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- CHRONIQUE PARLEMENTAIRE
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- refus d’embauchage ou renvoi à raison de la qualité de syndiqué, porté atteinte aux droits des patrons et des ouvriers consacrés par la loi sur les syndicats, seront condamnés à un emprisonnement de six jours à un mois et à une amende de 16 fr. à 200 fr., ou à l’une de ces deux peines seulement.
- » Art. 2. — Les dispositions de l’article 463 du code pénal pourront être appliquées. »
- Antérieurement à ces deux propositions, la Chambre avait été saisie de deux propositions tendant à renforcer les dispositions des lois existantes sur les syndicats et sur l’arbitrage, et dont l’une, celle du groupe allemaniste de la Chambre, qui va jusqu’à déposséder l’employeur de son usine, de ses outils ou de ses biens, en cas de refus d’arbitrage.
- Et les propositions que nous rappelons ici ne font que s’ajouter à d’autres plus anciennes.
- On voit que si la Chambre veut travailler sérieusement à la solution des différends entre patrons et ouvriers, la besogne ne lui manque pas.
- La bonne volonté ne semble pas manquer non plus, puisque les projets surgissent de partout et que le Gouvernement d’hier et celui d’aujourd’hui, aussi bien que les partis qui ne sont pas toujours immuables, tout au moins dans leur attitude à l’égard des ministères qui passent, apportent à l’œuvre leur contribution.
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- LE DEVOIR
- FAITS POLITIQUES & SOCIAUX
- DANEMARK
- Assurances ouvrières
- Le Rigsdag sera prochainement appelé à se prononcer sur divers projets de loi établissant, en faveur des ouvriers, des assurances contre la maladie, les accidents et la vieillesse.
- Ces projets dus à l’initiative des députés socialistes sont presque entièrement calqués, pour les détails et pour les sommes, sur les lois allemandes ; mais ils en diffèrent par le principe, en ce sens que les employeurs restent étrangers au paiement des diverses indemnités ; ils sont remplacés par les contribuables sur lesquels devra de ce chef peser un impôt nouveau.
- Les socialistes danois ont introduit dans leurs projets une autre innovation : l’attribution d’une rente mi-nima de 200 à 250 couronnes à la veuve ou aux enfants de tout assuré décédé.
- L’adoption par le Rigsdag de ces divers projets ne fait aucun doute. Sur 114 membres cette assemblée comprend 58 radicaux et 8 socialistes. Malgré leur faible nombre ces derniers sont en réalité les arbitres de la situation parlementaire.
- D’ailleurs, dans le présent cas, ils ne sauraient être abandonnés par leurs alliés radicaux, puisque ceux-ci ont inscrit dans leur programme les réformes demandées par les socialistes.
- SUISSE
- Referendum
- Le 29 septembre, le peuple suisse rejetait le monopole des allumettes par 180.000 voix contre 140.000 en chiffres ronds, c’est à-dire à la majorité de 40.000 voix sur 320.000 votants.
- Le 3 novembre il repoussait par 270.000 voix contre 193.000 et par 17 cantons et demi contre 4 cantons et demi, l’article constitutionnel voté par les Chambres sur la proposition du Conseil fédéral modifiant le système militaire dans le sens de la centralisation, (on sait que,
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- FAITS POLITIQUES ET SOCIAUX
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- aux termes de l’article 123 de la Constitution helvétique, en cas de referendum ; pour qu’une modification constitutionnelle soit valable, il faut que, au vote, elle réunisse la majorité des votants et la majorité des cantons).
- Ce dernier verdict est d’autant plus significatif, que s’il y a un domaine où la centralisation se justifie et soit même nécessaire, c’est celui de l’organisation et de la direction de l’armée. On ne peut attribuer l’échec de la loi militaire aux imperfections du projet ; mais sa principale cause est dans le réveil de l’idée fédéraliste soumise depuis quelque temps déjà à des assauts réitérés de l’esprit centraliste.
- * *
- Un projet de loi sur les métiers élaboré par la Commission cantonale de Zurich, contient entre autres dispositions générales, l’instruction professionnelle pratique des apprentis, les examens d’apprentis, l’école professionnelle complémentaire et la surveillance des apprentis.
- AUTRICHE
- Assurance contre la maladie
- En 1893, le nombre des caisses d’assurance contre la maladie s’est élevé à 2.843 et le nombre moyen de personnes assurées à 1.840.000.
- Si à ce dernier chiffre l’on ajoute les 145.000 ouvriers mineurs affiliés aux caisses spéciales minières (Bruder-laden) pendant le même exercice, on arrive à un total de 1.985.000 personnes assurées contre la maladie en Autriche, dans le courant de l’année 1893, ce qui représente, en moyenne, 83 assurés pour 1000 habitants. Les recettes totales ont été de 15.062.557 florins et les dépenses totales de 13.865.353 florins (le florin vaut 2 fr. 10.)
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- ETATS UNIS
- Fédération des sociétés coopératives
- Le 4 juilet dernier avait lieu à Cincinnati, Etat de l’Ohio, le Congrès des coopérateurs des Etats-Unis d’Amérique.
- Ce Congrès a décidé de créer une Fédération perma-
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- nente des institutions coopératives. Celle-ci aura pour mission d’aider à la formation d’associations coopératives nouvelles et de faciliter l’échange des produits entre les différentes associations existantes et le public. Elle comprendra un bureau central d’informations qui aura pour but d’aviser toutes les coopératives adhérentes des créations nouvelles, des divers procédés nouveaux de fabrication, de leur faire connaître les améliorations produites ou réclamées. Cette fédération permanente prendra le nom d'American Coopérative Company, et sera constituée au capital de 50.000 francs, divisé en actions de 125 francs réparties entre les associations fédéréés. Chaque association ne pourra posséder plus de 40 actions et n’aura qu’une voix aux assemblées. Le siège social sera à Cincinnati. Un Comité de cinq membres a été constitué pour rédiger les statuts.
- Il n’existait, jusqu’à ce jour, aux Etats-Unis aucune organisation fédérative propre aux coopératives, soit pour l’ensemble des Etats, soit pour un seul Etat. Les renseignements sur le mouvement coopératif étaient rares.
- La Fédération est donc appelée à rendre les plus grands services.
- M. E.-W. Bemis, auteur d’un rapport adressé au Congrès international de la coopération de Londres, ne signale l’existence de sociétés coopératives de consommation, organisées sur le plan de Rochdale, que dans le Massachusetts et le Texas.
- Dans le premier de ces Etats, environ 25 coopératives sont établies depuis dix à vingt ans. La plus importante est VAnlington coopérative Association de Lawrence, fondée il y a une dizaine d’années et qui compte plus de 2,000 membres.
- Au Texas, à Galveston, existe un Wholesale Association, connu sous le nom de Texas cooperative Asso-ciaiion, ayant un capital de 87,000 dollars et dont le montant des affaires, en 1894, fut de 300,000 dollars. Enfin, dans l’Etat du Kansas, il y a, à Olathe, la Johnson County Cooperative Association, qui a un chiffre d’affaire évalué à 225,000 dollars.
- On rencontre encore quelques coopératives de consommation disséminées à travers l’Ouest, mais elles ne prennent, en général, guère d’extension, à part l’une
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- d’elles, formée d’agriculteurs, de fermiers : elle ne compte pas moins de 250,000 membres.
- Le journal les Coopérateurs belges constate que les sociétés coopératives de production sont peu nombreuses aux Etats-Unis.
- Quant à la participation aux bénéfices, l’application la plus importante de ce système, est celle- de la Compagnie manufacturière Nelson, à Leclaire (Illinois) et Saint-Louis (Missouri).
- Aux Etats-Unis, l’esprit coopératif s’est surtout manifesté sous la forme de sociétés de construction et de prêt.
- Le neuvième rapport annuel de la Commission du travail des Etats-Unis, de 1893, nous fournit à leur sujet d’intéressants renseignements ; il signale l’existence de 5,598 associations coopératives locales de prêt et de construction, ayant 1,359,366 membres et un total d’affaires de 413,648,228 dollars. On estime à environ 350,000 le nombre de maisons acquises par elles.
- Ces sociétés coopératives sont en général, de création récente ; en effet, 1,022, ou moins du cinquième, ont plus de dix années d’existence. Elles sont disséminées dans toute l’étendue du territoire américain. La Pensylvanie en compte 1,076, l’Ohio 718 et l’Illinois 631.
- Dans le rapport, il est dit que la moitié de ces associations n’accordent qu’un vote par actionnaire, tandis que d’autres donnent autant de votes qu’on possède d’actions, sans toutefois dépasser quatre.
- La législation de certains Etats oblige la société à ne pas permettre plus d’un vote par associé.
- Un certain nombre de ces associations ont perdu leur véritable caractère coopératif.
- Une forme de coopération qui a pris une extension considérable, c’est la crémerie.
- On compte 150 crémeries dans le Minesota et 72 crémeries privées; de plus la fondation de 50 nouvelles crémeries est annoncée et un nombre non moins important de crémeries privées ont pris la forme coopérative.
- Dans l’Iowa, sur 870 crémeries, il y en a 231 qui sont constituées en coopératives ; dans le Massachusetts, on en signale 30.
- Dans une demi douzaine d’Etats, près de 800 compagnies coopératives d’assurance ont été établies.
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- LA QUESTION DE LA PAIX
- Ce que nous voulons
- Sous ce titre, Mme Maria Martin publie dans le Jour-nal des Femmes qu’elle dirige, un article de grande pitié et de généreuse indignation sur cette triste expédition de Madagascar, où trois mille cinq cent des nôtres, plus du quart de l’effectif sont morts de maladie, où des fautes ont été commises si lourdes qu’elles constituent de véritables crimes.
- Voici la conclusion de cet article :
- « Cette guerre a été entreprise sous les meilleurs auspices, sans surprise, la France a eu le temps pour se préparer, l’argent ne manquait pas et nous en sortons victorieux, sans combat important. Qu’en serait-il dans d’autres circonstances avec un ennemi plus formidable? Si Madagascar est un désastre, « un véritable crime, » que serait une autre guerre pour vainqueurs et vaincus ?
- » Un crime, oui pour celui qui le fait; pour celui qui n’a pas épuisé tout moyen d’arbitrage, pour celui qui ne combat pas pour son foyer. Celui qui se défend évidemment, n’a pas de responsabilité. Quand un voleur entre chez nous et menace notre vie, la loi de la nature nous commande de nous défendre.
- » Mais, dans toute autre circonstance, maudits, mille fois maudits les instigateurs de la guerre, tous ceux, rois, ministres, hommes d’Etat, qui n’ont pas cherché à éviter le conflit, à étouffer les premières étincelles qui amènent la conflagration. Coupables aussi, bien coupables les journalistes, les écrivains, les historiens qui consacrent leur plume à glorifier les conquérants, à exciter à la haine des nations, à exciter le sauvage qui reste encore au fond du cœur de l’homme civilisé.
- » Ce que nous voulons* nous, femmes, c’est la paix. Ce que nous voulons, c’est ne pas voir périr nos enfants dans des expéditions lointaines dont nous ne voyons ni le but ni l’avantage pour la France. Nous voulons en faire de bons citoyens, d’honnêtes hommes., Nous les donnerons pour le bien, pour le salut de l’humanité. Nous les donnerons, s’il le faut, pour la défense de la patrie, mais nous saurons au moins pourquoi ils sont morts et ce ne sera jamais nous qui provoquerons la guerre.
- » Nous ne voulons plus d’expéditions lointaines.
- ' » Maria Martin. »
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- MOUVEMENT FÉMINISTE
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- MOUVEMENT FÉMINISTE
- Les Femmes à l’assistance publique
- Le nouveau règlement de l’Assistance publique promulgué le 20 novembre 1895, porte que « les femmes peuvent être nommées administrateurs des bureaux de bienfaisance de la ville de Paris. »
- Cette disposition donne une satisfaction partielle au vœu adopté, sur la proposition de Mme V. Vincent, par les deux Congrès féministes de 1889.
- Il convient de dire que depuis cette époque Mme Vincent et les sociétés féministes qui avaient pris en main la cause de l’admission des femmes dans les bureaux de bienfaisance, n’étaient pas restées inactives, et l’insertion dans le nouveau règlement de l’Assistance publique de la clause que nous venons de citer n’est que le juste couronnement d’une série de démarches faites auprès du Conseil municipal, du ministre de l’intérieur, du directeur général de l’Assistance publique et du Conseil d’Etat.
- Dans la lettre de remerciements adressée au Conseil municipal de Paris et au Conseil supérieur de l’Assistance publique, par Mmes Feresse-Deraismes et Vincent, au nom de la Société pour l’amélioration du sort de la femme et au nom du groupe de l’Egalité, nous lisons :
- « Françaises, nous n’oublierons pas que c’est au gouvernement républicain que nous devons le premier droit que les femmes aient obtenu depuis la Révolution.
- » Nulle place ne pouvait mieux convenir aux femmes que celle de s’occuper de la charité publique, et nous avons la certitude que le mandat qui leur sera confié, elles le rempliront avec zèle et dévouement. »
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- Un nouveau groupe
- A l’étranger, en Angleterre et en Amérique surtout, les groupements féministes ne se comptent plus. Paris depuis longtemps donne le même exemple.
- Un nouveau groupe féministe vient de se constituer, cette fois, en province, à Rouen, le groupe Y Emancipation humaine.
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- Les femmes docteurs dans l’Inde et les pays musulmans
- En 1885, la marquise de Dufferin créait aux Indes, où lord Dufferin était vice-roi, une association destinée à donner aux femmes hindoues les secours médicaux féminins.
- En neuf ans, il a été construit là bas soixante-dix hôpitaux et dispensaires où pratiquent douze doctoresses en chefs, cinquante et une chirurgiennes et qua^ rante quatre assistantes au service médical.
- La fondation Dufferin a créé de plus onze écoles de médecine dont les cours sont suivis par deux cent quarante et une étudiantes.
- En Autriche, le gouvernement emploie des femmes médecins qui ont le titre et exercent les fonctions de médecins d’arrondissement. Elles reçoivent des appointements fixes et ont droit à une retraite. C’est surtout en Bosnie que fonctionne ce système. Là, en effet, une grande partie de la population est mahométane, et les femmes de cette religion ne veulent pas recevoir les soins des médecins-hommes.
- On sait que les femmes sont autorisées à exercer la médecine en Turquie sur la présentation de leur diplôme.
- Bon nombre de docteurs-femmes d’occident ont répondu à l’appel qui leur a été adressé de ce pays, lequel d’ailleurs envoie depuis quelque temps ses jeunes filles étudier la médecine dans nos facultés.
- Il est certain, d’autre part, que l’Institut de médecine pour femmes dont la création a été décidée en Russie pourra rendre de grands services à la portion musulmane de ce vaste empire.
- Enfin, en même temps que la Russie prenait cette initiative , M. Cambon, gouverneur général de l’Algérie, confiait à Mme Chellier, doctoresse en médecine à Alger, une mission dans l’Aurès, en vue d’étudier la gynécologie des femmes kabyles et arabes, ainsi que les maladies chroniques ou aigües provenant des mauvais soins pendant la parturition.
- Il n’est pas douteux que les exemples de l’Inde et de la Bosnie n’aient inspiré l’honorable gouverneur de l’Algérie.
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- bibliographie
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- BIBLIOGRAPHIE
- LES TROIS SOCIALISMES : Anarchisme — Collectivisme — Réformisme, par Paul Boilley.
- Pourquoi les trois socialismes?
- Parce que, nous dit l’auteur, « le socialisme n’est pas un, il est multiple, et chacun de ces socialismes pour sortir du vague et de l’indéterminé, a besoin d’être accompagné d’une épithète explicative. » A la vérité, « cette division n’est faite que dans un but de simplification ; car il y a un nombre infini d’écoles. On peut cependant, avec assez de facilité, ramener le socialisme tout entier à trois types bien accentués, dans lesquels peuvent se classer toute secte ayant quelque notoriété. »
- « Des trois socialismes, » dit Boilley, dans son avant-propos, « nous avons essayé de tirer le dernier mot, en les dégageant autant que possible, des obscurités scientifiques. Traduite ainsi en langage ordinaire, la doctrine est devenue facile à comprendre pour les per* sonnes qui, peu familiarisées avec le jargon sociologique, seraient désireuses de raisonner sur ces questions brûlantes, aujourd’hui à l’ordre du jour.
- » Nous pensons en avoir tracé un ensemble permet* tant sans autre aide que le simple bon sens, de juger chaque théorie, d’en connaître les possibilités d’application et de fixer nettement par quels côtés les trois socialismes peuvent ou se concilier entre eux ou au contraire accentuer leurs dissidences. »
- L’attention de l’auteur s’est spécialement attachée au Collectivisme, issu de la doctrine allemande de Karl Marx, qui a décidément pris la direction du courant démocratique en Allemagne, en Belgique, en France, partout enfin où prédomine l’industrialisme.
- De là des appréciations tout à fait neuves et singulièrement attachantes sur le socialisme considéré comme parti politique et comme ferment d’agitation populaire.
- Paris, Félix Alcan, libraire-éditeur, 108, boulevard Saint-Germain (1895), Prix : 3 Ir. 50.
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- L’auteur nous montre aux prises, plus fort que jamais, les trois socialismes et particulièrement le collectivisme, avec le bourgeoisisme qui, par une sorte de similitude en quelque sorte fatidique, forme lui aussi un ternaire avec, au sommet, la haute bourgeoisie entraînant, par la puissance de l’argent, la moyenne et la " petite bourgeoisie, qui lui sont subordonnées.
- « D’un côté, on ne veut voir dans l’action bourgeoise et patronale, qu’une opération de lucre et d’exploitation, ce qui est tout aussi absurde que l’opinion inverse, qui considère tout prolétaire comme une sorte de bandit toujours prêt à dépouiller son patron ou son propriétaire et s’ingéniant à lui jouer les plus mauvais tours, en attendant qu’il puisse le mettre à la lanterne.
- » Ce qu’il y a plus fâcheux, dans l’état d’esprit de notre époque si troublée, c’est que la même divagation de raisonnement fait dire aux bourgeois des sottises tout aussi fortes que celles qui sont débitées par leurs adversaires socialistes.
- » Le bourgeois ne se trouve pas plus à l’aise que le prolétaire, et comme lui, il ne se montre pas satisfait de son sort; il pense que les choses ne sont pas pour le mieux ici-bas, et que tout n’est pas rose dans le métier de patron ou de rentier.
- » A force d’entendre dire qu’il sera dévoré, il voit partout des dévorants, et se sentant ainsi attaqué, il cherche a comprendre et à se reconnaître.
- » Rien ne va plus. — On n’aperçoit du haut en bas qu’un méli-melo de volontés opposées qui se chamaillent, des forces ahuries, dévoyées, qui s’entrechoquent au lieu de s’aider ; et la raison s’épuise dans cet infernal tobu-bobu.
- » — N’en déplaise à tous les marxistes, à tous les bourgeois, aux économistes libéraux ou aux non libéraux, aux professeurs officiels ou dissidents, cet acharnement absurde, qui tend à enrégimenter les diverses couches sociales, pour les précipiter les unes contre les autres, ce n’est pas la guerre de classe, qui poursuit une soi-disant mission historique ; ce n’est pas la lutte du principe du bien contre le principe du mal : Ormuz contre Arhiman ; c’est pire que cela, c’est une guerre générale et incohérente du haut en bas de la
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- BIBLIOGRAPHIE
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- société, quelque chose comme une mêlée furieuse dans la nuit noire, où tous les combattants frappent à tort et à travers se piétinant sans se voir.
- » C’est en plein la période que Fourier a si bien prédite et qu’il a si bien caractérisée sous le nom de concurrence anarchique. »
- On voit de quelle haute inspiration Boilley procède. Il nous rappelle par ce côté, et par bien d’autres, F. Vidal, qui avant Karl Marx a fait une critique si lumineuse et si complète du capitalisme.
- Dans l’examen des écoles socialistes modernes, P. Boilley apporte les mêmes qualités de clarté, de logique et de judicieux bon sens que l’auteur trop délaissé de la Répartition des richesses, dans l’examen des écoles socialistes de son temps.
- Encore si les mécontents ne formaient qu’une petite minorité ; mais ils sont en nombre; ils sont devenus légion.
- Alors, nous devons forcément conclure qu’ils pourraient bien avoir raison et que tout n’est pas pour le mieux.
- « La faute en est aux socialistes, » dit le bourgeois. « Tout le mal vient des capitalistes, » dit le prolétaire. — « Paix, bonnes gens ! » intervient Boilley, « n’est-ce pas plutôt la faute des uns et des autres ? Qui sait ? Les uns demandent peut-être trop et les autres n’accordent peut-être pas assez. »
- Tout le problème est là, et le ton du livre.
- Dans un précédent ouvrage dont nous avons rendu compte : La législation internationale du Travail, après avoir démontré l’impossibilité de faire réussir les réformes que les socialistes les plus modérés considèrent comme immédiatement réalisables, dans un milieu social qui n’est pas apte à les recevoir, Boilley aboutissait à cette conclusion que « tout le mal vient d’une répartition vicieuse. »
- « Au lieu de dire que l’ouvrier est volé parce qu’il travaille trop longtemps, il aurait fallu dire que l’ouvrier est volé parce qu’il ne reçoit pas sa part de plus-value. »
- Le nouvel ouvrage est le développement de ce thème.
- Ce n’est pas une opinion a priori dont l’auteur poursuit le triomphe par tous les moyens possibles ; car jamais économiste orthodoxe ou marxiste pur, exclusi-
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- vement soucieux de ne laisser voir que les bons côtés de son système de prédilection ne l’a montré sous un jour plus avantageux que ne le fait Boilley pour les deux systèmes en présence.
- Son impartialité ne laisse aucun de ces bons côtés dans l’ombre ; par contre, elle en tire d’autres qui ne gagnent absolument rien à paraître à la lumière crue, et ce n'est pas sa faute si ses déductions ne sont pas toujours de nature à satisfaire les deux antagonistes en perpétuel conflit.
- Les deux systèmes absolus se rencontrent cependant sur un point. Partisans et détracteurs du capital admettent également que « tout produit qui n’est pas spontanément créé par la nature ne peut naître que de l’action combinée de deux formes du travail, la forme active et la forme condensée (Karl Marx dit : cristallisé), ou en d’autres termes, de l’action combinée du travail et du capital. »
- D’où le droit pour chacun de ces deux facteurs d’avoir part au produit, droit qui peut se résumer dans cette formule : « part égale à concours égal, part proportionnelle si les concours sont d’inégale importance. »
- Cette formule si juste, économistes et socialistes révolutionnaires la repoussent, ni les uns, ni les autres ne veulent entendre parler de partage.
- C’est au socialisme réformiste qu’il faut en demander la réalisation.
- Boilley présente à ses lecteurs deux exemples d’organisation où se trouve réalisée l’entente pacifique entre le travail et le capital, l’une concentrée dans l’usine (Godin), l’autre disséminé en escouades travaillant loin du centre commun (LeclaireJ.
- « Dans ces deux types, dit-il avec raison, il est possible de faire entrer à peu près ktous les genres d’industrie. »
- L’exposé des institutions diverses du Familistère occupe une place relativement grande dans le livre de Boilley. Cette place n’est pas usurpée. Nous avons la conviction profonde que la bourgeoisie justement préoccupée des responsabilités qu’elle encourt par sa résistance aux réformes, que les organisations ouvrières, aujourd’hui, par un singulier revirement en quête de réalisations, ne perdraient pas leur temps à regarder un peu de ce côté.
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- SANS FAMILLE
- Par Hector MALOT
- Ouvrage couronné par l’Aoaâéraie française
- (Suite)
- Depuis que j’avais repris ma peau de mouton et ma harpe, il y avait une chose qui me gênait beaucoup, — c’était mon pantalon. Il me semblait qu’un artiste ne devait pas porter un pantalon long; pour paraître en public, il fallait des culottes courtes avec des bas sur lesquels s’entre-croisaient des rubans de couleur. Des pantalons, c’était bon pour un jardinier, mais maintenant j’étais de nouveau un artiste!...
- Lorsqu’on a une idée et qu’on est maître de sa volonté, on ne tarde pas à la réaliser. J’ouvris la ménagère d’Etiennette et je prie ses ciseaux.
- — Pendant que je vais arranger mon pantalon, dis-je à Mattia, tu devrais bien me montrer comment tu joues du violon.
- — Oh! je veux bien.
- Prenant son violon, il se mit à jouer.
- Pendant ce temps, j’enfonçai bravement la pointe de mes ciseaux dans mon pantalon un peu au-dessous du genou et je mis à couper le drap.
- C’était cependant un beau pantalon en drap gris comme mon gilet et ma veste, et que j’avais été bien joyeux de recevoir quand le père me l’avait donné; mais je ne croyais pas l’abîmer en le taillant ainsi, bien au contraire.
- Tout d’abord, j’avais écouté Mattia en coupant mon pantalon, mais bientôt je cessai de faire fonctionner mes ciseaux et je fus tout oreille : Mattia jouait presque aussi bien que Vitalis.
- — Et qui donc t’a appris le violon ? lui dis-je en l’applaudissant.
- — Personne, un peu tout le monde, et surtout moi seul en travaillant.
- — Et qui t’a enseigné la musique?
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- LE DEVOIR
- — Je ne la sais pas ; je joue ce que j’ai entendu jouer.
- — Je te l’enseignerai, moi.
- — Tu sais donc tout?
- — Il faut bien puisque je suis chef de troupe.
- On n’est pas artiste sans avoir un peu d’amour-propre ; je voulus montrer à Mattia que moi aussi j’étais musicien.
- Je pris ma harpe et tout de suite pour frapper un grand coup, je lui chantai ma fameuse chanson :
- Fenesta vascia e patrona crudele...
- Alors, comme cela se devait entre artistes, Mattia me paya les compliments que je venais de lui adresser, par ses applaudissements : il avait un grand talent, j’avais un grand talent, nous étions dignes l’un de l’autre.
- Mais nous ne pouvions pas rester ainsi à nous féliciter l’un l’autre, il fallait après avoir fait de la musique pour nous, pour notre plaisir, en faire pour notre souper et pour notre coucher.
- Je bouclai mon sac, et Mattia à son tour le mit sur ses épaules.
- En avant sur la route poudreuse : maintenant il fallait s’arrêter au premier village qui se trouverait sur notre route et donner une représentation : « Débuts de la troupe Remi. »
- — Apprends-moi ta chanson, dit Mattia, nous la chanterons ensemble, et je pense que je pourrai bientôt t’accompagner sur mon violon ; cela sera très joli.
- Certainement, cela serait très joli et il faudrait véritablement que « l’honorable société » eût un cœur de pierre pour ne pas nous combler de gros sous.
- Ce malheur nous fut épargné. Comme nous arrivions à un village qui se trouve après Villejuif, nous préparant à chercher une place convenable pour notre représentation, nous passâmes devant la grande porte d’une ferme, dont la cour était pleine de gens endimanchés, qui portaient tous des bouquets noués avec des flots de rubans et attachés, pour les hommes, à la boutonnière de leur habit, pour les femmes à leur corsage : il ne fallait pas être bien habile pour deviner que c’était une noce.
- L’idée me vint que ces gens seraient peut-être satis-
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- SANS FAMILLE
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- faits d’avoir des musiciens pour les faire danser, aussitôt, j’entrai dans la cour suivi de Mattia et de Capi, puis, mon feutre à la main, et avec un grand salut (le salut noble de Vitalis), je fis ma proposition à la première personne que je trouvai sur mon passage.
- C’était un gros garçon dont la figure rouge comme brique était encadrée dans un grand col raide qui lui sciait les oreilles ; il avait l’air bon enfant et placide.
- Il ne me répondit pas; mais se tournant tout d’une pièce vers les gens de la noce, car sa redingote en beau drap luisant le gênait évidemment aux entournures, il fourra deux de ses doigts dans sa bouche et tira de cet instrument un si formidable coup de sifflet que Capi en fut efïrayér
- — Ohé ! les autres, cria-t-il, qu’è que vous pensez d'une petite air de musique ? v’ià des artistes qui nous arrivent.
- — Oui, oui, la musique ! la musique ! crièrent des voix d’hommes et de femmes.
- — En place pour le quadrille !
- Et, en quelques minutes, les groupes de danseurs se formèrent au milieu de la cour ; ce qui fit fuir les volailles épouvantées.
- — As-tu joué des quadrilles? demandai-je à Mattia en italien et à voix basse, car j’étais assez inquiet.
- — Oui.
- Il m’en indiqua un sur son violon; le hasard permit que je le connusse. Nous étions -sauvés.
- On avait sorti une charrette de dessous un hangar; on la posa sur ses chambrières, et on nous fit monter dedans.
- Bien que nous n’eussions jamais joué ensemble, Mattia et moi, nous ne nous tirâmes pas trop mal de notre quadrille. Il est vrai que nous jouions pour des oreilles qui n’étaient heureusement ni délicates, ni difficiles.
- — Un de vous sait-il jouer du cornet à piston? nous demanda le gros rougeaud.
- — Oui, moi, dit Mattia, mais je n’en ai pas.
- — Je vas aller un chercher un, parce que le violon, c’est joli, mais c’est fadasse.
- — Tu joues donc aussi du cornet à piston? demandai-je à Mattia en parlant toujours en italien.
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- LE DEVOIR
- — Et de la trompette à coulisse et de la flûte, et de tout ce qui se joue.
- Décidément il était précieux Mattia.
- Bientôt le cornet à piston fut apporté, et nous recommençâmes à jouer des quadrilles, des polkas, des valses, surtout des quadrilles.
- Nous jouâmes ainsi jusqu’à la nuit sans que les danseurs nous laissassent respirer : cela n’était pas bien grave pour moi, mais cela l’était beaucoup plus pour Mattia, chargé de la partie pénible, et fatigué d’ailleurs par son voyage et les privations. Je le voyais de temps en temps pâlir comme s’il allait se trouver mal, cependant il jouait toujours, soufflant tant qu’il pouvait, dans son embouchure.
- Heureusement, je ne fus pas seul à m’apercevoir de sa pâleur, la mariée la remarqua aussi.
- — Assez, dit-elle, le petit n’en peut plus ; maintenant la main à la bourse pour les musiciens.
- — Si vous vouliez, dis-je en sautant à bas de la voiture, je ferais faire la quête par notre caissier.
- Je jetai mon chapeau à Capi qui le prit dans sa gueule.
- On applaudit beaucoup la grâce avec laquelle il savait saluer lorsqu’on lui avait donné, mais ce qui valait mieux pour nous, on lui donna beaucoup; comme je le suivais, je voyais les pièces blanches tomber dans le chapeau; le marié mit la dernière et ce fut une pièce de cinq francs.
- Quelle fortune! mais ce n’était pas tout. On nous invita à manger, et on nous donna à coucher dans une grange. Le lendemain, quand nous quittâmes cette maison hospitalière, nous avions un capital de vingt-huit francs.
- — C’est à toi que nous les devons, mon petit Mattia, dis-je à mon camarade, tout seul je n’aurais pas formé un orchestre.
- Alors le souvenir d’une parole qui m’avait été dite par le père Acquin quand j’avais commencé à donner des leçons à Lise me revint à la mémoire, me prouvant qu’on est toujours récompensé de ce qu’on fait de bien.
- — J’aurais pu imaginer une plus grande bêtise que de te prendre dans ma troupe.
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- Avec vingt-huit francs dans notre poche, nous étions des grands seigneurs, et lorsque nous arrivâmes à Corbeil, je pus, sans trop d’imprudence, me livrer à quelques acquisitions que je jugeais indispensabtes : d’abord un cornet à pistons qui me coûta trois francs chez un marchand de ferraille; pour cette somme, il n'était ni neuf ni beau, mais enfin, récuré et soigné, il ferait notre affaire; puis ensuite des rubans rouges pour nos bas; et enfin un vieux sac de soldat pour Mattia, car il était moins fatigant d’avoir toujours sur les épaules un sac léger, que d’en avoir de temps en temps un lourd; nous nous partagerions également ce que nous portions avec nous, et nous serions plus alertes.
- Quand nous quittâmes Corbeil, nous étions vraiment en bon état ; nous avions, toutes nos acquisitions payées, trente francs dans notre bourse, car nos représentations avaient été fructueuses; notre répertoire était réglé de telle sorte que nous pouvions rester plusieurs jours dans le même pays sans trop nous répéter; enfin nous nous entendions si bien, Mattia et moi, que nous étions déjà ensemble comme deux frères.
- — Tu sais, disait-il quelquefois en riant, un chef de troupe comme toi qui ne cogne pas, c’est trop beau.
- — Alors, tu es content?
- — Si je suis content! c’est-à-dire que voilà le premier temps de ma vie, depuis que j’ai quitté le pays, où je ne regrette pas l’hôpital.
- Cette situation prospère m’inspira des idées ambitieuses.
- Après avoir quitté Corbeil, nous nous étions dirigés sur Montargis, en route pour aller chez mère Barberin.
- Aller chez mère Barberin pour l’embrasser c’était m’acquitter de ma dette de reconnaissance envers elle, mais c’était m’en acquitter bien petitement et à trop bon marché.
- Si je lui portais quelque chose.
- Maintenant que j’étais riche, je lui devais un cadeau.
- Il y en avait un qui plus que tout la rendrait heureuse, non-seulement dans l’heure présente, mais pour toute sa vieillesse, — une vache, qui remplaçât la pauvre Roussette.
- Quelle joie pour mère Barberin, si je pouvais lui donner une vache, et aussi quelle joie pour moi!
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- LE DEVOIR
- Avant d’arriver à Chavanon, j’achetais une vache et Mattia la conduisant par la longe, la faisait entrer dans la cour de mère Barberin. Bien entendu, Barberin n’était pas là. — Madame Barberin, disait Mattia, voici une vache que je vous amène. — Une vache! vous vous trompez, mon garçon. Et elle soupirait. — Non, madame, vous êtes bien madame Barberin, de Chavanon ? Eh bien ! c’est chez madame Barberin que le prince ( comme dans les contes de fées ) m’a dit de conduire cette vache qu’il vous offre. — Quel prince? — Alors je paraissais, je me jetais dans les bras de mère Barberin, et après nous être bien embrassés, nous faisions des crêpes et des beignets, qui étaient mangés par nous trois et non par Barberin, comme en ce jour de mardi-gras où il était revenu pour renverser notre poêle et mettre notre beurre dans sa soupe à l’oignon.
- Quel beau rêve ! Seulement, pour le réaliser, il fallait pouvoir acheter une vache.
- Combien cela coûtait-il une vache? Je n’en avais aucune idée ; cher, sans doute, très cher, mais encore ?
- Ce que je voulais, ce n’était pas une trop grande, une trop grosse vache. D’abord, parce que plus les vaches sont grosses, plus leur prix est élevé ; puis ensuite, plus les vaches sont grandes, plus il leur faut de nourriture, et je ne voulais pas que mon cadeau devînt une cause d’embarras pour mère Barberin.
- L’essentiel pour le moment c’était donc de connaître le prix des vaches, ou plutôt d’une vache telle que j’en voulais une.
- Heureusement, cela n’était pas difficile pour moi et dans notre vie sur les grands chemins, dans nos soirées à l’auberge, nous nous trouvions en relations avec des conducteurs et des marchands de bestiaux ; il était donc bien simple de leur demander le prix des vaches.
- Mais la première fois que j’adressai ma question à un bouvier, dont l’air brave homme m’avait tout d’abord attiré, on me répondit en me riant au nez.
- Le bouvier se renversa ensuite sur sa chaise en donnant de temps en temps de formidables coups de poing sur la table; puis il appela l’aubergiste.
- — Savez-vous ce que me demande ce petit musicien ? Combien coûte une vache, pas trop grande, pas trop
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- grosse, enfin une bonne vache. Faut-il qu’elle soit savante ?
- Les rires recommencèrent ; mais je ne me laissai pas démonter.
- — Il faut qu’elle donne du bon lait et qu’elle ne mange pas trop.
- — Faut-il qu’elle se laisse conduire à la corde sur les grands chemins, comme votre cliien ?
- Après avoir épuisé toutes ses plaisanteries, déployé suffisamment son esprit, il voulut bien me répondre sérieusement et même entrer en discussion avec moi.
- Il avait justement mon affaire, une vache douce, donnant beaucoup de lait, un lait qui était une crème, et ne mangeant presque pas ; si je voulais lui allonger quinze pistoles sur la table, autrement cinquante écus, la vache était à moi.
- Autant j’avais eu de mal à le faire parler tout d’abord, autant j’eus de mal à le faire taire quand il fut en train.
- Enfin nous pûmes aller nous coucher et je rêvai à ce que cette conversation venait de m’apprendre.
- Quinze pistoles ou cinquante écus, cela faisait cent cinquante francs ; et j’étais loin d’avoir une si grosse somme.
- Etait-il impossible de la gagner? Il me sembla que non, et que, si la chance de nos premiers jours nous accompagnait, je pourrais, sou à *sou, réunir ces cent cinquante francs. Seulement il faudrait du temps.
- Alors une nouvelle idée germa dans mon cerveau : si au lieu d’aller de suite à Chavanon, nous allions d’abord à Varses, cela nous donnerait ce temps qui nous manquerait en suivant la route directe.
- Il fallait donc aller à Varses tout d’abord et ne voir mère Barbarin qu’au retour : assurément alors j’aurais mes cent cinquante francs et nous pourrions jouer ma féerie : La Vache du prince.
- Le matin, je fis part de mon idée à Mattia, qui ne manifesta aucune opposition.
- — Allons à Varses, dit-il ; les mines, c’est peut-être curieux, je serai bien aise d’en voir une.
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- LE DEVOIR
- II
- UNE VILLE NOIRE
- La route est longue de Montargis à Varses, qui se trouve au milieu des Cévennes, sur le versant de la montagne incliné vers la Méditerrannée : cinq ou six cents kilomètres en ligne droite ; plus de mille pour nous à cause des détours qui nous étaient imposés par notre genre de vie. Il fallait bien chercher des villes et des grosses bourgades pour donner des représentations fructueuses.
- Nous mîmes près de trois mois à faire ces mille kilomètres, mais quand nous arrivâmes aux environs de Varses, j’eus la joie, comptant mon argent, de constater que nous avions bien employé notre temps : dans ma bourse en cuir j’avais cent vingt-huit francs d’économies ; il ne me manquait plus que vingt-deux francs pour acheter la vache de mère Barberin.
- Mattia était presque aussi content que moi, et il n’était pas médiocrement fier d’avoir contribué pour sa part à gagner une pareille somme : il est vrai que cette -part était considérable et «que sans lui, surtout sans son cornet à piston, nous n’aurions jamais amassé 128 francs, Capi et moi.
- De Varses à Ghavanon nous gagnerions bien certainement les 22 francs qui nous manquaient.
- Varses où nous arrivions était, il y a une centaine d’années, un pauvre village perdu dans les montagnes et connu seulement par cela qu’il avait souvent servi de refuge aux Enfants de Dieu, commandés par Jean Cavalier. Sa situation au milieu des montagnes en avait fait un point important dans la guerre des Camisards ; mais cette situation même avait fait par contre sa pauvreté. Vers 1750, un vieux gentilhomme qui avait la passion des fouilles découvrit à Varses des mines de charbon de terre, et depuis ce temps Varses est devenu un des bassins houillers qui, avec RAlais, Saint-Gfervais, Bes-sèges, approvisionnent le Midi et tendent à disputer le marché de la Méditerrannée aux charbons anglais. Lors-
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- qu’il avait commencé ses recherches, tout le monde s’était moqué de lui, et lorsqu’il était parvenu à une profondeur de 150 mètres sans avoir rien trouvé, on avait fait des démarches actives pour qu’il fut enfermé comme fou, sa fortune devant s’engloutir dans ces fouilles insensées : Varses renfermait dans son territoire des mines de fer ; on n’y trouverait jamais du charbon de terre. Sans répondre, et pour se soustraire aux criail-leries, le vieux gentilhomme s’était établi dans son puits et n’en était plus sorti ; il y mangeait, il y couchait, et il n’avait à subir ainsi que les doutes des ouvriers qu’il employait avec lui ; à chaque coup de pioche ceux-ci haussaient les épaules, mais excités par la foi de leur maître, ils donnaient un nouveau coup de pioche et le puits descendait. A 200 mètres, on trouva une couche de houille : le vieux gentilhomme ne fut plus un fou. ce fut un homme de génie ; du jour au lendemain, la métamorphose fut complète.
- Aujourd’hui Varses est une ville de 12,000 habitants qui a devant elle un grand avenir industriel et qui pour le moment est, avec Alais et Bessèges, l’espérance du Midi.
- Ce qui fait et ce qui fera la fortune de Varses est ce qui se trouve sous la terre et non ce qui est au-dessus. A la surface, en effet, l’aspect est triste et désolé ; des causses, des garrigues, c’est-à-dire la stérilité, pas d’arbres, si ce n’est çà et là des châtaigniers, des mûriers et quelques oliviers chétifs, pas de terre végétale, mais partout des pierres grises ou blanches; là seulement où la terre ayant un peu de profondeur se laisse pénétrer par l’humidité, surgit une végétation active qui tranche agréablement avec la désolation des montagnes.
- De cette dénudation résultent de terribles inondations, car lorsqu’il pleut l’eau court sur les pentes dépouillées comme elle courrait sur une rue pavée, et les ruisseaux ordinairement à sec roulent alors des torrents qui gonflent instantanément les rivières des vallons et les font déborder : en quelques minutes on voit le niveau de l’eau monter de trois, quatre, cinq mètres et même plus.
- Varses est bâti à cheval sur une de ces rivières nommée la Divonne, qui reçoit elle-même dans l’inté-
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- • LË DEVOIR
- rieur de la ville deux petits torrents : le ravin de ià Truyère et celui de Saint-Andéol. Ce n’est point une belle ville, ni propre, ni régulière ; les wagons chargés de minerai de fer ou de houille qui circulent du matin au soir sur des rails au milieu des rues sèment continuellement une poussière rouge et noire qui, par les jours de pluie, forme une boue liquide et profonde comme la fange d’un marais ; par les jours de soleil et de vent, ce sont, au contraire, des tourbillons aveuglants qui roulent et s’élèvent au-dessus de la ville. Du haut en bas, les maisons sont noires, noires par la boue et la poussière, qui de la rue monte jusqu’à leurs toits ! noires par la fumée des fours et des fourneaux qui de leurs toits descend jusqu’à la rue : tout est noir, le sol, le ciel et jusqu’aux eaux que roule la Divonne. Et cependant les gens qui circulent dans les rues sont encore plus noirs que ce qui les entoure : les chevaux noirs, les voitures noires, les feuilles des arbres noires ; c’est à croire qu’un nuage de suie s’est abattu pendant une journée sur la ville ou qu’une inondation de bitume l’a recouverte jusqu’au sommet des toits. Les rues n’ont point été faites pour les voitures ni pour les passants, mais pour les chemins de fer et les wagons des mines : partout sur le sol des rails et des plaques tournantes ; au-dessus de la tête, des ponts volants, des courroies, des arbres de transmission qui tournent avec des ronflements assourdissants ; les vastes bâtiments près desquels on passe tremblent jusque dans leurs fondations, et si, l’on regarde par les portes ou les fenêtres, on voit des masses de fonte en fusion qui circulent comme d’immenses bolides, des marteaux-pilons qui lancent autour d’eux des pluies d’étincelles, et partout, toujours des pistons de machines à vapeur qui s’élèvent et s’abaissent régulièrement. Pas de monuments, pas de jardins, pas de statues sur les places; tout se ressemble et a été bâti sur le même modèle, le cube : les églises, le tribunal, les écoles, des cubes percés de plus ou moins de fenêtres, selon les besoins.
- [A suivre).
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- ASSURANCES MUTUELLES
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- SOCIÉTÉ Di
- MOUVEMENT DU MOIS DE SEPTEMBRE 1895
- ASSURANCE CONTRE LA MALADIE
- Section des Hommes
- Cotisations des mutualistes........ 2.090 40/
- Subvention de la Société........... 348 20> 3.057 40
- Malfaçons et divers................ 618 80\
- Dépenses................-.................... 3.656 05
- Déficit en Septembre........ 598 65
- Section des Dames
- Cotisations des mutualistes........ 422 90]
- Subvention de la Société....*...... 140 95] 565 05
- Divers............................. 1 20!
- Dépenses..................................... 454 20
- Boni en Septembre........ 110 85
- ASSURANCE DES PENSIONS
- Subvention de la Société et divers.... 3.349 03]
- Intérêts des comptes-courants et du 7.344 03
- titre d’épargne................. 3.995 »»'
- Dépenses :
- 80 Retraités définitifs.............. 4.791 »»|
- 18 — provisoires.................. 1.005 ml
- Nécessaire à la subsistance.......... 2.782 30> 9.256 50
- Allocat. aux familles des réservistes.. 357 »))(
- Divers, appointements, médecins, etc. 321 201
- Déficit en Septembre....... 1.912 47
- CAISSE DE PHARMACIE
- Cotisations des mutualistes.......... 567 95
- Subvention de la Société........... 137 m
- Dépenses.....................................
- 704 95 818 46
- Déficit en Septembre............ 113 51
- RÉSUMÉ
- Recettes sociales du 1^ Juillet au 30 Sept. 1895. 26.445 05) ^
- » individuelles » » . 9.270 85J
- Dépenses » » ........... 41.697 24
- Excédant des dépenses sur les recettes.... 5.981 34
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- LE DEVOIR
- ÉTAT CIVIL DU FAMILISTÈRE
- MOIS D’OCTOBRE 1895
- Naissances :
- 8 Octobre. Braillon Georges-Fernand, fils de Braillon Georges et de Rémolu Fernande.
- 22 — Méresse Marcel - Arsène, fils de Méresse
- Aimé et de Besançon Elvire.
- Décès :
- 3 — Macaigne Louis, âgé de 34 ans 11 mois.
- 11 — Macaigne Eugène-Louis, âgé de 2 mois.
- 21 — Létrier Jeanne, âgée de 10 mois.
- Le Secrétaire,
- A. Il OUDIN.
- Le Gérant: H. E. Buridant.
- Mmes, imp. Veuve Laporte, ruelle des Saintes-Maries, 7. — 919.
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-
- DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES
- POUR II BIOGRAPHIE COMPLÈTE
- de J.-13.-André GODIN (*)
- RÉSUMÉ DE L’ESSAI DE REPRÉSENTATION DU TRAVAIL PAR
- les Groupes, Unions de Groupes et Conseils d’Unions
- 1877-1879
- II
- Le cadre général des Groupes et Unions publié dans notre dernier numéro a non seulement présenté au lecteur l’ensemble des fonctions de l’Usine et du Familistère, mais ouvert des aperçus sur de minutieux détails de ces fonctions.
- Il fallait posséder l’œuvre comme Godin la possédait, il fallait en être l’âme pour dresser un cadre pareil et offrir ainsi aux travailleurs de tous rangs l’accès à leur propre représentation dans les faits administratifs.
- A première vue, néanmoins, quelques esprits ne saisissent pas comment les détails mêmes de cette organisation facilitaient le classement des travailleurs et demandent si celui qui voulait adhérer à quelque groupe pouvait se reconnaître dans ce dédale ?
- La meilleure réponse à faire est de rappeler ici les conseils et indications de Godin à son personnel, au moment de la constitution des Groupes et Unions et de l’entrée en exercice de ces différents corps, Juillet 1877.
- Bien loin de penser qu’en pratique la division du travail reflétée dans les minutieuses attributions de chaque groupe, pouvait rendre difficile le classement des membres, Godin disait, — et les faits justifièrent son sentiment : « — Plus sera serrée de près la division du travail, plus le fonctionnement des groupes sera
- (1) Lire le Devoir depuis le mois de mars 189L
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- LE DEVOIR
- facile. » Aussi invitait-il chaque groupe à procéder tout d’abord « à la délimitation la plus étroite possible de ses attributions, à s’efforcer de se bien comprendre lui-même dans sa spécialité et à s’instruire de ce qui concernait cette spécialité même. »
- Le cadre général — si minutieux qu’il puisse paraître à quelques lecteurs — laissait beaucoup à faire aux groupes, dans la pensée de Godin. Il jugeait ne leur avoir offert que les indications générales strictement indispensables pour les mettre sur la véritable voie.
- Invités ainsi à réviser et à délimiter les attributions des groupes auxquels ils adhéraient, les travailleurs se mirent à l’œuvre.
- Dans une Conférence de Godin ( en date du 15 Juillet 1877, Tome 17 du Devoir, pages 513 à 522 ) nous avons déjà vu que dans les ateliers de fonderie, une proposition avait été faite touchant le remaniement de plusieurs groupes. Sur un point spécialement, ( que nous allons examiner, ) il s’agissait de fondre deux groupes en un seul. Discutant cet objet, Godin disait: « L’idée de fondre ces deux groupes en un seul est venue de ce qu’on aura constaté que de mêmes personnes constituaient les deux groupes. Mais les groupes ont besoin d’un travail simple, précis, qui en attache les membres. De mêmes personnes peuvent se trouver dans tel groupe pour s’occuper spécialement d’une chose et dans tel autre pour s’occuper exclusivement de telle autre chose, sans qu’on doive pour cela fondre les groupes.
- « Les discussions seront plus précises et plus faciles en portant sur un point bien délimité. C’est à la division des fonctions surtout qu’il faut s’attacher pour la constitution des groupes.
- « Vous proposez de faire un seul groupe pour les fonctions se rattachant à la fonte et au coke, voyez ce qui se passe: Dès leur arrivée dans la cour de l’usine, les fontes ont besoin d’être classées selon leur qualité;
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- DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES 67
- afin qu’on n’ait qu’à les prendre ensuite selon les besoins sans être obligé de les remanier. Une bonne classification des fontes à leur arrivée concourt donc à faciliter le maintien de la bonne qualité de nos produits de fabrication.
- « Il est bon qu’un groupe spécial soit chargé de cette surveillance de la qualité des fontes.
- « On propose de fondre en un seul le groupe en question et celui qui a pour objet de s’occuper de la qualité des cokes.
- « Je sais bien qu’il y a, sous certains rapports, mélange des deux questions, >en raison de ce fait que fonte et coke se mêlent tous deux dans les fourneaux et qu’il y a à les examiner conjointement. Mais ce double aspect de la question est du ressort de l’Union qui, elle, embrasse les groupes dont nous nous occupons.
- « Une surveillance élémentaire spéciale est aussi nécessaire pour le soin de la qualité du coke que pour le soin de la qualité de la fonte ; et tels spécialistes qui peuvent être très-aptes à juger de la fonte, peuvent être moins habiles à juger du coke, ces matières exigeant des connaissances différentes. Ne nous hâtons donc pas de fondre ces deux groupes en un seul. Faisons plutôt, si on le juge utile, un nouveau groupe ayant à s’occuper spécialement de la mise au fourneau du coke et de la fonte...
- « Ne craignez pas de faire des groupes envisageant CHACUN UN DES MILLE DÉTAILS DE L’INDUSTRIE. Vous trouverez, en outre, là, le moyen, d’utiliser toutes les forces vives et celui de prévenir les mauvaises dispositions morales qui, autrement, pourraient jeter le trouble dans notre œuvre...
- « Simplifier le travail des groupes, c’est en faciliter le bon fonctionnement. »
- Et il continue ainsi, profitant des moindres faits pour engager son personnel dans la voie qui lui paraissait
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- LE DEVOIE
- la plus favorable au fonctionnement des corps qu’il voulait instituer.
- Huit jours plus tard, dans une nouvelle conférence, il disait :
- « Peut-être les formules indicatives du travail des groupes sont-elles trop concises, je suis tout prêt à les modifier, à les développer s’il y a lieu.
- « Qu’un petit noyau d’adhérents se forme pour chaque groupe, voilà le premier pas à faire; à ce s premiers adhérents, d’autres se joindront et l'organisation se fera peu à peu. »
- Il insistait aussi ( même volume du Devoir page 578 ) sur la liberté laissée à chacun de modifier son inscription dans tel ou tel groupe. « Car, » disait-il, « on peut s’apercevoir au cours des travaux qu’on n’est pas tout à fait dans le vrai rôle qu'on désire remplir. Or, l’initiative individuelle devant être entière dans les groupes, il faut que la liberté de changer de groupes soit toujours assurée. »
- Sous cette vive impulsion de Godin les groupes se constituèrent. L’établissement comptait en 1877 ( chiffres ronds ) 1100 ouvriers et employés. 309 d’entre eux — spécialement ceux logés dans les palais sociaux ou aspirant à y venir demeurer, ce qu’ils ont fait depuis - se classèrent dans les groupes de 'l’usine, où ils couvrirent 1010 inscriptions. C’était donc le quart environ du personnel qui était ainsi classé.
- Deux groupes seulement dans la vaste organisation de l’Usine ne se constituèrent pas ; nul membre ne s’y étant fait inscrire. Nous reprendrons tout à l’heure la question.
- Des causes multiples évidemment déterminèrent le classement dans les groupes. J. B. A. Godin disait à ce propos dans sa conférence du 12 septembre 1877:
- ( Devoir, tome 18, page 15 ) « Je sais • bien que les motifs les plus divers amènent un certain nombre des
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- DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES
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- personnes réparties dans les groupes ; les unes y viennent par entraînement, d’autres par intérêt ; d^au-tres, même, par ce que c’est moi qui vous ai invités à le faire ; très peu ont l’idée du but poursuivi.
- « Quoiqu’il en soit, je suis heureux de toutes les adhésions. L’essentiel est que vous vous unissiez, les convictions se feront avec le temps et au contact des faits. »
- Les séances étaient rétribuées, nous le verrons dans la Suite du travail. En outre, le lecteur se souvient sans doute qu’à maintes reprises Godin avait déclaré qu’il ne pourrait réaliser l’association « qu’avec ceux qui se distingueraient dans l'organisation des choses préparatoires de ce nouveau régime. »
- Quelles que soient les raisons qui déterminaient les membres à se classer, une fois qu’ils étaient résolus à le faire, comment se classaient-ils?
- En règle générale, ils s’inscrivaient dans le ou les groupes dont les objets spéciaux étaient en rapport avec leurs propres occupations.
- Et lorsque nous constatons que sur 309 travailleurs ainsi classés, presque un tiers, 90, ne s’inscrivirent que dans un seul groupe: celui qui se rattachait étroitement à leur travail journalier, ( travail divisé et simplifié comme c’est le cas général dans la grande industrie ) nous voyons combien les faits justifièrent la pensée de Godin touchant la condition absolue de la division du travail dans les groupes, pour permettre le fonctionnement du nouvel organisme.
- Le détail des inscriptions par groupes que nous avons donné en même temps que le cadre général, a permis au lecteur de constater que les groupes comptèrent des chiffres variés de membres depuis 3 jusqu’à 47.
- Les groupes ayant pour objet le soin des machines,
- 1 utilisation des forces, la création d’outils, de modèles, etc, ( travaux qui occupaient relativement peu d’ouvriers ) ne dépassèrent pas le chiffre de 10 membres.
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- La même chose se produisit pour des travaux plus simples mais n’occupant aussi à l’usine qu’un personnel relativement restreint, tels que terre réfractaire, entretien des bâtiments, éclairage, écuries, etc.
- Les groupes s’occupant de la comptabilité générale, écritures d’ateliers, prix de revient, etc., réunirent sur certains points jusqu’à 14 adhérents ; le nombre des commis aux écritures étant assez considérable. Pour les travaux peu courants comme l’achat des matières premières ou le transport économique des produits, travaux exécutés par très peu d’employés, les groupes ne dépassèrent pas 3 membres.
- Le type d’un groupe à l’objet le plus simple et à la portée d’un grand nombre de travailleurs nous est fourni par le Groupe n° 1 relatif au montage des cuisinières, lequel compta 47 membres.
- Ayant décomposé ces 47 inscriptions, nous avons vu qu’elles étaient couvertes : 1° par 20 monteurs de cuisinières qui ne s’étaient inscrits dans aucun autre groupe que celui en question représentant leur travail journalier; 2° par 10 autres monteurs classés également dans un autre groupe, mais où il s’agissait de travaux tout à fait similaires : montage d’autres produits ; total 30 inscriptions sur 47 ; le restant était couvert par des membres inscrits dans 2 à 6 groupes. Généralement, ces groupes avaient pour objets des travaux ayant entre eux une certaine similitude. En outre, il faut tenir compte que les nécessités du travail faisaient parfois varier les occupations des ouvriers, de façon à élargir un peu leurs connaissances, sans toutefois les sortir, en général, du travail professionnel proprement dit adopté par eux.
- Prenons maintenant, tout à l’opposé, les deux seuls groupes qui ne se sont pas constitués ; aucun membre ne s’y étant fait inscrire.
- Quels étaient les objets de ces deux groupes? Voici ;
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- 1» Groupe il0 7 ( Fusion ) : Fondant, Extraction, qualité, séchage et emmagasinage de la craie.
- 2° Groupe n° 2 ( Garnitures ) : Objets de tôlerie, de cuivrerie, de fer, en fonte malléable, émaillée, chaudières etc, etc.
- Certes, les attributions de ces groupes ne paraissent au premier abord ni simples, ni en ce qui concerne le dernier, clairement exprimées. Il eut été très nécessaire d’y effectuer la révision demandée par le fondateur.
- Mais nul membre ne s’inscrivit dans ces deux groupes. Pourquoi? Est-ce précisément la multiplicité des attributions dans le premier groupe et le vague des termes dans le second qui empêchèrent ces deux groupes de se constituer? En l’absence d’indications précises à ce sujet, nous sommes tentés de croire que ces raisons y furent pour beaucoup ; en outre, ces travaux occupaient relativement peu de monde.
- Mais, dira le lecteur, il y a dans le cadre général d’autres groupes dont les attributions semblent aussi multiples que celles du groupe n° 1 en question ci-dessus, et qui se sont constitués tout de même. Cela est vrai, et nous allons — à titre d’exemple — passer à l’examen d’un de ces groupes :
- Approvisionnements — Groupe n° 1. Objet: Achat des matières premières. Qualités. Quantités. Transports. Achats d'outils.
- Assurément, les objets de ce groupe sont si variés qu’ils eussent pu, semble-t-il, donner lieu facilement à la décomposition du groupe en plusieurs autres.
- Néanmoins, des adhérents se présentèrent. Le groupe compta trois membres. Mais il est très intéressant de noter que ces trois membres, outre que leurs occupations journalières étaient de la nature des objets de ce groupe, appartenaient à l’extrême minorité ( 24 sur 309 ! ) qui firent partie de plus de 6 groupes, c’est-à-dire que ces trois membres, à en juger par leurs inscriptions
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- dans les groupes, embrassaient de fait ou d’aspirations un assez large champ de connaissances pour n’être pas arrêtés par la multiplicité des objets du groupe qui nous occupe. Ces trois membres s’étaient inscrits :
- 1 dans 7 Groupes reliés à 4 Unions 1—18— — à 7 —
- 1 — 54 — — à 15 —
- Ce dernier membre n’avait pas d’égal pour le nombre des inscriptions.
- Passons au relevé général du classement des membres.
- Presque un tiers des travailleurs inscrits dans les groupes (nous l’avons dit ci-dessus), soit 90, s’inscrivirent dans un seul groupe, celui qui se rattachait directement à leur travail journalier.
- 73 autres firent partie de deux groupes. Nous pouvons les' classer en deux subdivisions : 1° 51 faisaient partie de deux groupes se rattachant à une Union, c’est-à-dire à deux groupes ayant l’un avec l’autre d’étroites relations ; 2° 22 étaient classés dans deux groupes reliés à deux Unions diverses, mais ayant un fond de rapprochement en ce sens qu’il s’agit soit de deux Unions ayant trait à des travaux de comptabilité, soit de deux Unions ayant trait à des travaux d’atelier d’un genre similaire.
- 55 Membres étaient classés dans trois groupes et comme les précédents peuvent être subdivisés par le nombre des Unions auxquelles se rattachaient les dits groupes : 1° 28 membres étaient classés dans trois groupes et une seule Union ; 22, dans trois groupes et deux Unions ; 5 seulement, dans trois groupes reliés à trois Unions. Nous voyons apparaître dans ces deux dernières subdivisions des membres se classant pour des travaux divers. Exemples: un pour la comptabilité d’une part et d’autre part l’exécution de modèles nouveaux d’objets de fabrication; un autre pour des travaux de construction et des travaux de machines, outils ; un troisième pour
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- le montage d’appareils de chauffage et le soin des écuries. Mais combien la minorité en est réduite : Trois sur les 218 classements dépouillés jusqu’ici!
- Godin avait bien indiqué à son personnel (voir la conférence du 28 juin 1877, page 323, tome xvii du Devoir, année 1893) « qu’un mécanicien pouvait être reçu chez les comptables, et vice-versà, pour la meilleure culture des facultés de tous et la plus complète entente des services généraux de Vindustrie. » Mais cela sous-entendait une curiosité d’esprit, une activité de pensée, un amour de s’instruire qui ne se feront jour et ne se multiplieront dans nos sociétés que par la culture générale des facultés de l’être humain.
- Les trois membres que nous avons cités comme s’étant inscrits pour des travaux divers (entre les 218 vus jusqu’ici) étaient tous trois rattachés à ces travaux mêmes par leurs occupations journalières et leurs fonctions dans l’établissement. Leur inscription dans les groupes en question s’expliquerait donc rien que de ce fait.
- Poursuivons notre énumération : 35 membres s’inscrivirent dans 4 groupes : mais 21 d’entre eux ne se rattachaient encore qu’à une seule Union ; c’est-à-dire ne s’occupaient que de travaux ayant entre eux la plus grande ressemblance; le reste des membres est relié à deux, trois ou quatre Unions; mais nous n’en pouvons signaler que deux s’occupant de travaux divers, comme charpente et soin des écuries, ou comme moulage, sa-blerie et soin des toitures.
- 22 s’inscrivirent dans 5 groupes et 10 dans 6 groupes reliés à deux, trois ou quatre Unions. A peine dans ce nombre distinguons-nous quatre membres reliés à des travaux de genres nettement différents.
- Les catégories que nous venons de voir comprennent au total 285 membres classés dans 1 à 6 groupes.
- Les 24 qui complètent le chiffre de 309 peuvent être rassemblés comme suit ;
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- 15 s’inscrivirent dans 7 à 10 groupes et certains d’entre eux se trouvèrent reliés à 7 Unions;
- 8 firent partie de 11 à 23 groupes et quelques-uns d’eux occupèrent jusqu’à 12 Unions.
- I seul, tranchant sur tous les autres, — nous l’avons déjà mentionné — s’inscrivit dans 54 groupes reliés à 15 Unions.
- De ces 24 membres, les trois quarts se sont occupés de travaux de natures diverses, faisant ou non partie de leurs occupations journalières, tels que Comptabilité, Approvisionnements, Fonderie, Cuivrerie, Entretien des bâtiments, etc., etc.; l’autre quart s’est maintenu dans un cercle d’occupations similaires entre elles et rattachées à leurs travaux journaliers, qu’il s’agisse de comptabilité ou d'opérations industrielles.
- II y eut donc, en définitive, une trentaine de membres (sur 309) pour se rattacher à des occupations de natures bien tranchées, et ce furent pour la plupart des hommes que les circonstances de la vie avaient initiés à ces sortes de travaux. Nous voyons parmi eux des chefs de service, des contre-maîtres d’atelier, trois ou quatre comptables ou employés aux écritures et cinq ou six ouvriers.
- La passion de la lecture animait, à notre connaissance, deux ou trois de ces membres si largement ré pandus dans les groupes; peut-être cette passion con-tribua-t-elle à développer chez eux le désir d’agrandir, en se mêlant ainsi aux groupes, leur champ d’action et de connaissances.
- Ces membres firent-ils plus que les autres des œuvres utiles? C’est ce que nous chercherons à distinguer dans l’examen des documents à suivre.
- Donnons maintenant, sur les classements opérés dans les groupes du Familistère, le peu d’informations venues jusqu’à nous.
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- Dans Le Devoir, tome xvnme, page 265, nous avons
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- publié le document par lequel le Comité administratif du Familistère, se rendant à l’invitation de J.-B.-A. Go-din, fit les premières démarches pour arriver à la constitution des groupes.
- Ce comité, alors composé de 8 personnes, répartit entre ses membres « les services d’approvisionnement et d’entretien général du Familistère » et par voie d’affiche invita les habitants « à se grouper par affinités à l’entour de chacun des huit commissaires, suivant les aptitudes que se sentiraient les adhérents. »
- Les huit grandes divisions des services ainsi proposées à l’attention des habitants étaient les suivantes :
- Entretien des bâtiments — Jardins — Boucherie — Epicerie — Boissons — Combustibles — Etoffes et mercerie — Comptabilité.
- On était alors en juin 1877 et l’appel du Comité administratif était le premier écho de la parole de Godin dans l’esprit des auditeurs.
- Aidant à ce mouvement, Godin dans sa Conférence du 21 juin, où il communiqua à la population l’appel du Comité, développa une fois de plus les motifs de la fondation des groupes, la nécessité d’en multiplier le nombre et d’en simplifier les objets. Tl insista aussi tout spécialement sur le rôle nécessaire des femmes dans les groupes.
- Il montra celles-ci en possession *de connaissances et d’aptitudes qui pouvaient être des plus précieuses pour l’agencement des choses d’Economie domestique.
- Il invita, en conséquence, les femmes à prendre part à la constitution des groupes, ou à en former de spéciaux pour elles si elles le préféraient.
- Des groupes se formèrent simultanément à l’Usine et au Familistère. Aussitôt on reconnut la nécessité de dresser le cadre général des fonctions, afin de faciliter le bon classement des membres dans les groupes ; et aussi celle d’établir un Règlement propre
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- à guider les adhérents dans les fonctions nouvelles auxquelles on les appelait. (Ce Règlement a été publié, dans le tome 17, du Devoir, page 452).
- A l’époque de cette constitution des Groupes, Juillet-Août 1877, les bâtiments sociaux ne comprenaient (en fait de logements proprements dits) que l’aile gauche et le pavillon central. La population comptait alors en chiffres ronds 900 personnes, hommes, femmes et enfants. Il faut décompter ces derniers (350 environ) -pour avoir le chiffre du personnel invité à se classer dans les groupes, soit 550 personnes, hommes et femmes.
- Parmi ces 550 personnes, 70 (hommes et femmes, ces dernières en majorité) étaient occupés dans les services mêmes de l’habitation unitaire : entretien de la propreté générale, comptoirs de vente, buanderie, jardins, comptabilité, nourricerie, écoles, etc.
- Les détails de chacun de ces services avaient donné lieu à la création d’autant de groupes, où toute personne de bonne volonté pouvait facilement se classer.
- Parmi les 70 employés des services, il y en eut 27 (10 femmes et 17 hommes) pour entrer dans les groupes, soit plus d’un tiers.
- A l’Usine, nous l’avons déjà, vu, il se classa 309 mem-sur 1100, soit un quart environ.
- Mais, nous le savons, ce n’était pas seulement le personnel des services du Familistère qui avait été invité à se répartir dans les groupes, c’était la population adulte toute entière.
- En dehors des 27 membres (10 femmes et 17 hommes) appartenant aux divers services, il se trouva 55 personnes (3 femmes et 52 hommes) pour s’inscrire dans les groupes du Familistère ; soit au total 82 membres dont 13 femmes et 69 hommes.
- Comparativement au chiffre de la population adulte, 550 personnes, ce n’est plus qu’un sixième à peine. Mais il faut tenir compte que la population non occu-
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- pée dans les services du Familistère se trouvait en général dépourvues des connaissances spéciales voulues pour faire œuvre utile dans les groupes, reflets de ces divers services.
- En effet, cette population comprenait, ou des travailleurs classés déjà à l’usine dans les groupes ayant directement trait à leur travail journalier, ou des femmes, mères de famille et jeunes filles, occupées des soins du ménage, de la couture ou autres travaux sans lien direct avec les groupes représentant les divers services : comptabilité, écoles, magasins de vente, buanderie, jardins, etc., etc. Neanmoins la faiblesse du chiffre des femmes dans les inscriptions des groupes frappe sans doute le lecteur.
- Comment, elles sont en majorité dans le nombre des 70 employés de l’habitation unitaire .et 10 d’entre elles seulement se classent dans les groupes! Et, en dehors de ces dix, il ne s’en trouve que trois dans fout le reste de la population (total 13 femmes!) pour se rendre à l’invitation du fondateur et concourir à la représentation de tout le personnel dans les faits administratifs. Quelle explication fournir! Qu’y, avait-il donc dans l’esprit de ces femmes?
- Aux raisons précédentes, nous ajouterons celle-ci : Ce n’est guère que depuis les événements politiques de 1870 qu’une vigoureuse impulsion est donnée en France à l’instruction primaire. Les illettrés en grand nombre autrefois — et plus encore parmi les femmes que parmi les hommes — vont diminuant rapidement. Mais il s’en trouvait encore beaucoup parmi la population du Familistère invitée, en 1877, à se répartir dans les groupes. Les femmes occupées à la buanderie, à la basse-cour, à l’entretien de la propreté générale, etc., etc., étaient presque toutes illettrées et c’était là un empêchement presque absolu pour se mêler aux groupes.
- En effet, dans une organisation semblable l’illettré se
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- voit, par avance, arrêté dès le premier pas : le groupe se constitue par l’élection, l’illettré s’il entre ne pourra voter que par intermédiaire. Ce n’est que par ouï-dire aussi qu’il devra s’initier au règlement du corps dans lequel il sera entré. A chaque instant, il devra ou recourir aux autres ou rester ignorant de ce qu’il aurait besoin d’étudier, de revoir, de méditer. Il s’abstient donc. Une organisation comme celle tentée par les Groupes, Unions et Conseils, nécessite chez les membres la plus grande culture de toutes les facultés utiles. Plus l’illettré avait de bon sens, mieux il comprenait les difficultés de sa participation aux groupes. Plus d’une bonne volonté sans doute est ainsi restée forcément à l’écart, au grand dommage de la tentative ; car la parole du fondateur — si rarement, si difficilement entendue — avait pourtant trouvé des échos chez plus d’un cœur de femme. Et l’on' sait quelle influence puissante la femme exerce quand elle acquièsce à un mouvement !
- L’idée d’employer la force féminine, à l’élévation tout à la fois morale et sociale commence à se dessiner dans nos sociétés.
- De plus en plus on se préoccupe de la culture de la femme, on pressent que développer toutes les meilleures forces de la jeune fille, lui donner un très-haut idéal de la vie, à elle demain épouse et mère, c’est en ce qui concerne les meilleures forces de l’homme « labourer profond » et semer à la vraie place.
- Les 13 femmes inscrites dans les groupes de l’habitation unitaire et les 17 hommes attachés aux divers services de l’habitation ( au total 30 ) ne firent partie que des groupes du Familistère.
- Les 52 autres membres se répartirent à la fois au Familistère et à l’Usine. Parmi eux — fait à signaler — s’en trouvaient quinze de l’extrême minorité qui à l’Usine s’étaient classés dans plus de six groupes et qui, à juger du nombre de leurs inscriptions, semblaient pos-
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- séder la plus grande culture des facultés. Mais se répandre dans les groupes ou y faire œuvre utile sont deux choses très différentes. Et c’est l’œuvre utile qu’il importe de rechercher et dont il est du plus grand intérêt de déterminer les conditions favorables ou contraires.
- Nous devrions maintenant indiquer le chiffre total des inscriptions effectuées au Familistère par les 82 membres classés dans les groupes. Malheureusement nos renseignements sont tout à fait incomplets.
- Pour 33 membres seulement dont 8 femmes, nous avons l’indication de quelques classements ; pour le reste, 45 membres ( 5 femmes comprises ) nous n’avons aucune information. Voici les inscriptions partielles connues de nous à ce jour:
- Femmes ; Cinq sont mentionnées dans 1 à 6 groupes ; trois dans 8 à 10 groupes.
- Hommes : 19 sont mentionnés dans 1 à 6 groupes ; 6 dans 7 à 10 groupes.
- Nous avons vu que dans les groupes de l’Usine, sur un chiffre de 309 membres, 24 seulement ( un treizième environ ) avaient fait partie de plus de six groupes ; ici, sur les 33 que nous venons de voir, neuf ( environ un quart ) firent partie de’ plus de six groupes. Simple réflexion, puisque nous n’avons pas l’ensemble des classements.
- ( A suivre. )
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- LA LUTTE CONTRE L’ALCOOLI$IYIE(1)
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- « Les désordres matériels et fonctionnels déterminés par les alcools, a dit un savant physiologiste, M. le docteur Lancereaux, sont de deux ordres ; tantôt ils sont passagers et se manifestent immédiatement ou peu de temps après l’ingestion, l’alcoolisme est aigu ; tantôt ils sont persistants et apparaissent après un usage répété et longtemps continu de ces boissons, l’alcoolisme est chronique.
- » Qu’il s’agisse de l’une ou de l’autre de ces deux formes d’intoxication, le système nerveux est toujours en jeu; c’est lui qui est le plus particulièrement atteint. »
- Les manifestations de l’alcoolisme aigu sont bien connues : ivresse ordinaire, ivresse convulsive, et enfin ivresse apoplectique se caractérisant par un état comateux et pouvant se terminer par la mort.
- L’alcoolisme chronique, le plus grave, produit une intoxication à marche lente, qui altère les centres nerveux, préparant ainsi le delirium tremens, l’épilepsie, la folie ; il trouble la circulation, entrave ou supprime les fonctions digestives, provoque la cirrhose du foie et conduit fatalement, par la cachexie, souvent par la diathèse cancéreuse, à la mort.
- L’alcoolisme n’a pas seulement pour résultat de débiliter celui qui s’y adonne ; il pousse aussi au suicide.
- Les tableaux de statistique, publiés par M. Turquan, chef de bureau au ministère du commerce, établissent que dans une période de trente ans, de 1861 à 1891, la proportion des suicides dûs à l’abus des boissons alco-oljques a plus que doublé.
- (1) Voir le Devoir de septembre, d’oçtobre et de décembre 1895 et Janvier 1896.
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- LA LUTTE CONTRE L’ALCOOLISMtè 8d
- De 12 pour 100,000 habitants qu’elle était à la première de ces dates, elle était à la seconde de 23. Et la progression, ainsi que le démontrent les chiffres établis par périodes quinquennales, est constante. Aucun temps d’arrêt ne se produit.
- Sur 12,500 morts accidentelles que l’on compte en France, par année, le tiers presque, 4,050 sont dues uniquement à l’alcoolisme.
- Enfin, la folie alcoolique suit la même progression que les suicides.
- M. le docteur Legrain, médecin en chef de l’asile de Ville-Evrard, qui a examiné au point de vue sociologique et au point de vue médical pur les rapports entre la folie et l’alcool, constate que le mouvement des admissions dans les asiles d’aliénés est beaucoup plus intense dans les départements les plus alcoolisés. D’après lui, l’alcoolisme est, à l’heure actuelle, la cause la plus puissante de l’entretien de la folie dans notre pays.
- A l’appui de ses conclusions M. Legrain donne quelques chiffres intéressants.
- De 1872 à 1888, le chiffre brut de l’aliénation à Paris s’élève de 3,000 à 4,500. Depuis 1888 la courbe n’a pas baissé. En 1889, le nombre des folies alcooliques avait doublé en 15 ans. De 1880 à 1887 seulement, l’accroissement a été de 25 0i0. En 1889, l’alcoolisme fournit le tiers des cas de folie observés à Paris.
- Dans la Seine-Inférieure, qui occupe le premier rang dans la liste des départements français, pour la consommation de l’alcool par tête d’habitant, à l’asile des hommes de 1854 à 1865, la population d’aliénés double; de 1865 à 1894, la courbe monte encore. On y compte aujourd’hui 804 aliénés au lieu de 350 en 1854.
- En six ans, le nombre des folies proprement dites s’est élevé de 14 à 40 Oity*
- Au point de vue médical, M. Legrain constate que mêlé aux manifestations de la folie ordinaire, l’alcoo*
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- Le devoir
- lisme la rend pins bruyante; il donne un coup de fouet aux idées délirantes, et détermine souvent des récidives en même temps qu’il provoque des réactions dangereuses.
- Une autre conséquence de l’alcoolisme, c’est de pousser au vol et même au crime ceux qui en sont atteints.
- Le docteur Motet, le célèbre criminaliste, a communiqué à l’Académie de médecine les résultats d’une enquête dont les éléments lui ont été fournis par les greffiers de plusieurs prisons. Il en ressort que, sur le nombre des détenus pour assassinat, on trouve 53 OiO d’alcooliques ; 57 Oio parmi les détenus pour incendie volontaire ; 70 0x0 sur les condamnés pour mendicité, vagabondage ; 53 0i0 parmi les condamnés pour viol, outrage public à la pudeur; 90 0[0 sur les condamnés pour coups et blessures, violences, brutalités, etc, etc.
- L’alcoolisme « ne disparaît malheureusement pas toujours avec l’individu qui en est atteint, mais dans un grand nombre de cas, il se continue dans la descendance, et cela sous des formes multiples, indéfinies pour ainsi dire, et qui varient depuis la simple tendance à user des liqueurs fortes, jusqu’à la dégénérescence complète de l’être humain. » C’est l’alcoolisme héréditaire.
- La descendance des alcooliques est rachitique, épileptique, scrofuleuse, cancéreuse, atteinte d’aliénation, destinée enfin à infecter les générations suivantes.
- Sur 814 enfants d’alcooliques qu’il a observés, M. Legrain a noté 322 dégénérés, soit près de 40 0i0. En ajoutant à ce chiffre 174, indiquant les enfants d’alcooliques qui n’ont pu vivre, on atteint la proportion de 61 0i0 de victimes physiques. La perversité morale a compté pour 14 0i0 ; l’hystérie et l’épilepsie, pour plus de 17 0i0
- Dans une statistique qui ne comprend encore que 200 villes, villages ou bourgs du Calvados, l’inspecteur
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- LA LUTTE CONTRE L*ALCOOLISME 83
- du service des enfants assistés et des établissements de bienfaisance de ce département, M. le docteur Barthès, a affirmé que la mortalité enfantile et le nombre des morts-nés avait augmenté de 28 OiO, les naissances diminué de 12 OiO, et que le chiffre des conscrits, tant réformés qu’ajournés, s’était élevé en 15 années de 23 à 50 0i0.
- Et le département du Calvados ne vient cependant qu’au troisième rang, après la Seine-Inférieure et l’Oise, dans la liste des départements pour la consommation de l’alcool.
- Donc, débilitation de l’être humain, perversion de ses qualités intellectuelles et morales, étiolement de la race, telles sont les funestes conséquences de l’alcoolisme.
- Les causes du fléau qui frappe les nations et tarit en elles les sources les plus profondes de la vie sont aujourd’hui suffisamment connues, grâce aux travaux de la science.
- Sans doute, bien des recherches sont nécessaires pour élucider nombre de points encore obscurs. Mais la lumière se fait peu à peu, et la chimie nous éclaire chaque jour davantage sur la composition des substances mortelles que nous absorbons avec avidité comme des aliments de vie. Elle nous devait bien cela!
- N’est-ce pas elle qui a fourni à de peu scrupuleux industriels les moyens de produire à très bas prix des alcools inférieurs, de retirer de certaines plantes ou même de la houille des essences agréables à l’homme par leur goût et leur arôme, de produire également par de simples mélanges ou combinaisons chimiques telles ou telles de ces essences? Ne leur a-t-elle pas fourni les moyens d’obtenir le cognac sans raisins et sans vins, le rhum sans canne à sucre, le kirsch sans cerises, le gin sans genièvre, et quantité d’autres liqueurs, dites apéritives ou digestives, créées de toutes pièces dans
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- les laboratoires avec des alcools toxiques combinés avec des essences plus nocives encore.
- Contre ces bouquets artificiels, l’Académie de médecine a prononcé une éclatante condamnation, sanctionnée d’ailleurs par la Chambre des députés, lorsqu’elle inséra dans sa récente loi sur le régime des boissons une clause autorisant l’Académie à proscrire la fabrication et la circulation des bouquets nuisibles, par l’intermédiaire d’un comité technique institué par la loi.
- Mais, pendant que des savants proscrivaient les alcools impurs qui ont si malheureusement, suivant eux, remplacé les eaux de vie naturelles, d’autres instruisaient le procès de ce dernier produit et le proclamaient inférieur aux eaux-de-vie artificiellement fabriquées avec de l’alcool d’industrie très bien rectifié.
- On sait que l’alcool est le résultat de la fermentation alcoolique de matières diverses, jus sucrés naturellement ou préparés artificiellement par la saccharification de matières amylacées, et qu’il est extrait par la distillation.
- Les principales sources d’alcool sont les suivantes : 1° Les vins, cidres, poirés, bières ; 2° Les marcs, lies et fruits sucrés (figues, caroubes, etc.) ; 3° Les tiges, racines et tubercules également sucrés (cannes à sucre, betteraves, topinambours) ; 4° Les mélasses (résidus de fabrication et de raffinage du sucre) contenant encore de 40 à 50 0i0 de sucre non extractible; 5° Les matières amylacées préalablement saccharifiées (pommes de terre, grains, etc.)
- C’est l’alcool extrait des matières appartenant à cette dernière catégorie que l’on appelle communément alcool d’industrie.
- Les liquides alcooliques qui ne contiennent que 38 à 61 0i0 d’alcool pur et de l’eau, et qui peuvent être consommés tels quels comme boissons, sont désignés sous le nom d’eaux-de-vie. On appelle alcools ou esprits ceux qui contiennent plus de 61 0i0 d’alcool pur,
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- • LA LUTTE CONTRE L’ALCOOLISME 85
- D’après Pasteur, il n’y a pas plusieurs espèces d’alcools. La constitution de ce corps (composé de carbone, d’hydrogène et d’oxygène) est la même quelle que soit la substance qui l’a fourni. La différence provient des moyens employés pour le fabriquer.
- Il en résulterait que l’alcool bien fabriqué ne doit pas porter avec lui sa marque d’origine, qu’il doit être absolument pur.
- L’alcool absolument pur ne peut être obtenu qu’en dépouillant, par une rectification convenable, les produits de la distillation des moûts fermentés, des impuretés que les différentes phases du travail ont produites.
- Les liquides fournissant l’alcool par la distillation se composent de quatre parties : d’eau, d’alcool, de matières non volatiles ou fixes, d’huiles essentielles.
- C’est à la présence de ces huiles dans l’alcool que l’on attribue la plus grande partie des effets toxiques de celui-ci. Elles s’échappent avec l’alcool au moment de la distillation, et occasionnent des impuretés dont la nature varie avec les matières premières employées.
- Les appareils de rectification sont basés sur ce principe que ces huiles dont la présence est révélée par une odeur désagréable, sont les unes plus volatiles, les autres moins volatiles que l’alcool. Les premières se vaporisent au commencement de la distillation, sont contenues dans les premiers liquides : d’où l’appellation mauvais goûts de tête ; les secondes, qui n’entrent en ébullition qu’à une température plus élevée que celle de l’alcool et de l’eau, ne se rencontrent que dans les derniers liquides obtenus; ce sont les mauvais goûts de queue.
- En mettant soigneusement à part les mauvais goûts de tête et les mauvais goûts de queue, on obtient l’alcool pur.
- Si l’on considère que dans le passage successif des produits le dernier des mauvais goûts de tête bout à 72°7, que le point d’ébullition de l’alcool bon goût est
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- 78°, et que l’ébullition du premier mauvais goût de queue commence à 97°, on voit combien -la rectification est une opération délicate, même lorsqu’elle n’est pas compliquée par des préoccupations commerciales exigeant à la fois l’excellence du produit, le maximum de rendement et le meilleur marché possible.
- C’est sur les difficultés qu’elle présente à ce dernier point de vue et les conséquences qui peuvent en résulter pour l’hygiène, que s’appuient les partisans du monopole de la rectification des alcools.
- L’alcool pur est désigné sous le nom d’alcool vinique ou éthylique.
- Voici, du reste, d’après les tableaux dressés par M. le docteur Dujardin-Beaumetz, quelle serait l’échelle de toxicité des alcools et eaux-de-vie, en commençant par les moins dangereux.
- Alcools : alcool éthylique ou esprit de vin ; alcool pro-pylique que l’on rencontre surtout dans l’eau-de-vie de marc ; alcool butylique que l’on rencontre surtout dans l’eau-de-vie de betteraves ; alcool amylique que l’on rencontre surtout dans l’eau-de-vie de pommes de terre.
- Eaux-de-vie: eau-de-vie de vin, de poiré, de cidre et de marc, de betteraves, de grains, de mélasses de betteraves, de pommes de terre.
- On voit que les alcools et eaux-de-vie d’industrie oc cupent le haut bout de l’échelle de toxicité.
- Les avis sont partagés au sujet de la nocivité de l’alcool éthylique. D’aucuns le considèrent comme absolument inoffensif. L’opinion générale est qu’il est inofïensif à doses très modérées.
- Les recherches des docteurs Dujardin-Beaumetz et Audigé ont prouvé que la nuisibilité des divers alcools devenait pareille à celle de l’alcool tiré du vin, si ces alcools, à la suite d’une certaine rectification, ne contenaient plus que de l’alcool éthylique.
- D’après M, Rabuteau, l’alcoolisme n’est pas le résultat
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- LA LUTTE CONTRE L’ALCOOLISME
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- de l’abus d’alcool ou de vin naturel, c’est-à-dire n’est pas produit par l’alcool éthylique, mais plutôt par la consommation des eaux-de-vie de l’industrie même en doses assez faibles, vu que ces produits contiennent souvent des matières toxiques.
- A l’encontre de cette opinion, il convient de citer celle d’un homme qui a fait des maladies conséquence de l’usage ou de l’abus des boissons distillées une étude générale, étude qui d’après les savants peut être considérée comme une œuvre classique.
- Le docteur Magnus Huss, à qui l’on doit la création de ce néologisme, l’alcoolisme, après avoir examiné le sujet de tous les côtés, se pose la question si c’est l'alcool seul qui produit l’alcoolisme, ou bien si les matières étrangères que l’on trouve dans l’alcool y jouent un rôle plus ou moins considérable.
- A la fin de son travail, il aboutit aux conclusions suivantes :
- « Tout cela me fait conclure que les différentes matières étrangères qui se trouvent souvent dans l’alcool, soit qu’elles y aient été amenées par les matières premières, qu’elles se soient produites pendant une fabrication défectueuse, ou qu’elles aient été ajoutées à dessein, ne doivent pas être considérées comme la vraie cause des suites dangereuses produites par l’abus de l’alcool ; c’est au contraire la teneur en alcool de l’eau-de-vie de consommation qui constitue l’agent le plus nuisible ; les autres matières qui peuvent se trouver dans les eaux-de-vie ne contribuent donc que dans certains cas à une augmentation des mauvais effets de l’alcool. »
- (A suivre).
- J. P.
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- LE DEVOIR
- CHRONIQUE PARLEMENTAIRE
- LA SESSION EXTRAORDINAIRE DE 1895
- A LA CHAMBRE
- Les deux faits saillants de la session extraordinaire de 1895 qui s’est ouverte le 22 octobre sont l’avènement du cabinet Bourgeois, et le vote du budget de 1896.
- Au point de vue des questions qui rentrent dans le programme du Devoir la composition de ce ministère était des plus satisfaisantes.
- La plupart de ses membres sont des pacifiques convaincus, dont on peut lire les noms comme députés, au bas des propositions en faveur des traités internationaux : Bourgeois, Lockroy, Mesureur, Doumer, Guyot Dessaigne. Les pacifiques peuvent également compter sur l’appui du ministère des affaires étrangères, l’illustre savant Berthelot, sénateur.
- Les féministes ont pu saluer avec plaisir les noms de MM. Léon Bourgeois, ministre de l’intérieur et Président du conseil ; Mesureur, ministre du commerce, des postes et télégraphes ; Guieysse, ministre des colonies ; Doumer, ministre des finances; ces trois derniers, membres du Groupe parlementaire des droits des femmes.
- Enfin la plupart des membres du cabinet se sont distingués par la grande part qu’ils ont prise à la confection des lois qui intéressent les travailleurs.
- M. Doumer fut le rapporteur actif et zélé du projet de loi sur les sociétés coopératives, et M. Guieysse des divers projets de loi concernant les caisses de retraite ouvrière. Le ministre de la guerre M. Cavaignac, a attaché son nom à une réforme si radicale de l'impôt que les partisans du statu-quo en cette matière, ses amis politiques à tant d’autres égards, ont pu lui reprocher amèrement d’ouvrir la porte aux socialistes.
- Le titulaire du portefeuille de la marine, M. Lockroy est l’initiateur d’une des rares lois ouvrières qui soient devenues définitives, la loi sur les syndicats professionnels ; et M. Mesureur a signé l’un des projets de loi dont le vote définitif est éminemment désirable, le
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- CHRONIQUE PARLEMENTAIRE
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- projet de loi sur l’organisation des conseils du travail. C’est à M. Mesureur également qu’on doit la création" du conseil supérieur du travail et de l’office du travail.
- Le cabinet Bourgeois pouvait donc à bon droit être qualifié de ministère progressiste.
- Réussirait-il, comme il en avait l’ambition, à dégager dans la Chambre une majorité décidée à le suivre dans la voie des réformes. Au moment où la Chambre prit ses vacances de fin d’année, l’expérience n’avait pu se faire encore d’une manière précise.
- Le temps de la Chambre avait été pris par le vote du budget et par la discussion d’un assez grand nombre d’interpellations.
- Or, tous les partis ont mis cette année le plus louable empressement à obtenir en temps utile la loi des finances. Les radicaux ont voté avec une discipline parfaite un budget préparé par les modérés, et que ceux-ci ne pouvaient rejeter uniquement parce que le nouveau cabinet l’avait pris à son compte.
- D’un commun accord également on avait renoncé à mettre des réformes dans le budget.
- Les modérés, en cela, restaient fidèles à leurs principes politiques, ou si l’on préfère à leur méthode parlementaire.
- Quant aux radicaux, ils ont simplement voulu assurer l’existence de leur gouvernement de prédilection, en renonçant à une pratique qui pouvait avoir des avantages, mais dont l’inévitable inconvénient était d’empêcher le vote du budget en temps utile, quand elle n’avait pas pour résultat de mettre en échec le ministère sur une des innombrables questions soulevées à tous propos, et sur toutes sortes d’objets, puisque le budget, par les dépenses et les recettes, embrasse tout.
- On a successivement détaché de la loi de finances : 1° la loi sur l’impôt des boissons, (votée par la Chambre mais non encore discutée par le Sénat); 2° la loi sur les successions; 3° la loi de réforme des patentes.
- Toutes ces lois auraient donné lieu tant à la Chambre qu’au Sénat à d’interminables débats, qui ont été sup primés du coup.
- Le parti radical, a fait au ministère le sacrifice de son annuelle revendication pour la suppression du budget des cultes ; et le cabinet radical ne pouvait guère avoir
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- dans cette circonstance les modérés pour adversaires, ni à propos de la question de la révision de la constitution soulevée par un droitier, ni sur la proposition formulée par un rallié de modifier la loi contre les menées anarchistes.
- Des majorités considérables ont appuyé le gouvernement lorsqu’il s’est prononcé pour le maintien du statu quo. Les éléments de cette majorité se recrutaient aussi bien parmi les habituels partisans du statu quo que parmi les progressistes, et les bulletins de ceux qui avaient voté les lois de répression se sont confondus avec les bulletins de ceux qui avaient combattu pied à pied les lois scélérates.
- L’un de ces derniers, et non certes le moins autorisé, M. Goblet, n’a-t-il pas dit pour justifier le revirement du parti radical, à cet égard, que cette loi ne l’effrayait pas entre les mains du gouvernement actuel, comme si le principal argument de ses amis contre le vote de la loi n’avait pas été tiré de cette considération qu’il était impossible de laisser entrer dans notre législation une mesure de circonstance qui pouvait devenir une arme dangereuse entre les mains d’un gouvernement hostile.
- Des objections du même ordre étaient faites jadis contre les dépenses de sûreté générale ( fonds secrets ) qui ne se sont reproduites que mollement et n’ont pu entamer d’ailleurs la majorité favorable à l’octroi de ce crédit.
- Les modérés qui ont la prétention de se distinguer par leur intelligence des nécessités gouvernementales, ne pouvaient guère, quelle que fut la réserve de leur attitude à l’égard du cabinet, lui refuser le vote d’un crédit que tous les ministères jusqu’à présent ont considéré comme indispensable à l’exercice d’une des fonctions les moins contestées du gouvernement, le soin de veiller à la sûreté générale.
- D’un autre côté, les radicaux n’ont pas- cru devoir refuser au ministère radical un vote qui implique plus qu’aucun autre, l’entière confiance.
- Dans un discours prononcé au début de la session, hors de l’enceinte législative, M. Waldeck-Rousseau, sénateur, le plus autorisé des chefs du parti modéré, a pu plaisanter ces hommes intraitables « qui semaient sous les pieds du pouvoir toutes les épines » et qui
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- maintenant « jonchent de fleurs » sa route « beaucoup moins préoccupés d’attaquer les réformes par la racine que d’arroser la modeste plantation du ministère ».
- Il est cependant fort aisé de comprendre que ces hommes iront de préférence à un ministère qui a remplacé en ce qui les concerne la politique du « poing fermé » par celle de la « main ouverte » suivant l’expression du chef du gouvernement, M. Bourgeois.
- Ainsi s’explique la différence d’attitude des socialistes envers les cabinets précédents et le ministère Bourgeois, bien que celui-ci ait pu déclarer qu’il n’avait fait et ne ferait, pour obtenir les votes des membres du parti socialiste, aucune concession sur son programme et sur ses idées, et qu’il ait répété, ce qu’il avait déjà affirmé dans sa déclaration, à savoir qu’il défendrait contre toutes les tentatives la propriété individuelle.
- Il est certain que la formation du cabinet Bourgeois avait amené une très-notable détente dans la situation.
- Les socialistes étaient las de la longue lutte soutenue contre les ministères qui s’étaient succédé depuis 1893, lutte qui s’était particulièrement exaspérée sous le dernier ministère, à l’occasion de la grève des verriers de Garmaux.
- Les radicaux ne pouvaient que faire crédit au seul cabinet radical qu’ils aient eu depuis huit ans, bien que celui-ci eût déclaré qu’il ne prenait pas à son compte le programme radical.
- Quant aux modérés, l’abandon, tout au moins provisoire, d’une partie du programme radical, n’a pu que les mettre à l’aise, en leur permettant de ne rien changer à leurs habitudes de ministérialisme ; quelques uns ont peut-être senti se réveiller en eux des instincts libéraux latents.
- De tout cela, il résulte que malgré le désir exprimé par le président du conseil, les frontières des divers partis parlementaires ne se sont pas encore nettement dessinées, et qu’on ne sait pas encore s’il existe dans ta Chambre actuelle une majorité résolûment progressiste. Une seule loi importante a été votée en dehors du budget, la loi sur les successions. Cette loi les radicaux la réclamaient au nom de la justice, les socialistes la considéraient comme un acheminement vers une répartition plus équitable de la fortune, « comme
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- un moyen légal » précisaient d’autres, « d’opérer la rentrée à la nation des capitaux détenus par une classe. »
- Or, cette loi, émanait de l’initiative du ministère qui s’est montré le plus dur pour les socialistes, le ministère Dupuy.
- Si la loi est marqué au coin du progrès, cela prouve qu’il peut se rencontrer des progressistes dans tous les partis.
- Le vote de cette loi n’a pas fait cesser la confusion, mais on peut y trouver une indication.
- Au lieu de prendre son temps à délimiter les frontières des partis, de reconstituer les vieux cadres détruits, et de chercher à connaître ce qui distingue un républicain de gouvernement d’un radical ou d’un socialiste, ne vaut-il pas mieux préparer les réformes et les soumettre au vote du parlement.
- C’est le parti que semble avoir pris le gouvernement.
- Il a été sobre de déclarations, il veut être jugé sur ses actes.
- Voter le budget en temps opportun, disait M. Bourgeois dans sa déclaration, est la première des réformes et la condition de toutes les autres.
- Le budget est voté, le champ est libre mais qu’on se dépêche, les cabinets ont la vie courte, et avec les éléments dont se composent nos assemblées, les réformes aboutissent si difficilement.
- ***
- AU SÉNAT
- L’assurance contre les accidents
- Le Sénat a consacré la session extraordinaire à l’examen de la loi sur l’assurance contre les accidents. On sait que cette loi fait depuis longtemps la navette entre le Palais-Bourbon et le Luxembourg, et que la principale cause de ce va et vient qui aurait pu durer indéfiniment tenait à une divergence d’opinion sur deux points capitaux de la loi : le risque professionnel, l’établissement de la preuve.
- Revenant sur les précédentes dispositions qu’il avait votées au sujet de la faute lourde, le Sénat s’est enfin complètement rallié au principe de la responsabilité du risque professionnel, en votant l’article 18 du projet actuel, qui accorde des indemnités à l’ouvrier blessé, même dans le cas de faute lourde,
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- D’autre part, le Sénat a confirmé le renversement de la preuve établie par la Chambre.
- Des différences subsistent encore entre le projet de la Chambre et celui du Sénat, notamment au sujet des catégories d’ouvriers et d’employés qui bénéficieront de la loi.
- Espérons que le Sénat se rangera sur ce point encore à l’opinion de la Chambre lorsque le projet viendra en deuxième délibération.
- Palais de la mutualité
- M. Prévet, sénateur de Seine-et-Marne, a déposé au Sénat une proposition de loi qui intéresse au plus haut point toutes les sociétés de secours mutuels.
- Elle a pour but de faire adopter par le Parlement, une loi autorisant la création, partout où elle sera possible et utile, de locaux spéciaux, dits « palais de la mutualité. »
- M. Prévet estime qu’une maison commune pour plusieurs sociétés, sans porter atteinte à leur indépendance respective diminuerait dans une notable proportion leurs frais généraux d’administration.
- Il y a aujourd’hui près de deux millions de mutualistes en France ; on voit immédiatement l’économie qui pourrait être réalisée par l’établissement d'une même comptabilité, de frais généraux supportés en commun par un groupe de sociétés d’après des arrangements consentis entre elles.
- Les médecins choisis pourraient être ainsi constamment à la disposition des mutualistes et des sociétés. Il est certain qu’une organisation ainsi comprise présenterait de nombreux avantages qui tous seraient au profit des adhérents, car les économies réalisées sur les frais généraux permettraient naturellement d’augmenter la quotité des secours.
- Pour Paris, l’honorable sénateur de Seine-et-Marne proposait que la Bourse du travail fermée en juillet 1893, devienne le Palais de la mutualité. Mais cet immeuble ayant été rendu à sa destination primitive, il faudrait trouver un autre local, dans le cas où, ce qui est probable, la proposition Prévet serait adoptée. La chose en vaut la peine.
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- LES CAISSES DE RETRAITE
- La loi concernant les caisses de retraite, de secours et de prévoyance fondées au profit des employés et ouvriers a été promulguée au Journal Officiel, sous la date du 27 décembre dernier. En voici le texte:
- Le Sénat et la Chambre des députés ont adopté.
- Le président de la République promulgue la loi dont la teneur suit :
- Article 1er. En cas de faillite, de liquidation judiciaire ou de déconfiture, lorsque, pour une institution de prévoyance, il aura été opéré des retenues sur les salaires, ou que des versements auront été reçus par le chef de l’entreprise, ou que lui-même se sera engagé à fournir des sommes déterminées, les ouvriers, employés ou bénéficiaires sont admis de plein droit à réclamer la restitution de toutes les sommes non utilisées conformément aux statuts.
- . Cette restitution s’étendra, dans tous les cas, aux intérêts convenus des sommes ainsi retenues, reçues ou promises par le chef de l’entreprise. A défaut de convention, les intérêts seront calculés d’après les taux fixés annuellement pour la caisse nationale des retraites pour la vieillesse.
- Les sommes ainsi déterminées et non utilisées conformément aux statuts deviendront exigibles en cas de fermeture de rétablissement industriel ou commercial.
- Il en sera de même en cas de cession volontaire, à moins que le cessionnaire ne consente à prendre les lieu et place du cédant.
- Art. 2. La caisse des dépôts et consignations est autorisée à recevoir, à titre de dépôt, les sommes ou valeurs appartenant ou affectées aux institutions de prévoyance fondées en faveur des employés et ouvriers.
- Les sommes ainsi reçues porteront intérêt à un taux égal au taux d’intérêt du compte des caisses d’épargne.
- Art. 3. Dans les trois mois qui suivront la promulgation de la présente loi, toutes les sommes qui, à l’avenir, seront retenues sur les salaires des ouvriers
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- LES CAISSES DE RETRAITE
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- et toutes celles que les chefs d’entreprise auront reçues ou se seront engagés à fournir en vue d’assurer des retraites devront être versées, soit à la caisse nationale des retraites pour la vieillesse, au compte individuel de chaque ayant droit, soit à la Caisse des dépôts et consignations, soit à des caisses syndicales ou patronales spécialement autorisées à cet effet.
- L’autorisation sera donnée par décret rendu dans la forme des règlements d’administration publique. Le décret fixera les limites du district, les conditions de fonctionnement de la caisse et son mode de liquidation. Il prescrira également les mesures à prendre pour assurer le transfert, p soit à une autre caisse syndicale ou patronale, soit à la caisse nationale des retraites pour la vieillesse, des sommes inscrites au livret de chaque intéressé.
- Les sommes versées par les chefs d’entreprise dans la caisse syndicale ou patronale devront être employées, soit en rentes sur l’Etat, en valeurs du Trésor ou garanties par le Trésor, soit en obligations des départements, des communes, des chambres de commerce, en obligations foncières et communales du Crédit foncier, soit en prêts hypothécaires, soit enfin en valeurs locales, énumérées ci-après, à la condition que ces valeurs émanent d’institutions existant dans les départements où elles fonctionnent: bons de mont-de-piété ou d’autres établissements reconnus d’utilité publique. Les titres seront nominatifs.
- La gestion des caisses syndicales ou patronales sera soumise à la vérification de l’inspection des finances et au contrôle du receveur particulier de l’arrondissement du siège de la caisse.
- Si des conventions spéciales interviennent entre les chefs d’entreprise et les ouvriers ou employés, en vue d’assurer à ceux-ci, à leurs veuves pu à leurs enfants, soit un supplément de rente viagère, soit des rentes temporaires ou des indemnités déterminées d’avance, le capital formant la garantie des engagements résultant des dites conventions devra être versé ou représenté à la Caisse des dépôts et consignations ou dans une des caisses syndicales ou patronales ci-dessus prévues.
- Art. 4. Le seul fait du dépôt, opéré soit à la Caisse des dépôts et consignations, soit à toute autre caisse,
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- des sommes ou valeurs affectées aux institutions de prévoyance, quelles qu’elles soient, confère aux bénéficiaires de ces institutions un droit de gage, dans les termes de l’article 2073 du code civil, sur ces sommes et valeurs. Ce droit de gage s’exerce dans la mesure des droits acquis et des droits éventuels.
- La restitution des retenues ou autres sommes affectées aux institutions de prévoyance qui, lors de la faillite ou de la liquidation, n’auraient pas été effectivement versées à l’une des caisses indiquées ci-dessus est garantie, pour la dernière année et ce qui sera dû pour Vannée courante, par un privilège sur tous les biens, meubles et immeubles du chef de l’entreprise, lequel prendra rang concurremment avec le privilège des salaires des gens de service établi par l’article 2101 du code civil.
- Art. 5. Pour toutes les contestations relatives à leurs droits dans les caisses de prévoyance, de secours et de retraite, les ouvriers et employés peuvent charger à la majorité, un mandataire d’ester pour eux en justice, soit en demandant soit en défendant.
- Art. 6. Un règlement d’administration publique déterminera le mode de nomination du mandataire et les conditions suivant lesquelles seront effectués le dépôt et le retrait des sommes et valeurs appartenant ou affectées aux institutions de prévoyance.
- Il déterminera de même le mode de liquidation des droits acquis et des droits éventuels, ainsi que le mode de restitution aux intéressés.
- La présente loi, délibérée et adoptée par le Sénat et par la Chambre des députés, sera exécutée comme loi de l’Etat.
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- UN PRÉCURSEUR DE GODIN
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- UN PRÉCURSEUR DE GODIN
- Extrait du compte-rendu d'une conférence faite à Glasgow, le 7 septembre 1895, par M. W. E. Snell (d’Edimbourg), à l'occasion du Festival cooperatif d'Ecosse; la conférence avait pour titre : La Coopération : sa place et son influence dans la solution du problème industriel.
- ( Voir le Cooperative Newsda 14 septembre 1895, p. 968 et suivantes),
- Ainsi que Lloyd Jones l’a dit avec autorité, il y a longtemps, c’est notre devoir de coopérateurs de changer les anciennes relations de l’ouvrier avec sa tâche, du travail avec le capital. La cause de la dispute étant la rivalité des intérêts, la paix ne peut être assurée que par l’union de ces intérêts.
- « La source de notre désordre social est dans cette doctrine commerciale d’après laquelle le travailleur doit toucher son salaire et rien de plus, le prix reçu ainsi à titre de gages étant réputé juste par cela seul qu’il a été accepté. Un moyen fort simple de modifier ce dur système a été employé par lord Wallscourt en 1829. Sans d’ailleurs essayer de démontrer sa théorie, il avait affirmé que le salarié doit être considéré comme un capitaliste en ce sens que son salaire doit être capitalisé au taux payé à son patron (pour l’intérêt du capital de celui-ci); ce taux devait être fixé à un chiffre modéré, représentant l’intérêt moyen convenable pour un placement ordinaire. Quant au bénéfice net (intérêt et salaire déduits) il devait être partagé entre le travail et le capital. Ce taux étant à 5 0/0, un ouvrier qui recevait un salaire de 52 livres sterling par an était considéré comme le propriétaire nominal d’un capital de 1,040 livres sterling (représenté par sa propre personne). Les bénéfices excédant les salaires et l’intérêt de 5 0/0 (attribué au capital-argent) seraient répartis équitablement entre les deux parties, de telle sorte que le même dividende serait ajouté proportionnellement aux intérêts du capital (5 0/0) et aux salaires du travail (capitalisés au même taux). »
- On sait que ce mode de répartition du bénéfice au prorata des salaires, d’une part, et des intérêts, d’autre part, considérés comme la mesure des concours donnés et des risques courus, est en pleine vigueur depuis 1880, en vertu d’un acte de société en commandite, dans l’Association du Familistère de Guise, fondée par J--B.-A. Godin.
- U Emancipation, Nimes)
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- FAITS POLITIQUES & SOCIAUX
- FRANCE
- L’Assistance par le travail
- Voici d’après le Bulletin de l’Office du Travail quelques renseignements sur les Sociétés d’assistance par le travail.
- Il s’agit de Sociétés privées qui ont souvent, à Paris et dans les principales villes de France, des ateliers de travail temporaire où tout sociétaire peut envoyer un solliciteur exécuter un travail facile, avant que l’aumône qu’il lui destine lui soit remise par la Société.
- On trouve ici l’application d’un principe nouveau qui consiste à avoir dans l’atelier de charité un instrument d'épreuve mis à la disposition de toutes les organisations charitables existantes, publiques ou privées, pour leur permettre de distinguer les nécessiteux intéressants de ceux qui 11e le sont pas et d’assurer un emploi utile aux ressources dont elles disposent.
- Le système d’admission est très simple : les personnes ou collectivités charitables, membres de la Société, reçoivent de petits carnets dè bons de travail timbrés à leur numéro matricule, véritables chèques de secours contre travail, donnant au porteur le droit de recevoir un salaire qui est généralement- de 25 centimes par heure après une à trois heures de travail selon les Sociétés.
- Ces bons ont par conséquent une valeur de 25 à 75 centimes. Si l’indigent qui a reçu le bon consent à aller travailler, dans ce cas seulement la valeur lui est payée; elle est réclamée en fin de mois au sociétaire qui a remis le bon.
- La première Société française qui ait fonctionné suivant le principe du travail d’épreuve, du . secours temporaire et du bon du travail, est probablement l'Assistance par le Travail de Marseille, fondée en 1892. Elle avait pris modèle sur une société créée à Genève, sous le même titre, peu d’années auparavant, et qui parait avoir été la première du genre. ,
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- FAITS POLITIQUES ET SOCIAUX 99
- Les Sociétés d’assistance par le travail se sont rapidement développées en France. Elles sont maintenant au nombre de 38 (non compris le Comité central des œuvres du travail) dont 22 à Paris et 46 dans les départements.
- Une statistique générale des institutions d’assistance par le travail a été entreprise, à l’occasion de l’exposition de Bordeaux, par le Comité central des œuvres du travail, société fondée à Paris pour servir de lien aux œuvres existantes et faciliter les créations du même genre. Cette statistique a été réalisée au moyen d’un questionnaire méthodique, adressé à toutes les œuvres dont l’existence était connue des membres du comité central et qui sont presque certainement toutes celles qui existent.
- En province, 12 sociétés sur 16 ont adopté l’admission sur bons de travail, suivant le mécanisme qui a été expliqué. A Paris, 10 sociétés sur 22 emploient le bon de travail exclusivement ou concurremment avec d’autres modes d’admission ; 12 sociétés ne pratiquent que ceux-ci : recommandation d’un sociétaire, de la police, enquête sur demande directe, etc.
- Dans ce dernier groupe, on trouve trois établissements municipaux, et les œuvres distinctes destinées au soulagement d’infortunes spéciales.
- La plupart des institutions de ce groupe sont pour ainsi dire, les émanations d’une autre société d’organisation de la charité, l'Office central des œuvres cha-ritables.
- Dans 21 sociétés (11 de Paris et 10 des départements) le payement des salaires est fait en argent. Dans 17 autres sociétés (11 de Paris et 6 des départements), il est réalisé sous forme d’hospitalisation.
- Toutefois, dans plusieurs institutions appartenant au premier groupe, l’assisté peut s’il le désire, se procurer des bons de soupe, de fourneau ou de couchage.
- De même, dans quelques-unes des Sociétés qui prati quent le payement en nature, une partie du salaire de l’assisté est placée en réserve pour former un pécule qui lui est remis à sa sortie, et certains travailleurs chargés de famille reçoivent un salaire en argent équivalent à l’hospitalisation qui est accordée aux autres.
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- En réunissant les budgets annuels des 15 sociétés qui ont fourni ce renseignement, on trouve que 480,000 francs ont pu être dépensés par 7 sociétés parisiennes et 111,000 francs par 8 sociétés des départements.
- On voit que les sociétés d’Àssistance par le travail remplissent déjà un rôle important dans l'organisation de la charité.
- Il y a là une manifestation des plus louables de l’instinct altruiste ou du sentiment de la solidarité, dans une société qui n’a encore su créer le véritable budget de la mutualité sociale.
- Un témoignage qui a bien son prix est celui du greffier de la Morgue.
- Pendant l’année qui vient de finir, la Morgue a reçu 890 corps; en 1894, elle en avait reçu 895.
- Ce chiffre est inférieur à la moyenne des autres années : en 1892, il avait été envoyé dans cet établissement 989 corps ; c’est donc une diminution de 100 environ. Cette diminution est attribuée, d’après M. Gaud, greffier, aux dons, distributions de secours, soupes, etc., et aux diverses institutions charitables qui se sont multipliées dans ces trois dernières années.
- En ce qui concerne plus particulièrement l’Assistance par le travail, rappelons que plusieurs propositions de
- 101 y relatives ont été déposées au Parlement.
- GRANDE-BRETAGNE Les tramways coopératifs
- La ville de Glasgow, avec ses tramways municipaux, ses habitations ouvrières et ses autres institutions, présente un grand intérêt à bien des points de vue aux coopérateurs. Depuis une année que les tramways, pour ne parler que de ceux ci, sont exploités en coopération, ils ont pris un rapide développement et leur popularité croissante est particulièrement attribuée à l’application du tarif à un sou, pour un parcours d’un 1/2 mille et par l’installation de stations à cette distance l’une de l’autre. Le coopérateur se plaît à comparer
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- FAITS POLITIQUES ET SOCIAUX
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- le résultat obtenu par la nouvelle association, qui est parvenue à faire face à toutes ses charges et à payer un intérêt au capital, avec celui des tramways d’Iîuddersfield, conduits par un autre système, et qui 'viennent de clore leur exercice par un déficit de 1,025,000 francs. Cet essai, tenté à Glasgow, de l’application du système coopératif à la grande industrie des transports, est un de ceux qui méritent d’être imités.
- ALLEMAGNE La coopération
- On compte actuellement dans l’empire allemand :
- 6.417 associations de crédit.
- 1.412 associations de consommation.
- 124 associations de construction.
- 61 associations pour l’achat des matières premières. 1.067 associations pour l’achat des matières premières pour l’agriculture
- 1.458 associations agricoles de production.
- 124 associations industrielles de production.
- 160 associations d’assurance.
- Parmi les 6,417 sociétés de crédit, 3,800 sont du type Raiffeisen.
- Les autres sont du type Schulze-Delitzsch.
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- LE DEVOIR
- LA QUESTION DE LA PAIX
- Nous empruntons au journal « La Paix par le Droit » l’article suivant:
- UAlmanach de la Paix paru pour la 8e fois, fait appel à la fidèle sympathie de tous ceux qui ont utilisé les éditions précédentes comme instrument de propagande. Par le choix de ses rédacteurs, par le caractère de ses articles, par l’exactitude et la plénitude de ses informations, cette publication peut être considérée, en effet, comme l’exposé le plus autorisé, le plus convaincant et le plus attrayant des progrès du mouvement pacifique pendant l’année écoulée. Ceux qui méconnaissent nos principes ou contestent nos résultats peuvent y trouver, sous la forme d’arguments de fait, la plus solide justification de nos espérances et de nos efforts.
- La préface de VAlmanach est due, cette année-ci, à M. Albert Sorel, de l’Académie française, et tous ceux qui ont suivi, dans son évolution, la pensée de l’éminent historien, apprécieront comme un évènement et comme un exemple son adhésion à la cause de la Paix.
- A côté de M. Sorel • figurent dans Y Almanach la plupart des anciens collaborateurs. En première ligne, comme toujours, M. Frédéric Passy, et à côté de lui, M. Ferdinand Dreyfus qui dégage très clairement la philosophie des fêtes de Kiel; M. Charles Gide qui émet des réflexions très justes sur la façon dont on enseigne dans les écoles le mépris de l’étranger; M. Gaston Moch donne sous le titre de Supernationalisme une définition et un commentaire très exacts du véritable internationalisme, celui des Amis de la Paix opposé à celui des Sans-Patrie. .
- La revue du mouvement pacifique de l’année écoulée .est due à la plume de M. Charles Brunet qui, ici même, résume chaque mois les échos pacifiques. C’est dire que cet article ne laisse rien à désirer au point de vue de la documentation qui doit en être le mérite principal.
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- LA QUESTION DE LA PAIX
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- Le compte-rendu de la sixième Conférence Interparlementaire, tenue cette année-ci à Bruxelles, est signé de M. le sénateur Emile Labiche qui a remplacé M. Trarieux à la tête du groupe parlementaire français.
- Signalons encore comme présentant un intérêt tout particulier, l’iiistoire des quatre premières années du Bureau International de la Paix, dû à la collaboration de M. Elie Ducommun qui a été, depuis l’origine, l’âme de cette excellente institution.
- Notons enfin que Y Almanach de la Paix reproduit en entier un rapport, encore inédit, présenté au mois de juillet dernier, par M. Charles Richet, au Conseil de la Société d’arbitrage, pour démontrer la nécessité d’un manuel d’histoire donnant aux œuvres de la Paix leur véritable importance et flétrissant les guerres de conquête dont le récit occupe presque toute la place dans les ouvrages de ce genre publiés jusqu’à ce jour.
- L’Almanach de la Paix est en vente dans les bureaux de v La Paix par le Droit », 10, rue Monjardin, Nimes, Gard, au prix habituel de 0 fr. 20 l’exemplaire : 15 francs les 100.
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- LE DEVOIR
- MOUVEMENT FÉMINISTE
- ALLEMAGNE Le Droit Civil des femmes
- Les Sociétés allemandes pour les droits de la femme, au nombre de 62, ont adressé au Reichstag une pétition que le Parlement aura à examiner au courant de la discussion du nouveau code civil.
- La pétition demande notamment la substitution de la séparation de biens à la communauté comme régime matrimonial de droit commun, en l’absence d’autres conventions, l’égalité absolue de la femme avec l’homme pour l’exercice de la tutelle et de la curatelle, etc.
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- La femme académique
- Du Journal des Débats:
- Les journaux berlinois nous apportent l’analyse d’une brochure, actuellement sous presse, intitulée la « Femme académique ».
- L’auteur de cet écrit est allé demander aux principaux professeurs de l’Université de Berlin leur avis sur cette question brûlante :
- « A-t-on raison d’admettre les femmes dans les Universités? sont-elles à même de profiter de l’enseignement qu’on y donne? » Et ce sont leurs réponses que nous trouvons dans la « Femme académique. »
- Parmi les explications les plus caractéristiques, citons celle du célèbre professeur de Bergmann : a J’estime, a-t-il dit, que la femme est absolument inapte, soit à étudier, soit à exercer les professions auxquelles les grades universitaires donnent accès.
- » Cette incapacité, selon moi, s’explique par la conformation physique de la femme comme par sa constitution morale. »
- M. Henri Dernburg, professeur de droit, a exprimé une opinion originale ; il propose de créer, au centre de l’Allemagne, une Université où les femmes seront seules admises,
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- MOUVEMENT FÉMINISTE
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- La petite ville de Giessen, si agréablement située, « lui semble un endroit tout indiqué pour cela ». Ainsi seront supprimés les inconvénients qui — selon M. Dernburg — résultent fatalement de la promiscuité des sexes sur les bancs de l’école !
- Si le reste est à l’avenant, pour le bon renom des interviewés, il convient d’arrêter les citations.
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- ETATS-UNIS
- Le droit du suffrage municipal
- On sait peut-être que c’est dans les contrées de l’Ouest américain que la femme possède les droits les plus étendus. Il a- plus de 20 ans , l’Etat de Wyoming conféra, le premier, le vote politique aux femmes. Dans ces deux dernières années, les Etats du Colorado et de l’Utah ont imité cet exemple. Mais dans l’ancienne portion de la grande république, les traditions s’opposent à une extension trop rapide des droits politiques ou municipaux féminins.
- L’Etat de New-York n’a pas voulu conférer aux femmes le droit de vote dans sa récente révision constitutionnelle. Au Massachusetts la même question se posait au municipal et il fut décidé qu’elle serait soumise au peuple. Celui-ci, consulté dans la période électorale qui vient de se terminer, s’est prononcé contre le suffrage féminin.
- Il est à noter que dans ce referendum, les femmes avaient voix au chapitre. Or, il y en a 450,000 dans l’Etat, sur lesquelles 20,000 seulement ont appuyé le mouvement. Il y a eu environ cinq fois plus d’hommes volant oui que de femmes, ce qui est fort galant. Et le résultat final a été 292,000 votants : majorité contre le droit de vote aux femmes 77,000.
- Pourtant, malgré tout, cette défaite témoigne d’un progrès de l’idée féministe. Il y a vingt ans, on n’aurait pas obtenu plus de cent mille -voix pour le vote des femmes.
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- GRANDE-BRETAGNE Les femmes chirurgiens
- Les fellows ou agrégés du Collège royal des chirurgiens de Londres viennent d’adopter, par 49 voix contre 10, une
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- LE DEVOIR
- résolution déclarant qu’à leur avis les femmes doivent être admises à obtenir des diplômes de cette institution. D’après le Times, ce vote pourrait avoir pour effet de déterminer le conseil, malgré son opposition antérieure, à ouvrir l’accès des examens aux candidats féminins.
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- FRANGE L’article 324
- Extrait d’un article de M. Alphonse Humbert, dans VE clair:
- Tous les journaux ont annoncé, ces jours derniers, que la « commission des pétitions » au Palais-Bourbon venait de repousser, très délibérément, une pétition de Mme Potonié-Pierre, demandant l’abolition du paragraphe de l’article 324 du Code pénal, ainsi conçu :
- « Dans le cas d’adultère, le meurtre commis par l’é-» poux sur son épouse, ainsi que sur le complice, à » l’instant où il les surprend en flagrant délit dans la » maison conjugale, est excusable. »
- Je m’étonne que cette suggestive information parlementaire n’ait pas davantage échauffé la verve de nos chroniqueurs, d’ordinaire facile à émouvoir sur de pareils sujets. De toutes les bêtises et de toutes les atrocités qui subsistent dans nos codes, il n’en est pas une peut-être qui soit plus faite pour exciter le courroux des honnêtes gens que l’excuse légale inscrite à l’article 324. Elle constitue une véritable incitation au meurtre ; elle révolte l’humanité; elle est contraire au sentiment le plus rudimentaire de la justice; elle ne répond à aucune nécessité d’ordre social; elle est, Dieu merci! en désaccord avec nos moeurs et je défie bien qu’on lui __trouve où que ce soit l’ombre d’une justification.
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- Les Femmes à l’Assistance publique
- Le nouveau réglement de l’Assistance publique a déjà été mis en exécution dans le XVIe arrondissement.
- Deux femmes, Mme Landrin et Mme Roullion ont été nommées administrateurs du bureau de bienfaisance.
- Nous ne doutons pas que cet exemple sera promptement suivi par les autres arrondissements de Paris.
- (Le Journal de la Femme. )
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- BIBLIOGRAPHIE
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- B I BLIOGRAPHIE
- UN SOCIALISTE PRATIQUE
- ROBERT OWEIIST
- L’intéressante histoire publiée sous le titre qui précède, par Aug. Fabre, — et que nous avons donnée dans nos numéros de janvier à août 1895, — vient de paraître en une jolie brochure de 150 pages (1), avec Introduction, par Charles Gide, professeur d’Economie politique à l’Université de Montpellier.
- C’est un vrai plaisir pour nous d’annoncer cette publication, pleine des meilleurs enseignements sociaux et qui montre sous son vrai jour un socialiste pratique d’une grande valeur morale, très peu connu en France et caricaturé par quelques publicistes.
- A côté d’une rare largeur de cœur et d’esprit, ce qui distingue particulièrement Robert Owen, c’est qu’il clôtura l’ère sociale des utopistes : les Thomas Morus (1516), Harrington (1656), John Bellers (1696), Morelly (1755), Babeuf, etc. en ce sens que, le premier, il tenta de donner corps à ses rêves; en cela, il voyait juste et il eut raison malgré ses échecs, la pratique seule dégageant la vérité de l’erreur.
- La science nous en offre un frappant exemple : c’est par la méthode expérimentale que l’alchimie s’est débarrassée de ses vaines formules et transformée en chimie.
- (1) En vente , au prix d’un franc au bureau du journal Emancipation, 1 rue Duguesclin, Nimes (Gard).
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- LE DEVOIR
- Depuis Owen, la série des expérimentateurs sociaux n’a jamais été interrompue. D’après Humphrey Noyés, de 1824 à 1845, les Etats-Unis ont compté 12 expériences dues à l’influence des idées d’Owen; et nos lecteurs ont vu combien ces mêmes idées ont contribué au mouvement coopératif anglais et à la dispersion générales des vues socialistes.
- Nombre d’esprits les plus avancés et beaucoup parmi les coopérateurs modernes ignorent ces origines; cela n’a rien de surprenant : combien d’hommes pourraient dire ce qu’étaient leurs arrière-grands pères? Ils peuvent donc bien ignorer Robert Owen, surtout en raison de ce fait que les travaux du novateur n’étaient guère relevés jusqu’ici qu’en langue anglaise. C’est donc avoir rendu un vrai service social que d’avoir mis à la portée de tout lecteur français l’histoire si attachante et si instructive du grand socialiste anglais.
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- OUVRAGES REÇUS
- Les sept principes de l’homme ou sa constitution occulte d’après la théosophie, par le Dr Th. Pascal.
- 1 vol. 2 fr. Editeur Chamuel 79 rue du faubourg-Pois-sonnière, Paris.
- Le monde sera-t-il catholique, par Daniel Metzger, ouvrage dédié « à ceux qui aiment la liberté, la justice, la vérité. »
- Le livre porte cette épigraphe:
- « Pour que l’Eglise immuable reste à la tête du monde qui marche, il faut arrêter le monde. »
- En vente chez l’auteur 9, rue Ami-Lullin, Genève, Suisse.
- Le problème du mal, essai présenté à la Société d’Etudes psychiques, par Aug. Lemaître.
- Opuscule en vente, au prix de 25 centimes, à l’Imprimerie de Wyss et Ducliène, rue Verdaine, Genève.
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- OUVRAGES REÇUS 109
- A la Librairie du magnétisme, 23, rue Saint-Merri, Paris.
- Ouvrages à 15 centimes par H. Durville :
- Application de l’aimant au traitement des maladies.
- L’enseignement du magnétisme.
- Bibliographie du magnétisme et des sciences occultes.
- Le trésor du foyer, par E, Chenais, prix 30 centimes.
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- Notes et impressions à travers le Féminisme, par
- Marie C. Terrisse.
- Prix 3 fr. Librairie Fischbacher, 33 rue de Seine, Paris.
- Le socialisme français et le collectivisme allemand
- par P. E. Laviron, ancien avocat.
- Du même auteur:
- Un mot sur le socialisme intégral de Charles Fourier, à propos du droit à l’existence et du droit à la retraite.
- Ces deux opuscules sont en vente à l’Imprimerie J. Allemane, 51 rue Saint-Sauveur, Paris.
- Almanach des coopérateurs belges, pour 1896. Brochure en vente au prix de 15 centimes, chez L. Bertrand, 11 rue James Watt, Bruxelles, Belgique.
- Solution pacifique de la question sociale, par M. L.
- X. ancien député.
- Prix 1 franc. Paris. E. Dentu, Editeur, 3 Place de Valois ( Palais-Royal. )
- Manuel des Banques populaires, par Charles Rayneri, vice-président du centre fédératif du Crédit populaire en France, Directeur de la Banque populaire de Menton.
- Prix 5 fr. Vendu au profit du centre fédératif du Crédit populaire en France.
- Paris, Librairie Guillaumin et Cie, 14, rue Richelieu.
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- LE DEVOIR
- Cet ouvrage est destiné à « servir de Guide aux promoteurs, aux administrateurs et aux directeurs des Banques populaires. » Il est divisé en trois parties :
- 1° Notice générale sur les Banques populaires , commentaire des principales opérations, rôle des orga nés administratifs et du personnel.
- 2° Formalités légales à remplir pour la constitution d’une Banque populaire, modèles de statuts et de règlement d’administration.
- 3° Organisation de la comptabilité, division des divers services, etc., modèles de bilan et d’inventaire.
- L’auteur a condensé dans ce « Manuel » l’expérience de plus de douze années consacrées à la cause du Crédit populaire en France.
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- Société dEtudes psychiques de Genève. Rapports pour
- l’exercice de 1895.
- Imprimerie Wyss et Duchène, rue Verdaine, Genève, Suisse.
- Cet opuscule de 28 pages contient trois Rapports qui nous paraissent des modèles en leur genre. Le premier, signé Daniel Metzger, donne la physionomie générale des dix séances de la Société ; le second, signé Alexandre Perret, indique le mouvement de la Bibliothèque; le troisième, signé L. Gardy, établit l’état financier. Tous les trois contiennent des réflexions et observations judicieuses, intéressantes et que liraient avec fruit les personnes appelées à faire de semblables rapports.
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- SANS FAMÎLLE
- SANS FAMILLE
- Par Hector MALOT
- Ouvrage couronné par l’Académie française
- (Suite)
- Quand nous arrivâmes aux environs de Varses, il était deux ou trois heures de l’après-midi, et un soleil radieux brillait dans un ciel pur ; mais à mesure que nous avancions le jour s’obscurcit ; entre le ciel et la terre s’était interposé un épais nuage de fumée qui se traînait lourdement en se déchirant aux hautes cheminées ; depuis plus d’une heure, nous entendions de puissants ronflements, un mugissement semblable à celui de la mer avec des coups sourds, — les ronflements étaient produits par les ventilateurs, les coups sourds par les martinets et les pilons.
- Je savais qne l’oncle d’Alexis était ouvrier mineur à Varses, qu’il travaillait à la mine de la Truyère, mais c’était tout ; demeurait-il à Varses même ou aux environs? Je l'ignorais.
- En entrant dans Varses, je demandai où se trouvait la mine de la Truyère, et l’on m’envoya sur la rive gauche de la Divonne, dans un petit vallon traversé par le ravin qui a donné son nom à la mine.
- Si l’aspect de la ville est peu séduisant, l’aspect de ce vallon est tout à fait lugubre; un cirque de collines dénudées, sans arbres, sans herbes, avec de longues traînées de pierres grises que coupent seulement çà et là quelques rayons de terre rouge; à l’entrée de ce vallon, les bâtiments servant à l’exploitation de la mine, des hangars, des écuries, des magasins, des bureaux, et les cheminées de la machine à vapeur; puis tout autour des amas de charbon et de pierres.
- Comme nous approchions des bâtiments une jeune femme à l’air égaré, aux cheveux flottants sur les épaules et traînant par la main un petit enfant, vint au devant de nous, et s’arrêta.
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- LE DEVOIR
- — Voulez-vous m’indiquer un chemin frais? dit-elle.
- Je la regardai stupéfait.
- — Un chemin avec des arbres, de l’ombrage, puis à côté un petit ruisseau qui fasse clac, clac, clac sur les cailloux, et dans le feuillage des oiseaux qui chantent.
- Et elle se mit à siffler un air gai.
- — Vous n’avez pas rencontré ce chemin, continua-t-elle, en voyant que je ne répondais pas, mais sans paraître remarquer mon étonnement, c’est dommage. Alors c’est qu’il est loin encore. Est-ce à droite, est-ce à gauche? Dis-moi cela, mon garçon. Je cherche.et ne trouve pas.
- Elle parlait avec une volubilité extraordinaire en gesticulant d’une main, tandis que de l’autre elle flattait doucement la tête de son enfant.
- — Je te demande ce chemin parce que je suis sûre d’y rencontrer Marius. Tu as connu Marius? Non. Eh bien, c’est le père de mon enfant. Alors quand il a été brûlé dans la mine par le grisou, il s’est retiré dans ce chemin frais; il ne se promène plus maintenant que dans les chemins frais, c’est bon pour ses brûlures. Lui il sait trouver ces chemins, moi je ne sais pas ; voilà pourquoi je ne l’ai pas rencontré depuis six mois. Six mois, c’est long quand on s’aime. Six mois, six mois !...
- Elle se tourna vers les bâtiments de la mine et montrant avec une énergie sauvage les cheminées de la machine qui vomissaient des torrents de fumée :
- — Travail sous terre, s’écria-t-elle, travail du diable ! enfer, rends-moi mon père, mon frère Jean, rends-moi Marius; malédiction, malédiction!
- Puis revenant à moi :
- — Tu n’es pas du pays, n’est-ce pas? ta peau de mouton, ton chapeau disent que tu viens de loin : va dans le cimetière, compte une, deux, trois, une, deux trois, tous morts dans la mine.
- Alors, saisissant son enfant et le pressant dans ses bras :
- — Tu n’auras pas mon petit Pierre, jamais!... l’eau est douce, l’eau est fraîche. Où est le chemin? Puisque tu ne sais pas, tu es donc aussi bête que les autres qui me rient au nez. Alors, pourquoi me retiens-tu? Marius
- m’attend.
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- Elle me tourna le dos et se mit à marcher à grands pas en sifflant son air gai.
- Je compris que c’était une folle qui avait perdu son mari tué par une explosion de feu grisou, ce terrible danger, et à l’entrée de la mine, dans ce paysage désolé, sous ce ciel noir, la rencontre de cette pauvre femme, folle de douleur, nous rendit tout tristes.
- On nous indiqua l’adresse de l’oncle Gaspard; il demeurait à une petite distance de la mine, dans une rue tortueuse et escarpée qui descendait de la colline à la rivière.
- Quand je le demandai, une femme, qui était adossée à la porte, causant avec une de ses voisines, adossée à une autre porte, me répondit qu’il ne rentrerait qu’à six heures, après le travail.
- — Qu’est-ce que vous lui voulez? dit-elle.
- — Je veux voir Alexis.
- Alors, elle me regarda de la tête aux pieds, et regarda Capi.
- — Vous êtes Remi? dit-elle. Alexis nous a parlé de vous; il vous attendait. Quel est celui-ci?
- Elle montra Mattia.
- — C’est mon camarade.
- C’était la tante d’Alexis. Je crus qu’elle allait nous engager à entrer et à nous reposer, car nos jambes poudreuses et nos figures halées par le soleil criaient haut notre fatigue; mais elle n’en fit rien et me répéta simplement que si je voulais revenir à six heures, je trouverais Alexis, qui était à la mine.
- Je n’avais pas le cœur à demander ce qu’on ne m’of frait pas ; je la remerciai de sa réponse, et nous allâmes par la ville, à la recherche d’un boulanger, car nous avions grand’faim, n’ayant pas mangé depuis le petit matin, et encore une simple croûte qui nous était restée sur notre dîner de la veille. J’étais honteux aussi de cette réception, car je sentais que Mattia se demandait ce qu’elle signifiait. A quoi bon faire tant de lieues?
- Il me sembla que Mattia allait avoir une mauvaise idée de mes amis, et que quand je lui parlerais de Lise, il ne m’écouterait plus avec la même sympathie. Et je tenais beaucoup à ce qu’il eût d’avance,de la sympathie et de l’amitié pour Lise.
- La façon dont nous avions été accueillis ne m’enga-
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- géant pas à revenir à la maison, nous allâmes un peu avant six heures attendre Alexis à la sortie de la mine.
- L’exploitation des mines de la Truyère se fait par trois puits qu’on nomme puits Saint-Julien, puits Sainte Al-plionsine et puits Saint-Pancrace ; car c’est un usage dans les houillières de donner assez généralement un nom saint aux puits d’extraction, d’aérage ou d’exhaure c’est-à-dire d’épuisement; ce saint étant choisi sur le calendrier le jour où l’on commence le fonçage, sert non seulement à baptiser les puits, mais encore à rappeler les dates. Ces trois puits ne servent point à la descente et au remontage des ouvriers dans les travaux. Cette descente et ce remontage se font par une galerie qui débouche à côté de la lampisterie et qui aboutit au premier niveau de l’exploitation, d’où il communique avec toutes les parties de la mine. Par là on a voulu parer aux accidents qui arrivent trop souvent dans les puits, lorsqu’un câble casse ou qu’une tonne accroche un obstacle et précipite les hommes dans un trou d’une profondeur de deux ou trois cents mètres ; en même temps on a cherché aussi à éviter les brusques transitions ‘auxquelles sont exposés les ouvriers qui, d’une profondeur de deux cents mètres où la température est égale et chaude, passent brusquement, lorsqu’ils sont remontés par la machine, à une température inégale et gagnent ainsi des pleurésies et des fluxions de poitrine.
- Prévenu que c’était par cette galerie que devaient sortir les ouvriers, je me postai avec Mattia et Capi devant son ouverture, et quelques minutes après que six heures eurent sonné, je commençai à apercevoir vaciller, dans les profondeurs sombres de la galerie, des petits points lumineux qui grandirent rapidement. C’étaient les mineurs qui, la lampe à la main, remontaient au jour, leur travail fini.
- Ils s’avançaient lentement, avec une démarche pesante, comme s’ils souffraient dans les genoux, ce que je m’expliquai plus tard, lorsque j’eus moi-même parcouru les escaliers et les échelles qui conduisent au dernier niveau ; leur figure était noire comme celle des ramoneurs, leurs habits et leurs chapeaux étaient couverts de poussière de charbon et de plaques de boue mouillée. En passant devant fa lampisterie, chacun entrait et accrochait sa lampe à un clou.
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- Bien qu’attentif, je ne vis point Alexis sortir et s’il ne m’avait pas sauté au cou, je l’aurais laissé passer sans le reconnaître, tant il ressemblait peu maintenant, noir des pieds à la tête, au camarade qui autrefois courait dans les sentiers de notre . jardin, sa chemise propre retroussée jusqu’aux coudes et son col entr’ouvert laissant voir sa peau blanche.
- — C’est Remi, dit-il en se retournant vers un homme d’une quarantaine d’années qui marchait près de lui et qui avait une bonne figure franche comme celle du père Acquin; ce qui n’avait rien d’étonnant puisqu’ils étaient frères.
- Je compris que c’était l’oncle Gaspard.
- — Nous t’attendions depuis longtemps déjà, me dit-il avec bonhomie.
- — Le chemin est long de Paris à Varses.
- — Et tes jambes sont courtes, dit-il en riant.
- Capi, heureux de retrouver Alexis, lui témoignait sa joie en tirant sur la manche de sa veste à pleines dents.
- Pendant ce temps, j’expliquai à l’oncle Gaspard que Mattia était mon camarade et mon associé, un bon garçon que j’avais connu autrefois, que j’avais retrouvé et qui jouait du cornet à pistons comme personne.
- — Et voilà M. Capi, dit l’oncle Gaspard; c’est demain dimanche, quand vous serez reposés, vous nous donnerez une représentation; Alexis dit que c’est un chien plus savant qu’un maître d’école ou qu’un comédien.
- Autant je m’étais senti gêné devant la tante Gaspard, autant je me trouvai à mon aise avec l’oncle : décidément c’était bien le digne frère « du père. »
- — Causez ensemble, garçons, vous devez en avoir long à vous dire ; pour moi, je vais bavarder avec ce jeune homme qui joue si bien du cornet à pistons.
- Pour une semaine entière ; encore eût-elle été trop courte. Alexis voulait savoir comment s’était fait mon voyage, et moi, de mon côté, j’était pressé d’apprendre comment il s’habituait à sa nouvelle vie, si bien qu’occupés tous les deux à nous interroger, nous ne pensions pas à nous répondre.
- Nous marchions doucement, et les ouvriers qui regagnaient leur maison nous dépassaient ; ils allaient
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- UfüEVOIR
- en une longue file qui tenait la rue entière, tous noirs de cette môme poussière qui recouvrait le sol.
- Lorsque nous fûmes près d’arriver, l’oncle Gaspard se rapprocha de nous.
- — Garçons, dit-il, vous allez souper avec nous.
- Jamais invitation ne me fit plus grand plaisir, car tout en marchant, je me demandais si, arrivés à la porte, il ne faudrait pas nous séparer, l’accueil de la tante ne m’ayant pas donné bonne espérance.
- — Voilà Remi, dit-il, en entrant dans la maison, et son ami.
- — Je les ai déjà vus tantôt.
- — Eh bien, tant mieux, la connaissance est faite ; ils vont souper avec nous.
- J’étais certes bien heureux de souper avec Alexis, c’est-à-dire de passer la soirée auprès de lui, mais pour être sincère, je dois dire que j’étais heureux aussi de souper. Depuis notre départ de Paris, nous avions mangé à l’aventure, une croûte ici, une miche là, mais rarement un vrai repas, assis sur une chaise, avec de la soupe dans une assiette. Avec ce que nous gagnions nous étions, il est vrai, assez riches pour nous payer des festins dans de bonnes auberges, mais il fallait bien faire des économies pour la vache du prince, et Mattia était si bon garçon qu’il était presque aussi heureux que moi à la pensée d’acheter notre vache.
- Le bonheur d’un festin ne nous fut pas donné ce soir-là ; je m’assis devant une table, sur une chaise, mais on ne nous servit pas de soupe. Les compagnies de mines ont pour le plus grand nombre établi des magasins d’approvisionnement dans lesquels leurs ouvriers trouvent à prix de revient tout ce qui leur est nécessaire pour les besoins de la vie. Les avantages de ces magasins sautent aux yeux : l’ouvrier y achète des produits de bonne qualité et à bas prix, qu’on lui fait payer en retenant le montant de sa dépense sur sa paye de quinzaine, et par ce moyen il est préservé des crédits des petits marchands de détail qui le ruineraient, il ne fait pas de dettes. Seulement, comme toutes les bonnes choses, celle-là a son mauvais côté; à Varses, les femmes des ouvriers n’ont pas l’habitude de travailler pendant que leurs maris sont descendus dans la
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- mine ; elles font leur ménage, elles vont les unes chez les autres, boire le café ou le chocolat qu’on a pris au magasin d’approvisionnement, elles flânent, elles bavardent, et quand le soir arrive, c’est-à-dire le moment où l’homme sort de la mine pour rentrer souper, elles n’ont point eu le temps de préparer ce souper; alors elles courent au magasin et en rapportent de la charcuterie. Cela n’est pas général, bien entendu, mais cela se produit fréquemment. Et ce fut pour cette raison que nous n’eûmes pas de soupe : la tante Gaspard avait bavardé. Du reste, c’était chez elle une habitude, et j’ai vu plus tard que son compte au magasin se composait surtout de deux produits : d’une part, café et chocolat; d’autre part, charcuterie. L’oncle était un homme facile, qui aimait surtout la tranquilité ; il mangeait sa charcuterie et ne se plaignait pas, ou bien s’il faisait une observation, c’était tout doucement.
- — Si je ne deviens pas biberon, disait-il en tendant son verre, c’est que j’ai de la vertu ; tâche donc de nous faire une soupe pour demain.
- — Et le temps?
- — Il est donc plus court sur la terre que dessous?
- — Et qui est-ce qui vous racommodera? vous dévastez tout.
- Alors, regardant ses vêtements souillés de charbon et déchirés çâ et là :
- — Le fait est que nous sommes mis comme des princes.
- Notre souper ne dura pas longtemps.
- — Garçon, me dit l’oncle Gaspard, tu coucheras avec Alexis.
- Puis, s’adressant à Mattia:
- — Et toi, si tu veux venir dans le fournil, nous allons voir à te faire un bon lit de paille et de foin.
- La soirée et une bonne partie de la nuit ne furent point employées par Alexis et par moi à dormir.
- L’oncle Gaspard était piqueur, c’est-à-dire qu’au moyen d’un pic, il abattait le charbon dans la mine; Alexis était son rouleur, c’est-à-dire qu’il poussait, qu’il roulait sur des rails dans l’intérieur de la mine, depuis le point d’extraction jusqu’à un puits, un wagon nommé benne, dans lequel on entassait le charbon abattu ; arrivée à ce
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- puits, la benne était accrochée à un cable qui, tiré par la machine, la montait jusqu’en haut.
- Bien qu’il ne fût que depuis peu de temps mineur, Alexis avait déjà cependant l’amour et la vanité de sa mine : c’était la plus belle, la plus curieuse du pays ; il mettait dans son récit l’importance d’un voyageur qui arrive d’une contrée inconnue et qui trouve des oreilles attentives pour l’écouter.
- D’abord, on suivait une galerie creusée dans le roc et, après avoir marché pendant dix minutes, on trouvait un escalier droit et rapide; puis, au bas de cet escalier, une échelle en bois, puis un autre escalier, puis une autre échelle, et alors on arrivait au premier niveau à une profondeur de 50 mètres, Pour atteindre le second niveau, à quatre-vingt-dix mètres, et le troisième à deux cents mètres, c’était le même système d’échelles et d’escaliers. C’était à ce troisième niveau qu’Alexis travaillait, et, pour atteindre à la profondeur de son chantier, il avait à faire trois fois plus de chemin que n’en font ceux qui montent aux tours de Notre-Dame à Paris.
- Mais si la montée et la descente sont faciles dans les tours de Notre-Dame, où l’escalier est régulier et éclairé, il n’en était pas de même dans la mine, où les marches, creusées suivant les accidents du roc, sont tantôt hautes, tantôt basses, tantôt larges, tantôt étroites. Point d’autre lumière que celle de la lampe qu’on porte à la main, et sur le sol, une houe glissante que mouille sans cesse l’eau qui filtre goutte à goutte, et parfois vous tombe froide sur le visage.
- Deux cents mètres à descendre, c’est long, mais ce n’était pas tout, il fallait, par les galeries, gagner les différents paliers et se rendre au lieu du travail ; or le développement complet des galeries de la Truyère, était de 35 à 40 kilomètres. Naturellement on ne devait pas parcourir ces 40 kilomètres, mais quelquefois cependant la course était fatigante, car on marchait dans l’eau qui, filtrant par les fentes du roc, se réunit en ruisseau au milieu du chemin et coule ains'î jusqu’à des puisards, où des machines d’épuisement la prennent pour la verser au dehors.
- Quand ces galeries traversaient des roches solides, elles étaient tout simplement des souterrains; mais quand elles traversaient des terrains ébouleux ou mou-
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- vants, elles étaient boisées au plafond et des deux côtés avec des troncs de sapin travaillés à la hache, parce que les entailles faites à la scie amènent une prompte pourriture. Bien que ces troncs d’arbres fussent disposés de manière à résister aux poussées du terrain, souvent cette poussée était tellement forte que les bois se courbaient et que les galeries se rétrécissaient ou s’affaissaient au point qu’on ne pouvait plus y passer qu’en rampant. Sur ces bois croissaient des champignons et des flocons légers et cotonneux, dont la blancheur de neige tranchait avec le noir du terrain ; la fer-mentatiçn des arbres dégageait une odeur d’essence; et sur les champignons, sur les plantes inconnues, sur la mousse blanche, on voyait des mouches, des araignées, des papillons, qui ne ressemblent pas aux individus de même espèce qu’on rencontre à l’air. Il y avait aussi des rats qui couraient partout et des chauves-souris cramponnées aux boisages par leurs pieds, la tête en bas.
- Ces galeries se croisaient, et çà et là, comme à Paris, il y avait des places et des carrefours; il y en avait de belles et de larges comme les boulevards, d’étroites et de basses comme les rues du quartier Saint-Marcel ; seulement toute 'cette ville souterraine était béaucoup moins bien éclairée que les villes durant la nuit, car il n’y avait point de lanternes ou de becs de gaz, mais simplement les lampes que les mineurs portent avec eux. Si la lumière manquait souvent, le bruit disait toujours qu’on n’était pas dans le pays des morts; dans les chantiers d’abatage, on entendait les détonations de la poudre dont le courant d’air vous apportait l’odeur et la fumée; dans les galeries on entendait le roulement des wagons ; dans les puits, le frottement des cages d’extraction contre les guides, et par-dessus tout le grondement de la machine à vapeur installée au second niveau.
- Mais où le spectacle était tout à fait curieux, c’était dans les remontées, -c’est-à-dire dans les galeries tracées dans la pente du filon ; c’était là qu’il fallait voir les piqueurs travailler à moitié nus à abattre le charbon, couchés sur le flanc ou accroupis sur les genoux. De ces remontées la houille descendait dans les niveaux d’où on la roulait jusqu’aux puits d’extraction.
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- C’était là l’aspect de la mine aux jours de travail» mais il y avait aussi les jours d’accidents. Deux semaines après son arrivée à Varses, Alexis avait été témoin d’un de ces accidents et en avait failli être victime ; une explosion de grisou. Le grisou est un gaz qui se forme naturellement dans les houillères et qui éclate aussitôt qu’il est en contact avec une flamme. Rien n’est plus terrible que cette explosion qui brûle et renverse tout sur son passage ; on ne peut lui comparer que l’explosion d’une poudrière pleine de poudre; aussitôt que la flamme d’une lampe ou d’une allumette est en contact avec le gaz, l’inflammation éclate instantanément dans toutes les galeries, elle détruit tout dans la mine, même dans les puits d’extraction ou d’aérage dont elle enlève les toitures ; la température est quelquefois portée si haut que le charbon dans la mine se transforme en coke.
- Une explosion de grisou avait ainsi tué six semaines auparavant une dizaine d’ouvriers ; et la veuve de l’un de ces ouvriers était devenue folle; je compris que c’était celle qu’en arrivant j’avais rencontrée avec son enfant cherchant « un chemin frais ».
- Contre ces explosions on employait toutes les précautions ; il était défendu de fumer, et souvent les ingénieurs en faisant leur ronde forçaient les ouvriers à leur souffler dans le nez pour voir ceux qui avaient manqué à la défense. C’était aussi pour prévenir ces terribles accidents qu’on employait des lampes Davy, du nom d’un grand savant anglais qui les a inventées: ces lampes étaient entourées d’une toile métallique au tissu assez fin pour ne pas laisser passer la flamme à travers ses mailles, de sorte que la lampe portée dans une atmosphère explosive, le gaz brûle à l’intérieur de la lampe, mais l’explosion ne se propage point au dehors.
- Tout ce qu’Alexis me raconta surexcita vivement ma curiosité, qui était déjà grande en arrivant à Varses, de descendre dans la mine, mais quand j’en parlai le lendemain à l’oncle Gaspard, il me répondit que c’était impossible, parce qu’on ne laissait pénétrer dans la mine que ceux qui y travaillent.
- — Si tu veux te faire mineur, ajouta-t-il en riant, c’est facile, et alors lu pourras te satisfaire. Au reste,
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- le métier n’est pas plus mauvais qu’un autre, et si tu as peur de la pluie et du tonnerre, c’est celui qui te convient ; en tous cas il vaut mieux que celui de chanteur de chansons sur les grands chemins. Tu resteras avec Alexis. Est-ce dit, garçon ? On trouvera aussi à employer Mattia, mais pas pour jouer du cornet à pistons, par exemple !
- Ce n’était pas pour rester à Varses que j'y étais venu, et je m’étais imposé une autre tâche, un autre but, que de pousser toute la journée une benne dans le deuxième ou le troisième niveau de la Truyère.
- Il fallut donc renoncer à satisfaire ma curiosité, et je croyais que je partirais sans en savoir plus long que ne m’en avaient appris les récits d’Alexis ou les réponses arrachées tant bien que mal à l’oncle Gaspard, quand par suite de circonstances dues au hasard, je fus à même d’apprendre dans toutes leurs horreurs, de sentir dans toutes leurs épouvantes les dangers auxquels sont exposés les mineurs.
- III
- ROULEUR
- Le métier de mineur n’est point insalubre, et à part quelques maladies causées par la privation de l’air et de la lumière, qui à la longue appauvrit le sang, le mineur est aussi bien portant que le paysan qui habite un pays sain ; encore a-t-il sur celui ci l’avantage d’être à l’abri des intempéries des saisons, de la pluie, du froid ou de l’excès de chaleur.
- Pour lui, le grand danger se trouve dans les éboule-ments, les explosions et les inondations ; puis aussi dans les accidents résultant de son travail, de son imprudence ou de sa maladresse.
- La veille du jour fixé pour mon départ, Alexis rentra avec la main droite contusionnée par un gros bloc de charbon sous lequel il avait eu la maladresse de la laisser prendre : un doigt était à moitié écrasé : la main entière était meurtrie,
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- Le médecin de la compagnie vint le visiter et le panser : son état n’était pas grave, la main guérirait, le doigt aussi; mais il fallait du repos.
- L’oncle Gaspard avait pour caractère de prendre la vie comme elle venait, sans chagrin comme sans colère, il n’y avait qu’une chose qui pouvait le faire se départir de sa bonhomie ordinaire : — un empêchement à son travail.
- Quand il entendit dire qu’Alexis était condamné au repos pour plusieurs jours, il poussa les hauts cris: qui roulerait sa benne pendant ces jours de repos? il n’avait personne pour remplacer Alexis; s’il s’agissait de le remplacer tout à fait il trouverait bien quelqu’un, mais pendant quelques jours seulement cela était en ce moment impossible; on manquait d’hommes, ou tout au moins d’enfants.
- Il se mit cependant en course pour chercher un rou-leur, mais il rentra sans en avoir trouvé un.
- Alors il recommença ses plaintes: il était véritablement désolé, car il se voyait, lui aussi, condamné au repos, et sa bourse ne lui permettait pas sans doute de se reposer.
- Voyant cela et comprenant les raisons de sa désolation; d’autre part, sentant que c’était presque un devoir en pareille circonstance de payer à ma manière l’hospitalité qui nous avait été donnée, je lui demandai si le métier de routeur était difficile.
- — Rien n’est plus facile; il n’y a qu’à pousser un wagon sur des rails.
- — Il est lourd, ce wagon?
- — Pas trop lourd, puisqu’Alexis le poussait bien.
- — C’est juste! Alors si Alexis le poussait bien, je pourrais le pousser aussi.
- — Toi, garçon?
- Il se mit à rire aux éclats ; mais bientôt reprenant son sérieux :
- — Bien sûr que tu le pourrafs si tu le voulais.
- — Je le veux, puisque cela peut vous servir.
- — Tu es un bon garçon et c’est dit : demain tu descendras avec moi dans la mine; c’est vrai (pie tu me rendras service; mais cela te sera peut-être utile à toi-même; si tu prenais goût au métier, cela vau-
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- drait mieux que de courir les grands chemins ; il n’y a pas de loups à craindre dans la mine.
- Que ferait Mattia pendant que je serais dans la mine? je ne pouvais pas le laisser à la charge de l’oncle Gaspard.
- Je lui demandai s’il ne voulait pas s’en aller tout seul avec Capi donner des représentations dans les environs, et il accepta tout de suite.
- — Je serai très content de te gagner tout seul de l’argent pour la vache, dit-il en riant.
- Depuis trois mois, depuis que nous étions ensemble et qu’il vivait en plein air, Mattia ne ressemblait plus au pauvre enfant chétif et chagrin que j’avais retrouvé appuyé contre l’église Saint-Médard mourant de faim, et encore moins à l’avorton que j’avais vu pour la première fois dans le grenier de Garofoli, soignant le pot-au feu et prenant de temps en temps sa tête endolorie dans ses deux mains.
- Il n’avait plus mal à la tête, Mattia ; il n’était plus chagrin, il n’était même plus chétif : c’était le grenier de la rue de Lourcine qui l’avait rendu triste, le soleil et le plein air, en lui donnant la santé, lui avaient donné la gaîté.
- Pendant notre voyage il avait été la bonne humeur et le rire, prenant tout par le bon côté, s’amusant de tout, heureux d’un rien, tournant au bon ce qui était mauvais. Que serais-je devenu sans lui ? Combien de fois la fatigue et la mélancolie ne m’eussent-elles pas accablé ?
- Cette différence entre nous deux tenait saus doute à notre caractère et à notre nature, mais aussi à notre origine, à notre race.
- Il était Italien et il avait une insouciance, une amabilité, une facilité pour se plier aux difficultés sans se fâcher ou se révolter, que n’ont pas les gens de mon pays, plus disposés à la résistance et à la lutte.
- — Quel est donc ton pays ? me diriez-vous, tu as donc un pays ?
- Il sera répondu à cela plus tard : pour le moment j’ai voulu dire seulement que Mattia et moi nous ne nous resssemblions guère, ce qui fait que nous nous accordions si bien ; même quand je le faisais travailler Pour apprendre ses notes et pour apprendre à lire.
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- La leçon de musique, il est vrai, avait toujours marché facilement, mais pour la lecture il n’en avait pas été de même, et des difficultés auraient très bien pu s’élever entre nous, car je n’avois ni la patience ni l’indulgence de ceux qui ont l’habitude de l’ensei-gdement. Cependant ces difficultés ne surgirent jamais, et même quand je fus injuste, ce qui m’arriva plus d’une fois, Mattia ne se fâcha point.
- Il fut donc entendu que pendant que je descendrais le lendemain, dans la mine, Mattia s’en irai, donner des représentations musicales et dramatiques, de manière à augmenter notre fortune; et Capi à qui j’expliquai cet arrangement, parut le comprendre.
- Le lendemain matin on me donna les vêtements de travail d’Alexis.
- Après avoir une dernière fois recommandé à Mattia et à Capi d’être bien sages dans leur expédition, je suivis l’oncle Gaspard.
- — Attention, dit-il, en me remettant ma lampe, marche dans mes pas, et en descendant les échelles ne lâ-ehe jamais un échelon sans auparavant en bien tenir unautre.
- Nous nous enfonçâmes dans la galerie; lui marchant le premier, moi sur ses talons.
- — Si tu glisses dans les escaliers, continua-t-il, ne te laisse pas aller, retiens-toi, le fond est loin et dur.
- Je n’avais pas besoin de ces recommandations pour être ému, car ce n’est pas sans un certain trouble qu’on quitte la lumière pour entrer dans la nuit, la surface de la terre pour ses profondeurs. Je me retournai instinctivement en -arrière, mais déjà nous avions pénétré assez avant dans la galerie, et le jour au bout de ce long tube noir n’était plus qu’un globe blanc comme la lune dans un ciel sombre et sans étoiles- J’eus honte de ce mouvement machinal, qui n’eût que la durée d’un éclair, et je me remis bien vite à emboîter le pas,
- — L’escalier, dit-il bientôt.
- Nous étions devant un trou noir, et dans sa profondeur insondable pour mes yeux, je voyais des lumières se balancer, grandes à l’entrée, plus petites jusqu’à n’ê-tre plus que des points, à mesure qu’elles s’éloignaient. C’étaient les lampes des ouvriers qui étaient entrés avant nous dans la mine: le bruit de leur conversation, comme un sourd murmure, arrivait jusqu’à nous porté
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- par un air tiède qui nous soufflait au visage: cet air avait une odeur que je respirais pour la première fois, c’était quelque chose comme un mélange d’éther et d’essence.
- Après l’escalier, les échelles, après les échelles un autre escalier.
- — Nous voilà au premier niveau, dit-il.
- Nous étions dans une galerie en plein cintre, avec des murs droits; ces murs étaient en maçonnerie. La voûte était un peu plus élevée que la hauteur d’un homme; cependant il y avait des endroits où il fallait se courber pour passer, soit que la voûte supérieure se fût abaissée, soit que le sol se fût soulevé.
- - C’est la poussée du terrain, me dit-il. Comme la montagne a été partout creusée et qu’il y a des vides, les terres veulent descendre, et quand elles pèsent trop, elles écrasent les galeries.
- Sur le sol étaient des rails de chemin de fer et sur le côté de la galerie coulait un petit ruisseau.
- — Ce ruisseau se réunit à d’autres qui, comme lui' reçoivent les eaux des infiltrations ; ils vont tous tomber dans un puisard. Cela fait mille ou douze cents mètres d’eau que la machine doit jeter tous les jours dans la Divonne. Si elle s’arrêtait, la mine ne tarderait pas à être inondée. Au reste, en ce moment, nous sommes précisément sous la Divonne.
- Et, comme j’avais fait un mouvement involontaire il se mit à rire aux éclats.
- — A cinquante mètres de profondeur, il n’y a pas de danger qu’elle te tombe dans le cou.
- — S’il se faisait un trou?
- — Ah bien ! oui, un trou. Les galeries passent et repassent dix fois sous la rivière ; il y a des mines où les inondations sont à craindre, mais ce n’est pas ici ; il y a bien assez du grisou et des éboule-ments, des coups de mine.
- Lorsque nous fûmes arrivés sur le lieu de notre travail, l’oncle Gaspard me montra ce que je devais faire, et lorsque notre benne fut pleine de charbon, ù la poussa avec moi pour m’apprendre à la conduire jusqu’au puits et à me garer sur les voies de garage lorsque je rencontrerais d’autres rouleurs venant à raa rencontre.
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- LE DEVOIR
- Il avait eu raison de le dire, ce n’était pas là un métier bien difficile, et en quelques heures, si je n’y devins pas habile, j’y devins au moins suffisant. Il me manquait- l’adresse et l’habitude, sans lesquelles on ne réussit jamais dans aucun métier, et j’étais obligé de les remplacer tant bien que mal, par plus d’efforts, ce qui donnait pour résultats moins de travail utile et plus de fatigue.
- ^ Heureusement, j’étais aguerri contre la fatigue par la vie que j’avais menée depuis plusieurs années et surtout par mon voyage de trois mois ; je ne me plaignais donc pas, et l’oncle Gaspard déclara que j’étais un bon garçon qui ferait un jour un bon mineur.
- Mais si j’avais eu grande envie de descendre dans la mine, je n’avais aucune envie d’y rester ; j’avais la curiosité, je n’avais pas la vocation.
- Il faut, pour vivre de la vie souterraine, des qualités particulières que je n’avais pas ; il faut aimer le silence, la solitude, le recueillement. Il faut rester de longues heures, de longs jours l’esprit replié sur soi-même sans échanger une parole ou recevoir une distraction. Or, j’étais très mal doué de ce côté-là, ayant vécu de la vie vagabonde, toujours chantant et- marchant; je trouvais tristes et mélancoliques les heures pendant lesquelles je poussais mon wagon dans les galeries sombres, n’ayant d’autre lumière que celle de ma lampe, n’entendant d’autre bruit que le roulement lointain des bennes, le clapotement de l’eau dans les ruisseaux, et çà et là les coups de mine, qui, en éclatant dans ce silence de mort, le rendaient plus lourd et plus lugubre encore.
- Comme c’est déjà un travail de descendre dans la mine et d’en sortir, on y reste toute la journée de douze heures et l’on n’y remonte pas pour prendre ses repas à la maison ; on mange sur le chantier.
- (A suivre).
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- ASSURANCES MUTUELLES
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- finmi'iTrï itiï r» mit TCirnfiinm i cicuin a irnnci
- MOUVEMENT DU MOIS D’OCTOBRE 1895
- ASSURANCE CONTRE LA MALADIE
- Section des Hommes
- Cotisations des mutualistes......... 2.509 751
- Subvention de la Société............ 413 05} 3.944 55
- Malfaçons et divers................. 1.021 75\
- Dépenses...................................... 4.029 35
- Déficit en Octobre.......... 84 80
- Section des Dames
- Cotisations des mutualistes.......... 415 85]
- Subvention de la Société............ 138 70 554 55
- Divers............................... » ))»>
- Dépenses....................................... 514 45
- Boni en Octobre.......... 40 10
- ASSURANCE DES PENSIONS
- Subvention de la Société et divers.... 4.282 97j
- Intérêts des comptes-courants et du 8.277 97
- titre d’épargne.................. 3.995 »»'
- Dépenses ’
- 83 Retraités définitifs............. 5.189 25]
- 17 — provisoires.................... 991 35f
- Nécessaire à la subsistance...... 2.723 15} 10.209 45
- Allocat. aux familles des réservistes.. 878 501
- Divers, appointements, médecins, etc. 427 201
- Déficit en Octobre.............. 1.931 48
- CAISSE DE PHARMACIE
- Cotisations des mutualistes.......... 605 65!
- Subvention de la Société............. 136 »))j
- Dépenses.......................................
- 741 65 663 10
- Boni en Octobre
- 78 55
- RÉSUMÉ
- Recettes sociales du 1er Juillet au 31 Oct. 1895. 36.432 52| /Q 9q/ an
- » individuelles » » . 12.802 10j
- Répenses » » . 57.113 59
- Excédant des dépenses sur les recettes.... 7.878 97
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- LE DEVOIR
- ÉTAT CIVIL DU FAMILISTÈRE
- MOIS DE NOVEMBRE 1895
- Naissances :
- Néant.
- Décès :
- 10 Novembre. Anciaux Joseph, âgé de 41 ans 1/2.
- 15 — Grançon Léopold, âgé de 60 ans 5 mois.
- 30 — Mme Lebel Marcellin, née Rabelle Eléonore
- Victoire, âgée de 44 ans.
- Le Secrétaire,
- A. Houdin.
- Le Gérant: H. E. Buridant.
- . Nime», imp. Veuve Laporte, ruelle des Saintes-Maries, 7. — 919.
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- DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES
- 129
- ’1
- de J.-13.-André GODIN (*)
- RÉSUMÉ DE L’ESSAI DE REPRÉSENTATION DU TRAVAIL PAR
- les Groupes, Unions de Groupes et Conseils d’Unions
- 1877-1879
- III
- Les corps représentatifs du travail engendrèrent-ils des actes utiles ?
- Dans quelle proportion relativement à leur nombre et à la durée de leur fonctionnement?
- De qui vint l’initiative des travaux utiles ?
- Les membres classés dans beaucoup de Groupes et d’Unions furent-ils ou non plus producteurs que ceux classés dans un petit nombre ?
- Comment se manifesta l’action des uns et des autres ? etc., etc.
- Il faudrait avoir en mains l’ensemble des registres de procès-verbaux de ces différents corps pour donner une réponse précise.
- Malheureusement, une vingtaine seulement de ces livres sont aujourd’hui en notre possession et il est à craindre que le reste ait été détruit. En effet, ces centaines de registres, sans usage, ont pu, à un moment donné, être traités comme papiers encombrants et sans valeur, par de nouvelles personnes qui ne savaient mot du curieux essai dont ces vieux livres étaient l’expression.
- Les plus sympathiques efforts sont faits aujourd’hui au sein de l’Association pour retrouver ce que les archives peuvent contenir touchant l’Essai qui nous occupe.
- U) Lire le Devoir depuis le mois de mars 1891.
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- LE DEVOIR
- En attendant et comme élément de réponse aux questions ci-dessus, nous donnerons le peu de renseignements qu’il a été possible de retrouver jusqu’à ce jour, sauf — comme nous l’avons déjà dit — à revenir plus tard sur le sujet s’il y avait lieu.
- Le premier document que nous avons à relever est une statistique très succincte, intitulée :
- Résumé des travaux des Groupes , et Unions depuis
- LEUR FONDATION EN JUIN 1877, JUSQU’A CE JOUR 31
- MARS 1878.
- Nous y lisons que sur les 116 Groupes constitués à I’Usine, 86 ne s'étaient réunis que deux fois : une pour constituer chacun son bureau ; une, quelques mois après, pour renouveler ledit bureau; mais que ces 86 corps n’ont émis ni discuté aucune proposition.
- Les 30 restants (à peine le quart, et nous ne savons pas lesquels), ont tenu 118 séances dont 60 pour constituer, puis pour renouveler les bureaux, et 58 pour émettre ou discuter des propositions.
- Ce fut là le travail vraiment utile dont malheureusement nous n’avons qu’un aperçu à donner au lecteur : deux registres seulement de procès-verbaux appartenant à deux de ces Groupes travailleurs étant venus jusqu’à nous.
- Le travail des Groupes pouvait entraîner du travail pour les Unions. Voyons ce que la statistique nous dit au sujet de ces dernières :
- Les Unions de l’Usine étaient au nombre de 27. Sur ce nombre, 10 (nous ne savons pas non plus lesquelles) ne se réunirent que deux fois : une pour constituer chacune son bureau ; une pour renouveler ce bureau au bout de quelques mois. Ces 10 Unions n’ont émis ni discuté aucune proposition.
- Les 17 autres (presque les deux tiers du nombre des Unions), ont tenu 66 séances, dont 34 pour la constitution et le renouvellement des bureaux, et 32 pour examiner des propositions,
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- DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES 131
- Aucun registre de procès-verbaux des séances de ces dernières Unions n’étant venu jusqu’à nous, nous ne pourrons offrir à nos lecteurs aucun spécimen du travail qui s’y accomplissait.
- Cela est profondément regrettable et d’abord à ce point de vue : Nous venons de voir qu’à peine un Groupe sur quatre s’est exercé utilement ; et nous voyons ici que deux Unions sur trois auraient fait œuvre utile.
- Cet utile travail fut-il provoqué par celui des Groupes
- \
- ou fut-il le fait même des Unions?
- Dans quelle mesure les Unions constituées par l’assemblée des présidents et secrétaires de Groupes, c’est-à-dire par un personnel choisi, étaient-elles plus aptes que les Groupes à un travail effectif?
- Le document statistique auquel nous empruntons les renseignements qui précèdent, ne parle pas du Conseil constitué à l’Usine par l’assemblée des présidents et secrétaires des Unions. Cependant, ce Conseil a fonctionné, nous en relèverons des témoignages et un document même nous fournit la liste de ses membres lesquels — nous l’avons dit déjà — se chiffraient par 32, vu le cumul des fonctions de président et secrétaire dans les Unions.
- Passons au Familistère.
- Le document nous dit que sur les 46 Groupes constitués dans l’habitation unitaire, 17 se sont bornés à élire leur bureau, mais n’ont pas fonctionné au vrai sens du mot. Les 29 autres (environ les deux tiers), tinrent au total 120 séances dont 58 pour la constitution des bureaux et leur renouvellement au bout de quelques mois, et 62 pour émettre ou discuter des propositions.
- Nous donnerons plus loin quelques spécimens des travaux de ces Groupes. Mais, pas plus que pour l’Usine, nous ne savons quels furent nominalement les Groupes travailleurs.
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- LE DEVOIR
- Onze Unions étaient constituées dans l’habitation unitaire, une seule ne fonctionna pas (s’étant bornée à constituer son bureau), il eût été bien intéressant de savoir laquelle. Les dix autres tinrent au total 45 séances, dont 20 pour se constituer et 25 pour examiner des propositions.
- D’après la statistique qui nous occupe, le travail pro prement dit eût donc été moins grand au sein des Groupes et Unions de l’Usine, qu’au sein de ceux du Familistère, puisqu’à l’Usine un quart seulement des Groupes et les deux tiers des Unions se seraient exercés utilement, tandis qu’au Familistère ç’auraient été les deux tiers des Groupes et presque la totalité des Unions qui auraient fait œuvre utile.
- Mais qu’en fut-il en réalité? Autre chose est d’agiter en séance des questions diverses et autre chose d’aboutir à des conclusions neuves, utiles et pratiques.
- A la fête annuelle du Travail, célébrée à l’époque qui nous occupe, 1878, des récompenses exceptionnelles furent allouées pour propositions utiles dans les Groupes et Unions, à l’Usine et au Familistère; J.-B.-A. Godin, dans son discours, proclama les noms des lauréats : quatre furent récompensés pour travail dans les Groupes du Familistère, et 31 pour travail dans les Groupes de l’Usine.
- Or, nous venons de voir qu’il y eût : à l’Usine, 17 Unions et 30 Groupes travailleurs; au Familistère, 10, Unions et 29 Groupes, soit même nombre, à peu près pour les Groupes, point de départ des, propositions. Nous reviendrons plus tard sur ce sujet.
- La statistique qui nous a fourni les chiffres relevés ci-dessus est muette sur le Conseil des Unions du Familistère comme elle l’a été sur le Conseil des Unions de l’Usine. D’autres documents nous renseigneront à cet égard et un registre (le deuxième) des procès-verbaux des séances dudit Conseil nous permettra de voir exactement comment ce corps a fonctionné.
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- DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES
- 133
- En résumé, 162 Groupes, 39 Unions de Groupes, 2 Conseils supérieurs ou Conseils d’Unions, au total 203 corps : telle était l’organisation représentative du Travail embrassant à la fois l’Usine et le Familistère. Chacune de ces assemblées avait son registre pour l’inscription des procès-verbaux des séances : 21 de ces registres (soit un dixième environ), sont aujourd’hui en nos mains. Ils comprennent :
- Un registre du Conseil supérieur des Unions du Familistère.
- Trois registres d’Unions de groupes dont 2 se rattachant au Familistère et 1 à l’Usine.
- Dix-sept registres de Groupes dont 9 se rattachant à l’Usine et 8 au Familistère.
- N’ayant pas été choisis, ces documents peuvent nous donner une idée approximative de ce qu’était l’ensemble des registres.
- Aussi y trouvons-nous tout de suite une confirmation du fait établi ci-dessus que le nombre des Groupes et Unions ayant consigné à leurs registres autre chose que l’élection des bureaux, a été plus grand au Familistère qu’à l’Usine. En effet, ces 21 registres se rattachent :
- Pour l’Usine
- A 9 Groupes dont 2 seulement (encore 1/4 à peu près) se sont occupés d’autre chose que l’élection des président et secrétaire.
- Pour le Familistère
- A 8 Groupes dont 6 (encore les 2/3 environ) se sont exercés de la même façon.
- Nous ne parlons pas des registres d’Union dont 3 seulement sont en nos mains.
- Les livres de procès-verbaux dont nous avons à opérer le dépouillement appartenant chacun à un corps spécial: Groupe, Union de groupes ou Conseil d’Unions,
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- LE DEVOIR
- nous donnerons, chaque fois que nous en posséderons les éléments : 1° le nombre des membres constituant le corps dont le registre relèvera les faits ; 2° l’attribution des fonctions de président, vice-président, secrétaire ou secrétaire-adjoint entre les membres du corps ; 3° le nombre des Groupes et Unions librement embrassé par chacun de ces membres (informations complètes en ce qui regardera l’Usine, incomplètes, le lecteur le sait déjà, en ce qui concernera le Familistère).
- Malgré cette défectuosité, les chiffres dont nous donnerons les tableaux, permettront au lecteur de voir d’emblée s’il y a des rapports et quels ils sont, entre la valeur des actes et le plus ou moins d’occupations librement recherchées par les individus. Il verra aussi dans les corps composés d’un assez grand nombre de personnes pour que le choix ait pu s’exercer, comment le vote pour la constitution des bureaux se comportait en face des individualités embrassant le plus grand nombre de fonctions, en tenant compte toutefois des efforts faits pour éviter le cumul; et enfin si l’initiative des travaux dans chaque corps venait du bureau ou des simples membres.
- Notre but en relevant ces informations est de fournir au lecteur tous les éléments en notre pouvoir, afin que lui-même complète, selon sa perspicacité naturelle, la profondeur de ses vues ou ses connaissances spé ciales en la matière, les enseignements généraux qui nous paraissent résulter de cet original Essai de représentation libre du travail.
- Passons à l’examen des registres en commençant par ceux des corps qui se sont le moins exercés.
- Le lecteur voudra bien se souvenir que les nombres impairs dès membres des Unions s’expliquent par le cumul des fonctions de président ou secrétaire dans les Groupes, éléments constitutifs des Unions.
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- DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES
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- Registres restés en blanc
- Nota. — Les noms des membres et le résultat du vote pour l’élection du bureau sont inscrits sur feuille volante.
- USINE
- Comptabilité de Fabrication
- Groupe n° 2. Fondus : Nombre et quantité d’appareils, Poids comparés avec les types.
- Trois membres inscrits.
- 1 faisant partie de 13 Groupes et 5 Unions.
- 1 » » )) 11 » 7 »
- Président 1 » » » 3 » 1 »
- Un président seul est élu en août 1877.
- FAMILISTÈRE
- Nourricerie et Pouponnât
- Groupe n° 5. Soins des enfants de la naissance à deux ans.
- Neuf membres inscrits dont six femmes et trois hommes.
- Les six femmes et un des hommes n’ont fait partie que des Groupes du Familistère. Les deux membres restants étaient classés à la fois au Familistère et à l’Usine, soit :
- Présidente. Femmes : 1 classée
- » 1 »
- » 1 »
- » 1 »
- » 2 »
- Hommes : 1 olassé Secrétaire. » 1 »
- » 1 ))
- USINE FAMILISTÈRE
- Inscription complète. Inscrip. connues.
- dans 10 Groupes 2 Unions
- » 8 » 2 »
- » 6 » 2 »
- » 2 » 2 »
- » 1 » 1 »
- dans 10 » 2 »
- » 18 Groupes 7 Unions' 10 » 4 »
- » 21 » 7 )) 5 » 2 ))
- D’après la feuille volante annexée au registre, le
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- LE DEVOIR
- Groupe s’est contenté d’élire un président et un secrétaire. La date des élections n’est pas mentionnée, mais elle a dû avoir lieu en août 1877, tous les autres documents sans exception indiquant cette date pour la constitution des bureaux des corps représentatifs du travail.
- #
- * *
- Registres ne contenant que le procès-verbal de deux séances :
- UNE POUR LA CONSTITUTION DES RUREAUX EN AOUT 1877 ET UNE POUR LEUR RENOUVELLEMENT EN MARS 1878.
- Secrétaire.
- Président.
- USINE
- Commerce. (Registre même de VUnion)
- Août 1877.
- Sept membres inscrits.
- 1 faisant partie de 54 Groupes et 15 Unions.
- 1 1 1 1
- Secrétaire-adjoint. 1 Vice-président, 1
- 15
- 8
- 7
- 5
- 4
- 3
- Mars 1878.
- Le mouvement des élections à la présidence et au secrétariat dans les Groupes a modifié le personnel de l’Union. Quatre membres ont été écartés ; cinq nouveaux sont arrivés; ce qui porte à huit avec les trois restants, le nombre des membres de l’Union, soit :
- Secrétaire-adj. 1 Secrétaire. 1 Vice-président, 1
- faisant partie de 18 Groupes et 7 Unions. » 15 « 9 »
- » 7 » 3 »
- )> 5 » 4 »
- 3 » 2 »
- (anc, président), (anc. membre).
- 1
- »
- »
- (anc. vice-prés.).
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- DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES 137
- 1 » 3 )) 2 »
- 1 » 2 » 2 »
- 1 » 1 » 1 »
- Commerce
- Groupe n° 1. — Transport économique des produits.
- Août 1877. ,
- Trois membres inscrits :
- Président, 1 faisant partie de 54 Groupes et 15 Unions. Vice-président. 1 » 15 » 9 »]
- Secrétaire. 1 » 7 » 3 »
- Mars 1878.
- Le nombre des membres ne s’est pas modifié. Les élections ont lieu pour le renouvellement du bureau et les trois fonctions ci-dessus se répartissent comme suit :
- Président. le membre inscrit dans 7 Groupes et 3 Unions Vice-Président. » 54 » 15 »
- Secrétaire. » 15 » 9 »
- Commerce
- Groupe n° 3. — Correspondance, Exactitude, Convenance, Précision dans les lettres. *
- Août 1877.
- Huit membres inscrits :
- Secrétaire. , 1 faisant partie de 54 Groupes et 15 Unions.
- 1 )) 18 » 7 »
- Vice-président. 1 » 15 )) 9 » .
- 1 » 7 )) 3 »
- Secrétaire-adj, 1 )> 6 )) 4 »
- Président, 1 » 5 » 3 »
- 1 )> 3 » 3 »
- 1 )> 3 )) 2 »
- Mars 1878.
- Un membre a donné sa démission. Les élections ont lieu pour le renouvellement du bureau, Sont nommés ;
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- 138
- LE DEVOIR
- Président le membre inscrit dans 3 Groupes et 2 Unions. Vice-président, (maintenu dans sa fonction).
- Secrétaire. » »
- Secrétaire-adj. l’anc. prés, inscrit dans 7 Groupes et 3 Unions.
- » Fonte Malléable ,
- Groupe n° 1. — Objets à fabriquer. Etude et recherche de ces objets.
- Août 1877.
- Dix membres inscrits :
- Président. 1 faisant partie de 54 Groupes et 15 Unions.
- Secrétaire, 1 » 23 » 12 »
- 1 » 21 » 7 »
- Secrétaire-adj. 1 )) 15 » 9 ))
- 1 )) 10 » 3 ))
- 2 » 9 » 3 ))
- 1 » 8 )> 2 ))
- 1 » 7 » 3 ))
- Vice-président, 1 » 5 )) 2 ))
- Mars 1878.
- Séance pour le renouvellement du Bureau.
- L’ancien secrétaire a donné sa démission de membre du groupe. Sont nommés :
- Présidmt. l’anc. vice-prés. insc. dans 5 Group, et 2 Unions. Vice-président, l’anc. président » » 54 » 15 »
- Secrétaire. l’anc. secr.-adj. » » 15 » 9 »
- Secrétaire-adj. le membre » » 21 » 7 »
- Fonte Malléable
- Groupe n° 4. — Economies à réaliser dans la production. Cuisson et matières.
- Août 1877.
- Onze membres inscrits :
- 1 faisant partie de 54 Groupes et 15 Unions. 1 » 23 » 12 ' »
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- DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES
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- 1 faisant partie de 21 Groupes et
- Président, 1 » 15 »
- Secrétaire. 1 » 11 »
- Vice-président. 1 » 10 ))
- Secr.-adj, (un des deux) 2 » 9 »
- 1 » 8 »
- 1 » r* J »
- 1 » 4 ))
- 7 Unions. 9 »
- 7 »
- 3 »
- 3 »
- 2 »
- 3 ))
- 2 »
- Mars 1878.
- Renouvellement du Bureau :
- Président. le membre inscrit dans 9 Groupes et 3 Unions.
- Vice-président. » » 7 » 3 »
- Secrétiire. l’anc. vice-présid. » 10 » 3 »
- Secrétaire-adj, (maintenu dans sa fonction).
- Trois jours après cette élection, l’ancien secrétaire du Groupe donne sa démission en alléguant qu’on ne
- l’avait pas ’ convoqué pour le vote. Le Groupe, par l’organe de l’ancien président, proteste avoir fait tout le possible pour rencontrer ledit membre et le prévenir de la réunion et le prie de retirer sa démission et de conserver au Groupe « son utile concours. »
- Utile concours? Et le Groupe n’a enregistré aucun travail. A-t-il malgré cela fait œuvre utile? Ou faut-il voir là un simple trait qui a pu paraître à l’époque spirituel aux yeux de son auteur, mais dont la nuance ironique impressionnera péniblement tout lecteur qui aura saisi la grandeur du but poursuivi dans cet Essai de Représentation libre du Travail.
- Modèles
- Groupe n° 1. - Art. Beauté des meubles, décoration extérieure. Bonne proportion. Elégance des formes.
- Août 1877.
- Sept membres inscrits :
- Secrétaire-adj, l faisant partie de 23 Groupes et 12 Unions.
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- LE DEVOIR
- 1 faisant partie de 18 Groupes et 7 Unions.
- 1 » 15 » 9 »
- 1 m 10 m 3 m
- 1 )) 9 » 6»
- 1 » 3 » 1 m
- 1 » 3 m 1 »
- Mars 1878.
- Renouvellement du Bureau :
- Président, l’anc. secr. faisant partie de 15 Groupes et 9 Unions. Secrétaire, le membre » 18 m 7 m
- Vu le petit nombre de ses membres, le Groupe décide de ne nommer ni vice-président, ni secrétaire-adjoint.
- Approvisionnements
- Groupe n° 2. — Stocks et dépôts. Contrôle permanent, des existences. Mouvement des matières, arrivages. Emplois constatés.
- Août 1877.
- Quatre membres inscrits :
- Secrétaire, l faisant partie de 54 Groupes et 15 Unions.
- 1 m 18 m 7 m
- Président. 1 m 15 m 9 ))
- 1 m 7 » 4 m
- Mars 1878.
- Renouvellement du Bureau :
- Président. le memb. fais, partie de 18 Groupes et 7 Unions Vice-président. m m 54 m 15 m
- Secrétaire. m m 15 m 9 m
- Secrétaire-adj, m m 7 m ' 4 m
- A remarquer qu’au moment de sa formation, le Groupe s’est borné (vu évidemment son petit nombre de membres) à nommer un président et un secrétaire. Aucun travail n’est relevé au Registre jusqu’à l’épo-
- Secrétaire.
- Président.
- VJce-présid8nt.
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- DUCUMENTS BIOGRAPHIQUES
- 141
- que du renouvellement du bureau. Et le Groupe, composé toujours de 4 membres, double les fonctions de président et de secrétaire !
- Quel motif le poussait à cela ? Le registre n’en dit mot. A remarquer également que 3 des membres de ce Groupe s’étaient répandus à profusion dans les Groupes et Unions.
- Nous arrivons au huitième et dernier des registres qui n’ont enregistré que deux séances. Celui-ci appartient aux Groupes de l’habitation unitaire.
- FAMILISTÈRE
- Logements
- Groupe nù 3. — Alimentation d’eau.
- Août 1877
- Trois membres inscrits :
- Président 1 faisant partie de 18 Groupes et 7 Unions Secrétaire 1 » 7 » 4 »
- 1 » 5 » 4 »
- Mars 1878
- Renouvellement du bureau.
- L’ancien président est nommé secrétaire et vice-versà.
- ***
- Registres des corps s’étant exercés au vrai sens du mot.
- USINE
- Guivrerie
- Groupe n° 2 — Fusion du cuivre. Qualité des sables. Moulage et coulée du cuivre. Economie des jets.
- - Août 1877.
- Douze membres inscrits.
- 1 faisant partie de 54 Groupes et 15 Unions
- 1
- 1
- Président ( un des deux ) 2
- »
- »
- 21 » 7 »
- 10 » 3 /»
- 9
- »
- »
- 3 »
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- LE DEVOIR
- Secrétaire
- Vice présid. (un des deux) Secrét.-adjoint
- 1 faisant partie de 8 Groupes et 2 Unions 1 » 4 » 2 »
- 1 » 4 )) 1 »
- 1 » 2 )) 2 »
- 2 ))• 2 » 1 »
- 1 » 1 » 1 ))
- Le mois suivant, 21 septembre 1877, le Groupe tient une seconde séance, à 6 heures 1/2 du soir, pour entendre une proposttion de deux de ses membres : Le Président et le Vice-président. La proposition était ainsi conçue :
- « Nous soussignés proposons la fabrication de tuiles » en fonte de tous genres, attendu que la maison pos-» sède le matériel nécessaire et les ouvriers propres à « ce travail. »
- Le registre ajoute : « Les soussignés, membres du » Groupe n° 2 (Union cuivrerie), prennent cette de-» mande en considération pour lui faire donner telle » suite que de droit, en la présentant au Groupe n° 1,* » de l’Union quincaillerie, auquel Groupe le présent pro-» cès-verbal est remis en copie. »
- Dans la même séance le Groupe s’adjoint, à l’unani-nimité, un nouveau membre, et la séance est levée.
- 3e Séance. — 5 Novembre 1877. — Les mômes membres que précédemment proposent à nouveau la fabrication de divers objets, les uns en fonte, les autres en fonte et bois.
- Le Groupe « se déclare incompétent » et renvoie à nouveau la question au groupe N° 1 de l’Union quincaillerie.
- 4e Séance. — 21 Janvier- 1878. — Continuation par les mêmes membres des propositions de nouveaux objets à fabriquer et toujours « le groupe se déclare incompétent » et renvoie la chose au groupe N° 1 susdit.
- J. B. A. Godin, dans sa conférence du 26 septembre 1877 (Devoir tome 18, 1894, p. 196) avait indiqué pour l’émission des propositions en général, une ligne de conduite qui eut évité ces renvois faciles à prévoir.
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- DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES
- 143
- Prenant un exemple, il avait dit: «Un commis aux écritures classé dans un groupe de comptabilité imagine un modèle nouveau d’objet de fabrication. Inutile à lui de proposer son idée nouvelle dans le groupe des Comptables qui n’entend rien à la fabrication; il devra donc la présenter au groupe des Modèles, lequel recevra et étudiera la communication, bien qu’elle lui soit venue d’une personne étrangère au groupe même.
- « il faut donc bien comprendre que les groupes recevront, au besoin, des communications de n’importe quelle personne attachée à l’établissement, que cette personne soit ou non membre du groupe.... »
- Mais, à l’époque où nous les examinons, les groupes avaient à faire leur expérience; quelques fausses manœuvres étaient inévitables. Et puis, combien il était naturel que les deux auteurs des propositions qui nous occupent ( président et vice-président d’un même groupe ) saisissent de leur idée nouvelle le groupe qui les avait élus.
- Le passage de l’idée dans le groupe n’avait du reste aucun autre inconvénient que de déterminer les formalités d’enregistrement et de renvoi.
- Passons à la 5eme séance — 24 Janvier 1878. — Un autre membre du groupe ( le secrétaire ) fait une proposition qui se rattache cette fois directement aux attributions mêmes du groupe.
- Il s’agit de soins à apporter dans la préparation de la fusion du cuivre, pour éviter certaines fausses manœuvres de la part des ouvriers fondeurs.
- Après examen, le groupe garde la proposition à l’étude; il reconnaît l’utilité du but poursuivi, mais il espère y atteindre par un moyen meilleur que celui proposé. Il ne soumettra donc l’idée à l’Union qu’après de nouveaux travaux.
- 6me Séance, — 21 Mars 1878, — Renouvellement du bureau.
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- LE DEVOIR
- L’ancien secrétaire est nommé président et l’ancien président passe à la vice-présidence.
- Le membre classé dans dix groupes est nommé secrétaire et l’un des deux classés dans 9 groupes devient secrétaire-adjoint.
- Le registre ne contient plus autre chose.
- Voyons le suivant:
- Quincaillerie
- Groupe Na 1. Recherche des objets à pouvoir fabriquer.
- Ce groupe est précisément celui auquel ont été renvoyées — comme il est dit ci-dessus — les propositions de fabriquer en fonte, ou en fonte et bois, divers objets. Il est donc très-intéressant de posséder son registre de procès verbaux, afin de voir quelle suite fut donnée aux susdites propositions.
- Août 1877.
- Dix membres inscrits.
- Secrétaire,
- Président,
- Secrétaire-adj.
- 1 faisant partie de 54 Groupes et 15
- 1 » 23 )) . 12
- 1 » 15 » 9
- 1 » 8 » 6
- 1 » 8 » 3
- 1 » 5 » 2
- 1 » 4 » 2
- 1 » 4 » 1
- 2 » 3 » 1
- Unions.
- «
- »
- »
- »
- »
- »
- »
- »
- La première séance ( 7 août 1877 ) est consacrée à la nomination du bureau. Nous en avons indiqué le résultat en regard de l’énumération des membres du groupe.
- 2Q Séance. — 21 septembre 1877. Le groupe examine la proposition qui lui a été renvoyée par le groupe N° 2. ( Union Cuivrerie ) concernant la fabrication des tuiles en fonte.
- Nous copions au registre:
- « Le président expose que l’idée paraît praticable et
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- DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES
- 145
- de nature à ouvrir des débouchés nouveaux à l’usine ; il est donc d’avis qu’elle soit prise en considération.
- « Mais comme l’étude de cet article doit comprendre: la figure ou dessin de l’objet, son poids, l’exécution des modèles, le moulage et le prix de revient en fonderie, enfin les conditions de vente, et les probabilités de l'écoulement de ce produit ;
- « Comme le présent groupe, d’après le texte de ses attributions ; Recherche des objets à pouvoir fabriquer, paraît avoir pour mission spéciale de rechercher, recueillir et signaler à l’attention de l’Association les articles nouveaux de fabrication qui lui semblent mériter d’être mis à l’étude; mais aussi comme ee groupe n’est pas compétent pour faire par lui-même l’étude de l’objet actuellement proposé;
- « Le président émet l’avis d’adopter en principe la proposition pendante et de la renvoyer à l’Union quincaillerie avec prière de faire étudier la question à fond par les moyens que l’Union jugera les plus convenables.
- « Le secrétaire présente des observations dans le même sens et insiste sur l’importance du prix de revient.
- « Deux autres membres font aussi des observations concluant à l’incompétence du groupe pour l’étude de la fabrication et du prix de revient.
- « Ensuite, l’assemblée, après en avoir délibéré, adopte l’avis de'son président» (renvoi à l’Union quincaillerie) « puis elle passe à l’ordre du jour. »
- Cette rédaction est très curieuse et très intéressante. Le groupe est à peine constitué; il cherche encore pour ainsi dire à se connaître lui-même. « Le groupe, » est-il dit, « paraît avoir pour mission spéciale de rechercher ... les articles nouveaux à mettre à l’étude,.... mais, comme il n’est pas compétent pour faire lui-même cette étude... » il renvoie la question à l’Union ;
- 2
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- LE DEVOIR
- et le’ procès-verbal signale que c’est au double point de vue de la fabrication et du prix de revient qu’il faut étudier les objets nouveaux proposés à l’attention des membres.
- Cette vue claire des nécessités de la situation ne va pas abandonner le groupe.
- Continuons: Après avoir adopté l’avis ci-dessus l’assemblée, s’engageant dans la voie ouverte par la proposition de fabriquer des tuiles en fonte, évoque toutes sortes d’objets à mettre en fabrication. Quelques membres présentent des dessins ou des albums à l’appui de leurs propositions; ou signalent que peu de maisons encore fabriquent, en France, les objets dont ils parlent
- La séance se* termine par la décision suivante: «L’as. « semblée est d’avis que toutes ces propositions méritent « d’être accueillies en principe et étudiées d’une manière « sérieuse, tant au point de vue technique qu’au point « de vue commercial, mais comme ces études ne font « pas partie des attributions du présent groupe, l’as-« semblée vote le renvoi de toutes ces propositions à « l’Union quincaillerie, avec prière de prendre les me-« sures qu’elle croira nécessaires pour l’étude sérieuse « et individuelle de ces propositions, sous le rapport « industriel et sous le rapport commercial. »
- Voilà la question serrée de près à nouveau: le groupe N° 1 ( Union quincaillerie ) propose bien de mettre en fabrication, des objets nouveaux, mais il renvoie à l’Union le soin de faire étudier ces propositions au double point de vue industriel et commercial.
- Si l’on rapproche ces conclusions des recommandations expresses de Godin : « Procéder tout d’abord, dans chaque « groupe, à la délimitation la plus étroite possible des « attributions, multiplier les groupes de façon à ce que « chacun d’eux n’embrassant qu’un seul des mille détails « de l’industrie, le fonctionnement soit plus facile, » on voit que les conclusions du Groupe N° 1 ( quincaillerie )
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- DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES 147
- tendait tout simplement à la création de deux groupes nouveaux dans l’Union.
- Quelle suite celle-ci a-t-elle donné à ce vœu?
- Malheureusement, nous n’avons pas le registre de cette Union qui nous eût renseignés à cet égard.
- Mais la voie nouvelle dans laquelle nous allons voir s’engager le groupe N° 1 (quincaillerie) nous porte à croire que l’Union n’est pas restée inactive, qu’elle s’est occupée des conclusions de son groupe N° 1 et qu’elle s’est probablement trouvée bien embarrassée pour y répondre.
- Voyons ce que nous fournissent nos documents : C’est le 21 septembre 1877 que le groupe N° 1 renvoie à l’Union quincaillerie les conclusions en cause ; dix-huit jours plus tard, le 10 Octobre, il tient sa séance et dans celle-là, après avoir examiné de nouvelles propositions d’objets à mettre en fabrication et en avoir encore prononcé le renvoi à l’Union, il passe sans préambule à la définition de ses propres attributions et adopte la rédaction nouvelle, suivante, proposée par le secrétaire:
- « Le groupe doit rechercher et recueillir les idées relatives à tous les objets nouveaux, autres que des appareils de chauffage, qu’on propose d’introduire dans la fabrication de l’Usine.
- « Il doit examiner sommairement si ces objets peuvent être fabriqués par les moyens dont dispose l’usine actuellement; ou s’ils paraissent nécessiter des installations spéciales; si leur vente semble devoir être facile et abondante.
- « Enfin, sans approfondir les détails de fabrication, de prix de revient, de conditions commerciales; il doit dire s’il croit la proposition de nature à devenir avantageuse pour l’usine, et méritant d’être étudiée sérieusement; ou s’il estime qu’elle doit être laissée de côté.»
- Comment ce groupe si lucide jusqu’ici a-t-il été amené
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- 148
- LE DEVOIR
- à embrasser plus qu’il n’avait déclaré lui-même pouvoir faire ?
- Seul le premier alinéa de la rédaction nouvelle est en accord avec l’indication sommaire primitive qui avait porté ies membres à s’inscrire dans le groupe: « Recherche des objets à pouvoir fabriquer. »
- La rédaction, nouvelle dit:
- « Le groupe doit rechercher et recueillir les idées relatives à tous les objets nouveaux autres que des appareils de chauffage, qu’on propose d’introduire dans la fabrication. »
- Mais pourquoi le Groupe se charge-t-il maintenant d’examiner le côté industriel et le côté commercial de ces propositions, quand il sent et déclare lui-même ne pouvoir le faire que sommairement et sans approfondir; et pourquoi, dans ces conditions imparfaites, s’engage-t-il à prononcer si les objets nouveaux mériteront d’être étudiés sérieusement ou s’ils devront être laissés de côté?
- Qu’aurait pu valoir en pratique un tel jugement si l’organisation des Groupes et Unions eût duré? N’en eût on pas appelé sans cesse?
- Mais nous allons voir que le groupe n’usa pas de la faculté qu’il s’était ainsi accordée.
- Nouveau motif pour nous demander quels faits avaient amené le groupe à compliquer comme nous l’avons vu ses attributions?
- Qu’avait fait l’Union une fois saisie des Conclusions de son Groupe N° 1 ?
- A défaut du livre des procès-verbaux, voyons comment cette Union était composée:
- Elle comprenait les 4 Groupes suivants :
- N° 1. Recherche des objets à pouvoir fabriquer.
- N° 2. Qualités et défauts des choses en fabrication.
- N° 3. Magasins d’approvisionnements, quantités, assortiments.
- N° 4. Prix de revient des objets en fabrication, émaux, nickel, etc.
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- DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES _ 149
- Admettons que chacun de ces 4 groupes était représenté dans rtlnion par ses spécialistes les plus capables ; dans cette hypothèse, la plus favorable, l’assemblée devait compter, en dehors des délégués du groupe N° 1 :
- Des hommes habiles à distinguer les qualités et les défauts des objets de quincaillerie fabriqués dans l’établissement; (spécialistes du groupe N° 2);
- D’autres sachant organiser les magasins d’approvisionnement de façon à bien répondre aux nécessités de la vente ( spécialistes du groupe N° 3 ) ;
- D’autres, enfin, aptes à dresser toutes les écritures voulues pour établir les prix de revient des choses quelconques fabriquées dans l’Usine ( spécialistes du groupe N° 4), .
- Aucun de ces spécialistes ne s’était donné la charge des études que le groupe N° 1 renvoyait à l’Union. Cela dut sauter aux yeux tout d’abord.
- Peut-être même, entre collègues de l’Union, s’est-on dit: Mais ces études vous regardent, vous, membres du groupe d’Etude des objets nouveaux à fabriquer ; c’est parmi vous que doivent se trouver les spécialistes de la question. — Et comment voulez-vous que de tels spécialistes puissent se trouver dans l’Union, s’ils ne commencent par exister dans votre groupe?
- A quoi le Groupe N° 1 pouvait répondre :
- « Mais nous avons dès l’abord déclaré ne nous charger que de la recherche des nouveautés en quincaillerie, laissant aux personnes compétentes l’appréciation de ces nouveautés, au point de vue industriel et au point de vue commercial ; que notre Union s’enrichisse de deux groupes de plus où de nouvelles capacités viendront s’inscrire, et ainsi elle pourra compter au rang de ses membres les spécialistes indispensables pour compléter les études avant de les renvoyer au Conseil. »
- Mais comment constituer deux groupes de plus; car d ne suffisait pas d’en indiquer la nécessité en montrant
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- la nature des travaux qui leur incomberait ; il fallait que des membres s’inscrivissent dans ces groupes et qu’ils y fissent autre chose que constituer les bureaux. Or, nous avons vu que les trois quarts des groupes ne fonctionnèrent pas en dehors de l’élection des présidents et secrétaires.
- Où trouver les spécialistes désireux de compléter les études indiquées par le Groupe N° l?Ne les voyant pas dans son sein, l’Union a-t-elle simpelment renvoyé l’idée au Conseil supérieur des Unions de l’Usine, afin que celui-ci pourvoie si possible à combler les vides signalés?
- Bien que nous ne possédions pas le registre des procès-verbaux du dit Conseil, nous avens une preuve presque certaine qu’il a été saisi des travaux du groupe N° 1 (quincaillerie). Voici cette preuve.- J. Bte. A. Godin dans son discours à la Fête du Travail de Mai 1878 proclame que le Conseil des Unions de l’Usine a voté des récompenses exceptionnelles pour propositions diverses dans les Groupes et Unions (Exercice 1877), et nous voyons au rang des personnes récompensées précisément les auteurs des propositions consignées dans le Registre du Groupe qui nous occupe. Mais cela ne nous renseigne pas sur les efforts qui ont pu être faits dans le Conseil pour fournir à l’Union quincaillerie les capacités complémentaires dont celle-ci avait besoin.
- La seule chose qui ressorte de nos documents, c’est que l’Union quincaillerie n’a pas vu augmenter le nombre de ses groupes. Le Conseil s’est-il donc heurté sous ce rapport, — comme l’avait fait l’Union, — à une insurmontable difficulté?
- Examinons: Le Conseil était composé des Président, Secrétaire ou délégués de chacune des Unions de l’Usine, sans exception.
- Trois Unions entre toutes ; celles dites : Prix de revient, — Commerce — Modèles — semblent à première vue avoir pu compter dans leurs groupes des spécialistes
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- en état de combler les lacunes signalées dans l’Union quincaillerie. Mais si l’on scrute un peu l’organisation on voit que les Unions dites: Prix de revient et Commerce s’attachaient tout spécialemerft aux faits pratiques, qu’il s’agisse des produits courants ou des nouveautés dont s’enrichissait constamment la fabrication.
- Sans doute les membres eussent pu élargir leur rôle, mais cela relevait uniquement de leur bonne volonté, puisque l’organisation des Groupes et Unions était basée sur une entière liberté d’action.
- Nous ne savons si l’Union dite « Prix de revient » s’est exercée au vrai sens du mot; quant à celle dite « Commerce », elle n’a pas fait autre chose, nous l’avons vu plus haut, que l’élection de ses Président et Secrétaire.
- Reste l’Union dite «Modèles». Celle-là, — à lire - ses attributions au Cadre général, — vise bien les études préalables de produits nouveaux, — elle a charge de les examiner au point de vue industriel et artistique. Mais cette Union a-t-elle fonctionné? Elle a été des dernières à se constituer; personne ne s’inscrivant dans ses groupes « malgré, » disait Godin, « l’importance de cette Union pour la vie de l’établissement et le maintien de sa réputation industrielle. » ( Devoir, tome 17, 1893.p. 585. »
- Plus haut, nous avons vu que le Groupe N° 1 de cette Union est au rang des corps qui n’ont effectué rien autre que l’élection des Bureaux.
- Tout cela nous porte à croire que le Conseil des Unions a été aussi embarrassé que l’Union quincaillerie elle-même pour fournir les capacités manquantes. Le groupe N° 1 de cette dernière Union se trouva donc dans cette alternative ; abandonner son propre objet : « la recherche des nouveautés en quincaillerie », ou se charger lui-même, en attendant mieux, des études industrielles et commerciales pour lesquelles il s’était déclaré incompétent dès l’abord. Il s’arrêta à ce dernier parti. -
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- Ainsi s’explique sa ligne de conduite malgré ce qu’il y a d’anormal à le voir se charger de prononcer en des choses qu’il déclare ne pouvoir examiner à fond.
- Rappelons que ce corps comprenait les deux membres classés dans le plus grand nombre de groupes : celui inscrit dans 54, et celui inscrit dans 23. En résumé, sur les dix membres composant le groupe, cinq font partie de l’extrême minorité (24 sur 309) classée dans plus de 6 groupes.
- Sans doute, ce recrutement contribua à donner au groupe la vue nette des travaux complémentaires à réaliser pour faire aboutir les idées nouvelles ; malheureusement, cela ne suffisait pas pour le mettre en état de bien combler lui-même, à défaut des vrais spécialistes, les lacunes entrevues.
- Aussi, allons-nous le voir rester à cet égard dans la plus grande réserve.
- Le 30 Octobre 1877, il tient sa 4me séance. Il examine sur des albums des objets nouveaux dont pourrait s’augmenter une fabrication d’installation récente dans l’Usine ; et il renvoie tout simplement la question à l’Union.
- Un mois plus tard, le 28 Novembre, nouvelle séance, nouvel examen d’objets nouveaux à mettre en fabrication, et la séance se clôt par la décision suivante:
- « L’assemblée après en avoir délibéré, considérant qu’elle n’a pas les éléments nécessaires pour étudier le prix de revient de ces objets, qu’elle ne peut, en conséquence, prévoir la facilité de l’écoulement de ces produits, qui doit dépendre de leur prix de vente plus ou moins élevé; estimant néanmoins que cette proposition mérite d’être examinée d’une manière approfondie ; décide à l’unaninimité de la renvoyer à l’Union quincaillerie, avec prière d’y faire donner suite. »
- Le groupe, on le voit, reste en plein dans sa situation première, maintenant toujours devant l’Union qu’il n’est pas en mesure de faire autre chose qu’une simple évo-
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- cation d’objets dont l’étude sérieuse reste à taire. Sentant qu’il faut s’abstenir de juger quand on ne peut embrasser les éléments d’une cause, le groupe, — et il y a lieu de l’en féliciter — n’usait pas de la faculté ins crite dans la révision de ses attributions : écarter certaines propositions sans avoir pu les approfondir.
- dme Séance. — 12 Février 1878. — Gomme précédemment l’assemblée examine puis renvoie à l’Union toute une liste de nouveautés en quincaillerie, dont après étude la fabrication pourrait s’enrichir.
- Passant ensuite à l’examen d’un certain réchaud elle déclare « que c’est là un appareil de chauffage, qu’elle n’est pas compétente a son sujet, et elle prie, en conséquence, l’auteur de cette proposition de la porter au groupe Fumisterie. »
- La 7me et dernière séance relevée au Registre ( 25 Mars 1878) a pour objet la'réélection du bureau.
- L’ancien président demeure secrétaire et les deux membres classés chacun dans 3 groupes deviennent l’un président, l’autre vice-président. Le membre classé dans 5 groupes est nommé secrétaire-adjoint.
- ***
- N’ayant pas d’autre spécimen du travail qui s’accomplissait dans les corps représentatifs de l’Usine, il ne nous reste qu’à passer au dépouillement des registres ayant appartenu à des corps représentatifs du Familistère.
- Un mot auparavant : Par les faits relevés dans les pages précédentes nous avons saisi sur le vif le plus grave empêchement pour le travailleur de diriger lui-même ses propres efforts :î;-lafrareté des capacités. Cet obstacle sera vaincu par leS progrès incessant de l’instruction publique. Les Écolfs pratiques de commerce et d’industrie avec chaire d’économie sociale sont certainement appelées à devenir: les plus précieux agents de cette évolution du travailleur vers la capacité de' diriger son propre travail et de se gouverner lui-même.
- Nous reviendrons sur ce sujet dans nos conclusions générales sur le présent Essai de représentation libre du travail, {A Suivre.)
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- Au point de vue pratique, deux choses diminuent grandement l'intérêt d’une controverse sur le plus ou moins de nocivité de l’alcool chimiquement pur : la difficulté d’obtenir ce produit, et surtout l’impossibilité de le consommer tel quel.
- C’est avant d’acquérir cette pureté ou après l’avoir perdue, que l’alcool devient consommable sous forme d’eau-de-vie directement produite par la distillation, ou d’eau-de-vie obtenue par un savant coupage.
- La pureté de l’alcool le mieux rectifié l’abandonne au contact des bouquets artificiels, qui doivent lui refaire une saveur.
- D’autre part, on ne peut débarrasser les eaux-de-vie naturelles de leurs impuretés qu’en leur faisant perdre les qualités qui les font apprécier des amateurs, puisque ces impuretés constituent le bouquet naturel qui fait leur mérite, toujours aux yeux des amateurs. A vouloir les ramener à un degré de pureté absolue, on en ferait tout simplement de l’acool insipide, étendu d’eau.
- On voit par là ce que les eaux-de-vie, provenant du coupage d’alcools peuvent acquérir de nocivité — ou ajouter à leur nocivité naturelle, si elles proviennent d’alcools mal rectifiés — par l’adjonction de bouquets artificiels destinés à les assimiler pour le goût aux eaux-de-vie naturelles.
- Entre le bouquet artificiel du cognac, que les falsifi-
- (1) Voir le Devoir de septembre, octobre et décembre 1895, de Janvier et février 18X
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- cateurs obtiennent de toutes pièces, d’après le savant directeur du laboratoire municipal de Paris, M. Girard, en attaquant un mélange d’huile de coco et autres matières grasses par l’acide nitrique, et l’huile empyreuma-tique, qui constitue le bouquet naturel de l’eau-de vie de vin, il n’y a, au point de vue de la nocivité, qu’une différence de degré.
- A l’exception des eaux-de-vie provenant de vins de hauts crûs, convenablement traités et fermentés, — car le choix du ferment et les conditions dans lesquelles s’opère la fermentation jouent un rôle capital, — à l’exception de ces eaux-de-vie de luxe, ne renfermant que quelques principes nocifs qui s’en vont avec le temps, on a pu dire de tous les autres produits : eaux-de-vie de vins très-ordinaires, de marcs, de poiré, de cidre, de lie, que c’est réellement un crime de les laisser livrer à la consommation; et nous ne parlons pas des eaux-de-vie de betteraves, de grains et de pommes de terre.
- Cependant, ceux-là même qui dénoncent hautement le caractère dangereux de ces produits n’en demandent pas la suppression, car ce serait tarir une source de richesses pour notre pays, ils se contentent de faire la part du feu, et de réclamer, à défaut d’une rectification complète, qui équivaudrait à leur suppression, une épuration limitée.
- Mais c’est dans les liqueurs, vulgairement baptisées apéritifs ou digestifs, que se donnent rendez-vous toutes les impuretés originelles, accidentelles, et toutes les impuretés introduites volontairement ou par ignorance au gré de la fantaisie ou de l’imagination d’industriels généralement peu scrupuleux. Sans parler de l’originale et très authentique composition du rhum de la Jamaïque fabriqué à Paris, où figure, très innocente, à côté des autres ingrédients, la rapure de cuir tanné, les analyses de laboratoire n’ont-elles pas dénoncé l’existence d’alcools impurs, dans lesquels on introduit de l’huile
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- de vitriol et de poivre de Cayenne, afin de les rendre plus excitants ou de dissimuler la présence de substances qu’une rectification insuffisante y a laissée ?
- N’est-il pas avéré que l’alcool dont on se sert usuellement pour la fabrication des liqueurs dites apéritives, notamment de l’absinthe, est l’alcool de tète et l’alcool de queue dont on masque le mauvais goût par les plantes aromatiques?
- Dans la question qui nous occupe, ce n’est pas uniquement comme facteur de l’alcool, que le vin, aussi bien que le cidre ou le poiré, doit être envisagé, mais aussi comme objet de consommation directe.
- Des produits étrangers ont été mêlés aux vins naturels, puis des vins ordinaires ou fins ont été fabriqués de toutes pièces.
- Mais de même qu’après les produits d’une industrie louche on s’en est pris aux eaux de vie naturelles, de même après le vin travaillé ou fabriqué, les vins naturels n’ont pas trouvé grâce devant certains hygiénistes.
- M. le docteur Daremberg formule son anathème en des termes qui ont surpris, même les adversaires de toute espèce d’eau-de-vie.
- Les vins naturels, d’après lui, sont pour une même proportion d’alcools plus toniques que les eaux-de-vie artificiellement fabriquées avec de l’alcool d’industrie très bien rectifié.
- A quoi les vins naturels, particulièrement les vins rouges, — les vins blancs seraient-ils inofïensifs? d’autres prétendent que non — à quoi les vins naturels doivent-ils cette supériorité dans l’échelle de la nocivité? A la peau, répond M. Daremberg, aux pépins, au jus, à la grappe, qui produisent des huiles essentielles, des furfurols, des alcools supérieurs, des acides volatils, du tanin et du tartre, ce dernier, bitartrate de potasse très dangereux lorsqu’il est absorbé en grande quantité et pendant longtemps comme tous les sels de potasse.
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- Les défenseurs n’ont pas manqué dans le monde savant au vin naturel ainsi mis en cause.
- Le docteur Lunier avait déjà établi que dans les contrées où la consommation des eaux-de-vie est générale, tous les inconvénients amenés par l’abus des alcools sont beaucoup plus fréquents que dans les contrées où on ne consomme que du vin.
- Le danger, suivant lui, ne vient que de l’alcool ajouté au vin lorsqu’il renferme des impuretés.
- Le docteur Motet distingue entre l’ivresse d’autrefois et celle d’aujourd’hui, entre l’ivresse du vin ou de l’alcool de vin et l’ivresse causée par l’absorption des alcools d’industrie, la première généralement gaie et inofïensive, la seconde brutale et aggressive.
- Pendant une pratique médicale de dix ans dans les Pyrénées-Orientales où le vin est exclusivement le seul genre de boissons, M. le docteur Barthès n’a jamais rencontré un seul cas d’alcoolisme.
- D’où il conclut que le vin est l’antidote de ce poison.
- Cette affirmation, peut-être un peu optimiste, est aux antipodes des conclusions, peut-être un peu hâtives, de M. le docteur Daremberg.
- Après avoir entendu les deux parties, les uns, doivent être tentés de placer les eaux-de-vie naturelles ou tout au moins les boissons fermentées sous la protection du juridique adage : « le doute doit profiter à l’accusé. »
- « Dans le doute abstiens-toi », suggère aux autres l’inépuisable sagesse des nations.
- Le but et les moyens d’action des Sociétés organisées contre l’alcoolisme, sont réglés sur l’opinion que leurs promoteurs ou adhérents se font des conséquences plus °u moins désastreuses de l’usage ou de l’abus des boissons distillées et fermentées.
- Les Sociétés d’abstinence condamnent au même titre
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- toutes boissons contenant une quantité quelconque d’alcool, par conséquent la bière, le cidre, le vin aussi bien que le cognac ou l’absinthe. Les Sociétés de tempérance permettent un usage modéré des boissons hygiéniques, vin, cidre, bière, hydromel. Entre les partisans de la modération et ceux de l’abstinence totale, il existe une sorte d’émulation qui, parfois, tourne à l’antagonisme. On l’a bien vu au dernier congrès de Bâle.
- Aux yeux des tempérants, l’abstinence totale peut avoir, comme toutes les mesures qui dépassent le but cherché, l’inconvénient d’appeler l’opposition et la réaction.
- Par contre, on peut avec M. Bianquis invoquer, en faveur de l’abstinence totale, cette considération qu’en dehors d’elle il devient presque impossible d’établir une limite précise ; la modération étant chose éminemment vague et variable selon les tempéraments.
- L’insuccès de la plupart des Sociétés de simple tempérance, mis en regard de la prospérité grandissante des associations basées sur le principe de l’abstinence, est un autre argument qui a bien sa valeur.
- Sur un point tout le monde est d’accord : c’est pour reconnaître le principe de l’abstinence comme seul efficace pour la guérison des alcooliques.
- L’Ordj'e des bons Templiers, association fondée à New-York en 1853, introduite en Angleterre 4en 1857, puis en Scandinavie, en Allemagne et enfin en Suisse en 1892, peut être considéré comme le type le plus absolu des Sociétés d’abstinence.
- Les membres de cette association, aujourd’hui au nombre de 600,000, s’engagent pour toute leur vie à ne prendre aucune boisson alcoolique, ni eau de-vie, ni liqueur, ni vin, ni bière, ni cidre, etc., etc., à ne fabriquer, acheter, vendre ou offrir sciemment, à qui que ce soit, aucune de ces boissons, et, de cette façon à
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- limiter et à empêcher leur fabrication et leur vente par tous les moyens qui sont en leur pouvoir.
- La Société de tempérance fondée à Paris, en 1871, par le docteur Lunier qui s’est donné pour tâche « de combattre les effets désastreux de l’ivrognerie, » ne s’oppose pas à l’usage des boissons fermentées ou même de spiritueux, et ne blâme que l’abus de cette consommation. C’est une société d’étude, de propagande et d’encouragement.
- Entre ces deux types extrêmes prennent place d’autres associations.
- La Croix bleue a été fondée à Genève, le 21 septembre 1877 par le pasteur Louis Lucien Rochat. Suisse à l’origine, constituée depuis en Fédération internationale, cette société combat l’alcoolisme par les seules armes de la prédication et de l’abstention totale.
- Elle comptait, en septembre 1892, 9.400 adhérents, dont 3.500 anciens buveurs. Le nombre des adhérents français a passé de 744 en 1891 à plus de 1.140 en 1894.
- Cette association se différencie de l’Ordre des bons Templiers en ce sens qu’au lieu du vœu perpétuel d’abstinence, elle préconise les engagements temporels, et qu’elle admet à titre d’auxiliaires les personnes qui font un usage modéré des boissons fermentées.
- Le caractère de cette association, comme celui de l'Ordre des bons Templiers, est nettement protestant.
- Dans notre pays de France où la majorité des habitants appartient à la religion catholique, et où par conséquent des associations comme la Croix bleue ou l’Ordre des bons Templiefs n’ont pas chance de prendre de vastes développements, il n’est pas inutile de faire connaître que les sociétés ou ligues qui ont entrepris la lutte contre l’alcoolisme ne sont pas toutes rangées sous la bannière du protestantisme.
- Il existe une Catholic total abstinence Union of america qui ne compte pas moins de 70.000 membres à New-
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- York et de laquelle il n’a pas dépendu que la faction Tammany ne fût balayée lors des récentes élections de cette ville.
- Une Ligue catholique suisse a été fondée par l’évêque de Saint Gall, M. Egger, qui a présenté au Congrès de Bâle l’année dernière les salutations du pape, personnellement grand partisan de la tempérance, et l’offre de sa coopération comme chef du catholicisme.
- Chaque jour nous apporte un nouveau témoignage de la concentration des forces religieuses qui s’opère aux Etats Unis sur le terrain des réformes sociales. Une réunion des plus significatives a eu lieu vers la fin de l’année dernière, à Carnegie Hall, New-York, sous les auspices de la Société de tempérance de l’Eglise protestante épiscopale. L’édifice était comble et l’assistance, composée d’hommes appartenant à toutes les opinions politiques et ecclésiastiques, s’est montrée des plus enthousiastes. « Il y a place pour tous, a dit M. Egger au Congrès de Bâle, aussi bien pour le bon Templier que pour le bon Catholique, et l’entente s’impose afin d’obtenir des mesures législatives. »
- Le drapeau de la tempérance est assez large pour abriter sous ses plis les hommes qui ne se rattachent à aucune confession religieuse.
- Il y a quelque temps, des ouvriers genévois affectés des progrès croissants que fait l’alcoolisme dans toutes les classes de la population, ont fondé une Société d’abstinence totale basée sur l’honneur, et dont toute tendance religieuse ou politique est soigneusement exclue.
- Les statuts en sont très larges et permettent à toute personne d’en faire partie sans blesser aucune susceptibilité.
- En dehors de toute confession religieuse également, la Ligue patriotique belge et la Ligue patriotique suisse contre l’alcoolisme font la guerre à l’alcool et aux boissons distillées, sans exiger d’engagements, et autorisent
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- l’usage modéré de boissons fermentées. La section gené-voise de cette dernière Ligue, dans son assemblée générale du 18 novembre dernier, a décidé la formation d’uné section auxiliaire de femmes.
- A propos du rôle bienfaisant que peuvent jouer les femmes dans les Sociétés de tempérance nous avons déjà mentionné la constitution à Paris, sous le nom de Société contre l’usage des boissons spiritueuses, d’une association, qui a eu le bon esprit de faire un chaleureux appel à cette précieuse collaboration.
- Cette Société fondée par M. Legrain, se propose trois buts : 1° réunir des adhérents qui s’engagent à donner l’exemple de la tempérance en s’abstenant de consommer des boissons spiritueuses autres que le vin, la bière ou le cidre ; 2° Grouper tous ceux qui sans s’engager désirent toutefois collaborer à l’œuvre ; 3° agir sur les milieux scolaires en formant des sections cadettes d’enfants et de jeunes gens tempérants.
- Dans le Congrès qu’elle a tenu à Lyon, le 29 septembre 1894, la Ligue de la moralité publique avait voté l’organisation d’une Ligue contre l’alcoolisme.
- M. le pasteur Bianquis en définissait d’avance l’action en ces termes :
- « Si la Ligue anti-alcoolique se fonde et prospère, si dans le pays, ça et là, l’attention est éveillée sur les dangers de l’alcoolisme, sur les insuffisances de la législation, sur les fâcheuses complaisances de l’autorité publique, des centres de résistance se formeront, qui, en prenant peu à peu conscience de leur force, en se rapprochant les uns des autres pour une action commune, pourront amener à la longue un nouvel état de l’opinion, des mœurs, et, par suite, de la législation. » '
- La Ligue s’est constituée sur les mêmes bases que les ligues patriotiques belge et suisse. Elle a choisi pour président M. J. Siegfried, député, ancien ministre du commerce, et aussitôt constituée elle s’est mise à l’œu-
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- vre, en inaugurant une série de conférences et en jetant les bases d’un projet à soumettre à l’examen des pouvoirs publics.
- La Ligue compte déjà de nombreuses ramifications en France.
- En résumé, quel que soit leur objet, soit qu’il s’agisse d’exercer une action sur les individus en vue de les éclairer sur les funestes conséquences des habitudes d’intempérance, ou bien de préparer un nouvel état de l’opinion et de peser sur les pouvoirs publics pour en obtenir des mesures efficaces contre l’alcoolisme, chacune des organisations que nous venons de passer en revue, est appelée à rendre de grands services suivant les populations et les circonstances au milieu desquelles elle fonctionnera.
- Les questions sur lesquelles les groupements organisés pourront avec fruit appeler la sollicitude des pouvoirs publics, sont de divers ordres.
- Il y aurait d’abord toute une série de mesures à prendre pour le relèvement des buveurs susceptibles de comprendre les dangers de leur funeste passion et capables, avec l’aide des tempérants, de rentrer dans la voie du salut ; et des moyens plus ou moins coercitifs à employer pour la guérison des buveurs invétérés.
- Il y aurait encore les mesures judiciaires et administratives à prendre dans un intérêt de défense sociale contre les alcoolisés.
- Toutes ces mesures nécessiteraient la création d’établissements spéciaux dont l’Amérique , l’Angleterre , et surtout l’Allemagne et la Suisse, pourraient nous fournir les modèles,
- 'fout est à crééer encore chez nous à cet égard.
- Cependant, le Conseil supérieur de l’Assistance publique a bien émis l'année dernière , le vœu que le Gouvernement encourage la création d’établissements spé-
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- ciaux pour les aliénés alcooliques et l’organisation de quartiers spéciaux dans les asiles.
- Le Conseil général de la Seine a bien voté la création d’un asile pour les aliénés alcooliques, mais il faut songer aussi aux alcooliques sans délire, et à la création d’asiles où les alcooliques seraient reçus sur leur demande.
- Comment procéderait-on pour l’internement des alcoolisés, lorsque ceux-ci n’éprouveraient pas eux-mêmes la nécessité d’une réforme et que la guérison ne peut être obtenue que par un traitement suivi? Quels sont les cas où la famille, la commune , l’autorité judiciaire , devraient intervenir?
- Ce sont là des questions d’une extrême délicatesse , hérissées de difficultés et de contradictions.
- Pourquoi la doctrine qui voit dans l’ivresse une circonstance atténuante du délit ou du crime a-t-elle prévalu dans les tribunaux alors que le Code militaire, au contraire, considère l’ivresse comme une circonstance aggravante du crime? Où commence la responsabilité et où finit-elle? Où commence le droit de la famille ou de la société à l’égard des individus plus ou moins responsables?
- Mais passons. Aussi bien, si guérir le mal est chose de grande importance, le prévenir est encore plus précieux.
- L’alcoolisme est une plaie sociale en même temps qu’une tare individuelle. Aussi faut-il le combattre par traitement social.
- Dans l’application des mesures curatives , l’action de l’Etat peut se combiner avec celle de l’initiative privée , puisqu’il est si difficile d’établir entre les deux domaines une délimitation précise.
- Même aux yeux de ceux qu’offusque la sollicitude témoignée à des vicieux tombés par leur faute dans la déchéance physique et intellectuelle, et qui n’admettent
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- le soulagement des misères particulières par l’Etat que lorsqu’il correspond à un effort dans le même sens, de l’intéressé, son droit d’intervention ne saurait être sérieusement mis en doute. Il ne s’agit pas en effet , seulement du soulagement d’infortunes plus ou moins imméritées , ni même de la conservation d’intelligences ou de vies humaines, en un mot, du salut d’alcooliques peut-être irrémédiablement déchus, mais de la sauvegarde de leur postérité possible.
- Moins contestable encore assurément est le droit de l’Etat d’exercer une action préventive contre l’alcoolisme, par les moyens législatifs ou administratifs dont il dispose.
- Le gouvernement prend des mesures prophylactiques contre le choléra ou contre une épidémie quelconque, pourquoi n’en prendrait il pas pour enrayer l’alcoolisme qui entraîne une mortalité beaucoup plus grande que toutes les épidémies réunies ?
- Tout le monde reconnaît à l’Etat le droit d’empêcher la vente de certaines substances pharmaceutiques mortelles. La vente des boissons toxiques ne saurait échapper à ce droit de prohibition.
- La loi punit les voleurs et les meurtriers. La falsification des denrées alimentaires, constitue non seulement un vol, mais encore un véritable assassinat.
- L’Etat a le droit et le devoir de garantir l’hygiène publique, c’est sa fonction et c’est son intérêt.
- Ilélas ! l’intérêt de l’Etat est bien partagé dans l’affaire. Ne tire-t-il pas de l’alcool des sommes d’autant plus fortes que la passion de cette consommation se répand davantage. Bien perplexes sont les docteurs entre ces deux malades dont l’un 11e semble pouvoir être soulagé qu’au détriment de l’autre : le budget et le peuple.
- La légitimité de l’action législative est indéniable. A ceux qui seraient tentés de douter de son efficacité, l’ex-
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- périence, notamment celle de la Suède et de la Nor-wège, répond que la production et la consommation de l’alcool peuvent être influencés par les lois.
- Empêcher la vente des produits reconnus particulièrement nuisibles à la santé, tel est le principal objet des mesures proposées par les hygiénistes au législateur. Ces mesures, fâcheusement compliquées le plus souvent de considérations fiscales, s’inspirent des mêmes considérations qui dictent aux membres des sociétés de tempérance leur conduite personnelle, c’est-à-dire de l’opinion qu’ils se font des conséquences de l’usage ou de l’abus de certaines boissons.
- Le projet voté par la Chambre, et actuellement pendant devant le Sénat, repose sur celte opinion que l’alcool est une substance nuisible, tout au moins par l’abus qu’on peut en faire, et qu’il faut en réduire la consommation, en le taxant lourdement, et en lui suscitant par des dégrèvements de taxes sur les boissons fermentées, vins, cidres, bières, etc., la concurrence de ces produits considérés comme hygiéniques. Les partisans du monopole n’ont pas une conception différente des effets respectifs de la consommation des boissons distillées on fermentées, seulement ils estiment que la pureté des alcools ne saurait être mieux garantie que par la remise entre les mains de l’Etat de la fabrication, de la rectification ou de la vente des alcools, véritable solution, suivant eux, de la question fiscale et hygiénique.
- Aucun des systèmes qui précèdent, ne peut, en bonne logique, laisser place au maintien de l’immunité ‘des bouilleurs de cru à laquelle on doit la recrudescence des abus de l’alcool qui s’est manifestée vers 1885 ; année où le vin ayant manqué tout à coup à la suite des ravages de l’oïdium, l’alcool d’industrie prit un développement inusité, si bien que la production des eaux-de-vie naturelles qui, de 1840 à 1850, entrait pour
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- 815.000 hectolitres dans une production totale de 891 hectolitres, tombait, de 1853 à 1857, à 165.000 hectolitres contre 506.000 hectolitres d’alcool d’industrie ; et qu’en 1886, on ne trouvait plus que 19,513 hectolitres d’eaux-de-vie de vin, contre 1.945.729 hectolitres d’alcools d’industrie.
- La loi de 1875, rétablissant le privilège des bouilleurs de cru, a eu pour conséquence la production d’eaux-de-vie obtenues au moyen d’appareils imparfaits, et jetées clandestinemet dans la consommation au grand détriment du trésor et de la santé publique. Cette production, revanche de l’eau de-vie naturelle sur l’alcool d’in dustrie, et dont le consommateur paye doublement les frais, est évaluée par les plus modestes au tiers environ de la production totale.
- La suppression du privilège des bouilleurs de cru , est la dernière mesure de quelque importance, qui soit commune aux deux systèmes en rivalité devant le Parlement qui, en adoptant l’un, a fait une concession de principe à l’autre.
- En effet, les hygiénistes de la première école placent leur idéal dans la réduction et même dans la suppression de la consommation de l’alcool, tandis que le maintien et même le développement de la consommation de l’alcool serait le résultat du fonctionnement du monopole comme il en est la condition.
- Parmi les mesures propres à restreindre la consommation de l’alcool, on met en avant la surtaxe de l’alcool.
- Le problème n’est pas facile à résoudre, car la solution doit satisfaire à cette triple condition : produire un renchérissement sensible de l’eau-de-vie , sans compromettre les intérêts du Trésor, et pousser outre-mesure à la fraude. Prise isolément, cette mesure manquerait peut-être d’efficacité; combinée avec le dégrèvement des boissons fermentées, elle contribuerait incontestablement à la diminution de la consommation des spiritueux.
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- Bien plus efficace encore serait , comme le prouve l’exemple de l’Angleterre , le dégrèvement des boissons dont le caractère hygiénique est encore moins contesté que celui des boissons fermentées, le thé, le café, et le dégrèvement de leur indispensable condiment, le sucre.
- L’opinion générale est que la réduction du nombre des cabarets aurait pour conséquence prompte et certaine , une diminution de la consommation alcoolique.
- M. Alglave, auteur d’un projet de loi sur le monopole, prétend que le nombre des cabarets et celui des cas d’alcoolisme, sont des séries de faits indépendantes ; mais M. Guillemet, également auteur d’un projet de monopole de l’alcool et qui, comme tous les partisans de ce monopole, déclare que la diminution de la consommation de l’alcool est impossible à obtenir et que c’est dans l’amélioration seule des produits qu’il faut chercher un remède à l’alcoolisme, reconnaît cependant que l’une des principales causes du développement de cette consommation, c’est l’augmentation continuelle du nombre des cabarets ; mais il ne pense pas que le Parlement veuille revenir sur une loi libérale.
- Il s’agit ici de la loi de 1880, qui abrogea le décret de 1851, et remplaça l’autorisation préalable par la simple déclaration. Ces sauts d’un extrême à l’autre ne sont pas rares dans l’histoire de notre législation.
- En dix ans, le nombre des cabarets passe de 356.863, en 1880 à 417.558 en 1892 (les 30.000 débits de Paris non compris). Cette progression est continue. Pendant la période décennale précédente, le nombre des débits avait varié entre 342.962 en 1874, chiffre le plus bas, et 354.852, chiffre le plus élevé.
- En 1875, on comptait 1 débit pour 109 habitants ; en 1885, on comptait 1 débit pour 94 habitants. Dans le département du Nord, il y a 1 débit pour 46 habitants, et en défalquant les femmes et les enfants, 1 débit pour la adultes environ. La révision de la loi de 1880 s’impose.
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- LE DEVOIR
- Sans revenir au système de l’arbitraire préfectoral, on pourrait, comme le proposent d’excellents esprits, rétablir la condition d’une autorisation préalable en l’entourant dé toutes les garanties d’impartialité possible, en la faisant émaner par exemple d’une autorité judiciaire ou élue.
- On pourrait limiter- à tant pour cent habitants, — comme cela existe dans d’autres pays, notamment en Suisse, comme les autorités de l’important canton de Zurich viennent de le décider — le chiffre légal des débits de boissons.
- On pourrait encore interdire l’ouverture d’un nouveau débit à une distance moindre de 100 ou 200 mètres, dans les agglomérations, en établissant des dispositions particulières pour la campagne.
- D’autres mesures sont aussi naturellement indiquées: appliquer sévèrement et renforcer les dispositions de la loi de 1873, tendant à la répression de l’ivresse — cette mesure réclamée par les hygiénistes et les philantropes les plus éminents, a fait l’année dernière l’objet d’un vœu formulé par le Conseil supérieur de l’Assistance publique ; — rendre définitive au bout d’un certain nombre de récidives la fermeture du cabaret que les tribunaux ne peuvent actuellement prononcer que pour un mois; exiger que les conditions de l’hygiène soient remplies pour les salles de café, comme elles le sont pour les salles d’école ou d’hôpital; diminuer les cabarets au fur et à mesure des extinctions ; limiter la durée d’ouverture des débits; interdire la vente à crédit ou déclarer nulles les dettes contractées au cabaret ( système Scandinave. )
- L’augmentation des licences aurait pour résultat l’élimination d’un grand nombre de cabarets, particulièrement des petits cabarets.
- Il est facile de se rendre compte que les petits ca-carets présentent le plus d’inconvénients au point de
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- vue de l’ordre social et de l’hygiène ; la nécessité de lutter contre la concurrence, et la modicité de leurs ressources, les incitant trop souvent à la fraude, d’une part, à l’exploitation de la débauche, d’autre part; et cela d’autant plus impunément que leur multiplicité rend la surveillance plus difficile, y mettrait-on toute la bonne volonté désirable , ce qui n’est pas toujours le cas.
- Comme exemple de l’influence que pourrait avoir une augmentation des licences sur le nombre des cabarets, on cite l’exemple de la Belgique, où l’on comptait, en 1840, un cabaret pour 90, 6 habitants; en 1871, un pour 50, 5; en 1889, un pour 32, 9; et qui a vu sous le régime de la loi de 1892 établissant un droit de licence sur les débits nouveaux, la progression croissante du nombre de ces débits s’arrêter, de sorte qu’en 1892, on ne comptait plus qu’un débit par 39, 1 habitants.
- Le résultat eût été bien plus sensible si au lieu de ne s’appliquer qu’aux nouveaux débits, la loi se fut également appliquée aux 185,036 débits existant à ce moment.
- L’Angleterre et les Etats-Unis se sont fort bien trouvés du régime des hautes licences. En Angleterre, elles varient de 112 fr. 50 jusqu’à 1500 fr. Certains Etats de l’Union ont établi des licences de 2.500 à 5.000 francs.
- La Chambre française a reculé devant l’imposition de hautes licences.
- Aux mesures qui précèdent on pourrait ajouter l’interdiction du commerce des boissons avec un commerce différent (projet hollandais), ou bien le payement d’une patente spéciale de débitant lorsque le commerçant ajoute un. débit de boissons à un autre commerce, ou bien l’interdiction de la vente au détail des spiritueux chez les pâtissiers, les épiciers et les confiseurs.
- (A suivre). J. P,
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- LE DEVOIR
- FAITS
- S & SOCIAUX
- PAYS-BAS La Coopération
- Nous empruntons à un article publié par les Coopérateurs belges, quelques détails sur les progrès réalisés en Hollande, par la Coopération.
- La coopération n’a pris de l’extension dans ce pays que depuis une dizaine d’années. Avant 1875, elle n’était guère connue, bien que ses adhérents se fussent efforcés d’en propager les principes et d’en faire connaître les avantages.
- Cette année même, sur l’instigation des coopérateurs, une loi spéciale fut votée, destinée à donner de la vigueur au mouvement coopératif. La coopération hollan- * daise se développa lentement sous cette législation, encore en vigueur, mais elle eut beaucoup de résistance à vaincre pour se vulgariser parmi la classe ouvrière.
- C’est alors que furent examinés, dans une réunion tenue à la Haye, les moyens spéciaux de propager les principes de la coopération. Une union appelée Eigen Hulp fut constituée, en vue d’étudier les méthodes les plus pratiques et les moyens de se procurer, à des prix modérés, les matières nécessaires à la vie : aliments, vêtements, etc. Dans ce but, un contrat intervint, à titre d’essai, entre la société Eigen Hulp et les boutiquiers; les membres de l’union pouvaient acheter chez ces derniers à un taux réduit. Les coopérateurs hollandais ne tardèrent pas à s’apercevoir que la voie qu’ils avaient suivie n’était pas la meilleure, et le 31 mai 1878, quelques membres de l'Eigen Hulp de la Haye ouvrirent avec leurs deniers une épicerie coopérative.
- Ce fut le point de départ de la coopération en Hollande. La Société de la Haye eut bientôt des sœurs en province.
- Une Fédération coopérative fut instituée.
- Cette Fédération se compose d’une Chambre de commerce, dont la mission est de régulariser l’action com-
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- FAITS POLITIQUES ET SOCIAUX
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- mune dans les marchés, et d’un Conseil dont le but est de diriger les opérations fédérales.
- Le tableau ci-après, emprunté à un rapport du Conseil de la Fédération hollandaise, indique les progrès réali-
- sés depuis 1878, tant au point de vue de l’effectif
- membres que du montant des affaires.
- ‘ 1878 1.601 sociétaires 275.380 fr.
- 1879 1.986 — 420.780
- 1880 2.366 — 503.350
- 1881 . 2.887 — 644.174
- 1882 3.739 — 819.423
- 1883 4.434 — 1.002.366
- 1884 4.793 — 1.085.774
- 1885 5.298 — 1.171.762
- 1886 5.814 — 1.293.464
- 1887 6.462 — 1.490.293
- 1888 7.385 — 1.746.765
- 1889 7.840 — 1.894.741
- 1890 8.361 — 1.984.338
- 1891 8.860 — 2.136.264
- 1892 9.434 — 2.192.929
- 1893 10.030 — 2.252.654
- 1894 12.733 — 2.400.000
- De l’examen de ce tableau qui ne donne des renseignements que pour les sociétés fédérées, il résulte que la progression est constante.
- Les sociétés coopératives fédérées sont au nombre de 25; en dehors de celles-ci, il existe 183 sociétés de consommation et 148 sociétés de production comptant environ 100.000 membres.
- La coopération agricole est pratiquée en maintes parties des Pays-Bas. Des banques d’assurance du système Raifïeisen et des sociétés de construction sont également établies; les premières sont évaluées à 25, les secondes à 51; enfin, on compte 92 laiteries coopératives.
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- AUTRICHE La Réforme électorale
- Un nouveau projet de réforme électorale vient d’être Présenté par le président du Conseil, comte Badeni, à
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- LE DEVOIR
- la Chambre des Députés, qui l’a pris en considération.
- Il se compose de deux projets dont voici l’analyse :
- Le premier a pour but de modifier et de compléter la loi constitutionnelle concernant la représentation du pays et les lois qui s’y rattachent.
- Le second modifie et complète la loi relative aux élections du Parlement autrichien.
- Les deux projets de loi se composent chacun de trois articles. L’exposé des motifs est accompagné de quatre tableaux contenant les données numériques nécessaires.
- Le premier projet porte que 72 nouveaux membres seront ajoutés aux 353 qui composent jusqu’à présent la Chambre des députés.
- Ces 72 membres seront élus par une nouvelle classe d’électeurs.
- La Bohême élira 18 de ces députés, la Galicie 15, la basse Autriche 9, la Moravie 7, la Styrie 4, la haute Autriche et le Tyrol en éliront chacun 3, la Dalmatie, la Bukovine et la Silésie chacune 2, Salzbourg, l’Istrie, Goritz, Gradisca et Trieste chacun 1.
- La nouvelle classe d’électeurs se composera de tous les sujets autrichiens du sexe masculin, indépendants, ayant vingt-quatre ans révolus, n’ayant pas été privés des droits électoraux et habitant la circonscription depuis six mois au minimum au moment de la convocation des électeurs.
- Sont exclues les personnes qui servent comme domestiques et qui habitent dans la maison de leurs patrons.
- La nouvelle classe d’électeurs comprend aussi les personnes jouissant des droits électoraux qui exercent déjà actuellement ces droits dans une des classes existantes.
- Le suffrage à deux degrés est maintenu dans les classes d’électeurs des communes rurales existant actuellement et est établi dans les circonscriptions électorales de la nouvelle classe formées exclusivement avec des circonscriptions judiciaires.
- Le suffrage direct est maintenu dans les autres classes d’électeurs existant actuellement et est établi dans le reste des circonscriptions électorales de la nouvelle classe.
- Toutefois, dans les pays qui ont une loi prescrivant le suffrage direct pour les élections de la Diète, ce mode
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- faits politiques et sociaux
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- de suffrage sera aussi adopté pour les élections du Parlement autrichien dans les communes rurales et dans la nouvelle classe d’électeurs.
- Le comte Badeni, en déposant les deux projets, a présenté des explications pour faire ressortir le caractère urgent de la réforme. Mais il se .défend d’entreprendre cette réforme pour donner satisfaction à la fougueuse impatience des partis radicaux ni pour tenir compte de leurs menaces et de leurs railleries, mais parce qu’il est nécessaire de faire disparaître tout ce qui détourne l’attention du Parlement.
- Le président du conseil déclare que les restrictions auxquelles sont soumis les droits électoraux doivent, du reste, cesser à mesure que la masse de la population acquiert le sentiment de sa situation politique.
- « L’Autriche, dit en outre le comte Badeni, a toujours maintenu deux principes en matière de droit électoral : la représentation des intérêts et l’individualité de chacun des royaumes et pays. Le projet qui est soumis à la Chambre des députés maintient ces deux principes.
- » Le gouvernement ne veut pas que le suffrage universel soit la hase exclusive du système électoral. »
- Les groupements socialistes repoussent le projet de loi. Ils réclament le suffrage universel pur et simple.
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- Le DEvoiR
- MOUVEMENT FÉMINISTE
- Les professions féminines en Angleterre.
- On a distribué dernièrement au Parlement anglais un rapport sur les professions exercées par les sujets de sa majesté britannique, d’après les trois derniers recensements décennaux de 1871, 1881 et 1891. Ce rapport contient de très intéressantes indications sur les progrès réalisés par les femmes en Angleterre depuis vingt ans.
- De 5,000 femmes occupées, en 1871, dans les services administratifs, le nombre s’est élevé à 8,546 en 1891. En 1871, bien qu’il y eût des étudiantes en médecine, aucune femme n’exerçait la profession de médecins. En 1881, on comptait 25 femmes docteurs; en 1891, il y en avait 101. Pour la première fois, en 1891, on trouve deux femmes vétérinaires. Le recensement donne le chiffre considérable de 53.000 gardes-malades.
- Sous la rubrique « auteurs, rédacteurs, journalistes », le recensement de 1891 groupe 660 femmes, au lieu de 452 en 1881 et 225 seulement en 1871. En 1871, aucune femme n’exerçait le métier de « reporter »; en 1881, il y en avait 15 ; en 1891, 127. Le nombre des artistes s’est plus que doublé en dix ans. Il y avait en 1881, en Angleterre, 1,960 femmes peintres, graveurs et sculpteurs; en 1891, on en comptait 3,032. Le recensement de 1891 mentionne aussi, pour la première fois, 19 femmes architectes. Enfin, il y avait aussi, en 1891, 19,000 maîtresses de musique et 3,698 actrices.
- PAYS DIVERS Femmes avocats
- Le libre accès des femmes aux professions libérales commence enfin à leur être reconnu dans tous.les pays du monde, même dans la vieille Europe, aux préjugés si vivaces. MUe Elisa Eschelson, docteur en droit de l’Université d’Upsal, est autorisée à plaider devant les cours et tribunaux de Suède, mais n’a pas le droit d’occuper les fonctions de juge,
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- MOUVEMENT FÉMINISTE
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- Dans un autre pays Scandinave, en Finlande, les tribunaux ont résolu de permettre aux doctoresses l’exercice de la plaidoirie. Mme Fischer, docteur en droit de l’Université d’Helsingfors, a été autorisée à pratiquer devant le tribunal d’arrondissement de la capitale finlandaise. Les accusés qu’elle défendait ont tous été acquittés, et le public présent à l’audience - une vraie première — a fait à la jeune et gracieuse avocate une ovation sympathique.
- De même en Suisse, où, en vertu du silence des lois existantes, une toute jeune fille de vingt ans, Mlle Lina Graf, docteur en droit de la faculté de Berne, s’est vue autorisée à pratiquer à Speicher, dans le canton d’Ap-penzell.
- En Nouvelle-Zélande, depuis l’an dernier, un act du Parlement a modifié les conditions d’admission à la profession d’avocat et a conféré aux femmes le droit de pratiquer au barreau.
- Voici aujourd’hui une ex-colonie française, le Canada, qui se montre plus avancée que l’ancienne mère-patrie. Un statut récent autorise les female barristers in Canada, permettant aux femmes l’étude et la pratique de la loi. Certains légistes canadiens combattent l’innovation, prétendant que l’admission au barreau entraîne l’admission aux fonctions de juge. Les Anglo-Américains ripostent que les deux questions sont distinctes. La première revue juridique des Etats-Unis, Y American Law Review, a pris le parti des femmes et demande malicieusement aux hommes si la crainte de la concurrence féminine n’inspire pas quelques-uns de leurs prétextes d’opposition. (La Justice)
- FRANGE
- Les Droits Civils des Femmes
- Un bon point à la Chambre des députés.
- Sur la proposition de M. Lecomte, elle a, dans sa séance du 30 janvier, voté sans débats et urgence déclarée, ce qui supprime la formalité d’une deuxième délibération, l’admission des femmes comme témoins dans les actes de l’état-civil.
- Elle a également adopté, après avoir déclaré l’urgence, proposition de loi ayant pour objet d’assqrer à lù
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- femme mariée la libre disposition des fruits de son travail, et de la protéger contre certains abus de la puissance maritale.
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- Programme du Congrès féministe International
- de 1896
- Solidarité humaine dans l'égalité.
- Droits économiques. (A travail égal, salaire égal. — Question de la liberté du travail, ou journée de 8 heures. — Le droit exclusif de la femme mariée au produit de son travail. — Electorat et éligibilité aux prudhommes, conseils professionnels, tribunaux de commerce, jurys professionnels). — La femme ayant charge d’enfants, subventionnée par l’Etat.
- Question de la paix. — Propagande de la paix par la femme et l’école.
- Education intégrale et accès aux grades et emplois qu’elle concède. — Go-éducation. — Moralité dans l’éducation, une pour les deux sexes.
- Assistance publique et accès des femmes aux divers emplois.
- Réforme du droit civil. — Droits civils. (Droit pour la femme d’être témoin et membre du conseil de famille, etc.) — Nationalité de la femme mariée. — Question du mariage. Le droit de la mère, celui de l’enfant.
- La morale une pour tous. — Question de la prostitution.
- Droit municipal (électorat et éligibilité des femmes.)
- Droits politiques féminins (nomination aux fonctions politiques, l’électorat et l’éligibilité législatifs). — Droit pour la femme d’être membre des jurys criminels. — Réforme du Code civil et du Gode pénal.
- Les discours des orateurs pourront être suivis de discussions contradictoires.
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- BIBLIOGRAPHIE
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- B I BLIOGRAPHIE
- Les Annales des sciences psychiques, (1) ouvrent leur année par un travail d’une importance capitale.
- Le numéro de janvier-février 1896 contient, en premier article, le compte-rendu, (illustré de gravures) de six séances d’expériences faites avec le célèbre medium napolitain Eusapia Paladino. Les séances ont eu lieu chez M. le Colonel de Rochas, à l’Agnélas, près de Voiron, Isère.
- La commission était composée de :
- MM. le docteur Dariex, directeur des Annales des sciences psychiques ;
- Le comte Arnaud de Gramont, docteur ès-sciences physiques ;
- Maxwel, substitut du procureur général de la Cour d’appel de Limoges;
- Le lieutenant-colonel de Rochas, ancien élève de l’Ecole polytechnique, membre, honoraire du Comité des travaux historiques et scientifiques au Ministère de l’Instruction publique;
- Sabatier, professeur de zoologie et anatomie comparées à la Faculté des sciences de Montpellier;
- Le baron C. de Watteville, licencié ès-sciences physiques et licencié en droit.
- Cette seule énumération des membres de la Commission suffit à indiquer l’intérêt et la valeur des constatations et des conclusions formulées par un tel corps d’examinateurs.
- Ce travail ne comporte pas d’analyse; il suffit de l’avoir signalé à nos lecteurs, surtout à ceux qui aspirent à voir la science apporter de plus en plus la rigueur de ses méthodes et de ses procédés dans l’examen de phénomènes dont la possibilité commence seulement à n’être plus écartée d’emblée.
- (1) Directeur : M. le Dr Dariex. — Librairie Félix Alcan, 108, boulevard Saint-Germain, Paris. — Abonnement : 12 francs pour tous Pays.
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- 178 le|devoir
- Déjà, dans notre numéro d’octobre 1895, page 620, nous avons attiré l’attention de nos lecteurs sur les Annales des sciences psychiques, et spécialement sur les points où, d’après M. A. de Rochas, l’accord ne tardera point à se faire entre savants.
- Un travail comme celui dont nous parlons plus haut fait le plus grand honneur à la direction imprimée aux Annales par M. le Dr Dariex ; et est bien de nature à faire rechercher par un grand nombre de penseurs ce précieux Recueil d’observations et d’expériences.
- Le Lotus bleu, revue théosophique mensuelle. (Abonnement : France, 10 fr.; Etranger, 12 fr. Librairie de l’Art indépendant, 11, rue Chaussée-d’Antin, Paris.)
- Le numéro de janvier dernier contient un article intitulé : « Un cas de changement de personnalité »; ce travail, signé M. Lecomte, est à suivre; il est d’un intérêt hors ligne. D’autres articles dans le même numéro, sont remarquables.
- Le numéro de février nous arrive avec la fin du travail mentionné ci-dessus et d’autres articles d’un très grand intérêt.
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- Human Culture and cure, by E. D. Rabbitt, Dean of tlie college of fine forces, East Orange, New-Jersey. Etats-Unis d’Amérique.
- Nous tenons en mains le second tome de cet ouvrage; chaque tome fprmant une œuvre indépendante. Ce second volume a pour sous-titre : Social upbuilding in-cluding co-operatioe Systems and the happiness and enno-blement of Humanitg.
- De nombreuses pages sont consacrées à l’examen des vraies conditions, selon l’auteur, du mariage et de la constitution de la famille. Puis il passe aux vraies conditions de la société, et, parmi les nombreux faits sociaux qu’il examine, il décrit à grands traits, avec vive sympathie, l’Association du Familistère de Guise et donne la vue générale de. l’établissement.
- Des vues très originales sont exposées dans ce livre, mais elles le sont en texte anglais; ce qui, malheureusement, ne les met qu’à la portée d’un petit nombre.
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- BIBLIOGRAPHIE
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- La mission de la femme et les questions sociales.
- Tel a été le titre d’une conférence faite à TUnion des Femmes de Genève, par M. Rœliricli. Reproduite dans un opuscule de 32 pages — édité par l’imprimerie F. Taponnier, 19, rue de Carouge, Genève — cette conférence mérite d’être propagée.
- Les idées émises par l’auteur sont simples et pratiques. « En publiant son modeste travail, il a espéré, » dit-il, « engager bon nombre de femmes, de tout rang et de toute condition, à donner leur concours à l’utile et courageuse association devant laquelle il parlait. »
- Telle doit être en effet la première conséquence de la brochure publiée par M. Rœhricli. Mais son effet ne s’arrêtera pas là. Elle est certainement de nature à servir partout la cause de l’élévation morale, intellectuelle et économique des femmes. A ce titre, nous recommandons vivement à nos lecteurs la propagande de cette petite brochure.
- Almanach de la Coopération française, 1896. (Quatrième année).
- Prix : 0 fr. 40 centimes, au bureau de VEmancipation, 1, rue Duguesclin, Nimes, Gard.
- Cet ouvrage de grande valeur au point de vue social est, en outre, d’une lecture intéressante et agréable, Plusieurs jolies gravures en augmentent le mérite.
- Il débute par un travail dû à M. Ch. Gide : « Les douze formes de la Coopération. » Epicerie, boucherie, pharmacies coopératives; sociétés de construction-, magasins de gros, syndicats agricoles, laiteries coopératives/ associations pour la vente, associations ouvrières de production, associations de journaliers, caisses rurales, ban* ques populaires : chacune de ces formes est exposée avec la concision, la clarté et le charme indicibles qui sont les traits principaux du talent de l’éminent professeur.
- Après un joli article sur « La cordialité coopérative, » vient « Y Histoire abrégée de la coopération française, » travail des plus intéressants poursuivi par M. de Boyve, dans chacun des almanachs parus depuis 1893.
- Des articles pleins d’enseignements pratiques renseignent le lecteur sur le mouvement coopératif en France
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- LE DEVOIR
- et à Tétranger : Angleterre, Ecosse, Allemagne, Italie, Suisse, Belgique, Danemark, etc.
- « Le Congrès coopératif international » tenu à Londres, du 19 au 23 août 1895 — congrès qu’il ne faut point confondre avec les congrès annuels tenus sous les auspices de l’Union des Sociétés coopératives de consommation anglaises — est analysé dans ce volume et ses principales résolutions y sont reproduites. La dernière a trait à la nécessité pour toutes les institutions coopératives, de quelque forme ou nature qu’elles soient, de donner les plus grands soins à l’éducation sociale des membres, d’entretenir dans ce but un fonds spécial, et de s’efforcer de rallier les femmes au mouvement.
- Tous les articles seraient à citer dans ce volume. Obligé de nous borner, disons qu’il termine en donnant la liste, très précieuse, des sociétés de consommation et de production françaises ; celle des sociétés organisées par les syndicats agricoles, etc., etc; ; enfin, celle des établissements où existe la participation aux bénéfices, en France et à l’étranger. Le lecteur voit donc combien le volume est nourri de faits intéressants.
- Gomme spécimen de son contenu, nous en détachons l’article suivant, rempli d’enseignements simples, pratiques, et de nature à être utilisés par ceux qui, épris de la fraternité humaine, veulent concourir à l’organisation du progrès physique, intellectuel et moral pour tous.
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- SOCIÉTÉ D’ÉCONOMIE POPULAIRE
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- Les ouvriers de Nîmes avaient l’habitude de se réunir, de temps immémorial, en petits groupes qui s’appellent des chambrées et qui sont comme de petits cercles ouvriers libres. Dans l’un d’eux se trouvait le citoyen Fabre, qui représentait un type social assez rare de nos jours et même de tous les temps, un ex-bourgeois et un ex-patron, ancien fllateur de soie, devenu volontairement ouvrier mécanicien. Très adonné à la lecture des auteurs socialistes, très épris notamment de Fourier, il avait couronné son instruction sociale en allant passer un an au Familistère de Guise. Il était donc dans des conditions exceptionnelles pour exercer une influence considérable sur le groupe d’une vingtaine d’ouvriers avec lesquels il passait ses soirées et même une partie de ses journées, et il les détermina à fonder une petite société coopérative de consommation, la Solidarité.
- D’autre part, un bourgeois de Nimes, appartenant même a ce qu’on appelle la haute société de Nimes, dont le nom est devenu depuis familier à tous les coopérateurs de France et même de l’étranger, mais qui jusqu’alors ne s’était nullement inquiété de questions sociales, M. de Boyve, vint à s’éprendre des idées coopératives et, en 1884, il fonda la société qui fait l’objet de cet article, la Société d’Economie populaire. Il en recruta les éléments dans une société de secours mutuels alors existante et qui s’appelait la Prévoyance. Il trouva un auxiliaire précieux dans la personne d’un maître maçon, Besson, qui y attira un certain nombre d’ouvriers, et qui est resté depuis un des membres les plus dévoués de cette petite phalange.
- M. de Boyve y fit lui-même ses débuts comme conférencier en lisant quelques conférences écrites, dont une notamment sur les cinq raisons d'être coopérateurs d’après le célèbre tract anglais qui porte ce titre. A la suite de ces conférences, les membres de la Société populaire créèrent une société coopérative de consommation, l’Abeille nimoisc.
- Sur ces entrefaites, M. de Boyve entendit parler du citoyen Fabre et de son groupe la Solidarité et alla le
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- trouver pour lui demander de se joindre à lui. Gela n’alla pas tout seul. Le bourgeois devenu socialiste et ouvrier se défiait un peu de l’autre bourgeois resté gentilhomme et le prenait (qu’on nous passe l’expression) pour un mouchard. Cependant, la glace lut bientôt rompue et, en 1885, le petit groupe de la Solidarité fusionna avec celui de l’Abeille, et depuis lors, non-seulement l’alliance, mais le constant accord entre ces deux leaders ne s’est jamais démenti.
- A cette môme date (1885), encouragé par le succès de son œuvre, M. de Boyve conçut une idée plus grandiose, celle de réunir un congrès de toutes les sociétés coopératives de France, sans trop savoir ni où, ni combien de ces sociétés pouvaient bien exister. Ce projet fut adopté, non sans oppositions, par les trois sociétés coopératives de Nimes, les deux que nous avons déjà nommées, la Solidarité et l’Abeille, et une troisième qui s’était aussi constituée sous la forme d’une boulangerie, la Renaissance. On constitua un comité d’organisation qui, par le fait, se réduisit à M. de Boyve.
- Ce fut dans la Société d’Economie populaire que fut étudiée la question de l’apprentissage ; on y constata l’insuffisance de l’apprentissage; on y proposa l’organisation d’un concours d’apprentis, avec l’aidé du Conseil des Prud’hommes ; la question fut étudiée et ces concours ont aujourd’hui le plus grand succès. Ils ont valu au Conseil des Prud’hommes des médailles et un portrait du Président de la République, le regretté Carnot.
- La question des maisons ouvrières a été aussi étudiée par la Société. Les ouvriers ont déclaré qu’ils n’avaient aucun désir de devenir propriétaires d’une maison dans leur vieillesse, cette maison devant être forcément vendue à leur mort par leurs enfants, et mal vendue ; ils préféraient des logements sains, bien aérés.
- On en conclut qu’il fallait surtout s’occuper d’assainir les logements d’ouvriers : on s’en occupe.
- Presque toutes les questions sociales posées devant le public par les journaux ou présentées devant le Parlement ont été étudiées à la Société] d’Economie populaire.
- Citons notamment :
- Enfance moralement abandonnée.
- Travail dans les prisons.
- Concurrence étrangère.
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- Paix internationale ou nécessité de la guerre (1).
- Grèves.
- Responsabilité des accidents dont les ouvriers sont victimes.
- Syndicats agricoles ; utilité de leur entente avec les sociétés coopératives.. _
- Monts-de-piété.
- Participation des ouvriers aux bénéfices.
- Conférences sur Leclaire et Godin.
- Familistère de Guise.
- Octrois.
- Sociétés alimentaires.
- Chômages.
- Œuvres d’assistance par le travail.
- Nécessité, pour les industriels, d’améliorer leur outillage ; comparaison entre la France et les Etats étrangers.
- Livrets d’ouvriers.
- Impôts.
- Conseils de prud’hommes.
- Etudes sur la coopération ; nécessité de l’instruction ; utilité de la réserve, etc.
- Ces réunions, qui réunissent des représentants de toutes les classes de la société, sont annoncées par un bulletin qui est envoyé à chaque membre de la Société, huit jours avant la réunion.
- Le bureau de la Société d’Éconoinie populace a été, au début, le suivant :
- MM. de Boyve, de Y Abeille, président.
- Mignot, de la Prévoyance du P.-L.-M..
- Besson, de VAbeille.
- Fabre, de la Solidarité.
- Teissonnière, de la Renaissance.
- Verdier, de la Solidarité.
- Maurin, de Y Abeille.
- F. Bruneton ; F'erdinand Donnedieu de Vabre, de Y Abeille, secrétaires,
- Tholozan, de YAbeille, secrétaire-archiviste.
- Benoît Germain, de YAbeille, trésorier.
- Aujourd’hui, on a supprimé tout, bureau et directeur. On a voulu démocratiser la Société d’Économie populaire) mais il faut avouer qu’il n’y a plus d’ordre dans les séances et, l’hiver prochain, on nommera de nouveau un bureau.
- La Société d/Économie populaire a reçu . la visite de nombre d’économistes et conférenciers de tous pays : MM. Vansittart Neale, Ilolyoake, Sedley Taylor, Hodgson Pratt, Charles Robert, E. Brelay, Eugène Rostand, etc. Nous avons eu l’honneur d’y parler plusieurs fois aussi.
- vice-présidents
- (b Ces deux questions ont été traitées successivemennt. La seconde a été présentée par un ancien militaire.
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- LE DEVOIR
- Les réunions ont lieu, depuis fort longtemps, dans 1’arrière-magasin de Y Abeille, Mais on s’est décidé à chercher un plus grand local.
- Les ouvriers surtout aiment, quand ils quittent leur logement peu confortable, à aller dans une salle élégante et bien éclairée. C’est ce qui les pousse, bien souvent, à aller au café, où ils trouvent un luxe qu’ils n’ont pas chez eux.
- La Société compte acheter une lanterne avec projection oxhydriques ; elle a eu une réunion avec projections (lanterne du cabinet de physique et de chimie de la ville) sur la falsification du pain.
- Ces réunions sont des réunions de famille où chacun est appelé à exprimer son avis.
- M. Tholozan a organisé, à la Société d’Économie populaire, un théâtre de marionnettes où l’on développe, d’une manière amusante pour les femmes et les enfants, les principes coopératifs.
- C’est ainsi que s’est constituée et qu’a grandi une œuvre vraiment excellente, originale, et dont je ne connais, nulle part ailleurs, la similaire. Nulle part, en effet, je n’ai vu des ouvriers et des bourgeois, des banquiers et des balayeurs de rue, se réunir, dans un même local — et quel local ! l’arrière boutique d’une épicerie meublée de barils d’anchois et décorée de paquets de chandelles ! — et discuter famillièrement, fraternellement, calmement, sur les questions les plus brûlantes, celles qui, dans tout autre milieu, provoquent l’explosion des colères et le détraquement des cerveaux. On ne saurait trop faire connaître et propager une semblable institution. Elle répond, à peu près, au but que se sont proposé, en Angleterre, les fondateurs de Toynbee Hall, et de ces missions laïques qui font pénétrer l’instruction, en même temps que les récréations, dans les quartiers les plus pauvres de Londres et enseignent aux hommes ce premier principe et cette condition préalable de toute réforme sociale : se connaître les uns les autres.
- Ch. Gide.
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- OUVRAGE REÇU
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- OUVRAGE REÇU
- Kiriquette, par F. Bernardot.
- Fort volume in-4° illustré de nombreux et très jolis dessins dûs à L. Benett.
- Imprimeur-éditeur : Edouard Baré, à Guise (Aisne).
- L’auteur a pris pour épigraphe ce proverbe arabe :
- « Sache briser l’écorce de la grenade mûre et tes » lèvres altérées trouveront le grain qui les rafraîchira.»
- Les a enfants, jeunes hommes, pères et mères, » — à qui l’auteur s’adresse — trouveront-ils ce grain promis? L’avenir le dira.
- La vivacité du style, l’intérêt des situations, la beauté des dessins invitent à tourner les pages du livre. C’est ce que nous avons fait; et nous avons eu, entre autres plaisirs, celui de constater que M. F. Bernardot, par les incidents mêmes de son histoire, peint avec vigueur et charme comment les faibles, en pratiquant entre eux l’union et l’amour mutuel, peuvent arriver à disposer de ressources inaccessibles pour eux en dehors de ces conditions morales. f
- Une apostrophe, vers la fin du volume, nous paraît résumer l’idée générale de l’auteur : « Suivons Kiriquette, » dit un des héros; (Kiriquette est le guide d’une tribu de poulets qui s’affranchissent de la domination des hommes et arrivent aux portes d’une cité où ils espèrent trouver le bonheur). « Désormais, l’ave-» nir est aux poulets émancipés qui sauront se donner » pour seules maîtresses la justice et la fraternité.
- « Ajoute à cela, » dit l’héroïne, « l’amour du Travail, » tout ira bien. »
- A signaler la chanson des Kiriquis (les poulets). La musique originale et vive est due à M. G. Pernot; elle apporte sa part d’attrait dans ce joli volume.
- Nous avons dit que les dessins, très nombreux dans l’ouvrage, sont dûs à M. L. Benett. Beaucoup sont d’un mérite hors ligne : la terrible exécution des poulets destinés à la table, les premiers pourparlers d’émigration dans la forêt, la cascade derrière laquelle s’abritent et se reposent les fugitifs, le ravin où s’engloutiront loup et renard, la grotte des stalactites et stalagmites, la plage d’une poésie invitante, l’embarquement des poulets secourus par les écureuils, etc., etc... tous ces dessins en même temps qu’ils provoquent l’admiration, donnent corps aux choses et aux êtres et contribueront certainement pour une forte part au succès de l’ouvrage.
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- LE DEVOIR
- SANS FAMILLE
- Par Hector MALOT
- Ouvrage couronné par l’Académie française
- (Suite)
- A côté du chantier de Fonde Gaspard, j’avais pour voisin un routeur qui, au lieu d’être un enfant comme moi et comme les autres rouleurs, était au contraire un vieux bonhomme à barbe blanche; quand je parle de barbe blanche il faut entendre qu’elle l’était le dimanche, le jour du grand lavage, car pendant la semaine, elle commençait par être grise le lundi pour devenir tout à fait noire le samedi. Enfin, il avait près de soixante ans. Autrefois, au temps de sa jeunesse, il avait été boiseur, c’est-à-dire charpentier, chargé de poser et d’entretenir les bois qui forment les galeries ; mais dans un éboulement il avait, eu trois doigts écrasés, ce qui l’avait forcé de renoncer à son métier, La compagnie au service de laquelle il travaillait lui avait fait une petite pension, car cet accident lui était arrivé en sauvant trois de ses camarades. Pendant quelques années, il avait vécu de cette pension. Puis, la compagnie ayant fait faillite, il s’était trouvé sans ressources, sans état, et il était alors entré à la Tru-yère comme routeur. On le nommait le magister, autrement dit le maître d’école, parce qu’il savait beaucoup de choses que les piqueurs et même les maîtres mineurs ne savent pas, et parce qu’il en parlait volontiers, tout fier de sa science.
- Pendant les heures des repas nous fîmes connaissance, et bien vite, il me prit en amitié ; j’étais questionneur enragé, il était causeur; nous devînmes inséparables. Dans la mine, où généralement on parle peu, on nous appela les bavards.
- Les récits d’Alexis ne m’avaient pas appris tout ce que je voulais savoir, et les réponses de l’oncle Gaspard ne m’avaient pas non plus satisfait, car lorsque je lui demandais :
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- SANS FAMILLE
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- — Qu’est-ce que le charbon de terre?
- Il me répondait toujours:
- — C’est du charbon qu’on trouve dans la terre.
- Cette réponse de l’oncle Gaspard sur le charbon de
- terre et celles du môme genre qu’il m’avait faites n’étaient point suffisantes pour moi, Vitalis m’ayant appris à me contenter moins facilement. Quand je posai la même question au magister, il me répondit tout autrement.
- — Le charbon de terre, me dit-il, n’est rien autre chose que du charbon de bois : au lieu de mettre dans nos cheminées des arbres de notre époque que des hommes comme toi et moi ont transformés en charbon, nous y mettons des arbres poussés dans des forêts très anciennes et qui ont été transformés en charbon par les forces de la nature, je veux dire par des incendies, des volcans, des tremblements de terre naturels.
- Et comme je le regardais avec étonnement.
- Nous n’avons pas le temps de causer aujourd’hui, dit-il, il faut pousser la benne, mais c’est demain dimanche, viens me voir ; je t’expliquerai ça à la maison ; j’ai des morceaux de charbon et de roches ramassés depuis trente ans qui te feront comprendre par les yeux ce que tu entendras par les oreilles. Ils m’appellent en riant le magister, mais le magister, tu le verras, est bon à quelque chose: la vie de l’homme n’est pas toute entière dans ses mains, elle est aussi dans sa tête. Comme toi et à ton âge j’étais curieux; je vivais dans la mine, j’ai voulu connaître ce que je voyais tous les jours ; j’ai fait causer les ingénieurs quand ils voulaient bien me répondre et j’ai lu. Après mon accident, j’avais du temps à moi, je l’ai employé à apprendre: quand on a des yeux pour regarder et que sur ces yeux on pose des lunettes que vous donnent les livres, on finit par voir bien des choses. Maintenant je n’ai pas grand temps pour lire et n’ai pas d’argent pour acheter des livres, mais j’ai encore des yeux et je les tiens ouverts. Viens demain, je serai content de t’apprendre à regarder autour de toi. On ne sait pas ce qu’une parole qui tombe dans une oreille fertile peut faire germer. C’est pour avoir conduit dans les mines de Bessèges un savant nommé Brongniart et l’avoir entendu parler pendant ses recherches, que l’idée
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- LE DEVOIR
- m’est venue d’apprendre et qu’aujourd’hui j’en sais un peu plus long que nos camarades. A demain.
- Le lendemain, j’annonçai à l’oncle Gaspard que j’allais voir le magister.
- — Ah! ah! dit-il en riant, il a trouvé à qui causer; vas-y, mon garçon, puisque le coeur t’en dit; après tout, tu croiras ce que tu voudras; seulement, si tu apprends quelque chose avec lui, n’en sois pas plus fier pour çà; s’il n’était pas fier, le magister serait un bon homme.
- Le magister ne demeurait point, comme la plupart des mineurs, dans l’intérieur de la ville, mais à une petite distance, à un endroit triste et pauvre qu’on appelle les Espétagues, parce qu’aux environs se trouvent de nombreuses excavations creusées par la nature dans le flanc de la montagne. Il habitait là chez une vieille femme, veuve d’un mineur tué dans un éboulement. Elle lui sous-louait une espèce de cave dans laquelle il avait établi son lit à la place la plus sèche, ce qui ne veut pas dire qu’elle le fût beaucoup, car sur les pieds du bois de lit poussaient des champignons; mais pour un mineur habitué à vivre les pieds dans l’humidité et à recevoir toute la journée sur le corps des gouttes d’eau, c’était là un détail sans importance. Pour lui, la grande affaire, en prenant ce logement, avait été d’être près des cavernes de la montagne dans lesquelles il allait faire des recherches, et surtout de pouvoir disposer à son gré sa collection de morceaux de houille, de pierres marquées d’empreintes, et de fossiles.
- Il vint au devant de moi quand j’entrai, et d’une voix heureuse :
- — Je t’ai commandé une biroulacle, dit-il, parce que si la jeunesse a des oreilles et des yeux, elle a aussi un gosier, de sorte que le meilleur moyen d’être de ses amis, c’est de satisfaire le tout en même temps.
- La biroulade est un festin de châtaignes rôties qu’on mouille de vin blanc, et qui est en grand honneur dans les Cévennes.
- Après la biroulade, continua le magister, nous causerons et tout en causant je te montrerai ma collection.
- Il dit ce mot, ma collection, d’un ton qui justifiait le reproche que lui faisaient ses camarades, et jamais assurément conservateur d’un muséum n’y mit plus de fierté, Au reste, cette collection paraissait très riche, au
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- Sans famille
- moins autant que j’en pouvais juger, et elle occupait tout le logement, rangée sur des planches et des tables pour les petits échantillons, posée sur le sol pour les gros. Depuis vingt ans, il avait réuni tout ce qu’il avait trouvé de curieux dans ses travaux, et comme les
- mines du bassin de la Gère et de la Divonne sont
- riches en végétaux fossiles, il avait là des exemplaires rares qui eussent fait le bonheur d’un géologue et d’un naturaliste.
- Il avait au moins autant de hâte à parler que moi j’en avais à l’écouter ; aussi la biroulade fut-elle promptement expédiée.
- — Puisque tu as voulu savoir, me dit-il, ce que c’était que le charbon de terre, écoute, je vais te l’expliquer à peu près et en peu de mots, pour que tu sois
- en état de regarder ma collection, qui te l’expliquera mieux que moi, car bien qu’on m’appelle le magister, je ne suis pas un savant, hélas ! il s’en faut de tout. La terre que nous habitons n’a pas toujours été ce qu’elle est maintenant ; elle a passé par plusieurs états qui ont été modifiés par ce qu’on nomme les révolutions du globe. Il y a eu des époques où notre pays a été couvert de plantes qui ne croissent maintenant que dans les pays chauds : ainsi les fougères en arbres. Puis il est venu une révolution, et cette végétation a été remplacée par une autre tout à fait différente, laqulle à son tour a été remplacée par une nouvelle ; et ainsi de suite toujours pendant des milliers, des millions d’années peut-être. C’est cette accumulation de plantes et d’arbres, qui, en se décomposant et en se superposant, a produit les couches de houille. Ne sois pas incrédule, je vais te montrer tout à l’heure dans ma collection quelques morceaux de charbon, et surtout une grande quantité de morceaux de pierre pris aux bancs que nous nommons le mur ou le toit, et qui portent tous les empreintes de ces plantes, conservées là comme les plantes se conservent entre les feuilles de papier d’un herbier. La houille est donc formée, ainsi que je te le disais, par une accumulation de plantes et d’arbres ; ce n’est donc que du bois décomposé et comprimé. Comment s’est formée cette accumulation, vas-tu me demander ? Gela, c’est plus difficile à expliquer, et je crois même que les savants ne sont pas encore arrivés
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- LE DEVOIR
- à l’expliquer très bien, puisqu’ils ne sont pas d’accord entre eux. Les uns croient que toutes ces plantes charriées par les eaux ont formé d’immenses radeaux sur les mers qui sont venus s’échouer çà et là poussés par les courants. D’autres disent que les bancs de charbon sont dus à l’accumulation paisible de végétaux qui, se succédant les uns aux autres, ont été enfouis au lieu même où ils avaient poussé, Et là-dessus, les savants ont fait des calculs qui donnent le vertige à l’esprit : ils ont trouvé qu’un hectare de bois en forêt étant coupé et étant étendu sur la terre ne donnait qu’une couche de bois ayant à peine huit millimètres d’épaisseur ; transformée en houille, cette couche de bois ne donnerait que 2 millimètres. Or il y a, enfouies dans la terre, des couches de houille qui ont 20 et 30 mètres d’épaisseur. Combien a-t-il fallu de temps pour que ces couches se forment ? Tu comprends bien, n’est-ce pas, qu’une futaie ne pousse pas en un jour ; il lui faut environ une centaine d’années pour se développer. Pour former une couche de houille de 30 mètres d’épaisseur, il faut donc une succession de 5.000 futaies poussant à la même place, c’est à-dire 500.000 ans. C’est déjà un chiffre bien étonnant, n’est-ce pas ? cependant il n’est pas exact, car les arbres ne se succèdent pas avec cette régularité, ils mettent plus de cent ans à pousser et à mourir, et quand une espèce remplace une autre, il faut une série de transformations et de révolutions pour que cette couche de plantes décomposées soit en état d’en nourrir une nouvelle. Tu vois donc que 500.000 années ne sont rien et qu’il en faut sans doute plus encore. Combien ! Je n’en sais rien, et ce n’est pas à un homme comme moi de le chercher. Tout ce que j’ai voulu, c’était te donner une idée de ce qu’est le charbon de terre afin que tu sois en état de regarder ma collection. Maintenant, allons la voir.
- La visite dura jusqu’à la nuit, car à chaque morceau de pierre, à chaque empreinte de plante le magister recommença ses explications, si bien qu’à la fin je commençai à comprendre à peu près ce qui, tout d’abord, m’avait si fort étonné,
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- SANS FAMILLE
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- IV
- l’inondation
- Le lendemain matin, nous nous retrouvâmes dans la mine.
- — Eh bien ! dit l’oncle Gaspard, as-tu été content du garçon, magister f
- — Mais oui, il a des oreilles, et j’espère que bientôt il aura des yeux.
- — En attendant, qu’il ait aujourd’hui des bras ! dit l’oncle Gaspard.
- Et il me remit un coin pour l’aider à détacher un morceau de houille qu’il avait entamé par dessous ; car les piqueurs se font aider par les routeurs.
- Comme je venais de rouler ma benne au puits Saint-Alphonsine pour la troisième fois, j’entendis du côté du puits un bruit formidable, un grondement épouvantable et tel que je n’avais rien entendu de pareil depuis que je travaillais dans la mine. Etait-ce un éboulement, un effrondement général ? J’écoutai ; le tapage continuait en se répercutant de tous côtés. Qu’est-ce que cela voulait dire ? Mon premier sentiment fut l’épouvante, et je pensai à me sauver en gagnant les échelles ; mais on s’était déjà moqué de moi si souvent pour mes frayeurs, que la honte me fit rester. C’était une explosion de mine ; une benne qui tombait dans le puits ; peut-être tout simplement des remblais qui descendaient par les couloirs.
- Tout à coup un peloton de rats me passa entre les jambes en courant comme un escadron de cavalerie qui se sauve; puis il me sembla entendre un frôlement étrange contre le sol et les parois de la galerie avec un clapotement d’eau. L’endroit où je m’étais arrêté étant parfaitement sec, ce bruit d’eau était inexplicable.
- Je pris ma lampe pour regarder, et la baissai sur le sol.
- ( A suivre. )
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- 192
- LE DEVOIR
- ÉTAT CIVIL DU FAMILISTÈRE
- MOIS DE DÉCEMBRE 1895
- Naissance :
- 27 Décembre. — Boufflet René-Octave, fils de Boufïïet Octave et de Arnold Hortense.
- Décès :
- 17 Décembre. — Tirfoin Gabrielle, âgée de 3 ans 8 mois. — Coze Edouard, âgé de 42 ans.
- MOIS DE JANVIER 1896
- Naissance :
- 15 Janvier. — Andrieux Edouard-Emile-Auguste, fils de Andrieux Edouard et de Délécluse Louise.
- Décès :
- 3 Janvier. — Godériaux Léon, âgé de 35 ans.
- Le Secrétaire,
- A. Houdin.
- Le Gérant: H. E. Buridant.
- Nimes, imp. Veuve Laporte, ruelle des Saintes-Maries, 7. — 1115
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- DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES
- 193
- DOCUMENTS POUR DI BIOGRAPHIE COMPLÈTE
- de J.-B.-André GKXDIN (*)
- RÉSUMÉ DE L’ESSAI DE REPRÉSENTATION DU TRAVAIL PAR
- les Groupes, Unions de Groupes et Conseils d’Unions
- 1877-1879'
- IV
- Registres des Corps s’étant exercés au vrai sens du mot.
- (Suite)
- FAMILISTÈRE
- Comptabilité.
- (Registre même de l’Union)
- Ce corps ne comprend que quatre membres : les présidents et secrétaires des deux groupes composant l’Union. Tous les quatre — comme on va le voir — vont être pris pour la constitution du bureau de l’Union.
- De ces quatre membres, trois étaient inscrits dans les groupes du Familistère exclusivement; le dernier était inscrit dans les groupes du Familistère et dans ceux de l’Usine.
- Comme précédemment, nous désignons les membres en donnant le total des Groupes et Unions embrassés par chacun d'eux; et nous portons, lorsqu’il y a lieu, en regard de l’individu désigné, la fonction de membre du bureau dont il a été revêtu à la séance de constitution du corps examiné.
- L’Union de comptabilité a compté, avons-nous dit, quatre membres :
- U) Lire le Devoir depuis le mois de mars 1891.
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- 194
- LE DEVOIR -
- A L’USINE Au FAMILISTÈRE
- Inscriptions complètes. Inscrip. connues.
- Président. 1 occupant 15 Groupes et 9 Unions. 1 Groupe 1 Union.
- Vice-président. 1 ........................................... 9 » 2 »
- Secrétaire. 1 ........................................... 2 » 2 »
- Secrétaire-adj, 1 ........................................... 1 » 1 »
- La première séance (21 août 1877) est consacrée à l’élection du bureau.
- Au bout de trois mois seulement (le 28 novembre 1877), a lieu la deuxième séance', et elle est provoquée par les deux groupes composant l’Union. En effet, ceux-ci ont procédé à la délimitation de leurs attributions respectives et ont ensuite renvoyé le fait à l’examen de l’Union. Celle-ci adopte, à l’unanimité, le travail des Groupes et transmet ce travail au Conseil des Unions .pour sanction définitive.
- Mais il apparaît que le Conseil n’a pas adopté tel quel le travail de ces Groupes ; car la troisième séance de l’Union (en date du 15 décembre 1877) ouvre par ces mots : a Sur le désir du conseil général, l’Union de, )) comptabilité s’est réunie pour examiner à nouveau la )) définition des attributions des Groupes nos 1 et 2.
- » Après examen et discussion, l’Union a modifié le » texte des attributions comme suit :
- » Groupe n° 1.
- )) 1° Examen des livres de vente qui servent à cré-» diter le service vendeur ;
- » 2° Examen des factures, voir si elles sont bien pas-» sées au débit des comptes ayant reçu les marchan-)) dises qu’elles comprennent ;
- » 3° Examen du Journal, Grand-Livre, Livre de caisse » et Livres d’inventaires généraux, Comptables'';
- » 4° Modifications et améliorations dans la tenue des » écritures comptables;
- » 5° Examen des rapports mensuels au point de vue » comptable.
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- DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES
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- )) Groupe n° 2.
- )) 1° Examen des livres et documents de contrôle;
- » 2° Examen des rapports mensuels donnant exacte-)) ment la situation des écritures de contrôle;
- » 3° Etudes des améliorations et modifications à appor-» ter dans les livres et documents de contrôle;
- » 4° Examen des inventaires généraux, partiels et per-» manents, au point de vue du contrôle;
- » 5° Propositions à faire à l’administration pour assu-» rer le contrôle. »
- La rédaction primitive disait simplement :
- Groupe n° 1 : Tenue des livres ;
- » w 2 : Vérification, contrôle.
- Il y a donc eu là un travail qui devait aider les membres des Groupes dans l’accomplissement de leur mission.
- Nous regrettons de n’être pas renseigné sur le fait de savoir quelle part les Groupes eux-mêmes ont eu dans cette délimitation de leurs attributions, puisque ce sont ceux qui en avaient pris l’initiative.
- 4me Séance. — 19 janvier 1878. — L’Union décide d’abord de transmettre à ses deux Groupes les attributions définitivement approuvées par le Conseil des Unions, afin que les Groupes en fassent l’insertion à leurs registres de procès-verbaux.
- Puis, elle examine une proposition du Groupe n° 2 tendant à la réorganisation matérielle du bureau de la comptabilité. Il est décidé qu’elle transmettra et recommandera la proposition au Conseil.
- 5me Séance. — 29 mars 1878. — Ordre du jour : Renouvellement du bureau.
- Le lecteur aura remarqué que tous les corps (Groupes ou Unions) vu par nous jusqu’ici ont procédé, en mars 1878, à la réélection de leurs bureaux. .La mesure a été
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- LE DEVOIR
- générale. Cette question sera touchée dans le registre du Conseil des Unions du Familistère, registre qui viendra en dernier lieu dans le présent dépouillement.
- Les Groupes avaient procédé au renouvellement de leurs bureaux huit jours avant les Unions. La modification du personnel des bureaux dans les Groupes entraînait — nos lecteurs le savent — la modification du personnel _des Unions, puisque celles-ci étaient composées des présidents, secrétaires ou délégués des Groupes.
- Aussi, dans l’Union de comptabilité qui nous occupe, voyons-nous à cette cinquième et dernière séance, figurer trois membres nouveaux sur les quatre dont se compose toujours l’Union; c’est-à-dire les présidents et secrétaires de ses Groupes.
- L’Union procède à la réélection de son bureau. Nous en donnons ci-dessous le résultat, en même temps que le total des Groupes embrassés par les membres dont se compose désormais l’Union.
- Secrétaire. 1 1 1
- Président, 1
- A L’USINE
- Inscriptions complètes.
- 18 Groupes ef 7 Unions. 15 » 9 »
- 9 » 6 »
- AU FAMILISTÈRE Inscriptions connues.
- 10 Groupe 4 Unions
- 1 » 1 »
- 1 » 1 )>
- 11 » 3 »
- Vu le petit nombre de ses membres, l’Union s’est contentée, on le voit, d’élire un président et un secrétaire.
- Plus rien n’est inscrit au registre. Passons à un autre.
- Nourricerie et Pouponnât
- ( Registre même de VUnion )
- Huit membres inscrits dont 5 femmes et 3 hommes. De ces derniers, deux sont classés à la fois dans les groupes de l’Usine et dans ceux du Familistère.
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- DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES
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- Total des inscriptions de ces membres :
- Femmes :
- 1
- Secr.-adji (une des deux) 2 Présidente, 1
- Vice-prssidente. 1
- A L’USINE
- Inscriptions complètes.
- AU FAMILISTÈRE Inscrip. connues. 10 Groupes 2 Unions 8 )) 2 »
- 4 » 1 ))
- 1 » 1 »
- Hommes :
- 1 21 Groupes et 7 Unions.
- 1 ..............................
- Secrétaire. 1 1 Groupe et 1 Union.
- 5 » 2 »
- 11 » 3 »
- 7 » 2 ))
- La 1TQ séance consacrée à l’élection du bureau a eu lieu le 23 août 1877. Nous en avons indiqué le résultat dans le tableau ci-dessus.
- £me Séance. — 5 janvier 1878.
- Nous copions au registre.
- « L’an 1878, le 5 janvier, à neuf heures du soir, dans le local affecté aux réunions, dépendances du Familistère,
- » Etant présents tous les membres de l’Union : Nour-ricerie et Pouponnât, régulièrement convoqués, à l’exception de M. X... empêché par maladie.
- » L’ordre du jour appelle la question soulevée au sujet des enfants abandonnés dont certains habitants du Familistère prennent la charge, laquelle consiste à savoir si ces enfants seront admis à profiter dans les institutions de l’enfance, écoles, bambinat, pouponnât et nourricerie, des immunités et avantages assurés par l’organisation du Familistère aux enfants nés de ses habitants.
- » M. T... expose que la question est pendante devant l’Union des Ecoles où elle doit, dans une prochaine séance, faire l’objet d’un rapport et d’une délibération de cette Union; il propose d’en renvoyer l’examen à l’époque où se sera prononcée cette Union à qui il sera
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- LE DEVOIR
- demandé communication du rapport et de la délibération qui le suivra.
- » Cette proposition est adoptée.
- » L’ordre du jour appelle ensuite la question des dépenses mensuelles de la nourricerie.
- » Mmo X... dépose sur le bureau de l’Union les états de ces dépenses pendant les mois de septembre, octobre, novembre et décembre 1877; elle propose que ces documents restent, jusqu’à la prochaine réunion ordinaire de l’Union, déposés entre les mains du secrétaire pour être communiqués aux membres qui voudront en prendre connaissance et y faire les observations qu’ils jugeront opportunes.
- » Cette proposition est adoptée. M. T..., secrétaire, devant s’absenter, il est décidé que les documents dont s’agit seront remis aux mains de Mme la secrétaire-adjointe.
- » Rien n’étant plus à l’ordre du jour, la séance est levée à 9 h. 1/2. »
- Il peut être bon de signaler que le secrétaire de cette Union, M. T..., était l’ancien magistrat, ami de M. Godin, dont nous avons déjà mentionné le précieux concours à propos du Réglement des Groupes et Unions (Devoir tome 17, 1893, page 451) et qui donna la conférence pu-bliée dans le Devoir de février 1895, page 65. — Nous signalerons au passage, chaque fois qu’il y aura lieu, le concours de ce membre, dont, autrement, le ton et les connaissances juridiques pourraient sembler inexplicables au lecteur.
- Revenons à l’Union dite ; Nourricerie et Pouponnât
- 3me Séance. — 5 février 1878.
- Réunion ordinaire. L’ordre du jour ne portant que la question des enfants recueillis par les habitants du Familistère et cette question étant au même point qu’au
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- DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES 199
- mois précédent, l’assemblée s’ajourne à sa prochaine réunion ordinaire.
- 4me Séance. — 9 mars 1878.
- Ordre du jour : Examens des classes.
- « Un membre, » dit le registre, « propose de ne faire, quant à présent, qu’une visite au Pouponnât et de remettre à plus tard celle de la Nourricerie.
- » Adopté à l’unanimité. »
- Aucun motif explicatif n’est indiqué. Le procès-verbal est relevé par la secrétaire-adjointe, demeurée en fonctions depuis le 5 janvier précédent.
- 5me Séanee. — 28 mars 1878.
- Ordre du jour : Réélection du Bureau.
- Nous désignons les membres nommés en répétant le total des Gropes embrassés par eux.
- A L’USINE
- AU FAMILISTERE
- Inscriptions complètes.
- Présidente. la femme occupant ......................................................
- Vice-présidente. » » ..........................
- Secrétaire, l’homme » ..........................
- Secrétaire-adj, » » 5 Groupes 2 Unions..
- Inscrip. connues.
- 10 Groupes 2 Unions,
- 4 » 1 »
- 11 » 3 »
- 3 » 1 ))
- 6‘me Séance. — 30 mars 1878.
- Ordre du jour : Réélection d’un Secrétaire.
- Le membre nommé secrétaire dans la séance du 28 mars, ayant été simultanément élu président de l’Union de comptabilité au Familistère et ayant opté pour cette dernière fonction, l’Union de Nourricerie et Pouponnât procède à son remplacement et nomme à la majorité absolue l’ancien secrétaire-adjoint.
- C’est tout pour ce registre.
- Ecoles et Bambinat.
- Le cadre général des Groupes -et Unions (Devoir de janvier dernier, p. 27), nous a montré que cette Union
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- LE DEVOIR
- comprenait 9 groupes et que 26 personnes : 6 femmes et 20 hommes composaient ces 9 groupes, où ils avaient couvert 109 inscriptions.
- Les registres de procès-verbaux des séances de 6 de ces Groupes (ceux des nos 1, 2, 3, 5, 6, 9), sont en nos mains.
- Un trait particulier du travail accompli par ces Groupes, nous oblige à les présenter en bloc pour ainsi dire. Voici :
- Sauf ce qui concerne l’élection des bureaux, chacun des six registres de procès-verbaux que nous avons à dépouiller ne contient, pour ainsi dire, que.le relevé de deux assemblées générales « des membres de tous les grou-» pes de l'Union des Ecoles, » assemblées où fut présenté, discuté, puis adopté un Règlement d’ordre intérieur.
- Le texte des deux assemblées est le même, naturellement, dans les six livres. Avant de le donner, indiquons, comme nous l’avons fait jusqu’ici, l’objet et la composition de chacun des Groupes dont nous possédons le registre. Comme toujours, nous portons en regard de l’énumération des membres la qualité de membre du bureau dont l’individu désigné a été revêtu à la séance de constitution du corps.
- Groupe n° 1 : Entretien des salles de classe, service d'eau, calorifères, fosses d’aisance, etc.
- Douze membres : 3 femmes et 9 hommes. Total des Groupes embrassés par ces membres :
- Femmes : 1 A L'USINE Inscriptions complètes. AU FAMILISTÈRE Inscrip. connues. 10 Groupes 2 Unions
- 1 8 » 2 ))
- 1 8 » 2 »
- Hommes : Président. 1 21 Groupes et 7 Unions. 5 » 2 ))
- Secrétaire-adj. 1 18 » 7 » 10 » 4 ))
- Vice-président. 1 14 » 6 » 4 )) 1 »
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- Hommes
- A L’USINE
- Inscriptions complètes.
- 11 Groupes et 5 Unions. 8 » 6 ))
- 3 » 1 »
- AU FAMILISTÈRE Inscrip. connues. 2 Groupes 1 Unions
- 8 » 5 » 11 » 10 » 9 »
- Le corps s’est constitué le 8 août 1877. Il a assisté ensuite, les 27 novembre et 4 décembre aux deux assemblées générales indiquées ci-dessus.
- Puis, une dernière séance, en date du 21 mars 1878, est inscrite au registre. On y "a procédé au renouvellement du bureau du Groupe.
- Sont élus :
- Président, le membre inscrit à l’Usine dans 21 Groupes et 7 Unions ; au Familistère, dans 5 Groupes et 2 Unions.
- Vice-président, le membre classé au Familistère seulement dans 9 Groupes et 2 Unions.
- Secrétaire, l’ancien vice-président.
- Secrétaire-adjoint, l’ancien secrétaire. (
- Groupe N° 2 : Promenades, jeux et gymnastique.
- Onze membres : 5 femmes et 6 hommes. Total des groupes embrassés par ces membres :
- A L’USINE
- Inscriptions complètes.
- Femmes :
- s-adj. (1
- 1
- 2) 2
- 1
- Hommes
- Vice-président.
- Secrétaire.
- 21 Groupes et 7 Unions. 14 » 6 »
- 8 » 6 »
- AU FAMILISTERE Inscrip. connues.''
- 10 Groupes 2 Unions 8 » 2 »
- 6 » 4 »
- 5 ))
- 4 ))
- 8 »
- 11
- 5
- 7
- »
- 2 1
- 2 1 1
- 3 » 2 » 2 »
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- LE DEVOIR
- Constitution du Groupe, le 8 août 1877.
- Assemblées générales des 27 novembre et 4 décembre déjà mentionnées.
- Plus rien n’est inscrit au registre.
- Groupe N° 3 : Lecture et déclamation.
- Douze membres : 6 femmes et 6 hommes. Total des Groupes embrassés par ces membres :
- A L’USINE
- AU FAMILISTERE
- Femmes : Vice-présidente,
- Présidente, Secrétaire-adjointe. Hommes :
- 1
- 2
- 1
- 1
- inscriptions complètes
- Inscrip. connues.
- 10 Groupes 2 Unions 8 » 2 »
- 6 » 2 »
- 4 » 1 »
- Secrétaire.
- I 18 Groupes et 7 Unions
- 18 » 6 ))
- 1 .................
- 16 » 4 »
- II » 1 »
- 1 ......*..........
- 10 » 4 »
- 8 » 1 »
- 11 » 1 »
- 3 » 1 »
- 7 » 2 »
- 9 » 2 »
- Constitution du bureau, le 7 août 1877.
- Assemblées générales des 27 novembre et 4 décembre.
- Le 21 mars 1878 a lieu la dernière séance portée au registre.
- Ordre du jour : Renouvellement du bureau.
- Sont élus : *
- Président : un membre entré depuis la constitution du corps et qui est inscrit au Familistère seulement dans 10 Groupes et 2 Unions.
- Vice-présidente, l’ancienne présidente.
- Secrétaire : Le membre classé à l’Usine dans 18 Groupes et 7 Unions, au Familistère dans 10 Groupes et 4 Unions.
- Secrétaire-adjointe : Une des femmes inscrite dans 8 Groupes et 2 Unions.
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- DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES 203
- Groupe N° 5 : Calcul, système métrique, comptabilité. Quatorze membres : 5 femmes et 9 hommes. Total des Groupes embrassés par ces membrès :
- Femmes : A L’USINE inscriptions complètes AU FAMILISTÈRE Inscrîp. connues.
- 1 10 Groupes 2 Unions
- 2 8 » 2 »
- 1 6 » 2 »
- Hommes : 1 4 » 1 »
- Vice-président. ' 1 21 Groupes et 7 Unions 5 » 2 »
- President. 1 18 )) 7 » 10 » 4 »
- 1 14 » 6 » 4 )) 1 »
- Secrétaire. 1 11 » 5 » 2 )) 1 »
- 1 8 » 6 » 8 » 1 ))
- 1 11 » 3 »
- Secrétaire-adj, 1 6 » 4 )) 3 )) 1 »
- 1 1 » 1 » 7 » 2 ))
- 1 Constitution du bureau le 7 août 1877. 9 » 2 »
- Assemblées générales des 27 novembre et 4 décembre.
- La dernière séance portée au registre est datée du 21 mars 1878. Elle a pour objet le Renouvellement du bureau.
- Sont^élus :
- Président : l’ancien vice-président.
- Vice-président : le membre classé à l’Usine dans 8 Groupes, 6 Unions; au Familistère dans 8 Groupes, 1 Union.
- Secrétaire : l’ancien secrétaire-adjoint.
- Secrétaire-adjointe : Une des deux femmes classées dans 8 Groupes et 2 Unions.
- Groupe N° 6 : Leçons de choses, physique, chimie, histoire naturelle, minéralogie, etc.
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- LE DEVOIR
- Douze membres : 4 femmes et 8 hommes groupes embrassés par ces membres :
- A L’USINE
- inscriptions complètes
- Total des
- Femmes
- Présidente. 1 10 Gromiei 2 Nu io
- 2 8 » 2 »
- "1 6 » 2 ))
- Hommes
- 1 18 Groupes et 7 Unions 10 » 4 »
- 1 14 » 6 » 4 » 1 »
- Secrétaire-adj, 1 11 » 7 » 1 » 1 »
- 1 8 » 6 )) 8 )) 1 »
- 1 11 » 3 »
- Vice-Président, 1 1 » 1 )> 7 )) 2 »
- 1 10 )) 2 »
- Secrétaire. 1 9 n 2 »
- AU FAMILISTERE Inscrip. connues.
- Constitution du bureau le 9 août 1877.
- Assemblées générales des 27 novembre et 4 décembre. Le 22 mars 1878, le Groupe procède au renouvellement de son bureau.
- Sont élus :
- Président : l’ancien secrétaire-adjoint.
- Vice-président, le membre classé à l’Usine dans 14 Groupes, 6 Unions ; au Familistère, dans 4 Groupes et 1 Union.
- Secrétaire : la femme classée dans 6 Groupes et 2 Unions.
- Secrétaire-adjointe : une des deux femmes inscrites dans 8 Groupes et 2 Unions.
- La dernière séance inscrite au registre porte la date 30 juillet 1878.
- Ordre du jour : Réorganisation des leçons d’horticulture.
- Nous copions au registre :
- « Le Groupe demande à l’Union des Ecoles et Bam-binat de réorganiser les leçons d’horticulture pratique
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- DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES 205
- pour l’Enfance, comme cela existait il y a quelques années ». La séance est levée.
- Groupe N° 9 : Géographie et Cosmographie.
- Neuf membres : 3 femmes et 6 hommes. Total des groupes embrassés par ces membres :
- Femmes Vice-présidente. 1 A L’USINE inscriptions complètes
- 2
- Hommes :
- 1 18 Groupes et 7 Unions
- Secrétaire-adj. 1 8 » 2 »
- Secrétaire. 1 6 » 4 »
- F 1 )> 1 »
- AU FAMILISTÈRE Inscrip. connues.
- 10 Groupes 2 Unions 8 » 2 »
- 10 » 4 »
- 2 » 1 »
- 3 )) 1 »
- 7 » 2 »
- 11 » 3 »
- 9 » 2 »
- Constitution du bureau le 9 août 1877.
- Viennent ensuite les deux assemblées générales dont le texte va suivre ; puis, le 28 mars 1878, le groupe procède au renouvellement de son bureau.
- Sont élus :
- Président, le membre classé au Familistère dans 9 groupes et 2 unions.
- Vice-président, le membre classé à l’Usine dans
- 1 groupe, 1 union; au Familistère, dans 7 groupes et
- 2 unions.
- Secrétaire, un membre nouveau qui figure là pour la première fois et est classé à l’Usine dans 8 groupes 6 unions; au Familistère, dans 8 groupes, 1 union. Secrétaire-adjoint, l’ancien président.
- Le registre ne contient pas autre chose.
- Reprenons maintenant — et ce, pour les six groupes dont nous venons d’indiquer les objets et la composi-
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- LE DEVOIR
- tion — les deux assemblées générales dont le relevé est le même sur les six registres.
- « Séance du 27 novembre 1877 » Ordre du jour :
- a
- » Réunion de tous les membres des groupes de VUnion des Ecoles et Bambinat, à l’effet de discuter les articles du Règlement d’ordre intérieur établissant la nature des rapports qui doivent exister entre ces membres et les Ecoles.
- )) Appel nominal. Tous les membres sont présents.
- » La séance est ouverte. » La réunion est présidée par une des femmes. Un des hommes remplit le poste de secrétaire.
- Deux candidats qui demandent à faire partie l’un de tous les groupes, l’autre de deux groupes de l’Union des Ecoles sont présentés par Madame la présidente. Leur admission est prononcée.
- » Lecture est ensuite donnée du Projet de Règlement lequel est mis en discussion article par article.
- » A propos de l’article 3, qui traite de la possibilité pour les membres des groupes de se rendre dans les classes à tel moment qu’ils jugeraient opportun, un membre demande si ce déplacement portera ou non atteinte au salaire de celui qui se sera ainsi déplacé?
- » La présidente fait observer que personne n’est obligé à ce déplacement; celui qui se l’impose le fait par intérêt pour les enfants eux-mêmes ; la question de rétribution pour un tel acte ne peut du reste être résolue par la présente assemblée.
- » Un autre membre propose alors de réunir les élèves le dimanche pour les interroger. Cette proposition est combattue. Néanmoins, la présidente invite l’auteur de la proposition à préparer pour la prochaine réunion un amendement à l’article 3.
- " )) Tous les autres articles du Règlement — après une
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- DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES
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- légère addition à l’article 10 — sont adoptés et l’acceptation définitive du Règlement est renvoyée à la prochaine réunion, laquelle est fixée au mardi prochain, 4 décembre. )) La séance est levée. »
- Réunion du 4 Décembre 1877
- Appel nominal. Tous les membres sont présents.
- La séance est ouverte. Le procès-verbal de la réunion du 27 novembre est lu et adopté.
- La parole est donnée au -membre qui doit présenter un amendement à l’article 3, amendement par lequel les membres des groupes lorsqu’ils voudraient interroger les élèves, pourraient provoquer la réunion de ceux-ci le dimanche.
- Le chef de l’école combat la proposition. Celle-ci est retirée.
- « L’article 3 mis aux voix est adopté. Est adoptée aussi dans son ensemble le Règlement dont la teneur suit :
- UNION : ECOLES ET BAMBINAT
- Règlement d’ordre intérieur
- » Article 1er — Les membres des groupes de l’Union des Ecoles peuvent prendre connaissance auprès du chef légal de l’Ecole du Familistère des documents suivants :
- » 1° Programme des études de chaque classe indiquant le but que chaque maître ou maîtresse doit atteindre dans l’année.
- » 2° Rapports mensuels indiquant le degré d’avancement de chacun des élèves en toutes branches d’études.
- » 3° Composition de semaine dans les trois premières classes.
- » 4° Cahiers des élèves de 6 à 12 ans et au-dessus.
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- LE DEVOIR
- » 5° Tableau de l’emploi du temps, heure par heure dans chaque classe.
- » Article 2. — Si quelques uns de ces documents sont emportés pour être examinés ou copiés, ils devront être remis au chef de l’institution dans un délai de vingt-quatre heures.
- » Article 3. — Les membres des groupes peuvent en consultant le tableau de l’emploi du temps, se rendre dans les classes pour y assister aux leçons qui les intéressent, sans jamais déranger en rien l’ordre des leçons qui doivent se suivre tel que l’indique l’emploi du temps.
- » Article 4. — En cas de visite dans les classes, les membres des groupes observent ce qui se passe, mais n’interrompent le travail par aucune réflexion, se réservant de dire en réunion de groupes ce qu’ils peuvent juger utile.
- » Article 5. — Aux mois de mars et de juillet de chaque année, à l’époque des examens semestriels qui ont lieu dans toutes les classes, tout membre des groupes a la faculté de se renseigner auprès du chef de l’Ecole du Familistère, pour connaître le jour et l’heure de l’examen dans les différentes branches d’études qui l’intéressent, afin de pouvoir y assister s’il le désire.
- » Article 6. — Dans ces examens semestriels si les membres des groupes jugent bon de poser quelques questions aux élèves, ils devront s’en entendre d’avance avec le maître ou la maîtresse de la classe, afin de ne pas rompre ou entraver l’ordre que l’examen doit suivre. Ces questions devront toujours être comprises dans le cadre du programme suivi par les élèves de la classe.
- » Article 7. — Les programmes d’études de chaque classe, devant, pour porter de bons résultats, être suivis sans interruption durant l’année scolaire, les membres des groupes qui jugeraient utile d’apporter quelques modifications à ces programmes devront faire étudier la
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- DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES
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- question dans leurs groupes et dans l’Union pendant le cours de l’année, afin que, s’il y a lieu, l’application de ^ces modifications puisse se faire au renouvellement de l’année scolaire, au moment de la fixation des programmes d’études.
- » Article 8. — Le tableau de l’emploi du temps de chaque classe fixé au commencement de l’année sco-colaire, peut être modifié, s’il y a lieu, après l’examen général du mois de mars, dans le cas où l’on reconnaîtrait cette mesure indispensable pour atteindre le but fixé par le programme des études de l’année.
- » Des modifications peuvent donc être proposées, à ce sujet, dans les groupes par les membres qui le jugeraient convenable. Tout changement dans l’emploi du temps fait en dehors de ces époques serait porté à la connaissance des groupes intéréssés par le chef d’institution.
- » Article 9. — Les membres des groupes peuvent se renseigner auprès du chef d’institution sur le matériel scolaire, livres de lecture et d’études, cartes, modèles de dessin, cahiers, papier, plumes, encre, etc., etc. et proposer, s’il y a lieu, dans les groupes des modifications à ces approvisionnements.
- » Article 10. — Les membres des groupes peuvent assister le samedi, de 5 à 6 heures, dans la salle du Bambinat, à la distribution des décorations qui se fait devant toutes les classes réunies et comporte habituellement des exercices de chants, de gymnastique, de déclamation. Quelques autres exercices de classe pourront, s’il y a lieu, être demandés aux élèves, en s’en entendant le vendredi dans la soirée ou le samedi matin avant 10 heures, avec le professeur de la lre classe qui dirige la cérémonie.
- » Les membres des groupes peuvent amener avec eux des personnes étrangères en se mettant à l’avance d’accord à ce sujet avec le président de l’Union, le chef
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- de l’institution du Familistère et le professeur de la lre classe.
- » Article 11. — Vers la fin de l’année scolaire, après l'examen général du mois de juillet, l’Union des Ecoles se renseigne auprès du chef de l’institution sur la liste des livres de prix et autres objets qu’on distribue aux élèves à la Fête de l’Enfance, et propose, s’il y a lieu, des modifications dans le choix, la nature ou le prix de ces objets. »
- Aucun autre renseignement sur les travaux des groupes de l’Union des Ecoles et Bambinat n’est venu jusqu’à nous.
- Mais, sans posséder le registre de l’Union, nous avons une trace de son travail : Plus haut, nous avons vu — en dépouillant le registre de l’Union : Nourricerie et Pouponnât — que la question des enfants recueillis par des habitants du Familistère était à l’étude dans l’Union des Ecoles, en janvier et février 1878.
- Cette question provoqua au sein de la dite Union le dépôt d’un remarquable rapport dont nous trouverons le texte au registre même du Conseil des Unions du Familistère. Ce registre nous fournira également d’autres témoignages des travaux des Groupes et Unions de l’habitation unitaire, puisque, hiérarchiquement, tous ces travaux aboutissaient au dit Conseil.
- (A suivre )
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- LES SKY SCRATCHERS
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- LES SKY SCRATCHERS
- Les « Sky scratchers » ou « gratte ciel, » tel est le nom des hautes maisons à quinze ou vingt étages que construisent aujourd’hui les Américains. Le record en ce genre paraît appartenir au temple maçonnique à Chicago, qui compte vingt-un étages et mesure quatre-vingt-douze mètres de haut. « S’il fallait circuler par les » moyens ordinaires, c’est-à-dire par les escaliers, » dit M. Wuarin, (1) « à l’intérieur des maisons de dix ou » vingt étages, les jambes s’useraient vite. Tous ces » édifices mastodontes sont desservis par des ascen-» seurs qui montent et descendent presque sans inter-» ruption et avec une rapidité dont on n’a nulle idée si » on ne les a pas pratiqués. » L’auteur ajoute que dans un ascenseur desservant dix-huit étages, il n’avait mis que cinquante-cinq secondes pour la descente, « encore s’était-on arrêté quatre fois en route pour cueillir des gens sur divers paliers. »
- Voilà donc une grosse innovation que les ascenseurs à grande vitesse; ce sont eux qui rendent possible, facile même, l’usage des hautes maisons. On se demande en effet qui oserait loger à un vingtième étage, si l’accès par l’escalier était la seule voie pour y parvenir; l’ascension d’un cinquième ou d’un sixième étage parisien vous met déjà hors d’haleine; que serait-ce pour un vingtième? un alpiniste professionnel pourrait seul l’habiter 1 Mais, avec l’ascenseur tout change; grâce & lui, il faut moins de temps et moins d’effort pour s’élever jusqu’au vingtième étage, qu’il n’en faut avec l’escalier pour arriver à un confortable premier au-dessus de l’entresol.
- à) Reçue scientifique du 20 juillet 1895. (Le logement aux Etats-Unis).
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- Le prix très élevé que l’achat du terrain à bâtir atteint dans certains quartiers des grandes villes, paraît avoir été l’origine des hautes maisons. Les premières construites ont pris place au centre même des affaires ; elles étaient avant tout destinées aux offices commerciaux. Mais l’esprit pratique des Yankee leur a trouvé bientôt d’autres destinations; il n’est pas rare de voir ces tours de Babel se dresser devant les parcs et partout où l’on peut jouir d’un beau point de vue. Dans ce cas, elles sont spécialement disposées en vue de l’habitation, elles occupent alors un espace considérable et ressemblent à de grandes ruches. « Nous avons visité, « dit encore M. Wuarin, « diverses familles vivant dans ces ruches, » et l’une des premières choses qui nous ont frappé, » c’était de voir combien chacune d’elles conservait son » indépendance; autant d’appartements, autant pour ainsi » dire d’alvéoles. Aussitôt que l’ascenseur vous a débar-» qué sur le palier, vous découvrez des logements fort » commodes, ouvrant sur un large corridor et dans » lequel les inconvénients d’un voisinage rapproché sont » réduits au minimum. La réunion de nombreux loca-» taires dans un même immeuble a au surplus cet
- » avantage, que l’on peut faire des arrangements pour » fournir à tous de l’eau chaude et le chauffage, à
- » l’aide d’un service commun, et dans les conditions » les meilleures; on trouvera même souvent en bas le » restaurant qui se charge d’envoyer le menu ; les vivres » arrivent sur la table, comme s’ils avaient été préparés » à la cuisine; les bons domestiques sont si chers et » si rares, que manger chez soi en supprimant la cui-» sinière est une énorme simplification. En fait, les per-
- » sonnes qui ont pu se livrer à une étude comparative
- » des diverses sortes d’habitations aux Etats-Unis, trou-» vent de grands avantages aux appartements des hau-» tes maisons. »
- Eh bien, voilà des constatations que devraient con*
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- naître la plupart des personnes, qui s’occupent de la réforme du logement, spécialement les économistes orthodoxes énamourés de la petite maison ouvrière.
- Insalubrité, caserne et promiscuité, tels sont les griefs sans cesse invoqués par eux contre les habitations unitaires; une fois ces trois opinions formulées, les voilà cuirassés du triple airain d’Horace. On a beau leur dire : « Mais l’hygiène d’une cité dépend de la façon dont sont tenus et disposés les locaux. — Allez voir le Familistère de Guise; vous avez là quatre grandes constructions logeant dix-huit cents personnes; tout y est largement éclairé, ventilé, nettoyé. Chacun y a son logement séparé ; les services des eaux et de propreté sont à la portée de tous, à chaque étage, presque sous la main. Nulle maison ouvrière n’est plus salubre, plus commode, plus économique. »
- Ils hochent la tête et avec un air mi-entendu, mi-embarrassé, ils vous disent en baissant le ton : « Et la promiscuité! » Vous leur montrez alors des logements desservis par des balcons-trottoirs courant à tous les étages, vous leur décrivez les grands escaliers largement ajourés, et toute la circulation se faisant au grpnd jour sous l’œil des parents et de toute la population, c’est-à-dire dans des conditions d’hygiène morale supérieures à celles du plus grand nombre des maisons ordinaires; ils vous disent alors: «C’est une caserne!» Et dans leur esprit prévenu surgit l’image d’une salle de police avec un lit de planches, d’un règlement, espèce de code militaire, où tout manquement se termine par « peine de mort. »
- Et pourtant, combien ces grandes habitations sont différentes de l’image qu’elles font naître, puisque on n’y rencontre pas même l’inévitable portier parisien. Nous convenons très volontiers que certaines cités ouvrières construites à Paris, sous l’Empire, ont présenté de nombreux inconvénients; mais de ce que ces essais
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- mal conçus et mal exécutés, n’ont pas répondu à l’attente de leurs promoteurs, faut-il condamner à tout jamais un ordre de constructions qui s’impose dans les grandes villes, où le prix du terrain est un facteur important du coût de l’habitation.
- Pour les spécialistes, la cause est déjà entendue et les succès des grandes maisons « Peabody » de Londres et des grands quadrilatères « Mangini » de Lyon, ont définitivement tranché la question.
- Les logements dans ces grandes maisons sont très recherchés par la petite bourgeoisie, et tout vide est aussi vite comblé que produit. Mais, objecteront les partisans de la petite maison, dans ces grands édifices, on n’est pas chez soi, ce n’est pas le « Home » anglais, un ouvrier ne peut pas espérer devenir propriétaire.,— A cela, nous répondrons que la plupart des ouvriers ne sont pas propriétaire de leur « home, » et que bien plus, en tant que le « home » est représenté par la petite maison, ils n’ont aucun intérêt à le devenir. En effet, l’ouvrier par la nature de ses ressources est forcément nomade dans une certaine mesure, son logement doit toujours être autant que possible rapproché des lieux où il travaille. Le plus souvent, son travail l’oblige à changer de localité ; en pareil cas, quels sont ses besoins? Un logement confortable et économique toujours à proximité de son travail. Si des circonstances imprévues le forcent à partir, la propriété d’une petite maison devient alors une charge; il faut surveiller cette maison, la réparer, la louer, en payer les impôts.
- La petite maison manque aussi d’élasticité ; elle est telle qu’on l’a conçue au début, telle que les engagements contractés la rendent possible : trop petite, si par économie on a choisi un type conforme aux besoins immédiats d’un jeune ménage; — les enfants viennent plus tard et la coquille ne peut plus les contenir; — trop grande au début et trop coûteuse, si l’on a escompté
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- à l’avance la probabilité d’une nombreuse famille; trop grande encore après le départ des enfants devenus grands.
- Dans de telles conditions, la petite maison n’est que bien peu de temps adaptée aux besoins ouvriers, soit à cause des changements de résidence, soit par augmentation ou diminution des éléments qui forment la famille.
- Ces inconvénients de la petite maison ont été exposés avec une autorité et une lucidité remarquables par M. E. Cacheux, président de la Société française d’hygiène. (1)
- Après avoir constaté qu’un des vœux les plus importants du Congrès des Habitations à bon marché, de 1889, fût qu’il serait désirable de rendre l’ouvrier propriétaire de sa maison, il ajoute :
- « Depuis bientôt vingt-cinq ans, j’ai cherché sur l’ini-» tiative de mon regretté maître, Emile Muller, à résou-» dre ce problème à Paris, mais il faut avouer que j’ai » obtenu peu de succès. J’ai employé mes ressources à » mettre en pratique les études qui ont été résumées » dans les ouvrages sur les habitations ouvrières en » tout pays. J’ai loué et vendu par petits lots près de » 400,000 mètres de terrain, en employant le système » des building societies combiné avec celui de Mulhouse. » Un certain nombre de propriétaires ont suivi mon » exemple, nous avons réussi à diviser la propriété » dans Paris et aux environs, mais nous n’avons pas » obtenu la solution désirée, c’est-à-dire mettre à la dis-» position des ouvriers un nombre suffisant de maisons » salubres et commodes, moyennant le paiement d’annui-» tés dont la valeur serait peu supérieure à celle du » loyer.
- » Les causes de notre insuccès proviennent : 1° du
- U) Reçue mutualiste du 13 février 1896.
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- » peu d’importance de la somme que les ouvriers con-» sacrent à leur loyer; 2° de la valeur considérable des » charges qui grèvent la petite propriété dans les villes » et dans les communes qui les entourent. »
- ***
- La grande maison ayant des logements de toutes dimensions, s’adapte mieux que la petite aux modifications successives de la famille ouvrière, et sa jouissance en tant que locataire, convient bien mieux à celui qui n’est jamais certain un an à l’avance de l’usine où il travaillera l’année suivante.
- « Et la propriété, » nous objectera l’économiste. Rien n’empêche, répondrons-nous, de diviser le grand immeuble en actions et de faciliter l’accès de la propriété aux locataires. C’est ce qui a lieu pour les Familistères de Guise et de Laeken-les-Bruxelles. D’ailleurs la loi française, en fixant à 50 fr. la plus petite coupure, a mis le droit de posséder à la portée du moins fortuné.
- Nous ne saurions mieux montrer l’insuffisance des petites maisons au point de vue économique et au point de vue moral, qu’en citant les paroles de M. Grad :
- Le regretté député de l’Alsace-Lorraine, dans son œuvre magistrale l’Alsace, s’exprime ainsi sur les maisons ouvrières de Mulhouse :
- « A côté des ménages modèles, il y en a qui laissent » à désirer. Dans le principe, les maisons ouvrières de » Mulhouse doivent être vendues pour une seule famille » et sans y recevoir des locataires étrangers. Les actes » de vente sont formels à cet égard. Malheureusement )) quand le père de famille meurt, toute la fortune se » réduisant à la possession de la maison, la veuve se » voit trop souvent obligée de se reléguer avec ses » enfants, parfois nombreux, dans la partie la plus res-» serrée de son habitation, pour louer le reste aux condi-» tions meilleures possibles. Alors comment exiger l’exé-
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- )) cution stricte des contrats ? L’administrateur des cités » ouvrières, M. Hugenin, nous signale dans une rue » composée de trente-sept maisons, onze veuve pro-» priétaires. Ces onze veuves ont ensemble vingt-sept » enfants en bas âge, cinq vieux parents infirmes, plus » des malades. Pressées par le besoin, les veuves louent » donc une partie de leur logement. Elles ne comptent » dans la rue en question pas moins de quarante loca-» taires étrangers. Et quels locataires! ordinairement des » ménages clandestins. »
- Le tableau est vraiment instructif et intéressant sous la plume d’un partisan déclaré des petites maisons ouvrières de Mulhouse. Nous convenons volontiers que ces maisons valent mieux que les bouges infects dans lesquels vivaient autrefois les ouvriers, mais nous affirmons qu’elles sont loin de présenter le dernier mot des arrangements favorables à l’habitation humaine.
- Nous ne voyons aucune utilité à parquer les ouvriers dans des quartiers ou des locaux spéciaux et, à ce sujet, l’étude de M. L. Wuarin sur les hautes maisons américaines et leur parfait aménagement nous ouvre des voies nouvelles et fécondes.
- ***
- L’ascenseur a rendu possible l’usage des hautes maisons, le haut prix du terrain les a rendues nécessaires et relativement économiques; mais, ainsi construites, ces habitations représentent un capital considérable, (1) très supérieur en son bloc aux ressources, aux économes dont peuvent disposer la plupart des familles; de fà, la nécessité des sociétés financières pour leur édification et la constitution du capital sous la forme actionnaire.
- (1) On lisait dans le Temps du 15 septembre 1895 : Mardi matin, une parcelle de errain à bâtir située dans Lombard Street, cité de Londres, et placée au fond une petite cour, a été vendue à 33,000 francs le mètre carré. Il y en avait mètres et le prix total a été de 1,890,000 francs.
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- Déjà, en cette fin de siècle, nous avons assisté à l’organisation en sociétés par actions du plus grand nombre des instruments de transport. Les chemins de fer, les compagnies de messageries maritimes ont adopté cette forme qui a si profondément modifié ces industries en leur donnant une extension, une régularité, une perfection, qu’il eut été absurde d’espérer de l’ancienne navigation à voile, ou des vieilles entreprises de roulage; célérité, meilleur aménagement des correspondances! réduction considérable des prix et des délais de transport : voilà ce que le grand public a ^ gagné à ces transformations.
- Mais qui donc a procuré les fonds, qui s’est trouvé assez riche pour avancer les 16 milliards que représentent seulement les voies ferrées des six grandes compagnies françaises?
- Le public, le grand public; c’est lui qui a libéralement fourni l’argent et la clientèle nécessaire à l’organisation et à l’exploitation fructueuse de l’entreprise.
- Les organes de la production sont en train d’opérer une transformation toute semblable. Les usines du fer et de l’acier, exemple : Essen en Allemagne, le Greusot en France, ont centralisé cette importante industrie et remplacé nombre de petits maîtres de forges, autrefois éparpillés un peu partout; mais ces nouvelles et grandes usines ont en même temps amélioré la qualité des produits, varié à l’infini leurs formes, réduit considérablement les prix et donné ainsi à l’emploi de ces métaux une extension sans limites.
- Là aussi, nous constatons que l’ancienne forme de posséder (unique et personnelle) a été modifiée et que l’administration a cessé d’être confondue avec la possession. Certainement sous ce régime, l’usine, ses bâtiments, son outillage, ses moyens d’action, son administration se sont centralisés; mais sa propriété, représentée par des actions, s’est divisée entre des cen-
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- taines et des centaines de mains, suivant en cela une loi d’expansion connexe à celle de ses produits.
- Et ce ne sont pas seulement les organismes de transport et d’industrie qui présentent peu à peu ces nouveaux caractères, le commerce lui-même, cette forme de l’échange, nous montre la même transformation en voie de s’accomplir.
- Les coopératives de consommation qui se développent régulièrement en Angleterre, en Allemagne, en Italie, en Belgique et même en France, sont une décentralisation dans la possession du capital représentant la valeur des marchandises en magasin, puisque cette valeur est toujours sous forme actionnaire et possédée par les clients. D’un autre côté, les succès du Louvre, du Printemps, du Bon Marché et d’autres grands magasins de Paris, témoignent combien la centralisation des produits et des ventes, dans d’immenses locaux où le client trouve tout sous la main, convient aux besoins du public. (1)
- L’habitation subira-t-elle la transformation que nous constatons dans les transports, dans l’industrie, dans le commerce ? se centralisera-t-elle comme organe tout en se décentralisant comme propriété? En un mot, nous -dirigeons-nous vers la grande habitation unitaire, malgré les flots d’encre versés et les anathèmes lancés contre elle par certains économistes ?
- La construction récente des sky scratchers et les avantages qu’ils présentent, d’après M. L. Wuarin, rendent l’affirmative possible, au moins pour les grandes villes. Examinons les raisons qu’il nous en donne : « Il est » intéressant de considérer en passant le rôle de l’as-» censeur, car il a changé bien des choses. Il a rendu
- (1) Dans le Louvre, le Printemps et le Bon Marché nous retrouvons le capital divisé en actions ; et dans le dernier établissement nous constatons nombre d’institutions de prévoyance, d’éducation, d’agrément qui présentent à un haut degré un caractère démocratique, mais qui demanderaient pour être exposés une étude particulière.
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- » possible la maison liante et qui donc eût songé sans » son aide à faire monter un immeuble et des gens » dans cet immeuble, jusqu’à deux, trois ou même » quatre fois les dimensions des maisons ordinaires, » qui se tenaient en général au chiffre de cinq étages? » Mais il a fait plus. Il a donné aux appartements du » haut, bien éclairés, bien aérés, une valeur égale, si ce » n’est supérieure, à ceux d’en bas. »
- Il n’en faut pas davantage pour diriger la spéculation vers les hautes constructions. Et voici encore un autre argument :
- « Les domestiques, aux Etats-Unis, ne consentiraient » pas à transporter de lourds fardeaux à plusieurs étages » de distance. »
- Il est vrai que l’ascenseur remédie à cette mauvaise volonté et il peut tout aussi bien fonctionner dans une maison de quatre ou cinq étages ; mais alors les frais de construction et de fonctionnement deviennent relativement bien plus considérables : il faut les récupérer sur les prix des logements.
- D’ailleurs ces modifications ne sont pas les seules que présentent les hautes maisons. L’adduction des eaux et leur évacuation, la distribution du gaz et de la chaleur, l’organisation des privés, fournissent aussi l’occasion d’importantes économies. Enfin, la concentration de la population et la facilité de relations qu’offriraient le sky scratcher donneraient, à un quartier de ville ainsi bâti, un avantage marqué sur les parties où se trouveraient les maisons construites d’après l’ancien système.
- Il est vrai que les hautes maisons soulèvent un certain nombre d’objections et quelques municipalités, paraît-il, ont déjà pris des arrêtés pour en limiter la hauteur. On leur reproche de n’être pas en rapport avec la largeur des voies publiques et de « couvrir la rue
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- » de leur ombre, de sorte que l’humidité y séjourne » plus longtemps et qu’elle est sombre en plein jour.» Ce reproche, qu’elles peuvent d’ailleurs partager avec la plupart des maisons de nos vieilles villes, est mérité; car, quelle que soit la largeur proverbiale des rues américaines, les édiles qui les ont tracées ne s’attendaient pas à un pareil exhaussement des maisons.
- Pourtant ce grief fait aux hautes constructions, légitime dans les rues d’une largeur ordinaire, ne tient pas debout pour les sky scratchers qui s’élèvent en façade des places, des larges avenues, ou en ceinture des parcs ; dans ce cas, la maison vis-à-vis ne peut pas leur dire : « Ote-toi de mon soleil! » et toute municipalité qui, en pareil état de chose, prendrait des arrêtés pour limiter la hauteur de ces constructions, se donnerait gratuitement un caractère tyrannique.
- Les municipalités ont cependant quelque chose à faire et si, pour le plus grand avantage du public, elles déterminent aujourd’hui, la largeur des rues et l’alignement des maisons, nous ne voyons pas pourquoi elles ne limiteraient pas la hauteur maximum de ces dernières, sauf à s’inspirer de certaines règles.
- Il nous revient, que la municipalité de Londres avait pris l’année dernière, un arrêté applicable en janvier 1895 et fixant à vingt mètres la plus grande hauteur des maisons dans les rues ayant quinze mètres de large. C’est là une précaution utile contre l’exagération des constructions dans les rues étroites ; l’air et la lumière abondante sont des nécessités de l’hygiène, mais pourquoi ne pas admettre une règle proportionnelle ? Par exemple, que dans toutes les rues, avenues, places et boulevards, la hauteur des maisons ne pourra dépasser la largeur de la voie? Ce serait au rez-de-chaussée un angle de quarante-cinq degrés pour la lumière, Qugle qui correspond dans nos climats à la hauteur du soleil en hiver.
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- Le public a avantage à ce que l’on puisse construire de hautes maisons, partout où l’air et le jour arrivent en abondance et c’est simplement le respect de ces deux conditions que les municipalités doivent assurer; agir autrement serait folie.
- C’est aux belles et grandes maisons, hautes relativement, que nos boulevards parisiens doivent leur aspect magnifique, leur richesse, et l’activité de leur circulation; mais quelle activité et quelle splendeur ne présenteraient pas de larges avenues bordées de sky scrat-chers s’élevant à vingt étages.
- Vingt étages habités ^logeraient une population quatre fois plus considérable et la vie dans la rue augmenterait dans les mêmes proportions.
- Evidemment, il faudrait élargir les voies, reculer les maisons à l’autre bord de larges trottoirs, ce qui diminuerait le bruit des voitures et la trépidation des lourds camions, au grand avantage des habitants; cela modifierait aussi l’aspect de nos grandes villes, et le Paris d’aujourd’hui pourrait bien paraître à nos descendants une capitale de Lilliput ; mais tout change en ce monde, même l’opinion des hommes; et d’une génération à l’autre il peut y avoir dans leurs jugements autant de différence qu’entre Paris et Pékin.
- (A suivre).
- Aug. Fabre.
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- La Chambre et le Sénat
- Vers la fin du mois de janvier, le Garde des sceaux donnait lecture au Sénat d’un décret retirant le projet de loi déposé par son prédécesseur, et ayant pour objet d’interdire les coalitions formées dans le but de suspendre ou de cesser le travail dans les services publics de l’Etat.
- Aussitôt le Sénat mettait à son ordre du jour la proposition déposée l’année dernière par M. Merlin et plusieurs de ses collègues, et qui avait pour objet, on s’en souvient, d’interdire les coalitions formées dans le but de suspendre ou de cesser le travail dans les exploitations de l’Etat et les compagnies de chemins de fer.
- Quelques jours après, le 4 février, M. Mesureur, ministre du commerce, déposait sur le bureau de la Chambre, aux applaudissements de celle-ci, un projet de loi ayant pour objet de réprimer les atteintes portées à l’exercice des droits reconnus par la loi du 21 mars 1884 sur les syndicats.
- Le même jour, le Sénat entreprenait la discussion de la proposition Merlin.
- Rien ne pouvait mieux souligner les profondes divergences d’opinion qui séparent les deux assemblées en matière de législation ouvrière que ces manifestations contradictoires sur un même objet, la Chambre d’accord avec le ministère, exprimant la volonté d’assurer le libre fonctionnement de la loi syndicale, le Sénat d’en retirer le bénéfice à de nombreuses et importantes catégories de travailleurs.
- Le gouvernement fit tous ses efforts pour faire échouer le projet Merlin, ou tout au moins pour le faire renvoyer à la Commission, avec laquelle il eût recherché un moyen de transaction. Le Sénat refusa au gouvernement le renvoi du projet de loi à la Commission et le vota, tout en le restreignant aux employés et ouvriers des établissements de la guerre et de la marine et à ceux des chemins de fer, c’est-à-dire à ceux qui se rattachent directement aux intérêts de la défense natio-nale, et en laissant sous le droit commun les employés
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- des manufactures des tabacs et d’allumettes, dont la cessation de travail ne compromettrait que des intérêts économiques.
- Quelque temps après le conflit éclata entre la Chambre et le ministère, d’une part, et le Sénat de l’autre, avec un caractère si aigu qu’on pût croire un instant que la machine parlementaire allait se détraquer. En aucun cas ses imperfections ne s’étalèrent avec plus de crudité, et jamais, moins on n’aperçut la possibilité d’y porter remède.
- Nous faisions remarquer l’année dernière, à propos du budget, que si le Sénat n’avait pas cédé sur certains points et la Chambre sur d’autres, le débat aurait pu s’éterniser, la Constitution n’ayant pas prévu le cas où les deux Chambres pourvues d’égales attributions, malgré la différence de leur origine, ne seraient pas du même avis sur une question, aucun article de la Constitution ne fixant à laquelle des deux Chambres appartiendra le dernier mot qu’il s’agisse du budget ou de; tout autre loi.
- Il ne s’agissait, dans la circonstance actuelle, ni de prérogative financière, ni de prépondérance législative, mais de l’exercice du droit que le Sénat prétendait tirer de l’article 6 de la loi constitutionnelle du 24 février 1875 ainsi conçu :
- « Les ministres sont solidairement responsables devant les Chambres de la politique générale du gouvernement et individuellement de leurs actes personnels. »
- Le 11 février , M. Monis interpellait devant le Sénat le Garde des sceaux relativement aux irrégularités graves qu’il attribuait ou ministre, à propos de l’instruction de l’affaire des chemins de fer du Sud.
- Les explications du ministre n’ayant pas été jugées satisfaisantes, l’ordre du jour suivant fut voté par 156 voix contre 4 : « Le Sénat, résolu à faire la lumière complète sur les affaires des chemins de fer du Sud et à rechercher les responsabilités, mais regrettant les irrégularités commises dans le remplacement du juge commis à l’instruction ouverte le 6 novembre, passe à l’ordre du jour. »
- Le surlendemain, l’affaire fut portée par M. Jules Pams devant la Chambre qui adoptait, par 326 voix contre 43, un ordre du jour ainsi conçu :
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- « La Chambre, confiante dans la fermeté du gouvernement pour faire la lumière complète sur l’affaire des chemins de fer du Sud, pour rechercher toutes les responsabilités et pour faire aboutir toutes les réformes promises et attendues, passe à l’ordre du jour. »
- Le lendemain le Sénat confirmait son premier vote, et le surlendemain la Chambre renouvelait le sien.
- La question de savoir qui avait raison de M. Monis ou du Garcte des sceaux était réléguée à l’arrière plan. A vrai dire la Chambre n’en avait guère pris souci.
- Le Sénat affirmait la prétention d’obliger un ministère à se retirer lorsqu’il est atteint par un vote du Sénat ; la Chambre prenait sous sa protection le ministre blâmé par l’autre Chambre et le gouvernement tout entier qui s’était solidarisé avec lui.
- En admettant l’égalité de droit des deux Chambres, comment l’interpréter ici ? Le ministère devait-il obéir au Sénat qui lui disait : partez, ou à la Chambre qui lui disait : restez ?
- On a prétendu, toujours dans l’hypothèse de l’égalité des droits, qu’il faut bien admettre puisqu’elle est inscrite dans la Constitution, que le gouvernement aurait dû céder à l’injonction du Sénat, sans faire .appel à l’autre Chambre de la décision qui le frappait. Mais celle-ci avait bien le droit de se saisir à son tour du litige et de prononcer en toute indépendance. Si cette manière de voir était admise, il n’est pas ridicule de supposer qu’on pourrait voir le Sénat renversant les ministères qui plairaient à la Chambre, et réciproquement. Le gouvernement a pris le parti de rester, et le Sénat celui de ne pas maintenir une interpellation à laquelle, suivant les termes de la déclaration qui fut lue au nom de la majorité, « l’attitude du ministère avait d’avance refusé la sanction constitutionnelle. »
- Mais, en renonçant à poursuivre un débat désormais inutile, le Sénat a affirmé de nouveau son « droit de contrôle et la responsabilité des ministres devant les deux Chambres, » et, en restant, le gouvernemen, a implicitement proclamé que la responsabilité ministérielle ne pouvait être évoquée devant le Sénat.
- A un pareil conflit, il n’y a qu’une issue, la révision ; or, la révision est impossible sans l’adhésion du Sénat.
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- Pense-t-on que le Sénat consentirait volontiers à une révision qui donnerait la prépondérance à la Chambre du suffrage universel.
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- Il n’est pas sans intérêt de comparer le texte des ordres du jour votés par les deux Assemblées.
- L’une et l’autre tiennent à se donner devant le pays le mérite de vouloir la lumière complète sur les scandales qui préoccupent, à juste titre, l’opinion publique.
- Puis, tandis que le Sénat exprime le regret que des irrégularités aient été commises dans l’instruction judiciaire ouverte, la ^Chambre, sans faire la moindre allu-sion à ces irrégularités, proclame sa confiance dans la fermeté du gouvernement pour « faire aboutir les réformes promises et attendues par le pays. »
- Il est incontestable que ces mots visent l’attitude prise par le Sénat relativement à certains projets votés par la Chambre.
- Sans parler du projet d’impôt progressif, dont le dépôt est relativement récent, bien des projets de loi impatiemment attendus pourraient témoigner de la lenteur qu’apporte le Sénat à l’élaboration des réformes.
- Un exemple tout récent nous est fourni par le projet de loi concernant la responsabilité des accidents.
- Nous nous félicitions naguère de la bonne tournure que semblait prendre le projet.
- Mais voilà qu’en deuxième délibération, le Sénat prend en considération un contre-projet de M. Béranger, modifiant de fond en comble le principe du projet de loi. Nous n’en parlerons pas : il n’en est déjà plus question. La Commission avait donné sa démission. La nouvelle Commission a présenté un nouveau projet qui n’était ni le projet primitif ni le contre projet Bérenger et la discussion, a été reprise sur ce nouveau texte qui n’a que de lointains rapports avec celui de la Chambre, ce qui veut dire que la loi sur les accidents du travail, dont l’initiative remonte à 1880, n’est pas encore sur le point d’être promulguée.
- Ces coups de théâtre qui remettent tout en question, au moment où l’on s’y attend le moins, risquent fort de porter préjudice à la réputation que l’on a faite au Sénat de ne garder longtemps par devers lui les pro*
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- jets qu’on lui envoie que pour mieux les examiner, afin de les rendre plus viables ; car ce traitement révélerait plutôt l'incohérence ou le mauvais vouloir.
- Autre exemple : la loi sur les sociétés coopératives et le contrat de participation, qui fut présentée pour la première fois à la Chambre le 16 juillet 1888, et qui est revenue au Sénat pour la troisième fois, vient de trébucher sur la question des patentes, présentée par M. Félix Martin, après avoir évité le piège que lui tendait M. Marcel Barthe,. sur la question des adhérents. M. Lourties qui l’avait si vaillamment guidée jusqu’ici rend le tablier. Et cependant on croyait bien toucher au but. Il ne restait plus entre la Chambre et le Sénat de divergences que sur trois points : les cessions de sociétés coopératives, les économats de chemins de fer et les sociétés coopératives mixtes agricoles.
- On pourrait multiplier les exemples, ils prouveraient certainement que le Sénat n’aborde pas l’examen des projets de loi qui doivent constituer le code du travail avec les mêmes dispositions que la Chambre. L’état d’esprit de la Chambre est plus socialiste que celui du Sénat. Sans doute la Chambre est fondée à reprocher au Sénat ses lenteurs et son mauvais vouloir; mais il ne faudrait pas qu’elle oubliât que sa bonne volonté ’à elle, ne se manifeste pas par de nombreux résultats tangibles.
- En somme, en cherchant bien parmi les lois adoptées an cours de la législation actuelle, jusqu’au 31 décembre 1895, nous ne trouvons guère dans le domaine de la législation que les les lois suivantes qui soient devenues définitives :
- Loi sur les caisses de secours et de retraites des ouvriers mineurs (29 juin 1894) ; loi relative aux habitations à bon marché (30 novembre) ; loi portant rectification de la loi du 29 juin 1894 sur les caisses de secours et de retraites des ouvriers mineurs (19, décembre) ; loi relative à la saisie-arrêt sur les salaires et Petits traitements des ouvriers et employés (12 janvier 1895); loi sur les caisses d’épargne (20 juillet) ; loi concernant les caisses de retraites de; secours et Me prévoyance fondées au profit des employés et .ouvriers (27 décembre) ; loi relative à la majoration des pensions fie la caisse nationale des retraites (31 décembre 1895).
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- FRANCE
- Le Recensement
- Le recensement quinquennal de la population a eu lien le 29 mars.
- Cette opération avait cette année une importance très grande; car, dans-les questionnaires soumis aux citoyens, ont été introduites certaines demandes fort intéressantes qui permettront d’avoir une idée plus complète de la répartition du Travail en France.
- C’est ainsi qu’une place particulière a été faite aux renseignements relatifs à la profession et de cette répartition professionnelle, établie d’après une méthode qu’une commission spéciale étudia longuement, on espère obtenir des indications essentielles sur les intérêts économiques et sociaux du pays, comme aussi de sérieux éléments pour la préparation de certains projets de loi.
- C’est YOffice du Travail qui opérera le dépouillement des réponses concernant les professions.
- Ce n’est pas la première fois pourtant, que cette recherche de la répartition de la population par profession, est faite.
- Elle avait été opérée à chaque recensement quinquennal, au moins depuis 1851 ; mais les chiffres obtenus dans ces enquêtes semblaient fort sujets à caution.
- Cette fois on a serré de près les questions, on les a nettement formulées.
- Les voici :
- Quel est votre professsion ?
- Précisez : par exemple, si vous êtes agriculteur, dites si vous êtes « propriétaire exploitant, fermier, métayer, journalier agricole, » etc...
- Si vous fabriquez dans vos ateliers (ne vous appelez fabricant que dans ce cas), dites : fabricant de... (tel ou tel objet), dites ainsi : raffineur de sucre, entrepreneur de..., réparateur de....
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- Ou pour désigner un commerce, dites « négociant en... » marchand de..., etc.
- Précisez aussi pour les professions libérales ; dites « instituteur public, instituteur privé, » artiste peintre, « artiste lyrique, » etc.
- Si vous êtes employé, ouvrier, dites exactement votre métier, votre spécialité : « dessinateur sur étoffes, tourneur en bois, tailleur de pierres, » etc.
- Ces exemples extraits du bulletin individuel qui a été adressé à chaque citoyen sont accompagnés de notes complémentaires ou explicatives dont voici les principales :
- Dites si vous êtes patron, chef d’établissement, dans une profession agricole, industrielle, commerciale, libérale ou bien ouvrier à façon travaillant chez vous.
- Raison sociale, nom, adresse de l’établissement ou de l’entreprise que vous dirigez.
- Combien de personnes occupez-vous actuellement, au total, dans cet établissement.
- Si vous travaillez sous la direction d’autrui, ou au service d’autrui, comme : ingénieur, employé, ouvrier, journalier, garçon, apprenti, domestique, etc.
- Nom, adresse du patron ou de l’entreprise qui vous emploie.
- Nature de la profession, industrie ou commerce, du patron qui vous emploie.
- Ces explications complémentaires permettaient à chaque travailleur de répondre assez clairement en ce qui concerne son genre de travail.
- ‘ ***
- SUISSE
- L’assurance contre les maladies et les accidents
- Les Chambres suisses examineront prochainement deux projets de loi dont elles ont été saisies par le Conseil fédéral, sur l’assurance contre les maladies et les accidents.
- En voici l’économie succincte : tout salarié des deux sexes, âgé de plus de quatorze ans et dont le gain annuel ne dépasse pas 5.000 francs, sera obligatoirement assuré contre les conséquences économiques de
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- LE DEVOIR
- ses maladies et des accidents qui pourraient lui survenir.
- L’assuré recevra gratuitement les soins médicaux ainsi qu’une indemnité de chômage. En cas d’accident entraînant une infirmité durable, il aura droit à une rente égale aux deux tiers de son gain.
- Les charges de l’assurance sont réparties entre la Confédération, les assurés et leurs employeurs.
- TRANSVAAL
- Au moment où l’attention publique est fixée sur la vaillante République sud-africaine, il nous paraît intéressant de donner quelques détails sur la Constitution du petit peuple Boër. Ces détails sont empruntés par un correspondant du Journal de Genève à l'Official Hand-book of the Cape.
- Le président de la République du Transvaal, à l’heure qu’il est M. S.-J.-P. Krüger, est élu par la majorité des burgliers ; il a charge du pouvoir exécutif, dont il est responsable vis-à-vis des Chambres (Volksraad) ; il propose les lois qui lui semblent nécessaires ou qui lui sont suggérées par les burghers ; il doit chaque année visiter toutes les villes de la République et il ne peut pas s’absenter du pays sans le consentement des Chambres.
- Le président exerce le pouvoir conjointement avec le conseil exécutif, qui se compose du commandant-général, M. J.-P. Joubert, ce dernier nommé par le peuple pour dix ans ; de deux membres non officiels choisis par le Volksraad pour deux ans et du secrétaire d’Etat élu par le Volksraad pour quatre ans. Le superintendant « of Native affairs » et le « keeper of the minutes.)) sont ex officio membres dudit conseil. En outre, le président peut inviter les différents chefs de départements à être présents et à émettre un vote au conseil exécutif, pour ce qui regarde leur département respectif.
- Le président de la République et les membres du Conseil exécutif ont un siège dans les deux Chambres, mais ils n’ont pas le droit de vote,
- Chacune des deux Chambres se compose de vingt quatre citoyens âgés d’au moins trente ans, propriétaires, et qui se rattachent à l’Eglise protestante.
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- Les arrêtés que prend la deuxième Chambre doiveilt être, dans les quarante-huit heures, notifiés au président de la République, ainsi qu’à la première Chambre; cette dernière peut, de son propre mouvement ou sur pavis du président, revenir sur les décisions de la deuxième Chambre, et les confirmer ou les désavouer.
- Le hollandais est la langue officielle.
- Le président de la République reçoit un traitement annuel de deux cent mille francs, sans compter une allocation de sept mille cinq cents francs, en partie, paraît-il, pour compenser le café que le président offre aux personnes qu’il reçoit en audience le matin, entre six et huit heures, ou le soir.
- Le correspondant du Journal de Genève ajoute :
- Les trois quarts de la population du Transvaal, qui se monte à quelques centaines de milliers d’habitants, se composent d’étrangers (uitlanders) en général intelligents, énergiques et entreprenants ; à l’heure qu’il est, ils sont entièrement tenus en dehors des affaires du pays. Johanesburg, la « ville d’or, » qui a été sur le point, ces jours derniers, d’être réduite à feu et à sang, leur doit pourtant son existence; en effet, ce sont les uitlanders, les étrangers, qui ont découvert et mis en exploitation ce district aurifère et, comme me le disait l’un des premiers Européens arrivés dans ces parages, l’emplacement où s’élève aujourd’hui cette ville bien construite était, il y a dix ans, une vaste plaine.
- D’un autre côté, les Boërs craignent, peut-être avec raison, que le Transvaal ne perde son indépendance, une fois que les étrangers pourront arriver facilement à la dignité de « hurgliers, » soit de citoyens.
- Alfred Bertrand.
- BELGIQUE La Croix-Rouge
- L'Indépendance belge annonçait naguère que la Croix-Rouge. belge était sur le point de prendre une initiative bien intéressante.
- Jusqu’ici, la Croix-Rouge n’a guère fonctionné que sur tes champs de bataille, prodiguant ses soins aux mili-
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- LE DEVOIR
- taires blessés et malades, conformément à la mission essentielle que lui confère la convention de Genève du 22 août 1864. Désormais, si le nouveau projet est admis, la Croix-Rouge opérera en temps de paix comme en temps de guerre, secourra les civils comme les soldats, aura son utilité de chaque jour. •
- Ce sont deux honorables médecins de l’ambulance de Bruxelles, MM. Robinet et Janvier, qui ont conçu cette idée de faire intervenir la Croix-Rouge dans l’organisation du service de secours et au profit des victimes de collisions de chemins de fer, de coups de grisoup.. de tous accidents qui requièrent de rapides secours: bien et promptement organisés. M.< Janvier soumettra prochainement au comité directeur de la (Croix-Rouge un projet de mobilisation du matériel et du personnel de la Société, de façon à lui permettre d’exercer son action en faveur des victimes de toute catastrophe ou calamité publique se produisant dans Bruxelles ou la banlieue, voire sur des points beaucoup plus éloignés.
- Aussitôt un sinistre signalé, la Croix-Rouge, nantie d’une autorisation du ministre de la guerre, requerrait d’urgence des chevaux et des conducteurs de l’armée, et, avec l’autorisation du ministre des chemins de fer, se servirait des transports de l’Etat pour diriger ses voitures d’ambulance et son matériel sur le lieu de l’accident.
- PAYS DIVERS
- Les progrès de la Télégraphie
- Le Board of trade anglais vient de publier une note intéressante sur les progrès réalisés par la télégraphie dans les vingt-cinq années qui viennent de s’écouler.
- Si l’on remonte à l’origine de ce merveilleux moyen d’intercommunication, l’Allemagne serait la première contrée où une ligne télégraphique aurait été mise en service ; l’ouverture de cette ligne remonte à 1833. En Angleterre, le premier essai pratique de télégraphie fut fait le 25 juillet 1837, par Cooke et Weastone, entre Eus-ton et Camden, sur le London and North-Western railway, < et la première ligne télégraphique mise en service fut celle entre Paddington et West-Drayton, sur le Great-Western, ouverte en 1838.
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- Les Etats-Unis adoptèrent le télégraphe en 1844; puis, dans l’ordre chronologique, la Belgique, l’Autriche, l’Italie, les Pays-Bas, la Suisse, la Suède, le Danemark, la Norvège et l’Espagne. Dans ce dernier pays, la première ligne ne fut mise en service que le 1er mai 1858. Les renseignements manquent pour la Russie.
- Bien que l’origine de la télégraphie électrique se trouve dans les recherches scientifiques françaises, c’est en 1845 seulement que les travaux de Bréguet et la construction de son remarquable appareil lui donnèrent l’essor en France.
- En 1870, la Grande-Bretagne venait en tête des nations pour le nombre des dépêches, avec 9.350.000 dépêches; la Norvège étant le pays où ce nombre était le plus faible, 466.700. En 1892, c’est encore la Norvège qui a le moins de dépêches, mais leur nombre s’élève à 1.649.544; le Royaume-Uni conserve le premier rang avec 69.908!000 dépêches, alors que les Etats-Unis n’en ont que 62.387.298. L’Allemagne prend le quatrième rang, . avec 31.175.000 dépêches; l’Autriche, le cinquième avec 10.835.302, et l’Italie, le septième avec 8.322.925. Les données manquent pour la France en 1892, mais pour 1891 le nombre des dépêches était de 32.397.000.
- Par rapport à la population, c’est l’Angleterre qui tient le premier rang statistique avec 1,8 dépêches par habitant; vient ensuite la Suisse ayec 1,2?, puis (la France, les Etats-Unis, les Pays-Bas et la Belgique avec 0,9 dé; pêche par habitant. , . .„M ,tl ( si.
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- LE DEVOIR
- MOUVEMENT FÉMINISTE
- FRANCE
- Les droits civils des femmes
- La Chambrée : « La Solidarité », de Nimes, a envoyé' l’Adresse suivante :
- « A Madame Jeanne Schmahl, Directrice de « L’Avant-Courrière ».
- » Madame,
- » A propos du vote de la Chambre des députés, donnant à la femme mariée le droit de recevoir les sommes provenant de son travail personnel et d’en disposer librement, nous venons, Madame, vous présenter nos très-sincères félicitations.
- » Nous ne saurions oublier que, la première, vous avez conduit en faveur de cette utile réforme une campagne aussi prudente qu’énergique et nous sommes heureux de constater que votre logique et votre amour du droit ont pu triompher enfin de l’inertie et de l’indifférence de nos législateurs.
- » Nous rougissons un peu en songeant qu’après plus de vingt ans de régime républicain, quatre années de démarches et de pétitions multipliées ont encore été nécessaires pour faire admettre cette idée si juste si simple : Une femme mariée doit pouvoir disposer des fruits de son propre travail — la plupart du temps si péniblement amassés — sans qu’un mari paresseux et peut-être ivrogne ou débauché puisse légalement les lui arracher et en disposer selon sa fantaisie.
- » L’ancien droit du mari sur les gains de sa femme — droit inique et monstrueux — était un vestige du vieux droit Romain oublié dans notre législation; par son vote et sans discussion la Chambre vient de l’effacer; pour l’honneur de notre pays, nous espérons que le Sénat imitera la Chambre.
- » El, à ce propos, permettez-nous de rappeler ici un cas à peu près semblable.
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- MOUVEMENT FÉMINISTE
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- )> Vers la fin du deuxième Empire, il existait encore dans notre code civil un article 1781 ainsi conçu : « Le maître est cru sur son affirmation pour la quotité des gages, pour le paiement du salaire de l’année échue et pour les à-comptes donnés pour l’année courante. »
- » Cet article, reste aussi de l’ancien droit Romain, avait survécu au premier Empire, aux règnes de Charles X et de Louis-Philippe, au gouvernement républicain de 1848 et à la plus grande partie du règne de Napoléon III. Vers 1867, sur la proposition du gouvernement il fut aboli et à l’unanimité par la Chambre et le Sénat.
- » L’inique privilège du mari sur le salaire de sa femme disparaîtra de même, sans qu’une voix s’élève pour le défendre, et c’est à votre initiative que nous le devrons.
- » Veuillez en recevoir, Madame, nos'plus chaudes félicitations.
- » Le secrétaire de la Chambrée : « La Solidarité, » » Signé : Armand César. »
- Les enfants et les débits de boissons
- Nous empruntons au procès-verbal du groupe « La Solidarité des Femmes », publié par le Journal des Femmes, le passage suivant, qui a trait à l’une des questions les plus palpitantes de l’heure présente :
- A l’occasion d’une lettre de Mme Griess-Traut, lettre ayant donné lieu à cette partie de l’ordre du jour : « les enfants et les débits de boissons », le Groupe a décidé qu’en présence de l’atroce fléau qu’est l’alcoolisme, et des résultats qu’il produit, il importe de faire tout le possible pour combattre la dégradation héréditaire qu’amène l’ivrognerie. A l’unanimité, la Solidarité nomme une commission composée de Mmes Brisset, Chapuis, Maria Martin, Potonié-Pierre et Legrain, (on demandera l’adjonction de cette dernière) afin de présenter au Conseil municipal un document dont voici le texte :
- « Considérant les progrès de l’alcoolisme, grâce à la multiplicité des débits de boissons et aux falsifications exercées sur les boissons alcoolisées;
- w Considérant le nombre des cas de folie et des morts Prématurées qu’amènent chaque jour davantage les abus de l’alcool;
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- LE DEVOIR
- » Considérant surtout les ravages qu’étend l’ivrognerie des parents sur les pauvres êtres qui naissent d’eux, atteints constitutionnellement d’hystérie» d’épilepsie, de tuberculose, de troubles mentaux, de dégénérescence enfin ; 1
- » Considérant que si les femmes étaient admises à faire partie des conseils des communes, elles prendraient les mesures nécessaires pour mettre un frein à ce fléau terrible, qui mène à l’abrutissement les pères, les maris, qui flétrit dans les entrailles des mères l’enfant né d’un père alcoolique, qui introduit dans les familles les querelles, le trouble, le désespoir et la misère ;
- » La Solidarité, en attendant l’obtention par des femmes du droit municipal féminin, vient avec instance représenter la nécessité qu’il y a pour les édiles, à qui sont confiés les intérêts de Paris, de poursuivre une campagne anti-alcoolique, cela, par tous les moyens qu’ils jugeront à ! propos, les enfants participant trop souvent aux vices de parents ivrognes ou recevant d’eux, avec la vie, un héritage de maladies incurables. »
- ***
- Un nouveau groupe féministe vient de se former à Paris : « L’Union des femmes ouvrières. »
- La Ligue française pour le Droit des femmes est en
- instance auprès des pouvoirs publics pour obtenir :
- Qu’il soit fait une part aux femmes dans les prochaines nominations des délégations cantonales ;
- Que quelques noms de femmes soient inscrits dans la prochaine liste des membres de la commission scolaire qui doit être dressée par les maires des arrondissements de Paris.
- ** * 1
- Le Jury mixte '
- Le groupe féministe « La Solidarité des femmes » avait, dans une pétition à la Chambre, demandé le droit pour les femmes de faire partie du jury criminél. La commission parlementaire des pétitions a conclu au rejet de cette pétition, en faisant remarquer « que le nombre croissant des crimes passionnels» n’est pas
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- un motif suffisant pour justifier l’admission des femmes « dans le jury. »
- Puisque ce motif n’était pas suffisant, pourquoi la commission des pétitions n’a-t-elle pas tenu compte des autres motifs aussi plausibles que les pétitionnaires faisaient valoir?
- Protestation contre les massacres d’Arménie.
- Le Comité d’organisation du Congrès féministe et international a, dans sa séance du 1er mars, voté la protestation suivante :
- « Nous', Comité d’organisation du Congrès féministe international, nous venons par la voie de la presse, protester devant l’opinion en faveur des populations de l’Arménie, nos sœurs et frères froidement exterminés.
- » Contre ce crime de lèse-humanité, il est de notre devoir de manifester énergiquement notre indignation.
- » Nous, Françaises, non plus que les femmes des autres contrées qui se sont adressées aux pouvoirs législatifs de leur pays, nous ne saurions rester insensibles, ni inertes, devant une telle violation des lois élémentaires de la nature, de la famille, de l’humanité. Nous, femmes exclues de tous droits politiques ou législatifs, il nous reste du moins le droit imprescriptible, sacré, humain, sur lequel nous nous appuyons.»
- Le Comité :
- La Solidarité des Femmes, la Ligue française pour le Droit des femmes, Les Amis de l’Adolescence du 18m" arrondissement, l’Egalité, l’Emancipation humaine de Rouen, la Fédération française de la Libre-Pensée, la Fédération des Travailleurs socialistes , le Groupe Etienne Dolet, la Ligue du Bien Public, la Loge mixte, le Droit humain, la Maison maternelle, l’Œuvre philanthropique de Belleville, le Patronage du 6n,e arrondissement, la Société pour l’amélioration du sort de la femme et la revendication de ses droits, le Syndicat de l’enseignement, le Syndicat de presse féministe, l’Union phalanstérienne de l’Ecole sociétaire, l’Union internationale des sciences et des arts, l’Union universelle des femmes.
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- LE DEVOIR
- SANS FAMILLE
- Par Hector MALOT
- Ouvrage couronné par l’Académie française
- (Suite)
- C’était bien l’eau; elle venait du côté du puits, remontant la galerie. Ce bruit formidable, ce grondement, étaient donc produits par une chute d’eau qui se précipitait dans la mine.
- Abandonnant ma benne sur les rails, je courus au chantier.
- — Oncle Gaspard, l’eau est dans la mine!
- — Encore des bêtises !
- — Il s’est fait un trou sous la Divonne; sauvons-nous !
- — Laisse-moi tranquille !
- — Ecoutez donc !
- Mon accent était tellement ému que l’oncle Gaspard resta le pic suspendu pour écouter; le même bruit continuait toujours plus fort, plus sinistre. Il n’y avait pas à se tromper, c’était l’eau qui se précipitait.
- — Cours vite, me cria-t il, l’eau est dans la mine.
- Tout en criant : « l’eau est dans la mine, » l’oncle Gaspard avait saisi sa lampe, car c’est toujours là le premier geste d’un mineur, et il se laissa glisser dans la galerie.
- Je n’avais pas fait dix pas que j’aperçus le magister qui descendait aussi dans la galerie pour se rendre compte du bruit qui l’avait frappé.
- — L’eau dans la mine ! cria l’oncle Gaspard.
- — La Divonne a fait un trou, dis-je.
- — Es-tu bête.
- — Sauve-toi ! cria le magister.
- Le niveau de l’eau s’était rapidement élevé dans la galerie ; elle montait maintenant jusqu’à nos genoux, ce qui ralentissait notre course.
- Le magister se mit à courir avec nous et tous trois nous criions en passant devant les chantiers :
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- SANS FAMILLE
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- — Sauvez-vous ! l’eau est dans la mine!
- Le niveau de l’eau s’élevait avec une rapidité furieuse : heureusement nous n’étions pas très éloignés des échelles, sans quoi nous n’aurions jamais pu les atteindre. Le magister y arriva le premier, mais il s’arrêta :
- — Montez d’abord, dit-il, moi je suis le plus vieux, et puis j’ai la conscience tranquille.
- Nous n’étions pas dans les conditions à nous faire des politesses ; l’oncle Gaspard passa le premier, je le suivis, et le magister vint derrière, puis après lui, mais à un assez long intervalle, quelques ouvriers qui nous avaient rejoints.
- Jamais les quarante mètres qui séparent le deuxième niveau du premier, ne furent franchis avec une pareille rapidité. Mais avant d’arriver au dernier échelon un flot d’eau nous tomba sur la tête et noya nos lampes. C’était une cascade.
- — Tenez bon ! cria l’oncle Gaspard.
- Lui, le magister et moi nous nous cramponnâmes assez solidement aux échelons pour résister, mais ceux qui venaient derrière nous furent entraînés, et bien certainement si nous avions eu plus d’une dizaine d’échelons à monter encore nous aurions, comme eux, été précipités, car instantanément la cascade était devenue une avalanche.
- Arrivés au premier niveau nous n’étions pas sauvés, car nous avions encore cinquante mètres à franchir avant de sortir, et l’eau était aussi dans cette galerie ; nous étions sans lumière, nos lampes éteintes.
- — Nous sommes perdus, dit le magister d’une voix presque calme, fais ta prière, Remi.
- Mais au. même instant, dans la galerie parurent sept ou huit lampes qui accouraient vers nous ; l’eau nous arrivait déjà aux genoux, sans nous baisser nous la touchions de la main. Ce n’était pas une eau tranquille, mais un torrent, un tourbillon qui entraînait tout sur son passage et faisait tournoyer des pièces de bois comme des plumes.
- Les hommes qui accouraient sur nous, et dont nous avions aperçu les lampes, voulaient suivre la galerie et gagner ainsi les échelles et les escaliers qui se trouvaient près de là, mais devant pareil torrent, c’était impossible ; comment le refouler, comment même ré-
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- sister à son impulsion et aux pièces de boisage qu’u charriait. '
- Le même mot qui avait échappé au magister leur échappa aussi :
- — Nous sommes perdus !
- Ils étaient arrivés jusqu’à nous.
- — Par là, oui, cria le magister qui seul entre nous paraissait avoir gardé quelque raison, notre unique refuge est aux vieux travaux.
- Les vieux travaux étaient une partie de la mine abandonnée depuis longtemps et où personne n’allait, mais que le magister, lui, avait souvent visitée lorsqu’il était à la recherche de quelque curiosité.
- — Retournez sur vos pas, cria t-il, et donnez-moi une lampe, que je vous conduise.
- D’ordinaire quand il parlait on lui riait au nez ou bien on lui tournait le dos en haussant les épaules, mais les plus forts avaient perdu leur force, qui les rendaient si fiers, et à la voix de ce vieux bonhomme dont ils se moquaient cinq minutes auparavant ils obéirent ; instinctivement to.utes les lampes lui furent tendues.
- Vivement, il en saisit une d’une main, et m’entraînant de l’autre, il prit la tête de notre troupe.. Gomme nous allions dans le même sens que le courant nous marchions assez vite.
- Après avoir suivi la galerie pendant quelques instants, je ne sais si ce fut durant quelques minutes ou quelques secondes, car nous n’avions plus la notion du temps, il s’arrêta.
- — Nous n’avons pas le temps, cria-t-il, l’eau monte trop vite.
- En effet, elle nous gagnait à grands pas : des genoux elle m’était arrivée aux hanches, des hanches à la poi trine.
- — Il faut nous jeter dans une remontée, dit le magister.
- — Et après ?
- — La remontée ne conduit nulle part.
- Se jeter dans la remontée c’était prendre en effet un cul-de-sac ; mais nous n’étions pas en position d’attendre et de choisir ; il fallait ou prendre la remontée et avoir ainsi quelques minutes devant soi, c’est-à-dire
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- l’espérance de se sauver, ou continuer la galerie avec la certitude d’être engloutis, submergés en peu de secondes.
- Le magister à notre tète, nous nous engageâmes donc dans la remontée. Deux de nos camarades voulurent pousser dans la galerie et ceux-là, nous ne les revîmes jamais.
- Alors reprenant conscience de la vie, nous entendîmes un bruit qui assourdissait nos oreilles depuis que nous avions commencé à fuir et que cependant nous n’avions pas encore entendu : des éboulements, des tourbillonnements et des chutes d’eau, des éclats des boisages, des explosions d’air comprimé ; c’était dans toute la mine un vacarme épouvantable qui nous anéantit.
- — C’est le déluge !
- — La fin du monde !
- — Mon Dieu ! ayez pitié de nous !
- Depuis que nous étions dans la remontée, le magister n’avait pas parlé, car son âme était au-dessus des plaintes inutiles.
- — Les enfants, dit-il, nous ne devons pas nous fatiguer ; si nous restons ainsi cramponnés des pieds et des mains, nous ne tarderons pas à nous épuiser ; il faut nous creuser des points d’appui dans le schiste.
- Le conseil était juste, mais difficile à exécuter, car personne n’avait emporté un pic ; tous nous avions nos lampes, aucun de nous n’avait un outil.
- — Avec les crochets de nos lampes, continua le magister.
- Et chacun se mit à entamer le sol avec le crochet de sa lampe ; la besogne était malaisée, la remontée étant très inclinée et glissante. Mais quand on sait que si l’on glisse on trouvera la mort au bas de la glissade, cela donne des forces et de l’adresse. En moins de quelques minutes, nous eûmes tous creusé un trou de manière à y poser notre pied.
- Gela fait, on respira un peu et l’on se reconnut. Nous étions sept : le magister, moi près de lui, l’oncle Gaspard, trois piqueurs nommés Pagès, Compeyrou eh Bergounhoux, et un rouleur, Carrory ; les autres ouvriers avaient disparu dans la galerie.
- Les bruits dans la mine continuaient avec la même
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- violence : il n’y a pas de mots pour rendre l’intensité de cet horrible tapage, et les détonations du canon se mêlant au tonnerre et à des éboulements n’en eussent pas produit un plus formidable.
- Effarés, affolés d’épouvante, nous nous regardions, cherchant dans les yeux de notre voisin des explications que notre esprit ne nous donnait pas.
- — C’est le déluge, répétait l’un.
- — Un tremblement de terre.
- — Le génie de la mine, qui se fâche et veut se venger.
- — Une inondation par l’eau amoncelée dans les vieux travaux.
- — Un trou que s’est creusé la Divonne.
- Cette dernière hypothèse était de moi. Je tenais à mon trou.
- Le magister n’avait rien dit ; et il nous regardait les uns après les autres, haussant les épaules, comme s’il eût discuté la question en plein jour, sous l’ombrage d’un mûrier, en mangeant un oignon.
- — Pour sûr c’est une inondation, dit-il enfin et le dernier, alors que chacun eût émis son avis.
- — Causée par un tremblement de terre.
- — Envoyée par le génie de la mine.
- — Venue des vieux travaux.
- — Tombée de la Divonne par un trou.
- Chacun allait répéter ce qu’il avait déjà dit.
- — C’est une inondation, continua le magister.
- — Eh bien, après ? d’où vient-elle, dirent en même temps plusieurs voix.
- — Je n’en sais rien ; mais quant au génie de la mine, c’est des bêtises; quant aux vieux travaux, ça ne serait possible que si le troisième niveau seul avait été inondé, mais le second l’est et le premier aussi : vous savez bien que l’eau ne remonte pas et qu’elle descend toujours.
- — Le trou.
- — Il ne se fait pas de trous comme ça, naturellement.
- — Le tremblement de terre.
- — Je ne sais pas,
- — Alors si vous ne savez pas, ne parlez pas.
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- — Je sais que c’est une inondation et c’est déjà quelque chose, une inondation qui vient d’en haut.
- — Pardi ! ça se voit, l’eau nous a suivis.
- Et comme une sorte de sécurité nous était venue depuis que nous étions à sec et que l’eau ne montait plus, on ne voulut plus écouter le magister.
- — Ne fais donc pas le savant, puisque tu n’en sais pas plus que nous.
- L’autorité que lui avait donnée sa fermeté dans le danger était déjà perdue. Il se tut.
- Pour dominer le vacarme, nous parlions à pleine voix et cependant notre voix était sourde.
- — Parle un peu, me dit le magister.
- — Que voulez-vous que je dise?
- — Ce que tu voudras, parle seulement, dis les premiers mots venus.
- Je prononçai quelques paroles.
- — Bon, plus doucement maintenant. C’est cela. Bien.
- — Perds-tu la tête, eh ! magister ! dit Pagès.
- — Deviens-tu fou de peur ?
- — Crois-tu que tu es mort ?
- — Je crois que l’eau ne nous gagnera pas ici, et que si nous mourons, au moins nous ne serons pas noyés.
- — Ça veut dire, magister?
- — Regarde ta lampe.
- — Eh bien, elle brûle.
- — Comme d’habitude ?
- — Non ; la flamme est plus vive, mais courte.
- — Est-ce qu’il y a du grisou ?
- — Non, dit le magister, cela non plus n’est pas à craindre; pas plus de danger par le grisou que par l’eau qui maintenant ne montera pas d’un pied.
- — Ne fais donc pas le sorcier.
- — Je ne fais pas le sorcier ; nous sommes dans une cloche d’air et c’est l’air comprimé qui empêche l’eau de monter; la remontée fermée à son extrémité fait Pour nous ce que fait la cloche à plongeur : l’air refoulé par les eaux s’est amoncelé dans cette galerie 6t maintenant il résiste à l’eau et la refoule.
- En entendant le magister nous expliquer que nous étions dans une sorte de cloche à plongeur où l’eau
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- ne pouvait pas monter jusqu’à nous parce que l’air l’arrêtait, il y eut des murmures d’incrédulité.
- — En voilà une bêtise ! est-ce que l’eau n’est pas plus forte que tout?
- — Oui, dehors, librement ; mais quand tu jettes ton verre, la gueule en bas, dans un seau plein, est-ce que l’eau va jusqu’au fond de ton verre? Non, n’est-ce pas, il reste un vide. Eh bien ! ce vide est maintenu par l’air. Ici, c’est la même chose ; nous sommes au fond du verre, l’eau ne viendra pas jusqu’à nous.
- — Ça, je le comprends, dit l’oncle Gaspard, et j’ai dans l’idée, maintenant, que vous aviez tort, vous autres, de vous moquer si souvent du magister ; il sait des choses que nous nous ne savons pas.
- — Nous sommes donc sauvés ! dit Carrory.
- — Sauvés? je n’ai pas dit ça. Nous ne serons pas noyés, voilà ce que je vous promets. Ce qui nous sauve, c’est que la remontée étant fermée, l’air ne peut pas s’échapper ; mais c’est précisément ce qui nous sauve qui nous perd en même temps; l’air-ne peut pas sortir : il est emprisonné, mais nous aussi, nous< sommes emprisonnés, nous ne pouvons pas sortir.
- — Quand l’eau va baisser...
- — Va-t-elle baisser? je n’en sais rien : pour savoir ça il faudrait savoir comment elle est venue, et qui est-ce qui peut le dire?
- — Puisque tu dis que c’est une inondation?
- — Eh bien ! après ? c’est une inondation, ça c’est sûr ; mais d’où vient-elle ? est-ce la Divonne qui a débordé jusqu’aux puits, est-ce un orage, est-ce une source qui a crevé, est-ce un tremblement de terre ? Il faudrait être dehors, pour le dire, et par malheur nous sommes dedans.
- — Peut-être que la ville est emportée?
- — Peut être...
- Il y eut un moment de silence et d’effroi.
- Le bruit de l’eau avait cessé, seulement, de temps en temps, on entendait à travers la terre des détonations sourdes et l’on ressentait comme des secousses.
- — La mine doit être pleine, dit le magister, l’eau ne s’y engouffre plus.
- — Et Marius ! s’écria Pagès avec désespoir.
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- Marius, c’était son fils, piqueur comme lui, qui travaillait à la mine, dans le troisième niveau. Jusqu’à ce moment, le sentiment de la conservation personnelle l’avait empêché de penser à son fils ; mais le mot du magister : « la mine est pleine » l’avait arraché à lui-même.
- — Marius! Marius! cria-t-il avec un accent déchirant; Marius !
- Rien ne répondit, pas même l’écho ; la voix assourdie ne sortit pas de notre cloche.
- — Il aura trouvé une remontée, dit le magister ; cent cinquante homme noyés, ce serait trop horrible ; le bon Dieu ne le voudra pas.
- Il me sembla qu’il ne disait pas cela d’une voix convaincue. Cent cinquante hommes au moins étaient descendus le matin dans la mine : combien avaient pu remonter par les puits ou trouver un refuge, comme nous ! Tous nos camarades perdus, noyés, morts. Personne n’osa plus dire un mot.
- Mais dans une situation comme la nôtre, ce n’est pas la sympathie et la pitié qui dominent les coeurs ou dirigent les esprits.
- — Eh bien! et nous, dit Bergounhoux, après un moment de silence, qu’est-ce que nous allons faire !
- — Que veux-tu faire ?
- — Il n’y a qu’à attendre, dit le magister.
- — Attendre quoi ?
- — Attendre ; veux-tu percer les quarante ou cinquante mètres qui nous séparent du jour avec ton crochet de lampe ?
- — Mais nous allons mourir de faim.-
- — Ce n’est pas là qu’est le plus grand danger.
- — Voyons, magister, parle, tu nous fais peur ; où est le danger, le grand danger ?
- — La faim, on peut lui résister ; j’ai lu que des ouvriers, surpris comme nous par les eaux, dans une mine, étaient restés vingt-quatre jours sans manger : ^ y a bien des années de cela, c’était du temps des guerres de religion ; mais ce serait hier, ce serait la uième chose. Non, ce n’est pas la faim qui me fait peur.
- ~~ Qu’est-ce qui te tourmente, puisque tu dis que les eaux ne peuvent pas monter ?
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- LE DEVOIR
- — Vous sentez-vous des lourdeurs dans la tête, des bourdonnements; respirez-vous facilement? moi, non.
- — Moi, j’ai mal à la tète.
- — Moi, le cœur me tourne.
- — Moi, les tempes me battent.
- — Moi, je suis tout bête.
- — Eh bien ! c’est là qu’est le danger présentement. Combien de temps pouvons-nous vivre dans cet air? Je n’en sais rien. Si j’étais un savant au lieu d’être un ignorant, je vous le dirais. Tandis que je ne le sais pas. Nous sommes à une quarantaine de mètres sous terre, et probablement, nous avons trente-cinq ou quarante mètres d’eau au-dessus de nous : cela veut dire que l’air subit une pression de quatre ou cinq atmosphères. Comment vit-on dans cet air comprimé? voilà ce qu’il faudrait savoir et ce que nous allons apprendre à nos dépens, peut-être.
- Je n’avais aucune idée de ce que c’était que l’air comprimé, et précisément pour cela, peut-être, je fus très effrayé des paroles du magister ; mes compagnons me parurent aussi très affectés de ces paroles ; ils n’en savaient pas plus que moi, et, sur eux comme sur moi, l’inconnu produisit son effet inquiétant.
- Pour le magister, il ne perdait pas la conscience de notre situation désespérée, et quoiqu’il la vit nettement dans son horreur, il ne pensait qu’aux moyens à prendre pour organiser notre défense.
- — Maintenant, dit-il, il s’agit de nous arranger pour rester ici sans danger de rouler à l’eau.
- — Nous avons des trous.
- — Croyez-vous que vous n’allez pas vous fatiguer de rester dans la même position.
- — Tu crois donc que nous allons rester ici longtemps ?
- — Est-ce que je sais !
- — On va venir à notre secours.
- — C’est certain, mais pour venir à notre secours, il faut pouvoir. Combien de temps s’écoulera, avant qu’on commence notre sauvetage ? Ceux-là seuls qui sont sur la terre, peuvent le dire. Nous qui sommes dessous, il faut nous arranger pour y être le moins mal possible, car si l’un de nous glisse, il est perdu.
- — Il faut nous attacher tous ensemble.
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- — Et des cordes.
- — Il faut nous tenir par la main.
- — M’est avis que le mieux est de nous creuser des paliers comme dans un escalier ; nous sommes sept, sur deux paliers nous pourrons tenir tous ; quatre se placeront sur le premier, trois sur le second.
- — Aveb quoi creuser ?
- — Nous n’avons pas de pic.
- — Avec nos crochets de lampes dans le poussier, avec nos couteaux dans les parties dures.
- — Jamais nous ne pourrons.
- — Ne dis donc pas cela, Pagès ; dans notre situation on peut tout pour sauver sa vie : si le sommeil prenait l’un de nous comme nous sommes en ce moment, celui-là serait perdu.
- Par son sang-froid et sa décision, le magister avait pris sur nous une autorité qui d’instant en instant, devenait plus puissante : c’est là ce qu’il y a de grand et de beau dans le courage, il s’impose ; d’instinct nous sentions que sa force morale luttait contre la catastrophe qui avait anéanti la nôtre et nous attendions notre secours de cette force.
- On se mit au travail, car il était évident que le creusement de ces deux paliers était la première chose à faire ; il fallait nous établir sinon commodément, du moins de manière à ne pas rouler dans le gouffre qui était à nos pieds. Quatre lampes étaient allumées, elles donnaient assez de clarté pour nous guider.
- — Choisissons des endroits où le creusement ne soit pas trop difficile, dit le magister.
- — Écoutez, dit l’oncle Gaspard, j’ai une proposition à vous faire : si quelqu’un a la tête à lui, c’est le magister : quand nous perdions la raison il a conservé la sienne; c’est un homme, il a du cœur aussi. Il a été piqueur comme nous, et sur bien des choses il en sait plus que nous. Je demande qu’il soit chef de poste et qu’il dirige le travail.
- — Le magister! interrompit Carrory qui était une espèce de brute, une bête de trait, sans autre intelligence que celle qui lui était nécessaire pour rouler sa benne, pourquoi pas moi ? si on prend un rouleur, je suis un routeur comme lui.
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- — Ce n'est pas un routeur qu’on prend, animal ; c’est un homme ; et, de nous tous, c’est lui qui est le plus homme.
- — Vous ne disiez pas cela hier.
- — Hier, j’étais aussi bête que toi et je me moquais du magister comme les autres, pour ne pas reconnaître qu’il en savait plus que nous. Aujourd’hui, je lui demande de nous commander. Voyons, magister, qu’est-ce que tu veux que je fasse ? J’ai de bons bras, tu sais bien. Et vous, les autres?
- — Voyons, magister, on l’obéit.
- — Et on t’obéira.
- — Écoutez, dit le magister, puisque vous demandez que je sois chef de poste, je veux bien ; mais c’est à cette condition qu’on fera ce que je dirai. Nous pouvons rester ici longtemps, plusieurs jours ; je ne sais pas ce qui se passera : nous serons comme des naufragés sur un radeau, dans une situation plus terrible même, car sur un radeau, au moins on a l’air et le jour : on respire et l’on voit ; quoi qu’il arrive il faut, si je suis votre chef de poste, que vous m’obéissiez.
- — On obéira, dirent toutes les voix.
- — Si vous croyez que ce que je demande est juste, oui, on obéira; mais si vous ne le croyez pas?
- — On le croira.
- — On sait bien que tu es un honnête homme, magister.
- — Un homme de courage.
- — Un homme qui en sait long.
- — Il ne faut pas te souvenir des moqueries, magister.
- Je n’avais pas alors l’expérience que j’ai .acquise plus tard, et j’étais dans un grand étonnement de voir que ceux-là même qui, quelques heures auparavant, n’avaient pas assez de plaisanteries pour accabler le magister, étaient les premiers a lui reconnaître main tenant des qualités : je ne savais pas combien les circonstances peuvent tourner les opinions et les sentiments de certains hommes.
- — C’est juré ? dit le magister.
- — Juré, répondîmes-nous tous ensemble.
- Alors on se mit au travail : tous nous avions des
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- couteaux dans nos poches, de bons couteaux, le manche solide, la lame résistante.
- — Trois entameront la remontée, dit le magister, les trois plus forts ; et les plus faibles : Remi, Car-rory, Pagès et moi, nous rangerons les déblais.
- — Non, pas toi, interrompit Compeyrou qui était un colosse, il ne faut pas que tu travailles, magister, tu n’es pas assez solide ; tu es l’ingénieur : les ingénieurs ne travaillent pas des bras.
- Tout le monde appuya l’avis de Compeyrou, disant que puisque le magister était notre ingénieur, il ne devait pas travailler ; on avait si bien senti l’utilité de la direction du magister que volontiers on l’eût mis dans du coton pour le préserver des dangers et des accidents : c’était notre pilote.
- Le travail que nous avions à faire eût été des plus simples si nous avions eu des outils, mais avec des couteaux il était long et difficile. Nous devions, en effet, établir deux paliers en les creusant dans le schiste, et afin de ne pas être exposés à dévaler sur la pente de la remontée, il fallait que ces paliers fussent assez larges - pour donner de la place à quatre d’entre nous sur l’un, et à trois sur l’autre. Ce fut pour obtenir ce résultat que ces travaux furent entrepris.
- Deux hommes creusaient le sol dans chaque chantier, et le troisième faisait descendre les morceaux de schiste. Le magister, une lampe à la main, allait de l’un à l’autre chantier.
- En creusant, on trouva dans la poussière quelques morceaux de boisage qui avaient été ensevelis là et qui furent très utiles pour retenir nos remblais et les empêcher de rouler jusqu’en bas.
- Après trois heures de travail sans repos, nous avions creusé une planche sur laquelle nous pouvions nous asseoir.
- — Assez pour le moment, commanda le magister, Plus tard nous élargirons la planche de manière à pouvoir nous coucher; il ne faut pas user inutilement nos forces, nous en aurons besoin.
- On s’installa, le magister, l’oncle Gaspard, Carrory et moi sur le palier inférieur, les trois piqueurs sur le Plus élevé.
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- — Il faut ménager nos lampes, dit le magister, qu’on les éteigne donc et qu’on n’en laisse brûler qu’une.
- Les ordres étaient exécutés au moment même où ils étaient transmis. On allait donc éteindre les lampes inutiles lorsque le magister fit un signe pour qu’on s’arrêtât.
- — Une minute, dit-il, un courant d’air peut éteindre notre lampe ; ce n’est guère probable, cependant il faut compter sur l’impossible, qui est-ce qui a des allumettes pour la rallumer?
- — Bien qu’il soit sévèrement défendu d’allumer du feu dans la mine, presque tous les ouvriers ont des allumettes dans leurs poches ; aussi comme il n’y avait pas là d’ingénieur pour constater l’infraction au règlement, à la demande : « qui a des allumettes ? » quatre voix répondirent : Moi.
- — Moi aussi j’en ai, continua le magister, mais elles sont mouillées.
- C’était le cas des autres, car chacun avait ses allumettes dans son pantalon et nous avions trempé dans l’eau jusqu’à la poitrine ou jusqu’aux épaules.
- Carrory, qui avait la compréhension lente et la paiole plus lente encore, répondit enfin :
- — Moi aussi j’ai des allumettes.
- — Mouillées?
- — Je ne sais pas, elles sont dans mon bonnet.
- — Alors, passe ton bonnet.
- Au lieu de passer son bonnet, comme on le lui demandait, un bonnet de loutre qui était gros comme un bonnet de turc de foire, Carrory nous passa une boîte d’allumettes; grâce à la position qu’elles avaient occupée pendant notre immersion, elles avaient échappé à la noyade.
- — Maintenant, soufflez les lampes, commanda le magister.
- Une seule lampe resta allumée, qui éclaira à peine notre cage.
- V
- DANS LA REMONTÉE
- Le silence s’était fait dans la mine; aucun bruit ne parvenait plus jusqu’à nous; à nos pieds, l’eau était
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- immobile, sans une ride ou un murmure; la mine était pleine, comme l’avait dit le magister, et l’eau, après avoir envahi toutes les galeries, depuis le plancher jusqu’au toit, nous murait dans notre prison plus solidement, plus hermétiquement qu’un mur de pierre. Ce silence lourd, impénétrable, ce silence de mort était plus effrayant, plus stupéfiant que ne l’avait été l’effroyable vacarme que nous avions entendu au moment de l’irruption des eaux; nous étions au tombeau, enterrés vifs, et trente ou quarante mètres de terre pesaient sur nos cœurs.
- Le travail occupe et distrait : le repos nous donna la sensation de notre situation, et chez tous, même chez le magister, il y eut un moment d’anéantissement.
- Tout à coup je sentis sur ma main tomber des gouttes chaudes. C’était Carrory qui pleurait silencieusement.
- Au même instant, des soupirs éclatèrent sur le palier supérieur et une voix murmura à plusieurs reprises :
- — Marius ! Marius !
- C’était Pagès qui pensait à son fils...
- L’air était lourd à respirer ; j’étais oppressé et j’avais des bourdonnements dans les oreilles.
- Soit que le magister sentit moins péniblement que nous cet anéantissement, soit qu’il voulût réagir contre et nous empêcher de nous y abandonner, il rompit le silence :
- — Maintenant, dit-il, il faut voir un peu ce que nous avons de provisions.
- — Tu crois donc que nous devons rester longtemps emprisonnés ? interrompit l’oncle Gaspard.
- — Non, mais il faut prendre ses précautions ; qui est-ce qui a du pain ?
- Personne ne répondit.
- — Moi, dis-je, j’ai une croûte dans ma poche.
- — Quelle poche ?
- — La poche de mon pantalon.
- — Alors ta croûte est de la bouillie. Montre cependant.
- Je fouillai dans ma poche où j’avais mis le matin
- une belle croûte cassante et dorée; j’en tirai une espèce de panade que j’allais jeter avec désappointement, quand le magister arrêta ma main.
- — Garde ta soupe, dit-il, si mauvaise qu’elle soit, tu la trouveras bientôt bonne.
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- LE DEVOIR
- Ce n’était pas là un pronostic très rassurant ; mais nous n’y fîmes pas attention ; c’est plus tard que ces paroles me sont revenues et m’ont prouvé que dès ce moment le magister avait pleine conscience de notre position, et que s’il ne prévoyait pas, par le menu, les souffrances que nous aurions à supporter, au moins il ne se faisait pas illusion sur les facilités de notre sauvetage.
- — Personne n’a plus de pain ? dit-il.
- On ne répondit pas.
- — Cela est fâcheux, continua-t-il,
- — Tu as donc faim? interrompit Compeyrou.
- — Je ne parle pas pour moi, mais pour Remy et Car-rory : le pain aurait été pour eux.
- — Et pourquoi ne pas le partager entre nous tous dit Bergounhoux, ce n’est pas juste : nous sommes tous égaux devant la faim.
- — Pour lors, s’il y avait eu du pain, nous nous serions fâchés. Vous aviez promis pourtant de m’obéir ; mais je vois que vous ne m’obéirez qu’après discussion et que si vous jugez que j’ai raison.
- — Il aurait obéi !
- — C’est-à-dire qu’il y aurait peut-être eu bataille. Eh bien ! il ne faut pas qu’il y ait bataille, et pour cela je vais vous expliquer pourquoi le pain aurait été pour Remy et pour Carrory. Ce n’est pas moi qui ai fait cette règle, c’est la loi : la loi qui a dit que quand plusieurs personnes mouraient dans un accident, c’était jusqu’à soixante ans la plus âgée qui serait présumée avoir survécu, ce qui revient à dire que Remy et Carrory, par leur jeunesse, doivent opposer moins de résistance à la mort que Pagès et Compeyrou.
- — Toi, magister, tu as plus de soixante ans.
- — Oh! moi je ne compte pas, d’ailleurs je suis habitué, à ne pas me gaver de nourriture.
- — Par ainsi, dit Carrory, après un moment de réflexion, le pain aurait donc été pour moi si j’en avais eu?
- — Pour toi et pour Remy.
- — Si je n’avais pas voulu le donner?
- — On te l’aurait pris, n’as-tu pas juré d’obéir?
- Il resta assez longtemps silencieux, puis tout à coup sortant une miche de son bonnet :
- — Tenez, en voilà un morceau.
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- SANS FAMILLE 253
- — C’est donc le bonnet inépuisable que le bonnet de Carrory?
- — passez le bonnet, dit le magister.
- Carrory voulut défendre sa coiffure ; on la lui enleva de force et on la passa au magister.
- Celui-ci demanda la lampe et regarda ce qui se trouvait dans le retroussis du bonnet. Alors, quoique nous ne fussions assurément pas dans une situation gaie, nous eûmes une minute de détente.
- Il y avait dans ce bonnet : une pipe, du tabac, une clef, un morceau de saucisson, urt noyau de pêche percé en sifflet, des osselets en os de mouton, trois noix fraîches, un oignon : c’est-à-dire que c’était un garde-manger et un garde-meuble.
- — Le pain et le saucisson seront partagés entre toi et Rémy, ce soir.
- — Mais j’ai faim, répliqua Carrory d’une voix dolente; j’ai faim tout de suite.
- — Tu auras encore plus faim ce soir.
- — Quel malheur que ce garçon n’ait pas eu de montre dans son garde-meuble! Nous saurions l’heure., la mienne est arrêtée.
- — La mienne aussi, pour avoir trempé dans l’eau.
- Cette idée de montre nous rappela à la réalité. Quelle
- heure était-il? Depuis combien de temps étions-nous dans la remontée? On se consulta, mais sans tomber d’accord. Pour les uns, il était midi ; pour les autres, six heures du soir, c’est-à-dire que pour ceux-ci nous étions enfermés depuis plus de dix heures, et pour ceux-là depuis moins de cinq. Ce fut là que commença notre différence d’appréciation, différence qui se renouvela souvent et arriva à des écarts considérables.
- Nous n’étions pas en disposition de parler pour ne nen dire. Lorsque la discussion sur le temps fut épuisée, chacun se tut et parut se plonger dans ses réflexions.
- Quelles étaient celles de mes camarades? Je n’en sais rien ; mais si j’en juge par les miennes, elles ne devaient pas être gaies.
- Malgré l’esprit de décision du magister, je n’étais pas du tout rassuré sur notre délivrance. J’avais peur de i’eau, peur de l’ombre, peur de la mort ; le silence ^anéantissait ; les parois incertaines de la remontée l’écrasaient, comme si de tout leur poids elles m’eus-
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- LE DEVOIR
- sent pesé sur le corps. Je ne reverrais donc plus Lise, ni Etiennette, ni Alexis, ni Benjamin ? qui les rattacherait les uns aux autres après moi ? Je ne verrais donc plus Arthur, ni Madame Milligan, ni Mattia? Pourrait-on jamais faire comprendre à Lise que j’étais mort pour elle ? Et mère Barberin, pauvre mère Barberin ! Mes pensées s’enchaînaient ainsi toutes plus lugubres les unes que les autres ; et quand je regardais mes camarades pour me distraire et que je les voyais tout aussi accablés, tout aussi anéantis que moi, je revenais à mes réflexions plus triste et plus sombre encore. Eux cependant ils étaient habitués à la vie de la mine, et par là, ils ne souffraient pas du manque d’air, de soleil, de liberté ; la terre ne leur pesait pas.
- Tout à coup, au milieu du silence, la voix de l’oncle Gaspard s’éleva :
- — M’est avis, dit-il, qu’on ne travaille pas à notre sauvetage.
- — Pourquoi penses-tu ça?
- — Nous n’entendons rien.
- —•Toute la ville est détruite, c’était un tremblement de terre.
- — Ou bien dans la ville on croit que nous sommes perdus et qu’il n’y a rien à faire pour nous.
- — Alors nous sommes donc abandonnés?
- — Pourquoi pensez-vous cela de vos camarades ? interrompit le magister, ce n’est pas juste de les accuser. Vous savez bien que quand il y a des accidents les mineurs ne s’abandonnent pas les uns les autres; et que vingt hommes, cent hommes se feraient plutôt tuer que de laisser un camarade sans secours. Vous savez cela, hein ?
- — C’est vrai.
- — Si c’est vrai, pourquoi voulez-vous qu’on nous abandonne ?
- — Nous n’entendons rien.
- ( A suivre. )
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-
-
- ASSURANCES MUTUELLES
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- SOCIÉTÉ DU FAMILISTÈRE - ASSURANCES MUTUELLES
- MOUVEMENT DU MOIS JANVIER 1896
- ASSURANCE CONTRE LA MALADIE
- Section des Hommes
- Cotisations des mutualistes 2.339 45/
- Subvention de la Société 388 70 3.341 30
- Malfaçons et divers Dépenses 613 15\ 3.978 35
- Déficit en Janvier. 637 05
- Section des Dames
- Cotisations des mutualistes 409 65)
- Subvention de la Société * 136 60 554 60
- Divers Dépenses 8 35' 447 80
- Boni en Janvier.. 106 80
- ASSURANCE DES PENSIONS
- Subvention de la Société et divers.... Intérêts des comptes-courants et du 3.893 98j 7.888 98
- titre d’épargne 3.995 »»)
- Dépenses : 91 Retraités définitifs 5.766 60/
- 29 — provisoires 1.817 50
- Nécessaire à la subsistance 2.345 05 11.006 73
- Allocat. aux familles des réservistes.. »» ))»[
- Divers, appointements, médecins, etc. 1.077 58]
- Déficit en Janvier. 3.117 75
- CAISSE DE PHARMACIE
- Cotisations des mutualistes 539 >»>) 752 20
- Subvention de la Société 213 20j
- Dépenses 685 97
- Boni en Janvier... 66 23
- ))
- RESUME
- Recettes sociales du 1er Juil..1895 au 31 Janv. 1896 64.190 73) g^ g,| ^g individuelles » )) 22.620 75|
- » » .......... 102.552 61
- Excédant des dépenses sur les recettes,... 15.741 13
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- 256
- LE DEVOIR
- &
- ÉTAT CIVIL DU FAMILISTÈRE
- MOIS DE FÉVRIER 1896
- Naissances :
- 15 Février. — Herblot Marcel-Auguste, fils de Herblot Auguste et de Leroy Mélanie.
- 22 — Meufroy Lucie - Suzanne, fille de Meufroy
- Camille et de Josquin Marthe;
- 27 — Lommert Madeleine, fille de Lommert Ovide
- et de Jaquet Julie.
- Décès :
- 24 Février. — Veuve Pagnier Louis, née Emilienne-Célina Faglin, âgée de 55 ans.
- 26 — Enfant mort-né de Lhote Louis fils et de
- Bruetchy Augustine.
- 27 — Blancaneaux Fernand, âgé de 16 ans 7 mois.
- Le Gérant: H. E. Buridant.
- Nimea, imp. Veuve Laporte, ruelle des Saintes-Maries, 7. — 1115
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-
-
- DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES
- 257
- POUR III BIOGRAPHIE COMPLÈTE
- de J.-13.-André QODIN (*)
- RÉSUMÉ DE L’ESSAI DE REPRÉSENTATION DU TRAVAIL PAR
- les Groupes, Unions de Groupes et Conseils d’Unions
- 1877-1879
- V
- Registres des Corps s’étant exercés au vrai sens du mot.
- (Suite)
- Nous arrivons au dernier des 21 registres que nous avions à dépouiller, lequel est intitulé :
- FAMILISTÈRE Conseil général des Unions.
- Cahier n° 2.
- Il ouvre par une séance datée 7 mars 1878. A cette époque le renouvellement des bureaux ne s’était pas encore opéré dans les Unions; par conséquent, nous voyons en exercice le Conseil nommé au début de l’organisation qui nous occupe.
- Nos lecteurs savent que les services de l’habitation unitaire ‘étaient représentés par 11 Unions. Le Conseil eut donc pu compter 22 membres; mais, par suite du cumul des fonctions de président ou de secrétaire dans les Unions, il n’en compta, au début, que 18, soit 2 femmes et 16 hommes.
- Total des Groupes embrassés par ces 18 membres :
- (U Lire le Deooir depuis le mois de mars 1891.
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-
- 258
- LE DEVOIR
- A L’USINE AU FAMILISTÈRE
- inscriptions complètes Inscriptions connues.
- Femmes 1 occupant 10 Groupes 2 Unions
- » 1 )) 6 )) 2 »
- Hommes 1 )) 18 Groupes et 7 Unions. 10 » 4 »
- Secréta fre-adj, » 1 )) 15 )) 9 » 1 » 1 »
- » 1 )) 14 )) 6 » 4 » 1 »
- » 1 )) 11 )) 5 » 2 » 1 »
- » 1 )) 6 )) 5 » inconnues.
- » 1 )) 5 )) 3 » n
- )> 1 )) 5 )) 2 )) ))
- » 1 )) 3 )) 2 » ))
- )> 1 )) 2 )) 1 )) ))
- Secrétaire. » 1 » 1 )) 1 )) 7 Groupes 2 Unions
- Préeldent. » 1 )) 1 )) 1 » inconnues.
- » 1 )) 11 » 3 »
- » 1 )) 9 » 2 »
- » 1 )) 2 » 2 ))
- » 2 )) inconnues.
- Nous n’avons pu découvrir qui tenait la vice-présidence dans ce premier Conseil. En outre, aucune des inscriptions de 7 des membres dans les Groupes et Unions du Familistère (1) n’est venue jusqu’à nous. Seule leur présence au Conseil indique que ces membres étaient répartis dans les Groupes et Unions.
- Avant de passer à l’examen des séances relevées dans le cahier n° 2, 1 est à propos de rappeler les
- laits dont nous avons été saisis par divers documents et qui ont dû occuper les pages du cahier n° 1,
- Ainsi, nous avons déjà vu que la constitution des deux Conseils supérieurs ou Conseils d’Unions représentant : l’un l’Usine, l’autre le Familistère eut lieu le dimanche 16 septembre 1877. (Devoir, février 1894, tome 18,
- (1) Dans notre numéro de février dernier, page 79, on lit : « Pour 33 membres seulement dont 8 femmes, nous avons l’indication dequelques classements; pour le reste : 49 membres dont 5 femmes (45 a été mis par erreur) nous n’avons aucune information.
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- page 65) (1) Nous avons vu également que chacun des deux Conseils procéda à l’élection d’un président, d’un vice-président, d’un secrétaire et d’un secrétaire-adjoint.
- Ci-dessus nous avons donné la composition du Conseil des Unions du Familistère; nous donnerons de même en temps et lieu la composition de celui de l’Usine.
- Une fois constitué, que fit le Conseil des Unions du Familistère ?
- En l’absence de son premier registre des délibérations, nous chercherons trace de son action dans les conférences que J.-B.-A. Godin adressait à son personnel.
- Ainsi en janvier 1878, J.-B.-A. Godin donna une conférence (Devoir, juin 1895, tome 19, pages 321 à 335) toute entière consacrée à la représentation du travail dans les faits admininistratifs de l’association; et il termina cette conférence en invitant chacun des deux Conseils d’U-nions à procéder le plus tôt possible à l’élection de trois membres administrateurs.
- Le surlendemain, 5 janvier 1878, le Conseil des Unions du Familistère procéda à la nomination des trois membres demandés et désigna, comme délégués administrateurs, les conseillers suivants :
- A L’USINE AU FAMILISTÈRE
- -"'^Inscriptions complètes. Inscrip. connues.
- 11 Groupes et 5 Unions. 2 Groupes 1 1 » 1 »
- 1 occupant 1 »
- 1 ))
- 9 ))
- La preuve certaine de cette nomination nous est fournie par le Registre même des délibérations du Comité administratif de l’époque.
- En effet, ce Registre contient in-extenso le procès-verbal de la séance du Conseil des Unions du Familistère, en date du 12 janvier 1878, séance dans laquelle
- (1) Une erreur a été commise ù ladite page : 11 faut lire jeudi 13 et non jeudi U septembre, et aussi supprimer le mot surlendemain dans le premier alinéa.
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- Godin : 1° exposa quelle serait la mission des trois administrateurs élus le 5 dudit mois, au nom du travail; et 2° informa le Conseil de la désignation qu’il faisait lui-même d’un administrateur (1) pour représenter avec lui le capital, se réservant de nommer plus tard, s’il le jugeait utile, un troisième représentant du capital.
- Nous reviendrons en temps et lieu sur ces faits proprement dits d’administration; ici, notre tâche est de nous en tenir à ce qui concerne la représentation libre du travail et spécialement, pour l’instant, de relever les traces de l’action du Conseil des Unions du Familistère antécédente au 7 mars 1878, époque à partir de laquelle nous sommes renseignés par le deuxième Registre des procès-verbaux dudit Conseil que nous avons à dépouiller.
- Le 9 février 1878, le Conseil des Unions du Familistère fut réuni par J.-B.-A. Godin qui y prononça le discours reproduit dans notre numéro d’août 1895, tome 19, page 450. Par ce discours, Godin pressait ledit Conseil de dresser un projet de Règlement déterminant les relations qui devraient exister entre le personnel et l’Association. Nos lecteurs savent que cette invitation n’aboutit pas.
- Evidemment, les faits que nous venons de rappeler étaient consignés au registre n° 1, avec nombre d’autres sans doute dont les traces ne sont pas venues jusqu’à nous. Passons donc à l’examen du dernier registre que nous avons à dépouiller, celui intitulé : Conseil des Unions au Familistère, Cahier n° 2.
- La première séance porte la date du 7 mars 1878, 8 heures 1/2 du soir.
- Suit l’énumération des membres, ce qui nous a permis de dresser la composition du Conseil, ainsi que. le lecteur l’a vu plus haut.
- (1) Le membre choisi par J.-B.-A. Godin était inscrit : à l’Usine, dans 18 Groupes 7 Unions; au Familistère, dans 10 Groupes 4 Unions.
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- Extrait du procès-verbal :
- « L’ordre du jour appelle une communication du Comité formé parmi les habitants du Familistère, pour donner le 17 courant un concert au profit des ouvriers sans travail du Familistère et de la ville de Guise. »
- ( La grave situation industrielle d’alors, contre-coup des évènements politiques, a été exposée dans notre numéro de décembre 1895, tome 19, pages 719 à 722. — Discours de M. Godin en réponse à celui de M. L... — Réunion du 5 avril 1878).
- Suite de l’extrait du procès-verbal :
- « Le Comité demande que, dans ce but philanthropique, le théâtre du Familistère soit mis à sa disposition par le Comité administratif, aux conditions qu’il lui plaira de fixer.
- )) Le Conseil supérieur des Unions du Familistère est saisi de la question pour donner son avis sur l’opportunité d’accorder la demande du Comité du Concert.
- » M. X... donne quelques explications sur le but que se proposent les organisateurs du Concert et annonce que si le Conseil les trouve insuffisantes, le président du Comité d’organisation se tient à sa disposition pour les compléter. »
- Le Conseil, trouvant les explications suffisantes, se prononce à l’unanimité en faveur de la demande du Comité.
- Rien n’étant plus à l’ordre du jour, la séance est levée.
- Séance du 16 mars 1878, 8 heures 1/2 du soir.
- Le Conseil commence par examiner une proposition de l’Union des Ecoles contenant la nomination de délégués pour assister aux examens semestriels. Il approuve ù l’unanimité la proposition, s’engage à la transmettre su Comité administratif du Familistère qui verra dans
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- quelle mesure les délégués pourront exécuter leur mandat et, dans ce but, s’entendra avec le Comité administratif de l’Usine. (On comprend que lesdits délégués étant des fonctionnaires de l’établissement, ils ne pouvaient s’absenter de leur travail ordinaire, sans entente préalable avec l’administration.)
- La suite de la séance du 16 Mars 1878 nous fait voir que le Conseil avait constitué dans son sein une Commission d’examen des demandes d’admission dans les logements du Familistère. Cette Commission présente un rapport qui est approuvé.
- Ensuite le Conseil,
- Considérant « que les Bureaux des Groupes et Unions arrivent à l’expiration de leur mandat » décide que « les groupes renouvelleront leurs bureaux courant de la semaine prochaine; et les Unions courant de la semaine suivante. »
- « Des affiches indiqueront le mode d’opérer et rappelleront les articles du Règlement. »
- Cette rédaction montre que le Projet de Règlement dont nous avons publié le texte dans notre numéro d’août 1893, pages 452 à 460, avait été modifié et complété. En effet, l’article 9 avait laissé « à déterminer la durée des mandats de président, secrétaire, » etc.
- Nons n’avons pas les différentes formes revêtues — à mesure des enseignements de la pratique — par le dit Règlement. Nous savons seulement que de 21 articles que le projet comptait à l’origine, le Règlement s’éleva à 39, puis à 40, comme le montrera le texte que nous en publierons à la suite du dépouillement du Registre du Conseil.
- En attendant, voici les articles visés par la décision ci-dessus :
- Renouvellement des bureaux des Groupes et Unions
- « Art. 16. — Le Groupe, l’Union ou le Conseil général
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- organise son bureau composé d’un président et d’un seérétaire, élus dans son sein à la majorité absolue des suffrages pour le premier tour de scrutin.
- » il nomme également un vice-président et un secrétaire-adjoint, destinés à remplacer les premiers en cas d’absence accidentelle.
- » Art. 20. — Le président, le vice-président, le secrétaire et le secrétaire-adjoint sont élus pour six mois.
- » Ils ne sont pas rééligibles deux fois de suite dans les mêmes fonctions, à moins qu’une décision du Groupe ou de l’Union n’ait constaté que son fonctionnement n’est possible qu’à cette condition.
- » Les élections auront lieu dans la dernière quinzaine qui précédera l’expiration du mandat.
- » Les mandats expirent régulièrement le 31 mars et le 30 septembre de chaque année.
- » Art. 22. — La présence effective des électeurs lors des votes est obligatoire; nul ne peut voter par procuration. »
- Revenons à la séance du Conseil. Nous y lisons qu’une Note sera communiquée aux secrétaires des Groupes et Unions pour l’établissement des comptes de présence.
- Le Règlement dit à ce sujet :
- Indemnités de présence
- « Art. 28. — Le compte des présences est établi tous les trois mois par chaque Union pour les Groupes qui s’y rattachent, et par le Conseil général pour les Unions, pour les commissions et pour lui-même.
- » Art. 29. — Les membres présents ont droit à une indemnité uniforme, pour les Groupes, les Unions et le Conseil général.
- » Elle se décompose ainsi :
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- » 1° Un jeton de présence de la valeur de 25 centimes pour chaque entrée en séance.
- » 2° Vingt-cinq centimes par demi-lieure de réunion.
- » 3° Les secrétaires et les rapporteurs recevront en outre une indemnité supplémentaire fixe de 50 centimes par séance.
- » Les séances tenues en dehors des heures de travail donnent seules droit à ces indemnités qui seront prélevées sur les bénéfices réalisés, avant tous autres partages. »
- Avant de se séparer, le Conseil passe à l’examen de réclamations concernant : 1° La qualité des pommes de terre mises en vente dans les magasins du Familistère; 2° la qualité du charbon ; on trouve ce dernier trop gras.
- Touchant la première réclamation, il est établi qu’un nouvel approvisionnement de pommes de terre a été fait dans d’excellentes conditions de qualité et de prix; touchant la seconde, le Conseil décide de transmettre la plainte au Comité administratif.
- Séance du 23 mars 1878
- « Suivant l’ordre du jour, il est donné lecture d’une lettre de la Société musicale demandant l’autorisation de donner un bal (dans la cour intérieure vitrée du Familistère) le dimanche 31 mars, » à l’occàsion de la mi-carême.
- « Le Conseil transmet, avec avis favorable, cette demande au Comité administratif et pour l’avenir admet comme bals de tradition ceux qui se donnent au Familistère à l’occasion du Mardi-Gras, de la Mi-Carême, de la Saint-Eloi, et de la Saint-Sylvestre.
- » L’ordre du jour étant épuisé, la séance est levée. »
- Cette séance est la dernière où fonctionne le premier Conseil des Unions du Familistère. Dans celle qui va suivre nous allons voir en exercice le deuxième
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- Conseil, c’est à dire celui composé des nouveaux présidents, secrétaires ou délégués des Unions, lesquelles suivant l’invitation relatés ci-dessus avaient procédé au renouvellement de leurs bureaux.
- Le premier Conseil comprenait 18 membres : 2 femmes, 16 hommes. Le deuxième en comprend 22 : 2 femmes et 20 hommes.
- Une des femmes et trois des hommes ne se retrouvent pas dans le second Conseil. Treize hommes et une femme s’y retrouvent. Entrent à nouveau : une femme et 7 hommes; total 8 membres qui, avec les 14 restés en fonction, constituent les 22 membres du nouveau conseil.
- En voici le tableau, avec l’indication du chiffre total des groupes et Unions embrassés par chacun de ces membres et la désignation des postes de président ou secrétaire dans le nouveau Conseil :
- Nous commençons par les 14 qui ont fait partie des deux Conseils :
- Membres anciens :
- A L’USINE AU FAMILISTÈRE
- Inscriptions complètes. Inscriptions connues
- Femmes : 1 occupant........................................... 10 Groupes 2 Unions
- Hommes 1 )) 18 Groupes et 7 Unions. 10 » 4 ))
- » 1 )> 14 )) 6 » 4 » 1 »
- Vice-président. » 1 » 11 » 5 » 2 » 1 »
- Secrétaire. » 1 )) 6 » 5 )> inconnues.
- » 1 )) 5 » 2 » »
- )> 1 » 3 » 2 )) »
- » 1 » 2 )) 1 » »
- » 1 » 1 » 1 » 7 Groupes 2 Jnion
- » 1 » 11 » 3 »
- » 1 » 9 » 2 »
- Secrétaire-adj. » 1 » 2 » 2 »
- » 2 » inconnues.
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- Membres nouveaux ;
- A L’USINE
- Inscriptions complètes.
- AU FAMILISTÈRE Inscrip. connues.
- Femme : 1 ocoupant ............................................
- Hommes : 1 » 13 Groupes et 5 Unions.
- Président. » 1 » 9 » 6 »
- » 1 )) 7 » 4 »
- )) 1 » 1 » 1 ))
- » 1 » ...................................................
- » 1 » ...................................................
- » 1 » ................................................
- 8 Groupes 2 Unions inconnues.
- 1 » 1 »
- 1 » 1 »
- inconnues. 10 » 2 »
- 1 » 1 »
- inconnues.
- Dans une séance tenue le 7er Avril 1878, sous la présidence de J.-B.-A. Godin, le nouveau Conseil des Unions du Familistère procéda, au scrutin secret, à la nomination des présidents et secrétaires désignés dans le tableau qui précède.
- Ensuite, le Président « entretient le Conseil de la répartition à effectuer des fonds provenant du concert donné le 17 Mars dernier, au profit des ouvriers sans travail. Il remet au conseil les listes des postulants aux secours » et engage le Conseil à se réunir pour examiner « les droits des solliciteurs et ajouter, s’il y a lieu, de nouveaux noms à ces listes. »
- Le Conseil décide qu’il se réunira le lendemain, dans le but proposé par M. Godin.
- L’ordre du jour appelle la question des Indemnités de présence.
- Le lecteur a vu plus haut (séance du 16 mars 1878) que le précédent Conseil avait pris des mesures pour l’établissement des comptes de présence dans les Groupes et Unions, conformément aux prescriptions du Règlement. Les comptes avaient été dressés en conséquence. Sur l’avis de M. Godin, le Conseil transmet les dits comptes au Comité administratif du Familistère, « pour être définitivement contrôlés et recevoir leur application. »
- Un membre (celui classé dans 18 Groupes 7 Unions
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- à l’Usine; 10 Groupes, 4 Unions au Familistère) appelle l’attention du Conseil sur la complication et les difficultés du mode actuel d’établissement des comptes de présence. « Il propose un moyen plus simple : la création de jetons métalliques qui seraient, à l’issue de chaque séance, distribués aux ayant-droit, et ne donneraient lieu, à l’échéance du trimestre, qu’à la seule opération de leur numération. »
- Le Conseil décide que la question sera étudiée.
- Séance du 2 avril 1878
- La séance est consacrée à l’examen des demandes de secours et à la répartition des fonds provenant du Concert donné le 17 mars dernier.
- Quatorze solliciteurs seulement ont fourni tous les renseignements nécessaires.
- Treize ne sont qu’imparfaitement connus du Conseil.
- Huit sont inconnus.
- En conséquence, le Conseil nomme dans son sein une Commission de 3 membres, chargée de compléter les-renseignements « de manière à ce que la répartition puisse se faire le plus vite possible. »
- Séance du 9 avril 1878
- Ordre- du jour : Rapport de la Commission d’enquête sur les ouvriers sans travail.
- Les conclusions de la Commission sont adoptées — En conséquence une somme de 283 fr. 50 est répartie entre 36 familles, proportionnellement aux besoins de chacune d’elles. Reste une somme de 44 francs que la commission a réservée en vue de réclamations possibles.
- Sur la proposition d’un des membres, le Conseil décide que la Commission elle-même appréciera ces réclamations, s’il y a lieu, et distribuera la somme restante selon les besoins.
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- Quant au mode de distribution de cette somme, sur l’avis d’une des femmes, membre du Conseil, il est décidé « que des bons seront faits et remis à chaque individu pour toucher à la caisse du Familistère. »
- Séance du 13 avril 1878
- La Commission d’enquête sur les ouvriers sans travail présente au Conseil l’état définitif de l’emploi des fonds provenant du Concert donné le 17 mars. Neuf réclamations se sont produites depuis la séance du 9 avril et les 44 frs. restants ont été distribués.
- Le Conseil adopte les conclusions de la Commission.
- L’ordre du jour appelle la « Lecture du Réglement du Conseil général des Unions.)) (Voir ce que nous avons dit ci-dessus page 262).
- Touchant le dit règlement, le registre des délibérations ne contient que ces mots : « Après lecture, un membre demande que l’art. 36 soit mis à la suite et non comme : Dispositions transitoires.»
- Le conseil passe à l’examen d’une « Proposition de l’Union : Vêtements, au sujet de la diminution de prix de quelques articles de chaussures, bonneterie, coiffures, étoffes, qu’il serait sage d’écouler. »
- L’Union propose que la baisse de prix soit publiée par voie d’affiche dans le Familistère et qu’il soit dit que pour le personnel de l’usine le paiement de ces marchandises sera effectué par des retenues sur les quinzaines.
- Le Membre que nous avons vu déjà se préoccuper de simplifier la comptabilité des indemnités de présence, demande que la vente proposée soit faite au comptant « car l’admistration », dit-il, (il faisait partie du Comité administratif, c’est de lui qu’il est question dans le renvoi ci-dessus page 260) « est très ennuyée avec les retenues et beaucoup d’ouvriers se trouvent en re-tard. »
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- Le Conseil vote à l’unanimité la baisse de prix et repousse la demande de retenues sur quinzaines.
- Il renouvelle ensuite dans son sein la Commission je cinq membres chargés d’examiner les demandes d’admission dans les logements du Familistère.
- Puis il nomme une Comission d’étude de la Fête annuelle du Travail. Il est dit que cette Commission aura d’abord à examiner les propositions du Groupe des Fêtes et plaisirs.
- Séance du 18 avril 1878.
- Le Conseil examine et adopte toutes les propositions du Groupe des Fêtes et plaisirs concernant la Fête annuelle du Travail : (Jeux divers, Décoration de la cour centrale, Illuminations, Concerts, etc.)
- Séance du 23 avril 1878
- Ordre du jour :
- Récompenses exceptionnelles à accorder — à l’occasion de la Fête du Travail — aux membres des Groupes qui ont fait des Propositions utiles.
- Après discussion, le Conseil nomme dans son sein une Commission de trois membres chargée d’étudier la question.
- Il passe ensuite à l’examen de divers sujets : vente des charbons, etc. ; et termine par la décision suivante :
- « Un signe distinctif sera désormais placé sur la salle des réunions les jours des séances, avec indication de l’heure. »
- Séance du 27 avril 1878.
- L’ordre du jour appelle les questions ci-après :
- 1° Rapport de la Commission chargée d’examiner les Revaux des Groupes.
- Ce rapport tend à ce que le Conseil vote des men-
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- fions honorables à quatre personnes ( 3 hommes et 1 femme ) en témoignage de satisfaction pour le zèle qu’ils ont déployé dans le service de l’association.
- « La Commission espère que le Conseil accueillera favorablement cette proposition et demande qu’un extrait du procès-verbal mentionnant cet accueil favorable soit remis à M. Godin, qui en donnera lecture en réunion publique, le jour de la Fête du Travail. »
- Un des trois hommes désignés pour cette récompense et qui fait partie du Conseil, observe que le rapport de la Commission est muet sur certaines propositions utiles qui se sont produites dans l’Union combustibles, et demande pourquoi ce mutisme.
- Le rapporteur de la Commission dit que le cahier qui a dû contenir ces travaux n’a pas été remis à la Commission.
- Finalement, le Conseil adopte les conclusions de la Commission, en se réservant d’ajouter, s’il y a lieu, de nouveaux noms aux quatre désignés ci-dessus ;
- 2° Les réunions du Conseil sont fixées désormais à 8 heures du soir, au lieu de 8 heures 1/2.
- 3° Jetons métalliques pour marquer les présences aux réunions. Cette question est discutée en même temps que la suivante :
- 4° Feuille de présence aux réunions.
- Au cours de la discussion, un membre ayant dit pouvoir établir une feuille de présence qui répondrait à tous les besoins, le Conseil renvoie la décision à une prochaine séance.
- 5° Il est demandé que des commissaires soient nommés dans le sein du Conseil, pour la surveillance des jeux à la fête du Travail.
- Après discussion, le Conseil décide que ces commissaires seront pris parmi les personnes inscrites pour chaque jeu, et qu’on prendra de préférence les premières de chaque liste.
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- Rien n’étant plus à l’ordre du jour, les Conseillers se séparent.
- Séance du 30 avril 1878
- Le Conseil se réunit sur la demande de la Commission d’organisation de la Fête du Travail.
- Il est rendu compte des travaux de la Commission, puis celle-ci prie le Conseil de se prononcer au sujet : R de la députation qui devra accompagner M. Godin sur l’estrade ; 2° de l’organisation du défilé.
- Le Conseil décide que son Bureau s’entendra avec celui du Conseil des Unions de l’Usine pour provoquer, à ce double sujet, une réunion des deux Conseils.
- Séance du 2 mai 1878.
- Les deux Conseils supérieurs ou Conseil des Unions du Familistère et Conseil des Unions de* l’Usine, sont assemblés.
- L’ordre du jour appelle la formation de la députation qui doit accompagner M. Godin sur la scène du théâtre le jour de la Fête du Travail. Après examen des propositions, il est décidé que les deux Comités administratifs (celui du Familistère et celui de l’Usine), les Bureaux des deux Conseils d’Unions, les Bureaux des Sociétés d’assurance mutuelle et de pharmacie, et dix des plus anciens travailleurs de l’Usine (ouvriers et employés), classés dans les groupes, formeront la dite députation.
- Ce point étant réglé, l’assemblée, conformément au désir qu’en a exprimé J.-B.-A. Godin, charge un de ses membres d’aller informer celui-ci du résultat.
- M. Godin entre alors dans la salle du Conseil. Il expose que le travail de répartition des bénéfices de 1 exercice 1877 et l’établissement des titres de participation ne se trouvant pas achevés pour la Fête du Tra-vail> il propose « de distribuer à chaque personne travaillant à l’Usine ou au Familistère, une somme à valoir
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- sur la part proportionelle qui sera délivrée dans trois semaines ou un mois. »
- La proposition est accueillie favorablement par le Conseil; et M. Godin charge, séance tenante, le chef de la comptabilité de prendre les dispositions voulues pour qu’une somme de cinq francs soit remise à chacune des personnes susdites, le samedi suivant, dans la journée.
- Passant à l’examen des mesures d’ordre pour la Fête, le Conseil décide que des cartes d’entrée au théâtre seront remises à tout le personnel de l’Usine, et à tous les habitants du Familistère.
- Pour le reste, il est dit que la Commission des jeux (nommée dans la séance du 27 avril) pourvoiera selon les besoins.
- L’assemblée se sépare.
- Séance du 11 mai 1878
- L’ordre du jour appelle la question des jetons métalliques ou de feuilles de compte touchant les indemnités de présence aux réunions.
- Après examen, le Conseil vote l’emploi des jetons métalliques. Et, séance tenante, une distribution de jetons a lieu entre les conseillers pour le compte de la présente réunion.
- Séance du 25 mai 1878
- Le Conseil examine des demandes d’admission dans les logements du Familistère. Les unes sont acceptées, d’autres ajournées, soit pour compléter les renseignements, soit parce que les candidats sont trop nouveaux dans l’établissement.
- Ensuite le Conseil prend acte d’une communication de M. Godin, disant qu’à l’avenir les membres des Comités d’administration des caisses de prévoyance au Familistère recevront les mêmes indemnités de présence
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- que les membres fonctionnant dans les Groupes, Unions de Groupes et Conseils d’Unions.
- L’ordre du jour étant épuisé, le secrétaire fait l’appel nominal et chaque membre reçoit le nombre de jetons métalliques qui lui revient pour la séance.
- Celle-ci a duré une demi-heure ; 19 conseillers étaient présents, 38 jetons sont distribués, soit 2 à chaque membres : 1 pour avoir été présent à l’appel à l’ouverture de la séance ; 1 pour la demi-heure écoulée. Puis la séance est levée.
- Un conseiller se présente alors disant avoir été empêché d’arriver plus tôt par son travail même dans les services du Familistère. Nous verrons la question reprise en tête de la séance suivante.
- Séance du 8 juin 1878
- La séance débute par les formalités ordinaires : appel nominal, lecture du procès-verbal de la précédente réunion, etc. Puis (nous copions au registre) « le président expose la question soulevée par M. X. après la dernière séance, au sujet des jetons de présence à allouer aux membres du Conseil, employés dans les services et qui se trouvent empêchés d’arriver à l’heure fixée pour la séance.
- « Le Conseil,
- » Vu le 4e paragraphe de l’art. (modifié depuis) du Règlement ainsi conçu : « Le Conseil sera juge d’admet-» tre comme ayant répondu à l’appel nominal les person-» nés de service empêchées par leur service d’arriver à » l’heure. »
- « Attendu que M. X. n’est arrivé qu’après la séance levée et que par conséquent sa réclamation n’est pas motivée par le Règlement,
- » Passe à l’ordre du jour. »
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- LE DEVOIR
- Nous n’avons relevé le fait que pour montrer au vif comment certains incidents pouvaient amener des modifications au Règlement. Le paragraphe que nous venons de citer ne se trouve plus dans le texte en 40 articles que nous publierons plus loin. Sans doute on reconnut, à l’usage, que l’exactitude aux séances était facile pour tous; et qu’il était sage de prévenir les réclamations et les abus en n’accordant rigoureusement de jetons d’entrée de séance qu’aux personnes qui avaient répondu à l’appel. (Voir ci-dessus article 29 du Règlement, page 264.)
- [A suivre)
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- LA LUTTE CONTRE L’ALCOOLISME
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- LA LUTTE CONTRE L'ALCOOLISME1'
- VII
- En somme, ce que l’on doit chercher à obtenir par l’action des pouvoirs publics ou de l’initiative privée, c’est qu’on boive moins.
- Nous voici donc au cœur de la question.
- Pourquoi boit-on ?
- A cette simple demande, simple réponse ne suffit pas; car ils sont nombreux les motifs qui poussent l’homme à boire et à désirer boire encore lorsqu’il a bu.
- Besoin, occasion, attraction, entraînement, habitude, quel vaste champ offre à l’observation la psychologie du buveur, depuis le raisonnement qui conclut librement à l’efficacité de la boisson jusqu’à l’acceptation résignée d’une habitude que l’on sait désastreuse.
- Abstraction faite des inconvénients qu’en présente l’abus ou même le simple usage, l’alcool peut-il être considéré, dans certains cas,' comme un aliment utile?
- Cela n’est guère contesté et l’efficacité de son emploi thérapeutique est généralement admise.
- Nous disons généralement, car la réception quelque peu brutale faite récemment par les Tempérantes de Ladonia (Texas) à un médecin coupable d’avoir ordonné du wliiskey à des personnes affaiblies et atteintes de la fièvre, semble indiquer l’existence parmi les sociétés américaines de tempérance, d’un courant d’opinion très hostile même à l’emploi thérapeuthique de l’alcool et d’une rare intensité, puisqu’il ne s’agit de rien moins, dans la circonstance, que de coups de cravaches et de
- U) Voir le Deeoir de septembre, octobre et décembre 1895, de Janvier, février et mars 18A6.
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- menaces 'de lynchage si le docteur donnait suite à ses projets d’établissement à Ladonia.
- L’alccol, sous un très petit volume, fournit de la chaleur instantanément.
- A cette propriété physique s’ajoute l’avantage économique du bon marché relatif, ce qui a fait dire que la misère se réunit au froid pour en provoquer la consommation.
- La misère et le froid sont deux mobiles dont l’union n’est pas plus obligatoire qu’indissoluble et qu’on peut examiner séparément.
- En laissant de côté, pour l’instant, le rapport établi entre la misère et l’alcoolisme, pour ne considérer que la valeur de l’alcool en tant que fournisseur de calorique immédiat, on peut se demander tout d’abord dans quelle mesure cette considération détermine la consommation de l’alcool.
- L’affirmation qui sert de point de départ à l’examen qui va suivre, prend sa source dans cette remarque que l’intoxication alcoolique exerce ses ravages surtout dans les pays du Nord.
- C’est ainsi que l’on trouve dans le nord de l’Europe un nombre d’alcooliques supérieur à celui que l’on constate dans les pays méridionaux où d’ailleurs le climat, à défaut du bon marché de la vie, suffirait à rayer l’alcool du menu.
- Par sa situation géographique qui le fait participer des conditions climatériques du Nord et du Midi, par la variété de ses productions qui lui permet d’ofïrir à la consommation sur place toutes les variétés d’alcool, notre pays semble réunir tous les éléments d’une étude sur l’alcoolisme d’autant plus complète que la solution n’en est pas influencée par des différences de législation.
- Si l’on calcule la consommation par tête d’après le chiffre de la population entière, sans distinction d’âge
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- ni de sexe, on trouve pour 1830, 1 litre 12 centilitres; pour 1850, 1 litre 40; pour 1859, 2 litres 28; pour 1869, 2 litres 63; pour 1879,3 litres 22; pour 1885, 3 litres 85; pour 1889, 4 litres ; pour 1893, 4 litres 32.
- Ces chiffres sont au-dessous de la vérité, car les évaluations de l’administration des contributions indirectes sont inférieures de moitié au moins au chiffre réel en ce qui concerne les houilleurs de cru.
- Le rapport Guillemet tire des chiffres fournis par l’administration, et dans lesquels par conséquent, il n’est pas tenu compte de la production clandestine des bouilleurs de cru, les déductions suivantes :
- Le titre moyen des eaux-de-vie vendues dans les débits au petit verre étant de 37,050, il en résulte que la consommation, sans distinction d’âge ni de sexe, est de 12 litres 16 centilitres par tète, et si l’on défalque les femmes, les enfants et les adultes qui ne font pas de l’alcool leur consommation habituelle, si l’on admet avec M. Claude qu’un huitième de la population constitue le véritable consommateur, on trouve, comme chiffre de la consommation moyenne par tête, 97 litres 28 centilitres d’alcool à 37 1/2, soit 3,791 petits verres par année, 10 verres 1/2 par jour ; nous parlons, bien entendu, de la consommation de l’alcool sous toutes ses formes, kirschs, bitters, absinthes, liqueurs, etc.
- Lorsque furent discutées devant le Sénat, en 1887, les mesures à prendre pour enrayer les progrès de l’alcoolisme, M. Claude (des Vosges) produisit des cartes dressées par le Dr Lunier et montrant que la consommation de l’alcool dans notre pays s’élève avec la latitude et qu’elle atteint son maximum dans les départements du Nord. ' -
- Une ligne tirée du ballon d’Alsace à l’embouchure de la Loire exprime assez exactement la limite de la zone °ù l’alcool règne en maître, où la population atteint, dépasse même le chiffre de 10 litres par habitant.
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- Cette zone comprend à peine 26 départements et représente environ le quart du territoire français.
- On remarquera que les pays producteurs de vin couvrent la presque totalité de l’autre zone dont les habitants sont relativement affranchis du vice de l’alcoolisme.
- Le département où l’on absorbe le plus d’alcool est la Seine-Inférieure. La consommation, dans ce département, est de près de 13 litres par habitant. Elle est de 10 litres 43 par habitant dans la Somme; elle oscille de 9 à 10 litres dans le Nord, l’Aisne et l’Oise.
- La moyenne de la consommation par tête dans les pays producteurs de vin n’atteint pas 3 litres. Dans le département du Gers, elle arrive à peine au chiffre de 0 litre 84.
- Ce n’est donc pas seulement deux zones climatériques que sépare la ligne tracée par le Dr Lunier, mais aussi deux régions se caractérisant par la production des deux genres 'd’alcool qui jouent un rôle si différent dans la consommation et dont les effets sont si diversement appréciés : l’alcool de vin et l’alcool d’industrie.
- Cette coïncidence n’a rien que de naturel.
- Il #y a lieu de tenir compte d’une autre coïncidence qui provient de causes naturelles, mais où les conditions climatériques n’entrent pour rien : les pays du Nord sont généralement des pays de grande industrie, où le surménage physique, l’insuffisante hygiène, l’influence des agglomérations ont pu amener une consommation plus considérable de l’alcool.
- Il ne faut pas rendre le climat responsable plus que de raison de la consommation plus ou moins considérable de l’alcool.
- C’est, en effet, précisément dans les pays du nord de l’Europe voués, semble-t-il, par la nature elle-même à la fatalité de la consommation de l’alcool, que l’action publique et l’initiative privée ramènent peu à peu cette
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- consommation à des limites que des pays plus privilégiés sous le rapport du climat, mais où les mœurs et la loi n’ont pas exercé la même pression, sont actuellement en train de dépasser.
- La ligne idéale tracée par le Dr Lunier tend à s’effacer sous l’influence de diverses causes.
- Même dans les pays de vins, la consommation de l’alcool d’industrie, dont le prix de revient est de 40 à 50 francs par hectolitre au-dessous du prix de l’alcool de vin, s’est substituée à la consommation de celui-ci, à la suite des maladies qui ont frappé la vigne.
- D’ailleurs une sorte d’émulation semble s’être établie entre les deux fabrications pour l’obtention des plus mauvais produits possibles, l’alcool d’industrie produit par des matières naturellement nocives, étant de plus fabriqué dans des conditions défectueuses, et le vin d’où l’alcool prend naissance étant le plus souvent tellement avarié avant de passer dans l’alambic que l’alcool est le véhicule de toutes les impuretés, de toutes les maladies dont le vin est atteint.
- Mais c’est surtout au moyen des sous - produits de l’alcool, des liqueurs obtenues par distillation, infusion, ou macération, de certains fruits ou plantes mélangés avec des résidus d’alcools industriels, que le Midi prend sa revanche sur le Nord.
- Parmi ces liqueurs dont la consommation augmente sans cesse, il faut citer les dénommés « apéritives, » qui sont plus dangereuses encore que les autres, parce qu’elles sont versées dans des estomacs à jeûn et vides, et particulièrement l’absinthe dont la consommation subit une marche ascendante inouïe, si bien que cette consommation est devenue à cette heure le principal facteur de l’alcoolisme.
- Ayant remarqué, depuis plusieurs années, dans son service hospitalier, une augmentation notable des cas d’absinthisme chronique, tandis que l’alcoolisme restait
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- stationnaire, M. le Dr Lancereaux pria le directeur général des contributions indirectes de vouloir bien lui faire savoir si les statistiques de son administration confirmaient son observation.
- Des chiffres que ce fonctionnaire lui fit parvenir, il résulte que la consommation des absinthes, amers et des boissons similaires progresse chaque année dans des proportions considérables à Paris, car au lieu de 57,732 hectolitres frappés d’octroi en 1885, nous trouvons 129,670 hectolitres en 1892.
- Par conséquent, la consommation de l’absinthe dans la ville de Paris a plus que doublé dans l’espace de plus de sept années, et ce qu’il y a de plus effrayant, c’est de voir que l’élévation du taux de consommation qui jusqu’à ces derniers temps était d’environ 10,000 hectolitres par année, est montée depuis deux ans à 20,000, en sorte qu’aujourd’liui cette consommation doit dépasser 165,000 hectolitres (communication faite à l’Académie de médecine).
- On ne doit pas être surpris si, dans de semblables circonstances, le clinicien se demande où va notre population, ce qu’elle peut devenir, quand sur vingt malades admis dans un service hospitalier comme le sien, il y a environ dix intoxications, dont cinq par le vin et l’alcool et cinq par l’absinthe et similaires.
- C’est vers 1840 que la plus répandue de ces boissons, l’absinthe, de fabrication Suisse, commençait à exercer ses ravages en Algérie, parmi les colons, et surtout dans l’armée, d’où l’usage en est revenu en France.
- N’est-ce pas à la consommation de l’absinthe ou du vermouth (qu’une étrange complaisance du législateur fait comprendre dans la liste des vins au point de vue fiscal), que l’on doit l’extension prise par l’alcoolisme dans le Sud-Est, extension signalée au Congrès de la moralité publique de Lyon, en 1893, par le R1' Rey, médecin en chef de l’asile des aliénés de Marseille.
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- Parmi les faits cités par le Dr Rey, le suivant est des plus significatifs : l’asile des aliénés auquel il est atta ché suffisait, il y a vingt ans, à quatre départements, Bouches-du-Rhône, Var, Gard, Corse, et il est actuellement rempli par le seul arrondissement de Marseille.
- Le Dr Rey complétait sa .communication par ces mots : « Les fils d’alcooliques de cette région doivent peu de reconnaissance à leurs pères. Il y a dans les écoles de la ville plus de 300 enfants arriérés, débiles d’esprit et de corps, hors d’état de profiter de l’enseignement, et il en reste hors des écoles, une proportion au moins égale qu’il est impossible d’y admettre. Si donc nous n’y mettons bon ordre, l’alcoolisme fera de nous, à la longue, un peuple de crétins. »
- En réalité, une ignorance générale préside à la consommation de l’alcool. La plupart des buveurs d’alcool, des amateurs d’apéritifs, d’amers et autres poisons plus ou moins authentiques, s’intoxiquent périodiquement sans le savoir.
- Il faut distinguer ici entre l’ivresse ordinaire, alcoolisme aigü, fait isolé, avec ses manifestations convulsives ou apoplectiques, l’ivrognerie état habituel ou fréquent d’ivresse et l’alcoolisme chronique, moins apparent, mais infiniment plus grave et qui entraîne un état permanent de surexcitation du système nerveux.
- Parmi les savants, les uns prétendent que lorsque les liqueurs ne contiennent que de l’alcool de vin, elles ne deviennent nuisibles que par l’excès qu’on en fait ; qu’elles provoquent seulement l’ivresse dont les traces sont vite effacées; mais que lorsqu’elles renferment ce que les distillateurs nomment, mauvais goût de tète ou de queue, elles sont toxiques. Telle est aussi l’opinion des simples tempérants.
- On considère, d’autre part, que la quantité d’alcool consommé bien plus que sa qualité, constitue le dan-
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- ger de l’heure présente. C’est à cette manière de voir que se rallient les partisans de l’abstinence absolue.
- Le public,‘lui, ne se préoccupe guère de savoir si le péril alcoolique est la conséquence de l’abus des spiritueux ou boissons fermentées, ou bien du simple usage d’alcools toxiques. Il ne reconnaîtra pas volontiers l’existence de ce péril pour un buveur, tant qu’il n’aura pas constaté chez celui-ci les manifestations réitérées de l’ivresse, qui sont à ses yeux les conditions préalables, les prodromes obligés de l’affection alcoolique.
- Ceux qui professent cette opinion feront bien de lire dans le rapport du Dr Pierret, médecin en chef de l’asile de Bron, au Congrès de la Ligue de la moralité publique, de Lyon, la peinture originale et tragique de « l’alcoolique inconscient, » qui ne s’enivre jamais, mais qui, dépassant tous les jours la dose de spiritueux tolérée par l’organisme, finit par expier sa funeste erreur par le détraquement successif de ses organes les plus importants, l’estomac, le foie, le rein, et par les troubles intellectuels et moraux qui en résultent.
- Du reste, chacun reste en dépit de tout, convaincu que la boisson favorite de son voisin est le pire des poisons, tandis que sa boisson de prédilection a toutes les vertus.
- Une parfaite immunité est généralement reconnue aux extraits de plantes, et comme les plantes font partie de toutes les liqueurs, on voit d’ici quelle sécurité pour tout le monde ! Si vous faites remarquer à un buveur d’absinthe, par exemple, que trois ou quatre des plantes qui entrent dans la composition de cette boisson sont de violents poisons, vous n’ébranlerez pas sa quiétude et vous risquerez fort d’obtenir cette réponse étonnée : « Eh ! bien, est-ce que le corps ne s’habitue pas aux poisons ? » Ah ! le funeste exemple que nous a laissé Mithridate et comme on devrait le bannir de nos manuels 'scolaires,
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- C’est uniquement à propos de l’eau employée, de sa provenance, de sa température que s’émeut le buveur d’apéritifs, comme si le danger ne pouvait provenir que de ce perfide élément.
- Car la plupart des apéritifs se consomment étendus d’eau froide, si bien que cet .usage a donné naissance à un commerce considérable d’eau glacée dans les grands centres et notamment à Paris.
- Ainsi donc, par un étrange renversement d’objectif, le buveur demande à la boisson calorifique une réaction contre la chaleur.
- Pourquoi boit-on ?
- — Pour obtenir un surcroît de force.
- On ne contestera pas cependant l’énergie dont font preuve les peuples sobres de la Méditerranée, italiens, espagnols ou musulmans.
- On peut attribuer cette énergie à la chaleur vitale emmagasinée par ces races dans les pays chauds de leur formàtion, chaleur que les populations du Nord auraient besoin de s’infuser artificiellement.
- Mais le recul de la consommation de l’alcool dans les pays du Nord sous l’action 'des lois et des mœurs démontre que ce stimulant n’est pas nécessaire.
- D’après les conseillers les plus écoutés du tourisme, la pratique de l’alpinisme a depuis longtemps prouvé que dans les ascensions l’alcool ne rend pas les services qu’on attend et que dans la plupart des cas son emploi est nuisible.
- Les amateurs du genre de sport actuellement le plus répandu, quoique le plus récent, le cyclisme, sont unanimes pour proscrire l’usage de spiritueux dans leur exercice favori, et cela d’autant plus rigoureusement que la dépense de forces musculaires doit être plus considérable.
- Le toutes les considérations qui précèdent il résulte fine s’il faut faire à l’action calorifique de l’alcool sa
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- part, cette part, il ne faut pas l’exagérer, encore moins faut-il la considérer comme irréductible.
- Il est incontestable que l’absorption de l’alcool produit un effet calorifique immédiat ; mais l’expérience a prouvé que cet effet n’est pas de longue durée. C’est une excitation momentanée, qui laisse ensuite l’individu plus abattu qu’auparavant, La preuve en a été faite en quelque sorte mathématiquement.
- Dans une conférence faite à Nimes sur l’alcoolisme, un des membres les plus distingués de la Société d’économie populaire de cette ville a vivement intéressé ses auditeurs par le récit de cette expérience :
- On avait divisé un certain nombre d’ouvriers ou de soldats en deux équipes faisant le môme travail, l’une consommant de la bière, du vin, de l’alcool à volonté, l’autre s’en abstenant entièrement.
- Au commencement de la journée ceux qui se servaient d’excitants avaient le dessus ; mais à la fin de journée c’était le contraire.
- On ne se tromperait guère en attribuant, pour une bonne part, à la pensée qu’on rendra permanente cette excitation passagère, la cause de ces libations réitérées dont le résultat immédiat est précisément l'annihilation des forces qu’on voulait acquérir, et, la conséquence finale le détraquement de l’estomac, la perte de l’appétit, la misère physiologique qui fait du malheureux buveur une proie facile pour la tuberculose.
- Au récent congrès de Bâle, M. Justus Gaule, professeur de physiologie à l’université de Zurich, a décrit les effets de l’alcool sur la substance même des cellules qui composent l’organisme humain, effets d’autant plus grands que ces cellules comme celles du cerveau sont plus compliquées.
- Deux autres savants, M. Smith, propriétaire de l’asile du château de Marbach près du lac de Constance, et M. Fûrer, assistant de clinique psychiatrique à Heidelberg,
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- ont rendu compte des expériences qu’ils ont faites sur eux-mêmes et sur, deux amis complaisants, expériences qui prouvent d’une façon scientifique l’influence affaiblissante de ’l’usage même modéré des boissons alcooliques sur les facultés du raisonnement et de la mémoire. Ils sont arrivés à la certitude que tout travail intellectuel se fait plus facilement et plus sûrement pendant les périodes d’abstinence que lorsqu’on boit même modérément.
- Combien peu le plus souvent la raison préside à un exercice où, d’ailleurs, elle finit par succomber.
- On boit avant d’aller au travail, c’est-à-dire après que l’énergie a été ranimée par le sommeil ou par le repas. On boit immédiatement après le travail et avant le repas qui va redonner la force perdue.
- Ce n’est pas la chaleur, le surcroît de forces, que le buveur demande à l’alcool dans la plupart des cas, c’est dans l’ordre des passions sensitives la satisfaction du sens du goût, satisfaction abusive non seulement parce qu’en dépassant la mesure, dans un usage désordonné, on arrive à la suppression de cette satisfaction, à l’oblitération même de l’organe qui la reçoit, mais surtout parce qu’elle se procure au détriment de la jouissance des autres facultés et des facultés les plus nobles, celles de l’intelligence ; c’est, à un degré supérieur dans le même ordre de passions, la recherche de rêves agréables, sans penser que les plus affreux cauchemars, précédant la plus lamentable des fins, ne sont que trop souvent le résultat final de cette complaisance dans la poursuite des paradis artificiels.
- Pourquoi le travailleur veut-il avoir la vision de ce paradis artificiel, sinon parce que l’enfer est autour de lui.
- Enchaîné tout le jour à un travail pénible ou rebutant, souvent excessif, il ne trouve chez lui qu’un .taudis nauséabond, sombre, glacial en hiver, brûlant en
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- été, d’où le chasssent mille incommodités et la pensée de l’immuable dans le dénuement.
- Le cabaret lui offre sa douce chaleur en hiver, une fraîcheur habilement ménagée en été, le flamboiement de ses lumières, l’illusion de l’aisance.
- Il y trouve aussi, dans l’ordre des passions affectives, la satisfaction d’un impérieux besoin de sociabilité.
- Contre les tentations du dehors qui désorganisent la famille et enlèvent tout ressort à l’individu, un logement clair, aéré, suffisant est le premier préservatif. Et c’est pourquoi nous attribuons à la réforme du logement une importance capitale dans l’œuvre de rénovation sociale.
- Quant au besoin de sociabilité il trouvera sa satisfaction dans la création de cafés de tempérance, laquelle correspondrait à la réduction du nombre des débits, qui est à notre sens la plus urgente des mesures législatives à prendre.
- Puisque l’occasion s’en présente, nous nous reprocherions de ne pas insister davantage sur la nécessité de cette mesure.
- On a contesté, nous l’avons vu, l’influence de la multiplicité des débits sur le développement de l’alcoolisme. Cette appréciation repose sur des erreurs de faits.
- Nous avons reproduit à cet égard l’opinion de M. Alglave prétendant sur la foi d’une statistique suisse, qu’il n’existe aucune relation entre les cas d’alcoolisme et le nombre des cabarets. Dans cette statistique le canton de Thurgovie présente à la fois beaucoup plus de débits de boissons et beaucoup moins de cas d’alcoolisme que le canton de Berne. Cette anomalie apparente disparaît, comme l’a remarqué M. le pasteur Bovet, au Congrès de Bâle, si l’on considère que la statistique a fait rentrer dans le nombre des auberges tous les débits temporaires de cidre, si fréquents dans le canton de Thurgovie, tandis que cette même statistique ne tenait
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- pas compte des distilleries, particulières bernoises, qui étaient l’agent le plus actif d’alcoolisme.
- Le rapport présenté au Congrès de Paris en 1878, par le Dr Baer de Berlin, confirme l’opinion de M. Bovet, corroborée d’ailleurs par tant d’autres observations. Le Dr Baer déclarait, en effet, avoir constaté, dans les diverses provinces de Prusse que le nombre des aliénés est en proportion presque directe du nombre de cabarets ou débits d’eau-de-vie en détail.
- D’ailleurs, si la lumière de la statistique venait à manquer sur ce point, qui pourrait s’inscrire contre la vérité du tableau suivant tracé par M. Claude (des Vosges) dans son célèbre rapport au Sénat :
- « Les jours de paye, au retour du chantier ou de l’atelier, de combien de tournées s’allège le salaire si laborieusement gagné. Les débits sont là, tout le long de la route ; et comme les ronces d’un sentier sauvage, qui en arrachant quelques lambeaux d’étoffe font parfois couler un peu de sang, eux aussi font chaque fois au malheureux qu’ils dépouillent au détriment de lui-même et de sa famille, une blessure moins apparente sur le moment, mais cependant sûre, profonde, et dont les suites ne tardent pas à se manifester. »
- Ce sont les Sociétés de tempérance qui ont entrepris, en Angleterre, de substituer aux anciens débits de boissons, des cafés et restaurants dits de tempérance.
- Il est certain que l’obligation pour un grand nombre d’ouvriers de prendre leurs repas hors de chez eux est une des causes les plus fréquentes d’intempérance. Les cabarets où ils se rendent leur servent de mauvaises boissons, et comme dans un milieu défavorable les meilleures intentions ne peuvent aboutir qu’aux plus fâcheuses conséquences, le besoin de camaraderie et un certain esprit chevaleresque aidant, qui ne permet pas d’accepter une tournée sans la rendre, les tournées se multiplient. Lorsque les Sociétés de tempérance se-
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- ront plus nombreuses en France, elles pourront joindre leurs efforts à ceux des Sociétés de construction, qu’une loi récente favorise, et fonder à proximité des grands ateliers et des chantiers des cantines où l’on offrirait une nourriture hygiénique et des boissons dont le degré alcoolique ne présenterait aucun danger.
- Le jeu devrait être exclu de ces établissements, car il pousse à l’ivrognerie ; de tournée en tournée, on finit par s’alcooliser complètement.
- C’est le cabaret qui devient le plus souvent le régulateur de la vie de famille.
- Que dire de cette stupéfiante habitude du règlement de la quinzaine au cabaret, et du prélèvement par le patron de l’établissement sur le salaire des consommations généreusement octroyées à crédit, alors que la femme, les enfants sur les bras ou suspendus après la jupe, attend à la porte le moment de constater qu’il ne reste rien ou presque rien à rapporter à la maison pour payer les dépenses indispensables du ménage, habitude tellement enracinée, qu’on n’a pas cru qu’il fut possible de la faire disparaître sans l’intervention du législateur.
- (A suivre). J. P.
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- (i)
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- La construction des Sky scratchers, si elle se généralise, aura des conséquences plus importantes que d’élargir et d’embellir la viabilité des villes; elle modifiera forcément, nous l’avons déjà dit, le mode d’après lequel les maisons d’aujourd’hui sont possédées.
- Atteignant des hauteurs et embrassant des surfaces considérables, probablement un îlot entier, la haute et grande maison représentera une valeur qu’il faudra compter par dizaine de millions. La réunion d’un pareil capital impose la forme actionnaire et c’est au public qu’il faudra offrir les actions et demander des souscriptions. Alors l’antique propriété personnelle, celle dont on’ pouvait user et abuser, selon le droit romain, disparaîtra ou plus tôt se transformera, et l’important immeuble possédé par un nombre plus ou moins considérable d’actionnaires passera, comme les voies ferrées, les grandes usines, ou les grands magasins, sous la direction d’un administrateur : économe ou ingénieur, peut être les deux à la fois, intéressé à l’entreprise et désigné par les actionnaires. Ainsi, pour l’habitation humaine prendra fin ce droit d’abuser, que les législateurs de Rome croyaient inhérent au droit de posséder.
- Mais cet ordre d’idées un peu philosophique nécessiterait des développements fatiguants pour le lecteur; la description des organes des hautes maisons et des avantages qu’on pourrait y rencontrer* l’intéressera probablement davantage.
- Appréciant les commodités des logements américains, M. L. Wuarin s’exprime ainsi ; « Les anciens systèmes
- C) Voir notre numéro d’avril.
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- )) de chauffage si encombrants et qui causent tant d’acci-» dents de toutes sortes, ont été abandonnés. La règle » est de plus en plus le chauffage à la vapeur. La » chaudière occupe le sous sol. Le dernier mot du pro-» grès dans ce domaine, c’est le régulateur automatique. » Avec ce système on obtient une température invaria-» ble. Il n’y a autre chose à faire qu’à marquer avec » un index le degré thermométrique que l’on veut ob-» tenir.
- » La vapeur arrive sur un des côtés de la salle dans >) une série de tubes repliés, qui font penser aux tuyaux » d’un orgue; dès que le degré de chaleur désiré est » atteint, un appareil électrique suspend l’arrivée de la » vapeur; mais, aussitôt que l’on redescend au-dessous, » l’appareil ramène la vapeur.
- )) On comprend qu’il s’agit d’un courant qui s’inter-» rompt dès qu’il fait trop chaud et qui se rétablit une » fois que la température a de nouveau baissé.
- » C’est une ingénieuse innovation qu’un Européen » établi aux Etats-Unis nous expliquait en ces termes : » Si vous voulez comprendre les gens d’ici, partez de » ce principe, qu’ils n’aiment pas de se déranger pour » des riens, pour surveiller leur feu, par exemple, et ils » demandent au machiniste de leur enlever les préoc-» cupations agaçantes. »
- Voilà qui est commode pour le consommateur. Plus de bois ou de charbon à se procurer pour garnir et alimenter son foyer; plus de cendres à enlever; une plus grande propreté dans l’appartement (il est vrai que les domestiques sont chargés de ces soins, quand on a des domestiques); et moins de risque d’incendie, telles sont les considérations qui militent en faveur de ce système de chauffage.
- Avec la propriété personnelle, il n’est adaptable qu’à bien peu d’habitations. Des hôtels de millionnaires peuvent s’en payer le luxe, mais la plus grande partie du
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- public reste privé d’un mode de distribution du calorique hygiénique, agréable, et probablement économique, toutes les fois qu’il peut s’appliquer sur une grande échelle.
- Avec le Sky scratcher tout change : l’emplacement des chaudières et l’emplacement des tuyaux nécessaires pour conduire la vapeur peuvent être désignés et réservés dès la construction de l’édifice, et le fonctionnaire chargé du générateur à vapeur de l’ascenseur peut, sans grands frais, être chargé d’assurer ce nouveau service.
- Maintenant, parlons- un peu des risques d’incendie. Dans son étude M. Wuarin nous dit : « Parler du loge-» ment en Amérique sans dire quelques mots des pré-» cautions prises contre l’incendie, serait au moins » singulier.
- » Nous n’avons pas heureusement à nous occuper à » ce propos des maisons dans lesquelles le feu serait » le plus à redouter.
- » Les immeubles de dix ou vingt étages ont une » ossature en fer et l’on n’y fait entrer que des matériaux >) incombustibles. Sont-ils absolument à l’épreuve du feu, » Jlre proof? Beaucoup en doutent, pour avoir vu brûler » plus d’une construction donnée pour telle. Il nous » paraîtrait bien dificile, pourtant, de concevoir comment » on pourrait élever les colosses qui nous occupent, si » l’on avait la moindre arrière pensée qu’ils pussent » flamber. Gomment aurait-on trouvé la somme de » 17.500.000 fr. pour bâtir le temple maçonnique de » Chicago? Quelles familles voudraient aller vivre à la « hauteur d’une flèche de cathédrale, avec l’idée qu’un » jour elles pourraient avoir leurs issues coupées?
- » Un capitaliste de Chicago qui possède un hôtel de » voyageurs, bâti exclusivement en métal, briques, » ciment et matériaux semblables, nous racontait com-» ment le feu, déclaré un jour dans une chambre, y » était resté confiné et s’y était éteint faute d’aliments. »
- Il est indubitable qu’une construction en pierres, bri-
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- ques et fer, isolée de toute autre bâtisse, et de laquelle serait absolument exclus les bois même dans les planchers, présenterait des garanties d’incombustibilité considérables. Nul doute que les Compagnies d’assurances consentissent à une réduction du tarif des primes d’assurances si une^diminution de leurs risques leur était démontrée.
- A l’appui de cette opinion, je citerai ce qui s’est passé pour le Familistère de Guise.
- En 1880-1881, trois grands parallélogrammes en briques, construits successivement, formaient un ensemble d’habitations pouvant contenir environ 1200 personnes. Le troisième de ces grands pavillons venait d’être terminé et le fer, le béton et la brique avaient exclusivement servi à la confection de ses planchers et de ses pavés.
- Les polices d’assurances des deux premiers pavillons où le bois avait été employé aux planchers, arrivaient à échéance et il fallait les renouveler en y comprenant le troisième pavillon. Les inspecteurs des compagnies furent appelés ; ils examinèrent soigneusement la nouvelle construction et consentirent une réduction considérable du tarif.
- Ils avaient été unanimes à reconnaître que les précautions prises avaient réduit presque à rien les risques d’incendie.
- Les constructions du Familistère ne sont pas des Sky scratchers puisqu’elles n’ont que trois étages sur le rez-de-chaussée; mais ce sont de grandes habitations dans lesquelles le feu ne présente que peu de dangers. Chacun de ces parallélogrammes entoure une cour large de vingt mètres et longue de quarante environ; une couverture vitrée placée au haut du bâtiment s’étend sur chacune des cours ; sous cet abri, des balcons trottoirs, courant à tous les étages, mettent leS" habitants en facile relation et conduisent à de larges escaliers placés aux angles des édifices.
- Si, par hypothèse, un grand incendie venait à se pro-
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- LES SKY SCRATCIIERS
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- duire dans l’établissement, près d’un escalier par exemple, et en barrerait-il l’accès, les trois autres escaliers en relation avec les balcons garantiraient à la population une évacuation facile. Gela est bien plus commode que les Jire escape dont nous parle M. Wuarin et qu’il nous décrit ainsi :
- « Nous nous rappelons jiotre embarras, lors de notre » arrivée à New-York, à nous rendre compte de la pré-» sence de petites échelles de fer courant le long des » façades de certaines maisons, avec de minuscules » paliers également en fer à chaque étage. Quelle pou-» vait être la destination de ces singuliers escaliers » extérieurs, laissant une impression de squelettes, » d’inachevé? Nous ne tardâmes pas à trouver le mot » de l’énigme : car notre hôtel offrait lui-même sur sa » façade la moins en vue le Jlre escape (escalier de fuite » ou de sûreté) qui venait de nous intriguer. »
- Ailleurs, il déclare que les sky scratchers n’offrent pas ce petit dispositif.
- Nous le croyons sans peine, car avec pareille méthode de salut on courrait de graves dangers : il faudrait une grande force musculaire, beaucoup d’adresse et de sang-froid pour descendre ainsi d’un vingtième étage. Combien les escaliers d’angle des Familistères combinés avec les balcons-trottoirs intérieurs sont préférables !
- (.A suivre).
- Aug. Fabre.
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- LE DEVOIR
- FAITS POLITIQUES & SOCIAUX
- DANEMARK Un Office du Travail
- Sous le nom de Bureau de statistique de l’Etat, une loi récente entrée en vigueur le 1er janvier 1896, vient d’organiser un Office du Travail en Danemark.
- La nouvelle institution est chargée de la statistique générale du pays et spécialement de toutes les études qui se rapportent aux questions ouvrières.
- Le détail des attributions qui lui sont confiées est ainsi fixé par la loi :
- 1° Statistique de la population ;
- 2° Statistique judiciaire et statistique morale (moralité, abus d’alcool, etc.);
- 3° Statistique sociale embrassant les conditions de la vie dans 'les diverses couches sociales : alimentation, consommation, budgets ouvriers, assurances ouvrières ;
- 4° Statistique des salaires et revenus des diverses professions (agriculture, industrie, pèche);
- 5° Statistique de l’épargne et du crédit populaire;
- 6° Statistique de la vie intellectuelle (éducation et instruction) ;
- 7° Statistique des organismes publics ( finances de l’Etat et des communes, élections) ;
- 8° Statistique internationale, statistique Scandinave et statistique générale internationale.
- Le personnel supérieur est composé d’un directeur, de deux chefs de section et de quatre attachés.
- ** *
- AU T RICHE-HONGRIE La Coopération
- A la fin de l’année 1894, on comptait, en Autriche, 270 sociétés appartenant à YUnion générale des coopératives allemandes.
- Ce total se décompose ainsi ; Crédit, 118; consommation, 127; production, 17; achat de matières premières, 4; magasinage, 2; sociétés laitières, 2.
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- FAITS POLITIQUES ET SOCIAUX
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- Sur ces 270 sociétés, 255 seulement ont fourni des renseignements détaillés sur leur effectif et leur situation financière; les 15 autres n’avaient pas encore arrêté leurs comptes à l’époque où ont été rassemblés les matériaux de la statistique que nous analysons ici.
- Les 255 sociétés se répartissent ainsi :
- 117 sociétés de crédit avec 49,065 membres.
- 116 sociétés de consommation avec 45,327 membres.
- 22 sociétés de production et diverses avec 924 membres.
- Les 117 sociétés de crédit ont procuré à leurs membres, en 1894, 54,682,267 florins de crédit (contre 54,183,077, en 1893).
- Le produit des ventes, en 1894, pour les 116 coopératives de consommation s’est élevé à 7,113,925 florins, et le bénéfice net à 419,777 florins.
- Les 92 centièmes de ce bénéfice ont été partagés entre les membres, et 4,5 centièmes ont été versés à la réserve. Le taux du dividende, pour 102 sociétés, a varié de 0,5 à 12 p. %.
- ÉTATS-UNIS
- Les Grèves et les Associations
- Le Bulletin du Département du Travail, dont la publication a été décidée par une loi récente du Parlement des Etats-Unis, a déjà fait paraître trois numéros. Nous en extrayons le résumé de la statistique des grèves aux Etats-Unis.
- Cette statistique embrasse une période de treize années, de 1881 à 1894, durant lesquelles se sont produites aux Etats-Unis 14,300 grèves, intéressant 69,167 établissements et 3,714,400 ouvriers.
- Pendant la période considérée, 32 % des grèves ont obtenu gain de cause, 12,50 % l’ont eu en partie, et 55 °/0 ont complètement échoué.
- L’augmentation de salaire a été la cause de 42,30 °/0; la réduction du temps de travail de 20 %; contre réduction de salaire de 7,90 % ; augmentation de salaire, sans réduction de temps de travail, 7,29 °/0; causes diverses, 23 %.
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- Ces grèves ont occasionné une perte de salaire de 819 millions aux ouvriers, et, en outre, 51 millions pour soutenir les grèves.
- En tenant compte des pertes de salaires par la fermeture des ateliers, on trouve que les grèves n’ont pas coûté moins de 1,200 millions aux Etats-Unis pendant cette période de treize ans.
- Nous ne pouvons faire aucune autre réflexion, si ce n’est celle qui vient à l’esprit à la lecture de ces chiffres : que d’argent mal placé. Combien meilleur en aurait été l’emploi dans des Associations — bien organisées — qui, vivantes aujourd’hui, auraient émancipé à jamais leurs adhérents, dont l’exemple aurait incité d’autres ouvriers à suivre la même voie; mais, nous le savons bien, il est plus facile de faire une grève ou d’y adhérer que d’organiser une Association de production...
- Q.ue ne ferait-on pas avec les 1,200 millions perdus pendant treize années de luttes, qui n’ont été produc tives que pour quelques uns. Et cela est non seulement vrai pour les ouvriers des Etats-Unis, mais pour ceux de tous pays......
- Du reste, on ne compte plus les associations qui se sont formées à la suite des grèves multiples. La réflexion est venue après que le mal était fait. Ne vaut-il pas mieux prévoir que réparer?........
- Il n’y a donc pas besoin, pour les travailleurs, d’attendre l’occasion d’une grève pour prendre parti. Une grève n’émancipe personne ; l’association, au contraire, donne la liberté à tous ceux qui en font partie ; la preuve en est là,, parmi les cent associations adhérentes à la Chambre consultative....
- Moins de grèves et plus d’associations.
- Abel Davaud (UAssociation ouvrière).
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- MOUVEMENT FEMINISTE
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- MOUVEMENT FÉMINISTE
- Les Droits civils des Femmes
- En réponse à l’Adresse de la Chambrée La Solidarité, de Nimes, Adresse que nous avons publiée dans notre dernier numéro, Madame Jeanne Schmahl a répondu par la lettre suivante, que nous nous faisons un plaisir d’insérer :
- Paris, 29 mars 1896.
- A Monsieur le Secrétaire et aux Membres de la Chambrée La Solidarité de Nimes ( Gard )
- Messieurs,
- Je suis très profondément touchée de la lettre que vous avez bien voulu m’adresser, pour la part que j’ai prise dans les efforts qui ont amené le vote du 27 février à la Chambre des Députés, relatif au salaire de la femme mariée.
- Lorsque dans une campagne longue et douloureuse, après avoir, dans un combat décisif, enlevé à l’ennemi une position importante, le soldat s’arrête un instant pour respirer, refourbir ses armes et repartir, il lui est doux, dans cette courte halte, de voir une main fraternelle tehdue vers lui et d’entendre des paroles encourageantes.
- C’est aussi l’impression que j’ai ressentie à la lecture de votre lettre et je vous en remercie.
- Mais, je vous sais gré surtout, d’exprimer si franchement et si généreusement votre appréciation sur la justice de la cause que nous défendons, en même temps que votre approbation de notre tactique.
- Si à l’origine, j’ai décidé mes amis de donner à notre Association le nom de UAvant-Courrière, ce ne fut nullement parce que nous prétendions être les premiers à réclamer les droits de la femme; mais parce que je considère la revendication de l’égalité de la femme au foyer domestique, comme devant être la première des revendications.
- Or nul n’est libre s’il dépend économiquement d’un autre et la femme dépend ainsi de son mari.
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- Rien n’est possible, rien, pour l’émancipation de la femme, tant que restent en vigueur ces articles du Code qui consacrent la puissance maritale.
- Tous ces semblants de droits dont on se félicite avec tant d’ingénuité, ne sont que des concessions bénévolement accordées, dont la femme mariée ne peut user qu’avec l’autorisation du mari.
- Loin de moi de méconnaître l’importance de ces améliorations morales apportées à la situation de la femme, cependant il ne faut pas les confondre avec les revendications de « Droit. »
- La puissance maritale, voilà la pierre d’achoppement à laquelle se heurtent les pieds de ceux qui ne font que voir luire dans la distance, ce « desiderata suprême, » le vote politique.
- Tant que persiste l’autorité maritale, tant que l’obéissance de la femme demeure la condition de la protection du mari, tant que n’est pas connu le Droit sacré des faibles, la République n’est pas fondée; c’est surtout quand il s’agit de la liberté qu’il est juste de dire que « rien n’est fait, tant qu’il reste quelque chose à faire. »
- Quant à notre tactique, c’est celle qui nous avait semblé la plus logique et qui devait le plus sûrement réussir.
- Préparer avec soin un plan exécutable, s’assurer quelques partisans avant d’en parler publiquement ; puis s’adresser à la presse afin de vaincre l’inertie du pouvoir législatif.
- Ensuite s’armer de patience et de courage, surtout du courage d’être patient, et sans jeter un regard en arrière... partir !
- Les travailleurs devraient, peut-être, plus souvent aussi se grouper et se prévaloir du droit de suffrage qu’ils possèdent, pour agir sur leurs députés, au lieu de laisser l’initiative à des hommes qui, en général, font partie d’une autre classe et qui par conséquent ne peuvent avoir ni les mêmes aspirations, ni surtout les mêmes intérêts.
- Les Chambres sont d’immenses machines automatiques, et pour les mettre en mouvement, il faut une vigoureuse impulsion, qu’il faut continuer une fois qu’elle est donnée, si l’on ne veut pas voir s’arrêter l’action commencée.
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- Notre projet de loi est actuellement au Sénat. Il fut annexé au procès-verbal de la séance du 2 mars et renvoyé à la Commission relative aud> droits civils de la femme, où il rencontre un accueil des plus favorables.
- Nous avons bon espoir, grâce au zèle de la Commission et de son rapporteur, M. Cazot, du Gard, sénateur, que notre projet sera mis en discussion dans un délai relativement court. Peut-être même aurons-nous alors la satisfaction de voir le champ s’élargir et profitant du mouvement favorable de l’opinion, le Sénat voter en un sens très libéral, plusieurs propositions de loi, qui depuis longtemps attendaient l’impulsion.
- Je ne sais si votre Chambrée a noté un fait significatif et consolant, lors du vote de la Chambre?
- Pour la première fois dans l’histoire, les femmes ont vu un Gouvernement s’associer à la revendication de leur droit, et ce fut un Ministre de la justice qui éleva sa voix en leur faveur.
- Cette initiative est digne de la France et de bon augure.
- La République, la première, proclama les Droits de l’Homme, elle se doit à elle-même de faire la Française libre dans la France libre !
- J’ai le plaisir de vous faire parvenir quelques exemplaires de nos publications que vous voudrez bien faire distribuer; en le faisant vous aiderez à notre propagande et me donnerez ainsi une nouvelle occasion de vous exprimer la reconnaissance avec laquelle je suis, Messieurs, votre dévouée
- J.-E. SCHMAHL,
- Directrice de L’Aoant-Courrière.
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- BIBLIOGRAPHIE
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- Les Types intellectuels : Esprits logiques et esprits faux, par M. Paulhan,
- ( 1 vol. 7 fr. 50. Editeur : Félix Alcan, 108, boulevard Saint-Germain, Paris).
- Nous extrayons de la Conclusion de ce volume les paroles suivantes qui en indique nettement le contenu : « Nous les avons suivis (les types intellectuels) des grands équilibrés et des logiciens jusqu’aux frivoles, jusqu’aux déments, et nous avons constaté, en passant de l’un à l’autre, et toutes choses égales d’ailleurs, un affaiblissement progressif de la coordination mentale qui va se relâchant jusqu’à devenir presque nulle. »
- L’ouvrage est d’une lecture à la fois des plus intéressantes et des plus instructives.
- M. Paulhan a déjà publié, à la même Librairie, de nombreux ouvrages de philosophie. Citons entre autres :
- « Les Caractères, » dont la première édition a été rapidement épuisée. Une deuxième, revue et augmentée, est en préparation.
- « U Activité mentale et les éléments de l’esprit » (10 fr.)
- « Les Phénomènes affectifs et les lois de leur apparition» (2 fr. 50), etc., etc.
- L’ouvrage que nous annonçons aujourd’hui est lui-même le premier d’une série : « Les Types intellectuels qui comprendra trois autres volumes : « Les Qualités de l’esprit, » « Le Contenu de l’esprit, » « Synthèses individuelles. »
- Ce que M. Paulhan recherche dans toutes ces études, c’est l’essence de l’âme, l’essence de la vie.
- Par âme, il entend l’unité des phénomènes mentaux; et par vie, l’unité des phénomènes physiologiques.
- Quelle est leur essence ?
- La question est pour nous d’un intérêt primordial.
- M. Paulhan répond : L’essence de l’âme, l’essence de la vie, c’est l’association systématique, la finalité,
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- BIBLIOGRAPHIE
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- Nous pouvons donc entrevoir ce que foncièrement nous sommes, en examinant la tin que nous nous proposons généralement dans tous nos actes, et, conclusion pratique, nous améliorer foncièrement en poursuivant dans la vie l’idéal le plus pur que nous puissions concevoir.
- Travaux du Congrès de Bordeaux, 7me assemblée de l’Association protestante pour l’Etude pratique des questions sociales. (16-19 octobre 1895).
- Vol. in-8° en vente au prix de 3 fr. 50 à la Librairie Fischbacher, 33, rue de Seine, Paris; et au Bureau de 1 ’Emancipation, 1, rue Duguesclin, Nimes (Gard).
- Ce beau volume donne d’abord les séances du 7me Congrès, puis divers autres documents et termine par des renseignements sur l’Association elle-même.
- Fondée en juillet 1887, l’Association protestante pour l’Etude pratique des questions sociales a tenu clia que année un Congrès où a été résumé l’état des travaux.
- Le dernier Congrès a été présidé par M. de.Boyve, nom bien connu de tous les amis de la coopération en France et à l’étranger. Avant de prononcer le discours Couverture, M. de Boyve avait donné la parole à M. le pasteur Cadène, président du consistoire de l’Eglise réformée de Bordeaux, lequel prononça une courte allocution dont nous détachons les quelques lignes suivantes auxquelles applaudiront certainement tous les hommes de bonne volonté. S’adressant aux membres de l’Association, M. Cadène dit :
- « Notre temps n’aime pas le nuage; le positivisme nous a rendu ce service de nous rendre attentifs aux faits, et vous représentez le christianisme pratique.
- » ...Vous .avez ramené la théologie chrétienne, la pensée chrétienne, sur les faits et les besoins de l’heure présente; vous avez, au nom de l’Evangile, signalé et attaqué des abus criants, des périls publics; fondé des œuvres d’une utilité si évidente qu’elles s’imposaient.
- » ...Notre temps n’aime pas la prudence qui se dérobe, h aime le courage, et vous êtes le christianisme viril. Le nombre est grand de ceux qui s’enferment égoïste
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- ment dans leur bien-être et 11e veulent rien savoir, rien voir, du monde autour d’eux. Vous, vous voulez voir clair; s’il y a des bruits menaçants, les entendre; de justes revendications, les écouter et, dans la mesure de votre pouvoir y faire droit. »,
- M. de Boyve, président du Congrès, prononça ensuite le discours d’ouverture. Ne pouvant le reproduire in-extenso, nous voulons du moins en détacher quelques passages montrant quel esprit anime l’Association protestante.
- Après avoir résumé à grands traits, les conditions présentes du monde industriel, M. de Boyve a dit :
- « L’ouvrier n’ayant aucun rapport avec son patron, ne connaît pas ses affaires et a la conviction que celui-ci l’exploite; de son côté, le patron voit en son ouvrier un ennemi prêt à profiter des moments les plus critiques pour le ruiner.
- » Ce qui semblerait le plus raisonnable pour sortir de cette situation, serait que les patrons, aussi bien que les ouvriers, formassent de puissants Syndicats. Ces Syndicats organiseraient des Conseils d’industrie permanents composés mi-partie d’ouvriers et de patrons qui se réuniraient régulièrement tous les mois et s’entendraient amiablement sur toutes les questions qui les intéressent. Ces rapports fréquents amèneraient certainement de l’accord entre eux et feraient disparaître peu à peu tout sentiment d’animosité ; l’ouvrier faisant partie du Conseil d’industrie connaîtrait en partie la situation de son patron et celui-ci serait au courant de la vie de son ouvrier. En cas de difficultés, un Conseil d’arbitrage, composé de quatre membres, ouvriers et patrons, et d’un président accepté par les deux parties, trancherait tous les différends.
- » Aucun système n’est plus logique que celui-là et partout où il fonctionne, en Angleterre comme en Belgique, il donne d’excellents résultats.
- » Mais, avec le peu de confiance qu’ont les patrons dans leurs ouvriers et la surexcitation habilement entretenue parmi ceux-ci par les commis-voyageurs en haine sociale, il est difficile d’établir le règne de la paix, de la justice et de la raison. Il serait pourtant urgent de faire comprendre aux ouvriers aussi bien
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- qu’aux patrons que toute dispute entre eux nuit aux uns et aux autres.
- » C’est sans doute aux patrons à faire le premier pas. Pourquoi ne chercheraient-ils pas à établir, par exemple, dans toutes les industries où cela est praticable, la participation des ouvriers aux bénéfices, qui, en intéressant à leurs affaires tous leurs collaborateurs, les rendraient solidaires de leur entreprise.
- » Ce système dans l’industrie, avec la coopération de consommation qui est une école de solidarité, préparerait une plus égale distribution des richesses et ramènerait bien vite la paix sociale.
- » Le travail salarié 11’a-t-il pas fait son temps et le moment n’est-il pas venu peut-être d’aborder l’ère du travail librement associé au capital, pour aboutir, après cette phase éducative et préparatoire, au travail émancipé et possesseur de son capital, c’est-à-dire à l’association de production qui demande des hommes intelligents, instruits et habitués à la discipline, ce qui n’est pas encore le cas aujourd’hui. Et, il faut bien reconnaître que les évolutions qui ne sont pas mûres échouent : les hommes doivent être préparés à des institutions nouvelles et d’un ordre plus élevé. »
- Et plus loin : « Nous vivons dans un pays de suffrage universel où l’homme le plus instruit comme le plus ignorant, où le plus intelligent comme le plus stupide pèsent du même poids dans la balance électorale. Sans doute, aucune entreprise, commerciale ou industrielle, ne pourrait fonctionner ainsi.
- » N’est-ce pas une raison pour que les hommes les plus intelligents, les plus instruits, les plus honnêtes sortent de leur repos et reprennent l’influence qui leur appartient, au lieu de la laisser entre les mains des politiciens ?
- » Dans un pays de suffrage universel, chaque ouvrier ou patron, balayeur de rue ou banquier, professeur ou docteur 11e devraient se former une opinion qu’après avoir longtemps fréquenté des hommes de tous les rangs de la société, non pas dans des réunions électorales où les orateurs cherchent à tromper leurs auditeurs, mais dans des réunions fraternelles où, après une soirée littéraire, un concert, on s’entretient libre-
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- ment et paisiblement des questions sociales. Comment pouvez-vous voir juste sur de tels sujets si vous n’avez jamais entendu que ceux qui pensent comme vous et si vous n’êtes jamais sorti de votre coterie?
- » ...Notre Société d’Economie populaire de Nimes (1) a déjà obtenu quelques bons résultats dans cette voie; elle a opéré un rapprochement entre quelques travailleurs intelligents et quelques bourgeois éclairés ; il lui reste beaucoup à faire encore.
- » M. Gaufrés vous parlera tout à l’heure des résultats obtenus par le Cercle populaire de Paris.
- » En Angleterre, tout le monde a entendu parler de Toynbee Hall où des professeurs des Universités, des membres de l’aristocratie, non seulement se réunissent le soir aux ouvriers, mais quelquefois vont partager leurs promenades du dimanche.
- » Dans le même pays, les cercles ouvriers, dont le président est notre ami Hodgson Pratt, produisent un rapprochement très marqué entre toutes les classes de la société et cela malgré les privilèges que l’aristocratie anglaise a conservés et qui n’existent pas chez nous.
- » Dans toutes ces Sociétés d’économie populaire qui doivent profiter à tous sans doute, mais principalement aux ouvriers, il importe que ceux-ci soient en majorité dans le Comité de direction afin qu’ils ne puissent pas avoir la pensée qu’on veut leur imposer une opinion autrement que par la raison.
- » Il faut que les plus favorisés par leur position sociale, leur intelligence ou leur instruction, gagnent le respect et la confiance de la majorité par leur affection fraternelle, leur dévouement et par la franchise de toutes leurs paroles et de tous leurs actes.
- » Je prends la liberté de recommander tout particulièrement, à mes collègues de l’Association, la création d’institutions pareilles qui doivent être ouvertes à tous les honnêtes gens sans distinction d’opinion politique ou religieuse; à condition que dans les cercles dont il s’agit, on ne parle ni de politique, ni de religion. Qu’on le fasse et on constatera bientôt que ces institutions conduisent naturellement à toutes les améliorations sociales réalisables. »
- (1) Pour lu Société d’Economie populaire de Nîmes, voir l’article de Ch. Gide publié dans notre numéro de mars dernier, page 181.
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- Suivent d’autres rapports parmi lesquels nous citerons celui sur :
- « La Désertion des campagnes, le fait, les conséquences du fait, les causes et les remèdes, »
- Ce rapport est dû à M. le professeur Raoul Allier. C’est un travail magistral que nous ne pouvons apprécier en quelques mots, mais que voudront lire toutes les personnes pénétrées de l’importance du sujet.
- Parmi les orateurs du Congrès, nous devons mentionner M. Charles Robert, un des illustres promoteurs de la participation des travailleurs aux bénéfices de la production. Dans un très beau discours intitulé :
- « La juste répartition des fruits du travail. »
- M. Charles Robert a proposé en exemple le Familistère de Guise et cité d’autres établissements industriels, spécialement les entreprises Leclaire et Laroche-Joubert, où fonctionne également la répartition des bénéfices entre tous les facteurs de la production.
- Certainement, tous ceux qui. ont à coeur d’être tenus au courant du mouvement social et d’aider à la solution pacifique des difficultés de l’heure présente et à l’élévation intellectuelle et morale de la population toute entière, liront avec intérêt, avec profit, le livre que nous signalons.
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- OUVRAGES REÇUS
- La Mission de la femme et les questions sociales,
- par H. Rœhrich.
- Opuscule de 32 pages, en vente chez l’auteur, 23 bis Montbrillant, Genève, Suisse. Prix, franco, 40 centimes l’exemplaire. Par dix exemplaires, 30 centimes chacun.
- Dans notre dernier numéro, page 179, nous avons dit combien cette petite brochure mérite d’être propagée.
- Un Socialiste pratique : Robert Owen. — Cet ouvrage de 132 pages, précédé d’une introduction de M. Ch. Gide, est dû à la plume de notre collaborateur M. Aug. Fabre. C’est une biographie complète et extrêmement intéressante de la vie de Robert Owen, qu’elle suit pas à pas dès son enfance, dans ses essais commerciaux et industriels, dans son mariage et surtout dans ses succès à New Lanark. La deuxième partie du livre est consacrée à l’expérience que Robert Owen tenta aux Etats-Unis en 1824 à New-Harmony. Les causes de ce dernier échec sont très minutieusement et loyalement exposées. Les dernières années de la vie d’Owen et la liste des ouvrages de ce socialiste pratique complètent heureusement ce volume que tous nos lecteurs se feront un plaisir et un devoir de se procurer.
- Bureaux de Y Emancipation, Nimes. Prix : 1 fr.
- ***
- Le Bulletin du Crédit populaire publié sous la direction de M. Charles Rayneri (Menton) annonce, dans son numéro de mars, la fusion des deux groupements qui s’étaient donné pour mission de répandre en France les principes de la coopération de crédit : la Société de propagation et le Centre fédératif du Crédit populaire.
- C’est le Centre fédératif qui tiendra le drapeau du Crédit populaire.
- Solution pacifique de la question sociale, par M. L.
- Gagneur.
- Brochure de 16'pages en vente au prix d’un franc chez E. Dentu, Palais-Royal, Paris.
- L’auteur préconise l’essai expérimental des théories sociales.
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- SANS FAMILLE
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- SANS FAMILLE
- Par Hector MALOT
- Ouvrage oouronné par l’Académie française
- (Suite)
- — Il est vrai que nous n’entendons rien. Mais ici pouvons-nous entendre ? Qui sait cela ? pas moi. Et puis encore quand nous pourrions entendre, et qu’il serait prouvé qu’on ne travaille pas, cela prouverait-il en même temps qu’on nous abandonne? Est-ce que nous savons comment la catastrophe est arrivée ? Si c’est un tremblement de terre, il y a du travail dans la ville pour ceux qui ont échappé. Si c’est seulement une inondation, comme j’en ai l’idée, il faut savoir dans quel état sont les puits. Peut-être se sont-ils effondrés ? la galerie de la lampisterie a pu s’écrouler. Il faut le temps d’organiser le sauvetage. Je ne dis pas que nous serons sauvés, mais je suis sûr qu’on travaille à nous sauver.
- Il dit cela d’un ton énergique qui devait convaincre les plus incrédules et les plus effrayés.
- Cependant Bergounhoux répliqua :
- — Et si l’on nous croit tous morts ?
- — On travaille tout de même, mais si tu as peur de de cela, prouvons-leur que nous sommes vivants ; frappons contre la paroi aussi fort que nous pourrons; vous savez comme le son se transmet à travers la terre; si l’on nous entend, on saura qu’il faut se hâter, et notre bruit servira à diriger les recherches.
- Sans attendre davantage, Bergounhoux, qui était chaussé de grosses hottes, se mit à frapper avec force comme pour le rappel des mineurs, et ce bruit, l’idée surtout qu’il eveillait en nous, nous tira de notre engourdisse-sement. Allait-on nous entendre? Allait on nous répondre ?
- — Voyons, magister, dit l’oncle Gaspard, si l’on nous entend, qu’est-ce qu’on fera pour venir à notre secours?
- — Il n’y a que deux moyens, et je suis sûr que les ingénieurs vont les employer tous deux : percer des
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- descentes pour venir à la rencontre de notre remontée, et épuiser l’eau.
- — Oh! percer des descentes!
- — Ah! épuiser l’eau!
- Ces deux interruptions ne déroutèrent pas le ma-gister. ' "
- — Nous sommes à quarante mètres de profondeur, n’est-ce pas? en perçant six ou huit mètres par jour, c’est sept ou huit jours pour arriver jusqu’à nous.
- — On ne peut pas percer six mètres par jour.
- — En travail ordinaire non, mais pour sauver des camarades on peut bien des choses.
- — Jamais nous ne pourrions vivre huit jours : pensez donc, magister, huit jours !
- — Eh bien, et l’eau ? Comment l’épuiser ?
- — L’eau, je ne sais pas; il faudrait savoir ce qu’il en est tombé dans la mine, 200,OCX) mètres cubes, 300,000 mètres, je n’en sais rien. Mais pour venir jusqu’à nous, il n’est pas nécessaire d’épuiser tout ce qui est tombé, nous sommes au premier niveau. Et comme on va organiser les trois puits à la fois avec deux bennes, cela fera six bennes de 25 hectolitres chaque, qui puiseront l’eau ; c’est-à-dire que 150 hectolitres d’un même coup seront versés dehors. Vous voyez que cela peut aller encore assez vite.
- Une discussion confuse s’engagea sur les moyens les meilleurs à employer; mais ce qui pour moi résulta de cette discussion, c’est qu’en supposant une réunion extraordinaire de circonstances favorables, nous devions rester au moins huit jours dans notre sépulcre.
- Huit jours! le magister nous avait parlé d’ouvriers qui étaient restés engloutis vingt-quatre jours. Mais c’était un récit, et nous c’était la réalité. Lorsque cette idée se fut emparée de mon esprit, je n’entendis plus un seul mot de la conversation. Huit jours !
- Je ne sais depuis combien de temps j’étais accablé sous cette idée, lorsque la discussion s’arrêta.
- — Ecoutez donc, dit Carrory, qui, précisément par cela qu’il était assez près de la brute, avait les facultés de l’animal plus développées que nous tous.
- — Quoi donc?
- — On entend quelque chose dans l’eau.
- — Tu auras fait rouler une pierre.
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- — Non, c’est un bruit sourd.
- Nous écoutâmes.
- J’avais l’oreille fine, mais pour les bruits de la vie et de la terre ; je n’entendis rien. Mes camarades qui, eux, avaient l’habitude des bruits de la mine furent plus heureux que moi.
- — Oui, dit le magister, il se passe quelque chose dans l’eau.
- — Quoi, magister?
- — Je ne sais pas.
- — L’eau qui tombe.
- — Non, le bruit n’est pas continuel, il est par secousses et régulier.
- — Par secousses et régulier, nous sommes sauvés, enfants! c’est le bruit des bennes d’épuisement dans les puits.
- — Les bennes d’épuisement...
- Tous en même temps, d’une même voix, nous répétâmes ces deux mots, et comme si nous avions été touchés par une commotion électrique, nous nous levâmes.
- Nous n’étions plus à quarante mètres sous terre, l’air n’était plus comprimé, les parois de la remontée ne nous pressaient plus, nos bourdonnements d’oreilles avaient cessé, nous respirions librement, nos cœurs battaient dans nos poitrines.
- Carrory me prit la main, et me la serrant fortement.
- — Tii es un bon garçon, dit-il.
- — Mais, non, c’est toi.
- — Je dis que c’est toi.
- — Tu as le premier entendu les bennes. *
- Mais il voulut à toute force que je fusse un bon garçon; il y avait en lui quelque chose comme l’ivresse du buveur.- Et de fait n’étions-nous pas ivres d’espérance.
- Hélas! cette espérance ne devait pas se réaliser de sitôt, ni pour nous tous.
- . Avant de revoir la chaude lumière du soleil, avant d’entendre le bruit du vent dans les feuilles, nous devions rester pendant de longues et cruelles journées, souffrant toutes les souffrances, nous demandant avec angoisse si jamais nous verrions cette lumière et si jamais il nous serait donné d’entendre cette douce musique.
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- Mais pour vous raconter cette effroyable catastrophe des mines de la Truyère, telle qu’elle a eu lieu, je dois vous dire maintenant comment elle s’était produite, et quels moyens les ingénieurs employaient pour nous sauver.
- Lorsque nous étions descendus dans la mine, le lundi matin, le ciel était couvert de nuages sombres qui annonçaient un orage. Vers sept heures, cet orage avait éclaté accompagné d’un véritable déluge : les nuages qui traînaient bas s’étaient engagés dans la vallée tortueuse de la Divonne et, pris dans ce cirque de collines, ils n’avaient pas pu s’élever au-dessus ; tout ce qu’ils renfermaient de pluie, ils l’avaient versé sur la vallée ; ce n’était pas une averse, c’était une cataracte, un déluge. En quelques minutes les eaux de la Divonne et des affluents avaient gonflé, ce qui se comprend facilement, car sur un sol de pierre, l’eau n’est pas absorbée, mais suivant la pente du terrain, elle roule jusqu’à la rivière. Subitement les eaux de la Divonne coulèrent à pleins bords dans son lit escarpé, et celles des torrents de Saint-Andéol et de la Truyère débordèrent. Refoulées par la crue de la Divonne, les eaux du ravin de la Truyère ne trouvèrent pas à s’écouler, et alors elles s'épanchèrent sur le terrain qui recouvre les mines. Ce débordement s’était fait d’une façon presque instantanée, mais les ouvriers du dehors occupés au lavage du minerai, forcés par l’orage de se mettre à l’ahri, n’avaient couru aucun danger. Ce n’était pas la première fois qu’une inondation arrivait à la Truyère, et comme les ouvertures des trois puits étaient à des hauteurs où les eaux ne pouvaient pas monter, on n’avait d’autre inquiétude que de préserver les amas de bois qui se trouvaient préparés pour servir au boisage des galeries.
- C’était à ce soin que s’occupait l’ingénieur de la mine, lorsque tout à coup il vit les eaux tourbillonner et se précipiter dans un gouffre qu’elles venaient de se creuser. Ce gouffre se trouvait sur l'affleurement d’une couche de charbon.
- Tl n’est pas besoin de longues réflexions pour comprendre ce qui vient de se passer : les eaux se sont précipitées dans la mine et le plan de la couche leur sert de .lit; elles baissent au dehors : la mine va être inondée, elle va se remplir ; les ouvriers vont être noyés.
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- II court au puits Saint-Julien et donne des ordres pour qu’on le descende. Mais prêt à mette le pied dans la benne, il s’arrête. On entend dans l’intérieur de la mine un tapage épouvantable : c’est le torrent des eaux.
- — Ne descendez pas, disent les hommes qui l’entourent en voulant le retenir.
- Mais il se dégage de leur étreinte, et prenant sa montre dans son gilet :
- — Tiens, dit-il en la remettant à l’un de ces hommes, tu donneras ma montre à ma fille, si je ne reviens pas.
- Puis, s’adressant à ceux qui dirigent la manœuvre des bennes.
- — Descendez, dit-il.
- La benne descend; alors, levant la tête vers celui auquel il a remis sa montre :
- — Tu lui diras que son père l’embrasse.
- La benne est descendue. L’ingénieur appelle. Cinq mineurs arrivent. Il les fait monter dans la benne. Pendant qu’ils sont enlevés, il pousse de nouveaux cris, mais inutilement : ses cris sont couverts par le bruit des eaux et des effondrements.
- Cependant les eaux arrivent dans la galerie et à ce moment l’ingénieur aperçoit des lampes. Il court yers elles ayant dé l’eau jusqu’aux genoux et ramène trois hommes encore. La benne est redescendue, il les fait placer dedans et veut retourner au-devant des lumières qu’il aperçoit. Mais les hommes qu’il a sauvés l’enlèvent de force et le tirent avec eux dans la benne en faisant le signal de remonter. Il est temps, les eaux ont tout envahi.
- Ce moyen de sauvetage est impossible. Il faut recourir à un autre. Mais lequel? Autour de lui il n’a presque personne. Cent cinquante ouvriers sont descendus, puisque cent cinquante lampes ont été distribuées le matin ; trente lampes seulement ont été apportées à la lampisterie, c’est cent vingt hommes qui sont restés dans la mine. Sont-ils morts, sont-ils'vivants, ont ils pu trouver un refuge? Ces questions se posent avec une horrible angoisse dans son esprit épouvanté.
- Au moment où l’ingénieur constate que cent-vingt hommes sont enfermés dans la mine, des explosions ont lieu au dehors à différents endroits ; des terres, des terres, des pierres sont lancées à une grande hauteur ,
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- les maisons tremblent comme si elles étaient secouées par un tremblement de terre. Ce phénomène s’explique pour l’ingénieur : les gaz et l’air refoulé par les eaux se sont comprimés dans les remontées sans issues, et là où la charge de terre est trop faible, au-dessus des affleurements, ils font éclater l’écorce de la terre com me les parois d’une chaudière. La mine est pleine ; la catastrophe est consommée.
- Cependant la nouvelle s’est répandue dans Varses ; de tous côtés la foule arrive à la Truyère, des travailleurs, des curieux, les femmes, ' les enfants des ouvriers engloutis. Ceux-ci interrogent, cherchent, demandent. Et comme on ne peut rien leur répondre, la colère se mêle à la douleur. On cache la vérité. C’est la faute de l’ingénieur. A mort l’ingénieur, à mort ! Et l’on se prépare à envahir les bureaux où l’ingénieur penché sur le plan, sourd aux clameurs, cherche dans quels endroits les ouvriers ont pu se réfugier et par où il faut commencer le sauvetage.
- Heureusement les ingénieurs des mines voisines sont accourus à la tête de leurs ouvriers, et avec eux les ouvriers de la ville. On veut contenir la foule, on lui parle. Mais que peut-on lui dire ? Cent-vingt hommes manquent. Où sont-ils ?
- — Mon père ?
- — Où est mon mari ?
- — Rendez-moi mon fils ?
- Les voix sont-brisées, les questions sont étranglées par les sanglots. Que répondre à ces enfants, à ces femmes, à ces mères?
- Un seul mot : celui des ingénieurs réunis en conseil : (( Nojis allons chercher, nous allons faire l’impossible. »
- Et le travail de sauvetage commence. Trouvera-t-on un seul survivant parmi ces cent vingt hommes ? Le doute est puissant, l’espérance est faihle. Mais peu importe. En avant !
- Les travaux de sauvetage sont organisés comme le magister l’avait prévu. Des bennes d’épuisement sont installées dans les trois puits, et elles ne s’arrêteront plus ni jour ni nuit, jusqu’au moment où la dernière goutte d’eau sera versée dans la Divonne.
- En même temps on commence à creuser des galeries. Où va-t-on ? on ne sait trop, un peu au hasard ;
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- mais on va. Il y a eu divergence dans le conseil des ingénieurs sur l’utilité de ces galeries qu’on doit diriger à l’aventure, dans l’incertitude où l’on est sur la position des ouvriers encore vivants ; mais l’ingénieur de la mine espère que des hommes auront pu se réfugier dans les vieux travaux, où l’inondation n’aura pas pu les atteindre, et il veut qu’un percement direct, à partir du jour, soit conduit vers ces vieux travaux, ne dût-on sauver personne.
- Ce percement est mené sur une largeur aussi étroite que possible, afin de perdre moins de temps, et un seul piqueur est à l’avancement ; le charbon qu’il abat est enlevé au fur et à mesure, dans des corbeilles qu’on se passe en faisant la chaîne ; aussitôt que le piqueur est fatigué il est remplacé par un autre.
- Ainsi sans repos et sans relâche, le jour comme la nuit, se poursuivent simultanément ces doubles travaux : l’épuisement et le percement.
- Si le temps est long pour ceux qui du dehors travaillent à notre délivrance, combien plus long encore l’est-il pour nous, impuissants et prisonniers, qui n’avons qu’à attendre sans savoir si l’on arrivera à nous assez tôt pour nous sauver !
- Le bruit des bennes d’épuisement ne nous maintint pas longtemps dans la fièvre de joie qu’il nous avait tout d’abord donnée. La réaction se fît avec la réflexion. Nous n’étions pas abandonnés, on s’occupait de notre sauvetage, c’était là l’espérance ; l’épuisement se ferait-il assez vite? c’était là l’angoisse.
- Aux tourments de l’esprit se joignaient d’ailleurs maintenant les, tourments du corps. La position, dans laquelle nous étions obligés de nous tenir sur notre palier, était des plus fatiguantes ; nous ne pouvions plus faire de mouvements pour nous dégourdir, et nos douleurs de tète étaient devenues vives, gênantes.
- De nous tous Carrory était le moins affecté.
- — J’ai faim, disait-il de temps en temps, magister, je voudrais bien le pain.
- A la fin le magister se décida à nous passer un morceau de la miche sortie du bonnet de loutre.
- — Ce n’est pas assez, dit Carrory.
- — Il faut que la miche dure longtemps.
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- Les autres auraient partagé notre repas avec plaisir, mais ils avaient juré d’obéir, et ils tenaient leur serment.
- — S’il nous est défendu de manger, il nous est permis de boire, dit Compeyrou.
- — Pour ça, tout ce que tu voudras, nous avons l’eau a discrétion.
- — Épuise la galerie.
- Pagès voulut descendre, mais le magister ne le permit pas.
- — Tu ferais ébouler un déblai ; Remi est plus léger et plus adroit, il descendra et nous passera l’eau.
- — Dans quoi ?
- — Dans ma botte.
- On me donna une botte et je me préparai à me laisser glisser jusqu’à l’eau.
- — Attends un peu, dit le magister, que je te donne la main.
- — N’ayez pas peur, quand je tomberais, cela ne ferait rien, je sais nager.
- — Je veux te donner la main.
- Au moment où le magister se penchait, il partit en avant, et soit qu’il eût mal calculé son mouvement, soit que son corps fût engourdi par l’inaction, soit enfin que le charbon eût manqué sous son poids, il glissa sur la pente de la remontée et s’engouffra dans l’eau sombre la tête la première. La lampe qu’il tenait pour m’éclairer roula après lui et disparut aussi. Instantanément nous fûmes plongés dans la nuit noire, et un cri s’échappa de toutes nos poitrines en même temps.
- Par bonheur j’étais déjà en position de descendre, je me laissai aller sur le dos et j’arraivai dans l’eau une seconde après le magister,
- Dans mes voyages avec Vitalis j’avais appris assez à nager et à plonger pour me trouver aussi bien à mon aise dans l’eau que sur la terre ferme; mais comment se diriger dans ce trou sombre ?
- Je n’avais pas pensé à cela quand je m’étais laissé glisser, je n’avais pensé qu’au magister qui allait se noyer et avec l’instinct du terre-neuve je m’étais jeté à l’eau.
- Où chercher? De quel côté étendre les bras? Comment plonger ?
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- C’était ce que je me demandais quand je me sentis saisir à l’épaule par une main crispée et je fus entraîné sous l’eau. Un bon coup de pied me fit remonter à la surface : la main ne m’avait pas lâché.
- — Tenez-moi bien, magister, et appuyez en levant la tête, vous êtes sauvé.
- Sauvés! nous ne l’étions ni l’un ni l’autre, car je ne savais de quel côté nager : une idée me vint.
- — Parlez donc, vous autres, m’écriai-je.
- — Où es-tu, Remi?
- C’était la voix de l’oncle Gaspard ; elle m’indiqua ma direction. Il fallait se diriger sur la gauche.
- — Allumez une lampe.
- Presque aussitôt une flamme parut; je n’avais que le bras à allonger pour toucher le bord, je me cramponnai d’une main à un morceau de charbon, et j’attirai le magister.
- Pour lui il était grand temps, car il avait bu et la suffocation commençait déjà : je lui maintins la tête hors de l’eau et il revint bien vite à lui.
- • L’oncle Gaspard et Carrory, penchés en avant, tendaient vers nous leurs bras, tandis que Pagès, descendu de son palier sur le nôtre, nous éclairait. Le magister pris d’une main par l’oncle Gaspard, de l’autre par Carrory, fut bissé jusqu’au palier pendant que je le poussais par derrière. Puis quand il fut arrivé, je remontai à mon tour.
- Déjà il avait retrouvé sa pleine connaissance.
- — Viens ici, me dit-il, que je t’embrasse, tu m’as sauvé la vie.
- — Vous avez déjà sauvé la nôtre.
- — Avec tout ca, dit Carrory, qui n’était point de nature à se laisser prendre par les émotions, pas plus qu’à oublier ses petites affaires, ma botte est perdue, et je n’ai pas bu.
- — Je vais te la chercher, ta botte.
- Mais on m’arrêta.
- — Je te le défends, dit le magister.
- — Eh bien! qu’on m’en donne une autre, que je rapporte à boire, au moins.
- — Je n’ai plus soif, dit Compeyrou.
- — Pour boire à la santé du magister.
- Et je me laissai glisser une seconde fois, mais
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- moins vite que la première et avec plus de précaution.
- Echappés à la noyade, nous eûmes le désagrément, le magister et moi, d’être mouillés des pieds à la tète. Tout d’abord nous n’avions pas pensé à cet ennui, mais le froid de nos vêtements trempés nous le rappela bientôt. *
- — Il faut passer une veste à Remi, dit le magister.
- Mais personne ne répondit à cet appel, qui, s’adressant à tous, n’obligeait ni celui-ci, ni celui-là.
- — Personne ne parle ?
- — Moi, j’ai froid, dit Ca’rrory.
- — Eli bien, et nous qui sommes mouillés, nous avons chaud !
- — Il ne fallait pas tomber à l’eau, vous autres.
- — Puisqu’il en est ainsi, dit le magister, on va tirer au sort à qui donnera une partie de ses vêtements. Je voulais bien m’en passer. Mais maintenant je demande l’égalité.
- Comme nous avions déjà été tous mouillés, moi jusqu’au cou et les plus grands jusqu’aux hanches, changer de vêtements n’était pas une grande faveur; cependant le magister tint à ce que ce changement s’exécutât, et favorisé par le sort, j’eus la veste de Compeyrou : or, Compeyrou ayant des jambes aussi longues que tout mon corps* sa veste était sèche. Enveloppé dedans, je ne tardai pas à me réchauffer.
- Après cet incident désagréable qui nous avait un moment secoués, l’anéantissement nous reprit bientôt, et avec lui les idées de mort.
- Sans doute ces idées pesaient plus lourdement sur mes camarades que sur moi, car tandis qu’ils restaient éveillés, dans un anéantissement stupide, je finis par m’endormir.
- Mais la place n’était pas favorable et j’étais exposé à rouler dans l’eau. Alors le magister voyant le danger que je courais, me prit la tête sous son bras. Il ne me tenait pas. serré bien fort, mais assez pour m’empêcher de tomber, et j’étais là comme un enfant sur les genoux de sa mère. C’était non seulement un homme à la tête solide, mais encore un bon cœur. Quand je m’éveillais à moitié, il changeait seulement de position son bras engourdi, puis aussitôt il reprenait son immobilité, et à mi-voix il me disait :
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- — Dors, garçon, n’aie pas peur, je te tiens; dors, petit.
- Et je me rendormais sans avoir peur, car je sentais bien qu’il ne me lâcherait pas.
- Le temps s’écoulait et toujours régulièrement nous entendions les bennes plonger dans l’eau.
- VI
- SAUVETAGE
- Notre position était devenue insupportable sur notre palier trop étroit ; il fut décidé qu’on élargirait ce palier, et chacun se mit à la besogne. A coups de couteau on recommença à fouiller dans le charbon et à faire descendre les déblais.
- Comme nous avions maintenant un point d’appui solide sous les pieds, ce travail fut plus facile, et l’on arriva à entamer assez la veine pour élargir notre prison. - Ce fut un grand soulagement quand nous pûmes nous étendre de tout notre long au lieu de rester assis, les jambes ballantes.
- Bien que la miche de Carrory nous eût été étroitement mesurée, nous en avions vu le bout. Au reste, le dernier morceau nous avait été distribué à temps pour venir jusqu’à nous. Car, lorsque le magister nous l’avait donné, il avait été facile de comprendre aux regards des piqueurs, qu’ils ne souffriraient pas une nouvelle distribution sans demander, et, si on ne la leur donnait pas, sans prendre leur part.
- On en vint à ne plus parler pour ainsi dire, et autant nous avions été loquaces au commencement de notre captivité, autant nous fûmes silencieux quand elle se prolongea.
- Les deux seuls sujets de nos conversations roulaient éternellement sur les deux mêmes questions : quels moyens on employait pour venir à nous, et depuis combien de temps nous étions emprisonnés.
- Mais ces conversations n’avaient plus l’ardeur des premiers moments ; si l’un de nous disait un mot, souvent ce mot n’était pas relevé, ou alors qu’il l’était, c’était simplement en quelques paroles brèves ; on pou-
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- LE DEVOIR
- vait varier du jour à la nuit, du blanc au noir, sans pour cela susciter la colère ou la simple contradiction.
- — C’est bon, on verra.
- Etions-nous ensevelis depuis deux jours ou depuis six? On saurait quand le moment de la délivrance serait venu. Mais ce moment viendrait-il? Pour moi, je commençais à en douter fortement.
- Au reste, je n’étais pas seul, et parfois, il échappait des observations à mes camarades, qui prouvaient que le doute les envahissait aussi.
- — Ce qui me console, si je reste ici, dit Bergounlioux, c’est que la compagnie fera une rente à ma femme et à mes enfants ; au moins ils ne seront pas à la charité.
- Assurément, le magister s’était dit qu’il entrait dans ses fonctions de chef non seulement de nous défendre contre les accidents de la catastrophe, mais encore de nous protéger contre nous-mêmes. Aussi, quand l’un de nous paraissait s’abandonner, intervenait-il aussitôt par une parole réconfortante.
- — Tu ne resteras pas plus que nous ici : les bennes fonctionnent, l’eau baisse.
- — Où baisse-t-elle ?
- — Dans les puits.
- — Et dans la galerie ?
- — Ça viendra ; il faut attendre.
- — Dites donc, Bergounhoux, interrompit Carrory, avec l’à-propos et la promptitude qui caractérisaient toutes ses observations, si la compagnie fait faillite comme celle du magister, c’est votre femme qui sera volée !
- — Veux-tu te taire, imbécile, la compagnie est riche.
- — Elle était riche quand elle avait la mine, mais maintenant que la mine est sous l’eau. Tout de même si j’étais dehors, au lieu d’être ici, je serais content.
- — Parce que ?
- — Pourquoi donc qu’ils étaient fiers, les directeurs et les ingénieurs ? ça leur apprendra. Si l’ingénieur était descendu, ça serait drôle, pas vrai ? Monsieur l’ingénieur, faut-il porter votre boussole.
- — Si l’ingénieur était descendu, tu resterais ici, grande bête, et nous aussi.
- ( A suivre. )
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- ASSURANCES MUTUELLES
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- SOCIÉTÉ DU FAMILISTÈRE -- ASSURANCES MUTUELLES
- MOUVEMENT DU MOIS DE FÉVRIER 1896
- ASSURANCE CONTRE LA MALADIE
- Section des Hommes
- Cotisations des mutualistes 2.095 45/
- Subvention de la Société 348 60 3.200 10
- Malfaçons et divers Dépenses 756 05\ 2.965 35
- Déficit en Février. 234 75
- Section des Dames
- Cotisations des mutualistes....'. 411 70]
- Subvention de la Société • 137 25 551 55
- Divers Dépenses 2 60! 272 70
- Boni en Février.. 278 85
- ASSURANCE DES PENSIONS
- Subvention de la Société et divers.... Intérêts des comptes-courants et du 3.654 56j 7.649 56
- titre d’épargne 3.995 »))'
- Dépenses : 91 Retraités définitifs 5.412 15)
- 29 — provisoires 1.679 85
- Nécessaire à la subsistance 2.091 30 9.364 70
- Allocat. aux familles des réservistes.. »» »))[
- Divers, appointements, médecins, etc. 181 401
- Déficit en Février. 1.715 14
- CAISSE DE PHARMACIE
- Cotisations des mutualistes 650 25) 787 60
- Subvention de la Société 137 35(
- Dépenses 820 59
- Déficit en Février... 32 99
- RÉSUMÉ
- Recettes sociales du Ier Juil. 1895 au 31 Janv. 1896 73.222 14/ QQ 9q )) individuelles » » 25.778 15) Jy,uuu M
- Dépenses » » ................ 115.975 95
- Excédant des dépenses sur les recettes.... 16.975 66
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- 320
- LE DEVOIR
- ÉTAT CIVIL DU FAMILISTÈRE
- MOIS DE MARS 1896
- Naissances :
- 21 Mars — Hennequin Henri-Jules, fils de Hennequin
- Jules-Victor et de Maillet Jeanne.
- \
- 26 — Moiroud Emile-Lucien, fils de Moiroud Emile
- et de Leroy Marie.
- Décès :
- 24 Mars. — Roppé César, âgé de 45 ans.
- 26 — Cochet Aimé, âgé de 56 ans 5 mois.
- 27 — Pré Jules, âgé de 40 ans.
- \
- Le Gérant: H. E. Buridant.
- Nimes, imp. Veuve Laporte, ruelle des Saintos-Maries, 7. — 1164
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-
- DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES
- 321
- nnmm pour m\i RinRRiiPUïfl pampi,™
- de J.-B.-André Q-ODIjST (*)
- RÉSUMÉ DE L’ESSAI DE REPRÉSENTATION DU TRAVAIL PAR
- les Groupes, Unions de Groupes et Conseils d’Unions
- 1877-1879
- VI
- Registres des Corps s’étant exercés au vrai sens du mot.
- (Suite)
- Nota. — Le lecteur voudra bien se souvenir que nous en sommes à l’examen du registre intitulé :
- FAMILISTÈRE Conseil général des Unions.
- Cahier n° 2.
- 8 Juin 1878 (Suite de la séance)
- L’ordre du jour appelle la proposition (de l’Union ; Ecoles) concernant les Enfants assistés. (Devoir d’avril dernier, page 210).
- Nous copions au registre :
- « Monsieur T. » (touchant M. T. voir notre numéro d’avril dernier pages 197, 198) « ayant remis un rapport très clair et très développé sur la question, il en est donné lecture ainsi qu’il suit :
- » Enfants assistés.
- » Les questions sur lesquelles l’Union m’a chargé de lui faire rapport, se produisent à l’occasion de la demande d’admission d’un enfant assisté, dont Mmo A. s’est chargée, dans les institutions de l’Enfance au Familistère.
- U) Lire le Devoir depuis le mois de mars 1891.
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- 322
- LE DEVOIR
- » Il est bon de constater en commençant que cette demande ne se produit pas comme l’exercice d’un droit qui appartiendrait à Mm(1 A. au titre d’habitante du Familistère ; qu’elle n’entend faire autre chose que solliciter une faveur, sans profiter si on le décide ainsi, de la gratuité dont jouissent les familles dont les enfants sont élevés et instruits dans les institutions fondées par M. Godin. Au besoin, elle offre de payer la rétribution qui lui sera imposée.
- » Mais le cas isolé et exceptionnel sur lequel M. Godin demande à l’Union son avis, peut se reproduire. Avant d’y statuer il est bon que l’Union examine si un intérêt quelconque, d’humanité et de philanthropie, au point de vue des enfants abandonnés par leurs parents aux soins de l’assistance publique ; de prévoyance, au point de vue de l’avenir de la population du Familistère, commande de prendre une décision générale et réglementaire autorisant ou refusant, en principe, l’admission des enfants assistés recueillis par des habitants du Familistère, à jouir des immunités et des avantages que M. Godin a réservés aux enfants des familles.
- )) Pour envisager sainement la question au point de vue des enfants, il est bon de rechercher la situation que leur fait la législation, quant au soin de leur éducation et de leur instruction.
- » La première des dispositions législatives et la plus complète remonte à la première République, c’est l’arrêté du 30 ventôse, an V.
- » Son article 1er prescrit que, selon leur âge, les enfants abandonnés soient mis en nourrice ou en pension chez des particuliers.
- » L’article 4 autorise les particuliers qui recueillent ces énfânts à les conserver jusqu’à l’âge de 12 ans, à charge de les nourrir et entretenir convenablement, moyennant des prix et des conditions déterminés, et de les envoyer
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- DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES 323
- aux écoles primaires pour y participer aux instructions données aux entants de la commune.
- » L'exécution des obligations imposées aux nourriciers est garantie par un contrôle et une surveillance exercés aujourd’hui par des inspecteurs spéciaux. Les obligations trouvent leur rémunération dans des avantages de plusieurs espèces.
- » D’abord, dans des pensions graduées d’après l’âge des entants et les services qu’ils peuvent rendre, pensions dont le taux est déterminé par l’administration départementale d’après l’état économique de la contrée ; puis, par diverses allocations périodiques accordées aux nourriciers qui se sont régulièrement acquittés de leurs obligations ; et, enfin, par le droit qu’ont les nourriciers de conserver, de préférence, les enfants parvenus à l’âge de 12 ans et d’utiliser leurs services dans leur métier ou les travaux de l’agriculture jusqu’à l’âge de 21 ans, à la seule charge de les nourrir et entretenir, après avoir reçu une allocation de 50 francs destinée à pourvoir à leur vêtement. (Art. 7, 9, 13, 15, 18 et 44 de l’arrêté prescrit.)
- » Ces prescriptions diverses sont restées en vigueur sous le régime du décret du 19 janvier 1811, concernant les enfants trouvés ou abandonnés et les orphelins pauvres.
- » Enfin, dans la louable pensée d’encourager les nourriciers à ne pas négliger l’instruction des enfants assistés, l’art. 3 de la loi du 3 mai 1869, comprend dans les dépenses extérieures de leur service, non seulement le prix de pension et les allocations exceptionnelles, les primes aux nourriciers ; mais, encore, les frais d’école s’il y a lieu et les fournitures scolaires ; en sorte que dans les écoles où la gratuité de l’écolage ne s’obtient pas, les nourriciers n’ont à supporter ni à prélever sur le prix de pension aucun des frais que comporte l’instruction primaire des enfants qui leur sont confiés.
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- » La législation a donc pourvu à l’éducation des enfants assistés par deux catégories de dispositions :
- » Les unes font un devoir aux nourriciers de les envoyer à l’école de la commune, pour y recevoir la même instruction que les enfants des habitants ; c’est l’art. 4 de l’arrêté du 30 ventôse an V ;
- » L’autre assure aux nourriciers, outre le prix des soins matériels, l’indemnité des dépenses éventuelles de l’écolage ; c’est l’art. 3 de la loi du 3 mai 1869.
- » Ces dispositions tutélaires ne permettent pas à l’Union de s’arrêter à la pensée, qu’en se refusant à conseiller une disposition réglementaire autorisant de plein droit l’admission des enfants assistés dans les institutions de l’enfance au Familistère, elle enfreint une loi d’huma-nité. Cette classe d’enfants n’en saurait souffrir ; car les nourriciers n’en resteront pas moins astreints à procurer, à l’aide des ressources affectées à cet emploi par la loi du 3 mai 1869, l’instruction primaire aux enfants dont ils ont accepté le soin.
- » Si ce point de vue n’est pas de nature à éveiller des scrupules, la vigilance des habitants du Familistère, de l’Union qui les représente en cette matière, fera prudemment de se préoccuper de considérations d’un autre ordre.
- » Elles sont délicates à exposer ; elles n’en doivent pas moins vous être franchement soumises, dans leur acception générale et sans avoir la pensée d’en faire aucune application individuelle.
- » Le mobile qui incite les nourriciers à se charger d’enfants abandonnés n’est pas toujours la philanthropie et le désintéressement. Ce ne peut jamais être l'affection préconçue vouée à un malheureux petit être que leur livre le hasard, et qu’ils n’ont pas connu avant qu’il leur fut confié. Si, dans de rares exceptions, la détermination prend son principe dans une affection innée de l’enfance dont la privation d’enfants empêche la
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- satisfaction, elle est la plupart du temps inspirée par un sentiment de spéculation et l’appât des allocations de toute nature qui entrent au foyer avec l’enfant. Il n’est pas prévoyant dans certains cas trop fréquents, il n’est pas humain d’encourager ces sortes de spéculations.
- » Puis, se présente une autre considération, peut-être un peu égoïste, q.u’il ne faut certainement pas exagérer ni élever à la hauteur d’un argument décisif toujours déterminant, mais qu’il ne faut néanmoins pas mépriser ni passer sous silence.
- » A une époque où la population du Familistère aborde la grande question de l’Association du Capital et du Travail, dont ia mise en pratique exige des âmes d’élite plutôt que des âmes vulgaires, il est peut-être imprudent d’ouvrir par d’imprudentes facilités l’accès du Familistère à des éléments de population dont on ne peut guère, en règle générale, espérer une heureuse influence, soit sur l’esprit de l’enfance, soit plus tard sur celui de l’âge mûr. Je n’appuierai pas sur cet ordre d’idées ; je me borne à le signaler à votre attention, à vos méditations.
- » Sans doute, quand, marchant à pleines voiles, l’association aura cuirassé les esprits de ses membres contre les influences délétères, deviendra-t-il moins périlleux d’obéir à la commisération qu’inspire le sort des enfants abandonnés, et pourrons-nous sans appréhensions les accueillir !
- » Mais le moment ne semble pas encore arrivé de leur ouvrir la porte à deux battants, moins encore de les attirer, d’encourager ceux qui seraient tentés, par esprit de spéculation, de les introduire en nombre indéterminé parmi les enfants du Familistère.
- » Le silence conseillé sur toute disposition réglementaire ne comporte d’ailleurs pas l’interdiction absolue. Si l’admission ne peut être réclamée comme un droit,
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- elle pourra toujours être sollicitée comme une faveur; et M. Godin, aujourd’hui comme fondateur des institutions de l’Enfance dont il fait la dépense, l’association plus tard, devenue maîtresse de ces institutions pourront toujours faire fléchir la règle et y déroger en admettant l’enfant abandonné dont l’expérience aura fait reconnaître et constater l’heureuse intelligence et le caractère recommandable.
- » Informations prises, c’est le cas de l’enfant recueilli par Mme A. qui, autant qu’on en peut juger à trois ans, paraît un enfant d’une bonne nature et d’une intelligence suffisante.
- « J’ai l’honneur de proposer à l’Union, par les raisons qui viennent d’être exposées, d’émettre l’avis que, — sans prendre de disposition réglementaire, autorisant par voie de mesure générale, l’admission des enfants assistés et recueillis par les habitants du Familistère dans les instilutions destinées à l’éducation de l’Enfance , — on peut admettre l’enfant proposé par Mme A. soit gratuitement soit moyennant le paiement d’une rétribution à fixer. »
- Après une courte discussion il est reconnu qu’un point est à régler préalablement : celui de l’admission au Familistère même des enfants assistés avant qu’il soit possible de statuer sur lepr admission aux Ecoles.
- » En conséquence, le procès-verbal de l’Union des Ecoles et le rapport de M. T. sont renvoyés à la Commission d’examen des demandes d’admission dans les logements du Familistère.
- Le conseil examine ensuite la question de transmission des procès-verbaux des séances de Groupes et Unions.
- Un membre ayant contesté que le relevé des procès-verbaux des groupes et Unions puisse être communi-
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- qué aux Conseils avant la formalité d’adoption, le président fait observer que si, en effet, le Règlement dit :
- « Art. 27 — paragraphe 4 : « A moins d’urgence cons-» tatée par une décision du Conseil de l’Union ou du » Groupe, aucune copie du procès-verbal ne peut être » délivrée ni transmise avant l’adoption. »
- Il faut évidemment entendre par là les copies demandées par des tiers et non celles transmises directement aux Conseils d’Unions, puisque le Règlement ajoute :
- » Art. 33 — paragraphe 2. : « Le résultat de la délibéra-» tion devra être transmis à l’Union dans les 48 heures après la réunion, » Même article, paragraphe 4 : <* Dans les » 48 heures l’Union saisira le Conseil général de la déli-» bération qu’elle aura prise au sujet de la proposition. »
- La conclusion du président est que si les articles qu’il vient de citer prêtent à des interprétations diverses, il y a lieu de les réviser.
- Révision du Règlement général des Groupes, Unions et
- Conseils, et Révision du Règlement particulier du Conseil des Unions.
- Une demande de révision du Règlement général signée de dix membres étant déposée, le Conseil décide la nomination d’une Commission de sept membres pour préparer cette révision ; et nomme séance tenante les sept commissaires.
- Le président fait alors observer que le Règlement général qu’on va réviser dit :
- « Art. 11. — Un règlement intérieur du Conseil géné-» ral ou Conseil d’Unions détermine le fonctionnement » du dit Conseil. »
- Tant que cet article est en vigueur, ajoute-t-il, le Conseil ne peut se soustraire à l’obligation d’être régi par un règlement particulier, et ce règlement doit être en harmonie avec le Règlement général,
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- Conséquemment, il y a lieu, ou d’élire une nouvelle Commission chargée de réviser le Règlement particulier du Conseil des Unions, ou de confier cette révision à la Commission déjà chargée de revoir le Règlement général.
- Le Conseil s’arrête à ce dernier parti : la double révision sera étudiée par la même Commission.
- Proposition de l’Union : Basse-Cour.
- Le Groupe N° 1 Vacherie a soumis à l’Union Basse-Cour, laquelle renvoie au Conseil avec avis favorable, la proposition d’abattre et de vendre une vache qui a cessé de donner du lait.
- Le Conseil adopte à son tour la proposition et dit qu’elle sera transmise au Comité administratif.
- Séance du 22 juin 1878
- L’ordre du jour appelle la lecture du Rapport de la Commission d’examen des demandes d’admissions au Familistère.
- Le Conseil approuve les conclusions du rapport.
- Séance du 28 juin 1878
- Ordre du jour : Fête nationale du 30 juin.
- Nous copions au registre :
- a Après discussion, le Conseil décide que la demande suivante sera adressée au Comité administratif :
- )) Le Conseil général des Unions,
- » Considérant que beaucoup d’habitants s’inquiètent de ce que compte faire le Familistère le jour de la Fête nationale;
- » Qu’il semble convenable que le monument ne reste ‘pas en dehors des démonstrations qui auront lieu en ville ;
- » A l’unanimité,
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- » Emet le vœu que le Comité administratif veuille bien prendre d’urgence les mesures qu’il croira utiles pour pavoiser et illuminer le Palais social.
- » Et il sollicite la notification de la solution qui interviendra. »
- L’ordre du jour étant épuisé, les conseillers se séparent.
- Séance du 13 juillet 1878
- Ordre du jour :
- — 1° Proposition de l’Union : Bains et Lavoirs.
- « Les membres du groupe N° 1 dans la séance du 2 juillet, ont approuvé à l’unanimité la proposition de l’un d’eux demandant qu’une baignoire portative fût achetée et tenue à la disposition des malades.
- » Le 4 juillet, l’Union s’est prononcée en faveur de la demande et Ta transmise au Conseil. »
- La discussion s’ouvre ; un conseiller observe que la proposition est du ressort de la caisse de pharmacie.
- Le Conseil à l’unanimité, renvoie la question à la susdite caisse.
- — 2° Proposition du groupe N° 1 de l’Union ; Jardins.
- Ce groupe a demandé dans sa séance du 9 juillet, que des mesures soient prises pour que le comptoir des légumes au Familistère — avant de faire des achats au dehors — commence par recevoir du chef jardinier tout ce que les jardins de l’établissement peuvent fournir, pour la mise en vente.
- A l’unanimité, les membres de l’Union ont appuyé la proposition.
- Le Conseil renvoie la question au Comité administratif « sans avis favorable ni défavorable. »
- — 3° Lecture du rapport de la Commission d’examen des demandes d’admission au Familistère.
- Les conclusions du rapport sont adoptées,
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- — 4° Le Conseil décide l’affichage des comptes du dernier trimestre touchant les jetons de présence des membres des Groupes, Unions de Groupes et Conseils d’Unions.
- — 5° Rappel au Règlement.
- Le président fait la lecture suivante :
- « Art. 12. -- A moins d’empêchements pour cas forfuit, » aucun membre du Conseil des Unions ne doit manquer aux séances.
- » S’il ne peut y assister, il est tenu d’en prévenir son » suppléant... (A partir de ce dernier mot il y a différence de texte entre ce que fournit le registre du Conseil et ce que donne le règlement que nous publierons plus loin. Une modification est donc intervenue. Nous le signalons parce que le point peut avoir un intérêt pratique.) L’article cité sur le registre continuait ainsi : « afin que celui-ci le remplace. En même temps, il en » donnera avis par note écrite au président du Con-» seil. »
- « Les dispositions de cet article » ajoute le président, » n’ont été que rarement observées jusqu’ici. Il est temps que le règlement soit exécuté et que, dès la prochaine réunion, l’article sus relaté reçoive son exécution. »
- Y avait-il là des prescriptions inapplicables ; et le membre empêché de se rendre à la séance du Conseil se trouvait-il dans la plupart des cas empêché aussi de prévenir, par note écrite, le président du Conseil? On est tenté de conclure par l’affirmative, puisque le texte du règlement arrêté postérieurement à ces faits, dit
- simplement : Art. 12.... « prévenir son suppléant, qui
- » le remplacera. »
- L’ordre du jour étant épuisé, la séance est levée,
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- Séance du 24 août 1878
- Ordre du jour :
- Admission dans les logements du Familistère. — Enfants assistés.
- Nous avons donné plus haut (séance du 8 juin 1878, page 321) le rapport de M. T., concernant l’admission d’enfants assistés dans les écoles du Familistère ; le lecteur voudra bien se rappeler que le Conseil ayant jugé qu’il fallait, au préalable, prononcer sur l’admission de tels enfants dans les locaux mêmes du Familistère, avait renvoyé la question à la Commission d’examen des demandes d’admission dans les dits locaux.
- Le texte que nous consultons présentement fait voir que la question avait été soumise, en outre, aux Comités d’administration des caisses de secours en cas de maladie, des caisses de pharmacie et des caisses de retraite; et que ces différents corps s’étaient prononcés contre l’admission des enfants assistés,
- Aussi, la Commission d’examen des demandes d’admission au Familistère se prononce-t-elle à son tour contre l’admission des dits enfants et demande, en conséquence, le renvoi de l’enfant à propos duquel la question a été posée.
- Le Conseil adopte les conclusions de la Commission.
- Sur la motion d’une des femmes membres du Conseil, il est dit que le texte même des conclusions émises par les différents comités sera transmis — en même temps que le présent avis du Conseil — au Comité administratif qui prononce en dernier ressort.
- 2° Fête de l’Enfance. — Les faits suivants sont exposés devant le Conseil :
- « Union : Logement. Le groupe N° 5, Théâtre et Fêtes, s’est réuni le 5 courant pour s’occuper de la Fête de l’Enfance, à célébrer le premier Dimanche du mois prochain, Mais les membres présents à cette réunion (7 sur
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- 17 ) ne se sont pas trouvés en nombre suffisant pour prendre aucune détermination engageant le groupe tout entier.
- » Consultés individuellement, les membres présents ne se sont pas davantage reconnus disposés à prendre la responsabilité d’une organisation quelconque.
- » Ils se sont simplement rangés à l’avis de l’un d’eux, lequel a dit « que le groupe n’est jamais con-sulté, ni à propos de théâtre, ni au sujet d’aucune des choses sur lesquelles il semblerait devoir être naturellement appelé à donner son avis, et qu’en conséquence le groupe paraît mis de côté. »
- « L’Union dans sa séance du 23 courant ayant pris connaissance de cet avis du groupe, l’a renvoyé purement et simplement au Conseil. »
- Ainsi saisi de la question, le Conseil — en face de l’abstention du Groupe Nç 5 : Théâtre et Fêtes — se reporte au programme de la Fête de l’Enfance de 1877 et nomme une Commission de quatre membres chargée d’organiser la prochaine Fête de l’Enfance.
- La décision est renvoyée pour application définitive au Comité '.administratif.
- Séance du 12 septembre 1878
- Vient en tête de l’ordre du jour :
- Proposition des deux Unions : Ecoles et Bambinat:
- Nourricerie et Pouponnât.
- Cette proposition a pour objet de fondre les deux Unions en une seule dite : Education et comprenant désormais trois groupes :
- « Le premier groupe s’occuperait de la Nourricerie et du Pouponnât ; le second, du Bambinat et du Cours primaire élémentaire ; le troisième, des autres classes. »
- A l’unanimité, le Conseil adopte. Puis, il passe à la question suivante ;
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- Règlement général des Groupes, Unions et Conseils
- Nous avons vu ci-dessus (séance du 8 juin 1878 page 327) qu’une Commission avait été nommée dans le sein du Conseil et chargée de la révision du Règlement général susdit.
- Le rapporteur commence la lecture des articles 1 à 26 révisés. Quelques observations sont émises ; des amendements sont renvoyés à la Commission. (Le procès-verbal est muet sur la nature de ces amendements et observations.) Enfin, le Conseil s’ajourne au samedi 14 courant pour la suite de l’examen du Règlement révisé.
- Séance du 14 septembre 1878
- Le Conseil reprend et achève l’examen du
- Règlement général des Groupes, Unions et Conseils.
- Le rapporteur reprend la lecture à l’article 27 et poursuit jusqu’à l’article 39 et dernier.
- Quelques amendements sont à nouveau présentés et renvoyés pour étude à la Commission.
- Un mot à ce sujet : Nous venons de voir que le projet de Règlement susdit contenait 39 articles. Le texte que nous en publierons plus loin en donnera 40. Mais nous venons de voir aussi que des. amendements avaient été renvoyés à la Commission ; ils ont donc pu entraîner l’ajoute d’un article. Signalons également que nous avons mis la numérotation des articles mentionnés dans les précédentes séances en accord avec celle des mêmes textes dans le Règlement en 40 articles. (Il y avait généralement une différence d’une ou deux unités soit en plus soit en moins.) Cette unité de numérotation nous a paru indispensable pour permettre à ceux de nos lecteurs qui collectionnent les présents documents de retrouver à coup sûr, en cas de besoin — dans le Règlement même — les articles détachés visés au cours des séances.
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- Revenons à la réuniou du 14 septembre 1878 :
- Renouvellement des bureaux des Groupes et Unions.
- Le Conseil décide — comme il l’avait déjà fait dans sa séance du 16 mars précédent — que des affiches seront apposées pour inviter les Groupes et Unions à procéder au renouvellement de leurs bureaux.
- (Voir à ce sujet, en cas de besoin, la séance du 18 mars, Devoir de Mai dernier, page 262.)
- Rien n’étant plus à l’ordre du jour, les jetons de présence sont — comme d’habitude — distribués aux membres suivant le temps écoulé pour la séance et suivant qu’ils ont ou non assisté à l’appel.
- Séance du 18 septembre 1878
- Ordre du jour :
- Règlement particulier du Conseil des Unions.
- La Commission nommée au sein du Conseil, le 8 juin 1878, pour la révision du Règlement général des Groupes et Unions avait été chargée aussi — le lecteur voudra bien se le rappeler — de la révision du Règlement particulier du Conseil, afin que les deux documents fussent d’accord.
- Le même rapporteur que précédemment donne donc lecture du travail de la Commission concernant le Règlement particulier du Conseil. (Il ne nous a pas été possible jusqu’ici de retrouver le texte de ce règlement particulier du Conseil d’Unions.) Quelques amendements sont proposés ; ce qui entraîne à nouveau le renvoi à la Commission.
- Séance du 28 décembre 1878
- Ordre du jour :
- 1° — Admissions au Familistère. Le Conseil adopte les conclusions de la Commission chargée d’examiner
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- les demandes, puis il consigne au registre cette observation :
- « X., mouleur, a été logé au Familistère avant que son admission ait été prononcée par le Conseil des Unions. C’est là une fâcheuse exception que ne peut couvrir le dépôt du rapport de la Commission à l’Economat, où ce rapport ne devait pas être déposé ; le Conseil des Unions ayant seul qualité — en dehors de M. Godin lui-même — pour statuer sur les propositions de la Commission d’admission dans les logements. »
- 2° — Cérémonie annuelle du 1er janvier. Après discussion le Conseil arrête que l’affiche suivante (même rédaction que l’année d’avant) sera apposée dans l’établissement aux lieux ordinaires :
- « Le Conseil des Unions du Familistère ira le 1er Jan-» vier offrir à M. Godin l’expression de ses vœux à » l’occasion du renouvellement de l’année.
- » Il invite à se joindre à lui : le Conseil des Unions » de l’Usine ; les Unions et Groupes ; les employés et » ouvriers de l’Usine et du Familistère ; le corps des » musiciens ; celui des pompiers et celui des archers » ainsi que les habitants du Familistère, m
- Le Conseil ajoute :
- « La réunion aura lieu, à 10 heures très précises dans » la cour du pavillon central.*»
- 3° — Eclairage nocturne des escaliers et fontaines. Avant de se séparer, le Conseil décide de transmettre au Comité administratif le vœu suivant :
- « Il est désirable que les escaliers et les fontaines soient éclairés toute la nuit. »
- Séance du 17 janvier 1879
- Le Conseil n’a à son ordre du jour que la question d’admission dans les logements du Familistère.
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- Il approuve les conclusions de sa commission ; puis, rejette une demande de logements sur laquelle les membres de la Commission n’avaient pu s’entendre et qu’en conséquence ils avaient simplement renvoyée au Conseil.
- Séance du 4 mars 1879
- L’ordre du jour est abordé :
- 1° — Admissions au Familistère.
- Les conclusions de la Commission d’examen sont adoptées. Des demandes sont admises, d’autres sont ajournées ou écartées ;
- 2° — Eclairage nocturne.
- Un membre signale des irrégularités dans l’éclairage nocturne des lieux d’aisance au premier étage du pavillon central..
- Le fait sera signalé au Comité administratif ;
- 3° — Couloirs des caves.
- Il sera signalé également que les couloirs des caves ne sont pas balayés assez souvent.
- La séance est levée.
- Séance du 26 avril 1879
- C’est sur l’invitation du Comité administratif que le Conseil des Unions du Famüistère est réuni ce soir-là, pour s’occuper de la prochaine Fête du Travail.
- Lecture est donnée par le secrétaire de la lettre d’invitation.
- Il est dit ensuite qu’une somme de 350 francs « en bons de marchandises sera distribuée en primes aux divers jeux ; et qu’un crédit de 200 francs a été ouvert pour l’ornementation de la cour du Pavillon central. Des sommes ne pouvant dépasser 80 francs pourront ainsi être allouées aux personnes qui auront élevé des trophées. »
- La fête aura lieu le Dimanche 4 Mai. Une affiche informera le plus tôt possible les habitants des mesures prises à cette occasion.
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- En dehors des trophées que pourront édifier les amateurs, « la cour sera ornée comme les années précédentes avec le matériel appartenant au Familistère. »
- Le Conseil nomme dans son sein deux Commissions de chacune trois membres :
- Une chargée de l’organisation de la Fête et de l’ornementation de la cour ;
- L’autre chargée tout spécialement de l’organisation et de la direction des jeux, ainsi que de la composition des prix qui seront distribués le lundi, à la fin de la journée.
- Il est dit que, suivant l’usage, le président du Conseil se réserve le droit d’assister aux réunions des deux Commissions.
- •Un membre conteste ce droit et demande que l’avis du Conseil soit donné par un vote à bulletin secret. Le vote a lieu et le droit est affirmé par 13 voix contre 2.
- Séance du 30 avril 1879
- Ordre du jour :
- Fête du Travail.
- Le secrétaire de la Commission d’organisation de la Fête donne lecture du rapport qui est adopté dans tout son ensemble.
- Et la séance est levée.
- Ici se termine le dépouillement des 21 registres de procès-verbaux dont nous avons fourni l’état dans notre numéro de mars dernier, page 133.
- Le registre, que nous venons de voir, était — le lecteur le sait — le 2me des délibérations du Conseil des Unions au Familistère. Evidemment, il y eut un 3me registre, le 2me est rempli jusqu’à la dernière page et nous laisse en pleine organisation de la Fête du Travail de mai 187&
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- Avant de passer au dépouillement d’autres documents, résumons ce qui est à noter d’une façon spéciale dans le registre que nous venons de voir : ^
- Le premier fait notable est celui-ci : Ce 2me registre ouvre en mars 1878. Le 1er, par conséquent, a embrassé la période d'août 1877 à la susdite date. Or, les vingt autres registres que nous avons dépouillés (18 devons-nous dire puisqu’il y en a eu 2 restés en blanc) correspondent à la période embrassée par le 1er registre du Conseil. -
- En effet, ces 18 registres ouvrent en août 1877, et n’enregistrent aucune séance au-delà de mars 1878, un seul excepté : le registre du groupe N° 6, de l’Union Ecoles et Bambinat, montre que le corps a fonctionné jusqu’au 30 juillet 1878. Aucun de ces registres n’est rempli. Il n’y a donc pas à supposer que la suite est
- l
- sur un autre livre.
- Nous disions, au moment de procéder au dépouillement du registre des délibérations du Conseil des Unions du Familistère : « Sans doute ce registre nous fournira des témoignages des travaux des Groupes et Unions de l’habitation unitaire, puisque hiérarchiquement tous ces travaux aboutissaient au Conseil. »
- Qu’avons-nous trouvé à cet égard, en dehors du renouvellement des bureaux des Groupes et Unions en mars 1878.
- Voici :
- Dans la séance du 13 avril 1878, l’Union dite Vêtements soumet au Conseil une proposition de vente de marchandises au rabais. Proposition qui est adoptée.
- Le 18 du même mois le Groupe des Fêtes et Institutions d’agrément, Théâtre, présente ses plans pour l’organisation de la Fête du Travail. Ces plans sont adoptés.
- Le 8 juin 1878, l’Union ; Ecoles, présente au Conseil
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- le remarquable rapport de M. T. sur les Enfants assistés.
- Dans la même séance l’Union : Basse-cour occupe un instant l’attention du Conseil pour une proposition qui est adoptée.
- Le 13 juillet, l’Union : Bains, Lavoirs et l’Union : Jardins soumettent chacune une proposition au Conseil.
- Donc, le fonctionnement des différents corps continuait; mais le relevé des séances du Conseil témoigne de certaines difficultés : ainsi, dans la séance du 24 août 1878, nous voyons le Groupe des Fêtes et Institutions d’agrément se récuser pour l’organisation de la Fête de l’Enfance, se plaindre d’être en quelque sorte mis de côté.
- La plainte a été transmise par l’Union sans autre phrase ; et le Conseil organise la Fête par lui-même, vu l’abstention dudit Groupe.
- Le 12 septembre 1878, les Unions ; Ecole, Nourrice-\ rie, etc., se signalent encore à l’attention du Conseil et c’est tout.
- Au cours du même mois de septembre, dans ses séances des 14 et 18, le Conseil s’occupe bien de réviser : 1° le Règlement général des Groupes, Unions et Conseils ; et 2° son propre Règlement ; mais, nous ne voyons plus arriver jusqu’à lui aucun écho du travail dans les Groupes et Unions. Cependant, dans la séance du 14 septembre, le Conseil prend les mesures habituelles pour le renouvellement semestriel des bureaux dans les Groupes et Unions. Ce renouvellement ne figure sur aucun des registres que nous avons vus ; la dernière séance relevée sur ces registres était datée mars 1878, sauf un d’eux qui porte trace d’action jusqu’en juillet de la même année, ainsi que le lecteur le sait.
- Après sa réunion du 18 septembre 1878, le Conseil des Unions du Familistère est lui même — et sans en
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- donner aucun motif explicatif — trois mois sans se réunir ! — (Du 18 septembre au 28 décembre 1878.) Encore la réunion du 28 décembre est elle provoquée par l’approche du 1er janvier 1879, et la nécessité pour le Conseil de régler la cérémonie habituelle au Familistère.
- Le fait par le Conseil d’inviter « les Groupes et Unions » à assister à la dite cérémonie, montre que ces corps avaient encore au moins une existence nominale.
- Mais le mois de mars 1879 arrive et s’écoule, sans que le Conseil porte à son registre un seul mot concernant le renouvellement semestriel des Bureaux dans les Groupes et Unions.
- Enfin, dans ses séances des 26 et 30 avril 1879, le Conseil règle lui-même les choses pour l’organisation de la Fêle habituelle du Travail à célébrer en mai, sans faire aucune mention du Groupe de : Fêtes et Institutions d'agréments.
- Les échos du travail dans les Groupes et Unions (8 à peine) se sont produits dans la période où le Conseil lui-même a été le plus actif. En effet, sur les 27 séances que nous a fourni le 2me registre des délibéra- ' tions, 22 ont eu lieu du 7 mars au 18 septembre 1878.
- Passé cette date, le Conseil ne s’est réuni que cinq fois jusque fin avril 1879. Il reste d’abord trois mois sans se réunir; puis, comme nous l’avons vu, une séance a lieu fin décembre, en raison de l’approche du 1er janvier. Le 17 janvier et le 4 mars, il se réunit à nouveau pour examiner des questions de logements ; puis, il passe encore une cinquantaine de jours sans donner trace de vie ; et, enfin, les 26 et 30 avril 1879, il reprend ses séances pour l’organisation de la Fête habituelle du Travail* Là se termine le 2m0 registre, lequel étant rempli jusqu’à la dernière page a pu être suivi d’un troisième.
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- DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES
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- Mais cela ne modifie pas ce fond des choses :
- lo — Que les registres de procès-verbaux en notre possession s’arrêtent en mars 1878 — Un seul allant jusqu’en juillet de la même année ;
- 2° — Que dans la période de mars à septembre 1878, le Conseil des Unions du Familistère a enregistré quelques échos de travail de la part des Groupes et Unions, mais qu’il n’en a enregistré aucun du 18 septembre 1878 à fin avril 1879 ;
- 3° Que lui-même dans cette période a tellement ralenti son action qu’il a été jusqu’à trois mois sans se réunir ;
- 4° — Que l’échéance pour le renouvellement semestriel des bureaux dans les Groupes, Unions et Conseils a passé en mars 1879, sans que le Conseil ait fait procéder au dit renouvellement.
- Ce renouvellement ne se produisit pas non plus dans les Groupes et Unions de l’Usine. Nous serons fixés à ce sujet par le discours même de J.-B.-A. Godin à la Fête du Travail de Mai 1879, discours que nous verrons en temps et lieu.
- Auparavant nous devons :
- 1° Donner le Règlement général des Groupes, Unions, et Conseils dont nous avons cité des articles dans les pages précédentes ;
- 2° Indiquer au moins — à défaut de tout registre du Conseil des Unions de l’Usine — les quelques traces d’action de ce Conseil venues à notre connaissance.
- 3° Examiner quelques autres documents.
- (A suivre).
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- VIII
- A mesure que l’on avance dans l'examen des mobiles qui poussent à la consommation de l’alcool, on est de plus en plus frappé de la futilité de chacun d’eux, pris isolément, et de la puissance qu’ils tirent de leur cohésion.
- Et si du mal on passe aux remèdes, on a vite fait de constater la nécessité de les réunir en faisceau tant se montre inefficace et parfois même contraire au but poursuivi, l’application simpliste des diverses mesures proposées.
- Cela est vrai des forces morales aussi bien que des mesures d’ordre légal, préventives ou répressives, qui doivent d’ailleurs se prêter un appui réciproque.
- Pour que les efforts dirigés contre l’alcoolisme par les pouvoirs publics et l’action privée soient réellement efficaces, pour qu’ils portent leurs fruits, il est nécessaire qu’ils soient médités et systématisés. A la méditation apparaît le lien qui peut unir des groupements aux objectifs en apparence les plus disparates.
- Nous avons montré la connexité des diverses questions qui touchent à l’amélioration de la société : l’action des sociétés pacifiques, les revendications féministes et la lutte contre l’alcoolisme. Entre la femme et l’enfant, le rapport était tout indiqué.
- On connaît la mesure prise en vue de renseigner la
- jeunesse sur les dangers de l’alcoolisme et de lui in-
- /
- culquer des habitudes de sobriété.
- Qui ne voit combien l’efficacité d’un enseignement
- (1) Voir le Devoir de septembre, octobre et décembre 1895, de Janvier, février, mars et mai 18"6,
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- direct risque d’être compromise par des prédispositions contraires résultant, par exemple, de l’hérédité ou d’une alimentation mal comprise?
- Les cas d’intoxication des bébés par les nourrices adonnées à la boisson ne sont pas rares. Il est avéré, le docteur Combe, de Lausanne, a réuni sur ce phénomène bien constaté des faits instructifs, qu’une partie du vin ou des liqueurs absorbés par les nourrices passe à peu près telle quelle dans le lait et que les souffrances attribuées à la crise de dentition n’ont pas le plus souvent d’autre cause.
- Si, comme le fait remarquer M. Bianquis dans son rapport au Congrès de Montauban, « la plasticité de la nature humaine est telle qu’au bout d’une ou deux générations l’hérédité morbide peut être remplacée par une hérédité saine et vigoureuse, » il est indispensable que cette œuvre de régénération ne soit pas entravée par une éducation physique de nature à développer, loin de les faire disparaître, les germes morbides.
- Le docteur Barthés recommande de bannir de l’alimentation de l’enfant toute boisson fermentée jusqu’à l’âge de trois ans. De cet âge jusqu’à quinze ans, les boissons dites hygiéniques, vins, cidres, etc., doivent être coupées d’eau.
- On voit, par ces exemples et par ces indications, combien est urgente l’adaptation de la femme à la connaissance des dangers que court l’enfance dès le premier âge, et des moyens de les éviter, combien nécessaire son concours dans toutes les œuvres spéciales organisées en vue de ce sauvetage, et combien désirable, le relèvement de sa condition sociale actuelle qui entrave chez elle toute initiative de ce genre, et lui fait accepter comme une obligation légale d’étouffer sa répugnance à collaborer à la création d’êtres fatalement voués à la dégénérescence physique; intellectuelle et morale. ...............
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- Mais l’œuvre de préservation de l’enfance avant et pendant l’école ne saurait suffire. Il faut suivre les enfants au sortir de l’école, les protéger contre les dangers de la rue et du cabaret.
- On se préoccupe beaucoup de cette question dans les Congrès et dans la presse. Elle a donné lieu dans les récents Congrès de l’enseignement du Havre et de Bordeaux, à d’importants travaux qui ont profondément remué l’opinion publique.
- Et quel admirable modèle, à cet égard, que ces « Band_s of Hope, Bandes de l’Espérance, » ces sœurs cadettes des sociétés de tempérance, qui ont recruté plus de 2,600,000 adhérents en Angleterre !
- N’y a-t-il pas un lien remarquable entre la question qui nous occupe et les institutions de patronage, les associations fraternelles d’anciens élèves des écoles primaires, comme celle qui vient de recevoir dans le département de la Seine une première application.
- Ces institutions ne sont-elles pas le complément obligé de l’enseignement reçu à l’école? N’est-elle pas réconfortante la perspective ouverte par la circulaire du directeur de renseignement primaire de la Seine, évoquant cette solidarité des jeunes et des vieux qui fait de l’école une puissance morale, réunissant en un faisceau les forces vives de la démocratie, assurant la continuité de sa santé physique et morale, contagion du bien opposée .à la contagion du mal?
- « Un organisme social aussi délicat et compliqué que le nôtre, « lisons-nous dans Y Emancipation, sous la plume de M. Gauffrès, » réclame des esprits sains, des idées nettes, des appréciations calmes et scientifiques, le contraire de ce que l’alcoolisme tend à lui donner.
- » Par les cabarets dans les villages, par le débitant et le limonadier dans les villes, par la cantine à l’armée, il verse à flots dans la société des hommes excités,
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- passionnés, emballés qui vont bientôt former une collectivité inférieure, à l’état moral déplorable. »
- Le mal est déjà grand et ce n’est pas trop de toutes les forces individuelles et sociales pour en venir à bout, ce n’est pas trop de toutes les énergies privées, ou associées, de toute l’action des pouvoirs publics.
- Nous ne sommes pas près de voir la réalisation des mesures proposées à la sanction des pouvoirs publics, même de celles qui sont considérées comme immédiatement réalisables.
- A plus forte raison sommes-nous loin du jour où nous adapterons à nos institutions l’ingénieux et souple mécanisme qui a permis aux populations Scandinaves d’atteindre l’alcoolisme dans ses manifestations variées, de l’envelopper pour ainsi dire dans un filet dont les mailles se resserreraient à mesure qu’il accomplirait son œuvre de compression.
- Mais il ne faut pas oublier que la législation de ces pays du Nord n’a pas été improvisée en un jour, que toutes les pièces de la machine se sont ajustées avec un ordre et une continuité qui témoignent d’une observation attentive et d’une action persévérante.
- Il ne faut pas oublier surtout qu’elle eût pour point de départ l’agitation fomentée par des groupes de tempérants résolus à délivrer leur pays du fléau qui y sévissait plus que partout ailleurs.
- L’action des Sociétés de tempérance ou d’abstinence, des Ligues antialcooliques a de quoi s’exercer en France, puisqu’elles s’organisent à peine et qu’elles doivent peser à la fois sur les individus et sur les pouvoirs publics, s’appuyer sur des courants d’opinion qu’il leur faudra créer, sur des collectivités qu’il leur faudra gagner à la cause sacrée, combler l’insuffisance des mesures d’ordre public en procédant elles-mêmes à des
- organisations particulières aussi complètes et aussi
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- étendues que possible, création d’asiles, de restaurants et de cafés de tempérance, comme en Angleterre, en Suisse, en Amérique et en Allemagne, et intervention des sociétés elles-mêmes dans la vente, comme en Suède et en Norwège; en un mot dénoncer le mal, montrer comme on l’a guéri ailleurs, exiger de la société l’emploi du remède et lui donner l’exemple de l’application.
- Ce n’est pas seulement une bataille rangée qu’il s’agit de livrer, mais une guerre d’escarmouches, une lutte corps à corps. Il faut être ceint du triple airain pour l’entreprendre.
- Comme l’ont si bien établi M. Bianquis, cité par nous, et le docteur Legrain, (Dégénérescence sociale et alcoolisme,) c’est contre le corps électoral tout entier, producteurs des champs et commerçants des villes, ces grands électeurs, et consommateurs de partout, qu’il faut engager le combat.
- « Il faudrait n’avoir jamais frôlé les affaires publiques, — dit à ce sujet M. G. Bourcart, professeur à la Faculté de droit de Nancy, dans une étude : Le péril de l’alcoolisme et les remèdes, publiée par la Revue politique et parlementaire, — pour ignorer l’acharnement des intérêts menacés, leur prodigieuse habileté a se masquer derrière les principes.
- » On en appellera, je me trompe, on en a appelé, comme en Angleterre au xvmme siècle, à l’inviolabilité du domicile, à la liberté individuelle et à la propriété. Peut-être criera-t-on à l’iniquité de priver le pauvre de sa goutte, alors que le riche conservera la faculté de se procurer des gallons, à la barbarie d’ôter leur gagne-pain à d’humbles familles qui vivent de la distillation et de la vente des liqueurs, et qui, suivant l’observation ironique de M. Richardson, prennent tant de soin de rendre un homme ivre-mort pour la modique somme de deux pence. »
- On objectera que les industries menacées par la
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- campagne des tempérants enrichissent le pays. Quand on aura démontré, chiffres en mains, que, loin d’enrichir le pays, elles l’appauvrissent et le ruinent, en diminuant la population dans des proportions considérables, on n’aura pas fini.
- Il faudra poursuivre, atteindre et démolir l’un après l’autre partout où ils s’étalent, partout où ils se dissimulent des préjugés et des sophismes qui ne se présentent pas toujours en front de bandière ou à la queue leu leu comme cette incroyable litanie de l’alcool, trouvée dans un journal parisien, de l’alcool qui réchauffe, anime et surélève l’ouvrier, lui donne des perceptions nouvelles, agrandit son cerveau, détend ses nerfs et lui verse l’insouciance, l’oubli, l’anesthèsie de la souffrance et de la misère, cet alcool qui est un viatique, un élixir, une amulette, une panacée sociale, un frein supérieur à toute religion, un levier puissant !
- Dans la campagne qu’il s’agit de mener à bonne fin les sociétés et ligues anti alcooliques auront donc pour alliés naturels la femme, l’enfant, l’instituteur, le médecin du corps, le médecin de l’àme, chacun dans sa sphère d’influence, avec les moyens particuliers de per-suation dont ils disposent.
- Le jour où les médecins cessèrent de rire de la propagande. des Sociétés de tempérance, le jour où le clergé cessa d’enseigner que c’était aller contre les intentions du Dieu créateur que de s’abstenir de boire le produit de la vigne, on constata un arrêt puis une régression de l’alcoolisme en Angleterre.
- Il faut encore espérer que les Sociétés de secours mutuels seront un jour de puissants auxiliaires > des Sociétés de tempérance. En s’attaquant à l’épargne, en augmentant les causes des maladies, l’alcool s’attaque an effet à leur principe et à leur fin.
- Parmi les groupements qui ont la prétention d’offrir ùu cadre à l’activité de notre démocratie et une orien-
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- tation vers des destinées prévues, et dont l’alliance sera précieuse aux promoteurs de la campagne contre l’alcoolisme, il convient de citer surtout la coopération et le socialisme.
- Au Congrès de Montauban, M. Gide indiquait avec raison les Sociétés coopératives comme pouvant faire beaucoup de bien, rien que par la concurrence qu’elles qu’elles font aux débitants de boissons. Elles pourraient en faire davantage, ajoutait-il, si elles prenaient pour modèle les sociétés philanthropiques organisées en Suède, qui ne vendent jamais de l’eau-de-vie au petit verre, jamais aux enfants, jamais à certaines heures du jour.
- La coopération embrasse tous les objets de consommation. Elle peut opposer aux boissons falsifiées des débitants, la concurrence de boissons saines, mieux encore la concurrence d’aliments sains ; à l’attrait du cabaret, celui d’un logement confortable.
- Aucun ordre de question intéressant l’existence et les conditions de travail de l’ouvrier ne lui est étranger. Elle veut faire de l’ouvrier son propre patron ; et, pour en faire le maître d’un monde qui recèle encore tant de ressources insoupçonnées, réunir en lui la force physique, la vigueur mentale, l’énergique volonté : toutes choses que le développement de l’alcoolisme aurait vite fait d’anéantir.
- Un des faits les plus intéressants qui se soient produits au dernier Congrès de Bàle a été l’intervention d’un ouvrier socialiste, M. Bruno Gutsmann, un abstinent, qui a soutenu fortement la théorie que jamais l’ouvrier ne pourra réaliser son indépendance tant qu’il boira.
- « Comme socialiste, a-t-il dit, je recommande l’abstinence à mon parti parce qu’elle est un puissant moyen d’émancipation. La lutte des classes élève l’ouvrier, mais l’usage de l’alcool l’abaisse, »
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- Il a ajouté, et d’autres orateurs socialistes l’ont répété en y insistant, que l’état actuel de la société condamne presque fatalement l’ouvrier à l’alcoolisme.
- Ce qu’il y a de caractéristique dans cette affirmation, c’est qu’elle a été apportée et. développée en quelque sorte par mandat, les orateurs socialistes ayant parlé au nom de leurs groupes commettants. Ferait-elle donc partie du credo socialiste ?
- Les socialistes militants ne se font pas faute d’instruire en toute occasion le procès de la société actuelle. Longtemps, il fut soutenu dans leur parti qu’aucune amélioration des conditions d’existence du travailleur n’était possible sans la condition préalable de la transformation complète de la société. Mais l’impossibilité d’opérer cette transformation en un tour de main une fois constatée, au moins par la majeure partie de l’élément directeur, l’obligation de procéder à tout un ensemble de mesures préparatoires rationnellement sériées et de conquérir pied à pied des avantages partiels, autant pour calmer l’impatience des adhérents que pour leur donner un avant-goût des félicités de la réalisation globale, a eu cette conséquence de raffermir dans l’individu la conscience de la valeur de l’effort personnel qui menaçait de sombrer dans l’attente du coup de baguette final.
- Est-ce par pur esprit de discipline que M. Gutsmann donne un coup de chapeau à la vieille thèse contre laquelle son propre exemple proteste ou bien y a-t-il quelque chose de fondé dans cette affirmation que dans la société actuelle l’ouvrier est presque fatalement condamné à boire ?
- En un mot : l’alcoolisme est-il la conséquence ou la cause de la misère ?
- On comprend l’intérêt de la question. Si la première hypothèse est justifiée, la vieille doctrine intransigeante reprend tous ses droits. A quoi bon dès lors dépenser
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- tant d’efforts à l’œuvre vaine de la lutte directe contre l’alcoolisme puisque sa suppression devient impossible tant que le problème de la misère n’aura pas été résolu.
- Dans le cas contraire, on conviendra que c’est travailler à la solution de la question sociale elle-même que de s’attaquer résolument à l’alcoolisme.
- La première hypothèse a été exposée dans le numéro de mars 1889 de la Société Nouvelle par M. Domela Nieuwenhuis ; la seconde, dans le numéro d’août de la même revue par M. E. Cauderlier, qui s’est attaché, du reste, à réfuter l’argumentation du socialiste hollandais.
- Par des exemples pris dans divers pays et à diverses époques, M. Cauderlier, établit que plus une population mange de viande, c’est-à-dire que moins elle est menacée de misère physiologique, plus elle consomme d’alcool et que les périodes de prospérité exceptionnelle, celles où les salaires ont atteint les taux les plus élevés sont également celles qui ont donné les maxima de consommation alcoolique.
- Pendant les quatre années qui vont de 1873 à 1876, dit-il, les salaires en Belgique augmentèrent de 600.000.000 de francs, et la consommation des boissons fermentées et alcooliques dépassa de 400.000.000 de francs la quantité pourtant considérable des années précédentes.
- Même observation en France, en Angleterre, en Hollande. Il n’est pas jusqu’à la Suède et la Norwège qui ne virent une recrudescence d’alcoolisme pendant ces années d’abondance exceptionnelle.
- Un document plus récent portant sur une période beaucoup plus étendue, vient corroborer les constatations de M. Cauderlier. C’est le rapport présenté au Conseil municipal de Paris à l’occasion du budget de l’octroi par M. Paul Brousse.
- Les chiffres de ce rapport témoignent, en tenant compte de l’augmentation de la population, d’un accrois-
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- sement de la consommation des combustibles et des comestibles, c’est-à-dire du bien-être pendant la période de 1860 à 1894. Mais l’augmentation de la consommation des boissons pendant la même période est beaucoup plus sensible. On se chauffe un peu plus, on mange beaucoup mieux et l’on boit trois fois davantage !
- M. Cauderlier tire des exemples qu’il cite les conclusions suivantes :
- « Avec le développement de la prospérité matérielle, les salaires se sont élevés. Et à mesure que s’élevait le salaire, le salarié buvait davantage, par besoin, non ; par misère physiologique, encore moins. Mais par goût, par plaisir, parce que rien ne le sollicite à prévoir, parce que tout le sollicite à vivre au jour le jour, parce qu’il veut jouir sur l’heure.
- » L’alcoolisme est un vice, une passion, une habitude, nommez-le comme vous l’entendrez, mais ne l’excusez pas en l’appelant une quasi nécessité. »
- Soit. Mais puisque l’auteur de l’article veut bien reconnaître que la fatalité ne joue aucun rôle dans ce vice, cette passion ou cette habitude, il admettra bien que le buveur peut être placé dans.des conditions telles qu’il ne sera plus exclusivement accaparé par cet unique goût et cet unique plaisir, si absorbant qu’il soit. S’il avait à choisir entre plusieurs plaisirs, s’adonnerait-il à un seul ? Développez son goût artistique, par exemple, et mettez le théâtre, la musique à sa portée. Mais voyez comme tout se tient. Le sentiment de sa mise insuffisante éloigne le pauvre diable même des promenades publiques, quand ce n’est pas la rigoureuse consigne du gardien. Alors où aller, là où il reçoit toujours bon accueil, au cabaret, qui lui verse avec l’ivresse l’insouciance et l’oubli.
- Il ne s’agit pas, il est vrai, dans les exemples de M. Cauderlier, de pauvres diables restés pauvres diables... Mais il n’est pas difficile de comprendre que
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- l’homme ne renonce pas aisément à une passion dont il s’est fait une habitude lorsqu’une aisance momentanée lui donne les moyens de la satisfaire plus complètement encore. Il faut d’autres conditions.
- Si les divers facteurs d’alcoolisme, qui ont été rappelés ici, étaient exclusifs les uns des autres, il faudrait conclure tantôt que la prospérité matérielle est l’unique cause de l’alcoolisme, tantôt que ce fléau n’a pas d’autre cause que la misère.
- Ce serait faire à la logique une singulière entorse.
- La vérité, dans l’espèce, n’a pas ce caractère absolu. On peut travailler à la solution de la question sociale, à l’amélioration du sort de l’ouvrier, tout en poursuivant la solution de la question plus spéciale de l’alcoolisme, et justifier ainsi la pensée maîtresse du socialisme qui fait contribuer la société à la prospérité de l’individu et l’individu à la prospérité de la société.
- Mais si les hauts salaires, l’abondante alimentation, la confortable habitation, les loisirs aboutissent aux mêmes résultats que les bas salaires, la peu réconfortante nourriture, l’incommode logis et le surmenage, c’est que toutes les conditions matérielles réunies ne sont pas suffisantes; c’est qu’il y manque le facteur essentiel qui doit les féconder : un but de la vie élevé.
- Si le salaire est trop bas, l’ouvrier manque de stimulants pour travailler avec ardeur et sourtout de moyens pour réparer ses forces. Si son temps de travail est trop long, il va mollement à l’ouvrage et produit peu malgré les longues heures de présence. Mais si sa culture est trop faible et que ses désirs généraux soient bornés, il fait mauvais usage de ses profits et de ses loisirs, il les gaspille et n’est plus attaché à son travail par des liens suffisants.
- Le parti socialiste, qui poursuit l’augmentation des salaires et la réduction des heures de travail, devrait bien, pour le surplus, s’inspirer des sages conseils par
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- lesquels M. Cauderlier termine sa très intéressante étude : « Pour faire triompher ses droits, il faut à la démocratie deux choses essentielles : des hommes et de l’argent ; une armée résolue et des ressources pour lui faire faire campagne.
- « Or, l’alcool, jusqu’à présent, a décimé et ravagé ses troupes, il a absorbé et tari le plus clair de ses ressources ! C’est pourquoi je l’attaque et je le dénonce... Je l’attaque et le dénonce parce qu’il est l’ennemi acharné, redoutable, insidieux du peuple, paysans et ouvriers, parce que ce peuple, il le ruine et non content de le ruiner, il le démoralise et le déshonore.
- » Jamais une démocratie qui consacre à boire le plus clair de ses ressources ne fera triompher sa cause. Dans la lutte permanente pour la prééminence ou pour l’égalité que poursuivent entre elles les classes sociales, dans ce conflit de forces toujours sourdement ou ouvertement adverses, celui-là doit-être nécessairement l’éternel vaincu qui, loin d’épargner et de concentrer sa force, son effort, ses ressources pour faire triompher sa cause, les dissipe au contraire follement à une’ passion qui l’énerve et l’affaiblit.
- » Il est condamné à la défaite et à l’asservissement ; tant et si bien que, si les classes dirigeantes voulaient, par un machiavélisme qui n’est pas dans leur pensée, je me hâte de le reconnaître, perpétuer l’asservissement du prolétariat, elles ne pourraient recourir à un moyen plus certain et plus prompt qu’en ouvrant, toutes larges, les voies à une consommation de plus en plus facile de toutes les boissons spiritueuses ; supprimez l’accise, proclamez la liberté sans contrôle et sans frein de la distillerie, et avant vingt ans notre peuple sera en décadence physique et morale.
- » Voulez-vous, au contraire, vous, ses chefs, le me ner à la victoire, vous qui rêvez pour lui un avenir de
- justice, de dignité, d’égalité civique; voulez-vous réali-
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- ser promptement ce beau dessein, enrôlez-le derrière le drapeau de la tempérance. Ce drapeau le mènera sûrement à la conquête de tous ses droits, parce qu’il commencera par lui assurer ses forces : plus d’argent, plus de nerf, et plus de dignité fière et consciente d’elle-même. »
- Les considérations qui précèdent se résument dans ce cri d’alarme que Cobden jetait, vers le milieu du siècle, à la démocratie anglaise :
- « Point de progrès moral, matériel ou politique, si d’abord vous ne vous attaquez à l’intempérance! »
- Une préoccupation nouvelle ne tardera pas à dominer l’intérêt pourtant si légitime qui s’attache aux compétitions, à la défaite ou au triomphe des partis politiques ou des classes sociales.
- Au seuil du vingtième siècle, la constatation du ralentissement de notre population comparé à la fécondité de races s’adaptant merveilleusement aux conditions de notre production sans se plier aux exigences de notre consommation, fait naître dans les esprits clairvoyants une anxiété qui se traduit déjà par ce nouveau cri d’alarme :
- a Sauvons la race! »
- J. Pascaly
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- Les dangers résultant de l’incendie ne sont pas les seuls que les hautes et grandes maisons bien construites et bien aménagées puissent en quelque sorte conjurer et réduire à néant. Un de leurs avantages est de permettre une aération et une ventilation parfaites et indépendantes pour chacun des locataires. On obtient facilement ce résultat en renonçant aux couloirs intérieurs et en les remplaçant par des balcons-trottoirs donnant accès aux logements des divers étages de l’habitation.
- Dès que le couloir intérieur — cette peste des cités ouvrières et des casernes, ce boyau horizontal d’infection — est supprimé et que l’escalier, autre boyau vertical, est isolé, les causes principales de contamination de l’air des appartements cessent d’exister.
- Beaucoup de gens ayant habité les grandes villes où de nombreux locataires sont souvent concentrés dans une grande maison, ont pu constater combien il est désagréable de respirer la fumée et les âcres odeurs de fritures qu’une ménagère imprévoyante ou embarrassée leur sert involontairement, en ouvrant toute grande la porte d’une cuisine enfumée donnant sur le couloir commun.
- Dans les grandes constructions comprenant, par exemple, un îlot entier, cet inconvénient évité, si l’on a soin de disposer ces corps de logis sur deux rangs de chambres donnant les unes sur les façades extérieures, les autres sur les façades intérieures et communiquant entre elles de façon que l’ouverture simultanée des croisées de chaque pièce permette une chasse d’air
- (1) Voir nos numéros d’Avril et Mai derniers.
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- énergique. C’est la disposition adoptée au Familistère et rien n’est plus salubre et commode, puisque chaque logis forme en quelque sorte un tout indépendant des voisins.
- Un autre mode de ventilation est la cheminée dont toute pièce doit être pourvue. Tout le monde sait que ce genre d’appareil fonctionne d’autant mieux que la hauteur de la maison où on l’applique est plus considérable. L’air pur est absolument nécessaire à l’homme et l’on apprécie généralement son altération par la quantité d’acide carbonique qu’il contient. 11 est consi-
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- déré comme sain s’il ne renferme pas plus de 10 000 de ce gaz toxique, et comme dangereux s’il en contient 10 000 Il est facile dans ces conditions d’apprécier l’air ou le renouvellement d’air nécessaire à un appartement. Des physiologistes ont établi qu’un homme rend, comme résidu de sa respiration, une moyenne de 16 litres d’acide carbonique par heure, ce qui ajouté aux autres causes telles que perspiration, vapeur d’eau exhalée, etc., porte à 10 mètres cubes d’air par heure la quantité d’air nécessaire. Ce sont les chiffres auxquels après expériences ont conclu Kuss et Dumas. La chambre dans laquelle un homme dormirait huit heures consécutives devrait donc contenir au moins 80 mètres cubes d’air, et le double pour deux personnes. Mais en pratique il n’en est pas tout à fait ainsi; car il ne faut pas oublier qu’il se fait un renouvellement d’air constant par les fissures des/portes et croisées et par l’ouverture de la cheminée. Ceci permet de réduire considérablement les dimensions indiquées. Ainsi le minimum du cubage adopté dans les écoles, par enfant, est de 5 mètres cubes; et le conseil de salubrité recommande que toute chambre présente 14 mètres cubes par individu, indépendamment de la ventilation,
- Nous avons déjà sommairement indiqué que les règlements municipaux visant la construction des habi*
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- tâtions devraient exiger une largeur de rue et une largeur de cour ou square intérieur au moins égale à la hauteur de l’immeuble. Cette mesure nous paraît d’autant plus urgente que la lumière solaire abondante est aussi nécessaire à l’homme que l’air pur. Pourtant cette mesure est à peu près méconnue partout dans nos villes, où l’on rencontre des maisons de 5 ou 6 étages atteignant 15 à 20 mètres de hauteur, bâties en bordure de rues ayant à peine 6 à 8 mètres de largeur. Si nous ajoutons qu’entre les maisons se trouvent souvent encaissées des cours encore plus étroites, nous concevons alors que celles-ci deviennent de véritables puits à miasmes, source inépuisable de germes pathogènes semant tout autour la misère physique, la phthisie et la mort.
- Voici comment le docteur C. de Paepe, envisageait la question : Considérant le soleil comme le grand dispensateur de la vie, il écrivait : (1) « Une seconde condition pour que le soleil pénètre de ses rayons bienfaisants l’intérieur des habitations, c’est que celles-ci possèdent des fenêtres nombreuses, suffisamment larges, et élevées, cela va de soi : ces fenêtres doivent occuper au moins 1/6 de la capacité des appartements qu’on veut éclairer, et chaque fenêtre devrait avoir la hauteur de 2 m. 50.
- « Il faut le dire nettement, l’impôt sur les portes et fenêtres, qui tend à ménager l’air et la lumière solaire dans le logis, est un véritable crime.
- » Ce n’est pas seulement au point de vue de l’éclairage naturel, que la lumière solaire est nécessaire à l’homme. Sans parler de l’effet moral salutaire que produit sur ses habitants une demeure bien ensoleillée, on sait aujourd’hui que la lumière solaire est nécessaire, presque autant que l’air pur, à la revivification
- (1) L'Hygiène des habitations. Préface du livre le Logement de l’ouvrier et du pauvre en Belgique, par Louis Bertrand.
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- du sang et à la reconstitution de nos tissus. Ce ne sont pas seulement les plantes qui s’étiolent à l’ombre, mais aussi l’homme, les enfants et surtout les jeunes filles. Chez ces dernières principalement, le séjour prolongé dans l’obscurité ou dans un milieu insuffisamment ensoleillé produit l’anémie, la chlorose, le rachitisme, la scrofule.
- » Un écrivain a dit avec raison : « De toutes les fleurs, la fleur humaine est celle qui a le plus besoin de soleil. » Au surplus, l’effet bienfaisant des rayons solaires sur les animaux et sur l’homme a été suffisamment démontré par des expérimentateurs qui s’appellent : Claude Bernard, Moleschott, Edwards, Béclard, Paul Bert, etc. »
- Dans un journal scientifique, nous relevons la note suivante :
- « Le grand soleil est en effet un assainisseur de premier ordre. Il détruit, en quelques heures, les bacilles du choléra qui sont peu résistants; en dix heures, les bacilles typhiques, desséchés ou non; en vingt-neuf heures d’insolation, les bacilles de la diphtérie, même enfermés dans un oreiller. Nous avons donc à notre portée, le remède à côté du mal pendant ces saisons à températures extrêmes qui donnent à la santé publique de si rudes assauts. »
- La vérité est que nos maisons et nos villes sont restées fort en deçà de ce que réclame une bonne hygiène. Les premières, construites au gré des ressources d’un chacun, aménagées seulement en vue de besoins personnels et momentanés, étroitement serrées et gênées par les droits mitoyens des voisins, manquent le plus souvent de cette abondance et de ce soin des détails, — installation suffisante et convenable des privés, large aération des appartements, évacuation rapide des eaux ménagères, etc., etc., — qui sont le complément indispensable de tout parfait organisme,
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- Les secondes, édifiées en quelque sorte au jour le jour, sans vues d’ensemble, sans nivellement et sans orientation générale, possédées par autant de propriétaires qu’elles contiennent de maisons, présentent dans leur ensemble un caractère chaotique indescriptible.
- Rien ne donne plus vivement l’impression de ce désordre que le champ bouleversé s’étendant sous vos yeux, si vous regardez une ville d’un point élevé, tour Eiffel ou clocher de cathédrale. A vos pieds, se déroulent et se succèdent une cohue de toitures multiformes et disposées à toutes hauteurs desquelles pointent, isolées ou groupées, des cheminées de toutes tailles et de toutes couleurs. On dirait de vastes ruines s’étendant au loin et fumantes encore à la suite d’un grand incendie. Tel est l’aspect incohérent que présente la supra-structure de nos agglomérations urbaines.
- Mais combien serait' encore plus lamentable l’impression que nous éprouverions, s’il nous était possible d’en examiner l’infra-structure.
- Si, connaissant les lois de l’hygiène et armés d’un pouvoir magique, nous pouvions comme Asmodée, voir à travers les toits, les murs et les pavés, certainement nous reculerions d’horreur devant l’imperfection de nos égoûts, les dangers de nos fosses fixes, les désordres de nos canalisations souterraines, qui, au lieu d’assurer pleinement l’écoulement de nos eaux ménagères polluées, sont maintes fois des réceptacles empestés de toutes les immondices.
- En réalité, le sous sol de nos villes et les distributions des conduites qu’il recouvre sont à remanier en entier. (1)
- (1) Tout dernièrement, Sir B.-W. Richardson exposait à la Conférence sanitaire de Manchester comment un drainage parfait était l’une des principales nécessités de toute agglomération urbaine.
- D’après le savant hygiéniste, le seul moyen de drainer efficacement une ville est de séparer complètement les matières excrémentielles sortant de la maison, des eaux pluviales qui à certains moments inondent les rues. Des conduites spéciales absolument étanches et partant de la maison déverseraient les ma-
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- Mais la constitution de la petite propriété ne se prête guère à ce remaniement. Les droits établis de nombreux propriétaires, le manque des capitaux des uns, l’inertie ou l’avidité des autres, opposent à toute amélioration générale une résistance et des obstacles à peu près insurmontables; et ce ne sont pas les seuls reproches que l’on puisse adresser aux petits immeubles dont nos villes sont formées.
- Nous venons d’examiner sommairement leurs lacunes quant à l’hygiène, l’air et la bonne distribution de la lumière; nous pourrions signaler aussi leurs nombreuses imperfections relativement à la vue et à l’oreille. Que dire de ces immeubles, et c’est le cas du plus grand nombre, encaissant des rues étroites et dans lesquels l’habitant ne peut ouvrir sa fenêtre, pour introduire un peu d’air, sans que l’œil indiscret d’un voisin logé à 7 ou 8 mètres dans la maison en face, ne vienne fouiller curieusement dans son appartement, et que penser de l’inconvénient que l’on éprouve si en face de votre logis vient s’établir un ferblantier, un chaudronnier, ou tout autre industriel dont le bruit étourdissant fatigue, excède à la longue toute la population du voisinage.
- Seules, les grandes maisons unitaires peuvent parer à toutes ces difficultés, en exigeant autour d’elles des voies d’une largeur considérable, en réservant de grands squares intérieurs, et en reléguant forcément dans les faubourgs éloignés, les ateliers bruyants et les professions insalubres.
- (A suivre) Aug. Fabre.
- tières solides et liquides, produits des fosses ou eaux ménagères, dans de grands tuyaux collecteurs qui les conduiraient sur les lieux d’épandage pour être employées à la fertilisation du sol; des pentes rapides convenablement ménagées ou des pompes aspirantes disposées à cet effet aideraient au refoulement de ces matières jusqu’à leur point normal de sortie tandis que, par l’égout ordinaire, les eaux pluviales iraient directement à la rivière,
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- Le Sénat et la Chambre
- Il est d’un usage constant que les deux Chambres se séparent le même jour pour reprendre leurs travaux en même temps.
- En se séparant le 2 avril pour prendre ses vacances de Pâques, la Chambre des députés s’est ajournée au 19 mai, sans attendre que le Sénat eût clos ses travaux. N
- A ce moment, le Sénat avait encore à voter des crédits supplémentaires pour Madagascar déjà votés par la Chambre.
- Or, le vote de ces crédits était indispensable pour assurer le service de l’entretien et de la relève de nos troupes à partir du 30 avril.
- Le Sénat s’empressa de suivre la Chambre en vacances, en ajournant au 21 avril l’examen de la question des crédits.
- Le 21 avril, le Sénat livrait au ministère une bataille cette fois décisive.
- M. Demôle accuse nettement le ministère d’avoir violé la Constitution en restant au pouvoir malgré le blâme formel et deux fois réitéré du Sénat, et le président du Conseil l’interrompant pour lui dire que le Sénat n’est pas le seul juge de l’interprétation de la Constitution, M. Demôle réplique que la Constitution est assez claire pour n’avoir pas besoin d’interprétation.
- Toujours la querelle sur l’article 6.
- On n’avait pas besoin de ce nouvel incident pour apprendre que ’le Sénat et le ministère ne sont pas d’accord sur ce point. Aussi n’est-ce qu’une escarmouche.
- La proposition sur laquelle s’est engagé le débat consistait à ajourner le vote des crédits pour Madagascar jusqu’à la constitution d’un cabinet ayant la confiance des deux Assemblées.
- C’était tout à la fois la confirmation des précédents Votçs de défiance et une mise en demeure de rappeler
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- la Chambre encore en vacances, pour effacer ce qu’il y avait de désobligeant dans le vote par lequel, avec l’assentiment du ministère, elle s’était ajournée sans attendre la décision du Sénat sur une question pendante entre les deux Chambres du Parlement.
- A la suite d’un débat très vif, mais très court, la motion d’ajournement fut adoptée par 171 voix contre 90, et les ministres quittèrent la salle des séances.
- Après une très longue délibération, le ministère fit publier une note dans laquelle il reconnaissait qu’en présence du refus par le Sénat des crédits demandés, il ne pouvait continuer à diriger les affaires, que cependant il persistait à refuser de donner sa démission sur un vote du Sénat, et qu’il avait décidé en conséquence de convoquer la Chambre des députés pour le surlendemain 23 avril et de lui faire connaître au début de la séance de ce jour les motifs de sa résolution.
- Ainsi fut fait, et deux jours après la Chambre entendait la lecture d’une déclaration ministérielle qui n’était que le développement de la note officielle communiquée la veille aux journaux.
- Nous ne permettrions pas, en effet, disait M. Bourgeois, qu’une fausse interprétation des motifs de notre retraite pût faire croire au pays que nous avons un seul instant abandonné la doctrine professée par les plus illustres de nos prédécesseurs au gouvernement de la République, par Gambetta et par Jules Ferry, et suivant laquelle c’est à la Chambre directement issue du suffrage universel qu’appartiennent l’initiative et la direction générale de la politique ; à elle seule appartient, suivant le mot de l’ancien président du Sénat, « le pouvoir de faire et de défaire les ministères. »
- Le président du Conseil, continuant la citation de M. Jules Ferry, aurait pu ajouter que le Sénat, par certains votes, pouvait rendre l’existence d’un Cabinet impossible.
- Il ne l’a pas ajouté. Il a fait mieux, comme le philo sophe qui prouvait le mouvement en marchant, il a donné par sa retraite la plus éloquente des adhésions à la partie de l’opinion de M. Jules Ferry dont il omettait l’expression dans sa déclaration.
- Le refus de crédits indispensables était incontestablement une de ces manifestations de la volonté séna-
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- toriale devant laquelle un ministère ne pouvait faire autrement que de s’incliner.
- Le fait que le Cabinet n’a voulu remettre sa démission au président de la République qu’après en avoir exposé les motifs à la Chambre des députés qui lui avait tant de fois, et particulièrement dans son conflit avec le Sénat, témoigné sa confiance, n’atténue en rien la portée de cet acquiescement. C’était un acte de pure déférence assez mal accueilli, du reste, par les amis eux-mêmes du ministère dans l’Assemblée qui en était l’objet.
- La déclaration ne reconnaissait à aucune des deux Chambres le droit de se prononcer sur aucun des points contestés; mais au seul pouvoir auquel appartient le droit d’interprêter la Constitution, l’Assemblée nationale.
- Le Cabinet n’appelait donc pas la Chambre à trancher cette question de droit constitutionnel puisqu’immédia-tement après la lecture de sa déclaration, il allait porter sa démission au président de la République, se désintéressant, en tant que Gouvernement, de la discussion qui pouvait suivre,
- Et, en effet, pendant que le Sénat votait les crédits que lui avait vainement demandés le Cabinet démissionnaire, un très vif débat s’ouvrait à la Chambre.
- La majorité radicale et socialiste qui depuis cinq mois soutenait le ministère Bourgeois, tenait à affirmer la suprématie de la Chambre sur le Sénat qui ne se bornait plus à empêcher les réformes, mais qui avait encore l’audace de renverser les ministères qui avaient la confiance de la Chambre.
- Elle ne voulait pas également que le ministère se constituât sur la seule manifestation du Sénat.
- Diverses motions sont présentées afin que la Chambre puisse faire connaître son sentiment.
- L’ajournement demandé par un membre de la minorité est repoussé par 283 voix contre 268.
- On vote en deux fois une motion de M. Ricard (Côte-d’Or), ainsi conçue :
- La Chambre affirme de nouveau la prépondérance des élus du suffrage universel (309 voix contre 38) et est résolue à poursuivre la politique des réformes démocratiques (417 voix contre 37).
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- L’ordre du jour Ricard trop vague, surtout dans sa deuxième partie, ne facilitait guère une délimitation précise des partis. C’est sur l’ensemble que partisans et adversaires du Cabinet démissionnaire vont se compter.
- On vote à la tribune par appel nominal.
- L’ensemble de la proposition est adoptée par 258 voix contre 0. Ce n’est pas la moitié de la Chambre qui se compose de 581 membres.
- La mission de constituer un Cabinet de concentration ou de conciliation fut confiée à M. Sarrien, le seul membre du Cabinet démissionnaire faisant partie de la Chambre qui n’ait pas pris part au vote sur l’ensemble de la motion Ricard.
- M. Sarrien échoua.
- M. Méline, membre de la minorité antiministérielle, après avoir vainement essayé à son tour un Cabinet de conciliation, réussit à faire un Cabinet uniquement composé d’éléments modérés.
- Le 30 avril le nouveau ministère se présentait devant la Chambre. Il se donnait pour tâche, aux termes de la déclaration, « de rétablir l’harmonie indispensable des pouvoirs publics. »
- La déclaration poursuivait :
- « La Chambre des députés, issue du suffrage universel direct, exerce une action prépondérante dans la direction générale de la politique; mais, si elle tient de ses origines et de la Constitution des droits incontestables, il est impossible de légiférer et de gouverner sans le concours du Sénat. C’est là une question de fait qui domine et rend inutiles les controverses théoriques. La bonne volonté réciproque a suffi jusqu’ici à résoudre toutes les difficultés ; c’est à elle que nous faisons encore appel. Nous ne désespérons pas d’effacer les traces des récents conflits, si vous voulez bien nous suivre sur le large terrain d’action où nous entendons nous placer. »
- Le ministère exprimait également la conviction que la Chambre renferme une majorité républicaine fermement résolue à écarter les questions qui la divisent pour s’attacher enfin à un ensemble de « réformes démocratiques, mûres depuis longtemps et immédiatement réalisables, » réformes des droits de succession, règlemen-
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- tation des heures de travail, responsabilité en matière d’accidents, etc.
- Aussitôt après la lecture de la déclaration, la discussion s’engage sur les conditions dans lesquelles a été formé le Cabinet.
- Il fallait, dit M. Goblet, pour former le Cabinet, consulter la Chambre et non le Sénat. Il fallait tenir compte de la majorité du 23 avril.
- M. Méline justifie la formation du Cabinet par de nombreux précédents. Quant à l’ordre du jour du 23 avril, il était trop obscur; la Chambre ferait mieux de se prononcer sur le.programme du Cabinet qui est devant elle.
- L’ancien président du conseil estime que la Chambre doit maintenir son vote du 23 avril. Il soutient que le seul moyen de sortir de la situation actuelle est de convoquer le Congrès ou de faire la dissolution.
- M. Méline réplique et demande pourquoi M. Bourgeois réclame au Gouvernement de faire la révision que lui-même n’a pas voulu faire.
- M. Bourgeois : parce que je n’avais pas les crédits pour vivre.
- Deux ordres,du jour sont en présence.
- Le texte proposé par M. Henri Ricard est ainsi conçu :
- « La Chambre affirmant à nouveau la prépondérance des élus du suffrage universel, passe à l’ordre du jour.»
- Le texte de MM. Bozérian'et Delpeuch et leurs collègues est ainsi conçu :
- « La Chambre, affirmant la souveraineté du suffrage universel et approuvant la déclaration du Gouvernement, passe à l’ordre du jour. »
- Le Gouvernement accepte cet ordre du jour.
- L’extrême gauche insiste pour la priorité de l’ordre du jour Ricard, qui est repoussé par 279 voix contre 251.
- La première partie de l’ordre du jour Bozérian est adoptée à l’unanimité de 569 votants.
- La seconde « approuvant la déclaration du Gouverne* ment, » est mise aux voix par scrutin public à la tribune,
- Par 230 voix contre 196 la seconde partie est adoptée, et l’ensemble de l’ordre du jour réunit 278 votants con* tre 244.
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- La Chambre s’ajourne ensuite au 28 mai.
- Le Sénat en fait autant, non sans avoir au préalable repoussé une proposition de révision par 205 voix contre 40.
- Ni le vote du Sénat, ni celui de la Chambre ne peuvent faire qu’il ne soit pas indispensable de demander au Congrès de consacrer dans la Constitution la suprématie du suffrage universel si affirmée à jet continu dans des ordres du jour sans portée.
- Mais si l’on veut savoir quelle chance aurait actuellement d’aboutir une révision donnant satisfaction à ce besoin de logique, de clarté et de justice, on n’a qu’à consulter les chiffres du scrutin qui a repoussé la proposition de révision au Sénat, et les chiffres du scrutin qui a consacré l’existence du Cabinet Méline à la Chambre, et l’on verra qu’il y a au Sénat et à la Chambre, somme toute, 284 voix pour la révision et 481 voix contre.
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- Avant de se séparer pour prendre des vacances qui devaient être si étrangement interrompues, la Chambre avait voté le principe de l’impôt sur le revenu dans des conditions qui ne permettaient guère à ses partisans d’espérer le triomphe de cette réforme, la première que le ministère Bourgeois eût soumis à la discussion.
- Après cinq jours de débat, pendant lesquels fut examinée, sous toutes ses faces, cette réforme la plus grave qui ait été discutée depuis longtemps puisqu’elle mettait en jeu la base même de nos impôts, la Chambre adoptait l’ordre du jour suivant proposé par M. Dron :
- « La Chambre, confiante dans le Gouvernement et résolue à substituer à la contribution personnelle mobilière et à l’impôt des portes et fenêtres un impôt général sur le revenu (adopté par 297 contre 249), réservant l’examen de la déclaration globale et des bases de taxation (adopté par 285 voix contre 276) avec dégrèvement gradué des revenus inférieurs à un certain chiffre, laisse à la Commission du budget, d’accord avec le Gouvernement, le soin d’en rechercher les moyens d’application et passe à l’ordre du jour. »
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- L’ensemble a été votée par 286 voix contre 270.
- La Chambre avait déjà repoussé, à la majorité de 288 contre 172, une proposition de MM. Guillemet et Bozé-rian reproduisant les dispositions essentielles des conclusions formulées au nom de la commission du budget par M. Cochery, son président, conclusions écartant tout système fondé sur la déclaration du revenu global, la taxation arbitraire et les investigations vexatoires, et invitant le Gouvernement à présenter un nouveau projet de réforme des contributions directes.
- C’est sur les bases de ces conclusions que M. Cochery, aujourd’hui ministre des finances, a établi son projet de budget pour 1897. 4
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- NOUVELLES DU FAMILISTÈRE
- Fête annuelle du Travail
- Le dimanche 3 mai dernier, la Fête du Travail a été célébrée au Familistère de Guise. Elle a duré deux jours. Mêmes jeux et réjouissances que les années précédentes. Comme toujours l’entrain et la cordialité ont été les traits dominants.
- En vertu des articles 128 des statuts et 78 du règlement prescrivant que des allocations extraordinaires soient données aux travailleurs qui se sont distingués « par des services exceptionnels ou des idées mises ou pouvant être mises en application, » le Conseil de Gérance a voté les allocations suivantes pour l’exercice 1895-1896 :
- A M. Louis Vital
- Pour une amélioration au moulin au sable neuf ; amélioration appliquée et qui donne de bons résultats 150fr.
- A M. Sarrazin-Duhem
- Pour proposition concernant le service des expéditions et la reconnaissance des marchandises à la gare, mise en application........................... 100 fr.
- A M. Tasserit
- Pour avoir signalé la nécessité d’une reconnaissance plus complète du chargement à la gare, avant la remise des carrés aux factures....................... 50 fr.
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- MOUVEMENT FEMINISTE
- Les Congrès de Paris, Berlin, Genève.
- Rien n’est fait pour donner une idée du progrès de la cause féministe comme la multiplication, l’importance toujours plus grande de ces réunions, et le mouvement de curiosité qu’elles provoquent.
- Le Congrès féministe international qui s’est tenu à Paris, du 8 au 12 avril, a dépassé l’attente de ses organisateurs. Pendant tout ce temps les congressistes et auditeurs ont afflué dans la grande salle de l’Hôtel des sociétés savantes. Il est vrai que cette fois les séances étaient publiques. Ce n’est pas toujours prudent, et nous ne saurions blâmer la sagesse des précédents Congrès où l’on fit d’excellente besogne. Mais le temps a marché. Les revendications féministes sont devenues la chose de tous.
- On n’a pas fait de moins bonne besogne au dernier Congrès, bien que la discussion se soit parfois un peu ressentie de la liberté plus grande et peut-être aussi d’un défaut de tactique ou de plan concerté de la part des congressistes.
- D’excellentes résolutions ont été votées. Nous en reparlerons.
- Le Congrès a justifié en tous points son titre de Congrès international. Les adhésions venues de l’étranger ont été très nombreuses, et les délégués ou délé-» guées des sociétés anglaises, danoises, allemandes, hollandaises, italiennes, russes, polonaises, américaines se rattachant au mouvement féministe ont participé à la discussion dans une large mesure.
- Pour la première fois, on organise en Allemagne un Congrès féministe international, où seront discutées tou tes les questions se rattachant aux œuvres féminines, à la position sociale de la femme.
- Ce Congrès aura lieu à Berlin du 19 au 27 septembre 1896.
- Le Comité d’organisation vient de lancer un appel aux associations féministes de tous les pays.
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- Les lettres peuvent être adressées à Mme Lina Morgenstern, Berlin, à Mme Elise Ichenhauser, Berlin, Flens-burger Strasse 30, ou à Mmo Stroraer, Sclioneberger Ufer 31.
- Le programme des sept séances du Congrès est des plus attachant :
- Premier jour. — Conférence sur les soins à donner aux petits enfants et sur l’éducation en général. Rapports sur les crèches, jardins d’enfants, instituts de surveillance pour les écoliers entre les heures d’école, sociétés de protection pour l’enfance et la jeunesse. Surveillance par des femmes des jeux sur les places publiques ;
- Deuxième jour. — Conférences sur les écoles primaires, les écoles supérieures, les gymnases pour jeunes filles. Situation des maîtresses dans ces institutions. Ecoles pour adultes et écoles spéciales. Ecoles normales pour les maîtresses d’écoles et les institutrices de jardins d’enfants ;
- Troisième jour. — Conférence sur les études académiques et universitaires. Cours pour les femmes-médecins, dentistes, pharmaciennes, garde-malades, sages-femmes. Etat actuel de ces établissements et statistique. Hôpitaux dirigés par des femmes. Soins des malades dans les colonies ;
- Quatrième jour. — Conférence sur l’hygiène privée et publique. Sociétés de tempérance. Alimentation des masses. Divertissements populaires et instructifs. Ecoles de cuisine et d’économie domestique. Ecoles de jardinage et d’horticulture. Rapports sur les cuisines populaires en Allemagne. Maisons de convalescences. Asiles pour les femmes en couche. Colonies pour les enfants pendant les vacances ;
- Cinquième jour. — Question des ouvrières et du salaire dans l’industrie et le commerce. Etablissements en faveur des employées. Organisation des Sociétés ouvrières. Question des domestiques. Question des mœurs ;
- Sixième jour. — Conférence sur le droit des femmes devant la loi civile, droit communal, droit de commerce et droit d’association. Rapports de tous les pays sur le droit de la femme, sa participation aux soins à donner aux pauvres et aux orphelins, sa participation aux commissions des écoles et à la tutelle;
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- Septième jour. — Conférence sur la participation de la femme aux arts, à la science et à la littérature. Les femmes et les ligues de la paix. Rapports.
- Les séances auront lieu dans la matinée. L’après-midi sera consacrée à des excursions ou visites dans la partie de l’Exposition consacrée aux institutions se rattachant à l’ordre du jour.
- Un Congrès des intérêts féminins en Suisse aura lieu à Genève du 8 au 12 septembre.
- Un comité international d’organisation s’est constitué et a demandé à des personnes compétentes la rédaction de rapports destinés à éclairer sur toutes leurs faces les questions qui seront à l’ordre du jour.
- Le comité estime que les intérêts collectifs du sexe féminin sortent aujourd’hui du domaine des controverses théoriques pour se préciser en un certain nombre de questions d’actualité, pédagogiques, économiques et légales. Ces questions s’imposant de plus en plus à l’attention, le moment semble venu de donner une nouvelle impulsion à leur pratique, en constatant ce qui a été fait et ce qui reste à faire dans ces divers domaines.
- Toutes les communications peuvent être adressées au secrétariat de la commission exécutive, Union des femmes, rue Ceard, 11, Genève.
- Le programme comprend les matières suivantes :
- 1° L’activité de la femme dans le domaine de l’utilité publique ;
- 2° Question d’éducation et d’instruction : co-éducation des sexes, enseignement supérieur, enseignement industriel et commercial, écoles de ménage et de cuisine, garde-malade et infirmières ;
- 3° Question du gagne pain dans les diverses professions ;
- 4° Assurance contre le chômage, les accidents, la maladie ;
- 5° La participation des femmes à l’administration publique : écoles, orphelinats, hôpitaux, prisons, assistance, hygiène ;
- • 6° La condition légale de la femme.
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- Le gain des femmes
- Le Grand Conseil de Neufchâtel a pris en considération à l’unanimité et renvoyé à la commission législative, un projet de décret modifiant les dispositions du code civil relativement au régime matrimonial. Ce projet accorde des facilités pour la séparation de biens, qui pourra se faire sans frais par une simple déclaration avant le mariage. En outre, les garanties données aux femmes pour les immeubles sont étendues aux biens meubles et à leurs instruments de travail. Le mari ne pourra disposer des créances de sa femme sans l’assentiment de celle-ci. La femme aura le droit d’administration sur le produit de son travail, dont elle pourra disposer au profit de la communauté.
- On sait que depuis vingt-cinq ans, un bill a accordé aux femmes anglaises le produit de leurs gains et institué la séparation de biens comme régime matrimonial légal. Le projet de code civil allemand garantit aux femmes leur salaire ; en France, une loi, restée comme tant d’autres en panne au Sénat, réalise le môme principe. Genève a, en 1884, voté une loi plus libérale encore, et comme on vient de le voir, Neufchâtel est à la veille d’en faire autant.
- Le Grand Conseil Vaudois a pensé, à son tour, que le moment était venu de suivre ce bon exemple..
- D’après le régime matrimonial mis en vigueur dans le canton de Vaud depuis 1819 et qui n’a pas encore été modifié, la femme mariée ne peut acquérir aucun immeuble par achat. Elle ne peut faire passer aucune créance en sa faveur, ni en acquérir aucune même avec l’argent de sa dot. Le mari seul administre les biens de sa femme. Il devient propriétaire de tout ce que celle-ci apporte. Les fruits et intérêts sont à lui, ainsi que tout ce que sa compagne peut gagner par son travail.
- Une proposition demandant que la loi garantisse tout au moins à la femme mariée le produit de son travail a été prise en considération par le Grand Conseil et renvoyée au Conseil d’Etat « avec pressante recommandation. »
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- MOUVEMENT FÉMINISTE
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- Le suffrage des femmes en Norwège
- Les commissions réunies de la justice et de la constitution du Storthing discutaient dernièrement la question de l’application du suffrage universel aux élections communales. La majorité de leurs membres se sont prononcés en faveur du suffrage universel et ont exprimé le désir d’accorder aux femmes des droits électoraux.
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- FRANGE
- Les enfants naturels
- Dans sa séance du 21 mars la Chambre des députés a adopté, telle qu’elle avait été modifiée par le Sénat, la proposition de loi relative aux droits des enfants naturels dans la succession de leur père et mère.
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- SANS FAMILLE
- Par Hector MALOT
- Ou.vrage couronné par l’Académie française
- (Suite)
- — Ah! vous autres, vous savez, il ne faut pas vous gêner, mais moi, j’ai autre chose à faire ; mes cliâtai-gnons, qui est-ce qui les sécherait? Je demande que l’ingénieur remonte alors; c’était pour rire. Salut, monsieur l’ingénieur!
- A l’exception du magister qui cachait ses sentiments et de Carrory qui ne sentait pas grand’chose, nous ne parlions plus de délivrance, et c’étaient toujours les mots de mort et d’abandon qui, du cœur, nous montaient aux lèvres.
- — Tu as beau dire, magister, les bennes ne tireront jamais assez d’eau.
- — Je vous ai pourtant déjà fait le calcul plus de vingt fois; un peu de patience.
- — Ce n’est pas le calcul qui nous tirera d’ici. Cette réflexion était de Pagès.
- — Qui alors?
- — Le bon Dieu.
- — Possible; puisque c’est lui qui nous y a mis, répliqua le magister, il peut bien nous en tirer.
- — Lui et la sainte Vierge; c’est sur eux que je compte et pas sur les ingénieurs. Tout à l’heure en priant la sainte Vierge, j’ai senti comme un souffle à l’oreille et une voix qui médisait: «Si tu veux vivre en bon chrétien à l’avenir, tu seras sauvé. » Et j’ai promis.
- — Est-il bête avec sa sainte Vierge, s’écria Bergounhoux en se soulevant.
- Pagès était catholique, Bergounhoux était calviniste; si la sainte Vierge a toute puissance pour des catholiques, elle n’est rien pour les calvinistes, qui ne la reconnaissent point, pas plus qu’ils ne reconnaissent les autres intermédiaires qui se placent entre Dieu et l’homme, le pape, les saints et les anges.
- Dans tout autre pays, l’observation de Pagès n’eût pas
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- soulevé de discussion, mais en pleines Cévennes, dans une ville où les querelles religieuses ont toutes les violences qu’elles avaient au dix-septième siècle, alors que la moitié des habitants se battait contre l’autre moitié, — cette observation, pas plus que la réponse de Ber-gounhoux, ne pouvaient passer sans querelles.
- Tous deux en même temps s’étaient levés, et sur leur étroit palier, ils se défiaient, prêts à en venir aux mains.
- Mettant son pied sur l’épaule de l’oncle Gaspard, le magister escalada la remontée et se jeta entre eux.
- — Si vous voulez vous battre, dit-il, attendez que vous soyez sortis.
- — Et si nous ne sortons pas? répliqua Bergounhoux.
- — Alors il sera prouvé que tu avais raison et que Pagès avait tort, puisque à sa prière il a été répondu qu’il sortirait.
- Cette réponse avait le mérité de satisfaire les deux adversaires.
- — Je sortirai, dit Pagès.
- — Tu ne sortiras pas, répondit Bergounhoux.
- — Ce n’est pas la peine de vous quereller, puisque bientôt vous saurez à quoi vous en tenir.
- — Je sortirai.
- — Tu ne sortiras pas.
- La dispute, heureusement apaisée par l’adresse du magister, se calma, mais nos idées avaient pris une teinte sombre que rien ne pouvait éclaircir.
- — Je crois que je sortirai, dit Pagès, après un moment de silence, mais si nous sommes ici c’est bien sûr parce qu’il y a parmi nous des méchants que Dieu veut punir.
- Disant cela, il lança un regard - significatif à Bergounhoux ; celui-ci au lieu de se fâcher confirma les paroles de son adversaire.
- — Cela c’est certain, dit-il, Dieu veut donner à l’un de nous l’occasion d’expier et de racheter une faute. Est-ce Pagès, est-ce moi? je ne sais pas. Pour moi tout ce que je peux dire, c’est que je paraîtrais devant Dieu la conscience plus tranquille si je m’étais conduit en meilleur chrétien en ces derniers temps; je lui demande pardon de mes fautes de tout mon cœur.
- Et se mettant à genoux il se frappa la poitrine.
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- — Pour moi, s’écria Pagès, je ne dis pas que je n’ai pas des péchés sur la conscience et je m’en confesse à vous tous; mais mon bon ange et saint Jean, mon patron, savent bien que je n’ai jamais péché volontairement, je n’ai jamais fait de tort à personne.
- Je ne sais si c’était l’influence de cette prison sombre, la peur de la mort, la faiblesse du jeûne, la clarté mys térieuse de la lampe qui éclairait à peine cette scène étrange, mais j’éprouvais une émotion profonde en écoutant cette confession publique, et comme Pagès et Ber-gounhoux j’étais prêt à me mettre genoux pour me confesser avec eux.
- Tout à coup, derrière moi, un sanglot éclata et m’étant retourné, je vis l’immense Compeyrou qui se jetait à deux genoux sur la terre. Depuis quelques heures il avait abandonné le palier supérieur pour prendre sur le nôtre, la place de Carrory, et il était mon voisin.
- — Le coupable, s’écria-t-il, n’est ni Pagès ni Bergou-nhoux; c’est moi. C’est moi que le bon Dieu punit, mais je me repens, je me repens. Voilà la vérité, écoutez-la : si je sors, je jure de réparer le mal, si je ne sors pas, vous le réparerez vous autres. Il y a un an, Rouquette a été condamné à cinq ans de prison pour avoir volé une montre dans la chambre de la mère Vidal. Il est innocent. C’est moi qui ait fait le coup. La montre est cachée sous mon lit, en levant le troisième carreau, on la trouvera.
- — A l’eau ! à l’eau ! s’écrièrent en même temps Pagès et Bergounhoux.
- Assurément, s’ils avaient été sur notre palier, ils auraient poussé Compeyrou dans le gouffre; mais avant qu’il leur fût possible de descendre, le magister eut le temps d’intervenir encore.
- — Voulez-vous donc qu’il paraisse devant Dieu avec ce crime sur la conscience? s’écria-t-il, laissez-le se repentir.
- — Je me repens, je me repens, répéta Compeyrou, plus faible qu’un enfant malgré sa force d’hercule.
- — A l’eau! répétèrent Bergounhoux et Pagès.
- — Non! s’écria le magister.
- Et alors il se mit à leur parler, en leur disant des paroles de justice et de modération. Mais eux sans vouloir rien entendre, menaçaient toujours de descendre,
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- — Donne-moi ta main, dit le magister en s’approchant de Compeyrou.
- — Ne le défends pas, magister.
- — Je le défendrai; et si vous voulez le jeter à l’ean, vous m’y jetterez avec lui.
- — Eh bien, non! dirent-ils enfin, nous ne le pousserons pas à l’eau; mais c’est à une condition : tu vas le laisser dans le coin; personne ne lui parlera, personne ne fera attention à lui.
- — Ça, c’est juste, dit le magister, il n’a que ce qu’il mérite.
- Après ces paroles du magister qui étaient pour ainsi dire un jugement condamnant Compeyrou, nous nous tassâmes tous les trois les uns contre les autres, l’oncle Gaspard, le magister et moi, laissant un vide entre nous et le malheureux affaissé sur le charbon.
- Pendant plusieurs heures, je pense, il resta là accablé, sans faire un mouvement, répétant seulement de temps en temps :
- — Je me repens.
- Et alors Pagès ou Bergounhoux lui criaient :
- — Il est trop tard : tu te repens parce que tu as peur, lâche. C’était il y a six mois, il y a un an que tu devais te repentir.
- Il haletait péniblement, et sans leur répondre d’une façon directe, il répétait :
- — Je me repens, je me repens.
- La fièvre l’avait pris, car tout son corps tressautait et l’on entendait ses dents claquer.
- — J’ai soif, dit-il, donnez moi la botte.
- Il n’y avait plus d’eau dans la botte; je me levai pour aller en chercher; mais Pagès qui m’avait vu me cria d’arrêter, et au même instant l’oncle Gaspard me retint par le bras.
- On a juré de ne pas s’occuper de lui.
- Pendant quelques instants, il répéta encore qu’il avait soif; puis, voyant que nous ne voulions pas lui donner à boire, il se leva pour descendre lui-même.
- — Il va entraîner le déblai, cria Pagès.
- — Laissez-lui au moins sa liberté, dit le magister.
- Il m’avait vu descendre en me laissant glisser sur le dos; il voulut en faire autant; mais j’étais léger, tandis qu’il était lourd; souple, tandis qu’il était une masse
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- inerte. A peine se fut-il mis sur le dos que le charbon s’effondra sous lui, et sans qu’il pùt se retenir de ses jambes écartées et de ses bras qui battaient le vide, il glissa dans le trou noir. L’eau jaillit jusqu’à nous, puis elle se referma et ne se rouvrit plus.
- Je me penchai en avant, mais l’oncle Gaspard et le magister me retinrent chacun par un bras.
- — Nous sommes sauvés, s’écrièrent Bergounhoux et Pagès, nous sortirons d’ici.
- Tremblant d’épouvante, je me rejetai en arrière ; j’étais glacé d’horreur, à moitié mort.
- — Ce n’était pas un honnête homme, dit l’oncle Gaspard.
- Le magister ne parlait pas, mais bientôt il murmura entre ses dents :
- — Après tout, il nous diminuait notre portion d’oxygène.
- Ce mot que j’entendais pour la première fois me frappa, et après un moment de réflexion, je demandai au magister ce qu’il avait voulu dire :
- — Une chose injuste et égoïste, garçon, et que je regrette.
- — Mais quoi?
- — Nous vivons de pain et d’air; le pain, nous n’en avons pas; l’air, nous n’en sommes guère plus riches, car celui que nous consommons ne se renouvelle pas; j’ai dit en le voyant disparaître qu’il ne nous mangerait plus une partie de notre air respirable; et cette parole, je me la reprocherai toute ma vie.
- — Allons donc, dit l’oncle Gaspard, il n’avait pas volé son sort.
- — Maintenant, tout va bien marcher, dit Pagès en frappant avec ses deux pieds contre la paroi de la remontée.
- Si tout ne marcha pas bien et vite comme l’espérait Pagès, ce ne fut pas la faute des ingénieurs et des ouvriers qui travaillaient à notre sauvetage.
- La descente qu’on avait commencé à creuser avait été continuée sans une minute de repos. Mais le travail devenait difficile.
- Le charbon à travers lequel on se frayait un passage était ce que les mineurs appellent nerveux, c’est-à-dire
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- très dur, et comme un seul piqueur pouvait travailler à cause de l’étroitesse de la galerie, on était obligé de relayer souvent ceux qui prenaient ce poste, tant ils mettaient d’ardeur à la besogne les uns et les autres.
- En même temps l’aérage de cette galerie se faisait mal : on avait, à mesure qu’on avançait, placé des tuyaux enfer-blanc dont les joints étaient lutés avec de la terre glaise, mais bien qu’un puissant ventilateur à bras envoyât de l’air dans ces tuyaux, les lampes ne brûlaient que devant l’orifice du tuyau.
- Tout cela retardait le percement, et le septième jour depuis notre engloutissement on n’était encore arrivé qu’à une profondeur de vingt mètres. Dans les conditions ordinaires, cette percée eût demandé plus d’un mois, mais avec les moyens dont on disposait et l’ardeur déployée, c’était peu.
- Il fallait d’ailleurs le noble entêtement de l’ingénieur pour continuer ce travail, car de l’avis unanime, il était malheureusement inutile. Tous les mineurs engloutis avaient péri. Il n’y avait désormais qu’à continuer l’épuisement au moyen des bennes, et un jour ou l’autre on retrouverait les cadavres. Alors de quelle importance était-il d’arriver quelques heures plutôt ou plus tard ?
- C’était là l’opinion des gens compétents aussi bien que du public ; les parents eux-mêmes, les femmes, les mères avaient pris le deuil. Personne ne sortirait plus vivant de la Truyère.
- Sans ralentir les travaux d’épuisement qui marchaient sans autres interruptions que celles qui résultaient des avaries dans les appareils, l’ingénieur en dépit des critiques unanimes et des observations de ses confrères ou de ses amis, faisait continuer la descente.
- Il y avait en lui l’obstination qui fit trouver un nouveau monde à Colomb.
- — Encore un jour, mes amis, disait-il aux ouvriers, et, si demain nous n’avons rien de nouveau, nous renoncerons ; je vous demande pour vos camarades ce que je demanderais pour vous, si vous étiez à leur place.
- La foi qui l’animait passait dans le cœur de ses ouvriers, qui arrivaient ébranlés par les bruits de la ville et qui partaient convertis à ses convictions.
- Et avec un ensemble, une activité admirables, la descente se creusait.
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- D’an autre côté, il fallait boiser le passage de la lam-pisterie qui s’était - éboulé dans plusieurs endroits, et ainsi, par tous les moyens possibles, il s’efforçait d’arracher à la mine son terrible secret et ses victimes si elle en renfermait encore de vivantes.
- Le septième jour, dans un changement de poste, le piqueur qui arrivait pour entamer le charbon crut entendre un léger bruit, comme des coups frappés faiblement ; au lieu d’abaisser son pic il le tint levé et colla son oreille au charbon. Puis croyant se tromper, il appela un de ses camarades pour écouter avec lui. Tous deux restèrent silencieux et après un moment, un son faible, répété à intervalles réguliers, parvint jusqu’à eux.
- Aussitôt la nouvelle courut de bouche en bouche, rencontrant plus d’incrédulité que de foi, et parvint à l’in génieur, qui se précipita dans la galerie.
- Enfin, il avait donc eu raison ! il y avait là des hommes vivants que sa foi allait sauver.
- Plusieurs personnes l’avaient suivi, il écarta les mineurs et il écouta, mais il était si ému, si tremblant qu’il n’entendit rien.
- — Je n’entends pas, dit-il, désespérément.
- — C’est l’esprit de la mine, dit un ouvrier, il veut nous jouer un mauvais tour et il frappe pour nous tromper.
- Mais les deux piqueurs qui avaient entendu les premiers soutinrent qu’ils ne s’étaient 'pas trompés et que des coups avaient répondu à leurs coups. C’étaient des hommes d’expérience vieillis dans le travail des mines et dont la parole avait de l’autorité.
- L’ingénieur fit sortir ceux qui l’avaient suivi et même tous les ouvriers qui faisaient la chaîne pour porteries déblais, ne gardant auprès de lui que les deux piqueurs.
- Alors ils frappèrent un appel à coup de pic fortement assénés et également espacés, puis, retenant leur respiration, ils se collèrent contre le charbon.
- Après un moment d’attente, ils reçurent dans le cœur une commotion profonde : des coups faibles, précipités, rythmés, avaient répondu aux leurs.
- — Frappez encore à coups espacés pour être bien certains que ce n’est pas la répercussion de vos coups.
- Les piqueurs frappèrent, et aussitôt les mêmes coups
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- rythmés qu’ils avaient entendus, c’est-à-dire le rappel des mineurs, répondirent aux leurs.
- Le doute n’était plus possible ; des hommes étaient vivants, et l’on pouvait les sauver.
- La nouvelle traversa la ville comme une traînée de poudre et la foule accourut à la Truyère, plus grande encore peut-être, plus émue que le jour de la catastrophe. Les femmes, les enfants, les mères, les parents des victimes arrivèrent tremblants, rayonnants d’espérance dans leurs habits de deuil.
- Combien étaient vivants? Beaucoup peut-être. Le vôtre sans doute, le mien assurément.
- On voulait embrasser l’ingénieur.
- Mais lui, impassible contre la joie comme il l’avait été contre le doute et la raillerie, ne pensait qu’au sauvetage ; et afin d’écarter les curieux aussi bien que les parents, il demandait des soldats à la garnison pour défendre les abords de la galerie et garder la liberté du travail.
- Les sons perçus étaient si faibles qu’il était impossible de déterminer la place précise d’où ils venaient. Mais l’indication cependant était suffisante pour dire que des ouvriers échappés à l’inondation se trouvaient dans une des trois remontées de la galerie plate des vieux travaux. Ce n’est plus une descente qui ira au-devant des prisonniers, mais trois, de manière à arriver aux trois remontées. Lorsqu’on sera plus avancé et qu’on entendra mieux, on abandonnera les descentes pour concentrer tous les efforts sur la benne.
- Le travail reprend avec plus d’ardeur que jamais, et c’est à qui des compagnies voisines enverra à la Truyère ses meilleurs piqueurs.
- A l’espérance, résultant du creusement des descentes se joint celle d’arriver par la galerie, car l’eau baisse dans le puits.
- Lorsque dans notre remontée nous entendîmes l’appel frappé par l’ingénieur, l’effet fut le même que lorsque nous avions entendu les bennes d’épuisement tomber dans les puits.
- — Sauvés !
- Ce fut un cri de joie qui s’échappa de nos bouches,
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- LE DÉVÔIR
- et sans réfléchir, nous crûmes qu’on allait nous donner la main.
- Puis, comme pour les bennes d’épuisement, après l’espérance revint le désespoir.
- Le bruit des pics annonçait que les travailleurs étaient loin encore. Vingt mètres, trente mètres peut-être. Combien faudrait-il pour percer ce massif? Nos évaluations variaient : un mois, une semaine, six jours. Comment attendre un mois, une semaine, six jours ? Lequel d’entre nous vivrait encore dans six jours ? Combien de jours déjà avions-nous vécu sans manger?
- Seul, le magister parlait encore avec courage, mais à la longue notre abattement le gagnait, et à la longue aussi la faiblesse abattait sa fermeté.
- Si nous pouvions boire à satiété, nous ne pouvions pas manger, et la faim était devenue si tyrannique, que nous avions essayé de manger du bois pourri émietté dans l’eau.
- Carrory, qui était le plus affamé d’entre nous, avait coupé la botte qui lui restait, et continuellement, il mâchait des morceaux de cuir.
- En voyant jusqu’où la faim pouvait entraîner mes camarades, j’avoue que je me laissai aller à un sentiment de peur, qui, s’ajoutant à mes autres frayeurs, me mettait mal à l’aise. J’avais entendu Vitalis raconter souvent des histoires de naufrage, car il avait beaucoup voyagé sur mer, au moins autant que sur terre, et parmi ces histoires, il en avait une qui, depuis que la faim nous tourmentait, me revenait sans cesse pour s’imposer à mon esprit : dans cette histoire, des matelots avaient été jetés sur un îlot de sable où ne se trouvait pas la moindre nourriture, et ils avaient tué le mousse pour le manger. Je me demandais, en entendant mes compagnons crier la faim, si pareil sort ne m’était pas réservé, et si, sur notre îlot de charbon, je ne serais pas tué aussi pour être mangé. Dans le magister et l’oncle Gaspard, j’éfais sûr de trouver des défenseurs ; mais Pagès, Bergounhoux et Carrory, Carrory surtout, avec ses grandes dents blanches qu’il aiguisait sur ses morceaux de bottes, ne m’inspiraient aucune confiance.
- (A suiore. )
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- ASSURANCES MUTUELLES
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- cinflinrn nu imahi rciTi.uii? a ocrn * vpfci iirTiin t no
- MOUVEMENT DU MOIS MARS 1896
- ASSURANCE CONTRE LA MALADIE
- Section des Hommes
- Cotisations des mutualistes......... 2.374 80/
- Subvention de la Société............ 395 20} 3.567 85
- Malfaçons et divers................. 797 85\
- Dépenses...................................... 3.721 35
- Déficit en Mars.......... 153 50
- Section des Dames
- Cotisations des mutualistes.......... 403 40)
- Subvention de la Société............ 134 45 537 85
- Divers............................... »» »»)
- Dépenses....................................... 542 35
- Déficit en Mars........... 4 50
- ASSURANCE DES PENSIONS
- Subvention de la Société et divers.... 4.129 09)
- Intérêts des comptes-courants et du 8.124 09
- titre d’épargne................ 3.995 »»'
- Dépenses :
- 89 Retraités définitifs............. 5.883 70 i
- 29 — provisoires................. 1.774 65[
- Nécessaire à la subsistance......... 2.284 651 10.584 20
- Allocat. aux familles des réservistes.. 88 50l
- Divers, appointements, médecins, etc. 552 70*
- Déficit en Mars............... 2.460 11
- CAISSE DE PHARMACIE
- Cotisations des mutualistes........ 589 »»
- Subvention de la Société........... 135 50
- Dépenses.....................................
- Déficit en Mars
- 724 50 764 66 "40 16
- RÉSUMÉ
- Recettes sociales du 1er Juil. 1895 au 31 Mars 1896. 82.809 23) ...
- » individuelles » » 29.145 35| 111-Jo4
- Dépenses » » ........... 131.588 51
- Excédant des dépenses sur les recettes.... _19.633_93
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- LE DEVOIR
- ÉTAT CIVIL DU FAMILISTÈRE
- MOIS D’AVRIL 1896
- *
- Naissances :
- 13 Avril — Dassonville Charles-Georges-Eugène, fils de Dassonville Charles fils et de Dassonville Laure.
- 25 — Merville Paul-Achille, fils de Merville Juste et
- de Germain Angèle.
- Décès :
- 20 Avril — Mme Lerloup née Joséphine Mouvoisin, âgée de 56 ans.
- 25 — Magnier Eugène, âgé de 39 ans.
- 28 — Bordez Anatole, âgé de 36 ans.
- Le Secrétaire, A. Houdin.
- Le Gérant: H. E. Buridant.
- Nimes, imp. Veuve Laporte^ ruelle des Saintes-Maries, 7. — 1207
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- DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES
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- POUR UNE BIOGRAPHIE COMPLÈTE
- de J.-B.-André GODIN («)
- RÉSUMÉ DE L’ESSAI DE REPRÉSENTATION DU TRAVAIL PAR
- les Groupes, Unions de Groupes et Conseils d’Unions
- 1877-1879
- VII
- Voici le document annoncé à la fin de notre dernier article :
- Règlement général des Groupes, Unions de Groupes et Conseils d’Unions
- Nota. — Le Règlement qui va suivre contient la plupart des articles du Premier Projet de Règlement, remis par J.-B.-A. Godin à chacun des corps représentatifs du travail en juillet 1877. Ce premier projet contenait un préambule explicatif du but poursuivi et des principes qui avaient guidé le fondateur dans la voie à suivre ; il comprenait 21 articles et laissait à déterminer certaines choses sur lesquelles l’expérience surtout devait prononcer.
- Nous ne répéterons donc pas ici le préambule ; le lecteur qui désirerait le consulter voudra bien se reporter à la publication que nous avons faite dans notre numéro d’août 1893, tome 17, p. 452.)
- Des Groupes
- Art. 1er. — Le groupe est une réunion de personnes ayant pour but de s’occuper en commun des questions se rattachant à l’un des détails d’une branche du travail général dont elles ont ou veulent acquérir l’expérience et d’étudier les progrès et les améliorations dont ces détails sont susceptibles.
- U) Lire le Devoir depuis le mois de mars 1891.
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- LE DEVOIR
- Le groupe a pour attribution de porter son attention sur les objets compris dans la mission qu’il s’est donnée, d’en délibérer et de faire toute proposition qu’il croit propre à imprimer une bonne direction à la spécialité dont il a embrassé le soin.
- Art. 2. — Le groupe s’organise librement par l’adhésion et le concours spontané de toutes les personnes de bonne volonté.
- Il se compose d’un nombre indéterminé de membres.
- L’accès en est ouvert à tout coopérateur qui, se sentant les aptitudes convenables, offre son concours et demande à y être admis.
- Art. 3. — Tout membre d’un groupe venant à manquer trois fois de suite sans motif plausible aux réunions, sera considéré comme démissionnaire de ce groupe.
- Il n’y sera réadmis que sur sa demande et après le stage prescrit par l’article 14.
- Des Unions
- Art. 4. — L’union est un conseil particulier ayant pour mission de centraliser les manifestations intelligentes des groupes d’une même branche du travail général, et d’établir par son influence morale l’unité d’action dans les occupations et les travaux des groupes.
- L’Union soumet à une délibération nouvelle les propositions émanées des groupes ; elle propose les mesures d’examen et d’études qüe ces propositions peuvent comporter et transmet son avis motivé au conseil général des Unions.
- Art. 5. — L’Union se compose des présidents, secrétaires et délégués de chacun des groupes d’une même branche du travail général.
- Les présidents et secrétaires élus dans plusieurs groupes choisissent celui qu’ils veulent représenter dans l’Union ; les autres groupes y sont représentés par leur vice-président et secrétaire-adjoint, ou à leur défaut par des délégués permanents.
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- DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES 38*7
- Art. 6. — A moins d’empêchement par cas fortuit, aucun membre d’une Union ne doit manquer aux séances.
- S’il ne peut y assister, il est tenu d’en prévenir son suppléant naturel qui le remplacera, ou à défaut de celui-ci il préviendra le groupe afin qu’il nomme s’il y a lieu un délégué spécial.
- Art. 7. — Tout membre de l’Union qui, faute de se conformer à la teneur de l’article précédent, laisserait vacante trois fois de suite, la représentation d’un groupe, sera considéré comme démissionnaire de l’Union.
- Il en sera fait notification au groupe qui pourvoira à son remplacement.
- Du Conseil général des Unions
- Art. 8. — Le Conseil général des Unions étudie toutes les propositions faites dans l’intérêt de l’association, soit qu’elles émanent des groupes o,u des unions, soit qu’elles lui arrivent directement.
- Il ne retient de ces dernières que celles qui sont en dehors des attributions des groupes formés.
- Art. 9. — Le Conseil émet des avis sur les propositions qui lui ont été soumises ; mention de cet avis e*st faite en marge du procès-verbal de la séance de l’Union qui lui a soumis la proposition.
- Les procès-verbaux des séances du Conseil général sont transmis à la direction.
- Art. 10. -- Le Conseil général des Unions est composé des présidents et secrétaires des Unions, lesquels, en cas d’absence accidentelle seront remplacés par leurs suppléants, les vice-présidents et secrétaires-adjoints.
- Afin que chaque Union soit distinctement représentée par son président et son secrétaire, le cumul de ces fonctions n’est pas admis dans les Unions.
- Tout mandataire élu contrairement aux prescriptions du présent article devra opter dans les 24 heures après le scrutin qui l’aura nommé.
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- LE DEVOIR
- Art. 11. — Un règlement intérieur du Conseil général en détermine le fonctionnement.
- Art. 12. — A moins d’empêchement par cas fortuit aucun membre du Conseil des Unions ne doit manquer aux séances. S’il ne peut y assister, il est tenu d’en prévenir son suppléant qui le remplacera.
- Art. 13. — Tout membre du Conseil qui, faute de se conformer aux prescriptions du précédent article, laisserait vacante trois fois de suite la représentation d’une Union sera considéré comme démissionnaire du Conseil.
- Notification en sera portée à l’Union qui pourvoira à son remplacement.
- Recrutement des Groupes
- Art. 14. - La demande d’admission d’un coopérateur nouveau dans le groupe organisé est présenté en séance par l’un de ses membres.
- Les postulants n’obtiennent le titre de membre délibérant qu’après avoir pendant un laps de .temps de 2 mois assidûment suivi les séances du groupe, avec simple voix consultative, après quoi ils sont de plein droit inscrits sur la liste des membres délibérants.
- Pendant la durée du stage, il n’est attribué aux stagiaires aucune indemnité de présence.
- Art. 15. — On est admis dans les groupes dès l’âge de 16 ans. (1)
- La présidence n’est cependant accessible qu’à l’âge de 21 ans.
- Organisation'des Groupes, des Unions et du Conseil général
- Art. 16. — Le Groupe, l’Union ou le Conseil général organise son bureau composé d’un président et d’un secrétaire, élus dans son sein à la majorité absolue des suffrages pour le premier tour de scrutin.
- (1) Dans nos conclusions sur le présent essai de Représentation du travail nous verrons que l’expérience prononça contre les dispositions de cet article.
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- DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES
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- *11 nomme également un vice-président et un secrétaire-adjoint destinés à remplacer les premiers en cas d’absence accidentelle.
- Art. 17. — Les vice-présidents et secrétaires-adjoints des groupes et des Unions peuvent aussi avoir à remplir les fonctions spécifiées aux articles 6 et 10 du présent règlement.
- Art. 18. — Le président propose l’ordre du jour d’après les objets portés à sa connaissance.
- Il dirige les travaux et les délibérations ; il donne à chacun son tour de parole ; il prévient la confusion des débats en veillant à ce que jamais deux membres ne parlent à la fois ; et il assure l’observation du règlement.
- Il transmet, à qui de droit, les décisions prises ; à moins qu’il n’ait à cet effet été donné en séance une délégation à l’un des membres du Groupe ou de l’Union.
- Art. 19. — Le secrétaire est chargé de toutes les écritures du Groupe.
- Il prend en séance note exacte des propositions faites et du nom de leur auteur ainsi que des discussions auxquelles elles donnent lieu.
- Il rédige les procès-verbaux des séances et les transcrit sur le registre à ce destiné, il en délivre copie le cas échéant.
- Il reçoit en dépôt et conserve les documents intéressant les travaux des groupes.
- Il tient le registre prévu par l’article 32.
- Art. 20. — Le président, le vice-président, le secrétaire et le secrétaire-adjoint sont élus pour six mois.
- Ils ne sont pas rééligibles deux fois de suite dans les mêmes fonctions, à moins qu’une décision du Groupe ou de l’Union n’ait constaté que son fonctionnement n’est possible qu’à cette condition. Les élections auront lieu dans la dernière quinzaine qui précédera l’expiration du mandat.
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- LE DEVOIR
- Les mandats expirent régulièrement le 31 mars et le 30 septembre de chaque année,
- Art. — 21. — Lorsqu’une vacance se présentera par suite de démission, d’option ou de départ, l’élection au siège vacant devra se faire dans le délai de huitaine.
- Art. 22. — La présence effective des électeurs lors des votes est obligatoire, nul ne peut voter par procuration.
- Art. 23. — Le président et le secrétaire dressent en tête du registre des délibérations, une liste des membres qui se sont réunis pour former le groupe ; ils tiennent aussi une liste des postulants suivant l’ordre de leur présentation.
- Les postulants, à l’expiration du stage prescrit par l’article 14, sont inscrits à la suite de la liste des membres délibérants.
- Des Réunions, des Séances et des Indemnités de présence
- Art. 24. — Le nombre, le jour, l’heure et le lieu des réunions et des séances du Groupe ou de l’Union sont déterminés d’un commun accord.
- Les membres délibérants et postulants se rendent aux réunions ordinaires sans qu’il soit besoin de les y convoquer.
- Les réunions extraordinaires ont lieu sur convocation du président.
- Art. 25. — Excepté le cas d’accord de tous les membres d’un Groupe ou d’une Union, les réunions ne peuvent avoir lieu pendant les heures de repas, elles ne doivent également avoir lieu qu’une heure et demie au moins après la sortie du soir.
- Art. 26. — L’assiduité aux séances est un devoir pour tous les membres du Groupe, de l’Union et des Conseils.
- Leur présence est constatée par un appel nominal fait au début de la séance. Les membres absents au moment de l’appel nominal n’auront aucun droit au jeton d’entrée dont il sera parlé à l’article 29. Ils devront faire
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- constater leur arrivée par le secrétaire ou le secrétaire-adjoint.
- Le procès-verbal mentionnera le nom des membres qui se seront lait remplacer ou excuser, ainsi que le nom de ceux simplement déclarés absents.
- Les procès-verbaux mentionneront, en outre, le lieu et la durée des séances.
- Art. 27. — Les séances seront ouvertes à l’heure Axée par la convocation, quel que soit le nombre des membres présents. Après l’appel nominal, le secrétaire donne lecture du procès-verbal de la séance précédente.
- Tout membre est admis à faire sur le procès-verbal ses observations sur lesquelles l’assemblée statue.
- Après son adoption le procès-verbal est signé par le président et le secrétaire.
- A moins d’urgence constatée par une décision du Conseil, de l’Union ou du Groupe, aucune copie du procès-verbal ne peut être délivrée ni transmise avant l’adoption.
- Art. 28. — Le compte des présences est établi tous les trois mois, par chaque Union pour les groupes qui s’y rattachent et par le Conseil général pour les Unions, pour les Commissions et pour lui-même.
- Art. 29. — Les membres présents ont droit à une indemnité uniforme pour les groupes, les Unions et le Conseil général.
- Elle se décompose ainsi :
- 1° Un jeton de présence de la valeur de vingt-cinq centimes pour chaque entrée en séance ;
- 2° Vingt-cinq centimes par demi-heure de réunion ;
- 3° Les secrétaires et les rapporteurs recevront en outre une indemnité supplémentaire fixe de 50 centimes par séance.
- Les séances tenues en dehors des heures de travail donnent seules droit à ces indemnités qui seront pré-
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- levées sur les bénéfices réalisés avant tous autres partages.
- Des propositions et de l’ordre du jour
- Art. 30. — Toute proposition ayant pour objet un progrès ou une amélioration dans la spécialité du groupe peut se produire librement soit de vive-voix, soit par écrit.
- Elle est mise à l’ordre du jour, sous le nom de son auteur à moins qu’il ne demande le contraire. Ce dernier est admis à la développer et faire valoir ; elle est, suivant l’opportunité, ou immédiatement livrée à la discussion ou renvoyée à une séance ultérieure, ou confiée à une commission chargée d’en faire rapport.
- Art. 31. — La discussion d’aucune proposition ne pourra être écourtée par une clôture de séance trop hâtive. Si la solution ne peut aboutir séance tenante, il y aura fixation d’une réunion rapprochée pour la continuation de l’exa--men' commencé.
- Art. 32. — Le secrétaire tiendra un registre spécial destiné à inscrire, au moment même de la déclaration, la mention de toute proposition produite et du nom de son auteur qui y sera consigné, afin que nul ne puisse être dépouillé du mérite qui lui appartient.
- Mention sera faite sur ce registre du sort de la proposition.
- Art. 33. — Chaque proposition ainsi consignée sur le registre donnera lieu de droit à une réunion extraordinaire du groupe dans le délai de huitaine, si la réunion ordinaire est plus éloignée que ce délai.
- Le résultat de la délibération devra être transmis à l’Union dans les 48 heures après la réunion.
- L’Union ainsi saisie régulièrement devra se réunir extraordinairement dans le délai de huitaine pour statuer, à moins que l’époque de sa réunion ordinaire ne soit comprise dans ce délai.
- Dans les 48 heures, l’Union saisira le Conseil général de la délibération qu’elle aura prise au sujet delà proposition,
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- Arf. 34. — Toute proposition rejetée pourra, après qu’un délai de trois mois se sera écoulé depuis la délibération qui y a statué, être reproduite par son auteur ou, à son défaut, reprise par Tun des membres du Groupe ou de l’Union.
- De l’ordre dans les séances
- Art. 35. — Il est interdit, pendant les séances du Groupe, de l’Union ou du Conseil, d’introduire dans la discussion aucune question étrangère aux attributions de la réunion.
- Art. 36. — Les propositions, les avis et les conseils seront émis avec convenance et modération, écoutés avec bienveillance, discutés sans passion ni parti-pris, et appréciés avec l’attention réfléchie d’hommes investis de la responsabilité d’intérêts sociétaires.
- En séance comme au dehors, l’attitude réciproque doit être empreinte d’une fraternelle cordialité.
- Art. 37. — Tout discours autoritaire, acrimonieux ou violent, tout propos inconvenant ou injurieux seront -immédiatement réprimés par le président qui rappellera leur auteur aux convenances et aux égards que se doivent des sociétaires.
- Si la réprimande reste infructueuse, l’auteur de l’infraction sera tenu de se retirer sur le champ, et il lui sera interdit de se représenter aux séances jusqu’à ce que le Groupe, l’Union ou le Conseil en ait décidé autrement.
- Dispositions générales
- Art. 38. — L’inconduite notoire est un motif de refus d’admission dans les groupes et devient une clause d’exclusion.
- Art. 39. — Le présent règlement peut toujours être modifié par le Conseil général des Unions, sur une proposition signée de trente sociétaires au moins et déposée sur le bureau du Conseil général à l’une de ses séances.
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- LE DEVOIR
- La discussion sur les modifications proposées n’aura lieu- qu’un mois après que la proposition aura été portée à la connaissance des Groupes par les soins du Conseil général.
- Disposition transitoire
- Art. 40. — Le Conseil général des Unions, jusqu’au terme de son renouvellement, fixé par le présent règlement, reste composé des présidents et secrétaires des Unions et, à leur defaut, des vice-présidents, secrétaires-adjoints et délégués permanents des Unions.
- Le Règlement que nous venons de voir était la loi de tous les corps représentatifs du travail, à l’Usine comme au Familistère.
- Le lecteur sait que deux Conseils supérieurs ou Conseils d’Unions ont fonctionné dans l’organisation qui nous occupe. Nous avons fourni un spécimen du travail accompli par le Conseil des Unions du Familistère; donnons maintenant, à défaut de tout registre des délibérations du Conseil des Unions de l’Usine, ce qu’il nous a été possible de retrouver touchant l’action de ce Conseil.
- USINE
- Conseil général des Unions
- (Traces d’action)
- Déjà, nous avons dit (.Devoir de Janvier 1896, page 9) que le Conseil des Unions de l’Usine, lors de sa constitution, en septembre 1877, avait, par suite du cumul des fonctions de président et secrétaire dans les Unions, compté 32 membres au lieu de 54, chiffre qu’eussent fourni les 27 Unions de l’Usine, si chacune d’elles avait été représentée au Conseil par deux délégués spéciaux.
- Dans le tableau qui va suivre de ces 32 membres, pous désignerons comme toujours les individus par le
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- nombre des Groupes et Unions embrassés par eux dans l’organisation générale; et nous porterons en regard du membre désigné — lorsqu’il y aura lieu — la qualité de membre du bureau dont il aura pu être revêtu à la séance de constitution du corps.
- Conseil des Unions de l’Usine au 16 septembre 1877
- Membres 1 occupant 54 A L’USINEf Inscriptions complètes Groupes 15 Unions AU FAMILISTÈRE Inscriptions connues
- 1 » 23 » 12 »
- 1 » 21 » 7 )) 5 Groupes 2 Unions
- 1 » 18 » 7 » 10 )) 4 ))
- 1 » 15 )> 9 )) 1 )) 1 »
- 1 » 14 » 6 )) 4 )) 1 ))
- 1 » 13 » 5 ))
- Secrétaire. 1 » 11 » 7 )) 1 )) 1 ))
- 1 » 11 )) 5 » 2 )) 1 ))
- 1 » 9 » 6 » 1 )) 1 »
- 2 » 8 )> 4 »
- 1 » 8 » 3 »
- 1 » 8 ^ » 2 » 2 )) 1 ))
- Secr.-adjoint, 1 » 7 » 4 » 1 )) 1 ))
- 1 » 5 » 4 )) 1 )) 1 ))
- 1 » 5 » 3 ))
- 3 )) 5 )) 2 »
- 1 » 4 )) 2 »
- 3 » 4 )) 1 »
- Présidl{ Ides 3) 3 » 3 )> 3 »
- 1 » 3 » 2 »
- 1 » 2 » 2 »
- V.-Prt(ldes2)2 » 1 » 1 »
- 1 )) 1 » 1 » 7 )) 2 »
- L’élection des président, vice-président, secrétaire et secrétaire-adjoint (indiquée ci-dessus) eut lieu le 16 sep-
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- LE DEVOIR
- tembre 1877, ainsi que nous l’avons publié dans notre numéro de Février 1894, page 65.
- Quels furent ensuite les actes de ce Conseil des Unions de l’Usine? En l’absence de tout registre de procès-verbaux des séances, nous ne pouvons que rechercher dans les conférences que J.-B.-A. Godin donnait alors à son personnel, si nous trouvons mention du Conseil des Unions de l’Usine et de l’action qu’il pouvait exercer.
- Ainsi, dix jours après la constitution du dit Conseil, le 26 septembre 1877, Godin donne une Conférence où il signale que le Conseil des Unions de l’Usine a tenu sa première séance et qu’il y a été arrêté par une certaine question. Voici :
- « On m’a remis », dit-il, le compte-rendu de cette séance (Devoir de Mars 1894, tome 18, p. 194) et j’ai constaté que déjà le Conseil n’avait pas répondu à la première question sur laquelle je désirais prendre son avis.
- » Il s’agissait de la détermination des heures de travail dans les ateliers. Certes, une telle question est bien de nature à vous intéresser tous. Cependant le Conseil représentatif du travail s’est décleré incompétent. Pourquoi? -- Parce que, a-t-on dit, la délimitation de la journée de travail n’est inscrite nulle part au rang des objets d’examen et d’étude des Groupes. En conséquence, nulle Union ne s’est occupée de la question et le Conseil des Unions ne peut pas davantage prononcer sur elle.
- » Peut-être, y a-t-il un côté juste dans ce raisonnement, mais il a été dit et redit entre nous que le Conseil des Unions, à l’Usine comme au Familistère, pouvait s’occuper de toute question intéressant le bien général, sans qu’il puisse jamais y avoir abus, puisque ces Conseils ne déterminent pas la mise en exécution des choses sur lesquelles ils se prononcent; mais ex-
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- priment simplement des avis dont la direction actuelle de l’établissement s’éclaire, s’il y a lieu, pour apprécier au mieux sa propre ligne de conduite.
- » Ecarter l’examen d’une chose utile à tous sous le prétexte que cette question n’est l’objet spécial d’aucun Groupe serait, de la part des Conseils, s’exposer à être arrêtés souvent. En effet, le cadre général des travaux et services dressé pour la première formation des Groupes, Unions et Conseils ne pouvait forcément, en attendant les leçons de l’expérience, être qu’incomplet, défectueux même, sans doute, sous plus d’un rapport. Tel qu’il est cependant, il permet la mise en fonctionnement de l’organisation nouvelle. Les points non prévus ou mal ordonnés se révéleront avec le temps, et nous les résoudrons au fur et à mesure.
- » En attendant, toute question qui intéresse le bien général peut toujours, je le repète, et il faut que cela soit bien entendu, être examinée dans les Conseils d’Unions. Cherchez en toute chose le côté utile à tous ; écartez toute préoccupation de satisfaction personnelle et, animés de cet esprit, vous pourrez toujours vous prononcer utilement sur telle question que ce soit. »
- Dix jours plus tard, dans une nouvelle conférence, en date du 5 octobre 1877, (Devoir de juin 1894, tome 18, p. 323) des paroles de Godin font voir que le Conseil des Unions de l’Usine se préoccupait des transports de matières premières. Et nous voyons que le fondateur de l’association examinant « le service des écuries au double point de vue du transport des matières premières et de l’expédition des marchandises vendues, s’efforçait de faire comprendre à ses auditeurs les multiples aspects du problème à résoudre. »
- Après la Conférence donnée par J.-B.-A. Godin le 3 janvier 1878, [Devoir de juin 1895, tome 19, pages 321 à 335) — conférence toute entière consacrée à la représentation du travail dans les faits administratifs et se ter-
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- minant par l’invitation de nommer, dans chacun des Conseils d’Unions, trois administrateurs au nom du Travail — le Conseil des Unions de l’Usine procéda à la dite nomination, si ce n’est deux jours après la conférence comme le fit le Conseil des Unions du Familis 1ère, du moins à peu près à cette même date, peut-être plus tôt.
- Car, avant le 12 janvier, le dit Conseil avait eu une réunion à laquelle assista le fondateur du Familistère et dans laquelle — après avoir exposé quelle serait la mission des trois membres administrateurs élus au nom du Travail, par le Conseil même. — J.-B.-A Godin désigna le membre qu’il chargeait de représenter le capital con-curemment avec lui-même.
- Nous nous proposons de revenir plus tard, ainsi que le lecteur le sait, sur ces faits d’administration proprement dits. Ici, notre tâche spéciale est de nous en tenir à ce qui concerne la Représentation libre du travail, et pour l’instant, de poursuivre autant que possible le relevé des traces d’action du Conseil des Unions de l’Usine.
- Dans la^même conférence du 3 janvier rappelée ci-dessus, Godin, — parlant des deux Conseils supérieurs ou Conseils d’Unions — nous fournit cette note intéressante : « Quant aux deux Conseils ils ont leurs jours réguliers de séance ; c’est là une excellente mesure. Les Unions et Groupes devraient s’efforce^ d’imiter cette régularité. »
- Le mois suivant, le 9 février, Godin — en séance du Conseils des Unions du Familistère — met à l’ordre du jour l’étude d’un règlement devant déterminer : 1° les Rapports des membres de l’Association (employés et ouvriers) avec l’association même ; 2° la condition des travailleurs de l’établissement (employés et ouvriers) non membres de l’association (Devoir d’août 1895, tome 19, p. 450.) Cette même étude fut portée à l’ordre du
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- jour du Conseil des Unions de l’Usine, voici ce que Godin nous dit à ce sujet : (Devoir de septembre 1895, tome 19, p. 513, Conférence du 18 mars 1878.)
- « Dans le courant du mois dernier, j’ai exprimé au Conseil des Unions du Familistère le désir de voir les présidents des diverses Unions provoquer, chacun de son côté, l’étude et l’élaboration d’un Règlement devant servir à déterminer les droits, devoirs et garanties réciproques des membres et de l’Association. Cette invitation, je devais la faire également au Conseil des Unions de l’Usine ; mais la multiplicité des soins auxquels je dois répondre, m’ayant obligé à différer cette communication, le président du Conseil des Unions de l’Usine, prit alors le compte-rendu de ce que j’avais dit au Conseil du Familistère pour en donner connaissance à celui de l’Usine. Il n’est presque rien résulté de ces premières ouvertures.
- » J’avais espéré que tout ce que je vous ai dit depuis plusieurs mois touchant mes projets d’Association, avait dû vous mettre en état de dresser vous-mêmes des projets d’articles de Règlement traduisant en faits les idées que je vous ai exprimées à tant de reprises.
- » Puisqu’il n’en est point ainsi, nous avons à revenir encore sur les questions déjà traitées, afin de voir comment on pourra arriver à déterminer d’une façon équitable les droits, les devoirs et garanties de l’Association aussi bien que des membres de diverses catégories : Associés, Sociétaires, etc. »
- Malgré ces nouvelles études provoquées par Godin, les corps représentatifs du travail ne purent fournir le Règlement demandé. Le fond du sujet relevant des conclusions générales nous nous bornons, pour l’instant, à cette indication.
- A la même époque où nous voici, deuxième quinzaine de mars 1878, le Conseil des Unions de l’Usine provo-
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- LE DEVOIR
- qua, dans les corps représentatifs du travail, le renom vellement des bureaux : Les registres appartenant à des Groupes ou Unions de l’Usine et dont nous avons opéré le dépouillement nous en ont fourni la preuve. Le Conseil des Unions dut procéder pour lui-même à un renouvellement analogue.
- En avril, le même Conseil embrassant tous les travaux des Groupes et Unions de son ressort détermina — à l’occasion de la Fête habituelle du Travail qu’on allait' célébrer en mai — un certain nombre de propositions de Récompenses exceptionnelles.
- Godin lui-même nous fournira le chiffre et les noms des personnes récompensées ; nous le verrons quand nous parlerons du discours qu’il prononça cette année-là à la Fête du Travail. Précédemment, dans notre numéro de mars dernier, page 150, nous avons signalé que certains travailleurs qui s’étaient distingués dans les Groupes : Cuivrerie n° 2 et Quincaillerie ne 1 figurent au rang des personnes récompensées à la dite Fête. Le Conseil, ainsi que nous venons de le voir, tint donc des séances où il se rendit compte des travaux accomplis par les différents corps qui se résumaient en lui.
- Le 2 mai 1878, (voir notre numéro de mai, page 271) les deux Conseils supérieurs : Conseil des Unions de l’Usine, Conseil des Unions du Familistère, se réunirent en une seule Assemblée où des mesures diverses furent prises concernant la Fête dont nous venons de parler, laquelle fut célébrée le 5 du dit mois.
- Les traces d’action du Conseil des Unions de l’Usine nous font ensuite complètement défaut jusqu’à la fin de l’année 1878.
- A-t-il, à l’échéance semestrielle de septembre, fait procéder au renouvellement des bureaux dans les Groupes et Unions de son ressort? Nous ne le savons pas. Le lecteur a pu voir dans notre numéro du mois dernier,
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- page 334, que le Conseil des Unions du Familistère avait, lui, dans sa séance du 14 septembre, pris les mesures habituelles pour ce renouvellement. Mais il a vu aussi que nous n’avions trouvé aucune trace de l’opération sur les registres que nous avons dépouillés. En effet, sur tous ces livres — qu’ils appartiennent aux corps constitués au Familistère ou à ceux constitués à l’Usine — le dernier renouvellement des bureaux est daté mars 1878. Quoi qu’il en soit, le Conseil des Unions de l’Usine se maintient en existence puisque, le 28 Décembre 1878, il est invité par le Conseil des Unions du Familistère (.Devoir de Juin dernier, page 335) à assister à la céré-monie du 1er Janvier 1879, dans l’habitation unitaire,
- Le lecteur a vu dans notre dernier numéro, pages 340 à 341, quel ralentissement existait alors dans le fonctionnement des corps représentatifs du travail. Il sait aussi que le Conseil des Unions de l’Usine, pas plus que celui des Unions du Familistère, ni aucun des Groupes ou Unions, ne renouvela son bureau à l’échéance semestrielle de Mars 1879.
- Avant de passer à l’examen des causes de ce ralern tissement d’activité, c’est-à-dire aux difficultés pratiques, nous avons à voir différents points : d’abord, quelle fut la rémunération des travaux accomplis dans les corps représentatifs du travail ; puis, si ces corps se distinguèrent par des propositions valant à leurs auteurs des mentions exceptionnelles; enfin, comment s’exerça le suffrage dans la constitution des bureaux des différents corps. Ce dernier sujet nous mettra en plein examen des difficultés pratiques, autrement dit des obstacles de l’heure actuelle à la direction du travail par les travailleurs mêmes.
- (A suivre)
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- LES SKY SCRATCIIEIIS (1)
- IV
- Une des grandes difficultés pour le bon entretien de la propreté des villes réside dans le service de la voirie et dans l'enlèvement rapide des balayures. Au premier abord, on peut croire qu’une cité se déployant sur une grande surface et dans laquelle la population serait disséminée en de petites maisons, présenterait plus de facilité pour le nettoyage des rues, l’enlèvement des ordures et qu’elle réaliserait par conséquent de meilleures conditions d’hygiène.
- L’examen rapide d’une ville et de ses faubourgs nous montre combien erronée est une pareille opinion. Ce sont toujours les faubourgs, et les faubourgs où dominent sans conteste les petites maisons, qui présentent l’aspect d’une voirie mal tenue et des rues où les souillures s’étalent sans entrave.
- Pourquoi cela ?
- Mais parce qu’il est plus long et surtout plus coûteux d’enlever les détritus déposés en mille tas divers, et aussi parce que l’éparpillement de la population rend la surveillance des agents municipaux plus difficile et partant moins efficace ; d’ailleurs, les arrêtés municipaux sont dans une certaine mesure impuissants à remédier au mal et à réagir contre l’incurie d’une population, quand les habitants n’ont pas le goût de la propreté pour la propreté elle-même.
- Les édiles, eux aussi, n’osent pas recommander trop de sévérité à leurs agents; car, issus du suffrage uni-
- (1) Voir nos numéros d’Avril, Mai et Juin derniers,
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- LES SKŸ SCRATCHERS 403
- versel, ils risqueraient de ne pas voir renouveler leur mandat, s’ils tourmentaient les électeurs dans leurs habitudes d’abandon et d’imprévoyance.
- Au fond, que peuvent les municipalités? Interdire de jeter dans les rues et fixer une heure pour le dépôt et l’eulèvement des balayures. C’est tout et cela ne suffit guère à une bonne hygiène ; car, passé l’heure désignée, huit, neuf ou dix heures du matin, les habitants sont tenus de garder chez eux, jusqu’au lendemain, les résidus de viande, les déchets de poissons et autres débris culinaires, foyers d’exhalaisons malsaines. La cause d’infection est cachée, il est vrai, mais elle n’a pas disparu, chacun la garde obligatoirement chez soi.
- Combien différente est la solution que la grande maison donne au problème ! Au Familistère par exemple, pour ne parler que de ce qui existe en France, les tuyaux de descente placés aux angles intérieurs de l’édifice mettent en communication les divers étages avec le sous-sol, et les .balayures versées par les ménagères dans ces conduites, vont s’accumuler dans des réduits d’où on les enlève chaque jour. On obtient ainsi la liberté de se débarrasser des détritus à son heure, quand ils vous incommodent, et la personne chargée du soin du ménage y gagne l’économie d’une descente et d’une remontée de plusieurs étages, pour évacuer quoi ? peut-être trois ou quatre kilos de débris.
- Il est inutile d’insister sur les avantages d’un pareil système appliqué à des maisons de quinze ou vingt étages. Nous pourrions en constater autant dans la disposition des conduites d’eaux de décharge.
- Rien n’est plus coûteux que l’établissement et le bon entretien des tuyaux d’évacuation, quand leur disposition est horizontale et que le volume d’eau grasse à évacuer est faible : et c’est justement la double difficulté que présentent inévitablement les petites maisons.
- Dans les hautes et grandes habitations les ménages
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- étant superposés, la plupart des tuyaux occupent une position verticale, c’est la plus favorable pour le rapide écoulement des eaux ménagères ; les grands tuyaux d’aboutissement conduisent facilement le tout à l’égoût, le plus grand volume d’eau évacué entraînant les dépôts. (1)
- Nous n’en finirions pas si nous voulions examiner toute l’économie de construction et toutes les perfections de fonctions inhérentes à la grande habitation unitaire.
- Mais, abordons un autre côté de la question et soulevons une objection.
- Dans de pareils établissements où l'on vivrait pour ainsi dire côte à côte, aurait-on toute sa liberté, et ne serait-on pas gêné par ses voisins ?
- Toute sa liberté? Oui; au moins autant que dans les maisons ordinaires habitées par plusieurs locataires. Il est de notoriété publique que dans les grandes maisons parisiennes, on ne se connaît même pas entre locataires du même palier, à plus forte raison avec ceux des autres étages. Quant à être gêné par de turbulents voisins de droite, de gauche, de dessus, de dessous, on est toujours exposé à cet ennui dans les maisons actuelles, à moins qu’on occupe seul toute une maison, ce qui n’est possible qu’à un bien petit nombre ; et encore avons-nous signalé au cours de cette étude les inconvénients de bruyants vis-à-vis. Mais dans la grande maison unitaire le choix du locataire s’imposerait; les actionnaires eux-mêmes feraient chorus avec les locataires et le réclameraient de l’administrateur, si ce dernier le négligeait.
- (1) Sur les précautions à prendre dans la disposition des tuyaux servant à l’expulsion des eaux-vannes, voir l’excellent travail de M. le docteur Julien Pioger : La Question sanitaire dans ses rapports avec'les intérêts et les droits de l'individu et de la société. V. Giard et E. Briard, éditeurs, 16, rue Soufflot, Paris.
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- LES SKY SCRATCHERS
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- Il suffirait pour cela qu’ils vissent des locataires se plaindre du fracas de certains voisins et aller chercher ailleurs un logement plus tranquille.
- Avec la grande maison unitaire l’habitant et l’habitation agiraient et réagiraient l’un sur l’autre : le premier, réclamant pour l’immeuble des formes et des dispositions générales de plus en plus parfaites, le second, exigeant des locataires un ton et des habitudes de plus en plus sociables.
- Maintenant, pour conclure, examinons sommairement les rapports qui existent entre la grande maison unitaire et le capital qu’elle nécessite.
- Il est vrai que nous constatons d’abord une grande-concentration de locataires dans le me me immeuble ; mais ceci n’implique pas une pareille concentration de capital dans la même main.
- En effet, si la réunion de vastes capitaux est indispensable pour la construction d’un pareil édifice, rien n’empêche que la propriété de ces capitaux n’appartienne a un grand nombre de personnes.
- On peut même affirmer que plus importante sera la construction, plus nombreux seront les millions nécessaires; plus grand sera le nombre des collaborateurs, je veux dire des actionnaires.
- Voilà le miracle. Oui! et le miracle inhérent à la valeur mobilière, car elle prête à la grande propriété foncière, — par nature indivisible et inaccessible aux petits et moyens capitalistes, — le facile accès, la divisibilité, la souplesse, l’activité attachés au capital.
- La valeur mobilière, quelque abus qu’on ait fait d’elle — et de quoi ne peut-on abuser? — est peut-être le plus grand progrès du siècle. Elle démocratise la propriété foncière. Grâce à elle, celui qui possède 100 fr., 50 fr., même 25 fr. peut acquérir une part d’un grand 1m-
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- meuble : la construction des Sky Scratchers facilitera les achats. Et quel emploi commode et sûr pour les placements sérieux, pour les petites épargnes, pour tous ceux qui répugnent aux spéculations aléatoires des lointaines mines d’or ou qui craignent des désastres pareils au Panama.
- Mais je saisis le sourire ironique du grand spéculateur et j’entrevois celui du faiseur de larges plans sociaux.
- Et j’entends le premier murmurer : « Une part d’immeuble de 50 francs, c’est mince ! » et le second dire en ricanant : « Une économie ou un placement de 25 francs, allons donc ! »
- A l’un je répondrai : Dédaignez-vous les profits sur les petites différences des valeurs de bourses ? à l’autre j’observerai que l’économie, si exigüe soit-elle, et son placement fructueux sont précisément ce qui sépare l’homme actuel du sauvage.
- Le primitif ne sait pas économiser et le saurait-il, le pourrait-il, à quoi lui servirait cet effort, il n’aurait pas l’emploi de son épargne. Quelques armes de peu de valeur, une tente pour abri, la chasse, la pêche lui assurant peu ou prou sa nourriture au jour le jour : voilà ses conditions d’existence. Aussi l’indolence et l’imprévoyance sont-elles le fond de son caractère.
- Le civilisé, au contaire, sous la pression de diverses circonstances, travaille avec âpreté, arrachant au sol des richesses de plus en plus considérables, les économisant en partie et les incorporant à nouveau, soit pour obtenir des moissons plus abondantes, soit pour conquérir des outils plus puissants. Et c’est cette différence de méthode, c’est cette économie incessante toujours réemployée qui a constitué l’énorme capital social lequel sépare la civilisation de la barbarie.
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- Pour résumer nos impressions, nous dirons :
- En regardant les hautes constructions américaines dresser vers le ciel leurs membrures d’acier, on est frappé d’admiration pour les immenses ressources de l’industrie moderne. En réfléchissant aux transformations que ces colosses réalisent et préparent, on est saisi d’une impression profonde, on se sent petit et il vous semble entendre des géants crier : Forward ! En avant ! En avant ! Le progrès est dans la recherche des meilleures conditions de développement de la vie humaine et dans la poursuite incessante d’un idéal tou-jous plus large, toujours plus haut.
- A. Fabre.
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- — « Y a-t-il deux Musées d’étude des questions sociales ? » nous demande un lecteur.
- « Vous nous avez parlé, autrefois, (Devoir de mars 1893) d’un Musée d’Economie sociale où se trouvaient les éléments qui avaient si vivement intéressé le public à l’Exposition de 1889 ; et voici que dans vos numéros de juin et octobre derniers vous nous parlez d’un Musée social magnifiquement doté par M. de Cham-brun, et entrant, grâce à cette dotation, dans une phase nouvelle.
- » Faut-il entendre par là que ce Musée social est le même que celui dit, autrefois : Musée d’Economie sociale ? »
- La réponse à cette question se trouve tout du long dans la communication faite à Lyon, au Congrès des sociétés coopératives de consommation, parM. E. Cheys-son, inspecteur général des Ponts-et-Chaussées, professeur à l’Ecole des mines et à l’Ecole libre des sciences politiques, dans la séance d’ouverture de ce Con grès.
- M. Cheysson est un bon guide en la matière. C’est lui qui a lancé l’idée d’un Musée permanent d’économie sociale et personne plus que lui ne s’est employé a sa réussite.
- Nous ne pouvons reproduire ici, vu sa longueur, et c’est grand dommage, la magistrale communication de l’éminent professeur. Nous la résumerons pour tout ce qui a trait à la genèse et aux différentes phases de l’institution du Musée social.
- Lancée en 1888, l’idée de ce Musée, adoptée par le jury de Groupe, puis par le jury supérieur de l’Exposition universelle de 1889, reçut un accueil favorable du gouvernement.
- Consultés à cet égard, les exposants de 1889, dans une sorte de plébiscite très honorable pour eux, émirent à la presque unanimité, un avis favorable à la création du Musée social et consentirent à l’abandon généreux de
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- leurs objets, dont quelques uns avaient une très grande valeur matérielle, indépendamment de leur inappréciable valeur morale.
- Pour conserver ce précieux dépôt, les membres du jury constituèrent le 17 février 1890, sous la présidence de M. Léon Say, une Association dite du Musée d’économie sociale.
- Gomme il fallait évacuer le pavillon de l’esplanade des Invalides pour le livrer aux démolisseurs, ces objets furent d’abord entreposés dans le palais des Arts libéraux au Champ de Mars, puis dans les écuries du quai d’Orsay, près du pont de l’Alma.
- Sur la demande de la Société de participation aux bénéfices, qui avait pris, dès 1892, avec le concours généreux de M. le comte de Chambrun, l’initiative de la création d’un Musée spécial, le comité de l’Association détacha de l’ensemble de l’Exposition d’économie sociale les sections II et III, Participation aux bénéfices et Associations professionnelles. La Société de participation les installa dans le bâtiment du groupe des chambres syndicales de la ville de Paris et du département de la Seine, 3, rue de Lutèce.
- C’était un embryon de musée social, mais destiné à se fondre, comme on va le voir, dans les Musées organisés sur des bases plus larges. (.Devoir 1892, p, 157).
- En 1892, un projet de loi est déposé par M. Siegfried, ministre du commerce, pour la création d’un Musée d’économie sociale, au Conservatoire des Arts et Métiers. (.Devoir 1893, p. 205.)
- Quant aux voies et moyens, le projet demandait l’ouverture d’un crédit de 40.000 fr. pour les frais de premier établissement et d’un second crédit d’entretien calculé sur le pied d’une dépense annuelle de 10.000 fr.
- Le crédit d’entretien a été voté par le Parlement pour l’exercice 1894, mais celui de 40.000 francs, ne l’a été que par la Chambre des députés.
- Quelques jours avant le dépôt du projet, l’Etat avait accepté la remise des objets confiés à l’Association du Musée, et celle-ci ayant rempli son rôle de fidéi-com-missaire s’était déclarée dissoute. (Devoir 1893, p. 147.)
- C’est dans la nef de l’église du Conservatoire, véritable joyau de l’architecture du onzième siècle, que devait être- installé le Musée social, Mais ce local ayant cessé
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- d’être disponible, le Conseil de perfectionnement du Conservatoire proposait, le 15 avril 1894, sur le rapport de M. Cheysson, d’affecter à ce Musée le pavillon central de la nouvelle galerie Vaucanson.
- « Cet emplacement est à peine le cinquième de celui de la nef, « continue M. Cheysson; » mais du moins son exiguité même dispensait de recourir à un crédit spécial de premier établissement. Nous étions en outre convaincus qu’il fallait réduire nos exigences sous peine de ne rien obtenir. De nombreux mécomptes avaient rabattu nos ambitions primitives et nous avaient enseigné la modération. Dans la mécanique sociale, tout aussi bien que dans l’autre, le difficile est de vaincre le frottement initial et de se mettre en train. Il était donc prudent d’accepter une solution qui permettait au Musée social de prendre pied au Conservatoire. Le reste était le secret de l’avenir. »
- Le 21 juin suivant, M. Lourties, ministre du com merce, approuvait ce projet et autorisait le directeur du Conservatoire à passer à l’exécution. Immédiatement les ordres étaient donnés pour l’aménagement du local, à l’aide des cloisons qui le découpent en six compartiments, ayant chacun 3m80 sur 4m50. Nous ajouterons que les six compartiments reçurent l’affectation suivante :
- 1° Caisses de retraite, épargne ; 2° Mesures préventives contre les accidents ; 3° Participation aux bénéfices; 4* Associations syndicales ; 5° Habitations ouvrières ; 6° Institutions patronales.
- Sur les parois s’étalèrent des tableaux statistiques afférant à ces divers objets. La composition n’en a pas varié. Au milieu du compartiment consacré aux habitations ouvrières, une vitrine vide.
- Au-dessus des portes de la galerie donnant accès à cette modeste Exposition, on lit : Economie sociale.
- La communication de M. Cheysson s’étend ensuite sur la combinaison d’où est sorti le Musée social fondé par le comte de Chambrun.
- Cette institution ne demande rien à l’Etat dont la parcimonie a, on peut le dire sans exagération, écrasé dans l’œuf le Musée social du Conservatoire des arts et métiers.
- A la question de notre lecteur nous pouvons donc répondre ;
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- — Il n’y a qu’un seul Musée dit aujourd’hui « Musée social. » Notre numéro de juin 1895, page 352, a indiqué ses principaux objets, et en première ligne, son Exposition permanente des tableaux graphiques mis à jour et qui avaient eu tant de succès à l’Exposition d’Economie sociale de 1889.
- La Société du Musée social (5, rue Las-Cases, Paris) a été reconnue d’utilité publique par décret en date du 31 août 1894.
- Le 24 décembre de la même année, le Conseil d’administration de la Société pour l’étude de la participation faisait remise au Musée social de tous les objets, tableaux et collections contenus dans son Musée-bibliothèque de la rue de Lutèce.
- L’inauguration solennelle du Musée a eu lieu- le 25 mars 1895, en présence du ministre du commerce et de l’industrie, M. André Lebon.
- Mais la Société du Musée n’avait pas attendu ce moment pour inaugurer ses divers services.
- Dans un article publié dans l'Emancipation, M. Charles Robert rappelle que le premier contact de la Société du Musée social avec le grand public, a eu lieu à Lyon, au 8° Congrès des Sociétés coopératives, par le mémorable discours de M. Cheysson.
- Après avoir été inaugurée ainsi sur terre française, la Société a été au dehors prendre place dans une grande et solennelle réunion internationale. Au Congrès de Milan, relatif aux accidents du travail et aux assurances sociales, ouvert le 1er octobre dernier, M. Cheysson a exposé le caractère et le but de la « Société du Musée social, » dont la création a été saluée avec enthousiasme par l’honorable député Luzzatti et acclamée et applaudie à outrance par tous les membres du Congrès.
- Depuis lors, le Musée social a été représenté à la plupart des Congrès qui se sont réunis en 1895, notamment au Congrès coopératif international de Londres, au Congrès de statistique de Berne, au Congrès des actuaires à Bruxelles, au Congrès des Banques populaires à Bologne et au Congrès des Habitations à bon marché à Bordeaux.
- Il s’est associé, dans une réunion exceptionnelle, au 8e Congrès du Crédit populaire et agricole tenu à Caen les 12-16 mai 1896, et il sera le siège, les 27-31 octobre
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- 1896, du 2° Congrès coopératif international, qui a tenu sa première session les 19-24 août 1895, à Londres.
- En outre, des délégués du Musée ont assisté au Congrès des Trades-Unions, à Cardiff, au Congrès de Bres-lau et au Congrès national corporatif de Limoges. Lors de la grève de Carmaux, un délégué du Musée s’est rendu sur le théâtre du conflit pour en rechercher l’origine, les causes et les résultats.
- Le Musée a pu, dès la première année de son existence, envoyer en Angleterre et en Allemagne des missions qui ont fait dans ces pays un séjour de plus de deux mois.
- Les rapports de ces missions seront publiés prochainement en une série qui prendra le nom de Bibliothèque du Musée social.
- La Société du Musée Social a commencé la publication de circulaires dont le caractère est essentiellement documentaire. On y trouve, soit de simples exposés de faits, soit la reproduction de documents importants â connaître et à conserver pour ceux qui s’occupent des questions sociales.
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- La circulaire N° 1 de la série A comprend l’énumération des membres de la société du Musée Social; les statuts de la dite société; l’exposé des divers services du Musée Social : consultation, enquêtes et missions, circulaires et correspondance, conférences, bibliothèque, Exposition d’économie sociale.
- La circulaire N° 2 contient le compte-rendu de la conférence faite par M. Paul de Rousiers, le 28 janvier dernier, au Musée Social, dans la salle qu’on inaugurait ce soir-là.
- Cette conférence, du plus haut intérêt, avait pour titre: « Le Trade-Unionisme anglais et les causes de son succès. » Il faudrait la donner toute entière. Le sujet est traité avec vigueur.
- Esprit pratique, Elévation morale, Connaissance des problèmes à résoudre : tels sont les trois éléments qu’on relève chez les chefs unionistes.
- « La culture intellectuelle est chez eux poussée très loin. Il y a chez ces hommes », dit l’orateur, « une passion de l’instruction très remarquable. Ils voient très nettement dans l’instruction un moyen d’élévation, un
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- moyen de se mettre à la hauteur des gens avec lesquels ils ont à faire, et ils saisissent toutes les occasions possibles de l’acquérir. »
- Plus loin, il dit :
- « Le personnel, ayant, à un moindre degré, il est vrai, les qualités que je signalais chez les chefs, choisit spontanément pour représentants les chefs qui ont ces qualités. On a toujours les chefs qu’on mérite. Ils possèdent les qualités qu’on apprécie. Ainsi s’explique l’heureux choix qui les porte au pouvoir.
- » Mais, Messieurs, il y a encore un autre fait où le rôle des chefs apparaît, c’est qu’une fois au pouvoir, ils ne cherchent pas à exploiter ce personnel ouvrier. (1) Ils se rendent parfaitement compte que c’est dans ce personnel que se trouve leur véritable force et ils ont l’idée de l’élever par tous les moyens possibles, de lui donner de plus en plus les qualités qui les ont désignés eux-mêmes à leurs suffrages. Ils ont cette idée, qui est si répandue dans l’éducation anglaise, qu’il faut traiter les gens comme des gens raisonnables, qu’il ne faut pas avoir peur de les voir devenir forts, parce que c’est la seule garantie qu’on ait de les voir devenir raisonnables; et ils les traitent non pas en esclaves, mais comme leurs commettants, ce qu’ils sont en réalité.
- » Voilà donc, Messieurs, ce qui paraît avoir assuré complètement le succès des Trade-Unions; d’une part, cet ensemble de causes économiques qui faisaient une nécessité du groupement dans la grande industrie ; d’autre part, cet ensemble de qualités représentées à un haut degré par les chefs, à un degré moindre par le personnel, et qui leur a permis de résoudre les problèmes qui se présentaient devant eux.
- » Il y a cependant une troisième condition que je ne voudrais pas passer sous silence parce qu’elle me paraît très importante, c’est une cause pour ainsi dire extérieure à la classe ouvrière et au Trade-unionisme; ce
- (1) Il est bon de remarquer ici que l’on ne trouverait pas à l'heure actuelle, en Angleterre, d’Unions fortes et sérieusement constituées ayant à leur tête des hommes étrangers au métier. Sans qu’aucune loi ait précisé les qualicafltions que devraient avoir les chefs pour représenter l’Union de tel ou tel métier, les électeurs choisissent spontanément des mandataires capables de fa'ire valoir leurs intérêts. Ces mandataires sont prévenus contre la tentation d’exploiter les membres de l’Union à leur profit personnel par la conviction où ils s.pat.(jue ceux-ci ne le souffriraient pas.
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- sont les dispositions de la classe patronale à l’égard de ces Unions.
- » Les Unions ont rencontré dans la haute classe et de la part de certains esprits d’élite un appui qui leur a été extrêmement utile. Il me suffira de vous citer les noms connus de lord Shaftesbury, du cardinal Manning, de Sidney Webb et d’autres, qui ont apporté aux Unions une force très grande en leur donnant pour ainsi dire droit de cité parmi la société.....
- » Ces causes extérieures de succès, je n’ai pas besoin de vous le faire remarquer, vous les trouverez au Musée Social. Le dévouement, ce n’est pas à moi d’insister sur ce point : le Musée Social lui doit la vie. Vous savez tous par quelles magnifiques libéralités son fondateur en a jeté l’an dernier les bases matérielles; vous savez tous comment il a su grouper autour de lui des hommes connus pour leur amour du bien public. Je n’ai donc pas à insister sur cette question de dévouement.
- » Quant à la seconde question, celle du discernement, de la connaissance des conditions dans lesquelles nous devons nous dévouer, les missions qui sont un des traits principaux de l’activité du Musée social ont précisément pour but de la résoudre.
- » J’ai eu aujourd’hui l’honneur de vous exposer les résultats principaux de celle dont j’avais été chargé en Angleterre. Laissez-moi vous dire que l’impression que j’en ai rapportée est précisément que nous ne devons pas avoir peur des organisations fortes, qui savent se défendre, exiger leurs droits et les faire respecter. Le danger n’est pas là; il est chez les faibles, chez les incapables, chez ceux qui subissent une tyrannie ou croient la subir, mais qui ne savent pas s’en défendre parce qu’ils sont incapables.
- )) Le remède est dans l’élévation, par conséquent dans l’amélioration de l’ouvrier; et dans l’esprit de justice de la part de la classe non ouvrière; dans cette élévation de l’ouvrier qui le poussera vers cette large voie du progrès social, dont la paix sociale est le terme désiré. »
- L’élévation morale, la culture intellectuelle, tel est le mot final auquel on arrive toujours, quel que soit l’aspect sous lequel on envisage les problèmes dont la solution s’impose aujourd’hui à toutes les nations civilisées.
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- Avec la circulaire N° 5, l’œuvre du Musée social apparaît sous un nouvel aspect. Cette circulaire, en effet, est consacrée aux compte-rendu de la première Fête du travail, qui a été célébrée, en grande solennité, le dimanche 3 mai, dans le* magnifique hall du superbe hôtel de la rue Las-Cases, en présence du président de la République, accompagné des ministres de l’intérieur, du commerce et de l’instruction publique.
- Ce jour-là, 28‘vieux travailleurs des plus méritants, désignés pour la plupart par les suffrages de leurs collègues et appartenant à des établissements qui avaient eux-mêmes reçu des grands prix et des médailles d’or à l’Exposition de 1889, vinrent rcevoir un livret de rente viagère de deux cents francs et une médaille commémorative.
- Parmi les lauréats, signalons M. Tènière (Alexis), présenté par le Conseil de gérance de la Société du Familistère.
- Une mention spéciale est due à M. Abel Davaud, comptable, notre excellent confrère de l’Association ouvrière, auquel on a surtout voulu tenir compte « des services qu’il a rendus à la démocratie ouvrière, en préconisant la participation aux bénéfices et l’association coopérative, sous toutes ses formes, depuis 1848. »
- Le fondateur du Musée social, M. le comte de Cham-brun, qui a assuré l’avenir de son œuvre par le don d’un immeuble de rapport valant 1.200.000 francs, et qui venait par une libéralité nouvelle, d’assurer le pain des vieux jours de vingt-huit travailleurs, a reçu, lui aussi, séance tenante, la marque officielle de la gratitude et de l’admiration publique de la main du président de la République qui lui a remis la croix d’officier de la Légion d’honneur.
- ***
- Inutile d’insister sur les mérites de l’œuvre du Musée Social: Ils seront évidents pour nos lecteurs.
- Terminons en rappelant que deux concours avec prix de 25.000 francs chacun sont ouverts par la Société du Musée Social, le premier sur ce programme : « Origine de la participation des ouvriers et employés aux bénéfices »; le second ayant pour objet l’étude des associations ouvrières et patronales, (voir notre numéro d’octobre 1895, page 599).
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- Etat des travaux législatifs
- Depuis la publication de notre dernier Etat des travaux législatifs (juillet 1895), c’est-à-dire dans la période comprise entre le 14 mai 1895 et le 28 mai 1896 (date de la reprise du travail parlementaire après les vacances de Pâques), plusieurs propositions concernant l’or-ganisation politique ou électorale ont été déposés sur le bureau de la Chambre.
- Cinq nouveaux projets tendant à la révision des lois constitutionnelles sont venus rejoindre, dans les cartons des commissions d’initiative, les huit projets du même genre qui attendent, quelques-uns depuis les premiers mois de la législature actuelle, que la Chambre veuille bien les prendre en considération, et s’ils sortent à leur honneur de cette épreuve, les renvoyer à une commission spéciale qui les étudiera longuement, et en proposera l’adoption ou le rejet définitif.
- Ce sont les propositions Vaillant, 11 novembre 1895 ; Bourgeois (Jura) 16 novembre ; Gauthier (de Clagny) 23 avril ; René Gautier, 28 avril et Louis Brunet, 30 avril 1896.
- Les huit propositions antérieurement déposées émanent de MM. Bourgeois (Jura) 25 novembre 1893 ; Cas-telin, 2 décembre 1893 ; Goblet, Naquet, Michelin, 10 mars ; de Ramel, 15 mars 1894 ; "Gauthier (de Clagny) 28 janvier et 15 février 1895.
- On n’ignore pas que si la Chambre parvenait à fondre les divers projets de révision en une seule résolution définitive, résolution semblable devrait être prise par le Sénat dont le mode d’existence et l’existence même est visée par la plupart des propositions déposées. Or, nous avons vu l’accueil fait naguère par le Sénat à une proposition de résolution dans ce sens éma* nant de quelques-uns de ses membres. '
- Quatre nouvelles propositions concernant l’incompa-tibilité du mandat législatif avec d’autres fonctions, celles
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- de MM. Marcel Habert, 1er juin ; Maurice Faure, 8 juin-;; Chabrié, 6 juillet et un projet ministériel, 14 novembre 1895, sont venues s’ajouter à sept propositions anté‘-rieures ayant le même objet, ou visant le cumul de fonctions électives.
- La plupart de ces propositions, particulièrement celles qui visent l’incompatibilité, ont été renvoyées à une commission spéciale qui a fait son rapport sur le fond. Elles attendent donc leur tour de discussion.
- La législation électorale ou l’organisation du travail parlementaire ont encore fait l’objet de deux nouvelles propositions, celle de M. Vaillant, 23 janvier 1896, ayant pour objet d’abroger les articles 15, 16, 27 et 28 du décret organique du 2 février 1852, relatif à l’élection des députés, et celle de M. Gauthier (de Clagny) 26 juillet 1895, relative au vote obligatoire, proposition substituée à une proposition antérieure du même auteur.
- Les propositions de cette nature antérieurement dépensées et qui n’ont encore reçu aucune solution sont au nombre de 23.
- 4 concernent le vote des absents, 2 le vote obligatoire, 5 les mesures destinées à assurer la sincérité ou la liberté du vote, 2 l’extension du suffrage, lie mandat impératif, 1 la création de grandes commissions parle-, mentaires, 2 l’élection du Sénat, 3 l’élection de la Chambre, dont une proposition de M. Goblet tendant au rétablissement du scrutin de liste.
- Nous arrivons donc à un total de 49 projets ou propositions de loi concernant d’une manière générale l'organisation politique ou électorale, sur lesquels la Ghambre n’avait pas encore statué au 28 mai dernier.
- La plupart de ces propositions, bien qu’elles remontent aux premières séances de la législature n’ont pas même été soumises à la formalité de la prise en considération. Quelques-unes seulement sont l’objet d’un rapport sur le fond.
- C’est à peine si, dans cet ordre de questions, la Chambre s’est prononcée sur quelques propositions, non comprises dans la nomenclature qui précède, en adop--tant une proposition assurant la survivance de propositions que le règlement condamnait antérieurement à la caducité, et en repoussant quelques propositions
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- ayant pour objet la nomination de grandes commissions parlementaires, ce qui laisse deviner le sort qui attend celles du même genre qui n’ont pas encore vu le jour de la discussion.
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- Les questions relatives à l’organisation du travail ont motivé le dépôt de 19 propositions de loi nouvelles :
- Proposition Goûtant, 28 octobre 1896 sur le marchandage; ce qui porte à 10 le nombre des propositions actuellement soumises à la Chambre concernant le salaire.
- 4 propositions ou projets visent le droit de coalition, de grève et l’organisation des syndicats : Basly, 12 novembre 1895, Bovier-Lapierre, 21 novembre 1895, Mesureur, 4 février 1896, proposition Cordelet, sénateur, adoptée par le Sénat, déposée a la Chambre le 2 mars 1896.
- Propositions antérieures : 4.
- 1 proposition, celle de M. Cunéo d’Ornano, 14 mai 1895, concerne d’une façon générale le droit d’association.
- Propositions antérieures : 2, dont celle de M. Dejeante demandant l’abrogation de la loi relative à l’Association internationale des travailleurs.
- 1 proposition, celle de M. Bazille, 18 mai 1895, est relative aux ouvriers étrangers.
- Propositions antérieures : 3.
- 2 propositions sont relatives au contrat de louage ‘ Castelin, 2 juillet 1895; Goblet, 26 novembre 1895.
- Propositions antérieures : 5.
- 6 propositions ont pour objet l’établissement de juridictions d’arbitrage et de conciliation : Lhopiteau, 8 juillet 1895, Lebon, 8 février, Dejeante, 7 novembre, Jaurès, 21 novembre, de Mun, 25 novembre 1895, Mesureur (projet), 23 janvier 1896.
- 1 proposition vise l’institution de conseils du travail celle de M. Michelin, 7 novembre 1895.
- Propositions antérieures : 2.
- 1 proposition de M. Coûtant, 23 novembre 1895, a pour objet de prévenir le renvoi des ouvriers revenant de faire leurs 28 ou leurs 13 jours.
- 1 proposition ayant pour objet l’interdiction du travail du dimanche était déposée, le'l7 mars 1896, par M. de Baudry d’Asson.
- Le même jour, la Chambre, discutant le projet de loi relatif à l’Exposition universelle de 1900, repoussait par
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- 302 voix contre 144 un amendement de M. Vaillant tendant à fixer à huit heures la journée de travail pour les ouvriers employés à l’exécution des travaux de l’Exposition; par contre, elle adoptait un amendement du même député portant qu’un jour de repos par semaine sera accordé aux ouvriers.
- C’est à la suite du rejet d’une proposition tendant à décider que ce jour de repos sera le dimanche que M. de Baudry-d’Asson a déposé sa proposition.
- Antérieurement au 14 mai 1895, la Chambre avait été saisie de quatre propositions visant directement l’établissement d’un maximum d’heures de travail, dont deux visant le travail des adultes et deux le travail des femmes, des filles mineures et des enfants.
- Citons encore, pour mémoire, une douzaine de propositions intéressant les conditions du travail et apparte-nant à des catégories qui n’ont fait l’objet d’aucune proposition nouvelle depuis le 14 mai 1895 : placement, 3; travail dans les prisons, 1; inspection du travail, 1; conseils de prud’hommes, 2; mines, 4.
- La coopération et la participation aux bénéfices sont visées par deux nouvelles propositions de loi : celle de M. Guillemet, relative à la participation aux bénéfices dans les usines, manufactures et entreprises de l’Etat, déposée sous la précédente législature, et reprise par son auteur le 4 novembre 1895, et celle de M. Graux, 26 octobre 1895, ayant pour objet de modifier l’article 1er de la loi du 1er août 1893, et de faciliter la participation aux bénéfices.
- Proposition antérieure : 1, celle de M. Naquet, tendant à introduire la participation aux bénéfices dans les'1-sociétés par actions.
- On sait que le Sénat, dans sa séapce du 13 mars 1896, a ajourné la discussion du projet de loi relatif à la coopération et au contrat de participation adopté par la Chambre en 1889, par le Sénat le 21 juin 1892, par la Chambre le 27 avril 1893, par le Sénat le 11 décembre 1893, par la Chambre le 7 mai 1894.
- Le Sénat n’a pas encore statué également sur le projet adopté par la Chambre et tendant à l’application du décret-loi des 9-14 septembre 1848 aux employés des entreprises de transports en commun, qui lui a été transmis le 15 février 1894.
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- Le 14 mars 1896, M. Groussier et un grand nombre de' ses collègues déposaient un projet de résolution tendant à charger la commission du travail de rassembler et de réviser toutes les lois concernant la défense des intérêts des travailleurs ou réglant les rapports de ces derniers avec leurs employeurs, afin d’en former un corps complet sous le nom de Code du Travail.
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- Neuf propositions de loi rentrant dans le cadre des questions de prévoyance et d’assurance sociale ont été déposées, ce qui porte à 35 le nombre des propositions de ce genre qui ont été soumises à la Chambre au .cours de la présente législature.
- Trois des propositions antérieurement déposées sont devenues définitives : le projet de loi sur les caisses d’épargne, le projet de loi sur les habitations à bon marché, et le projet de loi relatif à l’organisation et à la gestion des caisses de secours dans les usines, ateliers et manufactures.
- Les propositions de loi nouvelles sont celles de MM. Castelin, 12 juillet 1895, et Raiberti, 30 mars 1896, sur les retraites des employés de chemins de fer, de M. Lebon, 6 décembre 1895, concernant l’assurance contre l'invalidité et la vieillesse; le projet de loi de M. Mesureur, 27 Décembre 1895, autorisant la caisse d’assurances en cas de décès à faire des assurances mixtes; la proposition de loi de M. de Ramel, 23 janvier 1896, modifiant l’article 12 de la loi du 29 juin 1894 sur les caisses de secours et de retraites des ouvriers mineurs, et la proposition de M. Rasly, 21 décembre 1895, tendant à modifier l’article 12 de la même loi, proposition adoptée le 23 mars 1896 et transmise au Sénat; le projet de loi modifiant la loi du 30 novembre 1894 sur les habitations à bon marché, adopté par le Sénat et transmis à la Chambre le 24 mars 1896; le projet de loi, modifié par le Sénat, concernant les responsabilités des accidents dont les ouvriers sont victimes dans leur travail ; enfin, le projet de loi relatif à la majoration des pensions de la Caisse nationale des retraites, définitivement adopté par les deux Chambres.
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- ANGLETERRE
- Le nouveau parti radical indépendant vient de publier son programme. Ce document, signé par une vingtaine de députés (au nombre desquels ne figure pas sir Charles Dilke) expose les raisons qui ont déterminé MM. Labouchère, Dalziel, Lloyd George, le docteur Clark, etc., à se séparer de l’organisation officielle du parti libéral ; il comporte comme principaux articles une série de réformes démocratiques (agraires, ouvrières" etc.), l’abolition de la Chambre des lords, le home rule ail round, c’est-à-dire non plus seulement la concession d’un self-government partiel à l’Irlande, mais l’institution de Parlements locaux légiférant pour le pays de Galles* pour l’Ecosse, pour l’Irlande, sous le contrôle suprême du Parlement impérial siégeant à Westminster.
- A ce dernier titre, on peut dire que l’initiative prise par les fondateurs du nouveau parti les affranchit aussi bien de toute alliance avec les nationalistes irlandais que de leur ancienne dépendance à l’égard des libéraux gladstoniens.
- Du reste, l’entente entre les libéraux et les irlandais semble également très compromise par le vote donné par ces derniers à « l’Education’s Bill » proposé par les conservateurs.
- « L’Education’s bill » modifie, comme on sait, la législation scolaire existante dans le sens du droit pour les pères de famille de réclamer l’enseignement religieux pour leurs enfants dans les écoles publiques et de mettre à la charge du trésor pour partie les écoles confessionnelles et libres. Beaucoup de libéraux avaient voté' avec les irlandais et les conservateurs, ce qui n’a pas été étranger à la constitution du parti radical indépendant
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- Prêts communaux
- La Chambre des commiipes a adopté le 4 prepaière lecture par 27,6 voix con,t,re 91 jqn Joill intro-
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- duit par un député conservateur, sir Francis Iïichmann. et appuyé par le gouvernement sous réserve des modifications qu’il proposera d’y apporter en comité, et autorisant les autorités locales à faire des prêts aux ouvriers pour l’achat et la construction de leurs habitations, à condition que ceux-ci habitent personnellement leurs maisons.
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- ALLEMAGNE
- Le Congrès international des mineurs qui s’est tenu, fin mai, à Aix-la-Chapellé, a adopté par 960.895 voix contre 126.000 la limitation à huit heures du travail dans les mines.
- Il a adopté par 961.000 voix contre 36.000 voix anglaises, une résolution présentée par un délégué allemand, et portant que les représentants des groupes organisés des ouvriers mineurs des différents pays fixeront, dans certaines circonstances, le minimum de salaire qui répondra à la situation du moment et qui devra être maintenu d’une façon absolue dans la lutte pour l’amélioration des salaires, 90.000 voix anglaises se sont abstenues.
- La surproduction a fait également l’objet d’une discussion au Congrès.
- Les délégués de la fédération allemande ont présenté une motion concernant l’interdiction des heures supplémentaires de travail qui augmentent directement et indirectement la production.
- Cette motion a été adoptée à une immense majorité. 16.000 voix seulement sur plus d’un million de mineurs représentés au Congrès, se sont prononcées contre ; mais il est à remarquer que dans les districts que représentent précisément ces 16.000 voix la surproduction a déjà disparu.
- Les délégués français et belges ont présenté une proposition aux termes de laquelle l’extraction des charbons doit être limitée et réduite proportionnellement aux besoins ; cette proposition a été votée à l’unanimité.
- En ce qui concerne les divers ordres d’assurance, le Congrès a adopté, par 811.000 voix contre 26.000, une résolution portant que les mineurs doivent administrer eux-mêmes leurs caisses des invalides, leurs caisses de
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- retraite et leurs caisses de secours pour les malades, et que l’Etat doit en avoir la haute surveillance et en assurer la garantie.
- Le Congrès a aussi adopté des résolutions demandant que l’on crée des caisses des invalides et des caisses de secours pour les malades garanties par l’Etat, et que des inspecteurs indépendants, choisis dans la classe ouvrière, soient chargés de la surveillance permanente des mines.
- Une motion des délégués français et belges, aux termes de laquelle les patrons doivent être rendus respon-sables pour tous les accidents, a été votée à l’unanimité, moins les voix de la fédération nationale allemande.
- Enfin un projet de résolution demandant que l’Etat rachète toutes les mines a été adopté par 737.000 voix contre 126.000.
- Le prochain Congrès aura lieu à Londres l’année prochaine.
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- La population
- La population de l’empire présente au 2 décembre 1895 s’élève à un chiffre total de 52.246.589 personnes, chiffre supérieur de 2.086 à celui qui avait été primitivement indiqué. Le recensement actuel accuse donc une augmentation de 2.818.119 âmes sur celui de 1890, ce qui fait 5 70 0/0.
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- AUSTRALIE Bilan politique et social
- Dans un intéressant discours politique prononcé à Adélaïde, le premier ministre de l’Australie méridionale, M. Kingston, traçait naguère dans ses grandes lignes le tableau des progrès réalisés par cette colonie durant la dernière période parlementaire.
- Voici, sommairement, les principales indications que donnaient à ce sujet les dépêches :
- « Notre assemblée législative a pris deux grandes et heureuses initiatives : elle a conféré la franchise à 60.000 femmes, elle a voté un impôt progressif ; à ces réfor-
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- mes, ajoutez le fait qu’elle a ouvert à la culture une étendue de territoires trois fois plus grande que celle qui était colonisée jusqu’alors, et cela à un prix trois fois moindre, et qu’elle a réduit de 3.750.000 francs les dépenses de l’administration. C’est en grande partie aux représentants du socialisme urbain et aux délégués des intérêts ruraux — c’est-à dire aux classes laborieuses — que ces progrès sont dûs. Et, nonobstant sa tendance constamment démocratique, le crédit de la colonie est plus considérable en Angleterre que celui de toutes les autres communautés australiennes, si l’on en juge par les conditions de son dernier emprunt.
- » Pour l’avenir, les efforts du gouvernement tendront à deux grands buts : l’établissement du libre-échange international, avec protection contre l’étranger, l’avènement de la fédération australienne, mais fondée sur le principe démocratique du suffrage adulte et du payement des membres des deux assemblées législatives; seront présentées aussi des mesures pour l’institution du referendum, pour la création de ministères électifs, pour la réduction de la franchise en ce qui concerne la Chambre haute, pour la réduction des heures de travail, le repos dominical, l’assurance des ouvriers contre les accidents, l’arbitrage dans les différends industriels et différentes réformes administratives et financières. »
- Une partie importante du Queensland manifestait dernièrement son mécontentement contre M. Joseph Chamberlain, ministre anglais des colonies, parce que celui-ci refusait de l’autoriser à se constituer en colonie séparée.
- Plus récemment, une autre communauté britannique des Antipodes, celle de Victoria, par l’organe de son premier ministre, M. Turner, protestait contre le projet favori actuel du secrétaire d’Etat : celui d’établir une sorte de Zollverein intercolonial impliquant la pratique d’un libre-échange tempéré absolu entre les différentes parties de l’empire.
- M. Turner estimait que l’application d’un tel système aurait pour effet de ruiner les industries coloniales, qui ont besoin d’être protégées et qui se sont fondées sur la’foi d’un tarif protectionniste.
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- AUTRICHE - HONGRIE La Réforme électorale
- La Chambre des députés autrichienne a adopté, le 8 mai, en troisième lecture, les projets de loi sur la réforme électorale, y compris les amendements introduits d’accord avec le gouvernement et dont l’application du système du bulletin pour la cinquième curie, à l’exclusion de toutes les autres, est le plus important. Chose curieuse, cette innovation est très contestée dans la presse libérale, qui la combat au point de vue de l’égalité et de la liberté des électeurs, très capables, dit-on, de donner leur avis oralement, mais dont beaucoup sont hors d’état d’écrire eux-mêmes ou seulement de lire ce qui est écrit sur un bulletin. Cela ne donne pas une idée bien favorable d’un régime d’instruction primaire qui laisse de si nombreux illettrés. Les deux lois ont été adoptées à de très fortes majorités.
- D’imposantes manifestations populaires ont eu lieu vers la même époque à Buda-Pesth pour l’introduction du suffrage universel en Hongrie.
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- Le parti de la démocratie sociale de Hongrie a tenu son quatrième Congrès pendant les fêtes de la Pentecôte, au milieu d’une grande affluence de délégués parmi lesquels beaucoup de paysans.
- Le congrès a voté les résolutions suivantes : 1° le parti, persistant à rester indépendant de tous les autres groupements politiques, présentera ses propres candidats aux prochaines élections législatives; 2° il organisera l’agitation en faveur du suffrage universel et secret d’un bout à l’autre du pays.
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- BELGIQUE
- Hospices intercommunaux
- Le ministre de la justice de Belgique vient de déposer un projet de loi autorisant les communes à s’associer pour la création d’établissements hospitaliers intercommunaux.
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- Ce projet permet aux communes de s’entendre pour posséder, organiser et administrer en commun des établissements hospitaliers, de quelque nature qu’ils soient, mais il ne leur en impose pas l’obligation. Elles sont libres de s’associer si leur intérêt le leur commande ; aucune ne peut y être contrainte, aucune non plus ne peut être introduite au sein de leur association sans leur consentement.
- Le dépôt du projet de loi a été accueilli avec une faveur marquée par la Chambre; il répond à des vœux maintes fois exprimés.
- On sait que la loi française autorise les communes à se syndiquer en vue de la création d’œuvres de bienfaisance intercommunales.
- SUISSE
- Les peines conditionnelles
- Un député socialiste au Grand Conseil Vaudois a fait prendre en considération par cette assemblée l’introduction dans le code du système des peines conditionnelles.
- Le rapporteur a rappelé qu’une loi de 1875 a déjà institué le régime de la libération conditionnelle et de la remise de peine. Mais ces mesures sont applicables quand le condamné a déjà subi, dans le premier cas les deux tiers, dans le second cas le tiers de sa peine. Cela ne suffit pas. La prison dégrade et corrompt trop souvent ses hôtes. Il faut l’épargner à ceux qui sont encore susceptibles de s’amender et leur accorder — quand le juge l’estime à propos — un sursis d’exécution de la peine qui frappe une première faute.
- En France, depuis la loi Bérenger, en Grande Bretagne et en Belgique, ce système a produit les meilleurs résultats.
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- CHINE
- Les sociétés populaires
- Parmi les nombreuses sociétés populaires en Chine, il y en a (leux qui sont très importantes et très répan-
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- dues : la « Huicuan » et la « Gongso ». On peut les comparer à une sorte d’association commerciale et les considérer comme des corporations d’art et de métiers. Dans les premières se trouvent réunis les gros négociants; dans les secondes les vendeurs en détail, les industriels et les ouvriers.
- Les associations commerciales remontent à l’époque des T’ang qui ont régné du vnme au xme siècle et se sont formées sur le modèle des Cercles de secours mutuels fondés par les fonctionnaires dans chaque province.
- Chaque société a ses statuts et .s.es règlements et chacune d’elles poursuit le même but : le secours mutuel dans l’acceptation la plus large du mot et le fonctionnement sérieux des transactions commerciales.
- Les sociétaires nomment un conseil de douze membres pour un an.
- Les corporations des Arts et Métiers sont d’une date plus récente que les associations commerciales dont elles ont emprunté, d’ailleurs, les règlements. Les occupations de l’homme, d’après les Chinois, sont au nombre de trois cent soixante; il en existe autant qu’il y a de jours dans l’année. Aussi, chacune de ces branches d’activité se trouve t elle constituée en Société qui, elle-même, se divise en maîtrise et en compagnonnage. Les corporations fixent et le taux des salaires et le prix des marchandises.
- En dehors de ces Sociétés, d’un caractère permanent, il y en a encore bien d’autres concernant l’épargne et le prêt. Les mères de la même maison se cotisent pour le vestiaire des enfants; plusieurs familles prennent en commun un instituteur qui donne des leçons aux enfants ; d’aucuns se réunissent pour acquérir et pour exploiter une ferme.
- Toutes ces ingénieuses organisations populaires, peuvent expliquer en quelque sorte de quelle manière la Chine résiste et résistera encore à la civilisation occidentale et comment elle reste pour ainsi dire indifférente à la défaite récente du gouvernemeni impérial.
- {La Géographie).
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- LE DEVOIR
- LA QUESTION 1IE LA PAIX
- L’arbitrage international
- Le VIIme Congrès universel de la Paix s’ouvrira à Budapest très probablement le mercredi 9 ou le jeudi 10 septembre 1896, soit aussitôt avant l’ouverture de la VIIme Conférence interparlementaire qui aura lieu le 19 septembre dans la même ville, à l’occasion de l’Exposition du millénaire de la fondation du royaume de Hongrie.
- Cette double manifestation de l’idée pacifique aura lieu dans un cadre bien fait pour mettre en lumière les efforts tentés depuis plusieurs années déjà par des amis de la paix en faveur de l’institution d’une Cour internationale d’arbitrage.
- Il n’est pas douteux, en effet, que cette question ne soit au premier rang de celles qui feront l’objet des trayaux du Congrès et de la Conférence interparlementaire.
- La question de l’arbitrage a été soumise, en effet, cette année, à une double consultation préalable qui n’aura pas peu contribué à fortifier la foi des amis de la Paix dans le triomphe prochain de leur cause.
- Nous voulons parler du Mémoire aux puissances par lequel ïvl. le chevalier Descamps, président de la Conférence interparlementaire de Bruxelles, a communiqué aux gouvernements le projet élaboré par cette Conférence sur l’organisation de l’arbitrage international, et des manifestations provoquées sur le principe de cette institution par M. Félix Moschelès.
- La Correspondance bi-mensuelle du Bureau international permanent de la Paix considère avec raison comme un véritable évènement l’élaboration et la publication du mémoire de M. le chevalier Descamps, sénateur de Belgique et président de l’Union interparlementaire.
- Les amis de la Paix auront ainsi dorénavant à leur disposition un travail complet sur la matière, qui pourra servir de base aux études ultérieures et facilitera beaucoup la combinaison des études que font parallèlement plusieurs Sociétés et Comités, entre autres l’Institut de
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- Droit international, la Société pour la réforme et la codification de la loi des nations, l'a sous-commission du Bureau international de la Paix et la Commission nommée à Chicago en 1893. Dorénavant les travaux qui se font sur l’application du principe de l’arbitrage international auront une sorte de centre de ralliement, un point de convergence qui leur sera d’une incontestable utilité.
- Les gouvernements n’ont pas répondu ; mais déjà certains symptômes caractéristiques montrent que l’idée fait son chemin.
- Nous ne saurions en donner une meilleure preuve que la position prise par l’Eglise catholique, toujours empressée à adopter et à tourner à son profit les nouveautés que son organisation ne l’amène pas à combattre.
- Sur l’ordre formel du pape, le cardinal Rampolla adressait dernièrement une lettre au journal anglais, le Daily Chronicle, pour le remercier des efforts tentés par lui dans le sens de la pacification, et exprimer de la façon la plus nette son désir de voir se réaliser l’institution d’un tribunal international permanent.
- A la suite du pontife romain, trois cardinaux, le cardinal Gibbons, archevêque de Baltimore, le cardinal Logue, archevêque d’Armagh et primat d’Irlande, et le cardinal Vaughan, archevêque de Westminster, lançaient à leur tour à l’occasion du dimanche de Pâques un manifeste invitant l’opinion publique à réclamer l’établissement d’un tribunal permanent d’arbitrage, pour remplacer, parmi les races de langue anglaise, les décisions sanglantes de la guerre.
- L’opinion publique des deux côtés de l’Atlantique n’avait d’ailleurs pas attendu cette invitation pour s’attacher à la solution de cette question qui fut toujours la grande' préoccupation du parti de la paix organisé, et à laquelle le récent conflit survenu entre l’Angleterre et les Etats-Unis à propos des frontières du Vénézuéla donnait un intérêt de premier ordre.
- Il est permis d’espérer que les pressentes sollicitations adressées au gouvernement des deux pays en faveur de l’établissement immédiat d’une cour perma* nente anglo-saxonne d’arbitrage recevront bientôt satis* faction.
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- LE DEVOIR
- Nous constatons, en outre, avec plaisir, que les fâcheux incidents survenus au Transvaal et en Egypte, incidents qui ont à juste titre vivement froissé les susceptibilités de certains peuples, ont eu pour résultat de provoquer, entre les Sociétés de la paix des divers pays intéressés, de nombreux échanges de vues et de sentiments cordiaux qui préparent le terrain au règlement pacifique par des arbitrages spéciaux de celles des difficultés soulevées qui pourraient mettre aux prises telles ou telles puissances.
- Entre l’arbitrage international spécial à chaque cas et l’institution d’une juridiction permanente d’arbitrage, la transition se fera un jour.
- Un procédé transitoire préconisé par M. Félix Mos-chelès consisterait à maintenir en fonction le dernier tribunal d’arbitrage spécial, en le complétant au besoin, de manière à ce qu’il soit tout prêt à prononcer sur un nouveau litige qui lui serait soumis d’un commun accord. Ce serait le passage à l’institution d’une Cour permanente d’arbitrage entre nations.
- Le 16 janvier 1896, M. Félix Moschelès adressait au Bureau permanent de la Paix une lettre par laquelle il lui demandait la permission de s’adresser par son entremise à toutes les Sociétés de la Paix et de leur soumettre les considérations suivantes :
- « Ne serait-il pas opportun, dans ce moment de tension politique, d’affirmer collectivement notre adhésion au principe de l’arbitrage international? — Ne devrions-nous pas nous unir pour faire une déclaration simultanée et identique! »
- A cet effet, M. Félix Moschelès proposait que chacune des sociétés fut invitée à se réunir chez elle à date fixe, soit le 22 février. Dans ces réunions, chaque société adopterait les résolutions qu’elle jugerait opportunes. Pour accentuer l’accord qui existe sur la question fondamentale entre toutes les sociétés, chacune d’elles mettrait sur son programme une résolution identique.
- M. Félix Moschelès proposait la rédaction suivante :
- « Cette société déclare qu'elle donne sans réserve son adhésion au principe de l’arbitrage international. Elle
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- LA QUESTION DE LA PAIX
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- croit le moment opportun de l’affirmer de nouveau et elle invite les citoyens de tous les pays civilisés à lui donner son appui moral, en se prononçant hautement en faveur de ce principe. Elle fait cet appel parce qu’elle est convaincue que c’est l’opinion publique, la plus grande de toutes les grandes puissances, qui seule pourra déterminer les assemblées législatives, et par elles les gouvernements, à inaugurer l’ère nouvelle de la Paix internationale, basée sur le respect de la loi. »
- Le Bureau permanent de la Paix fit sienne la proposition et adopta la formule.
- La consultation eut lieu à la date susdite.
- La Correspondance bi-mensuelle en a publié les résultats dans ses derniers numéros et a décidé de les réunir en brochures tirées à un nombre suffisant pour en tenir à la disposition des Sociétés.
- La manifestation avait pleinement réussi.
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- LÉ DEVOIR
- SANS FAMILLE
- Par Hector MALOT
- Ouvrage couronné par l’Académie faançaise
- (Suite)
- Sans doute, ces craintes étaient folies ; mais, dans la situation où nous étions, ce n’était pas la sage et froide raison qui dirigeait notre esprit ou notre imagination.
- Ce qui augmentait encore nos terreurs, c’était l’absence de lumière. Successivement, nos lampes étaient arrivées à la fin de leur huile. Et lorsqu’il n’en était plus resté que deux, le magister avait décidé qu’elles ne seraient allumées que dans les circonstances où la lumière serait indispensable. Nous passions donc maintenant tout notre temps dans l’obscurité.
- Non seulement cela était lugubre, mais encore cela était dangereux; car, si nous faisions un mouvement maladroit, nous pouvions rouler dans l’eau.
- Depuis la mort de Compeyrou, nous n’étions plus que trois sur chaque palier, et cela nous donnait un peu plus de place : l’oncle Gaspard était à un coin, le magister à un autre, et moi au milieu d’eux.
- A un certain moment, comme je sommeillais à moitié, je fus tout surpris d’entendre le magister parler à mi-voix, comme s’il rêvait tout haut,
- Je m’éveillai et j’écoutai.
- — Il y a des nuages, disait-il ; c’est une belle chose que les nuages. Il y a des gens qui ne les aiment pas ; moi, je les aime. Ah ! Ah ! nous aurons du vent ; tant mieux, j’aime aussi le vent.
- Rêvait-il ? Je le secouai par le bras, mais il continua :
- — Si vous voulez me donner une omelette de six œufs... non, de huit ; mettez-en douze, je la mangerai bien en rentrant.
- — L’entendez-vous, oncle Gaspard ?
- — Oui, il rêve,
- — Mais nonj il est éveillé»
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- SANS FAMILLE 433
- — Il dit des bêtises.
- — Je vous assure qu’il est éveillé.
- — Hé ! magister ?
- — Tu veux venir souper avec moi, Gaspard ? Viens ; seulement, je t’annonce un grand vent
- — Il perd la tête, dit l’oncle Gaspard ; c’est la faim et la fièvre.
- — Non, il est mort, dit Bergounhoux ; c’est son âme qui parle. Où est le vent, magister? Est-ce le mistral?
- — Il n’y a pas de mistral dans les enfers, s’écria Pagès, et le magister est aux enfers, Tu ne voulais pas me croire, quand je te disais que tu irais.
- Que leur prenait-il donc? Avaient-ils tous perdu la raison ? Devenaient-ils fous ? Mais alors, ils allaient se battre, se tuer. Que faire ?
- — Voulez-vous boire, magister ?
- — Non, merci ; je boirai en mangeant mon omelette.
- Pendant assez longtemps ils parlèrent tous les trois
- ensemble, sans se répondre, et, au milieu de leurs paroles incohérentes, revenaient toujours les mots : « manger, sortir, ciel, vent. »
- Tout à coup, l’idée me vint d’allumer la lampe. Elle était posée à côté du magister, avec les allumettes ; je la pris.
- A peine eut-elle jeté sa flamme qu’ils se turent.
- Puis, après un moment de silence,, ils demandèrent ce qui se passait, exactement comme s’ils sortaient d’un rêve.
- — Vous aviez le délire, dit l’oncle Garpard.
- — Qui ça ?
- — Toi, magister, Pagès et Bergounhoux ; vous disiez que vous étiez dehors et qu’il faisait du vent.
- De temps en temps, nous frappions contre la puroi pour dire à nos sauveurs que nous étions vivants, et nous entendions leurs pics saper sans repos le charbon. Mais c’était bien lentement que leurs coups augmentaient de puissance, ce qui disait qu’ils étaient encore loin.
- Quand la lampe fut allumée, je descendis chercher de l’eau dans la botte, et il me sembla que les eaux avaient baissé dans le trou de quelques centimètres.
- — Les eaux baissent.
- — Mon Dieu !
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- Et une fois encore nous eûmes un transport d’espérance.
- On voulait laisser la lampe allumée pour voir la marche de l’abaissement, mais le magister s’y opposa.
- Alors, je crus qu’une révolte allait éclater. Mais le magister ne demandait jamais rien sans nous donner de bonnes raisons.
- — Nous aurons besoin des lampes plus tard; si nous les usons tout de suite, comment ferons-r.cuc quand elles nous seront nécessaires ? Et puis, croyez-vous que vous ne mourrez pas d’impatience à voir l’eau baisser insensiblement ? Car il ne faut pas vous attendre à ce qn’elle va baisser tout d’un coup. Nous serons sauvés ; prenez donc courage. Nous avons encore treize allumettes. On s’en servira toutes les fois que vous le demanderez.
- La lampe fut éteinte. Nous avions tous bu abondamment ; le délire ne nous reprit pas. Et pendant de longues heures, des journées peut-être, nous restâmes immobiles, n’ayant pour soutenir notre vie que le bruit des pics qui creusaient la descente et celui des bennes dans les puits.
- Insensiblement, ces bruits devenaient de plus en plus forts ; l’eau baissait, et l’on se rapprochait de nous. Mais arriverait-on à temps ? Si le travail de nos sauveurs augmentait utilement d’instant en instant, notre faiblesse d’instant en instant aussi devenait plus grande, plus douloureuse : faiblesse de corps, faiblesse d’esprit. Depuis le jour de l’inondation, mes camarades n’avaient pas mangé. Et ce qu’il y avait de plus terrible encore, nous n’avions respiré qu’un air qui, ne se renouvellanl pas, devenait de jour en jour moins respirable et plus malsain. Heureusement, à mesure que les eaux avaient baissé, la pression atmosphérique avait diminué ; car, si elle était restée celle des premières heures, nous serions morts assurément asphyxiés. Aussi, de toutes les manières, si nous avons été sauvés, l’avons-nous dû à la promptitude avec laquelle le sauvetage a été commandé et organisé.
- Le bruit des pics et des bennes était d’une régularité absolue, comme celle d’un balancier d’horloge ; et chaque interruption de poste nous donnait de fiévreuses émotions. Allait-on nous abandonner, ou rencontrait-on
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- des difficultés insurmontables ? Pendant une de ces interruptions, un bruit formidable s’éleva, un ronflement, un soufflement puissant.
- — Les eaux tombent dans la mine, s’écria Carrory.
- — Ce n’est pas l’eau, dit le magister.
- — Qu’est-ce ?
- — Je ne sais pas ; mais ce n’est pas l’eau.
- Bien que le magister nous eût donné de nombreuses preuves de sa sagacité et de sa sûreté d’intuition, on ne le croyait que s’il appuyait ses paroles de raisons démonstratives. Avouant qu’il ne connaissait pas la cause de ce bruit (qui, nous l’avons su plus tard, était celui d’un ventilateur à engrenages, monté pour envoyer de l’air aux travailleurs), on revint avec une épouvante folle à l’idée de l’inondation.
- — Allume la lampe.
- — C’est inutile.
- — Allume, allume !
- Il fallut qu’il obéît, car toutes les voix s'étaient réunies dans cet ordre.
- La clarté de la lampe nous fit voir que l’eau n’avait pas monté et qu’elle descendait plutôt.
- — Vous voyez bien, dit le magister.
- — Elle va monter ; cette fois, il faut mourir.
- — Eh bien, autant en finir tout de suite : je n’en peux plus.
- — Donne la lampe, magister : je veux écrire un papier pour ma femme et les enfants.
- — Écris pour moi.
- — Pour moi aussi.
- C’était Bergounhoux qui avait demandé la lampe pour écrire, avant de mourir, à sa femme et à ses enfants ; il avait dans sa poche un morceau de papier et un bout de crayon : il se prépara à écrire.
- — Voilà ce que je veux dire :
- « Nous, Gaspard, Pagès, le magister, Carrory et Remi, » enfermés dans la remontée, nous allons mourir.
- » Moi, Bergounhoux, je demande à Dieu qu’il serve » d’époux à la veuve et de père aux orphelins : je leur » donne ma bénédiction. »
- •— Toi Gaspard ?
- « Gaspard donne ce qu’il a à son neveu, Alexis, »
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- « Pagès recommande sa femme et ses enfants au bon » Dieu, à la sainte Vierge et à la compagnie. »
- — Toi, magister?
- — Je n’ai personne, dit le magister tristement ; personne ne me pleurera.
- — Toi, Carrory.
- — Moi, s’écria Carrory, je recommande qu’on vende mes châtaignes avant de les roussir.
- — Notre papier n’est pas pour ces bêtises-là.
- — Ce n’est pas une bêtise.
- — N’as-tu personne à embrasser? ta mère?
- — Ma mère, elle héritera de moi.
- — Et toi, Remi ?
- « Remi donne donne Capi et sa harpe à Mattia ; il » embrasse Alexis et lui demande d’aller trouver Lise, » et, en l’embrassant, de lui rendre une rose séchée qui » est dans sa veste. »
- — Nous allons tous signer.
- — Moi, je vais faire une croix dit Pagès.
- — Maintenant, dit Bergounhoux, quand le papier eut été signé par tous, je demande qu’on me laisse mourir tranquille, sans me parler. Adieu, les camarades.
- Et quittant son palier, il vint sur le nôtre nous embrasser tous les trois, remonta sur le sien, embrassa Pagès et Carrory, puis, ayant fait un amas de poussier, il posa sa tête dessus, s’étendit tout de son long et né bougea plus.
- Les émotions de la lettre et cet abandon de Bergounhoux ne nous mirent pas le courage au cœur.
- Cependant les coups de pic étaient devenus plus distincts, et bien certainement on s’était approché de nous de manière à nous atteindre bientôt peut-être.
- Ce fut ce que le magister nous expliqua pour nous rendre un peu de force.
- — S’ils étaient si près que tu crois, on les entendrait crier, et on ne les entend pas, pas plus qu’ils ne nous entendent nous-mêmes.
- — Ils peuvent être à quelques mètres à peine et ne pas entendre nos voix ; cela dépend de la nature du massif qu’elles ont à traverser.
- — Ou de la distance.
- Cependant les eaux baissaient toujours, et nous eûmes bientôt une preuve qu’elles n’atteignaient plus le toit des galeries.
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- ' G)
- Nous entendîmes un grattement sur le schiste de la remontée et l’eau clapota comme si des petits morceaux de charbon étaient tombés dedans.
- On alluma la lampe, et nous vîmes des rats qui couraient au bas de la remontée. Gomme nous, ils avaient trouvé un refuge dans une cloche d’air, et lorsque les eaux avaient baissé, ils avaient abandonné leur abri pour chercher de la nourriture. S’ils avaient pu venir jusqu’à nous, c’est que l’eau n’emplissait plus les galeries dans toute leur hauteur.
- Ces rats furent pour notre prison ce qu’a été la colombe pour l’arche de Noé : la fin du déluge.
- — Bergounhoux, dit le magister, en se haussant jusqu’au palier supérieur, reprends courage.
- Et il lui expliqua comment les rats annonçaient notre prochaine délivrance.
- Mais Bergounhoux ne se laissa pas entraîner.
- — S’il faut passer encore de l’espérance au désespoir, j’aime mieux ne pas espérer ; j’attends la mort, si c’est le salut qui vient, béni soit Dieu.
- Je voulus descendre au bas de notre remontée pour bien voir les progrès de la baisse des eaux. Ces progrès étaient sensibles et maintenant il y avait un grand vide entre l’eau et le toit de la galerie.
- — Attrape-nous des rats, me cria Carrory, que nous les mangions.
- Mais pour attraper les rats il eût fallu être plus agile que moi.
- Pourtant l’espérance m’avait ranimé et le vide dans la galerie m’inspirait une idée qui me tourmentait. Je remontai à notre palier.
- — Magister, j’ai une idée : puisque les rats circulent dans la galerie, c’est qu’on peut passer; je vais aller en nageant jusqu’aux échelles et appeler : on viendra nous chercher ; ce sera plus vite fait que par la descente.
- — Je te le défends !
- — Mais, magister, je nage comme vous marchez et suis dans l’eau comme une anguille.
- — Et le mauvais air ?
- — Puisque les rats passent, l’air ne sera pas plus mauvais pour moi qu’il n’est pour eux.
- Vas-y, Remi, cria Pagès, je te donnerai ma montre.
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- LE DEVOIR
- — Gaspard, qu’est-ce que vous en dites ? demanda le magister.
- — Rien ; s’il croit pouvoir aller aux échelles qu’il y aille, je n’ai pas le droit de l’en empêcher.
- Et s’il se noie?
- — Et s’il se sauve au lieu de mourir ici en attendant?
- Un moment le magister resta à réfléchir, puis me prenant la main :
- — Tu as du cœur, petit, fais comme tu veux ; je crois que c’est l’impossible que tu essayes, mais ce n’est pas la première fois que l’impossible réussit. Embrasse-nous.
- Je l’embrassai ainsi que l’oncle Gaspard, puis ayant quitté mes vêtements, je descendis dans l’eau.
- — Vous crierez toujours, dis-je avant de me mettre à nager, votre voix me guidera.
- Quel était le vide sous le toit de la galerie ? Etait-il assez grand pour me mouvoir librement? C’était là la question.
- Après quelques brasses, je trouvai que je pouvais nager en allant doucement de peur de me cogner la tête : l’aventure que je tentais était donc possible. Au bout, était-ce la délivrance, était-ce la mort ?
- Je me retournai et j’aperçus la lueur de la lampe que reflétaient les eaux noires : là j’avais un phare.
- — Vas-tu bien ? criait le magister.
- — Oui.
- Et j’avançais avec précaution.
- De notre remontée aux échelles la difficulté était dans la direction à suivre, car je savais qu’à un endroit, qui n’était pas bien éloigné, il y avait une rencontre de galeries. Il ne fallait pas se tromper dans l’obscurité, sous peine de se perdre. Pour me diriger, le toit et les parois de la galerie n’étaient pas suffisants, mais j’avais sur le sol un guide plus sûr, c’étaient les rails. En les suivant, j’étais certain de trouver les échelles.
- De temps en temps, je laissais descendre mes pieds, et après avoir rencontré les tiges de fer, je me redressais doucement. Les rails sous mes pieds, les voix de mes camarades derrière moi, je n’étais par perdu.
- L’affaiblissement des voix d’un côté, le bruit plus fort des bennes d’épuisement d’un autre me disaient que j’avançais. Enfin je reverrais donc la lumière du jour,
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- et par moi mes camarades allaient être sauvés ! Gela soutenait mes forces.
- Avançant droit au milieu de la galerie, je n’avais qu’à me mettre droit pour rencontrer le rail, et le plus souvent je me contentais de le toucher du pied. Dans un de ces mouvements ne l’ayant pas trouvé avec le pied, je plongeai pour le chercher avec mes mains, mais inutilement ; j’allai d’une paroi à l’autre de la galerie, je ne trouvai rien.
- Je m’étais trompé.
- Je restai immobile pour me reconnaître et réfléchir; les voix de mes camarades ne m’arrivaient plus que comme un très faible murmure, à peine perceptible. Lorsque j’eus respiré et pris une bonne provision d’air, je plongeai de nouveau, mais sans être plus heureux que la première fois. Pas de rails.
- J’avais pris la mauvaise galerie sans m’en apercevoir, il fallait revenir en arrière.
- Mais comment? mes camarades ne criaient plus, ou, ce qui était la même chose, je ne les entendais pas.
- Je restais un momeut paralysé par une poignante angoisse, ne sachant de quel côté me diriger. J’étais donc perdu, dans cette nuit noire, sous cette lourde voûte, dans cette eau glacée.
- Mais tout à coup le bruit des voix reprit et je sus par où je devais me tourner.
- Après être revenu d’une douzaine de brasses en arrière, je plongeai et retrouvai le rail. C’était donc là qu’était la bifurcation. Je cherchai la plaque, je ne la trouvai pas ; je cherchai les ouvertures qui devaient être la galerie; à droite comme à gauche je rencontrai la paroi. Où était le rail?
- Je le suivis jusqu’au bout ; il s’interrompait brusquement.
- Alors je compris que le chemin de fer avait été arraché, bouleversé par le tourbillon des eaux et je n’avais plus de guide.
- Dans ces conditions, mon projet devenait impossible et je n’avais plus qu’à revenir.
- J’avais déjà parcouru la route, je savais qu’elle était sans danger, je nageais rapidement pour regagner la remontée : les voix me guidaient.
- A mesure que je me rapprochais, il me semblait que
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- ces voix était plus assurées, comme si mes camarades avaient pris de nouvelles forces.
- Je fus bientôt à l’entrée de la remontée et je criai à mon tour.
- — Arrive, arrive, me dit le magister.
- — Je n’ai pas trouvé le passage.
- — Cela ne fait rien ; la descente avance, ils entendent nos cris, nous entendons les leurs; nous allons nous parler bientôt,
- Rapidement, j’escaladai la remontée et j’écoutai. En effet, les coups de pic é-taient beaucoup plus forts; et les cris de ceux qui travaillaient à notre délivrance nous arrivaient faibles encore, mais cependant déjà bien distincts.
- Après le premier mouvement de joie, je m’aperçus que j’étais glacé, mais, comme il n’y avait pas de vêtements chauds à me donner pour me sécher, on m’enterra jusqu’au cou dans le charbon menu, qui conserve toujours une certaine chaleur, et l’oncle Gaspard avec le magister se serrèrent contre moi. Alors, je leur racontai mon exploration et. comment j’avais perdu les rails.
- — Tu as osé plonger?
- — Pourquoi pas? malheureusement je n’ai rien trouvé.
- — Mais, ainsi que l’avait dit le magister, cela importait peu maintenant; car, si nous n’étions pas sauvés par la galerie, nous allions l’être par la descente.
- Les cris devinrent assez distincts pour espérer qu’on allait entendre les paroles.
- En effet, nous entendîmes bientôt ces trois mots prononcés lentement :
- — Combien êtes-vous?
- De nous tous, c’était l’oncle Gaspard qui avait la parole la plus forte et la plus claire. On le chargea de répondre.
- — Six ! >
- Il y eut un moment de silence. Sans doute au dehors ils avaient espéré un plus grand nombre.
- — Dépêchez-vous, cria l’oncle Gaspard, nous sommes à bout.
- — Vos noms ?
- Il dit nos noms : .
- — Bergounhoux, Pagès, le magister, Carrory, Remi, Gaspard,
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- Dans notre sauvetage, ce fut là, pour ceux qui étaient au dehors, le moment le plus poignant. Quand ils avaient su qu’on allait bientôt communiquer avec nous, tous les parents, tous les amis des mineurs engloutis étaient accourus, et les soldats avaient grand’peine à les contenir au bout de la galerie.
- Quand l’ingénieur annonça que nous n’étions que six, il y eut un douloureux désappointement, mais avec une espérance encore pour chacun, car parmi ces six pouvait, devait se trouver celui qu’on attendait.
- Il répéta nos noms.
- Hélas ! sur cent vingt mères ou femmes, il y en eut quatre seulement qui virent leurs espérances réalisées. Que de douleurs, que de larmes !
- Nous de notre côté nous pensions aussi à ceux qui avaient dû être sauvés.
- — Combien ont été sauvés ? demanda l’oncle Gaspard :
- On ne répondit pas.
- — Demande où est Marius, dit Pagès.
- La demande fut faite ; comme la première, elle resta sans réponse.
- Ils n’ont pas entendu.
- — Dis plutôt qu’ils ne veulent pas répondre.
- Il y avait une question qui me tourmentait.
- — Demandez donc depuis combien de temps nous sommes là.
- — Depuis quatorze jours 1
- Quatorze jours ! Celui de nous qui dans ses évaluations avait été le plus haut avait parlé de cinq ou six jours.
- — Vous ne resterez pas longtemps maintenant. Prenez courage. Ne parlons plus, cela retarde le travail. Encore quelques heures.
- Ce furent, je crois, les plus longues de notre captivité, en tous cas de beaucoup les plus douloureuses. Chaque coup de pic nous semblait devoir être le dernier ; puis, après ce coup, il en venait un autre, et après cet autre un autre encore.
- De temps en temps les questions reprenaient.
- — Avez-vous faim ?
- — Oui, très faim.
- — Pouvez-vous attendre ? si vous êtes trop faibles, on
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- va faire un trou de sonde et vous envoyer du bouillon, mais cela retardera votre délivrance ; si vous pouvez attendre vous serez plus promptement en liberté.
- — Nous attendrons, dépêchez-vous.
- ' Le fonctionnement des bennes ne s’était pas arrêté une minute, et l’eau baissait, toujours régulièrement.
- — Annonce que l’eau baisse, dit le magister.
- — Nous le savons; soit par la descente, soit par la galerie ; on va venir à vous.... bientôt.
- Les coups de pic devinrent moins forts. Evidemment on s’attendait d’un moment à l’autre à faire une percée, et comme nous avions expliqué notre positition, on craignait de causer un éboulement qui, nous tombant sur la tête, pourrait nous blesser, nous tuer, ou nous précipiter dans l’eau, pêle-mêle avec les déblais.
- Le magister nous explique qu’il y a aussi à craindre l’expansion de l’air, qui, aussitôt qu’un trou sera percé, va se précipiter comme un boulet de canon et tout renverser. Il faut donc nous tenir sur nos gardes et veiller sur nous comme les piqueurs veillent sur eux.
- L’ébranlement causé au massif par les coups de pic détachait dans le haut de la remontée des petits morceaux de charbon qui roulaient sur la pente et allaient tomber dans l’eau.
- Chose bizarre, plus le moment de notre délivrance approchait, plus nous étions faibles : pour moi je ne pouvais plus me soutenir, et couché dans mon charbon menu, il m’était imposible de me soulever sur le bras ; je tremblais et cependant je n’avais plus froid.
- Enfin, quelques morceaux plus gros se détachèrent et roulèrent entre nous : l’ouverture était faite au haut de la remontée : nous fûmes aveuglés par la clarté des lampes.
- Mais instantanément, nous retombâmes dans l’obscurité ; le courant d’air, un courant d’air terrible, une trombe entraînant avec elle des morceaux de charbon et des débris de toutes sortes, les avait soufflées.
- — C’est le courant d’air, n’ayez pas peur, on va les rallumer au dehors. Attendez un peu.
- Attendre ! Encore attendre !
- Mais au même instant un grand bruit se fit dans l’eau de la galerie, et m’étant retourné, j’aperçus une forte clarté qui marchait sur l’eau clapoteuse.
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- — Courage ! courage ! criait-on.
- Et pendant que par la descente on arrivait à donner la main aux hommes du palier supérieur, on venait à nous par la galerie.
- L’ingénieur était en tête ; ce fut lui qui le premier escalada la remontée, et je fus dans ses bras avant d’avoir pu dire un mot.
- Il était temps, le cœur me manqua.
- Cependant, j’eus conscience qu’on m’emportait; puis, quand nous fûmes sortis de la galerie plate, qu’on m’enveloppait dans des couvertures.
- Je fermai les yeux, mais bientôt j’éprouvai comme un éblouissement qui me força à les rouvrir.
- C’était le jour. Nous étions en plein air.
- En même temps, un corps blanc se jeta sur moi : c’était Capi, qui, d’un bond, s’était élancé dans les bras de l’ingénieur et me léchait la figure. En même temps, je sentis qu’on me prenait la main droite et qu’on m’embrassait. — Remi ! dit une voix faible (c’était celle de Mattia). Je regardai autour de moi, et alors, j’aperçus une foule immense qui s’était tassée sur deux rangs, laissant un passage au milieu de la masse. Toute cette foule était silencieuse, car on avait recommandé de ne pas nous émouvoir par des cris; mais son attitude, ses regards parlaient pour ses lèvres.
- Au premier rang, il me sembla apercevoir des surplis blancs et des ornements dorés qui brillaient au soleil. C’était le clergé de Varses qui était venu à l’entrée de la mine prier pour notre délivrance.
- Quand nous parûmes, il se mit à genoux sur la poussière.
- Vingt bras se tendirent pour me prendre, mais l’ingénieur ne voulut pas me céder et, fier de son triomphe, heureux et superbe, il me porta jusqu’aux bureaux, où des lits avaient été préparés pour nous recevoir.
- Deux jours après, je me promenais dans les rues de Varses suivi de Mattia, d’Alexis, de Capi, et tout le monde sur mon passage s’arrêtait pour me regarder.
- Il y en avait qui venait à moi et me serraient la main avec des larmes dans les yeux.
- Et il y en avait d’autres qui détournaient la tête. Ceux-là étaient en deuil et se demandaient amèrement pourquoi c’était l’enfant orphelin qui avait été sauvé,
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- tandis que le père de famille, le fils étaient encore dans la mine, misérables cadavres charriés, ballottés par les eaux.
- Mais parmi ceux qui m’arrêtaient ainsi, il y en avait qui étaient tout à fait gênants, ils m’invitaient à dîner ou bien à entrer au café.
- — Tu nous raconteras ce que tu as éprouvé, disaient-ils.
- Et je remerciais sans accepter, car il ne me convenait point d’aller ainsi raconter mon histoire à des indifférents, qui croyaient me payer avec un dîner ou un verre de bière.
- D’ailleurs, j’aimais mieux écouter que raconter, et j’écoutais Alexis, j’écoutais Mattia qui me disaient ce qui s’était passé sur terre pendant que nous étions sous terre.
- — Quand je penseis que c’était pour moi que tu étais mort, disait Alexis, ça me cassait bras et jambes, car je te croyais bien mort.
- — Moi, je n’ai jamais cru que tu étais mort, disait Mattia, je ne savais pas si tu sortirais vivant de la mine et si l’on arriverait à temps pour te sauver, mais je croyais que tu ne t’étais pas laissé noyer, de sorte que si les travaux de sauvatage marchaient assez vite on te trouverait quelque part. Alors, tandis qu’Alexis se désolait et te pleurait, moi je me donnais la fièvre en me disant : « Il n’est pas mort, mais il va peut-être mourir. » Et j’interrogeais tout le monde : « Combien peut-on vivre de temps sans manger? Quand aura-t-on épuisé l’eau? Quand la galerie sera-t-elle percée? » Mais personne ne me répondait comme je voulais. Quand on vous a demandé vos noms et que l’ingénieur, après Carrory, a crié Remi, je me suis laissé aller sur la terre en pleurant, et alors on m’a un peu marché sur le corps, mais je ne l’ai pas senti tant j’étais heureux.
- Je fus très fier de voir que Mattia avait une telle confiance en moi qu’il ne voulait pas croire que je pouvais mourir.
- VII
- UNE LEÇON DE MUSIQUE
- Je m’étais fait des amis dans la mine : de pareilles angoisses supportées en commun unissent les cœurs; on souffre, on espère ensemble, on ne fait qu’un.
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- L'oncle Gaspard ainsi que le magister particulièrement m’avaient pris en grande affection; et bien que l’ingénieur n’eût point partagé notre emprisonnement, il s’était attaché à moi comme à un enfant qu’on a arraché à la mort; il m’avait invité chez lui et, pour sa fille, j’avais dû faire le récit de tout ce qui nous était arrivé pendant notre long ensevelissement dans la remontée.
- Tout le monde voulait me garder à Varses.
- — Je te trouverai un piqueur, me disait l’oncle Gaspard, et nous ne nous quitterons plus.
- — Si tu veux un emploi dans les bureaux, me disait l’ingénieur, je t’en donnerai un.
- L’oncle Gaspard trouvait tout naturel que je retournasse dans la mine, où il allait bientôt redescendre lui-même avec l’insouciance de ceux qui sont habitués à braver chaque jour le danger, mais moi, qui n’avais pas son insouciance ou son courage, je n’étais nullement disposé à reprendre le métier de rouleur. C’était très beau une mine, très curieux, j’étais heureux d’en avoir vu une, mais je l’avais assez vue, et je ne me sentais pas la moindre envie de retourner dans la remontée.
- A cette pensée seule, j’étoufïais. Je n’étais décidément pas fait pour le travail sous terre; la vie en plein air, avec le ciel sur la tête, même un ciel neigeux, me convenait mieux. Ce fut ce que j’expliquai à l’oncle Gaspard et au magister, qui furent, celui-ci surpris, celui-là peiné de mes mauvaises dispositions à l’égard du travail des mines ; Carrory, que je rencontrai, me dit que j’étais un capon.
- Avec l’ingénieur, je ne pouvais pas répondre, que je ne voulais plus travailler sous terre, puisqu’il m’offrait de m’employer dans ses bureaux et de m’instruire si je voulais être attentif à ses leçons; j’aimai mieux lui raconter la vérité entière, ce que je fis.
- — Et puis, tu aimes la vie en plein air, dit-il, l’aventure et la liberté; je n’ai pas le droit de te contrarier, mon garçon, suis ton chemin.
- Cela était vrai que j’aimais la vie en plein air, je ne l’avais jamais mieux senti que pendant mon emprisonnement dans la remontée : ce n’est pas impunément qu’on s’habitue à aller où l'on veut, à faire ce que l'on veut*
- Pendant qu'on essayait de me retenir à Varses, Mattia
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- avait paru sombre et préoccupé ; je l’avais questionné ; il m’avait toujours répondu qu’il était comme à son ordinaire; et ce ne fut que quand je lui dis que nous partirions dans trois jours qu’il m’avoua la cause de cette tristesse en me sautant au cou.
- — Alors, tu ne m’abandonneras pas? s’écria-t-il.
- Sur ce mot, je lui allongeai une bonne bourrade, pour lui apprendre à douter de moi, et aussi un peu pour cacher l’émotion qui m’avait étreint le cœur en entendant ce cri d’amitié.
- Car c’était l’amitié seule qui avait provoqué ce cri et non l’intérêt. Mattia n’avait pas besoin de moi pour gagner sa vie, il était parfaitement capable de la gagner tout seul.
- A vrai dire même, il avait pour cela des qualités natives que je ne possédais pas au même degré que lui, il s’en fallait de beaucoup. D’abord il était bien plus apte que moi à jouer de tous les instruments, à chanter, à danser, à remplir tous les rôles. Et puis il savait encore bien mieux que moi engager « l’honorable société, » comme disait Vitalis, à mettre la main à la poche. Rien que par son sourire, ses yeux doux, ses dents blanches, son air ouvert, il touchait les cœurs les moins sensibles à la générosité, et sans rien demander il inspirait aux gens l’envie de donner; on avait plaisir à lui faire plaisir. Cela était si vrai que, pendant sa courte expédition avec Capi, tandis que je me faisais routeur, il avait trouvé le moyen d’amasser dix-huit francs, ce qui était une somme considérable.
- Cent vingt-huit francs que nous avions en caisse et dix-huit francs gagnés par Mattia, cela faisait un total de cent quarante-six francs ; il ne manquait donc plus que quatre francs pour acheter la vache du prince.
- Bien que je ne voulusse pas travailler aux mines, ce ne fut pas sans chagrin que je quittai Varses, car il fallut me séparer d’Alexis, de l’oncle Gaspard et du ma-gister; mais c’était ma destinée de me séparer de ceux que j’aimais et qui me témoignaient de l’affection.
- En avant !
- La harpe sur l’épaule et le sac au dos, nous voilà de nouveau sur les grands chemins avec Capi joyeux, qui se roule dans la poussière.
- (A suivre).
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- ASSURANCES MUTUELLES
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- SOCIÉTÉ DU FAMILISTÈRE - ASSURANCES MUTUELLES
- MOUVEMENT DU MOIS D’AVRIL 1896
- ASSURANCE CONTRE LA MALADIE
- Section des Hommes
- Cotisations des mutualistes........ 2.185 40/
- Subvention de la Société........... 364 95> 3.313 75
- Malfaçons et divers................ 763 40\
- Dépenses..................................... 2.918 70
- Boni en Avril.......... 395 05
- Section des Dames
- Cotisations des mutualistes......... 432 30i
- Subvention de la Société.....•...... 144 10 577 30
- Divers.............................. »» 90'
- Dépenses...................................... 377 40
- Boni en Avril.......... 199 90
- ASSURANCE DES PENSIONS
- Subvention de la Société et divers.... .3.860 311 Intérêts des comptes-courants et du 7.855 31
- titre d’épargne.................. 3.995 »»)
- — Retraités définitifs................ 5.540 251
- 29 — provisoires.................. 1.721 50[
- Nécessaire à la subsistance........... 2.223 70\ 10.075 70
- Allocat. aux familles des réservistes.. )») »))(
- Divers, appointements, médecins, etc. 590 25]
- Déficit en Avril............. 2.220 39
- CAISSE DE PHARMACIE
- Cotisations des mutualistes........ 587 85j —
- Subvention de la Société........... 134 50]
- Dépenses.....................................
- 722 35 388 06
- Boni en Avril
- 334 29
- RÉSUMÉ
- Becettes sociales du 1er Juil. 1895 au 30 Avril 1896. 92.071 49) 493 29
- » individuelles » .» 32.351 80|
- Dépenses » » ....... 145.348 37
- Excédant des dépenses sur les redettes.... 20.925 08
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- 448
- LE DEVOIR
- ÉTAT CIVIL DU FAMILISTÈRE
- MOIS DE MAI 1896
- Naissances :
- 3 Mai. Hutin Georgette, fille de Hutin Théophile et de Fouconnier Marthe.
- 5 — Gordien Jeanne-Marie, fille de Gordien Jules et de Perrant Catherine.
- 12 — Dahy Marcelle, fille de Dahÿ Régis et de Guerbé Marie.
- 15 — Joachim Auguste, fils de Joachim Jules et de
- Hamel Virginie.
- 16 — Patat Auguste-Maurice, fils de Patat Auguste et
- de Varlet Clotilde.
- 23 — Alavoine Lucie-Louise, fille de Alavoine Eugène
- et de Flot Louise.
- -Décès :
- 17 — Gillon Edouard, retraité, âgé de 62 ans.
- 21 — Merville Paul-Achile, âgé de 1 mois.
- 24 — Duquenne Firmin, âgé 13 ans.
- Le Secrétaire, A. Houdin.
- Le Gérant : H. E. Buridant.
- Nîmes, imp* Veuve Laporte, ruelle des Saintes-Maries, 7. — 1231
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-
- DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES
- 449
- DOCUMENTS POUR IE BIO&RÂPHIE COMPLÈTE
- de J.-B.-André GrODIN («)
- RÉSUMÉ DE L’ESSAI DE REPRÉSENTATION DU TRAVAIL PAR
- les Groupes, Unions de Groupes et Conseils d’Unions
- 1877-1879
- VIII
- Indemnités de présence du premier semestre
- Des renseignements que nous avons publiés jusqu’ici, il ressort que la plus grande période d’activité des Groupes et Unions fut celle à partir de la fondation en septembre 1877, jusqu’au premier renouvellement semestriel des Bureaux, fin mars 1878.
- Nous avons vu aussi que le Conseil des Unions du Familistère prolongea son activité jusqu’en septembre 1878, c’est-à-dire durant sa première année d’existence. (Les renseignements nous font défaut pour le Conseil des Unions de l’Usine, le lecteur voudra bien se le rap-peller).
- Des documents de caisse retrouvés dans les archives de l’Association joints à la statistique déjà mentionnés dans notre numéro de mars dernier, p. 130 nous fournissent le compte des jetons de présence pour travaux dans les Groupes, Unions de groupes et Conseils d’Unions pendant ces six premiers mois d’exercice.
- Une réflexion est ici nécessaire :
- Nous avons publié : 1° dans le Devoir d’août 1893, tome 17 page 452-, un premier Projet de Règlement des Groupes et Unions dont l’article 13 prescrivait que « le compte des présences serait établi en fin de chaque exercice, » c’est-à-dire à chaque période de 12 mois ;
- (1) Lire le Devoir depuis le mois de mars 1891.
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- 450
- LE DEVOlh
- 2° dans notre numéro de juillet dernier, un Règlement dont l’art. 28 dit que le compte des présences sera établi tous les trois mois.
- Or, le compte dont nous allons donner le résumé n’embrasse ni l’une ni l’autre de ces périodes, mais le premier semestre de fonctionnement. Pourquoi cela ?
- Parce qu’à l’échéance de ce premier semestre on touchait à l’époque de la célébration annuelle de la Fête du Travail au Familistère, et que le fondateur voulut, dans son discours, dire où en était l’organi-'-sation des Groupes, Unions et Conseils.
- Les travaux des différents corps et les indemnités de présence y afférentes furent donc résumés en avril 1878, pour la période des six premiers mois de fonctionnement, c’est-à-dire celle allant de septembre 1877 au 31 mars 1878.
- Notre dépouillement du Registre des séances du Conseil des Unions au Familistère nous a montré la chose en action. En effet, le Conseil dans ses séances des 23 et 27 avril 1878 s’occupe et des récompenses exceptionnelles à allouer (à l’occasion de la Fête du Travail) pour Propositions utiles dans les Groupes et Unions, et des Indemnités de présence dans ces corps.
- Touchant ces indemnités, il est à signaler aussi que le Conseil discute le meilleur mode d’en faire le compte, non d’en fixer le taux.
- Ce fait — rapproché de celui du mois suivant (séance du 25 mai 1878) où « le Conseil prit acte d’une communication de M. Godin disant qu’à l’avenir les membres des Comités d’administration des caisses de prévoyances au Familistère recevront les mêmes indemnités de présence que les membres fonctionnant dans les Groupes, Unions de groupes et Conseils d’Unions, » — nous montre que pour mettre en mouvement l’organisation nouvelle et en attendant que les intéressés eux-mêmes (ainsi qu’il les y invitait dans le premier Projet
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- de Règlement, article 13,) fixassent le taux des indemnités, le fondateur lui-même avait déterminé un taux qui, finalement, fut inscrit dans l’article 29 du Règlement publié dans notre numéro de juillet dernier, soit 25 centimes par demi-heure de séance, etc.
- Nous laissons au lecteur à mesurer la profondeur d’amour de l’humanité contenu dans ce simple fait : Un chef d’industrie allouant cinquante centimes par heure à des centaines de travailleurs, en les invitant à se réunir à leur gré pour rechercher les moyens pratiques de leur propre évolution sociale !
- Voici le relevé des dites Indemnités :
- Comptes des présences dans les Groupes, Unions de Groupes et Conseils d’Unions
- De septembre 1877 au 31 mai'S 1878
- Usine : 309 travailleurs inscrits couvrant 1010 inscrip-
- tions.
- 116 groupes — 27 Unions de groupes — 1 Conseil d’Unions.
- Le nombre total des jetons de présence a été de 10.531 à 0 fr. 25 centimes............ 2.632 75
- Ces chiffres peuvent se décomposer comme suit : 3.970 jetons pour séances de constitution
- des bureaux, à 0 fr. 25 cent......... 992 50
- 6.561 jetons pour examen de propositions
- à 0 fr. 25........................... 1.640 25
- 10.531 Totaux 2.632 75
- Le nombre des propositions examinées dans les
- corps de l’Usine a été d’environ 60 au cours du semestre.
- Familistère : 82 travailleurs inscrits : 13 femmes et 69 hommes.
- (Le lecteur sait que nous ne connaissons pas le
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- chiffre total des inscriptions de ces membres dans les
- corps représentatifs de l’habitation unitaire.)
- 46 groupes — 11 Unions de groupes — 1 Conseil d’Unions.
- Le nombre total des jetons de présence a
- été de 4.910 à 0 fr. 25 centimes......... 1.200 50
- Ces chiffres se décomposent comme su:! :
- 1.687 jetons pour séances de constitution
- des Bureaux, 0 fr. 25............. 421 75
- 3.223 jetons pour examen de propositions
- à 0 fr. 25........................ 778 75
- 4.910 Totaux 1.200 50
- Le nombre des propositions examinées dans les corps du Familistère a été d’environ 62 au cours du semestre.
- Les Groupes, Unions et Conseils à, la Fête du travail célébrée en mai 1878
- L’époque où nous sommes, fin mars 1878, est aussi celle de la Conférence (5 avril) où Godin parla tour à tour avec le jeune ouvrier M. L... Nos lecteurs n’ont certainement pas oublié l’apostrophe de Godin à ses auditeurs dans cette réunion. (Devoir de décembre 1895, * page 729). Cette apostrophe même, puis l’interruption des conférences, faute d’un nombre suffisant d’auditeurs, à un moment où les enseignements de Godin étaient si nécessaires au maintien de l’activité dans les nouveaux corps ; enfin, le ralentissement d’action qui — nous l’avons vu — gagna peu à peu l’organisation nouvelle toute entière, ces faits nous indiquent les graves résistances et difficultés au sein desquelles le fondateur du Familistère enfanta son œuvre.
- En regard de ces résistances, il est profondément touchant de voir avec quelle bonté paternelle, Godin encourage toujours et sans trêve son personnel dans
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- la bonne voie, signalant avec sollicitude les moindres faits utiles, proposant leurs auteurs en exemple. Ecou-tons-le dans son discours à la Fête du Travil célébré le 5 mai 1878.
- Mais d’abord un mot touchant ce discours même :
- Dans la publication qui en a été faite à l’époque (1) Godin a retranché le passage ayant trait aux Groupes, Unions et Conseils d’unions, parce qu’il eut fallut— pour laisser ce passage — expliquer aux lecteurs toute une organisation bien difficile à décrire en quelques mots.
- La question est toute différente aujourd’hui pour ceux de nos lecteurs qui ont suivi les présents documents biographiques. Aussi (ayant conservé le texte du discours de J. B. A. Godin) allons-nous restituer ici le dit passage. Il venait après l’indication du dividende (8 0/0) alloué pour la première fois au travail, sur les bases de l’Association, en ce qui concernait l’exercice écoulé. Godin avait poursuivi par ces paroles :
- « Durant le cours de l’année dernière, vous vous o êtes constitués, tant à l’Usine qu’au Familistère, en » Groupes, Unions et Conseils fonctionnant pour le » bien du travail, afin de réaliser les moyens d’une or-w ganisation et d’une administration nouvelles, embrassant » toutes les opérations du Familistère et de VUsine, en vue » du fonctionnement de l’Association.
- » Les travailleurs répartis dans ces groupes ont à » examiner toutes les opérations du travail, à signaler, » les perfectionnements bons à introduire, ou les » fausses manœuvres à éviter ; ils ont aussi à veiller » à l’économie des dépenses sous tous les rapports » ainsi qu’au plus utile emploi des matières premières,
- » afin de concourir à augmenter les bénéfices de fin » d’année pour le plus grand avantage de la masse » entière des membres de l’Association.
- » Ce concours ne pouvait être considérable dès la
- (i) 1er vol. du Devoir, numéro du 26 mai 1878, page 180.
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- » première année, les choses nouvelles ont toujours « besoin d’un certain temps pour s’organiser et pro-)> duire leurs fruits. Néanmoins, quelques groupes ont » fait acte d’initiative et ont cherché à se rendre utiles » en signalant des améliorations à introduire sur cer-» tains points. Vos Conseils supérieurs ou Conseils » des Unions ont jugé à propos de signaler à votre » attention les membres qui se sont ainsi distingués.»
- Godin poursuivit en proclamant les noms des personnes à qui le Conseil des Unions du Familistère avait voté des Mentions honorables ; puis les noms des travailleurs désignés par le Conseil des Unions de l’Usine, avec l’indication du nombre des propositions utiles dues à chacun.
- Nous allons donner la liste de ces proclamations, en désignant les personnes, comme nous l’avons fait jusqu’ici, par le chiffre de leurs inscriptions dans les Groupes et Unions.
- A signaler que le nombre des propositions utiles visées dans la désignation de chaque individu méritant récompense, ne nous est fourni que pour ce qui concerne Fusine. Ainsi les quatre* personnes qui viennent en tète du tableau ont été proposées pour Mentions honorables par le Conseil des Unions du Familistère, en raison de diverses propositions utiles, (le nombre n’est pas donné). Deux de ces personnes ont, en outre, été désignées par le Conseil des Unions de l’Usine pour propositions utiles dans les groupes des ateliers. Le signe x dans la colonne spéciale indiquera les désignations faites par chacun des Conseils.
- Certaines propositions étant dues à la collaboration de deux individus, nous indiquerons les cas par une accollade.
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- Liste des 33 personnes proclamées pour Mentions honorables, à la Fête du Travail célébrée le 5 Mai 1878
- OCCUPANT DESIGNES
- par
- le Conseil
- des Unions SS —
- A L’USINE AU FAMILISTÈRE T
- (Inscriptions complètes) (Inscriptions connues) © Ah <D ‘I s i
- tû fl •— /SS
- ^ F-H W .2 S g.
- a I If
- Groupes Unions Groupes Unions S 'd © qZ
- Madame X... X
- Monsieur 11 5 2 1 X X 1
- )) 9 2 X
- » 3 2 X X 2 1
- » 4 1 X 2 l
- » 2 2 X 2 1
- » 1 1 7 2 X 1
- » 3 2 x
- » 5 2 X I
- » 8 4 x |2
- » 15 9 1 1 X 2
- » 10 3 X 1 1
- » 13 5 X A 1
- » 2 2 X I
- » 4 2 - X 1
- » 8 6 X 2
- » 5 2 X 1
- » 4 2 X 1
- » 4 3 X 1
- » 9 3 x 1 1
- )) 2 2 X
- ' » 1 1 X 1
- » 5 2 X 1
- » 3 2 * X 1
- » 5 2 X 1
- » 4 1 X 1
- » 2 1 X 1
- » ^ 3 2 X 1
- )) 4 1 X 2
- » 3 2 X 1
- » 5 4 X 1
- » 8 4 X 1
- » 3 2 X 1
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- L’examen du tableau qui précède fait voir qu’il y eût, dans ce premier semestre de fonctionnement des Groupes et Unions, treize propositions utiles mises en pratique dans les ateliers; trois de ces propositions furent dues à la collaboration de deux personnes, un même fait de collaboration se reproduisit dans chacune des autres catégories de propositions.
- En somme, l’organisation avait produit au cours de ce semestre et concernant l’Usine :
- Propositions utiles passées dans la pratique. 13
- Propositions mises à l’étude.................... 12
- Propositions à revoir........................... 16
- Soit au total............... 41
- Revenons au discours de J.-B.-A. Godin. Après avoir énuméré : 1° Les noms des travailleurs dont les propositions utiles étaient déjà mises à exécution ; 2° les noms des personnes dont les propositions encore à l’étude avaient été jugées dignes de mention; et, enfin, 3° ceux des auteurs de propositions enregistrées dans les livres de procès-verbaux et qui paraissaient de nature à pouvoir être amendées et utilisées par des études ultérieures, l’orateur concluait :
- « Si déjà, parmi vous, tous ceux dont je viens d’énu-» mérer les noms se sont rendus utiles à l’intérêt com-» mun, combien devez-vous être encouragés à faire plus » encore maintenant que l’association est, de fait, (1) » réalisée entre nous.
- » Sous peu vont vous être remis les titres de rente » vous conférant le droit de participer aux intérêts, » dividendes, revenus et produits du Familistère et de » l’Usine ; un échange d’engagements (2) déterminera la
- (i) Plus de 60,000 francs furent répartis au travail cette année-là, d’après le système rendu, depuis, définitif par la signature du pacte d’association, le 13 août 1880.
- OU Cette question viendra à son heure dans l’historique des parts faites au travail par Godin, dans son acheminement vers l’association.
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- )> forme de vos droits et les garanties nécessaires entre » l’association et les sociétaires participants.
- » De cette façon, le fonctionnement de l’association » ne sera plus seulement appliqué à des faits de pré-o voyance et de solidarité générales, il s’étendra à la » participation aux bénéfices industriels de l’Usine, comme m aux bénéfices commerciaux du Familistère.
- » Vassociation sera ainsi généralisée de fait entre nous » depuis le 7er janvier 1877.
- » Elle fonctionne dès maintenant sur les bases mêmes )) qui seront les siennes, quand elle sera installée d’une » façon légale et irrévocable.
- » C’est à vous qu’il appartient de hâter le moment » de cette consécration définitive. Mais, en attendant, les » droits qui vous sont reconnus dans les titres dont » je viens de parler, sont et demeurent acquis à votre » profit.
- » Pour achever l’œuvre et vous assurer l’avenir, tâchez, » maintenant que les sceptiques et les incrédules ne » pourront plus mettre en doute des projets traduits » en actes, de vous inspirer complètement des ensei-» gnements multipliés que je vous ai donnés dans mes » conférences préparatoires de l’association. »
- Le texte qui suit a été publié dans le susdit numéro du Devoir (26 mai 1878, page 181). Voir l’alinéa commençant par : « Si vous voulez avancer dans l’œuvre que » je vous mets en mains, il faut que chacun se préoc-» cupe avant toute chose de réaliser le bien d’autrui » pour y trouver son bien propre, etc. »
- La Représentation du travail et les idées et propositions utiles.
- Le document visé au début de ce travail pour l’établissement du compte des Indemnités de présence, nous a fourni les chiffres d’environ 60 propositions dis*
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- cutées dans les Groupes de l’Usine et 62 dans les Groupes du Familistère.
- D’autre part, nous venons de voir que les Conseils d’Unions, à l’Usine et au Familistère, avaient jugé dignes de mentions spéciales, « diverses propositions » dans les Groupes de l’habitation unitaire et 41 dans les Groupes de l’Usine.
- Ne nous arrêtons qu’aux chiffres de l’Usine, les seuls précis.
- Sur 60 propositions quelconques, il y en eut donc :
- 13 applicables et appliquées, vu leur utilité,
- 12 mises immédiatement à l’étude,
- 16 jugées dignes d’être tenues en mémoire,
- 19 seulement sont écartées,
- 60 au total.
- Les personnes au courant des faits industriel seront certainement frappées de l’éloquence de ces chiffres en faveur de la tentative de représentation du travail.
- Pour mieux faire saisir notre pensée, recourons à un mot de Godin lui-même.
- Dans une Conférence qu’il donna à son personnel le 19 septembre 1877 (Devoir de mars 1894, tome 18, page 132), Conférence où il s’attacha à démontrer l’intérêt qu’il y avait à faire passer les idées et propositions nouvelles par la voie hiérarchique des Groupes, Unions et Conseils, il ajoutait, fort de son expérience industrielle : «Sur vingt idées qu’on propose, il est rare d’en trouver une bonne... » Une sur vingt dans la pratique ordinaire des faits! Et nous venons de constater que 13 sur 60 (une sur cinq par conséquent) ont été mises en application dans un seul semestre.
- J.-B.-A. Godin avait au plus haut point l’amour du
- m
- progrès et du bien pour tous. Il recevait les propositions nouvelles avec un tel intérêt, savait si bien les apprécier quelles qu’elles fussent, ne pas décourager leurs
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- auteurs si leurs propositions n’étaient pas applicables, et les récompenser généreusement si l’idée avait quelque valeur, que c’était toujours à lui-même, à lui directement, que les personnes voulaient s’adresser. Nous reprendrons tout à l’heure cet important sujet. Présentement, revenons aux 41 propositions jugées dignes de Mention à la Fête du travail de mai 1878.
- Il est à noter que sur ces 41 propositions, 14, c’est-à-dire plus du tiers, sont dues à la minorité des 24 membres (sur 309) classés dans plus de 6 Groupes.
- En effet, on leur doit :
- 0
- 5 propositions sur 13 mises en pratique,
- 7 sur 12 à l’étude,
- 2 sur 16 à revoir,
- soit plus du tiers des propositions, réalisées d’emblée; la moitié des propositions reconnues de suite dignes d’étude, enfin 2 sur les 16 moins importantes puisqu’elles sont simplement classées comme « à revoir. »
- Huit d’entre ces membres ont produit des travaux distingués dès le premier semestre; et il est à noter également que ces 8 comprennent des membres inscrits dans 8 à 15 Groupes, non ceux inscrits dans un plus grand nombre, tandis que nous relevons, dans la liste des personnes récompensées, des membres de l’autre extrémité : ceux classés dans un seul Groupe; ce qui prouve que de réelles capacités (mais spéciales alors) se classèrent à l’Usine dans un très petit nombre de Groupes : 1 seul même.
- Nous venons de voir avec quelle abondance les propositions nouvelles, utiles, se produisirent chez les individus de talents et d’aptitudes variées inscrits dans Plus de 6 Groupes; mais le fait que parmi ces membres ne se trouve aucun de ceux classés dans plus de 15 Groupes (et nous savons qu’il y en eût un inscrit jusque dans 54! ) semble aussi révéler qu’il est difficile
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- de faire œuvre féconde quand on embrasse un très grand nombre d’objets.
- Gela peut être cependant et nous en avons eu un ‘ magnifique exemple dans le Fondateur même de l’Association du Familistère. Mais combien sont rares de pareilles individualités aptes à approfondir tous les sujets, semble-t-il, qui s’offrent à leur examen.
- Les choses se passent tout autrement pour la généralité des hommes; chacun n’emhrasse en profondeur (et en profondeur relative à sa propre force intellectuelle) que les objets très limités — un seul parfois — dont il a fait son occupation journalière, ou qu’il a étudiées spécialement ou pour lesquels il a un goût inné.
- Il embrasse en surface, pour ainsi dire, un certain nombre des autres choses qui constituent son milieu; mais l’importance de ce qui dépasse son horizon intellectuel et lui échappe complètement, est incomparable au peu qu’il embrasse.
- Les .Groupes étaient un élément de culture; l’individu pouvait y approfondir ce qu’il aimait ou connaissait déjà ; s’y initier aux études nouvelles vers lesquelles il se sentait instinctivement attiré ; comme il pouvait aussi s’inscrire dans les Groupes en vue d’éveiller en soi le germe d’aptitudes nouvelles ou de s’emparer de connaissances complémentaires de celles qu’il possédait déjà.
- On comprend que la grande supériorité de Godin pour juger du mérite des idées nouvelles, tenait justement à l’ampleur de ses facultés, à la profondeur de ses vues; et, parallèlement, on conçoit combien la culture des individus est indispensable pour multiplier le nombre de ceux aptes à ce rôle essentiel en industrie.
- Pas de bonne direction possible sans l’exacte appréciation et l’utilisation des idées nouvelles. Pour que le travailleur arrive à diriger lui-même ses efforts, il faut donc qu’il acquière les connaissances intellectuelles,
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- l’ampleur des vues inhérentes à ce rôle, autrement il y serait tout à fait insuffisant. Or, ces capacités ne s’acquièrent pas en un jour! C’est ce que sentaient parfaitement les inventeurs qui préféraient toujours s’adresser à Godin lui-même et répugnaient à émettre leurs idées dans les Groupes.
- En vain Godin disait : ( Conférence du 19 septembre 1877, Devoir, tome 18, page 132) « Comprenez donc qu’il ’m’est impossible de passer mon temps à examiner toutes les idées que peut proposer un personnel aussi nombreux que le vôtre. Je ne ferais rien autre, et la plus forte part de mon temps serait inutilisée. — Cent cinquante Groupes sont aujourd’hui constitués ; des idées peuvent naître, journellement dans chacun de ces cent cinquante Groupes. Pour les faire aboutir, si elles ont en elles quelque mérite, il faut apporter à leur examen des soins et une méthode qui sont précisément l’objet de nos corps représentatifs du travail. »
- Les inventeurs revenaient toujours à lui, et ne s’adressèrent finalement aux Groupes — au cours du semestre qui nous occupe — que dans l’impossibilité de faire autrement. Mais que d’efforts le personnel avait à faire pour se mettre en possession des connaissances voulues pour remplir un tel rôle !
- L’œuvre si importante, si délicate, d’apprécier sainement les idées nouvelles, de distinguer entre celles pratiques, réalisables, appelées au succès et celles à écarter exigeait — outre des connaissances industrielles approfondies — la vue nette et complète des possibilités et des ressources commerciales et autres de l’établissement : toutes qualités qui sont le lot des vrais chefs d’industrie et dont la vulgarisation exigera une longue phase d’études et de travaux.
- Les vrais directeurs d’industrie savent accueillir les idées nouvelles, en approfondir les côtés pratiques, au besoin faire féconder par les spécialistes des inventions
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- qui ne sont qu’à peine en germe dans les propositions. Faire la part équitable de chacun dans le produit nouveau : c’est là en fait de direction du travail une obligation qui exige à la fois l’élévation intellectuelle et l’élévation morale.
- L’idée neuve et utile est chose rare et précieuse; celui qui la conçoit tremble souvent, s’il la révèle à autrui, de se voir dépouiller du mérite de sa conception ; il redoute que cette idée ne soit pas appréciée à sa valeur.
- Vues dans le vague de la théorie, les choses semblent si aisément réalisables ! Beaucoup de théoriciens ne croient-ils pas qu’en formulant une idée très générale ils ont fourni l’essentiel, et que la mise en pratique est une affaire de rien, l’œuvre des capacités tout à fait secondaires! Ne sont-ils pas souvent tentés de croire que, seule, la mauvaise volonté des personnes à qui revient l'exécution définitive empêche la réalisation certainement facile de ce qu’ils n’avaient fait qu’entrevoir.
- Pas de chef d’industrie qui n’ait constaté des faits de ce genre, et n’est-ce pas la même chose pour toutes les innovations, à commencer par les propositions de refondre en* bloc le monde social.
- Un des buts de Godin dans cette Représentation libre du Travail était justement de faire toucher du doigt au personnel la nécessité de la pratique pour mettre toute chose à sa vraie place et donner à l’innovation sa vraie valeur.
- Le lecteur entreverra ici, une fois de plus, la portée éducative et moralisatrice d’une organisation comme celle tentée par J.-B.-A. Godin.
- Dès le début de sa carrière industrielle et toujours de plus en plus assidûment, Godin s’efforça de cultiver les intelligences autour de lui, de rechercher et de récompenser les idées utiles. L’aboutissant du mouvement est inscrit dans le pacte statutaire où un fonds spécial annuel est affecté à la rémunération des idées utiles et travaux exceptionnels. (A suivre)
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- LA CONCURRENCE ASIATIQUE
- ET L’AVENIR DES OUVRIERS EUROPÉENS
- Mardi, 28 avril dernier, on lisait dans les journaux une note ainsi conçue :
- Chine. — « L’édit impérial autorisant la construction du chemin de fer de Péking à Hankéou a été promulgué. »
- Quelques jours avant, un édit autorisant la construction d’une voie ferrée reliant Péking à Tient-Sin avait aussi paru.
- En lisant ces lignes, en constatant que la Chine abandonne définitivement sa routine traditionnelle et s’ouvre à la civilisation occidentale, on éprouve un vif sentiment de joie et l’on est prêt à féliciter cette grande nation d’adopter, enfin, la plus brillante et la plus importante découverte de notre siècle.
- L’entraînement et le tumulte des premières impressions calmés, si l’on examine plus attentivement les termes du nouveau problème, on se demande quelles en seront les conséquences politiques et économiques?
- Après mûre réflexion, on sent naître certaines appréhensions, on commence à distinguer des points noirs à l’horizon et l’on cesse d’applaudir sans réserve aux changements importants que l’introduction des voies ferrées va apporter dans le plus vaste empire du monde.
- Mais pourquoi ces hésitations, cette crainte, et de quoi a-t-on peur? Un rapide coup d’œil en arrière éclairera le sujet.
- Remontons d’un demi-siècle; la Chine, alors, désirait rester étrangère aux autres nations. Son agriculture, très soignée, alimentait son immense population ; son industrie familiale suffisait à ses besoins; son commerce interprovincial était admirablement servi par l’énorme
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- développement de ses fleuves et rivières navigables; son organisme social fonctionnait convenablement, elle en était satisfaite; elle vivait en quelque sorte repliée sur elle-même et dans un profond respect pour ses antiques et vénérables traditions.
- Toute idée du dehors la troublait, tout produit venu de l’extérieur l’inquiétait; elle fermait systématiquement ses ports aux marchandises étrangères et spécialement à l’opium qu’elle considérait, avec raison, comme un poison dangereux pour ses nationaux. Depuis 1800, l’entrée en Chine de cette « vile ordure », l’opium, était interdite; mais la contrebande l’introduisait secrètement et l’usage s’en étendait d’années en années. Pour mettre fin à ce qu’il considérait comme un abus, le gouverne-ment chinois eut recours à la force. En 1839, il fit saisir et détruire plus de vingt mille caisses de ce produit, appartenant à des négociants anglais établis à Canton et représentant au bas mot 50 millions de francs. Ce fut le signal de la guerre.
- L’Angleterre s’empara de l’Archipel Tchousan. En 1842, elle força l’entrée du Yangtze-Kiang et menaça Nanking. La Chine dut céder et consentir à laisser entrer chez elle le produit prohibé; le traité de paix portait que cinq ports seraient ouverts au Commerce.
- En 1857, un conflit éclata entre la Chine d’un côté, la France et l’Angleterre de l’autre : Canton fut pris et la paix, rapidement conclue, fut signée a Tient-Sin. Elle fut éphémère.
- En 1858-1860, nouveau conflit, nouvelle guerre. Les troupes anglo-françaises enlevèrent d’assaut les forts de Takoou, sur le Peï-Ho, battirent en rase campagne l’armée chinoise, commandée par Sang-Kolinsin, et campèrent devant Péking. La capitale fut prise et le palais d’été, le plus riche et le plus ancien musée du monde, fut pillé et brûlé par les assaillants,
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- La Chine, vaincue par les armes occidentales et déchirée par la grande révolte des Taïping dût céder une fois encore à la loi du plus fort et ouvrir de nouveaux ports au commerce.
- En 1878, le meurtre d’un explorateur, M. Margary, fournit aux Européens l’occasion d’arracher au Céleste Empire sans tirer un coup de canon de nouvelles con-cessions. (1)
- Enfin, tout dernièrement, en août 1894, le Japon, se mettant lui aussi de la partie, déclarait la guerre à la Chine.
- Le vaste Empire du Milieu, comprenant environ 400 millions d’âmes, fut défait sur terre et sur mer par son voisin qui ne compte que 40 millions d’habitants, mais qui, en vue de cette guerre, avait de longue main organisé son armée et sa flotte.
- La Chine, écrasée, dût accepter presque toutes les conditions qu’il plut au vainqueur de lui imposer: cession de Formose, payement d’une lourde indemnité, abandon de ses prétentions sur la Corée, ouverture de nouveaux ports au commerce, etc., etc. L’intervention jalouse des puissances européennes, qui l’avaient pourtant si souvent malmenée, permit à la Chine de limiter un peu les exigences japonaises.
- Mais quelle situation humiliante pour les orgueilleux enfants de Han! C’est dans cette triste condition que le gouvernement Chinois, reconnaissant, enfin, son impuissance à lutter par la force ou la,ruse contre les influences et les agressions étrangères, prit définitivement le parti d’employer à se défendre les mêmes armes que des nations avides employaient à l’attaquer.
- Telles sont les raisons qui ont décidé, tout dernièrement, la Chine à licencier la moitié de son armée,
- fi) Dix-neuf ports furent dès lors ouverts. En outre, Nganking, Tatoung, Han-koou et Chazi furent déclarées villes d’escale.
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- LE DEVOIR
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- pour la réorganiser aussitôt, surtout son artillerie, sous la direction d’instructeurs européens et d’après les méthodes européennes.
- Le Transsibérien (1), voie ferrée que la Russie construit actuellement au nord des frontières chinoises, constituait de son côté une menace pour l’intégrité de l’Empire du Milieu, en créant, par ses stations, une série de points de pénétration.
- C’est, on le voit, un impérieux besoin de défense nationale qui oblige la Chine à centraliser, à organiser ses forces, à relier entre elles les parties éloignées de son vaste territoire. C’est l’intégrité de l’Empire menacé qui l’entraîne à contracter des emprunts étrangers et à construire à la hâte ces chemins de fer qu’elle repoussait naguère.
- Sur nos cartes et à vol d’oiseau, nous comptons plus de 130 kilomètres entre Tient-Sin et Péking; et plus de 1000 kilomètres entre cette capitale et Hankéou, terminus provisoire de cette seconde ligne.
- Tient-Sin, grande ville de plus d’un million d’habitants, est située sur le Peï-Ho, à peu de distance de la mer.
- Elle est le port le plus important du Petchili et l’entrepôt général des marchandises qui alimentent la capitale et toutes les régions environnantes.
- Han-Kéou, heureusement placée au confluent du Han-Kiang (2) et du Yangtze-Kiang, le plus grand fleuve de la Chine (dix fois le Rhône), compte plus de 800.000 habitants. Sa position sur deux grandes artères navigables lui donne une importance commerciale exceptionnelle.
- Les trois provinces : le Petchili, le Ho-Nan et le
- (1) Le Transsibérien, dont la plus grande partie longe la frontière chinoise, s’étend sur une longueur de 7.600 kilomètres; les sections les plus importantes seront livrées en 1900; la totalité des travaux sera terminée en 1904.
- (2) Navigable sur plus de 1000 kilomètres.
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- Hou-Pe, traversées par la voie ferrée, embrassent environ 660.000 kilomètres carrés et sont peuplées de 73 millions d’habitants, soit une densité de population double de celle de la France.
- Dans de telles conditions, le succès financier des deux lignes ferrées est absolument certain; et cet exemple, sollicitant vivement l’esprit d’entreprise, entraînera, à bref délai, les autres provinces à construire des voies semblables.
- Quel sera pour nous le résultat économique d’une pareille transformation?
- La réponse à cette grosse question peut se trouver dans l’examen de ce qui s’est passé et se passe actuellement au Japon.
- Jusqu’en 1853, le Japon imitait la Chine et repoussait les étrangers, au point qu’il était même interdit aux habitants d’apprendre une langue autre que le dialecte national. Vers cette époque, parurent sur les côtes japonaises des frégates américaines sous les ordres du commodore Perry. Peu de temps après, une escadre russe se montrait dans les mêmes eaux. Tous demandaient à entrer en relations commerciales avec le royaume du Soleil levant. Le Taïkoum, un des chefs du gouvernement, s’effraya et conclut un traité qui ouvrait six ports au commerce; mais, peu de temps après, des luttes éclatèrent entre les seigneurs du pays, les uns tenant pour le Mikado, les autres pour le Taïkoum. En 1863, des Daïmios, grands seigneurs du Japon, forcèrent te gouvernement à déchirer le traité. Mais les étrangers ne se laissèrent pas faire, et dès que certains de leurs vaisseaux eurent été canonnés par des samouraï (hom-mes d’armes et nobles du Japon), ils revinrent avec une escadre et imposèrent au Japon une indemnité de guerre, te signature d’un nouveau traité et l’extension de leurs privilèges.
- Les daïmios rendirent le Taïkoum responsable ; celui-ci
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- fut déchu de ses dignités et le pouvoir passa en entier aux mains du Mikado.
- Le régime féodal fut aboli et les daïmios eux-mêmes réclamèrent la suppression de leurs privilèges.
- Dès ce moment, l’esprit de la nation japonaise prit une nouvelle direction. Loin d’imiter les Chinois dans leur répulsion pour l’étranger, les Japonais mirent une ardeur juvénile à copier les nations occidentales.
- Une transformation d’une rapidité sans exemple dans l’histoire se produisit.
- L’instruction publique fut organisée sur une base démocratique; des professeurs et des savants étrangers furent appelés. Des ingénieurs furent engagés pour procéder à la construction des voies ferrées; des instructeurs militaires européens furent chargés d’organiser l’armée; des navires à vapeur furent achetés et des mécaniciens et capitaines étrangers enseignèrent aux marins japonais l’art de diriger ces nouvelles machines. Des industriels furent invités à transporter leurs industries et leurs 'méthodes dans l’empire du Soleil levant. Le code lui-même fut refondu avec le concours de légistes empruntés à nos facultés. Les lois pénales furent adoucies et modifiées.
- En un mot, tous, au Japon, s’engagèrent avec ardeur dans la voie du progrès.
- En quelques années, les Japonais transformèrent considérablement l’état agricole, industriel et commercial de leur pays, et ces modifications ont été si rapides et si profondes que, pour les peindre et leur assurer créance, nous allons en emprunter les témoignages à des auteurs et à des documents autorisés.
- Dans un remarquable article sur le péril prochain (1), M. d’Estournelles, nous parlant du Japon, emprunte au rapport de M. de Brandt, ancien ministre allemand en Chine, les renseignements que voici :
- (I) Reçue des Deux-Mondes^ l,r avril 1896.
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- « La filature de Kanegafuchi, au Japon, choisie par ce » dernier comme modèle de l’industrie japonaise et de » ses moyens d’action, compte 5.800 ouvriers se relevant » jour et nuit, chacun travaillant 12 heures; ces ou-» vriers ne sont pas des manœuvres ordinaires, ils doi-n vent réunir des qualités assez nombreuses; ils ne » sont payés que 40 centimes en moyenne par jour. Sur » ces 5.800 ouvriers, on compte 3.700 femmes payées )) en moyenne 20 à 22 centimes. »
- Voici un autre renseignement de source américaine (1) :
- M. Butler, de San Diego, Californie, se procura les fonds nécessaires pour monter, à Ohosaka, une manufacture de montres et pendules. Mais, des traités ayant réglé que les étrangers ne pourraient s’établir manufacturiers au Japon qu’à partir de 1899, M. Butler tourna la difficulté en s’entendant avec des Japonais qui prirent l’affaire sous leur nom, cela, du consentement des autorités.
- Une usine en briques convenablement disposée et pourvue de larges baies fut construite. M. Butler engagea en Amérique neuf ouvriers experts qui, sous la direction d’un nommé Wheeler, furent chargés d’enseigner aux ouvriers japonais l’art de diriger et d’utiliser les nouvelles machines.
- Un contrat de trois ans, avec faculté de renouvellement à l’expiration du traité, fut conclu entre ce personnel américain et les directeurs de l’entreprise.
- L’usine est déjà en fonction et voici ce que disent les professeurs américains : « Les Japonais employés ont » de très grandes aptitudes ; ils apprennent beaucoup » plus rapidement que les personnes d’intelligence et » de conditions similaires aux Etats-Unis. La plupart » avaient quelque expérience du travail de réparation des » montres et pendules et quelques-uns avaient déjà fait
- (t) Bulletin of the Departement of Labor, January 1896, n° 2.
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- Le devoir
- » usage de machines à main pour polir; mais ia machi-» nerie moderne devant laquelle nous les avons placés » était entièrement nouvelle pour eux. Ce sont, en géné-» ral, de jeunes hommes de 18 à 30 ans. Nul d’entre » eux ne comprenant un mot d’anglais, et nul des Amé-» ricains ne parlant japonais, l’œuvre d’éducation eut » été très lente sans la fine perception des élèves.
- )) Nous ne pouvions expliquer quoi que ce fût aux » Japonais, mais leur pouvoir d’imitation est si déve-» loppé qu’il nous suffisait, pour leur enseigner quelque » chose, de faire l’opération sous leurs yeux. Presque » instantanément, ils répétaient le travail avec une par-» faite exactitude et continuaient ainsi sans la plus lé-» gère variation.
- » Une autre difficulté de cet enseignement était l’ab-» sence de mots japonais pour désigner les machines et » les organes de la montre; mais les termes anglais fu-» rent adoptés et sont maintenant d’un usage exclusif.
- » Les plus hauts salaires payés aux ouvriers du pays » dans l’atelier sont de 1 franc par jour; les plus bas » de 25 centimes; tandis que dans les ateliers améri-» cains, le même travail serait payé de 25 francs à 2 fr. 50 » centimes par jour.
- » Quand l’atelier sera en plein fonctionnement, il pro-» duira quotidiennement 150 montres, qui, grâce au bas » prix de la main d’œuvre, pourront se vendre avec un » bénéfice de 50 pour % sur le prix du marché des » Etats-Unis ou de l’Europe. »
- L’auteur ajoute : « Dans 4 ans (1899), les nouveaux » traités entreront en vigueur; les étrangers pourront » ouvrir directement des entreprises manufacturières. » Alors, leurs capitaux et leur intelligence donneront un » stimulant énergique à l’industrie mécanique et l’aug-» mentation de la puissance productive du Japon sera » plus rapide que maintenant. »
- Voici un renseignement qui montre comment la.con-
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- currence japonaise s’étend peu à peu à tous les articles : (1) « Les bières japonaises, dont il existe quatre » sortes principales, sont d’excellente qualité et d’un » prix de revient relativement faible. Elles ont déjà à » peu près chassé du Japon les bières importées, et les » résultats obtenus en 1894 montrent qu’elles ne tarde-» ront pas à aller faire sur les marchés d’Extrême-» Orient une concurrence dangereuse aux bières légères » d’Allemagne et d’Angleterre. »
- Du même document, nous extrayons : « Mais ce qui » est autrement significatif et mérite d’arrêter l’atten-» tion, c’est le développement pris en trois ans par » l’exportation en Chine, spécialement en Corée et à » Hong-Kong, des Jllés de coton japonais. Cette expor-» tation en 1892 s’était élevée à 5,000 yen (2) à peine; » en 1893, elle atteignait 32,000 yen; en 1894, elle a dé-» passé 735,000 yen. »
- Toujours à la même source, nous trouvons :
- « Le charbon japonais tend d’année en année à pren-» dre une place plus importante. De 53,000 tonnes qu’elles » étaient en 1892, les exportations pour l’Inde anglaise » et les Straits Settlements, (3) se sont élevées, en 1893,
- » à 116,000 tonnes; et, en 1894, à 164,000 tonnes. A Hong-» Kong et à Changhaï, la situation de ces charbons- est » désormais solidement établie, au grand détriment des » charbons anglais et australiens. » (4)
- Nous lisons encore dans le même document :
- « Les Allumettes constituent comme toujours l’un des » principaux articles d’exportation de Kobé et d’Osaka
- (1) Rapports commerciaux des agents diplomatiques et consulaires de France, Année 1896, n° 342.
- (2) Le yen d’argent dont la valeur est variable valait en 18C4 au cours moyen 2 fr. 63.
- (3) Etablissements anglais non compris dans l’Inde proprement dite mais rapprochés de l’Inde comme ceux du détroit de Malacca.
- (U Charbons japonais à Singapour 12 francs à 15 francs la tonne.
- » anglais * 25 » » la tonne.
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- )) avec une valeur de 3,680,546 yen pour une quantité de » 13,379,860 grosses de boîtes. Ces chiffres indiquent une » augmentation pour 1894 de 330,200 grosses de boîtes...
- » L’exportation des allumettes dans l’Inde n’avait été » en 1892 que de 292,600 grosses, en 1893 elle était mon-» tée à 1,102,000 grosses et en 1894 elle a atteint 2,069,662 » grosses. Cette rapide progression montre que les allu-» mettes japonaises se sont désormais solidement im-» plantées dans les colonies anglaises de l’Inde...
- » Elles commencent à prendre pied en Australie où l’ex‘ » portation a passé de 3,700 grosses en 1892, à 6,565 grosses » en 1893, et à 91,900 grosses en 1894. »
- Le rapport n° 148 du vice-consul de France, M. P. de Lucy Fossarieu, nous dit que ces allumettes sont du genre suédois es ou de sûreté, au phosphore amorphe; chaque boîte contenant de 90 à 100 allumettes, le prix de vente d’une douzaine de boîtes n’est guère sur place que de 0 fr. 07 centimes à 0 fr. 10 centimes.
- Encore quelques autres renseignements extraits du Moniteur officiel du commerce (27 février 1896), page 134 :
- JAPON
- Les renseignements suivants montrent une fois de plus avec quelle rapidité le pays a progressé depuis une vingtaine d’années.
- Population
- 1872 : 33,110,825 habitants.
- 1876 : 34,338,367 »
- 1880 : 35,929,023 »
- 1884 : 37,451,727 »
- 1887 : 39,069,691 »
- 1891 : 40,718,677 »
- 1893 : 41,388,313 »
- Nous constatons ainsi en 22 ans une augmentation de 25 •/„• Pendant la période correspondante, la popula-
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- tïon en Angleterre n’a augmenté que de 20 % et en France de 6 °/* à peine.
- Agriculture
- Dans la période comprise en 1880 et 1894, on constate une augmentation de 25 °/« pour le riz, de 58 °/* pour le blé et l’orge, de 84 % pour les patates. On voit ainsi que l’augmentation du rendement des produits agricoles formant la base de l’alimentation nationale est en proportion plus grande que l’augmentation de la popu-tion.
- Cocons Thé
- 1880 : 1,086,277 hectol. 12,824 tonnes.
- 1883 : 1,388,230 » 19,148 »
- 1887 : 2,195,308 » 28,044 »
- 1891 : 2,844,432 » 28,384 »
- 1894 : 3,240,000 » 30,760 »
- Industrie
- Nombre des Moteurs à Moteurs
- établissements. vapeur. hydrauliques.
- 1883 : 84 1,383 chevaux 365 chevaux
- 1892 : 1,203 28,500 » 4,142 »
- 1893 : 1,163 31,165 )) 4,772 »
- Ces chiffres sont ceux des établissements appartenant à des particuliers; l’Etat en possède également de fort importants.
- Filature de coton
- Nombre des fuseaux Tissus (tan) (1) Fils (kilog.)
- 1883 2,331,860 315,182
- 1885 8,275,436
- 1886 65,420
- 1887 70,220 36,377,394 4,660,292
- '1891 353,980 48,209,974 30,719,752
- 1893 56,319,059
- 1894 663,749 57,462,752
- (1) Un tan vaut 8 mètres 48 centimètres.
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- Pour bien d’autres industries, les Japonais ont trouvé en Europe et en Amérique des débouchés inespérés. On peut en juger par les chiffres suivants en dollars.
- Porcelaines. Cloisonnés. Verres. Parapluies. Nattes.
- 1885 695,269 23,471 4,700 1,768 935
- 1887 1,313,901 39,497 18,871 26,856 36,296
- 1891 1,480,411 59,225 103,940 161,504 656,123
- 1894 1,484,853 95,803 258,957 746,068 1,965,493
- Et ce n’est pas seulement dans l’industrie manufac
- turière que le Japon déploie une activité incomparable et que, grâce au bas prix de sa main-d'œuvre, il chasse devant lui les produits européens dont il entreprend la fabrication; le développement des voies ferrées chez lui et celui de sa navigation à vapeur nous montrent que ses efforts embrassent tous les organes de la civilisation moderne.
- (1) Lignes ferrées. Nombre Tonnage.
- des vapeurs.
- 1872 : 18 milles. 1872 96 23,364
- 1876 : 64 » 1876 159 40,248
- 1880 : 98 » 1880 210 41,215
- 1884 : 219 » 1883 390 45,350
- 1887 : 593 » 1888 524 81,066
- 1891 : 1,712 » 1891 607 95,588
- 1894 : 2,094 » 1893 680 110,205 '
- 1895 : 2,220 » 1894 461 163,996
- 1895 517 521,522
- est inutile d’insister davantage sur le danger qui
- menace notre industrie et notre commerce extérieur; la concurrence japonaise a fait ses preuves; il suffît de constater que le résultat déjà obtenu par le Japon provient d’un effort intelligent et soutenu, mais remontant à peine à vingt ans : sur ce dernier point, nous appelons toute l’attention du lecteur.
- (1) En mars 1895, la Japon avait 1,715 kilomètres de lignes en construction et 1,800 kilomètres étaient concédés. Rapport delà légation anglaise à Tokio.
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- ** *
- Revenons maintenant à la Chine et examinons quelles pourront être les conséquences d’une évolution économique dont la construction des chemins de fer, ligne Tient-Sin-Hankeou, est en quelque sorte la préface.
- La première objection qui se présente à l’esprit est celle-ci : Pour ses voies ferrées, la Chine aura-t-elle de la houille ?
- Elisée Reclus nous répond : (1) « Quoique les chemins » de fer manquent pour l’expédition du combustible à » de grandes distances, la production s’élève chaque » année à plusieurs millions de tonnes; la Chine occupe )) déjà le sixième rang parmi les Etats producteurs de » houille, en attendant que, d’une part, l’appauvrissement » des mines anglaises et d’autre part l’aménagement régu-» lier de ses galeries, lui assurent la première place.
- » Le bassin houillier du Setchouen s’étend sur un » espace d’au moins 250,000 kilomètres carrés; celui du » Hounan est aussi très considérable; mais le plus » important de tous, sinon par la superficie ou la con-» tenance, du moins par l’extrême facilité d’accès, est » celui du Chansi méridional, dont les assises régu-» lières, commençant au niveau des plaines environ-» nantes, se poursuivent au loin dans l’intérieur des » roches. R n’y aurait aucune difficulté à construire des » chemins de fer pénétrant de la plaine dans les mines )) et s’y ramifiant en un vaste réseau. Nulle part, les » gisements ne sont aussi favorablement placés pour » une exploitation peu coûteuse.
- » Au taux actuel de la consommation, le Chansi du » sud pourrait facilement fournir d’anthracite le monde » entier pendant des milliers d’années. »
- Le détail suivant peut nous éclairer sur ce qu’on doit espérer ou craindre quant au prix de revient.
- U) Nouvelle géographie universelle, livre vii, l’Asie orientale, page 581.
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- « Les ouvriers chinois sont en moyenne beaucoup » moins payés que ceux de l’Europe et du Nouveau » Monde : le taux du salaire à Péking, à Changliaï, à » Canton, à Hankéou, varie de 50 centimes à 1 franc » par homme et par jour. Il est vrai que le prix de la » nourriture est proportionnellement inférieur à celui » des contrées de l’Occident; ...la valeur moyenne de » leur pitance varie de 40 à 50 centimes par jour ; la » différence est énorme entre leur régime et celui des » matelots européens qu’ils rencontrent dans les chan-» tiers de Tient-Sin ou de Foutcheou Fou. Et cepen » dant ces ouvriers, à l’apparence débile, au visage » pèle, ont une grande vigueur musculaire, et quand il » s’agit de soulever des fardeaux, ils ne le cèdent guère » aux ouvriers anglais. »
- Dans la construction des voies ferrées, les ouvriers chinois ont fait leurs preuves; nous n’avons, qu’à rappeler la lutte mémorable ouverte entre les ouvriers blancs (irlandais et anglo saxons) de YUnion Pacific et les ouvriers jaunes du Central Pacific pendant la construction du chemin de fer du Pacifique qui relie Omaha à San*Francisco. C’est à son équipe d’ouvriers chinois que le Central Pacific dût le record de la pose : 17 kilomètres de rails mis en place en une seule journée (8 mai 1869). L’ingénieur Louis Simonin qui visita les travaux pendant leur exécution, dit que du côté du Central Pacific, les ouvriers chinois faisaient presque toute la besogne; ils étaient «des terrassiers modèles, sobres, disciplinés, intelligents, d’une habileté de main merveilleuse, d’une gaieté, d’une égalité d’humeur inaltérables. » (1)
- M. de Brandt estime que les Chinois sont bien supérieurs aux Japonais; qu’ils sont plus sûrs, plus intelligents, qu’ils ont plus de fond et que l’hégémonie leur appartiendrait en Asie, si tous les progrès, tous les
- (1) Le Monde américain, page 355.
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- actes mêmes de l’administration la plus élémentaire, n’étaient pas rendus impossibles par les abus dont s’enrichit ou se nourrit un peuple de fonctionnaires sans scrupules.
- M. Norman appréciant dans un livre tout récent le rôle menaçant de la concurrence orientale, écrit : « L’ha » bileté de l’ouvrier oriental, sa sobriété extrême, ne » font de doute pour personne; entre deux ouvriers éga-» lement habiles, celui qui est le plus sobre est déjà » assuré de la supériorité, il en sera bien plus certain w encore, s’il se contente d’un salaire très inférieur à » son concurrent; or, c’est le cas de l’ouvrier jaune » par rapport à l’ouvrier blanc; celui-ci est vaincu d’a-» vance... »
- Voilà des documents aussi concordants que peu rassurants.
- Mais alors que deviendront nos manufactures de France, d’Allemagne, d’Angleterre? Il semble, en effets qu’elles auront beaucoup à souffrir de la concurrence asiatique. Certainement chacun de ces pays, imitant l’exemple des Etats-Unis d’Amérique, aura la ressource d’entourer ses frontières de droits protecteurs; mais si cette faible barrière suffit à défendre le marché national, elle est impuissante quand les débouchés des produits se trouvent sur des places étrangères.
- L’Angleterre, la première, en éprouvera les fâcheux effets; son développement industriel, très supérieur à celui des autres nations occidentales, la désigne d’avance comme devant subir les plus rudes assauts; et ses remarquables Trades-Unions dont les efforts éclairés et persistants ont si heureusement contribué à maintenir les salaires de ses ouvriers au taux le plus élevé d’Europe, ne seront plus que des associations insuffisantes pour lutter contre le bas prix de la main-d’œuvre asiatique, dès que les orientaux seront pourvus d’un outillage européen perfectionné.
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- Il faut donc chercher, trouver encore autre chose, et tout d’abord se demander si la loi de l’offre et de la demande doit inévitablement nous conduire à l’égalité de salaire, et si nous devons prendre notre parti de voir les salaires asiatiques augmenter et les salaires européens décroître.
- Nous ne pensons pas que là soit la solution d’un problème qui se pose d’une façon si menaçante pour nos
- ouvriers; car, quelque puissante que soit la concurrence commerciale sur la vente des produits, sur l’extension de l'industrie et par réaction sur le prix de la main-, d’œuvre, cette concurrence n’est pourtant qu’un des divers facteurs qui entrent dans le coût d’un objet, de
- même que le taux du salaire industriel n’est pas non
- plus l’unique raison du bas prix d’un produit. Nous voyons journellement en Europe des objets manufacturés chez telles nations qui paient de haut salaires, refouler, par les bas prix auxquels ces nations les livrent, les produits similaires fabriqués par des pays voisins, qui pourtant paient à leurs ouvriers des salaires moins élevés.
- L’Angleterre peut être citée comme exemple ; Tous les économistes s’accordent à reconnaître qu’elle paie les plus hauts salaires et quelle est en même temps, dans le cercle des nations européennes, celle dont les produits obtiennent les plus vastes débouchés.
- Dans un travail magistral, dont nous recommandons vivement la lecture, (1) M. Luio Brentano, professeur à l’Université de Munich, a clairement démontré comment de hauts salaires correspondant à un outillage plus parfait et en même temps à un niveau mental ouvrier plus élevé, entraînaient en fin de compte une réduction de prix sur les objets manufacturés. A l’appui de son opinion, il cite de nombreux exemples pris dans les usines
- (i) Reçue d'économie politique, avril 1893 : Les rapports entre le salaire, la durée du travail et sa productivité.
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- anglaises, allemandes, américaines et visant les industries du fer, du coton, des mines, etc., etc.
- Ses conclusions et les chiffres qui les accompagnent sont probants. Mais sa thèse porte sur les conditions de travail d’ouvriers occidentaux presque de même race, poussés par des besoins semblables et dont les salaires habituels ne comportent pas d’extraordinaires écarts. Autres et autrement dangereux sont les ouvriers orientaux chez lesquels un long atavisme a développé et fixé à un haut degré les facultés d’application et d’endurance : voilà un nouveau facteur qui peut modifier les conclusions de M. Brentano et entamer un peu la confiance sereine que dégage son étude.
- Le Japon ne fait que naître à la vie industrielle moderne, et quoique incomplètement outillé, il a déjà chassé devant lui pas mal de produits européens. Qu'adviendra-t-il si la Chine jette dans la lutte économique ses 400 millions d’hommes sobres et laborieux? Doit-on s’attendre en Europe à de graves perturbations, à une grande dépression du travail national et des salaires? Beaucoup le pensent (1): et il est à prévoir que nos constructeurs-mécaniciens, emportés par le tourbillon d’une fougueuse concurrence, s’empresseront à l’envi l’un de l’autre, de devancer leurs rivaux et de vendre à la Chine les machines les plus productives et les plus perfectionnées. (2)
- h) Les dangers et les perturbations qui menacent les nations industrielles d'Europe résultent de ce fait que les progrès d’ordre politique sont allés plus vite que ceux de l’économie sociale. Par l’extension du droit de vote et sa marche vers le suffrage universel, l’exercice du pouvoir tend à passer aux tû&ins des masses électorales. Or, celles-ci ne savent rien en économie politique, rien de ce qui est pratique en économie sociale. Sous l’influence de la misère causée par une dépression de l’industrie et ne pouvant s’expliquer clairement les causes d’une diminution de salaire ou d’un arrêt de travail, elles seront Portées à suivre sur n’importe quel terrain tout empirique qui leur promettra Unremède. Ventre affamé n'a pas d’oreilles, dit un proverbe. Oui, pour des choses de raison, de réflexion ; mais il en a de grandes ouvertes pour qui lui Promet la satisfaction d’un pressant besoin.
- (?) Au début de son organisation maritime, le Japon achetait tous les vapeurs Wil pouvait obtenir et les possesseurs de vieux navires ne se firent pas scru* Pnle de les lui céder comme bons, bientôt il s’aperçut que ces vaisseaux ne
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- LE DEVOIR
- Examinée au point de vue philosophique, cette expectative semble heureuse et humaine. 400 millions de Chinois, dont beaucoup ont peine à vivre de leur maigre salaire, trouveront à la longue profit à l’emploi d’un outillage plus parfait ; cela, malgré les perturbations profondes et momentanées qu’un pareil changement va apporter dans leur pays.
- Mais, au point de vue économique et en ne visant que l’intérêt de l’ouvrier européen, on ne peut s’empêcher de craindre les résultats immédiats d’une rapide transformation, et il y a lieu de s’en effrayer, à moins qu’on ne modifie simultanément les conditions organiques du commerce et de l’industrie des nations occidentales.
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- Dans un ouvrage récent, (1) un économiste fort original, M. J. Novicow, s’est attaché à étudier les causes des souffrances des sociétés modernes. Au cours de sa préface, il a avancé cette proposition : « L’égalité ne peut pas assurer le bien-être. » Ensuite, à la question : Pourquoi sommes-nous si pauvres? Il répond: «Parce que nous produisons peu et parce que nous gaspillons trop. » Il poursuit la démonstration de cette seconde proposition, en citant une foule d'exemples qu’il serait trop long d’énumérer ici.
- En dénonçant le gaspillage, par conséquent l’imperfection de notre organisation économique, le brillant économiste russe a peut-être indiqué le mal essentiel qui
- pouvaient rendre que de médiocres services et fut obligé d'en mettre pas mal au rebut. Aujourd’hui, il prend ses précautions, et dans le Moniteur du Commerce nous lisons : « Aujourd’hui, 7 septembre 1895, est partie pour l’Europe une commission composée de deux directeurs et d’an conseiller étranger de la « Nippon Yusen Kaisha» la compagnie de navigation de beaucoup la plus importante du Japon ; sa mission consiste à faire l’acquisition pour cette compagnie de 6 vapeurs d’un tonnage de 5 à 6,000 tonnes, qui feraient le service de Yokohama à Liverpool. »
- (1 ) Le ^Gaspillage des sociétés modernes, par J. Novicow, Félix Alcan, éditeur, 1894.
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- nous laisse faibles et désarmés devant la concurrence asiatique.
- Un pas de plus dans cette voie doit nous faire découvrir le remède, et c’est dans l’économie de ressort, dans un meilleur emploi de nos forces productives, de nos méthodes distributives, que nous devons le chercher, que nous pouvons le trouver.
- Que voyons-nous si nous examinons les modifications introduites au cours du siècle dans nos procédés de production? Deux choses :
- 1° Une plus grande spécialisation de l’ouvrier producteur ;
- 2° Une énorme augmentation des produits, manufacturés par des usines de moins en moins nombreuses, mais de plus en plus importantes. L’histoire des industries du fer et de l’acier, du coton et de la laine, de la mouture des grains, etc., etc., nous en fournit les preuves.
- Prenons un exemple très simple : le pain.
- Le pain était autrefois à peu près exclusivement préparé dans la famille : celle-ci passait la farine, pétris* sait la pâte et la portait au four banal, quand elle ne pouvait la cuire chez elle. Voilà une première étape. Le pain est aujourd’hui quotidiennement préparé par un grand nombre de boulangers, petits patrons, qui se sont peu à peu substitués à l’ancienne production familiale et ont constitué ainsi, à leurs profits, une industrie particulière. C’est une deuxième étape.
- Une communication faite à l’Economiste français et insérée au numéro du 8 février 1896, peut servir d’illustration à la troisième étape.
- « Boulangerie coopérative de Roubaix, 7 décembre 1895.
- » Monsieur le Directeur,
- » J’ai l’honneur de vous adresser le compte-rendu de » la boulangerie coopérative de Roubaix pour l’exercice
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- » arrêté le 30 septembre dernier, clôturant par 226,588 fr. 02 » comme bénéfice réalisé, et sur un dividende acquis » de 33 fr. 18 % répartissant en espèces 31 % aux » sociétaires, au prorata de la consommation de cha-» cun d’eux pendant l’année.
- » Ce résultat se passe de commentaires; sur l’exer-» cice précédent, il est en progression de 26,000 fr.
- » Le pain a constamment été vendu à la taxe offi-» cielle de la ville de Roubaix, c’est-à-dire le même prix » que l’ensemble des boulangeries de la même ville; ce » qui établit que le bénéfice de 31 °/0 est réel et prouve » une fois de plus l’économie du système coopératif et » le résultat que l’on peut atteindre, lorsque ces entre-» prises sont sagement conduites avec compétence et » désintéressement.
- » Si l’on considère que le nombre de sociétaires com-» posant la Société de consommation de Roubaix est » d’environ 2.200, on verra que le bénéfice de 226.588 fr. 02 » réalisé pendant l’année, procure une économie moyen-)) ne d’environ 100 francs pour chaque sociétaire.
- » Il existe dans la ville de Roubaix huit‘Sociétés coo-» pératives de boulangerie qui, toutes, sont en prospé » rité et prennent du développement chaque année.
- » En présence des résultats acquis depuis 1867, époque » de la création de la Société de consommation, qui, la » première, a commencé la boulangerie, on est étonné » que les autres villes du Nord, notamment Lille, ne » suivent pas le même exemple ; il en est de même à » Douai, Cambrai, Valenciennes, où les éléments ne » manquent pas, mais où, sans doute, l’initiative privée )) ne se rencontre pas aussi facilement qu’à Roubaix.
- » La question est cependant intéressante, et mérite >) d’attirer l’attention de tous ceux qui se dévouent à la » cause publique et qui cherchent l’amélioration du sort » de chacun par un moyen vraiment pratique.
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- » Entièrement à vos ordres et à ceux de vos lecteurs » que le cas pourrait intéresser,
- » Veuillez agréer, etc.
- » Copin aîné,
- » Directeur de la meunerie, à Sommaing-sur-Ecaillou, » par Solesmes (Nord). »
- Cette lettre est un programme. Elle incarne bien la troisième étape, en ce qu’elle démontre les avantages de la grande industrie, même appliquée au pain, puisqu’elle accuse une diminution ou, si l’on veut, un remboursement de 31 % sur le prix de cette marchandise. Mais, de plus, et ceci est le principal, elle nous présente un des caractères d’une quatrième étape, un des éléments qui permettront, croyons-nous, de résister à la concurrence asiatique, je veux parler de la forme coopérative.
- Si nous portons nos regards sur notre monde commercial et industriel actuel, que voyons-nous?
- Un nombre considérable d’usines, de magasins, représentant des efforts et une richesse considérables, mais disposés sans plan d’ensemble, sans méthode apparente. On distingue bien que, dans les villes, les magasins se sont pressés sur les voies de grande circulation pour mieux attirer et saisir le client au passage ; mais on ne voit pas de lien entre ces blocs de marchandises. Tout au contraire, si on les analyse, on ne voit que concurrence et antagonisme entre détenteurs de produits similaires. Les usines, de leur côté, semblent disposées un peu à la diable et avoir poussé comme des cham-pignons, tassées sur quelques points du territoire, et, dans certaines villes où elles concentrent trop de population, au grand dam de l’hygiène nationale. Elles laissent, en France, inoccupés, de vastes espaces de terrains, où il aurait été pourtant utile d’attirer une population manufacturière. Cependant, quelques-unes ont vu leur emplacement déterminé par des considérations éco-
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- nomiques résultant de l’emploi d’une chûte d’eau, du voisinage de mines de charbon ou de fer, de la proximité de canaux ou de voies ferrées; mais la plupart sont nées sors l’influence de considérations bien secondaires; et le mauvais choix de leur situation constitue, de ce chef, un gaspillage de forces considérable.
- Dans ces organes de production, dans ces usines rivales, nous rencontrons aussi le même antagonisme que nous avons déjà constaté dans les magasins, orga nés de distribution. A travers ce chaos d’institutions diverses, sans liens entre ellles, alimentant des intérêts étroits et souvent opposés, la concurrence anarchique a beau jeu pour pénétrer comme un coin et renverser aujourd’hui tel ou tel magasin, demain telle ou telle usine. Voilà la principale cause de notre faiblesse, aussi le chiffre des faillites va-t-il toujours augmentant.
- Ce gaspillage est-il nécessaire? est-il inévitable? est-ce la rançon de la liberté? ou bien le signe d’un état encore primaire, comme enfantin de notre civilisation? Et ne peut-on concevoir un mode économique, un plan d’organisation commerciale et industrielle plus systéma tique, plus national, où, toute initiative respectée, l’effort individuel serait canalisé, utilisé, au lieu d’être comme aujourd’hui émietté et perdu en des directions divergentes et trop souvent contraires.
- Nous croyons que les germes de cette organisation existent, qu’il n’y aurait qu’à les propager, les multiplier, ensuite à les solidariser, à les unifier, pour donner à notre industrie et à notre commerce cette économie de ressort, cette force, cette identité d’action qui leur manquent et peuvent être demain leur unique sauvegarde, en face de la concurrence menaçante du monde asiatique.
- Oui, ces germes existent! Nous les voyons dans les coopératives de consommation, elles sont plus de 1000 en France; nous les voyons encore dans les associa-
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- tions de production. La liste publiée en 1896 par l'Almanach de la Coopération française en compte 129. Nous les trouvons dans les syndicats agricoles, qui prennent de jour en jour un si grand développement. Nous les rencontrons dans les sociétés coopératives de crédit, banques populaires, caisses rurales ; nous les constatons dans les établissements industriels, commerciaux, financiers, agricoles, où existe à divers degrés la participation des ouvriers aux bénéfices.
- Tous ces germes d’association ont une vie si intense, une force d’adaptation si puissante, que M. Cli. Gide, professeur d’économie politique à l’Université de Montpellier, a pu dire (1) : « La coopération se manifeste sous » des formes étonnamment variées et dont la liste ne » sera jamais épuisée, puisque suivant le temps et le » pays, à chaque besoin nouveau, on voit surgir spon-» tanément quelque forme nouvelle propre à le satisfaire.
- )) L’Allemagne, qui présente dans ce domaine la plus » grande variété, enregistre dans la classification de ses » comptes-rendus quatorze espèces différentes. Mais il » y en a bien d’autres ; dans presque chaque pays, on » trouve quelque type qui tend à prédominer ou qui ne » se retrouve point ailleurs. Le Magasin de gros en An-» gleterre, le Syndicat agricole en France, la Caisse ru-» raie en Allemagne, la Laiterie en Danemark, l’Asso-» ciation des journaliers en Italie, la Société de cons-» truction et de prêts aux Etats-Unis. C’est précisément » cette variété et cetle facilité d’adaptation qui encoura-» gent les hautes espérances que nous fondons sur la » coopération comme régime futur des sociétés humai-» nés. »
- A cette liste, ajoutons encore, pour la France, le Fa milistère de Guise ; et ceci, non pour mettre en vedette
- (1) Almanach de la Coopération française, 1896. En vente au Comité Central, 1, rue Christine, Paris ; au bureau de l’Émancipation, 1, rue Duguesclin, Nimes (Gard).
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- les dix millions de capital qu’il représente, mais parce que cette association a posé dans son bloc la plupart des problèmes que tentent de résoudre ailleurs des institutions indépendantes. Education, production, consommation; caisses de retraite, de secours mutuels, de pharmacie, d’assistance pour cause d’insuffisance de ressources dans la famille ; participation aux bénéfices industriels conduisant à la propriété de l’habitation et de l’usine : tous ces problèmes ont trouvé dans ce type complexe d’association des solutions satisfaisantes.
- Et toutes ces créations, toutes ces expériences sont assez nombreuses et assez répandues pour qu’on puisse les examiner dans divers pays; nombre d’entre elles ont assez de durée pour qu’on juge de leur vitalité, de leur résistance; assez d’importance pour qu’il ne soit plus possible de les qualifier d’exception, de quantités négligeables.
- Alors, que faire?
- Que faire! mais lés porter à la connaissance du public, en introduire l’étude minutieuse dans l’enseignement national. Ouvrir tout au haut, dans l’Université, des chaires d’économie sociale; et si les économistes officiels, par timidité, amour du passé, peur de l’avenir, hésitent et résistent à enseigner un ordre de faits nouveaux pour eux et tout modernes, charger résolument des hommes de bonne volonté, diplômés ou non, de pourvoir à la nécessité présente.
- Nous devrions nous souvenir de la résistance faite autrefois par notre Etat-major militaire à l’emploi des canons se chargeant par la culasse, et des rudes défaites qu’une artillerie insuffisante nous fit subir en 1870. Cet esprit de routine s’étend à tous les mandarinats de quelque nom qu’on les décore. Mais une défaite industrielle, commerciale, a des conséquences autrement importantes qu’une défaite militaire.
- La perte de l’Alsace et de la Lorraine, très blessante
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- pour notre amour-propre national, n’a que bien peu changé les conditions de vie des deux provinces, les populations y sont aussi denses qu’autrefois, les grandes villes ont même augmenté. La perte d’hommes des deux nations en lutte fut en chiffre ronds d’un peu plus de 200.000 combattants. En 1882, sous la simple pression d’influences économiques, les Etats-Unis recevaient d’Europe plus de 700.000 immigrants.
- Combien dans l’avenir des nations les influences économiques sont plus puissantes que les tragédies militaires.
- Cette simple vérité devrait être la grande préoccupation de nos gouvernants, et leur souci constant devrait être de la faire pénétrer dans la moelle de leurs administrés.
- De l’Université, le cours d’économie sociale s’étendrait à l’enseignement secondaire: lycées, collèges, pépinières, dit-on, des classes dirigeantes.
- On pourrait observer que la chose est inscrite aux programmes sous le nom d’économie politique. Aux programmes, c’est possible. Je me rappelle en effet avoir vu, il y a peu d’années, un cahier d’élève dont le résumé portait quelques notes sur les associations. Le professeur, un professeur de philosophie bien coté, en avait parlé dans son cours annuel pendant trois quarts d’heure, et c’était tout. Il avait probablement épuisé ce qu’il en savait.
- Mais il est un champ d’enseignement où un cours sérieux d’économie politique et sociale est d’une nécessité immédiate : je veux parler des Ecoles pratiques de commerce et d’industrie. Le nombre en est trop restreint : nous en comptons à peine une vingtaine contenant près de 2,500 élèves. (1) En ajoutant à ce chiffre
- (1) D’après l'Annuaire de l’enseignement commercial et industriel 1895, les Ecoles pratiques de commerce et d’industrie comptent environ 2,490 élèves ; les Ecoles primaires supérieures professionnelles au nombre de 44 contiennent un
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- un nombre égal d’élèves recevant une instruction semblable dans les Ecoles primaires supérieures professionnelles, nous trouvons au maximum un total de 5,000 jeunes gens au-dessus de 13 ans qui, pendant trois ans, apprennent un métier.
- La population scolaire de cet utile enseignement est infime, si on la compare à celle des lycées et collèges. La raison en est que les établissements d’enseignements professionnels sont de création récente et que le pays n’en a pas encore compris toute l’importance. Mais qu’on n’oublie pas que le recrutement des élèves de ces établissements plonge ses racines dans l’enseignement primaire ( dont l’enseignement professionnel est le complément obligé), dans un contingent de 5 millions et demi d’enfants sur lesquels repose l’avenir du pays presque entier.
- La clientèle des Ecoles pratiques de commerce et d’industrie est exclusivement formée de jeunes gens qui demanderont au travail leurs moyens de subsistance. Devenus ouvriers ou contre-maîtres, ils auront à se préoccuper du taux de leurs salaires et des conditions qui peuvent l’augmenter, le diminuer ou le tarir ; de là, pour eux, un intérêt direct à connaître le mécanisme des Trades-Unions, de la Participation aux bénéfices, de l’Association de production. Négociants régionaux ou exportateurs commerciaux, ils auront à se préoccuper grandement de la concurrence étrangère ou de la compétition locale; ils auront à étudier, à analyser des organismes tels que le Louvre, le Bon Marché, les Wholesales anglaises, écossaises et même des Magasins tels que ceux des simples Sociétés coopératives civiles.
- chiffre d’élèves à peu près égal, suivant un enseignement réellement professionnel. Mais ces notices sur cette dernière catégorie d’écoles sont si incomplètes, que nous n’avons pu relever le chiffré des élèves que dans 17 écoles et le chiffre d’élèves relevé comprend filles et garçons,
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- Lire l’anglais, l’allemand, l’italien, leur sera plus utile que de lire Platon ou les textes d’Horace; car c’est en langues vivantes que s’écrivent l’histoire et la technique du commerce et de l’industrie modernes, et ce sont les faits les plus nouveaux qui devront donner la vie et fournir la substance à leur enseignement.
- De la vieille histoire du monde, nous connaissons surtout les épopées militaires; les antiques influences économiques nous échappent. Mais l’histoire actuelle, l’histoire vivante, n’est plus celle des rois, des généraux. Elle est celle des ingénieurs, des savants, des commerçants, des ouvriers, des travailleurs.
- Toute construction de voie ferrée est un chapitre de cette histoire, chaque station en est une page.
- Nous avons récemment, avidement, violemment, tiré la Chine d’un sommeil séculaire, et à son réveil nous l’avons en quelque sorte obligée d’écrire sur ce grand livre de la chronique humaine : « 1896, Chemins de fer: Tient-Sin, Peking, Hankéou, 1,500 kilomètres. »
- Si, négligeant la portée prochaine d’un pareil événement, nous n’y faisons face, sans tarder, par une large instruction professionnelle, économique et sociale, prenons garde que le chapitre ouvert par nous ne se clôture contre nous.
- A. Fabre.
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- Le Congrès de Woolwich
- La puissance de la coopération anglaise s’affirme par le chiffre considérable des affaires, des bénéfices, qu’elle réalise annuellement, par le nombre des coopératives, des membres qui les composent, et celui des actions possédées par ceux-ci.
- Le 38me Congrès annuel de l’Union coopérative de Grande-Bretagne et d’Irlande qui s’est tenu fin mai à Woolwich, nous apporte une nouvelle preuve de la continuité de son développement. Il résulte, en effet, du rapport communiqué par le Comité central, que le nombre des sociétés qui était de 1,674 en 1894, s’est élevé à 1,711 en 1895; le nombre de leurs membres a passé de 1,343,518 à 1,414,158; le chiffre des actions, de 375,000,000 à 405,000.000; celui des ventes, de fr. 1,249,575,000 à f. 1,312,500,000; les bénéfices, de f. 122,600,000 à f. 135,000,000, et les placements, de fr. 165,000,000 à fr. 241,525,000.
- Les divers facteurs que nous venons d’énumérer sont donc tous en progression. Si, de l’ensemble on passe au détail des opérations réalisées dans les différentes branches de l’activité des coopératives anglaises, la même constatation s’impose. Chacune des industries de la Wholesale anglaise : chaussures, savon, biscuits, confitures, draps, vêtements, meunerie, meubles, imprimerie et papeterie; et chacune des industries de la Wholesale écossaise : chaussures, habillements, meubles et brosserie, minoterie, accuse un chiffre d’affaires supérieur à celui de l’année dernière.
- Le Magasin de gros écossais qui achète chaque année pour 1,500,000 francs de charbon, songe à devenir propriétaire d’une mine de charbon qu’il exploiterait coopérativement. On sait que cette Wholesale pratique envers son personnel et les ouvriers qu’elle emploie à la confection de ses produits, le système de la participation aux bénéfices.
- La banque des Wholesales a fait 249 millions et demi
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- d’affaires, soit 75 millions de plus que l’année 1894 ; ses bénéfices se sont élevés à 194,400 francs.
- Voici un autre élément qui démontre le développement de la coopération en Angleterre : les sociétés de consommation occupent un personnel de 35,000 ouvriers et employés; les sociétés de production comptent 25,830 membres possédant 17,500,000 actions réalisant un chiffre de vente de 55,900,000 fr. et un bénéfice de 2,600,000 fr.
- Le capital moyen de chaque coopérateur est aujourd’hui de 400 fr., qui lui rapportent 125 fr., soit 31,25 %.
- L’exemple d’une telle prospérité serait un stimulant suffisant pour engager les plus indifférents dans la voie de la coopération. Les coopérateurs ne s’en tiennent pas là, et ils multiplient les efforts pour répandre les principes de la coopération et pour lui donner une orientation vers un idéal social supérieur.
- Tel est le double but du Comité d’éducation qui ne se propose pas uniquement d’enseigner les principes de la coopération, mais encore de développer l’instruction générale, de manière à rendre les coopérateurs capables de comprendre leurs devoirs sociaux et de les remplir.
- A cet effet, le Comité a organisé dans les grands centres ouvriers des cours sur la coopération, la tenue des livres, la vérification des comptes; il a publié de nombreuses brochures, multiplié les conférences. Il a fait appel aux professeurs des Universités, aux instituteurs, pour l’aider dans sa mission. Le rapport du Comité central fait connaître que les instituteurs prennent de plus en plus d’intérêt au mouvement coopératif.
- De son côté, la Ligue de propagande des femmes déployé la plus grande activité auprès des institutrices dont plusieurs font partie de la Ligue.
- Fondée en 1883, cette Ligue compte aujourd’hui 9,093 femmes réparties en 200 groupes. Son but est, en premier lieu, de faire des femmes des coopérateurs et de leur apprendre les principes et la pratique de la coopération, ainsi que les autres méthodes de réforme sociale ; en second lieu, de leur faire étudier les meilleurs moyens d’améliorer les conditions de la famille.
- La Ligue a fait une enquête sur la condition du travail des femmes et des filles employées dans les diver-
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- ses sociétés coopératives et les grandes sociétés de gros, elle a apporté son concours actif à une étude que le Département du travail a fait faire sur les salaires, les heures de travail et la situation générale des femmes et des filles dans le royaume.
- Le rapport du Comité central se termine par la liste de plus de 500 ouvrages et brochures de propagande.
- Le Congrès était présidé par M. Ben. Jones, ancien garçon de magasin, plus tard teneur de livres au magasin coopératif de Manchester, puis vendeur, ensuite acheteur, et enfin en 1873, directeur de la succursale de Londres, cette succursale dont le chiffre d’affaires a passé de 3,250,000 francs en 1875, à 50,000,000 aujourd’hui.
- Le discours d’ouverture a été prononcé par un homme de vieille noblesse, le comte de Wincliilsea et Nottin-gham, un des promoteurs de l’Union agricole en Angleterre. Le choix de lord Wincliilsea avait été dicté par une préoccupation analogue à celle qui, en France, a amené les syndicats agricoles et la coopération à se prêter un mutuel appui.
- Lord Winchilsea, après avoir fait remarquer que les 8,000,000 de citoyens britanniques qui vivent de l’agriculture sont à peu près dépourvus de toute espèce d’organisation, a exprimé le désir de voir se fonder une vaste société coopérative pour la concentration et la distribution des produits agricoles du pays.
- Dans un remarquable exposé, des rapports du mouvement coopératif avec le commerce national et international, M. Aneurin Williams, est revenu sur cette question. Il a fait un tableau complet de l’état de la coopération sous ses diverses formes, en Angleterre et dans les autres pays.
- Partant de ce principe que le mouvement coopératif, basé sur l’association libre et l’aide mutuel dans le travail, a pour but de pourvoir à tous les besoins de la vie dans un intérêt commun et de diviser les fruits du travail entre tous conformément à la justice, M. Aneurin Williams a préconisé l’entente des coopérateurs d’un même pays sur tous les points, l’organisation d’un pouvoir directeur et pondérateur dans chaque pays;
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- enfin, l’entente internationale par l’intermédiaire de ces divers pouvoirs.
- En Angleterre, les sociétés sont presque toutes fédérées et sont groupées autour de la Wholesale. Elles arriveront bientôt à créer l’organisation nécessaire pour le bien général.
- Lp Rapporteur constate qu’il ne se fait aucune transaction entre les coopérateurs de différents pays.
- Ces transactions ne peuvent se faire que par l’intermédiaire de grands centres d’achats. Il y en a 2 en Allemagne, 3 en Danemark, 1 en Hollande, 1 qui commence en Belgique, 1 au Texas; celui de la France n’existe plus.
- Quant aux fédérations de producteurs, il y a en France la Fédération des syndicats agricoles, la Chambre consultative des associations ouvrières; cette dernière n’a pas été organisée pour la vente. Il y a des Fédérations agricoles en Allemagne et en Danemark. Mais toutes ces organisations sont loin d’être encore ce qu’il faut.
- En terminant, le Rapporteur recommande l’organisation d’expositions coopératives internationales, la circulation d’échantillons et surtout un comité de ventes et d’achats dans chaque pays.
- Un autre rapport, celui de M. Georges Hawkins, se préoccupe des modifications à faire dans la coopération pour atteindre les masses ouvrières dans les grandes villes, notamment à Londres où l’on a constaté que la coopération n’avait guère de prise sur la population, en raison surtout de l’extrême mobilité de cette population.
- L’expérience a démontré qu’il suffît qu’une année on ne paye pas de dividende pour que la confiance disparaisse. Pour remédier à ce double inconvénient, la Société coopérative du peuple a mis en usage un système des plus ingénieux.
- Elle a déjà cinq succursales et il est établi que si Une succursale n’a pas de bénéfices, les autres viennent parfaire ce qui lui manque. En outre, un coopé-rateur qui change de quartier entre dans une autre Société, dans laquelle il retrouve les mêmes conditions que celles qu’il avait auparavant. Son action lui permet d’être membre de toute Société coopérative de Londres,
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- à sa convenance. Dans peu de temps, Londres possédera, grâce à cette organisation, la société la plus étendue de la Grande-Bretagne.
- Englober dans la sphère d’action de la coopération agricole, industrielle et commerciale l’universalité des produits, et l’universalité des citoyens, tel est le double objectif que signalent les deux rapports lus au Congrès de Woolwich. La coopération embrasse dans son vaste programme la prospérité matérielle et l’amélioration morale de l’individu, de la famille et de la société.
- C’est pourquoi le député ouvrier, Burt, a pu dire que le mouvement coopératif, s’il était fidèle à ses principes, résoudrait la question sociale.
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- BIBLIOGRAPHIE
- L’Extériorisation de la Motricité
- Tel est le titre d’un ouvrage tout récent et déjà à sa troisième édition.
- Le nom de l’auteur — popularisé par la publication de récentes expériences sous un titre analogue : « L’Extériorisation de la sensibilité » — va se formuler sur toutes les lèvres; le lecteur l’a dit avant nous : c’est M. Albert de Rochas.
- Désirant donner une idée exacte de cet important ouvrage, nous ne pouvons mieux faire que d’en reproduire ici la
- PRÉFACE :
- « En 1837, Guizot recevant J.-B. Biot à l’Académie Française, le félicitait d’avoir su, quelques années auparavant, faire admettre, par l’Académie des sciences, la réalité de l’existence des aérolithes, rejetée jusqu’alors au rang des préjugés populaires, en vertu de ce raisonnement attribué à Lavoisier : Il n’y a pas de pierres dans le Ciel, donc il ne peut en tomber.
- » L’Académie, disait M. Guizot, vous désigna pour aller vérifier si, en effet, comme le bruit en courait, une pluie de pierres était tombée dans le département de l’Orne, aux environs de Laigle, et pour étudier à la fois l’authenticité et la nature du phénomène. Il paraissait encore alors si étrange, même au sein de la Compagnie la plus familière avec les nouveautés de la Science, que plusieurs de ses membres ne voulaient pas qu’elle s’occupât publiquement de cette affaire, craignant qu’elle n’y compromît sa dignité. La curiosité savante et indépendante de M. de Laplace décida l’Académie à passer par dessus ces hésitations, et le Rapport que vous lui fîtes, deux mois après, sur votre mission, en démontra pleinement l’à-propos et l’efficacité. Ce rapport est un modèle de sagacité ingénieuse et prudente dans l’investigation d’un fait et dans l’art
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- de le mettre en lumière, en recueillant toutes les circonstances et tous les témoignages qui s’y rattachent. Aucun de nos plus habiles juges d’instruction n’a jamais mis en œuvre, pour découvrir un crime de l’homme, plus de pénétration, de finesse et de patience que vous n’en avez montré, dans cette circonstance, pour constater un trouble apparent de la nature. »
- » Je me propose, dans ce livre, d’établir la réalité d’un fait, au moins aussi en dehors des données de la Science officielle, mais qui a, sur les pluies de pierres, l’avantage de pouvoir être non seulement observé, mais encore expérimenté. Ce fait, c’est la mise en mouvement sans contact d’objets inertes à l’aide d’une force émanant de l’organisme de certaines personnes.
- » Dans un livre précédent, j’ai étudié Y Extériorisation de la sensibilité. Ce phénomène pouvait aussi être expérimenté ; malheureusement, l’expérimentateur, généralement incapable d’éprouver les sensations décrites, devait s’en rapporter au témoignage d’un Sujet.
- » Ici, il n’en va plus de même : toute personne qui .voudra se donner la peine de rechercher, et qui aura la chance d& trouver les occasions favorables, se convaincra, par le témoignage concordant de tous ses sens, que le phénomène de VExtériorisation de la Motricité présente le même degré de certitude que l’un quelconque de ceux sur lesquels s’appuient nos sciences physiques.
- w S’il n’est point encore admis par tout le monde, c’est qu’il est relativement rare et d’une observation difficile. Le domaine de la science, restreint dans l’origine aux faits grossiers et constants, s’agrandit peu à peu par l’étude de ceux qui, par leur délicatesse et leur instabilité, ont échappé à nos prédécesseurs et ont rebuté leur esprit. Mais, comme l’a dit Cari du Prel : « Les forces de la Nature n’attendent point pour entrer en activité, qu’on les ait découvertes et baptisées; elles agissent bien longtemps auparavant et donnent lieu à des phénomènes d’une physique inconnue qu’on nie souvent pendant des siècles, jusqu’au moment où ils s’imposent par la fréquence de leurs manifestations. »
- » L’Antiquité connaissait déjà les tables tournantes, les baguettes divinatoires et les pendules explorateurs.
- » Tant que ces phénomènes n’ont pu être observés
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- qu’au contact, surtout quand on était forcé d’avoir recours aux forces réunies de plusieurs expérimentateurs, l’hypothèse de la supercherie se présentait naturellement à l’esprit; de plus, la petitesse de la plupart des mouvements permettait de les attribuer à des causes accidentelles, comme la trépidation du sol, le souffle des narines, etc.
- » Quand la force développée a été assez grande pour agir à distance et produire des mouvements considérables :
- » Ou bien on a nié de parti pris « Cela est impossible, donc cela n’est pas; »
- » Ou bien on s’est effrayé et on a fait intervenir le diable ;
- » Ou bien enfin, on a essayé d’étudier les phénomènes; mais comme on ignorait les circonstances propres à en favoriser la production, on fût arrêté, le plus souvent, par leur cessation brusque et imprévue, lorsqu’on ne voulait pas se soumettre à des conditions semblant favoriser la fraude.
- )) Depuis une quarantaine d’années cependant, des efforts considérables ont été faits aussi bien dans le nouveau que dans l’ancien monde, pour élucider ces questions qui ont le privilège de passionner les esprits indépendants et avides de vérité. Je ne puis que résumer ici les principaux travaux en m’attachant surtout à ceux dont les auteurs ont un nom dans la science orthodoxe.
- » J’aurais préféré, pour ne point trop effaroucher les nombreux lecteurs, complètement étrangers aux recherches sur lesquelles s’appuiera la science du xxme siècle. (1), me borner dans ce livre à l’exposé des phénomènes spécifiés par son titre ; mais on verra que, s’ils se produisent quelquefois seuls, ils sont le plus souvent accompagnés de manifestations encore plus étranges et qui, d’après des théories qu’il ne me paraît pas encore opportun de développer ici, ne seraient que la conséquence normale de l’accroissement de leur intensité. Passer ces manifestations sous silence, c’eût été exposer l’expérimentateur, osant s’engager dans ces voies nou-
- ai Ceux qui désireraient se mettre au courant de ces recherches devront lire le beau livre de M. Aksakof, intitulé : Animisme et Spiritisme.
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- velles, à tomber dès le premier pas dans des fondrières insoupçonnées.
- » Je prie donc mes lecteurs de ne considérer que comme de' simples renseignements les mentions que j’en ai faites, jusqu’au jour où je pourrai les discuter, à leur tour, en détail. Qu’ils veuillent bien, pour le moment, concentrer toute leur attention sur le fait relativement simple de la mise en mouvement d’un corps inerte sans contact; ce fait, je crois l’avoir établi par des preuves de toutes sortes, ne pouvant laisser aucun doute dans des esprits que n’aveuglent pas les préjugés.
- » Je me suis attaché beaucoup moins à présenter les faits de manière à faire ressortir leur enchaînement qu’à montrer de quelles suspicions ils avaient été l’objet, comment on parvenait à les imiter, quelles circonstances pouvaient laisser croire injustement à la fraude, et de combien de manières diverses ils avaient été contrôlés. Pour cela, j’ai reproduit, autant que possible, malgré leurs longueurs et leurs redites, les procès-verbaux dressés par les témoins ^oculaires, et on sera certainement frappé de la similitude des allures de tous les médiums, qui semblent accomplir les mêmes actes sous l’influence d’une même impulsion physique.
- » J’aurais pu multiplier les arguments à l’appui de ma thèse, surtout pour les phénomènes de lévitation et de maisons hantées, en ayant recours aux histoires de tous temps et de tous peuples; mais, limité par la place, j’ai préféré m’en tenir aux faits les plus rapprochés de nous et les plus propres à porter la conviction dans les esprits façonnés aux méthodes de la science actuelle. C’est ainsi qu’on verra que non-seulement la balance a permis de constater l’augmentation ou la diminution du poids des corps, • sous l’influence d’une force émanée de l’organisme humain, mais encore que les variations de cette force ont été inscrites par des appareils enregistreurs, dans des conditions telles que toute explication basée sur l’hallucination doit être rejetée.
- » Refuser de croire à des affirmations aussi nombreuses, aussi nettes, aussi précises, c’est rendre impossible l’établissement d’une science physique quelconque; car l’étudiant ne saurait exiger d’être le témoin de tous
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- les faits qu’on lui enseigne et dont l’observation est souvent difficile.
- » Refuser de s’occuper de certains phénomènes, quand on est convaincu de leur réalité, par crainte du Qu'en dira-t-on f c’est à la fois s’abaisser soi-même en montrant une faiblesse de caractère méprisable et trahir les intérêts de l’humanité toute entière. Nul ne saurait, en effet, prévoir les conséquences d’une découverte, quand * il s’agit de forces nouvelles : celle qui, il y a cent ans, ne se manifestait que par la contraction des cuisses de grenouilles suspendues au balcon de Galvani, n’est-elle point la merveilleuse source de mouvement et de lumière qui, aujourd’hui, anime nos locomotives les plus puissantes et illumine les côtes de nos continents.
- » Albert de Rochas. »
- Les six séances d’expériences dont nous avons parlé dans Le Devoir de mars dernier (page 177) sont relatées dans ce volume.
- En octobre dernier (Devoir, page 620) à propos de la
- nécessité d’une sanction momie extra-terrestre à fournir par
- les procédés de la méthode expérimentale, seuls acceptables aujourd’hui, nous avons relevé quatre points sur lesquels, d’après M. de Rochas, l’accord ne tardera pas à se faire. Il s’agissait de l’existence, en l’homme, d’un organisme intermédiaire entre l’esprit et le corps, de l’extériorisation possible de cet organisme, etc...
- La même question donne lieu, dans le volume qui nous occupe, à ces paroles, par lesquelles termine l’ouvrage :
- « Je ne me dissimule point que je m’éloigne de plus en plus du„domaine dans lequel un esprit positif devrait se renfermer, d’après les scolastiques qui ont la prétention de limiter la science aux faits qu’ils étudient et aux méthodes qu’ils emploient.
- » Mois n’est-elle point la Science par excellence, la science vers laquelle tendent tous ceux qui, osant porter leurs investigations sur des forces de plus en plus subtiles, commencent à entrevoir le moment où l’homme, assuré par des preuves expérimentales que, de son corpsr peut se détacher pendant la vie quelque chose qui pense et qui sent, en conclura que ce quelque chose peut survivre à
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- la destruction de sa chair et remplacera alors par une conviction inébranlable l’acte de foi chancelant que lui demandent toutes les religions pour régler sa vie présente en vue d’une vie future f »
- Inutile d’insister sur la portée et la Valeur d’ouvrages tels que celui que nous recommandons ici. La pensée que ce genre de travaux intéresse un public assez nombreux pour que l’ouvrage, à peine paru, en soit déjà à sa troisième édition, pénétrera de joie et d’espoir tous les amis du bien social.
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- Par Hector MALOT
- Ouvrage couronné par l’Académie faançaise
- (Suite)
- J’avoue que ce ne fut pas sans un sentiment de satisfaction, lorsque nous fumes sortis de Varses, que je frappai du pied la route sonore, qui retentissait autrement que le sol bourbeux de la mine : le bon soleil, les beaux arbres !
- Avant notre départ, nous avions, Mattia et moi, longuement discuté notre itinéraire, car je lui avais appris à lire sur les cartes et il ne s’imaginait plus que les distances n’étaient pas plus longues pour les jambes qui font une route, que pour le doigt qui, sur une carte, va d’une ville à une autre. Après avoir bien pesé le pour et le contre, nous avions décidé qu’au lieu de nous diriger directement sur Ussel et de là sur Chavanon, nous passerions par Clermont, ce qui n’allongerait pas beaucoup notre route et nous donnerait l’avantage d’exploiter les villes d’eaux, à ce moment pleines de malades, Saint-Nectaire, le Mont-Dore, Royat, la Bourboule. Pendant que je faisais le métier de rouleur, Mattia, dans son excursion, avait rencontré un montreur d’ours qui se rendait à ces villes d’eaux, où, avait-il dit, on pouvait gagner de l’argent. Or, Mattia voulait gagner de l’argent, trouvant que cent cinquante francs pour acheter une vache, ce n’était pas assez. Plus nous aurions d’argent, plus la vache serait belle, plus mère Barberin serait contente, et plus mère Barberin serait contente, plus nous serions heureux de notre côté.
- Il fallait donc nous diriger vers Clermont.
- En venant de Paris à Varses, j’avais commencé l’instruction de Mattia, lui apprenant à lire et lui enseignant aussi les premiers éléments de la musique; de Varses à Clermont, je continuai mes leçons.
- Soit que je ne fusse pas un très bon professeur —
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- ce qui est bien possible, — soit que Mattia ne fut pas un bon élève, — ce qui est bien possible aussi, — toujours est-il qu’en lecture les progrès furent lents et difficiles, ainsi que je l’ai déjà dit.
- Mattia avait beau s’appliquer et coller ses yeux sur le livre, il lisait toutes sortes de choses fantaisistes qui faisaient plus d’honneur à son imagination qu’à son attention.
- Alors, quelquefois l’impatience me prenait, et, frappant sur le livre, je m’écriais avec colère que, décidément, il avait la tête trop dure.
- Sans se fâcher, il me regardait avec ses grands yeux doux, et souriant :
- — C’est vrai, disait-il, je ne l’ai tendre que quand on cogne dessus : Garofoli, qui n’était pas bête, avait tout de suite trouvé cela.
- Comment rester, en colère devant une pareille réponse? Je riais et nous reprenions la leçon.
- Mais en musique, les mêmes difficultés ne s’étaient pas présentées et, dès le début, Mattia avait fait des progrès surprenants, et si remarquables, que bien vite il en était arrivé à m’étonner par ses questions : puis, après m’avoir étonné, il m’avait embarrassé, et enfin, il m’avait plus d’une fois interloqué au point que j’étais resté court.
- Et j’avoue que cela m’avait vexé et mortifié; je prenais au sérieux mon rôle de professeur, et je trouvais humiliant que mon élève m’adressât des questions auxquelles je ne savais que répondre; il me semblait que c’était jusqu’à un certain point tricher.
- Et il ne me les épargnait pas, les questions, mon élève :
- — Pourquoi n’écrit-on pas la musique sur la même clef ?
- — Pourquoi emploie-t on les dièzes en montant et les bémols en descendant?
- — Pourquoi la première et la dernière mesure d’un morceau ne contiennent-elles pas toujours le nombre de temps régulier?
- — Pourquoi accorde-t-on un violon sur certaines notes plutôt que sur d’autres ?
- A cette dernière question, j’avais dignement répondu que le violon n’étant pas mon instrument, je ne m’étais
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- jamais occupé de savoir comment on devait ou on ne devait pas l’accorder, et Mattia n’avait eu rien à répliquer.
- Mais cette manière de me tirer d’afïaire n’avait pas été de mise avec des questions comme celles qui se rapportaient aux clefs et aux bémols : cela s’appliquait tout simplement à la musique, à la théorie de la musique; j’étais professeur de musique, professeur de solfège, je devais répondre ou je perdais, je le sentais bien, mon autorité et mon prestige; or, j’y tenais beaucoup, à mon autorité et à mon prestige.
- Lorsque je ne savais pas ce qu’il y avait à répondre, je me tirais d’embarras comme l’oncle Gaspard, quand, lui demandant ce que c’était que le charbon de terre, il me disait avec assurance : « c’est du charbon qu’on trouve dans la terre. »
- Avec non moins d’assurance, je répondais à Mattia, si je n’avais rien à lui répondre :
- — Cela est ainsi, parce que cela doit être ainsi; c’est une loi.
- Mattia n’était pas d’un caractère à s’insurger contre une loi, seulement, il avait une façon de me regarder en ouvrant la bouche et en écarquillant les yeux, qui ne me rendait pas du tout fier de moi.
- Il y avait trois jours que nous avions quitté Varses, lorsqu’il me posa précisément une question de ce genre. Au lieu de répondre à son pourquoi : « Je ne sais pas », je répondis noblement : « Parce que cela est ».
- Alors, il parut préoccupé, et de toute la journée, je ne pus pas lui tirer une parole, ce qui, avec lui, était bien extraordinaire, car il était toujours disposé à bavarder et à rire.
- Je le pressai si bien qu’il finit par parler.
- — Certainement, dit-il tu es un bon professeur, et je crois bien que personne ne m’aurait enseigné comme toi ce que j’ai appris; cependant...
- Il s’arrêta.
- — Quoi, cependant?
- — Cependant, il y a peut-être des choses que tu ne sais pas; cela arrive aux plus savants, n’est-ce pas? Ainsi, quand tu me réponds : « Cela est, parce que cela est », il y aurait peut-être d’autres raisons à donner que tu ne donnes pas parce qu’on ne te les a pas données à toi même. Raisonnant de cette façon, je me
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- suis dit que si tu voulais, nous pourrions peut-être acheter, oh! pas cher, un livre où se trouveraient les principes de la musique.
- — Gela est juste.
- — N’est-ce pas? Je pensais bieh que cela te paraîtrait juste, car enfin tu ne peux pas savoir tout ce qu’il y a dans les livres, puisque tu n’as pas appris dans les livres.
- — Un bon maître vaut mieux que le meilleur livre.
- — Ce que tu dis là m’amène à te parler de quelque chose encore : si tu voulais, j’irais demander une leçon à un vrai maître, une seule, et alors il faudrait bien qu’il me dise tout ce que je ne sais pas.
- — Pourquoi n’as-tu pas pris cette leçon auprès d’un vrai maître pendant que tu étais seul.
- — Parce que les vrais maîtres se font payer et je n’aurais pas voulu prendre le prix de cette leçon sur ton argent.
- J’étais blessé que Mattia me parlât ainsi d’un vrai maître, mais ma sotte vanité ne tint pas contre ces derniers mots.
- — Tu es un trop bon garçon, lui dis-je, mon argent est ton argent, puisque tu le gagnes comme moi, mieux que moi bien souvent; tu prendras autant de leçons que tu voudras, et je les prendrai avec toi.
- Puis j’ajoutai bravement cet aveu de mon ignorance :
- — Comme cela, je pourrai, moi aussi, apprendre ce je ne sais pas.
- Le maître, le vrai maître qu’il nous fallait, ce n’était pas un ménétrier de village, mais un artiste, un grand artiste, comme on en trouve seulement dans les villes importantes. La carte me disait qu’avant d’arriver à Clermont, la ville la plus importante qui se trouvait sur notre route était Mende. Etait-ce vraiment une ville importante. Je l’ignorais; mais comme le caractère dans lequel son nom était écrit lui donnait cette importance, je ne pouvais que croire ma carte.
- Il fut donc décidé que ce serait à Mende que nous ferions la grosse dépense d’une leçon de musique; car bien que nos recettes fussent plus que médiocres dans ces tristes montagnes de la Lozère, où les villages sont rares et pauvres, je ne voulais pas retarder davantage la joie de Mattia.
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- Après avoir traversé dans toute son étendue le causse Méjean, qui est bien le pays le plus désolé et le plus misérable du monde, sans bois, sans eaux, sans cultures, sans villages, sans habitants, sans rien de ce qui est la vie, mais avec d’immenses et mornes solitudes qui ne peuvent avoir de charmes que pour ceux qui les parcourent rapidement en voiture, nous arrivâmes enfin à Mende.
- Comme il était nuit depuis quelques heures déjà, nous ne pouvions aller ce soir-là même prendre notre leçon ; d’ailleurs nous étions morts de fatigue.
- Cependant Mattia était si pressé de savoir si Mende, qui ne lui avait nullement paru la ville importante dont je lui avais parlé, possédait un maître de musique, que tout en soupant je demandai à la maîtresse de l’auberge où nous étions descendus, s’il y avait dans la ville un bon musicien qui donnât des leçons de musique.
- Elle nous répondit qu’elle était bien surprise de notre question ; nous ne connaissions donc pas M. Espinassous?
- — Nous venons de loin, dis-je.
- — De bien loin, alors?
- — De l’Italie, répondit Mattia.
- Alors son étonnement se dissipa, et elle parut admettre que, venant de si loin, nous pussions ne pas connaître M. Espinassous; mais bien certainement si nous étions venus seulement de Lyon ou de Marseille, elle n’aurait pas continué à répondre à des gens assez mal éduqués pour n’avoir pas entendu parler de M. Espinassous.
- — J’espère que nous sommes bien tombés, dis-je à Mattia en italien.
- Et les yeux de mon associé s’allumèrent. Assurément M. Espinassous allait répondre le pied levé à toutes ces questions ; ce ne serait pas lui qui resterait embarrassé pour expliquer les raisons qui voulaient qu’on employât les bémols en descendant et les dièzes en montant.
- Une crainte me vint : un artiste aussi célèbre consen-tirait-il à donner une leçon à de pauvres misérables tels que nous ?
- — Et il est très occupé, M. Espinassous ? dis-je,
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- — Oh ! oui ! je le crois bien qu’il est occupé ; comment ne le serait-il pas?
- — Croyez-vous qu’il voudra nous recevoir demain matin ?
- — Bien sûr; il reçoit tout le monde, quand on a de l’argent dans la poche, s’entend.
- Comme c’était ainsi que nous l’entendions nous aussi, nous fûmes rassurés, et avant de nous endormir nous discutâmes longuement, malgré la_fatigue, toutes les questions que nous poserions le lendemain à cet illustre professeur,
- Après avoir fait une toilette soignée, c’est-à-dire une toilette de propreté, la seule que nous pussions nous permettre puisque nous n’avions pas d’autres vêtements que ceux que nous portions sur notre dos, nous prîmes nos instruments, Mattia son violon, moi ma harpe, et nous nous mîmes en route pour nous rendre chez M. Espinassous.
- Capi avait, comme de coutume, voulu venir avec - nous, mais nous l’avions attaché dans l’écurie de l’aubergiste, ne croyant pas qu’il fût convenable de se présenter avec un chien chez le célèbre musicien de Mende.
- Quand nous fûmes arrivés devant la maison qui nous avait été indiquée comme étant celle du professeur, nous crûmes que nous nous étions trompés, car à la devanture de cette maison se balançaient deux petits plats à barbe en cuivre, ce qui n’a jamais été l’enseigne d’un maître de musique.
- Comme nous restions à regarder cette devanture qui avait tout l’air d’ètre celle d’un barbier, une personne vint à passer, et nous l’arrêtâmes pour lui demander où demeurait M. Espinassous.
- — Là, dit-elle, en nous indiquant la boutique du barbier.
- Après tout, pourquoi un professeur de musique n’aurait-il pas demeuré chez un barbier ?
- Nous entrâmes : la boutique était divisée en deux parties égales ; dans celle de droite, sur des planches se trouvaient des brosses, des peignes, des pots de ^pommade, des savons ; dans celle de gauche, sur un établi et contre le mur étaient posés ou accrochés des instruments de musique, des violons, des cornets à piston, des trompettes à coulisse,
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- — Monsieur Espinassous ? demanda Mattia.
- Un petit homme vif et frétillant comme un oiseau, qui était en train de raser un paysan assis dans un fauteuil, répondit d’une voix de basse-taille:
- — C’est moi.
- Je lançai un coup d’œil à Mattia pour lui dire que le barbier-musicien n’était pas l'homme qu’il nous fallait pour nous donner notre leçon, et que ce serait jeter notre argent par la fenêtre que de s’adresser à lui; mais au lieu de me comprendre et de m’obéir, Mattia alla s’asseoir sur une chaise, et d’un air délibéré :
- — Est-ce que vous voudrez bien me couper les cheveux quand vous aurez rasé monsieur ? dit-il.
- — Certainement, jeune homme, et je vous raserai aussi si voulez.
- — Je vous remercie, dit Mattia, pas aujourd’hui, quand je repasserai.
- J’étais ébahi de l’assurance de Mattia : il me lança un coup d’œil à la dérobée pour me dire d’attendre un moment avant de me fâcher.
- Bientôt Espinassous eut fini de raser son paysan, et, la serviette à la main, il vint pour couper les cheveux de Mattia.
- — Monsieur, dit Mattia, pendant qu’on lui nouait la serviette autour du cou, nous avons une discussion, mon camarade et moi, et comme nous savons que vous êtes un célèbre musicien, nous pensons que vous voudrez bien nous donner votre avis sur ce qui nous embarrasse.
- — Dites un peu ce qui vous embarrasse, jeunes gens.
- Je compris où Mattia tendait à arriver : d’abord ' il
- voulait voir si ce perruquier-musicien était capable de répondre à ses questions, puis au cas où ses réponses seraient satisfaisantes, il voulait se faire donner sa leçon de musique pour le prix d’une coupe de cheveux ; décidément il était malin, Mattia.
- — Pourquoi, demanda Mattia, accorde-t-on un violon sur certaines notes et pas sur d’autres ?
- Je crus que ce perruquier, qui précisément à ce moment même était en train de passer le peigne dans la longue chevelure de Mattia, allait faire une réponse dans le genre des miennes, et je riais déjà tout bas quand il prit la parole:
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- — La seconde corde à gauche de l’instrument devant donner le la au diapason normal, les autres cordes doivent être accordées de façon à ce qu’elles donnent les notes de quinte en quinte, c’est-à-dire sol, quatrième corde ; ré, troisième corde; la, deuxième corde; mi, première corde ou chanterelle.
- Ce ne fut pas moi qui ris, ce fut Mattia; se moquait-il de ma mine ébahie? était-il simplement joyeux de savoir ce qu’il avait voulu apprendre? toujours est-il qu’il riait aux éclats.
- Pour moi, je restais bouche ouverte à regarder ce perruquier qui, tout en tournant autour de Mattia et faisant claquer ses ciseaux, débitait ce petit discours, qui me paraissait prodigieux.
- — Eh bien, dit-il, en s’arrêtant tout à coup devant moi, je crois bien que ce n’était pas mon petit client qui avait tort.
- Tant que dura la coupe de ses cheveux, Mattia ne tarit pas en questions, et à tout ce qu’on lui demanda, le barbier répondit avec la même facilité et la même sûreté que pour le violon.
- Mais, après avoir ainsi répondu, il en vint à interroger lui-même, et bientôt il sut à quelle intention nous étions venus chez lui.
- — Alors, il se mit à rire aux éclats :
- — Voilà de bons petits gamins, disait-il ; sont-ils drôles !
- Puis il voulut que Mattia, qui évidemment était'bien plus drôle que moi, lui jouât un morceau; et Mattia, prenant bravement son violon, se mit à exécuter une valse.
- — Et tu ne sais pas une note de musique! s’écriait le perruquier, en claquant des mains et en tutoyant Mattia comme s’il le connaissait depuis longtemps.
- J’ai dit qu’il y avait des instruments posés sur un établi et d’autres qui étaient accrochés contre le mur. Mattia, ayant terminé son morceau de violon prit une clarinette.
- — Je joue aussi de la clarinette, dit-il, et du cornet à piston.
- — Allons, joue, s’écria Espinassous.
- Et Mattia joua ainsi un morceau sur chacun de ces instruments,
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- — Ce gamin est un prodige, criait Espinassous; si tu veux rester avec moi, je ferai de toi un grand musicien; tu entends, un grand musicien! le matin, tu raseras la pratique avec moi, et tout le reste de la journée je te ferai travailler; ne crois pas que je ne; sois pas un maître capable de t’instruire parce que je suis perruquier; il faut vivre, manger, boire, dormir, et voilà à quoi le rasoir est bon; pour faire la barbe aux gens, Jasmin n’en est pas moins le plus grand poète de France; Agen a Jasmin, Mende a Espinassous.
- En entendant la fin de ce discours, je regardai Mattia. Qu’allait-il répondre? Est-ce que j’allais perdre mon ami, mon camarade, mon frère, comme tous ceux que j’avais aimés? Mon cœur se serra. Cependant, je ne m’abandonnai pas à ce sentiment. La situation ressemblait jusqu’à un certain point à celle où je m’étais trouvé avec Vitalis quand madame Milligan avait demandé à me garder près d’elle : je ne voulus pps avoir à m’adresser les mêmes reproches que Vitalis.
- — Ne pense qu’à toi, Mattia, dis-je d’une voix émue.
- Mais il vint vivement à moi et me prenant la main :
- — Quitter mon ami! je ne pourrais jamais. Je vous remercie, monsieur.
- Espinassous insista en disant que quand Mattia aurait fait sa première éducation, on trouverait le moyen de l’envoyer à Toulouse, puis à Paris au Conservatoire; mais Mattia répondit toujours :
- — Quitter Remi, jamais!
- — Eh bien, gamin, je veux faire quelque chose pour toi, dit Espinassous, je veux te donner un livre où tu apprendras ce que tu ignores.
- Et il se mit à chercher dans des tiroirs : après un temps assez long, il trouva ce livre, qui avait pour titre : Théorie de la musigue; il était bien vieux, bien usé, bien fripé, mais qu’importait.
- Alors, prenant une plume, il écrivit sur la première page : « Offert à l’enfant qui, devenu un artiste, se souviendra du perruquier de Mende. »
- Je ne sais s’il y avait alors à Mende d’autres professeurs de musique que le barbier Espinassous, mais voilà celui que j’ai connu et que nous n’avons jamais oublié Mattia ni moi.
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- VIII
- LA VACHE DU PRINCE
- J’aimais bien Mattia quand nous arrivâmes à Mende ; mais quand nous sortîmes de cette ville, je l’aimais encore plus. Est-il rien de meilleur, rien de plus doux pour l’amitié que de sentir avec certitude que l’on est aimé de ceux qu’on aime?
- Et quelle plus grande preuve Mattia pouvait-il me donner de son affection que de refuser, comme il l’avait fait, la proposition d’Espinassous, c’est-à-dire la tranquillité, la sécurité, le bien-être, l’instruction dans le présent et la fortune dans l’avenir, pour partager mon existence aventureuse et précaire, sans avenir et peut-même sans lendemain.
- Je n’avais pas pu lui dire devant Espinassous l’émotion que son cri : « Quitter mon ami! » avait provoquée en moi; mais quand nous fûmes sortis, je lui pris la main et, la lui serrant :
- — Tu sais, lui dis-je, que c’est entre nous à la vie et à la mort?
- Il se mit à sourire en me regardant avec ses grands yeux.
- — Je savais ça avant aujourd’hui, dit-il.
- Mattia, qui jusqu’alors avait très peu mordu à la lecture, fit des progrès surprenants le jour où il lut dans la Théorie de la musique de Kuhn. Malheureusement, je ne pus pas le faire travailler autant que j’aurais voulu et qu’il le désirait lui-même, car nous étions obligés de marcher du matin au soir, faisant de longues étapes pour traverser au plus vite ces pays de la Lozère et de l’Auvergne, qui sont peu hospitaliers pour des chanteurs et des musiciens. Sur ces pauvres terres, le paysan, qui gagne peu, n’est pas disposé à mettre la main à la poche; il écoute avec un air placide tant qu’on veut bien jouer; mais, quand il prévoit que la quête va commencer, il s’en va ou il ferme sa porte.
- Enfin, par Saint-Flour et Issoire, nous arrivâmes aux villages d’eaux qui étaient le but de notre expédition, et il se trouva par bonheur que les renseignements du montreur d’ours étaient vrais : à la Bourboule, au Mont-Dore surtout, nous fîmes de belles recettes.
- (A continuer)
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- ASSURANCES MUTUELLES 5ll
- ùUiiiEjirj ui rüiuiLioiiMUi /iooLiiiüiiurjo luiiiE/Lijiio
- MOUVEMENT DU MOIS DE MAI 1896
- ASSURANCE CONTRE LA MALADIE
- Section des Hommes
- Cotisations des mutualistes 2.308 35/
- Subvention de la Société 384 84 3.544 64
- Malfaçons et divers Dépenses 851 45\ 2.489 50
- Boni en Mai.. 1.055 14
- Section des Dames
- Cotisations des mutualistes 405 80)
- Subvention de la Société • 135 25 545 35
- Divers Dépenses 4 30* 483 25
- Boni en Mai... 62 10
- ASSURANCE DES PENSIONS
- Subvention de la Société et divers.... Intérêts des comptes-courants et du 3.950 92j 7.945 92
- titre d’épargne 3.995 »»’
- Fjpnpncipci • 88 Retraités définitifs 5.584 70)
- 28 — provisoires 1.757 70/
- Nécessaire à la subsistance 2.602 15} 10.461 51
- Allocat. aux familles des réservistes.. 10 50
- Divers, appointements, médecins, etc. 506 46]
- Déficit en Mai., 2.515 59
- CAISSE DE PHARMACIE
- Cotisations des mutualistes Subvention de la Société 576 10, 134 lOj 710 20
- Dépenses 835 85
- Déficit en Mai.... 125 65
- RÉSUMÉ
- Recettes sociales du 1er Juil. 1895 au 31 Mai 1896. 101.527 35| .07 » individuelles » » 35.642 05|
- Répenses » )> ........... 159.618 48
- Excédant des dépenses sur les recettes.... 22.449 08
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- 512 ,
- LE DEVOIR
- ÉTAT CIVIL DU FAMILISTÈRE
- MOIS DE JUIN 1896
- Naissances :
- Néant.
- Décès :
- 8 Juillet. Boulard Paul-Arthur, âgé de neuf mois.
- 16 — Besançon Thérèse-Mélanie, âgée de 1 an 11 mois. 29 — Cochet Julienne-Louise, âgée-de 4 ans 1 mois.
- Le Secrétaire, A. Houdin
- Le Gérant: H. E, Buridant»
- ''Nîmes, imp. Veuve Laporte, ruelle des Saintes-Mariés, 7. — 1261
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-
- DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES
- 513
- DOCUMENTS POUR UNE lilOKRUPIIIK COMPLÈTE
- de .T.-B.-André GJ-ODIN («)
- RÉSUMÉ DE L’ESSAI DE REPRÉSENTATION DU TRAVAIL PAR
- les Groupes, Unions de Groupes et Conseils d’Unions
- 1877-1879
- IX
- Exercice du suffrage dans la constitution des Bu* reaux des différents corps. Obstacles actuels à la direction du travail par les travailleurs mêmes.
- Au point où nous en sommes de notre étude sur la Représentation du travail, il est à propos de jeter un coup d’œil sur la façon dont s’exerça le suffrage pour la constitution des Bureaux, dans les Groupes, Unions et Conseils.
- Nous nous bornerons à ce qui se passa dans les corps constitués à l’Usine puisque, — le lecteur, le sait, — nos renseignements sont incomplets en ce qui concerne l’habitation unitaire.
- Rappelons le point de départ : 309 travailleurs sur 1,100 se répartirent dans les 116 Groupes constitués à l’Usine. (Voir notre numéro de février dernier, pages 68 à 74).
- De ces 309 membres, 285 s’étaient inscrits dans 1 à 6 Groupes; 24 dans des nombres divers allant jusqu’à 54.
- Les Groupes étaient le point de départ de la Représentation du travail, puisque c’étaient les président, secrétaire ou délégués de chacun de ces corps primaires, qui constituaient les Assemblées dites Unions de Groupes ; (chaque Union représentant une branche du travail); de même que c’étaient les président, secré-
- (1) Lire le Deooir depuis le mois de mars 1891.
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- 514
- LE DEVOIR
- taire ou délégués de chacune des Unions qui, assemblés, constituaient le Conseil supérieur, dit aussi Conseil général ou Conseil des Unions.
- Voyons donc quels membres étaient appelés au moyen du suffrage, à constituer les bureaux dans ces différents corps.
- Sur les 309 travailleurs classés à l’Usine, nous devons d’abord en écarter 148 qui n’arrivèrent à aucune fonction élective.
- Ces membres étaient classés comme suit :
- 69 dans 1 Groupe.
- 45 » 2 »
- 25 » 3 »
- 5 » 4 »
- 2 » 5 »
- 2 » 6 »
- 148 au total.
- De 148 à 309, il reste 161 membres entre lesquels se répartirent les fonctions électives dans les Groupes d’abord, puis dans les Unions de Groupes, et enfin, dans le Conseil des Unions de l’Usine.
- Certains de ces membres, — le lecteur le sait déjà — occupèrent à la fois plusieurs postes électifs dans différents Groupes ou Unions.
- Nous allons donner le tableau de ces nominations avec les abréviations suivantes :
- P. pour président.
- V.-P. » vice-président.
- S. » secrétaire.
- S.-A. » secrétaire-adjoint.
- M. » membre du Conseil.
- Le chiffre porté dans les colonnes indique le nombre des nominations faites simultanément pour l’individu visé, au moment de la constitution des corps représentatifs du travail à l’Usine, en septembre 1877.
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- DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES
- 515
- (Chaque membre est désigné, ainsi que nous l’avons fait jusqu’ici, par le nombre de ses inscriptions dans les Groupes .et Unions).
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- 1 54 15 7 2 12 1 4 1 1 M.
- 2 23 12 6 3 4 2 1 3 1 M.
- 3 21 7 10 1 3 2 2 M.
- 4 18 7 3 3 1 1 1 1 M.
- 5 15 9 6 4 1 1 3 1 2 M.
- 6 14 6 5 1 3 1 2 1 M. s
- 7 13 5 3 1 3 1 1 1 M.
- . 8 11 7 4 1 2 3 l' 1 S.
- 9 11 5 ^ 5 2 1 1 M.
- 10 10 3 1 2
- 11 9 3 1 1
- 12 9 6 3 3 1 3 M.
- 13 9 3 3
- 14 8 6 1 2
- 15 8 4 3 1 2 2 2 M.
- 16 8 4 3 1 1 M.
- 17 8 3 1 1 2 1 M.
- 18 8 2 1 2 1 1 M.
- 19 7 4 1 2 1 S.-A.
- 20 7 4 1 2 2
- 21 7 3 2
- 22 7 3 1 2 1 1
- 23 7 3 3
- 24 7 2 2
- 25 6 5 2 2
- 26 6 4 2 1 1
- 27 6 3 1 1 1
- 28 6 3 1 1
- 29 6 3 2 2
- 30 6 2 1
- 31 6 2 1 2 1
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- LE DEVOIR
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- 32 6 1 1 . 3 1
- 33 5 4 1
- 34 5 4 2
- 35 5 4 2 2 1 1 M.
- 36 5 3 1 2 1
- 37 5 3 1 2 1
- 38 5 3 2 1
- 39 5 3 1 1
- 40 5 3 1
- 41 5 3 1
- 42 5 3 1
- 43 5 3 2 1 1
- 44 5 3 1 3 1 2 1 M.
- 45 5 2 1 1
- 46 5 2 1 1 1 1
- 47 5 2 1 1 1 1
- 48 5 2 2
- 49 5 2 1
- 50 5 2 2 1 1 1 M.
- 51 5 2 1 1 1 M.
- 52 5 2 1 1 M.
- 53 4 4 1 1 2
- 54 4 3 1
- 55 4 3 1
- 56 4 3 1 1
- 57 4 3 1
- 58 4 2 1
- 59 4 2 1 1 1 1
- 60 4 2 1
- 61 4 2 1
- 62 4 2 1
- 63 4 2 1 1 1 M.
- 64 4 1 2 1 1 M.
- 65 4 1 1 M.
- 66 4 1 2 2 1 M.
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- DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES
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- 2 6
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- 67 4 1 1
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- 74 4 1 1
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- 76 4 1 1 1
- 77 4 1 1 1
- 78 4 1 1 1
- 79 4 1 2
- 80 4 1 1 2
- 81 4 • 1 1 1 1 1
- 82 4 1 1 3 1
- 83 3 3 1
- 84 3 3 1 1 1 1 1 M.
- 85 3 3 3 1 P.
- 86 3 3 1 1 M.
- 87 3 2 1 2 1 1 M.
- 88 3 2 2 1 2
- 89 3 2 1
- 90 3 2 1
- 91 3 2 1 1 1
- 92 3 2 1 1 1
- 93 3 2 1 1
- 94 3 2 1 1
- 95 3 2 1
- 96 3 2 1
- 97 3 2 1
- 98 3 1 1 1 1
- 99 3 1 1 1 1
- 100 3 1 2
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- LE DEVOIR
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- Q ^ . 50 Unions
- Z w Groupes Unions P. V.-P. s. S-.A. P. V.-P. s. S.-A. de l’Usine
- 102 3 1 1 1
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- 107 3 1 1
- 108 3 1 1
- 109 3 1 1
- 110 3 1 1
- 111 3 1 1
- 112 3 1 1
- 113 2 2 1 1 M.
- 114 2 2 1 1
- 115 2 2 1
- 116 2 2 1
- 117 2 2 1
- 118 2 2 1
- 119 2 2 1
- 120 2 2 1
- 121 2 2 1
- 122 2 1 1
- 123 2 1 1
- 124 2 1 1
- 125 2 1 1
- 126 2 1 1
- 127 2 1 1
- 128 2 1 1
- 129 2 1 1
- 130 2 1 1
- 131 2 1 1
- 132 2 1 1
- 133 2 1 1
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- 135 2 1 1
- 136 2 1 1
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- DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES
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- 142 1 1 1
- 143 1 1 1
- 144 1 1 1
- 145 1 1 1
- 146 1 1 1
- 147 1 1 1
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- 149 1 1 1 -
- 150 1 1 1
- 151 1 1 1
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- 154 1 1 1
- 155 1 1 1
- 156 1 1 1
- 157 1 1 1
- 158 1 1 1 1
- 159 1 1 1 1 M.
- 160 1 1 1 1 M.
- 161 1 1 1 1 V.-P.
- f
- Un des premiers points qui, dans le tableau précédent, auront frappé le lecteur est que le vice-président du Conseil des Unions de l’Usine se trouve parmi les membres occupant un seul groupe ; le président, parmi ceux occupant trois groupes ; il notera aussi que le sedé-taire et le secrétaire-adjoint font partie de la minorité des 24 travailleurs sur 309 classés dans plus de 6 groupes.
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- LE DEVOIR
- Il est très regrettable que nous n’ayons pu donner un tableau correspondant pour ce qui concerne les Groupes et Unions de l’habitation unitaire. L’enseignement à tirer eût été mieux caractérisé.
- Exemple : Le vice-président du Conseil des Unions de l’Usine était inscrit, nous venons de le voir, dans un seul groupe à l’Usine. Il occupait simultanément la présidence au Conseil des Unions du Familistère. Donc, il était inscrit dans les Groupes de l’habitation unitaire ; bien que nous ne sachions dans lesquels, et ses facultés étaient assez diverses et assez cultivées pour qu’il s’intéressât à la fois à ces'deux ordres de travaux bien tranchés : les opérations industrielles, les opérations domestiques.
- La même chose se produisit pour M. T. dont nous avons parlé à plusieurs reprises. (1) Lui aussi ne s’inscrivit à l’usine que dans un seul Groupe, celui qui se rattachait directement à ses connaissances spéciales ; il s’inscrivit au Familistère (à notre connaissance) dans 7 Groupes, peut-être dans un plus grand nombre.
- En tous cas, ces deux membres classés chacun dans un seul Groupe à l’Usine, furent d’abord nommés président chacun dans son Groupe ; puis président de l’Union à laquelle se rattachait le Groupe, ce qui les envoyait tous deux au Conseil des Unions ; où enfin l’un d’eux fut élu vice-président.
- Concluerons-nous de ce fait au bien fondé de toutes les élections ? Ce serait puéril. De bonnes nominations furent faites ; mais aussi des travailleurs habiles, de ceux mêmes qui se distinguèrent par des propositions originales et pratiques, n’arrivèrent pas jusqu’aux Conseils où leur présence eut pu être désirée.
- Et pourtant la rareté, le besoin et la valeur des capacités étaient sans cesse rappelés par Godin au personnel qu’il s’efforçait d’entraîner vers l’association.
- (1) Voir nos numéros d’avril et juin derniers, pages 198 et 321.
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- DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES
- 521
- Mais cela ne suffisait pas pour doter l’électeur du sens, si non approfondi au moins général, des mérites à rechercher chez les titulaires des fonctions électives ; car les évolutions intellectuelles sont lentes et, malheureusement, le sens administratif n’a pour ainsi dire pas été cultivé jusqu’ici chez nous, contre-sens inouï dans un pays où la moitié de l’espèce humaine a, le droit de suffrage.
- Ce défaut de culture .du sens administratif — de même que l’insuffisance des capacités — apporte, à l’organisation du gouvernement autonome du travail, des obstacles qui sautent aux yeux quand on les examine d’aussi près que nous le faisons en ce moment.
- Dans la conférence donnée par J.-B.-André Godin au Familistère le 3 janvier 1878, nous avons vu (Devoir de juin 1895 tome 19, pages 321 à 335) qu’il pensait, à cette époque, pouvoir constituer le Conseil d’administration de la future asssociation au moyen du suffrage.
- En effet, rappelant d’abord à grands traits l’organisation des Groupes, Unions et Conseils et montrant que le Conseil des Unions, produit d’une élection à divers degrés, était bien le fidèle représentant des intérêts du travail, il exposait ensuite comment l’organisation appelait un complément indispensable ; le Conseil d’administration destiné à tenir lieu du patron, conseil qui devrait- être composé, par moitié, de représentants du travail et de représentants du capital. Il ajoutait que le trait spécial de l’association, étant précisément de faire que les membres y seraient à la fois travailleurs et capitalistes, c’était finalement le Conseil d’administration dans son ensemble que les Conseils d’Unions auraient à désigner au moyen du vote.
- Les choses ne se passèrent pas ainsi. D’une part, les obligations légales — nous y avons déjà fait allusion dans notre numéro d’août 1895, page 449, — amenèrent Godin à placer la Société du Familistère sous le régime
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- LE DEVOIR
- de la commandite simple, et conséquemment, à lui donner pour chef un administrateur-gérant.
- D’autre part, la tentative de Représentation du travail par les Groupes, Unions et Conseils lui ayant démontré que deux graves obstacles :
- Insuffisance des capacités,
- Insuffisance du sens administratif,
- S’opposaient à ce qu’on pût, quant à présent, se confier au suffrage, pourconstituer au mieux la représentation des intérêts de l’œuvre commune et que de graves oublis pouvaient être faits, Godin prescrivit dans les statuts (art. 82) que les directeurs des principaux services de l’établissement (il y en avait six alors) seraient de droit membres du Conseil de Gérance de l’Association; et il ne laissa à l’élection (par l’assemblée générale des associés) que l’attribution de trois postes de conseillers.
- « Constituer les éléments d’une bonne administration pour une société comme la nôtre est un point qui m’a coûté beaucoup d’études, » disait-il, le 30 septembre 1880, dans une Conférence donnée par lui au Familistère. (.Devoir du 10 octobre 1880, tome 4).
- Il ajoutait, après avoir indiqué les fonctions des directeurs appelés de droit au Conseil de gérance : « Vous pouvez remarquer que tous les principaux services sont représentés. Tâchez maintenant en ce qui vous concerne d’envoyer au Conseil de gérance les meilleurs éléments possibles ; vous contribuerez ainsi à donner à notre association la vitalité et la prospérité qui sont si rarement le lot des industries individuelles..... »
- L’œuvre de Godin, telle qu’elle est, est considérable, qu’on juge de ce qu’elle eût été si le fondateur eût trouvé ce qu’il cherchait : c'est-à-dire à tous degrés de la hiérarchie représentative du travail des intelligences en qui se-fussent réflêtées, pondérées, unifiées les forces réunies :
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- DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES 523
- P en de simples Groupes ; 20 en Unions de Groupes ; 3° en Conseils d’Unions.
- « Supposez » disait-il, dans une conférence en date du 26 septembre 1877 (Devoir tome 18, page 195) « que de cette organisation — Groupes, Unions et Conseils — il résulte une nomenclature parfaite de tous les détails de l’industrie et de l’habitation unitaire, et vous entreverrez quels grands avantages on en tirerait pour la vue complète des besoins de rétablissement et la mise en valeur de ses sources de prospérité. »
- Sans doute, mais il fallait un cerveau comme celui de Godin pour embrasser l’œuvre entière, faire l’exacte appréciation des forces, les pondérer et leur imprimer une direction harmonique.
- Or, il était seul à l’embrasser ainsi, et, si la vue claire chez un seul des nécessités administratives suffit pour la conduite des affaires par un patron, il n’en est plus de même lorsqu’on veut arriver à la direction du travail par les travailleurs eux-mêmes.
- Un tel problème exige un développement général énorme non seulement des capacités, mais aussi du sens administratif.
- Dans le cas particulier que nous examinons ici, il est évident que la capacité d’unifier les actes d’un simple Groupe, puis d’une Union de Groupes, puis d’un Conseil d’Unions eut dû être le trait caractéristique des élus de chacun de ces corps.
- Quelle école pour l’exercice du suffrage dans la nation que ce même exercice dans les affaires industrielles qui, assurant la subsistance journalière de l’individu, s’impose à sa plus sérieuse attention.
- Quel stimulant ce serait pour l’élévation de l’esprit public, si chacun était amené à reconnaître que ce qu’il faut aux divers degrés de la représentation du peuple — qu’il s’agisse de faits industriels, domestiques ou politiques — ce sont des intelligences en
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- LE DEVOIR
- état de comprendre, de pondérer et de diriger vers un but commun : celui du bien général, les forces diverses souvent contradictoires dont on leur remet le soin.
- Mais que d’efforts sont à faire pour amener à ce niveau la généralité des êtres ! Et pourtant, c’est ce qui s’impose aux nations civilisées, si l’on veut arriver à réaliser le gouvernement autonome du travail.
- Sachons donc reconnaître que la culture de l’être humain n’est pas encore ce qu’elle doit être ; et qu’en général la défectuosité du sens administratif est telle que les qualités élémentaires, la condition première même, à rechercher dans les éligibles, sont à peine soupçonnées on peut dire ignorées, de la grande masse des électeurs.
- De bonnes nominations peuvent se produire, nous en avons eu des exemples dans l’essai qui nous occupe, et les élections politiques nous en fourniraient bien d’autres, mais alors elles sont dues surtout à des circonstances heureuses, fortuites, sur lesquelles on ne peut baser la vraie représentation du peuple.
- Nous venons de parler des qualités élémentaires, d’une condition première même, à rechercher dans les éligibles.
- Et quelles sont-elles, nous demandera-t-on? La condition première, voici en quels termes J.-B.-André Godin l’a formulée dans son volume : « Le Gouvernement » (page 195) :
- « Nul n’est vraiment digne de gouverner, de diriger et de conduire les autres, s’il n’est animé avant tout de l’amour de leur propre bien. Et cet amour même n’est point la seule condition nécessaire, il faut y joindre Vintellligence de ce qui est à faire pour réaliser ce bien. »
- . i i
- Ne pouvant reproduire ici tout le chapitre dont nous extrayons ces lignes, nous prions le lecteur de s’y reporter. Il est intitulé : Du mérite et de la. capacité, et traite successivement : Des hommes et des qualités tiéces-
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- DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES 525
- saires au gouvernement. — De l’instruction publique, base de direction dans la société. — De la classification des caractères, des intelligences, des capacités et des vocations par l’instruction publique. (Pages 194 à 228).
- C’est en 1883 que Godin publia ce volume ; mais bien des pages en furent publiées dans les premières années du « Devoir » et à l’époque même qui nous occupe.
- Ainsi, dans le Devoir du 18 août 1878 (page 370), nous lisons :
- « Le problème le plus difficile de notre état social réside dans la constitution des pouvoirs, non seulement des pouvoirs dans l’Etat, mais aussi des pouvoirs dans toutes les directions de la société...
- » Il ne suffit pas de dire aux hommes : « Pratiquez le bien; » il faut leur rendre le bien possible; il faut leur préciser les moyens de le mettre en pratique. Il ne suffit pas de convier chacun au banquet de la vie, il faut pourvoir à ce que la place de chacun y soit assurée...
- » C’est là ce que les progrès de l’industrie mettent en mesure de réaliser aujourd’hui... Il suffit, pour qu’il en soit ainsi, que les hommes comprennent bien que l’association peut seule constituer l’ordre nouveau qui inaugurera le règne de la justice.
- » Mais que d’efforts restent à accomplir ! L'association industrielle du travail et du capital réclame des hommes plus avancés, plus instruits et meilleurs que ne le sont encore les hommes d’aujourd'hui dans toutes les classes, sans exception... »
- Le problème ne cesse de hanter son esprit.
- Dans le Devoir du 21 août 1881 (tome 5, page 530), se trouve une conférence toute entière consacrée à la question « du Gouvernement dans les opérations indus-dustrielles comme dans les opérations sociales. » Nous y lisons :
- e Le grand embarras à tous les degrés de fonctions dans la société est de savoir où trouver les candidats
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- 526
- LE DEVOIR
- réellement aptes à bien remplir les mandats qu’il s’agit de conférer...
- » Nous ne pouvons échapper à la loi commune qui se fait partout sentir à notre époque Vinsuffisance des capacités...
- » Ce qu’il faut, aujourd’hui, c’est inaugurer des institutions qui formeront et mettront en évidence les réelles capacités directrices dont la France a le besoin...
- » Les nécessités d’une bonne direction dans une société comme la nôtre vous initient, mes amis, aux obligations plus graves du gouvernement d’un Etat. Quand il est si intéressant pour votre avenir et celui de vos enfants, pour la bonne marche du travail, d’avoir ici de bons chefs de fonctions, vous comprenez combien il importe au peuple'français tout entier d’avoir de bons, d’habiles députés et sénateurs et des gouvernants du plus haut mérite.
- » Les principes de l’administration sont les mêmes partout. »
- Quant au remède, il se trouve indiqué par Godin dans les pages déjà citées de son volume « Le Gouvernement, » chapitre huitième.
- Il y démontre la nécessité de modifier le régime de l’instruction publique, pour ouvrir à la société les voies nouvelles par le développement des intelligences, et la parfaite utilisation de toutes les facultés tendant au bien général.
- Nous en trouvons la formule concise dans ces extraits empruntés audit volume (( Le Gouvernement )) :
- (Page 205). — « L’instruction publique a pour premier objet le perfectionnement de l’individu; mais elle a pour but supérieur le perfectionnement social. Elle atteindra ce résultat le jour où elle servira de base à la bonne organisation des fonctions et des directions dans la société...
- » Faire des citoyens utiles aux autres autant qu'à
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- eux-mêmes, tel est le but supérieur que doit se proposer l’Etat dans la distribution de l’Instruction publique.
- » Cela suppose une organisation de l’enseignement fort différente de celle qui a existé jusqu’ici... »
- Pages 208 à 211. « Il faut que l’instruction publique soit accordée à tous sans exception, mais de manière à utiliser les aptitudes et les facultés de chaque enfant, à mettre en évidence la puissance intellectuelle et morale de chaque élève.
- » C’est tout un système qui brise avec l’enseignement universitaire. Au lieu de cet enseignement où se perdent les neuf dixièmes des facultés de la jeunesse, il faut ouvrir des écoles spéciales aussi variées que les fonctions des individus dans la société...
- » Au point de vue du développement des capacités et de leur bonne utilisation à la direction et au gouver-vernement des affaires en général, l’organisation de l’instruction publique n’est plus une simple question de pédagogie, c’est un problème qui touche intimement au perfectionnement des directions dans la société.
- » L’expérience autant que la raison nous indiquent que c’est à l’intelligence, à la capacité, au savoir et au mérite moral que doit être confiée la direction des affaires humaines, si l’on veut que celles-ci soient bien conduites.
- » Il n’en pourra être ainsi tant que le discernement de la valeur individuelle ne se fondera que sur des faits accidentels.
- » Le vrai mérite ne peut s’établir que par la constatation continue et régulièrement faite de la valeur de l’individu. *
- » Or, ce discernement des facultés, des aptitudes, des vocations et des mérites ne peut se faire si l’élève n’est suivi avec attention dès son enfance.
- » L’idée des concours et examens, déjà pratiquée dans les hautes études, est entrée dans le sentiment
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- public. Le Gouvernement l’a étendue à l’instruction primaire comme moyen d’émulation ; mais les concours cantonaux constitués dans ce but ne répondent pas plus que les examens dans les Ecoles supérieures à la pensée du perfectionnement du suffrage universel.
- » Pour atteindre ce dernier but, il faut que les concours soient permanents et établis de façon à ce que les élèves passent à la fois, par l’examen d’un jury compétent et par la sanction du suffrage de leurs camarades; la valeur morale et intellectuelle de chacun d’eux sera ainsi mise en relief, en même temps que sa vocation et ses aptitudes.
- » La mise en lumière des valeurs individuelles exige :
- » 1° Une bonne organisation des Ecoles publiques, à tous les degrés de l’enseignement.
- » 2° L’instruction mise en accord avec les fonctions et les carrières civiles, industrielles et commerciales, de façon à permettre le développement de toutes les aptitudes spéciales.
- » 3° Le classement des élèves par le concours devant un jury compétent, et par le suffrage de leurs pairs, depuis l’Ecole primaire jusqu’aux degrés les plus élevés de l’enseignement...
- w Par l’instruction publique ainsi constituée , les mérites individuels seront mis en évidence dès le jeune âge, et la société saura où trouver les capacités dont elle a besoin.
- )) D’un autre côté, le suffrage universel, habitué à s’exercer dès l’école, aura en face de lui des candidats connus pour ce qu’ils valent réellement et à qui le mensonge et l’hypocrisie seraient à la fois inutiles et impossibles... »
- Page 212. « Aujourd’hui la république repose sur la souveraineté du peuple; il faut que notre éducation publique fasse des citoyens et qu’elle les exerce, dès
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- le jeune âge, à l’usage de leurs droits et de leurs devoirs sociaux...»
- Page 213. « Actuellement, le professeur divise ses élèves par ordre de capacité. Des notes sont tenues concernant les devoirs et la conduite de chacun ; il suffira de perfectionner ces mesures et d’y mettre de la méthode pour atteindre le but que je propose.
- » Le degré de savoir sera reconnu et les mérites du caractère seront constatés par le maître et par le vote des élèves, sauf à trouver les moyens d’application en parfaite concordance avec la bonne direction des Ecoles.
- » Ces procédés pratiqués dès’ l’Ecole primaire mettraient en relief les individus capables de suivre avec fruit les Ecoles supérieures. L’Etat interviendrait alors pour rendre ces études accessibles aux enfants ainsi désignés, pauvres ou riches.
- » De cette façon, l’école secondaire ouverte aux capacités et aux véritables aptitudes, présenterait bientôt un contingent de bons élèves que la pauvreté retient aujourd’hui dans l’ignorance, au préjudice et d’eux-mêmes et de la société... »
- Page 217. « L’instruction publique établie d’après le plan que j’indique, procède d’après le même système à tous les degrés de l’enseignement et distribue cet enseignement d’une façon correspondante aux facultés et aux tendances que le concours et l’élection révèlent au sujet de chaque étudiant ou étudiante.
- » L’instruction primaire enseigne à l’enfant tout ce qui est indispensable au citoyen, pour se livrer honorablement aux fonctions manuelles de l’agriculture, de l’industrie et du commerce. Elle initie l’élève aux connaissances vraiment nécessaires au travailleur, à l’ouvrier; elle se donne surtout pour objet de lui faire saisir les applications usuelles de ces connaissances ; elle est, en même temps, une préparation aux études
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- de l’enseignement secondaire pour ceux qui ont les facultés propres à suivre utilement' cette voie... »
- Page 226. « Pour le second degré comme pour le premier, les programmes seraient conçus de telle façon que les notions scientifiques seraient graduellement données à l’élève et constitueraient pour lui un ensemble de connaissances pratiques dont il pourrait toujours faire un fructueux usage, quel que fût le moment de sa sortie des écoles. Les connaissances acquises devraient toujours, par leur bon enchaînement, faciliter au jeune homme et à la jeune fille l’intelligence de la fonction qui leur écherrait... »
- Page 222. « Quel plus noble but la France pourrait-elle envisager que celui de la rédemption du travail et des travailleurs par l’instruction publique inspirant à la richesse l’amour du labeur utile, et élevant le travail au bien-être par l’intelligence et le savoir. La fraternité des classes accomplirait ainsi sa dernière évolution et le bonheur social en serait la conséquence pour tout le monde.
- » Les nations civilisées sont partout agitées de ces secrètes pensées; partout, d’intuition elles comprennent qu’il est nécessaire de donner maintenant à l’instruction publique un nouvel essor... »
- Page 454. « Il ne faut pas se dissimuler' que nous vivons à une époque de transformation et d’enfantement, que l’ordre nouveau s’établira avec plus ou moins de facilité, suivant le bon vouloir et l’intelligence que la nation y apportera. C’est pourquoi l’Instruction publique se place au premier rang des institutions dont l’influence doit le plus contribuer à créer les éléments du progrès social. »
- Il nous est impossible de tout reproduire ici ; le lecteur que le sujet intéresse voudra donc bien se reporter au volume cité.
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- N’abandonnons pas la question sans exprimer avec quel intérêt nous envisageons l’établissement en France des Ecoles pratiques d’industrie et de commerce, parce que ces écoles sont un premier pas dans la voie indiquée comme urgente par le Fondateur du Familistère.
- Dans notre numéro de mars dernier, nous avons émis le vœu de voir ces Ecoles pourvues de chaires d’Economie sociale ; nous ne pouvons qu’en reproduire ici l’idée, les considérations qui précèdent sur l’exercice du suffrage dans les faits industriels ou sociaux n’en démontrant que mieux la nécessité.
- (A suivre)
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- La session ordinaire de 1896
- Les Chambres sont en vacances. Le bilan de la deuxième partie de la session ordinaire de 1896 ne sera pas long à dresser.
- Après avoir tant bien que mal, plutôt mal que bien, terminé la discussion en première lecture de la proposition de loi relative aux sociétés de secours mutuels, la Chambre a abordé la discussion de la proposition de loi modifiant la loi de 1892 sur le travail des femmes, des filles mineures et des enfants. Cette discussion a été interrompue par le vote du projet déclarant Madagascar colonie française et surtout par la discussion du projet d’impôt sur les revenus. L’échec d’une des principales dispositions de ce projet en a amené le retrait par le gouvernement qui a dû faire voter les quatre contributions sur la même base que l’année dernière, et s’empresser de clore la session.
- Cela n’ajoute pas grand chose au mince bagage de la première partie de la session ordinaire de 1896.
- Cette session a été.surtout marquée parla résistance du Sénat au ministère Bourgeois, par la retraite de ce ministère et son remplacement par le cabinet Méline.
- On connaît les démêlés du cabinet radical avec l’Assemblée du Luxembourg. Le ministère Bourgeois, sorti victorieux de 14 interpellations devant la Chambre du suffrage universel, dut se retirer devant le refus opposé par la Chambre du suffrage à deux ou trois degrés au vote des crédits pour la relève des troupes de Madagascar.
- Au ministère Bourgeois succéda le 29 avril le ministère Méline.
- Le lendemain, le nouveau ministère avait à répondre à deux interpellations sur sa formation. Deux autres interpellations ne tardaient pas à suivre, l’une sur la question cléricale, l’autre sur la politique intérieure.
- Plusieurs fois, en outre, M. Méline a fait, avec succès,
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- du vote d’une disposition de loi la condition de sa présence aux affaires.
- Le résultat commun de toutes les interpellations a été de raffermir la situation du ministère visé qu’il fût radical ou modéré.
- On remarquera, du reste, que la Chambre issue des élections de 1893 a toujours donné des majorités suffisantes pour assurer leur existence aux ministères de tendances les plus opposées qui ont pris alternativement la direction des affaires, et que les opinions les plus contradictoires y ont toujours trouvé une majo-rité, la division de la représentation républicaine en deux fractions à peu près égales faisant tantôt de la droite, tantôt du groupe socialiste, l’arbitre de la situation.
- L’appoint des extrêmes a bien pu assurer l’existence des divers cabinets ; il n’a pas suffi pour leur permettre d’agir, si, même il n’a pas été un empêchement à leur action.
- La grande réforme à accomplir c’est la réforme fiscale. De l’avis unanime, il n’y en a pas de plus urgente, parce qu’on est las de l’injustice dans la répartition des charges et parce que la situaiion budgétaire l’exige impérativement.
- Elle a été réclamée par tous les partis ; tous les ministères l’ont placée en tête de leurs programmes. Quelques uns l’ont partiellement entreprise ; les deux cabinets qui ont occupé le pouvoir, au cours de la session qui vient d’être close, en ont fait leur principale préoccupation,
- Ce double effort a abouti a un double avortement.
- La grande réforme du ministère Bourgeois, l’impôt sur le revenu, a été formellement condamnée sous le ministère Méline par la même Chambre qui en avait adopté tout au moins le principe sous le ministère Bourgeois.
- Le ministère Méline, à son tour, a vu s’effondrer sa grande réforme, l’impôt sur les revenus, dès le début de la discussion des articles, après une quinzaine de jours consacrés à la discussion générale.
- La moralité de cette discussion parlementaire de plus de six mois sur la réforme des impôts directs, c’est que la Chambre est impuissante à mettre sur pied un
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- système fiscal quelconque qui puisse être substitué, avantageusement ou non, au système actuel.
- Aucune réforme fiscale n’a pu aboutir pas même celle du régime des boissons qui, après un an d'attente, a été modifiée par le Sénat et devra par suite être de nouveau soumise à la Chambre, pas même la réforme de l’impôt sur les successions qui avait cependant rencontré si peu d’opposition à la Chambre et qui dort encore dans les cartons du Sénat.
- Ce que nous en disons, c’est moins pour regretter l’échec de ce s diverses combinaisons — qui ne se distinguent guère, et si peu encore, que par la différence des dénominations, et sont si éloignées de l’équitable désideratum formulé par Godin et préconisé par le Devoir, — que pour constater une fois de plus la stérilité du travail parlementaire de la session de 1896.
- Quand on déduit de cet énorme passif le vote du projet de loi sur la constitution des Universités, de la proposition de loi sur certains droits civils et sur le gain de la femme et le vote de la loi sur les droits des enfants naturels dans la succession de leur père et mère, loi d’équité relative, promulguée le 25 mars, on se trouve en présence d’une longue série d’avortements.
- Il n’est pas jusqu’au vote du projet de loi déclarant Madagascar colonie française qui ne paraisse une ironie, en intervenant pour consacrer d’une manière définitive la conquête juste au moment où les évènements nous obligent à la recommencer.
- La discussion de la proposition de loi sur les sociétés de secours mutuels semble avoir eu pour effet d’épaissir les ténèbres qui dérobent à la Chambre la connaissance de cette question.
- Et, cependant, ce n’est pas d’aujourd’hui que date l’apparition de cette loi dans nos assemblées délibérantes.
- C’est le 19 mars 1881 que fut soumis à la Chambre un projet de loi relatif aux sociétés de secours mutuels. Le texte en fut discuté deux fois devant la Chambre en 1883, deux fois devant le Sénat en 1886, deux fois également devant la Chambre en 1889, et enfin deux fois encore devant le Sénat en 1892. Il est revenu en discussion devant la Chambre au commencement du
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- mois de mars, puis après une interruption de deux mois et demi, il a été repris le 30 mai.
- L’objet des sociétés de secours mutuels est défini en ces termes dans l’article premier :
- « .Article premier. — Les sociétés de secours mutuels ont pour objet d’assurer à leurs membres participants des secours en cas de maladies, blessures ou infirmités.
- » Elles peuvent aussi constituer des pensions de retraite, contracter des assurances individuelles ou collectives en cas de décès ou d’accidents, pourvoir aux frais des funérailles et allouer des secours aux ascen-cendants, aux veufs, veuves et orphelins des membres participants décédés. »
- La proposition divise les sociétés de secours mutuels en trois catégories : 1° les sociétés^ libres qui se forment sans l’autorisation de l’administration ; 2° les
- sociétés approuvées ; 3° les sociétés reconnues comme établissements d’utilité publique, et qui ont pour règle leurs statuts spéciaux approuvés par le Conseil d’Etat.
- Des avantages communs sont reconnus à ces trois catégories : faculté accordée aux femmes mariées d’en faire partie sans l’autorisation de leur mari ; aux mineurs sans l’autorisation de leur représentant légal; autorisation de contracter à la Caisse des dépôts et consignations des assurances, soit en cas de décès, soit en cas d’accidents, ces assurances collectives pouvant se cumuler avec les assurances individuelles ; déclaration d’incessibilité et d’insaisissabilité des pensions alimentaires jusqu’à concurrence de 360 fr., etc.
- Il convient de dire que le projet a rencontré une vive opposition chez un grand nombre de sociétés intéressées qui redoutent surtout la spécialisation des fonds.
- En ce qui concerne le projet modificatif de la loi de 1892 sur le travail des femmes, des filles mineures et des enfants, le seul résultat tangible de cette discussion inachevée, sur laquelle s’est greffé un débat très étendu sur le collectivisme, a été de nous faire connaître la présente opinion de la Chambre de 1893 sur la question de la journée de huit heures. *
- On sait qu’aux termes de cette loi, les enfants jusqu’à 16 ans ne peuvent travailler que dix heures ; les
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- adolescents de 16 à 18 ans, pas plus de soixante heures par semaine, ni plus de onze heures par jour, les filles „ et les femmes pas plus de onze heures par jour.
- D’après le projet modificatif, le maximum de durée du travail, pour les trois catégories, sera uniformément portée à onze heures, puis, en 1898, à dix heures.
- La fixation à huit heures de la journée de travail dans les mines, a été repoussée par 392 voix contre^ 152, et la même limitation dans les manufactures, usiness chantiers, chemins de fer et magasins, a été rejetée par 430 voix contre 96; enfin, la fixation générale à huit heures avec diminution de moitié pour l’ouvrier ou l’ouvrière de 13 à 20 ans, a été repoussée à une majorité plus forte encore de 430 voix contre 64.
- Immédiatement après cette manifestation négative, la Chambre a interrompu la discussion du projet, laissant en suspens, pour quelques mois encore, la modeste solution proposée par la commission.
- La session ordinaire de 1896 a donc été aussi infructueuse que les précédentes; mais elle mérite de retenir l’attention, car toute la leçon de notre régime parlementaire vient s’y résumer : l’action législative, fonction naturelle des assemblées délibérantes constamment paralysée par la dispute des partis pour le pouvoir exclusif, par les conflits d’attributions entre deux Chambres issues de suffrages différents et jouissant de droits identiques, par l’imperfection de la méthode de travail et le mauvais emploi du temps.
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- LA COOPÉRATION
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- LA COOPÉRATION
- Les prochains Congrès coopératifs
- Le Congrès des Sociétés coopératives françaises de consommation et de production s’ouvrira à Paris, 5, rue Las Cases, dans l’hôtel du Musée social, le 24 octobre prochain. Immédiatement après aura lieu, dans le même local, le deuxième Congrès de VAlliance coopérative internationale.
- L’Alliance organise en même temps, une Exposition internationale coopérative documentaire qui sera ouverte au Musée social, du 24 au 31 octobre, c’est-à-dire pendant la durée des deux Congrès.
- Le Congrès international coopératif qui s’ouvrira le 28 octobre fera suite à celui que l’Alliance a organisé à Londres en 1895.
- L’Alliance, qui veut propager la coopération sous toutes ses formes, a pour but de faire connaître les coopérateurs de chaque pays et leurs oeuvres aux coopérateurs de tous les autres pays, d’élucider la nature des vrais principes coopératifs et d’établir, dans l’intérêt réciproque de tous les coopérateurs , des relations d’affares entre les Sociétés coopératives des différents pays.
- Le Comité français d’organisation est présidé par M. Jules Siegfried, député, ancien ministre du commerce et de l’industrie.'
- Le grand intérêt du Congrès de Paris sera de mettre en contact direct, producteurs et consommateurs, offre et demande, syndicats agricoles et coopératives de consommation. L’utilité de cette tentative ne saurait être contestée et elle doit être applaudie de tous ceux qui veulent résoudre pacifiquement les problèmes sociaux. Il n’y a pas antinomie entre le producteur et le consommateur, il peut y avoir entente et entente féconde. Mais pour arriver à ce but, il faut se rencontrer et se connaître.
- L’Alliance a été fondée à Rochdale, en 1892, par uq
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- groupe de français et d’anglais. A leur tête se trouvait le vénéré et regretté Vansittart Neale. Tous jugeaient bon et utile de mettre dans les divers pays du monde, en face des utopies dangereuses, les bienfaits matériels et moraux offerts aux travailleurs par le développement sans limites de la coopération.
- Ce sont des résultats pratiques vérifiés par l’expérience. Les faits accomplis servent de garants aux promesses de l’avenir.
- La coopération qui a pour bases essentielles la liberté, la propriété individuelle et le principe d’association, augmente le pouvoir d’achat du salaire, favorise l’épargne, pose, entre associés producteurs, le principe de la répartition proportionnelle aux risques et aux concours du capital, de l’intelligence et de la main-d’œuvre, procure le crédit nécessaire aux entreprises ouvrières, et prépare ainsi d’heureuses modifications au mode actuel de la rémunération du travail.
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- FAITS POLITIQUES ET SOCIAUX
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- FAITS POLITIQUES & SOCIAUX
- FRANCE La dépopulation
- Il vient de se fonder une Ligue dont le titre indique suffisamment le but : Y Alliance nationale pour le relèvement de la population française par Végalitè des familles devant les impôts.
- Les hommes auxquels appartient l’initiative de ce mouvement, les docteurs Jacques Bertillon, chefs des travaux statistiques de la ville de Paris, et Javal, membre de l’Académie de médecine, M. Charles Richet, professeur à la Faculté de médecine de Paris, se sont fait un nom comme démographes.
- M. Bertillon surtout a étudié depuis longtemps, avec une application particulière, les mouvements de la population en France. Il résumait, il y a quelques mois, les résultats de ses travaux dans une brochure qui fit quelque bruit : « De la dépopulation de la France et des remèdes à y apporter. »
- La publication des résultats du dernier recensement vient de donner un nouvel aliment aux craintes qu’avaient fait naître pour l’avenir de notre pays les constatations apportées par les précédents dénombrements de la population française.
- En 1886, l’excédent sur 1881 était de 565.380 individus. En 1891, il n’était plus, sur 1886, que de 208.584 unités ; et cette fois, par comparaison avec 1891, la statistique n’accuse plus qu’une augmentation de 133.819 unités.
- Si le mouvement continue, la population ne tardera pas à devenir stationnaire, puis à décroître.
- C’est ce qui se produit déjà sur plus d’un point. Il est même probable que pour l’ensemble le léger accroissement que l’on constate encore est surtout dû à l’immigration, et que le mouvement de décroissance de la population française a déjà commencé.
- A quoi faut-il attribuer le mal? A la diminution du nombre de mariages? Il ne paraît pas que la nuptialité française ait beaucoup diminué. En tout cas, elle reste
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- supérieure à celle de pays qui l’emportent sur nous par la progression de leur population. A la mortalité plus grande chez nous? Mais sous ce rapport nous sommes loin de marcher aux premiers rangs. La cause de la dépopulation de la France tient à l’insuffisante natalité.
- Alors qu’en Suisse, sur 1.000 habitants, la proportion des naissances vivantes est de 27,8; en Suède, de 28,0; en Belgique, de 28,6; en Danemark, de 30,1; en Norwège, de 30,3; en Angleterre, de 30,7; en Hollande, de 33, 5; en Allemagne, de 36,1; en Italie de 36,3; en Espagne, de 36,8; en Autriche, de 37,2; en Hongrie, de 42, 2 et en Russie, de 49,6; elle n’est en France que de 22, 7;.
- Il a cent ans, sur les 98.000.000 d’habitants que les grandes puissances de l’Europe comptaient, 26.000.000 soit 27 0/0 étaient Français; aujourd’hui sur 300.000.00) d’habitants il n’y a plus que 38.000.000 de Français, c’est à dire 12 0/0.
- A cet égard les résultats du dernier recensement, en Allemagne sont assez éloquents par eux-mêmes pour se passer de commentaires.
- La population totale de l’ensemble de l’Empire allemand, malgré une émigration considérable et constante et alors que l’immigration est insignifiante, s'élève actuellement à 52 244.503 habitants, alors qu’elle n’était que de 49.428.570 habitants en 1890. L’augmentation moyenne est de 1, 14 0/0 : l’accroissement total, de 2.816.033 têtes. Depuis la fondation de l’Empire, il n’avait jamais été aussi considérable, la progression moyenne des quatre recensements précédents, ayant été successivement de 1 14 0/0, de 0.70 0/0, 1 06 0/0 et de 1 14 0/0 par année. Actuellement l’Allemagne compte quatorze millions d’habitants de plus que la France.
- Plus sensible encore que l’augmentation de la race germanique est l’augmentation de la race slave qui a doublé en 70 ans, et que dépasse à son tour la race jaune qui double en 40 ans, dans ce match étrange dont la suprématie mondiale est peut-être l’enjeu.
- La fécondité de la race française dans tous les pays étrangers où elle a fait souche, même en Algérie, ne permet pas d’attribuer à une cause physiologique, contre
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- laquelle se briseraient tous les efforts, la décroissance de la natalité dans notre pays.
- En dehors de l’alcoolisme, ce fléau dont on a signalé ici-même les effrayants progrès et l’influence déprimante sur la natalité, la grande, la principale cause de la diminution de celle-ci se trouve dans la stérilité volon taire, qui est elle-même la conséquence de notre état social et de notre constitution économique.
- Il y a unanimité pour reconnaître que l’éloignement du propriétaire terrien pour la division indéfinie de son domaine, d’une part, et les très lourdes charges que s’imposent les familles qui élèvent de nombreux enfants, d’autre part, ont répandu partout aussi bien à la ville qu’à la campagne les pratiques du malthusianisme.
- VAlliance estime que, l’origine même du mal à guérir se trouvant dans notre législation actuelle, les mesures les plus efficaces sont des mesures législatives.
- Partant de ce principe que l’éducation d’un enfant doit être considérée comme une des formes de l’impôt ; la nouvelle association proposera d’abord :
- 1° De modifier profondément le régime des successions ;
- 2° De dégrever complètement d’impôts directs les familles qui auront plus de trois enfants. Pour que le Trésor n’y perde rien, il suffit de charger d’un cinquième celles qui n’auront pas une fécondité suffisante ;
- 3° De réformer dans le même sens (et au moins dans la même proportion) les impôts de succession.
- De ce programme, la partie qui provoquera le moins de divergences d’opinion est celle qui établit le principe du degrèvement complet des impôts directs. On ne saurait considérer comme l’entachant d’un vice rédhibitoire l’objection tirée de ce fait que les exemptions d’impôt favoriseront les familles nombreuses qui ont largement les moyens d’élever leurs enfants.
- En ce qui concerne le mode de compensation pour le Trésor, et les modifications au régime des successions proposées par' XAlliance, elles donneront certainement lieu à discussion, à cause des courants d’opinion contraires qui existent sur cette question ; mais c’est incontestablement là qu’il faut chercher le principal re-hiède au mal.
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- Peut-être le trouverait-on dans l’établissement d’une prime combinée avec l’allègement de l’impôt, prime qu’ali menterait un système de co-hérédité de l’Etat ne por. tant pas atteinte au principe de l’égalité des partages sur lequel il serait aussi inutile qu’injuste d’essayer de revenir.
- Dans la Revue socialiste (octobre 1889) M. Rouanet propose :
- 1° Que la loi successorale divise au moins en trois parties égales toute succession ;
- 2° Chaque partie est afférente à l’un des héritiers directs, l’Etat se substituant aux héritiers directs, qui font défaut.
- Exemple : Un chef de famille vient à mourir, laissant trois, quatre, cinq enfants ou plus. L’héritage est divisé en autant de parts qu’il y a d’enfants. Si, au contraire, il laisse moins de trois enfants, la succession n’en est pas moins partagée en trois, l’Etat se substituant aux enfants héritiers absents.
- Ainsi, dans une succession où deux héritiers directs sont en présence, l’Etat est co-héritier du tiers. N’y a-t-il qu’un fils unique, l’Etat est co-héritier des deux tiers. La successio'n tout entière lui est dévolue, à défaut d’aucun héritier direct.
- M. Rouanet fixe à trois le chiffre minimum des divisions successorales, parce que ce coëfïiciant de natalité par ménage est la limite extrême de l’équilibre de la population que le système de co-hérédité de l’Etat assurerait en déjouant les calculs des chefs de famille.
- Les dégrèvements et primes faciliteraient l’essor de la population au delà de cette moyenne minima.
- Nous rappellerons, à ce sujet, que c’est à l’hérédité de l’Etat, basée sur le droit de tout être humain à une part du fond naturel, que Godin demande les ressources indispensables à l'organisation des institutions générales qui garantiront les familles laborieuses contre la privation du nécessaire.
- Avec l’assurance du nécessaire telle que la définit Godin, dans ses œuvres, telle qu’il a organisée dans l’Association du Familistère qui assume sur ce point des charges qui incombent à l’Etat, avec cette assurance nationalement organisée, le problème de la dépopulation serait résolu.
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- Les moyens de propagande adoptés par YAlliance nationale pour le relèvement de la population française sont des conférences publiques et des publications à bas prix. La société s’efforcera de plus de provoquer les discussions de tous les corps constitués.
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- Statistique syndicale
- L’Office du Travail publie son travail annuel sur le mouvement syndical en France. Des observations faites, il résulte que ce mouvement a subi la progression suivante depuis la promulgation de la loi de 1884 :
- En 1884, le nombre des syndicats professionnels était de 175; en 1888, il y en avait 2,123; .en 1891, 3,253; en 1894, 4,965, et en 1895, 5,146.
- Quant au nombre d’adhérents, il était de 481,433 en 1891, de 933,228 en 1894 et de 979,098 en 1895.
- Enfin, les Bourses de travail étaient au nombre de 37, avec 658 syndicats et de 73,858 adhérents en 1894; l’année dernière, elles n’étaient plus que de 34, mais le nombre des syndicats adhérents était de 586, avec 199,382 ouvriers.
- Les syndicats patronaux ont 124 journaux, 97 offices de placement, 73 bibliothèques, 64 caisses de secours mutuels, 16 écoles professionnelles et 9 caisses de retraite; depuis 1884 il existe 102 syndicats médicaux qui ont pour but de sauvegarder leurs intérêts et d’établir un tarif minimum pour les visites et les consultations.
- Les syndicats ouvriers ont aussi diverses institutions dont les plus importantes sont : bibliothèques 410, caisses de secours mutuels 297, offices de placement 295, cours professionnels 113, secours de routes 293, caisses de chômage 94, caisses de prévoyance 45, journaux et bulletins 42, sociétés coopératives de consommation 36, caisses de retraite 30, sociétés de production 17.
- Les syndicats mixtes réunissant patrons et ouvriers d’une même profession ont peu prospéré jusqu’ici; ils comprennent 173 syndicats et 31,126 membres, tandis que l’année précédente ils comprenaient 177 syndicats et 29,124 membres.
- Les syndicats agricoles sont au nombre de 1,488 avec 398,048 membres.
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- Les départements qui comptent le plus de syndicats sont : la Seine, 776 : 383 patronaux, 346 ouvriers, 34 mixtes et 13 agricoles; le Rhône, 221, dont 71 patronaux et 123 ouvriers ; les Bouches-du-Rhône, 221, dont 77 patronaux et 109 ouvriers; le Nord, 175; la Gironde, 165; la Loire, 158; l’Isère, 139, etc.
- Ceux qui comptent le plus de syndiqués sont : la Seine 287,358, le Nord 36,434, le Pas-de-Calais 33,420, le Rhône 30,709, les Bouches-du Rhône 29,492, la Loire 23,220, etc.
- Les industries contenant le plus de syndicats sont ; l’agriculture 1,188, la viticulture 324, la boulangerie 222, l’imprimerie 174, la pharmacie 169, la métallurgie 148, le tissage et la filature 129, la menuiserie 120, les boissons 113, la chaussure 107, la médecine 102, etc., etc.
- Les professions représentées par les syndicats sont au nombre de 590.
- La capacité des syndicats
- On sait qu’en l’absence de dispositions légales, la question de la capacité des syndicats professionnels de recevoir à titre gratuit est très controversée. Or, un jugement rendu naguère par le tribunal civil de la Seine tranche cette question dans un sens favorable aux syndicats. Voici dans quelles circonstances cette décision est intervenue.
- M. Montchaussée, qui avait exercé avec succès la profession de tapissier, a eu la généreuse pensée de léguer à la chambre syndicale des patrons tapissiers deux rentes de 365 francs chacune, destinées l’une à un vieil ouvrier, l’autre à une vieille ouvrière ayant appartenu à cette industrie. Ses héritiers s’opposèrent à la délivrance du legs, en excipant de l’incapacité des syndicats professionnels de recevoir des dons ou des legs.
- Le'tribunal a décidé :
- lô Que les syndicats professionnels avaient capacité pour recevoir à titre gratuit;
- 2° Et qu’ils n’avaient pas besoin, comme les établissements reconnus d’utilité publique, d’obteniri l’autorisation du gouvernement.
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- LA QUESTION DE LA PAIX
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- U A. QUESTION 13E LA PAIX
- Unions internationales
- La réunion au ministère des travaux publics de la Conférence internationale des chemins de fer, a appelé l’attention sur ces Unions internationales datant à peine d’une trentaine d’années, et qui rendent de si grands services à l’œuvre de la paix universelle.
- Voici comment les définissait à cette occasion l’éminent professeur à l’Ecole de droit de Paris, M. Renault :
- « Les Unions internationales, disait-il, désignent les conventions qui, au lieu d’intervenir entre deux ou trois Etats dont les intérêts généraux sont exclusive-ment pris en considération, sont conclues entre un assez grand nombre d’Etats, qui se placent à un point de vue plus général, de telle sorte que le règlement adopté par eux peut aussi convenir à d’autres Etats, et être acceptés par ceux-ci. »
- C’est dans ces vues et d’après ce principe que fut fondée, à Paris, le 17 mai 1865, la première de ces Unions, l’Union télégraphique. Puis successivement furent créées, en décembre 1865, l’Union monétaire; en 1874, l’Union postale; en 1875, l’Union du mètre; en 1877, l’Union phylloxérique ; en 1883, l’Union de la propriété industrielle; en 1886, l’Union de la propriétaire littéraire; en 1890, l’Union pour les transports de marchandises par chemins de fer, et l’Union pour la publication des tarifs douaniers.
- L’idée continue d’ailleurs à faire des progrès, d’autres Unions sont en projet, une entre autres dont la proposition faite en 1892, par l’Institut de droit international, a été reprise par la Suisse en 1894 : l’Union pour la publication des traités.
- Ces Unions presque toujours sont complétées par des Congrès et des Conférences qui se réunissent périodiquement dans les diverses capitales, et sont de puissants instruments de rapprochement et de fraternité entre les peuples.
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- Les Conférences internationales qui se réunirent à Berne en 1878, 1881 et 1886, aboutirent à la signature, le 14 octobre 1890, de la Convention de Berne, qui forme un véritable code de droit international sur le transport des marchandises par chemins de fer.
- Cette Convention établit une Union des puissances contractantes ; elles répondent solidairement du bon état des marchandises expédiées d’un pays à l’autre.
- Pour compléter cette organisation, un organe central de l’Union a été fondé à Berne; il est chargé de réunir les documents et de résoudre, par voie d’arbitrage, les différends qui peuvent surgir entre adhérents.
- Le Bureau international des chemins de fer — tel est son titre — est donc un véritable tribunal permanent.
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- MOUVEMENT FÉMINISTE
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- MOUVEMENT FÉMINISTE
- Le rôle politique des femmes
- La Revue féministe a publié, dans son numéro du 30 avril dernier, la lettre suivante :
- « A Madame la Directrice de la Revue Féministe,
- » Madame,
- » Dans l’article : le Suffrage politique des femmes, de M. R. de la Grasserie, que publie le numéro 3 de la Revue, je relève cette opinion qu’il y aurait tout avantage à remplacer le Sénat actuel par une assemblée de femmes ; on obtiendrait ainsi, ajoute l’auteur, une chambrée conservatrice qui présenterait plus d’homogénéité que celle que nous possédons aujourd’hui.
- » Sans vouloir critiquer en aucune façon la valeur de cette idée, je me permettrai, cependant, de faire remarquer qu’elle est loin d’être neuve. M. Godin, le fondateur du Familistère de Guise, l’avait déjà exprimée en 1883 dans son ouvrage : Le Gouvernement, ce qu’il a ÉTÉ, CE qu’il DOIT ÊTRE.
- » Après avoir montré que le suffrage politique, dit universel, ne le sera réellement que le jour où les femmes voteront, cet auteur ajoute : « Si les droits sociaux de la femme sont en principe les mêmes que ceux de l’homme, ils doivent s’exercer séparément; l’influence féminine se présentera ainsi libre et entière dans sa part d’action. On J a admis jusqu’ici qu’il fallait un organe pondérateur aes décisions de l’assemblée législative ; qu’il était sage d’éviter dans la confection des lois les effets de la passion et de l’entraînement; que la loi devait être purifiée au creuset de la raison; j’ajouterai qu’elle doit être alliée aux inspirations du cœur... Eh bien, c’est à l’intervention de la femme que la loi devra de revêtir ce caractère véritablement social. Ce sera un beau rôle pour la femme que d’être appelée, par l’institution d’un collège électoral spécial, à compléter le suffrage universel, et à faire pénétrer dans
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- la vie politique l’influence féminine en élisant et composant le Sénat. L’utilité des deux Assemblées se démontrera alors par ses bons effets. Les deux Chambres représenteront réellement la société entière; elles donneront à la loi ce caractère d’équité, de justice et d’universalité qui lui fait aujourd’hui défaut. »
- » Veuillez agréer, etc. » V. Vincent. »
- Le suffrage des femmes en Angleterre
- Une pétition en faveur du suffrage des femmes a été exposée dans Westminster Hall, à Londres, en attendant d’être présentée à la Chambre des communes.
- Elle est signée par 257,000 femmes, dont 57,800 habitent des villes, 140,700 les campagnes d’Angleterre et du pays de Galles, 51,270 les comtés écossais, 7,320 les districts ruraux de l’Irlande.
- Au nombre des signataires figurent presque toutes les directrices de collèges et maîtresses d’écoles du Royaume-Uni et la plupart des femmes qui se sont distinguées dans la carrière médicale, dans la littérature ou dans les arts.
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- L’enseignement secondaire des jeunes filles
- Il existe aujourd’hui 1 école normale à Sèvres, 32 lycées, dont 5 à Paris, auxquels il convient d’ajouter le lycée de Tunis, 3 lycées provisoires, 27 collèges, 1 collège provisoire. Le régime des lycées et collèges de jeunes filles est l’externat. Mais certaines municipalités ont annexé à leur compte, un internat à leur lycée ou collège.
- L’école de Sèvres compte 75 élèves.
- La population des lycées est de 7,163 élèves, savoir ; 3,108 dans les classes primaires, dont 686 dans la classe enfantine existant dans 30 lycées; 4,055 dans les classes secondaires. Ces 7,163 élèves comprennent : 3,680 exter-nés, 1,797 externes surveillées, 306 demi-pensionnaires, 980 pensionnaires. Dans ce nombre sont comprises 655 boursières.
- La population des collèges est de 3,250 élèves ; 1,548
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- dans les classes primaires, dont 433 dans la classe enfantine, et 1,702 dans les classes secondaires. Ces 3.250 élèves dont 204 sont des boursières, comprennent 1,398 externes, 1,036 externes surveillées, 104 demi-pensionnaires et 712 pensionnaires.
- Le personnel des lycées comprend : 35 directrices (21 agrégées, 2 licenciées, 2 pourvues du certificat d’aptitude à l’enseignement secondaire de jeunes filles, 1 bachelier, 9 possédant un brevet primaire); 163 professeurs-femmes (86 agrégées des lettres, 54 agrégées de sciences, 23 agrégées de langues vivantes) ; 82 maîtresses chargées de cours (24 pour les lettres, 16 pour les sciences, 42 pour les langues vivantes); 17 professeurs et 14 maîtresses chargées de cours de dessin; 19 maîtresses de travaux à l’aiguille ; 11 maîtresses de chant ; 13 maîtresses de gymnastique; 35 économes; 137 maîtresses-répétitrices, dont 4 chargées de la surveillance générale et 29 stagiaires à l’économat.
- Les internats municipaux ont, de plus, à leur tête, une sous-directrice qui a sous ses ordres un certain nombre de maîtresses-surveillantes. Ils sont gérés par l’économe de l’externat, sauf à Montpellier et à Chambéry, où ils sont confiés à un comptable municipal.
- Le personnel des collèges compte : 26 directrices (9 agrégées, 11 pourvues du certificat d’aptitude, 2 bacheliers, 4 munies d’un brevet primaire); 123 professeurs-femmes (55 pour les lettres, 41 pour les sciences, 27 pour les langues vivantes) ; 20 maîtresses chargées de cours (lettres) ; 74 institutrices primaires ; 42 maîtresses-surveillantes de l’externat; 2 professeurs et 9 maîtresses chargées de cours de dessin; 1 maîtresse de chant; 1 maîtresse de gymnastique.
- Les renseignements qui précèdent sont empruntés à une récente édition du recueil publié par M. Camille Sée, de tous les documents, rapports, décrets, arrêtés, circulaires relatifs aux lycées et collèges de jeunes filles, à la création desquels M. Camille Sée prit une si grande part.
- Alors que les statistiques officielles sont en retard de Plusieurs années, le recueil de M. Sée7 donne la décomposition de la population scolaire et le tableau du personnel enseignant des lycées et collèges de jeunes filles su mois de mars dernier.
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- Les femmes dans les conseils scolaires
- Noos avons dit que la Ligue française pour le droit des femmes avait demandé l’admission des femmes dans les commissions scolaires et les délégations cantonales.
- Le conseil municipal de Paris s’est déclaré favorable à cette requête et plusieurs maires ont demandé des noms de candidates pour les appuyer.
- Quant à l’administration des Caisses des Ecoles, la Ligue usera de toute son influence pour faire que les divers arrondissements de Paris imitent le XVIIIe, où Mmes Maria Martin et Marie Bonnevial sont admises à examiner comme les hommes et avec eux, les questions de nourriture et de vêtements pour les enfants.
- De son côté, le Congrès de la Ligue de l’Enseignement, réuni le mois dernier à Rouen, a émis un vœu favorable à l’admission des femmes dans les délégations cantonales.
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- Les étudiantes
- Poignée de nouvelles cueillies dans la Revue internationale de VEnseignement, (numéros de février, mars, mai : )
- Autriche-Hongrie. — Sur la proposition du ministre de l’instruction publique, S. M. l’empereur et roi av octroyé aux femmes la permission de se faire inscrire aux cours de médecine, de pharmacie et de philosophie de l’université de Budapest. Toutefois, le ministre devra se prononcer spécialement sur chaque demande d'immatriculation émanant d’une personne du sexe féminin. A été prise également en considération la proposition tendant à établir des cours de langue latine dans les écoles secondaires des jeunes filles, en vue de préparer les élèves à l’enseignement de l’Université.
- Suède et Norwège. — Lund : On compte en 1893-1894, 12 étudiantes à l’Université de Lund. De ce nombre 8 suivaient les cours de l’Université de philosophie, 4 ceux de la faculté de médecine.
- Les examens suivants ont été passés, en vue de la
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- licence : philosophie, 1 ; en vue du diplôme de candidat : droit 1, médecine 2.
- Stocholm : Examens : 1 candidat du sexe féminin.
- Upsal : On a compté durant le semestre 1894-1895, 23 étudiantes à l’Université d’Upsal, dont 8 nouvellement inscrites.
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- Suisse. — D’un document publié par le bureau fédéral de statistique, il ressort que le total des élèves de l’enseignement supérieur helvétique s’élevait en 1894-1895, non compris le Polytechnicum de Zurich a 3119 étudiants réguliers et 694 auditeurs libres.
- A noter dans ce total 362 étudiantes et 238 auditeurs libres, soit 600 femmes.
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- Angleterre. — A l’Université de Londres la proportion des candidats féminins continue à s’accroître.
- A la fin du dernier semestre universitaire deux jeunes filles ont affronté avec succès les examens classiques et ceux des sciences abstraites à l’Université de Cambridge.
- Elles ont obtenu toutes deux, seules de leur promotion, la mention cum laude.
- A propos de ce succès nouveau des jeunes étudiantes dans des matières autrefois réservées auxhommes< et sans sortir de l’Angleterre, il nous est permis de citer l’opinion de l’éminent professeur d’Oxford M. Max Muller, tel qu’il l’a exprimée dans une interview relatée par la Gazette de Francfort :
- « Autrefois, » aurait déclaré l’illustre maître, « j’étais l’ennemi déclaré des hautes études féminines ; mais aujourd’hui, je suis converti, et je considère comme un des plus grands progrès de notre temps l’admission des femmes à ces sortes d’études.
- » C’est un plaisir d’observer le zèle des jeunes filles. Les garçons travailent le moins qu’ils peuvent, les jeunes filles le plus qu’elles peuvent, très-souvent même plus qu’elles ne peuvent. D’autre part, elles ont une façon d’étudier plus systématique et une faculté d’assimilation plus grande que les garçons.
- » Je souhaite que les hommes rentrent en eux-mêmes et apprennent des femmes...... à apprendre ! »
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- Réforme des lois du divorce aux Etats-Unis
- Une correspondance adressée de Washington au Temps nous apprend qu’une loi fédérale récente fixe à un minimum d’un an la durée de la résidence dont on devra dorénavant faire la preuve pour obtenir le divorce dans les territoires.
- On sait qu’on désigne aux Etat-Unis sous le nom de « territoires » les régions qui n’ont pas encore été admises au rang d’Etat de l’Union. Au contraire des Etats qui sont souverains et ont chacun leur législation propre, les territoires reçoivent leurs lois du Congrès fédéral.
- Jusqu’à présent, les gens pressés de plaider en divorce pouvaient aller se fixer dans un territoire, où la qualité de résident n’était subordonnée à aucune durée légale, et ils y obtenaient leur liberté avec une extrême facilité, ce qui a fait dire que les conducteurs de trains annonçaient l’arrivée à certaines stations de la manière suivante ; « X...., dix minutes d’arrêt ! Les voyageurs qui désirent divorcer descendent de voiture! »
- La nouvelle loi, met fin à cet état de choses.
- Ajoutons que ce résultat est dû aux efforts de la « Ligue nationale pour la réforme des lois du divorce. »
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- Les femmes et les sociétés de secours mutuels
- Au cours de la discussion du projet de loi sur les secours mutuels, la Chambre a décidé, sur la proposition de M. Maurice Faure, que les femmes pourront faire partie du Conseil supérieur des sociétés de secours mutuels.
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- NOUVELLES DU FAMILISTÈRE'
- Admissions dans la Société
- Le Conseil de Gérance de la Société du Familistère, dans sa réunion du 25 juillet dernier, a admis en qualité de Participants : 62 membres résidant à Guise, dont 54 hommes et 8 femmes ; et 20 membres résidant à Laeken-lez-Bruxelles (Belgique), dont 3 femmes et 17 hommes.
- Le 24 du même mois, le Conseil avait conféré la qualité de Sociétaire à 14 travailleurs : 3 femmes et 11 hommes, demeurant au Familistère de Guise, et à 3 travailleurs demeurant au Familistère de Laeken.
- Le dimanche 9 août suivant, les Associés réunis en Assemblée générale extraordinaire, procédèrent, par les formalités statutaires, à la nomination de 19 nouveaux associés, dont 10 habitent le Familistère de Guise et -9, le Familistère de Laeken. Deux femmes sont au rang des nouveaux associés.
- Voici les noms des 19 admis :
- Guise. — MM. Chimot Jules. — Dirson Paul — Lairloup Léonard — Legrand Eugène — Marchand Gaston — Maréchal Paul — Mesdames Meufroy et Migrenne— MM. Noizet Emile — Tenière Ernest.
- Laeken : Beckaert François — Borremans Jean — De Ceuster Louis — Demazy Désiré — Kétels François — Mercken Antoine. — Mercken Jacques — Mercken Jean-Baptiste — Van Opstal Henri.
- Comité de conciliation
- Les 13-14 août dernier, le Comité de conciliation a été renouvelé selon les prescriptions statutaires.
- MM. Quent Aimé et Piponnier Antoine, commissaires sortants, ont été réélus au premier tour de scrutin. M. Baillot Virgile nouveau commissaire, a été élu au second tour.
- Candidats aux Ecoles de l’Etat
- Trois élèves des Ecoles du Familistère :
- Allart Emile, Hébert Marcel et Macaigne Léon ayant été, après examen, désignés par la Commission scolaire comme aptes à poursuivre leur admission aux Ecoles de l’Etat, la proposition de porter au compte de l’Association les frais d’étude de ces élèves a été — selon les prescriptions statutaires — soumises aux Associés. Ceux-ci, dans leur Assemblée générale du 9 août, ont voté en faveur de la dite proposition.
- En conséquence, les trois élèves dont il s’agit vont être envoyés h l’Ecole nationale professionnelle d’Armen-tières (Nord).
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- BIBLIOGRAPHIE
- La Bibliothèque du journal Y Emancipation, 4, plan de l’Aspic, Nimes (Gard), vient de s’enrichir de deux nouvelles brochures de propagande qu’elle met en vente au prix de 30 centimes, chacune.
- Ces deux brochures sont dues à notre ami et collaborateur, M. Auguste Fabre.
- L’une est intitulée :
- Les Sky scratchers ou les hautes maisons américaines.
- L’autre,
- La Concurrence asiatique et l’avenir des ouvriers européens.
- Nos lecteurs en ont vu le texte dans le Devoir, mais seront certainement heureux de pouvoir le retrouver sous cette forme si favorable à la vulgarisation des idées.
- Rappelons que deux autres brochures publiées précédemment par M. Aug. Fabre, sont en vente à la même Bibliothèque :
- Deux épisodes de la vie de Robert Owen, 0 fr. 20-
- Un Socialiste pratique, Robert Owen, volume de 150 pages, prix : 1 franc.
- Quant à la pensée dominante de M. Aug. Fabre dans ses diverses publications, nous ne pouvons mieux la rappeler à nos lecteurs qu’en donnant ici quelques extraits de l’article de M. T. L..., dans VEmancipation, à propos du livre : Un Socialiste pratique, Robert Owen.
- M. T. L... s’exprime ainsi :
- « Socialiste pratique, ces mots qui ont l’air de jurer, conviennent à Robert Owen, et nul plus que M. Fabre n’était qualifié par son passé et par son caractère, pour être l’historien d’un pareil héros.
- « Ce petit livre est écrit, en effet, selon la méthode pratique. Il n’y faut pas chercher les fioritures du style ni les discussions de théories où les historiens prennent d’ordinaire prétexte à s’étaler eux*mêmes,
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- BIBLIOGRAPHIE
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- » Rien n’est omis cependant de ce qui importe. Les données biographiques sont précises, mais suffisantes; les conditions du milieu où s’est exercé l’action d’Owen, celles qui ont contribué à déterminer son opinion et sa conduite, sont décrites avec exactitude et impartialité. On est d’abord surpris, et presque froissé, de ce récit sobre et froid d’une vie si ample et si belle; mais bientôt on est gagné par l’admiration, les jugements que les faits comportent se présentent à l’esprit et l’on finit par être reconnaissant à l’historien qui a amené ses
- LECTEURS A PENSER PAR EUX-MÊMES... »
- Oui, c’est là le trait marqué du style de M. Fabre : il amène les lecteurs à penser par eux-mêmes. Et n’est-ce pas l’essentiel! Combien a plus de chance d’être acceptée par nous la pensée qui a surgi, comme d’elle-même, de notre intime et nous paraît, à cause de cela, plus près de la vérité.
- Mais ce travail de la pensée, cette évocation des idées les unes par les autres, s’accomplit d’autant mieux que l’esprit est plus cultivé. Aussi M. T. L... termine-t-il son article par ces mots :
- « Le livre de M. Fabre est dédié aux ouvriers. Il contient de grands enseignements bien plus encore pour les hommes appelés à diriger le travail. »
- Nous en dirons autant pour les deux nouvelles brochures publiées par M. Fabre.
- Certes, son Etude sur La concurrence asiatique et l’avenir des ouvriers européens, contient des avertissements et des enseignements de première importance pour l’ouvrier; mais combien plus encore pour les hommes qui, appelés à diriger le travail, doivent embrasser au large le mouvement industriel et social. Ce n’est plus sur le marché national seulement qu’il faut envisager la concurrence industrielle, c’est sur le marché du globe. L’étude publiée par M. Fabre nous fait toucher du doigt le péril qu’il y aurait pour nous à fermer les yeux sur les conséquences prochaines de l’évolution industrielle en Asie. Déjà des objets de consommation usuelle ressentent en Europe le coup de cette concurrence.
- En même temps qu’il signale le mal, M. Fabre indi-
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- que les remèdes qu’il entrevoit et spécialement les mesures préventives au premier rang desquelles se trouvent : l’instruction économique du peuple et l’union des intérêts entre producteurs et. consommateurs.
- La même préoccupation du bien social et des vues d’aussi longue portée se retrouvent dans l’autre nouvelle brochure : Les Sky scratchers ou les hautes maisons américaines. M. Fabre y démontre comment l’économie domestique la mieux entendue a pour vrai champ d’action la grande maison unitaire; et comment les habitants peuvent trouver dans ces Palais d’un nouveau genre les meilleures conditions de leur développement physique, intellectuel et moral.
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- Bulletin technologique de la Société des anciens élèves des Ecoles d’Arts et Métiers.
- Cette publication mensuelle contient, dans son numéro de juin dernier, une remarquable Conférence tenue à Paris le 18 janvier précédent, et dans laquelle trois orateurs : MM. Goffinon, Bernardot et Charles Robert parlèrent tour à tour sur la Participation aux bénéfices.
- Le premier orateur, M. Goffinon, traita de la Participation en général et de son application à l’agriculture, spécialement au domaine de Grésy, où elle fonctionne depuis plusieurs années.
- Le second, M. Bernardot — bien connu de nos lecteurs — donna un aperçu philosophique et historique de l’œuvre de Jean-Baptiste-André Godin; puis, il indiqua les grandes lignes du pacte statutaire qui relie entre eux tous les membres de l’Association. Il s’appliqua à faire ressortir les six grandes divisions suivantes :
- 1° Industrie ;
- 2° Habitations, Familistères, Ecoles;
- 3° Coopération de consommation ;
- 4° Caisse des pensions et du nécessaire à la subsistance ;
- 5° Mutualité ou caisses de secours aux malades et de pharmacie ;
- 6° Comptabilité sociale,
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- Il termina en exprimant ce vœu auquel nous nous associons de tout cœur :
- « Que la conception barbare qui a nom :
- « La lutte pour la vie ! » soit à jamais remplacée par celle plus humaine :
- « L'Union pour la vie! »
- Enfin, le troisième orateur, M. Charles Robert, président de la Société pour l’étude de la participation aux bénéfices, a terminé la séance en parlant du Congrès tenu à Londres au mois d’août 1895 par l'Alliance coopérative internationale ; puis de divers établissements où se pratique la Participation aux bénéfices.
- Il termina par les paroles que nous allons reproduire et qui expriment nettement deux choses-: l’état présent du monde industriel et le grand besoin social du jour.
- Voici ces paroles :
- « Il y a en ce moment une quantité de forces ouvrières, des trésors de patience, de dévouement, d’esprit de solidarité, de puissances physiques et morales, qui se consument en vain dans les grèves, dans les luttes stériles, dans de misérables avortements, et, cela, faute d’expérience et de connaissance des affaires. Il faut faire l’éducation coopérative des ouvriers. Les membres de la Société des anciens Elèves des Ecoles des Arts et Métiers sont qualifiés pour entreprendre cette tâche d’utilité publique et la mener à bonne fin. C’est la porte ouverte du côté de l’avenir.
- » Il est bon sans doute de montrer le danger des faux systèmes, mais mieux vaut encore indiquer le bon chemin aux hommes de forte et saine volonté.
- » Ceux qui auront ainsi été pour les ouvriers des guides sûrs, auront non seulement travaillé dans une large mesure pour la sauvegarde de leurs propres intérêts, car le maintien de la paix sociale n’est chose indifférente pour personne; mais, de plus, ils auront bien mérité de la France et de l’humanité. »
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- De l’Association. Son influence sur le rapprochement de l’ouvrier et du patron, par Félix Baillet, conseiller de préfecture honoraire, membre de la Société académique de Laon.
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- Volume in-8° en vente au prix de 4 francs, chez L. Larose, Editeur, 22, rue Soufflot, Paris.
- L’auteur passe en revue les principales Sociétés coopératives, les Maisons où se pratique la participation aux bénéfices et les Associations, en France. L’œuvre des Leclaire, Godin, Boucicaut, Laroche-Joubert, etc., etc., etc., y est examinée, pour chacun d’eux, dans ses traits principaux.
- La lecture de l’ouvrage donne donc une vue très intéressante de l’état, en France, de l’idée d’association.
- L’auteur conclut en faveur du régime de la participation de l’ouvrier aux bénéfices ; il espère que ce régime, en rapprochant patrons et ouvriers, en initiant ceux-ci aux affaires, en leur faisant toucher du doigt les difficultés inhérentes à toute gestion, les préparera à la pratique du régime supérieur de la coopération et de l’association.
- Les accidents ouvriers. — La circulaire n° 1 de la Série B (question législative) du Musée Social est entièrement consacrée à la question des accidents dont les ouvriers sont victimes dans leur travail.
- La publication du texte voté par le Sénat, en deuxième lecture, le 24 mars 1896 est suivie d’une série d’extraits des délibérations de cette assemblée, de nature à éclairer certains côtés de la question. Quelques-uns sont relatifs à des amendements qui, rejetés pour la plupart, ne manqueront pas de se reproduire dans les discussions ultérieures tant à la Chambre qu’au Sénat.
- Vient ensuite sous ce titre :
- Bibliographie de la question des accidents, Extrait du catalogue de la bibliothèque du Musée social, une longue énumération de documents officiels (textes législatifs, projets de loi, rapports de commission d’étude, etc.) et d’ouvrages émanant d’associations et sociétés spéciales ou de simples particuliers. En tête figurent les rapports et procès-verbaux des trois Congrès internationaux des accidents du travail. (Paris, 1889, Berne, 1891, Milan, 1894).
- Les autres matières ont été classées par nations dans l’ordre alphabétique.
- On ne compte pas moins, de 91 ouvrages, rapports,
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- cités pour l'Allemagne, 138 pour la France, 62 pour la Suisse, etc.
- Au total, la Bibliothèque du Musée social ne comprend pas moins de 462 ouvrages, rapports, études, etc., concernant la toute spéciale question, le très délimité problème de la responsabilité des accidents dont les ouvriers sont victimes dans leur travail.
- OUVRAGES REÇUS
- Kiriquette, par F. Bernadot, un luxueux grand in-8° de 360 pages, dessins inédits de L. Bennett.
- Prix, cartonné, reliure toile riche : 10 tr. — Broché : 8 fr.
- Adopté par le Ministère de l’Instruction publique, par la Ville de Paris, par le Conseil général de la Seine, avec souscription spéciale.
- En vente à la Société d’Editions populaires, 4, rue Antoine Dubois, Paris.
- Dans notre numéro de Mars dernier, page 185, nous avons déjà eu le plaisir de signaler à nos lecteurs cet excellent ouvrage d’éducation morale et civique.
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- Bulletin de la Société d’éducation et d’instruction populaire des Basses-Pyrénées, organe spécial des Institutions cantonnales.
- Revue trimestrielle, 1 franc par an.
- Directeur M. A. Piche, 8, rue Montpensier, Pau.
- Histoire générale de l’Assurance en France et à l’étranger, par Georges Hamon, professeur d’assurances à l’Institut commercial de Paris et à l’Association Philotechnique.
- Fascicules N0s 1 à 16. Ouvrage à suivre. Chaque fascicule se vend 2 francs.
- En vente au bureau du journal L’Assurance Moderne, 4, rue du Bouloi, Paris.
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- Dieu et les Universaux, par Victor Mauroy.
- Volume en vente au prix de 3 fr. 50, chez Albert Savine, éditeur, 14, rue des Pyramides, Paris.
- Manuel pratique des Méthodes d’enseignement
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- LE DEVOIR
- spéciales aux Enfants anormaux ( sourds - muets , aveugles, idiots, bègues, etc.)..
- Méthodes— Statistique — Institutions — Législation, etc.
- Par les docteurs Hamon du Fougeray, L. Couetoux. Préface du Docteur Bourneville, médecin de la Section des Enfants arriérés et nerveux de Bicètre.
- Volume in-8° illustré. En vente aux Bureaux du Progrès Médical, 14, rue des Carmes, Paris, et chez Félix Alcan, éditeur, 108, Boulevard Saint-Germain, Paris.
- Cet ouvrage, destiné à rendre les plus grands services aux familles, est, en outre, un des meilleurs plaidoyers en faveur de la plus complète instruction de chacun des êtres humains. Car, s’il est intéressant de soigner au mieux les enfants anormaux, il ne l’est pas moins de cultiver au mieux aussi les enfants normaux.
- A signaler ce passage :
- « Depuis 1870 nous pouvons affirmer que le nombre des idiots en France double tous les six ans.
- » Où s’arrêtera cette progression effrayante engendrée par l’augmentation progressive de la consommation de l’alcool surtout f Nul ne le sait, mais cette question à l’ordre du jour doit préoccuper sérieusement l’hygiéniste et le législateur..»
- Fraternity, a monthly magazine.
- Being the official organ of the International Society for the récognition of the brotherhood of Man.
- Adress : The Editor, Fraternity, Labour press Society Limited, 57 and 59 Lib. Street, Manchester, Angleterre.
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- La Revue féministe, directrice : Mme Clotilde Dissard. Bureaux : 41, rue Claude-Bernard, Paris. Abonne- * ments : 14 francs par an, pour la France.
- La Revue des Femmmes russes, organe du féminisme international.
- Publication bi-mensuelle sous la direction de Mme O. de Bézobrazow.
- Abonnements : 18 francs par an. Bureau : 4, Saint-James, Neuilly-Paris.
- Traité expérimental de Magnétisme, avec figures dans le texte, par H. Durville.
- Tome II : Physique magnétique. Prix 3 francs.
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- SANS FAMILLE
- Par Hector MALOT
- Ouvrage couronné par l’A-cacLémie faançaise
- (Suite)
- Pour être juste, je dois dire que ce tut surtout à Mat-tia que nous les dûmes, à son adresse, à son tact. Pour moi, quand je voyais des gens assemblés, je prenais ma harpe et je me mettais à jouer de mon mieux, il est vrai, mais avec une certaine indifférence. Mattia ne procédait pas de cette façon primitive; il ne suffisait pas que des gens fussent rassemblés pour qu’il se mît tout de suite à jouer. Avant de prendre son violon ou son cornet à piston, il étudiait le public et il ne lui fallait pas longtemps pour voir s’il jouerait ou s’il ne jouerait pas, et surtout ce qu’il devait jouer.
- A l’école de Garofoli, qui exploitait en grand la charité publique, il avait appris dans toutes ses finesses l’art si difficile de forcer la générosité ou la sympathie des gens; et la première fois que je l’avais rencontré dans son grenier de la rue de Lourcine, il m’avait bien étonné en m’expliquant les raisons pour lesquelles les passants se décident à mettre la main à la poche; mais il m’étonna bien plus encore quand je le vis à l’œuvre.
- Ce fut dans les villes d’eaux qu’il déploya toute son adresse, et pour le public parisien, son ancien public qu’il avait appris à connaître et qu’il retrouvait là.
- — Attention, me disait-il, quand nous voyions venir à nous une jeune dame en deuil dans les allées du Capucin, c’est du triste qu’il faut jouer, tâchons de l’attendrir et de la faire penser à celui qu’elle a perdu : si elle pleure, notre fortune est faite.
- Et nous nous mettions à jouer avec des mouvements si ralentis, que c’était à fendre le cœur.
- Il y a dans les promenades aux environs du Mont-Dore des endroits qu’on appelle des salons, ce sont des groupes d’arbres, des quinconces sous l’ombrage
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- desquels les baigneurs vont passer quelquès heures en plein air ; Mattia étudiait le public de ces salons, et c’était d’après ses observations que nous arrangions notre répertoire.
- Quand nous apercevions un malade assis mélancoliquement sur une chaise, pâle, les yeux vitreux, les joues caves, nous nous gardions bien d’aller nous camper brutalement devant lui, pour l’arracher à ses tristes pensées. Nous nous mettions à jouer loin de lui comme si nous jouions seuls et en nous appliquant consciencieusement ; du coin de l’œil, nous l’observions; s’il nous regardait avec colère, nous nous en allions ; s’il paraissait nous écouter, nous nous rapprochions, et Capi pouvait présenter hardiment sa sébile, il n’avait pas à craindre d’être renvoyé à coups de pied.
- Mais c’était surtout près des enfants que Mattia obtenait ses succès les plus fructueux ; avec son archet il leur donnait des jambes pour danser et avec son sourire il les faisait rire même quand ils étaient de mauvaise humeur. Comment s’y prenait-il? Je n’en sais rien. Mais les choses étaient ainsi : il plaisait, on l’aimait.
- Le résultat de notre campagne fut vraiment merveilleux; toutes mes dépenses payées, nous eûmes assez vite gagné soixante-huit francs.
- Soixante-huit francs et cent quarante-six que nous avions en caisse cela faisait deux cent quatorze francs; l’heure était venue de nous diriger sans plus tarder vers Chavanon en passant par Ussel où,^nous avait-on dit, devait se tenir une foire importante pour les bestiaux.
- Une foire, c’était notre affaire ; nous allions pouvoir acheter enfin cette fameuse vache dont nous parlions si souvent et pour laquelle nous avions fait de si rudes économies.
- Jusqu’à ce moment, nous n’avions eu que le plaisir de caresser notre rêve et de le faire aussi beau que notre imagination nous le permettait : notre vache serait blanche, c’était le souhait de Mattia; elle serait rousse, c’était le mien en souvenir de notre pauvre Roussette; elle serait douce, elle aurait plusieurs seaux de lait; tout cela était superbe et charmant.
- Mais maintenant, de la rêverie il fallait passer à l’exécution et c’était là que l’embarras commençait.
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- Gomment choisir notre vache avec la certitude qu’elle aurait réellement toutes les qualités dont nous nous plaisions à la parer? Cela était grave. Je ne savais pas à quels signes on reconnaît une bonne vache, et Mattia était aussi ignorant que moi.
- Ce qui redoublait notre inquiétude c’étaient les histoires singulières dont nous avions entendu le récit dans les auberges, depuis que nous nous étions mis en tête la belle idée d’acheter une vache. Qui dit maquignon de chevaux ou de vaches, dit artisan de ruses et de tromperies. Combien de ces histoires nous étaient restées dans la mémoire pour nous effrayer : un paysan achète à la foire une vache qui a la plus belle queue que jamais vache- ait eue, avec une pareille queue elle pourra s’émoucher jusqu’au bout du nez, ce qui, tout le monde le sait, est un grand avantage; il rentre chez lui triomphant, car il n’a pas payé cher cette vache extraordinaire ; le lendemain il va la voir, elle n’a plus de queue du tout; celle qui pendait derrière elle si noblement, avait été collée a un moignon ; c’était un chignon, une queue postiche. Un autre en achète une qui a des cornes fausses; un autre, quand il veut traire sa vache, s’aperçoit qu’elle a eu la mamelle soufflée et qu’elle ne donnera pas deux verres de lait en vingt-quatre heures. Il ne faut pas que pareilles mésaventures nous arrivent.
- Pour la fausse queue, Mattia ne craint rien; il se suspendra de tout son poids à la queue de toutes les vaches dont nous aurons envie, et il tirera si fort sur ces queues que si elles sont collées elles se détacheront. Pour les mamelles soufflées, il a un moyen tout aussi sûr, qui est de les piquer avec une grosse et longue épingle.
- Sans doute cela serait infaillible, surtout si la queue était fausse et si la mamelle était soufflée ; mais si sa queue était vraie, ne serait-il pas à craindre qu’elle envoyât un bon coup de pied dans le ventre ou dans la tête de celui qui tirerait dessus; et n’agirait-elle pas encore de même sous une piqûre s’enfonçant dans sa chair ?
- L’idée de recevoir un coup de pied calme l’imagination de Mattia, et nous restons livrés à nos incertitudes : ce serait vraiment terrible d’offrir à mère Bar-
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- berin une vache qui ne donnerait pas de lait ou qui n’aurait pas de cornes.
- Parmi les histoires qui nous avaient été contées, il y en avait une dans laquelle un vétérinaire jouait un rôle terrible, du moins à l’égard du marchand de vaches. Si nous prenions un vétérinaire pour nous aider, sans doute cela nous serait une dépense, mais combien elle nous rassurerait.
- Au milieu de notre embarras, nous nous arrêtâmes à ce parti, qui, sous tous les rapports, paraissait le plus sage, et nous continuâmes alors gaiement notre route.
- La distance n’est pas longue du Mont-Dore à Ussel; nous mîmes deux jours à faire la route, encore arrivâmes-nous de bonne heure à Ussel.
- J’étais là dans mon pays pour ainsi dire : c’était à Ussel que j’avais paru pour la première fois en public dans le Domestique de M. Joli-Cœur, ou le Plus bête des deux n’est pas celui qu’on pense, et c’était à Ussel aussi que Vitalis m’avait acheté ma première paire de souliers, ces souliers à clous qui m’avaient rendu si heureux.
- Pauvre Joli-Cœur! il n’était plus là avec son bel habit rouge de général anglais, et Zerbino avec la gentille Dolce manquaient aussi.
- Pauvre Vitalis, je l’avais perdu et je ne le reverrais plus, marchant la tète hauet, la poitrine cambrée, marquant le pas des deux bras et des deux pieds en jouant une valse sur son fifre perçant.
- Sur six que nous étions alors, deux seulement restaient debout : Capi et moi; cela rendit mon entrée à Ussel toute mélancolique; malgré moi je m’imaginais que j’allais apercevoir le feutre de Vitalis au coin de chaque rue et que j’allais entendre l’appel qui tant de fois avait retenti à mes oreilles : « En avant! »
- La boutique du fripier où 'Vitalis m’avait conduit pour m’habiller en artiste vint heureusement chasser ces tristes pensées : je la retrouvai telle que je l’avais vue lorsque j’avais descendu ses trois marches glissantes.
- A la porte se balançait le même habit galonné sur les coutures, qui m’avait ravi d’admiration, et dans la montre, je retrouvai les mêmes vieux fusils avec les mêmes vieilles lampes.
- Je voulus aussi montrer la place où j’avais débuté,
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- en jouant le rôle du domestique de M. Joli-Cœur, c’est-à-dire le plus bête des deux : Capi se reconnut et frétilla de la queue.
- Après avoir déposé nos sacs et nos instruments à l’auberge où j’avais logé avec Yitalis, nous nous mîmes à la recherche d’un vétérinaire.
- Quand celui-ci eut entendu notre demande, il commença par nous rire au nez.
- — Mais il n’y pas de vaches savantes dans le pays, dit-il.
- — Ce n’est pas une vache qui sache faire des tours qu’il nous faut, c’en est une qui donne du bon lait.
- — Et qui ait une vrai queue, ajouta Mattia, que l’idée d’une queue collée tourmentait beaucoup.
- — Enfin, monsieur le vétérinaire, nous venons vous demander de nous aider de votre science pour nous empêcher d’être volé par les marchands de vaches.
- Je dis cela en tâchant d’imiter les airs nobles que Vitalis prenait si bien, lorsqu’il voulait faire la conquête des gens.
- — Et pourquoi diable voulez-vous une vache? demanda le vétérinaire.
- En quelques mots, j’expliquai ce que je voulais faire de cette vache.
- — Vous êtes de bons garçons, dit-il, je vous accompagnerai demain matin sur le champ de foire, et je vous promets que la vache que je choisirai n’aura pas une queue postiche.
- — Ni des cornes fausses? dit Mattia.
- — Ni des cornes fausses.
- — Ni la mamelle soufflée?.
- — Ce sera une belle et bonne vache; mais pour acheter, il faut être en état de payer?
- Sans répondre, je dénouai un mouchoir dans lequel était enfermé notre trésor.
- — C’est parfait, venez me prendre demain matin à sept heures.
- — Et combien vous devrons-nous, monsieur le vétérinaire?
- — Rien du tout; est-ce que je veux prendre de l’argent à de bons enfants comme vous!
- Je ne savais comment remercier ce brave homme, mais Mattia eut une idée.
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- — Monsieur, est-ce que vous aimez la musique? demanda-t-il.
- — Beaucoup, mon garçon.
- — Et vous vous couchez de bonne heure?
- Cela était assez incohérent, cependant le vétérinaire voulut bien répondre :
- — Quand neuf heures sonnent.
- — Merci, monsieur, à demain matin sept heures.
- J’avais compris l’idée de Mattia.
- — Tu veux donner un concert au vétérinaire? dis-je.
- — Justement : une sérénade quand il va se coucher; ça se fait pour ceux qu’on aime.
- — Tu as eu là une bonne idée, rentrons à l’auberge et travaillons les morceaux de notre concert; on peut ne pas se gêner avec le public qui paye, mais quand on paye soi-même il faut faire de son mieux.
- A neuf heures moins deux ou trois minutes, nous étions devant la maison du vétérinaire, Mattia avec son violon, moi avec ma harpe : la rue était sombre, car la lune devant se lever vers neuf heures on avait jugé bon de ne pas allumer les réverbères, les boutiques étaient déjà fermées, et les passants étaient rares.
- Au premier coup de neuf heures nous partîmes en mesure : et dans cette rue étroite, silencieuse, nos instruments résonnèrent comme dans la salle la plus sonore : les fenêtres s’ouvrirent et nous vîmes apparaître des têtes encapuchonnées de bonnets, de mouchoirs et de foulards : d’une fenêtre à l’autre on s’interpellait avec surprise.
- Notre ami le vétérinaire demeurait dans une maison qui, à l’un de ses angles, avait une gracieuse tourelle : une des fenêtres de cette tourelle s’ouvrit et il se pencha pour voir qui jouait ainsi.
- Sans doute il nous reconnut et il comprit notre inten-tention, car de sa main il nous fit signe de nous taire :
- —• Je vais vous ouvrir la porte, dit-il, vous jouerez dans le jardin.
- Et presque aussitôt cette porte nous fut ouverte,
- — Vous êtes de braves garçons, dit-il en nous donnant à chacun une bonne poignée de main, mais vous êtes aussi des étourdis ; vous n’avez donc point pensé que le sergent de ville pouvait-vous arrêter pour tapage nocturne sur la voie publique I
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- Notre concert recommença dans le jardin qui n’était pas bien grand, mais très coquet avec un berceau couvert de plantes grimpantes.
- Gomme le vétérinaire était marié et qu’il avait plusieurs enfants, nous eûmes bientôt un public autour de nous : on alluma des chandelles sous le berceau et nous jouâmes jusqu’à dix heures ; quand un morceau était fini, on nous applaudissait, et on nous en demandait un autre.
- Si le vétérinaire ne nous avait pas mis à la porte, je crois bien, que sur la demande des enfants, nous aurions joué une bonne partie de la nuit.
- — Laissez-les aller au lit, dit-il, il faut qu’ils soient ici demain matin à sept heures.
- Mais il ne nous laissa pas aller sans nous offrir une collation qui nous fut très agréable ; alors, pour remerciements, Capi joua quelques-uns de ses tours les plus drôles, ce qui fit la joie des enfants ; il était près de minuit quand nous partîmes.
- La ville d’Ussel, si tranquille le soir, était le lendemain matin pleine de tapage et de mouvement : avant le lever du jour, nous avions entendu dans notre chambre un bruit incessant de charrettes roulant sur le pavé et se mêlant aux hennissements des chevaux, aux meuglements des vaches, aux bêlements des moutons, aux cris des paysans qui arrivaient pour la foire.
- Quand nous descendîmes, la cour de notre auberge était déjà encombrée de charrettes enchevêtrées les unes dans les autres, et de voitures qui arrivaient descendaient des paysans endimanchés qui prenaient leurs femmes dans leurs 'bras pour les mettre à terre ; alors tout le monde se secouait, les femmes défripaient leurs jupes.
- Dans la rue un flot mouvant se dirigeait vers le champ de foire ; comme il n’était encore que six heures, nous eûmes envie d’aller passer en revue les vaches qui étaient déjà arrivées et de faire notre choix à l’avance.
- Ah ! les belles vaches ! Il y en avait de toutes les couleurs et de toutes les tailles, les unes grasses, les autres maigres, celles-ci avec leurs veaux, celles-là traînant à terre leur mamelle pleine de lait ; sur le champ de foire se trouvaient aussi des chevaux qui hennis-
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- saient, des juments qui léchaient leurs poulains, des porcs gras qui se creusaient des trous dans la terre, des cochons de lait qui hurlaient comme si on les écorchait vifs, des moutons, des poules, des oies ; mais que nous importait! nous n’avions d’yeux que pour les vaches qui subissaient notre examen en clignant les paupières et en remuant lentement la mâchoire, ruminant placidement leur repas de la nuit, sans se douter qu’elles ne mangeraient plus l’herbe des pâturages où elles avaient été élevées.
- Après une demi-heure de promenade, nous en avions trouvé dix-sept qui nous convenaient tout à fait, celle-ci pour telle qualité, celle là pour telle autre, trois parce qu’elles étaient rousses, deux parce qu’elles étaient blanches ; ce qui bien entendu souleva une discussion entre Mattia et moi.
- A sept heures nous trouvâmes le vétérinaire qui nous attendait et nous revînmes avec lui au champ de foire en lui expliquant de nouveau quelles qualités nous exigions dans la vache que nous allions acheter.
- Elles se résumaient en deux mots : donner beaucoup de lait et manger peu.
- — En voici une qui doit être bonne, dit Mattia en désignant une vache blanchâtre.
- — Je crois que celle-là est meilleure, dis-je en montrant une rousse.
- Le vétérinaire nous mit d’accord en ne s’arrêtant ni à l’une ni à l’autre, mais en allant à une troisième : c’était une petite aux jambes grêles, rouge de poil, avec les oreilles et les joues brunes, les yeux bordés de noir et un cercle blanchâtre autour du mufle.
- — Voilà une vache du Rouergue qui est justement ce qu’il vous faut, dit-il.
- Un paysan à l’air chétif la tenait par la longe ; ce fut à lui que le vétérinaire s’adressa pour savoir combien il voulait vendre sa vache.
- — Trois cents francs.
- Déjà cette petite vache alerte et fine, maligne de physionomie, avait fait notre conquête ; les bras nous tombèrent du corps.
- Trois cents francs : ce n’était pas du tout notre affaire, je fis un signe au vétérinaire pour lui dire que nous devions passer à une autre ; il m’en fit un
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- pour me dire au contraire que nous devions persévérer.
- Alors une discussion s’engagea entre lui et le paysan : il offrit 150 francs ; le paysan diminua 10 francs. Le vétérinaire monta à 170 ; le paysan descendit à 280.
- Mais arrivées à ce point, les choses ne continuèrent pas ainsi : au lieu d’offrir, le vétérinaire commença à examiner la vache en détail : elle avait les jambes faibles, le cou trop court, les cornes trop longues ; elle manquait de poumons, la mamelle n’était pas bien conformée.
- Le paysan répondit que, puisque nous nous y connaissions si bien, il nous donnerait sa vache pour deux cent cinquante francs, afin qu’elle fût en bonnes mains.
- Là-dessus la peur nous prit, nous imaginant tous deux que c’était une mauvaise vache.
- — Allons-en voir d’autres, dis-je.
- Sur ce mot le paysan, faisant un effort, diminua de nouveau de dix francs.
- Enfin, de diminution en diminution, il arriva à deux cent dix francs, mais il y resta.
- D’un coup de coude le vétérinaire nous avait fait comprendre que tout ce qu’il disait n’était pas sérieux et que la vache, loin d’être mauvaise, était excellente ; mais deux cent dix francs, c’était une grosse somme pour nous.
- Pendant ce temps, Mattia tournant par derrière la vache lui avait arraché un long poil de la queue et la vache lui avait détaché un coup de pied.
- Cela me décida.
- — Va pour deux cent-dix francs, dis-je, croyant tout fini. *
- Et j’étendis la main pour prendre la longe, mais le paysan ne me la céda pas.
- — Et les épingles de la bourgeoise ? dit-il.
- Une nouvelle discussion s’engagea, et finalement nous tombâmes d’accord sur vingt sous d’épingles. Il nous restait donc trois francs.
- De nouveau j’avançai la main, le paysan me la prit et me la serra fortement en ami.
- Justement parce que j’étais un ami, je n’oublierais pas le vin de la fille,
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- Le vin de la fille nous coûta dix sous.
- Pour la troisième fois je voulus prendre la longe, mais mon ami le paysan m’arrêta :
- — Vous avez apporté un licou? me dit-il, je vends la vache, je ne vends pas son licou.
- Cependant, comme nous étions amis, il voulait bien me céder ce licou pour trente sous, ce n’était pas cher.
- Il nous fallait un licou pour conduire notre vache, j’abandonnai les trente sous, calculant qu’il nous en resterait encore vingt.
- Je comptai donc les deux cent treize francs, et pour la quatrième fois j’étendis la main.
- — Où donc est votre longe? demanda le paysan, je vous ai vendu le licou, je ne vous ai pas vendu la longe.
- La longe nous coûta vingt sous, nos vingt derniers sous.
- Et lorsqu’ils furent payés, la vache nous fut enfin livrée avec son licou et sa longe.
- Nous avions une vache, mais nous n’avions plus un sou, pas un seul pour la nourrir et nous nourrir nous-mêmes.
- — Nous allons travailler, dit Mattia, les cafés sont pleins de monde, en nous divisant nous pouvons jouer dans tous, nous aurons une bonne recette ce soir.
- Et après avoir conduit notre vache dans l’écurie de notre auberge où nous l’attachâmes avec plusieurs nœuds, nous nous mîmes à travailler chacun de notre côté, et le soir quand nous fîmes le compte de notre recette, je trouvai que celle de Mattia était de quatre francs cinquante centimes et la mienne de trois francs.
- Avec sept francs cinquante centimes nous étions riches.
- Mais la joie d’avoir gagné ces sept francs cinquante était bien petite, comparée à la joie que nous éprouvions d’en avoir dépensé deux cent quatorze.
- Nous décidâmes la fille de cuisine à traire notre vache et nous soupâmes avec son lait: jamais nous n’en avions bu d’aussi bon, Mattia déclara qu’il était sucré et qu’il sentait la fleur d’oranger comme celui qu’il avait bu à l’hôpital, mais bien meilleur.
- Et dans notre enthousiasme, nous allâmes embrasser notre vache sur son mufle noir ; sans doute elle fut
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- sensible à cette caresse, car elle nous lécha la figure de sa langue rude.
- — Tu sais qu’elle embrasse, s’écria Mattia ravi.
- Pour comprendre le bonheur que nous éprouvions à embrasser notre vache et à être embrassés par elle, il faut se rappeler que ni Mattia ni moi, nous n’étions gâtés par les embrassades : notre sort n’était pas celui des enfants choyés, qui ont à se défendre contre les caresses de leurs mères ; et tous deux cependant nous aurions bien aimé à nous faire caresser.
- Le lendemain matin, nous étions levés avec le soleil et tout de suite nous no.us mettions en route pour Chavanon.
- Combien j’étais reconnaissant à Mattia du concours qu'il m'avait prêté, car sans lui je n’aurais jamais amassé cette grosse somme de deux cent quatorze francs ; j’avais voulu lui donner le plaisir de conduire notre vache, et il n’avait pas été médiocrement heureux de la tirer par la longe, taudis que je marchais derrière elle. Ce fut seulement quand nous fûmes sortis de la ville que je vins prendre place à côté de lui, pour causer comme à l’ordinaire et surtout pour regarder ma vache : jamais je n’en avais vu une aussi belle.
- En effet, elle avait fort bon air, marchant lentement en se balançant, en se prélassant comme une bête qui a conscience de sa valeur.
- Maintenant, je n’avais plus besoin de regarder ma carte à chaque instant comme je le faisais depuis notre départ de Paris : je savais où j’allais, et bien que plusieurs années se fussent écoulées depuis que j’avais passé là avec Vitalis, je retrouvais tous les accidents de la route.
- Mon intention, pour ne pas fatiguer notre vache, et aussi pour ne pas arriver trop tard à Chavanon, était d’aller coucher dans le village où j'avais passé ma première nuit de voyage avec Vitalis, dans ce lit de fougère, où le bon Capi voyant mon chagrin était venu s’allonger près de moi et avait mis sa patte dans ma main pour me dire qu’il serait mon ami. De là, nous partirions le lendemain matin pour arriver de bonne heure chez mère Barberin.
- Mais le sort qui, jusque-là, nous avait été si favorable, se mit contre nous et changea nos dispositions,
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- Nous avions décidé de partager notre journée de mar- , che en deux parts, et de la couper par notre déjeuner, surtout par le déjeuner de notre vache qui consisterait en herbe des fossés de la route qu’elle paîtrait.
- Vers dix heures, ayant trouvé un endroit où l’herbe était verte et épaisse, nous mîmes les sacs à bas, et nous fîmes descendre notre vache dans le fossé.
- Tout d’abord je voulus la tenir par la longe, mais elle se montra si tranquille, et surtout si appliquée à paître, que bientôt je lui entortillai la longe autour des cornes, et m’assis près d’elle pour manger mon pain.
- Naturellement nous eûmes fini de manger bien avant elle; alors après l’avoir admirée pendant assez longtemps, ne sachant plus que faire, nous nous mîmes à jouer aux billes, Mattia et moi, car il ne faut pas croire que nous étions deux petits bonshommes graves et sérieux, ne pensant qu’à gagner de l’argent : si nous menions une vie qui n’est point ordinairement celle des enfants de notre âge, nous n’en avions pas moins les goûts et les idées de notre jeunesse, c’est-à-dire que nous aimions à jouer aux jeux des enfants, et que nous ne laissions point passer une journée sans faire une partie de billes, de balle ou de saut de mouton. Tout à coup, sans raison bien souvent, Mattia me disait : « Jouons-nous?» Alors en un tour de main, nous nous débaras-sions de nos sacs, de nos instruments, et sur la route nous nous mettions à jouer ; et plus d’une fois, si je n’avais pas eu ma montre pour me rappeler l’heure, nous aurions joué jusqu’à la nuit ; mais elle me disait que j’étais le chef de troupe, qu’il fallait travailler, gagner de l’argent pour vivre ; et alors je repassais sur mon épaule endolorie la bretelle de ma harpe : en avant !
- Nous eûmes fini de jouer avant que la vache eût fini de paître, et quand elle nous vit venir à elle, elle se mit à tondre l’herbe à grands coups de langue, comme pour nous dire qu’elle avait encore faim.
- — Attendons un peu, dit Mattia.
- — Tu ne sais donc pas qu’une vache mange toute la journée?
- — Un tout petit peu.
- Tout en attendant, nous reprîmes nos sacs et nos instruments.
- — Si je lui jouais un air de cornet à piston ? dit
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- SANS FAMILLE 573
- Mattia, qui restait difficilement en repos ; nous avions une vache dans le cirque Cassot, et elle aimait la musique.
- Sans en demander davantage, Mattia se mit à jouer une fanfare de parade.
- Aux premières notes, notre vache leva la tête ; puis tout à coup, avant que j’eusse pu me jeter à ses cornes pour prendre sa longe, elle partit au galop.
- Aussitôt nous partîmes après elle, galopant de toutes nos forces en l’appelant.
- Je criai à Capi d’arrêter, mais on ne peut pas avoir tous les talents : un chien de conducteur des bestiaux eût sauté au nez de notre vache ; Capi, qui était un savant, lui sauta aux jambes.
- Bien entendu, cela ne l’arrêta pas, au contraire, et nous continuâmes notre course, elle en avant, nous en arrière.
- Tout en courant j’appelais Mattia : « Stupide bête » ; et lui, san’s m’attendre, me criait d’une voix haletante: « Tu cogneras, je l’ai mérité.»
- C’était à deux kilomètres environ avant d’arriver à un gros village que nous nous étions reposés pour manger, et c’était vers ce village que notre vache galopait. Elle y entra naturellement avant nous, et comme la route était droite, nous pûmes voir, malgré la distance, que des gens lui barraient le passage et s’emparaient d’elle.
- Alors nous ralentîmes un peu notre course : notre vache ne serait pas perdue ; nous n’aurions qu’à la réclamer aux braves gens qui l’avaient empêchée d’aller plus loin, et ils nous la rendraient.
- A mesure que nous avancions, le nombre des gens augmentait autour de notre vache, et quand nous arrivâmes enfin près d’elle, il y avait là une vingtaine d’hommes, de femmes ou d’enfants qui discutaient en nous regardant venir.
- Je m’étais imaginé que je n’avais qu’à réclamer ma vache, mais au lieu de me la donner, on nous entoura et l’on nous posa question sur question : « D’où venions-nous, où avions-nous eu cette vache ? »
- Nos réponses étaient aussi simples que faciles ; cependant elles ne persuadèrent pas ces gens, et deux ou trois voix s’élevèrent pour dire que nous avions volé
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- LE DEVOIR
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- cette vache qui nous avait échappé, et qu’il fallait nous mettre en prison en attendant que l’affaire s’éclaircît.
- L’horrible frayeur que le mot de prison m’inspirait me troubla et nous perdit : je pâlis, je balbutiai et comme notre course avait rendu ma respiration haletante. je fus incapable de me défendre.
- Sur ces entrefaites, un gendarme arriva; en quelques mots on lui conta notre affaire, et comme elle ne lui parut pas nette, il déclara qu’il allait mettre notre vache en fourrière et nous en prison : on verrait plus tard.
- Je voulus protester, Mattia voulut parler, le gendarme nous imposa durement silence ; et me rappelant la scène de Vitalis avec l’agent de police de Toulouse, je dis à Mattia de se taire et de suivre monsieur le gendarme.
- Tout le village nous fit cortège jusqu’à la mairie où se trouvait la prison : on nous entourait, on nous pressait, on nous poussait, on nous bourrait, on nous injuriait, et je crois que sans le gendarme, qui nous protégeait, on nous aurait lapidés comme si nous étions de grands coupables, des assassins ou des incendiaires. Et cependant nous n’avions commis aucun crime. Mais les foules sont souvent ainsi : elles ont un plaisir sauvage à se ruer sur les malheureux, sans savoir ce qu’ils ont fait, s’ils sont coupables ou innocents.
- En arrivant à la prison, j’eus un moment d’espérance : le gardien de la mairie qui était aussi geôlier et garde champêtre, ne voulut pas d’abord nous recevoir. Je me dis que c’était là un brave homme. Mais le gendarme insista, et le geôlier céda ; passant devant nous, il ouvrit une porte qui fermait en dehors avec une grosse serrure et deux verrous : je vis alors pourquoi il avait fait difficulté pour nous recevoir : il avait mis sa provision d’oignons sécher dans la prison, en les étalant sur le plancher. On nous fouillla ; on nous prit notre argent, nos couteaux, nos allumettes, et pendant ce temps, le geôlier amassa vivement tous ses oignons dans un coin. Alors on nous laissa et la porte se referma sur nous avec un bruit de ferraille vraiment tragique.
- Nous étions en prison. Pour combien de temps ?
- (A continuer)
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- ASSURANCES MUTUELLËS
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- MOUVEMENT DU MOIS DE JUIN 1896
- ASSURANCE CONTRE LA MALADIE
- Section des Hommes
- Cotisations des mutualistes...... 2.707 65
- Subvention de la Société......... 460 75
- Malfaçons et divers.............. 807 03
- Dépenses..................................
- Boni en Juin........
- Section des Dames
- Cotisations des mutualistes.......... 458 30
- Subvention de la SociétéT........... 152 85
- Divers............................... 6 80
- Dépenses......................................
- Déficit en Juin.........
- ASSURANCE DES PENSIONS
- Subvention de la Société et divers.... Intérêts des comptes-courants et du titre d’épargne Dépenses : 87 Retraités définitifs 30 — provisoires 4.824 70j 3.995 »»' 5.366 »»j 1.843 50 8.819 70
- Nécessaire à la subsistance Allocat. aux familles des réservistes.. Divers, appointements, médecins, etc. 2.303 65 3 50 876 95] 10.393 60
- Déficit en Juin CAISSE DE PHARMACIE 1.573 90
- Cotisations des mutualistes Subvention de la Société 550 50) 189 50Î 740 »»
- Dépenses 1.310 51
- Déficit en Juin... 570 51
- RÉSUMÉ
- Recettes sociales du 1er Juil. 1895 au 30 Juin 1896. 111.963 98) ^2 48
- )) individuelles » » 39.358 50|
- Dépenses » » ........... 174.688 54
- Excédant des dépenses sur les recettes.... 23.366 06
- 617 95
- 689 20 71 25
- 3.975 43
- 2.676 75 1.298 68
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- 576
- LE DEVOIR
- ÉTAT CIVIL DU FAMILISTÈRE
- MOIS DE J U ILLET 1896
- Naissances :
- 25 Juillet. Langlet Julienne-Adolphine, fille de Langlet Adolphe et de Poulain Marie.
- Décès :
- 3 Juillet. Montigny Iréne-Florentin-Clotaire, âgé de 10 mois 5 — Anstell Gustave, âgé de 32 ans 10 mois.
- 19 — Dégagny Jeanne, âgée de 1 an 5 mois.
- 26 — Laporte Jules, âgé de 17 ans 4 molN'îl
- ij; * -
- Le Secrétaire, A. Houdin .......... . u
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- m
- Le Gérant: H* E. Buridant*
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- Nimee, imp. Veuve Laporte, ruelle des Saintes-Maries
- 1346
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- DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES
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- de J.-B.-André GODIN (‘)
- RÉSUMÉ DE L’ESSAI DE REPRÉSENTATION DU TRAVAIL PAR
- les Groupes, Unions de Groupes et Conseils d’Unions
- 1877-1879
- X
- Obstacles actuels à la direction du travail par les
- travailleurs mêmes ( suite ).
- Les faits vus par nous jusqu’ici nous ont révélé deux principaux obstacles à la direction du travail par les travailleurs eux-mêmes :
- m
- 1° La rareté et l’insuffisance des capacités ;
- 2° L’insuffisance du sens administratif.
- Il est un troisième obstacle, le plus grave de tous et que le lecteur bien titré en amour humanitaire ou social, aura saisi depuis longtemps ; dès le jour, sans dotite, où Godin dans une conférence, en date du 7 juin 1877 (Devoir 1893, tome 17, page 260) répondant à un auditeur, fit ressortir combien la maxime : « Charité bien ordonnée commence par soi-même » est opposée à l’esprit de solidarité et de justice sociales qui doit présider à la constitution d’une véritable association, entre le travail et le capital.
- Avant de passer à ce troisième obstacle, nous croyons utile de rémémorer les principales difficultés pratiques qui se rattachent aux deux premiers. Car certaines de ces difficultés s’étant trouvées indiquées au cours de conférences dont la publication remonte déjà à nos
- (1) Lire le Deooir -depuis le mois de mars 1S:)1
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- LE DEVOIR
- numéros de 1893, pourraient n’être pas connues de quelques-uns de nos présents lecteurs.
- Une des premières difficultés pratiques fut exprimée d’une façon toute naïve au cours de la conférence donnée par Godin le 19 juillet 1877, avant la constitution des Groupes.
- ....« Un auditeur demande la parole et dit qu’il ne voit pas du tout ce que M. Godin veut qu’on fasse : quand un ouvrier s’amuse au lieu de travailler, il se fait du tort à lui-même, qu’y a-t-il besoin d’autre chose ?
- » Le fondateur du Familistère répond qu’il veut instituer, entre son personnel et lui, l’association, la participation aux bénéfices et que, pour cela, il faut que tout travailleur s’occupe, plus qu’il ne le fait aujourd’hui, des intérêts généraux de l’établissement. » ( Devoir 1893, tome 17, page 579..)
- Mais s’occuper des intérêts généraux de l’établissement nécessitait des efforts de pensée que ne put soutenir la grande majorité des travailleurs, non préparés à ces sortes d’efforts et ne possédant, du reste, que le petit lot de connaissances propres à l’exercice de la profession qui les faisait vivre.
- Aussi les auditeurs furent-ils rares aux conférences. Vainement leurs intérêts les plus précieux y étaient agités, en étaient la substance même ; l’effort à faire pour saisir la pensée de Godin dépassait trop le niveau général de l’entendement, la masse se tint à l’écart.
- . Nous en avons vu cet autre témoignage: (Même volume du Devoir, page 580, 22 juillet 1877. )
- « J. B. A. Godin fait appel aux observations qu’a pu suggérer le cadre général des Groupes et Unions affiché à l’Usine et au Familistère.
- , » Un auditeur signale que la grandeur même de l’af-
- fiche et le nombre des Groupes, causent de l’embarras à quelques-uns ; que, peut-être, il serait bon que M.
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- DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES 579
- I
- Godin se rendît dans les ateliers pour expliquer lui-même aux ouvriers ce que ceux-ci ont à faire.
- » Le fondateur du Familistère répond que si l’embarras tient au choix du Groupe ou des groupes dans lesquels chacun pourrait entrer, nul ne peut choisir pour autrui. Il faut que chacun s’interroge soi-même et découvre vers quels travaux ses tendances naturelles le portent de préférence.
- » Que M. Godin aille répéter dans les ateliers ce que tout travailleur peut venir lui entendre dire au Familistère, cela n’empêchera pas l’examen personnel que chacun doit faire pour savoir en quel Groupe se classer utilement. C’est en toute liberté et non sur une apparence même d’injonction de la part du fondateur du Familistère que celui-ci désire voir les personnes qui comprennent son œuvre et veulent y concourir, entrer dans les voies ouvertes par lui. »
- Et il engagé celui-là même qui vient de parler et ceux qui comprennent ce qui est à faire à aider, au besoin, de leurs conseils les camarades moins éclairés.
- Quatre jours plus tard, nouvelle conférence, ( Devoir, tome 17, page 582 ) Godin demande « si de nouveaux embarras ont été signalés pour l’inscription dans les Groupes ?
- » Un auditeur répond que les personnes qui n’ont pas assisté aux conférences, ne comprenant rien à ce qu’on veut faire, se tiennent à l’écart de tout classement dans les Groupes. »
- Dans notre numéro de février dernier, pages 77, 78, — en recherchant les motifs explicatifs du petit nombre des femmes classées dans les Groupes du Familistère, — nous avons indiqué comment l’illettré en général (et la chose s’applique aux hommes comme aux femmes ) se trouvait pour ainsi dire empêché d’entrer dans les Groupes.
- « Dans une organisation semblable, » disions-nous,
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- LE DEVOIR
- « l’illettré se voit, par avance, arrêté dès le premier pas : le Groupe se constitue par l’élection, l’illettré une fois entré ne pourra voter que par intermédiaire. Ce n’est que par ouï-dire qu’il devra s’initier au Réglement. A chaque instant, il devra ou recourir aux autres ou rester ignorant de ce qu’il aurait besoin d’étudier, de revoir, de méditer. »
- Il est évident, pour peu qu’on y réfléchisse, qu’une organisation comme celle tentée au moyen des Groupes, Unions et Conseils, nécessite chez les membres, non pas seulement les connaissances primaires, mais la plus grande culture de toutes les facultés.
- A l’époque où fut tentée au Familistère de Guise, la représentation du travail, il y avait encore assez d’illettrés dans l’établissement pour que nous plaçions le fait au rang des motifs explicatifs de l’abstention d’une partie du personnel.
- * * *
- Enfin, nous l’avons vu, la Représentation du travail s’organisa : 309 travailleurs sur 1,100 entrèrent dans les Groupes (Devoir de février dernier, page 68) et en constituèrent les bureaux.
- Mais, pour- 86 groupes sur 116, — c’est-à dire pour les trois quarts des corps constitués dans les ateliers — aucun travail ne suivit l’élection des Rureaux. ( Devoir de mars 1896, page 130. ) Les gens mêmes qui avaient fait preuve de bonne volonté en se classant ne voyaient donc pas, une fois répartis dans les Groupes, ce qu’ils pouvaient y faire d’utile. Le manque de culture préparatoire est là évident.
- Un autre des motifs d’abstention fut celui-ci : le sentiment trop exclusif des conflits qu’une action quelque peu intempestive des Groupes pouvait susciter entre les travailleurs et les chefs de service ; peut-être même une action quelconque, si le chef de service se
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- DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES
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- trouvait d’un caractère particulièrement ombrageux et conséquemment défectueux au point de vue administratif.
- Là, encore, une bonne culture générale préparatoire en éveillant chez tous, ouvriers et directeurs du travail, le sens des vrais éléments d’administration, faciliterait en cas semblable l’entente mutuelle et permettrait aux membres des Groupes de saisir les vraies limites d’action des corps représentalifs du travail.
- Ecoutons les enseignements de Godin à ce sujet. (.Devoir tome 18, page 129. Conférence du 19 septembre 1877) :
- « ...Ce qui est à rappeler tout d’abord et à ne jamais perdre de vue, c’est que l’organisation représentative du travail, réalisée par les Groupes, Unions et Conseils, ne touche en rien aux fonctions qui s’exercent actuellement dans l’établissement. Jusqu’à ce que l’expérience ait prononcé sur le mérite et la praticabilité de l’organisation des Groupes, Unions et Conseils, ces différents corps ont voix exclusivement cousultative et n’accomplissent aucun rôle exécutif. C’est là un point très important; car il ne faut en rien porter atteinte aux attributions des fonctionnaires actuels. L’organisation nouvelle dans son rôle consultatif n’en prouvera pas moins sa valeur. »
- Même volume, page 197, Conférence du 26 septembre 1877 : « Le fondateur rappelle à nouveau que c’est exclusivement en qualité d’agents consultatifs que les Groupes, Unions et Conseils se prononcent, et que leurs décisions ne sont mises en pratique que si l’autorité exécutive à qui elles reviennent en dernier ressort, le juge utile au bien général. »
- Il dit encore : « Le Groupe est le point de départ, le fondement du succès de notre entreprise. Je vous ai indiqué qu’il devait — surtout au début — fonctionner
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- en qualité de Conseil; vous, travailleurs, le concevez plutôt sous un rôle actif. Mais il faut d’abord l’organiser comme agent de surveillance et de Conseil, son rôle actif viendra plus tard. » (Devoir, tome 17, page 521).
- Serrant la question d’aussi près que possible, il indiquait en ces termes l’attitude que devait, pour les débuts, observer les corps représentatifs du travail :
- « Les Groupes, Unions et Conseils ont à remplir ici un rôle analogue à celui du chef de maison, quand il se renseigne, examine et consulte avant de prendre une décision.
- » Plus tard, ce rôle pourra s’étendre et mon désir serait de voir la Représentation du travail tellement organisée qu’elle put remplacer le patron, c’est-à-dire me remplacer moi-même. » (Devoir, tome 18, page 262), (1)
- Ces enseignements répétés de Godin nous montrent : 1° Qu’il était difficile au travailleur habitué au rôle exécutif, de s’exercer simplement en qualité de conseiller; 2° Que les chefs de service avaient besoin d’être rassurés sur la nature et la portée de l’immixtion libre des groupes dans toutes les questions de travail.
- La voie proposée par Godin semblait hérissée de difficultés pour tout le personnel ; aucun établissement ne s’y était encore aventuré ; nul exemple n’enseignait dans quelles mesures on pouvait agir sans se heurter à d’inextricables conflits, à des rancunes peut-être.. Et quel « cassement de tête » à s’imposer pour embrasser tant d’éléments nouveaux, quaud il était si simple de rester tranquille.
- Le sens des difficultés pratiques était aussi vif chez la généralité des membres que l’était peu celui de la nécessité sociale de la tentative.
- Les Conférences de Godin, surtout celle du 5 avril
- Cl) Ces lignes font partie d’une conférence datée a tort: 18 septembre 1877. Lire *8 septembre.
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- 1878, (Devoir, tome 19, 1895, page 705) nous en ont fourni d’irrécusables témoignages. On comprend donc comment la prudence et la circonspection purent conduire un certain nombre de personnes à s’abstenir presque de toute action, une fois qu’elles furent classées dans les Groupes. Pour qu’il en eût été autrement, il eut fallu que les chefs de fonctions prissent eux-mêmes l’initiative du mouvement et facilitassent l’immixtion des travailleurs, à titre de conseillers, dans les détails mêmes des services dont eux, chefs, avaient le soin. On conçoit quelle modification de l’état moral, en général, eût été exigée pour une telle ligne de conduite. Tl eut fallu que l’amour humanitaire qui domina toute la vie de Godin, eut trouvé son écho dans la grande majorité des cœurs.
- Passons aux Groupes qui se signalèrent par leurs œuvres. Ceux-là, nous le savons, furent à l’Usine au nombre de 30 sur 116. Dans notre numéro de mars dernier, nous avons — au cours du Dépouillement des registres de procès-verbaux — fourni deux spécimens des travaux de ces groupes. Et (coïncidence bien opportune) les deux seuls, registres en notre possession se sont complétés l’un l’autre et nous ont montré au vif comment la rareté et l’insuffisance actuelles des capacités s’opposent à la direction du travail par les travailleurs mêmes.
- Ne pouvant répéter ici les détails contenus dans notre susdit numéro, nous prions le lecteur de s’y reporter au besoin. Rappelons seulement que le cadre général des fonctions de l’Usine n’ayant pas été rempli d’une façon effective par les Groupes, certains de ceux-ci furent entravés ou paralysés dans leurs efforts par l’absence des concours complémentaires, indispensables au parfait aboutissement des travaux.
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- A l’époque, qui nous occupe, les Conférences de J.-B. A. Godin suivaient pour ainsi dire au jour le jour les travaux des Groupes, Unions et Conseils. Elles nous fournissent donc des témoignages certains de ce qui se passait dans les différents corps, des courants qui s’y produisaient, des règles de conduite qu’il était opportun de rappeler.
- Ainsi dans la Conférence du 5 octobre 1877 (Devoir, tome.18 page 322) Godin disait :
- « Sans assumer aucun rôle exécutif, les Groupes et Unions peuvent constater ce qui va mal, chercher les remèdes possibles, proposer ce qu’après examen ils ont trouvé de mieux. Mais il faut toujours commencer par se livrer à une sérieuse étude des choses. Critiquer est facile, trouver un bon remède est chose rare. On s’en aperçoit vite quand on essaye de traduire en fait ce qu’on avait cru bon en théorie....
- « Il faut savoir se critiquer soi-même, et quand on a saisi les lacunes de tel ou tel service, voir si le remède qu’on propose ne comporterait pas à son tour d’autres inconvénients.
- » Il faut aussi se rendre bien compte de la nécessité de capacités spéciales chez les personnes qui auront charge d’appliquer ce que vous proposez; et compter surtout avec Vinsuffisance des gens. Car, en toute chose, la capacité est excessivement rare.
- » Un fonctionnaire habile peut tirer bon parti de choses plus ou moins bien agencées et leur faire suivre quand même un cours régulier. Mais la plupart des individus même animés de la meilleure volonté ne peuvent cependant comprendre, et remplir qu’imparfaitement la tâche qui leur est confiée. »
- • Ce n’est pas seulement la rareté ou l’insuffisance des capacités exécutives que Godin relève en ces termes, si propres à stimuler son auditoire dans la
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- culture de soi-même, il poursuit, et ceci vise la capacité administrative :
- » Il ne suffit donc pas de voir le mal et de le signaler, il faut de plus non seulement indiquer un remède efficace et ne prêtant pas lui-même à des inconvénients plus graves que ceux qu’ont veut écarter; mais encore désigner les fonctionnaires en état de bien appliquer ce qu’on propose. »
- Pour bien comprendre ces paroles de Godin, il y a lieu de se reporter au Préambule du Projet de Règlement des corps représentatifs du travail (Devoir, tome 17, page 452). On y lit, en effet : « Il faut que les aptitudes puissent se reconnaître, s’essayer, se classer; que le mérite de chacun puisse se mettre en relief, se faire apprécier et qu’ainsi soient désignées la fonction et la situation hiérarchique auxquelles, dans l’intérêt général, l’individu doit être appelé, en raison de sa capacité spéciale, de sa moralité, de ses habitudes laborieuses et de la bienveillance de son caractère. »
- On conçoit combien la généralité des travailleurs était loin de pouvoir remplir un tel rôle. Mais, dans la pensée de Godin, c’était faire œuvre nécessaire, urgente, que d’amener les futurs membres de l’Association à toucher du doigt les nécessités administratives et à constater les lacunes qu’il fallait combler dans leur sein même par le plus d’éducation générale possible, comme par la recherche au dehors des capacités indispensables au soutien et à la prospérité de l’association,
- Un autre point très important pour l’avenir de l’œuvre était celui des innovations industrielles. Nous avons déjà touché la question dans notre numéro d’août dernier et montré comment et pourquoi — malgré la constitution des corps représentatifs du travail
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- — les inventeurs préféraient, et de beaucoup, soumettre leurs innovations à Godin lui-même que de les faire passer par la filière des Groupes, Unions et Conseils.
- Très pénétré de l’importance de ce sujet dont pouvait à un moment dépendre la prospérité de l’industrie, Godin y revint à maintes reprises dans ses Conférences.
- Prenant pour exemple la situation dans laquelle il avait retrouvé son Usine après les cinq ans qu’il avait passés à Versailles en qualité de Député, il disait : {Devoir, tome 18, page 14).
- « Les industries doivent progresser sans cesse sous peine de déchoir rapidement et de disparaître. — Qui donc, après moi, fera les inventions utiles à la vie de l’Usine? Qui donc aura l’esprit créateur, prévoyant, attentif, passionné pour la recherche des produits pouvant le mieux satisfaire aux besoins des consommateurs? Ce sera l’association. Les Groupes devront aisément pouvoir accomplir cette œuvre. Que sera-ce pour eux que la création de 4 ou 5 modèles par an? Et cela répété chaque année contentera la clientèle et lui prouvera qu’on est soucieux de lui complaire. »
- Et, pour affermir la marche en cette voie, il précise aux Groupes, Unions et Conseils quel doit être leur rôle en face des idées nouvelles : (Même volume, p. 132.
- « L’idée^doit être proposée d’abord dans le Groupe; elle doit être inscrite au registre, figurer dans le procès-verbal. L’examen et la discussion s’en empareront, l’idée en bénéficiera, s’il y a lieu, et se complétera avant d’être soumise à l’Union qui, à son tour, prononcera sur elle, puis la transmettra au Conseil. Fécondées par ces études diverses, les idées auront plus de chance de devenir utiles. .
- « Parfois, il arrive qu’un homme dans l’isolement a
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- une idée bonne en soi, mais dont il ne tire aucun parti, parce que tous les éléments de développement de son idée lui font défaut... »
- Et il appelle tout spécialement l’attention des chefs de fonction sur un mode d’éveil de l’idée dont il a fait plus d’une fois l’expérience :
- « Il m’est arrivé », dit-il, « en voyant l’ouvrier au travail et même des ouvriers s’exerçant mal, de concevoir des idées qui, par l’étude et la culture, devenaient utiles et pratiques. Le même fait peut se produire devant des propositions informes. Il faut donc bien se garder de repousser de prime abord, comme n’étant ni neuve, ni utile, l’idée proposée par qui que ce soit. Faites-lui suivre la voie hiérarchique des examens que comporte la nouvelle représentation du travail ; que chacun de vous apporte dans ces examens le désir de faire valoir autrui et non de l’éclipser ; ainsi se développeront les ressources de l’association pour votre plus grande prospérité à chacun.
- » L’association est appelée à transformer la condition matérielle des travailleurs, dans la mesure où les travailleurs mêmes sauront pratiquer entre eux la véritable morale, celle de l’amour du bien de tous, sans laquelle l’association elle-même ne pourrait se soutenir. »
- Nous lisons encore dans le même volume, page 197 : « Les propositions, les idées nouvelles rencontrent presque toujours de l’hostilité et de l’opposition ; c’est pour cela même qu’il est du plus grand intérêt de les consigner toutes dans les procès-verbaux, avec la résolution prise à leur égard et le chiffre des votants. Ainsi que je l’ai dit déjà, un second examen peut faire mieux apprécier telle idée ou proposition dont la valeur avait échappé tout d’abord.»
- Cette sollicitude de Godin pour l’idée nouvelle, son rare talent pour saisir et bien juger une proposition
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- même à peine dégrossie dans l’esprit de l’inventeur, son empressement à reconnaître et récompenser le mérite chez autrui, ces dispositions — traits essentiels de la capacité administrative — étaient à la fois si bien connues du personnel et jugées si difficiles à trouver ailleurs que les inventeurs ne pouvaient se résoudre à présenter leurs idées et propositions nouvelles dans les groupes.
- En général, les auteurs de ces idées ou propositions craignaient de se voir dépouillés du mérite de leur part d’action au cours des examens hiérarchiques et des modifications qüe l’idée ou proposition nouvelle pouvait subir.
- Néanmoins, sous la poussée persistante de Godin, des propositions en assez grand nombre, nous l’avons vu (Devoir d’août dernier) passèrent au cours du premier semestre, par les Groupes, Unions et Conseils.
- Il y avait là, on le comprend, pour l’organisation tout entière, un élément de culture industrielles d’une inexprimable valeur.
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- Le lecteur qui a suivi les conférences de J.-B. André Godin est certainement resté pénétré des incessants efforts de celui-ci pour amener ses auditeurs à lui demander tous les éclaircissements propres à une parfaite communauté de pensée entre eux et lui-même.
- Dans une conférence du 19 octobre 1877 (Devoir, tome 18, page 386) nous avons vu Godin développer cette proposition que « si l’auditoire ne lui signale pas les points où il a pu être obscur, de fausses interprétations s’ensuivront et qu’il en pourra résulter, dans le fonctionnement des choses, des embarras qu’on aurait prévenus en demandant à temps les éclaircissements nécessaires. Il ajoutait :
- « Ainsi, j’ai déjà constaté que les indications données dans mes conférences concernant les Groupes et Unions
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- étaient interprétées diversement, au sein même des Unions et Groupes, et que je n’avais pas toujours été compris.
- » Si personne ne signale à temps ces obscurités ; comment y remédierai-je ?
- » Qu’on ne craigne donc pas de prendre la parole, si l’on veut marcher sûrement dans la voie nouvelle ; qu’on me demande tous les éclaircissements jugés nécessaires ; qu’on me signale les cas qui paraissent embarrassants ; de cette façon, nous avancerons l’heure de la signature du contrat d’association et nous diminuerons les embarras des débuts.
- » Il m’est impossible de me faire à l’avance le tableau de toutes les fausses interprétations qu’on peut faire de ce que je dis ; c’est à vous de me signaler sans hésiter, toute proposition qui paraît prêter à double entente ou qui manque de clarté. »
- Le lecteur sait que les auditeurs ne se rendirent pas à cet appel de Godin et que, bientôt, les groupes, en si petit nombre, qui avaient essayé de fonctionner s’arrêtèrent complètement. Ce sujet nous ramène à la cause fondamentale de l’échec de la tentative, à l’obstacle que nous croyons saisi depuis longtemps par le lecteur, celui qu’on peut qualifier de primordial. Un mot encore et nous passerons à son examen.
- **•
- Le sujet que nous examinons est si neuf qu’il nous paraît utile de condenser en termes aussi brefs que possible les difficultés pratiques indiquées par nous comme se rattachant à ces deux graves obstacles-révélés par les faits :
- — Insuffisance des capacités, - .
- — Manque de sens administratif.
- De cette double insuffisance résulte :
- L’impossibilité pour le grand nombre d’embrasser l’ensemble d’une représentation du travail dans les faits industriels ;
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- L’abstention obligatoire pour ainsi dire de l’illettré : celui-ci étant dans l’impossibilité de se rendre compte par lui-même du règlement constitutif de la représentation du travail, de voter en pleine maîtrise de son bulletin s’il s’inscrit dans un groupe, et de se tenir par l’examen direct des Registres au courant des travaux des différents corps;
- ' L’impossibilité pour la masse de remplir le cadre général des fonctions à représenter ; et, conséquemment, le manque de concours indispensables au meilleur achèvement 'des travaux tentés sur quelques points de l’organisation;
- L’impuissance de la plupart des électeurs à juger sûrement par eux-mêmes des qualités qui doivent désigner les éligibles aux votes de leurs pairs, dans les corps représentatifs du travail ;
- La promptitude à critiquer vivement les abus sans y adjoindre l’indispensable complément : un vrai et pratique remède ;
- La difficulté pour tous, ouvriers et chefs de service, d’intervenir les uns à côté des autres dans les faits du travail, sans soulever entre eux d’inextricables conflits;
- La tendance chez beaucoup à s’exalter soi-même dans les faits de la production, fut-ce au détriment d’autrui ; plutôt qu’à reconnaître et proclamer les mérites du prochain, si intéressants que fussent ces mérites pour l’avenir et la prospérité de l’œuvre commune;
- La répugnance générale, chez ceux qui trouvent suffisante leur position, à s’imposer des labeurs et des préoccupations — peut-être pensent-ils, des soucis — pour mieux assurer le bien des autres, la garantie de leur propre avenir fut-elle comprise dans l’œuvre proposée.
- Voyons maintenant l’obstacle primordial.
- (A suivre)
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- FÊTE DE L’ENFANCE
- Inaugurée en 1863, le Dimanche 13 septembre {Devoir de Juillet 1892, tome ld, page 385) et inscrite, depuis, au rang des prescriptions statutaires, la Fête de l’Enfance est célébrée chaque année en septembre au Familistère de Guise.
- Bien des relations de cette Fête ont été publiées dans la collection du journal Le Devoir, et nos lecteurs en connaissent les traits principaux :
- Ce n’est pas l’Enfance seulement, c’est la population toute entière qui est en fête ce jour-là.
- La cérémonie proprement dite de la distribution des prix a lieu au théâtre dans la salle même des représentations ; les enfants occupent le parterre; le public est dans les galeries ; sur la scène — dont les abords sont richement ornés de fleurs — se tiennent les membres des différents conseils de l’Association ; en arrière, sont les musiciens.
- Un discours est prononcé par l’Administrateur-gérant avant la proclamation des récompenses.
- Au foyer du théâtre a lieu l’exposition des travaux des élèves, exposition toujours très recherchée du pu blic. Le soir, il y a bal dans la grande cour du pavillon central décorée pour la circonstance. Enfin, sur la place même du Familistère, les marchands forains sont installés. La fête dure deux jours : le dimanche et le lundi. Des jeux divers occupent la seconde journée.
- Pour les enfants, la fête commence dès le samedi après-midi, par une petite cérémonie intime.
- Toutes les classes sont réunies devant la Commission scolaire présidée par M. l’Administrateur-gérant ; lé s décorations qui seront portées le lendemain à la
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- Fête sont décernées aux élèves les plus méritants ; quelques morceaux de musique sont chantés, puis les élèves sont mis en liberté en attendant la réunion solennelle du lendemain.
- Ces grandes lignes habituelles ont été suivies dans la Fête qui a eu lieu, pour la 34me fois, le dimanche 6 septembre dernier.
- Un coup d’œil rétrospectif sur cette série de Fêtes de l’Enfance peut avoir son intérêt.
- ' L’institution remonte, nous venons de le dire, au 13 septembre 1863. Alors, le théâtre ni les bâtiments scolaires n’existaient ; la Fête fut inaugurée dans la cour intérieure de l’aile gauche du Familistère.
- Nous avons reproduit dans notre numéro de Juillet 1892, tome 16, page 385, ce qu’il nous a été possible de retrouver du discours prononcé à cette époque par J. B. André Godin. -Le lecteur a pu voir que déjà Godin indiquait comme but de ses efforts : VAssociation du capital et du travail.
- Même volume, page 642, nous avons signalé l’ouverture en juillet 1866 d’un registre spécial aux procès-verbaux des séances des Conseils élus (12 hommes et 12 femmes) au Familistère. Ces conseils ayant dans leurs attributions le soin des fêtes, il nous a été possible de trouver, dans le susdit registre, les traces de la célébration régulière des Fêtes de l’Enfance, jusqu’en 1873. Malheureusement, ce registre ne nous donne guère que les programmes de ces premières fêtes.
- Cependant J. B. André Godin y prenait la parole, et saisissait l’occasion de telles assemblées pour expliquer à ses auditeurs vers quel but il les dirigeait.
- En 1868, il prononça à la Fête de l’Enfance, qui se célébrait alors dans la grande cour du pavillon central, un discours dont le sommaire est resté en nos mains.
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- Nous l’avons publié au cours des Documents biographiques, dans notre numéro de novembre 1892, tome 16, page 650. Il témoigne de l’attention profonde donnée par Godin à l’organisation scolaire, de son désir de la culture intégrale de l’enfant.
- Le sommaire termine par cette pensée :
- « Les générations élevées au Familistère en comprendront les bienfaits ; elles se montreront dignes de servir d’exemple par leur élévation intellectuelle et morale et concourront ainsi à élever le travail au vrai rang qu’il doit occuper dans nos sociétés. »
- L’élévation, la glorification du travail ! pensée chère à Godin et au triomphe de laquelle tous ses actes ont été employés.
- En 1869, le théâtre et les bâtiments scolaires furent édifiés. — Ce fut donc la dernière année où la proclamation des prix décernés aux élèves eut lieu dans la cour du pavillon central. Le programme de la Fête comprit des morceaux de musique, des chœurs et la représentation de deux comédies enfantines.
- Depuis, cette époque, la fête proprement dite de la distribution des prix aux enfants a lieu dans la salle du théâtre, ainsi que nous l’avons dit plus haut.
- Des renseignements supplémentaires nous sont fournis sur les Fêtes de l’Enfance par la Presse qui, dès 1865, s’empara de l’œuvre du Familistère et y consacra de nombreux articles. Nous reviendrons sur ce sujet en temps et lieu.
- En 1877, le fondateur du Familistère ayant résigné son mandat de député pour être tout à son œuvre, inaugura — nos lecteurs le savent — une série de conférences avec son personnel, et dans une de ces conférences, il parla de la Fête de l’Enfance qui venait d’être célébrée le 2 septembre 1877. (Devoir de janvier 1894, tome 18, page 6.)
- Mais nous voici à l’époque de la fondation du journal
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- Le Devoir : 3 mars 1878. Naturellement, le journal publia un récit détaillé de la Fête de l’Enfance célébrée cette année-là et reproduisit le discours de J. B. André Go-din (Devoir du 15 septembre 1878, lre année, tome 2, page lre.) Depuis cette époque jusqu’aujourd’hui, le lecteur peut trouver dans la collection du Devoir — en consultant les discours du fondateur — les grandes lignes du mouvement scolaire et les faits généraux intéressant l’Enfance.
- En 1885, à la Fête de l’Enfance célébrée le 6 septembre, J. B. A. Godin prononça des paroles bien intéressantes à rapprocher de ce qu’il avait dit en procédant à l’Inauguration des Fêtes de l’Enfance en 1863. A cette première fête, nous l’avons rappelé plus haut, il indi: quait comme but de ses efforts : Y Association du capital et du travail.
- En 1885, 22 années s’étaient écoulées remplies des plus graves épreuves......
- Mais le fondateur avait atteint son but : l’Association du capital et du travail était réalisée ; elle fonctionnait légalement depuis le 13 août 1880, c’est-à-dire depuis cinq ans. Et J. B. A. Godin disait ( Devoir 13 septembre 1885, tome 9, page 562 ) : « La plus grande vigilance, la plus grande sollicitude, ne doivent cesser d’être portées sur l’enseignement de nos enfants, si nous voulons assurer le développement et la prospérité de l’association même......
- w Les Ecoles, les ateliers, les bureaux, les habitations constituant par l’association un corps unique, chacun est ici intéressé, par lui-même ou les siens, à la bonne marche des choses dans les moindres détails....
- » L'idée qu’une association comme la nôtre doit naturellement conduire à l’instruction véritablement utile et pratique, est sentie à l’étranger d’une façon remarquable.
- » On nous écrit pour avoir nos programmes. Le
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- Familistère suivant l’enfant du berceau jusqu’à l’apprentissage, on se dit qu’il doit y avoir dans notre enseignement une suite, une harmonie, une impulsion vers les choses pratiques que nous nous efforçons, du reste, de réaliser de plus en plus.
- » Ces jours-ci encore, vous avez vu une sous-Inspec-trice de Londres venir étudier les. méthodes employées dans nos classes, afin d’en faire bénéficier en Angleterre, les enfants confiés à ses soins.
- » Dans toutes les nations, on se préoccupe de développer l’enseignement primaire.
- » Mais combien de choses restent à faire en regard de ce qui est réalisé dans cette voie en faveur du peuple, même chez les nations les plus civilisées, aujourd’hui.
- » La France a la loi qui rend l’instruction primaire obligatoire et gratuite, mais elle manque d’Eco-les ; elle engouffre des capitaux dans le budget de la guerre et laisse presque à sec celui de l’instruction publique.
- » L’Angleterre et toutes les nations sont dans le même cas ; toutes doivent élever des écoles pour que l’instruction primaire soit possible.
- » L’instruction, cette première richesse de l’enfant du peuple, est donc à notre époque à peine donnée ; notre association constitue, au bénéfice de ses membres, un remarquable exemple de ce qui devrait être fait dans toutes les communes.
- « Mais on ne sait pas assez créer les ressources nécessaires à l’instruction destinée à faire des citoyens, plus intelligents, plus dignes, plus capables, et propres à rendre à leur patrie, lorsqu’ils seront devenus hommes et femmes, ce qu’ils en ont reçu et davantage selon l’éternelle loi du progrès.
- » En attendant, chers élèves, que l’Etat étende les bienfaits de l’instruction publique jusque dans les
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- associations que les travailleurs pourront former pour leur bien propre, l’Association du Familistère s’efforce et s’efforcera de vous doter de ce bien essentiel, l’instruction, que nul ne peut ensuite vous ravir et qui ira se développant, si vous savez vous-mêmes vous attacher à enrichir le trésor de vos connaissances primaires, en agrandissant le cercle de votre intelligence.
- » Recevant de l’association ces bienfaits qui vous assurent une heureuse enfance, vous avez pour devoir essentiel de travailler de façon à transmettre plus tard, aux enfants qui vous succéderont, ce que vous aurez reçu et ce que vous y aurez ajouté ; car, l’humanité doit avancer sans cesse ; chaque progrès réalisé rend plus facile un progrès nouveau ; et ce qui est vrai de la société en général est vrai aussi d’une entreprise comme celle de l’Association du Familistère.
- » Mais pour remplir ce devoir, mes enfants, vous avez à vous rendre compte de ce qu’est l’Association même, dont vous êtes appelés à devenir un jour les membres actifs. A mesure que vous grandirez vous comprendrez mieux et vous devrez chercher à mieux comprendre le fonctionnemeni et le but des institutions fondées ici et en quoi le sort du travailleur y diffère si profondément de ce qu’il est ailleurs.
- » Les questions concernant l’amélioration du sort de l’ouvrier sont destinées, très vraisemblablement, à être profondément agitées autour de vous.
- » A mesure que vous grandirez vous entendrez de plus en plus parler de coopération et d’association, et débattre les moyens les plus sûrs ou les plus directs de réaliser le bien-être des masses ouvrières.
- » Je crois donc qu’il n’est pas sans intérêt, du moins pour les aînés d’entre vous, de vous indiquer tout de suite de quel côté est la lumière.
- ft
- » Elle est avec ceux qui, repoussant tout esprit d’égoïsme, voudront réaliser, non pas leur seul bien-
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- être individuel sans souci de venir en aide à autrui, mais le bien-être de tous les travailleurs auxquels ils seront reliés.
- » C’est ce que les faits proclament aujourd’hui à côté des simples notions de la morale.
- » Il est une nation, par exemple qui a devancé la France dans la constitution des sociétés coopératives. Je veux parler de l’Angleterre où ces sociétés sont en nombre considérable. Les capitaux qui leur appartiennent se chiffrent par des sommes énormes.
- » Les grands chefs du mouvement, ceux-là mêmes qui ont fondé ia Coopération en Angleterre, disent bien haut aujourd’hui à toutes les sociétés coopératives :
- » Ne vous arrêtez pas là, vous n’avez accompli que le premier pas sur la voie ouverte devant vous. Vous avez des capitaux en mains, utilisez-les dans la fondation d’industries où le travail sera associé aux bénéfices, comme dans l’association du Familistère de Guise, et touchera la juste part des profits qu’il concourt à produire. Fondez des palais ouvriers à l’instar de celui de Guise ; pourvoyez ces palais de comptoirs de vente des choses nécessaires à la vie; faites, pour l’industrie et le travail, ce que vous avez fait pour le commerce. Organisez, comme au Familistère, l’assurance des familles contre le dénûment en cas de besoin ou de malheur, de maladie ou de vieillesse; donnez les soins et l’instruction à l’enfance; et vous réaliserez ainsi pour vos capitaux le placement le plus fécond pour votre bien propre et celui de vos frères en humanité.
- » Voilà, mes enfants, les enseignements qui sont donnés aujourd’hui aux ouvriers à l’étranger, concernant l’association du Familistère de Guise.
- » Vous, appelés à être un jour membres actifs de cette association, sachez mus rendre compte de ce qu'elle
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- est et du rôle que vous aurez à y remplir, pour la transmettre à vos descendants, non pas amoindrie, mais plus riche encore que vous ne Vaurez reçue de nous.
- )) Vous vous disposerez d’autant mieux à être à la hauteur du rôle qui vous incombe, comme membres de la première Association complète du travail et du capital, que vous commencerez par être de bons et studieux écoliers, respectueux et affectueux envers vos maîtres et maîtresses, reconnaissants, bons et dévoués envers vos parents. Ces sentiments existent chez vous, mes enfants, développez-les, vous serez la gloire de l’association et vous atteindrez le but que vise le Familistère : la réalisation des conditions de bien-être physique, intellectuel et moral pour toutes les familles laborieuses. »
- Ces paroles de J.-B. André Godin assignant pour devoir aux jeunes gens « de se rendre compte de ce qu’est l’Association même, d’étudier le fonctionnement et le but de ses institutions, et la différence du milieu avec ce qu’il est ailleurs; ne sont pas restées sans ccbo : le corps enseignant au Familistère s’applique surtout depuis quelques années à faire comprendre aux élèves les dispositions générales des statuts de l’Association, et la commission scolaire a mis cette année la question au rang des matières donnant lieu aux examens annuels.
- Il est bon de noter du reste que le pacte statutaire (article 122, dernier alinéa) s’exprime ainsi : « L’administration de la Société doit faire enseigner aux élèves et s’attacher à leur faire comprendre la grandeur et les bienfaits de l’Association afin que tous, autant que possible, deviennent de dignes continuateurs de l’œuvre de leurs prédécesseurs. »
- L’an d’après, à la Fête du 5 septembre 1886, J.-B. A. Godin fit à grands traits l’historique de son œuvre, spécialement de la fondation des institutions concer*
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- nant l’Enfance, et donna même le programme des Etudes de chaque classe. [Devoir, 1886, tome 10, pages 577 à 583).
- La dernière fête de l’Enfance à laquelle assista Jean-Baptiste-André Godin fut celle célébrée le 4 septembre 1887 — c’était la 25me — son décès survint le 15 janvier 1888.
- Le dernier discours que nous avons de lui à l’occasion d’une Fête de l’Enfance (voir Devoir du 11 septembre 1887, tome 11, pages 577 à 580) contient les plus intéressants détails sur les méthodes d’enseignement appliquées dans toutes les classes, à commencer par la première année d’enseignement maternel.
- Il traite de l’Enseignement de la lecture par la Méthode, toute nouvelle alors, de madame E. Dallet (1).
- Le côté pratique et attrayant de cette méthode avait frappé le fondateur du Familistère, il en avait prévu le succès.
- Les neuf années écoulées depuis lors ont justifié les prévisions de Godin.
- Dans nos numéros de mars et mai 1889 (pages 185 et 312) et dans notre numéro de septembre 1893 (page 565), nous avons signalé à nos lecteurs les avantages de cette Méthode, et nous nous proposons d’y revenir dans un prochain numéro ; car l’expérience n’ayant cessé de révéler le mérite du procédé, les avantages mêmes qui en ressortaient ont mis l’auteur sur la voie d’un complément des plus intéressants (2); et nous jugeons qu’il est de notre devoir envers l’Enfance en général de répandre, autant qu’il nous est possible, une chose aussi féconde en excellents résultats que
- (1) Petite méthode de lecture pour l'emploi des caractères mobiles, à l’usage_ des écoles et des familles, par Mra* E. Dallet. Librairie Ch. Delagrave, 15, rue Soufflot, Paris. — Livre d'initiation. Prix : 0 fr. 60.
- (2) Lioret de transition pour conduire à la lecture courante et à l'écriture, Méthode de madame E. Dallet. Librairie Ch. Delagrave, 15, rue Soufflot, Paris.
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- l’initiation de l’enfant à la lecture, par un procédé clair pour lui, attrayant, logique et concret.
- Après avoir signalé à ses auditeurs d’autres procédés pour doter les enfants de connaissances diverses, J.-B.-André Godin terminait son discours à la Fête de l’Enfance de septembre 1887, par ces paroles :
- « Dans les conditions où se trouve l’enfance au Familistère, elle jouit certainement du sort le plus heureux qu’il soit donné à une collectivité de 552 enfants d’éprouver sur la terre.
- » C’est, pour moi une satisfaction intime de voir la paix, le contentement et le bonheur dont jouissent tous les enfants du Familistère, depuis le berceau jusqu’à l’âge où ils cessent d’être sous le patronnage des soins et des attentions que l’Association leur accorde dans les classes.
- » Sachez-le bien comprendre, mes chers enfants, et soyez assez sages au milieu de vos satisfactions et de vos plaisirs de tous les jours, pour mettre à profit l’instruction qu’on vous donne.
- » Bien travailler à l’école, c’est se pouvoir des éléments indispensables pour faire son chemin dans la vie, pour entrer dans les rangs du travail producteur.
- » Quand vous en êtes arrivés là, les conseils que je puis avoir à vous donner, chers enfants, sont les mêmes que ceux que je puis adresser à tous les habitants du Familistère :
- » Travailler et agir pour le plus grand bien de l’Association, c’est là qu’est votre plus sûr avenir ; en même temps que c’est le moyen pour vous de bien mériter de la société. »
- Puissent ces paroles être toujours la règle de tous les membres de l’Association.
- ***
- Revenons maintenant à la Fête célébrée les 6 et 7 septembre dernier.
- En voici le programme :
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- SOCIÉTÉ DU FAMILISTÈRE DE GUISE
- FÊTE DE L'ENFANCE
- CÉRÉMONIE AU THÉÂTRE
- DIMANCHE, 6 SEPTEMBRE, à 3 heures du soir
- 1. Philémon et Baucis, Harmonie.... ......... Gounod.
- 2. Les Mineurs, Chœur par les élèves......... A. Dupont.
- 3. Ballet d’Hamlet, Harmonie................. A. Thomas.
- 4. Discours de M. Dequenne.
- 5. Ballet d’Hamlet, Harmonie..,.............. A. Thomas.
- 6. Halte de nuit au Désert, Chœur par les élèves... A. Dupont.
- 7. Distribution des Prix.
- SORTIE DU THÉÂTRE 8. Dans la Cour du Familistère, aile gauche.
- AURORE, polka pour bugle, jouée par la Société musicale. Mayeur.
- LES TRAVAUX DES ÉLÈVES SONT EXPOSÉS AU FOYER DU THÉÂTRE ENTRÉE LIBRE
- PROGRAMME DE LA MATINEE THEATRALE
- DONNÉE PAR LES ÉLÈVES DES ÉCOLES DU FAMILISTÈRE
- LUNDI 7 SEPTEMBRE, A 2 HEURES 1/2, AU THÉÂTRE
- 1. Les Cymbales de papa, Chant et Jeu
- mimé pour petits enfants...........
- 2. Ah ! mon beau jardin, Ronde pour
- petites filles.....................
- 3. Les petits ouvriers, Chant avec gestes
- pour petits garçons................
- 4. C'est un poisson d’avril, Saynette à 5
- personnages........................
- 5. La Meunière, Jeu avec chant pour jeu-
- nes filles.........................
- 6. La Fée de Blanche et de Renée, Say-
- nette à 4 personnages.... .........
- 7. Les Lauriers, Chœur à 2 voix, par les
- élèves de la 2e année primaire.....
- 8. Le Truc de Maurice, Proverbe 6 per-
- sonnages...........................
- 9. Le Jeu du Blé, Chant et gymnastique
- pour jeunes garçons................
- 10. Miss Tempête, Proverbe en 1 acte,
- 4 personnages......................
- 11. Le Devin, Scène chantée pour jeunes
- garçons............................
- 12. Les Premiers beaux Jours, Ronde
- pour fillettes.....................
- Auger.
- J. Delbruck.
- M”8 Pape-Carpentier. B. Vadier.
- J. Delbruck.
- B. Vadier.
- W. Moreau.
- B. Vadier.
- M”8 Pape-Carpentier. B. Vadier.
- J. Delbruck.
- J. Delbruck.
- A l'issue de la Matinée théâtrale, les enfants se rendront, sous la surveillance des Maîtres et des Maltresses, dans la Cour du Pavillon central, oû une colla,-tion et des rafraîchissements leur seront servis.
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- L’an dernier, dans notre numéro d’octobre (page 601), nous avons déjà signalé à nos lecteurs les ressources qu’offreût pour l’organisation de vraies fêtes enfantines les ouvrages suivants :
- Récréations instructives, de Jules Delbruck ;
- Jeux gymnastiques, de Mme Marie Pape-Carpentier;
- Ajoutons la précieuse collection du
- Magasin d'Education et de Récréation, de J. Hetzel (18, rue Jacob, Paris), où se trouvent nombre de petites scènes des plus faciles à reproduire.
- C’est en empruntant à ces divers ouvrages les morceaux qui cadraient le mieux avec les capacités des élèves, que la direction des Ecoles et le corps enseignant ont composé le programme de la Matinée théâtrale donné ci-dessus.
- Maîtres, maîtresses ou parents vont peut-être, à l’examen de ce programme, s’écrier : « Mais il n’est pas facile d’organiser de telles récréations; ou les rondes et les scènes se feront sans costume ni théâtre, ce qui leur enlèvera beaucoup de charme, ou elles entraîneront des dépenses et surtout des soins, des préoccupations, des travaux que la plupart des personnes ne sont ni en goût ni en possibilité de s’imposer. »
- A quoi nous répondrons : les choses peuvent être organisées de la façon la plus simple et causer aux enfants le plaisir le plus vif. Car, la source de leur joie est surtout dans le rayonnement général d’amitié et de cordialité qui se dégage de ces petites fêtes.
- Une représentation composée de rondes et scènes enfantines analogue à celle dont nous venons de donner le progamme, avait déjà été organisée au Familistère pour le lendemain de la Fête de l’Enfance en 1887.
- Le lecteur en possession de la collection du Devoir pourra voir que certains morceaux figurent même aux deux programmes.
- Eh ! bien, le plaisir des enfants d’alors fut aussi vif
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- que celui des enfants d’aujourd’hui, bien que l’ordonnance matérielle eût été plus simple en 1887.
- Seulement, alors comme aujourd’hui, on était parti de ce point essentiel : le désir de fêter au mieux VEnfartce selon les ressources dont on disposait.
- Et tout est là : pour les petits comme pour les grands, les fêtes valent selon les sentiments qui y président.
- Hommage donc à l’initiateur de la Fête de l’Enfance au Familistère, à l’administration qui, fidèle à l’esprit des prescriptions statutaires, non seulement pourvoit avec libéralité aux dépenses que ces fêtes entraînent, mais facilite au corps enseignant l’organisation des récréations jugées les meilleures; hommage enfin aux membres de l’Enseignement sur qui retombent les soins d’organisation et d’exécution de ladite Fête et qui, en telle occurence, sont les agents du plaisir de tous!
- Les deux journées des 6 et 7 septembre dernier n’ont été qu’une série de joies pour la population du Familistère.
- Le principal attrait de la cérémonie du dimanche fut la distribution : 1° de nombre de volumes très luxueux aux élèves de l’enseignement primaire; 2e de jouets à tous les petits enfants des classes maternelles.
- La Société musicale du Familistère, par le talent de ses membres, ajouta le plus grand charme à la cérémonie.
- Le discours prononcé avant la distribution des prix et des jouets par l’Administrateur-gérant de la Société du Familistère, M. Dequenne, est reproduit à la suite de cet article, page 606.
- Passons à la journée du lundi, spécialement à la Matinée théâtrale dans laquelle la moitié des élèves, filles et garçons, soit environ 250 enfants — de 4 à 12 ans — furent acteurs.
- Les élèves ne jouant pas ou ceux non encore récla-
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- més pour les besoins du spectacle occupent le parterre. La salle est bondée de spectateurs.
- A l’heure précise, le rideau se lève et l’on voit sur la scène une cinquantaine de bébés de 4 à 5 ans, émerveillés eux-mêmes de la vue de la salle, quelques-uns vaguement confus de la nouveauté de leur situation. Tous, avec une sûreté de voix et de geste qui transporte de joie l’assemblée, exécutent avec mouvements appropriés le premier chant : « Les Cymbales de Papa.»
- Les bravos et les acclamations, difficilement contenus depuis le lever du rideau, éclatent avec chaleur, tandis que le rideau baisse. Il se relève presque aussitôt et chacun des morceaux du programme passe ainsi sous nos yeux, soulevant des applaudissements passionnés.
- Vers la fin du spectacle l’enthousiasme, très excité par la scène du Devin, chanté par de jeunes garçons de 10 à 12 ans. est porté à son comble par la ronde : Les premiers beaux jours, exécutée par un groupe de fillettes dont douze revêtues de costumes allégoriques figurent des naïades, des oiseaux, des papillons et des fleurs.
- Un dernier tableau ravit les spectateurs : tous les enfants ayant figuré en costume dans les diverses parties de la représentation, sont groupés sur la scène.
- En avant domine le Devin avec son grand chapeau pointu et sa longue robe de percaline noire ; le tout constellé d’étoiles et de signes cabalistiques, exécutés au moyen de papier doré ou argenté et de poudres adhésives de nuances diverses. Les fraîches et simples toilettes des deux petites Meunières font le plus agréable contraste avec cette parure bigarrée du Devin.
- Mais comment décrire les douze petites figures allégoriques déjà mentionnées :
- Les deux naïades parées d’écharpes en gaze glacée bleue pâle, avec franges de soie blanche, perles de cristal et roseaux ; et ayant dans les cheveux un
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- diadème de myosotis surmonté d’aigrettes de fines perles transparentes ;
- Le pinson, le rossignol et les deux hirondelles avec leurs ailes de gaze aux nuances voulues, tachetées comme il convient, et plissées de telle sorte que les enfants en en saisissant l’extrémité du bout des doigts les développent et donnent l’illusion du mouvement ;
- Et les deux papillons aux grandes ailes de mousseline noire plaquées d’or et de velours aux tons les plus riches ;
- Et enfin les quatre fleurs : reine - marguerite, œillet, bleuet et pavot!
- Du papier à fleurs chiffonné par des doigts d’artistes : voilà tout au point de départ.
- Quant au résultat, ah! lecteur, que n’étiez-vous là 'pour le lire dans les yeux ravis des pères et des mères !
- Chaque fillette était elle-même la fleur agrandie, corolle à la jupe, calice au corsage ; la fleur se répétait en dimensions moyennes aux manches et à la coiffure; enfin, elle se trouvait en bouquet ou guirlande de grandeur naturelle sur quelque point de la toilette.
- Oh ! ce tableau final, cette apothéose des enfants ! comme le souvenir en restera dans les cœurs...
- Nous ne sommes que l’écho des parents en disant encore :
- Merci et hommage aux organisatrices et organisateurs de cette inoubliable fête! Et félicitations à tous les enfants qui y jouèrent un rôle, des plus petits aux plus grands.
- Chacun exécuta sa partie de façon à faire valoir l’ensemble ; puisse-t-il en être de même pour eux toute la vie ! Et puissions-nous, tous et toujours, accomplir chacun notre besogne journalière dans les conditions les plus propres à servir le bien général !
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- Discours de M. Dequenne
- Chers Elèves et chers Amis,
- Cette année, comme les précédentes, je viens, accompagné du Conseil de gérance, remplir un devoir doux à nos cœurs, celui de présider votre fête et participer à votre Joie et à vos plaisirs qui sont partagés également par vos parents et vos familles.
- Au Familistère, comme partout en France et autres pays civilisés, c’est un usage établi depuis longtemps de récompenser, à la fin de l’année scolaire, les élèves qui se sont distingués par leur travail et leur mérite.
- Au palais social, la distribution des prix se complète d’une fête générale à laquelle prennent part tous les habitants et leurs invités.
- De même que la fête du travail que nous célébrons au Familistère, le premier dimanche de Mai, est la fête de tous les travailleurs adultes, de même celle de l'enfance est aussi une fête de travail, celle des petits travailleurs encore dans l’âge de l’enfance et de la jeunesse; ces deux fêtes se lient et se complètent. [Bravos). <
- Comme les années précédentes en pareille circonstance, je vais vous donner connaissance des résultats des examens et concours de l’année scolaire qui vient de s’écouler :
- Aux examens pour le certificat d’études primaires, nous avons présenté 19 élèves : 11 garçons et 8 filles de la cinquième année primaire, professeur monsieur Dehorter; 18 de ces élèves : 10 garçons et les 8 filles ont obtenu le certificat. 1
- Cinq élèves du cours complémentaire, professeur monsieur Gagner, ont obtenu la mention de dessin.
- Au concours ouvert par le « Manuel général » sur les facultés suivantes : Orthographe, calcul, composition française, écriture, sur 406 élèves des écoles de France
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- qui ont pris part au concours de la première série (élèves âgés de moins de 13 ans) Allart Emile a été classé 15me ; sur 162 élèves qui ont pris part au concours de la deuxième série (élèves de plus de 13 ans) Lobjeois Adrienne a été classée troisième et Hébert Marcel onzième; tous trois élèves du cours complémentaire ont obtenu un prix.
- L’élève Lobjeois Adrienne a de plus obtenu le brevet élémentaire devant la commission d’examen de Laon et a subi avec succès ses examens d’admission à l’école normale où elle est admise avec le n° 8, sur 45 aspirantes et 15 admises définitivement.
- Les succès obtenus par les élèves de cette classe nous font voir qu’elle est bien dirigée.
- Votre ancien camarade, Painvin Emile, admis l’an dernier à l’Ecole d’arts et métiers de Ghâlons avec un numéro inférieur, a beaucoup travaillé depuis et a été classé dans le cours de l’année scolaire à un rang plus élevé ; espérons qu’il continuera à bien travailler et qu’il sortira de cette école, dans deux ans, avec un numéro de classement supérieur.
- Bernardot Georges, élève aussi du Familistère, entré à l’école d’Armentières il y a deux ans, a subi avec succès l’examen à l’écrit pour l’admission à l’Ecole d’arts et métiers, il vient de passer son examen à l’oral et l’on peut espérer qu’il sera admis.
- Trois élèves du cours complémentaire : Allart Emile, Hébert Marcel et Macaigne Léon, ont été désignés par la commission scolaire et choisis par le conseil de gérance pour être placés et entretenus aux frais de l’Association à l’Ecole professionnelle d’Armentières afin d’y être préparés pour leur admission aux Ecoles de l’Etat.
- Ces choix ont été soumis à la ratification de l’assemblée générale du 9 août dernier, et comme je le disais en cette assemblée : on doit comprendre combien il est
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- utile et nécessaire pour le bien et l’avenir de notre Association d’avoir parmi nous un noyau de jeunes gens sortant de nos écoles, ayant complété leurs études dans les Ecoles professionnelles de l’Etat, qui se formeraient ensuite à la direction dans nos bureaux et nos ateliers et pourraient plus tard remplacer les chefs qui disparaîtraient.
- Pénétrée de ces pensées, l’assemblée générale a ratifié les choix du Conseil et nous aurons à l’école d’Armen-tières des élèves du Familistère qui y seront entretenus aux frais de l’Association.
- Espérons, mes enfants, que vos camarades s’y distingueront comme ils l’ont fait dans nos classes et qu’a-près quelques années de bonnes études dans cette école, ils pourront se présenter aux examens pour leur admission dans les grandes écoles professionnelles de l’Etat.
- Comme chaque année, dans la même circonstance, je répéterai aujourd’hui les mêmes recommandations aux maîtres et aux maîtresses, aux élèves et à leurs parents.
- M’adressant aux institeurs et aux institutrices, je leur recommanderai d’apporter tous leurs soins et leurs aptitudes, comme ils le font d’ailleurs, à l’instruction et surtout à l’éducation des enfants dont ils ont la garde ; ils savent que si l’instruction donne le savoir et développe les facultés intellectuelles, la bonne éducation donne le savoir-vivre et développe les facultés morales.
- Une bonne éducation donnée pendant le premier âge s’imprègne dans l’esprit de l’enfant et y laisse des traces profondes qui ne s’effacent jamais, et selon qu’elle a été soignée ou négligée elle peut avoir pour la suite de l’existence des conséquences plus ou moins bonnes ou plus ou moins mauvaises.
- De même qu’un arbuste abandonné à lui-même, se
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- développe sans mesure ni symétrie et ne donne, pas les bons fruits ou les belles fleurs qu’il pourrait produire, de même l’enfant mal éduqué donne de mauvais fruits dont les effets malfaisants se répercutent sur toute sa vie.
- C’est à l’école que se forment les nouvelles générations, c’est en inculquant aux enfants les préceptes d’une saine morale qu’ils apprennent à devenir bons et évitent de devenir mauvais.
- Nous savons combien l’instituteur a de peines, combien sa tâche est difficile, mais nous savons aussi qu’il sait puiser dans sa conscience et le sentiment du devoir, la force d’âme et de caractère nécessaires pour surmonter les difficultés qu’il éprouve.
- Le rôle de l’instituteur est l’un des plus beaux qu’il soit donné à l’homme de remplir, nous aimons à croire que les institutrices et les instituteurs du Familistère ne failliront pas à leur devoir et sauront remplir leur mission.
- Je répéterai aux parents ce que je ne cesserai de leur dire : qu’ils ne doivent pas se désintéresser de l’éducation de leurs enfants, qu’ils doivent la continuer et la compléter par de bons exemples et de sages recommandations; les bonnes semences versées à l’école doivent être cultivées dans la famille sous peine d’en perdre les fruits.
- A vous, jeunes élèves, je le redis encore, soyez sages et obéissants, studieux et travailleurs ; respectez vos maîtres et vos maîtresses, écoutez leurs conseils et profitez de leurs leçons; honorez vos parents qui se donnent tant de peines pour vous élever; qu’ils aient la satisfaction de vous voir profiter de la bonne éducation et de la bonne instruction qui vous sont données à l’école ; récompensez-les pour tout le mal qu’ils se donnent et pour tout, le bien qu’ils vous font et qu’ils puissent se glorifier de vous.
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- Ainsi que cela se produit chaque année, un certain ''nombre d’entre vous ayant atteint l’âge de 14 ans, vont sortir des écoles et entrer à l’usine pour y prendre part à nos travaux ; suivant leurs aptitudes et leur tempérament, certains iront dans les ateliers travailler manuellement, d’autres pourront entrer dans les bureaux pour y travailler de la plume; tous vous pourrez devenir de bons et honnêtes travailleurs ; tous, sans doute, vous vous rendrez dignes des bienfaits du fondateur de notre association.
- En entrant dans les ateliers, vous allez y être, dans une certaine mesure, abandonnés à vous-mêmes; quoique surveillés encore, vous ne le serez plus comme à l’école; vous aurez plus de liberté; les excitations auxquelles vous pourrez être en butte, les mauvais exemples, peut-être, pourraient vous entraîner à mal faire ; raidissez-vous, résistez aux tentations malsaines ; et surtout ne vous adonnez pas à la boisson, l’alcoolisme est la pire des plaies de notre époque, l’homme qui s’habitue à boire et à s’enivrer devient un ivrogne, il s’avilit et se dégrade ; soyez tempérants, mes amis, ne buvez que modérément et suivant vos besoins.
- Obéissez à vos chefs et respectez-les, une discipline raisonnable est nécessaire au bon ordre et à la bonne marche d’un établissement; en sachant bien obéir on apprend à savoir bien commander, car peut-être un jour vous deviendrez chefs à votre tour et serez appelés à commander.
- Tout en travaillant, continuez à apprendre et à vous instruire ; dans vos heures de loisir, le soir après la journée de travail ou pendant les jours de repos, livrez-vous à la lecture, nous avons à la bibliothèque du Familistère de bons livres dans lesquels vous pourrez, tout en y faisant des lectures attrayantes, puiser de nouvelles connaissances.
- Prenez exemple sur le regretté fondateur du Familis-
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- tère, sa première instruction se fit sur les bancs d’une école de village, il la compléta ensuite lui-même par l’étude, tout en se livrant au travail, et l’ouvrier tra vailleur devint un grand industriel, et l’écolier du village fut l’auteur d’œuvres littéraires et philosophiques marquantes.
- Suivez donc, mes enfants, un aussi bel exemple ; certes, il n’est pas donné à tous de monter et de par venir comme votre bienfaiteur, il en est peu qui possèdent son génie, mais sans arriver à sa taille, vous pouvez chercher à l’imiter et acquérir ses qualités.
- Que les belles maximes et les préceptes de haute morale qu’il nous a laissés et qui sont insérés dans sa « Mutualité sociale, » deviennent votre principale règle de conduite, ce sera la meilleure manière d’honorer sa mémoire.
- Que la plus belle des vertus, la charité, s’imprègne dans vos cœurs, c’est elle qui vous fera vous aimer les uns les autres, qui fera de vous de bons familisté-riens, de vrais et sincères républicains de cœur et de conviction.
- Les recommandations que je viens de vous faire, mes enfants, s’adressent surtout aux garçons, je les complète pour les jeunes filles en leur disant que leur idéal doit être de devenir plus tard à leur tour de bonnes mères de famille et de bonnes femmes de ménage ; le rôle de la femme est prépondérant, il est plus important que celui du mari, au point de vue de la conduite du ménage et surtout de l’éducation des enfants; au mari, à pourvoir aux besoins matériels du ménage; à la femme, à savoir en disposer avec mesure, à elle à soutenir et encourager l'époux et adoucir les fatigues de son travail journalier, les qualités ou les défauts du mari dépendent souvent de ceux de la femme, et certains quelquefois deviennent de mauvais maris et de mauvais pères de famille parce que l’épouse
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- n’a pas les qualités voulues et n’a pas su créer un intérieur attrayant où l’époux aurait pu goûter, après les fatigues et les tracas d’une journée de travail, le repos et la tranquillité nécessaires.
- Combien d’enfants seraient restés dans le droit chemin et n’en seraient pas sortis, s’ils avaient eu pour les guider convenablement une bonne mère qui aurait su continuer en famille les leçons de bonne morale données à l’école.
- Je termine, mes enfents, en souhaitant que vous deveniez tous de braves garçons et de dignes jeunes filles, et que, plus tard, vous puissiez continuer dignement l’œuvre du regretté Godin et faire honneur au Familistère. (Applaudissements prolongés)
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- La liquidation de la verrerie ouvrière de Rive-de-Gier est venue solliciter l’attention publique sur la grosse question des associations ouvrières.
- Les défenseurs de l’ordre social actuel et de l’industrie patronale ont cru faire pièce aux socialistes en triomphant bruyamment de la chute de cette association. Mais l’examen approfondi des causes de cet échec montre qu’il a été amené d’une façon normale par des causes qui pèsent sur l’industrie ordinaire du môme poids que sur les industries associées.
- En même temps qu’ils enregistraient cet échec, les journaux annonçaient la prochaine mise en train d’une société similaire à Albi.
- Issue du conflit de Carmaux, cette société a fait grand bruit dès sa naissance.
- Le caractère intéressant qu’elle présente est d’avoir été tenue sur les fonts baptismaux par des personnages politiques qui avaient jusqu’ici combattu cette forme d’association.
- Mais ni l’échec de la société de Rive-de-Gier, ni les circonstances qui ont présidé à la constitution de la société d’Albi, ne peuvent faire préjuger de l’avenir de celle-ci.
- Devrait-elle subir le sort de sa devancière, que la preuve de l’impuissance de l’association n’en serait pas faite. »
- L’industrie patronale compte de nombreuses faillites qui ne prouvent point contre la possibilité du fonctionnement de cette forme d’industrie et l’association ouvrière, de son côté, compte assez de succès pour témoigner en faveur de cette nouvelle forme d’industrie.
- Au nombre des sociétés ouvrières de production au-
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- jourd’hui en pleine prospérité, il convient de citer le Travail qui a acquis une renommée indiscutable comme entrepreneur de peinture.
- Nous avons sous les yeux le rapport du Conseil d’administration sur les opérations de la société pendant l’année 1895. Les chiffres de ce rapport témoignent éloquemment de la prospérité croissante de cette association.
- Le rapport, qui est rédigé par le directeur de la société, M. Buisson, se termine par quelques considérations générales sur les difficultés que rencontrent les associations ouvrières et sur les qualités indispensables aux coopérateurs.
- M. Buisson s’exprime ainsi :
- « La coopération pour la production est et restera longtemps encore une chose délicate et difficile, parce qu’elle exige de ceux qui la pratiquent, non seulement les connaissances qui sont indispensables pour mener à bien toute entreprise commerciale ou industrielle, mais encore et surtout une foule de qualités, on pourrait presque dire de vertus, qui, par suite d’une éducation mal appropriée, si ce n’est nulle, ne sont malheureusement pas l’apanage du plus grand nombre des hommes. »
- En résumé : « Si l’on veut rendre l’association pour la production accessible à la généralité des travailleurs ; il faut en même temps que l’instruction, leur donner une éducation appropriée, « l’éducation coopérative. »
- La participation aux bénéfices peut être cette école, comme elle est un sûr moyen de transition entre le salariat et l’association.
- Le sentiment de l’utilité d’une modification des rapports du capital et du travail pénètre peu à peu dans la bourgeoisie.
- Nous en trouvons un exemple dans le vœu émis, sur le rapport de M. Gariel, directeur du Petit Méridio-
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- nal, par le Congrès des loges maçonniques du Midi réuni à Montpellier, il y a quelques mois.
- Ce vœu qui conclut à l’adoption du système de la participation aux bénéfices, s’appuie sur des considérants dont nous reproduisons le plus typique :
- a Considérant que le salaire des travailleurs ne peut être regardé que comme une avance sur les produits à obtenir, » etc...
- Une autre preuve du chemin que fait la participation dans la bourgeoisie nous est fournie par la thèse de doctorat soutenue, le 6 juin dernier, devant la faculté de droit de Dijon, par M. P. Pradel.
- Résumant les arguments de sa thèse, M. Pradel considère la participation comme un mode de rémunération dont le fondement est aussi rationnel que le principe en est souple, et l’action féconde.
- Un travail présenté à la Société d’Economie populaire de Nimes par un de ses membres les plus actifs, M. Antonin, expose la variété infinie de formes réalisées par la participation.
- Après avoir rappelé les origines de la participation dans notre pays et esquissé à grands traits ses développements, M. Antonin énumère les divers taux usités dans les 304 établissements industriels (dont 127 sociétés coopératives) pratiquant/la participation dans les bénéfices.
- Ici, le taux est indéterminé, et s’il a l’avantage de tenir secrètes les opérations des établissements, il a l'inconvénient d’être un stimulant moindre.
- Ce n’en est pas moins le premier degré de la participation élémentaire.
- Ailleurs, le taux est déterminé, basé sur les ventes, dans ce cas, les profits ne sont pas pas dévoilés, et cette participation donne un excitant au travail.
- M. Antonin termine cette partie de son étude par cette réflexion qu’il faut en tout cela considérer la part individuelle et tenir compte du nombre des parti-
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- cipants. Tel quantum qui semble faible en apparence, a une importance plus considérable.
- Les modes de répartition sont infiniment multiples et ingénieux.
- Les bénéfices peuvent être répartis de toutes manières :
- 1. — Suivant Vappréciation du chef de la maison. C’est ce que font Larôche-Joubert pour les employés supérieurs, Lenoir pour la peinture, Fauquet fîlateur dans l’Oise, les Dépôts et Comptes Courants.
- 2. — Au prorata des salaires. C’est ce qui a lieu chez Leclaire, Laroche-Joubert, l’Union, la Nationale.
- 3. — A l’ancienneté. M. Aubert-Schuchardt, imprimeur à Genève, a adopté cette modification.
- 4. — Suivant les salaires et l’ancienneté. On retrouve cette forme de participation chez Deberny et Cie, fondeurs de caractères, la Cie la France, Chaix, Van Marken.
- 5. — D’après le mérite ou l’importance des fonctions. Laroche-Joubert, pour les employés supérieurs; le Comptoir d’Escompte à Rouen, Lister frères, usine chimique à New-Jersey, ont adopté cette formule.
- 6. — D’après l’ancienneté et le mérite. C’est ce que font MM. Cassell et Cie, imprimeurs à Londres, Pellesburg en Amérique, Reymond à Morges (Suisse).
- 7. — D’après le salaire, l’ancienneté et le mérite. Les appareils de télégraphie à Neuchâtel, Gasté, atelier de gravures, la papeterie Schlœglmuhl en Autriche, ont inauguré cette triple formule.
- 8. — Au prorata des versements faits par les participants dans une caisse d’épargne. C’est ce que pratiquent la fonderie d’Ilsede en Prusse, Laroche-Joubert et Abadie.
- 9. — Entre le capital et le travail proportionnellement au capital et aux salaires. Deberny et Cie et Nelson ont appliqué cette formule.
- 10. — Entre le capital et le travail aussi, mais propor-
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- tionnellement à l’intérêt et aux salaires. C’est ce que font Bord pour les pianos et Godin à Guise.
- 11. — Un tant pour cent égal aux taux des dividendes, formule adoptée par le Crédit foncier de Prusse.
- 12. — Proportionnellement au capital de chacun augmenté de son salaire annuel. Genevois et Cie fabricants de savons à Naples, ont introduit ce mode de participation.
- 13. — Chaque participant reçoit un certificat d’obligation d’une valeur uniforme lui donnant droit à un dividende égal à celui attribué pour un même capital aux actionnaires. Chez Tangye et Cie, constructeurs de machines à Birmingham qui occupent 1,500 ouvriers, chaque ouvrier reçoit un bon de 1,250 fr. valable pendant un an. En cas de décès la famille en bénéficie. Le bon est inaliénable.
- 14. — Participation par parts égales. La pèche maritime de Peterhead, Niess, maître charpentier dans le Brunswick, les postes et télégraphes Suisses ont adopté ce mode de répartition.
- 15. — Les ouvrières ne participent pas à l’ensemble des bénéfices mais aux profits particuliers d’un atelier. On retrouve cette combinaison chez Baur et Nabholtz, constructeurs de Zurich qui ont 500 ouvriers et chez Laroche Joubert.
- L’emploi des fonds de la participation est aussi extrêmement instructif à cause de la variété des combinaisons adoptées.
- 1. — Les bénéfices peuvent être payés comptant, comme le font Abadie, le Comptoir d’Escompte de Rouen, Gaifïe pour les instruments de précision.
- 2. — Les parts capitalisés sur livrets individuels sont payées en espèces. Elles le sont dans des délais stipulés, à un âge déterminé, ou après une durée de service déterminée. L’Abeille Nimoise, Gasté, le Bon Marché en usent ainsi.
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- 3. — Une partie est payée comptant, et une partie est réservée. C’est ce qui se passe chez Marne, Masson, Besselièvre, Fauquet et Cie.
- 4. — Des parts sont réservées à la constitution d’un patrimoine. Les Assurances Générales, la France, la Compagnie Fives Lille ont adopté ce procédé.
- 5. — Une partie est payée comptant, une partie est réservée à un patrimoine. Chaix, Barbas Tassart et Balas, Gounouilhou ont préféré cette application.
- 6. — Constitution de pensions viagères. C’est à cette idée que ce sont ralliés la fonderie Deberny, le canal de Suez, Van Marken.
- 7. — Partie comptant, partie pension viagère. L’Union, Godchaux, Leclaire ont essayé ce système.
- 8. — Faculté d’acquérir des parts de l’entreprise. Abadie, le Bon Marché, Laroche Joubert ont préparé cette solution.
- 9. — Parts transformées obligatoirement en parts de l’entreprise. C’est l’idéal révé et atteint par Godin, suivi par ses successeurs, au Familistère de Guise, par Thomson, par Crossley et fils, à Halifax.
- A cette question, qui vient naturellement à l’esprit après l’exposé de toutes ces formules, de tous ces modes de répartitions : Quel est le m'ôüleur système de participation ? L’auteur répond : Celui-là est le meilleur qui s’adapte le mieux à la nature d’industrie de l’établissement, à l’état d’esprit des travailleurs, employeurs ou employés.
- Mais, ajoute-t-il, si la participation doit s’accommoder aux nécessités présentes, elle doit tendre néanmoins vers un but idéal.
- Instituée le plus souvent par simple décision patronale et dans bien des cas réglée par la seule volonté du patron, elle doit revêtir de plus en plus la forme contractuelle. Basée sur le salariat actuel, dont elle est en quelque sorte le complément, elle réalise une forme plus
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- équitable et par suite supérieure de la répartition du profit. Son but final doit être la réalisation de l’association parfaite entre les deux principaux facteurs de la production : capital et travail, en relevant et assurant la situation des travailleurs par l’accession de ces derniers à la co-propriété de l’usine.
- C’est ainsi que M. Antonin est amené à citer l’exemple de l’association du Familistère, où les bénéfices réglés par voie statutaire sont répartis entre les divers facteurs de la production proportionnellement au concours de chacun d’eux, la part revenant au travail étant obligatoirement consacrée à rendre les travailleurs associés co-propriétaires du fonds social.
- Notons en passant qu’un roulement ingénieux des titres de propriété et leur remboursement successif par l’emploi des bénéfices annuels, maintient entre les mains des ouvriers nouveaux le droit et le fait de propriété qui, sans cette clause statutaire, passeraient à la longue entre les mains des ouvriers anciens ou dans celles de leurs héritiers naturels.
- Etudiant les rapports de justice entre les droits du capital et du travail. J.-B.-A. Godin s’exprime ainsi (1) :
- « Qu’on ne perde pas de vue non plus que, malgré l’égalité des droits du salaire et de l’intérêt au jour de répartition des bénéfices, les parts du capital et du travail, dans la production, n’en restent pas moins variables à l’infini suivant la volonté des sociétaires.
- » Telle industrie pourra réserver 5 % d’intérêt au capital, telle autre 10 %, etc., etc,, de sorte que des différences considérables peuvent s’établir dans les relations du capital et du travail, sans qu’il soit besoin de déroger, au principe de l’égalité des droits de l’intérêt et du salaire dans les bénéfices nets de la production.
- -d) Solutions sociales, page 344.
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- » Des objections contre l’égalité du salaire et de l’intérêt dans la répartition seraient donc sans fondement. Il faut éviter de compliquer inutilement la répartition : un franc de salaire vaut un franc d’intérêt.
- » Lorsque plusieurs parties contractantes se sont reconnues indispensables dans une œuvre, que leurs éléments se sont reconnus réciproquement nécessaires l’un à l’autre, à des conditions débattues, ces parties doivent avoir un droit proportionné à leurs concours dans l’entreprise et bénéficier suivant l’utilité de leur intervention. »
- M. Godin a parfaitement rendu les conditions nécessaires au contrat d’association pour approcher le plus possible d’une absolue justice. Le capital et le travail
- interviennent dans le contrat, en se soumettant au préa-
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- labié à la loi de l’offre et de la demande. La réduction du taux de l’intérêt qui paraît être le caractère de l’évolution économique moderne, entraînera pour le travail, dans la répartition des profits, une situation d’autant plus avantageuse que le capital, tranquillisé par la sécurité de son placement, s’offrira à plus bas prix.
- Si, de son côté, le capitaliste rassuré, accepte un taux d’intérêt minime, qui donc pourrait soutenir que le capital est lésé?
- La formule Godin donne donc, dans le présent comme dans l’avenir, satisfaction aux deux parties.
- Nous ne saurions mieux clore cette rapide excursion à travers les phases de l’idée coopérative, qu’en empruntant à M. Antonin le résumé-conclusion de son intéressant travail :
- « L’ordre social étant la résultante d’un ensemble de faits très complexes, et non le développement d’un principe à priori, la solution de la question sociale ne consiste pas à vouloir introduire dans notre organisa-
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- tion actuelle et de toutes pièces un système nouveau, mais à prendre l’état présent tel qu’il est, bon et mauvais à la fois, à travailler de notre mieux à éliminer les causes d’injustice qu’il renferme et à développer les germes de justice qu’il contient.
- » La participation qui se manifeste sous des formes si variées, qui s’adapte à tous les genres d’industrie et qui s’accommode de formules différentes selon l’état mental du personnel des travailleurs, patrons ou ouvriers, répond excellemment à cette méthode et peut être considérée de ce chef comme un principe exact et sain.
- » Non seulement la participation est à préconiser pour les avantages immédiats et très appréciables qu’elle procure, mais aussi parce qu’elle est une étape vers l’état d’association parfaite, et que par sa valeur éducative elle est éminemment propre à préparer des agents raisonnables et libres, fin suprême des sociétés humaines. »
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- FRANGE
- La statue de Fourier
- Nous avons déjà annoncé qu’un comité était formé pour élever une statue à Charles Fourier. La Rénovation, organe de l’école sociétaire, qui a pris l’initiative de ce projet, ouvre aujourd’hui une souscription dans ce l5ut. De son côté, la Chambre consultative des associations ouvrières de production a décidé de prêter son concours le plus entier pour faire aboutir le projet.
- Nous ne pouvons qu’applaudir à ces généreuses initiatives. Charles Fourier, encore si peu connu, on pourrait peut-être dire méconnu, était un esprit original s’il en fut. Pour exposer ses vues en matière de rénovation sociale, il publia divers ouvrages. L’association domestique et agricole forme, en quelque sorte, la pièce principale de son système.
- Tous les sujets, tous les intérêts humains ont été touchés dans cet ouvrage. L’instruction et l’éducation de l’enfance, pour laquelle il avait une affection particulière, l’organisation agricole combinée au travail industriel qu’il voulait rendre attrayant, l’émancipation de la femme, la transformation volontaire de la propriété, qui devenait accessible à tous, enfin, de profondes modifications dans l’habitation humaine, qu’il dépeignait unitaire, confortable et magnifique comme un palais, tel était le caractère général des plans qu’il formait et formulait dans ses ouvrages, inspirés d’un amour profond pour l’humanité.
- Nous serons heureux si la statue de Charles Fourier s’élevant sur une place publique de la capitale, rappelle au monde actuel le rôle important joué par ce penseur génial dans l’élaboration des idées sociales d’une génération déjà passée.
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- HOLLANDE La loi électorale
- L’article 80 de la Constitution hollandaise exige, pour l’obtention de l’électorat polique « des marques de capacité
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- FAITS POLITIQUES ET SOCIAUX 623
- et de bien-être social ». Il faut croire que jusqu’à présent les conditions de bien-être social étaient considérées comme une garantie de la capacité puisque la loi de 1887 n’admettait — en dehors de la qualité de citoyen néerlandais, âgé de trente ans, domicilié dans le royaume et jouissant des droits civils et politiques — que des conditions d’habitation ou de cens indirect.
- En effet, aux termes de cette loi, sont électeurs politiques en Hollande : 1° les citoyens qui sont propriétaires ou principaux locataires d’une maison d’une valeur locative de 24 à 100 florins (à 2 fr. 10 l’un) selon les localités ; 2° ceux qui paient une contribution foncière de 10 florins; 3° ceux qui occupent un appartement d’une valeur locative deux fois plus élevée que pour les maisons entières, c’est-à-dire de 48 à 200 florins, et à la condition d’y être domiciliés depuis 9 mois au moins.
- Cette loi ne donnait guère satisfaction au mouvement d’opinion qui en avait amené l’élaboration. A peine était-elle promulguée qu’il fallut songer à la modifier. On se mit immédiatement à l’œuvre.
- Le premier cabinet qui s’y attacha perdit la partie. Son projet, qui faisait une certaine part à la capacité, rencontra l’opposition et des conservateurs, qui ne voulaient pas de cette adjonction, et des démocrates, qui réclamaient le suffrage universel pur et simple. Amendé par son auteur dans un sens plus libéral, le projet fut si maltraité par l’élément conservateur que son retrait devint inévitable. La Chambre fut dissoute. Le résultat des élections fut défavorable au projet de M. Tak, qui donna sa démission. Les cabinets qui se succédèrent durent s’occuper à leur tour de la réforme électorale.
- Finalement, la seconde Chambre a adopté par 56 voix contre 43, une formule proposée par le ministre de l’intérieur actuel, M. Van Houten.
- Aux termes de la nouvelle loi, qui entrera en vigueur aux élections générales prochaines, le 15 mai 1897, sont électeurs tous les Hollandais âgés de 25 ans : 1° qui, le 1er mars, ont acquitté l’impôt de l’exercice écoulé pour une des contributions directes de l’Etat ou payé un minimum de 1 florin pour la contribution foncière; 2° qui n’ont pas occupé, dans les six mois précédant le 1er janvier, plus de deux logements d’un loyer de 2 florins 50 à 80 cents par semaine, suivant les localités ; 3° qui ont
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- gagné dans le même emploi un salaire de 275 florins à 500 par an, suivant les communes; 4° qui reçoivent une pension, égale à ce chiffre, d’une institution publique; 5° qui possèdent au 1er février une inscription nominative au Grand-Livre de 100 florins de capital ou 50 florins à la caisse d’épargne; 6° qui ont passé un des examens prescrits par la loi pour l’exercice de certaines fonctions ou professions : professeurs, instituteurs, ingénieurs, notaires, vétérinaires, dentistes, etc. Les officiers sont électeurs, les sous-officiers qui demeurent hors de la caserne peuvent l’être, s’ils remplissent les conditions ci-dessus.
- Il convient de faire remarquer que ces conditions diverses sont valables séparément, et qu’elles ne sont pas exigées toutes ensemble. En remplir une seule suffit à conférer le droit de suffrage.
- D’une manière générale, ces règles seront également appliquées pour les élections des Etats provinciaux et des Conseils provinciaux; de cette façon, on évite les difficultés auxquelles on s’est heurté en Belgique.
- • Voici quelques renseignements concernant les opérations électorales. Les candidats ne se portent pas eux-mêmes, ils doivent être proposés par 40 électeurs au moins. Si le candidat est unique, il est par cela même déclaré élu. Une disposition analogue existe dans la législation électorale belge et anglaise. S’il y a plusieurs candidats, le bourgmestre en communique la liste à chaque électeur avec la lettre de convocation au scrutin. Au moment du vote, l’électeur reçoit du bureau un bulletin contenant les noms de tous les candidats et il fait une marque au moyen d’un tampon devant le nom qui a ses préférences.
- Le projet de loi a été adopté le 5 septembre, par la première Chambre, après une discussion de trois jours. La première Chambre n’ayant pas le droit d'amendement devait, la discussion générale close, adopter ou rejeter en bloc la loi votée par la seconde Chambre. Elle l’a adoptée par 34 voix contre 12.
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- LA QUESTION DE LA PAIX
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- XjÆ QUESTION 13E ua. paix
- La procédure d’un arbitrage spécial
- La France et le Brésil se croient des droits identiques sur une portion de territoire fort appréciable, surtout comme richesses territoriales : le Contesté.
- Poussée par des intérêts divers, chacune des nations poursuit l’étendue de ses droits.
- La France a été informée dernièrement que le Brésil consentait à l’arbitrage au sujet du territoire contesté, et le bruit se répandit que la question était soumise à l’arbitrage de la Suisse. A la fin du mois d’août, cette nouvelle n’avait pas encore reçu confirmation; aucune demande officielle n’avait encore été adressée à la Suisse.
- Quand une demande de cette nature est formulée, le Conseil fédéral l’examine, et, s’il y a lieu, autorise le Tribunal fédéral à accepter en principe le mandat d’arbitrage; puis, soit dans le sein de ce tribunal, soit parmi des juristes autorisés, trois juges sont nommés qui examineront la question et rendront la sentence arbitrale.
- C’est la procédure qui a été suivie pour les trois affaires d’arbitrage actuellement soumises au Conseil fédéral.
- La première est le différend qui a surgi entre l’Angleterre et les Etats-Unis d’Amérique d’une part et le Portugal d’autre part au sujet du chemin de fer de Laurenço-Marques (baie de Delagoa). Pour cette affaire, le Conseil fédéral suisse, à la demande des puissances intéressées, a désigné trois juristes suisses pour composer le tribunal arbitral : MM. Joseph Blasi, juge fédéral; Andréas Heusler, professeur de droit à l’Université de Bâle et Charles Soldan, juge fédéral.
- Le second arbitrage est entre la France et le Chili? au sujet de la répartition entre les créanciers du Pérou, des fonds déposés par le Chili à la Banque d’Angleterre et provenant de l’exploitation de certains gisements de guano. Pour cette affaire, c’est le 21 mars 1894 que le
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- Conseil fédéral a autorisé le tribunal fédéral à accepter le mandat d’arbitrage : trois juges pris dans le sein du tribunal fédéral ont été désignés : M.> le doctpur Kafner, faisant fonctions de président, MM. les juges fédéraux Broyé et Morel.
- Enfin, la dernière question de l’arbitrage entre la France et le Vénézuéla au sujet des réclamations formulées par un citoyen français, M. Antoine Fabiani, qui demande que le gouvernement vénézuélien soit rendu responsable de la non-exécution, de la part des autorités vénézuéliennes, des jugements définitifs rendus en sa faveur.
- Pour cette affaire le Conseil fédéral a autorisé, le 1er novembre 1892, le président de la Confédération à accepter la mission d’arbitrage qui lui était offerte par les deux gouvernements.
- L’article 6 du projet de traité entre le gouvernement des Etats Unis d’Amérique et le gouvernement britan nique pour l’application du jugement arbitral relatif à la mer de Behring est ainsi conçu : « En cas de divergences d’opinions entre les commissaires, ceux- ci feront, à chaque gouvernement, un rapport commun, établissant, d’une manière détaillée et motivée, les points sur lesquels leurs vues diffèrent. Chaque point controversé sera soumis à la décision définitive d’un arbitre, qui sera désigné par les deux gouvernements; si ces derniers ne peuvent se mettre d’accord, l’arbitre sera nommé sur la demande des deux gouvernements. »
- Les deux gouvernements ont convenu que dans le cas où ils ne tomberaient pas d’accord sur le choix de l’arbitre, ils prieraient le président de la Confédération suisse de le désigner. Dans sa séance du 4 février, le Conseil fédéral, sur les instances de ces deux gouvernements, a décidé d’autoriser le président de la Confédération à accepter éventuellement, la mission de nommer l’arbitre.
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- Un projet d’arbitrage général
- A la séance du 17 juillet de la Chambre des lords, le marquis de Salisbury a présenté à cette assemblée des documents ayant trait à la question du Vénézuéla.
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- Le premier ministre a prononcé à cette occasion un long discours dans lequel il a dit que les négociations continuaient avec le Vénézuéla ou plus exactement avec les Etats-Unis, qui ont pris l’attitude d’un ami du Vénézuéla, pour la délimitation des frontières; mais qu’on n’était arrivé encore à aucune conclusion.
- Mais ce qui constitue surtout l’importance des négociations, c’est qu’elles comportent la conclusion d’une convention générale entre la République américaine et l’Angleterre pour le règlement par l’arbitrage non seulement de la difficulté du Vénézuéla, mais aussi de toutes celles qui pourraient surgir dans la suite.
- La convention qu’on espère conclure donnerait ainsi une place fixe dans le code des nations à l’arbitrage qui n’a tenu jusqu’à présent dans le droit international que la place d’un expédient accidentel et facultatif.
- Le Mémorial diplomatique croit savoir que lord Salisbury a chargé le représentant britannique à Washington de s’entendre avec le ministre des affaires étrangères du gouvernement des Etats-Unis en vue de présenter aux cabinets européens un rapport qui leur serait transmis par le Foreign Office en vue de réunir une conférence de plénipotentiaires, chargés d’examiner la question de l’arbitrage international.
- •MO-M-
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- LE DEVOIR
- SANS FAMILLE
- Par Hector MALOT
- Ouvrage couronné par l’Académie faancaise
- (Suite)
- Comme je me posais cette question, Mattia vint se mettre devant moi et baissant la tête :
- — Cogne, dit-il, cogne sur la tête, tu ne frapperas jamais assez fort pour ma bêtise.
- — Tu as fait la bêtise, et je Fai laissé faire, j’ai été aussi bête que toi.
- — J’aimerais mieux que tu cognes, j’aurais moins de chagrin : notre pauvre vache, la vache du prince!
- Il se mit à pleurer.
- Alors ce fut à moi de le consoler en lui expliquant que notre position n’était pas bien grave; nous n’avions rien fait, et il ne nous serait pas difficile de prouver que nous avions acheté notre vache, le vétérinaire d’Ussel serait notre témoin.
- — Si l’on nous accuse d’avoir volé l’argent avec lequel nous avons payé notre vache, comment prouverons-nous que nous l’avons gagné? tu vois bien que quand on est malheureux, on est coupable de tout.
- Mattia avait raison, je ne savais que trop bien qu’on est dur aux malheureux; les cris qui venaient de nous accompagner jusqu’à la prison ne le prouvaient-ils pas encore?
- — Et puis, dit Mattia, en continuant de pleurer, quand nous sortirons de cette prison, quand on nous rendrait notre vache, est-il certain que nous trouverons mère Barberin ?
- — Pourquoi ne la trouverions-nous pas?
- — Depuis le temps que tu l’as quittée, elle a pu mourir.
- Je fus frappé au cœur par cette crainte : c’était vrai que mère Barbarin avait pu mourir, car bien que n’étant pas d’un âge où l’on admet facilement l’idée de la mort,
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- SANS FAMILLE
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- je savais par expérience qu’on peut perdre ceux qu’on aime; n’avais-je pas perdu Vitalis? Comment cette idée ne m’était-elle pas venue déjà?
- — Pourquoi ne m’as-tu pas dit cela plus tôt? demandai-je.
- — Parce que, quand je suis heureux, je n’ai que des idées gaies dans ma tête stupide, tandis que quand je suis malheureux je n’ai que des idées tristes. Et j’étais si heureux à la pensée d’offrir ta vache à ta mère Bar-barin que je ne voyais que le contentement de mère Barberin, je ne voyais que le nôtre et j’étais ébloui, comme grisé
- — Ta tête n’est pas plus stupide que la mienne, mon pauvre Mattia, car je n’ai pas eu d’autres idées que les tiennes; comme toi aussi j’ai été ébloui et grisé.
- — Ah! àh! la vache du prince! s’écria Mattia en pleurant, il est beau le prince !
- Puis tout à coup se levant brusquement en gesticulant
- — Si mère Barbarin était morte, et si l’affreux Barberin était vivant, s’il nous prenait notre vache, s’il te prenait toi-même ?
- Assurément c’était l’influence de la prison qui nous Inspirait ces tristes pensées, c’étaient les cris de la foule, c’était le gendarme, c’était le bruit de la serrure et des verrous quand on avait fermé la porte sur nous.
- Mais ce n’était pas seulement à nous que Mattia pensait, notre vache le préoccupait aussi.
- — Qui va lui donner à manger? qui va la traire?
- Plusieurs heures se passèrent dans ces tristes pensées, et plus le temps marchait, plus nous nous désolions.
- J’essayai cependant de réconforter Mattia en lui expliquant qu’on allait venir nous interroger.
- — Eh bien ; que dirons-nous ?
- — La vérité.
- — Alors on va te remettre entre les mains de Barberin, ou bien si mère Barberin est seule chez elle, on va l’interroger aussi pour savoir si nous ne mentons pas, nous ne pourrons donc plus lui faire notre surprise.
- Enfin notre porte s’ouvrit avec un terrible bruit de ferraille et nous vîmes entrer un vieux monsieur à che-
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- veux blancs dont l’air ouvert et bon nous rendit tout de suite l’espérance.
- — Allons coquins, levez-vous, dit le geôlier, et répon-à M. le juge de paix.
- C’est bien, c’est bien, dit le juge de paix en faisant signe au geôlier de le laisser seul, je me charge d’interroger celui-là,—il me désigna du doigt, — emmenez l’autre et gardez-le; je l’interrogerai ensuite.
- Je crus que dans ces conditions je devais avertir Mattia de ce qu’il avait à répondre.
- — Comme moi, monsieur le juge de paix, dis-je, il vous racontera la vérité, toute la vérité.
- — C’est bien, c’est bien, interrompit vivement le juge de paix, comme s’il voulait me couper la parole.
- Mattia sortit, mais avant il eut le temps de me lancer un rapide coup d’ceil pour me dire qu’il m’avait compris.
- — On vous accuse d’avoir volé une vache, me dit le juge de paix en me regardant dans les deux yeux.
- Je répondis que nous avions acheté cette vache à la foire d’Ussel, et je nommai le vétérinaire qui nous avait assistés dans cet achat.
- — Cela sera vérifié.
- — Je l’espère, car ce sera cette vérification qui prouvera notre innocence.
- — Et dans quelle intention avez-vous acheté une vache?
- — Pour la conduire à Chavanon et l’offrir à la femme qui a été ma mère-nourrice, en reconnaissance de ses soins et en souvenir de mon affection pour elle.
- — Et comment se nomme cette femme?
- — Mère Barberin.
- — Est-ce la femme d’un ouvrier maçon qui, il y a quelques années, a été estropié à Paris.
- — Oui, monsieur le juge de paix.
- — Cela aussi sera vérifié.
- Mais je ne répondis pas à cette parole comme je l’avais fait pour le vétérinaire d’Ussel.
- Voyant mon embarras, le juge de paix me pressa de questions et je dus répondre que s’il interrogeait mère Barberin le but que nous nous étions proposé se trouvait manqué : il n’y avait plus de surprise.
- Cependant au milieu de mon embarras j’éprouvais
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- une vive satisfaction : puisque le juge de paix connaissait mère Barberin et qu’il s’informerait auprès d’elle de la vérité ou de la fausseté de mon récit, cela prouvait que mère Barberin était toujours vivante.
- J’en éprouvai bientôt une autre; au milieu de ces questions le juge de paix me dit que Barberin était retourné à Paris depuis quelque temps.
- Cela me rendit si joyeux que je trouvai des paroles persuasives pour le convaincre que la déposition du vétérinaire devait suffire pour prouver que nous n’avions pas volé notre vache.
- — Et où avez-vous eu l’argent nécessaire pour acheter cette vache?
- C’était là la question qui avait si fort effrayé Mattia quand il avait prévu qu’elle nous serait adressée.
- — Nous l’avons’ gagné.
- — Où? Comment?
- J’expliquai comment, depuis Paris jusqu’à Varses et depuis Varses jusqu’au Mont-Dore, nous l’avions gagné et amassé sou à sou.
- — Et qu’alliez-vous faire à Varses!
- — Cette qnestion m’obligea à un nouveau récit; quand le juge entendit que j’avais été enseveli dans la mine de la Truyère, il m’arrêta et d’une voix tout adoucie, presque amicale :
- — Lequel de vous deux est Remi? dit-il.
- — Moi, monsieur le juge de paix.
- — Qui le prouve? Tu n’as pas de papiers, m’a dit le gendarme.
- — Non, monsieur le juge de paix.
- — Allons, raconte-moi comment est arrivée la catastrophe de Varses; j’en ai lu le récit dans les journaux, si tu n’es pas vraiment Remy, tm ne me tromperas pas; je t’écoute, fais donc attention.
- Le tutoiement dü juge de paix m’avait donné du courage : je voyais bien qu’il ne nous était pas hostile.
- Quand j’eus achevé mon récit, le juge de paix me regarda avec des yeux doux et attendris. Je m’imaginais qu’il allait me dire qu’il nous rendait la liberté, mais il n’en fut rien : sans m’adresser la parole, il me laissa seul. Sans doute il allait interroger Mattia pour voir si nos deux récits s’accorderaient.
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- Je restai assez longtemps livré à mes réflexions, mais à la fin le juge de paix revint avec Mattia.
- — Je vais faire prendre des renseignements à Ussel, dit-il, et si, comme je j’espère, ils confirment vos récits, cfemain on vous mettra en liberté.
- — Et notre vache? demanda Mattia.
- — On vous la rendra.
- — Ce n’est pas cela que je voulais dire, répliqua Mattia, qui va lui donner à manger, qui va la traire?
- — Sois tranquille, gamin.
- Mattia aussi était rassuré.
- — Si on trait notre vache, dit-il en souriant, est-ce qu’on ne pourrait pas nous donner le lait? cela serait bien bon pour notre souper.
- Aussitôt que le juge de paix fut parti, j’annonçai à Mattia les deux grandes nouvelles qui m’avaient fait oublier que nous étions en prison : mère Barberin vivante, et Barberin à Paris.
- — La vache du prince fera son entrée triomphale, dit Mattia.
- Dans sa joie, il se mit à danser en chantant; je lui pris les mains, entraîné par sa gaîté, et Capi, qui jusqu’alors était resté dans un coin, triste et inquiet, vint se placer au milieu de nous debout sur ses deux pattes de derrière; alors nous nous livrâmes à une si belle danse que le concierge effrayé, — pour ses oignons probablement, — vint voir si nous ne nous révoltions pas.
- Il nous engagea à nous taire, mais il ne nous adressa pas la parole brutalement comme lorsqu’il était entré avec le juge de paix.
- Par là nous comprîmes que notre position n’était pas mauvaise, et bientôt nous eûmes la preuve que nous ne nous étions pas trompés, car il ne tarda pas à rentrer, nous apportant une grande terrine toute pleine de lait, le lait, de notre vache, — mais ce n’était pas tout, avec la terrine, il nous donna un gros pain blanc et un morceau de veau froid qui, nous dit-il, nous était envoyé par M. le juge de paix.
- Jamais prisonniers n’avaient été si bien traités;, alors en mangeant le veau et en buvant le lait je revins de mes idées sur les prisons; décidément, elles valaient mieux que je ne me Pétais imaginé.
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- Ce fut aussi le sentiment de Mattia :
- — Dîner et coucher sans payer, dit-il en riant, en voilà une chance.
- Je voulus lui faire une peur.
- — Et si le vétérinaire était mort tout à coup, lui dis-je, qui témoignerait pour nous?
- — On n’a de ces idées-là que quand on est malheureux, dit-il sans se fâcher, et ce n’est vraiment pas le moment.
- IX
- MÈRE BARBER1N
- Notre nuit sur le lit de camp ne fut pas mauvaise, nous en avions passé de moins agréables à la belle étoile.
- — J'ai rêvé de l’entrée de la vache, me dit Mattia.
- — Moi aussi.
- A huit heures du matin notre porte s’ouvrit, et nous vîmes entrer le juge de paix, suivi de notre ami le vétérinaire qui avait voulu venir lui-même nous mettre en liberté.
- Quant au juge de paix, sa sollicitude pour ses deux prisonniers innocents ne se borna pas seulement au dîner qu’il nous avait offert la veille ; il me remît un beau papier timbré :
- — Vous avez été des fous, me dit-il amicalement, de vous embarquer ainsi sur les grands chemins ; voici un passeport que je vous ai fait délivrer par le maire, ce sera votre sauvegarde désormais. Bon voyage, les enfants.
- Et il nous donna une poignée de main ; quant au vétérinaire, il nous embrassa.
- Nous étions entrés misérablement dans ce village, nous en sortîmes triomphalement, menant notre vache par la longe et marchant la tête haute, en regardant pardessus nos épaules les paysans qui se tenaient sur leurs portes.
- — Je ne regrette qu’une chose, dit Mattia, c’est que le gendarme qui a jugé bon de nous arrêter ne soit pas là pour nous voir passer,
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- — Le gendarme a eu tort, mais nous aussi nous avons eu tort de croire que ceux qui étaient malheureux n’avaient rien à attendre de bon.
- — C’est parce que nous n’étions pas tout à fait malheureux que nous avons eu du bon ; quand • on a cinq francs dans sa poche, on n’est pas tout à fait malheureux.
- — Tu pouvais dire cela hier, aujourd’hui cela ne t’est pas permis ; tu vois qu’il y a de braves gens en ce monde.
- Nous avions reçu une trop belle leçon pour avoir l’idée d’abandonner la longe de notre vache; elle était douce, notre vache, cela était vrai, mais aussi peureuse.
- Nous ne tardâmes pas à atteindre le village où j’avais couché avec Vitalis; de là nous n’avions plus qu’une grande lande à traverser pour arriver à la côte qui descend à Chavanon.
- En passant par la rue de ce village et justement devant la maison où Zerbino avait volé une croûte, une idée me vint que je m’empressai de communiquer à Mattia.
- — Tu sais que je t’ai promis des crêpes chez mère Barberin; mais, pour faire des crêpes, il faut du beurre, de la farine et des œufs.
- — Cela doit être joliment bon.
- — Je crois bien que c’est bon, tu verras; ça se roule et on s’en met plein la bouche; mais il n’y a peut-être pas de beurre, ni de farine chez mère Barberin, car elle n’est pas riche; si nous lui en portions?
- — C’est une fameuse idée.
- — Alors, tiens la vache, surtout ne la lâche pas; je vais entrer chez cet épicier et acheter du beurre et de la farine. Quant aux œufs, si la mère Barbarin n’en a pas, elle en empruntera; car nous pourrions les casser en route.
- J’entrai dans l’épicerie où Zerbino avait volé sa croûte et j’achetai une livre de beurre, ainsi que deux livres de farine; puis nous reprîmes notre marche.
- J’aurais voulu ne pas presser notre vache, mais j’avais si grande hâte d’arriver que malgré moi j’allongeais le pas.
- Encore dix kilomètres, encore huit, encore six; chose
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- curieuse, la route me paraissait plus longue en me rapprochant de mère Barberin, que le jour où je m’étais éloignée d’elle, et cependant, ce jour-là, il tombait une pluie froide dont j’avais gardé le souvenir.
- Mais j’étais tout ému, tout fiévreux, et à chaque instant je regardais l’heure à ma montre.
- — N’est-ce pas un beau pays? disais-je à Mattia.
- — Ce ne sont pas les arbres qui gênent la vue.
- — Quand nous descendrons la côte vers Ghavanon, tu en verras des arbres, et des grands, des chênes, des châtaigniers.
- — Avec des châtaignes?
- — Parbleu ! Et puis dans la cour de mère Barberin il y a un poirier crochu sur lequel on joue au cheval, qui donne des poires grosses comme ça; et bonnes: tu verras.
- Et pour chaque chose que je lui décrivais c’était là mon refrain : Tu verras. De bonne foi, je m’imaginais que je conduisais Mattia dans un pays de merveilles. Après tout, n’en était-ce pas un pour moi ? G’était là que mes yeux s’étaient ouverts à la lumière. C’était là que j’avais eu le sentiment de la vie, là que j’avais été si heureux; là que j’avais été aimé. Et toutes ces impressions de mes premières joies, rendues plus vives par le souvenir des souffrances de mon existence aventureuse, me revenaient se pressant tumultueusement dans mon cœur et dans ma tête à mesure que nous approchions de mon village. Il semblait que l’air avait un parfum qui me grisait : Je voyais tout en beau.
- Gagné par cette griserie, Mattia retournait aussi, mais en imagination seulement, hélas! dans le pays où il était né.
- — Si tu venais à Lucca, disait-il, je t’en montrerais aussi des belles choses; tu verrais.
- — Mais nous irons à Lucca quand nous aurons vu Etiennette, Lise et Benjamin.
- — Tu veux bien venir à Lucca ?
- — Tu es venu avec moi chez mère Barberin, j’irai avec toi voir ta mère et ta petite sœur Christina, que je porterai dans mes bras si elle n’est pas trop grande ; elle sera ma sœur aussi.
- — Oh ! Remi !
- Il n’en put pas dire davantage, tant il était ému,
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- En parlant ainsi et en marchant toujours à grands pas, nous étions arrivés au haut de la colline où commence la côte qui, par plusieurs lacets, conduit à Cha-vanon, en passant devant la maison de mère Barberin.
- Encore quelques pas, et nous touchions à l’endroit où j’avais demandé à Vitalis la permission de m’asseoir sur le parapet pour regarder la maison de mère Barberin, que je pensais ne jamais revoir.
- — Prends la longe, dis-je à Mattia.
- Et d’un bond, je sautai sur le parapet ; rien n’avait changé dans notre vallée; elle avait toujours, le.même aspect : entre ses deux bouquets d’arbres, j’aperçus le toit de la maison de mère Barberin.
- — Qu’as-tu donc ? demanda Mattia.
- — Là, là.
- Il vint près de moi, mais sans monter sur le parapet dont notre vache se mit à brouter l’herbe.
- — Suis ma main, lui dis-je ; voilà la maison de mère Barberin, voilà mon poirier, là était mon jardin.
- Mattia, qui ne regardait pas avec ses souvenirs comme moi, ne voyait pas grand’chose, mais il n’en disait rien.
- A ce moment, un petit flocon de fumée jaune s’éleva au-dessus de la cheminée, et, comme le vent ne soufflait pas, elle monta droit dans l’air le long du flanc de la colline.
- — Mère Barberin est chez elle, dis-je.
- Une légère brise passa dans les arbres, et, abattant la colonne de fumée, elle nous la jeta dans le visage : cette fumée sentait les feuilles de chêne.
- Alors tout à coup je sentis les larmes m’emplir les yeux et, sautant à bas du parapet, j’embrassai Mattia. Capi se jeta sur moi, et, le prenant dans mes bras, je l’embrassai aussi. i
- — Descendons vite, dis-je.
- Si mère Barberin est chez elle, comment allons-nous arranger notre surprise ? demanda Mattia........
- — Tu vas entrer seul, tu lui diras que tu lui amènes une vache de la part du prince, et quand elle te demandera de quel prince il s’agit, je paraîtrai.
- — Quel malheur que nous ne puissions pas faire une entrée en musique ; voilà qui serait joli !
- — Mattia, pas de bêtise,
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- SANS FAMILLE
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- — Sois tranquille, je n’ai pas envie de recommencer, mais c’est égal, si cette sauvage-là aimait la musique, une fanfare aurait été joliment en situation.
- Gomme nous arrivions à l’un des coudes de la route qui se trouvait juste au-dessus de la maison de mère Barberin, nous vîmes une coiffe blanche apparaître dans la cour : c’était mère Barberin ; elle ouvrit la barrière et sortant sur la route, elle se dirigea du côté du village.
- Nous étions arrêtés et je l’avais montrée à Mattia.
- — Elle s’en va, dit-il, et notre surprise?
- — Nous allons en inventer une autre.
- — Laquelle?
- — Je ne sais pus.
- — Si tu l’appelais?
- La tentation fut vive, cependant j’y résistai; je m’étais pendant plusieurs mois fait la fête d’une surprise, je ne pouvais y renoncer ainsi tout d’un coup.
- Nous ne tardâmes pas à arriver devant la barrière de mon ancienne maison, et nous entrâmes comme j’entrais autrefois.
- Connaissant, bien ( les habitudes de mère Barberin, je savais que la porte ne serait fermée qu’à la clenche et que nous pourrions entrer dans la maison; mais avant tout il fallait mettre notre vache à l’étable. J’allai donc voir dans quel état était cette étable, et je la trouvai telle qu’elle était autrefois, encombrée seulement de fagots. J’appelai Mattia et après avoir attaché notre vache devant l’auge, nous nous occupâmes à entasser vivement ces fagots dans un coin, ce qui ne fut pas long, car elle n’était pas bien abondante la provision de bois de mère Barberin.
- — Maintenant, dis-je à Mattia, nous allons entrer-dans la maison, je m’installerai au coin du feu pour que mère Barberin me trouve là; comme la barrière grincera lorsqu’elle la poussera pour rentrer, tu auras le temps de te cacher derrière le lit avec Capi, et elle ne verra que moi, crois tu qu’elle sera surprise!
- Les choses s’arrangèrent ainsi. Nous entrâmes dans la maison, et j’allai m’asseoir dans la cheminée, à la place où j’avais passé tant de soirées d’hiver. Comme je ne pouvais pas couper mes longs cheveux, je les cachai sous le col de ma veste, et, me pelotonnant, je
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- me fis tout petit pour ressembler autant que possible au Remi, au petit Remi de mère Barberin.
- De ma place je voyais la barrière, et il n’y avait pas à craindre que mère Barberin nous arrivât sur le dos à l’improviste.
- Ainsi installé, je pus regarder autour de moi. Il me sembla que j’avais quitté la maison la veille seulement : rien n’était changé, tout était à la même place, et le papier avec lequel un carreau cassé par moi avait été raccommodé n’était pas remplacé, bien que terriblement enfumé et jauni.
- Si j’avais osé quitter ma place j’aurais eu plaisir'à voir de près chaque objet, mais comme mère Barberin pouvait survenir d’un moment à l’autre, il me fallait rester en observation.
- Tout à coup, j’aperçus une coiffe blanche, en même temps la hart qui soutenait la barrière craqua. H
- — Cache-toi vite, dis-je à Maltia.
- Je me fis de plus en plus petit.
- La porte s’ouvrit : du seuil, mère Barberin m’aperçut.
- — Qui est-là? dit-elle.
- Je la regardai sans répondre, et de son côté elle me regarda aussi.
- Tout à coup ses mains furent agitées par un tremblement :
- — Mon Dieu, murmura-t-elle, mon Dieu, est-ce possible, Remi !
- Je me levai et courant à elle, je la pris dans mes bras.
- — Maman !
- - — Mon garçon, c’est mon garçon 1
- Il nous fallut plusieurs minutes pour nous remettre et pour nous essuyer les yeux.
- — Bien sûr, dit-elle, que si je n’avais pas toujours-pensé à toi je ne t’aurais pas reconnu; es-tu changé, grandi, forci!
- Un reniflement étouffé me rappela que Maltia était derrière le lit, je l’appelai; il se releva.
- — Celui-lâ c’est Mattia, dis-je, mon frère.
- — Ah! tu as donc retrouvé tes parents? s’écria mère Barberin.
- (A continuer)
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- ASSURANCES MUTUELLES
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- SOCIÉTÉ DU FAMILISTÈRE -
- MOUVEMENT DE JUILLET 1896
- ASSURANCE CONTRE LA MALADIE
- Section des Hommes
- Cotisations des mutualistes......... 1.933 90/
- Subvention de la Société............ 322 85} 3.103 40
- Malfaçons et divers................. 846 65\
- Dépenses...................................... 2.513 15
- Boni en Juillet....... 590 25
- Section des Dames
- Cotisations des mutualistes......... 412 80)
- Subvention de la Société.......\.... 137 65 554 85
- Divers............................ 4 40*
- Dépenses...................................... 199 55
- Boni en Juillet............. 355 30
- ASSURANCE DES PENSIONS
- Subvention de la Société et divers.... 3.456 93i Intérêts des comptes-courants et du 7.618 93
- titre d’épargne................ 4.162 »»'
- Dépenses :
- 93 Retraités définitifs............. 5.635 60i
- 29 — provisoires................. 1.810 40/
- Nécessaire à la subsistance......... 2.593 30\ 10.248 70
- Allocat. aux familles des réservistes.. » »»[
- Divers, appointements, médecins, etc. 209 40]
- Déficit en Juillet........... 2.629 77
- CAISSE DE PHARMACIE
- Cotisations des mutualistes..... 538 50
- Subvention de la Société et divers.... 155 75
- Dépenses.................................
- 694 25 629 34
- Boni en Juillet............... 64 91
- RÉSUMÉ
- Recettes sociales du 1er au 31 Juillet 1896.. 9.086 23) Q7.
- » individuelles » » 2.885 20( 11,y/1
- Dépenses ». » ........ 13.590 74
- Excédant des dépenses sur les recettes.... 1jl619_31
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- LE DEVOIR
- ÉTAT CIVIL DU FAMILISTÈRE
- MOIS D’AOUT 1896
- Naissances :
- 15 Août. Dassonville René-Louis, fils de Dassonville Léon et de Béreaux Gabrielle.
- 18 — Anstell René-André, fils de Austell Charles et
- de Labelle Isabelle.
- 19 — Bultez Marcel-Ernest, fils de Bultez Camille et
- de Maréchal Marie.
- 29 — Enfant mort-né de Hennequin Jules-Gustave et
- de Claire Baillet.
- Décès : *
- 12 — Holot Charles, âgé de 1 ans 11 mois.
- 24 — Bernardot Paul, âgé de 13 ans 1 mois.
- Le Secrétaire, A. Houdin
- Le Gérant : H. E. Buridant.
- Nime», lmp. Veuvo Laporle, ruelle des Saintes-Maries, 7. — 1392
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- DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES
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- de J.-B.-André Gf-ODIN (*)
- Résumé de l’essai de. Représentation du Travail par
- les Groupes, Unions de Groupes et Conseils d’Unions
- 1877-1879
- XI
- L’obstacle primordial
- Les Groupes et Unions — à l’Usine comme nu Familistère — n’ont eu, le lecteur le sait, d’activité marquée que pendant un semestre : de septembre 1877 à fin mars 1878. Les Conseils d’Unjons fonctionnèrent plus longtemps, mais avec un tel ralentissement, qu’ils semblaient n’avoir plus, en 1879, qu’une existence nominale.
- Nous avons vu (Devoir d’août dernier), le nombre des Mentions honorables décernées à l’occasion de la Fête du Travail, en mai 1878. Rien de pareil ne se produisit à la Fête du Travail célébrée en mai 1879. Le compterendu de cette Fête fut publié dans le Devoir, tome 3, numéro du 18 mai 1879, pages 563 à 568. Nous y reviendrons au chapitre suivant.
- La période d’organisation et d’activité des corps représentatifs du Travail concorda avec la série des Conférences données par Godin, à partir du 29 mars 1877 [Devoir, tome 17, année 1893, page 132), jusqu’au 5 avril 1878 (Devoir, tome 19, année 1895, page 714).
- On peut suivre, dans ces Conférences, le mouvement de la tentative et les difficultés de tous genres qu’elle
- (1) Lire le Lecocr depuis le mois de mars 1301.
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- LE DEVOIR
- rencontra; cependant, le but poursuivi avait été, dès l’origine, exposé par le Fondateur dans les termes les plus propres à frapper et intéresser ses auditeurs. Rappelons ce qu’il disait dans sa Conférence du 5 juillet 1877 (Devoir, tome 17, 1893, page 328) :
- « En ce moment, il n’y a pour ainsi dire ni entente ni confiance possibles entre patrons et ouvriers. La grève est le seul -moyen dont le travailleur fasse usage pour obtenir ce qui lui paraît nécessaire. Mais la grève est une source de tortures, une cause de ruine pour l’ouvrier. En outre, elle est souvent inefficace. Il faut abolir cet état de choses, en instituant un régime nouveau où le travailleur sera constamment tenu au courant de la marche des affaires, où il saura pertinemment s’il y a ou non des bénéfices, et de quelle importance ils sont; un régime, enfin, où la répartition équitable des bénéfices sera réalisée. »
- Et encore : (Même volume, page 267) « J’ai fait indirectement de l’association avec vous depuis vingt ans, par les institutions de prévoyance et d’éducation- que j’ai réalisées ici à votre profit, et qui sont déjà un premier partage, un partage essentiel, indispensable, des bénéfices ; un partage dont il faudra soigneusement garantir la durée, si l’on veut éviter la curée des intérêts.
- » Ce que j’attends de vous pour faire de vous des associés définitifs, ce n’est pas,< je vous l’ai déjà dit, que vous m’apportiez le concours de vos économies personnelles, c’est votre concours moral, intellectuel; c’est l’amour, le soin de vos intérêts communs, la sollicitude pour toutes les choses constituées ici en vue du bien général; c’est la convergence de toutes les meilleures forces de votre être pour l’entretien et le développement de la prospérité à l’Usine comme au Familistère,
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- DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES
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- » C’est pour atteindre à ce but que je vous-ai invités à vous répartir dans des Groupes d’études spéciales, selon les connaissances ou les tendances de chacun. Ne voyez-vous pas que les Groupes pourraient être une sorte d’école où vous apprendriez à vous administrer, à vous gouverner vous-mêmes? »
- Il disait encore : (Conférence du 28 juin 1877, Devoir, tome 17, page 323)
- « Si les travailleurs de tous ordres, ouvriers et employés, ne prenaient à cœur de se rendre compte du fonctionnement des choses dans l’établissement et des nécessités de l’industrie, comment pourrais-je réaliser, sur des hases durables, l’association entre nous? Et, hors du régime de l’association, comment faire autre chose que des distributions capricieuses et éphémères ? »
- (Même volume, page 322) : « Il est indispensable, pour ouvrir une nouvelle ère industrielle, de constituer de
- nouveaux éléments d’ordre et de direction du travail.......
- Jusqu’ici, on ne s’est pas assez préoccupé en industrie des relations entre travailleurs de tous ordres. De là, les graves embarras qui se font jour partout.......»
- (Page 328) : « Ce qu’il faut réaliser aujourd’hui, c’est l’organisation de la Représentation du Travail. Cette organisation est indispensable pour modifier le régime actuel de l’industrie et faire participer le travailleur à la direction même du travail...
- » C’est à cette œuvre que je vous convie, mes amis, en vous demandant de m’aider à réaliser, pour vous-mêmes, pour vos familles, le régime de l’association qui consolidera pour l’avenir les garanties de l’existence déjà instituées ici à votre profit, et qui élargira encore ces garanties. » •
- Toutes ces raisons — le lecteur le sait — n’entraînèrent que le quart du personnel à se répartir dans les 116 Groupes inscrits au cadre des fonctions de l’Usine.
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- Et il sait aussi combien peu parmi ces 116 firent autre chose que l’élection des président, secrétaire, etc.
- Nous nous sommes efforcés, dans notre dernier numéro, de montrer les principaux motifs qui purent porter à l’abstention un certain nombre de personnes et aussi les difficultés pratiques qui résultèrent de ces deux obstacles généraux :
- L’insuffisance des capacités,
- Le manque de sens administratif.
- Quelle que soit la force de ces raisons, elles ne suffisent pas à tout expliquer, et c’est Godin lui-même qui va nous indiquer l’obstacle fondamental. Reportons-nous à sa Conférence du 5 avril 1878 (Devoir, tome 19, 1895, pages 722 à 729), celle qui correspond à la cessation d’activité dans les Groupes et Unions. Elle nous fournit ces passages si profondément significatifs :
- » En parlant de l’association dont je vous presse d’étudier les voies et moyens, M. L... vous a dit qu’il était difficile de concevoir qu’un patron vienne de lui-même agiter devant vous, pour votre seul bien, des questions dans lesquelles il n’a rien à gagner; qu’au premier abord on avait peine à se rendre à l’évidence, mais qu’il fallait bien cependant reconnaître que les faits se passent ainsi entre vous et moi.
- » C’est que j’ai l’amour de l’être humain comme d’autres ont l’amour des races chevalines ou canines, et ne suis réellement heureux qu’en, cherchant à améliorer les conditions de la vie autour de moi. C’est pourquoi je vous ai tant conviés à prêter l’oreille à mes paroles, mon but étant non seulement d’améliorer votre sort, mais aussi de réaliser un grand exemple que le monde puisse imiter, et qui ouvre la voie du salut pour toutes les classes ouvrières.
- » Un bien petit nombre parmi vous est demeuré fidèle à mes conférences ; la masse n’a pu soutenir longtemps
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- cet effort. M. L... rouvre aujourd’hui la question; vous êtes environ 80 ici présents; avez vous le réel désir de reprendre et de poursuivre ces études indispensables à votre progrès? Les Conférences pourront-elles se continuer d’une façon suivie? Pour mon compte, j’en serais heureux.
- » M. L... a eu la puissance de vous amener une fois, puisse-t-il le ‘faire encore et vous habituer enfin à étudier toutes les choses qui intéressent votre condition!»
- Et plus loin :
- « Le but à atteindre, c’est d’améliorer la condition de l’ouvrier, de manière à le mettre en état de ^se développer intellectuellement et moralement, et c’est à cette œuvre que je vous convie sans cesse.
- « Quel meilleur usage pouvez-vous faire de vos heures de loisir que d’étudier, comme je vous l’ai demandé, les règles à introduire dans le pacte statutaire pour votre bien propre.
- » Ne sentez-vous pas que je ne puis réaliser, d’une façon légale, l’association qu’avec ceux qui, parmi vous, se seront parfaitement rendu compte des conditions essentielles à la vie de l’entreprise ! Que d’études avez-vous donc à faire pour arriver à la constitution des Statuts qui, seuls, rendront l’œuvre durable, inaliénable, et vous donneront les garanties de l’avenir. Car, une fois l’association réalisée, vous serez considérés comme propriétaires dans l’entreprise; vous aurez vos droits en conséquence et ne pourrez plus être congédiés qu’à des conditions parfaitement connues d’avance. Tant que vous ne vous mettrez pas vous-mêmes sous le coup de ces conditions de renvoi, vous vous sentirez maîtres du terrain et sûrs de l’avenir pour vous et vos enfants. »
- Et encore :
- « Quoi QUE VOUS NE PUISSIEZ ME COMPRENDRE QUAND
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- c’est votre seul intérêt qui parle par ma bouche,
- VOUS ME VERREZ JUSQU’A MA MORT SUIVRE MA VOIE ET TRAVAILLER A VOTRE BIEN-ÊTRE, MALGRÉ VOUS S’IL LE FAUT.
- Que j’arrive ou non à vous convaincre, je fonderai, au milieu de vous, l’œuvre dont le monde entier se préoccupera avant cinquante ans. Qu’elle ait duré jusque-là ou qu’elle soit tombée, hélas ! faute d’hommes, fût-elle même détruite de fond en comble et le terrain rasé à la place du Familistère, qu’elle renaîtrait vivante du fond des souvenirs et serait rétablie de toutes pièces. Car la pensée est impérissable et il y a ici plus que des briques empilées les unes sur les autres; il y a la mise en pratique de la loi éternelle d’amour de l’humanité à qui le monde appartient 1 C’est là ma conso lation suprême, je suis sûr de l’avenir.
- » Si la pensée qui m’anime pouvait enfin germer en vous, et s’il vous plaisait de continuer ces Conférences, je vous prierais de vous constituer en un petit noyau d’auditeurs s’engageant, vis-à-vis les uns des autres, à poursuivre ces études avec persévérance. M. L... a donné ce soir un exemple qui peut être suivi. Quiconque désire vous adresser la parole ou me poser des questions, me trouvera disposé à lui donner tout mon aide, pour vous amener à comprendre parfaitement le but poursuivi au Familistère et les conséquences qui doivent en résulter. »
- Avons-nous besoin de formuler l’obstacle primordial? Le lecteur l’a saisi comme nous. Cet obstacle, plus profond et plus grave que le manque de sens administratif ou que Vinsuffisance des capacités, c’est le manque d’amour humanitaire OU SOCIAL.
- « L’incrédulité des uns, l’égoïsme et l’aveuglement des autres, » disait encore Godm (Devoir, tome 18, page 259), « sont les grands obstacles que je trouve sur ma voie. Ceux qui jamais à ma place ne voudraient
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- faire l’association, s’en vont répétant que l’association ne se fera pasr, que mes paroles sont un leurre; et vous tous, au lieu de procéder activement aux mesures préparatoires, vous vous laissez en quelque sorte paralyser par ces affirmations.
- » Qui 11e trouve en soi aucun amour du bien pour autrui, ne peut croire que cet amour existe chez qui que ce soit. Il est donc naturel que ceux qui ne veulent pas de l’association crient à l’avance qu’elle est impossible. Mais vous, qui êtes destinés à en devenir les membres, ne voyez-vous pas que tout ici a été conçu au point de vue de votre bien et en respectant absolument votre liberté. Ne voyez-vous pas que je ne veux qu’une chose : assurer la perpétuité de mon œuvre, en vous en remettant à vous tous l’administration par la voie de l’association. Mais, pour que vous tous, employés et ouvriers, fassiez tout marcher par vous-mêmes, il faut une organisation spéciale; et c’est cette organisation que je m’efforce de réaliser, pour arriver enfin à constituer l’association elle-même. »
- Où trouver un second exemple d’une tentative comme celle que nous analysons ici? Le chef d’une grande industrie provoquant son personnel (plusieurs centaines d’individus) à se répartir, en toute liberté et à prix d’heure, dans des Groupes, Unions et Conseils, à qui ledit chef reconnaîtra des droits de représentation puis de direction industrielles, pour aboutir enfin à l’association complète du travail et du capital! Quel profond amour de l’humanité, quel profond respect du travail sont contenus dans une pareille ligne de conduite !
- Nous avons vu, au cours des Conférences, comment Godin — afin, de mieux attacher le personnel à l’association, de lui faire comprendre la portée des mesures de prévoyance et de protection générales à inscrire dans les statuts — pressait ce personnel même de ré-
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- diger (touchant ces mesures) des projets d’articles, des projets de Règlement. Les soins du fondateur à cet égard allaient jusqu’à indiquer en détail les points à traiter, ceux qui se rattachaient le plus directement aux garanties de la vie pour l’ouvrier. (Voir à ce sujet nos numéros d’août et septembre 1895, tome 19, pages 449 et 513). Le lecteur sait aussi que le seul document produit à cette époque fut le projet de Règlement élaboré par les Employés de l’Usine, à leur point de vue spécial, et dont Godin disait (Devoir, tome 19, 1895, page 525) :
- « Ce travail n’ayant point été conçu en vue de l’association et ne réglant que la condition des employés, est à refaire. Je vous demande d’y procéder en envisageant ce qui concerne tous les travailleurs de l’établissement, employés ou ouvriers, en face de l’association à intervenir....
- » Inspirez vous des sentiments d’équité et de justice; cherchez ce que commande le bien de tous : des ouvriers, des employés, comme de l’association; rappelez-vous mes enseignements de ces derniers mois; unissez tous vos efforts et vous ferez ainsi un travail utile et salutaire pour tout le monde.»
- Godin ne trouva pas, sous ce rapport, l’aide qu’il cherchait. Dans une conférence qu’il donna au Familistère le 30 septembre 1880 — c’est-à-dire après la constitution légale de l’Association — il prononça ces paroles :
- « J’ai dû créer moi-même et de toutes pièces les rouages de notre Association.... Dans le domaine industriel seul, j’ai été aidé ; mais ce que j’avais espéré, en 1877, c’était d’éveiller en vous assez d’amour pour l’association pour que vous vous attachiez réellement à me seconder dans la préparation de cette œuvre.... »
- La besogne était difficile, dira-t-on, et le sujet si nou-
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- veau que le fondateur lui-même recourût pour la rédaction définitive du pacte social aux lumières de jurisconsultes renommés en matière de législation des Sociétés. Cela est vrai ; mais Godin ne demandait pas au personnel de traiter des bases fondamentales de l’Association ; il lui proposait une tâche spéciale et simple : « l’élude et l’élaboration d’un Règlement devant servir à déterminer les droits, devoirs et garanties réciproques des membres et de l’Association. » (Devoir, tome 19, 1895, page 513). Mais cette simple tâche même (voir notre numéro de juillet dernier, page 399) dépassa ce que le milieu pouvait fournir.
- Dans une conférence donnée le 5 juin 1881, (Devoir, tome 5, page 356) Godin parlant aux membres de l’Association et embrassant les faits du passé, s’exprime en ces termes : « Mon œuvre n’a pas été conçue en vue de vous seuls ; si je n’avais eu d’autre but que de créer de^ avantages à votre seul bénéfice, il y a longtemps que votre incrédulité et votre insouciance m’eussent lassé et découragé, au point de me faire renoncer à mes projets. Mais je sentais qu’en travaillant pour vous, je travaillais pour le monde ; qu’en luttant contre tous les obstacles qui se sont dressés de toutes parts sur ma voie, je luttais pour tous les travailleurs, pour l’humanité elle-même ; et ce sentiment m’a soutenu, m’a fait avancer sur une voie où d’autres, moins convaincus, se fussent arrêtés. »
- Les efforts de Godin pour animer ses auditeurs de la passion du bien général qui le brûlait lui-même ont certainement laissé leurs traces ineffaçables dans l’esprit de nos lecteurs. Un quart du personnel, nous l’avons vu, vibra sous cette ardente et vigoureuse impulsion et, pendant quelques mois, s’exerça dans la voie ouverte par Godin. Mais, pour vaincre les difficultés qui assaillaient l’Essai de représentation du Travail, il eût fallu que l’amour même qui animait Godin fût
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- dans tous les cœurs. Comme il n’en était pas ainsi, les obstacles — très grands, du reste — furent plus forts que les quelques bonnes volontés qui s’essayèrent à l’action ; et l’inertie, nous le savons, s’empara de tous les corps représentatifs du Travail.
- XII
- Fin de la tentative. Inscription de l’Idée dans les Statuts
- Dans le tome 3 du Devoir (pages 563 à 568) se trouve reproduit le discours prononcé par Jean-Baptiste-André Godin, à la Fête du Travail, célébrée cette année-là (1879) le 4 mai.
- Godin présenta à l’Assemblée les statuts de l’Association, alors en manuscrits. Il en lut des extraits, signalant tout d’abord que le pacte social contenait, « comme annexes, le Règlement touchant les Comités, Unions et Conseils représentant le Travail. »
- Il signala les mesures d’ordre prises dans l’établissement en vue de la constitution légale définitive de l’As sociation. Ainsi, pour des raisons techniques, l’exercice commercial qui, jusque et y compris 1878, avait embrassé la période du 1er janvier au 31 décembre de chaque année, embrassa à partir de 1879 la période allant du 1er juillet de chaque année au 30 juin de l’année suivante. Un inventaire spécial régla dans l’établissement la période du 1er janvier au 30 juin 1879. Ayant exposé ces choses, Godin passa aux corps représentatifs du travail et dit :
- « Pour concourir au fonctionnement de l’œuvre (l’Association) je vous ai invités à constituer des Groupes ou Comités, des Unions et Conseils dont le but est la représentation du Travail dans les faits administratifs de l’Association. Ces Comités, Unions et Conseils ont besoin d’être renouvelés entre les personnes que je
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- DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES
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- vais appeler au titre d’associés. Ce renouvellement devra donc s’opérer aussitôt que j’aurai arrêté la liste des premiers membres de l’Association. »
- Mais l’établissement de cette liste prit du temps ; et la rédaction définitive des statuts en prit également. Ce ne lut que l’an d’après, le 13 août 1880, que le pacte social lut signé.
- Une nouvelle Fête du Travail, celle du 2 mai 1880, se célébra donc avant la constitution définitive de l’Association. Du discours prononcé par Jean-Baptiste-André Godin à l’occasion de cette Fête, (Devoir, tome 4, pages 290 à 293) nous extrayons les passages suivants:
- « Chers coopérateurs et amis,
- » L’an dernier, à pareil jour, je vous présentai dans cette enceinte le manuscrit, déjà longuement élaboré, des statuts.
- » Il n’a pas fallu moins d’un an pour achever cette œuvre et, par une coïncidence singulière, je viens d’en recevoir la première mise en page.
- o Ces statuts, comme vous le voyez, forment un volume qui, sous peu de jours, va être tiré à un grand nombre d’exemplaires ; chacun de vous pourra donc les consulter à son gré.
- » Ce volume, véritable Code du Travail contient d’abord l’exposé des principes qui ont présidé à la fondation de l’œuvre, puis les statuts qui seront la loi commune de nos rapports et de nos intérêts. Viennent ensuite les règles spéciales de nos Assurances mutuelles qui garantissent les membres de l’Association contre le dénûment et l’abandon dans toutes les circonstances de la vië ; enfin, le Règlement intérieur du travail, établi d’une façon juste et fraternelle, et qui a pour objet d’indiquer à l’Association la voie du succès et de la prospérité dans l’avenir. »
- Ceci se passait au mois de mai 1880 ; au mois d’août
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- suivant, le 13, nous l’avons dit, le pacte social fut signé. Les insertions judiciaires suivirent, puis la société entra en fonctionnement.
- La mise en application des statuts, la constitution et le fonctionnement des Conseils et Comités prescrits par le pacte statutaire, éclipsèrent l’ancienne Représentation du Travail essayée par l’organisation des Groupes, Unions et Conseils d’Unions.
- Ainsi finit la tentative. Elle fut prématurée, certainement. Mais ELLE ÉTAIT A FAIRE POUR FIXER L’OPINION
- sur les possibilités de l’heure présente. Et l’idée répond tellement aux nécessités sociales que Godin en a déposé le germe dans le pacte statutaire, afin qu’elle puisse être reprise le jour où la majorité du personnel en reconnaîtra le besoin.
- Nous voulons parler des Comités d'études libres et des Récompenses exceptionnelles inscrits dans les statuts sous les articles suivants :
- RÈGLEMENT
- Titre Neuvième. — Etudes libres et comités divers
- Article 71
- « Les membres de l’Association, dans le but de se rendre utile à l’œuvre commune et de faciliter l’essor de leurs propres facultés, peuvent se constituer en comités d’études, afin d’examiner les progrès et les améliorations possibles dans les questions qui les préoc cupent.
- » Dans le cas où un Comité d’études libres a une proposition utile à faire connaître, il demande au secrétariat de la Gérance, article 26 du présent Règlement, l’inscription de la dite proposition sur le livre spécial destiné à recevoir ces sortes de communications. Il remet au Secrétaire les documents et objets divers qui se rapportent à la question.
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- DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES
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- Article 72
- » Toute personne attachée à l’Association jouit individuellement du même droit de présenter des idées uti les et d’en demander l’inscription au registre spécial. (Règlement, art. 26).
- Article 73
- » Les idées nouvelles et perfectionnements ainsi proposés sont, par les soins de l’Administrateur-Gérant, jugés soit en conseil de gérance soit en conseils du Familistère ou de l’Industrie (Statuts ; art. 100, 106, 107, Règlement, 3e partie ; art. 26.)
- » Si la proposition est mise en pratique, elle donne droit pour son autenr à participer aux récompenses exceptionnelles fixées art. 128, 6°, des Statuts ; sous réserve des prescriptions des art. 78, 79, du présent Règlement.
- Titre dixième. — Rémunération des Comités
- Article 74
- » Il est de principe dans l’Association de rémunérer toutes les fonctions, tous les services utiles.
- » En conséquence, les membres des Comités d’Assu-rances mutuelles et de tout autre Comité déclaré, par le Conseil de Gérance, utile à l’Association, sont payés pour le temps qu’ils consacrent au service de la mutualité ou des intérêts-communs, lorsque ces services sont donnés en dehors du temps déjà payé par l’Association.
- » Cette rémunération est fixée en Conseil de Gérance, après avis du Comité qu’elle concerne.
- Titre douzième. — Récompenses sur le fonds annuel
- Article 78
- » Le fonds mis annuellement, par l’article 128, 6°, des Statuts, à la disposition du Conseil de Gérance pour
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- 654
- LE DEVOIR
- récompenser les Services exceptionnels, doit s’appliquer aux idées et aux faits avantageusement produits par les membres de l’Association en dehors de ce qui concerne leur fonction. (Art. 71 à 73 du présent Règlement.)
- Article 79
- » Ces récompenses ne sont pas applicables aux études ni aux travaux incombant à la fonction des chefs de services et principaux employés. Ceux-ci doivent tout le concours de leurs idées et de leur talent à l’Association qui les rétribue pour faire acte d’initiative et d’innovation.
- » Néanmoins, le Conseil de Gérance est juge des exceptions à faire à leur égard. »
- STATUTS
- Art. 128. — Le bénéfice net est réparti de la manière suivante :
- « 6° A la disposition du Conseil de Gérance pour être répartis, dans le courant de l’année, aux employés et aux ouvriers qui se seront distingués par des Services exceptionnels (Règlement, 3e partie, articles 78, 79,) 2 %,
- ci................................................ 2 % »
- *
- * *
- Quelques réflexions sont à faire concernant les articles relevés ci-dessus ;
- L’art. 74 du Règlement (3mo partie des Statuts) s’applique — nous venons de le voir — aux Comités des Assurances mutuelles et à tout autre Comité.
- De même, dans la pensée de Godin, les prescriptions de l’art. 75 des Assurances mutuelles (2me partie des Statuts) disant : « Il faut avoir 21 ans révolus pour être électeur aux Comités des Asssurances et 25 ans pour
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- DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES 655
- être éligible, s’appliquent aux divers Comités qui peuvent être jugés utiles à l’Association.
- Nous en avons la preuve dans le manuscrit d’une conférence donnée par Godin, le 30 septembre 1880 au Familistère. (Cette conférence a été reproduite, mais partiellement dans le tome 4 du Devoir, page 650.)
- Appréciant les grandes lignes des Statuts. Godin s’exprime ainsi :
- « Vous remarquerez que l’on n’est maintenant électeur dans les services de VAssociation qu’à partir de 21 ans. Nous avons, dans le passé, laissé voter les jeunes gens dès leur entrée au travail ; mais des réclamations ont été faites à ce sujet ; les jeunes gens votaient avec trop d’irréflexion ; aussi sommes-nous revenus aux prescriptions de la loi française concernant la majorité. »
- C’est à cet enseignement de l’expérience que nous avons fait allusion dans notre numéro de juillet dernier, page 388, à propos de l’art. 15 du projet de Règlement des Groupes Unions et Conseils, article qui fixait à 16 ans l’âge d’admission dans les groupes et à 21 ans la possibilité d’être élu président.
- Pour le surplus dès enseignements touchant l’exercice du suffrage, revoir au besoin notre numéro de septembre dernier.
- (A suivre)
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- LE DEVOIR
- 656
- SOCIÉTÉ DU FAMILISTÈRE DE GUISE
- ASSEMBLÉE GÉNÉRALE ORDINAIRE
- DU 4 OCTOBRE 1896
- Extraits du Procès-verbal
- Présidence de M. DEQUENNE, Administrateur-Gérant
- Ordre du jour :
- 1° Rapport de M. l’Administrateur-Gérant sur la situation morale, industrielle et financière de l’Association;
- 2° Rapport du Conseil de surveillance sur le même sujet ;
- 3° Adoption du rapport de la Gérance et de celui du Conseil de surveillance;
- 4® Election au scrutin secret et à, la majorité absolue de trois commissaires-rapporteurs devant former le Conseil de surveillance pour l’exercice 1896-97 ;
- 5° Election au scrutin secret et à la majorité absolue de trois conseillers de gérance, en remplacement de MM. Berlemont Etienne, Lermoyeux Florus et Macaigne Emile dont le mandat est expiré;
- 6° Sanction de la modification à, l’article 3 des Assurances, proposée par le Conseil de Gérance, consistant à, augmenter de 1 % la subvention accordée par l’Association à la caisse de l’assurance des pensions et du nécessaire, basée sur les salaires et appointements, ce qui porterait cette subvention de 2 % à 3 %.
- Cette augmentation serait appliquée à partir du 1er juillet 1896.
- Sont présents ou représentés 268 associés sur 280
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- ASSEMBLÉE GÉNÉRALE ORDINAIRE 657
- inscrits, ainsi qu’en témoigne la liste de présence annexée au présent procès-verbal.
- Présents....... 220 l
- Représentés.... 48 > 280
- Absents........... 12 j
- Le bureau est composé de M. Dequenne, administrateur-gérant, président, et des conseillers ayant qualité d’associés, savoir : Mme Marie Godin, MM. Alizard, Bailliot, Berlemont, Bernardot, Bocheux, Colin, Henne-quin, Lermoyeux, Macaigne, Piponnier, Quent, Séku-towicz.
- M. Bernardot, secrétaire de l’Assemblée générale, remplit sa fonction.
- Après l’appel nominal, M. le Président déclare la séance ouverte.
- Il constate que toutes les formalités d’affichage ont été remplies à Guise et à Laeken pour la convocation de l’Assemblée.
- L’ordre du jour est abordé.
- 1° Rapport de M. P Administrateur-Gérant sur la situation morale, industrielle et financière de l’Asso-ciatioa.
- M. le Président s’exprime ainsi :
- Mesdames et Messieurs,
- Mes Amis et Collaborateurs,
- Conformément aux prescriptions statutaires, je viens vous présenter mon rapport annuel sur la situation morale, industrielle et financière de notre Association.
- La situation morale, envisagée dans son ensemble, se maintient bonne et satisfaisante, et si, parfois, un léger nuage ou une légère tache se produisent, ce ne sont que des accidents passagers qui ne peuvent avoir aucune influence fâcheuse sur la marche de notre Société.
- La grande majorité des habitants du palais social sont pénétrés des obligations morales que leur impose l’habitation sociétaire, ils savent que leur devoir est de se montrer dignes d’y demeurer et de participer aux avantages qu’elle procure.
- L’œuvre bienfaisante familistérienne porte ses fruits et répand ses bienfaits de plus en plus.
- 2
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- LE DEVOIR
- Les faits parlent, les résultats sont indéniables, l’association du capital et du travail prospère et continue sa marche ascendante; l’importance et la renommée de l’œuvre du regretté Godin vont toujours grandissant; tous ceux qui s’occupent des questions sociales et de l’amélioration du -sort des travailleurs s’intéressent à la marche et au fonctionnement de cette œuvre de régénération et de rénovation sociales.
- Pour que cette bonne situation se maintienne et se continue, nous devons veiller à la bonne instruction et surtout à la bonne éducation de nos enfants; ils sont appelés à nous succéder et à continuer l’œuvre du Fondateur de l’Association ; c’est pendant le jeune âge que les principes d’une bonne morale, inculqués à l’école et continués dans la famille, s’imprègnent dans l’esprit et forment le caractère.
- Quant à nous, mes amis, soyons unis et travaillons tous pour le bien et la prospérité de notre Association.
- Entrons maintenant dans l’examen de notre situation industrielle et commerciale.
- Le total des commandes en fourneaux et appareils de chauffage s’est élevé pour l’exercice écoulé 1895-96 :
- à l’usine de Guise à.......... 133.696 (
- à l’usine de Laeken à......... 34.422 i
- L’exercice précédent, 1894-95, il s’était élevé :
- 168.118 fourneaux
- à l’usine de Guise à....;... 116.153 à l’usine de Laeken à.......... 27.080
- 143.233 fourneaux
- Soit en plus pour l’exercice écoulé :
- à Guise.. 17.543 j total en plus pour à Laeken 7 342 i les deux usines : 24.885 fourneaux,
- auxquels il faut ajouter les articles divers, tels que : baignoires, pompes, lavabos, mangeoires, articles de quincaillerie, accessoires, pièces de remplacement, etc., dont les commandes ont été supérieures aussi, et dont la vente continue à augmenter.
- Le chiffre complet d’affaires net pour les deux usines s’est élevé pendant l’exercice écoulé 1895-96 ;
- à Guise à..................................
- à Laeken (compris les produits français) à.
- 3.767.160 62 ) 871.296 65 (
- 4.638.457 27
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- ASSEMBLEE GÉNÉRALE ORDINAIRE 659
- L’exercice précédent 1894-95, il s’était élevé :
- à Guise à...................... 3.423.326 12 j
- à Laeken (compris les produits français) à. 726.558 79 i
- Soit en plus en 1895-96 :
- à Guise... 343.834 50 / total en plus pour à Laeken.. 144.737 86 ' les deux usines... 488.572 36
- Nos affaires, qui se maintenaient à peu près au même chiffre total depuis quelques années, ont donc monté fortement pendant l’exercice écoulé, malgré la concurrence sans limites qui se produit de toutes parts.
- Les bénéfices industriels se sont élevés pendant l’exercice 1895-96 :
- A l’usine de Guise à la somme de 603,310 fr. en augmentation de 45,099 fr. 22 sur l’exercice précédent.
- A l’usine de Laeken, à 140,535 fr. 26, dont il a fallu déduire une somme de 14,580 fr. portée au débit du compte Pertes et Profits, "reste 125,955 fr. 26.
- Il faut ajouter à ces sommes, après déduction faite de la répartition coopérative aux acheteurs, le reste des bénéfices commerciaux des Familistères ainsi que les produits locatifs, qui se sont élevés ensemble cette année :
- A Guise, à la somme de.... 79.421 50 ,
- A Laeken, à la somme de... 9.075 25 \
- Ce qui donne un total de bénéfices pour
- l’exercice écoulé 1895-96 de..................
- pour l’exercice précédent 1894-95, il était de : soit une différence en plus pour l’exercice écoulé de 35,306 fr. 02.
- Les bénéfices nets à partager, après déduction faite des intérêts du capital, des amortissements et des charges diverses,
- s’élèvent cette année à...,..................... 334.574 37
- l’année dernière, ils s’élevaient à............. 287.602 01
- soit une différence en plus à partager pour
- l’exercice écoulé 1895-96 de.................... 46.972 36
- Aux bénéfices à partager est venue s’ajouter, ainsi que chaque année, la répartition coopérative des services commerciaux des
- 88.496 75
- 817.762 01 782.455 99
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- LE DEVOIR
- Familistères, comme remises aux acheteurs,
- qui s’est élevée cette année à Guise à.... 100.217 »»
- et à Laeken à................................ 1.375 35
- qui ont donné à Guise une répartition de 12 fr. 25 pour cent et à Laeken 5 fr. 56 pour cent de l’importance des achats sur carnets.
- Le montant total des ventes, dans les services coopératifs des Familistères, s’est
- élevé cette année : à Guise à................ 888.566 77
- l’an dernier : à Guise à..................... 864.051 03
- soit en plus pour l’exercice écoulé.......... 24 515 74
- A Laeken, les ventes se sont élevées cette
- année à...................................... 46.729 46
- l’année précédente à......................... 38.707 82
- différence en plus pour l’exercice écoulé... 8.021 64
- Les résultats de l’exercice qui vient de clôturer sont donc encore satisfaisants, tant'au point de vue industriel et commercial, qu’au point de vue financier; le total des affaires à Guise et à Laeken a beaucoup augmenté, il en résulte une augmentation de bénéfices, malgré la baisse que nous avons faite aux tarifs de nos deux usines en janvier 1895, évaluée alors à 60.000 fr. (50.000 pour Guise et 10.000 fr. pour Laeken) qui n’a porté que sur le deuxième semestre de l’exercice 1894-95, tandis qu’elle a porté sur les deux semestres de l’exercice écoulé 1895-96. Nos prévisions, relativement à cette baisse, se sont réalisées ; nos affaires ont augmenté et les bénéfices aussi, malgré cette diminution des prix de vente.
- Je le répète, la situation reste bonne et nous n’avons qu’à désirer qu’elle puisse se continuer ainsi tout en pouvant espérer qu’elle devienne encore meilleure.
- La direction des différents services à Guise et à Laeken se continue dans de bonnes conditions.
- Aux modèles, nous avons continué et continuons à faire de nouvelles créations, nous avons fait des séries de modèles pour cuisinières tôle et fonte, quelques types de poêles flamands Nos 129 à 136 et 139 à 146, une nouvelle série de cheminées genre faïence, à four N08 101 à 103, et une cheminée tôle et fonte N° 113, quelques modèles de calorifères à pétrole; nous terminons une nouvelle série de calorifères hygiéniques, N08 116 à 118 à feu visible qui sont un perfectionnement
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- ASSEMBLÉE GÉNÉRALE ORDINAIRE 661
- des N03 6, 7 et 8. Noos avons commencé et continuons des nouvelles séries de modèles de réchauds à gaz.
- Nous avons fait aussi quelques nouveaux modèles de pompes, deux nouveaux modèles de baignoires Nos 13 et 14, et une certaine quantité de modèles d’articles de bâtiments, de jardins et divers.
- Nous avons pris, en France et en Belgique quelques nouveaux brevets.
- Ainsi que je vous le disais l’an dernier, pour nous maintenir au premier rang et ne pas nous laisser distancer, nous avons commencé une nouvelle fabrication, celle d’appareils pour le chauffage à l’électricité, pour lequel nous avons créé différents modèles. La vente de ces articles nouveaux ne nous a pas encore donné de notables résuFn's, mais cette fabrication a été un motif de publicité et de réclame qui aideront à maintenir le renom de notre maison, en attendant que les diverses applications de cette nouvelle spécialité prennent leur développement et puisse constituer une branche importante de notre industrie.
- Notre émaillerie continue à s’améliorer et à se perfectionner, tant au point de vue du travail que de l’hygiène de l’atelier ; dans l’annexe de cet important atelier, où l’on fait de la décoration sur émaux, le travail a pris un certain développement; nous y fabriquons couramment maintenant des cuisinières émaillées décorées dont la vente pourra s’étendre et s’agrandir.
- Notre publicité se continue suivant les règles voulues et les besoins de notre industrie; nous avons fait dans le cours de l’exercice écoulé, ainsi que je vous l’annonçais l’an dernier, pour nos deux usines de France et de Belgique, un supplément d’album, comprenant tous les meubles et les articles divers créés depuis la mise à l’impression de l’album complet de 1892; un extrait de ces albums composé de tous les articles des séries 12 à 15; un petit album des cuisinières tôle et fonte, ainsi qu’un petit album-tarif, en deux fascicules, des articles de quincaillerie en fonte d’acier ; nous avons fait aussi des tableaux-affiches de nos appareils de chauffage à l’électricité.
- Une publicité bien ordonnée et bien faite est nécessaire pour faire connaître à notre clientèle et au public,
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- LE DEVOIR
- les produits de notre fabrication et principalement les nouveaux; c’est coûteux mais cela rapporte.
- Le service des approvisionnements se continue avec la régularité voulue.
- Le tronçon de chemin de fer de Guise à Wassigny, de la ligne de Laon au Cateau, est terminée et vient d’être mis en exploitation; cela pourra nous donner des facilités et des économies pour certaines de nos expéditions vers le Nord et certains de nos arrivages venant de la même région.
- Au service des expéditions, il a été fait diverses transformations et améliorations qui nous permettront de donner, dans la mesure du possible, plus complète satisfaction à notre clientèle.
- La direction de la fabrication générale se continue avec la vigilance et l’activité voulues ; il en est de même de la direction du montage.
- Nous avons commencé la fabrication de nouveaux types de cuisinières tôle et fonte; tout fait présumer que ces nouveaux meubles, montés avec soin, d’un bel aspect de forme et de fini, trouveront leur écoulement dans la clientèle de certaines régions du pays et pourront donner un nouvel aliment de travail pour le personnel de nos usines.
- A l’atelier de fonte malléable et d’acier, nous fabriquons maintenant couramment des articles de quincaillerie qui trouvent leur écoulement dans notre clientèle de quincailliers ; comme je le disais l’an dernier dans mon rapport, ces articles ne nous donnent pas de gros bénéfices, ils sont fabriqués par d’autres maisons et fortement concurrencés ; mais ils nous donnent un supplément de travail et cette fabrication a eu du moins pour résultat certain, en raison cle la plus grande production de cet atelier, d’en diminuer le prix de revient; par suite le coût des garnitures qui servent au montage de nos appareils, ainsi que celui des pièces nécessaires à l’outillage, se sont trouvés réduits, ce qui a constitué depuis quelques années une économie notable sur les anciens prix, équivalant à un premier bénéfice réel, qui se continue.
- A l’atelier de l’outillage, on continue les travaux courants d’entretien et de réparations des machines, engins et outils des différents ateliers.
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- ASSEMBLÉE GÉNÉRALE ORDINAIRE 663
- Nous avons fait une modification importante à la machine n® 5, en transformant le volant denté en volant poulie; ce changement supprime les chocs des dents d’engrenages qui détérioraient les organes de la machine et nécessitaient des réparations coûteuses; de plus, la solidité du bâtiment de la machine était compromise par ces chocs continus.
- Une réparation d’une certaine importance, en raison de ses résultats, a aussi été faite à la machine n° 2, qui dépensait depuis longtemps beaucoup de vapeur perdue et par conséquent trop de charbon, par suite d’une fuite intérieure inaperçue; cette rectification a réduit la consommation du combustible à la quantité normale et rendu plus régulière la marche de cette machine.
- On a fait différents engins et divers outils neufs pour l’usine de Guise ei celle de Laeken; on a installé deux nouvelles fraiseuses à l’atelier du montage, qui facilitent beaucoup le travail d’ajustage et de dressage des ouvertures et portes de nos calorifères hygiéniques.
- En raison de l’accroissement de nos affaires, le Conseil de gérance a décidé de construire, en prolongement de la fonderie n° 3 et des magasins de pieds et de pièces de foyers, un bâtiment comprenant six halles, dont quatre sont affectées à une nouvelle section de fonderie qui pourra , contenir environ 55 mouleurs, les deux autres halles pourront servir à des dépôts de pièces fabriquées. Ce bâtiment est terminé maintenant et le nouvel atelier de fonderie désigné sous le n° 4 est en pleine marche.
- Il a de plus été décidé de construire en prolongement du magasin aux produits réfractaires, du magasin de fers et tôles et de la dernière halle de l’emballage, un autre bâtiment faisant suite au précédent, comprenant quatre halles, dont deux seront affectées aux produits réfractaires ou autres, une à l’atelier de tôlerie et au montage des cuisinières en tôle et fonte, et la quatrième, qui se trouvera près du hangar à la paille, sera affectée aux nouveaux magasins de fers et tôles, de sorte que l’emplacement où sont actuellement les tôliers dans l’atelier du montage devenant libre, on pourra y placer de nouveaux ajusteurs, dont le besoin se fera bientôt sentir en raison de l’agrandissement de la fonderie et de la plus grande production qui s’en suivra ;
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- 664 LE DEVOIR
- nous construisons ce bâtiment, qui sera terminé ou à peu près à la fin du mois courant.
- Ces nouvelles constructions, dont le coût total s’élèvera à environ 75.000 francs, compris les aménagements intérieurs, étaient indispensables en raison de l’accroissement des commandes auxquelles nous n’aurions pu suffire. Les agrandissements d’un établissement, quand ils sont faits avec mesure et suivant les besoins de son commerce et de son industrie, sont une marque de prospérité; félécitons-nous donc d’avoir été obligés de nous agrandir comme nous l’avons fait depuis quelques années.
- A l’usine de Laeken, nous avons terminé les travaux d’aménagements intérieurs des bâtiments que nous y avons construits l’an dernier et l’année précédente; il ne reste plus à faire maintenant que les casiers en fer dans le nouveau magasin aux modèles ; on y travaille-
- Je passe sur le détail des améliorations et perfection, nements apportés dans les différents services et les rouages de notre grande affaire ; ils se font au fur et à mesure que leur besoin s’en fait reconnaître et suivant les indications données et recueillies.
- Un grand établissement comme le nôtre ne peut pas rester stationnaire, il doit aller de l’avant et toujours chercher des perfectionnements; il doit n’avoir qu’une pensée et un but : le progrès. (Applaudissements)
- En terminant cette première partie de mon rapport, je dois adresser, comme je le fais chaque année, aux membres sortants du Conseil de Gérance, Messieurs Berlemont Etienne, Lermoyeux Florus et Macaigne Emile, nos remerciements pour le concours dévoué et ponctuel qu’ils nous ont donné pendant la durée de leur mandat, qui expire aujourd’hui.
- Je fais de même pour Messieurs les membres du Conseil de Surveillance, dont le mandat est aussi expiré. (Applaudissements)
- Nous allons maintenant, Mesdames et Messieurs, passer à la lecture de la situation financière.
- Je donne la parole au secrétaire.
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- Assemblée générale ordinaire
- 665
- PERSONNEL DE L’ASSOCIATION
- au 30 juin 1896
- Membres actifs : Associés à Guise... 264 J
- — — à Laeken.. 18 '
- — Sociétaires à Guise... 154 )
- — — à Laeken.. 37 '
- — Participants à Guise... 501 / n \
- — - à Laeken.. 101 < bü2 I
- Propriétaires de parts d’épargnes ne prenant
- plus part aux travaux de l’Association...............
- Auxiliaires prenant ou ayant pris part aux travaux de l’Association.'..............................
- Total général
- 1.075
- 407
- 769
- 2.251
- MUTATIONS DU PERSONNEL
- Les mutations qui se sont produites au cours de l’exercice 1895-96 sont les suivantes :
- ASSOCIÉS
- Nombre existant au commencement de l’exercice. Elus sur leur demande, par l’Assemblée, pendant l’exercice.........................
- A déduire : Décédés....................... 7 /
- Démissionnaires............... 7 (
- Existant au 1er juillet 1896
- SOCIÉTAIRES
- 277
- 19
- 296
- 14
- 282
- Au 1« juillet 1895........................... 209 j
- Elus pendant l’exercice...................... 17 (
- A déduire :
- Sociétaires devenus associés................... 17 J
- — partis ou décédés.................. 16 J 35
- — redevenus participants............. 2
- Existant au 1er juillet 1896
- 191
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-
- 666
- LE DEVOIR
- PARTICIPANTS
- Au 1er juillet 1895......................... 555 .
- Elus, sur leur demande, pendant l’exercice 83 I
- Associés redevenus participants............. 2 ) 4
- Sociétaires — — ......... 2 ]
- A déduire :
- Participants devenus sociétaires............ 17 )
- — — auxiliaires............. 1 | 40
- — partis ou décédés............ 22 J
- Nombre de Participants au 1er juillet 1896......... 602
- RETRAITÉS
- Les pensionnés, au 1er juillet 1895, i
- étaient au nombre de.................... 80 J 99
- Mis à la retraite pendant l'exercice. 19 1
- A déduire :
- Décédés pendant l’exercice................. 9
- Reste au 1er juillet 1896.................. 90 anciens.
- travailleurs jouissant de la retraite dans l’Association, plus.......................... 27 retraités.
- provisoirement, ce qui porte le total des pensionnés à................................. 117
- SITUATION GÉNÉRALE DES ASSURANCES MUTUELLES ASSURANCE DES PENSIONS ET DU NÉCESSAIRE
- L’assurance des retraites ou pensions et du nécessaire à la subsistance des familles dans le besoin possédait au 30 juin 1895 :
- Un certificat d’épargnes de............
- Plus, la part attributive au travail des
- auxiliaires pour l’exercice 1894-95......
- Annulations d’épargnes réservées. 1.220 j Achats de titres à divers....... 5.420 '
- Total des épargnes de l’assurance...... 909.174 »»
- Remboursement d’épargnes............... 4.740 »»
- 880.418 »»
- 22.116 »» 6.640 ww
- Montant du titre au 30 juin 1896. A reporter. 904.434 »»
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- ASSEMBLÉE GÉNÉRALE ORDINAIRE 667
- Report...... 904.434 »»
- Il va y avoir lieu d’ajouter à ce titre l’attribution des auxiliaires pour l’exercice
- 1895-96......................................... 27.305 »»
- Annulation d’épargnes réservées............. 2.090 »»
- ce qui portera la valeur du certificat d’épar
- gnes à.......................................
- Le solde créditeur du compte-courant de l’assurance des pensions et retraites ,
- s’élève au 30 juin 1896 à...... 223.757 72
- La répartition de cet exercice va y ajouter le solde des intérêts et dividende revenant au ’
- certificat d’épargnes.......... 25.993 50 ,
- Cette assurance possède donc un capital de 1 183 580 22
- RECETTES ET DÉPENSES DE L’ASSURANCE DES PENSIONS
- ET DU NÉCESSAIRE
- Les recettes de cette assurance ont été :
- Subvention de l’Association équivalente à 2 % des salaires ou appointements de l’exercice............................................ 45.555 87
- Intérêts et dividende du titre de l’assurance pour l’exercice 1895-96................... 48.521 10
- Intérêts du compte-courant de l’assurance. 3.311 45
- Rentrées diverses.............................. 1.079 05
- Total des recettes..... 98.467 47
- Le montant des dépenses est de............... 119.128 99
- Excédant des dépenses sur les recettes.. 20.661 52
- Il a été fait pendant l’exercice un remboursement d’épargne de.......................... 4.740 »»
- Il a été acheté des titres à divers pour. 5.196 »»
- Différence...... 456 »»
- ASSURANCE MUTUELLE CONTRE LA MALADIE
- à Guise. — Section des hommes.
- Solde débiteur au 30 juin 1895............ 9.184 49
- Recettes de l’exercice 1895-96............ 41.235 22
- 933.829 »»
- 249.751 22
- Reste
- 32.050 73
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- 668
- LE DEVOIR
- Report...... 32.050 73
- Dépenses de l’exercice....................... 40.289 85
- Solde débiteur.... 8.239 12
- Excédant des recettes sur les dépenses.. 945 37
- à Guise. — Section des dames.
- En caisse au 30 juin 1895......................... 9.826 39
- Recettes de l’exercice 1895-96.................... 6.759 75
- Total................ 16.586 14
- Dépenses de l’exercice............................ 5.746 45
- Reste en caisse au 30 juin 1896.................. 10.839 69
- Excédant des recettes sur les dépenses.. 1.013 30
- Usine de Laeken
- ASSURANCE CONTRE LA MALADIE
- Solde débiteur au 30 juin 1895.................. 80 34
- Recettes de l’exercice 1895-96............... 6.278 42
- Reste............... 6.198 08
- Dépenses de l’exercice....................... 5.306 20
- Solde créditeur au 30 juin 1896................ 891 88
- Excédant des recettes sur les dépenses. 972 22
- ASSURANCE SPÉCIALE A LA PHARMACIE à Guise
- En caisse au 30 juin 1895............................. » »»
- Recettes de l’exercice 1895-96.................... 8.740 15
- Total................. 8.740 15
- Dépenses de l'exercice............................ 9.486 64
- Solde débiteur, couvert par une subvention de l’Association................................. 746 49
- Excédant des dépenses sur les recettes. 746 49
- à Laeken
- En caisse au 30 juin 1895............................ 47 57
- Recettes de l’exercice 1895-96.................... 2.387 39
- Total....................... 2.434 96
- Dépenses de l’exercice............................ 2.698 63
- Solde débiteur au 30 juin 1896...................... 263 67
- Excédant des dépenses sur les recettes. _____________311 24
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-
-
-
- ASSEMBLÉE GÉNÉRALE ORDINAIRE
- 669
- ASSURANCES RÉUNIES
- Le montant général des recettes de nos
- assurances est de....................... 163 868 40
- Celui des dépenses est de............. 182.656 76
- Excédant des dépenses sur les recettes 18.788 36
- RÉSUMÉ GÉNÉRAL DES ASSURANCES
- Les 182.656 fr. 76 de dépenses des assurances mutuelles se décomposent ainsi :
- ASSURANCE CONTRE LA MALADIE
- Payé aux malades pendant l’exercice 1895-96 :
- à Guise. — Section des hommes
- Pour 18.560 journées de maladie à 721 malades....................................... 36.182 30
- à Guise. — Section des Dames
- Pour 4.616 journées de maladie à 187 malades........................................ 3.026 ))
- à Laeken. — Section unique
- Pour 1.612 journées de maladie à 180 malades........................................ 3.522 76
- POUR LES SECTIONS RÉUNIES. — FRAIS DE PHARMACIE
- à Guise........................ 9.486 64 (
- à Laeken....................... 2.698 63 \ 14,180 4'
- PAYÉ AUX MÉDECINS
- à Guise........................ 6.356 45 (
- à Laeken....................... 1.763 » j 8,119 45
- Divers à Guise................... 471 55 j
- Divers à Laeken................... 20 44
- A reporter...
- 63.527 77
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-
-
-
- 670
- LE DEVOIR
- Report.... 63 527 77
- ASSURANCE DES PENSIONS ET DU NÉCESSAIRE
- 119.128 99
- 182.656 76
- Dépenses pour frais d’éducation et d’instruction
- Nourricerie (Enfants au berceau)......... 5.435 82
- Ecoles maternelles lre année (Pouponnât). 1.769 77
- » » 2me » (Bambinat)... 4.503 91
- » primaires (6 classes)................ 19.292 63
- » de Laeken............................... 4.549 83
- Total.............. 35.551 96'
- Ces dépenses se décomposent ainsi :
- Appointements et salaires................. 27.875 96
- Frais de nourriture et fournitures scolaires........................................ 7.676 ))»
- Total égal............ 35.551 96
- Résumé des dépenses consacrées à la mutualité
- Subventions aux malades à Guise........... 55.522 94
- » » » à Laeken............ 8.004 83
- Pensions aux retraités définitifs 64.281 35 I ^
- Pensionsauxretraités provisoire 12.424 10 (
- A reporter...... 140.233 22
- Payé a 92 pensionnes dont 35 au Familistère et 57 au dehors....... 59.892 35
- à 7 pensionnés à Laeken..... 4.389 »»
- à 33 retraités provisoirement, ,
- y compris 15 malades depuis
- plus d’un an................... 12.424 10 I
- à 48 familles pour le nécessaire à la subsistance ....... 16.063 75
- à 62 familles à titre d’alloca- )
- tions temporaires.............. 18.595 10
- aux réservistes............... 1.457 »»
- aux médecins, sages-femmes,
- à Guise......................... 2.579 50
- aux médecins, à Laeken...... 111 »»
- à l’hospice de Guise............ 717 35
- Appointements du secrétaire. 1.761 30
- Frais divers................. 1.138 54 /
- Total...........
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-
-
-
- ASSEMBLÉE GENERALE ORDINAIRE 671
- Report..... 140.233 22
- Pensions temporaires et secours aux familles. 42.423 54
- Frais d’éducation et d’instruction.......... 35.551 96
- Total............. 218.208 72
- Affaires industrielles, commerciales et locatives
- AFFAIRES INDUSTRIELLES
- Le total net des ventes à Guise, a été de 3.767.160 62 » à Laeken, a été de 871.296 65
- Total des affaires industrielles... 4.638.457 27
- AFFAIRES COMMERCIALES ET LOCATIVES
- )
- Vente des services commerciaux à Guise..................
- Vente des services commerciaux à Laeken.................
- Produit brut des loyers à Guise. » » » à Laeken
- 888.566 77
- 46.729 46 101.381 98 13.713 60
- 1.050.391 81
- Le chiffre de nos affaires industrielles commerciales et locatives s’est élevé à....... 5.688.849 08
- COMPOSITION ET RÉPARTITION DES BÉNÉFICES
- Les bénéfices industriels commerciaux et locatifs de l’exercice sont les suivants :
- Familistère de Guise, services commerciaux et loyers.... 179.638 50 Moins : répartition coopéra-
- tive à Guise.................. 100.217 »»
- Familistère de Laeken, services commerciaux et loyers.. 10.450 60 Moins : répartition coopérative à Laeken................. 1.375 35
- Usine de Guise..........................
- » de Laeken..........................
- 79.421 50
- 9.075 25
- 603.310 ))» 125.955 26
- Total
- 817.762 01
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-
-
-
- 672
- LE DEVOIR
- Report... 817.762 01
- Dont il faut déduire les charges suivantes : Amortissements statutaires.... 161.063 11 Frais d’éducation et d’instruction à Guise.................. 31.002 13
- Frais d’éducation et d’instruc- f 253.187 64
- tion à Laeken.............. .. 4.549 83
- Solde débiteur du compte , charges et revenus sociaux. 56.572 57
- Plus-value au bilan....................... 564.574 37
- Il y a lieu de prélever sur cette somme pour intérêts à 5 % du capital social........................ 230.000 »
- Reste à partager.......................... 334.574 37
- Soit conformément à l’art. 128 des statuts :
- Aux intérêts du capital et aux
- salaires du Travail................................. 75 % = 250.931 »»
- A l’administrateur-gérant.............................. 4 % = 13.383 »»
- Aux 13 conseillers de Gérance en
- fonction............................................ 13 °/° = 43.500 )»)
- Et les 3 °/0 restant, suivant les
- prescriptions statutaires........................... 3 % = 10.034 »»
- Préparation et entretien d’élèves
- aux écoles de l’Etat............... 1 % = 3.345 37
- A la disposition du Conseil pour récompenser les inventions utiles 2 °/° = 6.691 »»
- Au Conseil de surveillance............................. 2 °/° = 6.690 »»
- Total égal........................... 334.574 37
- La somme de 250.931 fr. représentant les 75 °/0 revenant au capital et au travail est répartie dans la proportion des concours suivants :
- Salaires payés par le Familistère de Guise 110.130 60
- » » w » Laeken. 7.640 58
- » )) » Usine de Guise. 1.847.461 20
- » » » » Laeken.... 326.663 26
- Total des salaires....... 2.291.895 64
- Concours supplémentaire des associés... 523.725 55
- » » des sociétaires. 128.307 »»
- A reporter
- 2.943.928 19
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-
-
-
- ASSEMBLÉE GÉNÉRALE ORDINAIRE 673
- Report..... 2.943.928 19
- Concours supplémentaire des membres ayant plus de 20 années de service et participant au même titre que les associés.... 79.626 90
- Au même titre que les sociétaires...... 98.044 25
- Concours du capital......................... 230.000 »»
- Total des services rendus prenant part à la répartition.............................. 3.351.599 34
- TAUX DE LA RÉPARTITION
- Les 250.931 fr. attribues au Capital et au Travail divisés par le montant des concours et services rendus, reprétés par les salaires des travailleurs et les intérêts du capital, donnent un taux de répartition de 7. 48 %.
- Cette répartition est faite dans la proportion des services rendus, établis de la manière suivante :
- Salaires des associes. 523.725 55 I
- Supplément........... 523.725 55 (
- Salaires des sociétres. 256.614 05 I
- Supplément........... 128 307 »» (
- Salaires des participants.........
- Suivant art. 129 :
- Au taux des associés. 79.626 90 |
- Supplément..,........ 79.626 90 |
- Au taux des sociétres. 196.088 50 I
- Supplément............ 98.044 25 i
- Salaires des épargnes réservées...
- «' des auxiliaires............
- Capital social....................
- .047.451 10 à 7,48 % = 78.350 384.921 05 à 7,48 % — 28.792 652.614 15 à 7,48 % ==- 48.816
- 159.253 80 à 7,48 % = 11.912
- 294.132 75 à 7,48 % => 22.001
- 218.721 90 à 7,48 */„ = 16.360 364.504 59 à 7,48 % = 27.496 230.000 »» à 7,48 % = 17.204
- .351.599 34 250.931
- TAUX DE L’INTÉRÊT DU CAPITAL SOCIAL
- L’intérêt à payer au capital social à 5 %,
- sur un capital de 4.600.000 fr. s’élève à...... 230.000 »»
- Le dividende du capital à 7,48 % sur ces 230.000 fr. est de............................. 17.204 >»>
- Total............ 247.204 »»
- 247 204 X 100
- Soit — — — = 5,374 taux de l’intérêt et dividende.
- 4.()0Ü.0U0
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-
-
-
- 674
- LE DEVOIR
- BILAN AU
- ACTIF
- FAMILISTÈRE DE GUISE
- Immeubles statutaires....... 959.445 71
- Matériel » 36.662 79
- Marchandises................... 233.510 16
- Valeurs diverses................... 362 55
- Comptes débiteurs............... 15.708 42
- FAMILISTÈRE DE LAEKEN
- Marchandises.................... 16.686 56
- Comptes débiteurs...... ............ 60 45
- Valeurs diverses.................... 54 52
- USINE DE GUISE
- Immeubles statutaires....... 431.754 89
- Matériel » 687.396 36
- Matières premières........... 1.311.727 68
- Marchandises................ 953.041 58
- en caisse..... 13.088 95
- chez les Banquiers 1.506.784 42
- .^en portefeuille... 55.709 82
- Bons d’Exposit’.. 207 50
- Comptes débiteurs........... 1.808.577 65
- USINE DE LAEKEN
- Immeubles statutaires....... 120.000 »»
- Matériel » 53.123 69
- Matières diverses............. 284.095 58
- Marchandises................... 310.896 51
- Valeurs diverses................. 2.409 72
- Comptes débiteurs.............. 182.836 93
- COMPTABILITÉ SOCIALE Construction et matériel créés depuis la fondation de
- l’Association............ 5.227.259 67
- Comptes débiteurs............. 128-093 15
- 1.575.790 69
- 1.245.689 63
- 16.801 53
- 6.768.288 85
- 953.362 43
- 5.355.352 82
- 14.339.495 26
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-
-
-
- ASSEMBLEE GÉNÉRALE' ORDINAIRE 675
- 30 JUIN 1896
- PASSIF
- FAMILISTÈRE DE GUISE
- Comptes créditeurs....................
- FAMILISTÈRE DE LAEKEN
- Comptes créditeurs......................
- USINE DE GUISE
- Comptes créditeurs........ 1.846.628 35
- Assurance maladies. Dames. 10.839 69
- USINE DE LAEKEN
- Comptes créditeurs........... 16.677 12
- Assurance pharmacie....... 891 88
- Société musique................. 309 48
- COMPTABILITÉ SOCIALE
- Comptes créditeurs........ 2.293.110 12
- Assurance des pensions et
- nécessaire................. 223.757 72
- Amortissement des immeubles et matériel......... 4.088.227 28
- Fonds de réserve............ 460.000 »»
- CAPITAL SOCIAL
- Epargnes aux ^
- membres de l’Association.. 3.305.703 »»,
- Epargnes de l’as-surance des
- pensions.... 904.434 »»'
- Epargnes de la
- Société..... 389.863 »»
- Plus-value de l’exercice
- 230.651 26 3.827 99
- 1.857.468 04
- 17.878 48
- 11.665.095 12
- 4.600.000 »))
- 564.574 37
- 14.339.495 26 14.107.032 64
- 232.462 62
- En 1894-95.... Augmentation
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-
-
- 676
- LE DEVOIR
- Le secrétaire ayant achevé la lecture de la partie financière, M. le Président reprend la parole et conclut ainsi qu’il suit :
- Mesdames et Messieurs,
- De l’exposé qui vient de nous être lu, il ressort que la situation financière continue à être satisfaisante, le remboursement des épargnes, commencé il y a deux ans, se continue et se continuera régulièrement d’année en année sans interruption, à moins d’évènements imprévus ou de circonstances malheureuses.
- Sur les 334.574 fr. 37 de bénéfices nets à partager, il y aura à rembourser 289.770 fr. dont d 88.699 fr. pour le complément de la répartition de 1879-1880, et 16,70 % de celle de 1880-1881, soit 101.071 fr., total égal 289.770 fr. à inscrire à nouveau sur les certificats d’épargnes; car le montant des sommes à rembourser chaque année doit être égal à celui des nouvelles sommes à inscrire sur les certificats, afin que le total des inscriptions sur tous les titres d’épargnes reste toujours le même et représente notre capital social qui est de 4.600.000 francs.
- Passons maintenant à la situation de nos caisses de mutualité.
- L’assurance des pensions et du nécessaire à la subsistance a encore eu cette année un excédant de dépenses sur les recettes s’élevant à 20,661 fr. 52, l’an dernier cet excédant était de 12.651 fr. 88.
- Le montant total des dépenses de cette assurance, pour l’exercice écoulé, a été de 119.128 fr. 99; l’exercice précédent il s’est élevé à 108.186 fr. 88, soit 10.942 fr. de dépenses en plus.
- Le total des recettes directes a été de.... 98.467 47
- l’exercice précédent il s’est élevé à......... 95.535 »»
- soit 2.932 fr. 47 de recettes en plus.
- Les dépenses continuent donc à augmenter dans une proportion plus forte que l’augmentation des recettes.
- Je vous disais l’an dernier qu’il y aurait des dispositions à prendre pour arriver à équilibrer les recettes avec les dépenses ; c’est en vue d’atteindre ce résultat que le Conseil de Gérance a décidé, dans sa séance du 28 juillet dernier, de soumettre à la sanction de l’Assemblée Générale d’aujourd’hui, une modification à
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-
-
- ASSEMBLÉE GÉNÉRALE ORDINAIRE 677
- apporter à l’article 3 des assurances mutuelles, consistant à augmenter de 1 % la subvention faite à l’assurance des pensions qui est actuellement égale à 2 ®/# des salaires et appointements payés par l’association, ce qui ferait une agmentation de recettes de 22 à 23.000 fr. environ par an, qui viendront aussi en déduction des bénéfices ; de plus le conseil a décidé d’appliquer à partir du 1er juillet 1896, en faveur de cette assurance, un intérêt basé sur le taux moyen payé par nos banquiers aux sommes en réserve provenant de la part des conseillers de gérance non en fonction et de la part du conseil de surveillance pour l’exercice 1879-1880 qui n’a pas été distribuée ; ces sommes, accumulées depuis la fondation de l’association, s’élèvent pour l’ensemble à 207.918 fr. 67. L’intérêt appliqué à ces sommes sera porté au crédit du compte-courant de l’assurance.
- Ces deux augmentations des ressources de l’assurance des pensions pourront rétablir l’équilibre entre les recettes et les dépenses.
- Il ne faut pas perdre de vue que les remboursements d’épargnes s’exercent aussi sur le titre de l’assurance, à laquelle il sera fait cette année un remboursement de 37.287 fr.; l’année dernière elle avait été remboursée de 4.740 fr., soit 42.027 fr. à virer au crédit du compte courant de cette assurance dont l’intérêt produit est celui basé sur le taux moyen de nos banquiers qui s’est élevé pour l’exercice écoulé à 1,35 %, soit 4 % de moins que l’intérêt produit par le titre.
- Les ressources diminueront donc de ce fait; pour parer dans une certaine mesure à cette cause de diminution de recettes, le Conseil a décidé d’acheter, au pair, avec les sommes disponibles portées au compte courant de l’assurance, et pour le compte de ladite assurance, les titres qui seraient mis en vente.
- N’oublions pas que nous avons maintenant 90 retraités à titre définitif, dont 83 à Guise et 7 à Laeken, plus 27 retraités à titre provisoire, parmi lesquels 13 malades depuis plus d’un an qui passent, suivant les prescriptions de l’article 26 des assurances mutuelles, à l’assurance des pensions et du nécessaire à la subsistance, ce qui donnait au 1er juillet dernier un total de 117 pensionnés, dont 110 à Guise et 7 à Laeken, auxquels il a été payé pendant l’exercice écoulé la somme de 76.705 f. 45
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-
-
- 678
- LE DEVOIR
- dont 3.476 fr. 50 pour les six pensionnés de l’usine de Laeken. (Un des habitants du Familistère de Laeken ayant toujours été considéré comme retraité de l’usine de Guise en raison de son séjour comme travailleur dans cette usine.)
- A ce sujet, il est à remarquer que dans le total des dépenses de l’assurance des pensions et du nécessaire, s’élevant à 119.128 fr. 99, la succursale de Laeken ne participe que pour une somme relativement minimé de 3.587 fr. 50 tout compris.
- Nous devons donc faire notre possible pour maintenir et augmenter les ressources qui assurent à nos anciens travailleurs et aux habitants du Familistère les pensions de retraite et le taux de subsistance qui les mettent à l’abri du besoin.
- A l’assurance contre la maladie, section des travailleurs, dont les déficits continuaient et augmentaient d’année en année, il a été appliqué, suivant une décision de son comité, d’accord avec le conseil, une mesure préservatrice : les allocations de maladie ont été réduites de 10 %, laquelle diminution ajoutée à celle de 20 % faite en -1886, porte la réduction à 30 °/0; cette mesure décidée en novembre dernier et appliquée à partir du 1er décembre 1895 a porté ses fruits.: le solde débiteur de cette assurance, qui était de 9.184 fr. 49 au 1er juillet 1895, s’élevait à 11.069 fr. 24, au 1er janvier 1896 soit une augmentation de déficit de 1.884 fr. 75 pour le premier semestre de l’exercice ; mais ce déficit a beaucoup diminué pendant le deuxième semestre, qui a donné un excédant de recettes de 2.830 fr. 12.
- Le solde débiteur de cette caisse, qui était au commencement de l’exercice écoulé de 9.184 fr. 49, se trouve réduit à la fin du dit exercice à 8.239 fr. 12, ce qui accuse un excédant de recettes pour l’exercice entier de 945 fr. 37.
- Qn peut espérer que cette amélioration se continuera.
- L’assurance des dames a eu aussi pour l’exercice écoulé un excédant de recettes de 1.013 fr. 30.
- La caisse de pharmacie a encore eu un déficit, inférieur cependant à ceux antérieurs, il est couvert, comme ceux des années précédentes, par l’association et porté au débit du compte « charges et revenus sociaux » de même que les autres subventions faites aux assurances.
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-
- ASSEMBLÉ GÉNÉRALE ORDINAIRE 679
- A la succursale de Laeken, où les dépenses de la caisse de secours étaient supérieures aussi aux recettes, des mesures préservatrices semblables à celles prises à Guise, ont aussi été appliquées.
- Depuis le mois de février dernier, les cotisations y ont été augmentées de 20 %, dont la moitié 10 % à la charge des mutualistes et 10 % à la charge de l’association; de plus, les allocations de maladie ont été diminuées de 10 °/0.
- Ces mesures ont donné des résultats appréciables; le solde débiteur de cette caisse qui était au 30 juin 1895, de 80 fr. 34, s’est transformé au 30 juin dernier en un solde créditeur de 891 fr. 88, ce qui donne un excédant de recettes sur les dépenses, pour l'exercice écoulé de 972 fr. 52.
- Dans mon rapport de l’an dernier, je vous disais que nos caisses d’assurances n’étaient pas dans une situation prospère, puisqu’elles se clôturaient toutes en déficit, mais que par l’application de certaines mesures indiquées alors, elles pourraient s’améliorer et redevenir prospères comme auparavant, ces prévisions sont en voie de réalisation et nous pouvons espérer que, par suite des mesures appliquées, la situation de nos caisses de secours continuera à s’améliorer.
- Nous pouvons donc considérer que la situation de notre association est bonne et satisfaisante à tous les points de vue; pour la conserver ainsi et la rendre encore meilleure, s’il est possible, unissons tous nos efforts et travaillons tous pour le bien et la prospérité de l’œuvre que l’illustre novateur Godin a mise entre nos mains. (Applaudissements répétés).
- Je donne maintenant la parole à M. Flamant Léonard, délégué du Conseil de surveillance, pour la lecture de son rapport.
- 2° Rapport du Conseil de surveillance.
- M. Flamant, rapporteur, s’exprime ainsi :
- Mesdames, Messieurs,
- En Assemblée générale du 6 octobre 1895, vous nous avez fait l’honneur de nous nommer membres du Conseil de surveillance pour l’exercice 1895-96.
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-
- 680
- LE DEVOIR
- Nous venons aujourd’hui vous rendre compte de notre mandat.
- Conformément aux prescriptions de l’article 109 des statuts, nous nous sommes assurés de la tenue régulière des écritures; le portefeuille, les caisses de l’Usine et du Familistère, les balances de fin de mois, les comptes généraux ont été de notre part l’objet d’une vérification minutieuse, et nous pouvons vous affirmer que les chiffres qui figurent au bilan sont d’accord avec les écritures.
- Dans nos rapports avec messieurs les employés, nous avons rencontré le plus grand empressement à nous communiquer les renseignements qui nous ont été nécessaires, nous leur adressons ici nos sincères remerciements.
- L’éloignement de notre succursale de Laeken-lès-Bruxelles nous empêchait d’y opérer nos vérifications mensuelles; mais les divers travaux7 de l’Usine et du Familistère qui nous ont été présentés, prouvent suffisamment que, comme à Guise, les écritures sont régulièrement tenues. Nous adressons nos félicitations à nos collègues de Laeken.
- Nous croyons inutile de vous répéter les chiffres qui viennent de vous être donnés par M. l’Administrateur-Gérant; vous avez dù remarquer que les commandes pour nos deux usines ont été supérieures de 24,885 fourneaux à celles de l’exercice 1894 95; il en résulte que les bénéfices de l’exercice 1895-96 sont supérieurs de 46,972 fr. 36 à ceux de l’exercice 1894-95.
- Félicitons-nous de ces résultats en tenant compte de la situation tourmentée de l’industrie et de la concurrence acharnée qui nous est faite; ils sont dûs à la supériorité de notre fabrication, à -la variété, au fini de nos produits et à l’intelligente et active direction de notre Association.
- Il résulte de ceci, Mesdames et Messieurs, que notre situation commerciale, industrielle et financière va toujours en prospérant et que nous pouvons envisager l’avenir avec confiance. Continuons donc à travailler à la tâche commune; soyons unis, et que notre devise soit «Concorde et Travail;» maintenons haut et ferme la renommée que nous a léguée notre regretté André Godin; car il ne faut pas perdre de vue que nous
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- sommes suivis et que nous avons constamment besoin d’être au premier rang.
- Afin de maintenir notre supériorité sur les maisons concurrentes, par le bel aspect et la diversité de nos produits, on continue à travailler activement à la création de nouveaux types de fourneaux, tels que : calorifères hygiéniques à feu visible, appareils à l’électricité, cuisinières en tôle, poêles flamands, etc., et aussi à la création de divers articles pour bâtiments.
- Nous avons dû, vu le nombre toujours croissant des commandes, et afin d’éviter le plus possible tout retard dans les expéditions, construire de nouveaux bâtiments en prolongement de la fonderie n° 3.
- Ces bâtiments sont terminés et pourront occuper à la fabrication 50 à 55 mouleurs.
- De plus, nous construisons de nouvelles halles qui serviront à un nouvel atelier de tôliers, à un autre magasin de fers et tôles et à un dépôt de produits réfractaires.
- Ces nouveaux bâtiments et leurs aménagements nécessiteront une dépense d’environ 75,000 francs.
- Nous ne croyons pas nécessaire de revenir sur la proposition qui vous a été faite par le Conseil de Gérance pour l’envoi à l’école préparatoire d’Armen-tières de trois élèves de nos écoles : Allard, Hébert et Macaigne, proposition que vous avez d’ailleurs ratifiée en assemblée générale du 9 août dernier.
- En ce qui concerne les caisses de mutualité, les mesures qui ont été prises en vue d’améliorer la situation des dites caisses à Guise et à Laeken, donnent de très bons résultats. Nous vous engageons à approuver la décision prise par le Conseil de Gérance, dans sa séance du 28 juillet dernier, d’apporter une modification à l’article des assurances consistant à augmenter de 1 °/o la subvention faite à l’assurance des pensions, modification urgente vu le déficit persistant de cette caisse. Nous espérons que cette nouvelle ressource de 22 à 23,000 francs par an, à laquelle va s’ajouter l’intérêt des parts restées en réserve des conseillers de gérance et de surveillance non distribuées de 1879-80, dont l’ensemble s’élève à ce jour à 207,918 fr. 67, suffira à rétablir l’équilibre entre les recettes et les dépenses.
- En conséquence, nous avons l’honneur de vous pro-
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- poser d’approuver le rapport de M. l’Administrateur-Gérant et de lui témoigner, ainsi qu’à MM. les Conseillers de Gérance, nos remerciements les plus sincères. (Applaudissements répétés).
- Le Rapporteur}
- Signé : Flamant.
- Les deux Conseillers de surveillance adoptent le pré sent rapport pour être lu à l’assemblée générale des associés le 4 octobre 1896.
- Nicolas Jules et Duquenne.
- 3» Adoption du Rapport de la Gérance et de celui du Conseil de surveillance.
- M. le Président invite l’Assemblée à approuver ou improuver les rapports dont elle a entendu la lecture.
- Les rapports sont mis aux voix et adoptés à l’unanimité, après épreuve et contre-épreuve. (Applaudissements réitérés ).
- 4° Election du Conseil de surveillance.
- 5e Election de trois Conseillers de Gérance en remplacement de MM. Berlemont Etienne, Ler-moyeux Florus et Macaigne Emile.
- M. le Président fait observer que les votes pour le Conseil de surveillance et pour le Conseil de gérance auront lieu simultanément, afin d’abréger la durée de l’Assemblée générale.
- A cet effet, MM. les Associés ont reçu à l’avance deux bulletins de vote :
- 1° Un blanc pour le Conseil de surveillance ;
- 2° Un bleu pour le Conseil de gérance.
- Chaque bulletin portant imprimée sa destination, il n’y a pas d’erreur possible ; de plus chaque urne porte également une pancarte indiquant le scrutin qu’elle doit renfermer.
- En ce qui concerne le vote pour le Conseil de surveillance, M. le Président rappelle à l’Assemhlée que les trois commissaires doivent être choisis en 'dehors du Conseil de gérance, conformément à l’article 79 des statuts et que l’élection doit se faire au scrutin secret et à la majorité absolue des membres présents et repré-
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- sentés régulièrement pour le premier tour de scrutin, et à la majorité relative dans le cas d’un second tour.
- En ce qui concerne le vote pour les trois conseillers de gérance, le mode de scrutin est le même que pour le Conseil de surveillance ; mais M. le Président fait remarquer que conformément aux articles 82 et 84 des statuts, les conseillers doivent être choisis parmi les auditeurs régulièrement désignés par le Conseil de gérance et dont l’afficlie a donné les noms, savoir :
- MM. Braillon Adolphe.
- Fleury Paul.
- Lemaire Emile.
- Blancaneaux Constant.
- Les associés présents et représentés formant un quantum de 268,
- la majorité absolue est de 135.
- Les scrutins sont ouverts et donnent les résultats suivants :
- 10 Conseil de Surveillance
- MM. Léguiller Georges, 205 voix, élu
- Louis Albert, 111 —
- Nicolas Emile, 82 —
- Mme Proix-Denis, 78 —
- MM. Leroy Charles, ‘72 —
- Dirson J.-Baptiste 46 -
- Xavier, 45 —
- Dieux Albert, 26 —
- Voix diverses.
- Ce scrutin donne lieu à un second tour.
- Conseil de Gérance
- Le scrutin a donné les résultats suivants :
- MM. Blancaneaux, Fleury, Lemaire, Braillon,
- 234 voix, élu. 221 —
- 208 — —
- 73 — —
- En conséquence, M. le Président proclame Conseillers de Gérance pour l’exercice 1896-97 MM. Blancaneaux Constant, Fleury Paul et Lemaire Emile.
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- Second tour de scrutin pour le Conseil de Surveillance.
- Ce scrutin donne les résultats suivants :
- MM. Louis Albert, 156 voix
- Nicolas Emile, 145 —
- Mme Proix-Denis, 61 —
- MM. Leroy Charles, 47 —
- Xavier, 30 —
- Voix diverses.
- En conséquence des deux scrutins successifs pour le Conseil de Surveillance, M. le Président proclame Conseillers de surveillance pour l’exercice 1806-97, M. Léguil-ler Georges, élu au premier tour et MM. Louis Albert et Nicolas Emile, élus au second tour.
- 6® Sanction de la modification à l’article 3 des Assurances, proposée par le Conseil de Gérance, consistant à, augmenter de 1 % la subvention accordée par l’Association à la caisse de l’Assurance des Pensions et du Nécessaire, basée sur les salaires et appointements, ce qui porterait cette subvention de 2 à 3 °/0.
- Cette augmentation serait appliquée à partir du 1er juillet 1896.
- M. le Président fait remarquer que pour la validité de la sanction, il faut une majorité des 2/3.; les membres présents et représentés étant au nombre de 268, la majorité est donc de 179.
- M. le Président ajoute qu’il va être procédé au vote par bulletins secrets avec la mention oui ou non.
- Oui : pour l’adoption.
- Non : pour repousser la proposition.
- L’Assemblée demande avec instance à voter à mains levées.
- M. le Président fait observer que le quantum de 179 est absolument nécessaire, et que si l’Assemblée veut absolument voter à mains levées, si tout le monde est d’accord pour accepter cette proposition faite dans l’intérêt des retraités, il faut s’assurer qu’il y a au moins 179 associés présents dans la salle. Le comptage constate la présence de 208 associés.
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- Après épreuve et contre épreuve, la proposition est sanctionnée à l’unanimité des membres présents. (Applaudissements).
- M. le Président informe l’assemblée que les possesseurs de certificats d’épargnes toucheront le solde des intérêts de l’exercice 1895-96 avec les parts de remboursements revenant aux titres de 1880 et partie de 1881, à la caisse de l’Usine, les lundi et mardi 5 et 6 courant, à partir de trois heures du soir.
- L’ordre du jour étant épuisé, M. le Président donne la parole au Secrétaire pour la lecture du projet de procès-verbal.
- Après la lecture, le procès-verbal est adopté.
- La séance est levée.
- Le Secrétaire,
- F. Bernardot.
- Le Président, Dequenne.
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- LE DEVOIR
- FAITS POLITIQUES & SOCIAUX
- FRANGE
- Jurisprudence syndicale
- Le Droit publie un nouvel arrêt de la cour de cassation du 9 juin 1896.
- Cet arrêt confirme de nouveau que depuis l’abrogation de l’art. 416 du Code pénal, les menaces de grève adressées, sans violences ni manœuvres frauduleuses, par des ouvriers à leur patron, par suite d’un plan concerté, sont licites quand elles ont pour objet la défense d’intérêts professionnels ; mais elles peuvent cependant constituer une faute au sens de l’art. 1382 quand, inspirée, par un pur esprit de malveillance, elles ont eu pour but et pour effet d’imposer au patron un renvoi qu’aucun grief sérieux ne pouvait motiver.
- L’ouvrier congédié dans ces conditions a le droit de demander, à ceux qui ont fait de son renvoi la condition de la rupture du travail, la réparation du préjudice qui lui a été ainsi causé.
- Ainsi jugé, sur le pourvoi du sieur Monnier, par la cassation d’un arrêt de la Cour de Rennes, rendu le le 21 juillet 1894 au profit de M. Renaud.
- GRANDE BRETAGNE La coopération
- La prospérité matérielle que le dernier Congrès des Sociétés coopératives anglaises à Woolwicli nous avait permis de constater, semble se maintenir dans les conditions les plus satisfaisantes.
- Les rapports reçus pendant le 2e trimestre de 1896 de 691 associations coopératives de consommation en Grande-Bretagne, comprenant 1.028.210 membres, indiquent une vente totale de 7.301.2J0 Livres, donnant 1.071.381 Livres ou 14,6 °/o de bénéfices nets. C’est une augmentation
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- FAITS POLITIQUES ET SOCIAUX 687
- de 8,7 % comparée à la période correspondante de 1895.
- Les ventes de 597 associations pour lesquelles la comparaison est possible avec 1895 donnent en 1896, 7.081.565 Livres contre 6.513.736 en 1895. Parmi celles-ci, 474 sont en accroissement et 123 en décroissance de ventes.
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- Les grèves et la coopération
- Des statistiques anglaises récemment publiées établissent que, par l'effet des grèves de patrons et d’ouvriers, le travail a perdu en Angleterre, pendant les deux années 1893 et 1894, plus de 200 millions de francs.
- Or, cette somme est dix fois plus considérable que le capital total des 120 sociétés coopératives anglaises de production.
- Donc, si au lieu de tarir la source des salaires pendant ces deux années et de jeter à l’eau 200 millions de francs, on avait continué de travailler, un simple prélèvement de 10 % sur les salaires aurait suffi pour organiser peut-être 250 ou 300 sociétés coopératives de production et procurer l’indépendance à quelque 20 ou 30.000 ouvriers.
- De proche en proche et d’année en année, les sociétés ’ se développeraient et le régime de l’Association ouvrière finirait par l’emporter sur le régime patronal.
- Quel puissant essor imprimé à la démocratie avec le simple emploi des sacrifices et des forces qu’on gaspille en vain au service de la lutte et de la violence !
- Mais il ne faut jamais désespérer : le progrès social est lent de sa nature. N’a-t-il pas à triompher de tant d’ignorance, de tant de violence native et de tant d’intérêts ! '
- PAYS-BAS
- Les accidents ouvriers
- Le bureau de la Société néerlandaise qui a pour but de prévenir les accidents dans les fabriques et chantiers, a invité le gouvernement à prendre une série de mesures pour la protection des ouvriers.
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- Cette société réclame entre autres : 1° le vote d’une loi d’Etat obligeant chaque commune à édicter un règlement sur les constructions renfermant des instructions propres à assurer la sécurité des travailleurs ; 2° l’adoption la plus prompte possible d’un règlement légal des chambres de travail ; 3° l’assurance obligatoire des ouvriers contre les accidents résultant du travail, au moyen d’une prime payée par le patron, qui serait légalement obligé de contracter en faveur des vieux ouvriers une assurance à des sociétés particulières offrant les garanties exigées par la loi ou à une banque d’assurances de l’Etat, etc., etc.
- Le parti du peuple
- Dans une réunion tenue à Leeuwarden par le parti du peuple frison (Fviesche Volkspartij) il a été décidé à l’unanimité qu’on demanderait aux futurs candidats à la seconde Chambre de réclamer la révision de la Constitution, de façon à assurer le droit de vote à tous les hommes et à toutes les femmes majeurs.
- Les candidats devront s’engager en outre : 1° à voter une loi sur l’expropriation^ permettant aux communes d’exproprier et de garder des terrains, de les céder à bail à des ouvriers, à la condition expresse que le prix de location ne puisse fournir à la commune un revenu supérieur à 3 % ; 2° à insérer dans la loi des clauses relatives à un minimum de salaire et à un maximum d’heures de travail ; 3° à soutenir énergiquement toutes les mesures destinées à combattre la boisson dans le sens le plus large de ce mot. ~ . {Le Temps).
- ETATS-UNIS Législation ouvrière
- Grâce aux efforts de la Ligue New-Yorkaise des consommateurs et d’autres groupes, et malgré la formidable opposition des partisans de la liberté industrielle, la législature provinciale a voté une loi en vigueur depuis
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- Faits politiques et sociaux- . 689
- le premier septembre, sur le travail des femmes et des enfants dans l’industrie.
- Les établissements industriels ont été placés sous le contrôle du conseil sanitaire, au lieu de continuer à dépendre dn service d’inspection des fabriques (factory inspection department).
- Des dispositions très sévères ont été édictées concernant les enfants ; ils ne peuvent être employés que s’ils présentent des conditions d’âge, de scolarité et de santé voulues.
- L’atelier a été soumis à un régime hygiénique très strict ; des inpecteurs et inspectrices en nombre égal en ont la surveillance.
- Quelques-uns de ces inspecteurs ont pour tâche spéciale de veiller à la canalisation intérieure et à la ventilation des locaux.
- * *
- ALLEMAGNE Un restaurant municipal
- La ville de Breslau vient de fonder un restaurant municipal ; elle a fourni les locaux gratuitement, pour ajouter à un legs de 30.000 marks.
- Ce restaurant, affecté principalement aux petits employés, ne rappelle en rien nos cuisines populaires ; il a l’aspect confortable ; deux grandes salles, dont une réservée aux dames seules, sont meublées de petites tables; chaque client se présente séparément au guichet-caisse, puis à l’office, où il reçoit la portion de son choix dont les prix varient de un mark à 30 pfenings- (le mark vaut environ 1 fr. 25 et 100 pfennigs valent un mark).
- Une soupe grasse et une portion de viande avec légumes et pommes de terre se paient 20 pfenings (0 fr. 25) ; on peut avoir une double ration pour 30 pfenings. Le dimanche, une compote aux fruits est ajoutée sans majoration de prix ; un sandwich à la viande ou au saucisson coûte 10 pfenings (0 fr. 12 c. 1x2).
- Ce restaurant nous paraît avoir quelque analogie avec la Cuisine populaire de Genève.
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- L’Association des ouvriers catholiques de l’Aile magne du Sud vient de publier son rapport pour l’année 1895.
- En voici le résumé :
- L’Association comprend 92 cercles, avec 25,175 membres. La Bavière compte 70 cercles, le Wurtemberg 20, le grand-duclié de Bade 1 et l’Alsace L
- Dans le grand-duclié de Bade, il y a, en outre, 33 cercles de travailleurs catholiques, comprenant 10,000 membres environ, et qui ont manifesté leur intention de s’affilier à l’Association générale, de sorte que celle-ci comptera bientôt 35.000 membres.
- L’organe central de l’Association, Der Arbeiter (l’Ouvrier), a 15.000 abonnés. L’Association a fondé une caisse de secours pour les cas de maladie, une caisse d’épargne, une caisse de prêts, une société coopérative de consommation, une bibliothèque circulante et un bureau statistique du travail.
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- LA QUESTION DE LA PAIX
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- LA QUESTION LE LA PAIX
- Le Congrès de Budapest
- Le VIIe Congrès universel de la Paix s’est ouvert à Budapest, le 17 septembre, sous la présidence de M. le général Etienne Türr.
- Le secrétariat était divisé en deux parties.
- A la tête de la section administrative se trouvait M. le directeur François Kemeny, qui s’acquitta avec beaucoup de zèle et d’esprit pratique, de tous les travaux relatifs à la réception des congressistes, et aux relations entre le Comité d’organisation du Congrès et les autorités.
- Celles-ci avaient assuré leur bienveillant concours à la réunion des amis de la Paix, en accordant des subsides, en faisant des invitations officielles ou ‘en mettant des locaux à la disposition du Congrès.
- M. Elie Ducommun, secrétaire honoraire du Bureau international de la Paix, s’était chargé du secrétariat des délibérations.
- L’hommage respectueux du Congrès a été transmis au chef de l’Etat, l’empereur d’Autriche, qui a fait répondre en des termes très courtois par le président du Conseil des ministres de Hongrie, M. le baron Banffy.
- Le Congrès a d’abord entendu la lecture du Rapport sur les évènements de l’année écoulée, par le secrétaire du Bureau international de la Paix à Berne.
- Ce rapport assez circonstancié a été très applaudi et des remerciements ont été adressés à son auteur.
- Sa lecture a soulevé des propositions sur trois points, savoir : 1° La question arménienne ; 2° Une démarche à faire par le Congrès pour conjurer le Saint-Siège de faire entendre officiellement sa voix en faveur du mouvement de la Paix ; 3° La continuation de la manifestation faite le 22 février 1896 pour le principe de l’arbitrage international.
- Voici le sens, sinon le texte complet, des trois résolutions prises à ce sujet :
- 1° Les hommes d’Etat, les publicistes et les chefs de
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- LE DEVOIR
- partis seront invités à s’unir pour rechercher et trouver un moyen de résoudre la question d’Orient à l’amiable par un arbitrage, s’ils ne veulent pas être témoins et dans une certaine mesure, complices d’un des plus horribles massacres dont l’histoire fasse mention, massacre ayant pour témoins les Balkans et le Bosphore ;
- 2° Des adresses spéciales seront envoyées à S. S. le pape,,ainsi qu’aux chefs des autres collectivités religieuses et aux autorités franc-maçonniques, pour les prier instamment d’user de leur haute influence en faveur des idées de paix et de concorde entre les peuples ;
- 3° La manifestation pour le principe de l’arbitrage international inaugurée le 22 février 1896, sera continuée dans des sphères toujours plus étendues, d’ici au 22 février 1897, date à laquelle les résultats obtenus seront constatés.
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- Nous prenons maintenant dans l’ordre du programme définitif les résolutions auxquelles le Congrès s’est arrêté, après des débats le plus souvent longs et animés, sur la base des rédactions présentés par les commissions préconsultatives.
- Droit international
- Sur cette question ont été adoptés sans opposition les 19 articles proposés par la sous-commission du bureau (MM. La Fontaine, Arnaud et Marcusen).
- Art. 1. Les rapports entre les nations sont régis par les mêmes principes de droit et de morale que ceux qui règlent les rapports entre les individus.
- Art. 2. Nul n’a le droit de se faire justice.
- Art. 3. Aucune nation ne peut déclarer la guerre à une autre.
- Art. 4. Tout différend entre les nations sera réglé par la voie juridique.
- Art. 5. L’autonomie de toute nation est inviolable.
- Art. 6. Il n’existe pas de droit de conquête.
- Art. 7. Les nations ont le droit de légitime défense.
- Art. 8. Les nations ont le droit inaliénable et imprescriptible de disposer librement d’elles-mêmes.
- Art. 9. Les nations sont solidaires les unes des autres.
- Art. 10. Les nations sont les seules personnes internationales.
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- Art. 11. Une nation est un* ensemble d’individus occupant d’une manière permanente un territoire déterminé et participant à la formation d’un gouvernement commun chargé de l’administration de la justice et du maintien de l’ordre.
- Art. 12. L’existence de toute nouvelle nation sera portée à la connaissance des autres nations par la notification qu’elle leur fera faire de sa constitution, des limites du territoire sur lequel elle s’est constituée, et de la composition de son gouvernement.
- Art. 13. Toute annexion d’une nation à une autre sera notifiée aux autres nations par chacune des deux nations intéressées.
- Art. 14. Les nations sont souveraines et égales.
- Art. 15. Une nation ne peut adopter un nom, un drapeau, un sceau, ou tout autre signe susceptible de créer une confusion entre elle et une autre nation, si elle n’a obtenu, au préalable, le consentement de celle-ci.
- Art. 16. Les nations peuvent protester contre les actes contraires à la morale ou au droit, accomplis par l’une d’entre elles, et refuser éventuellement de continuer avec elle des relations régulières.
- Art. 17. Les nations ont le droit d’accréditer auprès d’une nation, qui cause préjudice à autrui par le gaspillage de ses ressources, qui organise ou permet le massacre d’une partie de ses sujets, un conseil de gérance dont les pouvoirs et' les immunités devront être déterminés par un traité international.
- Art. 18. La population d’une colonie formée par des individus appartenant à nne nation policée, a le droit de réclamer son autonomie et de se constituer en nation indépendante.
- Art. 19. Les colonies, établies sur des territoires occupés par des races non policées ou barbares, sont présumées avoir été constituées avec l’assentiment des nations. Il sera loisible aux nations de présenter leurs observations sur la manière dont ces colonies sont administrées et de se constituer en conférence pour statuer d’un commun accord sur les mesures à prendre, dans le cas où la nation intéressée ne tiendrait pas compte de ces observations.
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- Projet de création d’une Cour d’a rbitrage international
- Résolution adoptée sur la proposition de M. Gsell, délégué suisse, expliquée et appuyée par M. Félix Moscheles :
- « Le VIIe Congrès universel de la Paix, réuni à Budapest, témoigne sa gratitude pour les efforts intelligents de la Conférence interparlementaire dans la rédaction d’un projet de création d’une Cour internationale d’arbitrage. Le projet IIouzeau-Deleliaie, transmis aux gouvernements avec un mémoire explicatif du chevalier Descamps, paraît être dans les conditions actuelles, accepable sous tous les rapports, de sorte que les sociétés de la Paix feront volontiers tous leurs efforts pour l’appuyer.
- » En même temps, le Congrès prie la Conférence et ses groupes nationaux de marcher en avant sans lié sitation dans cette voie, soit par un pétitionnement collectif de la Conférence auprès des différents gouvernements, soit par l’initiative d’un groupe auprès de son gouvernement, soit par une motion dans son Parlement. L’initiative particulière de membres influents profitera aussi à l’œuvre commune. »
- Rôle du Bureau dans des cas d'urgence
- Résolution du Congrès :
- « Le Congrès donne au Bureau international des pleins pouvoirs pour faire entre deux Congrès et dans des cas d’urgence, qui ne permettraient pas de consulter préalablement les sociétés de la Paix, des démarches auprès des gouvernements et des appels à l’opinion publique, en vue de provoquer une solution pacifique de conflits imminents, pourvu que ces démarches et appels soient restreints à la réaffirmation et à l’application des principes déjà adoptés par les Congrès universels.»
- Commission internationale pour l’Afrique
- Le Congrès, regrettant que les décisions de la Conférence de Berlin de 1884-89 et de l’acte de Bruxelles de 1890 relatives à la suppression de l’esclavage et à l’interdiction de la vente des armes à feu et des boissons alcooliques continuent à être méconnues ;
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- LA QUESTION DE LA PAIX 695
- Emet le vœu que les puissances signataires prennent des mesures effectives pour leur observation ;
- Invite les Sociétés de la Paix à faire auprès de leurs gouvernements respectifs des démarches dans ce sens ;
- Emet en outre le vœu que les différents gouvernements qui ont des intérêts dans les diverses parties du monde ne donnent plus à des compagnies privées des droits de souveraineté dont l’abus peut les compromettre.
- Agitation en faveur d’une trêve d’armement
- Le Congrès proteste contre l’accroissement continuel des dépenses d’armement, et il conjure les membres des différents corps législatifs dans le monde entier de voter contre toute augmentation future de ces dépenses. Il invite aussi les électeurs à ne donner leurs suffrages qu’à des candidats décidés à suivre cette ligne de conduite.
- Groupes interparlementaires
- (Proposition de M. le professeur Stein, de Berne, appuyée par Mme Bertlia de Suttner, M. Félix Mosclieles et M. Frédéric Bajer).
- Le VIIe Congrès international de la Paix décide que les sections et les membres des Sociétés de la Paix ont, à l’occasion des élections publiques, à interpeller les candidats pour savoir si, dans le cas où ils seraient élus, ils ont l’intention d’entrer dans le groupe interparlementaire de leur Parlement.
- Idée d’une Union douanière européenne
- Le Congrès, sans discuter la question du libre-échange et du protectionnisme, émet le vœu de voir faciliter les moyens de communication entre les peuples (télégraphe, téléphone, poste, chemin de fer, système métrique, etc.).
- Composition des futurs Congrès
- Cette résolution règle et détermine les conditions de la participation aux Congrès, des Sociétés de la Paix, des institutions adhérentes, ou des simples particuliers.
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- LE DEVOIR
- Livres d’écoles, manuels d’histoire
- Le Congrès prend connaissance, avec remerciements, du rapport du Bureau international de la Paix sur ce qui a été fait et ce qu’il reste à faire en vue de la propagation de bons manuels d’histoire dans les établissements d’instruction de tous les degrés.
- Transformation des armées improductives et guerrières en armées pacifiques et productives
- Une commission, est instituée pour étudier cette question. Elle se compose de MM. Frédéric Bajer, de Copenhague, marquis Pandolfi, député à Venise, Raqueni, journaliste, à Paris, Gaston "Moch, à Paris, Mme Vincent, à Paris, et M. Frédéric Green, à Londres. Elle pourra se compléter.
- Langue internationale
- Le Congrès charge une commission d’étudier cette question sous toutes ses faces. Cette commission, autorisée à se compléter, se compose de MM. Félix Mos-cheles, de Londres, Girard, député à Paris, Morgan, à Londres, IIouzeau-Delehaie, à Mons (Belgique), Mmo Vincent, à Paris, M. Gaston Mocli, à Paris, M. le professeur Stein, à Berne.
- Séjour en pâys étranger
- Le Congrès estime que la propagation des idées de paix serait notablement facilitée si les peuples arrivaient à se connaître mieux, et que rien ne serait plus avantageux dans ce sens que le séjour des jeunes gens en pays étranger, particulièrement par des échanges de famille à famille pour les personnes auxquelles leurs conditions de fortune ne permettent pas un autre genre de déplacement.
- De même, il serait à désirer qu’on profitât dé toutes les occasions favorables, par exemple des déplacements occasionnés par les Congrès universels de la Paix, pour s’arrêter, isolément ou par groupes, dans les villes étrangères où l’on peut rencontrer des amis de la Paix.
- Le Congrès décide en outre qu’il sera créé au Bureau
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- LA QUESTION DE LA PAIX
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- international de la Paix un organe spécial chargé de servir d’intermédiaire pour l’échange de jeunes gens à placer dans des familles en pays étranger.
- Duel
- Le Congrès, considérant que le duel est contraire aux principes qu’il défend, prie ses membres de faire tous leurs efforts pour en faire cesser la pratique et pour assurer l’exécution des lois y relatives.
- Siège et date du VIIIe Congrès
- Le VIIIe Congrès universel de la Paix se tiendra en 1897. Le siège en sera désigné par le Bureau international, si possible après entente avec le Bureau de la Conférence interparlementaire.
- Remerciements à la présidence
- Le VIIe Congrès universel delà Paix réuni à Budapest, profondément reconnaissant à son illustre Président de l’impartialité avec laquelle il a si remarquablement dirigé ses débats,
- Exprime à M. le général Türr ses remerciements enthousiastes et l’hommage de son respect ;
- Déclare que M. le général Türr a bien mérité de la cause de la Paix et de l’Humanité.
- La Conférence interparlementaire de Budapest
- Le VIIe Conférence interparlementaire s’est ouverte à Budapest le mercredi 23 septembre, dans la salle du Musée national, ou siégeait auparavant, la Chambre des Magnats.
- Elle comptait environ deux-cent-cinquante membres des divers Parlements européens de l’Allemagne, de l’Autriche, de la Belgique, du Danemark, de la Suisse, de la Norwège, de l’Italie, de l’Espagne, de la .France, de l’Angleterre, de la Hollande et de la Serbie.
- Le groupe parlementaire hongrois de la Paix, qui se compose de deux cents membres, avait fait voter par la Chambre une trentaine de mille francs pour recevoir les députés des différentes nations.
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- LE DEVOIR
- Trois ministres assistaient à la réunion avec le président de la Chambres des députés, M. Yzélagyi.
- Le ministre de l’intérieur, M. Perezel, a tenu à souhaiter la bienvenue à l'Assemblée, au nom, a-t-il dit, du gouvernement qui approuve la base que la conférence a l’intention de donner à ses travaux. C’est, du reste le président lui-même de la Chambre des députés qui a présidé toutes les discussions du Congrès.
- La conférence s’est d’abord occupée du projet de création d’une Cour permanente internationale d’arbitrage arrêté à Bruxelles l’an dernier et adressé aux différents Etats sous la forme d’un mémoire rédigé par M. le sénateur Descamps.
- Le bureau permanent de la Conférence à Berne est chargé d’entreprendre des démarches à l’effet de décider certaines puissances à constituer entre elles nue cour in-ternationale d’arbitrage.
- La protection des étrangers et le droit d'expulsion, a fait ensuite l’objet de communications intéressantes du rapporteur, M. le Dr Von Bar, d’Allemagne, qui a proposé une série de résolutions portant en substance que les législations doivent reconnaître aux étrangers inoffensifs la jouissance de tous les droits civils, y compris le libre établissement et la faculté d’acquérir des immeubles, et que l’exercice du droit d’expulsion doit être entouré de toutes les garanties désirables, telles que le recours à une autorité judiciaire ou administrative supérieure, indépendante, etc.
- VOrganisation d’un service central d’informations, proposé par le groupe allemand, a été considérée comme méritant une étude approfondie et renvoyée à cet effet au Bureau permanent de Berne.
- La Conférence a chargé le Bureau interparlementaire de procéder à une étude préalable de celles des questions se rattachant à la neutralisation qui doivent être précisées d’une manière exacte et soumises à une discussion ultérieure. Le Bureau communiquera en temps utile aux membres de la Conférence le résultat de son étude.
- On a ensuite adoplé, à runanimité moins 5 ou 6 voix, une proposition de M. Apponyi pour l’admission, comme membres de la Conférence, des représentants des nations
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- LA QUESTION DE LA PAIX
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- dépourvues d’institutions représentatives, telles que la Russie, qui se présenteront avec l’autorisation de leur gouvernement.
- Le compte-rendu très explicite du Bureau interparle mentaire permanent a été lu et approuvé avec remerciements adressés à M. le Dr Gobât.
- La Commission du Bureau interparlementaire a été confirmée avec l’adjonction de M. Nicolajewitsch pour la Serbie.
- Enfin, on a laissé au Bureau interparlementaire le soin de fixer la date et le lieu de la Conférence de Vannée prochaine, si possible de concert avec le Bureau international des sociétés de la Paix et avec l’Institut de droit international.
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- LE DEVOIR
- SANS FAMILLE
- Par Hector MALOT
- Ouvrage couronné par l’Académie française
- (Suite)
- — Non, je veux'dire que c’est mon camarade, mon ami, et voilà Capi, mon camarade aussi et mon ami; salue la mère de ton maître, Capi.
- Capi se dressa sur ses deux pattes de derrière et ayant mis une de ses pattes de devant sur son cœur, il s’inclina gravement, ce qui fit beaucoup rire mère Barberin et sécha ses larmes.
- Mattia, qui n’avait pas les mêmes raisons que moi pour s’oublier, me fit un signe pour me rappeler notre surprise.
- — Si tu voulais, dis-je à mère Barberin, nous irions un peu dans la cour; c’est pour voir le poirier crochu dont j’ai souvent parlé à Mattia.
- — Nous pouvons aussi aller voir ton jardin, car je l’ai gardé tel que tu l’avais arrangé, pour que tu le retrouves quand tu reviendrais, car j’ai toujours cru et contre tous que tu reviendrais.
- — Et les topinanbours que j’avais plantés, les as-tu trouvés bons?
- — C’était donc toi qui m’avais fait cette surprise, je m’en suis douté : tu as toujours aimé à faire des surprises.
- Le moment était venu.
- — L’étable à vache, dis-je, a-t-elle changée depuis le départ de la pauvre Roussette, qui était comme moi et qui ne voulait pas s’en aller?
- — Non, bien sûr, j’y mets mes fagots.
- Comme nous étions justement devant l’étable, mère Barberin en poussa la porte, instantanément notre vache qui avait faim, et qui croyait sans doute qu’on lui apportait à manger, se mit à meugler.
- — Une vache, une vache dans l’étable! s’écria mère Barberin.
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- SANS FAMÎLLË 701
- Alors n’y tenant plus, Mattia et moi, nous éclatâmes de rire.
- Mère Barberin nous regarda bien étonnée, mais c’était une chose si invraisemblable que l’installation de cette vache dans l’étable, que malgré nos rires, elle ne comprit pas.
- — C’est une surprise, dis-je, une surprise que nous te faisons, et elle vaut bien celle des topinambours, n’est-ce pas ?
- — Une surprise, répéta-t-elle, une surprise!
- — Je n’ai pas voulu revenir les mains vides chez mère Barberin, qui a été si bonne pour son petit Rémi, l’enfant abandonné ; alors, en cherchant ce qui pourrait être le plus utile, j’ai pensé que ce serait une vache pour remplacer la Roussette, et à la foire d’Ussel nous avons acheté celle-là avec l’argent gagné par Mattia et moi.
- — Oh! le bon enfant, le cher garçon! s’écria mère Barberin en m’embrassant.
- Puis nous entrâmes dans l’étable pour que mère Barberai pût examiner notre vache, qui maintenant était sa sa vache. A chaque découverte que mère Barberin faisait, elle poussait des exclamations de contentement et d’admiration :
- — Quelle belle vache !
- Tout à coup elle s’arrêta et me regardant.
- — Ah ça! tu es donc devenu riche?
- — Je crois bien, dit Mattia en riant, il nous reste cinquante-huit sous.
- Et mère Barberin répéta son refrain, mais avec une variante :
- — Les bons garçons !
- Gela me fut une douce joie de voir qu’elle pensait à Mattia, et qu’elle nous réunissait dans son cœur.
- Pendant ce temps, notre vache continuait de meugler.
- — Elle demande qu’on veuille bien la traire, dit Mattia.
- Je courus à la maison chercher le seau de fer-blanc
- bien recuré, dans lequel on trayait autrefois la Roussette et que j’avais vu accroché à sa place ordinaire, bien que depuis longtemps il n’y eût plus de vache à l’étable chez mère Barberin. En revenant je l’emplis d’eau, afin qu’on pût laver la mamelle de notre vache, qui était pleine de poussière.
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- LE DEVOIR
- Quelle satisfaction pour mère Barberin quand elle vit son seau aux trois quarts rempli d’un beau lait mousseux.
- — Je crois qu’elle donnera plus de lait que la Roussette, dit-elle.
- — Et quel bon lait, dit Mattia, il sent la fleur d’oranger.
- Mère Barberin regarda Mattia avec curiosité, se demandant bien manifestement ce que c’était que la fleur d’oranger.
- — C’est une bonne chose qu’on boit à l’hôpital quand on est malade, dit Mattia qui aimait à ne pas garder ses connaissances pour lui tout seul
- La vache traite on la lâcha dans la cour pour qu’elle put paître, et nous rentrâmes à la maison, où, en venant chercher le seau, j’avais préparé sur la, table, en belle place, notre beurre et notre farine.
- Quand mère Barberin aperçut cette nouvelle surprise elle recommença ses exclamations, mais je crus que la franchise m’obligeait à les interrompre :
- — Celle-là, dis-je, est pour nous au moins autant que pour toi; nous mourons de faim et nous avons envie de manger des crêpes; te rappelles-tu comment nous avons été interrompus le dernier mardi-gras que j'ai passé ici, et comment le beurre que tu avais emprunté pour me faire des crêpes a servi à fricasser des oignons dans la poêle : cette fois, nous ne serons pas dérangés.
- — Tu sais donc que Barberin est à Paris ? demanda mère Barberin.
- — Oui.
- — Et sais-tu aussi ce qu’il est allé faire à Paris ?
- — Non.
- — Cela a de l’intérêt pour toi.
- — Pour moi? dis-je effrayé.
- Mais avant de répondre, mère Barberin regarda Mattia comme si elle n’osait parler devant lui.
- — Oh ! tu peux parler devant Mattia, dis-je, je t’ai expliqué qu’il était un frère pour moi, tout ce qui m’intéresse l’intéresse aussi.
- — C’est que cela est assez long à expliquer, dit-elle.
- Je vis qu’elle avait de la répugnance à parler, et ne
- voulant pas la presser devant Mattia de peur qu’elle refusât, ce qui, me semblait-il, devait peiner celui-ci, je
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- décidai d’attendre pour savoir ce que Barberin était allé faire à Paris.
- — Barberin doit-il revenir bientôt ? demandai-je.
- — Oh ! non, bien sûr.
- — Alors rien ne presse, occupons-nous des crêpes, tu me diras plus tard ce qu’il y a d’intéressant pour moi dans ce voyage de Barberin à Paris ; puisqu’il n’y a pas à craindre qu’il revienne fricasser ses oignons dans notre poêle, nous avons tout le temps à nous. As-tu des œufs ?
- — Non, je n’ai plus de poules.
- — Nous ne t’avons pas apporté d’œufs parce que nous avions peur de les casser. Ne peux-tu pas aller en emprunter ?
- Elle parut embarassée et je compris qu’elle avait peut-être emprunté trop souvent pour emprunter encore.
- — Il vaut mieux que j’aille en acheter moi-même, dis-je, pendant ce temps tu prépareras la pâte avec le lait; j’en trouverai chez Soquet, n’est-ce pas? J’y cours. Dis à Mattia de casser ta bourrée, il casse très bien le bois, Mattia.
- Chez Soquet j’achetai non-seulement une douzaine d’œufs, mais encore un petit morceau de lard.
- Quand je revins, la farine était délayée avec le lait, et il n’y avait plus qu’à mêler les œufs à la pâte ; il est vrai qu’elle n’aurait pas le temps de lever, mais nous avions trop grande faim pour attendre ; si elle était un peu lourde, nos estomacs étaient assez solides pour ne pas se plaindre.
- — Ah ça! dit mère Barberin tout en battant vigoureusement la pâte, puisque tu es si bon garçon, comment se fait-il que tu ne m’aies jamais donné de tes nouvelles? Sais-tu que je t’ai cru mort bien souvent,- car je me disais, si Remi était encore de ce monde, il écrirait bien sûr à sa mère Barberin.
- — Elle n’était pas toute seule, mère Barberin, il y avait avec elle un père Barberin qui était le maître de la maison, et qui l’avait bien prouvé en me vendant un jour quarante francs à un vieux musicien.
- — Il ne faut pas parler de ça, mon petit Remi.
- (A suivre)
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- LE DEVOIR
- \ .
- ÉTAT CIVIL DU
- FAMILISTÈRE
- MOIS DE SEPTEMBRE 1896
- Naissances :
- 16 Septembre. Govin Camille Henri, fils de Govin Henri et de Becquet Palmyre.
- 23 — Thoret Renée-Marguerite, fille de Thoret
- Alfred et de Lhote Clémentine.
- Décès :
- Néant.
- Le Secrétaire, A. Houdin
- Le Gérant : H. E. BuridanT.
- Nîmes, imp. Veuve Laporte, ruelle des Saiutoa-Maries, 7. — 1423
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- DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES
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- de J.-B.-André GODIN (*)
- Résumé de l’essai de Représentation du Travail par
- les Groupes, Unions de Groupes et Conseils d’Unions
- 1877-1879
- l
- Nota. — En réponse à diverses demandes, nous croyons devoir rappeler que les articles biographiques publiés dans le Devoir depuis le décès du fondateur, sont dûs à ilfme veuve J.-B.-André Godin, née Moret.
- .XIII
- L’avenir de l’Idée et l’Evolution sociale
- Ayant constaté les trois obstacles généraux qui s’opposent, présentement, à ce que les travailleurs puissent diriger avec succès leurs propres efforts, il nous reste à rappeler comment ces obstacles peuvent être vaincus. Nous les avons eux-mêmes formulés ainsi, à mesure de leur révélation par les faits :
- 10 Insuffisance des capacités ;
- 2° Manque de sens administratif ;
- 3° Manque d’amour humanitaire ou social,
- Et nous avons résumé, à la fin de notre article d’octobre dernier, page 589, les difficultés pratiques qui en résultent et qui constatées chez nous hier se retrouveraient demain chez quiconque essaierait de reproduire l’œuvre, tant que la nation n’y sera pas plus préparée.
- Comment ces obstacles seront-ils vaincus?
- A l'insuffisance des capacités, il faut opposer :
- La culture générale des êtres humains et une culture appropriée aux faits de la production. (Devoir de septembre dernier, pages 526 à 531).
- (1) Lire le Deooir depuis le mois de mars 1891, tome 15, page 129.
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- LË DEVOIR
- Actuellement l’immense majorité des individus quitte l’Ecole beaucoup trop tôt, et sans que chacun y ait été préparé à ces deux grands aspects de la vie : travail intellectuel, travail manuel.
- En outre, l’exclusivisme pratiqué dans l’ensëignement prépare et développe l’antagonisme entre travailleurs manuels et travailleurs intellectuels, l’antagonisme même entre simples employés et ouvriers.
- L’initiation à ces deux sortes de ^travaux est donc indispensable à tout être : homme et femme au point de vue social comme au point de vue individuel; car, l’être lui-même est incomplet s’il n’est exercé sous ces deux rapports.
- Au manque de sens administratif il faut opposer :
- L’organisation des examens, concours et élections à tous les degrés de l’instruction publique, afin que l’apprentissage du suffrage universel se fasse dès l’école primaire et, que dès l’école primaire aussi, les capacités soient reconnues et classées. (Devoir de septembre dernier, pages 524 à 531).
- Au manque d’amour humanitaire ou social, il faut opposer:
- Le développement de toutes les institutions d’assurance et protection mutuelles, garantissant les individus contre le besoin en cas de maladie, vieillesse, chômages, etc. ; l’organisation de sociétés coopératives et associations embrassant tous les faits de la vie : production, consommation, instruction, délassements ; etc., ^etc. ; toutes choses des plus propres à éveiller chez l’homme le sens de la solidarité, à l’orienter vers un idéal social toujours plus élevé.
- « L’association » dit Godin dans son volume Mutualité sociale, page 65, « est la voie ouverte à l’humanité, pour la pratique de la Fraternité. »
- Et encore : (page 67) « Associer tout à la fois les opérations d’industrie, de travail, de commerce, d’approvisionnements, de logement, d’éducation et d’instruction
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- et les divers services de mutualité concernant les vieillards, les infirmes, les malades, les orphelins, etc., etc. :
- « Tel est le spécimen d’institutions que je livre à l’étude des hommes sérieux. » ___
- (Page 93) « La société doit ses douleurs et ses misères à l’ignorance et au mépris des règles de la justice et surtout à l’esprit d’égoïsme dont les individus sont encore possédés.
- « Le mal ira s’amoindrissant à mesure que les hommes s’élèveront au sentiment de la Fraternité, c’est-à-dire à l’amour les uns des autres et qu’ils s'attacheront à faire passer cet amour dans les institutions sociales. »
- (Page 95) « Dès que la Fraternité existe dans leur cœur, les hommes sont préparés à la pratique de la Justice.
- » Reconnaissant alors qu’ils sont tous solidaires dans le bien comme dans le mal, ils comprennent que la bienveillance et le concours de tous peuvent seuls assurer à chacun protection et appui ; et ils unissent leurs efforts et leurs ressources afin de se donner de mutuelles garanties.
- )) L’association des intérêts et des volontés devient la conséquence pratique de ce progrès accompli chez les individus. Par elle, la Fraternité se traduit en institutions sociales qui donnent à l’existence humaine toutes les garanties et toutes les sécurités.
- » Sous le régime de l’association, l’individu en travaillant pour lui-même travaille à la prospérité générale ; il s’élève en vertus morales par le concours qu’il apporte à faciliter à tous ceux qui l’entourent l’exercice du droit et la pratique du devoir. »
- Soit, dira-t on, on peut encore arriver par l’initiative individuelle et le concours de quelques bonnes volontés à l’institution d’assurances mutuelles, de sociétés coopératives diverses et même d’associations comme celle du Familistère, mais combien l’on est entravé par
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- les obstacles énumérés ci-dessus : insuffisance de capacités, manque de sens administratif, auxquels il faudrait opposer des mesures sociales c’est-à-dire des mesures qui sont du ressort môme de la nation. Gomment alors vaincre ces obstacles ?
- Des causes majeures, répondrons-nous, vont de plus en plus obliger les nations civilisées à se préoccuper de la meilleure et de la plus prompte culture de tous les êtres humains.
- Ce ne seront pas seulement les réclamations qui s’élèvent de toutes parts en faveur de l’organisation des garanties de la vie, de l’instruction et du bien-être pour tous, qui obligeront les nations à cette œuvre ; ce sera aussi la nécessité pour elles de tenir vivaces au plus haut degré leurs facultés respectives de concurrence sur le marché du monde.
- Consultons à ce sujet un travail récent d’une indicible valeur et dont les conclusions viennent à l’appui des considérations qui précèdent touchant l’inéluctable besoin social de préparer, par le meilleur et le plus pratique enseignement possible, les conditions de vie les plus élevées pour le travailleur. Il s’agit de l’élude publiée par le professeur Luis Brentano, dans la Revue d'économie politique (n° du 4 avril 1893. Editeurs : Larose et Forcel, 22, rue Soutïlot, Paris) sous ce titre où l’esprit de l’œuvre est pour ainsi dire condensé :
- Les rapports entre le salaire, la durée du travail
- ET SA PRODUCTIVITÉ
- 11 débute ainsi :
- « Nous vivons sous le signe de la réforme sociale.
- » Les questions les plus importantes dont il s’agit sont actuellement celles de l’organisation des ouvriers pour la défense de leurs intérêts économiques et la législation concernant la protection ouvrière. Désirées avec ardeur, réclamées avec impétuosité, vivement ap-
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- puyées d’un côté, elles rencontrent de l’autre la plus violente résistance.
- » Quelles sont les causes de cette résistance?
- - » Je ne veux pas les discuter toutes, je n’en prendrai qu’une en considération — la plus importante — en tant qu’elle exerce l’influence la plus décisive aussi bien sur le jugement des patrons que sur celui du patriote : la faculté de concurrence du pays qui serait menacé sur le marché du monde. Car, s’il est indubitable que des opinions héréditaires, des sentiments, des dispositions d’esprit suscitent de la part des classes possédantes maints obstacles au progrès économique et social, il est relativement facile de les surmonter et ils le seront dès qu’on pourra faire disparaître une crainte, à savoir : que l’élévation des salaires et la réduction des heures de travail, qui sont la conséquence de l’organisation des ouvriers et de leur protection légale, n’augmentent les frais de production de manière que l’industrie indigène vienne à perdre la faculté de s’écouler sur le marché du monde.
- » Pour ceux qui ont à cœur la prospérité de leur pays et l’extension durable de sa puissance, le rapport du salaire et de la durée du travail relativement à sa productivité sont l’alpha et l’oméga de toutes les questions qui touchent à la réforme sociale.
- )) J’invite le lecteur à n’entrer dans l’examen de ce rapport qu’avec le moins de préjugés possible — avec toute l’objectivité du naturaliste. »
- Et l’auteur lui-même entre en matières examinant à fond et avec documents à l’appui ce que la science et les faits nous enseignent touchant le sujet annoncé : les rapports entre le salaire, la durée du travail et sa productivité.
- Nous ne saurions trop recommander cette lecture à tous ceux que préoccupent les questions sociales. Les faits qui y sont examinés embrassent, comme le dit
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- l’auteur, le marché du monde ; et rien û’y est avancé sans preuve.
- Ce n’est pas la place ici pour analyser ce travail ; nous n’en pouvons donner qu’un extrait et les conclusions.
- Parlant de l’Amérique, « le pays des plus hauts salaires et du plus grand progrès dans la technique des machines, » Luio Brentano dit :
- « Il ne suffit pas de découvrir un procédé de production qui épargne du travail pour qu’il soit employé, son application doit encore coûter moins que le travail auquel il se substitue. C’est ainsi que l’élévation des salaires et la réduction de la journée conduisent à l’application de meilleures méthodes techniques de production qui étaient possibles depuis' longtemps. Mais inversement, cette technique perfectionnée, — surtout celle qui requiert l’emploi des machines plus rapides, plus grandes et plus compliquées qui, avec moins d’ouvriers donnent plus de produits, — n'est aussi physiquement possible qu’avec des ouvriers plus exercés, bien rétribués et bien nourris, intelligents, capables de beaucoup de travail et pleins d'ardeur. De même que dans tous les pays, ce ne fut qu’après l’émancipation des esclaves et des serfs qu’il fût possible de passer à l’emploi de meilleurs instruments et de meilleures machines, il est indispensable que l’ouvrier libre arrive à une manière de vivre plus relevée, pour qu’il soit à même de manier ces merveilleux engins qui souvent exécutent aujourd’hui en une minute ce qui n’était autrefois l’œuvre que de mois et d’années. D’où l’on voit que de plus hauts salaires et une plus courte journée sont l’occasion et la présupposition d’une augmentation de productivité obtenue par l’amélioration de la technique, tandis que, au contraire, des salaires inférieurs et une longue journée sont une cause d’arrêt dans le développement technique des peuples.
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- )) C’est donc de cette manière que s’explique l’étonnant bon marché des produits obtenus avec les plus hauts salaires et la plus courte journée et par quoi l’Amérique surpasse môme l’Angleterre et à plus forte raison le reste de l’Europe.
- » La loi de la pesanteur, » dit M. Schœnhof (pages 33-34), « n’a pas de valeur plus absolue que celle-ci, que » là où, comme en Amérique, les salaires journaliers » sont élevés, le premier effort que font les patrons est » d’économiser sur le travail. La conséquence en est » qu’en aucun pays du monde l’organisation de la pro-» duction n’est aussi parfaite qu’aux Etats-Unis. Là, » toute invention et toute amélioration des procédés » employés sont toujours bienvenues. Les fabricants qui » qui veulent amener des modifications dans leurs pro-» duits, font construire une machine qui fasse ce qui, » dans d’autres pays, est confié aux mains de l’homme. » Des machines qu’on fait travailler en Europe jusqu’aux » dernières limites du possible sont mises de côté en » Amérique, lors même qu’elles ne seraient usées qu’en » partie, dès qu’un nouveau perfectionnement rend » possible d’effectuer le travail plus vite et par consé-» quent à meilleur marché. Le perfectionnement qui » vient à être réalisé quelque part est incontinent » adopté par tous les concurrents. Le résultat en est » l’économie du travail et il s’ensuit une baisse de prix » de la production qui se présente aux Etats-Unis » comme une conséquence des hauts salaires. » Mais M. Schœnhof ne relève pas moins (pages 84 85) {( que » ces perfectionnements techniques ne sont réalisables qu’avec » l'ouvrier qui a été rendu capable d’une plus grande in-» tensité de travail par un salaire plus élevé et une jour-» née raccourcie.
- « Le salaire journalier plus élevé, » nous dit-il encore, « qui prédomine aux Etats-Unis, permet à l’ouvrier d’a-)) méliorer sa manière de vivre, Il mange davantage et
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- » sa nourriture est meilleure que celle de quelque )) autre ouvrier en Europe, et son standard of life (nous » allons reprendre le mot plus loin) supérieur. Il des-» sert plus de fuseaux et de métiers à tisser dans l’in » dustrie textile. Dans les aciéries, dans les houillères, » dans la fabrication du coak et dans d’autres, le même » nombre d’ouvriers livre dans le même temps plus de » produits que qui que ce soit de leurs concurrents » européens. Il travaille avec ardeur pendant la durée )) de la journée. L’intensité avec laquelle il travaille, le » déploiement de son énergie ne sont possibles qu’avec » une bonne nourriture. Il tire parti de chaque moment » en vue d’arriver à la plus grande productivité qu’il » soit possible de réaliser avec sa machine et ses » bras. Cela seul explique le grand bénéfice que don-» nent certaines occupations et la modicité des frais » par pièce qui excite l’étonnement en Europe. »
- » Ce sont encore les conséquences des hauts salaires et de la courte journée qui nous expliquent les incroyables services que'rend en Australie la technique agricole. Robert de Wallace nous parle, dans son intéressant ouvrage sur l’économie agraire de l’Australie, de machines agricoles dont l’Europe n’a généralement aucune idée. Des charrues qui creusent, en même temps des sillons sur un espace de sept pieds de largeur, pulvérisent le sol, l’ensemence et le herse au prix de 4 schellings l’acre ; des tondeuses de moutons au moyen desquelles l’activité du tondeur est augmentée de 20 % et qui empêchent la double coupure de la laine. Et comme il le dit, ce sont uniquement les hauts salaires qui ont amené ces procédés de production qui augmentent d’une manière si notable la quantité et la qualité des services rendus. »
- Revenons au Standard of life, c’est-à-dire au mode typique de vivre ; par conséquent à la conception gé-
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- nérale plus ou moins élevée, que se fait une nation du but de l’existence humaine.
- Brentano fait de cette conception générale élevée la condition essentielle pour atteindre à la plus grande productivité. « Il n’y a, » dit-il, « que l’élévation du salaire et la réduction de la journée, ou tout autre amélioration des conditions du travail, conduisant à une amélioration du standard of life, qui produise l’effet mentionné d’agir sur la productivité....
- » Des améliorations de courte durée des conditions du travail n’exercent d’ordinaire aucun effet, ou du moins aucun effet notable, sur l’augmentation des services rendus. Car le premier effet de l’élévation des salaires est semblable au premier effet d’une amélioration matérielle dans la situation de la plupart des individus, c’est-à dire une dissipation des recettes accrues, respectivement, un grand loisir de la part des ouvriers. Mais, si les améliorations survenues sont de plus longue durée, elles sont employées à une meilleure alimentation, à de meilleurs soins, à des délassements plus grands et plus moraux et permettent le développement des facultés intellectuelles, — en d’autres mots elles concourent à augmenter les besoins physiques et intellectuels désirables des ouvriers, c’est-à-dire à améliorer leur manière de vivre.
- » Il en résulte encore qu’une augmentation des services rendus ne peut pas être amenée par une amélioration saccadée des conditions de travail; car un degré plus avancé de civilisation ne peut s’acquérir par bonds. Il faut que l’homme, qui parvient à jouir d’un degré de culture plus relevé, s’y adapte et apprenne à en jouir pour qu’il puisse se l’approprier réellement, Par consé-, quent, il ne faudrait pas qu’en Allemagne on statuât généralement et tout d’abord la journée de huit heures; mais bien premièrement celle de 10, puis celle de 9, selon les diverses industries.
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- » Mais quand, en conséquence de l’élévation des salaires et de la réduction de la journée, a lieu une amélioration dans la manière de vivre, elle excite, comme le prouve l’expérience, à une plus grande intensité de travail, parce que des indivtdus, ayant plus de besoins, et étant astreint à une journée de travail moins longue, sont excités à faire plus d’efforts, en même temps qu’elle leur rend possible un travail plus intense, attendu que des causes corporelles et plus de plaisir au travail le leur rendent plus facile qu’à ceux qui ont moins de besoins, qui sont mal nourris, sont plus fatigués et de moins bonne humeur.
- « Que ce progrès soit dans l’intérêt des ouvriers, c’est ce qu’il n’est certes pas nécessaire de motiver. Mais il ne l’est pas moins dans celui de la société et non seulement par égard à la vie sociale, mais encore par égard à la vie économique de la nation ; car ce n’est que par elle que naîtront les conditions sous lesquelles le progrès technique sera possible physiquement et économiquement. »
- Avec quel intérêt, Godin eut noté les conclusions de ce beau travail! Nous ne pouvons résister à signaler spécialement ces considérations, qu’il n’eût pas manqué de relever lui-même :
- « Quand on lit les négociations qui précèdent la con clusion d’un traité de commerce et qu’il s’agit de réduire le tarif d’un article, on avance régulièrement en Allemagne, comme un argument péremptoire, que les bas salaires et les longues journées, qui sont de règle dans ce pays, lui rendent possible de faire la concurrence à l’Angleterre qui est si avancée ‘et on l’entend répéter encore plus souvent dans les discussions qui touchent à toutes les mesures de réforme sociale. Et rien cependant n’est plus faux! « Ce sont les longues journées des pays étrangers qui nous préservent de leur concurrence », nous dit Mundella, actuellement
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- ministre du commerce en Angleterre, qui autrefois s’est intéressé, aussi bien dans son says qu’en Saxe, à l’administration de certaines fabriques. « Et, en effet, les hauts salaires et les courtes journées sont, pour ce pays une cause de progrès, comme le contraire est pour nous une cause de retard. Et il n’en est pas autrement à notre égard par rapport à l’Amérique et à l’Australie. »
- « Ensuite, au lieu de cette romanesque prédilection pour la petite exploitation et l’industrie à domicile qui depuis peu commence à être partagée meme par les économistes, au lieu de dithyrambes qui se publient en l’honneur de ces admirables tisserands à la main qui se contentent d’un salaire de meurt-de-faim de 3 à 7 marks par semaine et que nous retrouvons même dans les ouvrages scientifiques, ce serait le contraire qu’il faudrait préconiser.
- » Et ces velléités romanesques ne sont pas seulement condamnables où elles se manifestent ouvertement en antagonisme déclaré contre le développement moderne, mais même là où elles se cachent derrière la remarque que les formes supérieures de l’exploitation industrielle ne supplantent jamais entièrement les anciennes qui continuent quoique dans de plus étroites limites, à se maintenir; car il ne s’agit pas, dans cette question, des anciennes méthodes d’exploitation qui ne sont nulle part supplantées, mais de celles qui, par le fait qu’elles ne se maintienneni que par une'protection artificielle à l’intérieur comme à l’extérieur, sont reconnaissables comme surannées. Il s’agit de savoir si l’on doit sacrifier, aux intérêts de petits artisans qui ne peuvent ni vivre ni mourir, les mesures les plus importantes qui visent à relever la classe ouvrière et les intérêts de nouvelles industries qui, sans cette protection, arriveraient d’un bond à conquérir le marché international. La conservation de ces petites industries d’atelier ou à domicile, basées sur le minimum d’existence physiolo-
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- gique, est aussi bien un obsta'cle chaque fois qu’il s’agit d’obtenir par des concessions convenables certains avantages lors de la conclusion des traités de cora-m3rce qu’une cause directe de préjudices portés à notre faculté de concurrence sur le marché du monde.
- » Et maintenant, il sera également facile de donner réponse à une autre question qui se presse à l’esprit de l’observateur impartial.
- » Comment se fait-il que ce ne soient pas les pays où la législation protectrice de l’ouvrier et la réduction de la journée vont le plus loin et où les salaires sont les plus élevés qui protestent contre l’atteinte à leur faculté de concurrence, mais bien ceux où la journée est la plus longue et le salaire le plus bas?
- » L’expérience de toutes les nations nous apprend que ce sont justement les mauvaises conditions du travail qu’elles désiraient conserver qui ont été les causes de leur retardement ; elles ont agi comme un droit prohibitif qui entrave le progrès technique; tandis que, au contraire, les hauts salaires et la courte journée ont fait faire aux pays avancés les progrès dont la réalisation n’était possible qu’avec des ouvriers bien payés, capables de travail, en d’autres mots avec des ouvriers accoutumés à un meilleur genre de vie. Et cela s’applique non seulement à l’industrie textile, mais à toutes les industries. M. Schœnhof nous montre que les traverses de fer qui servent aux constructions et pour lesquelles l’ouvrier reçoit'en Allemagne 3 marks (3 fr. 75), en Amérique 3 dollars (15 fr.) par jour, se vendent en Allemagne 9 cents (0 fr. 45) et en Amérique 3 3/4 cents (moins de 0 fr. 20) la livre. Il nous montre comment, en conséquence de l’emploi de'''machines dans les fabriques de pendules, le travail qui se paie en Massachussetts 10 dollars 71 cents (53 fr. 55) est meilleur marché que celui qui se paie à Trieberg, dans la Forêt-Noire, 10 à 12 marks (12 fr, 50 à 15 fr.). Il nous montre à nous qui
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- sommes encore tout fiers-du célèbre exemple cité par A. Smith, d’après lequel dix ouvriers occupés à la fabrication des épingles en font 48.000 par jour, qu’il y a au Connecticut une fabrique où cinq ouvriers avec des machines en font 7.500.000 par jour et pour le prix desquelles l’élévation des salaires est une chose absolument indifférente. L’expérience que nous avons démontrée se vérifie pour les diverses industries, comme pour les diverses nations.
- » Mais M. Schœnliof a également raison quand il écrit : Au Nouveau-Monde, il n’y a que les capables qui survivent à la lutte pour l’existence; dans l’ancien, il est difficile à l’industrie de se débarrasser des moins capables qui s’y trouvent : car, en effet, les bas salaires et les longues journées provoquent des situations d’où, ainsi que dans un cercle vicieux, il est difficile de sortir une fois qu’on s’y trouve, attendu que tant que le travail est bon marché, le progrès technique n’est pas de mise, et que les mauvaises conditions de travail font conserver la mauvaise technique, même si elle est depuis longtemps reconnue surannée. Alors, on allègue les capitaux que l’on a engagés dans de mauvais procédés de production et l’imminence de la ruine prochaine, pour se soustraire à une amélioration des conditions de travail qui contraindrait à recourir à une meilleure technique.
- » Et cependant, s’il est difficile, il n’est pourtant pas impossible de briser ce cercle magique ; il ne faut pour cela que le courage de suivre sans avoir égard aux cris des incapables, sous le rapport économique comme sous le rapport social, la même politique que nous trouvons naturelle pour ce qui concerne la guerre. Dès que nous aurons clairement reconnu qu’il est aussi absurde de vouloir conserver artificiellement un système erroné, des formes d’exploitation économique surannées et incapables de toute concurrence, qu’il l’est de se
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- mettre en campagne contre nos canons modernes, le casque en tête et la cuirasse comme pourpoint, ou de vouloir défendre un'château fort contre la poudre explosive, la victoire nous sera assurée. Nous savons tous, relativement à la stratégie, que la nation victorieuse sera celle qui pourra mettre sur pied les soldats les plus capables de servir et pourvus des meilleures armes, et nous ne reculons devant aucun sacrifice pour que notre patrie participe aux avantages que promettent tous les progrès militaires possibles. C’est exactement de cette manière que se réduit, en dernière analyse, à une question d’équipement en vue de la victoire sur le marché du monde, le rapport décisif qui doit exister entre le travail et les frais de production. Que le travail s’effectue à l’aide de tous les perfectionnements et en tirant parti de toutes les inventions, que l’ouvrier soit bien entretenu et bien nourri ou mal payé et excédé de travail, voilà, à la fin de la lutte, d’où dépendra la victoire.
- » C’est un des faits des plus réjouissants que la réforme sociale qui est appelée à élever à un niveau supérieur des millions d’individus, soit aussi le seul moyen de faire parvenir une nation a la plénitude de sa puissance économique et politique.
- » Luio-Brentano »
- (A suivre)
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- La dernière semaine d’octobre a été bonne pour la coopération. C’est, en effet, du 25 au 31 octobre que se sont tenus successivement, dans le grand Hall du Musée social, à Paris, le neuvième Congrès de l’Union coopérative des Sociétés françaises de consommation et le* deuxième Congrès de l’Alliance coopérative internationale.
- Le dimanche 25 octobre, après vérification des pouvoirs des délégués, l’Union coopérative des sociétés -françaises de consommation ouvre ses travaux, à deux heures de l’après-midi, par une allocution de M. Fitsch, président du Comité central. Après un discours plein d’humour de M. Clavel, président honoraire du Comité central, et une allocution de M. Bernardot, délégué du Familistère de Guise, M. Fitsch fait procéder à la nomination du bureau.
- Sont élus :
- Président d’honneur, M. Clavel ;
- Président, M. Bernardot ;
- Vices-présidents, MM. Chiousse, président de la Fédération des sociétés coopératives P. L. M. ; Mangeot, directeur de l’imprimerie nouvelle ; Deynaud, délégué de la Société du XIXe arrondissement ; Pic, délégué de la Revendication de Puteaux ;
- Secrétaires, MM. Antonin, de l’Abeille nimoise (Gard); Landriot, de la Société coopérative P. L. M., de Marseille ; Soria, de l’Econome de Alfortville ; Tutin, de l’Abeille suresnoise de Suresnes.
- L’Union coopérative des Sociétés françaises de consommation réunit environ 80.000 sociétaires groupés en 204 sociétés. Comme pouf l’Union coopérative anglaise, ce chiffre est loin de représenter la totalité des sociétés françaises de consommation. Mais le mouvement des adhésions est des plus satisfaisants puisque, d’après une communication faite au Congrès par M. Soria, secrétaire correspondant du Comité central, 46 sociétés, en deux ans, sont venues augmenter le nombre de celles qui composent l’Union.
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- Le très intéressant rapport de M. Soria rend sommairement compte des travaux accomplis par le Comité central depuis le dernier Congrès (Lyon, août 1894).
- Pour répandre et défendre les principes de la coopération, le Comité central a pris part aux Expositions de Bordeaux et de Rouen ; il a créé, en juillet 1895, un bulletin servi gratuitement à toute société coopérative française ; il a doublé le chiffre du tirage de son Almanach.
- . Cet Almanach qui en est aujourd’hui à sa 5ô année, renferme les détails les plus instructifs sur la marche de la coopération française et des organisations connexes.
- Il publie notamment la liste, mise à jour fin juillet 1896, des sociétés coopératives de consommation actuellement au nombre de 1.187, en augmentation de 47 sur le mois de novembre dernier.
- Viennent ensuite la liste des associations ouvrières de production françaises au nombre de 130, dont 70 à Paris et 59 en province ; la liste des sociétés coopératives de production organisées par les syndicats agricoles, comprenant 30 sociétés coopératives de production et 42 syndicats agricoles ayant organisé des offices pour la vente des produits ; la liste des Unions de syndicats agricoles au nombre de 25 ; la liste des 6 sociétés coopératives françaises de construction de maisons à bon marché ; la liste des sociétés coopératives de crédit, banques populaires et caisses agricoles au nombre de 121 (au 31 juillet 1896, il existait 460 caisses rurales ayant donné leur adhésion à l’Union des caisses rurales et ouvrières à Lyon. — Le centre fédératif du crédit populaire est à Marseille ; enfin la liste des 433 (dont 122 en France), établissements industriels, commerciaux, financiers, agricoles et coopératifs où existe la participation du personnnel aux bénéfices.
- Ces chiffres témoignent du vigoureux élan imprimé au mouvement coopératif dans notre pays ; mais le rapport de M. de Boyve, membre du Comité central, sur l’éducation coopérative dans les sociétés, met à nu le point faible de notre coopération française. L’édubation coopérative y est à peu près complètement négligée. En tous cas, elle aurait besoin d’une sérieuse' organisation.
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- M. de Boyve engage le Congrès à provoquer la création, dans le Comité central, d’une Commission de l’instruction.
- Il fait remarquer avec raison que « si la coopération de consommation, en Angleterre, a pris une extension si considérable et a donné de si beaux résultats, on le doit aux chefs et aux promoteurs du mouvement qui ont largement répandu l’instruction coopérative et qui ont déclaré hautement qu’il fallait tenir davantage à la qualité des membres qu’à la quantité.
- « Une grande révolution s’accomplit pacifiquement depuis 50 ans, » disait au Congrès de Plymouth un membre de la Chambre des Lords, M. de Morley. « Le pouvoir qui était autrefois entre les mains de la minorité de la nation, les employeurs, passe graduellement entre les mains de la majorité, les employés. Il est donc plus que jamais nécessaire qu’ils s’instruisent dans les sciences économiques et sociales. »
- Le professeur Stuart disait dans un autre Congrès, celui de Glocester, en 1879 :
- » L’instruction est désirable pour tous ; mais, pour les coopérateurs, c’est une question de vie ou de mort. »
- Les passages qui suivent sont le développement de ce thème.
- « En vérité, le succès des entreprises coopératives porte en lui-même le germe d’un danger, mais ce danger ne provient pas du capital accumulé par elles. A mon sens, la seule chose à craindre, c’est que votre capital ne s’accroisse plus vite que votre éducation.
- » Si le plus grand nombre de vos sociétés ne sont pas suffisamment instruites dans la science économique, dans le commerce, dans l’histoire de ce pays et des autres nations du globe, dans toutes les branches du savoir général et des connaissances techniques qui ont trait au but que vous poursuivez, afin de le bien connaître ainsi que les moyens d’y parvenir, il peut en résulter un grand danger pour le mouvement coopératif ; votre nombre devient un embarras, vos richesses un péril, et vos essais d’industrie productives continueront comme cela est arrivé déjà à être des déceptions. »
- Et encore :
- « La coopération est un mouvement démocratique, elle ne peut s’en remettre à l’intelligence de quelques uns ;
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- son succès dépend du bon sens de la masse, et si celle-ci est ignorante, elle ne peut en aucune façon juger du mérite de telle ou telle proposition, de l’opportunité d’une mesure, de la sagesse d’une opération commerciale.
- » Chaque fois que vous emploierez vos fonds dans une entreprise de production, souvenez vous que cette entreprise sera mal dirigée, périclitera et finira par périr, à moins que la masse de vos coopérateurs soit complètement instruite de tout ce qui touche au commerce et à l’industrie.
- » Sans doute il y a dans le passé de nombreux exemples de gens réussissant dans le commerce ou dans l’industrie malgré leur ignorance ; mais ce sont là des exceptions.
- » Vous travaillez à mettre en lumière un principe d’action pour lequel vous rêvez un avenir immense. Il faut qu’il soit fondé sur les vrais éléments du succès et parmi eux est le savoir.
- » Vous donc, vous, les pionniers de la coopération, vous devez créer pour vous, non seulement le capital, mais encore l’éducation.
- » Votre entreprise ne peut réussir que si ces deux puissants agents marchent la main dans la main. »
- C'est pour cela que les coopérateurs sérieux, ceux dont l’inébranlable foi dans l’avenir et le rôle salutaire de la coopération repose sur l’observation patiente des conditions de son développement, tiennent beaucoup moins à la rapide multiplication des sociétés coopératives, qu’à la prospérité de celles qui se conforment aux règles si sagement exposées par le professeur Stuart.
- C’est sur le terrain des transformations sociales principalement, qu’il convient de n’avancer un pied qu’après avoir assuré l’autre, en regardant toujours le but.
- L’action des impatients, des exagérés, n’est cependant pas sans utilité, moins certes pour leur bien propre que pour l’avantage des observateurs prudents.
- Le directeur de la Revue du mouvement social écrivait un jour :
- « S’il est bon que des hommes pratiques recherchent patiemment les améliorations dont est susceptible notre état social et travaillent à les réaliser, il est aussi bon
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- que des utopistes débarrassés des vulgaires préoccupations de la réalisabilité immédiate, se lancent à corps perdu dans le domaine de l’invention. D’abord, ils remuent des idées ; ensuite, comme tous les chercheurs qui battent la campagne sans boussole, ils peuvent trouver un filon précieux. Enfin, il est bon que les réformistes aient un repoussoir ; il est nécessaire qu’à côté des gens qui proposent des choses réalisables, il y ait d’autres gens qui effarouchent, qui effraient môme un peu les bourgeois conservateurs et les amènent à examiner les questions et à dire : Il y a sans doute quelque chose à faire, mais pas cela. »
- Comme les impatiences, les résistances ont leur utilité pour ceux qui savent en dégager la leçon.
- Nous avons pu nous rendre compte que la mauvaise volonté du Sénat, à l’égard de la loi coopérative qui attend depuis si longtemps une solution, avait plus fait pour resserrer les liens des sociétés coopératives françaises que le sentiment du but poursuivi depuis si longtemps en commun. Nous avons vu le Congrès national français vibrer à la seule évocation des résistances sénatoriales.
- Il y avait comme un souffle du serment du Jeu de Paume, dans le hall du Musée social, au moment de la nomination par acclamation d’une commission chargée d’aller trouver les pouvoirs publics, pour protester contre l’ajournement de la loi coopérative.
- C’était une façon de permanence décrétée pour la lutte contre la mauvaise volonté manifeste de l’Assemblée qui siège au Luxembourg.
- En vérité, c’est un spectacle qui dénote une situation pleine de périls, que celui de l’éternel veto opposé par une Assemblée n’ayant que de lointains rapports avec le suffrage universel, à toutes les tentatives de solution pacifique du conflit économique, et de l’influence croissante dans l’assemblée du suffrage universel d’un parti qui n’admet comme décisive que l’action révolutionnaire.
- Après des tergiversations sans nombre et les votes les plus contradictoires, la loi était restée accrochée à une dernière incohérence.
- Le Sénat avait déjà déclaré « que les sociétés coopératives ne peuvent vendre qu’à leurs associés, » lorsqu’il
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- s’avisa d’ajouter « que les sociétés coopératives, comme tous les commerçants et sociétés commerciales, seront soumises à tous les impôts et droits fiscaux sans au-cue exception. » Sur ce vote, le rapporteur M. Lourties s’était écrié : « Comme il n’y a plus de loi, je donne ma démission de rapporteur. »
- En ce qui concerne la patente, voici quelle nous semble être l’opinion dominante parmi les coopérateurs, celle qui a prévalu devant le Congrès national à la suite du lumineux exposé de l’honorable doyen de la coopération française, M. Clavel.
- La généralité, on pourrait dire la presque unanimité des coopérateurs, puisqu’il n’y a eu à cet égard qu’une voix dissidente, estime que ce n’est pas faire acte de commerce que de s’associer à quelques uns pour acheter en gros des marchandises et se les partager ensuite au prix coûtant.
- Ce qui est permis sans patente, comme acte civil, à quatre ou cinq citoyens réunis ne peut être logiquement considéré comme une opération commerciale, lorsqu’il s’agit d’une société coopérative, quel que soit,, d’ailleurs, le nombre des membres auxquels cette société distribue les achats.
- Les sociétés de consommation qui ont pour règle de ne pas prélever de bénéfices ou s’il y a des bénéfices de les restituer aux ayants droits, ne doivent donc pas être traitées sur le même pied d’égalité que les marchands qui opèrent en prélevant le plus de bénéfices possibles.
- Il est permis de se demander si ceux qui se sont fait, au Parlement et ailleurs, les avocats du commerce menacé ont calculé toutes les conséquences que pourrait avoir l’application aux sociétés coopératives du droit commun tel qu’ils le comprennent, et s’ils croient que ces sociétés une fois soumises à la patente, et libres de vendre à tout venant au-dessous du prix courant, ne seraient pas plus redoutables pour le commerce qu’elles ne le sont actuellement.
- D’autre part, en repoussant l’extension de la patente aux sociétés coopératives, des coopérateurs clairvoyants, sans doute préoccupés d’en finir avec l’anarchie compétitive, mais soucieux avant tout d’assurer tous les bons effets de l’ordre coopératif, ont-ils pensé qu’en s’efïor-
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- çant de soustraire la coopération à la patente, ils repoussaient moins une charge, qu’un danger ?
- Il se pourrait toutefois que l’imposition de la patente, si elle était définitivement votée, empêchât l’éclosion de quelques pauvres petites coopératives.
- Dans tous les cas, les coopérateurs ne se tiennent pas encore pour battus.
- Sur la proposition de M. Buffet, président de la société l’Economie sociale de Clichy, le Congrès vote que les coopérateurs sont « décidés à obtenir du gouvernement républicain la loi qui doit consacrer ce que l’empire lui-même avait toléré, » et qu’une délégation sera chargée « de porter au président du Sénat une protestation contre les mutilations qu’a subies le projet de loi, et l’assurance qu’une agitation va être créée par les délégués assistant au Congrès, et ce, sur toute l’étendue du territoire de la République pour faire aboulés revendications des coopérateuis. »
- Le 9e Congrès national n’aurait-il servi qu’à faciliter la concentration de toutes les forces coopératives, contre une loi qui devait être une loi, non de privilège, comme on l’a dit, mais de liberté, et qu’on transforme en loi d’oppression, son œuvre n’aura pas été inutile.
- Quelques autres questions d’un intérêt plus spécial ont été discutées en outre, par le Congrès : « Le système de l’inéligibilité des membres sortants du conseil d’administration et de la commission de surveillance, pour une période déterminée, doit-il être recommandé aux sociétés coopératives ? » « De l’intérêt que peuvent avoir les sociétés à leur origine à prendre comme intermédiaires, pour certaines marchandises, des fournisseurs de leur localité accordant des remises aux sociétaires. »
- Enfin sur le rapport de M. Buisson, directeur de l’association ouvrière « Le Travail, » on vota le principe d’une fête annuelle et universelle de la coopération.
- Bien que le Congrès des sociétés françaises de consommation soit un Congrès national, il est de tradition que les coopératives étrangères s’y fassent représenter par des délégués.
- La coopération anglaise n’a jamais manqué à cette coutume courtoise, et les coopérateurs français ont tou-, jours usé de réciprocité à cet égard.
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- Cette année, l’Union coopérative de Grande Bretagne était représentée par M. Warme qui dans une chaleureuse allocution a évoqué le souvenir du regretté Yansittart Neale, « ce grand homme, » a-t-il dit « dont le nom mérite d’être inscrit sur nos livres d’or, car c’est de lui que nous avons appris l’histoire du Familistère de Guise et des autres associations similaires de la France. » En terminant, M. Warme exprime le vœu que « cette réunion serve à resserrer de plus en plus les liens qui doivent exister entre les coopérateurs de toutes les croyances et de toutes les nationalités du monde civilisé et nous rapproche à pas de géant de l’heure où l’homme pourra trouver son bonheur dans celui d’autrui et où tous les hommes travailleront ensemble et fraternellement à l’émancipation du monde. »
- Immédiatement après la clôture du Congrès national des sociétés coopératives, s’est ouvert dans le même local du Musée social, le Congrès de l’Alliance coopérative internationale.
- Ce Congrès avait été organisé par un grand Comité international de patronage et de propagande.
- M. le comte de Chambrun, fondateur du Musée social avait été nommé président honoraire du Congrès.
- Le 2e Congrès de l’Alliance a été ouvert par M. Boucher, ministre du commerce et de l’industrie.
- Les séances ont été présidées par M. Siegfried, député, ancien ministre du commerce et de l’industrie.
- M. Siegfried dans son allocution d’ouverture a rappelé le souvenir des apôtres du mouvement coopératif : Godin, Leclaire, en France ; Francesco Vigano, en Italie ; Schultze - Delitsch et Raffaisen, en Allemagne ; Vansittart Neale, en Angleterre, ce dernier qui fut le principal fondateur de l’Alliance coopérative internationale.
- M. Siegfried termine en remerciant le ministre du commerce d’être venu, par sa présence, manifester une fois de plus l’intérêt que porte au développement de la coopération le gouvernement de la> République.
- De l’allocution du ministre, il n’y a guère à retenir que cette constatation savoir « que la loi sur la coopération, ballotée depuis dix ans entre la Chambre et le
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- Sénat, courait le risque de tomber dans la caducité parlementaire si la manifestation de ce jour n’était venue la rajeunir. »
- Les travaux du Congrès ont commencé immédiatement après la lecture par M. de Seilhac, secrétaire-trésorier du Comité français, du compte-rendu des travaux -de ce Comité qui a organisé le Congrès.
- M. Gray, secrétaire général de l’Union coopérative de la Grande-Bretagne et de l’Irlande, a résumé ensuite en anglais, son rapport sur les travaux du bureau directeur de l’Alliance.
- On sait que l’Alliance, dont l’idée première avait été lancée par M. de Boyve qui prit ensuite une si grande part à sa réalisation, a été créée pour propager la coopération de production et la participation sous toutes leurs formes, qu’elle a pour but de faire connaître les coopérateurs de chaque pays et leurs œuvres aux coopérateurs de tous les autres pays, d’élucider la nature des vrais principes coopératifs et d’établir, dans l’intérêt réciproque de tous les coopérateurs, des relations d’affaires entre les sociétés coopératives des différents pays.
- Le premier Congrès international coopératif tenu à Londres l’an dernier, avait décidé la création d’un Comité spécial de relations commerciales, destiné à établir des relations d’affaires entre les coopérateurs.
- D’un autre côté, en mai 1896, le Comité français d’organisation du deuxième Congrès avait chargé une commission spéciale de chercher à poser les bases d’une Exposition internationale coopérative documentaire, pour les relations d’affaires à établir entre les coopératives de consommation des divers pays.
- C’est M. de Lamage, vice-président de la société coopérative d’Orléans et du centre, qui a rendu compte des travaux de ce Comité.
- Il ne s’agissait pas, comme on pourrait le croire, de grouper dans un même lieu les échantillons de tous genres de la coopération de production ; mais de placer sous les yeux des producteurs et des consommateurs unis des tableaux indicatifs des ressources des uns et des besoins des autres, en un mot, de dresser de véritables listes d’offres et de demandes.
- L’Exposition documentaire n’a pas eu l’ampleur que
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- ses organisateurs auraient souhaité lui voir prendre ; mais les résultats ont été assez satisfaisants pour leur permettre d’espérer que le but poursuivi sera complètement atteint dans le prochain Congrès, qui sera une préface « de la Grande Exposition à la fois documentaire et pratique que la France prépare pour 1900. »
- M. Blanfort, secrétaire général de la « Labour association, » a résumé, en anglais, son rapport sur les travaux du Comité international des relations commerciales coopératives.
- Le rapport insiste sur la nécessité de la création, dans chaque pays, d’un Comité de relations commerciales.
- Ce Comité aurait la mission délicate de s’occuper à la fois de l’offre et de la demande des; marchandises, tant pour l’importation que pour l’exportation ; mais il ne prendrait la responsabilité d’aucune transaction.
- Le Comité local devrait être rattaché à la section nationale qui, dans chaque pays, représentera l'Alliance coopérative internationale.
- Le Comité central de VAlliance servira de lien entre ces comités pour leur faciliter la réunion et la publication des renseignements.
- « Entrepris dans cet esprit et poursuivi avec persévérance, » dit en terminant le rapporteur, « ce projet donnera satisfaction à notre désir d’alliance effective des intérêts, des idées et des vœux qui émeuvent les cœurs de tous les fervents coopérateurs. Ce désir les pousse à établir entre les peuples ces sentiments de conciliation et de paix qui existent entre les coopérateurs de tous pays pris individuellement, et à développer partout dans la société humaine l’esprit d’union et de solida rité. »
- Serrant de plus près la question soulevée par M. Blandford et l’examinant au point de vue des résultats le Congrès, — sur le rapport de Henry-Wolff, membre du bureau-directeur de l’Alliance, et après une très longue discussion — adopte les résolutions suivantes :
- « Le Congrès est d’avis qu’il y a lieu de créer dans tous pays des comités pour organiser par voie de publicité, visites, statistiques, et par tous autres moyens, des relations commerciales internationales directes entre les coopérateurs ;
- » Que les sociétés coopératives de consommation
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- s’engagent à donner de préférence, à égalité de qualités et de prix, leurs fournitures aux sociétés similaires de la production industrielle ou agricole, affirmant ainsi dans la pratique la solidarité coopérative ;
- w Que les sociétés coopératives de la production s’engagent en retour à appliquer aux sociétés de consommation leurs meilleurs prix en les faisant participer ainsi à leurs bénéfices ;
- » Que, pour faciliter la pratique de ces relations commerciales, le comité spécial à chaque nation étudie les moyens de créer un local d’échantillonnage des produits dans les grands centres de consommation. »
- Poursuivant l’organisation des divers rouages qui doivent permettre à l’Alliance de remplir sa mission, le Congrès, sur le rapport de M. Moron, directeur de l’Office du travail français, décide la création d’un Annuaire assez détaillé qui sera préparé par une commission internationale spéciale dont le secrétaire centralisera les documents ; l’Annuaire fera connaître le nom, l’adresse, le caractère exact, et l’importance de chaque société, et il fournira les renseignements utiles à l’établissement de relations commerciales suivies entre les coopérateurs.
- La commission spéciale visée par les conclusions du rapport est aussitôt nommée ; elle comprend vingt et un membres, notamment MM. Moron, Gray, Fitsch, Menelli, etc.
- L’intention des promoteurs de « l’Alliance coopérative internationale » était de ne faire appel qu’aux seuls amis de la participation dans tous les pays. Mais la coopération anglaise étant divisée en deux camps à peu près d’égale force, sur la question de la participation aux bénéfices, le plan original de Vansittart Neale risquait fort de rester lettre morte, si l’on n’y eût apporté des modifications. y
- Il fut décidé que pourraient être admises dans « l’Alliance, » — en dehors des associations en participation, — les sociétés coopératives de consommation, banques, syndicats et autres organisations coopératives, même si ces institutions ne faisaient pas participer leurs employés aux bénéfices.
- Toutefois, en acceptant d’ouvrir la porte de « l’Al-
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- liance » plus grande qu’il n’avait été convenu tout d’abord, il avait été entendu qu’une mention en faveur de la participation serait introduite dans sa constitution.
- Ces modifications furent ratifiées par le Congrès de Londres.
- Au Congrès de Paris il appartenait de rechercher les moyens de remplir l’intention première des fondateurs de l'Alliance, en respectant sa présente constitution.
- Personne n’était plus autorisé à formuler des propositions à cet égard que M. Edw. Owen Greening, qui fut le collaborateur de Vansittart Neale dans l’œuvre qui couronna la belle et féconde carrière de cet apôtre de la coopération.
- M. Edw. Owen Greening qui avait acquis l’assurance que les coopérateurs de l'Alliance non-participationnistes ne s’opposaient pas à la propagande de la participation par VAlliance, proposait donc la constitution pour l’étude pratique de la participation aux bénéfices d’un Comité international permanent.
- Ce Comité serait élu par les Congrès internationaux. On éviterait ainsi le danger des divisions qui pourraient s’élever dans les différents pays, et l’on donnerait au Comité une autorité plus grande, tout en lui permettant de poursuivre sa tâche avec une unité de vues complète.
- Il conviendrait que le Comité s’entendît d’une manière définitive sur le sens des mots co-partnership et pro-Jit-sharing, en vue d’établir dans tous les pays une règle de démarcation absolue entre la vraie et la fausse participation.
- Ces résolutions ont été adoptées presque à l’unanimité, et le Comité'vt>onstitué séance tenante. Voici les noms des membres qui le composent : '
- MM. de Boyve, Laroclie-Joubert, Charles Robert, Ro-manet, duc de Montcalm, Holyoake, Greening, Gilman, Nelson, Sedley Tailor, James Deans, Gray, Wolff, van Marken, Schloss, Bœhmert, Micha, Trombert, Reece, Scharr, Buffoli et Ponti.
- Du reste, la question des rapports entre l’Alliance coopérative et la participation devait être agitée encore une fois, à l’occasion du débat sur les statuts définitifs de l’Alliance.
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- C’est sur le rapport de M. Charles Robert que la discussion s’est engagée.
- Un groupe de congressistes aurait voulu qu’on exclût de l’Alliance toutes les associations qui ne pratiquent pas dans leur sein la participation aux bénéfices. A cet effet, les délégués des associations ouvrières de production avaient soumis à leurs collègues du Congrès la proposition suivante : « Considérant qu’en fait la participation du personnel dans les bénéfices est le propre de toute coopération, il y a lieu d’insérer dans les statuts définitifs de l’Alliance coopérative internationale l’article ci-dessous :
- » Aucune Association portant le nom de Coopérative, soit de production, de consommation, de construction, agricole ou de crédit, ne pourra faire partie de l’Alliance'coopérative internationale, si elle n’a organisé pour le travail la participation aux bénéfices, étendue à tout son personnel, sans exception.
- » La clause de la participation du personnel aux bénéfices devra, en outre, être mentionnée dans les statuts. »
- Cette motion a été combattue non par des adversaires de la participation, mais par les propagateurs les plus dévoués de ce système, MM. Charles Robert, de Boyve, Laroche-Joubert.
- « Depuis de longues années, » a expliqué M. Laroche-Joubert, « mon père a inauguré la participation dans ses usines. J’ai continué d’appliquer cette excellente méthode et j’espère bien que mes fils suivront le sillon tracé. Je suis donc un partisan convaincu de la participation ; et si je vous demande aujourd’hui de ne pas faire de sa non application une clause d’exclusion du Congrès de l’Alliance internationale, c’est que nos amis les anglais ici présents viennent vous dire qu’un vote de cette nature écarterait de l’Alliance la plus grande partie des associations coopératives anglaises, qui, dans la proportion de 80 e/0, n’appliquent pas encore la participation. Une grande propagande est faite en Angleterre, pour amener ces sociétés à la participation. Un vote d’exclusion aurait pour effet de rompre tout lien entre elles et l’Alliance internationale. »
- Les délégués anglais, à l’unanimité, ont appuyé ces
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- considérations. Alors, divers signataires de la motion sont venus à la tribune déclarer que dans leur esprit ils n’avaient pas entendu faire de leur proposition une clause d’exclusion ; qu’ils l’avaient simplement considérée comme un moyen d’attirer l’attention du Congrès sur un côté intéressant de la question ; mais que, devant les explications des délégués anglais, ils se ralliaient aux propositions de M. Laroche-Joubert et du rapporteur.
- Cette opinion a prévalue auprès de la majorité du Congrès, et l’article premier des statuts définissant le but que l’Alliance se propose de poursuivre a été voté dans les termes suivants :
- L’Alliance coopérative internationale a pour but :
- 1° De faire connaître les uns aux autres les coopérateurs de tous les pays ;
- 2° D’étudier en commun, en vue de l’amélioration du sort des classes laborieuses et de propager, dans les sociétés coopératives de toute nature, chez les divers peuples et dans l’opinion publique du monde entier, les vrais principes et les meilleures méthodes de la coopération sous toutes ses formes organisées sans l’intervention de l'Etat ;
- 3° Considérant qu’en fait la participation du personnel dans les bénéfices est le propre de toute coopération, le but de l’Alliance est de hâter par tous les moyens de propagande à sa disposition le moment où toutes les associations portant le nom de coopérative, soit de production, de consommation, de construction, agricole, soit de crédit, auront organisé pour le travail, la participation aux bénéfices étendue à tout leur personnel sans exception et auront inscrit dans leurs statuts l’obligation de cette participation aux bénéfices ;
- 4° D’établir, dans l’intérêt commun, des relations d’af faires entre les coopérateurs des différents pays.
- Les autres articles des statuts élaborés par M. Charles Robert ont été adoptés avec de légères modifications de détail.
- L’article qui prévoit la nomination par le Congrès, des membres du Comité central à raison de un membre au moins et six au plus par pays rattaché à l’Alliance, a reçu son application immédiate,
- Ont été élus ; '
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- MM. Cruger, Schenck, Havenstein (Allemagne) ; Gray, Greening, Mac-Innès, Greenwood, Williams, Wolff (Grande-Bretagne) ; de Boyve, Buisson, de Rocquigny, Charles Robert, Rostand, Siegfried (France) ; Buffoli, Luzzati, Cavalieri, Ponti (Italie) ; d’Andrimont, Jacques, Micha (Belgique) ; Ellias, Peereboom-Voller (Pays-Bas) ; Wra-betz (Autriche); Rasmussen (Danemark); Korf (Russie); Piernas y Hurtado (Espagne) ; Nelson, James, Rhodes (Etats-Unis) ; Abt, Schærr ( Suisse ) ; Boutcoulescou (Roumanie) ; Avramovitch (Serbie) ; Reece (Antilles) ; Dchli (Suède et Norvège) ; Plummers (Australie).
- Le Comité central qui comprend cinquante membres est renouvelable par moitié à la fin de la session de chaque Congrès.
- Les membres sortants sont rééligibles.
- Le Congrès n’a pas borné son activité aux questions d’organisation.
- Des communications sommaires ont été faites sur l’état actuel du mouvement coopératif dans les différentes nations.
- On a entendu également la lecture d’un très intéressant rapport de M. le Dr Havenstein, directeur de l’Union des sociétés agricoles de la Prusse rhénane, sur la coopération appliquée à l’agriculture.
- Sur la proposition de M. Maurin, le Congrès adopte à l’unanimité le vœu que la coopération soit appliquée à toutes les branches de l’agriculture, crédit, achat, production et vente, parce que toutes ces branches sont inséparables.
- M. de Boyve a présenté un rapport sur le rôle de la presse dans ses rapports avec l’Alliance coopérative internationale.
- On avait songé d’abord à créer un organe spécial de l’Alliance, M. de Boyve rappelle que M. Vansittart Neale croyait qu’un mouvement quelconque sans journal était un oiseau sans ailes ; son but était de créer un journal dont les articles seraient traduits en plusieurs langues. Mais, devant les frais qu’entraînerait pareille publication, on recula ; et la difficulté financière restant toujours la même, le rapporteur propose de voter la création, dans chaque pays, d’un Comité national chargé de recueillir les adhésions de la presse au programme de l’Alliance et de s’assurer son appui.
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- La proposition est adoptée.
- Le Congrès adopte ensuite divers vœux.
- Il décide qu’une grande fête coopérative aura lieu à Londres, en août.
- Il exprime le désir que l’enseignement coopératif soit le plus largement possible répandu dans les écoles publiques de tous ordres.
- Il se prononce très-énergiquement et par acclamation en faveur de la lutte contre l’alcoolisme.
- A la fin du Congrès et au moment où l’on traitait la question du prochain Congrès, deux propositions ont été faites : l’une, par la Société América qui offrait de payer les frais du futur Congrès si on se décidait à le tenir à New-York; l’autre, en faveur de Delft, Holland-e.
- L’assemblée, consultée, décide que le prochain Congrès se tiendra fin août 1897 à Delft, Hollande, à Agneta-Park, au sein des usines de M. Van Marken, le vaillant apôtre de la participation aux bénéfices.
- Une demande de souscription en faveur de la verrerie d’Albi est repoussée, en raison même du principe de la coopération : le « self-help », l’assistance de soi-même par soi-même ; et aussi en raison de ce qu’il n’appartenait pas au congrès international de patronner tel ou tel établissement de nationalité, de tendance ou de forme différentes ; et, encore, sur ce considérant que, si orginale et intéressante que soit la verrerie d’Albi, cette tentative n’est pas une œuvre coopérative, les ouvriers étant de simples salariés au service d’une collectivité ; chaque société restant néanmoins libre de souscrire, si elle le juge convenable.
- Au nom d’un groupe de sociétés coopératives parisiennes, le délégué de Y Egalitaire donne lecture d’une déclaration renfermant des chaleureux remerciements :
- 1° A l’adresse des représentants des syndicats agricoles ;
- 2° Aux membres de l’aristocratie et de la haute bourgeoisie qui ont adhéré au mouvement coopératif, dont le but est l’amélioration et l’émancipation des classes laborieuses ;
- 3° A M. Buisson, directeur de l’Association coopérative des ouvriers peintres, le Travail, pour son beau rapport sur le rôle de la coopération ;
- 4° Enfin, aux généreux initiateurs tels que Ch. Robert
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- et de Boyve, dont lui et ses amis ne partagent pas toutes les vues, ajoute le délégué de Y Egalitaire, mais qui ont rendu et rendent encore de grands services à la cause ouvrière.
- M. Siegfried, dans un langage élevé, résume les travaux du Congrès, et M. Holyoake propose ensuite un vote de félicitations à M. Siegfried qui, dit-il, a dirigé les débats avec une haute impartialité et un talent admirable. Cette proposition est accueillie par des applaudissements unanimes. Les délégués anglais se lèvent et entonnent leur Chanson nationale : « He is a Jolly good fellow. » (C’est un joyeux bon garçon); ils terminent par trois hurrahs en l’honneur du président.
- Les congressistes se séparent en emportant de leurs réunions le meilleur souvenir et en se donnant rendez-vous l’an prochain en Hollande.
- Dans leurs instants de liberté, les congressistes sont allés visités plusieurs des grandes sociétés coopératives de la Seine.
- Le jour de l’ouverture du Congrès internatonal coopératif, les membres de ce Congrès au nombre de plus de deux cents, ont été reçus par le président de la République qui s’est entretenu d’une façon particulièrement aimable avec quelques-uns d’entre eux. Au cours de l’entretien qu’il a eu avec le délégué du Familistère, M. Félix Faure s’est enquis avec beaucoup d’intérêt de ce qui a trait à l’œuvre fondée par Godin, et a prié M. Bernardot de lui faire parvenir les documents la concernant.
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- L’inauguration de la statue de Leclaire, sur une des places publiques de Paris, a terminé cette semaine coopérative qui avait commencé par l’inauguration de la verrerie ouvrière d’Albi, cet hommage rendu par le socialisme à la coopération.
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- CHRONIQUE PARLEMENTAIRE
- La rentrée. — Etat des travaux législatifs. — Les conditions du travail.
- Le Parlement est rentré en session après trois mois et demi de repos. Pendant ces longues vacances, les sujets d’interpellation se sont multipliés, de sorte qu’en reprenant ses séances, la Chambre s’est trouvée devant une vingtaine d’interpellations à liquider, et le flot grossissait toujours.
- Le gouvernement s’est ému. Il a invoqué l’intérêt supérieur du budget, brandi le spectre, bien démodé cependant, des douzièmes provisoires. Ne valait-il pas pas mieux qu’il convoquât les Chambres un mois plutôt, puisque la chose ne dépendait que de lui.
- On s’est arrêté à une solution bâtarde. Quelques interpellations ont été discutées ; la plupart ont été ajournées à un mois, le plus long délai d’ajournement que le règlement de la Chambre permette d’appliquer.
- Le gouvernement est sorti indemne des interpellations sur les évènements d’Arjnénie, sur les incidents de Carmaux, et sur son attitude en face du cléricalisme à propos des Congrès catholiques de Reims.
- La Chambre a donc pu, après le vote d’une loi sur les raisins secs, commencer la discussion du budget.
- Cette discussion n’a, du reste, pas tardé à être interrompue par un débat, inopinément soulevé, sur une des plus intéressantes questions que le Parlement ait à résoudre, le mode électoral du Sénat.
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- Au moment de la reprise des travaux législatifs, les propositions suivantes concernant l'organisation électorale et politique ou la procédure parlementaire étaient à l’état de rapport sur le fond, et pouvaient être, par conséquent, immédiatement discutées : proposition Maurice Faure et proposition Guillemet relatives à la nomination des sénateurs ; proposition Odilon Barrot, ayant pour objet de réprimer les actes de corruption dans les opérations électorales ; proposition J. Guesde, tendant à
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- assurer la sincérité des opérations électorales ; un projet et cinq propositions de loi (Marcel Habert, Maurice Faure, Brincard, Pierre Richard, Chabrié,) relatifs aux incompatibilités parlementaires ; et enfin proposition Flandin ayant pour objet de fixer au jeudi le développement des interpellations.
- D’autres propositions, au nombre de quinze, avaient fait seulement l’objet de rapports sommaires, et attendaient la prise en considération ; six étaient soumis à l’examen de commissions spéciales, dix aux commissions d’initiative, une proposition prise en considération devait être renvoyée aux bureaux, et trois autres devaient être jointes aux propositions analogues dont la prise en considération était inscrite à l’ordre du jour.
- Pour tenir à jour notre état des travaux législatifs (voir le Devoir de juillet) nous devons faire une mention spéciale des trois nouvelles propositions dont la Chambre a été saisie au cours de la deuxième partie de la session ordinaire de 1896, du 28 mai au 11‘juillet.
- Le 25 juin 1896, M. Dansette a déposé une proposition de loi portant rétablissement du scrutin de liste pour les élections à la Chambre des députés et organisation de la représentation proportionnelle.
- Dans la même séance, M. Lemire a déposé une proposition de loi ayant pour objet la représentation proportionnelle dans les assemblées législatives.
- Le 1er juin 1896, M. G. Bozerian a déposé une proposition de loi relative aux commissions parlementaires mixtes.
- Pendant la même période la Chambre a été saisie de deux projets concernant Vassurance ou la prévoyance sociale.
- Le 10 juillet 1896, M. Charpentier et plusieurs de ses collègues ont déposé une proposition de loi ayant pour objet de modifier la loi du 29 juin 1894 sur les caisses de secours et de retraites des ouvriers mineurs.
- Le 28 mai 1896, M. Malzac a déposé une proposition de loi concernant les transmissions et les conversions au porteur de rentes sur l’Etat et l’assistance des orphelins et des vieillards.
- Au 27 octobre, nous trouvons quatre propositions analogues à l’état de rapport sur le fond : proposition Va-
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- cherie ayant pour objet d’assurer l’exécution de la loi du 15 juillet 1893 sur l’assistance médicale ; proposition Audiffred relative aux sociétés de secours mutuels ; deux propositions Berry, Emile Rey tendant à la suppression de la mendicité et à l’assistance des vieillards et des infirmes.
- Vingt-sept autres propositions étaient encore soumises à l’examen de la commission d’assurance et de prévoyance ; deux à des commissions spéciales et une troisième à la commission d’initiative.
- Vorganisation du travail a motivé le dépôt d’une proposition.
- Le 27 juin 1896, M. Toussaint et plusieurs de ses collègues ont déposé une proposition de loi ayant pour but d’interdire aux chefs d’industrie ou du commerce, aux administrations privées ou publiques, d’imposer à leurs employés, ouvriers ou apprentis, des amendes, des retenues ou des mises à pied ayant pour conséquence une diminution de salaire.
- Dix-neuf propositions concernant l’organisation du travail étaient le 27 octobre à l’état de rapport sur le fond : proposition Sembat portant modification de la loi sur les syndicats professionnels, qui a été discutée en première lecture le 18 juin 1894 ; proposition J. Guesde tendant à organiser le droit de grève ; proposition Coûtant relative à l’abrogation des articles 414 et 415 du code pénal ; trois propositions, Jules Brice, Pierre Richard et Brincard, relatives à la protection du travail national contre la concurrence des ouvriers étrangers ; trois propositions Contant, Mesureur et Berry, relatives au placement des employés et ouvriers ; projet de loi, adopté par le Sénat sur les conseils de prud’hommes ; deux projets et cinq propositions Mesureur, Michelin, Jaurès, de Mun et Jaurès, sur la conciliation et l’arbitrage entre ouvriers et patrons ; proposition de loi adoptée par le Sénat, et proposition Louis Ricard tendant à modifier les dispositions de la loi du 2 novembre 1892 sur le travail des femmes, des enfants et des filles mineures dans les établissements industriels. Urgence déclarée. Discussion commencée les 11, 15, 16, 22, 25 et 27 juin 1896.
- Quatre autres propositions avaient fait l’objet de rapports sommaires.
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- Trente six propositions étaient encore soumises à l’examen de la commission du travail et quatre à l’examen des commissions d’initiative.
- La Chambre ayant, sur la proposition du président du conseil, consacré les séances du vendredi à la discussion des lois ouvrières et agricoles, la commission du travail a en conséquence fixé l’ordre du jour suivant de discussion des projets qu’elle entend présenter : le travail des femmes et des enfants, les bureaux de placement, la sécurité du travail des chauffeurs et des mécaniciens, les conseils de prud’hommes, la proposition d’abrogation des délits de grève, la loi sur la conciliation et l’arbitrage, etc.
- Statuant sur une proposition de loi de M. Edouard Vaillant relative aux conditions du travail exécuté pour le compte de l’Etat, des départements et des communes, la commission du travail, après avoir repoussé les conclusions de M. Bouge hostile à toute intervention des pouvoirs publics, a chargé M. Lavy de lui présenter un rapport sur la question.
- Les conclusions suivantes ont été soumises par M. Lavy à la commission :
- Art. 1er, — Dans leurs travaux neufs ou d’entretien, crédités sur le budget ordinaire ou sur fonds d’emprunt, que ces travaux soient faits en régie ou donnés par adjudication, l’Etat, les départements et les communes devront : 1° accorder ou exiger qu’on accorde aux ouvriers un jour de repos par semaine ; 2° n’admettre l’emploi que de 1/10 d’ouvriers étrangers, au maximum ; 3° interdire le marchandage, conformément au décret-loi du 2 mars 1848 et à l’arrêté du gouvernement provisoire du 2i mars 1848.
- Les pénalités prévues au dit arrêté seront applicables à toutes les infractions aux prescriptions du présent article.
- L’Etat, les départements et les communes pourront, ' en outre, résilier, le contrat en cours d’exécution et priver l’entrepreneur coupable, pour un temps ou à titre définitif, de la faculté de se présenter aux adjudications.
- Art. 2. — Les départements et les communes peuvent
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- insérer, dans les cahiers des charges des travaux donnés en régie ou par adjudication, des clauses relatives à la fixation des salaires, à la détermination de la durée de la journée de travail et toutes autres clauses qui seraient de nature à assurer à la fois la bonne exécution des travaux et des conditions de paiement des salaires, d’organisation du travail, d’hygiène, de sécurité en faveur des ouvriers.
- Le projet de M. Lavy diffère de celui de M. Vaillant, en ce qu’il rend facultatives au lieu d’obligatoires, les clauses de salaire et de durée du travail.
- En Angleterre, en Belgique, en Hollande, des clauses analogues avaient été insérées dans les cahiers des charges de travaux communaux ou provinciaux, et les résultats en avaient été satisfaisants.
- La Belgique vient de faire un pas de plus : il a été décidé que tous les cahiers des charges des entreprises de l’Etat à approuver du 1er juillet 1896 au 31 décembre 1897 renfermeraient une clause relative au taux des salaires.
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- FAITS POLITIQUES & SOCIAUX
- Mesures légales contre l’alcoolisme
- Le 31 octobre dernier, M. Cochery, ministre des finances, adressait un rapport au Président de la République pour lui demander de révètir de sa signature un décret établissant une commission chargée d’étudier la question du monopole de l’alcool.
- « Depuis quelques années, » disait le ministre dans son rapport, « plusieurs Etats ont établi, dans des conditions diverses, un monopole de l’alcool.
- » En Russie, il a été institué sous forme d’un monopole de la vente en gros et en détail ; introduit à partir du 1er janvier 1895 dans quatre gouvernements de l’est, il a été appliqué le 1er jeillet 1896 aux neuf gouvernements du sud et doit s’étendre progressivement.
- » En Suisse, il fonctionne en vertu de la loi du 23 décembre 1896 sous forme de monopole de la vente en gros, applicable aux seuls alcools industriels et laissant toute liberté aux distillateurs de vins et de fruits indigènes.
- » En Hollande, le monopole établi en 1862 ne porte que sur la dénaturation des alcools d’industrie.
- » Les Etats Scandinaves, enfin, sans instituer un véritable monopole, ont centralisé et spécialisé la vente des boissons alcooliques en vue d’en diminuer la consommation. »
- Après avoir rappelé que deux ordres de considérations, fiscales et hygiéniques, ont déterminé l’adoption de ces législations, le ministre ajoute qu’en France, l’attention publique s’est depuis quelque temps portée vers l’idée d’un monopole.
- Ses partisans espèrent y trouver le moyen de résoudre les deux problèmes dont la solution s’impose avec le même caractère d’impérieuse nécessité :
- « Dès 1887, la commission du Sénat et la commission extraparlementaire chargées d’étudier les réformes qu’il convenait d’apporter à la législation de l’alcool et en général au régime des boissons, avaient mis en éviden-
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- ce les dangers que fait courir à la santé publique la consommation de certains alcools. Toutes deux concluaient que l’intérêt du Trésor et les prescriptions les plus impérieuses de l’hygiène s’accordaient pour exiger qu’ils ne fûssent livrés au public qu’à la condition d’avoir obtenu par la rectification un degré de pureté suffisant.
- » Les constatations des bureaux de recrutement militaire et l’augmentation du nombre des maladies mentales ne donnent que trop raison à ces conclusions. »
- Le gouvernement avait le devoir de préparer les éléments d’appréciation et de recueillir tous les renseignements utiles sur les résultats obtenus à l’étranger.
- Plusieurs inspecteurs des finances ont été envoyés en mission officielle pour étudier le fonctionnement du monopole dans les différents pays. M. Alglave, promoteur d’un système de monopole de vente de l’alcool, a été lui-même chargé d’une enquête officieuse pour étudier spécialement ce fonctionnement dans certaines parties de l’empire russe.
- D’importants documents ont été ainsi recueillis, qui permettront une étude complète et rapide de la question et des divers problèmes qu’elle soulève :
- Monopole de la fabrication ; monopole de la rectification ; monopole de la vente.
- Avant d’apporter des conclusions sur ces différentes questions, il a paru utile au ministre d’avoir l’avis d’une commission extraparlementaire, composée de représentants du Parlement choisis parmi ceux de ses membres qui se sont livrés à une étude spéciale de la question, de fonctionnaires de l’administration qui pourront fournir les informations les plus propres à l’éclairer, et ^enfin d’un certain nombre de personnes d’une compétence incontestable en la matière.
- Le ministre faisait remarquer, en terminant, que la constitution de cette commission ne devait apporter aucun retard à l’examen du projet de loi, voté l’année dernière par la Chambre, et dont le Sénat était sur le point de terminer la discussion.
- « Les deux questions sont en effet indépendantes : il s’agit, d’une part, d’assurer immédiatement le contrôle fiscal sans modifier profondément les relations entre le producteur et le consommateur.
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- FAITS POLITIQUES ET SÔCIAUX
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- » La seconde question, au contraire, est beaucoup plus vaste. Elle procède également de préoccupations hygiéniques, mais a surtout une portée fiscale et économique et soulève des considérations d’ordre politique. Les diverses solutions qu’elle peut recevoir impliquent toutes l’intervention de l’Etat dans certaines opérations commerciales. »
- On sait que la Chambre, au cours de la discussion sur le régime des boissons, avait émis un vote de principe en faveur du monopole de l’alcool, et qu’elle avait institué une commission spéciale chargée d’examiner la question du monopole de la rectification.
- Il est permis d’espérer que les travaux de cette commission étant mis à contribution, la Chambre sera bientôt saisie d’une proposition ferme.
- Indépendamment des mesures purement fiscales qui font depuis plusieurs années déjà l’objet de ses délibérations, il convient de signaler une proposition récente, qui tend à revenir sur la loi de 1880, à laquelle les hygiénistes attribuent, avec raison, les développements considérables de l’alcoolisme.
- D’après cette proposition, déposée par M. J. Reinach, de nouveaux débits ne pourraient plus s’ouvrir sans en avoir obtenu l’autorisation préalable, laquelle serait donnée non par le préfet, mais par une commission composée en nombre égal d’agents de l’administration et de membres du conseil général.
- Cette loi, si elle était votée, donnerait satisfaction à l’un des nombreux désidérata formulés par les sociétés antialcooliques.
- Il est malheureusement probable que l’on pourra dire une fois de plus, suivant la pittoresque expression du docteur Laborde, que c’est « le microbe électoral qui l’a encore emporté. »
- Notre pays, jadis à la tête de tous les autres pour les entreprises- généreuses, semble avoir aujourd’hui besoin d’être remorqué. Fort heureusement les exemples ne manquent pas ailleurs.
- Les deux Chambres transvaaliennes ont eu dernièrement à se prononcer sur un projet de loi gouvernemental ayant pour but de réglementer le trafic des boissons alcooliques sur le territoire de la République sud-africaine et de prohiber leur vente aux indigènes.
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- Bien que l’accord ne se fut pas encore fait entre les deux Raads et le gouvernement, au moment où nous sont parvenus les derniers renseignements sur cette question, il était permis, d’espérer qu’une solution interviendrait entre les partisans des mesures radicales et immédiates et les partisans de délais et tempéraments, et, que les restrictions votées se rapprocheraient beaucoup de la prohibition complète pour les noirs.
- La question de la prohibition des liqueurs fortes a été portée le 3 septembre devant le Parlement d’Ottawa. M. Laurier, le premier ministre, a annoncé que, dans la prochaine session, le gouvernement proposerait de décréter un pébliscite sur cette innovation et que, si le résultat était affirmatif, il présenterait aussitôt un bill prohibant la vente des liqueurs fortes au détail.
- L’Assemblée a paru charmée de cette assurance ; mais les canadiens auront-ils le courage et la sagesse de se prémunir par une loi contre leurs propres passions.
- Les exemples d’autonomie, en cette matière, ne manquent pas en Suisse.
- La nouvelle loi sur les auberges a été ratifiée par le peuple zuricois à la majorité de 42.152 voix contre 15.592.
- Ce résultat était d’autant plus inattendu qu’une forte opposition avait surgi parmi les sociétés ouvrières, les aubergistes, les épiciers et même à la campagne.
- Voici en quelques mots les principales dispositions de la loi nouvelle :
- Aucune patente ne peut être délivrée à quiconque a commis un délit contre les mœurs. Elle ne peut l’être, pour quiconque a commis d’autres délits, que dix ans après l’expiration de la peine. La patente est également refusée aux personnes privées par jugement de leurs droits civiques. Elle peut l’être à tous ceux qui ne présenteraient pas de garanties personnelles de moralité et d’honnêteté suffisantes, ainsi qu’à tout particulier qui l’aurait demandée pour le compte d’une autre personne n’ayant pas droit à l’obtenir. La patente peut être retirée pour les mêmes motifs.
- Si dans une commune le nombre des débits dépasse la proportion de 1 pour 200 habitants, il ne sera plus accordé de patentes, En vue de l’application de cette
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- FAITS POLITIQUES ET SOCIAUX
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- cette disposition, un recensement de la population aura lieu tous les quatre ans dans les localités dans lesquelles un fort accroissement de la population peut être constaté.
- Les demandes de patentes seront publiées. Quiconque croit avoir le droit de faire opposition à la délivrance d’une patente peut le faire par écrit, en y joignant les actes ou certificats à l’appui. Le recours au gouvernement est ouvert contre le refus d’une patente.
- Les restaurants et tous les autres établissements de même nature sont sous la surveillance de la police. Tout employé de ces établissements doit avoir un repos de huit heures toutes les nuits, soit entre huit heures du soir et huit heures du matin. Ils ont droit, en outre, une fois par semaine, à six heures de congé entre huit heures du matin et huit heures du soir. Les filles âgées de moins de vingt ans accomplis ne peuvent pas être engagées pour le service permanent.
- Il est défendu de donner des boissons à des individus ivres, comme à des jeunes gens au-dessous de seize ans non accompagnés d’adultes, à l’exception des jeunes gens en voyage.
- La liste des boissons débitées doit être affichée dans l’établissement, avec leurs noms, provenances, qualités et prix.
- Les marchands d’épiceries qui vendent, sans tenir un restaurant, du vin, du cidre ou de la bière, paient une patente de 20 à 200 francs, non compris la vente de boissons distillées, pour laquelle il est perçu une surtaxe.
- Les contraventions moins graves contre la loi sont frappées d’amendes de 30 à 300 fr. Des aubergistes qui favorisent la débauche dans leurs établissements sont punis d’amendes de 100 à 500 fr., ou de la prison suivant les cas. La patente est retirée en cas de récidive. Dans tous les cas, les prescriptions du code pénal sont réservées.
- Dans les villes, c’est le parti ouvrier qui a lutté contre la loi, bien que deux de ses chefs, se fussent prononcés en sa faveur. Les ouvriers reprochaient à la loi de créer un impôt indirect exagéré et de prêter à l’arbitraire. Les propriétaires de vignes dont les épi-
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- LE DEVOIR
- ciers sont les meilleurs clients, ne voulaient pas de la taxe de patente pour ces derniers. Enfin l’opposition, cela va sans dire, avait pour elle les épiciers et un certain nombre d’aubergistes.
- En tête des résolutions votées par le Congrès d’anthropologie criminelle qui vient d’être tenu à Genève figure un vœu demandant l’appui des gouvernements pour la lutte contre l’alcoolisme.
- • D’autre part, un vœu du Congrès international de la paix, tenu à Budapest, rappelle les puissances européennes au respect des engagements pris par elles, dans l’acte de Bruxelles, relativement à l’interdiction de la vente des boissons alcooliques en Afrique.
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- LE MONUMENT JEAN LECLAIRE
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- LE MONUMENT JEAN LECLAIRE
- Le 1er novembre a eu lieu l’inauguration, au square des Epinettes, du monument élevé à Jean Leclaire, par la reconnaissance de ses ouvriers, des bénéficiaires directs de son œuvre.
- Ils y étaient tous et parmi eux la plupart des membres français et étrangers des deux Congrès coopératifs qui s’étaient tenus dans le courant de la semaine au Musée social, les représentants du préfet de la Seine, du préfet de police, du ministre du commerce, les conseillers municipaux Brousse et Bompard, les auteurs du monument MM. Dalou et Formigé.
- Le monument représente Leclaire attirant à lui un jeune ouvrier peintre en costume de travail.
- M. Charles Robert, président de la Société de prévoyance et de secours mutuels des ouvriers et employés de la Maison Leclaire, a pris le premier la parole :
- En 1843, le préfet de police écrivait : « Il y a danger, pour les classes ouvrières, d’autoriser les réunions des ouvriers du sieur Leclaire, entrepreneur de peinture, qui veut partager entre eux ses bénéfices. »
- Et tout à l’heure j’ai reçu une lettre de M. Lépine, préfet de police, qui déplore de ne pouvoir assister au
- triomphe de monsieur Jean Leclaire...... En Amérique on
- a créé, tl y a deux ans, un village qui s’appelle Leclaire et qui est organisé d’après notre institution.
- Enfin, je reçois de Berlin cette dépêche : « Les ouvriers allemands, pleins d’admiration pour Jean Leclaire, envoient à ses ouvriers toutes leurs félicitations. »
- M. Paulet, représentant M. H. Boucher, ministre du commerce, parle ensuite :
- « Oui, une législation plus large qu’en 1843 vous a donné la liberté. Jean Leclaire aujourd’hui n’appartient plus tout entier à la Maison qui garde l’honneur de son
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- nom. Son œuvre est un champ d’expériences. Elle est l’école préparatoire des associations de l’avenir. Vous avez voulu fixer, dans un geste, qui demeure, la parole qui s’envole. Grâce à vous, tous ceux qui traverseront ce square pourront, en levant la tète, tendre l’oreille vers la leçon que vous avez faite durable et solennelle. »
- M. Brousse, conseiller municipal, félicite la ville de Paris d’avoir donné le nom de Jean Leclaire à une des rues qui encadrent le square.
- M. Redouly, premier associé-gérant de la Maison Leclaire, en retrace l’histoire.
- Enfin, M. Cigogne, délégué des ouvriers, vient parler en leur nom. Son discours, où il rappelle l’intérêt que Leclaire portait à son œuvre, montre à quel point cette œuvre est aujourd’hui comprise par ceux au bénéfice desquels elle a été conçue et menée à bien, au milieu de toutes sortes de difficultés.
- Un lunch a terminé cette fête toute cordiale, pendant laquelle l’harmonie des apprentis de la Société s’est fait entendre à plusieurs reprises, et qui a été l’occasion de chaudes ovations à M. Charles Robert, l’infatigable apôtre de la participation.
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- BIBLIOGRAPHIE
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- BIBLIOGRAPHIE
- On lit dans l’excellent journal Y Emancipation de Nimes :
- VIENT DE PARAITRE
- Almanach de la Coopération pour 1897
- AVEC DE NOMBREUSES GRAVURES
- Adresser les commandes à l’administrateur de YEman-cipation. Nimes, 4 plan de l’Aspic.
- Prix : 40 centimes l’exemplaire ; 3 fr. les 10 exemplaires, port en sus ; 60 cent, en gare, 80 cent, à domicile. 25 fr. le cent, port en sus.
- PRÉFACE
- M. Gide a fait ressortir, l’année dernière, la souplesse merveilleuse de la coopération, qui se plie à toutes les conditions imprévues de la vie, et il a fait suivre chaque mois du calendrier de la description d’une des formes les plus caractéristiques de ce mouvement.
- Cette année, nous donnons douze histoires abrégées de la coopération en douze pays différents, dues à la plume des coopérateurs les plus compétents (1).
- On pourra se rendre compte que le but poursuivi est partout le même : faire régner plus de vérité, plus de solidarité, plus de justice en ce monde. Grâce à YAl-liance coopérative internationale, les coopérateurs de tous pays pourront bientôt profiter de l’expérience les uns des autres et s’entendre sur la meilleure direction à suivre, pour arriver, tout en respectant la propriété individuelle et la liberté, à une répartition de plus en plus équitable des fruits du travail. On verra alors une puissante armée pacifique se dresser devant l’armée révolutionnaire dont les soldats se laissent séduire par les rêves utopiques de leurs chefs. Ceux-ci s’imaginent
- (1) On trouvera encore dans l’Almanach trois notices relatives à la coopération en Allemagne, en Ecosse et en Irlande.
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- ou affectent de croire qu’en détruisant les bases de la société et en la jetant dans un moule nouveau, on la transformera du jour au lendemain ; tandis que les coopérateurs savent que c’est peu à peu, jour par jour, par un travail continu de régénération morale et intellectuelle, que l’on développe le caractère de chaque citoyen, et qu’on arrive à améliorer l’état social et à émanciper les travailleurs.
- de Boyve.
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- Petite Méthode de lecture pour l’emploi des caractères mobiles à l’usage des Ecoles et des Familles par M,ne E. Dallet.
- Livre d’initiation 1............0 fr. 60
- Livret de transition II. . . . 0 fr. 50
- Ce deuxième livret a pour objet de conduire à la lecture courante et à l’écriture.
- Les deux ouvrages se trouvent :
- Chez l’auteur, au Familistère, Guise, Aisne ;
- Et à la librairie Delagrave, 15, rue Soufflot, Paris.
- Dans notre numéro d’octobre dernier, page 599, nous avons dit combien cette Méthode avait intéressé J.-B. André Godin, l’initiation de l’enfant à la lecture par un procédé clair, attrayant, logique, étant de première importance pour le progrès social.
- A plusieurs reprises déjà, nous avons signalé à nos lecteurs le premier ouvrage de Madame E. Dallet. Nous ne pouvons mieux faire aujourd’hui, pour donner du second une idée exacte, que d’en reproduire ici les deux premières pages.
- C’est Mme Dallet elle-même qui parle.
- Voici :
- Raison d’être de ce nouvel ouvrage
- « Depuis neuf années, aux écoles maternelles du Familistère, deux classes de 40 à 45 enfants de 4 à 6 ans sont initiés à la lecture au moyen des caractères mobiles et dans des conditions qui répondent pleinement au désidérata du Règlement relatif à Vorganisation pédagogique des Ecoles maternelles, c’est-à-dire que ces enfants sont accoutumés à composer, décomposer et recomposer à volonté les mots dans toutes leurs parties constituantes,
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- sons et articulations ; à retrouver toujours dans le groupement qui en résulte la représentation d'êtres, de choses ou d’idées en rapport avec leurs propres connaissances (1).
- » Aussi les voit-on, très vite, s’intéresser à la forme des lettres nouvelles :
- » — « Et celle-ci, que va-t-elle faire? » demandait un petit garçon à sa jeune maman institutrice.
- » On conçoit combien il y a loin de cette curiosité intellectuelle, provoquée chez l’enfant, à la fatigue et à l’apathie qu’engendraient chez lui les assemblages souvent incompréhensibles des tableaux de lecture.
- » L’usage régulier de la méthode a eu ces autres conséquences notables : Chacun des exercices étant combiné de manière à ce que l’élément même de la leçon se trouve reproduit sous beaucoup de formes variées, les enfants ont acquis rapidement les notions de l’orthographe usuelle. En réponse aux interrogations des maîtresses, ils peuvent indiquer eux-mêmes la composition de mots proposés comme récapitulation.
- » Dans la classe enfantine, la même méthode a été appliquée aux dictées écrites. Les résultats ont été tellement significatifs que les membres de l’enseignement ont trouvé avantageux de donner aux élèves comme premier livre de lecture — pour alterner avec les caractères mobiles, puis pour les remplacer — la Méthode à l’usage du Maître, malgré le peu de facilité qu’offraient aux jeunes enfants ses caractères d’impression relativement fins et serrés.
- » C’est ainsi que nous avons été amené à reconnaître l’utilité d’un Livret spécial pour l’élève, livret comprenant avec nos exercices de récapitulation et une application plus étendue des éléments acquis, l’inititiation à l’écriture, cette autre représentation de l’idée. »
- Les ouvrages de Mme Dallet pour l’enseignement de la lecture sont inscrits aujourd’hui au rang des livres adoptés pour être mis en usage dans les écoles publiques des départements de l’Aisne et du Calvados. Nul doute que de nouvelles inscriptions se produisent rapi-
- (1) Procédés et avantages spécialement exposés dans la Petite Méthode pour l’emploi des caractères mobiles par Mme E. Dallet.
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- dement; car tout membre du corps enseignant qui aura l’occasion de voir ces ouvrages répétera ce jugement d’un maître en la matière écrivant à l’auteur :
- » Les leçons sont simples et bien pratiques, elles s’enchaînent dans un ordre logique en graduant sagement les difficultés, elles ont été rédigées avec un grand sens pédagogique. On sent qu’il y a là un enseignement vécu. Aussi votre méthode est appelée à rendre les meilleurs services dans nos écoles primaires. »
- On ne peut mieux dire et nous terminons en souhaitant à cette Méthode de lecture tout le succès qu’elle mérite.
- Deux sœurs orphelines, par Marie Conscience, auteur de La pièce de vingt francs, Deux familles d’ouvriers, etc.
- Volume en vente au prix de 2 francs, chez Fischba-cher, 33, rue de Seine, Paris.
- Le livre de Mme Marie Conscience est la glorification du travail, de la bonté et du dévouement. Il contient de bonnes pages sur l’aide moral que nous nous devons, tous, les uns aux autres ; que, surtout, les personnes instruites et fortunées doivent à celles qui sont dans le dénûment physique et mental.
- La Société d’études psychiques, de Genève, met en vente, au prix d’un franc, une très intéressante brochure :
- Le Médium D. D. Home, sa vie et son caractère, d’après des documents authentiques, par Louis Gardy.
- Nous devons déjà au même auteur l’ouvrage intitulé : Cherchons ! Historique du Spiritisme, ses faits et sa doctrine.
- Ces deux ouvrages se trouvent à la Librairie des Sciences psychologiques, 42, rue Saint-Jacques, Paris,
- Tous les penseurs que cet ordre de questions intéressent seront heureux de la lecture de ce nouveau livre de M. Gardy.
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- SANS FAMILLE
- Par Hector MALOT
- Ouvrage couronné par l’Académie française
- ( Suite)
- — Ce n’est pas pour me plaindre, c’est pour t’expliquer comment je n’ai pas osé t’écrire; j’avais peur, si on me découvrait, qu’on me vendît de nouveau, et je ne voulais pas être vendu. Voilà pourquoi, quand j’ai perdu mon pauvre vieux maître, qui était un brave homme, je ne t’ai pas écrit.
- — Ali! il est mort, le vieux musicien?
- — Oui, et je l’ai bien pleuré, car si je sais quelque chose aujourd’hui, si je suis en état de gagner ma vie, c’est à lui que je le dois. Après lui, j’ai trouvé des braves gens aussi pour me recueillir et j’ai travaillé chez eux; mais.si je t’avais écrit: « Je suis jardinier à la Glacière », ne serait-on pas venu m’y chercher, ou bien n’aurait-on pas demandé de l’argent à ces braves gens? je ne voulais ni l’un ni l’autre.
- — Oui, je comprends cela.
- — Mais cela ne m’empêchait pas de penser à toi, et quand j’étais malheureux, cela m’est arrivé quelquefois, c’était mère Barberin que j’appelais à mon secours. Le jour où j’ai été libre de faire ce que je voulais, je suis venu l’embrasser, pas tout de suite, cela est vrai, mais on ne fait pas ce qu’on veut, et j’avais une idée qu’il n’était pas facile de mettre à exécution. Il fallait la gagner notre vache, avant de te l’offrir et l’argent ne tombait pas dans notre poche en belles pièces de cent sous. Il a fallu en jouer des airs, tout le long du chemin, des gais, des tristes, il a fallu marcher, suer, peiner, se priver! mais plus on avait de peine, plus on était content, n’est-il pas vrai, Mattia?
- — On comptait l’argent tous les soirs, non seulement celui qu’on avait gagné dans la journée, mais celui qu’on avait déjà, pour voir s’il n’avait pas doublé.
- — Ah ! les bons enfants, les bons garçons !
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- LE DEVOIR
- Tout en parlant, tandis que mère Barberin battait la pâte pour nos crêpes et que Mattia cassait la bourrée, je mettais les assiettes, les fourchettes, les verres sur la table, et j’allais à la fontaine emplir la cruche d’eau.
- Quand je revins, la terrine était pleine d’une belle bouillie jaunâtre, et mère Barberin frottait vigoureusement avec un bouchon de foin la poêle à frire ; dans la cheminée flambait un beau feu clair que Mattia entretenait en y mettant des branches brin à brin; assis sur son séant dans un coin de l’âtre, Capi regardait ces préparatifs d’un œil attendri, et comme il se brûlait, de temps en temps il levait une patte, tantôt l’une, tantôt l’autre, avec un petit cri; la violente clarté de la flamme pénétrait jusque dans les coins les plus sombres et je voyais danser les personnages peints sur les rideaux d’indienne du lit, qui, si souvent dans mon enfance, m’avaient fait peur la nuit, lorsque je m’éveillais par un beau clair de lune.
- Mère Barberin mit la poêle au feu, et ayant pris un morceau de beurre au bout de son couteau, elle le fit glisser dans la poêle, où il fondit aussitôt.
- — Ça sent bon, s’écria Mattia, qui se tenait le nez au-dessus du feu sans peur de se brûler.
- Le beurre commença à grésiller ;
- — Il chante, cria Mattia, oh! il faut que je l’accompagne.
- Pour Mattia, tout devait se faire en musique; il prit
- son violon et doucement, en sourdine, il se mit à plaquer des accords sur la chanson de,la poêle, ce qui fit rire mère Barberin aux éclats.
- Mais le moment était trop solennel pour s’abandonner à une gaieté intempestive; avec la cuiller à pot, mère Barberin a plongé dans la terrine, d’où elle retire la pâte qui coule en longs fils crémeux; elle verse la pâte dans la poêle, et le beurre, qui se retire devant cette blanche inondation, la frange d’un cercle roux.
- A mon tour, je me penche en avant : mère Barberin donne une tape sur la queue de la poêle, puis, d’un coup de main, elle fait sauter la crêpe, au grand effroi de Mattia; mais il n’y a rien à craindre; après avoir été faire une courte promenade dans la cheminée, la crêpe retombe dans la poêle sens dessus dessous, montrant, sa face rissolée,
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- Je n’ai que le temps de prendre une assiette et la crêpe glisse dedans.
- Elle est pour Mattia qui se brûle les doigts, les lèvres, la langue et le gosier ; mais qu’importe, il ne pense pas à sa brûlure.
- — Ah ! que c’est bon ! dit-il la bouche pleine.
- C’est à mon tour de tendre mon assiette et de me brûler; mais pas plus que Mattia je ne pense à la brûlure.
- La troisième crêpe est rissolée, et Mattia avance la main, mais Capi pousse un formidable jappement ; il réclame son tour, et comme c’est justice, Mattia lui offre la crêpe au grand scandale de mère Barberin, qui a pour les bêtes l’indifférence des gens de la campagne, et qui ne comprend pas qu’on donne à un chien « un manger de chrétien. » Pour la calmer, je lui explique que Capi est un savant, et que d’ailleurs il a gagné une part de la vache; et puis, c’est notre camarade, il doit donc manger comme nous, avec nous, puisqu’elle a déclaré qu’elle ne toucherait pas .aux crêpes avant que notre terrible faim ne soit calmée.
- Il fallut longtemps avant que cette faim et surtout notre gourmandise fussent satisfaites ; cependant il arriva un moment où nous déclarâmes, d’un commun accord, que nous ne mangerions plus une seule crêpe avant que mère Barberin en eût mangé quelques-unes.
- Et alors, ce fut à notre tour de vouloir faire les crêpes nous-mêmes : au mien d’abord, à celui de Mattia ensuite ; mettre le beurre, verser la pâte était assez facile, mais ce que nous n’avions pas c’était le coup de main pour faire sauter la crêpe ; j’en mis une dans les cendres, et Mattia en reçut une autre toute brûlante sur la main.
- Quand la terrine fut enfin vidée, Mattia qui s’était très bien aperçu que mère Barberin ne voulait point parler devant lui, « de ce qui avait de l’intérêt pour moi, » déclara qu’il avait envie de voir un peu comment se conduisait la vache dans la cour, et sans rien écouter, il nous laissa en tête-à-tête, mère Barberin et moi.
- Si j’avais attendu jusqu’à ce moment, ce n’était cependant pas sans‘une assez vive impatience, et il avait fallu tout l’intérêt que je portais à la confection des crêpes pour ne pas me laisser absorber par ma préoccupation.
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- Barberin était à Paris, me semblait-il, pour retrouver Vitalis et se foire payer’ par celui-ci les années échues pour mon loyer. Je n’avais donc rien à voir là-dedans : Vitalis mort, ne payait pas, et ce n’était pas à moi qu’on pouvait réclamer quelque chose. Mais si Barberin ne me réclamait pas d’argent, il pouvait me réclamer moi-même, et ayant mis la main sur moi, il pouvait aussi me placer n’importe où, chez n’importe qui, à condition qu’on lui payerait une certaine somme. Or, cela m’intéressait, et même m’intéressait beaucoup, car j’étais bien décidé à tout faire avant de me résigner à subir l’autorité de l’affreux Barberin, s’il le fallait, je quitterais la France, je m’en irais en Italie avec Mattia, en Amérique, au bout du monde.
- Baisonnant ainsi, je me promis d’être circonspect avec mère Barberin, non pas que j’imaginasse avoir à me défier d’elle, la chère femme, je savais combien elle m’aimait, combien elle m’était dévouée ; mais elle tremblait devant son mari, je l’avais bien vu, et sans le vouloir, si je causais trop, elle pouvait répéter ce que j’avais dit, et fournir ainsi à Barberin le moyen de me rejoindre, c’est-à-dire de me reprendre. Cela ne serait pas au moins par ma faute, je me tiendrais sur mes gardes.
- Quand Mattia fut sorti, j’interrogeai mère Barberin.
- — Maintenant que nous sommes seuls, ma diras-tu en quoi le voyage de Barberin à Paris est intéressant pour moi ?
- — Bien sûr, mon enfant, et avec plaisir encore.
- Avec plaisir ! je fus stupéfait.
- Avant de continuer, mère Barberin regarda du côté de la porte.
- Rassurée, elle revint vers moi et à mi-voix, avec le sourire sur le visage :
- — Il paraît que ta famille te cherche.
- -r- Ma famille !
- — Oui, ta famille, mon Remi.
- — J’ai une famille, moi? J’ai une famille, mère Barberin, moi l’enfant abandonné !
- — Il faut croire que ce n’a pas été volontairement qu’on t’a abandonné, puisque maintenant on te cherche.
- — Qui me cherche ? Oh ! mère Barberin, parle, parle vite, je t’en prie.
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- Puis tout à coup, il me sembla que j’étais fou, et je m’écriai :
- — Mais non, c’est impossible, c’est Barberin qui me cherche.
- — Oui, sûrement, mais pour ta famille.
- — Non, pour lui, pour me reprendre, pour me revendre, mais il ne me reprendra pas.
- — Oli ! mon Remi, comment peux-tu penser que je me prêterais à cela ?
- — Il veut te tromper, mère Barberin.
- — Voyons, mon enfant, sois raisonnable, écoute ce que j’ai à te dire et ne te fais point ainsi des frayeurs.
- — Je me souviens.
- — Ecoute ce que j’ai entendu moi-même : cela tu le croiras, n’est-ce pas? il y# aura lundi prochain un mois, j’étais à travailler dans le fournil quand un homme ou pour mieux dire un monsieur entra dans la maison, où se trouvait Barberin à ce moment. — C’est vous qui vous nommez Barberin ? dit le monsieur qui parlait avec l'accent de quelqu'un qui ne serait pas de notre pays. — Oui, répondit Jérôme, c’est moi. — C’est vous qui avez trouvé un enfant à Paris, avenue de Breteuil, et qui vous êtes chargé de l’élever ? — Oui. — Où est cet enfant présentement, je vous prie ? — Qu’est-ce que ça vous fait, répondit Jérôme.
- Si j’avais douté de la sincérité de mère Barberin, j’aurais i*econnu à l’amabilité de cette réponse de Barberin, qu’elle me rapportait bien ce qu’elle avait entendu.
- — Tu sais, continua-t-elle, que de dedans le fournil on entend ce qui se dit ici, et puis il était question de toi, ça me donnait envie d’écouter. Alors comme pour mieux entendre je m’approchais, je marchai sur une branche qui se cassa. — Nous ne sommes donc pas seuls ? demanda le monsieur. — C’est ma femme, répondit Jérôme. — Il fait bien chaud ici, dit le monsieur, si vous vouliez nous sortirions pour causer. Ils s’en allèrent tous deux, et ce fut seulement trois ou quatre heures après que Jérôme revint tout seul. Tu t’imagines combien j’étais curieuse de savoir ce qui s’était dit entre Jérôme et ce monsieur qui était peut-être ton père, mais Jérôme ne répondit pas à tout ce que je lui demandai. Il m’apprit seulement que ce monsieur n’était pas
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- ton père, mais qu’il faisait des recherches pour te retrouver de la part de ta famille.
- — Et où est ma famille ! Quelle est-elle ? Ai-Je un père ? une mère ?
- — Ce fut ce que je demandai comme toi, à Jérôme. Il me répondit qu’il n’en savait rien. Puis il ajouta qu’il allait partir pour Paris afin de retrouver le musicien auquel il t’avait loué, et qui lui avait donné son adresse à Paris rue de Lourcine chez un autre musicien appelé Garofoli. J’ai bien retenu tous les noms, retiens-les toi-même.
- — Je les connais, sois tranquille : et depuis son départ Barberin ne t’a rien fait savoir ?
- — Non, sans doute il cherche toujours : le monsieur lui avait donné cent francs en cinq louis d’or et depuis il lui aura donné sans doute d’autre argent. Tout cela et aussi les beaux langes dans lesquels tu étais enveloppé lorsqu’on t’a trouvé, est la preuve que tes parents sont riches ; quand je t’ai vu là au coin de la chemi née j’ai cru que tu les avais retrouvés, et c’est pour cela que j’ai pensé, que ton camarade était ton vrai frère.
- Ace moment, Mattia passa devant la porte, je l’appelai :
- — Mattia, mes parents me cherchent, j’ai une famille, une vraie famille.
- Mais, chose étrange, Mattia ne parut pas partager ma joie et mon enthousiasme.
- Alors je lui fis le récit de ce que mère Barberin venait de me rapporter.
- X
- l’ancienne et la nouvelle famille
- Je dormis peu cette nuit-là ; et cependant combien je me faisais fête de coucher dans mon lit d’enfant où j’avais passé tant de bonnes nuits, autrefois, sans m’éveiller, blotti dans mon coin, les couvertures tirées jusqu’au menton ; combien de fois aussi lorque je couchais à la belle étoile (qui n’avait pas toujours été belle, hélas !), avais-je regretté cette bonne couverture, glacé
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- SANS FAMILLE
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- par le froid de la nuit, ou transpercé jusqu’aux os par la rosée du matin.
- Aussitôt que je fus couché, la fatigue de ma journée et aussi de la nuit passée dans la prison m’endormit ; mais je ne tardai pas à me réveiller en sursaut, et alors il me fut impossible de retrouver le sommeil ; agité, enfiévré.
- Ma famille !
- C’était à cette famille que j’avais pensé en m’endormant ; j’avais rêvé famille, père, mère, frères, sœurs ; et en quelques minutes, vécu avec ceux que je ne connaissais pas encore et que je voyais en ce moment pour la première fois ; chose curieuse, Mattia, Lise, mère Barberin, Madame Milligan, Arthur, étaient de ma famille, et mon père était Vitalis, il était ressuscité, et très riche ; pendant notre séparation, il avait eu le temps de retrouver Zerbino et Dolce, qui n’avaient pas été mangés par les loups.
- Il n’est personne, je crois, qui n’ait eu de ces hallucinations où, dans un court espace de temps, on vit des années entières et où l’on parcourt d’incommensurables distances ; tout le monde sait comme, au réveil, subsistent fortes et vivaces les sensations qu’on a éprouvées.
- Je revis en m’éveillant tous ceux dont je venais de rêver, comme si j’avais passé la soirée avec eux, et tout naturellement il me fut impossible de me rendormir.
- Peu à peu cependant les sensations de l’hallucination perdirent de leur intensité, mais la réalité s’imposa à mon esprit pour me tenir encore bien mieux éveillé.
- Ma famille me cherchait, mais pour la retrouver c’était à Barberin que je devais m’adresser.
- Cette pensée seule suffisait pour assombrir ma joie ; j’aurais voulu que Barberin ne fût pas mêlé à mon bonheur. Je n’avais pas oublié ses paroles à Vitalis, et bien souvent je me les répétais : « Il y aura du profit pour ceux qui auront élevé cet enfant. »
- Ce n’était pas par pitié que Barberin m’avait ramassé dans la rue, par pitié non plus qu’il s’était chargé de moi, mais tout simplement parce que j’étais enveloppé dans de beaux langes, parce qu’il y aurait profit un jour à me rendre à mes parents ; ce jour n’étant pas venu
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- LE DEVOIR
- assez vite an gré de son désir, il m’avait vendu à Vitalis ; maintenant il allait me vendre à mon pôre.
- Quelle différence entre le mari et la femme ; ce n’était pas pour l’argent qn’elle m’avait aimé, mère Barberin. Ah ! comme j’aurais voulu trouver un moyen pour que ce fût elle qui eût le profit et non Barberin.
- Mais j’avais beau chercher, me tourner et me retourner dans mon lit, je ne trouvais rien et toujours je revenais à cette idée désespérante que ce serait Barberin qui me ramènerait a mes parents, que ce serait lui qui serait remercié, récompensé.
- Enfin il fallait bien en passer par là, puisqu’il était impossible de faire autrement, ce serait à moi plus tard, quand je serais riche, de bien marquer la différence que j’établissais dans mon cœur entre la femme et le mari, ce serait à moi de remercier et de récompenser mère Barberin.
- Pour le moment je n’avais qu’à m’occuper de Barberin, c’est-à-dire que je devais le chercher et le trouver, car il n’était pas de ces maris qui ne font point un pas sans dire à leur femme où ils vont et où l’on pourra s’adresser si l’on a besoin d’eux ; mère Barberin savait que son homme était à Paris ; voilà tout; depuis son départ il n’avait point écrit ; pas plus qu’il n’avait envoyé de ses nouvelles par quelque compatriote, quelque maçon revenant au pays.
- Où était-il, où logeait-il ? Elle ne le savait pas précisément et de façon à pouvoir lui adresser une lettre, mais il n’y avait qu’à le chercher chez deux ou trois logeurs du quartier Mouffetard dont elle connaissait les noms, et on le trouverait certainement chez l’un ou chez l’autre.
- Je devais donc partir pour Paris et chercher moi-même celui qui me cherchait.
- Assurément c’était pour moi une joie bien grande, bien inespérée d’avoir une famille ; cependant cette joie dans les conditions où elle m’arrivait, n’était pas sans un mélange d’ennuis et même de chagrin.
- J’avais espéré que nous pourrions passer plusieurs jours tranquilles, heureux, auprès de mère Barberin, jouer à mes anciens jeux avec Mattia, et voilà que le lendemain même, nous devions nous remettre en route.
- En partant de chez mère Barberin, je devais aller au
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- SANS FAMILLE
- 761
- bord de la mer, à Esnandes, voir Etiennette, — il me fallait donc maintenant renoncera ce voyage et ne point embrasser cette pauvre Etiennette qui avait été si bonne et si affectueuse pour moi.
- Après avoir vu Etiennette, je devais aller à Dreuzy, dans la Nièvre, pour donner à Lise des nouvelles de son frère et de sa sœnr, — il me fallait donc aussi renoncer â Lise comme j’avais renoncé à Etiennette.
- Ce fut à agiter ces pensées que je passai ma nuit presque tout entière, me disant tantôt que je ne devais pas abandonner Etiennette ni Lise, tantôt au contraire que je devais courir à Paris le plus vite possible pour retrouver ma famille.
- Enfin je m’endormis sans m’être arrêté à aucune résolution, et cette nuit, qui, m’avait-il semblé, devait être la meilleure des nuits, fut la plus agitée et la plus mauvaise dont j’aie gardé le souvenir.
- Le matin, lorsque nous fûmes tous les trois réunis, mère Barberin, Mattia et moi, autour de l’àtre, où sur un feu clair chauffait le lait de notre vache, nous tînmes conseil.
- — Que devais-je faire?
- Et je racontai mes angoisses, mes irrésolutions de la nuit.
- — Il faut aller tout de suite à Paris, dit mère Barberin, tes parents te cherchent, ne retarde pas leur joie.
- Et elle développa cette idée en l’appuyant de bien des raisons, qui, à mesure qu’elle les expliquait, me paraissaient toutes meilleures les unes que les autres.
- — Alors nous allons partir pour Paris, dis-je, c’est entendu.
- Mais Mattia ne montra aucune approbation pour cette résolution, tout au contraire.
- — Tu trouves que nous ne devons pas aller à Paris, lui dis-je, pourquoi ne donnes-tu pas tes raisons comme mère Barberin a donné les siennes ?
- Il secoua la tête.
- — Tu me vois assez tourmenté pour ne pas hésiter à m’aider.
- (A suivre)
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- LE DEVOIR
- TABLE DES MATIÈRES
- DU TOME VINGTIÈME
- .ANNÉE 1896
- JEAN-BAPTISTE-ANDRÉ GODIN
- Documents pour une Biographie complète.
- Conférences (Suspension des), page.................... 5
- Groupes, Unions et Conseils. — Avenir de l’Idée et
- — évolution sociale...................... 705
- — But de l’organisation........................ 6, 642
- — Cadre général et inscription des membres
- 9 à 27, 65 à 79
- — Conclusions, 153, 457 à 462, 513 à 531, 577 à 590,
- [641 à 655, 705 à 718 — Documents originaux, 129 à 153, 193 à 210, 257
- [à 264, 321 à 341, 385 à 401
- — Evolution sociale et avenir de l’Idée.....705
- — Exercice du suffrage............ 513 à 531, 654, 655
- — Fin de la tentative........................ 650
- — Indemnités de présence.>.................. 449
- — Inscription de l’idée dans les statuts.... 650
- — Mentions honorables en 1878, à la Fête
- du Travail............................. 452
- — Obstacle primordial........................ 641
- — Obstacles généraux. . 513 à 531, 577 à 590, 641
- [à 652, 705 à 718
- — Projet de Règlement général................ 385
- — Propositions utiles....,................. 452 à 462
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- TABLE DES MATIÈRES DU TOME VINGTIÈME
- 763
- Groupes, Représentation du travail et exercice du
- suffrage................ 513 à 531, 654, 655
- — Représentation du travail et propositions
- utiles................................ 457
- — Statistique des travaux................... 130, 340
- — Suffrage (Exercice du). 513 à 531, 654, 655
- — Travail (Représentation du), 5, 65, 129, 193, 257
- [321, 385, 449, 513, 577, 641, 705
- ECONOMIE POLITIQUE ET SOCIALE
- Alcoolisme (La lutte contre T)... 28, 90, 154, 275, 342, 741 Concurrence (La) asiatique et l’avenir des ouvriers
- européens, par Aug. Fabre.......................... 463
- Idée coopérative (L’)................................. 613
- Musée social.......................................... 408
- Semaine coopérative (Une)......................... 719
- Sky scratchers (Les), par Aug. Fabre... 211, 289, 355, 402
- ASSOCIATION DU FAMILISTÈRE
- Admissions dans la Société......................... 553
- Asssemblée générale extraordinaire................. 553
- Assemblée générale ordinaire....................... 656
- Assurance des pensions et du nécessaire............ 684
- Assurances mutuelles (Mouvement des), 63, 127, 255, 319
- [383, 447, 511, 575, 639
- Candidats aux Ecoles de l’Etat..................... 553
- Comité de conciliation............................. 553
- Conseil de Gérance................................. 632
- Conseil de Surveillance........................ 679, 682
- Etat-Civil.. 64, 128, 192, 256, 320, 384, 448, 512, 576, 640, 704
- Fête annuelle du Travail.......................... 368
- Fête de l’Enfance............................591 à 612
- CHRONIQUE PARLEMENTAIRE
- Alcoolisme (Mesures légales contre 1’)............. 741
- Assurance contre les accidents...................... 92
- Assurance ou prévoyance sociale.................... 737
- Caisses de retraites (Loi)........................ 94
- Chambre et Sénat............................... 223, 361
- Conciliation et arbitrage........................... 38
- Palais de la Mutualité............................. 93
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- 764
- LE DEVOIR
- Rentrée (La)...................................... 736
- Session extraordinaire de 1895, à la Chambre et au
- Sénat..................................... 88 à 93
- Session ordinaire de 1896.......................... 532
- Syndicats ouvriers.................................. 40
- Travail (Conditions du)............................ 738
- Travaux législatifs (Etat des)................ 416, 736
- FAITS POLITIQUES & SOCIAUX Allemagne
- Association des ouvriers catholiques............... 690
- Congrès international des mineurs.................. 422
- Coopération (La)................................... 101
- Population (La).................................... 423
- Restaurant municipal (Un).......................... 689
- Australie
- Bilan politique et social.......................... 423
- Autriche-Hongrie
- Assurance contre la maladie......................... 43
- Coopération (La)................................... 294
- Parti de la Démocratie sociale..................... 425
- Réforme électorale............................ 171, 425
- Belgique
- Croix-Rouge (La)................................... 231
- Hospices inter-communaux........................... 425
- Chine
- Sociétés populaires............................... 426
- Danemark
- Assurances ouvrières................................ 42
- Office (Un) du Travail............................. 294
- Etats-Unis
- Grèves (Les) et les Associations.................. 295
- Législation ouvrière............................... 688
- Sociétés coopératives (Fédération des).............. 43
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- TABLE DES MATIÈRES DU TOME VINGTIÈME 705
- France
- Assistance par le travail.......................... 98
- Dépopulation...................................... 539
- Jurisprudence syndicale........................... 686
- Monument de Jean Leclaire........................ 747
- Recensement (Le).................................. 228
- Société d’économie populaire de Nimes............ 181
- Statistique syndicale..............*.............. 543
- Statue de Fourier................................ 622
- Syndicats (Capacité des)......................... 544
- Grande-Bretagne
- Coopération (La).................................. 686'
- Grèves (Les) et la coopération................... 687
- Parti radical indépendant........................ 421
- Précurseur (Un) de J.-Bte A. Godin................ 97
- Prêts communaux.................................. 421
- Tramways coopératifs............................. 100
- Pays-Bas
- Accidents ouvriers (Les)........................ 687
- La Coopération................................... 170
- Loi électorale.................................. 622
- Parti du peuple (Le)............................. 688
- Pays divers
- Mesures légales contre l’alcoolisme.............. 741
- Télégraphie (Progrès de la)...................... 232
- Suisse
- Assurance contre la maladie et les accidents..... 229
- Métiers (Projet de loi sur les)................... 43
- Peines conditionnelles.............r.............. 426
- Referendum........................................ 42
- Transvaal
- Constitution du peuple Boër...................... 230
- COOPÉRATION & PARTICIPATION
- Allemagne» — Coopération (La).................... loi
- Autriche-Hongrie. — Coopération (La)..............294
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- 766 LE DEVOIR
- Etats-Unis. — Fédération des Sociétés coopératives. 43
- » Grèves (Les) et les associations....295
- France. — Almanach de la Coopération française pour
- 1890.................................. 179
- » ' Congrès coopératifs.................. 537, 719
- » Monument de Jean Leclaire............... 747
- » Société d’économie populaire de Nimes... 181
- Grande-Bretagne. — Coopération (La)................ 686
- » Congrès (Le) de Woolwich........ 490
- » Grèves (Les) et Coopération (La). 687
- » Précurseur (Un) de J.-Bte A. Godin. 97
- L’idée coopérative................................. 613
- Pays-Bas. — La Coopération..*......*............... 170
- Une semaine coopérative................*........... 719
- PAIX ET ARBITRAGE INTERNATIONAL
- Almanach de la Paix 1896........................... 102
- Arbitrage général (Projet)..........................626
- Arbitrage (L’) international...................... 428
- Conférence interparlementaire de Budapest.......... 697
- Congrès de Budapest................................ 691
- France. — « Ce que nous voulons».................... 46
- Procédure (La) d’un arbitrage spécial.............. 625
- Unions internationales............................. 545
- MOUVEMENT FÉMINISTE
- Allemagne. — Droit civil des Femmes............'.... 104
- — Femmes (Les) académiques.............. 104
- Autriche-Hongrie. — Etudiantes (Les)............... 550
- Bibliographie. Mission de la femme et Questions
- sociales........................................ 179
- Congrès de Paris, Berlin, Genève................... 369
- Congrès Féministe international. Programme......... 176
- Etats-Unis. — Divorce (Réforme des lois)........... 552
- — Suffrage municipal.................... 105
- Femmes docteurs..................................... 48
- France. — Adresse à Mme Jeanne Schmahl......... 234, 297
- — Article (L’) 324........................ 106
- — Assistance publique (Les femmes à 1’) 47, 106
- — Conseils scolaires (Les femmes dans les). 550
- — Droits civils des femmes............ 175, 234
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- TABLE DES MATIÈRES DU TOME VINGTIÈME
- 767
- France. — Enfants et débits de boissons................ 235
- — Enfants naturels ........................... 373
- — Enseignement secondaire des jeunes filles. 548
- — Jury mixte...................................236
- — Ligue française pour le droit des femmes. 236
- — Massacres d’Arménie'Protestation contre les) 237
- — Nouveaux groupes................... 47, 236
- — Rôle politique des femmes................... 547
- — Société de secours mutuels (Les) et les
- femmes................................... 552
- Grande-Bretagne. — Etudiantes (Les).................... 551
- — Femmes chirurgiens................... 105
- — Professions féminines................ 174
- — Suffrage des Femmes.................. 548
- Norwège. — Les Etudiantes...............................550
- — Suffrages des Femmes........................ 373
- Pays divers. — Femmes avocats..................... 174
- — Gain (Le) des femmes............... 372
- Suède. — Etudiantes (Les).............................. 550
- Suisse. — Etudiantes (Les)............................. 551
- PHILOSOPHIE RELIGIEUSE
- L’extériorisation de la motricité...................... 495
- ROMANS
- Sans famille, par Hector Malot 53, 111, 186, 238, 307, 374
- 432, 501, 561, 628, 700, 753,
- BIBLIOGRAPHIE
- Accidents ouvriers (Les)............................. 558
- Almanach de la Coopération française pour 1896 et
- pour 1897..................*................ 179, 749
- Almanach de la Paix pour 1896..................... 102
- Annales des sciences psychiques, par le Dr Dariex.. 177 Bulletin technologique de la Société des anciens élèves des Ecoles d’arts et métiers..................... 556
- Concurrence (La) asiatique et l’avenir des ouvriers
- européens, par Aug. Fabre............................554
- De l’Association, son influence sur le rapprochement
- de l’ouvrier et du patron, par F. Baillet...... 557
- Deux épisodes de la vie de Robert Owen, par Aug. Fabre.......................................... 554
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-
- 768
- LÈ DEVOÎR
- Deux orphelines, par Mme Marie Conscience............ 752
- Enfants anormaux (Manuel pratique des méthodes
- d’enseignement)...........................•.......559
- Extériorisation (L’) de la motricité par M. A. de Rochas 495
- Human culture and cure, by E. D. Babbitt............. 178
- Kiriquette, par F. Bernardot.................... 185, 159
- Le Medium D D Home, par M. Louis Gardy............... 752
- Lotus bleu........................................... 178
- Manuel des Banques populaires, par Ch. Rayneri.... 109 Méthode de lecture pour l’emploi des caractères mobiles, par Mme E. Dallet............................. 750
- Mission (La) de la femme et les questions sociales,
- par H. Rœhrich.................................... 179
- Musée social (circulaires)....*...................... 558
- Ouvrages reçus......................•........ 108, 306, 559
- Robert Owen (Un Socialiste pratique) par Aug. Fabre. 107
- 554
- Sky scratchers (Les) ou les hautes maisons améri-
- caines, par Aug. Fabre............................. 554
- Société d’Etudes psychiques de Genève, Rapports
- pour l’année 1895.........._..............,........ 110
- Travaux du Congrès de Bordeaux. Association protestante pour l’étude pratique des questions sociales
- (7mô Assemblée)...'................................ 301
- Trois (Les) socialismes, par Paul Boilley............... 49
- Types (Les) intellectuels : Esprits logiques et esprits faux, par F. Paulhan............................... 300
- Le Gérant: H. E. Buridant.
- Nimes, imp. Veuve Laporte, ruelle des Saintes-Maries, 7, — 1493
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