Le Devoir
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- REVUE DES QUESTIONS SOCIALES
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- REVUE DES QUESTIONS SOCIALES
- CRÉÉE EN 187 8
- par J.-Bte André G0D1N, Fondateur du Familistère de Guise
- TOME VINGT-NEUVIÈME
- Rédacteur en chef : M. J. PASGALY, Paris Directrice : Madame Vve J. Bte A. GODIN, née MORET Au Familistère, Guise (Aisne).
- 1905 •
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- DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES.
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- Janvier 1905.
- DOCUMENTS POUR UNE BIOGRAPHIE COMPLETE
- de J.-B. André GODIN (1)
- Glorification du Travail. Emancipation du Travailleur.
- XV (suite.)
- Série des employés. — Inauguration de répartitions mensuelles indicatives du mérite. — Adresse de Godin aux intéressés, janvier 1870. — Propositions en réponse par Messieurs A, B, C, D, E, F, G. — Rapport sur ces propositions.
- B
- « Etude de la répartition de la part revenant au travail dans le produit net d'une usine.
- « La répartition doit se faire sur les bases de la justice distributive. Pour qu’elle soit juste, il faut que ceux qui jugent soient complètement éclairés sur la valeur des individualités, et il n’y a que les personnes participant aux mêmes travaux qui, dans l’état actuel des choses , soient réellement aptes à apprécier la valeur relative de leurs collègues.
- « D’un autre côté, il est nécessaire que la masse totale des participants apprenne à s’apprécier et vienne aussi donner son avis sur la valeur individuelle de chacun ; et cela dans la mesure des relations de l’individu avec la collectivité entière.
- (1) Appendice, p. 60, Le Devoir, tome 26e, janvier 1902.
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- « Prenant ces principes en considération , on peut en déduire les conséquences suivantes :
- « L’usine donne en bénéfice pour la part du travail une certaine somme déterminée dans une autre étude (1) — et qui sera l'élément de répartition entre chacun. Mais du moment que le personnel est nombreux, il est difficile de faire attribuer à chacun sa part par l’appréciation individuelle de tous. La formation de groupes formant des unités réelles par leurs affinités et le but de leur travail, obvie à l’objection.
- « La part attribuée à chaque groupe naturel sera à la somme totale au prorata de la somme des appointements et salaires perçus par chaque groupe. Il serait plus que difficile de faire apprécier la valeur normale de chaque groupe par une note ou une appréciation plus ou moins arbitraire, tandis que dans ce mode la valeur de l’emploi entre dans une certaine mesure comme élément de répartition.
- « La somme à répartir dans chaque groupe étant ainsi fixée, il y a à faire la répartition, tant par le groupe que par la collectivité. La base de la division entre ces deux éléments appréciateurs sera celle de la proportion numérique du groupe vis-à-vis de la masse entière. Si un groupe est composé de 25 membres, par exemple, et que le personnel soit de 65, la différence 40 X par la valeur à donner à chaque voix sera la part de la collectivité.
- « Par exemple, supposons qu’au groupe : Comptabilité, composé de 25 membres , il soit attribué 400 francs ; la part de la collectivité sera de 40 francs x 2, si j’attribue 4 voix à chaque votant pour chaque groupe et la voix
- (1) Etude approximative des résultats de l’inventaire au 31 décembre précédent,
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- valant 0,50 centimes. Ces chiffres ne sont point arbitraires , si ce n’est peut-être celui de 0,50 ; mais le mécanisme de ce système fait que plus le groupe est nombreux, moins la collectivité a à agir sur lui, parce qu’il se fait centre lui-même pour ainsi dire, et que moins il est nombreux plus il laisse à l’action générale de latitude d’évaluation, ce qui doit empêcher l’intrigue et la cabale.
- « Dans le cas ci-dessus, la comptabilité aurait 320 fr. à se répartir par elle-même et 80 fr. par la collectivité.
- « Le 1er cas se ferait par le bulletin no 1 ou le no 2 suivant choix, ou habitude d’analyse intellectuelle des membres du groupe.
- « Le 2e cas s’opérerait à l’aide du bulletin n« 3.
- « Continuant l’exemple de la comptabilité, lorsque les 40 autres personnes de l’usine auraient chacune émis 4 voix, cela ferait 160 à 0 fr. 50 ou 80 francs. Si Pierre a 10 voix, on ajouterait 5 francs au chiffre obtenu dans son groupe; si Louis a 4 voix, on ajouterait 2 francs à son chiffre, etc.
- « Il est entendu que dans le vote du groupe le chiffre alloué à chacun est la moyenne générale du vote des 25 membres, obtenue par le dépouillement des bulletins un et deux.
- « Il y aurait un intervalle d’un jour ou tout au moins un certain délai entre les deux votes, afin que la coL lectivité puisse connaître, avant de procéder à son vote, l’appréciation des personnes par leurs pairs et collègues ; néanmoins ce mode serait toujours assez rapide et facile d’exécution. ^
- « On peut diviser l’usine de Guise en cinq groupes naturels :
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- Comptabilité............ 25 membres (pour Janvier)
- Fonderie................ 11
- Ajustage, Magasin....... 13
- Ateliers divers......... 16
- Familistère............. 10
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- « Familistère, 14 février 1870. (Signature.)
- « P. S. — L’exemple pris dans le courant de l’étude fixe le personnel à 65 au lieu de 75, par une première évaluation erronée, mais cela ne change en aucune manière le mode de procéder.
- «N° i. — Bulletin de vote pour la répartition mensuelle des 400 francs mis à la disposition de la comptabilité.
- NOMS Chiffre des appointements mensuels | Date de ces appointements Conduite ^ 2 f- 3 <D Xi J Bonne exécution 00
- Louis ... 200 1868 15 30* 20
- Pierre. . 150 1865 10 20 40
- Paul.... 75 1869 16 25 10
- »
- »
- B
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- » 4000 •
- Inte genc capi O s-l Xi S o lli-;e et icité a .2 u o eu o h CU 1/10 1 Total des 4 colonnes Proportion d’ancienneté | Total en nombre o ^ Attributions en argent o
- 30 3 98 2 °i° : 2 100 20. »
- » » 70 5 °io : 4 74 14.80
- 10 1 62 » 62 12.40
- 2000 400 »
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- « La colonne n° 1 est l’appréciation comme conduite, moralité, sympathie, concorde, facilité donnée au travail des autres. L’échelle de mérite se répartit de 1 à 20.
- « La colonne n°2 indique le zélé, l’assiduité, le dévouement au travail, le labeur en un mot quel que soit son résultat. Il se chiffre de 1 à 40 ou de 21 à 40, comme échelle d’appréciation.
- « La colonne n° 3 marque la bonne exécution du travailla rapidité d’exécution au point de vue spécial, matériel pour ainsi dire : deux personnes peuvent travailler avec le même zèle et l’une aller le double plus vite ; se chiffre de 1 à 60 ou de 41 à 60.
- « La colonne n° 4 indique l’intelligence, la capacité, l’organisation et la direction du travail, se chiffre de 1 à 100 ou de 61 à 100. Elle doit contenir l’appréciation delà position de chacun qui est déterminée par le chiffre même des appointements ; car un employé à une fonction de 300 fr. et un autre à une fonction de 100 fr. peuvent montrer chacun une intelligence conforme à la fonction, égale relativement , mais cependant de mérite différent. Si le chiffre des appointements est de 4,000 fr. pour la masse dés employés et 400 fr. la somme à répartir, la porportion à ajouter à la colonne 4 est de 10 0/0 ou 1/10®.
- « Le total des 4 colonnes donne la valeur réelle de l’employé; reste à faire intervenir l’élément : ancienneté, dans la mesure relativement restreinte où il doit figurer. Pour cela on peut évaluer à 1 0/0 du nombre total des chiffres pour une année, 2 0/0 pour deux ans d’ancienneté dans le chiffre des appointements. Entre deux employés de même valeur, l’ancienneté doit apporter son contingent dans la répartition.
- « Une fois le chiffre total obtenu, supposons pour la commodité 2000 points, comme il y a 400 fr. à répartir, c’est 0,20 du chiffre, d’où celui qui a le nombre 100 doit recevoir 20 fr.; celui qui a le chiffre 80, 16 fr., etc.
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- « jy0 2. — Bulletin de vote du e groupe, des employés de Vusine ( comptabilité ) pour la répartition des 320 fr. mis à sa disposition.
- Noms et Appointements Conduite et ^ et travail Bonne ^ Il exécution 1 Intelligence ^ Il et capacité 1 Total des points Somme à répartir
- Louis, à 3.000 fr 15 40 80 135 20 f. 25
- Paul, 1.800 12 20 60 92 13 80
- Pierre, 1.500 5 50 40 95 14 25
- Jacques, 1.200 20 30 30 80 12 »
- Jean, 900 10 25 55 90 13 50
- Simon, 900 30 0 0 30 4 50
- )) » D » 60 9 »
- )) ....... » » )» 18 2 70
- y> » » )) 65 9 75
- » ....... » » )) 42 6 30
- » )) » 37 5 55
- 2.133 320 f. »
- Soit 0 fr. 15 le point.
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- (Au dos du bulletin n° 2 on lit : )
- « La colonne n° 1 indique la valeur chiffrée en points de 1 à 30, du mérite, du caractère de la personne dans ses rapports avec ses collègues, de la facilité qu’il donne au travail commun, du zèle, de l’assiduité qu’il donne à sa tâche, de son labeur en un mot en dehors du mérite du travail lui-même.
- « La colonne n° 2 indique la valeur, chiffrée de 1 à 60, de la bonne exécution du travail, de la rapidité au point de vue matériel pour ainsi dire.
- « La colonne n° 3 indique la valeur, chiffrée de 1 à 100, de la capacité, de l’intelligence, de l’initiative.
- « L’addition des 3 colonnes donne le nombre des points de la personne ; la totalité des points donnés à chacun divisant la somme à répartir donne la valeur des points d’où on déduit la somme afférente à chacun.
- « N° 3. — Bulletin de vote de répartition des parts réservées dans chaque groupe à l’appréciation de la collectivité des Employés de Vusine.
- « Ajustage.
- « Comptabilité 4 voix
- « Fonderie 4 voix
- « Ateliers divers
- « Familistère (A suivre).
- Vve J.-B.-A. Godin , née Moret.
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- Une des sections du Bulletin de VOffice du travail italien, dont les premières livraisons ont paru vers le milieu de l’année qui vient de s’écouler, est intitulée : Congrès, votes, délibérations. j
- Que les Congrès occupent une place particulière dans la classification méthodique des matières qui font l’objet des travaux de l’Office du travail, cela se conçoit sans peine.
- Ils sont évidemment l’instrument par excellence de la propagande des revendications ouvrières qu’ils condensent, formulent, imposent à l’attention par leur répétition périodique, tel le travail de la goutte d’eau, avec toute la force en plus que donne aux initiatives individuelles l’adhésion collective qui les mène au seuil des réalisations, pour lesquelles la sanction du nombre est indispensable en démocratie.
- A un point de vue plus général, ils marquent les étapes du progrès dans toutes les branches de l’activité individuelle et sociale. Vers eux convergent du cabinet d’étude et du laboratoire isolé, les idées et les faits ; par eux, théories, systèmes, technique, mis au point, entrent dans la circulation universelle.
- Ils réunissent dans la poursuite d’un idéal commun des hommes qui, accomplissant leur tâche sur tous les points du globe, s’ignoreraient, et leur apprennent à se connaître, à s’estimer, à s’aimer, à sentir leur propre force accrue de toutes celles des autres ; à désirer la paix favorable aux recherches intellectuelles, indispensable à leur fructification, par la diffusion de l’idée et l’expansion du bien-être ; à joindre leurs efforts à ceux des hommes de bonne volonté qui travaillent à orienter la pensée des peuples et de leurs représentants vers les solutions pacifiques des conflits internationaux, tout en
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- élaborant les procédures les plus convenables à de telles fins.
- Dans un congrès de philosophie, on a fait l’éloge des Revues qui tiennent le philosophe en éveil, lui rappellent que d’importantes idées sont mises en avant et lui en facilitent la connaissance : Mais, a-t-on ajouté, ces Revues elles-mêmes ne suffisent pas : il faut quelque chose qui soit à la Revue ce que la Revue est aux livres et ce sont les Congrès.
- La critique s’en égaye parfois ; mais, même quand elle met de la modération dans ses ébats, elle manque de reconnaissance. En somme, toute réunion d’hommes est congrès, depuis le simple rendez-vous sportif jusqu’au parlement qu’on ne désigne pas autrement dans certains pays. Celles qui nous occupent se désignent elles à la raillerie , ou même au simple badinage, par-quelques particularités ?
- Quand les chroniqueurs, auxquels on ne supposerait certes pas un tel attachement à la cause qui rassemble tant de braves gens venus parfois de si loin, oublient de trouver à redire à la forme des débats et à la formule des résolutions, aux joûtes oratoires et aux voeux exprimés, ils s’en prennent aux distractions, visites, promenades, banquets, etc., à toutes ces ingénieuses combinaisons d’une courtoisie avisée, contre lesquelles ils ne s’insurgent pas d’ordinaire, et qui ont au moins, dans la circonstance, le mérite de rompre la fatigue des séances et de détendre un peu les esprits.
- Joûtes oratoires ! Il serait pourtant bien désirable, une bouche plus autorisée que la nôtre l’a dit, que ce soient les seules auxquelles les peuples civilisés se glorifient désormais de prendre part !
- On a dit aussi avec raison que si les voeux constituent en quelque sorte la lettre des desiderata exprimés, les discussions en font avant tout ressortir l’esprit, l’esprit qui vivifie.
- Enfin n’a-t-on pas constaté que des libres conversations qui suivent les séances, à la faveur des récréations
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- auxquelles s’ingénient les comités d’organisation, aussi bien que des discussions elles-mêmes, se dégagent lumière et force ; que les vues trop spécialisées s’y élargissent et que des amitiés éclairées, des collaborations utiles y prennent souvent naissance?
- La critique cherchera-t-elle sa justification dans la lenteur des résultats ?
- « Nul doute que ces résultats existent », écrit, dans la Revue scientifique, M. Kozlowski, privat-docent à l’Université de Genève, à propos du Congrès de philosophie tenu dans cette ville ; « ils ne se manifesteront peut-être que dans quelques années ; l’échange d’idées, la nécessité de défendre certaines thèses contre des adversaires habiles, fécondent les intelligences d’une manière puissante ».
- Cette affirmation de l’efficacité des Congrès, n’est pas contredite en tout cas, par la publication de l’admirable recueil de « Rapports présentés au Congrès international de physique, réuni à Paris en 1900 sous les auspices de la société française de physique, rassemblés par MM. Guillaume et L. Poincaré, secrétaires généràux », œuvre dont chaque chapitre est signé du nom du savant, français ou étranger, dont les travaux font autorité en la matière et constitue, assurément, l’œuvre encyclopédique la plus complète qui ait été conçue et exécutée sur cette branche de la science.
- Méritât-il cent fois les remontrances qu'on ne lui adresse le plus souvent que faute d’aller au fond des choses, le Congrès n’en resterait pas moins l’unique forme de la manifestation nécessaire de l’activité de la plupart des groupes sociaux autonomes, et pour tous la meilleure voie conduisant à la sanction désirée. Seules, les organisations constituées d’autorité échappent à cette règle.
- Le Congrès est à l’organisme qu’il représente, ce que le parlement est aux peuples libres. Législateur dans son domaine, il assure la continuité de son œuvre et l’exécution de ses décisions par les soins d’un comité
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- permanent, centre d’information et de ralliement, et, de plus, intermédiaire entre ses commettants et les pouvoirs publics, lorsqu'une sanction législative lui paraît nécessaire.
- Rien n’est plus conforme à la loi générale des activités modernes que la diligence de cette institution à se pourvoir des organes les plus adaptés à son but, à s’appuyer, au besoin, sur les organisations qui peuvent le mieux concourir à sa réalisation, à simplifier ses rouages pour obtenir le meilleur rendement avec le moindre effort.
- C’est ainsi qu’elle se met en mesure de travailler efficacement à la consolidation, au développement des organismes conscients qui l’ont créée, qui l’ont inspirée, dont, en retour, elle éclaire, surveille la marche et qu’elle investit de la puissance qui résulte de la concentration des lumières, des moyens et des efforts.
- N’est-ce pas par son intermédiaire que se tranchent les questions d’unification, depuis l’unité de mesure jusqu’à l’unité de législation internationale, unification sans laquelle les recherches scientifiques restent tâtonnantes et la fabrique incertaine?
- Unification des choses, union des personnes ! Ces caractères généraux nous les retrouverons, avec d’autres, sans doute, au cours de notre promenade à travers les Congrès.
- La plupart des Congrès remontent aux grandes Expositions universelles, centres d’attraction naturels, et le rapprochement s’établit de lui-même entre les Expositions qui mettent sous les yeux les résultatsacquis, les machines et les instruments de travail, qui sont dès lors à la portée de tous, et les Congrès où les nations viennent non seulement étudier les améliorations accomplies, mais encore discuter celles à faire ; entre les expositions de choses et les expositions d’idées.
- Ils ont été particulièrement nombreux l’année dernière. Beaucoup de ceux que l’Exposition de 1900 avait
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- fait éclore ou avait vu refleurir s’étaient ajournés à quatre ans. En outre, le nombre s’est multiplié des organisations qui tiennent annuellement leurs assises.
- L’Exposition d’Arras en avait attiré quelques-unes des plus variées : les syndicats agricoles, la ligue pour la représentation proportionnelle, les divers groupements qui entrent dans la sphère d’action de l’alliance sociale d’hygiène, présidée par M. Casimir Périer.
- On y a traité, en octobre, de l’hygiène de l’habitation, pendant que Phygiène de l’atelier était dis- -cutée dans un Congrès tenu à Paris. Comme pour répondre aux préoccupations de celui-ci, le Journal Officiel du 1 décembre a étalé dans ses colonnes les minutieuses prescriptions du règlement d’administration publique prévu par les lois des 12 juin 1893 et 11 juillet
- 1903. L’intervention légale ne se manifestera pas avec la même promptitude en ce qui concerne l’hygiène de l’habitation, parce que la question, très vaste, reste encore confinée dans le cercle étroit des spéculations philanthropiques et que de la masse amorphe, inorganisée des intéressés, ne peuvent sortir des revendications précises comme celles que le parti ouvrier formule dans ses Congrès et fait pénétrer dans le parlement national où siègent ses représentants directs ; parce que la question, très complexe, n’est envisagée que par un côté et qu’elle comporte, en réalité, toute une réforme architecturale. Mais la marche vers l’unité se poursuit sur ce terrain comme sur les autres, et les tentatives de replâtrage ne font qu'avancer l’heure où se dessineront nettement à tous les yeux les lignes harmoniques de l’habitation unitaire.
- A Amiens, s’est réunie la Ligue de l'enseignement qui avait déjà brillamment célébré à Paris, le 19 juin
- 1904, le vingt-cinquième anniversaire de la promulgation de la loi qui, réalisant le premier des voeux formulés par le parti républicain, établissait la gratuité de l’enseignement primaire, loi que venaient bientôt com-
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- pléter celles du 28 mars 1883 et 30 octobre 1886 consacrant le principe de l’obligation et celui de la laïcité.
- La libre-pensée a tenu ses assises à Rome, la philosophie à Genève, l’histoire des religions à Bâle.
- Dans cette dernière ville où se réunirent, il y 500 ans, les représentants qualifiés de la catholicité pour aviser aux moyens de réaliser l’unité religieuse en extirpant l’hérésie, des adeptes de toutes les croyances religieuses, en cherchant ensemble à comprendre l’intérêt qu’elles peuvent avoir sur le développement des peuples et des individus, se sentaient devenir plus tolérants, moins portés à condamner ou à mépriser pour les raisons dogmatiques, le point de vue qu’ils ne partagent pas.
- Elle vient tard dans le concert des Congrès, la philosophie qui enregistra les premières manifestations de la pensée. C’est en effet seulement le deuxième Congrès qu’elle tient. Mais aujourd’hui comme aux temps les plus reculés, elle entend représenter la synthèse du savoir ou tout au moins en poursuivre l’unification. Sans doute, cette unification devient de plus en plus difficile à mesure que la complexité des connaissances augmente ; mais alors que les autres sciences n’offrent que dés aperçus fragmentaires sur la réalité, la philosophie découvre l’unité des lois. On l’a définie à Genève (M. Bontroux) « l’effort de l’esprit vers l’unité et l’harmonie dans la vie spéculative et pratique de l’humanité. »
- A la philosophie qui ne reconnaît que deux autorités, « celle de la raison et celle de l’expérience » (E. Naville), on a fait un mérite de ne pas désunir et de rendre manifeste la loi de solidarité humaine par dessus les frontières.
- Des Congrès spéciaux politiques, philosophiques, syndicaux, socialistes, coopératifs, etc., ont émis des vœux en faveur des principes de l’arbitrage, et quelques-unes des organisations qu’ils représentent ont commencé
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- à envoyer des délégés aux Congrès spéciaux de la paix, notamment au Congrès national de Nimes.
- Du reste, par le seul fait de leur réunion, savants, techniciens, travailleurs de l'idée ou de la matière, qui accourent de tous les points du globe pour s’entretenir de science pure ou de questions intéressant l’outillage ou le produit, font de la politique pacifique.
- De tous les Congrès s’élève donc, avec des tonalités diverses, un hymne à la paix, à l’union entre les hommes.
- En ouvrant le Congrès international du dessin, qui s’est tenu à Berne dans les premiers jours d’août, le président de la Confédération helvétique, M. Comtesse, après avoir exposé le but poursuivi par les congressistes, — qui est de faire consacrer l’obligation du dessin à tous les degrés d’instruction, — s’est exprimé en ces termes :
- «Mais cette réunion, à laquelle vous êtes accourus si nombreux, ne nous intéresse pas seulement à raison des résultats pratiques et scientifiques que nous pouvons en espérer. Elle a encore une autre portée. Elle est une nouvelle manifestation de cette tendance heureuse qui caractérise notre époque et qui fait qu’au lieu de s’isoler pour l’étude de ces problèmes scientifiques, on se cherche, on se rapproche dans l’idée qu’il faut joindre les efforts de tous pour arriver à des résultats d’ensemble dont tous puissent profiter. Elle est une nouvelle manifestation de cette solidarité de plus en plus effective de tous les savants, de tous les penseurs, de tous ceux qui étudient, de tous ceux qui enseignent, résultat naturel de l’unité de la science, présage lointain, mais assuré, d’un avenir que nous ne verrons peut-être pas, mais dont vous êtes les précurseurs, où les nations civilisées ne formeront plus qu’une seule association de travailleurs collaborant à une oeuvre commune, à l’avancement de la science, à l’évolution pacifique du progrès social et humanitaire, et ne fai-
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- sant plus de conquêtes que sur la nature, l’ignorance et la barbarie. »
- Ce que le président de la Confédération helvétique disait du Congrès de dessin peut s’appliquer à tous les autres, quelque différents que soient leur objet.
- Le Congrès international des mineurs qui siégeait à la même époque à la Bourse du travail de Paris, a donné, une fois de plus, l’exemple d’une réunion d’hommes groupant leurs forces pour obtenir la consécration par les pouvoirs publics de tous les pays, d’un programme exclusivement corporatif portant sur la journée de huit heures, le minimum de salaire, les pensions de retraite et quelques autres points.
- Dans le départ qu’ils font très judicieusement des diverses questions qui les intéressent, les mineurs semblent s’inspirer de la devise des coopérateurs anglais : Dans les choses essentielles, imité ; dans les choses douteuses, liberté ; en toutes choses, bienveillance réciproque.
- Une question d’une certaine importance est restée encore en suspens , celle de la transformation du secrétariat international, qui est intermittent, bien qu’il se réunisse assez fréquemment, en un secrétariat permanent. Mais un résultat notable est dès à présent acquis : pour la première fois les américains se sont fait représenter au Congrès international des mineurs.
- Le président du Congrès, un anglais, a pris texte de la présence dans la salle des deux délégués du Nouveau-Monde pour montrer la force croissante du mouvement.
- « A l’heure où de tous côtés retentissent des paroles de guerre, » a-t-il ajouté, « groupons-nous solidement, serrons-nous les uns contre les autres, mineurs des grandes et petites nations ; alors que même dans les pays non militaristes comme l’Angleterre on parle de la conscription, opposons aux forces militaires l’association internationale des travailleurs, l’union des ouvriers.
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- Ainsi nous réduirons à l’impuissance, la politique néfaste des partisans de la guerre. Ici, tout en ne nous occupant que des questions techniques, nous aurons, messieurs, travaillé pour la paix. »
- La permanence ou plus exactement la fixité de la direction vainement poursuivie par les mineurs depuis l’établissement de leur statut fédératif, en 1892, à laquelle font obstacle d’ailleurs les lois interdisant dans divers pays toute affiliation des ouvriers à une organisation internationale, les initiateurs du Congrès du dessin l’ont réalisée d’emblée, en décidant la création d’une fédération internationale de l’enseignement du dessin et l’élection par la fédération des membres de chaque pays désignant trois délégués d’un bureau de la fédération. Ce bureau qui constituera le Comité permanent de l’enseignement du dessin se réunira au moins une fois tous les deux ans dans une ville qu’il désignera lui-même. Le prochain Congrès siégera en Angleterre. La ville de Berne a été choisie comme siège officiel du Comité permanent.
- A Berne, à côté du Bureau international de la paix qui sert de lien à toutes les sociétés pacifiques du monde, fonctionnent déjà, la plupart du temps sous le haut patronage des départements fédéraux compétents, plusieurs institutions qui tendent à réaliser dans le ressort de certains intérêts généraux l’unité législative et administrative de l’Europe : le Bureau international de l’Union postale universelle, le Bureau international des administrations télégraphiques, le Bureau international des transports par chemins de fer et les deux Bureaux internationaux pour la protection de la propriété littéraire et artistique et pour celle de la propriété industrielle.
- Dix-neuf Etats étaient représentés à la Conférence technique convoquée à Berne pour le 1er août 1904, par le Conseil fédéral helvétique, en vue d’unifier sur un
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- certain nombre de points les formalités auxquelles sont astreints aujourd’hui les inventeurs pour le depot de leurs demandes de brevet. Cette convocation avait été faite à la demande de l’Association internationale pour la protection de la propriété industrielle, qui avait, du reste, dans son Congrès tenu à Berlin, vers la fin de mai, soigneusement élucidé les diverses questions à examiner : suppression des légalisations inutiles, établissement de prescriptions uniformes quant au format et à l’exécution de certains documents et quant aux clichés qui accompagnent les dépôts des marques de fabrique.
- La convention d’Union pour la protection industrielle, lignée le 20 mars 1883, avait bien introduit un minimum d’unification législative en faveur des Etats contractants. Mais chaque pays étant resté autonome dans le domaine administratif, il en est résulté, sur des points de détail, des différences qu’il importe de faire disparaître dans l’intérêt des inventeurs, industriels et commerçants qui, voulant se faire protéger à l’étranger, perdent beaucoup de temps et d’argent à cause de prescriptions divergentes qui ne répondent à aucune nécessité réelle.
- Le président d’honneur du Congrès de Berlin, M. de Posadowski, sous-secrétaire d’Etat du royaume de Prusse, a fait l’historique des progrès de la protection industrielle et des adhésions successives des puissances continentales, à la fin du XVIIIe siècle et au cours du XIXe, aux principes admis en Angleterre, où a été établie, en 1683, la première loi sur les brevets.
- 11 a exprimé la conviction que les délibérations seront utiles pour arriver à une entente réciproque sur le développement du droit international, en même temps qu’il a reconnu la difficulté pour les législations nationales de trouver un compromis entre ces intérêts contradictoires : les intérêts de l’inventeur et ceux des consommateurs.
- Protéger d’une manière équitable les résultats du
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- travail intellectuel, tout en permettant à l’ensemble de la population d’en jouir à des conditions modiques, c’est là un des aspects du problème dont un premier accord entre le capital, le talent et le travail, pour la reconnaissance des droits de ces divers agents de la production à un profit proportionnel à leurs services, peut préparer la solution. h
- Dans cette direction, il convient de signaler, parmi les résolutions adoptées par le Congrès de Berlin, celle qui demande que les prescriptions de la Convention de Paris relatives aux marques individuelles soient applicables aux marques collectives adoptées par des autorités, des syndicats, des unions, etc., à condition que ces associations apportent la preuve qu’elles jouissent de la personnalité civile dans leur pays natal.
- De nombreuses associations industrielles et Chambres de commerce avaient envoyé des délégués. Les Chambres de commerce de Paris et de Berlin, dans un dîner offert par cette dernière aux délégués, ont échangé des paroles empreintes d’une aimable cordialité. Elles ont fait l’éloge des traités de commerce si nécessaires au développement du commerce international et qui contribuent à diminuer les barrières qui empêchent les relations de peuple à peuple.
- On peut, à cet égard, espérer le plus grand bien du Congrès international des Chambres de commerce qui se tiendra à Liège, en septembre 1905, à l’occasion de l’Exposition universelle.
- Avec la différence^ des langues, les barrières douanières constituent une sérieuse entrave à l’union des peuples entre eux.
- On a déjà étudié, dans divers Congrès, les moyens de rendre les formalités douanières moins lourdes pour les transactions, moins tracassières pour les voyageurs, en modifiant le régime de statistique douanière et en adoptant des nomenclatures et des vocables uniformes.
- En ce qui concerne la question des langues, nous
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- sommes heureux de constater que le mouvement en faveur de la création d’une langue internationale se dessine tous les jours plus puissant et plus effectif, grâce aux efforts de la délégation qui s’est constituée, à cet effet, à la suite de divers Congrès tenus au cours de l’Exposition universelle de 1900, et qui a donné un corps à l’idée depuis plusieurs années à l’ordre du jour des Congrès de la paix.
- Communication a été faite au Congrès de l’Association française pour l’avancement des sciences, réuni cette année à Grenoble, d’un travail fort intéressant publié par les soins du Touring Club sur la diffusion de l’Espéranto dans le monde.
- Pareillement, un voeu concernant l’admission d’une langue internationale auxiliaire servant à faciliter les relations scientifiques a été adopté au Congrès de philosophie , de Genève.
- D’autre part, plusieurs Académies se sont déjà ralliées à cette idée *et la question, paraît-il, sera portée par la délégation permanente devant l’Association internationale des Académies qui paraît bien qualifiée pour lui donner une solution décisive. Cette Association a été fondée en 1900 pour étudier les questions d’intérêt général qui ne peuvent être résolues ni par des savants isolées, ni même par des Académies isolées. Elle se réunit tous les trois ans.
- Le Congrès maritime international de Lisbonne (juin 1904) agite la question d’un bureau international maritime dont les règlements et dispo sitions auraient l’adhésion des différents gouvernements, comme cela est le cas pour la propriété littéraire et industrielle, les mesures sanitaires, la presse, la poste et les télégraphes.
- En 1900, le Congrès de la marine marchande avait formulé des voeux dans le sens de l’unification de certaines règles, celles relatives à l’abordage par exemple, et de la signification uniforme des commandements
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- donnés à l’homme de barre, de l’interdiction aux grands navires de passer, à une allure rapide, au travers des bateaux occupés à la pêche.
- A la même époque le Congrès organisé à l’occasion de l’Exposition par le comité maritime international, qui se réunit lui-même tous les ans, trouve chose bien extraordinaire et déplorable qu’il n’existe pas encore d’entente internationale sur les lois de la mer et qu’un abordage survenu dans la mer du Nord se juge sous l’empire d’une loi différente, suivant que le hasard amène le procès à Londres ou au Havre, à Anvers ou à Rotterdam. Il travaille de son mieux à préparer les esprits à la nécessité de combler cette lacune.
- La déplorable méprise de la flotte russe canonnant la flotille des chalutiers de Hull, a évoqué d’une manière tragique devant le gfand public l’urgence d’une protection internationale des pêcheurs et apporté de nouveaux éléments de solution au problème de la neutralité maritime ravivé par la guerre russo-japonaise.
- En même temps un fait a frappé tout le monde, et les plus réfractaires à toute combinaison destinée à résoudre les différends internationaux n’ont pu se soustraire à son évidence, c’est que l’existence d’une convention prévoyant le recours éventuel à une enquête et à une procédure ad hoc a pu seule arrêter net les effets de l’irritation grandissante des esprits et prévenir entre deux peuples une conflagration qui aurait pu devenir universelle.
- Que l’on cherche dans les procès-verbaux des Congrès annuels de la paix, depuis le premier Congrès de la Ligue de la paix et de la liberté tenu à Genève, en 1867, et l’on trouvera les éléments de la convention de salut définitivement arrêtée à la Haye par les représentants des puissances en 1899.
- Une autre catégorie de travailleurs de la mer, les marins du commerce, a formulé ses revendications professionnelles dans un Congrès tenu au Havre dans le
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- courant du mois d’octobre.
- Parmi les résolutions adoptées, signalons le vœu « que les délégués inscrits maritimes, nommés au conseil supérieur de la marine marchande soient, comme le sont les délégués des conseils supérieurs du travail, nommés seulement par les syndicats maritimes et que chaque spécialité soit représentée. »
- Une législation, en vertu de laquelle l’abandon du travail pourrait être puni comme la désertion, si elle était rigoureusement appliquée, fait aux inscrits maritimes une situation exceptionnelle dans le monde du travail.
- Cependant, à quelques égards, quoique dans une mesure moindre, leur situation n’est pas sans rapport avec celle des employés des services publics lesquels ne peuvent être concurrencés et ont droit, pour la plupart, à une pension de retraites.
- Ceux-ci constituent des syndicats, leurs syndicats se fédéralisent. Ils tiennent des Congrès.
- La résistance à cette tendance a été longue dans les sphères gouvernementales ; puis on a fini par faire la part du feu et les agents des services publics qui ne détiennent pas une parcelle de l’autorité publique, ont obtenu le droit de se syndiquer. Avec l’extension des services publics sur le domaine jusqu’ici réservé à l’industrie privée, le nombre et la force des syndicats de ce genre s’accroîtra.
- Il va sans dire que de nombreux points communs se rencontrent dans les revendications des travailleurs municipaux belges (Congrès de Bruxelles, août 1904) des employés d’octroi (Congrès de Limoges), des travailleurs municipaux de Paris, et l’on ne sera pas surpris d’y trouver notamment des vœux, des résolutions en faveur de la stabilité des emplois, de la réforme des conseils de discipline, d’une participation à la confection des règlements qui régissent leur travail.
- Pour une bonne part les revendications des travailleurs municipaux ou des travailleurs de l’Etat, rappel-
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- lent celles des travailleurs de l’industrie privée : durée du travail, salaires, assurance contre les accidents, l’invalidité, etc., et il serait fastidieux d'énumérer les nombreux Congrès professionnels dans lesquels elles ont été formulées au cours de l’année 1904.
- Il contiendra de mentionner cependant, le Congrès des syndicats de peinture tenu à Grenoble, le 4 septembre, et qui comprenait une session nationale et une session internationale où l’on s’est occupé de la question d’apprentissage et des mesures à prendre contre le chômage et les poisons industriels.
- Une portion considérable du prolétariat, les employés sont entrés définitivement dans le grand courant qui, depuis une trentaine d’années, pousse les travailleurs manuels à s’organiser pour formuler collectivement leurs revendications.
- Les syndicats d’employés sont groupés en deux fédérations qui ont tenu séparément leurs Congrès, l’une, celle de Paris, à Lyon, l’autre, celle de Rouen, à Limoges. Les tentatives faites pour réunir les deux Congrès en un seul, en vue de la formation d’une fédération nationale unique, échouèrent à cause du caractère mixte d’une partie des syndicats composant la fédération de Rouen, laquelle accepte des groupements mutualistes ou amicaux et même l’élément patronal. Néanmoins les voeux formulés tant à Lyon qu’à Limoges furent sensiblement les mêmes.
- En ce qui concerne le repos hebdomadaire notamment, on s’y prononça nettement contre la disposition votée par la Chambre qui « donne au maire de chaque commune le droit de dresser une liste d’exceptions nécessitées parles besoins du commerce local ».
- La proposition de loi qui renferme cette disposition étant soumise au Sénat, les employés décidèrent de présenter leur revendication à la commission sénatoriale chargée de l’examiner.
- Les mêmes motifs, tirés de la concurrence, qui pous-
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- sent les syndicats des employés à demander comme ceux des ouvriers, l’obligation légale du repos hebdomadaire, doivent amener les puissances à s’entendre pour internationaliser cette mesure. Car les lois sur le repos hebdomadaire n’existent pas partout et, là où elles existent, elles varient à l’infini.
- Fédérations réunissant les syndicats d’une même profession épars sur tout le territoire ; Bourses du travail qui sont le trait d’union des syndicats des diverses professions dans une même localité, tels sont les grands éléments constitutifs de la confédération générale du travail qui a tenu son 8e Congrès à Bourges, vers le milieu de septembre. Pour entrer dans la confédération, tout syndicat doit être affilié à sa Fédération et à sa Bourse. On compte actuellement 52 fédérations représentées dans la confédération, 1792 syndicats et 100 Bourses sur les 111 existant actuellement.
- Le total des syndiqués adhérents aux bourses est de 335,201. Ce n’est pas'la moitié des ouvriers syndiqués, — au nombre de 715,876 se rattachant à 4,227 syndicats, d’après la dernière statistique publiée par l’Office du travail —- ; et nous sommes loin du million et demi de travailleurs représentés au Congrès des trade unions de Leeds. Mais nous n’assistons qu’aux premières manifestations de la puissance d’une institution, qui n’a pas encore complété son organisation et qui tend à devenir le centre d’agglomération du syndicalisme.
- La poussée des organisations syndicales en ces derniers temps est vraiment remarquable. De 1903 à 1904, les corporations ouvrières ont gagné à elles seules 71,819 cotisants et 15 nouvelles Bourses de travail se sont ouvertes.
- Ces Bourses reçoivent des subventions communales et départementales, et l’Office national de statistique et de placement annexé à la Bourse du travail de Paris est inscrit au budget national.
- A l’heure actuelle, du reste, la sollicitude des pou-
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- voirs publics pour les organisations ouvrières se manifeste sous les formes les plus variées.
- La Conférence internationale pour la protection des travailleurs est composée en grande partie, comme on sait, de délégués officiels. Elle a tenu à Bâle, une courte et laborieuse session, du 25 au 28 septembre, et arreté définitivement deux points déjà abordés aux assemblées antérieures.
- On a complété les résolutions prises relativement à certains poisons, en étendant cette mesure non seulement aux divers emplois du plomb, mais aussi aux autres poisons qui interviennent dans l’industrie.
- L’autre décision concerne la situation, dans les divers pays, des ouvriers de nationalité étrangère, au regard des lois réglant la réparation des accidents de travail.
- Rappelons à ce sujet que la commission spéciale a provoqué la convocation par les soins du gouvernement fédéral d’une entente internationale en vue d’interdire l’emploi du phosphore blanc et de la céruse, ainsi que le travail de nuit des femmes.
- Le Congrès socialiste suisse tenu à Zurich le 21 novembre a demandé qu’on introduisît dans le projet d’unification du droit civil des dispositions concernant le contrat collectif.
- Il a renvoyé à un prochain Congrès la question de la participation du parti socialiste aux gouvernements bourgeois.
- Cette question a été longuement débattue au Congrès socialiste international d’Amsterdam qui s’est prononcé pour l’abstention.
- Il nous semble que ce Congrès a perdu beaucoup de temps à vouloir greffer sur l’unité de doctrine déjà faite une unité de tactique qui ne tient pas grand compte des modes d’évolution nécessités par l’organisation politique des divers pays.
- Ces principes on les connaît : socialisation des moyens
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- de production et d’échange, union et action internationale des travailleurs; conquête socialiste des pouvoirs publics par le prolétariat organisé en parti de classe.
- La conquête des pouvoirs publics, quelle que soit la méthode employée, implique une action politique. Il n’est, en somme, pas question d’autre chose dans les Congrès socialistes dont la doctrine économique est depuis longtemps arrêtée.
- Sans considérer comme immuable la forme actuelle de la propriété, le Congrès radical de Toulouse a nettement opposé le principe de la propriété individuelle au principe de la propriété collective préconisé par le parti socialiste. Ce qui ne l'empêche pas, du reste, de faire bloc avec celui-ci, pour le maintien et la sauvegarde de la République d’abord, et ensuite pour la réalisation d’un certain nombre de réformes politiques et sociales législativement réalisables : neutralité de l’Ecole, séparation des Eglises et de l’Etat, réforme de l’impôt, protection du travail, assistance aux vieillards T aux enfants, aux infirmes et aux malades, retraites ouvrières, transformation en services publics des grands monopoles privés.
- Ce dernier point du programme poursuivi en commun marque la limite extrême actuelle des concessions faites par le parti radical au principe de l’appropriation collective.
- Le Congrès d’Amsterdam a marqué sa volonté d’une action plus exclusivement prolétarienne des groupements socialistes unifiés, avec le bureau international de Bruxelles pour centre de ralliement. Mais quand bien même l’affirmation de la lutte de classe ne marquerait pas le caractère unilatéral des revendications ouvrières, ce caractère n’en ressortirait pas moins de toutes les manifestations de l’action syndicale, même de la plus modérée. Les syndicats jaunes eux-mêmes, quelques bonnes raisons qu’ils aient de témoigner une extrême déféren e pour le patronat et un bien compréhensible
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- désir de conciliation et d’entente, n’en n’ont pas moins la prétention de se poser sur le terrain de la défense des intérêts corporatifs.
- Les autres facteurs de la production, côté patronal, se comportent-ils autrement?
- Des deux tendances à la simplification des moyens et à l’union des forces concourant à un même but, qui ressortent du travail des Congrès que nous venons de passer en revue, la première s’est nettement manifestée dans la question des brevets d’invention et des marques de fabrique; l’exemple non moins probant du Congrès de l’industrie cotonnière de Zurich servira d’illustration à la seconde.
- Les principaux pays où fleurit l’industrie cotonnière étaient représentés à ce Congrès : Allemagne, Autriche, Belgique, France, Italie, Portugal, Russie, Suisse. Seule l’Amérique avait fait défaut et cela se comprend, le Congrès ayant pour but essentiel d’alléger le lourd tribut que les producteurs et les spéculateurs américains font peser sur l’industrie européenne, en réglant mieux les conditions du marché.
- La création d’une société d’achat, dont les planteurs et les filateurs supporteraient les frais d’exploitation, qui serait sous la direction d’un comité commun, lequel aurait des dépôts et publierait des rapports objectifs concernant la récolte et le marché, a paru prématurée au Congrès. Elle sera l’objet d’un examen ultérieur.
- Par contre, la création d’une association cotonnière internationale a été décidée. Un comité permanent est chargé de la direction de l’association. Son président est M. Macara, créateur et inspirateur du syndicat des filateurs du Royaume-Uni qui est arrivé à régler le travail des neuf dixièmes des métiers d’Angleterre. C’est M. Macara qui avait pris l’initiative du Congrès de Zurich.
- Ce Congrès marquera une date dans l’histoire économique ; car il a créé un commencement d’organisation
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- internationale d’une grande industrie.
- Faut-il voir dans cette organisation, même achevée, le meilleur antidote contre les trusts de spéculateurs visés? Sans doute elle permettra de rendre plus efficace, en l’étendant à tout le continent européen, la mesure qui préserva naguère l’Angleterre d’une crise rendue inévitable par une hausse anormale du coton, en réduisant l’ensemble de la production. Sans doute, aussi, le consommateur s’accommodera mieux des inconvénients d’une production restreinte que des conséquences autrement graves d’une crise qui arrêterait complètement la production.
- Mais ce n’est là qu’un palliatif.
- Pour la solution du problème de la consommation à laquelle aboutit, en somme, tout le travail de la pensée, des muscles et de la machine, par le chemin qui conduit du laboratoire à l’usine et au magasin de vente, l’organisation la plus vaste, la plus puissante, la plus parfaite de la production est insuffisante, parce que son oeuvre est unilatérale.
- Que la production soit dirigée par le capital, les syndicats socialistes, ou les Associations ouvrières généralisées, qu’elle englobe la totalité des producteurs, elle ne perdra pas ce caractère d’unilatéralité qui est son point faible. Il lui faudra compter avec une autre force, la consommation. Celle-ci même inorganisée et sans conscience d’elle-même, déconcerte souvent par un simple caprice, les combinaisons les plus savantes du commerce et de l’industrie. Elle s’organise lentement par étapes successives, et un jour viendra où elle pourra opposer victorieusement ses prétentions à celles de la production, parce qu’elle repose sur une base plus large encore, l’universalité des êtres humains.
- L’histoire de la coopération anglaise, racontée par ses Congrès, est des plus instructives à cet égard.
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- Le travail législatif. — Le chômage. — Les femmes et le code civil. — L’article 298.— L’alcoolisme. — L’exposition delà vie ouvrière. — La coopération et la participation.
- La discussion du budget de 1905 suivait son train lorsqu’on s’avisa qu’elle avait pris dans l’ordre chronologique la place réservée à l’examen de l’impôt sur le revenu qui devait venir en premier lieu. Aussitôt, par plus de 400 voix, la Chambre décida de consacrer deux jours par semaine à l’impôt sur le revenu. On aurait tort d’en conclure que la Chambre renferme 400 députés résolus à transformer l’assiette de nos impôts. Evidemment beaucoup de membres de la majorité n’ont pas voulu se donner l’apparence de tourner subitement le dos à une réforme qui fait depuis longtemps partie de leur programme. Mais nombre d’opposants qui n’ont pas la moindre envie d’introduire l’impôt sur le revenu dans notre législation fiscale, se sont bien gardés de laisser passer cette occasion d’embarrasser le gouvernement, qui ne paraît pas très enthousiaste de la réforme qu’il propose, et de jouer en même temps un bon tour à la majorité républicaine en entravant la discussion du budget.
- Voilà pourquoi la Chambre a décidé de s’occuper d’une réforme fiscale qui pouvait bien ajouter quelques semaines de plus à sadongue attente de trente ans, et cela au moment même où elle n’avait pas trop de tout son temps pour faire aboutir dans des conditions normales le budget de 1905.
- Aceuxqui seraient tentés de vouloir rassembler les fils épars des débats parlementaires, nous pouvons indiquer
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- que tous les jeudis matin on s’occupe au Palais-Bourbon de la répression des fraudes dans les matières alimentaires et tous les vendredis de la grève de Marseille. Les deux premiers jours de la semaine sont absorbés par l’impôt sur le revenu, les autres, défalcation faite de la matinée du jeudi, par le budget, à moins qu’ils ne soient pris par des interpellations, lesquelles, du reste, se greffent avec une aisance remarquable sur chaque branche du budget.
- Toutes les interpellations n’ont pas pour effet, sinon, pour objet, d’entraver le travail législatif.
- Une interpellation de M. Vaillant sur le chômage et sur les moyens d’y remédier, est venue le 30 novembre devant la Chambre. Elle a donné lieu à un débat fort intéressant auquel ont pris part, notamment, indépendamment de l’auteur de l’interpellation, le ministre du commerce et M. Millerand.
- M. Vaillant demande à la Chambre de vouloir bien donner qualité et pouvoir de commission d’enquête à la commission du travail, qui nommerait une sous-commission d’enquête permanente sur les conditions du travail et du chômage.
- M. Trouillot, ministre du commerce, après M. Vaillant passe en revue les différentes formes usitées de secours aux chômeurs : aménagement de grands travaux publics, secours en travaux donnés par les municipalités (près d’un million annuellement de 1890 jusqu’à 1893, près de deux millions en 1903), secours en argent, en progrès comme les secours en travaux. En 1895, 87 syndicats ouvriers seulement donnaient des secours réguliers en cas de chômage, on en compte 310 en 1903.
- Le ministre indique les conclusions formulées par le conseil supérieur du travail après des études approfondies, les règles précises qu’il a tracées et qui devront servir de base à la répartition des allocations de l’Etat.
- Le Conseil supérieur du travail a demandé que dans
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- les, caisses subventionnées, l’indemnité allouée aux chômeurs ne dépasse pas, dans l’ensemble, la moitié du salaire courant dans la profession ; qu’il soit fixé un maximum de secours qui pourraient être alloués au même ouvrier pendant le même exercice ; enfin que la comptabilité des secours alloués pour manque de travail soit distincte de toute autre dépense de l’institution qui a créé la caisse. Cette dernière disposition est essentielle. On se rend bien compte que si une comptabilité unique était tenue par le syndicat, il serait difficile à l’Etat de mesurer aux dépenses faites pour secourir les chômeurs la subvention à allouer sur le budget.
- Le mouvement créé par le Conseil supérieur du travail s’est répandu dans le Parlement, diverses propositions émanant de l’initiative parlementaire ont abouti à un rapport de la commission d’assurance et de prévoyance, déposé par M. Millerand et proposant à la Chambre l’inscription au budget de 1905 d’une somme de 100,000 francs pour stimuler l’organisation des caisses de chômage.
- Il va sans dire que le ministre, accepte et l’organisation d’une enquête permanente sur le chômage et l’inscription au budget d’une somme de 100,000 francs.
- M. Millerand écarte comme un expédient très souvent insuffisant les travaux de secours contre le chômage.
- Au contraire, la création d’une caisse nationale contre le chômage, soit même de subventions régulières et organisées aux caisses de chômage offre un remède beaucoup plus efficace.
- Au moment d’aborder l’examen de la création d’une caisse nationale des retraites d’invalidité et de vieillesse on ne peut sérieusement songer à recourir au premier moyen. Une caisse nationale de chômage, d’après l’enquête faite par l’Office du travail, coûterait à l’Etat — pour ne parler que de lui — 18 millions par an. Par contre, l’ancien ministre du commerce recom-
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- mande à la Chambre, en conformité des vœux formulés par le Conseil supérieur du travail, l’adoption du système de Gand.
- Un passage du rapport qu’il a présenté au nom de la commission d’assurance et de prévoyance sociales résume les traits essentiels de ce système.
- « Il est créé un fonds destiné à subventionner les caisses de chômage fondées et administrées par les sociétés et syndicats ouvriers. Un comité de dix membres, délégués par l'administration communale, dont cinq membres des associations, est chargé de l’administration. Le fonds communal majore les indemnités de chômage. Le taux des majorations est fixé à l’avance par le comité. Il est révisable. Si l’indemnité quotidienne est supérieure à 1 fr., elle n’est majorée que jusqu’à concurrence de 1 fr. En aucun cas, la majoration n’est payée à un 'indemnitaire plus de cinquante jours par an. Il est procédé à des vérifications en vue desquelles les associations ouvrières remettent le bilan mensuel des indemnités payées. Une caisse d’épargne spéciale est ouverte aux ouvriers non syndiqués : les retraits qu’ils opèrent en cas de chômage majorent donc le fonds communal. »
- Toute la philosophie de ce système, son principe essentiel est le suivant : proportionner les subventions de l’Etat à l’effort de l’initiative privée.
- C’est là, ajoute M. Millerand dans un autre ordre d’idées, le même principe qui préside chez nous à l’organisation de la mutualité. Avec un crédit modique, par des dispositions modestes, vous jetez, je crois, les assises d’une grande œuvre.
- La Chambre a voté sans hésitations les propositions qui lui étaient faites.
- Au cours de la discussion sur le budget de la justice, M. Marcel Sembat, député de la Seine, a tenté d’attirer l’attention de M. le garde des sceaux sur la composition de la commission de révision du Code civil instituée
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- par lui. M. Sembat a demandé au ministre pourquoi les femmes qui comptent déjà plusieurs licenciées en droit avaient été écartées de cette commission.
- M. Yallé a répondu qu’il n’avait fait qu’user de son droit et qu’il était libre de constituer ses commissions comme bon lui semble. Etrange réponse qui lui a valu cette mordante réplique de M. Sembat, que le Parlement a le droit de savoir si, quand un ministre fait ce qui lui plaît, il agit avec intelligence. Le ministre ne devrait pourtant pas ignorer que les femmes sont plus intéressées encore que les hommes à la refonte du Code civil et qu’elles ont, en outre, des compétences pour une telle œuvre.
- En attendant une refonte si désirable, l’article 298 du Code civil a vécu.
- Cet article porte qu’en cas de divorce pour adultère, l’époux coupable ne pourra jamais se remarier avecsoncomplice.il avait été introduit dans le Code lors du rétablissement des dispositions relatives au divorce en 1884. La Chambre en avait voté l’abrogation le 2 juillet 1903, d’urgence et sans discussion.
- C’est M. Lintilhac, sénateur du Cantal, qui avait été chargé de demander au Sénat la consécration du vote de la Chambre.
- Dans son rapport, après un commentaire très documenté d’après tous ceux qui, dans l’enseignement du droit comme au théâtre et dans le roman ont glosé sur cet article, — notamment MM. Paul et Victor Margueritte, les Deux Vies que publie en ce moment Le Devoir, — M. Lintilhac concluait en ces termes :
- « Issu de l’idée surannée d’expiation par une souffrance qui est fort relative en l’espèce ; dicté par une illusion de vertu préventive que démentent les faits ; faisant obstacle à un des bienfaits que le législateur attendait du divorce, dès 1792, et qui devait être la possibilité de mettre fin à des concubinages féconds en douleurs comme en scandales ; portant un grave préju-
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- dice à l’ordre social par le scandale qu’il perpétue, sous prétexte de servir l’ordre moral ; atteignant des innocents dans la personne des enfants qu’il condamne à naître hors mariage; aggravé par une jurisprudence draconienne et inquisitoriale : combattu par les mœurs et, par l’opinion; abrogé, à deux reprises., par des majorités considérables de la Chambre des députés ; à moitié effacé par le Sénat, l’article 298 doit achever de disparaître. »
- Il en a été ainsi décidé, par un vote à mains levées, dans la séance du 13 décembre.
- Le Sénat a consacré trois séances à une proposition déposée il y a cinq ans parM. Siegfried et fixant la limitation des débits de boissons. Il y a actuellement en France une moyenne de un‘cabaret par 83 habitants .
- Le projet Siegfried proposait de limiter, à l’avenir à 1 pour 300 habitants, dans chaque commune, le nombre des cabarets. Les partisans du projet, M. Guérin, rapporteur, M. Bérenger, président de la commission, ont établi par des statistiques très sérieusement établies, qu’il existe une étroite corrélation entre le nombre des débits de boissons et les progrès de l’alcoolisme.
- Le commissaire du gouvernement n’a prêté une oreille complaisante qu’aux représentants des régions les plus contaminées par l’alcoolisme, lesquels sont venus à la queue leu leu jurer leurs grands dieux qu’on avait calomnié leurs commettants, et sans souci de la contradiction, exposer le préjudice énorme que la mesure proposée causerait au commerce des boissons. Pensez donc, pour le seul département du Nord, elle réduirait dans un temps donné le nombre de marchands d’alcool de 48,000 à 6,000 ! Nous aimons à croire que le délégué du ministre des finances, ne s’est pas plus laissé attendrir par ces jérémiades intéressées, que séduire par le luxe des métaphores, qui, d’autre part, ont représenté le cabaret comme le « salon du pauvre » comme 1’ « endroit où se forment les liens
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- sociaux » et même comme le véritable frein de l’alcoolisme, s’il faut en croire un orateur qui a soutenu sans rire qu'en fermant les débits on développerait dans de grandes proportions la consommation extérieure de l’alcool !
- Uniquement préoccupé sans doute de ne pas tarir une des sources auxquelles s’alimente le Trésor, le commissaire du gouvernement a demandé l’ajournement de la discussion à l’effet, a-t-il dit, de permettre au gouvernement de se livrer à une enquête pratique. Par 166 voix contre 120, le Sénat a renvoyé le projet à la commission. Mais M. Bérenger a déclaré qu’en présence de ce vote la commission se démettait de ses fonctions.
- Espérons que l'enquête démontrera que les avantages actuellement retirés par le Trésor de la vente des boissons ne font que compromettre ses ressources futures.
- Parmi les nombreuses propositions de loi intéressant le monde du travail dont la Chambre a été saisie dans ces derniers temps, figure un projet de résolution portant les signatures des présidents des principales commissions et des groupes les plus importants de la Chambre et tendant à décréter une « Exposition internationale de la vie ouvrière », en 1909 à Paris.
- L’exposé des motifs fait valoir que les expositions de spécialité peuvent seules permettre, à l’heure actuelle, de se rendre un compte exact des progrès accomplis et préparer les progrès nouveaux.
- Or, s'il est à notre époque, une spécialité qui passionne au plus haut degré les nations, les législateurs de tous les pays et notre démocratie, c’est l’ensemble des questions intéressant l’ouvrier.
- L’exposition internationale de la vie ouvrière, que la France serait ainsi la première à organiser, pourrait comprendre les groupes suivants : Economie sociale, vie matérielle, vie professionnelle, accidents de tra-
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- CHRONIQUE PARLEMENTAIRE
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- vail, prévoyance , protection , conflits professionnels, oeuvres de l’enfance, vie familiale, vie agricole, développement intellectuel, tares sociales, vie récréative, rôle des pouvoirs publics , exposition rétrospective.
- A signaler également le dépôt fait par M. Doumer, dans la séance du 23 novembre, d’une proposition de loi relative à la coopération ouvrière de production et à la participation aux bénéfices.
- La proposition reprend, dans leurs lignes générales et en ce qui concerne les sociétés coopératives ouvrières de production, les dispositions législatives autrefois élaborées par une commission dont M. Doumer était le rapporteur et qui furent successivement adoptées par la Chambre et le Sénat à différentes reprises et n’échouè-rent finalement, en 1896, que par suite de l’opposition faite aux articles du même projet qui concernaient les coopératives de consommation.
- La proposition actuelle ne s’occupe pas de ces dernières sociétés, se bornant aux questions qui intéressent l’organisation du travail industriel et agricole.
- Aussi, au titre de la proposition relatif à la coopération ouvrière en est joint un second qui traite de la participation aux bénéfices des entreprises. Les divers modes de participation du personnel aux bénéfices sont définis et rendus légaux par la proposition de loi.
- Celle-ci renferme en outre une sorte de Code facultatif de la participation qui fera loi, sauf stipulation contraire du contrat qui liera le patron à ses employés et ouvriers, dans les maisons où la participation aux bénéfices sera établie. *
- Dans les entreprises résultant d’une concession donnée à l’avenir par l’Etat, les départements ou les communes, la participation'du personnel aux bénéfices sera obligatoire dans un délai de dix ans à dater de la promulgation de la présente loi.
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- Le Vie Congrès de l’alliance coopérative internationale, qui s’est tenu à Budapest du 5 au 8 septembre dernier, appelle l’attention sur l’importance prise récemment par le mouvement coopératif dans certaines parties de l’Europe Orientale.
- Ce Congrès, présidé par le comte Alexandre Karolyi, le père incontesté de la coopération hongroise, a fourni aux nombreux coopérateurs venus de tous les points de l’horizon l’occasion d’échanger des vues utiles et de profitables informations.
- La première question inscrite à l’ordre du jour concernait l’organisation et le fonctionnement d’associations coopératives de consommation dans les campagnes.
- Le rapporteur, M. le Dr Hans Muller, secrétaire général de l’Union Suisse des sociétés de consommation, a exposé les services de ces coopératives rurales qui se sont beaucoup développées en Suisse et en Danemark, récemment aussi en Finlande, tandis qu’ailleurs les succès de la coopération de distribution semblent localisés dans les centres urbains ou industriels.
- En Suisse, les sociétés agricoles de consommation sont issues peu à peu, de syndicats agricoles formés pour l’achat collectif des matières premières de l’agriculture. La Fédération des syndicats agricoles de la Suisse orientale, constitué à Winterthur dès l’année 1886, a puissamment favorisé cette évolution en fonctionnant comme magasins de gros à l’égard des syndicats ou coopératives qui lui étaient affiliés. La fourniture des articles de consommation et de ménage l’emporta bientôt sur la branche de l’achat et répartition des engrais, semences, fourrages, etc., de
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- sorte qu’aujourd’hui, d’après M. Hans Muller, « il n’existe plus guère un objet que l’agriculteur de la Suisse Orientale ne puisse se procurer chez sa coopérative. »
- La Fédération deWinterthur groupe 121 sociétés de consommation. La plupart des syndicats agricoles de la région se sont doublés de coopératives de consommation et, grâce à leur initiative, la coopération s’est implantée avec succès dans 1er milieux ruraux.
- La coopération de production agricole a exercé la même influence sur le développement des sociétés coopératives danoises de consommation. Alors que les sociétés de consommation n’ont généralement pas réussi dans les villes du Danemark, il en existe 1,000 ou 1,100 dans les villages. Les sociétés de distribution sont pour près des deux tiers propriétaires de leurs magasins et possèdent, presque toutes, des réserves assez importantes. Leur concurrence a complètement réformé le commerce local, dont les pratiques étaient intolérables, et qu’elles tendent à supplanter sur bien des points.
- Les renseignements qui précèdent ont été fournis par M. Severin d’Orgensen, président de l’Union des sociétés coopératives danoises de distribution, Union qui comprend annuellement 915 sociétés lui achetant toutes leurs marchandises.
- Les sociétés coopératives peuvent-elles vendre à des tiers non sociétaires, ou bien doivent-elles distribuer à leurs membres seulement ?
- Le Congrès estime que cette dernière pratique est la plus conforme à la doctrine coopérative, mais il reconnaît que certaines dérogations peuvent être justifiées par les circonstances surtout dans la coopération rurale ; il attend ce progrès de l’effort des sociétés elles-mêmes, s’imposant l’obligation statutaire de ne fournir des marchandises qu’à leurs membres, et il n’admet pas qu’une telle restriction doive résulter d’une disposition légale.
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- Quel est le devoir de l’Etat envers la coopération ? Doit-il la subecntionner et de quelle manière ?
- Cette question a donné lieu à un long débat. Le rapporteur M. de Rocquigny (Français) proposait comme conclusion de son rapport le projet de résolution suivant :
- « Le Congrès, rappelant le principe incontesté que l’organisation des institutions coopératives doit avoir pour bases l’effort de l’initiative privée et l’aide mutuelle ; mais reconnaissant, d’autre part, que dans certains pays, l’intervention de l’Etat a puissamment contribué à propager les associations coopératives qui ne s’y seraient pas développées sans cet appui, est d’avis : 1» que, dans tous les pays, l’importance sociale du rôle de la coopération commande une attitude bienveillante, et même favorable, de la part des pouvoirs publics ; 2<> que, dans divers pays où l’intervention de l’Etat se produisant sous forme de subventions ou d’avances, est jugée nécessaire au développement de la coopération, cette intervention doit demeurer modérée, temporaire, et respecter scrupuleusement l’autonomie des institutions coopératives. »
- Le projet de résolution a été repoussé.
- Le Congrès s’est occupé en dernier lieu de la centralisation du crédit coopératif au moyen de caisses ou banques centrales.
- A signaler une intéressante communication de M. Ducas, sous-directeur général du crédit agricole et de la caisse centrale des banques populaires de Roumanie, sur le puissant mouvement qui entraîne actuellement la population roumaine vers les multiples formes de la coopération, pour la vente collective de produits agricoles, la fabrication du vin et de l’eau-de-vie, la culture des terres exploitées en commun pour la production des légumes, etc.
- M. Ducas a cité l’exemple (qui n’est pas isolé) des habitants d’un village tout entier s’organisant pour constituer un capital et prendre à bail une . ferme
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- louée 30,000 à 40,000 francs. Chaque habitant fournit une part du capital social et reçoit une étendue proportionnelle de terres du domaine à cultiver. Les machines, les semences, etc., sont achetées en commun. Tous les produits sont vendus au compte de la société et, après l’acquittement des frais généraux, le bénéflee est réparti entre les sociétaires proportionnellement au capital versé par chacun, c’est-à-dire à la surface qu’il a cultivée.
- En pareil cas les avances nécessaires, notamment l’avance du cautionnement de 10,000 francs exigé à la signature du bail, sont faites par les banques populaires qui se multiplient en Roumanie avec rapidité, puisque ce pays qui n’en possédait pas une seule en 1890, en comptait 700 en 1900 et 1580 en 1904.
- D’après le Musée Social.
- * *
- Le 11e Congrès de l’Union coopérative.
- L’Union coopérative des sociétés françaises de consommation, qui a déjà organisée dix Congrès, de 1885 à 1900, convoque les Sociétés coopératives à un onzième Congrès qui aura lieu à Paris, les 1, 2 et 3 juin 1905, dans le but de resserrer les liens qui doivent relier les coopérateurs les uns aux autres en vue de réaliser l’idéal coopératif.
- Seules les coopératives adhérentes au Comité central ou à l’Office coopératif (ou correspondantes de ce dernier) avant le 1er avril 1905, pourront participer aux travaux du Congrès de 1905.
- Le programme de l’Union des Sociétés coopératives françaises, on le sait, est celui de l’Union des Sociétés coopératives de la Grande-Bretagne et de la Suisse.
- Les adhésions doivent être adressées à M. de Boyve, trésorier du Comité central et de la Société coopérative 1’ « Abeille nimoise et Solidarité », Esplanade, Nimes (Gard).
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- Visites internationales
- Le 15 novembre arrivaient à Paris les délégués des municipalités et Chambres de commerce Italiennes, invités par le comité républicain du commerce et de l’industrie qui avait tenu à rendre aux Italiens la cordiale réception que nos compatriotes avaient reçue" l’année dernière à Rome à l’occasion du voyage du président de la République.
- Au banquet qui fut donné le soir même à nos hôtes, assistaient le président du Conseil, les présidents et vice-présidents des deux Chambres, presque tous les ministres, les préfets de la Seine et de police, le président du Conseil municipal de Paris, de nombreux sénateurs et députés ; M. le comte Tornielli, ambassadeur d’Italie ; M. Colonna, syndic de Rome, etc, etc.
- Un grand nombre de commerçants Italiens étaient accompagnés de leurs femmes et de leurs filles, de telle sorte que ce festin officiel avait tout l’air d’une grande fête de famille. Au dessert, M. Trouillot, ministre du Commerce et de l’Industrie, qui présidait le banquet a fait l’éloge du traité d’arbitrage « acte déjà considérable par lui-même et plus important encore si l’on veut bien y voir le germe — pour employer l’expression dont se servait l’an dernier M. Combes, en pareille circonstance — de ces ententes par lesquelles il n’est pas téméraire d’espérer qu’on verra résoudre dans l’avenir, les conflits et les rivalités des peuples. »
- Le ministre a terminé ainsi :
- « C’est ainsi que se multiplient et se resserrent chaque jour les liens qui s’étaient déjà reformés sur le terrain commercial depuis plusieurs années entre les deux peuples ; et le ministre du commerce est heureux
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- LA QUESTION DE LA PAIX
- de penser que le profit matériel égalera le profit moral qui en sortira pour eux.
- - « Leur entente plus étroite, ces visites répétées qui créent entre les négociants et industriels des deux pays des rapports d’amitié personnels, contribueront à développer une activité commerciale qui ne peut manquer d’aboutir des deux côtés des frontières au développement général de la prospérité publique.
- « C’est dans cette voie bientôt, ainsi que l’Italie et la France viennent d’en donner Fexemple, que les peuples seront amenés à chercher à la fois l’honneur et le profit, la richesse et la gloire.
- « Mesdames et Messieurs, en même temps que je bois à la santé de nos hôtes, je veux lever mon verre à cette espérance. »
- Un groupe important de pacifistes français est allé saluer à l’hôtel continental les délégués des Chambres de commerce italiennes. Au cours de cette visite ont été constatés les heureux résultats que le pacifisme avait eus dans les échanges commerciaux entre les deux peuples.
- Immédiatement après les Italiens, les Scandinaves. L’échange de relations entre Français et Scandinaves semble, depuis quelque temps, devenir régulier. Ce fut l’été dernier la réception à Paris et la visite dans plusieurs villes universitaires de France de professeurs et d’étudiants suédois, norwégiens et danois, répondant à une cordiale invitation émanant de l’Association franco-scandinave que président deux membres de l’Institut, MM. Liard, vice-recteur de l’Académie de Paris, et Gabriel Monod, professeur à l’Ecole normale.
- Cette fois, c’est le groupe parlementaire français de l’arbitrage international, dont M. d’Estournelles de Constant est le président infatigable, qui reçoit les parlementaires des pays du Nord.
- La délégation se composait d’une centaine de personne, réparties en nombre à peu près égal sur les trois nationalités. Un certain nombre d’autres personnalités Scandinaves se sont jointes à la délégation.
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- Le groupe parlementaire français de l’arbitrage offrit à ses hôtes un grand banquet auquel assistèrent, comme au banquet offert aux délégués italiens, les membres du gouvernement et les plus hautes personnalités politiques.
- A l’heure des toast, M. d’Estournelles de Constant qui présidait, a pris ses collègues de tous les parlements à témoins du caractère réaliste de leur programme et de leurs efforts.
- « On ne fera pas passer pour des fous ou pour des niais, » a-t-il dit, « les représentants de cinq peuples qui viennent de si loin, en si grand nombre, dans les circonstances les plus défavorables, en plein hiver, en pleine session parlementaire, uniquement et expressément pour se grouper autour d’un principe. Oui, nous préparons laborieusement les uns et les autres l'avenir; mais, par cela môme, nous travaillons pour le progrès de nos pays respectifs, sachant que, dans la sublime harmonie qui domine les contradictions humaines, le progrès d’un peuple est inséparable du progrès du monde. »
- M. d’Estournelles de Constant a donné ensuite la parole à M. Combes, président du Conseil, qui s’est exprimé ainsi : « La France ne saurait être taxée de faiblesse, quand elle prodigue ses efforts et ses vœux pour éteindre les haines internationales et associer les peuples dans une politique de concorde et d’humanité.
- « Dans le passé, notre pays fut le plus ardent et le plus prompt à tirer l’épée hors du fourreau. Il est autorisé, maintenant, à faire de la paix la régie immuable de sa politique étrangère et à multiplier les traités d’arbitrage qui sont par excellence des instruments de paix.»
- Lecture a été ensuite donnée d’un discours de M. Ber-thelot, le grand savant. Ce discours, que M. Berthelot n’a pas pu malheureusement venir prononcer lui-même, se terminait par un toast à la double réalité de l’avenir, la libre fédération des Etats civilisés d’Europe et d’Amérique et la paix universelle.
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- Tous ces discours et les toasts de nos hôtes ont été salués par des applaudissements enthousiastes.
- Les parlementaires Scandinaves ont consacré le reste du temps de leur séjour en France à visiter les principales villes de notre pays.
- La délégation parlementaire notamment est allée visiter Nimes, où elle a été reçue par la municipalité et les notabilités de la ville. Le comité Nimois de la Paix par le Droit, à qui Ton devait tout particulièrement cette visite, était représenté par la plupart de ses membres, MM. Ruyssen, Prudhommeaux, Fabre, Laune, Mme Reboul, etc. Une brève réception officielle a eu lieu dans les salles d’attente, puis on a visité les monuments romains. Un banquet a été servi au Café des Fleurs, dans une salle ornée avec beaucoup de goût, par Mme Prudhommeaux, Mlles Laune, etc. Le préfet, le maire, puis trois délégués ont pris la parole ; des toasts ont été portés à la solidarité des nations, à la prospérité de la ville de Nimes, à l’union des Etats Scandinaves.
- L’œuvre de M. d’Estournelles, secondé par son infatigable secrétaire M. J. Rais, a admirablement réussi, et la réception faite aux parlementaires du Nord par le groupe parlementaire français de l’arbitrage, le gouvernement français et la France entière,
- laissera un impérissable souvenir.
- * +
- Un arbitrage
- Le 21 novembre, s’est réuni à la Haye, le tribunal arbitral chargé de statuer sur la divergence d’interprétation qui s’est élevée entre le Japon, d’une part, et d’autre part la France, l’Allemagne et la Grande-Bretagne, au sujet de la stipulation des traités de 1894 et 1896 relative aux baux perpétuels de terrains possédés par les étrangers sur les anciennes concessions au Japon.
- On sait que d’après ces traités, les étrangers établis
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- au Japon sont tenus de payer un impôt sur les « propriétés bâties ». Mais beaucoup de maisons sur lesquelles porte cet impôt furent construites sur des terrains exemptés jadis de toutes sortes d’impôts par les conditions mêmes de leur cession.
- A quoi s’applique l’impôt sur les propriétés bâties ?
- — Aux « propriétés», disent les résidents étrangers, c’est-à-dire au terrain et à la maison, lesquels ne se peuvent séparer, et qui, formant un tout, bien avant les traités nouveaux, sont ensemble exempts de l’impôt.
- — Non, répondent les Japonais. Les impôts ne s’appliquent pas aux terrains, c’est vrai ; mais ils s’appliquent aux maisons. Donc il faut les payer.
- Comme le débat menaçait de s’éterniser et tournait d'ailleurs à l’aigre : refus de l’impôt, saisies, etc.; comme, d’ailleurs, les représentants des pays étrangers prenaient avec ensemble le parti de leurs nationaux, il fallut bien négocier.
- Dès le début de l’année 1902, les négociations s’engagèrent. Le gouvernement japonais accepta de soumettre cette question à un arbitrage international. Un protocole fut signé, à cet effet, à Tokio, le 23 août de la même année, par le ministre des affaires étrangères, le baron Komura, et par les ministres de France, d’Angleterre et d’Allemagne au Japon.
- Aux termes du protocole publié dans le Journal officiel du Japon, le 28 septembre suivant, chaque partie devait nommer un arbitre dans le délai de deux mois à partir de la signature du protocole. Si les deux arbitres n'arrivaient pas à choisir un tiers arbitre dans le délai de deux mois après leur nomination, le roi de Suède et Norwège serait prié de nommer un tiers arbitre.
- Le protocole déterminait ensuite la procédure de l’arbitrage. Le lieu où le tribunal devait se tenir et la langue officielle de l’arbitrage étaient laissés au choix du tiers arbitre. Pour cette question, le Japon était considéré comme une. partie, la France, l’Angleterre et l’Allemagne formant l’autre partie.
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- Les stipulations de la convention de la Haye s’appliqueraient à cet arbitrage, sauf arrangements contraires des contractants.
- En outre, dans une note séparée, le gouvernement japonais s’engageait à suspendre la perception coercitive de l’impôt sur les maisons appartenant aux étrangers des anciennes concessions au Japon, en attendant le résultat de l’arbitrage, sans toutefois porter préjudice au droit du gouvernement japonais de percevoir ces impôts sans contrainte.
- Les gouvernements d’Allemagne, de Grande-Bretagne et de France, d’une part, et le gouvernement du Japon , d’autre part, convinrent de choisir les arbitres parmi les membres permanents de la cour de.la Haye.
- Les événements d’Extrême-Orient ont longtemps suspendu les effets de cet arrangement et amené des modifications dans le choix des arbitres. Finalement, c’est devant M. Motono, ministre du Japon à Paris, M. Louis Renault, membre de l’Institut jurisconsulte du ministère des affaires étrangères, professeur à la Faculté de droit de Paris, et M. Gram, ancien ministre d’Etat de Norwège, choisi comme tiers arbitre, tous trois membres de la commission permanente de la Haye, que l’affaire a été appelée, le 21 novembre.
- Devant le tribunal arbitral, les parties en cause sont représentées par des agents chargés de répondre en leur nom aux questions qui pourraient être posées par le tribunal. Les agents des trois parties conjointes sont: MM. Fromageot, avocat à la Cour d’appel de Paris (France) ; Walford, membre du barreau anglais (Grande-Bretagne) ; Welpert, consul impérial d’Allemagne à Bordeaux (Allemagne).
- En ouvrant les débats, le président, M. Gram, a dit que le tribunal est chargé de régler un différend qui porte sur une question importante se rattachant à la résidence des étrangers au Japon.
- Il a félicité les gouvernements qui, en consentant à soumettre leur désaccord à une juridiction internatio-
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- nale, ont donné une nouvelle preuve de leur attachement à une grande et noble cause.
- Il a constaté avec regret que la marche en avant de l’humanité est remplie d’obstacles. Heureusement le nombre des conventions constituant des liens nouveaux entre les nations augmente chaque jour.
- Après le discours présidentiel, les procès-verbaux de nomination des parties ont été lus. Le tribunal a décidé que le français serait la langue du tribunal. Les parties pourront également employer l’anglais.
- Le président a demandé si les parties avaient des . objections à présenter aux mémoires et à la procédure.
- Les puissances européennes ont déclaré que leurs objections étaient prêtes. Le Japon a demandé un délai. En conséquence, le tribunal a décidé que les objections des parties devront être remises le 15 décembre au bureau de la Cour d’arbitrage et que les parties pourront y répondre jusqu’au 15 février 1905. La séance a
- été ensuite ajournée jusqu’à une nouvelle convocation.
- * *
- Deuxième Conférence intergouvemementale
- Le président des Etats-Unis d’Amérique, M. Roosevelt, est resté fidèle à la promesse qu’il avait faite aux délégués de l’union interparlementaire quand il déclarait que s’il était réélu, il avait l’intention sincère de réclamer publiquement l'amélioration et le développement des statuts actuels de la cour d’arbitrage de la Haye.
- En effet, le secrétaire du département d’Etat, M. Hay, a fait donner comunication aux puissances d’une note proposant la réunion d’une seconde Conférence qui, comme son ainée, siégerait à la Haye.
- La proposition du président de la République américaine a reçu de toutes les puissances un accueil'favorable. La seule réserve faite a porté sur la date de la réunion que quelques-unes d’elles voudraient voir ajourner à la fin de la guerre russo-japonaise.
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- LES DEUX VIES
- Par Paul et Victor MARGUERITTE ----------Bse----
- {Suite.)
- Sa pudeur farouche, l’éloignait "du plus innocent contact, lui faisait haïr un shake-hand prolongé. Dans sa loge à l’Opéra, elle avait un geste à elle, charmant, pour ramener une écharpe sur l’invisible frisson de ses épaules nues, que gênait une admiration trop appuyée. Seuls, entre tants d’inquiétants masques d'hommes, deux francs visages s’imposaient à elle : Marcel Ligneul avait pu, Charlie pouvait l’aimer ; ceux-là, elle ne craignait pas de les regarder en face, ils étaient purs.
- Oui, lourdes épreuves pour un être jeune, abandonné à soi-même. Heureusement, l’amour maternel lui restait, la plus accaparante, la plus sauvage, la plus égoïste, la plus jalouse des passions ; elle s’y jeta comme on se noie, voulut faire de Francine, qui était déjà sa chair, l’incarnation de tout ce qu’elle concevait de beau, de bien et de vrai, une Gabrielle meilleure et, s’il se pouvait, heureuse. Mais là elle allait souffrir, et de la pire.douleur.
- Francine ne tenait rien d’elle ; c’était une enfant précoce et d’une indépendance absolue : en ses colères, elle eût tout brisé. Elle ne cédait jamais et irritée ne revenait pas. Cependant elle était aimante, juste, ouverte ; son avidité de savoir promettait un être d’élite, mais à part : en tout, elle serait autre. Mécompte d’autant plus irrémédiable qu’il s’étendait aux plus infimes nuances des idées et des sentiments, les séparait où elles auraient dû ne faire qu’un.
- Chez Mme Favié, la plaie en demeurait toujours saignante.
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- Il y a sept ans, le mariage de Francine avait été pour elle un coup très rude : sa fille, elle absente, allant s’éprendre de ce Le Hagre, pendant un séjour à la mer chez les Jélyot ! décidant de régler elle-même son sort, lui apprenant qu’elle était fiancée !... cette obstination d’une enfant de dix-huit ans, méchamment encouragée par le pçre dont le consentement seul, d'après la loi, importait... Le comte Favié punissait ainsi sa femme de son refus de laisser vendre Aygues-Vives, qu’elle voulait voir revenir, plus tard, à sa fille. Blessée, navrée, jugeant bien dur de ne rencontrer ni confiance ni soumission chez celle à qui elle avait sacrifié sa jeunesse, son cœur maternel avait eu encore la générosité de faire des vœux pour ce bonheur ingrat.
- Mais elle n’y croyait pas, Le Hagre ne lui inspirant aucune confiance. Pourquoi Francine s’était-elle éprise de celui-là ? Tant d’autres l’eussent aimée ! Elle pensa à leur ami, l’explorateur Eparvié. En silence il s’était épris de la jeune fille, et en silence, apprenant son mariage, il était reparti pour ces pays lointains où s’assouvissaient ses goûts de danger et d’aventure. Seule, elle avait deviné ce chagrin profond. Éparvié était âgé, et son caractère impérieux l’eût inquiétée. Combien pourtant elle l’eût préféré à son gendre ! Sans que Francine eût rien voulu lui avouer, elle se fiait trop à une divination qui la trompait rarement pour ne pas vivre depuis des mois dans une appréhension de catastrophe. Un jour comme aujourd’hui, plus pénible que d’autres à sa chair de femme, la pensée de sa fille lui était une anxiété poignante.
- Ne pouvait-elle donc s’empêcher de penser ? Echapper à elle-même ? Fuir cette conscience de sa vie manquée, qui la torturait ? Oh ! ouir une vie manquée, et qui pis est trop tôt finie, avant l’âge où le cœur s’éteint, où les sens s’émoussent. Avec son teint clair et ses yeux magnifiques, ses cheveux blonds, n’était-elle pas grand’-mère, malgré ses quarante-cinq ans, qui la laissaient pareille à une sœur aînée de Francine ? Sa ravissante
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- petite Josette! Un bijou, son vivant portrait!... Et elle n’avait connu de l’amour que la douleur ; elle n’avait pas eu cette part de bonheur qu’ont souvent les plus humbles et les plus misérables. L’amour? Oui, Marcel Ligneul, le sculpteur, Lavait aimée : mais elle était mariée ; son honneur. .
- Pauvre ami, qui avait tant souffert, qui avait dû la trouver coquette, froide, inexorable, et,qui, après cette lutte où tous deux s’usaient stérilement le coeur, s’arrachait d’elle, allait demander au soleil de Grèce le repos d’un coeur ulcéré et le rétablissement d’une santé détruite ! Il y trouvait les fièvres et la mort. Quel désespoir elle avait eu ! Marcel, heureux par elle, ne serait point parti, et elle n’aurait pas cette affreuse pensée de l’avoir torturé, jusqu’aux heures sombres de son agonie. Que de femmes à sa place se seraient fait un de ces bonheurs cachés que leur discrétion absout, un jardin d’amour bien clos ? Et qui donc, dans cette société indulgente à tout ce qui n’est pas scandale, tolérante dès qu’on sauve les apparencos, ne l’eût comprise et ne l’eût plainte ?... Le plus amer était de se dire que ce drame insoupçonné de tous, même de Charlie, ces élans domptés, toute cette vie ardente glacée par l’irréparable, c’étaient déjà du passé, du néant.
- Pour lui, c’était fini. Elle, il lui restait à vieillir. Vieillir !... Comment, ce serait là toute sa vie : des sacrifices, des regrets, aucune joie que ce luxe et ces vanités qu’elle jugeait à cette heure si médiocres ; et à quoi lui servait-il d’être belle, sinon pour être aimée ? Sous le voile des conventions, des usages, il n’existait pour tant d’autres qu’une idole, l’amour ; elle en soupçonnait la puissance terrible et le charme ; elle savait les meilleures, les plus pures hantées par ce maléfice ; et une des seules, elle ignorait ce dont ses rêves la poursuivaient parfois : l’étreinte d’un amant, ses baisers de feu sur les paupières ; jamais elle n’avait saisi à deux mains une tête jeune et charmante pour la rapprocher de la sienne, jamais elle n’avait promené une
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- lente caresse sur un cou ferme et rond, et son imagination, sans arrière-pensée, lui représentait le cou de Charlie qui était très blanc.
- Ainsi elle n’aurait connu que les affres de la nuit de torture où elle avait mis au monde, et elle ne connaîtrait pas ces langueurs et ces fièvres où l’infini palpite, cette volupté suprême qui n’est pour l’homme qu’un frisson, mais qui chez sa compagne atteint les profondeurs les plus reculées de l’être et répond au mystère de la vie et de la mort. Elle ignorait ce qu’il y a de suave à être prise et broyée entre des bras virils, l’horreur et le délice de cette agonie inoubliable, où, fermant les yeux, toute pâle, la femme s’abandonne à une force aveuglante comme l’éclat du soleil.
- Visions obscures, qu’elle ensevelissait en elle, avec un trouble de péché. Elle aurait eu grand’honte à les avouer, même, surtout à un confesseur; l’idée qu’on les pût deviner l’eût atrocement humiliée ; elle les subissait pourtant, car elles couraient harcelantes, parfois, dans ses veines ; c’était la revanche d’instincts longtemps comprimés, d’une loi de nature méconnue : l’éternelle jeunesse qui brûlait.
- Elle revenait le long de l’étang aux cygnes : les grands oiseaux l’aperçurent et cinglèrent vers le bord, le col harmonieusement renflé : puis, comme, elle avait les mains vides, ils s’éloignèrent.
- Elle se dit : « L’atroce, c’est d’être si seule ! »
- Cette évidence ne l’avait jamais autant accablée. Avec ceux mêmes qui la connaissaient, croyaient le mieux la comprendre, sous les paroles qui ne parviennent pas à rendre toute la pensée, sous les silences réticents, que de malentendus, d’incompréhensions ! Combien avait-elle d’amis véritables ? Etaient-ils dix, cinq, trois seulement qui la tinssent pour nécessaire ou utile à leur bonheur ? Etait-il une seule personne à qui elle fût indispensable?... Non, pas même à Francine, ni à Josette, ni à Charlie qui était jeune ; il avait pour lui l’avenir, il se marierait...
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- Une telle pensée la déchira.
- Mon Dieu ! vieillirait-elle donc ainsi, avant que le sacrifice fût fait, la résignation venue. Sans doute, ce ne serait ni aujourd’hui, ni demain : septembre et son ardeur flamboyaient, mais octobre de rouille allait venir, puis novembre de suie et décembre de neige. Vieillir ?.. • Dans des années qui se précipiteraient en mois et en jours, elle verrait des stries fines plisser le satin de ses paupières, des fils blancs sillonner ses mèches d’or. Rien n’arrêterait cette dégradation insensible. Tout le monde, et Charlie le premier, la constaterait. Unie à une forme périssable, elle en subirait l’inélucta-ble fatalité. Cette peau si fine durcirait, son souple corps ne serait que ruine ! Il lui faudrait devenir son propre sépulcre !..
- Comme elle comprenait cette gravité douloureuse qu’elle avait contemplée sur le visage de tant de femmes de quarante ans, l’éclat suprême qui s’exhalait de leurs traits savoureux comme d’un beau fruit, la mélancolie indicible de leurs regards ! Elle pensait à tout ce qu’elle avait gaspillé de ces heures précieuses, irréparables, à tout ce qu’elle en avait laissé fuir en frivolité entre ses doigts. Quel regret, à cet instant fugace où tant d’énergies encore se débattaient en elle, sans abdiquer, tant d’illusions, tant de.soifs de tendresse ! Et l’amertume indicible de s’avouer qu’elle n’avait ni su, ni pu, ni voulu se développer dans le sens qui l’eût rendue heureuse ! Comprimer les élans d’une âme tumultueuse, mesurer le temps qui lui restait à vivre, et se convaincre qu’elle ne rencontrerait jamais le bonheur, la plénitude de l’effort et du désir ; se dire : ,« Si je n’avais pas été moi, si j’avais vécu d’autre sorte ! » Elle évoquait avec détresse, et jusque dans le détail, les existences qu’elle aurait pu avoir, et elle se sentait d’une impuissance désespérée sur soi, sur autrui, sur les choses.
- Et après les étapes du calvaire,, après le cortège des infirmités, l’esprit qui baisse et la lampe qui s’éteint, .
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- ce serait le pas décisif à franchir, la chute au gouffre, ce gouffre auquel elle courait emportée à travers l’espace et le temps et qu’elle entrevoyait dans un vertige, à chaque lueur de conscience, en ces brèves et terrifiantes minutes où l’on s’étonne et où l’on s’effraie de vivre, de se découvrir et de se retrouver soi, encore soi, toujours soi, et où la stupeur de se confronter avec l’insondable mystère se double de l’angoissante certitude qu’il faudra enfin cesser d’être..,
- Après toutes les morts que sont les minutes et les actes, car chaque chose passée tombait dans l’irrévocable, il faudrait choir en ce néant d’où nul n’était revenu apporter une parole d’espoir ou une promesse de consolation. C’était le trou funèbre et les quatre planches sur lesquelles sonnent les pelletées de terre et pleut l’aspersion bénite. Après. . tout le possible d’une survie, le terrifiant des peines expiatoires, les limbes des métempsycoses obscures, ou rien que les renaissances sans fin et les combinaisons renouvelées de la matière... Mourir... ne plus voir le soleil, ne plus serrer la petite Josette sur son sein, ne plus respirer les roses, ne plus entendre le vent dans les arbres et les sources dans la nuit... Retourner aux éléments, se perdre en ce peuple innombrable des morts, autrement dense et pressé que celui des vivants, car les uns ne traversaient qu’un éclair dans la durée, et les autres possédaient pour eux l’éternité, si bien que la mort était la réelle vie et la plus durable : la terre ne formait qu’un cimetière ; il n’était pas la largeur d’une semelle qui ne fût ensemencée de cendre : elle se mêlait à l’air, elle dansait dans les rais lumineux, on en pétrissait le pain, elle donnait au vin son arôme, elle animait tout ce qui existe. Et à son tour, il lui faudrait s’engloutir dans la vorace et éternelle nuit ! Ce pourrait être dans très longtemps, ce soir, ou tout de suite.
- Tapie sous l’accident, sous la maladie, embusquée meurtrière aux coins d’ombre — (est-ce que quelqu’un marchait dans les taillis ? pourquoi cette brindille tom-
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- bait-elle à ses pieds ?) — la mort la guettait, la suivait pas à pas, couchait dans sa chambre .. Eut-elle chaque nuit regardé sous son lit, croyant sentir son pied happé au vol, si elle n’eût pas cru à l’invisible ?... La mort, c’était la seule évidence et l’indubitable vérité. De cela seulement on était sûr, et ee mot solennel qui obscurcissait autour d’elle la lumière de ce glorieux matin, fit chavirer ses prunelles en de soudaines ténèbres.
- Une peur la prit ; il lui sembla que la seconde terrible approchait, son cœur battit précipitamment. Un appel monta à sa gorge et comme dans les cauchemars s’y étrangla. Etait-ce l’écho de son pas qu’elle entendait?... Non, quelqu’un marchait derrière le taillis, dans la contre-allée !... le sol craquait. Elle pressa l’allure, on l’imita. Alors elle perdit la tête et se mit presque à courir. Une voix, qu’affolée elle ne reconnut pas, répéta* :
- — Gabrielle !
- Une légère bête fauve bondissait du sous-bois et galopa derrière elle, Floss reparue : d’où sortait-elle ?... Elle ne revenait que pour annoncer une visite. .. Et voilà qu’au carrefour qui joignait les deux allées... Mme Favié pou sa un cri : un homme surgissait devant elle les bras étendus. Elle reconnut Charlie ; il avait voulu la surprendre, et, ne sachant si elle était en péril, il s’élancait pour la défendre. Le saisissement, — venait-il lui annoncer son mariage ? — l’épouvante, qui la révulsait encore... elle s’abattit sur son épaule ;
- — Oh ! Charlie, que j’ai eu peur !...
- Et elle fondit en larmes.
- III
- Il fut bouleversé.
- — Gabrielle, qu’avez-vous ? Pourquoi pleurez-vous ? Répondez-moi !
- Elle s’efforcait de sourire au milieu de ses larmes, qu’elle essuyait d’une main tremblante, en secouant la
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- tête comme pour dire : « Ce n’est rien ! » Mais il insistait, s'accusant, s’excusant : maladroit ! il l’avait effrayée !... Mais pourquoi une telle peine ?.... Il souffrait de la voir souffrir ; elle avait beau répondre : « Mais non, je vous assure... ma migraine... cette sotte peur ! » il pressentait qu’il y avait autre chose : quoi ?
- — Un chagrin ? Des tourments ? Vous n’avez donc pas confiance en moi ?
- — J’étais folle, je crois.
- Elle marchait à son côté ; elle accepta son bras, s’y fit lourde avec abandon. Non, elle n’avait pas de secrets. Et tout à coup la question qu’elle s’était juré de ne pas lui adresser jaillit de ses lèvres. Sans le regarder, très vite, comme lorsqu’on se jette au-devant d’un péril :
- .- Que m’a-t-on appris ? Dois-je vous féliciter ? Ce
- mariage ?
- Ces mots ne furent pas plus tôt prononcés qu’elle les regretta. Etait-ce vrai ? comme elle s’humiliait, par cette défaillance ! Faux ? que d’importance donnée à un commérage ! C’était indigne d’elle, de lui. Et ce ton de factice enjouement, d'équivoque ircyiie ? N’allait-il pas démêler l’aveu de son anxiété jalouse ? Oui, très jalouse, l’accent qu'elle venait d’y laisser percer l’éclairait elle-même. Charlie absent, ce mariage lui paraissait absurde ; dès qu’elle l’avait aperçu, elle avait songé que c’était possible ; en sanglotant sur l’épaule du jeune homme, elle y croyait, elle y touchait. Et cette anxiété ne datait pas de cette minute, elle la poursuivait depuis la veille. C’est elle qui avait rendu si aigus ce périodique retour d’idées noires, cette crise affligeante du déclin ...
- Stupéfait, il avait ouvert de grands yeux :
- — Quoi, quel mariage ?
- — Marthe Fauche...
- Elle le regardait bien en face, de ses beaux yeux d’eau glauque striée d’or, pure et sans fond, qui, tantôt clairs et tantôt foncés, changeaient de nuance aux reflets orageux de l’âme.
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- — Moi ! Ah ! par exemple, chère amie, vous m’étonnez bien !
- Et vexé :
- — Mais je ne puis la souffrir, la belle Marthe ; c’est une sotte, parfaitement ; oh ! avec vous, j’ai mon franc-parler. Et qui vous a conté ce joli potin ?. - Parbleu, les Lurat sont ici.
- Elle éludait: non, non, qu’importait?... Mais il insista :
- — Ça ne leur suffit donc pas d’être d’amers raseurs ?
- Il les jugeait peu sûrs, tout en surface. Mais ils n’avaient pas inventé ça ? Mme Pustienne plutôt !
- — C’est elle, hein ?... La sale bête.
- Il la détestait pour la laideur morale que dégageaient ses traits bouffis, pour le fiel de ses médisances. Il jugeait odieux que sa richesse, qui avait forcé toptes les portes, l’imposât ; car on la subissait en la craignant et sa méchanceté faisait d’elle la terreur des salons.
- Mais Mme Favié ne songeait qu’à ceci : « Ce n’est pas vrai, il n’aime pas !... » et son coeur bondissait de joie. Lui, au contraire, réfléchissait : « Oui, cette fièvre, la vivacité avec laquelle elle m’a interrogé !.. » Et cela l’émut de sentir qu’il lui était si cher. Mais avait-elle pu le croire capable de dissimulation ? Cela le peinait. Comment, elle le savait sans projets, désireux, avant tout mariage, de longues fiançailles, et il irait, sans crier gare, s’éprendre de la première venue ?
- — Vous ne me faites pas l’injure, Gabrielle, de croire que j’aurais oublié de vous consulter.
- Rassurée :
- — Pourquoi? Vous auriez pu... Il vaut mieux se marier jeune.
- Mais sa voix ne parvenait pas à être sincère :
- — Facile à dire ! il faut trouver, s’étudier, se bien connaître.
- Il la tenait sous son beau et bon regard :
- — Choisissez-moi une femme qui vous ressemble,
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- chère madame, et nous en recauserons.
- Elle eut un petit rire :
- — Oh ! vous n’aurez pas de peine.. .
- Et dans cette faible protestation, elle rougit. Une minute grave se prolongea ; Gabrielle, dolente encore, mais heureuse, lui pensif. Quelque chose qu’il ne s’expliquait pas, mais qui n’était pas indifférent, il en jugeait à la persistance de son trouble, les rapprochait, d’une émotion attendrie.
- A table, il l’observait, cherchant quelque indice. Elle avait rafraichi ses yeux et repoudré imperceptiblement ses joues, changé son déshabillé du matin contre une robe tailleur en drap lavande qui la faisait paraître plus svelte encore ; mais son teint exquis, d’une pulpe nacrée, restait meurtri ; le dessous de ses paupières se cernait de bleu, et de changeantes lueurs courraient sur ce visage qui frémissait comme Feau courante et le vent.
- Ce que Charlie goûtait tant d’elle, c’est que cette beauté n’était point celle d’une médaille, mais d’une argile vivante que modelait chaque nuance d’idée et de sentiment : perpétuel rajeunissement, subtils contrastes, qui en la laissant la même la transfiguraient, du jour au lendemain. Pour lui, elle avait toujours vingt ans et conservait la splendeur de l’image restée en son souvenir, aussi vive qu’au premier jour, quoiqu’elle remontât à sept ou huit années et qu’il s’interdît de se la rappeler ; mais, après la griserie de sa course du matin et l’étrangeté de leur rencontre dans le parc, elle revint l’éblouir, juste le temps qu’il la repoussât, comme le battant de porte rejeté par Gabrielle avec un cri de stupeur indignée, le jour malencontreux où, collégien en vacances, entrant trop brusquement chez elle, par la trahison d’un verrou qui cède, il l’avait surprise, à demi nue .. Lui en avait-elle tenu assez longtemps rigueur !
- Il parlait sans s’écouter, par un dédoublement machinal : toute sa pensée se tendait vers elle. Bien qu’elle parût indifférente, elle ne perdait pas un de ses mou-
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- vements ni une de ses paroles. Rien qu’à le voir, elle avait chaud au cœur. Touchée de cette venue à l’impro-visite, elle éprouvait la joie d’une surprise et la douceur d’un réconfort; pourquoi fallait-il qu’il y eût là des importuns ? Et toutefois la présence des Lurat la rassurait : contre quoi?... La voix de Charlie était une caresse, cette voix qui mettait en valeur certains mots ; elle se laissait gagner à cette jeunesse, à cette force. Elle se disait : « C’est étonnant comme il devient beau. Toutes les femmes se le disputeront. On me le prendra, à moi qui ne suis rien, qui ne puis rien pour lui. » Cette pensée lui fit mal.
- Les Lurat, gourmets, louaient l’excellence d’une sauce et se réjouissaient de la diversion apportée par un convive de plus. Sous de majestueux cheveux blancs, leurs visages pleins de santé respiraient les plus nobles sentiments, et il fallait être observateur pour saisir certain éclair au coin des prunelles, certain pli au coin des lèvres qui décelaient une malice suspecte et une acrimonie doucereuse. Ils étaient très répandus, leur honorabilité protégeait les intrigues et sanctionnait les situations délicates.
- Arbitre en correction, M. Lurat avait une prétention suprême au tact. Il le monopolisait. Le tact ! ce mot revenait dans sa bouche comme un jugement sans appel. En ce moment même, il estimait que Mme Favié en avait légèrement manqué, ce qui ne laissait pas de le surprendre. Elle avait tellement l’usage du monde ! N’avait-elle pu se faire conscience de les prévenir qu’ils ne trouveraient pas un chat à Aygues-Vives ? Ils s’étaient trop pressés d’y accourir, et, pour comble de déveine, voilà qu’on les invitait chez les Rastac, une maison d’une gaieté !
- Vers deux heures, on partit pour la forêt d’Orques ; on goûterait chez le garde. Tandis que la calèche paisiblement roulait et que M. Lurat, paternel, s’enquérait près de Gabrielle des châles pour le retour, sa femme, dans la voiturette de Charlie, savourait le plaisir d'en-
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- LE DEVOIR
- lever le lieutenant à Mme Favié, dont elle soupçonnait l’affection. Charlie, maussade, partait à toute vitesse.
- — N’y a-t-il aucun danger ? demandait Mme Lurat, un peu pâle, le souffle coupé.
- — Pas le moindre.
- — Si nous ralentissions un peu.
- — Comment donc !
- — A la bonne heure, l’on jouit du paysage.
- Elle s’extasiait, prolongeant à dessein son admiration. Il l’écoutait, radouci soudain. Comment garder rancune à quelqu’un ou à quelque chose, un jour d’une magnificence pareille ? Gabrielle, consolée, lui avait souri./Comment eût-il pu comprendre la redoutable crise : spleen de la vie manquée, horreur de vieillir ? Ne personnifiait-elle pas toute sa jeunesse ? Il l’en eût plaisantée comme d’une souffrance imaginaire.
- Mme Lurat l’épiait, avec une bonhomie malveillante. Envieuse de son avenir, de sa santé, de sa richesse, lorsque son fils à elle, qui « certes le valait bien », vivotait en Tunisie d’un emploi médiocre, elle ne lui souhaitait rien d’heureux. Avec ce goût des choses galantes que conservent certaines femmes âgées, elle eût voulu parler des sentiments de Charlie. Ce n’est pas sans malice qu’elle avait annoncé hier son mariage possible, et les rêveries de Gabrielle, — bien taciturne, cet été ! — ne lui avaient pas échappé.
- Elle y fit allusion sans doute leur chère amie se tourmentait à cause de sa fille ? On disait que le ménage Le Hagre marchait très mal. Et avec le caractère entier de Francine !
- Charlie haussa les sourcils, ce qui pouvait être un signe d’adhésion et aussi de réserve, un : « Âh ! vous croyez ?. - j’ignore. »
- Bien qu’élevés en camarades, sa sympathie pour Mme Le Hagre manquait d’élan et 'd’abandon ; elle l’avait souvent choqué, par son audace d’idées, sa vivacité d’allures ; ce type de femme indépendante, garçonnière, lui était incompréhensible.
- suivre,)
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- ASSURANCES MUTUELLES
- 63
- Société du Familistère. - Assurances mutuelles
- MOUVEMENT DU MOIS DE JUILLET 1904 , A GUISE
- ASSURANCE CONTRE LA MALADIE
- Section des Hommes
- Cotisations des mutualistes...... 1.748 35 î
- Subvention de la Société......... 584 98 | 2.674 03
- Malfaçons et Divers.............. 340 70 i
- Dépenses.................................... 3.905 15
- Déficit en juillet 1904..............
- Section des Dames
- Cotisations des mutualistes........ 502 70 J
- Subvention de la Société......... 241 35 j 754 05
- Divers....................... .. 10 » ’ ,
- Dépenses............ ......... ......................622 70
- Boni en juillet 1904......................... 131 35
- ASSURANCE DES PENSIONS
- Subvention de la Société et Divers 4.773 79 I
- Intérêts des comptes courants et > 9.251 14
- du titre d’épargne............. A Ail 351
- Dépendes *
- 123 Retraités définitifs.............. 8.448 17 j
- 5 — provisoires................... 258 50 r
- Nécessaire à la subsistance........ 4.921 20 ) 14.092 92
- Allocations aux famill8 des réservistes 42 »\
- Divers, appointem., médecins, etc. 423 05'
- Déficit en juillet 1904............ 4.841 78
- CAISSE DE PHARMACIE
- Cotisations des mutualistes...... 745 10 / , ..q An
- Subvention de la Société......... 368 50 V bü
- Dépenses...................................... 907 84
- Boni en juillet 1904................... 205 ~76
- RÉSUMÉ
- ‘ Recettes sociales du 1er juillet 1904 au 31 juillet 1904 10.445 97 , Q 7Q£)
- » individuelles » » 3.346 85 \ 82
- Dépenses » » ......... 19.528 61
- Excédent des dépenses sur les recettes.. 5.735 79
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- 64
- LE DEVOIR
- ÉTAT CIVIL AU FAMILISTÈRE DE GUISE
- MOIS DE JUILLET 1904.
- Naissances :
- 24 Juillet 1904 Coze Maxime-Edouard , fils de Coze Edouard fils et de Alavoine Marguerite.
- 30 — Léguiller Georges-Ernest, fils de Lé-
- guiller Ernest et de Prévost Geor-gette.
- Décès :
- 14 — Lanoy Victor, âgé de 29 ans.
- 21 — Dacheux Marcel, âgé de 13 ans 1/2.
- 24 — Mme Poulain Firmin, née Gauchet,
- âgée de 53 ans.
- Le Gérant : H. E. Buridant.
- Nimes. — Typ. A. Chastanier, 12, rue Pradier.
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- DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES.
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- Février 1905.
- Glorification du Travail. Emancipation
- de J.-33. André GODIIST (i)
- du Travailleur.
- XV (suite.)
- Série des employés. — Inauguration de répartitions mensuelles indicatives du mérite. — Adresse de Godin aux intéressés, janvier 1870. —Propositions en réponse par Messieurs A, B, C, D, E, F, G. — Rapport sur ces propositions.
- C
- « .Projet de partage des 400 francs à répartir entre les
- employés du Bureau.
- « Comme je l’ai dit à la dernière réunion, je désire que la somme allouée mensuellement au bureau soit divisée en parts proportionnelles aux appointements.
- « Nous sommes 25 employés touchant ensemble 3,330 fr. par mois et ayant, en plus, à répartir entre nous 400 francs. Nous disposons donc chacun de 16 fransc.
- « Exemples de répartition :
- « Je donne: 1 voix à(2) B soit suivant le tableau (ci-
- (1) Appendice, p. 60, Le Devoir, tome 26e, janvier 1902.
- (2) C. inscrit les noms propres de ses collègues. Conduit par le système de vote qui va être expérimenté dans la série des employés à donner plus loin (chap. XVII) le fac-similé du bulletin qui portait les noms de tous les intéressés ; nous avons remplacé tous les noms de la série par des signes conventionnels. Après épuisement des lettres de 1 alphabet (lesquelles nous ont déjà fourni la représentation de 8 employés : A, B, C, D, E, F, G, H), nous avons combiné les lettres entre elles, deux à deux, à mesure du besoin. C’est à ces signes que nous allons recourir pour remplacer les noms propres donnés par C.
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- LE DEVOIR
- 66
- dessous)................................fr. 1 95
- 2 voix à N soit........................... 2 40
- 3 » A » ............................. 2 55
- 4 » FE » ........................... 3 »
- 5 » HA > ............................ 3 75
- 3 » CA » ........................... 1 80
- 1 » P » ................................ 0 55
- « Total de la somme dont j’ai à disposer fr.... 16 »
- « Le maximum de voix à donner serait cinq : 2 pour l’intelligence, 2 pour l’assiduité au travail, 1-pour l’ancienneté dans son poste. '
- « Ainsi HA est intelligent, très intelligent, je lui donne 2 voix pour cela, 2 pour son assiduité et 1 parce qu’il y a longtemps qu’il est à 150 francs. Il a le maximum.
- « Nota : On peut ne donner qu’une voix pour l’intelligence et 1 pour l’assiduité.
- « Echelle de proportion « B touche 400 fr., nous touchons ensemble 3.300, 3.300 fr. ont droit à 16 X 400 ................ = 1.95
- 1 fr. a — à 3.300 fois moins
- 440 fr. ont — à 400 fois plus.
- N touche 250 fr. 16 X 250 — 1.20
- 3.300
- D — A — idem. 175 fr. — 1.20
- 16 X 125 0.85
- 3.300 • ‘ *
- FE — 150 fr. 16 X ISO 3.300 (••••* —» 0.75
- HA — p idem. idem. 125 fr. — 0.75
- 0.75
- CA — 16 X 125 0.60
- 3.300
- T TT idem. _ 0 60
- Lj£j A reporter.. - • 1 - » - — 8.65
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-
-
- DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES
- 67
- Report........= 8.65
- I — idem.
- PE — idem.
- P — 110 fr.
- SA — 100
- ZE — idem.
- ?(1) — idem.
- YA — 85 fr.
- CE — idem.
- QE — 75 fr.
- YE — idem.
- YE — idem.
- JA — 40 fr.
- HE — 15
- Les trois nou-
- veaux, soit. 415
- 16 x no
- 3.300
- 16 X 100
- 3.300
- 16 X 85 3 300
- 16 X 75 3.300
- 16 X 40 3.300 16 X 15 3.300
- 16 X 415 3.300
- = 0.60 = 0.60
- = 0.55
- = 0.50 = 0.50 = 0.50
- = 0.40 = 0.40 = 0.35 = 0.35 = 0.35
- = 0.20 = 0.10 = 2 »
- 16.05
- « La différence de 0.05 provient de ce que j’ai forcé un peu sur les appointements de 100 francs qui ne donnent que 48 centimes au lieu de 50, que j’ai portés.»
- D
- « Exposé.
- « Avant d’exposer un système pour la répartition des primes allouées par M. Godin à ses employés, je voudrais d’abord voir établir ce principe que chacun de nous, à un degré plus ou moins élevé, doit avoir sa part de cette gratification.
- (1) Ne figure plus dans les opérations ultérieures.
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- 68 LE DEVOIR
- » Que cette part soit forte si les mérites sont sérieux, rien de plus juste, mais rien de plus juste aussi que les services modestes reçoivent leur encouragement :
- » C’est le moyen d’arriver à mieux faire en engageant à imiter ceux qui se distinguent et cette émulation ne pourra produire que de bons résultats.
- » Ceci dit, je proposerais de choisir le moyen le plus simple pour arriver à la répartition équitable des primes qui nous sont allouées.
- » Voici un système qui me paraît approcher du but, s’il ne l’atteint complètement.
- » Ici je me place toujours au pointée vue des bureaux, car je ne pense pas que nous puissions apprécier les mérites de nos collègues des ateliers, pas plus qu’il ne serait possible à ces Messieurs déjuger nos services.
- » Dans ces conditions je dis donc :
- » Nous sommes 25 employés qui devons avoir notre part dans la somme de 400 francs qui nous est allouée, cela représente 16 francs par personne ; mais comme les mérites sont divers il faut aussi que les applications puissent se faire suivant l’importance de chacun d’eux.
- » Or, si on donnait à chacun la somme qui lui revient, nous aurions tous droit à 16 francs, ce qui ne serait pas juste.
- » Pour obvier à cet inconvénient, je proposerais donc de diviser la part de 16 francs en demi-parts de 8 francs et même en quarts de parts si on le voulait, pour arriver à donner à chacun suivant l’appréciation de son mérite.
- » Ainsi chaque votant ayant 25 parts de 16 francs à distribuer pourrait, suivant sa manière de voir, tout en rCoubliant personne, en donner 4 à l’un, 3 à l’autre, puis 2, 1, 1]2 et même 1|4, de manière à ne pas dépasser le nombre total à répartir pour chacun, qui est de 25.
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-
- DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES
- 69
- > Pour le vote un bulletin imprimé, ou écrit par une seule main, serait remis à chacun ; ce bulletin renfermerait les noms des 25 participants et, en regard, on écrirait le nombre de parts, de demi-parts et de quarts de parts que Pon voudra lui attribuer. Voici le type de oe bulletin.
- « Bulletin de vote pour la répartition entre les suivants de 25 parts de 16 francs; chacune pouvant être divisée par moitié : 8 francs ; ou par quart : 4 francs.
- «
- MM. A (1)........... 3
- B.............. 2
- C.............. 2
- D.............. 1
- E.......... 1
- F.............. 2
- G............. 1/2
- H.............. 1
- I............. 1/2
- J.............. 1
- K.............. 1
- L............. 1/2
- M.............. 1
- N.............. 1
- 0......... 1
- P............. 1/2
- Q.............. 1
- R.............. 1
- S............. 1/2
- A reporter...... 211/2
- parts....... 48 fr.
- ............ 32
- ............... 32
- ............ 16
- ............ 16
- ............ 32-
- ............ 8
- ............ 16
- ............ 8
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- 16
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- ...,.......... 344 fr.
- (1) Le proposant n’ayant pas donné les noms propres, nous reproduisons simplement les lettres dont il s’est servi,
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- LE DEVOIR
- Report............ 211/2
- T.............. 1/2
- U............... 1
- V......... . 1/2
- X.............. 1/2
- Y. ............ 1/2
- Z............. 1/2
- 344 fr. 8 16 8 8 8 8
- « Total 25 parts. Valeur 400 f.
- E
- i
- « Projet de répartition.
- « Les employés de la maison Godin seront divisés en trois sections :
- lre Section. — La comptabilité ,
- 2e » — La fabrication ,
- 3e » — Le Familistère.
- « Chaque section nommera par le vote une commission de 5 membres.
- « La commission dressera deux projets de division pour former des groupes, de telle manière que les personnes comprises dans un groupe, au premier projet , ne se trouvent pas avec les mêmes participants dans le second.
- « Le premier projet serait tiré au sort, et le numéro obtenu par chaque participant placerait celui-ci dans un groupe. Ainsi en supposant à une section un nombre de participants de 32, les numéros de 1 à 4 formeraient le 1er groupe et ainsi de suite.
- « Dans le deuxième projet, les participants seraient classés comme ci-après ;
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- DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES
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- « P remier projet :
- 1er groupe 2e gr, 3e gr. 4e gr. 5® gr.
- (1) ! A. — 1 E. — 5 I. —9 M. — 13 Q. - 17
- B. - 2 F. — 6 J. — 10 N. — 14 R. — 18
- C. — 3 G. — 7 K. — 11 0. — 15 S. — 19
- D. — 4 H. - 8 L. — 12 P. — 16 T. — 20
- V. — 22 U. —21
- « Deuxième pr ojet :
- l*r groupe 2e gr. 3e gr. 4e gr. 5e gr.
- 21 U 2 3 4 16
- r 0 6 7 8 19
- 9 20 18 15 10
- 13 17 14 22 1
- 11 15
- » Chaque participant recevra les projets et, sans pouvoir rien changer dans leur composition, désignera celui qui lui convient le mieux.
- » Le nombre de groupes de chaque section étant connu, chacune d’elles procédera par le vote à la nomination des délégués.
- > Les délégués d’une section seront adjoints aux groupes d’une autre section.
- (1) Le proposant n’ayant pas donné les noms propres, nous reproduisons simplement les lettres dont il s’est servi.
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- LE DEVOIR
- » Ils assisteront à la discussion sans avoir le droit d’y prendre part ; ils pourront donner leur avis s’ils en sont priés.
- » Cette mesure aura l’avantage de donner aux employés d’une section l’occasion de connaître les travaux des sections auxquelles ils sont étrangers, et de les mettre dans la possibilité de juger les mérites de chacun lorsque les divisions par sections n’auront plus lieu, ce que l’exposant désire voir se produire lorsque chaque employé sera édifié sur tous les services.
- » Les groupes seront appelés à distribuer partie de la somme totale entre les participants étrangers au leur et après discussion comme il sera indiqué plus loin.
- » Dans le groupe il ne sera question, sous aucun prétexte, des personnes qui le composent.
- » En cas de division d’opinion dans un groupe, chaque membre indiquera de quelle manière il désirerait répartir la somme allouée ; et la moyenne des allocations partielles sera prise pour la décision du groupe.
- » Le relevé de la décision des groupes pourra être fait de la manière suivante :
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- DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES 73
- ! Noms des participants : Décisions du 1er groupe. 2« gr. 3e gr. 4e gr. 5e gr.
- A - 2 4 1 1
- B . S3 2 £ 4 2 2 3
- ! C -S a 5 8 î 5
- D 4? 45 SB — 9 5 1 6
- E 1 » 3 1 5
- F 3 y> 1 4 1
- G 5 » 2 3 3
- II 6 » l 2 9
- I 7 i J) 9 2
- J 1 3 )) 3 3
- K 3 O » 1 4
- L 6. î )) 7 1
- M 2 2 2 » 1
- N 3 3 3 » 1
- 0 4 3 3 )> 2
- P 1 3 3 » 1
- Q 1 2 3 » 2
- R 1 2 9 6 )>
- S 2 3 ï 4 D
- T 2 2 3 3 ))
- U 1 2 3 1 »
- V 1 1 1 1 ))
- Total à
- répartir : 250 fr. 50 50 50 50 50 . . i
- » La somme à partager sera divisée par le nombre de groupes qui appliqueront à chaque participant la quotité qui lui paraîtra juste.
- » Pour chaque participant on fera l’addition des sommes portées par chaque groupe, le total sera la somme lui revenant. »
- Le mémoire porte en marge :
- « E admet un minimum, c’est-à-dire que Von ne pourra attribuer moins de 1 point à un membre par chaque votant. »
- (A suivre).
- Vve J.-B.-A. Godin, née Moret.
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- LE DEVOIR
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- La retraite du ministère Combes. Les fraudes alimentaires. Les grèves de Marseille. Les employés des chemins de fer de l’Etat. Les accidents du travail.
- Dès le début de la session extraordinaire de 1905, le' 13 janvier, une discussion s’engagea sur la politique générale du gouvernement.
- La bataille dura deux jours ; elle fut acharnée. Finalement le ministère l’emporta de six voix.
- Ce vote consacrait une fois de plus la politique et le programme du ministère présidé par M. Combes. Mais celui-ci estimant qu’il était exposé à être mis en minorité d’un instant à l’autre, à l’occasion de quelque incident de séance étranger à la politique générale du gouvernement, et que cette politique risquerait d’en être atteinte, crut devoir remettre au Président de la République la démission collective du cabinet.
- Dans sa lettre de démission, M. Combes exprimait « sa foi dans l’union des groupes de Gauche pour défendre et continuer l’œuvre d’affranchissement intellectuel, de progrès social et de rapprochement entre les peuples que son ministère a accomplie d’accord avec elle ».
- Ce sera l’honneur du ministère qui vient de se retirer d’avoir ouvert la série des traités d’arbitrage et inaugure la politique d’entente et de relations cordiales, au moment où la défiance qui régnait entre les grandes nations et le conflit naissant en Extrême-Orient, menaçaient de déchaîner sur le monde entier le fléau de la guerre.
- L’œuvre sociale du ministère Combes est incontestablement plus modeste. Il serait aujourd’hui superflu de
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- CHRONIQUE PARLEMENTAIRE
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- se demander si la modicité de ses résultats est due à la résistance d’une partie du ministère, si l’on ne pouvait supposer que cette résistance s’explique par la difficulté que ne supprime pas la retraite du ministère, de trouver les ressources nécessaires pour réaliser les grandes réformes promises. La loi sur l’assistance aux vieillards et aux invalides indigents votée dès le début du ministère par la Chambre, est restée accrochée au Sénat parce que la charge qui en résulte s’élèverait, suivant les calculs du rapporteur, à 70 millions environ par an, dont vingt-et-un millions à supporter par l’Etat, le reste par les communes et les départements.
- Mais la caractéristique du ministère Combes est dans la première partie de son programme sur laquelle le président du Conseil des ministres a de plus vigoureusement imprimé sa marque personnelle : la lutte anticléricale qui s’est manifestée par la fermeture des couvents, la dispersion des congrégations, par la loi abolissant l’enseignement congréganiste, par le conflit avec le Vatican, suivi de la suppression des crédits de l’ambassade auprès du pape et qui devait avoir son couronnement par la séparation des Eglises et de l’Etat.
- Cela suffit pour faire comprendre l’ardeur et la persistance des efforts de l’opposition pour détacher du bloc des groupes de gauche, les quelques unités dont la défection devait transformer la majorité ministérielle en minorité.
- * \
- Les plus anciennes divergences se sont produites sur les atténuations à introduire dans les lois sur les congrégations, puis dans les lois scolaires. Un dissident se place sur un autre terrain : il reproche au gouvernement de faire fi des réformes sociales. C’est à coup sûr le moins suspect de ne pas vouloir les réaliser, car il en compte plus d’une à son actif et il est le protagoniste des principales réformes attendues. Mais s’il avait réussi dans son attaque imprévue à désarçonner- le ministère, c’est la loi portant suppression de l’enseignement congréganiste qui était arrêtée net.
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- LE DEVOIR
- Même quand l’esprit de résistance à la laïcisation ne dirige pas les coups, il profite de l’affaiblissement qui en résulte pour Fadversaire. D’abord intermittentes, les dissidences se fixent vite en hostilité déclarée. Il n’y a que le premier pas qui coûte. Elles trouvent comme une sorte de justification dans leur nombre qui s’accroît au fur et à mesure que se multiplient les péripéties d’une lutte qui revêt les aspect les plus variés et s’inspire des motifs les plus divers.
- Cette lutte a pris durant la session extraordinaire de 1904 un caractère d’acuité sans exemple dans les annales du parlement, et il ne s’est pas passé pour ainsi dire de jour sans que l’assaut n’ait été donné au ministère.
- Le travail législatif était devenu à peu près impossible.
- Lorsque fut close cette session vraiment extraordinaire, la discussion du projet de loi sur les fraudes alimentaires faisait encore les délices des rares amateurs de séances matinales ; l’interpellation sur la grève de Marseille djsputait mollement ses vendredis à ses innombrables rivales ; la Chambre venait tout juste de décider qu’elle passerait à la discussion des articles du projet de loi relatif à l’impôt sur le revenu, après une discussion générale dont l’ampleur avait arraché un cri d’admiration à M. Alexandre Ribot, le dernier fervent des débats de haut style ; quant au budget, l’étonnement provoqué par la vote d’un insuffisant douzième provisoire disait assez à quel faible degré d’avancement était parvenue la discussion de ses chapitres.
- Les fraudes dans la vente des denrées alimentaires et des produits agricoles ont pris des proportions qui en rendent le danger pour la santé publique de jour en jour plus considérable. Bien que le nouveau projet édicte des dispositions beaucoup plus répressives que les anciennes lois sur la matière, le législateur aura fort à faire pour venir à bout du mal. La coopération
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- CHRONIQUE PARLEMENTAIRE 77
- généralisée, en le supprimant radicalement, rendrait inutile le remède inefficace et douteux.
- Il n’y a pas lieu d’être surpris que les adversaires irréductibles de la coopération ne témoignent pas d’une hostilité moindre envers le projet qui tend à réprimer les fraudes. Les déclarations de M. Georges Berry sont formelles à cet égard. Mais il est permis de s’étonner que la Chambre ait attendu si longtemps pour le discuter, car voilà bientôt six ans qu’il est revenu du Sénat.
- Le commerce des vins s’était ému de voir sortir la loi de son profond sommeil. Cependant, elle n’ajoute pas grand chose, en ce qui le concerne, à la législation existante, et se borne à coordonner et à réunir dans un texte commun des dispositions éparses.
- Les fraudeurs auxquels le projet de loi réserve quelques pénalités désagréables, peuvent encore se livrer sans crainte à leurs petites occupations.
- M. Vaillant avait demandé que l’on fit dresser par l’Académie de médecine la liste des apéritifs nocifs. D’habitude, sans lui donner complète satisfaction, la Chambre fait meilleur accueil à la demande renouvelée, quand l’occasion s’en présente, avec une constance infatigable par le député socialiste de la Seine. Cette fois, elle a été repoussée par 548 voix contre 33. A dix voix près, ce scrutin englobe la totalité de la Chambre. En aucune circonstance on n’a vu pareil nombre de votants. On se tromperait fort cependant si l’on croyait que tous les députés étaient présents à la séance. Quelques instants auparavant, le vote à la tribune sur le même amendement n’avait pas donné de résultats, le quorum n’étant pas atteint. Alors suivant l’usage, la séance avait été levée, puis reprise cinq minutes après, et l’amendement soumis au scrutin ordinaire. Réglementairement, cette fois-ci, le vote est valable quel que soit le nombre de votants ; et c’est ainsi qu’une quarantaine de députés ont pu par un vote représentant la presque unanimité des membres de la Chambre, repousser l’amendement Vaillant.
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- Ce sont là les petites surprises du vote par procuration que le règlement autorise. Elles sont fréquentes et l’on n’y porte pas la moindre attention. Les surprises du vote secret pour l’élection du président de la Chambre — le seul cas où il est fait usage de ce mode de scrutin — laissent parfois beaucoup plus de trace.
- Mais d’épiloguer sur les bizarreries du règlement nous entraînerait trop loin.
- Aucune sanction parlementaire ne suivra l’interpellation sur les grèves de Marseille : plus de ministre, plus d'interpellation.
- Mais des grèves elles-mêmes tour à tour faites par les matelots pour protester contre la rigueur des règlements maritimes qui confère au commandement des pouvoirs disciplinaires jugés excessifs, et par les états-majors pour protester contre les exigences des subordonnés, ressortent des indications mises en lumière par la discussion, et qui peuvent être la source de divers avantages.
- Il dépend des pouvoirs publics, particulièrement intéressés au bon fonctionnement des services maritimes, de corriger au plus vite les règlements légaux qui les concerne en faisant un départ équitable entre les devoirs du marin à* bord, et les droits du marin sur terre. Une loi est en préparation à ce sujet.
- Il dépend des travailleurs des ports de se concilier la souveraine opinion publique, d’ajouter à la force de leurs syndicats la valeur morale indispensable à quiconque veut que l’on compte avec lui, en s’inclinant, quoi qu’il puisse leur en coûter, devant la sentence arbitrale sollicitée par eux, et enfin de rendre acceptable l’arbitrage obligatoire en s’imposant la discipline de l’arbitrage libre.
- Ils peuvent faire autre chose, et c’est à quoi ils songent : former des sociétés de production traitant avec les sociétés capitalistes. D’où, pour le capital, la certitude d’obtenir un travail régulier; pour le travailleur, l’assurance d’un gain rémunérateur avec tous les avan-
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- tages qui résultent de l’association ; pour la société enfin : atténuation, en attendant leur disparition, des conflits entre le capital et le travail.
- Deux rapports sur des propositions touchant aux divers points qui viennent d’être soulevés, sont prêts à être discutés :
- 1® Le rapport sur les propositions de loi de M. Mil-lerand conférant la personnalité civile aux syndicats, précisant et augmentant leur capacité juridique et leur accordant la capacité commerciale ;
- 2° Le rapport sur les propositions de loi concernant les différends relatifs aux conditions du travail et le droit de grève.
- Le premier a été déposé par M. Barthou sur le bureau de la Chambre le 28 décembre 1903. Il a été analysé ici.
- Le second a été déposé le 22 décembre 1904, par M. Colliard.
- Nous allons le résumer succinctement.
- La Commission parlementaire du travail avait été saisie de trois propositions, celles de MM. Millerand, Paul Constans et Rudelle. Le rapporteur a adopté les dispositions proposées par M. Millerand en les modifiant sur quelques points.
- La proposition de M. Millerand comprend deux parties distinctes : l’une a pour but de prévenir, autant que possible, et de régler les conflits avant toute cessation de travail ; l’autre a pour objet d’organiser la grève en y substituant, pour décider la cessation ou la reprise du travail, le vote libre des intéressés aux procédés de pression et d’intimidation qui sont trop souvent exercés actuellement dans les grèves. Elle institue des délégués permanents chargés de recueillir les réclamations des ouvriers et de les remettre chaque mois au patron, et elle contraint employeurs et employés à soumettre à l’arbitrage les différends qui n’auront pas été réglés à l’amiable par les délégués.
- Les modifications introduites par M. Colliard dans la
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- proposition Millerand visent tout d’abord le choix des délégués et décident qu’ils seront pris parmi les ouvriers ou employés, à l’exclusion des agents préposés à la direction ou à la surveillance du personnel. Les votes auraient lieu à la mairie ; le 2e tour de scrutin aurait lieu dans un délai maximum de quinze jours; enfin la durée d’application des sentences arbitrales fixée à une période de six mois dans la proposition Millerand, serait laissée à l’appréciation du conseil arbitral d’après le rapporteur. Des sanctions pénales atteindraient les auteurs du délit de voies de fait, violences, menaces et les auteurs de dons et promesses. La commission a toutefois rédigé son texte de telle manière que l’on ne pût considérer comme un délit le fait de soutenir la cause des ouvriers, par des associations ou des personnes, qui mettraient à leur disposition une somme quelconque destinée à soulager les misères que toute grève entraîne avec elle.
- La proposition ne vise que le patron qui occupe au moins 50 ouvriers. C’est le chiffre adopté dans des recensements professionnels pour définir les grands et moyens établissements. Sans doute, il existe d’importants établissements occupant moins de 50 ouvriers, où la procédure d’arbitrage instituée par la loi rendrait de grands services, mais il convient de remarquer que la proposition n’interdit nullement aux chefs de ces établissements de s’y soumettre volontairement.
- Quant au patron visé par la loi, il est libre d’accepter ou de refuser la nouvelle organisation ; mais il est obligé de prendre une décision ferme à cet égard et de faire connaître cette décision à tout ouvrier ou employé se présentant pour être embauché. Avec le chiffre de 50 ouvriers adopté par la commission et en admettant que tous les établissements se soumissent à l’arbitrage prévu par la proposition, celle-ci s’appliquerait d’après les données fournies par le recensement professionnel de 1896, à 7,624 établissements industriels dont 168 entreprises de manutention et de transports, et 446 établissements commerciaux.
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- La discussion de l’impôt sur le revenu sera sans doute reprise plus tard, sur nouveaux frais. Quant à l’examen du budget, il va se poursuivre dans l’atmosphère de calme tranquillité que procure le vote de nombreux douzièmes provisoires.
- En attendant, pour clore, sauf omission, l’exercice de 1904 en ce qui concerne la législation ouvrière, enregistrons deux lois qui intéressent, la première les employés des chemins de fer de l’Etat, la seconde la généralité des travailleurs.
- En vertu de la loi du 27 décembre 1890, qui a complété l’article 1780 du Code civil, les ouvriers et employés des chemins de fer , peuvent comme tous les autres, réclamer une indemnité en cas de renvoi. Mais la jurisprudence a toujours refusé le bénéfice de cette loi aux employés et ouvriers des chemins de fer de l’Etat et les a renvoyés devant la justice administrative.
- Pour faire rentrer dans le droit commun les travailleurs des chemins de fer de l’Etat, la Chambre des députés, dans sa séance du 15 novembre, a adopté la proposition de loi suivante, présentée le 21 mars dernier par M. Lhopiteau :
- «Les tribunaux ordinaires sont compétents pour statuer sur les différends qui peuvent s’élever entre l’Administration des chemins de fer de l’Etat et ses employés, à l’occasion du contrat de travail. »
- Cette proposition a été transmise au Sénat.
- Par un vote définitif, cette fois, la Chambre a consacré d’importantes modifications à la loi du 9 avril 1898 sur les accidents du travail.
- Sous la précédente législature, une pratique de quelques années ayant mis en pleine lumière certaines imperfections et certaines lacunes de la loi du 9 avril 1898, un projet modifiant plusieurs articles de cette loi, fut adopté, le 3 juin 1901, par l’unanimité de la Chambre, et renvoyé au Sénat.
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- Cette assemblée détacha du projet un certain nombre de dispositions présentant ce double caractère d’être particulièrement urgentes et de ne soulever aucune contestation ; elle les réunit en un projet spécial que la Chambre se résignant à cette disjonction, dut voter à nouveau et qui, ayant reçu Fadhésion des deux Chambres législatives, devint la loi du 22 mars 1902.
- Sans en reproduire le texte intégralement, rappelons, avec le rapporteur du projet, M. Mirman, dont le labeur, en matière de législation ouvrière, fait penser au travail des Bénédictins et parfois aussi au rocher de Sisyphe, que la loi du 22 mars 1902, modifiant les articles 2, 7, 11, 12, 17, 18, 19 et 22 de la loi de 1898, se proposait dans ses parties essentielles, de régler de façon plus pratique et plus simple les formalités de la déclaration, de décharger les maires d’une partie trop délicate de leur tâche, d’augmenter les garanties d’impartialité des expertises médicales, d’étendre le droit des victimes à l’assistance judiciaire, surtout de préciser les délais de prescription de façon à empêcher le renouvellement de certaines forclusions aussi préjudiciables aux travailleurs que contraires à l’équité.
- Les autres dispositions du projet furent votées par le Sénat, en première lecture, dans les séances des 14, 16, 17 et 21 juin 1904. Nous en avons longuement parlé à cette occasion {Devoir, août 1904). Une deuxième lecture eut lieu dans les séances des 29 novembre et l«r décembre.
- Le texte adopté par le Sénat a été renvoyé le 6 décembre à la Chambre et par celle-ci à la commission d’assurance qui déposa son rapport le 24 décembre.
- Le Sénat, comme on sait, a fait subir au texte voté par la Chambre en 1901 un certain nombre de modifications importantes.
- La Commission eut à choisir entre trois partis consistant le premier, à reprendre son texte primitif, sous réserve des améliorations évidentes et reconnues comme telles à la lumière d’une expérience prolongée
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- encore durant plusieurs années ; le second, à ratifier intégralement le projet sorti des délibérations du Sénat ; le troisième, à retenir et à demander à la Chambre de consacrer par un vote définitif celles des dispositions de ce projet sur lesquelles aucune grave contestation ne pouvait être soulevée, celles aussi présentant un caractère d’urgence tout particulier, et à disjoindre, afin de les réserver pour un débat ultérieur, les quelques articles sur lesquels il semblait impossible de réaliser, entre les deux assemblées, un accord immédiat.
- C’est à ce troisième parti que la commission s’est arrêtée : En conséquence, ont été disjointes les dispositions des articles, 15 et 16 fixant les compétences respectives des juges de paix et des tribunaux civils.
- Sans entrer dans le fond même du débat et pour marquer succinctement sur quoi porte le désaccord entre le Sénat et la Chambre, bornons-nous à dire que la Chambre cherchait à supprimer les conflits de juridiction en étendant la compétence des juges de paix ; le Sénat, par un procédé tout contraire en restreignant cette compétence.
- La Commission n’a pas demandé à la Chambre de disjoindre la totalité de l’article 15 pour cette raison qu’indépendamment de la question de compétence, cet article contient les dispositions visant les agents des chemins de fer introduites par la Chambre dans son projet de 1901, dispositions que le Sénat a étendues à tous les ouvriers travaillant loin de l’établissement ou du dépôt auxquels ils sont normalement attachés, et que la Commission estime tout à fait justifiées.
- De même, tout en réservant de l’article 16 les dispositions concernant la délimitation des domaines respectifs du juge de paix et du tribunal civil, la Commission n’a pas voulu priver les intéressés du bénéfice des dispositions sur lesquelles la Chambre et le Sénat s’étaient mis d’accord.
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- Une de ces dispositions précise les conditions dans lesquelles doit être rendue l’ordonnance du président du tribunal pour que Faccord qu’elle fixe entre les parties soit conformes aux prescriptions de la loi ; l’autre, pour mettre à l’abri des variations de la jurisprudence, le texte légal qui veut que le chef d’entreprise, s’il a pris la précaution de s’assurer, soit couvert complètement en ce qui concerne les rentes à allouer aux victimes, exige que l’ordonnance du président ou le jugement fixant la rente allouée spécifie que l’assureur est substitué au chef d’entreprise de façon à supprimer tout recours de la victime contre ledit chef d’entreprise.
- En outre des articles 15 et 16, en partie réservés, la commission proposait à la Chambre d’accepter le texte sénatorial en ce qui concerne les autres articles de la loi de 1898 soumis à la révision : articles 3, 4, 10, 19, 21, 29 et 30.
- Xe nouvel article 3 stipule que l’indemnité journalière est due les dimanches et jours fériés (texte voté par la Chambre en 1901) ; que l’indemnité journalière de demi-salaire est due pour les quatre premiers jours qui suivent l’accident dans le cas où l’incapacité durerait plus de dix jours (transaction entre le texte de 1898 : point d’indemnité pour les quatre premiers jours quelle que soit la durée de l’incapacité, — et le texte voté par la Chambre en 1901 : — indemnité due à partir du premier jour pour toute incapacité durant plus de quatre jours.) La condition des ouvriers étrangers au regard delà loi de 1898 est également fixée par le nouvel article 3, ainsi que la date et lieu de payement de l’indemnité journalière et des rentes, et le salaire de base de l’indemnité journalière.
- Le texte du nouvel article 4 réserve à une commission spéciale le soin de déterminer en ce qui concerne les frais médicaux un tarif spécial auquel le juge de paix devra se conformer, et qui ne pourra être modifié qu’à intervalle de deux ans. Cette commission a un délai de six mois pour établir ce tarif.
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- Relativement aux frais d’hospitalisation, nous reproduisons le texte définitivement adopté , parce qu’il diffère de^celui que le Sénat avait voté en juin dernier : « Le chéf d’entreprise est seul tenu dans tous les cas, en outre des obligations contenues en l’article 3, des frais d’hospitalisation qui , tout compris , ne pourront dépasser le tarif établi pour l’application de l’article 24 de la loi du 15 juillet 1893, majoré de 50 0/0 ni excéder jamais 4 francs par jour pour Paris ou 3 fr. 50 partout ailleurs. »
- A la légère modification de rédaction apportée en 1901, par la Chambre au texte de l’article 10 (définition du salaire) et que le* Sénat avait acceptée en première lecture, cette assemblée a ajouté la disposition suivante que la commission de< la Chambre a fait sienne : « Si pendant les périodes visées aux alinéas précédents, l’ouvrier a chômé exceptionnellement et pour des causes indépendantes de sa volonté, il est fait état du salaire moyen qui eût correspondu à ces chômages. »
- Le nouvel article 19 relatif à la révision, n’a pas été compris dans le projet voté par la Chambre en 1901, mais ses dispositions essentielles sont empruntés par le Sénat à une proposition de loi spéciale présentée dans la première année de la précédente législature par MM. Mirman et J. David. Il a principalement pour objet de combler une lacune de la loi de 1898 qui prévoit la révision, mais reste muette sur la procédure à suivre.
- Aucune modification n’a été apportée par le Sénat au texte de l’article 21 relatif au rachat des pensions inférieures à 100 francs.
- Les retouches faites à l’article 29 (contrôle des compagnies et Sociétés d’assurances), mettent les chefs d’entreprise à l’abri d’un danger dont des expériences récentes ont fait apparaître la gravité. D’après la loi de 1898, en effet, dès la publication au Journal Officiel de la liste annuelle des Sociétés d’assurance, tous les contrats souscrits par la Société rayée de la liste étaient
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- ipso facto résiliés. Les chefs d’entreprise se trouvaient ainsi brusquement découverts de toute assurance ; un accident survenu le lendemain dans leur entreprise avant même qu’ils aient pu signer une autre police, engageait leur responsabilité dans les plus graves conditions.
- M. Mirman rappelle à ce sujet que lorsqu’au 1er décembre 1903 parut la liste officielle d’où trois sociétés venaient d’être rayées, le Parlement se préoccupa immédiatement de cette situation et substitua à la couverture des compagnies dont la loi les privait brusque- -ment la couverture gratuite de la Caisse nationale et du fonds de garantie pendant le délai minimum nécessaire aux chefs d’entreprise pour se trouver un nouvel abri.
- Cette loi de circonstance, et qui n’aurait pu être renouvelée chaque fois que de telles circonstances viendraient à se produire, appelait impérieusement une retouche sur ce point au texte législatif de 1898 ; on trouvera cette retouche dans le nouveau paragraphe deuxième de l’article 27, ainsi conçu :
- « Le dixième jour, à midi, à compter de la publication de l’arrêté au Journal Officiel, tous les contrats contre les risques régis par la présente loi cessent de plein droit d’avoir effet, les primes restant à payer ou les primes payées d’avance n’étant acquises à l’assurance qu’en proportion de la période d’assurance réalisée, sauf stipulation contraire dans les polices. »
- Enfin, l’article 30 formule certaines sanctions pénales qui ont paru indispensables à la Chambre et au Sénat. Le texte de 1898 se borne à déclarer nulle de plein droit toute convention contraire à la loi.
- La Chambre en 1891 avait renforcé cet article en déclarant nulles de plein droit et de nul effet les obligations contractées pour rémunération de leurs services envers les hommes d’affaires véreux qui assiègent et parfois dépouillent les travailleurs.
- Le Sénat a suivi la Chambre dans cette voie, et, en
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- CHRONIQUE PARLEMENTAIRE
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- outre, a ajouté à son texte un paragraphe nouveau formulant diverses sanctions pénales destinées : premièrement, à juguler ces agents d’affaires ; deuxièmement, à frapper les chefs d’entreprise coupables d’opérer sur le salaire de leurs ouvriers des retenues illégales ; troisièmement, à garantir pour les travailleurs le droit de choisir librement leur médecin ; quatrièmement, à prévenir les fraudes commises au moyen de certificats sciemment inexacts.
- Le texte soumis à la Chambre par sa Commission de prévoyance, constitue suivant le rapporteur, sur la loi de 1898 un progrès certain par les avantages nouveaux qu’il accorde aux travailleurs, par les lacunes qu’il comble et les obscurités qu’il dissipe ; et il rend plus facile et plus sûr le fonctionnement normal de cette loi sociale, dont les principes généraux sont désormais hors de tout débat. C’est le résultat le plus important que le monde du travail ait retiré de la session extraordinaire de 1904, la plus verbeuse qui fût, et il a été obtenu sans débat.
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- FAITS POLITIQUES ET SOCIAUX
- FRANCE
- La fatigue cause d’accidents.
- M. Imbert, professeur de la Faculté de médecine <je Montpellier, et M. Mestre, inspecteur du travail dans l’Hérault, ont eu l’idée d’entreprendre de démontrer par la méthode graphique que le nombre des accidents du travail croît avec le degré de fatigue des ouvriers.
- Leur travail porte sur l’ensemble des 56,468 ouvriers de l’Hérault avec 2,065 accidents déclarés, et sur l’ensemble de 140,407 ouvriers de la circonscription de Toulouse avec 5,534 accidents déclarés. Ils sont arrivés à des conclusions qu’ils formulent ainsi :
- « Le nombre des accidents augmente progressivement d’heure en heure pendant la première demi-journée ;
- « Après le repos assez long de midi, dans les premières heures de la seconde demi-journée, le nombre des accidents est notablement moindre que dans les dernières heures de la matinée ;
- « Au cours de la seconde demi-journée, les accidents deviennent encore, d’heure en heure, progressivement plus nombreux ;
- « Le nombre maximum d’accidents par heure, vers la fin de la seconde demi-journée, est notablement plus élevée que le maximum correspondant de la matinée. »
- C’est dans la € Revue scientifique » que ce travail a paru Il a été aussitôt reproduit et discuté. La « Revue industrielle» a fait des réserves sur l’affirmation de MM. Imbert et Mestre à propos de la nécessité d’intercaler un repos au milieu de chaque journée, et le ministre
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- du commerce a reproduit avec éloges, dans son Rapport général, les données des deux enquêteurs.
- Une caisse municipale de chômage.
- Le Conseil municipal de Paris a décidé la création d’une caisse de chômage, en conformité du vœu émis par le Conseil supérieur du travail, qui s’est déclaré favorable au système pratiqué à Gand.
- Les crédits qui seront affectés à cette caisse permettront de subventionner ceux des syndicats ouvriers parisiens accordant des secours de chômage à leurs adhérents.
- La caisse des chômeurs serait gérée par les représentants des syndicats ouvriers ou fédérations de métiers et d’industries pratiquant l’assistance aux chômeurs de leurs corporations respectives.
- Ces organisations recevraient une subvention équivalente à 20 o/° des indemnités par elles payées aux adhérents.
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- Ecoles pratiques de commerce et d’industrie.
- Au 1er octobre 1904, les écoles pratiques de commerce et d’industrie ouvertes aux élèves étaient au nombre de 50 contre 47 au 1er octobre 1903. Elles se répartissaient ainsi qu’il suit :
- 1° 32 écoles pratiques de commerce et d’industrie dont 24 écoles de garçons et 8 de jeunes filles ;
- 2« 17 écoles pratiques d’industrie, de garçons ;
- 3° 1 école pratique de commerce, de garçons.
- Les trois nouvelles écoles ouvertes au 1er octobre 1904 sont les deux écoles pratiques de commerce et d’industrie, de garçons, de Charleville et de Nantes, qui comptent déjà respectivement 241 et 210 garçons et l’école pratique d’industrie, de garçons, de Saint-Nazaire qui compte 76 élèves.
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- Dans l’ensemble, les écoles pratiques de garçons, de toute nature, comptaient 7.498 élèves, celles des jeunes filles 2.403, soit au total 9.901 élèves contre 8,718 en octobre 1903 , soit une augmentation de 1.183 élèves. L’augmentation porte surtout sur les écoles pratiques de commerce et d’industrie, dont l’effectif est passé de 4.131 à 4.536 élèves, indépendamment de deux nouvelles écoles qui comptent ensemble 451 élèves. L’effectif des écoles pratiques d’industrie reste au contraire à peu près stationnaires. Abstraction faite de la nouvelle école de Saint-Nazaire, qui compte 76 élèves, l’effectif des autres écoles n’accuse qu’une augmentation totale de 102 élèves (2.353 contre 2.251 en 1903).
- L’unique école pratique de commerce, de Boulogne-sur-mer, comptait 82 élèves contre 80 en 1903.
- Enfin les écoles pratiques de commerce et d’industrie de jeunes filles accusent un gain net de 152 élèves ; sur les 8 écoles, 5 accusent un effectif supérieur à celui de 1903 (1633 élèves contre 1462) et 3 accusent un effectif inférieur (770 élèves contre 804.)
- Ecoles nationales professionnelles.
- Les 4 écoles nationales professionnelles d’Armen-tières, Nantes, Vierzon et Voiron comptaient, en octobre 1904, un effectif total de 1,276 élèves contre 1,212 en octobre 1903, soit une augmentation de 64. Ce n’est pas la première fois que l’on constate la faible augmentation d’effectif de ces écoles. Elle est uniquement due, paraît-il, au manque de place. Elle se répartit à peu près également sur les quatre écoles* qui sont toutes en gain sur l’année précédente.
- ETATS-UNIS
- L’homestead.
- Tous les projets de loi sur la constitution d’un bien
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- insaisissable citent l’exemple des Etats-Unis comme un modèle à suivre et vantent les bienfaits de cette institution qui a peuplé et a fait défricher une grande partie des terres d’Amérique.
- Cette opinion, d’après une note communiquée par M. Levasseur à l’Académie des sciences morales et politiques, résulte de la confusion que l’on établit entre la llomestead law fédérale et les Homestead exemption laws des Etats-Unis.
- La Homestead law fédérale de 1862 et les lois qui l’ont complétée ont, en effet, peuplé le Far West, et les Américains l’ont en grande estime. Mais elle a pour objet la concession en petites propriétés des terres du domaine public et elle ne constitue en aucune façon un bien insaisissable.
- Ce sont les lois locales qui ont constitué l’insaisissabilité dans certains cas. Cette distinction a été établie dans des publications françaises , notamment dans l’ouvrage de M. Bureau.
- Les hommes d’Etat et de science aux Etats-Unis font peu de cas des lois d’exemption ; aucun ne les regarde comme ayant eu une influence sur la prospérité de la nation américaine.
- Un projet de loi vient à l’étude au Conseil d’Etat. M. Levasseur a consulté de nouveau quelques-uns des hommes les plus compétents en cette matière aux Etats-Unis, le commissaire du travail de Washington, le statisticien du département de l’agriculture, etc.; ils s’accordent à dire qu’ils n’ont aucun renseignement statistique sur ce sujét, que la question n’est pas considérée comme importante aux Etats-Unis.
- Quelque sentiment qu'on ait sur l’opportunité de la création d’un bien insaisissable, il ne faut pas tromper l’opinion en citant les Etats-Unis comme un pays où l’on vante les bienfaits de l’exemption.
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- Evolution politique.
- Aux élections pour la nomination du président de la République, le candidat du parti ouvrier, proprement dit, M. Debs, a obtenu 600,000 voix environ. Si on le compare aux 20 millions de votes émis, ce chiffre paraîtra peu considérable, mais il a une tout autre signification si on le met en regard des 97,730 voix obtenues par ce parti en 1900.
- « Cet accroissement des voix socialistes », s’écriait le président Schurman de la grande université Cornell de l’Etat de New-York, dans un important discours politique, « et cette abstention de plus d’un million de démocrates dans le récent scrutin présidentiel, ont leur éloquence. C’est là une protestation aussi significative que le drapeau rouge l’autre jour, dans les rues de Saint-Pétersbourg, contre l’injustice et pour le respect des droits de l’homme. »
- « Si l’on ne veut pas la révolution », a-t-il ajouté, « il faut vouloir les réformes. »
- Les réformes que demande M. Schurman sont les suivantes : contrôle administratif sévère des chemins de fer et de tous les monopoles en général, municipalisation des services publics, eau, gaz, tramways, téléphones , révision du tarif dans un sens libre-échangiste, et même impôt sur le revenu.
- C’est la plus grande partie du programme populiste dans la bouche d’un républicain. La vieille classification historique des partis tend à céder la place à une classification prenant sa raison d’être dans les diverses conceptions économiques. Quand les modérés en sont là, les autres ne peuvent pas aller moins loin.
- D’une part, on demande à l’Etat, d’exercer un -contrôle effectif sur les grandes compagnies industrielles et financières ; de l’autre, on veut mettre à sa charge la gestion des entreprises qui constituent de véritables monopoles Entre ces deux revendications, pas de moyen terme. Que la première échoue, ceux qui la for-
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- mulent reviendront-ils au maintien du statu quo contre lequel ils s’insurgent actuellement, n’iront-ils pas plutôt à la seconde ?
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- La Fédération du travail et les Japonais.
- Il y a quelqu’un en Amérique que les victoires japonaises inquiètent fort. Le Japon menace de devenir sous peu une grande nation demandant à toutes les autres nations civilisées l’égalité de traitement. C’est de plus une nation de petit territoire et de forte population. On peut donc redouter de voir, avant peu, les Etats-Unis envahis par des travailleurs jaunes, qui constitueraient une compétition redoutable pour les travailleurs indigènes. Aussi nous expliquons-nous Té-motion de l’importante Fédération of Labor, la grande association ouvrière aux Etats-Unis. Dans son assemblée générale, le 21 novembre, à San Franscisco, elle* vient de se prononcer à l’unanimité contre l’admission des Japonais et a chargé son président, M. Gompers, de former une commission en vue de préparer un pétition-nement dans ce sens au Congrès. Cela réussira-t-il ? Les Japonais se laisseront-ils traiter comme les Chinois ? C’est douteux. Prenons note de ce nouveau problème qui se pose. (Journal de Genève).
- L’immigration.
- Le rapport annuel du commissaire de l’immigration aux Etats-Unis renferme quelques chiffres intéressants :
- D’après la statistique quë renferme ce rapport, le nombre des immigrants qui sont arrivés pendant Tannée finissant au 30 juin 1904 a été de 812,870 personnes, contre 857.046 pendant l’année précédente, ce dernier chiffre étant d’ailleurs le plus élevé qui ait jamais été enregistré dans l’espace d’un an.
- Des 812,870 personnes arrivées pendant Tannée 1904,
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- 549,100 étaient du sexe masculin; 168,000 des immigrants ne savaient ni lire, ni écrire. Le rapport donne un tableau qui permet de comparer le nombre des immigrants provenant des divers pays du monde.
- Pour l’année 1904, c’est l’Italie qui vient en tête avec 193,296 personnes ; ensuite viennent l’Autriche-Hongrie, avec 177,156; puis la Russie et la Finlande, qui envoient aux Etats-Unis 145,141 personnes ; pour la Grande-Bretagne et l’Irlande, le chiffre est de 87,590, dont 36,142 au compte de l’Irlande. Il est intéressant de noter que l’immigration des Allemands dans les ' Etats-Unis, pendant l’année en question, ne donne que le chiffre relativement restreint de 46,380 personnes.
- La grande majorité des immigrants , soit 606,019 personnes, sont passées par le port de New-York.
- On sait à quelles minutieuses formalités sont soumis les voyageurs qui abordent aux Etats. A leur arrivée en rade de New-York, les passagers de 3e classe — car pour ceux de lreet de 2e classe les rigueurs s’atténuent au point de s’effacer à peu près complètement — sont transbordés sur un « ferry-boat » à Ellis Island, petite île non loin de la « Liberté éclairant le monde, » et là on les amène dans une immense salle pouvant contenir un millier de personnes. Cette salle est savamment divisée par de hautes barrières métalliques en autant de compartiments et de sous-compartiments que la loi a prévu d’opérations du service de l’immigration.
- Chaque individu est examiné par une série de médecins spécialistes au point de vue de la santé générale, de la conformation, des maladies de la peau ou des yeux. Il est soumis dans certains cas à une désinfection énergique.
- Si les médecins jugent que pour une cause quelconque l’émigrant peut tomber à la charge d’un hospice, il est immédiatement mis à part et renvoyé dans ses foyers aux frais de la compagnie maritime qui l’a amené.
- Les cas douteux, nécessitant une observation, pro-
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- longée ou des soins médicaux, sont envoyés à l’hôpital de l’île, également aux frais de la compagnie. Celle-ci paye d’ailleurs la nourriture de tous ses passagers jusqu’à leur départ de l’île, à raison de 30 cents (1 fr. 50) par jour.
- La visite médicale terminée, les émigrants sont soumis à un interrogatoire détaillé sur la nationalité, l’âge, l’état-civil, les antécédents, les moyens d’existence. On veut s’assurer qu’ils ne constitueront pas un élément dangereux ou inutile de la population des Etats-Unis.
- Trois commissions d’enquête siégeant en permanence dans l’île, prononcent, après un examen particulièrement sévère, sur l’admission des émigrants qui n’ont aucun parent ou ami établi aux Etats-Unis pouvant répondre d'eux. Quant aux autres, on les retient jusqu’à ce que le parent ou l’ami, avisé par télégramme, soit venu les chercher.
- Les vieillards sont impitoyablement renvoyés si leurs enfants qui les ont fait venir dans leur nouvelle patrie, ne prouvent pas qu’ils ont des économies et pourront les entretenir.
- Enfin un ingénieux système de cartes-signalement établies à la machine en moins de temps qu’il ne faut pour l’écrire, permet de retrouver les malades ou les criminels qui se seraient faufilés, malgré toutes les précautions prises, à travers les mailles du filet protecteur, de vérifier, trois ans même après l’arrivée, la véracité des renseignements donnés, sous le poids du serment, par les immigrants au sujet de leurs antécédents, et de les expulser « |)our immigration illégale. »
- Sur les 812,870 immigrants de l’année dernière, plus de 47,000 se sont vus refuser l’accès du territoire américain pour les motifs suivants : criminels, 167 ; anarchiste, 1 ; polygame, 1 ; prostituées, 17 ; proxénètes, 3; idiots, 52 ; aliénés, 208 ; indigents, 32,442 ; personnes atteintes de maladies contagieuses, etc., 5,529 ; assistés, 287 ; ouvriers engagés à l'avance, 8,982.
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- Plus de 4,000 ont été renvoyés un an après leur débarquement et 470 trois ans après. 501,000 immigrants avaient moins de 50 dollars en poche.
- C’est à l’exclusivisme des ouvriers syndiqués américains aussi protectionnistes que leurs patrons, qu’est due la mesure qui vise les ouvriers européens pourvus d’un engagement ; toutes les autres trouvent une explication suffisante dans ce fait que 24 % d’étrangers peuplent les prisons et institutions charitables de l’Etat de New-York, 49 °/0 celles du Montana.
- Le temps n’est plus, d’ailleurs, où l’émigration d’Europe amenait aux Etats-Unis les éléments les plus avancés, des hommes possédant en général une certaine culture, et quelques ressources. C’étaient des Allemands, des Anglais, des Scandinaves, les races les mieux titrées en instruction.
- Maintenant, comme on l’a vu tout à l’heure, ce sont les Italiens , particulièrement ceux du Sud, les Austro-Hongrois qui ouvrent la marche, suivis de près par les malheureux israélite s persécutés de Russie et de Roumanie . Et ce n’est pas une mince besogne pour la nation américaine que de s’assimiler, par l’école surtout, ces éléments nouveaux pour la plupart rebelles à la discipline de la vie moderne, et que les grandes agglomérations attirent, alors qu’ils trouveraient plus aisément à s’employer dans les campagnes, à la grande satisfaction de leurs hôtes et à leur propre satisfaction, s’ils pouvaient le comprendre.
- La question des nègres. — Une victoire.
- Le président Roosevelt jient d’obtenir la ratification, par le Sénat, de la nomination d’un nègre, M. Crum, comme percepteur de la douane deCharleston (Caroline du Sud).
- M. Roosevelt avait nommé trois fois M. Crum à ce poste, mais l’opposition des sénateurs du Sud avait empêché le Sénat de ratifier ce choix.
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- L’obstination du président à vaincre un tenace préjugé de couleur a fini par triompher.
- SUISSE
- La conférence internationale pour la protection des ouvriers.
- Le Conseil fédéral a adressé aux gouvernements étrangers, le 30 décembre, une note circulaire dans laquelle il expose que, sur la demande de la commission instituée par les délégués de l’Association internationale pour la protection légale des travailleurs, réunis à Cologne, le bureau de cette association le pria de convoquer une conférence internationale en vue de résoudre les questions suivantes : 1° l’interdiction de l’emploi du phosphore blanc dans l’industrie des allumettiers ; 2o l'interdiction pour les femmes du travail industriel de nuit.
- La presque unanimité des Etats dont les gouvernements furent confidentiellement pressentis firent connaître leur adhésion à la conférence internationale.
- Cette conférence s’ouvrira donc le lundi 8 mai 1905, à Berne. La note circulaire a été envoyée aux gouvernements suivants : Allemagne, Autriche-Hongrie, Belgique, Danemark, Espagne, France, Grande-Bretagne, Grèce, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, Portugal, Roumanie, Serbie et Suède et Norvège.
- La circulaire insiste sur l’importance qu’il y aurait à réaliser enfin « ne fût-ce que dans un cadre restreint », l’idée d’une entente internationale touchant certaines questions de protection ouvrière.
- « Nous avons le ferme espoir que la conférence ne se contentera pas de manifestations théoriques, mais qu’elle s’efforcera de préparer une entente effective entre les Etats. Nous estimons, à cette fin, qu’il y aurait lieu pour elle d’établir les principes de conventions internationales : ce travail, naturellement, ne
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- LE DEVOIR
- ÔS~
- préjugerait en rien les intentions des gouvernements représentés à la conférence, et la conclusion même des conventions demeurerait entièrement réservée à d’ultérieures négociations diplomatiques. »
- La crise de l’impôt sur le revenu.
- S’il faut en croire lé correspondant du Temps à Berne, l’impôt sur le revenu traverserait en Suisse une véritable crise. Comme par une sorte de vice constitutionnel , sa faculté de rendement loin d’augmenter , semble décroître.
- « Les fuites deviennent toujours plus nombreuses, par suite des fraudes, des fausses déclarations, des placements à l’étranger, etc., et à mesure que les gros revenus se dérobent, l’impôt pèse toujours davantage sur les fonctionnaires et les employés à traitement fixe.
- « Ceux-ci murmurent, et commencent à se grouper pour organiser la résistance. Ils prétendent que cet impôt ne sera bientôt plus que la « taxe des salariés ». A Zurich, où le déficit est chronique, la dissimulation des revenus est de pratique courante. Dans le canton de Yaud, les rentiers étrangers sont exempts d’impôt de par la loi ; ailleurs, ils s’en dispensent eux-mêmes. A Saint-Gall, on s’est avisé d'abaisser le taux de l’impôt pour en augmenter le produit, et le succès de cette mesure prouve que le système fonctionne mal au-delà de certaines limites, et qu’en tout cas, l’impôt unique est une chimère. A Bâle, le gouvernement en est réduit à proposer une augmentation globale de 20 0/0 des impôts pendant cinq ans, — en attendant une réforme problématique. Bref, on en est partout aux expédients, et si les cantons ne réussissent pas à endiguer le flot montant des dépenses publiques, ils devront se procurer de nouvelles ressources que l’impôt sur le revenu ne peut plus leur fournir. »
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- ITALIE
- La question des « latifundia ».
- La question des terres incultes de la campagne romaine ne semble pas encore avoir trouvé une solution définitive.
- On sait ce que sait que la campagne romaine ; immense lande que ses propriétaires, peu nombreux, les princes romains, bien fournis de rentes, laissent en pâturages aux troupeaux, et cela d’autant plus volontiers qu’il faudrait beaucoup de millions pour donner à ces terres une culture plus rémunératrice que le foin et le pâturage.
- Les lois faites pour remédier à cette situation, la loi de 1878 , celle de 1883 qui la complète, sont restées à l’état de lettre morte. Une nouvelle loi votée l’année dernière par la Chambre et dont nous avons parlé à cette occasion, essaye de venir à bout de la résistance des propriétaires en dispensant de l’impôt foncier pendant dix ans les terres défrichées, en autorisant l’expropriation des terres non défrichées, en les frappant d’une taxe supplémentaire, etc.
- Nous ignorons si cette loi votée en février 1904 par la Chambre, a été ratifiée par le Sénat. Même dans ce cas, elle n’aurait pas eu le temps de produire les effets qu’on en attend.
- La situation reste donc la même. Et l’on assiste à ce phénomène que les paysans eux-mêmes se chargent de résoudre le problème des terres incultes, en envahissant celles-ci et en les cultivant pour leur propre compte. Naturellement les autorités interviennent; il s'ensuit souvent des conflits, et les cas ne sont pas rares où il y a eu des blessés et des morts.
- Est-il possible de laisser plus longtemps des paysans dans le plus complet dénûment en face de terres qui pourraient leur fournir la subsistance, qu’ils ont le désir de travailler et dont l’égoïsme de propriétaires
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- opulents, encouragé par l’inertie des pouvoirs publics, leur interdit l’accès.
- JAPON
- Mesures contre les socialistes.
- On sait que les socialistes japonais, qui se réclament du mouvement collectiviste international avaient, dès le début du conflit russo-japonais, pris parti contre la guerre.
- Le journal de l’Association socialiste avait, au printemps dernier, attiré l’attention du ministre de l’intérieur en déclarant que la guerre est une chose barbare qu’il fallait faire cesser aussitôt. Depuis, cet organe avait invité les instituteurs, dont le traitement est très faible, à se joindre au parti socialiste pour améliorer leur situation. Enfin, l’Association avait fait traduire et publier en japonais le manifeste communiste de Marx et de Engels.
- C’était plus que n’en pouvait supporter le régime du sabre : l’Association a été dissoute, le journal supprimé, les presses et machines confisquées.
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- LA QUESTION DE LA PAIX
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- Convention relative aux navires de la Croix-Rouge.
- Une conférence diplomatique s’est réunie à La Haye sous la présidence M. de Montel, ministre de France, pour régler les mesures à prendre en vue d’adapter, à la guerre maritime, les principes de la Convention de Genève du 22 août 1864, en conformité d’une des décisions de la Conférence de La Haye du 27 juillet 1899.
- Elle a signé, le 25 décembre dernier, une convention en vertu de laquelle les navires hospitaliers seront exemptés, en temps de guerre, dans les ports des parties contractantes, de tous les droits et taxes qui sont imposés aux autres navires au profit de l’Etat, ce qui n’empêche pas l’application de la disposition relative à la visite et des formalités fiscales ou autres dans ces ports.
- Les puissances qui n’ont pas pris part à la conférence seront admises à adhérer après coup à la convention.
- Pétitionnement pour une trêve en Extrême-Orient.
- Dans une réunion tenue le 3 janvier dernier sous la présidence de M. F. Passy, assisté de MM. E. Arnaud, P. Allegret, Ch. Beauquier, député, Ed. Spolikowski, membre de la délégation des Sociétés françaises de la Paix ; de Mme Camille Flammarion ; de MM. J. Nicol, G. Moch, Stifanè Pol, docteur Berclay, L. Guébin, Bonka-nowski, Césévitz, il a été décidé qu’un pétitionnement international en faveur de la Paix en Extrême-Orient serait immédiatement lancé.
- En même temps une souscription pour les fonds de propagande pacifique a été ouverte. Les sommes
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- LE DEVOIR
- devront être adressées ou versées dans les bureaux du Crédit Lyonnais.
- Un comité de publicité et des finances, comprenant MM. F. Passy, Ch. Beauquier, Mme Flammarion, MM. J. Nicol, Césévitz, Stifane et Spolikowski a été immédiatement constitué.
- De son côté, le bureau international de la Paix invite les Sociétés pacifistes de tous les pays à soutenir la pétition de la délégation permanente des Sociétés françaises de la Paix, qui sera envoyée aux gouvernements russe et japonais, pour les amener à conclure un armistice en vue des négociations pour la Paix.
- L’enseignement des idées pacifistes.
- Résolution adoptée par le Congrès de la Ligue de l’enseignement à Amiens :
- « Que les pouvoirs publics s’inspirent des idées pacifiques dans la rédaction des programmes de l’enseignement à tous ses degrés, eUnotamment :
- « Que dans l’enseignement de l’histoire, on s’attache moins à développer des tableaux de carnage et des biographies de conquérants, qu’à montrer les progrès de la civilisation, les efforts des peuples vers leur émancipation, et les travaux des grands bienfaiteurs de l’humanité ;
- « Que dans l’enseignement des sciences, et en particulier de la géographie, on s’efforce de faire comprendre aux élèves comment les découvertes de l’esprit humain contribuent à rendre plus étroits les liens de solidarité de toute nature qui unissent les membres de la grande famille humaine ;
- « Que dans l’enseignement de la morale, on s’inspire de cette idée, que l’amour de la patrie peut être sincère sans être haineux, ni agressif, et qu’il n’exclut pullement l’amour de l’humanité ;
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- «Enfin, qu’une place soit réservée spécialement, dans les programmes officiels, à l’enseignement des idées pacifiques, et à l’exposé des efforts tentés par les nations civilisées pour résoudre par l’arbitrage les conflits internationaux. »
- Un mouvement pacifiste qui vient de se constituer en Saxe-Weimar, adresse une pétition au Reichstag pour demander :
- 1<> Que le Reichstag prie le chancelier de l’empire de faire des démarches auprès du gouvernement allemand en vue de la conclusion de traités d’arbitrage, surtout entre les Etats européens ;
- 2° Que le Reichstag propose d’ajouter la clause d’arbitrage aux traités de commerce à conclure, du moins pour les pays avec lesquels un traité d’arbitrage n’a pas été conclu ;
- 3° Qu’un nombre plus considérable de membres du Reichstag se fassent inscrire comme membres de l’Union interparlementaire et prennent part aux confé rences de cette association.
- Colonisation !
- Un journal allemand a publié, sur la rigueur de la répression militaire dans le pays des Herreros, les détails suivants extraits d’une lettre d’un soldat du corps expéditionnaire :
- « La tribu des Herreros est, pour ainsi dire, anéantie. Ce qui n’est pas encore occis (kaput) périra forcément, car nous occupons toutes les prises d’eau du pays. Les Herreros ont bien creusé, de ci de là, une soixantaine de citernes, mais inutilement : ils n’ont pas trouvé d’eau. Toutes ces citernes sont comblées de bœufs, de chèvres ou de moutons, morts de soif. Généralement on trouve, près de ce bétail, des groupes de vingt o trente indigènes qui ont subi le même sort, r-
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- « C’est grand dommage, quant au bétail. Nous h’avons pas de pitié pour ces gredins de nègres. Quand nous en capturons un, pas de pitié ! Il est fusillé séance tenante.
- « On épargne les femmes et les enfants, autant que faire se peut ; mais c’est de la pitié mal placée, car ce sont ces mégères qui ont mutilé nos blessés et nos morts. Elles leur ont arraché le cœur et l’ont préparé pour leurs guerriers...
- « Peut-être avez-vous déjà entendu parler de l’extraordinaire résistance de ces alfreux noirs. Nous en avons vu qui avaient été grièvement blessés par nos coups de feu. Hé bien ! ils arrachaient de l’herbe ou des feuilles, en pansaient leurs blessures, puis prenaient la fuite avec une agilité de chamois.
- « On a mis la tête de leurs capitaines à prix : mille marks pour chacun d’eux et cinq mille marks pour leur grand chef Samuel... »
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- Petit symptôme pacifique :
- L’hymne national américain renferme certaines allusions aux luttes d’autrefois entre la Grande-Bretagne et l’Amérique. Un Anglais notable suggère l’idée de faire disparaître les dites allusions et l’on dit que cette idée est très favorablement accueillie par les Yankees.
- Ce n’est pas grand’chose si vous voulez; mais cela ne permet-il pas de prévoir qu’un jour prochain tous les chants nationaux des peuples seront des chants de paix?
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- La commission du Gode civil.
- La commission de révision du Code civil a été installée le 22 décembre par le ministre de la justice, M. Vallé, qui lui a succinctement exposé la tâche qu’elle avait à remplir.
- Il s’agit beancoup moins, d’après le ministre, de jeter à bas notre vieux Code pour en faire un tout neuf, que de mettre en harmonie notre contrat social avec l’état social actuel. Et pour cela il y aura lieu de rechercher, dans les législations civiles étrangères et dans les travaux parlementaires de notre pays, les solutions juridiques qui, ayant réalisé un progrès, pourraient, aujourd’hui, prendre une place légitime dans le Code civil de la France.
- La commission s’est ensuite divisée en six sous-commissions dont chacune aura pour objet l’étude d’une partie du Code civil et des modifications à y apporter.
- La première sous-commission s’occupera du droit des personnes, du mariage, de la paternité et de la filiation. La deuxième sous-commission s’occupera du droit de propriété et des diverses modifications que ce droit peut subir. La troisième sous-commission étudiera le régime des successions et des donations. La quatrième sous-commission aura pour objet l’étude des principes généraux qui régissent les contrats et les obligations. La cinquième sous-commission s’occupera du contrat de mariage, ainsi que des droits et devoirs respectifs des époux. La sixième sous-commission aura à étudier les contrats spéciaux, comme la vente, le louage, la société.
- Les projets élaborés par ces diverses sous-commis-
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- sions seront discutés en assemblée générale et une sous-commission sera chargée d’en faire la rédaction définitive et de les adapter au texte du Code civil.
- On sait que la commission est exclusivement composée d’hommes. Notre dernière chronique parlementaire a signalé la protestation faite à la tribune de la Chambre contre cette exclusion. Les groupes féministes , qui avaient déjà protesté contre la célébration solennelle du centenaire d’un Code qui traite la femme en mineure, réclament également contre la composition exclusivement masculine de la commission.
- Voici le texte de la pétition adressée au garde des sceaux par le groupe, l’Union fraternelle des femmes ;
- « Monsieur le Ministre,
- « Les membres de l’Union fraternelle des femmes, réunis en séance mensuelle aujourd’hui 26 décembre 1904, nous chargent de vous exprimer leur sentiment d’approbation pour la louable initiative que vous avez prise d’instituer une commission extra-parlementaire pour la réforme du Code civil.
- « Ils estiment, Monsieur le Ministre, que le fait d’admettre dans cette commission, à côté des parlementaires qui ont mission de faire les lois, à côté des magistrats qui ont charge de les appliquer, des écrivains et des sociologues qui ont pris pour tâche d’en étudier les effets, souvent funestes, témoigne, de la part du Ministre de la Justice, des intentions les plus droites et d’un sincère désir de mettre le Code en harmonie avec les nécessités de la vie courante et les tendances de la société actuelle.
- « Mais ils regrettent la timidité qui l’a empêché d’appeler les femmes à cette collaboration, et cela à l’aurore du vingtième siècle, dans un pays qui s’appelle la France, sous un gouvernement que l’on nomme la République , en une société qui compte parmi ses avocats Mmes Marguerite Dilhan et Jeanne Chauvin ; parmi ses écrivains, des romanciers comme Camille Pert et
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- Harcelle Tinayre, des publicistes comme les leaders de la Fronde, et, parmi ses sociologues et ses réforma-teurs, des féministes comme Mme Marguerite Durand, Mme Jeanne Schmahl, Mme d’Abadie d'Arrast, Jlfmc de Sainte-Croix ^ Mme Odette Laguerre,
- Nelly Roussel, il/rn# Oddo-Deflou, Mme Maria Martin et tant d’autres !
- « Toutes les fois qu’une omission semblable se produit, nous nous sentons atteintes, non seulement dans notre dignité et dans notre intérêt personnels, mais dans notre solidarité de sexe, dans notre amour-propre national, dans nos sentiments républicains, dans notre raison et dans notre conscience d’êtres humains, qui protestent contre cet outrage.
- « C’est pourquoi nous vous prions, Monsieur le Ministre, d’étendre aux femmes le geste d’appel auquel elles seront heureuses et hères de répondre.
- « Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, l’expression de notre respectueux dévouement. »
- La pétition est signée : Marbel, présidente de l’Union fraternelle des femmes ; J. Helié, secrétaire générale ; B. Cremnitz, secrétaire.
- Cette réclamation est des plus justes. Il suffit, pour s’en convaincre, de jeter les yeux sur le programme sur la tâche impartie à chacune des six sous-commissions. Même s’il ne s’agissait que de la révision de textes n’ayant pour la femme aucun intérêt direct, on aurait pu faire utilement appel au concours des femmes capables de les discuter, et il n’en manque pas.
- Mais la révision doit porter sur les questions du mariage , de la paternité, de la filiation, des droits et devoirs respectifs des époux, et l’on ne comprend plus qu’une telle mission soit confiée à une commission uniquement composée d’hommes.
- « Que diraient-ils », fait remarquer judicieusement Mme Maria Martin, dans le Journal des Femmes (janvier 1905), « si on renversait l’ordre des choses et si
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- les femmes prétendaient, à elles seules, légiférer pour les hommes, leur octroyer les droits qu’il leur plairait et leur imposer des devoirs ? L’idée semble grotesque et ne peut que provoquer des sourires ; cependant ce n’est pas plus absurde que de voir les hommes faire des lois pour les femmes sans daigner les consulter.
- Mme Maria Martin espère encore qu’il y a erreur et qu’on reviendra sur une décision si peu en accord avec des idées libérales et avancées. « Nous ne sommes plus, » dit-elle, « à la période de la force dominante et il serait difficile à ces messieurs de soutenir que toute l’intelligence réside dans les cerveaux masculins. Les femmes en ont bien assez pour conduire leurs propres affaires et pour savoir ce qui leur est utile et ce qui leur serait nuisible. Il n’est pas possible que des hommes instruits, libéraux, aux idées avancées, tels que le sont, pensons-nous, les membres de la commission, écartent systématiquement le concours des femmes. Ou alors ce serait à faire croire qu’ils ne sont pas inspirés par l’amour de la justice. »
- La directrice du Journal des Femmes a parfaitement raison de s’en prendre aux messieurs delà commission. Il dépend d’eux, en effet, de fournir au ministre le moyen de compléter ses choix en tenant compte des revendications féminines. Dans son allocution, M. Vallé leur disait textuellement : « Si vous pensez que mes choix ont été trop restreints, que j’ai par erreur négligé certaines compétences , que j’ai , comme on l’a dit, manqué de galanterie et de hardiesse, en ne demandant pas aux femmes de venir dire leur mot sur ce code qui les malmène quelque peu, je vous laisse le soin de m’indiquer comment, dans quelles conditions, sous quelles formes, je devrai réparer mes oublis. »
- Que les commissaires expriment le désir de voir des
- femmes prendre part à leurs travaux, et le ministre..
- qui a remplacé M. Vallé à la justice, s’empressera d’y déférer. Une telle promesse engage plus que la personne, la fonction.
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- Alors toutes les conditions de compétence et d’équité pourront être réunies pour faire de cette tardive mise au point du Code, que Godin voulait périodique, une œuvre sérieuse et solide.
- Association des femmes suisses.
- L’Association des sociétés de femmes suisses compte actuellement 44 sociétés avec plus de 13,000 membres.
- Dans la dernière assemblée générale tenue, à Aarau, diverses communications ont été faites : par Mme Steck (Berne) sur l’assurance des journalières, par Mme Bleu-ler (Zurich) sur l’influence de l’alcool sur la natalité; sur le Congrès international des femmes à Berlin, par les diverses déléguées à ce Congrès. La résolution suivante a été prise par l’assemblée touchant le cas de Frida Keller, condamnée à mort par la Cour d’assises de Saint-Gall pour avoir tué son enfant :
- « Au nom de milliers de femmes suisses, l’Association exprime son profond regret de la condamnation de Frida Keller, que la loi a frappée dans toute sa rigueur, sans prendre en considération les diverses circonstances atténuantes si bien relevées par la défense. Si ce jugement répond à la lettre de la loi, il n’est nullement conforme aux notions de droit actuel.
- « Loin de nous l’idée d’excuser le moins du monde cet atroce forfait. Ce que nous demandons, c’est que l’on comble dans notre législation cette lacune qui permet de refuser, en pareil cas, les circonstances atténuantes. Nous espérons que cette expérience servira d’avertissement à ceux qui sont chargés de rédiger nos lois et qu’ils introduiront dans leur code des dispositions qui protègent la jeune fille mineure ainsi que les filles-mères et les enfants naturels # dispositions qui seront de nature à empêcher, à l’avenir, des crimes pareils à celui de Saint-Gall ».
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- OUVRAGES REÇUS:
- L’Almanach de Ja coopération française et suisse pour 1905, édité par le Comité central de FUnion coopérative et le secrétariat de FUnion suisse des Sociétés de consommation. (Prix : 40 centimes, 1, rue Christine, 1, Paris).
- Cette brochure de propagande devrait être répandue pour faire l’éducation coopérative des sociétaires.
- Voici les principaux articles :
- « La Coopération vinicole, par A. Berget ; l’Instruction coopérative, par E. de Boyve ; l’Assurance coopérative en Grande-Bretagne, par J. Cernesson ; l’Epargne par la Mutualité ou par la Coopération ; l’Office coopératif et la Statistique détaillée des Sociétés françaises de consommation, par A. Daudé -Bancel ; la Situation du Crédit agricole en France et en Algérie, par Maurice Bu four mante lie.
- « L’Almanach de 1895, l’Assurance contre la faillite, par Ch. Gide ; Par quoi remplacer l’alcool, par le docteur Legrain ; Thèses sur le rôle des Coopératives de consommation dans le mouvement ouvrier, par le docteur Hans Muller ; Comment on organise une conférence de propagande coopérative, par Alfred Nast ; la Coopération urbaine de Crédit, par Rayneri ; Pour les Pétrins mécaniques, par Henri Rivet ; l’Assurance coopérative, par Rollet ; les Destinées, par Emile Rou-baud ; quelques traits caractérisques du mouvement coopératif suisse ; Liste des Sociétés adhérentes à l’Union, par FUnion coopérative suisse ; la Chambre consultative et la Liste des coopératives de production qui y adhèrent, par A. Vila. »
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- Une conférence interrompue.
- Saynète coopérative composée par des coopérateurs de VAbeille nimoise, éditée par de Boyve. (Prix 0 fr. 30. Bureaux du Comité central de l’Union coopérative, 1, rue Christine , Paris, et bureau de VEmancipation , Nimes).
- Cette charmante charge, sur le ton de laquelle nous n’aurons pas besoin de nous appesantir, lorsque nous aurons dit qu’elle met en scène le conférencier Rasoir, l’épicier Mélasse, le collectiviste Guimauve, l’anarchiste Petardini, le gendarme Cabriolet, le président Patience et la coopératrice Marianne, fut jouée, par ses auteurs lors de la dernière fête coopérative donnée par VAbeille, devant un public nombreux de coopérateurs et de non-coopérateurs, de femmes et d’enfants.
- Le succès en fut tel que les auteurs-acteurs, qui comptent parmi les écrivains aimés de la coopération, ont décidé de la publier avec la pensée qu’elle pourra être jouée dans d’autres fêtes coopératives. Nous lui souhaitons, en attendant, un grand succès de lecture, car cette folâtrerie abonde en enseignements des plus sérieux.
- Almanach de la Paix pour 1905 (Plon, Nourrit et Cie, éditeurs , rue Garancière, 8 et 10, Paris ; prix : 20 centimes.
- Cet excellent almanach illustré paraît pour la dix-septième fois. Il contient une préface de M. d’Estour-nelles de Constant, « En rade de Kiel, 29 juin 1904 » ; un article par Frédéric Passy sur la politique de la paix ; un long et très intéressant article par Jacques Dumas, « le Mouvement pacifique pendant l’année 1904 » ; les « Guerres de l’année », par Th. Ruyssen ; les « Récents Traités d’arbitrage permanent entre nations », par Raoul de la Grasserie ; un excellent article
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- pacifique : « Tableaux de la guerre russo-japonaise », par Lucien Le Foyer, etc.
- Nous n’avons pas besoin de recommander cet almanach, qui est déjà bien connu par les pacifistes, mais il serait utile de le propager dans tous les milieux et son prix modique permet à tous d’en distribuer quelques exemplaires.
- Almanach des coopérateurs belges, pour 1905.
- 14e année. Prix : 15 centimes.
- Editeur : L. Bertrand, 17, rue Jamês-Watt, Bruxelles. 250 nouvelles sociétés coopératives se sont fondées en Belgique du 1er novembre 1903 au 31 octobre 1904. L’Almanach en donne la liste.
- L’organisation socialiste et ouvrière en Europe, en Amérique et en Asie. (3 fr. 50).
- Editeur : Secrétariat socialiste international , rue Heyvaert, 63, Bruxelles.
- Dualisme cosmogonique et religieux, par A.
- Alhaiza. (Prix : 1 franc).
- L’instruction morale dans l’école.
- Ces deux opuscules peuvent être obtenus au siège de « La Rénovation », 130 , rue de Rosny, à Montreuil-sou s-Bois (Seine).
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- LES DEUX VIES
- Par Paul et Victor MARGUERITTE
- (Suite.)
- — Gabrielle, dit Mme Lurat, s’est sacrifiée en vain : elle aurait dû se remarier. Après son admirable vie de renoncement, elle avait tous les droits au bonheur. Vous me direz qu’elle est mondaine, qu’elle a de bons amis, que l’indépendance est sans prix. Mais comment une femme douée à ce point de tendresse, de dévouement, peut-elle se résigner à vivre seule ? A son âge, belle comme elle est, c’est un meurtre !
- Charlie, penché vers le frein, montrait à la descente une attention trop subite. Une indignation le prenait : « De quoi se mêlait-elle ? Gabrielle se marier... Quelle idée baroque f » Un étranger, un intrus à ses côtés ! Un maître, quelqu’un à qui il aurait fallu plaire, ou qui, fort de ses droits, eût pu fermer la porte... un homme qui partagerait sa vie, sa table, son lit.. . un mari, un amant peut-être... Ah, non ! il eût bien voulu voir ça !...
- Et dans un trouble croissant: «Se marier ?... Pourquoi pas ? C’est vrai qu’elle aurait pu... elle pourrait très bien encore !... » Il se représenta des partis possibles, des visages qu’il connaissait, et il les eut soudain en haine. Allons, est-ce qu’un mari saurait la comprendre sans la froisser, l’entourer de soins assez délicats ? Non, non, aucun n’était digne d’elle; mais il poursuivat : « Elle est seule au monde, elle est libre... elle a été très malheureuse.. Bien d’autres à sa place... Quel scélérat, que ce Favié ! »
- L’avait-il assez haï, d’une de ces exécrations qui chez l’enfant sont si fortes et si sauvages, souhaitant
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- de le voir tuer à coups d’épingle, brûler à petit feu ! Dire que c’était un misérable pareil qui... Une jalousie rétrospective, une répulsion physique, d’homme à homme, le souleva.
- Adolescent, il avait convoité Gabrielle avec frénésie, mais toujours en la jugeant inaccessible, défendue par tout ce qu’elle avait d’honneur, et par ces barrières sociales qu’il voyait si hautes, la morale et la religion, la crainte du scandale. Il estimait que la foi jurée ne se peut rompre, en aucun cas ; et même aux heures de folie juvénile où il s’était représenté, dans la fougue du désir, sa grande amie pâmée entre ses bras, il ressentait le vertige qu’on a au bord de l’abîme, la terreur d’un acte irrémédiable et déshonorant. Aujourd’hui encore, où sa piété s’était attiédie, l’adultère de la femme lui semblait, non seulement un péché, mais un crime. Si monstrueux que ce fût, si jadis Gabrielle lui avait donné la plus grande preuve de l’amour, il l’eût méprisée ensuite. Son éducation avait développé en lui la curiosité des exigences de la chair et la crainte d’y succomber. Les habitudes de plaisir de la plupart de ses camarades le révoltaient ; parfois, il s’en voulait de ses propres faiblesses, si rares, comme d’une lâcheté ; il avait honte de ne pas vivre irréprochablement.
- La forêt d’Orques commençait : avenues géantes, hauts taillis d’ormes jaunes et de hêtres pourpres, sous-bois percés d’allées en étoile dont les écriteaux portaient des termes de vénerie. Une fraîcheur s’exhala de la terre noire ; le ciel aux débouchés des routes étaient d’un or limpide, pâlissant déjà.
- Mme Lu rat insinuait : t Qui sait, après tout, tant le bonheur est peu de ce monde, si Gabrielle n’était pas parmi les moins à plaindre ? Jamais du reste — elle parut hésiter — son nom n’était prononcé qu’avec le plus sincère respect. Les jaloux... >
- — Mme Pustienne ? ricana Charlie.
- — Je n’y pensais pas, — elle affectait une grande
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- mansuétude. — Ce que peut dire notre bonne Aglaé ou rien...
- — Comment, est-ce que cette méchante femme ?
- Elle se dérobait, feignant l’ignorance. Il se fâcha :
- voir effleurer seulement Gabrielle le mettait hors de lui. Insidieuse, Mme Lurat, — mon Dieu ! qu’elle avait l’air bon et maternel ! — s’animait aussitôt, célébrait chaleureusement Mme Favié, cette vertu si simple et si parfaite, à désespérer tous les soupirants ; le pauvre Ligneul en avait été la preuve.
- Charlie dressa Foreille aux détails qu’elle laissait tomber mot à mot. Il n’avait guère eu l’occasion que d’entrevoir le sculpteur ; il se rappelait la laide et sympathique figure, ce masque de satyre souffreteux, aux yeux ardents. Le vague et l’imprécis de certains aspects des êtres, la correspondance de certains évènements, parfois poursuivent l’imagination de leur obscurité même, et il lui était arrivé de se demander si entre Gabrielle et Ligneul n’avait pas existé quelque affinité secrète, qu’il ne saisissait pas. Un amour malheureux de la part de l’artiste ne l’aurait pas étonné outre mesure, — comment connaître Gabrielle sans l’aimer ? — mais que celle-ci eût pu y répondre, voilà ce qu’il s’était toujours refusé à penser.
- D’où lui venait donc ce soudain malaise, cette anxiété fugitive ? Pourquoi les allusions inoflfensives de Mme Lurat prenaient-elles un sens mytérieux ? De faibles indices, des détails oubliés se groupaient dans sa mémoire. Quoi ? cet homme eût été pour elle plus qu’un indifférent ? S’il était vrai qu’il l’eût aimée, elle n’avait pu ignorer sa passion. Etait-elle restée jusqu’au bout insensible ? « Par quelle pudeur, se demanda-t-il, ou quelle méfiance s’est-elle toujours tue envers moi ? Je croyais la connaître toute... »
- Mme Lurat poursuivit :
- — Mme Pustienne assure qu’il est mort du chagrin de ne pas être aimé. Oh ! notre amie est irréprochable !
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- Charlie détourna la tête ; ces paroles, qui eussent dû le rassurer, l’alarmaient. C’est singulier, comme un mot, d’un éclair, illumine les ténèbres du passé. Il revoyait la crise de langueur traversée cinq ans auparavant par Gabrielle, son départ pour la Riviera, jugé nécessaire par les médecins. C’est à ce moment qu’il apprenait lui-même, incidemment, la mort de Ligneul. Quelle corrélation entre cette nouvelle et ce départ ? Comme elle avait l’air triste ! La mort de cet homme l’affectait-elle à ce point ? L’avait-elle donc aimé !
- Il s’effraya de la soudaineté de ses suppositionsT II ressentait une grave, une poignante tristesse à penser qu’il y avait dans la vie de son amie des choses peut-être qu’il n’avait jamais sues, douleurs insoupçonnées, regrets enfouis au plus caché du cœur. Qu’elle eût aimé purement, chastement, par pitié, par bonté, par charité, un autre que son mari, c’était son droit, et son droit aussi de le taire ; mais cela lui était atrocement douloureux à croire, si douloureux qu’il résista à l’envie humiliante de faire parler Mme Lurat.
- D’ailleurs, on arrivait au pavillon du garde.
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- Mme Favié, qui ne pouvait respirer que la fenêtre ouverte, écarta un peu les volets : la nuit était baignée de lune ; on y voyait comme en plein jour. Des gazons en terrasses aux allées blanches, des sapins noirs au fleuve glacé d’argent, jusqu’au fond de la plaine et des bois, une clarté bleuâtre tombait du ciel sablé de diamants. L’air était si transparent, qu’on distinguait la découpure des,feuilles et les frêles reflets d’ombre que dessinaient les roses du parterre. Le bruit cristallin des sources ruisselait.
- Elle essayait de se ressaisir, après tant d’émotions : d’abord la peur maladive de chaque soir, dont la rassurait mal la petite raie de lumière qui, par delà son cabinet de toilette et sa garde-robe, filtrait, sous la
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- porte de la chambre de Charlie. Peur sans nom et sans forme, qui n’évoque aucun être, voleur ou fantôme .. ce quelque chose qui brille, là ! . - cette odeur de fumée, éternelle obsession du feu... Crainte qui venait du plus profond d’elle : mystère d’exister, affres de l’inconnaissable. Floss, aussi soupçonneuse qu’elle, avait à son tour exploré la pièce, et sur la descente de lit en ours blanc, reposait.
- Au dehors, pas une silhouette furtive, pas un tremblement de branches. Elle referma les volets, hésitant soudain à faire face à la chambre, si intime sous les lampes, avec le lit bas défait pour la nuit, le coin favori du grand fauteuil, près de la liseuse où reposait, entre les dernières revues et Résurrection, de Tolstoï, une petite Imitation aux coins usés. Un pressentiment plus précis de malheur l’assaillait : Francine, Josette... Que de fois elle s’était alarmée en vain !
- Comme Charlie lui avait paru changé, après la promenade ! Il avait bien prétexté une migraine, mais elle connaissait trop son regard, ses inflexions de voix, pour qu’elle ne s’inquiétât pas. Lui avait-elle déplu ? La présence des Lu rat l’exaspérait-il ? Si encore elle avait pu l’interroger ? Mais il s’était retiré de bonne heure ; les Lurat avaient pris congé, et, à l’autre bout du couloir, leur lumière s’était éteinte. Nerveuse, fébrile, tendant l’oreille, elle allait et venait, ne se décidant pas à prendre du repos. Elle portait un long peignoir de velours sombre, aux manches larges, d’où sortaient ses bras frais, et qui, échancré au col, dégageait sa nuque et la torsade relevée de son chignon.
- Sous la porte close de Charlie, le trait jaune alignait sa marque de séparation, symbole de l’obstacle qu’ils n’osaient franchir, retenus par le sentiment des convenances et le respect d’eux-mêmes, une éducation plus forte que l’élan qui les poussait l’un vers l’autre. Elle éprouvait un attendrissement et une intense douceur maternelle à le savoir là. Cher "grand Charlie ! C’est vrai qu'il se marierait un jour ! Elle lui chercherait la.
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- bonne compagne, l’élue ; qu’il fût heureux !... Un jour, plus tard, elle lui sourirait, grave, sous ses cheveux gris ; des années encore, et les cheveux deviendraient blancs. Du bonheur, tout le bonheur pour lui ? Qu’il ne souffrît jamais de l’injustice des hommes et de la dureté du sort !,..
- Elle s’agenouilla sur la fourrure, prit entre ses bras Floss et lui baisa le museau ; la chienne, renversée, se laissait bercer comme un enfant : ainsi Mme Favié trompait son désir d’aimer et son besoin de tendresse. Mais son inquiétude renaissait : ce qui était arrivé n’était pas naturel ; certainement Charlie souffrait : ne pouvait-elle donc rien pour lui ? A pas légers elle se rapprocha de la porte, écouta : profond silence. Que faisait-il ? à quoi pensait-il ? Si elle frappait doucement ? L’idée qu’il pouvait être couché l’arrêta ; elle s’éloigna.
- Assise près de la liseuse, elle avait, par habitude, pris le petit livre familier. Bien des soirs elle y avait cherché un recueillement tutélaire ou un encouragement prophétique : elle aimait dans YImitation l’ardeur d’une âme exquise, ces élans de méditation passionnée, cette flamme de tendresse qui la réchauffait sans la brûler ; elle avait pointé au crayon certaines phrases qui répondaient au plus vibrant de ses détresses ; d’autres avivaient son inextinguible soif d’eau-delà, ou jaillissaient, en sources chaudes de larmes apaisantes. Mais, depuis des semaines et des mois, une aridité singulière l’éloignait du petit livre.
- Elle revoyait Charlie, son visage pâle, ses yeux de feu ; c’est bizarre comme depuis quelque temps il se mêlait à toutes ses pensées. A Paris, trop de gens et de choses l’occupaient ; leur cousinage affectueux empruntait au superficiel des rapports mondains quelque chose de plus camarade et de moins approfondi. Mais ici, où elle avait grandi, aimé, souffert ; où arbres, pierres, eaux vives, à force d’entrer dans pes regards, faisaient partie d’elle ; en ce coin de terre
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- où elle reprenait, à chaque retour de la belle saison, son unité intérieure, un autre Charlie, le vrai, continuant dans rhomme l’évolution de l’enfant sauvage et de l’ombrageux adolescent, s’imposait à elle d'une façon persistante, qui parfois troublait sa rêverie ou rendait gênants leurs silences.
- Comme elle le sentait à cette heure près et loin, séparé par la porte mince, et qu’elle eût voulu qu’il pût être assis à côté d’elle, sur cette chaise basse, rassurant de sa bonne présence la terreur de sa chair faible, l’angoisse de son cœur malade de solitude et d’abandon ! Elle s’avouait que, s’il avait dû épouser Marthe Fauche, elle en aurait eu une souffrance affreuse. D’avance, elle haïssait celle qui viendrait... elle s’aperçut que limitation tremblait dans ses doigts : elle l’ouvrit au hasard et lut :
- « C’est quelque chose de grand que l’amour, et un bien au-dessus de tous les biens... »
- « L’amour souvent ne connaît point de mesure, mais, comme l’eau qui bouillonne, il déborde de toutes parts...»
- Elle posa le livre sur ses genoux ; elle défaillait d’une émotion inconue, où il y avait la stupeur d’une découverte et l’ivresse d’un vertige. Il lui semblait lire ces lignes pour la première fois, elle n’osait y découvrir un sens qui la ravissait et l’épouvantait ; il ne s’agissait plus, elle le comprenait trop, de l’amour divin, mais du sentiment qui l’étouffait, en ces jours où son cœur était vide à pleurer, ou si débordant qu’il lui semblait sur le point d’éclater. D’où lui venait ce frisson inexprimable ? Elle descendait dans la conscience d’elle-même comme au fond d’un océan dont les ondes bourdonnaient à ses oreilles. Une lumière pénétrait ses paupières closes. Elle rouvrit les yeux, et s’étonna délicieusement de vivre. Elle continua, buvant avec avidité les paroles révélatrices :
- « Qui n’est pas prêt à tout souffrir et à s’abandonner entièrement à la volonté de son bien-aimé ne sait pas
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- ce que c’est que d’aimer...
- « Dilatez-moi dans l’amour, afin que j’apprenne à goûter au fond de mon cœur combien il est doux d’aimer et de se fondre dans l’amour... »
- Oh ! Dieu ! c’était donc cela ! Elle Faimait, elle l’aimait ! Et elle en éprouvait, jusqu’en la plus ténue fiber, un ravissement sans bornes. Tout s’expliquait, doutes, angoisses, tourments. Elle l’aimait, elle l’aimait!...
- Le livre glissa de ses genoux ; elle le rattrapait avant qu’il fût à terre, mais la page était perdue, et ce qui lui sauta aux yeux fut :
- <r Et ainsi la fin de tout est la mort, et la vie des hommes passe comme l’ombre. »
- Un souffle froid courut, les ténèbres s’épaissirent. La sensation du néant qui la poursuivait, l’inanité de tout, l’horreur de cette existence précaire que chaque seconde rongeait, émiettait, précipitait à l’anéantissement, la ressaisirent avec une impitoyable force. L’épouvante religieuse, qui à travers les ancêtres obscurs et la sucession des siècles la tenaillait sourdement aux moelles, ressuscita ; et sous la menace du plus irrémissible des péchés, —. car il contenait tous les autres dans sa honte, — elle vit s’ouvrir le gouffre de la damnation éternelle ; cette mort qui n’était pas la mort, mais une survie peuplée de spectres et de flammes, de tortures raffinées, sans aube de délivrance, sans répit et sans fin. Malheureuse, elle aimait !...
- Mais une voix secrète, une voix qui venait de sa seconde nature, de la Gabrielle à moitié affranchie par la réflexion, s’élevait contre l’être atavique, et cette voix qui était celle de la vie créatrice et féconde, des instincts libres, lui disait : Et pourquoi n’aimerais-tu pas, pauvre femme ? Pourquoi descendre jeune, ivre d’énergies intactes, dans l’in-pace du renoncement ? Quel mal fais-tu ? » De nouveau une vague puissante l’emporta, sans qu’elle pût se cramponner à rien, et, dans une offrande généreuse, elle reflua tout entière vers lui qui souffrait,
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- LES DETTX VIES
- m
- Les désolantes paroles évoquaient à son imagination les perfidies et les pièges du hasard, ce qui rôde, s’embusque, frappe : le danger sinueux, la catastrophe qui couve... Charlie ! Elle le voyait gisant, tel qu’après un duel, ou en une grande maladie ! Le secourir, le protéger, poser des mains douces sur son front brûlant. .. Elle allait se lever quand, sans bruit, insensiblement, un verrou glissa, la porte avec une prudente lenteur tourna sur ses gonds : Charlie parut.
- Instinctivement elle étendit le bras pour le repousser.
- — Qu’avez-vous ? Que voulez-vous ? murmura-t-elle enfin toute effrayée.
- — Il faut que je vous parle.
- Depuis plus d’une heure, hypnotisé, percevant le plus léger frôlement de sa robe ou l’éloignement de son pas, il résistait à l’obsession d’entrer. Cette pensée le ravageait : Gabrielle, non pas moins vénérée, non pas moins digne d’admiration, mais Gabrielle différente de l’idéal qu’il avait conçu, que depuis tant d’années il conservait pieusement. Elle qu’il tenait pour inaccessible, elle qui avait échappé aux faiblesses des autres femmes, elle à qui aucun homme n’avait osé chuchoter des paroles d’amour, pas même lui (et pourtant ! )... aurait donc des secrets, un passé qu’il ne démêlait pas, et dont la pureté à ses yeux ne faisait aucun doute, mais où se débattait de la douleur, du mystère, une silencieuse agonie d’âme ? En être exclu, lui ! demeurer étranger, à l’écart, non, il ne pouvait s’y résoudre. Tant pis pour son orgueil ; il parlerait, il saurait !
- Mais quand il la vit, si belle sous le peignoir ample qui épousait l’harmonie de son corps, parée dans le silence d’un charme insolite, en cette chambre où un désordre d’intimité la faisait paraître plus femme encore, il fut déconcerté, ne sut que dire :
- Je vous aime, Gabrielle, il faut que vous le sachiez ; je suis bien malheureux !..
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- • LE DEVOIR
- Elle le regarda comme s’il devenait fou. De cette phrase qui lui couvrit de rougeur le visage et reveilla sa sévérité, elle ne voulut retenir que les derniers mots ; seuls, ils pouvaient la toucher, la désarmer : malheureux ? Il avait l’air si désemparé ! Un dévouement lui fit tendre les mains vers les siennes, les prendre et les presser :
- — Oh ! Charlie ! fit-elle avec toute la bonté de son âme,
- Et elle ressentait une joie douloureuse à s’oublier et à se vaincre, car, par cette contradiction impérieuse qui sépare la pensée de l’acte, et le rêve de la réalité, l’intrusion à cette minute, dans sa chambre, de l’être qui lui était si cher, la révoltait en son orgueil, en ses principes, en ses préjugés, en cette bienséance qui comportait tant de délicatesse, en ce culte de soi qu’elle élevait au rang d’une vertu patricienne, en sa terreur de l’opinion et son dégoût du scandale. Il lui semblait que cette présence et cet aveu constituaient une chose irréparable ;et lui-même, terrifié de son audace, craignait tant de lui déplaire qu’il paraissait éperdu.
- Floss, joyeuse, tournait autour d’eux. Charlie murmura, très bas :
- — Gabrielle, si vous saviez...
- Mais les mots expiraient à ses lèvres : comment, sans la blesser, sans déchoir dans son estime, lui avouer son mal, cette jalousie faite du meilleur et du pire de lui-même ? Car l’idée qu’elle avait pu ne pas être insensible à un autre qu’à lui exaspérait la rancœur d’une injustice, d’un dol commis à son égard ; il songeait, amer, à la réserve qu’il avait gardée. Pourquoi s’était-il sacrifié ? Quelle duperie! peut-être l’eût-elle aimé... et en même temps il se rapprochait avec indignation la bassesse de ce calcul et l’ignominie de ces regrets.
- Elle se reprenait pourtant, et avec une vivacité où entrait la crainte d’eux-mêmes :
- — Allez-vous-en !... Ce n’est pas bien !...
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- LES DEUX VIES
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- La perdre, laisser échapper cette unique minute, non ! Avec une lucidité aiguë, il remarquait, à la clarté des bougies, beffroi de ses grands yeux lumineux et Tare crispé de sa petite bouche, sa perfection de statue vivante, une rose qui s’effeuillait hors d’un cornet de cristal. Son regard s’en détourna ; la tentation, même inavoué, ne salissait pas un moment son amour ; une telle présomption lui eût paru coupable comme un acte de folie et monstrueuse comme un inceste. Mais plus il se défendait, par orgueil et fierté, contre l’enivrement qu’elle lui inspirait, plus elle l’éblouissait de toutes les séductions qui donnent à la femme sa splendeur sacrée. Elle était pour lui le bonheur et la beauté du monde : il se tenait devant elle comme devant l’infini du ciel et de la mer ; toute parole lui semblait misérable et tout sentiment intraduisible.
- — Ecoutez-moi ! Ecoutez-moi...
- Il l’avait entraînée doucement, de force, vers le grand fauteuil, et s’asseyant sur la chaise basse qu’elle assignait tout à l’heure à leur imaginaire entretien, il la contraignait à l’entendre ; il disait, avec des précautions touchantes, avec une implorante tendresse, combien il l’aimait, et de quelle ardeur exclusive et ombrageuse, d’heure en heure, d’année en année.
- — Gabrielle ! le peu que je vaux, c’est à vous que je le dois : vous êtes ma conscience. Il n’est pas de jour où je ne pense à vous, et cela seul me rend courageux et meilleur. Votre portrait dans ma chambre, que de fois je le regarde, et je me dis : « Il n’y a pas une femme qui soit digne seulement de dénouer le ruban de ses souliers ! » Si vous saviez tout ce que vous êtes pour moi !.. Des autres femmes, je croirais tout, mais de vous !... de vous, l’honneur, la pureté ! Je vous aime !...
- Frissonnante, ravie, désespérée, elle répétait, essayant en vain d’arracher ses mains palpitantes des siennes :
- — Charlie, ne parlez plus.,. Oh ! laissez-moi !
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- 124 LE DEVOÎ&
- Elle souhaitait qu’il se tût et de l’entendre encore, elle ne pouvait soutenir son regard et elle revoyait son beau et cher visage : une flamme lui coulait dans les veines ; à travers son égarement persistait le délice de songer que c’était Charlie qui lui parlait ainsi, et en même temps se levait, grandissait en elle la terreur de l’homme et de l’amour.
- Mais il s’affolait de la sentir suppliante, seule, sans autre défense que lui-même ; il eût voulu la rassurer, se faire humble et petit : comme il avait honte de ses doutes, de son pauvre égoïsme ! Quelle adoration et quelle pitié le transportaient devant la simplicité de cette vie de souffrance et de sacrifices ! Il éprouvait une irrésistible envie de s’accuser, de se maudire ; il confessait l’idée fixe qui l’avait poigné : Ligneul... — fallait-il être stupide ! — Ligneul... — pardon s’il la blessait, si sa curiosité impie... « Gabrielle, je n’ai aucun droit... non, ne me dites rien ! »
- De quel regard de douleur méconnue, de dignité outragée, elle le toisa. Souffrir déjà, par lui!... Et, bien femme, elle se demandait qui avait pu.. . Mme Lurat, les vieux amis. . . qui donc vous trahirait, si ce n’est eux ? Et encore y mettaient-ils des nuances, un vernis d’intérêt, un prétexte d’affection... Eh bien, oui, déclara-elle. Oui, Ligneul l’avait aimée, et elle l’avait plaint, en amie dévouée, en consolatrice impuissante. Avec une sincérité dont elle s’étonnait, tant le mensonge se mêle involontairement à la vie féminine, elle livrait, tête haute, ce douloureux passé qui pouvait lui laisser des regrets, mais pas un remords. Puisque Charlie l’interrogeait, il saurait tout ; elle n’avait rien à cacher.
- Une exaltation étrange dictait sesparoles : elle aurait dû se trouver humiliée, froissée à mort de l'audace qu’il montrait, et ce n’est pas sans un déchirement qu’elle rendait compte de ses sentiments les plus intimes ; mais, ce qu’elle n’eût souffert d’aucun homme, elle l’excusait de lui, le jugeant presque légitime, du moment qu’elle l’aimait, qu’il l’aimait.
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- LES DEUX VIES
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- Pénétré de confusion, de gratitude, heureux pourtant, jaloux encore, mais non avec la même âpreté, il lui dit :
- — Je vous admire comme je vous aime, infiniment. Me pardonnez-vous ? Comme il faut que vous soyez bonne ?... Oh ! pardon ! mon amie.
- En silence, ils laissèrent retomber la cendre des jours morts. C'était si lointain déjà ; toute leur existence derrière eux rentrait dans l’ombre ; ils ne vivaient que dans le présent, ils ne vivaient que d’à présent. Minutes de bonheur où ils prenaient conscience de leur amour et où leur âme, se sentant mourir et renaître, passait sans transition des ténèbres du doute à la fulgurante clarté d’une certitude qui les aveuglait.
- Il murmurait :
- — Gabrielle...
- Elle répondait :
- — Charlie...
- Elle était brisée. Elle n’avait même plus la force de se débattre, et ses mains, captives, ne palpitaient plus. Avec lenteur, il se pencha vers elle. Dans une torpeur de songe où elle se disait, lucide : « Je me perds... » d’elle-même elle blottit la tête contre son épaule, lui laissa d’un bras entourer sa taille, reçut le baiser qu’il lui mit, religieusement, au creux des paupières. Ils restèrent ainsi un long, très long moment, n’entendant que le battement de leurs cœurs et en sourdine le chant faible, presque insaisissable, qui s’élevait dans le parc, des ruisseaux et des sources.
- Tout à coup Floss, couchée comme si elle les gardait en travers la porte, se réfugia près d’eux, la tête tendue vers le couloir, les yeux fixes. Mme Favié, médusée par cet avertissement, prêta l’oreille ; elle avait étreint le bras de Charlie. On marchait sur le tapis du corridor, deux heures sonnaient à la pendule. Un gratte^ ment léger, un heurt discret, puis plus fort.
- — Qu’est-ce que c’est ? demanda-t-elle.
- Sa voix tremblait ; obéissant à son regard angoissé,
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- LE DEVOIR
- Charlie, d’un bond, s’était jeté derrière le paravent.
- — Madame ne dort pas ? Madame m’avait tant recommandé, si un exprès nous réveillait à n’importe quelle heure...
- C’était le vieux Jean, le valet de chambre.
- — Une dépêche ?
- — Oui, madame.
- Le temps de s’assurer que Charlie était caché, et par l’entre-bâillement de la porte, d’une main convulsive, elle saisissait en le froissant le papier bleu, l’ouvrait :
- « J’arriverai demain avec Josette, dix heures matin, gare Rembleuse. Tout fini entre mon mari et moi. Je suis résolue à exiger divorce.
- « Francine. »
- Elle tendait la dépêche à Charlie et, après deux ou trois phrases brèves de stupeur, de désarroi, devant la catastrophe qu’elle avait devinée dans l’air et qui s’abattait, sur un hochement de tête qui rendait inutile tout effort de consolation et vaine toute parole, il comprit qu’elle préférait rester seule.
- De nouveau on frappa, et la voix de Mme Lu rat, curieuse, appela ;
- — Chère amie, j’ai entendu... Cette dépêche ? Ce n’est pas un malheur au moins ?
- Pendant que Mme Favié parlementait, Charlie sur la pointe des pieds regagna sa chambre. Les minutes et les heures s’écoulèrent. Quant il voulut, inquiet du silence, prendre de ses nouvelles, il ne put.
- Le verrou était tiré.
- V
- Dans le rapide, l’impatience de Mme Le Hagre s’exaspérait. Elle consulta sa montre : encore une demi-heure .
- (A suivre).
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- ASSURANCES MUTUELLES
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- Société du Familistère. - Assurances Mutuelles
- MOUVEMENT DU MOIS D’AOUT 1904 , A GUISE
- ASSURANCE CONTRE LA MALADIE
- Section des Hommes
- Cotisations des mutualistes...... 2.657 75 i
- Subvention de la Société......... 772 22? 3.993 62
- Malfaçons et Divers.............. 563 65 1
- Dépenses.................................... 3.638 45
- Boni en août 1904................... 355 17
- Section des Dames
- Cotisations des mutualistes....... 504 60 1
- Subvention de la Société.......... 247 80 < 756 90
- Divers............................ 4 50 I
- Dépenses........... ......... ................ 744 40
- Boni en août 1904.................... 12 50
- ASSURANCE DES PENSIONS
- Subvention de la Société et Divers 7.311 60 i
- Intérêts des comptes courants et > 11.788 95
- du titre d’épargne......... 4.477 35 \
- Dépenses :
- 123 Retraités définitifs......... 8.469 39 ^
- 5 — provisoires................ 258 50 i
- Nécessaire à la subsistance.... 5.017 30 \ 14.656 14
- Allocations aux famill9 des réservistes 127 50 l Divers, appointem., . médecins, etc. 783 45/
- Déficit en août 1904..................... 2.867 19
- CAISSE DE PHARMACIE
- Cotisations des mutualistes. 771 30 ( , QA
- Subvention de la Société.... 681 » \ ™
- Dépenses.............................. 1.065 18
- Boni en août 1904............ 387 12
- RÉSUMÉ
- Recettes sociales du 1er juillet 1904 au 31 août 1904 23.935 94 \
- » individuelles » » 7.848 65 )
- Dépenses » » .39.632 78
- Excédent des dépenses sur les recettes.. 7.848 19
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- LE DEVOIR
- ÉTAT CIVIL AU FAMILISTÈRE DE GUISE
- MOIS D’AOUT 1904.
- Naissances :
- Néant.
- Décès :
- 14 Août 1904 : Roger Ernestine, âgée de 21 ans.
- Le Gérant : H. E. Büridànt.
- Nimes. — Typ. A.. Cfaastanier, 12, rue Pradier.
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- Î)0CÜMÈNT8 BIOGRAPHIQUES.
- 129
- Mars 1905.
- DOCUMENTS POUR UNE BIOGRAPHIE COMPLÈTE__________________
- de J.-B. André GODIN (l) fâr
- Glorification du Travail. Emancipation du Travailleur.
- XV (suite.)
- Série des employés. — Inauguration de répartitions mensuelles indicatives du mérite. — Adresse de Godin aux intéressés, janvier 1870.— Propositions en réponse par Messieurs A, B, G, D, E, F, G. — Rapport sur ces propositions.
- F
- <r Développement avec modifications du système proposé par {nom propre de l’auteur.)
- « 1° Diviser l’ensemble des employés concourants en un certain nombre de groupes formés d’après les analogies de leurs occupations.
- « 2° Affecter à chaque groupe une somme proportionnelle au nombre des employés qui le composent.
- « 3o Assigner aux bulletins de vote de chaque groupe deux séries de candidats : la première à prendre entièrement dans le groupe respectif ; la seconde série de candidats, au contraire, prise toute dans les autres groupes.
- c La première catégorie, pour un groupe quelconque , devra contenir autant de noms qu'il y a d’employés dans le groupe considéré, ce qui limitera la délicatesse
- (1) Appendice, p. 60, Le Devoir, tome 26e, janvier 1902.
- 1
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- LE DEVOIR
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- du votant non à exclure son nom, mais à y affecter le minimum d’appréciation de mérite.
- « La seconde catégorie renfermera de rigueur un nombre de voix nominatives ou de candidats égal au nombre total de groupes diminué de 1, de manière à permettre, sans y obliger, de choisir un candidat dans chacun des groupes étrangers.
- «. 4o Donner à chaque employé concourant le droit d’être électeur.
- « Il reste à étudier la question des appréciations nu° mériques des mérites respectifs des candidats portés sur les bulletins de vote.
- « Pour la première catégorie de candidats (pris dans le groupe d’où émane le bulletin de vote), la somme totale de ces appréciations numériques serait égale à 15 fois le nombre des employés du dit groupe, sans qu’il pût être assigné à aucun de ces candidats plus de 27 points, ni moins de 3.
- « Pour la seconde série de candidats (pris tous dans les groupes étrangers), la somme totale des dites appréciations serait égale à 5 fois un nombre inférieur de 1 au nombre total des groupes constitués, sans qu’il pût être assigné à aucun de ces candidats plus de 9 points, ni moins de 1.
- D’après cela, le même bulletin de vote à remplir ne pourrait pas être remis sans modification ni correction aux électeurs de deux groupes inégaux en nombre.
- « Supposons, pour fixer les idées, un groupe de 7 employés, et 5 groupes constitués. Le bulletin de vote de ce groupe serait ainsi compris :
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- DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES
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- « Bulletin du groupe n°
- de 7 électeurs.
- MM. A(l)... .... 18
- • 2 .OS O X . . 14
- k 6c o N ... 3
- Catég dats du votant R G . .. 27 .... 13
- £ ? r-H g T ... 15
- O Z .... 15
- m
- • ou œ •S S1 2 3 4 [mm. B ... 8
- O fH fciÆ *>§, C .. 7
- •SS .1 3 H ?... 2
- O sa ce | I .... 3
- *
- Total : 105 points (2)
- Total : 20 points (3)
- « Quant aux bases servant à établir les estimations numériques, Monsieur (4) B a exposé des considérations que chacun pourrait prendre pour guide, en accordant à chaque ordre de mérite l’importance qu’il jugerait à propos. B, dans sa circonspection approfondie, a signalé à l’attention de l’assemblée le mérite d’un employé quelconque qui, par- son obligeance, rend le travail facile à ses collaborateurs. C’est, dans cet employé, un mérite réel, d’autant plus digne de récompense dans la circonstance présente, que ce mérite est ordinairement peu connu de l’administration ou de la direction, et qu’il émane d’un coeur généreux, zélé pour la prospérité de l’établissement, ou d’un esprit qui comprend les devoirs de la solidarité. Ajoutons à cela
- (1) Le proposant n’ayant point donné de noms propres, nous reproduisons simplement les lettres dont il s’est servi.
- (2) 105 est égal à 15 multiplié par 7, nombre des électeurs du groupe.
- (3) 20 est égal à 5 multiplié par 4, c’est-à-dire par le nombre total des groupes constitués moins un.
- (4) Ici l’auteur a écrit le nom propre; nous remplaçons ce nom par le signe conventionnel.
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- qu’un employé peut parfois faciliter la tâche de ses collaborateurs par des soins plus minutieux dans son travail et que ce surcroît de soins constitue réellement une augmentation de besogne ou demande des combinaisons plus intelligentes. »
- Le 25 du même mois (7 février 1870) après étude réitérée du sujet, F déposa le second mémoire qui va suivre :
- « Nouveau système de vote soumis confidentiellement par (nom propre de Vauteur) à l’appréciation de M. Godin :
- « 1° Chaque bulletin de vote contient, par ordre alphabétique, les noms de tous les candidats. C’est à l’électeur d’appliquer à chacun, selon ses lumières, le chiffre d’appréciation qu’il juge conforme à la vérité.
- « 2° Un nombre de points maximum pour l’appréciation que chaque votant peut appliquer à un candidat quelconque étant fixé, chaque bulletin de vote est divisé en trois colonnes : la première destinée aux appréciations numériques que le votant considère comme certaines ; la seconde, aux appréciations numériques qu’il considère comme seulement probables ; la troisième destinée à recevoir un caractère convenu, la lettre X, par exemple, en regard du nom de chaque candidat dont le votant devra s’avouer incompétent à apprécier le mérite. (C’est dans cette colonne des abstentions de jugement que la délicatesse peut permettre au votant de se porter.)
- » Sur le même bulletin de vote , il pourra, à la rigueur, être appliqué au même candidat des appréciations numériques dans les deux premières colonnes, à la condition expresse que la somme des dites appré-
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- DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES
- 133
- ciations ne dépasse pas le maximum de points fixé. Ce point peut se présenter lorsque le votant juge comme certaine son appréciation du crndidat par quelques qualités, et seulement comme probable son apprécia» tion pour ses autres qualités.
- « 3° Au dépouillement du scrutin, avoir pour chaque nom trois colonnes de même nature que celles du bulletin de vote. Pour obtenir la moyenne décisive de chaque candidat, ajouter la somme des nombres de la deuxième colonne (ou colonne des probabilités) au double de la somme des nombres de la première colonne, et diviser le total par un nombre obtenu en retranchant du triple du nombre des votants un nombre égal à 1 fois et 1/2 le nombre des voix de la 3e colonne (ou colonne des X.)
- « Donnons un spécimen du bulletin de vote.
- Maximum de points : 15.
- Appré- Appré-
- ciations ciations
- certaines probables minées
- A..... 10 3
- B 14 »
- C 4 2
- D 8 5
- G » 3> X
- H » » X
- I » 13
- » »
- » »
- Y 13 »
- Supposons, après le dépouillement du scrutin, que Gr ait obtenu, sur 45 votants ;
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- LE DEVOIR
- 210 points d’appréciations certaines ,
- 126 ï » probables
- et qu’en outre le nombre des votants étant de 45, il lui ait été appliqué 10 fois l’indéterminée X.
- « On opérera ainsi pour obtenir l’expression de sa moyenne :
- Double des appréciations certaines : 210 X 2= 420
- Appréciations probables...........-............ 126
- Total.............. 546
- « Triple du nombre des votants :
- 45 X 3 =...................... 135
- Nombre des indéterminées : 10;
- 1 fois 1/2 10=/ ,.......... . 15
- Diviseur cherché........... 120
- 546 divisé par 120 donne pour moyenne 45 points 50 centièmes.
- « Pour éviter que le diviseur, qui peut varier d’un candidat à l’autre, ne renferme de fraction, on pourrait convenir de prendre pour diviseur un nombre double de celui qui a été indiqué.
- « Ce système tend à éviter qu’un candidat de mérite modeste ne soit tout à fait oublié. Il établit aussi une certaine différence entre un candidat pour lequel, dans un autre système, on ne voterait pas parce qu’il resterait peu connu ou inconnu, et un candidat pour lequel, avec connaissance de cause, on voterait zéro ou une appréciation très basse.
- « Après avoir calculé la moyenne de chaque candidat, on partagerait la somme proportionnellement aux moyennes sans qu’aucune série ou groupe ait été formé.»
- 120 résultat de la soustraction.
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- POCUMENTS BIOGRAPHIQUES
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- G
- « Système de répartition.
- « 1. — Il ne serait formé qu’une série unique comprenant les employés de l’Usine en général ainsi que ceux du Familistère.
- «2. — Chaque mois il serait tiré au sort des groupes de cinq, six ou sept membres qui éliraient chacun leur questeur ou scrutateur ; ces scrutateurs formeraient le bureau du dépouillement général qui serait établi suivant les règles usitées.
- « 3. — Le premier groupe serait composé des premiers cinq, six ou sept numéros sortants et ainsi de suite.
- « 4. — Chaque groupe n’aurait à émettre qu’un seul bulletin de vote dont le nombre de points serait établi suivant une échelle conventionnelle.
- « 5. — Le nombre de points maximum serait calculé de telle façon que chaque votant, et par conséquent le résultat général, ne puisse attribuer à la même personne plus de trois parts égales du produit à partager.
- « 6. — Si le dépouillement général amenait un résultat plus élevé, le surplus serait réversible sur la masse au prorata des points de chacun et ce jusqu’à extinction des excédents.
- «7. — Si le nombre de partageants n’était pas exactement divisible par le nombre des groupes, la fraction excédente formerait un groupe supplémentaire, à la condition que ce nombre fût supérieur à trois. Si cette fraction n’était que de trois ou inférieure à ce nombre, le dernier ou les derniers groupes suivant le cas auraient chacun un membre de plus.
- « 8. — Chaque groupe ne pourrait voter pour aucun de ses membres,
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- LE DEVOIR
- « 9. — En cas de désaccord dans le groupe et après discussion à intervenir, il pourrait être procédé sur la demande d’un membre à un vote secret pour former le bulletin du groupe, à l’aide de la moyenne des votes ; les bulletins in^rimés ou écrits de la même main se mettraient séante tenante sous pli cacheté et le dépouillement s’en ferait par le groupe qui porterait le N° d’ordre suivant, de façon à ce que le secret du vote fût réellement impénétrable.
- « Le dépouillement consisterait dans la totalisation des points affectés à chaque partageant en indiquant le nombre réel des votants.
- « 10. — Les bulletins ainsi dépouillés et récollés seraient brûlés séance tenante.
- « 11. — Les bulletins de groupe comprendraient l’appréciation en points de chaque individualité dans son ensemble, sans décomposition.
- « 12. — Néanmoins pour former ce bulletin, chaque groupe serait parfaitement libre de procéder par dé“ composition des mérites, si la majorité était de cet avis. Cette appréciation pourrait même avoir lieu de toute autre façon.
- « 13. — Le scrutateur de chaque bulletin de groupe serait chargé de l’apporter sous pli cacheté au bureau de dépouillement général où ils seraient ouverts tous ensemble.
- « 14. — La somme des points attribués à chacun, divisée par le nombre réel des votants, formerait la moyenne générale des points obtenus. Le partage de la somme allouée s’effectuerait au prorata de ces points.
- « Voilà succintement le mécanisme de la répartition tel que je le comprends.
- « Quant à la portée morale de l’application de ce vote on la saisit facilement.
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- DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES
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- « Au bout de très peu de mois, au moyen du contact des idées, des opinions et des caractères, et la discussion aidant, tous les employés connaîtraient parfaitement la valeur intrinsèque de chacun de leurs coopérateurs.
- « Ainsi ils sauraient, suivant le caractère, les idées et les sympathies d’un individu, faire la part d’exagération ou de partialité qu’il serait disposé à apporter dans son vote et le leur le neutraliserait.
- « On apprécierait chacun non seulement par la discussion mesurée qui serait ouverte sur lui, mais encore par celle qu’on soutiendrait avec lui.
- « Je crois que ce système ne laisse aucun appui à la cabale qui serait déjouée par la mobilité de la composition des groupes.
- « Familistère, le 15 février 1870.
- (A suivre).
- VYe J.-B.-A. Godin, née Moret.
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- Le programme des réformes. La codification des lois ouvrières.
- Dans l’ordre du jour qui clôturait l’interpellation du 13 janvier, se révéla une majorité réformatrice tellement inaccoutumée que tout le monde se refusa à la prendre au sérieux. M. Combes demandait à la Chambre d’approuver et les explications qu’il avait données sur ses actes et son programme de réformes. On connaît la réponse de la Chambre à la première question ; sans être négative, elle ne fut pas jugée suffisamment péremptoire.
- Quant au programme de réformes, il réunit 350 voix, soit 60 ou 70 voix de plus que n’en recueillait d'ordinaire la politique du cabinet. Etant données la nature, l’importance des questions à résoudre, les résistances1 qu’elles avaient déjà rencontrées parmi ceux mêmes qui leur apportaient inopinément une adhésion aussi marquée, un peu de scepticisme sur les réelles intentions réformatrices de la nouvelle majorité était bien compréhensible. Le nouveau ministère, constitué le 24 janvier, sous la présidence de M. Rouvier, n’a pas jugé convenable de s’y abandonner.
- Dans la déclaration lue aux Chambres, le 27 janvier, il dit :
- « Pour hâter, dans la mesure de ses forces, la réalisation des réformes, sur lesquelles la Chambre, dans la dernière interpellation sur la politique générale, a marqué le sentiment du pays : assistance aux vieillards et aux incurables, abrogation de la loi Falloux, impôt sur le revenu, séparation des Eglises et de l’Etat, caisse des retraites pour la vieillesse, le gouvernement les prendra au point où le cabinet précédent et les commissions du
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- Parlement les ont menées. Tous ses efforts seront donnés à ce travail ; il ne dépendra pas de lui qu’il n’aboutisse.»
- Conformément à l’usage, une interpellation a lieu sur la déclaration.
- M. Rouvier précise : « Dans la déclaration que j’ai lue au nom du gouvernement sont énumérées les réformes qui résultent du programme sanctionné par l’énorme majorité de cette Chambre. Aucun gouvernement n’aurait su se constituer sur un autre programme. Il est le vôtre, il est le nôtre. »
- Un peu plus loin, le président du Conseil indique dans quel ordre il croit que le Parlement devra aborder les grandes réformes énumérées dans la déclaration ministérielle.
- « Il faut, tout d’abord, voter le budget; la loi militaire ensuite, puis la loi sur l’assistance aux vieillards.
- « Alors se posera la question de savoir si le Parlement voudra entreprendre l’examen de la séparation ou continuer la discussion de l’impôt sur le revenu, ou aborder les retraites ouvrières. »
- Plusieurs membres de l’ancienne majorité proposent que la Chambre indique elle-même dans l’ordre du jour qui doit clore l’interpellation, dans quel ordre elle entend que soient discutées les réformes. Malheureusement pour le succès de ces demandes de précisions, leurs auteurs ne sont pas d’accord sur cet ordre même. Pour les uns l’impôt sur le revenu doit avoir la priorité, pour d’autres la séparation, pour d’autres enfin les retraites ouvrières.
- Finalement, la Chambre adopte par 410 voix contre 107 un ordre du jour par lequel elle déclare compter sur le gouvernement pour réaliser, par l’union des républicains, les réformes laïques , démocratiques et sociales.
- Cet ordre du jour imprécis répondait au désir manifesté par le gouvernement de voir s’élargir sa majorité par Padjonction des républicains qui n’avaient pas
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- prêté leur concours au cabinet précédent. Son attente a été dépassée sur ce point, car dans la majorité formée sur l’ordre du jour qui consacrait l’existence du nouveau cabinet se trouvait nombre de membres manifestement hostiles à toute réforme démocratique, sociale et surtout laïque. Il est permis de croire que, sans s’arrêter au choix des moyens, ils ont voulu souligner la répudiation faite par le gouvernement de certains procédés d’information, dans lesquels ils ont cru, peut-être, voir un commencement d’abdication du droit de défense des institutions républicaines.
- En attendant que sur un programme moins élastique une véritable majorité de réformes pût se compter, on se mit à l’oeuvre, et c’est par les questions que tout le monde était d’avis d’entreprendre ou de terminer, que l’on commença.
- Dès le lendemain le Sénat amorçait la discussion de la loi de deux ans, sur la demande du ministre de la guerre qui en avait été le rapporteur devant la Chambre.
- Le 16 février, l’ensemble de la loi était adopté à l’imposante majorité de 239 voix contre 37.
- Comme le texte de la Chambre avait été modifié sur divers points, le ministre.de la guerre déclara qu’il était prêt à faire tous ses efforts pour que la Chambre adoptât dans leur intégrité les dispositions votées par le Sénat, afin de hâter la mise en vigueur de la loi.
- De son côté, sans perdre temps, la Chambre reprenait la discussion du budget qu’une interruption de plus d’un mois causée par les vacances du 1er janvier et par la crise ministérielle, avait laissée en suspens.
- La question de savoir si l’on reprendrait ensuite l’examen de l’impôt sur le revenu, ou si l’on discuterait la séparation des Eglises et de l'Etat ou les retraites ouvrières, n’avait pas encore été résolue.
- Mais on fut vite fixé en ce qui regarde l’impôt sur le revenu. Un des protagonistes de cette réforme ayant demandé que la Chambre consacrât deux jours par
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- semaine à sa discussion, cette proposition ne réunit que 7 voix.
- Où étaient-ils les 400 députés qui avaient mis naguère cette question à l’ordre du jour, les uns pour ne pas se donner l’apparence de déserter leur programme, les autres simplement pour entraver la discussion du budget ?
- Ils étaient à 7 unités près, parmi les 560 membres de la Chambre qui refusaient d’accorder deux jours par semaine à l’impôt sur le revenu.
- Il y avait, dans cette majorité fantastique touchant aux confins de l’unanimité de la Chambre, toute la gauche et toute la droite. Avait-elle cette dernière, subitement retrouvé son ancienne antipathie pour l’impôt sur le revenu ? Voulait-elle simplement se montrer aimable pour le nouveau ministère qui n’avait pas voulu accep_ ter un ordre du jour assignant une bonne place à la dis. cussion de la séparation des Eglises et de l’Etat ?
- Si elle avait conçu quelque espoir de voir refouler par l’interposition d’importants travaux parlementaires l’accomplissement de cette mesure, cet espoir n’aura pas été de longue durée.
- Le 9 février, M. Bienvenu-Martin, mini stre de l’instruction publique et des cultes, dépose un projet de séparation de l’Eglise et de l’Etat. Le lend emain, M.Mor-lot développe une interpellation sur les mesures que le gouvernement compte prendre pour la préparer. Comme sanction de cette interpellation, un ordre du jour est déposé par lequel la Chambre « constate que l’attitude du Vatican a rendu nécessaire la séparation de l’Eglise et de l’Etat et compte sur le g ouvernement pour en faire aboutir le vote immédiateme nt après le budget et la loi militaire ». Comme à la plus belle époque du ministère Combes, cet ordre du jour porte les signatures des présidents de tous les groupes de gauche. Pas de dissidence. Une tentative de diversion est-elle encore possible? Qu’on se rassure. M. Millerand consent à .ajourner ses préférences pour la cause des retraites
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- ouvrières afin de ne pas diviser la majorité républicaine. Il se propose d’ailleurs, comme président de la Commission d’assurance et de prévoyance sociales, d’intervenir, le cas échéant, sur la mise à l’ordre du jour des divers projets.
- Peut-être le danger est-il pour l’avenir, dans cette réserve finale ; mais, pour le moment, il n’y a plus de doute à avoir sur le vote de l’ordre du jour qui place la séparation en tête des questions à résoudre par la Chain hre immédiatement après les travaux en coursv. Par 34B voix contre- 189 cet ordre du jour est adopté. Et pour donner aux partisans de la caisse des retraites toute garantie, une clause y est introduite portant que la Chambre s’engage à discuter cette réforme au cours de la session actuelle. Cette addition compromet singulièrement les vacances habituelles de Pâques ; mais elle engage si peu les membres du Parlement pris individu ellem ent.
- Voilà donc le char de l’Etat désembourbé, le travail parlementaire définitivement engrené, le testament du ministère Combes en cours d’exécution.
- Revenons au budget.
- Le projet de budget pour 1905, tel qu’il a été fixé par la commission, comporte une dépense de 3 milliards 617.321.759 fr., dont 1 milliard 502.508.557 fr. pour la dette publique, 679.329.916 fr. pour la guerre, 318.068.813 fr. pour la marine.
- Le chiffre total des dépenses pour 1905 est le plus élevé qu’on ait atteint jusqu’à présent ; il dépasse de plus de 52 millions celui du budget de 1904. Ainsi vont s’aggravant, d’année en année, les charges budgétaires.
- Le rapporteur général n’a pu s’empêcher d’appeler l’attention du Parlement sur cette aggravation ininterrompue de nos dépenses générales :
- « Cette situation est grave, alors, surtout qu’elle coïncide, non pas avec une de ces périodes de générosité budgétaire comme on en a vues, au cours des pré-
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- cédentes législatures et dans des époques de prospérité, mais au contraire avec une période d’extrême parcimonie, pendant laquelle, nous l'avons dit, tous les efforts du Parlement et du gouvernement ont tendu à réfréner les dépenses. Elle fait ressortir qu’à chaque budget il faut, bon gré, mal gré, ajouter une annuité de plus de 30 millions pour les dépenses nouvelles. Nous avons vu, en examinant dans son ensemble la situation budgétaire, dans notre rapport sur le budget de 1904, que cette annuité est inférieure aux exigences futures, que de nouveaux besoins résultant du jeu des lois, viendront l’accroître, et nous avons essayé de mesurer l’étendue des sacrifices à consentir encore. Nous devons, dès lors, nous demander si la progression des recettes, est susceptible de permettre longtemps cette augmentation de charges publiques. »
- La réponse à cette question ne souffre pas grand retard. De nouveaux besoins, et non des moindres vont faire entendre incessamment leur formidable appel au Trésor.
- Mais à l’heure présente, il s’agit tout simplement de boucler un budget, qui ne comporte pas la moindre difficulté : aucune modification de l’assiette de l’impôt, aucune augmentation de crédit, en dehors de celles qui résultent de l’application de lois votées, ou qui sont indispensables pour assurer la production des fabriques de l’Etat ; rien qui puisse entraver la marche de la discussion d’un projet déposé dès le mois de mars, et qui pouvait être aisément voté avant la fin de décembre, si l'on ne s’était pas laissé prendre au charme trompeur de cette méthode qui consiste à tout entreprendre à la fois.
- On avait même, pour se délester un peu, supprimé la traditionnelle discussion générale, ce qui se comprend très bien ; il est vrai qu’on se réservait de la reprendre après la discussion des articles, ce qui s’explique beaucoup plus difficilement.
- Si, en effet, un pareil débat pouvait avoir quelque
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- utilité, on la trouverait peut-être dans ce fait qu’il offre aux chefs de parti une occasion d’indiquer l’orientation qu’ils voudraient voir donner aux finances de l’Etat, ou bien, toute ingérence politique mise à part, aux compétences financières, une occasion de ramener à une vue d’ensemble les diverses parties du projet soumis au Parlement.
- Ceux qui ne croient qu’à l’efficacité d’un débat préalable, et à plus forte raison ceux qui la contestent, reconnaîtront difficilement quelque valeur à un débat consécutif à l’examen détaillé et à l’adoption définitive des crédits.
- Mais c’est surtout dans la discussion des chapitres que se répandent, en dépit de la fragile digue de la réglementation à laquelle MM. Berthelot et Rouvier ont attaché leur nom, ces innombrables projets, motions, amendements, que la contemplation ininterrompue de sa circonscription est seule capable de faire germer dans le cerveau d’un élu d’arrondissement.
- C’est surtout à cette occasion que de trop nombreux orateurs font entendre d’interminables discours.
- Et cependant qui n’a pas reconnu la justesse de cette constatation formulée par le président du Conseil dans sa déclaration : « Nous n’avons pas une minute à perdre. »
- S’autorisant de cette parole, si strictement vraie, quelques députés parmi lesquels MM. Charles Beau-quier, Pierre Baudin, ancien ministre, rapporteur général de la commission du budget, etc., ont eu le courage— il en fallait— de proposer une limitation à la durée des discours.
- L’exposé des motifs de cette proposition rappelle les rares tentatives faites dans le passé pour réglementer l’abus de la parole, ce vice essentiel des Parlements si vigoureusement dénoncé par Godin (Le gouvernement, La République du travail ou la Réforme du régime parlementaire), parce qu’il a pour résultat l’impuissance, la stérilité, et, par suite, le discrédit des assem-
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- blées représentatives et la désaffection des populations.
- Dès 1789, un député nommé Bouche, un nom prédestiné, met en garde ses collègues contre les retards qu’une telle abondance de paroles apporte à l’empressement qu’ils ont de former la Constitution.
- « Je propose », dit-il, « un moyen d’accélérer vos délibérations ; c’est d’inviter M. le Président d’avoir sur son bureau un sablier de cinq minutes seulement et que quand l’un des bassins sera rempli, M. le Président avertisse l’orateur que son temps est passé. » La proposition fut adoptée par une immense majorité et l’on en résolut Papplication séance tenante. Mais le délai imparti aux orateurs était si court que l’on fut immédiatement convaincu de l’impossibilité de persévérer dans cette résolution ; et c’est ainsi que par son exagération la motion fut enterrée.
- En 1815, Benjamin Constant, chargé de rédiger l’acte constitutionnel octroyé par l’Empereur et voulant parer au discrédit dans lequel était tombé le régime parlementaire, supprima la faculté accordée aux orateurs de lire leurs discours à la tribune. Ils n’en devinrent sans doute que plus longs, n’étant plus contenus dans le cadre d’une rédaction forcément limitée parce que laborieuse, et l’entraînement aidant. En tout la loquacité continua à sévir dans nos assemblées.
- D’autres tentatives ayant pour but de réglementer l’usage de la parole furent faites en 1882 par le député Frédéric Thomas, et en 1891 par M. Emile Ferry.
- Dans la séance du 13 mars 1897, M. Goblet s’exprimait ainsi au sujet de ce fléau des longs discours : « Si l’on me permet de le dire, je crois que le tort que nous avons, c’est d’apporter ici trop de discours et surtout de trop longs discours. C’est là un défaut qui ne date pas d’hier et qui a toujours été un défaut français dans toutes les assemblées qui se sont succédé au cours de ce siècle. »
- M. de Barante, cité par M. Goblet, écrivait en 1837, à propos d’un discours de M. Guizot : « Les discours sont
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- aussi beaux, les talents grandissent, la tribune s’honore
- ...et si la France était une académie, nous aurions
- toute la gloire possible... La France a encore beaucoup trop les habitudes littéraires ; elle aime qu’on lui parle, qu’on la fasse assister à des tournois d’éloquence. »
- M. Goblet approuvait ; mais il ne proposait pas de sanction à cette critique si vraie.
- M. Ch. Beauquier et ses collègues proposent de décider que chaque orateur ne devra occuper la tribune que pendant une demi-heure. Toutefois, dans des circonstances exceptionnelles et à la suite d'une demande signée de trente députés au moins, cette restriction pourra être suspendue.
- Dans le même ordre d’idées et dans le même but d’abréger les discussions, ils proposent de débarrasser le budget de tous les accessoires dont l’ingéniosité de l’opposition obstructionniste ou le prurit de la réclame électorale, se plaisent à l’encombrer. A cet effet ils demandent qu’aucune interpellation ni aucune résolution ne puisse être déposée sur le budget.
- Les présidents de la Chambre ont longtemps opposé au dépôt et à la discussion des projets de résolution introduits dans le budget, l’inopportunité, l’inanité ou même l’incorrection de ce genre de manifestation. De guerre lasse, ils y ont renoncé. Une majorité se rencontrera-t-elle jamais pour en finir avec cet abus ?
- Nous craignons fort que les auteurs de la proposition qui nous occupe ne soient pas plus heureux sur ce point que sur la limitation de la durée des discours.
- Quant aux interpellations, que l’on a cru très habile de refouler dans le budget pour s’en débarrasser au moment où elles se présentaient, il ne serait certainement pas facile de les en déloger. En ce qui les concerne, la mesure proposée vient trop tard cette année; mais il est désirable qu’elle trouve une place dans le règlement.
- Pour le moment, en vue de sauvegarder le droit des interpellateurs, dont il faut bien tenir compte, la coin-
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- mission du règlement, d’accord avec le bureau de la Chambre, a arrêté les dispositions suivantes :
- Elle a décidé que toute interpellation sur la politique intérieure, non discutée dans un délai d’un mois, serait mise en discussion le premier vendredi qui suivrait, si soixante membres en faisaient la demande. De plus, l’interpellation ainsi commencée continuerait, de plein droit, le samedi, si le débat n'était pas épuisé.
- En outre, elle a adopté une proposition d’après laquelle des interpellations dites interpellations sommaires devront être discutées dans la semaine qui en suivra le dépôt.
- Enfin, la commission a admis le système des questions écrites adressées à un ministre, dont le texte serait publié au Journal officiel après le compte-rendu des débats parlementaires. La réponse du ministre devrait paraître dans les mêmes conditions. Si, après un délai de huit jours, cette réponse n’est pas parvenue au président, l’auteur de la question au ra le droit de la poser verbalement à la tribune.
- A défaut de résultats positifs à enregistrer aujourd’hui, nous avons cru intéressant d’exposer les modestes mesures qui pourraient les rendre possibles ou faciles... si elles étaient définitivement adoptées.
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- M. Dubief, ministre du commerce et de l’industrie, a déposé, le 6 février, sur le bureau de la Chambre, un projet de loi portant codification des lois ouvrières.
- L’idée d’une codification des lois ouvrières n’est pas nouvelle. Outre qu’elle a été réalisée depuis longtemps par certains pays étrangers, elle fut portée pour la première fois devant le Parlement français par M. Grous-sier, député socialiste de la Seine, qui, le 14 avril 1896, déposa une proposition de résolution tendant à charger la Commission du travail de rassembler et de réviser toutes les lois concernant la défense des intérêts des travailleurs et réglant les rapports de ces derniers avec leurs employeurs.
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- « Ces lois », disait-il dans son exposé de motifs, « sont disséminées dans nos codes. Chaque année de nouvelles lois viennent s’ajouter, contredisant quelquefois, sans les abroger, les textes existants. Les dispositions particulières au travail s’enchevêtrent dans des textes d’ordre différent concernant l’assistance, l’hygiène générale, la prévoyance, et ces lois le plus souvent n’intéressent qu’une profession, qu’une catégorie de travailleurs. Aucune vue d’ensemble ne se dégage de leur examen.......
- « Nous devons donc grouper les textes épars, modifier les textes anciens pour les faire concorder avec les besoins de notre époque et en former un corps de lois qui soit clair et précis.
- « De même que nous avons un Code de commerce qui règle les rapports des commerçants et un Code rural pour les agriculteurs, nous demandons que les rapports des travailleurs et de leurs employeurs soient déterminés par un Code du travail. »
- Prêchant d’exemple, M. Groussier avait fait cette codification qu’il préconisait. L’idée fut reprise au cours de la législature suivante par M. Dejeante. Le 26 mars 1901, M. Julien Goujon, député, déposa à son tour un projet de résolution tendant à inviter le gouvernement à présenter un projet de loi codifiant les lois industrielles et ouvrières sous la dénomination générale de Code du travail.
- Tel était l’état de la question quand M. Millerand, ministre du commerce, institua, par arrêté du 27 novembre 1901, le Commission de codification des lois ouvrières.
- Le premier travail de la commission, travail uniquement matériel, et pour ainsi dire de mosaïque, devait consister à rechercher et à rapprocher les dispositions spéciales aux ouvriers qui ont trouvé place dans notre législation. Le second travail qui s’imposait à la commission était un travail de correction, de mise au point, ne touchant pas aux principes de notre législation.
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- Il ne s’agissait pas, en effet, de rédiger de toutes pièces un code nouveau de législation ouvrière et d’y faire entrer des dispositions nouvelles dont l’adoption paraîtrait désirable à la commission. Ce faisant elle empiéterait sur les attributions du Parlement.
- Sa mission, nettement définie par M. Millerand, était de préparer avec les dispositions existantes, et sauf retouches de détails ou de formes, un code méthodique et clair, présentant dans une vue d’ensemble la totalité des dispositions actuellement en vigueur, et qui pût être considéré par le Parlement comme devant être adopté sans débats.
- Ainsi déterminé, le travail de la commission devait être éminemment utile aux intéressés et au législateur lui-même : aux intéressés en plaçant sous leurs yeux une législation mieux coordonnée; au législateur en faisant apparaître les lacunes de la législation ouvrière, les points sur lesquels doit désormais porter son effort réformateur. De sorte qu’en se bornant à mieux clarifier, pour ainsi dire, les dispositions existantes, la commission devait apporter son concours à l’élaboration des dispositions futures.
- La commission s’est préoccupée surtout de l’intérêt pratique des ouvriers appelés à consulter la nouvelle codification.
- Les deux premiers livres : « Des conventions relatives au travail et de la réglementation du travail », s’occuperont, le premier, de l'ouvrier qui veut entrer à l’atelier, et le second, de l’ouvrier à l’atelier.
- Quant au titre : « Des groupements professionnels » , il concerne les ouvriers s’organisant en dehors du travail.
- Le titre : « De la juridiction et de la représentation professionnelle», groupe les organes qui peuvent être appelés à régler les différends iudividuels ou collectifs ou à exercer sur l’organisation du travail une mission de contrôle et de tutelle.
- La matière de la prévoyance sociale a été divisée en
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- deux livres : celui des assurances ouvrières et celui de la prévoyance.
- Enfin, un dernier livre est consacré à l’assistance, qui a été envisagée par la commission, après une discussion approfondie, comme le complément indispensable de son œuvre.
- En outre, la commission adopte en principe l’établissement, dans chaque livre, d’un titre spécial aux compétences et pénalités.
- Les quatre premiers livres sont actuellement achevés.
- Conformément à une résolution votée par la Chambre, le 22 décembre 1903, sur la proposition de sa commission du travail, et invitant le gouvernement « à lui présenter, au fur et à mesure que les différents livres auront été préparés par la Commission extraparlementaire » un projet de Code de travail, ces quatre premiers livres ont été transmis à la Chambre. La matière qu’ils traitent, complète en elle-même, est entièrement indépendante du reste de la codification. Elle peut être examinée à part. En voici un aperçu :
- Le Livre Ier traite des conventions relatives au travail ; il comprend les 5 titres suivants : 1<> contrat d’apprentissage ; 2° contrat du travail ; 3° salaires ; 4e placement des travailleurs; 5° pénalités.
- Le Livre II traite de la réglementation du travail. Il comprend des dispositions préliminaires et 6 titres : 1° travail des enfants et des femmes; 2° travail des hommes adultes (il se divise en deux chapitres); 3° travail des étrangers; 4° hygiène et sécurité des travailleurs ; 5° l’inspection du travail; 6° pénalités.
- lie Livre III traite des groupements professionnels et comprend 5 titres : 1° coalitions et grèves ; 2° syndicats professionnels ; 3° bourses du travail ; 4° sociétés ouvrières de production ; 5° pénalités.
- Le Livre IV traite de la juridiction, de la conciliation, de l’arbitrage et de la représentation professionnelle ; il comprend 3 titres. Le titre 1er est consacré aux conseils de prud’hommes ; le 2e aux conseils de conciliation et d’arbitrage ; le 3e à la représentation professionnelle,
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- Lorsque les trois derniers livres auront”reçu la sanction du Parlement, la France sera, parmi toutes les nations industrielles, celle qui possédera le Code du travail et de la prévoyance sociale le plus méthodique et le plus homogène:
- Trois grands pays, à l’heure actuelle, sont pourvus de cet instrument législatif : l’Allemagne, l’Autriche et l’Angleterre.
- Dès le 21 février 1869, la Confédération de l’Allemagne du Nord avait son Code industriel (Gewerbeord-nung) qui fut successivement adopté, après la fondation de l’Empire allemand, par les Etats qui étaient restés en dehors de la Confédération de l’Allemagne du Nord, de sorte que depuis le 1er janvier 1873, il a eu force de loi dans tout l’Empire, à l’exception de l’Alsace-Lorraine, qui n’y a été soumise qu’à partir du 1er janvier 1889.
- A l’origine, ce Code industriel était beaucoup moins une codification des lois ouvrières, qui n’y tenaient qu’une place fort restreinte, qu’une codification des textes législatifs qui réglementaient l’exercice des industries et organisaient la représentation des intérêts industriels. La partie relative à la protection ouvrière a été considérablement augmentée notamment en 1878, 1891 et 1900.
- Dans sa forme actuelle, qui date du 30 juin 1900, la Gewerbeordnung est divisée en onze titres.
- Le titre VII seul est consacré aux ouvriers de fabrique, aides, compagnons, apprentis, employés, maîtres-ouvriers et ingénieurs. Il est loin de comprendre toute la législation ouvrière, qui fait, en dehors de la Geioer-beordnunÿ, l’objet de nombreuses lois spéciales : loi sur l’assurance contre la maladie, loi sur l’assurance contre les accidents, loi sur l’assurance contre l’invalidité et la vieillesse, loi sur les prud’hommes, loi sur la cession et saisie-arrêt des salaires, loi sur le travail des enfants de moins de 13 ans, etc.
- Le Code industriel autrichien promulgué, sous sa for-
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- me primitive, le 20 décembre 1859, et mis en vigueur le 1er mai suivant, comprend neuf chapitres, et, comme le Code allemand, renferme des dispositions relatives à l’exerqice des diverses industries et des dispositions relatives à la protection ouvrière Ces dernières font l’objet du chapitre VI. En dehors du Code industriel il existe de nombreuses lois spéciales sur la matière : loi sur le repos hebdomadaire, loi sur la durée du travail dans les mines, loi sur les conditions du travail des ouvriers des chemins de fer, loi sur l’inspection du travail, loi sur les conseils de prud’hommes, loi sur l’assurance contre les accidents du travail, la maladie, etc.
- En Angleterre, la loi du 17 août 1901 sur les fabriques et ateliers, constitue une véritable codification, en même temps qu’un remaniement des textes législatifs antérieurs relatifs aux conditions du travail des ouvriers dans les fabriques et ateliers. La législation ouvrière est complétée par d’autres lois spéciales, telles que la loi sur le travail des enfants dans les professions ambulantes, la loi sur la réparation des accidents du travail, etc.
- Dans sa séance du 23 février, le Sénat, adoptant les conclusions de sa commission, s’est prononcé par 136 voix contre 115, contre la décision de la Chambre ayant pour effet de permettre au Conseil municipal de Paris d’organiser la régie directe du gaz.
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- UN INSTITUT AGRICOLE INTERNATIONAL
- Le roi d’Italie a adressé la lettre suivante à M. Gio-litti, président du Conseil des ministres :
- Mon cher Président,
- Un citoyen des Etats-Unis d'Amérique, M. David Lubin, m'exposait dernièrement, avec cet enthousiasme qui résulte d’une conviction sincère, une idée qui m’a paru bonne et prévoyante; c’est pourquoi je la recommande à l’attention de mon gouvernement.
- Les classes agricoles, généralement les plus nombreuses, ont partout une grande influence sur le sort des nations ; mais, vivant sans aucun lien, elles ne peuvent concourir efficacement ni à l’amélioration et à la distribution des diverses cultures selon les exigences de la consommation ni à la protection de leurs intérêts sur les marchés qui, pour les produits les plus importants du sol, deviennent de plus en plus universels.
- Un Institut international pourrait donc être d’une grande utilité, si, dégagé de tout but politique, il se proposait d’étudier les conditions de l’agriculture dans les différents pays du monde, signalant périodiquement la quantité et la qualité des récoltes, de façon que la production pût en être facilitée, le commerce moins coûteux, plus expéditif, et la fixation des prix plus convenable. Cet Institut, marchant d’accord avec les divers bureaux nationaux déjà créés à cet effet, fournirait aussi des données précises sur les conditions de la main-d’œuvre agricole dans tous les lieux, de manière à être pour les émigrants un guide utile et sûr; il prendrait des accords pour la défense commune contre ces maladies des plantes et du bétail que la défense partielle ne réussit pas à étouffer ; il exercerait enfin une
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- action bienfaisante sur le développement de la coopération rurale, des assurances et du crédit agraire.
- Les bienfaisants effets d’un tel Institut, organe de solidarité entre tous les agriculteurs, et, pour cette raison, puissant élément de paix, ne tarderaient pas à se multiplier. Rome devrait être le digne siège de réunion des représentants des Etats adhérents et des principales associations intéressées, pour que l’autorité des gouvernements et la puissante activité des cultivateurs de la terre y marchent d’accord.
- J’ai confiance que la noblesse du but saura faire surmonter les difficultés de l’entreprise.
- Dans cet espoir, j’ai le plaisir de me dire votre cousin très affectionné.
- Victor-Emmanuel.
- Rome, le 24 janvier 1905.
- A la suite de cette lettre le gouvernement italien a adressé à ses agents diplomatiques à l’étranger des instructions dont voici le résumé :
- Il convient de prendre des mesures pour que les agriculteurs puissent désormais établir des rapports réciproques continuels et directs; se procurer de promptes et exactes informations sur la production, sur la consommation, sur les prix, sur les usages des divers marchés du monde. Faute de relations entre elles et de renseignements utiles, les classes agricoles sont exposées à tous les inconvénients d’une production anormale, ne correspondant pas aux besoins réels de la consommation, et à un gaspillage de ressources et de capitaux. De là encore les abus des syndicats qui se forment pour l’achat, le transport et la vente des denrées, syndicats qui lèsent parfois les légitimes intérêts des classes agricoles.
- Pour remédier à ces abus et à ces inconvénients, le roi Victor-Emmanuel est d’avis qu’une amélioration ne saurait être effective que par accord international, « car.une nouvelle classe, la plus nombreuse et jusqu’ici la moins unie, entrera justement dans le mouvc-
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- ment pour la paix, à laquelle sont rattachés, dans les sociétés actuelles, les intérêts de plus en plus nombreux du capital et du travail. »
- A cet effet, il serait nécessaire de créer un Institut international, puisque le marché des produits de la terre est devenu un et universel. Cet Institut international d’agriculture serait composé de représentants désignés par les grandes associations agricoles et des délégués des différents gouvernements.
- Cette institution centrale faciliterait non seulement la connaissance directe et réciproque des conditions des différentes régions agricoles, des méthodes de production, des marchés et des prix, mais encore des obstacles que rencontre le commerce des denrées par les imperfections des lois et des tarifs, ou par l’absence ou bien par le prix excessif des moyens de transport, etc.
- Un tel Institut international d’informations générales, rapides et sûres, fournies en temps utiles par les intéressés mêmes et contrôlées par les autorités qui en feraient partie, est en outre la condition essentielle pour atteindre plusieurs buts, parmi lesquels il suffira de signaler :
- 1° La fondation de bourses agricoles et de bureaux de travail d’où sera mieux distribuée l’offre des denrées et de la main-d’œuvre, et seront mieux réglés et protégés les transports et les courants de l’émigration ;
- 2° L’étude préparatoire de projets législatifs et administratifs dans le cas où l’uniformité et une plus large application des prescriptions deviennent indispensables à leur bonne réussite, comme il arrive, par exemple, dans les maladies des plantes, dans les maladies des animaux, dans l’assurance contre les calamités, dans les falsifications et adultérations des produits ;
- 3° Une plus heureuse organisation de la coopération rurale, qui, pour tout ce qui a trait aux achats et ventes collectives et aux assurances mutuelles et de crédit, peut d’autant mieux se développer qu’elle aura une plus large base ;
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- LE DEVOIR
- 4° La défense contre une possible oppression de la part des syndicats pour les transports et les accaparements contre lesquels la loi est sans effet, tandis que la connaissance complète qu’auraient les producteurs et les consommateurs des conditions réelles du marché, serait toujours efficace.
- En conclusion, l’Institut international agricole ne signifie pas la guerre aux grandes organisations et aux concentrations du capital et du travail , mais une défense contre leurs abus. Il ne se substituera pas à l’intermédiaire, il rendra facile et efficace le contrôle de ses actes. Il deviendra naturellement un centre pour la formation de l’opinion des classes agricoles, c’est-à-dire de la partie prépondérante de l’opinion publique de tous les pays civilisés. Enfin, dans la préparation des lois agricoles dont il pourrait être chargé, l’Institut ne toucherait pas à l’indépendance des gouvernements et des pouvoirs législatifs nationaux, attendu qu’aucune faculté coercitive ne pourra et ne devra jamais lui être conférée. Il sera libre d’étudier et de proposer des dispositions d’intérêt agricole général ; les gouvernements seront également libres de les accepter ou non , et d’en faire l’argument de lois nationales ou d’accords internationaux.
- En terminant sa circulaire aux représentants de l’Italie à l’étranger, M. Giolitti les invite à envoyer des délégués pour prendre part à la première assemblée qui se réunira à Rome en mai, pour préparer l’organisation du futur Institut international d’agriculture.
- Tous les chefs d’Etat se sont empressés de féliciter de son initiative le roi d’Italie, qui a reçu, en outre, les remerciements de nombreuses sociétés agricoles.
- Dans sa lettre à M. Giolitti, le roi déclare que l’idée d’instituer un Parlement agricole international lui a été suggérée par un citoyen américain, M. Lubin.
- Le correspondant du Journal de Genève, à Rome, nous apprend que ce M. Lubin est le chef d’une importante maison d’exploitation agricole en Californie et il repré-
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- senta, il y a quelques années, les Etats-Unis au Con-orès agricole international de Budapest. Depuis longtemps, il se faisait un peu partout le porte-voix de cette idée, que pour protéger effica ement l’agriculture, les pays du monde entier devaient se constituer en une sorte de fédération ayant pour organe dirigeant un Institut international. M. Lubin affirme qu’il a consulté à ce sujet toutes les sommités scientifiques des divers pays et que tous les personnages interpellés se sont prononcés favorablement à cet égard.
- Tout en rendant hommage aux excellentes intentions du roi d’Italie, un certain nombre de journaux reconnaissent les nombreuses difficultés que présente la réalisation de cette idée.
- Il est certain, en effet, que les tendances protectionnistes qui prévalent en ce moment opposeront un obstacle sérieux à l’établissement d’un régime agricole uniforme, et il est fort à craindre que ce Parlement ne soit réduit, par la force des choses, au rôle insuffisamment fécond d’une simple académie agricole dont les décisions resteraient dépourvues de toute sanction.
- Mais il serait exagéré de prétendre que l’initiative du roi dTtalie restera totalement inefficace. Elle peut frayer la voie à d’utiles accords internationaux.
- Le programme indiqué par l’invitation] royale n’est point limitatif.
- Si l’entente provoquée pouvait aboutir à de profitables arrangements internationaux ayant pour objet la prévention des épizooties, une plus efficace protection des oiseaux utiles à l’agriculture, la conservation de la race des éléphants en Afrique, l’initiative de Victor-Emmanuel se trouverait déjà amplement justifiée.
- Mais elle a d’autres titres aux sympathies qui vont à elle ; car elle est une nouvelle preuve de la compénétration universelle de l’idée de paix et d’union, d’accord réciproque entre les différents pays, une étape vers la réalisation des Etats-Unis d’Europe.
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- ETATS-UNIS
- La législation dans les trusts.
- M. Garfield, commissaire des trusts au département du commerce et de l’industrie, a présenté au Congrès américain un rapport sur les moyens de mettre dans les mains du gouvernement fédéral, le contrôle efficace des trusts.
- Il attribue les abus de ces corporations aux différen* ces de législation et de réglementation des divers Etats en la matière. Les trusts se constituent dans des Etats qui n’ont virtuellement aucune législation répressive contre les syndicats qui peuvent ainsi impunément se former puis opérer dans les autres Etats de l’Union.
- M. Garfield signale cet état de choses pernicieux qui autorise l’incorporation de trusts dans des conditions plus ou moins clandestines et avec des majorations malhonnêtes du capital, qui les favorise par des tarifs de transport réduits et autres concessions encourageant une concurrence déloyale dont le pays est la proie, et qui, enfin, permet à leur administration de se livrer à des opérations secrètes en ne livrant au public que des comptes fictifs et des bilans mensongers.
- Il propose donc que le gouvernement fédéral soit autorisé à délivrer aux trusts se livrant à des opérations commerciales entre divers Etats de l’Union une licence qu’il pourra leur retirer dans tous les cas où la loi sera violée.
- Ce rapport avait été signalé par le président Roosevelt dans son message au Congrès et peut donc être considéré comme répondant à ses propres vues et des-
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- seins à l’égard des trusts, si tant est que M. Roosevelt ait une opinion définitivement arrêtée sur ce sujet
- Le régime des chemins de fer.
- La Chambre des représentants a adopté, par 326 voix contre 17, le projet de loi confiant à 1’ « Interstate Commerce Commission » le soin de fixer les tarifs de chemins de fer, sous le contrôle d’un tribunal spécial dit «Cour des transports ». ’
- Il s’agit du bill Townsend appuyé par le président Roosevelt. Ce bill va être envoyé maintenant au Sénat où les lobbyists au service des directeurs des chemins de fer vont employer tous leurs efforts pour empêcher qu’il soit voté.
- Actuellement, plusieurs centaines de compagnies, qui se concentrent en quatre-vingt-dix groupes principaux, exploitent les 427,981 kilomètres du réseau américain. Elles fonctionnent en vertu de chartes de concession sans garantie d’intérêt octroyées par chacun des Etats qu’elles desservent ; c’est ainsi qu'un réseau se trouve partagé en autant de compagnies légales qu’il y a d’Etats traversés.
- La plupart des Etats de l’Union ont constitué des commissions de contrôle ayant les unes de simples attributions de surveillance, d’autres un pouvoir coercitif. En outre, la loi sur le commerce entre Etats de 1887 a créé un contrôle fédéral, mais bien insuffisant pour contre-balancer la quasi-indépendance dont jouissent les railways dans leur établissement et leur fonctionnement intérieur.
- Il en est résulté particulièrement un régime abusif et unique dans la fixation et l’application des tarifs. Certains Etats de l’Ouest ont tenté de réagir en imposant un tarif officiel et en adoptant à l’égard des compagnies un système autoritaire qui a fait peu de bien.
- Le président Roosevelt a entrepris de rendre plus
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- LE DEVOIR
- efficace le contrôle fédéral en s’y prenant par les moyens de conciliation. Il a convoqué tous les présidents des grandes compagnies de chemins de fer, les Harriman, les Hill, etc., à des conférences dans lesquelles il leur a conseillé l’unification générale des tarifs.
- Puis il a inspiré le bill qui vient d’être adopté par la Chambre en vue de renfoncer les dispositions de VInterstate commerce law de 1887. Cette loi a institué une commission de cinq membres, indépendants de la politique comme des compagnies, renouvelables tous les six ans. La commission contrôle, enquête, rend des décisions comme un tribunal; elle siège tour à tour dans les grands centres. Elle tolère les tarifs différentiels, dans les limites raisonnables et dans les cas où ils sont légitimes.
- Ce contrôle n’empêchait point cependant les compagnies d’user du plus grand arbitraire dans la fixation et l’application de leurs tarifs, en consentant des réductions secrètes ou sous la forme déguisée de remboursements à telle ou telle catégorie de leur clientèle, contrairement à l’équité et à l’intérêt général.
- Pour mettre fin à ces abus, la commission du commerce entre Etats aurait, d’après le bill voté par la Chambre, le pouvoir de fixer les tarifs et d’en régler l’application, sous réserve du recours laissé aux intéressés devant une « Cour des transports ». Le Sénat votera-t-il cette loi ? Voilà la question. (Temps.)
- Deux étoiles de plus au drapeau fédéral.
- Le nombre des Etats composant l’Union américaine va être incessamment porté à 47 par le bill érigeant en Etats les territoires fédéraux d’Oklaboma et du Nouveau-Mexique.
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- Faits politiques et sociaux 16i
- SUISSE
- Examens des apprentis.
- Le compte rendu des examens de fin d’apprentissage en 1904, publié par l’Union suisse des arts et métiers, fournit de nombreuses observations et propositions relatives à l’organisation de ces examens. De volontaires qu’ils étaient à l’origine, ils tendent de plus en plus à devenir une institution de l’Etat, avec caractère obligatoire pour tous les apprentis.
- Les examens professionnels sont maintenant organisés dans tous les cantons suisses, à la seule exception du Tessin, sous la direction de l’Union suisse des arts et métiers, à laquelle ont été accordées à cet effet des subventions fédérales. La participation est restée à peu près la même que l’année précédente ; en 1903 ces examens avaient été subis par 1991 candidats, et en 1904, il s’en est présenté 1963, dont 474 apprenties. La subvention fédérale a été de 18.000 francs ; les subventions cantonales se sont élevées à 28.834 francs. Le total des recettes dans les 34 régions d’examens a été de 41.356 francs et le total des dépenses de 47.002 fr. Le 37 0/o des candidats avaient fréquenté une école du degré moyen et le 72 0/o une école complémentaire ou une école professionnelle. Les rapports des délégués de la commission centrale des apprentissages ont fourni matière à un grand nombre de voeux qui sont formulés dans le compte rendu.
- Le secrétariat de l’Union suisse des arts et métiers, à Berne, adressera ce compte rendu aux personnes qui le lui demanderont.
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- Magistrature élective.
- La loi proposée par le grand Conseil genevois, édictant que tous les magistrats de l’ordre judiciaire seront élus par le peuple, a été soumise à un referendum et adoptée par 4.630 voix contre 2.432.
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- GRANDE-BRETAGNE La richesse houillère.
- La Commission anglaise royale chargée d’examiner les richesses en charbon du Royaume-Uni a donné ses conclusions.
- La Commission hésite à se prononcer au sujet de la longueur de la période qui s'écoulera avant l’épuisement de la richesse houillère.
- L'extraction annuelle s’élève aujourd’hui, en Angleterre, en chiffres ronds, à 230 millions de tonnes et on calcule que les gisements de charbon connus doivent contenir cent milliards de tonnes.
- Il n’est pas probable que l’on puisse continuer longtemps à augmenter chaque année l’extraction, comme cela a lieu actuellement. La Commission prévoit qu’à une époque assez rapprochée, il s’ensuivra une période où l’extraction restera stationnaire, puis cette extraction diminuera graduellement.
- Pendant que l’extraction, depuis 1870, a un peu plus que doublé en Angleterre, elle a plus que quadruplé en Allemagne ; elle a décuplé aux Etats-Unis et tous les autres pays. Aussi, ils ont vu s’augmenter fortement leur production.
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- AUTRICHE-HONGRIE Le premier député socialiste hongrois.
- Dans le scrutin de ballottage quia eu lieu dans l’arrondissement de Szegvar (Hongrie) pour l’élection d’un député, M. W. Mezoefi, socialiste, a été élu à une majorité de 26 voix. C’est^ le premier député socialiste qui
- siégera à la Chambre hongroise*
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- ALLEMAGNE
- Les grèves du bassin de la Ruhr, qui ont duré environ un mois, sont une nouvelle preuve de la prédomi-
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- nancê des phénomènes économiques dans la vie politique des peuples.
- Le bassin de la Ruhr, en Westphalie, est un des plus grands de l’Allemagne, et l’un des plus grands du monde. Il égale le Borinage belge. Sa production en charbon dépasse chaque année celle de la France entière. C’est là que se trouvent les puissantes villes industrielles de Barmen, d’Etberfeld, les usines géantes d’Essen et de Bochum. C’est de là que rayonnent les voies navigables et ferrées par où se dirige vers les grands ports d’Hambourg, de Rotterdam et d'Anvers, et se répand dans toutes les parties de l’Empire, la matière première nécessaire à l’industrie. On comprend dès lors quelle importance devait avoir un mouvement gréviste frappant d’arrêt le coeur industriel de l'Allemagne.
- Ce mouvement avait ceci de particulier qu’il mettait surtout en jeu des questions de principes.
- Ce dont se plaignent surtout les mineurs c’est d’être soumis de la part des patrons à un régime vraiment despotique. Ils dénoncent certains abus dans la rémunération du travail, des annulations injustifiées, des retenues arbitraires et des punitions excessives. Ils demandent, en outre, la reconnaissance des organisations ouvrières par les propriétaires de mines.
- Fait particulièrement grave, ces revendications et le mouvement qui le soutient ne sont pas l’œuvre d’un parti. Le bassin de la Ruhr comprend environ 260.000 ouvriers employés à l’extraction de la houille. 60.000 environ appartiennent à l’organisation socialiste, 40.000 à l’association des mineurs chrétiens et 10.000 au syndicat des mineurs polonais. En outre, 150.000 ouvriers ne sont pas syndiqués. Toutes ces associations sont d’accord. Pour la première fois, on voit marcher la main dans la main les socialistes révolutionnaires et les chrétiens sociaux.
- La grève est à peine déclarée que plus de 20.000 ouvriers ont quitté leur travail. Les non syndiqués, en
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- LE DEVOIR
- majeure partie, se sont joints à leurs camarades et se sont fait inscrire dans les divers syndicats.
- Le syndicat des charbons, fort de son unité administrative et de sa puissance financière se montre d’une intransigeance absolue. Deux fois, il oppose un refus catégorique à l’offre de négocier avec les syndicats.
- A une nouvelle conférence projetée doivent prendre part les représentants du gouvernement. On compte que leur influence aura assez de poids pour leur permettre de proposer un arrangement qui servirait de base à un arbitrage. L’Union minière refuse d’y prendre part.
- L'extrême correction des mineurs souligne cette attitude des patrons. A part de très rares excès individuels cette grève de 200.000 hommes n’est marquée par aucune violence. La politique est laissée à l’écart.
- Toutes les sympathies vont à eux.
- L’opinion du monde politique, sans distinction de partis, est favorable à leur cause. Les secours pécuniaires leur viennent de toutes parts.
- Il est évident que la situation ne peut se prolonger indéfiniment. Grâce aux approvisionnements accumulés, en prévision de la grève, le nombre des usines arrêtées est encore peu considérable. Mais que la grève se prolonge et la situation deviendra critique.
- L’impossibilité de recourir à l’arbitrage et à la conciliation oblige les pouvoirs publics à chercher d’autres solutions. C’est à l’action législative qu’on se prépare à demander la fin de cette lutte légale et pacifique du travail et du capital.
- Le gouvernement prussien, après avoir fait procéder à une enquête approfondie auprès des intéressés, aurait décidé de soumettre au Landtag un projet de loi modifiant la législation minière. Les modifications seraient probablement les suivantes :
- 1° La règlementation légale de la durée du travail, comprenant la montée et la descente ;
- 2° La réglementation du régime des équipes auxiliaires et supplémentaires ;
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- 3o La création obligatoire de commissions ouvrières ;
- 4o L’interdiction des annulations ;
- 5® La fixation du régime des punitions pour une période déterminée.
- Sur l’annonce d’une solution législative imminente donnant satisfaction à leurs principales revendications, la grève a pris fin.
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- RUSSIE
- L’évolution politique et sociale.
- Une répercussion de la guerre sur la situation intérieure de la Russie était prévue : on ne s’attendait pas à ce qu’elle fût aussi profonde. Cette guerre que le tsarisme avait rendue inévitable et qu’il n’avait pas su préparer, a jeté sur toutes les faiblesses de l’organisation militaire, politique et administrative une lumière aveuglante. Un concert de réprobation s’est fait entendre dans toutes les parties de l’Empire, dans toutes les classes de la société. Un cri résume les revendications complexes des Zemstvos de province, des conseils municipaux, des assemblées de la noblesse, des professions libérales , des corporations industrielles et commerciales , des organisations ouvrières : suppression de l’arbitraire d’une bureaucratie irresponsable ; contrôle national.
- Tiraillé entre des influences contraires, le Tsar est irrésolu. L’imminence de la chute de Port-Arthur où vont s’engloutir les derniers espoirs d’une meilleure fortune des armes, met un terme à ses hésitations. L’ukase du 25 décembre paraît.
- Il contient des promesses d’amélioration ; mais toute idée de participation de la nation au pouvoir législatif en est écartée.
- L’arbitraire reste l’arbitraire, il promet seulement d’être plus équitable. « Des mesures seront prises pour que la loi soit respectée tant par les fonctionnaires que par les particuliers. » Mais qui tiendra la main à son application ? Les fonctionnaires ?
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- LE DEVOIR
- Aux difficultés politiques vont s’ajouter les complications économiques, Les grandes usines de la capitale chôment. Les ouvriers sont en grève. Les patrons refusent de donner satisfaction à leurs demandes et le représentant qualifié du Tsar, le préfet refuse de négocier avec leurs représentants. Les ouvriers décident de formuler leurs griefs dans une pétition et de se rendre en cortège au palais pour remettre cette pétition à l’empereur.
- La tuerie du 22 janvier, le massacre d’une foule désarmée, la répression impitoyable d’une manifestation populaire, qui n’avait nullement le caractère d’une émeute, ont montré au peuple une fois de plus qu’il était sans garantie et sans protection contre un pouvoir qui se met au-dessus de la loi.
- Il paraît que la facilité de la répression aurait accrédité dans les hautes sphères l’opinion d’après laquelle la condescendance des autorités aurait été dans le prin-cipe un encouragement au désordre et que le recours aux moyens de rigueurs auraient dû être appliqué plus tôt? Plus tôt? AVant la grève, avant la grève même, c’était encore trop tard. Il n’aurait pas fallu, depuis un tiers de siècle, dans le vaste empire de paysans, laisser la grande industrie et le grand commerce transformer tels villages en grandes villes et les remplir d’usines et d’ouvriers, donnant ainsi naissance à deux classes nouvelles : un prolétariat urbain et une bourgeoisie.
- Il n’aurait pas fallu, il y a près d’un demi-siècle, briser la chaîne séculaire qui retenait sous le joug delà noblesse, le paysan dans son mir. Il n’aurait pas fallu, au début même du tsarisme, établir cet usage qui donne à tout sujet russe le droit d’aborder d’homme à homme le souverain et entretenir ainsi chez le premier cette illusion, désormais détruite, que le Tsar tout puissant prête toujours une oreille favorable aux vœux de son peuple.
- Dans la circonstance, les solliciteurs étaient nombreux, et la distance entre leurs demeures et celle de leur maître trop courte.
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- D’ailleurs le manifeste si mal accueilli, pose des problèmes complexes pour lesquels le gouvernement n’est certes pas prêt et le peuple n’est pas mûr. La généralité de la nation pensante se contenterait à coup sûr de la substitution du régime légal au régime policier. Malheureusement il ne semble pas que ce désir puisse trouver satisfaction même dans l’interprétation la plus large de l’ukase du 25 décembre, car dès la première ligne le Tsar y proclame son autocratie intangible même pour lui, et cette première ligne paralyse singulièrement l’effet de toutes les autres.
- Cependant les grèves de Saint-Pétersbourg gagnent la province, s'éteignent peu à peu dans les sanglantes répressions, puis renaissent dans la capitale et dans tout l’empire. Après les usines qui fabriquent les produits destinés aux armées, les chemins de fer qui les emportent.
- On dit que le gouvernement menacé de perdre en même temps et l’appui matériel et l’appui moral songerait à recouvrir à une convocation du Zemski-sobor, assemblée générale des représentants de toutes les parties du pays.
- Les Zemski-sobor ont été fréquents dans la première moitié du XVIIe siècle. L’un deux, consulté en 1648 par le Tsar Alexis sur la question de savoir si l’on devait faire la guerre aux Ottomans répondit négativement; le ’ précédent est le bon augure. Que le gouvernement se hâte de convoquer un Zemski-sobor.
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- LA QUESTION DE LA PAIX
- Les partis radicaux français et l’action pacifiste.
- La politique extérieure du ministère Combes a été foncièrement pacifiste. Son chef n’a jamais laissé passer une occasion de se faire l’interprète fidèle des sentiments de la France à cet égard, et l’on sait sg ces occasions ont été nombreuses. Du reste, les actes sont là, tangibles, efficients, sous la forme de conventions, d’accords, de traités d’arbitrage.
- Le ministère actuel n’a pas encore eu le temps de faire ses preuves Sa déclaration contient la promesse de continuer cette politique « qui, par la réalisation d;utiles rapprochements, a fortifié notre situation dans le monde et fait de notre pays, à des heures critiques, un agent écouté de concorde internationale. »
- D’ailleurs, le négociateur de ces utiles rapprochement, M. Delcassé, encore à la tête du département des affaires étrangères, et la plupart des membres du cabinet présidé par M. Rouvier, qui lui-même faisait partie du précédent ministère, appartiennent à un groupe de républicains avancés, depuis longtemps acquis au principe de l’arbitrage. Quelques-uns d’entre eux sont des pacifistes militants. De ce nombre est M. Dubief, député radical-socialiste de Saône-et-Loire.
- Avant de recevoir le portefeuille du commerce et de l’industrie, M. Dubief fut le rapporteur du budget des affaires étrangères. Son rapport, remarquable à plus d’un titre, se distingue surtout par le ton catégorique de ses affirmations pacifistes.
- Le passage suivant de ce rapport indique suffisamment l’esprit et la portée des considérations générales qu’il y développe :
- « Le parti républicain a une politique étrangère. H
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- LA QUESTION DE LA PAIX
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- tend de tout son effort au respect des droits entre les peuples, à la réparation des usurpations de la force, au maintien de la paix. Il veut que la République, maîtresse de ses destinées, sourde à toute suggestion belliqueuse, mais prête au suprême sacrifice pour se défendre, soit la gardienne vigilante du patrimoine d’intérêt et d’honneur qu'elle tient de son grand passé, sans autre ambition que de rester dans le monde, avec son beau renom de loyauté, la plus haute expression de la justice dans l’apostolat de la fraternité.
- « C’est par la libre diffusion de son génie et non plus par l’épée, comme aux temps héroïques, qu’elle entend exercer son action, et, résolue à renoncer à tout esprit de conquête pour s’efforcer de mettre en valeur son immense domaine, elle ne peut, tout en restant armée contre toute attaque, que désirer la venue de l’heure où, pour assurer sa sécurité, il ne sera plus besoin de cuirassés, de torpilleurs, de bataillons par milliers et de canons, mais simplement d’avoir le bon droit devant le tribunal impartial des peuples.
- « Elle n’oublie pas la blessure qu’elle porte à son flanc, mais elle attend les réparations nécessaires de la logique des événements et des revanches du droit devant la justice de l’Europe et du monde
- « Politique d’arbitrage et d’ententes cordiales avec les autres nations ; de protection et de sympathie pour les peuples opprimés et malheureux; politique d’expansion pacifique et civilisatrice partout ; politique de participation au gigantesque effort économique que sollicite l’ouverture à l’activité des hommes d’immenses territoires jusque-là ignorés et fermés ; telle est la doctrine que professe le parti radical aujourd’hui au pouvoir, dans son horreur des solutions violentes où le droit du plus fort supprime presque toujours le droit du plus juste. »
- Après avoir fait un tableau complet des relations amicales que la France entretient avec les diverses puissances, M. Pubief montre le mouvement actif qui s’est
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- LE DEVOIR
- produit vers la conciliation internationale. Il rappelle les traités d’arbitrage signés entre la France et diverses nations, et il termine par la phrase suivante qui sera la conclusion de son très intéressant rapport :
- « La France à laquelle on a pu jadis reprocher son militarisme et son humeur batailleuse, la France des grandes épopées guerrières a cédé la place à la République de la paix et, toute certaine qu’elle soit d’être capable des mêmes héroïsmes qu’autrefois si de douloureuses éventualités s’imposaient à elle, elle n’a d’élan aujourd’hui que pour les conquêtes fécondes de la science et du travail. Elle affirme ses tendances avec éclat par l’alliance russe pour la paix ; par les accords politiques anglo-français pour la paix ; par la convention franco-italienne du travail pour la paix ; dans la bonté pour les faibles, dans la justice pour tous et dans le sentiment supérieur de la solidarité humaine. »
- Dans un article publié par le Siècle {14 octobre 1904), M. Dubief déterminait avec son habituelle clarté, la signification précise du sentiment auquel avait obéi le Congrès radical et radical-socialiste de Toulouse, lorsqu’il émit un vœu favorable à une tentative d’arbitrage pour mettre fin à la guerre russo-japonaine :
- « Il ne s’agit là ni de diplomatie, ni de calculs politiques. Pas un seul instant il n’a été question de savoir ou sont les plus graves responsabilités dans le conflit actuel, quels.ont pu être, de part et d’autre, les motifs et les prétextes, les torts et les justifications, ni quelles seront les conséquences.
- « Une assemblée républicaine comme celle qui siégeait ces jours derniers au Capitole de Toulouse ne pouvait vouloir autre chose, sous l’impulsion d’un sentiment généreux que témoigner de son horreur pour le duel auquel nous assistons et de son ardent désir de voir se terminer, le plus tôt possible, l’œuvre de désolation et de mort qui s’accomplit en Extrême-Orient. Elle a l’inspiration qui pousse à se jeter entre les combattants tous ceux qui, d’instinct ou de raison, consj-
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- dèrent les décisions de la force comme mauvaises, parce qu’elles ne s’obtiennent qu’au prix des plus douloureux sacrifices, parce qu’elles ne sont presque toujours que des mutilations du droit.
- « C’est à propos de la guerre russo-japonaise, et non pas pour ou contre la Russie et le Japon, que les pacifistes interviennent.
- « Ils s’émeuvent au spectacle des tueries qui se succèdent, farouches, effroyables, dans la formidable mêlée des bataillons, de la chute, dans le chaos, des roches déchirées par la dynamite, de milliers d’êtres humains, broyés, mutilés, mis en pièces, loques lamentables et sanglantes et de l’engloutissement, au choc des torpilles, des équipages et des navires entraînés corps et biens dans l’abîme entr’ouvert et sitôt refermé qu’en un instant on n’en retrouve plus la place sous le nivellement dès vagues qui passent.
- « Voilà ce qui arrache à la conscience humaine un cri de pitié dans un geste d’épouvante, voilà ce qu’il eût fallu prévenir hier, ce qu’on voulait arrêter aujourd’hui et rendre impossible demain.
- « N’en demandez pas davantage à un Congrès républicain que révolte l’attentat commis contre l’humanité et qui le dit, sans souci des intérêts politiques qui préoccupent davantage les diplomates, les hommes d’Etat et les gouvernements. »
- L’adhésion de M. Dubief était donc acquise à l’idée d’un arbitrage qui ferait cesser les hostilités entre la Russie et le Japon, comme elle était acquise « à l’idée exprimée tout récemment au Congrès international de la Paix, siégeant à Boston, de l’organisation d’une union pacificatrice des nations, avec la Haye pour tribunal. »
- Espérons que l’optique gouvernementale ne fera pas subir une déviation trop forte aux aspirations du rapporteur du budget des affaires étrangères, du président de la gauche radicale socialiste, et que dans les conseils du gouvernement, le ministre ne manquera
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- LE DEVOIR
- pas de se faire le défenseur des mesures auxquelles le journaliste avait donné son entière et chaleureuse approbation.
- Voiei le texte des résolutions adoptées à l’unanimité par le Congrès national radical de Toulouse, sur la proposition de MM. Arnaud et Le Foyer :
- I. Le Congrès du parti républicain radical et radical-socialiste, réuni à Toulouse, le 8 octobre 1904,
- Réitérant les voeux émis à ce sujet par le Congrès de Marseille,
- Insiste vivement auprès du Parlement et du gouvernement afin qu’ils s’efforcent de faire aboutir le plus promptement possible :
- 1° La codification du droit public international positif ;
- 2° L’organisation d’un état juridique international de nature à assurer la solution pacifique, amiable ou jurb dique, de tous les différends internationaux;
- 3° Et l’entente entre les Parlements et les Gouvernements des divers Etats en vue d’amener la réduction, simultanée dans les divers pays, et aussi grande que le permettra la défense de la nation dans la situation nouvelle que créera cette entente, des dépenses militaires excessives, écrasantes et improductives qui pèsent actuellement sur le monde.
- IL Le Congrès désireux d’associer aussi complète* ment que possible le parti au mouvement tendant à la destruction de la guerre et à l’organisation de la paix, invite tous les sénateurs et députés appartenant au parti : 1° à adhérer au groupe parlementaire de l’arbitrage international ; 2° et à prendre part aux prochaines sessions de la conférence interparlementaire.
- Le Congrès charge le Comité exécutif d’assurer la représentation officielle du parti aux prochains Congrès nationaux et internationaux de la paix.
- III Le parti républicain radical et radical-socialiste, partisan de toutes les mesures internationales propres à accroîtr3 les sentiments de fraternité et de solidarité entre les peuples,
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- LA QUESTION DE LA PAIX 173
- Félicite le Gouvernement de la conclusion de la Convention franco-italienne du Travail,
- Et l’invite à prendre une part active à la création d’une Législation internationale démocratique du Travail.
- Autres résolutions également votées à l’unanimité :
- I. Le Congrès, considérant que les questions extérieures qui ont pour caractère propre d’être susceptibles dh provoquer la guerre, comportent des conséquences de toute nature — notamment financières particulièrement graves pour une nation ; que le principe de la souveraineté du peuple exige que celui-ci conserve la direction de ses affaires extérieures, c’est-à-dire la libre disposition de lui-même, et que la publicité la plus large possible donnée aux affaires extérieures constitue l’une des conditions nécessaires de la politique d’une démocratie ;
- Considérant que l’article 8 de la loi constitutionnelle du 16 juillet 1875 édicte que «... les traités qui engagent les finances de l’Etat. . ne sont définitifs qu’après avoir été votés par les deux Chambres » ; que les traités d’alliance, au premier chef, engagent les finances de l’Etat parce qu’ils peuvent amener la participation à une guerre, et qu’à de tels traités le secret confère, aux termes de la loi, un caractère provisoire, ou au moins précaire, qui ne peut qu’en affaiblir la valeur ;
- Considérant que l’article 9 de la même loi, ainsi conçu : « Le Président de la République ne peut déclarer la guerre sans l’assentiment préalable des deux Chambres », implique la possibilité pour les Chambres de faire une étude préalable et approfondie des éléments de fait et de droit qui peuvent justifier la déclaration de guerre ou la conclusion de la paix;
- Emet la résolution que le Parlement soit davantage associé à la politique extérieure, et que tous les traités, notamment les traités d’alliance, soient soumis à la ratification des Chambres.
- IL Le Congrès, réprouvant, au nom de l’humanité, le
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- LE DEVOIR
- conflit armé qui met aux prises la Russie et le Japon et ensanglante l’Extrême-Orient ;
- Redoutant, pour les deux pays et pour les neutres eux-mêmes, les conséquences économiques et financières que ne manquerait pas d’entraîner la prolongation d’une guerre dont on ne voit pas l’issue ;
- Appelant l’attention du monde civilisé sur les occasions de conflit que l’état de guerre amène inévitablement entre les belligérants et les neutres, et, en particulier sur le caractère précaire de la neutralité de la Chine, qui voit se poursuivre les hostilités sur son territoire, et donne, en s’abstenant de prendre part à la lutte, un rare exemple de réserve et de modération ;
- Constatant les essais faits de divers côtés en vue d’une médiation des puissances civilisées ;
- Estimant que le fait par les belligérants d’avoir jusqu’ici mené les hostilités en territoire neutre constitue une condition favorable pour la cessation des hostilités ;
- Rappelant que la médiation et les bons offices institués par la Convention de la Haye pour le règlement pacifique des conflits internationaux, constitue une procédure nouvelle, qui ne soulève pas les mêmes difficultés que l’intervention proprement dite, et que l’article 3 de la Convention susnommée, dont les deux puissances belligérantes sont également signataires, précise « que le droit d’offrir les bons offices ou la médiation... ne peut jamais être considéré par l’une ou l’autre des parties en litige comme un acte peu amical » ;
- Emet le voeu que le gouvernement fasse tous ses efforts, d’accord, s’il se peut, avec d’autres puissances, pour amener entre la Russie et le Japon l’intervention des bons offices, de la médiation ou de l’arbitrage prévus par les articles (§§ 2 et 3), 7 et 20 de la Convention pour le règlement pacifique des conflits internationaux.
- III. Le Congrès félicite le gouvernement d’avoir conclu avec diverses puissances des traités d’arbitrage permanent, dont l’heureux effet a été, notamment, de préparer la solution amiable de difficultés existant de-.
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- puis longtemps entre la France et l’Angleterre, et de contribuer efficacement à maintenir, malgré la guerre russo-japonaise, la paix européenne ;
- Exprime le voeu que les clauses restrictives que contiennent ces traités disparaissent lors de leur renouvellement et ne figurent pas dans les conventions analogues qui seront conclues à l’avenir ; retient le précédent constitué par le traité d’arbitrage permanent intervenu entre le Danemark et les Pays-Bas, le 12 février 1904, lequel ne contient aucune restriction, même fondée sur la nature des différends possibles ; et rappelle que l’article 17 de la Convention de la Haye précise formellement que « la convention d’arbitrage peut concerner tout litige».
- Les traités de commerce et les conventions de la
- Haye.
- Sept traités de commerce ont été négociés, dans l’espace d’un an, par l’Allemagne. Tous ces traités, à l’exception de celui conclu avec la Russie, comportent la clause d’arbitrage avec recours au tribunal de la Haye.
- Cette clause est empruntée à la loi sur le tarif des douanes suisses et due à l’ipitiative de M. le conseiller. Gobât.
- Le groupe français de l’arbitrage international a pensé que la conclusion des nouveaux traités de commerce signés par l’Allemagne pourrait avoir pour conséquence de nous engager1 à notre tour dans une série de négociations internationales et en prévision de cette éventualité, il a cru devoir appeler l’attention du ministre des affaires étrangères et du ministre du commerce sur cette clause tutélaire et les prier de vouloir bien en tenir compte, le cas échéant.
- Dans la lettre qu’il écrit à ce sujet à M. Delcassé nu nom du groupe qu’il préside, M. d’Estournelles de Constant signale, en second lieu, et dans un ordre
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- LE DEVOIR
- d’idées non moins important, la nécessité de prévoir une précaution nouvelle concernant à la fois l’application des traités de commerce et leur efficacité.
- « Périodiquement >, dit-il, « les dispositions de ces traités sont tenues pour lettre morte sous des prétextes divers ; il y est officiellement dérogé pour des mesures soi-disant exceptionnelles mais qui, devenant trop fréquentes, constituent en fait de véritables prohibitions.
- « Par exemple telle marchandise ou tel produit dont les tarifs assurent l’admission à la frontière se voient frappés d’interdiction pour des motifs sanitaires, hygiéniques ou autres ; tantôt la mesure est justifiée, tantôt elle est abusive.
- « Il y a là matière à contestations continuelles et l’insécurité qui en résulte rend illusoire les traités pour certains articles.
- « Le commerce du monde entier aurait intérêt à organiser un moyen de régler équitablement, et, par suite, de prévenir ces contestations. Or, ce moyen, les conventions de La Haye nous le fournissent. Elles prévoient l’institution de commissions d’enquête internationales.
- « Pourquoi les gouvernements ne se mettraient-ils pas d’accord pour constituer, chacun de leur côté, des éléments permanents de ces commissions d’enquête qu’il suffirait de réunir toutes les fois que l’occasion s’en présenterait ? >
- Cette lettre a été remise, le 8 février, au ministre des affaires étrangères, par une délégation composée de MM. Caillaux, Janet, Gérard, Beauquier, Girod, etc.
- M. Caillaux a particulièrement insisté sur la nécessité de trouver un moyen général d’assurer l’exécution loyale des traités de commerce.
- M. Delcassé a répondu qu’il examinerait très volontiers la question.
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- Le pétitionnement en faveur de la paix.
- La Délégation permanente des Sociétés françaises de la 'paix adresse à toutes les personnes qui, dans chaque commune de France, veulent bien s’intéresser au pétitionnement en faveur d’une trêve et de la paix en Extrême-Orient, un appel pressant, les invitant à redoubler d’activité afin que ce pétitionnement constitue une prompte et imposante manifestation populaire. Les évènements intérieurs de Russie ne doivent pas faire oublier la situation périlleuse des armées russe et japonaise qui sont en présence en Mandchourie. Quelle que soit la gravité de ces évènements et quelles que puissent en être les conséquences, l’opinion publique ne doit pas perdre de vue que demain cinq à six cent mille jeunes hommes peuvent être victimes d’un horrible carnage : et tous les efforts possibles doivent être tentés sans retard pour éviter cette hécatombe et pour sauver la vie de ces vaillants, promis à la boucherie.
- La pétition s’adresse aux gouvernements de Russie et du Japon quels qu’ils soient, aux gouvernements d’aujourd’hui comme à ceux de demain, à tous ceux qui ont ou qui auront le pouvoir d’arrêter la guerre et de conclure la paix.
- La Délégation rappelle que la pétition doit être signée à triple exemplaire, qu’il est bon de lui renvoyer à Paris, 18, rue Saint-Vincent-de-Paul, aux soins de M. Emile Arnaud. Le Comité de pétitionnement adressera lui-même ces exemplaires à qui de droit et, d’une manière générale, en fera l’usage le plus utile en vue du but à atteindre.
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- LE LEVOIË
- LE MOUVEMENT FÉMINISTE
- Le conseil national des femmes françaises.
- Le rapport présenté à la seconde Assemblée générale publique du Conseil national des femmes françaises, le 29 janvier 1905, par Mme Avril de Sainte-Croix, sur les travaux du Conseil en 1904, en même temps qu’il démontre l’excellence de cette institution, témoigne d’un remarquable progrès du mouvement féministe dans tous les domaines où se déploie l’activité des groupes.
- Les diverses sections du Conseil ont bien rempli leur année.
- La section d’assistance s’est occupée avec autant de zèle que de succès de la question des inspectrices générales des services de l’enfance, services qui avaient été supprimés par voie d’extinction par un décret de 1902 — ce décret a été annulé par un arrêté rétablissant les inspectrices. Actuellement, la section d’assistance a mis à l’ordre du jour : l’entrée des femmes au Conseil supérieur de l’Assistance ; la question des sous-inspectrices de l’Assistance Publique et l’inspection des œuvres de bienfaisance privée.
- La section d’éducation s’est occupée de l’équivalence des brevets pour l’entrée des jeunes filles dans les écoles supérieures et de la situation de la femme dans l’enseignement.
- La section du travail a présenté un projet sur l’indemnité à octroyer aux femmes enceintes vivant de leur travail.
- Les comptes-rendus spéciaux des travaux des sections dont nous venons de parler ont été rédigés par Mmes E. Weill, Alphen Salvador et Oster.
- Au cours delà séance du 29 janvier Mme d’Abbadie-
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- Le Mouvement féministe 179
- d*Ârrast, présidente de la section de législation, a présenté un travail très documenté sur la révision du Code civil au point de vue féminin, et Mme Oddo-Deflou a prononcé sur « les femmes et la tutelle » un discours où elle a démontré la nécessité d’ouvrir la tutelle aux femmes dans les mêmes conditions qu’aux hommes.
- En outre de ses travaux sur les diverses questions de son programme, le Conseil national n’a ignoré aucune des manifestations d'ordre plus général qui se sont produites depuis sa dernière réunion.
- C’est ainsi qu’il s’est fait représenter au Congrès de Rouen en 1903 et au Congrès antialcoolique tenu à Paris l’année dernière.
- Enfin, manifestation indéniable des progrès du mouvement féministe, le Conseil national, qui comptait, en 1903, 30,500 membres, a vu ce chiffre, grâce à de nouvelles adhésions, s’élever à plus de 70,000. Aux 38 sociétés déjà affiliées sont venues se joindre 15 autres, tant de Paris que de province.
- Avant de lever sa séance, l’Assemblée a adopté le vœu que la présente révision du Code civil supprime ou modifie les articles du Code qui infériorisent la femme.
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- L’unification dü Gode civil suisse et les femmes.
- Les commissions parlementaires chargées de l’examen du projet de Code civil suisse ont reçu du bureau des sociétés féminines, présidé par Mme Carola de Watte-ville, à Berne, une pétition qui reprend et formule à nouveau deux voeux dont il n’a pas été tenu compte dans ledit projet. L’un est d’ordre pratique : il demande que les fiancés soient instruits d’office des dispositions légales qui régleront leurs biens durant le mariage. A cet effet, l’officier d’état civil remettrait aux futurs époux, lors de la signature de la promesse de mariage, le texte des dispositions en question, accompagné d’un commentaire de forme populaire.
- Le second voeu tend à ériger la séparation de biens
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- en régime matrimonial légal. Les sociétés féminines ont déjà soutenu cette thèse dans une précédente pétition.
- En faveur de ce système, plaident de fort bonnes raisons et des exemples concluants.
- Mais on objecte qu’il ne s’agit point, pour le législateur, de faire le meilleur choix possible, mais seulement celui qui réalise le plus complètement l’unification du droit. Or, dit-on, à cet égard, le régime de la communauté des biens, proposé par le projet, mérite incontestablement la préférence, en ce qu’il modifie le moins les habitudes et ménage la transition du droit particularité au droit unifié avec un minimum de secousses.
- Il est donc à prévoir que les pétitionnaires se heurteront à un nouveau refus. Mais l’application générale du régime communautaire, en faisant ressortir davantage les inconvénients de ce régime, en les rendant plus manifestes aux yeux d’un plus grand nombre, amèneront la Suisse à suivre sur ce point l’exemple donné par les nations les plus avancées en matière de législation matrimoniale.
- ÉTATS-UNIS La peine du fouet.
- Un projet de loi a été déposé au Congrès américain instituant la peine du fouet pour les maris qui battent leur femme. Ce projet a reçu, dit-on, approbation du président Roosevelt.
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- LES DEUX VIES
- Par Paul et Victob MARGUERITTE
- {Suite. )
- Josette, qui s’hypnotisait à voir les fils du télégraphe monter et descendre entre les poteaux chargés de tasses blanches, — était-ce pour le déjeuner des oiseaux ? — leva vers elle son frais visage : des paroles violentes, des gestes terribles avaient bien traversé l’insouciance de ses six ans, sa vie de rêve, de joies et de peines de poupée; mais déjà le souvenir des scènes incompréhensibles s’effacait ; seul, le visage de sa mère — comme ses yeux brillaient ! — l’étonnait. Elle s’inquiéta : aurait-elle désobéi, serait-elle grondée, était-ce à cause d’elle que son papa avait Fair si méchant ?
- Mais les maisons sautaient comme des puces, les arbres déracinés s’envolaient ; la nuit des tunnels et l’effrayant fracas des ponts de fer la replongèrent dans un monde enchanté.
- Mme Le Hagre, saisie de pitié, contemplait ce doux être. Quel bonheur que sa fille, avec ses boucles soyeuses et ses yeux de fleur, fût si petite, incapable de comprendre ! Mais cela aussi était triste. Crier sa douleur l’eût soulagée ; elle étouffait dans ce wagon où la traquait l’insupportable curiosité d’un grand homme blond, embusqué à l’angle du couloir.
- Il paraissait fasciné par l’élégance de l’allure, le mystère des émotions qui animaient ce visage fier, par ces cheveux d’or ardent, ce teint d’orage, ces yeux qui paraissaient immenses et que le cerne de la fatigue agrandissait encore. Elle songea au plaisir qu’elle aurait à le gifler. Puis, que le cœur est étrange ! elle ûe put s’empêcher de le comparer à Le Hagre, et toute
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- le'devoir
- sa haine reflua contre l’homme qui la trahissait si vilement et qui l’exposait à ces admirations injurieuses.
- Le drame l’étreignait, tourbillon d’images où l’obsession de la réalité se joignait à Firréel du cauchemar : elle n’est plus ici, mais dans sa chambre, en son hôtel, rue Murillo. Elle se réveille et sa première pensée est que Josette a eu un peu de fièvre. Il est deux heures du matin ; Le Hagre — depuis longtemps ils font lit à part — doit dormir de Fautre côté du palier. Elle passe un peignoir, monte à l’étage au-dessus, où Josette couche, dans une chambre contiguë à celle de Lischen, sa gouvernante allemande. Tiens, la porte n’est pas fermée : derrière, on chuchote.
- Elle pousse le battant et découvre son mari. Il est en robe de chambre et pantalon à pieds, debout, près du lit de Lischen, qui, grasse et laide, lui sourit, les seins nus. Il sursaute et blêmit, son œil faux et jaune clignote. Lischen s’empourpre jusqu'à la gorge. Courte stupeur : la scène éclate, étouffée et furieuse, aux protestations de Fernand qui nie, aux sanglots de l’Allemande qui avoue. Francine entend la voix aigre de son mari : « C’est une indignité ; il a travaillé tard ; inquiet de Josette, il est monté, a vu de la lumière chez Lischen, a toqué ; pas de réponse ; il est entré : elle dormait, et la bougie qui brûlait près des rideaux pouvait au moindre mouvement mettre le feu ; il l’avait soufflée. Rien de plus. On le calomnie, il jure... » Elle le traite d’infâme.
- Il répète devant Céline, la femme de chambre, descendue au bruit : « — Mais vous vous trompez, mais vous êtes folle ! y> Lischen, de son côté, essaie de rattraper ses aveux : trop tard. Josette réveillée pleure ; se précipiter, l’envelopper d’une couverture, la descendre dans sa chambre, la coucher dans son lit, c’est l’affaire d’une seconde. Quelle nuit !
- Au matin, plus de Fernand : sorti dès sept heures. Lischen, là-haut, fait la morte. Elle monte et lui dit ;
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- € Allez-vous-en !» — Ça ne traîne pas ; en un quart d’heure la grosse femme a déguerpi. Que Fernand rentre, et l’explication sera courte. Mais sa tête travaille, son imagination en feu assemble des souvenirs, noue des coïncidences. Elle entre chez son mari ; il faut qu’il ait perdu la tête : lui, la méfiance, l’ordre, l’avarice, il a laissé ses clefs à la serrure du secrétaire où il enferme ses papiers et son argent. Avant, jamais Francine n'aurait eu même l'idée... mais aujourd’hui ! Une divination lui crie : « Cherche ! » Tant pis ! Elle ouvre, bouleverse les factures, va d’instinct au tiroir secret. Elle ne s’est pas trompée : des lettres, l’écriture de Lischen ; le timbre de Suisse. C’est bien cela, leur séjour de l’été dernier ; Fernand était alors à Paris. Elle/essaie de lire : c’est de l’allemand qu’elle ne comprend pas, mais que lui, sait. Son chapeau, son manteau ; Eugène, le valet de chambre, va chercher un fiacre : 8, rue de l’Université, chez son notaire.
- — M. Charmois ?
- Absent. Le premier clerc lui indique deux adresses de traducteurs jurés. Le premier la fait attendre ; elle court chez le second, séance tenante le décide à traduire les lettres ; il hésite, gêné, à certains passages qu'il transcrit, — elle l’exige, — sur une feuille de papier à en-tête de son cabinet. Mélange de sentimentalités germaniques et de crudité lascive : preuves qu’elle emporte glissées dans son corsage. Elle rentre. Le Hagre a fait dire qu’il déjeunera en ville ; il cherche lâchement à gagner du temps. À cinq heures, le voici. Nouvelle scène, affreuse, où elle l’accable de reproches ; il veut, dans une colère sauvage, reprendre les lettres. Elle crie : « Au secours !» et à Céline :
- « Restez, ne me quittez pas ! » Elle habille Josette, fourre dans un sac de voyage tout l’argent qu'elle possède, son carnet de chèques, ses bijoux, et prenant sa fille par la main, descend l’escalier. Son mari veut lui barrer la porte ; elle lui dit devant les domestiques :
- « Faut-il que j’envoie chercher le commissaire de
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- LÉ DEVOIR
- police ? » Il lui jette un regard d’assassin ; elle sort.
- Où aller ? Elle se sent hors d’elle-même, des gens dans la rue la regardent. Elle hèle une voiture : si sa mère était là, du moins... A qui se confier? A de vieux amis, les Morland ? C’est à Saint-Germain. Elle y va : personne. Des amis plus récents, sur qui elle croit pouvoir compter ; les de Guertes ? Elle les trouve, dîne chez eux avec Josette dans une surexcitation inimaginable ; ils la calment de leur mieux. Des dépêches, une à Mme Favié, une au vieux Marchai, le jurisconsulte, dont les conseils.... Et maintenant la voici dans le compartiment, courant vertigineusement vers Aygues-Vives. Comme il lui tarde de se jeter dans les bras de sa mère, cette mère qu’elle a peinée si souvent, méconnue, froissée, et qui avait pressenti ce qui arrivait : quel besoin de l’étreindre, et, se réfugiant sur son cœur de toute sa tendresse filiale, de lui crier : « Oh ! maman... »
- Si elle n’était qu’une femme trompée entre tant d’autres encore ! Trompée, elle l’a été plus d’une fois et pour quelles rivales ? L’irrémédiable venait de cela, et de pire, — de la formelle incompatibilité d’humeur qui rend la pensée incommunicable, qui transforme la vie en malentendu perpétuel et le mariage en un martyre à coups d’épingle. Ce désaccord-là, qui rend amère toute intonation et odieux tout regard, qui vous fait prendre en haine le visage d’autrui, le duvet de ses mains, l’odeur de sa chair, ce désaccord, c’était bien celui auquel rien ni personne ne pouvaient rien, car il tenait à l’essence même des êtres ; il était plus fort que tout, il rendait la vie insupportable, il vous forçait à appeler la délivrance ou la mort.
- Francine en était là !
- Pendant ce temps, Mme Favié montait dans son coupé. Elle était pâlie et changée. Elle ne s’était pas couchée ; les bougies charbonnaient, près de s’éteindre, quand elle les avait soufflées, au triste petit jour. Elle ne reconnaissait pas le paysage, elle ne se recon-
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- naissait pas non plus : ce n’était pas l’intervalle d’une nuit, mais d’évènements et d’années qui lui rendaient nouveaux et étrangers le fleuve blême et plat entre des plaines verdâtres, ces jardins de brume, ce froid lugubre des choses mal réveillées.
- La compassion des Lu rat lui fut à charge. Persuadée que son visage la trahissait, pas une fois elle ne regarda Charlie : son angoisse maternelle effaçait pourtant les affres de l’amour. N’importe, elle se sentait devant lui comme nue, incapable de lui en vouloir et de le détester, et cependant est-ce qu’elle ne le devrait pas ? Elle rougissait, elle se maudissait, indignée : lâche ! L’avoir écouté jusqu’au bout, n’avoir pas eu le courage de lui fermer la bouche ! Descendue de si haut, ravalée aux femmes sans pudeur qu’elle plaignait jadis sans les comprendre, digne du mépris qu’il lui vouait sans doute !... Car, par un touchant subterfuge, elle déplorait moins la fatalité de leur amour que sa révélation, regrettait les heures inconscientes de leur passion.
- Pour se punir, elle se garda de lui offrir, bien qu’il en mourût d’envie, une place dans la voiture. Il vivait dans l’enivrement de ce monde qui venait de s’ouvrir à lui. Cette pensée lui rendait toute autre importune ; le malheur de Francine, cette jeune vie brisée, le touchait moins que la répercussion qu’il prévoyait sur le cœur meurtri de Gabrielle.
- Les Lu rat, sous treilles, — rien de salutaire comme la cure matinale de raisin ! — dégustaient, avec les grappes empoudrées et lumineuses, la distrac-fion de ce drame de famille où leur vieille expérience pouvait jouer un rôle : entremise pacifique, sages conseils, à tout le moins consolations d’usage, mais servies avec tact ! tout est là ! Ils se demandaient seulement s’ils se devraient à leurs « pauvres amies » quelques jours encore, ou si, leur curiosité satisfaite, ils fileraient chez les Rastac, si pressants encore ce matin, et qui seraient ravis de tenir d’eux l’histoire toute chaude,
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- Au roulement du eoupé, Mme Favié comptait, impatiente, les minutes ; que s’était-il passé ? Quelles trahisons, quelles vilenies, quelles duretés allait-elle apprendre de son gendre ? Car pas une seconde elle ne doutait de sa fille : rien ne l’étonnait de ce Le Hagre, avec son air de hibou malade, ses yeux fuyants, son sourire cruel et pincé.
- Francine malheureuse, outragée ! Qu’on osât y toucher, à sa fille ? Ils étaient loin, leurs vieux dissentiments. Elle se réveillait mère, avec une violence presque sauvage ; elle sentait frémir en elle les douleurs qui l’avaient liée à l’enfant conçu dans ses flancs et suspendu, aveugle encore, à son sein gonflé de lait ; elle sentait frémir tous les sacrifices, toutes les résignations consentis pour Francine, et qui avaient cimenté dans leur âme et dans leur chair une indestructible union. Non ! non ! elle avait trop souffert pour que sa fille expiât ? Elle avait payé la rançon, les joies légitimes de cette vie appartenaient de droit à Francine !
- Mais elle revenait aux mots, cent fois lus, de la dépêche ; ce glas d’irréparable : « Tout est fini... résolue exiger divorce. » Cela, elle se refusait à l’admettre et à le comprendre. Quand on avait Josette — quelle mignonne avec sa petite figure de princesse ! — on ne divorçait pas ; qu’est-ce que ça voulait dire : divorcer ? Est-ce qu’on pouvait anéantir ce qui avait été ; est-ce que Fernand, s’il, cessait d’être le mari, pourrait ne plus être le père ? Est-ce que l’enfant ne restait pas entre eux, fibre fragile, lien vivace et sacré ?...
- Francine parlait dans la fièvre : elle la raisonnerait, la convaincrait. Tout, même une séparation momentanée , amenant une reprise de soi, de mûres réflexions, plutôt que ce crime contre la religion, la société, la foi jurée. Mais est-ce qu’elle avait divorcé ? Est-ce qu’elle s’était permis de rendre Francine orpheline ? Non, elle avait souffert, prié, pleuré, rempli son devoir jusqu’au bout..-. Et elle ne songeait plus
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- qu’hier elle se disait : « A quel prix !.. . Et si c’était à refaire !... »
- Elle tressaillit : le cocher lui ouvrait la portière, respectueusement ; ce matin, elle avait remarqué déjà la même marque d’intérêt chez les autres, comme si toute la maison, qui l’aimait, se doutait déjà. La vieille Nanette, qui depuis trente-huit ans servait à Aygues-Vives, avait demandé, soupçonneuse : « Y a donc du mauvais, qu’elles arrivent comme si y avait le feu ! » Ce qui l’eût touché, si elle n’avait pris là l’avant-goût de ce qu’elle redoutait le plus, l’ébruitement des misères intimes, les ragots de l’office avant ceux des salons.
- On signalait le train ; son cœur l’élança : elle apercevait à une portière un beau visage pâle et derrière une délicieuse frimousse. Elle courut, étreignit Francine, fit descendre Josette qu’elle enleva dans ses bras. Un peu plus, elle eût sangloté ; le calme de Mme Le Hagre la doucha. Elle la trouva maigrie, fut effrayée de l’invincible ténacité de ses traits durcis. En silence, après les premières effusions, elles se casaient dans le coupé. Un froid, — il semblait qu’elles n’eussent rien à se dire, — tombait. Il fallait toujours à l’inégale chaleur de leurs cœurs un certain temps pour se fondre. C’était une des dissonances auxquelles Mme Favié, plus tendre, ne s’était jamais accoutumée.
- Heureusement, Josette créait diversion , charmant petit visage aux yeux pensifs.
- — Tu n’es pas fatiguée, ma chérie ? Tu n’as pas froid ? pas faim ?
- — Non, répondit pour elle Francine.
- Et Mme Favié n’insista plus. Leurs systèmes d’éducation différaient. Par sa tendresse et ses gâteries, l’une était de l’ancienne école ; l’autre, avec son juste et froid dressage, de la nouvelle : un conflit à éviter. Que de fois elle avait dû regretter son premier mouvement !
- Maintenant les deux femmes se regardaient dans les
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- LE DEVOIR
- yeux, ardemment.
- — Ma pauvre enfant, dit Mme Favié.
- Mais devant Josette !... Cette présence ignorante, incapable de comprendre, lui inspirait un respect superstitieux, l’effroi d’un sacrilège : dans ce frêle cerveau, ce pur regard, aucune pensée, aucune image flétrissante ne devaient s’imprimer avant qu’elle fût femme à son tour ; il eût été coupable de toucher à celui qu’elle n’aurait jamais le droit de juger: son père. Et elle pouvait penser ainsi, elle qui avait eu l’héroïsme de ne jamais dire à Francine une seule parole qui pût moins lui faire aimer et estimer M. Favié.
- Francine comprit la supplication muette, mais l’interpréta de façon injuste : « Ah! oui, toujours ce sentiment des convenances, des délicatesses ; cette peur des situations nettes qui aboutit, somme toute, au mensonge. Toujours le silence, les précautions ! Non, non , plutôt la brutalité franche, le cri sincère de la douleur! Josette eût pu entendre? Mais qu’eût-elle saisi? Elle n’eût pleuré que par imitation ; une gronderie, la privation d’un plaisir bornaient pour elle la cruauté de la vie. Et même, après, ne fallait-il pas qu’elle sût un jour? Plus vite elle couverait ces impressions confuses, ces sensations dormantes, ces étonnements sans réponse qu’emmagasine une âme d’enfant et qu’éclaire brusquement un jour de vérité, mieux cela vaudrait !... Mais le faire entendre à la candeur romanesque de sa mère? peine perdue!»
- Et cette conviction, au moment où Francine avait tant besoin d’ètre devinée à fond et comprise, la conscience du malentendu invétéré, renaissant, lui furent si pénibles que ses yeux se remplirent de larmes, — quelle faiblesse ! — des larmes retenues, rares et lentes, qui bouleversèrent Mme Favié :
- - Ma pauvre chérie, ma petite Francine !
- Elle les sentait couler, ces maigres larmes, sur son propre cœur, comme du plomb fondu.
- Josette battit des mains ; elle apercevait du haut de
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- LES DEUX VIES
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- la côte les grands arbres du parc.
- — Est-ce que le jardin fait toujours de la musique ?
- Ce qui l’avait le plus frappée, l’été dernier, c’était le perpétuel concert des oiseaux et des eaux...
- Mme Favié revécut ce jour cruel où, s’arrachant à son indigne mari, elle s’était réfugiée dans Aygues-Vives tout bruissant de voix ironiques ou câlines. Aujourd’hui c’était le tour de sa fille.
- Ah ! les recommencements atroces de la vie !
- DEUXIÈME PARTIE
- « Si tu m’avais demandé le divorce, même lorsque je t’aimais éperdument, je te l’aurais accordé. Le mariage n’est rien, s’il n’est l’accord de deux âmes. »
- J. -H. Rosny.
- € Vous allez apprendre à connaître à vos dépens ce que c’est que les poursuites fatigantes et ruineuses de la justice dans ses formalités les plus oppressives. Vous allez connaître ses tortures de toutes les heures, ses jours sans repos, ses nuits sans sommeil. t Dickens.
- 1
- Dans sa chambre de jeune fille, Francine confiait à sa mère le* long arriéré de ses douleurs. Confession entrecoupée par les supplications de Mme Favié et scandées, comme en refrain, par ces mots :
- — Je divorcerai ! Il faut que je divorce !
- — Tu me navres ; tout ce que tu me dis me fais horriblement mal. Je voudrais prendre pour moi ta peine ; je te plains tellement ! Mais plus que ton désespoir, c’est ta violence qui m’effraie. Peux-tu mépriser ainsi le père de ta fille ? Comme tu es ulcérée, malheureuse enfant !
- — Je ne puis plus dissimuler, je ne le veux plus ! Pendant des années, j’ai dompté mes dégoûts, humilié
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- 19Ô
- LE DEVOIR
- ma volonté, tout souffert... J'ai eu tort; c’est fini, fini, archi-fini !
- Mme Favié, avec une impuissance désolée, passa les mains sur ses tempes ; mais s’obstinant à l’espoir d’une réconciliation impossible, d'un pardon surhumain, elle répéta, comme si elle avait besoin d’en être plus convaincue encore :
- — C’est affreux!... Lischen...
- Entre les adultères trop certains, mais dont on ne tenait que l’ombre, ce flagrant délit la hantait : cette femme, laide, répugnante!... Elle en eut un haut-le-corps, tant son idée chaste, profonde de l’amour était salie. Et pour la dixième fois, Francine :
- — Oui, Lischen... et les autres ! Oh ! ne me fais pas l’injure de me croire jalouse !... Mais, plus que ce choix abject, ce qui me rend folle, c’est leur impudence. Nier, conçois-tu ? quand je les ai vus : elle lui souriait comme une fille ! Ah ! c’est fort ! Non, mais oser nier, quand j’ai ses lettres !...
- Mme Favié fit taire la colère que lui inspirait son gendre :
- — Je ne le défends pas, je ne l’ai jamais aimé ; mais enfin, il peut se repentir, se racheter,... avec le temps, qui apaise tout...
- Francine, à voix saccadée, reprenait ses griefs, les trahisons qu’une femme flaire à d’imperceptibles riens, le mensonge que l’homme exhale dans la bonhomie de son sourire, la franchise de son regard, la correction de ses vêtements ; et pas même l’excuse d’un entraînement du coeur, de la vanité, — on ne sait quoi de capon et d’obscur, caprices louches, tentations au rabais, le vice !
- Et comme Mme Favié, le sang au visage, refusait de la croire : « Ne dis pas de pareilles choses ! c’est impossible !... « elle cria :
- — Oui, oui, avec les dernières des filles !
- Sa mère l’enveloppa de ses bras :
- (a suivre.)
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- ASSURANCES MUTUELLES
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- Société du Familistère. - Assurances Mutuelles
- MOUVEMENT DU MOIS DE SEPTEMBRE 1904, A GUISE
- ASSURANCE CONTRE LA MALADIE
- Section des Hommes
- Cotisations des mutualistes... 2.701 80 i
- Subvention de la Société...... 877 » j> 4.069 30
- Malfaçons et Divers........... 490 50)
- Dépenses................................ 3.541 90
- Boni en septembre 1904.......... 527 40
- Section des Dames
- Cotisations des mutualistes....... 518 95 /
- Subvention de la Société.......... 172 05 / 778 43
- Divers.......................... .. 87 43 \
- Dépenses........... .......................... 670 90
- Boni en septembre 1904............ .....107 53
- ASSURANCE DES PENSIONS
- Subvention de la Société et Divers 7.246 22/
- Intérêts des comptes courants et \ 11.723 57
- du titre d’épargne............ 4.477 35 1
- Dépenses :
- 123 Retraités définitifs.............. 8.433 92 \
- 5 — provisoires.................... 258 50 1
- Nécessaire à la subsistance........ 4.786 50 ) 14.705 27
- Allocations aux famill8 des réservistes 441 50 i Divers, appointera., médecins, etc. 784 85/
- Déficit en septembre 1904._ 2.981 70
- CAISSE DE PHARMACIE
- Cotisations des mutualistes....... 780 70 ( . . on on
- Subvention de la Société.......... 340 20 \ *^
- Dépenses.......................................... 962 83
- Boni en septembre 1904.................. 158 07
- RÉSUMÉ
- Recettes sociales du 1er juillet 1904 au 30 septembre 1904 37.048 76 i ,Q ,
- » individuelles » » 12.428 03 )
- Dépenses » » 59.513 68
- Excédent des dépenses sur les recettes.. 10.036 89
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- LE DEVOIR
- ÉTAT CIVIL AU FAMILISTÈRE DE GUISE
- MOIS DE SEPTEMBRE 1904.
- Naissances :
- Néant.
- Décès :
- 10 Septembre 1904 : Leroy Charles, âgé de 44 ans.
- Le Gérant : H. E. Buridànt.
- Nimea. — Typ. A. Chastanier, 12, rue Pradier.
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- DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES.
- 193
- Avril 1905.
- DOCUMENTS POUR UNE BIOGRAPHIE COMPLÈTE
- de J.-B. André GODIN (1)
- Glorification du Travail. Emancipation du Travailleur.
- XV (suite.J
- Série des employés. — Inauguration de répartitions mensuelles indicatives du mérite. — Adresse de Godin aux intéressés, janvier 1870. — Propositions en réponse par Messieurs A, B, C, D, E, F, G. — Rapport sur ces propositions.
- Mémoire du Rapporteur, II.
- « De l’étude que j’ai faite des sept (2) systèmes qui m’ont été donnés à examiner, je crois devoir formuler mon appréciation ainsi qu’il suit :
- Tous se réduisent à deux principaux, en ce sens que deux seulement embrassent l’idée générale, tout en s’appuyant sur des bases bien distinctes.
- Les autres, comme j’essaierai de le démontrer, en outre qu’ils ne sont plutôt que des moyens de répartition ne s’appuyant sur aucun principe fondamental, ou tout au moins général, olïrent tous ce caractère particulier : qu’ils sont parties des deux systèmes.
- A première vue, ceux de E, F paraissent chacun un type spécial, mais je pense qu’étant à peu de chose près compris dans les autres, leur application ferait double emploi. Ils sont du reste très incomplets.
- (1) Appendice, p. 60, Le Devoir, tome 26e, janvier 1902.
- (2) Tenir compte que le deuxième système présenté par F s’est produit après le travail du Rapporteur.
- 1
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- LE DEVOIR
- Les deux systèmes types sont ceux : 1° de G, 2° de B et F. Je ne ferai que les résumer pour en donner une idée générale, leur lecture fera connaître les détails.
- Je commence par le projet n° 1 qui ,me paraît avoir pour base l’idée la plus large, vers la réalisation de laquelle convergent les tendances de l’époque.
- Analyse du projet n° 1 (auteur G).
- Le principe fondamental est l’égalité dans la collectivité, c’est la collectivité sans aucun tempérament en faveur de l’affinité, le genre de travail, l’importance de l’emploi ou des appointements.
- Partant de là, la somme totale allouée est distribuée entre tous par le vote, mais par un vote raisonné.
- On divise la masse des participants en groupes de 5, 6 ou 7, par un tirage au sort.
- Chacun de ces groupes ne peut discuter ni voter pour lui-même, mais il discute tous les autres candidats et vote pour eux.
- La moyenne des votes de ce groupe pour chaque candidat, est le rapport de l’appréciation de ce candidat vis-à-vis de la masse ou de la collectivité.
- Exemple : 1500 fr. alloués.
- 60 employés.
- Je suppose douze groupes de 5 membres, formés par le sort. Un groupe : Paul, Pierre, etc...,
- donne pour Mathieu, membre étranger, le résultat suivant :
- Paul............ 20
- Pierre.......... 10
- Jacques....... 15
- Henri............ 5
- Louis ........ .. 15
- donne pour Lucas, membre étranger, le résultat suivant :
- Paul............ 10
- Pierre.......... 15
- Jacques......... 15
- Henri........... 10
- Louis........... 20
- 5
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- DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES 195
- La moyenne ou l’appréciation du groupe est donc
- 13 points pour Mathieu et
- 14 — — Lucas.
- Chacun des dix autres ayant opéré de la même ma-
- nière, je suppose que : Mathieu ait obtenu les résultats Lucas ait obtenu les résultats
- Moyanne du 1er suivants : groupe 13 Moyenne du 1er suivants : groupe 8
- 2e — 15 2e — 9
- 3e — 16 3e — 5
- 4e — 18 4e — 10
- 5e — 14 5e — 7
- 6e — 9 6e — 8
- 7e — 10 7e — 12
- 8e — 12 8e — 6
- 9e — 13 . 9e — 9
- 10e — 8 10e — 13
- 11e — 15 11e — 12
- 143 = 14 11 " = 9 11
- (On voit que c’est le groupe n° 12 qui vote dans l’exemple).
- La moyenne générale pour Mathieu sera donc 14 et celle de Lucas sera 9.
- Cela revient à dire que dans la répartition des 1500 fr. ils toucheront une part proportionnelle l’un à 14 l’autre à 9.
- Il ressort de là que tous les groupes doivent se servir de la même échelle de proportion de mérite de 0 à 20 maximum, dans l’exemple, mais qui peut être prise arbitrairement de 0 à 20 ou de 0 à 100 n’importe, puisque le rapport général ne change pas.
- Cette méthode a pour effet d’aider à l’appréciation de
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- LE DEVOIR
- chacun, d’éclairer la conscience du votant et en même temps d’obvier à l’inconvénient de voter pour soi-même. (Voir l’exposé des motifs du projet.)
- Quant aux questions de détails : secret du vote, formation de bureaux, etc. ; je renvoie à l’original.
- Maintenant je me permettrai de donner mon appréciation en m’appuyant sur les considérations suivantes :
- Et tout d’abord ce projet a toutes mes sympathies, parce qu’il s’appuie sur la volonté générale éclairée par la discussion, sur la collectivité, la solidarité, si l’on veut employer ce terme.
- Un grand philosophe, un des principaux auteurs de la Révolution de 89, ajustement émis les principes qui sont appliqués dans le projet susdit et comme le nom de ce philosophe a eu une grande autorité dans la matière, je cède à la tentation de lui emprunter toute une citation pour servir, si j’ose dire, d’introduction au système de G.
- Je le fais d’autant plus volontiers qu’il est bon en ce temps-ci de faire sa profession de foi, afin qu’une fois un principe établi, on ne soit pas tenté de s’en écarter à chaque instant suivant les circonstances, au détriment du but à atteindre.
- Le plus grand nombre de ceux qui se disent partisans de la solidarité, s’en écartent si souvent, que je finis par croire qu’il est utile d’en développer les considérants.
- Je commence par dire que ce qu’on nommait pacte social a pris, depuis, le nom desolidarité, à cause de certaines variantes dues surtout au progrès de l’esprit humain. Aussi, suis-je tenté'de croire que l’auteur du Contrat social modifierait profondément certains de ses principes, s’il vivait à l'époque actuelle.
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- Suivant lui : Le principe fondamental du pacte social est que : chacun de nous met en commun sa personne et toute sa puissance sous la suprême direction de la volonté générale, et nous recevons en corps, chaque membre comme partie indivisible du tout.
- C’est en d’autres termes une forme d’association qui défend et protège de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé, et par laquelle chacun s’unissant à tous , n’obéisse pourtant qu’à lui-même et reste aussi libre qu’auparavant.
- Je cite toujours : La première et la plus importante conséquence de ce principe, est que la volonté générale peut seule diriger les forces de l’association , selon la fin de son institution, qui est le bien commun, d’où dérivent les biens particuliers.
- La volonté générale est toujours droite et tend toujours à l’utilité publique , mais il ne s*ensuit pas que les délibérations du peuple aient toujours la même rectitude.
- Il y a souvent bien de la différence entre la volonté de fous et la volonté générale.
- Si, quand le peuple, suffisamment informé, délibère, les citoyens n’avaient aucune communication entre eux, du grand nombre des petites différences résulterait toujours la volonté générale et la délibération serait toujours bonne. Mais, quand il se fait des brigues, des associations partielles aux dépens de la grande, la volonté de chacune de ces associations devient générale par rapport à ses membres, et particulière, par rapport à la masse générale ; on peut dire alors qu’il n’y a plus autant de votants que d’individus, mais seulement autant que d’associations ; les différences deviennent moins nombreuses et donnent un résultat moins général. Enfin quand une de ces associations partielles est si
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- LE DEVOIR
- grande qu’elle remporte sur toutes les autres, vous n’avez plus pour résultat une somme de petites différences, mais une différence unique : alors il n’y a plus de volonté générale et l’avis qui l’emporte n’est qu’un avis particulier.
- Il importe donc, pour avoir bien l’énoncé de la volonté générale, qu’il n’y ait pas de société partielle dans l’association et que chacun n’opine que d’après lui. Telle fut l’unique et sublime appréciation du grand Lycurgue.
- Que s’il y a des sociétés partielles, il en faut multiplier le nombre et en prévenir Vinègalitè comme firent Solon, Numa, Servius.
- Telle est l’introduction que je propose pour le système de G, introduction qui justifie pleinement les précautions prises : discussion par groupes formés au sort et dans la masse générale, etc., etc.
- J’aborde maintenant le système n° 2 (auteurs B et F).
- Le principe fondamental est l’inégalité dans la collectivité , c’est la collectivité avec tous les tempéraments en faveur de l’affinité, du genre de travail, de l’importance de l’emploi et des appointements, etc.
- C’est, si je puis dire, une minorité se gouvernant seule, sans l’avis de la majorité (ou tout au moins l’avis de la majorité n’a que 1/5 d’action dans l’exemple).
- Il forme cinq principaux groupes :
- Familistère, Comptabilité, Fonderie, Ajustage, Ateliers divers.
- Il leur partage la somme totale en 5 parts au prorata des appointements de chaque groupe.
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- Se basant sur ce que les personnes composant chacun de ces groupes naturels sont plus aptes à se juger entre elles et que, par contre, les membres étrangers au groupe sont moins aptes à juger de la valeur relative de chacun des membres, il propose un mode de répartition tel, que le groupe ayant une somme de 400 francs, par exemple, lui revenant par suite du partage préliminaire en 5 parties proportionnelles, il est procédé de la manière suivante :
- Le groupe composé de 25 employés (ex.) agissant en lui-même et sur chacun de ses membres, aura à partager les 4/5 de 400 francs soit 320 francs, tandis que 1/5 ou les 80 francs restants lui seront répartis par les 40 membres étrangers (en prenant 65 comme nombre total d’employés).
- En d’autres termes, l’action du groupe sur lui-même = 4/5 (dans le cas).
- Et l’action de la collectivité sur le groupe seulement = 1/5.
- Dans son exposé des motifs, il dit que le chilfre 80 ou 40 x 2 n’est pas arbitraire, je n’en vois pas la preuve. Il dit bien : la base de la division entre ces deux éléments (groupe et collectivité) sera celle de la proportion numérique du groupe, vis-à-vis de la masse entière.
- Ce sont des mots qui ne me paraissent pas permettre de formuler une équation générale ; je voudrais, au lieu de chiffres, pouvoir mettre des lettres ou signes quelconques permettant d’y adapter des nombres quelconques. C’est-à-dire je voudrais voir établir une proportion qui resterait juste, dans le cas où on modifierait profondément le rapport entre le groupe (25) et la collectivité (40).
- Ainsi groupe 5 collectivité 60 » 35 > 30
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- Je ne m’étendrai pas sur le mode répartition (je renvoie au projet) car quel qu’il soit, on arrivera toujours au même résultat, c’est une question de choix d’échelles proportionnelles. Il est bien entendu que pour un même vote, l’échelle doit être uniforme.
- Le système de F. n’en diffère essentiellement qu’en ce qu’il affecte à chaque groupe, une somme proportionnelle au nombre des composants, abstraction faite de leurs appointements. (Il a cela de commmun avec G.)
- Au reste, M. Godin ayant dit lui-même que les appointements pouvaient être erronés et que c’est en quelque sorte pour éclairer sur leurs valeurs relatives qu’un essai de répartition a lieu, il paraît tout naturel de ne pas s’appuyer sur un élément à chercher, pour en faire une base d’appréciation.
- F. adopte le même principe que B. par rapport à l’action de la collectivité sur un groupe, mais il a un mode d’agir tout différent ; de prime abord, il ne désigne pas la somme que le groupe peut se partager par lui-même, mais il le fait disposer d’un nombre de points proportionnels au nombre des participants, soit 15 fois ce nombre, tandis que chaque membre du groupe votant pour d’autres étrangers, peut disposer de nombre de points égal à 5 fois le nombre total des groupes moins 1. A première vue, on pourrait croire que Faction du groupe par rapport à celle de la collectivité est comme 3 : 1 (c’était peut-être l’intention de son auteur) mais à l’examen, on reconnaît que le problème est excessivement indéterminé, les effets relatifs et du groupe et de la collectivité me paraissent beaucoup plus difficiles à apprécier que dans le système de B.
- J’ajoute que F. indique un nombre maximum et un minimum de points applicables à chacun. Ce maximum ainsi formulé me semble ne pas répondre au but que
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- s’est proposé son auteur, car il est tout relatif; en appliquant le minimum 3, dans l’exemple, à tous, et le maximum 27 à un seul, en supposant que le votant ne veuille pas répartir tous les points dont il peut disposer, ce maximum 27 se trouverait avoir une valeur
- relative plus considérable dans la moyenne générale.
- * *
- J’aborde le système de E. Ici l’action de la collectivité est nulle quant au présent, cependant l’auteur aspire après le moment où elle sera la base de répartition.
- Il forme 3 sections :
- Comptabilité,
- Fabrication,
- Familistère.
- Il ne s’explique pas sur la somme allouée à chacune. Est-ce au prorata des appointements totaux de la section, ou est-ce au prorata du nombre des membres de chacune d’elles ? Il n’a pas, m’a-t-il dit, d’idée faite sur ce sujet. En tout cas, suivant lui, la somme affectée à chacune étant déterminée, il procède tout simplement à la répartition par vote.
- Il divise chaque section en groupes de 4 ou 5 membres, et comme dans le système de G., le groupe ne vote et ne discute que sur les autres groupes de la même section que lui, sans pouvoir voter ni discuter sur lui-même. Il demande que des délégués des autres sections viennent assister à la discussion et au vote de chacun des groupes de la section en opération.
- Ces délégués n’ont qu’un pouvoir passif \ ils ne prennent part qu’à la discussion, et encore s’ils en sont priés, de manière à s’éclairer pour l’avenir.
- En résumé, c’est l’action du groupe limitée à lui-même, sans participation aucune de la collectivité.
- Et comme le système de B laisse déjà une très large
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- part à l’effet isolé du groupe ou de Vassociation partielle^ je crois que l’application de ces deux systèmes en concurrence ferait double emploi. Cependant j’avoue que cette clause du groupe divisé en parties, de manière à ne pas permettre le vote pour soi-même, me fait penser qu’un jour viendrait où le projet de E étant complété et prenant pour base la collectivité ne ferait qu’un avec celui de G.
- Je ne dirai qu’un mot de son mode de répartition ou formation de bulletin, c’est qu’en admettant comme lui une somme dont chacun aurait seulement le droit de disposer, en supposant qu’un membre ne remplisse son bulletin soit par intention, soit par négligence ou toute autre cause, il faudrait alors ou le déclarer nul ou enfin de compte faire, quand même, la répartition au prorata. Je crois qu’il est bien plus simple d’opérer de suite comme G, c’est-à-dire en se servant d’une échelle de proportion uniforme pour tous les groupes d’une section.
- *
- * *
- J'appliquerai cette observation dernière aux projets de D et A. D ne développe pas de système proprement dit. Il s’occupe tout simplement de répartir 400 francs entre 25 employés au moyen du vote, mais il ne forme pas de groupes. Chacun peut voter pour les autres et pour lui-même. Je rappelle à ce sujet l’observation ci-dessus à propos de son mode de répartition.
- A. Mêmes observations en général que pour D, seulement comme il lui semble difficile d’être bon juge pour soi-même, il dit : que chaque votant devra se donner le maximum de points (50 parts dans l’exemple). (Alors, c’est signer son bulletin ou forcer de mettre plusieurs maximum si on veut déguiser son bulletin.)
- Il y a quelques légères différences entre ces 2 projets , ainsi ; D admet un minimum à appliquer à chacun.
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- DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES 203
- A, lui, n’en parle pas ; mais demande un maximum limité pour chacun.
- En somme,.tous ces projets me paraissent être compris dans celui de B, s’il y a quelques variantes, elles n’ont que des conséquences secondaires,
- C a retiré le sien qui n’est du reste que l’application, en quelque sorte, de la colonne de B concernant la part de l’intelligence et de la capacité calculée au prorata des appointements.
- Il y a bien des choses à en dire, je me bornerai à ce dilemme ; Ou les appointements sont justes et représentent la valeur de chacun, ou ils ne le sont pas.
- S’ils sont justes, à quoi bon un système de répartition, il n’y a qu’à partager au prorata des salaires.
- S’ils ne le sont pas, pourquoi les prendre pour base ou tout au moins les faire entrer en ligne de compte lorsqu’il s’agit surtout de connaître l’opinion delà masse sans parti pris, pour justement équilibrer ces salaires.
- Guise, 21 février 1870. (Signature.)
- P. S. Je me mets à la disposition de M. Godin pour discuter tous les projets, article par article s'il y a lieu. Comme je suis très-pressé de remettre ce travail, je ne prends pas le temps de le relire attentivement, il peut s’y trouver ou des lacunes ou des lapsus.
- (A suivre).
- Vve J.-B.-A. Godin, née Moret.
- -----==4^----
- ERRATUM
- Documents biographiques. Le Devoir, février 1905, page 66 (.Echelle de proportion) 4e ligne, lire : 400 fr. ont droit à 400 fois plus.
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- LE DEVOIR
- CHRONIQUE PARLEMENTAIRE
- Une question constitutionnelle La codification des lois ouvrières.
- Au cours de la discussion sur la proposition de loi relative au recrutement militaire, au Sénat, M. le général Billot, adversaire irréconciliable du service de deux ans émit le voeu que, le vote de la loi par la Chambre ne faisant aucun doute, M. Loubet usât de ses prérogatives en provoquant un troisième débat.
- Sur quoi, le président du Sénat, M. Fallières, crut devoir tancer, vertement, son collègue. Il ne faut pas faire intervenir le chef de l’Etat dans une discussion parlementaire ni surtout « faire appel à lui contre la volonté des Chambres. »
- « C’est tout au long dans la constitution », riposte le général Billot.
- Et, en effet, l’article 7 de la loi constitutionnelle du 16 juillet 1875 porte que « dans le délai fixé pour la promulgation, le Président de la République peut, par un message motivé, demander aux deux Chambres, une nouvelle délibération qui ne peut être refusée. »
- Le texte est formel. M. Fallières l’avait oublié, lui qui débuta dans la vie parlementaire l’année même où les lois constitutionnelles entrèrent en vigueur, qui fut sept fois ministre et une fois même président du conseil, qui dirige depuis six ans les travaux du Sénat. Il l’avait oublié parce que cette clause de l’article 7 n’a jamais été appliquée. Alors intervient, par une lettre au Temps, M. Casimir-Périer : Elle n’a jamais été appliquée 9 parce qu’elle est inapplicable.
- Là-dessus, controverse. Des hommes politiques, parmi lesquels des publicistes de marque, d’anciens ministres, répliquent à l’ancien président de la République
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- CHRONIQUE PARLEMENTAIRE
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- démissionnaire : elle n’a jamais été appliquée, parce qu’on n’a jamais eu l’occasion de l’appliquer ou qu’on n’a jamais voulu l’appliquer.
- Indépendamment du droit, qu’il tient de l’article 7, de la loi constitutionnelle du 16 juillet 1875, le Président de la Républiqua prononce la clôture de la session des Chambres et peut les convoquer extraordinairement, les ajourner pour un mois, et cela deux fois dans la même session (article 2); il a toujours le droit de communiquer avec elles par un message (article 6); il négocie et ratifie les traités sans être tenu d’en donner immédiatement connaissance aux Chambres (article 8) : il a le droit de faire grâce, dispose de la force armée, nomme à tous les emplois civils et militaires (loi constitutionnelle du 25 février, article 3) ; s’il ne peut révoquer les ministres qu’il a nommés , il peut provoquer leur démission, en refusant de signer une loi ou un simple décret.
- Il est donc pourvu des pouvoirs les plus étendus et, de plus , il est irresponsable, sauf dans le cas de haute trahison (art. 6 de la même loi).
- Mais, fait-on remarquer d’autre part, cette irresponsabilité, qui semble être le parachèvement des attributs présidentiels et la garantie du plein et libre exercice de ses prérogatives, aboutit, en réalité, à un résultat tout opposé, c’est-à-dire à l’annihilation effective et complète de tous ses pouvoirs. L’action ne va pas sans la responsabilité. Conséquemment, l’irresponsabilité entraîne l’inaction , l’abstention , la neutralité.
- Lors donc que les présidents des Chambres, comme cela leur arrive fréquemment, adjurent députés ou sénateurs de ne pas mêler au débat la personne du président de la République, ils sont dans la logique et dans l’esprit de la Constitution.
- Dans sa lettre aussi, poursuivent d’autres interlocuteurs également convaincus de l’impuissance réelle du chef de l’Etat. Chacun des actes du président doit être contresigné par un ministre, qui, lui, est responsable,
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- et, suivant la remarque de M. Casimir-Périer, sa signature ne se montre isolée qu’au bas de sa lettre de démission. .
- Le message par lequel le président demanderait « aux deux Chambres » (simultanément ou consécutivement? la Constitution ne le dit pas), une nouvelle délibération, n’échappe pas à la règle générale.
- Sont alors envisagées, sous leurs aspects multiples, toutes les chances que court le président de ne pas rencontrer un ministre qui consente à entrer en lutte contre la majorité de la Chambre en contresignant le message qui détruit son oeuvre, la réforme qu’il aura peut-être contribué lui-même à faire aboutir.
- On ne voit guère, par exemple, dans le cas présent, le ministre de la guerre. M. Berteaux, se prêter à ce rôle, ni aucun de ses collègues du cabinet solidaire, ni en dehors d’eux, un ministre pris dans la minorité, tenter l’aventure.
- Cette première ligne d’obstacles surmontée, en admettant qu’elle puisse l’être, le conflit apparaît : conflit bien inutilement provoqué, puisque aucune disposition des lois constitutionnelles n’empêche les Chambres de voter à nouveau, sans désemparer , la loi qui leur est ainsi renvoyée; conflit au bout duquel il n’est pas excessif de prévoir une crise présidentielle, soit comme suite du refus opposé par le Sénat à une demande de dissolution de la Chambre, soit comme suite à l’élection, après dissolution, d’une Chambre résolue à faire sienne la loi votée par la précédente.
- De toute cette controverse, née de l’incident provoqué au Sénat par le général Billot et poursuivie dans la presse ressortent clairement deux choses que l’on soupçonnait bien un peu , à savoir que les prérogatives du président de la République ne seront jamais assez considérables , pour les uns, assez réduites, pour les autres, et que notre Constitution est bien mal faite, puisque les hommes politiques les plus autorisés sont d’un avis diamétralement opposé sur l’étendue des pouvoirs qu’elle confère au chef de l’Etat.
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- Les imperfections des lois constitutionnelles, aussi bien que les défectuosités du règlement, sont un obstacle à l’élaboration convenable des réformes. Mais la Chambre paraît tenir et à sa Constitution et à son règlement. Sa commission du règlement barre jalousement la route à toutes les innovations qu’on lui propose. Aucune de celles que nous énumérions dans notre dernière chronique n’a trouvé grâce devant elle.
- Suivant elle, il est impossible de transporter à la Chambre la limitation de la durée des discours, dont s’accommodent très bien les Congrès ouvriers. Et en ce qui concerne la proposition d’écarter du budget toute interpellation ou résolution, elle a estimé que c’était au contraire le meilleur moment que celui du vote des crédits de tel ou tel département pour appeler l’attention sur certains abus à réprimer, sur certaines réformes à opérer.
- Et voilà comment, sans avoir réprimé un seul abus, sans avoir opéré une seule réforme, mais non sans s’être livrée à une orgie d’interpellations et de résolutions unique dans les annales parlementaires, la Chambre a fait durer jusqu’au 8 mars la discussion d’un budget qui aurait dû entrer en vigueur le 1er janvier 1905.
- Le 17 mars, la Chambre a adopté, sans modification, la loi instituant le service militaire de deux ans, retour du Sénat. La loi est donc devenue définitive.
- Le 21 mars, elle a commencé la discussion du projet de loi relatif à la séparation des Eglises et de l’Etat. Au moment de la mise à.l’ordre du jour de ce projet, 63 orateurs se sont fait inscrire pour prendre la parole dans la discussion générale.
- Nous avons dit que le gouvernement avait déposé, le 6 février 1905 sur le bureau de la Chambre des députés, un projet de loi portant codification des lois ouvrières. L’exposé des motifs faisait remarquer que ce projet ne comprenait que les quatre premiers livres du Code du
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- travail et de la prévoyance sociale, relatifs au travail, et que les livres suivants, relatifs à la prévoyance sociale feraient l’objet de projets de lois ultérieurs, au fur et à mesure de l’avancement des travaux de la Commission de codification des lois ouvrières instituée au ministère du Commerce.
- Le livre V a fait l’objet d’un projet de loi distinct qui a été déposé le 21 février 1905 et renvoyé par la Chambre à la Commission du travail et communiqué pour avis à la Commission d’assurance et de prévoyance sociales. Ce livre relatif comme on sait, aux assurances ouvrières, se borne à réunir dans un ordre logique et dans une cohésion rationnelle les dispositions éparses qui régissent déjà la matière, en réservant des places d’attente à des législations complémentaires ou nouvelles que le Parlement ne sau rait se dispenser d’aborder prochainement.
- Il est divisé en 7 titres : I. Des accidents du travail; II. De la vieillesse et de l’invalidité ; III. Maladies et décès ; IV. Assurance contre le chômage ; V. Dispositions diverses ; VI. Pénalités ; VII Dispositions transitoires.
- On n’a pas compris dans le livre V la législation sur la caisse des invalides de la marine, qui, à raison de son caractère particulièrement administratif et de ses étroits rapports avec la législation sur Pinscription maritime, n’aurait pu entrer que pour partie dans le Code de la prévoyance. On n’y a pas davantage fait entrer la législation sur les sociétés de secours mutuels qui ont été renvoyés au livre VI. La Commission extra-parlementaire de codification des lois ouvrières a pensé que dans les circonstances actuelles, à un moment où les sociétés de secours mutuels semblent chercher leur voie définitive et garder quelque tendance à récuser les règles techniques de l’assurance, il ne serait pas sans inconvénient d’incorporer au livre des « assurances ouvrières » la législation spéciale qui les régit.
- En dehors des suppressions de doubles emplois incon-
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- testés ou de dispositions transitoires désormais sans application, la Commission, dans le livre Y, n’a proposé de modifications aux textes actuellement en vigueur, qu’en ce qui concerne les sanctions pénales, en raison des contrasts choquants et des inégalités par trop injustes que faisait apparaître le rapprochement de dispositions actuellement rélégués dans des textes sans relation entre eux.
- Le titre 1 consacré aux accidents du travail, groupe les dispositions générales y relatives, des dispositions spéciales à l’agriculture, à la marine marchande, et traite des assurances effectuées par la caisse nationale d’assurances en cas d’accidents.
- Le chapitre h* du titre II, concernant la vieillesse et l’invalidité, est réservé à la loi générale sur les retraites ouvrières, qui doit venir en discussion aussitôt après le vote de la loi sur la séparation des Eglises et de l’Etat. .
- Les chapitres II, III et IV reproduisent les dispositions actuellement en vigueur sur les retraites des ouvriers mineurs, les retraites des ouvriers des chemins de fer et les retraites d’invalidité dans la marine marchande.
- Le chapitre V reprend la législation qui, en attendant un régime général des retraites, a introduit des sûretés particulières dans l’organisation et la gestion des caisses patronales de retraites (article 3 de la loi du 27 décembre 1895 portant que toutes les sommes retenues sur les salaires des ouvriers et toutes celles que les chefs d’entreprise ont reçues ou se sont engagés à fournir en vue d’assurer des retraites, doivent être versées, soit à la Caisse nationale des retraites pour la vieillesse, au compte individuel de chaque ayant droit, soit à la Caisse des dépôts et consignations, soit à des caisses syndicales ou patronales spéciales autorisées à cet effet, etc.).
- La Caisse nationale des retraites pour la vieillesse, qui est appelée à réaliser la constitution de la plupart
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- des retraites visées par les chapitres précédents, fait l’objet du chapitre VI et le chapitre VII est alfecté aux allocations de majorations ou bonifications de pensions à servir aux rentiers de la Caisse nationale des retraites pour la vieillesse et d’autres institutions de prévoyance.
- Le titre III (maladie et décès) est divisé en deux chapitres.
- Le premier (assurances en cas de rtialadie) comporte trois sections :
- La première section se borne à prendre acte des résultats acquis en se référant à la législation sur les sociétés de secours mutuels réservée pour le titre VI et en renvoyant au titre 2 du livre III sur les syndicats professionnels ainsi qu’aux articles 262 et suivants du code de commerce. La section 2 est consacrée aux dispositions spéciales à l’assurance, maladie dans les mines (lois du 29 juin 1894 et 16 juillet 1895). La section 3 (maladies professionnelles) est réservée aux dispositions spéciales dont la Chambre a décidé l’élaboration par la résolution du 5 décembre 1901.
- Le chapitre 2 (assurance décès) réunit les dispositions relatives aux assurances effectuées en* cas de décès, par la Caisse nationale d’assurance, dispositions contenues dans la loi du 11 juillet 1868, la loi de finances du 26 juillet 1893, les lois du 30 novembre 1894 et du 17 juillet 1897.
- Le titre IV (assurances contre le chômage) est réservé aux dispositions qui seront prises , sur cette question par le Parlemeut. Elle a déjà fait l’objet de plusieurs propositions de loi de MM. Coûtant, Colliard, Chaumet, Dubief et Millerand, propositions qui ont été rapportées par M. Millerand.
- Le titre V a repris les dispositions d’ordre général contenues dans la loi du 27 décembre 1895 qui, pour les Caisses patronales recourant aux assurances prévues par les titres précédents, a ménagé aux ouvriers certaines garanties et divers moyens d’action pour la sauvegarde de leurs intérêts.
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- L’Union coopérative.
- On sait qu’un Congrès des Sociétés coopératives de consommation doit avoir lieu à Paris les 1er, 2, et 3 juin 1905 et que seules pourront y assister les Sociétés de consommation faisant partie de l’Union coopérative. C’est la règle suivie dans toutes les Unions coopératives, et la précaution est bonne. Car, ainsi que le fait remarquer M. de Boyve, dans VEmancipation, il suffit de quelques délégués opposants, désireux de démolir une oeuvre qu’ils n’ont pas édifiée, pour arrêter tous les travaux d’une assemblée. La coopération française eiça fait l’expérience ; elle n’a pas envie de la recommencer. Signe de faiblesse, diront ses adversaires. Point. Le sentiment de la force n’est point exclusif de l’esprit de prudence. L’Union coopérative a conscience de sa destinée. Elle veut agir par elle-même et, pour avoir ses coudées franches, mettre sa jeune et déjà robuste organisation à l’abri des aventures. Son programme est celui que les pionniers de Rochdale formulèrent en 1844. Il a fait la grandeur morale et la prospérité matérielle de l’Union coopérative anglaise. L’exemple est bon à suivre. L’Union coopérative française dit :
- La coopération a pour but de remplacer l’état compétitif actuel par un régime de libre association qui réglera d’une manière équitable la distribution des richesses économiques, intellectuelles et morales de la société.
- La coopération de consommation ne veut se faire l’organe exclusif, ni d’un parti politique, ni d’une église, ni d’une classe sociale,mais de tous ceux qui veulent travailler à la réalisation de l’idéal coopératif :
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- 1° Création de sociétés coopératives en vue d’une répartition équitable des objets de consommation ;
- 2° Création d’un capital collectif et impersonnel par un prélèvement sur le chiffre d’affaires avant toute répartition de trop-perçus ;
- 3° Entente entre les coopératives de consommation et création de fédérations régionales ;
- 4° Création d’un magasin de gros et de succursales avec le concours financier de chaque société coopérative adhérente, proportionnellement au nombre de ses membres ;
- * 5° Organisation des industries coopératives, au fur et à mesure des besoins des sociétés.
- Dans les ateliers coopératifs seront employés d’abord les coopérateurs assidus ayant subi des réductions de salaire de la part de leurs patrons ;
- 6° Achat de terres et toutes propriétés pour être gérées coopérativement ;
- 7° Les sociétés de consommation se feront un devoir de susciter la création, dans leur sein et autour d’elles, d’œuvres sociales (non politiques et non confessionnelles), en réservant toutes leurs ressources pour un but suprême qui est la transformation de l’échange et de la production par la création de magasins de gros et d'industries coopératives ;
- 8° Néanmoins, il est désirable qu'une retenue sur les trop-perçus soit effectuée pour l’instruction et l’éducation sociale des coopérateurs (achats de livres, cours, conférences, etc.) ;
- 9° Par l’entente de toutes les unions coopératives nationales, constitution d’une République coopérative dont l’objectif sera le développement de la personnalité humaine par la justice et la solidarité.
- L’Union coopérative des sociétés françaises de consommation se compose de deux organismes : Le Comité central et l’Office coopératif.
- Les renseignements qui suivent sur les attributions
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- et le fonctionnement de ces deux organismes sont empruntés à deux articles de M. A. Daudé-Bancel, secrétaire général du Comité central et l’un des secrétaires de l’Office coopératif, bien qualifié comme on voit pour en parler avec toute la compétence désirable.
- Le Comité central est une organisation née du premier Congrès des sociétés coopératives de consommation de France, tenu à Paris le 25 juillet 1885, à l’instigation d’un coopérateur nimois, M. E. de Boyve. Il a pour mission spéciale de renseigner les sociétés existantes sur toutes les questions "administratives ou juridiques, de fournir tous les renseignements nécessaires à la création des sociétés qui veulent se constituer, et d’organiser la propagande coopérative en France.
- Au début, le Comité central était composé de 30 membres élus en congrès par les sociétés présentes. Aujourd’hui, ceux-ci, au nombre de 36, sont élus au scrutin de liste par les seules sociétés adhérentes au Comité central. Dans le but de séparer nettement les sociétés capitalistes des sociétés coopératives, le Congrès de Grenoble (1893) décida que, seules, pourraient faire partie du Comité central les sociétés répartissant le trop perçu (boni) non pas aux actionnaires, mais aux consommateurs, au prorata de leurs achats individuels. La cotisation annuelle des sociétés adhérentes a été fixée à 0 fr. 05 par membre, avec un maximum de 50 fr. pour les coopératives au-dessus de 1.000 sociétaires, et avec un minimum de 5 fr. pour les coopératives au-dessous de 100 sociétaires. En 1890, le nombre des coopératives adhérentes était de 59 ; à l’heure actuelle il est de 314.
- Le Comité central est chargé de représenter la Coopération française auprès des pouvoirs public et de faire aboutir les voeux des congrès coopératifs qu’il organise. Par ses démarches et ses avis, grâce au dévouement d’un Conseil juridique composé d’hommes éminents, le Comité central intervient lorsque les
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- sociétés" sont menacées dans leurs intérêts. Grâce au Comité central, un certain nombre de sociétés, réelle-ment coopératives et ne répartissant des denrées qu’à leurs sociétaires, ont été exonérées de la patente. D’autres ont obtenu la remise d’amendes appliquées à tort, ou ont été dégrevées de l’impôt de 4 0[0 sur le revenu, dont le fisc prétendait frapper leurs trop-perçus, appelées à tort bénéfices.
- Le Comité central a aussi pour fonction d’organiser les congrès coopératifs. Depuis 1886 jusqu’en 1900, dix congrès se sont tenus sous ses auspices. Ces manifestations ont eu un excellent résultat pour le développement de la Coopération, soit en France, soit à l’étranger.
- Il fait paraître un journal bi-mensuel, V Union coopè~ rative ; il édite , depuis 1893, un Almanach et de nombreuses publications de propagande.
- L’Office coopératif de renseignements commerciaux et d’achats en commun pour les fédérations et sociétés coopératives de consommation, fut fondé en novembre 1900 par le Comité central, à la suite des résolutions votées par le Congrès international de juillet 1900.
- 28 sociétés participèrent d’abord à son fonctionnement ; aujourd’hui le nombre des sociétés adhérentes ou correspondantes s’élève à 120 environ.
- Au début, ses opérations se bornèrent à la centralisation des renseignements fournis par les sociétés elles-mêmes ; ensuite Y Office coopératif en trouva par ses propres moyens et, en février 1901, il fit paraître son premier Bulletin mensuel donnant les differents prix des maisons recommandées comme bonnes par les sociétés.
- Plus tard, VOffice coopératif fut naturellement amené à faire passer des marchés collectifs pour diverses marchandises et, dès ce jour, son succès fut assuré : car, avec ce système, nombre de sociétés faibles, parce qu’isolées, trouvèrent de grands avantages en s’adressant à l’Office pour leurs achats.
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- Il y a deux catégories de sociétés parmi celles qui participent à la vie de VOffice coopératif : les adhérentes et les correspondantes.
- Les premières payent une cotisation, jouissent des avantages de l’institution et la dirigent.
- Les secondes ne payent pas de cotisations tout en jouissant des avantages de l’institution, mais elles ne la dirigent pas.
- Les cotisations à VOffice coopératif sont semblables à celles payées par les sociétés au Comité central. Grâce au système des bonifications sur les achats, les sociétés adhérentes qui seront fidèles (môme pour une faible part) à leur institution, seront sous peu dispensées de toute cotisation. Bien mieux, sans aucun effort de leur part, ces sociétés deviendront progressivement propriétaires de parts dans la Société en formation du Magasin national de gros. Car l’Office coopératif doit, d’après les indications des Congrès, être l’embryon de cet organe national.
- Par la suite, l’Office a dû se préoccuper des fédérations régionales qui ont bien voulu s’intéresser à son développement, et le jour n’est pas loin où l’entente sera complète entre l’Office coopératif et les Fédérations régionales ou locales.
- Il est bien évident que l’adhésion à VOffice coopératif n’implique pas, pour une fédération ou une société, l’obligation de s’approvisionner auprès des fournisseurs agréés par l’Office coopératif. Tout groupement fédéré n’achète les denrées que s’il le juge utile et avantageux. D’ailleurs, il effectue ses achats sous sa propre responsabilité.
- lé Office coopératif publie un Bulletin mensuel contenant des renseignements précieux pour les coopératives de consommation. Toute coopérative, désireuse d’effectuer ses achats dans de bonnes conditions, doit entrer en relations avec VOffice coopératif et consulter les prix et les conditions de ses fournisseurs.
- Le rapport moral et financier du Comité central pour
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- 1904 (Union coopérative, 15 février 1905) expose que la propagande par les écrits et par la parole a beaucoup augmenté au cours de l’année dernière.
- Le journal VUnion coopérative , qui est envoyé gratuitement à toutes les coopératives françaises de consommation, même à celles qui n’adhèrent pas au Comité central, a agrandi son format et développé son tirage.
- L’Almanach qui atteint sa treizième année, est devenu à partir de cette année l’Almanach de la coopération française et suisse, grâce aux relations de fraternité avec l’Union coopérative des sociétés suisses de consommation. Son tirage s’est progressivement élevé de 4000 pour 1903, à 8000 pour 1904, à 9000 pour 1905 et il s’élèvera sûrement à 10000 (minimum) pour 1906, car l’édition suisse est totalement épuisée à l’heure actuelle.
- Les tracts de propagande coopérative s’écoulent à souhait et 100,000 nouveaux tracts doivent être édités en 1905.
- De nombreuses sociétés ou des particuliers s’intéressent de plus en plus aux questions coopératives, ce dont témoigne le développement progressif du service de librairie.
- Le nombre de conférences de propagande a triplé. D’une trentaine en 1903, il s’est élevé à 93 en 1904. Beaucoup de ces conférences ont été données avec projections, grâce à la très riche collection de clichés photographiques dont notre ami et collaborateur Auguste Fabre, de Nimes, a fait don à l’Union coopérative.
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- ITALIE
- Les ferrovieri.
- Les employés et ouvriers des chemins de fer italiens (ferrovieri) réclament, depuis de nombreuses années, une amélioration de leur sort. Leurs revendications ^ peuvent se résumer dans les points suivants : Modification des règlements du travail et du système d’avancement, augmentation du traitement et des pensions, reconnaissance des syndicats.
- Au moment du renouvellement des conventions avec les Compagnies, en 1885, les ferrovieri avaient obtenu la promesse, qui ne fut pas tenue, d’une augmentation de salaire.
- En 1898, ils appuyèrent leurs réclamations par une menace de grève générale. Le gouvernement leur répondit en les mobilisant, comme dans une éventualité de péril national, assimilant ainsi le refus de travail à une faute contre la discipline militaire. La grève avorta. En 1892, nouvelles réclamations, accompa* gnées d’une nouvelle annonce de grève : nouvelle militarisation. La grève avorta de nouveau.
- Mais tout en prenant des mesures à cet effet, le ministère Zanardelli fit procéder à une enquête. L’enquête démontra sans doute le bien fondé des demandes ouvrières puis qu’après avoir expliqué par le manque de fonds la non-réalisation des promesses faites , le ministre fit consacrer vingt-quatre millions à l’augmentation des salaires et à la liquidation de l’arriéré résultant de l’inexécution des engagements pris, déclarant qu’on examinerait en 1905, date de l’expiration des conventions, le reste des réclamations des ferrovieri.
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- Le 30 novembre 1904, le roi Victor-Emmanuel, dans son discours du trône, annonça à la nouvelle Chambre que « le grave problème de l’organisation des chemins de fer serait soumis à. ses délibérations. »
- Il ajouta : « Le gouvernement dans la solution de ce problème entend concilier avec la solidité du budget de l’Etat, les grands intérêts du commerce et de l’industrie et le traitement équitable du personnel des chemins de fer. »
- Successivement les ministres compétents, MM. Gio-litti , président du conseil, ministre de l’intérieur, Luzzatti, ministre des finances, Tedesco, ministre des travaux publics, fournirent quelques détails sur l’économie des projets élaborés en vue du rachat et de la réorganisation par l’Etat des chemins de fer.
- Comme, en ce qui concerne le personnel, M. Giolitti s’était montré assez sobre d’explications, les ferrovieri étaient préoccupés de savoir dans quel esprit seront conçus les projets gouvernementaux et s’il y serait fait droit à leurs réclamations.
- Il convient de dire que ces réclamations sont appuyées par la corporation tout entière des ferrovieri groupant environ 40.000 travailleurs en deux grandes associations de force presque égale, l’une dite le « Riscatto » qui est inféodée au parti socialiste révolutionnaire, l’autre la « Federazione dei ferrovieri » qui comprend les éléments plus modérés. Depuis plus d’un an les deux organisations sont complètement d’accord sur toutes les revendications.
- Certes, la perspective du rachat, ce postulat universel des partis ouvriers, n’était pas faite pour déplaire aux ferrovieri de toutes nuances, surtout la peu satisfaisante expérience qu’ils viennent de faire du régime des Compagnies. Mais quelles satisfactions, ou quelles déceptions, la future organisation leur réservait-elle? Et si, non satisfaits, ils avaient recours à la grève, quelle serait l’attitude du gouvernement ?
- Longtemps empêché par la grippe de répondre offi-
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- ciellement à leurs sollicitations réitérées, consécutives de la remise, en septembre dernier, d’un long mémoire, le président du conseil, en diverses occasions, avait laissé entendre qu’il ne recourrait pas à leur égard à la mobilisation et que le Code pénal lui semblait en l’espèce un moyen de défense suffisant. C’était plutôt rassurant. Ce qui l’était moins, c’est la déclaration très nfette, faite quelques jours seulement avant le dépôt du projet, par laquelle le ministre affirmait sa résolution de révoquer les employés actuels de l’Etat qui se mettraient en grève. Employés de l’Etat, les fer-rovieri n’allaient-ils pas le devenir ?
- Dans une réunion tenue à Milan, les ferrovieri affiliés au socialisme votèrent un ordre du jour favorable à la grève pour le cas où le gouvernement ne leur ferait pas des conditions acceptables. Le gouvernement répondit à cette menace par une note officieuse déclarant qu’il était prêt à accueillir les doléances de l’Association des ferrovieri et à en tenir compte dans la mesure du possible.
- Deux commissions de ferrovieri représentant l’une, la Société du « Riscatto » , l’autre la « Federazione », vinrent à Rome où elles eurent une entrevue avec M. Tedesco, le ministre des travaux publics, M. Gio-litti, étant encore indisposé. Les indications données par M. Tedesco sur les futurs projets du gouvernement relatifs au nouveau régime des chemins de fer furent des plus vagues. Ces projets n’ayant pas encore été soumis au Parlement, le ministre ne pouvait en communiquer la primeur aux ferrovieri.
- Il se borna à leur déclarer qu’une série de mesures, les unes d’application immédiate, les autres renvoyées à une échéance plus éloignée , seraient prises pour donner satisfaction à celles de leurs réclamations que le gouvernement considérerait comme acceptables et légitimes.
- Cette réponse ne satisfit qu’à demi les délégués des ferrovieri. Dans une réunion tenue immédiatement
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- après leur conférence avec M. Tedesco, ils votèrent un ordre du jour par lequel ils ajournaient toute décision définitive jusqu’au moment où ils pourraient connaître le texte des projets gouvernementaux.
- Les choses en étaient là lorsque, le 22 février, le projet de nationalisation des voies ferrées fut déposé à la chambre.
- Aux termes de ce projet l’Etat assume l’exploitation des réseaux de la Méditerranée, de la Sicile et de l’Adriatique, exception faite des lignes concédées à la Compagnie des chemins de fer méridionaux, (2,050 kilomètres) qui continueront à être exploités par la Compagnie de l’Adriatique. Le réseau de l’Etat aura une longueur de 10,500 kilomètres. Il sera régi par une administration autonome pourvue d’un budget propre.
- Dans dix ans, après avoir liquidé, moyennant 500 millions, la gestion des compagnies exploitantes, l’Etat dépensera un nouveau demi-milliard pour mettre son réseau en bon état et le pourvoir de tout le matériel nécessaire.
- L’opération représente donc une dépense totale de 1 milliard, qui pourra être effectuée sans qu’on ait recours à un emprunt.
- Voilà pour la combinaison financière.
- En ce qui concerne le personnel, le projet lui assure certains avantages consistant dans une légère réduction de l’impôt payé par les employés ; dans la réversibilité à la veuve et aux orphelins des agents, de la pension de retraite actuellement personnelle aux employés. Divers articles visent la création d’un conseil général du personnel élu par les employés et ouvriers et de conseils spéciaux de conciliation ; l’institution de l’arbitrage obligatoire au moyen d’un collège composé de deux représentants de l’administration des chemins de fer et de deux représentants du personnel, auxquels seraient adjoints : un conseiller d’Etat, président, un conseiller à la Cour de Cassation, un conseiller à la Çour des comptes, élus par leurs collègues respectifs.
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- La satisfaction donnée aux revendications des ferro-vieri, par ces institutions nouvelles, est fortement atténuée, aux yeux des socialistes, par la composition du collège arbitral où domine, en somme, l’élément gouvernemental.
- Un article rencontre une opposition absolue unanime des intéressés, Particle 71 qui est ainsi conçu :
- « Les chefs, les promoteurs, les organisateurs d’une entente entre « trois ou plusieurs personnes » , même étrangères à l’administration des chemins de fer de l’Etat, ayant pour but de provoquer en tout ou en partie, par des actes directs, artificieux ou sans effet la suspension, l’interruption, ou tout autre dommage au service ou d’en troubler la régularité et la rapidité, seront punis de la détention de un à six mois.
- « Si le but a été atteint, la peine de la détention est de six mois à un an.
- « Les chefs, les promoteurs et les organisateurs appartenant à l’administration des chemins de fer de l’Etat, sont en outre rayés des rôles avec perte de tous droits y compris celui à la retraite ou aux subsides.
- « Les autres agents, qui auront participé à l’entente ou accompli un des actes indiqués, peuvent être rayés des rôles avec perte de tous droits y compris celui à la retraite ou aux subsides ; cependant si le Conseil d’administration juge pouvoir les maintenir au service, ils seront punis, sur la décision du Conseil, de la rétrogradation ou de la prorogation du terme normal pour l’augmentation des appointements ou du salaire pendant six mois, ou de changement de résidence pour raisons disciplinaires. La retenue sur les appointements ou salaires, sera attribuée aux institutions de prévoyance désignées à l’article 56. »
- Sans tenir compte des avantages matériels que le projet leur assure, les ferrovieri allaient-ils considérer cette dernière disposition comme un casus belli et proclamer la grève générale pour mieux affirmer leur droit?
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- Afin de forcer la main au gouvernement, ils ont choisi une voie nouvelle, celle de l’obstruction. Quelques exemples montreront en quoi consiste cette mesure dont l’application fut décidée après une délibération qui dura deux jours par une commission de 45 représentants des diverses associations des ferrovieri réunie à Rome.
- Au moment de timbrer un billet à prix réduit, l’employé demande au porteur s’il est bien la personne dont le nom figure sur le billet; sur la réponse affirmative de celui-ci, l’employé lni demande de produire des papiers constatant son identité. A défaut de papiers, le voyageur est courtoisement prié de revenir avec deux témoins qui garantiront son identité.
- La plus exquise politesse préside à ces formalités de la part de l’employé. Un député présente sa médaille. Le sévère observateur du règlement ne s’en contente pas; il faut une signature. Ni l’employé, ni le député, n’ont, on le pense bien, l’encrier nécessaire. Le député se met en quête d’un peu d’encre. Pendant ce temps le train part.
- Ce n’est pas que les trains partent plus vite, certes ! En gare de Rome, un train va partir pour Frascati. Le chef de gare a déjà porté son sifflet à la bouche pour donner le signal du départ. Un employé s’aperçoit qu’un wagon de bagages est attelé en sens inverse ; il ordonne qu’on l’attelle dans sa position normale , ce qui oblige de décomposer le train tout entier. Le chef de gare veut hasarder une observation. « Mais, au lieu de me réprimander, » répond l’employé, « vous devriez me féliciter de mon exactitude à appliquer le règlement. » Le train a mis sept heures pour franchir les 20 kilomètres qui séparent Frascati de la capitale.
- C’est justement dans la minutieuse observation des règlements que consiste le système de l’obstruction.
- Le mécanicien ne s’embarque pas sans avoir pesé sa provision de charbon et compté un à un les morceaux. On refuse d’enregistrer les bagages sous prétexte que
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- la fermeture des malles manque de solidité. Les employés exigent que les propriétaires de bagages à* enregistrer se présentent au guichet avec l’argent exactement compté. C’est le règlement.
- Et puis, c’est une rage de propreté; jamais les poignées de cuivre n’ont été si reluisantes et les vitres claires.
- On pourrait multiplier les exemples à l’infini. Inutile de peindre l’exaspération du public. Les lettres n’arrivent plus, les marchandises alimentaires se pourrissent dans les gares. Les vivres et objets de première nécessité renchérissent dans les villes. Encore quelques jours et la vie sociale et économique sera suspendue.
- Les associations commerciales et industrielles réclament l’intervention du gouvernement.
- Mais comment cette intervention se manifestera-t-elle? Aux insinuations de la presse conservatrice évo-voquant le succès des précédentes mesures de mobilisation et de la manière forte dont le gouvernement hongrois avait usé lors de la grève des employés et ouvriers des chemins de fer, en avril 1904, le ministère fait la sourde oreille.
- L’obstruction, à son avis, doit être combattue et vaincue par les armes mêmes des règlements dont les fer-rovieri font un emploi abusif. Aux compagnies de prendre les mesures pour assurer le service. L’Etat n’a pas à assumer des responsabilités n’appartenant qu'à elles. Le gouvernement se bornera à faire observer scrupuleusement la loi et à maintenir l’ordre public.
- C’est dans ce sens qu’en l’absence du ministre de l’intérieur encore très fatigué, le ministre des travaux publics s’est expliqué à diverses reprises devant la Chambre et devant le Sénat. Le gouvernement compte également sur les dispositions conciliantes témoignées par une partie du groupe socialiste.
- Un moment on a pu croire que l’obstructionisme appliqué à la circulation des trains allait se compliquer de l’obstructionisme parlementaire. Un ordre du jour
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- voté dans une réunion tenue le 24 février par un certain nombre de députés socialistes annonçait leur ferme résolution de déployer dans le Parlement une action énergique, l’obstruction non exclue, contre les mesures réactionnaires du projet de loi.
- Une conséquence à prévoir de l’obstruction parlementaire, serait d’empêcher le vote en temps utile du projet de rachat, et par suite, l’obligation pour le gouvernement de renouveler les conventions avec les deux grandes compagnies de la Méditerranée et de l’Adriatique, conventions qui expirent au mois de juin prochain.
- Vaut-il mieux faire courir au personnel des chemins de fer les chances d’un nouveau bail avec les compagnies ou bien, en laissant voter la loi, les placer délibérément sous le joug tyrannique de l’article établissant des peines contre les organisateurs des grèves. Les promoteurs du plan d’obstruction parlementaire renoncent surtout par cette considération qu’ils ne seraient pas suivis par les autres groupes de la gauche. Quelques députés socialistes font même tout leur possible pour dissuader les ferrovieri de l’obstruction. Finalement le groupe socialiste décide de proposer la discussion immédiate des projets de loi concernant les chemins de fer , à l’exception de l’article 71 , et les groupes républicain et radical adoptent la même décision.
- A cet ensemble d’efforts, à l’optimisme , apparent tout au moins, du gouvernement, répond une décroissance de l’obstruction que les adversaires de l’agitation ne se font pas faute d’attribuer à ce double fait que les compagnies ont pris la sage mesure de réduire le nombre des trains, et que les ferrovieri commencent à être visiblement fatigués du surcroît volontaire d’heures de travail qu’ils s’infligent. Un referendum provoqué par les chefs du mouvement sur la question de la proclamation de la grève donne les résultats suivants : contre 41,000 ; pour 14,000.
- La grève écartée, l’obstruction agonisante, les nuages
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- — les plus gros, du moins - qui obscurcissaient le ciel parlementaire, dissipés, la mise en discussion du projet ne saurait tarder longtemps.
- Mais on dit que l’échec de la résistance des groupes avancés au vote de l’article supprimant le droit de grève, serait certainement suivi d’une recrudescence de l’agitation ; d’aucuns même supposent que le gouvernement, dans l’intérêt de la paix publique, pourrait bien y renoncer. D’autre part, les conservateurs- ne seraient pas très enthousiastes de l’exploitation des chemins de fer par l’Etat, et même bien des ministériels trouveraient que les projets ne sont pas suffisamment étudiés, en particulier au point de vue financier, ce qui pourrait conduire à de désagréables surprises pour le budget.....
- Le 4 mars, coup de théâtre. M. Giolitti, que la grippe ne veut décidément pas lâcher, démissionne. Ses collègues le suivent. La crise ministérielle est ouverte. Le comité de l’agitation des ferrovieri, qui s’en attribue tout le mérite, décide, la cessation immédiate de l’obstruction des chemins de fer.
- Ainsi reste suspendue la solution d’un double grand problème économique et social : l’exploitation par l’Etat des chemins de fer et l’exercice du droit de grève.
- ESPAGNE
- Le repos du dimanche.
- La loi du Dr mars 1904 porte qu’il est interdit d’exécuter, le dimanche, un travail matériel soit pour le compte d’autrui, soit publiquement pour son propre compte dans les fabriques, ateliers, boutiques, commerce fixes ou ambulants, usines, carrières, ports, transports, entreprises de travaux publics, constructions , réparations, démolitions, travaux agricoles ou forestiers , établissements ou services dépendant de l’Etat, de la province ou de la commune, et tous tra-
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- vaux analogues, sauf ceux pour lesquels exception est faite par la loi et par le règlement d’administration publique.
- Le règlement relatif à l’application de la loi du 1er mars 1904 a été approuvé par le roi le 19 août 1904.
- L’article 1er du règlement ne fait qu’énumérer à nouveau les travaux interdits par la loi du 1er mars. Il mentionne, en outre, et très spécialement, les agences d’information, les journaux et les périodiques, dont l’impression et la mise en vente demeurent interdites (la vente .en est toutefois permise dans les lieux de spectacles autorisés).
- Tous les lieux de travail non visés par une dérogation doivent être fermés toute la journée du dimanche. Aucune exception ne pourra être accordée pour les femmes, ni pour les jeunes gens au-dessous de 18 ans.
- L’article 6 énumère les travaux pour lesquels il y a lieu à dérogation. Ces travaux sont divisés en trois catégories : '
- 1° Les travaux qui ne peuvent être interrompus, soit par suite de la nature même des besoins qu’ils satisfont, soit pour des motifs techniques, soit parce que leur interruption nuirait gravement à la collectivité ou aux intérêts de l’industrie elle-même ;
- 2° Les travaux de réparation ou de nettoyage indispensables pour éviter une interruption, en semaine, dans les travaux des établissements industriels ;
- 3° Les travaux qui se trouveraient justifiés par un danger imminent, par des accidents naturels, par des circonstances transitoires dont il faudrait profiter.
- Dans la lre catégorie sont rangés les services publics de transport par ferre et par eau, les téléphones, le chargement, déchargement des navires, les usines à gaz et électriques, le service domestique, les cafés, restaurants et lieux de réunion, les pharmacies, les entreprises de pompes funèbres, les spectacles publics à l’exception des courses de taureaux qui ne pourront être célébrés le dimanche que lorsque le dimanche coïnci-
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- dera avec une foire ou un marché ; les bureaux de tabacs, de timbre et du Mont-de-Piété, etc. ; les industries avec des matières qui doivent être traitées immédiatement, sous peine d'altération, les usines à feu continu, à vent ou à eau ; les travaux préparatoires qui doivent être exécutés un jour à l’avance ; etc. — la vente au détail d’aliments et de charbon ; l’industrie des coilfeurs, des photographes, des fleurs, etc.
- Les établissements commerciaux ne peuvent bénéficier de la dérogation accordée aux établissements industriels pour travaux de réparation et de nettoyage.
- Dans la 3e catégorie rentrent les travaux de défense contre un fléau agricole, démolitions ou réparations urgentes, récoltes, etc.
- Dans les travaux autorisés par dérogation <v le nom* bre des ouvriers devra être réduit au strict nécessaire, et le travail ne pourra se prolonger au-delà du temps reconnu, indispensable par les inspecteurs de l’Institut des réformes sociales. ^Les mêmes ouvriers pourront travailler deux dimanches consécutifs. En outre, selon l’accord pris avec le patron, les ouvriers qui auront travaillé tout un dimanche auront droit soit à une journée, soit à deux demi-journées de liberté pendant la semaine, et cela dans un ordre de roulement rigoureusement observé.. L’ouvrier qui n’aura fait que quelques heures le dimanche se reposera le même nombre d’heures en semaine. Les ouvriers occupés le dimanche recevront successivement un repos d’au-moins une heure pour accomplir leurs devoirs religieux.
- Les infractions à la loi sont présumées imputables au patron et punies d’amendes variant de 1 à 250 fr. Le produit des amendes est attribué à des œuvres de bienfaisance ou d’assistance ouvrière et versé dans les Caisses des juntes locales des réformes sociales, qui en disposent à leur gré.
- C’est l’Institut des Réformes sociales qui a été consulté pour l’établissement du règlement et qui veille à son exécution. Il a été créé, en effet, par décret royal
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- du 23 avril 1903, pour élaborer le projet de loi relatif au travail et pour assurer l’exécution des lois existantes en organisant des services d’inspection et de statistique.
- L’Institut des réformes sociales publie, depuis le 1er juillet 1904, un Bulletin mensuel.
- Divers décrets royaux sont venus depuis le 4 septembre 1904, date de la mise en vigueur de la loi, modifier la liste des travaux interdits et ajouter de nouvelles dérogations à celles prévues par le règlement du 19 août. Ces décrets autorisent notamment l’ouverture, le dimanche, aux heures ordinaires, des musées nationaux d’art, le chargement et le déchargement des marchandises dans les ports et gares, le payement des traitements afférents aux croix d’anciens militaires, et enfin la publication et la distribution jusqu’à onze heures du matin, de la Gazette de Madrid, dont le numéro devra être achevé samedi à minuit.
- On a vu plus haut que l’Institut des réformes nationales avait compris les courses de taureaux dans la liste des travaux auxquels la loi impose le repos dominical. Les intéressés, éleveurs, aficionados, impresarii et toreros, n’avaient pas manqué d’interjecter appel de cette décision au Conseil d’Etat.
- Le rapporteur du Conseil d’Etat conclut que cette prohibition est contraire à l’esprit de la loi du repos dominical pour trois motifs : d’abord que les toreros ne travaillant généralement pas en semaine n’ont pas besoin de se reposer le dimanche, puis que la fixation des courses un autre jour de la semaine détournerait beaucoup de gens de leur travail, enfin que le travail des toreros n’est pas un labeur manuel, mais peut être considéré comme un art, et par conséquent être assimilé aux représentations théâtrales dont la célébration est permise le dimanche. Ainsi se trouve tranchée cette grave question nationale.
- Le bon peuple espagnol pourra encore aller à la plaza le dimanche. « Olé ! a los toros ! »
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- GRANDE-BRETAGNE Le « Trade Dispute ’s bill.
- En 1899, une grève éclatait dans le personnel de la Compagnie des chemins de fer de la Tafï Wale. La Compagnie traduisit en justice le syndicat qui ayait soutenu la grève, afin qu’il fut déclaré civilement responsable du dommage que la grève lui avait causé.
- C’était la première fois qu’une Trade-Union était mise directement en cause. La TaffWale railway C° soutint que l’enregistrement de l’Amalgamated Society of Railways servants, le syndicat en question, en avait fait une entité juridique responsable.
- La sentence rendue par le juge Fawel, le 5 septembre 1900, consacra cette prétention. Appel fut interjeté et le premier jugement annulé.
- La Taff Wale railways C° porta l’affaire devant les lato lords, qui forment la Cour de Cassation. Et, le 22 juillet 1901, ceux-ci rendirent un arrêt qui reconnut la responsabilité de VAmalgamated Society of Railways servants. Le lord-chancelier le motiva en disant : « Si le législateur a créé une institution qui peut posséder, qui peut prendre des employés à son service, qui peut causer des dommages, on doit admettre, à mon opinion, qu'il l’a implicitement soumise à l’éventualité des poursuites, à raison de dommages causés volontairement, de par son autorisation. » Les frais de ce seul procès s’élevèrent à un million et furent mis à la charge du syndicat.
- Au Congrès de Swansea, la décision de la Chambre des law lords souleva des protestations indignées. Elle paralysait l’action des douze cents syndicats d’Angleterre, et les intérêts de leurs deux millions de syndiqués allaient sans doute en souffrir. Songez, que d’après la brochure de M. Fagnot sur le syndicalisme anglais, de 1896 à 1901, plus de 9 millions de francs d’augmentation ont été obtenus en faveur de 5,463,755 ouvriers, à la suite de 8,511 remaniements de taux des salaires dus à la pression syndicale, et que 260,895 salariés ont,
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- dans la même période, obtenu une diminution de 869,038 heures de travail, soit en moyenne, 3 heures 20 minutes de loisir en plus par semaine pour chacun d’eux.
- D’autres jugements : Allen contre Flood, les affréteurs pour la Chine, les bouchers de Glasgow, l’affaire des charbonnages de Denaby, confirmèrent la jurisprudence de la Chambre des lords. Le patronat allait-il se trouver à jamais débarrassé de la gêne des contrats collectifs et n’avoir plus désormais à compter qu’avec des ouvriers isolés ou des syndicats impuissants.
- A la suite de ces jugements, le monde ouvrier résolut de répondre en s’organisant plus fortement.
- Le congrès des Trades-Unions en 1902 décida de faire une campagne politique active en vue de fortifier la représentation du parti du travail à la Chambre des communes.
- Le 22 avril 1904, la Chambre des communes adoptait à une majorité de 39 voix, en deuxième lecture, un projet de loi qui rendait caduque la décision dite de la Taff' WoÀe. Mais le gouvernement ayant fait de l’obstruction contre le projet, une nouvelle délibération était devenue nécessaire. Elle a eu lieu le 10 mars dernier, et le Trade dispute’s bill a été voté par 248 voix contre 151.
- La loUa pour but de rendre légal le pickhing pacifique , de décider que tout acte qu’une seule personne pourrait faire sans être poursuivie, sera autorisé pour un groupe d’hommes agissant dans les mêmes conditions, et enfin, ce qui 'est le point le plus important, que la caisse des Trades-Unions ne sera pas responsable des actes de ses membres, comme le Taff Wale case en avait décidé.
- La majorité cette fois a été de près de 100 voix. L’approche des élections n’est probablement pas étrangère à ce résultat ni, sans doute, la crainte de voir s’accentuer la tendance des éléments ouvriers à prendre une position de plus en plus indépendante à l’égard des partis politiques. Quoiqu’il en soit, dans son manifeste
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- du 9 février, lord Spencer, au nom du parti libéral considérait l’abrogation de cette jurisprudence comme un des articles du programme de son parti.
- Les ouvriers ne se dissimulent pas que le récent vote n’assure pas le triomphe définitif de leurs revendications, et que le bill n’est pas quitte de toutes les obstructions qu’il peut rencontrer dans la Chambre même, dans le gouvernement et dans la Chambre des. lords. Ils ne se font pas d’illusion sur les mobiles qui ont fait passer en moins d’un an de 39 à 97 voix la majorité favorable à la loi. Mais il est permis de supposer qu'ils rie trouveront pas là un suffisant motif pour se précipiter dans l’intransigeance et pour ne donner leurs voix qu’à des candidats absolument dégagés de toute solidarité avec les partis politiques existants.
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- SUISSE
- La Représentation proportionnelle était en vigueur dans trois cantons : Genève, Neufchâtel, Soleure.
- A cette liste, la votation du 26 février vient d’ajouter le canton de Bâle-Ville. Cette réforme a été achetée par trente ans de luttes, car c’est en 1875, à l’occasion de la révision de la Constitution cantonale, qu’il en fut question pour la première fois.
- Une décision populaire négative, en 1890, fut suivie, sept ans après, d’un vote favorable au principe de la réforme. Mais la loi élaborée, avec quelque mauvaise grâce, par le Grand Conseil fut rejetée par le peuple. Instruit par l’expérience, le camp réformiste recourut en 1904 à l’initiative formulée, qui soustrayait le projet de loi aux amendements et aux retards calculés de la majorité radicale du Grand Conseil. Par une singulière ironie du sort, la Représentation proportionnelle ne l’a emporté que de dix voix, comme pour mieux faire sentir leur disgrâce aux partisans du système majoritaire, ' .<
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- GRANDE-BRETAGNE. — PAYS-BAS.
- La journée de huit heures dans les mines.
- La Chambre des Communes a adopté en première lecture, à une majorité de 52 voix, un projet de loi tendant à l’établissement de la journée de huit heures pour les ouvriers des houillères âgés de moins de dix-huit ans.Certains orateurs qui ont soutenu le projet ont fait remarquer que dans les mines de Northumberland et de Durham, où les mineurs se sont toujours montrés réfractaires à l’intervention de la loi dans les conditions du travail, il y 45,000 ouvriers âgés de moins de dix-huit ans contre 9,000 ouvriers majeurs, et que ces derniers travaillent sept heures seulement, tandis que les jeunes gens doivent rester dix heures dans les mines.
- Au nom du groupe socialiste, M. Yan Kol a déposé et défendu à la seconde Chambre une motion tendant à obtenir du gouvernement que dans le règlement d’ad-ministratioh publique relatif aux ouvriers des mines, qui est en préparation, le maximum de la journée de travail soit fixé, à partir du 1er janvier 1907, à huit heures.
- Le ministre des travaux publics a répondu que l’adoption de la journée de huit heures lui semblait désirable et d’une application prochaine,mais que provisoirement le gouvernement s’était arrêté au maximum de neuf heures.
- La motion socialiste a été repoussée, ainsi que deux autres, dont l’une contenait un simple voeu en faveur de la journée de huit heures, et l’autre était une motion de confiance dans le gouvernement ; la majorité a estimé qu’après avoir remis au gouvernement le soin de fixer la durée du travail dans les mines, elle n’avait plus à intervenir.
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- PAYS DIVERS
- Les prochains Congrès.
- Le 4e Congrès d’assistance publique et privée aura lieu à Milan, l’automne prochain.
- Le Comité international permanent présidé, comme on sait, par M. Casimir-Périer, et le Comité exécutif invitent cordialement à faire bénéficier le Congrès de leurs études et de leur expérience, par l’organe de représentants, tous les corps auxquels « une délégation d e l’Etat ou la volonté de citoyens a confié la mission d’exercer l’assistance et la bienfaisance, » ainsi que tous ceux qui s’occupent de cette science.
- C’était naguère, dit le programme, l’impulsion individuelle qui réglait le principe de la charité; c’est maintenant le devoir social qui organise et discipline l’action de l’assistance et de la bienfaisance; c’était naguère le sentiment qui guidait la piété ; c’est maintenant la raison qui pousse l’humanité à l’exercice du bien, non pas pour l’avantage des individus, mais plutôt dans l’intérêt du plus grand nombre.
- Voici le texte des questions qui seront discutées au Congrès :
- I. De l’assistance aux étrangers. Nécessité d’une entente internationale. Proposition du Comité des congrès nationaux italiens constitué à Bologne et de M. Emile Robert (Belgique).
- II. Education professionnelle des auxiliaires bénévoles de l’assistance publique. Proposition de M. Münster-berg (Berlin).
- III. Des institutions ayant pour objet de protéger et d’assister la jeûner fille et la femme isolée. Proposition de M. Ferdinand Dreyfus (Paris).
- IV. Mesures d’assistance prises ou à prendre dans les différents pays contre la mortalité infantile. Proposition de M. Paul Strauss, sénateur (Paris).
- V. Par quels systèmes et dans quelles limites les formes de l’assurance et de la prévoyance peuvent et doi-
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- vent remplacer et compléter les fonctions de la bienfaisance et de l’assistance publique avec le concours des institutions qui remplissent actuellement ces fonctions. Proposition du comité de Bologne.
- Sera en outre présenté au Congrès un travail de statistique comparée sur l’assistance et la charité pendant un demi-siècle. Ce travail a été confié à M. Loch, de Londres.
- Ainsi qu’il a été convié par le Gouvernement autrichien et par le bourgmestre de Vienne, le Congrès international des accidents du travail et des assurances sociales tiendra sa 7e session à Vienne, du 17 au 23 septembre 1905.
- Les précédents Congrès ont traité, dans un esprit scientifique mais toujours attentif aux réalités économiques et appuyés sur des faits précis, la question des accidents du travail et de l’assurance ouvrière et indiqué les multiples liens qui rattachent ces problèmes aux autres phénomènes de la civilisation moderne ; il n’est pas excessif d’attribuer à ces Congrès une grande part dans les progrès que l’idée même de l’assurance ouvrière a fait depuis lors.
- Aujourd’hui, tout en continuant à résoudre la question des accidents du travail, la plupart des Etats mettent, au premier plan de leurs préoccupations, l’assurance contre l’invalidité et la vieillesse, en un mot, les retraites ouvrières.
- Le dernier Congrès de Dusseldorf a chargé son comité permanent de mettre ce sujet en tête de l’ordre du jour du Congrès de Vienne.
- Ce sera donc le point essentiel du programme d’études. L’occasion sera donnée à chacun de discuter les institutions existantes ou projetées, d’en examiner les bases économiques, techniques et statistiques et d’apprécier l’influence qu’elles peuvent exercer sur l’hygiène sociale et sur le bien-être général. Le Congrès
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- s’efforcera d’établir une statistique internationale des accidents.
- Ajoutons que les travaux du Congrès, auxquels seront associés d’éminents spécialistes de tous les Etats qui s’occupent d’assurance ouvrière, seront libres de’toute arrière-pensée politique.
- (Moniteur des Syndicats),
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- La Conférence internationale pour la protection légale des travailleurs se réunira le 8 mai à Berne.
- Elle revêtira le caractère d’une Conférence officielle, comme celle de Berlin.
- La Chambre suédoise vient de voter à l’Association internationale pour la protection légale des travailleurs , qui en a pris l’initiative, une subvention de mille francs.
- D’autre part, l’Angleterre, qui, jusqu’à ce jour, était restée en dehors de cette Association vient d’y adhérer.
- Une section a été créée qui comprend plus de cent membres. M. Sydney Webb a été désigné comme président. Tous les députés ouvriers et les représentants des Trades-Unions en font partie, de même que le professeur Oliver et lord Lytton.
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- Un grand Congrès pour la défense du commerce français doit se réunir à Paris. Il a pour but de rechercher les moyens de donner à nos produits l’écoulement qui leur est nécessaire, en même temps que d’assurer l’emploi de nos forces improductives.
- C’est le journal le Matin qui en a pris l’initiative à l’occasion des traités que l’Allemagne vient de conclure avec sept Etats et qu’elle se prépare à conclure avec divers autres.
- La question des traités de commerce, celle de la protection, celle de la liberté des échanges vont donc se trouver tout naturellement portées devant ce Congrès,
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- auquel les adhésions affluent de toutes parts, et qui aura peut-être des conséquences pratiques considérables.
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- Dans le même ordre d’idées, les ministres belges des finances, des affaires étrangères, de l’intérieur, de l’industrie et du travail, des chemins de fer, postes et télégraphes, ont adressé au roi Léoplold II un rapport concluant à l’organisation, en Belgique, d’un « Congrès international d’expansion économique mondial ». Ils font valoir que les développements et les progrès de l’industrie, les facilités de communications, l’ouverture de pays nouveaux à la civilisation servent de stimulants à ce mouvement de plus en plus accentué d’expansion mettant en présence, dans une lutte ardente, les producteurs des diverses nations. Ce serait un honneur pour la Belgique d’affirmer sa confiance dans le résultat d’efforts judicieusement combinés ; un Congrès international, au programme conçu dans les vues les plus larges, pourrait comprendre l’ensemble des matières intéressant l’expansion économique mondiale.
- Le roi a donné son approbation à ce rapport ; le Congrès se réunira, en septembre prochain, à Mons, sous la présidence de M. Beernaert, ministre d’Etat.
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- La question de la paix
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- LA QUESTION DE LA PAIX
- Pour la paix.
- En présence des horreurs de la guerre de Mandchourie et sans attendre le résultat du pétitionnement général qu’a organisé le Bureau international de la paix, la délégation des Sociétés françaises de la paix s’est réunie le 11 mars à Paris et a pris la résolution que voici :
- « Au nom de 40.000 signataires, la délégation en appelle à la conscience des gouvernements, des parlements et des peuples, pour qu’ils fassent cesser l’horrible boucherie en Extrême-Orient. Elle réclame la réconciliation entre les survivants en face des monceaux de cadavres humains et elle espère que les nations, en organisant promptement entre elles un régime juridique, éviteront le développement de nouveaux antagonismes et établiront définitivement une paix durable. »
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- La sentence de la commission d’enquête.
- Le 25 février, après deux mois de travaux intermittents, la commission internationale d’enquête a fait connaître ses conclusions sur l’affaire de Hull.
- Les cinq amiraux ont fourni à l’Angleterre la satisfaction de reconnaître que l’ouverture du feu n’était pas justifiée. Mais ils ont en même temps dégagé l’amiral Rojestvenski et son personnel et leur ont évité le blâme que demandait l’Angleterre.
- Il y a quelque contradiction dans cette sentence. Mais il faut remarquer que la commission d’enquête sur l’incident d£ la mer du Nord n’avait ni à condamner, ni à acquitter : elle avait simplement à opérer une enquête.
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- LE DEVOIR
- L’opinion publique paraît satisfaite en Angleterre comme en Russie ; c’est l’essentiel. Les plus excités contre l’une ou l’autre des parties en cause, les plus obstinés admirateurs de la force, n’ont pas osé dire que le recours à la guerre était préférable à cette solution. Dont acte.
- Le -groupe parlementaire de l’arbitrage international a voté à l'unanimité la motion suivante :
- « Le Groupe de l’arbitrage international enregistre, comme un sérieux progrès, la première application qui vient d’être faite de l’institution des Commissions d’enquête internationales, au grave incident des pêcheurs de Hull. La solution amiable de cet incident démontre les services que peut rendre aux Gouvernements, comme aux peuples, la mise en vigueur de la Convention de La Haye. »
- * *
- Le ïlle Congrès national français de la paix.
- La Délégation permanente a arrêté le programme définitif du Congrès de Lille comme suit :
- A. Actualités.
- 1° Rapport sur la politique extérieure de la France pendant l’année écoulée. — Rapporteurs éventuels : MM. de Pressensé, Méringhac, G. Sax.
- 2° Rapports sur les traités d’arbitrage conclus pendant l'année écoulée et sur les traités à conclure. — MM. Geouffre de Lapradelle, Arnaud.
- 3° Les violations du droit des gens résultant de la guerre russo-japonaise. — De Montluc, J. Dumas.
- B. Questions législatives, juridiques et doctrinales.
- 4° La future Conférence de la Haye. — MM. Weiss et Le Foyer.
- 5° L’entente internationale concernant la limitation des charges militaires. — M. Hubbard.
- 6° L’allègement des charges militaires en France. — MM. Messimy, G. Moch.
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- 7° Dans quelle mesure les guerres dependent-elles des facteurs économiques. — M. Prudhommeaux.
- 8° La langue auxiliaire internationale. (Rapport de la Délégation pour Fadoption d'une langue auxiliaire internationale).
- C. Organisation de" la propagande pacifiste.
- 9° Rapport de la Délégation permanente. — M. Ed. Spalikowski. \
- 10° Nomination des membres de la Délégation permanente.
- J1° Propagande pour la cessation de la guerre russo-japonaise. — M. Arnaud.
- 12° Conséquences économiques des guerres. Les conséquences qu’auraient la mobilisation et la guerre sur l’agriculture et l’industrie du Nord de la France. — N.
- 13<> L’instruction et l’éducation internationales. — M. Buisson.
- 14° Le pacifisme et l’école. — Mme Kergomard.
- 15<> La propagande individuelle du pacifiste.—M Allé-gret.
- 16o Les guerres et l’histoire. — M. Thalamas.
- 17° Organisation en France de vues pour projections lumineuses concernant la guerre et la paix. — M. Prudhommeaux.
- 18° Siège du prochain Congrès national de la paix.
- Il est ensuite décidé qu’un appel des Sociétés Scandinaves sera communiqué à 500 journaux français.
- Les derniers détails du Banquet de la Paix du 22 sont discutés. On trouvera des cartes chez MM. E. Arnaud, 18, rue Saint-Vincent de Paul, Paris; Ed. Spolikowski, 117, boulevard Saint-Michel ; Bokanowski, 6, rue Dante ; Casevitz, 12, avenue Victor-Hugo.
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- La propagande par les projections lumineuses.
- L’ « Institut international de la Paix » a pris connaissance d’une lettre dans laquelle M. J. Prudhommeaux,
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- secrétaire de l’Association de la Paix par le Droit, indique quelques sujets qui pourraient faire l’objet d’études documentaires au moyen desquelles on compléterait ensuite la collection des graphiques servant aux projections lumineuses. Ces propositions présentant un grand intérêt, l’Institut en a recommandé l’étude à ses membres et a chargé son secrétariat de coordonner les documents qui lui seront envoyés à ce sujet.
- Il s’agirait : a) d’une carte des Sociétés pacifiques du monde ; b) d’un graphique indiquant la progression du nombre des pacifistes au dix-neuvième siècle ; c) de tableaux et graphiques de la mortalité à la caserne et dans la vie civile ; d) de tableaux graphiques-, diagrammes, etc., sur le service militaire au point de vue de la moralité ; é) de la répercussion de l’existence d’une garnison sur la vie budgétaire, matérielle, morale, etc. d’une ville ; f) des « à-côtés », souvent inaperçus, des budgets de la guerre ; g) de la comparaison des dépenses militaires avec les sommes qu’il faudrait pour pensions à tous les vieillards et invalides, construction d’écoles, d’hôpitaux, etc. ; h) de l’emploi de l’armée aux travaux publics ; i) des milices et des armées perma-- nentes (durée du service, dépenses, etc.) ; j) des dépenses en hommes et en argent pour des expéditions coloniales.
- Un arbitrage.
- Le gouvernement français a désigné comme arbitre, dans son différend avec l’Angleterre au sujet du protectorat du sultan de Mascate, M. de Savornin Lehman, député des Pays-Bas.
- De son côté, le gouvernement britannique a choisi pour arbitre M. Fuller, des Etats-Unis. L’affaire sera portée devant la Cour d’arbitrage.
- Voici, en résumé, l’historique et le point de droit du différend :
- La France réclame le droit d’exercer sa protection,
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- même dans les eaux territoriales du Sultanat de Mas-cate, sur les navires marchands indigènes propriété des sujets du sultan, qui ont, au cours de leur commerce avec le côte orientale d’Afrique, obtenu permission d’arborer le pavillon français.
- Pendant le printemps de 1902, plusieurs de ces navires refusèrent, sous ce prétexte, d’obéir aux ordres du sultan et un navire de guerre français fut envoyé à Mascate pour faire prévaloir le protectorat français.
- Le sultan en appela au gouvernement de l’Inde et lord Lansdowe fit, à ce sujet, des représentations amicales au gouvernement français. Après un échange de notes à ce propos, il fut décidé entre les deux gouvernements, à la fin de 1903, de porter la question devant la Cour de la Haye.
- * *
- Une Académie internationale de la Paix.
- Le Groupe interparlementaire danois a eu une réunion nombreuse le 26 janvier. Parmi beaucoup d’autres sujets à l’ordre du jour, se trouvait une proposition que M. Fredrik Bajer voulait soumettre au Conseil interparlementaire, si le groupe l’y autorisait. Cette proposition vise la création d’une Académie internationale de la Paix selon l’idée exprimée par M. le Dr L. von Bar, membre de l’Institut de droit international, dans la revue « Die nation » (Berlin le 15 octobre 1898). Le Conseil interparlementaire aurait à élire un membre d’un Comité d’étude chargé d’examiner l’idée de M. von Bar, — à inviter l’Institut de droit international et la Commission du Bureau international de la Paix à élire chacun un membre — et à prier ce Comité de trois membres de se compléter lui-même au besoin. En motivant sa proposition, M. Bajer a montré que la réalisation de cette idée serait une nouvelle étape du mouvement pour la « pacigérance », car l’Académie pourrait être consultée par les Etats en remplissant le devoir que leur impose l’art. 27 de la Convention de La Haye
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- du 29 juillet 1899. Le Groupe danois a chargé M. Bajer
- de présenter cette proposition au nom du Groupe.
- ♦ *
- Le budget de la paix.
- La Suisse, la Suède, la Norvège et le Danemark subventionnent, depuis plusieurs années déjà, le Bureau international de la Paix.
- Dernièrement la Chambre des députés danoise, statuait sur une proposition tendant à allouer au Bureau de Berne une subvention de 1.000 couronnes (1.400 fr.). Le nouveau ministre des affaires étrangères, le Comte Raben-Levetzan, a déclaré que cette proposition avait sa sympathie au plus degré, parce qu’elle vise à assurer la paix, comme une série de mesures qu’on a. vu prendre partout en Europe ces derniers temps. Le ministre tenait à profiter de l’occasion pour déclarer qu’en dirigeant le Ministère des affaires extérieures, il fera son possible en faveur de l’idée de la paix. Quant aux règles de la neutralité en temps de guerre, il ne doit pas régner le moindre doute sur leur stricte application. Le Ministre espère que le traité dano-hollandais du 12 février 1904 pourra être ratifié sous peu. Il voudrait négocier des traités semblables avec d’autres Etats, mais il n’est pas sûr qu’ils seraient aussi favorables que le traité avec la Hollande, surtout vis-à-vis de grandes puissances. ;
- Là Société de la Paix et de l’arbitrage du Familistère.
- Le mercredi, 18 janvier, daus une des salles de la mairie de Guise, M. Fernand Vatin, de Bar-le-Duc, chef du cabinet du préfet de la Meuse, et docteur en droit, a donné une conférence sur la guerre, la paix armée et la paix, dont l’initiative avait été prise par la Société de la Paix et de l’arbitrage international du Familistère de Guise, sous la présidence d’honneur de M. Th. Ruys-sen, président de la Société de « la Paix par le Droit » ,
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- et la présidence effective de M. Sarrazin-Duhem, président de la Société de la Paix du Familistère de Guise.
- Les projections lumineuses accompagnaient les démonstrations pacifiques et économiques du conférencier qui a vivement intéressé l’assistance où les dames étaient fort nombreuses.
- « Langue internationale Espéranto. »
- La Correspondance bi-mensuelle du Bureau de Berne publie l’appel ci-dessous que lui adresse M. Gaston Moch en vue de la formation d’une Société internationale espè-rantiste de la Paix :
- « La question de la langue internationale figure à l’ordre du jour du XIVe Congrès universel de la paix, ainsi que du IIP Congrès national français, qui se réuniront l’été prochain à Lucerne et à Lille.
- « Dès leur premier congrès, en 1889, et plus tard en 1897, les pacifistes ont témoigné de leur intérêt pour cette question, et l’on peut affirmer qu’ils sont tous acquis au principe de la langue internationale. Il ne reste plus qu’à leur faire comprendre que le problème est résolu.
- « Il serait donc très utile de fonder, si possible, avant les congrès de cette année, une Société internationale espèrantiste de la Paix. De cette manière, on fournirait aux congrès la preuve indiscutable de la valeur de la langue Espéranto.
- « Les pacifistes qui sont espérantistes et qui approuvent cette idée sont priés de se faire connaître à M. Gaston Moch, 16, Avenue de la Grande-Armée, à Paris,
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- « Ce dernier leur fera connaître, par la Correspondance, combien il aura reçu de réponses, et, par conséquent, s’il est possible de donner suite à son projet. »
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- Par Paul et Victor MARGUERITTE
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- {Suite.)
- — Tais-toi ! tais-toi !
- Mais Francine :
- — Non, il faut que tu saches à quel point nous sommes séparés. Depuis deux ans, quand j’ai acquis, je ne dis pas la preuve matérielle, mais la certitude morale de sa conduite, nous n’avons plus rien eu de commun... je ne suis plus sa femme.
- Et très vite :
- — Je ne voulais plus qu’il me touche... Je lui reste fidèle, pas pour lui, pour moi. Je n’ai pas songé à le tromper, même par vengeance. C’est trop sale de mentir, toujours mentir!... Je me suis reprise, voilà tout.
- Elle chuchotait l’aveu de tant de femmes , l’histoire éternelle ensevelie dans des confidences bien rares ou dans le secret de la confession : son ignorance saccagée le soir des noces, sans attendre le temps où la communion des cœurs amènerait le consentement des corps. Cette répulsion s’aggravait quand, ayant sevré Josette, elle redevenait plus désirable. Ne voulant pas d’autre enfant, par égoïsme, avarice, son mari avait voulu exiger d’elle la volupté sans le risque, cette soumission avilissante qui fait de l’épouse une stérile chair à plaisir.
- Cela, non ! Elle ne serait pas une prostituée; les épreuves de la maternité l’avaient placée assez haut pour qu’elle comptât ; il n’avait pas le droit de lui imposer sans la consulter de nouveaux enfants, encore moins de les lui refuser ; n’en désirât-elle pas, elle valait bien d’être traitée en égale. De ce jour avait grandi leur
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- éloignement, hors du pacte charnel rompu, exigé par lui, subi par elle à de rares défaites, jusqu’à l’inflexible verrou tiré tous les soirs qui les avait rendus étrangers. Débats répugnants, plus fréquents qu-’on ne pense, et qui font de leur inavouable casuistique un lit de fange à cette alcôve où la coutume, la religion et le Code livrent l’âme et le corps de la femme.
- — Et ne cherche pas de circonstances atténuantes ! ne dis pas : les hommes sont ainsi. Oui, nous en connaissons qu’un instinct plus fort qu’eux domine : ils ont beau adorer leur femme, — c’est eux qui le disent — ils la tromperont : le monde les absout, et parfois celle qu’ils font le plus souffrir. Mais Fernand n’est même pas un de ces passionnés! Vois-tu, quand je pense... Moi qui lui ai apporté beauté, santé, jeunesse ! Et il ne peut m’accuser de ne pas avoir été prête au dévouement, à la tendresse ; je ne demandais qu’à l’aimer entièrement... Ce n’est pas ma faute s’il m’est devenu odieux , s’il s’est rendu odieux !
- Mme Favié était au supplice : cette franchise lui semblait manquer de pudeur, sa délicatesse jugeait cynique la vérité. Et, comme sous le froid aigu du fer, se rouvrait et saignait son ancienne plaie ; c’était si vrai, si atrocement vrai, ce que disait Francine!... cet abîme qui sépare deux êtres, unis jadis par ce qu’il y a de plus intime au monde...
- Francine reprit :
- L’affection crée des miracles, le sacrifice endure ce qui répugne le plus; mais il faut s’aimer. Depuis des années, nous nous haïssons. Les mains nous démangent de nous frapper ; si ses regards blessaient, je serais morte. Nous avons eu de ces scènes affreuses qui vous laissent dans la bouche un goût de terre et d’où l’on sort brisé, comme d’une maladie. Entre nous, c’est l’irréparable. Et pourtant, s’il avait eu une seule, tu m’entends ? une seule de ces qualités qui sont une excuse, un espoir.,. Non, rien!... Cette horreur physique, ce serait déjà bien assez, n’est-ce pas, pour justi-
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- fier tous les divorces du monde? Mais quand tout votre esprit, toutes vos pensées sont ennemis!... Imagine-toi cela : une conscience qui veut vivre, et qu'on étouffe ! et je ne parle pas de mes idées, de mes goûts, de mes préjugés. Non, je parle de cette foi intérieure qui est „notre raison d’agir, qu’on l’appelle religion, morale, idée de progrès ou de justice ; je parle de cette conviction qui anime les moins croyants et met en eux la divination de vérités éternelles. Cela, c’est le fond de l’être, l’âme réservée : qu’on soit catholique, protestant, israélite, libre-penseur, on n’y touche pas : c’est sacré !... Mais comment te faire comprendre? et sans te peiner sur tout! Tu tiens au passé par tant de fibres, tu es catholique dans le sang.
- Elle expliquait la crise qui avait suivi son mariage. A ce moment déjà, elle ne croyait plus. Et pourtant, combien elle était pénétrée du grand mystère qui nous accompagne, des sources obscures de la vie aux limbes de la mort ; combien elle sentait la puissance indicible qui entraîne les planètes et fait du moindre brin d’herbe un monde ! Elle voyait dans les religions les efforts de l’humanité vers le plus noble idéal, et cet idéal, elle le plaçait dans le bien, le beau, le juste. Elle se rappelait avoir écrit alors sur son album cette pensée de Rivarol : Il n’y a , qu’une morale, comme il n'y a qu’une géométrie ; ces deux mots n’ont point de pluriel. La morale .. c’est une religion universelle. »
- Tandis qu’elle parlait, elle revoyait, après plusieurs rencontres, où leur sympathie se déclarait, son décisif entretien avec Le Hagre, aux Petites-Dalles, un soir où le soleil, à demi plongé dans l’Océan, allongeait un bras de flamme sur l’eau déjà sombre. Des mouettes voletaient, le flux mourait en ondulations calmes. Le Hagre s’était approché d’elle. Les galets criaient sous ses souliers jaunes. Tandis que leur amie, la bonne Mme Jélyot, repliait sa tapisserie et faisait le ménage de sa cabine, avec la minutieuse manie des vieilles gens, Le Hagre avait parlé.
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- Il avait su, ou trouvé par hasard, les mots qui convenaient à cette minute. De leurs croyances mutuelles, une réciproque erreur avait été cause qu'il ne s’était pas expliqué à fond, — la conviction chez lui qu’elle partageait, ou partagerait vite ses idées, se soumettrait au besoin à sa volonté. Elle, dans son esprit ironique, avait vu la* preuve d’une intelligence large, et, dans son émotion discrète, la réserve d’un cœur qui ne se prodigue pas. Ses défauts devenaient autant de qualités. Il l’attirait et l’irritait ; puis il était le premier qui lui parlât sans hypocrisie, car elle prenait son dénigrement, parfois spirituel, pour de la franchise. Elle était dupe de l’illusion ordinaire, le créant à son image, lui prêtant ses propres façons de sentir et de penser. Fallait-il qu’elle fût ignorante et présomptueuse, mon Dieu !... Les paroles qu’il avait murmurées, l’heure, son propre état d’âme, tout avait déterminé sa préférence fatale, irrévocable, pour cet homme qui allait être le maître de sa destinée, le chef d’une famille nouvelle.
- Et Francine revoyait dans le passé, comme une autre qu’elle, une petite personne bien prise dans un corsage de flanelle blanche et une jupe bleu sombre, une étrange petite personne aux opinions volontaires et disparates, au cœur généreux et imprudent. Mal à l’aise chez elle, à l’étroit entre un père immoral qui la gâtait trop et sa mère qui, férue des traditions du passé, n’avait su comprendre ni endiguer ses aspirations de jeune fille nouvelle, elle s’était butée aux obstacles, s’exaltait, s’obstinait d’autant plus à ce mariage que sa mère l’en voulait détourner.
- Le malentendu moral, le divorce religieux avaient commencé dès les premiers mois. Elle n’avait d’abord rien caché de sa tiédeur, accompagné pourtant son mari sans déplaisir à la messe, surprise un peu, touchée même de penser qu’il croyait plus que la plupart des hommes. Tout ce qui était sincère l’émouvait. Mais bientôt elle avait souffert de ce que cette dévotion avait d’étroit, cette piété de despotique. Il avait voulu régie-
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- menter son existence, la plier, elle indépendante, d’esprit critique, à une soumission absolue du dogme, des observances.
- — Si encore il eût été vraiment chrétien, aussi rigoureux pour lui que pour les autres ! Mais, très vite, je me suis aperçue du mensonge de sa foi : nul élan de l’âme vers le bien ; ce n’était pas non plus cette correction mondaine qui fait du culte une formalité distinguée : non, sa religion, infiniment plus hypocrite, n’est faite que de la peur de la mort. Toi qui es restée très pure d’intentions et d’actes, tu n’imagines pas à quels compromis, sous cet empire, on peut descendre. Fuir un néant affreux ou échapper à une survie horrible dans le purgatoire ou l’enfer, voilà l’obsession de Fernand : l’Eglise l’en délivre ! Elle lui promet la vie éternelle et lui garantit toutes les chances de rédemption.
- — Francine ! supplia Mme Favié que cette audace effrayait.
- — Oh ! entendons-nous ; je ne prétends pas que les honnêtes gens approuvent un tel trafic et s’y prêtent Fernand s’est fait une religion à son usage. Ses fautes, ses erreurs,, cela vient de la misérable condition humaine ; le péché originel pèse sur lui : première excuse ! Comment ne pas retomber, dès lors, constamment ?. De plus, il sait que le confessionnal s’ouvre avec indulgence, que la contrition a une vertu souveraine, et qu’à défaut l’attrition suffit ; il sait que l’absolution remet les péchés. Alors... comprends-tu? Non... ? C’est si simple ; on fait la part de Dieu et l’on ne se refuse rien à soi-même ; on peut vouloir l’asservir à sa débauche, on peut mentir, être avare, dur au prochain, augmenter sa fortune par tous les moyens que le Code ne punit pas. Qu’importe ! pas de responsabilité : on règle directement ses comptes célestes, par l’intermédiaire du confesseur, en passant par-dessus les intéressés. Crois-tu que Fernand s’avoue coupable vis-à-vis de moi?. . Qu’est-ce que je lui réclame? De quel droit?... Sa conscience est au net, il montre quittance ; pourquoi
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- serais-je plus exigeante que le Sauveur des hommes ?... Puisque sa miséricorde infinie sera toujours plus grande que l’infamie de la créature et qu’il suffit d’y faire appel : confession, absolution, pénitence, — vois-tu, c’est réglé comme un traitement médical : douche, massage et gant de crin ! — après, on a la peau neuve, le sang circule ; on est gaillard et prêt à recommencer!
- Mme Favié protesta, d’un grand geste :
- — Il n’y a pas d’hommes pareils ! ou ce sont des monstres !
- — Il n’y en a plus que tu ne crois, maman ! Seulement, ils sont inconscients, guidés par l’intérêt, l’égoïsme, tout ce qu’il y a de vil en nous. Fernand, lui, est un dilettante ! Ses fautes n’ont tant de - saveur que parce qu’elles sont des péchés ! Si tu entendais son ton d’injurieuse douceur, si tu voyais l’air fourbe dont il me nargue, avec ses absolutions volées, — car il les vole, ce n’est pas possible : il doit mentir au confessionnal comme il ment partout !
- — Parce qu’il s’avilit, sans parvenir à faire tort à la plus belle des religions, en quoi te serais-tu diminuée, toi, d’être une bonne chrétienne ? Rappelle-toi l’abbé Arnold ; quel ami sûr, quel conseil délicat !...
- L’abbé Arnold est mort, dit Francine. Oui, c’était un admirable prêtre, et cependant il m’en eût coûté beaucoup, mariée, de me confier à lui. Si j’eusse aimé mon mari, je n’aurais pu supporter même l’idée d’avoir un tiers, si respectable fût-il, entre nous. J’ai pour la confession un éloignement insurmontable : tout ce qu’il y a en moi de pudeur répugne à l’idée d’étaler mon être intime. Puis, tous les prêtres ne sont pas l’abbé Arnold. Le père Venosa, qui dirige Fernand, m’a blessée par des propos étranges : tu n’as pas idée de ce qu’il m’invitait à accorder à mon mari, sous le nom de charité, de complaisance d’épouse. C’est lui qui m’a rendu toute confession inpossible. Je l’ai déclaré à Fernand. Tout ce que j’ai entendu alors de blessant, pour avoir voulu ne relever que de ma conscience, ce
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- qui était mon droit strict !... Et l’intervention de sa mère, dans notre différend religieux ! De quoi se mêlait-elle ?
- Mme Le Hagre surgit, bourgeoise rigide, avec son nez à bec d’aigle, son front dur sous les bandeaux gris de fer. Serré dans son corset comme dans une armure? bonne sans abandon, vertueuse avec aspérité, elle s’était vite heurtée aux opinions frondeuses de Francine et son mécompte avait percé en d’insaisissables aigreurs, car elle comptait sur une bru docile et une épouse modèle.
- Telles quelles, elles auraient pu s’estimer et par certains points se comprendre. Mais, croyante sévère, Mme Le Hagre ne pardonnait pas à Francine son libre examen : elle n’en attendait que périls, menaces ; elle n’admettait pas que le respect de soi, l’amour du bien, du vrai, fussent des garanties, et qu’on pût être honnête sans pratiquer. Elle blâma Francine, ses lectures : Michelet, Renan, Littré ; ce n’est pas là qu’elle s’inspirerait de ses devoirs ! Qu’elle prît garde au plus grand des péchés : l’orgueil ! Elle la blessa. Passe encore ! Francine, sans l’aimer, eût pu ne pas plus manquer de jutice qu’elle ne manquait d'égards. Un malentendu gâta tout.
- Mme Le Hagre, si clairvoyante pour sa belle-fille, s’aveuglait sur son fils : elle lui vouait cette adoration maternelle, exclusive et jalouse, passion légitime de celles qui n’en ont pas connu d’autre. Abusée, cajolée par lui, elle ignorait ou excusait ses défauts. Sans doute elle les eût condamnés durement, mais avec l’espoir du repentir, puisque, grâce à Dieu, Fernand demeurait pieux. Elle était loin de supposer que son âcre dévotion s’était à ce point corrompue en son fils. Mais , cela, Francine ne le put, ne le sut deviner : les sévérités étaient pour elle, l’indulgence pour lui; Mme Le Hagre était donc complice, puisqu’elle semblait absoudre ; elle manquait de probité dans ses idées, de franchise dans ses actes ! Francine en fut révoltée.
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- L’inimitié déclarée s’aggrava des partis pris, des heurts quotidiens : les exigences de Le Hagre voulant que Francine rendît plus souvent visite à sa mère, l’amour possessif de celle-ci pour Josette. Francine se sentait avec des étrangers, avec des ennemis, chaque jour de plus en plus comprimée, surveillée, harcelée.
- Et dans la fièvre qui la brûlait, revenant aux confidences déjà dites comme une bête traquée aux pistes rebattues, elle dépeignait vingt scènes où son mari apparaissait dans sa laide nudité. Ses principes : la Façade, avec un grand F, rien dessous; vaniteux, il négociait un titre de comte romain : oui, le comte Le Hagre, cela ferait bien ! Avare, possédant â Ménilmon-tant une cité ouvrière, jamais il n’avait permis à son gérant de faire grâce d’un terme : et si Francine n’avait pas été là!... Il refilait aux pauvres ses pièces fausses, parfaitement ! Et cet homme qui n’avait à la bouche que sentiments nobles, venait de faire ramasser par les agents une vieille estropiée, qui s’entêtait à mendier sous la porte cochère de son hôtel. Etre propre, avoir soif de vérité intérieure, et tous les jours, à chaque heure, à chaque minute, vivre dans cette crasse ! Pouah !...
- Mme Favié se taisait : que de choses elle aurait eu à dire :
- — A quoi penses-tu? demanda Francine d’une voix brusque.
- — Ma pauvre enfant, j’écoutais ton réquisitoire. Quand tu me parlais tout à l’heure du mal qu’il t’a fait, j’espérais presque : il y a dans la douleur quelque chose si élevé, de si purifiant! Je me disais : « Elle souffre, elle pourra peut-être pardonner. » Mais l’homme que tu bafoues, dont tu parles avec ce mépris... que puis-je espérer ?
- — Rien, mon parti est pris. Pour moi, pour Josette, je veux divorcer !
- — Pour Josette! répéta Mme Favié avec une douloureuse incrédulité.
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- Elle contempla un long moment ce visage bouleversé, s’efforça de lire dans les yeux fous de souffrance ; elle étudiait cette expression inconnue ; elle eut voulu pénétrer la femme d’aujourd’hui, épanouie dans la jeune fille d’autrefois, et si différente, quoiqu’elle eût ses* traits, son front, sa bouche.
- — Explique-moi une chose, fît-elle enfin ; la haine ne t’égare-t-elle pas ? Comment se fait-il que jamais tu ne te sois confiée à moi? Pendant des années !... Et je voyais si bien que tu étais malheureuse !
- — Ah ! je me disais : « Je suis à plaindre, tant pis, c’est ma faute, ma faute — elle se frappa la poitrine. — J’ai voulu l’épouser; j’expierai mon imprudence et mon entêtement, je me sacrifierai au mariage. » Il y avait là un idéal... Josette à élever ; et puis j’espérais toujours... Il ne s’est démasqué que peu à peu... Perdre le bénéfice de ma longue patience? j’étais lâche. Et à quoi bon se plaindre? l’orgueil m’en empêchait. Mais quand j’ai compris que je me sacrifiais pour rien, que Josette serait la première à en pâtir, qu’elle souffrait déjà, que mon mari était incorrigible ; quand les derniers dégoûts sont arrivés, quand je l’ai surpris dans les bras de cette Lischen, ah, non ! je me suis révoltée enfin ; je n’ai plus eu qu’une idée : en finir, me sauver, emporter mon enfant. Et maintenant c’est fait, n’en parlons plus; ou parlons-en si tu veux. Rien, rien, rien ne me fera changer! Vois-tu, seulement à l’idée de le revoir, mon sang s’arrête!... Quelle humiliation effroyable; c’est à cet homme que j’ai appartenu !... Entre tant d’autres qui paraissent des êtres intelligents, doués d’esprit et de coeur, c’est à lui que je me suis livrée, et ce que j’ai été pour lui, je ne pourrai plus l’être pour aucun autre. Je suis Mme Le Havre, sa femme, sa chose. Josette est née ! Et c’est une fatalité à laquelle personne ne peut rien... Quoi que je fasse, je ne me reprendrai peut-être jamais entièrement, et le meilleur de moi s’en est allé dans ces souffrances inutiles !
- Étouffant les sanglots qui lui montaient à la gorge,
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- Francine se raidit, et debout, avec un accent de résolution farouche :
- — Je veux le divorce !
- II
- Deux jours après, en attendant l’arrivée du vieux Marchai, — « Ton adorateur, maman ; que va-t-il bien s’imaginer ?» — Mme Le Hagre, dans la bibliothèque, feuilletait, d’un doigt inexpert, de gros livres de droit, vite embourbée dans des marécages de gloses, des sables mouvants de jurisprudence.
- Par les fenêtres entrait une odeur de terre et de feuillages mouillés, la rouille fade de l’automne ; et Francine, dans la grande paix d’Aygues-Vives, se sentait mourir de tristesse. D’abord, à chaque minute, elle avait tressailli, — Pattente d’un évènement, l’impatience du courrier. Elle avait écrit à son notaire, à Mme de Guertes , aux Morland ; elle avait télégraphié à sa femme de chambre, Céline, de la rejoindre avec des caisses de linge, de vêtements. Rien. Personne. Rester sans nouvelles lui causait un profond énervement. Fernand faisait le mort : elle crut voir une araignée ourdissant sa toile.
- Bien qu’elle eût démasqué sa tartuferie, elle ne parvenait pas à le percer à fond, tant il restait fuyant et déconcertant.
- Le Hagre offrait un curieux exemple de la déformation produite par le milieu sur des natures ingrates. Tout petit, il avait découvert à ses pensées et à ses actes ce merveilleux alibi : le mensonge. Ce n’étaît pas entièrement sa faute : on lui en prêchait Phorreur, et il le voyait pratiquer autour de lui par commodité, bienséance, vanité, charité même, toutes les fois qu’il y avait quelque chose à craindre ou à obtenir ; souvent pour rien, par plaisir. Les plus honnêtes gens mentaient, et quand ce n’était pas à autrui, sans le vouloir, sans s’en douter, c’était à eux-mêmes. Son père, sa
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- LE DEVOIR
- mère comme les autres. Ce baume onctueux assouplissait les rouages de la vie et donnait à la conduite de chacun une aisance parfaite. 11 s’en pénétra, inconsciemment d’abord ; c’était si commode, et la vérité déplaît et nuit tellement !
- Il devint menteur avec d’autant plus de naturel que son éducation jésuite l’entraîna à dissimuler en cultivant chez lui la restriction mentale, la délation obligatoire, etc... L’habitude devint plaisir, s’aiguisa de cette délectation morose qui est, disent les casuistes, le plus vénéneux du péché et qui fait les profonds scélérats. Entre être et paraître, il se dédoubla : comédien, spectateur. Porter un masque, afficher l’honorabilité, et là-dessous être soi, une âme de lucre, de jouissance, d’envie, d’orgueil effrénés, quelle source de volupté ! Il s’y complaisait avec d’autant plus de délices que les terreurs catholiques faisaient passer en lui le frisson de la damnation éternelle : sans doute, il comptait l’esquiver à temps; mais si par malheur l’accident, une maladie foudroyante... ineffable et torturante idée!...
- Parla il était rare, et complet. D’ailleurs, il se composait avec trop de volonté, de ruse, pour se trahir autrement qu’emporté par la haine et la rage. Ce jour-là seulement, Francine pourrait dire qu’elle le connaissait...
- Elle sentit sa détresse s’accroître du vide de la grande demeure. Les Lurat étaient partis. Bon voyage! Elle ne se doutait pas qu’ils seraient pour elle des ennemis. Le premier soir ils avaient saisi au passage Mme Favié : ils prenaient tellement part, pouvaient-ils être bons à quelque chose? Et leurs yeux pétillaient... Gabrielle, épuisée, ne réfléchit pas que c’est dans le malheur qu’on a besoin d’amis ; elle se montra très réservée, parla de désaccords graves, mais non irrémédiables, elle l’espérait. Et comme Mme Lurat lui tapotait les mains ;
- — Pauvre amie !... Est-ce qu’ils divorcent ?
- (.4 suivre.)
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- ASSURANCES MUTUELLES
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- Société du Familistère. - Assurances Mutuelles
- MOUVEMENT DU MOIS DE NOVEMBRE 1904, A GUISE
- ASSURANCE CONTRE LA MALADIE
- Section des Hommes
- Cotisations des mutualistes...... 2.496 30
- Subvention de la Société......... 857 90
- Malfaçons et Divers.............. 376 55
- Dépenses.....................................
- Déficit en novembre 1904.... ...
- Section des Dames
- Cotisations des mutualistes...... 511 50
- Subvention de la Société......... 254 50
- Divers.......................... .. 1 25
- Dépenses........... .........................
- Déficit en novembre 1904
- 3.730 75
- 3.941 75 211 »
- 767 25
- 938 60 171 35
- ASSURANCE DES PENSIONS
- Subvention de la Société et Divers 7.298 91 I
- Intérêts des comptes courants et | 11.833 19
- du titre d’épargne............. 4.534 28'
- Dépenses *
- 126 Retraités définitifs.......... 8.677 90 j
- 5 — provisoires............... 258 501
- Nécessaire à la subsistance....... 4.830 40 > 14.256 35
- Allocations aux famill8 des réservistes 63 »\
- Divers, appointem., médecins, etc. 426 55/
- Déficit en novembre 1904........... 2.423 16
- CAISSE DE PHARMACIE
- Cotisations des mutualistes. 744 50 ( ,
- Subvention de la Société.... 339 90 ^
- Dépenses.............................. 1.202 15
- Déficit en novembre 1904....... .....117 75
- . RÉSUMÉ
- Recettes sociales dû 1er juillet 1904 au30novemhre 1901 63.859 08 i gg gg^ gg ’ » individuelles » » 21.204 98 )
- Dépenses » » ....... 100.843 75
- Excédent des dépenses sur les recettes.. 15.779 69
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- le devoir
- ÉTAT CIVIL AU FAMILISTÈRE DE GUISE
- MOIS D’OCTOBRE 1904.
- Naissances :
- Néant.
- Décès :
- 6 octobre : Mme Merville Juste, âgée de 31 ans.
- MOISDE NOVEMBRE 1904
- Naissances :
- 17 novembre : Macaine Alfred-Fernand, fils de Macaine Alfred et de Battaert Anna.
- 27 — Beaurain Georges-Alexis, fils de Beau-
- rain Fidéli et de Munier Marie.
- Décès :
- 3 novembre : Coze Maurice, âgé de 3 mois ;
- 13 — Roy Julien, âgé de 16 ans ;
- 17 — Mme Gordien Jules, âgée de 28 ans ;
- 30 — Hennequin Jules-Victor, âgé de 39 ans.
- Le Gérant : H. E. Buridant.
- Nimes. — Typ. A. Chastanier, 12, rue Pradier.
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- DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES.
- 257
- Mai 1905.
- DOCUMENTS POUR CNE BIOGRAPHIE COMPLÈTE
- de J. B. André GODIN (1)
- Glorification du Travail. Emancipation || du Travailleur. VèN
- XVI
- Série des Employés. Conditions arrêtées pour le
- premier essai de répartitions mensuelles indicatives du mérite. 1870.
- Ainsi qu’on l’a vu , les projets de répartition mensuelle des sommes allouées par Godin aux employés de son établissement étaient tous basés sur le recours au suffrage. C’est là un point caractéristique sur lequel nous avons, au préalable, attiré l’attention du lecteur. Un autre est la rareté des allusions aux apprécia, tions à fournir sur les appointements par les quotités de la somme totale à répartir entre les intéressés. En général, les auteurs des projets semblent plus préoccupés du partage de la somme exceptionnelle que du jugement à exprimer au moyen de ce partage ; et les faits s'accentueront en ce sens. Pourtant l’expression « pondération des traitements » figure (2) dans un des projets (celui de A) et le mémoire du rapporteur est précis sur ce même point.
- On y lit en effet (3) : M. Godin a dit « que les
- (1) Appendice, p. 60, Le Devoir, tome 26*, janvier 1902.
- (2) Le Devoir, décembre 1904, p. 710.
- (3) Le Devoir, avril 1905, p. 200.
- 1
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- LE DEVOIE
- appointements pouvaient être erronés et que c’est en quelque sorte pour éclairer sur leurs valeurs relatives qu’un essai de répartition a lieu » ; et encore , à la fin du mémoire, revenant sur le système de répartition proposé par B et critiquant à la fois et un certain point de ce système et le système proposé par C, le rapporteur trouve illogique de baser les allocations exceptionnelles sur le taux des appointements en vigueur, alors « qu’î7 s’agit surtout de connaître l’opinion de la masse ^our justement équilibrer ces salaires (1). »
- La relation entre les appointements mérités au jugement des électeurs et les parts de bonification qui seraient allouées par le vote, a donc été nettement posée dans les réunions. C’était un point à spécifier ; car cette relation se révèle si peu dès la première répartition mensuelle et elle est tellement perdue de vue, par la généralité des électeurs, dans les répartitions suivantes, qu’on pourrait se demander si elle a jamais été proposée à l’attention. A la cinquième répartition, celle relative au mois de mai 1870, on en arrive à donner de telles parts à la moitié des collègues qu’il ne resterait rien pour l’autre moitié, si la balance ne se faisait par des électeurs aussi exclusifs en contre-partie. Et cependant en tête des bulletins de vote (nous en donnerons le fac-similé) on lit cet expressif rappel du but : « Pour servir utilement à une équitable rémunération des services de chaque employé, chacun d’eux aura à tenir compte : de la proportion des appointements avec la capacité de l’employé......etc. »
- Ne devançons pas les faits. L'es études et discussions qui suivirent le dépôt des projets, se dégagèrent les points répondant le mieux aux tendances générales et
- (1 ) Le Devoir, avril 1105^.203.
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- DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES 259
- ces points se résumèrent en deux modes de consultation du suffrage :
- D’une part, répartition des employés en neuf groupes, constitués d’après le tirage au sort et vote de chaque groupe pour la collectivité des employés, abstraction faite des seuls membres du groupe: Bulletin de vote collectif.
- D’autre part, répartition des employés en 5 groupes, constitués d’après la nature des travaux, et vote de chacun pour les membres de son groupe exclusivement, abstraction faite de soi-même : Bulletin de vote individuel•
- Aucune préférence n’étant à donner à un mode sur l’autre avant expérimentation, on résolut de faire l’essai simultané des deux pour la répartition relative à janvier 1870. L’élément d’unité introduit dans la tentative fut celui-ci : Répartition d’une somme proportionnelle au dixième du total des appointements mensuels des employés inscrits sur chaque sorte de bulletins. Soit, dans le premier cas, la collectivité des employés ; dans le deuxième cas, les membres de chacun des groupes d’après la nature des travaux.
- Quelques réflexions nous paraissent nécessaires touchant cet élément d’unité.
- La somme de répartition mensuelle proposée par Godin dans son adresse aux employés de la comptabilité était de 400 francs. Une somme proportionnelle disait l’adresse sera à répartir entre les employés des ateliers. La somme totale de la première répartition mensuelle fut de 888 francs. Elle représentait le dixième du total des appointements mensuels généraux ainsi qu’on le verra plus loin. Comment fractionner cette somme dans les groupes d’après la nature des travaux où l’on votait exclusivement pour les membres du groupe, soi-même excepté ?
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- Le point donna lieu à discussion, ceci nous est révélé par une note au crayon de la main de Godin, laquelle se trouve parmi les pièces du dossier. On examina si l’on devait partager la somme selon le nombre des membres de chacun de ces groupes.
- B dans son projet ( Chap. XV, p. 6 (1),) avait demandé , lui , que « la part attribuée à chaque groupe naturel fût à la somme totale au prorata de la somme des appointements et salaires perçus par chaque groupe »
- Cet avis triompha. Une autre note au crayon de la main de Godin porte ceci :
- « Vote individuel.
- « Diviser la somme à partager proportionnellement aux appointements.
- « Laisser dans le groupe le soin de modifier les chiffres. »
- Un document de comptabilité relatif à l’année suivante, 1871, va éclairer cette brève indication.
- Il s’agit d’un état des employés, avec en regard de chaque nom : 1° le chiffre des appointements touchés par chacun dans l’année 1871 ; 2° et 3° les résultats d’un double vote opéré en 1872 et ayant eu pour objet la détermination des appointements qui seraient à compter à chacun; 4<> la moyenne d’appointements annuels résultant de ce double vote ; 5° le montant de la bonification proportionnelle au dixième des appointements à compter au bénéficiaire. Nous en extrayons ces trois exemples significatifs :
- 1° Un employé appointé à 400 francs par mois a occupé son poste toute l’année 1871 et reçu de ce chef 4,800 francs. Consulté sous deux modes, le suffrage alloue à cet employé : dans un cas, 5,528 fr. 50; dans l’autre, 4,742; moyenne : 5,135 francs. La bonification
- (1) Le Devoir, janvier 1905.
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- servie à l’employé est fixée à 513 francs au lieu de 480 et il résulte de la consultation que les appointements de l’intéressé pourraient, au jugement de la majorité de ses collègues, être augmentés.
- 2° Un employé a touché-1,800 francs d’appointements en 1871. Le suffrage apprécie à 1,560 francs dans un cas, à 1,752 fr. 10 dans l’autre (moyenne 1,651 fr. 05), les services de cet employé. La bonification allouée est fixée à 165 fr. 10, au lieu de 180 francs ; et il ressort de la consultation qu’aux yeux des collègues l’employé pourrait subir une diminution de traitement.
- 3« Un employé a touché 3,000 francs d’appointements en 1871. Le suffrage apprécie les services de l’individu à 3,001 francs. Le dixième servi est de 300 francs 10. L’individu paraît convenablement rémunéré.
- Par la répartition d’une somme proportionnelle au dixième des appointements (élément d’unité introduit dans les deux modes de consultation du suffrage essayés relativement à janvier 1870, série des employés) comme par l’indication du chiffre des appointements annuels (objet proposé en 1872 dans la même série pour la répartition relative à l’année 1871) on obtient un double résultat :
- 1° Une certaine somme est répartie;
- 2° Les quotités en lesquelles on l’a partagée multipliées par 10, représentent le chiffre des appointements votés.
- 66 employés puis 72, 76, 79, 80, furent appelés aux répartitions mensuelles pratiquées pour les cinq premiers mois de l’année 1870. Classés d’après les appointements, les 66 employés appelés à la première répartition mensuelle, celle relative à janvier, se présentent en 6 catégories ;
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- Numéros des groupes
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- Catégories Taux des appointements mensuels : Nombre des titulaires
- 1re 300 fr. ; 400 fr. ; 515 fr 3
- 2e 250 fr 4
- 3e Plus de 150 fr. jusque et y compris 200 fr. 8
- 4e Plus de 100 fr. jusque et y compris 150 fr. 28
- 5e Plus de 50 fr. jusque et y compris 100 fr. 19
- 6e 50 fr. au maximum 4
- Total. 66
- Classés en groupes d’après la nature des travaux (comme il est dit ci-dessus, p. 259), les mêmes employés se présentent comme suit, avec les totaux d’appointements dans les groupes et les sommes correspondantes à répartir.
- | er
- 2e
- 3e
- 4e
- 5e
- Services Nombre 1 des employés j Totaux des appointe-men ts mensuels Sommes à répartir
- Comptabilité de l’usine 23 2.973 f. 35 297 fr.
- Economat (Familistère) 9 999 07 100
- Fonderie 10 1.218 70 122
- Ajustage,emballage, magasins, émail-
- lage, terre réfractaire 12 1.482 15 148
- Dessin, matériel, modèles, menuiserie,
- constructions, cours et écuries 12 2.210 35 221
- Totaux. 66 8.883 f. 62 888 fr.
- Par le fait qu’on ne votait pour soi, ni dans le cas
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- DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES
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- du bulletin collectif, ni dans le cas du bulletin individuel et que la somme à répartir demeurait intégralement fixée au dixième du total des appointements mensuels généraux des employés inscrits sur chaque sorte de bulletins, les électeurs disposaient toujours d’une certaine somme à allouer à tels ou tels collègues pour indiquer — même dans le cas où l’on eût voté à chacun sans exception le dixième de gratification — qui, parmi eux, en outre, méritait de l’avancement.
- Obtenir ces jugements était le fond de la tentative puisqu’on n’avait pu encore réaliser ni même commencer à chercher une méthode moins faillible que le suffrage, pour révéler les mérites effectifs parmi tous les travailleurs de l’établissement.
- La modicité et la fixité de la somme à répartir pouvaient dans les deux cas—mais surtout dans le vote sur bulletin individuel où l’on ne disposait selon le groupe que de 100 fr., 122, etc... —mettre en garde l’électeur contre les allocations exagérées par lesquelles épuisant rapidement la somme, il restreindrait du même coup son champ de vote. D’autre part, cette condition de mesurer soigneusement les quotités de répartition facilitait l’inscription de parts que les intéressés (chefs, égaux ou subordonnés) pouvaient toujours trouver insuffisantes.
- L’obligation, morale au moins, de faire juste part à tous pouvait amener l’électeur consciencieux à reconnaître la pénurie de ses lumières pour apprécier la véritable valeur des travaux de ses chefs ou autres; il pouvait aussi trouver difficile déjuger sévèrement, s’il y avait lieu, tel ou tel intéressé qui pouvait être de caractère ombrageux. Tout cela c’était de la culture sociale au premier chef. C’est par de telles expériences que l’homme de bon vouloir arrive à se préoccuper des
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- conséquences de sa faillibilité en matière de suffrage et à sentir toute la supériorité de la vraie méthode à généraliser, celle par laquelle comme par un enregistreur automatique, chacun , haut fonctionnaire ou simple manœuvre, sera classé selon son concours effectif et ne pourra s’en prendre qu’à lui-même de son classement, quel qu’il soit.
- L’essai simultané des deux modes ayant été résolu, un certain ordre fut-il suivi relativement à l’émission des votes ?
- On pouvait, en effet, raisonner ainsi :
- Dans le groupe d’après la nature des travaux, l’électeur — s’il a toutefois l’esprit d’observation et d’impartialité voulu, de même que la compréhension du but et la volonté d’y aider — pèsera mûrement la part à faire aux collègues qu’il voit quotidiennement à l’œuvre ;
- Dans le groupe d’après le tirage au sort, il apportera personnellement le fruit de son premier examen, bénéficiera des examens parallèles venant des autres membres du groupe et peu à peu s’instruira sur l’état collectif.
- Cet ordre d’émission des votes fut-il observé? Nous ne savons. En général les bulletins de vote, individuels du collectifs afférents à janvier, ne sont pas datés. Ce qui les rattache catégoriquement à ce mois c’est :
- Pour les Bulletins collectifs :
- 1° — Le tableau du tirage au sort des groupes dressé à l’époque par l’administration, donnant l’état nominatif des membres de chaque groupe pour la répartition relative à janvier. Nous avons les tableaux correspondants pour chacun des mois février, mars, avril, et mai où la tentative fut répétée.
- 2°— La somme à répartir, laquelle figure en tête des
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- bulletins de chaque série mensuelle et varie pour chacun des cinq mois. (L’ensemble de ces pièces est en nos mains.)
- Pour les Bulletins individuels :
- Le fait que le tableau des moyennes finales de répartition mensuelle comptée aux employés pour janvier (tableau dressé par l’administration) exprime, pour janvier seulement, les moyennes résultant de deux votes : un sur bulletins collectifs, un sur bulletins individuels, et pour les mois suivants les moyennes résultant exclusivement du vote sur bulletins collectifs. Il est donc certain que les bulletins individuels ne furent en 18TO usités que pour la répartition relative à janvier.
- Nous ne possédons que la moitié environ (31 sur 66) de ces bulletins individuels originaux ; mais disons de suite que nous possédons au complet les tableaux de dépouillement des bulletins individuels dans les cinq groupes d’après la nature des travaux. Or, des 31 bulletins individuels originaux parvenus jusqu’à nous
- 2 seulement sont datés : l’un 5 avril 1870 ; l’autre
- 3 avril, avec retouche du 3 comme pour en faire un 5.
- Deux seulement aussi parmi les 9 bulletins de vote collectifs afférents à janvier sont datés : l’un 30 mars, l’autre 2 avril, 1870. Mais le bulletin portant cette dernière date est rectificatif d’un vote précédent.
- Contrairement donc à ce qui semblait indiqué, on pourrait penser que le vote émis dans les groupes d’après le tirage au sort, a précédé celui émis sur les bulletins individuels ; néanmoins, les renseignements sont trop restreints pour que nous en tirions conclusion. Ils prouvent seulement que les opérations relatives à janvier se prolongèrent jusqu’en avril. Nous ver-
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- LE DEVOIR
- rons plus tard celles relatives à mai s’achever en août; les essais étant alors interrompus par les évènements : guerre franco-allemande déclarée depuis la mi-juillet.
- * Notre incertitude quant à Tordre d’émission des deux sortes de votes et le fait que dans deux groupes d’après le tirage au sort, c’est-à-dire ceux où s’établissaient les bulletins collectifs , fut prise une résolution qui a pu — on le verra plus loin — exercer son influence jusque sur la rédaction de certains bulletins individuels, ces deux motifs nous portent à commencer l’exposé des détails pratiques par ce qui concerne le vote sur bulletins collectifs.
- Il est, du reste, à noter, que le tableau « Récapitulation et moyenne des deux votes » dressé par l’administration de l’époque relève le vote des groupes avant le vote individuel. Nous aurons à reparler de ce tableau.
- (A suivre).
- Vve J.-B.-A. Godin , née Moret.
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- CHRONIQUE PARLEMENTAIRE
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- CHRONIQUE PARLEMENTAIRE
- Les lois ouvrières.
- Depuis 1892 un projet de loi qui peut être considéré comme la constitution organique de la juridiction pru-d’hommale, fait la navette entre le Palais-Bourbon et le Luxembourg, sans que l’accord ait pu se faire encore entre nos deux assemblées législatives. Et même les dernières modifications apportées, le 15 mars 1904, par le Sénat au texte voté par la Chambre le 14 février 1901, ont été tellement importantes, que la Commission du travail de cette dernière assemblée n’a pu prendre la responsabilité de lui en proposer l’adoption.
- Elle a dû se livrer à des études nouvelles qui ne permettent guère d’espérer que la loi organique sur les Conseils de prud’hommes puisse devenir définitive avant la fin de cette législature dont l’ordre du jour est si chargé.
- Cependant, la législation en vigueur donne lieu à certains abus, qui ont soulevé dans le monde ouvrier un courant de protestations dont les pouvoirs publics se sont émus. Les appels des jugements étant portés devant le Tribunal de Commerce, d’origine purement patronale, la demande reconventionnelle est devenue un moyen usuel de dessaisir le tribunal des prud’hommes. Si l’ouvrier réclame 100 francs à titre de salaire, une demande reconventionnelle, qu’on n’essaye même pas de justifier, et dont il suffit que lé taux soit au-dessus de la compétence des Conseils de prud’hommes, permet de faire traîner l’affaire pendant des mois au grand détriment de l’ouvrier. Assurément, le législateur n’a pas mis au service des deux facteurs du travail une juridiction mixte pour qu’il appartienne à l’un d’eux de se soustraire de parti-pris à cette juridiction. Dans les
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- LE DEVOIR
- différends entre les ouvriers et ceux qui les emploient, il est nécessaire qu’un arbitre vienne, sur leur appel, juger souverainement, qui soit indépendant des parties intéressées.
- Or, sur ce point, les deux Chambres étaient précisément d’accord pour faire juger par les tribunaux civils les appels des jugements des Conseils de prud’hommes. Le gouvernement a pensé que cette disposition pourrait être disjointe de l’ensemble de la proposition, et a résolu, en conséquence, d’en demander le vote immédiat au Parlement. De son côté, la Commission du travail de la Chambre, estimant qu’il était plus sage de consacrer immédiatement les avantages très appréciables que le Sénat a consentis, en a proposé l’adoption à la Chambre. C’est ainsi que, laissant de côté tous les autres articles du projet de loi organique sur les Conseils de prud’hommes, cette assemblée a, le 13 avril, transformé en loi les dispositions des articles 32, 33 et 34 de la proposition votée par le Sénat, dispositions* qui constituent une très sensible amélioration de la loi actuellement en vigueur, en permettant de remédier à des abus regrettables.
- C’est d’une excellente méthode, et l’on y peut trouver la preuve qu’il y a quelque chose de changé dans les préoccupations gouvernementales et les pratiques législatives. Il n’était pas rare autrefois, en effet, de voir la petite réforme partielle d’initiative parlementaire, d’une solution aisée, s’effacer, au moment d’aboutir, devant le dépôt d'une réforme ministérielle d’ensemble, exigeant des études tellement longues qu’on n’en voyait jamais la fin. L’existence de grandes commissions satisfaisant aux conditions d’une division rationnelle du travail, a certainement contribué pour une bonne part à ce progrès. La méfiance jalouse des partisans de la subordination du pouvoir législatif au pouvoir exécutif, s’opposa longtemps à leur établissement. Elles fonctionnent aujourd’hui et l’on se rendrait mieux compte du travail accompli par elles, si l’envahissement des séances publi-
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- CHRONIQUE PARLEMENTAIRE
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- ques par une manie discourante déréglée, ne reculait pas sans cesse le jour de la discussion des importantes réformes qui leur doivent leur mise au point. En tout cas, elles tirent de leur permanence et de leur spécialisation la possibilité d’une connaissance approfondie des questions qui leur permet de distraire opportunément, d’une réforme générale, la partie susceptible de recevoir une application immédiate.
- On vient de le voir à l’occasion de la loi sur les Conseils de prud’hommes ; on l’avait vu4précédemment à l’occasion de la loi sur les accidents du travail.
- A ce propos, nous devons faire amende honorable. Nous avions annoncé trop tôt (Devoir de février) que la proposition de loi modifiant les articles 3, 4, 10, 15, 16, 19, 21, 29 et 30 de la loi du 9 avril relative aux accidents du travail, était devenue définitive.
- Sur la foi de précédents, auxquels avait donné lieu cette même loi du 9 avril, nous avions pu considérer l’œuvre législative comme accomplie, après l’acceptation par la Chambre d’un texte voté par le Sénat, la sanction sénatoriale étant acquise d’avance à une décision consacrant sa propre décision. C’est assurément de la sorte que les choses se fussent passées, si la Chambre avait réservé des articles entiers de la proposition de loi au lieu de ne faire porter la disjonction que sur une partie d’article absolument distincte, d’ailleurs, de la partie maintenue. Il a suffi que le Sénat rétablit la proposition disjointe pour que la loi revînt à la Chambre. Celle-ci, pour ne pas priver plus longtemps les intéressés du bénéfice des dispositions sur lesquelles les deux assemblées s’étaient mises d’accord, a accepté (31 mars) les dispositions rétablies par le Sénat, et portant sur les compétences respectives des juges de paix et des tribunaux civils.
- Le diligent rapporteur du projet de loi portant codification des lois ouvrières, M. Charles Benoist, s’est empressé d’apporter au livre V de ce projet (assurances ouvrières, titre 1er : Des accidents du travail), les modi-
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- fi cations nécessitées par l’adoption de la loi du 31 mars, de sorte que la Chambre se trouvait en présence d’un texte tout à fait à jour au moment où elle fut appelée, le 15 avril, à sanctionner les cinq premiers livres du Code du travail et de la prévoyance.
- De délibération il ne pouvait être question. Le Parlement ne pouvait que voter ce Code en bloc, comme a fait le Reichstag allemand pour le Code civil « Constitutionnellement, parlementai rement, » disait M. Charles Benoist dans son très remarquable rapport « il n’y a point à se dissimuler que l’opération est délicate. Si l’on n’y mêle pas du tout le Parlement, il n’y a pas de code, et s’il s’en mêle trop, il n’y en a plus. C’est au Parlement à voter le projet tel qu’il est, sans amendements, par un dispositif en un seul article : « Sont codifiées dans la teneur ci-après et formeront les livres I, II, III, IV et V du Code du travail et de la prévoyance sociale, les dispositions annexées à la présente loi sous les rubriques : I. Des conventions relatives au travail ; II. De la règlementation du travail ; III. Des groupements professionnels ; IV. De la juridiction et de la représentation professionnelles ; V. Des assurances ouvrières. »
- Ainsi fut fait. Mais avant le vote, M. Jaurès prit la parole pour faire remarquer la pauvreté de notre législation du travail. Il faudra, dit-il, remédier le plus tôt possible à cette situation Et l’orateur socialiste dépose une demande d’interpellation sur : « Les lacunes que le code de travail révèle dans la législation ouvrière et sur les conditions dans lesquelles celle-ci doit être complétée. »
- M. Dubief, ministre du commerce, se déclare tout disposé à discuter cette interpellation le plus tôt possible, car il pense comme M. Jaurès que notre législation du travail est incomplète. M. Charles Benoist, qui appartient à une des nuances les plus modérées de l’opinion républicaine, partage l’avis du ministre et du leader socialiste. Il rend d’ailleurs à l’ancien député
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- socialiste révolutionnaire, M. Groussier, qui avait préparé le travail de codification, l’hommage qui lui est dû.
- Le rapporteur considère le projet de loi autant comme un point de départ que comme un point d'arrivée.
- Il s’agissait tout d’abord « de former en un seul corps et de fondre en une unité des lois existantes. » C’est fait.
- Et voici pour l’avenir: « En montrant dans un ordre logique ce qu’est actuellement la législation ouvrière, » disait M. Millerand, ministre du commerce, à la séance d’ouverture de la commission extraparlementaire qu’il venait d'instituer, « la commission fera nécessairement apparaître ce qu’elle doit être, et le législateur saura mieux sur quels points doit désormais porter son effort réformateur. Il en résulte que, même en se bornant à clarifier, pour ainsi dire, les lois existantes, la commission apportera son concours à l’élaboration des dispositions futures. »
- Pour le moment les lacunes abondent. La preuve en est dans le projet de codification préparé par la commission extraparlementaire, où l’on relève des mentions comme celles-ci : Livre I, section IL Des règlements d’atelier. Aucune loi votée. — Chapitre V. Des conventions collectives. Aucune loi votée. — Chapitre VI. Des conditions du travail dans les marchés de travaux et de fournitures passés par l’Etat, les communes et les établissements publics. Aucune loi votée. — Titre III. Du salaire. Chapitre I. De la détermination du salaire. Section I. Règles générales. Aucune loi votée. — Chapitre IL De la participation aux bénéfices, Aucune loi votée.—Chapitre III. Du payement des salaires. Section I. Du mode de payement des salaires. Aucune loi votée, etc.
- En attendant que l’interpellation annoncée vienne jeter quelque lumière sur les conditions dans lesquelles pourront être comblées les lacunes que le Code du travail révèle dans la législation ouvrière, jetons uncoup-d’œil sur l’état des projets et propositions de loi relatif aux questions ouvrières et sociales soumis à l’examen du Parlement.
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- En suivant la classification adoptée par la commission de codification des lois ouvrières, on trouve en premier lieu une proposition de loi ayant pour objet la création d’un Ministère du travail et de la santé publique, déposé par M. Vaillant, le 30 octobre 1894 et repris par son auteur à chaque législature ;
- Une disposition relative à Y apprentissage faisant partie d’un projet de loi sur la surveillance des établissements de bienfaisance privée, présenté le 21 octobre 1902, et une proposition de loi sur le même objet présentée le 18 octobre 1904, par M. Henri Michel ;
- Une proposition de loi sur les usages locaux (MM. Dulau et Léglise, 14 décembre 1903) ;
- Une proposition de loi ayant pour objet d’assurer une juste réparation aux salariés congédiés à raison d’une délégation à eux confiée par leurs camarades de travail (Mirman, 16 juin 1902);
- Un projet de loi (24 février 1905) relatif à la constitution de la pension de retraite des ouvriers des manufactures dé armes ;
- Un projet de loi portant ouverture d’un crédit pour permettre le payement d’indemnités de licenciement aux ouvriers d’artillerie licenciés en 1903 et deux propositions de loi analogues;
- Une proposition de loi ayant pour objet de prévenir la dépression des salaires (Coûtant, 18 octobre 1903) ;
- Quatre propositions portant fixation d'un minimum de salaire : proposition Vaillant (20 mai 1903), visant en même temps la création de délégués agricoles ; proposition du même (13 janvier 1905) visant en même temps l’établissement de la. journée de huit heures ; proposition Clovis Hugues (9 novembre 1904) concernant les ouvriers du bâtiment, et proposition Chauvière visant le personnel du garde-meuble ; une proposition de loi sur les règlements d'atelier (Ferroul, 29 mai 1890) plusieurs fois adoptée par la Chambre, modifiée par le Sénat, et finalement ajournée par celui-ci, après une dernière délibération le 2 avril 1903 ;
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- Trois propositions tendant à modifier la loi du 12 janvier 1895 relative à la saisie-arrêt sur les salaires et petits traitements des ouvriers et employés (Basly, 1897, Odilon-Barrot, 1897, et Pliehon 1898), adoptées par la Chambre le D;r avril 1898, accrochée au Sénat depuis le 25 novembre 1902; deux propositions de loi établissant le droit de la femme mariée sur son salaire (Goirand, Jourdan, 1894) fondues en une seule proposition , laquelle est adoptée le 27 février 1896 et transmise aussitôt au Sénat qui n’a pas encore statué ; deux propositions de loi relatives à la participation aux bénéfices, l’une spéciale aux mineurs, présentée par M. Ernest Roche, le 18 novembre 1902, l’autre par M. Ballande, le 17 mai 1904. A ces deux propositions, il convient de joindre celle que M. Doumer a présentée, le 24 novembre 1904 , sur la coopération de 'production et le contrat de participation ; une proposition de loi sur les salaires des employés limonadiers et restaurateurs (J. Coûtant, 2 décembre 1903) ;
- Deux propositions de loi ayant pour objet la suppression des économats patronaux (J. Coûtant, 20 janvier 1903, Flayelle, 15 avril 1905);
- Une proposition de loi tendant à supprimer les inconvénients résultant pour les ouvriers de l’insolvabilité du tâcheron dans le contrat de marchandage (Auffray, 23 mars 1904) ;
- Une proposition de loi tendant à accorder aux municipalités le droit d’inscrire dans les règlements et cahiers des charges des clauses fixant des conditions humaines du travail (Sembat, 4 juillet 1903);
- Une proposition de loi sur la protection et l’assistance des mères et des nourrissons (Strauss, sénateur, 14 novembre 1899), adoptée par le Sénat en Re délibération le 3 décembre 1903 ;
- Trois propositions de loi ayant pour objet de modifier les lois de septembre 1848, des 2 et 3 novembre 1892 et du 30 mars 1900, sur le travail des femmes et des enfants (Suchetet, 10 juin 1902, Rudelle, 26 juin 1902, et Wad-
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- dington, sénateur, 29 décembre 1903). (La proposition deM. Waddington a été votée par le Sénat le 24 mars 1904 et transmise à la Chambre, qui l’a renvoyée à sa commission du travail) ;
- Une proposition de loi tendant à la protection des enfants dans les établissements religieux, orphelinats, etc. (J. Coûtant, 4 juin 1903);
- Une proposition de loi tendant à la règlementation du travail des adultes dans les établissements industriels (Dron, 11 juillet 1902);
- Trois propositions de loi relatives à la durée du travail des adultes (Millerand, 14 octobre 1902, Congy, 20 octobre 1903, Trouillot, ministre du commerce, 15 juin 1904);
- Une proposition de loi tendant à établir le repos hebdomadaire en faveur des employés de commerce et de magasin (Zevaès, 6 avril 1900) adoptée par la Chambre le 17 mars 1902, transmise au Sénat;
- Deux propositions de loi sur la durée du travail,dans les mines, Tune (journée de huit heures) présentée par M. Basly, le 29 mars 1900, adoptée par la Chambre le 5 février 1902, modifiée par le Sénat, le 8 novembre 1904 et renvoyée à la Chambre ; l’autre présentée par M. Darbot, sénateur, qui avait, en outre, pour objet de prévenir la grève des mineurs par Vassociation du travail et du capital;
- Deux propositions (Descubes, 28 juillet 1894, Ber-teaux, 30 novembre 1897) et un'projet de loi (Turrel, ministre des travaux publics, 26 novembre 1897) ayant pour objet la règlementation du travail des agents des trains, deux fois votées par la Chambre, deux fois renvoyées au Sénat, qui n’a pas encore statué;
- Une proposition de loi relative à la sécurité publique dans les exploitations de chemin de fer (travail et retraites des agents des services du train) présentée par M. Monestier, sénateur, le 12 novembre 1900;
- Un projet et une proposition de loi (Pelletan, ministre de la marine, 3 juillet 1903, et Chauvière, 14 décembre
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- 1903) relatifs à la règlementation du travail dans la navigation.
- Une proposition de loi concernant la règlementation de la profession de chauffeur-mécanicien (Charonnat, 28 janvier 1904);
- Cinq propositions de loi relatives à la protection du travail national contre la concurrence des ouvriers étrangers (E. Chauvin, 16 juin 1902, Grosjean, 14 octobre
- 1902, J. Coûtant, 1er décembre 1902, Défontaine, 10 novembre 1903 et Lebrun, 20 avril 1905) ;
- Un projet de loi (30 octobre 1902) sur l’emploi des composés de plomb, adopté par la Chambre le 30 juin
- 1903, transmis au Sénat ;
- Une proposition, un projet de loi relatifs à Vhygiène et à la salubrité des mines (Basly, 14 décembre 1903* mesures contre l’ankylostomasie) adoptés le 12 juillet
- 1904, transmis au Séngit ;
- Une proposition de loi relative aux établissements dangereux , insalubres et incommodes (Chautemps, 13 février 1903) ;
- Une proposition relative à Yhygiène publique (Cazeneuve, 19 janvier 1904) ;
- Une proposition de loi portant création d’un corps secondaire de Yinspection du travail (Breton, 9 novembre 1903) :
- Une proposition de loi tendant à modifier la loi du 8 juillet 1890 sur les délégués mineurs (Basly, 21 mars 1899) adoptée le 8 juillet 1901, transmise au Sénat ;
- Un projet de loi conférant aux contrôleurs du travail des agents des chemins de fer les attributions d’inspecteur du travail (13 décembre 1903);
- Un projet de loi tendant à charger les inspecteurs du travail de l’application des lois de 1850 et 1856 sur le tissage et le bobinage de la soie ;
- Une proposition de loi tendant à la protection de la liberté du travail (Groussau, 21 février 1903) ;
- Une proposition de loi interdisant les coalitions formées par les ouvriers de VEtat et des chemins de fer
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- dans le but de suspendre ou faire cesser le travail (Cor-delet, sénateur, 21 décembre 1894) adoptée par le Sénat le 14 février 1896, transmise à la Chambre ;
- Six propositions de loi tendant à la modification de la loi du 21 mars 1884 sur les syndicats professionnels (Barthe, sénateur, 10 juillet 1893, Barthe, 22 juin 1894, Lemire, 3 juillet 1902, Dejeante, 14 octobre 1902, Mille-rand, 14 octobre 1902, Vaillant, 26 janvier 1903) ;
- Deux propositions de loi sur les conseils de prudhom-mes (Beauregard, 8 novembre 1898, Dutreix, 14 novembre 1898) fondues en une seule, laquelle adoptée par la Chambre le 14 février 1901, a été modifiée par le Sénat le 15 mars 1904,et est retournée à la Chambre;
- Une proposition de loi tendant à attribuer aux conseils de prudhommes la compétence des contestations entre les cochers de place et leurs patrons (Pugliesi-Conti, 16 novembre 1903) ;
- Une proposition de loi tendant à attribuer aux tribunaux ordinaires l’appréciation des difficultés pouvant s’élever entre Y administration des chemins de fer de l’Etat et ses employés et ouvriers (Lhopiteau, 21 mars 1904) adoptée le 15 novembre 1904, transmise au Sénat;
- Quatre propositions de loi concernant la conciliation et l’arbitrage (Magnien, sénateur, 19 juin 1899, Mille-rand, 14 octobre 1902, P. Coûtant, 27 mai 1903, Ru-delle, 17 mai 1904) ;
- Une proposition de loi relative à l’institution de conseils du travail (Bérenger, sénateur, 29 mars 1901, adoptée le 4 décembre 1902, transmise à la Chambre le 15 janvier 1903) ;
- Sept propositions de loi ayant pour objet de modifier ou de compléter la loi du 9 avril sur les accidents du travail, notamment une proposition de M. Mirman, (10 juin 1902), étendant les dispositions de la loi du 9 avril 1898 aux exploitations commerciales, adoptée le 7 juin 1904, transmise au Sénat. (Ces sept propositions sont indépendantes de celles qui ont abouti à la proposition de loi, dont nous avons parlé plus haut) ;
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- Seize propositions de loi ayant pour objet d’organiser l’assurance contre l’invalidité et la vieillesse (dont un au Sénat par M Félix Martin, le 27 février 1897, et un autre par M. Antonin Dubost, le 9 avril 1905) ;
- Une proposition de loi (Beauregard? 27 février 1905) concernant Vincessibilité et Vinsaisissabilité des pensions de retraites ;
- Sept propositions de loi concernant les assurances sur la vie et les rentes viagères fondues en une seule, qui a été adoptée par la Cbambre le 7 juillet 1904 et transmise au Sénat ;
- Deux projets (18 mars 1903, 3 avril 1903,) l’un, portant établissement d’un impôt sur les contrats d'assurance sur la vie, l’autre, modifiant la législation des sociétés par actions ;
- Quatre propositions concernant les pensions de retraites des ouvriers mineurs (l’une d’elles présentée par M. Basly, 27 février 1895, tendant à rendre applicable la loi du 30 juin 1894 aux délégués des ouvriers mineurs, adoptée le 21 décembre 1895, modifiée par le Sénat le 2 février 1897, modifiée à nouveau par le Sénat est revenue à la Chambre le 12 juin 1902) ;
- Deux projets de loi (9 juillet 1904, 23 juin 1904) sont relatifs aux retraites des ouvriers et employés des manufactures de VEtat (le premier a pour objet l’abaissement de la durée des services dans certains cas, le second l’admission du personnel féminin à la retraite) ;
- Deux propositions (J. Coûtant, 4 juillet 1902, Chau-vière, 22 décembre 1903) tendant à réorganiser la caisse des retraites des ouvriers de VImprimerie nationale ;
- Quatre propositions de loi visant l’organisation de caisses de chômage, une autre tendant à assurer le salaire des ouvriers contre le chômage résultant de l’incendie des usines, fabriques, etc., et quinze autres relatives à des secours accidentels de chômage ;
- Deux propositions et un projet visant les caisses d'épargne ; trois, les sociétés de secours mutuels ; une la caisse de secours des ouvriers /dateurs ;
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- Quatre propositions (indépendamment de la proposition présentée par M. Doumer) visant la coopération : subvention aux coopératives de mineurs (Basly, $0 juillet 1908 , protection des marques de fabriques collectives (Vigouroux, 30 mai 1904, création de coopératives agricoles (Clementel, 30 juin 1903) constitution de sociétés ou caisses d’assurances mutuelles agricoles (Viger, 27 juin 1899, adoptée par la Chambre le 30 mars 1900, transmise au Sénat) ;
- Trois propositions concernant le Crédit agricole;
- Quatre , les warrants agricoles;
- Une proposition tendant à la réorganisation des services du Mont-de-Piètè ;
- Trois propositions ayant pour but de modifier et de compléter la loi du 30 novembre 1894 sur les habitations à bon marché ;
- Quatre propositions et un projet (31 janvier 1905) ayant pour objet de constituer des biens de famille insaisissables ;
- Une proposition tendant à faciliter la constitution et le maintien de la petite propriété rurale ;
- Un projet relatif à la taxe du pain (6 décembre 1902); une proposition tendant à établir la taxe des charbons (Selle, 4 décembre 1902) ;
- Une proposition relative à Vassistance aux vieillards, infirmes et incurables, adoptée par la Chambre le 15 juin 1903, transmise au Sénat;
- Six propositions de loi ayant pour objet d’assurer Vassistance à domicile aux femmes nécessiteuses en couches (Sarraut, 17 décembre 1904); aux aveugles (Labrousse, sénateur, 11 janvier 1901, aux enfants, du premier âge (Labbé, sénateur, 25 octobre 1901, Emile Rey, 27 mars 1902, Lefas, le 11 juin 1903), aux ouvriers mineurs (Bouveri, 3 juillet 1903).
- Dans la longue et forcément très sèche nomenclature qui précède, on peut remarquer que le dépôt d'un certain nombre de propositions, et non des moins impor-
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- tantes, remonte déjà loin. D’autres même ont une origine aussi ancienne, qui portent la date de leur dépôt renouvelé au cours de la législature actuelle.
- Beaucoup de ces propositions, de celles qui touchent précisément aux questions les plus considérables, ayant été rapportées au fond, pourraient être discutées sans autre délai que celui nécessaire à la solution des questions sur lesquelles le Parlement délibère en ce moment.
- Au Sénat le rapport sur le règlement du travail des agents des trains a été déposé le 30 mars 1903; le rapport sur l’assistance aux vieillards, infirmes et incurables, le 23 février 1904 ; le rapport sur le contrat de travail des agents des chemins de fer de l’Etat, le 16 février 1905 ; le rapport sur le repos hebdomadaire, le 21 février 1905.
- ^ la Chambre, le rapport sur la protection du travail a été déposé le 26 novembre 1903 ; le rapport sur les syndicats professionnels, le 28 décembre 1903; le rapport sur les établissements dangereux, insalubres et incommodes, le 28 février 1904; le rapport sur les warrants agricoles, le 28 juin 1904; le rapport sur les caisses de chômage, le 21 octobre 1904; le rapport sur les retraites ouvrières, le 22 novembre 1904; le rapport sur l’hygiène «publique, le 17 décembre 1904; le rapport sur la conciliation et l’arbitrage, le 22 décembre 1904.
- Les dépôts de ces divers rapports se groupent sur un laps de temps assez restreint : ce qui peut être mis à l’actif du zèle des grandes commissions actuelles du travail et de l’assurance sociale, de fondation relativement récente. -
- Ceci nous induit à conclure une fois de plus que les proportions exagérées des débats en séance publique sont la principale cause de l’avortement des réformes. La suppression de cet abus serait peut-être le meilleur moyen de remédier à l’indigence constatée de notre code du travail.
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- La restriction du droit de grève.
- La crise qui suivit la retraite du cabinet Giolitti fut longue.
- "Appès bien des vicissitudes et un échec complets, M. FoiHis réussit à former un cabinet qui s’est présenté devant la Chambre le 5 avril.
- Dans sa déclaration, le nouveau président du Conseil s’est exprimé ainsi au sujet du rachat des chemins de fer :
- <r Aucun délai ne nous est accordé dans la question des chemins de fer, si nous voulons assurer pour le 1er juillet le passage à l’Etat de l’exploitation des chemins de fer.
- « Aussi déposons-nous un projet relatif à cette question. Ce projet reprend, avec des modifications opportunes, les dispositions fondamentales des projets de loi du ministère précédent, y compris l’amélioration de la situation matérielle du personnel.
- «Il contient, en outre, des propositions dont certaines nécessitent une réalisation immédiate ; d’autres tendent à régler à partir du 1er juillet le service des chemins de fer dont l’Etat aura assumé la charge. Des mesures complémentaires seront déposées ensuite.
- « Nous avons confiance dans la bienveillance de la Chambre pour qu’elle examine et approuve ce projet ».
- La déclaration ne dit pas en quoi consistent les modifications annoncées. Il était toutefois facile de prévoir qu’elles porteraient sur les articles 71 et 72 et sur la situation du personnel.
- Avant l’échec de sa première combinaison, M. Fortis
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- avait déjà promis de remanier ces deux articles qui assimilent la grève à un délit. Mais cela n’avait pas suffi à la corporation des ferrovieri, dont les prétentions avaient assombri les derniers jours du ministère Gio-litti. D’une part, elle réclame le droit illimité à la grève ; d’autre part, dans une réunion tenue à Milan, elle a protesté, avec menaces à la clef, contre le projet de M. Fortis de renvoyer à l’année prochaine la discussion du mémoire oû sont exposées ses revendications, discussion qui, d’après une promesse de M. Giolitti , devait, comme on sait, coïncider avec l’expiration des conventions.
- M. Fortis retrouvait donc, intégralement, en ce qui concerne la question des chemins de fer , tous les embarras de M. Giolitti. Restait à savoir si avec l’aide de ses collaborateurs aux travaux publics et aux finances, il serait mieux en état d’y faire face. Le choix du successeur de M. Tedesco aux travaux publics avait fait échouer la première tentative de M. Fortis. Le nouveau ministre des travaux publics est un homme complètement nouveau ; il s’est fait connaître seulement en ces derniers temps dans la discussion des projets de loi sur les chemins de fer dont il avait été nommé rapporteur. Une autre demi-inconnue résidait dans le choix du ministre du Trésor , M. Carcano , qui fut déjà ministre des finances, mais en sous-ordre, parce qu’en Italie c’est le ministre du Trésor qui a la direction financière. On sait que le titulaire de ce poste dans le ministère Giolitti, était M. Luzzati.
- C’est au milieu d’avril que le nouveau projet a été déposé. Il abolit les sanctions pénales prévues contre les ferrovieri en cas de grève, par M. Giolitti. I] substitue à ces sanctions des sanctions disciplinaires, réservant l’application des lois pour les délits de droit commun qui peuvent se superposer aux faits de grève.
- Les ferrovieri ne sont pas plus contents du nouveau projet que de l’ancien. Ils exigent, en outre, plus impérieusement que jamais qu’on donne satisfaction à
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- leurs revendications financières , soit cinquante millions à verser pour les promesses d’augmentations de salaires non réalisées.
- Ils ne veulent plus de temporisations. La grève générale va recommencer, la vraie grève, la grève par suppression et non par excès de travail. Elle est déclarée ; mais localisée, en défaveur, auprès de l’opinion publique et de la majorité des intéressés, elle ne s’étend pas, avorte.
- Finalement (18 avril) les ferrovieri s’en remettent aux représentants de la nation qui discutent en ce moment le projet de rachat, du soin de défendre leurs intérêts.
- Depuis, le projet de loi a été adopté.
- Les petits pays ne sont pas à l’abri des difficultés économiques et sociales qui assaillent les grands. Les formes gouvernementales varient et la part d’intervention des masses ouvrières dans la direction des affaires politiques diffère ; mais le fond des revendications et des résistances reste le même.
- Le gouvernement du grand-duché de Luxembourg, inquiet des progrès du mouvement démocrate et socialiste dans le grand-duché, prend depuis quelque temps des mesures destinées à l’enrayer.
- Un député s’est plaint à la tribune du renvoi par l’administration des chemins de fer d’un grand nombre d’employés, coupables uniquement d’avoir pris part à une manifestation qui eut lieu récemment à Luxembourg en faveur du suffrage universel. Il qualifie cet acte de « véritable abus de pouvoir. »
- Le ministre d’Etat, M. Eyschen, réplique en exposant que la direction des chemins de fer ne veut plus occuper d’employés appartenant à une association démocratique ou socialiste, de peur qu’à un moment donné ils n’obéissent à un mot d’ordre venu de l’étranger et ne proclament la grève.
- Sans approuver formellement la sévérité de la direc-
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- tion des chemins de fer, le ministre se refuse à la blâmer et promet d’examiner la question.
- L’ordre du jour approuvant le gouvernement a été voté.
- L’organisation politique de la Suède, du moins en ce qui concerne la représentation populaire, a plus d’analogie avec celle du Luxembourg qu’avec celle de l’Italie ; mais les préoccupations gouvernementales y sont absolument les mêmes que dans ces deux pays. Le Riksdag suédois s’occupe en ce moment d’un projet qui a été présenté par le ministre de la justice, M. Berger, et tendant à ce que le fait de se mettre en grève puisse constituer un délit dans les cas où la grève cause un préjudice grave à la propriété d’autrui ou provoque des troubles mettant en danger des vies humaines.
- Pour les fonctionnaires publics (pompiers, employés des chemins de fer, du gaz, des services d’eau), le seul fait de cesser le travail les exposerait à être congédiés et punis. On voit que, dans sa partie relative à l’industrie libre, la solution proposée par le ministère suédois diffère essentiellement de la solution adoptée par la Chambre anglaise des communes (trade dispute’s bill). Dans les deux cas la question économique ne tient pas la principale place.
- A l’approche d’une bataille électorale où l’espérance et la crainte sont poussées à leur point culminant, dans le pays de large suffrage qu’est l’Angleterre, les deux partis qui vont se disputer sérieusement le pouvoir, pourraient-ils ne pas attacher quelque importance à l’appoint des trades unions ?
- En Suède, la situation est celle-ci : les ouvriers réclament depuis de longues années le suffrage universel. Comme la grève est l’un des principaux moyens dont se servent les ouvriers suédois dans leur lutte contre le régime censitaire cher au gouvernement fon se rappelle la grève générale de 1902), on comprend que
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- l’adoption du projet ministériel pourrait avoir des conséquences politiques considérables.
- En Angleterre, le point de vue conservateur, intermittent à la Chambre des communes, est surtout et d’une manière permanente représenté par la Chambre des lords, que son mode de recrutement et son organisation mettent à l’abri des représailles populaires, et qui s’est .toujours montrée la gardienne jalouse des prérogatives patronales contre les prétentions des organisations ouvrières.
- Nous faisions tout à l’heure allusion à la solution donnée par la Chambre des communes à l’affaire de la Taff wale raüway C° dont nous parlions dernièrement. La loi votée par la Chambre des communes rendrait caduque, si elle devenait définitive, la décision prise à cet égard par la Chambre des lords. On pourra juger du sort que cette assemblée réserve au « Trade dis-pute’s bill », par un nouveau fait non moins significatif. Il s’agit du jugement rendu le 14 avril dernier par la Chambre des lords, dans une affaire dont voici, d’après le Temps, les grandes lignes.
- Les mineurs du pays de Galles travaillent sur un contrat mensuel. En 1900, la position du marché du charbon montra que la surproduction menaçait de faire baisser les prix. En prévision de cette occurence, le Comité exécutif de la Fédération des mineurs du Sud du pays de Galles enjoignit à ses adhérents de chômer un jour : 9 novembre 1900. Ce même jour, une conférence générale autorisa le Comité exécutif à déclarer un jour de chômage chaque fois qu’il le jugerait opportun.* Les 25, 26, 30 octobre 1901, le 6 novembre de la même année, les mineurs chômèrent sur l’ordre du Comité exécutif.
- Les propriétaires de mines attaquèrent la fédération, demandant un million cinq cent mille francs de dommages-intérêts. Le tribunal de Cardiff donna, en juillet 1902, raison à la fédération, disant que son action avait été dictée par un désir sincère d’être utile aux ouvriers
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- sans vouloir porter préjudice aux employeurs. La cour d’appel infirma ce jugement. Les mineurs en appelèrent alors à la Chambre des lords, tribunal suprême, mais la décision de la cour d’appel s’est trouvée confirmée, le lord chancelier soutenant que faire rompre un contrat à un certain nombre de travailleurs est illégal, quelle que soit l’intention.
- Il est impossible de ne pas convenir avec le Temps que ce jugement de la Chambre des lords, s’ajoutant à la jurisprudence inaugurée par celui des chemins de fer de la vallée de TafF, restreint de façon très sérieuse et même grave la liberté d’action du comité exécutif des trades-unions en cas de grève, chômage et conflits de travail.
- Le repos dominical
- La chambre belge des représentants a voté, le 14 avril, un projet de loi sur le repos dominical dont voici les lignes essentielles.
- Seront soumises au régime de la loi sur le repos dominical obligatoire les entreprises industrielles et commerciales, à l’exclusion : 1° des entreprises de transport par eau ; 2° des entreprises de pêche ; 3° des entreprises foraines.
- Il est interdit d’employer au travail plus de six jours par semaine des personnes autres que les membres de la famille du chef d’entreprise habitant avec lui et ses domestiques ou gens de la maison.
- Cette disposition vise le travail effectué sous l’autorité, la direction et la surveillance du chef d’entreprise et le travail effectué dans l’atelier familial. Le jour du repos hebdomadaire est le dimanche, (art. 1 et 1 bis).
- Un amendement de M. Vandervelde, député socialiste, demandant l’extension de la loi aux entreprises agricoles, a été rejeté.
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- Les employés et les ouvriers de l’Etat ne sont pas visés par la loi.
- La loi ne s’applique pas : 1° aux travaux urgents commandés par un cas de force majeure ou de nécessité sortant des prévisions normales de l’entreprise ; 2° à la surveillance des locaux affectés à l’entreprise; 3° aux travaux de nettoyage, de réparation et de conservation nécessaires à la continuation régulière de l’exploitation ; 4° aux travaux nécessaires pour empêcher la détérioration des matières premières ou des produits (art. 2).
- Les ouvriers et employés peuvent être occupés au travail treize jours sur quatorze ou six jours et demi sur sept dans l’industrie alimentaire, la vente des comestibles, des fleurs naturelles, les hôtels, cafés et restaurants, les bains et les entreprises de transport, d’éclairage et de chauffage, de déchargement dans les ports (art. 3).
- #. #
- La législation anglaise ne possède pas moins de 35 lois concernant des dispositions relatives à l’observation du dimanche.
- La première remonte à 1448. Huit d’entre elles traitent exclusivement du repos dominical (soit en général, soit pour des industries particulières) alors que 28 autres renferment simplement quelques articles sur la matière et que 5 autres portent suppression de certaines interdictions ou de diverses dérogations ; 8 s’appliquent uniquement à l’Irlande, 2 à l’Ecosse, 1 au pays de Galles.
- Les trois premières en date (1448, 1625, 1627) se bornaient à interdire certaines occupations et les divertissements les dimanches et les jours de fête. En 1677, sous Charles II, une nouvelle loi a généralisé cette interdiction et l’a étendue à tout travail et toute occupation ; pendant près d’un siècle rien n’en a modifié les rigides stipulations.
- Au XIXe siècle, de nombreuses lois sont venues, soit confirmer expressément cette interdiction absolue pour
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- des industries ou des professions déterminées , soit accorder des dérogations pour quelques autres ou pour certaines catégories d’ouvriers.
- Selon l’ordre chronologique et le règne sous lequel elles ont été promulguées, ces lois se classent comme suit : Henri VI, 1448 ; — Charles I, 1625 et 1627 ; — Charles II. 1677 ; — Georges III, 1761, 1780, 1814 ; — Guillaume IV, 1831 (2 lois), 1833, 1836 ; — Victoria, 1837, 1845, 1848, 1851, 1860^ 1864, 1871 (3 lois), 1872 (3 lois) 1874(2 lois) 1875, 1877, 1878, 1880 (2 lois), 1881, 1887, 1889 ; —Edouard VII, 1901, 1903.
- Au point de vue de la nature de l’interdiction elles se groupent comme suit :
- Interdiction absolue. — Tous travaux, 1677, 1871 ;
- — foires et marchés, 1448; — roulage, boucherie, 1627; réunions sportives, divertissements, réunions, 1625, 1780, 1875 ; — chasse, 1831 et 1860 ; — pêche en Ecosse, 1815 et 1889 ; — élections corporatives, 1833 ;
- — prêt sur gages, 1872 ; spiritueux, 1880, 1889 ; — mines (enfants et femmes), 1887.
- Interdiction partielle : — Pain et farine, 1836, 1838 ;
- — sépulture, 1880 ; — débits de boissons, 1860, 1864, 1871, 1872, 1874 (2 lois) 1878, 1881 ; — enfants et femmes, 1901 (fabriques) 1903.
- Dérogations : ~ 1761, 1831,1848, 1851, 1872,1903.
- La loi danoise du 22 avril 1904 qui abroge toutes les dispositions antérieures sur le repos des jours de fête de l’église nationale et du jour dit de la Constitution, a été promulguée le 1er août 1904 et est entrée en vigueur trois semaines après.
- L’article premier interdit pendant les dimanches et jours de fête de l’église nationale « tous les travaux à l’intérieur et à l’extérieur des habitations qui, par le bruit qu’ils causent ou par la manière dont ils sont exécutés, troublent le repos ; » il interdit aussi à partir de dix heures du matin les travaux de charriage dans les villes. Sont exceptés les travaux agricoles, le char-
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- gement, le déchargement et la réparation des navires ancrés en port de refuge ou rade ouverte ; les travaux urgents en vue d’écarter un danger imminent, et le charriage pour les besoins de l’Etat et des communes.
- L’article 2 interdit les foires, les marchés, ainsi que toute vente dans les magasins et dépôt de commerce, dans les rues et places publiques, et même dans les débits ouverts par des associations à l’usage de leurs membres.
- Par exception, les pharmacies, les magasins où l’on vend du lait et du pain, les gares et endroits analogues, les débits de boissons non alcooliques et les pâtisseries (ces deux dernières industries avec autorisation de la police) peuvent ouvrir le dimanche toute la journée, sauf quatre dimanches par an, où ils doivent fermer à quatre heures.
- Les restaurateurs (y compris les confiseurs-glaciers) ne peuvent vendre en dehors de chez eux. Les coiffeurs doivent fermer à midi (art. 4).
- L’article 5 autorise le ministre de l’intérieur à permettre le travail dans les fabriques ou établissements classés comme tels :
- L Dans les industries saisonnières et dans celles qui emploient des forces motrices élémentaires ou dépendent de circonstances irrégulières.
- 2' Dans les industries qui par leur nature, ou eu égard aux besoins de subsistance de la population, ne peuvent pas être interrompues. Dans les premières, les ouvriers devront avoir au moins 26 dimanches libres par an, et dans les secondes au moins un dimanche sur deux.
- Les laiteries ne sont pas soumises à l’autorisation. La composition et l’impression des journaux doivent être interrompues de 9 heures du matin à minuit. Les travaux de nettoyage et réparations des machines et outils peuvent être autorisas par la police locale.
- Aux termes de l’article 6, il est défendu, les jours de fête, de 9 heures du matin à 4 heures du soir d’organi-
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- ser des réunions bruyantes dans les cafés, des fêtes publiques, des courses ou chasses en battue ; sont seuls autorisés les sports ou exercice qui ont pour but de préparer à la défense nationale, si toutefois ils ne troublent pas l’exercice du culte. Les matinées artistiques peuvent être autorisées à partir de. deux heures de l’après-midi. Sauf urgence, il est interdit, ces mêmes jours, de tenir des assemblées communales, de procéder à des actes de justice, etc.
- L’article 11 prévoit les cas où la police, sur demande des municipalités intéressées, pourra autoriser le charriage et colportage des marchandises : 1° pour les besoins des restaurateurs, pour la vente du lait, du pain, de la viande et du poisson frais, de certains fruits et des fleurs ; 2° pour les besoins des navires de passage et de transport aux gares ou steamers.
- Les infractions aux dispositions de la loi sont passibles d’une amende variant entre 10 et 500 couronnes. ^La couronne vaut 1 fr. 33).
- Le patron qui occupe des ouvriers contrairement à la loi est passible d’une amende supplémentaire de 5 couronnes par ouvrier occupé, pouvant s’élever à 10 couronnes en cas de récidive. Les contraventions sont considérées comme affaires de police. Les dispositions des articles 1 à 5 sont applicables le 5 juin, jour dit de la constitution.
- (Bulletin de VOffice du travail, mars 1905).
- La nouvelle loi bernoise sur le repos du dimanche, ratifiée par le referendum du 19 mars, abandonne aux communes la réglementation de cette matière difficile.
- Les communes qui négligeraient d’édicter un règlement seront régies par celui que le gouvernement élaborera à leur intention. Le régime antérieur n’autorisait pas les règlements communaux et se résumait dans un vague article du Code pénal.
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- La lutte contre l’alcoolisme : Un office antialcoolique
- du travail. L’appel de Vandervelde. Une victoire.
- Sous l’empire de cette idée un peu trop exclusive que l’alcoolisme est une conséquence de la vicieuse organisation économique des sociétés, que par conséquent tout effort est vain contre le fléau , qui ne s’en prend pas uniquement à la cause, certainement aussi par défiance des collaborations bourgeoises, les*partis socialistes à leur début, se sont dans leur ensemble tenus à l’écart des organisations rangées sous le drapeau de la tempérance ou de l’abstinence totale.
- Mais peu à peu les idées se sont modifiées et beaucoup d’entre les principaux chefs du socialisme ont compris que l’alcool était l’ennemi le plus dangereux de toute émancipation sociale et reconnu la nécessité d’entreprendre une lutte directe contre l’alcoolisme.
- Des sociétés socialistes de tempérance et même d’abstinence totale se sont formées, notamment en Suisse. Plusieurs congrès socialistes ont condamné l’alcool. Les associations ouvrières, syndicats, Bourses du travail ont engagé la lutte contre le cabaret, surtout en Angleterre où les Trades-Unions comptent une proportion importante d’abstinents.
- La Fédération des sociétés coopératives socialistes belges sous l’instigation de Vandervelde a décidé d’interdire absolument la vente des boissons distillées dans toutes les coopératives socialistes du royaume. Cet exemple a été suivi dans plusieurs coopératives à tendances socialistes en Suisse.
- En France, un mouvement antialcoolique se dessine également au sein du monde ouvrier. En vue de fortifier ce mouvement, l’Union française antialcoolique, société contre l’abus des boissons spiritueuses, sans aucun caractère confessionnel ni politique, a pris une initiative excellente.
- Cette société qui compte 40,000 adhérents et 700
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- sections, a soumis aux groupements ouvriers les questions suivantes :
- 1° Y a-t-il possibilité, afin d’exciter, de grouper et de coordonner les forces antialcooliques ouvrières, de créer une sorte de bureau, agence ou office central antialcoolique du travail ?
- Cet office pourrait-il :
- 2° Fournir mensuellement aux journaux des syndicats et des fédérations des articles de propagande antialcoolique, scientifiquement documentés sans être trop arides, ni trop techniques (une place étant réservée à cet effet dans chaque organe ouvrier avec l’entête : Office antialcoolique du travail) ;
- 3° Faciliter à chaque syndicat la propagande antialcoolique en lui adressant les conférenciers, les vues pour projections, les brochures ou les affiches qu’il pourrait désirer ;
- 4° Susciter, au sein des syndicats, la création de Sociétés antialcooliques et jeter les bases d’une Ligue antialcoolique ouvrière, du genre de celles qui existent en Belgique ;
- 5° Faire analyser les liqueurs, amers et apéritifs qui servent aujourd’hui à déguiser les alcools les plus toxiques et porter ces analyses à la connaissance des travailleurs ;
- 6° Provoquer une enquête scientifique dans chaque corps de métier, pour déterminer la nature et la quantité des liquides qu’il convient à un ouvrier de boire, suivant la nature de son travail et suivant le climat où il habite, pour éprouver le minimum de fatigue et obtenir le maximum de forces (il est évident, à priori, que la même hygième ne peut convenir à un chauffeur devant ses feux, à un boulanger devant son four, à un cocher exposé au froid et aux intempéries, et, par exemple, à un horloger ou à un employé des postes) ;
- 7° Signaler les patrons ou les compagnies qui, soit par le fait du surmenage, soit par l’installation dans l’usine de cantine avec alcool, soit par tout autre
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- moyen, auraient provoqué les ouvriers à s'alcooliser ;
- 8° Mettre à l’étude, au point de vue des intérêts ouvriers, les questions antialcooliques à l’ordre du jour, telles que : Rectification des alcools dé l’industrie, monopole, limitation du nombre des débits, suppression du privilège des bouilleurs de crû, suppression des distilleries ambulantes, privilèges accordés aux syndicats et coopératives agricoles, abaissement des frais de dénaturation, diminution des droits de douane sur le café, sur le thé, etc., etc.;
- 9° Inciter les fédérations et la confédération générale du travail à exiger des candidats aux élections législatives et municipales une profession de foi nettement antialcoolique ;
- 10° Organiser annuellement un grand meeting antialcoolique ouvrier.
- Au cas où l’idée d’un Office antialcoolique du travail serait adoptée, il y aurait à chercher quelles en seraient les ressources financières (l’U. F. A. offre à cet effet une somme de 2,000 fr. par an). Les fédérations pourraient-elles verser chacune 5 fr. par mois ? Comment l’Office serait-il constitué? (une ou plusieurs personnes ?) Médecin, chimiste, hommes de lettres ? Où serait sa résidence ? Nomination d’une commission pour organiser l’Office antialcoolique.
- Ce programme qui porte les signatures de MM. E. Barbey, secrétaire général, Mirabaud, membre délégué, conclut :
- « Nous sommes persuadés que l'initiative de l’U. F. A. répond à un besoin, car, en rendant visite aux secrétaires de plusieurs fédérations nous avons partout constaté un vif sentiment des maux causés par l’alcool, l’opinion très nette que ce fléau n’était pas suffisamment combattu et le désir ardent de voir le prolétariat s’affranchir de ce joug. »
- A côté de ce plan d’organisation et de campagne, le vibrant appel du grand orateur Vandervelde a sa place toute indiquée :
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- « Les coopératives, les syndicats, tous les groupes du Parti ouvrier devraient mettre la question de l’alcoolis-me à l’ordre du jour, entamer contre l’alcool une énergique propagande, combattre sans trêve ni merci un ennemi d’autant plus redoutable qu’il est dans nos rangs, qu’il a des intelligences dans la place.
- « A tous les prolétaires conscients, à tous les travailleurs qui comprennent le rôle grandiose , la mission rédemptrice qui incombe à leur classe, nous faisons un pressant appel. Plus ils seront sévères, rigoureux pour eux-mêmes, plus grande sera leur autorité pour flétrir les abus chez les autres.
- « Vous qui reprochez aux bourgeois leurs tirs aux pigeons, leurs maisons de jeu ou leurs cabarets à la mode, ne faites pas vous-mêmes ce que vous leur reprochez.
- « Il n’y a guère de différence, au point de vue moral, entre un gommeux qui tire des pigeons et un ouvrier qui fait battre des cops, un bourgeois qui s’enivre au bourgogne et un prolétaire qui se soûle de genièvre, .un joueur de la haute qui perd en une nuit une fortune et un parieur de la classe ouvrière qui perd sur un coq, un pigeon ou une quille, le pain d-e sa femme et de ses enfants !
- « Ceux-là seuls seront dignes de~gouverner le monde, qui auront appris à se maîtriser eux-mêmes ».
- Il faut marquer d’une pierre blanche la date du 7 avril 1905. Ce jour-là, en effet, la Chambre belge a voté une loi en vertu de laquelle l’absinthe est condamnée à disparaître du pays.
- Par 127 voix contre 3 et deux abstentions, la fabrica-tion, le transport, la vente et le débit de toute liqueur contenant l’essence d’absinthe sont interdits sous peine de 20 à 500 francs d’amende et d’un emprisonnement de huit jours à six mois, ou d’une de. ces deux peines seulement.
- Si le vote de cette loi marque le commencement d’une
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- série de mesures prohibitives de toutes les formes de l’alcool, on ne peut que s’en réjouir profondément.
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- La production et la consommation de l’or dans le monde.
- De 1,025 millions de francs en 1895, la production mondiale de l’or passe à 1,500 millions en 1898 et 1,600 millions en 1899; elle fléchit à 1,350 millions en 1900, en raison de la guerre du Transvaal, pour revenir à 1,525 millions en 1902, 1,675 millions en 1903 et 1,775 millions en 1904. Elle a donc augmenté en dix ans de 80 0{0 environ. Evaluée en onces anglaises de 31 grammes, la production de l’or dans le monde entier a été, en 1904, de 16,926,106 onces dont 4,185,021 onces fournies par l’Australie, 4,163,541 par l’Afrique, 4,090,169 par les Etats-Unis et le surplus par divers pays.
- Il est curieux de se demander comment a été employée cette quantité considérable de métal précieux, extraite de la terre dans le cours d’une année. On estime qu’en 1904 les réserves en or des grandes banques européennes se sont accrues d’environ 1,025 millions de francs ; les Etats-Unis ont absorbé à eux seuls plus de 150 millions de la production mondiale ; il a été utilisé pour les arts et pour l’industrie, environ 375 millions de métal jaune et près de 225 millions sont venus grossir l’encaisse des banques secondaires et*la circulation publique.
- CANADA
- Une loi contre l’immigration japonaise.
- Les colonies autonomes anglaises du Pacifique prennent les plus minutieuses, les plus rigoureuses précautions contre l’immigration des gens de couleur. Les Hindous, sujets anglais, au même titre que les blancs d’Australasie, n’échappent pas à la règle. On sait avec
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- quelle indignation que l’on pouvait, croire uniquement inspirée par des considérations humanitaires, l’Australie et la Nouvelle-Zélande ont protesté contre l’emploi de la main-d’œuvre chinoise au Transvaal.
- Lorsque des sujets anglais sont l’objet de mesures prohibitives de la part d’autres sujets anglais, il ne faut pas s’étonner que de simples alliés subissent le même traitement. C’est ce qui vient d’arriver aux Japonais dans le Canada.
- La législature provinciale de la Colombie britannique a voté une loi restreignant l’immigration des Japonais et défendant qu'ils soient employés aux travaux publics. Ce qu’il y a de curieux dans ce vote, c’est qu’il a été émis sans avoir été précédé de la moindre discussion . En l’absence d’autres renseignements, il est impossible de déterminer la part qui revient au préjugé de race, aux considérations économiques ou même politiques dans cette mesure.
- Le consul général du Japon a protesté contre elle auprès de sir Wilfrid Laurier, premier ministre du Dominion, qui a promis de ne pas sanctionner cette loi, si elle est réellement nuisible aux intérêts de l’Empire.
- FRANGE
- Le Code forestier.
- Tandis qu’au ministère de la justice la commission de la réforme du Code civil s’occupe d’apporter aux dispositions du Code napoléonien des modifications plus en harmonie avec nos mœurs et les progrès de l’évolution sociale, M. Ruau se préoccupe, de son côté, au ministère de l’agriculture, de modifier le Code forestier, de façon à mieux harmoniser quelques-unes de ses prescriptions avec les besoins économiques et les intérêts généraux de notre pays.
- A diverses reprises, l’attention des pouvoirs publics avait été appelée sur l’utilité de cette réforme de la
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- législation forestière, et déjà, en 1888, un des prédécesseurs de M. Ruau au ministère de l’agriculture, avait déposé au Sénat un projet de nouveau Code forestier dont l’examen avait été jusqu’à présent ajourné. Récemment, lors de la discussion du budget de l’agriculture, MM. Dumont et Germain Périer, députés, ayant insisté sur la nécessité d’édicter des mesures nouvelles concernant la police des défrichements, M. Ruau a saisi cette occasion pour étudier les conditions dans lesquelles le Parlement pourrait être amené à se prononcer très rapidement sur la modernisation maintes fois réclamée des lois forestières actuellement en vigueur.
- A cet effet, il vient d’instituer une commission qui, sans avoir pour objet de refondre complètement le Code forestier, se bornera, pour l’instant, à en étudier les modifications les plus urgentes.
- C’est ainsi qu’elle aura tout d’abord à se préoccuper d’abaisser les pénalités pour un certain nombre de délits; d’édicter, au contraires, des mesures plus sévères pour les défrichements; d’étudier, dans un sens plus libéral, les dispositions à prendre pour permettre l’exercice du pâturage dans les forêts communales.
- ITALIE.
- L’Institut international d’agriculture.
- Le gouvernement italien a convoqué pour le 28 mai, à Rome, une conférence en vue de l’établissement de l’Institut international d’agriculture dont nous avons parlé dans notre numéro de mars.
- Les gouvernements adhérents avaient été invités à désigner des délégués.
- Les points à traiter étaient les suivants :
- 1° Constitution et organisation de l’institut.
- 2° Fonctions de l’institut : signaler périodiquement
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- les données concernant la production agricole, les conditions de la main-d’œuvre, les maladies des plantes et du bétail ; faciliter dans les rapports internationaux l’organisation et le mouvement de coopération rurale des assurances et du crédit agricole; proposer de sa propre initiative ou sur l’invitation des gouvernements les mesures et institutions internationales susceptibles de protéger les intérêts communs aux agriculteurs de tous pays, en tenant compte aussi des vœux exprimés par les ^congrès internationaux d’agriculture; exercer d’autres fonctions qui forment déjà l’objet des grandes associations agricoles et dont l’institut pourrait s'acquitter, indépendamment de l’action des différents gouvernements ;
- 3° Ressources financières de l’institut.
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- SUISSE
- Assemblée des délégués de l’Union suisse des sociétés de consommation.
- Conformément aux décisions du comité central de l’Union, l’assemblée annuelle des délégués aura lieu les 8 et 9 juillet à Hérisau (Appenzell). A l’ordre du jour figure la discussion de plusieurs questions importantes et actuelles. Les sociétés de consommation ont l’intention de prendre part à la discussion du projet de loi sur le commerce des denrées alimentaires et de préciser leur attitude vis-à-vis du mouvement syndical.
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- LA QUESTION DE LA PAIX
- Les grandes indemnités de guerre.
- Un défilé, auquel nous fait assister M. Alfred Ney-marek, dans le Rentier du 17 mars, des grosses rançons payées en exécution des traités consécutifs des guerres du dernier siècle, avec accompagnement obligé d’emprunts, d’impôts, etc.
- C’est la leçon que l’histoire donne à ceux qui s’obstinent à attendre des armes les réparations des maux causés par les armes, dans ce terrible jeu de la guerre qui laisse le vainqueur aussi bien que le vaincu sans compensation pour la perte de la plus inestimable des richesses, celle des vies humaines.
- « La guerre qui se poursuit entre la Russie et Japon, » écrit M. Neymark, « aura été une des plus longues et des plus meurtrières. Elle dure déjà depuis plus de treize mois ; elle a coûté la vie à plus de 300,000 hommes ; elle a obligé les deux pays à s’endetter encore de près de 4 milliards par des emprunts intérieurs et extérieurs, et à ces 4 milliards s’ajouteront ceux qu’il faudra emprunter pour payer les frais de guerre, remplacer les matériels détruits ou usés, construire de nouvelles forteresses et de nouvelles flottes, refaire des armements nouveaux, accorder des indemnités aux particuliers qui ont eu des dommages à supporter, et ce qui ne sera pas moins lourd, solder l’indemnité de guerre que le pays vainqueur imposera au vaincu.
- « A toute époque, en effet, les peuples vaincus ont été mis à contribution par leurs vainqueurs. Le Væ victis du temps de Brennus s’appelle, de nos jours, en style diplomatique, indemnité de guerre.
- « Nous savons malheureusement ce que coûtent les rançons, de quel poids elles pèsent sur un pays. En
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- LA QUESTION DE LA PAIX
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- France, en 1815 et en 1870, nous avons payé les plus lourdes indemnités qui aient jamais été imposées à un peuple. Nous en supportons encore le poids : si nous avons payé près de 6 milliards à l’Allemagne, nous en restons toujours débiteurs aux détenteurs de titres de rentes émis pour se procurer les capitaux nécessaires. La guerre de 1870 nous a coûté 12 milliards en chiffres ronds. La guerre récente du Transvaal a coûté à la Grande-Bretagne plus de 5 milliards, et plus récemment encore, la guerre de Chine entreprise par les puissances européennes aura Coûté aussi cher aux pays qui lui ont fait la guerre qu'à la Chine qui l’a supportée : mais celle-ci a été, en outre, obligée de payer, avec termes et délais, une indemnité de 450 millions de taëls, c’est-à-dire plus de 1,150 millions, en affectant en garantie plusieurs de ses revenus. Les puissances européennes se sont empressées, suivant une expression bien modem style, de « monnayer » cette indemnité avant même d’en avoir perçu un centime : elles ont emprunté, sur les annuités dues par la Chine, c’est-à-dire en commençant par capitaliser ces annuités dont le recouvrement doit s’effectuer par semestrialités réparties sur près de 40 ans.
- « La guerre russo-japonaise, d’après ces précédents, aura coûté au moins aux deux pays une dizaine de milliards, en supposant encore qu’elle se termine à bref délai. »
- Le savant économiste entre ensuite dans l’examen détaillé des traités comportant payement d’indemnités de guerre et des conditions parfois très dures de leur règlement.
- Les plus lourdes indemnités furent celles que notre pays a payées à la suite des guerres des premier et deuxième empire : près de 700 millions et demi en 1815, et, comme on l’a vu, près de 6 milliards en 1871.
- M. Neymark conclut ainsi :
- « Ces précédents ne peuvent laisser aucune illusion sur les réclamations que ne manquera pas de faire celle
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- LE DEVOIR
- des deux puissances qui sortira victorieuse de la guerre d’Extrême-Orient. Russie et Japon ont fait des dépenses énormes, contracté de lourds emprunts. Le Japon a dû donner en gage le produit de ses douanes pour emprunter en Angleterre : il doit avoir hâte, en remboursant ces emprunts, même par anticipation, de reprendre la libre disposition de ses recettes douanières. Il faut donc s’attendre que le pays vainqueur réclame, en même temps que des compensations territoriales, des compensations financières. Mais quelle indemnité territoriale ou pécuniaire pourra jamais compenser l’existence humaine et le deuil des familles ! Pour acquitter ces nouvelles charges, pour trouver les capitaux nécessaires à leurs paiements, que ce soit la Russie ou le Japon qui ait à les supporter et à les emprunter, c’est aux grands marchés financiers de Londres, de Paris, de New-York, sans oublier Berlin, Francfort, Amsterdam, Genève, qu’il faudra avoir recours. Lés capitalistes anglais, français, allemands, hollandais, belges, suisses, américains, peuvent se préparer à fournir finalement les capitaux nécessaires à la Russie ou au Japon.
- » Telle est la moralité financière, si on peut employer cette expression, qui se dégage de cette guerre qui ensanglante l’Extrême-Orient : les capitalistes des pays européens non engagés dans cette guerre ont fourni les capitaux qui ont permis de la faire durer aussi longtemps : c’est à eux encore qu’il sera fait appel pour emprunter les milliards nécessaires après la conclusion de la paix. »
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- Le mouvement féministe
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- LE MOUVEMENT FÉMINISTE
- L’assistance publique et les femmes.
- Le conseil supérieur de l’assistance publique étudie les questions qui doivent recevoir la sanction législative et les problèmes pratiques qui se rattachent au fonctionnement des divers services de l’assistance.
- Dans sa dernière session, il a examiné et adopté un projet de règlement d’administration publique concernant le personnel de l’inspection de l’assistance publique.
- Le service de l’inspection comprendra des inspecteurs, des sous-inspecteurs et des commis d’inspection. Il y aura dans chaque département un inspecteur, un sous-inspecteur et un commis.
- Quand l’effectif des enfhnts assistés dépassera deux mille, le nombre des sous-inspecteurs et des commis pourra être augmenté proportionnellement. Les commis se recruteront parmi les employés du ministère de l’intérieur et des préfectures, les instituteurs publics, les licenciés en droit, ès-lettres ou ès-sciences et les inspecteurs parmi les commis d’inspection, les conseillers de préfecture, les docteurs en médecine. Tous les candidats seront soumis à un examen.
- Le conseil a décidé d’admettre les femmes aux emplois de commis d’inspection et de visiteuses, à la condition qu’elles répondent aux conditions imposées à tous les candidats par le règlement d’administration publique.
- Les fonctions d’inspecteur sont uniquement réservées aiîx hommes, quelle que puisse être l’aptitude des femmes à les exercer.
- D’après le compte-rendu sommaire publié par les journaux de la séance où fut prise cette décision, on a fait valoir, pour écarter les femmes des fonctions d’inspecteur, que la surveillance des élèves dans leurs pla-
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- cements présente, parfois, des difficultés matérielles que la résistance physique des femmes, malgré toute leur bonne volonté, ne leur permet pas souvent de vaincre.
- A défaut d’une reproduction plus complète des observations que résument évidemment les lignes précédentes, on peut s’en faire une idée en évoquant les objections qui furent faites aux. premières prétentions féminines à exercer la profession médicale.
- Objection. — L’exercice de la médecine exige, notamment en province, de continuels et souvent de longs déplacements. On ne comprend guère qu’une femme pût y suffire. Ne voit-on pas les inconvénients qu’elle encourrait en voyageant seule au milieu des nuits?
- Réponse. — Autrefois les routes étaient rares et, indépendamment des facilités qu’il offrait aux attentats contre les personnes, leur mauvais état constituait à lui seul un péril de tous les instants pour les voyageurs. Aujourd’hui les routes mieux entretenues sont sûres. Les ouvrières ne s’y engagent-elles pas en toute tranquillité pour aller à leurs fabriques souvent éloignées de leurs demeures, les paysannes pour aller au marché? D’ailleurs, la femme médecin aura voiture, domestique. Dites-nous si la sage-femme attend sa cliente chez elle quand il s’agit d’un accouchement.
- O. — Non ; mais l’accouchement est prévu. On vient la chercher, on la reconduit. Si l’accouchement est arrivé la nuit, elle attend le jour pour retourner chez elle.
- R.—Et quoi? Ne pourrait-on avoir pour la femme médecin les prévenances qu’on a pour la sage-femme? Les services qu’elle peut rendre seraient-ils moins prisés ? Faciliter l’entrée dans la vie, écarter l’éventualité de la mort : ceci vaut bien cela.
- O. — Soit. Mais les périodes de grossesse, les soins de l’allaitement, les devoirs de la mère, de l’épouse ?
- R. — Les femmes sont souvent forcées d’exercer des professions bien autrement inaccommodables à leur
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- Le mouvement féministe.
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- constitution physique et aux devoirs de leur sexe. C’est par millions que l’on compte les femmes retenues toute la journée par leurs occupations hors de leurs maisons, sans qu’elles puissent, comme la situation économique de la femme médecin le lui permettrait, confier à des mercenaires les soins indispensables du ménage.
- Vous parlez d’infériorité physique : il y a des femmes porte-faix, porteurs d’eau , balayeurs de rues , faucheurs, moissonneurs, batteurs en grange, pêcheurs de coquilles dans l’eau jusqu’aux genoux des journées entières. Les maladies de femmes ne les retiennent pas forcément au lit... Et les docteurs hommes ne sont-ils jamais malades ?...
- Le dialogue ne s’arrête pas là. Mais des objections qui s’y dressent avec plus ou moins de gravité — car il y a des degrés dans le déraisonnable — contre la pratique de la médecine par les femmes, nous n’avons retenu que celles qui ont un air de famille bien caractérisé avec les arguments qu’on oppose à l’accès des femmes aux fonctions d’inspecteur de l’assistance publique. Aux unes comme aux autres la parole et les actes répondirent, les actes surtout : les barrières tombèrent et Elisabeth Blackwell fut reçue docteur. C’était en 1849.
- La recherche de la paternité.
- Bans sa séance du 16 mars, le Sénat a pris en considération la proposition de M. Gustave Rivet tendant à autoriser la recherche de la paternité.
- Lorsqu’il était député, M. Gustave Rivet avait inutilement tenté, durant de longues années et sous plusieurs législatures, d’obtenir de la Chambre un vote sur la proposition dont il avait pris l’initiative. Son premier soin en arrivant au Sénat a été de demander à cette assemblée la révision du choquant article du Code civil qui débarrasse le père de l’enfant naturel de toutes les charges qu’entraînent les soins légitimement dus à Tentant, pour en accabler la mère.
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- Le Sénat lui a donné un commencement de satisfaction. Il faut espérer que le texte définitif qui sortira de ses délibérations, contiendra la possibilité d’une pleine et efficace protection de l’enfant en même temps que le redressement de l’injustice qui frappe la mère, et que ce texte recevra prompt et bon accueil à la Chambre.
- Mme Blanche Schweig, présidente du syndicat des femmes caissières-comptables, a été nommée administrateur titulaire, pour trois ans, de la caisse des écoles du 3e arrondissement. C’est la quatrième femme nommée à Paris.
- Mme Blanche Schweig, qui avait déjà institué au siège de son syndicat, 134, rueTurenne, des cours professionnels, d’ailleurs régulièrement suivis, vient de joindre à ces avantages une mutualité absolument gratuite à l’usage et au bénéfice des syndiquées. Les ressources proviendront d’un prélèvement de 25 centimes sur les vingt sous que les syndiquées versent mensuellement.
- Mademoiselle Desmolières, docteur en médecine, a été nommée , à l’unanimité, par la délégation cantonale du 9e arrondissement, médecin des écoles de la ville de Paris. Depuis l’année 1900, elle est chargée des consultations de gynécologie à la Pitié, après l’avoir été à l’hôpital Bichat.
- Elle est médecin du dispensaire d’enfants et de la crèche du 9e arrondissement, médecin de l’administration des postes et télégraphes ; elle fait de fréquentes conférences d’hygiène infantile dans les patronages et cours de jeunes filles.
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- Par Paul et Victor MARGUERITTE
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- {Suite. )
- Elle eut l’imprudence de répondre :
- — Oh ! vous allez vite !
- Ils en conclurent que les griefs de Francine n’avaient rien de bien sérieux. Puis ils s’avisèrent qu’on leur cachait la vérité. Et tous deux : « — Est-ce que ce ne serait pas Francine qui... bien singulière, cette jeune femme!... ses idées hardies, son dédain du qu’en dira-t-on... cela même loin! » Puis, si Le Hagre avait tous les torts, pourquoi ne pas le dire? C’est celui qui parle haut qu’on écoute. M. Lurat estima que leur « grande amie » avait manqué de confiance, de tact... ah? le tact! Il dégustait le mot, comme un bonbon acide. Le lendemain, ils bouclaient, avec une discrétion pincée, leurs valises. Charlie avait pris congé le soir même.
- Francine ouvrait le recueil des Codes, un livre court et massif. Pareils à des légions de fourmis, des paragraphes en petits caractères se mirent à défiler, serrés, pressés, innombrables. Des titres plus gros, comme des généraux d’armées, ouvraient la marche des six Codes et la réserve des décrets et ordonnances.
- Elle se perdit, errant du Code pénal au Code de commerce ; les paragraphes noirs hérissaient leurs restrictions et leurs menaces, garantissaient à peine d’amende, de prison ou de mort, la propriété des biens, la liberté et la vie des personnes. Elle remarquait le chiffre des articles : on eût dit des numéros d’écrou. D’une page à l’autre surgissaient des salles d’audience, des cellules de détention, de froids cabinets de notaire pareils à celui de Me Charmois, des études grinçantes
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- du bruit des plumes ; elle voyait encore des -théories sinistres de prisonniers, le profil de la guillotine dans l’aube.
- Des noms incompréhensibles l’étonnaient : de la prise à partie, du faux incident civil, mandat et séquestre, servitude...
- Était-ce étrange qu’elle eût appris tant de choses inutiles et qu’elle ignorât les plus nécessaires ? Dire que malgré l’ironie de son père, qui jugeait superflue la haute culture, malgré l’incompréhension de sa mère redoutant tout libre développement, elle était devenue plus instruite et lettrée que la moyenne des femmes, et qu’elle n’avait pas la moindre idée de ce qu’est la Loi, ce grand filet invisible qui l’enserrait de toute part et dans lequel elle allait se débattre.
- Déjà sa mère avait entassé des objections, invoqué la morale, la religion, l’opinion du monde, le scandale et surtout l’intérêt de Josette. Ce n’est pas seulement par hospitalité qu’elle avait été chercher Marchai à la gare : « Elle veut l’influencer, le mettre en garde. » Qu’espérait-elle pourtant ? Ne reconnaissait-elle pas elle-même que la vie commune était désormais impossible ?
- Ce matin, elle avait exaspéré Francine en lui lisant une page — éloquente, certes ! — d’un vieux sermon du Père Didon : une adjuration pathétique à la femme de vingt ans, trahie et malheureuse, de prendre ses vêtements de deuil et de mourir « sur le bûcher de la fidélité conjugale, » — Et pourquoi mourir ? « Pour la grandeur d’un principe qui porte le monde et pour Dieu qui le représente. »
- Des mots, pensa-t-elle. Comment maman peut-elle, par faux romanesque, réciter ces phrases sonores ? C’est monstrueux. Que des brahmes aient pu contraindre la veuve hindoue à se brûler sur le bûcher du mari qu’elle exécrait peut-être, c’est la barbarie du vieux monde ; mais que des prêtres d’Europe, de France, au vingtième siècle, réclament plus que la
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- mort, même affreuse, d’un instant, imposent à une innocente toute une existence enchaînée, le joug d’un être qui la torture, cela passe l’imagination !
- D’autres phrases du Père Didon lui revenaient ; faisant appel à la sublimité du sacrifice il sommait, non seulement la croyante, mais la femme civile, qui n’est mariée que devant le maire, de s’immoler pour « les sociétés qui veulent vivre »... — Se sacrifier, rien de mieux! Mais si le sacrifice est impie à force d’absurdité, si l’immolation est un non-sens criminel ? Vraiment, les sociétés qui veulent vivre exigent que je traîne jusqu’à ma mort, ou jusqu’à la mort de cet homme, un martyre de tous les instants, que Josette soit salie par le contact d’un tel père, que nous soyons les plus malheureuses des créatures, quand la délivrance est là, quand il y a du soleil, de la vie, du bonheur autour de nous ! Non ! cela lève le cœur ! ..
- De page en page, elle remontait au Code civil, de la vente aux successions... propriété, filiation... « Ah ! voilà : Mariage, Divorce. »
- Mariage, article 212 et suivants. Oui, c’est bien ce que le maire leur avait lu en bredouillant : les époux se doivent mutuellement fidélité, secours, assistance ; le mari doit protection à la femme ; la femme, obéissance à son mari...
- « Divorce, titre VI, livre II. »... Mais les articles, imprimés en italique, ne reproduisaient pour mémoire que le divorce du premier empire, aboli en 1816, et l’ouvrage, vieillot, non au courant, ne contenait pas le divorce rétabli en ces dernières années : découragée, elle parcourut le petit chapitre : « De la séparation de corps. »
- Celle-là seule faisait loi du temps de sa mère. Oui, sous la Restauration, sous Louis-Philippe, sous Napoléon 111, sous la République, pendant plus de cinquante, de soixante ans, ceux pour qui la vie conjugale était un bagne n’avaient pu s’en évader. Elle songea au long sacrifice de Mme Favié. Eût-elle voulu
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- briser tout lien, elle ne l’aurait pu, Et combien d’autres, usant de cëtte dérisoire séparation, avaient tiré sur l’inextricable lien, desserré, qu’importe ? s’il leur sciait encore la chair et avivait la gangrène ?... Non, non ! le divorce seul délivrait.
- D’où venait donc cette puissance des vieilles idées, des phrases toutes faites ? La plupart des gens ne pensaient dont point par eux-mêmes ? Ils répétaient automatiquement, le geste des ancêtres, la leçon du passé. Idées non contrôlées, jugements non révisés, erreurs et préjugés séculaires, tétés avec le lait, transfusés dans la moelle et le sang. Sa mère enfin !... D’une autre, elle comprendrait ! Mais sa mère ! Comment, elle qui avait traversé, jeune femme, d’aussi terribles épreuves ! Faite pour l’amour, sa vie s’était consumée dans le renoncement ; en récompense, elle n'avait trouvé ni la paix de sa conscience, cela se devinait trop, ni le bonheur dans la fille à laquelle elle s’était vouée corps et âme ; et devant une catastrophe si pareille qu’elle semblait une dérision du destin, quand sa longue et amère expérience devait l’éclairer, elle ne criait pas à Francine : — Evade-toi ! Affranchis-toi ! J'ai trop souffert d’être esclave ! .. Non, elle envisageait avec désolation, comme une fatalité qui vous jugule, le renouvellement d’une existence calquée sur la sienne... «Ah! non! jamais! Cette agonie d’air raréfié, cette mort vivante ! Non ! non ! je veux vivre ! » Vivre, ce qui effrayait tant sa mère...
- Un roulement de voiture sous les platanes : Marchai arrivait.
- Mme Favié parut, Francine remarqua son agitation.
- — Eh bien ?
- — Tu n’as rien à craindre, il pense comme toi !
- Si sûre de son pouvoir sur Marchai, elle rapportait une déception : leur amitié se rejoindrait donc toujours par-dessus des idées différentes ? Elle regrettait presque de l’avoir appelé : n’était-il pas un ennemi de l’Eglise ? Et que de fois elle l'avait taxé d’immoralité
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- pour ce qu’elle appelait avec indulgence des paradoxes, tant qu’elle n’en souffrait pas. Pourtant, elle ne pouvait sans injustice douter de ce vieux coeur fidèle. Marchai, au reçu de la dépêche, était accouru, interrompant sa cure à Vichy.
- — D’ailleurs, il est inquiet de la tournure des choses, il prévoit des difficultés. Le divorce n’est pas aussi facile que tu le crois.
- Bien, on discuterait cela tous les trois. Francine lui désigna le courrier sur la table.
- — Une lettre de Charlie pour toi.
- Elle la vit rougir. Mme Favié, trop naïve amoureuse, ne sut déguiser son trouble ; une chose si simple, si naturelle, — cent fois, elle avait reçu de ces lettres, — la saisissait à l’imprévu.
- — Tu ne lis pas ?
- Elle connaissait la profondeur du culte que Charlie rendait à sa mère ; elle n'en était pas jalouse ; elle les trouvait si bien faits pour s’entendre ! Elle sympathisait avec le jeune homme plus qu’il ne le croyait, tout en ayant quelque dédain pour ses idées, qu'elle jugeait hautes mais étroites ; de là entre eux des taquineries, ou des silences contraints. Mais il lui avait baisé la main si fraternellement, hier, il s’était mis à ses ordres avec tant de délicatesse, qu’elle en restait touchée.
- Mme Favié n’acheva pas sa lecture : le coeur lui faisait mal, les lignes dansaient. Elle balbutia :
- — Je vais dans ma chambre.
- Moins absorbée, Francine eût été frappée de l’insolite sortie, presque une fuite. Elle ne l’attribua pas au souvenir de Charlie, à sa présence occulte, et cependant une corrélation insaisissable devait rester dans son esprit.
- Mme Favié, seule, s’enferma. La force des émotions que lui causait le malheur de sa fille n’avait point diminué les siennes, les avait seulement refoulées comme une vague une autre. Sa passion victorieuse refluait en nappe, submergeait tout. Elle éprouvait la
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- même palpitation que lorsque, dans la nuit, elle avait entendu les pas s’arrêter dans le couloir ; et comme alors, elle subit l’impérieuse humiliation de cacher Charlie. Qu’on la devinât, elle se voyait perdue ; l’amour n’évoquait pour elle que péril, honte, frissons de mort, angoisses délicieuses et terribles.
- C’est seulement après son premier entretien avec Francine qu’elle avait compris combien Charlie lui était indispensable. Avec quel instinct de possession elle l’avait emmené dans son boudoir, et là, au craquètement de la première flambée d’automne, des pommes de pin en braise, du bois clair à mille étincelles, comme elle s’était à plein épanchée ! Elle revoyait son regard attaché à elle ; il suivait sur sa robe les reflets dansants de la flamme. Il l’avait plainte comme s’il ne se fût agi que d’elle. Il aurait provoqué Le Hagre si elle y avait consenti : et, en dépit de lui-même, un bonheur égoïste et puissant l’envahissait, une envie folle de respirer ses cheveux, de baiser ses doigts... — Cher Charlie ! Mais non, elle ne devait pas. Elle ne s’appartenait plus... de femme, elle redevenait mère.
- Cette lettre, à peine la comprit-elle. Il parlait de déplacement subit : un coup de foudre ? elle avait dû voir les journaux, l’incident Cometroy, l’interpellation â.la Chambre ? Le ministère exilait le régiment à Verdun. — Mais non ! elle ne savait pas !
- Elle sonna, se fit apporter le Gaulois et le Figaro, brisa les bandes. Le fameux incident, Charlie en avait plaisanté ; une tempête dans un verre d’eau... deux femmes d’officiers refusant de rendre visite à la comtesse de Cometroy, d’ailleurs charmante, parce qu’elle était une divorcée C’eût été différent si, au lieu d’un lieutenant, elle eût épousé le colonel... ou encore si, veuve... ou la nullité prononcée à Rome.. Cette brouil-lerie de femmes avait mis sur pied le corps d’officiers, causé quatre duels, ameuté la presse et failli culbuter le ministère. Conclusion : on envoyait les têtes les plus chaudes se rafraîchir en des garnisons de Breta-
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- ou d’Auvergne, et, sous huitaine, le 38e dragons gagnait par étapes Verdun, arrêts de rigueur déguisés, garde d’honneur à la frontière, tout ce dont Charlie se fût passé ; car, pour les permissions, rien à espérer avant le calme, et avec les journaux !... permutation, il n’y pouvait penser ; la camaraderie le liait. Il était au désespoir et maudissait la terre entière ; mais il la reverrait avant son départ, il voulait la revoir, il fallait qu’il la revît ! Il la suppliait de le relever de la promesse qu’elle avait exigée : ne pas revenir avant qu’elle le permît ; elle n’aurait pas cette cruauté ! Qu’allait-il devenir là-bas, sans elle ?. .
- Elle comprenait enfin : Charlie s’éloignait, et au premier moment elle n’en eut presque pas de peine ; elle l’adorait tellement qu’il ne lui manquait pas encore : il était là, elle le voyait, elle lui parlait ; et cela lui laissait une sécurité qu’elle n'eût pas goûtée, lui présent. Elle préférait que ce fût une fatalité momentanée qui les séparât. Elle n’aurait pas à le faire souffrir, car, elle avait beau s’illusionner, elle savait, à son intime effroi, qu’un pareil amour, si longtemps ignoré d’eux-mêmes, portait un germe d’inquiétude et de souffrance, était précaire et menacé.
- III
- Marchai ne sortit de sa chambre qu’après le second coup de cloche et lorsque Jean, d’un ton confidentiel, fût venu l’avertir que le cuissot de chevreuil serait trop cuit. Cette crainte triompha des coquetteries du vieillard qui descendit cosmétiqué, parfumé, portant beau dans un smoking étoilé de la rosette rouge. Il appréciait le cuissot de chevreuil. Son estomac survivait à ses mauvaises jambes, à son foie souffrant, à son grand corps raidi de rhumatismes, à son visage qui n’était plus qu’une ruine au nez proéminent mais une ruine éclairée par deux yeux bruns luisants, d’une intelligence sarcastique.
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- Mme Favié lui sourit ; il demanda à Francine la permission de la baiser au front ; les plus honnêtes femmes ont de l’indulgence pour ces hommes, dont chaque geste est un hommage, et dont la galanterie respectueuse apparaît celle d’un autre temps.
- Comment Mme Favié n’eût-elle pas été touchée par une ferveur si ancienne ! Elle oubliait ce que cette adoration sans espoir avait eu parfois d’importun, et de quel innocent et un peu cruel despotisme elle l’avait avivée. Le vieillard, un an après la mort du comte, avait demandé sa main. Et le monde, qui voit en tout le côté positif, n’eût point trouvé si choquante cette union, malgré la disproportion des âges : car la notoriété du jurisconsulte, son aisance qu’il dépensait au bien, sa chaire d’histoire des législations comparées au Collège de France, faisaient poids. Mme Sébastien Marchai ?
- — Non, tout de même...
- Le café servi dans la bibliothèque, elle insistait pour qu’il fumât son cigare ; il était alors plus lucide et tout à fait lui-même. Entre des bouffées bleues, il l’épiait discrètement et songeait, avec un regret mêlé d’envie à tout ce qu’une pareille femme représentait de bonheur perdu ; quel dommage ! Et tandis qu’elle glissait à portée de sa main un cendrier, il admirait la grâce tour à tour vive et paresseuse de sa démarche. Il remarqua qu’elle avait relevé sa coiffure, et qu’un tour particulier du chignon fauve la faisait paraître beaucoup plus jeune.
- Il s’attendait à la trouver triste, mais c’était une tristesse active et nerveuse qui la changeait. Il vit repasser dans ses yeux si beaux une expression qui l’étonna. Il en eut un élancement de jalousie ; il connaissait les femmes et se trompait rarement : « Serait-elle aimée ? Aimerait-elle ?... » Et [il pensait : « Que n’ai-je vingt ans de moins !... Il n’est pas possible, il n’est pas humain qu’elle échappe à toute loi du cœur... Plus elle aura tardé, plus le feu de passion qui couve éclatera
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- violent ! » Il s’attrista : « Le verrai-je ? » L’idée de la mort l’assaillit : il aimait la vie et l’image saisissante des Pensées de Pascal le poursuivait : ces êtres chargés de chaînes, voyant chaque jour égorger quelques-uns d’entre eux, attendant leur tour et se « regardant les uns les autres avec douleur et sans espérance », telle était la condition des hommes. Stoïque, il secoua l’obsession, avec la cendre de son cigare.
- Elle soupira :
- — Auriez-vous cru cela, mon ami ?... Ma pauvre Francine !
- Il répondit à sa propre idée :
- — Mais c’est une enfant. Ah ! la jeunesse ! Souffrir ! Bah ! Elle aura le temps d’oublier ; elle se refera une vie, deux vies, trois vies !...
- Mme Le Hagre rentrait.
- — Ma mère vous a dit, monsieur Marchai...
- A mesure qu’elle parlait, il la regardait, avec plus d’attention grave ; elle lui montrait les lettres de Lis-chen ; aucune surprise; il en avait tant vu !... Quand elle se tut, il inventoria, d’un air d’attention absente, les murs de la pièce : en des cadres d’or, les bonnes figures du grand-père Jacques et de la grand’mère Herminie se faisaient face, et, sur un autre panneau, une aquarelle montrait, près de son alezan Fitz-James, le comte Favié en habit rouge, le fouet de chasse en main *; conservé généreusement par sa femme, il semblait attester, malgré tout, l’indissolubilité du mariage. Hier encore, une grande photographie de le Hagre lui faisait vis-à-vis ; Francine l’avait fait disparaître : elle ne pouvait la voir sans horreur.
- Marchai jeta son cigare.
- —-Eh bien, causons.
- Il serra la main de Francine.
- — Divorcez, mon enfant.
- Et regardant Mme Favié, — il lui en coûtait tant de lui déplaire !
- — Chère amie, essayez de penser par vous-même ;
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- ne vous attardez pas à dire : « mais le divorce est mauvais, il blesse des usages et des idées respectables ; c’est un déplorable remède, il ne guérit pas ! » La maison brûle ; refuserez-vous de faire la part du feu parce que cela abîmera le mobilier ? Le malade est en danger de mort ; hésite-t-on à couper sa jambe infectée, parce qu’il restera infirme ! Vous voulez sauver Francine et sauvegarder Josette, bien. — Ecartons d’abord le côte-à-côte, le mensonge qui fait asseoir au déjeuner Madame et son amant avec Monsieur revenant de chez sa maîtresse : on parle de la pièce de Chose, du cheval de Machin, on se sourit ; c’est charmant, malpropre, admis... — Vous préférez une séparation à l’amiable ? Elle évite le procès, oui, mais Le ïïagre reste le maître de Francine, de Josette, de leurs biens... Car votre régime est celui de la communauté ? Il est tout, et peut tout.
- — Passons ! fit-elle d’un ton bref.
- — Votre mère se résignerait à la séparation de corps judiciaire. Je n’y vois que des inconvénients : rien à mon sens n’est plus immoral et plus injuste, et rien ne devrait disparaître plus vite de la loi.
- Mme Favié se récriait :
- — Pourquoi ?
- — Parce quec’est toujours le mariage : un seul lien est relâché, la cohabitation. Francine ne se remarierait qu’une fois veuve.
- — Elle ne pense pas à se remarier ?
- — Vous répondez pour elle! Est-ce vrai? Tant pis. Quoi, à vingt-cinq ans , le célibat perpétuel? N’aimera-t-elle plus? Renoncera-t-elle àvse refaire une vie honorée, heureuse? Le souhaitez-vous? Trouvez-vous cela bon, équitable?
- Mme Favié hésita. Elle ne croyait pas obéir à un intérêt inavoué, mais, s’étant sacrifiée, elle ne jugeait pas étrange que Francine Limitât. C’est qu’après avoir été mère avant tout, une loi mystérieuse et profonde élevait en elle la voix du sang pour sa petite-fille : elle
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- s’était jadis immolée à Francine, et aujourd’hui elle eût immolée Francine pour sauver Josette.
- — Ah ! reprit Marchai, la séparation ne laisse pas le choix : ou bien le veuvage sans ses regrets, un célibat contraire aux instincts de la vie, ou bien, — on l’a vu trop souvent, car la nature a ses droits ! — toute la tristesse de l’union clandestine, qui redoute l’enfant à l’égal d’un malheur : naît-il? c’est la honte, le désaveu : pauvre être adultérin, paria futur. Pour la mère, — pardon, Francine, de cette hypothèse blessante, — c’est le déshonneur, la correctionnelle peut-être, deux mois de prison, deux ans au plus. Vous l’ignoriez? Ne mettons que quinze jours, avec bénéfice de la loi de sursis, ou vingt-cinq francs d’amende, tarif de certaines chambres : la flétrissure est la même... La séparation de corps? mais à qui profiterait-elle? A Le Hagre, qui, lui, pourrait mener une vie de polichinelle, sans qu’il vous soit possible de le faire taxer des cent à deux mille francs d’amende, qui sont l’inégale rançon de l'adultère de l’homme. Et toutes les maîtresses qu’il voudrait, il les entretiendrait, de votre argent, encore ! Voudrez-vous vous expatrier? Les juges lui rendraient Josette. Toujours des conflits, référés, instances, l’ignoble lutte. Non, seul le divorce est logique ; il ne fait pas de sentiment hors de propos, pas plus que le couteau du chirurgien ; il coupe, et les membres sains peuvent revivre.
- — A quel prix ! dit Mme Favié. Soit, Francine serait libre! Elle aurait marché sur la religion dans laquelle elle a été élevée, sur l’opinion du monde.
- Mais Mme Le Hagre :
- — D’un certain monde, tout au plus?
- — C’est l’élite !
- — Veux-tu la dénombrer? Et d’abord, l’élite au nom de qui, au nom de quoi? Nous savons ce que c’est, le Tout-Paris, et quelles rares exceptions d’honnêteté parfaite on y trouve. Des hommes de plaisir que le divorce gêne,— il faudrait réparer; l’adultère est bien plus ^ commode!... Des hommes d’argent qui ne veulent pas
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- restituer la dot de leur femme... Des maris contents de leur sort, — comme c’est facile quand on est au chaud dans ses pantoufles !... Des femmes qui trouvent le divorce mal porté : — Ah ! fi, ma chère, — parce qu’elles sont heureuses en ménage à deux, ou à trois; tous les satisfaits qui ne supportent pas qu’on souffre, tous les résignés qui ne veulent pas que d’autres se délivrent; quelques convaincus, je te l’accorde, qui placent comme toi les raisons de cœur avant la raison. Allons, maman, on n’en croquera pas un petit four de moins à nos thés de cinq heures! Malgré l’incident Cometroy, le divorce est entré dans les mœurs.
- — L’Eglise le défend !
- — L’Eglise catholique, précisa Marchai avec un sourire, car les protestants... Eh ! mon Dieu ! elle a pourtant consenti au divorce pendant les huit premiers siècles, et même au remariage. Sous Napoléon Dr, elle bénissait les divorcés, ce qu’elle fait encore dans d’autres pays. Elle s’y refuse, depuis la Restauration qui a aboli le divorce, sous la République qui l’a rétabli. Fluctuations de politique : lisez l’histoire, la doctrine s’éclaire ! Mais elle a son divorce : c’est la nullité, grâce à laquelle le lien conjugal n’a jamais existé, et dont elle compte plus de cent cas. Qu’est-ce qui empêche une croyante de s’adresser en même temps aux tribunaux civils et aux juges ecclésiastiques? Si la nullité, dont les motifs n’ont rien à voir avec les griefs du divorce, est rejetée, Francine restera toujours mariée devant l’Eglise. Délivrée de son mari, n’est-ce donc rien?
- — Mais alors, fit Mme Favié, ébranlée, elle ne pourrait se remarier?...
- — Vous y venez?... dit Marchai. Devant l’autel? Non, mais, enfin décompté, le mariage à la mairie vaut mieux que l’union libre, qui l’est encore si peu...
- — Ces idées me bouleversent! dit Mme Favié. Et Josette, dans tout cela? Qu’en faites-vous ? On dirait qu’elle n’existe pas ? Que devient-elle?
- — Et dans un foyer en discorde, et dans la séparation,
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- LES DEUX VIES
- 517
- que devient-elle? répéta Marchai.
- — Vous la sacrifiez ! ‘
- Francine s’écria :
- — Non, mère, ne dis pas cela ; c’est faux ; c’est mal ! Serais-je ici, si l’existence avait été tolérable?
- Marchai intervint.
- — Ce n'est pas le divorce qui sacrifie Josette ; c’est la façon dont on l’applique. C’est la loi inique du partage de l’enfant, cette loi stupide qui continue des droits à ceux qui n'en sont plus dignes !
- Mme Favié jeta ce mot de pitié pour le passé, pour le présent même :
- — Indigne ou non, ce sera toujours son père,
- Francine poussa un cri :
- — Maman, tais-toi ! Son père? Mais est-ce qu’il l’aime? est-ce qu'un baiser, un gâteau, un jouet, sont de l'amour paternel ? Est-ce qu’il y a de l'afîection sans sacrifice? Quand a-t-il souffert? Quand s’est-il imposé une privation ? Quand s’est-il respecté pour qu’elle le respecte plus tard? Quand s’est-il abstenu devant elle d’un mot méchant, d’un outrage?
- Marchai reprit avec force :
- — Le droit du père, de la mère... Connu ! Mais est-ce qu’il y a des droits pour qui méconnaît ses devoirs ? Allons donc ! Un mauvais père, une mauvaise mère, cessent d’être le père, la mère ; ils devraient être déchus. D’où tireraient-ils leurs droits, eux qui ont rempu le pacte qui, tant que leurs petits sont faibles, lie jusqu’aux animaux. Comment, voilà Josette !... Si vous en obtenez la garde, et je l’espère bien, son père continuera quand même à la voir à jours fixes, la recevra chez lui pendant des semaines déterminées ; fort de la puissance paternelle, il surveillera son éducation, l’émancipera s’il veut à quinze ans et la mariera malgré vous ! Chaque jour, il lui sera licite de s’adresser à la justice pour vous enlever un privilège, se le faire attribuer! Mais, voyons, est-ce que Josette ne devrait pas être soustraite à cet homme ? Est-ce que la loi ne devrait pas lui défendre de
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- LE DEVOIR
- le voir? C’est le contraire, elle le lui ordonne. Au besoin, elle met sa petite main dans celle d’un agent de paix ou d’un gendarme, qui la traîne chez M. Le Hagre. Si vous vous y opposez, on vous taxe d’astreintes exorbitantes, 100 francs, 1.000 francs par jour de retard. Si vous enlevez Josette, on vous met en prison et on vous la prend tout à fait. Salomon a prononcé : l’enfant, l’innocent, est coupé en deux. Et tout cela sous le pretexte que le coupable reste le père, la mère ! Laissez-moi rire.
- Mme Favié dit d’une voix tremblante :
- — Vous voyez bien que le divorce...
- — Pas le divorce, la loi actuelle.
- Elle soupira :
- — L’enfant souffre toujours !
- Marchai haussa les épaules :
- — Songez à l’asphyxie, à l’empoisonnement d’un foyer de haine ! Que devient l’enfant entre des êtres qui ne se rapprochent que pour se maudire ? Tout, croyez-moi, tout vaut mieux que cette abomination : l’enfant grandissant, témoin de la' scélératesse de son père et du désespoir de sa mère, mêlé, aux scènes sans dignité, sans pudeur, aux injures, aux coups peut-être; car la haine en vient là : c’est de cet irréparable désaccord et de cet alfreux spectacle que Josette souffrirait le plus.
- — Mais, la séparer de son père, s’écria Francine, comprends donc, maman, que c’est le salut ! Elle ne le verra jamais que trop, puisque de lui viendront les mauvais exemples ! Mais avec nous, entre toi et moi, elle s’épanouira, elle sera heureuse ! Sa vraie maison, c’est ici. Tu vois bien, M. Marchai le dit : le divorce, pour Josette même !
- — Et pour vous , Francine , déclara-t-il. Oui, le malheur de cette enfant vous crée des devoirs et vous n’y faillirez pas. Mais souffrez que je vous le dise, au nom de mon expérience chèrement achetée : vous vous devez aussi à vous-même.
- {A suivre.)
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- ASSURANCES MUTUELLES
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- Société du Familistère. - Assurances Mutuelles
- MOUVEMENT DU MOIS DE DÉCEMBRE 1904, A GUISE
- ASSURANCE CONTRE LA MALADIE
- Section des Hommes
- Cotisations des mutualistes..... 2.806 20 i
- Subvention de la Société........ 1.050 80 ( 4.257 30
- Malfaçons et Divers............. 400 30)
- Dépenses................................... 5.012 80
- Déficit en décembre 1904............ 755 50
- Section des Dames
- Cotisations des mutualistes...... 511 20 f
- Subvention de la Société......... 254 35 > 766 80
- Divers.......................„ .. 1 25 )
- Dépenses........... ...............................905 85
- Déficit en décembre 1904............. 139 05
- ASSURANCE DES PENSIONS
- Subvention de la Société et Divers 7.751 80 J
- Intérêts des comptes courants et \ 12.286 08
- du titre d’épargne......... 4.534 28 \
- Dépenses :
- 128 Retraités définitifs......... 8.809 84 \
- 5 — provisoires................ 258 501
- Nécessaire à la subsistance.... 4.736 30 ) 14.534 64
- Allocations auxfamill8 des réservistes 14 » i
- Divers, appointem., médecins, etc. 716 »i
- Déficit en décembre 1904...... 2.248 56
- CAISSE DE PHARMACIE
- Cotisations des mutualistes..... 726 15 / , nt-
- Subvention de la Société........ 339 90 \
- Dépenses................................... 1.201 15
- Déficit en décembre 1904.......... ......135 10
- RÉSUMÉ
- Recettes sociales du 1er juillet 1904 au 31 décemhre 1904 77.79 0 21 ), nq /, n nn
- » individuelles » » 25.650 08 )
- Dépenses » » ....... 122.498 19
- Excédent des dépenses sur les recettes.. 19.057 90
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- LE DEVOIR
- ÉTAT CIVIL AU FAMILISTÈRE DE GUISE
- MOIS DE DÉCEMBRE 1904.
- Naissances :
- 10 décembre : Hennequin Henriette-Germaine, fille de Hennequin Joseph-Prudent et de Bois-set Eugénie.
- Décès :
- 15 décembre : Mme Moyen Lucien, veuve, âgée de 33 ans.
- 22 — Mme Boulard Léopold, âgée de 33 ans.
- Le Gérant : H. E. Buridànt.
- Nimet. — Typ. A. Chastanier, 12, rue Pradier.
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- DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES.
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- Juin 1905.
- DOCUMENTS POUR UNE BIOGRAPHIE C
- de J.-B. André GODIN (1)
- Glorification du Travail. Emancipation du Travailleur.
- XVII
- Série des employés. 1er essai de répartitions mensuelles indicatives du mérite. Double vote ( : un sur bulletin collectif, un sur bulletin individuel), relatif à janvier 1870.
- Vote sur bulletin collectif.
- Par la voie du tirage au sort, 63 employés sur les 66 dont nous avons donné la liste ci-dessus (chap. XYI, p. 262) furent répartis en 9 groupes comptant chacun 7 membres. Les trois personnes non classées comprenaient des adolescents pour qui, du reste, on pouvait voter et pour qui l’on vota.
- La somme à répartir était proportionnelle au dixième des appointements généraux (indiqués même page), soit 888 francs.
- Les suffrages des membres de chaque groupe étaient relevés sur un bulletin lequel offrait pour cet objet autant de colonnes qu’il y avait de membres dans le groupe. Si l’ôn usait de ces colonnes — ce qui était facultatif — chaque membre votait (ou plutôt eut dû voter, car il fut très difficile d’en arriver là) dans la
- (1) Appendice, p. 60, Le Devoir, tome 26e, janvier 1902.
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- 322 LE DEVOIR
- colonne à lui affectée par son ordre de sortie au tirage au sort.
- En tête des bulletins était rappelé le but de la tentative, arriver à l’équitable rémunération des services et proportionner les appointements à la capacité de l’employé.
- Les noms des intéressés étaient inscrits, cela va de soi, par ordre alphabétique. Sur le spécimen qui va suivre, nous remplaçons les noms par des signes, terminant d’abord l’emprunt des 25 lettres commencé chapitre XV , puis combinant ces lettres entre elles à mesure des besoins. Les employés déjà désignés se retrouvent naturellement sous le même signe ; etila même méthode sera suivie au cours du travail.
- En première page du bulletin, on lisait :
- « Avis important.
- « Les colonnes 1 à 7 sont destinées à recevoir les « chiffres fixés individuellement par chaque membre du « groupe. La 8& colonne est la totalisation de ces 7 « sommes dont la moyenne est portée dans la 9e.
- « Si l’addition de cette 9e colonne ne donne pas eocac-« tement la somme à répartir, le groupe fait, soit par «augmentation, soit par diminution, des rectifications « portées dans les (1) colonnes suivantes, pour arriver à « une répartition entière de la somme allouée dont le « détail individuel est inscrit dans la dernière colonne. »
- (1) Sur. l’original, il y a 4 colonnes pour rectifications ; nous n’eîl portons qu’une ici, faute de place.
- y
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- DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES 323
- BULLETIN DE VOTE COLLECTIF DU GROUPE No 1 888 Fr. à répartir.
- Pour servir utilement à une équitable rémunération des services de chaaue employé chacun d’eux devra tenir compte : ^
- De la proportion des appointements avec la capacité de l’employé •
- De son assiduité et de son aptitude au travail ; ’
- Et de l’obligeance qu’il sait apporter dans ses rapports avec ses collègues pour la bonne marche du travail. 6 F
- Noms
- Rectifica-
- J. ....
- A reporter..,
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- 324 ^ x Le devoir
- Nos Noms des participais 1 2 3 "4 5 6 7 Totaux Moyennes Kectifica- ' tions Répartition
- 31 32 . 33 34 35 36 37 38 39 40 41 42 43 44 45 46 47 48 49 50 51 52 53 54 55 56 57 58 59 60 61 62 63 64 65 66 Reports. MA NA PA . QA .. ..
- ,RA.. . .
- G .SA. ...
- TA VA XA YA ZA . BE ....
- CE DE FE .GE . .. HE JE .KE...
- *
- H L E ME NE PE QE RE SE TE D VE XE YE ZE PI >
- Totaux. ..
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- DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES
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- Le nt» dit groupe (1 à 9), le rappel de la somme à répartir (888 fr. pour janvier), étaient inscrits sur le document, après quoi remise en était faite à chaque groupe pour la suite des opérations.
- La règle étant que nul ne votait pour soi, on commençait par biffer sur la liste des noms — dans chaque groupe — les noms des 7 membres du groupe Sont ainsi biffés, à titre d’exemple, sur le spécimen, les noms des 7 membres : (nos 2, 34, 35, 37, 43, 47, 50). Restaient 59 intéressés à l’égard desquels les électeurs pouvaient pratiquer le vote ouvert ou le vote secret. Secret relativement, puisqu’on connaissait toujours les résultats du tirage au sort, c’est-à-dire quels employés se trouvaient dans chaque groupe et à qui d’entre eux étaient dévolues — selon l’ordre de sortie des noms au tirage— les colonnes 1 à 7 du bulletin pour l’inscription des votes. On conçoit que le vote ouvert ce stimulant de l’exercice du jugement et de la responsabilité était le point désirable. Ouvert ou secret le vote pouvait s’exprimer de deux façons (total 4) sur le bulletin collectif.
- Vote ouvert : 1° en séance du groupe par inscription directe dans la colonne à soi réservée sur le bulletin et signature au bas de la colonne ; 2° hors séance en rédigeant une liste des noms y inscrivant les quotités jugées convenables et remettant la liste signée au secrétaire du groupe. (Il y a de ces listes aux dossiers, non toutefois pour l’expérience relative à janvier).
- Vote secret (relativement). En séance du groupe : 1° vote sur chacun des 59 noms de la liste (pris individuellement) avec inscription des suffrages dans les colonnes du bulletin, selon l’ordre de dépouillement du scrutin (et non selon l’ordre prévu pour le vote ouvert) et dans ce cas, signature des membres en marge à une place quelconque du bulletin ; 2° concert pour un
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- LE DEVOIR
- vote direct du groupe sur chacun des noms avec inscription en une des colonnes où se résumaient les suffrages individuels ; signatures en masse comme il vient d’être dit.
- Passons au nombre des votes à émettre : Chaque groupe comptait 7 membres dont on commençait, avons-nous dit, par rayer les noms sur la liste des 66 votes à émettre, donc restaient 59 noms.
- Les sept membres du groupe pouvaient voter soit chacun sur chaque nom, total : 59 X 7 =. 413 votes à inscrire au bulletin ; soit de concert entre eux, total 59 votes.
- Dans le 1er cas c’étaient 3.717 votes (413 X 9) à obtenir ; dans le 2e cas 59 X 9 = 531 seulement. Mais le point désirable, celui qu’on s’efforça d’atteindre par la suite fut, nous le répétons, le vote de chacun en sa colonne et avec signature vérificative.
- En ce qui concerne la première tentative, quatre groupes seulement : ceux n8s 2, 3, 6, 8, déposèrent chacun un bulletin collectif portant les votes des membres dans les 7 colonnes. Mais il y a irrégularité en ceci : deux de ces bulletins, ceux des groupes nes 3 et 6 ne sont revêtus d’aucune signature ; les deux autres (ceux afférents aux groupes 2 et 8) offrent chacun les 7 signatures, mais celles-ci au lieu de figurer en bas des colonnes pour identification des votes de chaque électeur sont rassemblées en masse sur un point du bulletin.
- Quant aux cinq groupes restants (ceux nos i? 4? 5, 7, 9, tous les cinq se sont concertés pour n’avoir à inscrire qu'un vote collectif dans l’une ou l’autre des colonnes : totaux, moyennes ou répartition. Les membres de chacun des groupes nos 1, 5, 7, 9 ont signé en masse sur leur bulletin respectif; le groupe n° 4 a remis un bulletin non signé du tout.
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- DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES
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- En résumé touchant le point si intéressant : la signature, les noeuf bulletins collectifs relatifs à janvier se présentent comme suit :
- 3 non signés (ceux des groupes nos 3, 4, 6,)
- 6 signés mais en masse (ceux des groupes
- nos 1, 2, 5, 7, 8, 9).
- C’est un vote aussi secret que le mode pouvait le permettre.
- Mais, pourait-on dire, puisque d’une part les groupes no* 2, 3, 6, 8 ont rempli chacun les 7 colonnes de leur bulletin respectif et que- d’autre part on connaît les noms des membres de chaque groupe et l’ordre d’attribution des colonnes à chaque électeur, il est facile de rétablir d’office les noms des électeurs en bas des colonnes, il n’y a aucun secret dans les votes de'ces groupes, voici notre réponse :
- L’apposition de signatures par les membres des groupes au bas des colonnes va apparaître au 2e essai et ira croissant jusqu’au 5e ; mais les signatures seront données souvent en violation de l’ordre prévu, 'et il y aura de ces cas d’interversion jusqu’au 5e et dernier essai.
- Ce serait donc s’exposer à erreur que de rétablir d’office les signatures au bas des colonnes.
- Certifiés par les signatures, les votes qui nous occupent permettraient d’instructives recherches, nous essaierons d’en donner quelques exemples ; mais en nous attachant strictement aux bulletins où les signatures auront été apposées par les électeurs eux-mêmes, de façon à ne laisser aucun doute sur l’origine du vote.
- Poursuivons l’examen des bulletins collectifs afférents au premier essai.
- Les colonnes pour rectifications ne furent utilisées
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- LE DEVOIR
- sur aucun de ces bulletins ; conséquemment la vérification des chiffres partiels pour arriver au total : 888 fr. avait été opérée avant inscription sur le document administratif.
- Deux pièces annexées : Tune au bulletin collectif du groupe n° 1 ; l’autre au bulletin collectif du groupe n° 4, peuvent nous aider à saisir l’état d’esprit des électeurs. Chacune de ces pièces est signée par les sept membres du groupe intéressé.
- Dans l’une (celle provenant du groupe N° 4) « les soussignés déclarent qu’ils se sont systématiquement imposé l’obligation de ne pas voter sur les traitements atteignant ou dépassant la chiffre de 200 francs par mois ; non pas qu’ils pensent que ces traitements puissent être trop élevés ou non mérités, mais parce qu'ils impliquent la double rémunération du travail proprement dit et celle du concours moral que leurs titulaires peuvent donner à l’établissement. »
- Les signataires ajoutent : « Qu’ils pouvaient sans doute apprécier dans une certaine mesure le premier point, mais que tous les éléments leur manquaient pour apprécier le deuxième....... »
- Dans l’autre pièce les soussignés se déclarent « incompétents pour l’appréciation à faire sur les noms restés en blanc. » Ces noms sont au nombre de 9. Ils représentent :
- 1° Huit employés touchant par mois 200 francs et plus ; 2° un contre-maître touchant un peu moins de 200 francs (170 à 175), mais dont le travail comportait toute une part de recherches , d’innovations industrielles.
- Ce sont là deux documents dont la portée atteint la méthode même de distinction des mérites par le suffrage, puisque c’est la déclaration par des électeurs
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- DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES
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- qu’ils ne sont pas en possession des lumières voulues pour rendre tout le jugement demandé. C’était pour parer à cette incompétence facile à prévoir que G. avait proposé la constitution de groupes d’après le tirage au sort.
- En effet, le classement par tirage au sort, avait cette conséquence (entre autres) : rassembler en un même groupe les titulaires des fonctions les plus diverses. Ainsi pour les opérations relatives au mois de janvier, nous voyons réunis le chef de la comptabilité, une vendeuse des magasins de l’habitation unitaire, un surveillant de fonderie, etc... ; dans un autre groupe le sort a rassemblé le sculpteur des modèles , un surveillant maçon, un surveillant d’ajustage, un chef de fonderie, etc...
- C’était pour l’électeur soucieux de remplir au mieux son rôle, la possibilité de se renseigner sur les mérites des travailleurs dont sa propre fonction le tenait éloigné, à condition toutefois, on le comprend, que la dominance générale fût l’esprit d’observation, d’impartialité, d’équité.
- (A suivre).
- Vve J.-B.-A. Godin, née Moret,
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- LE DEVOIR
- CHRONIQUE PARLEMENTAIRE
- Les retraites ouvrières.
- On sait que la Chambre des députés a décidé d’aborder , immédiatement après la séparation des Eglises et de l’Etat, la discussion de la grosse question des retraites ouvrières. Le rapport de la commission d’assurance et de prévoyance, rédigé par M. Guieysse, est depuis plusieurs mois distribué. Il marque le point d’aboutissement des études provoquées par le dépôt d’une soixantaine de propositions de loi succédant à celle de Martin Nadaud , qui posa, pour la première fois, en 1879, la question devant le Parlement.
- Toutes ces propositions se ramènent aux principes fondamentaux suivants : Inscription facultative ou obligatoire des travailleurs; corrélation des versements des travailleurs et des patrons ; subvention de l’Etat; répartition immédiate des sommes perçues entre les anciens travailleurs ou capitalisation de ces sommes pour garantir les retraites avec application de mesures transitoires.
- La commission s’est prononcée en faveur de la contribution obligatoire des travailleurs , des patrons et de l’Etat; elle a, en outre , donné sa préférence au système de la capitalisation.
- Le dépôt du rapport de M. Guieysse n’a pas arrêté l’élan qui porte, depuis plus d’un quart de siècle, le législateur vers la solution du problème de la sécurité du travailleur que l’âge ou les infirmités rendent incapable de subvenir aux nécessités de la vie. Diverses propositions y relatives ont vu le jour depuis ce moment, dont la commission d’assurance et de prévoyance fera sans doute état ; mais c’est le système arrêté par la commission qui semble devoir servir de base à la dis-
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- CHRONIQUE PARLEMENTAIRE 331
- cussion et il nous paraît intéressant, avant que le débat s’engage, d’en rappeler les dispositions générales.
- Il y est tout d’abord stipulé que tout ouvrier ou employé, tout sociétaire ou auxiliaire employé par une association ouvrière, a droit, s’il est Français, et dans les conditions dont nous parlerons plus loin, à une retraite de vieillesse à soixante ans, et, le cas échéant, à une retraite d’invalidité, payable mensuellement sur certificat de vie délivré sans frais par le maire de sa résidence.
- Ces retraites sont assurées soit par la caisse natio-dale des retraites ouvrières, soit sous la garantie de l’Etat, par les sociétés de secours mutuels, les caisses patronales ou syndicales, les sociétés d'assurances sur la vie, les syndicats de garantie solidaire ou les syndicats professionnels.
- Elles sont constituées par un prélèvement de 2 p. 100 sur le salaire des ouvriers et employés, par un versement égal des employeurs et par une subvention annuelle de l’Etat.
- La loi ne s’applique aux employés recevant des émoluments supérieurs à 2,400 francs que jusqu’à concurrence de cette somme. C’est le chiffre déjà adopté dans la loi des accidents.
- Les ouvriers et employés âgés de moins de 60 ans, reçoivent gratuitement une carte annuelle d’identité sur laquelle les versements sont représentés par des timbres-retraite.
- La retraite est liquidée d’après ces versements, et la majoration de l’Etat est définitivement arrêtée lorsque l’ouvrier atteint 60 ans. Il peut néanmoins ou demander la liquidation de sa retraite à partir de l’âge de 50 ans, ou ajourner son entrée en jouissance après 60 ans.
- Dans le premier cas, il n’a pas droit aux majorations de l’Etat, et s’il continue à travailler, les contributions de l’employeur sont versées au compte du fonds de bonification.
- Dans le second cas, si les employeurs conservent un
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- Le devoir
- ouvrier ayant dépassé l’âge de 60 ans^ ils continuent à opérer le versement de 2 pi 160 du salaire. Si l’ouvrier veut continuer à È'ûhir le prélèvement de 2 p. 100 sur son salaire, les deux contributions s’ajoutent à son compte» Sinon, la contribution des employeurs est versée au fonds de bonification qui sert, alimenté pat* d’autres ressources encore, à servir diverses allocations et à payer les dépenses d’application de la loi.
- Les ouvriers étrangers immatriculés aux termes de la loi du S août 1893 et résidant en France, sont soumis au même régime que les ouvriers Français. S’ils ne «ont pas immatriculés, leur contribution est de 4 p* k60. Mais ils ne bénéficient de la contribution patronale et de la subvention de l’Etat que s’ils Ont au moins cinq ans d’immatriculation ou si leur pays d’origine garantit à nos nationaux des avantages équivalents. Pour les ouvriers et employés étrangers qui, ne bénéficiant pas de la disposition précédente, sont immatriculés et résident en France, l’employeur est tenu de verser directement tous les moisau compte du fonds de bonification une contribution de 2 p. 100.
- L’ouvrier ou employé atteint, avant soixante ans, d’invalidité permanente non causée par une faute inten • tionnelle, a droit à la liquidation anticipée de sa retraite. Est réputé invalide l’ouvrier qui ne peut plus gagner le tiers du salaire normal de son métier.
- La retraite est également applicable aux ouvriers agricoles , moyennant un versement de 5 centimes par jour salarié, dont moitié à fournir par l’exploitant et moitié à prélever sur le salaire. L’Etat intervient également pour parfaire la retraite de 240 francs attribuée aux travailleurs agricoles.
- Ainsi donc, la subvention de l’Etat est destinée à gaçantir un minimum de 360 francs pour les travailleurs du commerce et de l’industrie et de 240 francs pour ceux de l’agriculture. Elle sert, en outre, à donner aux veuves et aux orphelins un capital de 300 francs payables en six mensualités, et à assurer une
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- CHRONIQUE PARLEMENTAIRE 333
- retraite aux travailleurs atteints prématurément d’invalidité.
- La retraite, composée ainsi des contributions de l’ouvrier, du patron et de l’Etat, ne peut être inférieure, après trente ans de services, à 360 francs, quitte pour l’Etat à compléter cette somme.
- A cet effet, l’Etat majorera la retraite d’une somme de 120 francs, correspondant au tiers de la pension, pourvu que les versements aient été effectués au compte de l’intéressé pendant trente années à raison de 20 francs par an, y compris les versements, personnels, complémentaires, autorisés dans les conditions d’un règlement d’administration publique prévu par la loi.
- La retraite qui, calculée sur la base du capital aliéné avec l’entrée en jouissance à l’âge déterminé par la loi et ainsi majorée n’atteindrait pas 360 francs, fera l’objet d’une majoration complémentaire l’élevant à ce chiffre. Inversement, la majoration de l’Etat ne s’appliquera que dans la mesure nécessaire pour porter à 360 francs la retraite calculée dans ces conditions.
- Ici, nous touchons au point le plus délicat du complexe problème des retraites ouvrières. D’après les calculs de la commission, les sommes demandées à l’Etat pour les pensions ouvrières seront d’environ 60 millions pbur la première année et s’élèveront à environ 230 millions après trente ans, pour s’abaisser ensuite à une valeur constante d’environ 90 millions. Or, ils sont nombreux ceux qui même en acceptant ces évaluations, qu’ils jugent optimistes, pensent que l’effort financier à faire est au-dessus de nos ressources budgétaires, et le ministre [jdes finances ne voit pas, sans quelque appréhension, approcher le jour où il devra dire à la Chambre et au pays où il prendra les sommes nécessaires à la réalisation de la réforme projetée. Tout en acceptant le système de la capitalisation sur lequel est fondé tout le projet de la commission, le ministre a toujours fait des réserves sur les conséquences du projet. La com-
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- mission considère que lorsque la loi sera en plein fonctionnement, les capitaux qui y seront engagés ne monteront pas à moins de 10 milliards après 25 ans et 20 milliards en période constante. Le ministre redoute pour le trésor public, le poids de l’alea qui résulterait de la variation du cours des capitaux et de rabaissement continu du taux de l’intérêt.
- Si l’accord ne s’établit pas vite entre le ministre et la commission, sur ce point et sur quelques autres dont le détail nous entraînerait trop loin, la discussion du projet pourrait bien en être retardée, à moins qu’on laisse le différend se manifester devant la Chambre, qui aura alors aie trancher souverainement. A quelle solution s’arrêtera-t-on? C’est le secret d’un avenir peut-être lointain. Même débarrassé de la préoccupation de placements de fonds et réduit aux proportions d’une simple question budgétaire, le problème reste plus difficile à résoudre que ne le ferait supposer l’abondance et la variété des moyens proposés à cet effet : taxes spéciales, centimes additionnels, impôt général sur les revenus, impôt sur les revenus supérieurs à un chiffre déterminé, monopole de l’alcool, monopole du pétrole, surtaxe sur les héritages « dont le taux serait augmenté en raison inverse du degré de parenté et en raison directe du chiffre de la fortune », (propositions Maujan, Colin), suppression de l’hérédité en ligne collatérale (proposition Félix Martin), etc.
- En dehors de la collaboration nécessaire de l’Etat à la constitution de la caisse des retraites ouvrières, ne ne faut-il pas faire face aux dépenses nouvelles que va nécessiter l’assistance obligatoire aux vieillards et aux infirmes (60 millions dont 20 millions à la charge de l’Etat, le reste à la charge des départements et des communes), la réforme militaire, l’extension de nos services d’enseignement, l’organisation nouvelle du travail et les retraites du personnel des chemins de fer, sans parler de l’accroissement en quelque sorte automatique des pensions civiles et militaires dont le mon-
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- tant (226 millions en 1904) sera de 340 millicns dans trente ans, juste au moment où, suivant les évaluations du rapporteur, les pensions ouvrières atteindront leur maximum , soit environ 230 millions?
- Les difficultés financières ne sont pas l’unique obstacle à une prompte solution de la question des retraites ouvrières. La commission et la Chambre auront à compter avec un mouvement mjitualiste dont les protestations contre un projet de loi qui, de Lavis de ses chefs et des groupes qui en ont délibéré, menacerait l’existence des sociétés de secours mutuels, ont trouvé un écho dans la plupart des conseils généraux.
- Nous avons vu que les sociétés de secours mutuels étaient au nombre des institutions qui peuvent, sous la garantie de l’Etat, assurer le service des retraites ouvrières.
- D’après l’article 25du projet de loi, toute société de secours mutuels,, préalablement agréée à cet effet, par décret ministériel, est admise à constituer, pour les travailleurs qui lui sont affiliés, les retraites prévues par la loi projetée.
- Lorsqu’il existe des sociétés de secours mutuels ainsi agréées dans le canton où sont payables les salaires, l’employeur est tenu de verser mensuellement à ces sociétés la contribution de 2 % qui lui incombe , pour tous ceux de ses ouvriers et employés qui en font la demande, en désignant la société à laquelle ils sont affiliés.
- Les cotisations des sociétés de secours mutuels affectées à un autre service que celui de la retraite peuvent être prélevées à la demande des sociétaires, sur la retenue de 2 0/0 faite sur leurs salaires, sans toutefois que ce prélèvement puisse dépasser la moitié de cette retenue.
- La majoration de l’Etat sera calculée comme si la totalité des versements avait été effectuée en vue de la retraite*
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- Le devoir
- Au moyen de ces versements, est-il dit dans l’article 26, la société assure aux intéressés, à l’âge prévu par la présente loi, des retraites de vieillesse garanties au moins égales à celles que produiraient lesdits versements d’après les tarifs en vigueur pour la Caisse nationale des retraites ouvrières au moment des versements, à* charge de transférer la réserve mathématique calculée d’après les mêmes tarifs, de toute retraite en cours de constitution, dès que cette constitution devra être poursuivie, au gré de l’intéressé, soit par la Caisse nationale des retraites ouvrières, soit par une des caisses visées par la loi.
- Si ces versements sont opérés à la Caisse des dépôts et Consignations, ils y reçoivent le taux annuel d’intérêt fixé par les tarifs de la Caisse nationale des retraites ouvrières.
- Pendant que les organes socialistes protestent contre le régime de privilège créé par des dispositions en vertu desquelles le mutualiste qui, sur les 2 0/0 de son salaire en affecte la moitié à s’assurer contre la maladie ou le chômage, et, ne versant en vue de la retraite que 1 0/0, n’en est pas moins traité par l’Etat comme s’il avait versé 2 0/0, le président de la Fédération nationale des sociétés de secours mutuels, M. Mabilleau, interprète ainsi ces dispositions :
- « Quelques-unes de nos sociétés, qui auront prouvé qu’elles assurent à leurs membres des pensions garanties au moins égales à celles de la Caisse de l’Etat et 'produites par les mêmes moyens, pourront être autorisées à recevoir les cotisations fixées par le barême légal, à condition de renoncer à leur constitution propre, à leur mode de placements et de capitalisation, en un mot, en cessant d’être mutualistes.
- » Et cette étrange concession doit nous consoler de l’écrasement des 20,000 autres sociétés qui se trouveront rejetées en dehors du régime imposé à l’épargne populaire ! »
- Après s'être résignés à l’intervention de l’Etat contre
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- laquelle ils avaient si longtemps lutté, à l’obligation naguère si détestée, les mutualistes avaient espéré, comme compensation, que la mutualité deviendrait l’organe nécessaire de la loi, et ils constataient avec stupeur que le projet de la commission ne lui faisait que la place d’une exception « dont on s’est encore appliqué à restreindre l’étendue et la portée ».
- Se référant au vœu émis l’année dernière par le congrès de Nantes, et fort de manifestations multiples, le Conseil de la Fédération nationale a déclaré dernièrement, à l’unanimité, qu’il ne se rallierait qu’à un système qui prendrait les œuvres de prévoyance libre pour types et pour base d’une organisation sociale.
- Ce système a pris corps dans la proposition de loi que M. Siegfried, député de la Seine-Inférieure, oppose au projet de loi de la commission.
- Aux termes de cette proposition, le service de l’assurance contre la vieillesse est réalisé par la caisse nationale des retraites pour la vieillesse, et les versements en vue de cette assurance sont opérés par l’intermédiaire obligatoire des sociétés de secours mutuels, libres ou approuvées, des unions et fédérations de ces sociétés.
- Une autre charge incombe aux sociétés de secours, constituées dans les limites delà loi du 1er avril 1898, celle d’assurer le service de l’assurance contre la maladie.
- L’une et l’autre assurance englobent obligatoirement tout ouvrier ou employé des deux sexes travaillant :
- 1° Dans les entreprises industrielles assujéties à la loi du 9 avril 1898 concernant les accidents du travail.
- 2° Dans les entreprises commerciales
- Comme toutes les communes ne sont pas pourvues de sociétés de secours mutuels, le projet décide que dans les communes où il n’existe pas de sociétés de secours mutuels , le maire devra réunir les personnes soumises à l’assurance et constituer avec leur concours une société de secours mutuels qui leur permette de satisfaire à la loi. Resteront seuls en dehors de l'adminis-
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- tration mutualiste les intéressés qui n’auront pu être admis dans une société de secours mutuels à raison de leur état de santé. En ce qui les concerne, la caisse de l’assistance médicale gratuite sera chargée du service d’assurance contre la maladie ; et c’est à cette caisse qu’ils verseront la part exigée de tous les intéressés pour l’assurance contre la maladie.
- Pour l’ensemble des services de prévoyance sociale visés par la loi, l’ouvrier ou l’employé devra verser 1 <y 0 du montant de son salaire annuel jusqu’à concurrence de 2.400 francs, le patron 1 0/° et l’Etat 1 0/° dans le même but et les mêmes conditions.
- Le quart de la somme consacrée au service de pré voyance devra être appliqué à l’assurance contre la maladie ; les trois autres quarts devront être affectés dans les proportions suivantes : un quart à la rente viagère à capital aliéné, une moitié au choix de l’intéressé, soit à une société de construction d’habitation à bon marché, soit à une société fondée en vue de l’acquisition de petites propriétés rurales, soit enfin , à l’augmentation de la rente viagère.
- En dehors des ouvriers ou employés travaillant dans les entreprises industrielles visées par la loi sur les accidents ou dans les entreprises commerciales, et qui sont soumis à l’obligation du versement, tout ouvrier ou employé, par exemple l’ouvrier ou employé agricole, aura la faculté de faire des versements pouvant s’élever chaque année jusqu’à 1 % du montant de son salaire annuel jusqu’à concurrence de 2 400 francs.
- Tout ouvrier ou employé, titulaire de rente viagère dans les conditions obligatoires ou facultatives de la proposition de loi, recevra de l’Etat une bonification annuelle de 60 francs, jusqu’à concurrence d’une rente de 360 fr.
- En cas de liquidation anticipée, la bonification ne lui sera accordée qu’à l’âge de 60 ans. Une subvention de 3 fr. par assuré et par an sera accordée par l’Etat à chacune des sociétés de secours mutuels intermédiaires,
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- pourvu que l’assuré ait fait un versement annuel et personnel de 6 fr. au moins.
- Telle est, dans ses grandes lignes, la proposition que M. Siegfried, oppose au nom de la mutualité française, au projet de la commission parlementaire. On y retrouve, à de très légères modifications près, la plupart des dispositions d’une proposition présentée l’an dernier parle député de la Seine-Inférieure. C’est ainsi que les deux propositions appliquent la législation sociale à l’assurance contre la maladie, et que réserve faite de l’intervention de la caisse médicale gratuite dans le cas particulier des intéressés qui n'ont pu être admis dans les sociétés de secours mutuels à raison de leur état de santé, l’une et l’autre font de la société de secours mutuels l’unique organe de l’assurance contre la maladie. Mais une différence profonde, sur le point capital de l’assurance contre la vieillesse, distingue les deux propositions. Alors en effet, que la plus ancienne fait appel à la multiplicité des caisses privées : caisses de retraites des sociétés de secours mutuels, des syndicats, caisses patronales, compagnies d’assurances, etc., en concurrence avec la caisse nationale des retraites pour la vieillesse, appelée à leur servir pour ainsi dire de régulateur, — la plus récente exclut ces divers concours, que la commission parlementaire admet dans son projet, et ne retient que la caisse nationale des retraites pour le service de l’assurance contre la vieillesse, avec les sociétés de secours mutuels pour unique intermédiaire entre cette caisse et l’assuré.
- M. Siegfried a soumis le texte de sa proposition au groupe parlementaire de la mutualité qu’il préside. Plus de la moitié des membres de la Chambre appartient à ce groupe. On en conclurait à tort que le projet de la commission d’assurance et de prévoyance est déjà condamné. Il ne faut pas oublier, en effet, que ce groupe compte de très nombreux partisans du projet de la commission et notamment le président de cette commission, auteur principal du projet, M. Millerand.
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- Il convient d’ajouter que 117 membres de la Chambre, pour la plupart fervents mutualistes, ont signe une proposition de loi tendant à constituer les retraites ouvrières et paysannes, et dont Fauteur, M. Henri Michel, déclare nettement qu’il n’est pas possible, sans faire courir aux sociétés de secours mutuels le plus grave danger, de les faire servir d’organes et de cadres à la caisse des retraites ouvrières.
- « Le nombre des membres qu’elles auraient à recevoir dans leurs cadres démesurément enflés et élargis serait bientôt tellement considérable , » dit M. Henri Michel, « qu’il ne serait plus possible à l’Etat de leur accorder les avantages qu’il leur a octroyés par la loi du 1er avril 1898. La bonification seule du taux de l’intérêt à 4 1/2 % ne tarderait pas à être pour lui une charge au-dessus de ses forces ».
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- Ont été promulguées :
- La loi du 31 mars 1905 modifiant divers articles de la loi du 9 avril 1898 sur les accidents du travail {Journal Officiel du 2 avril 1905) ;
- La loi du 2 mars 1905 attribuant aux tribunaux ordinaires l’appréciation des difficultés qui peuvent s’élever entre l’administration des chemins de fer de l’Etat et ses employés à l’occasion du contrat de travail (/. O. du 30 mars 1905) ;
- La'loi du 17 mars 1905 relative à la surveillance et au contrôle des sociétés d’assurances sur la vie et de toutes les entreprises dans les opérations desquelles intervient la durée de la vie humaine (/. O. du 20 mars 1905).
- La loi portant fixation des dépenses et des recettes pour l’exercice 1905 est entrée en vigueur le 1er mai 1905.
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- la Législation internationale ouvrière
- L’exemple de la convention franco-italienne du 15 avril 1904 a porté ses fruits. On sait que cette convention a principalement pour objet de faciliter aux ressortissants de l’un des deux pays travaillant dans l’autre, la jouissance de leurs épargnes, de les faire bénéficier des avantages de la législation sur les assurances , de garantir le maintien et de favoriser le développement des lois concernant la protection ouvrière. Il impose aux deux Etats l’obligation de prendre part à une conférence internationale ayant pour but l’unification des conditions du travail. Nous lisons dans l’Office du travail français qu’à l’occasion du renouvellement des traités de commerce, plusieurs puissances ont manifesté l’intention de conclure entre elles des conventions analogues à la convention franco-italienne et ont pris à cet effet des engagements qui ont été insérés dans les traités de commerce eux-mêmes.
- C’est d’abord le traité de commerce entre l’Italie et la Suisse, conclu le 13 juillet 1904, qui contient un article 17 ainsi conçu : « Les parties contractantes s’engagent à examiner d’un accord commun et amical le traitement des ouvriers italiens en Suisse et des ouvriers suisses en Italie à l’égard des assurances ouvrières, dans le but d’assurer, par des arrangements opportuns, aux ouvriers des nations respectives dans l’autre pays un traitement qui leur accorde des avantages autant que possible équivalents.
- « Ces arrangements seront consacrés indépendamment de la mise en vigueur du présent traité par un acte séparé. »
- En second lieu le traité additionnel au traité de commerce du 6 décembre 1891 conclu entre l’Empire aile-
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- mand et Pltalie le 3 décembre 1904, contient dans son article 4 une disposition qui prend place comme article 2 a dans le traité de 1891.
- Cet article est la reproduction textuelle de l’article précité du traité italo-suisse.
- Enfin l’article 6 du traité additionnel au traité de commerce du 6 décembre 1891 , conclu le 19 janvier 1905 entre l’Empire allemand et l’Autriche-Hongrie, est ainsi conçu :
- « Les parties contractantes s’engagent à examiner, dans un accord amical, le traitement des ouvriers de l’une des parties travaillant dans le territoire de l’autre, à l’égard de la protection des travailleurs et des assurances ouvrières dans le but d’assurer réciproquement à ces ouvriers, par des engagements opportuns, un traitement qui leur accorde des avantages autant que possible équivalents. Ces arrangements seront consacrés, indépendamment de la mise en vigueur du présent traité, par un acte séparé. »
- Cet article offre, on le voit, de très grandes analogies avec le texte des articles italo-suisse et italo-allemand. La seule différence consiste en ce qu’il vise à la fois la protection ouvrière, c’est-à-dire la règlementation du travail, et les assurances ouvrières, tandis que ce dernier point est seul visé dans les textes italo-suisse et italo-allemand.
- Malgré l’absence de dispositions analogues dans les traités conclus, à la même époque, par l’Empire allemand avec la Belgique, la Russie, la Roumanie, la Serbie et la Suisse, il n’y a aucun doute à avoir sur ses dispositions favorables à des ententes de ce genre, quand bien même elles ne seraient pas attestées par l’acte décisif de la convention austro-allemande.
- Lors de la première lecture des traités de commerce au Reichstag, le comte Posadowsky, secrétaire d’Etat, fit l’éloge des conventions en matière d’assurance ouvrière et de protection des travailleurs; il déclara qu’en l’état d’avancement de la législation sociale allemande,
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- il y avait intérêt pour ce pays à presser les autres Etats de marcher sur ses traces , s’il ne voulait pas se trouver un jour placé dans une situation désavantageuse sur le marché international par le prix plus élevé de ses produits.
- A ce point de vue, la question qui préoccupe le plus le gouvernement allemand, comme elle préoccupe les représentants de toutes les nations industrielles, est celle de la diminution légale des heures de travail. Il résulte des déclarations faites par le secrétaire d’Etat comte Posadowski au Reichstag, dans la séance du 7 février 1905, que l’Empire allemand a pris l’initiative de négociations avec l’Italie, la Suisse, l’Autriche-Hongrie et la Belgique pour arriver à la diminution simultanée dans ces pays de la durée du travail des ouvrières de fabrique.
- M. Trimborn, député du centre, avait déposé une interpellation par laquelle il demandait « si l’on pouvait espérer que le Conseil fédéral présenterait avant la fin de la session en cours un projet de loi réduisant à dix heures au maximum la durée normale du travail des ouvriers de plus de seize ans dans les fabriques et les établissements y assimilés. >
- M. le comte Posadowsky, au cours de sa réponse à cette interpellation, fit les déclarations suivantes :
- « Quand ce travail sera prêt, les gouvernements fédérés se livreront à un examen sérieux et approfondi de la question de savoir si la durée du travail ne pourrait pas être réduite pour les ouvrières en admettant un certain délai de transition. Mais là aussi la question de la concurrence étrangère a une importance exceptionnelle.
- « C’est pourquoi j’ai fait pressentir par le ministère des affaires étrangères les gouvernements d’Italie, de Suisse, d’Autriche-Hongrie et de Belgique sur l’accueil qu’ils feraient à la proposition d’avancer simultanément en ce qui concerne la durée du travail. La Suisse a fait déjà parvenir une réponse favorable, je dirais presque son acquiescement.
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- <( La réduction des heures de travail pour les ouvrières atteindrait particulièrement notre industrie textile. Un délai approprié est, par suite, nécessaire.
- « S’il est possible de faire ce pas de concert avec les quatre Etats concurrents, je suis d’avis que les craintes qui ont été exprimées au sujet de la concurrence internationale ou seraient essentiellement affaiblies ou tomberaient entièrement. Nous voulons espérer que ces négociations aboutiront à un résultat favorable. »
- On remarquera qu’il n’est question dans ces déclarations ni de la Grande-Bretagne, ni de la France : dans ces deux pays, en effet, la réforme proposée par le gouvernement allemand, à savoir la limitation légale à dix heures de la durée du travail des ouvrières de fabriques a été déjà réalisée.
- Rappelons que la convention franco-italienne est la première convention internationale, qui contienne des stipulations à cet égard. Par l’article 4, § 4, de cette convention, le gouvernement italien a affirmé son intention de mettre à l’étude et de réaliser graduellement la réduction progressive de la durée du travail journalier des femmes dans l’industrie.
- • •
- La question du travail des femmes figurait dans le programme de la Conférence internationale qui s’est réunie, le 8 mai, à Berne. Cette conférence avait été convoquée par le gouvernement fédéral suisse à la demande de l’Association internationale pour la protection légale des travailleurs.
- L’Association internationale constituée à Bâle en 1901 s’est donné, comme on sait, pour tâche, l’étude des lois de protection ouvrière dans les différents pays et tout spécialement des points qui pourraient faire l’objet d’une législation uniforme. Elle a un caractère privé, mais elle reçoit des subsides des Etats suivants : la Suisse, l’Allemagne, la France, les Pays-Bas, l’Autriche, fltalie , la Belgique , les Etats-Unis. Ces subventions alimentent le budget de l’Office international du travail
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- dont le siège est à Bâle et dont le directeur est M. le professeur E. Bauer. Dans les assemblées de ses délégués les représentants du gouvernement et ceux des sociétés privées se réunissent pour discuter en commun. C’est elle qui, par ses travaux et par ses démarches, a frayé les voies à un nouveau débat international (la première conférence réunie à Berlin le 15 mars 1890 s’était bornée à émettre des vœux platoniques) et jeté les bases sur lesquelles l’entente officielle devait se faire pour aboutir â des résultats positifs.
- Pour faire une œuvre pratique et durable la conférence l’avait limitée à l’examen de deux questions spéciales : l’interdiction du travail de nuit des femmes dans les fabriques et l’interdiction de l’emploi du phosphore blanc dans la fabrication des allumettes.
- A cette œuvre le Conseil fédéral suisse avait convié les autres nations. Toutes les puissances européennes étaient représentées à la Conférence, hormis la Russie et la Grèce. Les Etats-Unis ne figuraient pas non plus au nombre des invités du gouvernement suisse, attendu qu’une délégation de ce pays n’eût pu prendre aucun engagement valable dans des questions de travail, qui, réservée à la compétence de chacun des Etats de l’Union n’appartiennent pas au domaine fédéral. Quant au Japon, son absence a été regrettée en raison des intérêts qu’aurait l’Autriche-Hongrie à une entente avec ce pays qui est son principal concurrent dans le débit des allumettes en Extrême-Orient.
- Dès le début, la Conférence, présidée par M. Ducher, président du Conseil fédéral, chef du département de l’agriculture , du commerce et de l’industrie , s’est déchargée de ses travaux sur deux commissions, l’une spécialement chargée du phosphore blanc, l’autre du travail de nuit des femmes.
- Les deux commissions ont tenu des séances bien remplies, à huis-clos ; des sous-commissions examinaient les points les plus discutés. Après les séances des commissions les séances plénières, toujours à huis-clos : pas de discours pour la galerie.
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- Après une quinzaine de jours de sérieuses discussions la Conférence internationale a formulé ses décisions sur les deux points qui lui étaient soumis.
- Sur l’interdiction de l’emploi du phosphore blanc dans Tindustrie des allumettes, la Conférence a arrêté les bases d’une Convention internationale dont voici le texte :
- Article ler. A partir du ler janvier 1911, il sera interdit de fabriquer, d’introduire ou de mettre en vente des allumettes contenant du phosphore blanc.
- Art. 2. Les actes de ratification devront être déposés, au plus tard le 31 décembre 1907.
- Art. 3. Le gouvernement du Japon sera invité à donner son adhésion à la présente convention avant le 31 décembre 1907.
- Art. 4. La mise en vigueur de la convention reste subordonnée à l’acceptation de tous les Etats représentés à la conférence et à celle du Japon.
- Sous le titre : « Bases d’une convention internationale sur l’interdiction du travail de nuit aux femmes employées dans l’industrie », la Conférence a pris la résolution suivante :
- Art. 1er. Le travail industriel de nuit sera interdit à toutes les femmes sans distinction d’âge, sous la réserve des exceptions prévues ci-après.
- La convention s’appliquera à toutes les entreprises industrielles où sont employés plus de dix ouvriers et ouvrières ; elle ne s’appliquera en aucun cas aux entreprises où ne sont employés que les membres de la famille.
- A chacune des parties contractantes incombera le soin de définir ce qu’il faut entendre par entreprises industrielles. Dans celles-ci seront comprises les mines et carrières, ainsi que les industries de fabrication et de transformation des matières.
- La législation nationale précisera sur ce dernier point la limite entre l’industrie d’une part, l’agriculture et le commerce d’autre part.
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- Art. 2. Le repos de nuit visé à l’article précédent aura une durée minimum de onze heures consécutives. Dans les onze heures, quelle que soit la législation de chaque Etat, devra être compris l’intervalle de dix heures du soir à cinq heures du matin. Toutefois, dans les Etats où le travail de nuit des femmes adultes employées dans l’industrie n’est pas actuellement réglementé, la durée du repos ininterrompu pourra, à titre transitoire et pour une période de trois ans au plus, être limitée à dix heures.
- Art. 3. L’interdiction du travail de nuit pourra être levée : 1® en cas de force majeure, lorsque dans une entreprise se produit une interruption du travail impossible à prévoir et n’ayant pas un caractère périodique ; 2° dans le cas où le travail s’applique à des matières susceptibles d’altération très rapide, chaque fois que cela sera nécessaire pour sauver ces matières d’une perte inévitable.
- Art. 4. Dans les industries soumises à l’influence des saisons et en cas de circonstances exceptionnelles pour toute entreprise, la durée du repos ininterrompu de nuit pourra être réduite à dix heures, soixante jours par an.
- Art. 5. Les ratifications de la convention à intervenir devront être déposées au plus tard le 13 décembre 1907,
- Pour la mise en vigueur de la convention, il sera stipulé un' délai de trois ans à dater du dépôt des ratifications. Ce délai sera de dix ans : 1° pour les fabriques de sucre brut de betterave : 2° pour le peignage et la filature de la laine ; 3° pour les travaux au jour des exploitations minières, lorsque ces travaux sont arrêtés annuellement quatre mois au moins par des influences climatériques.
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- FAITS POLITIQUES ET SOCIAUX
- SUISSE
- L’assurance contre les maladies et les accidents.
- Une délégation du conseil fédéral suisse examine en ce moment des projets de loi, élaborés par le docteur E. Ceresole, tendant à établir l’assurance contre les maladies et accidents. En voici les grandes lignes :
- L’assurance maladie sera basée sur le principe dé l’encouragement et de la surveillance des caisses de secours mutuels contre les maladies par la Confédération. Le droit d’instituer l’obligation à l’assurance et de créer des caisses publiques sera entièrement laissé aux cantons. Pour avoir droit aux subsides, les caisses devront satisfaire à certaines conditions, notamment : une sécurité suffisante, une certaine liberté de passage, l’admission des femmes, ainsi qu’un minimum de valeur et de durée des prestations. Les caisses jouiront, de plus, du droit de la personnalité civile et de l’exemption d’impôts. On examinera aussi l’opportunité de subsides fédéraux accessoires accordés aux cantons qui prendraient des mesures spéciales pour le traitement à bon marché de leur population, de même qu’aux caisses établies dans des régions où les conditions topographiques rendent le traitement des maladies particulièrement onéreux.
- Dans l’assurance accident, l’obligation serait limitée aux personnes (employés et ouvriers) qui bénéficient actuellement du régime de la responsabilité civile. Ce régime serait , en revanche, aboli. L’assurance sera facultative pour les personnes travaillant dans l’agriculture, les arts et métiers ou la petite industrie, et pour les employeurs des assurés obligés ou volontaires. Tous
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- Faits politiques et sociaux 349
- les assurés bénéficieraient d’un subside fédéral. L’assurance serait faite par une grande mutuelle suisse gérée en commun par les intéressés eux-mêmes et par la Confédération. Les caisses subventionnées de secours mutuels serviraient d’organes à cet établissement et ses assureurs pour les petits accidents. Quant aux prestations, elles se baseraient essentiellement sur les dispositions du projet de 1899.
- Il va sans dire que ces projets peuvent subir d’importantes modificatiors de la part de la délégation elle-même et du Conseil fédéral. Les projets qui sortiront de leurs délibérations seront simultanément soumis aux chambres fédérales, tant pour l’assurance accident que pour l’assurance maladie. La question de savoir s’il conviendrait de fondre les deux projets en une seule loi a été réservée. Mais avant d’arrêter dans leurs détails des projets définitifs, il est indispensable de dégager certains résultats de la nouvelle statistique des sociétés de secours mutuels, ce qui demandera un certain temps vu l’extrême complication des statuts des 2300 caisses recensées.
- On pense que le Conseil fédéral sera en mesure de saisir, vers la fin de l’année courante, les Chambres fédérales du résultat de ses travaux.
- Les idées sur lesquelles repose l’avant projet officiel peuvent se résumer comme suit : séparation de l’assurance maladie et de l’assurance accidents, décentralisation de l’assurance, subventions de l’Etat aux caisses libres de secours mutuels, moyennant certaines conditions à fixer par la loi.
- Ce sont ces principes qui ont inspiré la campagne des mutualistes contre l’étatisme du projet primitif de M. Forrer : Proclamés au lendemain du vote populaire du 20 mai 1900 qui repoussa ce projet, ils ont été réalisés partiellement sur le terrain cantonal genevois par la loi de 1903.
- Depuis un certain temps déjà M. le conseiller fédéral Forrer s’y était rallié. M. Forrer fait partie de la délégation de conseil fédéral qui prépare la nouvelle loi.
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- Après une lutte absolument semblable à celle qui se poursuit en France entre les mêmes éléments, les sociétés de secours mutuels suisses ont remporté la victoire sur l’assurance obligatoire organisée par l’Etat.
- L’apprentissage.
- L’assemblée annuelle des délégués de la Fédération suisse pour le patronage des apprentis, a voté les résolutions suivantes :
- « Il est vivement à désirer : 1<> que la loi rende obligatoire, sous le contrôle de l’Etat, le contrat d’apprentissage écrit, la fréquentation de cours professionnels pendant toute la durée de l’apprentissage et l’examen de fin d’apprentissage ; 2<> que l’apprentissage se fasse, s’il est possible, dans l’atelier d’un patron expert dans son métier, et soit complété par la fréquentation de cours ou écoles industrielles ou professionnelles ; 3° que les corporations patronales et ouvrières ainsi que les communes établissent, avec le concours de l’Etat, et suivant leurs besoins locaux, des cours et écoles professionnelles essentiellement pratiques et que dans ces cours et écoles, l’enseignement soit, autant que possible, collectif ; 4° que les mêmes organisations sociales établissent des patronages d’apprentis et des refuges ; 5*> que les mêmes faveurs soient accordées aux deux sexes.
- GRANDE-BRETAGNE Les droits des Trades-Unions.
- Nous avons dit que la Chambre des Communes a voté, le 10 mars, en seconde lecture, par 248 voix contre 151, un bill qui restitue aux Trades-Unions certains droits que les pouvoirs judiciaires leur avaient récemment contestés.
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- FAITS POLITIQUES ET SOCIAUX 351
- Voici le texte de ce projet :
- Article premier. — Il sera permis à une personne quelconque agissant, soit pour son compte, soit pour le compte d’une Trade-Union, ou d’autres associations ou individus, enregistrés ou non, en vue d’une grève, ou durant le cours d’une grève, de se tenir pour l’un des objets suivants à l’intérieur ou aux abords d’une maison ou du lieu où une personne réside, travaille, vaque à ses affaires, ou se trouve :
- 1° Dans le but d’obtenir ou de communiquer pacifiquement des renseignements ;
- 2° Dans le but de persuader pacifiquement à une personne de travailler ou de s’abstenir de travailler.
- Art. 2. — Une entente ou coalition de deux ou plusieurs personnes en vue d’exécuter ou de faire exécuter un acte tendant à préparer une grève ou à y prendre part, ne pourra pas donner lieu à une action dans le cas où un tel acte fait par une seule personne ne pourrait donner lieu à une action.
- Art. 3. — Une action ne pourra être intentée contre une Trade-Union ou une autre association susvisée en réparation de dommages causés à une ou plusieurs personnes par le fait d’un ou plusieurs membres d’une Trade-Union ou autre association susvisée.
- BULGARIE
- Le travail des femmes
- Une loi très importante pour la protection des femmes qui travaillent vient d’être promulguée. Cette loi interdit, notamment, le travail de nuit aux ouvrières de tout âge, dans tous les établissements, sauf dans l’industrie à domicile, si celle-ci n’emploie pas plus de cinq personnes protégées et étrangères à la famille.
- Est considéré comme travail de nuit le travail compris entre 8 heures du soir et 5 heures du matin, du l«r avril au I«r octobre, et 6 heures du matin, à
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- LE DEVOIR
- partir du 1er octobre jusqu’au 1er avril. La journée maximum pour les ouvrières de tout âge est fixée à 10 heures. Les amendes seront destinées à former un fonds qui doit servir à la constitution d’assurances sociales.
- FRANCE
- Referendum municipal
- Un conseil municipal peut-il substituer à sa propre décision la consultation populaire ? Peut-il organiser le referendum ?
- La question s’est posée pour une commune de la Charente, à Aigre. Le conseil municipal se demandait s’il userait ou non de la faculté qui lui est accordée par la loi de remplacer les journées de prestations sur les chemins vicinaux par la création de centimes additionnels aux quatre contributions. Pour sortir d’embarras, il décida qu’il serait procédé à un referendum et que tous les intéressés seraient appelés à se prononcer par un vote affirmatif ou négatif sur l’établissement de la taxe.
- Il était d’ailleurs nettement spécifié que le conseil municipal ne demandait pas seulement une consultation aux électeurs, mais qu’il entendait remplacer sa décision par la leur.
- Le Conseil d’Etat vient d’être appelé à se prononcer sur la légalité d’une pareille mesure.
- Le ministre de l’intérieur, appelé à émettre son avis, a estimé, en ce qui le concerne, que l’exercice du referendum est contraire au système représentatif tel qu’il fonctionne en France depuis 1789. Il a ajouté que si l’on peut trouver le germe de ce mode de consultation dans les enquêtes de commodo et incommodo, il faut reconnaître que le recours proprement dit au referendum n’a jamais été prévu ni autorisé parles lois municipales.
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- FAITS POLITIQUES ET SOCIAUX 353
- Le ministre se prononçait donc contre la légalité du referendum, sans distinguer d'ailleurs entre le cas où il ne s’agirait que d’une consultation préalable des électeurs et le cas de l’espèce, qui était un véritable remplacement de l’assemblée communale par les intéressés.
- Mais ce n’était que sur ce second cas que le Conseil d’Etat était appelé à statuer par les circonstances de l’affaire. ^
- Son arrêt porte qu’en se substituant la décision des électeurs, le conseil municipal a violé la loi et que sa
- délibération 'doit être déclarée nulle de plein droit.
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- NORWÈGE Le suffrage direct
- Le storthing, par 81 voix contre 36, à décidé d’introduire le système des élections directes pour le storthing, mais en admettant le scrutin de ballottage.
- Le nombre des membres du storthing se trouve porté à 123.
- Dans le système précédemment en vigueur, les électeurs étaient désignés à raison d’un électeur par cinquante électeurs dans les* villes et par cent électeurs dans les campagnes. Les électeurs primaires sont des censitaires ou des fonctionnaires.
- SUEDE
- Echec de la loi contre les grèves.
- Le projet de loi présenté par le gouvernement suédois au sujet de la prescription pénale à appliquer aux ouvriers pour dédit de contrat a été adopté par la première chambre ; mais la seconde l’a repoussé par 112 voix contre 110.
- De ce fait le projet est abandonné.
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- LE DEVOIR
- LA QUESTION DE LA PAIX
- L’union interparlementaire
- Le conseil de l’Union interparlementaire s’est réuni, le 15 mai, à Bruxelles.
- La France y était représentée par M. Labiche, sénateur. Il a été décidé qu’au programme de la prochaine conférence qui aura lieu le 28 août prochain, à Bruxelles, figureraient différents vœux relatifs aux travaux de la prochaine conférence des Etats à la Haye et, notamment, la motion présentée par M. Barthold au nom des Etats-Unis, tendant à ce que la prochaine conférence de la Haye établisse un modèle de traité d’arbitrage, organise la périodicité de ces conférences et fixe les bases de la représentation des différents Etats.
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- Le Congrès de Lille
- Le 26 avril s’est ouvert à Lille le 3e Copgrès national de la paix.
- M. Lyon, recteur de l’académie de Lille, présidait, ayant à ses côtés M. Frédéric Passy, membre de l’Institut, et M. Beauquier, député du Doubs.
- M. Lyon a fait, en ouvrant le Congrès, une profession de foi pacifiste, se glorifiant d’avoir été un des ouvriers de la première heure dans la campagne pour l’arbitrage. Il a ensuite passé en revue les objections opposées à la propagande pacifiste et démontré par de nombreuses décisions de la cour d’arbitrage de la Haye, par la solution du récent incident de Hull, que, quoi qu’on en dise, les idées pacifiques ont fait d’énormes progrès.
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- LA QUESTION DE LA PAIX
- Il s’est défendu de vouloir prêcher l’oubli du glorieux passé de la France dans l’enseignement de l’histoire ; mais il faut leur apprendre, a-t-il dit, que la transformation d’un peuple est aussi intéressante que la rencontre de deux armées qui s’exterminent.
- En souhaitant la bienvenue aux congressistes', M. Lyon s’est félicité qu’ils aient choisi Lille pour tenir leurs assises.
- « Dans ce pays de labeur, on connaît plus que partout ailleurs le prix de l’effort et on est pénétré profondément de la valeur de la vie humaine. Nulle part le combat à la mort pour protéger les travailleurs, pour sauver l’enfant n’est plus valeureusement mené ; nulle part non plus ne seront mieux écoutés les hommes qui font la guerre à la guerre pour épargner les plus pures et les plus robustes existences du pays.
- « Les pacifistes ne veulent pas la paix quand même et à tout prix. Ils la veulent par la justice, par le droit.»
- M. Frédéric Passy a parlé ensuite, montrant le chemin parcouru par les idées pacifistes depuis quarante années qu’il les sert. Il revendique la solution de Hull comme une victoire pacifiste, et oppose à la guerre d’Extrême-Orient, dont triomphent les adversaires des idées d'arbitrage, les nombreux conflits que la cour de la Haye a déjà évités. Il rappelle qu’à la réunion interparlementaire de Vienne le premier ministre, le président de la Chambre autrichienne ont, à maintes reprises, en français, dans des discours imprimés, et par conséquent approuvés en haut lieu, déclaré que l’arbitrage était entré dans le droit international et qu’il fallait le rendre obligatoire.
- M. Frédéric Passy fait un pressant appel aux mères pour qu'elles aident les pacifistes.
- « S’il est quelquefois nécessaire et beau de se sacrifier pour la patrie, il est plus beau encore de savoir, dans la justice et la beauté, vivre pour elle. Travaillez en dépit de toutes les résistances, ne vous laissez pas troubler parles arguties misérables qu’on nous oppose, ne
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- LE DEVOIR
- craignez pas qu'en prêchant le respect de la justice vous prépariez des générations efféminées et molles, incapables de défendre, si c’était nécessaire, le sol de la patrie. Mon regretté ami Jules Simon, disait un jour à ceux qui lui reprochaient de préconiser la paix : «Soyez sûrs que si la guerre nous était encore imposée, ceux qui la feraient le mieux ce seraient ceux qui l’auraient le plus combattue. »
- De chaleureux applaudissements ont salué le discours de M. Frédéric Passy.
- D’autres discours ont été prononcés par MM. le docteur Bécour, de Lille; Jacques Dumas, procureur de la République à Rethel; Lucien Le Foyer, le docteur Richet ; Nicolle, au nom des francs-maçons ; Gounelle, pasteur à Roubaix, au nom des protestants.
- La dépêche suivante a été adressée à M. Loubet :
- « Le troisième congrès national, réuni à Lille, prie M. le Président de la République d’agréer l’expression de son dévouement et de sa reconnaissance pour l'éminent concours qu’il n’a cessé de donner à la cause de la paix et de l’arbitrage entre les nations. »
- Le jeudi 27, a été rempli par des séances de travail. M. Charles Beauquier a traité de la politique extérieure de la France pendant l’année écoulée. M. Spalikowski, secrétaire général de la délégation permanente, a donné lecture d’un rapport deM. F. Passy sur les causes économiques des guerres.
- Ce rapport tend à démontrer que seule la paix permet à tous d’agrandir la richesse commune.
- La lecture de ces rapports a entraîné l'adoption de l’ordre du jour suivant proposé par M. Arnaud : « Le Congrès souhaite la publication par la fondation de Bloch, le Bureau international de la Paix ou l’Institut international de la Paix, d'un tableau et de graphiques accompagnés d’un article explicatif relatant les causes des guerres et notamment, en regard, leur coût en hommes et en argent, ainsi que leurs diverses conséquences économiques. »
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- Après une très longue discussion , le congres a adopté en outre les voeux suivants déposés par M. J. Dumas :
- « 1° Le Congrès émet le vœu qu’en conformité de l’article 19 de la Convention internationale de 1899 , la deuxième conférence de la Haye établisse, entre les hautes puissances contractantes, un traité d’arbitrage obligatoire et permanent s’étendant, sans distinction, à toutes les causes de litige.
- « 2* Le Congrès émet le vœu que la deuxième conférence de La Haye mette à l’étude la question de la création d’une assemblée législative internationale officielle et permanente, par exemple au moyen de la Conférence interparlementaire.
- « 3° Le Congrès émet le vœu que la convention établie par la prochaine conférence reste ouverte à l’adhésion de toutes les puissances qui n’auraient pas pris part à cette conférence, et ce, conformément à l’article 60 de la convention de 1899. >
- La demande d’une formule exécutoire, déjà votée l’an dernier au congrès de Nimes, est repoussée.
- Le congrès pacifiste a terminé le troisième congrès national par un banquet.
- A la table d^honneur avait pris place sir Thomas Barclay, ayant à sa gauche M. Beauquier et à sa droite M, Frédéric Passy.
- Au dessert, M. Beauquier fait l’éloge de sir Thomas Barclay, l’infatigable apôtre de la paix, l’agent le plus direct du rapprochement franco-anglais.
- M. Barclay répond en déclarant que, pour imposer la paix, il faut lutter.
- « Ne croyez pas, » dit-il, « qu’on fait des conversions avec les sentiments ; c’est par la question d’intérêts qu’il importe d’attirer à soi les gouvernements et les peuples.
- « Nous triompherons de la guerre quand nous le voudrons, mais pour cela il faut de l’argent. Demandons-en au peuple. Imitons les ouvriers anglais qui ont sup-
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- primé les grèves en traitant de puissance à puissance avec leurs patrons, grâce aux gros sous amassés. »
- En terminant, M. Barclay boit à l’entente de l’Angleterre et de la France, à la paix universelle.
- M. Frédéric Passy répond à sir Thomas Barclay.
- « Nous étions, » dit-il, « des individus isolés et sans mandat, et pourtant, malgré les railleries, les calomnies, nous avons été droit notre chemin. Quand une chose est bonne à dire et bonne à faire, il faut résolument la dire et essayer de la faire. En quelques années, par notre volonté, nous avons retourné la politique de deux grandes nations du monde.
- « Ce n’est pas nous qui dirons qu’il ne faut point faire appel aux grandes pensées ; elles ont leur rôle, leur puissance. Efforçons-nous seulement de faire comprendre que les pensées nobles sont toujours d'accord avec les intérêts des peuples.
- « Inspirons la’ solidarité, disons et démontrons que nous souffrons des souffrances des autres ; leur pauvreté nous appauvrit, leur richesse nous enrichit. »
- Une sentence arbitrale
- Le tribunal d’arbitrage de la Haye a prononcé, le 22 mai, sa sentence dans le litige existant depuis cinq ans entre le Japon d’une part, la France, l’Allemagne, l’Angleterre, d’autre part, litige qui vise la taxe imposée par les municipalités sur les maisons construites sur des terrains concédés par le gouvernement japonais à des étrangers. Contrairement aux prétentions du Japon, les autres parties en cause soutenaient que l'exemption d’impôts accordée pour les terrains devait s’étendre aux bâtiments construits sur les terrains.
- Le tribunal composé de trois arbitres, un pour le Japon, un autre pour les trois nations européennes et le troisième choisi par les deux premiers, a donné raison aux puissances européennes.
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- Le représentant du Japon, usant de la faculté que lui confère l’article 52, alinéa 2 de la convention pacifique pour le règlement des conflits internationaux, a tenu à constater son dissentiment absolu avec la majorité du tribunal, en ce qui concerne les motifs comme le dispositif de la sentence.
- La conciliation internationale.
- Sous ce titre : « Les intérêts nationaux et la conciliation internationale », une Association considérable vient de se former, sous la présidence de MM. Berthelot, Léon Bourgeois, d’Estournelles de Constant, pour la France; le duc de Malborough, pour l’Angleterre ; Andrew Carnegie, pour les Etats-Unis; Bernaert, pou'r la Belgique ; Haeckel, pour l’Allemagne ; baron de Staal, pour la Russie ; F. Nansen pour la Norvège ; de Lagerhim, pour la Suède ; comte Schoenbord, pour l’Autriche ; de Beaufort, pour les Pays-Bas ; M. Silvela, pour l’Espagne ; le comte Nigra, pour l’Italie ; le baron Suyetmatsu, pour le Japon, avec la participation d’une élite de savants, d’écrivains, d’artistes, d’hommes politiques et de jurisconsultes de tous les pays d’Europe et d’Amérique.
- Cette Association, s’appuyant sur un grand nombre de groupements déjà existants, a pour objet de développer la prospérité intérieure de chaque pays à la faveur de ses bonnes relations extérieures.
- Elle a pour devise générale : « Pro Patria per orbis concordiam ».
- Son programme est le suivant : Education de l’opinion, développement de l’arbitrage, rectification des informations tendancieuses, revue internationale, publications de conférences, Congrès, auditions, exposition pratique des langues étrangères, voyages, échanges de visites internationales entre Parlements, commerçants, étudiants, Associations scientifiques, artistiques, ouvrières, professionnelles , missions , expéditions scientifiques ,
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- prix, bourses de voyages, échanges d’enfants, d’élèves, de professeurs, d’ouvriers , d'artistes, de spécialistes, écoles d’expositions, placement des jeunes gens recommandables à l’étranger, création sans esprit de parti de la Maison des Etrangers, centre de relations entre les individualités d’élite du monde entier, foyer d’attraction d’échange, de diffusion, fermé à la violence, ouvert à la pensée.
- # #
- Une nouvelle manifestation de l’entente cordiale
- Les médecins anglais ont rendu à leurs confrères français la visite que ceux-ci leur avaient faite à Londres l’année dernière.
- Iis ont été reçus dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne par le professeur Debove, doyen de la faculté de médecine, qui a salué ses hôtes en ces termes :
- « On a dit que la science n’avait pas de patrie, mais que les savants en avaient une. Rien n’est plus exact.
- « Dans notre patrie commune, on ne persécute pas ceux qui n’acceptent pas nos théories politiques ou religieuses, on n’y connaît pas la guerre, cette honte de l’espèce humaine. On y travaille, par l’accroissement de nos connaissances, à élargir le cercle d’ombre qui nous enveloppe, à soulager la misère, à prévenir la maladie ou à la guérir.
- « Concitoyens d’une même patrie, nous n’avons pas été étonnés du cordial accueil que vous nous avez fait l’année précédente et, aujourd’hui, nous sommes heureux et fiers de vous recevoir dans notre antique faculté.
- «Vous êtes ici dans une maison qui nous est commune et dont les murs vous saluent comme des amis impatiemment attendus. »
- Le chef de la délégation anglaise a remercié par quelques mots aimables ; puis nos hôtes se sont rendus à l’Hôtel de Ville où la réception a été particulièrement brillante,
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- C’est le président du conseil municipal, M. Brousse, qui a pris le premier la parole en exprimant l’espoir que la délégation n’emporterait pas un trop mauvais souvenir de son passage dans cette maison dont on allait lui faire les honneurs.
- « Nulle part, » a-t-il dit, « on ne vous est plus reconnaissant de cette entente cordiale dont vous fûtes les meilleurs artisans.
- « Comme l’a si bien dit à Londres votre honorable président, M. le docteur William Broadbent, « l’entente scientifique a singulièrement précédé l’entente politique ».
- « Eh ! ne nous appartient-il pas, messieurs, ne convient-il pas aux savants que vous êtes d’être les excellents diplomates de la paix ? A vous qui, sur les champs de bataille et dans les luttes de la politique, ne consentez à voir autour de vous que des amis, dans les hommes que la souffrance élève à la dignité de malades ou de blessés ?
- « ...Vous ne me pardonneriez, pas, messieurs, en cet endroit, de ne pas rendre hommage à votre souverain, le roi Edouard VII, dont l’intervention si politique, en un moment si périlleux, nous a assuré la paix, ce bien suprême.
- « Cependant, comme tous les grands évènements- historiques, cette amitié n’est point le produit fortuit d’une volonté unique. '
- « Il a fallu compter avec le temps nécessaire à toute évolution naturelle, et c’est précisément cette laborieuse genèse qui prouve sa nécessité et nous est le garant de sa solidité et de sa durée. »
- Le préfet de la Seine rappelant la belle réception faite en 1904 aux médecins français par la ville de Londres, témoigne de la joie qu’éprouvent les Parisiens à recevoir aujourd’hui les médecins anglais.
- « Nous ne saurions non plus oublier, » ajoute-t-il, « que dès 1874, alors que notre immortel Pasteur était dans l’isolement et que le monde médical avait à son égard
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- une attitude qui ne semblait pas destinée à en marquer le terme, ce fut chez vous qu’en la personne de sir Joseph Lister, il trouva son premier allié.
- « Combien il nous plaît de nous "rappeler l’émotion ressentie à la mémorable séance de la Sorbonne du 27 décembre 1892, lorsque Lister, après avoir retracé les luttes passées, s’approcha de Pasteur et que les deux savants s’embrassèrent d’une étreinte fraternelle scellant en quelque sorte par avance, dans ce baiser.de la science, l’amitié de nos patries. »
- Un traité d’arbitrage.
- Les représentants des gouvernements de Danemark et de Russie ont signé à Pétersbourg, le 1er mars, (16 février 1905) une convention d’arbitrage.
- Les parties contractantes s’engagent, par cette convention, à soumettre à la Cour permanente d’arbitrage de La Haye les différends qui viendraient à s’élever entre elles, pour autant qu’ils ne touchent ni à l’indépendance ni aux intérêts vitaux, ni à l’exercice de la souveraineté des pays respectifs et qu’une solution amiable n’ait pu être obtenue par des négociations diplomatiques directes.
- Chaque partie juge de la question de savoir si le différend rentre dans une de ces catégories, sauf dans les cas ci-dessous, qui ne peuvent justifier une exception à la règle d’arbitrage :
- 1. Interprétation ou application de conventions relatives au droit international privé, au régime des sociétés commerciales et industrielles, aux matières de procédure soit civile, soit pénale, et à l’extradition.
- 2. Réclamations pécuniaires, lorsque l’obligation de verser une indemnité ou un autre payement quelconque est reconnue en principe par les parties.
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- La seconde conférence de La Haye
- Une proposition a été faite au département d’Etat de Washington par le gouvernement allemand, tendant à ce que les Etats-Unis tracent les grandes lignes du programme que la deuxième conférence internationale de La Haye aura à examiner. On déclaré, au départe-tement d’Etat, que cette façon de procéder pourrait compromettre le succès de la conférence, certaines puissances pouvant croire que les propositons faites ne seraient pas entièrement désintéressées.
- Le département d’Etat considère donc qu’il a terminé sa tâche, quant à présent, par la remise des négociations au conseil exécutif de La Haye dont les propositions, n’étant pas suspectes de partialité pour une puissance quelconque, pourront facilement concilier les vues contraires, en ce qui regarde les limites à fixer aux pouvoirs de la conférence.
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- LE MOUVEMENT FÉMINISTE
- Le jury féminin.
- Les féministes réclament depuis fort longtemps l’admission des femmes dans le jury.
- Voici qui pourrait faire faire un grand pas à la satisfaction de ce très légitime désir.
- Quelques féministes françaises ont eu l’idée de se réunir pour porter, au point de vue féminin, un jugement sur les causes concernant les femmes. Mme Maria Martin signale, dans le Journal des Femmes, la création de ce nouveau groupe, qui s’intitulera le jury féminin, et elle en approuve l’objet pour deux motifs :
- « D’abord, il est très nécessaire d’habituer les femmes à réfléchir sur les questions juridiques. Elles les ont négligées j.usqu’à présent et cette négligence était pardonnable, étant donné leur impuissance à changer ou même à modifier en quoi que ce soit les décisions des juges. Mais aujourd’hui que nous avons des femmes avocats et qu’elles sont autorisées à plaider, nous pouvons prévoir l’admission des femmes dans le jury. Il est donc très désirable de les préparer et de porter leur attention vers des points qui sont très importants et qui nécessitent une connaissance, au moins élémentaire, des lois de leur pays.
- « En second lieu, il est bon de faire voir aux hommes que les femmes sont capables d’étudier des questions de droit, qu’elles ont des idées et des opinions qui ne sont pas toujours en accord avec les idées et les opinions courantes, et de laisser le public juge des raisons qu’elles donnent pour défendre leur manière de voir. »
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- LE MOUVEMENT FEMINISTE. 365.
- Etudiantes japonaises
- Du Petit Parisien :
- « A l'imitation de quelques villes des Etats-Unis, le Japon possède aujourd’hui une université réservée uniquement aux étudiantes. Elle se trouve à Tokio et a été construite grâce aux libéralités de plusieurs familles riches de la capitale nipponne.
- « Au dernier recensement, 582 étudiantes y étaient inscrites. Les professeurs sont au nombre de 40 ; il y a en outre, 9 répétiteurs instructeurs et 9 conférenciers attachés d’une manière permanente à l’université. La majorité du personnel supérieur enseignant vient des Etats-Unis, mais les professeurs proprement dits sont de nationalité japonaise.
- « Les cours, dont la durée moyenne est de trois années, comprennent les matières suivantes, assez variées, ainsi qu’on va le voir : la psychologie y voisine avec la puériculture, l’hygiène avec l’histoire des arts. La morale, la chimie, la physique, la philosophie, le droit, la musique, la peinture, la langue anglaise et les règles de l’étiquette figurent également parmi les parties essentielles d’un programme plus théorique que vraiment pratique.
- Les droits des femmes en Russie
- Dans plusieurs villes russes, des assemblées de femmes avait réclamé les droits électoraux ; ces droits leur ont été refusés par un vote spécial du congrès des zemstvos à Moscou.
- Une délégation des femmes de Kovno a présenté, le 10, au conseil municipal une pétition demandant pour les femmes russes les droits politiques.
- OOOo»
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- LE DEVOIR
- BIBLIOGRAPHIE
- UN LIVRE NÉCESSAIRE.
- Un livre en langue française sur la Coopération anglaise, comprenant le résumé de nombreux documents contenus dans les rapports annuels publiés par les sociétés coopératives de gros (Wholesales Societies) anglaise et écossaise, n’existait pas encore. M. Joseph Cernesson a heureusement et fort à propos comblé cette lacune en publiant sur ce vaste sujet et sous le titre « les Sociétés Coopératives Anglaises » (1) un volume de 560 pages.
- Ce travail très complet nous indique des côtés historiques peu connus : les imperfections des premières tentatives, leurs hésitations, les courants politiques qui ont entravé leur marche ; il nous les montre cherchant leur voie, la trouvant enfin en 1844.
- De cette époque date une ère nouvelle : les vrais principes sont trouvés, le succès est ininterrompu.
- Avec amour, M. Cernesson marque les étapes parcourues : d'abord création des magasins de détail, ensuite innovation des magasins de gros anglais et écossais pour alimenter de marchandises les magasins de détail ; peu après, création successive d’industries coopératives diverses par les magasins de gros ; enfin tout dernièrement, achat de domaines pour appliquer à la terre les méthodes qui ont si bien réussi en commerce et en industrie.
- Et tout cela obtenu en un peu plus d’un demi siècle d’ettorts intelligents et méthodiques, soutenus il est vrai par des centaines de mille hommes, mais dont le
- (IJ Les Sociétés Coopératives Anglaises, par Joseph Cernesson. Editeur Arthur Rousseau, 14, rue Soufflot, Paris (Ve). (Prix 7 fr.) 1905.
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- BIBLIOGRAPHIE
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- plan initial fut élaboré en 1844 par 28 pauvres ouvriers tisserands de Rochdale, obscurs autrefois, fameux et classiques aujourd’hui.
- C’est tout une épopée en prose que ce livre où nous trouvons l’histoire réelle de la plus grande évolution sociale, évolution modifiant profondément nos idées anciennes sur l’organisation de la propriété commerciale, industrielle et agricole, embrassant, par libre adhésion, les intérêts de deux millions d’hommes, contrôlant deux milliards d’affaires dans une seule nation très civilisée de 40 millions d’habitants.
- Nous conseillons à tous les amis de la Coopération de se procurer ce livre, d'en faire leur bréviaire ; il contient, nous le répétons, tous les renseignements désirables sur le mouvement coopératif anglais ; c’est le meilleur manuel publié jusqu’à ce jour sur la matière.
- A. Fabre.
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- LES DEUX VIES
- Par Paul et Victor MARGUERITTE
- ' ----B&3----
- {Suite. )
- L’enfant, mot émouvant entre tous ! Ne soyez pourtant pas dupes d’un mirage ! Combien de temps encore Josette le restera-t-elle ? Chaque heure la transforme. Quelques années et elle se mariera ; vous resterez seule, avec les tentations de l’ennui et l’angoisse de la solitude. N’aliénez pas vos droits ; ils sont aussi touchants, aussi respectables que les siens.
- Il se tourna vers Mme Favié :
- — Vous parliez de séparation. Mais c’est alors que Josette souffrirait ! Je ne crois pas, je ne puis admettre que la vie de Francine soit finie : elle aimera un jour ; c’est son droit envers sa fille, son devoir envers elle-même. Croyez-vous qu’un beau-père, un brave coeur, il s’en trouve, — un homme qui pourra chérir Josette sans se cacher, ne vaudra pas mieux que celui qu’elle verrait furtivement venir, s’en aller de même, et dont un beau jour elle devinerait la situation fausse ? Si elle doit avoir des frères et des soeurs, est-ce que vous ne préférez pas qu’ils soient légitimes, qu’ils soient ses égaux, et non des parias, et forcément peut-être des ennemis ? Je vous blesse, mon amie ; vous ne voulez pas que je puisse songer à ce que Francine se remarie ; prenez garde de souhaiter, alors, ce qui vous révolte aujourd’hui; car, je vous dis, moi, que c’est juste, et que cette revanche lui est due. Et j’espère bien qu’elle sera heureuse par-dessus le marché !
- Il s’était levé, dominant de sa haute taille les deux femmes :
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- — N’engagez pas l’avenir, Francine ; ne renoncez pas à la liberté, vous en avez besoin pour votre enfant. Luttez de toutes vos forces pour la revoir, cette liberté sans prix ; vous aurez, je le crains, assez de mal !
- Mme Favié frémissait :
- — Vous avez beau dire ! On s’est uni pour la vie, on s’est aimé, on a mis au monde un être, et un jour on se déclare : « Allons chacun de notre côté et partageons l’enfant ! » C’est odieux !
- — Pas plus que la mort, dit Francine.
- — Autant !
- — Non ; la mort est irréparable, le divorce ne l’est pas.
- — La femme ne peut appartenir, vivante, qu’à son mari vivant, reprit avec passion Mme Favié. Qu’apportera-t-elle à un autre ? Que lui reste-t-il ? Tu le disais toi-même : on lui a tout pris, son cœur, sa pudeur ; elle n’est plus à elle.
- Francine dit :
- — Les veuves se remarient.
- — Leur mari ne les renconcontre pas, au bras d’un autre homme. Pour moi, ça ou l’adultère, cela se vaut.
- Francine se croisa des bras ; elle était d’une pâleur extrême.
- — Et après ? veux-tu que je meure ? Que faire ? Que devenir ? Oui ; j’en suis là !... j’irais me jeter à la rivière plutôt que de reprendre ce collier ; on m’y contraindrait que je n’aurais d’autre ressource que de le tuer ou de me tuer ! Mais tu n’as donc jamais haï ?
- — J’ai essayé, dit la mère, inclinant son visage ; je n’ai pas pu. Je n’ai su que souffrir.
- — Tu as eu tort, c’est de la souffrance perdue !
- Mme Favié la regarda tendrement, les yeux pleins de
- larmes :
- — Est-ce â toi de me le reprocher ?
- Francine se jetait à genoux :
- — Maman !
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- Elles s’étreignaient, le cœur broyé. Quelle détresse : tant s’aimer, et si peu se comprendre ! Marchai ému se disait : « Ah ! les femmes, éternelles mineures ! La raison les irrite et le sentiment les mène. Francine vient de persuader sa mère en l’embrassant. »
- Mme Favié relevait le front, et avec ce don généreux d’elle-même, cette abnégation qui la paraît de tant de noblesse :
- — Tu es maîtresse de ton sort en effet ; je dois te soutenir, ma chérie, et je le ferai de mon mieux : ma place est à ton côté.
- — Elle n’a jamais eu tant besoin de vous, dit Marchai. Le monde est méchant ; Le Hagre connaît le Code dont vous ignorez le premier mot, et vous êtes partie en guerre trop tôt, ma petite Francine.
- 11 la vit stupéfaite.
- — Eh oui, les tribunaux ne rouvrent que dans trois semaines, les avoués et les juges sont en vacances. Combien j’aurais préféré que vous missiez ce temps à profit ! Le Hagre sort, vous le faisiez suivre ; il y a des agences pour cela. Et quelle aubaine de le pincer î Irrités tous deux, des scènes étaient inévitables : vite, de bons témoins ! S’il avait osé vous frapper, rien de mieux.
- Francine eut une moue de dégoût ; mais Marchai :
- — Ne faites pas la petite bouche. Vous rendiez votre divorce certain .. Il ne l’est pas ? Mais non, il ne l’est pas ! Avec vos preuves ? — Avec vos preuves ! Soyez calme... Je parie que vous ne savez seulement pas quand notre loi accorde le divorce ?
- — Non, on ne me l’a pas appris. Comment le saurai-je ! Quand on est la femme d’une canaille, ou d’un fou ? Quand un désaccord religieux et moral..
- — Diable ! comme vous y allez ! D’abord, on ne peut divorcer d’avec un fou, même incurable. — C’est injuste ?... tant pis ! — ni d’une canaille ; ainsi on vous laisserait très bien pour compte un voleur condamné à
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- trois ans de prison, comme c’est arrivé à une pauvre dame de mes amies ! Les dissentiments religieux sont fort pénibles, mais on ne divorce pas pour cela. Et si votre mari disparaissait et prolongeait son absence, pas davantage...
- — Mais que faut-il donc, si des raisons aussi fortes ?.. demanda Mme Favié avec vivacité.
- Elle repoussait le principe, mais elle ne comprenait pas que sa fille, une fois résolue à tout, n’obtint pas justice rien qu’en la demandant.
- Marchai dit :
- — Vous êtes-vous jamais pesées sur une balance de salle de gare ? Vous savez qu’il est parfaitement inutile d’offrir à cet ingénieux appareil des billets de banque, de l’or, ou de l’argent; les pièces de deux sous seules lui agréent, et dès qu’il en a avalé une, crac ! l’aiguille tourne sur le cadran et une tablette de chocolat sort du tiroir. Eb bien, il n’y a, retenez cela, que deux causes infaillibles de déclenchement, pour forcer la balance, je veux dire le tribunal, qu’il le veuille ou non, à vous délivrer la tabl... le divorce.
- — Je suis curieuse de les connaître ! dit Francine dont le petit pied frétillait rageusement.
- — Votre mari n’a jamais subi une peine afflictive et infamante ? Il n’a été condamné ni à mort, ni aux travaux forcés, ni à la déportation, ni...
- — Vous vous moquez î
- —Tant pis! Une chance de moins. L’autre, ne cherchez pas; c’est l'adultère, mais prouvé, é-ta-bli : j’insiste. Vos lettres ? Nous allons y venir... En dehors de ces deux délits, la balance de Thémis est maniaque et folle : tiens ! l’aiguille tourne, tiens ! elle ne tourne pas ! Le tiroir délivre le chocolat ! Non, il ne marche plus ! Pourquoi ce détraquement? Le système est pourtant récent, et au millésime de 1884... — C’est que ce n’est plus un mécanisme impersonnel qui actionne la balance, mais le doigt du juge, pas forcément impartial. Car tout ce qui, sous le nom « d’excès, sévices, injures graves »,
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- englobe les diverses possibilités du divorce, est laissé à son appréciation, c’est-à-dire à ses erreurs ou à ses préjugés. Les excès sont les actes qui mettent la vie en danger. Le Hagre n’a jamais... Sévices : il ne vous a pas battue devant un ami ou un domestique ?
- — Il n’aurait plus manqué que ça !
- — Injures graves : vous a-t-il outragée en paroles, par écrit?
- — Mais, dit Francine, il n’est pas une intonation de sa voix qui n’ait été pour moi, en ces dix années, une insulte et ne m’ait fait monter le sang à la figure.
- — Pourriez-vous me citer quelques-unes de ces paroles et les témoins qui les ont entendues ?
- — Vous me prenez au dépourvu... mais il n’y en a pas une, il y en a cent î
- Marchai la regardait avec une pitié affectueuse ; tant de bonne foi le désarmait.
- — C’est bien ce que je craignais... Allez ! vous auriez du mal à m’en citer qui remplissent les conditions requises ; Le Hagre était trop mesuré pour employer des expressions, grossières, trop prudent pour qu’on pût les entendre. Les scènes d’outrages ? citez-m’en une seule r Il faudra pourtant bien que votre avoué et votre avocat en découvrent ! Ce qui manque le plus, dans un certain monde, c’est le témoin, l’indispensable témoin,.. Vous affirmez ? Mais on n’a pas à vous croire, on ne vous croit pas... Des preuves î Des témoins ! Ne sortez pas de là ! Parbleu ! vous vous respectiez trop pour vous donner en spectacle à des étrangers, et je sais quel discret silence vous avez trop longtemps gardé ; cela vous nuira plus que vous ne pensez.
- — Mais enfin, quand l’incompatibilité est telle..
- — Ce n’est pas une cause de divorce : on l’a repoussée quoique ce fût la plus fréquente, celle qui rendît la vie la plus insupportable. Voyez-vous, on n’a osé restaurer le divorce que peureusement, étroitement : ce n’est pas une porte, c>st un soupirail qu’on a ouvert dans la geôle du mariage ; les honnêtes gens avec leurs scru-
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- pules y passent à grand’peine ; c’est lourd, les scrupules! Seuls, ceux que leur conscience ne surcharge pas s’évadent lestement. Le plus triste ou le plus drôle, c’est que les honnêtes gens, quand ils veulent s’en aller à peu près proprement, ne le peuvent pas. Ils tournent la loi, —» bien forcés ! — et, toute probe et loyale que vous êtes, vous la tournerez comme les autres, car, entre tous les pays où le divorce existe, nous sommes des derniers qui n’ayons pas la rupture digne du consentement mutuel, et encore moins par la volonté d’un seul, trop nécessaire dans certains cas... Je souhaite que ce ne soit jamais le vôtre !
- — Je croyais... dit Francine attérée. Mais on ne peut pas me laisser à la merci... cela crie ! Vous disiez pourtant que l’adultère ?...
- — Nous y voilà ! fit Marchai. Oui, l’adultère, commis une seule fois, déclenche la balance. Seulement, il faut le prouver. Quelle certitude apportez-vous au tribunal ? Avez-vous déposé une plainte au Parquet ? Le commissaire de police a-t-il surpris Le Hagre en flagrant délit ? Non. — Alors ?... Oui, la scène de l’autre nuit. Voyons d’abord les témoins. Votre mari nie, il donne des explications... plausibles, à la rigueur... Lis-chen nie ; elle n’a pas avoué devant la femme de chambre qui n’est descendue qu’à la fin delà scène, n’est-ce pas ?Donc, pas de témoin. D’ailleurs, où est-il l’adultère ? Je ne vois pas d’adultère. Le Hagre était habillé, debout, près de cette femme couchée ; c’est bizarre, c’est plus que louche, c’est tout ce que vous voudrez, mais l’acte délictueux manque. Se fût-il produit, il n’y aurait eu à cette minute précise, pour le constater, que vous, qui ne comptez pas... Ah ! ma pauvre amie, cela me peine d’ouvrir de force vos paupières. D’une part, donc, des supicions... graves, je le reconnais ; une scène violente : bon cela ! pourvu que les domestiques témoignent pour vous ! Enfin, ils s’achètent, ces gens-là... D’autre part, nous y arrivons : les fameuses lettres ! Oui, elles sont convaincantes. . Mais !...
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- Marchai prit un temps :
- — Qu’est-ce que vous diriez, mon enfant, si les juges vous répondaient : — « Très bien, madame, votre mari est un coquin ! par malheur, il est blanc comme neige ! Ces lettres n’ont aucune valeur. Pas la moindre. Comment vous les êtes-vous procurées ? Qui vous les a vue prendre ? Personne. A qui avez-vous dit, sauf à vos amis de G-uertes : « Voilà des lettres qui étaient dans «le secrétaire de mon mari?» Mais, d’abord, votre mari, quelle autorité avez-vous sur lui, quel droit de contrôle exercez-vous ? Votre secrétaire, à la bonne heure, il a le droit d’y fouiller ; il est le maître ; mais son secrétaire à lui vous est interdit ; vous êtes Pesclave. Ces lettres qui l’accablent n’existent donc pas, nous les tenons pour non avenues. »
- Indignées, elles s’écrièrent :
- — Mais c’est impossible !... C’est monstrueux.
- Et Marchai :
- — Je n’étale pas à plaisir, croyez-le, cette désolante érudition. Voulez-vous que nous cherchions dans un recueil de jurisprudence des arrêts qui font foi ? La Cour de Caen, je crois, celle de Rouen certainement, ont écarté des lettres interceptées par l’épouse. La Cour de Paris j’en suis sûr, a déclaré que la femme ne peut profiter du hasard pour s’emparer sans fraude des lettres oubliées par le mari dans un meuble commun. Je ne dis pas qu’il en sera ainsi, mais j’affirme qu’il peut en être ainsi.
- Il n’insista pas devant leur consternation. Mme Favié respirait un flacon de sels et les fines ailes de son nez battaient convulsivement. Francine regardait Marchai avec stupeur. Il conclut :
- — Vous vous croyez armée, vous l’êtes ; par malheur, votre arme peut se briser dans vos doigts comme un fétu de paille Je vous verrais avec angoisse entamer un procès où Le Hagre vous tiendrait tête et pourrait, avec des délais, non de semaines, mais de mois, mais d’années, — quatre ans, cinq ans, que sais-je ? —
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- vous promener en appel, puis en cassation, puis peut-être encore en appel. Vous n’en sortiriez jamais ! Faites-lui marché de ces lettres, qui peuvent le perdre. Obtenez la garde entière de Josette, mettez-y la somme qu’il faudra, et cédez sur le reste. S’il ne veut pas être divorcé pour adultère, qu’il feigne de ne pas vous recevoir au domicile conjugal, combinez des insultes graves, des sévices : c’est à régler avec les avoués. Un président parisien, s’il est bien disposé, se prête à cette comédie ou l’ignore, pour éviter à des parties notoires de longs, pénibles, ressentissants débats. Transigez avec votre mari pour un divorce à l’amiable, transigez ! Votre liberté est à ce prix... Comprenez-vous maintenant !
- Elle répondit :
- — Mais c’est une loi idiote !
- — C’est la loi ! fit Marchai.
- IV
- Cette nuit-là fut longue pour tous, sauf pour Josette, dormant à poings fermés près du lit de sa mère. Elle avait déjà oublié le drame confus qui l’avait plus surprise qu’effrayée. Aygues-Vives lui était un émerveillement ; elle y avait retrouvé avec transport ses poupées de l’an dernier ; elle confiait à Nanette que sa- grand’-maman, pas celle-ci, l’autre, avait un grand chat noir très, très méchant : il se mettait debout quand on lui disait : « Faites le beau, Mistigre î »
- — Mais c’est pour avoir un morceau de ma tartine.
- Et traînant sur 1H et le chantant :
- — Il demande d’abord toujours à la voir, ma tarti-îne!
- La vieille servante bougonnait ; elle savait déjà , —
- comment? par qui? « Ah! c’était du beau, ces parents qui ne pouvaient pas s’entendre. Cette petite allait donc être orpheline? » Sa réprobation visait aussi bien la mère : — « Elle n’en fait qu’à sa tête, Madame ! » que le père : — « ladre, et méchant comme un âne rouge ! »
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- Francine écoutait la légère respiration ; une veilleuse répandait sa clarté pâle. Toute l’âcreté de l’injustice, la plus amère des souffrances humaines, la prenait à la gorge. Allons donc ! Marchai se trompait : paradoxes d’original, dilettantisme de juriste. Cependant l’accent de conviction si forte l’avait ébranlée. Une terreur l’envahissait malgré son courage. La nuit, cette lueur de veillée, l’immobilité du lit, étaient perfides pour son corps et son esprit détendus. C’étaient les heures de doute où l’être dérive à l’inconscience et ne se retient qu’à des fantômes d’objets et des larves d’idées. Elle entendait chuchoter les misérables petites voix de la faiblesse féminine. Dans ce duel entre elle et son mari, il y avait eu pourtant des trêves; les pires souffrances cessent par accalmie, sans quoi l’on deviendrait fou...
- « N’as-tu jamais eu, susurraient les voix, des minutes d’acceptation, d’insouciance, des instants même où la vie te semblait possible?... Si tu essayais encore?... Tu as tant attendu î Un peu plus? un peu moins?... Songe à ta fille qui n’aura plus de père, à ton foyer détruit, à ta solitude... » Ce n’est pas impunément qu’elle avait été la compagne, la mère.
- Quelle misère d’être une femme, ligottée par tant d’impuissance ! Que n’avait-elle un ami sûr, un frère, un homme pour la conseiller et la défendre ! La famille, qu’autre fois liguait une injure commune, et que ne rassemblent plus guère aujourd’hui que les repas de noces ou les messes de funérailles, se résumait pour elle en leurs cousins de Pongiboz, hobereaux normands d’une étroitesse d’idées inconcevable : le mot seul de divorce les brouillerait. Les amis ? Elle s’apercevait seulement de leur petit nombre : les Morland, les de Guertes, Charlie, les gros Bouvières; la bonne Mme Jélyot qui avait contribué involontairement à son malheur était morte; qui encore? Le reste, simples relations. Les femmes disaient d’elle : « Oh ! Francine est si intelligente! Nous sommes trop bornées... elle préfère la conversation des hommes, » Et les hommes, elle avait
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- dû tenir à distance leur amitié chaleureuse. Aucun ne lui inspirait d’absolue sécurité.
- Si, un seul peut-être, mais hors de France, à des milliers de lieues et à des mois de distance : Éparvié. Revenu de l’Asie centrale, puis reparti avec son camarade Luyss, il explorait depuis deux ans la région du Zambèze. Que faisait-il? Où était-il à cette heure? Les dernières nouvelles remontaient à l’été dernier. Vivait-il seulement?Éparvié! Oui, celui-là était franc, brave; un homme, dans toute la force du terme.
- Elle ne croyait pas qu’il pût inspirer l’amour, et il l’avait souvent choquée par sa franchise, mais elle l’estimait, et son amitié pour lui avait cette nuance particulière qu’elle craignait son blâme et tenait à son approbation. Elle revoyait ses yeux froids qui prenaient soudain une acuité si intense, son visage pétri de volonté, ravagé de passions mal éteintes, son corps mince et musculeux de jeune homme. Les cheveux roux et cendrés, la moustache grise seuls accusaient l’âge, les quarante-six ans d’acier trempé à tous les vents et à tous les soleils. S’il était là, elle aurait plus de confiance ; tout lui parut difficultés, embûches, menaces.
- Elle se raidit ; non, non ! pas de résignation ! C’était le courage des lâches. Un flux de rancœur refoula toute défaillance, la précipita vers la lutte.
- Après un court sommeil, Marchai avait rouvert les yeux, dans le noir. L’image de Mme Favié surgit. Il la revit, si charmante quand elle pleurait. Par sa poignée de main sans élan, elle lui avait fait comprendre qu’elle lui gardait un peu rancune... « Les femmes détestent la vérité. » Il se retrouvait assis à la table couverte de cristaux et de fleurs : — « Parfaites, les carpes au bleu, — et très en beauté, Francine ! Quel statutaire avisé que la douleur ! Comme elle affine les visages, nuance les regards, donne au sourire cette mystérieuse volupté qu’on goûte au sel des larmes !... Mais c’est (fabrielle surtout qu’on m’a changée : qui ?»
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- Il la devinait absorbée par des préoccupations qui n’allaient pas toutes au malheur de sa fille, mais aussi à un bonheur personnel qu’elle n’eût voulu ni laisser voir ni supposer, un bonheur qu’avivait un remords de péché, et qui la laissait songeuse, l’âme absente, une étrange flamme aux yeux. « Elle aime, c’est certain ! » Et, dans sa jalousie discrète, il eût voulu connaître son rival, pouvoir lui dire : « Aime-la, ménage-la ; elle est tellement faite pour souffrir. Donne-lui tout le bonheur qui dépendra de toi. » Là était la vérité suprême : aimer, s’aimer, se perdre dans l’union divine où palpitent les énergies de l’univers. L’homme ne comptait que par cette âme de feu, parcelle du verbe créateur.
- Du fond de l’âme il s’oublia, appela pour Gabrielle les revanches du destin, le bonheur qu’elle donnerait à un autre, et non à lui... — Pourquoi se plaindre ? Elle avait passé dans sa vie comme un beau rêve.
- Et Marchai songeait, avec une piété fervente, aux temps nouveaux, aux siècles meilleurs. La vie était trop courte : tant de labeur, de réformes ! Dix existences n’y suffiraient pas. Il pensa à son œuvre, ses grands ouvrages sur l’évolution de la famille ; achèverait-il son livre ; le Droit futur, toute une refonte de nos lois ? Ce fut noblement qu’il envisagea la mort, et comme le bon ouvrier voit le soir descendre sur sa tâche. Que le progrès était lent ! Fleurirait-elle jamais, l’éternelle justice ? L’homme cesserait-il un jour d’être le loup de l’homme ? La femme opprimée, battue, aimée de force, s’afïranchirait-elle ?
- Gabrielle, Francine, qu’étaient-elles parmi leurs innombrables sœurs ? Il suivait, au cours des âges, l’incessant martyre : entre les mâles aux yeux de bouc, brandissant de leurs rudes mains couteaux, haches, tisons, des troupeaux de victimes défilaient, que la rage du propriétaire châtiait de s’être soustraites à son exclusive autorité. Supplices inimaginables de l’adultère : Juives lapidées, Byzantines pantelantes sous la curée des passants, Saxonnes brûlées, Anglaises fouettées
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- à mort, Mexicaines coupées en morceaux, Africaines échaudées vives, Chinoises livrées aux étalons et pié-tinées par les éléphants ; tout ce que la luxure et la cruauté peuvent rêver de plus sauvage et de plus dégradant : au nord, au midi, par tout le globe, l’homme avait proclamé la loi de meurtre. De nos jours encore, en France, l’article rouge du Code, stupidement, excusait le mari assassin !
- Toutes ces pauvres chairs lacérées, souillées, Marchai les évoquait ; avec compassion, il évoquait ce corps féminin, « qui tant est tendre, poli, souèf et précieux. » Son rêve, de ce charnier, remontait vers la vie, la splendeur des femmes qui vont, viennent, rient, avec des teints d’aurore et des dents de nacre ; il évoquait les foins chauds de juillet, l’arome des plages, la lumière des trottoirs mouillés de pluie...
- Mme Favié non plus ne dormait pas. A l’aube, elle se reprenait : le jour appartenait à Francine, à Josette, à ses devoirs. Elle redevenait la femme de tradition et d’habitudes, pleine de ces inconséquences de principes, de ces disparates d’idées qu’exige une société très civilisée et très hypocrite ; elle redevenait l’être charmant qui se débattait entre sa droiture innée et les déviations acquises, — opprimée par le passé, mécontente du désaccord qui régnait entre ses aspirations et ses actes. Elle ignorait cette heure où, défaillante, elle s’abandonnait à l’épaule de Charlie et fermait les yeux sous son baiser.
- Son éducation religieuse, le souvenir de la direction de l’abbé Arnold, — depuis sa mort elle ne se confessait plus, — la reprenaient alors. C’est pendant le jour qu’elle avait télégraphié à Charlie : Ne venez pas ! Lettre suit. » Mais c’est pendant la nuit qu’elle relisait la lettre éperdue, la lettre folle du jeune homme.
- La nuit, elle était femme et rien que femme, dévêtue sans défense entre les draps, sous la courte pointe de soie ; la nuit, elle était faible. Pendant des heures, elle songeait à l’ivresse d’aimer et d’être aimée, qui lui mettait aux traits ces lueurs transparentes qui avaient
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- frappé Marchai. C’est dans les ténèbres que Charlie' plaidait, irrésistiblement, sa cause : il était là, il s’agenouillait, il élevait vers elle sa figure pâle, ses yeux de velours; elle murmurait tout bas, si bas qu’elle ne l’entendait que dans le fond de son coeur : « Charlie, je vous aime. .. »
- Le surlendemain, Marchai repartait pour Vichy. Cédant à ses instances les deux femmes rentraient à Paris : elles devaient se hâter de prendre un avoué, son vieil ami Herbelot ou tel autre. Le grand appartement de Mme Favié rouvrit ses fenêtres sur les arbres de la Muette et les cimes du Bois : tout se desséchait dans une poussière rousse ; l’automne, qui commençait à Aygues-Vives, ici finissait déjà, dans la gloire des couchers de soleil. Tandis que les domestiques reposaient en hâte les tapis, que les meubles sortaient des housses, Mme Favié et Mme Le Hagre multipliaient les courses.
- Le notaire, Me Charmois, écrivit de Trouville une lettre compassé comme sa maigre et froide personne, favoris poivre et sel, immuable redingote noire. A son avis, rien ne pressait — plus exactement, rien ne le pressait. — Il indiquait cependant des mesures « très importantes » à obtenir du président dès remise de la requête à fin de divore, « c’est-à-dire, en l’espèce, délivrance des effets personnels de la demanderesse, apposition des scellés sur les meubles et effets mobiliers, dont inventaire serait dressé pour éviter des détournements du mari ; en outre et en tant que de besoin, autorisation de pratiquer des oppositions aux mains de toutes personnes qui pourraient avoir à verser des sommes ou valeurs quelconques à l’un des époux... » N’entendant rien à ce jargon, les deux femmes coururent chez Me Herbelot.
- L’étude, riche, occupait, boulevard Malesherbes, un grand entresol sur cour ; il y tombait ce jour mort particulier aux bureaux. Un nombreux personnel se penchait sur les larges tables surchargées de dossiers ;
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- 'les murs, du haut en bas, se masquaient de cartons verts. A la vue des visiteuses, un clerc hirsute se dépêtra d’une pauvre femme en noir et s’enquit, déférent. Me Herbelot était en villégiature à Fontainebleau, mais il devait traverser Paris et donnerait sans doute un rendez-vous.
- Le lendemain, — la femme en noir patientait toujours, — le même clerc les introduisit, en saluant très bas, dans le majestueux cabinet de travail de l’avoué. C’était un vieillard rubicond et paterne : son regard fin filtrait entre des paupières à bourrelet, la bonhomie de son sourire inspirait la confiance. 11 caressait d’une main grasse sa courte barbe blanche ; une chaîne d’or coupait son gilet ventru. Il les fit assoir avec les égards dus à leur malheur autant qu’à leur fortune.
- Marchai lui avait écrit... —« Oui, c’était bien cruel... il prenait part....»
- Quelle souffrance pour Francine de se raconter à nouveau, d’étaler d’aussi répugnants détails ! Elle remarqua que des phrases qu’elle avait déjà dites se stéréotipaient sur ses lèvres et qu’elle les proférait avec moins d’émotion ; viendrait-il donc un moment où, à force de les répéter, elle se blaserait ? Me Herbelot prenait de temps à autre, gravement, une note au crayon bleu : quand elle insista sur les premières infidélités de son mari, il écrivit : — « Fraisiers, Emile. » Et quand elle raconta son brusque départ, il jeta dans l’angle du papier et souligna : — « Œufs de fourmi. »
- Ces aide-mémoire concernaient, le premier, un plant oublié par le jardinier; le second, le régal préféré des poissons rouges de sa fille. Il attendit poliment que Mme Le Hagre eût fini, en surveillant, sans en avoir l’air, l’horloge à cause de son train ; puis, avec un bon sourire, car il avait saisi la cause en gros, et plaignait sa nouvelle cliente autant que le permettait l’endurance de son métier, un des plus blasés qui soient sur les
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- douleurs et les vilenies de ce monde :
- — C’est entendu, madame ,je serai votre conseil.
- Par un heureux hasard, le président du tribunal,
- M, Trassier, qui retenait par prérogative les gros procès et par amusement les affaires très parisiennes,— ce serait le cas, — se trouvait de passage à Marlotte , chez ses enfants et petits-enfants. Herbelot irait dès demain, ou après-demain, le surprendre en voisin, et là, négligemment, il l’instruirait avant toute procédure. Il se montra, car l’heure le pressait, très optimiste: la preuve de l’adultère avec cette dame Müschen — Lischen? pardon ! — ne faisait pas de doute; jamais le tribunal n’oserait l’écarter ; en quoi son illustre ami Marchai — légère nuance de jalousie professionnelle
- — se trompait : oh ! sa théorie certainement était irréprochable en droit... mais en fait...
- Il se rengorgea, laissant deviner sa longue pratique :
- — Soit que monsieur votre mari nous cède le terrain, soit qu’il le dispute, j’ai très bon espoir.
- Beaucoup de prudence, toutefois, s’imposait dans les négociations. Heuh! Heuh! Etaient-elles bien profitables ? Il en doutait. Son expérience lui avait révélé que l’accord, quand il ne se faisait pas tout de suite, devenait vite impossible, tant le débat s’envenimait vite. Qu’elle y parût très peu, en tout cas, et si un tiers qualifié pouvait s’entremettre... — Marchai ?... ou Mme Favié ? — Parfait... En ce moment il négociait précisément un divorce à l’amiable, celui du célèbre peintre Maubrée : cela allait comme sur des roulettes.
- — Il donna des détails piquants et les congédia, réconfortées.
- Elle trouvaient, en rentrant, les Morland.
- Grand et sec, le commandant — on l’appelait ainsi bien que depuis vingt ans il eût quitté l’armée —ouvrit à Francine ses bras avec ampleur ; il parlait d’une voix brusque, que rendait nasillante son nez à la Don Quichotte.
- (4 suivre.)
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- assurances mutuelles
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- Société dti Familistère. - Assurances Mutuelles
- MOUVEMENT DU MOIS DE JANVIER 1905, A GUISE
- ASSURANCE CONTRE LA MALADIE
- Section des Hommes
- Cotisations des mutualistes........ 2.735 40 i
- Subvention de la Société........... 940 30 > 4.192 20
- Malfaçons et Divers................ 516 501
- Dépenses...................................... 6.874 78
- Déficit en janvier 1905............... 2.682 58
- Section des Dames
- Cotisations des mutualistes4....... 512 30 f
- Subvention de la Société........... 251 14 > 768 39
- Divers............................. 4 95 \
- •Dépenses...................................... 1.015 38
- Déficit en janvier 1905............... 246 99
- ASSURANCE DES PENSIONS
- Subvention de la Société et Divers 7.055 70 j
- Intérêts des comptes courants et / 10.264 65
- du titre d’épargne.......... 3.208 95 1
- Dépenses *
- 128 Retraités définitifs......... 8.805 67 >
- 5 — provisoires............. 258 50 1
- Nécessaire à la subsistance...... 5.008 20 \ 14.591 52
- Allocations aux famill8 des réservistes » » i
- Divers, appointera., médecins, etc. 519 15/
- Déficit en janvier 1905.......... 4.326 87
- CAISSE DE PHARMACIE
- 1
- Cotisations des mutualistes.... 818 25 / ,
- Subvention de la Société....... 337 50 \
- Dépenses................................. 1.947 16
- Déficit en janvier 1905......... 791 41
- RÉSUMÉ
- Recettes sociales du 1er juillet 1904 au 31 janvier 1905 89.583 80 } ,,Q ftC)i
- » individuelles » » 30.237 48 j
- Dépenses » » ........ 146.927 03
- Excédent des dépenses sur les recettes.. 27.105 75
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- •384
- LE DEVOIR
- ÉTAT CIVIL AU FAMILISTÈRE DE GUISE
- MOIS DE JANVIER 1905.
- Naissances :
- Néant.
- Décès :
- 5 janvier : Mme Lanoy François, âgée de 65 ans. 15 — Berlemont Yvette, âgée de 14 mois.
- Le Gérant : H. E. Buridànt.
- Nimcs. — Typ. A. Chastanier, 12, rue Pradier.
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- DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES.
- 385
- Juillet 1905.
- DOCUMENTS POUR UNE BIOGRAPHIE COMPLÈTE
- de J.-B. André GODIN (i)
- Glorification du Travail. Emancipat™'t du Travailleur.
- Deuxième partie. XVII (Suite).
- Série des employés. 1er essai de répartitions mensuelles indicatives du mérite. Double vote (: un sur bulletin collectif, un sur bulletin individuel), relatif à janvier 1870.
- Vote sur bulletin collectif (Suite).
- Revenons aux déclarations d’incompétence ; elles entraînaient l’abstention du vote à l’égard :
- 1° Des employés de lre et 2e catégories sans exception ;
- 2° De ceux de la 3e dont les appointements atteignaient 200 francs par mois.
- Provenant de 2 groupes sur 9, ces déclarations paraissent exprimer le sentiment d’une minorité, les résultats définitifs des cinq essais nous montreront tous les employés des lre, 24 et 3e catégories sans exception (on ' sait que cette dernière comprenait les employés touchant plus de 150 fr. jusque et y compris ceux touchant 200 francs) tous, disons-nous, être classés en déchéance de situation. Parallèlement aux abstentions
- (1) Appendice, p. 60, Le Devoir, tome 26e, janvier 1902.
- 1
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- LE DEVOIR
- motivées par le défaut de compétence, nous verrons des abstentions produites par épuisement de la somme à répartir, celle-ci étant employée au profit de quelques collègues seulement ; en cette voie la marche s’accentuera avec la répétition des essais, bien que ce fût de la part de l’électeur la récusation délibérée de son propre suffrage à l’égard d’un nombre croissant de col" lègues. Ces abstentions avaient pour conséquence de fausser les résultats, non-seulement dans la détermination des moyennes finales de répartition à servir à chacun, ce qui était l’accessoire ; mais dans le but essentiel : le classement général des employés au point de vue de la pondération des traitements. Passons à l’étude des opérations.
- Analysant les bulletins de vote des groupes protestataires, on constate cette bizarrerie : les deux groupes ont voté des allocations représentant des appointements mensuels atteignant et dépassant le chiffre de 200 fr., c’est-à-dire franchissant la limite à laquelle les protestataires déclaraient vouloir s’arrêter.
- Les deux groupes en cause, ceux Nos 1 et 4, ayant chacun déposé un bulletin rempli seulement à l’une des colonnes totalisant les votes individuels, les chiffres qui vont suivre expriment la moyenne des votes des membres du groupe ; c’est-à-dire que nous aurions constaté des allocations encore plus élevées si notre examen avait porté sur les votes émis individuellement au lieu de porter sur une résultante d’avis.
- En regard des moyennes d’allocations votées, nous portons les chiffres d’appointements mensuels que ces’ allocations représentaient. Nous devons dire que sur un des deux bulletins, celui du groupe N° 4, le taux des appointements de tous les employés avait été ajouté au crayon : élément de délibération évidemment.
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- DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES
- Bulletin collectif du groupe Ne 1
- Extrait des allocations votées :
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- 1 1 j NONBRE DE FOIS où l’allocation a été donnée TAUX de l’allocation TAUX des appointements mensuels représentés par l’allocation
- 2 fois 20 f. 71 207 f. 10
- 2 — 20 72 207 20
- 3 -- 21 42 214 20
- 2 — 22 85 228 50
- 3 — 23 57 235 70
- 2 — 25 » 250 »
- 1 — 25 15 251 50
- 1 — 27 85 278 50
- 1 — 30 70 307 >
- 1 — 32 15 321 50
- 1 — 32 57 325 70
- 1 — 34 57 345 70
- 1 — 38 30 383 )>
- 21 allocations représentatives d’appointements dépassant 200 fr. par mois.
- Bulletin collectif du groupe N° 4.
- Extrait des allocations votées :
- NOMBRE DE FOIS où l’allocation a été donnée. TAUX de l’allocation. TAUX des appointements mensuels représentés par l’allocation.
- 1 fois 20 f. » 200 f. »
- 3 - 21 » 210 »
- 3 - 22 » 220 »
- 11 — 26 » 260 »
- 2 — 27 » 270 »
- 3 — 36 » 360 »
- 23 allocations sant 200I représentatives d’a] r. par mois. >pointements dépas-
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- LE DEVOIE
- De pareils chiffres dans la circonstance se passent de commentaires !
- Examinons les votes dans les quatre groupes (Nos 2, 3, 6, 8) où furent remplies les colonnes destinées à recevoir les votes de chacun des sept membres du groupe.
- En chacun de ces groupes furent donc émis 413 votes: (59 x 7); au total pour les 4 groupes : 1.652 votes : (413 X 4). Dépouillant les votes et faisant masse des allocations inférieures à 20 francs, nous obtenons pour les quatre groupes ensemble les chiffres suivants :
- Allocations inférieures à 20 francs...... 856
- » de 20 à 25...................... 348
- » de 26 à 30....................... 72
- » de 31 à 40. •..................... 90
- » de 41 à 50....................... 23
- » de 51 à 75........................ 5
- 1.394
- Abstentions ou zéros. .................... 258
- Total des votes............... 1.652
- A observer en présence des allocations ci-dessus représentatives d’appointements allant jusqu’à 750 francs par mois (un de ceux à qui l’on votait pareille somme touchait par mois 125 francs), qu’un pareil chiffre n’était compté à personne, à cette époque ; les trois employés les plus rémunérés recevaient : le 1er 300 fr. ; le 2e 400 fr.; le 3e 515 fr.
- Les allocations de 75 francs seront néanmoins dépassées dans les tentatives suivantes.
- Le vote de quotités aussi disproportionnées relativement à la base et à l’objet de l’expérience, entraînait —
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- DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES 389
- par épuisement de la somme totale à répartir — nombre d’abstentions ou de zéros à l’égard de certains collègues.
- Aussi avons-nous relevé 258 cas de ce genre sur l’ensemble des quatre bulletins dépouillés.
- Ceux-ci étant les 4/9e de l’ensemble, disons près de moitié — puisque nous ne cherchons ici qu’une approximation — nous pouvons en déduire grosso modo les chiffres suivants pour la vue générale du vote sur bulletin collectif, relativement à janvier 1870.
- (3.717 votes à émettre à raison de 413 en chacun
- des neufs groupes) :
- Vote de quotités inférieures à 20 francs.... 1.900
- Vote de quotités allant de 20 à 50 francs... 1.260
- Vote de quotités dépassant 50 francs et allant
- au moins jusqu’à 75 francs........................ 10
- Abstentions ou zéros, environ 550; disons 547, ci........................................... 547
- Total......................... 3.717
- Le chiffre des abstentions, environ 550, étant au moins le 6e des votes à émettre (3.717 au total) c’est à l’encontre d’environ 1 employé sur 6 qu’elles se sont exercées dès le premier essai.
- Nous les verrons monter à plus de 1.300 dans la répartition relative à février ; à plus de 1-800 dans celle relative à mars; à 1.900 dans celle relative à avril. Elles dépasseront 2.600 dans la répartition relative à mai. Le chiffre des votes à émettre se sera élevé concurremment avec le nombre des employés admis à la répartition; il n’atteindra pourtant que 5.609 alors que les abstentions parvenues au chiffre de 2.605 frapperont un employé sur deux.
- Si dès le premier essai on eût envisagé — au point
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- LE DEVOIR
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- de vue pratique — le classement hiérarchique résultant du vote, on se fût sans doute arrêté dans la voie des abstentions ; il n’en fut pas ainsi. Le but principal : « aider à réaliser l’équilibre entre les mérites et les appointements » sembla perdu de vue ; tandis que le point accessoire : « se voter mutuellement des primes mensuelles » (dont les plus hautes, disons-le de suite, n'atteignirent néanmoins pas trente francs au résultat final), parut surtout visé.
- Vote sur bulletin individuel.
- Dans chacun des groupes constitués d’après la nature des travaux ( chap. XVI, p. 262) (1) , les électeurs avaient à remplir un bulletin dont voici le fac-similé. (A remarquer que le but de l’essai figure en tête dans les mêmes termes que sur le bulletin collectif : arriver à l’équitable rémunération des services et proportionner les appointements à la capacité de l’employé.)
- \
- (1) « Le Devoir », mai 1905.
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- DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES 391
- Bulletin de Vote individuel
- Groupe de ‘
- Frs à répartir
- Pour servir utilement à une équitable rémunération des services de chaque employé, chacun d’eux aura à tenir compte ;
- De la proportion des appointements avec la capacité de l’employé,
- De son assiduité et de son aptitude au travail,
- Et de l’obligeance qu’il sait apporter dans ses rapports avec ses collègues pour la bonne marche du travail.
- Nos Noms des Membres participants Appli- cation Rectifications Répar- tition
- • 1 - \
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- Chaque votant doit remplir son bulletin de manière à ce que la somme à répartir soit distribuée entièrement.
- La première colonne reçoit les chiffres d’une répartition préparatoire.
- L'-'s colonnes suivantes sont destinées à recevoir les sommes en plus ou en moins nécessaires à ramener les parts individuelles dans la dernière cuionne, de manière à ce que leur addition donne exactement le chiffre de la somme à répartir
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- LE DEVOIR
- V
- 1° La désignation du groupe;
- 2° Le taux de la somne à répartir dans le groupe;
- 3° L’énumération par ordre alphabétique des membres du groupe, étaient apposés sur ces formules imprimées ; après quoi les bulletins étaient distribués aux intéressés.
- A chacun d’eux de remplir à son gré les colonnes : Application , rectification, répartition.
- Une fois le vote opéré, l’électeur remettait son bulletin à qui de droit; et tous les bulletins ainsi remplis donnaient lieu à un dépouillement d’après lequel on dressait, dans chaque groupe de services, un tableau dont suit un spécimen. Nous avons pris pour exemple le service comptant le moins d’employés, celui de* l’Economat du Familistère, et, comme élément d’étude et comparaison , nous avons ajouté, aux signes représentatifs des noms, les appointements de chacun des membres du groupe.
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- DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES 393
- Dépouillement des votes individuels pour le Groupe de l Economat
- 9 membres Q. 125 f. U. i66 f. 65 Z. 40 f. FA. 60 f. 06 MA. 150 f. £A. 66 f. 65 GE. 55 f. 71 E. 250 f. BI.,85 f.
- 1 40 f. 5 f. 15 f. 10 f. 0 f. 00 30 f. Of.OO Of.OO 0 f.00
- 2 60 0 00 20 10 5 0 00 5 0 00 0 00
- 3 25 10 15 5 15 25 5 0 00 0 00
- 4 25 10 10 5 0 00 15 5 20 10
- 5 20 5 15 0 00 10 20 10 10 10
- 6 30 • 10 0 00 15 5, 30 5 5 0 00
- 7 25 0 00 15 10 0 00 25 10 0 00 15
- 8 20 15 15 10 15 10 0 00 10 5
- 9 0 00 0 00 10 20 15 35 5 0 00 15
- Totaux f. : 245 55 115 85 65 190 45 45 55
- Moyennes : 27 22 6 11 12 77 9 44 7 22 21 11 5 5 6 11
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- LE DEVOIR
- Ainsi qu’on le voit en dernière ligne du tableau une moyenne était extraite des votes émis sur chaque employé.
- Les 5 groupes donnaient lieu à 5 tableaux parallèles , d’après lesquels vu l’unité de base de la répartition (le 10e des appointements) on dressait un état de classement général du personnel des employés par eux-mêmes, selon les moyennes d’allocation votées à chacun dans son groupe.
- Un état correspondant était fourni par le relevé des moyennes votées à chaque employé dans les groupes d’après le tirage au sort et des deux états combinés on obtenait la moyenne définitive d’allocation à compter à chacun (Chap. XVI, p. 265, 266) (1).
- (A suivre).
- Vve J.-B.-A. Godin , née Moret.
- /
- (i) • Le Devoir » , mai 1905.
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- CHRONIQUE PARLEMENTAIRE
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- CHRONIQUE PARLEMENTAIRE
- Les lois sociales au Sénat. — Les maladies professionnelles.
- Le Sénat a commencé, le 25 mai, Fexamen de la proposition de loi adoptée, il y a plus de trois ans , par la Chambre et relative au repos hebdomadaire.
- Deux systèmes étaient en présence, celui qui consiste à ordonner le repos sans fixer le jour et celui qui le fixe au dimanche.
- La commission sénatoriale proposait le repos alternatif ou par roulement.
- Le ministre du commerce et de l’industrie s’est, au nom du gouvernement, déclaré nettement partisan du repos collectif à jour fixe. Il a fait valoir que le Conseil supérieur du travail, comme du reste la plupart des associations ouvrières, s’était prononcé pour ce système en dehors duquel le service de l’inspection du travail serait impuissant à assurer le respect des mille réglementations que prévoit le texte de la commission.
- Celle-ci estimait, au contraire, que la même règlementation ne pouvait être apportée à tout et partout et qu’il fallait tenir compte des usages et des besoins particuliers de chaque industrie et du public lui-même. Tout ce qu’il était possible de faire à son avis, c’était d’interdire aux chefs d’établissement de faire travailler leurs ouvriers plus de six jours par semaine.
- Comme conclusion aux observations présentées par le ministre du commerce, M. Monis, ancien garde des sceaux, a déposé un contre-projet établissant le repos collectif et dominical. Les dérogations qui pourront être admises, si elles sont justifiées par l’intérêt du public, le fonctionnement des industries, etc., seront
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- LE DEVOIR
- déterminées par un règlement d’administration publique , sur l’avis des commissions compétentes.
- Ce contre-projet a été renvoyé à la commission.
- Après l’ajournement de la discussion de la proposition de loi sur le repos hebdomadaire, ont commencé (8 mars) les débats sur les propositions de loi tendant à la création d'un service d’assistance obligatoire aux vieillards, aux infirmes et aux incurables.
- Le rapporteur, M. Strauss, a rappelé la succession des efforts que la République s’est imposée dans le but de soulager ou du moins d’atténuer les effets de la misère sociale, et il a exposé les considérations qui font à la société une obligation d’organiser l’assistance des malheureux incapables de travailler.
- Au nom du gouvernement, M. Etienne, ministre de l’intérieur, s’est déclaré complètement acquis à la cause que défend M. Strauss. La Révolution, a-t-il dit, a eu l’impérissable honneur de définir les devoirs de la société envers les pauvres. La difficulté des temps ne lui a pas permis de traduire, dans les faits, les principes qu’elle a posés. C’est à notre époque qu’est échu le soin d’acquitter cette dette. La charge sera lourde. Elle peut faire hésiter, mais il est des dettes qu’il faut payer sans retard.
- La commission sénatoriale des finances évalue à 66 millions la charge qui résulterait de l’organisation du service d’assistance, M. Laurent, directeur de la comptabilité au ministère des finances, prévoit, lui, une charge de 75 millions.
- Quant aux ressources qui permettraient de faire face à cette charge, le gouvernement déclare ne pas pouvoir les indiquer.
- La question reste en suspens ; sa solution est liée au sort de tant d’autres analogues ou tout à fait dissemblables, mais ayant entre elles ce trait commun d’exiger des ressources considérables.
- Par 191 voix contre 76, on repousse un contre-projet
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- CHRONIQUE PARLEMENTAIRE
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- qui mettait hors cause l’Etat, et faisait de l’assistance un service local, reposant principalement sur l’action privée de la charité.
- Le sentiment du Sénat se précise par le vote à la quasi-unanimité — 270 voix contre 1 — de l’article premier, qui est ainsi conçu :
- «Tout Français privé de ressources, incapable de suffire par son travail aux nécessités de l’existence et, soit âgé de soixante-dix ans , soit atteint d’une infirmité ou d’une maladie reconnue incurable, reçoit l'assistance instituée par la présente loi ».
- Le vote de cet article a été précédé d’une discussion au cours de laquelle M. Milliès-Lacroix, rapporteur de la commission des finances, a fait en son nom personnel et au nom d’un grand nombre de ses collègues, une déclaration.
- Nous sommes, a-t-il dit, décidés à voter le principe de la loi, mais à condition que la charge totale sera répartie équitablement entre l’Etat, les départements et les communes. Il s’agit de dépenses sociales d’intérêt général. L’Etat doit en supporter la plus forte part.
- C’était la reconnaissance du droit individuel à l’assistance, de l’obligation formelle d’assister pour la société. Formulée par un homme qui s’était livré à la plus minutieuse des enquêtes sur l’étendue des ressources qu’exigerait l'application efficace d’un tel principe, et qui, dès lors, ne pouvait être suspect d’obéir à des considérations de pur sentimentalisme, elle n’en avait que plus de poids.
- En adhérant à la loi d’assistance obligatoire, un modéré, très modéré, M. Sébline, a cru pouvoir lui donner cette signification que son adoption rendrait inutile toute loi d’obligation sur les retraites ouvrières.
- Le rapporteur de la proposition, M. Strauss, a fait toutes ses réserves sur cette déclaration de M. Sébline.
- M. Jaurès les a formulées dans son journal VHumanité du 12 juin, en établissant une différence entre l’assistance, qui, même conçue comme un droit, ne
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- LE DEVOIR
- peut suppléer à l’assurance, et l’assurance, qui a pour objet de réaliser pour tous les salariés des conditions de sécurité et de dignité où l’assistance ne peut atteindre.
- « La pension de retraite , résultant d’un système d’assurance sociale, donne aux travailleurs la certitude qu’à un âge déterminé ils recevront une somme déterminée. Ils n’ont pas besoin de faire la preuve qu’ils sont indigents, ou incapables de tout effort. Même s’ils ont conservé leurs forces, même s’ils peuvent travailler encore, la retraite leur est due. Elle n’est pas le secours d’extrême vieillesse et d’extrême misère. Elle est la garantie certaine qui répand sur toute la vie de l’ouvrier une sorte de sécurité.....
- « Le titre qu’ils invoquent, ce n’est pas l’extrême dénûment : c’est leur long travail de salariés, créateurs de la richesse sociale.
- a Ce qui est vrai, c’est que les deux domaines sont contigus et qu’ils tendront à se confondre. Mais ce n’est pas l’assurance qui disparaîtra dans l’assistance. C’est l’assistance qui disparaîtra dans l’assurance. »
- En attendant, la commission s’est efforcée, sans y réussir toujours, de bien délimiter le domaine de l’assistance et d’empêcher toute confusion avec les autres formes de la mutualité.
- M. Lourties s’élevant contre le texte de la commission qui déduit du montant de l’allocation mensuelle, le montant total des ressources personnelles de l’assisté et la moitié seulement de ces ressources si elles proviennent de l’épargne, proposait d’adopter la rédaction suivante :
- « Le cumul entre la pension de retraite d’un mutualiste et l’allocation communale d’assistance est de droit, à condition que le montant de la pension et de l’allocation ne dépasse pas 360 francs. »
- Le rapporteur a répondu que la loi en discussion est une loi d’assistance et non de mutualité; que c’est en même temps une loi qui sera onéreuse au pays et qu’il ne faut pas l’étendre outre mesure.
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- CHRONIQUE PARLEMENTAIRE 399
- L’amendement de M. Lourties a été repoussé par 127 voix contre 119.
- Par contre, malgré l’opposition du rapporteur qui lui a opposé des considérations du même ordre, M. Lourties a fait adopter à titre d’amendement, par une majorité de 237 voix contre 40, la disposition suivante qui n’est que la reproduction du texte déjà voté par la Chambre :
- « Les ressources provenant de l’épargne, notamment d’une pension de retraite que s’est acquise Payant droit, n’entrent pas en décompte si elles n’excèdent pas soixante francs. Dans le cas, où elles dépassent ce chiffre, l’excédent n’est réduit que jusqu’à concurrence de moitié. »
- En outre, après avoir repoussé le texte de la Chambre faisant entrer en décompte jusqu’à concurrence de moitié les ressources provenant à l’ayant droit des œuvres de la bienfaisance privée, le Sénat a également repoussé le texte de la commission qui réduisait ces ressources jusqu’à concurrence des trois quarts.
- Le Sénat a terminé, le 16 juin, la première délibération sur le projet de loi, et a décidé de passer à une seconde lecture.
- Entre les deux délibérations la commission, de concert avec le gouvernement, examinera à nouveau les barêmes, en vue de renforcer la contribution de l’Etat, et en appréciera la répercussion financière.
- Entre temps, le Sénat apporte quelques modifications à la loi de 1894, par laquelle le législateur s’était efforcé de remédier à l’insuffisance des mesures coercitives auxquelles l’administration pourrait recourir pour combattre les pernicieux effets des habitations insalubres.
- On s’est aperçu, expose le rapporteur, M. Strauss, que la loi de 1894 ne donnait pas tous les résultats attendus. De là, la nécessité de la compléter et le dépôt des propositions qui ont en vue la modification.
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- LE DEVOIR
- Le but à atteindre est bien connu : c'est toujours la lutte contre les maladies contagieuses, contre la tuberculose surtout qui, en cette affaire, est au premier plan des préoccupations du gouvernement et des philanthropes.
- A Paris, sur 1,000 habitants, on en compte 149 qui occupent des logements reconnus insalubres et 363 des logements qui laissent à désirer. Tandis que les pays voisins ont obtenu d’excellents résultats dans la lutte engagée, le nôtre est encore très en retard.
- En renforçant les encouragements que la loi de 1894 a accordés à l’oeuvre des habitations à bon marché, la commission a l’espoir d’obtenir des résultats plus décisifs.
- Parmi les mesures proposées par la commission, il faut citer les détaxes fiscales, des subventions accordées aux sociétés, etc.
- On se rappelle que , pour mettre un terme à l’abus de l’appel des sentences prudhommales, le gouvernement avait défalqué du projet de loi transmis à la Chambre par le Sénat, un certain nombre d’articles sur lesquels précisément les deux Chambres étaient d’accord, et qui visaient la suppression de cet abus , et les avait transformés en un projet de loi que la Chambre avait immédiatement adopté.
- Loin de mettre un égal empressement à proposer au Sénat de revêtir d’une sanction définitive des dispositions qui reproduisent sans la moindre modification son propre texte, la commission chargée d’examiner le projet a soumis à cette assemblée un nouveau texte où, plus que les revendications ouvrières, les convenances patronales semblent trouver leur compte, et qui, en tout cas, a produit déjà ce premier résultat de remettre pour longtemps encore probablement tout en question.
- M. Du bief, ministre du commerce et de l’industrie, a déposé, le 16 mai, sur le bureau de la Chambre, un
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- CHRONIQUE PARLEMENTAIRE 401
- important projet de loi en 47 articles, sur les maladies professionnelles.
- Ce projet s’applique aux industries, professions et travaux désignés par décret comme donnant lieu , du fait de la fabrication, de la manutention ou de l’emploi du plomb ou de ses composés, soit du mercure ou de ses composés, à des affections aiguës ou chroniques fréquentes.
- Le ministre a pensé que si bien d’autres intoxications peuvent retenir l’attention, ce sont celles-là qui appellent les plus promptes mesures, soit par la fréquence et la gravité des .maladies qu’elles peuvent entraîner, soit par l’importance des effectifs ouvriers qu’elles menacent. Il n’a pas voulu aller dès maintenant plus loin, par la crainte de s’exposer à des difficultés d’exécution trop grandes. Il lui a paru qu’il était essentiel d’instituer d’abord et le plus tôt possible le régime même de réparation des dommages causés par les maladies professionnelles.
- « Lorsque ce régime aura été introduit et expérimenté, » dit le projet de loi, « il sera plus facile d’y englober des intoxications nouvelles d’après les résultats de l’expérience acquise. »
- Le projet comprend cinq titres. Le premier détermine le champ d’exécution de la loi et fixe pour les industries auxquelles elle s’applique les indemnités dues à la suite de maladies.
- Les indemnités s’appliquent : 1° pour les incapacités de travail excédant trente jours, à la réparation des maladies d’origine professionnelle constatée ; 2° pour les incapacités de travail n’excédant pas trente jours, à la réparation de toutes les maladies sans distinction.
- La charge des premières incombe tout entière aux patrons, tandis que les ouvriers contribuent aux secondes, parce que dans la maladie ainsi réparée, il y a une part de maladie banale.
- Au cas d’incapacité permanente et au cas de mort, la victime ou ses représentants auront droit aux rentes
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- LË DEVOIR
- fixées par l’article 3 de la loi du 9 avril 1898.
- A côté de la maladie occasionnant une incapacité de travail et donnant lieu, suivant son origine, sa nature et sa durée, à différentes indemnités fixées au texte, Farticle 5 du projet prévoit l’accouchement, qui particulièrement dans les professions insalubres et surtout dans les industries du plomb, n’a pas semblé pouvoir rester en dehors du régime d’indemnités.
- Le projet prévoit enfin le cas des ouvriers qui, sans avoir été atteints encore d’incapacité temporaire, et * pour lesquels le médecin aura fait prévoir, s’ils continuent l’exercice de leur profession ou passent dans une industrie similaire, des rechutes susceptibles d’aboutir à l’incapacité permanente. L’article 8 donne à ces ouvriers le droit de requérir alors leur sortie définitive de la profession et d’obtenir une rente viagère correspondant à la moitié de la réduction du salaire, que peut leur occasionner un tel abandon.
- Le deuxième et le troisième traitent respectivement de l’organisation et du fonctionnement des mutualités locales et syndicats centraux de garantie, de leurs charges et de leurs ressources.
- Le titre quatre est consacré aux comités locaux d’arbitrage et à la commission supérieure des maladies professionnelles appelés, à des points de vue divers, à assurer le fonctionnement régulier du régime projeté.
- Enfin le titre cinq, à côté de dispositions d’ordre divers, définit les pénalités et sanctions applicables en' cas d’infraction.
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- La mutualité et les retraites.
- La mutualité sous ses diverses formes est à l’ordre du jour, et les manifestations qui témoignent de sa robustesse et de sa volonté d’avoir sa grande place au soleil, se succèdent sans arrêt depuis plusieurs mois : le conseil supérieur des sociétés de secours mutuels examine les améliorations à apporter à la loi du 1er avril 1898 ; le Sénat, la loi sur le service social d’assistance aux vieillards le groupe parlementaire delà mutualité, le projet que M. Siegfried oppose au nom de la mutualité au projet de retraites élaboré par la commission d’assurance et de prévoyance. L’initiative privée rivalise avec l’initiative des pouvoirs publics. Les Assemblées de sociétés de secours mutuels, de fédérations de sociétés, luttent de fréquence avec les congrès où les corporations formulent leur désir d’obtenir la consécration légale du droit à l’existence des travailleurs usés par la fatigue et les ans, et dans toute la France les enfants des écoles célèbrent avec éclat (18 juin) le 25e anniversaire de la première société de mutualité sco-laire*fondée dans le XIXe arrondissement de Paris par M. Cavé. Pendant ce temps, mutualistes et législateurs, partisans de la liberté de l’assurance et partisans de l’obligation cherchent un terrain d’entente, au Congrès national des retraites, le deuxième, organisé sous le patronage de la fédération nationale de la mutualité française.
- Les travaux de ce Congrès, qui s’est tenu à Paris, au Musée social, du 1er au 4 juin, avaient été soigneusement préparés deux mois et demi d’avance par des commissions. La 4e commission, notamment, présidée
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- par M. Millerand, avait été chargée d’examiner la question des rapports de la mutualité dans l’organisation des retraites ouvrières.
- En ouvrant la première séance de cette commission, l’ancien ministre du commerce et de l’industrie a montré quel doit être l’objet principal de la loi des retraites dont le vote immédiat s’impose à la démocratie française.
- Il est heureux, a-t-il dit, que la démocratie française fasse cette loi de retraites, déjà réalisée par notre puissante voisine l’Allemagne, et que les mutualistes en soient les premiers auxiliaires.
- La formule la plus heureuse, à son avis, déjà donnée par plusieurs voix autorisées et par M. Waldeck-Rous-seau en 1900, est celle de la liberté dans l’obligation.
- Mais pour la faire triompher, il est nécessaire que les partisans de l’obligation qui ont des préventions contre la mutualité parce qu’ils ne la connaissent pas, et que les mutualistes qui formulent des craintes contre l’obligation, ne gardent pas d’idées préconçues et chassent les fantômes qui les hantent à tort.
- II rappelle et approuve le vœu émis par le Congrès de Nantes, qui a établi la conciliation entre l’obligation et les mutualistes, et espère que le Congrès tout prochain sera un nouveau pas dans l’accord de tous les collaborateurs de la grande œuvre sociale des retraites ouvrières.
- En terminant, il émet le vœu qu’on ne sépare pas, par des exagérations de parole ou de plume, ceux qui doivent être unis dans un même effort, les mutualistes et les partisans des réformes sociales ; car il n’est pas trop de toutes les bonnes volontés pour mener à bien l’œuvre si complexe et si ardue des retraites ouvrières.
- Le succès de M. Millerand a été très grand, et M. Lesueur, secrétaire général du Congrès, s’est fait l’interprête de tous les membres de la commission en le remerciant de ses paroles et en lui disant que les mutualistes n’oublieraient pas ses promesses, et comp-
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- taient sur son éloquence pour défendre devant le Parlement les résolutions votées par le Congrès.
- Après une discussion générale, qui a donné lieu entre les mutualistes présents à un échange de vues des plus intéressants, la commission a chargé ses deux secrétaires, MM. Barrau et Watel, de présenter un projet de rapport sur la question suivante : « Quelle est la part de la mutualité dans l’organisation des retraites pour la vieillesse dans les projets soumis au Parlement ?»
- La commission a nettement posé son intention de ne pas envisager le problème dans son ensemble, mais de le préciser en se limitant à la question qui lui était soumise.
- Dans une séance ultérieure de la 4e commission, les rapporteurs, MM. Barrau et Watel ont présenté les conclusions suivantes :
- « Etant donnée l’organisation d’une assurance-retraite obligatoire, les sociétés de secours mutuels sont admises à constituer elles-mêmes des retraites ; elles sont autorisées par la loi à servir d’intermédiaires au service des retraites ; la loi doit accorder aux sociétés de secours mutuels des avantages qui rendent leur intermédiaire préférable-.
- » Les bénéficiaires de la loi sont autorisés à affecter à un autre mode de prévoyance que la retraite, leurs cotisations obligatoires, jusqu’à concurrence d’un quart, tant que la retraite minima n’est pas atteinte, et dans son intégralité une fois atteinte cette retraite minima.
- » Dans le cas où une partie de la cotisation est affectée à un autre mode de prévoyance que la retraite, la majoration de l’Etat doit être accordée comme si la cotisation avait été tout entière versée pour la retraite. »
- M. Léopold Mabilleau a soutenu que dans un système d’assurances sociales, l’assurance — maladie allait de pair avec l’assurance — vieillesse, pour ne pas dire
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- même qu’elle devrait primer celle-ci, car elle assainit la race et conduit l’individu à la retraite.
- M. Millerand, confirmant l’opinion du président de la fédération nationale des sociétés de secours mutuels, a fait ressortir qu’en effet, logiquement, l’assurance obligatoire contre la maladie aurait dû précéder une loi de retraites obligatoires , mais que le mouvement d’opinion en faveur des pensions de vieillesse était actuellement si puissant, qu’il imposait au gouvernement une solution prochaine. Il ne croit pas que le pays soit prêt à mener de front cette double obligation de l’assurance, mais une loi de retraites obligatoires faisant une place à l’assurance — maladie facultative, tout en affermissant le mouvement mutualiste, rendrait possible dans un temps rapproché une loi d’assurance — maladie obligatoire qui prendrait les mutualités comme organes.
- Conformément à cette opinion, à laquelle s’est rallié M. Mabilleau, l’assemblée a prévu que le prélèvement en faveur de la maladie pourrait être facultatif.
- Enfin M. Mabilleau ayant fait remarquer qu’une organisation de retraites ne devait pas seulement viser l’individu , mais aussi la famille, il a été reconnu comme indispensable que, dans les trois quarts de la cotisation prévue pour la retraite, une somme puisse être 'affectée à l’assurance au décès au profit de la famille, pratique que l’orateur a dénommée avec beaucoup d’à propos la contre-assurance de la retraite.
- L’ensemble de ces décisions, conformes aux vœux proposés par les rapporteurs, a été unanimement approuvé.
- Au congrès, qui avait réunie plus de 300 congressistes, de nombreux parlementaires et les délégués des gouvernements français , belge et italien, M. Paulet, directeur de la prévoyance et de l’assurance sociale au ministère du commerce, dit tout l’intérêt que le gouvernement porte à la mutualité et à la s olu-tion du problème des retraites. Un désaccord existait
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- autrefois entre les mutualistes et les partisans des retraites ouvrières obligatoires , mais les mutualistes voient que la conciliation est possible. Dans la future organisation des retraites la mutualité pourra jouer le rôle d’intermédiaire entre les assurés et l’administration. Comme telle, elle aura droit à une situation privilégiée. Ce Congrès n’est donc ni un Congrès des retraites contre la mutualité, ni un Congrès de la mutualité contre les retraites.
- M. Mabilleau a ensuite donné lecture du rapport relatant les travaux du comité d’organisation.
- M. Jean Hébrard a donné lecture du rapport général dans lequel Ï1 expose les divers systèmes proposés, durant ces dernières années, pour faire aboutir la question des retraites pour la vieillesse.
- Après avoir rappelé les travaux de MM. Guieysse, Jules Siegfried, Paul Deschanel, Millerand, Mirman, M. Jean Hébrard définit les données du problème qui s’ofïre aux délibérations du Congrès :
- « Ce que les législateurs comme les mutualistes demandent au Congrès, dit-il, c’est, par une décision qui ne prête à aucune ambiguïté, de déterminer très nettement la part qui doit être réservée aux formes actuelles de la prévoyance dans la nouvelle organisation des retraites de vieillesse.
- « Les mutualistes n’ont pas un intérêt moindre que les législateurs. Ils sont bien décidés à ne pas soliciter des brevets de sympathie et d’aptitude qui leur seraient aisément décernés. Pardessus tout, ils veulent être débarassés de l’obsession qui pèse sur eux et s’employer uniquement aux grandes tâches qui les sollicitent : soit la création de caisses de retraites sur tout le territoire, s’ils sont assurés, quel que soit le système, que la mutualité soit comprise ou non dans la loi, de n’avoir pas l’Etat comme concurrent direct ; soit la réforme et le perfectionnement de leurs services de maladie, et la substitution de l’hygiène préventive à la médication.
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- « Si, par exemple, le Congrès émet l’avis que les sociétés de secours mutuels doivent coopérer aux retraites ouvrières, il devra, pour ne pas faire oeuvre vaine, indiquer par quels moyens il entend que se réalise cette coopération.
- « Ce désir, dont votre rapporteur général a cru devoir vous transmettre l’expression, s’est manifesté à plusieurs reprises dans les séances des commissions, et nul doute qu’il n’inspire les résolutions du Congrès. »
- Poursuivant le cours de ses travaux, le Congrès a examiné un voeu déposé par M. Mirman, député, et concernant l’attitude que la mutualité devait prendre devant la loi d’assurance pour les vieillards déjà votée par la Chambre et dont le Sénat a accepté le principe.
- La résolution suivante a été adoptée :
- « Le deuxième Congrès des retraites ouvrières donne son adhésion au principe du projet de loi de solidarité sociale voté par la Chambre des députés et actuellement soumis au Sénat ; il demande qu’on maintienne à ce projet diverses propositions caractéristiques, savoir: que l’âge de la pension de vieillesse soit abaissé pour les mères de famille en proportion du nombre des enfants élevés par elles ; que jusqu’à ce que le total atteigne 360 francs, la pension des participants ne soit pas déduite de la pension d'assistance ; que les représentants élus des sociétés de secours mutuels soient expressément maintenus dans la composition des comités chargés de veiller à l’application de la loi. »
- L’assemblée a continué ensuite la discussion des travaux de la commission chargée de déterminer la part qui devait être réservée à la mutualité dans l’organisation des retraites pour la vieillesse.
- Après un assez long échange de vues, à la suite duquel MM. Millerand et Deschanel ont pris successivement la parole , le congrès a voté, à la presque unanimité, la résolution suivante émanant du président, M. Mabilleau :
- s Le congrès, animé d’une double préoccupation :
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- celle de ne pas faire échec à une législation d’assurance générale qui vise spécialement les imprévoyants et les déshérités de la vie sociale, et celle de maintenir aux oeuvres de prévoyance libre, mieux que leur situation présente, une possibilité de progrès indéfini pour le bien-être, la paix et la dignité du pays ,
- « Affirme que le meilleur système de prévoyance sociale, celui que les pouvoirs publics doivent, avant tout, favoriser et développer, est la mutualité, qui repose non seulement sur l’effort et la responsabilité personnels, mais sur un mode d’association fraternelle mettant en jeu la solidarité sociale tout entière ;
- « En conséquence, émet le voeu :
- « 1° Qu’en aucun cas, la législation projetée ne porte aucune atteinte aux droits et prérogatives de la mutualité ;
- « 2° Que la mutualité soit admise dans la plus large mesure à participer aux services de l’assurance générale, et que les assurés éventuels soient, dans tous les cas, mis en état d’entrer dans les sociétés de secours mutuels. »
- Le congrès des retraites pour la vieillesse a terminé ses travaux dans une séance qui a été consacrée à la discussion des rapports sur les institutions de retraite en Italie, en Belgique et en Allemagne, rédigés par les délégués de ces divers gouvernements.
- La parole a été donnée ensuite au rapporteur général, M. Jean Hébrard, qui, dans un discours très applaudi et dont l’assemblée a voté l’impression à l’unanimité, a exposé les résultats du congrès et commenté ses résolutions principales.
- Il a rendu hommage aux parlementaires dont le concours a rehaussé l’éclat de cette grande manifestation mutualiste et a terminé en conviant les mutualistes au travail et à la propagande.
- « C’est une bataille, a-t-il dit, que les mutualistes vont livrer : bataille contre l’indifiérence des impré-
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- voyants, bataille contre la vie elle-même, où tant d’obstacles sont semés sur la route des prévoyants. Demain, dans toutes les communes en apparence réfractaires, se créeront des sociétés de secours mutuels. Espérons que les travaux parlementaires ne nous devanceront pas dans notre action et que la mutualité aura le temps de former ses cadres et d’assouplir ses méthodes. »
- S’inspirant de sentiments analogues, M. Barberet, directeur de la mutualité au ministère de l’intérieur, faisait à un de nos confrères, il y a quelques mois, la déclaration suivante :
- « On nous met le couteau sur la gorge, sans tenir compte que notre liberté d’action ne remonte pas à six ans. De 1898 à 1904, nous n'avons pu réaliser l’impossible. Il est vrai que nous servons annuellement 12 millions d’arrérages à 120,000 pensionnaires ; mais, si l’on calcule l’exiguïté des sacrifices consentis en notre faveur par l’Etat, on est amené à conclure que nos retraités coûtent sensiblement moins cher que ne coûteront les futurs légiférés, d’après le système obligatoire. Nous enregistrons chaque année la création de 1,000 à 1,200 sociétés nouvelles ; notre effectif s’augmente de 400 à 500,000 membres, et nos excédents de recettes sont annuellement de 25 à 30 millions de fr. Aujourd’hui, nous avons tout près de 20,000 sociétés, comptant 4 millions de mutualistes, hommes, femmes et enfants, et notre avoir s’élève à 400 millions. Si l’on nous laissait encore prospérer quelques années, le problème des retraites ouvrières perdrait sa plus grosse importance. »
- Plus récemment, M. Cheysson, au dîner mensuel de la Fédération des industries et des commerçants français, exprimait à son tour, cette opinion qu’avant les contraintes de l'Etat, il faudrait du moins que la liberté fût mise en demeure de montrer ce dont elle est capable et qu’un délai lui fût imparti pour fournir cette preuve.
- Si, après cet essai, la nécessité de l’obligation appa-
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- raissait, M. Cheysson demanderait du moins qu’on n’embrassât pas d’un seul coup la totalité de la population non encore embrigadée dans la mutualité libre, mais qu’on sériât les étapes , en commençant par le million des ouvriers de la grande industrie. Ce sont eux qui réclament les retraites avec le plus d’insistance, et s’ils étaient apaisés, la question perdrait beaucoup de son acuité. Plus tard pourrait venir, par voie d’extension, si l’opinion le réclamait, le tour de la petite industrie et celui de l’agriculture.
- Malheureusement pour le plan de M. Cheysson, que la nécessité de l’obligation ait été ou non suffisamment démontrée, sa proclamation est imminente, et d’ailleurs les mutualistes s’y résignent. Reste à établir les autres points de l’accord entre les mtftualistes et les parlementaires, pour nous servir des expressions des divers orateurs du Congrès.
- Quant à nous, sans entrer, à cet égard dans toutes les vues des mutualistes, nous ne pouvons que nous réjouir dans cette feuille fondée par J.-B.-A. Godin, de voir l’initiative privée mettre une telle ardeur à provoquer sur tous les points du territoire la création de nombreux foyers de mutualité ; le devoir de l’Etat n’en sera que plus facile à remplir.
- « J’ai pu me convaincre par expérience », écrivait le fondateur du Familistère, (.Mutualité nationale contre la misère).
- « Combien il est important que le fonds d’assurance soit fait par les mutualistes mêmes, pour une part proportionnelle aux secours que l’Etat sera appelé à donner, afin que chacun d’eux soit intéressé à la bonne gestion des assurances.
- « Si cette mesure était écartée, les travailleurs se désintéresseraient de la marche de l’institution.. -
- « Les règles statutaires de ces assurances doivent être déterminées librement par les comités, afin de se produire suivant le besoin des professions, des industries, des localités et des populations. On doit laisser la
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- plus grande liberté possible dans les règlement, la constitution et la forme de ces assurances mutuelle^, tout en admettant le principe que l’Etat ne subventionne les caisses des assurances que proportionellement aux versements faits par les mutualistes eux-mêmes :
- « En laissant aux comités la responsabilité de la direction des assurances, on crée parmi les mutualistes un intérêt direct à bien gérer l’institution, à bien opérer la répartition des secours, puisqu’on ne pourrait prodiguer les allocations sans imposer au corps des mutualistes les charges proportionnées à la prodigalité dans laquelle on sqrait tombé...
- « C’est pourquoi il est indispensable que les mutualistes soient eux-mêmes les intéressés et les agents de la mutualité. Cela, bien entendu, n’exclut pas le contrôle financier de l’Etat, mais c’est au contrôle seulement que le rôle de l’Etat doit se borner. Une intervention plus grande aurait pour conséquence de paralyser le bon effet et le résultat social de l’assurance mutuelle des travailleurs. »
- Le Congrès international de droit pénal réuni à Paris dans la première quinzaine de juin, a émis le vœu « qu’une conférence internationale soit réunie à l’effet d’arrêter les bases d’une convention tendant à la répression des crimes et délits internationaux >.
- Dans son rapport sur cette question, M. Feuilloley, avocat général à la Cour de cassation, avait exposé comment, en Pétât actuel des diverses législations, la répression de vols préparés ici, exécutés là, et dont les produits sont écoulés dans un troisième pays, était toujours difficile, parfois impossible.
- Le remède ne saurait être demandé à la modification simultanée de la législation intérieure de douze ou quinze Etats intéressés, ce qui présenterait d’insurmontables difficultés, mais â la conclusion d’une convention diplomatique, qui qualifiant de délit interna-
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- tional toute action criminelle qui aura été préparée, facilitée, consommée ou aura produit effet dans des pays différents, investirait chaque Etat du droit de punir, comme constituant un délit distinct, tout acte de coopération ou de complicité accompli sur son territoire, alors même que le délit n’aurait été entièrement consommé que dans un autre pays.
- Le rapporteur estime que l’adoption de mesures concertées entre les Etats en vue d'assurer ce qu’il appelle 1’ « ubiquité de la répression » , ne présénte pas de sérieuses difficultés. Il cite l’exemple de nombreuses conventions internationales qui depuis vingt-cinq ans ont, dans le domaine économique, unifié les législations sur certaines matières d’intérêt international, telles que la protection de la propriété artistique, littéraire et industrielle, les services et tarifs postaux, les transports par chemins de fer à travers divers pays, etc.
- Un premier pas a, d'ailleurs, été fait déjà dans cette voie, dans une matière pénale, par la convention conclue, sur l’initiative du gouvernement français, entre 15 Etats, en juillet 1902, pour le délit spécial de la traite des blanches. Il n’y a qu’à généraliser, par un nouvel accord diplomatique, ce qui a été déjà fait pour la répression de ce délit particulier, et à l’étendre à tous les délits internationaux.
- l
- Le 5e Congrès de l’Association des agents des postes et télégraphes s’est réuni au commencement de juin à Paris.
- Les délégués étaient au nombre de 112, représentant 14,673 adhérents, et pour la première fois, des. représentants d’associations similaires existant en Italie, en Angleterre et en Allemagne assistaient comme auditeurs au Congrès,
- Le président, M. Subra, a salué les camarades étrangers.
- « Tandis que les Etats, a-t-il déclaré en substance,
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- s’ingénient à établir entre eux, dans l’intérêt de la paix du monde, des rapports de plus en plus cordiaux, il est bon et nécessaire que les fonctionnaires eux-mêmes concourent au même but en créant un organisme commun de solidarité internationale qui élargira et transformera l’esprit des administrations publiques où persistent bien des iniquités et des privilèges. »
- Le Congrès a émis le voeu qu’un congrès international des employés des postes et télégraphes pût se tenir l’an prochain à Paris. Les délégués italien et anglais se sont associés à ce vœu.
- # #
- Le Congrès de la Ligue des droits de l’homme a
- adopté une série de vœux, parmi lesquels nous citerons ceux relatifs à la suppression du port d’arme en dehors du service, au développement de l’arbitrage entre nations, à la réduction des armées permanentes sur la proposition de la diplomatie française, à la publicité de nos relations avec l’étranger.
- Il se prononce pour le droit de syndicalisme des fonctionnaires de l’Etat, la suppression des surnumérariats.
- La date du prochain Congrès est fixée à la Pentecôte prochaine ; il aura lieu soit à Paris, soit à Lyon, Marseille, Bordeaux, Toulouse, Nantes ou Lille.
- ITALIE
- L’Institut international d’agriculture.
- L’inauguration solennelle de la conférence pour la création d’un Institut international d’agriculture a eu lieu le 28 mai à Rome, au Capitole, en présence des souverains.
- MM. Fortis, président du conseil, Tittoni, ministre des affaires étrangères, tous les autres ministres et secrétaires d’Etat, les présidents du Sénat et de la Chambre, de nombreux sénateurs et députés et le corps diplomatique y assistaient.
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- On remarquait également la présence de M. Ruau, ministre de l’agriculture de France, de tous les délégués des gouvernements étrangers et des associations agricoles italiennes et étrangères, du maire, des autorités et de nombreuses notabilités.
- Le maire de Rome a souhaité la bienvenue aux délégués étrangers, au nombre de cent cinquante environ.
- Le ministre de l’agriculture M. Ravaa pris la parole. Il a fait remarquer que toutes les nations avaient accueilli avec faveur l’initiative du roi d’Italie.
- Ensuite a parlé le doyen du corps diplomatique au nom des délégués étrangers...
- On a distribué aux délégués un gros volume de plus de cinq cents pages préparé par la commission italienne sur les diverses questions que devait discuter la conférence. Le but de cette publication était de donner une direction aux discussions et de combattre les doutes exprimés par des hommes compétents sur l’efficacité de l’Institut international agricole. On a voulu par cette publication tracer très nettement les limites de l’action que devrait exercer la nouvelle institution et en indiquer l’objet immédiat.
- Trois commissions élaborèrent le plan organique des fonctions de l’Institut.
- Le 6 juin, la conférence s’est réunie en séance plé-mère pour ratifier ces conclusions, dont voici l’économie : L’Institut aura un caractère permanent et son siège à Rome. Il sera statistique, économique et scientifique. Les membres de l’Institut seront nommés par chacun des gouvernements respectivement. Les Etats seront divisés en catégories. Chaque Etat pourra s’inscrire dans la catégorie qui lui semblera la plus opportune. La conférence a fixé la contribution que chaque Etat devra verser pour l’Institut. Les voix dont chaque Etat pourra disposer dans l’Institut seront proportionnelles à la contribution. Le chiffre des représentants que chaque Etat enverra à l’Institut ne sera pas proportionné au chiffre des voix dont il disposera.
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- Ces dispositions ont été décidées par tous les délégués des gouvernements à la conférence.
- Dans cette même séance, M. Tittoni a communiqué à la conférence le désir du roi de concourir personnellement à la fondation et à l’entretien de l’Institut. Il lui consacrera les revenus de deux domaines de la couronne, représentant 300.000 francs par an. Cette déclaration a été accueillie par les applaudissements unanimes de l’assemblée, qui, sur la proposition de.l’ambassadeur de France, a chargé M. Tittoni d’exprimer sa reconnaissance au roi.
- Le 7 juin, le protocole final a été signé par les délégués des gouvernements ad referendum. Les gouvernements devront dans l’espace d’une année, envoyer leur adhésion définitive.
- Trente-huit puissances étaient représentées à la conférence. Les différentes dispositions du protocole sont la fidèle reproduction des propositions qu’ont su faire prévaloir les membres de la mission française envoyée à Rome par le ministre de l’agriculture.
- SUISSE
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- Le Code civil au Conseil national.
- Le Conseil national a entamé, le 6 juin, la discussion du projet d’unification complète du Code civil, décidée par le vote populaire du 13 novembre 1898.
- Dans un magnifique discours, qui — fait rarissime aux Chambres fédérales — a été accueilli par des applaudissements, M. le professeur Eugène Huber, auteur principal du projet a montré comment le projet avait été édifié au moyen de l’emprunt aux législations cantonales et étrangères de ce qu’elles renfermaient de mieux approprié aux besoins suisses, et comment le Code ainsi élaboré combinait intimement les traditions du passé avec les progrès acquis à l’heure présente. Le
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- rapporteur français, M. Virgile Rossel, a parlé dans le même sens dans un discours fort écouté
- L’entrée en matière sur le projet de Code civil a été votée à l’unanimité.
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- GRANDE-BRETAGNE Les cantines scolaires.
- Après une campagne menée avec beaucoup de vigueur par la presse anglaise et des membres éminents du Parlement, comme sir John Gorst et M. Macnamara, M. Gerald Balfour, président du Local Government Board, vient de publier une circulaire ayant trait aux écoliers insuffisamment nourris par leurs familles, et indiquant un certain nombre de mesures qu’il est intéressant de signaler, après l’organisation des cantines scolaires françaises et de la caisse de secours créée à Bruxelles dans le même but.
- M. Gerald Balfour part de ce principe que tout enfant doit avoir reçu une alimentation suffisante pour bénéficier de l’instruction qu’on cherche à lui donner à l’école. Ventre affamé n’a point d’oreilles pour écouter les leçons. Deux cas se présentent. Ou bien les parents ne peuvent, par indigence, le nourrir ; ou bien, par négligence ou avarice, se soustraient à ce devoir.
- Dans les deux cas, les autorités doivent prendre soin de l’enfant et lui fournir les aliments indispensables ; mais dans le second cas, si après des remontrances faites aux parents, ceux-ci s’obstinent dans leur attitude, les autorités nourrissent les enfants ainsi négligés aux frais des parents, avec faculté, en cas de non-payement de la dette mensuellement inscrite et présentée, de recours devant les tribunaux en application de la loi de 1824 sur le vagabondage et de la loi de 1904 sur la protection de l’enfance.
- Afin de donner à cette réforme scolaire un caractère aussi pratique et rapide que possible, les demandes de secours sont à la discrétion des directeurs d’école, pro-
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- fesseurs, inspecteurs et toutes personnes choisies par les autorités locales.
- La distribution des vivres doit se faire, suivant la circulaire de M. Gerald Balfour, par voie de bons présentés soit au siège des œuvres charitables établies dans la localité, soit, à défaut de telles institutions, chez les commerçants de l’endroit.
- Cette circulaire est accueillie avec une vive satisfaction par tous ceux qu’inquiète cette importante question de l’alimentation des enfants des écoles, car elle marque un réel progrès ; mais on lui reproche d’être moins complète et libérale que les institutions similaires de France et de Belgique, et de laisser les charges financières au compte des paroisses déjà lourdement grevées, au lieu de faire participer tous les quartiers, riches et pauvres, aux frais généraux de l’entreprise.
- Un comité que préside sir William Anson déposera prochainement un rapport sur la situation que cette circulaire tend à améliorer.
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- (Le Temps).
- Cours d’apprentissage à la caserne.
- Les autorités militaires anglaises, s’inquiétant du sort des soldats qui rentrent dans la vie civile, viennent d’instituer des cours d’apprentissage, de manière à pourvoir les hommes d’un métier à leur sortie du régiment.
- Le premier essai est fait à la caserne d’artillerie d’Eastney où cinq cours ont été institués. Les hommes apprennent les métiers de cordonnier, peintre, vitrier, forgeron et mécanicien d’automobile.
- La direction de cette école professionnelle est confiée à un comité composé d’un officier de troupe et de cinq officiers non commissionnés. Les hommes désireux d’apprendre un métier déposent une certaine somme en garantie, somme qui leur est rendue à la fin de leur instruction.
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- LA QUESTION DE LA PAIX
- Le XIVe Congrès universel de la Paix.
- Dans une réunion à laquelle ont pris part des délégués de France, Angleterre , Allemagne, Belgique, Danemark, Italie, Autriche-Hongrie et Suisse, la Commission du bureau international de la Paix’ a fixé comme suit Pordre du jour du XIVe Congrès général de la Paix, qui s’ouvrira le 19 septembre à Lucerne :
- Rapport du bureau international sur les événements de l’année dernière concernant la guerre et la paix ; conditions de la création d’une Fédération internationale ; rapprochement entre la France et F Allemagne ; causes économiques des guerres ; sanction civile des arrêts du tribunal international d’arbitrage ; application des articles de la convention de La Haye relatifs à l’intervention amicale des neutres ; neutralisation d’eaux et de territoires ; l’œuvre de la deuxième conférence intergouvemementale de La Haye ; organisation d’un système international d’éducation et d’instruction ; coopération des gouvernements au mouvement pacifiste ; langue universelle ; questions de propagande ; fixation de la date et du lieu du prochain Congrès et, enfin, appel aux nations.
- Après un vif débat, la commission a écarté une proposition de mettre à l’ordre du jour la question d’Alsace-Lorraine. On a également renoncé à y faire figurer la question de l’attitude à prendre vis-à-vis d’une guerre offensive, ainsi que la création d’une académie de la paix. »
- Manifestations pacifiques du 18 mai.
- Après avoir dignement célébré leur fête annuelle du 22 février, les pacifistes ont donné le plus vif éclat à la commémoration de la conférence de La Haye, le 18 mai.
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- Depuis trois ans, conformément à la décision du Congrès international maçonnique de Genève, les Loges maçonniques solennisent cet anniversaire par des tenues imposantes. L’histoire du pacifisme, son but, sa tâche, ses moyens de propagation, l’iniquité de la guerre, les maux qu’elle fait naître, y font l’objet d’intéressantes études.
- Et, en efi'et, ainsi que le rappelait la circulaire que le comité directeur de la Grande-Loge suisse Alpina adressait l’année dernière à tous les groupes de la Maçonnerie universelle, « il appartient à la Franc-Maçonnerie, qui cherche à réaliser depuis des siècles le principe de la fraternité humanitaire et universelle, de se préoccuper plus encore que d’autres associations de l’idée de la paix. Ce point fait tout naturellement partie de son programme, et c’est de ce côté que la portent ses traditions, son histoire ses principes et toute son activité. »
- La fête donnée cette année au palais du Trocadéro, par les loges maçonniques de la région parisienne, a été particulièrement grandiose. Cette solennité était présidée par M. Berthelot, membre de l’Institut, ancien ministre des affaires étrangères. Il avait à ses côtés MM. Desmons, vice-président du Sénat, Lafferre, député, président du conseil du Grand Orient de France, d’Es-tournelles de Constant, sénateur, président du groupe parlementaire de l’arbitrage international, F. de Pres-sensé, député, président de la Ligue des Droits de l’homme, Gh. Richet, membre de l’Institut, président de la Société française de l’arbitrage entre nations, Mme Séverine, MM. Casevitz, de la fédération des universités populaires, Ch. Beauquier, député, président de la Ligue franco-italienne, Michel, député, président du comité républicain radical socialiste, Buisson, président de la Ligue de l’enseignement et de l’Association nationale des libres-penseurs.
- Quand M. Berthelot s’est levé pour ouvrir la séance, les 6.000 personnes qui se pressaient dans la salle des
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- fêtes ont fait à l’illustre savant une ovation chaleureuse.
- « La célébration cle la fête universelle de la paix, » a-t-il dit, « représente un idéal vers lequel nous avons le devoir et l’espérance de diriger la volonté des nations et des individus.
- « Pour la réaliser (l’entreprise de la paix universelle), il faudra proclamer d’abord et d’un accord commun les règles du droit des nations, règles fondées sur le sentiment de la justice réciproque. Ce n’est pas en un jour que de semblables règles ont fini par s’établir pour les relations privées des individus et par déterminer l’institution et la reconnaissance déjugés et de tribunaux chargés d’appliquer les lois qui les formulent. Maintenant, il s’agit d’accomplir un progrès semblable pour les relations collectives des nations. Les efforts continus poursuivis depuis deux siècles par les penseurs et par les gens de bonne volonté commencent à exercer une influence générale sur l’opinion et sur Péducation des générations nouvelles. Il faut en faire consacrer les résultats par des traités internationaux.
- « Voici que nous avons réussi à constituer le tribunal, le juge suprême de ce nouveau droit, et nous poursuivons à la fois la reconnaissance de son autorité par toutes les nations civilisées et l’extension de sa juridiction à toutes les causes de conflit.
- « Sans doute, c’est là un idéal qui semble encore bien éloigné. Mais notre désir, notre volonté, notre devoir, aussi bien que la mission historique de la France, qui n’en exclut aucune autre nation, c’est de tendre d’un effort continu vers cette réalisation du règne de la raison, de la solidarité, de l'amour des hommes, au sein de la démocratie universelle. »
- Ap rès M. Berthelot, M. Frédéric Passy a adressé un puissant appel à la solidarité humaine pour assurer le triomphe de l’idée pacifiste.
- A son tour, M. d’Estournelles de Constant prenant la parole, dit :
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- « L’œuvre de La Haye constitue un progrès de la science. Progrès bien modeste, bien discuté, bien contrarié, mais progrès quand même. Il a contre lui, sans parler des indifférents, deux adversaires qui, en réalité, n’en font qu’un : les sceptiques d’abord, les éner-gumènes ensuite.
- « Pourtant, pendant des siècles, l’œuvre de La Haye a été l’aspiration, le rêve muet, presque interdit, de l’humanité. Mais si les sceptiques découragent tout effort, aux énergumènes il faut des solutions parfaites. ' Ils déclarent la guerre à la guerre et simplifient la question : puisque les patries, disent-ils, vivent sous la menace des conflits, supprimons les conflits en supprimant les patries elles-mêmes.
- « Ces exagérations ne peuvent tromper un peuple sensé : nous ne voulons ni ne pouvons supprimer les patries, pas plus que les individus ; nous devons les améliorer, leur faire une vie plus prospère, des relations plus assurées ; nous devons les fortifier par des concessions mutuelles, pour les rapprocher les unes des autres ; nous ne voulons pas la suppression, nous voulons l’association des patries !
- « L’œuvre de La Haye constitue un acheminement vers cette association, et c’est pourquoi il faut savoir la continuer, la développer. »
- D’autres orateurs ont suivi, parmi lesquels MM. Lafferre, de Pressensé, Charles Richet, Mme Séverine.
- L’assemblée a voté ensuite l’envoi au président de la République d’une déclaration par laquelle « les amis de la paix et de l’arbitrage international adressent à M. Emile Loubet l’hommage de leur reconnaissance pour l’attachement qu’il n’a cessé de témoigner aux idées de paix et d’arbitrage international, et pour le souci patriotique qu’il a notamment montré d’affirmer la mission morale de la France républicaine dans le monde. »
- Puis, elle a acclamé un ordre du jour par lequel les citoyens réunis au Troeadero, « considérant que les gouvernements, en prenant part à la conférence de La
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- Haye, ont affirmé par des déclarations ou des engagements officiels les principes suivants : 1° intérêt d’une limitation générale des charges qui pèsent sur le monde ; 2° existence d’une solidarité internationale : 3° utilité d’une organisation régulière de la justice et de la procédure arbitrales ; considérant que les gouvernements signataires des conventions revisées d’après ces principes les observeront d’autant mieux que l’opinion sera plus unanime à en réclamer l’application ; constatant le succès considérable de la manifestation de ce soir, félicitent les organisateurs qui en ont pris l’initiative, et comptent sur le gouvernement de la République pour activer par son exemple le développement de l’œuvre de La Haye ».
- Un brillant concert a terminé cette belle fête.
- Au cours d’une autre fête organisée par la Société française d’arbitrage toujours à l’occasion de l’anniversaire de la conférence de La Haye, M. Frédéric Passy, qui a pris le premier la parole, constate que la conférence de La Haye est un événement d’une portée considérable dans l’Histoire. Sans doute, au commencement, ceux qui avaient trop espéré d’elle ont pu être déçus. Mais ce n’était pas la faute des pacifistes, qui connaissant les difficultés de la tâche entreprise, n’avaient point leurré le public. Peu à peu sont venus les traités d’arbitrage, chaque jour plus nombreux. Puis, le tribunal de La Haye a évité des conflits. Et l’incident de Hull montre à quelle désastreuse éventualité il a pu parer.
- Après avoir déploré l’horrible tuerie d’Extrême-Orient, M. Passy termine par ces paroles éloquentes :
- « Au nom de l’idéal de paix, patriotique et humain, jeunes gens, hommes, vieillards, femmes même, tous debout contre le danger qui pourrait menacer la patrie, mais tous debout aussi contre le danger qui menace l’humanité, la guerre destructrice des civilisations. »
- Le docteur C. Richet fait justice du reproche adressé aux pacifistes de n’être pas patriotes.
- « Nous demandons, dit-il l’indépendance et la liberté
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- de notre patrie sans vouloir nuire à. celle des autres pays. »
- M. Richet déclare que l’anniversaire que l’on fête est celui d’un fait immense, car il a séparé l’histoire en deux phases : la phase de la barbarie et la phase que l’on peut espérer de paix et de justice.
- Enfin, sir Thomas Barclay montre les étapes rapides du rapprochement franco-anglais et exprime l’espoir qu’on ne s’arrêtera pas sur ce chemin de l’apaisement et de l’harmonie.
- L’assemblée a ensuite voté un ordre du jour par lequel elle émet le vœu « qu’une conférence intergouvemementale soit tenue à La Haye, afin dérégler définitivement les obligations respectives des puissances aussi bien en temps de paix qu’en temps de guerre, et de préparer l’organisation d’un état juridique international et l’ère de justice et de sécurité qui procureront aux peuples l’allègement des charges qui les écrasent. »
- Nous souhaitons, avec ses initiateurs, que cette fête annuelle du 18 mai marque des étapes progressives vers la paix universelle.
- Vers la paix.
- Une des plus récentes manifestations en faveur de la paix entre la Russie et le Japon a été faite par le groupe français de l’arbitrage international et le comité commercial britannique qui, d’un commun accord, ont adopté une motion priant les gouvernements respectifs de France et de Grande-Bretagne d’offrir leurs bons offices à la Russie et au Japon.
- Voici le texte de la motion remise au ministre des affaires étrangères à Paris, texte identique à celui de la motion remise à lord Lansdowne à Londres :
- « Considérant que :
- « 1° Par l’article 27 de la convention du 29 juillet 1899, les gouvernements représentés à la conférence de La Haye ont déclaré à l’unanimité que l’intervention
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- amiable d’une ou de plusieurs puissances tierces dans un conflit international est un devoir ;
- « 2° Que l’article 3 de la même convention recommande spécialement l’offre des bons offices ou de la médiation et pose en principe que le droit de faire cette offre appartient aux puissances étrangères au conflit, mêmè pendant le cours des hostilités, et que l’exercice de ce1 droit ne peut jamais être considéré par l’une ou l’autre des parties en litige comme un acte peu amical ;
- « Le Groupe parlementaire français de l’arbitrage international, constatant son accord avec le comité commercial du Parlement anglais, exprime le voeu que le gouvernement, fidèle à ses engagements, saisisse la première occasion favorable pour offrir ses bons offices en vue d’amener, le plus têt possible, une paix honorable entre les deux belligérants. »
- Le gouvernement des Etats-Unis a pris l’initiative que les gouvernements français et britannique se refusaient à prendre, et le jeudi 8 juin, le président Roosevelt a adressé simultanément aux gouvernements russe et japonais la note que voici :
- « Le président estime que l’heure est venue où, dans l’intérêt de l’humanité, il doit rechercher s’il n’est pas possible de mettre fin à ce terrible et lamentable conflit. Des liens d’amitié et de sympathie unissent les Etats-Unis à la fois au Japon et à la Russie et ils estiment que le p ‘ogrès du monde subit un recul par le fait de la guerve entre ces deux grands pays.
- « Le président presse vivement les gouvernements russe et japonais, non seulement dans leur propre intérêt, mais dans celui du monde civilisé tout entier, d’ouvrir des négociations directes en vue de conclure la paix l’un avec l’autre.
- « Le président suggère des négociations entreprises directement et exclusivement entre les deux belligérants, en d’autres termes une conférence de plénipotentiaires japonais et russes, sans intermédiaire, afin d’examiner s’il n’est pas possible pour les deux puis-
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- sances de se mettre d’accord sur les conditions de paix.
- « Le président demande instamment aux gouvernements russe et japonais de consentir maintenant à cette conférence.
- « Le président désire faire tout ce qu’il peut, si les deux gouvernements intéressés estiment que ses services leur sont utiles, pour régler les préliminaires relatifs au temps et au lieu de la conférence ; mais, dans le cas même où ces préliminaires seraient réglés directement entre les deux puissances, ou d’une autre façon, le président s’estimerait heureux, car il n’a d’autre dessein que d’amener une conférence que le monde tout entier souhaiterait voir aboutir à la paix. >>
- Au grand soulagement de la conscience universelle, les deux gouvernements intéressés firent à la démarche du président Roosevelt un accueil favorable. Puisse
- demain justifier les espérances d’aujourd’hui.
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- Le rapprochement franco-allemand.
- Nous avons publié dernièrement le programme du comité de défense des intérêts nationaux et de conciliation internationale.
- Ce programme avait été commenté par M. d’Estour-nelles de Constant dans un article paru dans le Temps, le 15 mai dernier, article qui fut très remarqué, parait-il en Allemagne. Le président du groupe français de l’arbitrage international a publié depuis lors dans le Berli-ner Lokal-Anzeiger un long et remarquable article qui est le développement du premier.
- M. d’Estournelles de Constant préconise l’association des patries comme l’association des individus, le rapprochement franco-allemand comme le rapprochement franco-anglais.
- € Cette association cessera d’être un rêve, » dit-il, « le jour où la France et l’Allemagne se réconcilieront ; mais la réconciliation elle même n’est réalisable que si, de part et d’autre, nous avons le courage de parler sincèrement.
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- « Il y a vingt ans, le silence était un devoir ; aujourd’hui il devient un danger.
- « Quelles sont les solutions du problème ?
- « La guerre ?... L'oubli ?...
- « L’un et l’autre sont impossibles.
- « La guerre comporte aujourd’hui trop de risques de part et d’autre ; elle est toujours à recommencer : le conflit russo-japonais est plein d’enseignements à ce point de vue. Et d’ailleurs quel serait le champ de bataille ? L’Alsace ? encore, toujours l’Alsace ! Elle a des fils dans les deux armées ; ce serait une guerre fratricide.
- « L’oubli n’est pas possible davantage : on ne peut attendre de l’Allemagne qu’elle oublie tout le sang qu’elle a versé pour annexer nos deux provinces, ni de la France tout celui qu’elle a versé pour les perdre.
- « Les deux pays sont donc séparés par le plus respectable des souvenirs ; on ne doit même pas souhaiter que ce souvenir s’efface avec le temps, car la moindre occasion le ferait revivre.
- « Faut-il donc nous résigner à penser que l’espoir d’un rapprochement n’est qu’une chimère?
- « Non, ce rapprochement se fera par des « concessions mutuelles » pour qu’il soit honorable, acceptable de part et d’autre et durable ; il sera l'œuvre des bonnes volontés, de la science, du progrès des deux pays, l’œuvre de l’âme allemande et de l’âme française unies dans cette noble entreprise, à la fois leur honneur et le salut du monde. Pour préparer ce rapprochement franco-allemand, commençons par préparée les rapprochements entre tous les pays, les rapprochements individuels pour arriver aux rapprochements nationaux.
- « Ainsi, nous servirons notre patrie et toutes les patries. Tel est le programme, telle est la devise de notre comité : « Pro patria per orbis concordiam. »
- Depuis la publication de cet article, les susceptibilités nationales éveillées dans les hautes sphères politiques allemandes par le malentendu marocain, ont failli
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- mettre aux prises les deux nations. Nous avons passé par une période d’appréhension légitime qu’un parti de réaction uniquement préoccupé de revanche intérieure, s’est vainement efforcé de transformer en alarmes. En tous cas, s’il y a eu alarmes, elles n’ont pas dépassé les limites du milieu où l’on avait travaillé, avec une sincérité plus que douteuse, à leur éclosion. Pendant que se dénouait l’imbroglio diplomatique, les deux peuples ont gardé leur sang-froid. Après l’alerte, l’article de M. d’Estournelles, à la fois si prudent et si courageux, si clairvoyant aussi, reste le programme à la réalisation duquel doivent travailler les pacificistes français, non pas uniquement parce qu’il donne satisfaction à leur idéal de conciliation internationale, mais parce qu’il est le plus conforme aux véritables intérêts nationaux ; à la condition toutefois que le rapprochement franco-allemand ne sera pas obtenu au prix de l’abandon des ententes cordiales survenues entre la France et d’autres nations auquel cas il ne serait qu’une machine de guerre au lieu d’un instrument de pacification.
- L’éducation pacifique.
- Voici le texte de l’adresse envoyée aux instituteurs et institutrices de la Grande-Bretagne par la Société de l’Education pacifique. Président d’honneur : M. Frédéric Passy. Fondatrices : Mme Marie-Madeleine Carlier et Mlle Marguerite Bodin, à Croisilles (Pas-de-Calais) :
- « Cordialement heureux du rapprochement amical entre nos deux pays, nous désirons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour fortifier et étendre cette amitié, confiants dans l’espoir que vous êtes animés des mêmes désirs. C’est pourquoi nous venons aujourd’hui vous exposer le mouvement si rapidement développé en France depuis quelques années, et qui a pour but l’éducation de la jeunesse suivant les principes de paix et de fraternité internationales, sans porter aucune atteinte au sentiment sacré du patriotisme. Tel est tout spécia-
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- lement l’objet de la Société de l’Education pacifique, fondée en 1901, dont le programme se résume ainsi :
- « Faire comprendre à l’enfant qu’il n’y a pas deux morales, une pour les nations et une pour les individus ; le pénétrer de l’idée de justice et du sentiment de la fraternité humaine envers tous les peuples de la terre ; lui inculquer le respect de la vie ; lui démontrer que la guerre n’est point un mal inévitable et que les discordes des gouvernements peuvent être réglées par l’arbitrage ; en un mot former des coeurs pacifiques et transformer le patriotisme de haine en patriotisme d’amour. »
- « Tels sont, chers Collègues, les principes qu’appliquent dans leur enseignement, au foyer et à l’école, les éducateurs adhérents à l’Education pacifique, et ceux-ci sont si nombreux et ont rencontré tant de sympathies dans la presse pédagogique, qu’ils représentent véritablement l’esprit d’une très considérable partie du corps enseignant français.
- « En outre, les nations commencent à comprendre combien il leur importe de se connaître réciproquement et de vivre entre elles en bonne harmonie ; de là ces traités d’arbitrage qui permettent de régler pacifiquement les contestations internationales. Tous ces symptômes nous encouragent dans .notre tâche et nous inspirent l’espoir de voir se réaliser les principes de notre enseignement. Mais pour que cet enseignement soit efficace, il ne faut pas qu’il demeure localisé en France. Nous nous adressons donc à vous, dans un sentiment de cordiale fraternité, pour demander à ceux d’entre vous qui partagent nos convictions, de travailler avec nous, afin que nos deux pays, qui ont tant contribué, dans les siècles passés, à répandre dans le monde la culture, la civilisation et la liberté, s’unissent aujourd’hui pour propager les idées de Paix et de Justice.
- « Dans l’espoir que vous voudrez bien vous joindre à nous dans un commun effort, nous vous prions, chers Collègues, de croire à nos meilleurs sentiments confraternels. »
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- Association médicale internationale contre la guerre.
- Le 21 mars 1905, un certain nombre de médecins français et étrangers, pressentis antérieurement par le Dr J.-A. Rivière, se sont réunis à son domicile en vue d’une protestation générale des médecins contre la guerre. Ils ont décidé de fonder une association à Paris sous le nom d'Association médicale internationale, qui a pour base le respect de la vie humaine et pour but la suppression de la guerre.
- Cette association se propose de grouper les médecins du monde entier en vue d’une protestation permanente contre la guerre et.de créer un mouvement d’idées, de sentiments et d'opinions contre tous les conflits armés. Dans ce but, elle fait appel à l’activité individuelle ou collective du corps médical pour la propagande, dans toutes les classes sociales, de l’idée de la Paix, de l’entente et de la concorde entre peuples.
- Elle est exclusivement composée de médecins. Pour en devenir membre, il faut adhérer aux statuts, adresser une demande écrite au Conseil d’administration et verser la cotisation annuelle de cinq francs. Le siège de l’Association est : 25, rue des Mathurins, à Paris. Il sera tenu une assemblée générale chaque année et un Congrès international au moins tous les trois ans. Avec l'approbation du Conseil d’administration il peut se former des comités régionaux. L’Association publie un compte rendu trimestriel de ses travaux qui est adressé gratuitement à tous ses adhérents.
- La coopération et la paix.
- Le Bureau international de la paix a adressé à l’Union coopérative des Sociétés françaises de consommation, réunie en un Congrès du 1er au 4 juin courant, à Paris, une lettre ainsi conçue :
- « Les Congrès universels de la Paix ont déclaré à plusieurs reprises que le mouvement coopératif et le mouvement pacifiste sont intimement liés, attendu que
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- les charges de la guerre pèsent lourdement sur la classe ouvrière et que celle-ci peut contribuer dans une forte mesure à la cessation des guerres. Nous venons, en conséquence, vous présenter nos vœux pour le succès des efforts des coopératistes en général et particulièrement pour la bonne réussite du Congrès que votre Association ouvrira à Paris dans quelques jours.
- « Puisse la pratique large et consciente du système coopératif créer et entretenir des rapports bienveillants entre les nations unies par la nécessité sociale de la sécurité du lendemain ! »
- La législation internationale du travail et la paix.
- M. Millerand, ancien ministre du commerce et de l’industrie, délégué du gouvervement français à la Conférence de Berne pour la suppression du phosphore blanc et l’interdiction du travail de nuit pour les femmes, a rendu compte des travaux de la Conférence à la section française de l’Association internationale des travailleurs.
- Il a conclu en ces termes :
- « De notre travail en commun s’est dégagé, chez toutes les délégations, le désir d’aboutir à des résultats pratiques. Les résultats obtenus par la Conférence de Berne suffiraient à justifier cette initiative, mais elle est encore plus riche en espoirs qu’en résultats. Cette conférence est le présage d’autres conférences sur des ' objets analogues. Plus nombreux seront les accords entre les nations, plus leurs législations se pénétreront, plus il sera difficile de rompre la paix entre elles.
- « C’est beaucoup moins par des déclarations pacifiques, dont je ne méconnais pourtant pas la valeur, que par des accords d’intérêts que l’on pourra dresser une barrière solide devant les guerres dévastatrices. »
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- LE MOUVEMENT FÉMINISTE
- La recherche de la paternité.
- Le projet de loi sur le divorce présenté, il y a deux ans, au Parlement italien, comprenait une disposition relative à la recherche de la paternité. Aucune suite n’ayant été donnée au projet sur le divorce, M. Soriani, député, a formulé une proposition spéciale visant la recherche de la paternité.
- La commission parlementaire chargée de l’examiner l’a adoptée dernièrement. C’est une première étape. Il ne reste plus à obtenir que l’assentiment de la Chambre et celui du Sénat.
- Les femmes typographes.
- Le Congrès national typographique qui s’est tenu dernièrement à Paris, a discuté la question du travail féminin. Il a adopté des résolutions suivant lesquelles seront écartées des ateliers les femmes qui s’y présenteraient comme concurrentes, à l’exception de celles qui feraient partie d’un syndicat et qui seraient admises à salaire égal.
- C’est le droit commun syndical substitué à l’ostracisme absolu.
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- Pharmaciennes.
- La Faculté de Paris vient de recevoir, avec une bonne note, une nouvelle « pharmacienne » , Mme Hiron-Thierry dont le mari exerce lui-même la profession de pharmacien, tout là-bas, au fond de Vaugirard, rue des Morillons.
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- LE MOUVEMENT FEMINISTE.
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- Mme Hiron-Thierry est la seizième femme qui obtient, devant la Faculté de Paris, le diplôme de pharmacien.
- Nous ajouterons que, sur les seize femmes reçues « pharmaciennes » par la Faculté de Paris, quatorze sont Françaises. L’une d’elles, Mlle Talon, fille de pharmacien, reçue l’année dernière, prépare son doctorat. Il n’y a eu, jusqu’à présent, que trois femmes internes en pharmacie dans les hôpitaux et une seule est « préparateur » à l’Ecole de médecine.
- (Petit Journal).
- L’éducation en Chine
- Le règlement de l’instruction, dont la révision avait été confiée le 29 juin 1903 à Tchang Tchi Toung et aux deux chanceliers de l’université de Pékin, vient d’être mis à jour et forme cinq volumes dont on ne saurait faire l’analyse, mais dont on' peut extraire quelques détails intéressants.
- L’instruction du Chinois, commencée à l’école primaire à l’âge de sept ans, dure vingt-six années, soit cinq ans à l’école primaire simple, quatre à l’école primaire supérieure, cinq à l’école moyenne, trois à l’école supérieur, quatre à l’université et cinq au collège des hautes études.
- Le Chinois lettré qui a assidûment suivi toutes ses classes termine donc ses études à l’âge de trente-trois ans.
- L’étude des langues étrangères ne commence que dans l’école moyenne, quand l’élève entre dans sa seizième année. 11 apprend obligatoirement l’anglais et le japonais et facultativement le français, l’allemand et le russe.
- L’école primaire est gratuite et non obligatoire. Les autres écoles sont également facultatives. Les frais généraux sont à la charge des autorités, les élèves ne payant de rétribution qu’à partir de l’école moyenne.
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- Dans toutes les écoles, l’instruction est confucianiste et la fidélité envers l’empereur et la dynastie fait partie du programme à enseigner aux jeunes Chinois.
- Le règlement traite aussi des écoles enfantines et crèches qui seront ouvertes à côté des orphelinats et des refuges de veuves. C’est là que l’on formera spécialement les nourrices et les gouvernantes.
- Le règlement se tait sur les écoles de filles, ou plutôt il dit que les mœurs chinoises ne permettent pas pour le moment d’ouvrir des écoles de filles, et il émet la crainte que des jeunes filles trop instruites ne veuillent prendre la liberté de se choisir leur mari et de se soustraire à l’autorité de leurs supérieurs : mari, père, mère, beau-père et belle-mère...
- {Temps).
- Un meeting de femmes à Moscou
- Cinq cents femmes russes venues de tous les confins de l’empire se réunissaient dernièrement à Moscou en un meeting présidé par Mme Milioukof et discutaient pendant trois jours les conditions de vie auxquelles est actuellement soumise la femme russe dans l’ordre domestique, social et politique. Des motions nombreuses ont été faites par des ouvrières et des domestiques.
- . Dans sa résolution finale, le meeting a exprimé le voeu que la femme russe fût investie de droits égaux à ceux de l’homme ; il a reconnu encore que cette égalisation des droits ne serait possible qu’après la réforme politique intérieure et s’est prononcé pour la cessation la plus prompte possible des hostilités en Extrême-Orient.
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- LES DEUX VIES
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- LES DEUX VIES
- Par Paul et Victor MARGUERITTE
- ——--fc*SS»-
- {Suite. )
- Sa femme, haute et robuste, empourprée sous ses cheveux gris, se livrait à une embrassade non moins exubérante. C’étaient des Lyonnais ; ils gardaient, malgré un long acclimatement parisien, un pli de province, dus expressions du pays. Ils se coupaient à tout moment la parole. On pardonnait ses légers travers à ce couple d’une imagination vive et d’un excellent cœur. Les charités de Mme Favié passaient souvent par leurs mains. Ils réprouvèrent avec énergie tout accord : un drôle pareil ne méritait aucun ménagement ; le commandant, à qui Le Hagre était très antipathique, voulait qu’on le traînât en correctionnelle avec sa complice ; il se rabattit sur l’offre d’aller lui couper les oreilles. Mme Mor-land répétait :
- — Mais vous aurez cent fois, mille fois le divorce ! C’est l’affaire de trois semaines !
- Quand ils furent partis :
- — Ils ont raison, dit Francine, je ne m’abaisserai pas à transiger. Tu le vois, « tout le monde » a confiance.
- Maintenant, il semblait presque à Mme Favié que le divorce s’annonçait trop bien. Mais les de Guertes firent entendre une autre antienne, en conseillant — celle-là était raide ! — de reprendre la vie commune à l’essai, essai loyal, pendant un an, par exemple. Une scène très vive faillit brouiller Francine et Henriette, brune évaporée aux yeux tendres et inintelligents, qui, désolée de la dureté avec laquelle son amie la rabrouait, répétait, tout en larmes : ‘
- — Mais puisque c’est l’avis de Maxime, ma chérie !
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- Tu sais combien Maxime est bon, supérieur, délicat; il n’y a pas un mari comme lui ; ce n’est pas un homme, c’est un dieu !
- Francine la contemplait avec dédain , prête à la détester pour sa servilité amoureuse : « Son Maxime !... un imbécile, avec sa proposition ! »
- M. de Guertes, bel homme blond et glacé, était un ingénieur à systèmes, un des cerveaux abstraits les moins faits pour comprendre les êtres vivants. Quand Francine s’était réfugiée chez eux, elle l’avait choqué par son exaltation, il avait constaté là une fois de plus le fâcheux déséquilibre féminin : mauvais exemple pour Henriette ; et puis, comme homme, ces violentes récriminations le froissaient dans sa dignité maritale.
- — Enfin, insistait Francine, je peux compter sur toi ? tu témoigneras, tu as vu les lettres de cette femme, tu diras la vérité !
- — Mais certainement, ma chérie, si Maxime n’y voit pas d’inconvénient.
- Mme de Guertes, goûtant une heure après chez le pâtissier, — un de ses péchés mignons, la gourmandise,
- — s’attristait : était-elle aigrie, cette Francine ! Puis elle se vit jolie dans la glace et sourit, en savourant un autre moka..%
- Quand Francine se rendit au premier rendez-vous assigné par Me Herbelot, le gros homme était préoccupé :
- — J’ai vu le président. Est-ce que votre mari le connaît ?
- — Pas que je sache. Pourquoi ?
- — M. Trassier m’a dit : — « Ah ! oui, cette jeune femme qui a abandonné le domicile conjugal... » Je lui ai répondu : — « Et elle va vous demander l’autorisation de citer son mari, monsieur le président. » Il a fait ce mouvement de menton qui lui est habituel, et il m’a dit :
- — « C’est fâcheux !.. C’est fâcheux »... Enfin ne préjugeons rien.
- — Mais la justice de ma cause !
- — Àh ! chère dame, fit Herbelot avec plus de malice
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- qu’on ne lui en aurait supposé, vous ne savez pas ce que c’est que la prévention... C’est moins qu’une bulle de savon, moins qu’un souffle ; mais ce premier souffle, venu on ne sait d’où, décide souvent du sort du plaideur... F as aut nefas\ Le président Trassier est un homme éminent, — ce n’est pas un imbécile ! Je lui connais pourtant un défaut : il se bute volontiers. Si vous aviez un ami sûr dans son entourage, il serait bon que, sans paraître l’influencer et au hasard de la conversation, cet ami lui racontât votre histoire. M. Trassier se rebifferait contre une recommandation directe, il ne se méfiera pas de propos tenus dans l’intimité. Et même...
- Me Herbelot cligna d’un oeil :
- — Auriez-vous des aboutissants près du ministère, au Sénat ? M. Trassier est incorruptible, mais ambitieux, c’est bien permis. L’intérêt très vif qu’on témoignerait pour vous en haut lieu ne serait pas de nature à vous nuire... mais il faut là un doigté exceptionnel... La magistrature est chatouilleuse...
- Il s’aperçut de l’étonnement de Francine : d’abord elle ne connaissait personne, ensuite elle ne chercherait pas à surprendre la bonne foi du président, encore moins à peser sur son impartialité. Pourquoi donc ne lui conseillait-on que des actes qui l’amoindrissaient ? Elle en revenait toujours à la justice de sa cause, comme à un argument sans réplique.
- Herbelot flairait la vérité ; c’est que déjà Le Hagre avait couru chez tous les membres de sa famille, intéressant l’honneur du clan Le Hagre, considérable et même considéré, car il comptait, sans les femmes, vingt-neuf membres, tous arrivés ou parvenus : un oncle siégeait à la Cour de cassation ; une cousine avait épousé un Morot-Le Hagre, sénateur ; un jeune Le Hagre, très riche, plaidait, avec succès, les causes anarchistes. Il avait fait ces visites sans sa mère. La vieille Mme Le Hagre, que la menace de ce divorce plongeaient dans la consternation et la douleur, avait préféré s’abstenir. Bien que Paris fût à moitié vide, il avait battu le rap-
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- pel de leurs amis, à commencer par Mme Pustienne ; des légendes perfides avaient déjà cours.
- Chez les Rastac, on départait le blâme : Le Hagre avait eu tort de tromper sa femme, mais elle encore plus tort de n’avoir su le garder. — Les Lurat protestaient, en vieux amis, mais si mollement qu’ils semblaient soutenir, par point d’honneur, une cause perdue. Avant de quitter Versailles, Charlie avait rompu des lances avec un feu téméraire ; Mme Pustienne, derrière son dos, ne s’était pas fait faute de remarquer ce qu’un tel zèle avait de compromettant,' et elle promenait sur la galerie l’insinuation de son venimeux regard et de son louche sourire.
- Si Francine eût connu ces commérages, de quel mépris elle les eût cinglés, quel haussement d’épaules si on lui eût affirmé que tout cela pourrait lui nuire ! Et cependant !... La cousine Morot-Le Hagre s’était épanchée auprès de son intime amie, la femme d’un riche raffineur de Marlotte, dont la fille était au mieux avec la bru du président. Chez les Trassier, on avait parlé à table du ménage Le Hagre, et tandis que le président dégustait deux juteuses tranches de melon, les calomnies lancées sur Francine n’étaient pas tombées dans l’oreille d’un sourd.
- Herbelot conclut en conseillant l’accord, qu’il désapprouvait la première fois ; il réclama, discrètement, une provision importante, et pour remonter sa cliente, que ces sautes d’opinion et ces rechutes d’espoir désemparaient, il se fit un plaisir de lui annoncer que M. Trassier la recevrait dans son cabinet, mercredi, à deux heures, et, séance tenante, ordonnerait la comparution prochaine des époux en conciliation ; non que cette entrevue eût une efficacité probable, — on remarquait qu’elle rendait les parties irréconciliables, — mais parce que la loi l’exigeait ainsi.
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- V
- Charlie de Brêars à la comtesse Faviê.
- « Verdun, 15 octobre.
- « Chère Gfabrielle,
- « Nous voici, depuis trois jours, dans notre nouvelle garnison. Hommes et chevaux sont casés ; le plus gros de la besogne se débrouille. Quand on pense que, sans les beaux yeux de la comtesse de Cometroy, je serais encore dans ce rez-de-chaussée de Versailles, dont vous aimiez la simplicité ! Ma garçonnière de Verdun est plus modeste encore, et je crois qu’Algarve, proportions gardées, est mieux logée que moi, dans son boxe de chêne verni, une bonne litière aux pieds. Mais tout ce qui n’est pas indispensable à un soldat est superflu. Pourquoi se lier aux choses ? On se crée des regrets. C’est bien assez de s’arracher aux affections et aux habitudes qui nous sont chères : et c’est là une des servitudes les plus pénibles de notre métier.
- « Je ne prévoyais pas que le sacrifice me coûterait autant : m’éloigner de vous en cette heure d’épreuve, alors que j’aurais tant voulu partager vos peines, c’est à quoi je ne me résigne pas. J’en veux à ma visite d’adieu écourtée, entre deux trains ; je me revois, dans votre petit salon jaune, tournant mon képi entre mes gants blancs, comme en visite officielle. Vous n’étiez pas là, je veux dire que votre âme n’y était pas ; un malaise étrange rendait presque hostile votre visage et nerveux vos gestes ; et moi j’avais la gorge serrée et me découvrais incapable de dire deux mots qui eussent le sens commun. Une dame est arrivée et j’ai dû partir en échangeant avec vous une poignée de main désolée. Jugez par là si mes étapes ont été gaies.
- « Elles m’ont du moins permis de descendre en moi, même et de me ressaisir : je vois clair. Une ivresse, telle que je ne pouvais la concevoir, ne m’aveugle plus
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- au point d’obscurcir* toute notion du possible. Pourquoi aurais-je le vertige quand un chemin très simple et très droit s’offre à nous, si vous daignez y marcher avec moi? Ecoutez-moi, je vous en supplie ; c’est après de mûres réflexions que je confie à cette lettre ce qu’il m’a été impossible de vous dire, tant le courage me manquait devant la crainte de vous déplaire : je le risque aujourd’hui en tremblant d’espoir, parce qu’il me semble que vous m’avez donné un droit à vous parler en toute loyauté, les yeux dans les yeux.
- « Une fatalité que je bénis de tout mon être puisqu’elle est venue à son heure, en dehors de toute attente et contre notre volonté, nous a jetés l’un vers l’autre; nous nous sommes-fait l’aveu de notre affection. J’ose dire : nous. . . Oui, votre coeur répondait trop profondément au mien pour que je puisse douter de la certitude d’un bonheur dont mon humilité sent» l’inappréciable don ! Comme j’ai pensé à vous, depuis ; comme vous avez vécu en moi ! vous êtes mêlée à tout ce que je vois, à tout ce que je touche. Vousn’êtes pas seulement pour moi l’être adorable entre tous, mais le rayonnement même de la vie. Je ne vous divinise pas dans l’illusion d’un mirage ; telle je vous vois, telle je vous ai vue, telle je vous verrai toujours. Ce que j’éprouve vient déplus loin que la vie et sera plus fort que la mort.
- «Il n’est pas possible qu’une affection si complète, que des affinités si rares, que tout ce qui s’élève en nous vers le bonheur permis n’ait pas sa part à la vie, au soleil. Si vous m’aimez comme je vous aime, Gabrielle, daignez accepter l’hommage très indigne de ma main, consentez à devenir ma femme : la vicomtesse Charlie de Bréars aura dans son mari l’ami le plus respectueux et leplus dévoué. Chère Gabrielle, c’est avec un horrible battement de cœur que j’écris ces lignes : il me semble que l’on peut mourir de joie et aussi de désespoir.
- « Ne dites pas que votre Charlie est un fou ! Gardez-vous de cette sagesse qui est la pire des démences, de cette défiance de nous-mêmes qui paralyse tant ces
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- beaux élans. Oubliez, pour pardonner à ma témérité, qu’elle prend mal son temps ; je sens l’indélicàtesse qu’il y aurait à vous presser, quand votre cœur de mère saigne, quand vous vous devez à votre fille ; mais, si cruelles qu’elles soient, le's douleurs de Francine n’auront qu’un temps, un apaisement viendra de la destinée; vous redeviendrez libre, vous pourrez disposer de vous sans remords. Songez-y en me donnant, je ne dis pas une réponse certaine, si cela vous coûte trop, mais le plus faible espoir.
- « Exigez-vous des mois d’épreuve ? J’accepte d’avance votre arrêt. Mais, par pitié, ne vous refusez pas à notre bonheur, car toutes les minutes de mon existence seront vouées à rendre les vôtres plus légères et plus douces. Je sais trop ce qui me sépare de vous, mes imperfections d’abord ; mais que ne pourrait votre influence sur moi ? Ma fortune, sans égaler tout à fait la vôtre, suffirait peut-être pour vos goûts qui sont simples et vous laisserait entière maîtresse de ce qui vous appartient. La médiocrité de mon grade ? Je ne suis qu’un soldat, mais un ou deux galons de plus compteraient-ils davantage à vos yeux ? J’aime mon métier ; je suis pénétré de ce qu’il a de noble, de sévère et de grand ;je voudrais y consacrer mon activité ; mais si des considérations sociales dont je vous laisse juge vous faisaient préférer que j’y renonce, je serais heureux du moins de faire à mon amour pour vous un sacrifice, et je chercherais à me rendre utile autrement.
- « Et maintenant, mon amie, dans quelle angoisse vais-je vivre jusqu’à ce que votre lettre m’apporte la plus délirante joie qu’un homme ait jamais ressentie ! Oui, je l’espère, je veux y croire de toute la ferveur d’attente de mon âme prosternée à vos pieds.
- « Charlie. »
- Mme Favié achevait de lire cette lettre, seule dans son petit salon. De fins abat-jour tamisaient la clarté
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- des lampes. Un glissement sourd dé tramways dans l’avpnue évoquait la rumeur lointaine de Paris. Elle entendait bruire ce long murmure en glas. La fièvre de la ville battait à ses poignets nus émergeant des dentelles. Et, entre ses paupières closes, coulaient avec lenteur des larmes d’attendrissement.
- Elle était transfigurée. L'extase, qui lui mettait au teint un éclat suprême, trahissait la volupté la plus amère et la désolation sans limites. La liàte imprudente de Charlie, sa juvénile décision allant droit au but, venait la tirer du rêve où elle s’engourdissait, avec la peur/que ce ne fût qu’un rêve. Si imprévu, ce retour à la réalité, que tout d’abord, en achevant sa lecture, elle avait été prise d’un joyeux rire d’enfant, où tenait la plus caressante satisfaction d’orgueil, une de ces allégresses qui donnent des ailes pour s’envoler en plein ciel : elle avait goûté une telle plénitude de bonheur que son âme et ses sens y atteignaient presque la souffrance. A cette hauteur, elle chancelait, d’une chute foudroyante. Epouser Charlie, s’en montrer fière, vivre heureuse, l’adorer à coeur perdu, c’était trop beau ? Au vertige de la tentation succédait l’afireux réveil. Etait-ce possible ?...
- Et sous ses paupières douces, le long de ses joues délicates, si pures encore de jeunesse, les larmes intarissablement coulaient. Ah ! ne vaudrait-il pas mieux l’avoir déjà perdue, cette beauté qui tentait encore, et qui allait s’évanouir d’autant plus vite qu’elle se serait plus tard prolongée ?
- Vieillir, aux yeux de l’homme aimé ; s’apercevoir qu’il remarque cette mince, presque invisible ride ; qu’il examine malgré lui le grain moins nacré des tempes ; infliger à ce mari, à cet amant passionné, le spectacle de cette destruction parcelle à parcelle ; le voir devenir songeur et se détourner vers des femmes plus jeunes, souffrir de ses scrupules, dp ses hésitations, lorsqu’un entraînement fatal... ; connaître les afl’res de la jalousie qui déchire, et la ressentir non pour un
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- homme qu’on n’aime plus, mais pour celui dont on est folle, qu’on veut à soi, qu’on sent vivre en soi comme sa propre chair et son sang même : non, non, pour lui autant que pour elle, jamais ! Ce martyre était au-dessus de ses forces.
- Les tramways cornèrent, un fiacre roula. Paris grondait. Et cette vie de milliers d’existences, qu’elle sentait s’agiter dans la nuit, lui souffla : « Vis, vis comme nous ; vis ton malheur et ta chance. Te renonceras-tu toujours ? Prends garde, tu as laissé une fois passer l’amour... le bonheur, qui sait ? L’heure presse ; saisis-le cette fois et garde-le avarement sur ton coeur ! » Et elle songeait à ce qui palpitait en elle : « Pourquoi ne pas être heureuse? C’est mon tour ! » Mais non ; épouser Charlie, il fallait être insensée !
- L’âge avait sonné ; qu’il y parût ou non : quarante-cinq ans, lui vingt-sept ! Un écart pareil, après une fugitive ivresse, ne serait comblé que par de l’humiliation et de la douleur... Non, elle n’eût pas méprisé l’épaulette de Charlie, mais ce grade soulignait encore l’écart. Il démissionnerait, soit ! Que dirait-on ? Quel blâme sévère lui infligerait l’opinion, à elle, mère et grand’mère ?... Grand’mère ! ce mot à lui seul la vieillissait, la reléguait dans l’ombre. Qu’importait qu’elle restât jeune, que certains pussent la préférer à Francine, qu’elle semblât la soeur de sa fille ! Qu’importait qu’elle n’eût pas vécu, et que ses droits à la vie restassent intacts? Trop tard ! Les plus indulgents souriraient. Et vis-à-vis de Francine, de Josette, comment eût-elle osé affirmer, sans honte, la volonté d’être aimée, heureuse ? Francine la première ne serait-elle f>as révoltée? Trop tard !
- Elle pleurait son magnifique rêve, le désespoir de Charlie. Pauvre enfant, grand fou ! Mon Dieu ! comme il fallait qu’il aimât pour avoir eu l’audace de lui proposer ce coup de tête ! '
- Elle s’insurgeait : pourquoi cette cruauté du.sort, cet égoïsme et ces sarcasmes du monde ? En quoi serait-elle
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- diminuée, moins digne de respect et d’estime, parce qu’elle s’appellerait Mme de Bréars, au lieu d’être en cachette — non S cela non !... — sa maîtresse ? Quoi ! le monde qui aurait jugé plausible qu’elle épousât le vieux Marchai, le monde qui fermerait les yeux peut-être, s’il soupçonnait un bonheur clandestin avec Char-lie, le monde la raillerait de se donner à lui légalement! Charlie, qu’on eût complimenté tout bas d’être amant, on le plaindrait bientôt d’être mari : on la jugerait • inconvenante comme si elle faisait tort à des rivales plus jeunes ! Que tout cela était bête, injuste !
- Ainsi, quand l’amour s’offrait à elle, loyal, fier, quand elle et Charlie touchaient à la réalisation de ce voeu si profond et si légitime, un sentiment aussi beau ne pouvait se concilier avec le mariage, ne se combinait pas avec cette « affaire » où l’on doit tenir compte des -situations, des convenances, des rapports de famille. Tout autre homme, aussi ou plus âgé qu’elle, elle eût pu l’épouser sans trop manquer à ses devoirs de mère, et même de grand’mère : Charlie, impossible ! Elle se heurtait à une loi de société autant qu’à une loi de nature ; et, injuste ou non, c’était la vie ..
- Ah ! pourquoi avait-il parlé ? songeait-elle avec une compassion navrée. Pourquoi avait-il rompu l’enchantement et la forçait-il à réprouver leur illusion désormais coupable ? Car maintenant il lui fallait éloigner cet inavouable amour, ce péché mortel. Non ; ils ne pouvaient, ils né devraient plus s’aimer, se le dire. C’était affreux !
- Elle poussa un cri, cacha la lettre. Francine, qu’elle n’avait pas entendue entrer tant elle était absorbée, la regardait avec surprise ; le bouleversement de sa mère l’effraya :
- — Maman ? tu as eu peur ! Pourquoi pleures-tu ? Que se passe-t-il ?
- Mme Favié mourait de honte : cette lettre accusatrice qui tremblait dans ses doigt... qu’allait soupçonner sa fille?Elle »e vit incapable d’inventer des explications,
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- de se retrancher derrière des réticences qui paraîtraient louches : plutôt que de mentir, sa fierté l’emporta, et aussi un besoin de s’humilier, de souffrir pour Charlie, de se disculper devant Francine...
- Elle répondit, d’une voix qui se brisait :
- — Voilà, c’est une lettre de ce fou, de ce grand fou de Charlie ? Lis-la, tu devineras ma réponse.
- Francine eut un sursaut ; elle avait eu peur de l’inconnu. Charlie? Une fois déjà... Elle se rappela le malaise qu’avait laissé voir sa mère et le soupçon qui l’avait effleurée alors. D’autres idées qu’elle avait repoussées... Car enfin, c’était visible qu’il l’aimait ! Mais elle, à son âge... elle, sa mère, à qui lui était difficile de prêter les faiblesses, les instincts, les sentiments des autres femmes, parce qu’elle ne la concevait que comme une maman très jeune, très belle, mais une maman !...
- Elle tendit la main : geste irréfléchi de son autorité de fille, inconsciente demande de compte. Mais aussitôt sa main retombait : connaître ce secret, à quel titre ? Comme si elle devinait, soudain, toutes les angoisses de cette vie immolée à l’amour maternel, au respect de soi et à l’honneur du nom, elle ne se crut pas autorisée à entrer plus avant dans une conscience deux fois sacrée pour elle. Sa mère !... non, elle ne voulait rien supposer sur elle à qui elle devait déjà tant de sacrifices, et plus encore qu’elle ne croyait.
- — Non, mère ! Pardon de t’avoir surprise ; je te laisse.
- Mme Favié se méprit, la délicatesse de ces mots lui échappa ; elle crut à une amertume déguisée. Ne lui reprochât-on rien, elle se reprochait tout : elle n’acceptait pas d’être mal jugée, elle répéta :
- — Je n’ai rien à te cacher ; lis, mon enfant. Je t’en prie... je le veux !
- Francine lut. Un long silence pendant lequel Mme Favié épia le visage de sa fille, puis, incapable de résister à son émotion, se cacha la figure. Un long, long silence encore... Francine doucement saisissait, écartait les pauvres chères mains glacées :
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- — Tu l’aimes donc ?
- Elle n’eut pas besoin d’entendre l’aveu ; et avec une pitié pour ce mystère poignant, avec une stupeur devant cette passion si différente de tout ce qu’elle avait jusqu’alors ressenti, avec une miséricorde de femme qui souffre, avec une involontaire répulsion qu’elle dompta comme injuste, — cette jalousie que les meilleures portent aux affections qui ne vont pas entièrement à eux, — avec un grave amour enfin, sentant bien que sa mère jugeait comme elle ce mariage impossible,—Charlie, son frère!. . . Charlie, qui avait à peine plus que son âge ! — elle baisa pieusement ces mains de glace, ces mains de morte, en murmurant :
- — Pauvre petite maman ! Pauvre petite maman !
- TROISIÈME PARTIE
- « Toute l’occupation de la justice est de maintenir les lois de la violence. » Vauven argues.
- La justice humaine est, pour moi, ce qu’il y a de plus bouffon au monde ; un homme en jugeant un autre est un spectacle qui me ferait crever de rire, s’il ne me faisait pitié.
- Gustave Flaubert.
- I
- Quelques jours après, par une matinée de lumière, en attendant l’entrevue de conciliation, cet après-midi, dans le cabinet du président, Mme Favié contemplait avec mélancolie les grands arbres défeuillés de la Muette et du Bois. Elle avait un air de lassitude et d’accablement tel que Francine en fut touchée : elle étudiait sa mère, depuis la lettre de Charlie, avec étonnement ; elle ne revenait pas de ce qu’un être -qu’elle croyait connaître si bien lui apparût nouveau, presque inconnu ; plus elle y réfléchissait, moins elle entrevoyait une solution qui ne fût pas un choix entre des souffrances imméritées.
- {A suivre,')
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- ASSURANCES MUTUELLES
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- Société du Familistère. - Assurances Mutuelles
- MOUVEMENT DU MOIS DE FÉVRIER 1905, A GUISE
- ASSURANCE CONTRE LA MALADIE
- Section des Hommes
- Cotisations des mutualistes....... 2.564 80 i
- Subvention de la Société.......... 988 10 t 8.862 20
- Malfaçons et Divers............... 309 30]
- Dépenses...................................... 5.641 45
- Déficit en février 1905.... ........... 1.779 25
- Section des Dames
- Cotisations des mutualistes...... 514 90
- Subvention de la Société......... 257 45
- Divers......................... .. » »
- Dépenses.....................................
- Déficit en février 1905
- 772 35
- 928 65 156 30
- ASSURANCE DES PENSIONS
- Subvention de la Société et Divers 6.771 16/
- Intérêts des comptes courants et \ 9.979 29
- du titre d’épargne............ 3.208 131
- Dépenses * •
- 128 Retraités définitifs........... 8.798 28.
- 5 — provisoires............... 258 50 i
- Nécessaire à la subsistance........ 4.872 75 V 14.756 53
- Allocations aux famill8 des réservistes » »(
- Divers, appointem., médecins, etc. 827 »)
- Déficit en février 1905................. 4.777 24
- CAISSE DE PHARMACIE
- Cotisations des mutualistes....... 843 47 / , 17Q 77
- Subvention de la Société.......... 336 30 V
- Dépenses....................................... 1.023 70
- Boni en février 1905..................... 156 07
- RÉSUMÉ
- Recettes sociales du 1er juillet 1904 au 28 février 1905 101.144 94 . , qc *.1 , oQ
- » individuelles » » 34.469 95 j
- Dépenses » » 169.277 36
- Excédent des dépenses sur les recettes.. 33.662 47
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- LE DEVOIR
- v J
- ÉTAT CIVIL AU FAMILISTÈRE DE GUISE
- MOIS DE FÉVRIER 1905.
- , Naissances :
- Néant.
- v
- ^ X \
- Décès :
- 22 février : Hennequin Hélène, âgée de 6 ans.
- Le Gérant : H. E. Buridant.
- /
- Nîmes. — Typ. A. Chastanier, l'J, ne 1 ’i-Lulicr.
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- DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES.
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- * Août 1905.
- DGCUîENTS POUR IM BIOGRAPHIE COMPLÈTE
- de J. B. André GODIN (i)
- Glorification du Travail. Emancipation
- du Travailleur.
- Deuxième partie. XVII (Suite).
- Série des employés. 1er essai de répartitions mensuelles indicatives du mérite. Double vote (: un sur bulletin collectif, un sur bulletin individuel), relatif à janvier 1870.
- Vote sur bulletin individuel (suite).
- Le vote sur bulletin individuel, tel qu’on en fit l’essai relativement à janvier 1870, fut le vote à bulletin ouvert. Le lecteur a vu (chap. XVI (2)) en quelles conditions tutélaires il s’offrit : la modicité et la fixité de la somme à répartir pouvant aider l’électeur à pondérer attentivement les allocations inscrites par lui en regard des noms de ses collègues. La tutelle était d’autant plus sensible dans la rédaction des bulletins afférents aux groupes d’après la nature des travaux :
- 1° Que les intéressés étaient hiérarchisés et en relations quotidiennes étroites ; 2° que la somme à répartir était d’un plus facile épuisement.
- Une autre conséquence des mesures adoptées, signalée même passage chap. XVI, prend ici un caractère tout à fait spécial. Voici :
- (1) Appendice, p. 60, Le Devoir, tome 26e, janvier 1902.
- (2) Le Devoir, mai 1905, p. 263.
- 1
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- LE DEVOIR
- Du fait que, d’une part, on ne votait pas pour soi et que, d’autre part, la somme à répartir demeurait intégralement fixée au 10e du total des appointements mensuels généraux comptés aux employés inscrits sur la liste de chacun des groupes d’après la nature des travaux, il résultait :
- 1° Que la somme à répartir variait ici dans chaque groupe (tandis qu’elle était uniformément fixée à 888 fr. dans chacun des groupes d’après le tirage au sort.)
- 2» Que plus fortement on était appointé plus était grosse — dans le cas spécial que nous allons dire' — la somme dont on disposait pour exprimer ses jugements.
- Prenons pour exemple le groupe Economat du Familistère ; nous y trouvons 9 employés dont le plus hautement appointé à cette époque gagnait 250 fr. par mois et le plus faiblement rémunéré (un apprenti) 40 fr. La somme à répartir dans le groupe était de 100 fr. représentant le dixième des appointements mensuels généraux comptés dans le groupe.
- Supposons qu’au jugement des deux employés susdits chacun de leurs collègues de l’Economat méritât d’abord sans conteste les appointements dont il jouissait ; l’électeur devait donc allouer à chacun d’eux le dixième représentatif des appointements ; conséquemment, sur la somme de 100 fr. il restait à Fun et à l’autre son propre dixième, pour indiquer, en outre, qui, parmi les collègues, méritait de l’avancement.
- La plus grande latitude donnée ainsi à l’employé le plus rétribué, et qui, logiquement, devait être le plus expérimenté, le plus capable de jugement, cette plus grande latitude était bien en accord avec l’esprit de la tentative : arriver à réaliser autant que possible l’équilibre entre la valeur économique des œuvres effectuées et les appointements comptés en échange.
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- DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES 45Î
- Le fait ne se reproduisait pas avec cette rigueur mathématique dans les groupes d’après le tirage au sort. En effet, supposons que, dans un de ces groupes, les 7 votants aient accordé d’abord aux 59 collègues soumis à leur jugement le dixième représentatif des appointements ; pour indiquer ensuite qui parmi ces collègues méritait augmentation de traitements, il restait à chacun des 7 électeurs (directeur de service ou simple fonctionnaire — nous ne dirons pas apprenti, l’apprenti avait été écarté de ce mode de suffrage) une somme uniforme : le dixième du total des appointements mensuels des sept électeurs mêmes. Or, le groupement se faisant par tirage au sort, l’employé le plus hautement rétribué pouvait se trouver uni à des collègues très faiblement appointés et vice-versâ. Conséquemment, la somme dont on disposait pour exprimer le jugement n’avait plus de rapport mathématique avec la capacité, supposée au moins par la situation.
- En ce trait comme en celui du vote à bulletin ouvert, le suffrage en groupes d’après la nature des travaux semblait convenir à des électeurs plus expérimentés, plus aptes à porter la responsabilité de leurs votes que ceux à qui l’on en proposa l’usage pour la répartition mensuelle relative à janvier 1870.
- En effet, l’unanimité de ces électeurs a pratiqué le vote secret dans le mode de suffrage où la chose était possible. C’était le rejet — au moins temporaire — du mode qui obligeait à voter ouvertement.
- Cependant si le suffrage avait en soi quelque vertu, c’était au vote ouvert qu’il fallait arriver ; non par force, non en plaçant l’employé en conditions telles qu’il dût ou s’abstenir du vote ou le pratiquer comme il ne lui convenait pas ; mais en l’amenant, si possible, à exercer ses jugements de façon suffisamment raisonnée
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- pour qu’il en portât volontiers la responsabilité devant tous.
- Pour cette œuvre d’éducation le système du bulletin collectif offrait de la marge puisque le vote y était, au gré des électeurs, ouvert ou secret. Aussi demeura-t-il seul en usage dans les répartitions mensuelles suivantes. v
- L’électeur, avons-nous dit, ne pouvait que s’abstenir du vote s’il ne voulait remplir le bulletin individuel à lui confié. Ce cas se produisit-il dans l’essai du système ? Il se peut.
- A l'analyse des tableaux de dépouillement des -votes, nous constatons trois abstentions (deux sur un tableau, une sur un autre) non expliquées.
- Les électeurs étaient au nombre de 66. Les 3 d’entre eux qui avaient été écartés du vote des groupes d’après le tirage au sort où l’on avait à voter pour la collectivité des employés furent admis au vote dans les groupes étudiés ici où l'on votait exclusivement pour les collègues vus de plus près à l’œuvre. Nous avons en mains le bulletin individuel original d’un de ces membres, un apprenti ; et la trace du vote des deux autres est indéniable. On va voir comment nous avons pu identifier un certain nombre de votants :
- Reportons-nous au tableau « Dépouillement des votes individuels pour le groupe de l’Economat » donné ci-dessus (chap. XVII) (1). Le bulletin du premier électeur Q est relevé en 9e ligne puisque là se trouve le zéro réglementaire : abstraction de soi-même afférent à Q. Par le même procédé nous identifions le bulletin de Z en 6e ligne ; de FA en 5e ; de ZA en 2e. Le bulletin de U se révèle à nous (bien qu’il y ait 3 fois zéro dans la colonne), parce que : 1° un des zéros, celui en 9e ligne
- (1) Le Devoir, juillet 1905, p. 393.
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- a été donné par Q ; 2° celui en 2« ligne, par ZA ; donc, le zéro en 7e ligne est celui réglementaire et nous voyons ainsi que le bulletin de U a été relevé en 7e ligne, etc.
- En ce groupe personne ne s’est abstenu du vote. Passons à celui où s’est produite une abstention ; c’est le 4e : Ajustage, etc.. . 12 membres. — Par le procédé ci-dessus décrit nous identifions les bulletins de onze électeurs ; conséquemment le 12e membre , celui qui s’est abstenu de voter, nous est connu.
- Les 2 autres abstentions se sont produites dans le 1er groupe : Comptabilité : 23 membres. Les votants sont au nombre de 21.
- Sur le tableau : Dépouillement des votes, nous pouvons identifier, par le procédé susdit, les bulletins de dix employés, c’est tout; mais le nom d’un des deux qui se sont abstenus de voter se révèle par ce fait : absence du zéro réglementaire dans la colonne des 21 votes inscrits sous un certain nom ; donc, celui-là n'a pas voté. Rien ne nous révèle le nom de l’auteur de la dernière abstention Mais le fait de connaître les auteurs de 2 abstentions sur 3 ne nous éclaire point sur les motifs de ces abstentions. Voici, en effet,. la situation de ces non votants en face de leurs collègues : celui du groupe Ajustage est mal apprécié par ses pairs : 5 sur 12 ne lui allouent rien; et les 6 autres lui votent des sommes représentatives de 10 à 15 francs d’appointements par mois alors qu’il en touchait plus de 70. Mais l’autre est bien apprécié par la grande majorité de ses collègues. Il touche 100 francs par mois et des 21 allocations qui lui sont votées une seule réduit ses appointements (il est vrai presque de moitié) ; 5 autres les lui maintiennent tels quels ; les 15 autres les lui élèvent ; trois les lui doublent même et une enfin s’élevant à 25 francs représente le vote de 250 francs
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- d’appointements mensuels au lieu de 100 francs. Son abstention ne peut dont être expliquée par un esprit d’antagonisme entre ses collègues et lui. Alors quoi? Ne voulant pas exercer le vote ouvert, il s’est abstenu. Car le vote n’était pas obligatoire à jour dit ni autrement. Malade ou absent, on pouvait différer la remise du bulletin.
- Passons au relevé des votes émis sur bulletins indi-
- viduels.
- 1er Groupe. Comptabilité : 23 iûscrits. Votes émis :
- 21 bulletins déposés (21 X 23)............ 483
- 2e Groupe. Economat : 9 inscrits.
- 9 bulletins déposés (9x9)................ 81
- 3e Groupe. Fonderie : 10 inscrits.
- 10 bulletins déposés (10 x 10).......... 100
- 4e Groupe : Ajustage, etc. : 12 inscrits.
- 11 bulletins déposés (11 x 12)........... 132
- 5e Groupe : Dessin modèles, etc. : 12 inscrits.
- 12 bulletins déposés (12 x 12)........... 144
- Total des votes ........... 940
- 940 votes inscrits sur 63 bulletins individuels et rele vés sur 5 tableaux de dépouillement.
- Des 63 bulletins individuels originaux 31 sont parvenus jusqu’à nous. Ce sont ceux des 2e, 3e et 5e groupes
- (9 + 10 + 12 = 31).
- De ces bulletins originaux, nous relevons les traits significatifs suivants :
- 1° Sur l’un d’eux, l’électeur après avoir porté en regard des noms de chacun de ses collègues une certaine somme, écrit avant d’apposer sa signature :
- « Ce vote ne me plaisant pas du tout, fai ètè très-embarrassé. »
- Etait-ce une protestation contre le vote à bulletin ouvert ? Peut-être ; cet électeur était membre de l’un des deux groupes qui s’étaient déclarés incompétents
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- pour l’appréciation des employés touchant 200 fr. par mois et au-delà (ci-dessus, chap. XVII, p. 328 (1)).
- 2° Sur deux autres bulletins rédigés par deux membres d’un même groupe, les deux électeurs au lieu de se borner — puisque tel était leur avis — à mettre un zéro devant le nom d’un collègue, remplissent de zéros toute la ligne; l’un en inscrit 12; l'autre 18. Enfantillage peut-être, mais combien déplacé en pareil essai, et propre à exciter l’antagonisme entre gens appelés à des relations quotidiennes.
- 3° Les deux électeurs qui ont procédé ainsi ont émis des votes en apparence concertés : d’abord c’est au même collègue qu’ils ont alloué chacun une lignée de zéros; ensuite ils se sont réciproquement alloué une même somme 19 fr. représentative de 190 fr. d'appointements mensuels (ce qui eût été pour chacun d’eux une augmentation notable) ; enfin à l’égard de chacun des membres du groupe, ils ont voté les mêmes quotités exactement à centimes près.
- Revenons à l’ensemble des votes d’après les 5 tableaux afférents à chacun des groupes d’après la nature des travaux.
- Furent émis, avons-nous dit........... 940 votes.
- De ce chiffre, commençons par extraire les 63 zéros réglementaires : abstraction de chacun des électeurs par soi-même........ 63
- Restent : Votes de répartition........ 877
- Pour la comparaison avec les votes sur bulletins collectifs, répétons le classement déjà donné (2) :
- (1) Le Devoir, juin 1905.
- (3) Le Devoir, juillet 1905, p. 389,
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- Votes de quotités inférieures à 20 fr... 548
- Votes de quotités allant de 20 fr. à 60 fr. 238 Abstentions ou zéros...................... 96
- Total conforme...... 877
- Différence à noter entre les deux modes de consultation du suffrage :
- 1° Dans le vote sur bulletin individuel on n’a pas dépassé 60 fr. d’allocation, tandis qu’on est allé jusqu’à 75 fr. dans le vote sur bulletin collectif.
- 2<> Le chiffre des abstentions sur bulletin individuel — 96 relativement au chiffre des votes : 877 — est environ le 9e, tandis qu’il était approximativement le 6e des votes sur bulletin collectif (550 sur 3,717).
- Il semblerait donc y avoir eu plus de mesure dans le vote sur bulletin individuel.
- Autre objet: Certifiés par les signatures les votes, avons-nous dit, permettraient d’instructives recherches; essayons d’en donner quelques exemples dès cette première expérimentation.
- Consultons le tableau : Dépouillement des votes individuels pour le groupe de VEconomat reproduit plus haut (1). L’électeur ZA, 6e colonne, a voté en 2e ligne et il a alloué à Q — lequel touchait 125 fr. par mois, — une somme de 60 fr., c’est-à-dire représentant 600 fr. d’appointements. Q qui a voté en 9e ligne alloue de son côté à ZA 35 fr., soit 350 fr. d’appointements ; ZA gagnait66 fr. 65.
- Même tableau, ZA vote à Z débutant qui touchait 40 fr. par mois une somme de 20 fr., soit 200 fr. d’appointements ; et Z (6e ligne) alloue à ZA 30 fr., soit 300 fr. par mois, etc...
- (1) Le Devoir, juillet 1905, p. 393.
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- ZA en votant 60 fr. à Q et 20 fr. à Z a presque épuisé son droit de vote ; il ne lui reste que 20 fr. qu’il répartit entre 3 collègues ; total 5 collègues jugés par lui. 11 se porte à lui-même le zéro réglementaire. Quant aux trois collègues restants il ne leur alloue rien du tout. Jugeait-il qu’on pouvait supprimer les trois emplois ? ou seulement que les individus étaient déjà suffisamment rétribués ? Mais ce dernier point pouvait être indiqué par une allocation égale au dixième des appointements. Conclusion : ZA ayant épuisé sa capacité de vote par des allocations exagérées est obligé de sacrifier l’intérêt de quelques collègues.
- Opérons une recherche analogue sur le tableau : Dépouillement des votes individuels pour le groupe : Dessin,, Matériel, Modèles, etc., 12 employés. Somme à répartir : 221 francs.
- Se trouvent dans ce groupe : l’employé qui touchait alors le traitement le plus élevé : 515 fr. par mois ; un autre touchant 300 fr. ; un autre 250 fr. ; un 200 fr. ; six recevant de 100 à 175 fr., un touchant 90 fr. par mois ; enfin un apprenti rétribué à 16 francs.
- L’employé rétribué 90 fr. par mois, et un autre rétribué 127 fr. 90 se sont mutuellement voté une allocation de 60 fr., soit 600 fr. de salaires par mois; par contre, ils n’ont rien alloué du tout à 3 employés et, parmi eux, à celui le plus rétribué du groupe; non sans doute qu’ils le jugeassent incapable ou inutile, sa capacité était notoire et il exerçait une fonction n’exigeant qu’un titulaire, mais l’exigeant impérieusement. (Deux ans plus tard dans un vote entre conseillers d’administration, cet employé sortira classé premier par ses collègues).
- S’il est sacrifié dans le vote qui nous^occupe, c’est que, forcément, les allocations exagérées en faveur des
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- uns entraînaient l’abstention du vote à l’égard des autres.
- Sur le même tableau, nous relevons cet autre double vote : un employé rétribué 100 fr. par mois vote une allocation de 21 fr., soit 210 fr. d’appointements à l’apprenti qui touchait 16 fr.; et celui-ci vote au dit employé 30 fr. d’allocation, soit 300 fr. d’appointements, etc., etc.
- On conçoit quelle perturbation était introduite, dans la tentative par des votes semblables.
- (A suivre).
- Vve J.-B.-A. Godin , née Moret,
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- La session ordinaire de 1905 et les réformes.
- « L’impossibilité de voter le budget de 1906 avant la fin de la session ordinaire nous oblige, suivant l’usage, à disjoindre du projet de loi de finances les articles 2 et 18 qui ont trait aux contributions directes et aux taxes y assimilées, pour en faire l’objet d’une loi spéciale. »
- Ainsi parle M. Pierre Baudin dans son rapport sur les contributions directes et taxes y assimilées de l’exercice 1906.
- Il n’en pouvait être autrement :
- Le projet de budget n’a été déposé que le 6 juillet. Il ne fait guère, il est vrai, que reproduire les dispositions du budget de 1905; en vue de faciliter encore une tâche déjà fort simplifiée par avance, la Chambre a maintenu, pour l’examen du budget de 1906, la commission du budget de 1905, et celle-ci a confirmé les pouvoirs de son président, de son bureau et de tous les rapporteurs, se bornant, en ce qui concerne les rapports, aux quelques modifications rendues nécessaires par vacance ou mutation. Il était difficile, malgré tout, que le budget fût voté par la Chambre et par le Sénat avant les vacances, de manière à permettre aux conseils généraux qui se réunissent au mois d’août de procéder au « répartaient » des contributions directes.
- C’est pourquoi l’on est revenu une fois de plus à l’antique usage, auquel du reste nous ne sachions pas qu’il ait été jamais fait la moindre dérogation, et qui consiste à détacher du budget les articles concernant les contributions pour les faire voter en temps utile, c’est-à-dire avant la séparation.
- Dans l’exposé des motifs du gouvernement, dans le rapport de M. Baudin, aucune allusion n’était faite à
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- l’impôt sur le revenu, à propos duquel se livrèrent l’an dernier tant de batailles. Une tentative faite en vue de le discuter avant la séparation a été énergiquement repoussée, comme inopportune, par le gouvernement que la Chambre a suivi.
- L’indispensable opération du vote des quatre contributions a donc pu être menée rondement. Il est désirable que la Chambre retrouve un peu de cet élan pour entreprendre, dès l’ouverture de la session d’automne, l’examen des autres dispositions du budget, afin qu’après avoir été ratifiée par le Sénat, la loi de finances puisse recevoir son application le 1er janvier 1906. Il ne lui faut pas perdre de vue pour cela, que la discussion du budget de 1905, commencée le 14 novembre 1904 n’a pris fin que dans les derniers jours d’avril, bien qu’on eût au préalable écarté du projet tout ce qui pouvait l’empêcher de ressembler au budget précédent, et qu’il est de son intérêt de ne pas recommencer une pareille expérience, d’aileurs impossible à réaliser complètement puisqu’au mois d’avril 1906 ses pouvoirs auront pris fin. Malheureusement si les budgets qui se suivent se ressemblent, la méthode employée pour leur discussion reste immuablement défectueuse, et il n’est pas déraisonnable de craindre qu’à la veille de redemander au corps électoral le renouvellement de leur mandat, les députés ne persistent dans une manière qui leur permet de se tailler des succès personnels au détriment de l’intérêt général.
- Cette législature nous aura* habitués aux sessions laborieuses. Celle qui vient de finir l’aura été entre toutes. Pour se retrouver dans les copieuses manifestations de son activité, le fil ténu de l’ordre chronologique est insuffisant ; il faudrait s’aider, en outre, d’un tableau synoptique. Presque tous les jours de la semaine ont une affectation spéciale, et l’ordre du jour du matin n’est pas celui du soir. On dirait un programme scolaire avec ses divisions et ses subdivisions de matières.
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- L’après-midi, lois générales et lois d’intérêt local. Le matin, lois de protection des produits de l’agriculture et de l’industrie française contre les contre-façons de l’intérieur : régime des vins, des beurres et, en général, de toutes denrées alimentaires ; contre les produits similaires de l’intérieur : régime des soies.
- Le vendredi, après-midi, interpellations. Interpellation, devrions-nous dire ; car depuis que la retraite du ministère Combe, au mois de janvier 1905, a mis fin à l’interpellation sur la grève de Marseille, qui avait été amorcée dès le mois de juillet 1904, la Chambre a consacré toutes ses séances du vendredi à l’interpellation sur les abus de l’assistance privée.
- Certes aucun genre d’abus ne mérite plus que celui-là d’être étalé à la tribune, transformée en pilori pour la circonstance ; mais un tel flux de paroles est hors de toute proportion avec le résultat demandé et obtenu : le vote d’un ordre du jour invitant le gouvernement à appliquer la loi et à procéder à une enquête qui ne manquera pas de provoquer de nouveaux débats sur les mêmes faits déjà très anciens.
- Sans doute, l’interpellation permanente, l’interpellation en titre, s’est vue parfois contrainte de céder quelques bribes de son vendredi à des interpellations accidentelles ; mais celles-ci ont dû le plus souvent se caser ailleurs au petit bonheur. »
- L’interpellation sur la grève et le lock-out des porcelainiers de Limoges (avril 1905), grève et lock-out provoqués par le refus d’accéder à la demande de rem voi d’un directeur et qu’avait marqués une déplorable collision entre la troupe et les grévistes, ne pouvait être close que par un ordre du jour laissant les choses en l’état au point de vue économique. Sur ce point, du reste, une solution est intervenue entre les parties qui « reconnaît la liberté du patron quant à la direction du travail et au choix de ses préposés ».
- Reste le délicat problème de l’envoi des troupes sur le lieu des grèves qui ne paraît pas devoir de si tôt être
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- résolu d’emblée. L’explication par la nécessité de maintenir l’ordre est trop vague et laisse trop de place à l’arbitraire. Elle impliquerait, d’ailleurs, logiquement, l’emploi d’une force de police spéciale. Des propositions ont été faites dans ce sens. Mais en l’état des choses, aucun gouvernement ne voudrait prendre la responsabilité de ne pas faire usage du moyen que lui fournit la loi. On n’arrivera à une solution que par étapes, en commençant par des mesures ayant pour objet de faire de ceux à qui incombe la lourde responsabilité des réquisitions militaires et du commandement, les vigilants gardiens du respect absolu de la neutralité entre les parties.
- La question des zones franches est venue devant la Chambre vers la fin de mai, sous la forme d’une interpellation contradictoire des députés de la Haute-Savoie, partisans et adversaires de la franchise douanière des zones.
- L’intervention du gouvernement qui est venu déclarer qu’en raison des traités qui la lient, la France n’était pas libre de supprimer unilatéralement les zones, a mis fin à un débat qui commençait à prendre des proportions exagérées.
- La question reviendra sous la forme d’une proposition de loi, car la commission des douanes ne perd pas de vue la proie sur laquelle elle a jeté son dévolu. Que n’étend-on au territoire entier de la France la franchise des zones au lieu de songer à la retirer à celles-ci !
- Elle a été certes remplie de discours la session ordinaire de 1905; mais aucune autre n’aura été plus fertile en résultats importants, en résultats décisifs. Ce serait peut-être ici le cas d’opposer, une fois de plus, victorieusement le quoique au parce que.
- Le nombre relativement considérable de lois devenues définitives au cours de cette session, tient principalement au sage abandon du système du tout ou rien en matière de réformes sur les bienfaisants résultats duquel nous avons déjà appelé l’attention du lecteur.
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- A preuve : la loi réduisant à deux ans la durée du service militaire ;
- La loi tendant à autoriser la ville de Paris à organiser le service du gaz ;
- La loi modifiant la loi du 8 juillet 1890 sur les délégués à la sécurité des mineurs ;
- La loi relative à la durée de la journée de travail dans les mines ;
- La loi tendant à réprimer la fraude des vins ;
- La loi sur les justices de paix ;
- La loi relative à la juridiction d’appel des conseils de prud’hommes.
- Nous en passons certainement ; mais nous n’aurons garde d’omettre la loi d’assistance obligatoire, cette admirable loi de solidarité sociale, que son dernier rapporteur, M. Louis Puech, en demandant à la Chambre de l’adopter telle qu’elle revenait du Sénat, a pu considérer comme « la plus belle et la plus démocratique qui soit sortie depuis plus d’un siècle des délibérations de nos assemblées » , et qui est d’ailleurs l’œuvre de la législation actuelle.
- L’œuvre capitale de la session a été la discussion et le vote du projet de loi concernant la séparation des Eglises et de l’Etat, qui contient dans ses deux premiers articles la déelaration de principes suivante :
- « Article premier. La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes, sous les seules restrictions édictées ci-après, dans l’intérêt de l’ordre public.
- Article 2. La République ne reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte. En conséquence, à partir du 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente loi, seront supprimées des budgets de l’Etat, des départements et des communes, toutes dépenses relatives à l’exercice des cultes. »
- Quant aux fonds annuellement attribués au service du culte, ils vont servir à un dégrèvement de l’impôt
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- foncier, concourant ainsi à alléger les charges des communes pauvres.
- La discussion a duré trois mois et demi. On a calculé que le rapporteur, M. Briand, avait dû répondre six cent quatre-vingt-cinq fois à des orateurs de droite qui trouvaient le projet de loi de la commission trop peu libéral, et cinq cent trois fois à des orateurs de gauche qui le trouvaient trop libéral.
- La Chambre n’a pas voulu partir en vacances sans avoir amorcé la discussion du projet de loi relatif à la création d’une caisse de retraites ouvrières.
- Le vote unanime (500 voix contre 0) par lequel elle a décidé de passer à la discussion des articles, montre que tout le monde au Parlement est d’accord sur le principe des retraites. Les divergences de vues, quelques-unes très profondes, qui se sont manifestées au cours de la discussion générale qui a précédé ce vote précisent cette signification, en montrant les bonnes volontés de tous en quête de la meilleure des solutions.
- Sur les systèmes de contribution des travailleurs, des patrons et de l’Etat, sur la question de la répartition immédiate des sommes perçues entre les anciens travailleurs ou de la capitalisation de ces sommes pour garantir les retraites avec application de mesures transitoires, on a pu constater que les opinions restent diverses, contradictoires même.
- Par contre, ce que la discussion générale a mis en relief, c’est l’adhésion générale au principe de l’inscription obligatoire des travailleurs.
- Presque tous les aspects de la question ont été suffisamment examinés. Cependant, outre que les plus grands écarts se révèlent dans l’appréciation des besoins auxquels il faudra faire face, un point surtout est resté obscur, qui semble à quelques-uns de la première importance.
- Les retraites supposent les ressources pour les payer. Où trouver ces ressources ?
- La question a été nettement posée au rapporteur,
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- M. Guieysse qui, s’en référant au précédent de la loi de 1853 sur les pensions civiles et militaires a répondu textuellement :
- « La commission n’avait pas à proposer des ressources. C’est le devoir du gouvernement. Elle s’est bornée à présenter très clairement la carte à payer. »
- A la même question réponse analogue a été faite au cours de la discussion sur la loi d’assistance aux vieillards, invalides et incurables, par M. Puech, rapporteur de cette loi devant la Chambre.
- On sait que la loi sur l’assistance obligatoire imposera à l’Etat, aux départements et aux communes, c’est-à-dire aux contribuables, un sacrifice annuel de soixante-six millions environ ; que la Caisse des retraites, en prenant les évaluations les plus basses, soit pour le taux des pensions, soit pour l’âge des retraites, soit pour le nombre des assujettis, exigera de l’Etat la contribution d’une soixantaine de millions pour la première année, contribution qui s’élèvera à 230 millions, chiffre de la commission, au bout de trente ans, juste au moment où la charge des pensions civiles et militaires, résultant de l’application de la loi de 1853, atteindra, d’après les évaluations de M. Guieysse, le chiffre de 340 millions.
- De la solution du problème financier dépend toute la, question des retraites.
- L’article 55 dit qu’il sera pourvu aux différentes allocations prévues par la présente loi et aux frais de son application au moyen d’un crédit annuel ouvert à un budget annexe du budget du ministère du commerce et d’un fonds de bonifications. Ce fonds de bonifications serait alimenté par les versements opérés dans certaines conditions déterminées par les employeurs ayant à leur service des ouvriers ou employés ayant dépassé soixante ans, ou étrangers, ou ayant obtenu la liquidation de leur retraite à cinquante ans ; par les capitaux réservés non réclamés dans les trente années qui suivent le décès, et par le montant des majorations ou
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- allocations restant dues au décès des titulaires et non réclamés par les héritiers dans le délai d’un an ; par le montant des amendes infligées aux employeurs pour infraction aux prescriptions delà loi; par les arrérages non perçus, prescrits au bout de cinq ans ; par des dons et legs et deux ou trois autres revenus aussi aléatoires.
- Cela suffit pour montrer dans quelles modestes et, en même temps très vagues limites, se meuvent les ressources du fonds de bonification.
- En ce qui concerne les ressources budgétaires, les précisions font totalement défaut. C’est l’affaire du gouvernement, dit le rapporteur. Et le gouvernement reste muet. Au moment du vote sur le passage à la discussion des articles, M. Dubief, ministre du commerce, se contente de déclarer que le gouvernement s’associe au projet de la commission sous réserve des observations que le ministre des finances aura à présenter.
- Ces indispensables observations viendront sans doute au moment de la reprise de la discussion, si elles ne l’ont pas précédée.
- Peut-être alors la commission aura-t-elle établi une soudure entre la loi d’assistance obligatoire et la loi des retraites ouvrières.
- Il y a, en effet, une corrélation évidente entre ces deux lois qui, dans bien des circonstances, auront le même champ d’action et se pénétreront, se confondront.
- D’autre part, la commission n’est pas restée indifférente aux appels qui lui ont été adressés par les mutualistes, et comme le faisaient prévoir les déclarations faites par son président, M. Millerand, en diverses circonstances, elle se montre disposée à faire aux sociétés de secours mutuels une part beaucoup plus large que celle qui leur était faite dans son projet. Et déjà le président et le rapporteur de la commission ont pris à tâche de rassurer les mutualistes sur les conséquences que pouvait avoir l’application de la loi sur les caisses de retraite pour l’œuvre à laquelle ils se sont dévoués.
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- Au cours de la discussion générale, un député, M. Henri Michel a posé à cet égard une question intéressante. Le projet de la commission, a-t-il dit, est, à mon avis très dangereux pour les mutualistes, car il ne sera plus possible de maintenir la bonification de 4 1/2 0/0 à eux consentie par la loi de 1898.
- Vous dites que vous instituerez une majoration des pensions, mais, au lendemain de la loi, dans les sociétés de secours mutuels, il y aura les prévoyants volontaires et les prévoyants forcés.
- A l’heure de la retraite, à laquelle de ces deux catégories accorderez-vous la majoration que vous prévoyez?
- M. Millerand. — Les prévoyants libres continueront à jouir du 4 1/2 0/0.
- M. Henri Michel. — Est-ce aussi l’avis du ministre du commerce ? S’il en est ainsi, je n’ai rien à ajouter, mais j’avais le devoir de signaler les justes inquiétudes des mutualistes.
- Cet échange d’observations apparaît comme la conclusion de la discussion générale, qui a été close aussitôt après.
- Les questions de mutualité, d’assurance, d’assistance, sont à l’ordre du jour de notre Parlement, et le Sénat lui-même, si peu enclin aux nouveautés visant à modifier, si peu que ce soit, l’organisation actuelle du travail, apporte assez volontiers son contingent d’efforts à l’élaboration des lois susceptibles d’améliorer les moyens d’action de la société dans la lutte contre la souffrance humaine.
- Exemple : le projet de loi concernant la représentation des pauvres et l’administration des établissements d’assistance.
- Il s’agit de la création dans chaque commune d’une commission municipale d’assistance présidée par le maire et qui serait chargée : 1° de représenter les pauvres de la commune et de gérer leur patrimoine ; 2° d’administrer le bureau de bienfaisance, l’hospice, le
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- bureau d’assistance médicale et tous autres établissements communaux d’assistance.
- La loi prévoit aussi la création d’une commission départementale analogue à la précédente, chargée d’administrer les établissements de l’arrondissement et du département.
- Enfin, la loi autorise les communes à se syndiquer pour créer les établissements intercommunaux d’assistance. Le rapporteur, M. Francoz, entrant dans le détail des dispositions de la loi s’est attaché à mettre en évidence les progrès qu’elle réalise quant au fonctionnement, des œuvres publiques d’assistance. Il a insisté sur une lacune singulière de notre législation, dont le résultat est que nul n’est qualifié en France pour accepter et gérer certaines libéralités faites aux malheureux. La loi fait disparaître cette anomalie. L’accord était absolu entre la commission et le gouvernement sur le texte du projet soumis au Sénat.
- M. Strauss, a fait adopter un amendement admettant les femmes dans les commissions administratives.
- Le texte de la proposition de loi adoptée définitivement par la Chambre, le 27 juin 1905, sur la durée de la journée de travail dans les mines porte dans son article premier que « six mois après la promulgation de la présente loi, la journée des ouvriers employés à l’abatage, dans les travaux souterrains des mines de combustibles, ne pourra excéder une durée de neuf heures, calculée depuis Centrée dans le puits des derniers ouvriers descendant jusqu’à l’arrivée au jour des premiers ouvriers remontant; pour les mines où l’entrée a lieu par galeries, cette durée sera calculée depuis l’arrivée au fond de la galerie d’accès jusqu’au retour au même point.
- « Au bout de deux ans, à partir de la date précitée, la durée de cette journée sera réduite à huit heures et demie et, au bout d’une nouvelle période de deux an-, nées, à huit heures.
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- « Il n’est porté aucune atteinte aux conventions et aux usages équivalant à des conventions qui, dans certaines exploitations, ont fixé pour la journée normale une durée inférieure à celle fixée par les paragraphes précédents. »
- Suivant l’article 2, « en cas de repos prévus par le règlement de la mine et pris soit au fond, soit au jour, la durée stipulée à l’article précédent sera augmentée de la durée de ces repos.
- Les autres articles ont trait aux inévitables dérogations et aux pénalités.
- La loi du 9 mai 1905 modifiant la loi du 8 juillet 1890 sur les délégués à la sécurité des ouvriers mineurs,
- a été promulguée au Journal Officiel du 14 mai 1905.
- La nouvelle loi donne aux préfets le pouvoir de modifier, sur le rapport des ingénieurs des mines, l’exploitant et le délégué entendus, le nombre et la limite des circonscriptions. Elle étend l’éligibilité dans une circonscription : 1° Aux électeurs âgés de vingt-cinq ans accomplis, sachant lire et écrire, n’ayant jamais encouru une condamnation pour infraction aux dispositions de la présente loi, travaillant au fond depuis au.moins cinq ans et depuis deux ans au moins dans la circonscription ou dans une circonscription voisine dépendant du même exploitant ; 2° aux anciens ouvriers domiciliés dans les communes sur le territoire desquelles s’étend l’ensemble des circonscriptions comprises avec la circonscription en question dans le même arrêté de délimitation, aux mêmes conditions d’âge, de travail, etc., que ci-dessus.
- Dans le système de la loi du 8 juillet 1890, les circonscriptions des délégués étaient distinguées suivant qu’elles comprenaient 120 ouvriers au plus ou bien plus de 120 ouvriers. La loi du 9 mai 1905 conserve le principe de la distinction entre les circonscriptions, mais en adoptant une base plus large. Désormais les circonscriptions seront différenciées suivant qu’elles
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- comprennent 250 ouvriers au plus ou bien plus de 250 ouvriers. Le régime organisé par la loi du 8 juillet 1890 pour la rétribution des délégués n’est pas modifié ; mais le taux de cette rétribution pour les délégués dont les circonscriptions' comprennent plus de 250 ouvriers, est élevé. Il est calculé sur un nombre de journées double de celui des journées effectivement employées aux visites, sans que ce nombre double puisse être inférieur à 20 au lieu de 10.
- Pour les circonscriptions comprenant 250 ouvriers au plus, le minimum de l’indemnité mensuelle à accorder au délégué continue à être fixé par le préfet suivant le nombre de journées que comporte la visite de sa circonscription.
- La loi relative à l’organisation de la juridiction d’appel des conseils de prud’hommes, adoptée par le Sénat, le 6 juillet 1905, et ratifiée par la Chambre, le 13 juillet, stipule (article premier) que les délibérations du bureau de jugement sont prises à la majorité absolue des membres présents, et qu’en cas de partage l’affaire est renvoyée dans le plus bref délai devant le bureau de jugement, présidé parle juge de paix de la circonscription ou son suppléant.
- Elle retire au tribunal de commerce pour l’attribuer au tribunal l’appel des jugements des conseils de prud’hommes, lorsque la demande est supérieure à 300 francs,les jugements des conseils de prud’hommes étant définitifs et sans appel, lorsque le chiffre de la demande n’exc^de pas 300 francs.
- Enfin, la loi place les conseils de prud’hommes ]ui dépendaient jusqu’à présent du ministère du commerce, dans les attributions et sous la surveillance du ministère de la justice.
- On trouvera ci-après, le texte de l’importante loi sur l’assistance obligatoire.
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- Loi relative à ^assistance obligatoire aux vieillards,
- aux infirmes et aux incurables privés de ressources.
- TITRE PREMIER Organisation de l’assistance.
- Article premier.
- Tout Français privé de ressources, incapable de subvenir par son travail aux nécessités de l’existence et, soit âgé de plus de soixante-dix ans, soit atteint d’une infirmité ou d’une maladie reconnue incurable, reçoit, aux conditions ci-après, l’assistance instituée par la présente loi.
- Art. 2.
- L’assistance est donnée par la commune où l’assisté a son domicile de secours ; à défaut de domicile de secours communal, par le département où l’assisté a son domicile de secours départemental; à défaut de tout domicile de secours, par l’État.
- La commune et le département reçoivent, pour le payement des dépenses mises à leur charge par la présente loi, les subventions prévues au titre IV.
- Art. 3.
- Le domicile de secours, soit communal, soit départemental, s’acquiert et se perd dans les conditions prévues aux articles 6 et 7 de la loi du 15 juillet 1893; toutefois, le temps requis pour l’acquisition et la perte de ce domicile est porté à cinq ans. A partir de soixante-cinq ans, nul ne peut acquérir un nouveau domicile de secours ni perdre celui qu’il possède.
- Les enfants assistés, infirmes ou incurables, parvenus à la majorité, ont leur domicile de secours dans le département au service duquel ils appartenaient, jusqu’à ce qu’ils aient acquis un autre domicile de secours.
- Art. 4.
- La commune, le département ou l’État, qui a secouru, par un des modes prévus au titre III de la présente loi, un vieillard, un infirme ou un incurable dont l’assis^
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- tance ne lui incombait pas en vertu des dispositions qui précèdent, a droit au remboursement de ses avances, jusqu’à concurrence d’une année de secours.
- La répétition des sommes ainsi avancées peut s’exercer pendant cinq ans; mais la somme à rembourser ne pourra être supérieure au montant de la dépense qu’aurait nécessité l’assistance si elle avait été donnée au domicile de secours prévu par les articles 2 et 3.
- Art. 5.
- La commune, le département ou l’Etat peuvent toujours exercer leur recours, s’il y a lieu, et avec le bénéfice, à leur profit, de la loi du 10 juillet 1901 , soit contre l’assisté, si on lui reconnaît ou s’il lui survient des ressources suffisantes, soit contre toutes personnes ou sociétés tenues de l’obligation d’assistance, notamment contre les membres de la famille de l’assisté désignés parles articles 205, 206, 207 et 212 du Code civil et dans les termes de l’article 208 du même Code.
- Ce recours ne peut être exercé que jusqu’à concurrence de cinq années de secours.
- Art. 6.
- Le service de l’assistance aux vieillards, aux infirmes et aux incurables est organisé, dans chaque département, par le Conseil général délibérant dans les conditions prévues à l’article 48 de la loi du 10 août 1871.
- Si le Conseil général refuse ou néglige de délibérer, ou si sa délibération est suspendue par application de l’article 49 de la loi du 10 août 1871, il peut être pourvu à l’organisation du service par un décret rendu dans la forme des règlements d’administration publique.
- TITRE IL
- Admission à Vassistance.
- Art. 7.
- Chaque année, avant la première session ordinaire du Conseil municipal, le bureau d'assistance dresse la liste des vieillards, des infirmes et des incurables qui, remplissant les conditions prescrites par l’article pre-
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- mier et résidant dans la commune, ont fait valoir, dans leur demande écrite, leurs titres au service d’assistance institué par la présente loi. Il propose en même temps le mode d’assistance qui convient à chacun d’eux, et, si ce mode de secours est l’assistance à domicile, il indique la quotité de l’allocation mensuelle à leur accorder. La liste préparatoire ainsi dressée est divisée en deux parties : la première, comprenant les vieillards, les infirmes et les incurables qui ont leur domicile de secours dans la commune; la seconde, ceux qui ont leur domicile de secours dans une autre commune, ou qui n’ont que le domicile de secours départemental, ou qui n’ont aucun domicile de secours.
- Une copie de cette liste, accompagnée de toutes les demandes d’admission à l’assistance, est adressée au Conseil municipal; une autre est envoyée au Préfet.
- Il est procédé à la révision de la liste un mois avant chacune des trois autres sessions du Conseil municipal, et en cas de besoin dans le cours de l’année.
- A défaut par le bureau de dresser cette liste, elle est établie d’office par le Conseil municipal.
- Art. 8.
- Le Conseil municipal, délibérant en comité secret sur la totalité des demandes préalablement soumises au bureau d’assistance, qu’elles figurent ou non sur la liste préparatoire, prononce l’admission à l’assistance des personnes ayant leur domicile de secours dans la commune et règle les conditions dans lesquelles elles seront assistées soit à domicile, soit dans un établissement hospitalier.
- Art. 9.
- La liste ainsi arrêtée par le Conseil municipal est déposée au secrétariat de la mairie, et avis de ce dépôt est donné par affiches aux lieux accoutumés.
- Une copie de la liste est en même temps adressée au Préfet du département.
- Pendant un délai de vingt jours à compter du dépôt, tout vieillard, infirme ou incurable, dont la demande a
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- été rejetée par le Conseil municipal, peut présenter sa réclamation à la mairie ; dans le même délai, tout habitant ou contribuable de la commune peut réclamer l’inscription ou la radiation des personnes omises ou indûment portées sur la liste.
- Le même droit appartient au Préfet et au sous-préfet.
- Art. 10.
- Les décisions du Conseil municipal relatives au taux de l’allocation mensuelle sont susceptibles de recours dans les mêmes conditions.
- Art. 11.
- Il est statué, par décision motivée dans le délai d’un mois, sur ces réclamations, le maire et le réclamant entendus ou dûment appelés, par une Commission cantonale composée du sous-préfet de l’arrondissement, du conseiller général, d’un conseiller d’arrondissement dans l’ordre de nomination, du juge de paix du canton, d’une personne désignée par le Préfet, d’un délégué des bureaux d’assistance du canton et d’un délégué des Sociétés de secours mutuels existant dans le canton.
- Le sous-préfet, ou à son défaut le juge de paix, préside la Commission.
- Le président de la Commission donne, dans les huit jours, avis des décisions rendues au préfet et au maire, qui opèrent sur la liste les additions ou les retranchements prononcés et en donnent également avis aux parties intéressées.
- Ces décisions peuvent être déférées par toute personne intéressée, pendant un délai de vingt jours à partir de la notification, au Ministre de Pintérieur, qui saisit la Commission centrale instituée par Particle 17. Ce recours n’est pas suspensif.
- Art. 12.
- Dans le cas où le Conseil municipal refuse ou néglige de prendre la délibération prescrite par l’article 8, la liste est, sur l’invitation du Préfet, arrêtée d’office, dans le délai d’un mois, par la Commission cantonale mentionnée à l’article précédent.
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- A défaut par la Commission cantonale de remplir les obligations qui lui sont imposées par la présente loi, il est statué, dans le délai de deux mois, par la Commission centrale.
- Art. 13.
- Dès la réception des listes mentionnées à l’article 7, le Préfet invite les Conseils municipaux des communes où des postulants ont leur domicile de secours, à statuer à leur égard dans les conditions prévues aux articles 8 et suivants.
- Il invite la Commission départementale à statuer, conformément à l’article 14, à l’égard de ceux qui, n’ayant pas de domicile de secours communal, ont leur domicile de secours dans le département.
- Il transmet enfin, avec son avis et les pièces justificatives, aux Préfets des départements intéressés, les noms des postulants ayant leur domicile de secours, soit communal, soit départemental , dans un autre département, et au Ministre de l’Intérieur les noms de ceux qui n’ont aucun domicile de secours.
- Art. 14.
- La Commission départementale prononce l’admission à l’assistance des vieillards, des infirmes et des incurables qui ont le domicile de secours départemental ; elle règle les conditions dans lesquelles ils seront assistés. Ses décisions sont provisoirement exécutoires. Toutefois, le Conseil général peut les réformer.
- En cas de rejet de la demande ou de refus de statuer dans le délai ce deux mois, soit par la Commission départementale, soit par le Conseil général, l’intéressé peut se pourvoir devant le Ministre de l’Intérieur, qui saisit la Commission centrale. Le même droit appartient au Préfet.
- Art. 15.
- Sont également susceptibles de recours les décisions de la Commission départementale et du Conseil général , relatives au taux de l’allocation mensuelle.
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- Art. 16.
- L’admission à l’assistance des vieillards, des infirmes et des incurables qui n’ont aucun domicile de secours est prononcée par le Ministre de l’Intérieur, sur l’avis de la Commission instituée par l’article suivant.
- Art. 17.
- Une Commission centrale composée de quinze membres du Conseil supérieur de l’Assistance publique élus par leurs collègues et deux membres du Conseil supérieur de la Mutualité élus par leurs collègues statue définitivement sur les recours formés en vertu des articles 11, 14 et 15 et donne son avis sur l’admission à vl’assistance de l’Etat.
- Art. 18.
- L’assistance doit être retirée lorsque les’ conditions qui l’ont motivée ont cessé d’exister.
- Le retrait est prononcé, suivant les cas, par le Conseil municipal, la Commission départementale ou le Ministre de l’Intérieur. Il donne lieu aux mêmes recours
- TITRE III
- Modes d’assistance.
- Art. 19.
- Les vieillards, les infirmes et les incurables ayant le domicile de secours communal ou départemental reçoivent l’assistance à domicile. Ceux qui ne peuvent être utilement assistés à domicile sont placés, s’ils y consentent, soit dans un hospice public, soit dans un établissement privé ou chez des particuliers, ou enfin dans les établissements publics ou privés où le logis seulement, et indépendamment d’une autre forme d’assistance, leur est assuré.
- Le mode d’assistance appliqué à chaque cas individuel n’a aucun caractère définitif.
- Art. 20.
- L’assistance à domicile consiste dans le payement d’une allocation mensuelle.
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- Le taux de cette allocation est arrêté, pour chaque commune, par le Conseil municipal, sous réserve de l’approbation du Conseil général et du Ministre de l’Intérieur.
- Il ne peut être inférieur à cinq francs (5 fr.) ni, à moins de circonstances exceptionnelles, supérieur à vingt francs (20 fr.). S’il est supérieur à vingt francs, la délibération du Conseil général est soumise *à l’approbation du Ministre de l’Intérieur, qui statue après avis du Conseil supérieur de l'Assistance publique.
- Dans le cas où il excéderait trente francs (30 fr.)., l'excédent n’entre en compte ni pour le calcul des remboursements à effectuer en vertu de l’article 4, ni pour la détermination de la subvention du département et de l’Etat prévue au titre IV.
- Au cas où la personne admise à l’assistance dispose déjà de certaines ressources, la quotité de l’allocation est diminuée du montant de ces ressources. Toutefois, celles provenant de l’épargne, notamment d’une pension de retraite que s’est acquise l’ayant-droit, n’entrent pas en décompte si elles n’excèdent pas 60 francs (60 fr.). Cette quotité est élevée de 60 francs à 120 francs pour les ayants-droit justifiant qu’ils ont élevé au moins trois enfants jusqu’à l’âge de seize ans. Dans le cas où les ressources dépassent ces chiffres l’excédent n’entre en décompte que jusqu’à concurrence de moitié sans que les ressources provenant de l’épargne et l’allocation d’assistance puissent ensemble dépasser la somme de quatre cent quatre-vingts francs (480 fr.).
- Les ressources fixes et permanentes provenant de la bienfaisance privée entrent seules en décompte jusqu’à concurrence de moitié avec la même limite maximum de 480 francs.
- Art. 21.
- La jouissance de l’allocation commence du jour fixé par la délibération prononçant l’admission à l’assistance.
- Le bureau de bienfaisance ou d’assistance décide, suivant la situation de l’intéressé, si l’allocation doit
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- être remise en une seule fois ou par fractions ; il peut décider que tout ou partie de l’allocation sera donnée en nature.
- L’allocation est incessible et insaisissable. Elle est payée au lieu de résidence de l’intéressé, soit à lui-même, soit, en cas de placement familial, à une personne désignée par lui et agréée par le maire, soit enfin, en cas de secours en nature ou de fractionnement de la mensualité, au receveur du bureau de bienfaisance ou d’assistance. Le règlement d’administration publique, prévu à l’article 41, déterminera les règles de comptabilité à appliquer à ce service.
- Art. 22.
- Lorsque la commune ne possède pas d’hospice ou lorsque l’hospice existant est insuffisant, les vieillards, les infirmes et les incurables ayant le domicile de secours communal sont placés dans les hospices ou dans les établissements privés Choisis par le Conseil municipal sur la liste dressée par le Conseil général, conformément à l’article suivant, soit enfin chez des particuliers.
- Art. 28.
- Le Conseil général désigne les hospices et les hôpitaux-hospices qui seront tenus de recevoir les vieillards, les infirmes et les incurables qui ne peuvent être assistés à domicile.
- Le nombre des lits à leur affecter dans ces établissements est fixé, chaque année, par le Préfet, les Commissions administratives entendues.
- Le prix de journée est réglé par le Préfet, sur la proposition des Commissions administratives et après avis du Conseil général, sans qu’on puisse imposer un prix de journée inférieur à la moyenne du prix de revient constaté pendant les cinq dernières années. Il est révisé tous les cinq ans.
- Au cas où l’hospitalisé dispose de certaines ressources , le prix de journée est dû par la commune , le département ou l’Etat, qui réalisent à leur profit le montant des déductions prévues à l’article 20.
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- Art. 24.
- Le Conseil général désigne les établissements privés qui peuvent, en cas d’insuffisance des hospices, recevoir des vieillards, des infirmes et des incurables, et il approuve les traités passés pour leur entretien.
- L’exécution des traités est soumise au contrôle de l’autorité publique.
- Le Conseil général fixe les conditions générales du placement des assistés dans les familles étrangères.
- Art. 25.
- Les vieillards, les infirmes et les incurables qui sont dépourvus de tout domicile de secours sont placés dans des établissements publics ou privés désignés par le Ministre de l’Intérieur, à moins que le Préfet ou la Commission centrale d’assistance ne les ait admis à l’assistance à domicile ; ils reçoivent, dans ce cas, une allocation fixée dans les limites indiquées à l’article 20.
- Art. 26.
- Les frais de visites occasionnés par la délivrance des certificats médicaux aux infirmes et aux incurables et les frais de transport des assistés sont supportés, s’il y a lieu, par la commune, par le département ou par l’Etat suivant que ceux-ci ont le domicile de secours communal ou départemental, ou qu’ils sont dépourvus de domicile de secours.
- Si les assistés n’ont pas leur domicile de secours dans la commune où ils résident, celle-ci fait l’avance de ces frais, sauf remboursement par la commune ou le département à qui incombe l’assistance ou par l’Etat.
- TITRE IV Voies et moyens.
- Art. 27.
- Sont obligatoires pour les communes, dans les conditions des articles 136 et 149 de la loi du 5 avril 1884* les dépenses d’assistance mises à leur charge par la présente loi.
- Les communes pourvoient à ces dépenses à l’aide :
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- 1° des ressources spéciales provenant des fondations oü des libéralités faites en vue de l’assistance aux vieillards, aux infirmes et aux incurables, à moins que les conditions desdites fondations ou libéralités ne s’y opposent ; 2° de la participation éventuelle du bureau de bienfaisance et de l’hospice ; 3° des recettes ordinaires ; 4° en cas d’insuffisance, d’une subvention du département, calculée conformément au tableau A ci-annexé, et d’une subvention directe et complémentaire de l’Etat, calculée conformément au tableau C ci-annexé, en ne tenant compte, pour le calcul des subventions, que de la portion de dépense couverte au moyen de ressources provenant de l’impôt, d’impositions ou de taxes dont la perception est autorisée par les lois.
- Art. 28.
- Sont obligatoires pour les départements, dans les conditions des articles 60 et 61 de la loi du 10 août 1871 : 1° les dépenses d’assistance mises à leur charge par les articles 2 et 26 ; 2° les subventions à allouer aux communes par application de l’article précédent ; 3° les frais d’administration départementale du service.
- En cas d’insuffisance des ressources spéciales et des revenus ordinaires disponibles, il est pourvu à ces dépenses à l’aide : 1° d’impositions ou de taxes dont la perception est autorisée par les lois ; 2° d’une subvention de l’Etat, calculée conformément au tableau B ci-annexé, sur la portion de dépense couverte au moyen des ressources provenant des revenus ordinaires ou de l’impôt.
- Art. 29.
- Indépendamment des subventions à allouer, en vertu des articles précédents, l'Etat est chargé : 1° des frais de l’assistance aux vieillards, aux infirmes et aux incurables n’ayant aucun domicile de secours ; 2°Mes frais généraux d’administration et de contrôle occasionnés par l’exécution de la présente loi.
- Art. 30.
- Les bureaux de bienfaisance, les hospices et les hôpi-
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- taux-hospices possédant, en vertu de fondations ou de libéralités, des biens dont le revenu a été spécialement affecté à l’assistance à domicile des vieillards, des infirmes et des incurables, seront tenus de contribuer à l’exécution de la présente loi, conformément aux conditions de la donation, jusqu’à concurrence dudit revenu.
- Art. 31 ;
- Les hospices communaux sont tenus de recevoir gratuitement, autant que leurs ressources propres le permettent , les vieillards, les infirmes et les incurables ayant leur domicile de secours dans la commune où est situé l’établissement et qui ont été désignés pour l’hospitalisation conformément à l’article 19.
- La même obligation incombe aux hospices intercommunaux et cantonaux à l’égard des vieillards, des infirmes et des incurables ayant leur domicilp de secours dans les communes au profit desquelles ces hospices ont été fondés.
- Art. 32.
- L’Etat contribue, par des subventions, aux dépenses de construction ou d’appropriation d’hospices nécessitées par l’exécution de la présente loi. Cette contribution est déterminée en raison inverse de la valeur du centime communal ou départemental, en raison directe des charges extraordinaires de la commune ou du département, et encore en raison de l’importance des travaux à exécuter conformément à des règles qui seront établies par un règlement d’administration publique.
- Si les travaux sont entrepris par plusieurs départements, en conformité des articles 89 et 90 de la loi du 10 août 1871 ou par un syndicat de communes, la subvention est fixée distinctement pour chacun des départements et pour chacune des communes participant à la dépense.
- Les projets doivent être préalablement approuvés par le Ministre de l’Intérieur.
- La loi de finances de chaque exercice déterminera le chiffre maximum des subventions à accorder pendant l’année. 3
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- Art. 33.
- Pour les trois années 1907, 1908 et 1909, la loi de finances de chaque exercice déterminera la somme que le Ministre -de l’Intérieur sera autorisé à engager pour les subventions allouées aux départements et aux communes en exécution de la présente loi.
- TITRE V Compétence.
- Art. 34.
- Les contestations relatives au domicile de secours sont jugées par le Conseil de préfecture du département où le vieillard, l’infirme ou l’incurable a sa résidence.
- ' Art. 35.
- En cas de désaccord entre les Commissions administratives des hospices et le Préfet, et entre les Commissions administratives des bureaux de bienfaisance et des hospices et les Conseils municipaux sur l’exécution des dispositions contenues aux articles 23, 27, 30 et 31, il est statué par le Conseil de préfecture du département où est situé l’établissement.
- Art. 36.
- Les décisions du Conseil de préfecture peuvent être attaquées devant le Conseil d’Etat.
- Le pourvoi est jugé sans frais et dispensé du timbre et du ministère d’avocat.
- TITRE VI
- Dispositions diverses.
- Art. 37.
- Un règlement d’administration publique déterminera les conditions d’application de la présente loi à la ville de Paris en ce qui concerne les articles 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 21,22,23, 30 et 31.
- Art. 38.
- Les certificats, significations, jugements, contrats,
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- quittances et autres actes faits en vertu de la présente loi, et ayant exclusivement pour objet le service de l’assistance aux vieillards, aux infirmes et aux incurables, sont dispensés du timbre et enregistrés gratis, lorsqu’il y a lieu à la formalité de l’enregistrement. *
- Art. 39.
- Tout inculpé, aux termes des articles 269, 270, 271 et 274 du Code pénal, qui prétendra faire valoir ses titres à l’assistance, pourra obtenir, s’il y a lieu, un sursis à la poursuite et être ultérieurement renvoyé, selon les cas, des fins de cette poursuite.
- Toutefois, les dispositions du présent article ne sont pas applicables en cas de récidive.
- Art. 40.
- 11 n’est pas dérogé aux lois relatives aux aliénés.
- Sont abrogés les articles 43 de la loi du 27 mars 1897, 61 de la loi du 30 mars 1902 et toutes autres dispositions contraires à la présente loi.
- Art. 41.
- La présente loi sera applicable à partir du 1er janvier 1907.
- Des règlements d’administration publique détermineront, s’il y a lieu, les mesures nécessaires pour assurer son exécution.
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- LA COOPÉRATION
- Les Congrès coopératifs.
- Plusieurs Congrès coopératifs ont eu lieu dans ces derniers mois.
- Le Congrès de la Bourse des coopératives socialistes de France s’est tenu à Nantes du 23 au 25 avril. Il a étudié les questions se rattachant aux rapports du magasin de gros à créer avec la Bourse coopérative, à la production fédérale, à la création d’usines régionales et d’une sardinerie coopérative, etc.
- La Fédération des sociétés Coopératives du Gard et de VHérault, qui s’est réunie à Montpellier vers la même époque, a borné son ambition à étudier la création d’un moulin coopératif. Par exemple, elle a étudié la question sous toutes ses faces, et montré que le moulin coopératif, trait d’union entre la consommation et la production, facilite l’union régionale des sociétés coopératives de consommation, tout en étant pour la coopération de boulangerie, une source de prospérité.
- Le Congrès de la Fédération des sociétés coopératives socialistes belges (9 avril) a donné une place considérable à l’antagonisme des groupes économiques et des coopératives. On y a vivement recommandé l’adhésion des socialistes à la coopération. C’est le phénomène inverse qui s’est produit au 37e Congrès de l’Union coopérative des sociétés de consommation de Grande-Bretagne et d’Irlande, qui a été tenu les 12, 13, 14 juin.
- Pour la première fois, en effet, a été soulevée dans un Congrès coopératif anglais, non pas la question d’une représentation au Parlement, mais celle d’une alliance entre la coopération et un parti parlementaire politique.
- Enfin le Congrès de V Union coopérative des Sociétés françaises de consommation, tenu à Paris les 1, 2, et 3
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- LA COOPÉRATION
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- juin, a montré l’importance de plus en plus considérable prise par le Comité central et l’Office coopératif au cours de ces dernières années.
- Le Congrès a donné d’excellentes indications aux sociétés à propos du fonds de développement collectif et impersonnel, de la patente, du contrôle des ventes, de la production par la prévoyance, de l’éducation et de la propagande, de la mutualité et de la solidarité dans les coopératives. Il a préconisé la création de fédérations et d’agences régionales rattachées à l’organisation centrale et adopté des mesures pour les promouvoir.
- Les idées les plus diverses ont pu se manifester en toute liberté, et il a été prouvé, une fois de plus, que VUnion coopérative peut, grâce à. son libéralisme, grouper chez elle les sociétés les plus diverses au point de vue des opinions sociales.
- Nous reviendrons sur les particularités les plus saillantes de ces diverses manifestations du coopératisme.
- La coopération au Japon.
- L’association coopérative date de loin au Japon et y est fort en honneur. Sa forme la plus ancienne fut celle d’une association pour la vente en commun de la soie. De semblables associations, datant de 230 ans , existent encore aujourd’hui et font d’excellentes affaires (1). Voici, suivant leur nature, la répartition des coopératives japonaises d’après une statistique de 1903 :
- Coopératives de crédit............. 357
- » vente ................. 42
- » consommation........ 101
- » production............. 16
- » mixtes................ 67
- Total.......583
- Comme on le voit, se sont les coopératives de crédit qui dominent. Leur conception, qui remonte à 1830, est due à un philanthrope, doublé d’un économiste, dont
- (1) Plusieurs vendent chaque année pour 3 millions yen (3,500,000 fr.) de soie.
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- LE DEVOIR
- le nom, Ninomya Sontaku est encore très honoré au Japon. Leur organisation a quelque chose de commun avec chacun des deux types qui se partagent aujourd’hui la faveur du public en Allemagne.
- Elles présentent d’abord des analogies frappantes avec les caisses Raiffeisen. Leur premier but est de prêter secours aux pauvres, même aux plus misérables, et elles attachent plus de prix au mérite et à l’honorabilité du sociétaire, qu’à sa capacité financière. Elles consentent enfin des prêts à long terme, c’est-à-dire pour 5, 7 et même 10 ans. Les fonctions d’administrateur y sont gratuites.
- Elles présentent aussi une certaine analogie avec des sociétés de prêts Schulze Delizsch, qui, pendant longtemps et à bon droit, passèrent pour des caisses d’épargne obligatoire. En effet, elles imposent comme devoir à chaque sociétaire d’effectuer des dépôts dont une partie, versée au fonds général demeure sa propriété, mais ne lui rapporte aucun intérêt, et dont l’autre lui rapporte 5 %>•
- Les excédents de recette, les subventions de l’Etat et les dons constituent la fortune propre de la Société.
- Une partie est employée à secourir les besogneux, une autre à acquérir et à mettre en valeur des fonds ruraux, à consentir des prêts aux communes, aux districts, à l’Etat. L’association se fait également un devoir de répandre l’instruction et les principes d’honnêteté, enfin d’élever le caractère de ses membres et de tous ceux qui sont en relation avec elle.
- Ces associations possèdent leurs fédérations provinciales, une union générale, des conseils de surveillance et des vérificateurs de comptes qui opèrent selon des règles très sévères.
- Il nous semble qu’avec les données précédentes on s’explique mieux la puissance financière du Japon et le succès des emprunts de guerre intérieurs décrétés par le gouvernement de ce peuple si laborieux , si intelligent et si progressiste.
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- LA COOPÉRATION
- Une coopérative d’ouvriers des ports.
- Le Congrès ouvrier des ports de la Méditerranée qui s’est tenu à Marseille, a étudié la question de la création de sociétés coopératives de production dans les ports méditerranéens, afin d’arriver, si faire se peut, à la suppression des entrepreneurs de manutention.
- Les ports de Nice, Cannes, Toulon, Saint-Lou is-du-Rhône, Cette, Agde, LaNouvelle, Port-Vendres et Bastia avaient envoyé des délégués.
- Un ordre du jour ainsi conçu a été voté :
- 1° Les coopératives de manutention ne devront se constituer que sur des bases communistes, c’est-à-dire le partage intégrât des bénéfices de la manutention entre tous ceux qui auront coopéré aux travaux, soit par les muscles, soit par les efforts intellectuels.
- « 2° Lorsque les coopérateurs embaucheront des ouvriers supplémentaires dits ouvriers occasionnels, ils devront les occuper au même titre que les sociétaires et les faire bénéficier (pendant toute la durée des travaux auxquels ces ouvriers auront pris une part active) des mêmes avantages que rapporte l’association coopérative.
- « 3° Les coopérateurs seront toujours choisis dans les membres des syndicats faisant partie de la Fédération maritime des ports.
- « 4* Les coopérateurs ne devront jamais s’engager, de façon à ne pouvoir pas répondre aux appels faits à la solidarité.
- « 5° La fédération et tous les syndicats fédérés, considérant que l’on ne doit pas combattre les abus pour les remplacer par d’autres abus, ne devront donner leur appui moral qu’aux coopérateurs qui se conformeront aux articles ci-dessus désignés, et devront combattre, par tous les moyens en leur pouvoir, les coopératives de manutention qui se constitueraient sur des bases capitalistes, c’est-à-dire les associations qui ne se constitueraient que pour ne donner des bénéfices qu’à une coterie qui spéculerait sur les ou-
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- LE DEVOIR
- vriers supplémentaires ou participant aux travaux de leur association accidentellement, en ne leur donnant qu’une parcelle des bénéfices que produisent les travaux faits en collectivité. »
- %.
- Un ministre coopérateur.
- M. Svend Hoegsbro, l’un des plus éminents et dévoués coopérateurs du Danemark, est actuellement ministre des travaux publics.
- Les Cooperative News font remarquer à ce sujet que c’est la première fois qu’un coopérateur de l’école de Rochdale prend part à l’administration d’un pays.
- M. Hoegsbro est membre du Comité central coopératif danois et du Comité central de l’alliance coopérative internationale.
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- Un village coopératif en Algérie.
- Nous avons assez longuement parlé, il y a deux ans, du projet de créer un village coopératif, formé par un groupe de travailleurs français d’Oran.
- A la date du 28 septembre 1902, la société actuelle du village coopératif se constituait, et aujourd’hui, grâce à la bienveillance de M. Jonnart, gouverneur de l’Algérie, une concession a été accordée pour l’agrandissement de Tirman, arrondissement de Sidi-Bel-Abbès.
- Les statuts de l’oeuvre sont définitivement arrêtés.
- L’oeuvre fondée sur le principe de l’association du travail et du capital, est à la fois industrielle et agricole. La société ne demande à ses futurs travailleurs aucun apport que celui de leurs bras. Le capital social, divisé en 22 actions de cinquante francs est à peu près souscrit.
- Le siège social de l’Association est à Oran, 12, boulevard Charlemagne.
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- FAITS POLITIQUES ET SOCIAUX
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- FAITS POLITIQUES ET SOCIAUX
- PAYS DIVERS
- La législation internationale ouvrière.
- La Chambre des députés autrichienne a adopté dernièrement le traité de commerce avec l’Allemagne.
- Au cours de la discussion, le ministre du commerce a relevé la clause concernant la protection des ouvriers, qui constitue un fait nouveau et un progrès dans la politique commerciale. Il a exprimé l’espoir qu’une clause semblable serait ajoutée dans le traité avec l’Italie. Il a annoncé ensuite que les gouvernements d'Autriche et de Hongrie sont tombés d’accord pour entamer avec l’Allemagne des négociations dans le but de conclure une convention générale concernant la protection des ouvriers, suivant l’exemple donné par la convention franco-italienne.
- Le Conseil fédéral de Berne a adressé aux gouvernements qui participèrent à la conférence pour la protection ouvrière du 8 au 17 mai, à Berne (savoir : l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie, la Belgique, le Danemark, l’Espagne, la France, la Grande-Bretagne, l’Italie, le Luxembourg, la Norvège, les Pays-Bas, le Portugal et la Suède), une circulaire leur demandant s’ils seraient d’accord pour réunir une conférence diplomatique dans le but de sanctionner par traité les décisions prises par la conférence.
- En cas d’affirmative, les gouvernements sont invités à exprimer, avant la fin d’octobre, leurs vues sur l’époque et le lieu de réunion.
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- FRANCE Les instituteurs.
- Le Journal officiel du 5 juin publie le rapport sur l’éducation populaire en 1904-1905, adressé à M. Bienvenu-Martin par M. Edouard Petit, inspecteur général de l’instruction publique.
- Cet intéressant document porte, d’une part, sur les œuvres d’enseignement : cours d’adultes et d’adolescents, cours de jeunes filles, lectures, conférences, sociétés d’instruction , universités populaires ; d’autre part, sur les œuvres sociales : mutualité scolaire, association d’anciens et d’anciennes élèves, patronages. Bornons-nous à un résumé qui, pour être bref n’en aura pas moins son éloquence.
- Il en résulte, en effet, que les progrès de l’éducation populaire, dus aux inlassables efforts des instituteurs français, suivent une marche toujours ascendante.
- Ainsi le nombre des cours d’adolescents et d’adultes, qui était de 8.288 en 1894-1895, s’est élevé à 44.428 en 1902-1903, à 46.868 en 1903-1904 et à 47.673 en 1904-1905. Ces 47 673 cours d’adultes ont été suivis par 423.344 jeunes gens et 192.056 jeunes filles.
- Environ 5.000 cours sont professés par les sociétés d’instruction populaire, les chambres syndicales, etc.
- 105.578 conférences ont été faites avec ou sans projections et ont attiré plus de 3 millions d’auditeurs. Des « conférences à la troupe » ont eu lieu dans 40 régiments ou unités formant corps.
- Les lectures populaires sont de plus en plus en faveur.
- 2.772 sociétés d’instruction populaire ont organisé des conférences, des lectures ou bien ouvert des cours.
- Voilà pour les œuvres d’enseignement. Les progrès ne sont pas moins constants en ce qui concerne les œuvres sociales.
- En 1894-1895, il n’existait que dix mutualités scolaires avec environ 12.000 membres. En 1904-1905, on en
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- compte 2*772, cantonales pour la plupart, qui ont inscrit sur leurs registres 662.000 écoliers et écolières, versant un peu plus de 4 millions de cotisations et répartissant plus de 800.000 francs au titre de « journées de maladies ».
- 6.338 associations d’anciennes et d’anciens élèves sont constituées, dont 4 315 de garçons et 2.023 de filles, contre 6.252 en 1903-1904, 5.913 en 1902-1903 et 56 en 1894-1895.
- 2 315 patronages sont ouverts dont 1.356 pour les garçons, 960 pour les filles contre 2.125 en 1903-1904, 1.663 en 1903, et 34 en 1894-1895.
- 8.653 groupements post-scolaires sont donc formés, réunissant plus de 700.000 associés ou pupilles.
- Enfin, 65.266 instituteurs et institutrices ont prêté leur concours en 1904-1905 aux œuvres d’éducation populaire, contre 63.661 en 1903-1904 et 60.698 en 1902-1903.
- M. Edourd Petit conclut ainsi :
- « Jamais il n’y eut dans notre pays, que l’on accuse volontiers de scepticisme, plus de foi sociale, un plus ardent désir de se dévouer, plus d’intelligence alliée à plus de bonté agissante. L’influence de l’école s’accroît par le rayonnement des œuvres. L’école laïque devient un foyer de savoir largement vulgarisé, de solidarité pratique où la foule s’habitue à venir pour oublier son rude et incessant labeur en s’initiant à la vie de l’esprit, en se haussant vers un idéal de progrès et de lumière. »
- Tout cela est l’œuvre de ces modestes pionniers du progrès intellectuel et social que l’on nomme les instituteurs primaires. Ils y ont voué leur vie. Ils la poursuivent sans faiblir jamais, malgré les déboires et les injustices, malgré la malveillance et l’hostilité redoutable des adversaires de la laïcité, malgré les difficultés matérielles d’une situation où, avec d’infimes ressources et souvent chargés de famille, il leur faut cependant garder la dignité de leur existence privée.
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- Sait-on qu’à l’heure actuelle, il y a des milliers d’instituteurs et d’institutrices qui font gratuitement des cours d’adultes ?
- PAYS-BAS Les élections.
- Des élections pour le renouvellement de la Chambre hollandaise ont eu lieu dernièrement. Elles ont donné la majorité à l’opposition libérale. La Chambre qui comptait seulement 42 membres de l’opposition contre 58 membres de la droite ministérielle, comprendra désormais 52 membres de la gauche contre 48 députés de la droite.
- C’est la condamnation du régime réactionnaire, à tendances théocratiques, du Dr Kuyper. La victoire de l’opposition, décisive malgré le faible écart des voix, est due à l’union des conservateurs-libéraux et des démocrates-libéraux. Ces deux groupes avaient été longtemps divisés sur la grosse question du suffrage universel, le second le voulant à tout prix, les premiers le repoussant absolument. On s’est arrêté à un moyen terme qui consiste à demander la révision de l’article 80 de la constitution en vue, non pas d’établir' d’un seul coup le suffrage universel, mais d’étendre assez sensiblement l’exercice de l’électorat. C’est sur cette formule et sur quelques autres conditions accessoires que conservateurs-libéraux et démocrates-libéraux ont fini par s’entendre entre eux et avec l’union libérale qui forme le gros du parti.
- Ces conditions accessoires qui deviennent, de par la chute du régime Kuyper, les lignes générales du programme du futur gouvernement libéral sont les suivantes :
- Ecole publique sans caractère confessionnel ; transformation progressive de l’armée en milice nationale ; réduction des dépenses publiques ; création de l’assu-
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- rance avec le concours financier de l’Etat ; maintien du principe libre-échangiste et organisation de l’impôt direct.
- ETATS-UNIS
- Un village semi-rural semi-industriel.
- Des colons français, en Algérie, s’inspirant des idées de Fourier, entreprennent la création d’un village coopératif. Près de Londres, en Angleterre, on a mis la main à la cité-jardin, d’après les vues de M. Howard, dans son livre sur ce sujet. En Amérique, il y a quatre ans, M. Beadley Gilman esquissait dans un ouvrage intitulé : Retournons à la terre, le plan d’un village semi-rural, semi-industriel, et qui réunirait ainsi les avantages des champs et de la ville. On annonce qu’une localité s’élève en ce moment dans le Texas, près de Houston, qui fera l'application des idées maîtresses de M. Gilman. Goode^City, c’est son nom, aura près de six kilomètres de côté, avec cent fermes aboutissant toutes sur la rue et des maisons de ferme en bois de 4,000 francs en moyenne.
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- LA QUESTION DE LA PAIX
- L’union interparlementaire.
- La XIIIe conférence interparlementaire se tiendra à Bruxelles et sera ouverte le lundi 28 août 1905, dans la salle des séances de la Chambre des représentants, Palais de la Nation.
- Elle aura à examiner, entre autres, les questions suivantes :
- • Création d’une Académie internationale de la Paix (proposition du groupe danois) :
- Constitution d’un Congrès permanent de la paix ;
- Vœux de l’Union interparlementaire concernant le programme de la deuxième conférence de La Haye.
- Le projet de résolution arrêté par le Conseil interparlementaire concernant cette dernière question est ainsi conçu :
- « Il est désirable que la Conférence de La Haye, pour la convocation de laquelle le président des Etats-Unis a pris l’initiative, mette en délibération les questions suivantes :
- « 1. Les points renvoyés par la Conférence de La Haye de 1899 à une Conférence ultérieure, savoir :
- a) les droits et les devoirs des neutres ;
- b) la limitation des forces armées de terre et de mer et des budgets militaires ;
- c) l’usage de nouveaux types et calibres de fusils et canons de marine.
- Une résolution portant que la Cour de" La Haye doit remplir devant les peuples l’office que les tribunaux nationaux remplissent dans chaque pays, a été votée à l’unanimité.
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- LA QUESTION DE LA PAIX 495
- Vers la Fédération d’Occident.
- On lit dans les Etats-Unis d’Europe:
- ... Tant de gens, trop simplistes pour savoir analyser la complexité des phénomènes d’une évolution mentale, ou trop paresseux d’esprit pour s’occuper d’idées qui dérangent leurs habitudes, ou enfin trop prévenus pour vouloir se donner cette peine, ont beau jeu, quand on leur parle des progrès de l’idée pacifique, à répondre : Transvaal, Vénézuela, Extrême-Orient!
- C’est que, ici, comme dans tous les phénomènes naturels, les événements soudains ou brutaux, les grandes catastrophes, produisent une impression disproportionnée avec leurs effets véritables, et masquent à l’observateur superficiel les causes profondes et permanentes de l’évolution.
- ... L’organisation de la Paix est une œuvre de longue haleine, qui ne peut se concevoir que comme la résultante d’une accumulation de petits progrès partiels, comparables aux sédiments sous-marins. Ces progrès, parce qu’ils ont été obtenus dans le domaine de l’idée, sont impérissables une fois acquis, de même que les sédiments, déposés en état d’équilibre stable, sont aptes à former les assises inébranlables des continents futurs. Mais pour l’observateur à courte vue, ils disparaissent devant les violents soubresauts de la civilisation guerrière qui succombe, comme le lent travail des eaux devant l’éruption impétueuse des volcans.
- Or, s’il est un fait certain, c’est que l’allure de l’évolution vers la Paix s’est accélérée, depuis six ans, jusqu’à dépasser les espérances les plus optimistes... Je dois rappeler sommairement un ensemble de faits trop peu connus du public. Ce sont :
- En 1894, au VIe Congrès universel de la Paix (Anvers), l’adoption du « Code de l’arbitrage » portant organisation d’une « Cour permanente d’arbitrage » ;
- En 1895, à la VP conférence interparlementaire , l’adoption d’un projet de « Cour permanente d’arbitrage international », dérivé du précédent ;
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- En 1896, la communication de ce projet à tous les gouvernements ;
- En 1898, le message du tsar ;
- En 1899, la Conférence de La Haye ;
- En 1900 , l’organisation de la « Cour permanente d’arbitrage » de La Haye.
- Sans doute, il est de mode de médire de cette Cour de La Haye, et d’observer avec un sourire qu’elle n’a empêché ni la guerre du Transvaal, ni celle d’Extrême-Orient.
- Peu importe : l’argument ne vaut pas. On savait que la première de ces guerres ne pouvait être empêchée : si l’on avait admis les Républiques Sud-Africaines, suivant leur demande, à la Conférence de 1899, on en écartait la Grande-Bretagne , et l’on tuait en germe l’œuvre imparfaite qu’il a été possible d’accomplir. Quant à l’Extrême-Orient, il est encore en dehors de la zone d’action du parti de la Paix : on ne peut tout obtenir d’un coup. Et, s’il est vrai que ces guerres ont pu être déchaînées, il ne l’est pas moins que cette nouveauté naguère utopique — la Cour permanente d’arbitrage — existe, et qu’elle a déjà pu rendre des sentences, c’est-à-dire empêcher d’autres guerres, s’imposant ainsi à l’attention et au respect de tous.
- Ces premiers résultats sont des faits, assurément minimes si on les compare aux désastres que la guerre a accumulés depuis la Conférence de 1899, mais bien considérables, si l’on sait évaluer ce qu’ils représentent de traditions heurtées de front, et d’espérances ouvertes à l’humanité souffrante et agissante. Et pour concevoir tout ce qu’ils ont d’inespéré, il suffit de se remémorer les sarcasmes et les accusations qui accueillaient, il y a six ans seulement, ceux qui prédisaient qu’un jour viendrait où un tribunal serait appelé à juger entre les nations. Aujourd’hui, les journaux graves et bien pensants qui nous vilipendaient de la sorte, nous reprochent de n’avoir pas encore partie gagnée !
- Or, ces résultats ont été bientôt suivis d’autres, plus
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- importants encore, car nous voyons les Etats de l’Eu-rope occidentale emportés, bon gré, mal gré, par la nécessité d’organiser enfin entre eux, non seulement la paix proprement dite, mais une véritable fédération.
- Gaston Moch.
- Traités d’arbitrage.
- Des traités d’arbitrage permanent ont été conclus le 18 avril entre l’Italie et le Pérou , le 26 avril entre le Danemark et la Belgique, et le 6 mai entre la Suède-Norwège et le Portugal.
- Le traité d’arbitrage entre les Pays-Bas et la Grande-Bretagne a été ratifié le 14 avril par la seconde Chambre des Pays-Bas. Il en a été de même des traités d’arbitrage conclus entre la France et les Pays-Bas et entre le Danemark et les Pays-Bas.
- Le ministre des affaires étrangères de Russie a ratifié le traité d’arbitrage entre la Russie et le Danemark.
- La Chambre belge des représentants a voté le projet de loi approuvant les traités d’arbitrage obligatoire conclus par la Belgique avec la Russie, le Danemark, la Suède, la Suisse, l’Espagne, la Grèce, ainsi que la déclaration annexée au traité russo-belge, le protocole des signatures annexées au traité belgo-suédois, le traité d’arbitrage avec la Roumanie, et la convention relative à la rectification de la frontière franco-belge.
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- LES DEUX VIES
- Par Paul et Victor MARGUERITTE
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- . . ( Suite. )
- Un mariage ? Mais alors même qu’il n’eût choqué personne, pas même elle, qui se faisait mal à l’idée de cette union avec un autre homme que celui dont elle était née, n’était-ce pas folie de tenter une seule chance de bonheur contre d’innombrables contraires ?... Un lien secret, condamné par la morale, et ne relevant que de la conscience, blessait tout autant en elle le sens de ces conventions dont son indépendance, pourtant aventureuse, ne croyait pas qu’on dût secouer l’entrave ; ce qu’elle avait blâmé ou plaint en d’autres femmes, victimes de fatalités particulières, elle ne le concevait pas pour sa mère.
- Elle l’estimait incapable d’une défaillance et en repoussait l’image avec une pudeur irritée ; sa raison s’y serait-elle résignée, son culte filial se fût toujours révolté jusqu'en ses profondeurs obscures, et aussi son éloignement farouche, âme et sens, de ce mystère de la volupté qu’elle jugeait dégradant et que d’ailleurs elle ignorait.
- Elle avait répété plusieurs fois : « Le mari de maman. » Appliqué à Cbarlie, non, c’était invraisemblable : elle s’imaginait les rapports de la vie commune ; vraiment, c’était absurde ! Elle avait prononcé plusieurs fois : <t L’amant de ma mère ! » Cela sonnait plus mal encore : les mots ont leur vertu propre, leur sonorité morale et leurs répercussions souterraines.. Non, elle ne pouvait s’y faire ; l’eût-elle compris, excusé même, son instinct se cabrait. Alors, que restait-il ? Le renoncement ? S’aimer en silence, s’efforcer d’arracher de
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- soi la pensée qui s’attache à la chair et vous consume ; agoniser des mois, des années peut-être, de ce tourment . . Ah ! la vie, en vérité, était trop mal faite !
- Elle regardait anxieusement sa mère sans la comprendre. Elle avait deviné tout de suite d’où Mme Favié revenait. Ses yeux rouges, son air pénétré, contrit... nul doute, elle s’était confessée ! Mais de ce grand acte, qui renouvelait sa ferveur après une longue interruption, elle ne rapportait ni allégement ni paix : cela se voyait sur ce beau visage en détresse, qui semblait déjà, — était-ce une illusion ? — s’ombrer d’un reflet précurseur du déclin.
- — A quoi penses-tu, petite mère?
- — A Aygues-Vives, répondit une voix comme absente.
- Une nostalgie la rappelait vers le paysage quitté trop tôt. En quelques semaines, que de changements pour elle, pour Francine! A cette minute, dans la splendeur d’octobre, Aygues-Vives était une fantasmagorie pourpre et jaune. Les parterres ouvraient leurs dernières roses à l’air doux, saturé d’eau ; seuls restaient verts les peupliers et les saules ; les trembles ramifiaient leurs réseaux noirs. Le cinabre vif des vignes vierges jonchait le sol. Entre les grands marronniers étendant leurs palmes, c’était un jour d’or; dessous, un tapis de rouille ardente, de copeaux fauves. Elle revoyait la Seine pareille à un lac, et elle sentait monter des terres mouillées, des sources dans le gazon, des fruits tombés, l’odeur de l’automne, une odeur de vie décomposée et hâtive, comme si tout achevait de pousser et que ce qui restait de sève s’exhalât avant de mourir.
- L’automne autour d’elle, l’automne en elle !... Charlie avait sa réponse, le coup l’aurait frappé au coeur; il se taisait. Ce silence cruel l’oppressait d’un remords, et elle se sentait lasse d’avoir vécu jusqu’à ce jour.
- Ce matin, sa charité l’avait conduite en des quartiers excentriques. Elle avait toujours réservé beaucoup
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- d’elle au bien qu’elle faisait sans qu’on le sût et ne perdait jamais de vue ses pauvres. Au sortir d’un intérieur navrant, le cœur gros de cette universelle misère, impossible à soulager de plus que d’une goutte d’eau et d’une miette de pain, une impulsion irrésistible l’avait arrêtée devant une chétive petite église, au fond de Montrouge : un de ces pressentiments qui certifiant qu’une chose doit être faite ici et non ailleurs, à l’instant ou jamais.
- Elle se sentait trop seule : si elle pouvait trouver une consolation, ce serait là; elle s’adresserait au premier prêtre venu, précisément celui qui devait l’attendre pour lui cautériser l’âme. Qui sait si les malheurs qui la frappaient, cet impossible amour et le divorce de Francine, n’étaient pas le mystérieux aboutissant de ces voies indirectes par lesquelles la Providence s’annonce et châtie?
- Elle était entrée ; la nef était humble, il y faisait sombre. Près du confessionnal, elle avait attendu que deux pauvres femmes eussent achevé de chuchoter leurs péchés; à son tour, elle s’était agenouillée, dans une demi-ténèbre, sur le prie-Dieu dur; elle avait parlé au grillage de bois, pour une oreille d’ombre ; une bouche d’ombre lui répondait. Ce prêtre, dont elle n’avait pu discerner le visage, et qui ne pourrait pas plus la reconnaître qu’elle ne le saurait elle-même s’ils se rencontraient en plein jour, l’avaient cruellement frappée dans son orgueil si vulnérable.
- « Elle s’était éloignée de Dieu et de l’Église; fallait-P qu’elle s’étonnât d’avoir été abandonnée à l’heure de la tentation? La punition était dans la fragilité avec laquelle elle avait cédé à cet amour .coupable, qui avait commencé par la souillure du baiser et qui, sur cette pente de la damnation, descendrait vite à l’avilissement... » Il l'avait évoqué, ce stupre, en termes si rudes qu’elle se relevait chancelante, aveuglée par des larmes d’humiliation. Elle ne se sentait lavée ni par l’absolution, ni par les pénitences : prier, revenir aux pra-
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- tiques négligées, ne plus revoir Charlie, ne plus lui écrire...
- Elle avait besoin de respirer, de se reprendre : elle était brisée, inutilement, son court élan de toi tari aussitôt que jailli, son espoir changé en désabusement morne; le miracle attendu ne s’était pas produit : elle restait plus seule qu’auparavant. Elle s’en voulait d’avoir été faible à ce point, coupable envers Charlie d’une obscure trahison : qu’importait qu’elle ne l’eût pas nommé, pourquoi l’avait-elle mêlé à cette confession stérile, dont il ne lui restait que de la honte? Et pourtant il avait raison dans sa brutalité, ce prêtre ! Entre elle et Charlie, il n’y avait plus que de l’innoma-ble ; ils n’y succomberaient pas !
- Si Francine eût pu lire en elle en ce moment, elle l’eût moins comprise encore, mais elle aurait eu davantage pitié : c’était si triste, la solitude de ce cœur qui ne se résignait pas... Elle aussi souffrait d’une angoisse incommunicable; car d’être mère et fille leur rendait plus difficile la confiance, empêchait toute camaraderie expansive; elles étaient trop habituées à une réciproque réserve pour toucher à des sujets que leur nature fait éviter. Par la divergence de leurs caractères et par la force des choses, il leur fallait demeurer étrangères à ce qui leur tenait au plus secret.
- Francine, de son côté, se débattait dans un âpre isolement, cherchait en vain, appelait quelqu’un pour la comprendre et la soutenir. Mais qui? Sa mère? elle était forcée de lui redonner du courage. Et quant à Josette, pauvre petite!... elle n’y pouvait songer sans désespoir : tant de douleur l’attendait à l’odieux, inévitable partage ! Sa pensée errante revenait se fixer sur le plus lointain et le plus sûr de ceux qu’elle connaissait, sur l’ami absent ; Éparvié.
- Dans un mouvement irréfléchi et regretté peut-être, sa mère lui avait appris ce que, par excès de prudence, ou le jugeant inutile, elle lui avait caché jusque-là... Ainsi Éparvié avait voulu l’épouser ; il s’était offert
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- trop tard et s’était éloigné avec un chagrin silencieux. Éparvié !...
- Elle revoyait sa figure franche et mâle et s’étonnait qu’il l’eut aimée. Comment eût-elle accueilli son offre? Elle ne résolvait pas ce doute ; ce qui est certainc’est qu’à l’apprendre si tard, elle était tout attendrie, irritée aussi, plus malheureuse. Quoi ! la vie aurait pu s’aiguiller autrement, rien de ce dont elle souffrait ne lui serait arrivé; elle avait, sans le savoir, fermé sur elle sa prison ! De quelle sympathie plus poignante elle le suivait, dans sa route incertaine au pays noir ; de quels voeux, sans arrière-pensée que de le savoir sain et sauf, elle hâtait son retour! Encore une ironie du sort, un pareil éloignement !... Mais que pourrait-il? Pensait-il encore à elle seulement?
- L’entrevue imminente lui répugna. Affronter son mari, une discussion cruelle, en présence d’un tiers, de ce magistrat qui était la loi, quel supplice ! Elle souhaita presque que Le Hagre s’abstint de comparaître. Aurait-elle peur?... Son orgueil la raidit : peur de lui, non, certes! Mais de l’inconnu, de ce palais de justice aux salles désertes, l’autre jour ; de ce président, qui l’avait assez froidement accueillie, et dont son avenir dépendait.
- Dire qu’elle n’était qu’au début, et qu’elle avait déjà la nausée! Elle s’irritait de penser que ce qui ne regardait qu’elle, n’intéressait qu’elle, dût être livré à des appréciations d’indifférents, à des débats publics : un divorce, mais est-ce que cela devrait se dénouer autrement qu’entre mari et femme, sur un simple enregistrement du tribunal ou de la mairie? Déjà, lors de son mariage, elle avait souffert de l’obligation de prendre à témoin la société entière ; ce vieux monsieur en écharpe qui lui lisait le Code ; les cierges et les orgues, la foule qui s’étouffait dans la sacristie, et cette robe de vierge qui la désignait, la paraît comme une victime pour l’immolation d’uu sacrifice...
- Si elle avait été alors sourdement blessée dans sa
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- délicatesse et sa dignité, qu’était-ce donc aujourd’hui, que serait-ce quand les avocats plaideraient prétoire ouvert, portes battantes ? M. Trassier lui avait dit : « En effet, madame, il vaudrait mieux, dans l’intérêt de votre fille et dans le vôtre, éviter tout scandale Croyez-vous que votre mari s’y prête? » Elle n’avait pu que répondre : « J’ignore les intentions de M. Le Hagre. »
- La transaction, le divorce à l’amiable, le rachat de Josette, l’abandon s’il le fallait d’une moitié de sa fortune afin que tout se terminât vite et sans bruit, non, malgré l’avis tardif d’Herbelot et l’insistance de Marchai, malgré l’offre d’entremise des de Guertes, elle n’avait pu s’y résoudre; sa fierté, sa droiture, son intransigeante justice s’y opposaient : elle n’exigeait que son droit, mais elle le voulait tout entier. Qu’il cédât, lui ; rien ne l’empêchait de subir un divorce par défaut !
- — Ne lui lâchez pas d’un pouce! Vous entendez, pas d’un pouce ! avait crié le commandant Morland.
- Et sa femme :
- — Vous ne pouvez pas, vous, marchander avec cet homme ; il croirait que vous doutez de votre cause!...
- On frappa : le vieux Jean avait l’air affairé, effaré :
- — C’est la mère de Monsieur qui demande à parler à ces dames.
- Et comme elles ne répondaient pas tout de suite, saisies :
- — Mme Le Hagre insiste pour être reçue.
- — C’est bien, faites entrer, dit Mme Favié.
- Et à sa fille :
- — Veux-tu que je te laisse?
- — Non reste ! dit avec vivacité Francine.
- La vieille dame rentra d’un pas raide. Elle avait un grand visage pâle, des yeux froids, un air de dignité et de blâme. Elle appuya sur Francine un long regard :
- — Dites-moi que ce n’est pas vrai, mon enfant !
- Elle tentait d’elle-même une suprême démarche de rapprochement, ignorant l’étendue des torts de son fils?
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- qu’il lui avait soigneusement cachés ou amoindris. Sans croire manquera la charité chrétienne, elle rejetait une partie de la responsabilité sur Francine, dont le caractère altier l’avait toujours choquée. Dans son horreur du scandale bourgeois, elle ne pardonnait pas à la jeune femme son éclatante rupture; grand’mère, elle avait souffert comme d’un rapt de l’enlèvement de Josette ; sa piété fervente, considérant le mariage comme indissoluble, voyait dans la rébellion de Francine une grave faute conjugale et, dans le divorce, un acte abominable.
- Elle s’assit, plus émue qu’elle ne voulait le paraître :
- — Mais dites-moi d’abord comment va Josette. Ras-surez-moi; cette petite n’est pas malade, au moins? Ce brusque départ avait de quoi l’affoler... Vous avez percé le cœur de son père... Oh! je ne crois pas que vous ayez été consciente du mal que vous lui causiez... mais il a failli en faire une maladie. Je l’ai laissé couché, si pâle que je n’osais le quitter. Il vous aime tant!... Il a pu y avoir entre vous de légers malentendus, mais de là à prendre une détermination aussi grave !... Voyons, Francine, et vous, ma chère Gabrielle, qui avez comme •moi le sentiment de votre responsabilité, ne me direz-vous pas une bonne parole? Je viens en amie ! Je serais accourue plus tôt si j’avais pu croire que c’était sérieux. J’étais persuadée que vous réfléchiriez...
- Silence. Elle gémit :
- — Mais enfin, apprenez-moi au moins ce que vous reprochez à mon fils ?
- De Fernand, de Lischen réfugiée chez une amie , elle n’avait rien pu tirer; ils affirmaient leur innocence calomniée. Céline ne savait pas grand’chose. Mme Le Hagre croyait, préférait croire à un accès de folie jalouse, se refusait à admettre un adultère dont elle n’avait pas, somme toute, la preuve. Pourtant, ce n’est pas sans une sourde angoisse qu’elle interrogeait Francine. Dans sa droiture, elle n’eût pas douté : quel atterrement, si, brutale, sa belle-fille lui eut crié la
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- vérité, montré les lettres ! Mais elle venait trop tard. C’est le lendemain de la scène qu’il fallait accourir à Aygues-Vives, savoir à tout prix... Sa fierté Fen avait empêchée; elle n’avait senti que l’injure d’une pareille équipée : « Vraiment, Francine avait perdu la tête! Voilà où mène l’irréligion ! »
- Francine, qui ne s’était jamais sentie comprise ni aimée par sa belle-mère, ne put croire à une aussi crédule ignorance; elle vit de la duplicité où il n’y avait que sincérité mal renseignée, aveuglement partial. Elle répondit :
- — Le divorce vous l’apprendra.
- Ces mots, en désolant Mme Le Hangre, l’allégèrent, car quelque chose de louche, qu’elle avait envie et peur d’éclaircir, la poursuivait, Si Francine, qui n’avait qu’à accuser, qu’à accabler Fernand, se taisait, c’est que rien d’irréparable,., elle n’en était que plus coupable.
- — Le divorce? répéta douloureusement Mme Le Hagre, le divorce! Mais sans invoquer des sentiments religieux auxquels Vous êtes fermée, je le sais trop, sans faire appel à votre coeur, — comment peut-il rester sourd à l’intérêt de votre fille?-- sans me permettre de vous rappeler au respect du monde et au danger d’un procès où vous avez aussi à perdre, — oh! certainement! —en laissant de côté tout ce qui devrait vous toucher, Dieu , la morale , votre enfant, sans même vous faire remarquer que, pour une femme qui se respecte, la séparation serait un mal encore préférable à une rupture que l’Église réprouve et que le devoir condamne, — pour parler, pour oser parler du divorce, il faut des preuves, mon enfant, et des témoignages !...
- Mme Favié eut l’intuition que la femme qui s’exprimait ainsi était redoutable, par son caractère entier et rigide : elle ferait front à l’orage. Et intervenant :
- — Ces preuves et ces témoignages, M. Le Hagre les connaît trop pour ne pas vous édifier pleinement.
- On bafouait son fils ; toujours des insinuations, rien
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- de précis ! Elle le prit de haut :
- — Vraiment! Mais comment m’apprendrait-il ce qu’il se demande dans son innocence et sa sincérité ? Il m’a parlé, en effet, de soupçons abominables, d’un tiroir forcé, d’enveloppes emportées, mais il m’a dit aussi que rien dans ces enveloppes... Ce n’est pas tout d’accuser, il faut convaincre.
- — Je crois, fit Mme Favié, à qui le rouge monta au front, que la lumière se fera plus éclatante que vous ne le désirez.
- — Abrégeons, dit Francine.
- Et à sa belle-mère :
- — Dites-nous enfin ce que vous espérez.
- — Ne vous l’ai-je pas dit? Je n’ai pu croire que sans motifs valables, par coup de tête, vous vous jetiez dans une aventure pareille! C’est la mort dans l’âme que Fernand se verrait dans la nécessité de défendre son honneur. Croyez-moi, ne l’y contraignez pas. N’allez pas au-devant de l’irréparable! Pour Josette, pour l’honneur de tous, oubliez ce que vous avez pu souffrir. Mon fils, s’il a eu des torts, saura les réparer. Il vous aime toujours. Pardonnez-vous mutuellement. Revenez chez lui, chez vous; il en est temps encore.
- Francine fut prise d’un rire nerveux.
- — Tu entends, maman!... Me pardonner, à moi?... Revenir... M’aimer... Non, c’est trop fort!
- Ces mots, au lieu de la toucher, l’irritaient davantage. Cette compensation des torts, qui semblait résulter des adjurations de Mme Le Hagre, lui semblait la plus cruelle injustice, un outrage nouveau. Elle ne pouvait croire à la bonne foi, pourtant presque entière, de sa belle-mère.
- — Si c’est la guerre, reprit Mme Le Hagre, plus pâle, et qu’une sourde colère gagnait, — ne vous en prenez qu’à vous ! Fernand, que vous aurez désespéré , luttera par tous les moyens que la loi met en son pouvoir. Un procès pareil peut durer des années, Si vous le perdez, que deviendrez-vous ?
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- — Et pourquoi se défend-il ? Qui l’y force ? s'écria Francine indignée.
- — Vous imaginez-vous donc qu’un aussi bon chrétien que Fernand consentira jamais au divorce? Détrompez-vous, Francine. Le mariage est un lien trop sacré pour se rompre par caprice. D’ailleurs votre mari vous aime ; jamais, entendez-moi bien, jamais il ne se prêtera à une rupture impie. Vous êtes sa femme, devant Dieu et devant les hommes, et vous la resterez. Malgré ses torts, malgré les vôtres, et ce que vous pouvez avoir tous deux à vous reprocher, il vous a, il vous garde.
- — Moi, ou mon argent, ricana Francine.
- Et comme sa belle-mère, d’un geste digne, écartait l’imputation, injurieuse, et cependant vraie :
- — Ah ça! mais, je rêve ! Mes torts ! j’ai des torts? De grâce, apprenez-les moi !
- — Vous ne semblez pas vous douter, reprit Mme Le Hagre, que Fernand, s’il le voulait, — ne l’espérez pas, — pourrait obtenir contre vous la séparation de corps : oubliez-vous que vous avez été pour lui une femme révoltée, empoisonnant sa vie par votre impiété, vos désobéissances, par la violence de votre caractère, par des scènes blessantes, par votre refus d’accomplir vos devoirs conjugaux !...
- — C’est assez ! dit sèchement Francine.
- Mme Le Hagre se leva.
- — Je vois que votre parti est pris. Je n’ai plus rien • à faire ici. Puissiez-vous n’avoir pas à vous repentir...
- Puis, se ravisant au moment de sortir :
- — Je voudrais bien embrasser Josette; depuis trois semaines je ne l’ai pas revue, cette petite chérie...
- Mme Favié fît un mouvement : en son cœur de grand'mère, elle ne se reconnaissait pas le droit... Mais Francine, qui, méconnue, venait de trop souffrir, voulut affirmer son autorité. Elle déclara, presque à voix basse, tant l’émotion la suffoquait :
- — Non, pas ici.
- Mme Le Hagre soupira :
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- — Alors, je l'embrasserai chez son père.
- Elle ajouta, sur le palier :
- — Car il réclamera la garde de l’enfant !
- II
- Francine ne voulut pas que sa mère l’accompagnât au Palais : la nervosité de Mme Favié réagissait sur elle. Me Herbelot était venu la prendre; l’ampleur et le luxe des salons l’impressionnant, sa considération s’accrut. Francine, qui le remarqua, revoyait dans un coin de l'étude de l’avoué l’humble femme en noir, et le gros homme, comme elle s’étonnait de passer toujours avant cette cliente sacrifiée, répondant : — C’est une cause d’assistance judiciaire (traduction : gratuite). Il souriait : « C’est mal porté, voyez-vous, et nous ne nous occupons de ces causes que quand nous ne pouvons faire autrement. » Elle n’avait pu retenir un : — Mais ce sont peut-être les plus pressantes ! Herbelot avait élargi son sourire et arrondi ses bras, pour signifier : — «Que voulez-vous? J’en ai tant vu... » Et ce n’était pas du tout un mauvais homme, mais la déformation du métier !...
- Le coupé, au roulement doux des roues caoutchoutées, filait le long des quais vers les lourds bâtiments noirs de la Conciergerie. Herbelot, appréciant ce bien-être, se sentait optimiste :
- — Je ne suis pas surpris de ce que vous me dites.
- Et prophétisant après coup :
- — J’avais toujours cru à la résistance de votre mari. J’entrevois sa tactique ; il est innocent et il vous aime ; vous êtes jalouse et montée contre lui, sous l’empire d’influences qui vous éloignent momentanément : mais vous lui reviendrez, pour peu qu’on vous en laisse le temps... Oui, ne vous étonnez pas s’il joue ce rôle devant le président; ce serait assez malin.
- — Il n’aura pas cette impudence!...
- — Eh ! chère madame, tout est de bonne guerre...
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- On sentait qu’il eût aussi bien « occupé » pour Le Hagre ; l’affaire, le duel des arguments l’intéressaient plus que les personnes.
- — Je n’admets pas cela ; il y a des moyens que je n’emploierai jamais.
- — Oui, vous êtes lo-ïale! dit l’avoué qui, par la façon dont il prononçait ce mot comiquement, semblait lui donner un sens différent de celui que Fusage lui assigne.
- On eût pu croire qu’il y glissait de la malice, sans la gravité convaincue avec laquelle son accent rendait hommage à une vertu qu’il n’avait guère rencontrée dans sa longue carrière.
- — Persuadez-vous bien, ma chère dame, que si la lo-ïauté est une belle chose en soi, il peut être néanmoins imprudent de la pousser à l’extrême ; loin d’être une force, elle deviendrait une faiblesse. Pensez-vous que votre mari se souciera de l’être, lo-ïal? Un divorce n’est pas un concours de lo-ïauté. Entre clients, avoués, avocats, c’est une joute : il faut forcer la conviction des juges. Que diable ! qui veut la fin, veut les moyens.
- Francine se redressa :
- — Il n’y a qu’une façon de faire triompher la vérité, c’est de la dire.
- — Hé ! hé ! fit Me Herbelot dont le gros ventre était agréablement bercé.
- Il la regarda avec bienveillance : vraiment, elle était très bien, tout à fait dans la note : robe sombre, discret chapeau noir ; sa beauté maigrie en ressortait davantage. Quel dommage que le président Lajambie ne fut plus de ce monde ; le prestige d’une jolie plaideuse était irrésistible sur lui...
- Il revint de cette distraction :
- — Hé ! hé ! mais, en matière de procès, savez-vous bien que j'en connais cinq ou six, de vérités : la vôtre qui n’est pas celle de votre mari, celle que poursuivra dans sa procédure mon confrère Me X... ou Y..., la
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- mienne, celle des avocats, des assesseurs, du substitut, et, ne l’oublions pas, celle du président, puisqu’en définitive c’est la seule qui compte ! La vérité, mais elle n’est pas une; elle est, comment dirai-je? à facettes... Tenez, votré cause, que vous êtes, hélas! à même de connaître, eh bien, je n’en ai si bon espoir que parce que je sais le parti que nous saurons en tirer : il va nous falloir la mettre en lumière, rassembler les faits, dégager leur physionomie, combiner les effets de plaidoirie, faire rendre, en un mot, tout ce qu’on peut donner... Votre cause, mais quand nous Taurons bien repétrie, quand elle aura pris sa « vraie » forme, vous-même, madame, ne la reconnaîtrez plus !
- Francine le regarda et put constater qu’il ne se moquait pas. Il parlait en brave homme selon sa profession, et, comme elle avait développé en lui une intelligence spéciale, il en raisonnait avec un humour blasé et une inconsciente sérénité. Pourquoi eût-il gaspillé sa sensibilité? Bon époux et bon père, il la laissait en réserve chez lui, afin de la retrouver fraîche chaque soir.
- — Si la vérité vous laisse si sceptique, dit Francine, ne parvenant pas à sourire, vous ne doutez pas de la justice? Il n’y en a qu’une, je l’espère.
- — Qu’une à la fois, très certainement, dit Herbelot, avec un grand sérieux. Sur le fond, celle des promiers juges; celle des juges d’appel, si l’on y recourt; sur la forme, celle de la Chambre des requêtes, puis de la Chambre civile, pour peu qu’on se pourvoie en cassation ; parfois celle d’une nouvelle Cour d’appel. Toutes ces justices se contredisent et l’une casse l’autre. Mais, en fin de compte, vous dites bien, il n'y en a qu’une, celle qui prend force de chose jugée et devant laquelle tout le monde s’incline, parce qu’il faut bien en finir. Voyez-vous, chère madame, rien n’égale, pour sa certitude et son évidence, un beau jugement ou un arrêt définitif.
- (^L suivre.)
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- ASSURANCES MUTUELLES
- Ôll
- Société du Familistère. - Assurances Mutuelles
- MOUVEMENT DU MOIS DE MARS 1905, A GUISE
- ASSURANCE CONTRE LA MALADIE
- Section des Hommes
- Cotisations des mutualistes... 2.958 45 i
- Subvention de la Société...... 1.096 88 v 4.465 13
- Malfaçons et Divers......... 409 80 \
- Dépenses.........,...................... 4.635 90
- Déficit en mars 1905.............. 170 77
- Section des Dames
- Cotisations des mutualistes........... 513 50
- Subvention de la Société.............. 256 75
- Divers................................. » »
- Dépenses........... .........................
- Boni en mars 1905.....................
- 770 25
- 595 75 174 50
- ASSURANCE DES PENSIONS
- Subvention de la Société et Divers 7.731 58 j Intérêts- des comptes courants et | 10.939 71
- du titre d’épargne............ 3.208 13 \
- DépGÜSGS *
- 128 Retraités définitifs........... 8.823 04 >
- 5 — provisoires............... 258 50 i
- Nécessaire à la subsistance........ 4.889 »\ 14.702 29
- Allocations auxfamill9 des réservistes » » i
- Divers, appointera., médecins, etc. 731 75/
- Déficit en mars 1905..................... 3.762 58
- CAISSE DE PHARMACIE
- Cotisations des mutualistes... 716 90 ( <
- Subvention de la Société...... 334 80 \
- Dépenses........................................................... 751 67
- Boni en mars 1905......................................... 300 03
- RÉSUMÉ
- Recettes sociales dil 1er juillet 1904 au 31 mars 1905 113.773 08 ) o/< eo
- » individuelles » » 39.068 60 *
- Dépenses » » ....... 189.962 97
- Excédent des dépenses sur les recettes.. 37.121 29
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- LE (DEVOIR
- ÉTAT CIVIL AU FAMILISTÈRE DE GUISE
- MOIS DE MARS 1905.
- Naissances :
- Néant.
- Décès :
- 3 mars : Mme Ribeau Eugène, âgée de 38 ans. 29 — Mme Degagny Eugène, âgée de 41 ans
- Le Gérant : H. E. Buridant.
- Nimes. — Typ. A. Chastanier, 12, rue Pradier.
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- DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES.
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- Septembre 1905.
- DOCUMENTS POUR UNE BIOGRAPHIE COMPLÈTE
- de J.-B. André GODIN (1)
- du Travailleur.
- Deuxième partie. XVII (Suite).
- Série des employés. 1er essai de répartitions mensuelles indicatives du mérite. Double vote : un sur bulletin collectif, un sur bulletin individuel.
- Résultats de Vessai complexe relatif à la répartition mensuelle pour janvier 1870.
- Un tableau dressé à l’époque par les soins de l’administration, fournit les éléments voulus pour comparaison entre les résultats des deux modes de consultation du suffrage examinés en ce chapitre. Voici l’en-tête de ce tableau :
- Janvier 1870.
- Récapitulation et moyenne des deux votes.
- Nos | Noms | Vote des groupes J Vote individuel | Totaux | Moyennes || | j des 2 votes |
- Les intéressés se présentent par ordre alphabétique ; en regard de chaque nom dans les 3e et 4e colonnes sont portées, en francs et centimes, les moyennes des allocations attribuées à chacun : 1° par le vote sur bulletin collectif ; 2° par le vote sur bulletin individuel. De
- (1) Appendice, p. 60, Le Devoir, tome 26e, janvier 1902.
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- 5Î4 LE DEVOIR
- ces allocations totalisées dans la 5me colonne, sont extraites les moyennes définitives, indiquées dans la 6me colonne.
- Grâce à ce tableau nous avons pu dresser 3 listes présentant les employés selon l’ordre numérique des moyennes d’allocations, celles-ci par leurs variations en francs et centimes n’offrant pas deux fois la même somme en ce qui concerne le mois de janvier ; et chacun des intéressés ayant obtenu des allocations de quelques-uns au moins des électeurs.
- La plus forte moyenne d’allocation dans les groupes d’après la nature des travaux est 27 fr. 22 ; la plus faible, 2 fr. 05. Dans les groupes constitués d’après le tirage au sort, la plus forte moyenne est 25 fr. 29; la plus faible est 1 fr. 10. La plus forte moyenne définitive est 26 fr. 15; la plus faible , 3 fr. 57.
- Afin de pouvoir donner quelques indications, intercalons ici la liste des employés d’après les appointements :
- Catégories Appointements mensuels. Nombre de titulaires : Rangs occupés :
- | re 300 fr., 400 fr., 515 fr 3 1 à 3
- 2e 250 fr 4 4 à 7
- 3e Plus de 450 fr. jusque et y compris 200 fr 8 8 à 15
- 4 e Plus de 100 fr. jusque et y compris 150 fr 28 16 à 43
- 5« Plus de 50 fr. jusque et y compris 100 fr 19 44 à 62
- 6e 50 fr. au maximum.. 4 63 à 66
- » Total 6ü
- Rapprochant de cette liste les deux tableaux de classement des 66 employés d’après la moyenne de prime votée à chacun d’eux :
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- DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES 515
- 1° Par le vote sur bulletin individuel;
- 2° Par le vote sur bulletin collectif, nous constatons de véritables anomalies.
- Exemple : Un des employés de la première catégorie est classé simultanément 8e par un des modes de suffrage et 58e par l’autre mode.
- Un autre de 3e catégorie est classé à la fois 2e par un mode et 60e par l’autre. Et ces exemples se répètent : Un employé de la 3e catégorie est classé 5e et 52e ; un (4e catégorie) 3e et 44e 9 etc.
- Nous pourrions citer 20 cas analogues, davantage même; 30 individus seulement sur les 66 restant à peu près au même rang dans les deux votes.
- L’employé le plus hautement appointé , un artiste dont ses collègues pour la plupart étaient — vu la spécialisation de leurs connaissances — incapables d’apprécier la valeur technique, est classé 56e par le vote sur bulletin individuel et 66e, le dernier de l’établissement (après même les apprentis), par le vote sur bulletin collectif.
- Si nous passons à l’état général d’après les moyennes fournies par les totaux des deux votes, nous trouvons en tête des employés de l’établissement deux titulaires appointés l’un 125 francs par mois , l’autre 66 fr. 65.
- Par contre les deux principaux employés d’après la liste des appointements sont relégués, l’un au 44e rang, l’autre (le plus appointé) au dernier rang.
- Outre les causes d’abstention déjà indiquées, des électeurs, probablement, jugeant les titulaires de forts appointements suffisamment rémunérés ne leur allouaient rien, sans peser davantage les conséquences de leur résolution.
- Tous ces abstentionnistes perdaient de vue le prih-
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- 516
- LE DEVOIR
- cipal objet de la tentative : obtenir du suffrage, si possible, d’utiles indications quant à « l’équitable rémunération des services de chacun et à la proportionnalité des appointements à la capacité de l’employé » selon la formule imprimée en tête des bulletins dans les deux systèmes de vote. Le zéro ou l’abstention n’avait, en cas pareil, qu’une signification : inutilité du fonctionnaire.
- Certes, plus d’un électeur — qui, en pratiquant l’abstention avait concouru à classer, en dernier rang, après les apprentis ou les garçons de bureaux, tel employé de capacité notoire — eût protesté contre l’interprétation de son vote dans le sens ci-dessus indiqué ; il n’est pas moins vrai que le suffrage consulté n’avait point fourni de jugement en accord avec le but poursuivi.
- Il était à prévoir, du reste, que tous les électeurs n’embrasseraient pas d’emblée les divers aspects du problème, ni les diverses conséquences possibles des votes ; en toutes choses il faut passer par un apprentissage.
- L’expérience était donc à renouveler. Elle se répéta et dans des conditions moins complexes, le vote sur bulletin collectif demeurant seul en vigueur pour les répartitions relatives aux quatre mois suivants: février, mars, avril et mai.
- On sait que le principal auteur du système (G, chap. XV) (1) avait demandé une expérience de plusieurs mois pour obtenir de bons fruits.
- Quant au vote sur bulletins individuels entre employés groupés d’après la nature des travaux, écarté après l’essai relatif à janvier, il sera repris en 1872 dans des conditions différentes, sous quelques rapports, de celles du premier essai. Spécialement, il ne s’opérera plus à découvert.
- (1) Le Devoir, mars 1905, p . 137.
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- Nous verrons en son temps cette nouvelle et très instructive expérimentation du système.
- XVIII
- Série des employés. — 2e essai de répartitions mensuelles indicatives du mérite — Vote sur bulletin
- collectif seulement, relatif à février 1870.
- L’essai du vote sur bulletin collectif se répéta sans modification de plan.
- Le même bulletin (fac-similé chap. XVIIe) (1) fut donc distribué aux groupes pour l’inscription des votes.
- Soixante-douze employés furent appelés à la répartition mensuelle relative à février. 70 d’entre eux se répartirent par la voie du tirage au sort en 10 groupes de chacun 7 membres. L’un des deux qui s’abstinrent du vote était l’artiste si complètement méconnu dans le premier essai. Il cessa définitivement de prendre part aux votes qui se succédèrent. Aucun motif ne jaillit des faits pour expliquer l’autre abstention.
- La somme à répartir était de 909 francs. Voici l’état des 10 bulletins de vote au point de vue du remplissage des colonnes et de l’emplacement des signatures :
- Groupe N° 1. —Les 7 colonnes pour inscription des votes des sept membres du groupe sont toutes remplies, plus celles : Totaux, moyennes. Aucune rectification. Les votes répartissent d’emblée 909 francs.
- Signatures en masse et non en direction des colonnes affectées à chacun des sept membres.
- Groupe ne 2.— Même état que le précédent, sauf que le bulletin porte seulement 3 signatures au lieu de 7. Deux de ces signatures sont données en bas de colonnes, mais comme par accident, les colonnes n’étant pas cel-
- (1 ) Le Devoir, juin 1905, p, 323.
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- les assignées aux deux membres par Tordre du tirage au sort.
- Groupe n° 3. — Un des membres du groupe est dit absent et par conséquent une des colonnes affectées aux votes demeure en blanc sur le bulletin : A noter que l’absent eût dû disposer de la 2e colonne et que c’est la 6e qui est laissée vide du chef de l’absence. Toutes les autres colonnes, y compris celle : rectifications , sont remplies.
- Les signatures des 6 votants sont données au dos du bulletin. Aucun vote n’est ainsi attesté par son auteur.
- Groupe n° 4. — Toutes les colonnes sont remplies, mais aucune signature n’est donnée.
- Groupe n° 5. — Toutes colonnes remplies, 6 signatures (au lieu de 7) au dos du bulletin.
- Groupe n° 6. — Les sept colonnes affectées aux votes sont remplies, plus celles : Totaux, moyenne. Les 7 signatures sont données en masse, hors des colonnes affectées à chacun des sept électeurs.
- Groupe n° 7. — Même état que le précédent.
- Groupe n0 8. — Les 7 colonnes de votes sont remplies, plus celles: Totaux, Répartition. Aucune signature n’est donnée.
- Groupe n° 9. — Toutes les colonnes sont remplies et pour la première fois , apparaissent des signatures cer-tifîcatives de votes : 6 membres sur 7 ont signé explicitement en bas de la colonne désignée à chacun d’eux par l’ordre du tirage au sort.
- Groupe n° 10. — Toutes les colonnes sont remplies ; aucune signature n’est donnée.
- En résumé les bulletins de vote collectif relatif au 2e essai ne nous offrent pas encore assez de votes certifiés pour nous permettre autre chose que la recherche du résultat général. Cependant il y a progrès, puisqu’un
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- bulletin (un seul mais c'est un commencement) offre les signatures des membres du groupe régulièrement apposées chacune au bas de la colonne où sont inscrites les allocations votées par le signataire.
- Poursuivons :
- 72 employés étaient inscrits sur les bulletins de vote.
- Dans chacun des groupes on commençait par biffer les noms des 7 membres du groupe. Restaient donc 65 noms soumis au suffrage de 7 personnes, soit 65 x 7 = 455 votes à émettre dans chacun des 10 groupes — au total 4.550.
- Du dépouillement des dix bulletins, nous extrayons les chiffres généraux suivants :
- Votes de quotités inférieures à 20 francs (partant
- généralement de 5 francs)..................... 1.803
- Votes de quotités allant de 20 francs à 50
- francs...............'........................ 1.364
- Votes de quotités dépassant 50 francs et allant
- jusqu’à 150 francs............................ 62
- Abstentions ou zéros........................ 1.321
- Total conforme....... 4.550
- On n’avait pas dépassé, au 1er essai (chap. XVII) (1), le chiffre de 75 francs d’allocations, ce qui eût représenté 750 francs d’appointements mensuels , taux inconnu alors dans l’établissement. Au 2e essai certaines allocations s’élèvent jusqu’à 150 francs, ce qui eût représenté 1.500 francs d’appointements par mois! Il va sans dire que ceux qui votaient de telles allocations ou n’en faisaient pas le rapprochement avec le chiffre d’appointements représentés par elles , ou passaient outre sachant bien que la moyenne finale serait tout
- (1) Le pevoir, juillet 1905, p. 389,
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- autre et que de tels votes n’avaient chance que de grossir un peu le chiffre de la répartition mensuelle.
- Mais les attributions de parts si disproportionnées entraînaient, nous l’avons vu dans le 1er essai, des abstentions correspondantes. Aussi voyons-nous celles-ci dépasser le nombre de 1.300 au 2e essai ; elles avaient atteint approximativement 600 au 1er. Ce n’est plus comme précédemment 1 employé sur 6 qui subit le contre-coup des votes exagérés au profit de quelques-uns, c’est un employé sur 4 ; le chiffre 1 300 étant grosso modo le quart du total des avis exprimés : 4.550.
- La marche devant s’accentuer dans cette voie, nous croyons instructif de décomposer, comme suit, les 1.426 allocations (1.364 -f- 62) allant de 20 francs à 150 francs.
- Nombre des allocations : Appointements mensuels :
- 806 de 20 fr. à 25fr. représentant.... ^00 à %50 fr.
- 233 au-delà de 25 fr. jusqu’à 30 fr...... 251 à 300 fr.
- 204 » de 30 fr. » 40 fr... .. 301 à 400 fr.
- 121 » de 40 fr. » 50 fr... .. 401 à 500 fr.
- 51 » de 50 fr. » 85 fr... .. 501 à 850 fr.
- 11 de lOOfr. » 150 fr... .. 1.000 à 1 .500 fr.
- 1.426
- L’absence ou l’imprécision des signatures sur les bulletins empêche des recherches plus approfondies ; bornons-nous à indiquer que les 11 votes de quotités représentatives les plus exagérées, celles de 1.000 et 1.500 francs d’appointements, s’éparpillent sur neuf employés ; deux électeurs seulement se rencontrant deux à deux pour désigner un même bénéficiaire. Ainsi que précédemment ces employés favorisés par les uns furent ou petitement servis ou tout à fait écartés par nombre d’autres.
- Voici le compte des zéros qu’ils obtinrent :
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- à RE, le bénéficiaire du vote de 150 francs, zéro par 13 collègues.
- à CA, le bénéficiaire des deux votes de 130 et 120 francs, zéros par 29 collègues.
- à H, le bénéficiaire des deux votes de 110 et 100 francs, zéro par 16 collègues.
- à PA, DE, TA, GA, G. V, les six autres bénéficiaires de chacun une allocation de 100 francs, zéro par 8, 14, 20, 21, 26, 39 électeurs.
- Sur l’état général des employés d’après les votes du 2e essai, les 9 bénéficiaires des onze plus fortes allocations se classent comme l’indique le tableau suivant. Nous avons porté à la suite du rang des bénéficiaires la moyenne finale d’allocation mensuelle résultant des votes , le chiffre des salaires ou appointements touchés en février par chacun d’eux, l’augmentation ou la diminution de traitement qui eut résulté de l’ensemble des votes.
- Désignation des bénéficiai- res N° d’ordre dans le classement général Moyenne finale d'allocation Appointements touchés en février Augmentation qui eût résulté du vote Dp~fnufion (jni eût résulté du vote
- RE 3e 20 f. 54 171 f. 05 34 f. 35 » »
- CA 17e 16 81 125 » 43 10 » »
- 11 30e 13 33 200 » 66 f. 70
- PA 13e 17 40 90 » 84 ' » )) ))
- DE 18e 16 27 150 )) 12 70 » »
- TA 29e 13 46 166 65 32 05
- GA 48e 10 52 115 » 9 80
- G 50e 10 13 300 » 198 70
- V 54e 8 74 127 90 40 50
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- LE DEVOIR
- Donc, si l’on eût modifié les appointements d’après les votes du 2e essai, quatre des neuf employés avantagés entre tous par un ou deux collègues, eussent vu augmenter leurs appointements, les cinq autres les eussent vu diminuer.
- L’employé spécialiste déjà si difficilement apprécié au 1er essai de vote (1) n’obtint cette fois, absolument rien.
- Les 1.426 allocations mensuelles dépassant 20 francs s’éparpillaient tellement sur le nombre des intéressés, et étaient si bien balancées par des votes contraires que 4 employés seulement sur 72 se virent adjuger à la répartition finale une part dépassant 20 francs.
- La plus forte moyenne d’allocation fut ce mois-là 22 fr. 94 ; la plus faible 2 fr. 27.
- De pareils résultats n’étaient-ils pas propres à démontrer aux électeurs l’inutilité des allocations exagérées et à les amener à comprendre qu’une mesure attentive en pareille matière était indispensable au bien général.
- Les moyennes finales de répartition résultant des votes du 2e essai fournissent, au point de vue du classement des intéressés, les données qui vont suivre. Plusieurs cas d’égalité dans ces moyennes font que les 72 intéressés se trouvent occuper 68 rangs.
- Les 3 employés les plus hautement rétribués de l’établissement occupent les 30e, 50e et 68e rangs.
- Un seul d’entre eux est donc classé dans la première moitié de l’ensemble.
- Les 20 premiers rangs sont occupés par ;
- (1) Ci-dessus, p. 515,
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- 1 employé de 2e catégorie classé 1er.
- 2 — 3e — classés 3% 19e.
- 13 — 4e — — 2,e4,e6,e 8eà 12e, 14eà 18e»
- 4 - 5e — — 5% 7e, 13e, 20e.
- Si nous allons à l’autre extrémité du tableau nous trouvons les 20 derniers rangs occupés par :
- 4 employés de 6e catégorie classés : 53e, 59*, 63e, 65e.
- 8 — 5e — — 51e,52e, 55eà 58e,62e,64e
- 2 — 4e — — 54e, 61e.
- 1 — 3e — — 62e.
- 3 — 2e — — 60e, 66e, 67e.
- 2 — 1er — 50e, 68e.
- Les résultats du vote étaient tels que nul n’aurait pu songer à les traduire en essai d’application quelconque. Ils avaient été un moyen de distribuer une certaine somme, voilà tout. Cependant on avait espéré autre chose de la tentative ; chacun le savait. L’enseignement des faits porterait-il fruits? Il fallait voir. On poursuivit donc l’expérience.
- '(A suivre).
- Vve J.-B.-A. Godin, née Moret.
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- LE DEVOIR
- LA COOPÉRATION
- Le Congrès de Paisley.
- Le 37e Congrès de l’Union coopérative de Grande-Bretagne et d’Irlande a eu lieu à Paisley (Ecosse).
- Il était présidé par M. Maxwell, président de la Wholesale Ecossaise. Le discours d’ouverture a été prononcé par le docteur Hans Muller , de Bâle , Suisse. La coopération anglaise rompt ainsi avec une vieille tradition. C’est la première fois, en effet, qu’un étranger est appelé à prononcer le discours d’ouverture. M. Maxwell voit dans ce choix, avec la preuve que pour les coopérateurs il n’y a pas de frontières, le prodrome de l’avènement de la coopération internationale.
- Celle-ci était représentée au Congrès par MM. Hœgs-bro, ministre coopérateur du Danemark, Nast, délégué du Comité central de l’Union coopérative française, Mauss, délégué de la Bourse socialiste de Paris, Scher-ling, directeur du magasin de gros allemand, Smidt-chen, de l’Union coopérative allemande, Goodhart, de la Haye (Hollande), Jacques Aebli, de Zurich (Suisse), Lévêque, de Bruxelles, qui ont successivement pris la parole et fourni des renseignements sur la situation et les tendances de la coopération dans leurs pays et dans leurs groupements respectifs.
- Quant à la coopération anglaise, sa prospérité est mise en évidence par les chiffres suivants, extraits du rapport du Comité central :
- Nombre des sociétés, en 1903,— 1,701; en 1904, — 1,637.
- Nombre des membres, en 1903,— 2,116,127; en 1904, - 2,205,942.
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- LA COOPERATION
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- 753,
- Actions, en 1903, — 675,431,950; en 1904, — 209,650.
- Ventes, en 1903,— 2,330,405,600; en 1904,— 2, 297,104,958.
- Bonis, en 1903,— 246,958,625; en 1904,— 257, 567,450.
- 44 Sociétés agricoles, laiteries et fermes figuraient dans les 1,701 sociétés de 1903; elles ne figurent plus dans celles de 1904.
- Sociétés adhérentes à la Wholesale anglaise, en 1904, — 1,150; actions, 29,917,575; ventes, 495,229,900; bonis, 9,651,850.
- Sociétés adhérentes à la Wholesale écossaise , 279 ; actions, 8,182,025; ventes, 170,031,790; bonis, 6,422,750.
- Les affaires industrielles des deux Wholesales s'élèvent à 134,189,525 francs.
- On compte 93 sociétés agricoles avec 7,480 membres qui font 4,456,825 francs d’affaires.
- Les fermes coopératives des Wholesales possèdent 3,219 hectares environ, avec un capital de 4,214,525 francs.
- La presse coopérative est représentée par le Cooperative News (hebdomadaire), tiré à 69,143 exemplaires ; le Wheatseaf (mensuel), 280,000 ; le Scottish Gooperator (hebdomadaire), 25,000 ; le Labour Copartnership, 5,000. Il y a encore 38 journaux coopératifs qui tirent entre 625 et 15,000 numéros.
- Par les soins du Comité de l’Education, 350 diplômes ont été délivrés après des examens sur la coopération, l’histoire industriëlle, les devoirs du citoyen et la tenue des livres. Plusieurs ouvrages ont été publiés dans le but de préparer de bons gérants pour les sociétés.
- De nombreuses conférences ont été faites. Il y a eu 315 demandes pour l’envoi de la lanterne à projections; 23,805 vues ont servi pendant l’année.
- Le Comité d’Education a disposé en 1904, pour le développement de l’éducation coopérative , de 2,037,975 francs.
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- LE DEVOIR
- Trois importantes questions ont été discutées :
- La coopération peut-elle résoudre la question sociale ?
- Le monopole de la terre et sa valeur.
- Représentation directe des coopérateurs au Parlement.
- Nous résumerons la discussion d’après l’excellent compte-rendu du Congrès publié dans Y Emancipation, par M. de Boyve.
- Le rapporteur, sur la première question, M. Bissett, développe cette idée que le mal principal dont souffrent les ouvriers c’est le chômage. Le remède est dans le remplacement de l’anarchique industrie privée par la production coopérative.
- Que faut-il pour cela? des capacités et des capitaux.
- La supériorité intellectuelle des travailleurs d’aujourd’hui et leur désir de s’instruire ne sont pas contestables. Les trades unions, la mutualité, la coopération distributive et productive, les industries en participation, sont pour eux d’excellentes écoles : ils y apprennent à devenir de bons directeurs, de bons administrateurs ; en même temps qu’ils y trouvent un incessant encouragement à perfectionner leur travail, ils y acquièrent l’instruction nécessaire pour aborder la tribune et contribuer aux mesures utiles à l’intérêt général.
- En résumé, les travailleurs sous le régime de ces différents systèmes, montrent leur aptitude à la direction des plus grandes entreprises.
- Voilà pour le bilan des capacités. Passons au bilan des ressources financières.
- Les coopérateurs ont un commerce qui s’élève à 2 milliards, 300 millions de francs par an et ses bonis sont de 250 millions.
- Les trades unions et les sociétés de secours mutuels possèdent 750 millions de réserves. Les premiers ont un revenu annuel de 300 millions, celui des sociétés de secours mutuels s’élève à 175 millions. Les revenus d’autres associations , sociétés de construction, etc., peuvent être évalués par millions.
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- LA COOPERATION 527
- Il y a 1.375.000 000 francs déposés dans les caisses d’épargne et, dans les caisses postales, on peut compter 4.675 millions. Ces sommes appartiennent à de petits déposants.
- Le total des capitaux appartenant aux travailleurs dépasse 7 milliards et demi et atteint peut-être une dizaine de milliards. A quoi servent ces énormes capitaux ? à alimenter les industries, les entreprises compétitives, lesquelles dirigées par les capitalistes hostiles à l’organisation des travailleurs, luttent contre les industries coopératives.
- Sans doute, à l’heure présente, la totalité de cet argent ne pourrait pas être utilisée dans l’industrie coopérative ; mais le surplus trouverait un placement avantageux dans de grandes compagnies de chemins de fer ou des compagnies maritimes dont les coopérateurs deviendraient les directeurs.
- Ainsi, la propriété et la direction du travail passeraient entre les mains des travailleurs unis. Conclusion : bien dirigée, la coopération peut résoudre le problème économique et social.
- Telles sont en raccourci les considérations présentées par M. Bissett.
- Elles donnèrent lieu à une discussion prolongée. La thèse du rapporteur fut naturellement combattue par ceux qui ne prêtant à la coopération qu’un rôle limité, n’attendent la réorganisation industrielle définitive que de l’intervention des pouvoirs sociaux.
- Ne semble-t-il pas que la conclusion de ce débat devait être, soit une répudiation de la doctrine socialiste, soit une proclamation d’impuissance de la coopération à résoudre le problème social? En France, les choses se fussent peut-être bien passées de la sorte, au moins d’un certain côté, où l’on n’eût pas manqué de donner une forme solennelle au verdict sans appel.
- Les Anglais sont plus réfléchis, et les coopérateurs, en particulier, plus réfractaires aux généralisations hâtives, pèsent longtemps le pour et le contre.
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- M. de Boyve en cite dans VEmancipation un exemple qui lui est personnel. « J’étais allé, dit-il, présenter, en 1885, au Congrès de Plymouth, au nom de notre comité central, un projet d’alliance coopérative internationale; ce projet fut très applaudi. Je croyais l’affaire faite et je demandai que l’on procédât au vote.
- « Le secrétaire général, Yansittart Neale, avec lequel j’avais d’étroites relations, me dit : Nous ne prenons pas des décisions avec cette rapidité ; votre proposition a été accueillie favorablement ; elle va maintenant être envoyée à l’étude de nos différentes sections coopératives et, si les avis sont favorables, la question reviendra au prochain Congrès , dans un an ! »
- Que nous voici loin du jeu puéril des votes de surprise et des triomphes anodins qu’ils procurent à ceux qui s’y livrent, depuis que l’enlèvement d’un vote a remplacé dans la stratégie des révolutionnaires assagis l’enlèvement des personnes composant le bureau dans une salle de réunion !
- Revenons au débat engagé sur le rapport de M. Bissett.
- Comme conclusion de ce rapport, M. Bissett avait proposé le voeu suivant :
- « Le Congrès , exprimant sa satisfaction pour les beaux résultats obtenus par la banque des Wholesales, est d’avis qu’il serait urgent de développer largement ses opérations. Dans ces conditions, le Congrès invite le Comité central à étudier cette question et à indiquer, dans un rapport prochain, la voie à suivre pour que le mouvement coopératif profite de tous les avantages que peut donner cette branche de ses affaires. »
- On ne saurait contester le caractère pratique de ce vœu. Et si Ton veut bien se rappeler que M. Bissett a voulu démontrer la possibilité de la solution du problème social par le sage emploi des capitaux accumulés de l’épargne ouvrière et de la coopération, on ne sera pas tenté de le taxer d’inconséquence.
- La résolution proposée a recueilli l’unanimité des suffrages, car s'il en est parmi les coopérateurs anglais
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- qui diffèrent d’avis avec leurs camarades sur la longueur de rétape que doit fournir la coopération, dans sa marche vers l’organisation du travail, tous sont d’accord sur la nécessité de concentrer leurs forces , de réunir leurs capitaux, pour s’assurer les plus grandes chances d’émancipation.
- Sur la seconde question, le rapporteur, M. Knight, de Londres, dit que la possession de la terre, telle qu’elle existe, est une grande injustice. La terre est la propriété de quelques-uns qui récoltent ce qu’ils n’ont pas semé. De vastes terrains sans constructions servent à des chasses et paient des droits insignifiants. Ces terrains pourraient servir plus utilement pour la construction de logements pour les paysans et les petits propriétaires.
- La nationalisation du sol ne lui paraissant pas réalisable actuellement, le rapporteur propose le vote suivant :
- Le Congrès se déclare partisan du payement des droits sur tout terrain (avec ou sans constructions) proportionnellement à son prix de vente.
- Il signale au Parlement la nécessité de promulguer une loi à cet effet, avec la conviction qu’une telle taxe est équitable. Elle sera un acte de justice pour l’ensemble des citoyens.
- a) Elle permettra d’utiliser la terre d’une manière plus pratique et hâtera la solution de la question des logements des travailleurs.
- b) Elle facilitera la construction dans les villes de logements sains.
- c) Elle résoudra en partie la question des sans-travail en les ramenant aux travaux des champs.
- d) Elle permettra de réduire et d’utiliser les taxes locales.
- Dans le vote à une forte majorité de ce vœu, qui ramène à une minuscule question de taxe le grand problème du monopole de la terre, on retrouve quel-
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- que chose de l’insurmontable répugnance du coopérateur anglais à prendre une décision sur les sujets qui lui paraissent comporter une lointaine échéance. Quelques orateurs même, tout en approuvant la taxe proposée, ont fait des réserves sur le caractère politique du vœu pour la sanction duquel l’intervention du législateur est indispensable.
- Le troisième sujet à l’ordre du jour, celui concernant la représentation directe de la coopération au Parlement, a soulevé une longue discussion.
- Le rapporteur, M. Tweddell, de Hartlepool, est un partisan résolu de cette représéntation. La politique, dit-il, joue un trop grand rôle dans l’existence des nations pour que la coopération la néglige. De son côté, la coopération est une des premières forces du mouvement social qui tend à l’amélioration des masses. Il lui incombe de défendre au Parlement les droits des consommateurs, c’est-à-dire de la grande masse de la population. Les 2,205,942 coopérateurs , avec leurs familles, ne représentent-ils pas le 1/5 de la population?
- D’ailleurs, tout en prétendant exclure la politique du mouvement coopératif, celui-ci n’a-t-il pas fait, de temps à autre, un saut dans la politique quand ses intérêts étaient menacés.
- Tout dernièrement, plusieurs réunions ont été tenues en vue de la question de l’impôt sur les sucres. Ces réunions étaient politiques au premier chef, dit M. Tweddell, elles ont attaqué le Gouvernement avec la dernière vigueur ; elles ont condamné avec une violence rarement entendue dans les réunions publiques, la convention sucrière et la taxe sur les sucres.
- La question terrienne, qui est à la base de toute réforme, la question fiscale, la question de l’éducation et une quantité de questions moins importantes ont attiré notre attention et nous ont obligés à aborder la politique.
- Mais, pour le rapporteur, la preuve la plus convain-
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- cante de l’obligation pour la Coopération de suivre cette voie, est qu’elle a nommé une Commission parlementaire dans le seul but de suivre la politique courante, d’étudier tous les projets présentés à la Chambre, afin de les appuyer ou de les combattre selon qu’ils sont favorables ou défavorables aux intérêts de la Coopération.
- Grâce à cette commission, beaucoup de choses utiles ont été faites.
- M. Tweddell rappelle qu’il y a huit ans, le Congrès de Perth avait voté une résolution portant que le moment était venu pour le mouvement coopératif d’être représenté d’une manière directe au Parlement et dans les autres Conseils du Royaume-Uni. L’union coopérative était invitée avec les Wholesales à s’orienter dans cette voie.
- Cette question, étudiée par un comité de douze membres (les trois institutions ayant nommé chacune quatre représentants), vint au congrès suivant de Peterborough et après une discussion très mouvementée fut ajournée.
- A Liverpool, il y eut un nouvel ajournement, et, ni à Cardiff ni dans les congrès suivants, elle ne figura à l’ordre du jour. N
- Le moment est venu de prendre une résolution bien précise et d’aborder les problèmes sociaux et politiques de la solution desquels dépend si largement le bonheur des peuples.
- La coopération, dit le rapporteur, représente la plus grande puissance de l’Etat, celle du consommateur. On ne peut donc déclarer qu’une institution comme la nôtre '"doit se désintéresser des intérêts politiques.
- Il ne faut pas oublier que parmi nous se trouvent deux millions de citoyens, les plus sages, les plus économes et les plus instruits parmi les travailleurs de ce royaume, bien organisés, possesseurs d’un immense capital, n’étant pas seulement des salariés, mais aussi des capitalistes et des patrons, mais inspirés par des vues sociales grandes et définies.
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- Il y a lieu d’introduire dans la machine parlementaire de nouveaux éléments, de lui faire connaître les méthodes commerciales et industrielles qui ont créé et soutenu des mouvements comme le nôtre.
- Une autre considération est que les intérêts de la coopération exigent une étude constante des projets de loi présentés au Parlement, afin de s’opposer à ceux qui peuvent être nuisibles à notre mouvement. Si nous avions des représentants au Parlement, ils seraient tout désignés pour empêcher tout acte hostile à la coopération. Notre comité parlementaire a été sans force parce qu’il n’a pas eu dans le Parlement une voix qui pût se faire entendre directement.
- 11 nous est indispensable aussi d’être représentés par nos membres, de manière qu’ils puissent répondre à toutes les attaques qui deviendront de plus en plus violentes à mesure que nous froisserons davantage les intérêts du commerce et de l’industrie.
- Le rapporteur n’a pas l’illusion de croire que les coopérateurs puissent continuer à absorber peu à peu et par millions les masses populaires, en leur inculquant leurs principes, en leur communiquant leur foi et en leur inspirant leur idéal, sans se mettre en conflit avec ceux dont les intérêts sont contraires.
- Les lois reflètent les sentiments de ceux qui les votent. Un Parlement composé de propriétaires terriens fera des lois conformes aux intérêts des propriétaires; s’il est composé de capitalistes, il fera des lois conformes aux intérêts du capital; s’il est composé d’industriels, des lois conformes aux intérêts des industriels, pendant que les coopérateurs n’auront personne pour défendre les nôtres.
- M. Tweddell conseille aux coopérateurs de laisser de côté les deux partis historiques qui ont négligé les intérêts du travail, et de se rallier au nouveau parti qui se forme sous l’inspiration du comité parlementaire du Travail (Labour Représentation).
- Finalement, il propose cette conclusion :
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- LA COOPERATION
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- « Ce Congrès est d’avis qu’il est devenu urgent pour le mouvement coopératif de prendre une part active dans la direction du gouvernement au point de vue législatif et administratif.
- « Qu’en conséquence ce Congrès juge qu’il y a lieu pour les coopérateurs de s’unir au Comité législatif du groupe du travail (Labour représentative Committee) de manière à former un parti puissant de progrès et de réformes — et invite le Comité parlementaire coopératif à agir conformément à cette résolution. »
- La première partie du vœu est adoptée par 654 voix contre 271.
- La seconde donne lieu à un vif débat.
- M. Tetley fait remarquer que parmi les 50 candidats du Labour party préparés à se présenter aux électeurs, il y en avait bien peu qui aient jamais pris part aux travaux coopératifs. Il faut aux coopérateurs des hommes élevés dans la coopération et préparés à défendre ses principes.
- Fidèle à sa vieille doctrine de neutralité, le Congrès, par 801 voix contre 135 voix données à la proposition de se rallier au Labour party, adopte l’amendement Tetley ainsi conçu :
- « Dans l’opinion du Congrès, il n’est pas désirable que le mouvement s’allie d’une manière étroite à aucun parti politique; il désapprouve le second vœu qui recommande aux coopérateurs pour la représentation au Parlement d’unir leurs forces avec celles du Comité parlementaire du travail. »
- Nous plaçons ici la partie du discours d’ouverture, où le docteur Hans Muller décrit le mécanisme de la transformation sociale opérée par révolution naturelle des sociétés de consommation, parce qu’elle nous paraît la conclusion logique, d’un débat marqué par le vote de résolutions nettement et exclusivement coopératives.
- L’actif secrétaire-général de l’Union Suisse des sociétés de consommation, l’éminent propagandiste de ce mouvement coopératif qui pourrait ajuste titre arborer
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- LE DEVOIR
- la fière devise du réveil italien ; fara da se, s’exprime ainsi :
- « Il y a dans le monde une force plus grande que celle du tout puissant capital ; celle des consommateurs unis coopérativement.
- « Si les deux- millions de consommateurs fédérés et leurs familles cessaient d’user de leur pouvoir d’achats dans les sociétés coopératives, la ruine s’en suivrait, cela prouve que le pouvoir d’achats des membres des sociétés coopératives est comme le sang qui circule dans les veines du corps humain. On peut ajouter que toute l’organisation coopérative repose non sur le capital, mais sur la fidélité des membres qui adhèrent au mouvement coopératif.
- «Sansdoute, » ajoute-t-il, «l’ensemble des maisons de commerce et des industries capitalistes dépendent aussi du pouvoir d’achats des masses. Tout consommateur qui se rend régulièrement dans un magasin représente pour le vendeur un capital sur lequel il touche un? intérêt sous forme de profit. Le vrai producteur du profit, c’est le consommateur qui le procure par les denrées qu’il achète ; il est donc le créateur et le rénovateur du capital. La conclusion logique que l’on peut en tirer est que le système capitaliste et compétitif actuel dans le commerce et dans l’industrie disparaît si on lui enlève le profit donné par le consommateur.
- « Si celui-ci est placé dans une situation qui lui permet de dire aux commerçants et aux industriels : « Je n’ai plus besoin de vous, je puis me procurer ces denrées autrement que par vous », ce jour-là le règne du capital sur le travail aura pris fin. Les capitalistes et les grands propriétaires finiraient par disparaître, à moins qu’ils ne fussent disposés à travailler avec leurs concitoyens pour gagner équitablement leur vie (applaudissements).
- «Chaque société coopérative est un argument puissant qui renverse l’opinion de ceux qui croient que les masses ne sauraient se rendre indépendantes des classes
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- LA COOPÉRATION
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- possédant les instruments de travail, {applaudissements). Un seul consommateur ne peut éviter de servir le capital, mais des consommateurs fédérés peuvent s’adresser aux sociétés distributives et celles-ci réunies peuvent posséder leurs Wholesales, créer des manufactures et des filatures, faire pousser leurs blés, récolter leur thé, élever leurs bestiaux, extraire leurs charbons, construire leurs maisons et leurs vaisseaux, imprimer leurs livres et leurs journaux, en un mot, faire le nécessaire pour se suffire à elles-mêmes. L’organisation des intérêts des consommateurs peut être assimilée à un pays dont les ressources sont inépuisables {applaudissements). En procédant ainsi pas à pas, les consommateurs sont de plus en plus émancipés du capital ; ils jouissent d’une manière progressive des fruits de leur travail et empêchent les classes privilégiées d’accaparer la plus grosse part du travail qu’elles n’ont pas produit.
- « L’élimination du profit, dans les transactions économiques, c’est l’émancipation du travail et le relèvement social des travailleurs {applaudissements).
- « L’industrie cherche à répondre aux besoins des consommateurs et si, elle produit plus qu’il n’est nécessaire, elle ne contribue pas au bien-être des travailleurs. C’est seulement en ne fabriquant que ce qui est réclamé par la consommation de leurs adhérents, ainsi que l’entendent les coopérateurs, que le système social nouveau reposera sur des bases solides, car alors le peuple tout entier, et non pas les seuls capitalistes , utilisera le travail, réglera la production et distribuera les produits.
- « La coopération peut justement réclamer l’honneur d’être le facteur désigné pour faire disparaître le mal social de la manière la plus efficace (»applaudissements)i. »
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- LE DEVOIR
- FAITS POLITIQUES ET SOCIAUX
- BELGIQUE
- La législation internationale de la mutualité
- A la suite d’une conférence faite, à Liège, par M. Léopold Mabilleau, sur la mutualité française, M. Mille-rand, qui présidait, a prononcé une allocution dont voici Pun des principaux passages :
- « Préparer une entente internationale sur la statistique de la mutualité ; examiner les conditions et les modes de la réassurance dans les divers pays ; aborder le problème si captivant et si difficile de la mutualisation internationale, c’est-à-dire du libre-échange mutualiste qui ferait de tous les mutualistes du monde autant d’adhérents éventuels, acceptés d’avance par toutes les mutualités, sans acception de régime ni de nationalité, sur leur seule qualité de mutualiste : qu'est-ce donc, sinon travailler à agrandir la mutualité jusqu’aux proportions de la solidarité humaine ! »
- Ces quelques paroles renferment la plus grande et la plus importante partie du programme du congrès international de la mutualité qui s’est tenu à Liège dans la première semaine d’août.
- Les sujets en discussion étaient les suivants :
- 1° Entente internationale sur la statistique de la mutualité ;
- 2»> Organisation ou suppression du service médical ;
- 3° Mutations internationales ;
- 4» Réassurance dans les divers pays ;
- 5° Mutualité scolaire, familiale, maternelle ;
- 6° Création d’un bureau international permanent d’études mutualistes et des congrès de la mutualité.
- La question de la mutation internationale a été intro-
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- FAITS POLITIQUES ET SOCIAUX 537
- duite en assemblée générale par M. Tumelaire, président de l’Union des fédérations mutualistes neutres de Belgique.
- Il y a trois systèmes pour permettre à un mutualiste qui change de domicile de ne pas perdre les droits aux secours que lui confèrent les cotisations payées peut-être pendant de longues années.
- Le premier système consiste en ceci : le mutualiste entrera purement et simplement dans la société de son nouveau domicile, sans nouveau stage et sans nouveau droit d’entrée ; il sera reçu dans cette nouvelle société à titre de réciprocité pour ceux des sociétaires qui se trouveront dans le même cas.
- La prise en subsistance que représente le deuxième système, est une entente entre deux sociétés celle que quitte le mutualiste et celle dans laquelle il se présente. Celle-ci sans admettre le mutualiste comme un de ses membres, accepte de percevoir ses cotisations, dont elle transmet le montant à la première société, et de lui procurer les secours auxquels il a droit et dont elle se fait rembourser le montant.
- Par le troisième système, préconisé par les actuaires, la société que quitte le mutualiste paye à la société dans laquelle il entre, la réserve mathématique opérée sur les cotisations payées par le mutualiste.
- Ce dernier système a été vivement combattu par le rapporteur, qui lui a reproché de ne pas tenir compte de la pratique, la valeur des secours médicaux et pharmaceutiques étant difficilement appréciable par des chiffres ; à quoi il a été répondu que le système reposait, non pas sur des calculs purement théoriques, mais sur des renseignements fournis par les mutualistes eux-mêmes. Comme terrain d’entente, le secrétaire général, M. Ver Hoes, chef de division au ministère de l’industrie et du travail, a proposé que ce soit un organisme supérieur, les Fédérations, qui payât pour l’émigré le droit d’entrée exigé par la société.
- Finalement une résolution est adoptée, par laquelle
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- LE DEVOIR
- le Congrès émet le vœu que les sociétés représentées à Liège adoptent la mutation internationale — soit la mutation pure et simple, soit la prise en subsistance, soit le système dit des actuaires, — afin qu’en tout pays, le mutualiste trouve dans la société qui l’accueille les droits qu’il possédait dans celle qu’il quitte.
- De même, sur la question de la mutualité enfantine,le Congrès demande que les mutualités scolaires accueillent les enfants appartenant à des mutualités étrangères.
- Toutes ces mesures, à la réalisation desquelles est chargé de procéder le Bureau international permanent dont le Congrès a voté la création et qui sera organisé par l’Office du travail Belge, sont le prolongement dans le domaine de la mutualité de celles que consacrent les premiers traités du travail et qui tendent à assurer réciproquement à tous les citoyens des Etats contractants le bénéfice des lois sur les accidents, sur les retraites et en général de toutes les lois de solidarité sociale.
- SUISSE
- La conférence internationale des chemins de fer qui
- a siégé à Berne dans le courant de juillet, sous la présidence de M. Zemp, conseiller fédéral, a résolu de proposer aux gouvernements représentés à la conférence, diverses modifications à la convention réglant les transports internationaux. Ces modifications ne seront du reste livrées à la publicité qu’après avoir reçu l’approbation des Etats intéressés.
- Les discours prononcés le 18 juillet à la séance de clôture par MM. Zemp, conseiller fédéral, von der Leyen, Baume, Tcheremissiroff et Winkler, directeur du bureau international des transports par chemins de fer, ont constaté avec satisfaction que la conférence de Berne, sans pouvoir faire droit à tous les vœux exprimés, avait cependant confirmé et développé l’accord interna-
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- FAITS POLITIQUES ET SOCIAUX
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- tional relatif aux transports des marchandises par chemin de fer. Le Conseil fédéral avait proposé d’étendre cette réglementation internationale aux transports des voyageurs et des bagages, mais la conférence a estimé qu’un tel objet dépassait sa compétence et ne pouvait être discuté que par des délégués expressément autorisés à s’en occuper. Il en a été de même d’une proposition concernant la création d’une statistique ferroviaire internationale.
- FRANGE
- Un Congrès espérantiste.
- Le premier congrès espérantiste s’est ouvert, le 5 août, à Boulogne-sur-mer, devant un millier de participants environ de tous les pays, de tous les âges et de toutes les conditions.
- Le maire de Boulogne a souhaité la bienvenue aux congressistes : ce fut le premier et le dernier discours en français, après lui, on n’entendit plus que de l’espe-ranto. Après une spirituelle allocution du président de la chambre de commerce, à Bologne, qui, dit-on, n’a commencé l’étude de l’espéranto que depuis quelques semaines, le Br Zamenhof, de Varsovie, créateur de la langue auxiliaire, se leva pour prendre la parole, salué par les acclamations enthousiastes de l’auditoire. Il montra la nécessité d’un idiome neutre pour les relations matérielles entre les nations et dit que son but le plus cher, par la langue internationale, était le rapprochement des peuples dans une intimité fraternelle.
- Loin de lui l’idée de supprimer les patries : ce qu’il désire, c’est d’abaisser les barrières qui les séparent.
- Le lendemain matin les congressistes se sont réunis par nation pour choisir les délégués qui prendront la parole dans les réunions générales et arrêter la liste des propositions à débattre.
- Le soir, au théâtre municipal, représentation unique en son genre. « Le Mariage forcé » de Molière, traduit
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- en espéranto de très exacte et très élégante façon, paraît-il, a été représenté par une troupe d’acteurs comme on n’en rencontre pas souvent. Le rôle de Dori-mène était tenu par une Italienne, celui de Sganarelle par un Français ; les deux philosophes Pancrace et Marphurius étaient l’un Canadien, l’autre Anglais ; un Norvégien jouait le rôle de Lycaste, amant de Dori-mène et un Allemand celui de son frère Alcantor. Ajoutez-y deux tsiganes, l’une Suédoise et l’autre Russe.
- Telle était la troupe internationale de comédiens improvisés qui, après deux répétitions hâtives, a interprété avec beaucoup d’aisance et de verve les scènes de « l’Edzigo Kontrauvela », soulignés à tous les bons endroits, par les applaudissements d’un auditoire international.
- On a aussi beaucoup apprécié le monologue d’Ham-let, tiré de la traduction du drame de Shakespeare par le docteur Zamenhof, et récité par une Anglaise, Mlle Scaeffer, avec une diction parfaite.
- La séance de lundi matin, 7 août, a été consacrée à la constitution du bureau du Congrès et à la lecture de la déclaration du docteur Zamenhof sur Pessence de l’espérantisme.
- La déclaration proposée par le docteur Zamenhof à l’approbation du Congrès, définit l’espérantisme « un effort pour répandre dans le monde entier l’usage d’une langue neutre au service de tous les hommes, qui sans s’immiscer dans la vie intérieure des peuples et sans viser en rien à remplacer les langues nationales existantes, donnerait aux hommes de nations différentes la possibilité de se comprendre entre eux et dans laquelle pourraient être publiées les oeuvres qui ont un égal intérêt pour tous les peuples. Toute autre idée ou tout autre espoir que tel ou tel espérantiste attache à l’espérantisme est son affaire purement privée, dont l’espérantisme n’a pas à répondre ».
- Cette déclaration, qui marque très nettement le but
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- poursuivi par les partisans de l’esperanto, a été acceptée en principe par l’unanimité.
- A midi, près de 400 convives, tous décorés de l’étoile verte, prenaient place dans le grand salon du casino. Au dessert, plusieurs discours sont prononcés, en espéranto naturellement. Le docteur Zamenhof remercie avec émotion Boulogne et la France de l’accueil qui lui a été fait et lève son verre au triomphe de la paix et au bonheur de l’humanité. Puis dans un défilé épique qui dure près de trois heures et qui se continue hors de la salle du banquet dans les jardins du casino, plus de trente orateurs de tous les pays du monde, France, Suisse, Belgique, Italie, Espagne, Autriche-Hongrie, Bohème, Pologne, Russie, Allemagne, Suède, Canada, etc., viennent au nom de leurs compatriotes exprimer* leur reconnaissance au créateur de l’esperanto pour le bienfait qu’il apporte aux hommes, et leur foi enthousiaste dans l’avenir de son oeuvre.
- Le soir splendide bal en costumes nationaux.
- Les journées suivantes ont été consacrées au travail par les congressistes.
- Le Congrès discute principalement deux questions : celle de l’admission officielle de l’esperanto parmi les communications télégraphiques, et celle d’une organisation internationale de l’espérantisme.
- La première question se trouvant résolue pratiquement par ce fait que l’esperanto est employé chaque jour dans toutes les parties du monde pour l’envoi de télégrammes, même de pays à pays, le Congrès décide qu’il n’y pas lieu de rien changer à l’état de choses actuel.
- Un grand nombre de projets d’organisation internationale ont été envoyés au Congrès. Celui-ci se refuse à tout essai de centralisation ou de fédération qui pourrait menacer l’indépendance des sociétés nationales espérantistes actuellement existantes II exprime seule ment le désir que ces sociétés s’efforcent de multiplier leurs relations mutuelles. Mais pour maintenir lyunité
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- de la langue , tout en assurant les développements futurs de son vocabulaire, il décide la création d’un « Comité international de linguistique ». Les noms proposés par le Dr Zamenhof ont été acceptés à l’unanimité, et sur sa demande, la liste a été complétée selon les indications données par les représentants des diverses nationalités. Le Comité comprend une soixantaine de membres appartenant à toutes les nations du monde.
- M. Michaux, président du Comité d’organisation du Congrès, en remerciant la presse du concours qu’elle a bien voulu lui accorder, insiste sur ce point, méconnu encore par un trop grand nombre de journalistes, que l’esperanto vise à être non la langue universelle et unique, mais la langue « seconde », la langue « auxiliaire » pour tous les peuples.
- Le président de la séance, M. Boirac, clôt les travaux du Congrès en affirmant que le Congrès de Boulogne marquera une grande date dans l’histoire de l’esperanto. Mieux que toutes les démonstrations théoriques, ce Congrès a prouvé par une expérience décisive que l’esperanto permet à tous les hommes, à quelque nationalité qu’ils appartiennent et quelle que soit leur langue maternelle, d’échanger leurs idées avec une merveilleuse facilité ; qu’il est d’ores et déjà une langue « vivante, naturelle », apte à l’expression de toutes les nuances de la pensée, capable même d’éloquence et de poésie ; enfin que par les sentiments de solidarité fraternelle qu’il développe chez tous ses fidèles adeptes, il est peut-être le plus puissant des instruments de concorde et de pacification entre les hommes.
- Cette première manifestation publique de la vitalité de l’espérantisme a été des mieux réussies. Outre que la belle ordonnance du Congrès témoigne d’une merveilleuse entente des conditions d’attrait d’une pareille entreprise, les délibérations si habilement conduites par le docteur Zamenhof et la sagesse des résolutions votées ont montré ce que l’espérantisme doit à la direc-
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- tion d’un tel maître et ce qu’il peut à bon droit en attendre encore.
- Il n’y a aucune exagération à dire que le Congrès de Boulogne a fait faire à l’esperanto un pas considérable dans l’opinion publique.
- % *
- ALLEMAGNE
- Population.
- D’après les évaluations du bureau de la statistique impériale, le chiffre de la population de l’Allemagne a dépassé, cette année, 60 millions.
- D’après VAnnuaire de, statistique allemand, la moyenne de la population totale de l’empire est évaluée à 60,164,000 habitants pour l’année 1905, contre 59,364,000 en 1904 et 58,569,000 en 1903.
- De 1903 à 1904, le chilfre de la population s’est donc augmenté de 795,000 habitants et de 800,000 de 1904 à 1905.
- Le recensement officiel qui aura lieu le 1er décembre prochain dira si ces évaluations s’écartent de la vérité. La Gazette de Voss dit que d’après les expériences des précédents recensements, il n’y aura pas d’écart sensible. En 1870, la population de l’empire allemand n’était que de 40,800,000 habitants. En 1895, elle avait déjà atteint le chiffre de 50 millions.
- Les Caisses d’épargne.
- La Correspondance Statistique vient de publier les chiffres principaux de la comptabilité des caisses d’épargne allemandes.
- Il en ressort que les dépôts qui avaient augmenté de plus de 500 millions en 1902, ont encore augmenté de plus de 480 millions l’année dernière. C’est une augmentation d’un milliard en deux années.
- Les caisses d’épargne détiennent actuellement un
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- LE DEVOIR
- capital de 7.229 millions de marks, il y adix ans, elles n’en possédaient que la moitié.
- On sait que les caisses d’épargne allemandes jouissent d’une plus grande liberté que les caisses françaises pour le placement de leurs dépôts. C’est évidemment une des causes de leurs succès.
- La Correspondance Statistique fait remarquer aussi que l’augmentation des dépôts est due au fait que les caisses de secours de toute sorte devenues si prospères dans ces derniers temps, font usage des caisses d’épargne pour y déposer leurs fonds.
- Une autre cause enfin est la disposition du Code civil qui permet, contrairement à ce qui avait lieu autrefois, de déposer dans ces caisses les sommes d’argent appartenant aux mineurs. Il semble que les sommes en dépôts se répartissent sur la tête d’une partie importante de la nation, étant donné que les participants se chiffraient à la fin de 1903 par le nombre de 9.772.942.
- (.Bulletin du crédit populaire).
- # *
- ETATS-UNIS La conquête de l’Ouest.
- La loi fédérale de 1902 pour l’amendement des terres promet les effets les plus considérables. Elle stipule que le produit de la vente des domaines de l’Etat sera employé à la construction de digues, de canaux et de réservoirs pour l’irrigation des contrées arides de l’Ouest américain. Il n’a pas été perdu de temps. Les ingénieurs n’ont cessé de parcourir les régions dans l’intérêt desquelles leur effort est appelé à se déployer et, à l’heure même où nous traçons ces lignes, on procède, dans l’Etat du Névada, à l’ouverture d’un canal qui dérivera les eaux de la rivière Truekee sur une étendue de 12,000 hectares, lesquels vont être rendus à la culture. Les populations intéressées avaient fait de
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- FAITS POLITIQUES ET StfCIAUX
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- grands préparatifs pour fêter cette date, qui marque une étape dans la conquête de l’Amérique par les Américains. C’est, en effet, le premier pas dans une entreprise qui mettra en valeur 40 millions d’hectares de sol aride en différents quartiers. Quand on sera au bout de cet immense travail, ce sera un quart de la superficie actuelle des terrains agricoles qui aura été gagné. Si l’on divise ces 40 millions d’hectares en « fermes » de 16 hectares, ce qui est la dimension ordinaire, on obtiendra 2,500,000 exploitations rurales, ce qui ajoutera au chiffre de la population un contingent direct de 12,500,000 habitants, et un contingent indirect de 6 millions 260,000 âmes, soit ensemble une augmentation totale d’un quart de la population actuelle des Etats-Unis. A côté des horribles et sanglantes conquêtes militaires, il est permis d’applaudir à ces conquêtes toutes pacifiques. (<Journal de Genève.)
- Le prix du terrain à New-York.
- D’un journal de New-York, du 17 juin, qui nous transporte au coeur du quartier des banques et des grandes affaires :
- « La petite parcelle du terrain n® 1, de Wall Street, à New-York, vient de se vendre. Sa superficie est de 30 pieds sur 39, et pourtant elle s’est payée : 3,500,000 fr.; soit à peu près 3,000 francs le pied carré (0,093 le mètre carré), plus de 20 francs le pouce carré. C'est le terrain le plus cher qu’il y ait au monde. Et l’acquéreur, malgré cela, pourra renter fort bien son capital. Le n° 1 de Wall Street est occupé maintenant par un bâtiment de quatre étages, qui rapporte 3 1/2 °/0 du prix d’achat du terrain. En élevant une grande maison, on arrivera à un rendement fort supérieur. Qui pourra dire quand le prix du terrain à New-York aura atteint ses dernières limites ? »
- Cela fait 32,110 francs le mètre carré (trois millions et demi pour 100 mètres carrés ! !)
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- LE DEVOIR
- GRANDE BRETAGNE Les excès de dépenses.
- Dans une conférence faite à l’Institut des Banquiers, à Londres, M. Edgar Speyer de la maison Speyer Brothers, a évalué à 24 millions sterling la perte annuelle de revenus causée à la nation par l’augmentation exagérée des dépenses de capital de l’Etat.
- Les dépenses municipales se sont accrues dans des proportions analogues.
- Dans la période de dix ans qui se termine en 1905-1906, les dépenses municipales, imputées tant sur le capital que sur le revenu , ont été d’environ 1,270 millions sterling, au lieu de 737 millions sterling pendant la précédente décade.
- Les dépenses nationales et municipales totalisées ont atteint, ces dix dernières années , 2,710 millions sterling , au lieu de 1,639 millions sterling pendant les dix années précédentes.
- M. Speyer attribue à cet état de choses le fait que les importations ont considérablement augmenté, tandis que les exportations restaient stationnaires.
- Suivant son expression pittoresque, l’Angleterre a brûlé la chandelle par les deux bouts.
- Un petit pas vers l’unification métrique
- Le Board of trade a pris une intéressante décision relativement à l’introduction du système métrique en Angleterre.
- Déférant au désir exprimé par une délégation des chambres de commerce anglaises, le Board of trade se dispose à introduire de nouvelles modifications pour les poids de 20, 10 et 5 livres, dans le but de faciliter les transactions commerciales. Il étudiera ensuite des dénominations pour les poids de 50 livres.
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- Faits politiques et sociaux 547
- AUSTRALIE
- Un arbitrage professionnel.
- Au mois de novembre dernier, la cour d’arbitrage du travail de la Nouvelle-Galles du Sud rendit dans une affaire portée devant elle par le syndicat des camionneurs un jugement consacrant en quelque sorte le principe de la préférence aux ouvriers syndiqués. Elle décida en effet que les patrons étaient tenus, chaque fois qu’ils avaient besoin de main-d’œuvre, d’en informer le secrétaire du syndicat intéressé. La compagnie condamnée fit appel de ce jugement et la cour plénière de la Nouvelle-Galles du Sud cassa la sentence. Le syndicat des camionneurs fit à son tour appel à la haute cour fédérale. Le tribunal suprême vient de donner raison à la cour plénière en confirmant sa décision.
- # #
- SUÈDE
- Un Musée social permanent est en voie d’organisation à Stockholm. C’est le bureau de renseignements sociaux qui, avec l’aide de l’Association pour la protection des travailleurs et quelques autres institutions analogues, a pris l’initiative de la fondation de la nouvelle organisation.
- Le musée, qui est placé sous la protection du prince Eugène, comprendra plusieurs sections : une pour l’hygiène sociale et les maisons ouvrières, une autre pour les appareils de protection, etc. De temps en temps, des expositions particulières seront organisées, montrant ce qui a été fait pour combattre l’alcoolisme, la tuberculose et autres maux sociaux.
- Le musée est dirigé par une commission de vingt personnes parmi lesquelles se trouvent les économistes et les sociologues les plus distingués de Suède. Les huit inspecteurs du travail de l’Etat y ont siège.
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- LE DEVOIE,
- CANADA
- L’indemnité parlementaire.
- La chambre de commerce du Canada a voté, le 17 juillet, l’augmentation des appointements et indemnités des membres des deux Chambres législatives, du premier ministre et des juges.
- Les membres des Chambres voient leur traitement augmenté de 1,500 à 2,500 dollars ; le premier ministre touchera 12,000 au lieu de 8,000 dollars.
- Des pensions de 5,000 dollars sont accordées aux anciens ministres ayant dirigé un département ministériel plus de cinq ans.
- M. Fielding, ministre des finances, en appuyant cette dernière proposition, a dit que douze conseillers privés étaient appelés à en bénéfier; et qu’il n’était que juste que la nation reconnaisse les services rendus par des hommes qui ont abandonné leurs affaires privées pour se dévouer aux affaires publiques.
- L’une des propositions les plus intéressantes qui aient été également votées est un traitement annuel de 7,000 dollars au chef de l’opposition.
- Sir Wilfrid Laurier a défendu lui-même la nécessité de cette indemnité à son adversaire.
- Cette innovation dans les mœurs parlementaires sera peut-être imitée en Nouvelle-Zélande, car l’Union des fermiers, puissante organisation politique néo-zélandaise, a, au mois de juin dernier, adopté une proposition dans ce sens.
- Les motifs invoqués sont que le chef de l’opposition doit pouvoir poursuivre les intérêts politiques du parti sans être tenté de servir ses intérêts personnels en cherchant un portefeuille.
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- LA QUESTION DE LA PAIX
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- LA QUESTION DE LA PAIX
- Les « mensonges » du pacifisme.
- Dans une lettre adressée à M. d’Estournelles de Constant, M. Charles Richet réfute un article que M. Brune-tière a fait paraître dans la « Revue des Deux Mondes », sous ce titre : « Les mensonges du pacifisme », qui rappelle par son caractère tranchant la retentissante, mais très hasardée, proclamation de la faillite de la science du célèbre critique littéraire. Bien que la publication de la réponse du savant physiologiste, dans Le Matin, date des premiers jours d’août, nous croyons utile d’en présenter une analyse et d’en reproduire quelques passages, car si les préjugés auxquels elle s’attaqua sont tenaces, les vérités qu’elle leur oppose sont indéfectibles; de cela résulte une sorte de permanente actualité.
- M. Charles Richet, pacifiste convaincu, n’admet pas que le pacifisme soit traité de menteur ; il n’a pas la prétention de débiter une panacée universelle guérissant tous les maux sociaux, résolvant tous les problèmes, qui s’agitent entre les peuples. Pourquoi prêter gratuitement aux pacifistes de pareilles sottises. Ils affirment seulement, que la pire des solutions, en cas de conflit international c’est la guerre, attendu que la force n’est pas synonyme de justice.
- <t Et puis la guerre n’est pas une solution ; elle ne résout rien. Elle laisse indécises toutes les questions qu’elle prétendait terminer. Cependant des flots de sang ont coulé ; des richesses immenses ont été dissipées ; et voilà tout ; car après une bataille et une guerre, on n’est pas plus avancé qu’auparavant. Pour tout résultat, beaucoup de sang et de larmes ; mais quant au reste !.. Il faudra, dans cinq ans, dans vingt ans, dans quarante
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- LE DEVOIR
- ans, recommencer. Et à peine a-t-on signé un traité de paix qu’on songe à la revanche, pour pouvoir, dans cinq ans ou quarante ans, après s’être préparé au prix des plus grands efforts, recommencer à verser de nouveau sang et larmes, sans plus de succès. »
- Après avoir raillé cet idéal des amis de la constitution guerrière actuelle , M. Charles Richet s’amuse d’un argument de M. Brunetière, qui consiste à dire que si la guerre venait à être supprimée certaines industries péricliteraient.
- « Assurément, et les fabricants de fusils, de canons et de torpilleurs ne feraient plus de bonnes affaires.
- « Mais que diriez-vous, ô monsieur Brunetière, si Ton arrivait à supprimer les suicides et les crimes ? Diriez-vous : « Quel malheur ! voilà les employés de la Morgue réduits à la misère ! » Et, si l’on arrivait à supprimer les maladies (hélas!), auriez-vous le courage de plaindre les pharmaciens, les médecins, les infirmiers, dont l’unique moyen d’existence est de nous aider dans la lutte contre les maladies ? Il paraît que jadis, lorsqu'on a commencé à construire les chemins de fer, un député conservateur s’est indigné : « Messieurs, disait-il à ses collègues, songez aux maîtres de poste ! »
- «Ainsi, chose étrange,il faudrait respecter les incendies pour ne pas priver les pompiers d’ouvrage, ne pas toucher aux maladies pour que les médecins et les pharmaciens gagnent leur pain, et laisser la guerre fleurir, avec massacres, casernes, pillages, impôts, emprunts, pour ne pas ruiner les fabricants de fusils et les fournisseurs de torpilles.
- « L’amour de la paix, c’est la peur de la guerre, » s’écrie M. Brunetière. A quoi M. Richet répond : « Mais vraiment oui ! Et il n'v a pas là de quoi rougir. La guerre n’a rien en soi de beau, à moins qu’on ne la regarde dans un tableau d’histoire ou dans un récit de tragédie, au cinquième acte. Vue de près, elle est monstrueuse, d’ailleurs absurde, et déchaînant les plus vils appétits. Elle est ruineuse ; elle est meurtrière ; elle est
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- le mal. J’avoue que j’ai grand peur de toutes ces ruines, de toutes ces morts, de toutes ces injustices, et que mon amour de la paix est fait en grande partie de la peur de la guerre.
- € Si l’on venait me dire : l’amour de la vertu, c’est la peur du crime, j’accepterais parfaitement cette définition, car il y a antagonisme entre la vertu et le crime, comme entre la paix et la guerre. La lutte qu'on appelle brigandage entre individus, pourquoi ne pas l’appeler brigandage quand elle est entre nations ? »
- Nous nous en voudrions de ne pas citer intégralement la fin de cette belle et spirituelle lettre :
- « Ce sont là des vérités simples et éclatantes ; mais comme pendant des siècles et des siècles elles ont été méconnues ; comme on a entouré d’une auréole tout ce qui est conquête et guerre et militarisme, comme toutes les sociétés ont la guerre pour base, alors il est naturel que les conservateurs, dont M. Brunetière se vante de faire partie, trouvent scandaleuse la révolution d’idées que nous proposons.
- « Nous pouvons le dire, non sans quelque fierté — car nos amis, MM. Passy, Hodgson, Pratt, Monéta et bien d’autres, y ont pris grande part — cette révolution est faite, non dans les actes encore, mais dans les idées, l’idée précédant toujours le fait.Les efforts désespérés des conservateurs de l’ancienne société guerrière ne prévaudront pas contre l’idée pacifiste : celle-là est simple, lumineuse aussi, conquérante. Et la conciliation internationale, suivant votre heureuse expression, sera l’avènement d’un monde moins barbare.
- « Et ce ne sera pas une de nos moindres gloires que d’avoir conquis M. Brunetière lui-même, car, vaincu par la force de la vérité, il a osé dire ceci, qui est presque notre programme : « Que Von travaille à diminuer les causes de divisions parmi les hommes, et que Von s'efforce.. . de résoudre pacifiquement des conflits qui, jadis, ne se dénouaient que dans le sang ! »
- « Voici ce que veut M, Brunetière, Nous demandons
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- un peu plus que lui, mais très peu... résoudre pacifiquement TOUS LES conflits qui, jadis , ne se dénouaient que dans le sang. Et ainsi M. Brunetière aura à son actif un paradoxe de plus ; c’est d’avoir fourni aux pacifistes la formule de la paix, de l’arbitrage et de la justice. »
- L’article de M. Brunetière avait été provoqué par la publication du programme du Comité de défense des intérêts nationaux et de conciliation internationale que venait de fonder M. d’Estournelles de Constant, (voir le Devoir de juin 1905).
- Naturellement M. d’Estournelles de Constant a riposté et M. F. Passy également, l’un et l’autre dans la Revue des Deux-Mondes.
- Le vénéré doyen du pacifisme n’a pas do peine à établir que l’action des amis de la paix se règle précisément sur le concept unanimement accepté d’une morale publique qui veut qu’on substitue la justice à la violence.
- L’arbitrage fait désormais partie du régime régulier des nations civilisées. Plus de deux cents sentences ont déjà été rendues.
- « J’ai fondé le Comité de défense des intérêts nationaux, » dit à son tour M. d’Estournelles de Constant, « pour hâter le progrès de notre activité économique.
- « Mais comment développer les ressources de la France, sinon dans la sécurité du lendemain ? Le rapprochement des individus et des peuples préparera l’entente, seul remède à la plupart des crises européennes. C’est la tâche du Comité de conciliation internationale. Notre point de départ comme notre but est l’intérêt de la France. Trois cents membres du Parlement français venus de tous les partis s’associer à l’action du groupe de l’arbitrage international, les votes favorables de la presque unanimité des conseils généraux, de tant de
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- Chambres de commerce, l’appui de Y Alliance française, de la Ligue de l’enseignement montrent, que notre pays ne s’y est pas trompé. »
- L’entente européenne s’établit déjà par une série de traités de détail : union postale, réglementation de la production du travail, etc.
- L’entente pour la limitation des armements sera peut-être le résultat de la seconde conférence de La Haye. L’Europe ne désarmera pas en un instant. Mais les dépenses improductives diminueront peu à peu au profit des dépenses productives. Il y aura plus d’activité, de bien-être, de beauté matérielle et morale.
- Les manifestations ouvrières contre la guerre.
- Dans une réunion tenue à Londres, le 29 juillet, les délégués des organisations britanniques représentées au Congrès socialiste international d’Amsterdam en 1904 : Social-démocratique fédération, Indépendant Labour Party, Fabian Society, Labour représentation Committee, Gasworkers Union et Dockers Union, la résolution suivante a été votée àl’unanimité :
- « La réunion des délégués des organisations britanniques représentées au Congrès socialiste d’Amsterdam , observant avec un profond regret l’animosité croissante entre les classes dominantes de Grande-Bretagne et d’Allemagne, et se rappelant les graves difficultés analogues survenues il y a seulement cinq ans entre la France et la Grande-Bretagne, et maintenant remplacées par une cordiale entente, déclarent de la part des organisations qu’ils représentent :
- « 1° Qu’il n’existe pas dans la classe ouvrière britannique de sentiment hostile contre l’Allemagne en tant que nation, ni contre les Allemands en tant que peuple ; que, au contraire, on y souhaite obtenir avec l’Allemagne les mêmes relations qui ont été si heureusement établies avec la France ;
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- « 2° Qu’ils feront eux-mêmes tous leurs efforts dans le Royaume-Uni et dans tout l’empire britannique, pour atténuer une certaine hostilité qui existe entre leurs gouvernements respectifs et pour écarter toutes les causes de conflit ;
- « 3° Qu’ils travailleront à amener leur gouvernement à réduire systématiquement les armements sur une base agréée par les deux nations ;
- « 4° Qu’ils invitent leurs camarades allemands à travailler d’une manière continue et cordiale avec eux dans un même effort, à réfréner les sentiments chauvins et jingoïstes de chaque côté de la mer du Nord, et à instaurer une coopération générale entre les deux peuples pour le bien commun ».
- Le Congrès de la Fédération nationale française des employés qui s’est tenu dernièrement à Nantes a voté une résolution en faveur d’une prompte solution du conflit russo-japonais.
- Au congrès international des mineurs qui s’est tenu à Liège, au commencement d’août, un délégué allemand a déclaré que si le gouvernement germanique voulait la guerre, le peuple allemand, lui, voulait la paix. Les congressistes ont pris l’engagement de faire la propagande nécessaire pour refréner le militarisme et peser sur les gouvernements; un ordre du jour disant que les différends entre nations doivent être réglées par l’arbitrage a été acclamé.
- Au moment où le malentendu franco-allemand était dans sa phase la plus aiguë, le Vorwœrts, le grand journal socialiste allemand, publiait les lignes suivantes, dont la portée dépasse celle d’un article ordinaire de journal :
- « Comme toutes les relations internationales sont ébranlées par les événements de l’Extrême-Orient, par l’écrasement de la Russie et l’essor victorieux du Japon, et comme ces événements exerceront naturellement un
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- violent contre-coup sur les Etats européens et sur leurs systèmes d’alliances, on comprend que, plus que jamais, les peuples eux-mêmes ouvrent les yeux et suivent avec la plus vive attention les agissements de la diplomatie.
- » La diplomatie joue sur l’échiquier international et elle fait marcher les peuples les uns contre les autres, comme des pions sans volonté ; elle fait son jeu dans le plus grand secret et les peuples ne savent rien de ce qu’elle fait ; ils sont poussés en aveugles dans tous les sens et ils ignorent très souvent combien ils sont au bord de l’abîme.
- « Mais il y a un facteur dont les diplomates ne tiennent pas compte : c’est la classe des travailleurs. Les travailleurs allemands savent qu’ils sont d’accord avec ceux de France et d’Angleterre dans leur réprobation de toutes les intrigues susceptibles de porter atteinte aux bons rapports entre les trois grandes nations ou de provoquer de sérieuses complications. Aux socialistes français, qui ont rendu de si grands services par la façon dont ils ont réfréné le chauvinisme dans leur propre pays, nous renouvelons, dans cette situation si critique pour la France, la déclaration que la classe des travailleurs allemands opposera la plus énergique résistance à tout attentat scélérat, de quelle façon qu’il se produise, qui aurait pour objet de pousser à la guerre les deux nations voisines.
- « Il est inadmissible que le peuple allemand se lance dans une aventure militaire pour la question du Maroc et, en dehors de cette question, il n’y a rien qui puisse diviser deux peuples ayant la même culture et des aspirations communes sur le terrain du socialisme. La diplomatie peut jouer avec le feu dans les conciliabules secrets et dans des notes mystérieuses : les peuples de l’Europe occidentale veulent la paix et ils sauront la garder. »
- L’Ecole de la paix, tel est le nom du nouvel organisme qui vient d’être fondé dans le mouvement paci-
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- fîste par M. Horace Thivet. Cette société fait appel à tous les gens qui, en dehors des partis, veulent non-seulement se déclarer pacifiques, mais étudier la tendance des peuples vers la paix et procéder pratiquement en substituant, tant dans l’enseignement et l’éducation que dans les choses de la vie courante, des habitudes pacifiques aux instincts belliqueux entretenus par un faux amour-propre.
- L’Association médicale internationale contre la guerre dont nous avons annoncée la fondation, s’est réunie en assemblée générale le 24 juin, sous la présidence du docteur J. Rivière. De nombreux médecins, de nationalités différentes, ont pris part à cette réunion.
- Sur la proposition du docteur Philippeau, ancien président du syndicat des médecins de la Seine, l’association a voté des félicitations au Président Roosevelt pour son initiative et des remerciements pour la tentative de rapprochement de deux peuples séparés par un fossé chaque jour plus profond.
- Elle a émis un certain nombre de voeux visant la déclaration de guerre préalable, un contrôle international sur la fabrication des armes et explosifs modernes, et la création de tribunaux internationaux.
- Les tendances pacifistes de l’Association respectent intégralement l’idée de Patrie, et ne visent en rien la question du désarmement.
- «s»
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- LE MOUVEMENT FÉMINISTE
- La législation française et les femmes.
- Extraits du rapport rédigé au nom de la section de législation du Conseil national français par Mme Oddo-Deflou, et publié par le Journal des femmes (Juillet 1905) :
- 4 II n’y a pas eu, en 1904, de dispositions législatives^ importantes concernant exclusivement la condition des femmes. Cependant il en est plusieurs où elles ont un intérêt supérieur à celui des hommes. Telle est la loi du 17 mars pour le placement des employés et ouvriers des deux sexes qui, dans son application pratique, vise surtout les domestiques. Or, le nombre des femmes qui sont en service est très supérieur à celui des hommes. Aux termes de la loi, les bureaux de placement payants peuvent être supprimés moyennant indemnité, et la rémunération du tenancier sera désormais fournie par l’employeur, au lieu de l’être par l’employé. Des bureaux de placement gratuits doivent être ouverts dans toutes les mairies.
- « Par la loi du 21 avril a été approuvée la convention signée à La Haye, le 12 juin 1902, entre l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie, l’Espagne, la France, l’Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas, le Portugal, la Roumanie, la Suède et la Suisse, pour régler les conflits des lois et juridictions diverses relatives à la tutelle des mineurs, au mariage, au divorce. »
- Un peu plus loin Mme Oddo-Deflou arrive à l’arrêté du 3 décembre instituant une commission chargée de rechercher les modifications à apporter au Code civil et rappelle quelques votes émis par la cinquième sous-commission chargée d'étudier ce qui est relatif au mariage.
- Ces votes modifient les articles 212, 213 et 214 du Code civil.
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- LE DEVOIR
- L’article 212 ainsi conçu : « Les époux se doivent mutuellement fidélité, secours, assistance », est remplacé par la disposition suivante : « Les époux sont égaux, ils forment entre eux une association dans laquelle leurs droits et devoirs respectifs sont réglés comme suit ».
- L’énumération de ces droits et devoirs respectifs est contenue dans le nouvel article 213 disant : « Les époux se doivent mutuellement amour, fidélité, secours, assistance». Cetarticle serait substitué à l’article 213 actuel aux termes duquel « le mari doit protection à sa femme, la femme obéissance à son mari ».
- Enfin la cinquième sous-commission substitue la rédaction suivante de l’article 214 : « La femme portera le nom de son mari. Les époux fixeront d’accord le domicile conjugal », au texte actuel ainsi conçu : « La femme est obligée d'habiter avec le mari et de le suivre partout où il juge à propos de résider. Le mari est obligé de la recevoir et de lui fournir tout ce qui est nécessaire pour les besoins de la vie, selon ses facultés et son état.*
- Bien entendu, ces décisions ne sont pas définitives. Elles doivent être soumises à l’approbation : 1° des six sections réunies qui forment la commission ; 2° du Parlement,
- Le Conseil National et les sociétés féministes ont fait des efforts inutiles pour obtenir qu’une ou plusieurs femmes fissent partie de la Commission. On les a seulement autorisées à envoyer des mémoires aux sous-commissions. Ce qu’ils ont fait. ’
- La conférence de Versailles qui , depuis plusieurs années, réunit plus nombreuses chaque fois les dames vouées à des oeuvres philanthropiques, a voté l’envoi de félicitations au président Roosevelt pour sa généreuse initiative d’arbitrage dans la guerre russo-japonaise, et a exprimé le désir de voir s’établir la paix entre toutes les nations.
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- AUX COLLECTIONNEURS DU « DEVOIR »
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- Aux collectionneurs du « DEVOIR »
- Réponse à quelques demandes et observations :
- Depuis le numéro , en date de février 1901, l’entête de la couverture de chaque numéro du « Devoir » se borne à indiquer pour les collections : 1° le tome ; 2° le mois et l’année.
- La numérotation portée jusqu’en janvier 1901 en tête de la couverture, et dont le dernier chiffre est 713, cette numérotation est inexacte. Elle ne peut donc être utilement consultée pour les collections.
- En regard des dates de publication de chacun des numéros du « Devoir », depuis la fondation, voici l’état de cette numérotation maintenant abandonnée :
- Numéro programme :
- 3 mars 1878............................., pas de chiffre.
- Numéros hebdomadaires :
- 17 mars au 8 septembre 1878............ chiffres 2 à 27
- 15 septembre 1878 au 15 janvier 1882.... chiffres 1 à 175
- 22 janvier 1882.................... chiffre 3 au lieu de 176
- 29 janvier 1882 au 30 mars 1884......... chiffres 177 à 290
- 6 avril 1884....... répétition du chiffre 290 au lieu de 291
- 13 avril 1884 au 30 mai 1886............ chiffres 292 à 403
- 6 juin 1886........ inscription du chiffre 405 au lieu de 404
- 13 juin 1886....................... répétition du chiffre 405
- 20 juin 1886 au 4 septembre 1887........ chiffres 406 à 469
- 11 septembre 1887.. répétition du chiffre 469 au lieu de 470
- 18 septembre 1887 au 30 décembre 1888.. chiffres 471 à 538
- Numéros mensuels :
- Janvier 1889 à novembre 1899......... chiffres 539 à (1) 669
- Décembre 1899.. lacune des chiffres 670 à 699 ; on a inscrit 700
- Janvier 1900 àjanvier 1901.............. chiffres 701 à 713
- Février 1901. — Suppression de la numérotation.
- (1) Par erreur, il a été dit 569 dans la publication antécédente de ce même avis.
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- LE DEVOIR
- LES DEUX VIES
- Par Paul et Victor MARGUERITTE
- ---B3S----
- {Suite. )
- Définitif, quel mot ! en ce monde où rien ne l’est, ni les opinions, ni les systèmes, ni les gouvernements, un jugement ou un arrêt définitif, qu’il soit mal fondé en droit, inexact en fait, absurde en ses conséquences, contraire à l’équité ou à la syntaxe, devient, par cela seul qu’il est prononcé, immuable, et pour le faire exécuter toute la machine sociale entre en branle : parquets, huissiers, justice, gendarmerie ! Vous ne trou-veinez cela nulle part ailleurs qu’au Palais, et il faut bien le reconnaître, c’est admirable.
- Un peu plus il s’échauffait d’enthousiasme, sans y croire : habitude de s’écouter.
- — Et avez-vous vu souvent la justice injuste ?
- Il la couva d’un regard paternel, amusé :
- — Madame, c’est un adage constant que tous les procès peuvent être pariés à pile ou face, et je dis qu’à tout prendre, il vaut mieux avoir une mauvaise affaire qu’une bonne, la bonne offrant toujours ' plusieurs chances de perdre, et la mauvaise une au moins de gagner. La jurisprudence contient, sur les mêmes cas, des jugements et des arrêts qui ici disent blanc, là disent noir, qui affirment à Bordeaux ce qu’ils nient à Marseille, mais qui n’en sont pas moins « définitifs » et par conséquent infaillibles. Songez un peu à l’inflexibilité de la Loi, — il prononçait le mot avec la déférence qu’on doit à une divinité, en même temps que son œil finaud supputait les bons tours qu’il savait lui jouer, — vous vous étonnerez moins de la contrainte où
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- LES DEUX VIES
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- nous sommes, en tout bien tout honneur, de la tourner, de l’éluder, de la circonvenir. Voilà en quoi la fin justifie les moyens, car nous ne sommes plus sur le terrain de la morale pure, mais autour d’une vaste table de jeu et de probabilités où l’on a le droit, que dis-je ? le devoir d’aider sa chance. Aussi rien ne sera-t-il indifférent : votre attitude, vos démarches, vos écrits, vos paroles, le choix de votre avocat. Qui prendrez-vous ? Avant tout, quelqu’un qui ait l’oreille du tribunal.
- Le nom qu’elle prononçait lui fit écarquiller les yeux :
- — Un de nos grands maîtres d’assises ! Comme vous y allez ! Bon si vous aviez tiré sur votre mari un coup de revolver. Personne n’a d’aussi beaux rejets de toge et ne déclame aussi pathétiquement. Mais pour un divorce !
- A un second :
- — Voulez-vous perdre votre procès ?... Certes, il ne laisserait pas une bouchée de M. Le Hagre ; il vous le dépècerait, le rongerait, le grignoterait si bien et au milieu d’un tel silence dédaigneux, qu’on entendrait craquer les os ; mais le tribunal, qu’il a souvent égratigné, ne peut le souffrir et déboute tous ses clients.
- A un troisième :
- — Avocat d’affaires ! Nul ne débrouille comme lui les questions contentieuses et budgétaires : donnez-lui à plaider le procès d’une grande compagnie de chemins de fer ou d’une banque ; il anime les chiffres, jongle avec les bilans, fera du thème le plus aride une merveille de précision et d’élégance ; mais un divorce !... On recourt aux spécialistes, comme on prend un oculiste, un auriste : ce qui vous convient, c’est un avocat rompu à ces discussions qui exigent de la drôlerie, du mordant, un art tout particulier de présenter les choses. Que diriez-vous de Me Sépale ?
- Francine le regardait en face :
- — Mais on dit que c’est une canaille ?
- • Herbelot baissa pudiquement les yeux :
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- — Le terme est vif, Me Sépale est décoré et membre du Conseil de l’ordre. Je ne dis pas que sa réputation...
- Sa réputation ! Mais Francine ainsi que tout Paris la connaissait ; et Herbelot donc ! Me Sépale était le contraire d’un homme qui honore sa profession. Jalousé, haï, adulé, à tu et à toi avec un monde de coulissiers et d’agents interlopes, de femmes galantes, toujours à la veille d’être compromis dans une vilaine affaire, il jouissait, avec un orgueil de cabotin, d’une notoriété faite surtout de scandale.
- Il a tant de talent ! fit l’avoué. Vous ne trouverez pas mieux.
- Francine rougissait :
- — Pardon, maître Herbelot, mais je ne confierai ma cause qu’à un honnête homme.
- — Oui, vous êtes lo-ïale, soupira-t-il. Nous voici arrivés.
- Et regardant par la portière :
- — Quand on parle du loup...
- Il murmura :
- — Sépale !
- Au milieu du trottoir, vêtu avec recherche et cambrant sa taille mince, l’avocat apprécia l’équipage, reconnut Herbelot d’un geste proctecteur, s’intéressa au spectacle suggestif qu’était, en pareil endroit, la descente d’une voiture d'une jolie femme. Francine vit se braquer sur elle la tête vipérine et les yeux brillants ; Sépale écoutait les explications d’un monsieur à pardessus mastic et haute-forme en feutre, le tout d’une usure riche. Elle pâlissait : cette nuque, ce dos, ces gestes bien connus... Elle chuchota :
- — Mon mari !
- Le Hagre, au claquement de la portière, s’était retourné. Pour un homme si souffrant, il n’avait pas mauvaise mine ! Il eut un mouvement impulsif vers elle, se contint et, l’air méchant, salua d’un large coup de chapeau, qu’Herbelot rendit, à plein bras. Déjà sa
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- cliente s’engouffrait dans l’escalier qui mène à la salle des Pas-Perdus.
- — Hum, si Sépale plaide pour lui, nous aurons du fil à retordre !
- Il remarqua la pâleur de Francine, son souffle oppressé : cette rencontre au dépourvu la saisissait. Quoi, ce monsieur, au coup de chapeau correct, était son mari !... Celui qui avait été son compagnon de vie, le plus mêlé à ses pensées et à ses actes, la moitié d’elle-même, et qui maintenant était aussi loin que si la mort, l’éternité les séparaient. Elle se réjouit que ce choc, qu’elle appréhendait, eût eu lieu ; elle éprouvait l’allègement de pouvoir, de tout son calme et de tout son mépris, le regarder en face. Le sang lui battait au coeur, le passé lui remontait en bouffées chaudes : elle n’était plus faible, lutterait en égale...
- Elle traversait l’immense salle, sillonnée en tous sens d’hommes et de femmes, d’avocats et d’avoués en robe, une serviette bourrée sous le bras ; des plaideurs conféraient avec leurs conseils, assis sur les bancs de bois ; d’autres circulaient en un va-et-vient monotone. L’élégance de Francine fit sensation ; des regards la suivirent. Quelques-uns enviaient à Herbelot une cliente de choix ; d’autres convoitaient, simplement, la femme. La plupart des visages, préoccupés, manquaient de beauté. Beaucoup avaient un air d’astuce, les yeux faux.
- On sentait des habitués , à l’assurance dont ils se drapaient. Il y en avait de grands de qui les pantalons, dépassant la robe de louage, paraissaient disparates et ridicules ; il y en avait de petits, de rougeauds, de bedonnants, de velus, de très vieux, d’imberbes ; presque tous, tant la profession imprimait son stigmate, avaient l’air d’oiseaux curieux et bavards, pies, merles et corbeaux, ou de rapaces.
- Un brouhaha s’élevait, comme si, en chuchotements, en nasillements, en éclats étouffés, un énorme moulin à paroles, d’un bout à l’autre des bâtiments colossaux, faisait tourner ses rouages, depuis les greffes et les par-
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- quets jusqu’aux chambres du tribunal de première instance, de la Cour d’appel et de la Cour de cassation, — depuis l’humble tribunal de simple police jusqu’à la solennelle Cour d’assises. De toutes parts, — écrasant à sa meule tant de souffrances, passant au crible les délits de la misère et les crimes du vice, les convoitises du lucre, les cruautés de la haine, toutes les vilenies morales, — la gigantesque machine, au bourdonnement ininterrompu de ses cent mille voix, dévidait des arguments, des conclusions , des témoignages , formulait des interrogatoires, précipitait des plaidoiries, solennisait des réquisitoires, ânonnait sans trêve des jugements et des arrêts. Francine eut l’intuition d'un terrible engrenage où , dès que l’on mettait le doigt, le corps entier pouvait passer et ne ressortir qu’aplati, les membres rompus, l’âme en loques.
- Déjà elle se retrouvait dans le couloir où elle était venue une fois, et un huissier, qui sur sa carte la reconnut, l’introduisait dans le petit salon d’attente. Elle s’assit et n’éprouva plus qu’une tristesse noire. Herbelot, à mi-voix, lui faisait des recommandations : tenir ferme pour la pension qu’elle réclamait; il était juste, puisqu’elle laissait son mari jouir sans conteste de la communauté, qu’elle y participât pendant l’instance: ne rien céder sur la garde de Josette que les droits de visite.
- — Attention aussi à ne pas tomber dans de panneau d’une réconciliation ! C’est de la dernière importance. Heureusement qu’aujourd’hui je suis là, et ce n’est pas ici que vous vous remettrez ensemble.
- Il désigna le cabinet du président. Elle ne comprenait pas; il mit les points sur les i... Vraiment, les femmes ignoraient trop la loi !...
- — L’article 244 est formel : la réconciliation éteint Faction en divorce. Que dis-je ? l’apparence seulement d’une réconciliation! Vous devinez quelle ressource pour un plaideur délo-ïal... Méfiez-vous !
- — Oh ! je ne crains rien !
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- — Le combat est commencé, une trêve vous perdrait. Ah ! fit-il, j’ai vu de si drôles de choses !... Tenez, pas plus tard que la semaine dernière, on a débouté net un « réconcilié » malgré lui. Imaginez-vous qu’après une enquête, où ils s’étaient dit les pires injures, le mari et la femme sortent du Palais, l’un derrière l’autre; peu de passants... La femme a une inspiration : l’attaque de nerfs. Le mari sans méfiance la relève , la conduit au premier café, lui fait servir un cordial, et, au plus vite, s’en débarrasse, en hélant un fiacre. Résultat : elle oppose aussitôt une bonne petite réconciliation. On plaide, et mon client perd un procès qu’il avait, je vous en réponds, tout sujet d’obtenir !... Ah! voici notre adversaire ..
- Le Hagre parut. Un avoué en robe noire l’accompagnait : ils se tinrent à l’autre bout de la pièce, parlant bas, détachés, comme si la présence des premiers occupants ne les concernait en rien.
- Mon confrère Tartre, dit Herbelot à l’oreille de Francine. C’est précisément lui qui procédait pour la femme qui s’est trouvée si bien de s’être trouvée mal. Un adversaire de première force : décidément votre mari a la main heureuse.
- Francine toisa l’avoué, dorénavant « l’ennemi » : il était long, maigre, nez crochu, menton de galoche, les yeux bigles'et le sourire gâté.
- Herbelot s’avança d’un pas. Me Tartre en fit un autre, et tous deux se serrèrent la main. Le Hagre darda un regard insolent, soutenu de telle sorte par Francine qu’il baissa les yeux. Il eut vraiment l’air d’un homme très malheureux : chose peu croyable! il regrettait sa femme. Jamais il n’avait tant désiré la ravoir qu’en ce moment où il la perdait, elle et son argent. Les lignes familières de ce corps, ces yeux qui ne l’avaient pas toujours contemplé avec cette froide sûreté, cette âme qu’il n’avait su ployer, tout l’irritait. <r Oui, avait il envie de crier, tu as beau faire, tu es ma femme et tu la resteras, Jamais, jamais, je ne te rendrai la liberté ! »
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- Des injures grossières l’eussent soulagé.
- Tout à coup il se leva : à force de s’attendrir sur lui-même, il avait des larmes aux yeux. Il marcha sur Francine. Son avoué s’interposait. Herbelot fit un rempart de son corps à la jeune femme, Le Hagre murmura :
- — Je voulais dire seulement deux mots en secret à madame.
- Elle sentit grincer sur ces nerfs cette voix si connue, qui suppliait. Oui, il se serait abaissé à la conjurer de revenir et d’oublier : il espérait il ne savait quoi, qu’elle fût assez simple, ou clémente. . alors il la tiendrait en son pouvoir et se vengerait d’une façon telle... Ses paupières clignotèrent quand elle riposta, de haut :
- — Je n’ai rien à démêler avec monsieur..
- Il se retira, déconfit, dans le coin d’ombre où son avoué le masqua, par charité.
- Pendant ce temps, derrière la porte close, que tous guettaient du coin de l’œil, le président Trassier interrogeait la pendule. Il avait suffisamment fait attendre pour sa dignité. Les deux fauteuils des époux, côte à côte, lui faisaient face. Un coup d’oeil à la glace : il ramena sur sa tempe une mèche grise. Le jour solennel de la pièce lui renvoyait, dans le tain, son visage rasé qui empruntait au prêtre, à l’acteur et au maître d’hôtel un bizarre mélange de gravité, de contentement de soi et de morgue. Son teint plombé accusait Réchauffement des salles d’audience, l’influence des digestions sur l’humeur. Il allongeait le doigt vers le bouton électrique et allait dire : « Faites entrer Mme Fernand Le Hagre. » Non, un moment!...
- Francine — car ces préparatifs étaient pour elle — le préoccupait.
- M. Trassier n’était pas un imbécile, avait dit Herbelot. Ce n’était pas non plus un juge inique : s’il libellait par malheur un jugement inhumain ou absurde, il s’y était appliqué autant qu’à un bon, car il était labo-
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- rieux. Mais une ignorance radicale des mobiles et des passions de l’âme; un cerveau bondé de formules, cartonnier où se pressaient les articles du code et les précédents de la jurisprudence. Nul souci Je l’équité; la lettre avait tué l’esprit. Il appliquait la loi le plus minutieusement possible, — tant pis si elle était injuste ! On n’eût pas cru qu’il avait à juger des êtres vivants, mais à se prononcer sur des abstractions ou à résoudre de l’algèbre. Avec cela un grand orgueil, le sentiment très haut de la fonction ; mais, si bonne idée qu’il eût de sa caste, il en avait une meilleure encore du président Trassier.
- On ne l’ignorait pas; il fallait savoir le prendre, avec égards. Incorruptible, mais, comme tout homme, influençable. Une seule chose lui gâtait le métier : le président de la Cour d’appel, M. La Carrière, cassait, toutes les fois qu’il le pouvait, ses jugements. Cette inimitié, dont le Palais s’amusait, avait fait dire sans invraisemblance à Herbelot : — « Et si M. Trassier vous refuse le divorce, M. La Carrière vous l’accordera. »
- Bien qu’il eût peu de temps à perdre, et force occupations, un désir de paraître supérieur l’intéressait plus que la causé; les souffrances individuelles ne le touchaient plus. Mais il aimait toujours à impressionner une jolie femme... M. Trassier était de ces hommes chastes par prudence, austères par hypocrisie et bourrus par timidité. Aussi, recevoir les sourires d’une belle plaideuse, jouir de l’humilité de son attitude, la deviner complaisante peut-être, le satisfaisait-il. Plus d’une fois, braquant un regard incisif, glacé, il lui était arrivé que des yeux douloureux y répondissent, par un aveu de faiblesse, une adjuration éloquente. Ni parole ni geste : le silence d’une pensée qui, ne s’expliquant pas, n’avait pas à se rétracter... Compromis fugace, et qui n’engageait à rien.
- Toutefois un dédain manifeste, un air revêche froissaient en lui une fibre très sensible de vanité : et, sans qu’il s’en doutât, son opinion s’en ressentait,
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- La première impression que lui avait causé Francine n’eût pas été défavorable, s’il n’avait constaté chez elle le caractère indépendant, volontiers brusque, dont il avait déjà entendu parler à Marlotte.
- Le timbre, l’huissier.
- — Le mari est là ? Faites entrer d’abord la dame.
- III
- Francine, fébrile, inclina la tête, en se mordant les lèvres : tout en elle dégageait l’harmonie d’un être de race qui, en proie aux plus cruelles émotions, se domine et tient son rang. Le président la fit asseoir à plein jour : habitude de juge d’instruction qu’il conservait de ses débuts, en province.
- Il demanda, avec une amabilité sérieuse :
- — Eh bien, madame, avez-vous réfléchi ? Persistez-vous à croire tout rapprochement impossible ?
- — Impossible !
- — Le pardon est au-dessus de vos forces !
- — Je pardonne à mon mari tout ce qu’il voudra : mais je ne peux plus vivre avec lui, je ne le veux plus.
- — Votre parti est irrévocable .
- — Irrévocable ?
- Il attendait mieux que ces tranchantes répliques. Elle comprit le danger de lui déplaire ; mais elle lui avait tellement tout expliqué, avec un tel accent de douleur, la première fois ! C’était dit, rabâché ! Pourtant un instinct l’avertissait qu’elle n’était pas indifférente à M. Trassier ; mais elle demandait justice et non pitié, non sympathie presque équivoque. Elle eut, loin d’y condescendre, une expression significative de recul, se rétracta comme une sensitive blessée.
- Il comprit, et d’un ton froid :
- — Je dois vous dire que j’ai reçu la visite de M. Le Hagre. Je ne pouvais me refuser à l’entendre, d’autant plus qu’il venait me supplier d’user de mon influence,
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- non seulement de magistrat, mais de père de famille, je pourrais dire de grand -père, — il plaça sans conviction un sourire, — pour vous ramener à des sentiments plus conciliants. Il m’a paru désespéré à l’idée des malentendus qui vous séparent. 11 a protesté de son amour pour vous, en termes tels que je crois à sa sincérité.
- — Non !
- — Non ? répéta-t-il très étonné — (un peu sèche, cette jeune femme !)
- --Il ne peut être sincère, il ment.
- — Hum ! fit M. Trassier... Il s’imagine que vous subissez des influences légitimes... excusables ; le cœur d’une mère...
- — Pardon, ma mère est opposée au divorce! déclara-t-elle.
- — Ah ! madame votre mère ? Ce serait cependant bien naturel qu’elle vous soutînt !...
- Ces contradictions l’agaçaient ; pas commode, la jolie Mme Le Hagre ! Le sénateur Morot ne l’avait pas trompé, quand, après l’avoir entretenu sous un prétexte quelconque, il avait insinué en se levant : <t Je ne me permets pas de faire allusion à une cause bien triste dont vous allez connaître : celle de mon neveu Fernand Le Hagre. Ah ! le pauvre garçon ! Cela pourrait s’appeler : la Mégère non apprivoisée ! »
- Il toucha une autre corde :
- — Et vous ne reculez pas devant de longs et pénibles débats !
- — Votre justice les abrégera, monsieur le président.
- Il eut un sourire ambigu : son amour-propre restait blessé ; la prévention initiale, le souffle, la bulle de savon prenaient corps. Certainement il resterait intègre, et l’examen approfondi de la cause lui dicterait une sentence impartiale ; mais, viciant par d’insensibles nuances et d’impondérables déformations son jugement, la prévention s’affirmait ; elle allait s’enfler, grossir, et
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- il ne verrait plus la cause qu’au travers,
- Il reprit sa voix neutre :
- — Je n’ai donc plus qu’à faire entrer votre mari.
- Et, Le Hagre introduit :
- — Je crains que vos instances, monsieur, ne soient aussi inefficaces que les miennes : madame ne veut rien entendre.
- — Francine ! s’écria dramatiquement Le Hagre, faut-il que je vous supplie à genoux? Oh ! comme vous me détestez ! Mais je suis innocent, je le jure ! Ah ! vous le savez mieux que moi ! Vous voulez me perdre, vous que j’aime tant ! Et nous pourrions être si heureux encore avec notre Josette chérie entre nous !
- Il s’approchait, tendait les mains, l’air convaincu. Elle se recula dans son fauteuil, avec un air de dégoût.
- — Vous êtes sévère, madame, reprocha le président.
- Il pensait : « Ce mari, je ne sais pas ce qu’il vaut et ça m’est parfaitement égal, mais il ne doit, fichtre ! pas avoir de l’agrément tous les jours ! » Et il prononça :
- — Je me vois tenu de délivrer à madame l’autorisation de vous assigner.
- — Oh ! pas encore ! implora Le Hagre qui connaissait sa procédure sur le bout du doigt. Vous pouvez accorder un suprême délai... peut-être mes efforts dissuaderont-ils ma femme d’un parti qui me brise le cœur : ajournez, je vous en supplie !
- « A la bonne heure, il parlait sur un ton convenable, celui-là ! »
- — Je puis en effet, dit M. Trassier, consentir à ce que madame ne vous assigne pas avant vingt jours. D’ici là, elle réfléchira.
- Il savoura, avec une petite férocité, la conscience de son pouvoir, et feignant un doute qu’il n’avait pas :
- — Mais espérez-vous que ce soit utile ?
- — Oh ! merci, merci, monsieur le président, balbutia Le Hagre,
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- — Passons aux mesures provisoires : la remises des effets personnels à la demanderesse, cela va de soi !
- Non seulement il n’avait pas renvoyé les caisses d’effets et d’objets réclamés, mais il avait circonvenu la femme de chambre ; et Céline, ingrate aux bontés de Francine, avait refusé de venir reprendre son service auprès d’elle. Nul doute qu’il ne tentât de se réserver dans les domestiques des témoins à gages.
- Le président reprit :
- — Sur la question pécuniaire, êtes-vous d’accord ? Vous réclamez, madame, une pension ?
- Un pénible débat commençait : le chiffre qu’elle avait taxé au plus bas, douze mille francs connaissant son avarice, faisait pousser à Le Hagre des cris d’écor-ché : il opposait l’immobilisation de ses capitaux, supputait ses charges, évaluait en les rognant celles de sa femme ; lui, à qui elle avait apporté trente mille livres de rente et qui disposait d’un roulement de plus de cinquante mille, il osait proposer qu’elle se contentât de cinq cents francs par mois : ne vivait-elle pas chez sa mère ! M. Trassier hochait la tête ; il ne pouvait blâmer l’économie du mari.
- Désireux cependant de faire bien les choses :
- — Mettons huit mille, est-ce entendu !
- Elle eut un geste empressé : tout ce qu’on voudrait, rien si l’on préférait, mais assez de ce marchandage ! Le Hagre s’effondrait :
- — Avec l’entretien de ma fille !
- — Ah oui ! c’est vrai, reprit le président, vous avez une fille... Etes-vous d’accord sur la garde provisoire de l’enfant ?
- — Mais je la réclame ! s’écria Le Hagre.
- — Je l’exige dit Francine.
- — Ma puissance paternelle est inattaquable, plaida-t-il ; votre sagesse, monsieur le président, ne souffrira pas qu’on y porte atteinte. Tant que la preuve de ma prétendue inconduite ne sera pas faite, je dois être
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- réputé innocent, je le suis : tous mes droits subsistent.
- — Ma fille est à moi ! répondit Francine. Seule, je m’occupe d’elle ; songez qu’elle a six ans, qu’il lui faut une surveillance, des soins constants, une tendresse, une douceur de femme.
- — J’ai ma mère, dit Le Hagre.
- — Je suis là, moi ! — Elle s’était levée, frémissante, pour défendre son enfant. — Quand avez-vous souffert pour elle ? Qui l’a veillée quand elle était malade ? Vous souciiez-vous seulement qu’elle ait une âme? Vous n’avez jamais vu en elle qu’un joli animal ! Je ne veux pas que Josette reste chez vous... je ne veux pas qu’elle reçoive les baisers de vos maîtresses !
- Tout son être criait, pris aux entrailles : sa fille, sa souffrance, sa tendresse, sa revanche dans l’avenir ; sa fille, à qui cet homme avait donné l’étincelle de vie, en une seconde de plaisir, mais qu’elle, la mère, la véritable créatrice, avait lentement, douloureusement formée et mise au jour !... Lui prendre Josette !
- — Calmez-vous, madame, calmez-vous ! fit M, Tras-sier très haut.
- Ce diapason n’était pas tolérable. Le président était pour les scènes convenues, de bon ton. Cependant il se sentait ému, parce qu’il venait de penser à sa petite-fille, Mélie, qu'il gâtait tendrement. Six ans, le même âge ! Et il s’applaudissait de penser qu’élevée dans un intérieur bourgeois, couvée par des parents sages, elle ne serait jamais disputée, tiraillée ainsi : cette réflexion dissipa sa pitié. Il reconnut pourtant :
- — Avec les soins que votre fille réclame, j’estime en effet...
- — Mais ces soins, suggéra Le Hagre, elle les trouverait aussi bien dans un de ces couvents où les religieuses exercent une véritable maternité. Josette n’y souffrirait pas d’une tendresse trop exaltée pour ne pas être nuisible. Ordonnez, monsieur le président, qu’on la place dans une maison tierce, où nous aurons des droits de visite égaux.
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- — Oh ! s’écria Francine, voilà votre amour paternel ! Livrer Josette à des étrangères, en faire une orpheline, tout cela pour qu’elle ne soit pas à moi, parce qu’elle ne sera pas à vous ! Mais vous venez de vous démasquer !
- Et suppliant M. Trassier :
- — Monsieur, laissez-moi mon enfant ; s’il le faut, on m’a dit qu’il le fallait, elle ira, quand vous le prescrirez, voir son père ; elle jugera plus tard ; mais vous ne pouvez l’enlever à une femme irréprochable, à une mère dévouée, pour la confier à ce,..
- — Pas d’injures ! madame !... Soit ! vous conserverez la garde, à moins que le tribunal, pendant l’instance, n’en décide autrement : car ces mesures ne sont que provisoires. Acceptez-vous — il regarda Le Hagre—que votre fille vous soit conduite tous les jeudis et les dimanches d’une heure à quatre ?
- — Il le faut bien, monsieur le président, dit Le Hagre, comprenant qu'il ne gagnerait’ rien à insister..
- — Eh bien, alors, dit M. Trassier pressé d’en finir, je vais rendre mon ordonnance.
- Le Hagre lui rappelait, obséquieux :
- — En ajournant l’assignation ?..
- — Oui, oui, de vingt jours. La loi ne me permet pas d’étendre ce délai. Puissiez-vous fléchir madame... Tout cela est triste, bien triste !
- Avec une parfaite indifférence , il reconduisit les époux à la porte, où leurs avoués, qui étaient en train de causer et de rire, se précipitèrent pour les séparer, avec une vigilance de nourrices. Le Hagre, sans saluer cette fois, et Me Tartre partaient devant; Francine, à quelques mètres en arrière, regardait avec délivrance s’en aller dans la vie, à jamais, ce mauvais compagnon qui venait de la torturer une dernière fois. Il s’en allait : l’amputation était commencée, et dire qu’elle allait durer des mois !
- Les couloirs s’assombrissaient, les portes battantes des audiences étaient retombées ; le Palais semblait vide : à peine un solliciteur ou un greffier attardé. Tous
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- LE DEVOIR
- les rouages étaient suspendus, la machine à paroles arrêtée ; le grand brouhaha s’était tu.
- Quand Me Herbelot sut l’ajournement, et que M. Tras-sier n’avait soufflé mot ni de Lischen ni des lettres, il se convainquit de la prévention du président. Secondé par des auxiliaires tels que Sépale et Tartre, Le Hagre se défendrait sans merci. Eviterait-on même l’enquête ? Il fit la moue et claqua des lèvres.
- Mais Francine, dans son angoisse vibrante, et tant le culte de la vérité et de la justice lui tenait au cœur, ne voyait pas au delà de la minute présente. Et cependant, c’est avec une secrète terreur qu’elle se sentait prise dans l’engrenage, et qu’elle écoutait se perdre le bruit de son pas, dans l’immense salle des Pas-Perdus.
- IV
- Quand Charlie reçut la réponse de Mme Favié, le non irrévocable, il venait de descendre de cheval, au quartier. Il lut la lettre un peu à l’écart et la remit dans son portefeuille avec lenteur : il voyait les derniers chevaux de l’escadron rentrer aux écuries ; une trompette sonnait au sous-officier de semaine, des moineaux picoraient, l’air était vif.
- — Pas de mauvaises nouvelles ? lui demanda le lieutenant de Cometroy, en train d’allumer une cigarette.
- — Pourquoi ? demanda Charlie d’un ton et d’un air qui arrêtaient court l’intérêt.
- — Vous êtes pâle comme un mort, mon cher !...
- Hors du quartier, un étourdissement le prit. Il réagissait, salua machinalement un commandant qui passait. Son désespoir était sans bornes : ne pas posséder Gabrielle, ne pas l’épouser, — il ne séparait pas ce& idées, — jamais il ne s’y résignerait.
- suivre.)
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- ASSURANCES MUTUELLES
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- Société du Familistère. - Assurances Mutuelles
- MOUVEMENT DU MOIS D’AVRIL 1905, A GUISE
- ASSURANCE CONTRE LA MALADIE
- Section des Hommes
- Cotisations des mutualistes...... 2.649 55 i
- Subvention de la Société....... 791 87 ( 3 989 57
- Malfaçons et Divers.............. 548 15 )
- Dépenses...................................... 4.110 90
- Déficit en avril 1905................. 121 33
- Section des Dames
- Cotisations des mutualistes........ 496 15 /
- Subvention de la Société.......... 241 37 / 744 22
- Divers.......................... .. 6 70 \
- Dépenses........... ..............1........... 639 55
- Boni en avril 1905.................... 104 67
- ASSURANCE DES PENSIONS
- Subvention de la Société et Divers 7.015 601
- Intérêts des comptes courants et > 10.223 73
- du titre d’épargne.......... 3.208 13 \
- Dépenses :
- 128 Retraités définitifs..... 8.793 65 \
- 5 — provisoires............ 258 50 1
- Nécessaire à la subsistance........ 4.926 15 \ 14.522 05
- Allocations aux famill8 des réservistes 14 »i
- Divers, appointent., médecins, etc. 529 75 /
- Déficit en avril 1905....... 4.298 32
- CAISSE DE PHARMACIE
- Cotisations des mutualistes....... 713 15 / , n,Q 7r
- Subvention de la Société.......... 336 60 i J
- Dépenses................................. 655 85
- Boni en avril 1905....................393 90
- RÉSUMÉ
- Recettes sociales du 1er juillet 1904 au 30 avril 1905 125.366 65 / .no Q,Q flt,
- » individuelles » » 43.482 30 1 168s848 95
- Dépenses » » ........ 209.891 32
- Excédent des dépenses sur les recettes.. 41.042 37
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- LE DEVOIR
- ÉTAT CIVIL AU FAMILISTÈRE DE GUISE
- MOIS D’AVRIL 1905.
- nA :
- Naissances :
- Néant.
- Décès :
- 14 avril : Mme Tellier Gabriel, veuve, âgée de 69 ans. 23 — Mme Tardier Emile, âgée de 46 ans.
- 29 — Mme Anstell Charles, âgée de 38 ans.
- Le Gérant : H. E. Burjdant.
- Nimes. — Typ. A. Chastanier, 12, rue Pradier.
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- DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES.
- N 577
- Octobre 1905.
- DOCUMENTS POUR UNE
- COMPLÈTE
- de J. B. André GODIN (1)
- Glorification du Travail. Emancipatio"
- du Travailleur.
- Deuxième partie.
- XIX
- Série des employés. 3e et 4e essais de répartitions mensuelles indicatives du mérite. Nouvelles applications du vote sur bulletin collectif seulement.
- Répartitions relatives au mois de mars 1870.
- Quatre employés de plus qu’au deuxième essai, c’est-à-dire 76 au lieu de 72, furent appelés à la répartition relative au mois de Mars 1870. Ces quatre nouveaux (classés d’après leurs appointements mensuels) faisaient partie des 4e et 5e catégories.
- 70 membres de ce personnel se répartirent comme précédemment par la voie du tirage au sort en dix groupes de chacun 7 membres.
- Aucune explication n’est fournie sur l’abstention des six qui ne se classèrent pas dans les groupes. Leurs noms figuraient sur les bulletins et des votes s’exercèrent pour eux comme pour tous les autres.
- Des bulletins de même type que précédemment furent distribués aux groupes. La somme à répartir était de 996 francs.
- (1) Appendice, p. 60, tome 26e, Le Devoir, janvier 1902.
- 1
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- LE DEVOIR
- Au point de vue du remplissage des colonnes et de la signature des électeurs, voici l’état des dix bulletins de vote collectifs.
- Groupe No 1. — Toutes les colonnes sont remplies. Les sept signatures sont données en bloc.
- Groupe N° 2. — Six électeurs sur sept ont voté. Les colonnes : Totaux, Moyennes, Rectifications sont remplies. Les six électeurs ont signé au dos du bulletin après déclaration que le septième membre du groupe, se trouvant malade, n’a pas pris part au vote.
- Groupe N° 3. — Toutes colonnes remplies. Signatures en bloc.
- Groupe No 4. — Toutes colonnes remplies. 6 électeurs sur 7 ont signé chacun dans la colonne à soi désignée par le tirage au sort. Le 7e a voté mais n’a pas signé.
- Groupe nQ 5. — Les sept colonnes individuelles sont remplies, plus celles : Totaux, Moyennes. Un des membres du groupe se trouvant malade a remis et signé une liste de votes, laquelle est jointe au bulletin pour contrôle, les allocations inscrites sur la liste ayant été reportées sur le bulletin dans une des colonnes destinées aux votes. Les six autres électeurs ont apposé leurs signatures en masse sur le bulletin ; il est à noter que le nom de l’un d’eux figure, en outre, en tête de la colonne où le tirage au sort l’appelait à voter.
- Groupe No 6. — Les sept colonnes individuelles sont remplies, plus celles: Totaux, Moyennes. 2 électeurs ont signé leurs votes à la vraie place; 4 ont signé en masse ; 1 n’a pas signé.
- Groupe N° 7. — Toutes colonnes remplies sauf celle : Rectifications. 6 électeurs ont signé en masse ; quant au 7e ses votes reportés sur le bulletin collectif sont inscrits sur une feuille jointe au dossier et portant cette
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- DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES
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- annotation : « Ce bulletin a été déposé par (nom pro-» pre), le 14 mai entre les mains du secrétaire du > 7e groupe et ouvert devant tous les autres membres » du groupe. » Suivent les signatures des dits membres.
- Groupe N° 8. — Toutes colonnes remplies. Aucune signature n'est donnée.
- Groupe N° 9. — Les sept colonnes sont remplies, plus celles : Totaux, Moyennes. Les signatures sont données au bas des colonnes et soigneusement contenues entre les barres d’allignement, comme si les électeurs eussent d’autant mieux voulu certifié leurs votes, que ces votes ne se présentaient point dans l’ordre des colonnes attribuées à chacun par le tirage au sort.
- Groupe N° 10, — Toutes colonnes remplies. 6 membres ont signé, dont 3 chacun à sa vraie place. Une liste de votes non signée, mais due au 7e membre évidemment , est jointe au bulletin et porte des rectifications pour arriver au total : 996 francs. Ces votes ont été reportés sur le bulletin.
- En ce 3e essai, quelque étude de votes individuels est donc possible. En effet, six électeurs dans le groupe n° 4, deux dans le groupe n» 6, trois dans le groupe n° 10 ont, par leurs signatures, certifié leurs votes ; à joindre à ces onze l’électeur qui, dans le groupe n° 5, avait déposé une liste de votes régulièrement revêtue de sa signature. Au total 12 listes de votes certifiés par leurs auteurs.
- Rapprochant et comparant ces votes, on est amené à relever des traits comme ceux-ci : Groupes nos 4 et 10, entre deux électeurs votes réciproques de 50 francs, somme représentative de 500 francs d’appointements mensuels ; chacun des deux intéressés gagnait entre 125 et 135 francs par mois. L’un de ces deux, celui du
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- LE' DEVOIR
- groupe n<> 4, répète la même opération avec un autre membre du groupe n° 10; ce nouveau bénéficiaire} d’une somme représentative de 500 francs d’appointements mensuels était rétribué moins de 60 francs par mois. Cas analogue : un membre du groupe n° 10 vote 50 francs à un membre du groupe n° 4 lequel alloue au précédent 70 francs. Ces deux électeurs gagnaient entre 110 et 135 francs par mois ; etc.
- Avec le mode de suffrage mis à l’essai l’électeur, on le sait, ne pouvait voter ni pour soi, ni pour les membres du groupe où le tirage au sort l’avait appelé, et la mobilité de composition de tels groupes avait fait espérer au principal auteur du système (G) que la cabale ne s’y introduirait pas.
- Il est difficile cependant, en présence de votes comme ceux relevés ci-dessus, de ne pas observer que les électeurs placés en des groupes différents pouvant alors voter les uns pour les autres* il a pu se produire des votes par voie de réciprocité. Ces allocations à la fois réciproques et exagérées vont aller croissant avec les répétitions de la tentative.
- Passons aux résultats généraux du 3e essai. 76 employés figuraient sur la liste des bulletins de vote. Chacun des groupes comptant 7 membres sept noms étaient biffés ; restaient 69 appréciations à émettre ; soit (69 X 7) 483 appréciations dans chacun des 10 groupes : au total 4.830.
- Le dépouillement des 10 bulletins fournit les chiffres suivants comparables à ceux déjà vus (1) :
- (l)Ghap. XVIII, p. 519, Le Devoir, septembre 1905.
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- DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES 581
- Votes de quotités inférieures à 20 francs. 1.433
- Votes de — allant de 20 à 50 francs. 1.404
- Votes de — dépassant 50 francs et
- allant jusqu’à 116 francs (2)............. 146
- Abstentions ou zéros....................... 1.847
- Total conforme...... 4.830
- Détail des 1.550 (1.404 146) votes de quotités allant
- de 20 fr. à 116 fr.
- Nombre des allocations'. Appointements mensuels :
- 832 de 20 fr. à 25 fr.. représentant 200 à 250 fr.
- 206 au- -delà de 25 fr. jusqu’à 30 fr. » 251 à 300 fr.
- 212 » de 30 fr. » 40 fr. 7> 301 à 400 fr.
- 154 » de 40 fr. y> 50 fr. » 401 à 500 fr.
- 112 » de 50 fr. » 99 fr. » 501 à 990 fr.
- 34 de 100 fr. » 116 fr. » 1.000 à 1 .160 fr.
- 1.550
- Les allocations de mille francs et plus d’appointe- ' ments mensuels s’élèvent à 34 en ce troisième essai. Il s’en était produit 11 à la tentative précédente.
- Le plus haut chiffre : 116 fr. voté au troisième essai est en faveur d’un employé gagnant 100 francs par mois. Les 33 autres allocations démesurées se décomposent comme suit :
- 4 de 100 francs chacune au profit de remployé gagnant 400 francs par mois.
- 3 de 100 francs chacune au profit d’un des employés gagnant 250 francs par mois.
- 26 au profit d’employés rémunérés de 75 à 200 francs par mois.
- __33 total égal. '
- (1) L’allocation de 116 francs représentative de 1.160 francs d’appointements mensuels n’est pas dépassée dans le 3e essai. Il y avait eu des allocations de 150 francs au 2e essai.
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- Les abstentions ou inscriptions de zéros dépassent, en ce troisième essai, le tiers des votes ; elles avaient atteint le quart à l’essai précédent. Le mouvement s’accentuera encore. Il peut donc être instructif de voir, en un tableau, la réduction opérée ainsi, par chacun des intéressés, dans son propre champ de vote.
- Le nombre des électeurs (7 en chacun des 10 groupes) était de 70 ; mais nous savons que, dans le groupe n® 2, un malade n’avait pas exercé son droit de vote. Il reste donc 69 électeurs.
- Un seul sur ces 69 alloua, sans exception, une certaine somme à chacun des collègues soumis à son jugement ; mais de façon telle qu’il ne résultât de son vote aucun élément de distinction entre les individus. En effet, divisant la somme à répartir : 996 francs entre tous les employés portés sur le bulletin collectif ( : 76 moins les 7 membres du groupe = 69) il alloua, en partant du premier inscrit sur le bulletin, 14 fr. 43 centimes à 68 intéressés et au 69e et dernier le restant de la somme, 14 fr. 76.
- Passons aux 68 autres électeurs :
- 5 ont laissé sans appréciation 5 à 8 collègues sur 69
- 17
- 21
- 17
- 6
- 1
- 1
- 10 à 19 20 à 29 31 à 39 40 à 49 51 69
- 68 total égal.
- L’électeur qui, délibérément (la colonne laissée par lui en blanc sur le bulletin collectif étant soigneusement signée) n’a voté pour personne et celui qui, non moins délibérément, a voté une même somme à chacun
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- des intéressés, se trouvaient tous deux dans le même groupe ; et bien que leurs façons d’agir semblent opposées tous deux aboutissent à ce même résultat : esquiver le jugement demandé. Le tableau montre dans quelle mesure les autres électeurs se sont aussi récusés quant à ce jugement.
- La marche en avant était bien difficile à organiser. Le nombre des allocations exagérées allait croissant. Au-delà de 50 francs on en avait compté 62 au 2e essai (1) ; on en compte 146 (plus du double) à l’essai analysé ici.
- Les abstentions suivaient le même mouvement ; on en avait compté plus de 1.300 au 2e essai (2); elles s’élèvent maintenant à plus de 1.800.
- Sur un seul point il y avait progrès: les signatures certificatives de votes avaient été croissant : 12 au lieu de 6 obtenues précédemment. En ces 12, il est vrai, des votes par voie de réciprocité semblaient bien se faire jour; mais si le mouvement s’accentuait en faveur des votes certifiés ne pouvait-on espérer obtenir aussi plus de mesure ? Et l’on passa au 4e essai.
- Répartitions relatives au mois d’avril 1870.
- 79 employés furent appelés à répartir entre eux, au moyen du suffrage sur bulletin collectif toujours, une somme de 1.042 francs.
- Par la voie du tirage au sort, 78 d’entre eux se clas-
- sèrent en 10 groupes dont
- 9 comprirent chacun 8 membres........... 72
- Et 1 comprit 6 membres seulement, ci.... 6
- Total égal.. ^____78
- (1) Le Devoir, septembre 1905, p. 519.
- (2) Le Devoir, septembre 1905, page 519,
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- LE DEVOIR
- En chacun des 9 premiers groupes il y avait donc 8 membres sur lesquels les votes ne s’exercaient pas ; restaient 71 appréciations à faire ; au total pour chacun de ces groupes (71 X 8=) 568 et pour l’ensemble des
- neuf groupes (568 X 9 =)......................... 5.112
- Dans le groupe n° 10 où l’on comptait 6 membres, il y avait à émettre 79 appréciations moins 6 = 73 par chaque votant, soit (73 X 6 =) 438
- Au total........ 5.550
- Etat des bulletins collectifs :
- Sur les 10 bulletins collectifs les colonnes (sauf une seule) destinées à l’inscription des votes de chacun des membres furent remplies. La colonne : Rectifications ne fut utilisée que sur un bulletin.
- Quant aux signatures en voici l’état :
- Groupe N° 1.— Aucun des 8 membres n’a signé.
- Groupe N° 2.— 7 signatures à leur vraie place ; le 8e membre n’a pas signé.
- Groupe N° 3.— Mêmes conditions qu’au précédent.
- Groupe N° 4. — 6 signatures à leur vraie place ; mais une des six a été donnée par intermédiaire ; la 7e colonne des votes individuels est remplie, mais non signée ; la 8e colonne est en blanc, un membre s’étant abstenu et de voter et de signer.
- Groupe N° 5.— 5 signatures dont une seule à sa vraie place. 3 membres n’ont pas signé.
- Groupe N° 6. — Sept signatures dont une seulement en vraie place. Un membre n’a pas signé.
- Groupe N° 7. — Sept signatures, dont six en vraie place. Le huitième membre n’a pas signé.
- Groupe N° 8. — Les huit signatures sont en vraie place, mais trois d’entre elles ont été apposées par intermédiaire.
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- • \ * '
- Groupe N° 9. —7 Six membres sur huit ont signé au bulletin ; mais une seule signature a été donnée en vraie place ; 2 membres ont remis leurs listes de votes régulièrement signées.
- Groupe N° 10. —Les six membres de ce groupe ont signé et chacun à sa vraie place.
- Résumé :
- Ont signé en vraie place, ou remis des
- listes de votes régulièrement signées.. 41 électeurs.
- Ont signé hors des colonnes de votes. 16 »
- Ont signé par intermédiaire......... 4 »
- N’ont pas signé du tout, plus celui.. qui s’est abstenu et de voter et de signer 17 »
- Total ... 78
- Le dépouillement des 10 bulletins fournit les chiffres suivants comparables à ceux déjà donnés (1).
- Votes de quotités inférieures à 20 fr... 1.882
- » allant de 20 à 50 fr... 1.618
- * dépassant 50 fr. et al-
- lant jusqu’à 100 fr... 145
- » de 500 et 542 fr... 2
- Abstentions ou zéros.................. 1.903
- Total... 5.550
- Les votes de quotités inférieures à 20 fr. (partant généralement de 5 fr.) sont en augmentation notable : 1.882 au lieu de 1.433 au dernier essai.
- 11 y a nouvel abaissement du taux des allocations exagérées, abstraction faite des deux : l’une de 500 fr., l’autre de 542 fr. dont il va être question ci-dessous. Dans la répartition relative à février on était allé
- (1) Présent numéro, p. 581.
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- jusqu’à 150 fr. (1) somme représentative de 1.500 d’appointements par mois ; dans celle relative à mars, on s’était arrêté à 116 fr. ; pour avril on s’arrête à 100 fr. ; mais il y a une augmentation considérable du nombre des allocations allant au-delà de 40 fr. jusqu’à 50 fr. on en comptait 154 au 3e essai ; on en compte maintenant 235. Voici le tableau parallèle à ceux fournis précédemment (2).
- Détail des 1.763 (1.618 -p 145) votes de quotités allant de 20 fr. à 100 fr.
- Nombre des allocations : Appointements mensuels :
- 977 de 20 à 25 fr ....... représentait t. (j^àT à 300 fr.
- 240 au-delà de 25 fr. jusqu’à 30 fr. )> V200 à 250 fr!)
- 466 » de 30 fr. » 40 fr. )) 301 à 400 fr.
- 235 » de 40 fr. » 50 fr. » 401 à 500 fr.
- 124 » de 50 fr. » 99 fr. » 501 à 990 fr.
- 21 de 100 fr. » » 1.000 fr.
- 1.763
- Enfin, il y a parmi les votants un employé qui faisant deux parts de la somme de 1.042 fr. à répartir alloue 500 fr. à un collègue et 542 à un autre !
- Ce procédé montre au vif les conséquences des allocations exagérées :
- 1° Limitation du champ de vote par l’électeur lui-même'. Le votant qui nous occupe récusa son jugement à l’égard de 69 collèques sur 71.
- 2° Poussée désordonnée à travers le classement final. En eifet, sans préjuger en rien de la valeur technique des intéressés, voici les faits :
- Le bénéficiaire de l’allocation de 500 fr. en avril avait été classé comme suit depuis le commencement des tentatives de répartitions mensuelles :
- (1) Le Devoir, septembre 1905, p. 519.
- (2) Le Devoir, septembre 1905, p. 520 ; présent numéro p. 581.
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- 59e en janvier avec 4 fr. 72 déprimé 30e — février — 13 33 —
- 41e — mars — 11 85 —
- En avril il passe brusquement, par le fait de l’allocation de 500 fr., au 3e rang avec 20 fr. 85 de prime.
- Situation parallèle du bénéficiaire de l’allocation de 542 francs. Il avait été classé :
- 55e en janvier avec 5 fr. 81 de prime.
- 50e — février — 10 13 —
- 69e — mars — 4 65 —
- En avril, par le fait de l’allocation de 542 fr., il passe
- 18e avec 15 fr. 45 de prime.
- Dépourvu d’une telle allocation, le mois suivant, il retombera au 51e rang. Dépourvu de même, le précédent bénéficiaire retombera au 45e rang.
- Les votes d’allocations concordantes entre électeurs placés en différents groupes sont nombreux en avril et ces votes partent généralement de 50 francs.
- Dans le groupe n° 8 un électeur emploie comme suit
- la somme à répartir :
- 10 attributions de 50 fr. chacune..... 500 fr.
- 3 — de 60 — 180
- 1 — de 90 — 90
- Total..... 770 fr.
- en faveur de 14 collègues, et il ne lui reste que 272 fr. à distribuer (somme à répartir: 1.042 fr.) entre les 57 autres collègues inscrits au bulletin.
- Inutile d’insister sur le préjudice causé à cette masse de collègues au point de vue du classement final.
- Un autre, dans le groupe n° 4, emploie de façon ana-
- 4
- logue 760 francs au bénéfice de 9 collègues, etc., etc.
- Les votes de 50 fr., 60 fr., 62 fr., 70 fr., 80 fr., 100 fr. paraissent véritablement s’échanger entre membres de
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- LE DEVOIR
- différents groupes. Un débutant rémunéré 50 francs par mois se voit attribuer 50 francs à titre de prime par le suffrage d’un collègue à qui il vote la même somme.
- Nous ne nous arrêterons pas davantage ici à cet ordre de faits, le mouvement devant s’accentuer encore au 5e et dernier essai.
- Observons seulement qu’on s’écarte de plus en plus du principal but assigné au vote : opérer la répartition de la prime mensuelle de façon à fournir des indications tendant à l’équitable rémunération des services de tout le personnel. La somme supplémentaire à toucher en espèces paraît être devenue l’unique objet. Un trait significatif à cet égard est celui-ci : à partir du 4e essai les dix bulletins de vote collectifs préparés à la main dans les bureaux, cessent de porter en tête (1) les indications visant le vrai but de la tentative.
- (A suivre).
- Vve J.-B.-A. Godin , née Moret.
- (1) Voir fac-similé du Bulletin de vote collectif, Le Devoir, juin 1905
- p. 333.
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- LA COOPERATION
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- LA COOPÉRATION
- L’évolution coopérative.
- Les résolutions votées par le congrès de l’Union des • sociétés coopératives françaises de consommation, sont de tous points conformes au plan d’évolution que le secrétaire de l’Union des sociétés coopératives suisses, M. le docteur Hans Muller, traçait dans son discours d’ouverture au congrès de l’Union des sociétés coopératives de Grande-Bretagne et d’Irlande ; elles s’inspirent de l’idéal des pionniers de Rochdale qui donnèrent au monde des travailleurs, en même temps qu’un grand exemple, la formule de son émancipation, reprise et développée par l’Ecole de Nîmes.
- A cet égard, les trois premières résolutions sont particulièrement significatives.
- I. — A la suite du Rapport général sur le Comité Central depuis 1900 à 1905, par M. Daudé-Bancel :
- « Le 11® Congrès national des sociétés françaises de consommation déclare qu’il y a lieu, pour toutes'les sociétés de consommation, d’adhérer aux principes généraux de l’Union coopérative et de les propager.
- « Il presse, en outre, toutes les sociétés d’adhérer sans retard au Comité central de l’Union coopérative des sociétés françaises de consommation. »
- IL — A la suite du rapport de M. G. Collon, de Tours, sur la nécessité d'un fonds de développement inaliénable et des moyens de le constituer :
- 1° « Le Congrès émet le vœu qu’il soit créé dans les coopératives et fédérations nouvelles, un fonds de déve-
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- LE DEVOIR
- loppement collectif, impersonnel et non remboursable ;
- 2» « Que ce fonds de développement soit constitué par un prélèvement sur le montant des bonis. »
- III. — A la suite des rapports Humbert et Alfred Nast, sur la Mutualité et les Œuvres de solidarité dans la Coopération :
- « Le Congrès reconnaissant que les coopératives ne doivent pas se borner à être des sociétés d’achats en commun et qu’elles ont à remplir des devoirs sociaux, émet le vœu qu’elles conservent, développent ou créent dans la mesure du possible des œuvres de prévoyance et de solidarité, autonomes. »
- Par l’appel qu’il adresse à toutes les sociétés coopératives, le Congrès affirme à nouveau la neutralité politique ou confessionnelle de l’Union, et proclame le caractère universel de la coopération.
- En assurant à celle-ci son existence présente, la continuité de son action, la possibilité de son extension, le fonds de développement devient l’indispensable pivot de la transformation économique et sociale ébauchée par la plus modeste des sociétés coopératives et complétée par la coopération systématiquement généralisée. La marche vers ce but ultime est d’autant plus rapide et, ce qui est autrement important, d'autant plus sûre, que la coopération concentre toutes les ressources qu’elle tire d’elle-même sur son objet propre.
- Elle ne s’écarte pas de son objectif en consacrant une partie de ses ressources à la propagande par les conférences, les congrès, les livres, les brochures, à l’éducation coopérative de ses membres, à l’instruction technique de ses agents.
- A ce titre le Congrès est resté dans la logique de son principe directeur, en adoptant les conclusions du rap-
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- port de M. de Boyve, sur Y Instruction coopérative et du rapport de M. A. Fabre, sur la Propagande coopérative par les projections lumineuses.
- Pas plus que l’avantage des conférences par les projections lumineuses, l’intérêt de la création d’un Comité-directeur d'instruction proposée par M. de Boyve, ne saurait être contesté.
- Le Comité rédigera tous les ans un programme d’études pour les coopérateurs, en indiquant les ouvrages à lire et à consulter. Ce programme sera imprimé et envoyé à chaque coopérative qui, au préalable, aura été engagée à former son comité d’éducation après avoir prélevé 2 1/2 o/o sur les bonis pour frais de propagande et d’éducation coopérative.
- Quiconque s’est rendu compte de ce que le développement de la coopération anglaise doit à l’influence de son comité d’éducation, reconnaîtra sans peine l’indissolubilité du lien qui attache l’action coopérative à l’éducation coopérative.
- Il en va tout autrement des œuvres de solidarité (caisses de secours en cas de maladie, de chômage, de retraite pour la vieillesse) généralement annexées par les socialistes à leurs coopératives et en faveur desquelles ils mettent en coupe réglée les ressources de la coopération, si distincte d’elles cependant par sa nature, comme par son but. Ce prélèvement diminue, en eflet, d’autant et d’une manière constante, les munitions que la coopération purement et simplement appliquée pourrait utilement consacrer à la lutte directe contre le régime commercial et industriel présent.
- La distinction entre les deux tendances coopératives est là tout entière. La raison de leur choix est dictée aux socialistes par cette considération, à laquelle une influence originelle n’est pas étrangère, qui leur mon-
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- LE DEVOIR
- tre dans la coopération un des moyens subsidiaires de la transformation de l’ordre économique et social, alors qu’aux yeux des coopérateurs de l'Ecole de Nimes, elle est seule pourvue de l’efficacité nécessaire. A notre avis, il conviendrait de laisser de côté les trop concises appellations : coopération-moyen et coopération-but, car elles prêtent à l’équivoque, et risquent d’accréditer, avec toute la force de pénétration des courtes formules, cette fausse opinion que les partisans de la seconde manière considèrent leur idéal comme atteint par la création dans leur milieu d'une société coopérative. Mais ceci n’a qu’une importance secondaire : la portée des faits dépasse celle des mots.
- L’expérience a déjà détruit bien des préventions, corrigé bien des erreurs de début. La poussée coopérative est telle — les chiffres produits dans les congres coopératifs de toutes nuances en font foi — qu’en dépit de la divergence des programmes, des idées communes s’emparent irrésistiblement de l’esprit des coopérateurs. Vingt-cinq ans se sont écoulés depuis le jour où fut votée au congrès socialiste de Marseille une résolution par laquelle « considérant que la stérilité absolue des moyens de rachat, de coopération, d’alliance du capital et du travail est scientifiquement et expérimentalement démontrée » le parti ouvrier français ne voyait « la solution du problème social que dans l’agitation révolutionnaire la plus active». Et depuis la Bourse coopérative socialiste a été fondée et de grandioses coopératives socialistes fonctionnent. Et Anseele, fort de l’avance prise par le socialisme coopérateur belge mieux inspiré, ne demande aujourd’hui que vingt-cinq ans pour que l’accumulation de l’épargné ouvrière ait donné aux travailleurs « les charbonnages, les carrières, les usines, les fabriques textiles et toute la fiotille de
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- pêche! » Ainsi les groupes sociaux les plus divers s’engagent sur la route qui mène à la conquête de la terre en passant par la conquête du commerce de détail, du commerce de gros, et de la production ; et personne ne recule, et c’est à qui veut arriver le plus vite.
- Et voici qui va faire disparaître une divergence, et tomber le reproche que la jeune coopération socialiste française a souvent adressé à son aînée, de se confiner par faiblesse ou par égoïsme dans la vente aux coopérateurs seuls ; reproche nullement fondé, d’ailleurs, et que n’autorisaient pas des états de service suffisants, car c’est uniquement pour le triomphe d’un droit absolu que la coopération française, rangée sous la bannière du Comité central, a lutté contre l'imposition de la patente. Et c’est encore uniquement pour des motifs tirés de la nécessité de la concordance entre la prospérité matérielle et l’éducation coopérative, — faite en premier lieu du sentiment de la responsabilité chez les directeurs et les vendeurs, et de la capacité de contrôle chez les adhérents — qu’elle s’est refusée à vendre au public. La loi du 21 avril 1905, qui impose la patente aux sociétés coopératives de consommation ouvre à la coopération française des horizons plus vastes ; elle lui crée en même temps des périls dont l’immunité l’avait préservée jusqu’ici. Ces conditions nouvelles ont été lumineusement exposées et analysées par M. Cernesson, dans son rapport au Congrès de FUnion. A la suite de ce rapport, le congrès a voté une série de résolutions conformes à l’esprit de ses conclusions que voici :
- « Dans l’état actuel de la Coopération française, il paraît préférable que les Sociétés coopératives n’usent point du droit qui leur est départi par la législation nouvelle, et n’ouvrent point leurs portes au public. Cette conduite
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- s’impose particulièrement aux Sociétés où l’éducation est peu avancée , et les ressources sociales sont peu considérables.
- « Dans le cas où une Société, d’une solidité financière éprouvée, et sûre du bon esprit de ses membres, croirait devoir adopter le régime de la vente au public, elle devra le pratiquer comme on le pratique en Grande-Bretagne , c’est-à-dire : restituer au public , en fin d’exercice, un dividende égal à la moitié du dividende attribué aux membres, et affecter le surplus, soit au fonds de réserve ou de développement , soit à la propagande et à l’éducation, soit à des œuvres de solidarité sociale. Dans aucun cas, les bonis provenant de la contribution du public ne devront être distribués aux sociétaires ; — et cela pour écarter de nos Sociétés l’envahissement de l’esprit mercantile ; pour assigner aux bénéfices, qui ne proviennent point de la consommation des membres, la seule destination qui leur convienne et en puisse ennoblir l’origine : l’extension même de la Coopération , l’acheminement progressif vers son but invariable. »
- En ce qui concerne les sociétés à forme civile, qui ne peuvent par conséquent pas vendre au public, le Congrès a émis le vœu qu’elles créent des adhérents (entrant dans la société en versant de faibles droits d’entrée ou même en n’en versant pas du tout) lesquels adhérents deviendront automatiquement sociétaires par la totalisation de leurs trop perçus.
- Par d’autres résolutions, le Congrès demande qu’une loi déclare que les Sociétés coopératives ne seront, en aucun cas, considérées comme sociétés commerciales ; — que l’imposition de la patente n’entraîne pas l’interdiction , pour les fonctionnaires, d’administrer des coopératives ou même d’en faire partie, etc.
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- Il y a là des intérêts communs qui ne perdraient rien à faire l’objet d’une commune sollicitude, soit que les coopératives, payant désormais la patente dans tous les pays coopératifs, s’abstiennent volontairement de vendre au public, comme en Allemagne ou en Suisse, soit qu’elles vendent au public, comme en Angleterre, dans les conditions rappelées par M. Cernesson, ou comme en Espagne, en Russie, en Hollande, en Belgique et en Italie.
- Avec ou sans épithète, l’action coopérative a pour objet de détruire le régime de la compétition. Peut-on dès lors concevoir la coopération introduisant dans son sein cette compétition funeste dont elle veut délivrer le monde, et des coopératives luttant contre d’autres coopératives ? Cela arrive pourtant, et dans certains pays même les cas de ce genre ne sont pas rares.
- On a constaté à Seraing (Belgique), en 1902, l’existence de 10 sociétés coopératives, et de 12 groupes économiques ( mutuelles d’achat ) , faisant à peu de choses près le même genre d’affaires : vente de pains, épiceries, fromages, etc.
- Les trois plus fortes coopératives ont de 600 à 700 membres : les plus faibles une soixantaine. Les 2/5es de la population adhèrent aux sociétés coopératives ; les douze groupes réunissent environ 800 chefs de familles.
- A ce compte, ainsi que le font remarquer « Les coopè-rateurs belges » en commentant ces chiffres, l’agglomération bruxelloise qui comprend 600,000 habitants, soit seize fois la population de Seraing, pourrait avoir 160 coopératives et 192 groupes. Ce serait évidemment insensé et contraire à ce qu’exige une bonne organisation coopérative.
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- Notre excellent confrère estime avec raison qu*une seule association coopérative, avec boulangerie, magasin central, et succursales dans les principaux quartiers de la localité auraient suffi largement aux besoins d’une population de 38,000 habitants.
- Au lieu de cela, on s’est divisé, on a créé des sociétés ayant chacune son administration, ses bureaux, ses frais généraux, etc., etc. Comme si ce n’était pas assez de la lutte engagée contre le commerce local, ces sociétés se font concurrence entre elles, chacune s’efforçant de donner une plus forte ristourne que l’autre et, par dessus le marché, elles voient se lever les groupes économiques qui vendent à prix réduits.
- Pourquoi, conclut l’organe coopératif belge, ne commenceraient-elles pas par organiser une fédération locale pour les achats à faire directement à la Fédération coopérative ? Ce serait le début d’une action commune qui pourrait obtenir le plus grand succès.
- Encore faudrait-il s’entendre pour délimiter la sphère d’action de chaque société coopérative. La question s’est posée plusieurs fois devant les congrès. L’un deux a décidé qu’il ne devait y avoir qu’une boulangerie , qu’une brasserie , qu’une société de production par arrondissement, ou par région.
- Il faut croire que cette prescription n’avait rien d’impératif, ou qufil est impossible de tenir la main à son exécution, en supposant qu’on s’y efforce.
- En Suisse, les statuts de l’Union rendent à peu près irréalisable la coexistence dans la même localité de deux coopératives faisant partie de l’Union. En Angleterre, aucune coopérative n’est affiliée sans enquête du Comité central. C’est à une solution de ce genre que s’est arrêté le congrès de la Fédération belge. Une com-
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- mission permanente réglera les difficultés qui pourraient surgir entre coopératives sur la question du rayon d’action ; elle interviendra préventivement. Des sous-commissions seront créées par arrondissement.
- L’esprit coopératif anglais façonné par une longue pratique à la condensation de toutes les forces coopératives, a peut-être plus contribué que toutes les restrictions statutaires à l’adoption de la règle d’une coopérative unique pour un même lieu. Dans son livre aussi fortement documenté que bien ordonné : Les sociétés coopératives anglaises, M. Joseph Cernesson , cite une vingtaine d’exceptions à cette règle.
- La plus curieuse à coup sûr est celle que nous offrent l’« Oldham équitable society » et l’« Oldham industrial society » simultanément fondées , en 1850 , par des ouvriers, dans deux faubourgs opposés de la ville d’Oldham, sans connexion originelle connue, et qui sans doute spontanément écloses à l’insu l’une de l’autre, se sont développées séparément avec un égal succès.
- « L’Oldham industrial coopérative society » en effet, au 1er janvier 1904, comptait 14.651 membres, possesseurs d’un capital de 3.896.550 francs ; à la même date 1’ « Oldham Equitable society » comptait 12.172 membres, possesseurs d’un capital de 3.326.200 francs.
- Non seulement ces deux sociétés « ont su se délimiter d’exactes frontières, rester émules sans devenir rivales, » mais encore elles ont contribué par des souscriptions d’actions au développement des sociétés de production établies à Oldham ou même ailleurs, et, en 1868, elles ont pris ensemble la direction du «Star Corn Mill d’Oldham», (moulin coopératil) fondé par elles, mais dont elles n’avaient été d’abord qu’actionnaires. Le « Star Corn Mill » a un capital de 12.000 livres (1.300.000 francs) dont 9.000 livres fournies par l’une et 10.125
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- livres par l’autre ; il approvisionne de farine les deux sociétés et leurs boulangeries. Les deux sociétés ont dans l’administration un nombre égal de représentants. Faut-il être surpris après cela, qu’elles aient pu communier ensemble fraternellement, en 1900, lors de la célébration de leur commun jubilé cinquantenaire ?
- S’il est de bonne règle coopérative qu’une même ville ne possède pas plusieurs sociétés coopératives, on voit que l’exemple des deux grandes coopératives d’Oldham ne la contredit pas beaucoup, le minimum d’infraction à cette règle qu'elles présentent, étant amplement compensé par des réalisations conformes au véritable esprit coopératif.
- L’Union suisse, avons-nous dit, a pris des mesures pour empêcher la concurrence des sociétés, pour prévenir l’émiettement des énergies groupées dans l'organisation coopérative de la consommation.
- Aux termes de l’article 11 de ses statuts, « une société de consommation ayant son siège dans une localité où il existe déjà une société de l'Union, ne peut être admise dans l’Union que si elle est en mesure de justifier d’une organisation mieux en harmonie avec les principes coopératifs et offrant une meilleure garantie de prospérité. »
- C’est par application de cet article que fut à deux reprises, en 1898 et en 1904, refusée par le Comité central l’admission, dans l’Union, de la coopérative genevoise « la Fidélité. »
- En effet, « la Fidélité » n'est pas la plus forte société de Genève : elle compte à peine 1,000 membres avec un débit de 194,000 francs ; tandis que la « Société coopérative suisse », affiliée à l’Union, compte actuellement plus de 10,000 sociétaires et son débit a dépassé, l’année dernière, 3 millions et demi, Sans doute, en ce qui
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- concerne leur organisation respective, les deux sociétés reposent sur les mêmes bases ; mais les conditions exigées par l’article 11 des statuts n’étaient pas absolument remplies par « la Fidélité. »
- Tout en rendant hommage au bon esprit coopératif qui anime cette société, qu’il aurait voulu voir fusionner avec sa sœur de Genève, le Comité central avait donc repoussé sa demande d’affiliation à l’Union. La société ainsi évincée , ayant adressé un recours au Congrès d’Hérisau contre cette décision, le Congrès a ratifié la décision de son Comité central.
- M. Racine, membre du Comité central, président de la société genevoise affiliée à l’Union, avait, au nom de cette société, exprimé .le désir de voir admettre «la Fidélité » dans l’Union ; mais reconnaissant que le texte formel des statuts rendrait impossible cette admission, il déclara vouloir proposer à la première occasion la révision de l’article 11 dans le sens suivant :
- «Art. 11. Ne peut, dans la règle, faire partie de l’Union qu’une seule société coopérative de consommation par localité ou commune politique.
- « Les dérogations à ce principe doivent être ratifiées par rassemblée des délégués.
- « Toutefois, si une société coopérative de consommation ayant son siège dans une localité ou commune politique où il existe déjà une section de l’Union, désire faire partie de cette dernière, elle pourra être admise :
- <r 1«> Si ses statuts sont conformes au principe coopératif poursuivi par l’Union ;
- « 2° Si la société antérieurement 'reçue ne s’y oppose pas d’une façon formelle ;
- « La décision, sur cette réception, est réservée au comité central de l’Union, »
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- Nous avons vu les groupes économiques faire concurrence aux coopératives à Seraing Ce n’est pas seulement dans cette ville que sévit ce que les socialistes coopérateurs belges appellent le groupisme.
- Le rapport présenté par M. V. Serwy, secrétaire de la Fédération coopérative belge, au dernier congrès de la Fédération, dit qu’il existe également depuis nombre d’années des groupes économiques dans la province de Liège et notamment dans la vallée de la Vesdre, aux environs de Liège, à Ans, Saint-Gilles, etc, ainsi que sur le plateau de Herve, et il signale leur apparition dans le centre, où le « Progrès de Jolimont, » une des plus remarquables coopératives socialistes était, jusqu’à ce jour, le seul organisme commercial du parti ouvrier.
- Ce sont des « groupes d’ouvriers qui se réunissent après le travail, chaque semaine ou chaque quinzaine, pour acheter en commun un certain nombre de marchandises alimentaires et autres. Chacun indique l’importance de son achat, un comité réunit les ordres et les exécute. Le paiement se fait généralement au comptant. La distribution des produits a lieu huit ou quinze jours plus tard ».
- La coopération, en Belgique, est en étroite connexion avec le syndicalisme, la lutte politique et la mutualité. Elle était d’autant plus sollicitée d’envisager le groupisme au point de vue de ses rapports avec ces divers mouvements, que les groupes tirent d’elle la plus grande partie de leur subsistance. Le groupisme est-il une hérésie socialiste c’est-à-dire politique, syndicale, mutualiste ? On l’en accuse. Il s’en défend insuffisamment, cite ça et là quelques œuvres sociales qui lui doivent leur entretien. L’hérésie cesse, ou du moins s’atténue, si le groupiste individuellement remplit son devoir de membre du parti ouvrier, de syndiqué, de
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- mutualiste, ou bien si le groupe, en tant qu’organisme collectif majore le prix de revient des marchandises à répartir pour alimenter la caissse politique, syndicale ou mutualiste ; alors il répond sur ces différents points à l’objectif socialiste de la coopération.
- Mais tel n’est pas le cas généralement, car voici ce qu’on lui reproche de ce chef : Les groupes n’ont jamais sollicité leur adhésion au parti ouvrier ; ils ne votent jamais, ou très rarement, des subsides soit en faveur des journaux socialistes , soit aux cercles d’études , bibliothèques etc. Ils ne s’inquiètent pas des conditions imposées à ceux qui produisent les marchandises vendues. Ils ne s’occupent pas de créer des oeuvres de prévoyance et de solidarité. Ils ne préparent pas, par l’administration régulière, des camarades à la gestion de la commune, de la société.
- On voit que le socialisme, ni dans son ensemble, ni dans ses différentes branches, ne trouve son compte, dans le groupisme.
- Si le groupe ne contribue pas au développement des oeuvres de solidarité politique ou sociale, en vendant au prix de revient il ne contribue pas davantage au développement de la coopération elle-même.
- La concurrence que les groupistes font à la coopération socialiste est d’autant plus sensible à celle-ci qu’ils sont dégagés des obligations qu’entraînent l’affiliation au parti, et des charges résultant d’un local mis à la disposition de tous les travailleurs, de la constitution de fonds de secours, de caisses de retraites, etc. Les groupistes ont été vivement attaqués au congrès de Liège. M. V. Serwy a fait avec beaucoup de tact et de mesure le procès du système. Finalement, les groupistes ont été invités à diriger leur activité vers la coopération et le système a été condamné au nom du socialisme et au nom de la coopération.
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- Même aux yeux de ceux qui n’admettent pas l’emploi des bonis coopératifs à tout autre objet que le développement de la coopération, le groupisme ne peut sortir victorieux d’un débat engagé sur sa valeur comparée à celle du mouvement coopératif. Revêtant plutôt le caractère d’une création passagère pour satisfaire les besoins momentanés, il représente la suppression de l’effort continu vers le mieux être et de l’éducation économique et morale que l’effort confère à ceux qui lui sont fidèles.
- La supériorité de la coopération est dans sa permanence, dans le développement constant de son action.
- (.A suivre). J. P.
- Machine à fabriquer des Sociétaires.
- Elle fonctionne à YUnione Cooperativa, de Milan.
- Dans cette société, les actions sont de 25 francs, afin de permettre à chacun de devenir propriétaire de la plus grande organisation coopérative d’Italie. Comme certains ne disposent pas de 25 francs, ils peuvent devenir sociétaires par une machine ad hoc.
- C’est une sorte de machine distributrice automatique placée à l’entrée principale de la société. Les passants qui sont séduits par la beauté de l’institution et qui désirent se l’approprier versent des pièces de 10 centimes dans un trou spécial. En échange, ils reçoivent des cartons imprimés témoignant de versements effectués par eux à YUnione Cooperativa et quand ils ont pour 25 francs de tickets, ils sont sociétaires.
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- AFRIQUE AUSTRALE.
- Blancs.
- La Constitution promise au Transvaal par le traité de paix de 1902 a été promulguée le 25 avril 1905.
- La nouvelle constitution comporte une Assemblée législative ainsi constituée : le lieutenant gouverneur du Transvaal, des membres officiels (au nombre de 6 au moins et de 9 au plus), des membres élus (au nombre de 30 au moins et de 35 au plus). Auront le droit de vote :
- 1° Les burghers inscrits sur la dernière liste des burghers de la République sud-africaine qui avaient le droit d’élire les membres du premier Volksraad ;
- 2° Toute personne ayant occupé pendant six mois au moins avant la date de l’inscription des, immeubles ayant, avec les terres, une valeur de 2,500 francs ou une valeur locative annuelle de 250 francs ;
- 3° Toute personne ayant reçu pendant six mois au * moins avant la date de l’inscription, un traitement ou salaire d’au moins 2,500 francs par an.
- L’octroi du droit de suffrage aux anciens burghers sans payement d’aucun cens n’était qu’une question d’équité et c’eut été un criant abus de restreindre, en raison d’un appauvrissement dont la conquête est la cause, les droits politiques des vaincus.
- Tous les votants doivent être âgés d’au moins vingt et un ans.
- Les débats et discussions de l’Assemblée législative doivent avoir lieu en langue anglaise. Cependant, avec l’assentiment du président, l’emploi de la langue hollandaise dans les débats est autorisé.
- L’Assemblée pourra légiférer en toute matière, et
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- ses membres auront le droit de proposer des lois, sauf lorsqu’il s’agira de questions financières, auquel cas l’initiative appartiendra seulement au gouverneur, qui fera partie de l’Assemblée.
- Les lois votées par l’Assemblée seront promulguées après avoir été approuvées par le gouverneur , mais celui-ci devra les transmettre au gouvernement métropolitain qui pourra les abroger dans les deux années suivantes.
- Le gouverneur aura le droit de proroger l’Assemblée dont les membres seront élus pour quatre ans.
- L’article 26 stipule :
- Tout membre de l’Assemblée législative devra, avant d’être autorisé à y siéger et voter, prononcer le serment suivant devant le président de ladite Assemblée : « Je... jure que je serai fidèle et loyal à Sa Majesté le roi Edouard VII, à ses héritiers et successeurs, aux termes de la loi. Que Dieu me soit en aide ! »
- L’article 67 accorde, contrairement aux usages anglais, une indemnité pécuniaire aux membres de l’Assemblée. Cet article est ainsi conçu :
- « Il sera payé à la fin de chaque session, à chaque membre élu de l’Assemblée législative, une somme de 2 livres sterling pour chaque séance de la session à laquelle il aura assisté, pourvu que les sommes ainsi payées à chaque membre n’excèdent pas 200 livres sterling pour une année ».
- La Constitution est, à'proprement parler, la loi électorale de la nouvelle colonie.
- Dans le document 'parlementaire qui en accompagnait le texte expédié à Prétoria, M. Lyttleton, secrétaire colonial, dit que le moment ne semble pas encore venu d’accorder au Transvaal un gouvernement responsable. Il exprime le voeu que le nouveau conseil législatif avise aussitôt que possible aux moyens de payer à la métropole la contribution de guerre de 30 millions de livres à laquelle la colonie est tenue, et explique que si la réforme n’est pas étendue à la .colonie de l’Orange,
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- c’est que celle-ci ne se trouve pas dans les mêmes conditions industrielles ; et, qu’en outre, il n’eût pas été prudent de concéder à toute la population boër, sitôt après la guerre, un régime qui, bien que libéral, ne satisfait pas encore toutes ses aspirations.
- La nouvelle Constitution transvaalienne marque, pour ainsi dire, un effort important de la part de l’Angleterre dans le sens de la conciliation et du rapprochement des deux races blanches dans l’Afrique du Sud, ainsi que vers l’établissement d’une autonomie plus complète.
- Y aura-t-il une détente à la suite de la réforme actuelle ?On en peut douter si l’on se reporte aux déclarations du général Botha à Prétoria et à Krügersdorp à la fin du mois de janvier, puis postérieurement à la promulgation de la Constitution.
- Au commencement de mai, le général Botha adressait à l’association Het Volk une traduction en hollandais du nouveau statut et de la lettre ministérielle, lesquels n’avaient été publiés qu’en anglais, et la faisait suivre d’une critique des principaux points, de nature, disait-il, à causer un mécontentement général.
- Le général Botha proteste d’abord contre l’ostracisme dont on frappe la colonie de l’Orange, qui reste soumise au régime des colonies de la couronne sans atténuation, et critique ensuite point par point la Constitution et la loi électorale. Il blâme surtout et trouve humiliante l’obligation imposée aux élus de demander une autorisation pour faire usage de la langue hollandaise qui devrait être de droit, et termine en exprimant l’espoir que le Transvaal n’attendra pas longtemps son autonomie complète, basée sur les principes qui ont fait de la constitution anglaise un modèle de justice et d’équité.
- Entre autres griefs des Boërs, il fait valoir leur déception de n’avoir pas obtenu l’autonomie complète et de ne pouvoir souverainement édicter des lois concernant les impôts que doivent supporter les indigènes. Il proteste
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- également contre l’égalité de situation faite aux membres des nombreuses familles et aux célibataires venus dans la colonie dans le simple but de chercher fortune. Plus récemment encore, dans le courant de juillet, le congrès de l’association Het Volk s’est réuni à Johannesburg pour étudier quelle doit être l’attitude des Boërs vis-à-vis de la nouvelle Constitution et la part qu’ils doivent prendre dans les élections. Le congrès après des débats assez vifs a cru devoir ajourner sa décision à une époque plus proche des élections. Il a résolu de demander au gouvernement anglais la modification de tous les points discutés de la Constitution avant de prendre part aux élections.
- En attendant ils se font inscrire en grand nombre sur les registres électoraux. Voteront-ils ?
- Il y a un an, un anglais, M. Bailey, après une étude statistique plutôt optimiste, concluait que les Boërs sont aux Anglo-Saxons dans la proportion de 14 à 10. Si les Boërs usent de leurs droits électoraux, la restauration du système représentatif ne sera-t-elle pas le commencement, sur nouveaux frais, d’une nouvelle lutte de race ?
- Jaunes.
- Un second problème se pose dans le Sud-Africain, celui de l’introduction de la race jaune.
- Depuis la fin de la guerre, l’exploitation des mines d’or, qui font la principale ressource du Transvaal était en proie à une crise très grave : la sécurité manquait , la main-d’œuvre aussi.
- La sécurité revenue, il s’agissait de trouver la main-d’œuvre.
- Les nègres qui étaient jadis employés à cette besogne n’en voulaient plus entendre parler pour la plupart.
- Telle était du moins l’opinion de la majorité d’une commission nommée par le conseil législatif du Transvaal en vue « de rechercher quelle quantité de main-
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- d’œuvre était nécessaire pour les besoins de l’agriculture, des mines et autres industries du Transvaal, et de définir jusqu’à quel point on peut trouver une main-d’œuvre suffisante pour res besoins dans l’Afrique centrale et australe » (2 juillet 1903).
- Une petite minorité (2 membres contre 9) était au contraire d’avis que la main-d’œuvre indigène était suffisante, et qu’elle pouvait en beaucoup de cas être complétée et remplacée par la main-d’œuvre blanche.
- A la vérité, la majorité préparait le terrain à l’importation des travailleurs chinois demandée par les compagnies minières.
- Les ouvriers organisés d’Angleterre firent des manifestations : ils rappelèrent que le gouvernement pendant la guerre avait donné des espérances aux travailleurs manuels et leur avait laissé croire que le développement économique des nouveaux territoires anglais se ferait à leur profit. Les colonies australiennes, gouvernées par des ministres qui s’appuient sur les partis ouvriers, protestèrent officiellement. Les propriétaires de mines déclarèrent qu’ils ne pouvaient employer les blancs parce que les salaires des Européens étaient habituellement de. 10 shillings, ceux des noirs de 1 sh. 6 à 2 sh.
- La différence de salaires, disaient-ils, resterait trop onéreuse même si l’on faisait appel aux immigrants des pays pauvres, italiens, slaves, hongrois, russes. A quoi les Trade-Unions anglaises répliquaient que ce que les patrons de l’Afrique Australe voulaient en réalité, c’était des travailleurs plus soumis que les blancs et moins portés à se syndiquer, ils disaient même « des serfs et des esclaves. »(u
- Il va sans dire que l’opinion des propriétaires de mines l’emporta devant le conseil législatif, qui émit à la fin de décembre 1903, un vœu en faveur de l’importation
- (I) Voir la substantielle étude de M. Albert Metin dans le Musée social-annales, mài 1905.
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- des Chinois par 22 voix contre 4. L’opposition fut plus forte à la Chambre des communes (252 voix contre 299) et même â la Chambre des Lords (25 voix contre 97). La question était législativement résolue.
- L’importation des Chinois fut réglée par une ordonnance dont voici les principales prescriptions :
- Nul ne peut recruter des Chinois sans une autorisation spéciale. Les Chinois doivent être vaccinés avant ou pendant le voyage. Ils peuvent être accompagnés par leurs femmes et leurs enfants au dessous de 10 ans. Ils sont engagés ordinairement pour trois années, mais peuvent à tout moment quitter leur emploi, à condition de rembourser le prix de leur voyage d’aller et le prix de leur retour au port d’embarquement. Il leur est interdit de transférer leur emploi à un autre Chinois sans une autorisation dûment enregistrée. Il leur est interdit d’acquérir des propriétés foncières ; ils ne peuvent par conséquent s’établir comme colons. Ils doivent être cantonnés dans des enclos (compounds) dont il leur est interdit de sortir.
- Au moment de la première application de la nouvelle mesure, les journaux donnèrent, d’après des dépêches de source anglaise, le résumé qui suit du contrat d’embauchage.
- Durée tS ans, avec option de renouvellement ; passage aller et retour, logement et assistance médicale gratuits, journée de travail de 10 heures, salaire 25 shellings par mois, avec option pour le travail aux pièces, à un prix donnant la possibilité de gagner 50 shellings par mois ; travail les dimanches et jours de fêtes chinois, facultatif , et payé supplémentairement ; ration quotidienne de 40 onces de céréales, viande ou poisson, légumes, thé, huile de noix et sel.
- Les patrons s’engagent à fournir des écrivains, des eoiffeurs, des vêtements, des livres et du tabac aux prix de Tien Tsin, indemnité aux familles des travailleurs en cas de mort ou d’incapacité de travail ; en cas de mort les cadavres seront envoyés en Chine gratuitement ou enterrés au Transvaal suivant le désir des familles.
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- Mais depuis lors, les documents officiels sont restés muets sur les salaires chinois.
- Le premier convoi de Chinois importés est arrivé en Afrique australe, le 18 juin 1904. Les arrivants étaient au nombre de 1.049. A la fin de novembre 1904, on comptait en tout 19.444 Chinois, et on en attendait 32.000 autres. Au point de vue strictement économique, l’expérience trop courte encore, ne permet pas déjuger la valeur de la solution que les propriétaires des mines ont fait triompher.
- Avant la guerre , les mines employaient 100.000 Cafres. Ce chiffre était presque atteint au commencement de 1904. Le nombre des blancs qui était de 133 en mars 1899, et qui était tombée à un chiffre insignifiant peu avant l’arrivée des Chinois, dépasse aujourd’hui d'une dizaine le chiffre de 1399, et le ministre anglais des colonies , M. Lyttleton , assurait que les mines réunies feraient appel à un supplément de 1700 blancs, quand tout aurait été mis en train. Tout cela, pour établir que le travail chinois n’aurait enlevé aucune chance d'emploi aux Cafres et aux blancs.
- Il faudrait donc considérer que le recours immédiat d’une abondante main-d’œuvre chinoise devait avoir surtout pour effet de donner un vigoureux élan à la production. Toutefois l’augmentation graduelle des deux éléments cafre et blanc dans l’exploitation des mines, enlève un peu de son importance à l’argument tiré de l’hypothèse qu’il est impossible d’employer les Cafres, à cause de leur non vouloir, et les blancs à cause de leurs exigeances pécuniaires.
- Si l’on se place au point de vue social et humain, on est frappé de la rigueur des mesures prises pour empêcher l’établissement permanent des Chinois sur la terre d’Afrique et de l’insignifiance des prescriptions humanitaires dont l’exécution est placée par la convention anglo-chinoise du 13 mai 1904, relative à l’importation des Chinois, sous la faible garantie du consul ou vice-consul que l’Empereur de Chine se réserve de nommer.
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- L’opinion publique continue à s’alarmer de voir le rétablissement du servage collectif, l’emprisonnement forcé dans les compounds des coolies ; l’interdiction pour eux de circuler, leur transfert passif de main en main par la seule volonté du maître, les pénalités inscrites dans la loi contre l’hospitalité donnée à un Chinois errant, etc. Et les Chinois sont-ils, eux, satisfaits du genre de vie qu’on leur impose et de leurs salaires ?
- En mars 1905, des troubles graves ont été causés par des grèves de Chinois qui sont sortis en bande des enclos pour manifester. Les troubles ont recommencé le 1er juillet. Une députation de l’Association des mineurs s’est rendue auprès du gouvernement pour réclamer des mesures de protection plus énergiques en faveur des blancs qui travaillent dans les mines avec les Chinois , et. le gouverneur a promis de s’occuper des doléances de la députation. Quelles mesures plus restrictives pourrait-on bien imaginer encore?
- Il ressort d’une enquête ordonnée par le Conseil lé» gislatif que, jusqu’en juillet, trente et une accusations de voies de fait d’un caractère grave aurait été retenues contre les Chinois. La population a été accrue de 46,000 âmes par l’immigration chinoise.
- En comparant les chiffres respectifs de la criminalité chez les Chinois et chez les blancs, il a été établi que l’accroissement de la criminalité parmi les Chinois a été inférieur à celui qui aurait résulté de l’immigration de 46,000 blancs. La situation ne revêtirait donc pas le caractère de gravité que certains alarmistes se plaisent à lui donner, en vue d’obtenir contre les Chinois des mesures plus draconiennes encore que celles qui les frappent.
- Un membre du conseil législatif, M. Hull, adversaire de la main-d’œuvre chinoise, interpellant sur les désertions des travailleurs chinois déclara qu’il était désirable d’armer les habitants des districts excentriques, de donner aux simples citoyens le droit d’arrêter les déserteurs et d’offrir une récompense pour les arres-
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- tâtions. L’attorney général répondit qu’on avait distribué des armes et qu’on allait introduire dans l’ordonnance relative à la main-d’œuvre chinoise des amendements conformes aux désirs de M. Hull. Sir George Herbert Farral, président du groupe des proriétaires du Rand oriental, parlant au nom de l’industrie des mines, annonça qu’il acceptait toute la responsabilité des mesures déjà prises ou qu’on se disposerait à prendre. Ainsi adversaires et bénéficiaires de la main-d’œuvre chinoise sont d’accord pour rendre la vie dure aux célestes. « Le Chinois est moins docile que le Nègre, écrit M. Albert Metin. L’esprit d’association est très répandu en Chine. Les ouvriers et les domestiques de ce pays ont l’habitude de la coalition et de la grève. Le mouvement de mécontentement auquel nous venons d’assister dans l’Afrique australe et la forme sous laquelle il s’est produit, n’ont rien qui étonne ceux qui connaissent les Chinois. »
- Nous ne sommes donc pas au bout. Et si l’on tient compte du profond préjugé de race qui met aux prises chacun des éléments africain, asiatique et européen, avec chacun des deux autres séparés également entre eux par le même préjugé, sur le sol où les hasards de la conquête et les calculs du capitalisme les livrent au jeu de la concurrence vitale, il est permis de craindre que Timmigration chinoise ne trouble grandement la vie politique et morale du continent sud-africain.
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- Noirs.
- « Ce ne sont pas les jaunes, ce sont les noirs qui m’effraient », disait l’année dernière lord Grey. Quelque temps auparavant le chef du * gouvernement anglais, M. Balfour, avait prononcé les paroles suivantes : « Les noirs augmentent plus vite que les blancs. Le problème des races dans le sud de l’Afrique présentera d’incomparables difficultés. » Les noirs n’augmentent pas seule-
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- ment en nombre ; mais encore leur richesse et leur instruction font des progrès très rapides.
- Le nombre des noirs s’est accru considérablement depuis que, grâce aux Européens, ils ont cessé de s’entre-tuer. L'état de paix leur a permis de s’enrichir par le travail et de développer leur intelligence par l’instruction. Ces noirs ont reçu Nune instruction qui, pour quelques uns d’entre eux, est fort complète (latin, grec, etc). Après avoir longtemps fondé sa puissance sur leurs divisions , le gouvernement du Cap les a appelés à la vie politique, afin de neutraliser par leur appoint l’influence de l’élément hollandais. D’après la récente loi électorale de cette colonie, tout habitant qu’il soit noir, blanc ou jaune, est électeur, après une année de résidence, pourvu qu’il ait une propriété de 1.625 francs ou un salaire de 1.500 francs et qu’il soit capable de signer son nom et d’écrire son adresse.
- Telle est la prospérité des nègres depuis la guerre, que le temps vient où presque tous rempliront les conditions de cens. Et quant aux conditions de l’instruction elles ne font pas davantage défaut. Les nègres sont douze cent mille dans la colonie et les blancs moins de quatre cent mille. Aux dernières élections du Cap, le parti libéral anglais n’a triomphé sur le Bond (parti hollandais) que grâce au vote des nègres. Le nègre est donc, à cette heure, l’arbitre entre les deux nationalités blanches ; dans quelques années il aura la prépondérance. Il y a 93 000 petits nègres dans les écoles du Sud de l’Afrique, et seulement 60.000 petits blancs. Inévitablement les premiers occuperont un jour dans le Parlement la même place que dans les Ecoles.
- Dans la nouvelle colonie anglaise du Transvaal, les choses ne vont pas encore du même train, mais elles marchent. A plusieurs reprises une tendance sensible à l’agitation a été signalée parmi les indigènes du Transvaal, particulièrement depuis l’entrée en lice des nègres dans l’arène politique au Cap.
- Les Boërs avaient refusé purement et simplement aux
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- Cafres la plupart des droits civils et politiques, afin de supprimer toute compétition de la majorité indigène contre la minorité blanche.
- Lorsque la puissance Transvaalienne sombra sous les coups de l’Angleterre, les indigènes comptaient qu’on leur distribuerait les propriétés des Boërs. Ils ont été déçus. De là un mécontentement qu’exploite habilement la propagande politico-religieuse de l’Eglise Ethiopienne, cette vaste tentative d’englobement, dans une même foi et bientôt, peut-être, sous un même drapeau, de tout l’élément noir, aussi bien dans les colonies anglaises qu’au dehors.
- Cependant plus libéral en cette matière que le gouvernement boër, le gouvernement anglais a récemment nommé une commission, pour enquêter sur les principales questions touchant les indigènes, à savoir le droit à la propriété immobilière, la législation et les tribunaux indigènes, les écoles, et enfin le droit électoral.
- Un article du Temps (23 mai) nous a appris que la cour suprême du Transvaal avait solutionné la première de ces questions, celle de la propriété immobilière individuelle.
- Les Cafres, jusqu’ici, ne pouvaient acquérir la terre en leur nom et le titre de propriété était inscrit au nom de la commission de location aux indigènes, pouvoir transféré ultérieurement au surintendant chargé de la surveillance des indigènes, agissant comme curateur des biens.
- Le cas présent soumis à la cour suprême était celui d’un pasteur indigène domicilié dans la colonie du Cap, où les Cafres jouissent des droits politiques, qui demandait l’enregistrement d’une propriété qu’il avait achetée près de Krügersdorp, au Transvaal.
- Le jugement de la cour suprême détruit l’effet prohibitif de la résolution n° 106 de 1884, de la section 13 de la convention de 1881, et donne aux Cafres au Transvaal une situation que les Anglo-Saxons trouvent privilégiée, les Européens n’ayant pas le droit d’acquérir des terres dans les réserves cafres,
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- Cette victoire marque une étape d'un grand mouvement d’affranchissement. La perspective de devenir propriétaire, aussi bien que l’aiguillon de la concurrence, incitera le Cafre à la persévérance dans le travail, car actuellement vivant aisément de peu, il ne tient pas beaucoup à travailler.
- L’exercice des droits électoraux ne suivra, sans doute, que bien plus tard l’acquisition de la propriété. Ce fut, en effet, une des conditions de la paix de 1902 que les indigènes du Transvaal n’auraient aucun droit électoral, et le gouvernement anglais est resté fidèle à sa promesse, mais en même temps qu’il privait ses sujets noirs du droit de nommer des représentants au Parlement de la colonie, le roi donnait l’ordre que toute loi d’exception, dirigée contre les non Européens et les astreignant à des devoirs ou restrictions non partagés par les Européens, serait réservée, c’est-à-dire soumise à la décision suprême de Sa Majesté. Cette garantie a paru insuffisante aux noirs, ils ont dressé leurs cahiers de réforme et les ont soumises au commissaire britannique.
- L’Afrique australe anglaise dans son ensemble compte six millions de nègres et environ neuf cent mille blancs. Que le nègre travaille, il devient un concurrent invincible ; qu’il vote et il dominera.
- Comment l’Angleterre se tirera-t-elle de toutes ces difficultés? Elle peut sans doute compter sur les Boërs et les Nègres pour comprimer l’expansion des Chinois ; mais le Nègre se développe plus vite que le Boër, et le Boër plus vite que l’Anglais.
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- Le patriotisme et les instituteurs.
- Les instituteurs et institutrices de la Lozère, réunis le 13 août à Florac, pour l’assemblée générale de I’Assot ciation « La Solidarité laïque », ont adopté, à l’unanimité, la déclaration suivante :
- « Au moment où le patriotisme des instituteurs est si vivement discuté, les membres de la « Solidarité laïque », association amicale des instituteurs et des institutrices de la Lozère, réunis en assemblée générale, à Florac, le 13 août 1905, au nombre de 200, tiennent à déclarer qu’ils pensent et enseignent ce qui suit :
- « La guerre est un reste de barbarie; elle n’est ni une condition de progrès et de moralité, ni la solution nécessaire des différends internationaux ; elle est plutôt un instrument d’oligarchie, un moyen de brigandages gigantesques, une source inépuisable de haines et de conflits. Elle doit être « déshonorée », sauf lorsquelle a pour but la libération, l’indépendance ou la défense, « mais alors elle est un devoir ».
- «La guerre absorbe tous les ans des sommes colossales qui seraient très utilement employées à des œuvres sociales ; elle occupe des milliers de bras vigoureux qui manquent aux champs, à l’atelier, à l’usine. Cependant, ce serait folie de demander à la France de s’immoler à la paix par un désarmement unilatéral, car son sacrifice pourrait n’avoir pour résultat qu’un déchaînement monstrueux de force brutale et d’appétits dans lequel notre démocratie et notre civilisation risqueraient de sombrer.
- « L’armée n’est pas une faction au service d’un parti ni une caste s’érigeant au-dessus de la nation. Elle est
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- LE DEVOIR
- la nation elle-même, en armes, veillant sur ses destinées. Elle ne doit pas être un objet de crainte pour les uns, d’espérances malsaines pour les autres ; elle doit être pour tous un objet de confiance et un gage de sécurité.
- « La patrie est l’élargissement de la famille comme l’humanité est l’élargissement de la patrie. Ces trois notions ne s’opposent ni ne s’excluent ; elles se complètent et se juxtaposent. Le patriotisme doit être fait d’estime et de sympathie pour ses concitoyens et non de mépris et de haine pour l’étranger.
- « La patrie n’est pas une entité immuable. Elle représente à chaque époque un degré de concentration sociale. Ce serait méconnaître les lois du progrès que de croire être arrivés au dernier terme de cette concentration. L’avenir verra peut-être des fédérations de patries comme le passé a vu des fédérations de provinces, de tribus et de clans. Notre patriotisme n’a pas lieu de s’en émouvoir. Dans ces fédérations, le sentiment patriotique pourra être aussi fort que dans les patries actuelles le sentiment régionaliste et le sentiment familial
- « Les membres de la « Solidarité laïque » se refusent à confondre : le pacifisme avec l’appel à la désertion ; le devoir militaire avec le militarisme ; l’internationalisme avec l’antipatriotisme ; le patriotisme avec le nationalisme « cét artificieux pseudonyme de la pensée cléricale. »
- Une quinzaine de jours après, le congrès des Amicales des instituteurs réuni à Lille votait à l’unanimité de deux mille membres présents environ une déclaration ainsi conçue :
- « Le congrès des Amicales, ému des calomnies lancées contre les membres de l’enseignement primaire, à propos de la prétendue crise du patriotisme à l’école,
- « Déclare que les instituteurs sont énergiquement attachés à la paix. Ils ont pour devise guerre à la guerre, mais ils n’en seraient que plus résolus à défendre leur pays le jour où il serait l’objet d’une agression brutale. »
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- Le Congrès a, en outre, envoyé uue adresse de félicitations au président Roosevelt et aux plénipotentiaires de Portsmouth.
- Dans sa dernière séance, il a décidé la formation d’une fédération internationale des instituteurs. Voici l’article 1er des statuts :
- « Entre les associations ou fédérations nationales d’éducateurs primaires de tous les pays, il est créé un comité international ayant pour but de nouer entre tous ses membres des liens d’étroite amitié et de solidarité internationale, et de contribuer au progrès de l’éducation populaire, au relèvement matériel et moral des instituteurs et institutrices, et à l’établissement de la concorde et de la fraternité entre les peuples. »
- L’Union interparlementaire.
- La XIIIe conférence interparlementaire pour l’arbitrage international s’est tenue à Bruxelles, les 28 et 29 août, dans la salle des séances de la Chambre.
- Près de 400 parlementaires de fous les pays ont pris part à ses travaux.
- La première séance a été présidée par M. Beernaert, ministre d’Etat.
- Celui-ci dans son discours d’ouverture a longuement invoqué les bienfaits de l’arbitrage. Il a émis le vœu que les efforts de M. Roosevelt en faveur de la paix entre la Russie et le Japon aboutissent bientôt à une heureuse issue. L’orateur a proposé le vœu d’une adresse de sympathie et d’admiration pour le président des Etats-Unis.
- M. de Faveneau, ministre des affaires étrangères de Belgique, a souhaité la bienvenue aux délégués.
- M. Labiche, sénateur français, a répondu, au nom de la France.
- On a abordé ensuite l’examen de la première question de l’ordre du jour relative à la convocation d’une nouvelle réunion de la Cour d’arbitrage de La Haye,
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- dont le programme développé par M. Gobât, membre du Conseil fédéral suisse, ensuite par M. Beernaert, porterait sur les droits et les devoirs des neutres, la limitation des forces armées et des budgets militaires, l’interdiction des sous-marins, des torpilles, des ballons lançant des engins explosibles, l’usage de nouveaux types de fusils et de canons, l’inviolabilité de la propriété privée dans la guerre suc mer, le bombardement des forts, villes et villages par les forces navales.
- Plusieurs délégués de toutes les nations ont vivement insisté pour la réunion immédiate de cette conférence, et un voeu dans ce sens, a été acclamé.
- Une proposition du groupe américain tendant à la conclusion de traités d’arbitrage complet, absolu, permanent, tel qu’il en existe actuellement entre les Pays-Bas et le Danemark, a été renvoyée, après discussion, à une commission qui devra faire son rapport dans un délai de trois mois.
- En outre, il a été contenu que si la seconde conférence de la Haye se réunissait avant la prochaine session de la conférence, celle-ci tiendrait une session spéciale.
- Une autre proposition du groupe américain a été l'objet d’une discussion approfondie.
- Il s’agit de la création d’un Parlement international composé de représentants de toutes les nations et délibérant sur les questions regardant directement les relations entre nations. Les décisions de ce Parlement seraient reconnues comme lois par les nations, à l’exception de celles auxquelles un nombre déterminé de Parlements nationaux auraient refusé leur approbation.
- Chaque nation conserverait le droit de s’armer à volonté. En matière commerciale, chaque nation devrait traiter les autres sur le pied d'égalité ou tout au moins de réciprocité. Enfin, les forces armées de toutes les nations représentées, devraient, aux termes des traités d’arbitrage, être mises à la disposition du congrès inter-
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- national pour l’exécution des décisions rendues par la cour de la Haye.
- Cette proposition , comme la-précédente, a été développée par M. Bartholo. La conférence a adopté une motion de M. le comte Apponyi, ancien président de la Chambre des députés hongroise, tendant à renvoyer le projet des délégués américains à une commission spéciale de sept membres, qui serait chargée de faire un rapport dans un délai de trois mois. Si la seconde conférence de la Haye se réunissait dans un délai plus court, le conseil interparlementaire aussitôt saisi du rapport de cette commission , convoquera .la conférence en session extraordinaire. En cas d’urgence, le conseil interparlementaire pourrait soumettre le rapport, en y ajoutant son avis, directement à la conférence de la Haye. Au cours de la discussion de cette motion, plusieurs orateurs de différentes nationalités ont émis des voeux en faveur de la création d’un code international dont les bases générales seraient fixées par le conseil interparlementaire,- et qui serait rédigé par le tribunal de la Haye.
- Le gros événement de la séance a été le débat qui s’est engagé sur une proposition de M. Goblet d’Alviella, délégué belge, faisant allusion aux négociations de Portsmouth. Ce délégué a présenté un ordre du jour engageant tous les gouvernements étrangers à refuser tout secours d’ordre moral ou financier pour continuer la guerre à celui des belligérants qui, par son intransigeance, aura été cause de l’échec des négociations. Cette proposition a rencontré quelque opposition auprès de certains délégués, mais ils se sont finalement ralliés à Lavis de M. Labiche, séhateur français, demandant que le conseil interparlementaire se prononce sur la recevabilité de l’ordre du jour de M. Goblet d’Alviella.
- La séance a été suspendue pendant une heure pour permettre au conseil de délibérer. A la reprise de la séance publique, le président, M. von Plener, délégué autrichien, a donné lecture, d’une proposition transac-
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- tionnelle introduite par M. Labiche, et dont voici le texte :
- « Attendu que tous les organes de l’opinion publique se font un devoir d’apporter leur concours à la généreuse initiative de M. Roosevelt pour faire accepter par les belligérants une paix honorable, la conférence s’associe à ces efforts dans la mesure de son autorité. Elle souhaite qu’aucune aide matérielle ou morale ne soit accordée à l’une ou à l’autre des nations pour continuer la guerre. Elle fait appel à la presse et à l’opinion publique pour arriver à ce résultat. »
- Cet ordre du jour a été voté à la presque unanimité. On a entendu ensuite un rapport de M. Gobât (Berne) sur une proposition de révision des statuts de l’Union interparlementaire.
- C’est au moment même où parvenaient les premières nouvelles de la conclusion de la paix, que le congrès s’est clos sur un discours de M. von Plener en décidant qu’il tiendrait ses prochaines assises à Londres en 1907.
- Pendant la durée du congrès diverses réceptions ont eu lieu en l’honneur des parlementaires, qui ont été reçus par le roi au palais de Bruxelles, par leurs collègues, dans les salons du palais de la Nation, et finalement à l’hôtel de ville de Bruxelles.
- L’armée des Etats-Unis.
- On étudie actuellement au ministère pe la guerre divers plans tendant a porter à 250,000 hommes l’effectif de l’armée américaine en temps de guerre. Ces plans seront soumis à la prochaine session du congrès.
- L’effectif de l’armée américaine actuelle est, en temps de paix, de 60,000 hommes, et en temps de guerre de 100,000.
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- NOUVELLES
- DE LA
- SOCIÉTÉ DU FAMILISTÈRE DE GlIISE
- 43' FÊTE DE L’ENFANCE
- Dimanche 3 et Lundi 4 Septembre 1905
- PROGRAMME DE LA CÉRÉMONIE AU THÉÂTRE
- Dimanche 3 Septembre, à 3 heures
- 1. Allegro........................................ Houziaux.
- 2. Avenir et Liberté, chœur par les élèves des. écoles.. A. Dupont.
- 3. Menuet Poudré ................................. F. Andrieu.
- 4. Discours de M. l’Administraieur-Ciérant
- 5. {Souvenir de Bîerbeck, polka.................. J. B. Dewyngaert
- 6. Le pardon de Ploermel, opéra de............... Meyerbeer.
- Chœur villageois chanté par les élèves des écoles avec accompagnement de Symphonie.
- 7. Distribution des Prix.
- SORTIE DU THEATRE
- 8. (Dans la Cour de l’aile droite) Ouverture des Diamants de la
- Couronne (Auber), par I’Harmonie A l’issue de la cérémonie, Place du Familistère, Mouvements d’ensemble par la Société de Gymnastique « La Pacifique »
- A 8 heures du soir, FÊTE DE NUIT sur la Pelouse près l’Aile droite Grandes Illuminations De 8 à 9 heures CONCERT PAR L’HARMONIE
- PROGRAMME
- 1. Ithorost, (marche chevaleresque))............... G. Benoist.
- 2. Le» Diamants de la Couronne, (Ouverture)........ Aurer.
- 3. Menuet Poudré........‘.......................... . F. Andrieu
- 4. fiançailles, (valse)............................ Wesly.
- A neuf heures, FEU D’ARTIFICE tiré sur le remblai du chemin de fer
- A l’issue du Feu d’Artifice, Bal à grand orchestre
- Lundi 4 Septembre
- De 3 à 4 heures, Cour du Pavillon Central, Bal d’Enfants A l’Issue du Bal, les Enfants se rendront, sous la surveillance des Maîtres et Maîtresses, dans la cour de l’Aile gauche, où une collation et des rafraîchissements leur seront servis.
- Les travaux des Elèves seront exposés au Foyer du Théâtre
- Une fête analogue avait été célébrée pour la 16e fois, huit jours auparavant, au Familistère de Schaerbeek-Bruxelles
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- Discours de H. L -V. Colin, Administrateur-Gérant.
- Chers élèves,
- Puisque vous allez entrer en vacances, ou, tout au moins, laisser de côté vos cahiers et vos livres, et tantôt, dans une fête bruyante parce que joyeuse, oublier les soucis de la classe, j’essaierai de ne pas assombrir votre belle humeur par un discours trop sévère ou trop long.
- Je sais que parmi les devoirs qui m’incombent ici, le plus élémentaire et le plus impérieux est celui de la brièveté, je vous demande cependant la permission d’être un peu bavard, je le serai le moins possible.
- Je vous ai déjà dit que ces discours revenant chaque année avec la régularité des saisons, (les présidents de distribution de prix se répètent volontiers) me font passer le plus délicieux moment que puisse me procurer ma fonction. Il n’y a rien en effet de plus agréable que d’avoir pour auditoire un aussi joli bataillon d’écoliers disposés surtout à ne pas entendre, rien de plus réjouissant que de proclamer, en aussi belle compagnie, les résultats obtenus par l’élite de ce bataillon, que d’applaudir à la joie et à l’orgueil des jeunes lauréats, que de voir s’épanouir la satisfaction des grandes personnes , pères, mères, parents ou amis, qui les accompagnent au couronnement du succès.
- J’ai toujours pressenti l’émotion de ce moment délicieux et chaque année elle se renouvelle plus vive parce que j’apprécie davantage la solennité de cette réunion, parce que je vous crois, petits et grands, animés des mêmes sentiments de confiance et d’estime qui devraient nous unir et qui en réalité unissent la majorité d’entre nous, parce que vous êtes les ouvriers d’une même oeuvre, peinant à des rangs différents et poursuivant ou destinés à poursuivre la même tâche : la prospérité de cette oeuvre dont j’ai été appelé à faire aussi le but et l’honneur de mon existence.
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- Parfois, il y a cependant un nuage qui rétrécit l’horizon de nos satisfactions; les années ne sont pas toujours aussi bonnes, et quelque peu grisés par le succès, nous appréhendons d’avoir à avouer nos petites déceptions. Il faut bien dire que cette fois nous sommes moins heureux que les précédentes. Au certificat d’études primaires, cours de M. Moiroud, nous avons présenté 25 élèves, 17 ont été reçus, 6 garçons et 11 filles ; c’est la moyenne du canton, au-dessus de laquelle nous avions eu jusqu’alors la bonne fortune de nous classer. Au certificat d’études complémentaires , cours de M. Chas-sagne, 6 élèves, 1 garçon et 5 filles ont été présentés, une fille seule, Coze Gabrielle, a été reçue.
- Une élève du cours complémentaire : Lanciaux Germaine, a passé avec succès son examen pour l’obtention ^d’une bourse au lycée de Saint-Quentin ou au collège de LaFère. Dans la section spéciale du cours complémentaire, nous avons préparé et présenté au brevet élémentaire 3 élèves : Louis Eugène, Jamart Andréa et Lairloup Léontine, tous 3 ont été reçus.
- Au concours d’admission à l’Ecole normale d’institutrices de Laon , sur 73 cencurrentes et 19 reçues , Jamart a été admise avec le n° 5 et Lairloup est admissible comme suppléante avec le n° 20. A cette même école normale, Buridant Marie a été classée 7e pour sa seconde année et Lecrux Lucie qui fut reçue la première il y a un an, a su conserver son rang. Charpentier Angèle, frappée cruellement par la maladie, n’a pu terminer une année très bien commencée, souhaitons-lui de reprendre avec la santé la place qu’elle mérite, et félicitons vivement ces demoiselles qui maintiennent à Laon la bonne réputation que nos écoles y ont acquise.
- A la dernière distribution de prix, je vous disais que deux de nos boursiers d’Armentières venaient de passer, avec espoir de succès, leurs examens d’admission à l’Ecole des Arts et Métiers de Lille ; ils y furent en effet reçus et y entrèrent tous deux. La mort a malheureusement prélevé son tribut toujours trop lourd en
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- nous enlevant celui sur lequel nous fondions le plus d’espérances. Conservons-lui notre meilleur souvenir et associons-nous aux regrets que sa perte a causés.
- Quant à son camarade, il abandonna la lutte dès le début ; son découragement fût peut-être trop facile, il nous incitera à plus de circonspection dans le choix de nos candidats.
- Si quelque défaillance tend à nous faire regretter les sacrifices consentis, nous sommes d’autre part heureusement récompensés. Notre jeune boursier Lanciaux Maurice, vient de terminer avec le succès habituel ses trois années d’études à l’école pratique de commerce et d’industrie de Reims. Prix d’honneur de la classe, prix d’excellence, prix d’honneur du ministre du commerce, il a tout remporté. Joignez vos applaudissements aux félicitations unanimes du conseil de gérance, ne les lui ménagez pas, il les mérite ; il y verra un engagement de continuer à bien faire, et y sentira l’obligation d’être reçu l’année prochaine à l’école supérieure de commerce. Nous comptons sur son succès. ( Vifs applaudissements.')
- En résumé l’ensemble des résultats de l’année scolaire est très-satisfaisant. Prenez ce que j’ai dit au sujet de vos insuccès comme une boutade à oublier, puisqu’aussi bien je vois vos dévoués maîtres décidés à maintenir la tradition d’infaillibilité à laquelle ils nous ont accoutumés.
- Nous voilà fixés, mes petits amis, sur les progrès de votre instruction ; nous sommes à même de constater ceux de votre éducation. A vrai dire, nous remarquons une évolution dans votre tenue, dans votre manière d’être en dehors des classes ; nous vous reconnaissons plus polis, plus respectueux des personnes sinon des choses ; nous en sommes d’autant plus agréablement surpris, que, comme je l’ai dit et redit souvent, l’influence morale de vos maîtres succombe quelquefois sous l’influence du milieu. Le manque de culture éducative est notoire dans certaines familles, où l’on met maladroitement quelque fanfaronnade à exclure la politesse
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- et la bienveillance des règles de la vie journalière ; où l’on croit se distinguer à être impoli, où l’on ne veut aucune discipline morale, où chacun s’affirme un parfait égoïste cherchant ses aises dans la société sans s’inquiéter s’il les prend aux dépens d’autrui, témoignant par son attitude d’une indifférence complète pour ses semblables et d’un profond dédain pour les convenances les plus élémentaires.
- Les pratiques essentielles de la politesse ne sont pas commandées seulement par les convenances qu’a consacrées l’usage, elles le sont encore et surtout par les principes même de la morale ; comme le respect, elles sont un peu faites de reconnaissance, et chacun de nous a une dette de reconnaissance envers la société tout entière; il suffit pour s’en convaincre de réfléchir aux bienfaits de la vie sociale et aux services incessants que nous recevons de nos semblables depuis la naissance jusqu’à la mort. Nous n'eniendons pas vous asservir aux règles de l’étiquette, vous façonner à la distinction, aux belles manières, qui ne sont que du « convenu » ; nous parlons seulement de ce vulgaire « comme il faut » qui est accessible à tout le monde parce qu’il est essentiellement simple. L’homme « comme il faut » use sans obligation des formules de politesse, il salue sans contrainte, il est plein de déférence pour le faible, pour le malade et pour le vieillard ; il témoigne quelques égards à ceux qui, par leur travail et leur dévouement, ont mérité de la société ; il est bienveillant, obligeant, affable. Il se concilie toutes les sympathies et loin de s’abaisser, il s’élève.
- Témoin ce petit fait : le plus important de nos clients, dans sa dernière visite au familistère, constatant comme nous une amélioration dans votre tenue, me remit une certaine somme pour les écoles et fut tout heureux à l’idée qu’elle servirait à récompenser les plus polis d’entre vous. Dans un instant vous recevrez en effet quelques beaux prix dus à sa générosité.
- Cette causerie sur la politesse m’entraîne dans un
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- LE DEVOIE
- champ voisin où votre culture morale ne doit pas être négligée; je veux parler du développement de votre goût. Ne le prenons pas au sens artistique du mot, loin de moi la pensée de faire de vous des esthètes ; il s’agit simplement de cette aptitude générale à sentir ce qui est beau, à discerner ce qui est bien, ce qui est convenable. Etre « comme il faut » et faire tout avec goût, voilà deux cousins germains presque inséparables, qui se complètent et qui agrémentent joliment l’existence. L’amour de l’aisance paresseuse, du positif, le bien-être matériel en un mot n’est pas notre seule fin. La société n’est pas un troupeau qui doit se contenter de la satisfaction de ses appétits. L'homme doit se dépouiller le plus possible de ses affinités animales.
- Nous admirons cette conspiration universelle qui s’appelle le progrès social, de laquelle nous voulons faire partie, et qui a pour but d’améliorer toutes les conditions de l’existence : mais croyez-vous que cet idéal ne sera pas plus souriant si nous l’agrémentons d’un progrès moral qui nous rendra plus supportables les uns aux autres ?
- Voilà pourquoi mes petits amis, vos maîtres et vos maîtresses, et vos parents surtout, doivent continuera faire pénétrer dans vos cœurs cette discipline, morale ' qui puise sa force dans la satisfaction que nous éprouvons à vivre moins machinalement.
- Qu’ils vous montrent sans cesse combien il est agréable et peu coûteux d’être poli et respectueux ; qu’ils vous apprennent à aimer ce qui est bien, à apporter plus d’aménité dans votre commerce, plus de goût dans votre tenue et dans votre travail, qu’ils vous développent en beauté morale ; ils feront de vous des hommes vraiment « comme il faut », des hommes qui apporteront un sourire dans la société, et qui ne laisseront pas dire que la démocratie n’est faite que de trivialité. (Applaudissements)
- Guise, 3 septembre 1905.
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- LES DEUX VIES
- Par Paul et Victor MARGUERITTE
- {Suite.)
- Il éprouvait une telle détresse qu’il se vit prenant son revolver et se le déchargeant dans la tempe. Mais les sentiments religieux, l’honneur ! Il fallait se montrer un homme!... Ah! comme il souffrait! Jamais il ne l’avait tant aimée : elle fulgurait d’un éclat indicible; dans le rythme de sa robe ondulaient les séductions de la femme éternelle. Les saintes des légendes, les grandes amoureuses dont la cendre brûle après tant d’années, et qu’adolescent on regrette de n’avoir pas connues, les héroïnes des romans réflétaient en elle leur image : toutes s’identifiaient à la profondeur de son âme et à la mélancolie de ses pensées. Mais non, c’était la ravaler que lui donner des égales ; elle les dominait incomparablement. Son amour, en devenant conscient, avait pris une force destructive et lek consumait ; il n’en était plus à ce respect farouche qui écartait l’idée de la posséder : sa ferveur alanguie et brûlante élevait vers elle le cantique des cantiques.
- Son logement lui parut horrible, suant l’ennui, la province.
- « Gabrielle ne m’aime pas ! C’est parce qu’elle ne m’aime pas qu’elle refuse ! » Il fut blessé au cœur: « Elle doute de’moi ; oser parler de son âge ! Mais elle aura toujours vingt ans ; elle les a ! » Il la revit, dans l’émoi de sa pudeur outragée, surprise à sa toilette, demi-nue, par l’enfant qu’il était jadis. «Non, c’est en son exquise, insensée délicatesse, qu’elle s’imagine que la différence d'âge met entre nous l’impossible. M’écrire :
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- LE (DEVOIR
- « Quand vous aurez trente-deux ans, j’en aurai cinquante ! »... Il compta, stupéfait : — Cinquante, mais c’était vrai ! — Et quand même !
- « L’aimer moins, est-ce possible? Même avec des rides
- — il ne parvenait pas à se l’imaginer ainsi — elle serait ma Gabrielle, toujours. J’aurais trente-deux ans, la belle4 affaire ! Sept ou huit ans de plus : c’est la quarantaine alourdie. Eh bien, nous vieillirions ensemble ; et puis, est-ce qu’on sait quand on meurt ? On peut être heureux dix ans, trois ans, un an ! Elle est trop sage, j’en étais sûr. Elle réfléchirait moins, si elle m’aimait.»
- Son désespoir changeait de caractère, le dépit l’en-fîellait. Volets fermés, rideaux tirés, à plat sur son lit, il éprouvait une rage cuisante : « Non , c’est trop injuste; mais je l’aime, moi! Et elle le sait bien! » Mais il s’efforcait en vain de la haïr. La jalousie l’étreignit : « Pourtant, elle a eu pitié de ce Ligneul!... Non, je blasphème, elle est restée pure. Mais alors elle était mariée; aujourd’hui elle est libre... Qui la retient? Le monde? mais il comprendrait : elle est si belle encore.»
- — Il fut surpris d’avoir dit : encore — « C’est sa fille, c’est sa petite-fille qui jettent leur ombre sur elle. » — Il la vit passer dans les allées d’Aygues-Vives, tenant par la main la mignonne Josette, et quelque chose d’inexprimable lui serra le cœur.
- Il passa la journée ainsi ; l’ordonnance inquiet frappa le soir à la porte :
- — Mon lieutenant n’a besoin de rien ?
- — Non, Jacquet; merci.
- Il eut honte de s’abandonner à ce point. Il se leva pour dîner au mess, sans faim : le milieu lui parut vulgaire, les plaisanteries niaises ; il avait l’air si sombre qu’on le laissa tranquille. Il sortit, erra par les rues jusqu’à minuit, de la ville haute au quartier bas, s’accoudant au pont sur la Meuse, remontant par les ruelles escarpées, jusqu’aux vieux arbres de la promenade.
- Il contemplait de haut, la rivière, le sombre décor bleuâtre : des étoiles scintillaient d’un feu blanc.
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- Il marchait depuis des heures : une désolation se mêlait à sa lassitude ; sa fièvre tomba et une idée le poursuivait : « Mais Gabrielle pourrait être à moi, si elle le voulait... » Sa délicatesse se révolta : « L’exposer, elle qui m’est plus chère que la vie, à des soupçons, à des doutes; lui causer la plus légère humiliation, ou la plus affreuse', moi, son Charlie ! » Il sentait bien que ses camarades eussent rallié sa délicatesse, qu’un ami intime lui eût dit : « Vous ne relevez que de votre conscience et de votre religion : ce que vous ferez ne regarde que vous deux et sera bien, » Non, ce serait mal ! Son éducation catholique, son dégoût du péché, son éloignement de la chair, ses principes arrêtés sur la discipline sociale, enfin sa conception très haute de l’honneur lui criaient : « Halte là!... Il y a des femmes dont on peut faire sa maîtresse. » Il ne la concevait pas sans les respects du monde. L’en priver, serait la faire déchoir. Il n’y consentait pas.
- Cependant sa jeunesse, comprimée par l’éducation sévère, s’enflammait. Quel rêve plus enivrant : une vie d’amour et, s’il plaisait à Dieu, une mort de soldat! Comme Gabrielle l’eût aidé, soutenu, dans son labeur quotidien d’officier, la grave, la patiente éducation de ces « hommes », à qui il fallait apprendre pourquoi ils servaient leur pays, et comment, pour la défense du sol, la sauvegarde de la race, ils sauraient mourir ! Quelle vigueur renaissante il puiserait en elle. Ah ! l’avoir à soi, toute , se perdre l’un dans l’autre !...
- Des heures encore, le froid salubre, l’âcre brume de l’aube, puis un pâle ondoiement, vers l’est. Qu’il était loin de cejour-où à toute vitesse, ivre d’aurore, de Bouvières à Aigues-Vives, sa voiturette trépidante l’emportait vers le soleil ! Ah ! le vertige de cet instant où il allait à l’inconnu ! Il se réveillait dans la tristesse affreuse de ce grisâtre lever de jour ; quelque chose de nouveau, de rude et d’amer s’ouvrait devant lui, et cela s’appelait : le devoir.
- La diane chantait dans les casernes ; il regagna en
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- hâte son logis où Jacquet sellait Algarve, pour la manœuvre,
- V
- Francine, après quatre mois, n’était pas encore entrée toute dans l’engrenage, tant l’inflexible machine fonctionnait avec lenteur. Ce n’était pas faute de procédure : avoués et huissiers se renvoyaient des exploits dont l’écriture lâche gaspillait à plaisir le papier timbré. En un jargon archaïque et inexact, où « huit heures du matin » voulait dire midi, et « comparaitre en personne » signifiait se faire représenter par un avoué, les « attendu que, » les « afin qu’il n’en ignore, » les « sous toutes réserves », les « fautes de » et les « que de droit » se menaçaient pour la forme et aboyaient sans mordre. C’était pour Francine un singulier dégoût de feuilleter ces grimoires impersonnels, grossoyés comme des pensums, et d’y lire son nom, ses douleurs, ses reproches, qui avaient traîné sur des tables d’étude, près d’une cigarette dont ils gardaient l’odeur.
- Déjà, dans un de ses tiroirs, s’entassaient copies de l’ordonnance de citation, de l’assignation devant le tribunal, du placet d’audience et de l’avenir pour comparution, hostilités réglées d’avance, auxquelles Me Tartre avait riposté par le coup de Jarnac prévu de ses conclusions, où, contestant les faits, il réclamait le rejet de la demande. L’affaire, enregistrée au greffe et inscrite au rôle, avai't été appelée pour la forme, remise, rappelée pour fixation, remise encore, Me Sépale s’étant déclaré malade à la veille des plaidoiries, alors qu’on l’avait vu circuler dans Paris, frais et guilleret.
- Le Hagre et ses conseils, par ces moyens dilatoires, la fatiguait sans l’uspr. Elle avait déjà subi l’assaut renouvelé des supplications et des menaces. On la prévenait que Sépale avait la dent mauvaise. Des influences pieuses, auxquelles le Père Venosa n’était pas étranger, avaient tenté de la faire fléchir. Les méchan-
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- cetés du monde se donnaient libre cours ; Mme Pustien-ne crachait le venin comme la sèche son encre.
- MmeFavié et Francine étaient trop fières pour battre le rappel des sympathies, rallier à elles tant de gens qui n’eussent demandé qu’à faire les importants et les renseignés : on ne le leur pardonnait pas. Des bruits de la première heure leur revenaient, dont Francine ricanait, mais qui faisaient pleurer Mme Favié : — « Surprise par son mari, Francine se serait enfuie avec un ami de la maison » Lequel ? Dans le doute on en citait deux. — Comment donc, pourquoi pas trois ? — Mais non, on exagère toujours ! son caractère abominable empoisonnait la vie du pauvre Fernand ; il avait dû la renvoyer chez sa mère et réclamait le divorce ! » — Tiens ! tiens ! voyez-vous cela ?
- Puis, c’avait été le haut-le-coeur de la trahison des Lu rat, pris en flagrant délit d’intrigue : on avait su qu’ils dînaient chez Le ïïagre et y tenaient d’étranges propos ; en revanche, le sénateur Morot-Le-Hagre protégeait l’avancement de leur fils. Après cette brouille, ils levaient le masque, répandaient des calomnies que, sans défenseur attitré, elles ne pouvaient faire expier à ce couple respectable, au moins par l’âge. De l’avis général, Francine avait tort de se montrer intransigeante : pourquoi n’avait-elle pas pitié de son mari ? « Désespéré, il avait tenté de se suicider. Oui ! avec du laudanum ! » — Légende qui rencontra d’autant plus de crédulité qu’elle ne reposait sur rien.
- Et quand Francine, écœurée, pressait l’avoué : « Ce martyre ne finirait donc pas ? »
- — Patience, disait Herbelot ; je vous assure que nous allons très vite. Mon confrère Tartre y met beaucoup d’obligeance pour moi, car, s’il nous opposait toutes les chicanes légales, nous ne plaiderions pas avant l’été, que dis-je ? avant l’hiver prochain. Soyez conciliante, je vous en supplie...
- Être conciliante, c’était ne souffler mot quand Le Hagre négligeait de payer la pension ou soldait, en
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- retard, des acomptes ; quand, exigeant que Josette lui fût ponctuellement conduite, il ia faisait ramener à des heures irrégulières, une fois même le surlendemain. Francine, — que le supplice de livrer son enfant, l’inquiétude d’un retard, la peur d’un accident exaspéraient, — proposait en vain, sur la foi des belliqueux Morland, d’introduire des référés, de saisir le tribunal, Herbelot répondait :
- — Croyez-moi, en envenimant le procès, nous indisposerions le président. Les magistrats n’aiment pas qu’on les bouscule. Voulez-vous que j’écrive une lettre de représentations à Me Tartre ?
- Et les copies de ces lettres sans effet venaient grossir le dossier, dans le tiroir déjà plein de Francine, à côté des innombrables représentations que Le Hagre faisait, de son côté. Exemple :
- ETUDE
- de
- Me TARTRE
- Avoué près le Tribunal Paris> 22 janvier 1902.
- de I” instance
- « Mon cher confrère,
- « Je me fais l’interprète de mon client en vous priant d’appeler l’attention de votre cliente sur les soins que réclame la santé de sa fille : elle est peu couverte, malgré la rigueur de la saison, sans tricots ni bas de laine. Le docteur Larive, auquel son père l’a montrée, prescrit une émulsion à base d’huile de foie de morue, dont ci-joint l’ordonnance. De plus, mon client s’oppose à ce que Mlle Josette soit amenée à son hôtel rue Murillo, à travers le Parc Monceau, trop humide en ce moment.
- Agréez, mon cher confrère, l’assurance de mes sentiments les meilleurs.
- « Joseph Tartre.
- « P.-S. La demoiselle Nanette, qui a conduit Mlle Le
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- LES DEUX VIES
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- Hagre chez son père jeudi, s’étant exprimée sur celui-ci en termes inconvenants, à l’office, mon client manifeste le désir que cette personne ne remette plus les pieds chez lui. »
- EtHerbelot de répondre, du tac au tac : « M. Dutoilj de l’Académie de médecine, désapprouvant les tricots et les bas de laine et s’opposant à l’emploi de l’émulsion conseillée, Me Tartre ne peut trouver mauvais qu’il lui renvoie au nom de sa cliente une ordonnance que d’aillçurs il ne lui reconnaît aucune qualité à transmettre, et qu’au surplus, elle se refuse à recevoir. »
- Piqûres d’épingles, tracasseries indignes d’une grande douleur ; Francine les attribuait à sa belle-mère : seule, une femme !...
- Mais Mme Le Hagre se tenait à l’écart, depuis qu’elle savait l’adultère de son fils ; — les pièces versées au dossier, les lettres de Lischen, dont Sépale avait pris connaissance, l’évidence enfin lui avaient crevé les yeux. Indignée du péché et surtout du mensonge persévérant qui le lui avait dissimulé, pour la première fois elle s’était sentie humiliée vis-à-vis de sa belle-fille ; Francine avait pu la supposer complice, croire qu’elle tolérait, excusait une telle faute !
- Sur le premier regret, elle lui écrivit pour la supplier de pardonner à ce malheureux Fernand... « Au nom de Josette, au nom d’un avenir plus heureux !... »
- En relisant, elle s’aperçut qu’elle livrait son fils en pure perte : Francine ne reviendrait plus... Elle brûla sa lettre. Pendant deux semaines, Le Hagre l’implora en vain ; elle ne mit pas les pieds rue Murillo, refusa de le recevoir ; puis, comme on pouvait jaser, son coeur maternel se rouvrit à l’indulgence: le pauvre garçon n’était pas méchant, il ne lui avait menti que pour ne pas la désoler. Certes, il avait mal agi en trompant sa femme, et la médiocrité de son choix le ravalait encore; mais peut-être trouvait-il quelque excuse dans la froideur implacable de Francine... La responsabilité retom-
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- bait sur l’épouse sans complaisance ; là encore, avec plus de religion !...
- Un doute pourtant la tourmentait ; elle le soumit à son confesseur, qui lui interdit toute démarche imprudente : que sa conduite eût pour règle l’horreur du scandale et l’indissolubilité du mariage ; mère chrétienne, elle devait s’opposer de toutes ses forces au divorce... Bien qu’il lui fût cuisant d’avoir paru jouer un faux rôle devant Mme Favié et Francine, elle l’accepta comme une mortification de plus : avant tout, elle se devait à son fils malheureux, repentant, et que seule la miséricorde divine, qui lit dans les cœurs, pouvait juger... Non, jamais cette rupture sacrilège n’aurait lieu, fût-elle juste, fut-elle nécessaire: les hommes ne déliaient pas ce que Dieu même avait joint. Elle accepterait une séparation, à la rigueur. . . mais puisque Francine n’en voulait pas, préférait être libre, pour se remarier sans doute, infliger à sa fille un père étranger. ..
- La jeune femme ignora ce drame de conscience. Elle comptait les jours et les semaines, passant de l’espoir au découragement : « Cela ne finirait donc pas ! » Comme elle regrettait que le divorce par accord n’eût pu se faire ! Ah ! les conseils de Marchai !... Qui sait si, moins fière ?.. C’était si facile, si simple, en ce cas. Témoin les Maubrée, silencieusement divorcés depuis hier. Les journaux l’annonçaient sans commentaires.
- Elle implorait alors son avocat.
- — Patience, madame, patience ! répondait la belle voix de basse de Me Torson du Foudray, avec l’autorité que lui donnaient son âge et sa réputation de bâtonnier, à Lyon.
- Ses cousins, les Morland, avaient persuadé Francine de faire appel à « ce grand cœur, ce grave talent, fidèle aux traditions classiques ». Ils vantaient son honorabilité. Me du Foudray venait de jouer un beau rôle, en défendant devant la Haute Cour, avec la franchise de ses convictions, « la cause orléaniste, » Attendri, dans
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- son âme chevaleresque, par le sort de la jeune femme-« tant souffrir quand on est bien née, faite pour le bonheur dû. à la beauté et à la fortune! » — il avait consenti à un nouveau déplacement qui n’irait pas pour lui sans fatigue. Si ses honoraires étaient ceux d’un grand chirurgien, il n’en prélevait que le quart, affectait le reste aux oeuvres de la Charité lyonnaise dont il était le trésorier.
- — Mais, déclaraient généreusement les Morland, on ne regarde pas au prix avec un Torson du Foudray,
- Elle n’avait pu le rencontrer encore que deux fois, de passage ; il descendait hôtel Bourdaloue, rue Madame, vieille demeure paisible ; les valets avaient du feutre aux semelles ; on saluait dans l’escalier des ecclésiastiques. Me du Foudray s’appropriait à ce cadre provincial, avec sa taille géante, ses vêtements noirs de coupe rigide, la neige de ses favoris d’amiral. Il offrait la main à Francine pour la conduire à son fauteuil, ne la quittait jamais sans un baise-main. Très certainement, ce n’est pas ce majestueux champion du passé que Francine eût rêvé; sans compter que les deGuertes s’étaient piqués de ce qu’elle n’eût pas préféré leur ami, le célèbre Salomon Bach, un spécialiste, celui-là.
- Mais sait-on pourquoi l’on prend un parti qu’on regrette ? Une influence subie au dépourvu, une persuasion dont on est dupe : et toute une existence dévie. Elle comprenait, en écoutant Me du Foudray, la grimace dont Herbelot avait accueilli ce nom respecté.
- D’abord, elle avait dû résister à ses suggestions : — « Pourquoi ne transformait-elle pas la demande de divorce en séparation de corps ? » Il plaidait de préférence ce mode de rupture.
- Il l’énervait aussi par le penchant du métier qui le conduisait à dire : — « Ne pourrions-nous corser un peu les griefs, rembourrer notre dossier? .. Entendez-moi bien ; je ne vous demande pas, Dieu m’en garde, de dénaturer la vérité ; mais vous rappelez-vous bien tout ? Voyons ?.. Est-ce que votre mère, vos amis ?... »
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- Francine comprenait : mais elle ne voulait dire que la vérité. Il l’arrêtait d’un geste ample, avec une pointe de regret :
- — Bien, bien ; ce n'est pas moi qui vous reprocherai ces scrupules.
- Me du Foudray la choquait aussi par l’accent convaincu dont, envisageant les deux aspect de la question, il plaidait pour Le Hagre, en exposait les arguments sans rien taire de leur force : — « Messieurs, mon honorable adversaire ose brandir ces lettres dérobées par surprise, dans des conditions si furtives de larcin qu’elles entacheraient la probité même ; mais, je le demande, depuis quand l’incapacité de la femme mariée, cette femme que le droit romain place dans la main de l’homme, inmanus... » — Pensez moins, lui eût crié Francine, à Me Sépale et davantage à ce que vous direz !. Mais alors, de lui-même : — « Et nous répondrons, madame : — Ce droit romain dont vous invoquez la séculaire et redoutable autorité, et dont les fondements de granit... » C’est d’une admirable voix que Me du Foudray parlait du droit romain et déroulait des périodes cicéroniennes, dignes de causes célèbres.
- Néanmoins, il avait confiance.
- Marchai, lui, n’en avait guère. Herbelot l’avait alarmé « Francine se perd ! Elle et sa mère devraient rendre visite aux juges ; elles connaissent tant de monde ! Au lieu de chercher des appuis, elles restent chez elles ; elles seraient coupables qu’elles n’agiraient pas autrement. Aller choisir un grand avocat, honnête homme, — de Lyon, pour l’opposer à un Sépale ! Et un ennemi du gouvernement, encore ! Alors que Le Hagre, je le sais, trouve des influences dans tous les camps, jusqu’à la Nonciature et à l’Archevêché. »
- Il revit les dîners mélancoliques de l’hiver, entre Mme Favié reprise à la dévotion, Francine incapable de penser à autre chose qu’à son procès. Résolu à s’employer pour elles, un bon hasard lui apprit que son ami Martial Broussin — singulière chance ! — était
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- devenu depuis la rentrée, comme juge suppléant, un des assesseurs de M. Trassier. Il ne l’avait pas vu depuis longtemps ; l’accueil de Broussin n’en fut pas moins chaleureux. Pour ce petit homme original, au front démesuré, aux yeux pétillants de malice, à la barbe de faune, les fonctions déjugé, qu'il remplissait humainement, constituaient une tradition de famille ; car il était petit-fils du célèbre Broussin, de Lille, ministre de la justice sous Napoléon Ier. Assez riche pour se permettre des opinions indépendantes, d’un esprit incisif qu’on craignait, numismate et collectioneur de premier ordre, Broussin avait une intelligence vaste et une de ces sensibilités exquises qu’entretiennent les grands chagrins ; car il avait perdu une femme adorée et une fille unique. Il comprit à demi-mot, et avec la confiance qu’il pouvait risquer entre vieux camarades :
- — Attends un peu, — il feuilletait, sur son bureau, des pièces autographiées : — Oui, voilà : Dame Francine Faviê, épouse Le Hagre, contre son mari. On plaidera, mardi en huit, si les audiences chargées le permettent. La cause ? A t’en croire, — et je te crois, — un de ces divorces de nécessité qui exigeraient cinq minutes, et peuvent durer des années. Le tribunal, dame ! c’est Trassier qui le remorque : tu le connais, il se bute sans qu’on sache pourquoi. Je le crois mal disposé. D’ailleurs, je n’ai aucune prise sur lui ; il ne peut pas me sentir. Tâche de le faire tâter par le garde des sceaux. Les autres : Saint-Hélier, intègre, consciencieux ; il écoute et pèse ; mais voilà : un catholique, ennemi résolu du divorce. Qu’on ait tort ou raison, il déboute toujours.
- — Oui, entre sa conscience de magistrat et sa foi de croyant, il n’hésitera pas, fit Marchai, à trangresser la loi qu’il est tenu d’appliquer. La Sainte-Inquisition s’est prononcée formellement, en 1886.
- — Il y a ce brave père Fomette, à qui le président confiera l’enquête, s’il y a lieu. Je lui parlerai : l’ennui, c’est qu’il est le caméléon de Trassier, reflète invaria-
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- LE DEVOIR
- blement sa couleur Moi, tu sais que je ne compte pas. Suppléant, je n’ai que voix consultative ; je donne mon avis, rien de plus.
- — Le substitut ?
- - Certainement Resne ; c’est, sous son air glacé, le meilleur cœur et l’esprit le plus juste.
- — Je déciderai ma jeune amie à te rendre visite ; je veux que tu te convainques par toi-même.
- — En ce cas, dit Broussin, tu ne trouveras pas mauvais que je reçoive aussi le mari, qui a déjà mis trois cartes chez moi.
- — J’allais t’en prier. Je ne demande que cela : compare et juge.
- Broussin lui montrait une de ses nouvelles acquisitions, une grande médaille de Pisanello, et Marchai s’en allait un peu rassuré : « Je vais passer, se dit-il, chez ces pauvres femmes. > Il faisait un temps pluvieux de février, un de ces dégels qui alanguissent les membres et détendent l’âme. Des femmes relevaient haut leurs jupes ; elles avaient un teint moite et des yeux alanguis ; leurs jaquettes de fourrure leur tenaient trop chaud. Avenue Victor-Hugo, il vit, à distance, une personne élégante sortir d’une maison. Rien qu’aux cheveux d’or fauve, aux épaules tombantes sous le collet de zibeline, à l’ondulation de la démarche, il reconnut Mme Favié, et son vieux cœur battit un peu plus vite. Elle s’approchait de son coupé, renvoyait l’équipage. Il la voyait traverser la place, à pied : comme il était expressif, ce dos qui ne se sentait pas surveillé !
- « Ah ! Gabrielle ! cher fantôme du bonheur, songea-t-il. .. où allez-vous ? D’une autre, on pourrait hardiment répondre : à un rendez-vous ; mais non, vous allez entrer tout simplement à Saint-Honoré d’Eylau, église de pénitentes choisies, où le recueillement est douillet et l’atmosphère tiède... »
- (A suivre.)
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- ASSURANCES MUTUELLES
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- Société du Familistère. - Assurances Mutuelles
- MOUVEMENT DU MOIS DE MAI 1905, A GUISE
- ASSURANCE CONTRE TA MALADIE
- Section des Hommes
- Cotisations des mutualistes...... 2.919 05 î
- Subvention de la Société......... 963 37 ( 4.396 72
- Malfaçons et Divers.............. 514 30 )
- Dépenses.................................... 3.992 95
- Boni en mai 1905..., ...................... 403 77
- Section des Dames
- Cotisations des mutualistes...... 507 80 /
- Subvention de la Société......... 253 90 > 761 70
- Divers......................... .. » » \
- Dépenses.......... ......................... 646 05
- Boni en mai 1905..................... 115 65
- ASSURANCE DES PENSIONS
- Subvention de la Société et Divers 7.626 09 /
- Intérêts des comptes courants et > 10.834 22
- du titre d’épargne........... 3.208 13 1
- Dépenses :
- 127 Retraités définitifs......... 8.794 09 »
- 5 — provisoires............... 258 50 i
- Nécessaire à la subsistance.... 5.090 25 \ 14.808 29
- Allocations aux famill9 des réservistes 53 »l Divers, appointem., médecins, etc. 612 45/
- Déficit en mai 1905..................... 3.974 07
- CAISSE DE PHARMACIE
- Cotisations des mutualistes...... 706 25 ( , nQo oc
- Subvention de la Société......... 332 60 )
- Dépenses.................................... 711 51
- Boni en mai 1905................... 327 34
- RÉSUMÉ
- Recettes sociales du 1er juillet 1904 au 31 mai 1905 137.750 74 / ^ ggQ ^
- » individuelles » » ........\
- Dépenses » » 48.129 70 230.050 12
- Excédent des dépenses sur les recettes.. 44.169 68
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- LE DEVOIR
- ÉTAT CIVIL AU FAMILISTÈRE DE GUISE
- MOIS DE MAI 1905.
- Naissances :
- 2 mai : Chassagne Jacques-Adrien, fils de Chassagne Victor et de Burliet Joséphine.
- Décès :
- 3 mai : Legrand Achille, âgé de 59 ans.
- 19 — Huile Francis, âgé de 48 ans.
- 26 — Hennequin Henriette-Germaine, âgée de cinq mois.
- Le Gérant : H. E. Buridant.
- Nimes. — Typ. A. Chastanier, 12, rue Pradler.
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- DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES.
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- Novembre 1905.
- DOCUMENTS POUR UNE BIOGRAPHIE COMPLÈTE
- de J. B. André GODIN (1)
- Glorification du Travail. Emancipation du Travailleur.
- Deuxième partie.
- XX
- Série des employés. 5e et dernier essai de répartitions mensuelles indicatives du mérite au moyen, du vote sur bulletins collectifs.
- Répartitions relatives au mois de mai 1870.
- Récapitulation.
- Arrivant au dernier essai du vote sur bulletins collectifs , nous en fournirons les données en récapitulant celles des essais précédents afin de mieux faire ressortir les leçons de l’expérience.
- 66, 72, 76, 79, 83 (chiffre ramené à 80 par trois radiations opérées administrativement) : tels sont les nombres successifs d’employés inscrits sur les bulletins de votes collectifs pour les répartitions afférentes à chacun des mois : janvier, février, mars, avril, mai 1870. Différence entre le premier et le dernier chiffre des inscrits : 17. «
- Les 17 employés inscrits au cours des essais peuvent
- se classer comme suit :
- 8 gagnant de 100 fr. à 150 fr. par mois, ci...... 8
- 5 — moins de 100 fr., ci...................... 5
- 4 apprentis gagnant au maximum 50 fr. par mois 4 ___________ Total................................... 17
- (1) Appendice, p. 60, tome 26e, Le Devoir, janvier 1902.
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- LE DEVOIR
- C’est donc seulement en 4e, 5e et catégories que le nombre des employés a varié.
- Mais parmi le personnel en général il s’était produit quelques promotions et un ou deux départs.
- Finalement, la liste des employés appelés à la répartition de mai 1870 se dresse comme suit d’après les gains du mois :
- lre catégorie 536 fr., 400, 350 fr. Titulaires : 3
- 2e — 250 fr » 4
- 3e — plus de 150 fr. jusque et y compris 200 fr. » 9
- 4e - , » 100 fr. » » 150 fr. » 37
- 5e — » ' 50 fr. » » 100 fr. » 24
- 6e — 50 fr. au maximum » 6
- Total 83
- Parmi les 83 noms inscrits sur les dix bulletins de vote collectif trois, venons-nous de dire, furent rayés administrativement, ce qui ramena à 80 le chiffre des intéressés.
- 79 d'entre eux se classèrent à titre de répartiteurs électeurs comme va le montrer le tableau récapitulatif suivant :
- Essai relatif à janvier : 9 groupes de chacun 7 membres = 63
- » à février : iO » » 7 » — 70
- > à mars : 10 T> » 7 » = 70
- » à avril : 10 » dont 9 comptant chacun 8 membres et 1 * en comptant 6.... = 78
- » à mai : 10 » dont 9 comptant chacun 8 mem-
- bres et 1 en comptant 7.... = 79
- Le chiffre de la somme mensuelle à répartir au moyen du suffrage représenta, successivement, le
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- DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES 643
- dixième du total des appointements comptés dans le
- mois aux bénéficiaires, soit :
- 888 fr. pour janvier bénéficiaires
- 909 » février .... 72 »
- 996 » mars ;.,. 76 »
- 1042 y> avril ... 79 »
- 1055 » mai -, .... 80 »
- Etat des bulletins au point de vue du remplissage des colonnes de votes et de l'apposition des signatures, au 5e essai :
- Groupes nos i, 2, 5. Les huit colonnes destinées aux votes sont remplies et l'es huit signatures données en vraie place.
- Groupe 3. Sept colonnes de votes sont remplies et régulièrement signées. La huitième est restée en blanc; elle afférait à un membre qui s’est trouvé malade et n’a point envoyé sa liste de votes.
- Groupe no 4. Sept colonnes de votes remplies ; six signatures en vraie place; le septième votant n’a pas signé. La huitième colonne est restée en blanc.
- Groupe n° 6. Les huit colonnes de votes sont remplies ; cinq signatures sont données en vraie place. Les trois autres votants n’ont pas signé.
- Groupe no 7. Huit colonnes de votes remplies ; six membres ont signé hors des colonnes ; deux n’ont pas signé.
- Groupe n° 8. Toutes colonnes de votes remplies. Les huit signatures sont apposées dans les colonnes , mais hors de l’ordre prévu par le tirage au sort, et chacune d’elles est si bien resserrée entre les deux lignes de la colonne où il a plu au signataire de l’inscrire, que ce bulletin semble équivaloir à ceux portant les signatures en vraie place. Un cas semblable a déjà été vu dans l’essai relatif au mois de mars (groupe n° 9 (1)). Nous
- (1) Le Devoir, octobre 1905, p. 579.
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- LE DEVOIR
- classerons donc ces deux cas h part dans le tableau qui va suivreAa présente énumération.
- Groupe no 9. Les huit colonnes de votes sont remplies. Aucune signature n’est donnée.
- Groupe n° 10. Les sept colonnes de votes sont remplies. Cinq signatures sont données en vraie place. Deux votants n’ont pas signé.
- Résumé des cinq essais de votes sur bulletins collectifs.
- 1870
- Janvier
- Février
- Mars
- Avril
- Mai
- <12
- p Q* <U P ;£ O 43 t-i u bo
- g.»
- •g® l/l i/i d ® c5
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- 63
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- 70
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- 79
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- Aux deux derniers essais, plus de la moitié des répartiteurs, on le voit, signent de façon à certifier leurs votes personnels. Nous reprendrons la question.
- Etat des votes au 5e essai de répartitions mensuelles :
- On avait à émettre en chaque groupe 80 appréciations, moins celles concernant les membres mêmes du groupe, soit, dans les groupes nos 1 à 9 qui comptaient chacun 8 membres, 72 appréciations ou votes par chacun des répartiteurs, au total en chacun de ces groupes
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-
- DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES 645
- 72 X 8 = 576 et pour les neuf groupes 576 X 9. 5.184 Dans le groupe n° 10 pù l’on comptait 7 membres, chacun des répartiteurs avait à émettre 73 appréciations, soit pour le groupe 73 x 7...... 511
- Au total......... 5.695
- Résultats généraux :
- Votes de quotités inférieures à 20 fr.......... 1.376
- » allant de 20 fr. à 50 fr... » 1.449
- » dépassant 50 fr. et allant
- jusqu’à 200 fr................................ 264
- Vote de toute la somme en faveur d’un seul
- employé ............. ........................ 1
- Abstentions ou zéros....................... 2.605
- Total....... .... 5.695
- Détail des 1.713 (1.449 + 264) votes de quotités allant de 20 fr. à 200 fr.
- Nombre des allocations : Appointements mensuels :
- 790 de 20 â 25 fr.. à 250 fr.
- 197 au-delà de 25 fr. jusqu’à 30 fr. » 251 à 300 fr.
- 196 )) de 30 fr. )) 40 fr. * 301 à 400 fr.
- 266 » de 40 fr. » 50 fr. » 401 à 500 fr.
- 143 )) de 50 fr. )) 70 fr. » 501 à 700 fr.
- 41 » de 70 fr. » 80 fr. » 701 à 800 fr.
- 10 )) de 80 fr. )) 99 fr. « 801 à 990 fr.
- 55 )) de 99 fr. » 100 fr. » 991 à 1.000 fr.
- 15 » de 100 fr. j» 200 fr. » 1.001 à 2.000 fr.
- 1.713
- Récapitulons les chiffres généraux des votes sur bulletins collectifs pour les cinq essais de répartitions.
- Le lecteur voudra bien se souvenir que pour le premier essai (1), nous n’avons pu fournir que des chiffres approximatifs touchant les votes de quotités et les abstentions ou zéros ; aussi portons-nous en italiques, sur le tableau suivant les chiffres en question ;
- (1) Le Devoir, juillet 1905, p. 389,
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-
-
- 646
- LE DEVOIR
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- Fr. 888 909 996 1042 1055 Sommes à répartir en quotités représentatives des appointements mensuels mérités par les intéressés.
- 66 72 76 79 80 Nombres des employés inscrits sur les bulletins.
- -3 -J -.-J O 05 ÎO OC O O CO Nombres des électeurs-répartiteurs.
- 3.717 4.550 4.830 5.550 5.695 Totaux des votes à émettre pour l’appréciation de tous les intéressés.
- 1.803 1.433 1.882 1.376 1.900 Votes de quotités inférieures à 20 francs.
- 1.364 1.404 1.618 1.449 1.260 Votes de quotités allant de 20 francs à 50 francs.
- ^ >-*- 05 £> 4^ 05 4^ OT 05 tO t-i». o Votes de quotités dépassant 50 francs et allant jusqu’à 200 francs.
- Votes de quotités de 500 francs et plus.
- 1.321 1.847 1.903 2.605 1 i 547 Abstentions ou inscriptions de zéros.
- Zéro 6 12 41 47 \ ‘ Totaux des électeurs certifiant leurs votes personnels.
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- DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES 647
- Les votes certifiés (dernière colonne du tableau) sont en progression constante ; idem les abstentions ou inscriptions de zéros ; idem les votes de quotités dépassant 50 fr., c’est-à-dire en se reportant à la base de l’essai, représentatives d’appointements dépassant 500 fr. par mois !
- Plus de la moitié des électeurs, avons-nous dit déjà, apposent aux deux derniers essais leur signature sur les bulletins collectifs de façon à certifier chacun sa liste de votes.
- A quoi pouvait tenir cette augmentation régulière des votes certifiés, alors que les électeurs avaient, à l’unanimité, répudié cet usage au premier essai du système ? A noter que la signature des votes loin d’empêcher les allocations démesurées marche de pair avec elles, bien que de telles allocations obligeassent les répartiteurs à laisser sans aucune part un nombre toujours croissant de collègues.
- En effet, les allocations excessives qui s’étaient maintenues aux chiffres de 146 et 147 dans les répartitions afférentes à mars et avril passent au nombre de 265 au dernier essai ! Des votants distribuent à peu près toute la somme par portions de 50 fr., 100 fr., 200 fr. entre dix à vingt collègues et s’abstiennent du vote à l’égard de tous les autres.
- En présence de ces faits, on se demande si l’augmentation des signatures certificatives de votes ne provenait pas, en partie au moins , du désir ou du besoin chez quelques votants de se faire connaître des intéressés à qui. ils avaient voté de ces allocations exagérées auxquelles presque toujours répondaient des allocations semblables. Fournissons-en quelques exemples :
- Les listes de votes sur bulletins collectifs bien et duement certifiées par leurs auteurs se chiffrent —
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- depuis les 6 de l’essai relatif à février jusque et y compris les 47 de l’essai relatif à mai — par un total de 106.
- En fait, ce total est fourni par 65 répartiteurs ; les uns ayant certifié leurs votes à un seul essai, les autres à deux ou à trois.
- De ces 65 signataires dégageons-en 22 entre lesquels se sont produits des votes en apparence concertés ; puis à ces 22 ajoutons 8 employés (total 25) se trouvant au rang de ceux à qui les 22 ont voté des allocations exagérées; mais qui eux, ces 3, n’ayant pas certifié leurs votes n’arrivent ici qu’en rôle passif. Rapprochés de la liste des catégories d’après les appointements (ci-dessus p. 642), les 25 employés en question se trouvent faire partie :
- 1 de la 5e catégorie.
- 21 de la 4e »
- 3 de la 3e »
- 25 au total.
- Rappelons encore avant d’aller plus loin que Fessai de répartition d’une somme correspondante au dixième du total des appointements mensuels dans la série des employés avait pour but « d’éclairer sur les valeurs relatives des appointements. » (Mémoire du rapporteur, ch. XV, p. 200, Le Devoir, avril 1905).
- Extraits de différentes listes de votes certifiées au 5e essai.
- (Somme à répartir : 1.055 fr. entre 72 collègues.)
- (1) KE (membre du groupe No 5) emploie 770 fr. en allocations de 60 à 100 fr. en faveur de dix collègues : NA, K, DA, DE, KA, ME, QA, O, Gl, RE' (membres 'des groupes N°s 1, 2, 4, 7, 8, 9, 10.)
- (1) Signes représentatifs des noms, selon le mode indiqué ch. XVII, page 322, Le Devoir, juin 1905.
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- Sept parmi les sus-nommés rendent vote pour vote.
- KE n’a gardé que 585 fr. pour la répartition indicative des mérites de 62 autres collègues.
- Tous ces votants, RE excepté, font partie de la 4e catégorie. RE fait partie de la 3e.
- O (membre du groupe N° 8) distribue — en allocations de 50 à 150 fr. — 750 francs entre huit collègues : TA, HI, K, DA, KE, KA, GI, RE, membres d’autres groupes. Sept rendent vote pour vote. Il reste à O 305 fr. pour les 64 collègues restants.
- TA et RE sont des employés de 3e catégorie ; tous les autres font partie de la 4e.
- QA (membre du groupe N° 4) répartit 615 francs — par allocations de 50 à 100 fr. — entre neuf collègues : K, O, DA, KA, DE, KE, ME, GI, RE. Six d’entre eux rendent vote pour vote. QA et huit des bénéficiaires sont des employés de 4e catégorie, RE fait partie de la 3e. QA n’a gardé que 440 fr. pour les allocations représentatives du mérite de 63 autres employés.
- Autres exemples :
- Votes de ME (membre du groupe N° 10) en faveur de 13 collègues : à onze d’entre eux (RI, VA, PI, NE, Y, R, NI, T, BA, GI,RE,) chacun 50 fr., somme représentative de 500 fr. d’appointements par mois ; au douzième (QA), 60 fr. ; au treizième (DE), 100 fr. Ce dernier répond en allouant 70 fr. à ME ; QA en allouant au même 55 fr. Et parmi les onze bénéficiaires des allocations de 50 fr., sur sept dont nous avons pu vérifier les votes, six répondent en allouant à ME 50 ou 60 fr. ; le septième en lui allouant 40 fr.
- Ces 14 intéressés se répartissent comme suit dans la série des employés :
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- 2 font partie de la 3e catégorie, 11 » » de la 4e »
- 1 fait » de la 5e »
- 14 au total.
- Notons au surplus que les 25 employés en cause avaient touché en mai 1870 des appointements dont le plus bas chiffre fut 99 fr. 50 et le plus haut 193 fr. 80. (Quelques-uns de ces employés étaient rétribués à l’heure ce qui explique les fractions.) Continuons :
- LI (groupe N° 2) alloue à MI (groupe N° 3) 150 fr. et Ml alloue àLI 200 fr., ce qui représentait des appointements mensuels de 1.500 fr. et 2.000 fr. LI et MI gagnaient chacun 125 fr. par mois, ils étaient membres de la 4e catégorie.
- KA (groupe N° 2) alloue à K, O, QA, KE, membres d’autres groupes) des sommes de 50 à 100 fr. et se voit allouer par K 90 fr. ; par O 100 fr. ; par QA 50 fr. ; par KE 60 fr. Tous faisaient partie de la 4e catégorie, etc.
- Evidemment les employés qui se votaient mutuellement de telles sommes au préjudice de l’ensemble du personnel, perdaient de vue l’objet de la tentative et ne voyaient plus dans la répartition mensuelle qu’un moyen de distribution d'aubaines.
- Mais c’était l’échec de l’entreprise : le suffrage se récusant lui-même à l’égard du jugement d’ensemble qui lui était demandé sur les valeurs relatives des mérites et des appointements. Voyons en effet quel était sur le classement final des employés d’une part, et sur le taux final des primes individuelles, d’autre part, le résultat de la ligne de conduite où le suffrage s’en-gageaitde plus en plus.
- Un exemple frappant est celui de l’employé en faveur
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- duquel un collègue employa toute la somme à répartir en mai : 1.055 fr.
- L’employé qui en bénéficia était de la 2e catégorie d’après les appointements. Il touchait par mois 250 fr. En janvier, le vote sur bulletin collectif, (abstraction faite de celui sur bulletin individuel) l’avait classé 58e sur 66 avec une prime de 5 fr. 15 représentative conséquemment de 51 fr. 50 d’appointements mensuels.
- En février, il est classé par le vote 66e sur 72, avec une prime de 4 fr. 34.
- En mars, il est 63e sur 76 avec une prime de 6 fr. 15.
- En avril, 57e sur 79 avec prime de 7 fr. 75.
- En mai — abstraction faite du groupe N° 2 dont est membre l’employé qui nous occupe et où conséquemment le vote ne s’exerce pas sur lui — voici quel est son sort :
- Groupe n° 1 moyenne résultant des votes. 11 fr. 62
- » 3 » » » 11 90
- » 4 » » » i 50
- » 5 » » » 29 35
- » 6 » » » 12 60
- » 7 » » » 1 25
- » 8 » » » 6 87
- 3> 9 » » » 144 37
- )> 10 » » » 5 »
- Total... CO O 46
- La somme de 230 fr. 46 divisée par le nombre des groupes : 10 fournit la moyenne définitive d’allocation de 23 fr. 05 pour l’intéressé.
- Analysons les 72'répartitions dont est résultée cette moyenne définitive. Elles comprennent :
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- zéro.
- dix francs, quinze francs, dix-huit francs, vingt francs, vingt-cinq francs, trente francs, quarante francs, cinquante francs.
- .. cent francs.
- mille cinquante-cinq francs.
- t
- 72 appréciations au total.
- L’attribution des 1,055 fr. a 'été faite dans le groupe n° 9 où la moyenne pour l’intéressé s’est élevée, on l’a vu, à 144 fr. 35.
- 59 Répartiteurs (depuis les 44 qui ont voté zéro jusqu’au cinq qui ont voté vingt francs) avaient apprécié l’individu en diminution d’appointements ; il gagnait 250 fr. par mois ; 4 répartiteurs en lui votant vingt-cinq francs le maintenaient à son rang ; les 9 autres lui votent de 300 fr. à 10.550 fr. par mois ; mais la moyenne définitive : 23,05 n’en représente pas moins une diminution d’appointements.
- Quant au classement dans la série, l’individu passe du 57e rang (résultat du précédent vote) au 3e rang.
- En résumé : la prime individuelle définitive était représentative d’une déchéance; et le classement final représentatif d’un avancement. Contradiction, incohérence: voilà ce qui ressort du cas observé.
- Voyons-en un autre : celui de l’employé classé lor au 5e essai, avec une prime définitive de 26 fr. 75. Cet employé est RE dont il a été question ci-dessus, p. 648 , 649. Il avait touché, en mai 1870, 193 fr. 80 d’appointements.
- 72
- 44 fois 5 »
- 4 »
- 1 »
- 5 » 4 »
- 1 » 2 » 3 » 2 »
- 1 »
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- Sur 72 appréciateurs de son mérite :
- 24 ne lui avaient rien alloué.
- 13 lui avaient voté des allocations représentatives d’appointements réduits.
- 12 lui avaient maintenu ses appointements.
- 1 les lui avait élevés un peu.
- 22 lui avaient voté des primes représentatives de 300 fr. à 2,000 fr. d’appointements par mois.
- Nouveau résultat contradictoire : D’une part, la majorité des électeurs, 37 sur 72, se prononce contre l’augmentation du traitement de RE, 24 en ne lui allouant rien,, 13 en lui allouant des sommes représentant moins qu’il ne touchait ; d’autre part, la moyenne finale d’allocation : 26 fr. 75 était le vœu d’une augmentation de traitement : 267 fr. 50 au lieu de 193 fr. 80.
- Pécuniairement, les allocations exagérées n’aboutissaient qu’à faire toucher à l’individu quelques francs de plus ; la plus forte somme allouée au cours des cinq essais ne dépassa pas 26 fr. 75.
- Moralement, elles étaient l’échec de la tentative parce que se balançant par des abstentions, elles introduisaient l’incohérence et la contradiction dans les votes.
- Poursuivons l’examen des faits. Englobons le plus de cas possibles et voyons les résultats de l’ensemble.
- Parmi les nombres successifs d’employés appelés aux répartitions mensuelles, 63 individus figurèrent aux 5 essais. Attachons-nous à dégager les chiffres afférents à ces 63 intéressés en groupant ceux-ci par catégorie, d’après les appointements. Il est à noter que les employés des Ie, 2e et 3e catégories ont tous, sans exception, figuré aux 5 essais. Aussi sont-ils compris dans les 63 dont nous allons parler.
- Certains d’entre ces 63 ayant touché plus en mai
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- qu'en janvier nous indiquerons les chiffres d’appointements : 1° touchés en janvier, 2° touchés en mai, 3° indiqués par la moyenne finale extraite des cinq essais. Enfin 4° une colonne indiquera la différence entre les chiffres qui eussent résulté du suffrage et les derniers appointements touchés par les intéressés.
- Chiffres relatifs aux 63 employés qui ont figuré aux
- cinq essais :
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- 4e
- 5e
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- 1.286 fr. 1.000 1.621 3.820 1.296 41
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- — 452 90 -f- 619 80 -f- 643 r -f 78 90
- lre Observation : Consulté 5 fois, le suffrage alloue finalement aux 63 employés qui nous occupent 8.330 fr. 80 de rétributions mensuelles au lieu de 9.066 fr 12 touchés en mai par les intéressés.
- 2* Observation : Aux Ie, 2e et 3e catégories d’employés comprenant ensemble 16 titulaires, lesquels avaient touché en mai 3.907 fr. 40 le suffrage retran-
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-
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- DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES
- 655
- che 2.077 fr. 90, plus de la moitié des appointements ; pas un seul des employés de ces trois catégories n’échappe à une appréciation en déchéance. Nous reviendrons sur ce point.
- 3e Observation : Aux 4e, 5e et 6e catégories comprenant ensemble 47 titulaires lesquels avaient touché ensemble 5.158 fr. 72, en mai, le suffrage ajoute 1.342 fr. 58 soit, un peu plus du quart.
- 4° Observation. Prononcé du suffrage en chacune des catégories prise séparément :
- lre, réduction des quatre cinquièmes d’appointements;
- 2e, réduction de plus de moitié ;
- 3e, réduction d’un peu plus du quart;
- 4e, ajoute de près d’un sixième ;
- 5e, ajoute de près de moitié ;
- 6e (comprenant deux apprentis), appointements à peu près doublés.
- Classés d’après les moyennes finales d’allocations extraites des cinq essais les 63 employés qui nous occupent se présentent comme suit : (1)
- Les trois titulaires de lre catégorie se trouvent aux 25e, 51e et 61e rangs. La dernière place au plus hautement appointé. (Le sujet sera repris plus loin.)
- Les quatre titulaires de 2e catégorie se trouvent aux 1er, 48e, 56e et 60e rangs. Le 56e rang étant occupé à la fois par un titulaire de 250 fr. d’appointements mensuels et par un apprenti rémunéré 20 fr. A chacun d’eux le suffrage avait alloué une moyenne finale de 6 fr. 19, somme représentative de 61 fr. 90 d’appointements.
- Les neuf titulaires de 3e catégorie occupent les 5e,
- (1) Nota : Deux cas d’égalité de moyenne finale d’allocation aux 31° et 56e rangs ramènent à 61 au lieu de 63 le dernier chiffre de classement.
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- LE DEVOIR
- 22e, 30e, 31e, 35e, 40e, 44e, 45e, 57e rangs. Le 31e étant occupé en outre par un employé de 4e catégorie ; chacun des titulaires du 31e rang ayant bénéficié d’une même moyenne finale d’allocation : 13 fr. 99.
- Dans la première moitié des rangs : (30 sur 61) passent 19 employés de 4e catégorie (sur 29) et 6 (sur 16) de 5e catégorie. Les deux apprentis sont classés 56e et 58e.
- Les employés que nous avons représentés ci-dessus par des signes alphabétiques se retrouvent au nombre de 18 parmi les 63 qui nous occupent. (Les sept autres n’ont pas figuré dans les cinq essais). Sur ces 18 il en est 13 (12 de la 4e catégorie et 1 de la 3e) qui passent dans la lre moitié du classement avec les chiffres 3e, 5e, 7e,9e, 10e, 11e, 12e, 14e, 16e, 20e, 23e, 27e 29e ; les cinq restants (4 de la 4e catégorie, 1 de la 3e) sont classés : 31e, 35e, 38e, 39e, 41e.
- (A suivre).
- Vve J.-B.-A. Godin , née Moret.
- ERRATUM
- Documents biographiques. — « Le Devoir », octobre 1905, page 586, tableau : Appointements mensuels, lire la 2e ligne : 200 fr. à 250 fr., avant la lre.
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- ASSEMBLÉE GENERALE ORDINAIRE
- 657
- Société du Familistère de Guise, Colin et Cic
- ASSEMBLEE GÉNÉRALE ORDINAIRE
- du 1er Octobre 1905
- Extraits du procès-verbal
- Présidence de M. COLIN ^, Administrateur-Gérant
- Ordre du jour :
- 1° Rapport de M. l’Administrateur-Gérant sur la situation morale , industrielle et financière de l’Association ;
- 2° Rapport du Conseil de surveillance sur le même sujet ;
- 3° Approbation du rapport de l’Administrateur-Gérant et de celui du Conseil de surveillance ;
- 4° Admission ou rejet comme associés (pour l'exercice 1905-1906) de MM. (suit la liste des noms: 13 personnes de l’usine de Guise et 1 personne de l’usine de Schaerbeek.
- Sont présents ou représentés 404 associés sur 406 inscrits , ainsi qu’en témoigne la liste de présence annexée au procès-verbal.
- Présents................. 308
- Représentés............... 96
- Absents.................... 2
- Total........" 406
- Le bureau est composé de :
- M. Colin , Administrateur-gérant, président, et des Conseillers de gérance ci-après, ayant qualité d’associé, savoir :
- Mme Godin, MM. Alizard, Bailliot, Braillon, Buri-
- 2
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- LE DEVOIR
- dant, Hennequin , Lemaire, Louis Eugène, Quent, Sekutowicz et Thoret Emile.
- M. Alizard, secrétaire de l’assemblée, remplit ses fonctions.
- Après l’appel nominal, M. le Président déclare la séance ouverte.
- Il constate que toutes les formalités d’affichage ont été remplies , à Guise et à Schaerbeek, pour la convocation de l’Assemblée.
- L’Assemblée se composant de 404 membres présents ou représentés , la majorité sera :
- Pour le vote sur les rapports , des 2/3 des membres présents ou régulièrement représentés, soit 270 voix. .
- Et pour le vote relatif à l’admission des nouveaux associés, de la majorité absolue des membres présents ou régulièrement représentés, soit 203 voix.
- L’ordre du jour est abordé.
- 1° Rapport de M. P Administrateur-Gérant, sur la situation morale, industrielle et financière de la Société.
- M. le Président donne lecture de la première partie de son rapport et s’exprime ainsi :
- Mesdames, Messieurs,
- Je viens à cette Assemblée générale ordinaire annuelle, conformément aux prescriptions statutaires, vous soumettre mon rapport sur la situation morale, industrielle et financière de notre Société, pendant l’exercice écoulé 1904-1905.
- La situation morale reste la même. Que dire et que faire pour améliorer le côté malade : l’absence au travail résultant de la fréquentation de l’estaminet ?
- On m’objectera que la grande majorité de notre personnel est assidue et travailleuse, je suis loin de le méconnaître, mais la petite minorité d’alcooliques, encore un peu je dirais d’ivrognes, n’est-elle pas trop grande?
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- ASSEMBLÉE GENERALE ORDINAIRE
- 659
- Croyez-vous que si l’on établissait le classement de la ville de Guise dans l’échelle de la consommation d’alcool en France, elle ne serait pas en bon rang?
- 11 m’est peu agréable de vous parler ainsi, mais les statuts m’imposent en première ligne l’examen de notre situation morale, et je ne saurais taire nos défauts.
- Du côté des enfants du Familistère, la moralité est plutôt meilleure dans le sens de la politesse et de la tenue, j’attribue ceci à l’effort sérieux fait par les maîtres et maîtresses de nos écoles.
- Comme je le disais il y a quelques jours à la distribution des prix : « Le bien-être matériel n’est pas notre » seule fin, la société humaine n’est pas un troupeau qui » ne doit chercher que la satisfaction de ses appétits, » elle doit agrémenter l’existence de tous les progrès » moraux susceptibles de rendre les hommes plus sup-» portables les uns aux autres ».
- Dans une association surtout, chacun doit apporter le plus possible d’aménité dans son commerce, de goût dans sa tenue et sa manière d’être, d’amour-propre dans son travail.
- L’année dernière je vous ai déjà parlé de cette tendance manifeste à exécuter la besogne à la légère, sans goût, sans chercher le fini de l’exécution qui justifie notre renommée. Y a-t-il progrès cette année ? Je n’ose me prononcer. Il est cependant avéré qu’il n’en coûte pas plus de faire bien, il suffit de ne pas travailler par à-coups. L’ouvrier qui travaille régulièrement, qui ne pense jamais que la veille était un dimanche, qui voit dans l’atelier autre chose que la pendule, est certainement celui qui gagne le plus, qui sert le mieux les intérêts communs et qui se fatigue le moins.
- En ce qui concerne vos caisses d’assurances mutuelles, je n’ai rien à ajouter à l’éloquence des chiffres ; vous allez les entendre dans un instant. Vous serez bien obligés d’en déduire que la carotte est de plus en plus cultivée et que trop nombreux sont les parasites qui profitent de tous les moyens pour sucer la mutualité.
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- LE DEVOIR
- Tant que vos dividendes le permettront, le mal sera guérissable, mais plus tard ? Posez-vous donc cette question.
- Sous le bénéfice des observations ci-dessus, je dois dire que les rapports mutuels dans les différents services ont été corrects, rien n’est venu troubler la bonne harmonie parmi nous.
- A l’extérieur notre organisation est toujours étudiée et discutée; le Familistère a d’ailleurs fait, cette année, l’objet de plusieurs thèses soutenues devant les facultés de droit. On en critique certains côtés, mais généralement on s’incline devant les résultats.
- Tout ceci, Mesdames et Messieurs, c’est parler pour ne rien dire, puisqu’aussi bien je finirai toujours par conclure que la situation morale est bonne, mais en regrettant sincèrement de ne pouvoir obtenir mieux.
- J’aborde maintenant la situation industrielle, commerciale et financière.
- Le total des commandes en fourneaux et appareils de chauffage reçues pendant l’exercice 1904-1905 s’est élevé :
- A l’usine de Guise à..... 135.417
- A l’usine de Schaerbeek à 36.242
- 171.659 fourneaux
- De ce chiffre doivent être déduits les 1.063 fourneaux commandés par Fusine de Schaerbeek à l’usine de Guise, qui se trouvent comptés dans les deux usines.
- Le total réel est donc de 170.596 fourneaux.
- L’année dernière ce chiffre était de :
- 169.427 fourneaux
- A l’usine de Guise...... 133.171 j
- A l’usine de Schaerbeek.. 36.256 \
- Moins les 1.060 fournaux commandés par l’usine de Schaerbeek, restait un total de.... 168.367fourneaux.
- Soit donc cette année une différence
- en plus de....................... 2.229 d°
- Cette différence se décompose comme suit :
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- ASSEMBLEE GENERALE ORDINAIRE
- 661
- fourneaux
- do
- do
- A l’usine de Guise en plus. . . 2,546 A l’usine de Schaerbeek en moràs 14 Différence sur produits français à retrancher......... 3
- Différence en plus dans les
- commandes.............. 2.229 d»
- Le nombre de fourneaux et appareils de chauffage expédiés dans les deux usines a été de :
- A l'usine de Guise...... 134.023
- A l’usine de Schaerbeek.. 35.121
- A déduire les fourneaux expédiés de Guise et comptés
- dans les deux chiffres, soit.... 1.063 fourneaux^
- Le total des fourneaux expédiés
- 169.144 fourneaux
- est donc de 168.081 do
- Il était l’année dernière de :
- A l’usine de Guise.. 133.503 do
- A l’usine de Schaerbeek.. 35.425 -do
- 168.928 d°
- A déduire : fourneaux ex-
- pédiés à Schaerbeek.... 1.060 do
- Reste 167.868 167.868 d°
- Soit une différence en plus
- de....................
- se décomposant ainsi :
- A l’usine de Guise, en plus A l’usine de Schaerbeek, en
- moins............. ...
- Différence des produits français à retrancher.....
- Différence en plus en fourneaux et appareils de chauffage complets expédiés dans les deux usines pendant l’exercice...
- 520
- 304
- 213 fourneaux
- d°
- d°
- 213 fourneaux
- Nos expéditions sont donc les mêmes pour les deux exercices avec les fluctuations suivantes dans le détail
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- 662
- LE DEVOIR
- Il y a lieu de noter que le chiffre de commandes en appareils...................................
- Affaires industrielles.
- Le chiffre net d’affaires industrielles se décompose ainsi :
- Usine de Guise, total net des ventes des produits figurant aux albums, non compris celles faites à l’usine
- de Schaerbeek..................... fr. 4.540.980 05
- Il faut ajouter à ce chiffre les ventes
- en...................................
- ..................à...............fr. 102.065 70
- Total net des ventes à Guise....fr. 4.643.045 75
- Le total net des ventes à l’usine de Schaerbeek a été de.............. fr. 1.184.831 31
- Le total net des affaires industrielles
- est donc de...................... fr. 5.827.877 06
- Ce chiffre était l’année dernière de fr - 5.839.033 23
- Soit en moins cette année ...... fr. 11.156 17
- se décomposant comme suit :
- A Guise, en 1903-1904... f. 4.641.783 18 » * 1904-1905. .. f. ‘4.643.045 75
- Soit en plus cette année, f. 1.262 57
- A Schaerbeek, en 1903-1904 f. 1.197.250 05 » 1904-1905 f. 1.184.831 31
- Soit en moins cette année, f. 12.418 74
- Soit au total en moins cette année, fr 11.156 17
- Magasins de consommation.
- Le montant des ventes dans les magasins de consommation des Familistères, s’est élevé cette année :
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- ASSEMBLÉE GENERALE ORDINAIRE 663
- Au Familistère de Guise, à fr. 902.754 40
- Il était l’année dernière de fr. 935.378 70
- Soit en moins pour l’exercice écoulé fr. 32.624 30
- Au Familistère de Schaerbeek, à. fr. 47.428 61
- 11 était l’année dernière de fr. 48.886 18
- Soit en moins pour cette année... fr. 1.457 57
- Le montant total a donc été de... fr. 950.183 01
- Contre l’année dernière fr. 984.264 88
- Soit en moins cette année fr. 34.081 87
- La diminution porte principalement sur la vente des combustibles qui a été fortement concurrencée. Au contraire, les ventes à la buvette de Guise comme à Schaerbeek sont en augmentation.
- Douce satisfaction !
- Les bénéfices réalisés dans les magasins de consommation ont été cette année de.................................fr.
- Les 85 °/o de ces bénéfices forment une somme de........................ fr.
- Cette somme appliquée au chiffre total des ventes, à Guise et à Schaerbeek, nous donne une répartition de 11 fr. 75 pour cent, qui sera faite comme remise aux acheteurs sur carnets et produira :
- A Guise, une somme de ......... fr.
- A Schaerbeek, une somme de .... fr.
- Soit au total.....fr. 99.463 60
- Affaires locatives.
- Le produit brut des loyers s’est élevé pendant cet exercice :
- 131.429 58 111.715 14
- 96.550 90 2.912 70
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- 664 LE DEVOIR
- 114.686 80
- 42.445 25
- Affaires totales.
- Nos affaires se décomposent ainsi pour l’exercice écoulé 1904-1905 :
- Affaires industrielles . . .. •..fr. 5 • 827.877' 06
- Affaires commerciales dans les magasins de consommation, dont 85 o/0 des bénéfices seront versés comme remise
- aux acheteurs.......................fr. 950.183 01
- Affaires locatives ........»..,. fr. H4.686 80
- Total de nos affaires. ... 6.892.746 87
- Bénéfices.
- Les bénéfices se décomposent ainsi :
- Bénéfices industriels à l’usine de Guise............................. fr.
- Bénéfices industriels à l’usine de Schaerbeek...................... fr.
- Familistère de Guise, services commerciaux et loyers, 165.996 fr. 90 moins la remise aux acheteurs sur carnets 96.550 fr. 90. Reste net............fr.
- Familistère de Schaerbeek. services commerciaux et loyers, 7.877 fr. 93 moins la remise aux acheteurs sur carnets 2.912 fr. 70. Reste net........fr.
- Total des bénéfices bruts pour l’exercice écoulé 1904-1905.............. fr. 1.070.428 13
- Si du produit net des magasins et des loyers, soit 74.411 fr. 23, on retranche les frais d’éducation qui s’élèvent à
- 805.628 69 190.388 21
- 69.446 »
- 4.965 23
- A Guise, à...,, fr. 100.597 98 ) A Schaerbeek," à. fr. 14.088 82 * Le rendement net des loyers est de :
- A Guise....... fr. 37.765 30 (
- A Schaerbeek... fr. 4.679 95 (
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- ASSEMBLEE GENERALE ORDINAIRE
- 665
- 35.949 fr. 59, il reste comme produit absolument net des Familistères de Guise et de Schaerbeek un revenu de 38.461 fr.
- 64 c.
- Les amortissements, le solde du compte Charges et revenus sociaux et les frais d’éducation s’élèvent à la somme de. fr. 339-194 64 Les bénéfices nets totaux de la Société (plus-value au bilan) s’élèvent donc à fr. 731.233 49 Ils étaient, l’année dernière, de. . fr. 740 544 06
- Soit en moins pour l’exercice écoulé fr. 9 310 57
- Après avoir prélevé sur cette somme l’intérêt à 5 pour% du capital social qui est de 5 millions, soit 250.000 fr., il reste comme dividendes à partager..... fr. 481.233 49 Cette somme était l’année dernière
- de................................fr. 490.544 06
- Soit en moins cette année......fr. 9.310 57
- En dehors de ces intérêts et de ces dividendes il ne faut pas oublier le quantum de 11 fr. 75 °/0 à faire comme remise aux acheteurs sur carnets dans les magasins de consommation, qui se chiffre, comme
- je le disais plus haut, à.........fr. 99.463 60
- En résumé, les résultats de l’exercice sont les mêmes, à quelques mille francs près, que ceux de l’exercice précédent. Comme plus-value au bilan (bénéfices nets), c’est une des cinq plus belles années depuis la fondation de notre Société.
- Je vais maintenant, Mesdames et Messieurs, vous dire quelques mots des principaux services.
- Service des modèles.
- Plus la fabrication est intense, plus la réparation des modèles en service sont fréquentes ; d’autre part, plus nos affaires s’étendent, plus il y a de diversité dans les séries de modèles, car chaque contrée exige des modifi-
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- LE DEVOIR
- cations qui |lui sont particulières ; c’est ainsi que le service des modèles est continuellement surchargé de besogne.
- Nous avons travaillé cette année à compléter nos séries de............................................
- Nous comptons ne mettre en route cette fabrication à l’usine de Scbaerbeek que progressivement et quand nous serons satisfaits de celle de Guise ; il faut que notre personnel technique au service des modèles s’initie aux études et se familiarise avec les difficultés ; il est d’ailleurs animé du désir sincère de conduire à bien cette nouvelle branche de notre industrie.
- L’atelier d’ajustage-quincaillerie, de décoration et de bronzage, placé sous la direction du service des modèles, prend tous les jours de l’importance. Les nouveaux
- Service commercial.
- Ce service a fonctionné dans de très bonnes condi-
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- ASSEMBLÉE GENERALE ORDINAIRE
- 667
- tions. La clientèle est soignée comme toujours par une correspondance ferme mais convenable ; les concessions nécessaires ne sont faites qu’avec à-propos. Notre...................................... .......
- .....’...............Celle faite à Liège et dans l’enceinte de l’Exposition est très appréciée de nos clients de Belgique.
- Notre..............................dans la région de
- Lyon et en Suisse nous fait espérer de bons résultats dans quelques années.
- En Hollande, rien encore de nouveau quant au tarit douanier. Les élections ont paru laisser en minorité le parti protectionniste, ce qui a fait ajourner la loi. Ne nous en plaignons pas, car comme je vous le dis tous les ans, l’application de cette nouvelle loi..............
- Service du matériel et des constructions
- Les travaux dont je vous entretenais dans mon dernier rapport sont actuellement terminés. Notre nouvelle machine motrice est en plein fonctionnement et nous donne satisfaction ; elle actionne maintenant l’installation électrique pour l’élévation de l’eau de l’Oise dans l’usine, l’installation nouvelle de dessablage mécanique., les ventilateurs aspirateurs électriques et l’éclairage électrique de l’émaillerie.
- Nous avons d'autre part réparé et réinstallé à Guise la petite machine à vapeur de Schaerbeek pour éclairer et actionner la nuit le service de l’émaillerie.
- Dans les terrains nouveaux dont nous avons décidé l’acquisition et l’échange l’an dernier, nous avons construit en bout de propriété un grand hangar pour les châssis en demi-service et pour les équipages, ce qui permet de débarrasser l’usine et surtout la fonderie.
- Dans l’ancien hangar au coke des fonderies n°s 1 et 2 nous avons installé des.. . ......................*....
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- LE DEVOIR
- Nous commencerons bientôt le transfert du petit magasin du matériel dans la maison Magnier, pour agrandir d’une place nos bureaux centraux et les isoler de la fonderie malléable par un passage direct à voiture entre la cour de l’émaillerie et la cour du matériel.
- Je ne m’étendrai pas sur les réparations que nécessitent nos constructions et notre matériel, elles sont de plus en plus importantes. Nous avons dû cette année reconstruire en partie deux gazogènes et leur cheminée. Actuellement nous terminons la réfection de la façade de l’émaillerie et la reconstruction de la cheminée du groupe des générateurs nos 4 et 5 qui toutes deux nous inquiétaient.
- Service des fonderies
- Comme l’année dernière les fonderies ont donné leur maximum de production, à cent tonnes près, le poids des bonnes pièces est le même. Le moulage mécanique est devenu insuffisant ; l’appport..................
- nous permettra bientôt de faire face aux exigences de la fabrication pendant la saison de vente.
- Nous aurons cette année à mettre en marche d’une façon régulière et économique la fabrication des appareils et accessoires.................... ..............
- question importante pour notre avenir et à laquelle la direction de la fonderie apporte déjà tous ses soins.
- Service de l’ajustage
- Ce service a atteint pendant l’exercice sa plus grande production, 134.699 appareils de cuisine ou de chauffage complets ont été montés à Guise (à Schaerbeek le chiffre correspondant est de 37 275, c’est également un des plus élevés).
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- ASSEMBLÉE GENERALE ORDINAIRE 669
- L’outillage dans les différents ateliers de montage est maintenant suffisant pour de grands besoins, du reste la direction s’attache à le perfectionner et à le compléter, c’est là une sage précaution.
- Nous avons dû agrandir la section de montage des
- fourneaux....................... et lui adjoindre un
- magasin spécial d’accessoires ; il faut pouvoir y fabriquer très vite, étant donné qu’il est très difficile d’emmagasiner ce genre de produits.
- Emaillerie
- L’émaillerie continue à travailler dans d’excellentes conditions ; nos émaux sont toujours beaux ét appréciés et nos produits de bâtiment et d’assainissement bien considérés dans la clientèle.
- Pendant cet exercice nous avons décidé d’installer, dans la grande balle des fours, un système de ventilation au-dessus et au-dessous des tables de travail; les ventilateurs aspirateurs électriques fonctionnent déjà sur plusieurs tables, ce qui nous permet d’escompter un résultat appréciable pour l’hygiène de ces ateliers. Nous allons essayer en outre d’y supprimer le plus possible le
- travail des jeunes gens en installant.................
- électriques à fous nos grands fours. D’autre part l’éclairage électrique, qui est complètement installé, nous permet de faire tous les travaux sans exception aussi bien la nuit que le jour.
- • Service de la fabrication
- Tous les jours de nouvelles difficultés surgissent avec l’accroissement des modèles et les exigences de la clientèle. Dans chaque série d’appareils les types deviennent si nombreux qu’il est impossible de les emmagasiner tous et cependant il faut les livrer vite.
- L’activité et la ténacité notoires de la direction ont su triompher des obstacles ; les expéditions ont suivi leur cours normal et nous avons pu faire face aux commandes sans grande perturbation dans les ateliers.
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- LE DEVOIR
- Approvisionnements
- Les cours des matières premières ont toujours été bien suivis et les achats faits au moment voulu. Nos gros marchés se sont traités sur des prix à peu près les mêmes que pendant l’exercice 1903-1904. Aussi aucune fluctuation comptable n’est intervenue de ce fait dans l’établissement de nos crédits de fabrication.
- Service de la comptabilité
- Comme toujours notre comptabilité est régulière aussi bien à Schaerbeek qu’à Guise ; les membres du Conseil de surveillance ont pu le constater.
- En matière commerciale et financière la comptabilité suit normalement son cours, mais la comptabilité de fabrication éprouve des difficultés qui croissent avec la multiplicité des produits.
- Que dire de la comptabilité sociale et du service des salaires ? Le morcellement des titres d’épargnes, le règlement interminable des successions ; l’accroissement du nombre des oppositions sur titres et des saisies-arrêts sur salaires nous causent des ennuis journaliers et nous inquiètent pour l’avenir.
- Economat
- Les services locatifs, scolaires et commerciaux ont fonctionné à Schaerbeek comme à Guise d’une façon régulière. Je vous ai donné la raison de la légère diminution du quantum de remises aux acheteurs sur carnets.
- Il est inutile de vous répéter que le service locatif a de plus en plus de dépenses à sa charge pour l’entretien et le nettoyage de nos immeubles ; je vous le dis tous les ans en pure perte, puisqu’aussi bien les habitudes de propreté disparaissent notoirement aux Familistères de Guise et encore plus vite au Familistère de Schaerbeek.
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- ASSEMBLÉE GÉNÉRALE ORDINAIRE
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- Usine de Schaerbeek
- Cette usine a fait le même chiffre d’affaires que pendant l’exercice précédent ; ses bénéfices industriels sont plutôt supérieurs ; sa marche est excellente et sa direction active et intelligente.
- Malheureusement la concurrence qui est de plus en
- plus redoutable surtout ..............., nous conduit à
- envisager le résultat obtenu cette année comme un maximum qu’il sera difficile d’atteindre dans l’avenir.
- Souhaitons que si la lutte économique..................
- ................., nous sachions prendre la mesure
- énergique qui seule nous permettra d’y conserver nos positions.
- Comme travaux hors fabrication nous avons construit un hangar pour châssis de fonderie, résultat de l’augmentation du nombre des tables de mouleurs.
- Nous avons installé pour notre émaillerie un service de bains sulfureux et nous y montons un appareillage de ventilation exactement semblable à celui de Guise.
- Je termine, Mesdames et Messieurs, la première partie de mon rapport.
- Je remercie Messieurs Braillon Adolphe, Louis Eugène et Thoret Emile, membres élus du Conseil de Gérance, de l’assiduité avec laquelle ils ont suivi nos réunions et de l’amabilité qu’ils ont apportée dans nos délibérations.
- Je remercie aussi vivement Messieurs Allart Alfred, Ancelet Joseph et Flamant Ernest, membres du Conseil de surveillance, du soin avec lequel ils se sont acquittés de leur mandat.
- Je donne maintenant la parole à M. Alizard, directeur de la comptabilité et du contrôle, secrétaire de l’Assemblée générale, qui va vous lire la partie financière de mon rapport. (.Applaudissements).
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- 672
- LE DEVOIR
- PERSONNEL DE L’ASSOCIATION
- au 30 juin 1905
- Ce personnel comprend les membres nommés pendant le mois de juin 1905 et prenant part à la répartition de l’exercice 1904-1905 :
- Membres actifs : Associés à Guise.... 364 j
- » à Schaerbeek 43 \
- Sociétaires à Guise..... 77 j
- » à Schaerbeek 14 (
- Participants à Guise ..... 589 I
- » àSchaerbeek 111 ( Propriétaires de titres d’Epargnes ne prenant
- plus part aux travaux de l’Association............
- Auxiliaires prenant ou ayant pris part aux travaux de l’Association..........................
- Total............ 2.693
- MUTATIONS DU PERSONNEL
- \
- Les mutations qui se sont produites au cours de l’exercice 1904-1905 sont les suivantes :
- associés
- Nombre existant au commencement de l’exercice......................................... 404
- Élus sur leur demande par l’Assemblée pendant l’exercice................................. 16
- Total............. 420
- A déduire : décédés. ......... ..... 10 » ^
- » démissionnaires............... 3 [
- 407
- 91
- 700
- 717
- 778
- Associés existants au 30 juin 1905
- 407
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- ASSEMBLÉE GENERALE ORDINAIRE
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- SOCIÉTAIRES.
- Nombre existant au commencement de l’exer-
- cice *............................................. 106
- Nommés pendant l’exercice....................... 11
- Total........... 117
- A déduire : Sociétaires devenus associés. 161
- » Partis ou décédés................ 8> 26
- » Redevenus participants .... 2;
- Sociétaires existants au 30 juin 1905.......... 91
- PARTICIPANTS.
- Nombre existant au commencement de l’exercice............................................
- Nommés pendant l’exercice..........
- Sociétaires redevenus participants.........
- Total..........
- A déduire : Participants devenus sociétaires 11 j » » devenus auxiliaires 3 >
- » » partis ou décédés.. 46 \
- Participants existants au 30 juin 1905.....
- RETRAITES.
- Pensionnés jouissant de la retraite au lerjuillet 1904 :
- A titre définitif. ........................... 129
- A titre provisoire..................... 7
- Mis à la retraite pendant l’exercice. 10 )
- Décédés pendant l’exercice... ............ 5 j ^
- Total des pensionnés définitivement au 30 juin 1905. ........................................... 134
- se répartissant en 128 à Guise et 6 à Schaerbeek.
- 3
- 711
- 47
- 2
- 760
- 60
- 700
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- 674
- LE DEVOIR
- SITUATION GÉNÉRALE DES ASSURANCES MUTUELLES.
- ASSURANCE DES PENSIONS ET DU NECESSAIRE.
- L’Assurance des pensions et du nécessaire à la subsistance, possédait, au 1er juillet 1904, un certificat d’Epar-gnes (part de capital de la Société) s’élevant à............................fr. 673.953 »
- Nous allons avoir à y ajouter la part de bénéfices de l’exercice écoulé 1904-1905 représentée par le travail des auxiliaires, soit.....................fr. 48.380 »
- Plus les annulations d’épargnes réservées se montant à.............. fr. 1.484 »
- Total..........
- Il y aura à retrancher d’autre part le remboursement d’épargnes résultant de l’exercice écoulé 1904-1905 qui sera de fr.
- La valeur du certificat d’épargnes sera donc pour l’entrée dans l’exercice 1905-
- 1906 de...........................fr.
- Le solde du compte courant de l’Assurance des pensions et du nécessaire était créditeur au 30 juin 1905
- de...................fr. 114.100 54
- La répartition de cet exercice va y ajouter les intérêts et dividendes revenant au certificat d’épargnes, soit...........fr. 36.703 50
- Le remboursement d’épargnes de l’exercice écoulé
- étant de.............fr. 70.122 »
- Il résulte que le compte courant sera créditeur à nouveau dans la caisse de
- 723.817 »
- 70.122 »
- 653.695 »
- A reporter......fr. 653.695 »
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- ASSEMBLÉE GENERALE ORDINAIRE 675
- Report..........
- la Société, après l’application des résultats de l’in-
- Véntaire de............. fr. 220.926 04
- Le montant du dépôt à la caisse des Dépôts et consignations, valeurs et capital disponible (les valeurs étant comptées à leur prix d’achat) est au 30 juin
- 1905 de.............................fr.
- Plus une somme de fr. 7.595 04, montant évalué des coupons et intérêts du 1er semestre de 1905 qui seront ajoutés par la caisse des Dépôts au capital disponible et portés pour ordre au crédit du
- compte courant......................fr.
- L'assurance des pensions et du nécessaire possède donc au 1er juillet 1905, après application des résultats de l’inventaire, un capital de. ......... fr.
- 653.695 »
- 220.926 04
- 547.320 61
- 7.595 04
- 1.429.536 69
- RECETTES ET DÉPENSES DE L’ASSURANCE DES PENSIONS ET DU NÉCESSAIRE PENDANT L’EXERCICE ÉCOULÉ.
- 1° Recettes effectives:
- Subvention statutaire équivalente à 2 0/0 des salaires et appointements de l’exercice, soit.................... fr.
- Supplément de subvention facultatif équivalent à 1 0/0 des salaires et appointements .......................... « . fr.
- Intérêts et dividendes du certificat d’épargnes pour 1904-1905............fr.
- Intérêts sur somme disponible (Conseillers de Gérance non en exercice) laissés à l’assurance des pensions et du nécessaire...............«...........fr.
- Intérêts du compte courant de l’assu-
- A reporter......... fr.
- 56.664 01
- 28.332 » 36.703 50
- 6.678 38
- 128.377 89
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-
-
- 676
- LE DEVOIR
- Report.........fr.
- rance............................. fr.
- Rentrées diverses.............., fr.
- 128.377 89 3.576 07 2.228 95
- Total des recettes effectives... .
- 2° Recettes comptables :
- Part de bénéfices représentée par le travail des auxiliaires pendant l’exercice portée en augmentation du titre d’épargnes...............................fr.
- Annulations d’épargnes réservées portées en augmentation du titre d’épargnes...............................fr.
- Les intérêts et coupons d’une année, encaissés par la caisse des Dépôts et consignations, non touchés par l’assurance, et portés par la dite caisse en augmentation du capital disponible pour être réemployés en achats de valeurs.... fr.
- 134.182 91
- 48.380 »
- 1.484 »
- 14,931 30
- Total............fr. 198.978 21
- Le montant total des dépenses a été de................................fr. 175.774 56
- Augmentation du capital de la caisse
- des pensions......................fr. 23.203 65
- Ce capital était l’année cfernière de fr. 1.406.333 04
- Il est cette année de..........fr. 1.429.536 69
- Différence égale... fr. 23.203 65
- L’excédent des dépenses de la caisse des pensions sur les recettes effectives est donc de 175.774 fr. 56 cent, moins 134.182 fr. 91 cent. = fr.
- 41.591 65
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-
-
-
- ASSEMBLÉE GENERALE ORDINAIRE 677
- ASSURANCE MUTUELLE CONTRE LA MALADIE à Guise. — Section des hommes.
- Solde créditeur au 1er juillet 1904 fr. 4.051 98 Recettes de l’exercice...............fr. 49.126 60
- Total .... . fr. 53.178 58
- Dépenses de Fexercice . fr. 52 917 83
- Solde créditeur au 30 juin 1905 .. . fr. ' 260 75
- Excédent ries dépenses sur les recet-
- . fr. 3.791 23
- à Guise. — Section des dames.
- Solde créditeur au 1er juillet 1904. fr. 4.252 95
- Recettes de l’exercice fr. 9.195 50
- Total ... fr. 13.448 45
- Dépenses de l’exercice fr. 9.220 98
- Solde créditeur au 30 juin 1905.. fr. 4.227 47
- Excédent des dépenses sur les recettes fr. 25 48
- Usine de Schaerbeek. —Assurance contre la maladie.
- Solde créditeur au 1er juillet 1904. fr. 3.990 91
- Recettes de l’exercice fr. 9.053 83
- Total fr. 13.044 74
- Dépenses de Fexercice fr. 9.006 90
- Solde créditeur au 30 juin 1904.. fr. 4.037 84
- Excédent des recettes sur les dépenses fr. 46 93
- ASSURANCE SPÉCIALE A LA PHARMACIE.
- à Guise.
- Solde créditeur au 1er juillet 1904. fr. 685 06
- Recettes de l’exercice fr. 14.527 98
- Total fr. 15.213 04
- Dépenses de Fexercice fr. 12 315 94
- Solde créditeur au 30 juin 1905 . . fr. 2.897 10
- Excédent des recettes sur les dépenses fr. 2.212 04
- p.677 - vue 680/774
-
-
-
- 678
- LE DEVOIR
- à Schaer beek..
- Solde créditeur au 1er juillet 1904. fr. 893 01
- Recettes de l’exercice.,......... fr. 2 951 71
- Total..........fr. ' 3.844 72
- Dépenses de l’exercice ........ fr. 2.939 83
- Solde créditeur au 30 juin 1905.. . fr 904 89
- Excédent des recettes sur les dépenses fr. 11 88
- ASSURANCES RÉUNIES
- Le montant général des recettes effectives de nos caisses d’assurance est de fr. 219.038 53
- Celui des dépenses est de ....... . fr. 262.176 04
- Excédent des dépenses sur les recettes fr. 43.137 51
- En considérant que l’assurance des pensions ne touche pas les coupons et intérêts des valeurs de la Caisse des Dépôts et consignations, soit une somme de 14.931 fr. 30, l’excédent des dépenses sur les recettes est exactement de.. fr0 28.206 21
- Les dépenses totales qui étaient, l’année dernière, de 242.856 fr. 70 ont donc augmenté en un exercice de la jolie somme de..........................fr. 20.319 34
- RÉSUMÉ GÉNÉRAL DES ASSURANCES MUTUELLES.
- Les 262.176fr. 04 de dépenses des assurances mutuelles se décomposent ainsi :
- ASSURANCE CONTRE LA MALADIE.
- Payé aux malades pendant l’exercice 1904-1905 :
- A Guise. — Section des hommes.
- Pour 23.614 journées de maladie à 892 malades...........................fr. 47.750 40
- A reporter......fr.
- 47.750 40
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-
-
-
- ASSEMBLÉE GENERALE ORDINAIRE
- Report...........
- A Guise. ~ Section des dames.
- Pour 5.928 journées de maladie à 247 malades.................................. fr.
- A Schaerbeek. — Section unique.
- Pour 2.756 journées de maladie à 276 malades...... ........................ fr.
- Pour les sections réunies, frais de pharmacie.
- A Guise..........fr. 12.315 94 1
- A Schaerbeek.,.... fr. 2.939 83 \
- Payé aux médecins :
- A Guise..........fr. 8.342 40
- A Schaerbeek.....fr. 2.174 10
- Divers à Guise...fr. 401 46
- Divers à Schaerbeek. fr. 26 50
- ASSURANCE DES PENSIONS ET DU NÉCESSAIRE
- Payé à 132 pensionnés dont 43 au Familistère et 89 au dehors.. .. fr.
- Payé à 7 pensionnés à Schaerbeek..........fr.
- Payé à 7 retraités provisoirement et à 50 malades depuis plus d’une année. . ...........fr.
- Payé à 50 familles pour le nécessaire à la subsistance à Guise.......fr.
- Payé à 2 familles pour le nécéssaire à la subsistance à Schaerbeek.. fr.
- Payé à 93 malades à
- A reporter. ..... 155.685 19
- 97.057 35 4.644 43
- 39.329 01
- 14 219 15
- 435 25
- 679
- 47.750 40
- 5.644 55
- 6.806 30
- 15.255 77
- 10.944 46
- 155.685 19
- 242.086 67
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-
-
-
- 680
- LE DEVOIR
- Report.........
- titre de secours temporaires...... .......fr.
- Payé aux réservistes
- francs..................
- Payé aux médecins et aux sages-femmes à Guise et à Schaerbeek... fr. Payé à l’hospice de
- Guise...............fr.
- Appointements du secrétaire ...........fr.
- Frais divers.....fr.
- Payé aux asiles de Lemé................fr.
- Total........fr.
- 155.685 19
- 10.518 45
- 1.007 25
- 3 211 60 \ /
- 1.156 50
- 1.909 20
- 1.244 67
- 1.041 70
- 175.774 56
- 242.086 67
- 20.089 37
- Total pour les assurances réunies, fr. 262 176 04
- DÉPENSES POUR L’INSTRUCTION ET L’ÉDUCATION
- Nourricerie (enfants au berceau).. fr.
- Ecoles maternelles (lre année, pouponnât) ....................... .... fr.
- Ecoles maternelles (2e, 3e et 4e années,
- bambinat........... .............fr.
- Ecoles primaires (6 classes)...fr.
- Ecoles de Schaerbeek........ ... fr.
- 4.979 62
- 1.279 65
- 3.543 15 20.084 39 6.062 78
- Total.......... fr. 35.949 59
- Ges dépenses se décomposent ainsi :
- Appointements et salaires...................fr. 27.536 97
- Frais de nourriture et fournitures scolaires.... fr. 8.412 62
- 35.949 59
- p.680 - vue 683/774
-
-
-
- ASSEMBLÉE GENERALE ORDINAIRE 681
- RÉSUMÉ DES DÉPENSES CONSACRÉES A IA MUTUALITÉ
- Allocations et frais de maladie à Guise fr. Allocations et frais de maladie à Schaer-
- beek............................ fr.
- Pensions définitives.................fr.
- Pensions provisoires et malades depuis
- plus d’une année............. fr.
- Nécessaire à la subsistance, secours temporaires et divers............... fr.
- Frais d’instruction et d’éducation... fr.
- Total.... ... fr.
- Ce chiffre était l’année dernière de. . fr.
- Soit une différence en plus cette année de...................................fr.
- 74 454 75
- 11.946 73 101 701 78
- 39.329 01
- 34.743 77 35.949 59
- 298.125 63 281.274 24
- 16.851 39
- AFFAIRES INDUSTRIELLES COMMERCIALES ET LOCATIVES AFFAIRES INDUSTRIELLES
- Le total net des ventes en articles de
- fabrication courante a été àGuise de fr. 4.540.980 05 A ajouter fontes mécaniques, malléables
- et diverses.......................fr. 102.065 70
- Le total net des ventes à Schaerbeek a été de................................ fr. 1.184.831 31
- Total des affaires industrielles, fr. 5.827.877 06
- AFFAIRES COMMERCIALES ET LOCATIVES
- Ventes des services commerciaux à Guise, fr. 902.754 40 Ventes des services com-merciau x à Schaerbeek
- francs.............. 47.428 61
- Total des ventes des services des Familistères dont 85 0/0 des bénéfices sont versés comme
- A reporter
- 950.183 01 5.827.877 06
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-
-
-
- 682
- LE DEVOIR
- Report...... 950.183 01
- remise aux acheteurs
- sur carnets......t. Ir. 950.183 01
- Produit brut des loyers à Guise....fr.
- Produit brut des loyers à Schaerbeek. fr.
- Total des affaires industrielles, commerciales et locatives........ .. .. f r.
- 5.827.877 06
- 950.183 01 100.597 98 14.088 82
- 6.892.746 87
- COMPOSITION ET RÉPARTITION DES BÉNÉFICES.
- Les bénéfices industriels, commerciaux et locatifs de Texercice sont les suivants :
- 69.446 »
- 4.965 23
- 805.628 69 190.388 21
- Total des Bénéfices bruts. .. fr. 1.070.428 13
- Dont il faut déduire les charges suivantes :
- Amortissements statu -taires............... fr.
- Frais d’instruction et d’éducation à Guise.. . fr.
- Frais d'instruction et d’éducation à Schaerbeek fr.
- Solde débiteur du compte Charges et revenus sociaux.................fr.
- 339.194 64
- 171.485 85 29.886 81 6.062 78
- 131.759 20
- Familistère de Guise, services commerciaux et loyers. . fr. 165996 90 i Moins remise aux acbe- )
- teurs sur carnets.... fr. 96.550 90 -Familistère de Schaerbeek, services commerciaux et loyers fr 7.877 93 \
- Moins remise aux acbe- [
- teurs sur carnets.... fr. 2.912 70 )
- Usine de Guise...................fr.
- Usine de Schaerbeek.............. fr.
- Total à déduire, fr. 339.194 64 A reporter......................
- 731.233 49
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-
-
-
- ASSEMBLÉE GENERALE ORDINAIRE
- 683
- Les bénéfices nets, plus-value au bilan,
- sont donc de.......... ........... fr. 731.233 49
- Après avoir prélevé pour les intérêts à 5 % du capital social, qui est de 5 millions de francs, soit.. ...........fr. 250.000 »
- Il reste comme dividendes à partager fr. 481.233 49
- Soit, conformément à l'article 128 des statuts :
- Aux intérêts du capital et au travail 75 0/0, soit fr. 360.925 »
- A l’Administrateur-Gérant 4 0/0............fr. 19.249 »
- Aux douze conseillers de gérance en fonctions57.748 francs moins 26 jours à l’économe ........,,.....fr. 57.382 »
- 4 0/0 aux conseillers de
- gérance non en fonctions, ) 481.233 49
- plus 26 jours à l’économe fr. 19.615 »
- Préparation et entretien d’élèves aux écoles de l’Etat 1 0/0............. fr. 4 813 49
- A la disposition du Conseil pour récompenser les inventions utiles 2 0/0. fr. 9.625 »
- Au Conseil de surveillance 2 0/0........... fr. 9.624 »,
- La somme de 360.925 francs représentant les 75 0/0 revenant au capital et au travail est répartie dans la proportion des concours suivants :
- Salaires payés par le Familistère de
- Guise. .............. .............fr.
- Salaires payés par le Familistère de
- Schaerbeek....................... fr.
- Salaires payés par l’usine de Guise fr.
- 116.273 65
- 8.294 70 2.258.176 35
- A reporter...... 2.382.744 70
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-
-
-
- 684
- LE DEVOIR
- Report............
- Salaires payés par l’usine de Schaer-
- beek..............................fr.
- Total des salaires......fr.
- Concours supplémentaire des associés .............................fr.
- Concours supplémentaire des sociétaires.......................... fr.
- Concours supplémentaire des socié-
- taires ayant plus de vingt années de services et placés au taux des associés, fr.
- Concours supplémentaire des participants ayant plus de vingt années de services et placés au taux des sociétaires fr.
- Concours du capital..............fr.
- Evaluation des services rendus prenant part à la répartition...... ... fr.
- 2.382.744 70
- 450.027 35 2.832.77205
- 739.845 40
- 57.705 62
- 45 319 40
- 113.095 25 250.000 »
- 4.038.737 72
- TAUX DE LA RÉPARTITION
- Les 360.925 francs attribués au capital et au travail, divisés par le montant des concours et services rendus représentés par les salaires du travail et les intérêts du capital donnent un taux de répartition de 8.936 0/0. soit pour les participants.. .. 8.936 0/0.
- pour les sociétaires...... 13 404 0/0.
- pour les associés......... 17.873 0/0.
- Cette répartition est faite dans la proportion des services rendus établis de la manière suivante :
- Salaires des associés............... fr. 139.845 40
- Supplément.......................... 739.845 40 i
- Salaires des sociétaires............ 115.411 25 1
- Supplément........................... 57.705 62 \
- Salaires des participants........... 933.274 10
- Suivant article 129 des statuts :
- Au taux des associés............... 45.319 40 )
- Supplément......................... 45.319 40 )
- Au taux des sociétaires......... . 226.190 50 1
- Supplément.......................... 113.095 25 1
- Salaires des épargnes réservées.... 231.374 10
- Salaires des auxiliaires............ 541.357 30
- Intérêts du capital social.......... 250.000 »
- Total des concours
- 1.479.690 80 = 132.233
- 173.116 87 = 15.471 933.274 10 = 83.402
- 90.638 80 = 8.100
- 339.285 75 = 30.320
- 231.374 10 = 20.677 541.357 30 = 48.380 250.000 » = 22.342
- fr. 4.038.737 72 = 360.925
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-
-
-
- ASSEMBLÉE GENERALE ORDINAIRE
- 685
- TAUX DE L’INTÉRÊT DU CAPITAL SOCIAL
- L’intérêt à 5 0/0 sur cinq millions s’élève à 250.000 francs.
- Le dividende dru capital à 8.936 0/0 sur ces 250.000 francs est de 22.842 francs, soit un total d’intérêts de 272.342 francs, soit :
- 272.342 X 100 5.000.000
- = 5.446 pour cent
- comme taux de l’intérêt du capital social.
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-
-
-
- 686
- LE DEVOIR
- BILAN AU
- ACTIF
- FAMILISTERE DE GUISE
- fr.
- Immeubles statutaires....
- Matériel.................
- Marchandises.............
- Valeurs diverses.........
- Comptes débiteurs........
- FAMILISTÈRE DE SCHAERBEEK
- 959.445 71 36.662 79 267.292 52 2.339 45 10.873 »
- Marchandises..................fr.
- Comptes débiteurs...............
- Valeurs diverses................
- 48.708 32 ) 150 » ( 811 32 '
- USINE DE GUISE
- Immeubles statutaires.....fr. 431.754 89
- Matériel statutaire................ 687.396 36
- Matières premières et fabrication
- encours....................... 1.695.864 94
- Marchandises.................... 1.101.375 49
- «Encaisse., fr. 41.780 71 En banque.... 1.225.198 63 § \ Dépôt Banque
- w/ deFrance... 255.711 70} 1.611.329 62
- ^ j En portefeuille 88.627 03f > / Actions et Bons
- \ divers...... * 11 55
- Comptes débiteurs........ fr. 1.287.530 9
- USINE DE SCHAERBEEK
- Immeubles statutaires.....fr. 120.000 »
- Matériel statutaire................. 53.123 69
- Matières premières et fabrication
- en cours.................'.... 376.744 74
- Marchandises..................... 420.073 05
- Valeurs diverses........................ 32 75
- Comptes débiteurs.................. 251.382 06
- COMPTABILITÉ SOCIALE
- Constructions et matériel créés depuis la fondation de l’Association ...................fr.
- Comptes débiteurs.......... ..............fr.
- 1.276.613 47
- 49.669 64
- 6.815.252 28
- 1.221.356 29
- 7.337.996 31 224 18
- Total. Fr. 16,701.112 17
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-
-
-
- ASSEMBLÉE GENERALE ORDINAIRE
- 687
- 30 JUIN 1905
- PASSIF
- FAMILISTÈRE DE GUISE
- Comptes créditeurs.......................fr.
- FAMILISTÈRE DE SCHAERBEEK Comptes créditeurs.......................fr.
- USINE DE GUISE
- Comptes créditeurs............fr. 1.916.008 85 ]
- Héritiers Godin............... fr. 1.380.000 » j
- fde la maladie.... fr. 4.227 47 ]
- Assurances J des Dames........fr. 260 75 /
- mutuelles jde la pharmacie., fr. 2.897 10 1
- (des pensions..... fr. 114.100 54 J
- 3
- USINE DE SCHAERBEEK
- Comptes créditeurs......fr. 46.031 23
- Assurances) de la maladie.. .. fr. 4.037 84
- mutuelles )de la pharmacie.. fr. 904 89
- Sociétés diverses...... fr. 1.902 97
- COMPTABILITÉ SOCIALE
- Comptes créditeurs..........fr. 549.376 89 »
- Amortissements, Immeubles et f «
- matériel..................... 6.037.168 81 1
- Fonds de réserve...,........... 500.000 » /
- CAPITAL SOCIAL
- Epargnes (parts de capitalj aux \
- membres de l’Association et aux j
- intéressés................fr. 4.306.122 » /
- Epargnes (parts de capital) de 15
- l’assurance des pensions.... fr. 673.953 » l
- Epargnes (parts de capital) de la j
- Plus-value de l’exercice, bénéfices nets... fr.
- 408.063 39
- 4.897 95 •
- .417.494 71
- 52.876 93
- .086.545 70
- ,000.000 »
- 731.233 49
- Total... Fr. 16.701.112 17
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-
-
-
- 688
- LE DEVOIR
- BILAN AU 30 JUIN 1905
- de l’assurance des pensions et du nécessaire à la subsistance
- sans Vapplication des résultats de l’exercice i90k-l905
- Actif
- Passif
- Compte-courant, usine de Guise........... fr.
- Caisse des Dépôts et consignations, fonds disponibles.............fr.
- Valeurs diverses en dépôt à la Caisse des Dépôts et consignations f.
- Titre d’épargnes de la Société du Familistère de Guise........... fr.
- Capital fr. 1 342.969 19
- 114.100 54
- 44.758 13
- 510.157 52
- 673.953 »
- 1.342.969 19 1.342.969 19
- Après Papplication des résultats de l’inventaire, le capital de la Caisse des pensions sera, comme il est dit précédemment, de 1 429.536 fr. 69, en augmentation de 23.203 fr. 65 sur celui de l’année dernière.
- Au mois de septembre 1904 le compte fonds disponibles à la Caisse des Dépôts dépassant le maximum de 50.000 francs, il a été acheté, le 22 septembre 1904, 29 obligations semblables à celles existantes pour une somme de 13.172 fr. 11 .
- D’autre part, au mois de janvier 1905, nous avons versé à la Caisse des Dépôts et consignations une somme de 56.000 francs prise sur le compte courant de l’assurance des pensions et représentant le solde de la subvention obligatoire de l’exercice 1903-1904, plus une partie de la subvention 1904-1905. Cette somme, avec le complément nécessaire pris sur les fonds disponibles, a été convertie en 140 obligations semblables à celles existantes.
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-
-
-
- ASSEMBLÉE GENERALE ORDINAIRE
- 689
- Au 30 juin 1905 le compte courant de l’Assurance des pensions dans la Société est de 114.100 fr. 54 avant ^application des résultats de l’inventaire ; il est de 220.926 fr.- 04 après. Nous allons verser à la Caisse des Dépôts une somme de 56.000 francs environ, équivalente à la subvention obligatoire de 1904-1905, ce qui le réduira à 164.000 francs environ.
- Au moment de la promulgation de la loi de décembre 1895 sur les caisses de retraites industrielles, ce compte courant était, comme je l’ai établi dans mes précédents rapports annuels, de 275.608 fr. 74. Nous restons donc d’accord avec la loi puisqu’il est maintenant de beaucoup inférieur à cette somme.
- Donc, toutes les sommes non utilisées pour le fonctionnement de VAssurance des pensions, depuis décembre Ï895, ont été déposées.
- Pendant l’exercice, 7 obligations (1 communale 1879, 1 communale 1892 et 5 Est nouvelles) sont sorties au tirage et remboursées pour 3.477 fr. 47.
- Il existait l’année dernière 964 obligations, il en a été acheté 29-p 140 = 169, il en a été remboursé 7, reste 964 -p 169 — 7 = 1.126 obligations se décomposant en :
- Obligations communales du Crédit foncier.... 116
- » de la Ville de Paris. .................. 155
- » du Chemin de fer du Nord......... 110
- » » » de l’Est.............. 135
- » » » de P.-L.-M............ 140
- » > » du Midi......... .. 160
- » » > d’Orléans............. 140
- » » » de l’Ouest....... 170
- Total............... 1.126
- La lecture de la partie financière étant terminée, M. l’Administrateur-Gérant reprend la parole et conclut ainsi qu’il suit :
- 4
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-
-
-
- 690
- LE DEVOIR
- Mesdames, Messieurs,
- La lecture de cette partie financière est assurément celle qui vous intéresse le plus surtout quand elle vous
- établit .......................................
- Les 481 233 fr. 49 de dividendes à partager nous don-nent un chiffre de création de titres et par conséquent un remboursement de 412.518 francs. Il portera sur le reste des épargnes de l’exercice 1885-
- 1886, soit.........................fr. 41.305 >
- sur toutes les épargnes de l’exercice
- 1886-1887, soit.................. .. fr.
- sur 39 fr. 95 pour cent des épargnes distribuées pendant l’exercice 1887-1888, qui étaient au total de 409.090 francs,
- soit
- 409.090 X 39.95 100
- fr.
- 207.786 »
- 163.427 »
- Total..........fr. 412.518 >
- Il restera donc à rembourser 409.090 francs moins 163.427 francs, soit 245 663 francs de l'exercice 1887-1888 ou 60.05 pour cent.
- Je ne voudrais pas terminer sans attirer encore votre attention sur la marche de nos Assurances mutuelles. Vous avez vu que le total des dépenses des assurances réunies est de 20.319 fr. 34 plus élevé que le chiffre de l’an dernier et que les dépenses sont supérieures aux recettes de 28.206 fr. 21.
- A elle seule la Caisse de maladie, section des hommes, a un déficit de 3.791 fr. 23. Notez que les subventions provenant de l’Association sont égales pour chacune des trois sections : hommes, dames et pharmacie à 50 ojQ des cotisations des mutualistes, alors que la loi sur les accidents du travail n’impose que 33 °/0 de ces cotisations.
- En résumé, pauvre résultat, peu fait pour inspirer confiance dans l’avenir de la mutualité.
- ............... 11 a été fait cette année un remboursement anticipé de 20.000 francs représentant..........
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- ASSEMBLÉE GENERALE ORDINAIRE 691
- ......................» Le reliquat...................
- Au 30 janvier prochain nous effectuerons le premier des paiements de 150.000 à faire tous les deux ans.
- Valeurs de Panama. — Nous comptons encaisser prochainement un acompte de 10 °/0 sur les obligations produites à la liquidation. S’il y a un reliquat en plus il sera bien faible. Les obligations figurent donc encore à notre bilan pour le même prix que lors de la succession de M. Godin.
- Je termine, Mesdames et Messieurs, ce long rapport que, comme d’usage, j’ai fait aussi scrupuleusement que possible. Nul doute que les résultats qu’il vous apporte vous satisfassent, vous seriez bien difficiles s’il en était autrement. Sans dire qu’ils sont trop beaux, je souhaite qu’ils ne vous incitent pas à croire votre affaire à l’abri des revers et à diminuer l’effort que chacun de vous lui doit.
- Je souhaite surtout que vous y voyiez une nouvelle preuve de l’exactitude des paroles que Godin traça au frontispice de son œuvre : « Tant que la paix régnera parmi vous, la prospérité vous suivra ».
- ' {Applaudissements prolongés.)
- L’assemblée juge inutile la lecture de la liste des retraités annexée au rapport de M. l’Administrateur-Gérant.
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- 692 LE DEVOIR
- ANNEXE AU BILAN DE L’ASSURANCE DES PENSIONS
- Liste des pensionnés au 30 juin 1005
- NOMS
- PRÉNOMS
- TAUX
- mensuel.
- Pensionnés au Familistère. Fr. c
- Mme Dirson......
- Mme Gordien.....
- Mrae Roger......
- Mathieu.........
- Mme Liénard.....
- Dassonville.....
- Mme Prud’homme
- Noizet..........
- Mme Lemaire.....
- Mme Nicolas.....
- Mme Govin.......
- Mme Mathieu.....
- Ténière.........
- Huile...........
- Andrieux........
- Mme Braillon.
- Jacquet . ......
- Josquin...........
- Mme Josquin.....
- Poquet............
- Liénard.........
- Dirson..........
- Louis...........
- Mme Huile.......,
- Maréchal........
- Alavoine........
- Casseleux.......
- Leclaire........
- V enet..........
- Cartigny........
- Godériaux.........
- Lanoy .... ......
- Mme Ténière
- -Becquet..........
- Proix...........
- Lamoureux.........
- Plinguet ___ .. .
- Mme Andrieux....
- Monaque veuve.... Alphonse veuve....
- Pruvost veuve....
- Eugène...........
- Locqueneux.......
- Charles père.....
- Alexandre veuve...
- Joseph...........
- Baquet...........
- Dubois veuve.. .. .
- veuve ...........
- Leroux ..........
- Adrien...........
- Germain..........
- Edouard père.....
- Méresse veuve....
- Eugène ..........
- César ...........
- M aiderez........
- Ernest...........
- Edouard. ........
- Jean-Baptiste....
- Edmond père......
- Fontaine.........
- Florent..........
- Ernest...........
- Arsène...........
- Eugène...........
- Joseph ..........
- Jules père.......
- Elie.............
- François.........
- Bachelin.........
- Joseph ..........
- Denis ...........
- Prosper..........
- Irénée...........
- Thiefaine........
- 35 » 33 » 45 » 75 » 45 » 75 » 18 » 75 » 21 » 45 » 45 » 22.50 75 » 75 » 75 » 45 » 75 » 75 »
- 22.50 75 » 75 » 75 » 75 »
- 36 » 75 » 75 »
- 73.50 75 » 75 » 75 » 75 » 60 »
- 22.50 75 » 75 » 75 » 75 » 35 »
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- ASSEMBLÉE GENERALE ORDINAIRE
- 693
- NOMS PRÉNOMS TAUX mensuel.
- Fr. c.
- Berdouillard Maxime 70.50
- Allard . , , Eugène 75 »
- Pptitl"inmnrip - Eugène 75 »
- Allard . Pierre 60 »
- Raqnp.t Florus 75 »
- Pensionnés au dehors, à Guise
- Damiens Constant père 69 »
- Fmipnrmipr. Armand 37.50
- .TnspnVi Garbe 34.50
- Pnnlpt Auguste 54 »
- fipna.fpnr ' . J-Jacques 75 d
- Llamipns Louis 75 »
- Mrmvnicnn . . . père 75 »
- RnhfliiY Jules 75 »
- Tdprvnpmiin .... Vandois (Mme) 19.50
- Fanielle Edouard père 67.50
- Lipnimal . . .... Auguste 75 »
- Rpcnnmn . ..... Victor 73.50
- Mpunipr . . .... Gustave 66 »
- Damiens Jules 75 »
- frminlipr Ernest 60 »
- H-ii prin ...... Eugène 73.50
- TTpnpPTvnip.r .... Prosper 57 »
- Fossft > Eugène 64.50
- Pernin - - - - ..... Antoine 75 »
- Mar*ppVial ....... Armand 60 »
- Andr« - - ----- Eugène 75 »
- On m a rh P ... ... ..... Zéphirin 75 »
- Alliot ,.. T Jules 75 »
- r,9caplpilY ..... Constant 73.50
- Rpna«n<s . . . . ... Prudent 51 »
- Pmmmirn François 75 »
- Hminp »... Louis aîné 75 »
- 1 rinr»rmt. Joseph 75 »
- LTnacon ........ Victor 70.50
- T . ..... Léon 61.50
- Drvn 1 air» .... Louis 75 »
- ... Louis 75 »
- n«ncninoiU*t! ... Clovis 70.50
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- 694
- LE DEVOIR
- NOMS
- Damiens...............
- Lefèvre...............
- Nozal.................
- Sarrazin..............
- Duquenne..............
- Dassonville...........
- Allaire.........
- Hennequin.............
- Bleuze................
- Dandrimont............
- Dieux...... ..........
- Duval.................
- Magnier...............
- Poulain...............
- Pruvot................
- Dron..................
- Lanoy ................
- Dequenne..............
- Diot..................
- Dutilloy..............
- Masse.................
- Dubois................
- Roger ................
- Bouchard .............
- Froment...............
- Lambert...............
- Leclercq..............
- Jouron................
- Parisse...............
- Sarrazin...........
- Coupé.................
- Delzard...............
- Tardier...............
- Malderez...............
- Minette...............
- Pruvot................
- Masure................
- Leleu.................
- Dagnicourt............
- Legrand...............
- Mérieux...............
- PRÉNOMS . TAUX mensuel.
- Fr. c.
- Auguste 75 »
- Louis 61 50
- Eugène 73 50
- Jules 73 50
- Firmin 75 »
- J.-Baptiste 66 »
- Ernest 61 50
- Amédée 73 50
- Zéphirin 75 »
- Vital 75 »
- Henri 58 50
- Alfred 60 »
- Constant 75 »
- Joseph 75 »
- Arthur .. 45 »
- Eugène 55 50
- Désiré père 51 »
- François 75 »
- Alexandre 73 50
- Frédéric 51 »
- Aristide 75 »
- Alphonse 58 50
- Ernest 75 »
- Gustave 75 »
- Alexandre 69 »
- Joly 75 »
- Zacharie 70 50 '
- Léonard 75 »
- Alphonse 60 »
- Ernest 43 .50
- Alexis. 75 »
- Jules 73 50
- Joseph 75 »
- Pierre. 73 50
- Charles père 49 50
- Louis 64. 50
- Sidomire 75 »
- Augustin 70. 50
- Pierre 48 »
- Emile 63 »
- Alfred. - 55. 50
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- ASSEMBLÉE GENERALE ORDINAIRE
- 695
- NOMS PRÉNOMS TAUX mensuel.
- Fr. c.
- Dassonville Victor 75 »
- Piré Jules père 60 »
- Ponthieu Armand 54 »
- Schwartz Louis père 51 »
- Alavoine . François 57 »
- Abraham Ulysse ' 63 »
- Chantreux Jules père 75 »
- Hénin Marcellin 51 ï>
- Fontaine. Alexis 79. »
- Haureiz Victor 75 »
- Ribeaux Alexis .... 75 »
- Pensionnés à Schaerbeek.
- V.-D. Veken Gérard 64.50
- Deverem Adolphe 39 »
- Delaet Guillaume 75 »
- Van Muylden Pierre 45 »
- Van Hoof.. Pierre.. • 72 »
- Gebreurs Martin 75 »
- 2° Rapport du Conseil de Surveillance sur la situation morale, industrielle et financière de l’exercice 1904-1905, présenté à l’Assemblée générale, le 1er octobre 1905.
- Mesdames et Messieurs,
- Nous venons vous rendre compte du mandat que vous avez bien voulu nous confier dans votre assemblée générale du 5 octobre 1904.
- Nous sommes heureux de vous dire que nous avons rencontré partout, dans les divers services de l’association, une grande bienveillance' de la part des personnes près desquelles notre fonction nous appelait, à Guise, comme à Schaerbeek.
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- 696
- LE DEVOIR
- C’est un vrai plaisir pour nous de leur adresser ici nos sincères remerciements.
- Les résultats de cette année sont magnifiques, ainsi que vous avez pu vous en convaincre et notre satisfaction eût été complète si nos Assurances mutuelles ne nous causaient quelques soucis pour l’avenir.
- Cette remarque faite, nous nous plaisons à constater, avec M. l’Administrateur-Gérant, que notre situation, au triple point de vue moral, industriel et financier est excellente.
- Faisons des voeux pour qu’elle se maintienne dans d’aussi bonnes conditions et unissons tous nos efiorts dans ce but.
- Que les brillants résultats de cet exercice ne ralentissent pas notre activité, car ne l’oublions surtout pas, nous sommes suivis de près par la concurrence et la lutte devient de plus en plus acharnée.
- Restons donc tous unis pour continuer l’œuvre de bien que le Fondateur du Familistère nous a léguée.
- Comme vous avez pu vous en rendre compte, notre outillage se perfectionne et se complète sans cesse ; nous serions maintenant en mesure de faire face très promptement aux besoins, si un hiver rigoureux nous favorisait d’un surcroît de commandes importantes et pressées.
- Le rapport très documenté de notre Administrateur-Gérant nous permet de ne pas entrer dans de fastidieuses redites.
- Bornons-nous à constater que le dividende net à partager est de 481 233 fr. 49, ce qui produit 8 936 °/o pour les participants, 13,404 °/0 pour les sociétaires et 17,873 °/o pour les associés.
- L’intérêt à servir au capital social est de 5,446 %.
- Nous pouvons vous affirmer que les chiffres figurant au bilan du 30 juin 1905, dont la lecture vient de vous être donnée, sont justes et conformes en tous points aux résultats de nos vérifications mensuelles.
- Pour ces motifs, Mesdames et Messieurs, nous avons
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- ASSEMBLÉE GENERALE ORDINAIRE
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- l’honneur de vous proposer d’approuver le rapport de M. l’Administrateur-Gérant et le nôtrq. (Applaudissements).
- Les conseillers de surveillance,
- Ancelet, Allard, Flamant.
- 3° Approbation du rapport de la Gérance et de celui du Conseil de Surveillance.
- M. le président demande, à plusieurs reprises, si quelqu’un désire la parole.
- M. le président demande, ensuite, si l’on désire voter à bulletins secrets ou à mains levées sur l’approbation des rapports de M. l’Administrateur-Gérant et du Conseil de surveillance.
- A l’unanimité , à mains levées, après épreuve et contre-épreuve, l’assemblée décide de voter à mains levées.
- M. le Président invite alors l’Assemblée à approuver ou improuver les rapports dont il vient d’être donné lecture.
- A l’unanimité, après épreuve et contre-épreuve, ces rapports sont approuvés.
- L'ordre du jour est suivi :
- 4» Admission ou rejet comme associés, pour l’exercice 1905-1906, de MM. ; (suivent les noms de 14 candidats).
- Le vote donne les résultats suivants :
- MM. Fortin Albert............ ... 356 voix
- Gacoin Charles................ 260 »
- Mme Gosset Gervais ... *.......... 123 »
- M. Laporte Louis-Poullain...... 360 »
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- LE DEVOIR
- M. Leclaire Marcel.............. 353 voix
- Mlle Lobjeois Gabrielle........... 181 »
- MM. Louis Charles............. ... 339 »
- Mahieux Alfred................ 333 »
- Mahieux Gilbert-Léopold..... 343 »
- Pagnier Gustave............. 327 >
- Peteau Jules-Victor........... 376 »
- Ribeau Jules................ 335 >>
- Thoret Louis-Emile........... 372 »
- Kétels Victor................. 352 »
- En conséquence, MM. Fortin Albert, Gacoin Charles, Laporte Louis-Poullain, Leclaire Marcel, Louis Charles, Mahieux Alfred , Mahieux Gilbert-Léopold , Pagnier Gustave, Peteau Jules-Victor, Ribeau Jules , Thoret Louis-Emile et Kétels Victor, ayant obtenu la majorité requise de 203 voix, M. le Président les proclame associés à dater de l’exercice 1905-1906.
- M. le Président informe ensuite l’assemblée que le paiement des intérêts et des remboursements se fera à la caisse de l’usine, pour Guise, de la façon suivante :
- A Schaerbeek, le paiement des intérêts et remboursements aura lieu à partir du mercredi 4 octobre, selon les dispositions prises par M. Dequenne.
- La répartition des remises aux acheteurs sur carnets se fera, à Guise, du 2 au 21 octobre, et à Schaerbeek, dans le courant de la semaine prochaine.
- L’ordre du jour étant épuisé, M. le président donne la parole au secrétaire pour la lecture du procès-verbal.
- Après cette lecture , M. le président demande si quelqu’un a des observations à faire sur le procès-verbal.
- Aucune observation n’étant formulée , le procès-verbal est adopté.
- La séance est levée.
- Le Secrétaire, Le Président,
- J. Alizard. L.-V. Colin.
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- NOUVELLES DE LA SOCIÉTÉ DU FAMILISTÈRE 699
- Nouvelles de la Société du Familistère de Guise
- Admission de Participants et de Sociétaires
- Dans sa séance du 29 juillet 1905, le Conseil de Gérance a conféré la qualité de participants à 47 travailleurs, savoir :
- A Guise...... 37 hommes, 1 femme.
- A Schaerbeek. 8 » 1 »
- Total.... 45 hommes, 2 femmes.
- Dans la même séance, le Conseil a conféré la qualité de sociétaires à 1 1 travailleurs, savoir :
- A Guise . . ., 10 hommes.
- A Schaerbeek. 1 »
- Total.. 11 hommes.
- Comité de Conciliation
- Conformément aux prescriptions statutaires, les membres de la Société du Familistère de Guise, associés, sociétaires et participants, ont été appelés, le 9 août 1905, à désigner, par le vote à bulletin secret, les trois membres du Comité de conciliation, pour l’exercice 1905-1906.
- Résultats du scrutin :
- Votants.......................... 309
- Bulletins blancs et nuis........... 97
- Suffrages exprimés................ 212
- Majorité absolue ................. 107
- Ont obtenu :
- M. Bailliot Virgile............... 139 voix Elu
- M. Alizart Jules.................. 131 » »
- M. Quent Aimé..................... 131 » »
- Fête du Travail.
- La fête du Travail a été célébrée, au Familistère de Guise, à sa date statutaire , premier dimanche de mai. Aucune récompense exceptionnelle ne fut allouée.
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- 700
- LE DEVOIR
- Elections aux Conseils de Gérance et de Surveillance
- ASSEMBLÉE GÉNÉRALE EXTRAORDINAIRE
- du 14 Octobre 1905
- Présidence de M. COLIN #, Administratenr-Gèrant
- Vote pour la nomination de 3 commissaires-rapporteurs devant former le Conseil de Surveillance et de 3 Conseillers de Gérance pour l’exercice 1905-1906.
- Conseil de Surveillance
- MM. Fosse Adolphe................. 307 voix Elu
- Delavenne Jules .............. 233 » »
- Grosch Guillaume............ 226 » »
- Méresse Jules. ............. 178 » non Elu
- Braillon Georges............... 78 » »
- Léguillier Léon...... ......... 66 » »
- Conseil de Gérance
- MM. Défontaine Alfred père...... 345 voix Elu
- Dagnicourt Edmond............. 331 » »
- Coutellier Alfred............. 212 » »
- Guerbé Gustave................ 147 » non Elu
- Dégagny Edouard.......... 61 » »
- Disant Jules................... 27 » »
- * *
- La même Assemblée générale, du 14 octobre 1905, a ratifié, à l’unanimité, la décision prise par le Conseil de Gérance, d’entretenir pendant trois ans, le jeune Driessens Henri, du Familistère de Schaerbeek, dans une école moyenne de l’Etat Belge, et si le Conseil de Gérance l’en juge digne, ensuite, dans une école commerciale ou industrielle.
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- LES DEUX VIES
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- LES DEUX VIES
- Par Paul et Victor MARGUERITTE
- ---«•*£» Z--
- {Suite)
- Que de fois il avait pensé à elle, depuis la soirée d’Aygues-Vives !... Il ne lui avait fallu qu’un peu de réflexion pour deviner son « rival », celui qui devait venir à son heure, le Lohengrin à l'armure d’argent... C’est Charlie qu’elle aimait, du moment qu’elle ne prononçait plus jamais son nom, et qu’en l’entendant, son visage se fermait... « Une femme retourne à l’Eglise quand elle veut fuir la tentation ou quand son amant, l’a quittée. Mais Charlie n’est pas son amant, et je doute qu'il le devienne. Elle est trop fière pour succomber. Pourtant elle souffre, puisqu’elle prie... »
- Mme Favié venait de pénétrer dans la nef ; il la suivit avec précaution, car, à d’imperceptibles signes de malaise, il sentait naître en elle l’appréhension divinatrice de cette présence qui la suivait, ce magnétisme en vertu duquel une femme, fixement épiée dans la rue, se retourne, comme avertie. Il restait à l’entrée, tandis qu’elle allait s’agenouiller dans un des bas-côtés. Elle se jetait sur son prie-Dieu, la tête dans ses mains, avec une telle ferveur, une si émouvante faiblesse qu’il craignit, en prolongeant son indiscrétion, de manquer de délicatesse.
- Il se retira, songeant :
- » Force inouïe de l’Eglise, refuge incomparable des cœurs meurtris !... Comme elle était puissante encore, cette religion qui avait gouverné un tiers du globe, et dont un vieillard pâle, à Rome, incarnait la splendeur amassée par les siècles, le déclin magnifique ! Le prêtre
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- 702
- LE DEVOIR
- prenait la créature au sortir des flancs maternels et, de l’eau lustrale du baptême à l’aspersion du cercueil en terre sainte, la suivait dans toutes les étapes, communion, mariage, mort. Confident discret, il était le guide, le consolateur et l’ami, souvent de l’homme, presque toujours de la femme, et par elle tenait l’enfant. La confession lui mettait en main la clef des âmes ; rien n’échappait à son contrôle : les pensées, les actes quotidiens qu’il dirigeait dans l’ombre, les secrets du lit dont il réglementait les luxures. Pas un péché, si abominable fût-il, ne trouvait sa prévoyance en défaut : la casuistique minutieuse des docteurs démêlait l’écheveau des plus inextricables consciences. Séparé de l’humanité par son renoncement volontaire, sa pauvreté, sa chasteté, le prêtre le plus humble était un parent commun à toutes les familles, un des maîtres occultes du monde. Sévère ou indulgent, il versait à ses ouailles la terreur et l’espoir, car il se disait le dépositaire des vérités d’outre-tombe, le gardien du mystère que ses gestes liturgiques perpétuaient à travers la pompe des offices, les orgues, l’encens. Il prétendait apporter à l’être en mal de savoir, suspendu dans l’abîme, ignorant de sa destinée et de sa fin, non seulement la consolation de la mort, mais l’explication de la vie, réduite à n’être que l’antichambre obscure d’une éternité où resplendirait la face de Dieu !
- « Mirages décevants ! Sous de si éclatantes promesses se dérobaient le but du prêtre, et ses moyens : on voyait apparaître, aux manches de bure de l’apôtre, l’orgueilleuse main des papes, et sous le capuchon du moine, les yeux de braise de l’Inquisition. Depuis des siècles, l’Église n’avait qu’une idée et la poursuivait obstinément, par la ruse, après la violence : exercer la domination temporelle et l’oppression spirituelle, au moyen de ce marchandage du paradis et de l’enfer, qui spéculait sur les plus honteux instincts de l’homme, la convoitise et la lâcheté. Elle achetait l’abdication des âmes et souvent l’extorsion des biens contre promesses
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- LES DEUX VIES
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- et menaces. Elle exaltait ou abêtissait l’humanité pour mieux l’asservir !.. , C’est par ces fondements d’argile que s’écroulerait l’Eglise, le jour où l’humanité consciente regarderait en face la mort et accepterait la vie sans récompense ni châtiment, la vie portant en elle sa sanction, ayant pour idéal désintéressé le culte du progrès : plus de lumière, de solidarité, de justice. »
- Et Marchai pensa :
- « Pauvre Gabrielle 1 elle ne voit pas l’appât grossier du mensonge qui la berce. Combien sont-ils qui vendent comme elle leur part terrestre pour un royaume imaginaire ! .. Qu’importe, si elle y trouve quelque consolation ! Il faudra longtemps encore à l’humanité pour se passer de tuteur... Comme elle s’est prosternée! Elle appelait à l’aide une mystérieuse intercession. Ce n’est pas Charlie qu’elle redoute, c’est elle-même !... »
- Puis il revit Francine, ses yeux volontaires, sa résolution brave :
- « Ce n’est pas elle qui se réfugierait dans une erreur, môme divine ! Quelle différence entre ces deux âmes : l’une, comme un enfant qui a peur s’arrête à mi-côte, reste cramponnée au passé ; l’autre s’élève hardie vers un avenir qu’elle ignore, mais pressent.
- « En elles, deux conceptions opposées sont aux prises : la mère incarne les devoirs et les servitudes de la société, la fille les droits et les révoltes de l’individu ; tout hier et tout demain. Et dans chaque foyer français, plus ou moins, se joue à cette heure ce poignant drame : il y a rupture d’équilibre entre l’éducation reçue toute faite de nos parents et les aspirations qui sourdent en nos fils, en nos filles. Les liens sociaux tendent à se briser, un vent d’indépendance souffle ; la famille craque, se disloque, car un impérieux problème s’est posé : — faut-il agir d’après l’exemple, les voix, les principes, les préjugés des morts, ou, les révisant, chercher pour les vivants une morale nouvelle? Dans cette morale, quels seront les droits à la vie, à l’amour, au bonheur ! Nous sommes au tournant d’une grande évolution... >
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- LE DEVOIR
- Pensif, il se dirigeait vers la Muette à travers le Bois solitaire, aux troncs verts du côté du nord, aux cimes vineuses -..
- Mme Favié, descendant en elle-même, appelait la source de foi perdue, évanouie entre les pierres, le sable. Elle avait bien cru pourtant, docile aux conseils de son nouveau confesseur, le Père Anselme retrouver l’élan de sa jeunesse ; avec quelle douleur elle se reprochait son péché involontaire, avec quelle humilité elle se rappelait sa grande tendresse pour Charlie ! En vain, sous les yeux attristés et devant le silence d’abstention de sa fille, elle était revenue aux pratiques les plus strictes, elle ne trouvait ni repos ni joie : rien qu’une désolante stérilité.
- « Mon Dieu, suppliait-elle, si je manque de courage, c’est que vous m’éprouvez encore et attendez de moi de nouveaux efforts. Je voudrais tant vous apporter un coeur digne de vous et dégagé de toute coupable affection terrestre ! N’est-ce pas déjà une preuve de votre bonté que celui que j’aimais ne cherche pas à troubler mon repos, accepte cette séparation nécessaire, m’oublie ? »
- Mais une amertume la débordait ; elle souffrait du silence de Charlie autant qu’il lui reprochait le sien.
- « Accordez-moi, mon Dieu, la force de travailler à son bonheur : qu’il puisse rencontrer une femme digne de lui et que j’aie cette consolation d’y avoir contribué : qu’il soit heureux ! Faites descendre sur lui vos faveurs et que votre providence le guide par la main : mon amour purifié pourra sourire sans trouble à sa vie nouvelle et le suivre comme un fils lointain. »
- suivre).
- Le Gérant : H. E. Büridant.
- Nimes. — Typ. A. Chastanier, 12, rue Pradier.
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- DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES.
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- Décembre 1905.
- DOCUMENTS POUR UNE BIOGRAPHIE COMPLÈTE
- de J.-B. André GODIN (1)
- Glorification du Travail. — du Travailleur.
- Deuxième partie. XX (suite)
- Emancipation
- [g(BIBU0THÈÇllB5l
- /*/
- .'V
- •J0S
- Série des employés. 5e et dernier essai de répartitions mensuelles indicatives du mérite au moyen du vote sur bulletins collectifs.
- Répartitions relatives au mois de mai 1870, Récapitulation.
- La démarcation si nette établie par les cinq consultations du suffrage entre, d’une part, les lre, 2e et 3e catégories d’employés, toutes trois appréciées en déchéance ; d’autre part, les 4e, 5e et 6e catégories, toutes trois appréciées en augmentation de valeur, est un des traits frappants de la tentative. Il acquiert plus d’importance encore lorsque, fouillant les détails , on constate :
- Qu’aucun employé des lre, 2e et 3e catégories (au total seize titulaires) n’échappe au vote d’une diminution d’appointements, aussi bien l’employé de 2e catégorie qui occupe le premier rang au classement final que celui de 3e catégorie qui occupe le 5e rang ;
- Que dans les 4e, 5e et 6e catégories (au total 47 titulaires), tous, pour ainsi dire, sont appréciés en hausse,
- (1) _ y. Appendice, p. 60, tome 26e, Le Devoir, janvier 1902.
- 1
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- exception n’étant faite que pour six d'entre eux dont 5 de la 4e catégorie et 1 de la 5e.
- Conclure de ce résultat que la généralité des employés tendait à l’égalité des traitements, serait oublier 1° la déclaration faite par un certain nombre d’entre eux au début de la tentative ; 2° les conséquences des abstentions entraînées par des allocations exagérées.
- La déclaration, on se le rappelle, provenait de deux groupes comptant chacun 7 électeurs (chap. XVII), (1) lesquels s’étaient récusés dans l’appréciation des collègues dont les appointements atteignaient ou dépassaient 200 fr. par mois : « non pas » disait la déclaration, « que ces traitements puissent être trop élevés ou non mérités , mais parce qu’?7s impliquent la double rémunération du travail proprement dit et celle du concours moral que leurs titulaires peuvent donner à l’établissement. » Or les déclarants « pouvaient sans doute apprécier dans une certaine mesure le premier point, mais tous les éléments leur manquaient » disaient-ils « pour apprécier le deuxième. » C’est bien le noeud de la question en fait de suffrage : n’exercer le vote qu’en connaissance de cause.
- A côté des électeurs qui s’étaient ainsi récusés ouvertement, se trouvèrent nombre d’autres qui se récusèrent en fait, c’est-à-dire qui généralement firent porter sur les employés des premières catégories les abstentions entraînées par les allocations exagérées, lesquelles se distribuèrent surtout, — nous l’avons vu — entre employés de 4e catégorie.
- De ces deux principales causes de récusation de vote à l’égard des employés des lre, 2e et 3e catégories, il résulta qu’à la moyenne extraite des cinq essais, aucun membre de l’une ou l’autre de ces catégories, même
- (1) Le Devoir, juin 1905, p. 328.
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- celui de 2e classé en tête de l’établissement par le suffrage, ne bénéficiait d’une appréciation favorable à l’augmentation de son traitement.
- Analysons quelques-uns des cas les plus expressifs : D’abord celui de l'employé classé premier de la série par le résultat des cinq essais.
- Il s'agit d’un sous-chef de comptabilité lequel a été maintenu par le suffrage dans les premiers rangs à chacun des essais.
- Voici ses rangs de sortie :
- 6e avec 22 fr. 14 en janvier ;
- 1er — 22 94 — février ;
- 2e — 22 40 — mars ;
- 4* — 19 20 — avril ;
- 2e — 24 85 — mai ;
- Résultat final : 1er avec 22 fr. 30, soit avec une allocation moyenne représentative d’une diminution d’appointements : 223 fr. par mois au lieu de 250 fr.
- Ce résultat contradictoire fait vivement ressortir la défectuosité du suffrage en pareille matière. L’individu ne peut à la fois mériter de l’avancement et être frappé d’une diminution de traitement.
- Ce sous-chef comptable, venons-nous de voir, avait été maintenu en assez bon rang à chacun des essais. Quelques mérites généraux — car sa capacité technique ne pouvait être jugée à fond que par ses chefs ou ses égaux — Pavaient-ils recommandé à l’ensemble de ses collègues de tous ordres ? Nous pouvons indiquer ceci Il avait plus d’années de service dans l'établissement que nombre de ses collègues. Il était assidu à sa besogne. Si ces deux points saisissables pour tous en général : l’ancienneté, l’assiduité, ont été pour quelque chose dans la plus grande attention à lui accordée par les électeurs, observons que l’assiduité comme l’ancienneté sont des
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- faits saisissables par enregistrement méthodique, c’est-à-dire par un mode plus sûr que le suffrage, en ce qu’il ne comporterait d’oubli pour personne.
- Continuons par l’analyse du cas de l’employé de 3e catégorie classé 5e dans la série générale après les cinq essais. (Les 2e, 3e et 4P rangs sont occupés par des employés de 4e catégorie.)
- Il s’agit cette fois d’un contre-maître d’atelier dont nous pouvons spécifier l’intelligence, l’esprit inventif par quelques traits inscrits dans nos documents. Ces traits sont postérieurs à l’année qui nous occupe: 1870; mais ils n’en caractérisent pas moins l’individu. Voici :
- Sur un tableau des Inventions et perfectionnements réalises dans les ateliers, période d? octobre 1871 à fin décembre 1872, le nom de ce contre-maître figure aux dates et po.ur les objets suivants :
- « 11 novembre 1871. Nouvelles suspensions des portes de certains produits ;
- « 16 mars 1872 Perfectionnements au système de gonds préalablement inventé par lui.
- « 27 octobre 1872. Assemblage des manivelles bordelaises ;
- « 3 décembre 1872. Fours aux poêles nos 53? 54, 55. »
- Le perfectionnement inscrit à la date du 16 mars 1872 porte, on l’aura remarqué, sur un système de gonds déjà dû au contre-maître.
- Bien d’autres choses sans doute seraient à relever si nous avions l’ensemble de ces sortes de documents. Tels quels, ils suffisent à montrer que l’action inventive de l’individu s’appliquant à des produits qui passaient aux mains de beaucoup d’ouvriers devait créer à son auteur une réputation d’ingéniosité. Poursuivant le cours de ses innovations, le dit contre-maître réalise au cours de l’année 1873 de nouveaux perfectionnements pour les-
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- quels Godin lui alloue une prime de trois mille francs. Une première prime de deux mille francs lui avait été comptée pou r initiative et invention en 1872, etc.
- Est-ce en raison de cette habileté industrielle que le suffrage avait, dès 1870, accordé attention à ce contremaître? Si oui, les mérites de l’intéressé avaient été perdus de vue dans la première tentative, celle relative à janvier; car alors, le vote sur bulletin collectif le classa dans la seconde moitié des employés avec une prime de 8 fr. 19, somme représentative de moins de-la moitié de ses gains mensuels : Rétribué à l’heure, ce contre-maître avait touché 171 fr. 05 en janvier 1870.
- Meilleure part lui fut faite aux répartitions suivantes :
- Il sortit 3e avec 20 fr. 54 en février.
- — 10e avec 18 fr. 40 en mars.
- — 1er avec 21 fr. 70 en avril.
- — 1er avec 26 fr. 75 en mai.
- (Nous avons relevé, chap. XX (1), la singulière contradiction de sa situation ce mois-là.) Et puisque nous procédons ici à l’analyse de ce qui le concerne, disons que c’est lui qui est représenté par RE dans l’analyse faite ci-dessus des votes offrant entre eux traces de correspondance. Mais RE est un de ceux que nous n’avons pu saisir qu’en rôle passif. (Chap. XX) (2).
- A la moyenne extraite des 5 essais, le contre-maître en question sort 5e avec 19 fr. 11 d’allocation, somme représentative de gains mensuels à peine égaux à ceux touchés par lui au dernier mois des essais : 193 fr. 80.
- Avec une méthode qui eût enregistré les valeurs effectives, RE n’eût subi aucun oubli ; et il n’eût pas
- (1 j Le Devoir, novembre 4905, p. 652. (2) Le Devoir, novembre 1905, p. 648.
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- été mêlé à ces allocations extravagantes, suspectes, en correspondance mutuelle le plus souvent, et qui n’aboutissaient qu’à fausser l’entreprise.
- Il en eût été de même pour un autre contre-maître d’atelier, d’esprit inventif aussi — bien que moins fécond que RE — et dont nous trouvons également le nom sur le susdit tableau des inventions et perfectionnements. En outre, ce contre-maître va figurer plus loin, de concert avec RE et un autre employé, dans une appréciation caractéristique que nous emprunterons à une séance de Conseil d’administration. C’est pourquoi nous le faisons venir ici. Il est classé 11e par le résultat des cinq essais. C’est un bon rang, mais dont nous ne pouvons faire revenir tout l’honneur ni au mérite de l’employé, ni à la clairvoyance du suffrage, l’individu en question se trouvant lui aussi (sous la désignation QA ci-dessus, XX) (1) mêlé aux allocations réciproques et exagérées.
- Passons à l’analyse du cas le plus expressif de tous, en raison et de la position de l’employé (il était le plus hautement salarié de l’établissement) et de son sort dans l’entreprise. Un des points notables de la rémunération convenue entre M et le chef de maison était que cette rémunération se compterait à tant par heure (2), le genre de travail de M ne se prêtant point à être entrepris et interrompu à moments fixes dans la journée, comme c’est le cas pour la généralité des fonctions industrielles.
- Nous avons pu donner ci-dessus une idée des mérites industriels pratiques de RE en relevant des traces de son action sur un tableau d’inventions et perfectionnements, où nous aurions pu de même relever traces de
- (1) Le Devoir, novembre 1905, p. 649.
- (2) M avait touché ainsi 515 francs en janvier 1870 et 535 francs en mai suivant.
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- l’action du contre-maître désigné par QA ; mais c’est en vain qu’on chercherait sur ce tableau trace de l’action de M parce que le tableau relevait les oeuvres exceptionnelles, c’est-à-dire sortant du cadre habituel des opérations confiées à tel ou tel employé, tandis que Toeuvre courante de M était précisément la recherche du nouveau, la tension vers l’idée, la poursuite des moyens de traduire en faits pratiques les conceptions de modèles dont s’alimentait la vie de l’usine.
- La rémunération à tant par heure convenue entre Godin et cet artiste paraissait d’autant plus élevée que, les employés étant généralemént payés au mois, le prix de revient de leur travail à l’heure se perd de vue.
- « M. Godin le juge capable et le rémunère en conséquence », durent se dire presque tous ceux qui, en ne votant pas pour M, oubliaient que sa fonction — laquelle n’exigeait alors qu’un titulaire — était indispensable dans l’établissement ; qu’elle ne pouvait, pas plus que les autres, être exécutée gratuitement et qu’enfin c’était « pour éclairer sur les valeurs relatives des appointements » que le suffrage était consulté.
- A la première expérience (celle relative à janvier 1870) M se classa dans les groupes et prit part au vote, A partir du 2e essai il se tint à l’écart, mais J.-B.-A. Godin maintint son nom sur la liste des bénéficiaires entre lesquels il y avait à répartir mensuellement une certaine somme en quotités représentatives des appointements qu’on jugeait mérités.
- Cette liste figurant sur chacun des bulletins de vote collectif, on ne pouvait attribuer ni à un défaut de mémoire, ni à l’ignorance de l’admission de tel ou tel au rang des bénéficiaires, le refus qui pouvait être fait de toute allocation à certain collègue.
- Observation ; M ayant cessé de prendre part à toute
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- expérimentation du suffrage depuis l’essai relatif à janvier, aucun votant (le lecteur sait que le système empêchait le vote direct pour soi-même) n’avait à espérer quelque allocation de la part de M.
- lre Expérience, (janvier) — 9 groupes de chacun 7 membres, au total, 63 électeurs. M fait partie du groupe n° 3 ; — abstraction règlementaire des sept membres du groupe —. Passons :
- Dans les groupes n°s 1, 4, 5, 6, 7, aucun des membres ne lui vote d’allocation.
- Groupe no 2. — Un seul électeur alloue quelque chose à M : 5 francs, somme à diviser par 7 pour avoir la moyenne d’allocation dans le groupe 0 fr. 70
- Groupe n° 8. — Un seul électeur encore vote une somme à M : 40 fr.
- Moyenne dans le groupe.................... 5 70
- Groupe n° 9. — Les 7 membres n’ont émis qu’un vote collectif inscrit directement dans la colonne des moyennes. M a obtenu.......... 3 57
- Total... 9 f r. 97
- dont la moyenne définitive (9 fr. 97 : 9) est 1.10.
- 2e Expérience, (février) — M n’étant pas classé dans les groupes, tous les électeurs peuvent voter pour lui. L’expérience comprend 10 groupes de chacun 7 membres, total : 70 électeurs. Nul d’entre éux n’alloue quoi que ce soit à M.
- 3e Expérience, (Mars) — 10 groupes de chacun 7 membres. Nouveau total de 70 électeurs. Aucun membre des groupes nos 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 10 ne vote pour le spécialiste en question. Mais dans le 9e groupe se trouve l’électeur (1) qui a divisé entre tous les bénéficiaires par portions égales la somme des 996 fr. à répartir ; et
- (1) Le Devoir, octobre 1905, p. 582.
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- de ce chef, M se voit attribuer 14 fr. 43 ; moyenne dans le groupe : 2 fr. 60, somme qui, divisée par les 10 groupes, fournit en moyenne définitive : 0 fr. 26.
- 4e Expérience, (avril) — 10 groupes dont neuf comprennent chacun huit membres et le 10e, six. Total : 78 électeurs. Un seul d’entre eux vote quelque chose à M, soit 15 fr.
- Moyenne dans le groupe l fr. 90
- Moyenne définitive..... 0 19
- 5e et dernière Expérience, (mai) — 10 groupes, dont 9 comprenant 8 membres et 1 en comprenant 7. Total : 79 électeurs. Un seul encore parmi eux (pas le même que précédemment) alloue quelque chose à M, soit 20 fr. :
- Moyenne dans le groupe.................... 2 fr. 50
- Moyenne définitive (2 50 : 10)......... 0 fr. 25
- Résumé des allocations votées à M :
- 1er essai 1 fr. 10 représentant 11 fr. 00 d’appointements mensuels. 2* — 0 — 0 — —
- 3e — 0 26 — 2 60 — —
- 4e — 0 19 — i 90 — —
- 5e — 0 25 — 2 50 — —
- Totaux... 1 fr. 80 18 fr. 00
- Sommes qui, divisées par 5 (nombre des essais), donnent la moyenne définitive de 0 fr. 36.
- Quant à la réputation au point de vue du travail effectif, relevons ce témoignage :
- Le 30 mai 1872, en séance de la commission administrative (nous verrons au chapitre suivant l’institution de ce corps), la discussion portant sur l’établissement d’un tarif des travaux de direction et de comptabilité, l’auteur de la proposition développant ses vues, s’exprime ainsi :
- » J’ai demandé subsidiairement et à titre essentiellement transitoire, l’établissement du paiement à l’heure,
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- en attendant rétablissement du tarif général de direction et de comptabilité. Je ne dirai que quelques mots sur cette mesure essentiellement transitoire, c’est qu’elle a des précédents dans l’usine :
- , « Ainsi Messieurs M et deux autres (RE et QA), trois hommes d’aptitudes très diverses, de mérites fort dissemblables, mais enfin tous trois chefs de service sont payés à l’heure.
- « Or, il se trouve précisément que bien certainement, de l’aveu de tous, ces Messieurs sont signalés d’une manière toute particulière à l’estime de chacun par la façon loyale, active, intelligente, productive dont ils dirigent les services confiés à leurs soins... »
- Même année, dans une nouvelle tentative de recours au suffrage ("tentative que nous nous proposons de relever en son temps), les 8 membres du Conseil (M en faisait partie), ayant été appelés à se classer eux-mêmes dans les trois ordres suivants de mérites : Bon travail, Capacité, Loyauté, M sort premier du groupe et la même place lui est assignée à une nouvelle répétition du vote quatre mois plus tard.
- Mais tenons-nous à notre objet : le sort fait à M par les cinq essais de vote sur bulletin collectif réalisés en 1870. — Le suffrage, on peut le dire, s’est récusé à son égard : un seul électeur s’étant trouvé pour voter sur son nom aux 5e, 4e et 3e essais ; pas un ne lui ayant voté quoi que ce soit au 2e essai ; et deux appréciations individuelles plus une appréciation collective seulement l’ayant accueilli au premier essai de vote, alors que les électeurs étaient aussi rapprochés que possible des échanges de vue et discussions qui avaient accompagné le dépôt des rapports ef la détermination du but à poursuivre.
- Mais ce n’est pas seulement à l’égard de M que le
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- suffrage s’est récusé, la marche n’ayant cessé de s’accentuer dans la voie des allocations disproportionnées, balancées par des abstentions correspondantes. C’est à l’égard d’un quart, puis d’un tiers et finalement de la moitié des intéressés, c’est en un mot à l’égard du but lui-même, le classement des capacités.
- Les éléments d’appréciation lui manquant, le suffrage n’a plus vu dans la somme mise à sa disposition qu’un moyen de distribution de primes, et l’appât, si petit qu’il fût, a, lui aussi, contribué à l’échec.
- Les oublis, l’impuissance, la partialité, la cabale, etc., inhérents à la distinction des mérites par le suffrage, sont de nature à décourager les efforts créateurs de la richesse.
- Les vraies valeurs productives et avec elles la collectivité ont tout à gagner à l’instauration de la méthode qui basera sur les œuvres effectuées et proportionnellement à la valeur échangeable de ces œuvres, les quotités de participation aux bénéfices et le taux de rémunération journalière.
- Autant que possible, organiser les choses de façon à remplacer l’exercice du suffrage par l’enregistrement et le contrôle continu des valeurs effectives ; et dans les cas où l’on croira devoir faire intervenir le suffrage, ne l’appeler à s’exercer qu’en connaissance de cause, c’est-â-dire attribuer le vote à la fonction, non à l’individu : tel est l’enseignement (1) fourni par les tentatives de votes examinées jusqu’ici, aussi bien celles comprenant à la fois les ouvriers et les employés de l’établissement à l’occasion des fêtes annuelles du Travail, que celles réalisées' dans la seule série des employés à l’occasion des répartitions mensuelles.
- (1) Le Devoir, février 1904, p. 67.
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- Cette leçon ira s’affermissant encore avec les essais d’application du suffrage dont nous avons à poursuivre l’étude.
- Un dernier mot : Les opérations relatives à la répartition mensuelle afférente au mois de mai 1870 (série des employés) s’achevèrent en août. Dans les premiers jours du mois (le 4) fut comptée aux employés, à titre de prime, la somme qu’ils s’étaient répartie entre eux au moyen du vote en 10 groupes.
- Les groupes nos 3, 4, 9, 10 n’avaient pas réparti intégralement les 1.055 francs affectés à l’objet du vote, d’où diminution de la somme totale si l’on additionne les moyennes finales comptées aux employés.
- Nous avons en mains la feuille d’émargements intitulée : « Moyenne des primes du mois de mai 1870. » Les noms de 77 bénéficiaires y sont inscrits; et, en regard des noms, sont portées des sommes dont le total s’élève à 953 fr. 15. Cette pièce est revêtue de 71 signatures Les signataires ont touché ensemble 944 fr. 20. Il n’est pas facile de retrouver trace de ces allocations exceptionnelles dans les livres de comptabilité de l’établissement; car J.-B.-A. Godin les faisait porter à son compte personnel. Une lettre adressée par lui au chef de la comptabilité nous a fixé à cet égard.
- (A suivre).
- Vve J.-B.-A. Godin, née Moret.
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- LA COOPERATION
- L’évolution coopérative h'1
- L’évolution coopérative n’est possible que par l’adoption d’une forme supérieure d’organisation groupant les industries coopératives comme celles-ci groupent les individus. C’est le second palier. Il y a lieu de constater que de toutes parts, en ce moment, les organismes coopératifs du premier degré semblent s’y être donné rendez-vous. Les uns sont arrivés depuis longtemps déjà, et leur exemple n’a pas été sans influence sur la détermination des suivants ; d’autres s’installent ; les plus retardataires s’empressent de retenir leur place. Les comptes-rendus des congrès coopératifs de l’année témoignent de ces efforts convergents.
- Jamais l’Union Coopérative Suisse, dont la fondation remonte à 1890 , n’avait enregistré un aussi grand nombre d’adhésions que pendant l’année 1904. Pas moins de 35 sociétés de consommation se sont ralliées à notre fédération, dit le rapport du comité central, de sorte qu’au 31 décembre 1904, l’Union comptait 175 membres. Depuis, 15 nouvelles sociétés ont obtenu leur admission, ce qui porte à 190 le nombre actuel des sociétés adhérentes. Il reste en dehors de l’Union une centaine de sociétés coopératives ; mais la plupart d’entre elles ne pourraient pas en faire partie, soit à cause de leur forme juridique, l’Union n’admettant pas les sociétés anonymes , soit parce qu’elles existent dans
- (lj Voir Le Devoir d’octobre.
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- les localités où se trouvent déjà des sociétés de consommation faisant partie de l’Union, auquel cas l’article 11 des statuts s’oppose à jeur admission.
- Le rapport du Bureau central des achats, créé en 1892, constate que le débit a passé de 6.119.838 francs en 1903, à 7.679 372 francs en 1904; ce qui constitue, une augmentation de 1 499.334 francs ou du 24, 1 0/° augmentation la plus considérable qui ait été réalisée depuis la création du Bureau d’achat. Il convient de-dire que le débit du Bureau central est encore susceptible d’un grand développement, puisque le débit total des sociétés de l’Union atteint près de 50 millions de francs.
- En 1904, le Bureau a été en relation avec 175 sociétés adhérentes et avec 75 sociétés non adhérentes, contre 144 sociétés adhérentes et 108 non adhérentes en 1903.
- Depuis le 1er octobre 1904, la vente aux sociétés non adhérentes a été supprimée ; et le rapport constate que, contrairement à ce qu’on aurait pu croire, le débit, au lieu de diminuer, a augmenté, en même temps que s’accroissait le nombre des sociétés membres de l’Union. En comparaison de 1903, 140 sociétés ont augmenté le chiffre de leurs achats au Bureau central. Si l’on en juge par le débit des trois premiers mois de cette année, qui est en augmentation considérable sur celui des mêmes mois de l’année dernière , le débit total pour 1905 pourrait bien atteindre 9 millions.
- La Fédération belge fonctionne , depuis le 1er janvier 1901. Sa chambre commerciale compte 169 sociétés clientes et 95 actionnaires. Son mobilier et ses installations sont amortis. Ses réserves et fonds de prévision s’élèvent à 18.152 fr. 91. Les bénéfices sont de 24.634 fr. 80 centimes. Le chiffre d’affaires a été pour 1904 de 1 633.000 francs, soit une augmentation de 175.000 francs sur l’année précédente.
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- Néanmoins Tannée 1904 n’a pas répondu à l’attente des administrateurs de la Fédération. Les causes sont nombreuses : diminution du prix de certaines marchandises et suppression de la vente d’autres marchandises ; refus de livrer à des sociétés mal administrées ; manque de fidélité des coopératives à la Fédération ; et, brochant sur le tout, insuffisante conviction dans les conseils d’administration de la nécessité d’une Fédération, habitude routinière qui les rend peu accessibles à la leçon qui se dégage de l’exemple de l’étranger et de l’exemple de la concentration capitaliste industrielle et commerciale.
- Divers moyens d’activer la prospérité de la Fédération sont proposés. Mais, fait remarquer le secrétaire, M. V. Serwy, toutes ces propositions se traduisent par des sacrifices en argent ; or, le capital fédéral est insignifiant, il faut l’augmenter tout d’abord.
- Le Congrès autorise le Conseil d’administration à accepter des prêts à 4 p. 100 des coopératives.
- Le vœu est émis de voir toutes les sociétés convertir leurs bénéfices et intérêts résultant de l’exercice écoulé en nouvelles parts sociales ou en dépôts.
- En Belgique, les sociétés de consommation * ont un débit de 36 millions, et si le débit du Bureau central de la Fédération des coopératives belges n’est que de 1.633 000 francs , c’est parce que plusieurs sociétés puissantes tiennent à conserver une jalouse autonomie.
- La principale force du mouvement coopératif danois réside dans le fait que les 950 sociétés adhérentes à l’Union centrale achètent à son magasin de gros, dont le débit annuel est de 31 millions, presque toutes les denrées qu’elles livrent à leurs sociétaires.
- Le mouvement coopératif hollandais , au contraire^ est paralysé par les divisions que la politique sème dans
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- les rangs des coopérateurs hollandais et qui entravent la création d’une unique et puissante organisation centrale et d’une coopérative de gros.
- L’Union coopérative hollandaise ne compte que 83 sociétés adhérentes sur 1,639 sociétés de tous genres, parmi lesquelles 471 coopératives de consommation, et près de 800 sociétés agricoles.
- Autrement réconfortants sont les chiffres produits au récent Congrès des coopératives de consommation allemandes tenu à Stuttgart, cette année. On se rappelle la rupture qui se produisit en 1902, au Congrès de Kreuznach, où 97 coopératives de consommation et, parmi elles, la Fédération de gros de Hambourg, furent exclues de l’Union générale, présidée par le Dr Cruger, dans laquelle se côtoyaient les éléments coopératifs les plus divers, et où prévalait cette opinion, que les sociétés de consommation ne doivent pas avoir pour but l’élimination du profit, et par conséquent servir à transformer l’organisation économique capitaliste.
- Les sociétés exclues auxquelles vinrent se joindre la plupart des autres coopératives de consommation constituèrent l’année suivante, en un congrès tenu à Dresde, l’Union centrale des sociétés coopératives de consommation, sur la base de la plus stricte neutralité politique et religieuse. En janvier 1904, elles étaient au nombre de 684, et en janvier 1905, de 760. Six mois après, on comptait 800 adhésions. L’Union a un budget de 350,000 francs.
- Le magasin de gros existe depuis onze ans. Son chiffre d’affaires est passé de 33 millions à 42 millions en un an. L’augmentation, en 1903, avait été de 22,6 0/0; elle est de 28,3 0/0 en 1904. Le capital est passé de 625,000 francs à 935,000 entièrement versés, et le bénéfice net a dépassé 250,000 francs.
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- Bien que les Etats-Unis aient fourni vers le milieu du siècle dernier des champs d’expérience aux plus hardis réformateurs sociaux, on ne saurait, avec la meilleure volonté du monde, qualifier aujourd'hui ce pays, de terre classique de coopération. Les rares coopératives disséminées sur cet immense territoire, et qui trouvent le moyen de revêtir les formes les plus diverses et les plus complexes, avaient fait l’effort, l’année dernière, de se réunir en congrès à Saint-Louis, à l’occasion de l’Exposition.
- Ce congrès nous a révélé l’existence de quelques douzaines de sociétés de consommation assez prospères, mais plus particulièrement sur la côte du Pacifique. Là, encore, la fondation du magasin de gros (Rochdale Wholesale Compagny) à San Francisco, qui fournit au-jourd?hui la plupart des sociétés coopératives de la région, a marqué le point de départ d’un véritable mouvement de progrès.
- En Norwège, la stagnation du mouvement coopératif, qui date de 1866, tient uniquement au manque d’union et d’action en commun ; car, en dépit des difficultés qui résultent du grand éparpillement de la population, la poussée coopérative s’est manifestée à différentes reprises. Une tentative d’établissement d’un magasin de gros et d’une union entre les sociétés coopératives, échoua en 1894. Elle a été reprise cette année et la seule annonce de cette entreprise a provoqué la création de nouvelles sociétés coopératives.
- La Ligue nationale des coopératives italiennes fondée en 1886 par les sociétés ouvrières italiennes comprend 1200 sociétés de toutes sortes : coopératives de consommation, de production, de travail agricole, de crédit. Elle joue vis-à-vis d’elles le rôle d’une chambre consultative et ne se propose aucun but commercial.
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- LE DEVOIR
- D’importantes fédérations régionales se rattachent à la Ligue nationale. Quelques-unes d’entre elles possèdent un magasin centrai d’achats et de ventes ; les sociétés affiliées à d’autres fédérations s’approvisionnent à de grosses coopératives pourvues de nombreuses succursales. Citons : La « Fédérazione delle coopérative di Reggio Emilia » ; 1’ « Unione régionale Ligure di Genova » ; la « Fédérazione delle coopérative Operaie et consoszio delle coopérative di consumo di Lombardia », etc.
- En dehors des organisations coopératives ouvrières, l’Italie compte encore d’autres coopératives du genre de celles que les socialistes appellent « bourgeoises » et dont quelques-unes sont très puissantes. Il suffit de citer l’« Unione coopérativa di Milano, l’Unione militare di Roma. » M. le Dr Tullio Giumelli, de qui sont les détails qui précèdent écrit :
- « Ces dernières années, la coopération a pris un grand essor en Italie, surtout dans la classe ouvrière, et dans un temps prochain, la coopération italienne pourra créer un de ces grands magasins centraux d’achats qui font l’orgueil de la coopération dans plusieurs pays d’Europe. »
- Dans le programme du congrès de la Bourse coopérative qui a réuni à Nantes, cette année, les délégués de 175 coopératives socialistes, figurait, entre autres, la question des fédérations régionales d’achats en commun.
- Un ordre du jour a été voté par lequel le congrès après avoir statué sur l’organisation légale des fédérations régionales , « préconise, comme démonstration pratique immédiate, la création, par une fédération, d’un magasin de gros à capital impersonnel, magasin devant finalement s’étendre aux autres fédérations ; demande,
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- parallèlement, que les bénéfices réalisés par les autres fédérations régionales, s’appuyant sur le magasin de gros interfédéral, soient aussitôt que possible employés à la création d’usines fédérales de production, et, afin de coordonner le mouvement ouvrier et socialiste, est d’avis que les fédérations régionales doivent incessamment être rattachées à l’organisation centrale, c’est-à-dire à la Bourse nationale’des coopératives socialistes. »
- Le congrès décida aussi qu’un magasin central sera établi dans le Pas-de-Calais, et que ce magasin central aura à verser à la Bourse coopérative 25 centimes par 100 francs de marchandises vendues par lui.
- Le rapport du Comité central de l’Union française des sociétés coopératives au Congrès de Paris, constate que 328 sociétés adhèrent à l’Union et qu’elles groupent 183,054 sociétaires.
- L’Office coopératif, organisé à la suite du Congrès de 1900, par le Comité central, et qui entra en fonction dès le début de 1901, était alors en relation avec 28 sociétés coopératives et une fédération, celle des employés du P.-L.-M. de Grenoble. Le 1er juillet 1904, il comptait 222 sociétés adhérentes, et le 1er juillet 1905, 245. Entre temps, un certain nombre de fédérations régionales étaient venues se joindre à celle qui avait répondu la première à l’appel du Comité central. En quatre ans son chiffres d’affaires avait passé de 60.000 francs à675.111 francs.
- Dès la première heure les organisateurs de l’Office coopératif, pour qui la leçon de l’essai prématuré d’un magasin de gros n’avait pas été perdue, s’étaient pénétrés de la nécessité d’une méthode permettant un mouvement régulier et sans à coup. D’abord simple bureau de renseignements commerciaux, l’Office s’est ensuite préoccupé de faire passer des marchés collectifs. En
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- LE DEVOIR
- prenant des actions de diverses fédérations ou sociétés coopératives, il a resserré les liens qui l’unissent aux sociétés fédérées. Pour augmenter encore cette cohésion et préparer les voies à la formation du magasin de gros, le Congrès de l’Union coopérative a voté les sages résolutions qui suivent :
- I. — A la suite du Rapport général sur VOffice coopératif, par M. Chabert, le Congrès a émis un vœu en faveur de l’Office coopératif et des Fédérations régionales .
- II. —A la suite du rapport de M. Chambon, sur les Fédérations coopératives d’achats :
- « 1° Le Congrès émet le vœu que les sociétés coopératives françaises de consommation se groupent en fédérations pour les achats en commun ;
- • « 2° Que ces fédérations adhèrent à l’Office coopératif ; qu’elles lui réservent dès maintenant les grands marchés interfédéraux : bougies, chocolat, pâtes et savon de la Coopération française ; qu’elles contribuent au développement de l’éducation coopérative et que leur idéal soit d’arriver peu à peu à la constitution du Magasin de gros dont la fonction serait à la fois de distribuer et d’organiser la production coopérative ;
- « 3° Que la représentation dans la direction et l’administration soit proportionnelle à l’importance des sociétés fédérées ;
- « 4<> Le Congrès invite les délégués des sociétés de régions voisines, à se mettre dès maintenant en rapport les uns avec les autres, pour jeter les bases de nouvelles fédérations régionales. »
- III. — A la suite du rapport de M. Tardy sur les relations entre Voffice coopératif et les fédérations régionales :
- « le- Le Congrès décide que, dans le but de fortifier
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- LA COOPÉRATION
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- l’accord entre les fédérations régionales et l’Office coopératif, ces diverses organisations se partagent par parties égales les bonifications qu’elles touchent de leurs fournisseurs ;
- « 2o Dans le but de pousser à la création de fédérations régionales, le Congrès décide que les bonifications supérieures à 1 0/0 seront conservées au compte des sociétés par l’Office coopératif, jusqu’au jour où elles se réuniront en Fédération régionale qui sera traitée comme ci-dessus ;
- « 3° Considérant que les magasins de gros régionaux des fédérations ne peuvent voir le jour que quand l’Office coopératif aura complètement atteint le but pour lequel il a été créé, le Congrès demande que les ristournes fédérales soient affectées à la propagande des fédérations. »
- IV. — A la suite du rapport de M. Marty sur les Agences régionales de VOffice coopératif :
- « 1° Le Congrès considérant qu’il est indispensable d’activer le mouvement ascensionnel des achats en commun par une propagande toujours plus active etpar une organisation plus étendue et plus perfectionnée, considérant que la Coopération ne doit compter arriver à ce résultat que par des rapports plus directs avec le producteur, décide, en principe, de créer des agences régionales dans les chefs-lieux des futures’ fédérations déterminées par le 10e congrès, comme un moyen de suppléer provisoirement aux fédérations non existantes ;
- « 2° Le Congrès donne pouvoir à l’Office de poursuivre la réalisation de cette décision. »
- Toutes les écoles coopératives s’accordent donc sur ce point que le magasin de gros est le meilleur agent de la force et de l’unité nécessaire au mouvement coopératif. Il est infiniment probable qu’en France les
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- LE DEVOIR
- fédérations vont ouvrir un nouveau champ à l’activité des sociétés de consommation. Dans les fédérations se constitueront les magasins de gros, dont l’expérimentation plus aisée, entraînera moins de périls, et par suite moins de chances de découragement que celle d’un magasin central. En un mot, on va essayer de refaire par en bas l’œuvre entreprise jadis prématurément par en haut. Le magasin national de gros doit être l’instrument définitif de la conquête du monde commercial commencé par la suppression du commerce de détail.
- A la question des fédérations régionales est liée, non parallèlement, mais consécutivement si l’on peut dire, celle de la production, par laquelle le mouvement coopératif abordera son troisième palier. L’expérience prouve t que c’est seulement lorsque la pratique de l’achat en commun a créé le débouché qu’il est possible de créer les ateliers et les usines.
- On connaît l’admirable hiérarchie du mouvement coopératif anglais et ses deux Wholesales groupant 1429 sociétés sur les 1667 sociétés rangées sous le drapeau du Comité central; leur vendant pour 665,261,690 francs de marchandises ; possédant, la Wholesale anglaise : 29,917,575 francs de capital actions (près de 100 millions avec les dépôts, les fonds d’assurance et le fonds de réserve); la Wholesale écossaise : 8,182,025; et réalisaut à elles deux, un chiffre d’affaires industrielles de 134,189,525 francs.
- L’Union suisse a fait, en 1901, ses premiers pas dans la voie de la production par la fabrication des pâtes alimentaires; le 14 septembre 1903, s’ouvrait à Gand le tissage coopératif organisé par la Fédération coopérative belge; et, le 6 mars 1904, la Fédération coopérative allemande pour les achats en gros, décidait la création d’une fabrique de savons à Aken-sur-l’Elbe, où existent
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- LA COOPÉRATION
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- les plus grandes facilités de communication par voie de terre et voie d’eau. Des difficultés soulevées par l’administration ont jusqu’à présent retardé l’exécution de ce projet.
- 11 en sera, espérons-le, pour la coopération fédérale de ces divers pays, et pour la production fédérale à créer en France, comme pour la Wholesale anglaise que M. Cernesson nous montre « créant sans cesse de nouveaux organes pour ses besoins grandissants, augmentant ses atfaires par l’effet de ses créations, et étudiant aussitôt de nouvelles créations, dès que ses atfaires ont augmenté. »
- En attendant, il est réjouissant de constater que les coopérateurs de toutes les écoles , y compris la plus buissonnière , l’école socialiste, à mesure qu’ils avancent dans la pratique, se pénétrent de plus en plus de la nécessité de ne pas diminuer, par un éparpillement de leurs forces, la capacité économique de la coopération, de sorte que, comme le disait notre ami Fabre au Congrès de Paris, « si, en matière sociale, les conceptions de la première heure divisent les hommes, les applications du lendemain se chargent de les unifier. »
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- LE DEVOIR
- CHRONIQUE PARLEMENTAIRE
- La session extraordinaire de 1905
- Après trois mois et demi de vacances, le Parlement n’a rouvert ses portes, celles du Luxembourg et celles du Palais-Bourbon, que le 29 octobre.
- La Chambre des députés, cependant, avait un ordre du jour assez chargé pour justifier sa convocation au 15 octobre, et peut-être même au 7. Pour n’en rien faire, le gouvernement s’est retranché derrière un prétexte des plus futiles : la visite du Président de la République au roi d’Espagne. Deux questions importantes dominaient toutes les autres dans cet ordre du jour : le budget et les retraites ouvrières. Il était de tout intérêt, en effet, que le budget soit voté avant le 1er janvier, afin d’éviter les douzièmes provisoires et de débarrasser de cette préoccupation la première partie de la session de 1906 qui précédera immédiatement les élections générales.
- Quant aux retraites ouvrières, la majorité républicaine avait un intérêt moral plus grand encore à effectuer cette réforme depuis si longtemps promise et que la Chambre avait amorcée avant les vacances.
- Aussi, dès la rentrée, a-t-on décidé pour rattraper un peu de temps perdu, de mettre les bouchées doubles, autrement dit, de siéger matin et soir. Aux séances du matin, donc : les lois d’ordre économique et, en premier lieu, les retraites ouvrières ; aux séances de l’après-midi : le budget. Le vendredi a été assigné aux interpellations ; mais cette mes.ure ne les gêne guère, elles se produisent à tout propos et n’importe quand.
- Dès les premiers jours de la session, le gouvernement a dû subir l’assaut des conservateurs qui faisaient un grief au ministre de la guerre de son attitude conciliante à l’égard des ouvriers de Longwy en grève, et
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- CHRONIQUE PARLEMENTAIRE
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- des socialistes, qui reprochaient au ministre de l’intérieur d’avoir fait intervenir l’armée : il y avait eu mort d’homme. Le gouvernement s’est tiré d’affaires en acceptant l’ordre du jour pur et simple, qui a été voté par 444 voix contre 55.
- Le ministre de la guerre, peu satisfait, s’est retiré à quelques jours de là. Il en est résulté une petite crise fort heureusement de courte durée.
- Le 7 novembre, nouvelle interpellation , et c’est encore de grève qu’il s’agit, mais d’une grève hypothé-thique, celle que pourraient être tentés de déclarer les instituteurs, si on leur permettait de transformer leurs Amicales en Syndicats. Enfin, le 17 novembre, troisième, débat à propos de la grève des ouvriers des arsenaux. Il était difficile au gouvernement d'éviter le premier débat sur la grève de Lonwy ; aussi bien, il était difficile de trouver une majorité pour le mettre en échec sur ce point, Mais il pouvait aisément éviter les deux autres, ou tout au moins ne pas les passionner lui-même inutilement. Le gouvernement conteste aux instituteurs le droit de former un syndicat et aux ouvriers des arsenaux constitués en syndicats, le droit de se mettre en grève.
- La question des instituteurs soulevée inopinément ne pouvait raisonnablement pas donner lieu à un débat approfondi.
- Les instituteurs étaient poursuivis pour formation illégale de syndicat. Il ne s’agissait que de savoir si on devait, ou non, suspendre les poursuites jusqu’au vote sur les conclusions du rapport de M. Bartbou sur les modifications à apporter à la loi de 1884. Tout le monde était d’accord pour mettre ce rapport à l’ordre du jour dans une prochaine séance. Tout le monde était^d’accord sur ce dernier point. Mais le gouvernement a tenu à déclarer qu’il refusait absolument aux instituteurs le droit de se syndiquer, et il a fait approuver sa manière de voir par un ordre du jour voté par 297 voix contre 154. Cet ordre du jour ne comportait pas la suspension
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- LE DEVOIR
- des poursuites demandée par un autre ordre du jour qui a été repoussé par 325 voix contre 249.
- L’interpellation sur la grève des ouvriers des arsenaux était à l’ordre du jour de la séance du 17 novembre ; mais la grève ayant pris fin, les auteurs de l’interpellation déclarèrent leur intention, d’ajourner le débat jusqu’à la discussion du rapport de M. Barthou.
- Tout en acceptant cet ajournement, le ministre de la marine tint à déclarer que le gouvernement ne saurait accepter une grève quelconque dans le travail préparatoire de la défense nationale. C’était rouvrir l’interpellation. Le président du conseil vint appuyer avec insistance les déclarations du ministre de la marine, et après une vive discussion, le débat fut clos par un ordre du jour de confiance voté à l’énorme majorité de 445 voix contre 86.
- Au point de vue politique, le résultat, qui répondait, sans doute, au secret désir du président du conseil, fut que les socialistes restèrent isolés : le bloc avait vécu.
- Au point de vue syndical, il est à remarquer que le gouvernement s’était montré peu soucieux de se mettre d’accord avec lui-même, puisqu’il avait soutenu à propos des instituteurs que le droit de se syndiquer impliquait le droit de grève, et qu’il refusait le droit de grève aux ouvriers des arsenaux syndiqués.
- Les conclusions du rapport Barthou, souvent invoqué au cours de ces discussions, déclarent la loi sur les syndicats applicable « aux ouvriers et employés de l’Etat, des départements, des communes et des établissements publics qui ne détiennent aucune partie de la puissance publique. »
- Le Sénat ne s’avise pas souvent de toucher au Code civil, surtout quand il s’agit de la condition des femmes. De temps en temps cependant une exception vient justifier la règle. C’est ainsi que, le 3 novembre, il a adopté une proposition d’un de ses membres, M. Guil-lier tendant à modifier l’article 386 du Code civil (état
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- CHRONIQUE PARLEMENTAIRE
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- de la femme veuve ou divorcée). Il s’agit de la puissance légale attribuée au père pendant le mariage et, après la dissolution du mariage, au survivant des père et mère sur les biens de leurs enfants mineurs. L’article 386 retire cette puissance à la mère en cas de second mariage. M. Guillier demandait la modification de cette disposition qu’il juge en contradiction avec le mouvement général des idées modernes. Les mœurs actuelles, en effet, tendent invinciblement à rendre plus faciles les remariages ; elles tendent également, a-t-il ajouté, à égaliser de plus en plus la condition de l’homme et de la femme.
- La commission avait admis que la puissance n’aura pas lieu au profit des père et mère contre lequel le divorce aura été prononcé.
- Avec cette réserve, acceptée par M. Guillier, la proposition a été adoptée.
- Ce n’était là qu’un lever de rideau. Presque immédiatement après, le Sénat a abordé la discussion de la séparation des Eglises et de l’Etat, qui lui a pris la plus grande partie de la session extraordinaire.
- Après une très ample discussion générale , dans laquelle toutes les opinions ont pu se produire à leur aise, le Sénat, se rendant au désir du gouvernement, qui lui demandait de renoncer à la deuxième délibération pour aboutir le plus rapidement possible, a voté l’urgence par 174 voix contre 108. Il a ensuite décidé par 185 voix contre 97 de passer à la discussion des articles (18 novembre.)
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- LE DEVOIR
- FAITS POLITIQUES ET SOCIAUX
- RUSSIE
- La population de l’Empire
- M. le sénateur Troïnitsky, président du Conseil supérieur de Statistique, vient de publier un travail considérable sur les résultats généraux de la population de l’Empire russe en 1897.
- Le chiffre delà population totale s’élève à 125.680.682, dont 62,512,698 hommes et 63.167,984 femmes.
- Par régions, la population se distribue de la manière suivante :
- a) Dans les 50 gouvernements de
- la Russie d’Europe................. 93 442 864 âmes.
- b) Dans les 10 gouvernements de
- Pologne ............................. 9.402.253 —
- c) Dans les 11 provinces du Caucase ........................... 9.289.364 —
- d) Dans les 9 gouvernements de
- Sibérie.. . *........................ 5.758.822
- é) Dans les 9 territoires d’Asie
- Centrale............................. 7.746.718 —
- /) Reliquat, en dehors des limites
- de l’Empire... .................. 40 661 —
- La Finlande n’a pas été comprise dans le recensement de 1897 (1).
- Sur le nombre global indiqué plus haut, il y a 605,500 sujets étrangers domiciliés dans l’Empire.
- D’après le degré d’instruction, la population se répartit de la manière suivante :
- • Illettrés.... 99 070.436 âmes (78,9 0/0) ;
- Sachant lire... 26 569.585 — (21,1 0/0).
- (1) Population de la Finlande : 3.300.000 h.
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- FAITS POLITIQUES ET SOCIAUX 733
- Ce dernier groupe comprend entre autres les degrés suivants de culture de l’esprit :
- a) Instruction supérieure.... 138.777 personnes
- b) — moyenne.............. 1.245.366
- Nombre de personnes instruites ........................... 1.384.143 personnes.
- La classe sociale la plus nombreuse est naturellement celle des paysans, 96,896,648 âmes ; puis vient celle des mèschtchanès (petits bourgeois des villes), 13,386,392 ; la noblesse est seulement de 1,850,285 âmes. Il y a 281.179 marchands et 588.947 personnes appartenant au clergé des différentes confessions chrétiennes. Les cosaques sont comptés à part 2 millions 928,842. Les étrangers, répartis d’après leur pays d’origine et par ordre de décroissance, présentent les chiffres suivants :
- Allemagne 158.103 personnes
- Autriche-Hongrie . 121.599 —
- Turquie. . 120 720 —
- Perse . 73.920 —
- Chine. . 47.571 —
- Corée... 12 918 —
- Grèce. . • . 12.619 —
- France .. 9.421 —
- Boukhara 7.775 —
- Grande-Bretagne...... . 7.481 —
- Suisse '6 197 —
- Italie - • •. 4.923 —
- Roumanie 4.272 —
- Autres Etats.. • • . 17.981 —
- Les principaux groupes confessionnels i vants : sont les si
- Groupe orthodoxe 87.123.606 personnes
- Dissidents vieux-croyants 2.204.196 —
- Musulmans * 13.906.972 —
- Catholiques romains 11.467.994 —
- Israélites 5 215.805 —
- Luthériens 3.572.653 —
- Arméniens-Grégoriens. . 1.179.241 —
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- LE DEVOIR
- Les autres confessions présentent des groupes respectifs inferieurs à 1 million.
- La langue russe est parlée par 83.933.567 personnes ; la langue polonaise par 7.931.307 personnes; l’hébreu par 5.063.156 ; la langue kirghise par 4.074.139. En groupant les idiomes tartares, le bochkir, kirghise et divers dialectes turcs, 11.788 841 personnes parlent ces idiomes. (Le Rentier).
- *
- * *
- ETATS-UNIS La police et les grèves.
- Le très industriel Etat de Pensylvanie, qui possède notamment les hauts fourneaux et aciéries de Pittsburg, dans lesquels M. Carnégie réalisait sa colossale fortune, a pris une initiative qui provoque en Amérique un mouvement d’attention. Il vient de se doter d’une police au service de l’Etat tout entier, ce qui n’est pas dans les traditions américaines, où chaque ressort administratif possède ses organes de défense, ou est censé les posséder. Il s’agit seulement, pour le quart d’heure, d’un modeste corps monté de 230 hommes, et la mission distincte qui lui échoit, à côté d’autres besognes d’un caractère plus général, c’est de. maintenir l’ordre au moment où une grève éclate. Si la grève est appelée à s’étendre, il faudra alors recourir à d’autres moyens plus puissants.
- Les grèves sont devenues en Pensylvanie un gros souci pour les pouvoirs publics. Les mineurs des charbonnages leur ont surtout donné bien de la tablature. Se représente-t-on qu’en moyenne, une année sur deux, les milices étaient mises sur pied ? C’était une énorme dépense et, en outre, comme les autorités locales ne disposaient pas de forces suffisantes pour faire face aux dangers de la situation, les compagnies se faisaient accorder le droit de se munir de constables qu’elles payaient elles-mêmes. Cette police particulière , qui
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- FAITS POLITIQUES ET SOCIAUX
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- représente un régime très primitif et très défectueux, a eu le don d’exaspérer le monde ouvrier, et la police montée de l’Etat amènera sa disparition.
- La mesure qui nous occupe a rencontré une- bonne presse, et nou» voyons différents journaux suggéreraux Etats du Sud, impuissants à réprimer les horreurs de la loi de Lynch et de la justice populaire s’exerçant au mépris des institutions du pays, de suivre l’exemple donné par la législature pensylvanienne.
- (Journal de Genève.)
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- * *
- HONGRIE
- Alcoolisme et criminalité.
- Le septième congrès pénitentiaire international, qui s’est réuni dernièrement à Budapest, a voté entre autres les vœux suivants :
- La statistique prouve que la criminalité est causée pour plus de 50 0/° par l’alcoolisme, en particulier le dimanche, le samedi soir et le lundi.
- Le congrès émet donc le vœu :
- 1. Que des statistiques soigneuses soient faites à cet égard, et que, le dimanche, le samedi soir et le lundi, la vente des boissons alcooliques soit restreinte.
- 2. Que l’usage de toute boisson distillée ou fermentée (y compris le cidre, le vin et la bière) soit interdit dans tous les pénitenciers et maisons de correction, en particulier comme récompense, et remplacé par celui du lait, d’autres boissons sans alcool, ou par un pécule qui ne pourra être employé à l’achat de boissons alcooliques.
- 3. Que des conférences antialcooliques soient faites dans les maisons de détention et qu’on y répande des brochures populaires sur la question de l’alcoolisme, de façon à y organiser un enseignement antialcoolique.
- 4. Que les sociétés de patronage pour les détenus libérés s’entendent avec les sociétés d’abstinence pour le
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- LE DEVOIR
- relèvement des buveurs, afin que les délinquants qui furent plus ou moins ivrognes y entrent à leur sortie de la maison de détention et soient ainsi préservés de rechutes.
- 5. Que la législation soit modifiée dans.le sens de la transformation de la détention ordinaire en rétention prolongée dans un asile public pour buveurs curables (éventuellement dans un asile privé contrôlé par l’autorité), chez tous les délinquants alcooliques.
- 6. Que l’on introduise sous forme d’avertissement une disposition légale qui permette de menacer de l’interdiction le buveur d’habitude qui devient une plaie pour la société s’il ne se fait pas traiter volontairement, le
- temps nécessaire, dans un asile pour buveurs curables.
- * *
- ALLEMAGNE
- La journée de neuf heures.
- L’administration des chemins de fer Wurtembergeois a inauguré, le 2 octobre, le régime de la journée de travail de neuf heures.
- Les assurances ouvrières.
- Au ministère de l'intérieur un certain nombre de projets de loi de politique sociale sont en préparation. Le principal est l’assurance ouvrière des' veuves et des orphelins. Mais quoique les différents gouvernements confédérés en aient accepté les grandes lignes, les questions de détail ne paraissent pas suffisamment prêtes pour que le Reichstag puisse s’en occuper durant la prochaine session.
- Il est toutefois probable que le gouvernement soumettra au cœur de l’hiver au Parlement impérial le projet de loi sur l’unification des assurances ouvrières, ou bien une réorganisation des assurances de maladie, soit encore une loi pour la protection des ouvriers du bâtiment, d’après l’état d’achèvement des travaux préparatoires de ces différents projets, qui tous occupent l’activité des bureaux.
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- BELGIQUE
- Un nouveau secrétariat international ouvrier.
- Entre autres résolutions importantes qui ont été prises par le Congrès international des ouvriers mineurs à Liège, il convient de signaler celle qui a pour objet la création d’un secrétariat international permanent des mineurs. On sait que cette création maintes fois discutée par les précédents Congrès n’avait jamais été décidée pour divers motifs auxquels n’étaient pas étrangères des questions de rivalité, mais où intervenait également la légitime préoccupation de ne pas attirer sur les mineurs de certains pays les sévérités d’une législation hostile à toute participation des ouvriers à une organisation internationale.
- Le citoyen Ashton, Anglais, a été nommé à l’unanimité secrétaire international. Afin de rendre efficace l’institution nouvelle, des secrétaires nationaux chargés de correspondre avec le secrétaire international ont été désignés. Il a été ensuite procédé, comme chaque année, à la nomination du Comité international.
- AMÉRIQUE DU SUD
- Le Congrès latino-américain , qui s’est réuni en août à Rio-de-Janeiro, a adopté les conclusions du mémoire du délégué chilien proclamant l’existence d’un droit international américain, c’est-à-dire d’un ensemble de règles et de lois que les Etats latino-américains observent ou doivent observer dans leurs rapports réciproques et dans leurs rapports avec les autres Etats de l’Europe et de l’Amérique du Nord.
- Il a été décidé qu’un prochain Congrès se réunira à Santiago, au Chili.
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- LE DEVOIR
- LA QUESTION DE LA PAIX
- Le Congrès de Lucerne
- Le XIVe Congrès universel de la Paix, qui s’est tenu en septembre, à Lucerne, a été des plus brillants. Il s’y est fait aussi de solide besogne. D’intéressants sujets y ont été débattus sur lesquels nous pourrons revenir. Nous ne retiendrons aujourd’hui que l’importante et si délicate question d’un rapprochement entre la France et l’Allemagne qui a été traitée, pour la première fois dans un Congrès de la paix, avec toute l’ampleur qu’elle comporte.
- Par l’organe de M. Houseau (Belgique) la commission chargée d’examiner cette question avait présenté les deux projets de résolution dont la teneur suit :
- Zre Proposition.
- « Le XIVe Congrès universel de la Paix,
- » Considérant que tout antagonisme permanent ou accidentel entre la France et l’Allemagne est éminemment préjudiciable tant â la cause de la Paix et du progrès qu’aux intérêts matériels et moraux non seulement de ces deux puissances elles-mêmes, mais aussi de l’ensemble du monde civilisé ; qu’il est par conséquent d’un intérêt universel d’en faire cesser ou d’en éviter les causes ;
- » Exprime ses sympathies les plus chaudes pour tous les efforts qui ont pour but le rapprochement franco-allemand et une entente cordiale des deux nations ;
- » Demande la reconnaissance générale d’un système de droit international basé sur les principes de justice et'de liberté et assurant le règlement juridique de tous les différends internationaux ;
- » Reconnaît comme un des éléments essentiels de ce
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- système le principe qu’il est défendu de disposer politiquement de territoires sans le libre consentement de leurs populations ;
- « Exprime la conviction que, lorsque ce système sera solidement établi, les questions de nationalités maintenant si brûlantes perdront beaucoup de leur acuité et qu’alors il sera possible d’appliquer les principes du droit, ainsi reconnu, aux résultats des anciennes conquêtes ;
- » Et émet le vœu que les gouvernements français et allemand entrent en négociations et s’efforcent, par des concessions réciproques et au besoin des compensations équitables, à établir entre les deux pays un régime de paix et de droit conforme tant à leur intérêt qu’à celui du monde civilisé ».
- Ile Proposition.
- » Le XIVe Congrès universel de la Paix
- » Considère que le meilleur moyen d’arriver à la création du système de droit international consiste à propager, surtout dans les pays où ils sont moins généralement acceptés — les principes suivants, qui ont été unanimement proclamés par les Congrès universels de la Paix de Rome, de Budapest et de Hambourg :
- » Art. 1. —Les rapports entre les nations sont régis par les mêmes principes de droit et de morale que ceux qui règlent les rapports entre les individus.
- » Art. 2. —Nul n’ayant le droit de se faire justice, aucune nation ne peut déclarer la guerre à une autre.
- » Art 3. — Tout différend entre les nations doit être réglé par voie juridique.
- » Art. 4. — L’autonomie de toute nation est inviolable .
- » Atr. 5. — Il n’existe pas de droit de conquête.
- » Art. 6. — Les nations ont le droit de légitime défense.
- » Art. 7. — Les nations ont le droit inaliénable et imprescriptible de disposer librement d’elles-mêmes.
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- » Art. 8. — Les nations sont solidaires les unes des autres.
- » Le Congrès, en conséquence, fait appel à tous les esprits éclairés, qu’ils appartiennent au monde du Droit, des Lettres, des Sciences et des Arts, ou au monde de l’Agriculture, du Commerce ou de l’Industrie, pour qu’ils consacrent dès à présent tous leurs efforts à propager des principes de droit et de morale de nature à favorise]1 l’organisation de la paix générale, la solution juridique de tout litige international et la création d’une Fédération internationale.
- M. Houzeau prie instamment le Congrès de voter à l’unanimité ces propositions umportantes, sur le texte desquelles les membres de la Commission ont tous été d’accord.
- M. Quidde, de Munich, prononce dans le même sens un éloquent discours, auquel M. Frédéric Passy répond en des termes qui saisissent l’assemblée. Celle-ci se lève d’enthousiasme, quand le vénérable orateur serre la main de M. Quidde, et elle vote à l’unanimité, sans discussion ultérieure, les deux résolutions proposées.
- Vers l’unité.
- La création de trois institutions internationales a été projetée par le Congrès d’expansion mondiale de Mons : Un bureau international à?ethnographie qui réunira les documents fournis par les explorateurs de tous pays et les publiera ; des musées spéciaux compléteraient de la façon la plus vivante les renseignements divers obtenus ;
- Un bureau international de statistique capable de centraliser également les documents de tout ordre qui concernent cet ordre d’études, et de fournir ainsi des renseignements souvent précieux ;
- Une association internationale pour l’étude des régions polaires.
- En outre, des conférences internationales ont été proposées pour résoudre certaines questions, par exem-
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- pie : pour donner une définition internationale du tonnage, pour régler la vitesse des navires en temps de brume et exiger un minimum déterminé de connaissances des mécaniciens de marine et patrons de navires de haute pêche, pour fixer les principes de la statistique générale et choisir une base uniforme d’évaluation et de classification en marchandises.
- De son côté, le Congrès international des accidents du travail et des assurances ouvrières, tenu à Vienne a émis le vœu qu’il soit établi une statistique internationale périodique des accidents du travail. ,
- Ce vœu est conforme à la résolution votée par l’Institut international de statistique qui a tenu sa session à Londres.
- La coopération et la paix.
- Pour abolir les conflits entre nations et éviter ces tueries d’hommes qui font frémir d’horreur tous ceux qui aiment leur prochain, il faut avant tout abolir les conflits entre individus, entre vendeurs et acheteurs, entre employés et employeurs.
- Ces habitudes d’antagonisme, conséquence de la compétition, moulent en quelque sorte l’esprit des hommes en les plaçant à chaque instant en rivalité les uns avec les autres, dans toutes les opérations commerciales et industrielles de la vie.
- Elles leur font considérer la concurrence acharnée comme la raison d’être, l’âme même du commerce.
- Pour beaucoup, cette manière de voir devient une habitude, et cette habitude répand sur la terre une semence qui, toute impalpable qu’elle puisse paraître, n’en contient pas moins le germe des plus grands conflits internationaux.
- Accoutumés de longue date à juger normale l’opposition des intérêts particuliers, en commerce et en industrie, dans la nation, notre jugement applique la même méthode quand nos intérêts nous paraissent opposés
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- avec ceux des nations voisines, et si nous les croyons plus faibles, nous jetons sans remords notre épée dans la balance. La plupart des guerres actuelles : Madagascar, l’Afrique du Sud, Cuba et les Philippines, la Chine, n’ont pas d’autre origine ; ce sont des guerres coloniales et compétitives.
- On ne peut espérer changer d’un coup les sentiments belliqueux des hommes, les religions les 'plus humanitaires ont échoué dans cette tâche; mais on peut espérer changer les institutions actuelles, causes de conflits, par la coopération. Elle seule pourra substituer l’union des intérêts à la compétition.
- Pour réaliser la paix internationale, il faut développer dans tous les pays, la solidarité coopérative.
- Les Unions de la paix internationale doivent donc faire une active propagande en faveur de la coopération, dans la pensée que c’est le meilleur moyen de préparer les hommes à vivre, dans tous les domaines, dans la plus fraternelle harmonie les uns avec les autres.
- La coopération, du jour où elle sera sagement pratiquée dans tous les pays, amènera la fin de tous ces conflits nationaux et internationaux.
- Aug. Fabre.
- Le Bureau international de la Paix a adressé à l’Union coopérative des sociétés françaises de consommation, réunies en un Congrès du Ier au 4 juin, à Paris, une lettre ainsi conçue :
- « Les Congrès universels de la Paix ont déclaré à plusieurs reprises que le mouvement coopératif et le mouvement pacifiste sont intimement liés, attendu que les charges de la guerre pèsent lourdement sur la classe ouvrière et que celle-ci peut contribuer dans une forte mesure à la cessation des guerres. Nous venons, en conséquence, vous présenter nos vœux pour le succès des efforts des coopératistes en général et particulièrement pour la bonne réussite du Congrès que votre association ouvrira à Paris dans quelques jours.
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- « Puisse la pratique large et consciente du système ' coopératif, créer et entretenir des rapports bienveillants entre les nations unies par la nécessité sociale de la sécurité du lendemain. »
- La « peur » de la guerre.
- A ceux qui font un grief aux pacifistes d’avoir peur de la guerre, le grand artiste Eugène Carrière a répondu d’avance :
- « Le vrai courage n’est pas dans l’exercice brutal de la force ; pas même dans l’héroïsme passager : il n’est pas aussi difficile de se tenir un instant debout sur une barricade que de lutter pour la paix pendant toute une vie. »
- L’avenir.
- Conclusion de « La Démocratie triomphante », monument élevé par le milliardaire Andrew Carnegie à la gloire des Etats-Unis :
- « Les hommes de la génération prochaine, en examinant nos conditions de vie actuelle et en les comparant aux leurs, auront pour nous la pitié que nous avons pour nos ancêtres. Un jour on lira avec surprise qu’il fut un temps où l’état de guerre régnait sur la terre entre des divisions d’hommes que l’on appelait nations, où l’Europe enseignait continuellement à neuf millions d’hommes le moyen de massacrer leur frères... L’homme de l’avenir s’étonnera encore que l’intempérance ait régné en ces jours de barbarie, qu’il y ait eu des pauvres et des criminels sans nombre, que même en' Angleterre la minorité ait dominé la majorité, que le sol ait appartenu et servi à une seule classe... Il lira tous ces récits comme nous lisons la description des premières locomotives traînées par des chevaux, et il remerciera le ciel de n’être pas né avant la venue des temps civilisés. »
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- LE MOUVEMENT FEMINISTE
- Une mesure injustifiable rapportée.
- Sous ce titre : Une mesure injustifiable, nous avons fait connaître, il y a un an, la décision par laquelle M. Chaumié , ministre de l’Instruction Publique et des Beaux-Arts, limitait à quatre, au maximum, le nombre des élèves femmes dans chacune des classes d’instruments à archet au Conservatoire de musique.
- Cette décision, qui avait été maintenue, malgré les vives protestations des groupes féministes, défenseurs naturels des intéressées, vient d’être rapportée par le successeur de M. Chaumié, M. Bienvenu-Martin, sur la proposition de M. Dujardin-Beaumetz, sous-secrétaire d’Etat aux Beaux-Arts.
- Aux examens d’admission dans les classes de violon, « il y a, disait le rapport de M. Dujardin-Beaumetz, pour deux places de femmes au cours supérieur seulement, 12 candidates hors de pair sur lesquelles il sera certainement impossible de se prononcer en toute équité, vu leur équivalence presque absolue, et il n’est question là que des sujets dont l’admission s’impose sans discussion. » .
- Le rapport ajoutait que pour les classes préparatoires, la disproportion entre les places disponibles et les candidats susceptibles d’être admis est moins criante, mais elle existe quand même.
- D’où la proposition d’augmenter le nombre maximum d’élèves dans les classes supérieures et préparatoires de violon, et de rapporter purement et simplement l’article de l’arrêté organique qui limite le nombre des femmes dans chacune des classes d’instruments à archet, et ce, à la requête du directeur du Conservatoire et des membres du jury d’examen.
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- Il y a décidément quelque chose de changé au Conservatoire et dans les conseils du gouvernement, et Ton ne peut qu’en féliciter le ministre, le sous-secrétaire d’Etat, les membres du jury d'examen et le directeur du Conservatoire.
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- Le travail féminin aux Etats-Unis.
- Des données fort curieuses sur le développement du travail féminin ont été présentées au congrès annuel des inspecteurs de manufactures de Détroit (Michigan) par M. Bodnie, surintendant de l’enseignement obligatoire à Chicago.
- Depuis vingt ans, a-t-il dit, la concurrence des femmes, des enfants et des machines chasse à peu près l’homme des fabriques et manufactures des villes et le rejette aux travaux de manœuvre grossiers dans les champs et dans les mines. Si ce mouvement continue, les femmes seront dans quelque temps à la tête de l’industrie. L’ouvrier homme disparaîtra comme disparaît le Peau-Rouge. En 1890, aux Etats-Unis, 3,914,571 femmes avaient des situations salariées ; en 1900,. le nombre des femmes employées s’était accru jusqu’à 5,329,807.
- La natalité féminine croît et la mortalité féminine décroît, tandis que pour l'homme la mortalité croît et la natalité décroît. La société future sera fatalement une société féminine où les hommes survivants ne seront plus employés qu’aux rudes travaux exigeant de la force physique. D’ailleurs on constate aussi que la femme qui travaille est moins féconde et que la natalité dans les familles américaines a diminué des deux tiers de ce qu’elle était il y a quarante ans.
- Doctorat en droit.
- Mlle José Martin, fille de Mme Maria Martin, directrice du Journal des femmes, a passé avec succès le
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- premier examen du doctorat en droit. Elle est la seule femme qui se soit présentée cette année à cet examen.
- La corporation des employés et les femmes
- Le Congrès des employés réunis à Nantes a émis le voeu qu’il soit interdit d’employer les femmes avant et six semaines après l’accouchement et qu’une caisse spéciale soit créée, soit par cotisations, soit par participation de l’Etat, pour subvenir aux besoins des femmes pendant cette période.
- Prix réservé aux femmes
- Une association américaine, pour le développement des recherches scientifiques féminines, annonce qu’elle propose un prix de mille dollars pour la meilleure thèse exécutée par une femme sur un sujet scientifique, comportant des observations nouvelles, établie dans un Laboratoire de recherches indépendant de biologie, de chimie ou de physique.
- Les thèses présentées au Comité inventif doivent être adressées, pour le prix être décerné à l’assemblée annuelle d’avril 1907, avant le 31 décembre 1906, à Ellen IL Richards, Institut de technologie du Massachussett, à Boston. (Revue scientifique).
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- BIBLIOGRAPHIE
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- BIBLIOGRAPHIE
- Le Congrès coopératif international de Budapest et ses résultats, par le Dr Hans Müller, secrétaire général de l’Union suisse des sociétés de consommation.
- Prix : 1 franc. Paris. Comité central de l’Union coopérative, 1, rue Christine (VP).
- Une bonne indication du contenu de cette brochure est fournie par le professeur Ch. Gide, en ces termes :
- » Avant-propos
- « La présente étude a été publiée en langue allemande. Nous avons pensé, d’accord avec son auteur, M. Hans Muller, qu’il serait utile de la traduire pour les coopérateurs de langue française, non seulement de France, mais de Suisse et de Belgique.
- » Ce n’est pas seulement afin de leur faire connaître la coopération étrangère et de les engager à adhérer à l’Alliance coopérative internationale. S’il ne s’agissait que de cela, nous avons déjà le compte-rendu de notre ami, M. Chiousse, sous la forme d’un beau volume richement illustré (1) et que nous ne saurions trop recommander à tous ceux qui veulent faire, sans sortir de leur chambre, un charmant voyage à Budapest et à travers l’Europe coopérative.
- » Mais comme on le verra en lisant la brochure de M. Müller, il y a ici plus que le compte rendu d’un Congrès, c’est une étude, à propos du Congrès, sur les questions les plus graves, concernant le but et les caractères de la coopération de consommation et ses rapports avec l’Etat.
- » On y verra que, sans s’être beaucoup connues réciproquement, l’Union suisse et l’Union française sont
- (i) A travers l’Europe coopérative, un vol. grand in-8°, 76 p. Grenoble.
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- arrivées exactement à la même conception de l’Association coopérative, à savoir : « Que les coopératives de « consommation doivent constituer un nouveau princi-« pe d’organisation sociale et économique, fondé sur « l’organisation rationnelle et systématique de la con-« sommation du peuple » (p. 28).
- « Nous félicitons M. Müller d’avoir fait triompher ce programme au Congrès. Et c’est avec raison qu’il déclare que « les coopérateurs français souscrivirent mot « pour mot à notre opinion ». En effet, quoiqu’il ne donne, à l’appui de sa thèse, que des citations des publications coopératives anglaises (p. 38), il aurait pu en trouver d’aussi affirmatives dans les publications faites par notre Union depuis vingt ans ; par exemple, pour n’en citer qu’une seule, dans le discours d’ouverture du Congrès des Sociétés coopératives de consommation de Paris en 1889 : « L’organisation économique sera totalement changée. Au lieu d’être réglée comme aujourd’hui en vue du producteur et du profit individuel, elle le sera en vue du consommateur et des besoins sociaux. »
- La coopération. Journal populaire suisse, organe officiel de l’Union suisse des sociétés de consommation et des coopératives de consommation de la suisse romande .
- Rédaction et administration : Thiersteinerallee, 14, à Bâle. Abonnements fr. 2,50 par an.
- Epigraphe : Le peuple suisse ne pourra assurer son indépendance économique vis-à-vis de l’étranger et progresser dans la voie du bien-être matériel et de la justice sociale, qu’en organisant rationnellement sa consommation. Il en résulte que la concentration coopérative de cette consommation est pour lui une question vitale : elle doit être et sera une de ses tâches principales dans le cours du XX® siècle.
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- Par Paul et Victor MARGUERITTE -----------ses-----
- {Suite)
- Oui, elle se hausserait à ce sacrifice, de marier Charlie ; elle étoufferait son coeur, dompterait sa jalousie. Sans doute, ce serait le dernier terme du calvaire ; mais elle s’immolerait à cette vertu si haute et si pure de l’abnégation, au principe sublime de la douleur :
- « Et après, Seigneur, faites-moi la grâce que je vieillisse vite et meure chaque jour en moi avant d’entrer dans votre paix tutélaire...» .
- Un long moment, elle resta comme anéantie, puis reprit :
- « Protégez ma fille et ma petite-fille ; inspirez Francine ; ne jugez pas ses actes, s’ils vous déplaisent, mon Dieu, mais ses intentions qui sont pures, vous le savez... Si elle manque à vos commandements en voulant échapper à l’étau conjugal, faites-moi expier son erreur et punissez-moi à sa place : accablez mon âme et frappez mon corps ; de toute ma foi je m’offre en holocauste. Eclairez-la sur la route obscure où elle marche et faites briller votre flambeau. »
- Une angoisse la tourmentait : elle n’avait pu se dissimuler la transformation insensible de Francine ; Marchai avait vu trop clair : un être doué de telles énergies, d’un besoin si ardent de vivre, ne pouvait accepter le renoncement complet, appellerait, à un moment donné, les revanches du sort. . Francine n’aimait pas encore, mais elle aimerait peut-être ; et si la passion devait lui rester inconnue, si elle devait ignorer cette langueur et
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- cette ardeur de fièvre qui dévoraient sa mère, elle aimerait selon sa nature franche, saine, prime-sautière ; elle se referait une existence, elle rebâtirait la maison. Pensait-elle déjà à quelqu’un, sans y rattacher même un espoir, une attente précise ?...
- Mme Favié n’eût pas osé l’affirmer : les indices étaient si faibles. Ce fait, toutefois, l’avait surprise ; les derniers jours, plus irritée des délais de la procédure et des dégoûts de la lutte, Francine s’était plongée dans des lectures de voyages, d’explorations au coeur de l’Afrique, penchée sur la carte de la région du Zambèze, comme si elle y recherchait d’invisibles étapes. Ceci encore : dans sa chambre, entre des photographies d’amis et d’amies, sur un petit paravent d’étoffe, un visage qui la veille n’y était pas et qui en revanche laissait un vide dans l’album du salon : Eparvié.
- — Tiens ! avait dit Mme Favié.
- Et Francine, de ses yeux clairs, l’avait regardée très naturellement. Mais non, sa fille ne rêverait aucune forme de vie nouvelle, surtout aussi improbable, tant qu’elle serait encore la femme d’un autre. Elle demeurait Mme Le Hagre, car, aux yeux de Mme Favié, les actes de la vie n’allaient pas sans les formalités qui les consacrent, et seule la sanction solennelle de Dieu ou des hommes liait ou déliait, et non l’assentiment des coeurs et la libre volonté.
- Et, reprise à sa sincère et impuissante ferveur, elle récitait cette oraison universelle, qui lui venait de sa plus tendre enfance et que lui avait apprise la grand’-mèreHerminie :
- «... Seigneur, je veux ce que vous voulez, parce que vous le voulez, comme vous le voulez, et autant que vous le voulez !
- « Je vous prie d’éclairer mon entendement, d’embraser ma volonté, de purifier mon corps, et de sanctifier mon âme...
- « Que je m’applique sans cesse à dompter la nature, à seconder la grâce, à garder la loi et à mériter le
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- salut... »
- Mais elle avait beau se fermer les yeux, se boucher les oreilles, se murer le cœur, elle ne parvenait pas à chasser entièrement l’image de Charlie ; elle ne pouvait exorciser cette pensée qui lui coulait dans le sang et respirait par son souffle...
- Marchai arrivait à l’appartement de la Muette.
- — Madame Francine ?
- Le vieux Jean répondit, soucieux i
- — Madame est sortie ; elle est chez son avoué.
- — Josette ?
- — Mademoiselle ne rentrera pas de chez son père ; il a fait dire qu’elle était tombée... blessée.. Si monsieur veut attendre ces dames ?
- Marchai, las, repartait, déçu.. Blessée?, pas grièvement, au moins ? Pauvre petite !... Et cette mère forcée, au lieu de se précipiter au chevet de sa fille, de relancer son homme d’affaires. Il sentit vivement l’imperfection des lois, la misère des êtres et des choses.
- VI
- Ce jour-là, Francine et sa mère avaient, comme tous les jeudis, conduit Josette rue Murillo. Et c’avait été le déchirement habituel, la voiture arrêtée quelques portes avant l’hôtel Le Hagre. Mme Favié descend seule, sonne ; la porte s’ouvre et se referme sur l’enfant. Et Mme Favié revient pâle. Elles se regardent avec de grands yeux troubles, comme si elles venaient de commettre une mauvaise action. Chaque fois qu’il leur faut livrer Josette, leur cœur saigne.
- Du coupé qui les emporte, Francine voit les petits pieds qui grimpent l’escalier, se posent sur les fleurs du tapis. Eugène, le valet de chambre, ou bien Céline l’accompagne. Et voilà la grand’mère Le Hagre, — depuis une quinzaine, elle est venue habiter chez son fils, —. elle ouvre les bras : — « Bonjour, ma pauvre petite chérie. Comme tu as froid ! On ne te couvre donc
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- pas ! Viens vite te chauffer. Ton papa t’attend ?... » Et Josette revoit l'appartement tel qu’elles l’ont laissé en partant : il n’y a que sa mère en moins, et Lischen que, prudemment, Le Hagre a fait filer en Allemagne.
- Que peut penser Josette, de rentrer dans sa maison, leur maison, et d’y retrouver son père, sa grand’mère, les domestiques, les meubles, les jouets, la vie familière qui sonne l’heure aux pendules, vient se frotter à elle dans le gros dos du chat noir si méchant ? — Tu vois, Mistigre te reconnaît, dit Mme Le Hagre. Il t’aime bien, Mistigre ! Ici, tout le monde t’aime !...
- Tout ce qu’on peut lui dire, à cette innocente !. . Interrogations perfides, insinuations déguisées : l’immoral, le monstrueux partage ! Pendant qu’elle est chez eux, ils ont le droit de l’empoisonner à leur aise : un bonheur encore, qu’elle soit si petite ! les impressions glissent. Qu’est-ce que ce sera, dans deux ans, trois ans ? Il y a dans le mensonge une telle séduction, une telle force de mirage : toute vérité est pauvre et faible à côté.
- Cela encore ne serait rien : le plus cruel, c’est ce reflet fugitif de nuage qui vole, qu’elle a saisi souvent sur le frêle visage, dans les yeux de ciel, l’inexprimable de cette âme d’enfant qui sent un malaise et ne se l’explique pas, qui devine obscurément qu’il s’est passé quelque chose de grave entre ses parents, quoi ? Elle a bien fait une ou deux questions : mais les mots pour Josette n’ont pas encore leur sens ; elle n’entend, ne retient d’eux qu’une résonance de mystère ; elle sait que sa mère est malheureuse, que son père se dit malheureux ; puis elle joue, et elle oublie. Mais Timpres-sion confuse demeure.
- Et Francine songe à cette belle phrase d’OIive Shrei-ner : « Les âmes des petits enfants sont des choses merveilleusement délicates et tendres ; elles gardent à tout jamais le reflet de l’ombre qui la première tombe sur elles ; c’est celle d’une mère, » Et elle se répète :
- « C’est à mon ombre seule qu’elle devrait pouvoir
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- grandir !... »
- Josette rit, s’amuse, apprend à lire, à écrire, à compter, possède déjà un minuscule trésor de connaissances; en apparence, rien de changé en elle, et pourtant elle subit les influences contradictoires, respire l’air délétère, puis l’air vivifiant ; sa petite tendresse est la même, et cependant d’imperceptibles différences s’accusent. Les lundis et les vendredis, les lendemains, elle est pâlotte et pensive. Il semble que son regard soit moins candide.
- Par tous les moyens, Le Hagre atteste ses droits, son autorité tracassière : que lui importe que l’enfant puisse souffrir de ces tiraillements ? Ah ! que Francine le hait, à ce moment ! Il lui vient des envies de prendre sa fille et de se sauver au bout du monde...
- — Montes-tu chez Mme de Guertes ? demanda Mme Favié.
- Francine en est incapable, se fait descendre au coin de l’avenue de Courcelles : Mme Favié échange avec elle un regard navrée elle se reconnaît si impuissante, elle aussi ; elle a beau aimer Francine, la soutenir : trop de choses les séparent ; ce qu’elle peut ou rien...
- Le coupé s’éloigne, Francine est seule... Tout est obscur en elle ; elle lutte contre un de ces découragements qui vous donnent envie de se coucher par terre, et d’y rester comme une bête fourbue. Mais elle pense qu’elle peut faire encore du bien. Elle se dirige vers le boulevard des Batignolles, atteint une rue écartée, un escalier sombre, sonne.
- Une femme en noir, la cliente pauvre d’Herbelot, vient lui ouvrir ; l’aiguillée de fil piquée au corsage dit le travail interrompu ; un sourire, et le visage de résignation s’éclaire... Un jour où l’avoué était absent, leur déception et leur tristesse ont sympathisé, franchi la barrière qu’élève l’égoïsme social ; depuis, un lien de souffrance rapproche ces deux existences si éloignées, si semblables pourtant. Francine a pu, discrètement, soulager la misère de Jeanne Levai ; elle a stimulé le
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- zèle d’Herbelot en lui garantissant les frais du procès.
- — Oh ! entrez ! s’écria la jeune femme. Quelle bonne surprise ! C’est Loulou qui va être contente !
- Et aussitôt un cri d’enfant ; deux petites mains fraîches se suspendent au cou de Francine. Si peu expansive, elle sent son cœur se gonfler à la pensée de Josette qui est là-bas ; elle envie cette mère qui a sa fille à elle, à elle seule ; et cependant quelle triste histoire !...
- Un mari scélérat, qui, lorsqu’elle sortait de l’atelier, — elle était « première main » chez un grand couturier, — lui raflait son argent ; un être assez vil pour lui donner les pire conseils : « Elle était assez jolie ! »... Elle l’avait quitté depuis quelques années, avait demandé le divorce. Mais, pas d’argent, pas d’avoué, ni d’avocat.
- L’Assistance judiciaire ? Que de courses, de démarches ? Avec de tristes femmes, ses sœurs d’infortune, on les parquait par séries alphabétiques. A l’entrevue en conciliation, elles entraient en bloc, maris et femmes mêlés, devant un juge pressé ; en cinq sec, c’était fini : « Vous voulez divorcer ? Très bien ! » Puis des mois d’attente, des stations vaines chez un. méprisant avoué d’office. Un beau jour, le jugement : déboutée. Sait-on pourquoi? La chance... Une rousse, sa voisine le jour de l’entrevue, elle, avait gagné, — comme à la-loterie ! Et les clercs étaient si négligents que, sur une pièce erronée, on venait de divorcer une assistée judiciaire — d’avec son mari ? — non, d’avec l’avoué qui la représentait !... Toute la procédure à refaire ! Huit mois de perdus !
- — Descends, Loulou ; tu fatigues madame, dit Jeanne Levai.
- Mais Francine retint la petite sur ses genoux, cette enfant, qui née en dehors du mariage, avec ses yeux candides, ses rondes joues roses, incarnait la suite de l’histoire. Jeanne Levai, son divorce rejeté, sommée par son mari de rentrer au domicile conjugal, s’y était refusée. — « Très bien, avait dit cet homme conciliant,
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- à ta guise ! Et lui vivait de son côté avec des maîtresses, rendait de temps à autre des visites à sa femme, les jours où il la supposait en fonds.
- Que faire, que devenir ? Seule au monde, l’inévitable s’était produit. Jeanne s’était mise en ménage, en faux ménage, avec un brave homme, employé de commerce. — « Parfait, avait dit le mari mais si c’est dans l’espoir que je divorcerai, tu t’es trompée, la belle ! » Jeanne avait eu de son amant cette petite... Mais le mari avait écrit : « Dieu a béni notre union, j’en suis charmé. A quand le baptême de ma fille ? » Et, loin de désavouer Loulou, il avait endossé cette paternité légale, rien que pour faire enrager sa femme.
- Elle redemandait en ce moment le divorce, ayant réussi à le prendre en flagrant délit ; mais, s’étant elle-même mise en faute, l’obtiendrait-elle ? On pouvait, par compensation des torts, la débouter encore ! Ah ! ces chinoiseries de la loi, et cette indifférence des juges, Francine en savourait davantage l’écœurement, dans cette pièce misérable et si propre, où, près de la fenêtre, une machine à coudre sans cesse bourdonnait, non loin •de la couchette de l’enfant.
- Elle pensa à Josette, eut les yeux pleins de larmes. Jeanne Levai comprit,' et, comme si elle pouvait la consoler, par la pensée d’une peine commune :
- — Croyez-vous, madame ? Il a dit qu’il me prendrait Loulou, qu’elle était inscrite comme sa fille, qu’elle était à lui. Ah ! je vous jure que s’il essayait ça, il apprendrait le prix du vitriol !
- Elle réfléchit, et sans s’interrompre de tailler et de coudre, en travailleuse obstinée qu’elle était :
- — C’est drôle, n’est-ce pas ! je croyais qu’on divorçait toujours les gens malheureux. A quoi sert donc le divorce ?
- Une clef tournait dans la serrure. Jeanne se précipita et, poussant devant elle un homme à cheveux grisonnants, à bonne et franche figure, le corps trapu, l’air préoccupé de ceux qui sont aux prises avec une vie
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- LE DEVOIR
- 756
- ingrate :
- — Monsieur Brunet... le père de ma fille.
- Emu soudain, l’employé rougissait, balbutiait :
- — Ah ! madame, c’est bien de la bonté... Loulou est si contente quand elle vous a vue. Et Jeanne donc !
- . 11 regarda avec un air d’adoration celle qu’il ne pouvait épouser et qui était pourtant sa femme ! Francine fut frappée du maintien digne de Jeanne Levai à cette minute, de son charme triste ; et cette petite qui souriait à belles dents de perles, sans comprendre ! Ce pauvre ménage illégitime, où il y avait de la beauté parce qu’il y avait de l’amour et de la douleur, la toucha : se pouvait-il qu’il y eût tant d’êtres malheureux sans qu’ils l’eussent mérité ? Oui, et à travers Jeanne Levai, elle entrevoyait des légions de femmes très à plaindre, opprimées comme elle par la méchanceté de l’homme et la complicité des moeurs et des lois !
- Au sortir de chez l’ouvrière, ses notions courantes étaient bouleversées : elle venait de voir de braves gens, et ces braves gens vivaient hors la loi, hors la société ! Elle les compara instinctivement à des mondains qu’elle connaissait et méprisait : ceux-là, le monde leur faisait fête, ils étaient considérés.
- Elle crut remarquer, en arrivant place Courcelles, qu’un individu s’attachait à ses pas. Le fait n’avait rien que d’ordinaire : il y a tant d’imbéciles ! Mais non, ce n’était pas la jolie femme que l’on suivait, pour le plaisir ; ellè eut très vite la sensation d’être un gibier qu’on rabat. L’homme, un individu de correction et d’allures vagues, avait toute la mine d’un mouchard. Elle se rappela qu’Herbelot l'avait prévenue : il y avait des agences pour cela. Elle ne put s’empêcher de rire. Puis le dégoût, la colère, la honte... Et elle qui avait repoussé avec mépris l’idée d’espionner son mari, elle qui aurait cru s’abaisser par un procédé pareil ! Non, c’était trop bouffon ! Mais que croyait-il donc ?
- En rentrant, elle trouvait Céline ; cette présence avant
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- LES DEUX VIES
- 757
- l’heure, sans Josette...
- — Un malheur ?
- — Que Madame ne s’effraie pas.. Mademoiselle est tombée ; ce ne sera rien... elle a un peu mal au bras. Le docteur Larive est venu, Monsieur m’envoie préve-
- nir...
- Francine regardait avec des yeux effrayants ce visage fermé, où le servage avait mis son stigmate d’hypocrisie : cependant elle avait été bonne pour cette fille, qui portait, élégante, un chapeau et un mantelet qu’elle lui avait donnés à l’automne, Céline détournait les yeux.
- — La vérité ! vite !...
- La femme de chambre avouait... Josette avait le bras cassé. Il n’y avait de la faute de personne...
- Francine étouffait un cri : déjà elle se précipitait dans l’escalier, atteignait le porche ; à ce moment le coupé de sa mère rentrait : un signe, un ordre, et, à toute allure, le cocher étonné la menait rue Murillo. Francine ne pensait à rien qu’à étreindre et à emporter Josette. Àh ! ce ne serait pas long !... Rien n’existait plus. Le bras cassé !... Mais ces chevaux ne marchaient pas !... Ce Larive, pourvu qu’il ne lui eût pas fait de mal !.. Elle lui en voulait de ce qu’il était resté le médecin de Le Hagre ; opter pour son mari n’était pas seulement la trahir, mais l’outrager, elle et Josette.
- Elle s’avisa, — on passait rue Beaujon, — que le docteur Dutoil était peut-être chez lui ; oui, par bonheur. Il allait sortir ; elle l’enlevait. C’était, sous son masque socratique et ses manières simples, un homme bon et sage. Il la calmait d’abord, lui déclarait ensuite, tandis que le coupé roulait rapide : — Je vais demander à voir votre fille et je vous rapporterai immédiatement des nouvelles... Vous ne pouvez entrer chez votre mari... Vous m’attendrez dans la voiture...
- (.A suivre).
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- 758
- LE DEVOIR
- Société du Familistère. - Assurances Mutuelles
- MOUVEMENT DU MOIS DE JUIN 1905, A GUISE
- 1.315 33 514 15
- 5.242 53 3.200 95
- ASSURANCE CONTRE LA MALADIE
- Section des Hommes
- Cotisations des mutualistes.... 3.413 05 J
- Subvention de la Société......
- Malfaçons et Divers...........
- Dépenses.................................
- Boni en juin 1905..................
- Section des Dames
- Cotisations des mutualistes.... 553 »
- Subvention de la Société...... 236 11
- Divers......................... _ 8 65
- Dépenses.......... ........ .............
- Boni en juin 1905..................
- 2.041 58
- 797 76 609 85
- 187 91
- ASSURANCE DES PENSIONS
- Subvention de la Société et Divers 9.563 46 I
- Intérêts des comptes courants et > 12.771 29
- du titre d’épargne........... 3.208 13 \
- Dépenses :
- 128 Retraités définitifs......... 8.822 42
- 5 — provisoires................ 258 50
- Nécessaire à la subsistance....... 5.027 20 ^- 14.972 12
- Allocations aux famill8 des réservistes 69 »
- Divers, appointent., médecins, etc. 795 »
- Déficit en juin 1905.............. 2.200 83
- CAISSE DE PHARMACIE
- Cotisations des mutualistes.....
- Subvention de la Société........
- Dépenses........................
- Boni en juin 1905......
- 850 30 327 10
- RÉSUME
- 104 au 30 jnin 1905 152.400 57 » 53.468 85
- Recettes sociales du 1er juillet » individuelles »
- Dépenses » » .............
- Excédent des dépenses sur les recettes..
- 1.177 40 820 29 357 11
- 205,869 42 249.653 33 43.783 91
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- ÉTAT CIVIL
- 759
- ÉTAT CIVIL AU FAMILISTÈRE DE GUISE
- MOIS DE JUIN 1905.
- Naissances :
- 2 juin Bléron René, fils de Bléron Charles et Quent Julia.
- 11 — Dassonville Maurice-Edmond, fils de Dasson-
- ville Charles et de Dassonville Laure.
- Décès :
- 4 juin Dirson Arthur, âgé de 42.ans.
- 8 — Hébert Marcel, âgé de 51 ans.
- 26 — Mme Roger Ernest, âgée de 46 ans.
- 28 — ' Mme Lefranc Dominique, âgée de 57 ans.
- Le Gérant : H. E. Buridant.
- Nimes. — Typ. A. Chastanier, 12, rue Pradier.
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- 760
- LE DEVOIR
- TABLE DES MATIÈRES
- DU TOME VINGT-NEUVIEME
- JEAN-BAPTISTE-ANDRÉ GODIN.
- Documents pour une biographie complète.
- Essais de répartitions mensuelles indicatives du mérite (série des employés) 1870. Propositions diverses en réponse à l’adresse de J.-B.-A. Godin aux intéressés. 5, 65,129, 193
- Modes de consultation du suffrage extraits des propositions diverses touchant les répartitions mensuelles.. 257 1er essai de répartitions mensuelles indicatives du mérite. Double vote : (un sur bulletin collectif, un sur bulletin individuel) relatif à janvier 1870... 321, 385, 449,
- 513
- 2e essai de répartitions mensuelles indicatives du mérite. Vote sur bulletin collectif seulement, relatif
- à février 1870................................... 517
- 3e et 4e essais de répartitions mensuelles indicatives du mérite. Nouvelles applications du vote sur bulletin collectif seulement, relatives à mars et avril 1870. 577
- 583
- 5e et dernier essai de répartitions mensuelles indicatives du mérite, au moyen du vote sur bulletins collectifs, relatif à mai 1870. Récapitulation. . ! 641, 705
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- TABLE DES MATIERES DU TOME VINGT-NEUVIEME 761
- ECONOMIE POLITIQUE ET SOCIALE
- Congrès............................................... 12
- Evolution (L’) coopérative................... 589, 717
- Institut (Un) agricole international................. 153
- Législation internationale ouvrière................ 341
- ASSOCIATION DO FAMILISTÈRE
- Admissions dans la société.................... 697, 699
- Assemblée générale ordinaire......................... 657
- Assurance des pensions (Liste des pensionnés au 30
- juin 1905).................................... :.. 692
- Assurances mutuelles au Familistère de Guise... 63, 127,
- 191, 255, 319, 383, 447, 511, 575, 639, 758
- Comité de conciliation........................... .. 699
- Conseil de gérance......,........................... 700
- Conseil de surveillance.............................. 700
- Etat-civil au Familistère de Guise... 64, 128, 192, 256,
- 320, 384, 448, 512, 576, 640, 759 Fête de l’Enfance et discours de l’Admimstrateur-Gérant 621,
- 622
- Fête du travail...................................... 699
- CHRONIQUE PARLEMENTAIRE
- Accidents (Les) du travail............................ 8t
- Alcoolisme (L’)....................................... 37
- Article (L’) 298...................................... 36
- Assistance obligatoire aux vieillards, aux infirmes et
- aux incurables............................. 467, 471
- Chemins de fer de l’Etat (ouvriers et employés des).... 81
- Chômage (Le).......................................... 33
- Codification des lois ouvrières.............. 147, 207
- Combes (retraite du ministère)........................ 74
- Coopération (La) et la participation.................. 39
- Conseils de Prudhommes (juridiction d’appel)......... 470
- Délégués à la sécurité des ouvriers mineurs......... 469
- Exposition (L’) de la vie ouvrière.................... 38
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- 762 LE DEVOIR
- Femmes (Les) et le Code civil........................... 35
- Fraudes alimentaires................................... 76
- Grèves de Marseille...................................... 78
- Journée de travail dans les mines.................... 468
- Lois ouvrières (Les)............................ 267, 340
- Lois sociales au Sénat.................................. 395
- Maladies professionnelles............................... 401
- Programme des réformes.................................. 138
- Question constitutionnelle.............................. 204
- Retraites ouvrières ............................ 330, 464
- Séparation des Eglises et de l’Etat.................. 463
- Service militaire de deux ans........................... 207
- Session extraordinaire de 1905.......................... 728
- Session (La) ordinaire de 1905 et les réformes......... 459
- Travail (Le) législatif................................. 32
- FAITS POLITIQUES ET SOCIAUX Afrique Australe
- Blancs, Jaunes, Noirs....................... 603 à 614
- Allemagne
- Assurances ouvrières............................... 736
- Caisses d’épargne............................... 543
- Grèves du bassin de la Ruhr........................ 162
- Journée de neuf heures............................. 736
- Population . 543
- Amérique du Sud
- Congrès latino-américain......................... 737
- Australie
- Arbitrage professionnel......*................... 547
- Autriche-Hongrie
- Congrès international des accidents du travail et des
- assurances sociales................................... 234
- Premier député socialiste hongrois...................... 162
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- TABLE DES MATIÈRES DU TOME VINGT-NEUVIEME 763
- Belgique
- Congrès international d’expansion économique mondial. 236
- Législation internationale de la mutualité........ 536
- Nouveau secrétariat international onvrier............ 737
- :c Bulgarie
- Travail des femmes................................ 351
- Canada
- Immigration japonaise (Loi contre T)................. 294
- Indemnité parlementaire.............................. 548
- Espagne
- Repos du dimanche.................................. 225
- Etats-Unis d’Amérique
- Chemins de fer (Régime des).......................... 159
- Conquête de l’Ouest.................................. 544
- Deux étoiles de plus au drapeau fédéral............ 160
- •Evolution politique.................................. 92
- Fédération (La) du travail et les Japonais......... 93
- « Homestead »......................................... 90
- Immigration........................................... 93
- Nègres (Question des), une victoire................... 96
- Police (La) et les grèves ........................... 734
- Prix du terrain à New-York........................... 545
- Trusts (La législation dans les)..................... 158
- Village semi-rural, semi-industriel................ 493
- France
- Chômage (Caisse municipale de)........................ 89
- Code forestier...................................... 295
- Congrès de la Ligue des Droits de l’homme............ 414
- Congrès de l’association des agents des postes et télégraphes........................................... 413
- Congrès espérantiste................................. 539
- Congrès international du droit pénal................. 412
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- 764
- LE DEVOIR
- Congrès pour la défense du commerce français........ 235
- Ecoles nationales professionnelles..................... 90
- Ecoles pratiques de commerce et d’industrie............ 89
- Fatigue (La) cause d’accidents......................... 88
- Instituteurs (Les).................................. 490
- Mutualité (La) et les retraites....................... 403
- Referendum municipal.................................. 352
- Grande-Bretagne
- Cantines scolaires................................... 417
- Cours d’apprentissage à la caserne.................... 418
- Droits des Trades-Unions.............................. 350
- Excès de dépenses..................................... 546
- Journée de huit heures dans les mines............. 232
- Petit pas vers l’unification métrique................. 546
- Richesse houillère................................... 162
- « Trade dispute’s bill »............................ 229
- Hongrie
- Alcoolisme et criminalité............................. 735
- Italie
- Congrès (4e) d’assistance publique et privée.......... 238
- « Ferrovieri » (Les).................................. 217
- Institut international d’agriculture....... 153,296, 414
- « Latifundia » (Question des).......................... 99
- Japon
- Socialistes (Mesures contre les)..................... 100
- Norwège
- Suffrage direct....................................... 353
- Pays-Bas
- Elections (Les)...................................... 492
- Journée de huit heures dans les mines................. 232
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- TABLE DES MATIERES DU TOME VINGT-NEU VlÀME 765
- Pays divers
- Alcoolisme (Lutte contre 1’). Un office antialcoolique du
- travail. L’appel de Vandervelde. Une victoire..... 290
- Congrès (Les prochains)............................. 233
- Législation internationale ouvrière................. 489
- Production et consommation de l’or dans le monde.... 294
- Repos dominical..................................... 285
- Restriction du droit de grève....................... 280
- Russie
- Évolution politique et sociale.... ................. 165
- Population de l’Empire.............................. 732
- Suède
- Echec de la loi contre les grèves................... 353
- Musée social permanent............................... 547
- Suisse
- Apprentis (Examen des)................................ 161
- Apprentissage........................................ 350
- Assurance contre la maladie et les accidents......... 348
- Code civil (Le) au conseil national.................. 416
- Conférence internationale des chemins de fer......... 538
- Conférence internationale pour la protection légale des
- travailleurs ................................. 97, 235
- Crise de l’impôt sur le revenu........................ 98
- Magistrature élective................................. 461
- Représentation proportionnelle........................ 231
- Union suisse des sociétés de consommation. (Assemblée des délégués)...................................... 297
- COOPÉRATION ET PARTICIPATION
- Algérie. Village coopératif.......................... 488
- Alliance coopérative internationale, VIe congrès...... 40
- Congrès coopératifs (Les)............................ 484
- Congrès de Paisley (Ecosse)......................... 524
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- 766
- LE DEVOIR
- Coopération (La) au Japon............................. 485
- Danemark. Ministre coopérateur........................ 488
- Évolution (L’) coopérative..................... 589, 717
- France. — Coopération (La) et la participation. Proposition de loi....................................... 39
- » Coopérative (Une) d’ouvriers des ports... 487
- » Union (L’) coopérative et le 11e congrès.. 43, 211
- Machine à fabriquer des sociétaires................. 602
- PAIX ET ARBITRAGE INTERNATIONAL
- Académie internationale de la paix.................. 241
- Allemagne. — Colonisation........................... 103
- » Mouvement pacifiste..................... 103
- Arbitrages.................................. 47, 240, 358
- Association médicale internationale contre la guerre.. 430,
- 556
- Avenir (L’).......................................... 743
- Budget de la paix.................................... 242
- Conciliation (La) internationale.................... 359
- Conférence (2e) de La Haye.......................... 363
- Conférence intergouvemementale (2e).................... 50
- Congrès de Lille.................................... 354
- Congrès (XIVe) universel de la paix............ 419, 738
- Coopération (La) et la paix.................... 430, 741
- Croix rouge (Convocation relative aux navires de la)... 101
- Ecole (L’) de la paix............................... 555
- Education (L’) pacifique.............................. 428
- Entente cordiale (Une nouvelle manifestation)......... 360
- Etats-Unis d’Amérique. L’armée.. .................... 620
- France. — Congrès national (3e) de la paix.......... 238
- » Enseignement des idées pacifistes........ 102
- » Patriotisme (Le) et les instituteurs..... 615
- » Partis radicaux (Les) et l’action pacifiste.... 168
- » Pétitionnement pour une trêve en Extrême-
- Orient ........................ 101, 177, 237
- Grandes (Les) indemnités de guerre.................... 298
- Hull. Sentence de la commission d’enquête........... 237
- Langue internationale. Espéranto...................... 243
- Législation (La) internationale du travail et la paix.... 431
- Manifestations ouvrières contre la guerre............. 553
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- TABLE DES MATIÈRES DU TOME VINGT-NEUVIÈME 767
- Manifestations pacifiques du 18 mai................... 419
- « Mensonges » (Les) du pacifisme...................... 549
- Petit symptôme pacifique.............................. 104
- « Peur » de la guerre.................................... 743
- Propagande par les projections lumineuses................ 239
- Rapprochement franco-allemand.................... 426, 738
- Sentence (Une) arbitrale................................. 358
- Société de paix et d’arbitrage au Familistère de Guise. 242
- Traités d’arbitrage................*............. 362, 497
- Traités de commerce (Les) et les conventions de La
- Haye.................................................. 175
- Union interparlementaire..................... 354, 494, 617
- Vers la fédération d’Occident............................ 495
- Vers la paix......................................... 424
- Vers l’unité.................... ...................... 740
- Visites internationales............................... 44
- MOUVEMENT FÉMINISTE
- Chine. — L’éducation en Chine......................... 433
- Etats-Unis d’Amérique. — La peine du fouet.............. 180
- » Prix réservé aux femmes......................... 746
- » Travail féminin................................. 745
- France. — Assistance (L’) publique et les femmes...... 301
- » Blanche Schweig (Madame), administrateur
- titulaire de la caisse des écoles du 3e arrondissement de Paris...................... 304
- » Code civil (La commission du).................... 105
- » Conférence de Versailles......................... 558
- » Conseil national des femmes françaises........... 178
- » Corporation (La) des employés et les femmes ............................................... 746
- » Desmolières (Mlle), médecin des écoles de la
- ville de Paris............................ 304
- » Doctorat en droit.......................... 745
- » Femmes typographes.......................... 432
- » Jury féminin................................ 364
- » Législation (La) et les femmes................... 557
- » Mesure injustifiable rapportée............. 744
- » Pharmaciennes............................... 432
- » Recherche de la paternité................... 303
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- 768
- LE DEVOIR
- Italie. — Recherche de la paternité.................. 432
- Japon — Etudiantes japonaises........................ 365
- Russie. — Droits des femmes ......................... 365
- » Meeting de femmes à Moscou..................... 434
- Suisse. — Association des femmes..................... 109
- » Unification (L’) du code civil et les femmes... 179
- ROMAN
- Les deux vies, par Paul et Victor Margueritte.... 51, H 3,
- 181, 244, 305, 368, 435, 498, 560, 701, 749
- BIBLIOGRAPHIE
- Almanach de la coopération française et suisse pour
- 1905 ............................................ 110
- Almanach de la paix pour 1905..................... 111
- Conférence interrompue (Une), éditeur: E. de Boyve.. 111 Congrès (Le) coopératif international de Budapest et
- ses résultats, par le Dr Hans Müller............. 747
- Coopération (La), journal populaire suisse, Bâle... 748
- Ouvrages reçus...............................*.... 110
- Sociétés coopératives anglaises (Les) par J. Cernesson. 366
- AVIS DIVERS
- Aux collectionneurs du « Devoir ».................. 559
- Errata (Documents biographiques)............. 203, 656
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